L`entrepôt - plateforme ou le modèle d`approvisionnement de la
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L`entrepôt - plateforme ou le modèle d`approvisionnement de la
Logistique & Management L’entrepôt - plateforme ou le modèle d’approvisionnement de la grande distribution alimentaire dans les Pays de l’Europe Centrale et Orientale Georges FASSIO Maître de conférences, Institut Universitaire de Technologie de Saint-Nazaire Habilité à Diriger des Recherches Centre d’Etudes et de Recherche en Logistique (CERL) / Centre de Gestion de Nantes Atlantique (CRGNA) [email protected] S’il cohabite aujourd’hui en Europe de l’Ouest dans la grande distribution généraliste, deux modèles d’organisation des flux d’approvisionnement, un approvisionnement par flux directs des hypermarchés et un approvisionnement des points de vente, y compris de certains hypermarchés, à partir d’un entrepôt - plateforme, seul le second modèle semble pouvoir servir efficacement et à un coût raisonnable les formats de vente des Pays de l’Europe Centrale et Orientale (PECO). Dans ces pays, un entrepôt aux activités multiples est source d’efficacité et d’efficience. Il permet d’apporter des solutions pertinentes à de nombreux défis. Ces défis ont pour origines une stratégie de vente multi formats des groupes alimentaires, une multiplication des références (produits, marques et prix), une spéculation foncière et un transport de longue distance pour certains produits. Cet article a pour perspective d’identifier les contraintes logistiques de l’approvisionnement des points de vente dans l’Union Européenne et plus particulièrement dans ses PECO auxquels il peut être associé la Roumanie et la Bulgarie. Il montre également qu’un choix pertinent d’organisation des flux physiques permet de mieux maîtriser le coût global de la distribution. Dans les PECO, la Grande Distribution Alimentaire (GDA) connaît depuis une bonne dizaine d’années une mutation comparable à celle qui s’est produite en Europe de l’Ouest sur 25 ans. Il appartient à la GDA d’attirer les consommateurs vers les hypermarchés, les discounts… alors qu’ils achètent encore volontiers dans des magasins de proximité (petits commerces de centre ville ou de quartier), sur les marchés, voire dans la rue. Aujourd’hui, tous les grands groupes européens, les français (Carrefour, Auchan, Casino…), les allemands (Metro, Rewe…), Vol. 13 – N°1, 2005 l’anglais Tesco, le néerlandais Ahold, le belge Louis Delhaize (enseigne Cora)… ont décidé de s’implanter et de conquérir ces marchés à un rythme accéléré. En République Tchèque dès 1999, le seuil de m2 de surface de ventes a atteint un taux comparable à ceux des 15 pays de l’ex-Union Européenne. L’intérêt de la grande distribution pour cette région s’explique par un nouveau marché de quelques 100 millions de consommateurs potentiels et plus particulièrement par les perspectives d’évolution positive du pouvoir d’achat de ces personnes à moyen terme ; par 99 Logistique & Management l’émergence dans certains de ces pays d’une classe moyenne, la cible commerciale historique de ces entreprises ; par l’obligation concurrentielle d’être aussi présent sur ces marchés comme leurs principaux concurrents afin de se servir d’une image d’acteur économique incontournable les autorisant à négocier à leur avantage des prix “départ usine” avec les fournisseurs industriels régionaux ou nationaux et les modalités d’approvisionnement de leurs points de vente avec les prestataires logistiques et de transport. 1 - Pour la logistique, cette localisation est un élément important à prendre en considération pour approvisionner ce type de point de vente. En Europe de l’Ouest, les hypermarchés se situent presque exclusivement en périphérie des centres villes avec un espace de livraison et de stockage normalisés en fonction de considérations techniques et commerciales. Leur localisation en centre ville dans les PECO en fonction du coût du foncier, de la sécurité et de l’environnement urbain amène un distributeur à exploiter, voire à créer un entrepôt déporté. Les contraintes d’exploitation deviennent plus fortes. L’hypermarché ne peut disposer que d’une réserve d’arrière - magasin très limitée en capacité. Quant à l’entrepôt assez communément localisé à quelques dizaines de kilomètres, il doit approvisionner à délais courts et par palettes dédiées à un rayon. Auchan a été confronté à ces réalités quant il a implanté ses hypermarchés à Varsovie. 2 - Par exemple A. McKinnon : Comment agir sur la demande de transport", 2002 ou “Logistical restructuring and road freight traffic growth - An empirical assessment, 1996 avec comme co-auteur A. Woodburn 3 - Comme le rappelle G. Paché, 2002, sans qu’il puisse être attribué à Paché d’avoir découvert et souligné le premier cet impératif gestionnaire absolu. A cette occasion, permettez-moi de remercier les lecteurs de Logistique & Management pour leurs remarques pertinentes aux auteurs. 4 - Points de Vente, N° 898, 25 novembre 2002 5 - Points de Vente, N° 807, 3 mai 2000 100 Notre approche se veut d’abord inductive. Elle appréhende les comportements logistiques différents des principaux acteurs de la GDA tant en Europe de l’Ouest, hier et aujourd’hui, que dans les PECO, aujourd’hui et demain. Elle s’intéresse aux organisations possibles d’approvisionnent de ces groupes ; ces acteurs ayant pour stratégie commerciale de s’implanter sur ces marchés par de multiples formats de vente : hypermarchés, supermarchés, discounts, centres commerciaux au coeur des villes avec assez souvent un hypermarché1. Puis elle se veut rationaliste en modélisant leurs pratiques actuelles et celles de demain. En logistique, modéliser c’est reproduire et rationaliser si nécessaire les principaux processus d’échange de biens et l’appropriation différente des activités par les entreprises qui permettent de satisfaire les clients de l’entreprise donneur d’ordres (ou, leader). Dans la grande distribution, cette entreprise invite d’autres entreprises : des industriels, des prestataires logistiques et des transporteurs à collaborer pour satisfaire ses propres clients, les magasins de son enseigne configurés d’après différents formats de vente types : hypermarchés, discounts… C’est en ce sens comme l’a souligné à maintes reprises A. McKinnon2 que les organisations logistiques ont un impact sur les opérations de transport. Elles ”déterminent le volume de mouvement des marchandises" et elles exigent “un trafic de véhicules”. Le modèle d’approvisionnement des formats de vente alimentaires de la grande distribution dans l’Europe de l’Ouest Les missions de la logistique de distribution F. Akpina, directeur de la Logistique Auchan France4 précise la mission dévolue par les grands distributeurs à la fonction Approvisionnements : “Nous, distributeurs, avons pour mission de mettre en place la chaîne d’approvisionnement la plus efficace possible au meilleur coût”. Il n’en fut pas ainsi jusqu’au milieu des années 90. La grande distribution exigeait de ses fournisseurs qu’ils la livrent directement à ses points de vente (hyper et supermarchés). Elle achetait ses produits “franco de port”. Les prix des marchandises et de leur transport étaient alors globalisés, indistincts. J.