università ca` foscari di venezia université de paris viii

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università ca` foscari di venezia université de paris viii
UNIVERSITÀ
UNIVERSITÉ DE PARIS VIII
CA’ FOSCARI DI VENEZIA
VINCENNES-SAINT-DENIS
Dottorato di ricerca in
École Doctorale Cognition, Langage,
Linguistica e Filologia Moderna, 20°ciclo.
Interaction.
(A.A. 2004/2005 – A.A. 2006/2007)
matricola : 955053
U.F.R. Sciences du Langage
Settore scientifico-disciplinare di afferenza :
DOCTORAT EN SCIENCES DU LANGAGE
L-FIL-LET/09
Discipline : Linguistique
MARA MANENTE
L’ASPECT, LES AUXILIAIRES
‘ÊTRE’ ET ‘AVOIR’ ET L’HYPOTHÈSE INACCUSATIVE DANS UNE
PERSPECTIVE COMPARATIVE FRANÇAIS/ITALIEN
Thèse en cotutelle dirigée par M. Guglielmo CINQUE / Mme Anne ZRIBI-HERTZ
Soutenue le 30/05/2008
JURY
M. Guglielmo CINQUE
Mme Anne ZRIBI-HERTZ
Université Ca’ Foscari de Venise (directeur de thèse)
Université de Paris VIII (directrice de thèse)
Mme Brenda LACA
Mme Marie-France MERGER
Université de Paris VIII
Université de Pise
M. Christopher LAENZLINGER
M. Ruggero DRUETTA
Université de Genève (pré-rapporteur)
Université de Turin (pré-rapporteur)
Coordinatore del dottorato :
Prof. Guglielmo Cinque
Directeur de l’École Doctorale :
M. Alain Blanchet
REMERCIEMENTS
Nombreuses sont les personnes qui m’ont guidée, aidée et soutenue
pendant la rédaction de cette thèse.
Mes remerciements vont en premier lieu à mes directeurs de
recherche, les professeurs Guglielmo Cinque et Anne Zribi-Hertz qui m’ont
toujours soutenue dans mon effort et avec lesquels j’ai eu des discussions
très stimulantes.
Merci aussi à tous ceux qui ont participé, d’une manière ou d’une
autre, à l’aboutissement de cette étude, soit Laura Brugè, Carmel Mary
Coonan, Alessandra Giorgi et Giuliana Giusti du Département des Sciences
du Langage de l’Université de Venise et, en particulier, Maria Teresa Biason
et Anna Cardinaletti pour leur soutien ininterrompu.
Un remerciement particulier à Antonietta Bisetto, Pierre Cadiot,
Denis Creissels, Brenda Laca, Béatrice Lamiroy, Lidia Lonzi, Cecilia
Poletto, Jean-Yves Pollock, Dominique Sportiche, Sara Vecchiato et Maria
Luisa Zubizarreta pour leur disponibilité. Je désire manifester aussi ma
gratitude envers Marie-Thérèse Vinet de l’université de Sherbrooke, Luc
Baronian de l’université du Québec à Chicoutimi et Ruth King de
l’université de York pour leur générosité à m’aider avec les données
concernant les variétés de français parlé au Canada.
Je voudrais exprimer aussi ma gratitude aux étudiants, aux
doctorants et aux « post-doc » du Département des Sciences du Langage de
l’Université de Venise et de Paris VIII pour leur soutien, leurs conseils et
leurs encouragements : Muhsina Alleesaib, Michele Brunelli, Stéphanie
Chèvre, Marco Coniglio, Francesco Costantini, Steffen Heidinger, Veselina
Laskova, María Martinez-Atienza, Benjamin Massot, Megan Rae, Jasper
Roodenburg, Gerhard Schaden, Francesca Volpato et, tout spécialement, à
Cristina Real-Puigdollers de l’université autonome de Barcelone avec
laquelle j’ai partagé beaucoup d’idées et dont l’aide m’a beaucoup inspirée.
Je n’oublie pas Marie-Christine Jamet toujours présente pour un conseil ou
une suggestion.
Je dois beaucoup, cela va sans dire, à mes parents, à mes amis et
principalement à Ezio pour sa présence, sa patience, son amour….
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Résumé court/Abstract
Titre : L’aspect, les auxiliaires ‘être’ et ‘avoir’ et l’Hypothèse Inaccusative dans une
perspective comparative français/italien.
Résumé court : Cette thèse décrit la distribution des auxiliaires ‘être’ et ‘avoir’ dans leur
rapport avec certains verbes intransitifs dans une perspective comparative français/italien.
Nous avons focalisé notre attention principalement sur deux sujets : la valeur aspectuelle du
passé composé avec les auxiliaires ‘être’ et ‘avoir’ et le rôle joué par ces auxiliaires dans
l’Hypothèse Inaccusative. En ce qui concerne la valeur aspectuelle du passé composé, nous
nous sommes penchés sur les interprétations résultative et d’état résultant associées à la
sélection de l’auxiliaire ‘être’ et, en particulier, sur les implications aspectuelles et
syntaxiques de ces interprétations. Dans notre étude, nous avons analysé aussi les paramètres
de la télicité, atélicité et de la direction. En particulier, nous avons vu que ces paramètres sont
compatibles aussi bien avec la sélection de l’auxiliaire ‘être’ qu’avec la sélection de
l’auxiliaire ‘avoir’. Ces considérations nous ont aidés aussi à fournir des preuves empiriques
concernant l’Hypothèse Inaccusative.
Mots-clés : télicité, atélicité, aspect, inaccusativité, auxiliaires, direction, résultativité, état
résultant.
Title: The aspect, the auxiliaries ‘être’ and ‘avoir’ and the Unaccusative Hypothesis in a
comparative analysis French/Italian.
Abstract: This dissertation is, essentially, an attempt to study the distribution of the
auxiliaries ‘être’ and ‘avoir’ with some intransitive verbs in a comparative analysis
French/Italian. Basically, two topics are at the centre of our attention – the aspectual value of
the present perfect with the auxiliaries ‘être’ and ‘avoir’, and the role played by these
auxiliaries in the Unaccusative Hypothesis. As for the aspectual value of the present perfect,
we have focused on the resultative and resultant state interpretations of the auxiliary ‘être’ and
on some of their aspectual and syntactic implications. The parameters telicity, atelicity and
directionality are also involved in our analysis. In particular, we have shown that these
parameters are compatible both with the selection of the auxiliary ‘être’ and with the selection
of the auxiliary ‘avoir’. These considerations have also helped us to provide more empirical
evidence concerning the Unaccusative Hypothesis.
Key words: telicity, atelicity, aspect, unaccusativity, auxiliaries, directionality, resultativity,
resultant state.
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Résumé
Cette thèse est organisée en quatre chapitres consacrés à l’analyse de la distribution des
auxiliaires ‘être’ et ‘avoir’ avec certains verbes intransitifs dans une perspective comparative
français/italien. En particulier, nous avons focalisé notre attention sur deux sujets : la valeur
aspectuelle du passé composé avec les auxiliaires ‘être’ et ‘avoir’ et le rôle joué par les
auxiliaires dans l’Hypothèse Inaccusative.
En ce qui concerne la valeur aspectuelle du passé composé, nous nous sommes penchée
sur les interprétations résultative et d’état résultant et, en particulier, sur les implications
aspectuelles et syntaxiques de ces interprétations. Nous avons soutenu que l’état résultant est
la condition nécessaire pour déclencher l’interprétation résultative mais que ces deux
interprétations diffèrent au niveau aspectuel. Plus précisément, sur la base de l’analyse
formelle des événements élaborée par Pustejovsky (1991), nous avons soutenu que l’état
résultant est associé à la place événementielle <e2 >, tandis que l’interprétation résultative est
associée à la valeur aspectuelle [+durative] impliquant un intervalle de temps entre <e 2> et T0
(moment de l’énonciation). En ce qui concerne la sélection de l’auxiliaire, nous avons vu que,
contrairement
à
l’interprétation
résultative,
l’interprétation
d’état
résultant
est
indissolublement liée à la sélection de l’auxiliaire ‘être’ et que dans ce cas ‘être’ n’est plus
interprété comme un auxiliaire mais comme la copule d’une phrase prédicative. En français le
contexte permet de désambiguïser les deux interprétations dans les cas où la forme du passé
composé serait homophone de la forme prédicative (c’est le cas, par exemple, des verbes
‘arriver’, ‘partir’, ‘entrer’, ‘sortir’, ‘tomber’, ‘monter’, ‘descendre’, ‘mourir’, ‘rester’, etc.),
tandis que pour tous les autres verbes, le passé composé est distinct de la construction à
copule à cause de la sélection de l’auxiliaire avoir.
C’est un fait connu que les verbes qui sélectionnent l’auxiliaire être en français sont une
sous-classe des verbes qui sélectionnent essere en italien (cf. Legendre et Sorace (2003)). À
partir de ce fait, certains auteurs tels que Burzio (1981, 1986), Legendre (1989), Ruwet
(1989), Legendre et Sorace (2003), entre autres, ont supposé que les verbes intransitifs qui
sélectionnent avoir en français, et dont le correspondant italien sélectionne essere, sont eux
aussi inaccusatifs. Comme nous l’avons observé (cf. supra), l’interprétation d’état résultant
4
est associée à la sélection de l’auxiliaire ‘être’. Toutefois, en français, exception faite de
certains verbes (cf. supra), l’auxiliaire être, contrairement à ce qu’on observe avec l’auxiliaire
essere en italien, n’est pas associé à une interprétation perfective. À partir de ces
considérations, nous avons essayé de montrer que l’homologie entre les critères de sélection
de l’auxiliaire essere en italien et de l’auxiliaire avoir en français, homologie supposée par les
auteurs cités plus haut, se justifie à travers une analyse de type temporel et aspectuel. Au
cours de la thèse, nous avons aussi essayé de proposer une réorientation du débat sur
l’inaccusativité en termes syntaxiques en exploitant l’hypothèse de la coquille SV ( « VP
shell » ) élaborée d’abord par Larson (1988) et ensuite reprise par Hale et Keyser (1993).
La thèse est organisée de la façon suivante : dans le premier chapitre, nous avons passé
en revue les hypothèses pertinentes pour l’analyse des phénomènes observés dans notre étude.
En particulier, nous nous sommes arrêtée sur la quadripartition aspectuelle des prédicats
verbaux en états, activités, accomplissements et achèvements élaborée par Vendler (1957) et
sur l’analyse formelle des événements élaborée par Pustejovsky (1991). Sur la base de ces
analyses, nous avons observé que, quand on admet l’appartenance à une classe événementielle
plutôt qu’à une autre, en réalité on renvoie à une série de contextes typiques dans lesquels le
verbe peut apparaître. Au cours de la thèse, nous avons montré qu’un verbe peut apparaître
dans différents contextes aspectuels et que l’analyse de Vendler et Pustejovsky ne montre
donc pas d’inacceptabilités tranchées. Nous avons conclu le premier chapitre en analysant
brièvement les différents tests d’inaccusativité mentionnés dans la littérature générative.
Dans le deuxième chapitre nous avons analysé en détail les paramètres aspectuels de la
télicité, de l’atélicité et de la direction. En particulier, nous avons observé que l’auxiliaire
‘être’ est associé non seulement à des verbes intrinsèquement téliques mais aussi à des verbes
à matrice lexicale atélique comme ‘monter’ et ‘descendre’. Sur la base de ces observations,
nous avons essayé de détecter les implications de ces paramètres dans la sémantique et dans la
structure argumentale de certains verbes intransitifs. Sur la base de nos résultats descriptifs,
nous avons élaboré notre hypothèse de dérivation des phrases inaccusatives en exploitant la
coquille SV.
Dans le troisième chapitre nous avons analysé la catégorie aspectuelle de la résultativité
et la compatibilité de l’adverbial ‘depuis x temps’, marqueur par excellence de l’aspect
résultatif, avec l’interprétation perfective. La deuxième partie du chapitre revient sur la
catégorie aspectuelle de l’état résultant. En nous appuyant sur l’analyse formelle envisagée
5
pour l’état résultant (cf. supra), nous avons soutenu que le participe absolu (PA) est
compatible avec cette interprétation. Étant donné que l’interprétation d’état résultant est
associée à la sélection de l’auxiliaire ‘être’, nous avons essayé de montrer que le participe
passé des verbes compatibles avec le PA est réinterprété dans cette construction comme un
élément prédicatif correspondant à un adverbe ou à un adjectif, selon le type de verbe
considéré.
Le quatrième chapitre analyse certains aspects des verbes de changement d’état. Plus
précisément, nous avons analysé la relation entre le type d’auxiliaire sélectionné et les
paramètres de la télicité et de l’atélicité. Nous avons observé que la variabilité dans
l’interprétation de certains de ces verbes est à ramener, probablement, à l’ambiguïté de leur
Aktionsart. En outre, nous avons analysé la distribution du ‘se’ inchoatif avec certains de ces
verbes. En dernier lieu, nous avons approfondi certains aspects des couples de verbes de
changement d’état dé-adjectivaux [±préfixés], (cf. grandir vs. agrandir, maigrir vs. amaigrir,
etc.).
En résumé, les données analysées dans cette étude ne sont pas exhaustives au sens où
nous n’avons pas cherché à dresser des listes complètes de verbes. Néanmoins, nous croyons
avoir analysé un nombre suffisant de verbes pour permettre de dégager des tendances
aspectuelles et syntaxiques associées à certains verbes intransitifs. En particulier, l’approche
syntaxique que nous avons développée pour la dérivation des phrases inaccusatives est une
première tentative pour expliciter les interactions entre la structure événementielle et la
structure syntaxique de certains verbes inaccusatifs.
Riassunto
La tesi è organizzata in quattro capitoli dedicati all’analisi comparativa della
distribuzione degli ausiliari ‘être’ e ‘avoir’ in alcune classi di verbi intransitivi in francese e in
italiano. Ci siamo concentrati principalmente su due argomenti: il valore aspettuale attribuito
al passato prossimo a seconda dell’ausiliare selezionato e il ruolo degli ausiliari ‘être’ e
‘avoir’ nell’Ipotesi Inaccusativa.
Per quanto riguarda il valore aspettuale del passato prossimo, ci siamo soffermati
sull’interpretazione risultativa e sull’interpretazione denotante lo stato risultante. In
particolare, abbiamo approfondito le implicazioni aspettuali e sintattiche associate a queste
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due interpretazioni. Abbiamo sostenuto che lo stato risultante è la condizione necessaria per
ottenere l’interpretazione risultativa, ma che queste due interpretazioni differiscono a livello
aspettuale. Più precisamente, basandoci sull’analisi formale degli eventi elaborata da
Pustejovsky (1991), abbiamo sostenuto che lo stato risultante è associato alla posizione
evenemenziale <e2>, mentre l’interpretazione risultativa è associata al valore aspettuale
[+durativo] denotante un intervallo temporale tra la posizione evenemenziale <e 2> e T0
(momento dell’enunciazione). Per quanto riguarda la selezione dell’ausiliare, abbiamo
osservato che l’interpretazione di stato risultante è associata alla selezione dell’ausiliare ‘être’
e che in questo caso ‘être’ non è più interpretato come un ausiliare ma come la copula di una
frase predicativa. In francese il contesto permette di disambiguare le due interpretazioni nel
caso in cui la forma del passato prossimo è omofona della forma predicativa (è quanto
succede, ad esempio, per i verbi ‘arriver’, ‘partir’, ‘entrer’, ‘sortir’, ‘tomber’, ‘monter’,
‘descendre’, ‘mourir’, ‘rester’, ecc.), mentre per tutti gli altri verbi, il passato prossimo è
distinto dalla costruzione copulativa a causa della selezione dell’ausiliare avoir.
È risaputo che i verbi selezionanti l’ausiliare être in francese sono una sotto classe dei
verbi che selezionano essere in italiano (cf. Legendre e Sorace (2003)). Sulla base di questo
dato, alcuni autori come Burzio (1981, 1986), Legendre (1989), Ruwet (1989), Legendre e
Sorace (2003) hanno ipotizzato che i verbi intransitivi che selezionano avoir in francese, e la
cui forma corrispondente italiana seleziona essere, sono anch’essi inaccusativi. Come
abbiamo osservato (cf. supra), l’interpretazione di stato risultante è associata alla selezione
dell’ausiliare ‘être’. Tuttavia, in francese, fatta eccezione per alcuni verbi (cf. supra),
l’ausiliare être, a differenza di quanto si osserva con l’ausiliare essere in italiano, non è
associato a un’interpretazione perfettiva. Sulla base di queste considerazioni, abbiamo cercato
di dimostrare che l’omologia fra i criteri di selezione dell’ausiliare essere in italiano e la
selezione dell’ausiliare avoir in francese, omologia sancita dall’affermazione degli autori
succitati, si giustifica attraverso un’analisi di tipo temporale e aspettuale. Nel corso della tesi,
abbiamo anche cercato di proporre un nuovo orientamento del dibattito sull’inaccusatività in
termini sintattici basandoci sull’ipotesi della struttura a doppio SV ( «VP shell» ) elaborata da
Hale e Keyser (1993).
La tesi è organizzata nel modo seguente: nel primo capitolo abbiamo discusso alcune
analisi trattate nella letteratura linguistica che sono pertinenti per i fenomeni osservati nel
nostro studio. In particolare, ci siamo soffermati sulla quadripartizione aspettuale dei predicati
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verbali elaborata da Vendler (1957) e sull’analisi formale degli eventi elaborata da
Pustejovsky (1991). Sulla base di queste analisi, abbiamo osservato che quando si afferma che
un verbo appartiene a una classe evenemenziale piuttosto che a un’altra, in realtà ci si riferisce
a una serie di contesti tipici nei quali questo verbo può apparire. Nel corso della tesi, abbiamo
cercato di dimostrare che un verbo può apparire in diversi contesti aspettuali e che quindi le
categorie stabilite da Vendler e Pustejovsky non sono definitive. Il capitolo si conclude con
una breve analisi dei diversi test di inaccusatività proposti nella letteratura generativa.
Nel secondo capitolo abbiamo analizzato nei dettagli i parametri aspettuali della telicità,
della atelicità e della direzione. In particolare, abbiamo osservato che l’ausiliare ‘être’ è
associato non solo a verbi intrinsecamente telici ma anche a verbi di matrice lessicale atelica
come ‘monter’ e ‘descendre’. Sulla base di queste osservazioni, abbiamo cercato di rilevare le
implicazioni di questi parametri nella semantica e nella struttura argomentale di alcuni verbi
intransitivi. Sullo sfondo di questo contesto, abbiamo elaborato la nostra ipotesi di
derivazione delle frasi inaccusative basandoci sulla struttura sintattica a doppio SV.
Nel terzo capitolo abbiamo analizzato la categoria aspettuale della risultatività e la
compatibilità dell’avverbiale ‘depuis x temps’, indicatore per eccellenza dell’aspetto
risultativo, con l’interpretazione perfettiva. La seconda parte del capitolo approfondisce la
questione della categoria aspettuale dello stato risultante. Basandoci sull’analisi formale
elaborata per lo stato risultante (cf. supra), abbiamo argomentato che il participio assoluto
(PA) è compatibile con questa interpretazione. Dato che l’interpretazione di stato risultante è
associata alla selezione dell’ausiliare ‘être’, abbiamo cercato di dimostrare che il participio
passato dei verbi compatibili con il PA è reinterpretato in questa costruzione come un
elemento predicativo corrispondente a un avverbio o a un aggettivo, a seconda del tipo di
verbo considerato.
Il quarto capitolo tratta brevemente dei verbi di cambiamento di stato. In particolare,
abbiamo analizzato la relazione tra il tipo di ausiliare selezionato e i parametri della telicità e
atelicità come si è fatto nel secondo capitolo con alcuni verbi di movimento. Abbiamo
osservato che la variabilità nell’interpretazione di alcuni di questi verbi è da ricondursi,
probabilmente, all’ambiguità del loro Aktionsart. Abbiamo analizzato, inoltre, la distribuzione
del ‘se’ incoativo con alcuni di questi verbi. Infine, abbiamo approfondito alcuni aspetti delle
coppie di verbi di cambiamento di stato deaggettivali [±prefissati] (cf. grandir vs. agrandir,
maigrir vs. amaigrir, ecc.).
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In conclusione, questo studio non si è prefissato come obiettivo quello di stabilire delle
liste di verbi. Si è piuttosto cercato di chiarire alcune tendenze aspettuali e sintattiche
associate ad alcuni verbi intransitivi. In particolare, l’approccio sintattico elaborato per la
derivazione delle frasi inaccusative è un primo tentativo empirico che ha lo scopo di chiarire
le interazioni tra l’evento descritto da alcuni verbi inaccusativi e la struttura sintattica di questi
verbi.
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TABLE DES MATIÈRES
INTRODUCTION .................................................................................................................................... 15
CHAPITRE I. CONSIDÉRATIONS SUR L’ASPECT ET SUR L’HYPOTHÈSE INACCUSATIVE....... 20
Première partie : aspect et Aktionsart ........................................................................................................ 20
I.1. Aspect perfectif vs. Aspect imperfectif : ............................................................................................ 21
I.2. Aspect (im)perfectif vs. Aspect (in)accompli : ................................................................................... 22
I.3. Aspect fonctionnel vs. Aspect lexical : .............................................................................................. 23
I.4. La quadripartition de Vendler (1957) :............................................................................................. 24
I.4.1. États, activités, accomplissements et achèvements : ................................................................................... 24
I.4.2. Récapitulation : ........................................................................................................................................ 26
I.5. La quadripartition de Vendler et le paramètre [±télique] : ............................................................... 27
I.5.1. Définition d’(a)télicité : ............................................................................................................................ 27
I.5.2. Télicité inhérente et télicité compositionnelle : .......................................................................................... 28
I.5.3. Récapitulation : ........................................................................................................................................ 29
I.6. La notion de transition (Pustejovsky (1991)) : .................................................................................. 30
Deuxième partie : la valeur aspectuelle du passé composé......................................................................... 32
I.7. L’ambiguïté du passé composé avec les auxiliaires ‘avoir’ et ‘être’ : ................................................ 33
I.7.1. L’interprétation de passé simple : ............................................................................................................. 34
I.7.2. L’interprétation de parfait ou présent accompli : ....................................................................................... 36
I.7.3. L’état résultant : ....................................................................................................................................... 37
I.8. La double sélection de l’auxiliaire en français dialectal : ................................................................. 41
I.9. La distribution des auxiliaires être et avoir dans certaines variétés de français d’Amérique : ............ 42
I.9.1. Le français québécois (FQ) : ..................................................................................................................... 42
I.9.2. Le français acadien (FA) : ........................................................................................................................ 43
I.9.2.1. Le cas du verbe mourir :.................................................................................................................... 45
I.9.3. Récapitulation : ........................................................................................................................................ 47
I.10. L’alternance causative :................................................................................................................. 47
I.11. Hale et Keyser (1993) : .................................................................................................................. 51
I.12. Les phrases résultatives : ............................................................................................................... 54
I.12.1. La construction résultative et le changement d’état : ................................................................................ 55
I.12.2. Observations sur l’alternance causative et sur la construction résultative avec certains verbes de
changement de lieu : .......................................................................................................................................... 56
Troisième partie : l’Hypothèse Inaccusative .............................................................................................. 61
I.13. La distribution des auxiliaires ‘être’ et ‘avoir’ en français et en italien (Legendre et Sorace (2003)) :
.............................................................................................................................................................. 61
I.13.1. Verbes centraux et verbes périphériques :................................................................................................ 63
I.14. La structure argumentale : ............................................................................................................. 64
10
I.15. L’Hypothèse Inaccusative dans le cadre de la Grammaire Relationnelle (Perlmutter (1978)) : ........ 65
I.16. L’Hypothèse Inaccusative dans le cadre de la théorie du Gouvernement et du Liage (Burzio (1981,
1986)) : ................................................................................................................................................. 66
I.16.1. Les tests syntaxiques d’inaccusativité : .................................................................................................... 68
I.17. L’Hypothèse Inaccusative et les thêta-rôles : .................................................................................. 75
I.18. Conclusion du chapitre et bref aperçu sur les chapitres II, III et IV : .............................................. 76
CHAPITRE II. CONSIDÉRATIONS SUR L’(A)TÉLICITÉ, LA DIRECTION ET LA DÉRIVATION
DES PHRASES INACCUSATIVES............................................................................................................. 78
Première partie : télicité intrinsèque et compositionnelle........................................................................... 78
II.1. Verbes de mouvement vs. verbes de changement de lieu : ................................................................ 79
II.1.1. L’approche typologique de Talmy (1985) dans l’analyse des verbes de mouvement : ................................. 79
II.1.2. Mouvement vs. déplacement : .................................................................................................................. 81
II.1.3. Récapitulation : ....................................................................................................................................... 82
II.2. Le paramètre de la télicité et les verbes de changement de lieu ‘arriver’, ‘partir’, ‘entrer’, ‘sortir’,
‘tomber’, ‘venir’ et ‘aller’ :.................................................................................................................... 83
II.3. Verbes dénotant un déplacement orienté mais non borné : .............................................................. 86
II.3.1. Les verbes salire et scendere vs. aumentare et diminuire : ......................................................................... 86
II.3.2. Les verbes monter et descendre : .............................................................................................................. 89
II.3.2.1. Le verbe monter et la sélection de l’auxiliaire : ................................................................................ 90
II.3.2.2. Le verbe descendre : ........................................................................................................................ 91
II.3.3. Les verbes augmenter et baisser : ............................................................................................................. 93
II.4. Récapitulation : .............................................................................................................................. 94
Deuxième partie : les verbes ‘monter’, ‘descendre’, ‘courir’ et ‘accourir’ et les paramètres But et Direction
.................................................................................................................................................................. 94
II.5. Les verbes ‘monter’ et ‘descendre’ et les adverbes ‘en haut’ et ‘en bas’ : ........................................ 95
II.5.1. Les adverbes ‘en haut’ et ‘en bas’ et les paramètres But, Direction et état résultant : ................................ 95
II.6. Le verbe ‘accourir’ :....................................................................................................................... 98
II.6.1. Le verbe ‘accourir’ et les prépositions ‘à’ et ‘vers’ :................................................................................. 99
II.6.2. Le verbe ‘courir’ et les prépositions ‘à’ et ‘vers’ : .................................................................................. 100
II.6.3. Le rôle du préfixe ‘a-’ :.......................................................................................................................... 102
II.7. Les verbes correre et courir :......................................................................................................... 103
II.7.1. L’ambiguïté structurale du verbe correre (Hoekstra et Mulder (1990)) : .................................................. 106
II.8. Récapitulation : ............................................................................................................................ 108
Troisième partie : la dérivation des phrases inaccusatives ....................................................................... 109
II.9. La notion de « measurer » (Tenny (1994)) : .................................................................................. 109
II.10. L’inaccusativité et les traits [-agentif] et [±télique] (Arad (1998)) : ............................................ 110
II.11. Les traits [±c] et [±m] (Reinhart et Siloni (2005)) : ..................................................................... 112
II.11.1. L’Hypothèse Inaccusative et les traits [±c] et [±m] :............................................................................. 113
II.12. Les verbes inaccusatifs, la notion de transition et le trait [+c] :................................................... 116
II.12.1. L’expression de l’événement et la structure argumentale : .................................................................... 117
11
II.12.2. Le sujet des verbes inaccusatifs et la combinaison de traits [-c, -m] : .................................................... 121
II.12.3. Récapitulation : ................................................................................................................................... 122
II.13. La dérivation des phrases inaccusatives :.................................................................................... 124
II.13.1. La notion de transition et le trait [±télique] : ........................................................................................ 125
II.13.2. SV+(SvR) : .......................................................................................................................................... 127
II.13.3. SvR : ................................................................................................................................................... 129
II.13.4. Quelques observations sur la sélection de l’auxiliaire :......................................................................... 130
II.13.4.1. SV+(SvR) : .................................................................................................................................. 133
II.13.4.2. SvR : ........................................................................................................................................... 134
II.13.5. Récapitulation : ................................................................................................................................... 135
II.13.6. La structure SC et l’hypothèse de l’incorporation (Moro (1997)) : ........................................................ 135
II.14. Les verbes météorologiques : ...................................................................................................... 137
II.14.1. La question de l’auxiliaire : ................................................................................................................. 137
II.14.1.1. La sélection de l’auxiliaire en italien :.......................................................................................... 138
II.14.1.2. Benincà et Cinque (1992) :........................................................................................................... 139
II.14.2. La dérivation des verbes météorologiques : .......................................................................................... 140
II.15. Conclusion du chapitre :............................................................................................................. 143
CHAPITRE III. RÉSULTATIVITÉ ET ÉTAT RÉSULTANT ................................................................. 145
Première partie : résultativité et perfectivité............................................................................................. 145
III.1. La notion aspectuelle de résultativité :......................................................................................... 145
III.2. L’adverbial ‘depuis x temps’ et les aspects perfectif, imperfectif et résultatif : .............................. 147
III.3. L’adverbial ‘depuis x temps’ et les verbes de changement de lieu ‘arriver’, ‘partir’, ‘entrer’ et
‘sortir’ : .............................................................................................................................................. 149
III.4. L’adverbial ‘depuis x temps’ et le verbe ‘tomber’ : ...................................................................... 151
III.5. L’adverbial ‘depuis x temps’ et les verbes de changement d’état grossir, maigrir et grandir : ........ 152
III.6. Considérations sur l’incompatibilité des verbes ‘aller’ et ‘venir’ avec l’interprétation résultative :
............................................................................................................................................................ 154
III.7. Quelques observations sur la construction ‘il est resté Vé pendant x temps’ : ............................... 157
III.8. Récapitulation :........................................................................................................................... 160
III.9. Le détachement de l’adverbial ‘depuis x temps’ : ......................................................................... 161
III.9.1. Le détachement de l’adverbial ‘depuis x temps’ et la portée : ................................................................ 163
III.10. Les verbes météorologiques et leur compatibilité avec l’adverbial ‘depuis x temps’ :.................. 165
III.10.1. Le verbe ‘tomber’ + SN atmosphérique + ‘depuis x temps’ : ................................................................ 165
III.10.2. Les verbes météorologiques ‘pleuvoir’, ‘neiger’ et ‘grêler’ + ‘depuis x temps’ : ................................... 166
III.10.3. Le détachement de l’adverbial ‘depuis x temps’ avec les verbes météorologiques : ............................... 170
III.11. L’emploi du ‘depuis’ résultatif en français québécois et en français acadien : ............................ 170
III.12. Récapitulation :......................................................................................................................... 171
Deuxième partie : le participe absolu et l’état résultant ........................................................................... 172
III.13. La construction participiale absolue (PA) : ................................................................................ 172
III.13.1. Le PA et l’aspect : .............................................................................................................................. 173
12
III.13.2. Le PA et l’état résultant : .................................................................................................................... 174
III.13.2.1. Les verbes de changement d’état : ............................................................................................... 176
III.13.2.2. Les verbes de changement de lieu ‘arriver’, ‘partir’, sortir’, ‘entrer’, ‘tomber’, ‘venir’ et ‘aller’ : 177
III.13.2.3. Le verbe ‘accourir’ vs. le verbe ‘courir’ : .................................................................................... 179
III.13.2.4. Les verbes ‘monter’ et ‘descendre’ :............................................................................................ 181
III.13.2.5. Les verbes météorologiques : ...................................................................................................... 182
III.13.2.6. Récapitulation : .......................................................................................................................... 182
III.14. Le PA n’est pas un test fiable d’inaccusativité : ......................................................................... 183
III.14.1. L’analyse de Sorace et Legendre (2003) : ........................................................................................... 184
III.15. Récapitulation :......................................................................................................................... 185
III.16. Conclusion du chapitre : ........................................................................................................... 185
CHAPITRE IV. CONSIDÉRATIONS SUR L’AKTIONSART DE CERTAINS VERBES DE
CHANGEMENT D’ÉTAT ......................................................................................................................... 187
Première partie : observations sur la forme réflexive et sur la forme intransitive des verbes de changement
d’état ....................................................................................................................................................... 188
IV.1. La notion d’anticausativité (Reinhart et Siloni (2005)) : ............................................................... 190
IV.2. La construction CRE (Zribi-Hertz (1987)) : ................................................................................. 193
IV.3. La compatibilité de la forme réflexive et de la forme intransitive des verbes de changement d’état
avec le paramètre de l’(a)télicité :........................................................................................................ 194
IV.4. La forme intransitive et la lecture à accomplissement graduel : .................................................... 201
IV.5. Les lectures d’achèvement vs. activité avec la forme intransitive des verbes ‘fondre’, ‘cuire’, ‘brûler’,
‘geler’ et ‘bouillir’ :............................................................................................................................. 205
IV.5.1. Les verbes ‘fondre’, ‘cuire’ et ‘brûler’ : ................................................................................................ 206
IV.5.2. Les verbes ‘geler’ et ‘bouillir’ : ............................................................................................................ 209
IV.6. Récapitulation : ........................................................................................................................... 212
Deuxième partie : observations sur certains verbes de changement d’état dé-adjectivaux [±préfixés]...... 214
IV.7. Les préfixes et leurs propriétés aspectuelles :............................................................................... 218
IV.8. Considérations sur l’aspect et sur la syntaxe de certains couples de verbes dé-adjectivaux
[±préfixés] : ........................................................................................................................................ 222
IV.8.1. Les couples de verbes dé-adjectivaux grandir vs. agrandir, maigrir vs. amaigrir et mincir vs. amincir :..... 223
IV.9. Prépositions et préfixes : ............................................................................................................. 225
IV.9.1. La projection SP (Di Sciullo (1996)) : ................................................................................................... 226
IV.10. La dérivation du préfixe et les projections SP et SvR : ................................................................ 230
IV.10.1. La notion de « central coincidence » (Hale et Keyser (2002)) : ............................................................ 234
IV.11. Récapitulation : ......................................................................................................................... 240
IV.12. Conclusion du chapitre :............................................................................................................ 241
CONCLUSION....................................................................................................................................... 243
BIBLIOGRAPHIE ................................................................................................................................. 248
ANNEXES .............................................................................................................................................. 258
13
Annexe I. Liste des préfixes du français tirée de Béchade (1992 : 108-112) :........................................ 259
Annexe II. Verbes préfixés : ................................................................................................................ 259
Annexe III. Liste des suffixes verbaux du français tirée de Béchade (1992 : 108-112) : ........................ 260
Annexe IV. Dérivation par suffixation à partir d’une base verbale :..................................................... 261
Annexe V. Dérivation par suffixation à partir d’une base adjectivale : ................................................. 262
Annexe VI. Dérivation par suffixation à partir d’une base nominale : .................................................. 262
Annexe VII. Liste des préfixes de l’italien tirée de Jacobini (2004 : 108) : ........................................... 263
Annexe VIII. Verbes préfixés : ............................................................................................................ 263
Annexe IX. Liste des suffixes verbaux de l’italien tirée de Bertinetto (2004 : 465-472) : ....................... 265
Annexe X. Dérivation par suffixation à partir d’une base verbale : ...................................................... 265
Annexe XI. Liste des suffixes verbaux de l’italien qui permettent de dériver un verbe à partir d’une base
adjectivale et/ou à partir d’une base nominale (Grossmann (2004 : 450-465)) : ................................... 266
Annexe XII. Dérivation par suffixation à partir d’une base adjectivale : .............................................. 266
Annexe XIII. Dérivation par suffixation à partir d’une base nominale : ............................................... 267
14
INTRODUCTION
Cette thèse est consacrée à l’analyse de la distribution des auxiliaires ‘être’ et ‘avoir’ et
aux implications sémantiques et syntaxiques liées à la distribution de ces auxiliaires avec
certains verbes intransitifs en français et en italien. En particulier, nous porterons notre
attention sur l’analyse :
- des verbes de changement de lieu intrinsèquement téliques tels que ‘arriver’, ‘partir’,
‘sortir’, ‘entrer’, ‘tomber’ et ‘venir’.
- du verbe de changement de lieu compositionnellement télique ‘aller’.
- des verbes de changement de lieu compositionnellement téliques dénotant un mouvement
dans une direction orientée non bornée tels que ‘monter’ et ‘descendre’.
- du verbe de mode de mouvement ‘courir’ vs. le verbe directionnel de mode de mouvement
‘accourir’.
- des verbes météorologiques tels que ‘pleuvoir’, ‘neiger’ et ‘grêler’.
- de certains verbes de changement d’état.
L’analyse de la distribution des auxiliaires ‘être’ et ‘avoir’ avec ces verbes nous conduira
à introduire des notions aspectuelles telles que la télicité, l’atélicité et la résultativité. En
particulier, nous tenterons aussi de réorienter le débat sur l’inaccusativité et de trouver un
moyen pour intégrer la sélection de l’auxiliaire avoir et le paramètre aspectuel de l’atélicité
dans un cadre d’analyse syntaxique exploitant la ‘coquille SV’ ( « VP shell » ) élaborée
d’abord par Larson (1988) et ensuite reprise par Hale et Keyser (1993), (on verra à ce propos
le chapitre II).
À travers l’analyse du passé composé formé à partir des auxiliaires ‘être’ et ‘avoir’, nous
visons aussi à obtenir des éclaircissements sur l’aspect. En particulier, la compatibilité du
passé composé avec l’adverbial ‘depuis x temps’, marqueur par excellence de l’aspect
résultatif, nous révélera des caractéristiques aspectuelles intéressantes sur les verbes
météorologiques ‘pleuvoir’, ‘neiger’ et ‘grêler’ en italien.
15
INTRODUCTION
À propos de la distribution des auxiliaires ‘être’ et ‘avoir’ avec les verbes intransitifs,
nous observerons que dans deux variétés de français parlé en Amérique – le français
québécois (FQ) et le français acadien (FA) – l’auxiliaire avoir est (presque) toujours employé
avec les verbes intransitifs qui en français standard (FS) sélectionnent obligatoirement
l’auxiliaire être (cf. les verbes ‘arriver’, ‘partir’, ‘sortir’, ‘entrer’, ‘tomber’, ‘venir’ et ‘aller’,
entre autres). Ce phénomène se vérifie aussi en français dialectal où le remplacement de
l’auxiliaire être par l’auxiliaire avoir permet de désambiguïser la phrase au profit de
l’interprétation perfective. En revanche, l’auxiliaire être se spécialise et marque seulement
l’interprétation d’état résultant ou d’état.
D’après la liste des verbes cités plus haut, il s’ensuit que notre domaine d’étude
comprend non seulement les notions de télicité et d’atélicité mais aussi les notions de
mouvement, de changement de lieu et de direction dont nous essaierons de donner une
définition exhaustive au chapitre II. Au niveau intuitif, le mouvement n’implique pas de
changement de lieu, mais tout changement de lieu implique un mouvement qui déclenche une
transition à partir d’un état initial vers un état final. En outre, tout changement de lieu se
développe le long d’une trajectoire directionnelle dont le But n’est pas obligatoirement atteint.
Nous approfondirons toutes ces notions dans les première et deuxième parties du chapitre II.
Cette thèse est divisée en quatre chapitres. Chaque chapitre est divisé à son tour en
parties afin de garantir un meilleur encadrement des analyses et des phénomènes que nous
allons aborder.
Dans le premier chapitre nous tentons de dégager les effets aspectuels associés à la
sélection des auxiliaires ‘être’ et ‘avoir’. Nous introduisons aussi l’Hypothèse Inaccusative
qui pose que le sujet de certains verbes intransitifs est engendré en position objet et que le
type d’auxiliaire sélectionné par ces verbes est un corrélat secondaire de leur structure
argumentale. En particulier, dans la première partie du chapitre, nous introduisons à grands
traits les notions d’aspect et d’Aktionsart. Ensuite, dans la deuxième partie du chapitre, sur la
base du formalisme de l’événement élaboré par Pustejovsky (1991), nous analysons, entre
autres, les catégories aspectuelles de la télicité et de l’état résultant. En particulier, nous nous
arrêtons sur la catégorie aspectuelle de l’état résultant et sur la représentation sémantique et
syntaxique de la construction transitive-causative qui est ensuite reprise tout au long de notre
travail. L’analyse des données concernant la distribution des auxiliaires être et avoir avec les
verbes intransitifs en français dialectal, en français québécois et en français acadien se révèle
16
INTRODUCTION
fort intéressante. Elle nous permet de constater que, dans ces variétés de français, la
substitution de l’auxiliaire avoir à l’auxiliaire être peut être interprétée comme la dernière
étape d’un changement allant vers une régularisation du choix de l’auxiliaire. Ce processus de
régularisation peut s’interpréter aussi comme un changement au détriment de la spécificité
aspectuelle des auxiliaires ‘être’ et/ou ‘avoir’ en français standard avec certains verbes
intransitifs comme monter et descendre ou comme arriver, partir, entrer, sortir et tomber.
Cette régularisation implique donc que, dans ces variétés de français, l’auxiliaire avoir a une
valeur typiquement temporelle et qu’en revanche l’aspect est marqué par des adverbiaux. La
troisième partie du chapitre est consacrée à l’analyse de l’Hypothèse Inaccusative et, en
particulier, des tests d’inaccusativité proposés dans la littérature générative. D’après
l’Hypothèse Inaccusative, la sélection du type d’auxiliaire joue un rôle fondamental dans la
classification d’un verbe comme inaccusatif en italien. Il a été montré (cf. Burzio (1981) et
(1986), entre autres), que les verbes inaccusatifs sélectionnent l’auxiliaire essere en italien,
tandis qu’en français la sélection de l’auxiliaire n’est pas un indice fort d’inaccusativité. En
effet, l’Hypothèse Inaccusative prédit qu’à la classe des verbes inaccusatifs en français
appartiennent aussi bien les verbes intransitifs sélectionnant l’auxiliaire être que certains
verbes intransitifs sélectionnant l’auxiliaire avoir. Nous proposerons notre formalisme de
dérivation des phrases inaccusatives dans la troisième partie du chapitre II.
Le deuxième chapitre concerne les paramètres aspectuels de la télicité, de l’atélicité et de
la direction et leurs implications sur la dérivation des phrases inaccusatives. Le chapitre est
divisé en trois parties. Dans la première partie, nous abordons des notions telles que le
mouvement, le déplacement, la direction, la trajectoire, la télicité et l’atélicité (ces deux
dernières ayant déjà fait l’objet d’une analyse dans les première et deuxième parties du
chapitre I). Ensuite, nous traitons de la distribution des auxiliaires ‘être’ et ‘avoir’ avec les
verbes ‘monter’, ‘descendre’, augmenter’, ‘diminuer’ et ‘baisser’ en français et en italien.
Après avoir analysé en détail cet ensemble de verbes dans l’optique comparative
français/italien, nous examinons les paramètres But et Direction et les verbes ‘monter’,
‘descendre’, ‘courir’ et ‘accourir’. En particulier, la deuxième partie du chapitre vise à établir
les implications sous-jacentes à la sélection de l’auxiliaire avec les verbes ‘monter’,
‘descendre’, ‘courir’ et ‘accourir’ en français et en italien. L’objectif est d’obtenir une analyse
aussi détaillée que possible du rapport entre la structure argumentale, le type d’auxiliaire
sélectionné et les paramètres But et Direction avec ces verbes. Dans la troisième partie du
17
INTRODUCTION
chapitre, nous élaborons notre analyse de la dérivation des phrases inaccusatives. En
particulier, nous proposons une analyse formelle exploitant l’hypothèse de la ‘coquille SV’
telle que la formulent Hale et Keyser (1993). Tout en adhérant à grands traits à l’Hypothèse
Inaccusative classique, nous tâchons d’intégrer à notre formalisation les notions de télicité,
d’atélicité, d’agentivité et de Thème. En particulier, nous défendons l’idée qu’à la classe des
verbes inaccusatifs en français peuvent appartenir aussi des verbes intransitifs sélectionnant
l’auxiliaire avoir. Ensuite, nous élargissons notre proposition de dérivation des phrases
inaccusatives aux phrases à verbe météorologique dans une perspective comparative
français/italien.
Le troisième chapitre est consacré aux catégories aspectuelles de la résultativité et de
l’état résultant. Le chapitre est divisé en deux parties, l’une est consacrée à la résultativité et
l’autre à l’interprétation d’état résultant associée à la construction participiale absolue (PA).
Dans la première partie du chapitre, nous analysons la compatibilité de l’interprétation
résultative avec différents types de verbes intransitifs. En particulier, nous verrons que
l’adverbial ‘depuis x temps’, marqueur de l’interprétation résultative, peut être associé aussi à
l’interprétation perfective si l’on construit un contexte approprié en manipulant la structure
informationnelle de la phrase par l’intonation ou le déplacement de l’adverbial. Dans la
deuxième partie du chapitre, nous analysons la construction participiale absolue et nous
défendons l’idée que cette construction est associée à l’interprétation d’état résultant. En
particulier, nous avançons l’hypothèse que la construction participiale absolue n’est pas un
test fiable d’inaccusativité contrairement à ce que soutient l’Hypothèse Inaccusative.
La thèse se termine par un chapitre consacré à l’analyse de certains aspects des verbes de
changement d’état. En français tout comme en italien, les verbes de changement d’état se
divisent en trois classes. Il y a les verbes qui admettent aussi bien une forme réflexive se+être
(‘si+essere’) qu’une forme intransitive non réflexive, ceux qui admettent seulement la forme
réflexive et ceux qui admettent seulement la forme intransitive non réflexive. Étant donné
qu’en français la forme intransitive non réflexive sélectionne toujours l’auxiliaire avoir, tandis
qu’en italien il peut y avoir de la variabilité dans le choix de l’auxiliaire, nous analysons la
relation entre le type d’auxiliaire sélectionné et les paramètres de la télicité et atélicité. Nous
analysons aussi la compatibilité de la forme intransitive réflexive en ‘se+être’ avec les
adverbiaux ‘en x temps’ et ‘pendant x temps’. Dans la deuxième partie du chapitre, nous
approfondissons certains aspects des couples de verbes de changement d’état dé-adjectivaux
18
INTRODUCTION
[±préfixés], (cf. grandir vs. agrandir, maigrir vs. amaigrir, etc.). Étant donné que dans ces
couples de verbes, le verbe préfixé est compatible avec l’interprétation d’état résultant, qui est
en revanche indisponible avec le verbe sans préfixe, nous supposons que dans ces couples de
verbes le préfixe véhicule une nuance aspectuelle relative à l’interprétation d’état résultant. En
dernier lieu, nous tentons de donner une représentation syntaxique de la dérivation de ces
préfixes à l’intérieur de la structure syntaxique à double SV.
19
.
CHAPITRE I.
CONSIDÉRATIONS SUR L’ASPECT ET SUR L’HYPOTHÈSE
INACCUSATIVE
Dans le présent chapitre, nous nous concentrerons sur des notions et des analyses qui ont
été introduites dans la littérature linguistique et qui nous seront utiles tout au long de notre
étude. Le chapitre est organisé autour de trois parties. Dans la première, nous examinerons les
notions d’aspect et Aktionsart et, en particulier, les notions de télicité et atélicité. Nous
rappellerons aussi la quadripartition de l’aspect lexical des prédicats verbaux élaborée par
Vendler (1957). Dans la deuxième partie, nous porterons notre attention sur l’analyse de la
valeur aspectuelle du passé composé selon le type d’auxiliaire sélectionné. Ces préliminaires
étant posés, la troisième partie du chapitre est consacrée à l’analyse de l’Hypothèse
Inaccusative et des tests d’inaccusativité qui ont été proposés dans la littérature.
Première partie : aspect et Aktionsart
Pour ce qui est de l’aspect, nous suivrons ici Comrie (1976). Selon Comrie, l’aspect
marque les différentes manières de concevoir la structure temporelle interne d’un événement.
On a donc différents types d’aspects et l’opposition de base sur laquelle nous nous pencherons
est celle entre l’aspect perfectif et l’aspect imperfectif. Voici la définition d’aspect perfectif et
aspect imperfectif d’après Comrie (1976 : 16) : ‘la perfectivité désigne la saisie d’une
situation comme un tout, sans distinguer ses différentes phases ; alors que l’aspect imperfectif
porte sur la structure interne de la situation’1. Si, comme nous le montrerons ci-dessous,
l’aspect désigne la grammaticalisation d’une différence sémantique, nous verrons, en
revanche, que l’Aktionsart désigne la lexicalisation de cette différence. La notion d’aspect ne
doit pas être confondue avec celle de temps. D’après la définition de Comrie (1976 : 5), la
notion de temps diffère de celle d’aspect. Le temps est une catégorie déictique qui se base sur
1
« […] perfectivity indicates the view of a situation as a single whole without distinction of the various separate
phases that make up that situation ; while the imperfective pays essential attention to the internal structure of the
situation » (Comrie (1976 : 16)).
20
CHAPITRE I
CONSIDÉRATIONS SUR L’ASPECT ET SUR L’HYPOTHÈSE INACCUSATIVE
les relations temporelles d’antériorité (passé), de simultanéité (présent) et de postériorité
(futur) par rapport au moment de l’énonciation, tandis que l’aspect concerne la constitution
temporelle interne d’une situation. Nous reviendrons sur ces notions tout au long de ce
chapitre.
I.1. Aspect perfectif vs. Aspect imperfectif :
La notion d’aspect prend son origine au XIX siècle dans la description du russe et des
langues slaves qui distinguent entre deux types d’aspect : l’aspect perfectif et l’aspect
imperfectif. Dans ces langues, l’aspect se manifeste morphologiquement dans toutes les
formes verbales.
Comme l’a remarqué Kopecka (2004 : 119), en polonais, tout comme dans les autres
langues slaves, tous les verbes sont caractérisés par l’aspect imperfectif dans le sens que la
forme imperfective est la forme non marquée (forme de base) du point de vue morphologique.
