CIFRE, pour quel avenir professionnel

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CIFRE, pour quel avenir professionnel
CIFRE, pour quel avenir professionnel ?
25 ans des conventions CIFRE, 7 décembre 2006, Paris, Collège de France
Table ronde 1 : CIFRE : quelle stratégie pour le secteur privé ?
Bruno ROUGIER, France Info
Ouvrons notre première table ronde : « CIFRE, quelle
stratégie pour le secteur privé ? » Nous allons y débattre
du regard que les entreprises privées portent sur les
CIFRE. Les bénéficiaires de CIFRE sont de jeunes
étudiants qui reçoivent une formation par la recherche,
mais pas systématiquement pour la recherche. En effet,
ces jeunes suivent une formation où ils acquièrent une
façon de s’organiser et de réfléchir leur permettant de
trouver une place dans l’entreprise bien au-delà des
divisions « recherche ».
A cette table ronde, nous accueillons Dominique
MALPART, DRH chez THALES, Jean-Pierre LE GOFF, PDG
de SIREHNA, SRC de R&D dans les secteurs maritimes de
transport
et
énergie,
Jean-Pierre
GOEDGEBUER,
Directeur de la Recherche chez PSA, Emmanuel CANET,
Directeur de la Recherche chez SERVIER, laboratoire
pharmaceutique français spécialisé en cardiologie, en
maladies
métaboliques,
en
cancérologie
et
en
neuroscience, Isabelle GOMMARD, DRH au Laboratoire
National d’Essais et Gérard GOMA, Délégué régional à la
Recherche et Technologie en Midi-Pyrénées, chercheur en
microbiologie.
Nous allons demander à chacun de nous dire si sa société
intègre des CIFRE et, si oui, depuis combien de temps ?
Nous leur demandons également de nous dire si leur
entreprise compte en embaucher prochainement ?
Isabelle GOMMARD
Depuis 1998, date à laquelle l’ANRT a pris contact avec nous, nous avons accueilli vingt-cinq
CIFRE dont certains sont encore en cours au LNE. Nous les accueillons dans différents
domaines d’activité du LNE, que l’on appelle encore le Laboratoire National d’Essai, mais qui
s’appelle maintenant Laboratoire National de Métrologie. Beaucoup de ces doctorants exercent
dans la métrologie, aussi bien chimique qu’acoustique, ou encore dans les nanométrologies.
Dominique MALPART
Ces cinq dernières années, THALES a accueilli environ 140 CIFRE.
Jean-Pierre LE GOFF
SIREHNA a vingt ans, elle est donc un peu plus jeune que les CIFRE. Nous avons accueilli en
1986 notre première convention CIFRE, et six CIFRE depuis, ainsi que des thèses européennes.
Il est important de mentionner qu’il existe aussi des actions européennes à côté des CIFRE. Ce
sont à chaque fois des succès.
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25 ans des conventions CIFRE, 7 décembre 2006, Paris, Collège de France
Emmanuel CANET
Nous avons des CIFRE au sein du groupe de recherche Servier depuis une dizaine d’années.
Nous avons à peu près dix à quinze doctorants en permanence dans le groupe et dans les
différents secteurs, que ce soit dans le domaine de la recherche de découverte, de la
biopharmacie, de la toxicologie, et dans la production.
Qu’est-ce qui vous a incité à embaucher des CIFRE ?
Jean-Pierre LE GOFF
Comme l’a dit Monsieur LEHMANN, nous avons des ingénieurs de très haut niveau, très bien
formés. On profite des conventions CIFRE pour les former par la recherche à la RDT et R&D
appliquée. Ce sont des gens à qui l’on donne 3 ans au démarrage de leur carrière pour
maîtriser les outils, soit des outils de simulation numérique, soit des outils de mesures ou des
outils expérimentaux. Ensuite, ils sont capables à la fois de répondre à des besoins industriels
et de comprendre les laboratoires. Il est très important de faire le lien entre laboratoire
institutionnel et laboratoire industriel.
Dominique MALPART
Pour THALES, le défrichage de thèmes nouveaux, qui est le moteur de l’innovation, est rendu
possible par la capitalisation de l’expérience de nos experts. Mais l’ouverture vers de nouvelles
idées et de nouveaux concepts est également rendue possible par l’accueil de chercheurs et
par les relations avec les laboratoires extérieurs, d’où les CIFRE.
Emmanuel CANET
Les CIFRE ne représentent pas le seul moyen pour nous d’apporter notre soutien à la
formation des étudiants doctorants. Mais c’est une voie très intéressante que nous soutenons
activement. Je crois que c’est l’un des seuls moyens permettant à l’étudiant d’avoir une partie
de sa formation au sein d’une équipe académique, et l’autre au sein d’une équipe de recherche
industrielle. C’est également l’opportunité de renforcer les liens entre équipe académique et
équipe industrielle dans le cadre d’un travail de collaboration. Nous considérons en effet que la
qualité d’un partenariat est souvent liée à la qualité du vecteur humain qui le porte. Les CIFRE
peuvent être, de ce point de vue, un élément critique à la qualité des échanges entre des
équipes de recherche publique et des équipes de recherche industrielle.
Monsieur FOLZ disait auparavant dans son discours que cela permettait au groupe
PSA d’être en contact avec soixante-dix laboratoires de recherche en France. Ces
contacts entre l’industrie et les laboratoires vous paraissent-ils féconds ?
