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AVANT-PROPOS Jean-Paul BAILLY Président du groupe La Poste Six années se sont écoulées depuis la publication de l’ouvrage collectif Économie Postale – Les Fondements, édité par Joëlle Toledano, regroupant divers travaux économiques théoriques et appliqués menés par les économistes de La Poste et ceux de l’Institut D’Économie Industrielle (IDEI) de Toulouse entre 1995 et 2004. Ces six années ont été marquées par d’importants changements affectant le monde postal, sur lesquels j’aimerais revenir dans cet avant-propos. La première problématique qui vient en tête est la baisse des flux de correspondance, amorcée il y a quelques années, et maintenant devenue réalité structurelle. Cette baisse des flux nous invite à une analyse en profondeur de notre métier, de notre « modèle économique », et de la viabilité et de l’utilité de nos missions de service public. En parallèle, la troisième directive postale, de février 2008, a annoncé le processus de libéralisation totale du marché, à horizon 2011, tout en maintenant un service universel ambitieux pour tous les Européens. Mais dans le contexte économique du marché postal, il y aura forcément des questions complexes à résoudre, sans nécessairement les opposer, entre émergence concurrentielle et pérennité du service universel. Enfin, les enjeux du réchauffement climatique se sont inévitablement invités dans le débat postal : peut-on concilier missions de service public traditionnelles et engagements responsables ? Comment intégrer ces nouveaux impératifs dans notre vie de tous les jours ? 1. LA BAISSE DES FLUX DE CORRESPONDANCE C’est une réalité aujourd’hui, et nous devrons faire avec. La baisse des flux amorcée au début de la décennie connaît une accélération préoccupante depuis la crise financière. La croissance épaulée et régulière, que l’on observe historiquement entre courrier et PIB, est aujourd’hui remise en cause avec la dématérialisation des échanges d’information, 2 Libéralisation et services publics : Économie postale précipitée récemment par le besoin des entreprises de réduire leurs dépenses au plus vite. Et toutes les Postes des pays industrialisés sont unanimes : les baisses de flux dans les cinq prochaines années devraient atteindre 30 % à 40 %. Peut-être plus. La Poste fait face à la transformation des moyens de communication. Bien que le Courrier reste le secteur d’activité dominant du Groupe, en termes de chiffre d’affaires, il subit la rationalisation accrue des envois par les entreprises et le développement du phénomène de substitution du courrier électronique au papier. Un exemple : en cinq ans, la transmission des relevés de prestations de l’assurance-maladie par e-mail a fait perdre 200 millions d’euros de chiffre d’affaires au Courrier et plus de 7 millions de contribuables (1 sur 5) ont choisi la télé-déclaration des revenus en 2008. Pour réduire leurs flux courrier, certaines entreprises ou organisations proposent même de rétrocéder à leurs correspondants certaines économies réalisées. Ainsi, ces gains peuvent être financiers (quelques euros par an de récompense si le client choisit de ne plus recevoir le flux de courrier qui lui est dû), ou bien sous forme d’avantages : Air France-American Express propose des miles supplémentaires pour ceux qui optent définitivement pour le relevé électronique, et l’État octroie quelques semaines de délai pour les citoyens qui déclarent leurs revenus sur internet. Face à ce phénomène, toutes les Postes du monde doivent rechercher de nouveaux équilibres. L’ampleur de la baisse nécessite certes la réadaptation de l’appareil de production, mais pas seulement. Il doit s’agir d’une introspection plus profonde sur notre métier, sur notre modèle économique. Quels usages pour le courrier de demain ? Comment faire en sorte que les nouvelles technologies ne soient plus concurrentes mais complémentaires ? Ainsi, alors que la plupart des opérateurs postaux subissent de plein fouet la baisse des flux, et sont contraints de prendre des décisions urgentes et drastiques, sacrifiant parfois la qualité de leur offre pour préserver leur survie, La Poste dispose d’un atout majeur grâce à son positionnement stratégique. À La Poste, nous avons fait le choix de la diversification. Lorsque certains abandonnaient leurs activités financières pour se centrer sur leur monopole historique, nous les avons, au contraire, développées, en créant une banque de droit commun, pleinement intégrée à notre activité. Les activités de colis et d’express internationales ont aussi été régulièrement étendues. Et nous avons toujours préservé notre identité : être un acteur de proximité, privilégiant, d’abord, dans tous nos métiers, l’intérêt de nos clients. Quant à la qualité, il ne peut être question pour La Poste de la dégrader. La Poste s’est engagée dans une réforme de son appareil de production dès 2003, réforme sans précédent dans l’histoire des postes, en lançant le projet Cap Qualité Courrier pour un montant de 3,4 milliards d’euros. C’est bien Avant-propos 3 sur la qualité que La Poste a misé pour affronter la concurrence des nouveaux modes de communication. 