109 c`est comme ca et me faites pas chier
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109 c`est comme ca et me faites pas chier
CHÂTEAUVALLON THEÂTRE C’EST COMME ÇA ET ME FAITES PAS CHIER RODRIGO GARCÍA Texte et mise en scène : Rodrigo Garcia Traduction : Christilla Vasserot Musiques : Daniel Romero Création lumières : Carlos Marquerie Création vidéos : Ramón Diago Direction technique : Ferdy Esparza Assistant à la mise en scène : John romão Technique : Jean-Yves Papalia, Joel Silvestre Avec : Melchior Derouet, Núria Lloansi, Daniel Romero Vendredi 23 et samedi 24 mars à 20h30 Théâtre couvert Durée : 1h15 Compagnie Rodrigo Garcia Production Bonlieu Scène nationale Annecy Coproduction Théâtre de Gennevilliers, centre dramatique national de création contemporaine www.rodrigogarcia.es www.chateauvallon.com C’EST COMME ÇA ET ME FAITES PAS CHIER Toute parole brute ne peut qu’être violente d’avoir à crever le voile des conventions polies et politiquement correctes. Rodrigo García, d’origine argentine et madrilène depuis 86, aime faire ces constats brutaux comme des flashes sur l’horreur de la société de consommation et de notre inertie. Dans cette nouvelle création, il fait résonner sa stupeur de sorte que, malgré nos yeux grands ouverts et un éclairage électrique permanent, nous n’y voyons plus rien! Comment, se demande-t-il au départ, les peintres renaissants firent-ils pour voir ce qu’ils ont peint, ces fresques qui parlent à l’âme, qui parlent de lumières, de mouvements et de jeux de regards ? Ils n’avaient ni ampoule, ni néon, ni led ! Sans ombre, sans intériorité, sans silence, nos yeux s’éteindraient ils ? La parole chez Rodrigo García, turbulente et explosive, cherche d’abord à faire taire les commentateurs pour nous restituer à cette solitude, vitale à l’ouverture du regard. La parole poétique, chez Rodrigo García, n’est pas dans l’écrit, mais glissée comme une lettre secrète, dans la représentation. Une représentation qui n’en est même pas une au sens classique, puisque les interprètes travaillent à une présence brutale, absorbés à différentes tâches, à faire apparaître des scènes improbables, comme à la lueur de fusées éclairantes. Rodrigo García cherche nos regards intérieurs. RODRIGO GARCÍA Rodrigo García est né en 1964 à Buenos Aires. Depuis 1986, il vit et travaille à Madrid. II est auteur, scénographe et metteur en scène ; en 1989, il crée la compagnie La Carnicería teatro qui a réalisé de nombreuses mises en scène expérimentales, en recherchant un langage personnel, éloigné du théâtre traditionnel. Ses références sont inclassables, elles traversent les siècles sans se soucier de la chronologie : on pense pêlemêle à Quevedo poète du Siècle d’or espagnol, à Beckett, Céline, Thomas Bernhard mais aussi à Buñuel ou encore à Goya de la période noire. D’ailleurs, il refuse de s’enfermer dans un Théâtre « écrit uniquement pour des spécialistes, et qui fonctionne par codes et par dogmes ». Son écriture s’inspire du quotidien, de la rue où il a grandi, « dans cette banlieue populaire de Buenos Aires au milieu de copains destinés à devenir ouvriers ou maçons ». Il rêve d’un théâtre où « n’importe qui puisse pousser la porte » sans hésiter sur le seuil. Son écriture est un prolongement du réel dont il s’inspire fortement ; sa force réside dans la dimension poétique qu’il lui confère. Ses personnages peuvent débiter des horreurs, parler en argot. La langue de Cervantès est en ce sens peut-être plus inventive et plus crue que le français. García évite la caricature facile et se garde de tout naturalisme. Ses personnages se complaisent dans une déliquescence de la pensée, s’arrangent comme ils le peuvent pour exister et font semblant de croire que leur banale existence est des plus originales. Rodrigo García est l’auteur de nombreuses pièces dont il assure le plus souvent la mise en scène : Acera Derecha en 1989, repris en 1996 par Javier Yaguë ; Prometeo en 1992, dirigé en 2002 par François Berreur ; Carnicero espanol en 1995 ; Rey Lear en 1998 (dirigé par Emilio Del Valle en 1997, Oscar Gomez en 1998 et Isabelle Germa Berman en 2001 et repris par rodrigo García à la Comédie de Valence en mai 2003), Ignorante et After Sun