Gouvernance, relations d`agence et politique de financement
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Gouvernance, relations d`agence et politique de financement
Relations d'Agence et Politique de financement des Entreprises dans les Pays Sud-Méditerranéens : le Cas du Liban Nizar ATRISSI - Maître de Conférences à la FGM Introduction Depuis la publication du célèbre article de Modigliani et Miller (1958), une littérature abondante à été consacrée à l’étude des décisions de financement des firmes. La remise en question progressive des hypothèses de base de leur modèle sur la perfection des marchés et l’unanimité des objectifs a donné des explications possibles à la dispersion des structures financières des entreprises. Aux coûts explicites d’un mode de financement ont été progressivement ajoutés d’autres coûts tels que ceux liés à la fiscalité, au risque de faillite, aux contrats ou ceux associés à l’asymétrie de l’information. En marge des travaux théoriques, un courant empirique, principalement anglo-saxon, a tenté de mettre en évidence l’existence de corrélations entre certaines variables financières et le niveau d’endettement. Plusieurs de ces études les plus récentes, concluent de l'importance du cadre institutionnel comme déterminant des décisions financière des entreprises en la matière. Il est à noter que la recherche empirique existante concerne essentiellement des données issues de firmes américaines et, dans une deuxième mesure, européennes. Ainsi, les recherches menées sur des données non américaines, ou même européennes, restent relativement limitées. La raison principale de la rareté des recherches en corporate finance dans les pays les moins développés, par rapport à celles conduites dans les pays développés et les pays industrialisés, est l’absence de données interentreprises sur une base standardisée et comparative. Pourtant, les caractéristiques institutionnelles de ces pays présentent plusieurs spécificités susceptibles d'affecter la politique et les choix financiers des entreprises. En effet, les marchés financiers de ces pays sont souvent non-efficients et les contrôles et contraintes institutionnels sont nombreux. Le système bancaire est également souvent incapable de fournir les ressources nécessaires à l’expansion et la diversification du secteur privé. L'objet du présent article est d'étudier le comportement des entreprises en matière de financement dans un pays MEDA du Moyen-Orient, le Liban, et de le comparer aux déterminants de ce choix dans les pays européens et américains. Ainsi, les entreprises des deux côtés du bassin méditerranéen, de part les divergences au niveau des cadres institutionnels, sont en mesure de présenter des caractéristiques et des choix financiers différents. En effet, et dans un contexte plus général, ces choix et ces décisions peuvent être différents ou prendre d’autres ordres d’importance selon qu’il s’agisse d’un pays développé ou d’un pays en voie de développement. 1. Les fondements théoriques 1 Modigliani et Miller (1958) ont été les premiers à mener l’analyse théorique de l’incidence de la structure financière, et notamment du ratio dettes/fonds propres, sur la valeur de la firme. Ils montrent ainsi que, sous certaines hypothèses, toutes les formes de financement sont équivalentes en présence de marchés financiers parfaits en raison du principe selon lequel les écarts de rentabilité corrigent exactement les écarts de risque. La validité du modèle initial (1958) de non-pertinence du financière repose sur plusieurs hypothèses restrictives1. progressive de ces hypothèses a permis de mettre en évidence facteurs déterminants sur la structure financière et donc de neutralité de la structure de financement. choix d’une structure La remise en cause l’influence de plusieurs rejeter l’hypothèse de 1.1. Influence de la fiscalité et des coûts de faillite La prise en compte de la fiscalité, et notamment de la déductibilité des frais financiers sur le résultat imposable, a poussé Modigliani et Miller (1963) a reconnaître que la valeur de la firme endettée est toujours supérieure à celle de la firme non endettée : elle est égale à la valeur de la firme sans dette augmentée de la valeur actuelle des économies d’impôt sur frais financiers, sous réserve que l’entreprise endettée dégage un revenu imposable positif. De Angelo et Masulis (1980) présentent un modèle qui nuance l’effet des déductions directes d’impôts liées à l’endettement. Ils montrent que les déductions fiscales liées cette fois à l’investissement et aux amortissements peuvent jouer le rôle de « produits de substitution » vis à vis des avantages fiscaux de l’endettement. Par ailleurs, et comme le suggèrent Harris et Raviv (1991), l’importance des coûts de défaillance justifierait que la loi de faillite soit considérée dans chaque pays comme aspect intégral du contrat de dette. En effet, la législation en matière de faillite et l’application plus ou moins stricte selon les cas des droits du créancier augmente la probabilité de sanction des dirigeants de l’entreprise endettée. La levée des hypothèses concernant la fiscalité et la faillite conduit donc à une situation où la définition d’une structure financière optimale au niveau de chaque entreprise est le jeu d’un arbitrage entre l’avantage fiscal de l’endettement et les coûts résultant d’une éventuelle faillite. 1.2. Influence de l’asymétrie d’information entre les agents 1 Les principales hypothèses du modèle sont les suivantes : les marchés financiers sont parfaits ; les agents peuvent prêter ou emprunter à un taux fixe et sans limite ; les coûts de faillite sont nuls ; il n’y a pas d’asymétrie d’information entre les agents ; et les dirigeants gèrent conformément à l’intérêt des actionnaires (absence de conflits d’intérêt). 2 Les problèmes posés par la remise en question de l’hypothèse d’absence de conflits entre les différents acteurs de la vie économique et financière de l’entreprise (dirigeants, actionnaires et créanciers) relève de la théorie dite « de l’agence ». La relation d’agence se définit comme un contrat par lequel un mandant a recours au service d’un mandataire pour accomplir en son nom et pour son compte une tâche (la gestion de l’entreprise). Le mandant et le mandataire maximisant leur utilité, leurs relations sont source de conflits. 1.2.1. Les conflits d’agence entre actionnaires et dirigeant Si le dirigeant ne détient pas personnellement la totalité des parts de l’entreprise, la délégation de gestion qui en découle est source de coûts d’agence. Les causes de conflits peuvent être le détournement par le mandant de richesses de l’entreprise, détournement lié au fait qu’il ne bénéficie pas du gain total de son activité, mais en supporte personnellement la responsabilité (Jensen et Meckling, 1976). Le désaccord peut aussi provenir du fait que le dirigeant n’a de cesse de promouvoir la continuité de l’activité de l’entreprise, alors même que du point de vue des actionnaires, la liquidation est plus avantageuse en terme d’utilité (Harris et Raviv, 1990). Le phénomène de sur-investissement de la part du dirigeant est aussi un facteur de conflit dans le sens où l’actionnaire trouve la distribution des cash flows disponibles plus efficace (Jensen, 1986). L’endettement de l’entreprise peut être vu comme un moyen efficace de résoudre une partie de ces coûts d’agence des fonds propres puisque celui-ci favorise la convergence des intérêts des actionnaires et du dirigeant. En effet, dans le cadre d’un endettement de type bancaire, l’augmentation de la proportion de dette de l’entreprise aura pour conséquence une augmentation du contrôle par la banque de l’activité de gestion du mandant. D’autre part, le paiement à échéances fixes d’intérêts de la dette réduira la possibilité d’investissement sous optimal de la part du dirigeant en diminuant le cash-flow disponible. Enfin, la nature du contrat de dette va permettre l’augmentation du risque de défaut et du risque de perte d’emploi du dirigeant par le biais de l’option de liquidation par la banque. 