Forum du parcours n°2 - Acteurs Bretons de la Coopération
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Forum du parcours n°2 - Acteurs Bretons de la Coopération
Adélie Miguel Sierra Je suis Adélie Miguel Sierra. Comme mon nom l'indique, je ne suis pas bretonne. Et je ne suis même pas française, je viens de Belgique, et plus précisément de Liège. Je suis très heureuse de participer à ces assises. Quand on m’a contactée, on a discuté avec Marie qui représentante ici le RESIA, et Mickaël du CRIDEV. Pour organiser ce parcours on avait déjà une pratique de partenariat nord-nord entre nous. On a joint nos réflexions pour préparer ce parcours n°2. Le titre est un peu obscur. L'idée est de réfléchir sur le volet sensibilisation et éducation ici en Europe, mais avec des collègues du Sud. Certains sont présents ici et nous parleront de la sensibilisation au Sud, par rapport aux enjeux de la coopération et de la solidarité internationale. Nous sommes ici, non pas pour mettre en place des projets dans le Sud, mais plutôt pour réfléchir à comment appuyer la solidarité dans le Sud à partir de réflexions sur l'opinion publique européenne, et particulièrement française et bretonne. Changer les structures d'injustice, ça passe depuis des années par un paradigme de la coopération qui est lié aux soutiens de partenaires du Sud. Mais ces dix dernières années, d'autres modalités de coopération se sont mises en place. C'est ce qu'on appelle de façon ambiguë : « l’éducation au développement ». Cela recouvre l'information du public breton, le plaidoyer, les interpellations des décideurs politiques et économiques, et aussi toute la sensibilisation et la conscientisation de différents publics, en milieu scolaire ou dans l'éducation non formelle. Ce sera donc l'objet de nos échanges. Comme le titre l'indique, on essaiera de voir s'il y a des interactions, des articulations, des complémentarités, entre une action portée vers le Sud et les mobilisations ou la formation sociale des gens ici au Nord. En pédagogie de développement, on privilégie toujours des pédagogies actives. On va essayer de les favoriser, mais vu le nombre de personnes et le peu de temps, on ne peut pas prendre du temps pour savoir qui vous êtes. Ce sont les limites et les contradictions du format. Alors, lorsque vous interviendrez, vous vous présenterez. Pour démarrer, au lieu de vous présenter la définition de l'éducation au développement – qui n'existe pas – on va plutôt voir ce que vous vous percevez des enjeux de l'éducation au développement. Une manière de faire, c'est de proposer plusieurs affirmations. Autour de la salle, on en a apposé différentes. Je vais les lire une par une et on va vous demander ensuite de vous placer devant la phrase à laquelle vous adhérer le plus. Certainement, tout le monde va dire que c'est difficile, qu'on adhère à plusieurs, mais il va falloir faire des choix ! Deuxièmement, l'idée n'est pas d'avoir une bonne réponse ou pas mais de savoir laquelle vous interpelle le plus. Après on fera des sous-groupes par affiche. Et chaque groupe proposera de donner les arguments de choix. Je vais lire toutes les affiches. L'éducation au développement et à la solidarité internationale, c'est prioritairement : 1. Valoriser et faire connaître en Europe les projets soutenus dans les pays du Sud ; 2. Renforcer les activités de pressions sur les décideurs politiques pour combattre la pauvreté et les disparités du développement mondial ; 3. Sensibiliser le public aux réalités économiques, sociales et culturelles des pays en développement ; 4. (supprimé) 5. Amener les citoyens européens à soutenir financièrement les ONG de coopération au développement afin d'appuyer les initiatives des partenaires du Sud. 6. Expérimenter d'autres modèles de développement que celui qui nous est imposé actuellement par l'acquisition de nouveaux comportements dans notre quotidien, à travers des achats et une consommation équitable et biologique, des modes de déplacements plus écologiques, une participation à la vie associative locale. 7. L'éducation au développement et à la solidarité internationale c'est prioritairement renforcer les missions et la vie associative des associations de solidarité internationale par l'intégration de nouveaux bénévoles et stagiaires qui appuient les différentes activités de solidarité ; 8. L'éducation au développement c'est prioritairement un acte politique qui constitue une composante essentielle de l'éducation à la citoyenneté. Il se décline notamment en favorisant un travail de synergie et d'alliance avec des groupes, des associations, des collectifs, des réseaux diversifiés, tant au Nord qu'au Sud de la planète ; 9. L'éducation au développement c'est prioritairement un processus qui vise le renforcement de la société civile à travers l'apprentissage de la participation, du dialogue interculturel, de la coresponsabilité dans la gestion de la cité, tant au niveau local qu'au niveau international. Donc, on vous demande de vous diriger vers la phrase à laquelle vous adhérez le plus, de vous asseoir autour de cette phrase, et de discuter avec les autres personnes pour voir quels sont vos arguments. Mes collègues vont remettre un marqueur et une feuille pour que vous notiez vos arguments. Merci. Ce n'est pas grave si vous êtes seul. N'adhérez pas à une autre proposition si vous êtes seul ! J'en profite pour vous présenter Lætitia qui est là pour nous aider à passer le micro. Elle va passer auprès de chaque groupe et chaque rapporteur va présenter les arguments de l'ensemble du groupe. Et ensuite on prendra un petit moment d'échange. Qui veut bien démarrer la discussion ? Je propose la phrase 9. Groupe 9 On s'est retrouvé sur « l'éducation c'est un processus qui vise au renforcement de la société civile à travers l'apprentissage de la participation, du dialogue interculturel, et de la coresponsabilité dans la gestion de la cité, tant au niveau local qu'au niveau international ». Ce qui a plu dans cette proposition, c’est qu'il y a ici l'idée d'un processus. On a parlé de la gestion de la cité en préférant le terme de « vie de la cité ». Ce qu'on aime dans les termes de cette affiche, c'est « éducation à la citoyenneté ». Quand on éduque le monde à la citoyenneté, ça nous paraît être un socle duquel découle tous les engagements qu'on choisira de prendre plus tard. Surtout apprendre à vivre avec l'autre, à le connaître et à le reconnaître. Il y a l'idée de la coresponsabilité qui nous a plu. On est à notre niveau, tous responsables de ce qui se passe à une grande échelle. Et pour aller vers l'autre, il faut déjà agir sur soi-même. On est un individu et on est en interaction avec le monde. Le mot « participation » a également beaucoup plu et l'idée d'aller vers l'autre. Mais le socle c’est de devenir un citoyen, apprendre à vivre ensemble pour ensuite aller vers l'international, ou prendre quelque engagement que ce soit. Adélie Miguel Sierra On rediscutera après les arguments différenciés. Je propose maintenant la phrase 6. Groupe 6 Notre phrase : « expérimenter d'autres modèles de développement que celui qui nous est imposé actuellement par l'acquisition de nouveaux comportements dans son quotidien, à travers des achats et une consommation équitable et biologique, des modes de déplacements plus écologiques, une participation à la vie associative locale ». On pourrait ajouter des points de suspension. On a retenu 3 idées qui nous ont marqués : la première c’est l'idée qu'aujourd'hui on suit un modèle de développement et qu'il y en a d’autres possibles, et qu'il faudrait réfléchir sur ces autres modèles. On a aussi aimé que cette phrase associe la théorie et la pratique, la réflexion et l'action, du global au local. Et la troisième idée qui nous a plu, c'est celle de l'engagement de chacun. Adélie Miguel Sierra Maintenant le groupe qui a travaillé sur la phrase 3. C'est un grand groupe ! Groupe 3 La phrase c'est : « sensibiliser le public aux réalités économiques, sociales et culturelles des pays en développement. » Il y a deux phrases qui ressortent de notre discussion. Cette sensibilisation du public nous paraît prioritaire par rapport à des actions dans des pays étrangers et par rapport à une action politique ici en France. La sensibilisation est pour une bonne partie du groupe, prioritaire. Le deuxième point : il faut que l'éducation nationale soit un acteur parmi d'autre de cette sensibilisation auprès des jeunes. On peut sans doute attendre plus de l'Education nationale, au niveau sensibilisation, dans les collèges, les lycées. Il y a sans doute une démarche dans ce sens dans l'Education nationale mais encore embryonnaire. Adélie Miguel Sierra Le groupe qui a travaillé sur la phrase 8. Groupe 8 La phrase : « l'éducation au développement c'est prioritairement un acte politique qui constitue une composante essentielle de l'éducation à la citoyenneté. Il se décline notamment en favorisant un travail de synergie et d'alliance avec des groupes, des associations, des collectifs, des réseaux diversifiés, tant au Nord qu'au Sud de la planète ». Le groupe a retenu 4 points pertinents dans cette définition. Il y a d'abord la dimension éducation à la citoyenneté qui est une chose qui peut s'appliquer à la jeunesse. Nous pensons qu'en éduquant la jeunesse prioritairement ça peut préparer à une participation active à la vie en société. En plus, il y a la notion d'expression politique. Un acte politique fait qu'on inscrit l'éducation à la citoyenneté et même au développement dans une vision globale. Le troisième point qui nous a paru