accords verticaux / accords horizontaux : les limites de la

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accords verticaux / accords horizontaux : les limites de la
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PREMIERE SESSION :
ACCORDS VERTICAUX / ACCORDS HORIZONTAUX :
LES LIMITES DE LA DISTINCTION AU REGARD DE
L’ARTICLE 81 CE
Catherine PRIETO
- version provisoire I - L’accord face aux degrés de volontés concordantes
A – L’expression d’une réelle volonté commune caractérisant un accord vertical
B – Le degré de coordination caractérisant un pratique concertée verticale
C – L’imbrication d’éléments d’accord et de pratique concertée
II – Le rapport de verticalité dans sa complexité
A – Les critères d’existence de la verticalité
B – La verticalité au cœur d’une entente horizontale
Pour ouvrir cette journée de réflexion sur le traitement des restrictions verticales, la première
table ronde est consacrée à une confrontation des accords verticaux aux accords horizontaux.
On comprend qu’elle est destinée à mieux cerner la spécificité de la notion de restriction
verticale et par conséquent à mieux cibler le traitement le plus adéquat au regard de l’article
81 CE.
La perception de l’accord vertical, au sens de l’article 81 CE, est certes ancienne. On se
souvient du grand arrêt de principe Grundig-Consten sur l’applicabilité de l’article 81 aux
accords de distribution1. Singulièrement, cette perception n’a pas gagné en clarté au fil du
temps. Elle s’est épaissie du fait de raffinements intellectuels, mais aussi du fait de la
complexité des comportements anticoncurrentiels, A plusieurs égards, il y a lieu de
s’interroger sur ses traits distinctifs. Il s’avère que les interrogations portent autant sur la
notion d’accord que sur le rapport de verticalité.
S’agissant de la notion d’accord, on peut tout autant s’interroger sur l’existence d’un concours
de volontés que sur l’indépendance de la volonté. Ce dernier aspect sera spécialement étudié
par Ioannis Lianos. Je m’en tiendrai donc à l’existence d’un concours de volontés, qui est
déjà une vaste problématique. On sait que la catégorie juridique qu’est l’entente repose sur
un certain degré de volonté concordante de deux ou plusieurs personnes2. Ce point
essentiel permet de tracer la ligne de partage entre l’entente, relevant de l’article 81 CE et
la catégorie juridique de comportement unilatéral, relevant de l’article 82 CE. Or, les
restrictions verticales posent un problème d’appréhension de la volonté en des termes
spécifiques par rapport aux accords horizontaux. Elles sont le plus souvent imprégnées d’un
rapport de force. Le cas typique est celui du chef du réseau qui organise la distribution selon
son bon vouloir. La frontière entre mesure imposée et mesure acceptée est ténue. Quel
comportement relève de l’entente ? Quel comportement relève de l’abus de position
dominante ? Les réponses ne sont guère aisées. Par souci de simplification, on pourrait être
tenté de tracer une ligne de partage entre accords horizontaux et accords verticaux en
considérant que seuls les premiers relèveraient de l’entente. Les accords verticaux
n’exprimeraient qu’une apparence d’accord et relèveraient intrinsèquement de la catégorie
juridique de l’abus de position dominante. Un tel basculement dans la qualification ne serait
1
2
CJCE, 13 juillet 1966, aff. 56 et 58/64, Rec. p.429..
M. Waelbroek et A. Frignani, Le droit de la C.E., Concurrence, Commentaire J. Megret, vol. 4, 1997 , n°120.
2
évidemment pas neutre du point de vue de la politique de concurrence. Les restrictions
verticales analysées exclusivement dans le prisme de l’abus de position dominante auraient
alors toutes les chances d’échapper à la prohibition, tant la position dominante serait difficile
à caractériser.
L’impunité des restrictions verticales par la voie d’un rétrécissement du champ d’application
de l’article 81 CE est-elle souhaitable ? Les restrictions verticales sont-elles si inoffensives en
elles-mêmes ? Rien n’est moins sûr si l’on examine l’évolution de la doctrine économique.
Les restrictions verticales sont ambivalentes au regard du bien-être du consommateur3. Certes,
les tenants de l’Ecole de Chicago ont vigoureusement fait valoir qu’elles étaient source
d’efficience économique. Il est acquis que, le plus souvent, les producteurs n’ont pas les
moyens d’assumer les coûts d’une intégration verticale par la voie de succursales. Le recours
à des distributeurs indépendants répond donc à une nécessité impérieuse. Or, une asymétrie
d’information peut considérablement affecter l’efficacité économique de ce mode de
distribution. Les restrictions verticales s’avèrent un moyen utile pour éviter le phénomène de
double marginalisation : chacun fixant son prix indépendamment de l’autre, il en résulte un
prix final trop élevé pour le consommateur et donc une atteinte à la maximisation du profit de
l’un et de l’autre. Les restrictions verticales s’avèrent également utiles en ce qu’elles
permettent au producteur de contrôler le distributeur à propos des services additionnels
destinés à mieux satisfaire le consommateur : il convient d’éviter les risques de parasitisme et
les comportements opportunistes entre détaillants. A tous ces égards, les restrictions verticales
méritent un traitement de faveur dans l’application du droit antitrust. Mais, en contrepoint de
cette image positive, les analyses du courant post-Chicago ont mis en avant les effets pervers
des restrictions verticales. D’une part, elles peuvent faciliter la mise en place et le maintien
d’un cartel entre producteurs : les distributeurs de chacun des producteurs vont exécuter les
engagements pris en amont en termes de niveau de prix ou de partage de clientèle. D’autre
part, dans une démarche radicalement inverse, les restrictions verticales peuvent faciliter la
démarche d’un producteur visant à exclure ses concurrents. L’impact des restrictions
verticales porte sur la concurrence intramarque, mais peut également concerner la
concurrence intermarques. Pour asseoir une politique de concurrence efficace, il est donc
opportun d’appliquer l’article 81 CE aux restrictions verticales.
C’est pourquoi il convient de s’interroger sur la qualification d’accord en explorant au mieux
les divers degrés de volontés concordantes qui sous-tendent la vaste notion d’entente (I).
Quant au rapport de verticalité, il appelle aussi la plus grande attention. L’enjeu est un
traitement juridique bien différencié selon qu’il s’agit d’un accord horizontal ou d’un accord
vertical. Fondamentalement, la politique de concurrence est plus sévère à l’égard des accords
horizontaux dans la mesure où la concurrence intermarques est jugée plus essentielle pour le
bon fonctionnement du marché.