Un préfixe ajouté à la forme imperfective du verbe produit la forme perfective. Ainsi, les
formes imperfectives des verbes ‘écrire’ et ‘lire’ n’impliquent de façon inhérente aucune
limite à atteindre par l’action d’écrire ou de lire. En revanche, les formes perfectives de ces
verbes imposent une limite à atteindre au-delà de laquelle l’action d’écrire ou de lire est
considérée comme achevée. Voici, à titre indicatif, deux exemples tirés du polonais (Kopecka
(2004 : 120 (93))) : pisać (‘écrire’) et na-pisać (‘sur-écrire’, ‘écrire jusqu’au bout’), czytać
(‘lire’) et prze- czytać (‘par-lire’, ‘lire jusqu’au bout’).
La définition du couple antonymique perfectif-imperfectif donnée par Kopecka
(2004 : 119-120) est la suivante : « la caractéristique essentielle des formes perfectives est de
dénoter des procès bornés et accomplis, qui ont déjà eu lieu, qui ont lieu ou qui auront lieu
dans l'avenir. Par contre, les formes imperfectives dénotent des activités sans délimiter les
bornes temporelles ».
Vet (1980 : 46) observe que, généralement, « on définit l’aspect imperfectif comme
présentant une situation dans sa continuation (donc sans commencement et sans fin) et
l’aspect perfectif comme présentant une situation comme une totalité, ayant un
commencement et une fin déterminés ».
Les langues romanes, y compris le français, ne connaissent pas de notion d’aspect
comparable à celle des langues slaves. C’est pourquoi la terminologie employée par les
21
CHAPITRE I
CONSIDÉRATIONS SUR L’ASPECT ET SUR L’HYPOTHÈSE INACCUSATIVE
auteurs qui ont essayé de définir la notion d’aspect dans les langues romanes est dans la
plupart des cas chaotique.
À propos de l’aspect en français, Smith (1986 : 110) affirme : « Il faut noter que les
temps du passé sont les seuls temps en français qui offrent un choix aspectuel grammaticalisé.
Les autres temps sont neutres à l’égard de l’aspect ». En d’autres termes, en français, l’aspect
ne se manifeste pas de la même façon que dans les langues slaves. En français, il est
grammaticalisé dans la morphologie flexionnelle tandis que dans les langues slaves il est
encodé dans la morphologie lexicale.
En français, le contraste aspectuel le plus marqué est celui qui concerne la paire
imparfait/passé simple. Toutefois, étant donné que le passé simple est un temps inexistant
dans l’état actuel de la langue parlée et qu’il est uniquement réservé au style écrit et littéraire,
il a été remplacé par le passé composé.
Comme nous le verrons ci-dessous, la valeur aspectuelle est traditionnellement attribuée
en français à l’opposition entre temps simples et temps composés des verbes. Un temps
simple comme, par exemple, l’imparfait, dénote un procès dans son développement (je lisais),
tandis qu’un temps composé comme le passé composé dénote un procès terminé (j'ai lu).
I.2. Aspect (im)perfectif vs. Aspect (in)accompli :
Comme nous l’avons remarqué dessus, la grande diversité terminologique qui existe dans
la littérature pour définir la notion d’aspect crée beaucoup de difficulté dans la compréhension
de cette notion.
À l’intérieur de ce chaos terminologique, la paire accompli-inaccompli se trouve souvent
employée en tant que synonyme de la paire perfectif-imperfectif.
Dubois (1964 : 14-15), par exemple, considère les oppositions accompli/inaccompli en
tant que synonymes de perfectif/imperfectif.
Selon Vet (1980 : 47), l’opposition accompli/inaccompli utilisée en linguistique romane
est cependant très différente de l’opposition perfectif/imperfectif pertinente pour les langues
slaves : « la paire accompli/inaccompli sert très souvent à exprimer une différence de temps,
alors qu’il n'est pas ainsi des aspects slaves ». Asnes (2004 : 52) observe que « la paire
accompli/inaccompli exprime une différence dans la construction de l’intervalle temporel
d’une situation alors que les aspects slaves sont déterminés au niveau de la représentation
22
CHAPITRE I
CONSIDÉRATIONS SUR L’ASPECT ET SUR L’HYPOTHÈSE INACCUSATIVE
lexicale [avec des préfixes]. Autrement dit, la paire accompli/inaccompli caractérise la flexion
alors que la distinction perfectif/imperfectif des langues slaves caractérise le prédicat ».
Selon Asnes (2004 : 51-52), la distinction accompli-inaccompli se traduit en français,
respectivement, par les temps grammaticaux nommés passé composé et imparfait.
Selon Asnes et Smith (cf. supra), les temps du passé sont les seuls à avoir grammaticalisé
la notion d’aspect dans la flexion verbale. Selon Maingueneau (1999 : 69), en revanche,
l’opposition aspectuelle accompli-inaccompli se manifeste à tous les temps verbaux à travers
l’opposition entre formes composées et formes simples :
(1)
ACCOMPLI
INACCOMPLI
Présent
Il a su.
Il sait.
Futur
Il aura su.
Il saura.
Passé simple
Il eut su.
Il sut.
Imparfait
Il avait su.
Il savait.
Du même avis que Maingueneau sont Dubois et alii (1994) qui remarquent que « l’accompli
est une forme de l’aspect indiquant, par rapport au sujet de l’énonciation je, le résultat d'une
action faite antérieurement. Pierre a mangé, Pierre avait mangé, Pierre aura mangé sont,
respectivement, un accompli présent, un accompli passé et un accompli futur ».
En ce qui concerne la notion d’inaccompli, Dubois et alii observent que « on appelle nonaccomplie la forme de l’aspect indiquant, par rapport au sujet de l'énonciation, l’action dans
son déroulement : Pierre mange, Pierre mangeait, Pierre mangera sont respectivement un
non-accompli présent, un non-accompli passé et un non-accompli futur ». Selon ces auteurs,
on utilise dans le même sens le terme imperfectif.
I.3. Aspect fonctionnel vs. Aspect lexical :
Les auteurs cités ont reconnu dans les langues romanes l’existence de l’aspect flexionnel
(aspect exprimé par les flexions temporelles) comparable à l’aspect des langues slaves.
23
CHAPITRE I
CONSIDÉRATIONS SUR L’ASPECT ET SUR L’HYPOTHÈSE INACCUSATIVE
En français, donc, contrairement aux langues slaves, l’aspect correspond à un système
fermé de marques intégrées à la conjugaison verbale.
À la notion d’aspect fonctionnel, s’oppose la notion d’aspect lexical (aspect inhérent des
prédicats verbaux ou des prédicats verbaux avec leurs arguments). Selon Asnes (2004 : 52),
les appellations telles que aspect non-déictique (Vet (1980)), Aktionsart (Comrie (1976)),
mode d'action (Comrie (1976)), mode de procès (Maingueneau (1999 : 64)) sont toutes des
synonymes de la notion d’aspect lexical et elles « veulent rendre compte du fait que les
prédicats verbaux par leur sens lexical propre et indépendamment des marques
morphologiques qui leur sont attachées, réfèrent à différents types de situations ». En d’autres
termes, l’aspect lexical est imposé par le sens du verbe et indique de quelle façon se déroule le
procès qu’il exprime. En revanche, l’aspect flexionnel, qui n’est pas une catégorie lexicale
mais une catégorie morphosyntaxique, exprime de quelle manière on envisage le déroulement
du procès, son mode de manifestation dans le temps (cf. Maingueneau (1999 : 63-64)).
Contrairement aux langues romanes, dans les langues slaves, les préfixes assument à la
fois la fonction d’aspect perfectif et celle d’aspect lexical. Voici des exemples tirés du
polonais (Kopecka (2004 : 121)) : o-pisać (‘autour-écrire’, ‘décrire’), pod-pisać (‘sous-écrire’,
‘signer’).
I.4. La quadripartition de Vendler (1957) :
La quadripartition de Vendler en états, activités, accomplissements et achèvements est,
peut-être, la plus connue parmi les classements que connaît la théorie de l’aspect lexical
(Aktionsart) des prédicats verbaux.
Nous rappelons ci-dessous cette quadripartition.
I.4.1. États, activités, accomplissements et achèvements :
D’abord, Vendler distingue entre les prédicats qui expriment un procès et les prédicats
qui n’en expriment pas. Les prédicats appartenant à la première classe dénotent des procès se
déroulant pendant un intervalle de temps et composés de phases qui se succèdent dans le
temps. En revanche, les prédicats appartenant à la deuxième classe ne dénotent pas des procès
se déroulant pendant un intervalle.
24
CHAPITRE I
CONSIDÉRATIONS SUR L’ASPECT ET SUR L’HYPOTHÈSE INACCUSATIVE
Au premier groupe appartiennent, par exemple, les prédicats ‘courir’, ‘danser’, ‘écrire’ et
‘peindre un tableau’, tandis que des prédicats comme ‘aimer’, ‘reconnaître’ et ‘atteindre le
sommet’ appartiennent au deuxième groupe.
Vendler observe que le test du progressif permet d’opérer une distinction entre les deux
groupes :
(2)
Il est en train d’écrire/courir/danser/peindre un tableau/dessiner un cercle.
(3)
*Il est en train de reconnaître/savoir/aimer/atteindre le sommet 2.
À l’intérieur du premier groupe de prédicats, Vendler distingue entre les activités et les
accomplissements :
(4)
Il est en train d’écrire/de courir.
(5)
Il est en train de courir un kilomètre/d’écrire un roman.
(activité)
(accomplissement)
La caractéristique des accomplissements est celle d’être orientés vers un terme. Ce sont des
procès qui ont une durée, une fin déterminée ; ils ne sont vrais que lorsque le procès est arrivé
à son terme. Vendler montre que le test de la durée permet de distinguer entre activités et
accomplissements. Les prédicats dénotant une activité sont compatibles avec les adverbiaux
temporels de durée introduits par la préposition pendant. Ce sont des procès sans borne
temporelle et dont le déroulement est continu : à quelque moment que le procès s’arrête il est
vrai qu’il a lieu. En revanche, les prédicats dénotant un accomplissement sont compatibles
avec les adverbiaux temporels introduits par la préposition en qui signalent le procès comme
borné par un point terminal :
2
En ce qui concerne le test du progressif, l’évaluation des données n’est pas nette. Selon Vendler, les états et les
achèvements ne répondent jamais positivement à ce test, tandis que les prédicats d’activité et d’accomplissement
oui (cf. infra pour les définitions vendleriennes d’état, d’activité, d’accomplissement et d’achèvement) :
(i)
a. Paul est en train de marcher.
b. Paul est en train de construire une maison.
Toutefois, les prédicats dénotant un achèvement peuvent, eux aussi, être compatibles avec le test du progressif si
l’on crée un contexte adéquat pour cette interprétation. En particulier, en (iia), le progressif est compatible, par
exemple, avec un contexte sémantique où ‘Paul est affecté par la maladie d'Alzheimer’ :
(ii)
a. ??Paul est en train de reconnaître Max.
b. Paul est en train d’atteindre le sommet.
c. Paul est en train d’arriver/partir/sortir/entrer/tomber/venir/aller chez elle.
25
CHAPITRE I
CONSIDÉRATIONS SUR L’ASPECT ET SUR L’HYPOTHÈSE INACCUSATIVE
(6)
Il a couru/écrit/dessiné pendant deux heures/*en deux heures.
(7)
Il a couru un kilomètre/écrit une lettre/dessiné un tableau *pendant deux heures/en
deux heures.
(activité)
(accomplissement)
En (6) le prédicat dénote une activité, c’est pourquoi l’adverbial en deux heures est
agrammatical, tandis qu’en (7) le prédicat dénote un accomplissement, c’est pourquoi
l’adverbial pendant deux heures est agrammatical3.
Parmi les prédicats appartenant au deuxième groupe, Vendler distingue ceux qui dénotent
des achèvements (‘arriver’, ‘partir’, etc.) et ceux qui dénotent des états (‘savoir’, ‘aimer’,
etc.).
L’opposition [±ponctuel] permet de distinguer les achèvements des états :
(8)
Il est arrivé ici à midi/*pendant trois heures.
(9)
Il l’a aimée pendant trois ans/*à midi.
(achèvement)
(état)
Les achèvements sont donc des procès ponctuels qui sont incompatibles avec les adverbiaux
qui dénotent une durée. En revanche, les prédicats dénotant un état sont compatibles avec des
adverbiaux de durée. Les états sont donc des prédicats duratifs 4. En particulier, l’opposition
[±dynamique] permet de distinguer les états de tous les autres prédicats analysés par Vendler.
I.4.2. Récapitulation :
Les types de procès analysés par Vendler peuvent être ainsi définis et résumés :
État = un prédicat d’état décrit une situation qui ne comporte pas de changement dans un
intervalle de temps donné (‘être fatigué’, ‘savoir quelque chose’, ‘aimer le chocolat’, etc.).
3
En ce qui concerne la compatibilité avec les adverbiaux ‘en x temps’ et ‘pendant x temps’, l’évaluation des
données n’est pas nette. Par exemple, en (i) :
(i)
Paul a construit la maison pendant deux ans.
(activité) (Asnes (1994 : 77 (64d) et note 26)
le prédicat d’accomplissement construire une maison est interprétable si l’on crée un contexte adéquat comme
‘Paul a construit la maison pendant deux ans, puis il a abandonné’. De la même manière, la phrase en (ii) :
(ii)
Paul a reconnu Max pendant deux minutes.
(activité) (Asnes (1994 : 77 (64e) et note 27)
est acceptable dans un contexte particulier comme celui indiquant que ‘Paul est affecté par la maladie
d'Alzheimer’. Avec ces contextes, les prédicats en (i) et en (ii) ne sont plus interprétés, respectivement, comme
un prédicat dénotant un accomplissement et un prédicat dénotant un achèvement mais, plutôt, comme des
prédicats dénotant une activité.
4
L’opposition [±duratif] est juste une dénomination inversée pour [±ponctuel].
26
CHAPITRE I
CONSIDÉRATIONS SUR L’ASPECT ET SUR L’HYPOTHÈSE INACCUSATIVE
Activité = un prédicat d’activité décrit une situation qui comporte un procès avec une
transition d’un état vers un autre. Les prédicats dénotant une activité se composent d’une
seule action (généralement non interrompue) qui se compose, à son tour, d’une suite d’actes
identiques dont la somme est conçue en tant qu’une seule action (‘marcher’, ‘courir’,
‘manger’, ‘regarder un tableau’, etc.).
Accomplissement = un prédicat d’accomplissement décrit une situation qui comporte un
procès avec une transition d’un état vers un autre et qui a un aboutissement final (‘manger une
pomme’, ‘rentrer chez soi’, ‘courir un 100 mètres’, etc.).
Achèvement = un prédicat d’achèvement décrit une situation qui ne comporte pas de procès.
Il s’agit de transitions instantanées vers un aboutissement final (‘sursauter’, ‘atteindre le
sommet’, ‘arriver’, ‘partir’, ‘sortir’, ‘entrer’, ‘fondre’, ‘brûler’, etc.).
I.5. La quadripartition de Vendler et le paramètre [±télique] :
Nous analyserons ci-dessous le paramètre de l’(a)télicité et le rôle qu’il joue dans la
quadripartition de Vendler.
I.5.1. Définition d’(a)télicité :
On utilise couramment les adverbiaux ‘en x temps’ et ‘pendant x temps’ comme test
distinguant les procès téliques des procès atéliques. La notion de télicité implique la présence
d’un point terminal (gr. telos = but, fin) et elle est associée à des verbes qui dénotent une
action dont le déroulement est borné dans l’espace.
Smith (1991 : 155) regroupe les adverbiaux temporels en quatre classes dans lesquelles
figurent notamment les adverbiaux ‘en x temps’ et ‘pendant x temps’ :
Adverbiaux ponctuels ( « locating adverbials » ) : at noon (‘à midi’), yesterday (‘hier’), etc.
Adverbiaux de durée ( « durative adverbials » ) : for an hour (‘pendant une heure’), from 1 to
3 pm (‘d’une heure à trois heure de l’après-midi’).
Adverbiaux d’accomplissement ( « completive adverbials » ) : in an hour (‘en une heure’),
within an hour (‘au bout d’une heure’).
Adverbiaux fréquentatifs ( « frequency adverbials » ) : often (’souvent’), 3 times a week
(‘trois fois par semaine’), every week (‘chaque semaine’), etc.
27
CHAPITRE I
CONSIDÉRATIONS SUR L’ASPECT ET SUR L’HYPOTHÈSE INACCUSATIVE
Suivant Smith, ‘pendant x temps’ implique le caractère continu de l’événement, tandis
que ‘en x temps’, en tant qu’adverbial d’accomplissement, implique son caractère ponctuel.
Les exemples ci-dessous montrent l’incompatibilité du verbe ‘continuer’, qui exprime la
continuité de l’événement, et de l’adverbial ‘en x temps’ :
(10) a. La température a continué à diminuer pendant deux heures.
b. La temperatura ha continuato a diminuire per due ore.
(11) a. *La température a continué à diminuer en deux heures.
b. *La temperatura ha continuato a diminuire in due ore.
I.5.2. Télicité inhérente et télicité compositionnelle :
Dans cette sous-section, nous verrons que la télicité n’est pas une propriété du seul verbe
lexical mais peut concerner l’ensemble du prédicat : elle peut être soit inhérente (au verbe),
soit compositionnelle.
Selon Vendler, les verbes dénotant un achèvement tels que ‘arriver’, ‘partir’, ‘entrer’,
‘sortir’, ‘venir’, ‘tomber’, ‘atteindre’ et ‘quitter’ sont doués d’une télicité lexicale. Ils sont
donc intrinsèquement téliques. Ils dénotent des événements à déroulement rapide dont le point
initial coïncide idéalement avec son point final (Bertinetto (2001 : 27)). Ils sont définis aussi
en tant que verbes ponctuels. L’adverbial ‘en x temps’, marqueur de la télicité, est néanmoins
compatible avec ces verbes, mais il acquiert une signification particulière : il a le sens de ‘au
bout de x temps’. Les verbes intrinsèquement téliques ne sont pas compatibles avec un
adverbial qui implique l’atélicité :
(12) a. Jean est arrivé/parti/entré/sorti/venu/tombé en deux minutes (= au bout de deux
minutes)/*pendant deux minutes.
b. Gianni è arrivato/partito/entrato/uscito/venuto/caduto in due minuti (= nel giro di
due minuti)/*per due minuti.
(13) a. Jean a atteint le sommet en deux heures/*pendant deux heures.
b. Gianni ha raggiunto la vetta in due ore/*per due ore.
(14) a. Jean a quitté la ville en deux heures/*pendant deux heures.
b. Gianni ha lasciato la città in due ore/*per due ore.
28
CHAPITRE I
CONSIDÉRATIONS SUR L’ASPECT ET SUR L’HYPOTHÈSE INACCUSATIVE
Certains verbes transitifs ou intransitifs dénotant des activités, s’ils sont interprétés en tant
qu’accomplissements, ont une interprétation télique pourvu que le C.O.D. ou le C.O.I. datif,
qui dénote le But du processus, soit sous-entendu :
(15) a. Jean a mangé (la pomme) en deux minutes.
b. Jean a lu (le livre) en deux heures.
c. Carine a chanté (ses chansons) en deux heures.
d. Jean a couru (le marathon) en une heure.
e. Jean a téléphoné (à tout le monde) en deux heures.
f. Jean a parlé (à tout le monde) en deux heures.
Pour d’autres verbes dénotant une activité, la compatibilité avec une interprétation télique est
possible seulement si l’argument interne est explicitement réalisé (16) :
(16) a. *Jean a dessiné en dix minutes.
b. Jean a dessiné un cercle en dix minutes.
Les exemples en (15) et (16) montrent que la télicité peut être ‘compositionnelle’, c’est-à-dire
se vérifier au niveau du prédicat.
I.5.3. Récapitulation :
À ce moment-là, on peut associer à chaque type de prédicat le trait [±télique],
[±ponctuel] et [±dynamique] qui lui convient.
Les états sont [-téliques], [-ponctuels], [-dynamiques].
Les activités sont [-téliques], [-ponctuelles], [+dynamiques].
Les accomplissements et les achèvements comportent un mouvement vers un telos. La
différence entre les deux est que les accomplissements dénotent des prédicats [-ponctuels],
tandis que les achèvements dénotent des prédicats [+ponctuels]. Donc :
Les accomplissements sont [+téliques], [-ponctuels], [+dynamiques].
Les achèvements sont [+intrinsèquement téliques], [+ponctuels], [+dynamiques].
29
CHAPITRE I
CONSIDÉRATIONS SUR L’ASPECT ET SUR L’HYPOTHÈSE INACCUSATIVE
I.6. La notion de transition (Pustejovsky (1991)) :
Pustejovsky (1991) subdivise les événements en trois classes : états, processus (activités)
et transitions (accomplissements ou achèvements). L’analyse de Pustejovsky se base sur la
classification vendlerienne des événements à laquelle l’auteur ajoute la notion de transition.
Les trois classes d’événements distinguées par Pustejovsky sont analysées par l’auteur de la
façon suivante.
Les états, notés (S)tate, sont associés à un seul événement <e> qui ne comporte pas de
changement dans un intervalle de temps donné (be sick (‘être malade’), love (‘aimer’), know
(‘connaître’))5 :
(17)
S
<e>
Les processus, notés (P)rocessus, sont associés à une séquence d’événements identiques dont
la somme est conçue en tant qu’un seul processus (run (‘courir’), push (‘pousser’)) :
(18)
P
e1
…
en
Les transitions, notées (T)ransition, sont composées de deux sous-événements <e1 ; e2> (give
(‘donner’), open (‘ouvrir’), build (‘construire’), destroy (‘détruire’), arrive (‘arriver’)) :
5
La notion d’état est donc liée à l’aspect imperfectif/duratif.
30
CHAPITRE I
CONSIDÉRATIONS SUR L’ASPECT ET SUR L’HYPOTHÈSE INACCUSATIVE
(19)
T
e1
e2
En (19), (T) représente la transition de la place événementielle <e 1> à la place événementielle
<e2>. <e1> représente un processus qui précède le sous-événement <e2>, tandis que <e2 >
représente l’état résultant du processus <e1>.
Selon la théorie de Pustejovsky l’adverbe ‘en x temps’ est associé à deux positions
événementielles et mesure donc la distance temporelle entre une position de départ et une
position d’arrivée.
Autrement dit, l’adverbial ‘en x temps’ dénote un événement composé de deux sousévénements <e1 ; e2> : <e1> dénote le point initial de la transition, tandis que <e2> dénote le
point final de la transition.
L’adverbial ‘en x temps’ est d’ailleurs tout à fait compatible aussi avec des emplois
statiques comme le montre la phrase Je suis chez vous en cinq minutes6. Donc, les propriétés
envisagées par Pustejovsky pour une caractérisation formelle de l’adverbial ‘en x temps’ ne
semblent pas fournir d’inacceptabilités tranchées.
En revanche, l’adverbial ‘pendant x temps’ est associé à une seule position
événementielle et il ne peut donc mesurer que la durée temporelle d’un état ou d’une activité.
L’un de nos objectifs dans la deuxième partie du chapitre et dans les chapitres qui suivent
sera de dégager les effets aspectuels associés à la sélection de l’auxiliaire.
En particulier, nous décrirons dans le détail les différents types d’interprétations
aspectuelles liées à la sélection de l’auxiliaire avec le passé composé (PC).
6
Exemple tiré de Boons, Guillet et Leclère (1976 : 236).
31
CHAPITRE I
CONSIDÉRATIONS SUR L’ASPECT ET SUR L’HYPOTHÈSE INACCUSATIVE
Deuxième partie : la valeur aspectuelle du passé composé
Le passé composé en français se prête à deux interprétations : (i) son interprétation
dérivée, qui s’est développée à cause de la restriction du passé simple à la langue écrite (cf.
(20)) ; (ii) son interprétation étymologique qui est celle d’un présent accompli (cf. (21)) :
(20)
Hier, à trois heures, j’ai mangé.
(21)
Maintenant que j’ai arrosé les fleurs, je peux sortir.
Demirdache et Uribe-Etxebarria (2002) observent que l’emploi du PC comme un passé simple
entraîne une interprétation perfective du PC : l’événement décrit est antérieur au moment de
la parole et il est saisi dans sa globalité, de sa borne initiale à sa borne finale. En revanche, les
auteurs observent que le PC employé comme présent accompli présente le procès comme
achevé à un moment « en contact avec le présent » (Grevisse (1980 : 839), cité par
Demirdache et Uribe-Etxebarria (2002 : 141)). Les adverbes compatibles avec cette
interprétation sont donc ceux qui renvoient au temps de l’énonciation comme maintenant, à
cette heure, etc. Dans l’optique de l’analyse de Demirdache et Uribe-Etxebarria (2002 : 142),
« les deux interprétations du PC ont en commun de situer la fin de l’événement dans un
intervalle de temps antérieur au moment de la parole ». Néanmoins, dans l’interprétation
perfective le PC fonctionnerait comme un temps simple du passé, tandis que dans
l’interprétation de présent accompli le PC fonctionnerait comme un aspect de l’accompli. En
résumé, les auteurs distinguent entre une lecture temporelle et une lecture aspectuelle du PC.
Empiriquement, cette ambiguïté est résolue par des repères temporels qui forcent une
interprétation plutôt qu’une autre.
En français tout comme en italien, le passé composé est ambigu s’il n’y a pas des repères
temporels qui forcent une interprétation plutôt qu’une autre. Cette ambiguïté est présente
aussi bien dans les formes composées avec l’auxiliaire ‘avoir’ que dans les formes composées
avec l’auxiliaire ‘être’.
32
CHAPITRE I
CONSIDÉRATIONS SUR L’ASPECT ET SUR L’HYPOTHÈSE INACCUSATIVE
I.7. L’ambiguïté du passé composé avec les auxiliaires ‘avoir’ et ‘être’ :
Considérons les phrases suivantes :
(22) a. Jean a téléphoné/mangé/couru.
b. Gianni ha telefonato/mangiato/corso.
Le passé composé des phrases en (22a,b) est ambigu car il peut s’interpréter comme un passé
simple ou bien comme un présent accompli (cf. supra). Il peut être désambiguïsé à l’aide
d’adverbes temporels ponctuels ou bien grâce à l’adverbe ‘maintenant que’. Dans le premier
cas, l’interprétation est celle de passé simple (cf. (23)), tandis que dans le deuxième cas
l’interprétation est celle de présent accompli (cf. (24)) :
(23) a. Hier Jean a téléphoné/mangé/couru.
b. Ieri Gianni ha telefonato/mangiato/corso.
(24) a. Maintenant que Jean a téléphoné/mangé/couru, on peut sortir.
b. Ora che Gianni ha telefonato/mangiato/corso, possiamo uscire.
Dans (23) et dans (24) l’événement dénoté par le verbe est terminé au moment de la parole.
Toutefois, si l’interprétation de passé simple se situe dans le passé par rapport au moment de
la parole, l’interprétation de présent accompli est ancrée au présent et le rôle de la conjonction
‘que’ en (24) semble celui de relier une situation passée à un état de choses pris en compte à
T0.
L’ambiguïté que nous avons relevée ci-dessus avec le passé composé sélectionnant
l’auxiliaire ‘avoir’ se retrouve aussi avec les verbes de changement de lieu qui sélectionnent
l’auxiliaire ‘être’7. Ainsi, les phrases :
7
Comme nous le préciserons dans la section II.1.2., nous considérons les verbes de changement de lieu comme
impliquant un déplacement (borné ou non borné). À la suite de Pustejovsky (1991), nous définirons les verbes
‘arriver’, ‘partir’, ‘entrer’, sortir’, ‘tomber’, ‘venir’, ‘atteindre’, ‘quitter’, etc. en tant que verbes de changement
de lieu car ils dénotent une transition d’un état initial <e1> à un état final <e2>.
33
CHAPITRE I
CONSIDÉRATIONS SUR L’ASPECT ET SUR L’HYPOTHÈSE INACCUSATIVE
(25) a. Jean est arrivé/parti/sorti/entré/tombé/venu/allé chez elle.
b. Gianni è arrivato/partito/uscito/entrato/caduto/venuto/andato a casa sua.
sont ambiguës entre l’interprétation de passé simple (cf. (26)) et l’interprétation de présent
accompli (cf. (27)) :
(26) a. Hier Jean est arrivé/parti/sorti/entré/tombé/venu/allé chez elle.
b. Ieri Gianni è arrivato/partito/uscito/entrato/caduto/venuto/andato a casa sua.
(27) a. Maintenant que Jean est arrivé/parti/sorti/entré/tombé/venu/allé chez elle, nous
sommes inquiets.
b. Ora che Gianni è arrivato/partito/entrato/caduto/venuto/andato a casa sua, siamo
preoccupati.
Il apparaît que le passé composé des verbes de changement de lieu sélectionnant l’auxiliaire
‘être’ présente une triple ambiguïté, alors que le passé composé des verbes sélectionnant
l’auxiliaire ‘avoir’ n’est ouvert qu’à deux interprétations. Le passé composé sélectionnant
‘avoir’ est ambigu entre une interprétation de passé simple et une interprétation de présent
accompli, tandis que le passé composé des verbes de changement de lieu sélectionnant
l’auxiliaire ‘être’ est ambigu entre une interprétation de passé simple, une interprétation de
présent accompli, et une interprétation d’état résultant8. Nous examinerons la notion d’état
résultant de plus près dans la sous-section I.7.3. Avant d’aborder ce sujet, nous discuterons
succinctement le modèle formel élaboré par Demirdache et Uribe-Etxebarria (2002) pour
désambiguïser l’interprétation perfective de l’interprétation accomplie du passé composé.
I.7.1. L’interprétation de passé simple :
Parmi les articles recueillis par Brenda Laca dans Le temps et l’aspect (2002), l’étude de
Demirdache et Uribe-Etxebarria propose un modèle original d’analyse de l’ambiguïté du
passé composé.
8
Carlier (2002 : 47) est du même avis que Demirdache et Uribe-Etxebarria (2002) : elle observe que le passé
composé d’un verbe de changement de lieu tel que ‘sortir’ « constitue un parfait du présent, ayant pour sens de
marquer que le procès est arrivé à son terme et que l’état résultant Pierre est absent importe au moment présent
[, ou bien,] en l’absence d’une telle valeur aspectuelle, le passé composé prend valeur d’antériorité et marque
qu’il y a eu action de sortir avant le moment présent ».
34
CHAPITRE I
CONSIDÉRATIONS SUR L’ASPECT ET SUR L’HYPOTHÈSE INACCUSATIVE
Dans l’analyse de Demirdache et Uribe-Etxebarria, l’interprétation de passé simple du
PC est associée à un intervalle temporel caractérisé par le trait [+ponctuel/perfectif]. Plus
précisément, cet intervalle réfère à un événement ponctuel qui se situe dans le passé par
rapport au moment de l’énonciation T 0. L’analyse proposée par Demirdache et UribeEtxebarria met en jeu trois intervalles de temps : le temps de l’assertion (noté AST-T
pour « Assertion-Time » ), le temps de l’événement décrit par le verbe (noté EV-T pour
« Event-Time » ) et le temps de l’énonciation (noté UT-T pour « Utterance-Time » ). Dans
l’optique de Demirdache et Uribe-Etxebarria, le temps de l’assertion dénote un point de
perspective aspectuelle. Autrement dit, selon les auteurs, le temps de l’assertion coïncide avec
l’intervalle de temps focalisé par l’aspect dans la structure temporelle interne de l’événement 9.
Comme le montre le schéma en (28), dans l’interprétation perfective du PC, le temps de
l’assertion (AST-T) coïncide avec le temps de l’événement (EV-T) mais il est antérieur au
temps de l’énonciation (UT-T)10 :
(28) a.
Hier Jean est arrivé/parti.
b.
Hier le chocolat a fondu.
c.
Hier Jean a mangé.
EV-T = AST-T
[
[
UT-T
]
]
[
]
t
HIER
Étant donné qu’en (28) l’AST-T coïncide avec l’EV-T, il s’ensuit que l’événement décrit est
saisi dans sa globalité de sa borne initiale à sa borne finale. Le PC est donc interprété comme
un temps (passé simple) compatible avec un adverbe ponctuel tel que ‘hier’.
9
Cf. Klein (1995) pour plus de détails à propos de la notion ‘temps de l’assertion’.
Le modèle proposé par Demirdache et Uribe-Etxebarria (2002) repose sur trois temps, tout comme le modèle
temporel proposé par Reichenbach (1947). Dans le cadre théorique et descriptif élaboré par Reichenbach, la
référence temporelle de l’événement se construit autour du moment de la parole (S), en situant le moment de
l’événement (E) par rapport à lui, mais aussi par le recours à un moment particulier, le moment de référence (R).
D’après Reichenbach, chaque temps grammatical est défini par une relation linéaire particulière de ces trois
moments. Par exemple, l’événement peut être antérieur, simultané ou postérieur au moment de la parole. Une
éventualité au plus-que-parfait dénote une éventualité antérieure à un moment lui-même antérieur au moment de
la parole. C’est ce moment que Reichenbach nomme moment de référence. Le plus-que-parfait (Jean avait
mangé une pomme) correspondra donc à une représentation de ce type : E_R_S. En revanche, avec un passé
simple (Jean mangea une pomme), le moment de l’événement et le moment de référence sont simultanés et
précèdent le moment de la parole : E,R_S.
10
35
CHAPITRE I
CONSIDÉRATIONS SUR L’ASPECT ET SUR L’HYPOTHÈSE INACCUSATIVE
I.7.2. L’interprétation de parfait ou présent accompli :
Schaden (2007 : 2) observe que les temps grammaticaux passé, présent et futur ne
suffisent pas à décrire tous les temps grammaticaux d’une langue comme, par exemple, le
français. En effet, il existe d’autres temps grammaticaux, notamment les parfaits qui
correspondent au plus-que-parfait, présent parfait (passé composé) et futur antérieur. À partir
de cette observation, on serait amenés à conclure que le parfait dénote une catégorie
temporelle. Néanmoins, Schaden (2007 : 24) observe que « ce n’est clairement pas une bonne
idée de parler du parfait en tant que temps, puisqu’il peut se combiner […] aussi bien avec le
temps présent, qu’avec les temps passé et futur » :
(29) a. Cunégonde a chanté. (présent parfait/passé composé) (Schaden (2007 : 24 (45a)))
b. Cunégonde avait chanté.
(plus-que-parfait) (Schaden (2007 : 24 (45b)))
c. Cunégonde aura chanté.
(futur antérieur) (Schaden (2007 : 24 (45c)))
Autrement dit, comme le montrent les exemples ci-dessus, le parfait marquerait les différentes
manières de concevoir la structure temporelle interne d’un événement. En ce sens, le parfait
définit plutôt une catégorie aspectuelle.
Comme nous l’avons déjà observé dans l’introduction à cette section, l’expression
‘maintenant que’ permet de séparer l’interprétation de présent accompli de celle de passé
simple et le rôle de la conjonction ‘que’ semble celui de relier une situation passée à un état
de choses pris en compte à T0. Autrement dit, l’interprétation de parfait du PC n’est pas
détachée de T0 et elle est en quelque sorte ancrée au temps présent. La représentation formelle
de l’interprétation de parfait du PC élaborée par Demirdache et Uribe-Etxebarria (2002) est la
suivante :
36
CHAPITRE I
CONSIDÉRATIONS SUR L’ASPECT ET SUR L’HYPOTHÈSE INACCUSATIVE
(30) a.
Maintenant que Jean est arrivé/parti.
b.
Maintenant que le chocolat a fondu.
c.
Maintenant que Jean a mangé.
UT-T = AST-T
[
]
EV-T
[
[
]
]
t
MAINTENANT
Dans le schéma en (30), le temps de l’assertion coïncide avec le temps de l’énonciation et le
PC est interprété comme un aspect. L’événement décrit par le prédicat est présenté comme un
parfait, c’est-à-dire comme un événement terminé avant AST-T/UT-T mais qui est, pour ainsi
dire, en contact avec T0. C’est pourquoi l’AST-T/UT-T est modifiable par un adverbial
compatible avec le temps de l’énonciation comme ‘maintenant (que)’, ‘à cette heure’,
‘aujourd’hui’, etc.
Nous avons vu que le modèle formel élaboré par Demirdache et Uribe-Etxebarria permet
de rendre compte des deux ambiguïtés aspectuelles du PC. Toutefois, comme nous l’avons
remarqué dans l’introduction à cette section, le passé composé des verbes de changement de
lieu sélectionnant l’auxiliaire ‘être’ est ambigu entre une interprétation de passé simple, une
interprétation de présent accompli, et une interprétation d’état résultant. À partir de l’approche
formelle élaborée par Pustejovsky (1991) pour analyser la notion de télicité, nous élaborerons
ci-dessous notre représentation formelle de l’interprétation de l’état résultant.
I.7.3. L’état résultant :
Selon la classification de Vendler, la notion de télicité est associée aux prédicats dénotant
un achèvement ou un accomplissement, c’est-à-dire à des événements ‘bornés à droite’ (cf. les
sections I.4. et I.5.). Pustejovsky (1991) redéfinit la notion de télicité. En particulier, dans son
analyse formelle, il pose que la télicité implique la transition d’un état <e1> vers un état <e2> :
37
CHAPITRE I
CONSIDÉRATIONS SUR L’ASPECT ET SUR L’HYPOTHÈSE INACCUSATIVE
(31) (Télicité)
T
e1
e2
Jean est arrivé en deux minutes
Jean est parti en deux minutes
Le chocolat a fondu en deux minutes
Jean a mangé en deux minutes
(Evénement Télique)
Le schéma en (31) nous montre que la télicité est associée à deux positions événementielles
<e1> et <e2>. En revanche, l’état résultant, contrairement à la télicité, est associé, comme nous
le montrerons, à la seule place événementielle <e2>.
L’état résultant dénote le résultat d’une transition, c’est-à-dire le résultat d’un
changement d’état ou de lieu et il est indissolublement lié à la sélection de l’auxiliaire ‘être’.
Il est associé à des prédicats dénotant des accomplissements ou des achèvements, c’est-à-dire
à des prédicats téliques. Il s’ensuit donc qu’il est associé à la position événementielle <e2 >
d’une transition impliquant un événement initial <e1> et un événement final <e2>11 :
11
Dans la deuxième partie du chapitre III, nous verrons que l’interprétation d’état résultant est compatible avec
la structure syntaxique du participe absolu et que l’expression ‘une fois’ marque sans ambiguïté l’état résultant
issu d’une transition. En outre, comme nous le verrons en détail dans la section III.1., l’état résultant est aussi à
la base de l’interprétation que nous appellerons ‘résultative’.
38
CHAPITRE I
CONSIDÉRATIONS SUR L’ASPECT ET SUR L’HYPOTHÈSE INACCUSATIVE
(32) (État Résultant)
T
e1
Jean n'est pas encore arrivé
Jean n’est pas encore parti
Le chocolat n’est pas encore fondu
(Evénement Initial)
e2
Jean est arrivé
Jean est parti
Le chocolat est fondu
(Etat Résultant)
Avec les verbes sélectionnant un But comme ‘arriver’ et ‘entrer’, l’état résultant décrit la
persistance dans un lieu de l’état issu de la transition, tandis qu’avec les verbes sélectionnant
une Source comme ‘partir’ ou ‘sortir’, l’état résultant est la négation de la persistance dans un
lieu de l’état issu de la transition.
À proprement parler, la notion d’état résultant diffère de celle d’état (Folli (2001 : 111,
note 27)). L’état, selon la classification de Pustejovsky (1991), est indépendant de tout
processus antérieur12. Pustejovsky associe l’état à une place événementielle générique <e>,
tandis que l’état résultant est lié à la position événementielle <e2> issue d’un changement de
lieu ou d’un changement d’état. Néanmoins, la séquence marquant l’état résultant peut
coïncider avec l’état. C’est le cas, par exemple, des verbes de changement d’état. Les
phrases :
(État Résultant : √) (État : √)
(33) a. Le chocolat est fondu.
b. Il cioccolato è fuso.
peuvent s’interpréter en tant qu’état résultant ou en tant qu’état. C’est le contexte qui peut
désambiguïser ces deux interprétations :
12
Nous renvoyons le lecteur à Nedjalkov et Jaxontov (1988) pour plus de détails.
39
CHAPITRE I
CONSIDÉRATIONS SUR L’ASPECT ET SUR L’HYPOTHÈSE INACCUSATIVE
(34) a. Le chocolat est désormais fondu.
(État Résultant)
b. Il cioccolato è ormai fuso.
En (34), l’adverbe ‘désormais’ implique que le processus de fonte est terminé et ‘fondu’ est
interprété comme l’état résultant du processus. Néanmoins, sans un contexte interprétatif
approprié, les phrases en (33) peuvent être associées aux deux interprétations. Dans les deux
cas elles s’interprètent comme des phrases prédicatives où le complément prédicatif
correspond au participe ‘fondu’.
Les verbes de changement de lieu dénotant un achèvement et sélectionnant l’auxiliaire
‘être’ peuvent, eux aussi, s’interpréter comme dénotant un état résultant ou un état :
(État Résultant : √) (État : √)
(35) a. Jean est arrivé.
b. Gianni è arrivato.
(État Résultant : √) (État : √)
(36) a. Jean est parti.
b. Gianni è partito.
C’est le contexte qui permet de désambiguïser les deux interprétations :
(37) a. Jean est désormais arrivé.
(État Résultant)
b. Gianni è ormai arrivato.
(38) a. Jean est désormais parti.
(État Résultant)
b. Gianni è ormai partito.
L’adverbe ‘désormais’ associe les phrases (37) et (38) à une interprétation d’état résultant.
Qu’elles soient interprétées comme des phrases dénotant un état résultant ou un état, les
phrases (35) et (36) s’interprètent comme des phrases prédicatives qui sont associées,
respectivement, à l’interprétation ‘être là’ et ‘ne pas être là’. Dans le premier cas, ‘Jean est
arrivé’ correspond à ‘Jean est là (= est à Rome, est chez soi, etc.)’, tandis que dans le
deuxième cas, ‘Jean est parti’ correspond à ‘Jean n’est pas là (= est absent)’. Le même
s’observe avec les verbes ‘entrer’ et ‘sortir’.
Dans les prochaines sections nous présenterons des données du français dialectal et de
certaines variétés de français d’Amérique concernant la distribution des auxiliaires être et
avoir. Comme nous le verrons, certains verbes qui en français standard (FS) sélectionnent
40
CHAPITRE I
CONSIDÉRATIONS SUR L’ASPECT ET SUR L’HYPOTHÈSE INACCUSATIVE
seulement l’auxiliaire être, en français dialectal sélectionnent aussi bien l’auxiliaire être que
l’auxiliaire avoir. Selon Leeman (1994), la double sélection de l’auxiliaire en français
dialectal supprime des ambiguïtés qui, autrement, resteraient non résolues avec la sélection
d’un seul auxiliaire.
I.8. La double sélection de l’auxiliaire en français dialectal :
Leeman (1994 : 49) remarque que dans la langue orale on trouve des emplois
d’auxiliaires non-conformes à la norme grammaticale.
Par exemple, les verbes tomber, sortir et partir, qui sont normalement conjugués avec
l’auxiliaire être, se trouvent associés à l’auxiliaire avoir. Elle observe, en outre, qu’en français
dialectal, le verbe mourir peut sélectionner l’auxiliaire avoir et que, dans ce cas-là, la forme
participiale est mouru et pas mort laquelle, en revanche, est exclusivement associée à
l’auxiliaire être13.
Selon Leeman, la sélection de l’auxiliaire avoir permet de distinguer l’interprétation
perfective de celle d’état résultant et de désambiguïser la phrase au profit de l’interprétation
perfective14 :
13
Cf. aussi Désirat et Hordé (1976 : 142) et Bauche (1946 : 115, note 1), entre autres.
Ledgeway (2000 : 233) observe qu’en napolitain le verbe murì (‘mourir’) a deux formes différentes de
participe passé selon l’auxiliaire sélectionné :
(i)
a. Ha mur-uto/ ?muorto.
(Ledgeway (2000 : 233 (78a,b)))
b. È muorto/*mur-uto.
Ledgeway (2000 : 229) observe qu’en napolitain d’autres verbes, outre au verbe murì, ont développé à côté d’un
participe irrégulier, un participe régulier en –uto :
(ii)
a. Apierto/arap-uto (‘ouvrir’)
b. Chiuso/chiud-uto (‘fermer’)
c. Cotto/coci-uto (‘cuire’)
d. Rutto/rump-uto (‘casser’)
e. Sciso/scenn-uto (‘descendre’)
f. Curzo/curr-uto (‘courir’)
Comme remarqué par Ledgeway, les deux formes participiales en (ii) se sont spécialisées pour distinguer
l’aspect. Le participe irrégulier est associé à l’aspect duratif/télique/résultatif tandis que celui en –uto est associé
à l’aspect ponctuel. En ce qui concerne la distribution des auxiliaires, Ledgeway observe que le participe
irrégulier est ambigu et qu’il peut être employé aussi bien avec l’auxiliaire essere qu’avec l’auxiliaire avere. En
revanche, le participe passé régulier est un participe passé verbal compatible seulement avec l’auxiliaire avere. Il
s’ensuit donc que le participe passé en –uto est spécifié pour l’aspect, tandis que le participe passé irrégulier est
non-spécifié pour l’aspect. Voici des exemples tirés de (Ledgeway (2000 : 230 (70a,d)), (2000 : 232 (75a,b) et
(76a,b))) :
(iii)
a. Sorata ha rumput’/rutt’ ‘o telefuno. (= Lit. Sœur-ta a cassé le téléphone)
b. ‘o telefuno steva *rumputo/rutto. (= Lit. Le téléphone était cassé)
(iv)
a. Ha scennuto/sciso abbascio. (= Lit. (Il) a descendu en bas)
b. È *scennuto/sciso abbascio. (= Lit. (Il) est descendu en bas)
(v)
a. Ha curruto/curzo addu Carmela. (= Lit. (Il) a couru chez Carmela)
b. È *curruto/curzo addu Carmela. (= Lit. (Il) est couru chez Carmela)
14
41
CHAPITRE I
CONSIDÉRATIONS SUR L’ASPECT ET SUR L’HYPOTHÈSE INACCUSATIVE
(39)
Il a mouru/parti/sorti/tombé (Perfectif) vs. Il est mort/parti/sorti/tombé (État
Résultant)
Blanche-Benveniste (1977 : 130) observe aussi que les enfants évitent la forme auxiliée il est
mort dans la combinaison avec une datation ponctuelle et que, dans ce cas, la forme qu’ils
utilisent est conjuguée avec l’auxiliaire avoir et le participe passé corresponds à la forme
mouru : il a mouru en 1950, maintenant il est mort.
Dans la prochaine section nous analyserons certaines variétés de français d’Amérique où
l’emploi de l’auxiliaire avoir a désormais remplacé celui de l’auxiliaire être. Les verbes
mourir et naître semblent être les seuls à sélectionner encore l’auxiliaire être. Néanmoins,
comme nous le verrons, en français acadien, le verbe mourir peut sélectionner les deux
auxiliaires.
I.9. La distribution des auxiliaires être et avoir dans certaines variétés de français
d’Amérique :
Les études sur la distribution des auxiliaires être et avoir dans les français d'Amérique
(cf. Sankoff et Thibault (1977) pour le français de Montréal, King et Nadasdi (2005) pour le
français acadien, Canale et alii (1978) pour le français de l’Ontario, Russo et Roberts (1999)
pour le français du Vermont, Brown (1988) pour la variété de français parlé en Louisiane, le
cajun) montrent que l’auxiliaire être est remplacé par l’auxiliaire avoir avec quasiment tous
les verbes.
I.9.1. Le français québécois (FQ) :
Les exemples proposés ci-dessous ont été produits par des locuteurs natifs du français
québécois et ils nous montrent que l’auxiliaire avoir est employé avec les verbes de
changement de lieu qui sélectionnent obligatoirement être en FS15 :
Il serait intéressant d’approfondir la distribution et l’emploi des deux formes de participe passé en napolitain et
de vérifier ce phénomène dans d’autres dialectes. Nous laisserons ce problème à des recherches futures.
15
Je remercie Marie-Thérèse Vinet et Luc Baronian pour les données du français québécois. Néanmoins, comme
me l’a fait marquer Marie-Thérèse Vinet (c.p.), l’emploi de l’auxiliaire avoir peut varier selon le locuteur.
42
CHAPITRE I
CONSIDÉRATIONS SUR L’ASPECT ET SUR L’HYPOTHÈSE INACCUSATIVE
(40) a. J’ai tombé à terre.
b. J’ai arrivé à la maison de bonne heure.
c. On a sorti de bonne heure/J’ai sorti par la porte d’en arrière.
d. J’ai rentré dans ma maison.
e. J’ai venu pour le dire pis je me suis arrêté.
f. Il a allé au stade en trois minutes.
g. Il a entré dans la salle en un second.
h. J’ai parti en deux minutes.
i. Il a retourné à la maison en deux minutes.
La sélection de l’auxiliaire avoir ne pose pas de problèmes de compatibilité avec les
adverbiaux ponctuels et avec l’adverbial télique ‘en x temps’ :
(41)
Jean a arrivé/parti/entré/sorti à huit heures.
(42)
Jean a arrivé/parti/entré/sorti en deux minutes.
En revanche, l’interprétation de présent accompli exige l’emploi de l’auxiliaire être en FQ :
(43) a. *Maintenant qu’il a arrivé/entré chez lui, il ne voudra plus jamais ressortir.
b. Maintenant qu’il est arrivé/entré chez lui, il ne voudra plus jamais ressortir.
