accords verticaux / accords horizontaux : les limites de la
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accords verticaux / accords horizontaux : les limites de la
1 PREMIERE SESSION : ACCORDS VERTICAUX / ACCORDS HORIZONTAUX : LES LIMITES DE LA DISTINCTION AU REGARD DE L’ARTICLE 81 CE Catherine PRIETO - version provisoire I - L’accord face aux degrés de volontés concordantes A – L’expression d’une réelle volonté commune caractérisant un accord vertical B – Le degré de coordination caractérisant un pratique concertée verticale C – L’imbrication d’éléments d’accord et de pratique concertée II – Le rapport de verticalité dans sa complexité A – Les critères d’existence de la verticalité B – La verticalité au cœur d’une entente horizontale Pour ouvrir cette journée de réflexion sur le traitement des restrictions verticales, la première table ronde est consacrée à une confrontation des accords verticaux aux accords horizontaux. On comprend qu’elle est destinée à mieux cerner la spécificité de la notion de restriction verticale et par conséquent à mieux cibler le traitement le plus adéquat au regard de l’article 81 CE. La perception de l’accord vertical, au sens de l’article 81 CE, est certes ancienne. On se souvient du grand arrêt de principe Grundig-Consten sur l’applicabilité de l’article 81 aux accords de distribution1. Singulièrement, cette perception n’a pas gagné en clarté au fil du temps. Elle s’est épaissie du fait de raffinements intellectuels, mais aussi du fait de la complexité des comportements anticoncurrentiels, A plusieurs égards, il y a lieu de s’interroger sur ses traits distinctifs. Il s’avère que les interrogations portent autant sur la notion d’accord que sur le rapport de verticalité. S’agissant de la notion d’accord, on peut tout autant s’interroger sur l’existence d’un concours de volontés que sur l’indépendance de la volonté. Ce dernier aspect sera spécialement étudié par Ioannis Lianos. Je m’en tiendrai donc à l’existence d’un concours de volontés, qui est déjà une vaste problématique. On sait que la catégorie juridique qu’est l’entente repose sur un certain degré de volonté concordante de deux ou plusieurs personnes2. Ce point essentiel permet de tracer la ligne de partage entre l’entente, relevant de l’article 81 CE et la catégorie juridique de comportement unilatéral, relevant de l’article 82 CE. Or, les restrictions verticales posent un problème d’appréhension de la volonté en des termes spécifiques par rapport aux accords horizontaux. Elles sont le plus souvent imprégnées d’un rapport de force. Le cas typique est celui du chef du réseau qui organise la distribution selon son bon vouloir. La frontière entre mesure imposée et mesure acceptée est ténue. Quel comportement relève de l’entente ? Quel comportement relève de l’abus de position dominante ? Les réponses ne sont guère aisées. Par souci de simplification, on pourrait être tenté de tracer une ligne de partage entre accords horizontaux et accords verticaux en considérant que seuls les premiers relèveraient de l’entente. Les accords verticaux n’exprimeraient qu’une apparence d’accord et relèveraient intrinsèquement de la catégorie juridique de l’abus de position dominante. Un tel basculement dans la qualification ne serait 1 2 CJCE, 13 juillet 1966, aff. 56 et 58/64, Rec. p.429.. M. Waelbroek et A. Frignani, Le droit de la C.E., Concurrence, Commentaire J. Megret, vol. 4, 1997 , n°120. 2 évidemment pas neutre du point de vue de la politique de concurrence. Les restrictions verticales analysées exclusivement dans le prisme de l’abus de position dominante auraient alors toutes les chances d’échapper à la prohibition, tant la position dominante serait difficile à caractériser. L’impunité des restrictions verticales par la voie d’un rétrécissement du champ d’application de l’article 81 CE est-elle souhaitable ? Les restrictions verticales sont-elles si inoffensives en elles-mêmes ? Rien n’est moins sûr si l’on examine l’évolution de la doctrine économique. Les restrictions verticales sont ambivalentes au regard du bien-être du consommateur3. Certes, les tenants de l’Ecole de Chicago ont vigoureusement fait valoir qu’elles étaient source d’efficience économique. Il est acquis que, le plus souvent, les producteurs n’ont pas les moyens d’assumer les coûts d’une intégration verticale par la voie de succursales. Le recours à des distributeurs indépendants répond donc à une nécessité impérieuse. Or, une asymétrie d’information peut considérablement affecter l’efficacité économique de ce mode de distribution. Les restrictions verticales s’avèrent un moyen utile pour éviter le phénomène de double marginalisation : chacun fixant son prix indépendamment de l’autre, il en résulte un prix final trop élevé pour le consommateur et donc une atteinte à la maximisation du profit de l’un et de l’autre. Les restrictions verticales s’avèrent également utiles en ce qu’elles permettent au producteur de contrôler le distributeur à propos des services additionnels destinés à mieux satisfaire le consommateur : il convient d’éviter les risques de parasitisme et les comportements opportunistes entre détaillants. A tous ces égards, les restrictions verticales méritent un traitement de faveur dans l’application du droit antitrust. Mais, en contrepoint de cette image positive, les analyses du courant post-Chicago ont mis en avant les effets pervers des restrictions verticales. D’une part, elles peuvent faciliter la mise en place et le maintien d’un cartel entre producteurs : les distributeurs de chacun des producteurs vont exécuter les engagements pris en amont en termes de niveau de prix ou de partage de clientèle. D’autre part, dans une démarche radicalement inverse, les restrictions verticales peuvent faciliter la démarche d’un producteur visant à exclure ses concurrents. L’impact des restrictions verticales porte sur la concurrence intramarque, mais peut également concerner la concurrence intermarques. Pour asseoir une politique de concurrence efficace, il est donc opportun d’appliquer l’article 81 CE aux restrictions verticales. C’est pourquoi il convient de s’interroger sur la qualification d’accord en explorant au mieux les divers degrés de volontés concordantes qui sous-tendent la vaste notion d’entente (I). Quant au rapport de verticalité, il appelle aussi la plus grande attention. L’enjeu est un traitement juridique bien différencié selon qu’il s’agit d’un accord horizontal ou d’un accord vertical. Fondamentalement, la politique de concurrence est plus sévère à l’égard des accords horizontaux dans la mesure où la concurrence intermarques est jugée plus essentielle pour le bon fonctionnement du marché. S’agissant spécifiquement du traitement de faveur inhérent aux règlements d’exemption, on relève que les présomptions attachées à l’existence d’un pouvoir de marché et les restrictions caractérisées diffèrent selon qu’il s’agit de relations verticales ou horizontales. Or, la position d’un opérateur dans la chaîne économique est parfois ambivalente et les frontières entre la qualification de concurrents et de non-concurrents sont brouillées. Il est donc utile de sonder le caractère opératoire des critères posés pour établir la qualification. La sécurité juridique des entreprises en dépend, tout comme l’efficacité de la politique de concurrence. 