-M. Picard, directeur Logistique Europe du groupe Carrefour précise cette mission sous forme de trois objectifs complémentaires : “La recherche du coût ”rendu linéaire" ou “rendu consommateur” le plus bas possible, tout en respectant les exigences des magasins et des consommateurs ; le levier de compétitivité de ces prix de vente par la massification et les services obtenus ; enfin, une qualité, une traçabilité et une hygiène des produits sur l’ensemble de la chaîne…" 5. Aussi aujourd’hui, il appartient à la fonction Logistique des distributeurs de maîtriser Figure 1 - La logistique de distribution, flux physiques et outils Cet article se structure en deux parties. La première identifie le (ou, les) modèle(s) d’approvisionnement des points de vente de la GDA en Europe de l’Ouest. La seconde nous offre la possibilité d’ouvrir le débat sur la possibilité d’utiliser dans les PECO un modèle unique d’approvisionnement et de distribution comme mode “de planification et de pilotage des flux” afin “de satisfaire la demande dans les meilleures conditions de coût et de service”3. Vol. 13 – N°1, 2005 Logistique & Management l’organisation des circuits d’approvisionnement et de ne pas exclure de son champ de responsabilité fonctionnelle, la possibilité d’une externalisation des ressources nécessaires physiques et humaines à cette maîtrise si elle ne l’a pas déjà mise en place (Carrefour, Cora, Métro…) ou filialisée (Casino…). La question d’une logistique opérationnelle patrimoniale ou non patrimoniale est une question d’ordre secondaire. Les niveaux de performance cibles formatent l’organisation à mettre en place. Ils justifient les démarches d’amélioration continue. Dans le cadre d’un contrat commercial auquel il est associé de nombreuses clauses logistiques définissant l’efficacité en taux de service, les propositions de réalisation au moindre coût sont déterminantes pour le choix des futurs acteurs. L’organisation logistique de distribution des produits de grande consommation Paché décrit cette organisation. Elle tend aujourd’hui à l’universalité, tout au moins pour les produits alimentaires de la grande distribution à l’exception cependant des produits régionaux et des produits à forte rotation : lait, eaux minérales… “Les produits à destination du front de vente transitent ainsi préalablement par des entrepôts ou des plateformes de regroupement sous le contrôle des détaillants, ceux-ci procédant parfois à un enlèvement dans les usines” (2002). La figure ci-contre représente l’organisation des flux physiques et les outils de la collaboration interentreprises. Il y a quelques années, cette organisation d’approvisionnement n’était pas celle des hypermarchés. Ils exigeaient de leurs fournisseurs d’être livrés directement plusieurs fois par semaine en fonction de leurs seuls besoins. Figure 2 - Les activités de la logistique d'approvisionnement Cette nouvelle organisation des flux peut encore être modélisée en fonction d’un niveau de coopération entre la grande distribution et les entreprises choisies pour contribuer à l’approvisionnement des différents formats de vente des premières. Ces nouvelles modélisations restent valides que le distributeur ait ou non externalisé sa logistique en contractualisant en direct une coopération avec un prestataire logistique assumant des activités logistiques basiques : entreposage, gestion des stocks et préparation des commandes et des transporteurs assurant un acheminement amont et / ou aval des marchandises par rapport à l’entrepôt ou encore en direct avec un seul prestataire logistique qui contractualise à un autre niveau de responsabilité, les prestations de transport requises pour l’acheminement des biens jusqu’aux magasins du distributeur. La figure 38 minimise la responsabilité du prestataire logistique dans la mesure où ses activités sont en quelque sorte coordonnées par la centrale d’achat du distributeur. Il n’est 6 - Le Monde du transport et de la logistique, n° 5, avril 2003. 7 - J.-L. Malo, J.-C. Mathé, L’essentiel du contrôle de gestion, les Editions d’Organisation, 1998 8 - Afin de ne pas surcharger la représentation graphique des figures 3, 4 & 5, notez que les flèches pleines représentent les flux d’information associés aux différentes activités des acteurs et les flèches en traits discontinus, les flux physiques. Figure 3 - Niveau 1 de coopération entre grande distribution et entreprises associées (Prestations logistiques et de transport sous-traitées à plusieurs acteurs) Aujourd’hui dans toutes les enseignes, l’organisation des flux transitant par un entrepôt ou une plateforme tend à s’imposer pour tous les formats. En 2002 pour les hypermarchés “Géant Casino” les livraisons directes, l’autre modèle, ne représentaient en volume que 5 % des produits alimentaires de ce format. 50% des volumes des produits non alimentaires étaient encore livrés en direct à ces grandes surfaces de vente6. Ce modèle peut aussi être modélisé par ses “activités” (figure 2). Les activités sont “devenues les ”briques" de base pour reconstruire la gestion de l’entreprise", pour penser différemment ses organisations internes et externes et même sa stratégie7. Vol. 13 – N°1, 2005 101 Logistique & Management qu’un prestataire de service spécialisé au même titre que les transporteurs du distributeur. La responsabilité de l’organisation, de la planification et du pilotage des flux de la chaîne d’approvisionnement est de la seule responsabilité de la centrale d’achat du distributeur qui, après avoir recensé les commandes des magasins9, passe commandes à tous les autres acteurs référencés pour coopérer à des activités presque essentiellement physiques : fabriquer, conditionner, étiqueter, distribuer. Dans cette première configuration organisationnelle, la centrale d’achat échéance les rendez-vous de la distribution des marchandises aux magasins en fonction des besoins de produits et des contraintes horaires exprimés par les magasins. Elle informe l’entrepôt ou la plateforme et les prestataires de transport de leurs obligations de résultat ; à eux, d’organiser et de mobiliser leurs ressources. 