Jean-Pierre GOEDGEBUER
La réponse est évidemment oui. Je pense qu’il existe plusieurs enjeux. L’un des plus
importants pour une entreprise comme PSA est de pouvoir s’appuyer sur des collaborations
avec les universitaires ou les laboratoires du CNRS, via les doctorants CIFRE notamment, et ce
afin de répondre à des besoins de l’entreprise. C’est être en mesure d’identifier, au sein de
l’entreprise, des sujets de thèse ou de collaboration avec les laboratoires qui soient
susceptibles d’être appliqués, et dans lesquels nous n’avons pas nécessairement les
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compétences dans nos équipes. Il existe toujours des évolutions technologiques et
scientifiques sur lesquelles il faut prêter le maximum d’attention. Dans ce contexte, travailler
avec des laboratoires et des doctorants CIFRE représente un plus.
La deuxième composante, dans un groupe comme le nôtre, est de pouvoir « tester » un jeune
doctorant au niveau du recrutement, qu’il soit de formation ingénieur ou un doctorant au sens
universitaire du terme. Il s’agit de « tester » ce doctorant au niveau de ses compétences de
futur cadre, en vue de l’intégrer dans l’entreprise.
Quand vous faites venir un CIFRE chez vous, comment considérez-vous l’arrivée de
ce CIFRE : comme une opportunité de travailler avec un chercheur pendant trois ans
sur un thème précis, ou envisagez-vous déjà la possibilité d’un recrutement ?
Emmanuel CANET
Je voudrais d’abord rebondir sur ce que disait Monsieur LEHMANN quant au pourquoi des
CIFRE par rapport à d’autres possibilités de soutenir des étudiants en thèse. La spécificité des
CIFRE est d’être une contribution citoyenne des entreprises à la formation de nos chercheurs.
Je crois que la formation de nos chercheurs n’est pas tout à fait adaptée aux enjeux, 40 % des
doctorants rejoindront le secteur de la recherche industrielle, or, le plus souvent, dans leur
formation, ces doctorants sont coupés du secteur économique.
Dans le domaine biomédical dont je m’occupe, nous recrutons souvent à des niveaux plus
élevés que celui des doctorants. Pour nos chercheurs cadres, une thèse est un pré requis, mais
un ou deux stages post-doctoraux sont le plus souvent demandés. La possibilité d’ouvrir le
concept CIFRE à des positions situation post-doctorales m’apparaît éminemment importante
pour des industries qui travaillent sur des activités de recherche dont la constante de temps
est le moyen - long terme.
Gérard GOMA
Au sujet des post-doctorats, il existe peut-être déjà un concept, ce seraient les CIPRE ou
conventions CIFRE appliquées à des post-doctorats. Je suis également assez sensible à l’aspect
de « test» des ingénieurs. Par rapport à votre question, l’absence des recrutements provient
parfois de la volonté des docteurs.
N’avez-vous pas parfois des problèmes sur la propriété intellectuelle avec les CIFRE
dans les relations avec les écoles doctorales ?
Emmanuel CANET
C’est un problème, en effet, en particulier lorsque nous avons des étudiants CIFRE dans le
domaine de la chimie, et que ces étudiants travaillent sur des programmes de recherche
majeurs pour l’entreprise. Tout le problème réside dans les publications nécessaires à la
soutenance de thèse. Il est évident que, pour notre industrie, plus tard nous prenons le brevet,
mieux cela est. Cette problématique est parfois difficile à faire comprendre aux équipes
universitaires.
Il faut donc, d’une part, aborder ces questions très tôt avant de s’engager avec une convention
CIFRE et, d’autre part, adapter les ambitions du programme à cette réalité de confidentialité.
La prise de brevet ne doit pas être une obligation au moment où nous allons devoir soutenir la
thèse, puisque cela va complètement à l’encontre de la valorisation ultérieure du travail.
La plupart de nos étudiants doctorants, que je vois systématiquement à la fin de leur thèse,
émettent un avis très positif sur cet échange entre le monde académique et le monde
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industriel. Ils souhaitent le plus souvent rejoindre le monde de la recherche industrielle au
terme de cette expérience.
Monsieur GOEDGEBUER, vous êtes également dans un secteur industriel largement
concurrentiel.
Jean-Pierre GOEDGEBUER
Effectivement, on se pose également ces questions de propriété industrielle, mais aussi des
questions sur la liberté d’exploitation. Il existe en effet des questions de droit en matière de
liberté d’exploitation qui demeurent peut-être plus importantes que la propriété purement
intellectuelle des résultats. Nous avons une vision des CIFRE issue d’une longue expérience,
puisque cela fait une vingtaine d’années que l’on connaît et maîtrise le processus. Qui dit
thésard CIFRE dit laboratoire universitaire, même si le thésard peut passer la plus grande
partie de son temps au sein de l’entreprise.
Au final, nous réglons cette question par la possibilité d’avoir des accords-cadres, en particulier
avec le CNRS. Nous renégocions actuellement avec le CNRS un accord-cadre qui définit
notamment les droits de propriété intellectuelle et les droits d’exploitation commerciale.
Jusqu'à présent, nous n’avons pas rencontré de problèmes majeurs. Avec les laboratoires
d’accueil, nous arrivons à bien faire le tri entre la nécessité pour un doctorant de faire des
publications scientifiques pour la thèse (puisque c’est un critère d’obtention), et les problèmes
des retombées ou d’applications industrielles qui sont de notre ressort.
Isabelle GOMMARD
Nous sommes également confrontés à la question de la construction du contrat de
collaboration avec l’université. À ce niveau, nous évoquons la propriété industrielle. Ces
négociations doivent avoir lieu dès le départ pour être clairs, et ce n’est pas toujours très aisé.