S’agissant spécifiquement du traitement de faveur inhérent aux règlements d’exemption, on
relève que les présomptions attachées à l’existence d’un pouvoir de marché et les restrictions
caractérisées diffèrent selon qu’il s’agit de relations verticales ou horizontales. Or, la position
d’un opérateur dans la chaîne économique est parfois ambivalente et les frontières entre la
qualification de concurrents et de non-concurrents sont brouillées. Il est donc utile de sonder
le caractère opératoire des critères posés pour établir la qualification. La sécurité juridique des
entreprises en dépend, tout comme l’efficacité de la politique de concurrence.
3
E. Combe, Economie et politique de concurrence, Précis Dalloz, p.172.
3
En outre, la qualification d’un rapport vertical ne doit pas occulter le rôle que peut exercer un
opérateur dans une entente horizontale en amont ou en aval de sa position dans la chaîne
économique. Il peut être tentant pour un opérateur puissant, qu’il s’agisse du fournisseur ou
du distributeur, de s’effacer en apparence tout en étant l’instigateur d’une entente horizontale.
A plusieurs égards apparaissent des formes d’imbrication de relations verticales et
horizontales. Il faut donc s’efforcer de saisir le rapport de verticalité dans toute son potentiel
de complexité (II).
I – L’accord face aux degrés de volontés concordantes
L’entente s’appuie sur un triptyque énoncé par l’article 81 CE : la pratique concertée,
l’association d’entreprises et l’accord. Selon la Cour de justice, il s’agit de notions distinctes
qui ont vocation à appréhender des formes différentes de collusion4. On peut légitimement
penser que ces trois notions juridiques recouvrent des degrés différents de concordance
de volontés de telle sorte à couvrir un champ suffisamment large et faire ainsi que la
prohibition des ententes serve une politique de concurrence efficace. Pour bien appréhender
les restrictions verticales, il importe d’explorer cette gradation possible de concordance
de volontés, notamment dans la distinction entre l’accord et la pratique concertée. Si
l’accord n’est pas établi, au sens d’une volonté commune de se comporter sur le marché d’une
certaine manière, il est encore possible de s’interroger sur la qualification de pratique
concertée, au sens d’un certain degré de coordination des entreprises. Ce réflexe est bienvenu
à propos des restrictions verticales, dans la mesure où les accords verticaux ont fait l’objet
d’un rehaussement du standard de preuve (A). Il faut donc s’intéresser, par ricochet, aux
pratiques concertées verticales (B). En outre, l’infraction unique et continue peut être
caractérisée par la conjonction de certains éléments constitutifs de l’accord et d’autres de la
pratique concertée (C). Trois voies permettent d’appréhender les restrictions verticales.
A – L’expression d’une volonté commune caractérisant un accord
vertical
Selon une jurisprudence bien établie, l’accord au sens de l’article 81 CE requiert simplement
que les entreprises aient exprimé la volonté commune de se comporter sur le marché d’une
manière déterminée5. La forme d’expression de cette volonté commune importe peu dès lors
qu’elle reflète la réalité6.
4
CJCE, 14 juillet 1972, ICI, aff.48/69, affaire dite des matières colorantes, Rec. p. 619, pt 64 ; CJCE, 8 juillet
1999, ANIC, aff. 49/92, affaire dite du polypropylène, Rec. p. I-4125, pt 112 .
5
CJCE, 15 juillet 1970, ACF Chemiefarma/Commission, 41/69, Rec. p. 661, point 112 ; CJCE, 29 octobre 1980,
Van Landewyck e.a./Commission, 209/78 à 215/78 et 218/78, Rec. p. 3125, point 68 et 86.
6
Ibid.
4
La notion d’accord en droit de la concurrence est détachée du concept de contrat en droit civil.
L’accord n’est pas un contrat aux effets juridiquement obligatoires. Ainsi, un contrat nul ou
inefficace au regard du droit national peut néanmoins être qualifié d’entente, dès lors que la
clause litigieuse est l’expression de la volonté des parties7. La notion d’accord repose sur des
concepts de droit économique : le comportement d’entreprise et le marché8. Pour opposer les
deux branches on invoque souvent le fait que les modalités d’expression ont très vite été
recueillies sans formalisme dans la mise en œuvre de l’article 81 CE. Ainsi, une mention
figurant sur une facture a pu être prise en compte9. De même, une pratique commerciale bien
connue et systématiquement appliquée a pu être retenue10. Mais c’est oublier le principe du
consensualisme qui prévaut en droit du contrat. Le consensualisme est prépondérant non
seulement en droit français, mais plus largement dans la culture juridique européenne du
contrat. Il suffit de se reporter aux travaux de la Commission Lando11 ou encore à ceux de
l’Académie des juristes européens de Pavie12. La référence à un document comme une facture
ou des conditions générales de vente est habituelle, de même que la référence à un usage13. Il
est également bien admis que l’acceptation se fait autant par un comportement que par une
déclaration14. On peut même souligner que le consensualisme est quelque peu forcé, en droit
des contrats, lorsqu’il s’agit d’enrichir un contrat d’une obligation au nom de la justice
contractuelle ou encore de l’économie générale du contrat. Il ne faut donc pas voir une
influence du droit civil dans une évolution jurisprudentielle qui tend à plus d’exigence dans la
preuve de l’échange des consentements.
En réalité, cette évolution jurisprudentielle répond à une préoccupation fondamentale : le
rapport à établir entre la preuve et la conviction qu’une infraction a pu être commise.
L’accord, en tant que premier élément constitutif de l’infraction, appelle le plus grand soin
dans la qualification. A cet égard, le traitement spécifique des actions apparemment
unilatérales a suscité de vives critiques. Il est clair qu’une circulaire adressée à des
concessionnaires vaut accord dès lors que ceux-ci y souscrivent ultérieurement15. Mais que
penser, par exemple, du refus d’admettre dans son réseau un candidat ? La Cour de justice a
rapidement considéré que ce refus s’insérait dans les relations contractuelles avec tous les
distributeurs agréés dans la mesure où il s’agissait de faire respecter la base du contrat conclu
entre eux16. Que penser d’un refus de livraison opposé par le fabricant à ses distributeurs pour
empêcher le commerce parallèle vers un autre Etat membre ? La Cour de justice a considéré
là encore qu’il ne s’agissait pas d’un comportement unilatéral mais d’un accord dans la
mesure où les revendeurs avaient accepté la politique commerciale du fabricant17. Cependant,
il est apparu dangereux de présumer un accord de volonté du seul fait qu’un comportement
anticoncurrentiel s’inscrive dans une relation contractuelle continue18. Si l’on s’en tient aux
modes de raisonnement déjà suivis pour apprécier l’existence d’un contrat, cette jurisprudence
ne choque pas. Mais il faut reconnaître que les conséquences ne sont pas les mêmes. Dans un
7
CJCE, 11 janvier 1990, Sandoz Prodotti Farmaceuti, Rec., p. I-45.
