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AVANT-PROPOS
Jean-Paul BAILLY
Président du groupe La Poste
Six années se sont écoulées depuis la publication de l’ouvrage collectif
Économie Postale – Les Fondements, édité par Joëlle Toledano, regroupant
divers travaux économiques théoriques et appliqués menés par les
économistes de La Poste et ceux de l’Institut D’Économie Industrielle
(IDEI) de Toulouse entre 1995 et 2004.
Ces six années ont été marquées par d’importants changements affectant
le monde postal, sur lesquels j’aimerais revenir dans cet avant-propos. La
première problématique qui vient en tête est la baisse des flux de
correspondance, amorcée il y a quelques années, et maintenant devenue
réalité structurelle. Cette baisse des flux nous invite à une analyse en
profondeur de notre métier, de notre « modèle économique », et de la
viabilité et de l’utilité de nos missions de service public. En parallèle, la
troisième directive postale, de février 2008, a annoncé le processus de
libéralisation totale du marché, à horizon 2011, tout en maintenant un
service universel ambitieux pour tous les Européens. Mais dans le contexte
économique du marché postal, il y aura forcément des questions complexes
à résoudre, sans nécessairement les opposer, entre émergence
concurrentielle et pérennité du service universel. Enfin, les enjeux du
réchauffement climatique se sont inévitablement invités dans le débat
postal : peut-on concilier missions de service public traditionnelles et
engagements responsables ? Comment intégrer ces nouveaux impératifs
dans notre vie de tous les jours ?
1.
LA BAISSE DES FLUX DE CORRESPONDANCE
C’est une réalité aujourd’hui, et nous devrons faire avec. La baisse des
flux amorcée au début de la décennie connaît une accélération
préoccupante depuis la crise financière. La croissance épaulée et régulière,
que l’on observe historiquement entre courrier et PIB, est aujourd’hui
remise en cause avec la dématérialisation des échanges d’information,
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Libéralisation et services publics : Économie postale
précipitée récemment par le besoin des entreprises de réduire leurs
dépenses au plus vite. Et toutes les Postes des pays industrialisés sont
unanimes : les baisses de flux dans les cinq prochaines années devraient
atteindre 30 % à 40 %. Peut-être plus.
La Poste fait face à la transformation des moyens de communication.
Bien que le Courrier reste le secteur d’activité dominant du Groupe, en
termes de chiffre d’affaires, il subit la rationalisation accrue des envois par
les entreprises et le développement du phénomène de substitution du
courrier électronique au papier. Un exemple : en cinq ans, la transmission
des relevés de prestations de l’assurance-maladie par e-mail a fait perdre
200 millions d’euros de chiffre d’affaires au Courrier et plus de 7 millions
de contribuables (1 sur 5) ont choisi la télé-déclaration des revenus en
2008.
Pour réduire leurs flux courrier, certaines entreprises ou organisations
proposent même de rétrocéder à leurs correspondants certaines économies
réalisées. Ainsi, ces gains peuvent être financiers (quelques euros par an de
récompense si le client choisit de ne plus recevoir le flux de courrier qui lui
est dû), ou bien sous forme d’avantages : Air France-American Express
propose des miles supplémentaires pour ceux qui optent définitivement
pour le relevé électronique, et l’État octroie quelques semaines de délai
pour les citoyens qui déclarent leurs revenus sur internet.
Face à ce phénomène, toutes les Postes du monde doivent rechercher de
nouveaux équilibres. L’ampleur de la baisse nécessite certes la
réadaptation de l’appareil de production, mais pas seulement. Il doit s’agir
d’une introspection plus profonde sur notre métier, sur notre modèle
économique. Quels usages pour le courrier de demain ? Comment faire en
sorte que les nouvelles technologies ne soient plus concurrentes mais
complémentaires ?