Je voudrais savoir comment se passe une convention CIFRE dans une entreprise un
peu plus petite. Rencontrez-vous des difficultés particulières pour accueillir des
CIFRE dans une plus petite structure comme la vôtre, Monsieur LE GOFF ?
Jean-Pierre LE GOFF
Aucune. Comme l’ont rappelé Monsieur FOLZ et Monsieur le Ministre, les dossiers sont faciles à
monter et les temps de réponse sont extrêmement courts. Actuellement, nous démarrons deux
conventions CIFRE dans le cadre de partenariats avec, pour l’un, le CNES et, l’autre, la DCN.
Notre métier de base étant d’être en rapport avec les différents laboratoires français ou
européens de notre domaine, ce n’est pas cette mise en relation que nous apportent les CIFRE.
C’est surtout une formation plus poussée de nos ingénieurs.
A Sirehna, nous sommes une trentaine de personnes, essentiellement des ingénieurs. Nous ne
rencontrons aucun problème d’intégration des CIFRE. À noter que quasiment tous les CIFRE
sont restés dans l’entreprise. Nous les avons formés dès le début à des activités
multidisciplinaires. Un des gros problèmes des docteurs français, pour l’embauche dans
l’industrie, est qu’ils sont fortement monodisciplinaires. Par notre métier de R&D contractuel,
nous avons besoin de gens multidisciplinaires. Les CIFRE sont ainsi naturellement mélangés
avec des ingénieurs de terrain, et répondent à des problèmes industriels.
Autre connotation importante, nous possédons des ingénieurs qui ne passeront pas
obligatoirement de thèse. En effet, dans une petite entreprise, il faut disposer de contrats et
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de thèmes de travaux suffisamment à long terme (au moins trois ans) pour soutenir un travail
de thèse. Pour des questions de confidentialité dans notre métier de base, nous disposons de
NDA (Non Disclosure Agreements) avec toutes les entreprises qui nous présentent des sujets
confidentiels, quand elles externalisent certaines parties de leurs travaux de R&D. Quand cela
tombe dans le domaine du doctorant CIFRE, nous séparons la partie publiable qui, de toute
façon, doit être publiée pour la thèse. En revanche, nous n’allons pas y publier les sujets
confidentiels et les algorithmes développés, qui sont bien la propriété de l’entreprise et des
neurones du chercheur. C’est pour cela que l’on essaie de garder les CIFRE chez nous.
À ce sujet, je voudrais faire un tour de table pour
savoir ce que deviennent les CIFRE que vous
accueillez. Quand vous les gardez, est-ce plutôt
dans le secteur de la recherche et dans ce cas
combien de temps y restent-ils ? Vont-ils vers
d’autres secteurs ?
Dominique MALPART
L’intérêt d’avoir des thésards et des chercheurs, c’est leur
contribution à l’approfondissement de domaines de
spécialité. Une des voies d’évolution professionnelle pour
ceux que nous embaucherons sera donc naturellement de
continuer dans leur domaine de spécialité. Mais ce n’est
pas une voie exclusive, au contraire. Comme les autres
ingénieurs diplômés de l’enseignement supérieur, ils
auront la possibilité de passer dans la vie des affaires ou
dans le management d’équipes, à travers un certain
nombre d’étapes dans leur évolution de carrière. Dans
notre dispositif de ressources humaines, experts et
managers sont gérés sur un pied d’égalité en termes de
reconnaissance, y compris salariale. La formation des
chercheurs est un accélérateur de carrière, en ce qu’elle
les conduit naturellement vers des contacts avec des
laboratoires et le monde extérieur.
Jean-Pierre GOEDGEBUER
Aujourd’hui, le taux de doctorants CIFRE recrutés au sein de l’entreprise est de l’ordre de 50 à
60 %. De manière très schématique, faire de la recherche ne constitue pas un handicap dans
le monde l’entreprise. Au contraire, je pense que faire de la recherche peut constituer un atout
pour progresser ensuite dans l’entreprise. Il faut bien sûr nuancer ce propos, car vous savez
bien que dans le monde de l’entreprise, comme dans le milieu universitaire, la progression des
individus est fortement liée à la personnalité. C’est une composante qu’il nous faut prendre en
compte quand nous parlons de progression au niveau cadre dirigeant.
Ces CIFRE recrutés dans votre entreprise vont-ils plutôt vers la recherche ?
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Jean-Pierre GOEDGEBUER
Nous trouvons de tout. En règle générale, lorsqu’un doctorant CIFRE passe sa thèse, il va
ensuite passer trois ans dans la recherche dite « dure » pour les raisons invoquées
auparavant. On compte sur cela pour qu’il possède un background scientifique solide. Trois
années représentent un temps un peu court, je crois que tous les professionnels de la
recherche scientifique seront d’accord : un chercheur confirmé ou un spécialiste confirmé a
besoin d’un nombre d’années plus grand.
Ensuite, les jeunes sont immergés dans le reste de l’entreprise. Ils peuvent très bien occuper
des fonctions de management. Les métiers de l’automobile étant pluridisciplinaires, les
différentes compétences acquises par le jeune CIFRE peuvent être exploitées dans d’autres
secteurs. Par exemple, un doctorant en physique du moteur ou physique de la combustion, qui
est un cœur de métier du groupe, pourra très bien ensuite se diriger vers les métiers de
l’aérodynamique. On ne fait pas de distinction a priori quant à la formation pour la progression
de l’individu dans notre entreprise.