L’auxiliaire être est employé avec les verbes de changement de lieu tels que ‘arriver’, ‘partir’,
‘entrer’, ‘sortir’ et ‘tomber’ pour exprimer l’état :
(44)
Jean est arrivé (= là)/parti (= absent)/entré (= dedans)/sorti (= dehors)/tombé (= par
terre).
I.9.2. Le français acadien (FA) :
Les variétés de français parlé au Canada sont traditionnellement regroupées en deux
dialectes principaux : le français du Québec et le français acadien. Schématiquement, le
français du Québec inclut le français parlé dans la province du Québec mais aussi le français
de l’Ontario et le français parlé à l’ouest du Canada. Le français acadien inclut le français
43
CHAPITRE I
CONSIDÉRATIONS SUR L’ASPECT ET SUR L’HYPOTHÈSE INACCUSATIVE
parlé dans les trois provinces maritimes (Prince Edward Island, New Brunswick et Nova
Scotia), dans la province du Newfoundland et dans des petites aires du Québec 16.
King et Nadasdi (2005) observent que tout comme les autres variétés de français non
standard, le français acadien parlé dans l’Ile-du-Prince-Edouard, au large de la côte Est du
Canada, permet l’emploi de l’auxiliaire avoir avec les verbes qui, en français standard, se
conjuguent obligatoirement avec être (cf. l’échelle de Legendre et Sorace dans la section
I.13.). En outre, elles observent qu’il existe une division nette entre le français acadien et les
autres variétés de français canadien : « L’emploi de avoir comme auxiliaire est presque
catégorique en acadien alors qu’il y a beaucoup de variation dans les autres variétés » (King et
Nadasdi (2005 : 105)).
Voici des exemples concernant les verbes de changement de lieu :
(45) a. Toute la famille a venu dans quatre-vingt-deux, on a tout été à Florida.
(King et Nadasdi (2005 : 103 (1a)))
b. J’ai parti en 1960 puis l’électricité a venu après.
(King et Nadasdi (2005 : 105 (3a)))
c. Ils avont sorti par la porte en arrière.
(King et Nadasdi (2005 : 105 (3b)))
d. Ils aviont tombé à l’eau.
(King et Nadasdi (2005 : 105 (3c)))
En FA comme en FQ, les adverbiaux ponctuels et l’adverbial télique ‘en x temps’ sont
compatibles avec l’auxiliaire avoir :
(46)
Il a arrivé/parti/entré/sorti/venu/allé chez elle à huit heures.
(Ruth King (c.p.))
(47)
Il a arrivé/parti/entré/sorti/venu/allé chez elle en deux heures.
(Ruth King (c.p.))
Contrairement à ce qu’on observe en FQ, l’interprétation de présent accompli en FA est
compatible aussi bien avec l’auxiliaire être qu’avec l’auxiliaire avoir :
(48) a. Asteure qu’il a arrivé/entré/parti/sorti/mouri.
b. Asteure qu’il est arrivé/entré/parti/sorti/mort17.
16
Nous renvoyons le lecteur à King (2000) pour plus de détails.
44
CHAPITRE I
CONSIDÉRATIONS SUR L’ASPECT ET SUR L’HYPOTHÈSE INACCUSATIVE
Tout comme en FQ aussi en FA l’auxiliaire être est employé avec les verbes de changement
de lieu tels que ‘arriver’, ‘partir’, ‘entrer’, ‘sortir’ et ‘tomber’ pour exprimer l’état :
(49)
Jean est arrivé (= là)/parti (= absent)/entré (= dedans)/sorti (= dehors)/tombé (= par
terre).
I.9.2.1. Le cas du verbe mourir :
King et Nadasdi observent qu’en FA le verbe mourir peut sélectionner aussi bien
l’auxiliaire être que l’auxiliaire avoir et que selon le type d’auxiliaire sélectionné la forme
morphologique du participe change : mouri avec l’auxiliaire avoir et mort avec l’auxiliaire
être18.
Les adverbiaux ponctuels et l’adverbial télique ‘en x temps’ sont de préférence employés
avec l’auxiliaire avoir :
(50) a. Monsieur a mouri à huit heures.
b. ??Monsieur est mort à huit heures.
(Ruth King (c.p.))
(51) a. Monsieur a mouri en une heure.
(Ruth King (c.p.))
b. ??Monsieur est mort en une heure.
Observons maintenant les phrases suivantes tirées du corpus de King et Nadasdi (2005) :
(52) a. Ma sœur était mariée avec Camille. Et puis euh, lui est mort.
(King et Nadasdi (2005 : 108 (10a)))
b. l’homme le plus fort qu’a jamais marché à Tignish. Il est mort. Il s’a fait mal.
(King et Nadasdi (2005 : 108 (10b)))
c. Il y avait un homme across du chemin, il est mort, un Arsenault.
(King et Nadasdi (2005 : 108 (10c)))
17
Comme me l’a fait remarquer Ruth King (c.p.) asteure est une expression lexicalisée depuis longtemps en
français dialectal. Elle vient de ‘à cette heure’.
18
Le verbe naître, par contre, s’emploie avec l’auxiliaire être tout comme en FS et en FQ (cf. King et Nadasdi
(2005) pour plus de détails).
45
CHAPITRE I
CONSIDÉRATIONS SUR L’ASPECT ET SUR L’HYPOTHÈSE INACCUSATIVE
Dans les exemples ci-dessus, le verbe mourir se prête à deux interprétations différentes selon
qu’il dénote l’événement mourir ou l’état qui en résulte. En FA, l’emploi de l’auxiliaire avoir
avec le verbe mourir permet de distinguer l’interprétation perfective de celle d’état résultant et
fait disparaître l’ambiguïté interprétative de la forme être mort. Dans les exemples ci-dessous,
l’interprétation perfective est la seule possible19 :
(53) a. Il a mouri de vieillesse.
(King et Nadasdi (2005 : 106 (5a)))
b. J’ai bien proche mouri.
(King et Nadasdi (2005 : 106 (5b)))
c. Ils ont dit qu’il a mouri, je crois, en allant...en allant à l’hôpital.
(King et Nadasdi (2005 : 106 (5c)))
d. Il a mouri avant.
(King et Nadasdi (2005 : 106 (6)))
Observons maintenant les exemples ci-dessous où le verbe mourir est employé avec
l'auxiliaire être :
(54) a. Il y a trois qui sont morts, tous les trois. L’un est mort à St-Jean. Un autre est mort à
Bradford, Ontario. Un autre est mort à Toronto.(King et Nadasdi (2005 : 106 (7a)))
b. Il est mort en ‘60, il avait 80.
(King et Nadasdi (2005 : 106 (7b)))
King et Nadasdi (2005 : 106) observent que dans ces exemples les adverbiaux de temps et de
lieu forcent l’interprétation d’événement. Ruth King (c.p.) me fait observer que la variante
avec l’auxiliaire avoir est aussi possible mais que, toutefois, il y a une assez forte tendance à
employer l'auxiliaire être en (54). Les exemples en (54) montrent que lorsqu’on spécifie le
lieu ou le temps où s’est déroulé l’événement, l’auxiliaire être est préféré car il n’y a aucune
ambiguïté aspectuelle, tandis qu’en l’absence d’une expression forçant l’interprétation
d’événement, on recourt à l’auxiliaire avoir pour lever cette ambiguïté.
19
Ruth King (c.p.) me fait observer qu’avec l’adverbe de manière ‘lentement’ l’auxiliaire avoir est nettement
préféré :
(i)
Il a mouri lentement.
(ii)
?*Il est mort lentement.
46
CHAPITRE I
CONSIDÉRATIONS SUR L’ASPECT ET SUR L’HYPOTHÈSE INACCUSATIVE
I.9.3. Récapitulation :
La substitution de l’auxiliaire avoir à l’auxiliaire être dans les variétés de français parlé
en Amérique peut s’analyser comme la dernière étape d’un changement allant vers une
régularisation du choix de l’auxiliaire. Néanmoins, nous avons remarqué qu’en FQ
l’interprétation de présent accompli exige l’emploi de l’auxiliaire être avec les verbes de
changement de lieu qui sélectionnent l’auxiliaire être en FS, alors qu’en FA les deux
auxiliaires sont possibles. En revanche, avec ces mêmes verbes, l’interprétation perfective et
l’interprétation télique sont parfaitement compatibles avec l’auxiliaire avoir dans les deux
variétés. La régularisation de l’emploi de l’auxiliaire avoir avec les verbes de changement de
lieu qui sélectionnent être en FS semble donc s’arrêter devant l’interprétation de présent
accompli20.
Dans la sous-section I.7.3., nous avons défini l’état résultant comme le résultat d’une
transition associée à un changement d’état ou à un changement de lieu. Dans la prochaine
section, nous montrerons que l’état résultant peut s’inscrire dans une relation syntaxique
appelée ‘alternance causative’.
I.10. L’alternance causative :
Les verbes de changement d’état aussi bien en italien qu’en français sont compatibles
avec une construction transitive-causative dont l’objet est affecté par le changement d’état.
Par ailleurs, l’objet peut devenir le sujet d’une phrase intransitive marquant l’état résultant du
changement. Le paradigme syntaxique appariant ces deux constructions est appelé ‘alternance
causative’. Syntaxiquement, la construction transitive-causative implique deux arguments
dont l’un est la cause et l’autre l’argument interne affecté par le changement d’état 21. En
20
La même chose s’observe avec l’interprétation résultative. Dans la section III.11., nous verrons que, dans ces
variétés de français, ces mêmes verbes sélectionnent obligatoirement l’auxiliaire être dans l’interprétation
résultative, comme c’est le cas en français standard.
21
La notion d’ « affectedness » est due à Tenny (1994 : 157-158). Il s’agit d’une propriété sémantique de
l’argument interne objet d’un verbe. Un argument affecté est décrit comme un argument qui pose une borne
temporelle au changement d’état dénoté par le verbe.
Cette notion est liée à celles de causativité et d’état résultant :
(i)
Le soleil a fondu la neige.
(transitif-causatif)
(ii)
La neige est fondue.
(État Résultant)
En (i), le processus de fonte produit un changement d’état dans l’argument interne (qui est donc affecté par le
verbe) de telle manière qu’à la fin du processus l’état résultant est que La neige est fondue (cf. (ii)).
En revanche, la phrase :
47
CHAPITRE I
CONSIDÉRATIONS SUR L’ASPECT ET SUR L’HYPOTHÈSE INACCUSATIVE
revanche, dans la tournure intransitive, qui représente le résultat du changement d’état, il ne
reste que l’argument interne.
Voici des exemples :
(55) a. L’incendie a jauni/noirci le mur.
(transitif-causatif)
b. Le mur est jauni/noirci.
(État Résultant)
(56) a. L’incendio ha ingiallito/annerito il muro.
b. Il muro è ingiallito/annerito.
(57) a. Le chimiste a fondu le métal.
b. Le métal est fondu.
(58) a. Il chimico ha fuso il metallo.
b. Il metallo è fuso.
Certains verbes de changement de lieu sélectionnant l’auxiliaire ‘être’ ont, eux aussi, un
emploi transitif-causatif mais cela s’observe seulement en français et pas en italien. Il s’agit
des verbes sortir (‘uscire’), monter (‘salire’) et descendre (‘scendere’) :
(59) a. Max a sorti la bouteille/la casserole.
(transitif-causatif)
b. La bouteille/La casserole est sortie (du placard).
(État Résultant)
(60) a. *Max ha uscito la bottiglia/la pentola.
b. La bottiglia/La pentola è uscita 22.
(État Résultant : *) (Événementiel : √)
(iii)
Marie regarde la télé.
n’est pas une phrase transitive-causative puisque le C.O.D. télé n’est affecté par aucun changement d’état. Le
verbe regarder, donc, n’est pas capable de modifier la nature intrinsèque de l’objet (cf. Merlo (1989 : 30)).
22
Les phrases (60b) ne sont pas compatibles avec l’interprétation d’état résultant. Néanmoins, si l’on crée un
contexte adéquat, par exemple un tremblement de terre qui fait sortir la bottiglia ou la pentola du placard, les
phrases en (60b) sont interprétables et compatibles avec une interprétation dénotant l’action de ‘sortir’. Nous
appelons cette interprétation ‘événementielle’. Considérons par exemple les phrases suivantes :
(i)
La bottiglia/la pentola è uscita (dall’armadietto) (alle otto)/(in un secondo).
Lit. La bouteille/la casserole est sortie (du placard) (à huit heures)/(en un instant)
(État Résultant : *) (Événementiel : √)
Ces phrases sont interprétables dans un contexte comme le suivant : ‘C’è stato un un terremoto e ne è uscita una
(di bottiglia/di pentola) dall’armadietto’/’Il y a eu un tremblement de terre et il en est sorti une (de bouteille/de
casserole) du placard’.
48
CHAPITRE I
CONSIDÉRATIONS SUR L’ASPECT ET SUR L’HYPOTHÈSE INACCUSATIVE
(61) a. Max a monté/descendu la poubelle.
(transitif-causatif)
b. La poubelle est montée/descendue.
(État Résultant)
(62) a. *Max ha salito/ha sceso la spazzatura.
b. La spazzatura è salita/scesa23.
(État Résultant : *) (Événementiel : √)
Dans l’optique des primitifs sémantiques de Jackendoff (1990), la sémantique de l’alternance
causative est représentée de la façon suivante (cf. aussi Levin et Rappaport-Hovav (1995 :
84)) :
(63)
[x CAUSE [y BECOME [STATE]]]
tandis que la relation :
(64)
[y STATE]
serait la représentation de l’état résultant de l’alternance causative.
Comme nous l’avons observé en (55)-(58), les verbes de changement d’état sont associés
au paradigme de l’alternance causative. L’état résultant issu de cette transition est donc
représenté par la relation sémantique en (65) :
(65)
[y STATE]
Le métal est fondu.
Il metallo è fuso.
Cependant, l’état résultant n’est pas nécessairement mis en relation avec une forme transitive
directe à valeur causative. En effet, comme nous l’avons observé dans la sous-section I.7.3.,
les verbes de changement de lieu tels que ‘arriver’ et ‘partir’ peuvent être associés à une
interprétation d’état résultant même s’ils ne sont pas compatibles avec une structure
transitive-causative.
23
L’observation que nous avons faite pour (60b) est valable aussi pour (62b). Imaginons un monte-charge qui
monte et descend la poubelle. Dans ce contexte, les phrases (62b) sont interprétables et compatibles avec une
interprétation dénotant l’action de ‘monter’ et ‘descendre’ :
(i)
La spazzatura è salita/scesa (alle otto)/(in due minuti)/(per due minuti).
Lit. La poubelle est montée/descendue (à huit heures)/(en deux minutes)/(pendant deux minutes)
(État Résultant : *) (Événementiel : √)
49
CHAPITRE I
CONSIDÉRATIONS SUR L’ASPECT ET SUR L’HYPOTHÈSE INACCUSATIVE
Donc, d’une part, il s’avère que beaucoup de verbes permettant l’état résultant ont aussi
un emploi transitif-causatif comme, par exemple, casser, cuire, rouiller, durcir, augmenter,
pourrir, mais d’autre part, il existe des verbes qui n’ont pas de correspondant transitif-causatif
mais qui peuvent malgré tout être associés à une interprétation d’état résultant : divorcer,
atterrir, décroître, aboutir, arriver, partir.
Ci-dessous nous allons voir comment les primitifs sémantiques associés à l’alternance
causative s’appliquent à la structure syntaxique de Hale et Keyser (1993).
50
CHAPITRE I
CONSIDÉRATIONS SUR L’ASPECT ET SUR L’HYPOTHÈSE INACCUSATIVE
I.11. Hale et Keyser (1993) :
L’idée centrale de l’analyse de Hale et Keyser (1993 : 64) est que la syntaxe est projetée
à partir du lexique. Autrement dit, selon ces auteurs, la structure argumentale correspond à
une structure syntaxique particulière qui se base sur des relations lexicales ( « Lexical
Relation Structure » (LRS)). La notion qui est à la base de la structure syntaxique élaborée par
Hale et Keyser est celle de changement, qui peut correspondre à un changement d’état ou à un
changement de lieu. Un changement implique un état résultant qui peut être associé aussi bien
à un SA (syntagme adjectival) qu’à un SP (syntagme prépositionnel), selon que le
changement correspond, respectivement, à un changement d’état ou à un changement de lieu :
(66)
The cook thinned the gravy.
(Hale et Keyser (1993 : 72 et passim))
Le cuisinier a délayé la sauce.
Sv
SN
The cook
v’
v°
(thin)ined
SV
V’
SN
the gravy
V°
ti
SA
ti
51
CHAPITRE I
CONSIDÉRATIONS SUR L’ASPECT ET SUR L’HYPOTHÈSE INACCUSATIVE
(67)
He shelved the books.
(Hale et Keyser (1993 : 56 et passim))
Il a rangé les livres sur les/des étagères.
Sv
v’
He
v°
(shelv)ied
SV
V’
SN
the books
V°
ti
SP
P°
(on
SN
the shelf)
Dans l’optique de l’analyse lexicale de Hale et Keyser (1993), un verbe de changement
d’état comme thin (‘délayer’) est le résultat de l’incorporation d’une tête adjectivale dans une
tête verbale V°. En (66), l’adjectif thin (‘fin’), engendré dans la tête du SA, se déplace dans
V° pour former le verbe thin. Puis, le verbe se déplace dans v°. En revanche, la structure (67)
nous montre la dérivation du verbe dé-nominal shelve (‘mettre sur une étagère’) qui est
interprété par les auteurs comme un verbe de changement de lieu dont la périphrase serait put
something on the shelf (‘mettre quelque chose sur l’étagère’). Dans l’optique de l’analyse
lexicale de Hale et Keyser (1993), le verbe shelve est le résultat de l’incorporation du SN shelf
(‘étagère’) complément du SP dans la tête P°. Puis, la séquence P°+SN monte en V° pour
former le verbe shelve et ensuite le verbe se déplace en v°. Sans entrer dans les détails du
52
CHAPITRE I
CONSIDÉRATIONS SUR L’ASPECT ET SUR L’HYPOTHÈSE INACCUSATIVE
mécanisme d’incorporation adopté par Hale et Keyser, les structures arborescentes en (66) et
(67) peuvent être décomposées de la façon suivante24 :
•
Sv est associé à la relation CAUSE de l’événement et accueille dans son spécificateur le
SN qui déclenche le changement.
•
SV spécifie la nature du changement et accueille dans son spécificateur le SN affecté
par le changement d’état ou de lieu.
•
SA et SP dénotent le telos de l’événement25.
À la suite de Hale et Keyser (1993), Folli (2001 : 46) propose de remplacer les
projections SA et SP par la projection SvR (syntagme de l’état résultant) qui accueille l’état
résultant du changement d’état ou du changement de lieu. La représentation sémantique de
l’alternance causative avec les verbes de changement d’état en (63) correspond à la structure
syntaxique suivante où la projection SA a été remplacée par la projection SvR (cf. Folli
(2001)) :
24
Les structures de Hale et Keyser en (66) et (67) s’inspirent à la structure à double SV élaborée par Larson
(1988). En bref, Larson propose un éclatement de la projection SV en deux projections superposées : SV1, dont
la tête V° a pour argument interne un autre SV (SV2) et, SV2, qui a pour argument interne un SP (cf. Larson
(1988) pour plus de détails à ce propos).
25
La structure syntaxique transitive-causative proposée par Hale et Keyser entraîne aussi des conséquences
concernant le Critère Thêta : le SN occupant la position [spéc. Sv] reçoit le thêta-rôle Cause, tandis que le SN
dans [spéc. SV] est associé au thêta-rôle Thème, (cf. la section I.17. et la troisième partie du chapitre II pour plus
de détails sur la notion de thêta-rôle et sur le thêta-rôle Thème).
53
CHAPITRE I
CONSIDÉRATIONS SUR L’ASPECT ET SUR L’HYPOTHÈSE INACCUSATIVE
(68)
Sv
v’
(le chimiste)
SV
CAUSE
V’
(le métal)
SvR
BECOME
vR’
SX
STATE
(fondu)
Dans la prochaine sous-section, nous analyserons les phrases appelées résultatives (cf. Folli
(2001)).
I.12. Les phrases résultatives :
L’ordre syntaxique linéaire des phrases résultatives est Sujet-Verbe-SN-SvR (SA/SP).
L’emploi de ces constructions est plus répandu en anglais qu’en français et en italien. Dans
les prochaines sous-sections, nous verrons des applications de la construction résultative
dénotant un changement d’état ou de lieu. En particulier, nous focaliserons notre attention sur
la construction résultative dénotant un changement de lieu (cf. la sous-section I.12.2.).
54
CHAPITRE I
CONSIDÉRATIONS SUR L’ASPECT ET SUR L’HYPOTHÈSE INACCUSATIVE
I.12.1. La construction résultative et le changement d’état :
Considérons les phrases suivantes :
(69) a. John hammered the metal flat.
b. *Gianni ha martellato il metallo piatto.
c. *Jean a martelé le métal plat.
En (69), l’adjectif flat (‘plat’) dénote l’état résultant de l’objet affecté the metal (‘le métal’)
par l’action de la cause John (‘Jean’). En particulier, la syntaxe de (69) correspond à la
structure sémantique de l’alternance causative en (63) et rappelée ci-dessous en (70) :
(70)
[x CAUSE [y BECOME [STATE]]]
[John hammered [the metal [flat]]]
En fait, en italien, certaines phrases comme :
(71) a. Gianni ha picchiato il cane a morte.
Lit. Jean a frappé le chien à mort
b. Gianni ha tagliato il prezzemolo fino fino.
Lit. Jean a coupé le persil fin fin
peuvent être analysées comme des constructions résultatives et être associées à la structure
syntaxique en (68) et à la construction sémantique en (70)26.
Dans la prochaine sous-section, nous appliquerons la structure en (68) pour analyser les
verbes de changement de lieu qui ont un emploi transitif-causatif.
26
Nous renvoyons le lecteur à Folli (2001) pour plus de détails sur la syntaxe des constructions résultatives en
italien.
55
CHAPITRE I
CONSIDÉRATIONS SUR L’ASPECT ET SUR L’HYPOTHÈSE INACCUSATIVE
I.12.2. Observations sur l’alternance causative et sur la construction résultative avec
certains verbes de changement de lieu :
Dans la section I.10., nous avons observé qu’en français, contrairement à l’italien,
l’alternance causative concerne aussi certains verbes dénotant un changement de lieu. Nous
avons aussi observé que la notion d’état résultant est impliquée dans l’alternance causative.
Les verbes de changement de lieu analysés dans cette section sont monter, descendre, sortir et
leurs correspondants italiens.
Tenny (1994 : 148) remarque qu’en anglais certaines particules adverbiales ( « adverbial
particles » ) ont une propriété sémantique particulière : elles peuvent déclencher une
interprétation d’état résultant. Dans la terminologie de Tenny, ces particules adverbiales sont
des évaluateurs ( « measurers » ), en ce sens qu’elles permettent d’évaluer l’état
d’avancement de l’événement dénoté par le verbe 27. Lorsqu’elles occupent la position après
l’objet
elles
déclenchent
l’interprétation
d’état
résultant
du
prédicat
(Tenny
(1994 : 146 (23a))) :
(72) a. Run up the flag.
(construction transitive-causative) (activité : √)
b. Hisse le drapeau.
c. Tira su la bandiera.
(73) a. Run the flag up.
(construction résultative) (État Résultant : √)
b. Hisse le drapeau jusqu’en haut.
c. Tira la bandiera su.
L’italien, contrairement au français, n’emploie pas les verbes uscire (‘sortir’), salire
(‘monter’) et scendere (‘descendre’) dans l’alternance causative (comparer (74), (77), (80)
avec (75), (78), (81)) mais il emploie, en revanche, des verbes complexes composés d’un
verbe et d’un adverbe (cf. (76), (79), (82)) :
27
Nous renvoyons le lecteur à la troisième partie du chapitre II pour une analyse plus détaillée de la notion
d’évaluateur.
56
CHAPITRE I
CONSIDÉRATIONS SUR L’ASPECT ET SUR L’HYPOTHÈSE INACCUSATIVE
(74) a. Max a sorti la bouteille/la casserole.
(transitif-causatif)
b. La bouteille/La casserole est sortie.
(État Résultant)
(75) a. *Max ha uscito la bottiglia/la pentola.
b. La bottiglia/La pentola è uscita 28.
(État Résultant : *) (Événementiel : √)
(76) a. Max ha tirato fuori la bottiglia/la pentola.
(transitif-causatif)
Lit. Max a tiré dehors la bouteille/la casserole.
‘Max a sorti la bouteille/casserole.’
b. La bottiglia/La pentola è fuori.
(État Résultant)
Lit. La bouteille/La casserole est dehors (sortie).
(77) a. Max a sorti la voiture.
(transitif-causatif)
b. La voiture est sortie.
(État Résultant)
(78) a. *Max ha uscito la macchina.
b. La macchina è uscita29.
(État Résultant : *) (Événementiel : √)
(79) a. Max ha portato fuori la macchina.
(transitif-causatif)
Lit. Max a porté dehors la voiture.
‘Max a sorti la voiture.’
b. La macchina è fuori.
(État Résultant)
Lit. La voiture est dehors (sortie).
(80) a. Max a monté/descendu la poubelle.
(transitif-causatif)
b. La poubelle est montée/descendue.
(État Résultant)
(81) a. *Max ha salito/ha sceso la spazzatura.
(État Résultant : *) (Événementiel : √)
b. La spazzatura è salita/scesa.
(82) a. Max ha portato su/giù la spazzatura.
(transitif-causatif)
28
Comme nous l’avons remarqué dans la section I.10., les phrases (75b) et (81b) ne sont pas compatibles avec
l’interprétation d’état résultant mais elles sont interprétables dans un contexte dénotant l’action de ‘sortir’,
‘monter’ et ‘descendre’. Nous appelons cette interprétation ‘événementielle’.
29
La phrase (78b) n’est pas compatible avec l’interprétation d’état résultant contrairement à son correspondant
français (cf. (77b)). Néanmoins, le SN macchina peut être interprété comme ayant des propriétés sémantiques
animées si l’on considère que c’est la voiture plus son contenu (par exemple, le chauffeur) qui sort. Dans ce cas,
(78b) est associée à une interprétation dénotant l’action de ‘sortir’.
57
CHAPITRE I
CONSIDÉRATIONS SUR L’ASPECT ET SUR L’HYPOTHÈSE INACCUSATIVE
Lit. Max a porté en haut/en bas la poubelle.
‘Max a porté la poubelle jusqu’en haut/bas.’
b. La spazzatura è su/giù.
(État Résultant)
Lit. La poubelle est en haut/en bas.
Considérons maintenant les phrases suivantes :
(construction résultative) (État Résultant : √)
(83) a. Max a sorti la voiture dehors.
b. *Max a sorti dehors la voiture.
(84) a. Max a monté les meubles en haut 30. (construction résultative) (État Résultant : √)
b. *Max a monté en haut les meubles.
(85) a. Max a descendu la poubelle en bas. (construction résultative) (État Résultant : √)
b. *Max a descendu en bas la poubelle.
Les phrases (83a), (84a) et (85a) sont tout à fait acceptables quoique redondantes à cause de la
présence de l’élément locatif dehors, en haut et en bas et elles montrent que les adverbes
dehors, en haut et en bas sont compatibles avec les verbes sortir, monter et descendre
seulement s’ils se placent en position finale. Les locuteurs du français auxquels ces phrases
ont été soumises les associent à une interprétation d’état résultant. La même chose s’observe
en anglais avec certains verbes complexes lesquels, comme l’a remarqué Tenny (cf. supra),
sont interprétés différemment selon la position occupée par la particule adverbiale.
En italien aussi, la place occupée par l’adverbe peut changer l’interprétation de la phrase.
Par exemple, les phrases suivantes contrairement aux phrases en (76), (79) et (82) dénotent
l’état résultant de l’action de ‘sortir la bouteille, la casserole, la voiture ; monter ou descendre
la poubelle’ :
(86)
Max ha tirato la bottiglia/la pentola fuori.
(construction résultative) (État Résultant : √)
Lit. Max a tiré la bouteille/la casserole dehors.
30
Comme me l’a fait observer Anne Zribi-Hertz (c.p.), l’expression ‘monter un meuble’ est ambiguë. Elle
signifie déplacer le meuble dans un endroit supérieur (antonyme : descendre) ou bien assembler (antonyme :
démonter). Ici, nous retenons seulement l’interprétation de monter en tant que verbe de mouvement.
58
CHAPITRE I
CONSIDÉRATIONS SUR L’ASPECT ET SUR L’HYPOTHÈSE INACCUSATIVE
(87)
Max ha portato la macchina fuori.
(construction résultative) (État Résultant : √)
Lit. Max a porté la voiture dehors.
(88)
Max ha portato la spazzatura su/giù. (construction résultative) (État Résultant : √)
Lit. Max a porté la poubelle en bas/dehors.
À partir des observations que nous avons faites ci-dessus, nous pouvons affirmer qu’en italien
tout comme en anglais, certains verbes complexes dénotant un changement de lieu peuvent
être associés à une structure syntaxique tout à fait semblable à celle de la construction
résultative anglaise en (69a).
Nous proposons donc la représentation syntaxique suivante pour les phrases italiennes
(86), (87) et (88), tout comme pour les phrases françaises (83a), (84a) et (85a) et pour la
phrase anglaise en (73a) :
(89)
Sv
v’
(Max)
SV
CAUSE
(la macchina/la voiture)
V’
SvR
TRANSITION
vR’
SX
ETAT
(fuori/dehors)
59
CHAPITRE I
CONSIDÉRATIONS SUR L’ASPECT ET SUR L’HYPOTHÈSE INACCUSATIVE
La construction en (89) est tout à fait analogue à la construction (68). En (68), cette
construction a été employée pour décrire formellement la sémantique de l’alternance
causative avec les verbes de changement d’état et la sémantique des constructions résultatives
associées aux verbes de changement d’état. Il s’ensuit donc que la construction en (68) est
capable de décrire non seulement l’état résultant associé aux verbes de changement d’état
mais aussi l’état résultant issu de la construction transitive-causative sélectionnée par certains
verbes de changement de lieu. En effet, la propriété fondamentale de cette construction,
qu’elle soit associée à des verbes de changement d’état ou de lieu, est celle de décrire un
processus de changement qui mène à l’aboutissement d’un point final (telos) dénoté par un
adjectif ou par un adverbe locatif. Comme nous l’avons déjà observé à plusieurs reprises, tout
changement implique une transition à partir d’un sous-événement initial <e1> vers un sousévénement final <e2>. La transition dénotant un changement d’état est, généralement, associée
au primitif sémantique Become (‘Devenir’) et, comme nous l’avons vu (cf. (68)), elle est
associée au niveau syntaxique à la projection SV. Étant donné que la transition dénotant un
changement de lieu n’est pas associée au primitif sémantique Become, nous proposons
d’associer à la projection SV en (89) l’étiquette ‘transition’ pour dénoter des
accomplissements ou des achèvements déclenchés par des verbes de changement de lieu.
Au chapitre II, nous emploierons la construction à double SV de Hale et Keyser pour
analyser les verbes inaccusatifs. C’est pourquoi la troisième partie de ce chapitre est
entièrement consacrée à la question de l’Hypothèse Inaccusative telle qu’elle a été formulée
par Perlmutter (1978), puis remaniée et approfondie par d’autres auteurs. Avant d’aborder
l’Hypothèse Inaccusative, nous décrirons en bref l’approche sémantique et aspectuelle
élaborée par Legendre et Sorace (2003) concernant la distribution des auxiliaires ‘être’ et
‘avoir’ avec les verbes intransitifs en français et en italien.
60
CHAPITRE I
CONSIDÉRATIONS SUR L’ASPECT ET SUR L’HYPOTHÈSE INACCUSATIVE
Troisième partie : l’Hypothèse Inaccusative
I.13. La distribution des auxiliaires ‘être’ et ‘avoir’ en français et en italien (Legendre et
Sorace (2003)) :
La variation dans la sélection de l’auxiliaire des verbes intransitifs italiens et français est
schématisée par Sorace et Legendre (2003) par une échelle de sélection de l’auxiliaire
( « Auxiliary Selection Hierarchy » (ASH)).
Sur la base de cette échelle, on observe que l’auxiliaire ‘avoir’ est plus répandu en
français qu’en italien et que l’ensemble des verbes qui sélectionnent être en français est un
sous-ensemble des verbes qui sélectionnent essere en italien31. En outre, on observe qu’en
italien certains verbes peuvent sélectionner les deux auxiliaires, tandis que ce cas de figure est
très limité en français.
En (90) nous rappelons le schéma de la distribution des auxiliaires ‘être/essere’ et
‘avoir/avere’ en français et en italien tel qu’il est proposé par Legendre et Sorace :
31
Parmi les ‘principales’ langues romanes, l’italien est encore loin d’une généralisation totale de l’auxiliaire
avere pour former les temps composés. Lois (1990) divise les langues romanes en deux groupes selon le type
d’auxiliaire sélectionné avec les verbes intransitifs. Les langues avec l’alternance des auxiliaires (GROUPE A) :
français, italien, occitan, piémontais et les langues où il n’y a pas d’alternance (GROUPE B) : espagnol,
portugais, roumain, wallon (à cette liste on pourrait ajouter aussi d’autres langues comme le catalan et le
sicilien). Les langues du GROUPE B, contrairement aux langues du GROUPE A, sélectionnent ‘avoir’ comme
auxiliaire de tous les verbes intransitifs.
61
CHAPITRE I
CONSIDÉRATIONS SUR L’ASPECT ET SUR L’HYPOTHÈSE INACCUSATIVE
(90)
(tableau adapté d’après Sorace (2000) et Legendre et Sorace (2003))
AUXILIAIRE
FRANÇAIS
CLASSE DE VERBES
ITALIEN
E
E
E
E
E*
E
E*
E
A
E*
A
E*
A
A
E
E*
A
A*
A
A
A
A*
A
A*
A
A
Changement de lieu :
arriver/arrivare, partir/partire, entrer/entrare,
sortir/uscire, tomber/cadere, venir/venire,
aller/andare.
Changement d’état :
a. Changement de condition : mourir/morire,
naître/nascere.
b. Apparition : apparaître/apparire,
disparaître/scomparire, etc.
c. Modification orientée non bornée :
monter/salire, descendre/scendere
diminuer/diminuire, baisser/abbassarsi,
augmenter/aumentare, faner/appassire,
empirer/peggiorare, fleurir/fiorire, pourrir/marcire,
etc.
Continuation d’un état pré-existant :
durer/durare, rester/restare, survivre/sopravvivere,
etc.
Existence d’un état :
a. être/essere.
b. exister/esistere, suffire à/bastare,
sembler/sembrare, appartenir/appartenere,
servir/servire, etc.
Processus incontrôlés :
a. Emission : résonner/risuonare, sonner/suonare,
(verbes météorologiques : pleuvoir/piovere,
neiger/nevicare, grêler/grandinare, faires des
éclairs/lampeggiare, tonner/tuonare), etc.
b. Fonctionnements corporels : transpirer/sudare,
etc.
c. Réactions involontaires :
trembler/tremare, etc.
Mouvements contrôlés :
nager/nuotare, sauter/saltare, courir/correre, etc.
Processus contrôlés sans mouvement :
travailler/lavorare, jouer/giocare,
bavarder/chiacchierare, parler/parlare,
rigoler/scherzare, etc.
.
62
CHAPITRE I
CONSIDÉRATIONS SUR L’ASPECT ET SUR L’HYPOTHÈSE INACCUSATIVE
L’échelle en (90) vise à classer les verbes intransitifs du français et de l’italien en groupes
sémantiques homogènes selon leur degré de cohérence dans la sélection de l’auxiliaire. En
particulier, dans cette échelle, le choix de l’auxiliaire dépend de deux paramètres, l’un
aspectuel et l’autre thématique :
- paramètre aspectuel (télicité)
- paramètre thématique (agentivité)
Selons les auteurs, au fur et à mesure qu’on s’éloigne des verbes centraux (les verbes placés
aux deux extrémités de l’échelle), le degré de télicité et d’agentivité diminue jusqu’à
s’annuler au centre de l’échelle.
I.13.1. Verbes centraux et verbes périphériques :
En observant le tableau de Legendre et Sorace en (90) on voit qu’à une extrémité de
l’échelle se placent des verbes de ‘changement de lieu’, tandis que dans l’autre extrémité se
placent des verbes dénotant un processus contrôlé sans mouvement 32. Ces verbes présentent le
degré de cohésion le plus élevé quant à la sélection de l’auxiliaire. Les premiers sélectionnent
‘être’ et ils sont associés au plus haut degré de télicité, tandis que les seconds sélectionnent
‘avoir’ et ils sont associés au plus haut degré d’agentivité. Ces verbes sont appelés ‘verbes
centraux’ par les auteurs qui concluent que « c’est l’aspect présent dans la description lexicale
‘inhérente’ du verbe qui détermine le choix de l'auxiliaire » (Legendre et Sorace (2003 :
193)). En effet, les auteurs remarquent aussi que ces verbes « tendent à sélectionner le même
auxiliaire indépendamment de la contribution apportée par d’autres éléments aspectuels […]
de la phrase dans laquelle ils apparaissent » (Legendre et Sorace (2003 : 193)). Ainsi, un
verbe tel que ‘arriver’ sélectionne l’auxiliaire ‘être’ bien que le contexte soit fréquentatif tout
comme le verbe ‘tomber’ sélectionne l’auxiliaire ‘être’ qu’il soit associé à une interprétation
agentive-intentionnelle ou non-agentive inintentionnelle :
32
Comme nous le verrons dans la section II.1., le mouvement n’implique pas nécessairement de déplacement.
Néanmoins, certains des verbes que Legendre et Sorace classent dans le groupe des verbes dénotant un processus
contrôlé sans mouvement peuvent être associés à un contexte de mouvement. Par exemple, les verbes ‘travailler’
et ‘jouer’ impliquent un mouvement. Suite à ces observations nous pouvons donc affirmer que cette classe de
verbes n’est pas sémantiquement homogène contrairement à ce qu’affirment Legendre et Sorace.
63
CHAPITRE I
CONSIDÉRATIONS SUR L’ASPECT ET SUR L’HYPOTHÈSE INACCUSATIVE
(91) a. Des plaintes sont arrivées continuellement/pendant deux heures.
(fréquentatif)
b. Sono arrivate lamentele in continuazione/per due ore.
(92) a. Marie est tombée volontairement pour ne pas aller travailler. (agentif-intentionnel)
b. Maria è caduta apposta per non andare a lavorare.
(93) a. Le vase est tombé de la table.
(non-agentif inintentionnel)
b. Il vaso è caduto dal tavolo.
(Legendre et Sorace (2003 : (8a), (9a,b)))
La variation dans la distribution des auxiliaires ‘être’ et ‘avoir’ entre les deux langues se
trouve en dehors du groupe des verbes centraux. Ce sont les verbes appelés périphériques par
les auteurs qui manifestent de la variation en ce qui concerne la sélection de l’auxiliaire.
Pour ce qui concerne la sélection de l’auxiliaire, Legendre et Sorace remarquent que
« c’est l’aspect ‘compositionnel’ (i.e. la structure de l’événement [télique ou atélique] associé
avec l’ensemble du prédicat) qui détermine [le] choix [de l’auxiliaire] avec les verbes
périphériques ».
En particulier, en italien la variation est répandue dans toutes les classes de verbes
périphériques, tandis qu’en français la variation est limitée à un groupe restreint de verbes.
Plus précisément, selon Legendre et Sorace, en français, cette variation est limitée aux verbes
monter et descendre, qui appartiennent à la classe des verbes dénotant une modification
orientée non bornée, et à un certain nombre de verbes appartenant à la classe de verbes
appelés ‘verbes d’apparition’ par les auteurs.
Selon l’Hypothèse Inaccusative, le type d’auxiliaire sélectionné par les verbes est un
corrélat secondaire de leur structure argumentale. Dans les prochaines sections, nous
analyserons, dans l’optique de l’Hypothèse Inaccusative, la structure argumentale des verbes
selon le type d’auxiliaire sélectionné.
I.14. La structure argumentale :
« On peut […] comparer le verbe à une sorte d’atome crochu susceptible d’exercer son
attraction sur un nombre plus ou moins élevé d’actants, selon qu’il comporte un nombre plus
ou moins élevé de crochets pour les maintenir dans sa dépendance. Le nombre de crochets
que présente un verbe et par conséquent le nombre d’actants qu’il est susceptible de régir,
constitue ce que nous appellerons la valence du verbe » (Tesnière (1965 : 238)).
64
CHAPITRE I
CONSIDÉRATIONS SUR L’ASPECT ET SUR L’HYPOTHÈSE INACCUSATIVE
Chez Tesnière, la notion d’actant est synonyme de celle d’argument en grammaire
générative. Dans la terminologie de Tesnière, on distingue ainsi les verbes avalents,
monovalents, bivalents et trivalents selon le nombre d’actants :
(94)
Il pleut.
(avalent = 0 actants/arguments)
(95)
Jean mange.
(96)
Jean a cassé le verre.
(bivalent = 2 actants/arguments)
(97)
Jean a donné le livre à Marie.
(trivalent = 3 actants/arguments)
(monovalent = 1 actant/argument)
On emploie aussi couramment les termes intransitif, transitif et ditransitif pour caractériser un
verbe par le nombre d’arguments qu’il sélectionne. Ainsi, un verbe intransitif sélectionne un
argument, un verbe transitif sélectionne deux arguments, tandis qu’un verbe ditransitif
sélectionne trois arguments.
À l’intérieur du groupe des verbes à un seul argument (intransitifs), Perlmutter (1978)
propose de distinguer deux sous-classes : les verbes inergatifs et les verbes inaccusatifs. Les
verbes intransitifs qu’il baptise inergatifs sélectionnent un argument externe (sujet), tandis
que les verbes intransitifs qu’il nomme inaccusatifs sélectionnent un argument interne qui est
engendré dans la position d’objet.
Nous allons préciser et justifier cette hypothèse dans les prochaines sections.
I.15. L’Hypothèse Inaccusative dans le cadre de la Grammaire Relationnelle (Perlmutter
(1978)) :
C’est Perlmutter (1978) qui a élaboré le premier dans le cadre de la grammaire
relationnelle (GR) ce qu’on appelle l’Hypothèse Inaccusative ( « The Unaccusative
Hypothesis » (UH)). L’Hypothèse Inaccusative a été ensuite reprise et appliquée à l’analyse
des verbes italiens par Burzio (1981, 1986).
Dans le cadre de la GR, l’Hypothèse Inaccusative est formulée ainsi (Perlmutter (1978 :
160)) : certaines propositions intransitives ont un 2 (objet direct) initial mais pas de 1 (sujet)
initial33. Perlmutter appuie son hypothèse sur l’observation que certains verbes sont
33
Dans le cadre de la GR, les relations grammaticales telles que sujet, objet direct, objet indirect et prédicat sont
notés respectivement par ‘1’, ‘2’, ‘3’, ‘P’ et elles sont considérées comme des primitifs de la théorie syntaxique.
La structure de la proposition est articulée selon différents niveaux (ou strates) de relations grammaticales. Ces
65
CHAPITRE I
CONSIDÉRATIONS SUR L’ASPECT ET SUR L’HYPOTHÈSE INACCUSATIVE
compatibles avec la structure impersonnelle, où l’argument sélectionné par le verbe n’est pas
promu à la position canonique du sujet, c’est-à-dire à gauche du prédicat, mais reste à la
droite du verbe dans la position normalement occupée par le C.O.D. Les verbes compatibles
avec la structure impersonnelle sont donc étiquetés inaccusatifs par Perlmutter.
En outre, Perlmutter observe que les verbes inaccusatifs partagent avec les constructions
passives une caractéristique syntaxique : dans la structure impersonnelle, le sujet des verbes
inaccusatifs est engendré dans la même positon que le sujet des verbes passivés. Dans le cadre
de la GR, le passif est donc conçu comme la promotion d’un élément de la positon 2 à la
position 1, à partir d’une structure transitive.
Ci-dessous, nous allons rappeler l’Hypothèse Inaccusative telle qu’elle a été reprise par
la théorie du gouvernement et du liage ( « Government and Binding » (GB)). Nous
analyserons aussi les tests qui ont été proposés pour étiqueter un verbe comme inaccusatif.
I.16. L’Hypothèse Inaccusative dans le cadre de la théorie du Gouvernement et du Liage
(Burzio (1981, 1986)) :
Dans le cadre de la GB, le schéma de la dérivation inaccusative est le suivant :
(98)
[ SI e [I' [SV VERBE SN ]]]34
La structure en (98) est une structure syntaxique à montée où le sujet est engendré en position
post verbale. À partir d’une structure profonde comme celle en (98), on peut obtenir deux
structures de surface :
strates sont ordonnées à partir d’une strate initiale jusqu’à une strate finale du haut vers le bas. À chaque élément
de la proposition, correspond une relation grammaticale, pour chaque strate (cf. Olié (1984) pour plus de détails).
34
Le symbole ‘e’ indique la position vide qui sera remplie par le sujet.
66
CHAPITRE I
CONSIDÉRATIONS SUR L’ASPECT ET SUR L’HYPOTHÈSE INACCUSATIVE
(99)
[SI SNi [I' [SV VERBE ti ]]]
[SI Une fillei [I' [SV est arrivée ti ]]]
(100)
[SI explétif [I' [SV VERBE SN ]]]
(structure dite impersonnelle)
[SI Il [I' [SV est arrivé une fille ]]]
Selon cette analyse, le sujet d’un verbe inaccusatif se déplace dans [spéc. SI] pour recevoir le
cas nominatif comme en (99) ou bien il reste dans sa position de base in situ (cf. (100)). Dans
ce deuxième cas, la position en [spéc. SI] est remplie par un pronom explétif. Dans le cas du
français le pronom explétif est il, tandis qu’en italien un élément nul appelé pro en grammaire
générative occupe la position canonique du sujet à gauche du verbe en [spéc. SI] :
(101)
Il est arrivé deux filles.
(102)
pro sono arrivate due ragazze.
L’Hypothèse Inaccusative est donc une théorie syntaxique qui pose que le sujet de certains
verbes intransitifs est engendré en position objet. Étant donné que l’auxiliaire du passif est
‘être’ et que le sujet du passif est dérivé à partir d’une position d’objet, cette théorie revient
donc à poser que les verbes qui sélectionnent ‘être’ mais qui n’ont pas d’interprétation passive
ont également pour argument un ‘objet profond’. Ces verbes sont ceux qu’on étiquette
inaccusatifs. Dans la GB comme dans la GR, les verbes inaccusatifs s’opposent aux verbes
inergatifs par le fait que ces derniers sélectionnent un argument unique externe et ils
sélectionnent l’auxiliaire ‘avoir’ :
(103)
[SI SN [I' [SV VERBE ]]]
[SI Une fille [I' [SV a téléphoné/travaillé/parlé ]]]
Nous traiterons de ces deux typologies de verbes et des tests d’inaccusativité dans la
prochaine sous-section.
67
CHAPITRE I
CONSIDÉRATIONS SUR L’ASPECT ET SUR L’HYPOTHÈSE INACCUSATIVE
I.16.1. Les tests syntaxiques d’inaccusativité :
Les corrélations conduisant à étiqueter un verbe tel que inaccusatif sont plusieurs. Cidessous nous rappelons la liste des tests syntaxiques d’inaccusativité d’après Burzio (1981,
1986). Pour chaque test, nous donnons des exemples avec des verbes inaccusatifs et
inergatifs. Comme nous le verrons, la fiabilité de ces tests est discutable.
Test 1 : la sélection de l’auxiliaire ‘être’ et l’accord du participe passé avec le sujet réel.
Considérons les phrases suivantes :
(104) a. Deux filles sont arrivées/parties/entrées/sorties/tombées/venues.
b. Due ragazze sono arrivate/partite/entrate/uscite/cadute/venute.
c. Deux filles sont allées à Venise.
d. Due ragazze sono andate a Venezia.
L’accord du participe passé avec le sujet est une propriété corrélée à la sélection de
l’auxiliaire ‘être’. En effet, les verbes qui ne sélectionnent pas l’auxiliaire ‘être’ n’accordent
pas le participe passé avec le sujet :
(105) a. Deux filles ont téléphoné(*es)/travaillé(*es)/parlé(*es)
b. Due ragazze hanno telefonato(*-e)/lavorato(*-e)/parlato(*-e)
Dans la troisième partie du chapitre II, nous défendrons l’idée que les verbes inaccusatifs en
français peuvent être associés à la sélection de l’auxiliaire avoir.
68
CHAPITRE I
CONSIDÉRATIONS SUR L’ASPECT ET SUR L’HYPOTHÈSE INACCUSATIVE
.
Test 2 : la phrase impersonnelle.
Considérons les phrase suivantes :
(106) a. Il est arrivé/parti/entré/sorti/tombé/venu deux filles.
b. pro sono arrivate/partite/entrate/uscite/cadute/venute due ragazze.
c. Il est allé à Venise deux filles.
d. pro sono andate a Venezia due ragazze.
(107) a. Il a téléphoné deux cents personnes à notre standard depuis ce matin.
b. pro hanno telefonato duecento persone al nostro centralino da questa mattina.
c. Il a toujours travaillé vingt-cinq personnes dans cet atelier.
d. pro hanno sempre lavorato venticinque persone in questo laboratorio.
e. Il n’a parlé que huit personnes à notre colloque.
f. pro hanno parlato solamente otto persone al nostro convegno.
