La cohabitation légale : quo vadis? - Larcier

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La cohabitation légale : quo vadis? - Larcier
DOCTRINE
La cohabitation légale : quo vadis ?
Alain-Charles Van Gysel
Professeur ordinaire à l’ULB
Avocat au barreau de Bruxelles
I. — La lutte contre les cohabitations légales de complaisance
Le 2 juin 2013 était promulguée une loi réprimant la cohabitation
légale de complaisance et la cohabitation légale forcée, par l’insertion, aux
numéros 1476bis à quinquies, de quatre articles nouveaux dans notre Code
civil.
Cette nouvelle législation avait pour but déclaré de colmater les
brèches du système organisé (1) par la loi du 4 mai 1999, pour combattre les
mariages dits « blancs ».
En effet, dès lors que ce système tendait à constituer un obstacle de
plus en plus sérieux au phénomène de la fraude au séjour en Belgique ; de
nouvelles techniques, poursuivant le même objectif frauduleux, avaient
vu le jour ; comme le mariage fictif conclu à l’étranger, dont la reconnaissance est ensuite demandée en Belgique (2) ; la reconnaissance de complaisance d’un enfant (3) ; et, enfin et surtout, la cohabitation légale de
complaisance (4).
(1)
Il est important de rappeler que cette loi ne faisait elle-même que consacrer une
pratique prétorienne, consacrée dans une circulaire conjointe des ministres de la Justice et de
l’Intérieur, et publiée au Moniteur belge du 7 juillet 1994, p. 18098 : voy. l’étude du substitut
P. France, « La pratique judiciaire à Bruxelles en matière de mariage simulé », in Démariage
et coparentalité : le droit belge en mutation, Actes du 4e colloque de l’association famille et
Droit, Story-Scientia, 1996, pp. 191 à 230.
(2)
Articles 22 et suivants, spécialement 27 et suivants, du CoDIP.
(3)
Sur la problématique des « bébés-papiers », voy. notamment P. Wautelet, « Les
relations familiales internationales : retour sur trois tendances majeures », in États généraux
de la famille, Bruylant-Anthemis, 2014, pp. 203, spécialement pp. 239 et s.
(4)
Voy. la question no 787 de D. Ducarme du 15 mars 2010, Q.R. Chambre, s.o., 20092010, nos 52 et s., pp. 80 et s.
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Ce dernier phénomène avait pris une telle ampleur, que le parquet
d’Anvers avait décidé en 2010, de le dénoncer en faisant une « grève des
enquêtes » au sujet des mariages suspectés d’être fictifs (5), puisque cette
lutte lui paraissait inutile, compte tenu de la possibilité de contourner cette
répression par le biais de la cohabitation légale.
Dans un premier temps, la disposition de la loi sur le séjour des étrangers en Belgique (6), qui donne à la cohabitation légale un effet de « regroupement conjugal » (7), a été durcie en 2011 par l’adjonction de conditions
supplémentaires à celles qui s’imposent pour obtenir ce même regroupement dans le cadre d’un mariage.
Alors que ce dernier statut donne un droit de séjour quasiment inconditionnel (8) au conjoint (9) étranger d’une personne belge, admis au séjour illimité
ou établi en Belgique, qui « accompagne ou rejoint » ce dernier, le cohabitant
légal d’une telle personne doit, en plus, remplir diverses autres conditions,
liées à l’existence d’une communauté de vie entre les cohabitants (10).
(5)
Voy. l’article publié sur le site 7/7, le 9 février 2010, et relatant les propos du premier
substitut Ch. Merlin ; idem sur le site de la Gazet van Antwerpen du 8 février 2010.
(6)
Loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers.
(7)
Cette loi transpose en droit belge la directive 2004/38/CE du Parlement européen et
du Conseil du 29 avril 2004 « relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs
familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres ».
(8)
Sous réserve de la condition d’âge (21 ans, réduits à 18 si le mariage est antérieur à
la venue de l’étranger en Belgique).
(9)
Ou partenaire, dans le cadre d’un partenariat enregistré qui serait assimilable au
mariage. Mais la cohabitation légale belge ne constitue pas un tel partenariat : voy. la circulaire du 29 mai 2007 de la ministre de la Justice (M.B., 31 mai 2007).
(10)
Savoir : « a) prouver qu’ils entretiennent une relation de partenaire durable et stable
dûment établie.
Le caractère durable et stable de cette relation est établi :
– si les partenaires prouvent qu’ils ont cohabité de manière légale en Belgique ou dans un
autre pays et ininterrompue pendant au moins un an avant la demande ;
– ou si les partenaires prouvent qu’ils se connaissent depuis au moins deux ans avant la
demande et qu’ils fournissent la preuve qu’ils ont entretenu des contacts réguliers par téléphone, par courrier ordinaire ou électronique, qu’ils se sont rencontrés trois fois durant les
deux années précédant la demande et que ces rencontres comportent au total 45 jours ou
davantage ;
– ou si les partenaires ont un enfant commun ;
b) venir vivre ensemble ;
c) être tous deux âgés de plus de vingt et un ans ;
d) être célibataires et ne pas avoir de relation de partenaire durable et stable avec une autre
personne ;
e) ne pas être une des personnes visées aux articles 161 à 163 du Code civil ;
f) n’avoir fait ni l’un ni l’autre l’objet d’une décision sur la base de l’article 167 du Code
civil » (Il s’agit d’une décision sur le recours contre le refus de célébration du mariage : la cohabitation légale qui suit une décision –par hypothèse négative — sur un tel recours crée donc une
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Ces conditions supplémentaires, limitant l’accès des étrangers cohabitants légaux au séjour en Belgique et qui ont été jugées constitutionnelles (11),
n’avaient visiblement pas été jugées suffisantes par le législateur, puisqu’il
a décidé d’opérer un nouveau décalque partiel du mariage, en instaurant
un régime juridique relatif à la cohabitation légale de complaisance et à la
cohabitation légale forcée, sur le modèle de celui existant pour le mariage
de complaisance et le mariage forcé.
Ainsi, le nouvel article 1476bis du Code civil porte qu’« Il n’y a pas
de cohabitation légale lorsque, bien que la volonté des parties de cohabiter
légalement ait été exprimée, il ressort d’une combinaison de circonstances
que l’intention d’au moins une des parties vise manifestement uniquement à
l’­obtention d’un avantage en matière de séjour, lié au statut de cohabitant
légal ».
Lorsque l’officier de l’état civil estime que tel est bien le cas, il peut
refuser d’acter la déclaration de cohabitation légale (12), et les candidats à la
cohabitation ont alors un recours comme en référé (13) devant le tribunal de
la famille.
Si la cohabitation légale a bien été actée, mais qu’elle se révèle avoir un
but de fraude au séjour, l’annulation de la cohabitation légale est possible, à
la demande de tout intéressé, y compris le parquet (14) ; et dans ce cas le cohaprésomption irréfragable de fraude) et ce, pour autant que la décision ait été coulée en force
de chose jugée.
L’âge minimum des partenaires est ramené à dix-huit ans lorsqu’ils peuvent apporter la preuve
d’une cohabitation d’au moins un an avant l’arrivée de l’étranger rejoint dans le Royaume ».
(Article 10, § 1er, 5°, de la loi du 15 décembre 1980, tel que modifié par la loi du 8 juillet
2011). L’article 40bis de la même loi prévoit mutatis mutandis les mêmes règles pour les étrangers cohabitant légalement avec un citoyen de l’Union européenne (voy. cependant l’arrêt
d’annulation de la Cour constitutionnelle no 121/2013 du 26 septembre 2013, concernant
l’âge des partenaires, et décidant qu’est annulé « l’article 40bis, § 2, alinéa 1er, 2°, c), de la
loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement
des étrangers, modifié par la loi du 8 juillet 2011, en ce qu’il ne prévoit pas que la même
exception relative à la condition d’âge que celle qui est prévue à l’article 10, § 1er, alinéa 1er, 5°,
de la loi du 15 décembre 1980 s’applique au regroupement familial d’un citoyen de l’Union
européenne et de son partenaire »).
(11)
Voy. l’arrêt no 43/2015 du 26 mars 2015. Cet arrêt indique (attendus B.9.2 et B.9.3)
que, selon la Cour, l’officier de l’état civil n’avait pas, avant l’instauration des nouvelles dispositions légales, le pouvoir de vérifier les intentions des parties, et se limitait à la vérification
formelle des conditions prévues aux articles 1475 et 1476 du Code civil.
(12)
Article 1476quater du Code civil.
(13)
Voy. l’article 1253ter/4, § 2, 6°, du Code judiciaire. La décision rendue sur ce refus
n’a donc autorité de chose jugée que rebus sic stantibus, la cause demeurant au rôle du tribunal (article 1253ter/7 du même code) : il s’agit visiblement d’une erreur technique, car ce type
de demande (comme les droits de garde et de visite transfrontière) auraient dû être exclus de
la « saisine permanente ».
(14)
Article 1476quinquies du Code civil.
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bitant légal de bonne foi bénéficie de la théorie de la putativité, elle aussi
reprise de l’institution du mariage dans ce qu’elle a de plus canonique (15).
Que penser de ces nouvelles dispositions ?
Tout d’abord, il nous semble que le procédé consistant à modifier les
conditions civiles d’accès à une institution, au motif qu’elle est détournée de
son but et sert d’instrument de fraude à une autre législation — ici celle sur
le droit au séjour en Belgique — est logiquement bancal.
La lutte contre un abus doit, à notre avis, se placer sur le terrain même
où ce dernier développe ses effets indésirables.
C’est d’ailleurs précisément ce que faisait la loi du 8 juillet 2011,
dont la teneur apparaît, dans cette perspective, adéquate, et on ne voit
pas ­vraiment ce que la modification récente du Code civil y ajoute en
efficacité : la loi du 2 juin 2013 pourrait donc bien, à la réflexion, poursuivre surtout un objectif de « faire-valoir » politique, et avoir par conséquent d’autres ­destinataires réels, que les étrangers en situation illégale en
Belgique…
Par ailleurs, on constate que la nouvelle loi a volontairement omis,
dans sa reproduction presque littérale de l’article 146bis du Code civil, de
reprendre l’élément de la « communauté de vie », dont on sait le caractère
central dans le mariage (16).
Cette omission n’est en réalité que le prolongement d’une des idées
fondamentales qui ont présidé à la création de l’institution en 1998 : la
cohabitation légale, quoique composée d’éléments tirés du mariage, ne doit
pas « trop » lui ressembler, et pour cela, elle doit être privée de tout élément
de nature personnelle.
(15)
Voy. F. Rigaux, Les Personnes, Tome I, Les relations familiales, Bruxelles, Larcier,
1961, nos 1468 et s., pp. 375 et s.
(16)
Selon la célèbre définition de J.E.M. Portalis : « Qu’est-ce donc que le mariage
en lui-même, et indépendamment de toutes les lois civiles et religieuses ? C’est la société
de l’homme et de la femme, qui s’unissent pour perpétuer leur espèce ; pour s’aider, par
des secours mutuels, à porter le poids de la vie, et pour partager leur commune destinée. Il
était ­impossible d’abandonner ce contrat à la licence des passions. » (G. Locre, Législation
civile, commerciale et criminelle, ou commentaire et complément des codes français, édition
belge, 1837, Tome II, no 5, p. 380) ou celle, plus truculente, de A. Loysel, Institutes coutumières, Livre I, Titre Ii, no 108 : « On disait jadis : « Boire, manger, coucher ensemble, c’est
mariage ce me semble » Mais il faut que l’Église y passe » (Institutes coutumières, Titre II,
brocard 108).
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Dès lors la cohabitation n’est — à tort selon nous (17) — généralement
pas tenue pour un élément substantiel de la cohabitation légale (18).
Cette conception — à tout le moins paradoxale — de l’institution
participe à nos yeux d’une erreur originelle fondamentale, dont les effets
négatifs ne cessent de se multiplier au cours du temps, comme on le verra
tout au long de cette étude.
(17)
Au risque de paraître naïf, la chose nous semble se déduire de la formulation même
des dispositions légales. Ainsi l’article 1475 définit l’institution en ces termes : « Par “cohabitation légale”, il y a lieu d’entendre la situation de vie commune de deux personnes ayant fait une
déclaration au sens de l’article 1476 » et non « Par cohabitation légale, il y a lieu d’entendre
la situation de deux personnes ayant fait une déclaration au sens de l’article 1476 », comme
cela aurait dû être le cas si l’institution s’était résumée à l’accomplissement des formalités.