3 E. Combe, Economie et politique de concurrence, Précis Dalloz, p.172. 3 En outre, la qualification d’un rapport vertical ne doit pas occulter le rôle que peut exercer un opérateur dans une entente horizontale en amont ou en aval de sa position dans la chaîne économique. Il peut être tentant pour un opérateur puissant, qu’il s’agisse du fournisseur ou du distributeur, de s’effacer en apparence tout en étant l’instigateur d’une entente horizontale. A plusieurs égards apparaissent des formes d’imbrication de relations verticales et horizontales. Il faut donc s’efforcer de saisir le rapport de verticalité dans toute son potentiel de complexité (II). I – L’accord face aux degrés de volontés concordantes L’entente s’appuie sur un triptyque énoncé par l’article 81 CE : la pratique concertée, l’association d’entreprises et l’accord. Selon la Cour de justice, il s’agit de notions distinctes qui ont vocation à appréhender des formes différentes de collusion4. On peut légitimement penser que ces trois notions juridiques recouvrent des degrés différents de concordance de volontés de telle sorte à couvrir un champ suffisamment large et faire ainsi que la prohibition des ententes serve une politique de concurrence efficace. Pour bien appréhender les restrictions verticales, il importe d’explorer cette gradation possible de concordance de volontés, notamment dans la distinction entre l’accord et la pratique concertée. Si l’accord n’est pas établi, au sens d’une volonté commune de se comporter sur le marché d’une certaine manière, il est encore possible de s’interroger sur la qualification de pratique concertée, au sens d’un certain degré de coordination des entreprises. Ce réflexe est bienvenu à propos des restrictions verticales, dans la mesure où les accords verticaux ont fait l’objet d’un rehaussement du standard de preuve (A). Il faut donc s’intéresser, par ricochet, aux pratiques concertées verticales (B). En outre, l’infraction unique et continue peut être caractérisée par la conjonction de certains éléments constitutifs de l’accord et d’autres de la pratique concertée (C). Trois voies permettent d’appréhender les restrictions verticales. A – L’expression d’une volonté commune caractérisant un accord vertical Selon une jurisprudence bien établie, l’accord au sens de l’article 81 CE requiert simplement que les entreprises aient exprimé la volonté commune de se comporter sur le marché d’une manière déterminée5. La forme d’expression de cette volonté commune importe peu dès lors qu’elle reflète la réalité6. 4 CJCE, 14 juillet 1972, ICI, aff.48/69, affaire dite des matières colorantes, Rec. p. 619, pt 64 ; CJCE, 8 juillet 1999, ANIC, aff. 49/92, affaire dite du polypropylène, Rec. p. I-4125, pt 112 . 5 CJCE, 15 juillet 1970, ACF Chemiefarma/Commission, 41/69, Rec. p. 661, point 112 ; CJCE, 29 octobre 1980, Van Landewyck e.a./Commission, 209/78 à 215/78 et 218/78, Rec. p. 3125, point 68 et 86. 6 Ibid. 4 La notion d’accord en droit de la concurrence est détachée du concept de contrat en droit civil. L’accord n’est pas un contrat aux effets juridiquement obligatoires. Ainsi, un contrat nul ou inefficace au regard du droit national peut néanmoins être qualifié d’entente, dès lors que la clause litigieuse est l’expression de la volonté des parties7. La notion d’accord repose sur des concepts de droit économique : le comportement d’entreprise et le marché8. Pour opposer les deux branches on invoque souvent le fait que les modalités d’expression ont très vite été recueillies sans formalisme dans la mise en œuvre de l’article 81 CE. Ainsi, une mention figurant sur une facture a pu être prise en compte9. De même, une pratique commerciale bien connue et systématiquement appliquée a pu être retenue10. Mais c’est oublier le principe du consensualisme qui prévaut en droit du contrat. Le consensualisme est prépondérant non seulement en droit français, mais plus largement dans la culture juridique européenne du contrat. Il suffit de se reporter aux travaux de la Commission Lando11 ou encore à ceux de l’Académie des juristes européens de Pavie12. La référence à un document comme une facture ou des conditions générales de vente est habituelle, de même que la référence à un usage13. Il est également bien admis que l’acceptation se fait autant par un comportement que par une déclaration14. On peut même souligner que le consensualisme est quelque peu forcé, en droit des contrats, lorsqu’il s’agit d’enrichir un contrat d’une obligation au nom de la justice contractuelle ou encore de l’économie générale du contrat. Il ne faut donc pas voir une influence du droit civil dans une évolution jurisprudentielle qui tend à plus d’exigence dans la preuve de l’échange des consentements. En réalité, cette évolution jurisprudentielle répond à une préoccupation fondamentale : le rapport à établir entre la preuve et la conviction qu’une infraction a pu être commise. L’accord, en tant que premier élément constitutif de l’infraction, appelle le plus grand soin dans la qualification. A cet égard, le traitement spécifique des actions apparemment unilatérales a suscité de vives critiques. Il est clair qu’une circulaire adressée à des concessionnaires vaut accord dès lors que ceux-ci y souscrivent ultérieurement15. Mais que penser, par exemple, du refus d’admettre dans son réseau un candidat ? La Cour de justice a rapidement considéré que ce refus s’insérait dans les relations contractuelles avec tous les distributeurs agréés dans la mesure où il s’agissait de faire respecter la base du contrat conclu entre eux16. Que penser d’un refus de livraison opposé par le fabricant à ses distributeurs pour empêcher le commerce parallèle vers un autre Etat membre ? La Cour de justice a considéré là encore qu’il ne s’agissait pas d’un comportement unilatéral mais d’un accord dans la mesure où les revendeurs avaient accepté la politique commerciale du fabricant17. Cependant, il est apparu dangereux de présumer un accord de volonté du seul fait qu’un comportement anticoncurrentiel s’inscrive dans une relation contractuelle continue18. Si l’on s’en tient aux modes de raisonnement déjà suivis pour apprécier l’existence d’un contrat, cette jurisprudence ne choque pas. Mais il faut reconnaître que les conséquences ne sont pas les mêmes. Dans un 7 CJCE, 11 janvier 1990, Sandoz Prodotti Farmaceuti, Rec., p. I-45. L. Idot et JB Blaise, RTDCo avril-juin 2002, p.34, n°139. 