parfumerie (distillerie de lavande) Schimmel puis Mane Frères

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parfumerie (distillerie de lavande) Schimmel puis Mane Frères
Provence-Alpes-Côte d'Azur, Alpes-de-Haute-Provence
Barrême
parfumerie (distillerie de lavande) Schimmel puis Mane Frères
Références du dossier
Numéro de dossier : IA04000360
Date de l'enquête initiale : 2008
Date(s) de rédaction : 2006
Cadre de l'étude : inventaire topographique
Degré d'étude : étudié
Désignation
Dénomination : parfumerie
Précision sur la dénomination : distillerie de lavande
Appellation : Distillerie Schimmel, puis Mane Frères
Parties constituantes non étudiées : cheminée d'usine, chaufferie, laboratoire, atelier de fabrication
Compléments de localisation
Milieu d'implantation : en village
Références cadastrales : 1980, D, 967
Historique
La distillerie a été fondée par l'entreprise allemande Schimmel & Cie, parfumeur à Miltitz près de Leipzig, qui choisit le
site de Barrême en raison de la qualité et de l'abondance de sa lavande, et à cause de la présence de la nouvelle gare, à
proximité immédiate de laquelle fut établie l'usine. L'usine est également implantée en bordure de la rivière d'Asse, dans
laquelle elle se fournit pendant de nombreuses années en eau. Le chantier de construction était en cours au printemps
1905. Il comprenait un bâtiment de production et, déjà, un laboratoire, qui aboutit dès 1905 aux objectifs recherchés :
la production d'essence de lavande à la teneur en esters supérieure à ce qui ce pratiquait alors, puisque les teneurs des
essences distillées dans la nouvelle usine auraient atteint 50 %. La production cette année-là se fit à partir de la distillation,
en été, de 1500 kg de lavande. Surtout, la nouveauté fut de distiller la lavande fraîche au moyen de vapeur uniquement
et non plus à feu nu comme cela était encore généralisé pour la distillation de la lavande. La réussite de cette méthode
entraîna la nouvelle campagne de travaux de 1912, qui adjoignit aux premières constructions une chaufferie, composée
d'une chaudière et d'une imposante cheminée en briques, destinées à la production de la vapeur d'eau. La Première Guerre
mondiale contraignit Schimmel à abandonner le site, qui fut mis sous séquestre. Arrêtée pendant la guerre, l'usine fut
exploitée sous adjudication par Faure en 1920-1921 puis rachetée par son ancien directeur, Gras, en 1921 sous la raison
sociale Gras & Cie. A la fin des années 1920 Chauvet et Cie repris les affaires de Gras et vendit la distillerie en 1931 à
la société grassoise Mane frères, qui l'exploita jusqu'en 1972. Divers témoignages confirment que si l'activité principale
concernait bien la lavande, l'usine se diversifia dès l'époque de Schimmel pour produire toute l'année, en distillant la sauge,
les citrons ou la menthe. Mane loua également son usine à d'autres parfumeurs pour la distillation de la lavande, facturant
chaque "passe" dans les alambics". Après la Seconde Guerre mondiale, des pompes à vapeur furent utilisées pour puiser
de l'eau dans la nappe phréatique. Actuellement le site est propriété de la commune.
Période(s) principale(s) : 1er quart 20e siècle
Dates : 1905 (daté par source), 1912 (daté par source)
Description
Les bâtiments de 1905, partiellement modifiés, se composent d'un atelier de production, d'un seul niveau et de plan
rectangulaire, accolé à une construction sur deux niveaux, qui abritait vraisemblablement un logement et le laboratoire.
Le fronton de cette partie sur deux niveaux est orné d'une inscription intégrée à un demi-cercle délimité par deux bandes
de briques : DISTILLERIE DE LAVANDE DE BARREME / MANE FRERES. Il existe également un petit bâtiment,
sur deux niveaux lui aussi, et de plan quasi carré, qui n'était pas destiné à la production. Son premier étage, auquel on
accède aujourd'hui par un escalier intérieur, comprend une large terrasse couverte. Son toit s'appuie au sud sur trois piliers
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carrés, en briques, disposés asymétriquement, ce qui permet d'éviter que le pilier du milieu ne s'appuie sur l'arc de la porte
cochère du rez-de-chaussée. Les bâtiments de 1905 sont soignés. Ils sont construits en moellons avec chaînes d'angle
et encadrements des baies en briques apparentes, ce qui est tout à fait inhabituel pour la région. Ces derniers sont tous
en arcs segmentaires extrêmement surbaissés, et leurs clés sont enduites. Un cordon, également en briques, court sur la
façade principale du bâtiment de production. Les décors de la chaufferie sont moins travaillés. De plan rectangulaire,
orientée nord-sud, elle est couverte d'un toit à long pans, surélevé dans l'angle sud-ouest pour abriter le réservoir d'eau. La
chaufferie comporte une large ouverture sur deux niveaux dans le mur pignon sud, par où passaient le combustible de la
chaudière et les ouvriers. A côté de cette porte se trouve une petite fenêtre identique aux quatre fenêtres du mur gouttereau
ouest : ce sont de petites ouvertures rectangulaires dont seule la couverture, en arc segmentaire, est en briques. Dans l'axe
de la chaufferie, au nord, s'élève la cheminée dont le décor en forme de losanges est presque invisible aujourd'hui. Elle
mesure un peu moins de trente mètres de hauteur. Son couronnement, orné d'une frise d'arceaux, a été détruit. Seul le
couronnement de sa base donne encore une idée du soin qui avait été apporté. Il a été cerclé à une époque indéterminée.