Comme le montrent les exemples ci-dessus, en français, tout comme en italien, les verbes
inaccusatifs (cf. (106)) et les verbes inergatifs (cf. (107)) sont compatibles avec une
construction impersonnelle. En particulier, les constructions impersonnelles en (107) se
caractérisent entre autres par le fait qu’elles sont compatibles avec un verbe inergatif qui
sélectionne habituellement un argument unique externe mais que dans ce cas se trouve dans
une position postverbale. Du point de vue syntaxique, les exemples ci-dessus montrent que la
construction impersonnelle ne permet pas de faire une distinction entre verbes inaccusatifs et
verbes inergatifs35. Autrement dit, cette construction n’est pas un test fiable d’inaccusativité,
contrairement à ce qu’affirme Burzio (1981, 1986).
Plusieurs auteurs ont aussi remarqué que la construction impersonnelle implique une
interprétation
‘non-agentive’.
Dans
la
35
littérature,
on
parle
de
valeur
Legendre (1989 : 155) donne un échantillon d’exemples qui montrent que la construction impersonnelle est
compatible avec des verbes inergatifs :
(i)
Il déjeune beaucoup de linguistes dans ce restaurant.
(Legendre (1989 : 155 (129a)))
(ii)
Il travaille beaucoup d’ouvriers dans cette usine.
(Legendre (1989 : 155 (129b)))
(iii)
Il lui téléphonait de nombreuses personnes à cette époque.
(Legendre (1989 : 155 (129c)))
(iv)
Il a éternué beaucoup d’enfants pendant le concert.
(Legendre (1989 : 155 (129h)))
(v)
Il a parlé beaucoup de personnes à Pierre après sa conférence.
(Legendre (1989 : 155 (129j)))
69
CHAPITRE I
CONSIDÉRATIONS SUR L’ASPECT ET SUR L’HYPOTHÈSE INACCUSATIVE
existentielle/presentationnelle de la construction impersonnelle (cf. Zribi-Hertz (1987 : 29),
Cummins (2000) et Legendre et Sorace (2003), entre autres)36. La présence quasi-obligatoire
d’un complément de lieu ou de temps pour situer l’événement est l’un des facteurs qui jouent
un rôle dans l’acceptabilité de cette construction avec des verbes inergatifs (cf. la note 35).
Par exemple, comme l’a remarqué Cummins (2000 : 238), le verbe de mode de mouvement
courir, qui est considéré comme un verbe inergatif, n’est pas associé à une lecture
existentielle/presentationnelle en (108), tandis qu’en (109) la seule lecture possible est
existentielle/presentationnelle. Cela montre que la lecture existentielle/presentationnelle est
associée à la construction impersonnelle et non pas au verbe :
(108)
Deux enfants couraient (dans la salle).
(109)
Il courait deux enfants *(dans la salle).
(Cummins (2000 : 238 (22a,b)))
Par ailleurs, comme me l’a fait observer Anne Zribi-Hertz (c.p.), la sémantique existentielle
n’est pas uniquement un effet de la construction impersonnelle. Elle est aussi inhérente à
certains verbes (par exemple, les verbes ‘exister’, ‘naître’, ‘mourir’, etc. – les inaccusatifs
prototypiques). Plus précisément, les verbes classiquement considérés comme inaccusatifs
sont des verbes existentiels, dont le contenu sémantique se réduit à ‘exister’, ‘se mettre à
exister’ (cf. les verbes ‘arriver’, ‘entrer’, ‘tomber’, ‘apparaître’, ‘naître’, etc.), et ‘cesser
d’exister’ (cf. les verbes ‘mourir’, ‘disparaître’, ‘sortir’, ‘partir’, etc.). La construction
impersonnelle a une sémantique existentielle, donc elle accueille d’autant plus naturellement
un verbe qu’il a une sémantique existentielle. Les verbes inaccusatifs sont donc prioritaires,
en quelque sorte, en tant qu’intrinsèquement existentiels. Mais les autres intransitifs
(‘inergatifs’) peuvent être réduits à une sémantique existentielle, moyennant un certain
contexte. Il y a donc bien une différence entre les inaccusatifs et les inergatifs, vis-à-vis du
test de la construction impersonnelle : pour les premiers la sémantique existentielle est
inhérente, tandis que pour les seconds elle ne l’est pas.
36
Voir à ce propos Lonzi (1986) pour l’italien.
70
CHAPITRE I
CONSIDÉRATIONS SUR L’ASPECT ET SUR L’HYPOTHÈSE INACCUSATIVE
.
Test 3 : la cliticisation du sujet réel à l’aide du pronom clitique (partitif) en.
Considérons les phrases suivantes :
(110) a. (des hommes) Il en est arrivé/parti/entré/sorti/tombé/venu beaucoup 37.
b. (di uomini) Ne sono arrivati/partiti/entrati/usciti/caduti/venuti molti.
c. (des hommes) Il en est allé beaucoup à Venise.
d. (di uomini) Ne sono andati molti a Venezia.
(111) a. (des hommes) Il en a téléphoné/travaillé/parlé beaucoup dans ce bureau 38.
b. ??/*(di uomini) Ne hanno telefonato/lavorato/parlato molti in questo ufficio 39.
Legendre et Sorace (2003) soutiennent que la cliticisation à l’aide du pronom en n’est pas un
test fiable d’inaccusativité car elle est dépendante de la construction impersonnelle où le SN
postverbal est toujours gouverné par V, qu’il soit inaccusatif ou inergatif. En fait, les
exemples ci-dessus montrent que le pronom en, qui est corrélé à la position de C.O.D. (cf.
Pollock (1986)), est capable de cliticiser le sujet des verbes inaccusatifs (cf. (110)) tout
comme celui des verbes inergatifs (cf. (111)). À partir de ces observations, il semble, donc,
37
La cliticisation avec en est possible aussi avec certains verbes intransitifs qui sélectionnent avoir en français et
essere en italien :
(i)
a. (de bateaux) Il en a coulé deux.
b. (di navi) Ne sono affondate due.
(ii)
a. (de prisonniers) Il en a étouffé deux.
b. (di prigionieri) Ne sono soffocati due.
Dans l’optique de l’Hypothèse Inaccusative ‘classique’, dans la troisième partie du chapitre II, nous défendrons
l’idée que les verbes qui sélectionnent avoir en français et dont le correspondant sélectionne essere en italien
sont des verbes inaccusatifs.
38
Cf. Legendre (1990) pour d’autres exemples.
39
Les jugements à propos de (111b) ne sont pas partagés par tous les locuteurs. Le fait que certains locuteurs
considèrent (111b) et les phrases (i) et (ii) ci-dessous comme parfaitement grammaticales :
(i)
Ne ha camminato molta di gente su quei marciapiedi.
Lit. (Il) en a marché beaucoup de gens sur ces trottoirs
(ii)
Ne è camminata molta di gente su quei marciapiedi.
Lit. (Il) en est marchéeACCORD FEMININ beaucoup de gens sur ces trottoirs
montre la possibilité d’un emploi ‘inaccusatif’ de certains verbes considérés généralement comme inergatifs. En
particulier, la possibilité de l’accord du participe passé avec le sujet en (ii) montre la « dégradation » des verbes
inergatifs vers un emploi ‘innacusatif’ (cf. Lonzi (2007)). Il faut remarquer aussi que certains locuteurs acceptent
la cliticisation avec en pourvu que le verbe inergatif soit conjugué au temps présent et non au passé composé. Je
remercie Guglielmo Cinque (c.p.) et Lidia Lonzi (c.p.) qui m’ont fait observer tous ces faits.
71
CHAPITRE I
CONSIDÉRATIONS SUR L’ASPECT ET SUR L’HYPOTHÈSE INACCUSATIVE
que le sujet des verbes inaccusatifs n’est pas syntaxiquement distinguable du sujet des verbes
inergatifs dans la construction impersonnelle 40.
Considérons maintenant les exemples suivants :
(112) a. Il a mangé (*des spaghettis) beaucoup de touristes dans ce restaurant.
b. Il a sauté (*des obstacles) beaucoup d’athlètes dans ce stade.
c. Il chante (*des hymnes) beaucoup d’étudiants dans cette chorale.
d. Il lit (*des livres d’anthropologie) beaucoup d’étudiants dans cette bibliothèque.
Si le sujet des verbes transitifs tout comme le sujet des verbes inergatifs (cf. (107) et (111))
occupaient une position autre que celle de C.O.D., alors il serait possible pour l’argument
interne des verbes transitifs d’occuper la position de C.O.D. Néanmoins, cela est impossible
comme le montrent les exemples en (112). Le fait qu’en (112) un argument différent du sujet
ne puisse pas occuper la position d’argument interne suggère que cette position doit être
occupée par le sujet. Il s’ensuit donc que la construction impersonnelle dispose d’une syntaxe
inaccusative, c’est-à-dire qu’elle sélectionne un seul argument interne. Si l’on accepte
l’hypothèse de Lonzi (2007) selon laquelle les verbes inergatifs compatibles avec la
cliticisation par en ont subi une « dégradation » de verbes inergatifs à verbes inaccusatifs, il
s’ensuit que le test de la cliticisation à l’aide du pronom en est un test fiable d’inaccusativité
puisqu’il permet l’extraction du sujet engendré dans une position d’argument interne.
40
À ce propos, Cummins (2000) observe que quand un verbe inergatif apparaît dans une construction
impersonnelle, son argument unique occupe la même position syntaxique que le sujet d’un verbe inaccusatif.
Cependant, Cummins ne prouve pas son hypothèse. Faute d’espace, nous laissons ce sujet en suspens.
72
CHAPITRE I
CONSIDÉRATIONS SUR L’ASPECT ET SUR L’HYPOTHÈSE INACCUSATIVE
.
Test 4 : le PA (construction participiale absolue)
Considérons les phrases suivantes :
(113) a. Une fois Marie arrivée à Venise/partie pour Venise/entrée dans la salle/sortie dans la
cour/venue à Venise/allée à Venise, nous avons téléphoné à sa mère41.
b. Una volta arrivata a Venezia/partita per Venezia/entrata nella sala/uscita in
giardino/venuta a Venezia/andata a Venezia Maria, abbiamo telefonato a sua madre.
c. Une fois la noix de coco tombée (de l’arbre), nous l’avons coupée en deux pour nous
désaltérer.
d. Una volta caduta la noce di cocco (dall’albero), l’abbiamo tagliata in due per
dissetarci.
L’Hypothèse Inaccusative traite le PA comme un test syntaxique fiable d’inaccusativité dans
la mesure où il est compatible avec le participe passé des verbes transitifs et des verbes
inaccusatifs, tandis que les verbes inergatifs sont exclus de cette construction. Autrement dit,
cette compatibilité montrerait que le sujet des verbes inaccusatifs est engendré dans la même
position syntaxique que le C.O.D. des verbes transitifs. Selon l’Hypothèse Inaccusative, cette
compatibilité serait donc suffisante pour montrer la fiabilité du PA en tant que test syntaxique
d’inaccusativité. Toutefois, le test du PA semble contredire l’Hypothèse Inaccusative au
niveau aspectuel. Nous analyserons cette contradiction dans la deuxième partie du chapitre
III.
41
Les jugements de grammaticalité à propos de la compatibilité des verbes aller et venir avec le PA ne sont pas
partagés par tous les locuteurs (cf. aussi Cummins (1996 : 54, note 16)). Comme me l’a fait remarquer Denis
Creissels (c.p.), et comme nous le verrons dans la sous-section III.13.2.2., l’emploi du verbe aller semble être
nettement meilleur dans le PA s’il est réinterprété comme ‘partir’, tandis que le verbe venir semble être
préférable dans le PA s’il est réinterprété comme ‘arriver’.
73
CHAPITRE I
CONSIDÉRATIONS SUR L’ASPECT ET SUR L’HYPOTHÈSE INACCUSATIVE
.
Test 5 : les relatives réduites.
Considérons les phrases suivantes :
(114) a. Les enfants (qui sont) arrivés à Venise/partis pour Venise/entrés dans la
cuisine/sortis dans la cour/tombés dans le gouffre/venus chez moi/allés à Venise sont
mes cousins42.
b. I bambini (che sono) arrivati a Venezia/partiti per Venezia/entrati in cucina/usciti in
giardino/caduti nella fossa/venuti a casa mia/andati a Venezia sono i miei cugini.
(115) a. *Les enfants téléphonés, travaillés, parlés sont mes cousins.
b. *I bambini telefonati, lavorati, parlati sono i miei cugini.
Le test des relatives réduites semble le seul à répondre positivement à la restriction sur la
sélection de l’auxiliaire. En effet, la condition nécessaire pour apparaître dans une relative
réduite est la sélection de l’auxiliaire ‘être’ aussi bien en français qu’en italien. En français
tout comme en italien, la relative réduite permet donc d’isoler les verbes qui sélectionnent
‘être’ des verbes qui sélectionnent ‘avoir’ comme le montrent les exemples ci-dessus43.
42
Nous tenons à souligner que les jugements de grammaticalité des phrases en (114a) ne sont pas partagés par
tous les locuteurs. Plus précisément, les exemples qui semblent les plus discutables sont ceux avec les verbes
aller et venir.
43
Comme me l’a fait observer Anne Zribi-Hertz (c.p.), les relatives réduites correspondent toujours à une phrase
sélectionnant l’auxiliaire être et pas l’auxiliaire avoir. Cela est évident avec les verbes de changement d’état. En
français, les verbes de changement d’état se divisent en trois classes. Il y a les verbes qui admettent aussi bien
une forme réflexive se+être (‘si+essere’) qu’une forme intransitive non réflexive sélectionnant l’auxiliaire avoir,
ceux qui admettent seulement la forme réflexive et ceux qui admettent seulement la forme intransitive non
réflexive (cf. Labelle (1992) pour une liste détaillée de ces trois classes de verbes). Les verbes qui admettent les
deux formes ou seulement la forme réflexive sont compatibles avec les relatives réduites, tandis que ceux qui
admettent seulement la forme intransitive non réflexive sélectionnant l’auxiliaire avoir sont incompatibles avec
les relatives réduites :
(i)
Les enfant (qui *ont abêti/se sont abêtis) abêtis à cause de la télé…
(ii)
La neige (qui a fondu/s’est fondue) fondue pendant ces dernières heures s’est transformée en boue.
(iii)
*La situation financière (qui a empiré/*s’est empirée) empirée pendant ces deux dernières années a été
améliorée par le nouveau gouvernement.
(iv)
*La fille (qui a changé/*s’est changée) changée pendant ces deux ans est maintenant méconnaissable.
(v)
*L’enfant (qui a grossi/maigri/minci/*s’est grossi/maigri/minci) grossi/maigri/minci pendant cet été a
ensuite eu des problèmes de métabolisme.
Il semble donc qu’on n’a jamais le participe épithète si l’emploi de être est exclu. Autrement dit, les verbes de
changement d’état qui sélectionnent se+être sont compatibles avec le participe épithète et le fait que l’emploi en
avoir soit ou non parallèlement disponible est sans incidence sur l’acceptabilité du participe avec cette
construction.
74
CHAPITRE I
CONSIDÉRATIONS SUR L’ASPECT ET SUR L’HYPOTHÈSE INACCUSATIVE
Au chapitre II, nous supposerons qu’en français la classe des verbes inaccusatifs
comprend aussi des verbes sélectionnant l’auxiliaire avoir. Si notre hypothèse était correcte,
le test de la relative réduite ne pourrait donc plus être considéré comme un test fiable
d’inaccusativité car il se révélerait trop restrictif.
Dans la prochaine section nous verrons que l’Hypothèse Inaccusative a des répercussions
aussi au niveau de la Théorie Thématique.
I.17. L’Hypothèse Inaccusative et les thêta-rôles :
C’est la Théorie Thématique qui règle l’attribution des rôles thématiques. Comme nous
l’avons vu dans la section I.14., chaque verbe possède sa structure argumentale, qui définit le
nombre d’arguments qu’il requiert. La notion de rôle thématique est bien distincte de la
notion de sujet, d’objet direct et d’objet indirect. Par exemple, le sujet peut avoir des rôles
thématiques divers. La même chose s’observe pour l’objet direct et l’objet indirect. Une liste
des rôles thématiques a aussi été établie : l’Agent est celui qui commence une action
intentionnellement, le Thème est l’entité qui subit ou qui est affectée par l’événement dénoté
par le prédicat, l’Expérient est celui qui éprouve un état psychologique, le Bénéficiaire est
l’entité qui bénéfice d’une action, le But est l’entité vers laquelle une action est dirigée, etc.44.
Il n’est pas question ici de donner une liste complète des thêta-rôles. D’ailleurs, aujourd’hui,
on n’est pas encore parvenu à définir combien de thêta-rôles spécifiques existent et quels sont
leurs dénominations précises. Notre but ici est celui de voir comment l’assignation des thêtarôles a été traitée à l’intérieur de l’Hypothèse Inaccusative.
Selon l’Hypothèse Inaccusative, le sujet d’un verbe inaccusatif est engendré comme
complément du verbe dans la position syntaxique qui accueille le C.O.D. (ou argument
interne). Selon l’Hypothèse de l’uniformité de l’assignation thématique ( « Uniformity of
Theta Assignment Hypothesis » (UTHA)) de Baker (1988), chaque thêta-rôle est associé à
une position syntaxique bien définie de sorte que le thêta-rôle Thème (ou Patient) est assigné
à la position syntaxique d’objet, tandis que le thêta-rôle Agent est assigné à la position
syntaxique de sujet. Il s’ensuit donc que le sujet d’un verbe inaccusatif, qui, selon
Le participe épithète produit une interprétation d’état résultant. Il s’ensuit donc que des verbes comme couler et
étouffer, qui sélectionnent l’auxiliaire avoir, sont compatibles avec une relative réduite pourvu qu’elle
s’interprète comme une phrase passive où être est interprété en tant qu’auxiliaire du passif :
(vi)
Le bateau coulé (qui a été coulé) il y a trois mois a été retrouvé.
(vii)
Les prisonniers étouffés (qui ont été étouffés) il y a trois mois ont été enterrés hier soir.
44
Liste tirée de Haegeman (1996 : 42).
75
CHAPITRE I
CONSIDÉRATIONS SUR L’ASPECT ET SUR L’HYPOTHÈSE INACCUSATIVE
l’Hypothèse Inaccusative, est engendré dans la position syntaxique de C.O.D., est associé au
thêta-rôle Thème mais il ne peut pas être associé au thêta-rôle Agent.
Néanmoins, le sujet des verbes ‘arriver’, ‘partir’, ‘entrer’, ‘sortir’, ‘venir’ et ‘aller’ peut
être interprété comme un Agent et, corrélativement, être associé au trait [+intentionnel] car il
est compatible avec des adverbes de volonté comme ‘volontairement’, ‘de son propre chef’
etc.
L’interprétation agentive associée au sujet d’un verbe inaccusatif est compatible avec la
dérivation du sujet dans la position de l’argument interne :
(116) a. (di studenti) Vorrebbero intervenirne molti.
b. (des étudiants) il voudrait en intervenir beaucoup.
La phrase en (116a) montre que le sujet du verbe inaccusatif intervenire est engendré dans la
position de l’argument interne de la phrase subordonnée puisqu’il peut être cliticisé avec le
pronom en. On constate donc que le sens de volonté associé au verbe volere (‘vouloir’)
n’empêche pas que le sujet soit engendré dans une position argumentale interne45.
Nous discuterons de l’interprétation agentive plus en détail dans la troisième partie du
chapitre II. Plus précisément, nous retraduirons la notion d’agentivité dans les termes de
Reinhart et Siloni (2005) qui décomposent l’agentivité en deux traits indépendants : [±c]
(‘cause’) et [±m] (‘état mental’, anglais « mental state » ).
I.18. Conclusion du chapitre et bref aperçu sur les chapitres II, III et IV :
Le choix du cadre aspectuel décrit dans les première et deuxième parties du chapitre est
important, car il joue un rôle crucial dans l’analyse des auxiliaires ‘être’ et ‘avoir’ que nous
approfondirons aux chapitres II, III et IV. La syntaxe jouera également un rôle important dans
cette étude. Au chapitre II, nous proposerons d’engendrer les verbes inaccusatifs dénotant un
changement de lieu dans la coquille SV ( « VP shell » ) de Hale et Keyser (1993). Nous
définirons les verbes inaccusatifs comme des verbes à matrice lexicale [±télique] dont le sujet
est associé au thêta-rôle Thème. Nous soutiendrons aussi qu’à la classe des verbes inaccusatifs
appartiennent aussi des verbes sélectionnant l’auxiliaire avoir en français. Contrairement à ce
45
Je remercie Guglielmo Cinque (c.p.) qui m’a fait observer ce fait.
76
CHAPITRE I
CONSIDÉRATIONS SUR L’ASPECT ET SUR L’HYPOTHÈSE INACCUSATIVE
qu’affirme Arad (1998), nous défendrons l’idée que le sujet d’un verbe inaccusatif peut être
interprété comme l’évaluateur de l’événement même si la matrice lexicale du verbe est
atélique. Au chapitre III, nous reviendrons sur la catégorie aspectuelle de l’état résultant. En
particulier, nous verrons que cette interprétation est une condition nécessaire pour déclencher
l’interprétation que nous appellerons résultative. En outre, nous verrons que l’interprétation
d’état résultant est une condition nécessaire pour qu’un verbe puisse apparaître dans la
construction participiale absolue. Sur la base de cette observation, nous essayerons de montrer
que cette construction n’est pas un test fiable d’inaccusativité. Au chapitre IV, nous
analyserons succinctement la distribution des auxiliaires ‘être’ et ‘avoir’ avec certains verbes
de changement d’état. En français, tout comme en italien, les verbes de changement d’état se
divisent en trois classes. Il y a les verbes qui admettent aussi bien une forme réflexive se+être
(‘si+essere’) qu’une forme intransitive non réflexive, ceux qui admettent seulement la forme
réflexive et ceux qui admettent seulement la forme intransitive non réflexive. Cependant, si en
français la forme intransitive est associée à la sélection de l’auxiliaire avoir, en italien, en
revanche, cette forme peut être associée aussi bien à l’auxiliaire essere qu’à l’auxiliaire avere.
Nous verrons que seulement une étude transversale visant à analyser la distribution des deux
auxiliaires et l’Aktionsart inhérent à la racine lexicale peut rendre compte des différents types
d’interprétations associées à ces verbes.
77
.
CHAPITRE II.
CONSIDÉRATIONS SUR L’(A)TÉLICITÉ, LA DIRECTION ET
LA DÉRIVATION DES PHRASES INACCUSATIVES
Dans ce chapitre nous porterons notre attention sur l’analyse :
- des verbes de changement de lieu intrinsèquement téliques tels que ‘arriver’, ‘partir’,
‘sortir’, ‘entrer’, ‘tomber’ et ‘venir’.
- du verbe de changement de lieu compositionnellement télique ‘aller’.
- des verbes de changement de lieu compositionnellement téliques dénotant un mouvement
dans une direction orientée non bornée tels que ‘monter’ et ‘descendre’.
- des verbes de changement d’état compositionnellement téliques dénotant un mouvement
dans une direction orientée non bornée tels que ‘augmenter’, ‘diminuer’ et ‘baisser’.
- du verbe de mode de mouvement ‘courir’ vs. le verbe directionnel de mode de mouvement
‘accourir’.
- des verbes météorologiques tels que ‘pleuvoir’, ‘neiger’ et ‘grêler’.
Notre but sera d’analyser le rapport de ces verbes avec les paramètres de la direction et de
l’(a)télicité et de détecter les implications de ces paramètres dans la sémantique et dans la
structure argumentale de ces verbes. Dans cette optique, nous élaborerons notre propre
hypothèse concernant la dérivation des phrases inaccusatives.
Les données analysées ne sont pas exhaustives. Néanmoins, nous espérons analyser un
nombre suffisant de verbes et d’exemples pour permettre de dégager certaines tendances
sémantiques et syntaxiques associées à ces verbes.
Première partie : télicité intrinsèque et compositionnelle
Avant de procéder à l’analyse des verbes énumérés dans l’introduction du chapitre, nous
essayerons, dans les prochaines sections, de donner une définition aux étiquettes ‘verbes de
mouvement’ et ‘verbes de changement de lieu’.
78
CHAPITRE II
CONSIDÉRATIONS SUR L’(A)TÉLICITÉ, LA DIRECTION ET LA DÉRIVATION DES PHRASES INACCUSATIVES
II.1. Verbes de mouvement vs. verbes de changement de lieu :
Legendre et Sorace (2003) emploient l’expression ‘verbes de changement de lieu’ pour
dénoter un groupe restreint de verbes de mouvement qui sélectionnent l’auxiliaire ‘être’ aussi
bien en français qu’en italien (cf. la section I.13.). Cependant, en français, les verbes à
auxiliaire être n’épuisent pas l’ensemble des verbes qui dénotent un changement de lieu. Des
verbes tels que émigrer, immigrer, déménager, fuir, décamper, dégringoler, chuter prennent
l’auxiliaire avoir et ils dénotent des éventualités impliquant un changement de lieu. Cidessous nous rappelons succinctement la description de la typologie des événements spatiaux
élaborée par Talmy (1985). Nous verrons que Talmy ne distingue pas entre ‘mouvement’ et
‘déplacement’ et qu’il traite ces deux termes comme synonymes. Contrairement à ce
qu’affirme Talmy, nous proposerons de considérer le ‘mouvement’ et le ‘déplacement’
comme deux notions différentes. Une fois clarifiées ces deux notions, nous pourrons définir
d’une façon plus précise les catégories nommées ‘verbes de mouvement’ et ‘verbes de
changement de lieu’.
II.1.1. L’approche typologique de Talmy (1985) dans l’analyse des verbes de mouvement :
Talmy (1985) suppose que les langues peuvent lexicaliser jusqu’à cinq composants
sémantiques impliqués dans l’événement spatial : le mouvement/déplacement, la trajectoire,
la manière, la figure et le fond.
Dans sa description de la typologie de l’événement spatial, Talmy propose de subdiviser
les langues du monde en deux grands types selon qu’elles encodent la trajectoire dans le verbe
(‘langues à verbes trajectoriels’ (LVT) : « verb-framed languages » ) ou dans un élément
satellite associé au verbe, c’est-à-dire un préfixe ou une particule verbale ‘langues à verbes
non trajectoriels’ (LVNT) : « satellite-framed languages » ). Talmy considère les langues
romanes comme des ‘langues à verbes trajectoriels’. Toutefois, plusieurs éléments suggèrent
que le français et l’italien ont la particularité d’être à cheval sur les deux typologies.
Le français, tout comme l’italien, est capable aussi bien d’encoder la trajectoire dans le
radical verbal (‘entrer’, ‘sortir’, ‘arriver’, ‘venir’, ‘partir’) que d’encoder la trajectoire dans un
préfixe verbal (ac-courir/ac-correre, par-venir/per-venire, par-courir/per-correre). Par
ailleurs, il existe aussi des constructions à verbe non trajectoriel, dans lesquelles la trajectoire
est exprimée par un satellite. En particulier, il existe en italien des verbes, appelés en anglais
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CHAPITRE II
CONSIDÉRATIONS SUR L’(A)TÉLICITÉ, LA DIRECTION ET LA DÉRIVATION DES PHRASES INACCUSATIVES
« phrasal verbs » ou « particle verbs », où l’élément trajectoriel ne fusionne pas avec le verbe
et donne donc lieu à une construction à verbe non trajectoriel : correre su/giù (lit. ‘courir vers
le haut/le bas’), saltare su/giù (lit. ‘sauter en haut/en bas’), volare su/giù (lit. ‘voler vers le
haut/le bas’), salire su (lit. ‘monter en haut’), scendere giù (lit. ‘descendre en bas’), ‘portare
su/giù’ (lit. ‘porter en haut/en bas’), mettere su/giù (lit. ‘mettre en haut/en bas’), etc. Les
verbes de mode de mouvement sont un autre exemple de constructions directionnelles ‘à
satellite’. Quand ils sont associés à une interprétation télique, ces verbes nécessitent qu’un SP
dénotant le But soit explicité (Gianni è corso *(a casa)/Jean a couru *(à la maison)).
Sur la base de l’analyse sémantique de verbes dans des langues diverses, Talmy
(1985 : 75) distingue trois types de lexicalisation de l’événement spatial :
- mouvement/déplacement + trajectoire
- mouvement/déplacement + manière
- mouvement/déplacement + figure
Selon Talmy, les langues romanes font partie du premier groupe car elles peuvent lexicaliser
dans le verbe à la fois le mouvement et la trajectoire, mais pas le mouvement et la manière, ni
le mouvement et la figure 1. Par exemple, des verbes tels que ‘entrer’, ‘sortir’, ‘arriver’,
‘traverser’, ‘monter’ et ‘descendre’ encodent outre le déplacement, la trajectoire du
déplacement. Étant donné que, selon Talmy, dans les langues romanes, la manière ne peut pas
être encodée avec le mouvement, le français et l’italien recourent à des périphrases,
notamment au gérondif, pour exprimer à la fois les deux composantes :
(1)
a. Jean est entré dans la pièce en dansant.
b. Gianni è entrato nella stanza danzando.
(2)
a. Jean est sorti de la pièce en dansant.
b. Gianni è uscito dalla stanza danzando.
D’après ces observations introductives, nous pouvons affirmer que la typologie élaborée par
Talmy pour les verbes de mouvement n’est pas aussi catégorique que l’auteur ne l’a envisagé.
En effet, comme nous l’avons observé, le français et l’italien peuvent exprimer la trajectoire
1
Dans la section II.14. nous verrons que ce type de lexicalisation est possible dans les langues romanes avec les
verbes météorologiques.
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CHAPITRE II
CONSIDÉRATIONS SUR L’(A)TÉLICITÉ, LA DIRECTION ET LA DÉRIVATION DES PHRASES INACCUSATIVES
dans un préfixe et encoder la manière dans la racine verbale comme le montrent les exemples
ci-dessous :
(3)
a. Jean a ac-couru à l’école.
b. Gianni è ac-corso a scuola.
(4)
a. Jean s’est en-volé pour le Japon hier matin.
b. Gianni ha preso (= spiccato) il volo per il Giappone ieri mattina.
II.1.2. Mouvement vs. déplacement :
Contrairement à ce qu’affirme Talmy, nous défendons l’idée que le ‘mouvement’ et le
‘déplacement’ sont deux notions tout à fait différentes. Intuitivement, le mouvement peut être
défini comme un processus dynamique par opposition à un état. Néanmoins, le mouvement ne
conduit pas nécessairement à un changement de lieu, c’est-à-dire à un déplacement de l’entité
dans l’espace. Le mouvement peut donc ne pas impliquer de déplacement bien qu’il soit une
condition nécessaire du déplacement.
Si un mouvement est orienté, il décrit un déplacement orienté. Un déplacement orienté
dénote une direction par rapport à un lieu de départ, ou par rapport à un lieu d’arrivée. Un
déplacement orienté implique donc la présence d’une trajectoire le long de laquelle se déplace
la figure à partir d’une Source (point initial du trajet/début du déplacement) pour atteindre un
But (point final du trajet/fin du déplacement) 2. Voici un schéma formel du déplacement, où
l’intervalle temporel [t 1 - t2] correspond au temps utilisé pour aller du point initial au point
final du trajet :
(5)
source
trajet
t1
but
t2
La présence d’une direction est indépendante de la télicité. Autrement dit, le déplacement
d’un élément le long d’une trajectoire n’implique pas que cet élément atteigne nécessairement
2
Nous renvoyons le lecteur à Laur (1991) et à Kopecka (2004) pour plus de détails.
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CHAPITRE II
CONSIDÉRATIONS SUR L’(A)TÉLICITÉ, LA DIRECTION ET LA DÉRIVATION DES PHRASES INACCUSATIVES
un point final/un But. C’est le cas, par exemple, des verbes ‘monter’ et ‘descendre’ qui
peuvent être compositionnellement téliques (cf. la section II.3.). Un déplacement télique, en
revanche, atteigne un But.
Les verbes de changement de lieu, c’est-à-dire les verbes qui impliquent un déplacement
(borné ou non borné) selon notre définition, forment une classe assez hétérogène. On y trouve
des prédicats dénotant une activité, un accomplissement ou un achèvement.
Dans la section I.4., nous avons observé que les prédicats dénotant une activité se
composent d’une seule action (généralement non interrompue), laquelle se compose d’une
suite d’actes identiques dont la somme est conçue comme un seul événement. En revanche, un
prédicat d’accomplissement décrit un procès impliquant une transition d’un état vers un autre
et ayant un point d’aboutissement final. En ce qui concerne les achèvements, nous les avons
caractérisés comme des prédicats qui dénotent des événements dépourvus de durée. Il s’agit
de transitions instantanées.
Or, comme l’a remarqué Pustejovsky (1991) (cf. la section I.6.), les accomplissements et
les achèvements impliquent une transition, que celle-ci soit instantanée (cf. les achèvements)
ou pas (cf. les accomplissements). Il apparaît donc que la classe des verbes de changement de
lieu inclut aussi des prédicats d’achèvement [+intrinsèquement téliques], [+ponctuels] tels que
arriver, partir, entrer, sortir, tomber, venir, déménager, atteindre, quitter.
II.1.3. Récapitulation :
Nous avons observé qu’un changement de lieu implique nécessairement un déplacement
et que le mouvement ne conduit pas nécessairement à un déplacement mais qu’il est
cependant une condition nécessaire au déplacement. Étant bien entendu que se déplacer vers
un But n’implique pas nécessairement qu’on atteigne ce But, nous avons soutenu que le
déplacement implique une directionnalité, mais pas le simple mouvement.
Nous avons aussi défini les verbes de changement de lieu comme des verbes qui
impliquent un déplacement orienté vers un But. Selon notre analyse, donc, la classe des
verbes de changement de lieu est une sous-classe des verbes dénotant un mouvement. Nous
avons aussi observé que la classe des verbes de changement de lieu inclut aussi bien des
verbes sélectionnant l’auxiliaire ‘être’ que des verbes sélectionnant l’auxiliaire ‘avoir’. En
effet, comme nous l’avons remarqué, les verbes à auxiliaire être en français n’épuisent pas
l’ensemble des verbes qui dénotent un changement de lieu. Des verbes tels que émigrer,
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CHAPITRE II
CONSIDÉRATIONS SUR L’(A)TÉLICITÉ, LA DIRECTION ET LA DÉRIVATION DES PHRASES INACCUSATIVES
immigrer, déménager, fuir, décamper, dégringoler, chuter prennent l’auxiliaire avoir et ils
peuvent être définis comme verbes de changement de lieu car ils impliquent un déplacement.
Dans les prochaines sections nous tournerons notre attention sur certains verbes
intransitifs de changement de lieu sélectionnant l’auxiliaire ‘être’ aussi bien en français qu’en
italien. Il s’agit des verbes ‘arriver’, ‘partir’, ‘sortir’, ‘entrer’, ‘tomber’, ‘venir’, ‘aller’,
‘monter’ et ‘descendre’.
II.2. Le paramètre de la télicité et les verbes de changement de lieu ‘arriver’, ‘partir’,
‘entrer’, ‘sortir’, ‘tomber’, ‘venir’ et ‘aller’ :
Dans la sous-section I.5.2., nous avons observé que les verbes de changement de lieu
‘arriver’, ‘partir’, ‘entrer’, ‘sortir’, ‘tomber’ et ‘venir’ sont des prédicats d’achèvement et que
leur nature ponctuelle nous fait interpréter l’adverbial ‘en x temps’ avec le sens de ‘au bout de
x temps’. Il s’ensuit en effet que les phrases :
(6)
a. Jean est arrivé/parti/entré/sorti/tombé/venu en deux minutes (= au bout de deux
minutes).
b. Gianni è arrivato/partito/entrato/uscito/caduto/venuto in due minuti (= nel giro di
due minuti).
n’affirment pas que Jean a fait l’action d’arriver/partir/entrer/sortir/tomber/venir pendant toute
la durée de l’intervalle temporel dénoté par l’adverbial ‘en x temps’. En revanche, avec les
prédicats dénotant des accomplissements :
(7)
Jean a mangé (la pomme) en une heure.
on comprend que le processus dénoté par le verbe a eu lieu pendant toute la durée de
l’intervalle temporel dénoté par l’adverbial ‘en x temps’.
Néanmoins, comme nous l’avons déjà remarqué au chapitre I (note 2), certains prédicats
dénotant des achèvements sont compatibles avec la périphrase progressive ‘être en train de’. Il
en va de même des verbes de changement de lieu ‘arriver’, ‘partir’, ‘entrer’, ‘sortir’, ‘tomber’,
‘venir’ et ‘aller’ :
83
CHAPITRE II
CONSIDÉRATIONS SUR L’(A)TÉLICITÉ, LA DIRECTION ET LA DÉRIVATION DES PHRASES INACCUSATIVES
(8)
a. Jean est en train d’arriver/partir/entrer/sortir/venir.
b. Jean est en train d’aller à Rome.
(9)
Jean/Le météorite/Le vase/Le caillou est en train de tomber.
La compatibilité de ces verbes avec la périphrase progressive montre que même si chez
Vendler (1957) ces verbes sont caractérisés comme des prédicats [+ponctuels], ils peuvent
dénoter aussi le déroulement d’un processus. Donc, les propriétés envisagées par Vendler
pour une caractérisation formelle des prédicats qu’il appelle [+ponctuels] ne prédit pas des
inacceptabilités tranchées3.
Dans la sous-section I.5.2., nous avons affirmé aussi que les verbes ‘arriver’, ‘partir’,
‘entrer’, ‘sortir’, ‘tomber’ et ‘venir’, en tant que verbes intrinsèquement téliques, ne sont pas
compatibles avec une interprétation atélique. Néanmoins, il s’avère qu’ils sont compatibles
avec l’adverbial atélique ‘pendant x temps’. L’emploi de l’adverbial ‘pendant x temps’ ne
modifie pas l’aspect intrinsèquement télique de ces verbes mais il pose des contraintes sur le
type de SN sujet sélectionné, lequel doit être un SN pluriel ou massique4 :
3
Laca (2003) observe que dans les langues ibéro-romanes et, donc, aussi en français la périphrase progressive
peut se combiner avec presque tous les types d’éventualités (classes vendleriennes) et que, notamment, elle est
compatible avec une éventualité ponctuelle :
(i)
Pierre était en train de mourir.
(Laca (2003 : 138 (3c)))
La périphrase progressive est donc compatible avec des activités (cf. (ii)), avec des accomplissements (cf. (iii)),
avec des verbes de changement graduel (cf. (iv)) et avec des achèvements (cf. (v)). Voici des exemples tiré de
Laca (2004 : 94) :
(ii)
Allez chercher les ministres, ils sont sans doute encore en train de dormir.
(Laca (2004 : 94 (19a)))
(iii)
Ils sont en train de ramasser les provisions.
(Laca (2004 : 94 (19b)))
(iv)
On était en train de redescendre…Et tout à coup, tu t’es arrêté.
(Laca (2004 : 94 (19c)))
(v)
…le grand cheikh est en train de mourir dans la maison la plus pauvre de Tiznit, comme un mendiant…
(Laca (2004 : 94 (19d)))
Cf. aussi Bertinetto (2001 : 131-138) pour plus de détails sur la périphrase progressive en italien.
4
Sur la base des exemples ci-dessous :
(i)
La temperatura è diminuita per un’ora.
(Folli (2001 : 122 (99b)))
Lit. La température est diminuée pendant une heure
‘La température a baissé pendant une heure.’
(ii)
I prezzi sono aumentati per un anno.
(Folli (2001 : 122 (100b)))
Lit. Les prix sont augmentés pendant un an
‘Les prix ont augmenté pendant un an.’
Folli (2001 : 122) affirme que l’occurrence de l’adverbial ‘pendant x temps’ dénote clairement l’atélicité lexicale
d’un verbe. Néanmoins, cette affirmation n’est pas valable pour les verbes ‘arriver’, ‘partir’, ‘entrer’, ‘sortir’,
‘tomber’ et ‘venir’ car, comme nous l’avons observé, l’emploi de l’adverbial ‘pendant x temps’ avec ces verbes
ne change pas leur nature intrinsèquement télique. Donc, contrairement à ce qu’affirme Folli, nous supposons
que l’emploi de l’adverbial ‘pendant x temps’ n’est pas un test qui prouve clairement l’atélicité lexicale d’un
verbe.
84
CHAPITRE II
CONSIDÉRATIONS SUR L’(A)TÉLICITÉ, LA DIRECTION ET LA DÉRIVATION DES PHRASES INACCUSATIVES
(10) a. *Jean est arrivé/parti/entré/sorti/venu pendant deux heures.
b. *Gianni è arrivato/partito/entrato/uscito/venuto per due ore.
(11) a. Des gens sont arrivés/partis/entrés/sortis/venus pendant deux heures.
b. pro è arrivata/partita/entrata/uscita/venuta gente per due ore.
(12) a. *Jean/Le vase/Le caillou est tombé pendant deux heures.
b. *Gianni/Il vaso/Il sasso è caduto per due ore.
(13) a. Des cailloux sont tombés pendant deux heures.
b. pro sono caduti sassi per due ore.
(14) a. La neige/La pluie est tombée pendant deux heures.
b. La neve/La pioggia è caduta per due ore.
Les phrases
(11),
(13)
et
(14)
sont
associées à
une
interprétation de type
fréquentatif/distributif. Dans (11), on comprend que pendant deux heures une quantité non
spécifiée de membres de l’espèce ‘gens’ sont arrivés/partis/sortis/entrés/venus, et, de la même
façon, dans (13) on comprend qu’une quantité non spécifiée de membres de l’espèce ‘caillou’
sont tombés pendant deux heures. La même chose s’observe pour (14).
Contrairement aux verbes ‘arriver’, ‘partir’, ‘entrer’, ‘sortir’, ‘tomber’ et ‘venir’, le verbe
de changement de lieu ‘aller’ n’est pas intrinsèquement télique et un But doit être
explicitement exprimé, autrement la phrase est agrammaticale :
(15) a. *Jean est allé.
b. *Gianni è andato.
(16) a. *Jean est allé en deux heures.
b. *Gianni è andato in due ore.
(17) a. Jean est allé à la maison (en une heure).
b. Gianni è andato a casa (in un’ora).
Les prochaines sections sont consacrées à l’analyse de certains verbes dénotant un
mouvement orienté mais non borné tels que ‘monter’, ‘descendre’, ‘augmenter’, ‘diminuer’ et
‘baisser’.
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CHAPITRE II
CONSIDÉRATIONS SUR L’(A)TÉLICITÉ, LA DIRECTION ET LA DÉRIVATION DES PHRASES INACCUSATIVES
II.3. Verbes dénotant un déplacement orienté mais non borné :
Levin et Rappaport-Hovav (1995 : 172) montrent que les verbes dénotant un mouvement
intrinsèquement orienté ne sont pas tous téliques.
Plus précisément, selon Levin et Rappaport-Hovav, les verbes dénotant un mouvement
intrinsèquement orienté se subdivisent en verbes intrinsèquement téliques et en verbes qui ne
sont pas intrinsèquement téliques et dont le sens de base est atélique comme, par exemple, en
anglais, fall (‘tomber’) 5, rise (‘monter’/‘augmenter’) et descend (‘diminuer’/‘baisser’). Ces
verbes sont appelés par les auteurs verbes atéliques de mouvement intrinsèquement orienté
( « atelic verbs of inherently directed motion » ). Dans les termes que nous avons introduits
(cf. la section II.1.), ces verbes sont des verbes de déplacement orienté mais non borné.
Les verbes qui seront analysés dans cette section sont salire, scendere, aumentare,
diminuire et leurs correspondants français monter, descendre, augmenter, diminuer/baisser.
II.3.1. Les verbes salire et scendere vs. aumentare et diminuire :
En italien, les verbes salire, scendere, aumentare et diminuire sélectionnent l’auxiliaire
essere6. Ils sont compositionnellement téliques et ils sont donc compatibles aussi bien avec
l’adverbial télique ‘en x temps’ qu’avec l’adverbial atélique ‘pendant x temps’ :
5
Levin et Rappaport-Hovav (1995) considèrent le verbe ‘tomber’ comme un verbe non intrinsèquement télique
car il est compatible avec l’adverbial ‘pendant x temps’. Considérons l’exemple suivant tiré d’après Tortora
(1997 : 18 (10c)) :
(i)
a. The meteorite fell for fifteen minutes.
b. Le météorite est tombé pendant quinze minutes.
c. Il meteorite è caduto per quindici minuti.
En (i), il y a une re-catégorisation du verbe lequel n’est plus interprété en tant qu’un achèvement mais en tant
qu’une activité. En (i), c’est la nature du SN sujet qui déclenche la re-catégorisation achèvement>activité du
verbe ‘tomber’. En fait, d’autres types de SN sujet singulier ne déclenchent pas cette re-catégorisation et ils sont
incompatibles avec un contexte atélique (cf. (12)). Par ailleurs, les sujets singuliers en (12), qui sont
incompatibles avec un contexte atéliques, sont en revanche compatibles avec une périphrase progressive (cf. (9)).
Ces faits nous montrent que quand on admet l’appartenance d’un verbe à une classe événementielle plutôt qu’à
une autre, en réalité on renvoie à une série de contextes précis dans lesquels ce verbe peut apparaître. En résumé,
ces données nous montrent que la nature du SN employé (singulier, pluriel ou massique) tout comme l’aspect et
les temps verbaux déclenchent de différents types d’interprétations. Donc, comme nous l’avons observé dans la
section II.2., la quadripartition de Vendler ne prédit pas d’inacceptabilités tranchées. Il s’ensuit donc que
l’affirmation de Levin et Rappaport-Hovav à propos du verbe ‘tomber’ doit être révisée.
6
Certains locuteurs acceptent, même si marginalement, l’emploi de l’auxiliaire avere avec les verbes aumentare
et diminuire dans des contextes atéliques :
(i)
?/*I prezzi hanno aumentato/diminuito.
‘Les prix ont augmenté/baissé.’
(ii)
?/*I prezzi hanno aumentato/diminuito per due mesi.
‘Les prix ont augmenté/baissé pendant deux mois.’
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CHAPITRE II
CONSIDÉRATIONS SUR L’(A)TÉLICITÉ, LA DIRECTION ET LA DÉRIVATION DES PHRASES INACCUSATIVES
(18)
Gianni è salito/sceso.
(atélique)
‘Jean est monté/descendu.’
(19)
Gianni è salito/sceso in due ore.
(télique)
‘Jean est monté/descendu en deux heures.’
(20)
Gianni è salito/sceso per due ore7.
(atélique)
Lit. Jean est monté/descendu pendant deux heures8
(21)
La temperatura è salita/scesa.
(atélique)
Lit. La température est montée/descendue
‘La température a monté/descendu.’
(22)
La temperatura è salita/scesa in due ore.
(télique)
‘La température est montée/descendue en deux heures.’
(23)
La temperatura è salita/scesa per due ore.
(atélique)
Lit. La température est montée/descendue pendant deux heures
‘La température a monté/descendu pendant deux heures.’
Considérons maintenant les exemples suivants :
(iii)
*I prezzi hanno aumentato/diminuito in due mesi.
‘Les prix ont augmenté/baissé en deux mois.’
7
La phrase :
(i)
Gianni è salito per due ore.
Lit. Jean est monté pendant deux heures
est grammaticale dans un contexte atélique comme, par exemple, le suivant : ‘Gianni è salito per due ore ma non
è riuscito a raggiungere la vetta della montagna (Lit. Jean est monté pendant deux heures mais il n’a pas réussi
à atteindre le sommet de la montagne)’.
Le verbe scendere est également compatible avec l’adverbial de durée ‘pendant x temps’ :
(ii)
Gianni è sceso per due ore.
Lit. Jean est descendu pendant deux heures
Le contexte d’acceptabilité de cette phrase est, lui aussi, associé à une interprétation atélique : ‘Gianni è sceso
per due ore ma non è riuscito a raggiungere il paese (Lit. Jean est descendu pendant deux heures mais il n’a pas
réussi à atteindre le village)’.
8
Ces phrases ne sont pas acceptées par tous les locuteurs dans un contexte atélique. Nous renvoyons le lecteur à
la sous-section II.3.2.1. pour plus de détails à ce propos.
87
CHAPITRE II
CONSIDÉRATIONS SUR L’(A)TÉLICITÉ, LA DIRECTION ET LA DÉRIVATION DES PHRASES INACCUSATIVES
(24) a. Gianni è salito/*aumentato.
(interprétation changement de lieu)
b. Jean est monté/*augmenté.
(25) a. Gianni è sceso/*diminuito.
b. Jean est descendu/*diminué9.
(interprétation changement d’état)
(26) a. La temperatura è salita/aumentata.
b. La température a monté/augmenté.
(27) a. La temperatura è scesa/diminuita.
b. La température a descendu/diminué/baissé.
Les verbes salire et scendere et leurs correspondants français monter et descendre dénotent
un mouvement orienté verticalement qui implique un changement de lieu (cf. (24) et (25)) ou
un changement d’état (cf. (26) et (27)). Contrairement aux verbes salire et scendere, les
verbes aumentare (‘augmenter’) et diminuire (‘diminuer’) sont associés seulement à
l’interprétation de changement d’état et, lorsqu’ils selectionnent un sujet [+animé],
l’explicitation d’un complément de mesure est obligatoire (comparer (24a) et (25a) avec
(28)) :
(28)
Gianni è aumentato/diminuito *(di tre chili).
(poids)
Lit. Jean a augmenté/diminué de trois kilos
‘Jean a grossi/maigri (de trois kilos).’
