1 L´ISLAM A FRANÇA L`ENDEMÀ DE L´11 DE GENER DE 2015
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1 L´ISLAM A FRANÇA L`ENDEMÀ DE L´11 DE GENER DE 2015
L´ISLAM A FRANÇA L’ENDEMÀ DE L´11 DE GENER DE 2015. Reptes, perills i esperances en el país de la laïcitat Esdevinguda la segona religió a França l'islam malda per trobar el seu lloc en el marc de la llei de separació de les esglésies i de l'estat de 1905 i de la llei de 15 de març de 2004 prohibint, en els establiments escolars, signes o indumentàries que manifestin una pertinença religiosa. Conferència a càrrec de Vincent FEROLDI, delegat episcopal per les relacions amb els musulmans de la diòcesi de Lió (França) Dimecres 25 de febrer de 2015, 19h Auditori de la Fundació Joan Maragall (València, 244 1r - Barcelona) L’ISLAM DE FRANCE AU LENDEMAIN DU 11 JANVIER 2015 ENJEUX, DANGERS ET ESPERANCE AU PAYS DE LA LAÏCITE Vincent Feroldi Devenu deuxième religion de France, l’islam cherche à trouver sa place dans le cadre de la loi de séparation des Eglises et de l’Etat de 1905 et de la loi du 15 mars 2004 interdisant, dans les établissements scolaires, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse. La persistance d’une crise économique, l’importance des phénomènes migratoires, la progression des aspirations identitaires au sein de la population française et une situation internationale de plus en plus complexe avec le développement du terrorisme djihadiste sur fond de révolutions arabes, tous ces événements poussent les responsables musulmans à promouvoir un islam compatible avec les lois de la République française et source d’enrichissement spirituel pour le fidèle. INTRODUCTION Il y a dans l’histoire de l’humanité des dates événementielles qui deviennent des repères pour les générations futures. Elles symbolisent pour tout un chacun un moment-clé, un événement, une prise de conscience, un tournant, un repère pour les générations à venir. Ainsi en est-il du 8 mai 1945 (victoire des Alliés sur l'Allemagne nazie et la fin de la Seconde Guerre mondiale en Europe), 6 et 9 août 1945 (bombardements atomiques d'Hiroshima et Nagasaki), 21 août 1968 (invasion de la Tchécoslovaquie), 9 novembre 1989 (chute du mur de Berlin), 11 septembre 2001 (quatre attentats-suicides perpétrés aux États-Unis, par des membres du réseau djihadiste islamiste Al-Qaïda, visant des bâtiments symboliques du nord-est du pays et faisant 2.977 victimes)… 1 A cette liste, il nous faut dorénavant ajouter une autre date, à savoir celle du 11 janvier 2015, c’est-à-dire celle de ce jour où dans toute la France et tout particulièrement à Paris, sous le slogan « Je suis Charlie », entre 4 et 5 millions de personnes se sont rassemblées dans la rue pour manifester leur refus du terrorisme djihadiste, pour défendre la liberté de la presse, pour réaffirmer leur volonté du vivre ensemble dans une société pluriculturelle et pour témoigner leur amour des valeurs d’une République qui a fait de la liberté, de l’égalité et la fraternité le socle de son existence. Cette date aurait pu rester franco-française, mais la présence de plusieurs dizaines de chefs d’Etat et de gouvernement dans les rues de Paris a fait prendre conscience que ce qui venait de se vivre en France concernait non seulement tout l’Occident mais aussi le monde entier. Malheureusement, les sept semaines qui viennent de s’écouler depuis le tragique assassinat de l’équipe de rédaction du journal Charlie Hebdo au matin du 7 janvier 2015 ont témoigné de l’ampleur du drame que nous vivons tous, où que nous soyons. Suivant nos appartenances ou nos lieux de résidence, tel ou tel fait tragique a été plus mis en lumière que d’autres. Mais les actions de ces entités terroristes et barbares que sont Daech, Al Qaïda, AQMI (Al-Qaïda au Maghreb islamique) et Boko Haram ont touché des pays comme le Danemark, la Belgique, l’Allemagne, la Syrie, l’Irak, la Jordanie, le Japon, la Libye, le Niger, le Nigeria… et les communautés monothéistes que sont les communautés juive, chrétienne et musulmane. Sans oublier, au Proche Orient, la communauté yézidite qui a subi au cours de l’été 2014 une tentative de génocide. Oui, le monde change et nous sommes probablement à l’une de ces époques de fracture où un monde s’achève et où se cherche un nouveau monde. Si nous sommes lucides et si notre regard ne se limite pas à notre environnement proche, pour vous la Catalogne et l’Espagne, pour moi, la France, nous comprenons que tous, nous devons changer de paradigme et comprendre que c’est notre compréhension du monde, notre idée de la démocratie et de sa mise en œuvre, l’organisation de nos institutions et la place des religions qui doivent être dorénavant pensé autrement. Il en est de même pour l’islam et pour la communauté musulmane. C’est ce que nous allons essayer de cerner à travers l’exemple français. LES MUSULMANS EN FRANCE : NOMBRE ET PRATIQUES 1. Leur nombre La loi française ne permet pas d’avoir des statistiques précises sur les communautés confessionnelles existantes en France. Personne ne doit déclarer sa religion d’appartenance pour avoir une pièce d’identité. Il n’est pas possible de recenser les populations par religion. Qui plus est ! Il faut distinguer la personne de culture juive ou musulmane mais qui se dirait plutôt athée ou agnostique du croyant pratiquant chrétien non pratiquant ou de l’orthodoxe pieux et très religieux…. Deux journalistes du quotidien Le Monde, Alexandre Pouchard et Samuel Laurent, ont essayé d’apporter quelques éléments d’analyse, le 21 janvier 2015 dernier. Ainsi, l'enquête « trajectoire et origines » menée par l'Insee et l'INED, sur la base de sondages, estimait les fidèles musulmans à 2,8 millions en 2008, contre 11,5 millions de catholiques, parmi la population de 18 à 50 ans. Un échantillon qui, pour les deux religions, ne compte donc ni les seniors, ni les mineurs. 2 Le chercheur Patrick Simon, de l'INED, évoque, en extrapolant les estimations sur les 18-50 ans à l'ensemble de la population, un chiffre un peu plus élevé : entre 3,9 et 4,1 millions de personnes en France seraient « musulmans », avec les mêmes réserves quant à cette appellation. Mais le chiffre le plus souvent donné est celui de 4 à 5 millions. Il provient du ministère de l'intérieur et n'est qu'une approximation assez floue : il s'agit d'une extrapolation tirée de l'origine géographique des populations. On pourrait donc dire qu'il compte les personnes de « culture musulmane », qu'elles soient ou non pratiquantes dans leur quotidien. Par contre une certitude : le nombre de fidèles musulmans tend à augmenter en France depuis trente ans, quand le nombre de catholiques ou de protestants connaît le mouvement inverse. 