9 - Elle peut corriger les besoins exprimés par les magasins en fonction de prévisions sur la base d’un mois glissant. Ces prévisions se fiabilisent à partir d’une base de données (historiques de ventes). 10 - Plus précisément, il lance automatiquement des propositions de commandes de réapprovisionnement aux fournisseurs en respectant la nature des produits avec pour premier objectif que les produits soient présents sur les linéaires des magasins. La figure 4 modélise une configuration organisationnelle plus hiérarchisée pour une prestation globale d’approvisionnement. Le prestataire logistique devient l’ordonnateur des commandes10 aux fournisseurs industriels en fonction des prévisions de sorties d’entrepôts tenant compte des niveaux de stock dans les entrepôts, des temps nécessaires à la fabrication des biens destinés aux formats de vente du distributeur et des temps d’acheminement des biens entre leur départ usine et leur livraison aux points de vente ; tout en ajoutant à ces derniers cycles, un temps de passage obligé dans sa propre structure (entrepôt et / ou plateforme). Le prestataire logistique ordonne les commandes à partir d’une information que la Figure 4 - Niveau 2 de coopération entre grande distribution et entreprises associées (contractualisation commerciale avec un seul partenaire logistique devenant l'ordonnateur des flux) centrale d’achat du distributeur a consolidée en fonction des informations primaires (commandes) que les magasins lui ont préalablement communiquées. La figure 5 se démarque de la figure 4 sur un seul aspect mais d’une importance logistique certaine. Dans cette nouvelle configuration organisationnelle, les magasins informent directement le prestataire logistique en charge de l’entrepôt ou de la plateforme de leurs besoins en fonction des consommations de leurs clients et de leurs ambitions commerciales (promotions, anniversaires…). Préalablement par un contrat annuel, la centrale d’achat du distributeur a négocié avec les fournisseurs industriels les produits et leur qualité, les quantités pouvant être achetées, les remises quantitatives… Une fois ce cadre juridique négocié, le prestataire logistique devient l’unique ordonnateur des flux. Poussée à l’extrême, la logique de cette organisation plaide pour que le prestataire logistique devienne seul responsable des ruptures dans les linéaires, donc des pertes financières qu’elles occasionnent. Aussi à l’avenir par des clauses contractuelles logistiques particulières, il pourrait être financièrement pénalisé pour “pertes de chiffre d’affaires” liées à des résultats logistiques évalués comme insuffisants. Ces différentes configurations organisationnelles permettent que les approvisionnements soient réellement organisés à partir de flux tirés par la demande, les consommations des clients des magasins. Les configurations 4 et 5 concrétisent une autre approche des approvisionnements par les grands distributeurs. Ils évoluent d’une politique d’achat (obtenir les meilleurs prix d’achat, stocker plus ou moins longuement les quantités achetées à un prix unitaire avantageux…) à une stratégie de vente : n’acheter que ce qui est déjà vendu ou qui risque fort de l’être au regard des prévisions de vente à très court terme. En effet, la modélisation des flux de la première organisation commerciale et logistique (figure 3) souligne un pouvoir sans partage de la fonction Achats alors qu’il est souhaitable que cette fonction de l’entreprise n’agisse qu’en coopérant avec d’autres fonctions, notamment avec la fonction Ventes après s’être informée des niveaux des stocks dans les entrepôts. Cette dernière contrainte dont la finalité est la maîtrise globale des coûts, plaide pour un modèle d’organisation des 102 Vol. 13 – N°1, 2005 Logistique & Management approvisionnements conforme aux logiques des organisations 4 ou 5. La logistique physique en amont de l’entrepôt Figure 5 - Niveau 3 de coopération entre grande distribution et entreprises associées Contractualisation avec un seul prestataire logistique (contractualisations commerciales (produits, prix...) précedemment négociées entre la centrale d'achat et les industriels). Ce qui est transporté dépend des lieux d’approvisionnement et de vente11. Dans la grande distribution, ce qui est acheté peut être approvisionné localement ou importé. Certains achats de proximité peuvent aussi être exportés vers d’autres points de vente. Si un grand distributeur achète des marchandises, il peut acheter du transport indépendamment de ce qu’il doit faire transporter. Cet achat de transport peut être planifié en fonction des volumes, des poids… entre les sites fournisseurs, les entrepôts et les plateformes et bien évidemment, les sites de vente (logistique aval). Il peut ainsi pré - acheter des milliers ou des millions de tonnes kilomètres sans se préoccuper à ce moment de ce qui devra être transporté chaque jour. Il peut ainsi obtenir des prix de ses prestataires de transport et contractualiser des engagements (fréquences des livraisons par semaine, respect de plages horaires de livraison…) qui contraindront les transporteurs à satisfaire les magasins du distributeur. Ce n’est que dans un second temps qu’il peut piloter de façon optimale ses tractions (transporter ses marchandises par camions complets depuis l’usine jusqu’à une (ou des) plateforme(s)) ou ses tournées (approvisionner ses points de vente depuis ses plateformes) en fonction des commandes, éventuellement corrigées par les consommations réelles des points de vente, tout en tenant compte de la nature des produits (fruits et légumes, produits frais, produits d’épicerie…). Ce post acheminement peut être effectué par camions complets, par demicamions ou par camions bi températures pour respecter la chaîne du froid. L’approvisionnement en amont de l’entrepôt par le distributeur, c’est la possibilité d’enlever chez tout ou partie de ses fournisseurs ses marchandises avec la préoccupation de massifier les volumes enlevés. Il s’agit d’organiser la “traction”, de rationaliser le transport entre les usines