Imaginaires en courts

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Imaginaires en courts
COLLEGE AU CINEMA
IMAGINAIRE EN COURTS
2012 / 2013
Programme de six courts-métrages I 1h04 I France
Ce programme de courts-métrages, proposé pour la
première année dans le cadre de Collège au cinéma,
est définitivement placé sous le signe du mensonge,
de l’esbroufe et de l’illusion. Chacun des six films
révèle le pouvoir mystificateur et enchanteur du
septième art, art du trucage et du leurre.
La Lettre, premier court-métrage de Michel Gondry,
nous plonge, dans une succession de trompe-l’œil,
au cœur des songes de Stéphane, un jeune
amoureux transi. Le regard de Jonas, apprenti
L’homme a la tête de caoutchouc, George Mélies, 1901
nageur de La leçon de natation transforme une
simple piscine municipale en lieu fantasmagorique peuplé de créatures étranges. Les effets
spéciaux de Carlitopolis rendent hommage à Méliès, le magicien du cinéma des origines, tandis
que les images convexes de Stretching réinventent, par le biais de l’illusion optique et de la
pixilation1, un autre rapport au temps et à l’espace. Plus loin, c’est au tour d’Emilie Muller, une
jeune actrice époustouflante, de bluffer spectateur et metteur en scène. Décidément, les matières
et les personnages n’en finissent pas de nous duper. Le héros de En chemin en fera l’étrange
expérience, avant de se dépouiller d’encombrants objets grâce à des trucages visuels d’une
grande simplicité poétique.
CARLITOPOLIS de Luis Nieto / France / 2006 / 3’27
Un jeune étudiant présente son projet de fin d’études devant un
jury. Une petite souris de laboratoire appelée Carlito lui sert de
cobaye. Au-dessus de lui, un écran témoin renvoie l’image de
ses expériences.
Le cinéma, un art de l’illusion
Voici une extravagante simulation d’une expérience scientifique qui
tourne au cartoon burlesque. Avec son lot de sadisme et sa réinterprétation absurde des lois de la
physique, comment ne pas songer à Tex Avery ? Tout comme l’univers de l’animateur, dans lequel
les toons subissent les plus incroyables déformations, Carlitopolis glisse irrésistiblement du
rationalisme le plus strict (plan séquence, fixité du cadre, personnage statique plongé dans un décor
minimaliste) à la fantaisie la plus folle, faisant subir au corps d’un pauvre animal les plus incroyables
déformations. La petite souris se dédouble, gonfle, dégonfle, explose et crame sous le regard
imperturbable d’un scientifique fou, dont la monotonie du ton et la précision des gestes participent au
burlesque de la scène.
1
Prise de vue image par image utilisée dans les films d’animation
Si le style du cartoonist texan est bien présent, Carlitopolis est aussi un hommage explicite au plus
grand des magiciens, Georges Méliès. Explicite dans le choix du lieu de tournage (le cinéma Le
Méliès à Montreuil, ville où le cinéaste construisit son premier studio) et dans les effets spéciaux qui
convoquent, à l’ère numérique, les astuces et les trucages du cinéaste-magicien : montage cut pour
les apparitions et les disparitions, dédoublement, abus de fumées et autres artifices opaques. En
1901, grâce à l’effet de surimpression, George Mélies se dédoublait dans une expérience qui voyait
sa tête gonfler et dégonfler (L’Homme à la tète de caoutchouc). L’outil change, le plaisir de la
prestidigitation, lui, reste le même.
EMILIE MULLER de Yvon Marciano / France / 1993 / 19’55
Une jeune comédienne passe un bout d’essai devant un
metteur en scène. Celui-ci lui demande de vider son sac et
d’improviser un commentaire sur tout ce qu’il contient.
Elle s’exécute dans un numéro étourdissant.
Le cinéma, un art du mensonge et de la séduction.
« Vous aimez séduire ? ». « Franchement je ne crois pas » répond Emilie Muller. Séduire, mentir,
enchanter, c’est pourtant bel et bien ce que cette actrice s’emploie à faire, sans que, jusqu’au bout,
ni le metteur en scène qui la filme, ni le spectateur qui la regarde ne soupçonnent son jeu.