2. Leur pratique de l'islam La plupart des musulmans ne fréquente pas les lieux de prière identifiés (dont un grand nombre de petits locaux ne pouvant pas regrouper plus de 80 personnes). Ce qui reste dominant en France, c’est un islam qui se vit d’abord dans le cadre de la famille (respect du mois de Ramadan, observance des fêtes, pratiques religieuses et coutumières liées aux grands moments de l’existence…), et où les références premières sont celles de l’islam des pays d’origine. Ainsi, selon une enquête de l'IFOP pour le journal La Croix en 2011, basée sur un cumul d'enquêtes précédentes, 75 % des personnes issues de familles « d'origine musulmane » se disaient croyantes. C'est davantage que la précédente étude en 2007 (71 %) mais moins que celle d'avant en 2001 (78 %). Cette variation, causée par l'aspect déclaratif de l'enquête, illustre la difficulté d'établir précisément le nombre de croyants. La population se revendiquant musulmane est plus forte chez les immigrés et descendants de deux parents immigrés, qui sont également les deux catégories où l'on retrouve la proportion la plus faible de personnes se disant « sans religion ». Dans le détail, en 2011, 41 % des personnes « d'origine musulmane » se disaient « croyantes et pratiquantes » (contre 16 % chez les catholiques), et 34 % « croyantes mais non pratiquantes » (57 % des catholiques), 25 % se disant « sans religion ou seulement d'origine musulmane » (27 % des catholiques). Seuls 25 % des interrogés disaient aller « généralement à la mosquée le vendredi ». L'enquête montrait une hausse de la pratique du jeûne durant le mois de ramadan, observé par 71 % des interrogés, contre 60 % lors d'une enquête précédente en 1989. En revanche, seuls 6 % 3 des interrogés disaient avoir déjà effectué le pèlerinage à La Mecque, qui est l'un des piliers de la religion musulmane. Autre indication intéressante de l'étude IFOP : un tiers des personnes « d'origine musulmane » disaient consommer de l'alcool, pourtant interdit par l'islam. A contrario, près des trois quarts des répondants disaient acheter « systématiquement » ou « de temps en temps » de la viande halal, abattue dans le respect des rites islamiques, phénomène très peu connu voici trente ans. C’est bien là le reflet que les musulmans de France sont marqués par un phénomène de « nouvelle islamisation » qui est à l’œuvre dans le monde depuis la fin du XIXème siècle et qui fait sentir ses effets depuis surtout une trentaine d’années. Nous sommes témoins d’une « nouvelle islamisation » ou d’un nouveau « réveil » ou « revivalisme » musulman qui a pour sources principales : d’une part le wahhabisme saoudien aidé de l’argent du pétrole et du gaz ; d’autre part le courant transnational des Frères Musulmans et son islam contestataire des désordres établis, qui bénéfice du soutien de l’émir du Qatar ; et également la Révolution islamique iranienne. L’influence de ce « renouveau » s’exerce de nos jours essentiellement par le canal du Web et par celui des chaînes de télévision par satellite. Cette « nouvelle islamisation » génère toute une économie aux profits considérables : multiplication des produits « hallal », développement d’une « finance islamique », profits également importants liés à l’organisation des pèlerinages aux Lieux Saints de l’islam (La Mecque et Médine)… De tout cela, il résulte une organisation de l’islam très éclatée, dont la réalité complexe échappe autant aux musulmans qu’aux non-musulmans ! LES MUSULMANS EN FRANCE : MOSQUEES ET COURANTS 1. Mosquées et lieux de prière Selon le ministère de l'intérieur, on recensait, en 2012, 2.449 lieux de culte musulman dans le pays, dont 318 en Outre-mer, et on estime que ce nombre de lieux a doublé depuis l’an 2000. Le chiffre avancé pour 2015 est de 2.500. Néanmoins, un lieu de culte n'est pas obligatoirement une mosquée. Pour l'essentiel, les musulmans français prient dans des salles discrètes, même si on constate depuis la fin des années 2000 une vague de constructions de mosquées plus visibles. On comptait en 2009 seulement 64 mosquées dotées de minarets pour près de 2.500 lieux de prière, soit 2,5 % environ. Si on rapporte le nombre de pratiquants de l'islam au nombre de lieux de culte, on arrive à un rapport significatif : si on compte 3 millions de pratiquants musulmans, on parvient à un lieu pour 1.200 fidèles. Si on compare avec le catholicisme, on recense environ 40.000 églises en France, pour 11 millions de catholiques pratiquants, soit une église pour 275 fidèles. Selon Anouar Kbibech, vice-président du Conseil français du culte musulman (CFCM) et président du Rassemblement des musulmans de France (RMF), les besoins de la communauté musulmane sont énormes en ce début de l’année 2015. Il existe des manques béants. En matière de lieux de culte dignes de ce nom, on recense 2.500 à 3.000 mosquées ou lieux de prière. Il considère qu’il en faudrait le double. Ce qui représente beaucoup d’argent : de 500.000 euros pour une salle de prières à plusieurs millions d’euros pour une mosquée. De plus, seuls 500 à 600 imams sont affiliés à des fédérations musulmanes, ce qui veut dire que les autorités musulmanes peuvent les suivre et leur assurer une formation. Mais ce n’est pas le cas pour les autres, à savoir les 2.000 imams autoproclamés ou itinérants qui vont de mosquée en mosquée. Il n’existe pas en effet de hiérarchie dans la religion musulmane. Quand une salle de prière n’a pas d’imam attitré, celui qui a le plus appris le Coran est mis en avant et dirige la prière. N’importe qui peut donc 4 s’improviser imam, avoir un ascendant sur les fidèles, alors qu’on ne sait rien de sa formation, ni de ses convictions, de ses valeurs. Dès lors, il est impossible de maîtriser dans bien des lieux de prière musulmans français les réponses qui sont faites par les imams aux jeunes qui viennent les voir. Grande mosquée de Paris (inaugurée le 15 juillet 1926, elle a une place symbolique importante pour la visibilité de l’islam et des musulmans. Elle est la plus vieille mosquée en France métropolitaine et liée à l’Algérie) Grande mosquée de Lyon (inaugurée le 30 septembre 1994, elle a bénéficié de l’aide de l’Arabie saoudite pour sa construction. Elle est mosquée indépendante) Mosquée d'Évry-Courcouronnes (inaugurée en septembre 1994, elle est la plus grande de France et a bénéficié de l’aide de l’Arabie Saoudite et du Maroc) 5 Grande mosquée de saint Etienne Mohammed VI (inaugurée le 19 juin 2012, elle a bénéficié de du Maroc pour sa construction. Elle est liée au Maroc) Grande mosquée de Strasbourg (inaugurée le 27 septembre 2012, elle a bénéficié de l’aide de l’Arabie saoudite, du Koweit et du Maroc pour sa construction. Elle est liée au Maroc) Mosquée de Givors (inaugurée le 30 avril 2013, financée avant tout par les fidèles, a bénéficié de l’aide de l’Arabie Saoudite via un don personnel) 6 Mosquée turc Eyup Sultant de Vénissieux-Parilly (ouverte en juillet 2014) 2. Les clivages Plusieurs clivages existent au sein de la population musulmane vivant en France. 1. Le clivage entre les « anciens » (les « immigrés de la première génération ») et les nouvelles générations (les quadragénaires d’une part ; les adolescents et jeunes adultes d’autre part), car ces « classes d’âge » n’ont pas le même rapport à l’islam et à sa pratique. 2. Le clivage entre hommes et femmes, filles et garçons. Là aussi il y a des rapports à l’islam et à sa pratique qui sont différents. Tradition et modernité s’affrontent, en particulier du côté des jeunes filles qui ont suivi un cursus scolaire et universitaire. 3. Le clivage entre « Algériens », « Marocains », « Tunisiens », « Turcs », gens du Fleuve Sénégal (les guillemets veulent souligner que, sous ces appellations, se regroupent également des citoyens français)… La rivalité entre l’Algérie et le Maroc, surtout, joue beaucoup dans l’organisation et dans les difficultés d’organisation de l’islam en France. Les Consulats de ces pays continuent d’exercer une influence majeure sur les associations et sur les personnalités qui prétendent organiser le culte. Un bel exemple en fut donné lors de la construction et l’inauguration de la mosquée Mohammed VI à Saint Etienne, le Maroc ayant repris à l’association locale la gestion de la dite mosquée et désigné son nouveau recteur qui a des comptes à rendre régulièrement au Ministère des Habbous marocain. 