important, c'est le mot « synergie ». Il implique le faire ensemble nécessitant une connaissance mutuelle. Enfin, nous avons retenu que la définition implique un échange d'expériences entre les groupes, associations travaillant en synergie d'action. Ce qui nous paraît très important aussi dans la question de l'éducation au développement durable et à la solidarité internationale. Adélie Miguel Sierra Merci à toi. Maintenant le petit groupe qui était sur la phrase n°2. Groupe 2 « Renforcer les activités de pressions sur les décideurs politiques pour combattre la pauvreté et les disparités du développement mondial ». Nous sommes partis sur deux sensibilités différentes, mais qui peuvent se rejoindre. Monsieur disait que pour avoir davantage de financements, il faut d'abord interpeller les politiques. Nous avons discuté du fait que pour d'autres, le financement n'est pas l'essentiel, il faut surtout une implication plus politique de nos élus pour agir sur les causes. Adélie Miguel Sierra Groupe n°5 Groupe 5 Notre groupe s'est aussi réduit à un binôme. La phrase : « amener les citoyens européens à soutenir financièrement les ONG de coopération au développement afin d'appuyer les initiatives des partenaires du Sud ». Ce qui nous a accroché, ce sont deux mots : « financièrement » et « initiatives des partenaires du Sud ». Pourquoi financièrement ? Il nous est apparu que dans nos associations, on était frileux par rapport à l'argent, notamment pour la recherche de fonds privés. Il y avait des termes comme « réticence morale », « argent sale », etc. Une recherche souvent longue, parfois inefficace, qui amène à faire beaucoup de dossiers qui n'aboutissent pas, donc un certain découragement par rapport à l'argent. Mais ce qui nous poussait néanmoins à continuer, c'était justement qu'on répondait à des initiatives des partenaires du Sud, et donc à des besoins locaux. Adélie Miguel Sierra Merci pour cet exercice qui permet de voir vos perceptions de l'éducation développement, et ce que vous attendez de l'éducation au développement, en sachant qu'elles ne sont pas contradictoires, elles peuvent être complémentaires. Mais c’est vrai que le poids ou la finalité sont différents. Une des finalités c’est d’avoir plus de mobilisation de la société civile, une autre plutôt un regard tourné vers le Sud ou un regard tourné vers le monde. C'est ce qu'on voit aujourd'hui au niveau des associations de solidarité internationale. Certaines sont sur une dimension nord-sud plus historique, une grande partie des ASI ou ONG se positionnent moins sur cet axe nord-sud mais se positionnent plus sur les problèmes mondiaux, c’est-à-dire la question n'est plus l'axe nord-sud mais la société civile partout dans le monde, les démunis ou les exclus. C’est vrai qu'on voit deux logiques, qui ne se confrontent pas mais qui se côtoient dans le monde de la coopération au développement. Se pose donc aussi la question de l'articulation avec les projets dans le Sud. Est-ce que le Nord doit agir pour récolter des moyens financiers, techniques... vis à vis des pays exclus du Sud, ou est-ce qu'il faut renforcer les sociétés civiles pour amener des changements structurels internationaux ? Il y a aussi la manière de la faire. Il y a la mobilisation, le lobby, l'influence des décideurs etc. Il y a aussi le niveau plus individuel, c’est-à-dire que c’est en changeant d'abord sa manière de vivre que l’on peut poser des actes beaucoup plus macro. D’autres sont plutôt sur des processus d'apprentissage. Avant même d’évoluer soi-même ou de changer les autres, il faut déjà comprendre le monde, avec la dimension d'apprentissage, avec le rôle de l'Education nationale ou d'autres structures. Pour pouvoir agir sur le monde, il faut le comprendre, ce qui nécessite une série de procédures, de démarches, d'approches, de sensibilisation, d'éducation, etc. D'autres aussi amènent la dimension d'alliance, de synergie, de réseaux. Il faut d'abord comprendre ce monde, ensuite on peut investir ce monde individuellement ou collectivement. Mais on se rend compte des limites. Beaucoup de gens ont maintenant conscience, avec cette mondialisation, Internet, etc, que partout dans le monde se posent les mêmes questions et ils sont en train de se mobiliser. Donc la question du réseau devient fondamentale : réseau virtuel, réseau social, réseau physique, ici par exemple ! On peut se demander comment cela se concrétise. Est-ce que ça devient une obligation de travailler en réseau ? Qu'est-ce que je choisis comme « fiancé » ? Qui sont mes alliés, et qui sont mes « ennemis »? Vous vous retrouvez dans cette synthèse ? Quelles sont vos réactions par rapport à ce que vous avez entendu de chaque sous-groupe ? Parce qu'avec ma synthèse on peut faire du relativisme, c'est-à-dire que tout est bon. Cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas des conflits idéologiques derrière tout ça. Public Par rapport aux définitions qui n'ont pas eu d'adhérents. Ce sont des définitions qui ne sont pas justes ou incomplètes ? Adélie Miguel Sierra « Renforcer les missions et la vie associative des associations de solidarité internationale par l'intégration de nouveaux bénévoles et stagiaires qui appuient les différentes activités de solidarité ». Donc aucun d'entre vous ne s'intéresse à renforcer son association par le recrutement de bénévoles ? Public J'aurais adhéré si vous aviez rajouté « jeunes ». Plus de jeunes oui. S'intégrer dans une association à la retraite, c'est un peu tard je crois. Adélie Miguel Sierra L'idée par rapport à la jeunesse ok. Vous ne vous intéressez pas aux bénévoles autrement ? Public Nous aussi on commence à avoir les cheveux gris ! On est impliqué depuis plus de 20 ans et on a du mal à recruter des jeunes. Et quand on y arrive on n'est pas dans la pérennité. C'est un problème. Et sur des projets que nous avons – en Amérique Latine – on a eu l'occasion de faire partir des jeunes qui souhaitaient avoir un engagement au niveau humanitaire. Mais il n'y a pas eu d'engagement à leur retour. Nous sommes une petite association. Ne partent maintenant sur les projets que des gens qui ont bien intégré l'association et depuis un certain nombre d'années. Public Effectivement ce problème est un problème de socle d'éducation, il n'y a pas eu un processus qui amène l'individu à être capable de faire un choix, d'exercer son libre arbitre. S’engager réellement dans une association, ce n’est ne pas juste bénéficier du voyage. Je pense qu'effectivement l'Education nationale n’est pas seule à pouvoir le faire mais il y a une éducation de fond à faire avec les enfants, puis les collégiens, puis les lycéens de façon à avoir un citoyen qui puisse s'engager réellement. Adélie Miguel Sierra Encore deux interventions sur cette phrase. Public Nous avons des bénévoles de tous âges qui font la même chose, c’est-à-dire expérimenter, voir l'association et qui ne restent pas. Je crois que ce n’est pas beaucoup plus fréquent chez les jeunes. Il y a aussi des jeunes qui restent. Public Je suis un peu et pas tout à fait d'accord avec vous. Je vis ça aussi au sein de mon association, des jeunes et moins jeunes partent. Il faut dire qu'ils sont aussi à un moment de leur vie où ils ne sont pas sur des rails et ils n'ont pas forcément fini leurs études, ils ne sont pas encore engagés dans la vie professionnelle. C’est un break avant la vie professionnelle. Souvent ce sont des jeunes qui ont quand même pris conscience de ces problématiques de coopération et de solidarité internationale, mais ils ne vont pas tous s'engager. Je crois qu'il faut aussi accepter l'idée que les gens quittent une association, une ONG. Ils feront quand même leur chemin parce qu'ils ont été marqués par ce qu'ils ont vécu. Je constate quand même que dans le Conseil d'administration que je préside, il y a plusieurs personnes qui sont parties en Amérique du Sud et qui se sont complètement engagées au sein de l'association. Mais effectivement, tous ne s'engagent pas. Certains sont partis vivre à des centaines ou des milliers de kilomètres. Il faut accepter que tout le monde ne s'installe pas dans sa propre association. Adélie Miguel Sierra Encore une intervention sur cette phrase. Public Je suis assez d'accord avec vous sur le fait que ce qui est important ce n'est pas qu'ils s'engagent dans notre association mais qu'ils s'engagent en général. Et sur l'engagement de la jeunesse, ils sont engagés à plein de niveau, dans plein d'associations. Pour travailler sur Rennes et dans la région Bretagne sur les questions de jeunesse et d'initiatives, de mobilité internationale et de solidarité, les jeunes s'engagent. Après, peut être faut-il se poser la question de la place qui est laissée aux jeunes dans les associations de solidarité en général. Comment les intègre-t-on dans ces structures ? Pour moi, ça n'est pas l'un ou l'autre, c'est l’ensemble, et comment dans les associations on travaille la pérennité, les suites et l’implication des jeunes et des nouveaux bénévoles dans les structures. Adélie Miguel Sierra Gros chantier, et on se pose les mêmes questions en Belgique. Le fait que le recrutement de bénévoles ne soit pas une priorité – sans jugement de valeur – me semble intéressant. Vous ne l'avez même pas dit, alors qu'on a besoin de recruter, ne serait-ce que pour faire du boulot pour que la mission de l'association perdure. C'est intéressant ce que vous disiez sur le fait que des jeunes soient dans le conseil d'administration. Il n'est pas évident d'accepter que des jeunes soient à des postes de pouvoir. Public Je fais partie de