9 Ibid. 10 Ibid. 11 Les Principes du droit européen du contrat, Société de législation comparée, Paris 2003. 12 Code européen des contrats, Avant-projet, Livre premier, Milan 2002. 13 V° art. 2 :102 PDEC. 14 V° art. 2 :204 PDEC. 15 CJCE, 12 juillet 1979, BMW Belgium , aff. 32/78, Rec. p. 2435. 16 CJCE, 25 octobre 1983, AEG-Telefunken, aff. 107/82, Rec. p. 3151, pt 37 à 39. 17 CJCE, 17 septembre 1985, Ford II, aff. 25 et 26/84, Rec., p. 2725. 18 M. Waelbroek et A. Frignani, préc., n°124. V° aussi E. Claudel, Le consentement en droit de la concurrence, consécration ou sacrifice ?, RTDCom. 1999, p. 291. 8 5 cas, il s’agit de reconnaître l’existence d’un engagement contractuel qui est une valeur en soi et, partant, de sanctionner son inexécution alors que, dans l’autre cas, il s’agit d’établir l’adhésion à un comportement déviant susceptible de constituer une infraction sanctionnée par de lourdes amendes. L’enjeu porte sur le point de savoir quel est le standard de preuve requis pour emporter la conviction d’une infraction. Cet éclairage explique un approfondissement de la distinction entre les mesures unilatérales en apparence seulement et les mesures véritablement unilatérales. Le tribunal de première instance en a pris l’initiative dans une offensive remarquée en tir groupé19. A propos d’une interdiction d’exporter des médicaments imposée aux grossistes, le premier juge avait annulé la décision d’interdiction de la Commission en faisant valoir que la preuve de leur acquiescement n’avait pas été rapportée20. Il est vrai que dans cette affaire les grossistes avaient essayé de tourner l’interdiction d’exporter. Dans l’affaire Opel, le Tribunal a porté le même soin à distinguer l’accord du comportement unilatéral et a opéré un tri dans les mesures litigieuses arrêtées par le fabricant. La qualification d’accord est maintenue sans difficulté pour le système restrictif de primes pour dissuader l’exportation dans la mesure où il était partie intégrante du contrat de concession. La qualification est également maintenue pour l’injonction de ne plus vendre à l’exportation car elle s’insère dans les relations contractuelles existantes. En revanche, s’agissant de la limitation des volumes de livraison selon un guide d’évaluation des ventes, le juge a considéré qu’il n’était pas établi que cette mesure avait été communiquée aux concessionnaires et qu’elle était entrée dans le champ des relations contractuelles21. Enfin, dans l’affaire Volkswagen II, le TPICE annule la décision en faisant le départ entre les mesures unilatérales en apparence seulement et celles qui le sont véritablement. Il estime que, en l’espèce, il n’est pas démontré que les pratiques suggérées par le constructeur ont été suivies d’effet, ce qui est un obstacle à la caractérisation d’un acquiescement tacite22. Par là-même, le Tribunal s’oppose à ce que la Commission infère de relations contractuelles existantes un acquiescement à une évolution ultérieure de la politique commerciale du chef du réseau. En d’autres termes, la clause générale par laquelle un concessionnaire s’engage à mettre en œuvre la politique commerciale du constructeur ne suffit pas à caractériser l’acquiescement du concessionnaire à une invitation ultérieure constitutive d’un comportement anticoncurrentiel. La Cour de justice est restée attachée à l’analyse traditionnelle selon laquelle il fallait tirer toutes les conséquences d’un ensemble de relations contractuelles continues régies par un contrat-cadre. C’est ainsi qu’elle a retenu un lien direct entre la politique de contingentement dans l’approvisionnement des concessionnaires italiens et les termes mêmes du contrat de concession dans l’affaire Volkswagen I23. Par la suite, la Cour s’est montrée sensible aux arguments avancés par le TPICE dans l’affaire Bayer24. Il est vrai que Bayer ne disposait pas d’un réseau de distribution, mais entretenait simplement des relations continues avec ses grossistes. C’est pourquoi, dans un tel contexte, elle a constaté que la preuve d’une invitation à suivre sa politique de contingentement n’était pas rapportée et que, partant, l’acquiescement ne pouvait pas être établi. Ensuite, elle a constaté que, s’agissant de simples contrats de vente et non de contrats de distribution, il n’était pas possible de déduire l’existence d’un accord du seul fait de relations commerciales continues. En d’autres termes, les éléments de fait 19 L. Idot, RDC avril 2004, p.289. TPICE, 26 octobre 2000, Bayer, aff. T-41/96, Rec.II-3383, Europe 2000, comm. 393. 21 TPICE, 21 octobre 2003, General Motors Nederland BV et Opel Nederland DV, aff. T-208/01. 22 TPICE, 3 décembre 2003, Volkswagen, aff. T-208/01 23 CJCE, 18 septembre 2003, Volkswagen, aff ; C-338/00P, Europe novembre 2003, comm. 370. 24 CJCE, 6 janvier 2004, Bayer AG, C-2/01 et C-3/01, RDC 2004, p. 289, obs. L. Idot 20 6 manquaient à la Commission pour établir une véritable concordance de volontés entre Bayer et ses grossistes. La position de la Cour était attendue pour savoir si ce surcroît d’exigences relatif à la preuve de la concordance de volonté avait également sa place dans le cadre d’un réseau de distribution. L’affaire Volkswagen II lui a permis de préciser le standard de preuve requis25. Elle distingue deux cas de figure : la volonté des parties peut être déduite des clauses du contrat de concession ; elle peut l’être également du comportement des parties dès lors qu’il existe un acquiescement tacite des concessionnaires à une invitation du constructeur (pt 39). Ce second cas de figure n’était pas l’objet du litige et la Cour renvoie ici à sa jurisprudence antérieure dans l’arrêt BMW Belgium. L’arrêt Volkswagen est donc focalisé sur les critères d’analyse d’un contrat. Elle considère que le Tribunal a commis une erreur de droit lorsque celui-ci a déclaré que des clauses conformes aux règles de concurrence ne pouvaient donner lieu à des invitations contraires à ces règles. C’est pourquoi elle recommande une analyse au cas par cas des clauses en tenant compte des buts poursuivis par le contrat à la lumière du contexte économique et juridique. En l’espèce, le Tribunal a fait une appréciation souveraine du contrat et a considéré que les contraintes ultérieures du constructeur relatives au prix ne pouvaient pas être des invitations contenues déjà dans le contrat et, partant, ne pouvaient pas avoir été acceptées du seul fait de l’adhésion à ce contrat. Il ne s’agit pas à proprement parler d’un revirement de jurisprudence mais bien d’un rehaussement du standard de preuve dans l’appréciation des faits. 