3. Les courants musulmans en France 1. L’islam « consulaire » lié aux Consulats des pays d’origine des grandes migrations 1. La Grande Mosquée de Paris, de style mauresque avec un minaret de 33 mètres et située dans le quartier du Jardin-des-Plantes du 5e arrondissement de Paris, a été inaugurée le 15 juillet 1926. Elle a été fondée par Si Kaddour Benghabrit et tient une place symbolique importante pour la visibilité de l’islam et des musulmans. Elle est la plus vieille mosquée en France métropolitaine. La Mosquée de Paris fait office de mosquée-mère des mosquées françaises sous la direction de Dalil Boubakeur, recteur depuis 1992. Elle est liée à l’Algérie (2,5 à 3 millions d’« originaires » d’Algérie) et a créé une Fédération de la Grande mosquée de Paris. Elle a également un lieu de formation des imams : l’Institut al-Ghazâli, dirigé par le docteur Dr Djelloul Seddiki. 7 2. Pour le Maroc (entre 900.000 et un million), nous avons aujourd’hui deux fédérations : o Le Rassemblement des Musulmans de France (RMF), créé le 13 janvier 2006 et qui veut "contribuer à faire émerger un islam modéré, tolérant et respectueux des lois de la République, un islam du juste milieu". Le mouvement est proche de l’actuel gouvernement marocain, issu du Parti de la justice et du développement. Il est actuellement présidé par Anouar Kbibech, actuel vice-président du Conseil français du culte musulman (CFCM). Il a un réseau de quelques 550 mosquées. o L'Union des mosquées de France (UMF), crée en septembre 2013, se veut elle proche du pouvoir royal, à travers le Ministère marocain des Habbous. Elle est une fédération nationale qui regroupe des « Conseils Régionaux de l’Union des Mosquées de France », rassemblant les associations gestionnaires de lieux de culte musulman, des grandes mosquées et des « personnalités cooptées ». Son président est Mohammed Moussaoui, qui fut président du Conseil français du culte musulman du 22 juin 2008 au 30 juin 2013 et président d'honneur de cette même institution depuis 30 juin 2013. 3. Pour la Turquie, nous avons d’abord une instance que nous pourrions dire « officielle » car sous l’autorité directe du gouvernement turc : la Ditib (Diyanet IsleriTürk Islam Birligi - Union turco-islamique des affaires théologiques) qui a un réseau de quelques 250 mosquées et, depuis 2012, une faculté de théologie musulmane à Strasbourg. Mais il faudrait parler de trois autres entités : le Comité islamique Milli Görüs – France et ses 70 mosquées affiliées, la Fédération turque de France et ses 30 lieux de culte, et la Plate forme de Paris, lié au mouvement de Fethullah Gülen, comparé tantôt à une loge maçonnique, tantôt à l’Opus Dei. 4. La Fédération française des associations islamiques d’Afrique, des Comores et des Antilles, créée en 1989, regroupant les musulmans suivant un islam traditionnel ancré dans une culture africaine et antillaise. 2. L’islam piétiste ou soufi 1. L’Union des Organisations Islamiques de France dont Amar Lasfar (Lille) est le président et Azzedine Gaci (Lyon-Villeurbanne), chargé du dialogue inter-religieux, est une fédération (association type loi 1901) regroupant plus de 250 associations musulmanes réparties sur tout le territoire français. Elle a été créée en juin 1983. Elle est liée aux Frères Musulmans mais de tendance modérée. Il anime à ChâteauChinon (Nièvre) l’Institut Européen des Sciences Humaines" (IESH), créé en 1990 et inauguré en 1992. Il se veut être un Institut d'enseignement de théologie musulmane. 2. Présence et spiritualité musulmanes, issue de l’association marocaine Al ‘Adl waI-Ihsan (Justice et Bienfaisance). Le Tabligh, branche française de Jama’at al Tabligh, courant piétiste fondé en Inde en 1927. Apparue en France en 1966, ce mouvement y a adopté la forme d'une association dénommée « Foi et Pratique ». Son objectif est de faire revivre leur foi aux musulmans, dans le cadre d'une interprétation littéraliste de celle-ci. 3. Les confréries o La tariqa Qadiryya-Boutchichiyya (Maroc) (à laquelle appartient Ahmed Toufiq, ministre des habbous, et Faouzi Skali, créateur du festival des musiques sacrées de Fès) 8 o L'association AISA (Association internationale soufie Alawiyya) fondée par Cheikh Khaled Bentounès, né en 1949 à Mostaganem et guide spirituel de la confrérie soufie Alawiyya 3. Les mosquées indépendantes comme la grande mosquée de Lyon. 4. Le courant salafiste Cette mouvance est d'implantation relativement neuve en France. Depuis la fin des années 1990, la puissante influence saoudienne avec ses "cheikhs" prêcheurs, ses universités islamiques, son édition, ses canaux médiatiques et ses réseaux de financement, a permis aux salafistes de s'installer progressivement et, sans doute, durablement. On estime qu’ils sont les plus rigides dans la pratique, adeptes d’un retour à l'islam « des origines ». Ils se prétendent l’islam véritable, celui des origines. Leurs habitudes vestimentaires – les femmes en burqa et gants noirs (comme les épouses du prophète), les hommes en kamis (longue chemise qui tombe sur des pantalons courts) – renvoient l’image anachronique d’une époque idéalisée. Le terme salaf ne désigne-t-il pas les «pieux prédécesseurs», compagnons de Mahomet, sur lesquels les adeptes doivent calquer leur conduite ? Pour eux, la séparation des sexes est obsessionnelle et ils refusent toute mixité. Issus de l’immigration ou convertis à l’islam, les salafistes sont des jeunes exclus et déclassés. Ce qui les attire, c’est le discours de rupture avec la société occidentale. Porter la burqa – interdite dans l’espace public depuis une loi de 2011 – est une manière de rejeter une autorité familiale jugée trop intégrée ou permissive. Sans doute sont-ils très minoritaires , mais les salafistes recrutent dans les quartiers populaires. Matrice des dérives djihadistes, ils fonctionnent comme une secte : rupture avec l’environnement, manipulation mentale, conception d’un monde malfaisant et corrompu. Ils ont réussi à imposer certaines pratiques, comme le voile intégral. Ils ont ainsi bousculé le paysage religieux établi (largement lié aux pays d'émigration que sont l'Algérie, le Maroc et la Turquie). « Le salafiste n'est pas le musulman traditionnel en France, c'est le musulman de la mondialisation », déclare le politologue MohamedAli Adraoui, auteur en 2013 de l'ouvrage "Du Golfe aux banlieues, le salafisme mondialisé" (PUF). En 2012, pour le sociologue Samir Amghar, spécialiste de la question, s’appuyant sur les informations données par les Renseignements généraux, les salafistes sont entre 12.000 et 15.000 en France. Le chiffre correspondait donc à 1 salafiste pour environ 200 pratiquants musulmans en France. Depuis de nombreux mois, ce courant suscite une vive inquiétude en France. Selon un article paru dans le Figaro, le 20 février 2015, les salafistes multiplient les offensives pour déstabiliser les salles de prière modérées en France. Ayant une profonde abhorration de l'islam institutionnel, volontiers qualifié comme la «religion des judéo-croisés», et vomissant les imams des mosquées qu'ils désignent comme des « traîtres » et des «impies» dès lors qu'ils prônent une pratique modérée de l'islam, des groupes salafistes ont ainsi lancé une vaste offensive souterraine, en particulier dans l’agglomération lyonnaise, pour tenter d'étendre leur emprise sur les lieux de culte les plus fragiles. Selon un dernier état des lieux, le nombre des mosquées et salles de prière passés aux mains des fondamentalistes 9 a plus que doublé en quatre ans, passant de 44 à 89 entre 2010 et l'année dernière. Et 41 font l'objet d'entrisme. Le Figaro explique : « La stratégie employée est à peu près ceci. En général assez jeunes, bien structurés et parfois conseillés par des avocats, ils installent d'abord une petite salle de prière ou créent une école ultra-orthodoxe juste à côté du lieu de culte ciblé, en général de taille