La justesse des consensus

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La justesse des consensus
La justesse des consensus :
peut-on s’y fier?
GÉRARD BÉRUBÉ
Ils sont scrutés, consultés, comparés. Ils servent
de référence dans les médias financiers, de
points de repère dans l’industrie des valeurs
mobilières. Mais tous conviennent que ces
baromètres et consensus ne sont, trop souvent,
qu’un regard sur le passé. Au demeurant, un
point de départ de travail du conseiller. Après
tout, conseillers et analystes veulent bien se
distinguer, offrir une valeur ajoutée.
ujourd’hui, les pages financières sont pourtant encore
truffées de ces repères faisant
appel aux consensus fournis par
Thomson Financial/First Call ou
IBES. Des consensus obtenus par
sondage, autour d’une moyenne des
prévisions des analystes et prévisionnistes. Des prévisions touchant tant
l’entreprise que son secteur ou son
indice de référence. First Call se
concentre davantage sur les titres
américains et pousse sa lecture jusqu’à des prévisions trimestrielles.
IBES est plus internationale et travaille davantage à établir des agrégats
plus globaux.
Historiquement, ces consensus
permettaient aux analystes de se
situer par rapport à la moyenne.
Aujourd’hui, ils sont devenus la référence, le point de rencontre et le critère dictant la sanction des marchés.
Et cette sanction sera beaucoup plus
sévère si les surprises sont à la baisse
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(sous le consensus) plutôt qu’à la
hausse (au-dessus du consensus).
Un usage de plus en plus répandu,
donc, qui peut expliquer le changement fondamental dans la volatilité
des marchés, qui a doublé dans la
seconde moitié des années 1990. Un
usage à ce point élargi, aussi, qu’il
peut illustrer le virage des investisseurs en faveur de l’optique de croissance, par opposition au mode de gestion axé sur la valeur. Dans ce marché
boursier centré sur la croissance et la
performance à court terme, qui a
atteint son apogée entre 1998 et 2000,
les consensus des analystes étaient
devenus une mode, voire la bible.
D’ailleurs, c’est cet environnement, beaucoup plus émotif, qui avait
donné naissance à des ratios exotiques
mettant un accent démesuré sur cette
croissance, tel ce fameux PEG (pour
price earning-growth), où l’on divisait
le ratio cours-bénéfice par le taux de
croissance anticipé. Véritable sym-
La justesse des consensus
Quelques sites de
référence dans
Internet
La Bourse de Toronto : TSX
http://www.tse.ca
Voilà un site à l’optique très pratique, où l’on
s’est efforcé de rendre l’information accessible
à un large public. Il plaira à tous ceux qui veulent suivre en temps réel l’évolution du marché
boursier canadien et obtenir de l’information
sur les entreprises inscrites à cette Bourse.
Le site du Système
électronique de données,
d’analyse et de recherche
(SEDAR)
http://www.sedar.com
Il est fort complet et à jour, accessible aux intervenants du secteur des valeurs mobilières et aux
petits investisseurs qui veulent obtenir des renseignements sur n’importe quelle société cotée
en Bourse au Canada (profil de la société, prospectus, rapport annuel, états financiers, documents relatifs à une offre publique, communiqués de presse, etc.). Le site du SEDAR contient
plus de 75 000 documents et plus de 8 000 profils
de sociétés et d’organismes de placement collectif. La commission des valeurs mobilières américaines offre un service semblable avec EDGAR
(www.sec.gov/cgi-bin/srch-edgar), où l’on trouve toute l’information publique concernant les
sociétés ouvertes américaines.
Le Journal sur les fonds
(Banque de Montréal)
http://bmo.com/fondsm
Créé par la Banque de Montréal,le Journal sur les
fonds vous dira tout sur les fonds communs de
placement. Écrit pour que tous puissent comprendre, il pourrait également intéresser vos
clients qui ont soif d’information sur les produits.
Alexandre Lebrun,
économiste chez Avantages
Services Financiers
bole de la bulle des valeurs technologiques, le PEG servait à compenser
l’absence de rentabilité et à justifier
des ratios cours-bénéfice stratosphériques, dans la mesure où il s’appuyait
sur un scénario de croissance supérieure à la moyenne.
Or, avec le retour au style de gestion centré sur la valeur, ces consensus
pourraient perdre de leur influence.
Du moins, leur pertinence serait
ramenée au statut de point de repère,
pour les conseillers, ou de point de
comparaison, pour les analystes. En
fait, «les consensus ont pour effet
d’amener du volume sur l’action. En
ce sens, ils ont la même importance,
que l’optique soit de valeur ou de croissance. Ces consensus déterminent la
tendance, les déplacements des capitaux. On l’a vu l’an dernier avec ce
consensus invitant à rechercher les
titres bancaires pour leur sécurité.
Tout le monde est allé vers le secteur
financier», précise Richard Giroux,
vice-président, Ventes, aux Valeurs
mobilières Partenaires Cartier.
