L`espace vide Ecrits sur le théâtre Peter Brook
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L`espace vide Ecrits sur le théâtre Peter Brook
L’espace vide Ecrits sur le théâtre Peter Brook Notes de lecture par Gaëlle CABAU Peter Brook, né le 21 mars 1925 à Londres, est un metteur en scène, acteur, réalisateur et écrivain britannique. Artiste novateur dans ses interprétations des pièces du grand répertoire international, et plus particulièrement des classiques de Shakespeare. Il est le théoricien de L'Espace vide. Depuis le milieu des années 1970 sa compagnie est en résidence à Paris au Théâtre des Bouffes du Nord. Le théâtre rasoir - - - - Je peux prendre n’importe quel espace vide et l’appeler une scène. Quelqu’un traverse cet espace vide pendant que quelqu’un d’autre observe, et c’est suffisant pour que l’acte théâtral soit amorcé. Pourtant quand nous parlons de théâtre, c’est à quelque chose d’autre que nous pensons. Le rideau rouge, les projecteurs, la poésie, le rire, l’obscurité. Quatre formes : théâtre rasoir, théâtre sacré, théâtre brut, théâtre vivant. Théâtre rasoir car frappé de mort et ennuyeux. Synonyme de mauvais théâtre La forme la plus fréquente Théâtre commercial Souvent ne parvient même plus à divertir Surtout dans les représentations de Shakespeare : rien n’aura gêné ses théories pendant qu’il se récitait à mi-voix ses vers préférés… satisfaction intellectuelle mais ce n’est pas le théâtre. Souvent les pièces ennuyeuses sont couronnées de succès car on associe la culture à un certain sens du devoir… une dose d’ennui sert de garantie au spectacle. Aujourd’hui pour la tragédie : le jeune acteur veut jouer de façon réaliste… son jeu ne fait que s’appauvrir. Imiter les facettes extérieures du jeu perpétue seulement une apparence qui n’est plus reliée à rien de valable. Œuvres de Shakespeare Sons, pauses, rythmes 1 Un mot n’est pas à l’origine simplement un mot : petite portion visible de tout un univers caché. Il est vain de prétendre que les épithètes que nous appliquons aux pièces classiques, telles que « musicale », « poétique », « noble », « héroïque »… aient une signification absolue. Dans un théâtre vivant, nous aborderions chaque jour la répétition en mettant à l’épreuve les découvertes de la veille, prêts à croire que la véritable pièce nous échappe une fois de plus. Mais le théâtre traditionnel aborde les classiques avec l’idée que, quelque part, quelqu’un a trouvé et défini la façon dont la pièce devait être jouée. Dès que nous essayons de fixer ce style une fois pour toute nous sommes perdus. Le théâtre est un art autodestructeur. Il est écrit sur le sable. Une mise en scène est établie et doit être reproduite – mais, du jour où elle est fixée, quelque chose d’invisible commence à mourir. Pièces de musée. Au théâtre, toute forme, sitôt créée, est déjà moribonde. Toute forme doit être pensée à nouveau, et sa nouvelle conception doit porter les marques de toutes les influences qui l’entourent. Dans ce sens, le théâtre est relativité. Différence avec la musique (opéra) qui se fait entendre toujours de la même façon. La tradition est la barrière principale qui nous sépare d’un théâtre vivant. Il y a partout des facteurs de mort : dans le contexte culturel, dans les valeurs artistiques dont nous avons hérité, dans la structure économique, dans la vie de l’acteur, dans la fonction du critique. Mais à l’intérieur même du théâtre rasoir on trouve souvent des promesses de vie réelle avortées, qui peuvent être momentanément satisfaisantes. Des masses d’argent de plus en plus grandes payées par des spectateurs de moins en moins nombreux. Les prix sont trop élevés. Le bon théâtre dépend d’un bon public…mais il est difficile pour le spectateur d’être conscient de sa propre responsabilité. Un public mal adapté ou un lieu mal adapté, ou les deux, provoqueront chez l’acteur le jeu le moins subtil, sans qu’il y ait pour lui le moyen de choisir. Autrefois les comédiens ambulants adaptaient tout naturellement leur travail à chaque endroit différent. Ex avec un étudiant lisant un extrait de L’Instruction, de Peter Weiss. La qualité du silence provoqué par la lecture d’un morceau de ce genre (Shakespeare) faite par un acteur inexpérimenté est proportionnelle au degré de vérité qu’il y met. - - - - - - - - 2 - - - - - - - - Les grands succès d’Elia Kazan, de Tennessee Williams… ont attiré ainsi des publics nombreux qui trouvaient dans ces œuvres des sentiments, des idées qu’ils pouvaient partager, et c’est pour cela que ce furent des événements importants. Stanislavski et l’Actor Studio : comédien entraîné à rechercher quelque chose de plus vrai en lui. Il devait présenter