1.2.2. Les conflits d’agence entre actionnaires et créanciers La relation qui s’établit entre un bailleur de fonds (la banque) et l’entreprise est sujette à l’asymétrie d’information. Cette hypothèse consiste à considérer que le niveau et la qualité de l’information ne sont pas identiques entre les agents et ceci durant la durée totale de la relation de crédit. Ainsi, avant la signature du contrat, l’existence de projets d’investissements de qualité différente pose le problème de la « sélection adverse » (Akerloff, 1970). Durant la relation de crédit, la banque (le mandataire) peut se trouver, par manque d’informations, dans l’impossibilité de vérifier exactement les efforts fournis par le mandant (l’entreprise). Dans cette optique, les dirigeants d’entreprises ayant de bons projets d’investissement doivent se signaler auprès des créanciers pour ne pas souffrir d’une trop forte asymétrie d’information. Dans ce contexte, la structure des capitaux de la firme peut être un signal envoyé aux créanciers (Ross, 1977). Dans ce modèle, le dirigeant 3 détenant l’information sur la valeur de son projet d’investissement, engage une part importante des fonds de l’entreprise dans le projet de façon à se signaler auprès de la banque. Le degré de diversification du portefeuille du dirigeant peut également signaler aux créanciers la qualité des projets d’investissement de l’entreprise (Leland et Pyle, 1977). Ce raisonnement est particulièrement pertinent dans le cas de petites et moyennes entreprises ou à caractère familial pour lesquelles la part de richesse personnelle investie par le dirigeant s’avère révélatrice. Nous constatons donc que si l’endettement constitue un mode majeur de résolution des conflits entre actionnaires et dirigeant, il génère d’autres conflits avec les créanciers qui engendrent eux même des coûts d’agence. Dans ces conditions, la structure de capital optimale peut être obtenue par arbitrage entre les avantages de l’endettement (réduction des coûts d’agence entre actionnaires et dirigeant) et les coûts relatifs aux relations avec les créanciers. 1.3. Théories du « static trade-off » et du « pecking-order » Les résultats de la remise en cause des principales hypothèses du modèle de base de Modigliani et Miller (1958) ont donné lieu à deux analyses distinctes de la structure de capital de l’entreprise qui ont permis l’élaboration de modèles empiriques différents. Le premier modèle dont le cheminement théorique s’inspire de celui décrit ci-dessus est un raisonnement « par compromis », encore connu dans la littérature sous le nom de « static trade off ». Il repose sur un principe méthodologique classique dans le raisonnement économique, la maximisation sous contraintes. En supposant qu’il existe implicitement une répartition optimale entre dettes et fonds propres, le raisonnement marginaliste permet d’ajuster la structure financière en fonction des avantages et des coûts des fonds propres et de l’endettement. Non figée, la structure financière est donc ajustée pour atteindre l’optimum. A l’opposé, l’hypothèse de l’existence d’un ratio de dette sur fonds propres optimal au niveau individuel est rejetée par les modèles de « hiérarchie » ou de « pecking order ». Toujours en raison des asymétries d’information entre les agents aussi bien à l’intérieur de l’entreprise qu’à l’extérieur, l’entreprise suit une hiérarchie des financements précise, dictée par la nécessité de fonds externes, et non par une tentative de trouver la structure de capital optimale. Cette hiérarchie s’exprime toutefois différemment et ceci, en fonction de l’objectif poursuivi par le dirigeant de l’entreprise. Dans le cas où le dirigeant agit dans l’intérêt des actionnaires existants, la hiérarchie financière décroissante définie par Myers et Majluf (1984) est la suivante : autofinancement, dette peu risquée, dette risquée et augmentation de capital en dernier ressort. 2. Validations empiriques et facteur pays 4 Il ne s’agit pas dans cette section d’effectuer un recensement des travaux de validation empirique existants sur les théories du choix de financement des entreprises, mais plutôt de montrer la place et l'importance du cadre institutionnel sur le comportement des firmes dans cette littérrature qui met l'accent sur l'intérêt d’étendre ce genre d’études à d’autres pays. Les aspects qu’on a précédemment indiqués comme déterminants de la structure du capital ont été enrichis et prolongés par des recherches qui prennent profit des comparaisons entre pays. A ce sujet, on peut noter le travail de Rajan et Zingales (1995) dont le premier but était de rechercher si la structure financière des entreprises du G-7 autres que les Etats-Unis est reliée à des facteurs similaires à ceux qui semblent influencer la structure financière des firmes aux Etats-Unis. Malgré certaines similitudes des structures de capital à travers les différents pays du G-7, ils trouvent plusieurs différences. Dans un article plus descriptif sur les différences de structure de capital entre les pays du G-7, Mcclure, Clayton et Hofler (1999) obtiennent des résultats empiriques qui soutiennent des différences significatives. Dans un autre article récent, Wald (1999) enquête sur les caractéristiques des firmes qui affectent la structure de capital en France, Allemagne, Japon, Royaume-Uni et Etats-Unis. Comme dans Rajan et Zingales, il obtient des facteurs similaires entre les pays, mais aussi quelques différences significatives. L’explication de ces différences, selon Wald (1999), est que les caractéristiques institutionnelles peuvent être des déterminants significatifs de la structure financière. Une analyse des majeures différences institutionnelles entre les pays du G-7 a été fournie par Rajan et Zingales (1995). Ils affirment que les caractéristiques institutionnelles qui affectent la structure de capital sont : le code des impôts, les lois en matière de faillite, l’état du développement des marchés financiers et les formes de structure de propriété. Miguel et Pindado (2001) insistent sur l’effet des caractéristiques institutionnelles sur la structure du capital des entreprises. Les différences de structure financière entre pays sont dues à la différence de leurs caractéristiques institutionnelles. Pour cela, ils introduisent dans la discussion les caractéristiques institutionnelles espagnoles et leur impact sur la structure de financement des firmes. Ils développent un modèle d’ajustement qui permet d’expliquer la dette de l’entreprise en terme du ratio de dette de la période précédente et du niveau d’endettement cible, ce dernier étant fonction des caractéristiques de l’entreprise, qui selon les différentes théories, expliquent la structure du capital. Les variables explicatives sont liés aux taxes, au coût de détresse financière, à l’investissement et aux cash flow et free cash flow. Trois autres variables considérées comme institutionnelles ont été introduites : une mesure de la dette détenue publiquement, le degré de concentration de la propriété, ainsi qu’une variable destinée à saisir l’existence d’asymétrie d’information. Sur les 133 entreprises de l’échantillon examinées de 1990 à 1997, les tests de Miguel et Pindado (2001) corroborent les principaux résultats attendus : le ratio de dette est inversement lié aux cash flows, aux avantages fiscaux non liés à la dette et aux coûts de détresse financière, mais directement lié à l’investissement. 5 Jusqu’alors, c’est exclusivement les caractéristiques des pays dits développés qui ont été examinées, majoritairement ceux des Etats-Unis et dans une moindre mesure les autres pays du G-7 et européens. Cependant, les études qui tentent d’expliquer le comportement des entreprises dans les pays en voie de développement sont beaucoup plus rares. Les travaux de Shabou (1995) sur des entreprises tunisiennes, de Ndoume Essingone (1997) sur des entreprises gabonaises et de Booth et al. (2001) sur des données provenant de 10 pays en voie de développement, constituent des exceptions à cette « règle ». Booth, Aivazian, Demirguc-Kunt et Maksimovic (2001) annoncent que notre connaissance sur la structure de capital dérive essentiellement des données provenant des économies développées qui présentent plusieurs similitudes institutionnelles et que beaucoup reste à faire pour comprendre l’impact des différentes caractéristiques institutionnelles sur le choix de structure financière. Ces auteurs utilisent des données provenant de 10 pays en voie de développement : Brésil, Mexique, Inde, Corée du Sud, Jordanie, Malaysia, Pakistan, Thaïlande, Turquie et Zimbabwe. Le modèle empirique testé est une régression de trois mesures différentes du ratio de dettes 2 contre le taux d’imposition de la firme, l’écart type de la rentabilité économique, la tangibilité des actifs, le logarithme naturel du chiffre d’affaires, la rentabilité économique et le ratio market-to-book. Ces auteurs constatent que les facteurs qui influencent le choix de structure financière sont similaires dans les pays développés et les pays en voie de développement. Cependant, les signes de certains coefficients, et plus particulièrement le risque d’activité et le ratio market-to-book, sont contraires à ceux prévus. L’explication donnée est que les entreprises dans les pays en voie de développement sont davantage dépendantes de la dette à court terme et de la dette commerciale, qui ont d’autres déterminants que la dette à long terme. A l’exception de la Corée du Sud, qui est de loin le pays le plus développé de leur échantillon, ils trouvent que tout les pays en voie de développement ont des niveaux de dettes inférieurs à la médiane de ceux des pays du G-7. Ils notent également que la différence entre les ratios de dette totale et de dette à long terme est beaucoup plus accentuée dans les pays en voie de développement que dans les pays développés. Booth et al. (2001) trouvent, comme Demirguc-Kunt et Maksimovic (1999), qu’une différence majeure entre pays développés et pays en voie de développement est que ces derniers ont substantiellement moins de dettes à long terme. Les résultats de cette étude valident les prédictions de la Pecking Order, la profitabilité étant négativement liée aux ratios de dette. L’existence d’asymétrie de l’information et de coûts d’agence de la discrétion managériale est aussi vérifiée par les données. La tangibilité des actifs affecte également les décisions de financement, tandis que l’imposition des firmes ne semble pas jouer un rôle dans ces décisions dans les pays en voie de développement. 