Le rêve dans la Le rêve dans la littérature littérature

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Le rêve dans la Le rêve dans la littérature littérature
Le rêve dans la littérature grecque antique.
Homère : Pénélope et son interprétation des songes
ξεῖν᾽, ἦ τοι µὲν ὄνειροι ἀµήχανοι ἀκριτόµυθοι
γίγνοντ᾽, οὐδέ τι πάντα τελείεται ἀνθρώποισι.
δοιαὶ γάρ τε πύλαι ἀµενηνῶν εἰσὶν ὀνείρων·
αἱ µὲν γὰρ κεράεσσι τετεύχαται, αἱ δ᾽ ἐλέφαντι·
τῶν οἳ µέν κ᾽ ἔλθωσι διὰ πριστοῦ ἐλέφαντος,
οἵ ῥ᾽ ἐλεφαίρονται, ἔπε᾽ ἀκράαντα φέροντες·
οἱ δὲ διὰ ξεστῶν κεράων ἔλθωσι θύραζε,
οἵ ῥ᾽ ἔτυµα κραίνουσι, βροτῶν ὅτε κέν τις ἴδηται.
ἀλλ᾽ ἐµοὶ οὐκ ἐντεῦθεν ὀΐοµαι αἰνὸν ὄνειρον
ἐλθέµεν· ἦ κ᾽ ἀσπαστὸν ἐµοὶ καὶ παιδὶ γένοιτο.
Homère, Odyssée, Chant XIX, vers 560-569.
Étranger, les songes sont impénétrables, difficiles à expliquer, et ils n’accordent pas aux humains tout
ce qu’ils leur promettent. Deux portes s’ouvrent aux songes légers : l’une est de corne, l’autre
d’ivoire ; ceux qui traversent la porte d’ivoire sont des songes trompeurs apportant aux mortels des
paroles qui ne s’accompliront jamais ; ceux, au contraire, qui annoncent la vérité, viennent par la
porte de corne. Hélas ! je ne pense pas que le songe qui m’est apparu soit venu par cette porte : ce
serait trop de bonheur pour mon fils et pour moi !
Traduction par Eugène Bareste, 1842.
O mon hôte, je sais la vanité des songes et leur obscur langage !... je sais, pour les humains, combien
peu s’accomplissent ! Les songes vacillants nous viennent de deux portes ; l’une est fermée de corne ;
l’autre est fermée d’ivoire ; quand un songe nous vient par l’ivoire scié, ce n’est que tromperies,
simple ivraie de paroles ; ceux que laisse passer la corne bien polie nous cornent le succès du mortel
qui les voit. Mais ce n’est pas de là que m’est venu, je crois, ce songe redoutable ! nous en aurions,
mon fils et moi, trop de bonheur !
Traduction de Victor Bérard, 1924.
Les songes sont impénétrables, reprit Pénélope ; leur langage est vague et obscur, ils ne sont pas
toujours vérifiés par l’événement. Deux portes s’ouvrent à ces légers fantômes : l’une est d’ivoire et
n’envoie aux mortels que des songes trompeurs ; à travers l’autre, qui est de corne polie et
transparente, arrivent ( s’il est quelque mortel aux yeux duquel elles se soient offertes ) des images
certaines. Je ne puis croire que mon songe soit venu de ce lieu. Ah ! que cette apparition serait
fortunée pour moi et pour mon fils !
Traduction de P.J. Bitaubé, 1810.
Mais, mon hôte, dit la sage Pénélope, J’ai toujours ouï dire que les songes sont difficiles à entendre,
qu’on a de la peine à percer leur obscurité, et que l’événement ne répond pas toujours ce qu’ils
semblaient promettre. Car on dît qu’il y a deux portes des songes ; l’une est de corne et l’autre
d’ivoire. Ceux qui viennent par la porte d’ivoire, ce sont les songes trompeurs, qui font attendre des
choses qui n’arrivent jamais ; et ceux qui ne trompent point, et qui sont véritables, sont les songes
qui viennent par la porte de corne. Hélas ! je n’ose me flatter que le mien, qui paraît si grave, soit
venu par cette dernière porte. Qu’il serait agréable pour moi et pour mon fils !
Traduction de Madame Dacier (1716) revue et corrigée par M. Crouslé, 1872
D’un si doux avenir je ne me flatte pas,
Étranger, dit la Reine ; & ces divers fantômes
Que la nuit sait sortir des ténébreux royaumes,
Obscurs, embarrassés, & toujours incertains,
Trompent souvent l’espoir & les vœux des humains.