L. Idot et JB Blaise, RTDCo avril-juin 2002, p.34, n°139.
9
Ibid.
10
Ibid.
11
Les Principes du droit européen du contrat, Société de législation comparée, Paris 2003.
12
Code européen des contrats, Avant-projet, Livre premier, Milan 2002.
13
V° art. 2 :102 PDEC.
14
V° art. 2 :204 PDEC.
15
CJCE, 12 juillet 1979, BMW Belgium , aff. 32/78, Rec. p. 2435.
16
CJCE, 25 octobre 1983, AEG-Telefunken, aff. 107/82, Rec. p. 3151, pt 37 à 39.
17
CJCE, 17 septembre 1985, Ford II, aff. 25 et 26/84, Rec., p. 2725.
18
M. Waelbroek et A. Frignani, préc., n°124. V° aussi E. Claudel, Le consentement en droit de la concurrence,
consécration ou sacrifice ?, RTDCom. 1999, p. 291.
8
5
cas, il s’agit de reconnaître l’existence d’un engagement contractuel qui est une valeur en soi
et, partant, de sanctionner son inexécution alors que, dans l’autre cas, il s’agit d’établir
l’adhésion à un comportement déviant susceptible de constituer une infraction sanctionnée par
de lourdes amendes. L’enjeu porte sur le point de savoir quel est le standard de preuve requis
pour emporter la conviction d’une infraction.
Cet éclairage explique un approfondissement de la distinction entre les mesures unilatérales
en apparence seulement et les mesures véritablement unilatérales. Le tribunal de première
instance en a pris l’initiative dans une offensive remarquée en tir groupé19. A propos d’une
interdiction d’exporter des médicaments imposée aux grossistes, le premier juge avait annulé
la décision d’interdiction de la Commission en faisant valoir que la preuve de leur
acquiescement n’avait pas été rapportée20. Il est vrai que dans cette affaire les grossistes
avaient essayé de tourner l’interdiction d’exporter. Dans l’affaire Opel, le Tribunal a porté le
même soin à distinguer l’accord du comportement unilatéral et a opéré un tri dans les mesures
litigieuses arrêtées par le fabricant. La qualification d’accord est maintenue sans difficulté
pour le système restrictif de primes pour dissuader l’exportation dans la mesure où il était
partie intégrante du contrat de concession. La qualification est également maintenue pour
l’injonction de ne plus vendre à l’exportation car elle s’insère dans les relations contractuelles
existantes. En revanche, s’agissant de la limitation des volumes de livraison selon un guide
d’évaluation des ventes, le juge a considéré qu’il n’était pas établi que cette mesure avait été
communiquée aux concessionnaires et qu’elle était entrée dans le champ des relations
contractuelles21. Enfin, dans l’affaire Volkswagen II, le TPICE annule la décision en faisant le
départ entre les mesures unilatérales en apparence seulement et celles qui le sont
véritablement. Il estime que, en l’espèce, il n’est pas démontré que les pratiques suggérées par
le constructeur ont été suivies d’effet, ce qui est un obstacle à la caractérisation d’un
acquiescement tacite22. Par là-même, le Tribunal s’oppose à ce que la Commission infère de
relations contractuelles existantes un acquiescement à une évolution ultérieure de la politique
commerciale du chef du réseau. En d’autres termes, la clause générale par laquelle un
concessionnaire s’engage à mettre en œuvre la politique commerciale du constructeur ne
suffit pas à caractériser l’acquiescement du concessionnaire à une invitation ultérieure
constitutive d’un comportement anticoncurrentiel.
La Cour de justice est restée attachée à l’analyse traditionnelle selon laquelle il fallait tirer
toutes les conséquences d’un ensemble de relations contractuelles continues régies par un
contrat-cadre. C’est ainsi qu’elle a retenu un lien direct entre la politique de contingentement
dans l’approvisionnement des concessionnaires italiens et les termes mêmes du contrat de
concession dans l’affaire Volkswagen I23. Par la suite, la Cour s’est montrée sensible aux
arguments avancés par le TPICE dans l’affaire Bayer24. Il est vrai que Bayer ne disposait pas
d’un réseau de distribution, mais entretenait simplement des relations continues avec ses
grossistes. C’est pourquoi, dans un tel contexte, elle a constaté que la preuve d’une invitation
à suivre sa politique de contingentement n’était pas rapportée et que, partant, l’acquiescement
ne pouvait pas être établi. Ensuite, elle a constaté que, s’agissant de simples contrats de vente
et non de contrats de distribution, il n’était pas possible de déduire l’existence d’un accord du
seul fait de relations commerciales continues. En d’autres termes, les éléments de fait
19
L. Idot, RDC avril 2004, p.289.
TPICE, 26 octobre 2000, Bayer, aff. T-41/96, Rec.II-3383, Europe 2000, comm. 393.
21
TPICE, 21 octobre 2003, General Motors Nederland BV et Opel Nederland DV, aff. T-208/01.
22
TPICE, 3 décembre 2003, Volkswagen, aff. T-208/01
23
CJCE, 18 septembre 2003, Volkswagen, aff ; C-338/00P, Europe novembre 2003, comm. 370.
24
CJCE, 6 janvier 2004, Bayer AG, C-2/01 et C-3/01, RDC 2004, p. 289, obs. L. Idot
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manquaient à la Commission pour établir une véritable concordance de volontés entre Bayer
et ses grossistes. La position de la Cour était attendue pour savoir si ce surcroît d’exigences
relatif à la preuve de la concordance de volonté avait également sa place dans le cadre d’un
réseau de distribution. L’affaire Volkswagen II lui a permis de préciser le standard de preuve
requis25. Elle distingue deux cas de figure : la volonté des parties peut être déduite des clauses
du contrat de concession ; elle peut l’être également du comportement des parties dès lors
qu’il existe un acquiescement tacite des concessionnaires à une invitation du constructeur (pt
39). Ce second cas de figure n’était pas l’objet du litige et la Cour renvoie ici à sa
jurisprudence antérieure dans l’arrêt BMW Belgium. L’arrêt Volkswagen est donc focalisé
sur les critères d’analyse d’un contrat. Elle considère que le Tribunal a commis une erreur de
droit lorsque celui-ci a déclaré que des clauses conformes aux règles de concurrence ne
pouvaient donner lieu à des invitations contraires à ces règles. C’est pourquoi elle
recommande une analyse au cas par cas des clauses en tenant compte des buts poursuivis par
le contrat à la lumière du contexte économique et juridique. En l’espèce, le Tribunal a fait une
appréciation souveraine du contrat et a considéré que les contraintes ultérieures du
constructeur relatives au prix ne pouvaient pas être des invitations contenues déjà dans le
contrat et, partant, ne pouvaient pas avoir été acceptées du seul fait de l’adhésion à ce contrat.