Eléments descriptifs
Matériau(x) du gros-oeuvre, mise en oeuvre et revêtement : brique ; moellon
Matériau(x) de couverture : tuile plate mécanique
Étage(s) ou vaisseau(x) : 1 vaisseau, 1 étage carré
Type(s) de couverture : toit à deux pans ; demi-croupe
Escaliers : escalier de distribution extérieur, escalier droit,
Typologies et état de conservation
État de conservation : établissement industriel désaffecté
Statut, intérêt et protection
Intérêt de l'œuvre : à signaler
Statut de la propriété : propriété de la commune ([])
La distillerie Schimmel puis Mane, 1905-1972.
La période Schimmel
La création d’une usine-laboratoire
La distillerie a été fondée par l'entreprise allemande Schimmel & Cie, parfumeur à Miltitz près de Leipzig.
Pour assurer son approvisionnement en essences florales, Schimmel passait depuis la fin du 19e siècle par un courtier
français dont les compétences en chimie garantissaient le niveau de qualité attendu1. Mais pour s’affranchir des importants
risques de falsification de l’essence de lavande, Schimmel décida de produire sa propre essence, et envisagea rapidement
de construire une usine dans l’ancien département des Basses-Alpes où l’explosion de la demande de lavande bouleversait
l’économie locale et où il était obligatoire de s’approvisionner.
En 1904, Schimmel choisit de s’implanter dans la commune de Barrême. Ce choix s’explique par la qualité et l'abondance
de la lavande produite dans cette partie des Basses-Alpes, et par la présence, à Barrême-même, de la nouvelle gare de la
ligne des Chemins de fer du sud de la France, à proximité immédiate de laquelle fut établie l'usine. Le terrain, situé au
bord de l’Asse qui fournit l’eau nécessaire au fonctionnement de la distillerie, fut acheté le 24 août2.
Schimmel est arrivé dans les Basses-Alpes, aujourd’hui les Alpes-de-Haute-Provence, avec la ferme intention de
bouleverser la production d’essence de lavande dont la culture était en pleine expansion sous l’effet de l’explosion
de la demande des parfumeurs grassois. En s’installant à Barrême, Schimmel cherchait à obtenir les essences les plus
concentrées possibles. La concentration en esters était fonction de plusieurs facteurs, deux principalement :
- la qualité de la fleur. Celle récoltée aux alentours de Barrême offrait les meilleurs résultats ;
- le mode de distillation. Schimmel entendait en effet adapter à la lavande le procédé de distillation utilisant une unité de
production de vapeur séparée des alambics proprement dits. Jusqu’alors, cette pratique, largement répandue pour d’autres
essences de plantes depuis le milieu du 19e siècle, n’avait pas été appliquée à la lavande qui donnait déjà des essences
à forte teneur avec les méthodes de distillation traditionnelle à feu nu. Or les chimistes de Schimmel étaient arrivés à la
conviction que la rapidité de la distillation garantissait le plus fort taux possible en esters, ce qui impliquait de ne pas
laisser la fleur au contact de l’eau bouillante ou de la vapeur trop longtemps ; cette rapidité n’était rendue possible que
par un passage vif de la vapeur d’eau à travers la plante, obtenue en quelque sorte en « gaspillant » la vapeur3. L’usine
à construire devait confirmer le bienfondé de cette stratégie commerciale.
