Melilla-Nador, la frontière de la honte

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Melilla-Nador, la frontière de la honte
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Melilla-Nador, la frontière de la honte
Maroc
Posté par: Redacteur
Publiée le : 10/12/2008 14:16:53
La moins connue des deux frontières terrestres entre l’Afrique et l’Europe se trouve à Melilla. 12 km²
cernés par la mer et par un grillage métallique, théâtres d’incidents et de drames de tous les jours.
Reportage.
Aux quatre postes-frontière situés entre Nador et Melilla, les incidents se succèdent, parfois
ponctués de drames. Le 22 novembre, au poste-frontière principal de Beni Enzar, une violente
altercation a éclaté entre un douanier marocain et un policier espagnol. D’après de nombreux
témoignages recueillis sur place, tout a commencé quand un douanier marocain a voulu poursuivre
une dame qui refusait de se voir confisquer ses marchandises et avait fait demi-tour vers Melilla.
Quand il s’est avancé de plusieurs mètres en territoire espagnol, un “guardia civil” lui a intimé de
retourner s’occuper de ses affaires du côté marocain. “C’est la riposte du douanier qui a mis le feu
aux poudres”, nous a–t-on expliqué sur place. “J’irai où je veux, puisque Melilla est marocaine !”,
aurait-il dit, selon le quotidien Melilla Hoy.
Donc, le Marocain reçoit un coup de gourdin de l’Espagnol, geste qui transforme instantanément un
groupe de badauds marocains en patriotes enragés : à coups de pierres et de bouteilles, ils se ruent
à la défense de leur compatriote. Dans la panique, les policiers espagnols utilisent alors le matériel
anti-émeute destiné aux assauts de sans-papiers, tirant plusieurs balles en caoutchouc. L’une d’elles
est tirée presque à bout portant en pleine poitrine du douanier, qui a été admis en réanimation à
l’hôpital de Nador. Bilan de l’échauffourée : une dizaine de blessés. Rien de vraiment étonnant
quand on sait qu’à la frontière tout le monde était sous tension depuis le lundi précédent (17
novembre), où une Marocaine de 32 ans est morte piétinée par la foule au poste-frontière de Barrio
Chino. Pour comprendre cet accident, il faut voir l’infrastructure de ce poste où on a transféré en mai
dernier tout le transport de gros ballots de marchandises de Melilla vers le Maroc (désormais interdit
à Beni Enzar), et qui atteint une fréquentation de 17.000 passeurs frontaliers par jour.
Frontières ou abattoirs ?
Tous les matins, du côté marocain, une foule de porteurs envahit une grande cour en pente. Dans un
coin au fond s’ouvre une unique petite porte qui permet d’accéder à une grande structure de métal
évoquant un abattoir avec ses tourniquets successifs – à la sortie desquels on se retrouve en
Espagne. L’ensemble forme un entonnoir extrêmement dangereux, où les blessures sont courantes.
La jeune femme, licenciée en littérature arabe, venue de la région de Fès pour travailler dans ce
commerce frontalier, a eu le malheur de tomber au sol devant la petite porte au moment où la foule
déferlait. Morte sur le coup. Ce drame a déclenché une grande émotion des deux côtés de la
frontière. Les associations de Nador se sont mobilisées pour permettre à la famille modeste de la
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victime de l’enterrer dans son village natal. Abdelhamid Aakid, de la Coordination de la Société civile
du nord du Maroc, explique : “Comme le gouverneur de Nador ne réagissait pas, nous avons décidé
de fournir une ambulance jusqu’à Fès, tandis que le président de Melilia promettait de régler les
30.000 DH de frais depuis la morgue jusqu’à Nador. Finalement, juste avant le départ prévu, le
gouverneur a dû avoir honte, et c’est Nador qui a pris en charge les frais de transport (ambulance),
environ mille dirhams”.
La Coordination a organisé une manifestation à Barrio Chino le 24 novembre, septième jour après le
décès. Sur place, un des membres de l’association, Lahcen Mejjati, nous explique que “les porteurs
ont déjà perdu plusieurs jours de travail quand le poste a été fermé après l’accident, et l’Aïd
approche. Nous ne pouvons pas nous permettre de les bloquer”. Le rassemblement se transforme
donc en “mission d’inspection” de la part des médias locaux et des acteurs associatifs, qui ne
peuvent s’empêcher de rire en découvrant, à six heures du matin, un Barrio Chino complètement
transformé à leur intention. Et pour cause.
Exceptionnellement, les photos sont autorisées, car le chaos habituel s’est transformé en deux files
très strictes (les femmes à gauche, les hommes à droite), gérées par des policiers affables.