2. Réception dans la jurisprudence française Le Conseil de la concurrence n’a guère tardé à prendre en compte les nouvelles exigences posées par le juge communautaire. Mais sa réception de la jurisprudence communautaire ne l’a pas empêché d’être innovant. Il distingue lui aussi deux manières pour rapporter la preuve d’un accord vertical. La première résulte directement d’un contrat de distribution, notamment par une clause impliquant le respect de la politique commerciale du fabricant, voire par une clause prévoyant le contrôle des prix par un contrôle de la publicité26 ou encore par une clause subordonnant des remises au respect de certains prix27. Il semble que le Conseil n’ait pas eu de difficulté majeure, jusqu’alors, pour procéder aux analyses de contrats de distribution. Par conséquent, il n’a pas eu à suivre les recommandations faites par la Cour dans l’arrêt Volkswagen II sur l’analyse contextuelle. Les comportements reprochés sont apparus directement inspirés de clauses explicites dans les contrats en cause. C’est sur le second mode de preuve, en l’absence de preuve formelle, que le Conseil de la concurrence a déployé une méthode originale. Dans ce second cas de figure, la jurisprudence communautaire exige la preuve d’une invitation, puis celle d’une acceptation même tacite. Pour se conformer à ces exigences, le Conseil de la concurrence a recours à un faisceau d’indices graves, précis et concordants. S’agissant des prix imposés par le fabricant, ce faisceau est articulé en trois branches, comme le Conseil en a fait la démonstration pour la première fois dans l’affaire dite des parfums28. En premier lieu, le Conseil recherche si les prix de vente au détail ont été « évoqués » par le fournisseur devant les distributeurs. Cela sert 25 CJCE, 13 juillet 2006, Commission c/ Volkswagen, aff. C-74/04 P, L. Idot, RDC avril 2007, p. 321. C.conc., déc. n°05-D-07 du 24 février 2005, Browning Winchester 27 C.conc. déc. n°06-D-04 du 13 mars 2006, Parfums 28 C.conc. déc. n°06-D-04 du 13 mars 2006, Parfums ; Cons. conc. n° 07-D-03 24 janvier 2007 relative à des pratiques mises en œuvre par la société Clarins, Europe, mars 2007, comm. n° 103, Concurrences, n° 2-2007, p. 108, obs. E. Claudel, RDC, 2007/3, p. 768, obs. L. Idot 26 7 la preuve d’une véritable « invitation », dans l’expression choisie par le juge communautaire. En deuxième lieu, le Conseil vérifie si le fournisseur a mis en place des mesures de police auxquelles le distributeur a adhéré. Ceci permet de faire le lien entre l’invitation et l’acceptation. En troisième lieu, le Conseil vérifie si les prix « évoqués » ont bel et bien été appliqués, ce qui atteste d’une acceptation tacite mais réelle. La conjonction de ces trois éléments caractérise un degré suffisant de volontés concordantes pour attester qu’une mesure unilatérale n’est qu’apparente et constitue en réalité un véritable accord. Chacune de ces trois branches fait l’objet d’une vérification pour chaque distributeur, ce qui signifie que la tâche du Conseil de la concurrence n’est pas aisée. On comprend dès lors que le Conseil ne retienne pas des griefs à l’égard d’une multitude de distributeurs. Ainsi, dans l’affaire de la distribution des parfums, il a concentré ses efforts sur les distributeurs les plus significatifs, notamment les trois grandes chaînes nationales. On relèvera également un procédé très audacieux pour vérifier l’application des prix évoqués : le Conseil s’en tient à une application « significative ». C’est dire qu’il a recours à des sondages pour dégager des indices généraux. Le procédé est acceptable dès lors que les prix imposés sont suivis à un taux supérieur à 80%. Si le taux est inférieur à 80%, même de manière très faible, le Conseil a alors recours à une étude approfondie sur la dispersion des prix pratiqués. Le caractère probant de cette méthode d’appréciation de l’existence d’un accord a été retenu par la Cour d’appel de Paris dans l’affaire des parfums29. Selon la Cour, il n’est pas nécessaire de rapporter la preuve d’un accord de volontés entre le fabricant et la multitude de ses distributeurs, dès lors que seuls sont condamnés ceux pour lesquels l’accord est avéré. Quant aux trois indices constituant le faisceau, la Cour considère qu’ils reflètent bien l’invitation et l’acquiescement requis pour une rencontre de volontés. Enfin, s’agissant précisément des statistiques, la Cour retient que c’est un procédé acceptable pour établir un indice d’appréciation. Il reste que la méthode et la valeur des relevés de prix, effectués par la DGCCRF, peuvent toujours être contestés dans leur fiabilité, même si cela paraît difficile. Après l’affaire de la distribution des parfums, le Conseil a eu à nouveau recours à cette méthode dans l’affaire de la distribution des bougies30, dans l’affaire de la distribution des cycles31, puis dans l’affaire de la distribution des jouets32. Il faut enfin souligner que, avant même d’être appliquée aux relations au sein d’un réseau de distribution, cette méthode a été explorée dans ses grandes lignes à propos de simples contrats de vente et a permis de retenir une entente entre BHVE, Casino et Carrefour à propos de la vente de DVD Disney33. La qualification d’accord de volontés a été contestée en vain devant la Cour d’appel de Paris34, puis la Cour de cassation35. Selon la Cour de cassation, l’invitation et l’acquiescement sont ainsi correctement établis. 29 CA Paris, 26 janvier 2007, 1ère ch. section H, 2006/07821, site Conseil de la concurrence, RDC 2007/4, p.1179, obs . C. Prieto. 30 Cons. conc. n°06-D-22 du 21 juillet 2006, relative à des pratiques mises en œuvre par la société NGK Spark Plugs France sur le marché des bougies pour deux roues 31 06-D-37, 7 décembre 2006 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la distribution des cycles et produits pour cyclistes, Concurrences, n° 1-2007, p. 84, obs. E. Claudel, p. 146, obs. C. Lemaire, RDC, 2007/2, p. 317, obs. L. Idot 32 Cons. conc. n°07-D-50 du 20 décembre 2007 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la distribution des jouets, Europe 2008, comm. 64, Concurrences, n°1-2008, p. 109, obs. E. Claudel, p. 172, obs. C. Lemaire, Contrats conc. consom., février 2008, comm. n° 39, M. Malaurie-Vignal 33 Cons. conc. n° 05-D-70 du 19 décembre 2005 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des vidéocassettes pré-enregistrées. 