Ainsi, alors que la plupart des opérateurs postaux subissent de plein
fouet la baisse des flux, et sont contraints de prendre des décisions urgentes
et drastiques, sacrifiant parfois la qualité de leur offre pour préserver leur
survie, La Poste dispose d’un atout majeur grâce à son positionnement
stratégique. À La Poste, nous avons fait le choix de la diversification.
Lorsque certains abandonnaient leurs activités financières pour se centrer
sur leur monopole historique, nous les avons, au contraire, développées, en
créant une banque de droit commun, pleinement intégrée à notre activité.
Les activités de colis et d’express internationales ont aussi été
régulièrement étendues. Et nous avons toujours préservé notre identité :
être un acteur de proximité, privilégiant, d’abord, dans tous nos métiers,
l’intérêt de nos clients.
Quant à la qualité, il ne peut être question pour La Poste de la dégrader.
La Poste s’est engagée dans une réforme de son appareil de production dès
2003, réforme sans précédent dans l’histoire des postes, en lançant le projet
Cap Qualité Courrier pour un montant de 3,4 milliards d’euros. C’est bien
Avant-propos
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sur la qualité que La Poste a misé pour affronter la concurrence des
nouveaux modes de communication.
2.
LES MISSIONS DE SERVICE PUBLIC
Les missions de service public réalisées par La Poste n’ont jamais été
autant au cœur des débats que ces deux dernières années, et plus que
jamais réaffirmées. La Poste réalise quatre grandes missions de service
public : le service universel postal, la contribution à la mission
d’aménagement du territoire, le transport de la presse dans des conditions
favorisant le pluralisme et l’information politique, et l’accessibilité
bancaire, tout particulièrement via le Livret A. Cet ouvrage reprendra en
détail la description de ces missions et leur rationalité économique. Ces
missions sont au cœur de l’histoire de La Poste.
Au niveau européen, il a beaucoup été question du service universel
postal lors de la rédaction de la directive de février 2008. Certains,
minoritaires, et mus par la perspective d’une libéralisation la plus radicale
possible, ont souhaité remettre en cause le service universel postal en
Europe. Leur argument consistait à mettre en avant qu’au début des années
1990, lorsque le service universel apparaissait dans le Livre Vert, il
s’agissait de reconnaître et d’harmoniser les différents « services publics
postaux » historiquement réalisés par les opérateurs postaux européens,
dans un monde où les échanges entre les citoyens étaient majoritairement
sur support papier. Mais, toujours selon eux, nous sommes maintenant à
l’heure des communications électroniques, et dans ce nouveau monde, où
seuls 5 % des flux sont émis par les ménages, le service universel postal
n’est-il pas dépassé ? Ne pourrait-on transformer le service universel en
une sorte de « filet de sécurité minimum », garantissant uniquement à ceux
qui ne peuvent communiquer autrement un service de base ?
Ce n’est pas mon avis, ni d’ailleurs celui du Parlement et du Conseil des
Ministres européens, qui ont réaffirmé dans la troisième directive
l’importance des services postaux, non seulement comme instrument
essentiel de communication et d’échange d’informations, mais remplissant
un rôle également essentiel de participation aux objectifs de cohésion
sociale, économique et territoriale de l’Union.
Au plan économique, c’est une erreur de considérer le service postal
uniquement par l’utilité qu’il procure lorsque quelqu’un envoie une lettre à
son correspondant. Une dimension essentielle de notre métier est
l’intermédiation économique, sorte de matière première indispensable pour
faciliter la rencontre entre l’offre et la demande dans nos sociétés. Le
service universel postal ne protège pas seulement les ménages en tant
qu’expéditeurs, mais aussi en tant que destinataires, en offrant la garantie
que chaque citoyen recevra son courrier à un prix abordable et avec la
même qualité, où qu’il vive. Cette universalité postale constitue un moteur
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Libéralisation et services publics : Économie postale
puissant qui favorise l’échange et l’inclusion, et sans elle, il n’est pas sûr
que les nouvelles technologies puissent assurer seules ce résultat.
