F For fake, est un film documentaire de1975
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F For fake, est un film documentaire de1975
F For Fake ! (1972) d’Orson Welles Pistes de réflexions en guise de correction Orson Welles où la cinémagie Dans cette séquence extraite de F For fake, film documentaire qu’il réalise en 1972, Orson Welles, œil malicieux sous un chapeau à larges bords, cape noire flottant autour de lui, se met en scène sur le quai de la gare Montparnasse. Sous les projecteurs, il effectue un tour de magie pour un enfant, puis verbalisant ce qui peut apparaître comme une profession de foi, il se déclare charlatan malgré son indéniable prestance et nous dit que le cinéma est l’art de l’illusion et du mensonge. Il nous dit encore que le mensonge est au cœur même de l’Art, et que toute vérité émerge de la duperie et du subterfuge. Nous tenterons de montrer comment il procède pour nous délivrer ce précieux secret. La séquence est construite comme une démonstration. On comprend aisément que l’illusion a été parfaite, le tour facilement exécuté d’abord grâce à la relation de confiance que le magicien développe avec l’enfant, et par un « truc », un secret, inhérent à tout tour de magie qu’il explique pour nous devant cet enfant cobaye (le lapin, allégorie de l’expérience en cours), incarnation de la naïveté de tout spectateur. Tout renvoie à la séduction et à l’illusion du spectacle, y compris la femme « belle, riche et intriguante ». Tout est vrai et faux dans cette séquence, magie et désillusion par le dispositif installé : un trivial quai de gare comme faux théâtre (la femme qui ouvre la vitre du train pour assister au spectacle qu’elle connaît déjà, le renvoyant à un vieux tour usé), réalité et illusion de réalité par le dispositif propre à la caméra mis en abîme, dont le spectacle est contredit par le filmage d’un documentariste (sensé dire la réalité et donc la vérité) comme dans un miroir détrompeur autant que menteur. Magie et illusion tournées en perpétuelle dérision, film et coulisses du film, montage tourbillonnant déplacé rapidement dans la salle de montage même et aux bobines sur lesquelles est apposé le nom d’Orson Welles. Le vrai dénonce le faux et le faux subvertit le vrai. Cette expérience, Welles en magicien défait mais bien portant et bien présent, la déclinera au niveau du cinéma comme le fera Federico Fellini, autre grand magicien dans Et vogue le navire (1986) où la caméra découvre tout le décor du tournage et finit par se filmer dans le miroir à la toute fin du film. Il va nous montrer les rouages d’un tournage, la machinerie, la mise en scène, ses coulisses, les tics et les trucs, presque grossièrement dévoilés. Ainsi, nous regardant dans les yeux, il nous dit que magie et cinéma relèvent des mêmes principes, et l’on comprend que c’est toujours dans le lien que le réalisateur entretient avec son public, ainsi que dans l’ingéniosité des mécanismes et des machineries qu’il aura inventés, qu’il arrive à nous faire croire tout ce qu’il veut telle une femme belle et mystérieuse, bref, qu’il nous manipule pour nous faire accéder à la vérité, toujours double et ambiguë. Welles nous livre donc toutes les solutions, il nous dit toute la vérité, bien insuffisante en regard du mystère de l’art et de la vie, mystère d’Elmyr, éminent faussaire de la peinture, parvenant par sa dextérité à faire confondre les chefs d’œuvres (le nom du producteur est inscrit au pinceau) par la copie, le double qui en subvertit l’authenticité par l’illusion instaurée… Son nom est déjà problématique, multiple, insaisissable, renvoyant cette trouble identité à celle du citoyen Kane dans le film de Welles (1941) au début de sa carrière et dont Rosebud suscite une quête inlassable malgré les investigations pour en révéler le sens profond. Welles montre son dispositif filmique en mettant en scène le hors-cadre : techniciens, accessoires, badauds étonnés et même le réalisateur, François Reichenbach, grand documentariste français (attestant de la probité du genre dans lequel on se trouve) que l’on voit dans la séquence. L’introduction de la caméra dans le champ, procédé normalement proscrit, démystifie et ne démystifie en rien le processus. En travaillant sur le hors-cadre, en révélant l’envers du décor, Welles donne tous les ingrédients et même la recette, mais ce n’est toujours pas suffisant pour expliquer la croyance qu’ont les spectateurs dans ce qu’on leur montre. Welles traverse l’espace-temps dans un raccord dont il met en scène lui-même le « fake » : fond blanc, projecteurs, et le voilà projeté dans un décor de coulisses par la magie du cinéma et du montage, procédé généralement occulté mais donné ici comme visible et transparent. Le truc est donné à voir mais fonctionne tout autant comme tour de magie que comme fondation du cinéma comme il en est de la voix, de l’image mentale, de la séduction. Dans la séquence, le son direct est proscrit. La voix humaine est déréalisée du fait de cette absence de profondeur sonore. Comme la bande image, la bande son est le produit d’un travail de montage qui participe à la création d’une ambiance irréelle, magique. Bruitage, musique viennent renforcer cette irréalité qui participent à l’illusion dans un montage savant, ludique autant que fait de bric et de broc, d’illusion et de réalité documentaire. Ici, le documentaire se fait documenteur. Pour percer le mystère, sans doute faut-il chercher ailleurs. Non pas dans le tour de magie luimême mais chez ceux qui l’exécutent. Parce que plus qu’un film sur la manipulation, F For Fake (et dans l’extrait proposé) est un hommage aux illusionnistes. N’oublions pas que l’enfance de l’Art cinématographique, c’est la gare, haut lieu du cinéma des origines. Souvenons-nous de