L`entrepôt - plateforme ou le modèle d`approvisionnement de la

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L`entrepôt - plateforme ou le modèle d`approvisionnement de la
Logistique & Management
L’entrepôt - plateforme ou le modèle
d’approvisionnement de la grande
distribution alimentaire dans les Pays
de l’Europe Centrale et Orientale
Georges FASSIO
Maître de conférences, Institut Universitaire de Technologie de Saint-Nazaire
Habilité à Diriger des Recherches
Centre d’Etudes et de Recherche en Logistique (CERL) / Centre de Gestion de Nantes Atlantique (CRGNA)
[email protected]
S’il cohabite aujourd’hui en Europe de l’Ouest dans la grande distribution généraliste, deux modèles d’organisation des flux d’approvisionnement, un approvisionnement par flux directs des hypermarchés et un approvisionnement des points de
vente, y compris de certains hypermarchés, à partir d’un entrepôt - plateforme, seul
le second modèle semble pouvoir servir efficacement et à un coût raisonnable les
formats de vente des Pays de l’Europe Centrale et Orientale (PECO). Dans ces pays,
un entrepôt aux activités multiples est source d’efficacité et d’efficience. Il permet
d’apporter des solutions pertinentes à de nombreux défis. Ces défis ont pour origines une stratégie de vente multi formats des groupes alimentaires, une multiplication des références (produits, marques et prix), une spéculation foncière et un
transport de longue distance pour certains produits. Cet article a pour perspective
d’identifier les contraintes logistiques de l’approvisionnement des points de vente
dans l’Union Européenne et plus particulièrement dans ses PECO auxquels il peut
être associé la Roumanie et la Bulgarie. Il montre également qu’un choix pertinent
d’organisation des flux physiques permet de mieux maîtriser le coût global de la distribution.
Dans les PECO, la Grande Distribution Alimentaire (GDA) connaît depuis une bonne
dizaine d’années une mutation comparable à
celle qui s’est produite en Europe de l’Ouest
sur 25 ans. Il appartient à la GDA d’attirer les
consommateurs vers les hypermarchés, les
discounts… alors qu’ils achètent encore
volontiers dans des magasins de proximité
(petits commerces de centre ville ou de quartier), sur les marchés, voire dans la rue.
Aujourd’hui, tous les grands groupes européens, les français (Carrefour, Auchan,
Casino…), les allemands (Metro, Rewe…),
Vol. 13 – N°1, 2005
l’anglais Tesco, le néerlandais Ahold, le belge
Louis Delhaize (enseigne Cora)… ont décidé
de s’implanter et de conquérir ces marchés à
un rythme accéléré. En République Tchèque
dès 1999, le seuil de m2 de surface de ventes a
atteint un taux comparable à ceux des 15 pays
de l’ex-Union Européenne.
L’intérêt de la grande distribution pour cette
région s’explique par un nouveau marché de
quelques 100 millions de consommateurs
potentiels et plus particulièrement par les
perspectives d’évolution positive du pouvoir
d’achat de ces personnes à moyen terme ; par
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l’émergence dans certains de ces pays d’une
classe moyenne, la cible commerciale historique de ces entreprises ; par l’obligation
concurrentielle d’être aussi présent sur ces
marchés comme leurs principaux concurrents
afin de se servir d’une image d’acteur économique incontournable les autorisant à négocier à leur avantage des prix “départ usine”
avec les fournisseurs industriels régionaux ou
nationaux et les modalités d’approvisionnement de leurs points de vente avec les prestataires logistiques et de transport.
1 - Pour la logistique, cette
localisation est un élément
important à prendre en
considération pour
approvisionner ce type de point
de vente. En Europe de l’Ouest,
les hypermarchés se situent
presque exclusivement en
périphérie des centres villes
avec un espace de livraison et de
stockage normalisés en fonction
de considérations techniques et
commerciales. Leur localisation
en centre ville dans les PECO en
fonction du coût du foncier, de la
sécurité et de l’environnement
urbain amène un distributeur à
exploiter, voire à créer un
entrepôt déporté. Les contraintes
d’exploitation deviennent plus
fortes. L’hypermarché ne peut
disposer que d’une réserve
d’arrière - magasin très limitée
en capacité. Quant à l’entrepôt
assez communément localisé à
quelques dizaines de kilomètres,
il doit approvisionner à délais
courts et par palettes dédiées à
un rayon. Auchan a été
confronté à ces réalités quant il
a implanté ses hypermarchés à
Varsovie.
2 - Par exemple A. McKinnon :
Comment agir sur la demande
de transport", 2002 ou
“Logistical restructuring and
road freight traffic growth - An
empirical assessment, 1996 avec
comme co-auteur A. Woodburn
3 - Comme le rappelle G. Paché,
2002, sans qu’il puisse être
attribué à Paché d’avoir
découvert et souligné le premier
cet impératif gestionnaire
absolu. A cette occasion,
permettez-moi de remercier les
lecteurs de Logistique &
Management pour leurs
remarques pertinentes aux
auteurs.
4 - Points de Vente, N° 898, 25
novembre 2002
5 - Points de Vente, N° 807,
3 mai 2000
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Notre approche se veut d’abord inductive.
Elle appréhende les comportements logistiques différents des principaux acteurs de la
GDA tant en Europe de l’Ouest, hier et
aujourd’hui, que dans les PECO, aujourd’hui
et demain. Elle s’intéresse aux organisations
possibles d’approvisionnent de ces groupes ;
ces acteurs ayant pour stratégie commerciale
de s’implanter sur ces marchés par de multiples formats de vente : hypermarchés, supermarchés, discounts, centres commerciaux au
coeur des villes avec assez souvent un hypermarché1. Puis elle se veut rationaliste en
modélisant leurs pratiques actuelles et celles
de demain. En logistique, modéliser c’est
reproduire et rationaliser si nécessaire les
principaux processus d’échange de biens et
l’appropriation différente des activités par les
entreprises qui permettent de satisfaire les
clients de l’entreprise donneur d’ordres (ou,
leader). Dans la grande distribution, cette
entreprise invite d’autres entreprises : des
industriels, des prestataires logistiques et des
transporteurs à collaborer pour satisfaire ses
propres clients, les magasins de son enseigne
configurés d’après différents formats de vente
types : hypermarchés, discounts… C’est en ce
sens comme l’a souligné à maintes reprises A.