Toujours au plan européen, mais cette fois dans une décision récente et
propre à la France, en mai 2007, la Commission européenne a examiné les
conditions de fonctionnement du Livret A, dans l’objectif d’en banaliser la
distribution. À la mission historique qu’il remplissait, à savoir d’être un
instrument de collecte pour financer le logement social, un second service
d’intérêt économique général (SIEG), uniquement reconnu à La Banque
Postale, a été mis en évidence : celui d’être un instrument favorisant
l’inclusion bancaire. Cette mission d’accessibilité bancaire, qui figurait en
filigrane dans les textes du Code monétaire et financier, a été pleinement
explicitée dans la Loi de Modernisation de l’Économie de 2008.
Certaines missions de service public confiées à La Poste trouvent leurs
origines dans la période post-révolutionnaire. L’aide postale à la presse
(via un tarif privilégié), par exemple, fut établie par la loi du 4 thermidor
an IV. Le principe en est aujourd’hui posé à l’article 2 de la loi du
2 juillet 1990 qui dispose que La Poste assure le service public du transport
et de la distribution de la presse bénéficiant du régime spécifique prévu par
le Code des postes et des communications électroniques.
Plus récente, mais non moins importante, la mission d’aménagement du
territoire apparaît dans les textes pour la première fois dans la loi de 1990.
À cette époque, elle est indissociable de la mission de « desserte du
territoire national ». En 2005, la loi du 20 mai transpose la directive 1997
et distingue les deux missions. La desserte du territoire national se fond
avec la définition du service universel (qui comprend des obligations sur la
distribution postale), et la mission d’aménagement du territoire assure, au
moyen des points de contact de La Poste, un maillage complémentaire à
celui qui serait obtenu avec les seules contraintes de service universel.
Les missions de transport postal de la presse, d’accessibilité bancaire et
d’aménagement du territoire répondent encore aujourd’hui à des
« défaillances de marché » : elles favorisent un partage plus équitable des
ressources et des richesses, promeuvent l’égalité d’accès à l’information ou
au crédit, et favorisent le maintien d’une activité sociale ou économique là
où, sans doute, elle n’aurait plus lieu.
Le gouvernement puis le Parlement ont récemment réaffirmé leur
engagement envers les différentes missions de service public confiées à La
Poste, en premier lieu, au travers du contrat de service public 2008-2012,
puis dans la loi postale du 9 février 2010 relative à l’entreprise publique La
Poste et aux activités postales.
Ils ont réaffirmé leur souhait que les missions de service public du
Groupe continuent d’être exercées dans l’intérêt de la collectivité
nationale, tout en permettant à La Poste d’affronter la concurrence résultant
de la libéralisation de ses activités protégées et de se maintenir parmi les
premiers opérateurs européens. Ainsi, la loi de 2010 transforme La Poste
Avant-propos
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en société anonyme, lui donnant ainsi pleinement les moyens de son
développement, et consacre la libéralisation totale des marchés postaux au
1er janvier 2011, se conformant en cela à la directive de février 2008.
3.
LA LIBÉRALISATION TOTALE DU MARCHÉ
Le monopole postal est réduit, depuis 2006, aux correspondances de
moins de 50g, y compris le publipostage. Cela représente environ 30 % du
chiffre d’affaires du Groupe. Mais c’est une partie substantielle des
correspondances distribuées (cf. infra).
Il y a aujourd’hui trop peu de recul sur la libéralisation des marchés
postaux, et trop d’incertitudes sur l’évolution des flux, pour évaluer
précisément les effets de la libéralisation sur le marché français. Jamais,
dans l’histoire des autres grands réseaux d’infrastructure, l’ouverture
complète des marchés n’a vu le jour dans un contexte de marché déclinant.