L’article 1476, lui-même, prévoit que les candidats doivent déclarer par écrit quel est « 3°
le(ur) domicile commun », ce qui implique qu’il y en ait un à ce moment, lequel doit à son tour
être réel et non fictif (voy. la teneur des articles 1er et 5 de la loi du 19 juillet 1991 « relative
aux registres de la population, aux cartes d’identité, aux cartes d’étranger et aux documents
de séjour (…) »). Le nouvel article 1476bis nous paraît renforcer notre thèse, dès lors qu’il
implique nécessairement que la cohabitation légale, en tant qu’institution, est « quelque
chose » de plus que la simple déclaration. On citera encore l’article 58 du CoDIP, selon lequel
« Au sens de la présente loi, les termes « relations de vie commune » visent une situation de vie
commune donnant lieu à un enregistrement par une autorité publique et ne créant pas entre
les cohabitants de lien équivalent au mariage », ce qui nous semble viser très exactement le
cas de la cohabitation légale belge. C’est également l’opinion du Gouvernement, telle qu’elle
ressort de la circulaire du 6 septembre 2013, citée ci-dessous ; du portail « Belgium.be », qui,
au sujet de la cohabitation légale, affirme : « Deux personnes qui vivent ensemble et font une
déclaration de cohabitation légale à l’administration communale de leur commune de résidence, sont des cohabitants légaux. Cette déclaration leur confère une certaine protection
juridique. La cohabitation légale est accessible à toutes les personnes qui vivent ensemble en
Belgique. » ; ou encore de l’explication donnée par la ministre de la Politique de l’Immigration
et de l’Asile à Nahima Lanjri, selon laquelle l’officier de l’état civil qui se voit déposer une
déclaration de cohabitation qu’il sait fictive doit avertir le Parquet en vertu de l’article 29 du
Code d’instruction criminelle, en raison du faux intellectuel commis (Ann. parl., Chambre,
session ordinaire, 2008-2009, séance du 12 mars 2009, no 4-795, p. 64). En conclusion, il
ne s’agit donc pas d’une condition « supplémentaire » à la cohabitation légale, mais d’une
condition induite par le texte même de la loi. On relèvera d’ailleurs que la jurisprudence a
admis que le fait d’être vivant — qualité qui n’est pourtant aucunement mentionnée dans
le texte, sauf peut-être indirectement dans l’article 1476, § 2, qui prévoit la dissolution de la
cohabitation légale par le décès d’un des partenaires — était une condition implicite de la
cohabitation légale (Bruxelles, 27 juin 2008, cette Revue, 2009, p. 552).
(18)
Voy. ainsi J. Sosson et S. Pfeiff, Mariage ou cohabitation ?, Bruxelles, De Boeck,
2008, p. 14, revenant sur l’opinion contraire exprimée dans J. Sosson et N. Dandoy, « La
reconnaissance juridique du couple non marié », in Le couple non marié à la lumière de la
cohabitation légale, Bruxelles, Bruylant, 2000, §§ 8 et 69, où la situation, ou du moins l’intention d’une vie commune, est citée comme condition de la cohabitation légale. Implicitement :
Y.‑H. Leleu, Droit des personnes et des familles, 2e éd., Bruxelles, Larcier, 2010, no 402,
p. 423, note (8), déplorant que le législateur soit démuni face au phénomène de la cohabitation légale de complaisance ; B. Delahaye, F. Tainmont et V. Lebe-Dessart, La cohabitation
légale, Bruxelles, Larcier, 2013, nos 6 à 10, pp. 41 et s., en ne mentionnant pas la vie commune
ou l’intention d’en fonder une, comme condition de fond de la cohabitation légale.
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Ici, l’effet pervers consiste en ceci : l’officier de l’état civil est censé
contrôler que les parties qui déclarent vouloir « cohabiter légalement » le
veulent réellement, et ne veulent pas uniquement — du moins dans le chef
de l’un d’entre eux — obtenir par là un titre de séjour.
Mais, en fait, qu’est-ce que « cohabiter légalement et réellement », ou
« cohabiter sans complaisance » ; et en conséquence, qu’est-ce que l’officier
de l’état civil doit (19) contrôler ?
Serait-ce : que les personnes cohabitent ou du moins aient bien l’intention de cohabiter ensemble ?
C’est bien — on l’a vu plus haut — ce que prévoit, depuis 2011,
l’article 10 de la loi sur le séjour des étrangers sur le territoire belge, mais
paradoxalement, pas le Code civil, et cela ni dans sa version initiale de 1998,
ni même dans celle résultant de la nouvelle loi (20).
Or, l’officier de l’état civil peut-il contrôler le respect d’une autre
législation que celle qui régit l’acte qu’il a compétence d’accomplir, et qui
consiste ici à acter la déclaration de cohabitation légale ?
Rien n’est moins sûr, du moins si l’on en croit le Conseil d’État (21).
Surtout que — second paradoxe — si les parties veulent — et même
exclusivement — que leur cohabitation légale ait un effet dans le domaine
du séjour, alors elles doivent nécessairement cohabiter effectivement, sinon
leur démarche serait inutile, puisqu’elles ne satisferaient alors pas à la loi
sur le séjour en Belgique.
Dans ce cas, l’officier de l’état civil pourrait-il refuser d’acter aux
« cohabitants cohabitant » leur déclaration, à la seule raison de leurs
mobiles ?
Devoir qui fixe bien entendu aussi les limites de son pouvoir légitime de vérification.
Mais — poursuite du paradoxe — c’est pourtant ce à quoi tend la circulaire d’application de la nouvelle loi, du 6 septembre 2013 (M.B., 23 septembre 2013), puisqu’elle prévoit que « Le contrôle effectué par l’officier de l’état civil comporte aussi la vérification des
intentions des futurs cohabitants légaux. Lorsque les parties, par exemple, indiquent qu’elles
ont l’intention de poursuivre ou commencer une relation de partenaire durable et stable et
de formaliser celle-ci, une combinaison des facteurs suivants, entre autres, peut constituer
une indication sérieuse qu’il s’agit d’une cohabitation légale de complaisance : les parties ne
se comprennent pas (….) » (suivent exactement les mêmes critères que ceux prévus pour le
mariage de complaisance, et qui tournent tous autour du concept de communauté de vie).
(21)
Selon lequel l’officier de l’état civil est obligé d’acter la déclaration de cohabitation
légale dès lors que les conditions visées à l’article 1475 du Code civil sont remplies, car il ne
bénéficie pas en la matière de pouvoir d’appréciation discrétionnaire : C.E., 5 février 2010,
A.D.F., 2010, p. 189, note Ch. Lepinois.
(19)
(20)
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Une telle lecture de l’article 1476bis nouveau du Code civil nous
semble très difficile à soutenir, même littéralement (22).
Si l’on poursuit la réflexion, on peut se demander si, par opposition,
toutes les autres personnes que des étrangers sans titre de séjour légal en
Belgique — Belges ou étrangers déjà dotés d’un titre de séjour, donc —
peuvent, quant à elles, continuer à faire acter des déclarations de cohabitation légale purement fictives, dans un but purement social (23), fiscal,
ou autre, sans que l’officier de l’état civil puisse y opposer un refus, ni le
parquet faire annuler la cohabitation légale (24) ?
On serait tenté de le croire, lorsque l’on voit que, dans le domaine de la
fiscalité successorale également (25), la condition d’un domicile commun au
moment du décès est parfois ajoutée par la législation régionale (26), comme si
elle n’était pas contenue dans l’institution civile de la cohabitation légale (27).
(22)
Voy. la rédaction de l’article 1476bis (« il n’y a pas … lorsque… bien que… uniquement ») : la « vraie » cohabitation légale — dont le contenu n’est cependant pas précisé — est
clairement opposée à la « fictive », purement formelle. Or, la déclaration faite par des personnes qui vivent ensemble est, selon nous, certainement « vraie », et non « fictive ».
(23)
Entendez, pour obtenir un avantage en matière de sécurité sociale : voy., sur ces
effets, V. Lebe-Dessart, « La reconnaissance du statut de cohabitant légal en droit social »,
in B. Delahaye, F. Tainmont et V. Lebe-Dessart (éds), La cohabitation légale, Bruxelles,
Larcier, 2013, nos 122 et s., pp. 149 et s.
(24)
Alors qu’un mariage « blanc » pourrait à notre sens être refusé ou annulé, pour
défaut de projet de communauté de vie, lequel est un élément d’ordre public inhérent à l’institution civile du mariage, même en dehors du contexte de la fraude au séjour. Voy. Civ.
Bruxelles, 26 juin 1942, Pas., 1946, III, p. 83 (cité par J. Fierens, « Quand le mariage ne sent
pas la rose. Les suspicions de mariage simulé et la jurisprudence », Act. Dr. Fam., 2009/7,
p. 135, sp. no 4, p. 136 et la note (10) : « Le mariage contracté de commun accord en vue d’atteindre un but essentiellement différent de celui qui, en droit belge, est attribué au mariage,
doit être considéré comme simulé, il y a lieu, en conséquence, d’en prononcer l’annulation ».
En l’occurrence, le mariage simulé visait à faire échapper des ressortissantes juives, de nationalité allemande, à la déportation.
(25)
À l’instar de celle sur le séjour sur le territoire belge, donc.
(26)
C’est le cas en Région wallonne : voy. les articles 3 et 48 du Code des droits de succession, tel qu’applicable en Wallonie ; et l’évolution de la condition de cohabitation retracée
dans La cohabitation légale, par B. Delahaye, F. Tainmont et V. Lebe-Dessart, Bruxelles,
Larcier, 2013, no 109, p. 136. Cette condition est actuellement celle d’un domicile commun,
ce qui ne correspond pas nécessairement à une résidence (même réf. et Circ. AAF no 5/2010
du 26 mars 2010).
(27)
Il est certain (voy. B. Delahaye, F. Tainmont et V. Lebe-Dessart, La cohabitation
légale, Bruxelles, Larcier, 2013, no 93, p. 118) que la cohabitation légale porte ses effets successoraux civils, même si les cohabitants sont séparés de fait au jour du décès de l’un d’eux,
pour autant qu’aucune dénonciation n’a eu lieu : il n’y a aucune obligation pour les cohabitants de maintenir leur cohabitation. Mais qu’en serait-il si les cohabitants n’ont jamais
cohabité ni même voulu vivre ensemble ? À notre sens (comme nous l’avons exposé plus haut),
et contrairement à l’opinion dominante, la cohabitation légale serait alors fictive, et partant
nulle.
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Dans ce cas, cette exigence floue de « quelque chose » — mais quelle
est la teneur de ce « je ne sais quoi », si ce n’est la cohabitation ? — de plus
qu’une simple déclaration formelle, en ce qu’elle s’adresse aux seuls étrangers sans titre de séjour en Belgique, ne constitue-t-elle pas une discrimination à leur égard ?
La question mériterait, à tout le moins, d’être posée à la Cour
constitutionnelle.
II. — L’interrogation fondamentale : d’où venons-nous ?
Qui sommes-nous ? Où allons-nous ? (28)
Cette interrogation philosophique fondamentale peut être appliquée
aux institutions juridiques avec autant, sinon plus, de pertinence qu’aux
êtres humains.
S’agissant de la cohabitation légale, l’étude diachronique du phénomène, à partir de ses origines (ci-dessous, III) nous paraît une condition
essentielle, à la fois pour en comprendre les fonctionnements et dysfonctionnements actuels (ci-dessous, IV), et pour s’interroger valablement sur
son avenir au sein de notre droit (ci-dessous, V).
III. — Les vices originels de la cohabitation légale
La création de la cohabitation légale, en 1998, répondait au premier
chef (29) aux revendications des milieux homosexuels, lesquels cherchaient
une reconnaissance des couples de même sexe par l’État, afin de bénéficier
en tant que tels d’une protection juridique civile, sociale, et fiscale.
La réponse du législateur à cette revendication a été à la fois minimaliste et hypocrite, et ces vices, qui ont entaché l’origine de l’institution, sont
selon nous la cause de nombre des effets pervers qui se manifestent encore
actuellement.
Cfr le tableau de P. Gauguin, peint à Tahiti en 1897-98.
B. Delahaye, F. Tainmont et V. Lebe-Dessart, dans leur ouvrage La cohabitation
légale (Bruxelles, Larcier, 2013, no 1, p. 35) citent également la volonté de certains couples
hétérosexuels de vouloir une protection patrimoniale sans se marier. Sans doute cet objectif
a-t-il été cité lors de la présentation du projet de loi, mais à notre sens cela faisait partie de
l’« écran de fumée » dont il sera traité ci-après : le Cabinet de la ministre de la Justice d’alors
visait sans ambiguïté le premier public-cible. Il est à noter que le but de la loi allemande,
créant le partenariat enregistré (Eingetragene Lebenspartnerschaft) visait la même « cible »,
en séparant d’ailleurs nettement les groupes : les hétérosexuels ne peuvent en effet que se
marier, mais non recourir à cette nouvelle forme d’union (voy. S. Otten, « La cohabitation
légale en droit belge et en droit allemand : deux itinéraires dissemblables », Rev. Dr. ULg,
2007, pp. 103‑114).
(28)
(29)
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La réponse du législateur peut certainement être qualifiée de minimalisme, puisque, rejetant l’idée de créer un mariage « Canada Dry », qui, à
l’instar de l’union civile québécoise (30) et d’autres formes de partenariats
enregistrés de par le Monde, aurait porté l’ensemble des effets du mariage,
sauf le nom (31) — la loi de 1998 ne donne à la cohabitation légale qu’un
nombre limité d’effets patrimoniaux.
Ces effets ne sont pas originaux : ils sont en effet recopiés ou repris
« mutatis mutandis » du régime du mariage, et plus particulièrement de ce
qu’il est convenu d’appeler le régime matrimonial primaire (32).