l’association Les Petits Débrouillards, et la plupart des gens du conseil d’administration demandent des jeunes parce que justement ça donne une vision complètement différente de l'association. Aujourd'hui les jeunes ont une vision différente de la société par rapport à nous parce qu'ils sont proches de problèmes que nous commençons juste à découvrir. Adélie Miguel Sierra Que nous ? Tu n'as pas l'air très âgé ! Public Oui, mais même moi je suis complètement dépassé par la jeunesse aujourd'hui. Pourtant je n’ai que 30 ans ! Par exemple ? La musique, rien que ça ! Je suis incapable de définir la musique aujourd'hui. Les noms des différentes musiques, des instruments. Et pourtant c'est quelque chose qui est la base de ma vie. Adélie Miguel Sierra Donc voila les ASI vont créer des modules de sensibilisation à la world music, c'est ça ? Public Je préside une association. Je suis assez d'accord avec beaucoup de choses qui ont été dites sur la liberté, le partenariat, etc. Mais il y a quelque chose qui me paraît essentiel si on veut être concret quand nous sommes là-bas. Nous découvrons en discutant avec eux les problèmes concrets : maladie, nourriture, habitat, école, etc. Avec eux, là bas, nous essayons d'établir des priorités et ensuite de voir quels sont les moyens nécessaires en hommes, en matériel et en finances. Or, on nous demande généralement de travailler dans une optique de développement durable. Or, si on veut travailler dans cette optique, il faut beaucoup d'argent, et de façon durable et continue. Puisque ce qui est dit ici est rapporté au Conseil régional, il me semble que c'est quelque chose d'intéressant à préciser. Au sujet des jeunes. Je suis parti dans le sud du Burkina Faso avec deux jeunes. Il s'agissait d'une part d'informatiser le système de micro-crédit destiné aux femmes. Ça marchait très bien depuis 3 ans et on avait décidé de leur apporter un ordinateur et de les initier à son utilisation. Cela a été fait en l'espace de quelques jours par un jeune qui est actuellement à Sciences-Po Paris et qui n'a aucune expérience dans la vie, seulement d'étudiant. Il n'avait pas l'expérience pour mener jusqu'à son terme une réflexion positive dans un tel domaine mais il a très bien fait. La deuxième personne, c'était une jeune fille de 19 ans. Nous lui avions donné comme mission de mettre en place tout un système d'aide aux malades du Sida. C'était assez complexe et elle avait à convaincre des hommes – et on sait que là-bas les hommes n'aiment pas qu'une femme se mêle de leurs affaires. Elle y est arrivée avec diplomatie et fermeté dans le cadre de ce qui avait été prévu. Donc quand ils sont bien aidés, et qu'on leur a bien précisé le cadre de leurs missions, ils sont formidables. Adélie Miguel Sierra On est en train de faire un hymne au jeunisme, on pourrait faire un hymne à toutes les générations ! C'est important en effet le passage entre générations. Je suis là pour faire de la provocation ! Mais si on pose la question de l’éducation au développement comme un processus qui doit provoquer des changements, on peut se demander quels sont les publics potentiellement acteurs de changements ? A l’extrême, si je me demande qui sont ces acteurs, je ne vais pas penser à la jeunesse mais aux générations futures. Aujourd'hui si je pose la question de l'acteur potentiel de changement, quels sont les acteurs qui peuvent vraiment changer les structures ? Public Je dirais tout le monde à son échelle. Adélie Miguel Sierra Je pense que le rôle de l’éducation est important, l'intégration des jeunes dans les actions de solidarité. C’est vrai qu'on met beaucoup d'énergie à réfléchir sur les jeunes – et c'est très bien – mais on ne réfléchit pas à comment travailler avec les syndicats, avec les associations de migrants, avec les groupes de femmes justement pour que ces messieurs changent, et pas seulement là-bas ! On peut travailler avec les mouvements de jeunesse, et pas seulement toujours les jeunes dans un certain système. Peut-être qu'on les délaisse. Il faut avoir de la créativité pour voir avec qui on travaille aujourd'hui. Avec la crise en Europe, il se passe des choses dramatiques – la Grèce, l'Espagne – et je me dis qu’on ne fait pas l'articulation avec les groupes de chômeurs qui défendent leurs droits, etc. Si on a toujours une question d'articulation avec le partenaire du Sud, c’est intéressant mais comment faiton cette articulation avec les groupes qui sont en train de penser aux mêmes questions mais peut-être avec une intégration locale ou avec des groupes du Sud qui ont la même réflexion mais pas en terme nord-sud. On verra tout à l'heure le témoignage de Toussaint qui vient du Burkina Faso. Il y a des manifestations de l'opposition au Congo, des syndicats qui essaient de créer des rapports de force pour une société civile plus juste, sans demander d'argent. Les projets de coopération traditionnels sont importants, mais aujourd'hui face aux enjeux de la mondialisation, on voit différentes formes d'actions qui changent notre manière de voir la relation classique de partenariat. Il ne faut pas oublier ces partenariats. Aujourd'hui, la question du projet a changé. On est plus dans des forums sociaux, des sociétés civiles qui s'organisent, des luttes contre la privatisation des systèmes éducatifs, etc. C’est mon rôle aussi de lancer ce genre de réflexion. Est-ce qu'il y a encore une réflexion ou deux sur l'ensemble des résumés, de chaque phrase ? Est-ce qu'il y a des choses qui vous ont choquées ou que vous voulez développer ? Public Dans le groupe 3, on était plusieurs à avoir hésité à aller dans le groupe 2 : « renforcer les activités de pressions » et le 1 : « les informations ». En fait, on s'est dit que pour pouvoir demander aux gens de renforcer les activités de pression, il fallait commencer par leur donner les informations sur tout ce qui se passait dans le monde et sur les implications des pays du Nord sur les pays du Sud. Je dis souvent que ce n’est pas la peine de creuser un puits dans un pays du Sud si le mois suivant il y a une société internationale qui vient détourner les sources. Je crois que l'information est importante en premier pour savoir pourquoi on fait pression. Adélie Miguel Sierra Il faudrait se poser la question de quelle éducation pour quel développement ? C'est un énorme débat. On a différentes visions de l'éducation. Historiquement, depuis Platon, il y a une réflexion sur ce qu'on entend par éducation. Les pays anglo-saxons perçoivent l'éducation comme l'enseignement. Dans les pays latins, on réfléchit l'éducation comme toutes les institutions qui socialisent : les médias par exemple, la famille, l'église. C'est bien qu'il y ait une diversité de points de vue idéologiques sur l'éducation au développement. Depuis 50 ans, il y a une grande littérature sur le développement. C’est souvent réduit à une logique. Plus personne ne veut utiliser le mot développement parce que c'est lié à une logique de progrès, de croissance. Mais le terme sociologique ça n'est pas ça : c'est la répartition des ressources pour l'ensemble de la population. Le terme développement peut ne pas être négatif. Aujourd'hui, il est tellement porteur d'une histoire douloureuse, de l’imposition d'un modèle qu'il n’est plus vendable. En plus, on essaie de réfléchir à l'éducation pour le développement. Quand on me demande ce que je fais et que je réponds que je fais de l'éducation au développement, on me regarde bizarrement ! Beaucoup de collègues éducateurs avec lesquels je travaille et qui sont « d'ailleurs », me disent : « vous allez nous éduquer à un autre type de développement ». Il y a donc une incompréhension totale là-dessus. Je pense que le CRIDEV a intégré cela. J'ai fait une formation sur l’éducation à la citoyenneté internationale. Je pense que là on nous comprend déjà mieux ! Les notions de citoyenneté, de coresponsabilité, mais avec la dimension internationale. On peut réfléchir la citoyenneté en restant sur son environnement proche. Ce qu’on amène, c’est la dimension internationale. Si les gens accrochent avec cette dimension internationale, on amène en plus la dimension de solidarité. Parce que je peux comprendre le monde sans bouger de devant ma télévision. Mais je peux continuer à comprendre le monde et me dire : « je m'en fous ». Nous on apporte une réflexion macro, plus internationale, en disant : « aujourd'hui, il est impossible de participer à la société si on ne comprend pas les règles du jeu ». Et les règles du jeu sont maintenant internationales. L'autre enjeu, c’est d'amener la question de la valeur, de l'éthique : c'est la notion de solidarité. C’est très compliqué parce qu'aujourd'hui la notion de solidarité a pris des formes différentes. Ça peut être à travers de l'argent, à travers des luttes, des interpellations politiques, le renforcement de réseaux... Plusieurs enjeux, donc je voulais amener un cadre. Je vais récupérer mon diaporama. Si vous voulez avoir un cadre de référence, en France il y a une plateforme nationale qui s'appelle « Educasol », qui est la plateforme de référence sur les questions d'éducation au développement. Si vous voulez aller plus loin, il y a des ressources, des définitions, etc. Moi j'ai repris des références plus globales, inspirées de la Belgique, mais souvent la Belgique copie ce que vous faites, donc on se rapproche même s'il peut y avoir quelques nuances. L'idée ce n'est pas d'avoir une seule définition, parce que je viens de dire que chacun doit réfléchir à sa vision de l'éducation et du développement, mais c'est vrai que l'idée de