L’usine construite au printemps 1905 à Barrême tenait donc tout autant du laboratoire que du site de production. Elle
comprenait, du nord vers le sud :
- un bâtiment en rez-de-chaussée abritant la salle des alambics où fut installée une chaudière Joya (IM04001405), dont
les fumées de combustion était évacuées par une cheminée métallique ;
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- accolé au précédent, un second bâtiment abritant le laboratoire et vraisemblablement des bureaux. Son mur pignon, qui
faisait office de façade, comportait en son fronton l’inscription DISTILLERIE SUCCURSALE / SCHIMMEL & Co /
MILTITZ – LEIPZIG ;
- séparé des deux précédents, mais dans leur prolongement, un troisième bâtiment abritant la maison du directeur, qui
comptait au rez-de-chaussée une remise et une écurie et, à l’étage, un appartement de trois pièces.
Dès 1905, Schimmel publiait des résultats très encourageants4.
L’agrandissement de 1912
Devant le succès rencontré, Schimmel décida de renforcer les capacités de production de son site en doublant le nombre
d’alambics. Pour alimenter en vapeur ces nouvelles installations, il fallut augmenter significativement les capacités
de la chaudière. Une chaufferie fut construite pour abriter une nouvelle chaudière de maque Oschatz (IM04001404)
d’une capacité de 10000 L et d’une surface de chauffe de 53 m². La silhouette de sa cheminée en briques finit d’assoir
l’importance de la nouvelle usine dans le paysage et l’économie locale.
Le bâtiment des alambics fut également transformé pour abriter les nouveaux alambics. Il fut agrandi au nord et cette
extension fut dotée de grands avant-toits. En 1914, l’usine comptait 12 alambics en cuivre, dont 6 de 450 L, 4 de 500 L
et 2 alambics rectificateur en cuivre de 650 L5.
L’usine abritait aussi une bascule et une dynamo à courant continu de 116 V et 26 A pour l’éclairage6.
Les travaux d’agrandissement semblent avoir été réalisés par l’entrepreneur Garren auquel le directeur de l'usine devait
encore 3500 F en 19137.
Après ces travaux, la distillerie pouvait traiter de 25000 à 28000 kg de lavande par jour8.
Le fonctionnement de l’usine
Pour fonctionner, l’usine devait trouver de la main d’œuvre, du combustible et, surtout, de la lavande.
Les archives n’ont pas gardé de trace de la main d’œuvre proprement dite. Mais on connait un peu mieux les cadres de
la distillerie. Dans le contexte d’avant-guerre, la présence d’une usine allemande en Provence n’alla pas sans provoquer
de nombreuses tensions. C’est sans doute pour cette raison que Schimmel n’envoya sur place qu’un chimiste, chargé
de diriger le laboratoire. En 1912, ce chimiste était un dénommé Karl. Si on en croit certaines publications, par ailleurs
sujettes à caution9, la présence de Karl à Barrême dès 1905 parait probable.
La direction de l’usine fut, elle, confiée à un français, Jean Gras, pharmacien à Cannes, né en 1851 ou 1852. D’après ses
déclarations, le fonctionnement de l’usine de Barrême, essentiellement estival, réclamait sa présence sur place de 30 à
40 jours par an. Il est tout à fait possible que Gras ait été l’agent chargé des achats d’essence de lavande pour Schimmel
depuis les dernières années du 19e siècle.
On sait également qu’à la veille de la guerre, Léopold Martin était comptable et contremaitre de l’usine10.
Approvisionnement en lavande
Pour fonctionner, l’usine de Barrême devait elle-même être au cœur d’un important réseau d’approvisionnement en
lavande. Schimmel a donc entrepris d’acquérir des terrains cultivables. Mais avant la Première Guerre mondiale, la
cueillette sur les baïassières était encore largement dominante, ce qui impliquait de passer des adjudications pour exploiter
ces terrains ou de les louer à leurs propriétaires quand ceux-ci étaient privés.
Au nom de Schimmel, Jean Gras obtenait l’adjudication de terrains communaux, soit directement, soit en passant par des
intermédiaires. La position de ces intermédiaires pouvait être tout à fait officielle, et Gras était alors leur caution, mais
nombre d’entre eux étaient en fait de simples prête-noms. Ces adjudications, duraient généralement cinq années.
Les archives ont gardé la trace de Goujon, adjudicataire des communaux d’Annot, de Martin puis de Simon pour ceux de
La Garde, Castellane et Saint-Julien, de Joseph Collomp11 à Talloire et Soleilhas12, de Barros à Clamensane et SaintGeniez et de Barret pour les communes de La Palud et Rougon13. Les archives ont également gardé la trace d’un nommé
Isnard, acheteur de lavande à Saint-Lyons et à Norante.
Le rôle de ces hommes ne se limitait du reste pas à l’approvisionnement en lavande, puisqu’ils pouvaient également être
responsables des petites unités de distillation qui se trouvaient dans leurs communes respectives, comme Gibert à Vergons.