et l’entrepôt en s’approvisionnant uniquement par camions complets. Pour y parvenir, il faut reporter quelques commandes passées au fil de l’eau par les magasins et accepter la réalité économique qu’un stock peut être parfois générateur d’économies, qu’un stock permet d’éviter certains surcoûts de transport. Vol. 13 – N°1, 2005 Depuis début 2002, Auchan enlève lui-même des produits chez un certain nombre de ses fournisseurs situés majoritairement en France, tout en prétendant que ce n’est pas un objectif Auchan. En 2002, il a toutefois enlevé 8 % de ses volumes d’achat. F. Akpinar, directeur des approvisionnements et de la logistique d’Auchan déclarait : “En agissant entre les usines et les entrepôts, nous cherchons surtout à réaliser des synergies entre l’amont et l’aval afin d’optimiser le coût de fonctionnement des flottes12”. Aussi pour abaisser le coût du transport, un distributeur dispose de deux leviers d’action, acheter une masse globale de tonnes kilomètres à un coût unitaire minimal et optimiser les distances devant être parcourues13. Cette organisation offre aussi un autre avantage déterminant dans toute négociation commerciale d’achat, celui d’amener l’industriel à renoncer aux “prix franco”. Ils sont des prix où il est ajouté aux prix des marchandises, soit des prix pour la prestation de transport facturée forfaitairement quelle que soit la distance, soit des prix par lesquels l’industriel vend ses produits “sortie usine” mais avec facturation associée de la prestation de transport et choix par l’industriel de l’entreprise de transport (“prix franco à quai” du distributeur). En imposant comme base de toute négociation commerciale le prix d’achat “départ usine”, une pratique très répandue dans l’industrie, le distributeur s’informe des prix 11 - Par exemple, McKinnon, déjà cité, 1996, 2002 12 - Points de Vente, n° 883 du 01 04 2002 13 - Cependant, ce second levier ne peut être activé que sous contrainte : l’approvisionnement des linéaires. Cette contrainte est l’un des objectifs majeurs de la grande distribution généraliste. Chez Ed, hard discounter du groupe Carrefour, le taux de rupture de ce format (rapport entre le nombre de lignes non servies et le nombre de lignes commandées) est inférieur à 3,5 % sur les 6 premiers mois de l’année 2004. 103 Logistique & Management de vente réellement pratiqués par les industriels. Cette politique d’achat lui permet de mettre en concurrence les industriels aux productions comparables. Elle permet encore au distributeur de mettre en concurrence les prestataires de transport pour une prestation normalisée selon ses besoins qu’il décide de gérer en achetant “prix départ usine” ou qu’il délègue à l’industriel sous contrainte de résultat : être globalement moins cher que ses concurrents au quai de l’entrepôt ou de la plateforme, en achetant “prix franco à quai”. L’entrepôt ou la plateforme Aujourd’hui, il (ou, elle) est le passage obligé des flux de marchandises bien qu’il (ou, elle) n’existe que pour être au service des formats de vente. C’est ce qu’A. Rocquefelte, directeur général délégué de Système U Ouest, affirme une nouvelle fois : “L’entrepôt est au service des points de vente qui restent maîtres de leurs commandes même si nous mettons en place dans les magasins des outils d’aide à l’approvisionnement14”. Chez System U et chez bien d’autres distributeurs, l’entrepôt est né du souci d’optimisation des livraisons aux points de vente au moindre coût. Physiquement, il doit être positionné au barycentre des magasins qu’il a mission d’approvisionner et si possible à proximité d’axes routiers importants. Aussi, il se positionne à proximité des surfaces commerciales. Cette position permet au distributeur de consommer moins de kilomètres et par conséquent de minimiser globalement ses coûts d’achat. 14 - Points de Vente, n° 918, 13 10 2003 104 D’autres avantages sont recherchés par l’usage de cet outil logistique. Peuvent être cités sans exhaustivité : 1. la massification des flux amonts et les conditions de leur acheminement ; 2. la possibilité de renégocier certains coûts par la connaissance des activités logistiques liées à l’achat et à la préparation des commandes ; 3. la possibilité de s’approvisionner auprès de fournisseurs qui ne disposent pas d’une organisation logistique suffisante pour garantir la qualité de certains produits : surgelés, frais et produits de marée (cette possibilité permet au distributeur de créer ou d’aviver une certaine concurrence entre fournisseurs de grande marque et de nouveaux industriels ou gros artisans) ; 4. la centralisation des stocks pour une plus grande efficacité en distribution aval ; 5. le transfert des réserves des magasins vers les entrepôts afin d’agrandir les surfaces de vente, de béné- ficier d’immobilisations corporelles moins onéreuses en périphérie des agglomérations et d’accéder plus rapidement aux routes… Ces entrepôts peuvent être la propriété des distributeurs ou appartenir à des prestataires logistiques. Sur cet aspect, les groupes de distribution ont des pratiques diverses. Elles peuvent s’expliquer par la nature des produits (produits surgelés, de marée, produits secs…), par l’histoire des groupes et de leurs métiers, par la volonté ou non des prestataires d’assumer certains investissements… Dans les pays de l’Union Européenne, l’évolution des flux vers plus de transit et plus de préparations de commande en flux tirés par la demande fait que les entrepôts évoluent vers la qualité d’une plateforme. La logique de l’organisation des mouvements des marchandises fait que l’immobilisation temporaire des marchandises dans les entrepôts, de quelques heures à plusieurs jours, n’est plus aujourd’hui considérée comme une norme organisationnelle incontournable. A défaut de pouvoir pratiquer le cross-docking pur, c’est-à-dire de faire effectuer par les fournisseurs la préparation des commandes de chaque surface commerciale de telle sorte que le personnel de la plateforme n’ait plus qu’à réceptionner les différentes palettes ou cartons destinés à chaque point de vente et à faciliter leur chargement par des camions devant les acheminer, chaque distributeur cherche à pratiquer l’allotement sur ses plateformes. Aussi, il trie les marchandises des différents points de vente sans changer leurs conditionnements puis il organise leur seul chargement dans les camions devant effectuer les livraisons. Ces pratiques permettent de transférer chez les fournisseurs les coûts de