Il ne s’agit pas à proprement parler d’un revirement de jurisprudence mais bien d’un
rehaussement du standard de preuve dans l’appréciation des faits.
2. Réception dans la jurisprudence française
Le Conseil de la concurrence n’a guère tardé à prendre en compte les nouvelles exigences
posées par le juge communautaire. Mais sa réception de la jurisprudence communautaire ne
l’a pas empêché d’être innovant.
Il distingue lui aussi deux manières pour rapporter la preuve d’un accord vertical. La première
résulte directement d’un contrat de distribution, notamment par une clause impliquant le
respect de la politique commerciale du fabricant, voire par une clause prévoyant le contrôle
des prix par un contrôle de la publicité26 ou encore par une clause subordonnant des remises
au respect de certains prix27. Il semble que le Conseil n’ait pas eu de difficulté majeure,
jusqu’alors, pour procéder aux analyses de contrats de distribution. Par conséquent, il n’a pas
eu à suivre les recommandations faites par la Cour dans l’arrêt Volkswagen II sur l’analyse
contextuelle. Les comportements reprochés sont apparus directement inspirés de clauses
explicites dans les contrats en cause.
C’est sur le second mode de preuve, en l’absence de preuve formelle, que le Conseil de la
concurrence a déployé une méthode originale. Dans ce second cas de figure, la jurisprudence
communautaire exige la preuve d’une invitation, puis celle d’une acceptation même tacite.
Pour se conformer à ces exigences, le Conseil de la concurrence a recours à un faisceau
d’indices graves, précis et concordants. S’agissant des prix imposés par le fabricant, ce
faisceau est articulé en trois branches, comme le Conseil en a fait la démonstration pour la
première fois dans l’affaire dite des parfums28. En premier lieu, le Conseil recherche si les
prix de vente au détail ont été « évoqués » par le fournisseur devant les distributeurs. Cela sert
25
CJCE, 13 juillet 2006, Commission c/ Volkswagen, aff. C-74/04 P, L. Idot, RDC avril 2007, p. 321.
C.conc., déc. n°05-D-07 du 24 février 2005, Browning Winchester
27
C.conc. déc. n°06-D-04 du 13 mars 2006, Parfums
28
C.conc. déc. n°06-D-04 du 13 mars 2006, Parfums ; Cons. conc. n° 07-D-03 24 janvier 2007 relative à des
pratiques mises en œuvre par la société Clarins, Europe, mars 2007, comm. n° 103, Concurrences, n° 2-2007, p.
108, obs. E. Claudel, RDC, 2007/3, p. 768, obs. L. Idot
26
7
la preuve d’une véritable « invitation », dans l’expression choisie par le juge communautaire.
En deuxième lieu, le Conseil vérifie si le fournisseur a mis en place des mesures de police
auxquelles le distributeur a adhéré. Ceci permet de faire le lien entre l’invitation et
l’acceptation. En troisième lieu, le Conseil vérifie si les prix « évoqués » ont bel et bien été
appliqués, ce qui atteste d’une acceptation tacite mais réelle. La conjonction de ces trois
éléments caractérise un degré suffisant de volontés concordantes pour attester qu’une mesure
unilatérale n’est qu’apparente et constitue en réalité un véritable accord.
Chacune de ces trois branches fait l’objet d’une vérification pour chaque distributeur, ce qui
signifie que la tâche du Conseil de la concurrence n’est pas aisée. On comprend dès lors que
le Conseil ne retienne pas des griefs à l’égard d’une multitude de distributeurs. Ainsi, dans
l’affaire de la distribution des parfums, il a concentré ses efforts sur les distributeurs les plus
significatifs, notamment les trois grandes chaînes nationales. On relèvera également un
procédé très audacieux pour vérifier l’application des prix évoqués : le Conseil s’en tient à
une application « significative ». C’est dire qu’il a recours à des sondages pour dégager des
indices généraux. Le procédé est acceptable dès lors que les prix imposés sont suivis à un taux
supérieur à 80%. Si le taux est inférieur à 80%, même de manière très faible, le Conseil a
alors recours à une étude approfondie sur la dispersion des prix pratiqués. Le caractère
probant de cette méthode d’appréciation de l’existence d’un accord a été retenu par la Cour
d’appel de Paris dans l’affaire des parfums29. Selon la Cour, il n’est pas nécessaire de
rapporter la preuve d’un accord de volontés entre le fabricant et la multitude de ses
distributeurs, dès lors que seuls sont condamnés ceux pour lesquels l’accord est avéré. Quant
aux trois indices constituant le faisceau, la Cour considère qu’ils reflètent bien l’invitation et
l’acquiescement requis pour une rencontre de volontés. Enfin, s’agissant précisément des
statistiques, la Cour retient que c’est un procédé acceptable pour établir un indice
d’appréciation. Il reste que la méthode et la valeur des relevés de prix, effectués par la
DGCCRF, peuvent toujours être contestés dans leur fiabilité, même si cela paraît difficile.
Après l’affaire de la distribution des parfums, le Conseil a eu à nouveau recours à cette
méthode dans l’affaire de la distribution des bougies30, dans l’affaire de la distribution des
cycles31, puis dans l’affaire de la distribution des jouets32.
Il faut enfin souligner que, avant même d’être appliquée aux relations au sein d’un réseau de
distribution, cette méthode a été explorée dans ses grandes lignes à propos de simples contrats
de vente et a permis de retenir une entente entre BHVE, Casino et Carrefour à propos de la
vente de DVD Disney33. La qualification d’accord de volontés a été contestée en vain devant
la Cour d’appel de Paris34, puis la Cour de cassation35. Selon la Cour de cassation, l’invitation
et l’acquiescement sont ainsi correctement établis.
29
CA Paris, 26 janvier 2007, 1ère ch. section H, 2006/07821, site Conseil de la concurrence, RDC 2007/4,
p.1179, obs . C. Prieto.
30
Cons. conc. n°06-D-22 du 21 juillet 2006, relative à des pratiques mises en œuvre par la société NGK Spark
Plugs France sur le marché des bougies pour deux roues
31
06-D-37, 7 décembre 2006 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la distribution des cycles
et produits pour cyclistes, Concurrences, n° 1-2007, p. 84, obs. E. Claudel, p. 146, obs. C. Lemaire, RDC,
2007/2, p. 317, obs. L. Idot
32
Cons. conc. n°07-D-50 du 20 décembre 2007 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la
distribution des jouets, Europe 2008, comm. 64, Concurrences, n°1-2008, p. 109, obs. E. Claudel, p. 172, obs.
