Carnets de leadership

Transcription

Carnets de leadership
Carnets
de leadership
C D GA
Conseil des directrices et directeurs généraux
de l'administration du gouvernement du Québec
(Volume 1, numéro 9)
KETS DE VRIES, Manfred.
Les mystères du leadership.
Diriger, c’est vendre de l’espoir.
Paris, Éditions Village Mondial,
2002, 380 p.
1
Les mystères du leadership, p. 360
L’édition originale de cet ouvrage a été publiée en
anglais en 2001 sous le titre The Leadership Mystique.
Avant d’en amorcer le compte rendu, je me permets de
reprendre textuellement le résumé que l’auteur fait lui-même
de son volume à la fin : « Dans cet ouvrage, j’ai traité
de l’importance du paradigme clinique pour comprendre
les organisations. J’ai insisté sur la valeur de l’intelligence
émotionnelle. J’ai décrit la face obscure du leadership –
les différents pièges qui guettent les leaders. J’ai mis en
lumière les traits de caractère des dirigeants efficaces, les rôles
qu’ils doivent jouer et les pratiques qu’il leur faut adopter.
J’ai également souligné les qualités des organisations
"authentizotiques" 1. »
L’auteur
L’intérêt du livre vient beaucoup du fait que KETS DE
VRIES y met largement à contribution sa formation de
psychanalyste, par exemple quand il réfère à quelques
reprises à l’enfance des dirigeants pour mieux comprendre
le présent, mais, également, sa large expérience
d’universitaire, de conférencier et de consultant auprès
de nombreuses et souvent importantes entreprises dans
le monde entier.
Comme il s’agit d’un ouvrage très dense où s’entremêlent la théorie, des cas, des exercices et de nombreux
questionnaires, je me permettrai de mettre l’accent sur
les éléments qui m’ont semblé plus pertinents dans le
cadre de ces Carnets.
Carnets de leadership
1
Les aspects négatifs de l’autorité
La première moitié du livre, sur laquelle je ne m’attarderai
pas, porte principalement sur les dissonances des
dirigeants, les forces rationnelles et irrationnelles qui
dictent leur comportement, les facteurs d’échec; en bref,
les premiers chapitres se penchent surtout sur les aspects
négatifs de l’autorité. Le deuxième chapitre fait exception
puisqu’il porte sur l’intelligence émotionnelle et
« analyse comment celle-ci peut aider les dirigeants à se
comprendre eux-mêmes et à comprendre, à motiver et à
soutenir leurs subordonnés» 2. Je vais plutôt insister sur
les chapitres subséquents qui développent les qualités
indispensables pour devenir un leader.
Le processus du changement
Dans le chapitre 8, intitulé Réussir son évolution personnelle et
celle de l’entreprise, l’auteur émet des commentaires très
intéressants sur le processus du changement. KETS DE
VRIES présente d’abord les cinq C du changement : la
Crainte, émotion négative; la Confrontation, événement
focal (la goutte qui fait déborder le vase); la Clarification,
déclaration d’intention publique (s’engager publiquement
à changer); la Cristallisation, voyage intérieur (qui mène
à une meilleure connaissance de soi-même); et le
Changement, intériorisation d’un nouvel état d’esprit
(seul signe fiable que le changement s’est accompli).
L’auteur aborde ensuite les dynamiques du changement
dans l’entreprise. Il évoque en premier lieu le fait que
celle-ci ne se transformera pas si elle n’éprouve pas d’urgence
à le faire; conséquemment, il incite les dirigeants à
exposer clairement au personnel les difficultés auxquelles
l’entreprise est confrontée. Il faut également laisser le
temps aux employés de faire le deuil des anciennes
façons de faire. Afin d’aider le processus de changement
à démarrer, « les dirigeants doivent présenter une
alternative viable à la situation existante (…), une
2
Ibid., p. 17
3
Ibid., p. 229
ambition collective (…) capable de rassembler tout le
monde» 3. KETS DE VRIES suggère de jumeler la nouvelle
façon de voir et de faire à des références bien senties aux
bonnes performances du passé. Il préconise enfin de
L’auteur présente à la p. 253 une figure
décrivant l’équation du leadership qui
démontre que c’est l’« interface entre le
leader, le subordonné et la situation qui
rend le leadership si complexe ».
remodeler rapidement l’architecture de l’organisation
afin que celle-ci soit cohérente avec les objectifs de la
transformation souhaitée. L’auteur termine ce chapitre
par un tableau présentant les principales valeurs que l’on
retrouve dans les entreprises les plus performantes.