D’ordinaire, c’est ici le territoire des Forces auxiliaires, où les agents peuvent arrondir leurs fins de
mois en demandant un droit de péage parfaitement illégal de 5 DH…
Mules humaines
Après une attente de plus d’une heure et un passage chez les grossistes installés du côté espagnol,
les “mules” reviennent, à travers des tourniquets plus larges, dans la même cour. De très vieilles
dames croulent sous un fardeau deux fois plus grand qu’elles. Des jeunes gens font rouler devant
eux d’énormes ballots d’une centaine de kilos. Ils sont numérotés, pour que leur propriétaire les
reconnaisse. Car la plupart des porteurs ne travaillent pas pour leur compte, mais pour un gros
commerçant. Gagnant 60 DH par aller-retour, ils en font le maximum dans la même journée. Si ce
travail exténuant ne les rend pas riches, il profite par contre aux gros bonnets, explique Chakib El
Khayari, président de l’Association du Rif pour les droits de l’homme - souvent des notables de la
région. “Les autorités vont même jusqu’à recruter des gens dans des régions éloignées, en leur
disant qu’à la frontière ils pourraient mieux gagner leur vie, puis leur font faire des papiers de Nador
(nécessaires aux passages)”.
C’est surtout la ville de Melilla qui profite de ce commerce : d’après le quotidien El Faro, il génère
440 millions d’euros par an. José Alonso, avocat et président de l’Association (espagnole) pour les
droits humains, dénonce “l’hypocrisie des Espagnols, qui devraient garantir aux travailleurs de ce
commerce juteux des conditions de travail dignes”. On est encore loin de la dignité, si on en juge par
la file d’entrée réservée aux piétons marocains du côté espagnol, même au poste-frontière de Beni
Enzar, observée un lundi matin. Alors que les “passeports rouges” passent sans attendre, la file des
Marocains est entassée dans une sorte de cage. A l’arrière, les policiers marocains n’hésitent pas à
calmer les inévitables remous de la foule à coups de fouet. Quant aux Espagnols, raconte Mejjati, “ils
refusent l’entrée à certaines personnes, et peuvent même apposer un tampon d’annulation ou
détruire leur passeport, en toute illégalité”. De plus, la plupart des passagers marocains sont forcés,
sans aucune justification, à descendre des voitures qui entrent en Espagne, pour rejoindre la file des
piétons. Dans l’autre sens, gare à ceux qui reviennent de Melilla avec des sacs trop gros : ils sont
soumis à la corruption et à l’arbitraire de certains douaniers.
Bref, si les deux villes, Nador et Melilia, trouvent leur compte dans cette marée humaine
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transfrontalière, aucune ne peut offrir des structures adaptées. Lequel des deux Etats est-il
responsable de la situation des travailleurs de la frontière ? Pour Abdelmonaïm Chaouki, qui dirige la
Coordination de la société civile ainsi que le mensuel l’Echo du Rif, la réponse ne fait pas de doute :
si les deux pays ont leur part de responsabilité, avant tout par leur incapacité à trouver des solutions
conjointes, “après notre blocage de la frontière en juin dernier, les autorités espagnoles ont remplacé
le chef de la police des frontières et les mauvais traitements ont diminué. Par contre, le gouverneur
de Nador n’a absolument pas réagi quand nous l’avons alerté sur le risque élevé d’accidents”.
A l’assaut de la frontière
La frontière est au cœur non seulement de la vie économique locale, mais aussi des préoccupations
de tous ceux qui rêvent d’une vie meilleure en Europe. A la population de Nador se mêlent depuis
des années des centaines de candidats à l’immigration, surtout issus du continent africain. Vivant de
la charité populaire, ils sont installés dans les forêts du mont Gourougou qui surplombe la ville. Une
excursion nocturne nous permet de croiser quelques jeunes Algériens effrayés par la lumière de nos
phares. Mais dans une clairière, nous apercevons un important campement de Forces auxiliaires,
dont tout le monde ici sait qu’il est coordonné par des officiers espagnols. “Depuis deux mois, la
répression contre les sans-papiers a augmenté, alors ils se cachent, surtout pendant la journée”,
explique Aakid. Pour savoir comment ils franchissent la frontière, on peut interroger ceux qui sont
déjà à Melilla, comme Shahbaz, venu du Cachemire pakistanais, qui raconte qu’après un
interminable voyage via Dubaï, la Mer Rouge, puis le continent africain, il est entré à Melilla il y a
trois ans grâce à de faux papiers marocains utilisés à un moment où le poste-frontière était
surchargé. C’est la méthode favorite de ceux qui peuvent se faire passer pour des Marocains. Quant
aux Subsahariens, s’ils ont de quoi payer, ils peuvent trouver un passeur qui les cachera dans un
véhicule.