une scène en la vivant, et le jeu devenait ainsi une étude naturaliste. Meyerhold remet en cause Stanislavski en proposant un jeu différent, de façon à capter d’autres éléments de la réalité. Le mot théâtre a de nombreux sens mal définis. Dans la plus grande partie du monde, le théâtre n’a pas de place déterminée dans la société. Il n’a pas de but précis, il n’existe pas en soi : tel théâtre cherche le profit matériel, tel autre la gloire, tel autre l’émotion, tel autre enfin l’amusement. Quand il a acquis une certaine notoriété, l’acteur ne se livre plus à aucune recherche. L’acteur se limite de plus en plus à faire le même travail. Progresser en tant que comédien, ce qui implique de progresser en tant qu’homme. Impossibilité de se défaire, ne fût-ce que momentanément, de l’image d’eux-mêmes, cristallisée autour du vide qui les habite. S’ils n’appartiennent pas à une compagnie permanente, peu d’acteurs peuvent réussir longtemps. Il faut pourtant reconnaître que même une compagnie permanente est, à la longue, vouée à la sclérose, si elle n’a pas de but, pas de méthode, donc pas d’école. On enferme les acteurs pour exercer leurs muscles. Les gammes ne font pas un pianiste, pas plus que les exercices du poignet n’aident le pinceau du peintre. Le critique a un rôle essentiel, puisqu’un art sans critique serait menacé de périls bien plus grands. Le théâtre est sans pitié, il ne laisse place à aucune erreur, à aucun gâchis. Un roman supporte que le lecteur saute des pages. Deux heures, c’est court et c’est une éternité. Un critique trouvera au théâtre bien plus d’incompétence que de compétence. Le critique qui n’aime plus le théâtre est de toute évidence un critique inutile. Le critique qui aime le théâtre mais qui ne sait pas ce que signifie le théâtre est tout aussi inutile. Le critique vivant est celui qui a déjà trouvé pour lui-même ce que pourrait être le théâtre – et qui a l’audace de remettre en question cette formule chaque fois qu’il participe à un événement. 3 - - - - - - - - Le travail qui consiste à donner vie à chaque personnage est vraiment une tâche surhumaine. Peu de bonnes pièces // au cinéma Lorsque de nouvelles pièces essaient d’imiter la réalité, nous sommes plus conscients de ce qui est imitation que de ce qui est réalité. Si elles explorent la psychologie, il est bien rare qu’elles dépassent les stéréotypes. Si elles visent une critique sociale, elles atteignent rarement le cœur de la cible. Grande liberté de l’homme de théâtre : il peut évoquer l’univers entier sur la scène. Shakespeare utilisait ce court laps de temps à entasser minutieusement une profusion de matériaux pris sur le vif, d’une incroyable richesse. L’auteur contemporain est encore prisonnier de l’anecdote, de la cohérence et du style. Il n’explore pas assez profondément divers aspects du théâtre. Son indispensable solitude est aussi une prison. Une scène de théâtre est une scène de théâtre et non pas un endroit destiné à la lecture d’un roman, d’un poème, à une conférence, ou au récit d’une histoire quelconque… Les mots que l’on dit sur cette scène-là parviennent – ou non – à exister en fonction des tensions qu’ils créent sur cette scène. Le théâtre n’est pas une tour d’ivoire. Le choix qu’il fait et les valeurs qu’il exalte n’ont de force qu’en fonction de leur théâtralité : ceci est particulièrement vrai quand un auteur veut faire d’une pièce le support d’un message, à des fins morales ou politiques. Au début : s’attaquer à la nature même de l’expression théâtrale. Il n’y a pas moyen d’y échapper, à moins que l’auteur accepte d’enfourcher un véhicule d’occasion. Si on laisse la pièce s’exprimer toute seule, on peut très bien ne rien entendre du tout. Si l’on veut que la pièce soit entendue, alors il faut savoir la faire chanter. C’est un rôle étrange que celui de metteur en scène. Il ne demande pas à être Dieu, et pourtant il lui ressemble. Il est toujours un imposteur, un guide dans le noir, qui avance sans connaître le terrain, et pourtant, il n’a pas le choix : il doit guider, tout en découvrant son chemin au fur et à mesure. Un metteur en scène sclérosé est celui qui ne renonce pas aux réflexes auxquels on a trop facilement recours dans toutes les spécialités. 4 - Je suis moi-même souvent au théâtre pour des motifs sensuels et souvent irréfléchis. Se divertir est une excellente chose. La majeure partie de ce qu’on appelle aujourd’hui le théâtre n’est que la caricature d’un mot jadis riche de signification. Le théâtre est-il un anachronisme, une survivance bizarre qui reste debout comme un vieux monument, une habitude surannée ? Quelle fonction pourrait-il remplir ? 