McKinnon2 que les organisations logistiques
ont un impact sur les opérations de transport.
Elles ”déterminent le volume de mouvement
des marchandises" et elles exigent “un trafic
de véhicules”.
Le modèle d’approvisionnement
des formats de vente alimentaires
de la grande distribution
dans l’Europe de l’Ouest
Les missions de la logistique de distribution
F. Akpina, directeur de la Logistique Auchan
France4 précise la mission dévolue par les
grands distributeurs à la fonction Approvisionnements :
“Nous, distributeurs, avons pour mission de
mettre en place la chaîne d’approvisionnement la plus efficace possible au meilleur
coût”.
Il n’en fut pas ainsi jusqu’au milieu des
années 90. La grande distribution exigeait de
ses fournisseurs qu’ils la livrent directement à
ses points de vente (hyper et supermarchés).
Elle achetait ses produits “franco de port”. Les
prix des marchandises et de leur transport
étaient alors globalisés, indistincts.
J.-M. Picard, directeur Logistique Europe du
groupe Carrefour précise cette mission sous
forme de trois objectifs complémentaires :
“La recherche du coût ”rendu linéaire" ou
“rendu consommateur” le plus bas possible,
tout en respectant les exigences des magasins
et des consommateurs ; le levier de compétitivité de ces prix de vente par la massification et
les services obtenus ; enfin, une qualité, une
traçabilité et une hygiène des produits sur
l’ensemble de la chaîne…" 5.
Aussi aujourd’hui, il appartient à la fonction
Logistique des distributeurs de maîtriser
Figure 1 - La logistique de distribution,
flux physiques et outils
Cet article se structure en deux parties. La première identifie le (ou, les) modèle(s) d’approvisionnement des points de vente de la GDA
en Europe de l’Ouest. La seconde nous offre la
possibilité d’ouvrir le débat sur la possibilité
d’utiliser dans les PECO un modèle unique
d’approvisionnement et de distribution
comme mode “de planification et de pilotage
des flux” afin “de satisfaire la demande dans
les meilleures conditions de coût et de service”3.
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l’organisation des circuits d’approvisionnement et de ne pas exclure de son champ de responsabilité fonctionnelle, la possibilité d’une
externalisation des ressources nécessaires
physiques et humaines à cette maîtrise si elle
ne l’a pas déjà mise en place (Carrefour, Cora,
Métro…) ou filialisée (Casino…). La question d’une logistique opérationnelle patrimoniale ou non patrimoniale est une question
d’ordre secondaire. Les niveaux de performance cibles formatent l’organisation à
mettre en place. Ils justifient les démarches
d’amélioration continue. Dans le cadre d’un
contrat commercial auquel il est associé de
nombreuses clauses logistiques définissant
l’efficacité en taux de service, les propositions
de réalisation au moindre coût sont déterminantes pour le choix des futurs acteurs.
L’organisation logistique de distribution
des produits de grande consommation
Paché décrit cette organisation. Elle tend
aujourd’hui à l’universalité, tout au moins
pour les produits alimentaires de la grande
distribution à l’exception cependant des produits régionaux et des produits à forte rotation : lait, eaux minérales… “Les produits à
destination du front de vente transitent ainsi
préalablement par des entrepôts ou des plateformes de regroupement sous le contrôle des
détaillants, ceux-ci procédant parfois à un
enlèvement dans les usines” (2002). La figure
ci-contre représente l’organisation des flux
physiques et les outils de la collaboration interentreprises.
Il y a quelques années, cette organisation
d’approvisionnement n’était pas celle des
hypermarchés. Ils exigeaient de leurs fournisseurs d’être livrés directement plusieurs fois
par semaine en fonction de leurs seuls
besoins.
Figure 2 - Les activités de la logistique
d'approvisionnement
Cette nouvelle organisation des flux peut
encore être modélisée en fonction d’un niveau
de coopération entre la grande distribution et
les entreprises choisies pour contribuer à
l’approvisionnement des différents formats
de vente des premières.
Ces nouvelles modélisations restent valides
que le distributeur ait ou non externalisé sa
logistique en contractualisant en direct une
coopération avec un prestataire logistique
assumant des activités logistiques basiques :
entreposage, gestion des stocks et préparation
des commandes et des transporteurs assurant
un acheminement amont et / ou aval des marchandises par rapport à l’entrepôt ou encore
en direct avec un seul prestataire logistique
qui contractualise à un autre niveau de responsabilité, les prestations de transport requises
pour l’acheminement des biens jusqu’aux
magasins du distributeur.
La figure 38 minimise la responsabilité du
prestataire logistique dans la mesure où ses
activités sont en quelque sorte coordonnées
par la centrale d’achat du distributeur. Il n’est
6 - Le Monde du transport et de
la logistique, n° 5, avril 2003.
7 - J.-L. Malo, J.-C. Mathé,
L’essentiel du contrôle de
gestion, les Editions
d’Organisation, 1998
8 - Afin de ne pas surcharger la
représentation graphique des
figures 3, 4 & 5, notez que les
flèches pleines représentent les
flux d’information associés aux
différentes activités des acteurs
et les flèches en traits
discontinus, les flux physiques.
Figure 3 - Niveau 1 de coopération entre grande distribution et entreprises associées (Prestations logistiques et de transport sous-traitées à plusieurs acteurs)
Aujourd’hui dans toutes les enseignes, l’organisation des flux transitant par un entrepôt ou
une plateforme tend à s’imposer pour tous les
formats. En 2002 pour les hypermarchés
“Géant Casino” les livraisons directes, l’autre
modèle, ne représentaient en volume que 5 %
des produits alimentaires de ce format. 50%
des volumes des produits non alimentaires
étaient encore livrés en direct à ces grandes
surfaces de vente6.
Ce modèle peut aussi être modélisé par ses
“activités” (figure 2). Les activités sont “devenues les ”briques" de base pour reconstruire la
gestion de l’entreprise", pour penser différemment ses organisations internes et externes et même sa stratégie7.