2 Le ratio de dettes totales, le ratio de dettes à long terme sur les capitaux propres (en valeur de bilan) et le ratio de dettes à long terme sur les capitaux propres calculés en valeur de marché. Le ratio de dettes totales est égal au rapport du total passif moins les capitaux propres et du total passif. Les auteurs admettent que ce ratio présente des problèmes, mais justifient ce choix par le fait que c’est le seul ratio qui peut être calculé pour l’ensemble des 10 pays (cf. Booth, Aivazian, Demirguc-Kunt et Maksimovic, 2001, p. 89). 6 Booth et al. (2001) restent cependant sceptiques. Malgré que certains variables indépendantes ont les signes prévus, leur impact total est faible et les signes varient parfois entre pays. Cela sous-entend des différences institutionnelles significatives qui affectent l’importance des variables indépendantes. Le cadre institutionnel qui gouverne la faillite, la préparation des états financiers et la disponibilité des différentes formes de financement sont au moins aussi importantes que les variables directes qu’ils mesurent. Les auteurs concluent que beaucoup de travail reste à faire sur le plan de la recherche empirique avec l’amélioration de la qualité des bases de données internationales, ainsi que sur le plan théorique par le développement de modèles qui fournissent un lien plus directe entre la profitabilité et le choix de structure de capital. 3. La base de données 3.1. Construction et composition de l’échantillon La raison principale de la rareté des recherches en corporate finance dans les pays les moins développés, par rapport à celles conduites dans les pays développés et les pays industrialisés, est l’absence de données inter-entreprises sur une base standardisée et comparative. Au Liban, aucune centrale de bilans n’existe tant au niveau du secteur public qu’au niveau du secteur privé et aucune initiative n’a permis de développer une telle base de données que ça soit auprès d’un ministère, de la banque centrale, d’une banque commerciale ou autre. Ce constat a souvent constitué un obstacle au développement des recherches économiques et financières. Ainsi, tout travail de recherche en finance d’entreprise dans un tel cadre repose sur l’établissement préalable d’une base de données de firmes susceptible de faire l’objet de tests empiriques. Les données utilisées dans la présente étude sont issues d’une base de données que nous avons personnellement créée à partir des informations comptables, bilans et comptes de résultat, de 85 entreprises libanaises (après élimination des entreprises présentant des données incomplètes), étudiées sur la période 1993-1998. Aucune information concernant la répartition des titres de propriété et la structure de contrôle n’a pu être collectée, du moins pour la plupart des firmes retenues. Les firmes ont été classées selon leur appartenance au secteur commercial, industriel, ou de services. En effet, nous retiendrons la classification établie par Blaise (1999) 3 qui regroupe les activités commerciales sous quatre grandes rubriques : les activités de distribution, les activités industrielles, les activités de services et les activités financières. Ces dernières ne font pas partie de notre étude. Compte tenu de cette classification, notre échantillon est réparti comme suit : 3 Blaise J.-B., Droit des affaires, L.G.D.J., 1999, p. 73. 7 Tableau 1 : La composition par secteur d'activité de l'échantillon : Industrie Commerce Services 25 46 14 85 29.41% 54.12% 16.47% 100.00% Nous constatons la prédominance des entreprises commerciales dans notre échantillon. Cependant, il s’avère que cette composition est très proche et réplique la composition sectorielle du marché libanais ce qui, en quelque sorte, favorise l’inférence des observations faites sur cet échantillon à des résultats concernant la population d’entreprises libanaises4. Ainsi, les entreprises de commerce, constituant 54% de notre échantillon, représentent 53% des entreprises libanaises dans leur ensemble, ou encore le secteur des services, qui constitue 16% de notre échantillon, contribue à hauteur de la même proportion du PIB au Liban 5. La structure de notre échantillon non-cylindré, constitué de 85 firmes étudiées sur la période allant de 1993 à 19986 , qui représente le nombre d’observations annuelles disponibles par entreprise et le nombre d’observations totales, est comme suit : Tableau 2 : Structure de l'échantillon Nb d’années 6 5 4 3 Total Nb de firmes Nb d’observations 6 36 17 85 45 180 17 51 85 352 3.2. Etude descriptive de la structure du passif Les capitaux propres des entreprises de notre échantillon constituent près du quart des ressources de celles-ci seulement. Ceci dit, la structure financière n’a cessé de s’améliorer en passant de 15,6% en 1994 à 27,0% en 1997 7. Cependant, les autres dettes, représentant les dettes d’origine interne (actionnaires et diverses sociétés associées) telles que définies par Biais et al. (1995), constituent en moyenne 25% du total passif. Celles-ci, avec les capitaux propres, représentent presque la moitié des ressources des entreprises libanaises de l’échantillon. 4 Statistiquement, l’établissement de l’inférence fait appel aux tests statistiques et à l’estimation (construction d’intervalle de confiance). Il ne s’agit pas de la mise en œuvre de tels tests. 5 Comme le montre les rapports de la Banque du Liban (Annual Report, BDL, éditions 1994 à 1998) et de l'Administration Centrale de la Statistique (Résultats du Recensement des Immeubles et des Etablissements, ACS, n° 1 à 5, 1997 ; et L’Etat des Comptes Economiques 1994-1995, ACS, 1997). 6 Cette période d’étude revêt un intérêt particulier. En effet, il s’agit de la période d’après guerre au Liban, caractérisée par la reconstruction et le recours massif des entreprises au financement pour rétablir leurs moyens de production, de commercialisation … Pendant cette période, la législation en matière de financement, d’investissement et de réévaluation des actifs des entreprises a connu un essor considérable pour aller de paire avec les efforts de reconstruction et de relance économique. 7 Cela est dû en partie aux procédures de réévaluation. 8 Le fait de cumuler capitaux propres et dettes d’origine interne découle du constat de complémentarité de ces deux sources de financement au sein de la structure de bilan des entreprises. En effet, ces deux moyens de financement évoluent d’une manière inverse durant toute la période d’étude pour représenter une moyenne quasi constante variant de 46% à 48% du total bilan. Autrement dit, lorsque les capitaux propres augmentent, les autres dettes diminuent et d’une manière proportionnelle, ce qui confirme l’effet de substitution et de complémentarité de ces deux sources de financement. Ainsi, les autres dettes passent de 31% en 1994 à 19% en 1997, soit une diminution de 12% équivalente mais en sens inverse à la variation du poste de capitaux propres. Tableau 3 : Masses bilancielles / Passif Capitaux propres Intérêts minoritaires Prov./ risques et charges Emprunts obligataires DLMT Cptes associés, filiales et sociétés mères Fournisseurs et autres cptes créditeurs DCT 94 0,156 0,000 0,025 0,005 0,020 0,309 0,271 0,213 95 0,223 0,000 0,023 0,004 0,033 0,265 0,227 0,227 96 0,258 0,000 0,027 0,003 0,050 0,209 0,234 0,218 97 0,270 0,000 0,024 0,003 0,035 0,190 0,246 0,233 Moyenne 0,227 0,000 0,025 0,004 0,035 0,243 0,245 0,223 Structure financière des entreprises libanaises 1994-1997 DCT KP PRC DLT Cptes créd. Autres On remarquera que les emprunts obligataires représentent une part très mince du financement des firmes de notre échantillon (0,4%) caractéristique d’un marché financier peu développé ne favorisant pas l’émission de dettes de marché, et cumulé au caractère généralement non transparent et fermé des firmes libanaises. 