l'éducation au développement – pour ceux qui se demandent ce que c'est – c'est donc d'abord un processus. Ce n'est pas un cours, ce n'est pas une nouvelle manipulation du Sud, ce n'est pas de la récolte de fonds, ce n'est pas seulement de l'information. C’est un processus pour renforcer les gens, pour accompagner (et pas imposer) les gens dans un processus de réflexion sur la façon dont fonctionne le monde, et pas seulement de manière ethno-centrique ou euro-centrique. On peut réfléchir le cours d'histoire à travers Napoléon mais on peut réfléchir aussi à travers le processus d'indépendance de l'esclavage en Haïti. Ce sont des manières différentes de voir les événements. Il faut ouvrir la réalité des connaissances du monde, donc il faut regarder les choses un peu différemment. Un processus pour provoquer des changements, c'est une lourde responsabilité. On fait le pari que les gens qui comprennent mieux ce qui se passe vont avoir un autre regard sur le monde. Et provoquer les changements et secouer les habitudes, cela veut dire qu'il ne faut pas faire n'importe quoi. Je préfère que les gens ne changent pas plutôt que de les manipuler vers des extrêmes. Si des martiens nous regardaient, ils nous trouveraient gonflés : ils veulent changer le monde ! Mais j'y crois, mais ça veut dire qu'il faut aussi soigner ça. Ce sont des questions individuelles et collectives. On a connu des phénomènes de formations collectives qu'on a appelé « communisme » ou autre, c'était des processus collectifs de socialisation et on a vu les limites. On voit aussi que les processus individuels de socialisation ont leurs limites. Alors je trouve intéressant le débat que vous avez ici parce que vous avez échappé à la provocation qu'on voulait déclencher. Aujourd'hui les propositions, et particulièrement celles venant avec le concept de développement durable, sont des propositions individuelles culpabilisantes : recycle ta poubelle, fais attention à ton électricité, ferme ton robinet, ne va pas boire du coca (alors on va tous boire du coca en cachette !). Ce sont des injonctions. Quand je recycle mes déchets, je me dis : « mais zut, je paie une taxe mais le magasin continue à vendre les mêmes choses, et on n'impose pas aux entreprise de ne plus me vendre tous ces emballages. ». Donc à un moment donné, à force de culpabiliser individuellement, je me dis : « où sont les responsabilités ? ». Entre le collectif extrême où l'individuel se perd et l'individuel extrême où l'on fait croire que parce que je recycle ma poubelle le monde va changer, on doit réfléchir à cette articulation, que ce soit dans le système scolaire, dans les ASI, partout. Si on n'est pas individuel, alors il y a une finalité. Cette finalité, c'est une utopie. Quand je fais des formations aux plus jeunes, ils me disent : « mais l'utopie, ça ne sert à rien, on n’y arrivera jamais. ». Je pense qu'il faut redonner de l'utopie. J'aime beaucoup Edgar Morin. Vous avez de super sociologues et philosophes en France. Il y a une poésie du poète espagnol Antonia Machado qui dit « il n'y a pas de chemin, le chemin se fait en marchant ». Ça reprend le concept d'Edgar Morin qui dit : « il ne faut plus maintenant croire que tout est tracé, le monde est complexe et on doit donc développer une pédagogie de la certitude. » Dans les disciplines, beaucoup de choses sont remises en questions, en termes sociologiques, etc. Donc comment réapprendre ça de manière positive ? Recréer des utopies et notre utopie à nous – j'espère qu'on la partage – c'est de viser un monde plus juste, où tout le monde serait plus heureux. On peut être heureux en partageant ensemble nos richesses, en changeant le pouvoir, les rapports de forces entre homme et femme, entre le Nord et le Sud, entre différentes catégories. C’est peut être ça l'utopie. On l'exprime peut être différemment, mais je crois qu'on ne fait pas de solidarité internationale si on ne crois pas en quelque chose, en un monde plus juste. Alors comment on va faire cela ? Puisqu'on veut travailler la complexité, on ne va pas proposer une éducation traditionnelle, transmissive. On va proposer une autre manière de faire de l'éducation, ce qu'on appelait la « pédagogie alternative » dans le temps. Une pédagogie qui ne réfléchit plus de manière disciplinaire mais qui fait des interdépendances tout le temps. Que veut dire l’éducation au développement ? La sensibilisation des populations occidentales s'est mise en place depuis 30 ans. On a beaucoup parlé du Sud ce qui est légitime puisque les trois quarts de la population mondiale est exclue de la richesse qu'engendre le monde. Aujourd'hui cela est plus nuancé. L'idée n'est pas de parler du Sud mais d'avoir une réflexion plus globale. On ne peut parler du Sud sans parler de ce qui se passe ici. On ne peut pas parler de ce qui se passe au Congo, sans parler de ce qui se passe en Grèce. Justement en parlant des jeunes, ils ont compris que la solidarité ça ne fonctionne pas pour l'instant en Europe. Quand on dit : « je lâche un pays, ils sont corrompus, c'est de leur faute », comment voulezvous être solidaire avec un pays plus lointain ? A un moment il faut faire cette jonction dans toutes dimensions, de manière systémique. Et ça se veut quelque chose de sympathique, dynamique ! Faut-il continuer à enfermer le Sud dans cette notion de dépendant, de pauvre, de miséreux ? Un regard paternaliste. Ou faut-il le voir un peu autrement ? Ou l'inverse. On parlait d'une expérience qui a eu lieu, où les jeunes burkinabés on fait des petits clips sur les représentations qu'ils avaient des français. Donc on a des ressentis mutuels. Ça fait rire mais ça fait mal aussi. On veut dialoguer, on veut être solidaires, mais il y a une incompréhension dès le départ. C’est un des travaux à faire, dans l'associatif ou dans le système éducatif formel : défendre les droits humains. Le combat dans les prochaines années est axé sur les droits, les droits humains mais aussi les droits sociaux et économiques. Un peu partout sur la planète, le minimum des acquis est en train d'être bafoué. On privatise tout. Vous voyez la mobilisation aujourd'hui dans le monde autour du système éducatif. Les jeunes au Chili, Paraguay, Uruguay. Depuis 15 jours ceux qui sont affiliés à l'International de l'éducation réagissent et c'est violent. Impulser le développement humain et durable, c’est une spécificité française et vous êtes très loin dans la réflexion sur le développement durable, environnement, label en économie sociale, etc. On apprend beaucoup de vous. Tout ça évidemment ne peut se réfléchir qu'en se demandant où va notre planète. On sait qu'on a déjà gaspillé notre terre. Il faut donc réfléchir en intégrant Nord et Sud et pas sur le dos du Sud. N'allons pas dire au Sud : « gardez l'Amazonie » alors que nous on est en train de gaspiller... N'allons pas dire aux haïtiens : « ne continue pas à cuisiner avec du charbon de bois » tant qu'on n'a pas réglé le problème politique et social, ça n'a aucun sens. Combattre la xénophobie et le racisme ça n'est pas seulement une question de migrants. Je sais que vous avez un débat sur ces questions, que c'est toujours un débat d'actualité, mais le problème du racisme, de la peur de l'autre, s'est amplifié. Qui aujourd'hui n'a pas peur des chinois ? Alors qu'ils ne sont pas encore là ! Tout d'un coup la planète est là et on ne connaît pas l'autre. Il va donc falloir de plus en plus réfléchir cette diversité, la violence et la guerre, notamment sur les zones de conflits. Le 11 septembre a marqué pour plusieurs générations nos perceptions d'une part de l'autre, et de l'autre « extrémiste ». Donc la question du Moyen-Orient, des arabes, musulmans, de l'Islam, devient quelque chose qu'il faut travailler avec tout ce que ça a de douloureux, sans paternalisme. Sur la question de la sécurité, le 11 septembre a créé une vision sécuritaire sur la planète qu'on n'a jamais eue. Pas seulement dans les aéroports, nos cartes d'identités sont maintenant avec des puces. Cela a déclenché un phénomène qui doit nous faire réfléchir sur les libertés individuelles. Et l'approche du genre aussi. Ce n'est pas une question de féminisme aujourd'hui si l'on veut changer le monde. Il faut changer de système, et le système patriarcal. Tout développement ou toute société qui se crée sur un système patriarcal ne peut pas fonctionner de manière solide. La question n’est pas qui fait la vaisselle ou pas, il faut réfléchir sur les rapports sociaux entre hommes et femmes. Public Et entre féminin et masculin. Et là on introduit beaucoup plus de choses. Adélie Miguel Sierra Oui, tu as raison. En résumé, l'éducation au développement c'est une éducation sur le développement, comprendre le monde. Cela veut dire de la connaissance, le cognitif. C'est pour ça qu’il faut partager. Pour informer, il y a le rôle des enseignants, le rôle des ASI, le rôle des syndicats. Tous les jeunes que je vois en formation me demande : « mais pourquoi on apprend cela maintenant ? Pourquoi ne l’a-t-on pas vu à l'école ? ». Je sais que c'est compliqué d'être enseignant mais à un moment donné ne faudrait-il pas changer les programmes scolaires ? Je ne leur demande pas d'être solidaire, la solidarité appartient à chacun. Je leur demande simplement de comprendre. Je leur parle de la chute du mur de Berlin, et ils osent me dire : « on n’était pas nés ». Je leur dis alors : « je sais qui est Platon et je n'étais pas née ! Tu peux savoir ce qui s’est passé dans le monde même si tu n'étais pas né ! ». C'est donc une éducation pour le développement, c'est-à-dire qu'on