5 Le théâtre sacré - - - - - - - - Théâtre de l’invisible rendu visible. Percevoir l’abstrait à travers sa manifestation concrète : Musique. Nombre de spectateurs affirmeraient qu’ils ont personnellement vu le visage de l’invisible grâce à une expérience théâtrale qui a transcendé leur expérience de la vie. Comme un moineau dans la cellule d’un prisonnier. En Allemagne, pendant la guerre, théâtre qui répondait à un besoin vital. Etait-ce une soif d’invisible ou d’une réalité plus profonde que celle de la vie quotidienne ? Etait-ce le désir des choses dont on était privé ou le besoin de se protéger de la réalité ? Théâtre de l’illusion avec le rideau rouge, la rampe… Gordon Craig a passé sa vie à dénigré ce théâtre de l’illusion. L’acteur cherche en vain la trace d’une tradition évanouie, et la critique, comme le public, lui emboîte le pas. Nous avons perdu tout sens du rite et de la cérémonie. Nous ne savons pas comment célébrer parce que nous ne savons pas ce que nous devons célébrer. Deux apothéoses possibles : Par la célébration, piétinements, hourras, applaudissements Par le silence… mais il nous embarrasse. Avant que vienne la nuit, de D Rudkin, rituel de mort Tout ce qui appartient au théâtre sacré nous est devenu totalement étranger. Plus que jamais nous avons soif d’une expérience qui dépasse le quotidien. J’ai été accusé de vouloir détruire la parole articulée. Cela veut-il dire que nous vivons au temps des images. Artaud : un théâtre qui agirait comme la peste, par contamination, pas enivrement, par analogie, par magie, un théâtre dans lequel l’événement lui-même tiendrait lieu de texte. Test : communiquer une idée, mais le comédien n’a à sa disposition qu’un doigt, qu’une intonation, qu’un cri, ou que la possibilité de siffler… la nécessité donne soudain des pouvoirs étranges. Ex : combat à deux mais sans se toucher : combat physique et émotionnel. Il ne suffit pas de sentir passionnément : un effort créateur est nécessaire pour forger une nouvelle forme qui serait le réceptacle et le réflecteur de ses impulsions. Le spectateur est ignoré et en même temps nécessaire. Lentement nous avons travaillé à trouver différents langages en dehors des mots. 6 Avec des masques Avec le silence : combien de temps l’acteur silencieux peut retenir l’attention du spectateur ? Savoir si l’invisible peut être rendu visible par la présence de l’exécutant. Nous voulions nier la psychologie On a accepté pendant des siècles que le langage ne soit pas réaliste : un monologue, par exemple, où un homme reste immobile. En utilisant la langue de manière illogique, le théâtre de l’absurde se donne un tout autre vocabulaire. Il utilise l’irréel pour faire certaines explorations, parce qu’il ressent l’absence de vérité dans nos échanges quotidiens. - - Artaud voulait un théâtre qui fût un endroit consacré : Succession de scènes violentes Provoquant des explosions immédiates et des émotions si puissantes que personne ne voudrait plus jamais d’un théâtre parlé et anecdotique. Artaud affirmait que le théâtre était le seul endroit où nous pouvions nous libérer des contraintes de nos vies quotidiennes. Artaud dans sa passion ne nous ramène-t-il pas vers un monde inférieur ? Artaud n’a jamais réalisé son propre théâtre. Peut-être la force de sa vision vient de ce qu’elle est comme une carotte promenée devant nous et jamais atteinte. Appliquer les théories d’Antonin Artaud c’est le trahir, car ce n’est jamais qu’une partie de sa pensée qu’on exploite. Mais idée d’une recherche tâtonnante vers un théâtre plus violent, moins rationnel, plus extrême, moins verbal, plus dangereux. Il y a une certaine joie dans les chocs violents. Le seul inconvénient est que leur effet s’efface. - Le happening est une invention riche de possibilités. Il détruit d’un seul coup de nombreuses formes sclérosées. N’importe où, n’importe quelle durée Rien n’est tabou, rien n’est nécessaire Derrière le happening, il y a un cri : Réveillez-vous ! Mais trop souvent enfermé dans les mêmes symboles : farine, tarte à la crème, rouleaux de papiers 7 - Toujours vieille querelle : le débat de la forme contre l’absence de forme, de la liberté contre la discipline ! Non seulement le théâtre sacré montre l’invisible, mais il offre également les conditions qui rendent sa perception possible. Happening : le fait même de participer accroit la perception. - Samuel Beckett L’écrivain le plus riche et le plus personnel de notre époque. Pièce symbolique : une femme enfouie dans le sol jusqu’à la taille Il ne servirait à rien de dire ce que les images veulent dire. Le symbole suscite en nous d’infinies possibilités d’émerveillement Désir acharné de rendre compte de la vérité. Il