9 Les dettes commerciales financent de leur part le quart de l’activité des entreprises et sont assez stables sur la période étudiée. Cela confirme le recours et la dépendance des entreprises libanaises à ce mode de financement inter-entreprises. Selon Petersen et Rajan (1997), il est préféré au crédit bancaire à chaque fois qu’il est moins coûteux ou plus disponible. Il est particulièrement important dans le cadre du financement des PME, n’ayant pas accès aux marchés des capitaux, et caractérisant de part leur taille et leur structure de propriété les entreprises libanaises. Le crédit fournisseurs représente plus de la moitié des dettes à court terme des entreprises françaises selon Dietsch (1998). Un autre quart du bilan est financé par les dettes financières. Elles sont cependant essentiellement constituées de dettes à court terme. En effet, celles-ci représentent 22% du total bilan alors que les dettes à long terme ne représentent que 3,5%. Cette prédominance des dettes à court terme confirme les résultats de Booth et al. (2001) dans les pays en voie de développement par opposition aux pays du G7. Cela montre l’intérêt d’une comparaison internationale des structures de financement et de situer les entreprises par rapport à ces convergences ou divergences dues à des cadres institutionnels comparables ou différents. 4. Comparaison internationale Multiples sont les raisons qui pourraient se traduire par des différences de structures financières d’un pays à l’autre. Il s’agit tout d’abord de disparités d’ordre fiscal, des usages bancaires et d’une manière plus générale de l’environnement économique propre à chaque pays. Une autre raison de nature technique est également à mentionner, elle tient aux particularités relatives aux normes comptables et à la manière de mesurer l’endettement. Le crédit-bail, par exemple, figure au bilan des entreprises américaines mais pas des entreprises françaises ou libanaises. L’object de cette section est de comparer la structure de bilan, et en particulier l’endettement, des entreprises du Liban et des autres pays en voie de développement, à celle des entreprises des pays européennes et américaines. Plus spécifiquement, nous comparons les entreprises de notre échantillon à celles de Rajan et Zingales (1995) qui utilisent la base de données Global Vantage pour les entreprises des pays développés dont 4 pays de la zone européenne, et à celles de Booth et al. (2001) qui utilisent les données de l’International Finance Corporation pour les entreprises des pays en voie de développement dont 2 pays MEDA (la Jordonie et la Turquie). Les données marocaines proviennent de l’étude de El Bakkali (1994). Tout d’abord, le tableau suivant reporte les masses bilancielles relatives aux entreprises libanaises et marocaines, comparées à celles des pays du G7 : Tableau 4 : Masses bilancielles : comparaison internationale EU Japon Allem. France 10 Italie RU Canada Maroc Liban Masses bilancielles Immob. corp. Immob. fin. Immob. incorp. Autres cptes / associés-Actif * Stocks Clients et autres cptes débiteurs Disponibilités 37,7 3,1 7,6 5,8 16,1 20,7 11,2 30,1 9,4 0,8 2,9 13,9 25,5 18,4 34,1 3,4 2,4 0,7 23,6 27,0 8,8 27,8 4,9 8,5 0,7 17,4 30,6 10,3 34,3 4,1 2,6 3,3 15,6 30,6 10,5 42,8 1,2 0,9 0,5 17,7 25,8 11,4 56,4 2,9 4,7 3,7 11,0 14,9 8,2 31,1 6,8 Capitaux propres Intérêts minoritaires Prov./ risques et charges DLMT Autres Cptes / associés-Passif * Fourn. et autres cptes créditeurs DCT 34,1 0,6 33,2 0,9 28,0 1,6 31,2 3,9 32,6 3,4 42,2 1,1 39,7 2,0 28,4 23,3 9,0 26,0 7,4 18,9 4,9 25,8 16,4 9,8 31,2 20,2 9,9 15,7 7,6 34,0 11,6 12,1 9,3 26,9 16,2 12,4 4,3 30,4 9,6 28,1 7,0 16,1 7,3 27,0 29,7 5,4 2,7 10,8 36,5 21,6 30,9 2,3 1,0 3,2 29,8 20,0 12,9 22,7 0,0 2,8 3,5 24,3 24,5 22,3 Les données des pays du G-7 proviennent de Rajan et Zingales (1995), ceux du Maroc de El Bakkali (1994). La valeur de chaque poste est calculée comme une fraction du total actif figurant au bilan, et dont la moyenne est ensuite calculée pour toutes les firmes de l’échantillon. Seulement les bilans des entreprises non-financières sont inclus dans chaque échantillon par pays. * Ces deux comptes représentent les autres comptes d’actif ou de passif à long terme pour les pays du G-7 reportés par Rajan et Zingales (1995), alors qu’ils représentent exclusivement les comptes des actionnaires, associés… dans le cadre de nos données sur les entreprises libanaises Nous constatons que le niveau des immobilisations corporelles des entreprises de notre échantillon, ainsi que celles du Maroc, est comparable à celui des autres pays de l’Europe continentale et du Japon (dits d’économie bancaire), par opposition à celui des entreprises anglo-saxonnes où les immobilisations sont nettement plus importantes. Cela peut être expliqué par les différences de pratiques comptables. Une différence majeure entre les deux systèmes est que les GAAP (Generally Accepted Accounting Principles) nord américains dépendent de l’évaluation équitable de marché, alors que les systèmes allemand ou japonais dépendent de la stricte valeur comptable historique. La part des stocks dans le bilan des entreprises libanaises est supérieure à celle de tous les autres pays. Cela pourrait provenir du secteur d’activité auquel appartiennent les entreprises de notre échantillon, surtout commerciales et industrielles et moins de services. Cependant, cette part se rapproche du niveau présent chez les entreprises marocaines, et impliquerais des différences au niveau de la gestion des stocks par rapport aux entreprises des pays plus développés. La structure financière, mesurée par la part des capitaux propres dans le total bilan, des entreprises libanaises est la plus faible. Elle est suivie par celle des entreprises marocaines. Cela montre que les entreprises des pays en voie de développement disposeraient de structures financières moins solides que celles des pays développés. A l’intérieur de ceux-ci, nous notons que c’est les entreprises des pays anglo-saxonnes qui bénéficient des structures les plus solides, allant jusqu’à plus de 40% au Royaume-Uni ou au Canada. 11 Concernant la dette financière, nous remarquons que le niveau de 26% des entreprises libanaises est supérieur à celui des entreprises anglaises et allemandes, mais inférieur à celui des entreprises marocaines et des autres pays du G7. Cependant, l’examen du terme de cette dette s’avère particulièrement intéressant. Nous remarquons que les entreprises libanaises et les entreprises marocaines disposent des niveaux de dettes financières à court terme les plus élevés. Ils constituent 22% du total de leurs bilans et s’élèvent à près du double du taux moyen existant dans les pays développés. En effet, celui-ci est de 12% en moyenne pour les entreprises européennes et de 11% pour l'ensemble des pays du G7 de l’échantillon de Rajan et Zingales (1995). Ceci est dû, d’une part, au défaut de dettes financières à long terme et, d’autre part, à l’accès limité des entreprises des pays en voie de développement, dont ces deux pays MEDA, au marché des capitaux propres. En effet, la part des dettes à long terme et celle des capitaux propres des firmes libanaises et marocaines sont parmi les plus faibles, comparées aux autres entreprises des pays développés. Pour approfondir cette question, examinons le tableau ci-dessous, qui introduit l’endettement des autres pays en voie de développement de la base de données de l’IFC utilisée par Booth et al. (2001) : Tableau 5 : Dettes totales et dettes à long terme : comparaison internationale Ratio de Ratio de dettes totales dettes à long (%) terme (%) Nb d’entreprises Période Brésil Mexique Inde Corée du Sud Jordanie Malaisie Pakistan Thaïlande Turquie Zimbabwe 49 99 99 93 38 96 96 64 45 48 1985-1991 1984-1990 1980-1990 1980-1990 1983-1990 1983-1990 1980-1987 1983-1990 1983-1990 1980-1988 30,3 34,7 67,1 73,4 47,0 41,8 65,6 49,4 59,1 41,5 9,7 13,8 34,0 49,4 11,5 13,1 26,0 NA 24,2 13,0 Liban 85 1993-1998 77,3 57,4 2583 514 191 225 118 608 318 1991 1991 1991 1991 1991 1991 1991 66,1 66,8 72,0 68,8 67,4 57,8 60,3 49,1 42,7 60,3 46,6 43,2 29,7 48,3 Etats-Unis Japon Allemagne France Italie Royaume-Uni Canada Les données des 10 pays en voie de développement proviennent de Booth et al. (2001), ceux des pays du G-7 proviennent de Rajan et Zingales (1995). Le ratio de dettes totales est égal au total passif moins 12 les capitaux propres divisé par le total passif. Le ratio de dettes à long terme est égal au total passif moins capitaux propres et passif à court terme divisé par le total passif moins passif à court terme. Pour permettre la comparaison, les mêmes formules de calcul des ratios ont été appliquées aux données de Rajan et Zingales (1995), ainsi qu'à nos données et adoptées de celles de Booth et al. (2001). Ainsi, le ratio de dettes totales est égal au total passif moins les capitaux propres sur le total passif, incluant ainsi les dettes commerciales et les autres dettes (dettes d’origine interne). Le ratio de dettes à long terme est égal au total passif moins les capitaux propres et le passif à court terme divisé par le total passif moins le passif à court terme. Comparaison