modeste sachant que 72 % des 2.502 mosquées et salles de prière musulmanes, gérées en associations de type 1901, accueillent moins de 150 fidèles en moyenne. Ensuite, ils laissent infuser leurs thèses radicales qui plaisent aux jeunes et alimentent de rumeurs sur la prétendue mauvaise administration du lieu de culte en exigeant la convocation d'une assemblée générale, décrypte un expert. Lorsque les imams en place, souvent de vieux chibanis ayant une gestion à l'ancienne, se trouvent dépassés, les salafistes exigent la convocation d'une assemblée générale avant de prendre le contrôle du bureau qui gère l'association cultuelle…». Aussi, même si nombre d'imams des mosquées menacées sont encore rétifs à alerter les services spécialisés et à appeler l'État à la rescousse, certains responsables religieux plus avisés commencent à s'entourer de conseils extérieurs pour éloigner les velléités des «putschistes» fondamentalistes. Ils renforcent notamment leurs statuts associatifs en imposant des bulletins d'adhésion nominatifs et signés, des règles d'ancienneté pour devenir électeurs, des verrous pour les votes par procuration ou encore des clauses spécifiques en cas d'empêchement ou de décès d'un responsable. Ces garde-fous, bien que trop parcellaires encore, sont les seuls garants d'un islam modéré compatible avec les valeurs de la République. Faut-il vraiment s’inquiéter ? Il y a aujourd’hui en France un réel débat autour du salafisme, débat qu’il nous faudra bien trancher sans trop tarder. En effet être salafiste ou fondamentaliste ne veut pas dire croire aux vertus du djihad ni cautionner la violence comme moyen d'action. Le salafisme possède en son sein une composante djihadiste qui est heureusement ultraminoritaire. Selon le sociologue Samir Amghar, qui a publié en 2011 "Le salafisme d'aujourd'hui" (Michalon), le courant qui prospère en France, c'est le "salafisme quiétiste". Il s'incarne dans des figures de prédicateurs populaires comme le bouillonnant imam de Brest Rachid Abou Houdeyfa ou celui du Bourget (SeineSaint-Denis) Nader Abou Anas, dont les vidéos en ligne peuvent atteindre des dizaines de milliers de vues. Des prêches dans lesquels ils condamnent clairement le terrorisme. 10 Quel part de l'islam radical en France ? | Décodeurs D’après Benoît FAUCHET, journaliste à l’AFP, dans une dépêche du 30 janvier 2015, "les quiétistes sont parmi les plus vindicatifs contre les jihadistes, qu'ils considèrent comme des égarés". Les djihadistes ne s'y trompent pas qui, en retour, poursuivent les quiétistes de leur haine, à l'image d'Omar Omsen, un proche du Front Al-Nosra (branche syrienne d'Al-Qaïda) reprochant dans ses vidéos au Brestois Houdeyfa d'encourager les musulmans à s'intégrer en France, terre "mécréante". De là à considérer ces quiétistes comme un moyen de lutte contre le basculement jihadiste..., on peut s’interroger. Certains franchissent le pas, comme Samir Amghar, et contestent l’attitude des autorités : "Quand je vois les services [de l’Etat, NDLR] considérer la longue barbe, le port du qamis (tunique s'arrêtant au dessus des chevilles) comme des signes de radicalité, j'ai envie de leur dire: « Vous vous trompez, on peut s'appuyer sur ces individus pour lutter contre la radicalisation, des pays comme l'Algérie et le Maroc l'ont fait »". il ajoute : "On pourrait être pragmatique avec ces personnes qui ont une clientèle et une base sociale importantes, même si on ne partage pas leurs idées" ultra-orthodoxes. Bon connaisseur de la Toile musulmane, Fateh Kimouche (Al Kanz) estime que certaines vidéos "ont fait beaucoup de bien à la jeunesse des quartiers", ajoutant: "Mieux vaut avoir des culs-bénits que des délinquants et des terroristes." S'appuyer sur les quiétistes "pourrait être fait par les religieux eux-mêmes", remarque Bernard Godard. En revanche, "l'Etat se doit d'être très prudent", ajoute-t-il en observateur d'une France qui rêve largement d'un "islam des Lumières" éloigné de la voie salafiste. Mais Joseph Maïla, professeur de sociologie politique et de relations internationales, ancien recteur de l'Institut catholique de Paris et responsable du « pôle religion » créé au ministère des Affaires étrangères français, a une analyse plus alarmiste. Dans L’Express du 14 janvier 2015, il déclarait : « Même si les salafistes se déclarent hostiles au djihad, les lieux de culte qu'ils noyautent représentent de véritables viviers, pour ne pas dire des «couveuses» pour les futurs combattants volontaires vers les zones de combat. «En effet, ils y prônent un retrait du monde et une rupture quasi totale avec les non-musulmans afin de se consacrer à la religion, rappelle un expert du bureau des cultes du ministère de l'Intérieur […]. Cette vision exclusive considère toute soumission aux lois de la République, dans le cadre d'une convocation au commissariat ou au tribunal, comme illicite car revenant à cautionner un ordre impie.» Par ailleurs, le discours du prédicateur salafiste, valorisant une 11 approche «victimaire et complotiste sur les événements touchant les musulmans en France et dans le monde », fait mouche auprès des esprits les plus faibles et des jeunes de banlieue en perte de repères. L'embrigadement de type sectaire est d'autant plus efficace qu'il cherche à codifier les comportements du quotidien pour trier ce qui est «licite», le «halal», de ce qui ne l'est pas, c'est-à-dire le «haram». «Les quiétistes offrent un cadre, des codes vestimentaires et alimentaires. Ils prônent un modèle de vie plus attrayant, confie un officier de renseignement. On y parle d'abord de lumière, de groupes d'amis pour ceux qui sont isolés, de maris et d'épouses pures pour celles et ceux désireux de fonder un foyer, puis arrivent les cours coraniques et la prise en main radicale.» Chantres du repli identitaire, les salafistes phagocytent les esprits au point d'inquiéter au sommet de l'État. Ainsi, Manuel Valls est monté le 9 février au créneau avec véhémence, appelant à «combattre le discours des Frères musulmans dans notre pays, combattre les groupes salafistes dans les quartiers». Cette très grande diversité dont je viens de faire état nous aide à prendre conscience d’une réelle difficulté quand nous essayons de comprendre ce qu’est l’islam en France, en Catalogne, en Espagne ou en Europe, à savoir l’absence d’une autorité, d’un leadership reconnu par tous. DE L’AUTORITE EN ISLAM AU CONSEIL FRANÇAIS DU CULTE MUSULMAN 1. De l’autorité en islam Il est difficile d’aborder une question aussi large et aussi complexe que celle de l’autorité en islam en quelques minutes1. Pour commencer, il est utile de rappeler une évidence : l’islam, comme toutes les religions, repose sur le principe absolu d’une autorité divine, au-dessus des hommes. Pour le musulman, la volonté divine est parvenue aux hommes à travers le Coran et les traditions prophétiques (hadîth). Comme le rappellent Marc Gaborieau et Malika Zeghal, en islam, les textes du Coran et de la Sunna (rassemblant les hadîths) sont ceux qui font autorité de manière primordiale et reviennent à l’autorité suprême et unique, celle d’un Dieu qui ne peut souffrir d’associés. En un sens, le tawhîd, affirmation de l’unicité divine, instaure une distance infinie entre Dieu et les hommes ; il fait de l’autorité religieuse, si on pousse le principe à ses limites, une capacité exclusivement divine, qui ne peut appartenir aux hommes : le pouvoir “ne revient qu’à Dieu”. Il faut bien pourtant introduire la médiation humaine dans l’expression même de l’exclusivité de l’autorité divine, d’autant que le tawhid implique aussi l’égalité d’accès à la Parole divine, telle qu’elle se dégage des