Les compétences du leader efficace
Voyons maintenant le chapitre suivant (9) qui présente
un Portrait du dirigeant efficace. Au début, KETS DE
VRIES s’amuse un peu en se référant à la volumineuse
bibliographie portant sur le leadership; il cite quelques
ouvrages sur les leaders du passé, tels Jésus et Attila, et
mentionne des titres comme If Aristotle Ran General
Motors et Confucius in the Boardroom.
Plus sérieusement, il affirme que les meilleurs dirigeants
doivent posséder des compétences dans trois domaines :
les compétences personnelles (telles la confiance en soi,
l’énergie); les compétences sociales (telles l’influence,
l’empathie); les compétences cognitives (entre autres,
une vision synthétique des choses). KETS DE VRIES
termine ce chapitre en énumérant plus précisément
quelques compétences indispensables comme la « surgence »
(qui s’applique aux personnes ayant un caractère affirmé
et qui savent ce qu’elles veulent), la sociabilité, la
réceptivité (aux idées nouvelles, incontournable avec
la mondialisation), la fiabilité (les bons leaders sont
Carnets de leadership
2
consciencieux), l’intelligence analytique et l’intelligence
émotionnelle.
à la page 4, on retrouve cet énoncé sous forme de
tableau.
Diriger dans une économie mondialisée
« Avec l’internationalisation croissante de l’économie, il
ne nous est plus possible d’ignorer l’importance de la
dimension culturelle du leadership – c’est-à-dire le fait
qu’il existe des variations concernant le style de leadership
en fonction de la culture nationale 4. » Après avoir
proposé une définition du leadership interculturel,
l’auteur s’engage dans la tâche complexe de dégager les
compétences nécessaires aux dirigeants qui aspirent à
œuvrer sur le plan international. Au-delà d’évidences
comme la capacité de s’adapter à de nouvelles situations
et l’amour des langues étrangères, KETS DE VRIES
mentionne un ensemble de caractéristiques plus
particulières tournant autour de l’ouverture aux autres
cultures, comme le désir de comprendre l’impact des
différences culturelles sur le comportement des gens, la
capacité à travailler au sein d’équipes pluriculturelles, la
faculté de se sentir à l’aise dans des situations culturellement
équivoques et un degré élevé de résistance aux frustrations
et à l’incertitude.
Par contre, l’auteur fait davantage preuve d’originalité
quand il affirme : « Les véritables leaders inspirent
parfois une crainte mêlée de fascination et de dévouement,
mais ils font avancer les choses; ils créent la différence
dans l’entreprise (voire dans le monde). Les managers,
eux, se contentent de mettre en application la vision du
Plus loin, l’auteur énumère quelques éléments propres
aux organisations qui obtiennent du succès sur le plan
international en insistant sur le partage réel du pouvoir
avec les filiales, sur la préparation et le soutien au personnel
qui accepte de s’expatrier, y compris lors du retour, et
sur le traitement égal des employés « nationaux » et
étrangers.
Les différents rôles des leaders
Le chapitre 11 permet à KETS DE VRIES d’aborder
ce thème en faisant, en premier lieu, la distinction
entre leaders et managers. Comme l’auteur s’inspire
largement de l’énoncé de caractéristiques propres à ces
deux groupes de personnes que fait Warren Bennis, je
vous renvoie au numéro 6 des Carnets de leadership où,
« (…) le leadership "transformatif"
cherche à satisfaire les attentes supérieures
des subordonnés aspirant à s’engager dans
un processus de stimulation et de
développement mutuels dans lequel les
intérêts égoïstes sont transcendés au
bénéfice du bien commun. » (p. 294)
leader 5. » KETS DE VRIES s’éloigne ainsi de la tendance
au leadership participatif, préférant plutôt un leadership
« transformatif ».