Emmanuel CANET
Dans notre domaine, les CIFRE peuvent venir de différents secteurs. Ils peuvent être
pharmaciens, biologistes ou ingénieurs chimistes. Il existe donc une certaine diversité. Les
médecins sont encore trop peu nombreux dans le cadre des CIFRE, alors que nous avons des
besoins importants en matière de recherche clinique. Nous avons des cliniciens, des
chercheurs fondamentaux, mais très peu de cliniciens chercheurs. Il y a peut-être une chose à
explorer, puisque c’est un besoin majeur dans le domaine qui nous concerne : la recherche
biomédicale. À mon sens, ce manque est dû à une sélection extrêmement sévère à l’entrée des
études médicales et à une très faible valorisation de la recherche clinique. Les CIFRE
permettront peut-être un meilleur apprentissage de la recherche clinique, à la fois pour le
milieu hospitalo-universitaire et pour l’industrie pharmaceutique.
Parallèlement, nous pensons qu’à la sortie d’une thèse, les chercheurs sont un peu jeunes pour
que nous soyons en situation de les recruter véritablement. Il y a deux options : on peut les
accueillir dans le cadre d’un post-doctorat, mais la diversité culturelle est quelque chose
d’essentiel ; nous préférons donc plutôt les aider à trouver des post-doctorats en France ou à
l’étranger, pour ensuite les suivre, les récupérer, et en faire des candidats privilégiés pour les
postes à ouvrir dans les domaines de la chimie ou de la biologie. Nous les aidons ainsi à se
trouver dans leur vie de chercheur.
Le devenir immédiat, pour nous, est la recherche. Notre industrie étant une industrie de
recherche avant tout, tous les chaînons de l’entreprise peuvent accueillir des chercheurs, qui
auront alors l’opportunité de comprendre les enjeux que sont les nôtres.
Gérard GOMA
Une remarque à ce stade du débat est qu’on utilise trop souvent le terme de « bourse ». Il
s’agit bien d’une convention. C’est un statut de salarié d’entreprise, et le fait d’avoir ce statut
permet un certain nombre de choses. Cela implique que les industriels mettent de l’argent. Il
s’agit bien d’un partenariat public privé.
Dans le passé, j’ai été directeur d’un laboratoire, et j’appréciais la possibilité que des centres
techniques puissent rehausser leur niveau à l’aide de conventions CIFRE. Cela permet d’avoir
un transfert de technologies qui soit enrichi par des contacts et par la recherche technologique
réelle dans le métier. Le statut des CIFRE permet des partenariats bien réels dans la mesure
où, pendant trois ans, nous sommes bien obligés qu’il y ait des rencontres entre les
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laboratoires et les industriels, et qu’il y ait un suivi de l’étudiant. Je crois que des étudiants qui
deviennent doctorants grâce aux CIFRE sont dans de très bonnes situations. Certes, ils sont
parfois écartelés entre les logiques de publication et de discrétion, mais ce sont des conditions
matérielles plus que correctes.
Je voudrais vous citer une phrase qui figure dans le rapport FutuRIS : « Plutôt que
des chercheurs, les entreprises recrutent avant tout des cadres qui ne feront qu’une
partie de leur itinéraire dans la recherche, d’où la concurrence avec les ingénieurs
dont la formation apparaît comme plus généraliste, au détriment des docteurs. »
Qu’en pensez-vous ?
Dominique MALPART
Je ne peux pas tout à fait souscrire à cette idée. Nous recrutons des chercheurs parce que
nous en avons besoin, non pas tant pour faire de la recherche fondamentale (elle se fait
ailleurs), mais pour faire des études amont. Nous avons pour cela des structures adaptées à
l’accueil de chercheurs, des structures centrales ou décentralisées. THALES ayant la chance
d’être une grande entreprise internationale, nous avons la possibilité d’avoir de la recherche
approfondie dans les divers domaines de spécialité. Mais cette voie d’approfondissement sur
plusieurs dizaines d’années n’est pas exclusive d’une évolution vers d’autres fonctions.
Souvent, les ingénieurs et les chercheurs, lorsqu’ils entrent dans l’entreprise, ont l’impression
que la voie royale est celle du management. Dans cette logique, plus vite ils auront quitté leur
laboratoire, plus vite ils auront la chance d’accéder à des niveaux plus importants de
responsabilité. Or, il existe des postes très valorisants, à des niveaux très élevés de
responsabilité, qui ne sont pas nécessairement des postes de management. Nous préférons
donc avoir un chercheur qui reste dans la recherche et dans le monde des études, plutôt que
de voir un bon chercheur devenir un mauvais manager. Nous avons donc mis en place des
entretiens systématiques de développement professionnel et des People Review permettant de
rapprocher les besoins de l’entreprise et les attentes individuelles, afin que les évolutions de
carrière se fassent naturellement et sans ruptures.
Emmanuel CANET
Je m’inscris également en faux par rapport à ce propos. Je n’aime pas voir s’opposer les
notions d’ingénieur et de docteur. Je crois que nous avons d’abord besoin de chercheurs
experts dans leur domaine et créatifs. Nous avons besoin de chercheurs extrêmement pointus
et bien formés, c’est essentiel pour rester compétitif. En fait, nous n’avons pas assez de
chercheurs, je le disais auparavant pour les médecins, c’est également vrai pour les docteurs
en biologie et ingénieurs chimistes.
Pour ce qui est de l’évolution au sein de l’entreprise, je pense qu’il faut être attentif à deux
choses : il y a une voie managériale, bien entendu, mais il existe des chercheurs extrêmement
talentueux et créatifs qui n’ont aucune expertise dans le domaine du management ni le désir
de prendre plus de responsabilités dans l’encadrement des activités de recherche. Tâchons de
créer ce que l’on nomme la double carrière et de valoriser les chercheurs très pointus. Tâchons
d’offrir à ces collaborateurs de véritables perspectives.