Le procédé du décalque partiel emporte par lui-même deux défauts,
selon nous rédhibitoires.
Tout d’abord, en ce qu’il n’est que partiel, il montre clairement qu’il
s’agit d’un statut de second ordre, non pas autre — comme il aurait pu l’être
si le législateur avait fait preuve en la matière d’un peu d’imagination —
mais inférieur en tous points à celui du mariage.
Ensuite, à tenter de composer un nouveau système avec des parties
d’un autre, éprouvé et cohérent, on aboutit à créer une « créature » bancale,
que nous avions, dans un autre ouvrage, comparée à celle issue de l’imagination, fertile mais morbide, de Mary Shelley (33).
(30)
Voy. le site du ministère de la Justice du Québec : « En ce qui concerne sa forme et
sa portée juridique, l’union civile équivaut au mariage. En effet, les droits et obligations qui
découlent de l’union civile sont les mêmes que ceux qui résultent du mariage ». La raison de
la création de cette institution, en juin 2002, est la suivante : le Québec souhaitait ouvrir le
mariage aux couples homosexuels, mais la matière est, au Canada, fédérale, et la plupart des
provinces anglophones ne le souhaitaient pas (alors). La Belle Province a donc contourné
l’obstacle en créant une institution dépendant conceptuellement du droit des contrats, qui,
lui, est une compétence provinciale. Par la suite, le mariage s.s. fut progressivement ouvert,
dans la plupart des provinces, aux couples homosexuels par diverses décisions de justice (via
la déclaration d’inconstitutionnalité de la restriction du mariage aux couples hétérosexuels),
pour être finalement légalisé par une loi fédérale du 20 juillet 2005. L’institution de l’union
civile demeure à ce jour dans le corpus juris québecois, mais elle est largement désaffectée
(voy. B. Lefebvre, « Les visages de la conjugalité au Québec et les disparités juridiques :
l’exemple de l’encadrement juridique de la résidence conjugale », in Regards croisés sur le
couple à la lumière des droits québécois et belge, Rev. Dr. ULB, no 38, Bruylant, 2011, pp. 9
et s., spécialement pp. 14 et s.)
(31)
On ne peut s’empêcher de penser qu’une initiative en ce sens aurait sans doute
désarmé, en France, une grande partie des opposants au « mariage pour tous ». Dans la même
optique, l’Eingetragene Lebenspartnerschaft de droit allemand donne aux partenaires à peu
près les mêmes droits et obligations (notamment interpersonnels) que le mariage.
(32)
Articles 214 à 224 du Code civil.
(33)
Voy. A.‑Ch. Van Gysel, Introduction à la 2e édition du Précis de droit de la famille,
Bruxelles, Bruylant, 2009, p. 3. Nous avions aussi utilisé à son endroit le terme bruxellois de
stûût.
Revue trimestrielle de droit familial — 1/2015
18
La cohabitation légale : quo vadis ?
Ce second défaut, qui apparaît déjà lorsque l’on compare la structure du mariage à celle de la cohabitation légale (34), a encore été accentué
lorsqu’en 2007, la loi a créé un statut successoral du cohabitant légal survivant à partir de pièces éparses du mécanisme complexe de droits dont jouit
le conjoint survivant (35).
Mais le législateur ne s’est pas contenté de restreindre les droits des
cohabitants légaux par rapport à ceux des personnes mariées, il a aussi
voulu cacher, par un « nuage de fumée intellectuel », ce qu’il faisait en réalité, fut-ce au petit pied : institutionnaliser la vie de couple des homosexuels.
Cette hypocrisie a introduit dans la cohabitation légale les ferments
des plus graves désordres que l’on y constate actuellement.
Ainsi, on relève :
— son ouverture aux proches parents, afin de dissimuler que la cohabitation au sens marital (36) implique, sinon obligatoirement, du moins
naturellement, des relations sexuelles ; artifice aussitôt démenti par sa
restriction à deux personnes seulement (37) ;
— dans le même mouvement, l’éviction de tout effet personnel entre cohabitants (38), ce qui aboutit au paradoxe déjà relevé plus haut d’une cohabitation… sans vie commune ;
(34)
Ainsi, le continuum régulier : effets personnels — régime primaire — régime secondaire — autres effets, qui organise les effets du mariage en un tout cohérent ; fait-il place
dans la cohabitation légale à un « donut », un maigre anneau d’effets tirés du régime primaire
(voy. A.‑Ch. Van Gysel, Précis de droit de la famille, 3e éd., Limal, Anthemis, 2013, p. 297).
(35)
Voy. ci-dessous, IV.C.
(36)
« Boire, manger, coucher ensemble, c’est mariage ce me semble (mais il fait que
l’Église y passe) » : A. Loysel, Institutes coutumières, Livre I, Titre II, no 108. Inversement, la
séparation de fait, dans l’ancien article 232 du Code civil (avant la réforme de 2007), consistait dans l’absence de partage de la table et du lit : M.‑F. Lampe, « Les causes de divorce et
leurs preuves », in Le divorce en Belgique : controverses et perspectives, Collection Famille &
Droit, Story, 1991, no 202, p. 75 ; J.‑L. Renchon, « À propos de l’article 232 nouveau du Code
civil », J.T., 1977, pp. 89 et s. ; et la séparation de corps est, en droit canon (et en Common
law), nommée divortium a mesa et thoro.
(37)
B. Delahaye, F. Tainmont et V. Lebe-Dessart, La cohabitation légale, Bruxelles,
Larcier, 2013, no 7, p. 42.
(38)
La Cour constitutionnelle, dans son arrêt no 33/2015 du 12 mars 2015 (attendu B.7.3),
pense que « les partenaires qui choisissent d’être liés par la cohabitation légale sont libres
de conclure, conformément à l’article 1478 du Code civil, un contrat obligeant les parties à
un devoir de secours qui, même après une rupture éventuelle, peut avoir des conséquences
financières et qu’ils acceptent dès lors les conséquences juridiques de leur choix ». Le devoir
de secours et la pension après rupture étant des effets personnels, et non patrimoniaux, nous
doutons fortement de la véracité de cette assertion : pourquoi pas, alors, une obligation de
fidélité ?
Revue trimestrielle de droit familial — 1/2015
doctrine 19
— et, par suite, le remplacement de la rédaction d’un acte d’état civil par
une « simple » (39) mention dans les registres de la population ; différence
purement symbolique, puisque cette mention est effectuée par l’officier
de l’état civil (40), soit précisément la personne qui aurait dressé l’acte
dont on n’a pas voulu, tout en voulant cependant qu’il fasse quand
même l’objet d’un enregistrement officiel !;
— et, enfin, la place, toujours symbolique, de la cohabitation légale au
titre Vbis du Livre III du Code civil, intitulé « Des différentes manières
dont on acquiert la propriété », comme s’il s’agissait d’un régime juridique exclusivement patrimonial (41).
En 2003, on le sait, le mariage proprement dit a été ouvert aux couples
de même sexe (42).
La logique aurait, selon nous, commandé la suppression, dans la foulée, de la cohabitation légale ; ou à tout le moins sa transformation, sous
une forme plus « light », en un régime-filet applicable à tous les concubins
dont la vie commune aurait présenté une certaine « consistance » (43).
On sait qu’il n’en a rien été, et qu’au contraire, le législateur a, en 2007,
et à la suite d’un raisonnement « à rebours », venant du droit fiscal vers le
droit civil (44), tiré une nouvelle fois du statut du conjoint, ici survivant, « une
(39)
Notons tout de même que les éventuelles conventions notariées relatives aux relations patrimoniales du couple (articles 1476, § 1er, 6 et 1478, alinéa 4, du Code civil) y sont
aussi relatées. Il est très regrettable qu’elles ne le soient pas au Registre central des contrats
de mariage (voy. l’A.R. du 21 juin 2011, M.B., 1er août 2011) : encore un défaut de la cohabitation légale.
(40)
La question a été très clairement aperçue lors de l’élaboration de la loi (voy. le
Rapport fait au nom de la Commission de la justice de la Chambre par Mme Jeanmoye, Doc.
parl., Sénat, no 1-916/5, 1997-98, pp. 20‑22), et celui-ci a donc sciemment joué sur l’ambiguïté née de la double fonction de l’officier de l’état civil : tenue de l’état civil, mais aussi des
registres de la population et des étrangers (article 4 de l’arrêté royal du 16 juillet 1992).
(41)
On nous objectera que les régimes matrimoniaux se trouvent dans la même partie,
au chapitre précédent. Mais il s’agit là seulement d’une partie — en effet patrimoniale — des
effets du mariage, lequel se trouve, lui, bien dans le Livre I du Code civil, « Des Personnes ».
(42)
Loi du 13 février 2003.
(43)
C’est ce que nous avions plaidé à l’époque. Nous avions même, dès avant l’ouverture du mariage aux couples homosexuels, élaboré avec S. Brat un texte en ce sens, qui a
été déposé comme proposition de loi par O. Maingain et M. Payfa (Doc. parl., Chambre,
DOC 51, no 0110/001).
(44)
Les droits (fiscaux) de succession perçus sur les legs attribués à des cohabitants légaux
étant taxés comme des legs entre époux, ont induit dans la population la croyance erronée
que, sur le plan civil également, il y avait assimilation des deux régimes : voy. B. Delahaye,
F. Tainmont et V. Lebe-Dessart, La cohabitation légale, Bruxelles, Larcier, 2013, no 90,
p. 116 ; et l’exposé des motifs du projet de loi « modifiant, en ce qui concerne le droit successoral à l’égard du cohabitant légal survivant, le Code civil et la loi du 29 août 1988 relative au
régime successoral des exploitations agricoles en vue d’en promouvoir la continuité » (Doc.
parl., Chambre, sess. 2005-2006, no 2514/001, p. 6). On peut voir le même type de raisonne-
Revue trimestrielle de droit familial — 1/2015
20
La cohabitation légale : quo vadis ?
côte » — plutôt flottante — pour donner aux cohabitants légaux des droits
successoraux.
En mettant ainsi en place un régime juridique constitué comme un
sous-mariage, et en développant un paravent, largement contradictoire,
d’éléments symboliques destinés à cacher la nature réelle de l’institution —
qui est d’être un statut de conjugalité alternatif à celui du mariage — le
législateur a créé un statut dont les effets pervers sont devenus aujourd’hui
clairement apparents.
IV. — La cohabitation légale, état actuel dans la société
belge : un régime populaire, mais déficient
A. — Le formidable succès de la cohabitation légale
L’expansion rapide et l’importance actuelle de la cohabitation légale
dans la société belge sont sans nul doute un des phénomènes les plus frappants dans le domaine de la famille dans notre pays, considéré sous l’angle
juridique.
Lorsqu’on considère l’évolution des chiffres, telle que la révèlent les
chiffres du site « Statistics Belgium (45) » du SPF Économie, on constate ce
qui suit :
Le mariage est une institution en relative désaffection, puisqu’alors
que, durant la large période qui court de la fin de la seconde guerre mondiale à 1985, le chiffre des nouvelles unions ondulait entre 60.000 et 75.000
par an, il n’a cessé de décroître régulièrement, pour se stabiliser apparemment autour de 40.000 mariages par an (46).
Au sein de ces mariages, le nombre de couples de même sexe reste à la
fois faible (47) et relativement stable, depuis l’ouverture en 2003 du mariage
aux personnes homosexuelles : chaque année, environ 1.100 hommes se
ment (« le fiscal régit le civil ») avec les donations « purement intentionnelles » des personnes
majeures vulnérables, qui ont été déclarées incapables de les faire elles-mêmes (article 499/7,
§ 4, du Code civil) : le législateur a visiblement voulu, dans ce cas également, permettre aux
héritiers de bénéficier des taux fiscaux « doux » des donations mobilières notariées, serait-ce
au prix d’accrocs aux principes (notamment, la nullité des promesses de donation, protectrice
de la volonté des donateurs).
(45)
Ce qui nous apprend, incidemment, que l’anglais semble devenu une langue nationale belge…
(46)
37.854 en 2013, dernière année disponible.
(47)
Surtout si l’on considère que les statistiques pointent dans ce cas, non les mariages
contractés, mais les personnes en état marital : voy. la remarque que nous faisons quant à la
comparaison biaisée du nombre de mariages et de divorces.
Revue trimestrielle de droit familial — 1/2015
doctrine 21
sont mariés à d’autres hommes (48), et environ 1.000 femmes se sont quant à
elles mariées à d’autres femmes (49).
En 2013, il y aurait (50) 1.928 Belges (51) qui se seraient engagés dans un
mariage avec une personne de même sexe, soit 2,5 % du total.
Le nombre des divorces a, quant à lui, très sensiblement augmenté par
le passé, pour culminer en 2008 à 35.366, ce qui est très probablement en
relation (52) avec la réforme de l’institution en 2007, laquelle a établi ce que
l’on a nommé « le droit au divorce ».
Mais ces dernières années, le nombre des divorces a logiquement (53)
suivi celui, déclinant, des mariages, pour aboutir en 2013 à 24.872 (54).
La cohabitation légale, instaurée en 1998, n’est entrée en vigueur
qu’en 2000.