L’Autorité de Régulation des Communications Electroniques et des
Postes (ARCEP) devra faire face à cette tâche délicate : réguler le secteur
postal tout en assurant les meilleures conditions pour la fourniture du
service universel. La difficulté est accentuée par le contexte baissier du
marché postal : la baisse des flux prive La Poste de contributions
nécessaires au financement de ses obligations, même en situation de
monopole. Et cette baisse rend aussi simultanément le marché moins
attractif pour la concurrence, toutes choses égales par ailleurs. Des
politiques de régulation asymétriques pourraient certes inciter au
développement des concurrents, mais se feraient aux dépens des équilibres
de La Poste, fragilisés par l’évolution du marché.
À ce jour, une vingtaine de licences ont été délivrées par l’ARCEP.
Force est de constater malgré cela que l’activité de ces opérateurs licenciés
est demeurée marginale. Les seuls réseaux dont l’ambition était nationale,
ont gelé ou arrêté leur activité par manque de rentabilité. Et les opérateurs
locaux se partagent une faible partie du trafic.
Mais le marché n’est que partiellement ouvert. Ramené au marché des
correspondances distribuées (c’est-à-dire l’activité sous licence postale) le
secteur réservé représente en France près de 85 % des volumes distribués,
et il ne fait aucun doute que la situation actuelle n’a rien de comparable
avec la période post-libéralisation.
Les exemples étrangers ne fournissent pas non plus d’éléments
permettant de conclure avec certitude quant à l’intensité concurrentielle
future en Europe. Parmi les rares pays totalement libéralisés, la Suède est
souvent prise comme exemple car la libéralisation date de 1994.
L’opérateur alternatif, City Mail, n’a rencontré la rentabilité qu’après une
décennie d’exercice, et deux plans de sauvetage. Et sa part de marché est
d’environ 10 %. Mais les caractéristiques du marché suédois sont
particulières : seules les principales villes présentent une densité suffisante
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Libéralisation et services publics : Économie postale
pour représenter une réelle opportunité de rentabilité. A contrario, aux
Pays-Bas, où le secteur du marketing direct est ouvert depuis 2006, deux
concurrents d’envergure nationale ont rapidement émergé et jouissent
d’une croissance à deux chiffres de leur activité. Et en France, plus de
80 % de la population habite dans des zones dont la densité est supérieure à
la densité moyenne des Pays-Bas. L’ouverture très récente en Allemagne
(1er janvier 2008) et les incertitudes juridiques sur les conditions d’exercice
de la concurrence (en particulier les questions de conventions collectives)
ne permettent pas de tirer une conclusion quant à l’absence de concurrence
observée jusqu’à maintenant. Et dans le cas de l’Espagne, qui conserve
encore un secteur réservé sur les flux nationaux, mais dont les flux locaux
sont historiquement en concurrence, une concurrence « destructrice » s’est
installée, tirant le marché postal vers des prix très bas et une qualité très
faible, sans doute responsable d’un marché postal si peu développé.
Certains s’appuient sur cette absence de concurrence pour en conclure
qu’il existe des barrières à l’entrée, qui justifieraient des mesures de
régulation visant à promouvoir la concurrence. Ainsi au Royaume-Uni, un
dispositif d’accès régulé à la distribution a été mis en place en 2004,
destiné à favoriser l’émergence concurrentielle programmée en janvier
2006. Le bilan d’une telle régulation est très contesté dans le monde postal.
Certes, la politique d’accès a effectivement fait entrer un grand nombre
d’acteurs en amont de la distribution, mais, comme le souligne le rapport
Hooper, la situation économique de Royal Mail est telle qu’elle fait
aujourd’hui craindre pour la pérennité non seulement du service universel,
mais du service postal dans son ensemble au Royaume-Uni. Certes, rien
n’indique que la régulation asymétrique soit la cause directe de cette
situation. Mais le dispositif de régulation n’a pas permis à Royal Mail de
réagir avec toute la souplesse indispensable à la gestion de cette situation.
Le monopole postal est un outil de financement du service universel.