Mais difficile de se démarquer. En
se fiant uniquement aux moyennes,
au consensus, on fait comme tout le
monde. «C’est un point de départ.
On se sert de ces analyses à titre de
repères servant de point de départ
pour le conseiller», ajoute M. Giroux.
Il pense également à ces outils de
sélection descendante utilisés dans
l’univers des fonds d’investissement,
tels Morningstar et Pall Track, disponibles sur la plupart des platesformes financières. «Ce sont des
outils de recherche intégrés qui nous
apportent une première sélection.
Mais le travail du conseiller reste à
faire. D’autant que ces outils ont leur
limite. Ils sont beaucoup plus efficaces dans un marché haussier que
dans un marché baissier. Ils traduisent des comportements essentiellement passés, historiques, et parviennent difficilement à identifier les
renversements de tendance. Et combien de fois a-t-on vu un cinq-étoiles
aujourd’hui devenir un deuxétoiles demain?»
OBJECTIF CONSEILLER
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Qualisteam —
Banques et Finances
http://www.qualisteam.com
«L’accès facile à l’essentiel»,voilà ce que promet ce site qui nous propose les adresses de
la quasi-totalité des sites bancaires (il y en a
plus de 1 400), des places boursières de 65
pays et d’environ 1 800 serveurs financiers.
On y offre également plusieurs outils permettant de mener à bien différentes transactions financières (conversion de devises,
calculateurs, encyclopédies, glossaires, etc.).
Canadian Corporate
NewsNet
http://www.cdn-news.com/
Ce site peut faire penser à la section économique d’un quotidien... multipliée par 10
sur le plan du lot d’informations qu’on y
présente! Transactions, acquisitions, nouvelles générales dans les sociétés canadiennes, on vous propose tout ce que vous
désirez savoir...et on peut même vous expédier certaines données par courrier électronique pour vous éviter d’avoir à accéder au
site! Au fait,n’hésitez pas,si vous faites partie d’une entreprise,vous pouvez très bien y
diffuser vos communiqués.
Autres sites financiers*
Analyse technique
http://www.clearstation.com
http://www.barchart.com
Très utiles pour savoir si un titre connaît une
tendance haussière ou baissière. Le premier
site a également un aspect communautaire.Toutefois,BarChart offre une fonction qui
renseigne sur la probabilité que le titre en
soit à son creux ou à son sommet.
Commentaires
http://www.thestreet.com
http://www.cbs.marketwatch.com
On y retrouve les nouvelles les plus complètes
et les commentaires de professionnels..
François Dupuis,
économiste au sein du
Mouvement Desjardins
La tendance
Du marketing pour l’essentiel? «Ils
vendent leurs données extrêmement
cher», lance Vincent Lépine, économiste en chef adjoint à la Financière
Banque Nationale, en référence aux
firmes telle First Call. Revenant à
Morningstar et compagnie : «Le
défaut de ces outils ou de ces grilles,
c’est qu’ils font ressortir les catégories à la mode et qu’ils accordent peu
d’importance à la volatilité ou à la
plus-value apportée par le gestionnaire», renchérit Michel Marcoux,
président d’Avantages Services
Financiers. Pour son collègue économiste Alexandre Lebrun, des modes
de sélection à la Morningstar vont se
concentrer sur les catégories de fonds
sans autre distinction. Ils vont mesurer la performance des fonds d’actions, par exemple, sans faire la part
des choses entre la démarche de
croissance ou de valeur. «Ces outils
vont nous dire quelle catégorie de
fonds, et non quel fonds, a connu une
meilleure croissance.»
C’est pourquoi, dans l’industrie
des fonds d’investissement, on va
préférer s’en remettre à une analyse
plus subtile, plus nuancée, une analyse faisant appel à des paramètres
touchant le taux d’efficacité fiscale,
l’écart type, le Bêta. Ou encore au
ratio de Sharpe ou ses variantes (les
mesures Alpha et Treynor), un ratio
qui met en relation la performance
du fonds, dégonflée du rendement
dit sans risque, et sa volatilité. «Avec
Sharpe, on obtient une façon de
mesurer l’apport du gestionnaire»,
résume Michel Marcoux.
«On va chercher la valeur ajoutée»,
continue Benoît Durocher, président
et chef de l’exploitation d’Addenda
Capital. Du côté de l’obligataire, «on
va également regarder la volatilité et
le rapport risque-rendement (ratio de
Sharpe), auxquels on ajoute les coefficients de corrélation entre les différentes catégories d’actif, de manière à
obtenir une allocation optimale»,
enchaîne-t-il.
Dans l’univers plus vaste des prévisions, les First Call et IBES règnent
en maître chez les analystes financiers. Quant aux consensus d’économistes, Bloomberg est le plus gros
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intervenant. «Bloomberg fait des sondages dans à peu près tous les
domaines»,
constate
François
Dupuis, chef économiste adjoint et
stratège au Mouvement Desjardins.