internationale: Ratio de dettes totales (en % ) 80.0 70.0 60.0 50.0 40.0 30.0 20.0 10.0 0.0 Brésil Corée du Sud Pakistan Zimbabwe 13 Japan Italie Comparaison internationale: Ratio de dettes à long terme (en% ) 70.0 60.0 50.0 40.0 30.0 20.0 10.0 0.0 Brésil Corée du Sud Pakistan Liban Allemagne RoyaumeUni Le ratio de dettes totales varie entre une valeur minimale de 30,3% au Brésil et une valeur maximale de 77,3% au Liban et de 73,4% en Corée du Sud. Les entreprises semblent se répartir entre un groupe de faible endettement, constitué du Brésil, du Mexique, de la Malaisie et du Zimbabwe ; un groupe de fort endettement, constitué de l’Inde, du Pakistan, de la Corée du Sud ainsi que le Liban ; et un groupe intermédiaire constitué par la Jordanie, la Turquie et la Thaïlande. On retrouve un classement similaire lorsqu’on considère le ratio de dettes à long terme. Il est à noter que ce ratio de dettes à long terme (ainsi que le ratio de dettes totales) englobe les comptes des actionnaires et associés. Sans ces comptes, ce ratio aurait était de 21,7% pour le Liban, au lieu d’un niveau excédant les 50% reporté dans le tableau ci-dessus, d’où l’intérêt de comparer exclusivement les dettes bancaires. Ce calcul est impossible pour les autres pays en voie de développement, les données de l’IFC ne permettant pas ce calcul. Tableau 6 : Structure de la dette financière : comparaison internationale Etats-Unis Japon Allemagne France Italie Royaume-Uni Canada Maroc Liban DLT 23,3 18,9 9,8 15,7 12,1 12,4 28,1 10,8 3,5 DCT 7,4 16,4 9,9 11,6 16,2 9,6 7,3 21,6 22,3 Total dettes financières 30,7 35,3 19,7 27,3 28,3 22,0 35,4 32,4 25,7 14 Les données des pays du G-7 proviennent de Rajan et Zingales (1995), ceux du Maroc de El Bakkali (1994). Structure de la dette financière: comparaison internationale 40.0 35.0 30.0 25.0 DCT DLT 20.0 15.0 10.0 5.0 0.0 Etats-Unis Allemagne Italie Canada Liban On constate que la structure de la dette financière est inversée en terme de maturité dans le cadre des entreprises libanaises, ainsi que des entreprises marocaines, comparée à celle des firmes européennes ou américaines. En effet, les dettes financières à court terme représentent l'essentiel du total de ces dettes au Liban ainsi que la grande part des dettes des firmes marocaines, alors que c'est les dettes à long terme qui dominent les dettes à courte maturité dans les pays du G-7. Cela rejoint la constatation de Booth et al. (2001) qui trouvent que les entreprises des pays en voie de développement ont moins de dettes à long terme que les entreprises des pays développés. Quelque soit la mesure retenue de l’endettement, en terme de valeur bilancielle ou en valeur de marché, ces auteurs concluent que le niveau de l’endettement dans les pays en voie de développement 8 est inférieur à la médiane des pays du G-7. Ainsi, on note que la différence entre le ratio de dettes totales et le ratio de dettes à long terme est largement plus prononcée dans les pays en voie de développement que dans les pays développés. Cela recoupe également les résultats de Demirguc-Kunt et Maksimovic (1999), pour qui une différence majeure entre pays développés et pays en voie de développement est que les pays en voie de développement ont substantiellement moins de dettes à long terme. 5. 8 Les déterminants de la structure financière : l’étude économétrique A l’exception de la Corée du Sud, le pays le plus développé de leur échantillon. 15 L’objet de cette section est d’étudier le comportement de financement de notre panel d’entreprises, en prenant comme cadre de référence les modèles ayant trait à l’information, telles que les théories de l’agence et du signal. Après avoir identifié les variables pouvant être considérées comme déterminantes de la structure financière, nous en proposons une mesure et nous testons ensuite, parmi les facteurs proposés, ceux qui sont en mesure d’affecter significativement le ratio d’endettement financier des entreprises de notre panel. Une des principales difficultés des études empiriques qui ont tenté de tester les modèles que nous avons exposés, est la mesure des variables. De ce fait, nous sommes conduits dans le reste de cette étude à formuler, à l’instar de Dubois (1984), l’hypothèse suivante : « les variables des modèles théoriques n’étant pas observables, nous supposons que les mesures comptables peuvent servir à les estimer, c’est-à-dire qu’il existe une forte corrélation entre les vrais valeurs et les indicateurs comptables »9. Les relations univariées « déterminant-structure financière » seront ainsi étudiées dans cette section. Ces tests présentent l’avantage de nous permettre d’étudier l’effet d'un aussi grand nombre de variables (relatives à des modèles théoriques ou sans justification théorique) ; impossible d’inclure simultanément dans une même équation sans une perte considérable de degrés de liberté. Par ailleurs, cette méthode permet d’éviter les problèmes de colinéarité pouvant naître du fait que certaines variables risquent d’être fortement corrélées entre elles. En outre, et comme le précise Shabou (1995)10, en l’absence d’un modèle théorique intégrant les différentes théories de la structure du capital, la prise en compte de toutes les variables associées à ces différentes théories dans une seule ou dans un système d’équations a peu de justification théorique. Nous testerons une multitude de proxies pour la même variable théorique. Cela permet de distinguer l’effet de chaque mesure ; s’ils sont concordants et s’ils amènent aux mêmes conclusions. Dans ce qui suit, la variable explicative est régressée à la dette financière totale sur l’actif total (DFIAT), à la dette financière à long terme sur l’actif total (DFLTAT), et à la dette financière à court terme sur l’actif total (DFCTAT) respectivement, la dette financière totale étant égale à la somme de la dette financière à long terme et de la dette financière à court terme (DFIAT = DFLTAT + DFCTAT). 5.1. La composition de l’actif Les recherches antérieures ont suggéré que la composition ou la valeur « collatérale » des actifs d’une firme influence ses sources de financement (Myers et Majluf, 1984). De même, un risque de défaut élevé rend les banques réticentes à prêter. Lorsque la dette est garantie, on peut s’attendre à ce que cette réticence soit limitée. L’actif tangible immobilisé est supposé être positivement corrélé au levier d’endettement. Titman et Wessels (1984), Mehran (1992), ainsi que Moh’d et al. (1998) utilisent le 9 Cf. Dubois (1984), p. 50. Cf. Shabou (1995), p. 67. 10 16 ratio d’actif immobilisé plus les stocks sur le total actif comme proxy de la structure de l’actif d’une entreprise. D’un autre côté, on a vu que d’après Jensen et Meckling (1976), les actionnaires, après émission d’une dette, peuvent être incités à accroître le risque d’exploitation de la firme afin d’exproprier les prêteurs. Le niveau des actifs immobilisés et les prêts des associés viennent réduire ces coûts d’agence. Ces deux variables devraient donc être positivement reliées au ratio d’endettement. Cette relation est également conforme aux prédictions de Ross (1977). En effet, selon Biais et al. (1995), les prêts des associés peuvent aussi, comme la profitabilité, constituer un signal positif et devraient être positivement corrélés avec l’endettement. Tableau 7 : Test de la variable – Composition de l'actif Composition de l'actif AI/AT AI tangible/AT (St + AI)/AT Part. Fin. (immob. Fin.)/AT Prêts associés/AT Cr. Clients/AT DFIAT Coeff. 0,4789 0,4902 0,3048 3,3084 0,8829 0,6919 DFLTAT Prob. 0,0000 0,0000 0,0000 0,0000 0,0006 0,0000 Coeff. 0,1054 0,1086 0,0459 0,8655 0,0234 0,1159 Prob. 0,0000 0,0000 0,0008 0,0001 0,7537 0,0010 DFCTAT Coeff. 0,3735 0,3816 0,2590 2,4429 0,8595 0,5760 Prob. 0,0000 0,0000 0,0000 0,0010 0,0001 0,0000 Dans le tableau ci-dessus, il est intéressant de noter des résultats compatibles avec la relation prédite par la théorie. La présence d’actifs physiques se matérialise par un endettement supérieur. le risque de défaillance apparaît ainsi comme un déterminant important de l’endettement. Ce résultat est également trouvé par Biais et al. (1995) dans le cadre institutionnel français. Dans un cadre économique moins développé, Ndoume Essingone (1997) déduit que la crainte de faillite explique le choix de financement des firmes gabonaises. Il note que « le risque de faillite guide les firmes dans leur choix de financement, notamment les conduit vers le désendettement. On a remarqué que le risque financier des entreprises est assez élevé, dans un environnement où les banques subissent l’encadrement du crédit et répugnent à accorder des crédits aux entreprises à cause du peu de crédibilité dont elles disposent à la suite de nombreux impayés »11. De leur part, les prêts des associés sont aussi positivement corrélés avec l’endettement. Cette relation positive est également trouvée par Biais et al. (1995) sur des données françaises, confirmant ainsi la théorie de signalisation par le fait que les dettes d’origine interne influencent positivement les dettes financières. 