34 CA Paris, 29 mai 2007, 1ère ch. section H, 2006/01886 35 C.cass., 8 avril 2008, n°07-16.485, site Conseil. 8 3. Portée de cette évolution pour les accords horizontaux ? Le rehaussement du standard de preuve pour établir les accords verticaux pouvait-il rejaillir sur la preuve requise pour les accords horizontaux ? La transposition est délicate dans la mesure où la jurisprudence relative à la concordance de volonté dans les accords verticaux porte spécifiquement sur la distinction entre les mesures authentiquement unilatérales et celles qui ne le sont qu’en apparence. Néanmoins, un rapprochement a été fait avec l’analyse sévère effectuée par le TPICE lorsque celui-ci a annulé la décision de la Commission sanctionnant les banques allemandes36. En l’espèce, la Commission reprochait un accord horizontal aux banques allemandes au terme duquel elles s’étaient entendues sur les commissions de change au moment du passage à l’euro. Deux accords étaient, en réalité, reprochés aux banques : l’un portait sur le montant des commissions de change, l’autre sur les modalités de facturation des commissions de change. La preuve retenue par la Commission était constituée par des réunions concernant le passage à l’euro et une réponse fixant une commission à 3% pour contrecarrer l’initiative de banques qui proposaient une offre de change à titre gratuit. L’existence de ces réunions et leur objet anticoncurrentiel avéré n’ont cependant pas été jugés suffisants pour caractériser un accord horizontal. Le constat est si singulier que l’on serait tenté de reléguer cet arrêt au rang de cas d’espèce. Si la preuve d’une volonté concordante n’était pas suffisante pour établir un arrêt horizontal, à tout le moins il y avait lieu de retenir une pratique concertée. B – La coordination caractérisant une pratique concertée verticale Lorsqu’un engagement ne constitue pas un accord, il peut néanmoins être examiné en tant que pratique concertée37. Selon la Cour de justice, la pratique concertée a vocation à appréhender une forme de coordination, dans laquelle les entreprises pourraient être tentées de se réfugier en évitant d’aboutir à un accord pour échapper à la prohibition de l’article 81 CE38. Définie comme une forme de coordination plus lâche que celle résultant d’un accord, la pratique concertée a fait l’objet de nombreuses hésitations39. Son contenu minimum a été décelé dans l’existence de contacts destinés à réduire les risques de concurrence, suivis d’une mise en oeuvre40. Une opinion remarquée avait fait valoir que la réunion de ces deux éléments n’était pas nécessaire : la mise en œuvre de la pratique était superflue, seule comptait la prise de contact ayant pour objet une amorce de coordination41. Cette analyse servait une politique de concurrence rigoureuse. La Commission ne pouvait que s’en prévaloir. Mais elle a dû légèrement en rabattre à la suite de l’arrêt Anic42. En effet, dans le droit fil des arrêts Suiker Unie et Züchner, la Cour a tenu à maintenir les deux éléments constitutifs, en ajoutant même 36 TPICE, 27 septembre 2006, Dresdner Bank AG et A., aff. jtes T-44/02 OP, T-56/02 P, T-60/02 OP, T-61/02 OP, RDC avril 2007, p.323 ; J.B. Blaise, chron. Concurrence, RTDEur 2008-2. 37 M. Waelbroek et A. Frignani, n°121. 38 CJCE, 39 M. Waelbroek et A. Frignani, préc., n°135. 40 CJCE, 16 décembre 1975, Suiker Unie, aff. 40/73, Rec. p. 1663 ; CJCE, 14 juillet 1981, Züchner, aff. 172/80, Rec.p. 2021, pt 12. 41 L. Idot et J.B. Blaise, Chronique concurrence, RTDEur. Avril-juin 2000, p. 335, n°35 : analyse de Joliet in Cah. dr. européen 1974, 251. 42 CJCE, 8 juillet 1999, ANIC, préc., pt 118. 9 un lien de cause à effet entre les deux. Cependant, elle a introduit une présomption selon laquelle les entreprises participant à une réunion ne peuvent que tenir compte des informations obtenues et, dès lors, la preuve du comportement n’a pas à être rapportée. Il appartient aux entreprises de rapporter la preuve contraire. Cette jurisprudence est constante43. Un récent arrêt vient encore amoindrir ce deuxième élément constitutif en soulignant que l’existence d’un comportement ne requiert nullement de rapporter la preuve que ce comportement a produit un effet concret44. L’objet anticoncurrentiel des pratiques d’échange d’informations suffit quasiment. Quelque soit le rôle du comportement effectif en tant que deuxième élément constitutif d’une pratique concertée, la qualification de pratique concertée est tout de même délicate à mettre en œuvre dans les relations verticales. Il est en effet légitime que producteur et distributeur aient des échanges d’informations et organisent des réunions. Cela participe du bon fonctionnement du réseau45. Il ne serait donc pas raisonnable d’appréhender le moindre contact entre les uns et les autres. C’est la raison pour laquelle il apparaît essentiel de caractériser avec le plus grand soin l’objet anticoncurrentiel des prises de contact. Cet objet anticoncurrentiel est certainement plus aisé à caractériser dans les relations horizontales. Il est flagrant que les concurrents se rapprochent pour procéder à un alignement de leurs prix et à des répartitions de clientèles. S’agissant des relations verticales, les informations sur les prix ne sont pas nécessairement nocives. On sait combien sont délicates les distinctions entre prix conseillés et prix imposés. Néanmoins, la caractérisation de l’objet anticoncurrentiel peut être aussi flagrante. Ce sera, par exemple, le cas lorsque les réunions ont pour objet de neutraliser les exportations parallèles46. La notion de pratique concertée est-elle une sorte de voiture-balai pour rattraper dans les mailles du filet de l’article 81 CE les accords verticaux dont la qualification est problématique ? Il est permis de le penser et de s’étonner que parfois beaucoup d’énergie soit dépensée en vain sur la qualification d’accord, d’autant que le juge communautaire a donné prise à la notion d’infraction complexe, entremêlant accord et pratique concertée. C – L’imbrication d’éléments d’accords et de pratiques concertées L’autre apport majeur de l’arrêt Anic, dans l’affaire du polypropylène, porte sur la consécration de la notion d’infraction complexe. Sous l’appellation d’infraction unique et continue, la Cour de justice a entériné le point de vue de la Commission selon lequel une infraction peut comporter « à la fois des éléments devant être qualifiés d'«accords» et d'autres 47 devant être qualifiés de «pratiques concertées » . La Cour conforte l’analyse du tribunal qui avait estimé que « face à une infraction complexe, la double qualification opérée par la Commission à l'article 1er de la décision polypropylène devait être comprise non comme une qualification exigeant simultanément et cumulativement la preuve que chacun de ces éléments de fait présentait les éléments constitutifs d'un accord et d'une pratique concertée, mais bien 43 L. Idot et J.B. Blaise, Chronique concurrence, RTDEur. avril-juin 2002, n°154 janvier-mars 2005, n°167. CJCE, 21 septembre 2006, NFV-marché de l’électronique aux PB, aff. C-105/04 P, pt 139. 