2. LES MISSIONS DE SERVICE PUBLIC Les missions de service public réalisées par La Poste n’ont jamais été autant au cœur des débats que ces deux dernières années, et plus que jamais réaffirmées. La Poste réalise quatre grandes missions de service public : le service universel postal, la contribution à la mission d’aménagement du territoire, le transport de la presse dans des conditions favorisant le pluralisme et l’information politique, et l’accessibilité bancaire, tout particulièrement via le Livret A. Cet ouvrage reprendra en détail la description de ces missions et leur rationalité économique. Ces missions sont au cœur de l’histoire de La Poste. Au niveau européen, il a beaucoup été question du service universel postal lors de la rédaction de la directive de février 2008. Certains, minoritaires, et mus par la perspective d’une libéralisation la plus radicale possible, ont souhaité remettre en cause le service universel postal en Europe. Leur argument consistait à mettre en avant qu’au début des années 1990, lorsque le service universel apparaissait dans le Livre Vert, il s’agissait de reconnaître et d’harmoniser les différents « services publics postaux » historiquement réalisés par les opérateurs postaux européens, dans un monde où les échanges entre les citoyens étaient majoritairement sur support papier. Mais, toujours selon eux, nous sommes maintenant à l’heure des communications électroniques, et dans ce nouveau monde, où seuls 5 % des flux sont émis par les ménages, le service universel postal n’est-il pas dépassé ? Ne pourrait-on transformer le service universel en une sorte de « filet de sécurité minimum », garantissant uniquement à ceux qui ne peuvent communiquer autrement un service de base ? Ce n’est pas mon avis, ni d’ailleurs celui du Parlement et du Conseil des Ministres européens, qui ont réaffirmé dans la troisième directive l’importance des services postaux, non seulement comme instrument essentiel de communication et d’échange d’informations, mais remplissant un rôle également essentiel de participation aux objectifs de cohésion sociale, économique et territoriale de l’Union. Au plan économique, c’est une erreur de considérer le service postal uniquement par l’utilité qu’il procure lorsque quelqu’un envoie une lettre à son correspondant. Une dimension essentielle de notre métier est l’intermédiation économique, sorte de matière première indispensable pour faciliter la rencontre entre l’offre et la demande dans nos sociétés. Le service universel postal ne protège pas seulement les ménages en tant qu’expéditeurs, mais aussi en tant que destinataires, en offrant la garantie que chaque citoyen recevra son courrier à un prix abordable et avec la même qualité, où qu’il vive. Cette universalité postale constitue un moteur 4 Libéralisation et services publics : Économie postale puissant qui favorise l’échange et l’inclusion, et sans elle, il n’est pas sûr que les nouvelles technologies puissent assurer seules ce résultat. Toujours au plan européen, mais cette fois dans une décision récente et propre à la France, en mai 2007, la Commission européenne a examiné les conditions de fonctionnement du Livret A, dans l’objectif d’en banaliser la distribution. À la mission historique qu’il remplissait, à savoir d’être un instrument de collecte pour financer le logement social, un second service d’intérêt économique général (SIEG), uniquement reconnu à La Banque Postale, a été mis en évidence : celui d’être un instrument favorisant l’inclusion bancaire. Cette mission d’accessibilité bancaire, qui figurait en filigrane dans les textes du Code monétaire et financier, a été pleinement explicitée dans la Loi de Modernisation de l’Économie de 2008. Certaines missions de service public confiées à La Poste trouvent leurs origines dans la période post-révolutionnaire. L’aide postale à la presse (via un tarif privilégié), par exemple, fut établie par la loi du 4 thermidor an IV. Le principe en est aujourd’hui posé à l’article 2 de la loi du 2 juillet 1990 qui dispose que La Poste assure le service public du transport et de la distribution de la presse bénéficiant du régime spécifique prévu par le Code des postes et des communications électroniques. Plus récente, mais non moins importante, la mission d’aménagement du territoire apparaît dans les textes pour la première fois dans la loi de 1990. À cette époque, elle est indissociable