préparation des commandes en totalité (cross dock pur) ou partiellement (allotement). La logistique physique en aval de l’entrepôt Le groupe Auchan au printemps 2002 contrôlait 70 % de ses marchandises en aval de leur passage dans un entrepôt. A l’horizon 2004-2005, son ambition est de contrôler 100 % des flux. Garder le contrôle de l’organisation des flux aval, c’est décider de l’organisation des tournées et des heures de réception des marchandises par les différents formats de vente mais surtout, des heures de réassortiment des linéaires des magasins. Vol. 13 – N°1, 2005 Logistique & Management Plusieurs organisations sont possibles. La nature des produits semble le principal déterminant pour organiser cette distribution. “piloter les activités (logistiques et de transport15) dans les meilleures conditions de coût et de service” (Paché, 1998). Pour Carrefour, les produits d’épicerie sèche sont distribués par camions complets et les produits frais par tournées. Chez Système U quelle que soit la taille des points de vente, les produits frais à Dates Limites de Consommation sont distribués six fois par semaine, les produits d’épicerie et de marée, cinq fois. La logistique physique en amont de l’entrepôt Chez Casino, le format de vente semble le premier critère pour l’organisation de cette distribution. Easydis, filiale logistique du groupe, livre les hypermarchés tous les jours en produits frais et en épicerie ; trois fois par semaine ce format en produits pondéreux et en produits non alimentaires. Pour la livraison des magasins de proximité, Easydis les approvisionne trois ou quatre fois par semaine en produits frais et seulement une fois pour les autres produits. Ce qui semble caractériser cette distribution aval, c’est une distribution fine très exactement calquée en qualité et en quantité sur les commandes fermes des formats de vente. Ce modèle peut-il être efficace pour la distribution alimentaire dans les PECO ? Ce modèle s’il est aujourd’hui français, allemand… a été historiquement britannique. Ce modèle est-t-il aujourd’hui polonais, tchèque…? Sera-t-il demain roumain, bulgare ? En Grande-Bretagne, dans les années 1970, la distribution physique s’organise à partir de centres de distribution ayant pour missions de regrouper les marchandises achetées par les distributeurs et de les préparer avant de les faire acheminer aux différents points de vente. Aujourd’hui, l’ambition des grands distributeurs à l’assortiment alimentaire large et profond ne suppose pas nécessairement un investissement patrimonial en entrepôts (des outils de manutention et de stockage, des outils informatiques de gestion…) et en actifs matériels de transport (une flotte de camions…). Aujourd’hui par une organisation logistique performante, leur ambition, est d’être au service des magasins où se créent les chiffres d’affaires et les marges bénéficiaires. Pour le devenir plus encore à l’avenir, la fonction Logistique Approvisionnements des distributeurs a pour mission essentielle de Vol. 13 – N°1, 2005 Cette mission est-elle plus délicate à assumer sur un espace européen très élargi à l’est ? Deux scénarii peuvent être esquissés à grands traits sans que le second puisse exclure le premier. Le premier scénario peut être décrit ainsi. Une logique industrielle de production massifiée suppose la multiplication des approvisionnements alimentaires des points de vente à partir d’usines uniques ou peu nombreuses sur notre nouvel espace européen à 25 pays puis à 27 pays à l’horizon 2007 et encore plus élargi à une échéance temporelle probablement pas si lointaine. Du fait de ces localisations continentales, les distances à parcourir par les marchandises, au-delà des frontières qui ne sont plus que politiques, ne peuvent que renchérir le coût du transport dans les coûts d’achat des distributeurs. Ce coût additionnel peut-il être imputé dans les prix de vente des grands distributeurs qui, dans ce nouvel espace, rencontrent des personnes et des ménages très sensibles aux prix car confrontés à un environnement économique difficile (faible pouvoir d’achat, taux de chômage plus élevé que dans l’Europe des 15) ? Le second scénario, pour ces distributeurs consiste à rechercher des sources d’approvisionnement plus locales auprès d’industriels régionaux, nationaux ou extra nationaux s’étant délocalisés, voire auprès de gros artisans possédant des savoir-faire et proposant des produits plus conformes aux habitudes alimentaires des personnes qui peuvent aussi avoir le souci de consommer national. Les années 2000 dans ces pays voient émerger des consommateurs plus avertis sur la qualité des produits et leurs prix, des consommateurs moins tentés par les produits “occidentaux” qu’il y a 10 ou 20 ans (Pologne). En minimisant la quantité de kilomètres à parcourir entre les fournisseurs et l’entrepôt, ce second scénario d’approvisionnement minimise les coûts de transport par rapport à ceux induits par le premier. Il permet d’acheter moins cher les produits (approvisionnements locaux) et à marges égales de les vendre moins cher. En fait, il permet un choix au distributeur : reporter totalement 15 - C’est nous qui précisons. 105 Logistique & Management ou partiellement cet avantage sur les prix des produits. Cependant, ce second scénario suppose de résoudre un certain nombre d’obstacles pour autoriser un approvisionnement efficace en fonction d’une demande ferme, comme faire participer ces nouveaux industriels à un système d’information logistique global, les convaincre de la nécessité d’être réactifs face aux délais et aux spécifications de qualité des produits, à travailler leur fiabilité en production plutôt que d’accroître leurs niveaux de stock. Ce second scénario permet encore de s’approvisionner auprès de fournisseurs qui ne disposent pas d’un service transport performant. Ces deux scénarii ne s’excluent pas. Aujourd’hui, les groupes de distribution ouest européens n’excluent aucune source possible d’approvisionnement. Des groupes bien implantés dans un pays, comme Casino en Pologne, exploitent des hypermarchés “Géant Polska” et des discounts sous une marque continentale “Leader Price” (107 magasins, fin décembre 2002) sans que leurs formats de vente s’interdisent de s’approvisionner aux différentes sources possibles. Compte tenu de leurs très nombreuses références, les hypermarchés n’ont pas d’autre choix. Pour les produits alimentaires, tous les formats de vente cherchent à s’approvisionner localement. Dans certains pays, certaines enseignes s’approvisionnent à hauteur de 80 à 90 %, voire plus, en produits locaux16. 