Cette année-là, 5.144 personnes ont fait une déclaration, dont une très
large majorité en Flandre (55).
(48)
988 en 2013, ce qui représente un recul, mais que l’on ne peut encore analyser en
une réelle tendance.
(49)
940 en 2013, ce qui est aussi un chiffre en retrait par rapport aux années précédentes.
(50)
Nous utilisons le conditionnel, car la formulation du site consulté (« Le Registre
national ne consigne pas les mariages homosexuels en tant que tels, mais bien le nombre de
personnes concernées par ce type de mariage ») ne permet pas de déterminer s’il s’agit du
nombre des personnes qui ont contracté mariage telle année ou de personnes qui sont, cette
année-là, dans un état matrimonial. Nous pensons cependant que, compte tenu de la structure
des autres statistiques disponibles, il s’agit bien des célébrations.
(51)
Ou étrangers ayant leur résidence habituelle en Belgique, le CoDIP ayant voulu
écarter l’application de la loi étrangère normalement compétente si elle ne permettait pas un
tel mariage (voy. l’alinéa 2 de l’article 46 du CoDIP).
(52)
Sur la relation, difficile à déterminer, entre la teneur de la loi et le taux de divortialité, voy. L. Roussel, J. Commaille, J. Kellerhals et J.‑Fr. Perrin, « Vue d’ensemble »,
in Le divorce en Europe occidentale — la loi et le nombre, GIRD (international), CITEL
(Genève), INED (Paris), 1983, pp. 223 et s.
(53)
Puisque le mariage est la condition sine qua non du divorce, d’où l’exigence de la
production de l’acte de mariage lors de l’entame de la procédure de divorce (articles 1254,
§ 1er, 3°, et 1288bis, § 1er, 3°, du Code judiciaire).
(54)
Dissipons toutefois une erreur commune, qui consiste à comparer les deux chiffres
bruts, alors qu’ils concernent deux choses différentes : les nouveaux mariés s’ajoutent en effet
à tous ceux qui se sont mariés les années précédentes, et c’est sur l’ensemble de cette population que s’impute le nombre des divorcés de l’année (voy. l’intéressant article sur le site
Tatoufaux, du 22 juillet 2010). La détermination d’un taux de divortialité scientifiquement
significatif exige des analyses plus poussées : voy. par exemple G. Wunsch et J. Duchene,
« Les mesures de la fréquence du divorce. Une analyse comparative », Population, 1977,
vol. 32, numéro hors-série, pp. 53 à 68 ; citant Louis Henry, « Mesure de la fréquence des
divorces », Population, 1952, vol. 7, no 2, pp. 267 à 282.
(55)
Ce qui était très probablement lié aux avantages d’ordre fiscal que cette région
offrait aux cohabitants légaux, ce qu’elle était alors seule à faire.
Revue trimestrielle de droit familial — 1/2015
22
La cohabitation légale : quo vadis ?
Depuis sa création jusqu’en 2011, l’institution n’a cessé d’attirer plus
d’amateurs (56), mais l’institution semble désormais connaître un « plateau »
aux environs de 80.000 déclarants par an (57).
La répartition des cohabitants légaux entre les trois Régions ne présente plus d’anomalie démographique sensible (58).
Les cohabitants de même sexe — cœur de cible de la loi de 1998, on
s’en rappellera — ne furent pourtant que 747 (soit 1,4 % du total) en 2000.
Ce taux augmentera à 4,8 % en 2001 et à 8 % en 2002, dernière année
avant l’ouverture du mariage aux couples homosexuels.
Ils ne forment plus en 2013 que 2.720 des personnes déclarantes cette
année-là, soit 3,4 % (59).
Quant au nombre de personnes ayant opéré une déclaration de cessation de cohabitation légale, il a bien entendu crû également, pour atteindre
35.999 en 2013.
Encore ce chiffre est-il peu représentatif, puisque la déclaration de cessation peut être soit mutuelle — et donc le fait de deux personnes —, soit
unilatérale (60).
On peut cependant penser que le nombre de ruptures bilatérales est
faible, puisque cette démarche est plus complexe, supposant « l’accord dans
le désaccord », sans toutefois conférer le moindre avantage particulier — si
ce n’est éviter le coût d’un exploit d’huissier —, au rebours du divorce par
consentement mutuel, qui permet aux époux de déterminer eux-mêmes très
librement, la teneur des effets de leur divorce.
Que peut-on déduire de ces chiffres ?
Tout d’abord, que le nombre de personnes qui choisissent d’entrer
dans une cohabitation légale est à présent comparable à celui de ceux qui
se marient (61).
Ils étaient ainsi 30.961 en 2005.
79.323 en 2013.
(58)
Ainsi, les 79.323 personnes ayant opéré une déclaration en 2013 se répartissent en
46.293 (soit 58 %) en Flandre, 26.588 en Wallonie et 6.442 à Bruxelles.
(59)
On ne peut distinguer, sur base des statistique disponibles, entre les cohabitants de
même sexe qui sont parents entre eux (et qui ne sont donc pas — en principe : voy. plus bas
nos développements sur la cohabitation légale comme union des incestueux — homosexuels,
puisqu’ils ne sont pas « sexuels » entre eux), et ceux qui ne le sont pas. Il nous semble cependant probable, d’après l’expérience empirique que nous pouvons en avoir, que la première
catégorie est très peu nombreuse.
(60)
Article 1476, § 2, du Code civil.
(61)
En France (voy. le site de l’INSEE), la même tendance se constate : en 2000, il y
avait 22.271 PACS pour 305.234 mariages ; en 2012, 160.231 PACS pour 241.000 mariages.
(56)
(57)
Revue trimestrielle de droit familial — 1/2015
doctrine 23
Et même si le nombre de personnes actuellement mariées en Belgique est
sans doute encore largement supérieur au nombre de personnes cohabitantes
légales, en raison de la nouveauté — relative — de l’institution, ils ne peuvent,
si les « flux » demeurent constants, que tendre vers une quasi-égalité (62).
Il est donc frappant de constater que la cohabitation légale ne fait
encore l’objet que d’études limitées en nombre et en ampleur (63).
Certes, une fois encore, la conception du législateur, qui a fait de la
cohabitation légale un décalque incomplet du mariage, induit presque
naturellement une étude qui va du régime primordial vers le régime nouveau, et du plus complexe vers celui qui ne reprend que quelques éléments
du premier (64).
Mais ne faudrait-il pas à l’avenir (65) renverser la perspective, et, traitant des couples, partir de la forme la moins organisée, mais qui est peutêtre la plus fréquente — l’union libre — pour aller vers le premier stade
d’organisation — la cohabitation légale —, pour terminer seulement par le
statut qui tend à devenir le moins frayé, bien que — ou parce que — le plus
organisé : le mariage ?
Ensuite, on remarque que le nombre de couples de même sexe est,
quelle que soit la forme de conjugalité, d’un ordre de grandeur comparable :
entre 2,5 % et 5 % du total des unions de chaque « mode » (66).
(62)
La comparaison avec le nombre de cohabitants de fait (ci-devant concubins) en
Belgique, qui constitue la troisième forme de conjugalité, serait des plus intéressantes, mais
nous n’avons pu trouver ce chiffre, si tant est qu’il ait été déterminé.
(63)
Ainsi, l’ouvrage de référence de B. Delahaye, F. Tainmont et V. Lebe-Dessard,
La cohabitation légale, (Larcier, 2013) ne compte que 128 pages d’exposé pour tout le régime
étudié : formation, dissolution, effets civils, sociaux et fiscaux compris. Quand on compare
à cela, dans la même collection du Répertoire Notarial, les multiples traités consacrés au
mariage, au divorce, aux régimes matrimoniaux, au statut du conjoint survivant, cette analyse, pourtant approfondie, paraît mince.
(64)
Notre propre Précis de droit des personnes et de la famille (3e éd., Anthemis, 2013),
ne déroge pas à cet ordre « naturel », et ne consacre que 26 pages à la cohabitation légale,
contre 177 au mariage et ses effets s.l. (avec toutefois une analyse comparative finale des trois
modes de conjugalité : pages 323 à 357). De même, le tout récent Droit patrimonial des couples
(Larcier, 2014) du professeur Yves-Henri Leleu, malgré son titre et la volonté affirmée de promouvoir dans le futur « l’uniformisation du règlement juridique des incidences patrimoniales
de la vie en couple » (no 6, pp. 22‑23), reprend de lege lata presque le même ordre (l’union libre
étant cependant placée entre le mariage et la cohabitation légale) et la même proportion (la
cohabitation légale est traitée en 20 pages, contre 451 aux régimes matrimoniaux).
(65)
Il faut aussi tenir compte du fait que la cohabitation légale, en plus d’être moins
complexe que le mariage, est aussi toute récente, ce qui limite pour l’instant le nombre de
litiges, donc de décisions, donc de notes d’arrêt…, en la matière.
(66)
À nouveau, la situation française est très semblable à la belge : 6.944 PACS homosexuels (forcément non-parents, la proche parenté créant un empêchement à l’union) sur
160.231, soit 4,3 % en 2012 ; et pour 2013 (après le 19 mai), 7.000 mariages « pour tous »,
comparés aux 231.000 mariages entre personnes de sexe différent (soit 2,9 %).
Revue trimestrielle de droit familial — 1/2015
24
La cohabitation légale : quo vadis ?
L’institution de la cohabitation légale a donc été, et cela dès le départ,
massivement « détournée » par les citoyens de son objectif initial — fournir
un statut aux couples homosexuels —, pour en atteindre un autre : offrir
aux personnes — indépendamment de leurs préférences sexuelles — une
forme de conjugalité reconnue et organisée, mais cependant moins contraignante que le mariage.
C’est en effet le principal attrait de ce régime, que d’être, en apparence,
protecteur sans être cependant contraignant.
Bien entendu, il s’agit là largement d’une illusion, et le moindre des
effets pervers de la cohabitation légale n’est certes pas que, telle une fata
morgana juridique, le mirage « cool » de la « flexisécurité civile » se dissipe
instantanément à sa dissolution, laissant le partenaire le plus faible sur le
sable.
Il est temps, en effet, de traiter des principales déficiences du régime
de la cohabitation légale, telle qu’elle existe aujourd’hui dans le droit et la
société belges (67).
B. — La rupture nette et brutale
Que reste-t-il de la cohabitation légale, une fois que l’union des partenaires vient à être perturbée ?
Pas grand-chose, et cela en raison, une fois encore, de l’absence de
toute obligation personnelle d’ordre alimentaire entre les cohabitants
légaux.
Alors que les époux sont tenus par le devoir de secours, lequel se
trouve, lorsqu’ils cohabitent, englobé dans le devoir, plus large, de contribution aux charges du mariage (68), et que ce devoir ne disparaît, au divorce,
que pour être remplacé par la pension après divorce, la cohabitation légale
ne prévoit que la seule contribution proportionnelle des partenaires aux
charges « de la vie commune » (69).
S’il faut admettre que ce devoir a la même amplitude que dans le
mariage (70), et qu’il persiste durant la séparation de fait des cohabitants,
(67)
Nous ne reviendrons plus sur la « cohabitation (prétendument) sans cohabitation »,
sujet que nous avons traité dans la première partie de cette étude, mais il nous semble évident
qu’il s’agit là du plus bel exemple d’effet pervers de l’institution, induit par les vices qui l’ont
infecté à sa formation.
(68)
Y.‑H. Leleu, Les régimes matrimoniaux, tome I, « Les droits et devoirs des époux »,
in L. Raucent et Y.‑H. Leleu, Bruxelles, Larcier, 1997, no 47, p. 59.
(69)
Article 1477, § 3, du Code civil.
(70)
Ce qui peut donc englober les frais d’acquisition d’une résidence commune, selon les
principes dégagés par la doctrine et la jurisprudence ensuite de l’arrêt de principe du 22 avril
Revue trimestrielle de droit familial — 1/2015
doctrine 25
tant que la dénonciation de la cohabitation n’a pas été effectuée (71), cela ne
peut avoir comme effet que, soit, de s’opposer à la volonté de récupération
des paiements qu’un cohabitant, autrefois généreux, regretterait ensuite
d’avoir effectués, ou au contraire de permettre — pour autant qu’on puisse
prouver sa défaillance (72) — de faire ordonner au partenaire pingre, de
payer un complément de participation pour le temps de la vie commune (73).
Encore faut-il conseiller au demandeur, dans ce second cas, d’agir seulement après la dénonciation de la cohabitation légale (74) : sinon la décision,
prise durant la cohabitation, sera automatiquement frappée de caducité par
la déclaration de rupture de la cohabitation (75) !
Pour la période postérieure à la dénonciation, il n’est pas possible
d’obtenir une pension alimentaire, même pour la période d’un an prévue à
l’article 1479 du Code civil.
Certes, le cadre procédural des mesures provisoires, au sein du nouveau
tribunal de la famille, est alors applicable, mais — à notre opinion (76) — si le
juge peut organiser les droits des parties en un modus vivendi, il ne peut lui
permettre de créer ex nihilo une obligation alimentaire qui n’existe pas dans
ce statut, ni a fortiori de l’assortir d’une délégation de sommes.