Ainsi, le 14 novembre, la Guardia civil a découvert une jeune fille ougandaise de 16 ans, à moitié
asphyxiée, dans le double-fond d’un réservoir d’essence. D’autres tentent l’escalade de la triple grille
haute de huit mètres, les nuits où la pluie gêne le fonctionnement des caméras de surveillance.
“Beaucoup y laissent leur vie, y compris sous les balles des forces armées marocaines. Mais les
informations sur ces morts ne sont jamais rendues publiques”, dénonce José Alonso. José Palazón,
président de l’Association (espagnole) de protection de l’enfance, nous a confié avoir recueilli des
témoignages selon lesquels deux Subsahariens auraient trouvé la mort dans le cadre des récents
assauts groupés de clandestins subsahariens. Une information qui concorde avec d’autres obtenues
à l’hôpital de Nador. En effet, entre le 27 octobre et le 10 novembre, à la faveur de la
désorganisation provoquée par les intempéries, il y a eu pas moins de sept assauts. Ils ont
commencé par l’endroit où les crues avaient arraché les grillages. D’autres assauts se sont produits
au poste-frontière de Beni Enzar lui-même, mais ils ont été repoussés, notamment par les renforts
marocains envoyés d’Oujda. “Ce n’est pas la première tentative de passer à Beni Enzar, mais c’est
la première fois que l’assaut se fait de façon aussi violente, avec des pierres et des machettes”,
précise Saïd Chramti, d’une association de quartier à Nador. Finalement, la stratégie, qui a été
payante à deux reprises, consistait à passer par les vannes de la rivière Mezquita, ouvertes à cause
des crues ou abîmées. Alain, du Niger, qui faisait partie de la première expédition, témoigne : “Je
suis arrivé d’Oujda à Gourougou il y a trois semaines, et je me suis intégré à un groupe qui avait un
plan pour franchir la frontière. Trois jours après, à l’aube du 27 octobre (nous sommes alors en
période des grandes crues sur Nador et régions, ndlr), nous sommes entrés dans les buses de
déversement de la rivière. J’ai vu qu’il y avait des gardes mais j’ai couru sans m’arrêter. Avec
d’autres qui étaient passés, je suis allé au commissariat. Après deux jours de détention, nous
sommes entrés au CETI (Centre de séjour temporaire des immigrants)”.
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L’espoir, malgré tout
Dans ce centre construit en 1998 en périphérie de Melilla et subventionné par l’Union Européenne,
600 sans-papiers logés dans des dortoirs reçoivent une attention humanitaire. Une fois enregistrés
au CETI, les autorités tolèrent qu’ils fassent des petits travaux, essentiellement laver les voitures des
habitants de Melilla. Tous vivent dans l’espoir de recevoir des papiers pour partir sur la péninsule.
Cette vie entre parenthèses, les yeux tournés vers une Europe proche mais inaccessible, les
Meliliens l’appellent “limbo” (les limbes). “Certains vivent au CETI depuis quatre ans, toujours dans
l’angoisse d’être expulsés, ce qui peut leur arriver à tout moment, si on parvient à prouver leur
identité, avec l’aide de consuls qui, de temps en temps, se déplacent pour identifier leurs
compatriotes”, nous explique José Alonso. Avec beaucoup de ténacité et de chance, en l’absence de
convention passée avec le pays d’origine, certains finissent par être autorisés à s’installer sur le
continent de leurs rêves…
Témoignage : De l’autre côté, la misère…
Parmi les exclus de Melilla, certains sont encore plus exclus que d’autres. A seulement quelques
centaines de mètres du Centre des immigrants (CETI), un petit campement de fortune est caché
dans les buissons, avec des “maisons” en carton recouvert de plastique. Quelques Algériens
dorment là, certains depuis des mois. Ils disent être plusieurs dizaines en tout à vivre dans la nature.
Parmi eux, Jalal, de Mascara, est entré il y a six mois, grâce à de faux papiers marocains, comme
ses compagnons. Pour lui, il ne fait pas de doute que cette mise à l’écart est réservée aux Algériens
: “Au commissariat, on a reçu un papier, mais sans le numéro d’enregistrement qui est demandé
pour entrer au CETI. Pourtant, on voit des Africains qui y entrent sans problème. Nous, on dort
dehors, et on est obligé de fouiller les poubelles pour trouver de quoi manger”…
Source : TelQuel - Zoé Deback
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