textes révélés, pour tous les croyants. Cette autorité divine s’appuie alors sur les sciences religieuses (`ulûm) dont la langue technique est l’arabe et qui sont enseignées dans des établissements spécialisés appelés madrasa. La science-reine est le droit (fiqh), qui s’appuie sur ces sciences auxiliaires que sont « la grammaire, l’exégèse coranique et la science des traditions ». En conséquence, le juriste (faqîh) est le personnage central de l’islam ; la théologie, incarnée souvent par le soufisme, a une importance secondaire à la différence de ce qui se passe dans la tradition chrétienne. Ceux qui maîtrisent ces sciences sont appelés oulémas (`ulamâ) ou docteurs de la Loi. Ils sont traditionnellement considérés comme les successeurs du Prophète et les dépositaires de l’interprétation autorisée de la volonté divine. Ils ont une triple fonction : 1 Cf. Marc GABORIEAU et Malika ZEGHAL, « Autorité religieuse en islam », in Arch. de Sc. soc. des Rel., 2004, 125, (janvier-mars 2004) 5-21, http://www.islamicstudies.harvard.edu/wp-content/uploads/2013/03/Zeghal-articleAutorites-Religieuses-en-Islam.pdf 12 ils transmettent le savoir, encadrent le culte et sont les spécialistes du droit qui font fonctionner la justice. Dans ce dernier rôle, ils peuvent être des experts (muftî) qui rendent des avis juridiques ou fatâwâ (sg fatwâ), ou de juges ou cadis (qâdî) qui siègent dans les tribunaux. C’est dans un tel contexte qu’il est intéressant d’écouter l’imam Ahmad al-Tayyib, cheikh de la mosquée de al-Azhar, au Caire, déclarant dans un long entretien publié le 14 janvier dernier dans Al-Masry al-Yowm : « L’opinion de al-Azhar n’est pas contraignante, et nous ne sommes pas une magistrature qui émet des sentences ni un organe exécutif qui peut promulguer des décrets. Nous n’avons pas un bâton pour punir qui ne se conforme pas à notre opinion. […] Nous n’exerçons aucune tutelle ni ne sommes un pouvoir religieux ». Il n’empêche. En France, la figure de l’imam est devenue importante et multifonctionnelle. Si l’on met de côté Internet et les chaînes satellitaires, la mosquée est aujourd’hui l’espace primordial de rencontre des musulmans et de l’émergence de l’autorité religieuse. C’est probablement l’une des raisons pour lesquelles le processus français de consultation mis en place par les autorités françaises a fait le choix de faire émerger les autorités religieuses à partir des mosquées, notamment en fonction de leur surface en mètres carrés, tout en sachant que, dans ce processus de désignation de responsables musulmans, il faut distinguer les présidents des associations, responsables de mosquées et centres culturels qui y sont attachés, les recteurs des grandes mosquées et les imams. 2. Le Conseil français du culte musulman Le Conseil français du culte musulman (CFCM) est une association régie par la loi de 1901 destinée à représenter les musulmans de France. Sa création s’est faite non sans mal à partir d’une consultation initiée en 1999 par Jean-Pierre Chevènement, et poursuivie par Daniel Vaillant, qui a abouti à la création du conseil en 2003, avec le soutien de Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'Intérieur. Le CFCM intervient dans les relations avec le pouvoir politique français, dans la construction des mosquées, dans le marché des aliments halal, dans la formation de certains imams et dans le développement de représentations musulmanes dans les prisons, les hôpitaux et l'armée française. Il essaye de coordonner les dates des fêtes religieuses (dont celles du ramadan). Le conseil d'administration est élu pour trois ans par des délégués des mosquées dont le nombre est déterminé uniquement par la surface des lieux de culte. Le conseil élit en son sein le bureau exécutif qui élit à son tour le président du CFCM pour la durée du mandat. Les Conseils régionaux du culte musulman (CRCM) sont élus en même temps. Les dernières élections du 8 juin 2013 ont été plus ou moins boycottées, sauf par le courant marocain. Aussi le conseil est composé de : 25 représentants du Rassemblement des musulmans de France (RMF) ; 6 représentants du Comité de coordination des musulmans turcs de France (CCMTF) ; 8 représentants de la Grande Mosquée de Paris (FNGMP) ; 2 représentants de l'UOIF ; 1 représentant de Millî Görüş ; 2 représentants indépendants. Les difficultés de l’élection de 2013 font que la présidence du CFCM est tournante. Elle est assurée par le Recteur Dalil BOUBAKEUR depuis le 30 juin 2013 et ce jusqu’au 30 juin 2015. Puis ce sera Monsieur Anouar KBIBECH, du 30 juin 2015 au 30 juin 2017, et Monsieur Ahmet OGRAS, du 30 juin 2017 au 30 juin 2019. 13 Mais douze ans après sa création, il y a pour la plupart des observateurs un constat d’échec. D’une part, le CFCM n’est pas représentatif de l’ensemble des musulmans de France dans la mesure où plusieurs tendances ont refusé aux dernières élections d’entrer dans le processus électoral. D’autre part, beaucoup de musulmans ne cherchent pas une instance représentative, mais une instance purement religieuse qui puisse rendre des avis et les aider à vivre leur foi, tout en veillant auprès des autorités civiles que le culte musulman puisse se vivre convenablement. De plus, ce constat d’échec est aujourd’hui partagé par les plus hautes autorités de l’Etat. Le 5 février 2015, le président de la République, François Hollande lui-même, estimait que le CFCM n'avait pas « la capacité suffisante de faire prévaloir un certain nombre de règles, de principes, partout sur le territoire» et demandait à son gouvernement de travailler sur la délicate question de la formation des imams. Au même moment, le 19 février, mettant en garde contre la "stigmatisation", Manuel Valls assurait que "c’est à l’islam de France de faire son examen de conscience et de s’inscrire pleinement dans la République laïque et protectrice". LES EVENEMENTS QUI BOULEVERSENT LA FRANCE ET LE MONDE Tout cela nous amène à l’aujourd’hui et à l’actualité dramatique qui ne concerne pas que la France mais qui nous concerne tous. Nous sommes dans ce contexte international tendu où de plus en plus de personnes en viennent à dire que « nous sommes en guerre ». Qui plus est ! Les musulmans de France ont à se situer, face à une opinion française défavorable. 1. Le regard des Français sur l’islam Certes, près d’un Français sur deux (47%) estime que l'islam est compatible avec les valeurs de la société française, soit presque deux fois plus qu'il y a deux ans, selon une enquête Ipsos/SopraSteria pour Le Monde et Europe 1 publiée le 28 janvier 2015. Mais des trois grands monothéismes, une majorité de Français considère que c’est la religion musulmane qui est la moins compatible avec les valeurs de la société française. Quand 93% des Français trouvent la religion catholique compatible avec ces mêmes valeurs, et 81% pour la religion juive, seuls 47% ont la même opinion pour l'islam. Un sondé sur trois estime que "même s’il ne s’agit pas de son message principal, l’islam porte malgré tout en lui des germes de violence et d'intolérance". En revanche, pour 66% des personnes interrogées, "l'islam est une religion aussi pacifiste que les autres et le jihadisme est une perversion de cette religion". Le Collectif contre l'islamophobie en France (CCIF) a comptabilisé 153 actes "islamophobes" entre le 7 janvier et le 7 février (+70 %), quand l'observatoire du Conseil français du culte musulman relevait 147 faits anti-musulmans ayant été l'objet de plaintes entre le 7 et le 31 janvier. Parmi les faits constatés depuis Charlie, le CCIF fait état de "33 attaques contre des mosquées-lieux de cultes enregistrées", soit "plus que le total de