45 M. Waelbroek et A. Frignani, préc., n°140. 46 CJCE, 7 juin 1983, Musique diffusion française et autres, aff. 100-103/80, Rec. p.1825. V° aussi TPICE, 7 juillet 1994, aff. T-43/92, Dunlop Slazenger, Rec. p. II-531 ; Dec. comm. 72/403/EEC, 23 novembre 1972, Pittsburgh Corning JOCE n°L 272 du 5 déc. 1972, p.35. 47 CJCE 1999, Anic, préc., pt 109 44 10 comme désignant un tout complexe comportant des éléments de fait, dont certains avaient été qualifiés d'accords et d'autres de pratiques concertées au sens de l'article 81, paragraphe 1, CE, lequel ne prévoit pas de qualification spécifique pour ce type d'infraction complexe »48. Cette notion d’infraction continue a été développée à propos des restrictions horizontales et l’est toujours49. Elle devrait pouvoir prospérer tout autant à propos des restrictions verticales. La Commission a déjà tenté cette voie de double qualification à propos des relations entre un fabricant de balles de tennis et ses distributeurs, alors même qu’elle ne disposait de preuve suffisante pour établir un échange de consentement, mais d’indices de collusion manifestes moyennant des manoeuvres de cloisonnement des marchés nationaux50. La Cour de justice ne semble pas défavorable à cette exploration. C’est ce que laisse à penser l’affaire du marché néerlandais du matériel électronique51. Une entreprise britannique, grossiste en matériel électronique, se plaignait de ne pouvoir pénétrer ce marché en raison d’entraves pratiquées entre plusieurs associations à tous les niveaux de la filière de distribution. C’est ainsi que la Commission a retenu une infraction unique sur la base d’accords et de pratiques concertées visant à empêcher l’approvisionnement, tant par des clauses d’exclusivité que par des prix imposés. La Cour a conforté la preuve apportée en rappelant qu’un certain nombre d’indices peuvent établir en l’absence d’une autre explication cohérente l’existence de pratiques et d’accords anticoncurrentiels. Cette affaire souligne d’ailleurs qu’une entente peut être constituée à la fois par des accords horizontaux et des pratiques concertées verticales. La Commission a à nouveau eu recours à la double qualification imbriquée d’accord et de pratique concertée dans l’affaire Topps52. En l’espèce, le fournisseur visait à lutter contre les exportations parallèles en déployant de nombreuses menaces, reçues même passivement de la part de ses interlocuteurs. L’objet anticoncurrentiel était flagrant. Quant à l’élément constitutif tenant à la mise en œuvre de la pratique concertée, la Commission souligne bien qu’il est présumé et soumis à la preuve contraire des parties prenantes. Le Conseil de la concurrence n’a pas été amené, semble-t-il, a statuer sur de telles imbrications. Dans l’affaire qui concernait toute la filière professionnelle des appareils de chauffage, il a sanctionné de manière très distincte d’une part des pratiques concertées entre grossistes, telles que des alignements de prix, des boycotts et des déréférencements, et d’autre part, des pratiques concertées entre grossistes et fournisseurs53. Les facilités de qualifications complexes ne semblent pas encore exploitées. Conclusion du I En définitive, le rehaussement du niveau de preuve pour la volonté commune, propre à établir un accord au sens de l’article 81 CE, trouve un contrepoint naturel dans la définition très large de la pratique concertée. Certes, cette voie n’a pas encore été beaucoup explorée pour les restrictions verticales. Mais la notion d’infraction unique renforce encore le potentiel de ce contrepoint. C’est certainement dans la reconnaissance du caractère polymorphe des ententes que l’on a le plus de chance d’appréhender au mieux la réalité. Nous l’avons envisagé à propos de la distinction entre accord et pratique concertée. Nous pouvons également le 48 Ibid. pt 111. L. Idot et J.B. Blaise, Chronique concurrence, RTDEur.janvier-mars 2005, n°168. 50 Déc. Comm. 94/987, 21 décembre 1994, Tretorn, JOCE n°L 378 du 31 décembre 1994, p.45. 51 CJCE, 21 septembre 2006, NFV et TU, C-105-04 P. 52 Déc. Comm. n° 2006/895/CE, 26 mai 2004, Souris Topps, aff. 37.980, JOUE, n° L. 353, 13 décembre 2006. 53 C. conc. n°06-D-03 du 9 mars 2006 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des appareils de chauffage, sanitaires, plomberie et climatisation, confirmé partiellement par CA Paris, 29 janvier 2008, 1ère Ch., 2006/07820. 49 11 constater à propos de la distinction entre accord verticaux et accords horizontaux. A cet égard aussi, les lignes de partage s’entrecroisent. II – Le rapport de verticalité dans sa complexité Plusieurs éléments montrent combien le rapport de verticalité peut faire l’objet d’une perception brouillée. Les sources d’imbrication entre accords verticaux et accords horizontaux ne manquent pas. Certes, la définition des relations verticales est a priori assez simple lorsque l’on fait référence à des relations entre des agents économiques à différents degrés du circuit économique. Ainsi la qualification du rapport vertical est ancrée dans la situation de nonconcurrents. Mais les agents économiques exercent souvent plusieurs rôles à la fois et peuvent se présenter à la fois comme fournisseurs et distributeurs, comme l’indique l’expression de « distribution duale ». Certaines conséquences ne doivent-elles pas en être tirées ? En outre, il faut insister sur le fait que les relations verticales sont également définies par l’objet même du contrat. L’activité de revente de biens ou services est le second point d’ancrage du rapport de verticalité. Or certaines obligations entre le fournisseur et le distributeur s’avèrent étrangères à cet objet. Méritent-elles d’entrer dans la qualification ? Le règlement d’exemption n°2790/1999 et les lignes directrices qui l’accompagnent sont censés répondre à ces interrogations. Pour réserver un traitement de faveur aux seuls accords qui le méritent, il convient d’apprécier les critères qui permettent de cerner l’authentique relation verticale (A). La dialectique entre faveur et rigueur à l’égard des relations verticales est encore plus délicate lorsque la nocivité du rapport de verticalité est camouflée, alors même qu’il est au cœur d’une entente. Certains opérateurs ont l’habileté de reporter sur des relations horizontales