Isabelle GOMMARD
Au LNE, nous avons recruté quatre personnes venues effectuer leur thèse chez nous. Au
niveau d’une entreprise comme le LNE et de son attractivité, nous ne souhaitons absolument
pas exclure les chercheurs lors de nos recrutements. Nous regardons le monde du travail tel
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25 ans des conventions CIFRE, 7 décembre 2006, Paris, Collège de France
qu’il existe. Peu de gens s’orientent vers la carrière scientifique juste après le Bac. Parmi ceuxlà, une partie va vers les écoles d’ingénieurs, et une autre partie vers les universités.
L’université veut de plus en plus sortir de ses frontières, et ce n’est pas aux entreprises de
fermer la porte.
Emmanuel CANET
Ce qui est prédominant, ce sont les critères de qualité humaine et la qualité de la formation :
finalement, peu importe si ce sont des ingénieurs ou des docteurs issus de l’université.
Je veux rebondir sur la lisibilité des écoles doctorales car c’est un point critique. Aujourd’hui,
ces écoles ne sont pas suffisamment lisibles pour les doctorants et pour le monde industriel.
Nous devrions de concert, recherche publique et recherche privée, y réfléchir et faire des
propositions concrètes. Il y a beaucoup de progrès à faire en France sur ce point.
Jean-Pierre LE GOFF
Je suis tout à fait en phase avec ce propos. Cela pose également le problème français du
transfert de la recherche institutionnelle vers les applications. Bien entendu, ce n’est pas un
problème au niveau des grands groupes, puisque ceux-ci effectuent eux-mêmes les transferts
en interne : ils embauchent des thésards, CIFRE ou autres, et transfèrent naturellement ces
connaissances vers leurs besoins industriels. En revanche, c’est un problème pour bon nombre
de tissus industriels qui n’ont pas ces fonctionnalités. Or, comme on sait que ces transferts
passent par les hommes, les CIFRE jouent parfaitement ce rôle. C’est l’un des ponts entre la
recherche institutionnelle et la recherche appliquée.
Il est vrai que l’on ne voit pas en France, comme c’est le cas dans les pays anglo-saxons, des
chercheurs ou des ingénieurs qui partent créer leur propre entreprise, par exemple parce qu’ils
ont développé des embryons de logiciel et veulent valoriser leur propre recherche. Même s’il y
a eu des progrès, nous restons très en retard quant aux capacités d’applicabilité de la
recherche. Le rôle majeur que je reconnais aux CIFRE, c’est bien la démarche de valorisation
et d’application de la recherche institutionnelle française.
Passons aux questions de la salle. Il y a dans la salle Philippe RAVENEAU, ancien
CIFRE.
Philippe RAVENEAU, LAFARGE ALUMINATES
Je dirige actuellement une usine de production de ciments spéciaux. Ce produit de spécialité
nécessite une très haute technicité, très axée sur le développement. Il y a bien sûr une
composante de management importante. Je suis ingénieur de formation, et j’ai ensuite
bénéficié de la toute première convention CIFRE. Puis j’ai été embauché par une société
qui effectuait de la recherche dans le domaine de la mine et de la métallurgie. La société a été
très pressée de m’embaucher. J’ai d’ailleurs dû passer quelques week-ends et vacances pour
finir ma thèse. Je suis resté dans cette entreprise pendant huit ans et j’ai ensuite rejoint le
groupe LAFARGE.
J’ai vécu cette formation comme une ouverture, comme une possibilité d’élargir mon domaine
de compétences et d’apprendre une autonomie, et comme une opportunité de traiter des
sujets complexes. Ces points sont évidemment utilisables dans tous les domaines de
l’entreprise ensuite. Quand vous remarquiez que les CIFRE sont un moyen de tester les gens,
j’acquiesce, et cela marche dans les deux sens. En effet, cela permet également de savoir si
l’on veut axer sa carrière sur la recherche ou vers des domaines plus industriels. C’est
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25 ans des conventions CIFRE, 7 décembre 2006, Paris, Collège de France
l’opportunité de se connaître et de faire un choix, pour être sûr de ne pas se tromper quand on
signe le contrat. Cela m’a permis d’avoir des activités variées, successivement des postes
fonctionnels et opérationnels. J’ai été patron de la recherche pour la division de LAFARGE dans
laquelle je suis. J’avais quarante chercheurs en collaboration. Maintenant, depuis quelques
années, je dirige le plus gros site de cette filiale. Je pense que l’expérience de CIFRE a été utile
pour moi en termes de gestion de carrière.
Avez-vous quitté le domaine de la recherche avec regret, ou vous sentiez-vous une
âme de manager ?
Philippe RAVENEAU
Il faut aimer ce que l’on fait et pas forcément faire ce que l’on aime. J’ai pris beaucoup de
plaisir dans la recherche. J’ai aussi vu les limites de la « recherche pour la recherche ». J’ai
préféré devenir « trouveur ». J’ai donc changé d’activité pour m’intéresser à un gros projet de
développement du groupe LAFARGE, sur lequel il y avait une cible industrielle. Cela m’a permis
de franchir le pas. Les deux domaines sont intéressants. La meilleure preuve est que je suis
parti sur des travaux industriels pour ensuite revenir comme patron de la recherche pour cette
filiale du groupe. Cela veut bien dire que tout présente un intérêt. Ensuite, selon sa
personnalité, on peut décider vers quoi l’on s’oriente. Effectivement, aujourd’hui, je passe plus
de temps sur le management que sur la technique, mais je suis toujours intéressé par les
aspects techniques.