l'année 2014". Mais aussi 10 agressions physiques et un meurtre dans le Vaucluse "dont le mobile islamophobe a du mal à être reconnu par les autorités, la santé psychologique de l'assassin présumé étant en cours d'examen par les experts judiciaires", note le collectif. "La situation depuis les attentats n'est que le miroir grossissant de ce qui se passait avant. Ce sont les mêmes types d'actes que l'on enregistre, mais le passage à l'acte est plus violent et plus fréquent", déplore le CCIF. 2. Le choc des images, le poids des mots et la force des réseaux sociaux Du mercredi 7 janvier en fin de matinée au vendredi 9 janvier en fin de soirée, la France entière a vécu, à l’unisson et en direct, les dramatiques événements qui ont coûté la vie à 17 personnes parmi lesquelles des journalistes, des dessinateurs, des policiers, des juifs, une psychanalyste, un économiste, des travailleurs, des hommes, des femmes... Que ce soit sur leur téléphone, leur tablette ou leur ordinateur, devant leur télévision ou à l’écoute de leur autoradio, ils ont vécu, comme s’il y était, les traques, les prises d’otages, les assauts et les neutralisations des terroristes. 14 Il en fut de même pour nous tous vis-à-vis des événements de Copenhague, de la terrible exécution des 21 coptes égyptiens en Libye, de la bataille de Kobané (Syrie) et des décapitations des otages anglais, japonais ou jordaniens. Aujourd’hui, tout se sait, où que nous soyons, et tout se vit en direct. Personnellement, en 2014, circulant dans huit pays du bassin méditerranéen, que ce soit en ville, en campagne, en montagne ou en bord de mer, avec un petit iphone, je suis constamment resté en contact avec le monde entier, recevant une multitude d’informations et pouvant expédier sur la Toile des photos prises avec mon téléphone, avec un forfait normal et en « piratant » dans les rues et à proximité des maisons les réseaux WIFI non sécurisés et laissés ouverts. Il n’y a donc plus de limite en matière de communication. N’importe qui peut devenir source d’information de n’importe quoi, de n’importe où et n’importe comment. Notre monde croule sous des déluges d’information et peu de personnes arrivent à vérifier et hiérarchiser celles-ci. Les réseaux sociaux alimentent sans fin ce flux de nouvelles. Nous sommes dans une ère où priment l’émotion et le sensationnel. La communication est devenue une arme redoutable. Daech, Al Qaïda et Boko Haram en sont devenus, malheureusement, les spécialistes. 3. L’impact de la triade Al Qaïda – Boko Haram – Daech sur la perception de l’islam Depuis des mois, les responsables musulmans et le musulman de la rue s’insurgent sur le fait de devoir se justifier face aux méfaits de la triade Al Qaïda – Boko Haram – Daech. Ils ne cessent de dire que cela n’est pas l’islam et que cela n’a rien à voir avec l’islam. A juste raison, ils soulignent que les principales victimes de ces entités terroristes ne sont pas les chrétiens, mais les musulmans eux-mêmes. Malheureusement pour eux, qu’ils le veuillent ou non, la référence constante à un discours religieux par les terroristes, la mise en avant de nombreux versets coraniques où violence et anathème se déploient, la montée depuis plus d’une trentaine d’année d’un islam politique, la proclamation d’un califat, le 29 juin 2014, sous l’égide de Daech, sur les territoires irakiens et syriens avec Abou Bakr al-Baghdadi se proclamant calife, successeur de Mahomet, sous le nom d'Ibrahim, obligent aujourd’hui les musulmans modérés à réagir, à s’exprimer et à montrer comment leur foi est compatible avec la démocratie et la vie des sociétés où ils demeurent. La tâche n’est pas aisée, loin de là, car ce que nous vivons aujourd’hui a été longuement mûri, comme le souligne Gille Kepel, dans Le Monde du 12 janvier 2015 : « la "vision du monde" du djihadisme de l'ère Daech, qui tire les leçons de l'échec politique d'Al-Qaida, a été formalisée dès la fin de 2004 par l'idéologue syrien Abou Moussab Al-Souri. A l'époque d'Al-Qaida, un corpus complexe, peu diffusé, faisait le lien entre action armée djihadiste et réinterprétation littéraliste des textes de l'islam. Avec Daech, on passe au domaine de la source ouverte et à la diffusion massive des manuels pour l'action sur les réseaux sociaux, avec la volonté d'inscrire celle-ci dans la lettre des textes sacrés. On l'a vu avec la persécution des yézidis d'Irak dont les hommes se sont retrouvés désignés comme des impies et massacrés ipso facto, et les femmes comme des captives (esclaves sexuelles). La protestation que cette pratique a suscitée jusque dans le monde musulman a contraint Daech à recourir à l'un de ses " muftis on line " pour confectionner à partir du corpus médiéval un recueil juridique fondé sur la charia pour affirmer l'islamité de pareilles pratiques. (…) L'égorgement des pilotes syriens prisonniers, tout comme l'attaque de Charlie Hebdo, le meurtre de la policière de Montrouge ou la tuerie de l'hypermarché procèdent de la même scénographie : on y retrouve le noir de la voiture volée, la tenue blanche de Coulibaly censée le faire ressembler à un combattant de l'époque du Prophète. Dans cette mise en scène, la distinction classique faite par les oulémas entre Dar al-islam et Dar al-kufr ("territoire de l'islam" et "territoire des infidèles") est abolie. Le monde entier devient pour Daech le domaine de la guerre, Dar al-harb. Nous avons donc là bien des « catégories » du discours religieux musulmans. Il ne s'agit pas d'un conflit entre deux cultures, entre Orient et Occident, entre arabité et monde euro-atlantique, mais d'un choc de titans entre islam et mécréance. Et dans l'islam politique, tout le monde est le bienvenu, même des Européens blonds aux yeux bleus d'origine catholique, de même que la mécréance inclut aussi bien des Arabes et des " mauvais " musulmans. C'est donc un discours très universaliste et désengagé des enjeux locaux, mais qui ne tient paradoxalement son pouvoir d'attraction – autrement plus puissant que celui d'Al-Qaida, par exemple – que du fait que l'Etat islamique est aussi enraciné dans un territoire concret. 15 UNE TYPOLOGIE DES ISLAMS PRESENTS EN FRANCE Tout cela m’amène à présenter une typologie, certes un peu caricaturale et schématique car tout est plus complexe, mais néanmoins intéressante du visage de l’islam en France. Elle reprend en fait la formulation faite par Bernard Godard, ancien fonctionnaire du Ministère de l’Intérieur au Bureau des cultes, dans son dernier livre paru le 18 février 2015 : « La question musulmane en France » (Fayard, Paris, 352 pages). 1. L’islam identitaire Il résulte de la prise de conscience par la personne de la particularité de sa culture et qu’au pays des droits de l’homme, elle doit être prise en compte. Il ne s’agit plus de vivre sa religion dans la discrétion, voire dans la clandestinité, mais de manière visible et manifeste. Cet islam va donc se manifester par le port du voile ou d’un signe distinctif, la demande de lieux pour la prière dans les entreprises, la pratique du ramadan, le développement de la nourriture hallal, la revendication des carrés musulmans dans les cimetières, l’ouverture d’établissements confessionnels musulmans sur le modèle de l’école catholique, la possibilité d’avoir des heures spéciales d’ouverture de la piscine pour permettre aux femmes musulmanes de se baigner en toute tranquillité, le recours à la finance islamique, la multiplicité d’œuvres humanitaires spécifiques. Le musulman identitaire participera à la prière du vendredi et enverra ses enfants apprendre le Coran au centre culturel de la mosquée. Il sera attentif à tout acte islamophobe et n’hésitera pas à interpeller les autorités s’il estime sa communauté stigmatisée. 