Par ailleurs, Schimmel faisait acheter par l’intermédiaire de Gras d’autres types d’essences. En 1914, ce dernier acquiert
ainsi d’un nommé Ferrand 25 kg de concrète de Jasmin.
Production
En plus de devoir assurer la bonne marche de l’usine, et donc de superviser les approvisionnements en lavande, Gras
devint en quelques sortes le représentant pour la France des activités de Schimmel dans le domaine de la lavande14. À
ce titre, il multiplia les sites de distillation de petite taille faisant de la distillerie de Barrême une sorte de tête de réseau.
Il loua ainsi à Sault, dès 190515, un bâtiment pour y aménager une usine de distillation et confia son exploitation à un
dénommé Emile Gaultier, qu’il utilisa également comme intermédiaire pour l’achat d’essence de lavande16. Il loua aussi
un local pour le même usage à Apt le 1er novembre 190817. Il gérait également des distilleries à Clamensane et à SaintGeniez, deux localités situées quelques kilomètres au nord-est de Sisteron.
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Plus près de Barrême, il avait utilisait aussi des distilleries à Castellane, à la Palud, à Soleilhas et à Vergons, soit par
l’entremise de représentants officiels, soit par celle de prête-noms. Ces unités pouvaient être soit des alambics fixes qui
étaient loués, soit des alambics itinérants18.
Mais ces sites étaient de toute façon beaucoup moins importants que ceux de Sault et de Barrême. Ainsi, en 1914, Schimmel
faisait exploiter un seul alambic à Saint-Geniez et à Rougon, et deux à Clamensane19.
En 1910, les quantités de lavande distillées par les différents sites de Schimmel en Provence étaient de20 :
Barrême
Sault
Castellane
Vergons
ThorameHaute
Lambruisse
Soleilhas
Total
270000 kg
85000 kg
55000 kg
6000 kg
16000 kg
18000 kg
9000 kg
459000 kg
Nouveau Tableau
En 1911, Schimmel a distillé 294500 kg de lavande à Barrême et 86258 kg à Sault21
En 1912, les quantités de lavande distillées par les différents sites de Schimmel en Provence étaient de22:
Barrême
Sault
Castellane La Palud
autres localités
total
510000 kg
180000 kg
190000 kg
45000 kg
925000 kg
Nouveau Tableau
En 1913, les quantités d’essence de lavande ordinaire produites par les divers sites de la maison Schimmel dans le
département étaient de23 :
Barrême
Sault
Castellane
La Palud
Saint-Geniez
Clamensane
Vergons
Soleilhas
total
1304,1 kg
372,8 kg
240 kg
174,1 kg
29,2 kg
2120,9 kg
Nouveau Tableau
L’usine de Barrême, qui fonctionnait nuit et jour pendant la campagne annuelle de distillation, captait une part importante
de la lavande distillée dans le département et assurait donc une bonne partie de l’essence de lavande produite. Cette part
peut être estimée, bon an mal an, à environ 15-20%24 .
L’usine de Sault était l’autre établissement important de la maison Schimmel. Elle était, comme celle de Barrême,
composée d’un bâtiment principal (abritant quatre alambics fabriqués par Marius Dijon, fabricant à Sault25) et d’une
annexe où se trouvaient une chaudière et une pompe à vapeur26.
Distillation d’autres essences
Schimmel distillait également du cyprès27.
Difficultés de la position de Schimmel en Provence
L’arrivée d’une société allemande dans le secteur de la lavande dans les années qui précèdent la Première Guerre mondiale,
ainsi sans doute que sa politique industrielle agressive, n’a évidemment pas manqué de conduire à de nombreuses tensions.
C’est sans doute pour cette raison que plusieurs des hommes travaillant pour Gras, et donc pour Schimmel, se montraient
d’une grande discrétion sur leur employeurs officieux et sur l’origine de leurs capitaux. La concurrence avec les parfumeurs
de Grasse était vive, et les polémiques qui les opposaient l’étaient tour autant28. Elles se situaient sur le terrain de la
qualité des essences de lavande produites, mais aussi sur celui l’impérialisme industriel de la société allemande qui était
accusée de faire monter les prix des adjudications pour faire main basse sur les ressources et le travail des acteurs français
dans le domaine.
L’ambiguïté de la situation des français travaillant pour Schimmel en France fut entretenue par Gras qui semble s’être
mis de plus en plus en avant, non seulement pour conduire les affaires de Schimmel plus facilement dans ce contexte de
fort anti-germanisme, mais également pour engager des affaires pour son propre compte. Gras a savamment joué de cette
situation pour son plus grand profit.
La Première Guerre mondiale contraignit Schimmel à abandonner le site.
