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La grande taiLLe chez L`adoLescent Causes, examens et
ENDOCRINOLOGIE La grande taille chez l’adolescent Causes, examens et traitements La grande taille est définie par une taille supérieure ou égale à deux déviations standard (DS) à la moyenne des courbes de référence. Elle concerne donc 3 % de la population. Contrairement à la petite taille, la grande taille est un motif Dr Claire Bouvattier, Endocrinologie pédiatrique, hôpital Bicêtre, Le Kremlin-Bicêtre de consultation peu fréquent à l’adolescence et concerne surtout les filles. Que faire devant un(e) adolescent(e) de grande taille ? taille a débuté avant ou après la naissance. L’approche diagnostique est résumée sur l’arbre (Fig. 1). La question est d’éliminer une pathologie endocrinienne ou syndromique, même dans une famille de grande taille. L’étude de la courbe de croissance et l’analyse de l’âge osseux vont permettre d’évaluer le pronostic de taille finale afin de discuter l’indication d’un traitement freinateur de la croissance. L’examen clinique doit être complet. La puberté sera cotée avec le score de Tanner. L’examen recherche également une dysmorphie, des anomalies des extrémités ou des malformations qui peuvent orienter vers une étiologie syndromique. L’interrogatoire doit rechercher des antécédents familiaux de grande taille et la date des premières règles de la mère. Un arbre généalogique sera réalisé et les tailles familiales seront reportées. Les antécédents familiaux de pathologies tumorales, ophtalmologiques, cardio-vasculaires, orthopédiques, cutanées ou neurologiques seront notés. On questionnera les mensurations de naissance (poids, taille et périmètre crânien). Le développement psychomoteur sera évalué, ainsi que le niveau scolaire. Le médecin sera attentif aux antécédents de pathologies, en particulier ophtalmologiques, cardiovasculaires, orthopédiques (scoliose). La courbe de croissance est un élément indispensable de la prise en charge. Elle permet d’analyser la vitesse de croissance, régulière ou accélérée récemment. La grande 22 Quels examens prescrire ? L’âge osseux est systématiquement évalué (atlas de Greulich et Pyle) afin d’évaluer la maturation osseuse. L’âge osseux permet également de calculer la taille prédite à partir des tables de Bayley et Pinneau. Lorsque l’âge osseux est supérieur à 13 ans, il est complété par une radiographie du bassin pour déterminer le stade de Risser. La fonction somatotrope doit être évaluée : IGF-1 et test de freination par de la GH sous HGPO si l’IGF-1 est élevé. L’analyse de la fonction gonadotrope (œstradiol, testostérone, test LHRH) évaluera la puberté. Le bilan thyroïdien est systématique. L’IRM hypothalamohypophysaire sera discutée dans un second temps. En cas d’association de la grande taille avec une dysmorphie, des malformations, un retard des acquisitions, un caryotype sanguin et des recherches génétiques spécifiques sont discutés. Quelles sont les causes de grande taille à l’adolescence ? (Fig. 1) bbLes causes endocriniennes de grande taille • L’obésité est la cause principale de grande taille. La vitesse de croissance s’accélère en même temps que la prise de poids. Il existe parfois une avance de maturation osseuse et une avance pubertaire, surtout chez les filles, et la taille adulte est en général proche de la taille cible. • La puberté précoce, centrale ou périphérique, s’accompagne d’une accélération de la vitesse de croissance. Le développement des caractères sexuels secondaires permet d’orienter rapidement le diagnostic. De la même façon, l’hyperandrogénie (hyperplasie congénitale des surrénales) s’accompagne d’une accélération de la vitesse de croissance non isolée. Ces pathologies entraînent aussi une avance de maturation osseuse et un risque de petite taille finale. Leur traitement est étiologique. Adolescence & Médecine • Novembre 2014 • numéro 8 La grande taille chez l’adolescent Avance staturale VC régulière Sans retard mental Modificaon VC Avec retard de développement Syndrome de Marfan Arachnodactylie, palais ogival, luxaon du cristallin, scoliose, dilataon aorque X fragile Retard mental, troubles du comportement, macro-orchidie Syndrome de Wiedemann-Beckwith Macrosomie, omphalocèle, hypoglycémies, macroglossie, hémihypertrophie, helix Syndrome de Simpson-Golabi-Behmel Macroglossie, dysmorphie, difficultés scolaires Syndrome de Simpson-Golabi-Behmel Macroglossie, dysmorphie, mamelons surnuméraires Homocysnurie Aspect marfanoïde, retard de