2. L’islam de rupture : de l’isolement au djihad Il surgit dans la société française d’une manière spectaculaire et violente à travers la personne de Mohammed Merah qui, en mars 2012, en trois expéditions, assassina sept personnes dont des militaires et trois enfants juifs. Il est réapparu à travers les parcours des frères Kouachi et d'Amedy Coulibaly en janvier 2015. Et l’enquête en cours montrera ce qu’il en est d’Omar ElHussein, l'auteur présumé des attentats de Copenhague. Essayons de dresser le portrait-robot de ceux qui vont rompre avec la communauté de leur mosquée pour partir dans l’aventure djihadiste. Ils sont presque tous des jeunes au passé délinquant, ayant commis des actes de vol ou de trafic. Ils ont presque tous connu une période d’emprisonnement. Quasiment tous étaient désislamisés et sont devenus musulmans « born again (nouvelle naissance) » ou convertis djihadistes sous l’influence d’un gourou, des copains ou à partir de leurs lectures sur Internet. Enfin, ils ont tous fait le voyage initiatique dans un pays du Moyen-Orient ou des zones de guerre (Irak, Syrie, Afghanistan, Pakistan…). Le quadrilatère « délinquance, prison, voyage guerrier et islamisation radicale » les caractérise quasiment tous. Leur subjectivité est marquée par la haine de la société, l’exclusion sociale, leur résidence en banlieue et une identité qui se décline dans l’antagonisme à la société des « inclus », qu’ils soient des Français gaulois ou d’origine nord-africaine. Chez eux, le ghetto se transforme en une prison intérieure et la seule voie de sortie, à leurs yeux, consiste à changer le mépris de soi en haine des autres et le regard négatif des autres en un regard apeuré. Ils visent avant tout à marquer leur révolte par des actes négatifs plutôt que de chercher à dénoncer le racisme, et à devenir des héros dans la réussite de leur combat qui culminera dans le martyr de leur vie qui, enfin, prendra sens. Prenons le cas de Maxime Hauchard, bourreau présumé de Daech. Maxime, « Lalou », comme l'appelle affectueusement sa jeune sœur, a choisi comme nom de « combattant » Abou Abdallah, ou « Al-Faransi » (« le Français »). Il a fait toute sa scolarité dans la région normande. D'abord à Bosc-Roger-en-Roumois où sa famille est installée depuis 20 ans, puis au collège à Bourgtheroulde, à quelques kilomètres. Sans anicroche. Le maire lui connaissait même une passion pour le cinéma. Noëlle, sa mère travaille à la Caisse primaire d'assurance maladie d'Elbeuf. En 2013, elle avait été décorée de la médaille du travail. Quant à Alain, son père, il est agent de maintenance dans la région. Avant de partir « enseigner le français » à Nouakchott en Mauritanie et de « faire de l'humanitaire » en Syrie, Maxime se plaisait à bricoler des mobylettes et ne s’était jamais fait remarquer, sauf pour sa gentillesse. A Saint-Pierre-lès-Elbeuf, il trouve à qui parler de son intérêt pour l'Islam. Un intérêt cultivé par de longs surfs sur Internet. Sa radicalisation est bien visible sur son profil Facebook, qu'il a continué à alimenter après avoir quitté la France. Il y poste des vidéos d'enfants victimes de la guerre en Syrie, raconte 16 l'établissement de l'Etat islamique ou pose fièrement, arme de guerre à la main, en tenue militaire. « Ici, on n’est plus une organisation, on n’est plus Al-Qaida, on n’est plus une guérilla, on n’est plus cachés ; nous sommes un Etat », écrit-il en mai. En juillet, il donne une interview à BFM-TV depuis Raqqa, en Syrie, où il exposait très clairement sa motivation : mourir en martyr. Pour Olivier Roy (L’Express, 3 novembre 2014), « nous faisons face à un nihilisme générationnel, à une jeunesse fascinée par la mort. Ce phénomène se traduit par des conduites à risque, des overdoses, une attirance pour le satanisme... On constate, chez certains, un terrain pathologique de morbidité. Avec Daech, ces enfants perdus de la mondialisation, frustrés ou marginaux, se retrouvent investis d'un sentiment de toute puissance du fait de leur propre violence, de surcroît à leurs yeux légitime. Daech leur offre un vrai terrain, où ils peuvent se réaliser. C'est son coup de génie. Il peut absorber beaucoup plus de volontaires qu'Al-Qaeda, lequel recrute dans la clandestinité. Désormais, ces djihadistes peuvent se battre au grand jour pour défendre un territoire au sein de bataillons islamistes. Ils se vivent comme des héros dans des vidéos préparées, dans lesquelles ils expliquent pourquoi ils sont heureux de mourir en martyrs ». 3. L’islam comme confession : entre diaspora et citoyenneté Il est celui que cherchent à mettre en place les responsables des principales grandes mosquées de France et des grandes Fédérations. Il prend en compte « une religiosité vécue dans le respect des rites et dans la tentatives de concilier une morale – ou même une éthique propre – avec une société qui ne s’est toujours pas habituée tout à fait à la présence d’une religion perçu comme exogène il y a encore une trentaine d’année »2 . Il consonne avec une citoyenneté reconnue et assumée. Il s’appuie sur une conception républicaine de la laïcité à la française, à savoir « une laïcité qui garantit à tous les citoyens, quelles que soient leurs convictions philosophiques ou religieuses, de vivre ensemble dans la liberté de conscience, la liberté de pratiquer une religion ou de n’en pratiquer aucune, l’égalité des droits et des devoirs et la fraternité républicaine. La laïcité n'est pas une opinion parmi d'autres mais la liberté d'en avoir une. Elle n'est pas une conviction mais le principe qui les autorise toutes, sous réserve du respect des principes de liberté de conscience et d'égalité des droits. C'est pourquoi, elle n'est ni pro, ni antireligieuse. L'adhésion à une foi ou à une conviction philosophique relève ainsi de la seule liberté de conscience de chaque femme et de chaque homme » (Observatoire de laïcité, service du Premier Ministre)3. Mais le chantier est immense car il suppose de se démarquer d’un islam politique, de mettre de côté les ambitions personnelles, de prendre de la distance avec les autorités civiles et religieuses des pays d’origine, de développer des lieux de formations pour des imams pleinement enracinés dans la société française, ouverts à la laïcité et maitrisant parfaitement la langue, et, à côté d’une instance comme le CFCM chargé de l’organisation pratique du culte et des rapports avec les pouvoirs publiques, de faire naître un Conseil de théologiens de l’islam de France en capacité d’éclairer les fidèles musulmans, désireux de vvire leur foi en paix et en harmonie avec le reste de la population française. QUELQUES FIGURES DESIREUSES DE REFORMER L’ISLAM Pour arriver à cela, l’islam de France peut heureusement s’appuyer sur des hommes et des femmes de valeur. Je citerai quelques noms qui émergent actuellement : Ghaled Bencheikh, né à Djeddah en Arabie saoudite, est docteur en sciences et physicien franco-algérien. Il est également de formation philosophique et théologique et anime l'émission Islam dans le cadre des émissions religieuses diffusées sur France 2 le dimanche matin. Il préside la Conférence mondiale des religions pour la paix – section France. Abdennour Bidar, né à Clermont-Ferrand, est un philosophe et écrivain français. Agrégé de philosophie, il est un des rédacteurs de la Charte de la laïcité. 