de la mission de « desserte du territoire national ». En 2005, la loi du 20 mai transpose la directive 1997 et distingue les deux missions. La desserte du territoire national se fond avec la définition du service universel (qui comprend des obligations sur la distribution postale), et la mission d’aménagement du territoire assure, au moyen des points de contact de La Poste, un maillage complémentaire à celui qui serait obtenu avec les seules contraintes de service universel. Les missions de transport postal de la presse, d’accessibilité bancaire et d’aménagement du territoire répondent encore aujourd’hui à des « défaillances de marché » : elles favorisent un partage plus équitable des ressources et des richesses, promeuvent l’égalité d’accès à l’information ou au crédit, et favorisent le maintien d’une activité sociale ou économique là où, sans doute, elle n’aurait plus lieu. Le gouvernement puis le Parlement ont récemment réaffirmé leur engagement envers les différentes missions de service public confiées à La Poste, en premier lieu, au travers du contrat de service public 2008-2012, puis dans la loi postale du 9 février 2010 relative à l’entreprise publique La Poste et aux activités postales. Ils ont réaffirmé leur souhait que les missions de service public du Groupe continuent d’être exercées dans l’intérêt de la collectivité nationale, tout en permettant à La Poste d’affronter la concurrence résultant de la libéralisation de ses activités protégées et de se maintenir parmi les premiers opérateurs européens. Ainsi, la loi de 2010 transforme La Poste Avant-propos 5 en société anonyme, lui donnant ainsi pleinement les moyens de son développement, et consacre la libéralisation totale des marchés postaux au 1er janvier 2011, se conformant en cela à la directive de février 2008. 3. LA LIBÉRALISATION TOTALE DU MARCHÉ Le monopole postal est réduit, depuis 2006, aux correspondances de moins de 50g, y compris le publipostage. Cela représente environ 30 % du chiffre d’affaires du Groupe. Mais c’est une partie substantielle des correspondances distribuées (cf. infra). Il y a aujourd’hui trop peu de recul sur la libéralisation des marchés postaux, et trop d’incertitudes sur l’évolution des flux, pour évaluer précisément les effets de la libéralisation sur le marché français. Jamais, dans l’histoire des autres grands réseaux d’infrastructure, l’ouverture complète des marchés n’a vu le jour dans un contexte de marché déclinant. L’Autorité de Régulation des Communications Electroniques et des Postes (ARCEP) devra faire face à cette tâche délicate : réguler le secteur postal tout en assurant les meilleures conditions pour la fourniture du service universel. La difficulté est accentuée par le contexte baissier du marché postal : la baisse des flux prive La Poste de contributions nécessaires au financement de ses obligations, même en situation de monopole. Et cette baisse rend aussi simultanément le marché moins attractif pour la concurrence, toutes choses égales par ailleurs. Des politiques de régulation asymétriques pourraient certes inciter au développement des concurrents, mais se feraient aux dépens des équilibres de La Poste, fragilisés par l’évolution du marché. À ce jour, une vingtaine de licences ont été délivrées par l’ARCEP. Force est de constater malgré cela que l’activité de ces opérateurs licenciés est demeurée marginale. Les seuls réseaux dont l’ambition était nationale, ont gelé ou arrêté leur activité par manque de rentabilité. Et les opérateurs locaux se partagent une faible partie du trafic. Mais le marché n’est que partiellement ouvert. Ramené au marché des correspondances distribuées (c’est-à-dire l’activité sous licence postale) le secteur réservé représente en France près de 85 % des volumes distribués, et il ne fait aucun doute que la situation actuelle n’a rien de comparable avec la période post-libéralisation. Les exemples étrangers ne fournissent pas non plus d’éléments permettant de conclure avec certitude quant à l’intensité concurrentielle future en Europe. Parmi les rares pays totalement libéralisés, la Suède est souvent prise comme exemple car la libéralisation date de 1994. L’opérateur alternatif, City Mail, n’a rencontré la rentabilité qu’après une décennie d’exercice, et deux plans de sauvetage. Et sa part de marché est d’environ 10 %. Mais les caractéristiques du marché suédois sont particulières : seules les principales villes présentent une densité suffisante 6 Libéralisation et services publics : Économie postale pour représenter une réelle opportunité de rentabilité. A contrario, aux Pays-Bas, où le secteur du marketing direct est ouvert depuis 2006, deux concurrents d’envergure nationale ont rapidement émergé et jouissent d’une croissance à deux chiffres de leur activité. Et