Les trois claps du film qui annoncent la mise en route de la caméra (encore en pellicule) marquent le
début des trois plans séquence dans lesquels une femme joue le rôle d’une actrice filmée lors d’un
casting. La mise en abîme est double : celle de l’écran dans l’écran (l’écran de contrôle devient
l’écran du film qui nous est projeté), celle du récit dans le récit. Les histoires et anecdotes contés par
la jeune femme ne sont pas les dévoilements intimes d’une actrice timide mais au contraire les
improvisations d’une actrice époustouflante. Un ultime coup de théâtre révèle la duplicité, ou
devrions-nous dire le talent, de la jeune actrice : ce sac n’était pas le sien.
Metteur en scène et spectateur sont bluffés ! La comédienne Emilie Muller/ Veronika Varga disparaît
du cadre et de la lumière pour se dissoudre dans l’obscurité dans un effet qui rend d’autant plus
irréelle et spectrale l’existence de ce personnage.
LA LECON DE NATATION
de Danny De Vent / 2008 /
France, Belgique / 8’40 / animation papier découpé et 3D
Jonas s’apprête à suivre son premier cours de natation.
Inquiet et curieux, il découvre l’eau et la piscine municipale, ses
règles, ses bruits et ses drôles d’habitants en bonnet de
caoutchouc.
Le cinéma, un art de la sensation
En moins de dix minutes, cette leçon de vie nous fait partager le
parcours semé d’embûches d’un personnage haut comme trois pommes qui va expérimenter tout un
panel d’émotions, de la peur de l’inconnu au plaisir du jeu, avant de conquérir ce nouvel espace.
De fait, l’histoire est uniquement racontée du point de vue de l’enfant, entre inquiétude et
émerveillement. Les adultes coupés au niveau des cuisses ou du bassin, deviennent des corps
monstrueux sans tête. Lorsque Jonas, flottant sous le plongeoir, regarde le saut de l’ange au-dessus
de sa tête, son point de vue en contre plongée doublé d’un ralenti donne la mesure de sa
fascination.
Film quasiment sans paroles (à l’exception d’un seul «maman !» au tout début), La leçon de natation
déploie un espace sonore à la mesure de l’angoisse de Jonas. On entend ainsi des voix étouffées
(rires, cris), les pas sur le carrelage, et un ensemble de bruits aquatiques (plongeons,
éclaboussures, clapotis) familiers à tous les nageurs. La bande son adopte le point de vue sonore de
Jonas avec de réguliers changements de perception auditive, dans l’eau (bruit sourd et étouffé) et
sur l’eau (l’effet d’écho), nourrissant une forte connivence entre le spectateur et l’apprenti nageur.
Par une technique d’animation mixte, savant mélange entre l’artisanat et la 3 D, la mise en scène de
Danny De Vent alimente ce sentiment d’étrangeté et d’angoisse. Pour ce faire, il s’amuse des
contrastes de texture entre la chair rose de l’enfant, tout en pastel et papier découpé, et l’univers
froid et métallique de la piscine municipale. Celle-ci est peuplée d’étranges créatures. Grands, petits,
gros ou maigres, la piscine est le lieu de découverte des corps et de leurs différences. Observant
ces morphologies et expérimentant cet élément aquatique, le petit Jonas va progressivement
transformer son regard sur ce lieu, se familiariser avec lui et ressortir grandi de cette épreuve.
EN CHEMIN de Mikhail Kobakhidzé / France / 2002 / 12’40
Sur une plage déserte, un homme sort de la mer. Il porte
plusieurs valises, un sac et un parapluie qui ralentissent sa
marche. Lorsqu’une tempête s’élève, tous ses biens
s’envolent, ainsi que ses propres vêtements et l’homme se
retrouve entièrement nu.
Le cinéma, un art poétique
Costume et chapeau strict, image en noir et blanc, bande
son muette... il y a du cinéma burlesque dans ce film et du
Buster Keaton dans ce personnage, maladroit et surchargé, qui, une fois dépouillé de tout,
découvrira la beauté du monde.
On retrouve chez lui ce même rapport aux objets, démesurés, inutiles, qui entravent, empêchent, et
finissent par posséder celui qui les possède (Harold Lloyd dans Safety Last !, Monsieur Hulot dans
Mon Oncle).