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qu’un prestataire de service spécialisé au
même titre que les transporteurs du distributeur. La responsabilité de l’organisation, de la
planification et du pilotage des flux de la
chaîne d’approvisionnement est de la seule
responsabilité de la centrale d’achat du distributeur qui, après avoir recensé les commandes
des magasins9, passe commandes à tous les
autres acteurs référencés pour coopérer à des
activités presque essentiellement physiques :
fabriquer, conditionner, étiqueter, distribuer.
Dans cette première configuration organisationnelle, la centrale d’achat échéance les rendez-vous de la distribution des marchandises
aux magasins en fonction des besoins de produits et des contraintes horaires exprimés par
les magasins. Elle informe l’entrepôt ou la
plateforme et les prestataires de transport de
leurs obligations de résultat ; à eux, d’organiser et de mobiliser leurs ressources.
9 - Elle peut corriger les besoins
exprimés par les magasins en
fonction de prévisions sur la
base d’un mois glissant. Ces
prévisions se fiabilisent à partir
d’une base de données
(historiques de ventes).
10 - Plus précisément, il lance
automatiquement des
propositions de commandes de
réapprovisionnement aux
fournisseurs en respectant la
nature des produits avec pour
premier objectif que les produits
soient présents sur les linéaires
des magasins.
La figure 4 modélise une configuration organisationnelle plus hiérarchisée pour une prestation globale d’approvisionnement. Le
prestataire logistique devient l’ordonnateur
des commandes10 aux fournisseurs industriels
en fonction des prévisions de sorties d’entrepôts tenant compte des niveaux de stock dans
les entrepôts, des temps nécessaires à la fabrication des biens destinés aux formats de vente
du distributeur et des temps d’acheminement
des biens entre leur départ usine et leur livraison aux points de vente ; tout en ajoutant à ces
derniers cycles, un temps de passage obligé
dans sa propre structure (entrepôt et / ou plateforme). Le prestataire logistique ordonne les
commandes à partir d’une information que la
Figure 4 - Niveau 2 de coopération entre grande distribution et
entreprises associées
(contractualisation commerciale avec un seul partenaire logistique devenant l'ordonnateur
des flux)
centrale d’achat du distributeur a consolidée
en fonction des informations primaires (commandes) que les magasins lui ont préalablement communiquées.
La figure 5 se démarque de la figure 4 sur un
seul aspect mais d’une importance logistique
certaine. Dans cette nouvelle configuration
organisationnelle, les magasins informent
directement le prestataire logistique en charge
de l’entrepôt ou de la plateforme de leurs
besoins en fonction des consommations de
leurs clients et de leurs ambitions commerciales (promotions, anniversaires…). Préalablement par un contrat annuel, la centrale d’achat
du distributeur a négocié avec les fournisseurs
industriels les produits et leur qualité, les
quantités pouvant être achetées, les remises
quantitatives… Une fois ce cadre juridique
négocié, le prestataire logistique devient
l’unique ordonnateur des flux. Poussée à
l’extrême, la logique de cette organisation
plaide pour que le prestataire logistique
devienne seul responsable des ruptures dans
les linéaires, donc des pertes financières
qu’elles occasionnent. Aussi à l’avenir par des
clauses contractuelles logistiques particulières, il pourrait être financièrement pénalisé
pour “pertes de chiffre d’affaires” liées à des
résultats logistiques évalués comme insuffisants.
Ces différentes configurations organisationnelles permettent que les approvisionnements
soient réellement organisés à partir de flux
tirés par la demande, les consommations des
clients des magasins.
Les configurations 4 et 5 concrétisent une
autre approche des approvisionnements par
les grands distributeurs. Ils évoluent d’une
politique d’achat (obtenir les meilleurs prix
d’achat, stocker plus ou moins longuement les
quantités achetées à un prix unitaire avantageux…) à une stratégie de vente : n’acheter
que ce qui est déjà vendu ou qui risque fort de
l’être au regard des prévisions de vente à très
court terme.
En effet, la modélisation des flux de la première organisation commerciale et logistique
(figure 3) souligne un pouvoir sans partage de
la fonction Achats alors qu’il est souhaitable
que cette fonction de l’entreprise n’agisse
qu’en coopérant avec d’autres fonctions,
notamment avec la fonction Ventes après
s’être informée des niveaux des stocks dans
les entrepôts. Cette dernière contrainte dont la
finalité est la maîtrise globale des coûts,
plaide pour un modèle d’organisation des
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approvisionnements conforme aux logiques
des organisations 4 ou 5.
La logistique physique en amont
de l’entrepôt
Figure 5 - Niveau 3 de coopération entre grande distribution et
entreprises associées
Contractualisation avec un seul prestataire logistique (contractualisations commerciales
(produits, prix...) précedemment négociées entre la centrale d'achat et les industriels).
Ce qui est transporté dépend des lieux
d’approvisionnement et de vente11. Dans la
grande distribution, ce qui est acheté peut être
approvisionné localement ou importé. Certains achats de proximité peuvent aussi être
exportés vers d’autres points de vente.
Si un grand distributeur achète des marchandises, il peut acheter du transport indépendamment de ce qu’il doit faire transporter. Cet
achat de transport peut être planifié en fonction des volumes, des poids… entre les sites
fournisseurs, les entrepôts et les plateformes
et bien évidemment, les sites de vente (logistique aval). Il peut ainsi pré - acheter des milliers ou des millions de tonnes kilomètres sans
se préoccuper à ce moment de ce qui devra
être transporté chaque jour. Il peut ainsi obtenir des prix de ses prestataires de transport et
contractualiser des engagements (fréquences
des livraisons par semaine, respect de plages
horaires de livraison…) qui contraindront les
transporteurs à satisfaire les magasins du distributeur. Ce n’est que dans un second temps
qu’il peut piloter de façon optimale ses tractions (transporter ses marchandises par
camions complets depuis l’usine jusqu’à une
(ou des) plateforme(s)) ou ses tournées
(approvisionner ses points de vente depuis ses
plateformes) en fonction des commandes,
éventuellement corrigées par les consommations réelles des points de vente, tout en tenant
compte de la nature des produits (fruits et
légumes, produits frais, produits d’épicerie…). Ce post acheminement peut être
effectué par camions complets, par demicamions ou par camions bi températures pour
respecter la chaîne du froid.