y a deux façons de parler de la condition humaine : on peut faire appel à l’inspiration – ce qui dévoile tous les éléments positifs de la vie -, ou bien on peut tenter d’en donner une vision réaliste, et alors l’artiste témoigne de ce qu’il a vu. Cf Oh les beaux jours - Jezy Grotowski, en Pologne : désir d’atteindre le sacré Pense que le théâtre ne peut être une fin en soi Le théâtre est un véhicule, un moyen d’analyse personnelle, une possibilité de salut. L’acteur laisse le rôle le pénétrer : moyens psychiques et physiques Il effectue un sacrifice Mode de vie complet pour tous les membres de la troupe // Théâtre d’Artaud Fait de la pauvreté un idéal : les acteurs ont tout abandonné sauf leur propre corps. Ils ont pour instrument l’homme, et leur vie entière pour travailler. Théâtre destiné à une élite. - Ces théâtre s’attaquent à la question fondamentale : « Pourquoi le théâtre ? » Nous pouvons capter l’invisible, mais nous ne devons pas perdre le contact avec le bon sens. - 8 - Nous devons admettre que nous ne verrons jamais l’invisible dans son entier. - Living Theatre Communauté nomade Mode de vie complet : une trentaine d’hommes et de femmes travaillent et vivent ensemble. Ils forment une communauté. Leur fonction est de jouer. S’il ne jouait pas, le groupe dépérirait. Ils cherchent à donner un sens à leur vie. Quête inachevée vers le théâtre sacré. - Dans le vaudou haïtien, pour commencer une cérémonie, il suffit de rassembler les gens et d’avoir un poteau. On commence à battre du tambour vers l’Afrique lointaine…les dieux arrivent. Le poteau est la jonction entre le monde du visible et de l’invisible. - Au théâtre, pendant des siècles, on a voulu placer l’acteur loin de la salle, sur une estrade, encadré, enrubanné, éclairé, maquillé, perché sur de hauts talons – pour aider l’ignorant à se persuader que l’acteur est sacré, que son art est sacré. Aujourd’hui, nous avons renoncé aux artifices. Mais nous sommes en train de découvrir que c’est, malgré tout, un théâtre sacré que nous voulons. Où devons-nous le chercher ? Dans les étoiles ou sur terre ? - 9 Le théâtre brut - - - - - C’est toujours le théâtre populaire qui sauve la situation Nombreuses formes Toujours théâtre brut Sur des charrettes, des tréteaux… public debout Un endroit magnifique peut ne jamais provoquer d’explosion de vie L’architecture des théâtres doit être fondée sur ce qui provoque les relations les plus vivantes entre les gens. Le désordre Une certaine crudité Cf Gordon Craig Cf Brecht : rideau blanc à mi-hauteur Le théâtre brut Proche des gens Absence de ce qu’on nomme le style Hétérogénéité : farine pour maquillage, taper sur un seau pour évoquer une bataille Lecture des pièces comme un enfant, non comme un adulte influencé par des notions d’histoire et d’époque. Impuretés qui donnent au théâtre brut son véritable accent. Meyerhold voulait représenter la vie en son entier sur la scène. Brecht tirait sa substance du cabaret. Mise en scène Tchèque de Ubu Roi : Père Ubu en rustaud roublard, et Mère Ubu, une belle putain sordide. Quel est le sens de ce théâtre brut ? Produire la joie et le rire Le rire requiert sans cesse un nouvel apport d’énergie L’allégresse et la gaieté l’alimentent, mais l’énergie qui produit rébellion et contestation y contribue également. Cf La danse du sergent Musgrave Si le théâtre sacré, c’est un désir ardent de trouver l’invisible par l’entremise de ses incarnations visibles, le théâtre brut est l’expression d’un élan fougueux vers un certain idéal. N’a apparemment aucun style, aucune convention, aucune limite Le « brutalisme » au théâtre peut devenir une fin en soi. 10 Le théâtre sacré s’attaque à l’invisible qui contient toutes les impulsions cachées de l’homme. Le théâtre brut, lui, traite des actions des hommes, et c’est parce qu’il admet la perversité et le rire que le théâtre brut improvisé semble préférable au théâtre sacré prétentieux. - Brecht Référence Distanciation A ces débuts, le théâtre allemand est dominé par le naturalisme et par une grande offensive lyrique du théâtre total destiné à transporter d’émotion le spectateur. Le théâtre nécessaire est celui qui ne perd pas de vue la société au service de laquelle il est. Il n’y a pas de quatrième mur entre la salle et la scène. Distancer c’est couper, interrompre, mettre quelque chose en lumière et nous faire voir à nouveau Appel lancé au spectateur pour qu’il entreprenne sa propre recherche et devienne de plus en plus responsable, qu’il n’accepte que ce qu’il voit que s’il en est convaincu. Doit provoquer un choc en nous et mettre en branle notre raison. Si elle est convaincante, une action scénique normale nous semblera