De la salle, Jean BERTSCH, Directeur Général d’une école doctorale à Orsay
Je voudrais vous poser une question au sujet des candidats. En réalité, il existe plusieurs types
de candidats aux conventions CIFRE : on distingue les étudiants qui sortent d’une grande école
qui veulent préparer une thèse, et les étudiants universitaires qui sont passés par la licence et
le master. Avez-vous une préférence ?
Emmanuel CANET
Non, il n’y a aucune préférence. Ce sont le projet et les qualités intrinsèques du candidat qui
sont décisifs pour l’accueil d’étudiant CIFRE, et réciproquement. Il n’y a pas de connotation
péjorative selon l’origine des uns ou des autres.
Jean-Pierre GOEDGEBUER
Dans le groupe, nous avons mis en place un processus de sélection répondant à des critères
rigoureux en termes de qualité. Pour lancer une convention CIFRE, nous procédons d’abord à
une sélection en interne du sujet de thèse, qui doit répondre aux besoins de l’entreprise. Ceci
est ensuite validé par un certain nombre d’entités au sein du groupe. Nous sommes ainsi sûrs
que le sujet qui sera confié à un jeune diplômé sera intéressant pour le groupe. Nous avons
par ailleurs un jury d’audition des candidats. Ceux-ci peuvent avoir suivi un cursus d’ingénieur
ou un cursus d’universitaire, nous ne faisons aucune différentiation, notre seul objectif étant
de détecter les meilleurs. À cet effet, nous sommes aidés par la DRH, qui nous donne une
analyse plus globale de la personnalité du candidat. Le jury d’audition a pour rôle d’évaluer les
compétences scientifiques et leur adéquation avec le sujet qui va être confié. J’affirme donc
que le groupe PSA ne fait aucune différentiation au niveau du recrutement.
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Gérard GOMA
Grâce à ma position de Délégué régional à la Recherche et Technologie, je suis témoin de ce
qui se passe, puisque les dossiers CIFRE passent par nous. Il existe une position très équilibrée
entre les dossiers venant des laboratoires d’universités et les dossiers issus des laboratoires
d’écoles. Ce qui est important, c’est l’implication des directeurs de laboratoire en relation avec
la formation.
Isabelle GOMMARD
Je répondrai de la même façon. Avant de proposer un sujet, notre direction de recherche
détermine son intérêt pour le LNE. Lorsque nous recherchons un doctorant, nous nous
adressons aux différents canaux. Mais quand une université est déjà partenaire avec nous,
nous avons une relation différente. Les parcours universitaires sont des parcours où l’on trouve
des gens talentueux et autonomes.
Emmanuel CANET
Un mot sur l’engagement des laboratoires. Nous sommes parfois confrontés en réalité à des
laboratoires académiques qui ne sont pas favorables à l’accueil de doctorants sous la forme de
conventions CIFRE. En effet, il existe une résistance chez certains « d’imaginer » qu’un travail
de thèse puisse s’effectuer en partie hors des laboratoires universitaires. C’est bien là qu’il faut
faire évoluer les états d’esprit et bien considérer que la formation doctorale est une formation
à la recherche mais se doit d’être également une formation professionnelle.
Gérard GOMA
C’est un sujet polémique. Je peux vous affirmer que, lorsque vous êtes en position de DRRT et
que vous avez un étudiant venant vous demander de lui trouver le laboratoire et l’industriel,
vous pensez que l’université ne l’a pas préparé à certaines choses.
Dominique MALPART
Notre processus de sélection part d’un besoin clairement identifié et exprimé par un
laboratoire, qui s’inscrit dans le temps. Par le canal ordinaire des liaisons que les patrons de
laboratoires ont avec leurs homologues dans les structures extérieures de recherche, on arrive
assez facilement à identifier les profils souhaités. Il n’existe donc pas d’a priori, mais
simplement la vérification de l’adéquation entre le besoin de l’entreprise et le profil du candidat
à la convention.
Jean-Pierre GOEDGEBUER
En ce qui concerne le processus de sélection mis en place au sein du groupe, et précisément le
recrutement de doctorants CIFRE, la question de l’implication du laboratoire d’accueil est tout
à fait primordiale. En parallèle à ce processus, nous disposons d’un autre mode de sélection
des laboratoires d’accueil basé sur un appel d’offres. Ainsi, une fois nos sujets identifiés
comme répondant à un besoin réel du groupe, nous lançons des appels d’offres sur la
communauté scientifique française, c’est-à-dire aussi bien à l’université qu’au CNRS. À partir
des réponses, nous effectuons une sélection des laboratoires sur des critères rigoureux en
termes de livrables pour les universitaires. Il s’agit d’apporter des prototypes ou des résultats
clairement définis au départ. L’implication des laboratoires d’accueil est mesurée à travers les
réponses données sur ces propositions. Les équipes avec lesquelles je travaille vont faire des
visites dans les laboratoires pour être certaines de la qualité de l’encadrement et des
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CIFRE, pour quel avenir professionnel ?
25 ans des conventions CIFRE, 7 décembre 2006, Paris, Collège de France
équipements. D’autant plus qu’une fois la thèse lancée, il s’agit bien de faire un suivi. Nous
avons donc instauré un comité de suivi, qui a pour but de faire le point sur l’avancement des
livrables tous les six mois avec le laboratoire en question. Notre processus est donc basé avant
tout sur des critères de qualité.