L’approvisionnement en amont de l’entrepôt
par le distributeur, c’est la possibilité d’enlever chez tout ou partie de ses fournisseurs ses
marchandises avec la préoccupation de massifier les volumes enlevés. Il s’agit d’organiser
la “traction”, de rationaliser le transport entre
les usines et l’entrepôt en s’approvisionnant
uniquement par camions complets. Pour y
parvenir, il faut reporter quelques commandes
passées au fil de l’eau par les magasins et
accepter la réalité économique qu’un stock
peut être parfois générateur d’économies,
qu’un stock permet d’éviter certains surcoûts
de transport.
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Depuis début 2002, Auchan enlève lui-même
des produits chez un certain nombre de ses
fournisseurs situés majoritairement en
France, tout en prétendant que ce n’est pas un
objectif Auchan. En 2002, il a toutefois enlevé
8 % de ses volumes d’achat. F. Akpinar, directeur des approvisionnements et de la logistique d’Auchan déclarait : “En agissant entre
les usines et les entrepôts, nous cherchons surtout à réaliser des synergies entre l’amont et
l’aval afin d’optimiser le coût de fonctionnement des flottes12”.
Aussi pour abaisser le coût du transport, un
distributeur dispose de deux leviers d’action,
acheter une masse globale de tonnes kilomètres à un coût unitaire minimal et optimiser les
distances devant être parcourues13.
Cette organisation offre aussi un autre avantage déterminant dans toute négociation commerciale d’achat, celui d’amener l’industriel à
renoncer aux “prix franco”. Ils sont des prix
où il est ajouté aux prix des marchandises, soit
des prix pour la prestation de transport facturée forfaitairement quelle que soit la distance, soit des prix par lesquels l’industriel
vend ses produits “sortie usine” mais avec facturation associée de la prestation de transport
et choix par l’industriel de l’entreprise de
transport (“prix franco à quai” du distributeur).
En imposant comme base de toute négociation commerciale le prix d’achat “départ
usine”, une pratique très répandue dans
l’industrie, le distributeur s’informe des prix
11 - Par exemple, McKinnon,
déjà cité, 1996, 2002
12 - Points de Vente, n° 883
du 01 04 2002
13 - Cependant, ce second levier
ne peut être activé que sous
contrainte :
l’approvisionnement des
linéaires. Cette contrainte est
l’un des objectifs majeurs de la
grande distribution généraliste.
Chez Ed, hard discounter du
groupe Carrefour, le taux de
rupture de ce format (rapport
entre le nombre de lignes non
servies et le nombre de lignes
commandées) est inférieur à
3,5 % sur les 6 premiers mois de
l’année 2004.
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Logistique & Management
de vente réellement pratiqués par les industriels. Cette politique d’achat lui permet de
mettre en concurrence les industriels aux productions comparables.
Elle permet encore au distributeur de mettre
en concurrence les prestataires de transport
pour une prestation normalisée selon ses
besoins qu’il décide de gérer en achetant “prix
départ usine” ou qu’il délègue à l’industriel
sous contrainte de résultat : être globalement
moins cher que ses concurrents au quai de
l’entrepôt ou de la plateforme, en achetant
“prix franco à quai”.
L’entrepôt ou la plateforme
Aujourd’hui, il (ou, elle) est le passage obligé
des flux de marchandises bien qu’il (ou, elle)
n’existe que pour être au service des formats
de vente. C’est ce qu’A. Rocquefelte, directeur général délégué de Système U Ouest,
affirme une nouvelle fois : “L’entrepôt est au
service des points de vente qui restent maîtres
de leurs commandes même si nous mettons en
place dans les magasins des outils d’aide à
l’approvisionnement14”.
Chez System U et chez bien d’autres distributeurs, l’entrepôt est né du souci d’optimisation
des livraisons aux points de vente au moindre
coût. Physiquement, il doit être positionné au
barycentre des magasins qu’il a mission
d’approvisionner et si possible à proximité
d’axes routiers importants. Aussi, il se positionne à proximité des surfaces commerciales.
Cette position permet au distributeur de
consommer moins de kilomètres et par conséquent de minimiser globalement ses coûts
d’achat.
14 - Points de Vente, n° 918,
13 10 2003
104
D’autres avantages sont recherchés par
l’usage de cet outil logistique. Peuvent être
cités sans exhaustivité : 1. la massification des
flux amonts et les conditions de leur acheminement ; 2. la possibilité de renégocier certains coûts par la connaissance des activités
logistiques liées à l’achat et à la préparation
des commandes ; 3. la possibilité de s’approvisionner auprès de fournisseurs qui ne disposent pas d’une organisation logistique
suffisante pour garantir la qualité de certains
produits : surgelés, frais et produits de marée
(cette possibilité permet au distributeur de
créer ou d’aviver une certaine concurrence
entre fournisseurs de grande marque et de
nouveaux industriels ou gros artisans) ; 4. la
centralisation des stocks pour une plus grande
efficacité en distribution aval ; 5. le transfert
des réserves des magasins vers les entrepôts
afin d’agrandir les surfaces de vente, de béné-
ficier d’immobilisations corporelles moins
onéreuses en périphérie des agglomérations et
d’accéder plus rapidement aux routes…
Ces entrepôts peuvent être la propriété des
distributeurs ou appartenir à des prestataires
logistiques. Sur cet aspect, les groupes de distribution ont des pratiques diverses. Elles peuvent s’expliquer par la nature des produits
(produits surgelés, de marée, produits
secs…), par l’histoire des groupes et de leurs
métiers, par la volonté ou non des prestataires
d’assumer certains investissements…
Dans les pays de l’Union Européenne, l’évolution des flux vers plus de transit et plus de
préparations de commande en flux tirés par la
demande fait que les entrepôts évoluent vers
la qualité d’une plateforme. La logique de
l’organisation des mouvements des marchandises fait que l’immobilisation temporaire des
marchandises dans les entrepôts, de quelques
heures à plusieurs jours, n’est plus
aujourd’hui considérée comme une norme
organisationnelle incontournable.
A défaut de pouvoir pratiquer le cross-docking pur, c’est-à-dire de faire effectuer par les
fournisseurs la préparation des commandes de
chaque surface commerciale de telle sorte que
le personnel de la plateforme n’ait plus qu’à
réceptionner les différentes palettes ou cartons destinés à chaque point de vente et à faciliter leur chargement par des camions devant
les acheminer, chaque distributeur cherche à
pratiquer l’allotement sur ses plateformes.