La mise sous séquestre : 1914-1921.
Les biens de Schimmel furent mis sous séquestre le 17 octobre 191429.
Pendant cette période, quatre administrateurs du séquestre se succédèrent : Chamas en 1914-1915, Justin Boyer30 en
1915-1916 et A. Vernet de 1916 à 1922.
L’usine resta fermée pendant la guerre. De toute façon, faute de main d’œuvre, la cueillette de la lavande n’a pas été
assurée dans les premières années de la guerre, les mains disponibles étant réservées prioritairement aux autres travaux
agricoles31. Pendant la guerre, l’administration s’est attachée à récupérer les biens qu’elle pensait avoir été détournés par
les anciens hommes de Schimmel. La situation fut particulièrement longue à éclaircir avec Jean Gras, qui possédait luimême du matériel de distillation et traitait avant la guerre de nombreuses affaires d’achat et de vente en son nom propre
sans que les comptabilités séparées de ses activités et de celles qu’il gérait pour Schimmel permettent de bien en établir
des listes distinctes.
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Ce contentieux avec l’administration ne fut tranché que par l’ordonnance du 18 mars 192132. Il fallut aussi épurer les
nombreux comptes bancaires que Schimmel avaient dans différentes établissement de crédit en France, dont notamment
la somme de 122360,56 F. La saisie a en outre évidemment concerné les sites de distillation de Sault, Clamensane (le 27
novembre) et Saint-Giniez (le 21 novembre)33.
A plusieurs reprises, la question de la réouverture de l’usine de Barrême se posa, mais il fallut attendre le 1er juillet
1918 pour que soit tentée une location du site par adjudication. Cette première tentative échoua, essentiellement car la
production d’essence de lavande avait repris ses droits dans le canton de Barrême, et il paraissait difficile à un nouveau
venu de recréer les réseaux d’approvisionnement en lavande et en charbon. Comme le note l’administration, « l'attitude
prise par les gens du pays à cette adjudication a démontré [...] que la réouverture de cette usine constituerait uniquement
une concurrence que l'on s'efforce d'éviter ».
Des distillateurs locaux se sont présentés lors de la mise en adjudication pour faire monter les enchères dans le but d'évincer
des potentiels concurrents. Le fait que la situation de certains objets placés sous séquestre n’était pas encore clarifiée
compliquait également la reprise. Des plaignants en revendiquaient encore la propriété (outre Gras, Barras, cafetier à
Moriez, réclamait un alambic).
Il fallut attendre mai 1919 pour que la distillerie fût finalement adjugée pour une location de trois ans contre un loyer
de 9200 F34 à Georges Faure, qui créa la Distillerie de la lavande alpine. Faure repris la distillerie malgré l’opposition
des distillateurs locaux, en abandonnant la distillation du cyprès qu’il était trop cher de faire venir de loin. Il rencontra
notamment des problèmes d’approvisionnement en charbon.
La période Gras et Cie
Le 18 avril 1921 fut prise une ordonnance de liquidation qui permit la vente par adjudication de la distillerie le 31 mai 1921.
L’adjudication fut remportée par une société nouvellement crée (le 27 mai 1921) dont la raison sociale, Gras, Lambert et
Compagnie, soulignait l’importance de l’ancien directeur du site dans cet accord le liant à trois associés, Lambert, Paul
et Mohler (ou Muller). Gras redevint directeur de l’usine.
L’adjudication à l’ancien homme de Schimmel n’alla pas sans poser problème. Un concurrent direct, le parfumeur Selin,
qui avait été associé de Jean Gras en 1919-1920, la contesta et la presse s’en fit l’écho, accusant Gras d’être à nouveau un
homme de paille de Schimmel. Le produit de la vente, y compris le matériel et les marchandises, s’éleva à 133102,25 F.
La séquestration Schimmel fut clôturée par jugement de quitus le 3 janvier 192235.
Dans les années 1920, la distillerie fut donc exploitée par la société Jean Gras et Cie.
Jean Gras meurt le 3 août 1922. François Chauvet, pharmacien à Oraison, devient le gérant de l’affaire en reprenant les parts
de l’ancien associé de Gras, Mohler. Emile Gaultier du Cannet, devient nouvel associé. En 1923, Paul Prève, négociant
à Digne et Louis Bœuf, industriel à Barles, deviennent nouveaux associés. Chauvet reprend alors les parts des héritiers
de Jean Gras. Le 11 mai 1930, la société en commandite simple Jean Gras et Cie, F. Chauvet et Cie et successeurs est
dissoute. Gaultier est nommé liquidateur, Chauvet ayant abandonné ses fonctions de Gérant. En 1930, Gras et compagnie
et F. Chauset et Compagnie successeur prit, le 11 mai, la décision de vendre la distillerie. Le 23 novembre 1930, Gaultier
est autorisé à vendre36.