Cette lacune, voulue par le législateur, peut créer des situations très difficiles pour le partenaire qui est demeuré à la résidence autrefois commune.
1976 (Pas., 1976, I, p. 914) : F. Tainmont, « Les charges du ménage », in Le couple non marié
à la lumière de la cohabitation légale, Bruxelles, Bruylant, 1999, no 37, p. 144.
(71)
Contra : P. Senaeve, Compendium van het Personen- en Familierecht, 11e éd., ACCO,
2008, no 1471, p. 509, qui justifie cette solution par le différence entre les termes « charges du
mariage » (article 221) et « charges de la vie commune » (article 1477).
(72)
Il faut en effet d’abord établir la proportion des revenus et facultés des deux partenaires, ensuite le montant global des charges de la vie commune, enfin que tel partenaire n’a
pas pris en charge une part suffisante de cet ensemble : s’agissant de dépenses (alimentation,
loisirs, vêtements…) dont on ne conserve généralement aucune preuve, ce dernier point rend
le plus souvent l’action impossible.
(73)
Y.‑H. Leleu, Droit patrimonial des couples, Bruxelles, Larcier, 2014, no 458, p. 530.
(74)
Mais pas plus de trois mois après la cessation de la cohabitation légale : article 1479,
alinéa 3, du Code civil.
(75)
En effet, la loi créant le tribunal de la famille a, par désir sans doute de travailler
« à droit constant » (mais en modifiant toutefois la teneur du régime, en ce qui concerne les
mesures relatives aux enfants), conservé cette caducité totalement absurde dans l’alinéa 2 du
nouvel article 1479 du Code civil : Y.‑H. Leleu, op. cit., loc. cit.
(76)
Contra : Y.‑H. Leleu, Droit patrimonial des couples, Bruxelles, Larcier, 2014, no 468
p. 536 ; qui est toutefois plus prudent dans son Droit des personnes et des familles, 2e éd.,
Bruxelles, Larcier, 2010, no 431, p. 437, où il affirme qu’« En l’absence de devoir de secours,
aucune obligation alimentaire n’accompagne la rupture. Tout au plus peut-on attendre des
juges une attitude ouverte au développement des théories — imparfaites — favorisant en
matière d’union libre la mise en place d’un secours temporaire équitable ». Nous ne voyons
pas en quoi la création de la nouvelle juridiction aurait augmenté les droits civils des cohabitants légaux.
Revue trimestrielle de droit familial — 1/2015
26
La cohabitation légale : quo vadis ?
Si cet immeuble appartient en tout ou en partie à l’autre ex-partenaire,
alors une indemnité d’occupation sera due, sans possibilité de la « neutraliser » par une exécution en nature du devoir de secours entre époux (77).
S’il était pris à bail, alors l’« analogie » (78) avec l’article 215 révèle toute
son ambiguïté.
Au cas où les deux cohabitants sont co-signataires du bail, ils puisent
dans leurs relations contractuelles avec le bailleur des droits d’occupation,
qui peuvent alors être provisoirement réglés par le tribunal de la famille (79).
Mais si le cohabitant qui a quitté le bien ou en a été écarté est l’unique
locataire initial, il nous paraît que le « quasi-droit au bail » (80) qui s’était créé
dans le chef de l’autre par la communication de la déclaration de cohabitation au bailleur, s’évanouit à la dénonciation (81).
L’ex-partenaire demeuré dans les lieux sera donc devenu instantanément un occupant sans titre ni droit, susceptible d’être immédiatement
expulsé et de se voir réclamer une indemnité pour le temps de son occupation au-delà de la dénonciation de la cohabitation.
Belle protection, en vérité, que celle-là !
C. — Un régime successoral bancal
Une montre faite de quelques rouages d’une autre, ne peut d’évidence
donner l’heure exacte.
Lorsque l’instrument initial a le caractère d’une horloge astronomique,
comme l’est l’ensemble composé des régimes matrimoniaux et des droits du
conjoint survivant — avec les délicates complications des avantages matrimoniaux — alors l’emprunt confine au conte de Lewis Caroll (82).
(77)
Il serait, par contre, possible de le faire sur base d’une contribution alimentaire pour
des enfants communs, d’autant plus que la loi créant le tribunal de la famille a supprimé toute
caducité pour les mesures concernant ces enfants.
(78)
Par un surcroît de bizarrerie, l’article 1477, § 2, au lieu de reprendre, en les modifiant, les dispositions relatives au mariage, se contente de renvoyer « par analogie », aux
articles 215, 220, § 1er et 224, § 1er, 1°.
(79)
Ainsi, le tribunal de la famille pourrait-il, sur base de l’article 1479 du Code civil,
décider que tel partenaire pourra seul jouir du droit au bail, à charge pour lui de payer seul
le loyer au bailleur.
(80)
Il s’agit en effet selon nous d’un quasi-contrat : voy. A.‑Ch. Van Gysel, Précis de
droit des personnes et de la famille, 3e éd., Anthemis, p. 138.
(81)
Y.‑H. Leleu, « La loi du 23 novembre 1998 instaurant la cohabitation légale », in
Actualités de droit familial (1997-1999), CUP, vol. XXXIII, 1999, no 52, p. 61 : « pas plus que
la protection du bien détenu en propriété, celle du logement loué ne résiste à la rupture de la
cohabitation ».
(82)
Alice au pays des merveilles, au chapitre VII, relatif au thé chez le chapelier et le
lièvre de mars.
Revue trimestrielle de droit familial — 1/2015
doctrine 27
Pratiquement toutes les institutions du droit successoral reçoivent
alors des solutions, ou incertaines, ou absurdes, et seule la récence de l’institution — et donc le faible nombre de décès en situation de cohabitation
légale — n’a pas encore permis à ces incohérences d’éclater pleinement au
jour (83).
Relevons-en trois, parmi bien d’autres (84), pour illustrer notre propos.
Lorsqu’un défunt meurt en ne laissant à un degré successible que son
conjoint, celui-ci hérite de tous les biens du défunt en pleine propriété (85), sa
vocation étant « à géométrie variable » suivant la qualité des héritiers avec
lesquels il vient en concours ; mais le cohabitant légal survivant ne reçoit
jamais que l’usufruit du logement affecté à la vie commune et les meubles
qui le garnissent (86) « quels que soient les héritiers avec lesquels il vient à la
succession ».
Si la succession est en déshérence, le cohabitant légal survivant se
trouve donc dans un rapport d’usufruitier à nu-propriétaire avec l’État (87),
situation dont on peut juger qu’elle est tout sauf confortable.
(83)
À nouveau, nous ne pouvons que relever le nombre et l’importance limités des
études relatives au statut successoral du cohabitant survivant, non tant dans l’absolu, que
relativement à l’importance que cette institution a prise dans notre Droit.
(84)
Nous aurions pu également choisir la présomption de libéralité qui complète la présomption d’indivision, dans l’article 1478, alinéa 3, du Code civil : conçue en 1998 comme un
instrument exceptionnel, destiné à conjurer des fraudes (une mère, propriétaire d’un mobilier
de valeur, et désirant favoriser un de ses enfants, fait avec lui une déclaration de cohabitation légale, et fait ensuite disparaître toute preuve de propriété du mobilier dans son chef :
sans la présomption, cet enfant recevrait la moitié du mobilier dans la cadre du partage de
l’indivision, plus encore sa part successorale dans l’autre moitié de l’indivision) ; elle a été
étourdiment étendue à tous les cohabitants légaux — même les non-parents —, lorsqu’on a
créé en 2007 la vocation successorale du cohabitant légal en tant que tel : en voulant améliorer
le statut du cohabitant légal survivant, le législateur l’a, en fait, détérioré sur ce point. Ce n’est
pas, cependant, faute d’avoir été prévenu : voy. l’avis de la Fédération royale du Notariat
belge (Doc. parl., Chambre, sess. 2005-2006, no 2514/005, p. 27), soulevant le problème. Sur
l’ensemble de cette question, on lira avec intérêt B. Delahaye, F. Tainmont et V. LebeDessard, La cohabitation légale, Bruxelles, Larcier, 2013, no 57, p. 75, citant Y.‑H. Leleu
(« Les biens et le logement du couple non marié », in Le couple non marié à la lumière de la
cohabitation légale, Bruxelles, Bruylant, 2000, no 50, p. 177), pour qui la restriction de la
présomption aux seuls parents en 1998 n’était pas justifiée.
(85)
Article 745bis, § 1er, alinéa 3, du Code civil.
(86)
Il hérite aussi, selon la même disposition, du droit au bail sur cet immeuble.
L’incohérence étant contagieuse, le conjoint survivant hérite aussi de ce droit (article 745bis,
§ 3, ajouté par la même loi de 2007), mais, comme il s’agit là d’une « duplication » du régime
du cohabitant légal survivant, et celui-ci n’étant pas héritier réservataire, il s’ensuit que ce
droit ne fait pas partie de la réserve concrète du conjoint survivant (voy. l’article 915bis, § 2),
alors que celle-ci vise précisément à lui garantir le maintien dans son cadre de vie !
(87)
Articles 723 et 768 du Code civil. Voy. J. Fillenbaum, « La dévolution », in Précis
de droit des successions et des Libéralités, Bruxelles, Bruylant, 2008, p. 73.
Revue trimestrielle de droit familial — 1/2015
28
La cohabitation légale : quo vadis ?
En revanche, même s’il est en concours avec des descendants du
défunt, compte tenu de la nature nécessairement « préférentielle » de l’objet
de son usufruit, il a seul la maitrise de la conversion (88), et par conséquent, il
est en position pour la négocier au taux le plus avantageux pour lui, auraitil même moins de vingt de plus que l’aîné des enfants du défunt (89).
Passant des droits ab intestat au rapport des libéralités, on tombe dans
la controverse au sujet de la nature des droits successoraux du conjoint
survivant : anomaux — et par conséquent non susceptibles de rapport, ou
bien « ordinaires » et donc en principe rapportables ?
Beaucoup de doctrine en sens divers (90), mais ni décision de justice —
ni a fortiori d’arrêt de cassation — et rien dans la loi ni dans les travaux
préparatoires (91) ; et par conséquent (92) aucune réponse sûre à une question
pourtant éminemment prévisible, et importante.
Enfin, la réserve et le disponible : ayant pensé au cas marginal du
concours du cohabitant légal avec les ascendants du défunt, pour établir
un disponible spécial — et total — en faveur du premier (93), le législateur a
oublié l’hypothèse majoritaire du concours de ce cohabitant avec des descendants du de cujus.
L’article 1094 du Code civil n’ayant pas été modifié, il s’ensuit que les
enfants du défunt bénéficient d’une réserve légale impérative d’une moitié,
2/3 ou 3/4 de la succession en pleine propriété (94).
(88)
L’article 745octies, § 3, applique « par analogie » les articles 745quater à septies au
cohabitant légal survivant, donc l’article 745quater, § 4, qui emporte une telle limitation.
(89)
L’article 745quinquies, § 3 est donc privé de sa portée, puisque le cohabitant légal
survivant peut dire à l’enfant du défunt : « vous avez 67 ans et moi 22, mais si vous n’acceptez
pas de convertir à tel taux, et que vous voulez m’imposer le taux d’une personne de 87 ans
(voy. la loi du 22 mai 2014, non encore effective à ce jour, à défaut de tables agréées), je refuse
la conversion, et je loue l’immeuble pour en toucher le loyer jusqu’à ma mort ».
(90)
B. Delahaye, F. Tainmont et V. Lebe-Dessard, La cohabitation légale, Bruxelles,
Larcier, 2013, no 98, pp. 122 et s., et les auteurs cités, dont, en faveur de la thèse majoritaire « anomale » (outre cet ouvrage, qui argumente en ce sens en pages 124 et 125) :
H. Casman, « Wet van 28 maart 2007 tot regeling van het erfrecht van de langslevede wettelijk samenwonende — Een eerste commentaar », N.F.M., 2007, p. 127 ; F. Tainmont, « La
loi du 28 mars 2007 relative aux droits successoraux du cohabitant légal. Aspects civils »,
R.T.D.F., 2008, pp. 23 et s. ; en faveur de la thèse « ordinaire » : R. Barbaix, « Het erfrecht
van de langstlevende samenwonende partner », T.E.P., 2007, nos 592 et 593, pp. 467 et s. ;
I. De Stefani et Ph. De Page, « La liquidation et le partage de la succession du cohabitant
légal survivant. Rapport et réduction. De quelques difficultés imprévues », R.N.B., 2010, nos 8
et s., pp. 126 et s.
(91)
Idem, ibidem, p. 122.
(92)
Toujours comme dans Lewis Caroll, où le chapelier et le lièvre assaillent Alice
d’énigmes absurdes.
(93)
Article 915, alinéa 2, du Code civil.
(94)
Suivant le nombre d’enfants, ou plus exactement de souches, que laisse le défunt :
article 913 du Code civil.
Revue trimestrielle de droit familial — 1/2015
doctrine 29
Imaginons une succession dévolue à un cohabitant légal survivant et à
un enfant, et composée d’un immeuble valant 600, logement du couple, et
d’un capital bancaire de 600.
Première hypothèse : en cas de legs de l’actif bancaire en pleine propriété au cohabitant légal survivant, ce dernier conserve-t-il l’usufruit du
logement ?