veut un autre type de société, et pour cela le cognitif ne suffit pas. Il faut une autre manière de voir le monde, c'est-à-dire accepter de perdre certains privilèges pour les partager, exemple la sécurité sociale, etc. Il faut accepter de payer des impôts. Il faut être solidaire collectivement et c'est comme ça qu'on apporte le développement, il ne suffit pas d’envoyer de l’argent. Maintenant les anglo-saxons ne disent plus « développement » mais « citoyenneté mondiale ». L’éducation comme le développement, doivent nous épanouir ! Paulo Freire qui est un pédagogue ecclésiaste, philosophe brésilien parlait de la « pédagogie du plaisir ». En général dans les ASI on fait de l'activisme et on rentre épuisé, on n'a pas le temps de s'occuper de sa famille parce qu'on change le monde... Beaucoup se retrouvent en thérapie ou épuisés ! Je caricature, mais il faut apprendre le plaisir de la participation collective dans l’éducation comme le développement. J'ai parlé beaucoup d'éducation. La terminologie est peut-être mauvaise, mais dans l'éducation au développement il y a tous ce qui est processus d'apprentissage : animation, conférences, formations, conception d'outil pédagogique. Mais, il y a un autre volet moins visible parce qu'on considère que c'est une caste particulière qui fait ça. Il s’agit du plaidoyer. Aujourd’hui, le plaidoyer, le lobby politique, font partie de l’éducation au développement. Mais n'oublions pas qu'il y a d'autres métiers. Je pense qu'un éducateur est là pour encadrer ça et nous apportons plus de spécificités. Nous amenons des processus d'apprentissage et nous accompagnons, nous impulsons l'action, l'engagement individuel mais aussi le changement de loi. Je pense que toutes les éducations aux valeurs font cela : anti-racisme, environnement, l'éducation sur le genre... A tous les niveaux, il y a énormément de campagnes – en France notamment – la campagne alimenTerre, la campagne « demain le monde », la campagne d'éducation pour tous, etc. Tout cela amène des réflexions mais revendique aussi des choses. Voilà pour la synthèse. Ensuite, il y aura quatre personnes qui ont mis en pratique, se posent des questions, ou ont des difficultés, des expériences, des projets avec le Sud. La question sera : quelle articulation avec le Sud et quelle éducation au développement ? Nous aurons également un partenaire du Sud qui sera là. Adélie Miguel Sierra On va recommencer. La première idée était de voir comment vous vous représentez les priorités de l'éducation au développement. Dans le second temps nous avons fait un petit cadrage théorique pour susciter et provoquer des questions. Dans un troisième temps, nous allons écouter des acteurs qui travaillent concrètement dans la solidarité internationale. Chacun a une histoire par rapport à l'articulation « projet de solidarité / projet éducatif ». Je vais présenter les quatre invités et la méthodologie choisie. Il ne s’agit pas d'avoir des interventions l'une à la suite de l'autre, il faut que ce soit dynamique. Je pose des questions et ceux qui le souhaitent répondent pour arriver à ce qu'on sente ce que cela veut dire sur le terrain. Par exemple, on a parlé à la pause de l'importance de l'argent. Plusieurs disaient : « c'est bien ce que vous racontez, mais il faut de l'argent ! ». Mais peut-être qu'on peut voir à travers des pratiques existantes comment on fait cette articulation. Alors qui sont ces invités ? Nous avons Gaëlle Leveille qui est présidente de l'ASI « Arradon Terre du Monde ». Nous avons Michelle Cerisier, présidente de «l’association Pour Niantjila » et Claire Rault, présidente de « Rencontre pays andins-Europe ». Et enfin, Toussaint Bassane qui est commissaire national de la fédération burkinabée des associations et des clubs Unesco. Chacun va présenter son association et ensuite le lien avec l'éducation au développement. On peut commencer par Gaëlle. Gaëlle Leveille L’association est née en 1976 avec le mouvement 1% tiers monde. C'était un mouvement où la plaidoirie était de demander aux gouvernements 1% de leur budget pour le développement, et en même temps les personnes mettaient 1% de leur salaire pour participer à des projets de développement. Le but de l'association était de sensibiliser l'opinion publique aux problèmes de développement, et mener les actions nécessaires afin de créer un mouvement favorable au développement solidaire de tous les peuples. Comment ? Avec ce 1%, et aussi avec la participation à des campagnes nationales que beaucoup ont connu. Le fameux boycott des oranges d'Afrique du Sud quand il y avait l'apartheid ; « Moins de vin mais du pain » ; « Ethique sur l'étiquette ». On avait des interventions sur les marchés et puis dans les galeries marchandes pour parler du commerce équitable, essayer que le magasin ait du café et du chocolat équitables dans ses rayons. Et puis il y avait aussi un soutien financier à l’AFDI (Association Agriculture Française et Développement International). Pour ceux qui sont au Mali, l'AFDI a beaucoup travaillé avec l'organisation des associations paysannes professionnelles. Ce n'est que douze ans après, vers 1988-89, qu'on a été sollicités par le Sénégal pour travailler sur l'apiculture. On n'était pas dans un village, mais on travaillait sur une problématique à la demande de la Casamance au départ. Il y a donc des apiculteurs du Morbihan qui ont assuré des formations en Casamance. Puis il y a eu les événements en Casamance qui ont fait que les gens sont partis au sud du Sénégal, vers la Gambie, et maintenant ce sont eux qui vont faire les formations. Ils ont pris leur indépendance. Ils sont en train de former des gens un peu partout au Sénégal, voire au Mali. La sensibilisation dans les établissements scolaires a commencé en 1993 par une collecte de livres. Michelle Cerisier Je représente l'association « Pour Niantjila » qui est une association qui existe depuis 1991 suite à une correspondance scolaire. C'est une association plus classique d'échange avec une commune du Mali. C'est une commune qui regroupe 15 villages au sud de Bamako et qui compte plus de 16 000 habitants. Pas de possibilité de communiquer avec ces villages, pas d'électricité, pas de téléphone, mais nous avons des correspondants à Bamako, qui sont des ressortissants du village et aussi de nombreux contacts par mail ou par téléphone avec des partenaires comme le médecin chef ou le directeur de l'Education nationale du Mali. L'association est plus classique, puisque elle rentre dans le schéma des ASI qui accompagnent le développement d'une commune malienne sur des projets de développement qui concernent essentiellement l'eau, la santé, l'agriculture avec les périmètres maraîchers, l'installations des puits, les activités des femmes, le grenier à céréales. Depuis 2 ans, il y a eu un tournant. Le travail essentiel du développement dans ces villages concerne la santé. Nous faisons ici de la recherche de financement, avec les moyens que vous connaissez dans vos associations. Cela a permis beaucoup de choses depuis 2 ans. Ils ont restauré le centre de santé, la maternité. Nous avons financé des formations pour les accoucheuses traditionnelles. La nouveauté là-bas, c'est que peut-être notre présence sur le terrain, notre volonté à tous ici et là-bas au niveau de la santé a fait qu'un médecin s'est installé depuis 6 mois et que c'est la première fois qu'un médecin vient dans cette région éloignée du Mali. Dans cette région, comme dans tout le sud du Mali, il n'y a pas d'associations. Ce n’est pas comme à Mopti où il y a beaucoup d’associations présentes. Au début, suite à notre réflexion et à nos rencontres sur place, notre mission était plus axée sur la recherche de financement et le financement des actions. Depuis quelques années, nous avons, grâce à une première mission avec un ami malien sociologue qui s'occupe de mettre en place la décentralisation au Mali, mieux appréhendé les fonctionnements locaux. Nous avons appris à nous placer toujours en retrait vis-à-vis des projets et des décisions prises là-bas. Au fur et à mesure des années, nous nous sommes de plus en plus éloignés des projets. C'est le début du cheminement qui nous a amené à réfléchir sur d’autres formes possibles d’intervention pour une ASI. Claire Rault L’association « Rencontre pays andins-Europe » est née en 2001 à la suite d'une rencontre organisée par un réseau de personnes ayant travaillé au Pérou et en Bolivie. Ces personnes sont restées en contact et plusieurs étaient en Bretagne. Elles ne souhaitaient pas seulement se retrouver, mais voulaient profiter de leur connaissance pour faire rencontrer des acteurs de développement de ces pays avec des gens d’ici. On avait centré cela sur le rôle des collectivités locales dans les pays andins et en France. La rencontre a eu lieu à Lannion en mobilisant des maires de Bretagne et de ces pays andins, ainsi que des personnes engagées dans le développement agricole. L'objectif était d’échanger sur ce qu'être maire signifiait et sur ce qu'était le développement agricole. La rencontre a été extrêmement riche et on s’est dit qu'il y avait quelque chose à faire. Nous avons donc redéfini nos objectifs pour ne pas soutenir un projet quelconque. Dans nos activités de rencontres pays andins-Europe, il n'y a aucun soutien financier, mais nous continuons ces échanges entre des acteurs de développement, des personnes engagées dans ces pays autour de l'agriculture, de la santé, de la démocratie locale, et des acteurs ici, pour faire connaître des initiatives, échanger sur les questionnements qu’on partage. L'objectif