les restrictions verticales dont ils sont les instigateurs. Qu’il soit simple facilitateur ou véritable chef d’orchestre de l’entente, le puissant opérateur en position verticale par rapport aux autres protagonistes ne saurait alors échapper à l’application de l’article 81 CE (B). A – Les critères d’existence de la verticalité La Commission européenne n’a pas esquivé la difficulté par souci d’assurer à la fois l’efficacité de sa politique de concurrence et une bonne sécurité juridique des entreprises. On peut donc rechercher ses critères dans le règlement d’exemption 2790/1999 et dans les lignes directrices relatives aux restrictions verticales. Deux critères sont posés : celui de la qualité des contractants et celui de l’objet du contrat. Il faut convenir que leur mise en œuvre peut s’avérer très délicate dans les faits, nonobstant le recours à une application distributive des textes des différents règlements d’exemption et le recours à l’adage « l’accessoire suit le principal ». S’agissant de la qualité des contractants, l’article 2 §1 du Règlement n° 2790/1999 étend le champ de l’exemption aux « accords conclus entre deux ou plusieurs entreprises dont chacune opère, aux fins de l’accord, à un niveau différent de la chaîne de production ou de distribution ». Cette précision semble aisée à appréhender. C’est le cas d’un producteur d’un bien intermédiaire qui vend à un fabricant d’un bien final. C’est encore le cas d’un producteur qui vend à un grossiste, lequel vend à un détaillant. Toutefois, il convient de s’interroger sur 12 l’hypothèse d’une entreprise présente simultanément à plus d’un niveau de la chaîne. A priori, ce cas de figure n’est pas exclu54. Mais c’est là un point de complication avec une autre exigence relative à la situation concurrentielle entre ces entreprises. En effet, l’article 2 §4 exclut du champ de l’exemption par catégorie les accords verticaux conclus entre des entreprises concurrentes. Sont considérées comme concurrentes les entreprises qui agissent en tant que fournisseurs actuels ou potentiels sur le même marché de produits, indépendamment du marché géographique. A priori, les accords entre concurrents sont constitutifs de coopérations horizontales. Les effets de collusion doivent donc être traités en dehors du régime des restrictions verticales. Néanmoins, les lignes directrices indiquent qu’il faut faire une application distributive des règles. Les aspects de collusion seront soumis aux lignes directrices relatives aux coopérations horizontales, tandis que les éventuels aspects verticaux seront traités dans les présentes lignes directrices55. En d’autres termes, ces aspects verticaux sont exclus du champ du règlement et doivent faire l’objet d’une appréciation individuelle. Toutefois, une exception est prévue pour le cas où les entreprises concurrentes concluent un accord non réciproque. L’une peut donc assurer la distribution des produits de l’autre, dès lors que la seconde n’assure pas la distribution des produits de la première. Trois conditions subordonnent le jeu de cette exception, selon les termes de l’article 2 §4. La première a trait au chiffre d’affaires total de l’acheteur qui ne doit pas dépasser 100 millions d’euros. La deuxième exige que l’acheteur soit un distributeur qui ne fabrique pas des biens concurrents des biens contractuels. La troisième impose que l’acheteur ne fournisse pas des services concurrents au niveau du commerce où il achète les services contractuels. De cette manière, le règlement couvre les seules situations de distribution duale qui méritent une extension du régime de l’exemption. La situation particulière des associations de détaillants est aussi envisagée dans l’article 2 §2 du règlement. Les détaillants sont des distributeurs qui revendent les biens au consommateur final. Les accords conclus entre une telle association et ses membres ou entre l’association et ses fournisseurs peuvent être couverts sous deux conditions. La première porte sur le fait que tous les membres doivent être des détaillants de biens et non de services56. La seconde exige qu’aucun de ces membres ne réalise individuellement un chiffre d’affaires annuel total dépassant 50 millions d’euros. Les dispositions relatives au chiffre d’affaires annuel total, visées par l’article 10 et exposées plus haut, sont applicables dans ce contexte : prise en compte du chiffre d’affaires des entreprises liées, sauf pour les transactions entre toutes ces sociétés, et maintien du bénéfice de l’exemption en cas de dépassement du seuil pour moins de 10 % pendant deux exercices consécutifs. En tout état de cause, les lignes directrices admettent un léger dépassement du seuil de 50 millions par un nombre limité de détaillants de l’association57. De tels accords entre associations de détaillants et leurs membres peuvent aussi reposer sur des accords horizontaux. Ils devront donc être examinés, en premier lieu, au regard des lignes directrices relatives aux coopérations horizontales. Ce n’est que sous la condition que l’accord soit acceptable d’un point de vue horizontal qu’il sera examiné dans son aspect vertical58. Le second critère de la verticalité s’appuie sur l’objet du contrat. Selon l’article 2 §1, il s’agit de contrats qui « concernent les conditions dans lesquelles les parties peuvent acheter, vendre 54 Lignes directrices, pt 24. Lignes directrices, pt 26. 56 Lignes directrices, pt 28. 57 Lignes directrices, pt 28. 58 Lignes directrices, pt 29. 55 13 ou revendre certains biens ou services ». Les lignes directrices précisent que ces accords peuvent porter aussi bien sur des biens et services finals ou intermédiaires59. Les biens ou services peuvent être fournis ou utilisés afin de produire d’autres biens ou services. Ils peuvent même être vendus ou achetés en vue d’être loués à des tiers. En revanche, les baux et contrats de location ne sauraient entrer dans le champ du règlement60. Toute obligation non liée aux conditions d’achat, de vente ou de revente ne sera pas couverte. Ce sera le cas, par exemple, d’une obligation interdisant aux parties de mener des activités de recherche et de développement. Ce type d’obligation relève d’ailleurs d’un autre règlement d’exemption. Comme l’indique l’article 2 §5, le règlement n’a pas lieu de s’appliquer lorsque l’accord vertical entre dans le champ d’application d’un autre règlement. Il faut donc vérifier le champ des règlements n° 2658/2000 et n° 2659/2000 concernant l’application de l’article 81§3 respectivement à des accords de spécialisation et à des accords de recherche et de développement, celui du règlement n° 1400/2002 concernant le secteur automobile, celui du règlement n° 772/2004 