réelle et nous l’accepterons temporairement comme vérité objective. Pour Brecht : le théâtre doit nous amener à une meilleure compréhension de la société dans laquelle nous vivons et ainsi découvrir comment cette société peut changer. Utilise des pancartes et des projecteurs apparents - Les paravents, de Jean Genet Juxtaposition des éléments sérieux, grotesques 1ère partie : l’action scénique se borne à montrer des personnages en train d’écrire sur de grandes surfaces blanches. - Marat/ Sade, de Peter Weiss : distanciation Les événements de la Révolution Française représentés sur scène ne peuvent être admis tels quels puisqu’ils sont joués par des 11 fous dont les actes sont remis en question, puisqu’ils sont dirigés par le Marquis de Sade Spectateur actif Chaque moment nous contraint à réajuster notre attitude vis-àvis du spectacle - Brecht A supprimé toute émotion superflue, tous les détails psychologiques Le thème principal doit apparaître clairement Le comédien fait du personnage une matière plus impartiale ; mais s’il essaie de l’appliquer naïvement en étouffant ses instincts et en devenant un intellectuel, il se trompera. Problème car mises en scène souvent froides hors du berliner ensemble. Attention : monter une pièce, c’est toujours s’amuser. Brecht citait souvent l’exemple d’un homme décrivant un accident de la circulation, comme exemple de narration : il y a le locuteur, superposée la scène qu’il décrit, image complète à recréer - Souvent illusion car comédien prisonnier d’un décor fermé de trois côtés / scène nue + pancarte pour nous rappeler que nous sommes au théâtre. Nous ne tombons pas dans l’illusion Nous regardons en adulte et jugeons Le but n’est pas d’éviter l’illusion, tout est illusion Coutume de considéré Tchekhov comme auteur naturaliste ; pourtant pièce faite de coïncidences aussi énormes que chez Feydeau. - Etre investi par le théâtre // cf Crime et châtiment les paroles de l’acteur trouvèrent en nous un écho comme des enfants qui écoutent un conte l’univers complexe du roman de Dostoïevski était recréé Godard a montré que la réalité au cinéma n’était qu’une autre convention, fausse et théorique. 12 - - - - Quand le théâtre parvient à refléter une vérité propre à une société, il exprime plus le désir de changer que la croyance en un changement possible. A nouveau, comme dans la période élisabéthaine, l’homme se demande pourquoi il est sur terre et quels sont ses moyens de référence. C’est toujours le rapport entre un homme et la société qui apporte une nouvelle profondeur et une vérité vitale à la personnalité. Quel est notre vrai but aujourd’hui, par rapport aux hommes qui nous entourent ? Avons-nous besoin d’être libérés ? De quoi et comment ? Shakespeare est le modèle d’un théâtre qui contient à la fois Brecht et Beckett, mais les dépasse tous les deux. C’est l’absence de décor dans le théâtre élisabéthain qui lui donnait une de ses plus grandes libertés. Pièces écrites pour être jouées sans entracte Projet global avec les intrigues secondaires Estrade ouverte et neutre Parterre plat et ouvert, grand balcon et deuxième galerie : diagramme de l’univers au XVIè : les Dieux, la cour et le peuple. Trois niveaux séparés et pourtant entremêlés. Passer librement du monde de l’action au monde des impressions intérieures. La force des pièces de Shakespeare vient de ce qu’elles représentent l’homme simultanément sous tous ses aspects Nous nous identifions émotionnellement et subjectivement aux situations et aux personnages Rugosité de structure Cf Mesure pour mesure : le brut est en prose, le reste en vers. Il a besoin des vers car il essaie d’en dire plus. Chaque partie reflète l’autre comme dans un kaléidoscope. Cf Le conte d’hiver et ses trois niveaux Quelque chose qui appartient au « happening » : le moment où l’illogique pénètre notre compréhension habituelle nous fait ouvrir plus grand nos yeux. Ce serait une erreur d’extraire des événements ou des épisodes d’une pièce et de les étudier au nom d’une vraisemblance extérieure, qui serait la « réalité » ou la « vérité ». Aborder Lear, non comme un récit linéaire, mais comme un nœud d’interrelations. Ce n’est pas que l’histoire d’un individu. L’œuvre a bien des facettes, de nombreux thèmes s’entrecroisent 13 - - à l’intérieur de ce prisme. Pas un récit, mais un poème immense, complexe, cohérent, dont le rôle consiste à étudier la puissance ou la vacuité du rien – les aspects positifs et négatifs que dissimule le néant. Que dit Shakespeare ? Veut-il dire que la souffrance a une place nécessaire dans la vie ? Veut-il nous faire comprendre que l’époque de souffrance de Titan est révolue ? La Tempête : pièce