S’il s’agissait d’un conjoint survivant, l’article 1094 donnerait une
réponse positive certaine, mais cette disposition dérogatoire, limitant le
droit impératif à la réserve du descendant, peut-elle être étendue contra
legem au cohabitant légal survivant, alors que le législateur, dont on ne
peut en toute logique supposer l’incohérence ou la négligence (95), ne l’a pas
changée, alors même qu’il modifiait un autre disponible spécial en faveur
du cohabitant légal ?
Seconde hypothèse : en cas de legs universel au cohabitant légal survivant, que reçoit celui-ci d’une part, et l’enfant du défunt d’autre part ?
De nouveau, si les personnes avaient été mariées, la disposition précitée offrirait une réponse claire — en l’espèce la même —, mais il n’en va
pas ainsi dans le cadre de la cohabitation légale, ne serait-ce que parce que
la composition de la masse de calcul du disponible et de la réserve dépend
directement de la nature des droits successoraux du cohabitant légal survivant (96) : on en est donc revenu (97) à la question précédente.
Que penser d’un statut qui, visiblement, n’offre aucune réponse sûre (98)
aux questions les plus fréquentes du contentieux successoral ?
D. — La double nature de la cohabitation légale :
conjugale et intrafamiliale, et l’inceste au croisement
La loi du 23 novembre 1998 n’a pas seulement créé deux régimes de
conjugalité en Belgique, elle a encore établi, sous le même nom de cohabi-
(95)
La rançon de l’« interprétation conciliante », en quelque sorte (sur cette théorie,
voy. J. Van Compernolle et M. Verdussen, « La réception des décisions d’une cour constitutionnelle sur renvoi préjudiciel. L’exemple de la cour d’arbitrage en Belgique », Cahier du
Conseil constitutionnel, no 14, mai 2003, consulté en ligne sur le site du Conseil constitutionnel
français).
(96)
Si ce sont des droits anomaux, alors seule la nue-propriété du logement se trouve
dans la masse de calculs du disponible de l’article 922 du Code civil, mais si ce sont des droits
« ordinaires », alors c’est la pleine propriété du bien : voy. B. Delahaye, F. Tainmont et
V. Lebe-Dessard, La cohabitation légale, Bruxelles, Larcier, 2013, no 98, p. 123.
(97)
Tout comme Alice, à force de changer de place autour de la table du thé.
(98)
Ou, quand elles sont sûres, sont manifestement inadéquates, comme dans le premier
exemple décrit ci-dessus.
Revue trimestrielle de droit familial — 1/2015
30
La cohabitation légale : quo vadis ?
tation légale, deux statuts, l’un « conjugal », et l’autre « intrafamilial », aux
règles largement divergentes.
En ouvrant la cohabitation légale aux personnes faisant partie de la
même famille (99), dans le but de détourner l’attention du public de la nature
homosexuelle des relations qu’entretenaient les destinataires principaux de
l’institution — les couples composés de personnes de même sexe —, le législateur a à la fois commis un mélange des genres dont il tente vainement de
se dépêtrer, et donné un statut aux couples incestueux, ce qui était l’exact
contraire de son intention primordiale.
Car, pour être familiale dans les deux cas, la cohabitation d’une mère
avec sa fille et celle d’un couple vivant « maritalement » diffèrent substantiellement quant à leur contenu affectif réel.
Dès lors, petit à petit, la loi est venue isoler, au sein de la cohabitation
légale, celle qui unit les membres d’une même famille, afin de la priver de
certains de ses effets :
—l’adoption à deux d’un même enfant n’est pas ouverte à ces
cohabitants (100) ;
— de 1998 à 2007, comme on l’a vu plus haut, seul ce type de cohabitation
inférait de la présomption d’indivision de l’article 1478 du Code civil,
une présomption de libéralité frauduleuse ;
— la vocation successorale du cohabitant légal survivant ne se cumule pas
avec la vocation successorale née du lien de parenté en ligne directe
descendante (101) ;
— en Flandre, ces cohabitations, lorsqu’elles ont lieu entre parents en
ligne directe, n’ouvrent pas le droit à l’assimilation à un conjoint, au
point de vue des droits de succession (102) ;
— enfin, selon certains, l’obligation de contribuer aux charges de la vie
commune s’assimilerait à l’obligation de participer aux charges du
mariage « pour les couples unis par une relation affective » (103), ce qui
(99)
Relevons que, très sagement, le PACS français est interdit entre proches parents, car
selon l’article 515-2 du Code civil français : « À peine de nullité, il ne peut y avoir de pacte civil
de solidarité : 1° Entre ascendant et descendant en ligne directe, entre alliés en ligne directe et
entre collatéraux jusqu’au troisième degré inclus (…) ». Voy. aussi A. Huygens, « Het relatieve huweliksbeletsel tussen aanverwanten in de rechte lijn », R.W., 2007-2008, no 13, p. 898,
relevant la différence entre les droits belge, français, néerlandais et allemand sur ce point.
(100)
Article 343, § 1er, b), du Code civil.
(101)
Article 745octies, § 1er, alinéa 3, du Code civil.
(102)
B. Delahaye, F. Tainmont et V. Lebe-Dessart, La cohabitation légale, Bruxelles,
Larcier, 2013, no 108, p. 136.
(103)
Y.‑H. Leleu, Droit patrimonial des couples, Bruxelles, Larcier, 2014, no 458, p. 529.
L’auteur veut vraisemblablement parler de relations « maritales », avec leur composante
sexuelle, car il ne fait pas de doute à nos yeux qu’une mère et sa fille, cohabitantes légales, ont
également entre elles des relations « affectives ».
Revue trimestrielle de droit familial — 1/2015
doctrine 31
signifie a contrario qu’entre cohabitants parents, cette obligation a une
autre portée (104).
On en est donc pratiquement venu à créer deux régimes juridiques
assez différents sous un même nom, ce qui, on l’admettra, n’est pas pour
affermir sa cohérence conceptuelle, déjà fortement ébranlée.
La comparaison avec le mariage, en tant qu’il est ouvert aux couples
composés de personnes de même sexe, est frappante : à l’exception de la
filiation paternelle (105), le régime juridique est strictement similaire pour les
couples homo- et hétérosexuels.
Cette « diffraction » de la cohabitation légale en deux statuts est évidement voulue par le législateur, même s’il n’en a pas immédiatement conçu
toute la portée ; mais ce qu’il n’avait certainement pas prévu, c’est que certains couples en viendraient à se saisir de son manteau de Noé, pour donner
à leur union incestueuse un statut quasi marital !
Pourtant, comme nous l’avons déjà relevé ailleurs (106), la cohabitation légale, jointe, pour ce qui concerne les enfants du couple incestueux
à l’action alimentaire non déclarative de filiation (107), et à la jurisprudence
de la Cour constitutionnelle en matière de droits successoraux (108), tend à
composer une vie juridique familiale assez complète, que l’on jugera, selon
son opinion personnelle, remarquable ou terrifiante.
Bien entendu, lorsque l’on « croise » ce constat avec celui de l’existence
de deux sous-statuts au sein de la cohabitation légale, on en arrive à un
nœud logique inextricable qui étouffe, tel un moderne Laocoon, toute possibilité de mettre sur pied un régime juridique cohérent.
Est-elle plus restreinte dans ce cas ? Mais alors, quel est son contenu exact ?
Elle ne peut être établie que par le biais de l’adoption, dont c’est une fonction nouvelle (voy. A.‑Ch. Van Gysel, Précis de droit des personnes et de la famille, 3e éd., Anthemis,
pp. 441 et 444-445). La filiation maternelle, quant à elle, peut désormais être établie dans le
cadre d’une co-maternité (loi du 5 mai 2014 et loi « réparatrice » du 18 décembre 2014).
(106)
Voy. A.‑Ch. Van Gysel, « Quelle prohibition de l’inceste pour la société actuelle ? »,
chapitre IV, section I, « La cohabitation légale, mariage des incestueux ? », in Droit des
Familles, Genre et sexualité, Anthemis, 2012, p. 286. A. Batteur, « L’interdit de l’inceste —
principe fondateur du droit de la famille », RTD civ., 2000, no 6, p. 763. Voy. également
A. Huygens, « Het relatieve huweliksbeletsel tussen aanverwanten in de rechte lijn », R.W.,
2007-2008, no 13 p. 898.
(107)
A.‑Ch. Van Gysel, « Quelle prohibition de l’inceste pour la société actuelle ? »,
chapitre IV, section III, « L’obligation alimentaire non déclarative — mais un peu quand
même — de filiation », « La cohabitation légale, mariage des incestueux ? », in Droit des
Familles, Genre et sexualité, Anthemis, 2012, p. 293.
(108)
Arrêt no 103/2012, du 9 août 2012, A.D.F., 2012, p. 152, note A.‑Ch. Van Gysel,
« La fin de l’interdit de l’inceste en droit belge ? ». On relèvera que, dans le cas d’espèce, le
couple composé d’un frère et d’une sœur utérins, était bien uni par une cohabitation légale,
preuve que nos réflexions sont tout sauf fantasmagoriques.
(104)
(105)
Revue trimestrielle de droit familial — 1/2015
32
La cohabitation légale : quo vadis ?
Qu’on en juge : on veut, à la fin de la législature dernière, réformer le
droit patrimonial de la famille, afin, notamment, de permettre aux cohabitants légaux de créer entre eux une « communauté patrimoniale interne ».
Mais on s’aperçoit alors que ce régime matrimonial est peu adapté aux
cohabitants parents, supposés « non maritaux » : on leur interdit alors cette
faculté (effet de « diffraction » au sein du régime de la cohabitation légale).
Mais encore, on se souvient que les cohabitants légaux parents forment parfois des couples véritables — et incestueux —, et que la Cour
constitutionnelle n’a pas voulu les discriminer.
Résultat des courses : on pourra faire une communauté patrimoniale
interne avec sa mère et cohabitante légale…à condition d’entretenir avec
elle des relations « affectives », entendez sexuelles !
Cette construction juridique proprement incroyable, mais hélas
vraie (109), n’a pas — pour l’instant — été consacrée par la loi, les projets
de réforme ayant été emportés par la dissolution des chambres législatives.
E. — Un statut civil qui n’est pas un état civil (110)
Selon la Cour de cassation (111) « Les articles 1475 à 1479 du Code civil,
(…) ont essentiellement pour objet d’assurer une protection patrimoniale
limitée aux cohabitants, quels que soient leur sexe et la parenté éventuelle
qui les unit. La cohabitation légale organisée par ces dispositions ne relève
dès lors pas de l’état des personnes ».
En cela, la haute juridiction est d’accord avec la Cour constitutionnelle, pour laquelle (112) « Il résulte de ce qui précède (113) que la loi attaquée
ne crée pas une institution qui placerait les cohabitants légaux dans une
“situation à peu près identique” à celle des mariés, ainsi que le considèrent
(109)
Pour ceux qui douteraient de sa réalité, nous les revoyons au texte de l’exposé des
motifs de l’« Avant-projet de loi portant modification de diverses dispositions du Code civil
en matière de droit des régimes matrimoniaux, en particulier concernant les suites du décès
d’un des époux, et en matière de cohabitation légale », pp. 26 et 27 du texte en format word,
du 28 novembre 2013.
(110)
Cette section s’inspire — avec son autorisation, ce dont nous la remercions ici — du
TFE de Madame Aurore Devillez, à présent avocat au Barreau de Bruxelles, « La cohabitation légale et l’état des personnes à la lumière de l’arrêt de la Cour de cassation du 17 janvier
2013 ». C’est une des opportunités du rôle de promoteur de tels travaux, que d’y trouver
la source d’échanges d’idées sur des problèmes d’actualités. Voy., en un sens identique,
P. A. Foriers, « Aspects du dommage et de la causalité », in Actualités en droit de la responsabilité, UB3, 2014, Bruxelles, Bruylant, no 21, p. 24, note (65bis).
(111)
Cass., 17 janvier 2013, cette Revue, 2014/1, p. 72, précédé de l’arrêt a quo de la cours
d’appel de Mons du 20 décembre 2010 ; Pas., 2013, p. 92.
(112)
Arrêt no 23/2000, du 23 février 2000, attendu B.1.5.
(113)
Étant la paraphrase des articles 1475 et suivants du Code civil.
Revue trimestrielle de droit familial — 1/2015
doctrine 33
les parties requérantes, mais crée seulement une protection patrimoniale
limitée qui s’inspire partiellement de dispositions applicables aux époux ».
À la lecture des conclusions de l’avocat général Jean-Marie Génicot (114),
ce n’est pas tant l’absence d’effets personnels, que la trop grande facilité de
sa dissolution, qui priverait la cohabitation légale de son appartenance aux
institutions composant l’état civil : comme cette dissolution peut intervenir
instantanément, et de la seule volonté d’un des partenaires, l’institution ne
revêt pas l’indisponibilité qui caractérise le statut civil des personnes.
Cette affirmation, qui procède, on le voit bien, à nouveau de la présentation « idéologique » qu’a voulu faire le législateur de la cohabitation
légale (115), nous semble contestable (116).