16 - Revue Elargissement, 2001. 17 - Seuls les produits de marque à notoriété internationale s’ils ne sont pas produits sur place et les produits asiatiques sont importés. Comme Danone, marque mondiale de produits à durée de vie limitée (Dates limites de Vente et Dates Limites de Consommation), de nombreux industriels de l’agroalimentaire ont créé sur ces territoires des unités de production. 18 - Ceux qui sont consommés dans tous les pays : riz, pâtes, huiles, farines… 19 - ou les "foodmiles", c'est à dire la distance que doit parcourir les produits de leur lieu de production à leur lieu de distribution. 106 Pour la grande distribution alimentaire, l’expansion des marchés, notamment ceux de l’Europe Centrale et Orientale, oblige les groupes à diversifier leurs sources d’approvisionnement dans le respect d’une combinaison pertinente d’objectifs encore plus contraignants que dans l’ex - Europe des quinze : prix, qualité et services aux points de vente. Aussi, les magasins soucieux de maîtriser l’objectif prix comme premier objectif contrainte pour réussir (pénétrer les marchés, développer ses parts de marché… à moyen terme de façon rentable) ont décidé de s’approvisionner localement et par conséquent, de contraindre les fournisseurs potentiels, obligatoirement locaux pour les produits alimentaires de grande consommation17, à des prix de vente compétitifs, à la qualité et aux services logistiques. Aussi pour un pays, chaque grand distributeur cherche un (ou, deux) fournisseur(s) susceptible(s) de répondre à l’ensemble des attentes des magasins. Cette stratégie vise conjointement à maîtriser les coûts mais aussi à maîtriser les délais d’approvisionnement par une meilleure maîtrise de l’espace qui ne peut être étendu sans limite sous peine d’alourdir le coût du transport des marchandises. La recherche de fournisseurs locaux semble obéir à une double logique. Pour les produits alimentaires basiques18, c’est la recherche du moindre coût ; un coût arbitré entre le prix d’une quantité de produits “départ usine” et le prix de leur transport sur la base d’une unité de manutention et de transport, comme la palette plancher. Pour les produits alimentaires régionaux, il s’agit de proposer aux clients les produits qu’ils sont habitués à consommer à un prix plus avantageux que la distribution de proximité (commerces traditionnels, marchés…) sans négliger leur qualité et en essayant d’améliorer leur disponibilité (absence de rupture en magasin). Pour ces produits, le défi de la grande distribution est d’industrialiser leur distribution après avoir industrialisé leur production. Cette pratique facilite un autre facteur de compétitivité d’ordre commercial. Elle est en phase avec un souci politique et coutumier des consommateurs, consommer national ou régional. L’organisation logistique de la grande distribution tant en enlèvement qu’en distribution n’a pas pour objectif de réduire les kilomètres alimentaires19. Elle est dictée par un objectif incontournable : offrir aux consommateurs locaux les produits les moins chers possibles en réalisant un profit évalué comme acceptable à court terme et différé sur l’avenir. Les “entrepôts plateformes” dans les PECO Dans les PECO, les entrepôts au service des différents formats exploités par un groupe international semblent être les outils déterminants de la performance commerciale (des magasins bien approvisionnés sans plus de ruptures en linéaires (quantités et temps) que dans les pays de l’Europe de l’Ouest) et de la performance financière, une rentabilité accrue par une croissance quantitative des seules ventes créatrices de profit. A l’avenir, trois déterminants doivent permettre d’analyser l’importance des entrepôts sur ce nouvel espace : les circuits d’approvi- Vol. 13 – N°1, 2005 Logistique & Management sionnement, la nature des produits et les marques. Les premiers peuvent être européens, sans exclure des approvisionnements de produits électroménager, hi-fi… provenant de pays à faible coût de main-d’œuvre (Asie et autres pays de l’est de l’Europe) et à législation sociale souple (Asie). Ils peuvent surtout être nationaux ou régionaux20. Le second s’articule sur la différenciation des produits entre produits alimentaires (liquides, secs, légumes et fruits, ultra frais…) et produits non alimentaires (bazar, textiles…). Le troisième s’articule sur les marques. Certaines marques sont internationales, d’autres nationales, de distributeur et “premiers prix”. Lorsqu’il est incontournable d’importer des produits de marque de distributeur (hypermarchés, discounts…) et de premiers prix (hypermarchés), il importe d’organiser une logistique efficace pour faire face à une demande importante sans pour autant compromettre la réalisation d’une marge raisonnable. Pour une même référence, un discount approvisionne et commercialise des volumes considérables, 3 à 5 fois plus d’unités qu’un hypermarché21. Aujourd’hui et tout particulièrement dans ces pays, il semble difficile de concevoir une organisation des flux entre les fournisseurs et les points de vente qui ne s’articule et ne se régule pas à partir d’un entrepôt central pouvant parfois être relayé sur un territoire par des plateformes, voire des entrepôts régionaux. En Roumanie, pour Metro qui totalise fin juin 2004, 19 magasins cash & carry dans les principales villes du pays, Géodis exploite une plateforme unique située proche de Bucarest par laquelle transitent tous les produits du distributeur à l’exception des produits frais et surgelés exploités par un autre prestataire logistique spécialisé. Ce dernier exploite un entrepôt unique à températures dirigées et à froid négatif à partir duquel sont livrés tous les magasins Metro du pays. Dans ces pays, la localisation d’un entrepôt central ne pose pas de difficultés majeures. Les capitales accueillent une fraction importante de la population. Le pouvoir d’achat de leur population est très sensiblement supérieur à celui des plus petites villes ou des campagnes. Si les magasins “nouveaux” ont envahi les capitales, ce fait n’implique pas nécessairement que l’entrepôt soit localisé en toute proche périphérie car dans ces pays la spéculation foncière est une pratique nationale dès qu’un projet est à l’étude qu’il soit commercial ou industriel. Cependant, l’entrepôt ne doit pas être trop éloigné en distance et Vol. 13 – N°1, 