C. Lemaire, Contrats conc. consom., février 2008, comm. n° 39, M. Malaurie-Vignal
33
Cons. conc. n° 05-D-70 du 19 décembre 2005 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des
vidéocassettes pré-enregistrées.
34
CA Paris, 29 mai 2007, 1ère ch. section H, 2006/01886
35
C.cass., 8 avril 2008, n°07-16.485, site Conseil.
8
3. Portée de cette évolution pour les accords horizontaux ?
Le rehaussement du standard de preuve pour établir les accords verticaux pouvait-il rejaillir
sur la preuve requise pour les accords horizontaux ? La transposition est délicate dans la
mesure où la jurisprudence relative à la concordance de volonté dans les accords verticaux
porte spécifiquement sur la distinction entre les mesures authentiquement unilatérales et celles
qui ne le sont qu’en apparence. Néanmoins, un rapprochement a été fait avec l’analyse sévère
effectuée par le TPICE lorsque celui-ci a annulé la décision de la Commission sanctionnant
les banques allemandes36.
En l’espèce, la Commission reprochait un accord horizontal aux banques allemandes au terme
duquel elles s’étaient entendues sur les commissions de change au moment du passage à
l’euro. Deux accords étaient, en réalité, reprochés aux banques : l’un portait sur le montant
des commissions de change, l’autre sur les modalités de facturation des commissions de
change. La preuve retenue par la Commission était constituée par des réunions concernant le
passage à l’euro et une réponse fixant une commission à 3% pour contrecarrer l’initiative de
banques qui proposaient une offre de change à titre gratuit. L’existence de ces réunions et leur
objet anticoncurrentiel avéré n’ont cependant pas été jugés suffisants pour caractériser un
accord horizontal. Le constat est si singulier que l’on serait tenté de reléguer cet arrêt au rang
de cas d’espèce. Si la preuve d’une volonté concordante n’était pas suffisante pour établir un
arrêt horizontal, à tout le moins il y avait lieu de retenir une pratique concertée.
B – La coordination caractérisant une pratique concertée verticale
Lorsqu’un engagement ne constitue pas un accord, il peut néanmoins être examiné en tant que
pratique concertée37. Selon la Cour de justice, la pratique concertée a vocation à appréhender
une forme de coordination, dans laquelle les entreprises pourraient être tentées de se réfugier
en évitant d’aboutir à un accord pour échapper à la prohibition de l’article 81 CE38. Définie
comme une forme de coordination plus lâche que celle résultant d’un accord, la pratique
concertée a fait l’objet de nombreuses hésitations39. Son contenu minimum a été décelé dans
l’existence de contacts destinés à réduire les risques de concurrence, suivis d’une mise en
oeuvre40. Une opinion remarquée avait fait valoir que la réunion de ces deux éléments n’était
pas nécessaire : la mise en œuvre de la pratique était superflue, seule comptait la prise de
contact ayant pour objet une amorce de coordination41. Cette analyse servait une politique de
concurrence rigoureuse. La Commission ne pouvait que s’en prévaloir. Mais elle a dû
légèrement en rabattre à la suite de l’arrêt Anic42. En effet, dans le droit fil des arrêts Suiker
Unie et Züchner, la Cour a tenu à maintenir les deux éléments constitutifs, en ajoutant même
36
TPICE, 27 septembre 2006, Dresdner Bank AG et A., aff. jtes T-44/02 OP, T-56/02 P, T-60/02 OP, T-61/02
OP, RDC avril 2007, p.323 ; J.B. Blaise, chron. Concurrence, RTDEur 2008-2.
37
M. Waelbroek et A. Frignani, n°121.
38
CJCE,
39
M. Waelbroek et A. Frignani, préc., n°135.
40
CJCE, 16 décembre 1975, Suiker Unie, aff. 40/73, Rec. p. 1663 ; CJCE, 14 juillet 1981, Züchner, aff. 172/80,
Rec.p. 2021, pt 12.
41
L. Idot et J.B. Blaise, Chronique concurrence, RTDEur. Avril-juin 2000, p. 335, n°35 : analyse de Joliet in
Cah. dr. européen 1974, 251.
42
CJCE, 8 juillet 1999, ANIC, préc., pt 118.
9
un lien de cause à effet entre les deux. Cependant, elle a introduit une présomption selon
laquelle les entreprises participant à une réunion ne peuvent que tenir compte des
informations obtenues et, dès lors, la preuve du comportement n’a pas à être rapportée. Il
appartient aux entreprises de rapporter la preuve contraire. Cette jurisprudence est constante43.
Un récent arrêt vient encore amoindrir ce deuxième élément constitutif en soulignant que
l’existence d’un comportement ne requiert nullement de rapporter la preuve que ce
comportement a produit un effet concret44. L’objet anticoncurrentiel des pratiques d’échange
d’informations suffit quasiment.
Quelque soit le rôle du comportement effectif en tant que deuxième élément constitutif d’une
pratique concertée, la qualification de pratique concertée est tout de même délicate à mettre en
œuvre dans les relations verticales. Il est en effet légitime que producteur et distributeur aient
des échanges d’informations et organisent des réunions. Cela participe du bon fonctionnement
du réseau45. Il ne serait donc pas raisonnable d’appréhender le moindre contact entre les uns et
les autres.
C’est la raison pour laquelle il apparaît essentiel de caractériser avec le plus grand soin l’objet
anticoncurrentiel des prises de contact. Cet objet anticoncurrentiel est certainement plus aisé à
caractériser dans les relations horizontales. Il est flagrant que les concurrents se rapprochent
pour procéder à un alignement de leurs prix et à des répartitions de clientèles. S’agissant des
relations verticales, les informations sur les prix ne sont pas nécessairement nocives. On sait
combien sont délicates les distinctions entre prix conseillés et prix imposés. Néanmoins, la
caractérisation de l’objet anticoncurrentiel peut être aussi flagrante. Ce sera, par exemple, le
cas lorsque les réunions ont pour objet de neutraliser les exportations parallèles46.
La notion de pratique concertée est-elle une sorte de voiture-balai pour rattraper dans les
mailles du filet de l’article 81 CE les accords verticaux dont la qualification est
problématique ? Il est permis de le penser et de s’étonner que parfois beaucoup d’énergie soit
dépensée en vain sur la qualification d’accord, d’autant que le juge communautaire a donné
prise à la notion d’infraction complexe, entremêlant accord et pratique concertée.