est de modifier le regard ici, en amenant une connaissance sur différentes thématiques : agricole, la démocratie locale... Ce sont deux choses différentes parce que cela renvoie à des moyens différents. Il y a le « faire connaître », et il y a le fait de croiser les connaissances qui existent des deux côtés. Un petit mot sur le nom. On n'est pas connaisseurs de tous les pays andins, et il n'y a pas non plus tous les pays d'Europe. Le titre peut paraître prétentieux, mais on s'est dit que c'était plus intéressant de mettre ça plutôt que de mettre le nom d'un pays ou d'une région – par exemple Bretagne-Pérou – parce que l'idée derrière, c'est deux mondes et deux cultures. On est une association assez petite. On ne va pas pouvoir parler en détail de toutes les réalités andines et faire se rencontrer différents pays d'Europe. Par contre, on est en relation, au niveau européen, avec d'autres associations qui travaillent sur ces mêmes régions. L’association est composée d’un petit groupe de personnes ici, en réseau avec d'autres pays d'Europe, et un réseau d'acteurs au Pérou et en Bolivie. Toussaint Bassane Je représente la fédération burkinabée des associations des clubs Unesco, une organisation créée en 1985. Le but de cette fédération est de contribuer à la réalisation des objectifs de l'Unesco, qu'on trouve dans la citation : « les guerres prenant naissance dans l'esprit des hommes, c'est dans l'esprit des hommes que doivent être élevées les défenses de la paix ». Toute action que nous menons doit contribuer à la réalisation de cette citation. Nous sommes actuellement un réseau au niveau national, et notre fédération compte plus de 100 clubs répartis sur tout le territoire. Au niveau fédéral, l'objectif est de promouvoir les Droits de l'Homme, la diversité culturelle, l’éco citoyenneté, la lutte contre les changements climatiques. Notre moyen d'action phare est le Camp international d'échanges, de reboisement et d'actions communautaires qui s'organise chaque année, et qui réuni une diversité d'acteurs. C’est à la fois une activité de sensibilisation et de formation. Comme autres moyens d'actions, nous avons les conférences, les journées de sensibilisation et les manifestations culturelles. Et nous travaillons au renforcement des capacités de nos membres. Notre public cible est le milieu scolaire et étudiant. Nous travaillons à la formation citoyenne, civique et démocratique de ces jeunes afin d'envisager un changement social. Adélie Miguel Sierra On est ici pour réfléchir sur le lien entre projet de solidarité et éducation au développement. On va donc maintenant expliquer quel est le lien. Comment, concrètement, cela se passe dans vos associations ? Gaëlle Leveille Lorsque nous avons été sollicité pour travailler sur l’apiculture, nous sommes intervenus en parallèle dans des écoles. En 1988/1989, nous avons organisé des collecte de livre pour les écoles sénégalaises aves lesquelles nous étions en partenariat. On s'est vite rendu compte des limites de ce type d'intervention. Vers les années 2000, l'intervention dans les écoles est devenue plus formelle. Il y a eu dans le collège d'Arradon la création d'un club « Arradon Terre du Monde » qui a marché pendant 7/8 ans, puis la jeune est partie – elle ne peut plus intervenir au niveau du collège. Elle avait notamment mis en place des échanges de courriers avec une école au Sénégal. Mais ce n’était pas toujours facile avec la Poste. Nous organisions aussi un repas solidaire lors de la semaine Internationale,dont nous avons aussi vu assez vite les limites : on tournait en rond. Depuis une dizaine d'années, « Arradon Terre du Monde » appartient à la fédération Peuples Solidaires, ce qui nous a amené à aller davantage vers des activités de plaidoirie, en particulier dans le cadre du regroupement pour la campagne « Demain, le monde ». La première campagne, en 2001-2004, a porté sur le développement durable. Il a été proposé aux écoles d’Arradon de faire un travail sur l'eau pendant plus d'une année qui s’est terminé par une exposition sur l'eau. La deuxième campagne de « Demain, le monde » portait sur l'immigration pour vivre ensemble. Tous les établissements scolaires ont joué le jeu aussi. Un concours de poésie a été lancé, tous les établissements sont intervenus. C'était vraiment très riche. On avait fait d'ailleurs faire des marquepages avec les poèmes qui nous intéressaient. Du coup les jeunes voyaient que leur travail était exposé et qu'il y avait une continuité. Je pense qu'il y a deux types d’EAD-SI (éducation au développement et à la solidarité internationale) : l’EAD-SI auprès des jeunes, et l’EAD-SI auprès des adultes. Auprès des jeunes, on répond à la demande, ce sont les établissements scolaires qui nous demandent. Mais il est vrai que quand on intervient dans un établissement scolaire, on intervient par exemple dans des classes de collège et on explique ce que l'on fait au Sénégal. On parle surtout de développement durable. Pour le lycée, on est intervenu plus sur la souveraineté alimentaire, sur des thèmes plus généraux avec des documents, plutôt que sur ce que l’on fait dans le pays en question. Au niveau des adultes, on a la chance en appartenant à « Peuples solidaires » d’accueillir les partenaires de « Peuple solidaires ». C’est très intéressant. Il y a deux ans, nous avons reçu une Indienne qui avait participé à la fameuse marche au Bengladesh, ces 25 000 indiens qui ont marché pendant 3 semaines pour réclamer l'accès à la terre. Elle a témoigné de son expérience et tout le public a été interpellé. Aujourd'hui, « Peuples solidaires » est à nouveau dans cette démarche de soutien aux femmes, en particulier, à travers la branche féminine de « Ektaparishad ». On a eu la chance d'avoir aussi un Chinois qui est venu nous parler de la façon dont sont fait les ordinateurs en Chine et les conditions de travail des femmes. Ce sont des choses qui parlent. Je trouve qu'à chaque fois qu'on fait venir un intervenant sur un thème, obligatoirement quelque chose se passe. On va faire revenir une Indienne au moment de la nouvelle marche. Nous travaillons aussi sur les campagnes de plaidoirie de « Peuples solidaires ». Au moment du forum social de Dakar par exemple, une des thématiques traitée a été l’accaparement des terres, ce qui a permis de sensibiliser les gens à ce qui se passe en ce moment. Il n’y a pas que les chinois qui accaparent les terres. Il y a aussi des fonds de pensions américains, il y a la Banque Européenne, etc. Cela nous donne un vrai dynamisme d'avoir derrière nous ce soutien de la fédération. Nous essayons aussi de travailler de plus en plus en réseau avec d’autres associations. Par exemple, nous avons cette année une demande d’Emmaüs pour travailler sur la solidarité et les migrants. La CIMADE est également en train d'intervenir à Vannes, la Ligue des Droits de l'Homme... Il y a un grand travail qui permet d'ouvrir le débat et de ne pas rester seulement sur des petites choses. On a la chance d'avoir une fédération, un mouvement coordonnateur et en même temps ce mouvement au niveau local, avec une quinzaine d'associations qui travaillent ensemble. Adélie Miguel Sierra Avec le projet de Gaëlle, on voit qu'on peut faire des projets de solidarité et de la sensibilisation sans l'articuler spécialement, et l'importance du réseau pour relayer le plaidoyer. On va voir maintenant avec Michelle l'articulation avec l'éducation au développement. Michelle Cerisier Je vais vous parler du cheminement que nous avons eu depuis quelques années grâce à notre ami sociologue qui nous accompagne lorsque nous allons à Niantjila. On l'a entendu dire plusieurs fois aux niantjilais : « c'est vous qui avez la solution, sinon faites remontez vos doléances aux élus ». Cela a enrichi notre réflexion lorsque nous sommes revenus ici. Il ne nous plaçait jamais comme la solution mais comme une des solutions ou des moyens possibles pour le développement de la commune. Notre participation financière est bien sûr importante. Nous dépensons beaucoup d'énergie en ce sens. Cela sauve même des vies maintenant puisque le travail sur la santé se finalise mais maintenant nous nous disons – n'ayant pas cette satisfaction d'avoir des choses en creusant un puit ou en apportant du matériel scolaire – qu’on est arrivé à un point de notre réflexion où l'on se dit que ça ne suffit plus. Ce cheminement nous a amené à nous dire au sein du conseil d’administration, qu’il faut que ça aille plus loin, que ce que l’on fait ne doit pas forcément être tourné vers le Mali, que même ça ne devrait plus du tout être tourné vers le Mali, en ayant en plus cette sensation que, si on n'y allait pas, les maliens vivraient quand même. Si on n'apportait pas notre financement, le développement de Niantjila avancerait quand même. Il s'est installé maintenant des liens de confiance depuis 20 ans. Et nous, depuis 8 ans que nous sommes là-bas, on a envie de se voir, mais comme des amis. Nous avons commencé par témoigner pour sensibiliser. Cette réciprocité entre nous et le Mali doit être reconnue et valorisée. Nous faisons des animations dans les écoles, dans les collèges du canton voire au-delà, nous organisons des diaporamas avec des débats, surtout lors des assemblées générales. On informe dans la presse locale qui nous suit. On participe régulièrement aux manifestations de la municipalité de Pléneuf-Val-André. On fait un repas malien, et depuis deux ans nous organisons une exposition d'art « Art et solidarité » sur la digue du Val-André pour toucher un plus large public. Depuis quelques temps, nous