Il est, vous le savez, deux portes pour les songes ;
L’une, faite d’ivoire est ouverte aux Mensonges ;
Par-là sortent toujours ces fantômes trompeurs,
Qui des mortels séduits enfantent les erreurs ;
L’autre, où l’on voit briller la corne transparente,
Est de la Vérité la porte consolante ;
Et les songes sacrés qu’elle envoie aux humains,
Leur sont de l’avenir des messages certains.
Mais celui dont l’aspect, cette nuit m’a déçue,
Hélas ! n’est point sorti par cette heureuse issue ;
Traduction de M de Rochefort, M DCC LXXXI
Étranger, les songes assurément ne sont pas faciles à saisir et leur sens ne se discerne pas d’abord ;
tout ce qu’ils annoncent est loin de se réaliser pour les hommes. Car il est deux portes l’a pour les
songes inconsistants ; l’une est faite de corne, l’autre est en ivoire ; quand les songes viennent par
l’ivoire scié, on ne peut rien y voir de vrai ; ce sont des mots qui ne créent point le réel sous nos
yeux ; mais quand les songes nous arrivent par la corne propre, ils créent, ceux-là, une certitude
pour quiconque les voit. Eh bien, moi, je ne crois pas que mon songe étrange soit arrivé par là : ce
serait certes une grande joie pour moi et pour mon fils.
Traduction de Méderic Dufour et Jeanne Raison, 1935.
Étranger, les songes sont vains, et leurs paroles incertaines ; ils n’accordent pas aux hommes tout ce
qu’ils promettent. Il existe deux portes pour les songes légers ; l’une est de corne, et l’autre est
d’ivoire ; ceux qui traversent la porte d’ivoire sont trompeurs, et n’apportent que des paroles qui ne
s’accomplissent pas ; ceux, au contraire, qui traversent la porte de corne prédisent la vérité, quand
ils nous apparaissent. Mais je ne crois pas que le songe qui m’a frappée m’arrive de là ; ce serait un
grand bonheur pour mon fils et pour moi.
Traduction de Jean Batiste Dugas Montbel, 1830.
Les songes, étranger, ont un sens qu’on n’explique,
Dont tout ne se fait pas ; deux portes, en effet,
Sont aux songes légers : Les vrais, dont tout se fait,
Ont une porte en corne ; une porte d’ivoire
Est aux songes trompeurs et d’espèce illusoire ;
Il ne me vint, ce songe étrange, ténébreux,
De la porte de corne, il serait trop heureux
Pour mon fils et pour moi !
Traduction de J.B.F. Froment, 1884.
Étranger, certes, les songes sont difficiles à expliquer et tous ne s’accomplissent point pour les
hommes. Les songes sortent par deux portes, l’une de corne et l’autre d’ivoire. Ceux qui sortent de
l’ivoire bien travaillé trompent par de vaines paroles qui ne s’accomplissent pas; mais ceux qui
sortent par la porte de corne polie disent la vérité aux hommes qui les voient. Je ne pense pas que
celui-ci sorte de là et soit heureux pour moi et pour mon fils,
Traduction de Leconte de Lisle, 1867
Bon vieillard, dit Pénélope, des songes sont équivoques, inexplicables. Deux portes reçoivent ces
fantômes légers ; l’une de corne, l’autre d’ivoire. Ceux que transmet la porte d’ivoire sont de vaines
chimères que jamais l’événement, ne justifie ; ceux qui passent par la porte de corne ne trompent
jamais les mortels auxquels ils apparaissent.... Mais ce n’est pas de là que me viendra un songe qui
feroit le bonheur de mon fils et le mien.
Traduction de Leprince Lebrun,1819.
Étranger, les songes sont confus et difficiles, et tout ce qu’ils annoncent ne vient pas pour les
hommes à son achèvement. Les songes inconsistants nous viennent par deux portes ; l’une est faite de
corne, l’autre est formée d’ivoire. Les songes qui viennent par l’ivoire découpé sont de vains
découpages et ne nous apportent que mots inefficaces. Mais ceux qui sortent par la corne polie,
cornent des certitudes au mortel qui les voit. Pour moi, je ne crois pas que ce terrible songe me soit
venu par là, car ce serait pour mon fils et pour moi une trop grande joie.
Traduction de Mario Meunier, 1943
« Les songes, cher forain, ont un sens nébuleux ;
Leur accomplissement est chose aléatoire.
Deux portes vont s’ouvrant à ces spectres légers ;
L’une est faite de corne, et l’autre est en ivoire.
Ceux que l’ivoire opaque envoie en messagers
Sont trompeurs, et jamais ils ne se réalisent.
Mais ceux qu’a dépêchés le portail transparent,
Au mortel qui les voit la vérité prédisent.
De ce côté ne sort mon rêve incohérent ;
Pour mon fils et pour moi, sinon, quel vif délice !
Traduction de Ulysse de Séguier, 1896