C – L’imbrication d’éléments d’accords et de pratiques concertées
L’autre apport majeur de l’arrêt Anic, dans l’affaire du polypropylène, porte sur la
consécration de la notion d’infraction complexe. Sous l’appellation d’infraction unique et
continue, la Cour de justice a entériné le point de vue de la Commission selon lequel une
infraction peut comporter « à la fois des éléments devant être qualifiés d'«accords» et d'autres
47
devant être qualifiés de «pratiques concertées » . La Cour conforte l’analyse du tribunal qui
avait estimé que « face à une infraction complexe, la double qualification opérée par la
Commission à l'article 1er de la décision polypropylène devait être comprise non comme une
qualification exigeant simultanément et cumulativement la preuve que chacun de ces éléments
de fait présentait les éléments constitutifs d'un accord et d'une pratique concertée, mais bien
43
L. Idot et J.B. Blaise, Chronique concurrence, RTDEur. avril-juin 2002, n°154 janvier-mars 2005, n°167.
CJCE, 21 septembre 2006, NFV-marché de l’électronique aux PB, aff. C-105/04 P, pt 139.
45
M. Waelbroek et A. Frignani, préc., n°140.
46
CJCE, 7 juin 1983, Musique diffusion française et autres, aff. 100-103/80, Rec. p.1825. V° aussi TPICE, 7
juillet 1994, aff. T-43/92, Dunlop Slazenger, Rec. p. II-531 ; Dec. comm. 72/403/EEC, 23 novembre 1972,
Pittsburgh Corning JOCE n°L 272 du 5 déc. 1972, p.35.
47
CJCE 1999, Anic, préc., pt 109
44
10
comme désignant un tout complexe comportant des éléments de fait, dont certains avaient été
qualifiés d'accords et d'autres de pratiques concertées au sens de l'article 81, paragraphe 1,
CE, lequel ne prévoit pas de qualification spécifique pour ce type d'infraction complexe »48.
Cette notion d’infraction continue a été développée à propos des restrictions horizontales et
l’est toujours49.
Elle devrait pouvoir prospérer tout autant à propos des restrictions verticales. La Commission
a déjà tenté cette voie de double qualification à propos des relations entre un fabricant de
balles de tennis et ses distributeurs, alors même qu’elle ne disposait de preuve suffisante pour
établir un échange de consentement, mais d’indices de collusion manifestes moyennant des
manoeuvres de cloisonnement des marchés nationaux50. La Cour de justice ne semble pas
défavorable à cette exploration. C’est ce que laisse à penser l’affaire du marché néerlandais du
matériel électronique51. Une entreprise britannique, grossiste en matériel électronique, se
plaignait de ne pouvoir pénétrer ce marché en raison d’entraves pratiquées entre plusieurs
associations à tous les niveaux de la filière de distribution. C’est ainsi que la Commission a
retenu une infraction unique sur la base d’accords et de pratiques concertées visant à
empêcher l’approvisionnement, tant par des clauses d’exclusivité que par des prix imposés.
La Cour a conforté la preuve apportée en rappelant qu’un certain nombre d’indices peuvent
établir en l’absence d’une autre explication cohérente l’existence de pratiques et d’accords
anticoncurrentiels. Cette affaire souligne d’ailleurs qu’une entente peut être constituée à la
fois par des accords horizontaux et des pratiques concertées verticales. La Commission a à
nouveau eu recours à la double qualification imbriquée d’accord et de pratique concertée dans
l’affaire Topps52. En l’espèce, le fournisseur visait à lutter contre les exportations parallèles en
déployant de nombreuses menaces, reçues même passivement de la part de ses interlocuteurs.
L’objet anticoncurrentiel était flagrant. Quant à l’élément constitutif tenant à la mise en œuvre
de la pratique concertée, la Commission souligne bien qu’il est présumé et soumis à la preuve
contraire des parties prenantes. Le Conseil de la concurrence n’a pas été amené, semble-t-il, a
statuer sur de telles imbrications. Dans l’affaire qui concernait toute la filière professionnelle
des appareils de chauffage, il a sanctionné de manière très distincte d’une part des pratiques
concertées entre grossistes, telles que des alignements de prix, des boycotts et des
déréférencements, et d’autre part, des pratiques concertées entre grossistes et fournisseurs53.
Les facilités de qualifications complexes ne semblent pas encore exploitées.
Conclusion du I En définitive, le rehaussement du niveau de preuve pour la volonté commune, propre à établir
un accord au sens de l’article 81 CE, trouve un contrepoint naturel dans la définition très large
de la pratique concertée. Certes, cette voie n’a pas encore été beaucoup explorée pour les
restrictions verticales. Mais la notion d’infraction unique renforce encore le potentiel de ce
contrepoint. C’est certainement dans la reconnaissance du caractère polymorphe des ententes
que l’on a le plus de chance d’appréhender au mieux la réalité. Nous l’avons envisagé à
propos de la distinction entre accord et pratique concertée. Nous pouvons également le
48
Ibid. pt 111.
L. Idot et J.B. Blaise, Chronique concurrence, RTDEur.janvier-mars 2005, n°168.
50
Déc. Comm. 94/987, 21 décembre 1994, Tretorn, JOCE n°L 378 du 31 décembre 1994, p.45.
51
CJCE, 21 septembre 2006, NFV et TU, C-105-04 P.
52
Déc. Comm. n° 2006/895/CE, 26 mai 2004, Souris Topps, aff. 37.980, JOUE, n° L. 353, 13 décembre 2006.
53
C. conc. n°06-D-03 du 9 mars 2006 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des appareils de
chauffage, sanitaires, plomberie et climatisation, confirmé partiellement par CA Paris, 29 janvier 2008, 1ère Ch.,
2006/07820.
49
11
constater à propos de la distinction entre accord verticaux et accords horizontaux. A cet égard
aussi, les lignes de partage s’entrecroisent.
II – Le rapport de verticalité dans sa complexité
Plusieurs éléments montrent combien le rapport de verticalité peut faire l’objet d’une
perception brouillée. Les sources d’imbrication entre accords verticaux et accords horizontaux
ne manquent pas. Certes, la définition des relations verticales est a priori assez simple lorsque
l’on fait référence à des relations entre des agents économiques à différents degrés du circuit
économique. Ainsi la qualification du rapport vertical est ancrée dans la situation de nonconcurrents. Mais les agents économiques exercent souvent plusieurs rôles à la fois et peuvent
se présenter à la fois comme fournisseurs et distributeurs, comme l’indique l’expression de
« distribution duale ». Certaines conséquences ne doivent-elles pas en être tirées ? En outre, il
faut insister sur le fait que les relations verticales sont également définies par l’objet même du
contrat. L’activité de revente de biens ou services est le second point d’ancrage du rapport de
verticalité. Or certaines obligations entre le fournisseur et le distributeur s’avèrent étrangères à
cet objet. Méritent-elles d’entrer dans la qualification ? Le règlement d’exemption
n°2790/1999 et les lignes directrices qui l’accompagnent sont censés répondre à ces
interrogations. Pour réserver un traitement de faveur aux seuls accords qui le méritent, il
convient d’apprécier les critères qui permettent de cerner l’authentique relation verticale (A).
