Anorexie mentale masculine - Eki-Lib

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Anorexie mentale masculine - Eki-Lib
ANOREXIE MENTALE MASCULINE
Autrefois
Beaucoup plus rare que chez les filles, l’anorexie mentale peut
concerner les garçons dans une proportion qui oscille entre 3% et 20% des
cas, selon les auteurs.
Il peut s’agir de forme typique d’anorexie, les garçons étant
cependant moins actifs que les filles. Toutefois, il n’est pas rare que le
comportement anorexique du garçon s’installe soit au sein d’une
organisation psychopathologique plus définie telle qu’une psychose
marquée alors par un investissement délirant de la nourriture ou de
l’incorporation, soit dans la prolongation d’une anorexie de la petite
enfance. La crainte de l’obésité paraît au second plan derrière
l’importance de l’angoisse et des manifestations hypocondriaques
retrouvées plus souvent que chez la fille. Notons que certains auteurs
excluent la possibilité d’une anorexie mentale vraie chez le garçon.
Aujourd’hui
Bon élève, obéissant, plutôt gai, même s’il avait des petits passages
avides et un peu de mal à se faire des copains, Jean,
apparemment avait accepté le divorce de ses parents. À table,
il était gourmand doux, un physique un peu rond…, mais à 10
ans, changement d’attitude : il s’observe dans la glace pour un
oui ou pour un non et se passionne non plus pour le gout, mais
pour la composition des aliments. Il veut tout savoir sur les
féculents, les céréales, les vitamines. La mère fait l’hypothèse
que sans doute il avait été l’objet de réflexions désobligeantes
sur son physique et son manque d’aptitudes au sport de la part de ses
camarades.
Le jour où son père fait un régime, Jean, lui, bannit définitivement
de ses menus les graisses et les boissons sucrées pour ne se nourrir que de
salades, de légume nature et de yogourt. Son nouveau leithmotiv est
devenu : « si j’étais mince, je serais meilleur en sport et donc j’aurais
d’avantage de copain ». D’ailleurs, sitôt le repas expédié, il va faire du
velo, du jogging ou de la natation à outrance. La mère rapporte qu’au
début cette suractivité l’étonnait, mais elle pensait que cela l’aidait à se
sentir mieux dans son corps. En six mois, il avait perdu 10 kilos : il pesait
44 kilos pour 1 m 57. La mère rapporte que, petit à petit, elle a compris
que maigrir lui procurait plaisir. Jean venait d’avoir 12 ans. Il perdra
encore 4 kilos avant d’être hospitalisé pour anorexie.
Un cas rarissime? Non. D’après les spécialistes, les garçons sont de
plus en plus nombreux à fréquenter les consultations pour trouble de
conduites alimentaires. Pendant des années, dans les problèmes liés à
l’alimentation, la proportion masculin-féminin est restée stable : 9
anorexiques sur 10 et 8 boulimiques sur 10 étaient du sexe féminin. Des
chiffres qu’il faut peut-être revoir à la lumière de cette nouvelle percée de
l’anorexie masculine. D’autant plus que les garçons consultent moins que
les filles. Selon le docteur Maurice Corcos, psychiatre à l’institut
mutualiste Monsouri, c’est « comme si le trouble était frappé de tabou
pour ces garçon auxquels, justement, tout ce qui ressemble a une fille fait
horreur. Comme s’ils avaient senti un regard interpellant cette part
féminine présente dans tous les hommes, et voulaient s’en défendre ».
Résultat : les garçons anorexiques vont chasser le gras de leur
alimentation et de leur corps, mais surtout développer l’obsession du
muscle. Une manière de s’affirmer sur un mode viril qui s’oppose aux
rondeurs, traditionnellement féminines.