en France, plus de 80 % de la population habite dans des zones dont la densité est supérieure à la densité moyenne des Pays-Bas. L’ouverture très récente en Allemagne (1er janvier 2008) et les incertitudes juridiques sur les conditions d’exercice de la concurrence (en particulier les questions de conventions collectives) ne permettent pas de tirer une conclusion quant à l’absence de concurrence observée jusqu’à maintenant. Et dans le cas de l’Espagne, qui conserve encore un secteur réservé sur les flux nationaux, mais dont les flux locaux sont historiquement en concurrence, une concurrence « destructrice » s’est installée, tirant le marché postal vers des prix très bas et une qualité très faible, sans doute responsable d’un marché postal si peu développé. Certains s’appuient sur cette absence de concurrence pour en conclure qu’il existe des barrières à l’entrée, qui justifieraient des mesures de régulation visant à promouvoir la concurrence. Ainsi au Royaume-Uni, un dispositif d’accès régulé à la distribution a été mis en place en 2004, destiné à favoriser l’émergence concurrentielle programmée en janvier 2006. Le bilan d’une telle régulation est très contesté dans le monde postal. Certes, la politique d’accès a effectivement fait entrer un grand nombre d’acteurs en amont de la distribution, mais, comme le souligne le rapport Hooper, la situation économique de Royal Mail est telle qu’elle fait aujourd’hui craindre pour la pérennité non seulement du service universel, mais du service postal dans son ensemble au Royaume-Uni. Certes, rien n’indique que la régulation asymétrique soit la cause directe de cette situation. Mais le dispositif de régulation n’a pas permis à Royal Mail de réagir avec toute la souplesse indispensable à la gestion de cette situation. Le monopole postal est un outil de financement du service universel. Contrairement à ce qui peut être parfois avancé, ce n’est pas par la « rente du monopole » que le financement est assuré, car cela supposerait que La Poste pratique des prix élevés grâce à l’exclusivité qui lui est donnée ! Or c’est exactement le contraire, précisément grâce au service universel, qui garantit notamment l’orientation des prix sur les coûts ou l’abordabilité tarifaire, c’est-à-dire des prix raisonnablement bas. Ce sont en fait les économies d’échelle qui contribuent au financement du service universel : comme les flux marginaux sont les moins coûteux à produire, l’exclusivité donnée à La Poste lui permet, toutes choses égales par ailleurs, de bénéficier d’une contribution complémentaire provenant de ces flux, et de financer ainsi les obligations de service universel qui lui sont dévolues (et notamment les prix bas). La loi de 2005 a instauré un fonds de compensation pour remplacer le mode de financement historique. Si La Poste considère qu’elle supporte une charge inéquitable, elle peut demander la mise en place du fonds. Avant-propos 7 Chaque opérateur, dont La Poste, sera tenu d’alimenter ce fonds en fonction de sa part du marché. Ce système peut être considéré comme une évolution « en douceur » du mode de financement précédent, par le monopole : si La Poste est seule sur le marché (donc monopole de fait), elle financera elle-même les obligations par l’entièreté des volumes qu’elle transporte, et par conséquent nous sommes revenus à la situation initiale. Et à mesure que La Poste perd des volumes via l’introduction concurrentielle, un transfert est effectué, par une ponction sur chaque flux, pour compenser le déficit de compensation subi. Ce mécanisme de partage suppose la juste reconnaissance du coût du service universel. Or, le calcul du coût net du service universel n’est pas une science exacte. Il dépend de la prise en compte du poids des contraintes sur l’économie de l’opérateur en charge de l’obligation de service universel, de l’intensité concurrentielle, de la correcte appréciation d’une situation économique obtenue en l’absence d’obligations (scénario « contrefactuel »), ou encore de l’évaluation des « avantages immatériels » qui bénéficieraient à l’opérateur de service universel. Et il pourrait y avoir un conflit d’intérêt entre volonté de promouvoir la concurrence et nécessité de financer le service universel : comme le service universel doit être financé par les acteurs du secteur via le fonds de compensation, si son coût est élevé, il obèrera la rentabilité future des concurrents. Et s’il est sous estimé, c’est la fourniture du service universel elle-même qui sera mise à mal. Nombre d’outils de régulation doivent être revus dans ce contexte baissier et incertain, par exemple les questions de régulation tarifaire et d’incitation à l’efficacité, de réflexion autour des attentes des usagers pour un service universel présentant la meilleure combinaison coûts-avantages. Et surtout, la régulation doit offrir une bonne lisibilité de l’avenir, être compréhensible et prévisible par rapport aux objectifs qu’elle poursuit. Ceci permettra à tous les opérateurs du marché d’agir dans un environnement sécurisé au plan juridique. 