développement 47,XXY 47,XXX Dysgonosomies Grande taille familiale Diagnosc d’éliminaon 47,XYY 47,XXYY Dysgonosomies Syndrome de Sotos Macrocéphalie, dysmorphie, difficultés scolaires variables, scoliose, visage fin et allongé, hypotonie Hyperthyroïdie Goitre, tachycardie, T4L, TSH Obésité Puberté précoce Développement mammaire, métrorragie, volume tesculaire, LHRH, E2, échographie pelvienne Centrale Idiopathique Tumorale (NF1, hamartome…) Indépendante des gonadotrophines McCune-Albright Kyste ovarien Tumeur ovarienne Hyperandrogénie Pilosité pubienne, verge, clitoris, acné, 17OHP, D4 androstènedione, testostérone, SDHA, composé S Hyperplasie congénitale des surrénales Déficit en 21-hydroxylase Déficit en 11β-hydroxylase Tumeur surrénalienne Scanner surrénalien IGF-1 IRM Acromégalie Figure 1 - Arbre décisionnel. • L’hyperthyroïdie est rare chez l’enfant, souvent en rapport avec une maladie de Basedow. L’accélération de la vitesse de croissance est associée à des signes fonctionnels (asthénie, palpitations, hyperactivité, baisse des performances scolaires) et cliniques (exophtalmie, goitre). La TSH est indétectable, et la T3L et la T4L périphériques sont élevées. Le traitement est étiologique. • L’acromégalie est exceptionnelle en pédiatrie, et le diagnostic est difficile car la grande taille peut être isolée (voir encadré cas clinique). Elle est liée à un adénome hypophysaire sécrétant de la GH. Les signes typiques d’acromégalie sont inconstants : traits épais, élargissement du nez et du menton, grandes extrémités, et parfois dysménorrhée chez les filles. L’accélération de la vitesse de croissance est constante. Les taux d’IGF-1 sont élevés, les taux de base de GH peuvent être normaux, mais la sécrétion de GH n’est pas freinée pendant l’HGPO. Le diagnostic est confirmé par l’IRM hypothalamohypophysaire. On recherchera des arguments cliniques pour un syndrome de Mc Cune-Albright (taches café-au-lait, dysplasie fibreuse), ou une néoplasie endocrinienne multiple (NEM) de type 1 (adénomes antéhypophysaires et surrénaliens, tumeurs endocrines du pancréas et hyperparathyroïdie). Des mutations du gène AIP sont retrouvées chez 20 % des enfants présentant des macro-adénomes à GH. Le traitement de l’adénome est souvent chirurgical, par voie transphénoïdale, complété par un traitement médicamenteux freinateur de GH par les analogues de la somatostatine ou les antagonistes du récepteur de GH. • Les mutations du gène de l’aromatase (CYP19) responsables d’un déficit en œstradiol ou la résistance aux œstrogènes par mutation du récepteur aux œstrogènes sont des Adolescence & Médecine • Novembre 2014 • numéro 823 ENDOCRINOLOGIE pathologies exceptionnelles (moins d’une dizaine de patients décrits). Elles ont permis de confirmer le rôle essentiel des œstrogènes sur la fermeture des cartilages de croissance. ddCas clinique. S. R. vient pour un avis sur la croissance demandé par le pédiatre : 12 ans, stade pubertaire A1P2S1 AO 11 ans pointure 39 bbLes causes génétiques de grande taille Pas de taches cutanées, clitoris normal, pas de goitre. La nature syndromique d’une grande taille doit être évoquée quand la grande taille est associée à une dysmorphie, une disproportion des membres, un retard psychomoteur, des malformations. Il existe pour plusieurs de ces syndromes un risque tumoral accru ou vasculaire justifiant une surveillance spécifique. • Le syndrome de Klinefelter 47,XXY a une prévalence estimée à environ 1/660 garçons. Sa sévérité clinique est variable et le diagnostic peut être posé à différentes périodes de la vie. À l’adolescence, il existe une grande taille avec des membres longs, souvent une gynécomastie prépubertaire et parfois des difficultés d’apprentissage ou des troubles du comportement. Les testicules sont petits et une insuffisance testiculaire est constante. La grande taille serait secondaire à la présence d’une copie surnuméraire du gène SHOX, localisé dans la région pseudoautosomale commune aux chromosomes X et Y. Les femmes 47,XXX sont grandes. Leur puberté est normale et leur fertilité le plus souvent normale. • Le syndrome de Marfan est une maladie du tissu conjonctif dont la prévalence est estimée à 1/5 000 naissances. Il s’agit d’une maladie autosomique dominante, mais 25 % des cas sont sporadiques. Ce syndrome est principalement causé par des mutations du gène codant la fibrilline de type 1 (FBN1), un des constituants des fibres élastiques du tissu conjonctif. Il se traduit par des atteintes ophtalmologiques (ectopie 24 Bilan