Suivent Blue chips, concentrée
essentiellement sur l’économie américaine, et deux agences londoniennes, Thomson Financial et
Consensus Forecast, pour l’économie mondiale. Les agences de presse
spécialisées, Reuters en tête, tentent
également d’y faire leurs marques.
«On s’y réfère beaucoup, ne
serait-ce que pour nous comparer», a
précisé M. Dupuis, qui rappelle
d’ailleurs que la Caisse de dépôt et
placement du Québec a délaissé les
prévisions, individuelles ou maison, il
y a deux ans, pour s’en remettre aux
consensus. L’économiste soutient
que les prévisions individuelles peuvent éprouver plus de difficulté à
tenir la route, notamment en
périodes de crise et d’instabilité. En
revanche, admet-il, «le consensus
peut prendre plus de temps à s’ajuster» à un environnement changeant.
Sans compter l’écart type autour de
la moyenne, pouvant être plus ou
moins grand. Et il y a risque de nivellement, le prévisionniste pouvant
être tenté de s’ajuster à la moyenne
plutôt que de l’influencer. «En général, on ne peut être très loin du
consensus. Mais si ton scénario s’en
éloigne et que tu y tiens, tu y crois...
Autrement, en retenant le consensus
plutôt qu’en défendant ton scénario,
tu détruis ta plus-value», répond
François Dupuis.
Son homologue à la Financière
Banque Nationale, Vincent Lépine,
acquiesce. «Le consensus, ça n’a
aucune valeur ajoutée. Et c’est une
moyenne, qui bouge lentement. Mais
les consensus sont utiles, ne serait-ce
qu’à des fins de comparaison ou de
référence, pour obtenir une lecture
des attentes ou pour mieux évaluer
un effet-surprise.» N’empêche, «on
va aimer se comparer, mais, quant au
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Fonds communs
d’investissement
http://www.morningstar.ca
Site sur les fonds d’investissement canadiens.
On peut cliquer sur www.morningstar.com
pour en savoir plus sur les fonds américains.
Gestionnaire de portefeuille
http://www.quicken.ca
http://moneycentral.com
Ce sont deux grands sites de finances personnelles qui présentent également les
portefeuilles trackers.
Groupes de discussion
http://www.yahoo.com
On y trouve des groupes de discussion sur
presque tous les titres et sujets financiers.
Recherche
http://www.multex.com
Ce site est surtout connu pour ses rapports
de recherche et d’analyse sur des centaines
d’entreprises ou de thèmes.
scénario final retenu, tout dépendra
de notre degré de confiance».
D’autres économistes vont se faire
un devoir de se situer aux extrémités
de cet intervalle de prévisions, «pour
faire les manchettes du Wall Street
Journal ou du Globe and Mail. Ils en
font leur marque de commerce», ont
reconnu les deux économistes. Pour
faire les manchettes ou pour alimenter
une position contraire, il s’agit d’un
esprit à contre-courant. Retenant la
portée limitée de ces sondages, qui
jettent très souvent sur l’avenir prévisible un regard inspiré du passé, on
rappelle, à Addenda Capital, que les
consensus n’ont pas toujours été de
bon conseil. «Prenez ces pressions
militant en faveur d’une diversification
internationale, fait remarquer Stéphane Corriveau. Or cette diversification a été un échec au cours des cinq
dernières années. L’échec a été amplifié par le fait que nombre de caisses
de retraite ont troqué leurs obligations
contre des actions internationales.» Le
gestionnaire d’Addenda, une firme
spécialisée dans la gestion obligataire,
en rajoute. Au début de 2002, le
retour aux actions faisait pourtant
consensus. On nous invitait alors à
délaisser le marché obligataire pour
donner priorité au marché boursier.
«Avec les résultats que l’on connaît.»
Ce consensus s’est reproduit en ce
début de 2003, de manière plus
timide toutefois tellement l’incertitude demeure quant à la vitesse que
prendra la reprise économique.
«Pourtant, nous maintenons que ce
Stéphane Corriveau,
d’Addenda Capital
ne sera pas encore fameux pour les
actions cette année. Que nous aurons
droit à une quatrième bonne année
de suite du côté obligataire. Que
même si les pressions se veulent
haussières sur les taux d’intérêt à
court terme, le long terme peut être
très attrayant, surtout en l’absence
d’inflation. Il suffit de bien se positionner sur la courbe de rendement»,
ajoute M. Corriveau.
Il reste que, dans tout cela, la
marche à suivre sera ultimement dictée par cette demande globale, issue
des besoins exprimés par ces grandes
caisses de retraite. Ces caisses au passif actuariel de plus en plus grand, dont
le poids est alourdi par la population
vieillissante.
«Les caisses de retraite se retrouvent devant un grand dilemme : viser
un rendement potentiel accru en prenant des risques supplémentaires –
avec les conséquences que l’on voit
depuis trois ans – ou sécuriser leurs
rentes?» conclut Stéphane Corriveau.
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