Aussi, il trie les marchandises des différents
points de vente sans changer leurs conditionnements puis il organise leur seul chargement
dans les camions devant effectuer les livraisons.
Ces pratiques permettent de transférer chez
les fournisseurs les coûts de préparation des
commandes en totalité (cross dock pur) ou
partiellement (allotement).
La logistique physique en aval de l’entrepôt
Le groupe Auchan au printemps 2002 contrôlait 70 % de ses marchandises en aval de leur
passage dans un entrepôt. A l’horizon
2004-2005, son ambition est de contrôler
100 % des flux.
Garder le contrôle de l’organisation des flux
aval, c’est décider de l’organisation des tournées et des heures de réception des marchandises par les différents formats de vente mais
surtout, des heures de réassortiment des
linéaires des magasins.
Vol. 13 – N°1, 2005
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Plusieurs organisations sont possibles. La
nature des produits semble le principal déterminant pour organiser cette distribution.
“piloter les activités (logistiques et de transport15) dans les meilleures conditions de coût
et de service” (Paché, 1998).
Pour Carrefour, les produits d’épicerie sèche
sont distribués par camions complets et les
produits frais par tournées. Chez Système U
quelle que soit la taille des points de vente, les
produits frais à Dates Limites de Consommation sont distribués six fois par semaine, les
produits d’épicerie et de marée, cinq fois.
La logistique physique en amont
de l’entrepôt
Chez Casino, le format de vente semble le premier critère pour l’organisation de cette distribution. Easydis, filiale logistique du groupe,
livre les hypermarchés tous les jours en produits frais et en épicerie ; trois fois par
semaine ce format en produits pondéreux et
en produits non alimentaires.
Pour la livraison des magasins de proximité,
Easydis les approvisionne trois ou quatre fois
par semaine en produits frais et seulement une
fois pour les autres produits.
Ce qui semble caractériser cette distribution
aval, c’est une distribution fine très exactement calquée en qualité et en quantité sur les
commandes fermes des formats de vente.
Ce modèle peut-il être efficace
pour la distribution alimentaire
dans les PECO ?
Ce modèle s’il est aujourd’hui français, allemand… a été historiquement britannique. Ce
modèle est-t-il aujourd’hui polonais,
tchèque…? Sera-t-il demain roumain, bulgare ?
En Grande-Bretagne, dans les années 1970, la
distribution physique s’organise à partir de
centres de distribution ayant pour missions de
regrouper les marchandises achetées par les
distributeurs et de les préparer avant de les
faire acheminer aux différents points de vente.
Aujourd’hui, l’ambition des grands distributeurs à l’assortiment alimentaire large et profond ne suppose pas nécessairement un
investissement patrimonial en entrepôts (des
outils de manutention et de stockage, des
outils informatiques de gestion…) et en actifs
matériels de transport (une flotte de
camions…). Aujourd’hui par une organisation logistique performante, leur ambition, est
d’être au service des magasins où se créent les
chiffres d’affaires et les marges bénéficiaires.
Pour le devenir plus encore à l’avenir, la fonction Logistique Approvisionnements des distributeurs a pour mission essentielle de
Vol. 13 – N°1, 2005
Cette mission est-elle plus délicate à assumer
sur un espace européen très élargi à l’est ?
Deux scénarii peuvent être esquissés à grands
traits sans que le second puisse exclure le premier.
Le premier scénario peut être décrit ainsi. Une
logique industrielle de production massifiée
suppose la multiplication des approvisionnements alimentaires des points de vente à partir
d’usines uniques ou peu nombreuses sur notre
nouvel espace européen à 25 pays puis à 27
pays à l’horizon 2007 et encore plus élargi à
une échéance temporelle probablement pas si
lointaine. Du fait de ces localisations continentales, les distances à parcourir par les marchandises, au-delà des frontières qui ne sont
plus que politiques, ne peuvent que renchérir
le coût du transport dans les coûts d’achat des
distributeurs.
Ce coût additionnel peut-il être imputé dans
les prix de vente des grands distributeurs qui,
dans ce nouvel espace, rencontrent des personnes et des ménages très sensibles aux prix
car confrontés à un environnement économique difficile (faible pouvoir d’achat, taux
de chômage plus élevé que dans l’Europe des
15) ?
Le second scénario, pour ces distributeurs
consiste à rechercher des sources d’approvisionnement plus locales auprès d’industriels
régionaux, nationaux ou extra nationaux
s’étant délocalisés, voire auprès de gros artisans possédant des savoir-faire et proposant
des produits plus conformes aux habitudes
alimentaires des personnes qui peuvent aussi
avoir le souci de consommer national. Les
années 2000 dans ces pays voient émerger des
consommateurs plus avertis sur la qualité des
produits et leurs prix, des consommateurs
moins tentés par les produits “occidentaux”
qu’il y a 10 ou 20 ans (Pologne).
En minimisant la quantité de kilomètres à parcourir entre les fournisseurs et l’entrepôt, ce
second scénario d’approvisionnement minimise les coûts de transport par rapport à ceux
induits par le premier.
Il permet d’acheter moins cher les produits
(approvisionnements locaux) et à marges égales de les vendre moins cher. En fait, il permet
un choix au distributeur : reporter totalement
15 - C’est nous qui précisons.
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ou partiellement cet avantage sur les prix des
produits.
Cependant, ce second scénario suppose de
résoudre un certain nombre d’obstacles pour
autoriser un approvisionnement efficace en
fonction d’une demande ferme, comme faire
participer ces nouveaux industriels à un système d’information logistique global, les
convaincre de la nécessité d’être réactifs face
aux délais et aux spécifications de qualité des
produits, à travailler leur fiabilité en production plutôt que d’accroître leurs niveaux de
stock.
Ce second scénario permet encore de s’approvisionner auprès de fournisseurs qui ne disposent pas d’un service transport performant.
Ces deux scénarii ne s’excluent pas.
Aujourd’hui, les groupes de distribution ouest
européens n’excluent aucune source possible
d’approvisionnement. Des groupes bien
implantés dans un pays, comme Casino en
Pologne, exploitent des hypermarchés “Géant
Polska” et des discounts sous une marque
continentale “Leader Price” (107 magasins,
fin décembre 2002) sans que leurs formats de
vente s’interdisent de s’approvisionner aux
différentes sources possibles. Compte tenu de
leurs très nombreuses références, les hypermarchés n’ont pas d’autre choix.