(29)
Gianni è aumentato/diminuito *(di tre cm di altezza) 10.
(taille)
Lit. Jean a augmenté/diminué de trois cm de hauteur
‘Jean a grandi/rapetissé (de trois centimètres).’
Contrairement aux verbes salire et scendere, qui ont une directionnalité nécessairement
verticale qui s’applique à une échelle verticale, (salire est paraphrasé par andare su (lit. ‘aller
vers le haut’) et scendere par andare giù (lit. ‘aller vers le bas’)), les verbes aumentare et
9
Comme me l’a fait observer Anne Zribi-Hertz (c.p.), la phrase :
(i)
Jean est diminué.
est possible en français mais elle n’est pas associée à une interprétation de changement de lieu. La phrase (i)
signifie ‘Jean est affaibli’ parce qu’il est gravement malade ou qu’il a eu un accident.
10
Avec le verbe diminuire la phrase (29) peut apparaître douteuse. Néanmoins, dans un contexte adéquat (par
exemple, un homme vieux qui rapetisse de plus en plus sous l’effet d’une bosse) l’emploi du verbe diminuire en
(29) devient plus acceptable.
88
CHAPITRE II
CONSIDÉRATIONS SUR L’(A)TÉLICITÉ, LA DIRECTION ET LA DÉRIVATION DES PHRASES INACCUSATIVES
diminuire ont une directionnalité intrinsèque dont l’orientation dépend du contexte et n’est
pas obligatoirement verticale. Ces verbes peuvent être associés à différentes échelles de
mesure comme, par exemple, le poids, le volume, la taille, etc.
Les verbes aumentare et diminuire des exemples (28) et (29) ressemblent aux verbes de
mesure tels que ‘peser’, ‘mesurer’, ‘valoir’, ‘coûter’, etc. À propos des verbes de mesure,
Jackendoff (1972 : 44) observe que ‘le sujet de ces verbes est interprété comme un Thème et
que le complément de mesure spécifie la position du sujet sur l’échelle de mesure’11. En effet,
le sujet des verbes en (28) et (29) est affecté par le complément de mesure qui décrit l’état
d’avancement du changement d’état dénoté par le verbe. Nous interprétons donc le sujet des
verbes aumentare et diminuire en (28) et (29) comme ayant un thêta-rôle Thème (cf. la soussection II.13.4. pour plus de détails).
Dans la prochaine sous-section, nous analyserons d’une façon plus détaillée les verbes
français correspondant aux verbes italiens salire, scendere, aumentare et diminuire.
II.3.2. Les verbes monter et descendre :
Contrairement à leurs correspondants italiens salire et scendere, les verbes monter et
descendre sélectionnent aussi bien l’auxiliaire être que l’auxiliaire avoir. L’emploi de
l’auxiliaire avoir avec ces verbes semble à première vue attribuable à un phénomène de
régularisation, autrement dit à un processus de grammaticalisation conduisant à un système
plus économique. Toutefois, contrairement à cette première impression, il apparaît que
l’auxiliaire être est corrélé à un effet télique, tandis que l’auxiliaire avoir est assez nettement
corrélé à un effet non télique. Nous allons décrire ce phénomène plus en détail dans la
prochaine sous-section.
11
« With these verbs, the measure phrase is an expression of Location on the scale of value being measured.
The (deep) subject is Theme, and the sentence specifies its locations on the scale denoted by the measure
phrase » (Jackendoff 1972 : 44).
89
CHAPITRE II
CONSIDÉRATIONS SUR L’(A)TÉLICITÉ, LA DIRECTION ET LA DÉRIVATION DES PHRASES INACCUSATIVES
II.3.2.1. Le verbe monter et la sélection de l’auxiliaire :
En français, le verbe monter est compatible aussi bien avec un sujet [+animé] (cf. (30))
qu’avec un sujet [-animé] (cf. (31))12. Avec un sujet [+animé], l’emploi de l’auxiliaire avoir
est possible pourvu qu’un C.O.D. soit sous-entendu13. En revanche, avec un sujet [-animé] il
semble que l’emploi de l’auxiliaire être et de l’auxiliaire avoir est soumis à des contraintes
concernant respectivement la télicité et l’atélicité.
Voici des exemples :
(30) a. Jean est monté.
b. Jean est monté en deux heures.
c. Jean est monté au sommet (en deux heures).
d. ?/*Jean est monté pendant deux heures14.
e. *Jean a monté.
f. *Jean a monté en deux heures.
g. *Jean a monté au sommet (en deux heures).
h. *Jean a monté pendant deux heures.
12
La même chose a été observée à propos des verbes salire et scendere en italien (cf. la sous-section II.3.1.).
Comme me l’ont fait observer Anne Zribi-Hertz et Marie-Christine Jamet (c.p.), l’emploi de l’auxiliaire avoir
est possible seulement si un C.O.D. est sous-entendu et donc si le verbe est re-catégorisé comme verbe transitif :
(i)
Jean a monté (la côte) en deux heures/pendant deux heures.
En revanche, l’emploi intransitif du verbe monter avec l’auxiliaire avoir et un SN sujet [+humain] est
agrammatical que le contexte soit télique ou atélique, comme le montrent les exemples en (30e,f,g,h).
14
L’emploi de l’adverbial ‘pendant x temps’ en (30d) n’est pas complètement agrammatical si l’on crée un
contexte adéquat permettant à l’intervalle temporel dénoté par l’adverbial atélique ‘pendant x temps’ d’être
construit comme un sous-ensemble d’un intervalle borné. La même chose peut se dire du verbe descendre en
(34d), (Marie-Christine Jamet (c.p.)) :
(i)
Jean est monté pendant deux heures.
Contexte : ‘La montée devait durer trois heures. Jean est monté pendant deux heures, puis l’orage a éclaté. Il
s’est abrité sous un rocher…’.
(ii)
Jean est descendu pendant une heure.
Contexte : ‘La descente devait durer trois heures. Jean est descendu pendant deux heures, puis l’orage a éclaté.
Il s’est abrité sous un rocher…’.
Anne Zribi-Hertz (c.p.) me fait observer qu’elle accepte les phrases (30d) et (34d) dans un contexte où le sujet
monte et redescend sans arrêt ‘pendant x temps’ :
(iii)
Jean est monté pendant deux heures.
Contexte : ‘Jean est monté et redescendu plusieurs fois pendant deux heures’.
(iv)
Jean est descendu pendant une heure.
Contexte : ‘Jean est descendu et remonté plusieurs fois pendant une heure’.
13
90
CHAPITRE II
CONSIDÉRATIONS SUR L’(A)TÉLICITÉ, LA DIRECTION ET LA DÉRIVATION DES PHRASES INACCUSATIVES
(31) a. La température/la mer/le blé a/?est monté(e)15.
b. La température ?*a/est monté(e) en deux minutes.
c. *La température est montée pendant deux jours.
d. La température a monté pendant deux jours.
En (31), on observe qu’un sujet [-animé] entraîne la sélection de l’auxiliaire être ou de
l’auxiliaire avoir selon que le contexte est télique ou atélique. En particulier, l’emploi d’un
complément de mesure permettant d’évaluer l’état d’avancement du processus dénoté par le
verbe est compatible aussi bien avec l’auxiliaire avoir qu’avec l’auxiliaire être lorsque le sujet
est un SN [-animé]. Dans ce cas, deux types d’interprétation sont possibles : une interprétation
télique où l’on constate le point final du changement – l’auxiliaire employé est alors être – ou
une interprétation atélique, où l’on emploie l’auxiliaire avoir :
(32)
La température a/est monté(e) de deux degrés.
(33)
L’eau a/est monté(e) de deux mètres.
(Leeman (1994 : 55))
En (32) et en (33), les syntagmes quantifiés ‘deux degrés/deux mètres’ sont traités comme
ambigus : ou bien ils dénotent un intervalle perçu de l’intérieur (‘en parcourant un intervalle
de deux degrés/de deux mètres’), l’auxiliaire employé étant donc avoir ; ou bien ils dénotent
le point d’aboutissement du changement (‘deux degrés/deux mètres au-delà du point de
départ’). Dans ce cas, l’auxiliaire employé est être.
II.3.2.2. Le verbe descendre :
Tout comme le verbe monter, le verbe descendre est compatible aussi bien avec un sujet
[-animé] qu’avec un sujet [+animé]. Voici des exemples :
15
Voici d’autres exemples avec un sujet [-animé] tirés de Ruwet (1972) et (1989) :
(i)
a. Le niveau de la rivière a/*est monté(e).
(Ruwet (1972 : 161 (130a,b)))
b. Entre l'aurore et midi, la température a monté/??est montée.
(Ruwet (1989 : 315 (8b)))
91
CHAPITRE II
CONSIDÉRATIONS SUR L’(A)TÉLICITÉ, LA DIRECTION ET LA DÉRIVATION DES PHRASES INACCUSATIVES
(34) a. Jean est descendu.
b. Jean est descendu en une heure.
c. Jean est descendu à la cave (en une minute).
d. ?/*Jean est descendu pendant une heure16.
e. *Jean a descendu.
f. *Jean a descendu en une heure.
g. *Jean a descendu à la cave (en une minute).
h. *Jean a descendu pendant une heure.
(35) a. Les prix ont/?sont descendu(s).
b. Les cours de la bourse ont/*sont descendu(s) pendant tout le mois de mai.
c. Les cours de la bourse *ont/sont descendu(s) en une semaine.
Tout comme le verbe monter, le verbe descendre, lorsqu’il sélectionne un SN sujet [+animé],
est compatible avec l’auxiliaire avoir pourvu qu’un C.O.D. soit sous-entendu. Dans ce cas, le
verbe est donc re-catégorisé comme transitif17. En revanche, avec un sujet [-animé] il semble
que l’emploi de l’auxiliaire être et de l’auxiliaire avoir soit dépendant de l’(a)télicité, comme
nous l’avons observé pour le verbe monter dans la sous-section précédente :
(36)
Le niveau de l’eau a/est descendu de deux mètres.
En (36), le complément de mesure ‘de deux mètres’ nous permet d’évaluer l’état
d’avancement du processus dénoté par le verbe descendre. On a donc une interprétation
atélique lorsque l’auxiliaire sélectionné est avoir, tandis qu’on a une interprétation télique si
l’auxiliaire sélectionné est être.
16
Mais voir la note 14 pour certains contextes d’acceptabilité.
Voici un exemple :
(i)
Jean a descendu (la côte) en deux heures/pendant deux heures.
17
92
CHAPITRE II
CONSIDÉRATIONS SUR L’(A)TÉLICITÉ, LA DIRECTION ET LA DÉRIVATION DES PHRASES INACCUSATIVES
II.3.3. Les verbes augmenter et baisser :
Contrairement aux verbes monter et descendre, les verbes augmenter et baisser
sélectionnent seulement l’auxiliaire avoir et l’auxiliaire être est employé exclusivement dans
l’interprétation d’état résultant déclenchée à partir d’une phrase transitive-causative. Voici des
exemples :
(37)
Le gouvernent a augmenté les prix.
Les prix sont augmentés.
(38)
(transitif-causatif)
(État Résultant) (Zribi-Hertz (1987 : 43 (84a)))
Le gouvernement a baissé les prix.
(transitif-causatif)
Les prix sont baissés18.
(État Résultant)
Étant donné qu’avec ces verbes la sélection de l’auxiliaire être est liée seulement à une
interprétation d’état résultant, l’auxiliaire avoir est compatible aussi bien avec une
interprétation télique qu’avec une interprétation atélique et l’ajout du complément de mesure
‘de 10%’ ne déclenche pas l’emploi de l’auxiliaire être (cf. (39c)) :
(39) a. La température a augmenté/baissé en deux minutes/pendant deux minutes.
b. Les prix ont augmenté/baissé en deux mois/pendant deux mois.
c. Les prix ont augmenté/baissé de 10% en deux mois/pendant deux mois.
18
Comme me l’a fait observer Anne Zribi-Hertz (c.p.), les phrases :
(i)
Les prix sont baissés.
(ii)
Les prix sont augmentés.
ne sont interprétables que comme phrases passives, impliquant préalablement un processus déclenché par une
causalité intentionnelle.
93
CHAPITRE II
CONSIDÉRATIONS SUR L’(A)TÉLICITÉ, LA DIRECTION ET LA DÉRIVATION DES PHRASES INACCUSATIVES
II.4. Récapitulation :
Dans le tableau qui suit nous résumons les propriétés des verbes que nous avons analysés
jusqu’ici :
(40)
ITALIEN
FRANÇAIS
PARAMÈTRES
auxiliaire
auxiliaire
ESSERE
ÊTRE
- télicité intrinsèque
- direction intrinsèque
ESSERE
ÊTRE
ESSERE
ÊTRE
- télicité intrinsèque
- direction compositionnelle
- télicité compositionnelle
- direction intrinsèque sur
une échelle verticale qui
dénote un changement de
lieu ou d’état
ESSERE
AVOIR
VERBES
- télicité
- direction
- télicité compositionnelle
- direction intrinsèque qui
dénote un changement
d’état
‘arriver/arrivare’,‘partir/partire’,
‘entrer/entrare’,‘sortir/uscire’,
‘tomber/cadere’,‘venir/venire’
‘aller/andare’
‘monter/salire’,
‘descendre/scendere’
‘augmenter/aumentare’,
‘diminuer ou baisser/diminuire’
Deuxième partie : les verbes ‘monter’, ‘descendre’, ‘courir’ et
‘accourir’ et les paramètres But et Direction
Dans cette deuxième partie, nous analyserons les verbes ‘monter’ et ‘descendre’ et leur
rapport avec les paramètres Direction et But. Ensuite, nous porterons notre attention sur
l’analyse du verbe de mouvement ‘accourir’ qui montre des caractéristiques lexicales
particulières. L’analyse de ‘accourir’ nous permettra aussi d’approfondir l’analyse du verbe
de mode de mouvement ‘courir’ et son rapport avec les paramètres Direction et But.
94
CHAPITRE II
CONSIDÉRATIONS SUR L’(A)TÉLICITÉ, LA DIRECTION ET LA DÉRIVATION DES PHRASES INACCUSATIVES
II.5. Les verbes ‘monter’ et ‘descendre’ et les adverbes ‘en haut’ et ‘en bas’ :
Les verbes ‘monter’ et ‘descendre’ sont spécifiés pour la direction de sorte que le verbe
‘monter’ n’est pas compatible avec l’adverbe référentiel ‘en bas’ et inversement, le verbe
‘descendre’ avec l’adverbe référentiel ‘en haut’ :
(41) a. Gianni è salito su/(*giù).
b. Jean est monté en haut/(*en bas).
(42) a. Gianni è sceso giù/(*su).
b. Jean est descendu en bas/(*en haut)19.
Le fait que la phrase (43) n’est pas paraphrasable par (44) suit naturellement du fait que ‘en
haut’ et ‘en bas’ dénotent un lieu et l’élévation de la température n’est pas un déplacement
spatial :
(43)
La température a monté/descendu.
(44)
La température a monté en haut/en bas.
Étant donné que ‘en haut’ et ‘en bas’ dénotent un lieu, (44) n’est interprétable que dans un
contexte où ‘en haut’ et ‘en bas’ dénotent le lieu où le changement d’état s’est déroulé, cf. :
(45)
La température a monté (= augmenté) au premier étage (= en haut).
(46)
La température a descendu (= baissé) au rez-de-chaussée (= en bas).
II.5.1. Les adverbes ‘en haut’ et ‘en bas’ et les paramètres But, Direction et état résultant :
En italien, les verbes complexes salire su (lit. ‘monter vers le haut/en haut’) et scendere
giù (lit. ‘descendre vers le bas/en bas’), tout comme les verbes simples salire et scendere (cf.
la sous-section II.3.1.), peuvent être associés à une interprétation télique où les adverbes su et
giù dénotent un Lieu construit comme l’aboutissement du mouvement. Cette interprétation est
également disponible en français pour monter en haut/descendre en bas :
19
Ceci dit, l’emploi des adverbes ‘en haut’ et ‘en bas’ en (41) et (42) est redondant vue la nature intrinsèquement
directionnelle des verbes ‘monter’ et ‘descendre’. C’est pourquoi les combinaisons monter en haut/descendre en
bas sont déconseillées aux écoliers francophones.
95
CHAPITRE II
CONSIDÉRATIONS SUR L’(A)TÉLICITÉ, LA DIRECTION ET LA DÉRIVATION DES PHRASES INACCUSATIVES
(47) a. Gianni è salito su in due minuti.
b. Jean est monté en haut en deux minutes.
(48) a. Gianni è sceso giù in due minuti.
b. Jean est descendu en bas en deux minutes.
En (47) et (48) les adverbes ‘en haut’ et ‘en bas’ sont des arguments But. En effet, ils peuvent
être remplacés par des SP dénotant un lieu incarnant le But de la transition :
(49) a. Gianni è salito al secondo piano in due minuti.
b. Jean est monté au deuxième étage en deux minutes.
(50) a. Gianni è sceso al piano terra in due minuti.
b. Jean est descendu au rez-de-chaussée en deux minutes.
Une fois que le But est atteint, les adverbes ‘en haut’ et ‘en bas’ peuvent être associés à une
interprétation marquant l’état résultant de la transition comme on le voit en (51) et (52)20 :
(51) a. Gianni è su.
b. Jean est en haut.
(52) a. Gianni è giù.
b. Jean est en bas.
En italien, les adverbes su et giù sont par ailleurs compatibles avec une interprétation atélique,
comme les montrent les exemples suivants. Dans ce cas, su et giù dénotent non pas le But du
mouvement mais sa Direction :
20
Les phrases copulatives/prédicatives en (51) et (52) peuvent être associées aussi à une interprétation stative.
Comme nous l’avons remarqué dans la sous-section I.7.3., l’interprétation d’état résultant peut coïncider avec
celle d’état. Plus précisément, nous avons observé que l’interprétation d’état résultant associée aux verbes de
changement de lieu comme ‘arriver’ et ‘entrer’ décrit la persistance dans un lieu de l’état issu de la transition
dénotée par le verbe. Ainsi, les phrases en (51) et (52) sont ambiguës, selon le contexte, entre l’interprétation
d’état résultant et l’interprétation d’état qui, contrairement à l’interprétation d’état résultant, ne présuppose pas
un événement ayant eu lieu antérieurement.
96
CHAPITRE II
CONSIDÉRATIONS SUR L’(A)TÉLICITÉ, LA DIRECTION ET LA DÉRIVATION DES PHRASES INACCUSATIVES
(53)
Gianni è salito su per due minuti.
Lit. Jean est monté vers le haut pendant deux minutes
(54)
Gianni è sceso giù per due minuti.
Lit. Jean est descendu vers le bas pendant deux minutes
Les adverbes su et giù des phrases en (53) et (54) sont des arguments directionnels. En effet,
ils peuvent être remplacés par des SP dénotant la direction du mouvement :
(55) a. Gianni è salito verso la cappella per due minuti.
‘Jean est monté vers la chapelle pendant deux minutes.’
(56) a. Gianni è sceso verso la costa per due minuti.
‘Jean est descendu vers la côte pendant deux minutes.’
En italien, les adverbes su et giù peuvent donc dénoter aussi bien le But d’une transition que
la direction du mouvement selon que le contexte est télique ou atélique. En revanche, en
français, les adverbes en haut et en bas ne sont jamais directionnels. Les traductions
françaises des phrases (53) et (54) nous montrent ce contraste :
(57) a. *Jean est monté en haut pendant deux minutes.
b. Jean est monté vers le haut pendant deux minutes.
(58) a. *Jean est descendu en bas pendant deux minutes.
b. Jean est descendu vers le bas pendant deux minutes.
Suite à ces observations, nous supposons qu’en italien la valeur But ou Direction associée aux
adverbes su et giù est compositionnelle, c’est-à-dire que c’est le contexte télique ou atélique
qui donne respectivement la valeur [+But] ou [+Direction] à ces adverbes. En revanche, en
français, les adverbes en haut et en bas n’ont jamais de lecture directionnelle comme le
montrent les exemples en (57a) et (58a).
97
CHAPITRE II
CONSIDÉRATIONS SUR L’(A)TÉLICITÉ, LA DIRECTION ET LA DÉRIVATION DES PHRASES INACCUSATIVES
II.6. Le verbe ‘accourir’ :
Le verbe accourir (du latin accurere de ad curere ‘courir vers’, ‘aller vite vers un but’,
‘venir en courant, en allant vite’) 21 est formé sur la base du verbe de mode de mouvement
courir au moyen du préfixe a- qui exprime la direction du déplacement. Dans l’optique de
l’analyse typologique de Talmy (1985) (cf. la sous-section II.1.1.), le verbe accourir
lexicalise la composante Direction en plus de la composante Mode de mouvement.
En ce qui concerne la sélection de l’auxiliaire, accourir peut sélectionner aussi bien
l’auxiliaire être que l’auxiliaire avoir.
Considérons les exemples suivants :
(59) a. Jean ?a/est accouru.
b. Jean ?a/est accouru en deux minutes.
c. Jean ?a /est accouru au château.
d. Jean ?a/est accouru chez moi.
e. Jean ?a/est accouru sauver Marie de la noyade.
f. Jean ?a/est accouru voir l’accident.
g. *Jean a/est accouru pendant une heure.
h. Les pompiers ?ont/sont accouru(s) pendant une heure.
Les exemples ci-dessus montrent que l’emploi de l’auxiliaire être est préféré mais que
l’auxiliaire avoir n’est pas écarté par les locuteurs.
Un contexte explicitement atélique force la sélection d’un sujet collectif qui permet
d’interpréter l’événement comme duratif (comparer (59g) avec (59h)). En (59h) on comprend
que pendant une heure les divers membres du groupe des pompiers ont couru dans la direction
du But. La même chose s’observe en italien (comparer (60g) avec (60h)).
Contrairement à ce qu’on observe en français, en italien le verbe accorrere sélectionne
seulement l’auxiliaire essere :
21
Rey, A., Dictionnaire historique de la langue française, Paris, Dictionnaires Le Robert, 2000, ad vocem.
98
CHAPITRE II
CONSIDÉRATIONS SUR L’(A)TÉLICITÉ, LA DIRECTION ET LA DÉRIVATION DES PHRASES INACCUSATIVES
(60) a. Gianni è/*ha accorso.
b. Gianni è/*ha accorso in due minuti.
c. Gianni è/*ha accorso al castello.
d. Gianni è/*ha accorso a casa mia.
e. Gianni è/*ha accorso a salvare Maria dall’annegamento.
f. Gianni è/*ha accorso a vedere l’incidente.
g. *Gianni è/*ha accorso per un’ora.
h. I pompieri sono/*hanno accorsi per un’ora.
II.6.1. Le verbe ‘accourir’ et les prépositions ‘à’ et ‘vers’ :
Le verbe accourir est compatible avec la préposition directionnelle atélique vers :
(61) a. Les pompiers ?ont/sont accouru(s) vers le château/l’appartement.
b. Jean ?a/est accouru vers le château/l’appartement.
En italien aussi, le verbe accorrere est compatible avec la préposition directionnelle atélique
verso :
(62) a. I pompieri sono accorsi verso il castello/l’appartamento.
b. Gianni è accorso verso il castello/l’appartamento.
L’emploi de la préposition locative à/a est aussi compatible avec ce verbe :
(63) a. Les pompiers ?ont/sont accouru(s) au château/à la porte.
b. Jean ?a/est accouru au château/à la porte.
(64) a. I pompieri sono accorsi al castello/alla porta.
b. Gianni è accorso al castello/alla porta.
Comme le montrent les exemples ci-dessus, la sélection obligatoire de l’auxiliaire essere par
le verbe accorrere n’entraîne pas d’incompatibilité avec l’emploi de la préposition
directionnelle atélique verso. En effet, comme nous l’avons déjà observé dans la section II.3.,
la sélection de l’auxiliaire essere n’implique pas nécessairement d’interprétation télique :
99
CHAPITRE II
CONSIDÉRATIONS SUR L’(A)TÉLICITÉ, LA DIRECTION ET LA DÉRIVATION DES PHRASES INACCUSATIVES
(65)
Gianni è salito verso la cappella.
‘Jean est monté vers la chapelle.’
(66)
Gianni è sceso verso il paese/la costa.
‘Jean est descendu vers le village/la côte.’
Ci-dessous nous allons analyser la compatibilité du verbe de mode de mouvement ‘courir’
avec la préposition ‘vers’ et la préposition ‘à’. Nous verrons qu’en italien, contrairement au
français, la préposition a peut avoir une interprétation directionnelle.
II.6.2. Le verbe ‘courir’ et les prépositions ‘à’ et ‘vers’ :
Le verbe correre est un verbe de mode de mouvement qui dénote une activité. Il est donc
lexicalement atélique.
En français, le verbe courir sélectionne seulement l’auxiliaire avoir. En revanche, en
italien, le verbe correre peut sélectionner aussi bien l’auxiliaire essere que l’auxiliaire avere.
Quand il sélectionne l’auxiliaire essere, il est interprété en tant que verbe télique et
l’explicitation du But du mouvement est obligatoire, tandis que quand il sélectionne
l’auxiliaire avere, il est interprété comme un verbe atélique dénotant une activité :
(67)
Gianni è corso *(nel parco).
Lit. Jean est couru dans-le parc
‘Jean a couru dans le parc (= jusqu’au parc).’
(68)
Gianni ha corso (nel parco).
Lit. Jean a couru dans-le parc
‘Jean a couru dans le parc (= à l’intérieur du parc).’
La préposition atélique verso est compatible aussi bien avec l’auxiliaire essere qu’avec
l’auxiliaire avere comme le montrent les exemples ci-dessous (cf. la sous-section II.7. pour
une analyse plus détaillée de l’alternance des auxiliaires et de l’emploi de la préposition verso
avec le verbe correre) :
100
CHAPITRE II
CONSIDÉRATIONS SUR L’(A)TÉLICITÉ, LA DIRECTION ET LA DÉRIVATION DES PHRASES INACCUSATIVES
(69)
Gianni è corso verso la spiaggia.
Lit. Jean est couru vers la plage
‘Jean a couru vers la plage.’
(70)
Gianni ha corso verso la spiaggia.
‘Jean a couru vers la plage.’
Le verbe correre, quand il sélectionne l’auxiliaire essere, est compatible aussi avec la
préposition a :
(71)
Gianni è corso a casa.
Lit. Jean est couru à maison
‘Jean a couru à la maison (= jusqu’à la maison).’
En (71) la préposition a est ambiguë : et elle peut être interprétée comme directionnelle
atélique, tout comme la préposition verso, ou comme télique (assignatrice du thêta-rôle But).
La phrase ci-dessous nous montre explicitement que la préposition a peut avoir une
interprétation directionnelle atélique en italien :
(72)
Gianni è corso a casa ma a metà strada si è fermato.
Lit. Jean est couru à (= vers) maison mais à mi-chemin il s’est arrêté
Autrement dit, en italien, quand le verbe correre sélectionne l’auxiliaire essere et qu’il est
employé avec la préposition a, il peut être interprété en tant que verbe dénotant un
mouvement dans une direction orientée non bornée (dans ce cas-là, la préposition a a le sens
de verso) ou en tant que verbe télique (dans ce cas-là, la préposition a indique le But/le point
final du déplacement).
L’emploi de l’adverbial ‘en x temps’ force une interprétation télique du prédicat et, par
conséquent, la préposition a ne peut s’interpréter en sa présence que comme télique :
101
CHAPITRE II
CONSIDÉRATIONS SUR L’(A)TÉLICITÉ, LA DIRECTION ET LA DÉRIVATION DES PHRASES INACCUSATIVES
(73)
Gianni è corso a casa in due ore.
Lit. Jean est couru à maison en deux heures
‘Jean a couru à la maison (= jusqu’à la maison) en deux heures.’
La préposition à en français ne peut pas avoir le sens de vers, contrairement à ce qui arrive en
italien (comparer (72) avec (74) ci-dessous) :
(74)
*Jean a couru à la maison mais à mi-chemin il s’est arrêté.
En français, la préposition à est locative par défaut tout comme en italien. Tout comme en
italien, elle peut avoir aussi un emploi télique mais elle ne peut pas être associée à une
interprétation atélique comme le montre l’exemple en (74). Autrement dit, en français, pour la
préposition à la lecture directionnelle n’est pas disponible.
Dans la prochaine sous-section, nous allons analyser le préfixe a- associé aux verbes
accourir et accorrere. Nous avancerons l’hypothèse qu’il est associé par défaut au trait
[+Direction].
II.6.3. Le rôle du préfixe ‘a-’ :
Comme nous l’avons observé (cf. supra), le verbe accourir contient dans sa racine même
la combinaison ad+curere (‘courir vers’, ‘aller vite vers un but’). La préposition ad en latin
était associée à un sens de Direction mais aussi de But22.
Dufresne et Dupuis (2001 : 39) observent qu’en ancien français, le préfixe a-, lorsqu’il
est combiné à une base verbale imperfective, ajoute, entre autres, l’idée de fin. Ainsi, un verbe
dénotant une activité comme river (‘longer la rive’) se transforme en verbe dénotant un
achèvement : ariver (‘mener à la rive’, ‘toucher à la rive’).
Il s’ensuit que le préfixe a-, associé au verbe ‘accourir’, nous ramène à l’ambiguïté entre
les interprétations de But et de Direction de la préposition latine ad- et, en même temps, à
l’ambiguïté entre les interprétations de But et de Direction de la préposition italienne a
dérivée de la préposition latine ad, (cf. (71)).
22
Le préfixe a- est associé à un sens de But avec d’autres verbes de mouvement, par exemple, le verbe atterrir et
le néologisme alunir.
102
CHAPITRE II
CONSIDÉRATIONS SUR L’(A)TÉLICITÉ, LA DIRECTION ET LA DÉRIVATION DES PHRASES INACCUSATIVES
Autrement dit, en français et en italien, le préfixe a- du verbe ‘accourir’ semble être
ambigu entre une interprétation de But et une interprétation de Direction et c’est pourquoi le
verbe ‘accourir’ est compatible aussi bien avec la préposition télique ‘à’ qu’avec la
préposition atélique ‘vers’. Dans cette optique, le préfixe a- contribue directement à
l’interprétation sémantique du verbe lui-même.
Néanmoins, la distinction entre les lectures télique et directionnelle de ‘accourir’ peut
être dérivée plus finement de la façon dont on combine l’interprétation du complément
(Locatif) avec celle du verbe. Supposons que le préfixe a- soit seulement directionnel. Dans
cette hypothèse, si le verbe régit un complément locatif, on a une ambiguïté selon qu’on
construit le Lieu comme l’aboutissement du mouvement (lecture télique), ou pas (lecture
directionnelle/atélique). L’ambiguïté ne serait donc pas inhérente au préfixe et, selon cette
analyse, la télicité n’est pas un trait lexical du verbe, mais un effet de la combinaison V+SP.
II.7. Les verbes correre et courir :
Le verbe correre n’est ni intrinsèquement télique ni intrinsèquement directionnel, ces
deux composantes étant compositionnelles. Comme nous l’avons déjà observé dans la soussection II.6.2., le verbe correre sélectionne aussi bien l’auxiliaire essere que l’auxiliaire
avere. Quand il sélectionne l’auxiliaire essere, il est associé à une interprétation télique et
l’argument locatif marquant le But du mouvement doit être explicité pour que la phrase soit
grammaticale :
103
CHAPITRE II
CONSIDÉRATIONS SUR L’(A)TÉLICITÉ, LA DIRECTION ET LA DÉRIVATION DES PHRASES INACCUSATIVES
(75)
*Gianni è corso23.
Lit. Jean est couru
(76)
*Gianni è corso in due minuti.
Lit. Jean est couru en deux minutes
*‘Jean a couru en deux minutes.’
(77)
Gianni è corso nel parco (in due minuti)/*per due minuti.
Lit. Jean est couru dans-le (= jusqu’au) parc en deux minutes/pendant deux minutes
‘Jean a couru jusqu’au parc en deux minutes/*pendant deux minutes.’
L’exemple en (76) montre qu’un contexte télique déclenché par l’adverbial ‘en x temps’ ne
suffit pas à rendre la phrase grammaticale mais qu’il faut que le But du mouvement soit
explicité (cf. (77)). L’adverbial ‘pendant x temps’ est évidemment incompatible avec (77) car
la séquence auxiliaire+verbe dénote un mouvement télique et pas une activité. En revanche,
l’adverbial ‘pendant x temps’ est compatible avec le verbe correre lorsqu’il sélectionne
l’auxiliaire avere. Dans ce cas, correre est interprété comme un verbe dénotant une activité et
l’élément locatif dénotant le lieu où se déroule l’événement peut être omis. L’adverbial
télique ‘en x temps’ est évidemment incompatible avec l’interprétation dénotant une activité :
(78)
Gianni ha corso.
‘Jean a couru.’
(79)
Gianni ha corso per due minuti.
‘Jean a couru pendant deux minutes.’
(80)
Gianni ha corso (nel parco) (per due minuti)/*in due minuti.
‘Jean a couru dans le parc (= à l’intérieur du parc) pendant deux minutes/*en deux
minutes.’
En français, le verbe courir ne manifeste pas d’alternance dans le choix de l’auxiliaire. À la
différence de l’italien, en français, le verbe courir sélectionne l’auxiliaire avoir qu’il soit
interprété comme prédicat télique ou comme prédicat d’activité (dans ce cas le SP locatif peut
23
Sorace (2000 : 883, note 31) donne l’exemple suivant :
(i)
Ho sentito un rumore terribile che veniva dalla cucina, sono corsa e ho visto i piatti rotti.
‘J’ai entendu un bruit terrible qui venait de la cuisine, je suis accourue et j’ai vu les assiettes cassées.’
L’exemple en (i) montre qu’avec l’auxiliaire essere, le complément But, s’il n’est pas explicité, doit être quand
même récupérable anaphoriquement dans le contexte discursif. En effet, hors contexte, l’emploi de l’auxiliaire
essere serait totalement agrammatical comme le montre la phrase en (75).
104
CHAPITRE II
CONSIDÉRATIONS SUR L’(A)TÉLICITÉ, LA DIRECTION ET LA DÉRIVATION DES PHRASES INACCUSATIVES
être omis comme avec le verbe correre en italien). Autrement dit, en français il n’y a pas
d’alternance du type d’auxiliaire selon l’information aspectuelle donnée par le contexte.
Toutefois, le rôle joué par le contexte permet de distinguer entre l’interprétation télique et
l’interprétation atélique. Par exemple, selon le contexte créé, la phrase (81) peut avoir deux
lectures différentes :
(81)
Jean a couru dans le parc.
(82)
Jean a vu un oiseau par la fenêtre et il a couru dans le parc pour l’attraper.
(interprétation télique)
(83)
Pour préparer la compétition Jean a couru une heure dans le parc.
(interprétation atélique)
Si l’on ajoute les adverbiaux ‘en x temps’ ou ‘pendant x temps’ l’ambiguïté aspectuelle est
levée :
(84)
Jean a couru dans le parc en un instant.
(85)
Jean a couru dans le parc pendant cinq minutes.
(interprétation télique)
(interprétation atélique)
Étant donné que le verbe correre est un verbe compositionnellement directionnel, il s’ensuit
qu’il est compatible avec une préposition atélique comme verso qui marque la direction d’un
déplacement. Comme nous l’avons déjà observé dans la sous-section II.6.2., la préposition
atélique verso est compatible aussi bien avec l’auxiliaire essere qu’avec l’auxiliaire avere :
(86)
Gianni è corso verso la spiaggia in due minuti/per due minuti.
Lit. Jean est couru vers la plage en deux minutes/pendant deux minutes
(87)
Gianni ha corso verso la spiaggia *in due minuti/per due minuti.
Lit. Jean a couru vers la plage en deux minutes/pendant deux minutes
Comme le montre l’exemple en (86), la préposition directionnelle atélique verso est
compatible avec l’auxiliaire essere et donc avec un contexte télique comme le montre
l’emploi de l’adverbial télique in due minuti. Le SP verso la spiaggia dénote la direction du
mouvement mais il ne spécifie pas le But du mouvement. Du moment que le point final du
mouvement n’est pas spécifié, l’adverbial in due minuti peut être interprété seulement avec le
105
CHAPITRE II
CONSIDÉRATIONS SUR L’(A)TÉLICITÉ, LA DIRECTION ET LA DÉRIVATION DES PHRASES INACCUSATIVES
sens de ‘au bout de deux minutes’. Autrement dit, l’adverbial in due minuti dénote le temps
nécessaire afin que l’événement dénoté par le verbe ‘courir’ commence.
En (86), l’adverbial per due minuti n’est pas accepté par tous les locuteurs. Cela vient
peut-être du fait que certains locuteurs voient une compatibilité aspectuelle entre l’adverbial
atélique per due minuti et la préposition directionnelle atélique verso, tandis que d’autres
ignorent cette compatibilité et associent l’auxiliaire essere à une interprétation télique qui est
incompatible avec l’adverbial atélique per due minuti.
Nous croyons que l’emploi de la préposition directionnelle atélique verso et de
l’adverbial atélique per due minuti est compatible avec la sélection de l’auxiliaire essere
pourvu que l’événement dénoté par le verbe correre soit interprété comme un processus
« scalaire ». Autrement dit, le SP verso la spiaggia est compatible avec un événement qui
dénote une approche graduelle du But du mouvement. Il s’ensuit donc que l’adverbial per due
minuti en (86) dénote un intervalle temporel à l’intérieur d’une échelle directionnelle où
l’aboutissement du point final se fait nécessairement par degrés. En revanche, en (87), le
verbe correre dénote une activité et il est compatible seulement avec l’adverbial atélique per
due minuti.
En français aussi, l’adverbial ‘en x temps’ est compatible avec la préposition atélique
vers et il a le sens de ‘au bout de x temps’ :
(88)
Jean a couru vers la plage en deux minutes/pendant deux minutes.
Dans la prochaine section, nous décrirons en bref l’analyse de la structure argumentale du
verbe correre proposée par Hoekstra et Mulder (1990).
II.7.1. L’ambiguïté structurale du verbe correre (Hoekstra et Mulder (1990)) :
Étant donné qu’en italien la sélection de l’auxiliaire essere distingue par hypothèse les
verbes inaccusatifs des inergatifs, le verbe de mode de mouvement correre, qui sélectionne à
la fois l’auxiliaire avere et l’auxiliaire essere, sélectionne deux structures syntaxiques
différentes selon le type d’auxiliaire sélectionné. Quand il sélectionne l’auxiliaire avere il est
interprété comme inergatif et dénote une activité, et quand il sélectionne l’auxiliaire essere il
est interprété comme inaccusatif télique. Le caractère obligatoire ou optionnel d’un SP locatif
a des répercussions sur la structure argumentale de ce verbe :
106
CHAPITRE II
CONSIDÉRATIONS SUR L’(A)TÉLICITÉ, LA DIRECTION ET LA DÉRIVATION DES PHRASES INACCUSATIVES
(89)
Gianni è corso *(a casa).
(inaccusatif)
Lit. Jean est couru à (= jusqu’à) maison
(90)
Gianni ha corso (a casa).
(inergatif)
‘Jean a couru à (= à l’intérieur de) la maison.’
Hoekstra et Mulder (1990) proposent une seule structure syntaxique qui expliquerait le
comportement inergatif ou inaccusatif du verbe correre. L’idée de Hoekstra et Mulder est que
le sujet de la phrase (89) n’est pas l’argument interne du verbe mais, plutôt, l’argument
externe (le sujet) d’une phrase réduite ( « small clause » ), désormais SC, qui est le
complément du verbe24. Ensuite, le SN sujet de la SC se déplace dans [spéc. SI], au-dessus de
l’auxiliaire, pour recevoir le Cas nominatif. La configuration proposée par Hoekstra et Mulder
est la suivante :
(91)
SNi SV[ V SC[ ti SPloc]]
Giannii è corso SC[ ti a casa]
Lit. Jean est couru à maison
En revanche, en (90), où le verbe correre sélectionne l’auxiliaire avere, le SN sujet serait
projeté en tant qu’argument externe du verbe et le SP locatif, interprété comme un ajout au
SV. Hoekstra et Mulder supposent qu’en (90) le SP locatif est engendré dans une SC ajout au
verbe et que le sujet de la SC est réalisé comme un PRO co-indicé avec l’argument externe (le
sujet) du verbe correre25. La structure proposée par Hoekstra et Mulder pour analyser (90) est
la suivante :
(92)
SNi SV[ V SC[ PROi SPloc]]
Giannii ha corso (SC[ PROi a casa])
‘Jean a couru à la maison.’
24
En grammaire générative, les phrases réduites sont définies comme des prédications non verbales. Par
exemple, dans la phrase :
(i)
Maigret croit SC[le chauffeur du taxi innocent]
la séquence ‘le chauffeur du taxi innocent’ est interprétée comme une phrase à copule elliptique ‘le chauffeur du
taxi (est) innocent’. La phrase réduite en (i) est donc formée de deux constituants : ‘le chauffeur du taxi’ qui est
le sujet et l’adjectif ‘innocent’ qui est le prédicat de la SC.
25
Posant que toute phrase requiert un sujet pour être correctement interprétée, on postule un sujet implicite
nommé PRO en l’absence d’un sujet visible.
107
CHAPITRE II
CONSIDÉRATIONS SUR L’(A)TÉLICITÉ, LA DIRECTION ET LA DÉRIVATION DES PHRASES INACCUSATIVES
Aussi bien en (89) qu’en (90) le sujet est engendré comme argument externe mais, en (89),
contrairement à ce qu’on a en (90), le sujet est engendré comme l’argument externe d’une SC
qui est interprétée comme l’argument interne du verbe. Comme l’observent Benincà et
Cinque (1992 : 159), l’analyse élaborée par Hoekstra et Mulder permet de résoudre
« l’apparente violation du Principe de Projection [, c’est-à-dire que] le même argument du
verbe peut être en fait projeté soit de façon externe (ce qui est visible quand l’auxiliaire est
avere) soit de façon interne (on le voit quand l’auxiliaire est essere) ». En effet, cette
violation « est résolue si on suppose que le cas où l’argument semble projeté de façon interne
est seulement apparent […] le sujet de surface […] vient en fait de la position sujet d’une
phrase réduite qui est complément du verbe ».
II.8. Récapitulation :
Nous avons observé que le verbe correre n’est doué ni d’une direction ni d’une télicité
intrinsèque. Autrement dit, correre est directionnel ou télique de façon compositionnelle.
Quand il sélectionne l’auxiliaire essere il est associé à une interprétation télique et il est
nécessaire d’expliciter un SP dénotant le But ou la Direction du mouvement afin d’obtenir
une phrase grammaticale (*Gianni è corso in due minuti ; √Gianni è corso a casa/verso la
spiaggia in due minuti). La même chose s’observe en français avec le verbe courir. Même si
courir sélectionne seulement l’auxiliaire avoir, quand il est associé à l’adverbial télique ‘en x
temps’, il requiert que le But ou la Direction du mouvement soit explicité (*Jean a couru en
deux minutes ; √Jean a couru à la maison/vers la plage en deux minutes)26.
Tout comme le verbe correre, les verbes salire et scendere sont compositionnellement
téliques (cf. la sous-section II.3.1.) mais, à la différence du verbe correre, ils sont
intrinsèquement directionnels. En outre, nous avons observé que les verbes salire et scendere
sont compatibles avec l’adverbial ‘en x temps’ sans que le But du mouvement soit
nécessairement explicité (Gianni è salito/sceso in due minuti). La même chose s’observe en
français (Jean est monté/descendu en deux minutes). Une analyse plus approfondie des verbes
‘monter’ et ‘descendre’ et de leur compatibilité avec les adverbiaux ‘en haut/vers le haut’ et
‘en bas/vers le bas’ nous a montré qu’en italien les adverbiaux su et giù peuvent être associés
26
La phrase en (i) est interprétable pourvu qu’un C.O.D. soit sous-entendu et que le contexte interprétatif soit
récupérable à partir du discours :
(i)
a. Jean a couru (le marathon) en une heure.
b. Gianni ha corso (la maratona) in un’ora.
108
CHAPITRE II
CONSIDÉRATIONS SUR L’(A)TÉLICITÉ, LA DIRECTION ET LA DÉRIVATION DES PHRASES INACCUSATIVES
à une lecture directionnelle, tandis que cette lecture est exclue en français avec les adverbiaux
en haut et en bas.
En résumé, les verbes que nous avons analysés dans les première et deuxième parties de
ce chapitre ont montré des caractéristiques particulières par rapport aux paramètres aspectuels
de l’(a)télicité et de la direction.
Dans la troisième partie de ce chapitre, nous reviendrons sur l’Hypothèse Inaccusative
telle qu’elle a été formulée par Burzio (1981, 1986) et nous proposerons notre formulation de
la notion d’inaccusativité. Plus précisément, nous nous pencherons sur les propriétés
thématiques et aspectuelles qui contribuent, à notre avis, à étiqueter un verbe comme
inaccusatif. En outre, nous proposerons notre analyse syntaxique des verbes inaccusatifs de
changement de lieu exploitant l’hypothèse de la ‘coquille SV’ ( « VP shell » ) élaborée
d’abord par Larson (1988) et ensuite remaniée par Hale et Keyser (1993).
Troisième partie : la dérivation des phrases inaccusatives
Dans les sections I.15. et I.16., nous avons observé que dans les théories de la Grammaire
Relationnelle et du Gouvernement et Liage, les verbes inaccusatifs sont considérés comme
des verbes à montée : il est supposé que leur unique argument est engendré dans la structure
profonde comme un argument interne (objet) et, qu’au cours de la dérivation syntaxique de la
phrase, il se déplace dans la position de l’argument externe (sujet) dans [spéc. SI]. Les verbes
inaccusatifs ont été décrits aussi comme des verbes intransitifs téliques dont le sujet est nonagentif (cf. Legendre et Sorace (2003), entre autres). Arad (1998) essaye de formuler une
généralisation concernant les verbes inaccusatifs sur la base de la notion d’évaluateur
( « measurer » ) de l’événement élaborée par Tenny (1994 : 63). Nous introduirons en bref cidessous la notion d’évaluateur de l’événement telle qu’elle a été formulée par Tenny.
II.9. La notion de « measurer » (Tenny (1994)) :
Tenny (1994 : 11) formule un principe appelé Contrainte sur les arguments internes
capables de mesurer l’événement ( « Measuring-Out Constraint on Direct Internal
Argument » ) qui pose que :
109
CHAPITRE II
CONSIDÉRATIONS SUR L’(A)TÉLICITÉ, LA DIRECTION ET LA DÉRIVATION DES PHRASES INACCUSATIVES
1) L’argument interne direct d’un verbe […] [peut subir] un déplacement ou un changement
qui « mesure l’événement » temporellement (où mesurer signifie jouer un rôle particulier
dans la délimitation de l’événement).
2) Les arguments internes directs sont les seuls qui peuvent mesurer l’événement.
3) Il ne peut y avoir plus d’une mesure pour un événement27.
Dans la théorie thématique, habituellement, on appelle Thème le rôle thématique de l’entité
qui subit un changement de lieu ou un changement d’état, mais dans l’analyse de type
événementiel adoptée par Tenny cette entité est appelée évaluateur. Plus précisément, selon
l’analyse de Tenny, un évaluateur est l’entité qui nous permet d’évaluer l’état d’avancement
de l’événement.
Selon Tenny (1994 : 63), le sujet des verbes inaccusatifs est un évaluateur car il est
impliqué dans le processus dénoté par le verbe à la manière des objets, qui sont engendrés en
tant qu’arguments internes. Néanmoins, tous les objets ne s’interprètent pas comme des
évaluateurs. La notion d’ « affectedness » élaborée par Tenny (1994 : 157-158) est à la base
de la notion d’évaluateur. Plus précisément, un objet est défini en tant qu’évaluateur s’il est
affecté par l’événement. Ainsi, l’objet de la phrase (93) est affecté par l’événement, tandis que
l’objet de la phrase (94) ne l’est pas car un verbe statique comme ‘connaître’ n’est pas capable
de modifier la nature intrinsèque de l’objet. Il s’ensuit donc que le SN pomme en (93) est un
évaluateur, tandis que le SN réponse en (94) ne l’est pas :
(93)
Jean a mangé une pomme.
(94)
Jean connaît la réponse.
II.10. L’inaccusativité et les traits [-agentif] et [±télique] (Arad (1998)) :
Posant que le sujet des verbes inaccusatifs est engendré comme un argument interne
(objet) et que tous les objets ne s’interprètent pas comme des évaluateurs (comparer (93) avec
(94)), Arad (1998 : 16) formule la généralisation suivante : ‘s’il y a des objets qui ne sont pas
des évaluateurs (l’interprétation étant donc atélique), rien ne devrait interdire des inaccusatifs
27
La traduction de Tenny (1994) est empruntée de Asnes (2004 : 138).
110
CHAPITRE II
CONSIDÉRATIONS SUR L’(A)TÉLICITÉ, LA DIRECTION ET LA DÉRIVATION DES PHRASES INACCUSATIVES
[…] atéliques’28. Arad donne comme exemples de verbes atéliques les verbes ‘monter’,
‘descendre’ et ‘tomber’ que nous avons analysés dans la section II.3. (cf. aussi Levin et
Rappaport-Hovav (1995) pour une liste plus détaillée de ces verbes). Selon Arad, à la classe
des verbes inaccusatifs peuvent donc appartenir aussi bien des verbes téliques que des verbes
atéliques. Arad soutient aussi que les verbes inaccusatifs partagent tous la propriété que leur
sujet n’est jamais associé au thêta-rôle Agent. En effet, dans l’optique de l’Hypothèse
Inaccusative, le sujet d’un verbe inaccusatif n’est pas engendré dans la position structurale où
cette interprétation est disponible (la position de l’argument externe).