En 1929, la distillerie employa 7 hommes pendant la saison de distillation. Elle produisit entre 1500 et 2000 kg
d’essence37. Les années 1920 virent se multiplier les distilleries de lavande exploitées par les parfumeurs grassois à
Barrême. L’ancienne distillerie Schimmel resta pourtant la plus importante.
La période Mane
Le 22 juillet 1931, la société Jean Gras et compagnie et F. Chauset et Compagnie successeur, vendit la distillerie à Eugène
Maurice Mane et Gabriel Pierre Mane, pour moitié chacun et indivisément, pour 105000F38.
A partir de 1933, Cavallier et Reynaud, parfumeurs qui exploitaient une distillerie de concrètes de lavande Barrême,
louèrent l’ancienne usine Schimmel devenue Mane. Cette location, qui durait toute la campagne de distillation, avait pour
objet le droit à plusieurs « passées » quotidiennes dans les alambics, alors même que Mane y assurait lui aussi sa propre
distillation.
En 1936, cette location se faisait moyennant un droit fixe de 25 francs par kg d’essence produite, ce qui, vu les volumes
en jeu, correspondait à d’importantes sommes. Pour les cinq années pour lesquelles le fonds Cavallier39 conserve des
données, les chiffres varient entre 150000 et 200000 kg de lavande, soit environ un millier de kg d’essence. La production
de Cavallier à Barrême se faisait donc surtout dans l’usine Mane. Ils y traitaient cinq à six fois plus de lavande que dans
leur propre usine, et cette dernière était essentiellement consacrée à la distillation du lavandin.
Les années trente marque le véritable envol de la production d’essence de lavandin, qui supplanta progressivement la
lavande et finit par mettre un terme à l’activité à Barrême puisque les usines y distillaient surtout la lavande fine qui y
poussait.
La plupart des usines de Barrême fermèrent après la Seconde Guerre mondiale. L’usine Mane, qui distillait aussi la menthe,
fut la dernière en activité. Elle ferma en 1972.
1. Bulletin Schimmel, avril 1902.
2. Arch. Dép. des Alpes de Haute-Provence, 3U 1246, Formulaire A de mise sous séquestre de Schimmel, cours d’appel
d’Aix.
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3. Bulletin Schimmel, avril1907, p. 71.
4. Bulletin Schimmel, octobre1905.
5. Arch. Dép. des Alpes de Haute-Provence, 3U 1246, Formulaire A de mise sous séquestre de Schimmel, cours d’appel
d’Aix.
6. Arch. Dép. des Alpes de Haute-Provence, 3U 1246, Formulaire A de mise sous séquestre de Schimmel, cours d’appel
d’Aix et notice sur l’usine de Barrême de l’administrateur Vernet, 1920.
7. Arch. Dép. des Alpes-de-Haute-Provence, 3U1246. Séquestration Schimmel, déclaration de Gras du 29 avril 1916 à
l’administrateur du séquestre Vernet.
8. Bulletin Schimmel, octobre 1912, p. 78.
9. PROVENCE, Marcel, Les allemands en Provence: histoire del'invasion économique et de l'espionnage allemand dans
le Midi de la France (1911-1918), Aix-en-Provence : le "Feu", 1919, 175 p.
10. Arch. Dép. des Alpes-de-Haute-Provence, 3U1246. Séquestration Schimmel, lettre du juge de paix de Sault, Bonnet,
au procureur de la république de Carpentras, du 26 octobre 1914 et déclaration de Gras du 29 avril 1916 à l’administrateur
du séquestre Vernet.
11. Collomp était également représentant de Gras pour les adjudications de distillerie à Castellane.
12. Arch. Dép. des Alpes-de-Haute-Provence, 3U1246, dossier du séquestre de l’usine Schimmel, rapport de Vernet,
administrateur du séquestre au président du tribunal de Digne, 8 janvier 1920.
13. Arch. Dép. des Alpes-de-Haute-Provence, 3U1246. Séquestration Schimmel, déclaration de Gras du 29 avril 1916 à
l’administrateur du séquestre Vernet.
14. Mais Victor Benedetti adéclaré avoir été le représentant de Schimmel à Marseille pendant en1912-1914. Arch. Dép.
des Alpes-de-Haute-Provence,3U1246. Séquestration Schimmel, procès-verbal du 19 décembre 1914.