Pour les produits alimentaires, tous les formats de vente cherchent à s’approvisionner
localement. Dans certains pays, certaines
enseignes s’approvisionnent à hauteur de 80 à
90 %, voire plus, en produits locaux16.
16 - Revue Elargissement, 2001.
17 - Seuls les produits de
marque à notoriété
internationale s’ils ne sont pas
produits sur place et les produits
asiatiques sont importés.
Comme Danone, marque
mondiale de produits à durée de
vie limitée (Dates limites de
Vente et Dates Limites de
Consommation), de nombreux
industriels de l’agroalimentaire
ont créé sur ces territoires des
unités de production.
18 - Ceux qui sont consommés
dans tous les pays : riz, pâtes,
huiles, farines…
19 - ou les "foodmiles", c'est à
dire la distance que doit
parcourir les produits de leur
lieu de production à leur lieu de
distribution.
106
Pour la grande distribution alimentaire,
l’expansion des marchés, notamment ceux de
l’Europe Centrale et Orientale, oblige les
groupes à diversifier leurs sources d’approvisionnement dans le respect d’une combinaison pertinente d’objectifs encore plus
contraignants que dans l’ex - Europe des
quinze : prix, qualité et services aux points de
vente.
Aussi, les magasins soucieux de maîtriser
l’objectif prix comme premier objectif contrainte pour réussir (pénétrer les marchés,
développer ses parts de marché… à moyen
terme de façon rentable) ont décidé de
s’approvisionner localement et par conséquent, de contraindre les fournisseurs potentiels, obligatoirement locaux pour les produits
alimentaires de grande consommation17, à des
prix de vente compétitifs, à la qualité et aux
services logistiques.
Aussi pour un pays, chaque grand distributeur
cherche un (ou, deux) fournisseur(s) susceptible(s) de répondre à l’ensemble des attentes
des magasins. Cette stratégie vise conjointement à maîtriser les coûts mais aussi à maîtriser les délais d’approvisionnement par une
meilleure maîtrise de l’espace qui ne peut être
étendu sans limite sous peine d’alourdir le
coût du transport des marchandises.
La recherche de fournisseurs locaux semble
obéir à une double logique.
Pour les produits alimentaires basiques18,
c’est la recherche du moindre coût ; un coût
arbitré entre le prix d’une quantité de produits
“départ usine” et le prix de leur transport sur la
base d’une unité de manutention et de transport, comme la palette plancher.
Pour les produits alimentaires régionaux, il
s’agit de proposer aux clients les produits
qu’ils sont habitués à consommer à un prix
plus avantageux que la distribution de proximité (commerces traditionnels, marchés…)
sans négliger leur qualité et en essayant
d’améliorer leur disponibilité (absence de
rupture en magasin). Pour ces produits, le défi
de la grande distribution est d’industrialiser
leur distribution après avoir industrialisé leur
production. Cette pratique facilite un autre
facteur de compétitivité d’ordre commercial.
Elle est en phase avec un souci politique et
coutumier des consommateurs, consommer
national ou régional.
L’organisation logistique de la grande distribution tant en enlèvement qu’en distribution
n’a pas pour objectif de réduire les kilomètres
alimentaires19. Elle est dictée par un objectif
incontournable : offrir aux consommateurs
locaux les produits les moins chers possibles
en réalisant un profit évalué comme acceptable à court terme et différé sur l’avenir.
Les “entrepôts plateformes”
dans les PECO
Dans les PECO, les entrepôts au service des
différents formats exploités par un groupe
international semblent être les outils déterminants de la performance commerciale (des
magasins bien approvisionnés sans plus de
ruptures en linéaires (quantités et temps) que
dans les pays de l’Europe de l’Ouest) et de la
performance financière, une rentabilité
accrue par une croissance quantitative des
seules ventes créatrices de profit.
A l’avenir, trois déterminants doivent permettre d’analyser l’importance des entrepôts
sur ce nouvel espace : les circuits d’approvi-
Vol. 13 – N°1, 2005
Logistique & Management
sionnement, la nature des produits et les marques. Les premiers peuvent être européens,
sans exclure des approvisionnements de produits électroménager, hi-fi… provenant de
pays à faible coût de main-d’œuvre (Asie et
autres pays de l’est de l’Europe) et à législation sociale souple (Asie). Ils peuvent surtout
être nationaux ou régionaux20. Le second
s’articule sur la différenciation des produits
entre produits alimentaires (liquides, secs,
légumes et fruits, ultra frais…) et produits non
alimentaires (bazar, textiles…). Le troisième
s’articule sur les marques. Certaines marques
sont internationales, d’autres nationales, de
distributeur et “premiers prix”. Lorsqu’il est
incontournable d’importer des produits de
marque de distributeur (hypermarchés, discounts…) et de premiers prix (hypermarchés), il importe d’organiser une logistique
efficace pour faire face à une demande importante sans pour autant compromettre la réalisation d’une marge raisonnable. Pour une
même référence, un discount approvisionne et
commercialise des volumes considérables, 3 à
5 fois plus d’unités qu’un hypermarché21.
Aujourd’hui et tout particulièrement dans ces
pays, il semble difficile de concevoir une
organisation des flux entre les fournisseurs et
les points de vente qui ne s’articule et ne se
régule pas à partir d’un entrepôt central pouvant parfois être relayé sur un territoire par des
plateformes, voire des entrepôts régionaux.
En Roumanie, pour Metro qui totalise fin juin
2004, 19 magasins cash & carry dans les principales villes du pays, Géodis exploite une
plateforme unique située proche de Bucarest
par laquelle transitent tous les produits du distributeur à l’exception des produits frais et
surgelés exploités par un autre prestataire
logistique spécialisé. Ce dernier exploite un
entrepôt unique à températures dirigées et à
froid négatif à partir duquel sont livrés tous les
magasins Metro du pays.
Dans ces pays, la localisation d’un entrepôt
central ne pose pas de difficultés majeures.