L’auteur aborde ensuite le thème du charisme. Après
avoir évoqué le « paysage intérieur » de leaders comme
Henry Ford, Walt Disney et Richard Branson, il tente
de définir le charisme en énonçant certaines de ses
composantes : volonté de défier le statu quo; présentation
d’alternatives viables; utilisation d’images fortes qui
entraînent l’adhésion. En outre, les leaders charismatiques
« réussissent également à conclure des alliances
fructueuses (…), savent valoriser les gens (…), donnent
aussi le bon exemple, accordant leurs gestes avec leurs
paroles (…), bénéficient de ce que j’appelle "le facteur
de l’ours en peluche", en ce sens qu’ils mettent les gens
4
5
Ibid., p. 264
Ibid., p. 294
Carnets de leadership
3
en confiance (en étant) un extraordinaire "réceptacle"
des émotions des autres » 6. Et il ajoute plus loin : « Tout
leader qui se respecte est en fait un travailleur social
doublé d’un psychiatre 7. »
« Supposons que vous deviez élire la
personnalité qui doit gouverner le monde.
Voici un portrait rapide des trois candidats.
Le candidat A s’associe avec des politiciens
Comment identifier les futurs dirigeants
Cette interrogation fait l’objet du chapitre 12. KETS
DE VRIES mentionne d’abord que tout processus de
sélection doit être précédé de la définition de la vision et
de la détermination des compétences permettant de la
réaliser afin d’analyser les CV des candidats à la lumière
de ces compétences. Il énumère ensuite les aspects qui
vont favoriser, à travers un cheminement dans l’entreprise,
le développement des compétences des futurs dirigeants.
Enfin, il s’attarde à décrire plus particulièrement ce que
signifie diriger à l’ère du numérique; il insiste, entre
autres, sur la « générativité », c’est-à-dire « la capacité à
tisser des liens avec les générations qui nous suivent,
du plaisir à leur transmettre notre expertise et
notre expérience pour les guider efficacement » 8. Et,
j’ajouterais, d`être attentif à ce que peuvent nous
apprendre ces enfants du cyber âge.
véreux et consulte des astrologues. Il a eu
deux maîtresses, il fume comme un pompier
et boit de 8 à 10 martinis par jour.
Le candidat B s’est fait renvoyer deux fois de
l’école, fumait de l’opium lorsqu’il était
lycéen, dort jusqu’à midi et boit un quart de
bouteille de whisky tous les soirs.
Le candidat C a été décoré pour faits de
guerre héroïques. Il est végétarien, ne fume
pas, boit seulement de la bière de temps en
temps. On ne lui connaît pas de liaison extra
conjugale.
Qui avez-vous choisi? Si vous avez opté pour
le candidat C, attendez-vous à quelques
surprises!
Les organisations « authentizotiques »
Dans l’avant-dernier chapitre, KETS DE VRIES revient
sur cette notion qu’on a vu apparaître au début dans son
résumé. L’adjectif « authentizotique », un néologisme
imaginé par l’auteur, vient de deux mots grecs signifiant
grosso modo « authentique » et « essentiel à la vie ». Ces
organisations sont créatrices de sens et savent susciter chez
leurs employés le sens de la mission, de l’autodétermination,
de l’impact, de leur compétence et celui des valeurs
partagées.
Le dernier chapitre comporte quelques remarques en guise
de conclusion. Laissons parler l’auteur : « Permettez-moi
de simplifier (ou de sur-simplifier!) mon message.
L’efficacité d’un dirigeant tient en ces quatre mots clés :
l'espoir, l'humanité, l'humilité et l'humour 9. »
Le candidat A est Franklin D. Roosevelt.
Le candidat B est Winston Churchill.
Le candidat C est Adolf Hitler. »
(p. 324)
Jocelyne Grou,
Le 25 novembre 2004
6
Ibid., p. 305
Ibid., p. 319
8 Ibid., p. 335
9 Ibid., p. 362
7
Carnets de leadership
4