La dialectique entre faveur et rigueur à l’égard des relations verticales est encore plus délicate
lorsque la nocivité du rapport de verticalité est camouflée, alors même qu’il est au cœur d’une
entente. Certains opérateurs ont l’habileté de reporter sur des relations horizontales les
restrictions verticales dont ils sont les instigateurs. Qu’il soit simple facilitateur ou véritable
chef d’orchestre de l’entente, le puissant opérateur en position verticale par rapport aux autres
protagonistes ne saurait alors échapper à l’application de l’article 81 CE (B).
A – Les critères d’existence de la verticalité
La Commission européenne n’a pas esquivé la difficulté par souci d’assurer à la fois
l’efficacité de sa politique de concurrence et une bonne sécurité juridique des entreprises. On
peut donc rechercher ses critères dans le règlement d’exemption 2790/1999 et dans les lignes
directrices relatives aux restrictions verticales. Deux critères sont posés : celui de la qualité
des contractants et celui de l’objet du contrat. Il faut convenir que leur mise en œuvre peut
s’avérer très délicate dans les faits, nonobstant le recours à une application distributive des
textes des différents règlements d’exemption et le recours à l’adage « l’accessoire suit le
principal ».
S’agissant de la qualité des contractants, l’article 2 §1 du Règlement n° 2790/1999 étend le
champ de l’exemption aux « accords conclus entre deux ou plusieurs entreprises dont chacune
opère, aux fins de l’accord, à un niveau différent de la chaîne de production ou de
distribution ». Cette précision semble aisée à appréhender. C’est le cas d’un producteur d’un
bien intermédiaire qui vend à un fabricant d’un bien final. C’est encore le cas d’un producteur
qui vend à un grossiste, lequel vend à un détaillant. Toutefois, il convient de s’interroger sur
12
l’hypothèse d’une entreprise présente simultanément à plus d’un niveau de la chaîne. A priori,
ce cas de figure n’est pas exclu54. Mais c’est là un point de complication avec une autre
exigence relative à la situation concurrentielle entre ces entreprises.
En effet, l’article 2 §4 exclut du champ de l’exemption par catégorie les accords verticaux
conclus entre des entreprises concurrentes. Sont considérées comme concurrentes les
entreprises qui agissent en tant que fournisseurs actuels ou potentiels sur le même marché de
produits, indépendamment du marché géographique. A priori, les accords entre concurrents
sont constitutifs de coopérations horizontales. Les effets de collusion doivent donc être traités
en dehors du régime des restrictions verticales. Néanmoins, les lignes directrices indiquent
qu’il faut faire une application distributive des règles. Les aspects de collusion seront soumis
aux lignes directrices relatives aux coopérations horizontales, tandis que les éventuels aspects
verticaux seront traités dans les présentes lignes directrices55. En d’autres termes, ces aspects
verticaux sont exclus du champ du règlement et doivent faire l’objet d’une appréciation
individuelle. Toutefois, une exception est prévue pour le cas où les entreprises concurrentes
concluent un accord non réciproque. L’une peut donc assurer la distribution des produits de
l’autre, dès lors que la seconde n’assure pas la distribution des produits de la première. Trois
conditions subordonnent le jeu de cette exception, selon les termes de l’article 2 §4. La
première a trait au chiffre d’affaires total de l’acheteur qui ne doit pas dépasser 100 millions
d’euros. La deuxième exige que l’acheteur soit un distributeur qui ne fabrique pas des biens
concurrents des biens contractuels. La troisième impose que l’acheteur ne fournisse pas des
services concurrents au niveau du commerce où il achète les services contractuels. De cette
manière, le règlement couvre les seules situations de distribution duale qui méritent une
extension du régime de l’exemption.
La situation particulière des associations de détaillants est aussi envisagée dans l’article 2 §2
du règlement. Les détaillants sont des distributeurs qui revendent les biens au consommateur
final. Les accords conclus entre une telle association et ses membres ou entre l’association et
ses fournisseurs peuvent être couverts sous deux conditions. La première porte sur le fait que
tous les membres doivent être des détaillants de biens et non de services56. La seconde exige
qu’aucun de ces membres ne réalise individuellement un chiffre d’affaires annuel total
dépassant 50 millions d’euros. Les dispositions relatives au chiffre d’affaires annuel total,
visées par l’article 10 et exposées plus haut, sont applicables dans ce contexte : prise en
compte du chiffre d’affaires des entreprises liées, sauf pour les transactions entre toutes ces
sociétés, et maintien du bénéfice de l’exemption en cas de dépassement du seuil pour moins
de 10 % pendant deux exercices consécutifs. En tout état de cause, les lignes directrices
admettent un léger dépassement du seuil de 50 millions par un nombre limité de détaillants de
l’association57. De tels accords entre associations de détaillants et leurs membres peuvent
aussi reposer sur des accords horizontaux. Ils devront donc être examinés, en premier lieu, au
regard des lignes directrices relatives aux coopérations horizontales. Ce n’est que sous la
condition que l’accord soit acceptable d’un point de vue horizontal qu’il sera examiné dans
son aspect vertical58.
Le second critère de la verticalité s’appuie sur l’objet du contrat. Selon l’article 2 §1, il s’agit
de contrats qui « concernent les conditions dans lesquelles les parties peuvent acheter, vendre
54
Lignes directrices, pt 24.
Lignes directrices, pt 26.
56
Lignes directrices, pt 28.
57
Lignes directrices, pt 28.
58
Lignes directrices, pt 29.
55
13
ou revendre certains biens ou services ». Les lignes directrices précisent que ces accords
peuvent porter aussi bien sur des biens et services finals ou intermédiaires59. Les biens ou
services peuvent être fournis ou utilisés afin de produire d’autres biens ou services. Ils
peuvent même être vendus ou achetés en vue d’être loués à des tiers. En revanche, les baux et
contrats de location ne sauraient entrer dans le champ du règlement60. Toute obligation non
liée aux conditions d’achat, de vente ou de revente ne sera pas couverte. Ce sera le cas, par
exemple, d’une obligation interdisant aux parties de mener des activités de recherche et de
développement. Ce type d’obligation relève d’ailleurs d’un autre règlement d’exemption.
Comme l’indique l’article 2 §5, le règlement n’a pas lieu de s’appliquer lorsque l’accord
vertical entre dans le champ d’application d’un autre règlement. Il faut donc vérifier le champ
des règlements n° 2658/2000 et n° 2659/2000 concernant l’application de l’article 81§3
respectivement à des accords de spécialisation et à des accords de recherche et de
développement, celui du règlement n° 1400/2002 concernant le secteur automobile, celui du
règlement n° 772/2004 concernant les accords de transfert de technologie et tout autre
règlement ultérieur.