5.2. La profitabilité Selon Ross (1977) le levier d’endettement est positivement corrélé à l’existence d’une information privée révélant une situation favorable, la profitabilité étant un indicateur de cette dernière. 11 Ndoume Essingone (1997), p. 287. 17 A l’opposé, selon Myers (1984), Myers et Majluf (1984), Narayanan (1988), et Heinkel et Zechner (1990), les entreprises vont privilégier le financement interne par rapport au financement externe tant que cela sera possible. Titman et Wessels (1988) suggèrent la profitabilité comme indicateur de la disponibilité de financement interne. Selon la théorie du Pecking Order, la profitabilité devrait être négativement corrélée avec le financement externe. Tableau 8 : Test de la variable – Profitabilité Profitabilité EBE/AT REX/AT EBE/CA REX/CA DFIAT Coeff. 0,3329 0,2185 0,0120 -0,0894 DFLTAT Prob. 0,0355 0,2093 0,9198 0,4392 Coeff. 0,0458 0,0265 0,0259 -0,0013 Prob. 0,2964 0,5780 0,4215 0,9670 DFCTAT Coeff. 0,2871 0,1920 -0,0139 -0,0881 Prob. 0,0415 0,2144 0,8954 0,3905 Mis à part le signe du coefficient du résultat d’exploitation sur le chiffre d’affaires, toutes les mesures de la rentabilité montrent une relation positive entre celle-ci et l’endettement des entreprises. Toutefois, la significativité de ces résultats reste non concluante. Il est à noter qu'une relation négative entre la profitabilité et la dette est largement vérifiée par les tests empiriques portant sur les données des firmes des pays développés. Ainsi, Titman et Wessels (1988) pour les Etats-Unis, Biais et al. (1995) pour la France, Miguel et Pindado (2001) pour l’Espagne, ou Rajan et Zingales (1995) pour les pays du G-7 dans leur ensemble, confirment cette relation négative entre la variable de profitabilité et l’endettement des entreprises. S’agissant des pays en voie de développement, Booth et al. (2001) trouvent une relation constamment négative et hautement significative pour l’ensemble de leurs données appartenant à 10 pays en voie de développement 12 , ce qui les amène à conclure que la profitabilité est la variable indépendante la plus « réussie »13. 5.3. La fiscalité Après relaxation des suppositions de non relevance, les firmes ayant des charges d’impôt élevées, sont supposées recourir davantage à l’endettement pour tirer profit de la déductibilité des intérêts. Pour cela, le ratio de Zimmerman (1983) 14 d’impôts payés sur les bénéfices avant impôt est utilisé comme proxy du taux effectif d’impôt. Par ailleurs, selon DeAngelo et Masulis (1980), les déductions fiscales non liées à la dette constituent une substitution à l’avantage fiscal de l’endettement. Les entreprises ayant des économies d’impôts non liées à la dette (Non-Debt Tax Shield) plus élevées sont supposées avoir des niveaux d’endettement plus faibles. 12 A l’exception de l’échantillon réduit du Zimbabwe. Cf. Booth et al. (2001), p. 105 : “The most successful of the independent variables is profitability, as it is consistently negative and highly significant”. 14 Zimmerman J., “Taxes and firm size”, Journal of Accounting and Economics, n° 5, 1983. 13 18 Une mesure approximative des économies fiscales non liées à la dette, et utilisée par les études empiriques, est le ratio des dotations aux amortissements sur le total actif (DA/AT). Une autre mesure également utilisée par la littérature empirique est celle définie préalablement par Titman et Wessels (1988). Soient NDTS i les économies d’impôts non liées à la dette et, EBITi, Ii et Ti, respectivement le résultat d’exploitation, le montant des charges d’intérêts déductibles et le montant de l’impôt sur les sociétés pour la firme i. indique le taux d’imposition sur les bénéfices, soit un taux de 10 % en vigueur au Liban sur notre période d’étude. Le montant de l’impôt sur les sociétés est donc calculé comme suit : Ti = (EBITi – Ii – NDTSi), d’où on déduit : NDTSi = EBITi – Ii – Ti/ Tableau 9 : Test de la variable – Taxes Taxes DA/AT NDTS/AT IS/Bénéfice avant IS DFIAT Coeff. 2,4875 -0,3680 2,2690 DFLTAT Prob. 0,0002 0,0386 0,0003 Coeff. 0,4421 -0,0550 0,3855 Prob. 0,0182 0,2627 0,0288 DFCTAT Coeff. 2,0454 -0,3129 1,8835 Prob. 0,0005 0,0481 0,0007 Le coefficient du taux effectif d’impôt est très élevé, significatif et de signe positif conforme aux prédictions de la théorie. Les entreprises les plus fortement taxées sont celles qui recourent le plus à l’endettement pour tirer profit de la déductibilité des charges d’intérêt. Concernant les économies d’impôts non liées à la dette, nos résultats dépendent du proxy utilisé pour mesurer cette variable : - NDTS/AT définie par Titman et Wessels (1988) : le résultat est conforme à la théorie et significatif. C’est un résultat également obtenu par Long et Malitz (1985) sur données américaines et Biais et al. (1995) pour les entreprises françaises. Mais il est en opposition avec les résultats présentés par Titman et Wessels (1988) et Bradley et al. (1984); - DA/AT : la relation est positive et significative avec un coefficient très élevé, ce qui va à l’encontre de l’argument de DeAngelo et Masulis (1980). Cette relation positive entre l’avantage fiscal non lié à la dette et l’endettement est aussi retrouvée par Moh’d et al. (1998) sur données américaines ainsi que Shabou (1995) sur données tunisiennes. Une explication possible de ce résultat donnée par Moh’d et al. (1998) est que l’essentiel des économies d’impôts non liées à la dette est dû aux dotations aux amortissements et que des dotations aux amortissements élevées sont caractéristiques des entreprises avec des niveaux d’actifs immobilisés plus élevés, qui, à leur tour (les actifs immobilisés), peuvent avoir une valeur « collatérale » et donc accroître la capacité d’endettement de la firme15. La divergence des résultats retrouvés souligne le problème général du choix du proxy, qu’on a relevé, qui est supposé être suffisamment corrélé avec une variable donnée et de l’effet de ce choix sur la relation entre cette variable et la variable à expliquer. Ces résultats montrent également, en particulier, que les dotations aux amortissements ne constituent pas l’essentiel des économies d’impôts non liées à la dette des 15 Cf. Moh’d et al. (1998), p. 94. 19 entreprises libanaises. En effet, celles-ci bénéficient d’autres avantages et exemptions fiscales que seules les dotations aux amortissements ne peuvent représenter. 5.4. Croissance et opportunités de croissance Selon les théories liées aux coûts d’agence (problèmes de substitution d’actifs, Jensen et Meckling [1976], de sous-investissement, Myers [1977] et de free cash flows, Jensen [1986]), une relation négative est prédite entre les opportunités de croissance et le levier financier. D’après la théorie du pecking order de Myers (1984), la dette est positivement liée à la croissance et aux opportunités de croissance. Les entreprises en expansion sont susceptibles de faire plus appel aux ressources pour financer les nouveaux investissements. La variable croissance peut être mesurée par le taux de croissance du chiffre d’affaires, ou celui du total actif. Les opportunités de croissance sont souvent mesurées par le ratio market-to-book, non mesurable dans le cadre de nos données, ou les dépenses de recherche et développement. Myers et Majluf (1984) suggèrent également qu’un ratio de payout faible (ou un ratio de rétention élevé) correspond à des firmes qui ont des opportunités de croissance et qui adoptent cette politique pour entreprendre des projets. Il sera étudié ci-dessous. Tableau 10 : Test de la variable – Croissance Croissance CAT16 CCA Dépenses R&D immob./AT DFIAT Coeff. 0,0759 0,0331 0,4819 DFLTAT Prob. 0,0274 0,2076 0,7885 Coeff. 0,0096 0,0116 0,1545 Prob. 0,3197 0,1068 0,7514 DFCTAT Coeff. 0,0663 0,0215 0,3274 Prob. 0,0297 0,3566 0,8374 Le taux de croissance de l’activité influence positivement les dettes financières. Sur des données tunisiennes, Shabou (1995) trouve également une relation positive et statistiquement significative entre le taux de croissance de l'activité et les dettes financières. La croissance du chiffre d’affaires (ou des actifs) est un indicateur de dynamisme de l’entreprise. Une croissance rapide de l’entreprise suppose la mobilisation d’importantes ressources financières ce qui n’est possible le plus souvent que par un recours accru à l’endettement. Cependant, cette relation positive que nous trouvons entre l’endettement et la croissance n’est statistiquement significative qu’avec l’indicateur CAT. Il faut noter ici le nombre limité d’années dont nous disposons duquel nous perdons encore une année pour calculer la variation du chiffre d’affaires ou du total de l’actif d’une année à l’autre. 