énigmatique et elliptique. Comme prétexte à costumes, effets scéniques et musicaux, elle ne vaut pas la peine d’être jouée. La charmante pastorale recèle l’enlèvement, le meurtre, les conspirations et la violence. Au XXème siècle, en Angleterre, nous nous trouvons confrontés au fait exaspérant que Shakespeare est encore notre modèle. Public en contact direct avec les thèmes de la pièce Où trouver l’équivalent des pièces élisabéthaines, avec toute leur force, leur étendue, leur portée ? Si nous ne comprenons pas la tragédie, c’est parce qu’on a confondu tragédie et costumes d’époque. Nous confondons la beauté avec l’esthétisme. Le théâtre a besoin d’une révolution perpétuelle. Nous devons accepter le fait qu’aujourd’hui le « brut » est plus vivant, et le « sacré » plus défunt que jamais. Autrefois le théâtre pouvait commencer comme par magie : la magie de la fête sacrée ou la magie de la rampe qui s’allumait. Aujourd’hui c’est l’inverse. C’est à nous de capter l’attention du public et de le faire croire à ce qu’il voit. Pour cela, nous devons prouver qu’il n’y a aucune tricherie, qu’il n’y a rien de caché. Nous devons ouvrir nos mains nues et faire voir que nous n’avons rien dans nos manches. Alors, nous pourrons commencer. 14 Le théâtre immédiat - Le théâtre n’est pas un lieu comme les autres. Il est comme une loupe qui grossit l’image, mais aussi comme une lentille d’optique, qui la réduit. Univers différent de la vie quotidienne donc risque d’être coupé de la vie. Il rétrécit la vie La plupart des gens pourraient vivre normalement en se passant de l’art, et même s’ils en regrettaient l’absence, cela ne les empêcherait nullement de vivre normalement - La scène est le reflet de la vie, mais, pas un instant, cette scène ne peut être revécue sans une méthode de travail fondée sur le respect de certaines valeurs. Sous la loupe, on verrait un groupe de gens vivre selon des règles précises, partagées par tous, mais tacites. Au sein d’une communauté humaine, le théâtre a une fonction exceptionnelle, ou n’en a aucune : ce qu’il offre ne se trouve ni dans la rue, ni chez soi, ni au café… ni au cinéma. Le cinéma projette sur un écran des images du passé. Le cinéma nous semble absolument réel. Il ne l’est évidemment pas // le théâtre s’affirme toujours dans le présent. - Le théâtre est l’arène où peut avoir lieu une confrontation vivante. La concentration d’un grand nombre de personnes porte en soi une intensité exceptionnelle. - Je poursuis ma recherche au sein d’un théâtre à la fois en décadence et en pleine évolution. Pas de recettes, pas de méthodes Durant la représentation d’une pièce de théâtre s’établit une relation entre l’acteur, la pièce et le public. // pdt les répet : acteur, pièce et metteur en scène. J’ai souvent pensé que le décor doit servir d’épure à la mise en scène : un mauvais décor rend de nombreuses scènes impossibles à faire et même annihile certaines possibilités de jeu pour les acteurs. - - 15 - - - C’est quelque chose d’inachevé qu’il nous faut : un projet qui soit clair sans être rigide, qui puisse être qualifié d’ouvert et non de fermé. Un véritable décorateur concevra ses projets comme toujours en mouvement, en action. Compose avec la quatrième dimension : le temps. Il voit l’image d’une scène en mouvement Quel costume doit porter l’acteur. Avoir fait l’expérience physique du rôle Un acteur dont le travail semble vrai dans les vêtements qu’il porte aux répétitions, perd en intensité lorsqu’il porte une tunique copiée sur un vase du British museum. Mais pas les vêtements de tous les jours // différencier les répétitions de la représentation L’action se passe-t-elle à une époque déterminée ? Quelle est sa réalité ? Qu’est-ce qui a besoin d’être affirmé ? Acteur Bloqué par ses propres limites qui déterminent son emploi réel Mais capacité de dévoiler pendant les répétitions des aspects insoupçonnés. Procéder par intuition Le talent n’est pas statique A la première répétition, on est toujours, jusqu’à un certain point, un aveugle qui guide des aveugles. Organiser des jeux, mais le but ne réside jamais dans le jeu luimême. Le metteur en scène qui arrive à la première répétition avec son script où tout est noté, est un homme de théâtre sclérosé. Cf Peines d’amour perdues où Peter Brook est arrivé à la première répétition avec un recueil de notes pour les 40 acteurs. « Ils étaient loin de ressembler à mes figurines de carton ». Energie, variations… J’ai pris conscience de la présomption et de la folie qui consistent à penser qu’un modèle inanimé peut remplacer un homme. Matériau qui réagit et évolue. Répéter une pièce, c’est penser à voix haute et devant nous. Possibilité de raté quand l’acteur est en désaccord. Les metteurs en scène qui ne sont pas des despotes sont parfois tentés par la voie fatale de l’inaction. 