Contrairement à ce qui peut être parfois avancé, ce n’est pas par la « rente
du monopole » que le financement est assuré, car cela supposerait que La
Poste pratique des prix élevés grâce à l’exclusivité qui lui est donnée ! Or
c’est exactement le contraire, précisément grâce au service universel, qui
garantit notamment l’orientation des prix sur les coûts ou l’abordabilité
tarifaire, c’est-à-dire des prix raisonnablement bas. Ce sont en fait les
économies d’échelle qui contribuent au financement du service universel :
comme les flux marginaux sont les moins coûteux à produire, l’exclusivité
donnée à La Poste lui permet, toutes choses égales par ailleurs, de
bénéficier d’une contribution complémentaire provenant de ces flux, et de
financer ainsi les obligations de service universel qui lui sont dévolues (et
notamment les prix bas).
La loi de 2005 a instauré un fonds de compensation pour remplacer le
mode de financement historique. Si La Poste considère qu’elle supporte
une charge inéquitable, elle peut demander la mise en place du fonds.
Avant-propos
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Chaque opérateur, dont La Poste, sera tenu d’alimenter ce fonds en
fonction de sa part du marché.
Ce système peut être considéré comme une évolution « en douceur » du
mode de financement précédent, par le monopole : si La Poste est seule sur
le marché (donc monopole de fait), elle financera elle-même les obligations
par l’entièreté des volumes qu’elle transporte, et par conséquent nous
sommes revenus à la situation initiale. Et à mesure que La Poste perd des
volumes via l’introduction concurrentielle, un transfert est effectué, par
une ponction sur chaque flux, pour compenser le déficit de compensation
subi.
Ce mécanisme de partage suppose la juste reconnaissance du coût du
service universel. Or, le calcul du coût net du service universel n’est pas
une science exacte. Il dépend de la prise en compte du poids des
contraintes sur l’économie de l’opérateur en charge de l’obligation de
service universel, de l’intensité concurrentielle, de la correcte appréciation
d’une situation économique obtenue en l’absence d’obligations (scénario
« contrefactuel »), ou encore de l’évaluation des « avantages immatériels »
qui bénéficieraient à l’opérateur de service universel.
Et il pourrait y avoir un conflit d’intérêt entre volonté de promouvoir la
concurrence et nécessité de financer le service universel : comme le service
universel doit être financé par les acteurs du secteur via le fonds de
compensation, si son coût est élevé, il obèrera la rentabilité future des
concurrents. Et s’il est sous estimé, c’est la fourniture du service universel
elle-même qui sera mise à mal.
Nombre d’outils de régulation doivent être revus dans ce contexte
baissier et incertain, par exemple les questions de régulation tarifaire et
d’incitation à l’efficacité, de réflexion autour des attentes des usagers pour
un service universel présentant la meilleure combinaison coûts-avantages.
Et surtout, la régulation doit offrir une bonne lisibilité de l’avenir, être
compréhensible et prévisible par rapport aux objectifs qu’elle poursuit.
Ceci permettra à tous les opérateurs du marché d’agir dans un
environnement sécurisé au plan juridique.
4.
ACTIVITÉ POSTALE ET DÉVELOPPEMENT DURABLE
La Poste, comme toute entreprise, fait face à l’accélération de la prise de
conscience collective des problématiques de développement durable. Le
sommet de la Terre de Johannesburg en 2002, l’entrée en vigueur du
Protocole de Kyoto sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre en
2005 et plus récemment le Grenelle de l’Environnement ont donné un
nouvel essor aux initiatives de développement durable des territoires et aux
mesures environnementales. Cela se traduit de deux manières sur l’activité
de La Poste. D’une part, la mise en œuvre de nouvelles contributions telles
que la « taxe carbone » ou de nouvelles réglementations impactent
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Libéralisation et services publics : Économie postale
fortement les coûts de La Poste. D’autre part, les idées reçues sur le
caractère plus polluant du papier renforcent le phénomène de substitution
par le courrier électronique1.
Les entreprises sont de plus en plus soumises à une pression
réglementaire liée au développement durable. Le secteur postal est en
particulier concerné par une série de législations environnementales
touchant aux secteurs du transport et des bâtiments.