Rien d’étonnant, donc, à ce que le trouble se déclenche surtout à la
puberté, âge où se joue fondamentalement la question de l’identité
sexuelle, te de l’identité tout court « Qui suis-je », s’interrogent ces enfants
qui ont du mal à trouver leur place. Au quotidien, le garçon surveille
sont régime un peu à la manière des sportifs de haut niveau, accordant
une immense à la composition des repas. Refusant systématiquement les
graisses et le sucre, ils privilégient les légumes et les fruits
pour leurs vitamines, abusant souvent des boissons hyper
protéinées pour leur rôle bénéfique pour le développement
musculaire. De quoi rejoindre les nouveaux modèles de la
« viril-attitude »? mannequin hypersoignés aux tablettes de
chocolat parfaite (ni trop ni trop peu), mais trop sexuels perçus comme de
nouveaux dandys, ou plus simplement ados d’aujourd’hui passionnés par
les fringues, la coiffure, le look en général? Selon le professeur Philippe
Jeannet, chef de service de l’Institut mutualiste de Monsouri « il ne faut
pas croire que ces nouveau codes de l’apparence sont responsables de
l’augmentation des troubles alimentaires. Pas plus que, pour les filles,
l’allure des mannequins à incriminer ». Tout au plus, l’évolution de
l’image masculine, cette application soigneuse à s’occuper de son corps,
offre-t-elle un nouveau cadre d’expression au mal-être de certains jeunes
gens. En clair, ces garçons qui autrefois se seraient mis en danger en
faisant une fugue ou des excès de vitesse suicidaire peuvent aujourd’hui
choisir comme symptôme de leur désarroi le contrôle radial du corps.
Une attitude encore si mal connue, quand elle concerne les garçons, que
les parents, les enseignants et même les médecins mettent du temps à
identifier, ce qui peut retarder de deux à trois ans la première
consultation dans un service spécialisé. L’anorexie masculine est souvent
difficile à reconnaître. Dans un premier temps, puisqu’ils se musclent, ces
garçons sont souvent moins maigres que les filles. Contrairement à elles,
ils ne chipotent que très peu dans leur assiette. En revanche, une fois leur
« relation du sportif » ingurgitée, ils peuvent se faire vomir. Le passage
aux formes mixtes anorexie-boulimie, avec vomissement, semble plus
fréquent et plus rapide chez les garçons.
Alors, à quel saint se vouer quand on est parents? Il est important
d’être vigilant à une perte de poids associée à des signes de dépression, des
angoisses de séparation, une forte anxiété, un hyperactivisme sportif, une
association de ces divers symptômes doit inquiéter.
Illustration
Pascale a toujours été un enfant introverti et craintif. En
cinquième année, le professeur a signalé à la mère que son fils s’isolait
progressivement des autres enfants, refusait même d’aller en récréation.
À cette époque, sa courbe de poids s’est
interrompue, mais ni le parent ni le médecin ne
l’ont remarquée. Ses notes restaient excellentes. Il
refusait d’aller voir un psy. Portant, à la maison, il
ne partageait plus la vie de ses frères et sœurs,
préférait s’enfermer dans sa chambre pour lire. Et
surtout, il fondait en larmes dès que ses parents
sortaient le soir. Quand les parents ont consulté un
omnipraticien spécialisé, il a demandé une hospitalisation d’urgence.
Pascal en trois semaines était passé de 41 kilos à 33 kilos pour 1 m 65.
Autre signe d’alerte caractéristiques chez ces enfants en mal d’identité
L’attaque du corps
Comme ils ne l’habitent plus, ils peuvent le mutiler par des brûlures
ou des coupures, voire de taper la tête contre les murs. La musculation à
outrance fait partie du tableau comme s’ils se disaient là où sa fait mal
j’existe.
Cette abstinence alimentaire leur fait courir des risques physiques
à long terme : fragilisation osseuse, problèmes dentaires,
complications cardiaques, retard, voir blocage de la croissance chez
les plus jeunes. Certains peuvent souffrir d’une perte de la libido et
de l’érection. Mais les risque sont aussi psychiques et sociaux : ces
jeunes peuvent se couper de toute vie affective et sexuelle. D’où la
nécessité de soigner vite.
Au niveau des soins
Dans la très grande majorité des cas, ils sont maintenus dans leur
milieu familial. Mais en cas de dépression, de conflits familiaux
exacerbés ou de risque vital, lorsque le jeune est en danger, la séparation
et l’hospitalisation lui permettent de briser le cercle vicieux du sabotage
et de retrouver son espace psychique.
Certes, comme pour la fille, le parcours n’est pas un jardin de roses
et même nous pouvons, nous les soignants, rencontrer beaucoup plus de
résistance dans les cas de l’anorexie masculine. Souvent l’enjeu
thérapeutique est que le garçon ne cherche plus à plaire à tout prix ses
parents.
NR/gc
2004 09 28
Dre Nicole Resnier, Ph.D.
Psychologue=Psychanalyste