16 - Le comédien Le metteur en scène est là pour attaquer et se rendre, pour provoquer et se retirer. Il doit sentir où l’acteur veut aller et ce qu’il veut éviter Aucun metteur en scène ne dicte sa façon de jouer aux acteurs. Au mieux, un metteur en scène leur donne la possibilité de révéler leur propre jeu. Impulsion pour que l’imagination de l’acteur se mette en branle Disponibilité totale Les acteurs agissent comme des médiums : tout à coup, l’idée les pénètre comme un acte de possession. Parfois doit aller jusqu’aux limites de sa personnalité et de son intelligence. John Gielgud : sens du rythme, comme un instrument qu’il a développé au cours de sa carrière. Son art est plus vocal que physique. Paul Scofield : instrument de chair et d’os. Tout se passait comme si l’art d’articuler un mot faisait naître en lui des vibrations qui renvoyaient à des significations bien plus complexes. Rythmique personnelle. Le langage qu’il pratique dans sa vie quotidienne n’est pas forcément celui de l’invention, mais celui de sa propre aliénation. Ceux qui travaillent dans l’improvisation ont l’occasion de voir avec une effrayante clarté combien les limites de ce qu’on nomme la liberté sont rapidement atteintes. Attention aux clichés : pour la surprise : bouche ouverte… imitation d’une forme déjà vue. - Rejeter les conventions usées du théâtre. Mettre l’acteur face à ses propres inhibitions L’acteur joue faux parce qu’il traduit par des attitudes imitatives de minuscules bribes d’émotions artificielles Distribuer un monologue de Shakespeare à trois voix, comme pour un canon, puis le faire répéter à une vitesse folle, à l’infini. Faire ressortir la signification des mots mais incapacité d’utiliser ses moyens normaux d’expression. Faire réciter « Etre ou ne pas être c’est là la question » par neuf acteurs. Etre attentif à l’autre. Les acteurs doivent apprendre leur métier en variant les méthodes. 17 - L’injonction de Stanislavski « construire un personnage » nous égare car un personnage n’est pas une chose statique et ne pas être construit comme un mur. Explore les aspects de son personnage, contraint sans cesse de se dépouiller et de recommencer. Doit être ouvert à l’idée que rien n’est bon. C’est la différence entre le rôle créé et le rôle fabriqué. Le plus difficile pour un acteur est d’être sincère et pourtant détaché. Le mot de sincérité cache un dangereux piège. Le comédien, comme le peintre, doit s’écarter de sa toile. Il doit s’entraîner à mentir avec franchise. Parallèlement à l’émotion, il y a place pour une intelligence particulière, qui n’est pas là dès le début, mais qu’il faut développer comme instrument de choix. Il se peut qu’un acteur soit suffisamment préparé à mimer le mort pour qu’il joue la scène sans se rendre compte qu’il ne sait rien de la mort. Un tel acteur est esclave de sa passion et se révèle incapable d’y échapper. Il faut cesser de croire que les masques grotesques, les fards excessifs, les costumes hiératiques, la déclamation… sont en eux-mêmes rituels, et par conséquent lyrique et profond : nous ne sortirons jamais des routines de l’art théâtral traditionnel. Toute chose a son langage, mais aucun langage n’est universel Sur scène ce que je fais peut n’avoir d’autre signification que sa signification immédiate Mais cela peut aussi valoir comme métaphore La musique est un langage en liaison avec l’invisible Les mots ne sont pas de la musique, on ne peut s’abstraire de leur sens. La poésie est trompeuse. Travail à partir des adieux de Roméo à Juliette : séparer ce qui pourrait être joué au cinéma de ce qui n’a rien à voir avec le langage normal : un même discours peut contenir des instants de langage naturel, sur lesquels viennent se greffer des pensées et des sentiments inexprimés Un passage en vers doit se comprendre comme une formule comportant de nombreuses données Trouver une structure rythmique pour faire un gros plan sur une idée Durant les répétitions, la forme et le contenu doivent parfois être étudiés ensemble, parfois séparément. Parfois l’exploration de la 18 - forme peut soudain dégager le sens qui a dicté la forme ; parfois c’est une étude serrée du contenu qui donne un nouveau sens du rythme. Valse entre le metteur en scène, l’acteur et le texte… quant à savoir qui mène la danse. Sait que la pensée et le corps ne peuvent être séparés. Méthode pour stimuler : par ex image de Goya pour la folie… problème : toute la sincérité du monde peut bien mener nulle part. Rendre le personnage expressif : c’est là que