16 Cette variable mesurant la croissance de l’actif total (ou celle du chiffre d’affaires) est calculée comme suit : CATt = (ATt – ATt-1) / ATt-1. 20 5.5. La distribution de dividendes A côté de la proposition ci-dessus, les entreprises utiliseraient les dividendes pour fournir un signal positif aux marchés de capitaux. Cela amène à une relation positive entre les opportunités de croissance et les ratios de distribution. Les théoriciens des relations d’agence ont également établis un lien entre l’endettement et la distribution de dividendes (Jensen, Solberg et Zorn, 1992). Plus spécifiquement, il est suggéré que les distributions de dividendes et les dettes agissent comme substitues dans la réduction des coûts d’agence. Pour cette raison, le ratio de payout sert comme variable explicative avec une hypothèse de relation inverse. Nous utilisons également le ratio de dividendes sur les capitaux propres. Tableau 11 : Test de la variable – Distribution de dividendes Distribution de dividendes Payout (Div./RNC) Div./KP DFIAT Coeff. 0,0622 0,0122 DFLTAT Prob. 0,0293 0,5169 Coeff. 0,0020 0,0006 Prob. 0,8061 0,9093 DFCTAT Coeff. 0,0602 0,0117 Prob. 0,0169 0,4871 Contrairement aux prédictions théoriques, une relation positive du payout est mise en évidence par nos données, l’autre ratio étant proche de zéro et non significatif. Cela est conforme à nos hypothèses sur des relations spécifiques d’agence pour les entreprises libanaises, et que les distributions de dividendes ne jouent pas le même rôle en terme de réduction des coûts d’agence qu’elles joueraient pour les entreprises européennes ou américaines. Encore faut-il prouver, dans ce contexte, que les dettes elles-mêmes jouent ce rôle entre actionnaires et dirigeants des firmes libanaises ? 5.6. La taille Les conditions d’accès au marché des capitaux ne sont pas les mêmes pour les petites et les grandes entreprises. Ces dernières ont généralement plus de facilités pour se procurer les ressources financières dont elles ont besoin. En outre, le risque des grandes entreprises est plus diversifié (plus de produits, de marchés…). Le degré d’asymétrie d’information peut également dépendre de la taille de l’entreprise. Ces constats devraient se traduire par une corrélation positive entre la dette et taille de la firme. Nous contrôlons les effets de la taille dans nos modèles de régression de différentes manières. Tout d’abord, nous diluons les proxies utilisés pour mesurer les autres déterminants que la taille par une variable taille. De cette manière nous essayons d’éviter que ces proxies mesurent une partie de l’effet taille. Ensuite, nous incluant des proxies pour la taille comme régresseurs dans les modèles. A cet effet, le total actif, le chiffre d’affaires ou même la valeur ajoutée sont souvent utilisés. Tableau 12 : Test de la variable – Taille 21 Taille DFIAT Coeff. 0,0150 0,0147 0,0176 Ln (AT) Ln (CA) Ln (VA) DFLTAT Prob. 0,0000 0,0000 0,0000 Coeff. 0,0027 0,0024 0,0032 Prob. 0,0000 0,0001 0,0000 DFCTAT Coeff. 0,0123 0,0123 0,0145 Prob. 0,0000 0,0000 0,0000 L’hypothèse d’une relation positive entre la taille et les mesures du niveau d’endettement est testée. Les 3 mesures de la taille Ln(AT), Ln (CA) et Ln(VA) donnent les mêmes résultats. Les coefficients sont positifs et significatifs, mettant en évidence l’effet taille au niveau de ces tests univariés17. Cette relation est également trouvée par Rajan et Zingales (1995) pour les pays développés ainsi que par Booth et al. (2001) dans le cadre de leur échantillon de 10 pays en voie de développement. Biais et al. (1995) trouvent un lien en forme de U entre les prêts bancaires et la taille des entreprises françaises : les firmes les plus petites et les plus grandes empruntent moins auprès des banques que les firmes moyennes. Ces auteurs expliquent que les grandes entreprises utilisent moins les dettes commerciales et le financement bancaire, puisqu'elles ont accès aux marchés des capitaux ; des marchés qui sont encore embryonnaires dans notre cadre institutionnel et celui des autres pays sud-méditerranéens. 5.7. Le secteur d’activité L’influence sectorielle sur le niveau d’endettement, outre l’aspect fiscal, est soutenue par l’idée que les entreprises exerçant une activité identique affrontent le même environnement économique et technologique. On devrait donc pouvoir observer des niveaux d’endettement voisins pour des entreprises d’un même secteur ainsi que des différences inter-sectorielles sensibles. Sur des données françaises, Biais et al. (1995) mènent des regressions incluant les 24 secteurs industriels et concluent qu’il n’y a pas de relation entre la dette de marché et les indicateurs sectorielles. Pour la dette bancaire, huit secteurs ont des moyennes statistiquement significativement différentes de la moyenne générale ce qui est cohérent avec les résultats de Bradley et al. (1984) sur données américaines. Pour notre part, le « secteur d’activité » a été capté par une variable muette qui prend la valeur de 1 si l’entreprise i appartient au secteur d’activité considéré, sinon elle prend la valeur 0. Les secteurs concernés sont les trois secteurs précédemment définis : industrie, commerce et services. Tableau 13 : Test de la variable – Secteur d'activité Secteur d'activité Industrie Commerce Services 17 DFIAT Coeff. Prob. 0,2361 0,0001 0,2269 0,0000 0,1568 0,0705 Toutefois, leurs valeurs restent faibles. 22 DFLTAT Coeff. Prob. 0,0456 0,0082 0,0136 0,3012 0,0719 0,0015 DFCTAT Coeff. Prob. 0,1904 0,0005 0,2133 0,0000 0,0850 0,2756 D’après les résultats du tableau ci-dessus, nous constatons que plus l’entreprise de notre échantillon appartient au secteur industriel (ou même commercial), plus elle est endettée, à l’opposé de l’entreprise qui appartient au secteur de services qui est statistiquement moins endettée. Le secteur d’activité semble jouer un rôle en tant que déterminant de la dette des entreprises libanaises. Les coefficients sont statistiquement très significatifs, à l’exception de la dette financière à long terme des entreprises commerciales et de la dette à court terme des entreprises de services. En examinant la structure par terme de l’endettement, les entreprises industrielles et les entreprises commerciales qui sont statistiquement les plus endettées sont différentes de part le terme de leurs dettes. La variable « entreprise industrielle » a un coefficient de corrélation avec la dette à long terme supérieur (et statistiquement significatif) à celui de la variable « entreprise commerciale ». Ce résultat est sans doute dû à la structure de l’actif de ces secteurs et plus précisément aux immobilisations corporelles, qui sont naturellement plus élevées chez les entreprises industrielles. Les entreprises commerciales ont moins d’immobilisations corporelles et donc moins de dettes financières à long terme. Cela est conforme au principe du « maturity matching » selon lequel les actifs à long terme sont financés par des dettes à long terme. Les entreprises de service, statistiquement les moins endettées, ont le coefficient correspondant aux dettes financières à long terme le plus élevé et le plus significatif par rapport aux autres secteurs d’activité. Notons cependant que la présence des entreprises appartenant au secteur de services est faible dans notre échantillon. Il est à noter qu’une augmentation sensible des immobilisations corporelles au bilan des entreprises du secteur de services a été remarquée les deux dernières années de notre période de recherche, et accompagnée d’une augmentation des dettes financières à long terme au cours de ces deux années. 5.8. Les investissements La thèse de Modigliani et Miller (1958) sur l’indépendance des décisions d’investissement et de financement a donné naissance aux théories qui couvrent les différents aspects commentés. Ces aspects sont ceux qui permettent la transition de l’indépendance à l’interdépendance entre décisions d’investissement et décisions de financement. Miguel et Pindado (2001) utilisent une mesure de l’investissement à droite de leur équation explicative de la dette et trouvent une relation directe et significative. Cela suppose que les entreprises cherchent et obtiennent des fonds lorsqu’elles ont à financer des projets d’investissement et que, la réalisation de ces projets permet aux entreprises d’accéder au financement, du moment où il y a augmentation des garanties qui contribuent à l’accomplissement des engagements financiers. Tableau 15 : Test de la variable – Investissements Investissements Inv. industriels nets / AT DFIAT Coeff. Prob. 0,9307 0,0000 23 DFLTAT Coeff. Prob. 0,1166 0,0562 DFCTAT Coeff. Prob. 0,8142 0,0000 Inv. totaux / AT 1,0365 0,0000 0,1610 0,0116 0,8756 0,0000 Les résultats du tableau ci-dessus montrent une interdépendance entre décisions d’investissement et décisions de financement au sein des firmes libanaises. En effet, une relation positive et statistiquement significative est trouvée entre l’investissement industriel (ou total) des entreprises et l’endettement de celles-ci. Ces résultats corroborent ceux mis en évidence par Miguel et Pindado (2001) sur un panel de firmes espagnoles. 