Les capitales accueillent une fraction importante de la population. Le pouvoir d’achat de
leur population est très sensiblement supérieur à celui des plus petites villes ou des campagnes. Si les magasins “nouveaux” ont
envahi les capitales, ce fait n’implique pas
nécessairement que l’entrepôt soit localisé en
toute proche périphérie car dans ces pays la
spéculation foncière est une pratique nationale dès qu’un projet est à l’étude qu’il soit
commercial ou industriel. Cependant, l’entrepôt ne doit pas être trop éloigné en distance et
Vol. 13 – N°1, 2005
en temps de l’ensemble des magasins qu’il a
mission d’approvisionner.
Dans ces pays, l’entrepôt est tout à la fois
l’entrepôt classique, un lieu où il est immobilisé temporairement un certain volume de
marchandises nationales ou régionales mais
aussi un outil d’importation rassemblant des
marchandises diverses d’origine lointaine22
avec une spécialisation dans les opérations
complexes de dédouanement et une plateforme où il est pratiqué l’allotement plutôt
qu’un “pur” cross-docking.
Ses bâtiments s’organisent selon la nature des
produits à stocker temporairement avec des
cellules sous températures dirigées et à froid
négatif. Du fait de la continentalité des pays
dans lesquels ils sont implantés, ces entrepôts
doivent être aux normes qui permettent de
s’affranchir de températures chaudes, l’été et
parfois très froides, l’hiver.
Ces entrepôts doivent aussi être embranchés
fer dans la mesure où certaines marchandises
(eaux minérales, colas…) sont importées de
pays distants en grands volumes à des coûts de
transport les plus faibles possibles. Ces entrepôts sont aussi appelés à être livrés en marchandises hétérogènes par camions complets
afin d’abaisser par la massification les coûts
de transport nationaux ou régionaux. Ces
camions apprennent à approvisionner les sites
dans une tranche horaire fixe, très souvent
matinale afin de faciliter la préparation des
commandes en journée et de permettre l’expédition des produits en fin d’après-midi ou très
tôt le matin suivant.
A partir d’une seule usine continentale,
lorsqu’il est importé par ces entrepôts très
souvent dédiés23 un produit unique non différencié par l’industriel, il appartient à ces
entrepôts de personnaliser ce produit au dernier moment. Cette différenciation retardée
suppose l’exploitation d’une ligne d’emballage et d’étiquetage. Il devient alors possible
de personnaliser le produit en fonction de la
quantité réellement commandée par chaque
format de vente d’une même enseigne. Il
devient possible de personnaliser le conditionnement (3+1, par exemple) et l’étiquetage. Retarder ces opérations augmente la
réactivité des livraisons aux points de vente.
Elle permet à l’entrepôt un contrôle plus facile
de ses stocks. Par ailleurs, cette différenciation retardée permet d’acheter moins cher, de
réduire les frais administratifs mais peut-être
surtout de réduire les ruptures en linéaires24
bien que le consommateur de ces pays soit,
20 - Paragraphes précédents
2.1.
21 - Le Journal de la logistique,
Septembre 2004, Enquête :
Hard discount : la recherche du
meilleur rapport qualité / prix,
p. 28
22 - produits de marque
internationale et produits en
provenance d’Asie.
23 - dont l’exploitation se fait
au profit d’un seul client, d’une
seule enseigne dans la grande
distribution.
107
Logistique & Management
aujourd’hui tout au moins, plus sensible aux
prix des produits qu’aux produits eux-mêmes.
Cette différenciation retardée ne peut être
qu’au service des hypermarchés. Les discounts qui ne proposent qu’un nombre limité
de produits comme Lidl (moins de 800 références en France) ou comme Leader Price
(1 900 références en Pologne) requièrent seulement des opérations d’entreposage et de
dégroupage que l’organisation logistique
cherche à rapprocher le plus possible des
points de vente qu’elle livre par cartons ou sur
des palettes. Aussi, les marchandises ne sont
pas éclatées. Une fois livrées, elles sont rangées telles qu’elles sur les linéaires et prêtes à
être vendues.
Elles peuvent aussi être entreposées sur des
sites régionaux appartenant ou non au distributeur. Ces marchandises sont alors distribuées en fonction des volumes et de la
fréquence des ventes dans les magasins.
Cependant, l’optimisation du coût des livraisons suppose le transport des marchandises de
l’entrepôt central vers les magasins sans stockage intermédiaire.
La logistique physique en aval de l’entrepôt
24 - Notamment pour les
produits d’épicerie sèche.
25 - Ils peuvent ne posséder en
propre aucun véhicule.
26 - Cette double recherche
d’optimisation est de la
compétence des transporteurs.
Ces décisions sont leur espace
d’autonomie. Elles sont au cœur
de la performance gestionnaire
des transporteurs. Elles sont des
décisions tactiques que
l’organisation logistique du
donneur d’ordre structure.
27 - Les distributeurs
alimentaires adoptent-ils un
modèle logistique universaliste :
l’exemple des enseignes
françaises au Portugal, 2002.
28 - D’après le résumé
de l’article.
108
Tout comme dans l’Europe de l’Ouest, il est
important pour un distributeur implanté dans
les PECO de maîtriser et de pouvoir suivre
(traçabilité) la distribution des marchandises
vers ses points de vente. Elle est en général
sous-traitée à un prestataire logistique d’une
certaine taille, d’une même culture entrepreneuriale et connaissant bien le pays. L’acheminement aval des marchandises aux points
de vente peut être sous-traité par le prestataire
à des transporteurs de son choix très souvent
régionaux ayant accepté de livrer un ou plusieurs magasins. Plus rarement, elle est
confiée par le distributeur à des transporteurs
nationaux ou régionaux. Comme en Europe
de l’ouest, les prestataires logistiques25 cherchent à s’immiscer dans la gestion des transporteurs (camions, personnel…) afin
d’améliorer la qualité de service imposée par
le distributeur, notamment la disponibilité des
produits dans les points de vente.
Pour approvisionner à un coût raisonnable les
magasins plus en périphérie par rapport à
l’entrepôt, il est privilégié le transport par
camions complets.
Ces camions complets peuvent être classiques, bi ou multi températures à condition que
pour ce dernier type de véhicule, l’investissement très onéreux puisse être amorti sur une
durée raisonnable et que l’exploitation de ce
type de camion ne devienne pas une contrainte
additionnelle créant des surcoûts non négligeables du fait que certains produits ne peuvent être transportés par froids négatifs et par
conséquent que ces camions ne puissent pas
être chargés à pleine charge.