Usant d’une large palette symbolique (le décor vide, l’homme seul, le soleil et les nuages), En
chemin offre une leçon de vie où l’absurdité de la condition humaine (un homme enchaîné à des
objets inutiles) trouve sa réponse, lumineuse, dans le dernier plan du film.
Après avoir perdu ses biens et ses habits, l’homme nu renaît libéré, habillé de blanc, regard tourné
vers le soleil, capable enfin d’entendre le chant des oiseaux. La simplicité des trucages (ventilateurs
et fil de pêche transparent), les apparitions surréalistes (un âne volant !), l’absence de dialogue, la
durée des plans, la langueur et la mélancolie de la partition de Chopin, sont les matériaux d’une
mise en scène qui révèle la puissance onirique du cinéma et sa capacité à poétiser le monde.
LA LETTRE de Michel Gondry / France / 1998 / 13’27
Une nuit, à dix jours du réveillon de l’an 2000, Stéphane
agrandit le portrait d’Aurélie, sa copine de classe dont il est
amoureux. Son grand frère, qui le croise dans le couloir,
décide de lui donner quelques conseils pour se déclarer.
Inquiet, Stéphane s’endort et vit en rêve un réveillon
catastrophique. Au réveil, il n’a qu’une hâte, récupérer la
lettre qu’Aurélie lui a écrite.
Le cinéma, entre rêve et récit autobiographique
Tout comme dans La leçon de natation, La lettre s’amuse à représenter l’espace mental de son
personnage principal, mais avec d’autres outils : à la fois la surimpression et la pixilation (en post
production) et des trucages directement sur le plateau de tournage. Explosion, fumée, maquette et
jeux d’échelle…tels sont les jouets de Michel Gondry. Photographe amateur, Stéphane se rêve en
appareil photo géant tandis que sa douce Aurélie, insaisissable, reste une image en négatif. On
retrouve ici encore un hommage à la prestidigitation et aux effets optiques.
A cet art de l’illusion, le cinéaste ajoute un certain goût pour les récits enchâssés, structure qu’il
exploitera par la suite dans ses longs-métrages (Eternal sunshine of the spotless mind en 2004, La
science des rêves en 2006, Soyez sympa, rembobinez en 2010).
Cette narration en forme de poupée gigogne (le récit dans le récit, le rêve dans la réalité, le rêve
dans le rêve) plonge le spectateur au cœur de l’inconscient de Stéphane. Ce personnage semble
nourri, comme dans presque tous les films du cinéaste, d’une grande part autobiographique…avec
une forte prédilection pour le dépit amoureux ! Humilié à deux reprises (dans son rêve et lors de la
lecture de la lettre d’Aurélie qui lui avoue « avoir un faible pour son frère »), Stéphane finira par se
débarrasser des portraits de son icône pour retourner, seul, à sa triste réalité.
STRETCHING de François Vogel / France / 2009 / 4’20
Un homme en short fait sa gymnastique dans les rues de
New York. Tandis qu’il fait ses exercices d’étirements, le
décor change, s’anime, comme si la ville elle-même et son
architecture entraient dans la danse.
Le cinéma, un jeu de déformation
Dernier film du programme Imaginaire en courts, Stretchnig en est une parfaite conclusion : on y
retrouve l’attirance pour la prestidigitation et le trompe l’œil de Georges Mélies, la simplicité des
effets et l’économie de moyens de Michel Gondry (pixilation d’images reflétées dans une boule de
noël), un penchant pour la déformation des corps et des matières très cartoon et la matière poétique
du film de Mikhail Kobakhidzé, le tout placé sous le signe du cinéma d’avant garde de Dziga Vertov.
Composé comme une toile abstraite en mouvement, Stretching est une expérience de cinéma
totalement sensorielle, qui capte le pouls d’une ville frénétique (New York, Manhattan) et invente une
nouvelle architecture, convexe et déformée. Ces jeux optiques sont démultipliés par un incroyable
travail rythmique. Les milliers de photos prises en 3 jours par François Vogel se succèdent en un
montage saccadé, propre à l’animation en prise de vue réelle, avec ses temps de pauses et ses
accélérations fulgurantes. Comme un écho à la respiration et au bouillonnement d’une ville qui ne
dort jamais, 24h sont réduites à 4 minutes tandis que la dissonance du montage et de la bande son
(ritournelle électronique, bruitages urbains) accentuent la sensation de vertige.