en 2000 (présenté au théâtre de la Cité Internationale dans le cadre du Festival d’Automne à Paris en 2002) ; Tu es un fils de pute en 2001 ; Fallait rester chez vous, têtes de noeud ; J’ai acheté une pelle chez Ikea pour creuser ma tombe. Au Festival d’Avignon 2007, il présente Cruda. Vuelta. Al punto. Chamuscada. (Bleue. Saignante. A point. Carbonisée.) et Approche de l’idée de méfiance. Au théâtre du rond-Point il présente en novembre 2007 Arrojad mis cenizas sobre Mickey (et balancez mes cendres sur Mickey). Il crée Versus en 2008 et Mort et réincarnation en un cowboy en 2009. Golgota Picnic, sa dernière mise en scène, créée à Madrid en février 2011, est une réflexion d’ores et déjà très controversée sur l’iconographie chrétienne … EXTRAITS DE PRESSE Une soirée mise en scène par Rodrigo García, ça ne se refuse pas : c'est comme une fiesta poétique avec musique en direct. On y croise des crabes géants, des hommes-pelouses en feu, des mers de Javel, des duvets à grelots. Les images se gravent en nous, la musique s'invite dans nos mémoires. On ne sait plus trop quel est le sujet de C'est comme ça et me faites pas chier, mais peu importe finalement puisqu'on ressort avec la certitude d'être bien vivant. « Voilà ce que j'ai appris. À faire confiance à l'alphabet. J'ai appris qu'il faut faire confiance seulement aux mots et jamais à ce qui s'agite autour. » La diction est impeccable, la voix est douce et sage, le rythme est étonnamment posé. Allongé sur une longue chaise en cuir, Melchior Derouet, nous dit sa relation au monde, aux mots, aux autres. Ce monologue triste et poli dénote avec le langage cru auquel nous avait habitués Rodrigo García par le passé. Mais autour de lui tout s'anime, un désordre sans prise direct avec le texte, une agitation visuelle et performative sans lien évident avec les souvenirs évoqués. Ces effets scéniques prennent le relais sur un tissu de mots qu'on ne parvient plus à entendre. Le texte est pris à contre-pied et le sensoriel s'impose là où la logorrhée indispose. Ingrid Gasparini – LES TROIS COUPS – novembre 2010 (Le) regard est au cœur de C’est comme ça et me faites pas chier. Melchior Derouet ne voit pas le public, qui n’y voit pas toujours clair dans un spectacle énigmatique de douceur. L’espace lui-même est trouble, rempli d’obstacles - les pupitres de partitions d’un orchestre invisible - qui laissent très peu de place au jeu. On s’en rend compte tout particulièrement au salut, où les trois comédiens (outre Derouet, Núria Lloansi Rotllan et le musicien Daniel Romero Calderón) ne savent littéralement pas où se mettre (…) On peut aussi songer à Œdipe - celui qui a vu ce qu’il ne voulait pas voir et s’est crevé les yeux. Mais la référence la plus explicite est celle à Adam et Eve, tels que représentés par le peintre Masaccio sur la fresque de la chapelle Brancacci à Florence, au moment où ils sont chassés du paradis, lui se cachant les yeux, elle paupières fermées. Le paradis perdu, l’auteur n’y croit pas : «J’ai pris le parti de transformer le paradis en un désert insubstantiel, et j’ai interprété les expressions déchirantes de cet homme et de cette femme nus comme une comédie, comme une ruse pour s’enfuir.» En trois parties, (Melchior) soliloque, d’abord sur une chaise longue en équilibre sur une pile de livres, puis sur la même chaise tombée du piédestal effondré. L’actrice et le musicien veillent, et la caméra permet de distinguer des détails qui resteraient flous ; ainsi un curieux ballet érotique qu’interprète Núria Lloansi avec ses doigts. Ou un bal de figurines miniatures qu’on remonte avec une clé. Comme à son habitude, Rodrigo García s’intéresse aussi à la vie des bêtes. Cette fois, pas de lapins, grenouilles, tortues ou poussins martyrisés pour de faux, mais des crabes filmés comme des figures abstraites en noir et blanc. Il y a aussi ce tableau saisissant de beauté de Núria étendue nue sur la plage, cadrée par la caméra tel un personnage de Masaccio. Rien à comprendre, juste écouter, sur le fil de l’humour, du paradoxe et de la rage sourde. Pas de réponses, seulement des questions : qu’est-ce qui nous aveugle, qu’est-ce qu’on a perdu, pourquoi ? RENÉ SOLIS – LIBERATION – novembre 2011