l’effet que produisit sur le public du Grand Café à Paris L’Entrée du train en gare de La Ciotat des Frères Lumière (1895). Ce train traversant l’écran semblant venir rouler sur le corps des spectateurs pris de panique produisit une illusion si parfaite et si spectaculaire qu’elle assura le succès de ce qui ne s’appelle pas encore septième Art. Mais c’est aussi la gare Montparnasse que Georges Méliès termina sa vie en vendant des jouets aux passants et que rappelait Martin Scorsese dans un film récent. En se mettant en scène dans ce lieu symbolique, Welles prend en charge les deux figures fondamentales que sont Lumière et Méliès et pose le cinéma, quel qu’en soit le genre, documentaire ou fiction, comme art de l’illusion. Depuis sa naissance, le cinématographe est lié à la magie. C’est grâce à cette tradition du spectacle théâtral que le cinéma a vu le jour. Ces deux arts partagent le même sens du merveilleux et parlent à notre inconscient, prêt à toutes les supputations, toutes les croyances et là tous les trucs que Welles recense méticuleusement : machinerie, pyrotechnie, effets d’optique, déroulants horizontaux et verticaux, arrêt de la caméra, fondus enchaînés, surimpression, prestidigitation, effets de montage et effets de couleurs sur pellicule ; tout semble avoir été conçu et utilisé par ces virtuoses de la technique que sont les magiciens et qu’a repris le cinéma à son compte. La magie rend possible l’impossible. Les fondements de l’illusion cinématographique reposent sur cette mécanique empruntée aux magiciens. Welles a lui-même été magicien, et dans la séquence il évoque Robert Houdin, dont Georges Méliès fut le disciple. Quand ce dernier vit en 1895 les projections des films Lumière, il en comprit l’intérêt. Il devint cinéaste, et producteur créa ses propres studios de Montreuil, matrice de toutes les fantasmagories. Au sortir de la première guerre mondiale, il sera balayé par les studios et sociétés de production françaises puis américaines, organisées et puissantes. Et voir Orson Welles, vieillissant et mal aimé, peinant à monter des projets, réduit à tourner un « petit » film documentaire en France et à se mettre lui-même en scène sur les quais de cette gare, c’est bien comprendre qu’il reprend à son compte la figure de Georges Méliès : à la fois génial illusionniste, mais incompris et isolé. Welles est la prolongation contemporaine de cet illustre primitif du cinéma. En se mettant en scène dans une gare, confluent des deux tendances : celle du documentaire et celle de la fiction, (Méliès et Lumière), Welles fait son autoportrait et parle de sa condition d’artiste. Il est le grand chef d’orchestre de son film. En se montrant magicien/réalisateur, il crée une connivence avec le spectateur et révèle une autre partie du secret de l’illusion cinématographique qui est celle du narrateur tout puissant, base de tous les récits, de toutes les magies. Welles est le démiurge déchu, mais aussi acteur /personnage principal, là encore une incorrection au protocole habituel de lecture des films. Un démiurge ne se montre pas, il agit en dieu qui manipule ses personnages à sa guise Ici, il se joue à la fois de lui, de ses personnages, comme du public mais reste le grand chef d’orchestre, aussi déchu soit-il. On connaît la prédilection de Welles pour la voix. Nombre de ces films utilisent la voix off et l’on se souvient de la panique que son émission radio, l’adaptation de La Guerre des Mondes (HG Wells) provoqua, au point ici d’introduire un extrait du film La guerre des Mondes dans F.for Fakes. S’appuyant sur un climat de fébrilité bien réel, puisque la seconde guerre mondiale allait bientôt être déclarée, Welles adapta le roman de Wells au climat de cette époque soumise à la peur de la guerre. Par le travail des acteurs du Mercury Theatre, la modulation de sa voix, et son génie de scénariste, il produisit sur les spectateurs américains un effet si grand qu’ils se précipitèrent dans les rues paniqués pour éviter l’invasion des martiens. Welles cherche donc à percer le mystère de l’art, fait d’ingéniosité et de magie, de lucidité et d’illusion. Il transmet ses connaissances, son savoir et abat ses secrets comme on abat ses cartes, se dévoilant un peu plus au risque de perdre son immunité de créateur. Mais l’on sait que Welles a toujours été indépendant, libre et affranchi. Au soir de sa vie, cette œuvre apparaît comme le testament d’un vieux sage qui livre ses trucs et ses tours tout en jouant de la magie cinématographique dans une dialectique permanente. « L’art, ce mensonge qui fait comprendre la vérité », disait Picasso. Il faudrait donc accepter d’être trompé pour accéder à la vérité. C’est ce que dit Bruno Bettheleim dans Psychanalyse des contes de fée, où c’est en faisant siens les archétypes que sont les personnages des contes que l’enfant répond à ses angoisses et se structure. Mais c’est avant tout ce qu’avait découvert Freud déjà dans son Interprétation des rêves (1899) à l’époque même des débuts du cinéma. C’est dans l’analyse de ses fantasmes, de ses rêves qu’on a la clé de sa propre vérité. C’est grâce au faux, aux histoires que l’on se raconte, qu’on accède au vrai et non en scrutant la réalité de visu dont on croit enregistrer le processus. Chemin difficile, inconcevable pour beaucoup, mais à ce jour le seul pour faire émerger la vérité. Réel acte d’amour car c’est à travers le faux que l’on dit le vrai. C’est à travers le faux de la représentation cinématographique que l’on débusque l’imagerie séduisante et complaisante que l’homme se fait à lui-même. Dispositif humble, isolé et singulier, dérisoire mais essentiel comme le savent les vieux magiciens dans le jardin imparfait qu’est le monde.
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