5.9. Le risque Selon la théorie classique, les entreprises ayant un degré de risque d’exploitation élevé ont souvent très peu de capacité à supporter un risque financier élevé et par conséquent seront amenées à utiliser peu de dettes. Dans la logique de la théorie de l’agence, Myers (1977) arrive à une conclusion opposée. Les entreprises ayant un risque d’exploitation élevé ont peu de coûts d’agence de dettes et ont tendance à s’endetter davantage. Le risque d’exploitation sera mesuré par la variabilité du résultat. Quant au risque de défaut, plus il sera élevé, plus les banques seront réticentes à prêter. Lorsque la dette est garantie, on peut s’attendre à ce que cette réticence soit limitée. L’actif tangible immobilisé est indicateur de garantie de la dette et est donc supposé être positivement corrélé au levier d’endettement. Cette variable a été cidessus étudiée (composition de l’actif) et la relation positive vérifiée. Tableau 16 : Test de la variable – Risque Risque (EBE/AT) (REX/AT) (EBE/CA) (REX/CA) DFIAT Coeff. 1,0302 1,0183 0,2432 0,2113 DFLTAT Prob. 0,0000 0,0000 0,0015 0,0025 Coeff. 0,0857 0,0898 0,0153 0,0162 Prob. 0,1455 0,1292 0,4876 0,4159 DFCTAT Coeff. 0,9445 0,9285 0,2279 0,1951 Prob. 0,0000 0,0000 0,0008 0,0016 D’après le tableau ci-dessus, nous constatons que toutes les mesures de l’instabilité de la rentabilité utilisées sont positivement et de manière significative corrélées avec la structure financière. Cela est contraire aux conclusions de la théorie classique, mais est conforme aux prédictions de Myers (1977) relatives aux conflits d’agence entre actionnaires et créanciers. Il est à noter que la variable risque présente des effets incertains et parfois mixtes dans le cadre de l'étude de Shabou (1995) sur données tunisiennes, ainsi que Booth et al. (2001) sur leurs données de pays en voie de développement. 5.10. Synthèse des résultats 24 En somme, d’après les tests des relations univariées opérés sur notre base de données, il s’avère que les prédictions des théories de l’agence relatives aux conflits entre actionnaires et dirigeants ne sont pas vérifiées. Seules celles relatives aux conflits entre actionnaires et créanciers sont compatibles avec les résultats trouvés. Ainsi, il ressort que la présence d’actifs physiques au bilan des entreprises libanaises se matérialise par un endettement supérieur. Il en est de même pour les prêts des associés qui sont positivement corrélés avec l’endettement. Les actionnaires, après émission d’une dette, peuvent être incités à accroître le risque d’exploitation de la firme afin d’exproprier les prêteurs (Jensen et Meckling, 1976). Le niveau des actifs immobilisés et les prêts associés viennent donc réduire ces coûts d’agence. Par ailleurs, nous constatons que l’instabilité de la rentabilité est corrélée avec la structure financière. Cela est contraire aux conclusions de la théorie classique, mais conforme aux prédictions de Myers (1977) relatives aux conflits d’agence entre actionnaires et créanciers. Il apparaît également que les distributions de dividendes ne jouent pas le même rôle en terme de réduction des coûts d’agence qu’elles joueraient pour les entreprises américaines ou européennes. Cela rejoint la définition de Fama et Jensen (1983) qui ont étudié les relations d’agence selon le type d’organisation et ont cherché à caractériser la PME en comparaison avec la grande entreprise. De ce fait, dans une entreprise à caractère entrepreneurial, il n’existe pas de relations d’agence entre actionnaires majoritaires et dirigeant propriétaire. Il ne peut y avoir de conflits d’intérêts à ce niveau. Mahérault (1996) confirme également ces relations dans son étude sur des données françaises et en donne plusieurs explications18. Le comportement et les conditions financières des entreprises de notre échantillon sont donc davantage comparable à ce que l'on retrouve dans le cadre des PME des pays développés. Finalement, notons que la part des coefficients relatifs à la dette à court terme (DFCTAT) constitue généralement, et pour toutes les variables considérées, plus de 70 % des coefficients totaux. Cela est dû, d’une part, à la prédominance de la dette financière à court terme au passif du bilan des entreprises libanaises par rapport à celle à long terme et, d’autre part, à son existence dans une partie très mince d’entreprises de notre échantillon. Cette constatation a été notamment relevée lors de l’étude descriptive du passif du bilan des entreprises libanaises. Conclusion Cet article présente les liens entre la valeur et la structure du capital de la firme en relation avec les récents développements dans les théories de l'agence, de l'asymétrie de l'information, des distorsions fiscales etc., dans un cadre institutionnel autre que celui des pays développés. A la lecture des résultats de celui-ci, on constate l’universalité de certains modèles, c’est-à-dire leur capacité à expliquer le comportement financier des entreprises autres que celles exerçant dans les économies développées. En revanche, nos résultats montrent que des modèles théoriques sont 18 Cf. Mahérault (1996), p. 33 et 34. 25 plus pertinents que d’autres dans un contexte économique donné. En effet, les différences quant à l’effet de certaines variables sont dues aux différences de cadres institutionnels et à la nature des marchés financiers. La concentration du capital entre les mains du dirigeant, le rôle prépondérant de l’actionnariat majoritaire et l’illiquidité du marché de titres des entreprises au Liban, ont aboutit à des relations d'agence spécifiques au sein de ces entreprises. En effet, celles-ci restent généralement des entreprises à « échelle humaine » (entreprises à caractère familial) et, à quelques rares exceptions près, les marchés libanais en particulier et du moyen-orient en général, ne connaissent pas l’existence de firmes managériales fréquemment rencontrées dans les pays développés et dans lesquelles la propriété est dispersée entre les mains d’un grand nombre de détenteurs de titres. Nos résultats ont montré la dépendance des firmes de ce pays au financement interentreprises, généralement important dans le cadre du financement des PME des pays développés, n’ayant pas accès aux marchés des capitaux. Les dettes d’origine interne jouent également un rôle important et montrent l’implication de l’entrepreneur dans son affaire, et la confusion entre patrimoine personnel et patrimoine de la société. La dette financière d'origine externe est exclusivement bancaire. En effet, les emprunts obligataires représentent une part très mince du financement des firmes de notre échantillon. Cependant, cette dette est essentiellement à court maturité, à l'opposé de ce que l'on retrouve dans les pays industrialisés. En somme, nous remarquons le manque de dettes financières à long terme et l’accès limité des entreprises au marché des capitaux. Ces conditions de marchés financiers peu développés caractérisent les pays de la région et, plus généralement, l'ensemble des pays en voie de développement. En effet, la comparaison des structures financières des entreprises de ces pays par rapport aux pays européens ou américains a permis de conclure que celles-ci disposeraient de structures financières moins solides. L’amélioration de l’accès au financement, et en particulier au crédit à terme et au financement de marché, reste un enjeu majeur dans ces pays. Le développement et la diffusion croissante des informations sur les entreprises du Liban et des pays de la région méditerranéenne en particulier, et des pays en voie de développement en général, permettront de rendre possible la conduite d’études plus sophistiquées en terme de la nature des variables et des spécifications économétriques. Ceci permettra en particulier l'étude d'un panel d'entreprises méditerranéennes du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord, en parallèle à un panel de leurs "homologues" européennes et, ainsi, mettre en évidence les différentes convergences ou divergences quant aux comportements financiers respectifs de ces entreprises et qui sont dûes aux différences de cadres institutionnels. Une telle question se place donc comme un axe de recherches futures. 26 Bibliographie Akerlof G., “The Market for “Lemons”: Qualitative Uncertainty and the Market Mechanism”, Quarterly Journal of Economics, août 1970. Atrissi N., “Barriers to Private Investment in Lebanon: An Analytical Review”, Proche-Orient, Etudes en Management, n° 18, mai 2006. Atrissi N., “La Stratégie Financière des Entreprises Libanaises : Etude Empirique Basée sur les Tableaux de Flux ”, Proche-Orient, Etudes en Management, , n° 17, mai 2005. 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