concernant les accords de transfert de technologie et tout autre règlement ultérieur. La qualification d’obligation liée à des conditions d’achat peut prêter à discussion. Ceci explique des développements spécifiques aux droits de propriété intellectuelle. L’article 2 §3 rappelle que les accords verticaux comprenant la cession de droits de propriété intellectuelle échappe au champ du règlement si cette cession à l’acheteur constitue l’objet principal du contrat en cause. Il faut donc caractériser un accord vertical. Ensuite, il faut vérifier que la cession est directement liée à l’utilisation, la vente ou la revente de biens ou de services qui doivent seules constituer l’objet principal du contrat. C’est l’application de l’adage « l’accessoire suit le principal ». En outre, les droits de propriété intellectuelle doivent être cédés à l’acheteur ou utilisés par celui-ci. Enfin, les droits de propriété intellectuelle ne doivent pas comporter des restrictions de concurrence équivalentes aux restrictions verticales non exemptées. L’utilisation de droits de propriété intellectuelle ne peut se concevoir que dans ce contexte, à défaut de quoi s’applique le règlement concernant les accords de transfert de technologie61. Les lignes directrices insistent sur les trois domaines principaux de droits de propriété intellectuelle particulièrement utiles pour les restrictions verticales : les marques, les droits d’auteur et le savoir-faire62. On relèvera que les accords de franchise sont particulièrement intéressés par le transfert de savoir-faire63. B – La verticalité au cœur d’une entente horizontale La Cour de justice a été très tôt sensible à la position centrale d’un chef de réseau qu’elle a assorti d’un devoir de vigilance. La Commission a en effet décelé une échappatoire commode qui pouvait tenter le maître du réseau. Il suffisait pour lui de conserver un rôle discret, mais efficace. L’affaire Pioneer est tout à fait illustrative de la situation64. En l’espèce, la filiale 59 Lignes directrices, pt 24. Lignes directrices, pt 25. V. pour une critique de la qualification de restriction verticale et de l’application du règlement n° 2790/1999 par le Conseil de la concurrence, L. IDOT sous Cons. conc., 28 juill. 2005, déc. n° 05D-49, relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la location entretien des machines d’affranchissement postal, Rev. des contrats 2006-1, p. 339. 61 Lignes directrices, pts 32 et s. 62 Lignes directrices, pts 37 et s. 63 V. infra n° 131. 64 CJCE, 7 juin 1983, SA Musique diffusion française, aff. 100 à 103/80, Rec. 1983, p. 01825, pts 72 à 79. 60 14 européenne de Pionner, dont le siège était à Anvers, était chargée d’organiser la distribution exclusive des produits en France, en Allemagne et au Royaume-Uni. Or, la Commission a constaté une pratique concertée horizontale entre ceux-ci, en l’occurrence Musique Diffusion française, Melchers et Shriro en vue de cloisonner les marchés nationaux. Ses preuves portaient sur leur refus de contracter et des lettres à leurs clients les invitant à ne plus procéder à des exportations parallèles. Loin de s’en tenir à ces trois distributeurs, la Commission a également infligé une amende à Pioneer Europe. Elle a pu constater que Pionner avait facilité l’organisation d’une réunion à Anvers et de manière générale la circulation des informations relatives aux exportations parallèles. La Cour de justice conforte cette analyse en déclarant que l’activité visant à coordonner les efforts de vente doit être accompagnée de la plus grande prudence pour éviter les pratiques concertées au sens de l’article 81 CE. En définitive, dans une apparente restriction horizontale, il faut savoir déceler un maître d’œuvre situé en amont, voire en aval. Aux Etats-Unis, cela fait référence à la notion de « hub and spoke conspiracies ». Un opérateur est en position de moyeu et fait en quelque sorte tourner tous les rayons de la roue. En d’autres termes, il est le cerveau d’une entente en apparence horizontale, qui sert en réalité ses intérêts dans le rapport de verticalité. Cet opérateur puissant peut évidemment être le producteur-fournisseur à la tête d’un réseau de distribution. Il peut être également un distributeur. Ainsi, dans la célèbre affaire Toys « R » Us, le géant de la distribution du jouet a été reconnu comme le coordinateur d’une entente horizontale entre fabricants de jouets65. Le rôle central du distributeur a été également mis en avant, dans une variante, avec la pratique dénommée « category management ». Il s’agit pour un supermarché de désigner « a captain category » parmi ses fournisseurs pour que celui-ci le conseille sur le prix, la présentation et la promotion de tous les produits de cette même catégorie. L’hésitation est permise entre une qualification de restriction verticale ou de restriction horizontale66. Seule une appréciation au cas par cas permet alors de cerner quels intérêts l’entente sert au premier chef : ceux des concurrents fournisseurs ou ceux du distributeur. Il en résultera la qualification idoine. Conclusion générale Jusqu’alors, la notion d’accord a retenu le plus l’attention en donnant lieu à une jurisprudence très nourrie et en se prêtant à un raffinement d’analyse peut-être excessif. La concordance de volontés, qui est la colonne vertébrale du concept d’entente couvrant les diverses formes de collusion, mérite d’être prise en compte dans ses différents degrés. A la lumière de cette gradation, il serait maintenant opportun de déporter les efforts de qualification vers la notion de pratique concertée, voire vers celle d’infraction complexe tant la réalité révèle combien sont imbriqués le plus souvent les éléments constitutifs de ces deux notions. Quant au rapport de verticalité, les difficultés qu’il soulève ne doivent pas être sous-estimées. Ici encore, la réalité réserve des surprises en terme d’imbrication. Ainsi, les relations contractuelles, placées en apparence dans un rapport de verticalité, se révèlent souvent imbriquées dans un rapport horizontal. Ceci entraîne une application distributive un peu 65 United States Court of Appeal for the Seventh Circuit 2000, 221 F.3d 928. V° l’exposé de l’affaire in A. Gavil, W E. Kovacic, J. Baker, Antitrust Law in perspective : cases, concepts and problems in competition policy, Thomson West 2002, p. 308. 66 T. B. Leary, A Second Look at Category Management, May 17, 2004, www.ftc.gov/speeches/leary/040519categorymgmt.pdf 15 délicate des règlements d’exemption. Par ailleurs, une restriction verticale camouflée peut être à l’origine d’une entente horizontale. Le rapport de verticalité en apparence inoffensif ne doit pas alors faire illusion.