2005 en temps de l’ensemble des magasins qu’il a mission d’approvisionner. Dans ces pays, l’entrepôt est tout à la fois l’entrepôt classique, un lieu où il est immobilisé temporairement un certain volume de marchandises nationales ou régionales mais aussi un outil d’importation rassemblant des marchandises diverses d’origine lointaine22 avec une spécialisation dans les opérations complexes de dédouanement et une plateforme où il est pratiqué l’allotement plutôt qu’un “pur” cross-docking. Ses bâtiments s’organisent selon la nature des produits à stocker temporairement avec des cellules sous températures dirigées et à froid négatif. Du fait de la continentalité des pays dans lesquels ils sont implantés, ces entrepôts doivent être aux normes qui permettent de s’affranchir de températures chaudes, l’été et parfois très froides, l’hiver. Ces entrepôts doivent aussi être embranchés fer dans la mesure où certaines marchandises (eaux minérales, colas…) sont importées de pays distants en grands volumes à des coûts de transport les plus faibles possibles. Ces entrepôts sont aussi appelés à être livrés en marchandises hétérogènes par camions complets afin d’abaisser par la massification les coûts de transport nationaux ou régionaux. Ces camions apprennent à approvisionner les sites dans une tranche horaire fixe, très souvent matinale afin de faciliter la préparation des commandes en journée et de permettre l’expédition des produits en fin d’après-midi ou très tôt le matin suivant. A partir d’une seule usine continentale, lorsqu’il est importé par ces entrepôts très souvent dédiés23 un produit unique non différencié par l’industriel, il appartient à ces entrepôts de personnaliser ce produit au dernier moment. Cette différenciation retardée suppose l’exploitation d’une ligne d’emballage et d’étiquetage. Il devient alors possible de personnaliser le produit en fonction de la quantité réellement commandée par chaque format de vente d’une même enseigne. Il devient possible de personnaliser le conditionnement (3+1, par exemple) et l’étiquetage. Retarder ces opérations augmente la réactivité des livraisons aux points de vente. Elle permet à l’entrepôt un contrôle plus facile de ses stocks. Par ailleurs, cette différenciation retardée permet d’acheter moins cher, de réduire les frais administratifs mais peut-être surtout de réduire les ruptures en linéaires24 bien que le consommateur de ces pays soit, 20 - Paragraphes précédents 2.1. 21 - Le Journal de la logistique, Septembre 2004, Enquête : Hard discount : la recherche du meilleur rapport qualité / prix, p. 28 22 - produits de marque internationale et produits en provenance d’Asie. 23 - dont l’exploitation se fait au profit d’un seul client, d’une seule enseigne dans la grande distribution. 107 Logistique & Management aujourd’hui tout au moins, plus sensible aux prix des produits qu’aux produits eux-mêmes. Cette différenciation retardée ne peut être qu’au service des hypermarchés. Les discounts qui ne proposent qu’un nombre limité de produits comme Lidl (moins de 800 références en France) ou comme Leader Price (1 900 références en Pologne) requièrent seulement des opérations d’entreposage et de dégroupage que l’organisation logistique cherche à rapprocher le plus possible des points de vente qu’elle livre par cartons ou sur des palettes. Aussi, les marchandises ne sont pas éclatées. Une fois livrées, elles sont rangées telles qu’elles sur les linéaires et prêtes à être vendues. Elles peuvent aussi être entreposées sur des sites régionaux appartenant ou non au distributeur. Ces marchandises sont alors distribuées en fonction des volumes et de la fréquence des ventes dans les magasins. Cependant, l’optimisation du coût des livraisons suppose le transport des marchandises de l’entrepôt central vers les magasins sans stockage intermédiaire. La logistique physique en aval de l’entrepôt 24 - Notamment pour les produits d’épicerie sèche. 25 - Ils peuvent ne posséder en propre aucun véhicule. 26 - Cette double recherche d’optimisation est de la compétence des transporteurs. Ces décisions sont leur espace d’autonomie. Elles sont au cœur de la performance gestionnaire des transporteurs. Elles sont des décisions tactiques que l’organisation logistique du donneur d’ordre structure. 27 - Les distributeurs alimentaires adoptent-ils un modèle logistique universaliste : l’exemple des enseignes françaises au Portugal, 2002. 28 - D’après le résumé de l’article. 108 Tout comme dans l’Europe de l’Ouest, il est important pour un distributeur implanté dans les PECO de maîtriser et de pouvoir suivre (traçabilité) la distribution des marchandises vers ses points de vente. Elle est en général sous-traitée à un prestataire logistique d’une certaine taille, d’une même culture entrepreneuriale et connaissant bien le pays. L’acheminement aval des marchandises aux points de vente peut être sous-traité par le prestataire à des transporteurs de son choix très souvent régionaux ayant accepté de livrer un ou plusieurs magasins. Plus rarement, elle est confiée par le distributeur à des transporteurs nationaux ou régionaux. Comme en Europe de l’ouest, les prestataires logistiques25 cherchent à s’immiscer dans la gestion des transporteurs (camions, personnel…) afin d’améliorer la qualité de service imposée par le distributeur, notamment la disponibilité des produits dans les points de vente. Pour approvisionner à un coût raisonnable les magasins plus en périphérie par rapport à l’entrepôt, il est privilégié le transport par camions complets. Ces camions complets peuvent être classiques, bi ou multi températures à condition que pour ce dernier type de véhicule, l’investissement très onéreux puisse être amorti sur une durée raisonnable et que l’exploitation de ce type de camion ne devienne pas une contrainte additionnelle créant des surcoûts non négligeables du fait que certains produits ne peuvent être transportés par froids négatifs et par conséquent que ces camions ne puissent pas être chargés à pleine charge. Des camions multi températures transportent des produits secs mais aussi des produits frais, ultra frais ou surgelés. Cette organisation et cet outil permettent une plus grande fréquence d’approvisionnement des magasins éloignés de l’entrepôt central. De même comme en Europe de l’ouest, l’achat de transport de la grande distribution se fait sur la base d’une évaluation d’une quantité annuelle de marchandises à transporter mesurée en tonnes - kilomètres. De