15. Bulletin Schimmel, octobre 1905.
16. Arch. Dép. des Alpes-de-Haute-Provence, 3U1246. Séquestration Schimmel, déclaration de Gras du 29 avril 1916.
17. Arch. Dép. des Alpes-de-Haute-Provence, 3U1246. Séquestration Schimmel, lettre du procureur de la république
au président du tribunal de première instance de Digne. Gras louait ce bâtiment situé au lieu-dit Fontaine Bayard à un
banquier d’Apt nommé Eymard.
18. Bulletin Schimmel, octobre 1910, p. 76.
19. Arch. Dép. des Alpes-de-Haute-Provence, 3U1246. Séquestration Schimmel, déclaration de Gras du 29 avril 1916 à
l’administrateur du séquestre Vernet.
20. Bulletin Schimmel, octobre 1910, p. 77. Schimmel indique qu’en tenant compte des quantités restant à distiller, le
total devait se monter cette année-là à 480000 kg.
21. Bulletin Schimmel, octobre1911, p. 66.
22. Bulletin Schimmel, octobre 1912. Même s’ils correspondent à une année d’excellente récolte (cf. Bulletin Schimmel,
octobre 1913, p. 71), ces chiffres sont énormes. En 1920, le département des Basses-Alpes produisait moins de deux
millions de kg de lavande (Réparaz, Lavande et lavandin, 1965, p. 85).
23. Arch. Dép. des Alpes de Haute-Provence, 3U 1246, Formulaire A de mise sous séquestre de Schimmel, cours d’appel
d’Aix Ces chiffres correspondent à une année de mauvaise récolte due à la sécheresse. Cf. Bulletin Schimmel, octobre
1913, p. 71.
24. En 1909, année de mauvaise récolte, le département avait produit 12000 kg d’essence de lavande (Bulletin Schimmel,
avril 1909, p. 63 et avril 1910).
25. Arch. Dép. des Alpes-de-Haute-Provence, 3U1246. Séquestration Schimmel, déclaration de Gras du 29 avril 1916 à
l’administrateur du séquestre Vernet.
26. Arch. Dép. des Alpes-de-Haute-Provence, 3U1246. Séquestration Schimmel, lettre du juge de paix de Sault, Bonnet,
au procureur de la république de Carpentras, du 26 octobre 1914.
27. Arch. Dép. des Alpes de Haute-Provence, 3U1246, Formulaire A de mise sous séquestre de Schimmel, cours d’appel
d’Aix.
28. Bulletins Schimmel.
29. Arch. Dép. des Alpes de Haute-Provence, 3U1246, Formulaire A de mise sous séquestre de Schimmel, cours d’appel
d’Aix.
30. Arch. Dép. des Alpes de Haute-Provence, 3U1246, complément d’inventaire, 22 juin 1915.
31. Arch. Dép. des Alpes de Haute-Provence, 3U1246, dossier du séquestre de l’usine Schimmel, rapport de Vernet,
administrateur du séquestre au président du tribunal de Digne, 8 janvier 1920.
32. Arch. Dép. des Alpes de Haute-Provence, 3U1246, Conclusion du Ministère public sur intervention Gras (séquestration
Schimmel).
33. Arch. Dép. des Alpes de Haute-Provence, 3U1246, Chamas, état de situation du 4 janvier 1915.
34. Arch. Dép. des Alpes de Haute-Provence, 3U1246, Formulaire A de mise sous séquestre de Schimmel, cours d’appel
d’Aix et notice sur l’usine de Barrême de l’administrateur Vernet, 1920.
35. Arch. Dép. des Alpes de Haute-Provence, 3U1246, liquidation du séquestre. En prenant en compte le produit de
l’adjudication, des ventes aux enchères du matériel des sites de Sault et d’Apt ainsi que les autres valeurs de Schimmel
saisies en 1914, le montant des recettes de la séquestration s’est monté 289049,03F. Le bénéfice final pour l’État français
s’est lui établi à 222439,40 F, une fois ajoutés les intérêts générés et retranchés les honoraires de l’administrateur séquestre.
36. Arch. Dép. des Alpes de Haute-Provence, 4Q2039, transcription de l'acte de vente du 22 juillet 1931.
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parfumerie (distillerie de lavande) Schimmel puis Mane Frères
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37. Arch. Dép. des Alpes de Haute-Provence, 7M16, ministère de l’intérieur, direction de la sûreté générale, rapport de
visite de la distillerie Chauvet et Cie, 22 août 1929.
38. Arch. Dép. des Alpes de Haute-Provence, 4Q2039, transcription de l'acte de vente du 22 juillet 1931.
39. Archives communales de Grasse, Fonds Cavallier, non coté, cahier de description des campagnes de lavande à
Barrême.