4. ACTIVITÉ POSTALE ET DÉVELOPPEMENT DURABLE La Poste, comme toute entreprise, fait face à l’accélération de la prise de conscience collective des problématiques de développement durable. Le sommet de la Terre de Johannesburg en 2002, l’entrée en vigueur du Protocole de Kyoto sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre en 2005 et plus récemment le Grenelle de l’Environnement ont donné un nouvel essor aux initiatives de développement durable des territoires et aux mesures environnementales. Cela se traduit de deux manières sur l’activité de La Poste. D’une part, la mise en œuvre de nouvelles contributions telles que la « taxe carbone » ou de nouvelles réglementations impactent 8 Libéralisation et services publics : Économie postale fortement les coûts de La Poste. D’autre part, les idées reçues sur le caractère plus polluant du papier renforcent le phénomène de substitution par le courrier électronique1. Les entreprises sont de plus en plus soumises à une pression réglementaire liée au développement durable. Le secteur postal est en particulier concerné par une série de législations environnementales touchant aux secteurs du transport et des bâtiments. Détenant le deuxième parc immobilier de France (derrière l’État), une flotte de 68 200 véhicules, La Poste a émis en 2008, 265 824 tonnes équivalent CO2.2 Pour réduire leurs émissions de gaz à effet de serre comme l’imposent le « paquet énergie-climat » et le « Grenelle de l’Environnement », les opérateurs postaux devront immanquablement revoir leur processus de production et ce d’autant plus si l’émission de tels gaz devient de plus en plus coûteuse. Actuellement, 65 % des tournées quotidiennes de distribution du courrier sont effectuées grâce à des véhicules rejetant des gaz à effet de serre. De même, pour réduire la consommation de leur parc immobilier, les opérateurs postaux devront rénover leurs infrastructures. L’empreinte environnementale des activités postales en général et des missions de service public confiées à l’opérateur postal en particulier devra être évaluée afin de pouvoir arbitrer entre les exigences environnementales et les objectifs spécifiques du secteur postal. Dès 2003, La Poste a introduit des mesures de développement durable dans ses choix stratégiques : une Direction du développement durable a été créée ; une politique d’achat responsable a été mise en place ; en 2006, afin de donner du poids à son engagement, La Poste a confié à l’agence de notation Vigeo le contrôle et l’évaluation de ses initiatives ; en 2008, La Poste a lancé son nouveau plan stratégique qui a mis l’accent sur les initiatives liées au « développement responsable », concept qui repose sur trois axes : environnemental, social et sociétal. Enfin, l’industrie postale est le premier secteur tertiaire à s’être fixé un objectif mondial de réduction de ses émissions de carbone. Lors du sommet de Copenhague en décembre 2009, vingt postes, dont La Poste, qui représentent 80 % du volume total du courrier distribué dans le monde, se sont unies sous l’égide d’International Post Corporation (IPC) dans l’engagement d’une réduction de 20 % des émissions de CO2 d’ici 2020. 1 D’après de récentes études, la consommation énergétique due à l’utilisation d’Internet, en particulier celle des serveurs, croît fortement, à un taux supérieur à 10 % par an. Aux États-Unis, l’agence gouvernementale de l’environnement indique que ces serveurs et centres de stockage de données représentent près de 1,5 % de la consommation américaine d’électricité (Johnson B., 2009, « Web providers must internet’s carbon footprint, say experts », The Guardian). 2 Périmètre : La Poste maison-mère et La Banque Postale. Avant-propos 9 Nous devons aussi revoir tous nos modèles, nos comportements, la façon dont nous abordons nos missions de service public et notre stratégie en fonction de cette nouvelle donne : la prise de conscience maintenant universelle sur la nécessité de préserver l’environnement, et au-delà, sur la responsabilité de chacun sur ce qui l’entoure. 