Détenant le deuxième parc immobilier de France (derrière l’État), une
flotte de 68 200 véhicules, La Poste a émis en 2008, 265 824 tonnes
équivalent CO2.2
Pour réduire leurs émissions de gaz à effet de serre comme l’imposent le
« paquet énergie-climat » et le « Grenelle de l’Environnement », les
opérateurs postaux devront immanquablement revoir leur processus de
production et ce d’autant plus si l’émission de tels gaz devient de plus en
plus coûteuse. Actuellement, 65 % des tournées quotidiennes de
distribution du courrier sont effectuées grâce à des véhicules rejetant des
gaz à effet de serre. De même, pour réduire la consommation de leur parc
immobilier, les opérateurs postaux devront rénover leurs infrastructures.
L’empreinte environnementale des activités postales en général et des
missions de service public confiées à l’opérateur postal en particulier devra
être évaluée afin de pouvoir arbitrer entre les exigences environnementales
et les objectifs spécifiques du secteur postal.
Dès 2003, La Poste a introduit des mesures de développement durable
dans ses choix stratégiques : une Direction du développement durable a été
créée ; une politique d’achat responsable a été mise en place ; en 2006, afin
de donner du poids à son engagement, La Poste a confié à l’agence de
notation Vigeo le contrôle et l’évaluation de ses initiatives ; en 2008, La
Poste a lancé son nouveau plan stratégique qui a mis l’accent sur les
initiatives liées au « développement responsable », concept qui repose sur
trois axes : environnemental, social et sociétal.
Enfin, l’industrie postale est le premier secteur tertiaire à s’être fixé un
objectif mondial de réduction de ses émissions de carbone. Lors du
sommet de Copenhague en décembre 2009, vingt postes, dont La Poste,
qui représentent 80 % du volume total du courrier distribué dans le monde,
se sont unies sous l’égide d’International Post Corporation (IPC) dans
l’engagement d’une réduction de 20 % des émissions de CO2 d’ici 2020.
1
D’après de récentes études, la consommation énergétique due à l’utilisation d’Internet, en
particulier celle des serveurs, croît fortement, à un taux supérieur à 10 % par an. Aux États-Unis,
l’agence gouvernementale de l’environnement indique que ces serveurs et centres de stockage de
données représentent près de 1,5 % de la consommation américaine d’électricité (Johnson B.,
2009, « Web providers must internet’s carbon footprint, say experts », The Guardian).
2
Périmètre : La Poste maison-mère et La Banque Postale.
Avant-propos
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Nous devons aussi revoir tous nos modèles, nos comportements, la
façon dont nous abordons nos missions de service public et notre stratégie
en fonction de cette nouvelle donne : la prise de conscience maintenant
universelle sur la nécessité de préserver l’environnement, et au-delà, sur la
responsabilité de chacun sur ce qui l’entoure.
5.
L’ÉCONOMIE POSTALE DANS LE GROUPE
Pour apporter des réponses à ces diverses problématiques, La Poste
mène à la fois des actions concrètes d’investissements, d’innovation et des
travaux plus théoriques de réflexion autour des apports du service public
pour la société, de la libéralisation du secteur, de l’évolution des
technologies et des contraintes environnementales.
J’ai souhaité mettre la réflexion économique à un haut niveau à La Poste
pour deux raisons. Premièrement, c’est un outil indispensable de l’aide à la
décision dans un environnement aussi complexe qu’est le monde postal. La
compréhension des économies d’échelle et d’envergure dans l’économie de
l’offre, la quantification des élasticités de la demande, les questions
relatives aux marchés bifaces ou des apports pour la société des missions
de service public sont, parmi d’autres, des notions indispensables qui
doivent être prises en compte dans notre action d’entreprise.