De la salle, Pierre REYMOND, THALES SYSTÈMES AEROPORTÉS
Le problème posé lors d’une convention CIFRE est l’établissement du contrat de collaboration
avec le laboratoire. On y retrouve les problèmes de propriété intellectuelle, mais aussi
d’utilisation des résultats de la recherche. Le laboratoire veut que le domaine de recherche soit
restreint, alors que l’entreprise souhaite que sa taille soit augmentée pour des raisons de
concurrence. Cela prend beaucoup de temps.
D’autre part, l’investissement de l’entreprise pour une convention CIFRE est très important.
Dans le cadre de THALES, c’est une centaine de milliers d’euros par an. Le coût salarial déduit
de la subvention ANRT représente simplement le quart. Tout le reste concerne l’encadrement,
la mise à disposition et les aides au laboratoire. C’est donc un très gros investissement, et il
faut que les laboratoires s’en rendent compte.
Pour compléter les propos de Dominique MALPART, le groupe THALES représente 140
thésards, dont 120 CIFRE et une quarantaine de nouveaux par an.
De la salle, Michel COUSIN, INSA LYON
Je vais vous faire part d’une inquiétude qui est la conséquence du succès des CIFRE. En tant
que filiale de valorisation, nous sommes obligés de discuter de la convention
d’accompagnement. On s’aperçoit de plus en plus que les entreprises rechignent à payer le
juste coût de l’environnement et de l’encadrement qui sont apportés par les laboratoires, et de
l’utilisation de dispositifs d’essai. Les laboratoires commencent à être les « parents pauvres »
de ce dispositif.
Jean-Pierre LE GOFF
Cela dépend des laboratoires. Il existe un tarif syndical d’encadrement des conventions CIFRE.
À l’École Centrale de Nantes, on pratique régulièrement la somme de 15.000 euros par an.
C’est une somme abordable, mais il faut effectivement pouvoir la payer. Nous n’avons jamais
eu de problèmes concernant les parts de propriété industrielle. On peut aussi se poser la
question de la création de CIFRE européens. Je cite l’exemple d’un ingénieur resté à SIREHNA,
qui a eu un très bon niveau de thèse, et qui aurait été mieux encadré au regard des besoins de
l’entreprise par un laboratoire norvégien.
Michel COUSIN
Les 15.000 euros dont vous parlez représentent une somme que nous avons en effet du mal à
obtenir. Je peux vous affirmer qu’il existe des conventions CIFRE signées sans compensations
pour le laboratoire.
Emmanuel CANET
Pour rebondir sur ce qu’a dit Pierre REYMOND, je veux dire qu’il s’agit d’un engagement
financier pour l’entreprise. Mais c’est aussi l’engagement de nos chercheurs, de nos
infrastructures, et du temps dédié à « tutorer » le chercheur. D’autre part, la règle veut que
nous accompagnions systématiquement le travail de recherche d’un contrat de collaboration,
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qui finance en partie la recherche au niveau du laboratoire académique. Donc, pour ce qui
nous concerne, l’engagement de l’entreprise pour les CIFRE est très fort.
Je reviens sur cette notion de résistance. La convention CIFRE ne devrait pas être considérée
comme une « aubaine » financière permettant de prendre en charge des étudiants en thèse
tout en négligeant la finalité de CIFRE, ou un service rendu aux industriels : Il s’agit d’une
contribution conjointe à la formation de jeunes chercheurs intégrant des perspectives
d’insertion professionnelle ultérieure pour l’étudiant. La dynamique qui doit prévaloir dans la
collaboration entre la recherche publique et la recherche privée est de bien comprendre qu’il
s’agit d’une contribution citoyenne des entreprises à la formation de nos chercheurs, pour faire
en sorte que nous relevions les défis qui sont les nôtres dans le domaine de la recherche
biomédicale et du progrès thérapeutique.
Bruno ROUGIER
Quelques
précisions
avec
Catherine
Responsable du service CIFRE à l’ANRT
BEC,
Si vous dénommez « CIFRE européen » une entreprise
française collaborant avec un laboratoire en Europe,
cela se fait déjà. Nous avons même des CIFRE
« mondiaux ». Évidemment, ces conventions coûtent
beaucoup plus pour les entreprises, mais celles-ci
privilégient alors la qualité des laboratoires, car il
n’existe pas de laboratoires en France qui possèdent la
spécificité recherchée. On trouve ainsi chaque année
une quarantaine de CIFRE où le jeune est formé dans
un laboratoire hors de la France.
Jean-François ALLAEYS, doctorant CIFRE
Je suis actuellement en thèse chez THALES. Au niveau
du financement des CIFRE et des thèses en général,
nous avons vu que l’on pouvait atteindre les 100.000
euros par an. Une thèse CIFRE peut-elle être financée
par d’autres apports, par exemple sur les projets
européens ? Existe-t-il d’autres partenariats, dans ce
cadre, permettant d’abaisser les coûts globaux
supportés par l’entreprise ?
Catherine BEC
Les projets ANR, les pôles et autres, sont issus de la même dynamique. Il n’existe qu’une seule
règle, à savoir que le salaire ne peut pas être couvert à plus de 50 % par une subvention. Les
coûts d’accompagnement de la recherche peuvent être financés par l’ANR, les régions. Cela ne
pose aucun problème.
Emmanuel CANET
Au sujet de l’Europe, je veux simplement attirer votre attention sur la mise en place des
contrats et des accords cadres. Lorsque nous avons des CIFRE dans le cadre de consortiums
européens, nous nous trouvons dans une situation plus complexe en termes de valorisation et
d’exploitation de la propriété intellectuelle. C’est un élément qui peut créer des difficultés dans
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la finalisation du contrat entre l’entreprise, le laboratoire et les différentes institutions
impliquées dans le programme.