Tout premièrement, parce que le principe de l’indisponibilité de l’état
nous semble avoir reçu tant d’exceptions en droit belge (117), qu’il nous
Avant Cass., 17 janvier 2013, Pas., 2013, pp. 93 à 96.
Et notamment, le fait que la cohabitation légale n’est pas mentionnée dans un acte
d’état civil, mais seulement au registre de la population. On relèvera que la France, qui n’a
pas déployé les mêmes artifices pour cacher la véritable nature du PACS, a, elle, prévu qu’il
donnerait lieu à une mention dans un acte d’état civil, étant l’acte de naissance de chaque
personne : « Il est fait mention, en marge de l’acte de naissance de chaque partenaire, de la
déclaration de pacte civil de solidarité, avec indication de l’identité de l’autre partenaire »
(article 515-3-1, du Code civil français).
(116)
C’est également l’opinion, non seulement de la décision cassée (Bruxelles (21e ch.),
15 juin 2006, J.T., 2007, pp. 598‑599), pour laquelle « la cohabitation constitue un acte juridique
qui crée, entre les personnes, des liens personnels et patrimoniaux protégés par la loi et qui est
accompagné d’un formalisme organisé par l’autorité publique, modifiant, à l’instar du mariage,
l’état des intéressés », mais aussi L. Barnich, « Union libre et cohabitation légale : questions
de droit international privé », in Mélanges offerts à Roland De Valkeneer à l’occasion du
125e anniversaire de la Revue du notariat belge, Bruxelles, Bruylant, 2000, p. 10 ; G. Baeteman,
(« De staat van de persoon in huwelijk en in wettelijke en andere samenwoningsverbonden »,
T.P.R., 2001, p. 1840) ou encore J. Erauw et J. Verhellen, (« Het conflictenrecht van de wettelijke samenwoning internationale aspecten van een niet-huwelijkse samenwoningsvorm »,
Echt. Journ., 1999, p. 154). De façon surprenante, le ministre de la Justice, à l’époque de la
création de l’institution, semble n’avoir pas d’opinion tranchée sur ce point, puisqu’il affirme
(Rapport fait au nom de la Commission de la justice de la Chambre par Mme Jeanmoye, Doc.
parl., Sénat, no 1-916/5, 1997-98, pp. 5‑6) : « le choix que l’on fera dépendra de la valeur qu’on
entendra donner à l’institution de la cohabitation légale. Si l’on estime que celle-ci concerne
l’état des personnes, il serait logique de dresser un acte » (d’état-civil). Les parlementaires, en
préférant la simple inscription au registre de la population, auraient donc choisi d’exclure la
cohabitation légale de l’état civil. Comme nous l’avons vu, la chose nous semble un peu plus
complexe.
(117)
Voy. A.‑Ch. Van Gysel, Précis de droit des personnes et de la famille, 3e éd.,
Anthemis, 2013, pp. 36 et s. L’exemple du changement de sexe, qui s’opère — avec modification de l’acte d’état civil de naissance — sans même qu’il y ait de contrôle judiciaire
(articles 62bis et ter du Code civil, issus de la loi du 10 mai 2007), nous paraît à cet endroit
particulièrement frappant.
(114)
(115)
Revue trimestrielle de droit familial — 1/2015
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La cohabitation légale : quo vadis ?
paraît depuis longtemps (118) devoir être remplacé par le principe inverse de
mutabilité limitée (119).
Si l’on suivait la thèse de l’avocat général, alors il faudrait considérer
que, dans les pays qui connaissent la répudiation (120), le mariage ne fait pas
partie de l’état civil, affirmation qui nous semble difficilement soutenable.
Mais c’est essentiellement de l’effet de la cohabitation légale sur
d’autres institutions civiles, qui, elles, appartiennent indiscutablement à
l’état civil, que nous déduisons que la cohabitation légale est bien, elle aussi,
un statut civil, et non simplement patrimonial.
Car si l’on peut parfaitement concevoir qu’un élément de l’état civil a
des conséquences de nature patrimoniale (121), l’inverse heurte à nos yeux la
logique.
Or, ces effets de la cohabitation légale sur les institutions d’état civil
sont multiples.
Tout premièrement, l’article 1475, § 2, 1°, prévoit que nul ne peut faire
une déclaration de cohabitation légale s’il est marié, et l’article 1476, § 2,
porte que le mariage d’un des cohabitants met fin de plein droit à la cohabitation : preuve que ces deux institutions sont bien « sur le même plan »,
sinon elles ne s’excluraient pas (122).
(118)
Voy. N. Massager et A.‑Ch. Van Gysel, « Les limites de l’autonomie de la volonté
en droit des personnes », in L’ordre public, concept et applications, Collection du Centre de
droit privé de l’ULB, Bruxelles, Bruylant, 1995, pp. 191 à 218. Cette opinion est loin d’être
isolée : voy. P. Moreau, « Divorce et séparation », Rép. Not., tome I, Les personnes, livre VI,
Bruxelles, Larcier, 1998, p. 14 ; M.‑Th. Meulders-Klein, « Réflexions sur l’état des personnes et l’ordre public », La personne, la famille et le droit, trois décennies de mutations en
Occident, Bruxelles, Bruylant, 1999, pp. 142‑144 ; et surtout J.‑L. Renchon, qui évoque la
« dilution de l’indisponibilité de l’état de la personne » (J.-L. Renchon, « Le droit belge de la
personne et de la famille : de l’indisponibilité à l’autodétermination ? », Rev. crit. dr. intern.
privé, 2007, pp. 354 et 368-370 ; « Indisponibilité, ordre public et autonomie de la volonté
dans le droit des personnes et de la famille », in Le Code civil entre ius commune et droit privé
européen, Bruxelles, pp. 270‑271).
(119)
Limités par les règles légales d’ordre public (le « cadre légal »), les principes généraux reconnus (indisponibilité du corps humain…) et des contrôles judiciaires imposés par
la loi.
(120)
Rappelons que, dans notre pays, la conception première de la réforme qui a abouti
à la loi du 27 avril 2007 nous amène fort près d’une telle répudiation : plus d’appel possible, délai de cassation réduit à un mois (cette réduction a d’ailleurs été inscrite dans la loi
(article 1274 du Code judiciaire), avant d’en être retirée par la loi du 2 juin 2010)…
(121)
Ainsi, le mariage, sur le statut du logement principal de la famille (articles 215,
1446, 1447… du Code civil).
(122)
En ce sens : J. Erauw et J. Verhellen, « Het conflictenrecht van de wettelijke
samenwoning internationale aspecten van een niet-huwelijkse samenwoningsvorm », Echt.
Journ., 1999, p. 154 : « indien de wettelijke samenwoning met iemand een huwelijk of een
wettelijke samenwoning met imand anders uitlsuit dan denken we […] dat deze instelling de
status van die persoon raakt ». Il est à noter que la circulaire du 29 mai 2007 (M.B., 31 mai
Revue trimestrielle de droit familial — 1/2015
doctrine 35
Ensuite, la cohabitation légale a un effet sur l’adoption : deux cohabitants légaux peuvent, comme deux époux, adopter ensemble immédiatement, alors qu’il faut aux simples concubins attendre trois ans de vie
commune (123) permanente et affective (124).
Et si un cohabitant légal adopte l’enfant de son partenaire, les relations entre l’enfant et ce dernier ne sont pas rompues (125) : curieux effet
« purement patrimonial » que celui-là !
Enfin, la cohabitation légale génère des effets alimentaires (126) et
successoraux (127).
2007) sur la relation de vie commune dans le CoDIP, prend comme pierre de touche de
l’équivalence du partenariat avec le mariage, le point de savoir si la « relation » constitue, ou
non, un obstacle au mariage des partenaires impliqués. Ce raisonnement nous semble un peu
court, ne serait-ce que parce qu’elle n’investigue pas la relation inverse (mariage, puis partenariat) ; or le mariage fait obstacle à la cohabitation légale (et au PACS : article 515-2, 2°,
du Code civil français). De plus, même si la « relation » n’équivaut pas au mariage, il ne s’en
déduit pas nécessairement qu’elle ne fait pas partie de l’état civil, à preuve que « (…), le “pacte
civil de solidarité” (PACS) français, le partenariat luxembourgeois et les différentes formes
de vie commune instaurées dans plusieurs provinces espagnoles, qui, comme la cohabitation
légale, ne constituent pas un obstacle au mariage, ne peuvent pas non plus être assimilés au
mariage ». Or, comme on l’a vu ci-dessus, le PACS relève certainement de l’état civil, même s’il
n’est pas équivalent au mariage. La Cour constitutionnelle pense (arrêt no 43/2015 du 26 mars
2015, attendu B.16.2.) que le classement d’un partenariat étranger comme étant équivalent
au mariage donne la garantie qu’il ne s’agit pas d’une union de complaisance. C’est présumer
que ces lois étrangères contiennent également des moyens de lutte contre les mariages — ou
partenariats équivalents — simulés ; et qu’à rebours, la sincérité des partenariats étrangers
non équivalents au mariage n’est pas contrôlée : l’exemple des articles 1476bis et suivants du
Code civil belge montre d’évidence qu’il n’en est rien, puisque la cohabitation légale belge
n’est pas équivalente au mariage, et qu’elle est pourtant désormais contrôlée sur ce point…
(123)
Article 343 du Code civil. Ceci est un argument supplémentaire en faveur d’une
exigence de cohabitation — à tout le moins initiale — dans la cohabitation légale : comment
imaginer que l’on mette sur le même pied un état assorti de l’obligation de cohabitation
(mariage), une cohabitation de trois ans (union libre) et … une simple déclaration formelle,
sans foyer effectif (cohabitation légale) ?
(124)
« Whatever loves means », comme le dirait le Prince Charles…
(125)
Article 356-1 du Code civil.
(126)
Pas entre les partenaires, on l’a vu plus haut et contrairement à ce que pense la
Cour constitutionnelle (arrêt no 33/2015, du 12 mars 2015, attendu B.7.3) (en IV.B), sauf
indirectement par le biais des charges de la vie commune, tant que dure celle-ci ; mais bien à
l’égard des ascendants (article 1477, § 6, reprenant la teneur de l’article 205bis) et des descendants (article 1477, § 5, reprenant la teneur de l’article 203, § 3) du défunt. Or, si la première
est une charge successorale qui pèse sur tout successeur — serait-il un légataire universel
étranger à la famille —, la seconde vise expressément le cohabitant légal qualitate qua, à
l’instar du conjoint (sur la différence de régime de ces deux obligations alimentaires, liées à la
succession, voy. A.‑Ch. Van Gysel et J.‑E. Beernaert, État actuel du droit civil et fiscal des
obligations alimentaires, Story, 2001, p. 86 et N. Gallus, Les Aliments, Bruxelles, Larcier,
2006, no 92, p. 164.
(127)
Articles 745octies et 915 du Code civil.
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La cohabitation légale : quo vadis ?
Or, seules des relations d’état civil créent de tels effets : mariage, filiation, alliance adoption…
Comment constater les effets sans leur supposer une cause
correspondante (128) ?
De tout ceci, nous déduisons que, contrairement à ce qu’en disent les
hautes juridictions, abusées par le « nuage de fumée » originel, la cohabitation légale fait bien partie de l’état civil.
Pour théorique qu’elle soit (129), ce constat nous semble à ce point fondamental que nous avons estimé qu’il devait être rangé parmi les dysfonctionnements majeurs générés par les vices conceptuels qui entachaient la loi
de 1998.
V. — Et demain ?
Quel est l’avenir de la cohabitation légale ?
Sociologiquement, sans nul doute radieux, puisqu’elle peut, après
l’avoir rejoint en nombre d’impétrants (130), espérer éclipser, du moins partiellement, l’institution millénaire du mariage.
Constitutionnellement, il apparaît également presque sans nuages.
La Cour constitutionnelle a en effet pris le parti d’estimer que,
puisque les personnes ont le choix entre le mariage et la cohabitation
légale, peu importe que les effets de ces deux institutions diffèrent sen-
(128)
B. Delahaye, F. Tainmont et V. Lebe-Dessart, La cohabitation légale, Bruxelles,
Larcier, 2013, no 90, p. 117, font le même constat, mais en s’étonnant de ce qu’un « nonstatut » porte de tels effets : « Le cohabitant légal fait désormais partie du cercle des héritiers
légaux. Pareille évolution est remarquable car pour la première fois, une personne ne présentant aucun lien de parenté avec le défunt et n’ayant, le cas échéant, noué avec lui aucun lien
affectif, est susceptible de recueillir légalement une succession ». (Les auteurs négligent l’État,
mais à raison puisque celui-ci n’est que successeur irrégulier (le seul, depuis 1987), et que sa
vocation est, on le sait, un avatar moderne du droit féodal d’aubaine (le seigneur recueillant à
ce titre la succession des personnes décédées sur son fief et ne laissant pas d’héritiers, comme
les étrangers et les bâtards).
(129)
Il a cependant des effets pratiques : voyez plus haut, comme ce n’est pas un élément
de l’état civil, il n’y a pas d’acte d’état civil, donc (il n’y a en réalité pas de lien logique sur ce
point, mais une simple association mentale erronée) les conventions de cohabitation légale,
simplement mentionnées au registre de la population, ne sont pas reprises au registre central
des contrats de mariage, alors qu’elles ont des effets de nature similaire, notamment à l’égard
des tiers.