En ce qui concerne la valeur agentive ou non-agentive associée au sujet, dans la section
I.17., nous avons défendu l’idée que le sujet des verbes de changement de lieu dénotant un
achèvement comme ‘arriver’ et ‘partir’ peut être associé à une interprétation agentive. Pour
être compatible avec cette interprétation, un sujet doit être pourvu du trait [+animé].
Toutefois, ce trait n’est pas suffisant pour déclencher l’interprétation agentive : il faut aussi
que le trait [+animé] soit associé au trait [+intentionnel] (cf. Arad (1998) et les références
citées dans ce texte).
Considérons les exemples suivants :
(95) a. Le printemps est arrivé.
b. Le métro est arrivé en retard.
c. Le train est déjà parti.
(96)
Jean est arrivé/parti à huit heures.
Dans les exemples ci-dessus, le verbe ‘arriver’ tout comme le verbe ‘partir’ est compatible
avec un sujet pourvu du trait [-animé] et, corrélativement, du trait [-intentionnel] (comparer
(95) avec (96)).
Pustejovsky (1991) définit les phrases en (95) comme des transitions inaccusatives non
agentives et les phrases en (96) comme des transitions inaccusatives agentives. Dans cette
optique, on peut supposer qu’en (95) et (96) l’agentivité n’est pas assignée au sujet par les
verbes ‘arriver’ et ‘partir’ mais qu’elle dépend du trait [+intentionnel] associé au sujet pour
28
« if there are objects which are not measurers (and therefore atelic), there is nothing preventing unaccusative
verbs from having their arguments generated at the object position, and denote atelic events » (Arad (1998 :
16)).
111
CHAPITRE II
CONSIDÉRATIONS SUR L’(A)TÉLICITÉ, LA DIRECTION ET LA DÉRIVATION DES PHRASES INACCUSATIVES
des raisons indépendantes. Autrement dit, les exemples (95) et (96) montrent que
l’intentionnalité n’est pas un effet du contenu du prédicat29.
Arad (1998 : 3) observe que la notion d’agentivité est généralement associée au trait
[+intentionnel] mais que la notion d’intentionnalité n’ajoute rien du tout à la notion
d’agentivité30. Dans l’optique de Arad, le trait [+intentionnel] est associé au sujet pour des
raisons indépendantes de la syntaxe du verbe et il est en quelque sorte lié à la notion de
‘cause’ ( « originator » ).
Dans la prochaine section, nous aborderons la théorie de Reinhart et Siloni (2005) qui
décompose la notion d’agentivité en deux traits indépendants [±c] (‘cause’) et [±m] (‘état
mental’, anglais « mental state » ). En adoptant la décomposition de Reinhart et Siloni, nous
parviendrons à une description plus fine du rapport entre les thêta-rôles et la structure
argumentale des verbes inaccusatifs.
II.11. Les traits [±c] et [±m] (Reinhart et Siloni (2005)) :
Reinhart et Siloni (2005) décomposent les rôles thématiques en traits binaires [±c] (cause
du changement : l’argument [+c] met un processus en branle) et [±m] (état mental, c’est-àdire activation d’une conscience). Le traits binaires [±c] et [±m] donnent lieu aux
combinaisons suivantes :
- [+c, +m] (agent intentionnel, thêta-rôle Agent)
- [–c, –m] (thêta-rôle Thème)
- [+c, –m] (thêta-rôle Cause)
29
Haiden (2007 : 158-159) observe qu’en allemand l’intentionnalité du sujet n’est pas spécifiée par l’entrée
lexicale du verbe transitif bekommen (‘recevoir’) :
(i)
Hans hat ein Buch bekommen.
Lit. Hans a un livre reçu
‘Hans a reçu un livre.’
En (i) le verbe assigne le rôle But à son sujet qui est donc affecté dans le sens où il est le point final d’une
trajectoire. Haiden observe que le sujet Hans peut être interprété comme un sujet intentionnel (Hans peut avoir
commandé le livre) mais que cette interprétation n’est pas nécessaire. La même chose s’observe en français et en
italien avec le verbe ‘recevoir’. Comme nous le verrons dans les pages suivantes (cf. infra), dans l’optique de
Reinhart et Siloni (2005) l’interprétation non intentionnelle est associée au faisceau de traits [-c, +m], tandis que
l’interprétation intentionnelle est associée au faisceau de traits [+c, +m].
Comme me l’a fait observer Anne Zribi-Hertz (c.p.), l’intentionnalité peut être un effet du contenu du prédicat.
Par exemple, en (ii) le sujet est [-intentionnel], tandis qu’en (iii) le sujet est [+intentionnel] :
(ii)
Marie croit que Jean va partir.
(iii)
Marie a critiqué son frère.
30
Voir à ce propos aussi Haiden (2007) et les références citées dans ce texte.
112
CHAPITRE II
CONSIDÉRATIONS SUR L’(A)TÉLICITÉ, LA DIRECTION ET LA DÉRIVATION DES PHRASES INACCUSATIVES
- [–c, +m] (thêta-rôle Expérient)
Voici deux exemples tirés de Reinhart et Siloni (2005) :
(97) a. Le vent/Jean a cassé la branche.
(Reinhart et Siloni (2005 : 418 (64a,b)))
b. La branche s’est cassée.
(98) a. Le bruit/Jean a fâché Pierre.
(Reinhart et Siloni (2005 : 418 (65a,b)))
b. Pierre s’est fâché.
Les phrases (97a) et (98a) sont des constructions transitives-causatives. En (97a), le SN le
vent est une Cause [+c, –m], le SN Jean est un Agent [+c, +m] et le C.O.D. branche un Thème
[–c, –m], tandis qu’en (97b), la Cause a été supprimée et le sujet est interprété comme un
Thème. En (98a), le SN le bruit est une Cause [+c, –m], le SN Jean est un Agent [+c, +m] et
le C.O.D. Pierre est un Expérient [–c, +m], tandis qu’en (98b) la Cause a été supprimée et le
sujet est interprété comme un Expérient.
Dans l’optique de l’Hypothèse Inaccusative (cf. la section I.16.), les verbes inaccusatifs
sélectionnent un unique argument interne qui ne peut pas être associé au thêta-rôle Agent,
puisque l’Agent n’est jamais un thêta-rôle interne. Or, le trait [+m] peut être assigné à un
argument interne (cf. (98a)). C’est le rôle [+c] qui ne peut pas être interne. Si on traduit le
raisonnement de Perlmutter (1978) et Burzio (1981, 1986) (cf. les sections I.15. et I.16.)
concernant la structure argumentale des verbes inaccusatifs dans les termes de Reinhart et
Siloni (2005), on arrive donc à formuler l’hypothèse suivante : l’argument d’un verbe
inaccusatif ne peut pas être associé au trait [+c]. Autrement dit, les verbes inaccusatifs
n’assignent pas le rôle [+c] à leur argument car leur argument est interne. Il s’ensuit donc que
le trait [+c] ne peut être assigné qu’à un argument externe.
II.11.1. L’Hypothèse Inaccusative et les traits [±c] et [±m] :
Nous avons observé que la notion d’intentionnalité n’apporte rien de plus à la notion
d’agentivité et que ces deux notions sont donc analogues. Nous avons aussi proposé que la
compatibilité des verbes inaccusatifs ‘arriver’ et ‘partir’ avec des sujets [-animés] et donc [intentionnels] montre que l’intentionnalité/l’agentivité n’est pas un effet du contenu du
prédicat. Ce que nous voudrions montrer dans ce qui suit est que les verbes ‘arriver’, ‘partir’,
113
CHAPITRE II
CONSIDÉRATIONS SUR L’(A)TÉLICITÉ, LA DIRECTION ET LA DÉRIVATION DES PHRASES INACCUSATIVES
‘entrer’, ‘sortir’ et ‘tomber’ n’assignent pas à leur argument le trait [+c]. En outre, nous
voudrions montrer que des adverbiaux du type ‘délibérément’, ‘exprès’, etc. ne testent pas la
combinaison [+c, +m] avec le sujet des verbes ‘arriver’, ‘partir’, ‘entrer’, ‘sortir’ et ‘tomber’.
Nous avons déjà observé dans la section I.7.3. que les verbes ‘arriver’ et ‘partir’ peuvent
être associés à une interprétation d’état résultant ou d’état (cf. ‘Jean est arrivé’ (= est là)’,
‘Jean est parti (= est absent)’). La même chose s’observe avec les verbes ‘entrer’, ‘sortir’ et
‘tomber’ (cf. ‘Jean est entré (= est dedans)’, ‘Jean est sorti (= est dehors)’), (cf. ‘Jean est
tombé (= est à terre)’). Dans ce cas, ces phrases sont interprétées comme des phrases statives
où les éléments prédicatifs sont, respectivement, l’adverbe ‘là’, l’adjectif ‘absent’, les
adverbes ‘dedans’ et ‘dehors’ (ou leurs synonymes), l’expression locative ‘à terre’.
L’interprétation d’état résultant ou d’état implique une interprétation non agentive du sujet de
ces verbes. Il s’ensuit donc que dans ce cas le sujet de ces verbes est un Thème et il n’a ni le
trait [+c], ni le trait [+m].
Cependant, ces verbes sont compatibles avec une proposition infinitive finale ou un
adverbial du type ‘exprès’, ‘délibérément’, etc. qui véhiculent une valeur sémantique
agentive :
(99) a. Jeank est arrivé pour PROk embêter Marie.
b. Jeank est entré pour PROk embêter Marie.
c. Jeank est parti pour PROk rejoindre sa mère en Iraq.
d. Jeank est sorti pour PROk acheter des cadeaux.
e. Jeank est tombé pour PROk attirer l’attention du public.
f. Jeank est venu pour PROk faire visite à sa grand-mère.
g. Jeank est allé à la piscine pour PROk rencontrer ses amis.
(100) a. Jean est délibérément arrivé au milieu de la réunion.
b. Jean est délibérément entré dans la cuisine.
c. Jean est délibérément parti pour l’Iraq.
d. Jean est délibérément sorti dans la cour.
e. Jean est délibérément tombé pour attirer l’attention.
f. Jean est délibérément venu chez nous.
g. Jean est délibérément allé à la piscine.
114
CHAPITRE II
CONSIDÉRATIONS SUR L’(A)TÉLICITÉ, LA DIRECTION ET LA DÉRIVATION DES PHRASES INACCUSATIVES
Dans les exemples en (99), nous supposons que les traits [+c] et [+m] sont associés au sujet
PRO de la proposition infinitive finale et que l’intentionnalité perçue n’est pas un effet du
contenu sémantique du verbe inaccusatif mais plutôt du prédicat de la phrase infinitive finale
qui assigne les traits [+c] et [+m] à son sujet PRO co-indicé avec le SN Jean. En revanche,
nous supposons qu’en (100) l’adverbial de volonté ‘délibérément’ contribue à donner au sujet
une interprétation agentive mais il n’est pas impliqué dans l’assignation du thêta-rôle Agent
au sujet. Dans la terminologie de Reinhart et Siloni, le thêta-rôle Agent est décomposable dans
les traits [+c, +m] qui sont assignés par le prédicat à son sujet. D’après l’Hypothèse
Inaccusative, le sujet des verbes inaccusatifs n’a pas le trait [+c] car il est engendré comme un
argument interne. Il s’ensuit donc que l’agentivité/intentionnalité associée au sujet des verbes
en (100) n’est pas un effet du contenu sémantique de ces verbes mais qu’il s’agit plutôt d’un
effet de l’adverbial ‘délibérément’.
À partir de ces observations, nous croyons qu’il faut distinguer entre l’interprétation
agentive et le thêta-rôle Agent. Le thêta-rôle Agent est assigné par le verbe à son sujet si celuici occupe la position structurale où cette interprétation est disponible (la position de
l’argument externe). Il s’ensuit donc qu’une fois qu’un SN est associé au thêta-rôle Agent, il
est associé à une interprétation agentive. Étant donné que le sujet des verbes inaccusatifs n’a
pas le trait [+c] car il est engendré comme un argument interne, nous supposons que le sujet
de ces verbes peut être associé à une interprétation agentive/intentionnelle mais qu’il n’est pas
associé au thêta-rôle Agent. Autrement dit, les données considérées en (99) et (100) restent
compatibles avec l’analyse inaccusative des verbes du type ‘arriver’, etc. Si leur argument
semble être interprété comme intentionnel, cette propriété est héritée du sujet PRO que
l’argument inaccusatif contrôle (cf. (99)) ou de l’adverbe de volonté ‘délibérément’ (cf.
(100))31.
31
Un problème, cependant, pourrait être que l’effet intentionnel associé à l’argument [+animé] des verbes
‘sortir’, ‘venir’, ‘entrer’, ‘partir’, ‘monter’ et ‘descendre’ (notamment) n’a pas besoin d’une phrase finale ou de
l’adverbe ‘délibérément’ pour être compris comme intentionnel :
(i)
Pierre est parti.
suggère que Pierre a changé de position délibérément (sauf quand on emploie le verbe ‘partir’ pour ‘mourir’).
Les verbes dits inaccusatifs sont variables de ce point de vue :
(ii)
Pierre est tombé.
s’interprète plutôt comme non intentionnel, tandis que
(iii) Pierre est sorti.
s’interprète plutôt comme intentionnel.
Les verbes inaccusatifs ‘mourir’ et ‘naître’ sont non intentionnels.
Toutes ces variations suggèrent que le paramètre de l’intentionnalité au regard de ces verbes devrait être analysé
d’une façon plus fine. Faute d’espace, nous laissons ce sujet en suspens.
115
CHAPITRE II
CONSIDÉRATIONS SUR L’(A)TÉLICITÉ, LA DIRECTION ET LA DÉRIVATION DES PHRASES INACCUSATIVES
Dans l’analyse syntaxique des verbes inaccusatifs que nous allons adopter, le sujet de ces
verbes est engendré dans la position structurale où le thêta-rôle Agent ne peut pas être assigné,
à savoir la position de l’argument interne. Autrement dit, nous adhérons à l’Hypothèse
Inaccusative classique selon laquelle le sujet des verbes inaccusatifs est engendré comme un
argument interne. Sur la base de ces observations, nous élaborerons notre hypothèse selon
laquelle les verbes inaccusatifs n’assignent pas le rôle [+c] à leur argument mais projettent
une Cause externe.
Avant de proposer notre analyse des verbes inaccusatifs, nous nous pencherons sur
l’analyse événementielle de ces verbes proposée par Pustejovsky (1991). Certaines
observations nous seront ensuite utiles pour décrire le cadre syntaxique dans lequel nous
proposons d’engendrer les verbes inaccusatifs.
II.12. Les verbes inaccusatifs, la notion de transition et le trait [+c] :
Pustejosky (1991 : 75-76) définit les verbes inaccusatifs comme des transitions
impliquant une opposition prédicative. Autrement dit, selon Pustejovsky, une transition est
associée à deux sous-événements : <e1> (événement initial ou cause qui déclenche la
transition) et <e2> (événement final ou état résultant de la transition). Pustejovsky observe que
les notions de Cause et d’Agent sont en quelque sorte associées au sous-événement initial
<e1> de la structure événementielle’32. En particulier, il suppose l’existence d’un participant
causatif ou agentif associé à la position <e1>. Selon Pustejovsky ce participant causatif ou
agentif est engendré dans la position argumentale externe de la structure événementielle du
verbe mais il n’est pas projeté en syntaxe.
Dans ce qui suit nous avancerons l’hypothèse d’une interaction entre l’événement et la
structure argumentale.
32
« […], that the notions of causer and agent are somehow associated with the initial subevent of an event
structure » (Pustejovsky (1991 : 75)).
Comme me l’a fait remarquer Anne Zribi-Hertz (c.p.), la notion de transition définie par Pustejovsky est
synonyme de ce que Reinhart et Siloni (2005) appellent le trait [+c]. La formulation de Reinhart et Siloni est
toutefois plus précise parce qu’au lieu de juxtaposer en vrac la notion de Cause et d’Agent, comme le fait
Pustejovsky, elle distingue explicitement les traits [c] (= transition/cause) et [m] (= état mental/agent).
116
CHAPITRE II
CONSIDÉRATIONS SUR L’(A)TÉLICITÉ, LA DIRECTION ET LA DÉRIVATION DES PHRASES INACCUSATIVES
II.12.1. L’expression de l’événement et la structure argumentale :
Nous rappelons ci-dessous (cf. aussi la section I.11.) la structure à double SV de Hale et
Keyser (1993) où les projections SA et SP dénotant, respectivement, le telos du changement
d’état et de lieu sont remplacées par la projection SvR dénotant l’état résultant du changement
(cf. Folli (2001)) :
(101)
Sv
v’
SV
CAUSE
V’
SvR
TRANSITION
vR’
SX
ETAT
Posant que les verbes inaccusatifs dénotent des transitions (cf. Pustejovsky (1991)) et que la
structure à double SV décrit un changement d’état ou de lieu impliquant un enchaînement
transitionnel composé de trois phases différentes (CAUSE/TRANSITION/ÉTAT), on serait
conduit à admettre que les verbes inaccusatifs de changement de lieu tels que ‘arriver’,
‘partir’, ‘entrer’ et ‘sortir’ sont engendrés dans un SV dénotant une transition à l’intérieur
d’une structure syntaxique à double SV comme celle en (101). Supposons que tel soit le cas.
117
CHAPITRE II
CONSIDÉRATIONS SUR L’(A)TÉLICITÉ, LA DIRECTION ET LA DÉRIVATION DES PHRASES INACCUSATIVES
Cette analyse entraîne cependant un problème important concernant la projection d’un
syntagme verbal causatif (Sv) au-dessus de SV. Les verbes ‘arriver’, ‘partir’, ‘entrer’ et
‘sortir’, en tant que verbes intransitifs, ne projettent pas une projection causative Sv, mais sont
des projections verbales simples (des SV) (cf. Chomsky (1995 : 316))33. Supposons
maintenant qu’une Cause déclenche ces événements mais qu’elle ne soit pas projetée au
niveau syntaxique, comme le soutient Pustejovsky. Dans cette optique, le sujet des verbes
‘arriver’, ‘partir’, ‘entrer’ et ‘sortir’ dans [spéc. SV] est interprété comme un Thème, ([-c, -m]
dans les termes de Reinhart et Siloni (2005)).
Autrement dit, l’hypothèse que nous voudrions avancer ici est que les verbes inaccusatifs
de changement de lieu du type ‘arriver’ sont engendrés à l’intérieur d’une structure à double
SV qui a été tronquée, c’est-à-dire dépouillée de sa projection causative Sv et qu’une Cause
qui déclenche l’événement est présente mais qu’elle n’est pas projetée en syntaxe. En effet, la
projection d’une Cause au niveau syntaxique contreviendrait à l’Hypothèse Inaccusative qui
pose que les verbes inaccusatifs sélectionnent un seul argument interne (sujet) et, par
conséquent, qu’ils ne peuvent pas projeter un argument externe Sv.
Dans l’optique de l’Hypothèse Inaccusative, nous avons soutenu que le trait [+c] ne fait
pas partie de l’entrée lexicale des verbes ‘arriver’, ‘partir’, ‘sortir’, ‘entrer’ et ‘tomber’ et que
le sujet de ces verbes est interprété comme un Thème car il est engendré dans la position
[spéc. SV] à l’intérieur d’une structure à double SV qui a été tronquée. En tant que Thème, le
sujet de ces verbes est interprété comme un évaluateur de l’événement car il subit un
déplacement.
Demirdache et Uribe-Etxebarria (2002 : 35) ont adapté la structure syntaxique complexe
à double SV de Hale et Keyser (1993) à une structure événementielle complexe 34:
33
La projection Sv dénotant la causalité n’est projetée qu’avec un verbe transitif dont l’objet est affecté
intrinsèquement par l’événement (cf. (93)).
34
Cf. Demirdache et Uribe-Etxebarria (2002) pour plus de détails sur la structure événementielle Ev1 et Ev2.
118
CHAPITRE II
CONSIDÉRATIONS SUR L’(A)TÉLICITÉ, LA DIRECTION ET LA DÉRIVATION DES PHRASES INACCUSATIVES
(102)
SV1
EV1
SV1
SV2
V°
EV2
SV2
On pourrait envisager qu’à l’intérieur de la structure en (102), le sujet du verbe inaccusatif
occupe la position [spéc. SV2], tandis qu’en [spéc. SV1] est engendrée la Cause qui déclenche
le déplacement subit par l’objet (c’est-à-dire le sujet du verbe inaccusatif). Autrement dit, les
verbes du type ‘arriver’ pourraient être associés à une structure comme celle en (102) où
[spéc. SV1] contient la Cause non explicitée et V° contient un verbe causatif (du tipe ‘faire’
non explicité).
Cette idée est pour beaucoup d’aspects très semblable à celle proposée par Kayne (2008)
qui suppose que des phrases comme :
(103)
La nave è affondata ieri.
(Kayne (2008 : 7 (46)))
(104)
Le bateau a coulé hier.
(Kayne (2008 : 7 (47)))
contiennent une cause non réalisée phonologiquement ( « silent causer » ) et un verbe causatif
non réalisé phonologiquement ( « silent causative verb » ) du type ‘faire’ :
(105)
La nave è FATTA affondata ieri.
(Kayne (2008 : 14 (76)))
(106)
Le bateau a FAIT coulé hier.
(Kayne (2008 : 14 (77)))
En ce qui concerne les verbes inaccusatifs tels que ‘arriver’, ‘partir’, ‘sortir’, ‘entrer’ et
‘tomber’, nous supposons que le changement de lieu décrit par ces verbes est déclenché par
119
CHAPITRE II
CONSIDÉRATIONS SUR L’(A)TÉLICITÉ, LA DIRECTION ET LA DÉRIVATION DES PHRASES INACCUSATIVES
une Cause qui n’est réalisée ni phonologiquement ni syntaxiquement. En fait, la présence
d’une Cause dans l’expression de l’événement permet d’interpréter le sujet de ces verbes
comme un Thème, tout comme affirme l’Hypothèse Inaccusative.
Dans l’optique de l’Hypothèse Inaccusative, les verbes inaccusatifs sélectionnent un seul
argument interne où est engendré le sujet. On s’attendrait donc à l’incompatibilité des
constructions causatives avec les verbes inaccusatifs. Néanmoins, cette prédiction n’est pas
correcte car les verbes inaccusatifs sont compatibles avec des constructions causatives du type
‘faire’ :
(107) a. Carlo fece arrivare Maria in ritardo.
(Sanfilippo (1995 : 189 (26a)))
b. Charles a fait arriver Marie en retard.
En (107), le SN Maria est le sujet du verbe arrivare et il est engendré dans la position de
l’argument interne de la phrase subordonnée, tandis que le SN Carlo est le sujet causatif
associé au verbe fare (‘faire’).
Dans le but de trouver une analyse qui permette d’interpréter le sujet des verbes
inaccusatifs comme un Thème ([-c, -m]), nous proposons que les verbes inaccusatifs sont
engendrés à l’intérieur d’une structure causative tronquée, c’est-à-dire dépouillée de sa
projection causative Sv (cf. supra). Dans l’optique de Kayne (2008), nous proposons
d’étendre l’analyse des phrases en (105) et en (106) aux phrases en (108) qui contiennent, par
hypothèse, une cause non réalisée phonologiquement ( « silent causer » ) et un verbe causatif
non réalisé phonologiquement ( « silent causative verb » ) du type ‘faire’ :
(108)
Marie est arrivée/partie.
(109)
Marie est FAIT arrivée/partie.
En effet, il est possible de dériver une phrase comme ‘Marie est arrivée en retard’ (cf. (110))
à partir d’une phrase comme (107b) :
(110)
Charles a fait arriver Marie en retard.
120
Marie est arrivée en retard.
CHAPITRE II
CONSIDÉRATIONS SUR L’(A)TÉLICITÉ, LA DIRECTION ET LA DÉRIVATION DES PHRASES INACCUSATIVES
II.12.2. Le sujet des verbes inaccusatifs et la combinaison de traits [-c, -m] :
Haiden (2007 : 178) observe que « si la dénotation de l’entrée lexicale d’un verbe
requiert la présence d’un participant à un événement qui est soit poussé, soit touché par un
autre objet, ou qui subit un changement, alors le verbe assigne le trait [-c]. En revanche, si la
dénotation de l’entrée lexicale d’un verbe requiert la présence d’un participant à un
événement qui pousse, touche ou change un autre objet, ou qui se déplace ou change de
manière indépendante, alors ce verbe assigne le trait [+c] ». Le sujet des verbes tels que
‘arriver’, ‘partir’, ‘sortir’, ‘entrer’ et ‘tomber’ n’est pas affecté par un changement d’état mais
subit un déplacement. En ce sens, dans les exemples ci-dessous, le SN Jean est un évaluateur
de l’événement car, même s’il n’acquiert aucune propriété ou qualité, contrairement au sujet
des verbes de changement d’état, il mesure la transition du point initial au point final du
changement de lieu dénoté par le verbe. Autrement dit, dans les paires ci-dessous, la vérité de
la proposition A à gauche implique nécessairement celle de la proposition B à droite à un
certain moment postérieur à l’événement dénoté par A, mais pas forcément au moment de
l’énonciation :
(111) a. Jean est arrivé à Rome.
b. Jean est entré dans la salle.
c. Jean est sorti de la salle.
Jean est à Rome.
Jean est dans la salle.
Jean se trouve dans un lieu autre que la salle/Jean est
hors de la salle.
d. Jean est parti de Rome.
e. Jean est tombé.
Jean n’est plus à Rome/Jean est absent (de Rome).
Jean est par terre/sur la pelouse, etc.
Du moment que la vérité de la proposition A à gauche implique nécessairement celle de la
proposition B à droite (A
B), il s’ensuit que la spécification du trait [c] dans les verbes
en (111) est [-c]. Étant donné que les propositions (B) sont des phrases prédicatives où le sujet
est interprété comme un évaluateur de l’événement, il s’ensuit que le SN sujet Jean est
associé aux traits [-c, -m], c’est-à-dire au thêta-rôle Thème.
L’emploi d’un adverbe ponctuel tel que ‘hier’ ou d’une expression ponctuelle telle que ‘à
trois heures’ implique une interprétation perfective du passé composé (cf. la section I.7.).
L’interprétation perfective du passé composé est compatible avec l’interprétation Thème [-c, m] du sujet comme le montrent les exemples ci-dessous. En fait, en (112), la vérité de la
121
CHAPITRE II
CONSIDÉRATIONS SUR L’(A)TÉLICITÉ, LA DIRECTION ET LA DÉRIVATION DES PHRASES INACCUSATIVES
proposition A à gauche implique nécessairement celle de la proposition B à droite
(A
B) :
(112) a. Jean est arrivé à Rome hier/à trois heures.
Jean était à Rome hier/à trois heures.
b. Jean est entré dans la salle hier/à trois heures.
Jean était dans la salle hier/à
trois heures.
c. Jean est sorti de la salle hier/à trois heures.
Jean se trouvait dans un lieu autre
que la salle hier/à trois heures/Jean était hors de la salle hier/à trois heures.
d. Jean est parti de Rome hier/à trois heures.
Jean n’était plus à Rome hier/à trois
heures/Jean était absent (de Rome) hier/à trois heures.
e. Jean est tombé hier/à trois heures.
Jean était par terre/sur la pelouse hier/à trois
heures.
Les exemples en (111) et (112) prouvent que le sujet des verbes ‘arriver’, ‘partir’, ‘sortir’,
‘entrer’ et ‘tomber’ n’a ni le trait [+c], ni le trait [+m], que l’interprétation dénote un état
résultant, un état ou qu’elle soit perfective. En outre, comme nous l’avons soutenu pour les
phrases en (99) et (100) (cf. la sous-section II.12.1.) la présence d’une proposition finale ou
d’un adverbial du type ‘exprès’, ‘délibérément’, etc. ne prouve pas que le sujet de ces verbes
soit associé au faisceau de traits [+c, +m].
En résumé, il nous semble pouvoir affirmer que des contextes explicitement intentionnels
ou perfectifs ne prouvent pas que ces verbes assignent à leur argument le faisceau de traits
[+c, +m].
II.12.3. Récapitulation :
Dans les sections précédentes, nous avons défini les verbes inaccusatifs comme des
verbes à matrice lexicale [±télique] dont le sujet est associé au thêta-rôle Thème ([-c, -m] dans
l’optique de Reinhart et Siloni (2005)). Nous avons proposé que la compatibilité des verbes
inaccusatifs ‘arriver’ et ‘partir’ avec des sujets [-animés] et donc [-intentionnels] montre que
l’intentionnalité/l’agentivité n’est pas un effet du contenu du prédicat. En outre, nous avons
supposé que la présence d’une proposition finale ou d’un adverbial de volonté du type
‘exprès’, ‘délibérément’, etc. ne prouve pas que le sujet de ces verbes soit associé au thêtarôle Agent ([+c, +m] dans l’optique de Reinhart et Siloni (2005)). Plus précisément, nous
122
CHAPITRE II
CONSIDÉRATIONS SUR L’(A)TÉLICITÉ, LA DIRECTION ET LA DÉRIVATION DES PHRASES INACCUSATIVES
avons soutenu que les traits [+c] et [+m] sont associés au sujet PRO de la proposition
infinitive finale et que l’intentionnalité perçue est un effet du contenu sémantique du prédicat
de la phrase infinitive finale et pas du verbe inaccusatif. En outre, nous avons soutenu que
l’adverbial de volonté ‘délibérément’ contribue à donner au sujet du verbe inaccusatif une
interprétation agentive mais qu’il n’est pas impliqué dans l’assignation d’un thêta-rôle Agent
au sujet. Enfin, nous avons proposé une distinction entre l’interprétation agentive et
l’assignation du thêta-rôle Agent.
Les verbes inaccusatifs de changement de lieu, en tant que verbe intransitifs, ne
projettent jamais un Sv en syntaxe. Cependant, nous avons supposé qu’une Cause est quand
même représentée dans l’expression de l’événement. Les structures syntaxiques que nous
avons proposées sont donc tronquées, en ce sens qu’elles ne projettent pas de Sv. L’approche
que nous avons développée ici est donc une première tentative pour exprimer les interactions
entre l’expression de l’événement et la structure syntaxique dans l’analyse de certains verbes
inaccusatifs.
À ce stade de l’analyse, une question se pose. La notion de Cause, telle que nous l’avons
maniée, doit-elle être projetée seulement avec les verbes du type ‘arriver’ ou avec les verbes
transitifs qui affectent intrinsèquement leur objet thématique (nous dirons, l’évaluateur de
l’événement) ou peut-elle être projetée aussi avec les verbes inergatifs?.
Considérons l’exemple suivant avec le verbe inergatif ‘dormir’ :
(113)
Jean a dormi profondément (sous l’effet du somnifère).
Selon la classification de Vendler (1957), le verbe ‘dormir’ dénote une activité. Il s’agit d’un
verbe inergatif car il projette seulement un argument externe (Jean) et son sujet ne peut donc
pas être interprété comme un évaluateur de l’événement (statut disponible seulement pour les
arguments internes).
Chomsky (1995 : 316) affirme que les verbes intransitifs sont des projections verbales
simples, c’est-à-dire des SV. Ces verbes ne projettent donc pas une projection causative Sv.
Toutefois, comme le montre l’exemple en (113), il peut y avoir une Cause, récupérable à
partir du contexte énonciatif, qui a déclenché l’activité de dormir. Cette Cause qui ne peut pas
être projetée en syntaxe, vu le statut intransitif du verbe ‘dormir’, nous proposons qu’elle soit
projetée au niveau événementiel. En (113), le SN sujet Jean n’est pas associé aux traits
123
CHAPITRE II
CONSIDÉRATIONS SUR L’(A)TÉLICITÉ, LA DIRECTION ET LA DÉRIVATION DES PHRASES INACCUSATIVES
[+c, +m] mais plutôt aux traits [-c, +m]. Autrement dit, Jean est associé au thêta-rôle
Expérient :
(114)
Jean (= [-c, +m]) a dormi profondément sous l’effet du somnifère.
Considérons maintenant le verbe transitif ‘épouser’ :
(115)
Jean a épousé Marie (sous l’effet de la pression familiale).
Contrairement au verbe ‘dormir’, le verbe ‘épouser’ est un verbe transitif. En (115), le verbe
‘épouser’, tout comme le verbe ‘dormir’, projette un SV mais il sélectionne aussi un argument
interne C.O.D. (Marie). Le verbe ‘épouser’, même s’il est un verbe transitif, ne projette pas de
Sv, c’est-à-dire qu’il n’est pas compatible avec une structure transitive-causative. En effet,
son objet thématique (Marie) ne peut pas s’interpréter comme l’évaluateur de l’événement car
il n’est pas en mesure de délimiter temporellement l’événement dénoté par le prédicat, comme
c’est le cas, en revanche, avec des prédicats dénotant un accomplissement ou un achèvement.
Toutefois, si une Cause (cf. sous l’effet de la pression familiale) est récupérable à partir du
contexte énonciatif, nous supposons que cette Cause n’est pas projetée dans un Sv vu
l’incompatibilité du verbe ‘épouser’ avec une sémantique causative. Nous proposons que la
Cause soit projetée au niveau événementiel. Dans ce cas particulier, le sujet Jean ne peut pas
s’interpréter comme un Agent mais comme un sujet ‘agi’, c’est-à-dire comme un sujet affecté
par la pression familiale. Il s’ensuit donc que dans ce cas, le SN sujet est associé au faisceau
de traits [-c, +m] et, en conséquent, au thêta-rôle Expérient.
Le rapport entre la présence ou l’absence d’une Cause qui déclenche l’événement et la
structure argumentale du verbe est un sujet qui mériterait d’être approfondi davantage mais
que nous laissons de côté ici pour des recherches futures.
Dans la prochaine section, en nous basant sur les observations faites dans les sections
précédentes, nous proposerons notre analyse syntaxique des verbes inaccusatifs.
II.13. La dérivation des phrases inaccusatives :
Dans la sous-section I.12.2., nous avons décrit l’emploi transitif-causatif de certains
verbes de changement de lieu comme monter, descendre et sortir. En tant que verbes
124
CHAPITRE II
CONSIDÉRATIONS SUR L’(A)TÉLICITÉ, LA DIRECTION ET LA DÉRIVATION DES PHRASES INACCUSATIVES
transitifs-causatifs, monter, descendre et sortir dénotent des accomplissements et leur
structure événementielle est associée à une structure syntaxique causative impliquant un
enchaînement transitionnel (CAUSE/TRANSITION/ÉTAT). Néanmoins, comme nous
l’avons observé dans la section II.3., les verbes monter et descendre peuvent être employés
intransitivement et être associés aussi bien à une interprétation dénotant une activité
compatible avec un contexte atélique qu’à une interprétation télique. En revanche, dans son
emploi intransitif, le verbe sortir est compatible seulement avec l’interprétation télique mais
plus avec l’interprétation atélique dénotant une activité. Comme nous l’avons remarqué, les
verbes salire, scendere et uscire n’ont pas d’emploi transitif-causatif contrairement à leurs
analogues français. Cependant, ils sont employés intransitivement et, dans ce cas, ils sont
associés aux mêmes interprétations que leurs analogues français. Dans l’optique de notre
analyse, il s’ensuit que dans l’interprétation atélique dénotant une activité, les projections
causative (Sv) et état résultant (SvR) sont supprimées. En revanche, dans l’interprétation
télique la projection causative (Sv) est supprimée mais les projections transition (SV) et état
résultant (SvR) sont projetées.
Dans la prochaine sous-section, nous analyserons les verbes ‘monter’ et ‘descendre’ et
leur rapport avec la notion de transition et les paramètres de la télicité et de l’atélicité. Plus
précisément, nous verrons que l’affirmation de Pustejovsky selon laquelle les prédicats
inaccusatifs dénotent des transitions est discutable. Puis, nous reviendrons sur notre analyse
formelle de la dérivation des phrases inaccusatives.
II.13.1. La notion de transition et le trait [±télique] :
Si l’on suppose, dans l’optique de l’analyse de Pustejovsky (1991), que les verbes
inaccusatifs dénotent des transitions et qu’une transition est composée de deux sousévénements dont le deuxième <e2> dénote l’état résultant, on prédit que les prédicats
inaccusatifs sont incompatibles avec des interprétations atéliques. Or, dans ce qui suit, nous
voudrions soutenir exactement le contraire, c’est-à-dire que la classe des verbes inaccusatifs
inclut des prédicats atéliques. Mais pour envisager cette hypothèse, il convient de réviser
l’hypothèse de Pustejovsky et admettre que les verbes inaccusatifs ne dénotent pas tous une
transition.
125
CHAPITRE II
CONSIDÉRATIONS SUR L’(A)TÉLICITÉ, LA DIRECTION ET LA DÉRIVATION DES PHRASES INACCUSATIVES
Dans la section II.3., nous avons défini les verbes ‘monter’ et ‘descendre’ comme des
verbes intrinsèquement directionnels mais compositionnellement téliques. Autrement dit, les
phrases :
(116) a. Le niveau de l’eau a monté/descendu pendant deux heures.
b. Il livello dell’acqua è salito/sceso per due ore.
dénotent un mouvement orienté non borné. Ces verbes sont cependant compatibles avec un
complément de mesure dénotant le degré d’avancement du mouvement orienté, et ce
complément s’avère compatible avec l’adverbial atélique ‘pendant x temps’ :
(117) a. Le niveau de l’eau a monté/descendu pendant deux heures de deux mètres.
b. Il livello dell’acqua è salito/sceso di due metri per due ore.
Si en (117a), on place l’expression ‘de deux mètres’ juste à droite du verbe, l’adverbial
‘pendant x temps’ est incompatible avec ce nouvel ordre syntaxique :
(118)
Le niveau de l’eau a monté/descendu de deux mètres (*pendant deux heures).
En effet, si ‘de deux mètres’ est un complément de mesure du verbe, comme en (118), il
induit une lecture télique, qui est incompatible avec l’adverbial ‘pendant deux heures’. Le fait
que (117a) soit acceptable confirme donc que ‘de deux mètres’ ne peut pas être un
complément du verbe.
En (117) et (118), le syntagme quantifié ‘de deux mètres’ dénote le degré d’avancement
de l’événement de montée et de descente et le SN ‘niveau de l’eau’ est l’évaluateur de ce
changement. Étant donné que tout changement implique une transition, nous pouvons
supposer que, même si les verbes ‘monter’ et ‘descendre’ ont une matrice lexicale atélique, le
SN sujet en (117) est un évaluateur de l’événement. Contrairement à ce qu’affirme Arad (cf.
la section II.10.), nous soutenons donc que le sujet des verbes inaccusatifs atéliques comme
‘monter’ et ‘descendre’ peut être interprété comme un évaluateur de l’événement.
Dans la prochaine sous-section, nous verrons que quand les verbes ‘monter’ et
‘descendre’ sont employés intransitivement, ils projettent des structures syntaxiques
126
CHAPITRE II
CONSIDÉRATIONS SUR L’(A)TÉLICITÉ, LA DIRECTION ET LA DÉRIVATION DES PHRASES INACCUSATIVES
différentes selon le type d’interprétation auquel ils sont associés. Nous élargirons aussi notre
analyse aux verbes ‘arriver’, ‘entrer’, ‘partir’ et ‘sortir’.
II.13.2. SV+(SvR) :
Considérons d’abord les verbes ‘arriver’, ‘entrer’, ‘partir’ et ‘sortir’. En tant que verbes
intrinsèquement téliques, ils requièrent un argument locatif construit thématiquement comme
But ou Source :
(119) a. Jean est arrivé/entré (dans le hall de l’hôtel).
b. Gianni è arrivato/entrato (nella hall dell’hotel).
(120) a. Jean est parti/sorti (de chez lui).
b. Gianni è partito/uscito (da/di casa).
Dans l’optique de notre hypothèse, la structure syntaxique dérivationnelle de ces verbes est la
suivante :
(121)
SV[
Jean
V’[ V°
est arrivé/entré/parti/sorti
SvR(SP)[
Ø/dans le hall de l’hôtel/de chez
luilocatif]]]35
Les verbes en (121) projettent un SV dénotant la transition et un SvR dénotant l’état résultant
de la transition. Dans l’optique de Pustejovsky (cf. la section II.12.), nous supposons que les
transitions décrites en (121) projettent une Cause au niveau lexical et que cette Cause
déclenche la transition dénotée par les verbes. D’après notre hypothèse, c’est la Cause qui
conduit à interpréter le sujet ‘Jean’ dans [spéc. SV] comme un Thème.
En (121), le syntagme SvR est un argument sélectionné par SV. Contrairement aux
verbes ‘arriver’, ‘entrer’, ‘partir’ et ‘sortir’, les verbes ‘monter’ et ‘descendre’ sont
compositionnellement téliques et ils ne requièrent donc pas un argument locatif construit
35
Par souci de simplicité, nous avons placé l’auxiliaire et le participe passé dans V°. Selon l’hypothèse courante
en grammaire générative, le sujet est engendré dans le spécificateur de la projection SV, puis il se déplace dans
[spéc. SI], tandis que l’auxiliaire est engendré dans la tête d’une projection SAux (syntagme de l’auxiliaire) entre
SI (syntagme de la flexion verbale) et SV. Le participe passé se place, par hypothèse, dans la tête de la projection
SAcc. p. passé (syntagme de l’accord du participe passé) qui se situe entre les projections SI et SV mais audessous de SAux. C’est dans la tête de la projection SAcc. p. passé que le participe passé vérifie ses traits
d’accord, (cf. Kayne (2000) pour une analyse plus approfondie).
127
CHAPITRE II
CONSIDÉRATIONS SUR L’(A)TÉLICITÉ, LA DIRECTION ET LA DÉRIVATION DES PHRASES INACCUSATIVES
thématiquement comme But (cf. la section II.3.). Il s’ensuit que la sélection d’une projection
SvR par ces verbes est optionnelle. Quand ils sont interprétés comme téliques, SV et SvR sont
projetés, et quand ils sont interprétés comme des verbes atéliques dénotant une activité, seule
SV est projeté :
(122) a. Jean est monté au sommet (en deux heures).
b. Gianni è salito in cima (in due ore).
c. Jean est monté en deux heures.
d. Gianni è salito in due ore.
(123) a. Jean est descendu à la cave (en deux minutes).
b. Gianni è sceso in cantina (in due minuti).
c. Jean est descendu en deux minutes.
d. Gianni è sceso in due minuti.
(124) a.
SV[
Jean
V’[ V°
est monté/descendu
SvR(SP)[
au sommet/à la cave ]]] (en deux
heures/minutes)
b.
SV[
Jean V’[ V° est monté/descendu SvR(SP)[ Ø ]]] (en deux heures/minutes)
(125) a. Jean est monté/descendu (pendant deux heures).
b. Gianni è salito/sceso (per due ore).
(126)
SV[
Jean V’[ V° est monté/descendu]] (pendant deux heures)
Dans l’optique de notre hypothèse, le sujet de (124) et de (126) est un évaluateur. En fait,
même si en (126) le prédicat dénote une activité et l’interprétation est atélique, le SN Jean
mesure le déplacement du mouvement sur l’échelle de directionnalité verticale impliquée par
le verbe.
Dans la prochaine sous-section nous analyserons les cas où seule le syntagme SvR est
projeté.
128
CHAPITRE II
CONSIDÉRATIONS SUR L’(A)TÉLICITÉ, LA DIRECTION ET LA DÉRIVATION DES PHRASES INACCUSATIVES
II.13.3. SvR :
Dans la sous-section I.7.3., nous avons montré que les phrases ‘Jean est arrivé’ et ‘Jean
est parti’ peuvent être associées aux interprétations état résultant ou état. Comme nous l’avons
soutenu, l’interprétation d’état résultant est associée à la place événementielle <e2> et elle
dénote le point final de la transition dénotée par le verbe. Tout comme les verbes ‘arriver’ et
‘partir’, les verbes ‘entrer’ et ‘sortir’ peuvent être associés à une interprétation d’état résultant
ou d’état (cf. ‘Jean est entré (= est dedans)’, ‘Jean est sorti (= est dehors)’). Dans
l’interprétation d’état résultant, le SN sujet de ces phrases acquiert donc la propriété ‘être là’
(cf. ‘Jean est arrivé’), ‘être absent’ (cf. ‘Jean est parti’), ‘être dedans’ (cf. ‘Jean est entré’) ou
‘être dehors’ (cf. ‘Jean est sorti’). Les phrases sont donc interprétées comme des phrases
prédicatives où le prédicat inaccusatif est la copule ‘être’ et les éléments prédicatifs sont,
respectivement, l’adverbe ‘là’, l’adjectif ‘absent’, les adverbes ‘dedans’ et ‘dehors’ (ou leurs
synonymes). L’interprétation d’état résultant est représentée par la projection SvR d’après la
structure de Hale et Keyser (1993) :
(127)
SvR[Jean vR’[ vR°
est arrivé (= là)/parti (= absent)/entré (= dedans)/sorti (= dehors)]]
(État Résultant : √)
Les verbes ‘monter’ et ‘descendre’ sont, eux aussi, compatibles avec l’interprétation d’état
résultant, dans ce cas ils projettent donc un SvR :
(128)
SvR[Jean vR’[ vR°
est monté (= en haut)/descendu (= en bas) ]]
(État Résultant : √)
En (128), la phrase est interprétée comme copulative/prédicative. Le sujet Jean s’interprète
comme un évaluateur de l’événement car même s’il n’acquiert aucune propriété ou qualité,
contrairement au sujet des verbes de changement d’état, il mesure l’aboutissement d’un lieu
sur l’échelle de directionnalité impliquée par les verbes ‘monter’ et ‘descendre’.
Dans la prochaine section, nous montrerons succinctement que si un verbe intransitif
sélectionne l’auxiliaire avoir et qu’il est compatible aussi avec l’auxiliaire être, la sélection de
être entraîne une interprétation d’état résultant. En revanche, du fait qu’en italien l’emploi de
l’auxiliaire essere est plus répandu (cf. l’échelle de Legendre et Sorace (2003) dans la section
129
CHAPITRE II
CONSIDÉRATIONS SUR L’(A)TÉLICITÉ, LA DIRECTION ET LA DÉRIVATION DES PHRASES INACCUSATIVES
I.13.), il arrive que essere puisse être associé aussi bien à une interprétation d’état résultant
qu’à une interprétation perfective.
II.13.4. Quelques observations sur la sélection de l’auxiliaire :
Comme nous l’avons vu (cf. la section I.13.), les verbes qui sélectionnent l’auxiliaire être
en français sont une sous-classe des verbes qui sélectionnent essere en italien. Ceci a conduit
certains auteurs (cf. Burzio (1981, 1986), Legendre (1989), Ruwet (1989), Legendre et Sorace
(2003), entre autres) à supposer que les verbes intransitifs qui sélectionnent avoir en français,
et dont le verbe correspondant italien sélectionne essere, sont, eux aussi, inaccusatifs36. Les
verbes français ci-dessous sont donc considérés comme inaccusatifs par ces auteurs :
(129) a. La nave è affondata.
b. Le bateau a coulé.
(130) a. I prezzi sono aumentati/diminuiti.
b. Les prix ont augmenté/baissé.
En ce qui concerne l’italien, l’Hypothèse Inaccusative affirme que les verbes inaccusatifs
sélectionnent l’auxiliaire essere mais elle ne se prononce pas sur l’interprétation de
l’événement décrit par le verbe : l’interprétation, est-elle de type perfectif ou de type état
résultant ? Comme le montrent les exemples ci-dessous, la sélection de essere est, en effet,
associée aussi bien à une interprétation perfective qu’à une interprétation d’état résultant
produite par une syntaxe transitive-causative. Dans les travaux générativistes des années
1980, les verbes affondare (‘couler’), aumentare (‘augmenter’) et diminuire (‘baisser’) ont été
étiquetés ergatifs car ce sont des verbes intransitifs qui ont aussi un emploi transitif à valeur
causative37 :
36
Burzio (1986 : 142) affirme que « […] there is no reason at all to believe that French and Italian have
different classes of ergative verbs, only differences in auxiliary assignment ».
37
Avant l’élaboration de l’Hypothèse Inaccusative par Perlmutter, le mot ergatif/ergative était employé pour
désigner un certain cas morphologique, et les langues où ce type de cas apparaît comme, par exemple, le basque
ou le géorgien. Dans ces langues, le sujet d’un verbe intransitif et l’objet d’un verbe transitif ont le même cas
(absolutif, quelquefois nommé aussi nominatif), tandis que le sujet d’un verbe transitif est marqué pour le cas
ergatif. En d’autres termes, dans les traductions des exemples suivants dans une langue ergative, on observe les
cas suivants :
(i)
Jean mange une pomme.
Cas : ergatif
absolutif
(ii)
Jean est parti.
130
CHAPITRE II
CONSIDÉRATIONS SUR L’(A)TÉLICITÉ, LA DIRECTION ET LA DÉRIVATION DES PHRASES INACCUSATIVES
(131)
La nave è affondata alle otto.
(Perfectif)
(132)
Ieri i prezzi sono aumentati/diminuiti.
(Perfectif)
(133) a. I soldati hanno affondato la nave.
(transitif-causatif)
b. La nave è affondata.
(État Résultant)
(134) a. Il governo ha aumentato/diminuito i prezzi.
b. I prezzi sono aumentati/diminuiti.