biologique : IGF-1 : 691 ng/ml (126-261) GH de base : 34 mUI/l pas de freinage sous HGPO : 33, 29, 33, 30 mUI/l PRL : 137 microgr/l (2-15) T4L : 14 pmol/l FSH : 0,64 UI/l LH : 0,07 UI/l IRM : macroadénome à GH Adolescence & Médecine • Novembre 2014 • numéro 8 La grande taille chez l’adolescent du cristallin, myopie, cornée plate), cardio-vasculaires (risque vital de dilatation de l’aorte ascendante) et musculosquelettiques. Les patients présentent un phénotype caractéristique avec une grande taille, des membres longs et fins, une arachnodactylie et souvent une scoliose et un pectus. Le diagnostic de syndrome de Marfan est principalement clinique et repose sur l’existence de critères précis réactualisés en 2010. • L’homocystinurie est une maladie génétique autosomique récessive rare en rapport avec un défaut de métabolisme de la méthionine par déficit en cystathionine bêtasynthase (CBS). Très proche du syndrome de Marfan par ses atteintes ophtalmologiques et squelettiques, le retard de développement psychomoteur, les troubles du comportement et les convulsions y sont constants. Une atteinte vasculaire avec des accidents thromboemboliques artérioveineux peut engager le pronostic vital. Le diagnostic repose sur le dosage de l’homocystéine totale et la chromatographie des acides aminés plasmatiques. • Le syndrome de WiedemannBeckwith est caractérisé par une croissance pré- et postnatale excessive, des malformations et un risque augmenté de tumeurs embryonnaires. L’expression phénotypique de ce syndrome est très variable. Le diagnostic est posé le plus souvent en période néonatale devant une macrosomie, une macroglossie, une indentation du lobe de l’oreille, des anomalies de la paroi abdominale (omphalocèle, hernie ombilicale, diastasis des grands droits) et des hypoglycémies. L’évolution se fait vers une grande taille associée à une viscéralomégalie et une hémihypertrophie. Des critères diagnostiques ont été développés. Ce syndrome est lié à des anomalies de l’empreinte au locus 11p15.5. L’empreinte génomique est le processus par lequel certains gènes, marqués pendant la gamétogenèse parentale, s’expriment différemment en fonction de leur origine parentale, ce qui conduit à l’expression préferentielle ou exclusive de l’allèle paternel ou maternel au niveau de certains tissus. Il s’agit de modifications épigénétiques apposées à l’ADN, le plus souvent par méthylation, et transmises lors des divisions cellulaires, réversibles dans les cellules germinales et spécifiques de certaines régions. • Le syndrome de l’X fragile est la cause la plus fréquente de retard mental héréditaire avec une incidence estimée à 1/4 000 chez les hommes. Il existe également un retard mental léger à modéré chez les femmes. La maladie se manifeste chez les garçons par un retard de langage et des troubles du comportement (hyperactivité, comportements autistiques). Ces garçons présentent souvent une grande taille et des signes cliniques évocateurs mais non spécifiques (visage allongé avec front haut, oreilles grandes et mal ourlées, macro-orchidie pubertaire). Ce syndrome est lié à des expansions instables d’une répétition de CGG dans le premier exon du gène fragile X mental retardation 1 (FMR1) en Xq27.3. • De nombreux syndromes rares sont associés à une grande taille : le syndrome de Simpson-GolabiBehmel, le syndrome de Sotos et le syndrome de Weaver, le syndrome de Marshall-Smith. bbLa grande taille constitutionnelle C’est un diagnostic d’élimination. Il existe souvent des antécédents familiaux de grande taille. La vitesse de croissance est habituellement accélérée dans la petite enfance, puis la courbe de croissance devient parallèle aux courbes normales. Il existe une corrélation positive forte entre la croissance et les taux d’IGF-1 pendant l’enfance. Cette association pourrait expliquer le risque augmenté de cancers (sein, endomètre, prostate, colorectal et hémopathies) et le risque réduit de maladies cardio-vasculaires et de diabète de type 2 chez les personnes de grande taille. Quelle discussion thérapeutique faut-il avoir avec les patients de grande taille ? Le traitement des grandes tailles constitutionnelles est essentiellement fondé sur des considérations psychologiques et sociales. Il existe peu d’études dans la littérature qui ont évalué ces conséquences dans la grande taille. Le pronostic statural considéré comme pouvant motiver une discussion thérapeutique est en France > à 185 cm pour les filles et > à 200 cm pour les garçons. La prédiction de taille