En second lieu, la régulation sectorielle et le droit de la concurrence sont
des acteurs incontournables du secteur, qui sont souvent amenés à encadrer
notre action. La Poste intervient sur des marchés très régulés : 51 % du
chiffre d’affaires du Groupe relève du service universel postal, régulé par
l’ARCEP, et l’activité de La Banque Postale, dont le produit net bancaire
(PNB), qui représente près de 25 % du chiffre d’affaires du Groupe, est
régulée par la Commission Bancaire. La Poste est aussi en position
dominante sur certains des marchés sur lesquels elle intervient, et à ce titre
étroitement surveillée par les autorités de concurrence françaises et
européennes.
Enfin, le groupe La Poste est un acteur particulier en ce qu’il réalise
quatre missions de service public. La réalisation de ces missions donne
lieu, pour certaines, à des compensations, souvent partielles, de l’État, et
nécessite un dimensionnement particulier de l’infrastructure (réseau des
guichets et distribution par les facteurs). La régulation des « aides d’État »
de la Commission européenne vient ainsi une nouvelle fois encadrer
l’action de La Poste.
Ces acteurs (régulateurs et autorités de concurrence) éclairent leurs
décisions ou leurs avis par une doctrine économique, qui s’appuie sur des
concepts parfois difficiles qu’il convient de maîtriser dans l’entreprise :
mieux connaître les règles du jeu, c’est se donner la possibilité de mieux
jouer. C’est aussi pour cela que la culture économique est très présente
dans l’entreprise.
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Libéralisation et services publics : Économie postale
J’ai demandé depuis plusieurs années aux économistes de se pencher sur
ces questions. Cela est maintenant unanimement reconnu dans le monde
postal : La Poste française est l’opérateur postal qui a le plus investi dans le
domaine de l’économie industrielle. La Poste est dotée d’une équipe
d’économistes de haut niveau, qui travaille sur des sujets d’économie
industrielle de pointe, en étroite coopération avec l’équipe de recherche de
l’IDEI à Toulouse. Leurs travaux en économétrie, en économie publique
ou en technico-économie forment un corpus qui constitue une référence en
matière d’économie postale, comme en témoigne d’ailleurs le nombre de
leurs publications dans des revues internationales à comité de lecture.
Cet ouvrage est édité par l’équipe des économistes de la Direction de la
Régulation Européenne et Nationale, dirigée par Bernard ROY, et recense
leurs travaux menés depuis 2004 avec l’IDEI, ensemble ou séparément.
Organisé en quatre parties, il aborde successivement au travers de
nombreux articles les enjeux de la libéralisation et notamment son impact
sur les missions de service public de La Poste. Chaque partie débute par
une mise en perspective synthétique du thème traité : les fondements de
l’intervention publique dans le secteur postal, le coût et le financement des
missions de service public, les relations verticales dans le secteur postal,
l’analyse de la demande et des coûts. Ces introductions ont été voulues très
pédagogiques, afin qu’un lecteur non économiste puisse s’approprier les
enjeux et certains fondamentaux des thèmes traités plus académiquement
dans les articles.
J’espère que cet ouvrage favorisera une prise de conscience des enjeux
de la libéralisation sur l’exécution des missions de service public par
l’ensemble des parties prenantes (autorités de régulation, État, usagers,
opérateurs postaux concurrents). La libéralisation du secteur ne devra pas
se faire au détriment des missions de service public confiées à La Poste. La
bonne réalisation des missions de service public, et partant, les bénéfices
que chacun de nos concitoyens en retirent chaque jour, sont
intrinsèquement liés à la bonne santé de notre entreprise.
Pour cela, il convient de mettre en place une régulation équitable du
secteur concurrentiel et un mécanisme de financement approprié des
missions de service public sans cesse réadaptées aux besoins de nos
concitoyens. Je suis aujourd’hui convaincu que notre modèle français de
Poste, acteur de proximité et de confiance, qui a su diversifier et
développer toutes ses activités, au service de tous dans le respect de
chacun, reste le meilleur cap que nous puissions donner à l’entreprise. Il est
aujourd’hui, je le sais, dans le cœur de chacun de postiers.