Des camions multi températures transportent
des produits secs mais aussi des produits frais,
ultra frais ou surgelés. Cette organisation et
cet outil permettent une plus grande fréquence
d’approvisionnement des magasins éloignés
de l’entrepôt central.
De même comme en Europe de l’ouest,
l’achat de transport de la grande distribution
se fait sur la base d’une évaluation d’une
quantité annuelle de marchandises à transporter mesurée en tonnes - kilomètres. De ce fait,
les entreprises de la grande distribution n’ont
pas à se préoccuper des chargements des véhicules (coefficients de chargement) pas plus
qu’elles n’ont à se préoccuper de réduire le
trafic des véhicules26. Si elles contractualisent
efficacement les prestations de transport dont
elles ont besoin, elles n’ont pas à se préoccuper des ressources qui doivent être mises en
œuvre par les transporteurs mais à mesurer et
à suivre les seuls résultats des transporteurs.
Par des enquêtes de satisfaction auprès de
leurs magasins, elles peuvent évaluer les
résultats de leurs transporteurs (taux de livraison des marchandises le jour prévu et dans les
plages horaires…) et analyser les causes des
dysfonctionnements constatés pour inciter les
transporteurs à plus de performance. Les nouveaux cahiers des charges n’obligent plus les
prestataires à un volume de ressources à
mobiliser mais à des résultats.
En 2002, Paché et Crespo de Carvalho27
uteurs alimentaires français à dominante alimentaire s’inspirant d’un “modèle” britannique véhiculent-ils par leurs pratiques un
modèle d’organisation logistique normatif à
caractère fortement universaliste ? Ces
“auteurs optent pour une position nuancée,
ouverte aux influences non négligeable de la
culture sur les choix d’entreprise”28.
Aujourd’hui, la culture du résultat est très prégnante dans les entreprises ; probablement
demain, plus encore. Le modèle britannique
d’organisation des flux de la grande distribution généraliste est apparu comme un modèle
performant aux distributeurs français mais
aussi allemands. Ils ont adhéré à ce modèle
pour organiser concrètement la circulation
des marchandises entre les producteurs et les
consommateurs. Les principes d’une organisation qui optimisent les ressources indispen-
Vol. 13 – N°1, 2005
Logistique & Management
sables à cette circulation29 ne peuvent
qu’inspirer les pratiques de tous les acteurs en
compétition30. Même si les distributeurs
savent prendre en considération des spécificités locales, des niveaux de développement
culturel managérial différents… l’obligation
de résultat nous semble pouvoir “triompher”
de ces particularismes. Le modèle organisationnel le plus performant sous la double pression des actionnaires et des clients ne peut que
triompher d’organisations moins systémiques, moins réactives, plus archaïques. Par
ailleurs, un modèle universel peut contribuer à
faire évoluer des pratiques locales bien adaptées, historiquement datées. Il permet de programmer et de mener le changement sans
rupture culturelle brutale.
Conclusion
Dans les PECO, le modèle logistique prônant
de faire graviter l’ensemble des flux par un
entrepôt aux multiples activités nous semble
être le modèle d’avenir ; tout au moins pour
ces prochaines années et plus particulièrement dans les pays où la grande distribution
n’est pas encore massivement implantée
(Roumanie, Slovaquie, Bulgarie…). Il facilite
la massification des flux en aval de l’entrepôt
en leur offrant une réception facilitée et un
stockage temporaire moins onéreux qu’un
stockage de réserves adossées aux magasins
proches (hypermarchés) ou au cœur des capitales (magasins de proximité ou hypermarchés
implantés
dans
les
centres
commerciaux). Il permet de regrouper en un
lieu unique, proche des lieux de consommation, une expertise en douane31. Il permet par
allotement une distribution aux points de
vente, une distribution préparée en fonction
de leurs ventes réelles ou de leurs projets commerciaux. Ailleurs, dans les pays où la grande
distribution est déjà bien présente (Pologne,
République Tchèque, Hongrie, Slovénie…),
tout au moins à proximité des centres urbains,
le modèle de l’organisation des flux à partir
d’un entrepôt reste valide. Dans ces pays, les
entrepôts à vocation généraliste (produits alimentaires et non alimentaires) ont vocation à
se multiplier en fonction de la multiplication
des références et des volumes à réceptionner,
à entreposer et à préparer. Dans certains pays
comme peut le pratiquer Carrefour en France,
des entrepôts spécialisés par types de produits
(textiles, produits frais…) se développeront à
l’avenir. Mais aujourd’hui, il nous semble difficile que dans ces pays le meilleur modèle
logistique soit “les stocks dans les magasins et
chez les fournisseurs32” ou le modèle d’appro-
Vol. 13 – N°1, 2005
visionnement en flux directs ; le modèle que
les hypermarchés ont jadis cherché à imposer
à tous les acteurs de la grande distribution alimentaire.
A un autre niveau d’analyse, tout au moins
aujourd’hui, l’implantation de la grande distribution alimentaire à l’est de l’ex-Europe
des quinze ne semble pas porter en elle-même
le germe d’une reconfiguration en profondeur
de l’organisation logistique des grands distributeurs. Ils semblent reproduire dans chaque
pays, l’organisation logistique qu’ils ont
validé dans leur pays d’origine et qu’ils ont
reproduit pour l’essentiel dans les pays limitrophes de ces pays. Aussi en Europe, leur
organisation logistique semble être une organisation logistique d’un territoire limité, celle
d’un scénario national reproductible et reproduit plutôt que celle d’un scénario transnational porteur de changements radicaux.
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29 - Entrepôts ou plateformes,
outils de transport, points de
vente, systèmes de
communication
d’informations…
30 - Les pratiques de
benchmarking connaissent un
réel succès dans tous les
secteurs d’activité.
31 - Surtout pour les produits
non alimentaires achetés hors
Union Européenne. Ces
produits gravitent aussi par cet
outil.
32 - J.-M. Picard, directeur
Logistique de Carrefour, l’Usine
Nouvelle, n° 2692, juin 1999.
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www.dree.org/elargissement
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Vol. 13 – N°1, 2005