mettons le mot « solidarité » régulièrement dans les articles de journaux ou sur nos manifestations. Nous présentons aussi régulièrement notre travail à la municipalité. On estime aussi qu'en donnant des subventions – ils nous donnent une subvention annuelle de 3 000 euros – nous avons le devoir de rendre compte. Nous leur parlons aussi de l'évolution de notre association et des réflexions que nous y menons. Mais on a l'impression que ça n'avance pas. Alors je cherche aussi des réponses. On estime que faire connaître, sensibiliser c'est important pour les habitats, pour le canton. Mais on espère vraiment que cette sensibilisation permette aux habitants d'appréhender les réalités du monde et que ça donne envie de s'engager. Nous avons dans la population des gens qui s'engagent, quelques jeunes. Et on aimerait aussi que la municipalité s'engage plus, au-delà de la subvention. Nous arrivons maintenant à un seuil, à un plancher dans nos compétences. L'éducation au développement oui, mais nous ne sommes que des bénévoles et l'éducation au développement c'est aussi un métier, une formation que nous n'avons pas. Nous en sommes arrivés à nous tourner vers des structures, vers le RESIA dans les Côtes d'Armor par exemple, où il y a des personnes prêtes à nous épauler pour aller plus loin dans l'éducation au développement. Adélie Miguel Sierra Quelqu’un voulait poser une question ? Public Je voulais juste savoir ce que vous attendiez de la municipalité ? Michelle Cerisier Que la municipalité ait conscience de l'importance et même de l'atout d'avoir une association de solidarité internationale sur son territoire. Même par rapport à ses élus, à ses administrés, puisque nous recevons une subvention de 3 000 €. Ils nous font complètement confiance, ils ne nous demandent même pas de rendre des comptes. Mais ils devraient utiliser ça comme un atout politique plus fort. Par exemple, une municipalité peut dire souvent : « on a tant d'associations sportives, on a une salle de sport », mais peu de municipalités vont dire : « on a aussi une association de solidarité internationale ». On pourrait aussi être impliqué davantage dans certaines décisions de la municipalité parce que c'est un atout actuellement. Que la population en ait conscience oui, mais il faut aussi que les politiques en aient conscience. Adélie Miguel Sierra Comment participer aux décisions locales de la solidarité internationale ? Michelle Cerisier Au conseil municipal, tout le monde vote notre subvention sans se poser de question et je crois savoir pourquoi. Ils sont au courant bien sûr, ils sont contents. Adélie Miguel Sierra Mettons cette question dans notre réflexion : comment les autorités locales, au-delà du financement, peuvent aussi rentrer dans une réflexion sur comment s'impliquer dans la démocratie internationale et la démocratie participative ? Ne les réduisons pas à des bailleurs de fonds, mais aussi en termes de politiques : comment avec la population et les associations réfléchir sur la politique de solidarité internationale de la commune ? Deux autres invités qui ont un lien particulier d'échange non plus sur des questions d'aide mais par rapport à la sensibilisation et de la formation de part et d'autre. Claire Rault C'est une difficulté de comprendre ce que nous faisons aussi parce que de toute façon il y a toujours la question du rapport financier. Pourquoi ? Parce qu'on n’est pas à égalité dans ce monde. On peut être à égalité des connaissances et des compétences professionnelles, mais on n'est pas à égalité face aux ressources financières qu'il y a dans le monde. Donc on ne peut pas dire qu'on est à égalité dans la réalité. Par contre, sur le plan des compétences, les thématiques sont liées à nos relations et aussi à nos ancrages professionnels et ce n’est pas anodin. L'ancrage professionnel des membres de l'association, c'est l'agriculture, le développement agricole, la santé et l'éducation. C'est aussi parce qu'on combine nos compétences professionnelles avec les liens qu'on a là-bas. Une association qui travaille avec des enfants des rues, une coopérative de micro-crédit qui finance des petits paysans et des élus locaux engagés dans le soutien à l'agriculture par exemple, pour toutes ces personnes, au niveau de leurs compétences, on essaie de faire une information à partir de ce qu'elles font mais ce n’est pas nous qui définissons le contenu de cette information. On essaie de relayer une certaine vision et une certaine expérience. Par exemple sur le travail autour des enfants des rues, la vision qu'ont les associations qui travaillent avec ces enfants est très particulière. Elles ont une vision très élaborée sur comment il faut soutenir les enfants qui travaillent. Et ces visions peuvent être en contradiction avec celles des débats internationaux. Ainsi, dans ces débats on dit qu’il faut lutter contre le travail des enfants alors que certaines associations spécialisées disent qu’elles veulent défendre le droit des enfants au travail. C'est très complexe. A ce sujet, il y a une association qui s'est créée en Bretagne avec des jeunes que l’on avait mis en relation quand ils sont partis là-bas avec ces deux organismes. Ces jeunes ont maintenant créé leur propre association qui fait un super travail sur cette problématique des enfants qui travaillent. L'enjeu c'est donc de modifier ici le regard, de faire par exemple la différence entre l'exploitation des enfants et les enfants qui travaillent pour contribuer à leur vie. Sur l'agriculture, on a plusieurs volets. Des gens qui travaillent dans le milieu agricole depuis longtemps ont une certaine vision de ce que doit être l'auto suffisance alimentaire par exemple. Ils mettent en avant le fait que le problème ce n'est pas vraiment la technique mais plutôt l'insertion dans le marché. Donc si on veut soutenir les paysans, ce n'est pas en amenant des techniques mais plutôt en les aidant à mieux valoriser leurs produits. On rejoint aussi les positions prises dans les réseaux de commerce équitable. On va donc produire des documents, des films. On a aussi mis en place avec un documentariste, des petits documents sur toutes ces thématiques et on a essayé de les valoriser au niveau des écoles. On a, par exemple, fait un partenariat avec l'académie de Rennes pour des documents. Il y a un site qui est utilisé par les professeurs des écoles. C'est en espagnol, c'est donc un support d'apprentissage de l'espagnol. On y voit des paysans qui travaillent et qui expliquent leurs problèmes. C'est aussi une manière de relayer les luttes dans ces pays parce que ces gens sont parfois en porte à faux avec leur gouvernement. S'ils nous sollicitent pour soutenir une campagne – par exemple pour les enfants travailleurs – on essaie de soutenir leur présence dans les instances internationales. Voilà notre travail. La difficulté est qu'il y a toujours en amont des demandes de soutien financier et on ne sait pas toujours comment y répondre. Est-ce qu'on renvoie vers d'autres ? Est-ce qu'on le fait nousmême? Est-ce qu'on dit que ça n’est pas notre boulot... C'est toujours quelque chose de difficile. Une autre difficulté est que pour faire ça, certains nous disent à l'extérieur de l'association qu'ils ne peuvent pas participer à notre travail parce qu'ils n'y connaissent rien. Ce retour n'est pas facile pour élargir l'association. Il faut que ce qu'on amène soit vraiment un plus et que ça ne soit pas seulement des idées, que ce soit réellement une connaissance supplémentaire. Ce sont des choses qui me questionnent en ce moment. Adélie Miguel Sierra On engrange des questions intéressantes. On ne donne pas les réponses maintenant. Maintenant Toussaint, peux-tu expliquer ce que tu fais par rapport à tout ça. Ce que tu fais sur l'éducation à la citoyenneté. Et aussi, comment tu perçois tout ce qui se fait ici, sur l'aide financière, pour renforcer une société civile, pour changer les structures ? Quelle perception as-tu du travail qu'on fait et quels sont les enjeux pour toi ? Toussaint Bassane D'abord, sur ce que nous faisons dans le domaine de l'éducation au développement et à la citoyenneté. Parmi nos objectifs, nous devons promouvoir la compréhension nationale et internationale. Nous avons inscrit notre action dans une dynamique pour atteindre un niveau régional et international. D'abord au niveau local, j'ai parlé de l'organisation des camps internationaux d'échanges, de reboisement et d'actions communautaires. Ces camps qui ont lieu dans une localité du Burkina Faso pendant au moins une dizaine de jours peuvent regrouper les militants au niveau national mais aussi des partenaires qui viennent d'Europe. La population locale est aussi fortement impliquée dans l'organisation de ces activités qui consiste à un reboisement et à des échanges, des formations sur des thèmes très courants : la gestion des affaires de la cité, la participation des citoyens, la conscientisation à la participation aux affaires de la cité. La particularité, c'est que nous avons à faire à une population majoritairement analphabète. L'accès à l'information est également un problème. Pour mieux participer à la gestion des affaires, la prise de conscience des citoyens au niveau local comme étant des citoyens ayant aussi un pouvoir n'est pas évidente. Donc au niveau local, notre action s'inscrit dans ce cadre-là. Au niveau national, on cherche surtout le renforcement des capacités de ces militants, responsables au niveau local. Donc nous avons adapté la structuration de notre mouvement à l'organisation de la politique de l'état, la