(transitif-causatif)
(État Résultant)
En français, les verbes couler, augmenter et baisser, lorsqu’ils sélectionnent l’auxiliaire être,
sont associés à une interprétation d’état résultant et pas à une interprétation perfective :
(135)
Le bateau a/*est coulé à huit heures.
(Perfectif)
(136)
Hier les prix ont/*sont augmenté(s)/baissé(s).
(Perfectif)
(137) a. Les soldats ont coulé le bateau.
(transitif-causatif)
b. Le bateau est coulé.
(État Résultant)
(138) a. Le gouvernement a augmenté/baissé les prix.
b. Les prix sont augmentés/baissés.
(transitif-causatif)
(État Résultant)
Comme nous l’avons remarqué (cf. supra), certains auteurs affirment que les verbes
intransitifs français qui sélectionnent l’auxiliaire avoir et dont l’analogue italien sélectionne
l’auxiliaire essere sont, eux aussi, inaccusatifs. Cependant, les propriétés empiriques sur
lesquelles se fonde cette affirmation ne sont pas précisées. À la lumière des observations que
nous avons faites sur le passé composé conjugué avec ‘être’ ou ‘avoir’ (cf. la section I.7.), il
nous semble que l’affirmation de ces auteurs se justifie par une analyse de type temporel et
Cas : absolutif
Lepschy (1989) remarque que la notion d’ergativité a été appliquée à la description des langues indoeuropéennes à partir des années soixante et, en particulier, à la description de l’anglais. En particulier, il a été
observé qu’en anglais le sujet de certains verbes intransitifs peut devenir l’objet du même verbe employé
transitivement. Comme l’a remarqué Lepschy (1989 : 434), dans la grammaire de Fillmore (1968 : 25), le sujet
du verbe transitif est rapproché du sujet ergatif des langues ergatives. Un verbe comme to slide (‘glisser’) est
donc appelé ergatif par Fillmore qu’il soit employé intransitivement (iii) ou transitivement (iv) :
(iii)
The book slides down the table.
‘Le livre glisse vers le bout de la table.’
(iv)
John slides the book down the table.
‘Jean glisse le livre vers le bout de la table.’
131
CHAPITRE II
CONSIDÉRATIONS SUR L’(A)TÉLICITÉ, LA DIRECTION ET LA DÉRIVATION DES PHRASES INACCUSATIVES
aspectuel. En ce qui concerne les verbes ‘couler’, ‘augmenter’ et ‘baisser’, l’interprétation
perfective est commune aux auxiliaires essere et avoir. Toutefois, contrairement à l’auxiliaire
essere, l’auxiliaire être est compatible seulement avec l’interprétation d’état résultant
(comparer (135) et (136) avec (137b) et (138b)).
Les verbes ‘couler’, ‘augmenter’ et ‘baisser’ dénotent des transitions impliquant
respectivement un changement de lieu et un changement d’état. Nous avons supposé (cf.
supra) qu’à la classe des verbes inaccusatifs appartiennent des verbes à matrice lexicale
atélique comme ‘monter’ et ‘descendre’ et que leur sujet est associé au thêta-rôle Thème.
Les verbes ‘augmenter’ et ‘baisser’ sont, eux aussi, des verbes à matrice lexicale atélique
et nous avons supposé que leur sujet est associé au thêta-rôle Thème car il mesure le degré
d’avancement du mouvement décrit par le verbe. Leur sujet se comporte donc comme un
évaluateur de l’événement. Étant donné que ces verbes ont une matrice lexicale atélique,
l’événement décrit est construit sémantiquement comme une activité. Ces verbes sont donc
associés à la projection SV, et ils ne dénotent pas une transition dont on pourrait percevoir un
état résultant (final). Tout comme les verbes ‘monter’ et ‘descendre’ (cf. la sous-section
II.13.1.), ces verbes sont compatibles avec un complément de mesure dénotant le degré
d’avancement du mouvement directionnel dénoté par le verbe :
(139) a. Les prix ont augmenté/baissé pendant deux mois de 10%. (comparer avec (117a))
b. I prezzi sono aumentati/diminuiti del 10% per due mesi.
En (139) le changement est interprété comme une transition perçue comme un intervalle
borné par le syntagme quantifié ‘de 10%’. Étant donné qu’en (139) le contexte est atélique,
les verbes en (139) sont interprétés comme des activités (ils projettent donc un SV), tandis
qu’un contexte télique comme le suivant implique la projection syntaxique SV+SvR :
(140) a. Les prix ont augmenté/baissé (de 10%) en deux mois.
b. I prezzi sono aumentati/diminuiti (del 10%) in due mesi.
Contrairement aux verbes ‘augmenter’ et ‘baisser’, le verbe ‘couler’ dénote un changement de
lieu et il est intrinsèquement télique. Autrement dit, si l’on affirme que ‘Le bateau a coulé’,
cet événement implique bien les trois phases cause-transition-état résultant, et donc qu’au
132
CHAPITRE II
CONSIDÉRATIONS SUR L’(A)TÉLICITÉ, LA DIRECTION ET LA DÉRIVATION DES PHRASES INACCUSATIVES
terme de la transition ‘Le bateau est coulé’ (état résultant). Le verbes ‘couler’ est par ailleurs
compatible avec un contexte atélique ‘Le bateau a coulé pendant deux heures’.
Dans les prochaines sous-sections, nous proposerons une représentation formelle des
projections syntaxiques associées aux verbes intransitifs ‘couler’, ‘augmenter’ et ‘baisser’.
II.13.4.1. SV+(SvR) :
Comme nous l’avons observé dans les sections précédentes, la sélection de l’auxiliaire
‘être’ avec les verbes ‘monter’ et ‘descendre’ n’implique pas la sélection d’une projection
SvR car ces verbes ont une matrice lexicale atélique. Autrement dit, au niveau interprétatif, la
sélection de l’auxiliaire ‘être’ n’est pas nécessairement liée à un contexte télique. La même
chose s’observe avec le verbe affondare qui sélectionne l’auxiliaire essere et qui, selon le type
d’interprétation, projette deux structures syntaxiques différentes :
(141)
La nave è affondata in due ore/alle otto.
(142)
SV[
(143)
La nave è affondata per due ore.
(144)
SV[
(télique/ponctuel)
La nave V’[ V° è affondata SvR[ Ø ]]] in due ore/alle otto
(atélique)
La nave V’[ V° è affondata ]] per due ore
Comme nous l’avons observé, le verbe couler sélectionne l’auxiliaire avoir. La sélection de
l’auxiliaire avoir est compatible aussi bien avec un contexte télique qu’avec un contexte
atélique. Selon le type d’interprétation, on obtient deux structures syntaxiques différentes :
(145)
Le bateau a coulé en deux heures/à huit heures.
(146)
SV[
(147)
Le bateau a coulé pendant deux heures.
(148)
SV[
(télique/ponctuel)
Le bateau V’[ V° a coulé SvR[ Ø ]]] en deux heures/à huit heures
(atélique)
Le bateau V’[ V° a coulé ]] pendant deux heures
Les verbes ‘augmenter’ et baisser’, en revanche, sont des verbes à matrice lexicale atélique.
Ils projettent donc un SV. Néanmoins, si le contexte est explicitement télique ils projettent
aussi un SvR :
133
CHAPITRE II
CONSIDÉRATIONS SUR L’(A)TÉLICITÉ, LA DIRECTION ET LA DÉRIVATION DES PHRASES INACCUSATIVES
(149) a. Les prix ont augmenté/baissé pendant deux jours.
b. I prezzi sono aumentati/diminuiti per due giorni.
(150)
SV[
Les prix/I prezzi V’[ V° ont augmenté/baissé ; sono aumentati/diminuiti ]] pendant
deux jours/per due giorni
(151) a. Les prix ont augmenté/baissé en deux jours.
b. I prezzi sono aumentati/diminuiti in due giorni.
(152)
SV[
Les prix/I prezzi V’[
V°
ont augmenté/baissé ; sono aumentati/diminuiti
SvR[
Ø ]]]
en deux jours/in due giorni
II.13.4.2. SvR :
La projection syntaxique SvR est associée à l’état résultant d’une transition. D’après les
hypothèses que nous avons proposées dans les sections précédentes, il s’ensuit que la phrase
‘Le bateau est coulé’ est associée à ce type de représentation syntaxique, tandis que la phrase
‘La nave è affondata’ est ambiguë entre une interprétation perfective et une interprétation
d’état résultant. Dans ce deuxième cas, on projettera un syntagme SvR :
(153) a. Le bateau est coulé.
b. La nave è affondata.
(154)
SvR[Le
bateau/La nave vR’[vR° est coulé/è affondata ]]
(État Résultant : √)
Les verbes ‘augmenter’ et ‘baisser’ sont, eux aussi, compatibles avec l’interprétation d’état
résultant :
(155) a. Les prix sont augmentés/baissés.
b. I prezzi sono aumentati/diminuiti.
(156)
SvR[Les
prix/I prezzi vR’[vR° sont augmentés/baissés ; sono aumentati/diminuiti ]]
(État Résultant : √)
134
CHAPITRE II
CONSIDÉRATIONS SUR L’(A)TÉLICITÉ, LA DIRECTION ET LA DÉRIVATION DES PHRASES INACCUSATIVES
II.13.5. Récapitulation :
La section II.13. a été entièrement consacrée à l’analyse de la dérivation des phrases
inaccusatives. Étant donné que les verbes inaccusatifs peuvent être aussi des verbes à matrice
lexicale atélique, nous avons soutenu, contrairement à ce qu’affirme Pustejovsky (1991), que
les verbes inaccusatifs ne dénotent pas tous des transitions. En outre, contrairement à Arad
(1998), nous avons défendu l’idée que le sujet d’un verbe inaccusatif peut être interprété
comme l’évaluateur de l’événement même si la matrice lexicale du verbe est atélique. Nous
avons aussi soutenu qu’à la classe des verbes inaccusatifs peuvent appartenir des verbes
sélectionnant l’auxiliaire avoir en français (cf. les verbes monter, descendre, augmenter,
baisser et couler).
II.13.6. La structure SC et l’hypothèse de l’incorporation (Moro (1997)) :
Moro (1997) affirme que tous les verbes inaccusatifs sélectionnent obligatoirement un
prédicat locatif engendré à l’intérieur d’une SC complément du verbe. Sur la base de la
théorie des relations lexicales ( « Lexical Relation Structure» (LRS)) élaborée par Hale et
Keyser (1993) (cf. la section I.11.), Moro propose d’analyser les verbes de changement de
lieu, tels arrivare (‘arriver’), partire (‘partir’), entrare (‘entrer’) et uscire (‘sortir’) comme le
résultat d’une incorporation lexicale du prédicat locatif de la SC au verbe dans V°. Voici la
structure proposée par Moro (1997 : 290-291, note 18 ; cf. aussi Moro (1997 : 232 (38))) pour
le verbe arrivare38 :
(157)
SI[pro SV[locj-arrivano SC[SN molte
(158)
SI[
ragazze tj locatif]]]]
molte ragazzei SV[locj-arrivano]SC[ ti tj locatif]]
Selon l’analyse de Moro, ce n’est qu’après l’incorporation que le verbe assigne le thêta-rôle
Thème à son argument interne et à la SC désormais dépourvue de prédicat. Après
l’incorporation du prédicat locatif avec le verbe, le sujet demeure in situ (cf. (157) ou bien
monte dans [spéc. SI] (cf. (158)).
38
La nature lexicale de la tête prédicative reste non précisée dans l’analyse de Moro. Nous supposons cependant
que dans le cas du verbe arriver la tête prédicative correspond à la préposition locative a. En effet, comme nous
l’avons rappelé dans la sous-section II.6.3., le verbe ‘arriver’ est historiquement issu de l’incorporation de la
préposition latine ad au verbe river de l’ancien français.
135
CHAPITRE II
CONSIDÉRATIONS SUR L’(A)TÉLICITÉ, LA DIRECTION ET LA DÉRIVATION DES PHRASES INACCUSATIVES
D’autres verbes qui dénotent un changement de lieu comme accorrere (‘accourir’),
pervenire (‘parvenir’) et discendere (‘descendre’) encodent explicitement dans leur racine un
préfixe locatif (cf. aussi Moro (1997 : 291 note 19)). Moro propose de dériver ces verbes à
partir de la structure syntaxique en (159) :
(159)
V°[Pi°-V°] SC[
SN SP[ti locatif]]
V°[aci-correre] SC[
SN SP[ti locatif]]
accorrere
Selon la structure en (159), les préfixes a-, per- et di- des verbes ac-correre, per-venire et discendere sont engendrés dans la tête d’une projection SP.
Moro considère l’incorporation comme un processus morphologique qui opère en
syntaxe. Il suppose que dans certains cas, comme par exemple avec le verbe arrivare, ce
processus est opaque, tandis qu’avec d’autres verbes, qui encodent explicitement un préfixe
locatif dans leur racine (cf. les verbes ac-correre, per-venire et di-scendere, entre autres), ce
processus est morphologiquement transparent. Étant donné que la position de prédicat est
remplie dans la SC par une expression locative qui, ensuite, monte et s’incorpore à V°, un SP
locatif dénotant le But ou la Source du mouvement doit être projeté à l’extérieur de la SC en
tant qu’ajout.
Toutefois, les verbes ‘arriver’ et ‘entrer’, tout comme les verbes ‘partir’ et ‘sortir’, sont
intrinsèquement téliques et ils requièrent un argument locatif construit thématiquement
comme But ou Source. L’hypothèse de l’incorporation élaborée par Moro n’est donc pas
adéquate car elle entraîne la projection du But ou de la Source en tant qu’ajout. Notre analyse
des verbes ‘arriver’, ‘entrer’, ‘partir’ et ‘sortir’ se révèle donc plus adéquate car, dans la
structure causative, le SP dénotant l’état résultant est projeté comme l’argument interne du
SV.
Dans les prochaines sections, nous analyserons les phrases à verbe météorologique en
italien et en français et nous proposerons une analyse différente de l’hypothèse de la SC
exploitant l’hypothèse de la coquille SV élaborée par Hale et Keyser (1993).
136
CHAPITRE II
CONSIDÉRATIONS SUR L’(A)TÉLICITÉ, LA DIRECTION ET LA DÉRIVATION DES PHRASES INACCUSATIVES
II.14. Les verbes météorologiques :
Les auteurs qui se sont intéressés, d’une manière plus ou moins approfondie, à l’étude de
la syntaxe et de la sémantique des verbes météorologiques sont nombreux. Pour ce qui
concerne les études sur la syntaxe des verbes météorologiques en français et en italien, nous
rappelons, respectivement, Ruwet (1989) et Benincà et Cinque (1992). Comme nous le
verrons, ces verbes peuvent être interprétés aussi bien comme des verbes dénotant une activité
que comme des verbes dénotant un achèvement et ils présentent des caractéristiques
syntaxiques différentes en français et en italien, notamment en ce qui concerne le choix de
l’auxiliaire.
Au niveau typologique, les verbes météorologiques pleuvoir (‘piovere’), neiger
(‘nevicare’) et grêler (‘grandinare’) lexicalisent le Mouvement et la Figure (cf. la sous-section
II.1.1.). Autrement dit, ces verbes encodent dans leur lexique deux composantes sémantiques :
la Figure, qui correspond à la substance atmosphérique pluie, neige et grêle, et le déplacement
de celle-ci avec une orientation du haut vers le bas 39. Les verbes météorologiques sont donc
intrinsèquement directionnels.
II.14.1. La question de l’auxiliaire :
Le français et l’italien se présentent comme deux systèmes linguistiques asymétriques
pour ce qui concerne le type d’auxiliaire employé avec les verbes météorologiques.
L’italien emploie aussi bien l’auxiliaire essere que l’auxiliaire avere pour conjuguer les
verbes météorologiques aux temps composés, tandis que le français emploie seulement
l’auxiliaire avoir.
En italien, la sélection de l’auxiliaire essere déclenche une interprétation télique, tandis
que la sélection de l’auxiliaire avere déclenche une interprétation atélique d’activité. La
contrainte sur la sélection de l’auxiliaire est particulièrement évidente quand le changement
de lieu de la substance atmosphérique est explicité par un SP dénotant le But du mouvement.
Dans ce cas, seulement l’auxiliaire essere est possible :
39
Les verbes tonner (‘tuonare’) et faire des éclairs (‘lampeggiare’) aussi encodent dans leur lexique la Figure
qui correspond, respectivement, au SN tonnerre et au SN éclair. Leur composante directionnelle intrinsèque est
interprétée, respectivement, comme le mouvement du bruit provoqué par le tonnerre et le mouvement de la
lumière provoquée par l’éclair.
137
CHAPITRE II
CONSIDÉRATIONS SUR L’(A)TÉLICITÉ, LA DIRECTION ET LA DÉRIVATION DES PHRASES INACCUSATIVES
(160)
pro Ci *ha/è piovuto/nevicato/grandinato in testa.
Lit. y a/est plu/neigé/grêlé en tête
Les verbes météorologiques français ne manifestent pas d’alternance dans le choix de
l’auxiliaire selon l’information aspectuelle donnée par le contexte. Si le But du mouvement
n’est pas explicité, ces verbes s’interprètent comme des verbes dénotant une activité (cf.
(161)), tandis que si le But est explicité ils sont interprétés comme des verbes téliques (cf.
(162) :
(161)
Il a plu/neigé/grêlé.
(162)
Il a alors plu sur nous des instructions contradictoires. (Anne Zribi-Hertz (c.p.))40
II.14.1.1. La sélection de l’auxiliaire en italien :
Benincà et Cinque (1992 : 158) observent que certains verbes météorologiques italiens
sélectionnent seulement l’auxiliaire avere, tandis que d’autres sélectionnent aussi bien
l’auxiliaire essere que l’auxiliaire avere :
(163)
ITALIEN
40
FRANÇAIS
pro ha/è piovuto.
Il a/*est plu.
pro ha/è nevicato.
Il a/*est neigé.
pro ha/è grandinato.
Il a/*est grêlé.
pro ha/*è lampeggiato.
Il a fait des éclairs.
pro ha/*è gelato.
Il a/*est gelé.
pro ha/*è tuonato.
Il a/*est tonné.
En (162), l’emploi du verbe pleuvoir est métaphorique.
138
CHAPITRE II
CONSIDÉRATIONS SUR L’(A)TÉLICITÉ, LA DIRECTION ET LA DÉRIVATION DES PHRASES INACCUSATIVES
Les auteurs suggèrent aussi que les verbes météorologiques qui sélectionnent les deux
auxiliaires, contrairement à ceux qui sélectionnent seulement l’auxiliaire avoir, ont une
composante dynamique. En particulier, les verbes piovere, nevicare et grandinare « indiquent
le changement de lieu d’une substance [pluie, neige, grêle] » (Benincà et Cinque 1992 : 158),
tandis que les verbes tels que tuonare (‘tonner’), lampeggiare (‘faire des éclairs’) et gelare
(‘geler’) indiquent, plutôt, un phénomène global « qui ne peut pas être envisagé comme un
déplacement d’un point à un autre de l’espace [il n’y a pas de pluie, neige ou grêle qui
tombe] » (Benincà et Cinque 1992 : 158). Il est intéressant de remarquer qu’en italien,
certains locuteurs admettent l’auxiliaire essere avec les verbes tuonare, lampeggiare et
gelare :
(164) a. pro è tuonato.
‘Il a tonné.’
b. pro è lampeggiato.
‘Il y a eu des éclairs.’
c. pro è gelato.
‘Il a gelé.’
Benincà et Cinque aussi (1992 : 160, notes 1 et 4) observent qu’avec les verbes gelare et
tuonare l’auxiliaire essere n’est pas complètement impossible et que l’acceptabilité de la
phrase È tuonato (Lit. Est tonné) dépendrait d’une possible interprétation de mouvement
télique du bruit.
À la suite de Levin et Rappaport-Hovav (1995), Sorace (2000) définit le verbe tuonare
comme un verbe dénotant l’émission d’un son ( « a verb of sound emission » ) compatible
avec une interprétation télique. Selon Sorace, le verbe lampeggiare aussi, en tant que verbe
dénotant l’émission de la lumière ( « verb of light emission » ), est compatible avec une
interprétation télique et donc avec l’auxiliaire essere.
II.14.1.2. Benincà et Cinque (1992) :
Selon l’Hypothèse Inaccusative, les verbes météorologiques sélectionnant l’auxiliaire
essere sont inaccusatifs, tandis que les verbes météorologiques qui sélectionnent l’auxiliaire
avere sont inergatifs. Benincà et Cinque (1992) proposent d’adopter la structure syntaxique à
139
CHAPITRE II
CONSIDÉRATIONS SUR L’(A)TÉLICITÉ, LA DIRECTION ET LA DÉRIVATION DES PHRASES INACCUSATIVES
SC pour expliquer le comportement inergatif ou inaccusatif de ces verbes. En particulier, les
auteurs adoptent la configuration syntaxique proposée par Hoekstra et Mulder (1990) pour
l’analyse du verbe de mode de mouvement correre qui sélectionne les deux auxiliaires tout
comme les verbes météorologiques. Voici la structure adoptée par Benincà et Cinque (1992)
d’après Hoekstra et Mulder (1990)41 :
(165)
[SNi [AUX
SV[V SC[t i
SPloc]]]]
Selon Benincà et Cinque, l’emploi de la structure en (165) permet de résoudre l’ambiguïté
structurale liée à la sélection de l’auxiliaire. Considérons les phrases suivantes :
(166)
proi è piovuto/nevicato/grandinato SC[ti Øloc]
(167)
proi ha piovuto/nevicato/grandinato (SC[PROi Øloc])
Aussi bien en (166) qu’en (167) le sujet est engendré comme argument externe mais, en
(166), contrairement qu’en (167), le sujet est engendré comme l’argument externe d’une SC
qui est interprétée comme l’argument interne du verbe. La projection interne du sujet en (166)
est donc seulement apparente, selon l’hypothèse de Benincà et Cinque (1992 : 159). La
contrainte concernant le Principe de Projection est donc satisfaite car le sujet est toujours
projeté de façon externe.
Dans la prochaine section, nous verrons comment l’éclatement de la coquille SV peut
être utilement exploitée pour l’analyse des verbes météorologiques.
II.14.2. La dérivation des verbes météorologiques :
La position syntaxique de sujet des verbes météorologiques est remplie, selon le type de
langue, par un sujet nul pro comme en italien et en espagnol ou par un pronom explétif, il en
français et it en anglais :
41
Nous renvoyons le lecteur à la sous-section II.7.1. pour l’application de la SC à l’analyse du verbe correre.
140
CHAPITRE II
CONSIDÉRATIONS SUR L’(A)TÉLICITÉ, LA DIRECTION ET LA DÉRIVATION DES PHRASES INACCUSATIVES
(168) a. pro piove.
b. pro lluve.
c. Il pleut.
d. It is raining.
Une question qui reste encore non résolue dans la littérature linguistique est celle de la valeur
sémantique du pronom sujet des verbes météorologiques. Nombreux sont les auteurs qui ont
concentré leur attention sur ce point. Pour n’en citer que quelques-uns, nous rappelons
Bolinger (1973), Chomsky (1981) et Rizzi (1986).
En (168), pro, il et it occupent la position syntaxique de sujet : [spéc. SI] mais ils ne sont
associés à aucun thêta-rôle. Autrement dit, dans leur emploi météorologique ces pronoms ne
sont pas référentiels. Dans l’optique de Chomsky (1981 : 325), les pronoms sujets des verbes
météorologiques sont des ‘quasi-arguments’ car, contrairement aux arguments, ils ne sont pas
référentiels. Cependant, ces pronoms peuvent fonctionner comme des contrôleurs (cf. (169)).
Il se comportent donc comme des arguments et, corrélativement, ils peuvent être associés à un
thêta-rôle atmosphérique, selon l’hypothèse de Chomsky (1981 : 325), (cf. aussi Rizzi
(1986 : 528-529)) :
(169) a. It sometimes rains after [PRO snowing]
b. Quelquefois il pleut après avoir neigé.
Nous avons déjà remarqué que les verbes météorologiques ‘pleuvoir’, ‘neiger’ et ‘grêler’
encodent dans leur lexique la Figure du mouvement, correspondant à la substance
atmosphérique pluie, neige, grêle. Fernandez-Soriano (1999 : 103) suppose que les verbes
météorologiques tels que ‘pleuvoir’, ‘neiger’ et ‘grêler’ sélectionnent toujours un objet interne
qui fusionne avec le verbe et qui dénote la substance atmosphérique. Pour rendre compte de
ces propriétés, nous supposons que la structure causative impliquant deux projections SV
élaborée par Hale et Keyser peut être étendue aux phrases à verbe météorologique. Dans cette
structure, l’objet interne, correspondant à la Figure, se place dans [spéc. SV]. On obtient donc
les configurations suivantes :
141
CHAPITRE II
CONSIDÉRATIONS SUR L’(A)TÉLICITÉ, LA DIRECTION ET LA DÉRIVATION DES PHRASES INACCUSATIVES
(170)
pro ha piovuto/nevicato/grandinato (a Roma).
(171)
Il a plu/neigé/grêlé (à Rome).
(172) a.
Sv[pro v’[ v°
SPlocatif[Ø/(a
b.
Sv[Il v’[v°
ha piovutoi/nevicatoi/grandinatoi
SV[
(pioggia/neve/grandine) [ V’[V° ti
Roma)]]]]]]
a plui/neigéi/grêléi SV[ (pluie/neige/grêle) [V’[V° ti SPlocatif[Ø/(à Rome)]]]]]]
En (172), la position [spéc. SV] est occupée par l’objet interne qui, comme l’a supposé
Fernandez-Soriano, fusionne avec le verbe. Nous supposons que les pronoms pro et il en
(172) sont associés à un thêta-rôle atmosphérique (cf. Chomsky (1981)) compatible avec la
sémantique causative de la structure à double SV. Selon cette analyse, pro et il sont donc
interprétés comme des Causes générées dans la position [spéc. Sv].
Les verbes météorologiques peuvent aussi sélectionner un SN qui correspond au « sujet
réel » (argument sélectionnel) du verbe et qui est réalisé dans la position objet :
(173)
Sono piovute pietre.
Lit. Sont plues pierres
‘Il a plu des pierres.’
(174)
*Hanno piovuto pietre.
Lit. Ont plu pierres
En italien, la sélection d’un SN en position d’objet avec les verbes météorologiques entraîne
la sélection de l’auxiliaire essere comme le montre l’exemple en (173). En français aussi les
verbes météorologiques peuvent sélectionner un SN incarnant le « sujet réel » du verbe :
142
CHAPITRE II
CONSIDÉRATIONS SUR L’(A)TÉLICITÉ, LA DIRECTION ET LA DÉRIVATION DES PHRASES INACCUSATIVES
(175) a. Il a plu une petite pluie fine.
(Ruwet (1989 : 327 (47a)))
b. Il a neigé de gros flocons.
(Ruwet (1989 : 329 (54a)))
Nous supposons que le SN pietre en (173) et les SN petite pluie fine et gros flocons en (175)
occupent la position [spéc. SV], celle qui accueille par ailleurs le complément d’objet direct
dans la structure transitive-causative en (172)42.
II.15. Conclusion du chapitre :
Ce chapitre a été organisé autour de trois parties. D’abord, nous avons examiné un
ensemble de verbes dans l’optique comparative français/italien et nous avons analysé la
distribution des auxiliaires ‘être’ et ‘avoir’ par rapport aux paramètres de télicité et de
directionnalité. En particulier, nous avons observé que même si les verbes monter et
descendre sélectionnent aussi bien l’auxiliaire être que l’auxiliaire avoir, la sélection de
l’auxiliaire avoir en français standard n’est pas attribuable à un phénomène de régularisation,
comme c’est le cas pour les verbes intransitifs d’autres variétés dialectales de français (cf. la
section I.9.). L’auxiliaire avoir associé aux verbes monter et descendre en français standard
est assez nettement corrélé à un effet non télique, tandis que l’auxiliaire être est corrélé à un
effet télique. Toutefois, ce comportement ne semble s’observer que pour les verbes monter et
descendre. En effet, avec d’autres verbes tels que augmenter, baisser et couler (cf. les soussections II.3.3. et II.13.4.), qui sélectionnent aussi les deux auxiliaires, être est associé à
l’interprétation d’état résultant. Dans l’optique de l’échelle de Legendre et Sorace (cf. la
section I.13.), on peut dire que les verbes qui figurent sur l’échelle au-dessous de monter et
descendre sélectionnent tous l’auxiliaire avoir, qui est compatible aussi bien avec un contexte
atélique qu’avec un contexte télique. Dans la deuxième partie du chapitre, nous avons
principalement examiné les propriétés du verbe ‘courir’. En particulier, nous avons observé
42
L’auxiliaire ‘être’ n’est employé en tant qu’auxiliaire d’un verbe transitif ni en français ni en italien. Il s’ensuit
donc qu’il ne peut pas être compatible avec la construction transitive-causative en (172). Nous supposons donc
que des phrases telles que :
(i)
È piovuto/nevicato/grandinato.
(ii)
Sono piovute pietre.
(= (173))
sont engendrées à l’intérieur d’une projection SV qui sélectionne comme complément une projection SvR
dénotant le telos du mouvement directionnel décrit par le verbe météorologique. Sv n’est donc pas projeté. Nous
supposons que de même que les verbes de changement de lieu ‘arriver’, ‘partir’, ‘entrer’, ‘sortir’, ‘monter’ et
‘descendre’ (cf. la section II.12.), les verbes météorologiques italiens sélectionnant l’auxiliaire essere projettent
au niveau événementiel – mais pas au niveau syntaxique – une Cause qui déclenche l’événement atmosphérique.
143
CHAPITRE II
CONSIDÉRATIONS SUR L’(A)TÉLICITÉ, LA DIRECTION ET LA DÉRIVATION DES PHRASES INACCUSATIVES
que la sélection de l’auxiliaire essere par le verbe correre est compatible avec un contexte
atélique marqué par la préposition verso. Toutefois, nous avons soutenu que cette
compatibilité est corrélée à la valeur directionnelle de la préposition verso. Autrement dit,
cette préposition implique un mouvement graduel/scalaire en direction du But qui est
compatible avec la sélection de l’auxiliaire essere. Ces observations (cf. les sections II.2. et
II.3.) nous montrent que quand on affirme qu’un verbe appartient à une classe événementielle
plutôt qu’à une autre, on parle d’une série de contextes typiques dans lesquels ce verbe peut
apparaître. On ne peut donc pas prédire des inacceptabilités tranchées. Dans cette optique, la
troisième partie du chapitre est conçue comme une première tentative pour représenter
formellement l’articulation de l’expression de l’événement et de la structure argumentale des
verbes dits inaccusatifs.
144
CHAPITRE III.
RÉSULTATIVITÉ ET ÉTAT RÉSULTANT
Dans la première partie de ce chapitre nous analyserons la compatibilité de
l’interprétation résultative avec différents types de verbes intransitifs. En particulier, nous
verrons que l’adverbial ‘depuis x temps’, marqueur de l’interprétation résultative, peut être
associé aussi à l’interprétation perfective si l’on construit un contexte approprié en manipulant
la structure informationnelle de la phrase par l’intonation ou le déplacement de l’adverbial.
Puis, dans la deuxième partie du chapitre, nous analyserons la construction participiale
absolue et nous défendrons l’idée que cette construction est associée à l’interprétation d’état
résultant. Finalement, nous avancerons l’hypothèse que la construction participiale absolue
n’est pas un test fiable d’inaccusativité contrairement à ce que soutient l’Hypothèse
Inaccusative.
Première partie : résultativité et perfectivité
III.1. La notion aspectuelle de résultativité :
À propos du mot ‘résultatif’, Nedjalkov et Jaxontov (1988 : 6) remarquent que ‘le terme
résultatif réfère à des prédicats dénotant un état issu d’un événement ayant eu lieu
antérieurement. La différence entre les termes résultatif et statif est la suivante : les prédicats
statifs dénotent un état qui n’implique pas un événement ayant lieu antérieurement, tandis que
les prédicats résultatifs dénotent aussi bien un état que l’action antérieure qui a donné lieu à
cet état’1. La définition donnée par Nedjalkov et Jaxontov au mot résultatif est égale à celle
que nous avons donnée à l’interprétation d’état résultant (cf. I.7.3.). Nous emploierons ici le
terme résultatif dans un sens différent de celui que lui donnent Nedjalkov et Jaxontov.
1
« the term resultative is applied to those verb forms that express a state implying a previous event. The
difference between the stative ant the resultative is as follows : the stative expresses a state of thing without any
implication of its origin, while the resultative expresses both a state and the preceding action it has resulted
from » (Nedjalkov et Jaxontov (1988 : 6)).
145
CHAPITRE III
RÉSULTATIVITÉ ET ÉTAT RÉSULTANT
L’interprétation résultative est pour nous solidaire de la notion d’état résultant.
Néanmoins, contrairement à l’état résultant, qui est indissolublement lié à la sélection de
l’auxiliaire ‘être’ et qui est associé à la place événementielle <e 2>, l’interprétation résultative
est associée à la valeur aspectuelle [+durative] impliquant un intervalle de temps entre <e2> et
T0. L’interprétation résultative peut également être associée à des verbes sélectionnant
l’auxiliaire ‘avoir’ pourvu qu’ils dénotent des achèvements (cf. (5)). L’état résultant est la
condition nécessaire pour déclencher l’interprétation résultative. L’interprétation résultative
peut donc être représentée comme suit :
(1)
(résultativité)
T
e1
T0
e2
t
Jean n'est pas arrivé
Jean est arrivé
Jean est arrivé
depuis x temps
Jean n’est pas parti
Jean est parti
Jean est parti
depuis x temps
Le chocolat est fondu
Le chocolat est fondu
depuis x temps
(Etat Résultant)
(Interprétation Résultative)
Le chocolat n’est pas fondu
(Evénement Initial)
La préposition ‘depuis’, suivie d’une expression temporelle, est le marqueur de
l’interprétation résultative. Franckel (1989 : 204) décrit le contenu sémantique de la
préposition depuis de la façon suivante : « depuis, décomposable en de…et puis…opère une
délimitation à partir d’un premier point, selon une orientation gauche-droite ». Selon
Bertinetto (2001 : 56), ‘depuis’ réfère à l’intervalle temporel qui sépare la conclusion de
l’événement du moment de l’énonciation T0.
La préposition ‘depuis’ peut avoir comme complément ou bien une expression ponctuelle
ou bien une expression durative. Dans le premier cas, ce qu’on nomme c’est le début de
146
CHAPITRE III
RÉSULTATIVITÉ ET ÉTAT RÉSULTANT
l’intervalle temporel et pas l’intervalle lui-même (cf. Jean est parti depuis lundi/l’été/ce
matin), tandis que dans le deuxième cas, la localisation temporelle se calcule à partir de T0 et
elle dénote une mesure temporelle (cf. Jean est parti depuis deux jours).
III.2. L’adverbial ‘depuis x temps’ et les aspects perfectif, imperfectif et résultatif :
La préposition ‘depuis’ n’est pas un test assez restrictif de résultativité car elle est
compatible avec des interprétations aspectuelles autres que la résultative, notamment
l’interprétation perfective et l’interprétation imperfective 2. Ici, nous nous concentrerons sur la
lecture résultative :
(2)
a. Cunégonde a mangé trois pommes depuis minuit.
(aspect perfectif)
(Schaden (2007 : 89 (9a)))
b. Cunegonda ha mangiato tre mele da mezzanotte.
(3)
a. Cunégonde a mangé sans interruption depuis minuit.
(aspect imperfectif)
(Schaden (2007 : 89 (9b)))
b. Cunegonda ha mangiato senza interruzione da mezzanotte.
(4)
a. Cunégonde est partie depuis minuit.
(aspect résultatif)
(Schaden (2007 : 89 (9c)))
b. Cunegonda è partita da mezzanotte.
Schaden (2007 : 126) observe que dans l’interprétation résultative « la phase résultante de
l’éventualité fournit la phase homogène tenant pendant toute la durée de l’intervalle de
‘depuis’ ». Autrement dit, le ‘depuis’ résultatif réfère à l’intervalle temporel qui sépare la
conclusion de l’événement du moment de l’énonciation T0 (Bertinetto (2001 : 56)). Le
‘depuis’ résultatif est marqué [+duratif], c’est pourquoi Schaden appelle ‘homogène’ la durée
de l’intervalle temporel signalé par ‘depuis’.
L’aspect résultatif est également compatible avec l’auxiliaire ‘avoir’ :
2
Nous renvoyons le lecteur à la section I.1. pour une définition de perfectif vs. imperfectif.
147
CHAPITRE III
RÉSULTATIVITÉ ET ÉTAT RÉSULTANT
(5)
a. Cunégonde a quitté la ville depuis vendredi/trois jours.
(Résultatif)3
(Schaden (2007 : 126 (106)))
b. Cunegonda ha lasciato la città da venerdì/da tre giorni.
En effet, ce qu’on peut affirmer de la phrase ci-dessus est que si Cunégonde a quitté la ville
depuis vendredi/trois jours, cela signifie qu’elle n’est pas retournée dans la ville et que donc
son éloignement de la ville persiste au moment de l’énonciation T04. De la même manière, si
j’affirme que Cunégonde est partie depuis minuit cela signifie qu’elle n’est pas encore rentrée
(cf. (4)).
Comme l’a remarqué Schaden (2007 : 127) « les lectures résultatives sont très nettement
meilleures avec des Aktionsarten téliques, qui disposent d’une phase résultante bien définie,
qu’avec des Aktionsarten atéliques, qui n’ont pas de phase résultante saillante ». Autrement
dit, l’interprétation résultative est compatible avec des achèvements, c’est-à-dire avec des
prédicats intrinsèquement téliques comme le montrent les exemples (4) et (5). C’est pourquoi
en (6) où le verbe ‘chanter’ dénote une activité l’intuition d’agrammaticalité est très forte avec
une interprétation résultative :
(6)
a. Cunégonde a chanté depuis midi/trois heures.
(Résultatif : *) (Perfectif : √)
(Schaden (2007 : 127 (107)))
b. Cunegonda ha cantato da mezzogiorno/tre ore.
Dans les prochaines sections, nous verrons que les phrases en (6) sont compatibles avec une
interprétation perfective si l’on construit un contexte approprié en manipulant la structure
informationnelle de la phrase par l’intonation ou le déplacement de l’adverbial ‘depuis x
temps’. Néanmoins, avant d’aborder ce sujet, nous analyserons la compatibilité de l’adverbial
‘depuis x temps’ avec les verbes de changement de lieu ‘arriver’, ‘partir’, ‘entrer’, ‘sortir’,
‘tomber’, ‘venir’ et ‘aller’ et certains verbes de changement d’état. En particulier, nous
3
Dans la section III.1., nous avons soutenu que la notion d’état résultant se distingue de la résultativité. L’état
résultant de (5) correspond à la phrase : La ville est quittée.
4
La même remarque s’applique au verbe de changement d’état ‘fondre’ :
(i)
a. L’ouvrier a fondu le métal depuis trente minutes.
b. L’operaio ha fuso il metallo da trenta minuti.
Les phrases en (i) signifient que l’ouvrier a fondu le métal une demi-heure avant le moment de l’énonciation et
que le métal demeure fondu au moment de l’énonciation T0.
148
CHAPITRE III
RÉSULTATIVITÉ ET ÉTAT RÉSULTANT
verrons que l’emploi du ‘depuis’ résultatif est corrélé à certaines contraintes avec certains
verbes appartenant à ces deux groupes.
III.3. L’adverbial ‘depuis x temps’ et les verbes de changement de lieu ‘arriver’, ‘partir’,
‘entrer’ et ‘sortir’ :
Les verbes de changement de lieu ‘arriver’, ‘partir’, ‘entrer’ et ‘sortir’ sont compatibles
aussi bien avec une interprétation résultative qu’avec une interprétation télique (cf. Bouchard
(1995 : 174-179-183-188)) :
(7)
a. Jean est arrivé/parti/entré5/sorti depuis hier.
(Résultatif)
b. Gianni è arrivato/partito/entrato/uscito da ieri.
(8)
a. Jean est arrivé/parti/entré/sorti en deux minutes.
(Télique)
b. Gianni è arrivato/partito/entrato/uscito in due minuti.
Si l’interprétation résultative est solidaire de la télique, comme l’affirme Creissels (2000) 6, on
ne comprend pas pourquoi des verbes tels que ‘venir’, ‘aller’ et ‘tomber’, qui sont
compatibles avec une interprétation télique, ne le sont pas avec une interprétation résultative :
5
L’emploi du ‘depuis’ résultatif avec le verbe entrer n’est pas partagé par tous les locuteurs. Marie-Christine
Jamet et Stéphanie Chèvre (c.p.) acceptent la phrase :
(i)
Jean est entré depuis une heure.
pourvu que le participe passé entré soit interprété en tant qu’état résultant :
(ii)
Il est entré (= dedans) depuis une heure.
Cette intuition est une confirmation supplémentaire de ce que nous avons affirmé dans la section III.1., à savoir,
que l’interprétation d’état résultant est à la base de l’interprétation résultative.
Contrairement aux locuteurs auxquels nous avons soumis la phrase en (i), Anne Zribi-Hertz (c.p.) n’accepte
l’interprétation d’état résultant qu’en présence d’un SP locatif :
(iii)
La seringue est entrée dans ma veine depuis une heure.
(Anne Zribi-Hertz (c.p.))
6
À ce propos, Creissels (2000 : 141-142) observe : « L’interprétation résultative de être+participe passé n’est
possible qu’en liaison avec une interprétation télique du sens lexical du verbe ; elle est impossible avec les
verbes qui ne sont pas susceptibles de recevoir une telle interprétation. […] On peut donc […] penser que la
possibilité d’un emploi résultatif de être + participe passé constitue une propriété lexicale des verbes téliques » .
Dans la même optique que Creissels (2000), Lagae (2005) et Schaden (2007) affirment que c’est l’Aktionsart
télique de la forme verbale qui permet d’avoir ce type d’interprétation. Néanmoins, Lagae observe que certains
verbes téliques conjugués avec l’auxiliaire être tels que aller, devenir, tomber et venir n’ont pas de forme
résultative. Elle parvient donc à la conclusion que la forme résultative n’est pas nécessairement liée à la télicité
et à la sélection de l’auxiliaire être. En ce qui concerne la sélection de l’auxiliaire, il existe, en effet, des verbes
qui sélectionnent l’auxiliaire avoir et qui peuvent être associés à une interprétation résultative. Dans ce cas-là,
néanmoins, il s’agit de verbes intrinsèquement téliques dénotant des achèvements comme quitter la ville ou
atteindre le sommet (cf. la section III.2.). Les seuls verbes qui sont exclus de l’interprétation résultative sont les
verbes lexicalement atéliques tels que caresser, chercher, regarder, admirer, intéresser, menacer, protéger,
aimer, connaître, manger, etc.
149
CHAPITRE III
RÉSULTATIVITÉ ET ÉTAT RÉSULTANT
(9)
a. Jean est venu/allé chez elle en cinq minutes.
(Télique)
b. Gianni è venuto/andato a casa sua in cinque minuti.
(10) a. Jean est tombé en un instant.
b. Gianni è caduto in un attimo.
(11) a. Jean est venu/allé chez elle depuis hier.
(Résultatif : *) (Perfectif : √)
b. Gianni è venuto/andato a casa sua da ieri.
(12) a. Jean est tombé depuis trente minutes/depuis midi. (Résultatif : ?/*) (Perfectif : √)
b. Gianni è caduto da trenta minuti/da mezzogiorno.
Ces exemples suggèrent que la résultativité et la télicité sont deux notions différentes,
confirmant les hypothèses que nous avons avancées au chapitre I à propos de la notion de
télicité et dans la section III.1. à propos de la notion de résultativité. L’interprétation
résultative indique la continuation, au moment de l’énonciation T 0, de l’état résultant issu du
changement de lieu ou changement d’état. L’expression ‘en x temps’, en revanche, dénote la
transition d’un changement.
Considérons, par exemple, les phrases ci-dessous :
(13)
Le colis est arrivé depuis deux jours.
(14)
Le colis est arrivé en deux jours.
(15)
Le médecin est arrivé depuis dix minutes.
(16)
Le médecin est arrivé en dix minutes.
(Résultatif)
(Télique)
(Résultatif)
(Télique)
En (13) et (15) on attire l’attention sur l’intervalle temporel dénoté par l’expression ‘depuis x
temps’ et sur le fait que l’état résultant persiste au moment de l’énonciation T 0, tandis qu’en
(14) et (16) on attire l’attention sur le point final de la transition dénotée par l’adverbial ‘en x
temps’.
Ci-dessous, nous allons analyser les contraintes sur l’emploi de ‘depuis’ avec le verbe
‘tomber’ et certains verbes de changement d’état. Plus précisément, nous supposons qu’avec
ces verbes l’emploi du ‘depuis’ résultatif est possible pourvu qu’une expression de mesure
soit explicitée. Ensuite, nous aborderons l’analyse des contraintes sur l’emploi du ‘depuis’
résultatif avec les verbes de changement de lieu ‘aller’ et ‘venir’.
150
CHAPITRE III
RÉSULTATIVITÉ ET ÉTAT RÉSULTANT
III.4. L’adverbial ‘depuis x temps’ et le verbe ‘tomber’ :
Le verbe ‘tomber’ dénote un achèvement mais il n’est pas compatible avec le ‘depuis’
résultatif. Voici l’exemple (12) répété ci-dessous en (17) :
(17) a. Jean est tombé depuis trente minutes/depuis midi7. (Résultatif : ?/*) (Perfectif : √)
b. Gianni è caduto da trenta minuti/da mezzogiorno.
Les jugements à propos de (17) ne sont pas partagés par tous les locuteurs. Certains trouvent
(17) complètement agrammaticale, tandis que d’autres considèrent (17) marginalement
acceptable. Il semble que ceux qui acceptent (17) re-catégorisent le verbe ‘tomber’ en tant que
verbe dénotant un état et pas un changement de lieu. Autrement dit, ‘tomber’ serait interprété
en tant que synonyme de l’expression ‘être par terre’ et, dans ce cas-là, en tant que verbe
dénotant un état résultant et, donc, compatible avec ‘depuis’ :
(18) a. Jean est tombé (= est par terre) depuis trente minutes/depuis midi 8. (Résultatif : √)
b. Gianni è caduto (= è per terra/giace per terra) da trenta minuti/da mezzogiorno.
Cette re-catégorisation du verbe ‘tomber’ est plus évidente si l’on crée un contexte compatible
avec l’état résultant déclenché par le sème ‘chute’ encodé dans le verbe ‘tomber’. Cela est très
évident si l’on remplace le sujet ‘Jean’ de (17a) avec des SN tels que ‘parachutiste’ ou ‘neige’
qui sont compatibles, pour ainsi dire, avec le mouvement non marqué, canonique du verbe
‘tomber’. Autrement dit, ‘un parachutiste’ ou ‘la neige’ ne se manifestent qu’en tombant. Une
fois qu’ils sont tombés, ils se trouvent au But :
7
Je remercie Denis Creissels (c.p.) pour l’exemple (17a).
Anne Zribi-Hertz (c.p.) me fait observer qu’elle n’accepte pas (17a). Si Jean est tombé à midi, et que depuis ce
moment-là il est resté par terre, elle emploie la phrase en (i) et pas celle en (ii) :
(i)
Jean est par terre depuis midi.
(ii)
*Jean est tombé depuis midi.
8
151
CHAPITRE III
RÉSULTATIVITÉ ET ÉTAT RÉSULTANT
(19)
Ce parachutiste/cette neige est tombé(e) depuis deux heures9.
(Résultatif : √)
L’explicitation de la Source ou du But de la chute rend, en général, l’emploi du ‘depuis’
résultatif plus acceptable :
(20) a. Jean est tombé de la chaise/dans le puits depuis trente minutes/depuis midi.
(Résultatif : ?)
b. Gianni è caduto dalla sedia/nel pozzo da trenta minuti/da mezzogiorno.
c. Jean est tombé dedans (= dans le puits) depuis midi.
(Résultatif : ?)
d. Gianni è caduto dentro (= nel pozzo) da mezzogiorno.
Dans la prochaine section, nous montrerons que les verbes de changement d’état grossir,
maigrir et grandir, même s’ils sélectionnent l’auxiliaire avoir, sont compatibles avec
l’interprétation résultative sous certaines conditions. À partir de cela, nous essayerons de
formuler une généralisation permettant d’expliquer la compatibilité des verbes grossir,
maigrir, grandir et tomber (comparer (17) avec (20)) avec l’interprétation résultative.
III.5. L’adverbial ‘depuis x temps’ et les verbes de changement d’état grossir, maigrir et
grandir :
Dans la section III.2. nous avons vu que l’interprétation résultative est compatible avec
l’auxiliaire ‘avoir’ pourvu que les verbes aient un Aktionsart télique. Certains verbes de
changement d’état comme grossir, maigrir et grandir, qui ne sélectionnent pas l’auxiliaire
être, sont quand même compatibles avec l’interprétation résultative si l’on ajoute un adverbe
de degré comme beaucoup :
9
Anne Zribi-Hertz (c.p.) me fait observer qu’avec les deux sujets l’interprétation est différente. Avec le SN
‘parachutiste’ on comprend que ça fait deux heures que l’événement ‘tomber’ s’est produit mais cela n’implique
pas du tout que le parachutiste soit resté par terre. En revanche, avec le SN ‘neige’ c’est différent. Une fois
tombée, la neige reste par terre. Avec le SN ‘neige’, donc, le verbe ‘tomber’ se réduit à un verbe existentiel dont
le contenu sémantique équivaut à ‘exister’, ‘se mettre à exister’.