adulte est l’élément majeur de la discussion thérapeutique. Les méthodes de prédiction ont été élaborées à partir d’enfants de taille normale et aucune n’est parfaite pour les enfants de grande taille. La méthode de Bayley et Pinneau utilise l’âge chronologique, la taille et l’âge osseux évalué par la méthode de GreulichPyle. Chez les filles, l’évaluation de la taille finale par Bayley et Pinneau est considérée comme satisfaisante après un âge osseux de 11-12 ans. En revanche, chez les garçons, cette méthode tend à surestimer la taille finale. bbQuels sont les moyens thérapeutiques disponibles ? • Les stéroïdes sexuels (œstrogènes chez la fille et testostérone chez le garçon) ont été utilisés depuis de nombreuses années pour Adolescence & Médecine • Novembre 2014 • numéro 825 ENDOCRINOLOGIE accélérer la fusion des cartilages de conjugaison. Chez les filles Chez les filles, les œstrogènes les plus utilisés sont l’éthinylestradiol, avec des doses recommandées qui se sont abaissées progressivement jusqu’à 100 gamma/j, et le 17β-œstradiol (6 à 8 mg/j). Les 20-25 jours par mois d’œstrogènes sont combinés à un traitement progestatif 10-15 jours par mois pour induire des cycles et éviter l’hypertrophie endométriale. Ce traitement est prescrit après une enquête familiale soigneuse, une glycémie à jeun, un bilan lipidique, un bilan hépatique et un bilan d’hémostase (protéine C, S, AT3 et facteur V Leiden). Le traitement est contre-indiqué s’il existe des antécédents familiaux de premier degré (parents et fratrie) d’accidents thromboemboliques sévères. Les risques d’augmentation du délai à concevoir, d’insuffisance ovarienne, et de cancer ont fait stopper la prescription dans certains pays européens. L’utilisation des œstrogènes à fortes doses doit donc être discutée au cas par cas avec l’adolescente et ses parents. Le bénéfice en termes de diminution de la taille adulte par rapport à la taille prédite est de 2 à 10 cm. Les études sont difficilement comparables du fait des variations de modalités de traitement (type d’œstrogènes, dosage), de durée du traitement. Le succès du traitement en termes de “bienêtre psychosocial“ reste très difficile à évaluer. Chez les garçons Chez les garçons, l’énanthate de testostérone est utilisé à la dose de 500 mg tous les 15 jours en injection intramusculaire. La diminution de taille obtenue est variable, de 2 à 8 cm. Les séries de garçons de grande taille sont rares et concernent de petites cohortes : prise de poids, acné, gynécomastie et comportements agressifs sont rapportés sous traitement. Aucune modification du volume testiculaire ou anomalie de la spermatogenèse n’ont été rapportées à long terme. • Les analogues de la somatostatine qui freinent la sécrétion hypophysaire de GH sont utilisés dans le traitement de l’acromégalie. Un essai dans les grandes tailles a rapporté une réduction de taille en moyenne de 9 cm, comparable à l’action de l’éthynilestradiol. L’arrivée du pegvisomant (Somavert ®), antagoniste puissant et sélectif du récepteur de la GH pourrait ouvrir de nouvelles possibilités de traitement des grandes tailles. • Le développement de techniques d’épiphysiodèse du genou par les orthopédistes permettra peut-être d’apporter une solution non médicamenteuse au traitement des grandes tailles. Mots-clés Grande taille, Courbe de croissance, Âge osseux, IGF-1, Obésité, Œstrogènes, Testostérone Pour en savoir plus : • Visser R, Kant SG, Wit JM et al. Overgrowth syndromes:from • Soejima H, Higashimoto K. Epigenetic and genetic alterations of classical to new. Pediatr Endocrinol Rev 2009 ; 6 : 375-94. the imprinting disorder Beckwith-Wiedemann syndrome and related • Beckers A, Aaltonen LA, Daly AF et al. Familial isolated pituitary disorders. J Hum Genet 2013 ; 58 : 402-9. adenomas (FIPA) and the pituitary adenoma predisposition due to • Hendriks AE, Laven JS, Valkenburg O et al. Fertility and ovarian mutations in the aryl hydro-carbon receptor interacting protein function in high-dose estrogen-treated tall women. J Clin Endocrinol (AIP) gene. Endocr Rev 2013 ; 34 : 239-77. Metab 2011 ; 96 : 1098-105. • Aksglaede L, Link K, Giwercman A et al. 47,XXY Klinefelter • Tauber MT, Harris AG, Rochiccioli P. Clinical use of the long acting syndrome: clinical characteristics and age-specific somatostatin analogue octreotide in pediatrics. Eur J Pediatr 1994 ; recommendations for medical management. Am J Med Genet C 153 : 304-10. Semin Med Genet 2013 ; 163 : 55-63. 26 Adolescence & Médecine • Novembre 2014 • numéro 8