politique de décentralisation. Dans les régions, nous avons des responsables régionaux. Actuellement, chez nous la notion de solidarité internationale ne ressort pas suffisamment dans la pratique, n'empêche que l'état a adopté une stratégie de croissance accélérée pour le développement durable. Donc l'action des organisations de la société civile essaie d'agir dans ce sens. Actuellement il y a cette politique, mais aussi la politique de l'action non formelle qui est en vigueur et que nous nous sommes appropriée. Nous travaillons en ce sens au niveau de la sensibilisation de sorte que dans les établissements, notre action phare peut consister pour nos militants à organiser des journées de sensibilisation par exemple, et des journées sur la salubrité, sur les fléaux sociaux qui sont récurrents au niveau de la jeunesse comme le VIH sida, comme la question de la sexualité mais également la question de la démocratie. Il faut commencer à sensibiliser les gens dès le plus jeune âge. Au niveau sous régional, nous avons inscrit notre action dans des visites touristiques, des sorties d'études, ce qui a valu à l'association le prix « Messager de la paix » de l'ONU en 1988. Je trouve que c'est un plus pour nous que d'avoir un cadre de partage d'expériences. On cherche à comprendre les expériences de chacun dans le domaine de l'éducation au développement durable et à la solidarité internationale, et en même temps nous essayons aussi de dire ce que nous faisons en ce sens. Je vous ai parlé de ces camps d'échanges, en fait c'est un cadre d'éducation au développement durable, parce que quand nous travaillons au niveau des clubs Unesco nous disons : information, formation, action. On ne peut pas concevoir un club Unesco sans ces trois éléments. Information sur tout ce qui se passe et qui peut aussi concerner le développement au niveau national mais aussi la conscientisation des jeunes sur les événements mondiaux comme les changements climatiques, etc. Nous intervenons aussi pour la lutte contre les changements climatiques. En 2009, nous avons organisé une vidéo conférence en direct de la conférence de Copenhague sur les changements climatiques et ça a été un plus. Notre activité ici, nous avons eu une collaboration très enrichissante à travers le projet « en résonance », qui est piloté par le Conseil régional de Bretagne. Ce projet consiste à mettre en place un groupe de 20 jeunes âgés de 15 à 20 jeunes au Burkina Faso pour participer à des échanges avec d’autres pays dont la France et deux autres pays francophones ainsi que deux pays d’Amérique, le Brésil et le Pérou. Donc nous avons travaillé sur la représentation. Il y a chez nous des personnes qui trouvent qu'ici c'est un paradis terrestre à atteindre mais il y en a aussi qui disent qu'ici c’est un monde non solidaire et qu'on ne peut pas y vivre parce que les gens ne se saluent même pas. Il y en a aussi qui n'arrive pas à se débarrasser de l'idée de colonisateur et qui n'arrive pas à différencier les citoyens et le politique. Quand je suis venu ici en novembre, je suis allé dans un établissement où il était question d'échanger avec les élèves pour essayer de présenter les choses. Il y a un élève qui nous a demandé : « s'ils se disent que eux ils n'ont rien et que nous nous avons tout, pourquoi vont-ils échanger avec nous ? ». C'est une conception aussi ici de là-bas. J'en profite pour parler d’un problème. Il y a souvent des interventions un peu inappropriées. Les gens ont tendance à utiliser certaines images qui ne reflètent pas forcément la réalité du Sud et ça c'est préjudiciable. Nous disons que ces pratiques doivent cesser. Il ne faut pas humilier quelqu'un avant de l'aider. Dans un cadre partenarial avec les organisation du Sud, il y a beaucoup de domaines d'intervention qui peuvent marcher. Il y a le domaine de l'informatique, effectivement chez nous, l'accès à l'informatique n'est pas évident, même dans la capitale. L'accès à Internet est un problème. Même dans le domaine des changements climatiques, il peut y avoir une collaboration sur des chantiers de solidarité internationale. Notre organisation met en place ces chantiers, et il peut y avoir une collaboration. Le Sud peut profiter de l'expérience qu'il y a ici. Sur le plan financier, c'est le problème classique et il faut éviter de commencer par là parce que tout ne se résout pas par les finances. Nous avons toujours évité dans nos activités courantes que les financements viennent exclusivement de l’OCDE. Par exemple quand on organisait les chantiers internationaux de reboisement et d'échanges communautaires, lorsque des partenaires du Nord venaient, ils payaient juste leurs frais de participation. On a par exemple collaboré avec la fédération française des clubs Unesco, ils ont payé leur frais de participation mais pas l'activité proprement dite. Cela ne veut pas dire que si un partenaire veut financer on ne va pas l’accepter ! Nous pensons que pour mener ce genre d'action, on a besoin de moyens mais nous ne demandons pas forcément qu’on nous finance, mais qu’on nous aide à comprendre les problèmes au niveau local et à réfléchir ensemble pour qu’on puisse trouver les moyens nécessaires pour pouvoir agir et éradiquer un certain nombre de problèmes. Nous voulons également une intervention qui puisse nous permettre aussi de sensibiliser nos jeunes sur ce qu'est l'Europe. Cela permettrait d'éviter l'immigration clandestine. C'est une réalité et pour l'éradiquer c’est un parcours du combattant. Nous voulons donc une juste compréhension de ce que nous sommes, de nos aspirations. J'ai amené quatre jeunes en mai dernier, ils étaient bouleversés. En venant, leur perception a changé parce que ça n'était pas ce qu'ils croyaient. C'est pour dire que le domaine de l'éducation au développement et à la solidarité internationale est un domaine qui actuellement s'impose de plus en plus à nous. Nous avons toujours travaillé dans ce sens même si l'expression n'était pas utilisée de façon formelle. Nous sommes aussi inscrit dans un réseau au niveau international à travers la fédération mondiale des associations de l'Unesco et nous agissons aussi au niveau sous-régional. Adélie Miguel Sierra Je vous remercie tous les 4. Pour aller plus loin, vous avez les mails des contacts des participants, et autrement ce serait bien d'avoir un autre moment pour creuser certaines questions. Je trouvais intéressant par rapport à vos 4 expériences le fait qu'elles se complètent et qu'elles apportent différentes manières de faire les choses. Je trouve que vous avez su, en toute simplicité, partager les difficultés, la question de l’argent, la posture à avoir vis à vis des partenaires du Sud. Toussaint disait aussi qu'il y a d'autres formes, qu’il ne faut pas réduire l'autre toujours à la question des moyens, même si l'autre demande. Vous avez aussi abordé l'articulation entre les expériences que vous avez avec des partenaires du Sud, et la responsabilité d’informer et de partager cette expérience. La question aussi de la mobilisation des jeunes du Sud pour qu'ils comprennent ce qui se passe dans le monde a aussi été soulevée. Je pense que c'est un effet positif de la mondialisation, on a enfin un espace de dialogue par rapport à des enjeux au-delà de l'aide. Mes collègues enseignants, formateurs d'Amérique Latine ou d'Afrique me disent qu'ils font la même chose : ils ne sont plus seulement sur de l'occupationnel ou du développement communautaire. Tout le monde se pose la question aujourd'hui : Comment sensibiliser les citoyens à prendre en charge, à défendre leurs droits ? Je pense que c'est une voie de dialogue potentielle pour nous réunir. Je vous remercie pour ces débats, parce que vous êtes intervenus de façon touchante et honnête. On a terminé notre journée mais pas notre réflexion ! Par rapport à la vidéo dont parlait Toussaint, comment les jeunes ont perçu les français ? On va la présenter demain matin, pour commencer la journée. Ce serait bien d'avoir le regard de l'autre sur nous et pas toujours de nous sur l'autre. Demain vous ne resterez pas à vous enrichir des expériences des autres mais vous travaillerez en sous- groupes. Nous reviendrons sur ces questions, sur l’envie de bousculer des choses, de donner des coups de gueule peut-être par rapport à des choses sur lesquelles on n'est pas d'accord, avec l’objectif d’élaborer des questions, des recommandations vis à vis de l'articulation projet de solidarité internationale et éducation au développement. Comment en Bretagne renforcer ce pôle d'éducation au développement ? De quoi avez-vous envie ? Que faudrait-il faire et à qui seraient destinées ces recommandations ? A vos propres organisations ? Aux pouvoirs publics ? A l'enseignement ? Souvent dans les assises on fait des constats et on ne propose rien. L'idée c'est d'être un citoyen actif. C'est vrai qu'il y a un engagement de la structure qui organise pour mettre en œuvre des structures qui vont permettre de faire avancer certaines recommandations. Donc ça vaut la peine d'y croire. Région Bretagne Je confirme. On est là pour écouter, mais si vous nous faites une synthèse des propositions, on les regardera. Je ne voudrais pas promettre plus que ce qu'on peut faire mais en tout cas on a besoin de vous, de même que les partenaires ont besoin de nous et même on a besoin d'eux pour savoir comment faire. Là on a besoin de vous pour savoir comment orienter nos actions. Adélie Miguel Sierra Demain donc on vous écoutera. Marie aura la joyeuse tâche de présenter en plénière deux ou trois points clés dans tous ces questionnements.