l’intelligence intervient Il y a un temps pour discuter les grands axes d’une pièce, un temps pour les oublier Plus l’acteur se rapproche du moment de la représentation, plus nombreuses sont les exigences qu’il va devoir analyser, comprendre et satisfaire simultanément. La catharsis ne peut être simplement une purge émotionnelle : elle doit concerner l’homme tout entier. La seule chose qu’ont en commun toutes les formes de théâtre, c’est le besoin d’un public. Il est le terme des étapes de la création. Dans les autres arts, il est possible à l’artiste de partir du principe qu’il travaille pour lui-même. Aucun acteur, même mégalomane ne voudrait jouer pour lui-même, pour son miroir…n’atteignent leur propre vérité que lorsque le spectateur les cerne de toutes parts. Le metteur en scène connaît déjà les intentions de la pièce / spectateur : vision globale dissoute. Au Théâtre de la cruauté, une part de notre recherche portait sur le public : spectacle expérimental : trois minutes d’une pièce d’Artaud faite de hurlements (certains spectateurs étaient fascinés, d’autres se mirent à rire) + comédien ôtant ses vêtements Public Peu habitué à avoir sur le champ, et à chaque instant, ses propres jugements Tout sert à conditionner le public Ceux qui vont au théâtre en dépit des mauvaises critiques, y vont avec l’espoir et l’attente de quelque chose Après U.S. propose aux spectateurs de rester après la pièce : vont commencer à se parler 19 En quête d’un nouveau public car pas très vivant et pas très fidèle - Que cherche-t-on réellement à offrir ? Nous faisons croire à un ouvrier, que le théâtre fait partie de la culture, c’est-à-dire de ces biens de consommation désormais accessibles à tous. Prosélytisme caché : venez partager avec nous notre art de vivre, qui est bon, puisqu’il est fait de ce qu’il y a de meilleur Cela ne changera jamais, aussi longtemps que la culture ou n’importe quelle forme d’art ne seront que des accessoires de la vie Quand on sort on n’est plus tout à fait les mêmes : quelques participants sont, pour un temps, légèrement plus vivants L’artiste n’est pas là pour accuser, sermonner, haranguer, encore moins pour enseigner. Il est comme un aiguillon qui ne peut provoquer les réactions du public que si ce public est décidé à se mettre lui-même en question Détruire d’anciennes formes, en chercher de nouvelles /pas de style universel - Le théâtre est semblable à une réaction chimique. Lorsque le spectacle est terminé, que reste-t-il ? On peut oublier le plaisir, mais les émotions intenses disparaissent également. Restent gravés dans la mémoire du spectateur un schéma, une saveur, une ombre, une odeur Quand des années après, je repense à une expérience théâtrale qui m’a marqué, ce sont des images isolées que je retrouve Chaque fois l’acteur donne un peu de lui-même Le public peut-il conserver une trace de la catharsis, ou bien ne peut-il rien espérer de mieux qu’un instant de bien-être ? L’acte théâtral est une libération. Le rire comme les émotions intenses débarrassent le corps et l’esprit de leurs impuretés Le spectateur désire-t-il quelque chose d’autre en lui-même, dans sa vie, dans la société ? Il a peut-être besoin de cela. Il a besoin de tout ce qu’il peut trouver dans le théâtre. - Répétitions, représentation, assistance 20 Répétition : une discipline / mais le mot évoque quelque chose de monotone… nie ce qui est vivant Contradiction : pour évoluer une chose doit être préparée… mais avec la répétition on est déjà sur la pente de la décadence. Représentation : on montre quelque chose qui appartient au passé + hors du temps. Elle prend ce qui s’est passé hier et le fait revivre sous tous ses aspects, y compris la spontanéité Action vivante : geste réel dans l’immédiat La mise au présent ne vient pas toute seule. Dans le vide, le travail des acteurs est dépourvu de sens : idée de public Les spectateurs peuvent très bien ne regarder que passivement le spectacle. Mais on peut aussi l’ébranler profondément. Le public l’assiste : regard, plaisir, désir Le théâtre a une caractéristique particulière : on peut toujours recommencer. Dans la vie, c’est impossible : nous ne pouvons jamais retourner en arrière. On écrit sur une ardoise qu’on peut toujours effacer. Dans la vie quotidienne, l’expression « comme si » est une fonction grammaticale ; au théâtre, « comme si » est une expérience. Dans la vie quotidienne « comme si » est une évasion ; au théâtre « comme si » est la vérité. Quand nous sommes convaincus de cette vérité, alors le théâtre et la vie ne font qu’un. Jouer sur une scène demande un grand effort. Mais quand le travail est vécu comme un jeu, alors ce n’est plus du travail. 21