La qualification d’obligation liée à des conditions d’achat peut prêter à discussion. Ceci
explique des développements spécifiques aux droits de propriété intellectuelle. L’article 2 §3
rappelle que les accords verticaux comprenant la cession de droits de propriété intellectuelle
échappe au champ du règlement si cette cession à l’acheteur constitue l’objet principal du
contrat en cause. Il faut donc caractériser un accord vertical. Ensuite, il faut vérifier que la
cession est directement liée à l’utilisation, la vente ou la revente de biens ou de services qui
doivent seules constituer l’objet principal du contrat. C’est l’application de l’adage
« l’accessoire suit le principal ». En outre, les droits de propriété intellectuelle doivent être
cédés à l’acheteur ou utilisés par celui-ci. Enfin, les droits de propriété intellectuelle ne
doivent pas comporter des restrictions de concurrence équivalentes aux restrictions verticales
non exemptées. L’utilisation de droits de propriété intellectuelle ne peut se concevoir que
dans ce contexte, à défaut de quoi s’applique le règlement concernant les accords de transfert
de technologie61. Les lignes directrices insistent sur les trois domaines principaux de droits de
propriété intellectuelle particulièrement utiles pour les restrictions verticales : les marques, les
droits d’auteur et le savoir-faire62. On relèvera que les accords de franchise sont
particulièrement intéressés par le transfert de savoir-faire63.
B – La verticalité au cœur d’une entente horizontale
La Cour de justice a été très tôt sensible à la position centrale d’un chef de réseau qu’elle a
assorti d’un devoir de vigilance. La Commission a en effet décelé une échappatoire commode
qui pouvait tenter le maître du réseau. Il suffisait pour lui de conserver un rôle discret, mais
efficace. L’affaire Pioneer est tout à fait illustrative de la situation64. En l’espèce, la filiale
59
Lignes directrices, pt 24.
Lignes directrices, pt 25. V. pour une critique de la qualification de restriction verticale et de l’application du
règlement n° 2790/1999 par le Conseil de la concurrence, L. IDOT sous Cons. conc., 28 juill. 2005, déc. n° 05D-49, relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la location entretien des machines
d’affranchissement postal, Rev. des contrats 2006-1, p. 339.
61
Lignes directrices, pts 32 et s.
62
Lignes directrices, pts 37 et s.
63
V. infra n° 131.
64
CJCE, 7 juin 1983, SA Musique diffusion française, aff. 100 à 103/80, Rec. 1983, p. 01825, pts 72 à 79.
60
14
européenne de Pionner, dont le siège était à Anvers, était chargée d’organiser la distribution
exclusive des produits en France, en Allemagne et au Royaume-Uni. Or, la Commission a
constaté une pratique concertée horizontale entre ceux-ci, en l’occurrence Musique Diffusion
française, Melchers et Shriro en vue de cloisonner les marchés nationaux. Ses preuves
portaient sur leur refus de contracter et des lettres à leurs clients les invitant à ne plus procéder
à des exportations parallèles. Loin de s’en tenir à ces trois distributeurs, la Commission a
également infligé une amende à Pioneer Europe. Elle a pu constater que Pionner avait facilité
l’organisation d’une réunion à Anvers et de manière générale la circulation des informations
relatives aux exportations parallèles. La Cour de justice conforte cette analyse en déclarant
que l’activité visant à coordonner les efforts de vente doit être accompagnée de la plus grande
prudence pour éviter les pratiques concertées au sens de l’article 81 CE.
En définitive, dans une apparente restriction horizontale, il faut savoir déceler un maître
d’œuvre situé en amont, voire en aval. Aux Etats-Unis, cela fait référence à la notion de « hub
and spoke conspiracies ». Un opérateur est en position de moyeu et fait en quelque sorte
tourner tous les rayons de la roue. En d’autres termes, il est le cerveau d’une entente en
apparence horizontale, qui sert en réalité ses intérêts dans le rapport de verticalité. Cet
opérateur puissant peut évidemment être le producteur-fournisseur à la tête d’un réseau de
distribution. Il peut être également un distributeur. Ainsi, dans la célèbre affaire Toys « R »
Us, le géant de la distribution du jouet a été reconnu comme le coordinateur d’une entente
horizontale entre fabricants de jouets65. Le rôle central du distributeur a été également mis en
avant, dans une variante, avec la pratique dénommée « category management ». Il s’agit pour
un supermarché de désigner « a captain category » parmi ses fournisseurs pour que celui-ci le
conseille sur le prix, la présentation et la promotion de tous les produits de cette même
catégorie. L’hésitation est permise entre une qualification de restriction verticale ou de
restriction horizontale66. Seule une appréciation au cas par cas permet alors de cerner quels
intérêts l’entente sert au premier chef : ceux des concurrents fournisseurs ou ceux du
distributeur. Il en résultera la qualification idoine.
Conclusion générale
Jusqu’alors, la notion d’accord a retenu le plus l’attention en donnant lieu à une jurisprudence
très nourrie et en se prêtant à un raffinement d’analyse peut-être excessif. La concordance de
volontés, qui est la colonne vertébrale du concept d’entente couvrant les diverses formes de
collusion, mérite d’être prise en compte dans ses différents degrés. A la lumière de cette
gradation, il serait maintenant opportun de déporter les efforts de qualification vers la notion
de pratique concertée, voire vers celle d’infraction complexe tant la réalité révèle combien
sont imbriqués le plus souvent les éléments constitutifs de ces deux notions.
Quant au rapport de verticalité, les difficultés qu’il soulève ne doivent pas être sous-estimées.
Ici encore, la réalité réserve des surprises en terme d’imbrication. Ainsi, les relations
contractuelles, placées en apparence dans un rapport de verticalité, se révèlent souvent
imbriquées dans un rapport horizontal. Ceci entraîne une application distributive un peu
65
United States Court of Appeal for the Seventh Circuit 2000, 221 F.3d 928. V° l’exposé de l’affaire in A. Gavil,
W E. Kovacic, J. Baker, Antitrust Law in perspective : cases, concepts and problems in competition policy,
Thomson West 2002, p. 308.
66
T. B. Leary, A Second Look at Category Management, May 17, 2004,
www.ftc.gov/speeches/leary/040519categorymgmt.pdf
15
délicate des règlements d’exemption. Par ailleurs, une restriction verticale camouflée peut être
à l’origine d’une entente horizontale. Le rapport de verticalité en apparence inoffensif ne doit
pas alors faire illusion.