ce fait, les entreprises de la grande distribution n’ont pas à se préoccuper des chargements des véhicules (coefficients de chargement) pas plus qu’elles n’ont à se préoccuper de réduire le trafic des véhicules26. Si elles contractualisent efficacement les prestations de transport dont elles ont besoin, elles n’ont pas à se préoccuper des ressources qui doivent être mises en œuvre par les transporteurs mais à mesurer et à suivre les seuls résultats des transporteurs. Par des enquêtes de satisfaction auprès de leurs magasins, elles peuvent évaluer les résultats de leurs transporteurs (taux de livraison des marchandises le jour prévu et dans les plages horaires…) et analyser les causes des dysfonctionnements constatés pour inciter les transporteurs à plus de performance. Les nouveaux cahiers des charges n’obligent plus les prestataires à un volume de ressources à mobiliser mais à des résultats. En 2002, Paché et Crespo de Carvalho27 uteurs alimentaires français à dominante alimentaire s’inspirant d’un “modèle” britannique véhiculent-ils par leurs pratiques un modèle d’organisation logistique normatif à caractère fortement universaliste ? Ces “auteurs optent pour une position nuancée, ouverte aux influences non négligeable de la culture sur les choix d’entreprise”28. Aujourd’hui, la culture du résultat est très prégnante dans les entreprises ; probablement demain, plus encore. Le modèle britannique d’organisation des flux de la grande distribution généraliste est apparu comme un modèle performant aux distributeurs français mais aussi allemands. Ils ont adhéré à ce modèle pour organiser concrètement la circulation des marchandises entre les producteurs et les consommateurs. Les principes d’une organisation qui optimisent les ressources indispen- Vol. 13 – N°1, 2005 Logistique & Management sables à cette circulation29 ne peuvent qu’inspirer les pratiques de tous les acteurs en compétition30. Même si les distributeurs savent prendre en considération des spécificités locales, des niveaux de développement culturel managérial différents… l’obligation de résultat nous semble pouvoir “triompher” de ces particularismes. Le modèle organisationnel le plus performant sous la double pression des actionnaires et des clients ne peut que triompher d’organisations moins systémiques, moins réactives, plus archaïques. Par ailleurs, un modèle universel peut contribuer à faire évoluer des pratiques locales bien adaptées, historiquement datées. Il permet de programmer et de mener le changement sans rupture culturelle brutale. Conclusion Dans les PECO, le modèle logistique prônant de faire graviter l’ensemble des flux par un entrepôt aux multiples activités nous semble être le modèle d’avenir ; tout au moins pour ces prochaines années et plus particulièrement dans les pays où la grande distribution n’est pas encore massivement implantée (Roumanie, Slovaquie, Bulgarie…). Il facilite la massification des flux en aval de l’entrepôt en leur offrant une réception facilitée et un stockage temporaire moins onéreux qu’un stockage de réserves adossées aux magasins proches (hypermarchés) ou au cœur des capitales (magasins de proximité ou hypermarchés implantés dans les centres commerciaux). Il permet de regrouper en un lieu unique, proche des lieux de consommation, une expertise en douane31. Il permet par allotement une distribution aux points de vente, une distribution préparée en fonction de leurs ventes réelles ou de leurs projets commerciaux. Ailleurs, dans les pays où la grande distribution est déjà bien présente (Pologne, République Tchèque, Hongrie, Slovénie…), tout au moins à proximité des centres urbains, le modèle de l’organisation des flux à partir d’un entrepôt reste valide. Dans ces pays, les entrepôts à vocation généraliste (produits alimentaires et non alimentaires) ont vocation à se multiplier en fonction de la multiplication des références et des volumes à réceptionner, à entreposer et à préparer. Dans certains pays comme peut le pratiquer Carrefour en France, des entrepôts spécialisés par types de produits (textiles, produits frais…) se développeront à l’avenir. Mais aujourd’hui, il nous semble difficile que dans ces pays le meilleur modèle logistique soit “les stocks dans les magasins et chez les fournisseurs32” ou le modèle d’appro- Vol. 13 – N°1, 2005 visionnement en flux directs ; le modèle que les hypermarchés ont jadis cherché à imposer à tous les acteurs de la grande distribution alimentaire. A un autre niveau d’analyse, tout au moins aujourd’hui, l’implantation de la grande distribution alimentaire à l’est de l’ex-Europe des quinze ne semble pas porter en elle-même le germe d’une reconfiguration en profondeur de l’organisation logistique des grands distributeurs. Ils semblent reproduire dans chaque pays, l’organisation logistique qu’ils ont validé dans leur pays d’origine et qu’ils ont reproduit pour l’essentiel dans les pays limitrophes de ces pays. Aussi en Europe, leur organisation logistique semble être une organisation logistique d’un territoire limité, celle d’un scénario national reproductible et reproduit plutôt que celle d’un scénario transnational porteur de changements radicaux. Bibliographie Brudey N., Ducrocq C. (2000), La distribution, Coll. Vuibert Entreprise, Vuibert, 3e édition Colla E. (2002), La grande distribution européenne. Nouvelles stratégies de différenciation et de croissance internationale, Coll. 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(2003), La relation d’échange fournisseurs - grand distributeur : vers une nou- 29 - Entrepôts ou plateformes, outils de transport, points de vente, systèmes de communication d’informations… 30 - Les pratiques de benchmarking connaissent un réel succès dans tous les secteurs d’activité. 31 - Surtout pour les produits non alimentaires achetés hors Union Européenne. Ces produits gravitent aussi par cet outil. 32 - J.-M. Picard, directeur Logistique de Carrefour, l’Usine Nouvelle, n° 2692, juin 1999. 109 Logistique & Management velle conceptualisation, Revue Française de Gestion, Vol 23, n°143, 81-94 McKinnnon A. (2002), Modifier la gestion logistique des entreprises, Séminaire International : Comment agir sur les déterminants de la demande de transport, Bruxelles, décembre, 14 pages Paché G. (1998), Distribution alimentaire et restations de service logistique. Les singula rités du modèle français. Economie Rurale, n° 245-246 Paché G. 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