Références documentaires
Documents d'archive
•
Transcription de l'acte de vente de la distillerie [Schimmel de Barrême] aux frères Mane. Transcription
du 11 août 1931 d'un acte du 22 juillet 1931. Archives départementales des Alpes-de-Haute-Provence, Digneles-Bains : 4 Q 2039.
Vente de la distillerie.
•
Dossier de la séquestration Schimmel. Archives départementales des Alpes-de-Haute-Provence, Digne-lesBains : 3 U 1246.
•
Ministère de l'Intérieur, Direction de la sureté générale, rapport d'inspection des distilleries Isidore
Silvy, Chiris, Selin, Chauvet et cie de Barrême et de la distillerie Lautiers fils de Saint-André, 22 août
1929. Archives départementales des Alpes-de-Haute-Provence, Digne-les-Bains : 7 M 16.
La distillerie employait 7 ouvriers en 1929 pour une distillation d'environ 1500 à 2000 kg d'essence.
•
Cahiers de description des campagnes Cavallier et Reynaud de distillation de lavande à Barrême. Trois
cahiers portant sur les années 1933-1938. Archives communales, Grasse, non coté.
À partir de 1933, Cavallier et Reynaud louèrent l'usine Mane pendant la campagne de distillation, pour
plusieurs « passes » quotidiennes dans les alambics, alors même que Mane y assurait lui aussi sa propre
production. En 1936, cette location se faisait moyennant un droit fixe de 25 francs par kg d’essence produite.
Pour les cinq années concernées par les cahiers, les quantités distillées par Cavallier et Reynaud varient entre
150000 et 200000 kg de lavande, soit environ un millier de kg d’essence.
Documents figurés
•
Distillerie d'essence de Lavande de Schimmel et Cie à Barrême (Basses-Alpes). (Vue postérieure).
/ Photographies. Dans : Bulletin semestriel Schimmel, octobre 1905, p. 41. Bibliothèque de la faculté de
pharmacie, Paris : P40465.
•
[La distillerie de lavande Schimmel].
[La distillerie de lavande Schimmel]. / Photographie, vers 1910. Archives départementales des Alpes-deHaute-Provence, Digne-les-Bains : 119 FI 1418.
•
[Vue de la distillerie entre 1905 et 1912, avec la chaudière Joya installée dans le bâtiment des alambics] /
Photographie. Collection particulière.
•
Distillerie ambulante de lavande Schimmel et Cie à Castellane. / Photographie. Dans : Bulletin Schimmel,
octobre 1912. Bibliothèque de la faculté de pharmacie, Paris : P 40465.
•
Distillerie Schimmel et Cie à Barrême (B-A) après l'agrandissement de 1912. / Photographie. Dans :
Bulletin semestriel Schimmel, octobre 1912, p. 75. Bibliothèque de la faculté de pharmacie, Paris : P40465.
•
BARRÊME - Basses-Alpes (Distillerie de Lavande). / Carte postale.
Au fronton de l'usine est inscrit : DISTILLERIE DE LAVANDE / DE BARRÊME / GRAS et CIE - CANNES
•
Usine Schimmel désormais à MM. Gattefossé et Fils. / Photographie. Dans : La parfumerie moderne, juillet
1917, p. 168.
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Bibliographie
•
Lavande et... espionnage. Dans : La Parfumerie moderne, 1915.
p. 119-121
•
La Lavande française. Dans : La Parfumerie moderne, juillet 1917.
p. 108 : Le site est adjugé en 1917 à la société de MM. Gattefossé et Fils, de Lyon.
•
Essence de lavande. / Dans : Bulletin Schimmel. Bibliothèque de la faculté de pharmacie, Paris : P 40465.
p. 53-57 (avril-mai 1905), p. 42-45 (octobre 1905), p. 70-77 (avril 1907), p. 60-62 (octobre 1907), p. 77-79
(avril 1908), p. 80-87 (novembre 1908), p. 62-64 (avril 1909), p. 86-90 (avril 1912), p. 76-83 (octobre 1912),
p. 45-47 (avril 1902), p. 45-46 (octobre 1906), p. 74-75 (octobre 1909), p. 76-78 (octobre 1910), avril 1910, p.
79-80 (avril 1911), p. 65-68 (octobre 1911), p. 71-72 (octobre 1913), avril 1913
Liens web
• Témoignages oraux d'anciens ouvriers des distilleries de Barrême. : http://multimedia.mmsh.univ-aix.fr/
phonotheque-4175 et 4163
Auteur(s) du dossier : Géraud Buffa
Copyright(s) : (c) Région Provence-Alpes-Côte d'Azur - Inventaire général
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