5. L’ÉCONOMIE POSTALE DANS LE GROUPE Pour apporter des réponses à ces diverses problématiques, La Poste mène à la fois des actions concrètes d’investissements, d’innovation et des travaux plus théoriques de réflexion autour des apports du service public pour la société, de la libéralisation du secteur, de l’évolution des technologies et des contraintes environnementales. J’ai souhaité mettre la réflexion économique à un haut niveau à La Poste pour deux raisons. Premièrement, c’est un outil indispensable de l’aide à la décision dans un environnement aussi complexe qu’est le monde postal. La compréhension des économies d’échelle et d’envergure dans l’économie de l’offre, la quantification des élasticités de la demande, les questions relatives aux marchés bifaces ou des apports pour la société des missions de service public sont, parmi d’autres, des notions indispensables qui doivent être prises en compte dans notre action d’entreprise. En second lieu, la régulation sectorielle et le droit de la concurrence sont des acteurs incontournables du secteur, qui sont souvent amenés à encadrer notre action. La Poste intervient sur des marchés très régulés : 51 % du chiffre d’affaires du Groupe relève du service universel postal, régulé par l’ARCEP, et l’activité de La Banque Postale, dont le produit net bancaire (PNB), qui représente près de 25 % du chiffre d’affaires du Groupe, est régulée par la Commission Bancaire. La Poste est aussi en position dominante sur certains des marchés sur lesquels elle intervient, et à ce titre étroitement surveillée par les autorités de concurrence françaises et européennes. Enfin, le groupe La Poste est un acteur particulier en ce qu’il réalise quatre missions de service public. La réalisation de ces missions donne lieu, pour certaines, à des compensations, souvent partielles, de l’État, et nécessite un dimensionnement particulier de l’infrastructure (réseau des guichets et distribution par les facteurs). La régulation des « aides d’État » de la Commission européenne vient ainsi une nouvelle fois encadrer l’action de La Poste. Ces acteurs (régulateurs et autorités de concurrence) éclairent leurs décisions ou leurs avis par une doctrine économique, qui s’appuie sur des concepts parfois difficiles qu’il convient de maîtriser dans l’entreprise : mieux connaître les règles du jeu, c’est se donner la possibilité de mieux jouer. C’est aussi pour cela que la culture économique est très présente dans l’entreprise. 10 Libéralisation et services publics : Économie postale J’ai demandé depuis plusieurs années aux économistes de se pencher sur ces questions. Cela est maintenant unanimement reconnu dans le monde postal : La Poste française est l’opérateur postal qui a le plus investi dans le domaine de l’économie industrielle. La Poste est dotée d’une équipe d’économistes de haut niveau, qui travaille sur des sujets d’économie industrielle de pointe, en étroite coopération avec l’équipe de recherche de l’IDEI à Toulouse. Leurs travaux en économétrie, en économie publique ou en technico-économie forment un corpus qui constitue une référence en matière d’économie postale, comme en témoigne d’ailleurs le nombre de leurs publications dans des revues internationales à comité de lecture. Cet ouvrage est édité par l’équipe des économistes de la Direction de la Régulation Européenne et Nationale, dirigée par Bernard ROY, et recense leurs travaux menés depuis 2004 avec l’IDEI, ensemble ou séparément. Organisé en quatre parties, il aborde successivement au travers de nombreux articles les enjeux de la libéralisation et notamment son impact sur les missions de service public de La Poste. Chaque partie débute par une mise en perspective synthétique du thème traité : les fondements de l’intervention publique dans le secteur postal, le coût et le financement des missions de service public, les relations verticales dans le secteur postal, l’analyse de la demande et des coûts. Ces introductions ont été voulues très pédagogiques, afin qu’un lecteur non économiste puisse s’approprier les enjeux et certains fondamentaux des thèmes traités plus académiquement dans les articles. J’espère que cet ouvrage favorisera une prise de conscience des enjeux de la libéralisation sur l’exécution des missions de service public par l’ensemble des parties prenantes (autorités de régulation, État, usagers, opérateurs postaux concurrents). La libéralisation du secteur ne devra pas se faire au détriment des missions de service public confiées à La Poste. La bonne réalisation des missions de service public, et partant, les bénéfices que chacun de nos concitoyens en retirent chaque jour, sont intrinsèquement liés à la bonne santé de notre entreprise. Pour cela, il convient de mettre en place une régulation équitable du secteur concurrentiel et un mécanisme de financement approprié des missions de service public sans cesse réadaptées aux besoins de nos concitoyens. Je suis aujourd’hui convaincu que notre modèle français de Poste, acteur de proximité et de confiance, qui a su diversifier et développer toutes ses activités, au service de tous dans le respect de chacun, reste le meilleur cap que nous puissions donner à l’entreprise. Il est aujourd’hui, je le sais, dans le cœur de chacun de postiers.