(130)
Voy. les statistiques reprises ci-dessus, en IV.A.
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doctrine 37
siblement : chacun reçoit ce qu’il a choisi, donc tout le monde doit être
content (131).
Certes, la jurisprudence de la Cour est quelque fois ondoyante,
lorsqu’elle estime, dans un certain nombre de cas, que la différence de
régime juridique ne se justifie pas suffisamment par le choix initial (132),
mais cela n’ébranle pas son constat fondamental, qu’elle a encore répété
récemment (133).
Il ne nous paraît pas que la Cour européenne des droits de l’homme,
dont on sait qu’elle inspire, de près ou de loin (134), la Cour constitutionnelle,
ait des exigences plus fortes dans ce domaine : pour autant que la loi belge
crée une protection suffisante de la vie familiale hors mariage, elle semble
satisfaite (135).
Mais si la cohabitation légale peut certainement demeurer et prospérer dans notre droit et notre société, il nous paraît qu’elle ne peut subsister
en l’état : elle est, comme nous pensons l’avoir montré, entachée de tant
d’incohérences, qui proviennent toutes de près ou le loin de la conception
vicieuse que le législateur en a eue lors de sa création en 1998, pour pouvoir
servir de statut à une partie substantielle de la population belge.
(131)
Relevons que le droit canadien est orienté en sens résolument contraire : ce n’est
que par une très faible majorité (5 contre 4) que, dans son arrêt « Lola contre Eric » du 25 janvier 2013, la Cour suprême du Canada a déclaré non inconstitutionnelle la non-assimilation
des « conjoints de fait » à des époux, et cela malgré son caractère discriminatoire reconnu
par elle. En très bref (pour une analyse complète, voy. A. Roy, « Affaire Eric c. Lola : une
fin aux allures de commencement », in Cours de perfectionnement du Notariat, conférence de
fermeture du 20 avril 2013, pp. 260 à 306), la Cour estime que l’état du droit existant peut
être maintenu, bien que l’on ne pourrait plus établir une semblable différence par une loi
nouvelle. Il faut cependant aussi noter que le contexte québécois est différent, puisque la
notion de « patrimoine familial » y est impérative pour tous les couples mariés ou en union
civile : voy. B. Lefebvre, « Les visages de la conjugalité au Québec et les disparités juridiques :
l’exemple de l’encadrement juridique de la résidence conjugale », in Regards croisés sur le
couple à la lumière des droits québécois et belge, Rev. Dr. ULB, no 38, Bruxelles, Bruylant,
2011, pp. 9 et s., spécialement pp. 22 et s.
(132)
Voy. A.‑Ch. Van Gysel, « Conjugalités belges entre incohérences et discriminations », in Conjugalités et discriminations, Anthemis, 2012, pp. 127 et s. ; et Précis de droit des
personnes et de la famille, 3e éd., Anthemis, 2013, pp. 331 et s.
(133)
Arrêt no 151/2013, du 7 novembre 2013, relatif aux droits successoraux du cohabitant légal survivant, mais aussi arrêt no 33/2015, du 12 mars 2015 et arrêt no 43/2015, du
26 mars 2015.
(134)
Plutôt de loin : voy. N. Gallus, « Les décisions récentes de la Cour constitutionnelle
en matière de filiation : humanisme ou aberration ? », in A.‑Ch. Van Gysel et N. Gallus,
R.N.B., 2013, pp. 374 à 406.
(135)
N. Gallus, « Questions d’actualité en matière de cohabitation légale », in Droit des
familles, CUP, vol. 123, Anthemis, 2011, p. 179.
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38
La cohabitation légale : quo vadis ?
Pour nous, le législateur fédéral pourrait même engager sa responsabilité civile (136), à laisser les citoyens continuer à emprunter une voie qui s’est
révélée au cours des années, si défectueuse (137).
Si donc la cohabitation légale doit évoluer, dans quel sens doit-elle le
faire ?
Il nous paraît, sans doute contrairement aux vœux d’autres auteurs (138),
qu’une voie devrait être condamnée ; et c’est malheureusement celle vers
laquelle le législateur pourrait se diriger (139).
Elle consiste à faire équivaloir les effets patrimoniaux de la cohabitation légale à ceux du mariage, en termes de régimes matrimoniaux et de succession, sans toutefois donner d’effets personnels à la seconde institution.
Ce faisant, on permettrait en fait aux personnes de choisir entre une
union avec effets personnels (le mariage) et une union sans effets personnels
(la cohabitation légale) ; ou, autrement considéré, les futurs partenaires
auraient donc en réalité la faculté, par leur choix commun, d’évincer de
leur mariage les effets personnels, en la nommant « cohabitation légale ».
Or, ces effets personnels sont considérés comme relevant de l’ordre
public, et par conséquent frappés d’indisponibilité.
(136)
Voy. sur cette responsabilité P. Van Ommeslaghe, Traité de droit civil belge, collection « De Page », Tome II, Les obligations, vol. II, nos 865 et s., pp. 1280 et s. ; B. Dubuisson et S.
van Drooghenbroeck, « Responsabilité de l’État-législateur : la dernière pièce du puzzle ? »,
J.T., 2011, p. 801. Toutefois, il convient de relever que le professeur Van Ommeslaghe
(op. cit., no 871, p. 1304) estime qu’il ne peut y avoir responsabilité de l’État législateur en cas
de « simple » manquement à la prudence ou à la diligence, si cette conduite n’a pas contrevenu
aux obligations internationales de la Belgique ou qu’elle n’a pas été sanctionnée par la Cour
constitutionnelle. Or, nous avons vu plus haut que ni la Cour constitutionnelle, ni la Cour de
Strasbourg ne semblent avoir d’objection de principe à l’existence de la cohabitation légale,
en tant que régime de conjugalité substantiellement différent du mariage. Par contre, la Cour
constitutionnelle a, sur question préjudicielle (ce qui semble entraîner une appréciation différente de la faute : voy. P. Van Ommeslaghe, op. cit., no 868-4, p. 1299 et l’arrêt de la Cour de
cassation du 10 septembre 2010, F.09.0042.N), discerné un certain nombre d’inconstitutionnalités résultant de la comparaison des différents régimes de conjugalité. Le tableau est donc,
on le voit, tout en nuances subtiles…
(137)
L’accord de Gouvernement du 9 octobre 2014 prévoit ainsi (page 125, point 6.3.1)
qu’« un cadre clair en matière de droits et devoirs patrimoniaux pour les cohabitants légaux
et de fait sera créé ».
(138)
Voy. Y.‑H. Leleu, dans son intéressante introduction au Droit patrimonial des
couples, Bruxelles, Larcier, 2014, no 6, pp. 22 et s., ou encore A.‑L. Verbeke, « A New Deal
for Belgian Family Property Law », in Liber Amicorum Hélène Casman, Interscientia, 2013,
pp. 461 et s.
(139)
Les perspectives de la réforme envisagée à la fin de la dernière législature tendaient
très nettement à une assimilation de la cohabitation légale au mariage en séparation des biens,
sur le plan patrimonial : la seule chose interdite au cohabitant légal étant la création d’une
communauté « externe », opposable aux tiers dans tous ses effets, notamment probatoires.
Revue trimestrielle de droit familial — 1/2015
doctrine 39
Une réforme telle qu’ici envisagée mettrait donc en échec l’institution
du mariage, en tant que régime d’adhésion (140), structurée en un continuum
cohérent effets personnels — régime primaire, régime secondaire (141).
Trois solutions nous semblent envisageables, dans une optique de
cohérence globale.
Ou bien tirer la cohabitation légale « par le haut » — l’« upgrader »,
pour parler franglais —, et lui donner tous les effets du mariage, y compris
les effets personnels, à la seule exception du nom du régime (142) : c’est, on
l’a déjà dit, la solution québécoise de l’union civile, qui s’explique par les
conditions historiques qui lui sont propres (143).
Bien entendu, dans ce cas, les candidats à l’union n’auraient plus de
choix réel, et il y a fort à penser qu’ils choisiraient alors le mariage, ne
serait-ce que pour ses aspects romantiques.
Ou bien la réduire à un régime-filet, qui ne comporterait plus que
quelques éléments (relatifs au partage des frais de la vie commune, et à
l’accès au tribunal de la famille en cas de conflit, essentiellement), mais qui
serait étendu aux personnes vivant en union libre, dès lors que leur couple
présenterait des signes suffisants de « consistance » : déclaration volontaire
de l’union, cohabitation d’une certaine durée, enfant commun ou adopté
ensemble…
C’est la solution que nous avions personnellement préconisée en 2003,
lors de l’ouverture du mariage proprement dit aux couples de même sexe (144).
Nous devons cependant avouer qu’elle ne nous semble plus socialement envisageable dans l’état actuel des choses : retirer brusquement à
des dizaines — voire des centaines — de milliers de personnes les droits et
obligations qu’elles avaient souscrites en déclarant leur cohabitation légale,
(140)
A.‑Ch. Van Gysel, Précis de droit des personnes et de la famille, 3e éd., Anthemis,
2013, p. 120, au départ de la définition de Portalis.
(141)
Sur ce continuum, voy. A.‑Ch. Van Gysel, Précis de droit des personnes et de la
famille, 3e éd., Anthemis, 2013, pp. 131 et s.
(142)
Cette solution supposerait bien entendu que les cohabitants légaux actuels
reçoivent la possibilité de renoncer à cette extension en rompant leur cohabitation dans un
certain délai.
(143)
B. Lefebvre, « Les visages de la conjugalité au Québec et les disparités juridiques :
l’exemple de l’encadrement juridique de la résidence conjugale », in Regards croisés sur le
couple à la lumière des droits québécois et belge, Rev. Dr. ULB, no 38, Bruxelles, Bruylant,
2011, pp. 9 et s., spécialement pp. 14 et s.
(144)
Nous avions, dès avant ce moment, élaboré avec S. Brat un texte en ce sens, lequel
avait fait l’objet d’une proposition de loi, déposée par O. Maingain et M. Payfa (Doc. parl.,
Chambre, DOC 51, no 0110/001).
Revue trimestrielle de droit familial — 1/2015
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La cohabitation légale : quo vadis ?
nous paraît une entorse inacceptable aux expectatives légitimes (145) de ces
personnes (146).
Ou encore, donner aux personnes la possibilité de choisir contractuellement, au sein de la totalité des effets du mariage, ceux dont ils désirent
l’application entre eux.
Une telle extension de l’autonomie de la volonté des couples constituerait bien entendu une révolution copernicienne au regard de la situation
présente, où les candidats ne peuvent qu’adhérer à un régime juridique —
mariage ou cohabitation légale — dont le contenu est largement prédéfini (147) par des normes impératives ou d’ordre public.
Elle exigerait certainement aussi l’établissement de certains gardefous : respect de la cohérence (148) du régime juridique choisi, égalité de
droits au sein du couple, possibilité pour les tiers, spécialement créanciers,
de connaître facilement la teneur des conventions…
Mais, nonobstant ces obstacles, il ne nous semble pas que le système
actuel, qui n’offre le choix qu’entre deux « tailles » d’union, soit de nature à
rencontrer l’ensemble des aspirations de la population belge (149).
Quelle que soit la voie que choisira à l’avenir, le législateur se doit,
selon nous, de transformer l’institution de la cohabitation légale, en la
débarrassant des défauts qui s’y développent depuis l’origine, et en rendant,
par-là, une cohérence réelle au droit belge de la conjugalité.
(145)
Allusion, bien entendu, à la thèse de X. Dieux, Le respect dû aux anticipations
légitimes d’autrui. Essai sur la genèse d’un principe général de droit, Bruxelles-Paris, BruylantL.G.D.J., 1995, 286 pages.
(146)
B. Delahaye, F. Tainmont et V. Lebe-Dessart, La cohabitation légale, Bruxelles,
Larcier, 2013, no 3, p. 37, sont opposées à l’idée d’un régime-filet supplétif : « Les couples qui
le souhaitent doivent pouvoir rester en dehors du champ d’application de toute réglementation juridique spécifique avec les avantages et les inconvénients que ce retrait de la sphère
juridique civile implique ».
(147)
Sauf le domaine des contrats de mariage et des conventions de cohabitation légale.
(148)
Par référence à la notion de cohérence dans les régimes matrimoniaux : voy. Ph. De
Page, Le régime matrimonial, 2e éd., Bruxelles, Bruylant, 2008, no 56, p. 59 et nos 207 et 208,
pp. 251 et s.
(149)
On nous opposera l’exemple de l’adoption, institution qui, elle aussi, comprend
deux « tailles » en droit belge, l’adoption simple et l’adoption plénière, et seulement deux.
Mais, précisément, le maintien de cette dualité de formes d’adoption — qui est plutôt une
exception qu’une règle générale dans le monde — devrait, selon nous, également être questionné, notamment en raison des problèmes d’équivalence des institutions qu’il engendre
(voy. J. Canivet, « De l’équivalence des institutions prévoyant la filiation adoptive en droit
international privé belge », J.T., 1972, p. 685).
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