De la salle, Christophe LESNIAK, DG Recherche, COMMISSION EUROPEENNE
Je confirme que les coûts d’un chercheur dans le cadre d’un projet de recherche peuvent être
pris en charge par le PCRD (Programme cadre de recherche et de développement). En
revanche, les Consortiums Agreements et les accords de propriété intellectuelle deviennent
plus compliqués pour les projets européens, car vous pouvez avoir affaire à des partenaires
dont les règles de propriété intellectuelle sont complètement différentes. La négociation
prendra donc plus de temps.
De la salle, Joël THIBAULT, PEREZ INFORMATIQUE
Je me situe aux antipodes de tous les problèmes qui ont été posés ici. Nous sommes une
petite structure de cinquante salariés. Nous sommes nombreux dans ce cas de figure. Nous
développons des solutions de gestion. Je voudrais vous faire part de notre expérience des
CIFRE. Depuis trois ans, nous intégrons un CIFRE par an, ce qui a complètement révolutionné
la stratégie de l’entreprise. Bien entendu, nous n’avons pas les mêmes problèmes de sélection,
mais nous sommes obligés de cultiver nos CIFRE. Ainsi, avec le laboratoire, nous devons les
trouver et les faire venir chez nous. Nous sommes situés à Strasbourg, et le laboratoire avec
lequel nous travaillons se trouve à Angers.
Ce que je veux souligner ici est, ce qu’un CIFRE peut apporter à une petite entreprise qui n’a
pas de culture de recherche, ni de méthode de veille technologique, ni de ressources pour
détecter les contrats intéressants. Comment un CIFRE peut-il s’intégrer dans une entreprise
comme la nôtre ? Je peux vous affirmer que c’est une réussite chez nous, dans le sens où nous
avons complètement changé notre vision des marchés. Plutôt que de travailler dans le
quotidien, nous nous demandons maintenant comment muter pour aborder les marchés
différemment. Notre premier CIFRE a été rentabilisé en un an, en nous apportant des
nouvelles techniques de développement et de solutions pour notre clientèle.
Gérard GOMA
En ce qui concerne les CIFRE dans les start-up, nous pouvons témoigner d’exemples chez des
marchands de chaussures de sport, dans des cabinets d’avocats d’affaires ou de propriété
intellectuelle. Cela révolutionne le système, dans la mesure où les CIFRE contribuent, un peu
comme le crédit d’impôt recherche, à faire pénétrer la recherche dans tous les secteurs, et non
pas sur quelques Global Players.
De la salle, Nicolas CHATEL, Responsable Industriel, École d’Ingénieur LOUIS DE
BROGLIE
Monsieur GOMA, vous venez de parler du crédit d’impôt recherche, et je veux apporter un
point supplémentaire sur la question des financements. Monsieur le Ministre soulignait qu’une
partie des CIFRE concerne les PME. En termes de fiscalité, le fait d’accueillir un CIFRE permet à
l’entreprise d’acquérir le statut de jeune entreprise innovante. Ce statut favorise l’entreprise,
puisqu’il lui permet d’être exonéré de l’IS pendant un certain temps. Les jeunes entreprises ont
donc tout intérêt à embaucher ce type de personnes.
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De la salle, Bernard LAUNAY, Professeur, ENSIA
Mon secteur est celui des industries alimentaires et biologiques. Je suis professeur dans un
établissement qui forme des ingénieurs dans ce domaine. Je rappelle qu’au tout début, les
CIFRE étaient réservées aux ingénieurs. L’un des objectifs était d’orienter davantage
d’ingénieurs vers la recherche. De ce point de vue, cela a été un succès si j’en juge par mon
secteur. Nous avions de grandes difficultés à orienter les ingénieurs vers la formation
doctorale, et les CIFRE ont été efficaces sur ce point. Cependant, cela n’a pas été assez
efficace pour mon établissement.
Ma question porte sur les aspects du financement. Je pense que, dans le cadre d’une
convention CIFRE, ni la partie accompagnement scientifique et intellectuel, ni la signature d’un
contrat avec une entreprise ne posent problème. Je me souviens qu’au début, nous ne faisions
pas assez attention à ces questions, et cela aboutissait à de très mauvais résultats sur le
travail de thèse lui-même. Aujourd’hui, si le contrat ne prévoit pas un accompagnement
scientifique spécifié en termes de financement, on ne signe pas. Cependant, nous travaillons
beaucoup avec des entreprises de petite taille. Nous nous heurtons alors à un problème de
financement de la recherche elle-même, essentiellement quand une partie de la recherche
s’effectue dans nos laboratoires. Il a été dit que les moyens de financement de la recherche
sont multiples, avec l’ANR, les régions, etc. Pour notre part, nous nous situons en région Îlede-France, et il se trouve que notre secteur n’est pas particulièrement favorisé à ce niveau.
C’est peut-être une difficulté spécifique à cette région.
Ce qui me semble intéressant est la manière de créer un lien plus fort entre les CIFRE d’une
part, et les possibilités de financement des entreprises pour ce type de recherche d’autre part.
À mon avis, ce lien institutionnel n’existe pas réellement. J’ignore s’il est possible de faire des
propositions, mais je crois que cela serait utile. Tous les gens qui font de la recherche dans nos
établissements savent qu’il faut réussir la quadrature du cercle, c’est-à-dire avoir le sujet de
thèse, le thésard, l’entreprise et le financement de la recherche. Très souvent, on réunit trois
de ces éléments, et le quatrième manque. En effet, parfois, le financement de la recherche fait
défaut.
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