2 B. Godard, « La question musulmane en France », Paris, Fayard, 2015, p.247. http://www.gouvernement.fr/sites/default/files/contenu/piece-jointe/2014/07/note-d-orientation-la-laiciteaujourdhui_0.pdf 3 17 Cheikh Khaled Bentounès, né à Mostaganem, est depuis 1975 le guide spirituel de la confrérie soufie Alawiyya. Il a fondé les Scouts musulmans de France en 1990. Rachid Benzine, né en 1971 à Kénitra au Maroc est un islamologue. Son centre d'intérêt est l'herméneutique coranique contemporaine. Il a enseigné à l'Institut d'études politiques d'Aix-en-Provence, dans le cadre du Master "Religions et société", et a été chercheur associé à l'observatoire du religieux. En 2004, il a publié Les nouveaux penseurs de l'Islam, dans lequel il présente des intellectuels musulmans qui préconisent une relecture du Coran à l'aune des sciences humaines. Ahmed Djaballah, diplômé de l’université Az-Zeitouna (Tunisie) et de la Sorbonne (Paris), directeur de l’Institut Européen des Sciences Humaines de Paris et membre du Conseil Européen de la Recherche et la Fatwa. Il fut président de l’UOIF. Abdallah Dliouah, imam à la mosquée de Villeurbanne et à Valence, est ingénieur à la SNCF. Homme de terrain, il utilise beaucoup les réseaux sociaux et a une forte influence sur les jeunes. Azzedine Gaci, algérien d’origine, enseignant-chercheur à l’École supérieure de chimiephysique-électronique de Lyon, imam à Villeurbanne, membre de l’UOIF, co-fondateur avec le père Vincent Feroldi du Forum national islamo-chrétien (1ère édition en 2011). Samia Hathroubi, professeure d'histoire, directrice européenne et coordinatrice du réseau du rassemblement des leaders européens juifs et musulmans (GEMJL)4 Anouar Kbibech, natif de Meknès, vice-président du CFCM. Sa carrière a été à la fois celle d'un cadre supérieur de l'industrie, et celle d'un gestionnaire du culte musulman. Il est entré en 1983 à l'Ecole Nationale des Ponts et Chaussée, et il est actuellement directeur des Systèmes d'Information chez un important opérateur des télécommunications. Omero Marongiu-Perria, sociologue des religions (Maghreb, islam), membre du CISMOC (Université de Louvain, Belgique) et expert en politiques publiques et management de la diversité. Mohammed Moussaoui, né à Figuig, dans l'est du Maroc, est un maître de conférences franco-marocain à l'université d'Avignon et président de l'Union des mosquées de France (UMF), créé en septembre 2013. Tareq Oubrou, théologien, imam de Bordeaux, membre de l’UOIF, né au Maroc de parents enseignants et francophones. Il est connu pour ses prises de position publiques en faveur d'un islam libéral. Abdessalem Souiki, né en Algérie, imam à la Mosquée René Guénon de Marseille et dans une mosquée d'Aix-en-Provence, enseignant en sciences islamiques a la Seyne-surMer. CONCLUSION Pour conclure, je voudrais faire quatre remarques qui seront peut-être à même de nous aider à comprendre pourquoi, que nous soyons chrétiens, musulmans, juifs, athées ou tout simplement citoyens du monde, il nous faut aujourd’hui changer de paradigme.. La première remarque est le constat de l'émergence en Europe d'une citoyenneté plus contractuelle, définie par des droits plus que par des devoirs. Celle-ci est venue progressivement concurrencer et remplacer le modèle d'une citoyenneté héritée, reliée à l'identité nationale, et fortement insérée dans des collectifs d'appartenance. A la fois plus autonome et plus individualisée, l'expression politique citoyenne est incontestablement devenue plus défiante et plus critique. La défiance qui s'est installée et qui s'est généralisée à l'encontre des institutions (de toutes natures, y compris religieuses) comme du personnel politique a fait le lit d'une crise de la représentation et suscite une réticence à l'égard de tous les types de médiation politique (partis, syndicats, élections), 4 https://www.ffeu.org/Europe.html 18 sociale, voire même religieuse. Les jeunes générations, bien que ne rejetant pas dans leur immense majorité les rouages de la représentation démocratique, privilégient néanmoins les formes d'action autonomes et spontanées, de fait plus protestataires. Les différents types de radicalité qui s'expriment aujourd'hui et les mobilisations de tous bords s'inscrivent dans cette tension. La deuxième reprend l’analyse exprimée dans le quotidien Le Monde du 25 août 2014, par Gaïdz Minassian, du Service Débats. Elle évoque la disparition progressive de l’Etat-Nation. Pour lui, nous assistons au retour des sociétés guerrières et du réflexe tribal où la norme religieuse prend le dessus sur la norme politique. Aujourd'hui, « le djihadisme s'est diffusé sur l'ensemble du corps social, laissant apparaître des sociétés guerrières solidement établies de la côte ouest de l'Afrique jusqu'aux montagnes d'Asie centrale. Ce n'est plus l'Etat-nation, même autoritaire, qui est la norme de cet ensemble en pleine déliquescence, mais la religion radicalisée et la violence portée par des sociétés dépourvues de tout autre mode de régulation ». Selon lui, « après plus de trois siècles de construction nationale, le monde se désinstitutionnalise sous nos yeux et à grands pas. La thèse du retour à l'âge médiéval n'a jamais été aussi pertinente qu'aujourd'hui. La modernité de l'Etat-nation ne fait plus recette, et sa chute commence là où la demande sociale des peuples fragilisés par l'histoire et la géographie n'est plus assouvie et se transforme en désillusions sur place et indifférence sinon mépris de la part de nos sociétés prospères. Le système international est désarmé, désemparé, face à la disparition de toutes normes politiques au profit de la norme religieuse ». La troisième, c’est que le défi, lancé à l’islam de France, ne lui est pas spécifique. Je pense profondément que c’est à l’oumma toute entière, c’est-à-dire à toute la communauté musulmane universelle, qu’il est lancé. Dans notre monde pluriculturel et pluriconfessionnel, les musulmans du monde entier ont à témoigner de cette « entre-connaissance » dont parle la Sourate 49,13 dite des Appartements : « Ô hommes ! Nous vous avons créés d’un mâle et d’une femelle, et Nous vous avons répartis en peuples et en tribus, pour que vous fassiez connaissance entre vous. En vérité, le plus méritant d’entre vous auprès de Dieu est le plus pieux. Dieu est Omniscient et bien Informé ». Les différentes religions veulent-elles s’affronter ou s’unir pour un vivre ensemble ? N’est-ce pas ce que souhaitait ce croyant musulman du Haut Atlas marocain, en m’écrivant ces mots, dimanche dernier : « En plus des changements climatiques de la planète on assiste ces dernières années malheureusement à une détérioration des relations humaine et à l’émergence du terrorisme. Tous les montagnards amazighs et moi-même condamnons les actes de barbarie qui visent la vie des innocents. Toutes les religions du monde y compris l’Islam sont contre la violence. Le respect de l’autre et la cohabitation sont des valeurs que nous avions héritées de nos ancêtres et que nous enseignons à nos enfants pour que tout le monde vive en paix ». Voici ma dernière remarque. Citoyens du monde, nous avons tous à nous questionner sur notre capacité à faire société. Comme le soulignait récemment Jean-Pierre Lebrun, psychiatre et psychanalyste, notre société est malade de ce que ceux qui la constituent n’arrivent plus à « faire société ». Or, nous ne pouvons vivre ensemble qu’en affirmant non seulement nos singularités, nos spécificités, mais aussi nos désaccords, nos oppositions car nous ne pouvons qu’être différents les uns des autres. Dans cette différence assumée, il s’agit de s’atteler à un nouveau « travail de la culture » (Kultuurarbeit) que l’on peut définir comme ce qui permet de faire vivre ensemble les humains en les contraignant individuellement et collectivement de transformer leur violence en ce qui peut servir au lien social, et cela tant que faire se peut. 19