152
CHAPITRE III
RÉSULTATIVITÉ ET ÉTAT RÉSULTANT
(Résultatif : *)(Perfectif : √)
(21)
Jean a grossi/maigri/grandi depuis trois mois.
(22)
Jean a beaucoup grossi/maigri/grandi depuis trois mois.
(Résultatif : √)10
Les verbes de changement d’état grossir, maigrir et grandir font partie de la classe des verbes
scalaires dont la réalisation d’un telos se fait nécessairement par degrés. Ces verbes sont donc
compositionnellement téliques. Bertinetto et Squartini (1995) définissent les verbes scalaires
de changement d’état en tant que verbes à accomplissement graduel ( « gradual completion
verbs » (GCV)) car ils présentent « une approche graduelle d’un but final qui, pour des
raisons pragmatiques, est plus ou moins clairement définissable »11. En particulier, ils
observent qu’avec ces verbes l’emploi de l’adverbe beaucoup marque un degré élevé
d’avancement du processus dénoté par le verbe. Ils observent, en outre, que même si ce degré
élevé ne correspond pas à une limite précise, il marque malgré tout un avancement du
changement d’état par rapport à une phase précédente.
Or, en (22), l’adverbe scalaire beaucoup, en tant qu’expression de mesure, produit un
effet télique en ce sens qu’il marque un avancement du changement d’état par rapport à une
phase précédente. Nous supposons donc que les prédicats en (22) sont réinterprétés comme
des prédicats dénotant un accomplissement scalaire compatible avec une interprétation
résultative. En résumé, nous formulons l’hypothèse que les verbes grossir, maigrir et grandir,
même s’ils ne sont pas intrinsèquement téliques, sont compatibles avec une interprétation
résultative déclenchée par l’adverbe de degré beaucoup qui permet de décrire l’intervalle
dénoté par ‘depuis’ en tant que « phase homogène tenant pendant toute la durée de l’intervalle
de ‘depuis’ » (cf. Schaden (2007)).
Dans la section précédente, nous avons remarqué que l’explicitation d’un SP dénotant le
But ou la Source du mouvement déclenche l’interprétation résultative du verbe de
changement de lieu ‘tomber’. En fait, les SP ‘de la chaise’ et ‘dans le puits’ en (20) sont
interprétés comme compléments de mesure de l’événement dénoté par le verbe tout comme
l’adverbe de degré ‘beaucoup’ en (22). Autrement dit, ces compléments permettent de décrire
l’intervalle dénoté par ‘depuis’ en tant que « phase homogène tenant pendant toute la durée de
10
Les verbes de changement d’état ingrassare, dimagrire et crescere sélectionnent l’auxiliaire essere en italien.
Ils sont donc tous compatibles avec une interprétation résultative. Nous reproduisons ci-dessous la traduction
italienne des phrases (21) et (22) :
(i)
Gianni è ingrassato/dimagrito/cresciuto da tre mesi.
(Résultatif : √)
(ii)
Gianni è ingrassato/dimagrito/cresciuto molto da tre mesi.
(Résultatif : √)
11
« these verbs indicate that the event is characterised by the gradual approach to a goal, which for pragmatic
reasons may or may not be clearly definable » (Bertinetto et Squartini (1995 : 12)).
153
CHAPITRE III
RÉSULTATIVITÉ ET ÉTAT RÉSULTANT
l’intervalle de ‘depuis’ » (cf. Schaden (2007)). C’est pourquoi les phrases en (20) sont plus
acceptables, au moins pour certains locuteurs, que les phrases en (17). Le SP dénotant le But
du mouvement explicite le point d’arrivée de la chute. Le But équivaut, donc, à l’état résultant
compatible avec le ‘depuis’ résultatif. En revanche, le SP dénotant la Source du mouvement
explicite le point de départ de la chute dont la trajectoire est définie par rapport à une échelle
verticale avec une direction du haut vers le bas. C’est seulement si la Source du mouvement
est explicitée que le verbe ‘tomber’ est quand même compatible avec le ‘depuis’ résultatif, le
But du mouvement étant déjà encodé dans la matrice lexicale du verbe :
(23) a. Jean est tombé de la chaise (par terre)/(sur la pelouse) depuis trente minutes/depuis
midi.
b. Gianni è caduto dalla sedia (per terra)/(sul prato) da trenta minuti/da mezzogiorno.
III.6. Considérations sur l’incompatibilité des verbes ‘aller’ et ‘venir’ avec l’interprétation
résultative :
Comme nous l’avons vu (cf. (11a,b)), les verbes ‘aller’ et ‘venir’ ne sont pas compatibles
avec l’interprétation résultative. Considérons les phrases suivantes :
(24)
Jean est venu depuis dix minutes.
(Résultatif : *) (Perfectif : √)
(25)
Jean est allé à Rome depuis un mois.
(Résultatif : *) (Perfectif : √)
Les phrases en (24) et en (25) sont exclues de l’interprétation résultative. La phrase (24) ne
veut pas dire : ‘Jean est arrivé il y a dix minutes et il est là’ au moment de l’énonciation. De
la même manière, (25) n’implique pas : ‘Jean est arrivé à Rome il y a un mois et il est là’ au
moment de l’énonciation. Autrement dit, dans les exemples ci-dessous la vérité de la
proposition A à gauche n’implique pas celle de la proposition B à droite au moment de
l’énonciation :
(26)
Jean est venu.
Jean est là.
(27)
Jean est allé à Rome.
Jean est à Rome.
154
CHAPITRE III
RÉSULTATIVITÉ ET ÉTAT RÉSULTANT
Bouchard (1995 : 242-243) observe que la trajectoire dénotée par les verbes ‘arriver’, ‘partir’,
‘entrer’ et ‘sortir’ n’est pas orientée vers un point défini en tant que déictique. En revanche,
‘aller’ et ‘venir’ sont des verbes déictiques et, en particulier, le verbe ‘aller’ dénote une
trajectoire centrifuge par rapport au locuteur, tandis que la trajectoire dénotée par le verbe
‘venir’ est centripète par rapport au locuteur. L’événement dénoté par les verbes ‘aller’ et
‘venir’ se déroule le long de cette trajectoire déictique. En ce qui concerne le verbe ‘venir’, le
But de la transition est atteint une fois que le SN sujet a parcouru la trajectoire déictique et
qu’il est arrivé jusqu’au But de ce parcours. Le verbe ‘venir’ peut donc être associé à
l’interprétation d’état résultant et à la place événementielle <e2>. En adoptant l’analyse
formelle de Pustejovsky (1991) (cf. la section I.6.), nous proposons la représentation
suivante :
(28)
T
e1
Jean n'est pas encore venu chez moi
(Evénement Initial)
e2
Jean est venu chez moi
(Etat Résultant)
Jean est venu chez moi en deux minutes
(Interprétation Télique)
En revanche, le verbe ‘aller’ ne peut pas être associé à l’interprétation d’état résultant.
Considérons la phrase suivante :
(29)
Jean est allé à Rome en deux heures.
(Télique)
La phrase (29) signifie que Jean a fait l’action d’aller à Rome pendant toute la durée de
l’intervalle temporel dénoté par l’adverbial ‘en x temps’. Néanmoins, une fois que Jean est à
Rome, on ne peut pas associer le verbe ‘aller’ à l’interprétation d’état résultant :
155
CHAPITRE III
RÉSULTATIVITÉ ET ÉTAT RÉSULTANT
(30)
(État Résultant : *) (Perfectif : √)
Jean est allé à Rome.
En effet, une fois que Jean a atteint le But on ne peut pas affirmer que ‘Jean est allé à Rome’
mais, plutôt, que ‘Jean est à Rome/Jean est arrivé à Rome’. La représentation formelle que
nous proposons pour le verbe ‘aller’ dans l’optique de Pustejovsky (1991) est la suivante :
(31)
T
e1
Jean n'est pas encore allé à Rome
(Evénement Initial)
e2
Jean est arrivé à Rome
(Etat Résultant)
Jean est allé à Rome en deux minutes
(Interprétation Télique)
En (31), ‘aller’ dénote une transition. La place événementielle <e2> dénotant le point final de
la transition n’est pas remplie par le verbe ‘aller’ mais par un verbe intrinsèquement télique
comme ‘arriver’ qui permet d’interpréter correctement l’état résultant de la transition
déclenchée par le verbe ‘aller’.
En résumé, le verbe ‘venir’ peut être associé à l’interprétation d’état résultant, laquelle,
comme nous l’avons montré (cf. la section III.1.), est à la base de l’interprétation résultative.
Cependant, le verbe ‘venir’ n’est pas compatible avec une interprétation résultative (cf. (24)).
En revanche, le verbe ‘aller’ ne peut pas être associé à l’interprétation d’état résultant et donc
il n’est pas compatible non plus avec une interprétation résultative.
L’incompatibilité de ‘aller’ avec le ‘depuis’ résultatif s’explique par le fait que ‘aller’
n’est pas associé à la position événementielle <e2> qui accueille l’état résultant (cf. (31)).
L’incompatibilité de ‘venir’ avec l’interprétation résultative pourrait s’expliquer par le
fait qu’une fois que le But est atteint, l’état résultant du verbe ‘venir’ ne peut pas s’interpréter
156
CHAPITRE III
RÉSULTATIVITÉ ET ÉTAT RÉSULTANT
comme « une phase homogène tenant pendant toute la durée de l’intervalle de ‘depuis’ »
(Schaden (2007 : 126)). Autrement dit, une fois que le centre déictique est atteint, l’état
résultant ‘X est venu’ épuise la possibilité de s’étendre à l’intérieur de l’intervalle temporel
dénoté par le ‘depuis’ résultatif.
III.7. Quelques observations sur la construction ‘il est resté Vé pendant x temps’ :
Nous avons observé que l’interprétation résultative est solidaire de la notion d’état
résultant (cf. la section III.1.). Plus précisément, nous avons observé que les verbes de
changement de lieu tels que arriver, partir, entrer, sortir, venir et marginalement, pour
certains locuteurs, tomber sont compatibles avec l’interprétation d’état résultant. En revanche,
nous avons soutenu que le verbe aller n’est pas compatible avec cette interprétation.
Le verbe ‘rester’ implique la continuation d’une condition préexistante, il s’ensuit qu’une
durée temporelle est nécessairement présente dans son interprétation et qu’il est donc naturel
de la rendre explicite à travers l’adverbial de durée ‘pendant x temps’. La construction ‘il est
resté Vé pendant x temps’ est donc associée à une interprétation [+durative/continuative]. Par
ailleurs, le verbe ‘rester’ est étiqueté comme un verbe continuatif par Bertinetto (2001 : 2935) qui associe à ce verbe le faisceau de traits [+duratif, -télique].
Les participes passés compatibles avec la construction ‘il est resté Vé pendant x temps’
correspondent à l’état (état résultant) issu d’une transition impliquant un changement de lieu
ou d’état. En fait, les états se combinent très bien avec les adverbiaux de durée car ils dénotent
des situations duratives.
Néanmoins, pas tous les verbes que nous avons analysés dans les sections précédentes et
qui sont compatibles avec l’interprétation d’état résultant sont aussi compatibles avec la
construction ‘il est resté Vé pendant x temps’ :
157
CHAPITRE III
RÉSULTATIVITÉ ET ÉTAT RÉSULTANT
(32) a. Le torchon/L’huile est resté(e) sorti(e) du placard pendant trois heures.
b. Jean est resté parti de la maison pendant trois ans.
c. *Jean est resté arrivé/entré/venu pendant trois heures.
d. ?*Jean est resté tombé (par terre/sur le sol) pendant trois heures.
e. *Jean est resté allé à Nice pendant trois ans.
Les exemples en (32) montrent que la construction ‘il est resté Vé pendant x temps’ n’est pas
un test pour l’état résultant12. En ce sens, une question se soulève. Quelles sont les restrictions
qui empêchent l’emploi des participes passés des verbes arriver, entrer, venir, tomber et aller
avec cette construction ? La sémantique du verbe ‘rester’ est révélatrice à ce propos. Étant
donné que le verbe ‘rester’ implique la continuation d’une condition préexistante, il ne peut
pas être compatible avec l’interprétation d’état résultant du participe passé du verbe arriver
car ce verbe est intrinsèquement télique/ponctuel et il est donc incompatible avec un adverbial
de durée comme ‘pendant x temps’. Une fois que le SN sujet du verbe arriver a atteint le But,
l’état résultant ‘X est arrivé’ épuise la possibilité de s’étendre à l’intérieur de l’intervalle
temporel dénoté par l’adverbial ‘pendant x temps’. La même observation est valable pour les
verbes intrinsèquement téliques entrer, venir et tomber. Comme nous l’avons observé à
plusieurs reprises tout au long de cette étude, le verbe aller est compositionnellement télique
(*Jean est allé/√Jean est allé à Rome), il ne peut donc pas être compatible avec la construction
‘il est resté Vé pendant x temps’ car la télicité est incompatible avec un contexte duratif. En
revanche, les participes passés des verbes sortir et partir sont compatibles avec la
construction ‘il est resté Vé pendant x temps’ (cf. (32a,b)). D’après nos observations, les
verbes sortir et partir sont des verbes intrinsèquement téliques tout comme les verbes arriver,
entrer, tomber et venir. La compatibilité des participes passés sorti et parti avec la
construction ‘il est resté Vé pendant x temps’ peut s’expliquer si l’on suppose que ces
participes sont interprétés dans cette construction, respectivement, comme un adjectif absent
et comme un adverbe locatif dehors. En fait, l’adjectif absent et l’adverbe dehors sont
compatibles avec cette construction puisqu’ils sont interprétés comme le complément
prédicatif du verbe ‘rester’ :
12
Lagae (2005 : 128) observe que cette construction « est généralement difficile et donc peu révélatrice » pour
tester l’état résultant.
158
CHAPITRE III
RÉSULTATIVITÉ ET ÉTAT RÉSULTANT
(33) a. Le torchon/L’huile est resté(e) hors du placard/dehors pendant trois heures.
b. Jean est resté absent de la maison pendant trois ans.
Comme nous l’avons remarqué (cf. les sous-sections I.7.3. et II.11.1.), les participes passés
des verbes arriver, entrer et, marginalement, pour certains locuteurs, tomber peuvent, eux
aussi, s’interpréter comme des éléments prédicatifs correspondant à des adverbes locatifs ou à
des expressions locatives : arrivé = là, entré = dedans, tombé = par terre/sur le sol
compatibles avec la construction ‘il est resté Vé pendant x temps’ :
(34) a. Jean est resté là pendant trois heures.
b. Jean est resté dedans pendant trois heures.
c. Jean est resté par terre/sur le sol pendant trois heures.
Toutefois, le participe de ces verbes n’est pas compatible avec la construction ‘il est resté Vé
pendant x temps’ comme le montrent les exemples (32c,d). Nous n’avons pas à ce stade
d’hypothèse à proposer pour expliquer cette incompatibilité. Empiriquement, il semble que
les participes passés sorti et parti peuvent être interprétés comme des éléments marquant un
état et sont donc compatibles avec une interprétation durative/continuative. L’emploi décrit en
(32d) n’est pas unanimement écarté comme agrammatical par les francophones interrogés. Il
est intéressant de remarquer que les locuteurs qui acceptent marginalement (32d) acceptent
marginalement aussi l’emploi du ‘depuis’ résultatif avec le verbe tomber (cf. (20))13.
En italien, aucun des emplois en (32) n’est possible. Cela encore une fois peut
s’expliquer par le fait qu’en italien ces participes passés n’ont pas un emploi compatible avec
une interprétation durative.
Avant de conclure cette section, nous voudrions revenir sur la question du ‘depuis’
résultatif. Nous avons observé que l’interprétation résultative indique la continuation, au
moment de l’énonciation, de l’état résultant issu d’un changement de lieu ou d’un changement
d’état. Nous avons aussi observé (cf. la première partie du chapitre I) que les verbes arriver,
partir, entrer et sortir ne sont pas compatibles avec un contexte duratif dénotant une activité
et marqué par l’adverbial de durée ‘pendant x temps’. Toutefois, ces verbes sont compatibles
avec l’interprétation résultative qui indique la continuation, au moment de l’énonciation, de
13
Je remercie Denis Creissels qui m’a fait observer ce fait.
159
CHAPITRE III
RÉSULTATIVITÉ ET ÉTAT RÉSULTANT
l’état résultant issu d’une transition (cf. la section III.3.). Il s’ensuit que dans l’interprétation
résultative le participe passé des verbes arriver, partir, entrer et sortir s’interprète comme un
complément prédicatif (cf. les sous-sections I.7.3. et II.11.1.). En effet, seule cette recatégorisation du participe passé permet d’interpréter l’intervalle de temps dénoté par le
‘depuis’ résultatif comme un intervalle de temps marquant la continuation d’un état
préexistant :
(35) a. Jean est arrivé (= là)/parti (=absent)/entré (= dedans)/sorti (= dehors) depuis hier.
b. Jean est tombé (= sur le sol/par terre) depuis trente minutes.
III.8. Récapitulation :
Nous avons montré que l’interprétation résultative est compatible avec l’auxiliaire ‘avoir’
mais qu’elle est possible seulement avec des verbes à Aktionsart télique (cf. la section III.1.).
Nous avons aussi montré que les verbes de changement de lieu ‘arriver’, ‘partir’, ‘entrer’ et
‘sortir’, qui sont intrinsèquement téliques, sont compatibles avec une interprétation résultative
(cf. la section III.3.). Nous avons par ailleurs montré que l’interprétation résultative est
totalement exclue avec les verbes de changement de lieu ‘aller’ et ‘venir’ (cf. la section III.3.).
En outre, nous avons montré que certains verbes de changement d’état, qui ne sélectionnent
pas l’auxiliaire ‘être’ et qui ne sont pas intrinsèquement téliques, sont compatibles avec une
interprétation résultative moyennant la satisfaction de certaines contraintes syntaxiques. Nous
avons observé que le verbe de changement de lieu ‘tomber’ est, lui aussi, soumis à certaines
contraintes syntaxiques avec l’interprétation résultative (cf. les sections III.4. et III.5.).
Finalement, dans la section III.7., nous avons montré que la construction ‘il est resté Vé
pendant x temps’ est un test discutable pour l’état résultant.
D’après les observations que nous avons faites jusqu’ici, il s’avère que, de même que la
télicité n’est pas nécessairement liée à la sélection de l’auxiliaire ‘être’ (cf. la sous-section
I.5.2.), la résultativité n’est pas non plus obligatoirement associée à la sélection de l’auxiliaire
‘être’, et ce, tant en français qu’en italien. En outre, il s’avère aussi que la sélection de
l’auxiliaire ‘être’ n’est pas toujours compatible avec une interprétation résultative (cf. les
verbes ‘aller’ et ‘venir’).
Dans les sections suivantes, nous verrons que les verbes que nous avons analysés
jusqu’ici, et qui ne sont pas compatibles avec une interprétation résultative, peuvent être
160
CHAPITRE III
RÉSULTATIVITÉ ET ÉTAT RÉSULTANT
associés à une lecture perfective si l’on construit un contexte approprié en manipulant la
structure informationnelle de la phrase par l’intonation ou par le déplacement de l’adverbial
‘depuis x temps’.
III.9. Le détachement de l’adverbial ‘depuis x temps’ :
Dans la section III.2., nous avons vu que le verbe ‘chanter’ en tant que verbe atélique
dénotant une activité n’est pas compatible avec une interprétation résultative :
(36)
Cunégonde a chanté depuis midi/trois heures.
(Résultatif : *) (Perfectif : √)
Si l’on place l’adverbial ‘depuis x temps’ en position frontale, l’adverbial peut se lire comme
un topique scénique ( « stage topic » )14, c’est-à-dire comme une expression qui pose un
espace temporel à l’intérieur duquel on interprète, ensuite, l’événement ‘Cunégonde a chanté’.
Dans ces conditions, l’emploi de l’adverbial ‘depuis x temps’ ne pose pas de problèmes mais
la phrase a une interprétation perfective et non plus résultative :
(37)
Depuis midi/trois heures, Cunégonde a chanté.
(Perfectif : √)
En (37), on comprend que l’événement ‘Cunégonde a chanté’ a eu lieu ‘au moins une fois’ à
l’intérieur de l’intervalle de temps entre T 0 et midi/trois heures.
Dans les sections III.3. et III.5., nous avons observé que les verbes aller, venir, grossir,
maigrir et grandir ne sont pas compatibles avec le ‘depuis’ résultatif. Néanmoins, si l’on
disloque l’adverbial ‘depuis x temps’ en position frontale on obtient des phrases compatibles
avec une interprétation perfective :
(Perfectif : √)
(38) a. Depuis hier, Jean est venu.
(Perfectif : √)
b. Depuis hier, Jean est allé chez elle.
(39)
Depuis un an, Jean a grossi/maigri/grandi.
(Perfectif : √)
Dans les phrases en (38) on comprend que Jean est venu/allé chez elle ‘au moins une fois’
dans l’intervalle temporel entre ‘hier’ et T 0. La même chose s’observe en (39) : on comprend
14
Cf. Erteschik-Shir ((1997) et (1999)).
161
CHAPITRE III
RÉSULTATIVITÉ ET ÉTAT RÉSULTANT
que Jean a grossi/maigri/grandi ‘au moins une fois’ dans l’intervalle de temps entre ‘un an’ et
T0. Si dans les phrases en (38) et en (39) on insère l’adverbial itératif ‘trois fois’, on obtient
les phrases suivantes :
(Perfectif : √)
(40) a. Jean est venu trois fois depuis hier.
(Perfectif : √)
b. Jean est allé chez elle trois fois depuis hier.
(41)
(Perfectif : √)
Jean a grossi/maigri/grandi trois fois depuis un an.
Intuitivement, en (40), l’adverbial itératif ‘trois fois’ épuise le nombre des venues et des
allées. Le rôle de l’adverbial itératif est donc celui de marquer explicitement « la classe des
instants temporaux » délimitée par l’intervalle temporel dénoté par ‘depuis’ (Franckel 1989 :
28)15.
La représentation de l’adverbial itératif sur l’axe temporel serait donc la suivante :
(42)
X
hier
ère
X
ème
(1 fois) (2
fois) (3
X
ème
fois)
t
T0
L’adverbial itératif ‘trois fois’ déclenche une interprétation perfective du prédicat et la
préposition ‘depuis’ s’interprète donc comme un ‘depuis’ perfectif et pas comme un ‘depuis’
résultatif.
Le verbe ‘tomber’, tout comme les autres verbes de changement de lieu ‘arriver’, ‘partir’,
‘entrer’ et ‘sortir’, est également compatible avec l’adverbial itératif ‘trois fois’ comme le
montrent les exemples ci-dessous. Tout comme pour les verbes ‘aller’ et ‘venir’, pour ces
verbes aussi l’interprétation déclenchée par l’adverbial itératif est perfective et non pas
résultative :
15
Voir Franckel (1989 : 196) pour plus de détails à ce propos.
162
CHAPITRE III
RÉSULTATIVITÉ ET ÉTAT RÉSULTANT
(43) a. Jean est tombé trois fois depuis lundi.
(Perfectif : √)
b. Jean est arrivé trois fois au sommet depuis le début de sa carrière sportive/parti trois
fois depuis le mois de mai/entré trois fois depuis ce matin/sorti trois fois depuis ce
(Perfectif : √)
matin.
D’après ces exemples, il s’ensuit que l’insertion de l’adverbial itératif ‘trois fois’ permet
d’avoir une interprétation perfective sans construire l’adverbial ‘depuis x temps’ comme
topical.
III.9.1. Le détachement de l’adverbial ‘depuis x temps’ et la portée :
Considérons les exemples suivants :
(44) a. Depuis hier/deux jours, Jean est venu chez nous.
b. Depuis hier/deux jours, Jean est allé chez elle.
(45) a. Jean est VENU chez nous depuis hier/deux jours.
b. Jean est ALLÉ chez elle depuis hier/deux jours.
(Perfectif : √)
(Perfectif : √)
(Perfectif : √)
(Perfectif : √)
En (44), le détachement de la préposition ‘depuis’ et de son complément place l’expression
‘depuis x temps’ hors de l’intonation d’assertion et oblige l’allocuteur à rechercher, dans le
contexte énonciatif, le moment auquel le processus dénoté par le verbe réfère et à le situer à
l’intérieur de l’intervalle temporel dénoté par ‘depuis’. L’interprétation est donc perfective.
En particulier, en (45), l’interprétation perfective est marquée au niveau intonatif par un focus
intonatif sur le verbe et le détachement en position frontale de l’adverbial ‘depuis x temps’
n’est pas nécessaire16.
D’après les observations que nous avons faites sur l’interprétation perfective et l’emploi
de l’adverbe itératif ‘trois fois’ avec les verbes venir et aller (cf. supra), nous supposons que
l’interprétation perfective est déclenchée par un operateur de portée qui dénombre le(s)
occurrence(s) de l’événement dénoté par le verbe. Le terme ‘portée’ est utilisé en linguistique
pour désigner le domaine sur lequel un opérateur fait effet. Dans les exemples ci-dessous,
16
La même chose s’observe avec les verbes de changement d’état grossir, maigrir et grandir (cf. la section
III.5.) :
(i)
a. Jean a GROSSI/MAIGRI/GRANDI depuis un an.
(Perfectif : √)
b. Depuis un an, Jean a grossi/maigri/grandi.
(Perfectif : √)
163
CHAPITRE III
RÉSULTATIVITÉ ET ÉTAT RÉSULTANT
nous considérons l’adverbe itératif ‘trois fois’ comme un opérateur de portée qui fait effet sur
le prédicat auquel il est associé et qui dénombre ce prédicat en trois sous-événements. Nous
supposons que dans une représentation formelle l’adverbial ‘trois fois’ peut être associé à une
projection QtS (où Qt = quantité) qui a portée sur le verbe :
(46)
QtS[trois
foisi SI[Jean est venu chez nous/allé chez elle ti]]17
Jean est venu/allé chez elle trois fois.
L’adverbial itératif ‘trois fois’ déclenche une interprétation perfective et, dans ce cas-là, le
détachement de l’adverbial ‘depuis x temps’ n’est pas nécessaire :
(47)
Jean est venu/allé chez elle trois fois depuis lundi.
Si le nombre d’occurrences de l’événement n’est pas explicité, l’adverbial ‘depuis x temps’
est obligatoirement détaché. Dans ce cas-là, nous supposons qu’un opérateur de portée est
quand même présent en forme logique. Cette opérateur de portée représenté par l’expression
‘x fois’ ne spécifie pas le nombre des occurrences de l’événement dénoté par le verbe mais la
phrase s’interprète par défaut, on comprend que l’événement a eu lieu ‘au moins une fois’18 :
(48)
QtS[x
foisi SI[Jean est venu/allé chez elle t i]]
Depuis lundi, Jean est venu/allé chez elle.
Jean est VENU/ALLÉ chez elle depuis lundi.
En revanche, avec les verbes arriver, partir, entrer, sortir et tomber, qui sont compatibles
avec une interprétation perfective et résultative, nous supposons que l’opérateur de quantité
(Qt) est projeté en forme logique dans l’interprétation perfective :
17
À la différence des mouvements en Structure S (= de surface), qui sont visibles, le mouvement décrit en (46)
s’opère en forme logique (FL) où la vérification des propriétés logiques et sémantiques de la phrase provoque
des mouvements de syntagmes qui restent invisibles.
18
x est une variable qui dénote donc ‘une quantité non spécifiée d’événements’.
164
CHAPITRE III
RÉSULTATIVITÉ ET ÉTAT RÉSULTANT
(49)
QtS[x
fois/trois foisi SI[Jean est arrivé/sorti/entré/parti/tombé t i]]
Jean est arrivé/sorti/entré/parti/tombé trois fois depuis le mois d’avril.
Depuis le mois d’avril, Jean est arrivé/sorti/entré/parti/tombé.
Jean est ARRIVÉ/SORTI/ENTRÉ/PARTI/TOMBÉ depuis le mois d’avril.
Dans les prochaines sections, nous aborderons le comportement des verbes météorologiques
français et italiens vis-à-vis de l’adverbial ‘depuis x temps’.
III.10. Les verbes météorologiques et leur compatibilité avec l’adverbial ‘depuis x temps’ :
Au chapitre II, nous avons vu qu’en anglais, espagnol, français et italien les verbes
météorologiques ‘pleuvoir’, ‘neiger’ et ‘grêler’ encodent dans leurs racines deux composantes
sémantiques : la Figure et le déplacement de celle-ci avec une orientation du haut vers le bas.
Ruwet (1986 : 210, note 13) observe que le substantif pluie dénote seulement une
précipitation atmosphérique et pas de substance, tandis que le substantif neige dénote aussi
bien une précipitation atmosphérique que la substance résultant de la précipitation. Tout
comme le substantif neige, le substantif grêle dénote aussi bien une précipitation
atmosphérique que la substance résultant de la précipitation.
Ces observations de nature lexicale, typologique et sémantique nous seront utiles pour
comprendre certains comportements syntaxiques des verbes météorologiques et leur
compatibilité avec l’adverbial ‘depuis x temps’.
III.10.1. Le verbe ‘tomber’ + SN atmosphérique + ‘depuis x temps’ :
Le verbe ‘tomber’ est intrinsèquement télique et il dénote un mouvement directionnel du
haut vers le bas. Il est donc compatible avec les substantifs neige et grêle qui dénotent la
précipitation d’une substance atmosphérique.
L’emploi du verbe ‘tomber’ au passé composé avec un sujet météorologique est
compatible avec l’adverbial ‘depuis x temps’ :
165
CHAPITRE III
RÉSULTATIVITÉ ET ÉTAT RÉSULTANT
(50)
La neige/La grêle est tombée depuis trente minutes.
Cette compatibilité rejoint les observations sémantiques de Ruwet à propos des SN
météorologiques.
Les SN neige et grêle dénotent une substance atmosphérique qui est le résultat
effectif/tangible d’une précipitation atmosphérique. Autrement dit, (50) dénote le résultat d’un
processus de précipitation (c’est-à-dire d’un mouvement dynamique directionnel) compatible
avec le ‘depuis’ résultatif.
En revanche, l’interprétation résultative avec le SN pluie est bloquée par la sélection
lexicale du SN sujet :
(51)
*La pluie est tombée depuis trente minutes.
Empiriquement, en (51), on ne peut plus comprendre qu’il s’agit d’un résultatif, par exemple,
de l’eau tombée dans un tonneau car, comme l’a observé Ruwet (cf. dessus), le SN pluie
dénote seulement la substance météorologique en tant que précipitation et pas en tant que
résultat de la précipitation. En revanche, le SN eau est compatible avec l’interprétation
résultative car il dénote la substance atmosphérique résultant de la précipitation :
(52)
Cette eau est tombée depuis trente minutes.
Dans la prochaine section, nous analyserons les verbes météorologiques ‘pleuvoir’, ‘neiger’ et
‘grêler’ en italien et en français et leur compatibilité avec l’adverbial ‘depuis x temps’.
III.10.2. Les verbes météorologiques ‘pleuvoir’, ‘neiger’ et ‘grêler’ + ‘depuis x temps’ :
Comme
nous
l’avons
remarqué dans
la
sous-section II.14.1.1.,
les
verbes
météorologiques en italien sélectionnent aussi bien l’auxiliaire avere (interprétation atélique
dénotant une activité) que l’auxiliaire essere (interprétation télique). Quand ils sélectionnent
l’auxiliaire essere, ils sont compatibles aussi avec une interprétation perfective comme le
montrent les exemples ci-dessous :
166
CHAPITRE III
RÉSULTATIVITÉ ET ÉTAT RÉSULTANT
(53) a. pro è piovuto/nevicato/grandinato alle otto.
(Perfectif : √)
Lit. (il) est plu/neigé/grêlé à huit heures
b. pro ha piovuto/nevicato/grandinato alle otto.
(Perfectif : √)
Lit. (il) a plu/neigé/grêlé à huit heures
Considérons, maintenant, les exemples suivants illustrant l’emploi de l’adverbial ‘depuis x
temps’ :
(54)
pro è piovuto/nevicato/grandinato da mezzanotte.
(Résultatif : *) (Perfectif : √)
Lit. (il) est plu/neigé/grêlé depuis minuit
(55)
pro ha piovuto/nevicato/grandinato da mezzanotte.
(Résultatif : *) (Perfectif : √)
Lit. (il) a plu/neigé/grêlé depuis minuit
Les phrases (54) et (55) réfèrent à un événement qui a commencé à minuit et qui est terminé
avant T0 ou bien elles veulent dire que dans l’intervalle de temps entre minuit et T 0, il a plu au
moins une fois19. Les deux interprétations sont perfectives et non pas résultatives.
En résumé, en (54) et (55) l’adverbial da mezzanotte peut être associé à deux
interprétations perfectives dont, la première se traduit en français par l’expression à partir de
(cf. (56)), tandis que l’autre correspond au depuis perfectif qui marque que l’événement a eu
lieu au moins une fois entre minuit et T0 (cf. (57)) :
(56)
Il a plu/neigé/grêlé à partir de minuit.
(Résultatif : *) (Perfectif : √)
(57)
Il a plu/neigé/grêlé depuis minuit.
(Résultatif : *) (Perfectif : √)
L’emploi de l’adverbial ‘depuis x temps’ avec l’auxiliaire essere en (54) semble contraint.
Dans l’optique d’une analyse inaccusative des verbes météorologiques, certains auteurs,
parmi lesquels Ruwet (1989) et Fernandez-Soriano (1999 : 129), ont supposé que les verbes
météorologiques sélectionnent un ‘objet interne’ qui fusionne avec le verbe et qui reste
implicite :
19
Contrairement au passé composé, l’emploi du temps présent indique que la pluie/neige/grêle n’a pas cessé de
tomber entre minuit et T0 :
(i)
pro piove/nevica/grandina da mezzanotte (e piove/nevica/grandina ancora in T0).
(ii)
Il pleut/neige/grêle depuis minuit (et il pleut/neige/grêle encore à T0).
167
CHAPITRE III
RÉSULTATIVITÉ ET ÉTAT RÉSULTANT
(58) a. Il pleut (de la pluie).
b. pro piove (pioggia).
c. Il neige (de la neige).
d. pro nevica (neve).
e. Il grêle (de la grêle).
f. pro grandina (grandine).
Selon l’hypothèse inaccusative (cf. chapitre I), le sujet d’un verbe inaccusatif est engendré
comme argument interne, puis il se déplace dans [spéc. SI] ou bien reste in situ.
En italien, la sélection de l’auxiliaire essere est un indice d’inaccusativité. Les phrases en
(54) auraient donc une structure syntaxique à argument interne (‘objet interne’) implicite.
Selon l’analyse de Tenny (1994), l’argument interne des verbes inaccusatifs est un évaluateur
car, tout comme les C.O.D. des prédicats dénotant des accomplissements, il est en mesure de
délimiter temporellement l’événement dénoté par le prédicat. Si cela était vrai, il ne devrait
exister aucune contrainte sur l’emploi de l’adverbial ‘depuis x temps’ avec l’auxiliaire essere
en (54). Toutefois, cette prédiction n’est pas vérifiée. Les phrases en (54) ne sont pas
compatibles avec une interprétation résultative même si l’auxiliaire sélectionné est essere.
Autrement dit, les phrases en (54) n’impliquent pas qu’au moment de l’énonciation il soit
encore en train de pleuvoir, neiger ou grêler. Cependant, si l’on explicite l’argument interne,
le verbe est réinterprété comme un accomplissement et est alors compatible avec
l’interprétation résultative :
(59)
pro è piovuta sabbia/acqua scura da mezzanotte.
(Résultatif : √)
Lit. (il) est plu(e) (du) sable/(de l’) eau foncée depuis minuit
(60)
pro è nevicata neve scurissima da mezzanotte.
(Résultatif : √)
Lit. (il) est neigée (de la) neige très foncée depuis minuit
(61)
pro è grandinata grandine color verde da mezzanotte.
(Résultatif : √)
Lit. (il) est grêlée (de la) grêle couleur verte depuis minuit
Les SN sabbia, acqua scura, neve scurissima et grandine color verde en (59), (60) et (61)
dénotent la substance qui est tombée, donc l’état résultant de la précipitation atmosphérique,
qui est compatible avec une interprétation résultative.
168
CHAPITRE III
RÉSULTATIVITÉ ET ÉTAT RÉSULTANT
Les verbes météorologiques piovere, nevicare et grandinare présentent des similitudes
avec le verbe cadere : ils sont tous pourvus d’une composante sémantique directionnelle qui
encode un mouvement orienté de haut en bas et, en outre, ils sont contraints dans leur
combinaison avec l’adverbial ‘depuis x temps’ lorsque l’auxiliaire sélectionné est essere.
C’est seulement quand ils sont re-catégorisés comme verbes dénotant un état résultant, et que
cet état résultant est explicité par un SN, qu’ils deviennent compatibles avec une
interprétation résultative, comme le montrent les exemples (59), (60) et (61) que nous venons
d’analyser.
Néanmoins, la présence explicite de l’objet interne révèle de nouvelles contraintes avec
le verbe piovere :
(62)
pro è piovuta una pioggerella fine da mezzanotte.
(Résultatif : *) (Perfectif : √)
Lit. (il) est plue (une) petite pluie fine depuis minuit
En (62), l’interprétation résultative est bloquée par la sélection lexicale pioggerella fine qui
dénote la précipitation et non pas la substance résultant de l’événement atmosphérique. En
revanche, (60) et (61) sont parfaitement compatibles avec l’interprétation résultative car les
SN neve et grandine dénotent aussi bien la précipitation que la substance atmosphérique.
En français, les verbes météorologiques sélectionnent l’auxiliaire avoir et l’interprétation
résultative associée à l’expression ‘depuis x temps’ est impossible :
(63)
(Résultatif : *) (Perfectif : √)
Il a plu/neigé/grêlé depuis midi.
Toutefois, si l’on explicite l’argument interne, le verbe est réinterprété comme un
accomplissement et est alors compatible avec l’interprétation résultative :
(64) a. Il a plu du sable très fin depuis hier soir.
(Résultatif : √)
b. Il a neigé de la neige bien blanche depuis minuit.
(Résultatif : √)
c. Il a grêlé des cailloux gros comme des œufs depuis hier soir.
(Résultatif : √)
Ci-dessous nous allons analyser plus en détail l’interprétation perfective associée à l’emploi
de l’adverbial ‘depuis x temps’ avec les verbes météorologiques.
169
CHAPITRE III
RÉSULTATIVITÉ ET ÉTAT RÉSULTANT
III.10.3. Le détachement de l’adverbial ‘depuis x temps’ avec les verbes météorologiques :
Si l’expression ‘depuis x temps’ subit un détachement et se situe hors de l’intonation
d’assertion, l’interprétation du prédicat est perfective et non pas résultative :
(65)
Depuis un an, il a plu/neigé/grêlé.
(Résultatif : *) (Perfectif : √)
(66)
Il a PLU/NEIGÉ/GRÊLÉ depuis un an.
(Résultatif : *) (Perfectif : √)
En (65) et (66) on comprend qu’il a plu/neigé/grêlé ‘au moins une fois’ dans l’intervalle
temporel entre ‘un an’ et T0. En particulier, en (66) l’interprétation perfective est marquée par
un focus intonatif sur le verbe.
Comme nous l’avons déjà remarqué dans la section III.9., l’emploi de l’adverbial itératif
‘trois fois’ déclenche une interprétation perfective et le détachement de l’adverbial ‘depuis x
temps’ n’est pas nécessaire :
(67)
Il a plu/neigé/grêlé trois fois depuis un an.
La même chose s’observe en italien :
(68)
pro ha/è piovuto/nevicato/grandinato tre volte da un anno.
Dans la prochaine section, qui conclut la première partie de ce chapitre, nous verrons que,
dans certaines variétés de français d’Amérique où l’auxiliaire avoir est employé pour
conjuguer tous les verbes (cf. la section I.9.), l’emploi du depuis résultatif exige la sélection
de l’auxiliaire être.
III.11. L’emploi du ‘depuis’ résultatif en français québécois et en français acadien :
En ce qui concerne l’interprétation résultative, l’emploi de l’adverbial ‘depuis x temps’
avec les verbes de changement de lieu arriver, partir, entrer et sortir déclenche la sélection
de l’auxiliaire être en FQ20 :
20
Je remercie Marie-Thérèse Vinet et Ruth King pour les données du FQ et du FA.
170
CHAPITRE III
RÉSULTATIVITÉ ET ÉTAT RÉSULTANT
(69) a. Jean a arrivé/parti/entré/sorti depuis lundi.
b. Jean est arrivé/parti/entré/sorti depuis lundi.
(Résultatif : *) (Perfectif : √)
(Résultatif : √) (Perfectif : *)
Selon nos attentes, si l’on ajoute l’adverbial fréquentatif trois fois, l’adverbial ‘depuis x
temps’ est compatible avec l’auxiliaire avoir. Toutefois, dans ce cas, l’interprétation est
perfective et non pas résultative :
Il a sorti de chez elle trois fois depuis trente minutes. (Résultatif : *) (Perfectif : √)
(70)
En FA, tout comme en FQ, le depuis résultatif est compatible seulement avec l’auxiliaire
être :
(71) a. Il a arrivé/parti/entré/sorti depuis trente minutes.
b. Il est arrivé/parti/entré/sorti depuis trente minutes.
(Résultatif : *) (Perfectif : √)
(Résultatif : √) (Perfectif : *)
(72) a. Il a mouri depuis lundi.
(Résultatif : *) (Perfectif : √)
b. Il est mort depuis lundi.
(Résultatif : √) (Perfectif : *)
Les données présentées ci-dessus montrent que l’emploi de l’auxiliaire être est encore vivant
dans les variétés de français parlé en Amérique mais que cet emploi est limité à
l’interprétation résultative. Nous suggérons que ce comportement peut s’interpréter comme la
dernière opposition vers une généralisation de la distribution de l’auxiliaire avoir dans ces
variétés de français.
III.12. Récapitulation :
L’analyse de la compatibilité des verbes météorologiques italiens piovere, nevicare et
grandinare avec l’adverbial da x tempo (‘depuis x temps’) nous a permis de détecter certains
comportements à première vue inattendus. Par exemple, nous avons observé que l’adverbial
da x tempo entraîne une interprétation perfective aussi bien avec l’auxiliaire essere qu’avec
l’auxiliaire avere. En particulier, nous avons observé que les verbes météorologiques piovere,
nevicare et grandinare sont compatibles avec l’interprétation résultative pourvu qu’ils
sélectionnent l’auxiliaire essere et que le SN sujet dénotant la substance atmosphérique soit
171
CHAPITRE III
RÉSULTATIVITÉ ET ÉTAT RÉSULTANT
explicité. Si aucun SN sujet n’est explicité, on a une interprétation perfective mais pas une
interprétation résultative. L’interprétation résultative est pour nous solidaire de la notion
d’état résultant (cf. la section III.1.), nous sommes donc conduite à supposer que le participe
passé des verbes piovere, nevicare et grandinare quand il est associé à l’auxiliaire essere et
qu’il ne sélectionne pas un SN sujet, ne dénote pas un état résultant. Autrement dit, les
phrases :
(73)
È piovuto/nevicato/grandinato.
Lit. (il) est plu/neigé/grêlé
seraient associées à une interprétation perfective non à un état résultant.
Deuxième partie : le participe absolu et l’état résultant
La deuxième partie de ce chapitre est consacrée à l’analyse de la construction participiale
absolue. D’après les données que nous présenterons, le participe passé compatible avec la
construction participiale absolue est associé à une interprétation d’état résultant et non pas à
une interprétation télique. Nous montrerons, en outre, que le participe absolu, contrairement à
ce qui est généralement admis, n’est pas un test fiable d’inaccusativité. Cette analyse nous
permettra de décrire plus en détail la différence entre deux des notions aspectuelles dont nous
avons traité dans cette étude, à savoir, la notion d’état résultant et la notion de télicité.
III.13. La construction participiale absolue (PA) :
D’après Burzio (1981, 1986), Perlmutter (1989), Legendre (1989) et Belletti (1990),
entre autres, la construction participiale absolue (désormais PA) est possible avec le participe
passé des verbes transitifs et des verbes inaccusatifs. Les verbes inergatifs sont exclus de cette
construction :
172
CHAPITRE III
RÉSULTATIVITÉ ET ÉTAT RÉSULTANT
(74) a. Arrivata Maria, fummo tutti più allegri.
b. Une fois Marie arrivée, tout le monde fut plus content.
(75) a. Tagliata la torta, gli invitati applaudirono.
b. Une fois coupé le gâteau, les invités ont applaudi.
(76) a. *Reagito Giovanni, ci fu un momento di imbarazzo.
b. *Une fois réagi Jean, il y eut un moment d’embarras.
(77) a. *Tagliato Giovanni la torta, gli invitati applaudirono.
b. *Une fois coupé Jean le gâteau, les invités ont applaudi.
Plus précisément, en italien, le sujet des verbes inaccusatifs et l’objet des transitifs sont
compatibles avec le PA, tandis que le sujet des verbes inergatifs et celui des verbes transitifs
n’est pas admis dans cette construction. La même chose s’observe en français.
III.13.1. Le PA et l’aspect :
Legendre et Sorace (2003 : 221-222) observent que la construction participiale absolue
est soumise à deux restrictions aspectuelles : la télicité et la dynamicité. En particulier, les
auteurs observent que l’événement secondaire décrit par le PA doit être achevé avant que ne
commence l’événement principal dénoté par la phrase matrice (restriction sur la télicité) et
que l’état dénoté par le PA doit être le résultat d’un changement (restriction sur la
dynamicité).
Le PA est souvent introduit par l’expression ‘une fois’ qui est associée à la place
événementielle <e2>, qui accueille l’état résultant d’un changement d’état ou de lieu. Le
participe passé compatible avec le PA est donc associé à une interprétation d’état résultant et,
par conséquent, à la sélection de l’auxiliaire ‘être’21. Or, bien que Legendre et Sorace
observent qu’un prédicat pour être compatible avec le PA doit être télique, nous avons
remarqué dans la sous-section I.7.3. que l’interprétation télique est associée à deux places
événementielles <e1> et <e2>. Il s’ensuit que cette interprétation ne peut pas être compatible
avec le PA qui, au contraire, dénote un état résultant et donc est associé à la position
événementielle <e2>. En effet, l’expression ‘une fois’ n’est pas compatible avec l’adverbial
‘en x temps’ marquant une transition télique comme le montrent les exemples ci-dessous :
21
Dans la sous-section I.7.3., nous avons déjà observé que l’interprétation d’état résultant est associée à la
sélection de l’auxiliaire ‘être’.
173
CHAPITRE III
RÉSULTATIVITÉ ET ÉTAT RÉSULTANT
(78) a. *Une fois les pompiers arrivés en deux minutes, nous sortîmes de l’immeuble.
b. Une fois les pompiers arrivés, nous sortîmes de l’immeuble.
(79) a. *Une fois Marie arrivée en deux minutes, nous sortîmes.
b. Une fois Marie arrivée, nous sortîmes.
Les exemples en (78) et (79) montrent que le PA est compatible avec l’interprétation d’état
résultant et non pas avec l’interprétation télique22.
III.13.2. Le PA et l’état résultant :
Dans leur analyse, Legendre et Sorace distinguent entre participe absolu (PA) et participe
équi (PE). Or, la différence entre PA et PE réside, en particulier, dans la relation de
coréférence que le sujet de la phrase participiale établit avec celui de la phrase matrice. Dans
le PA, le sujet de la principale n’est pas co-indicé avec celui de la participiale, tandis que dans
le PE le sujet de la participiale établit une relation de coréférence avec le sujet de la
principale. Legendre et Sorace affirment qu’il y a aussi des différences aspectuelles entre les
deux constructions, en particulier, dans le PE, contrairement à ce qu’on observe dans le PA,
« Le temps de l’événement secondaire doit seulement chevaucher celui de l’événement
principal, et n’est pas le résultat d’un changement » (cf. Legendre et Sorace (2003 : 222223))23. Les exemples en (80) et (81), où le prédicat dénote un état ou la continuation d’un
état préexistant, sont des exemples de PE. Néanmoins l’adverbial aspectuel ‘une fois’ est
compatible avec ces constructions comme le montrent les exemples en (82) et (83) :
(80)
Assis au premier rang, les enfants ne quittaient pas la scène des yeux.
(Legendre et Sorace (2003 : 222 (54a)))
(81)
Restée/demeurée seule à la maison, Marie se mit à pleurer.
(Legendre et Sorace (2003 : 222 (54e)))
(82)
Une fois assis au premier rang, les enfants ne quittaient pas la scène des yeux.
(83)
Une fois restée/demeurée (seule) à la maison, Marie se mit à pleurer.
22
Je remercie Béatrice Lamiroy et Denis Creissels pour les exemples en (78) et (79).
Nous renvoyons le lecteur à Loporcaro (2003) pour plus de détails en ce qui concerne la distinction entre PA
et PE.
23
174
CHAPITRE III
RÉSULTATIVITÉ ET ÉTAT RÉSULTANT
Les exemples en (82) et (83) montrent que le PE peut, lui aussi, être compatible avec une
interprétation d’état résultant à condition qu’on puisse construire le prédicat comme
épisodique ( « stage-level » )24, c’est-à-dire comme dénotant une propriété susceptible de
changement. L’explicitation de l’expression ‘une fois’ déclenche, en effet, l’interprétation
d’état résultant d’un changement.
L’exemple (82) est donc grammatical et l’interprétation peut suggérer que ‘les enfants’
sont passés de la position debout à la position assise ou qu’ils ont glissé (sans se lever) de
leurs sièges du deuxième rang jusqu’aux sièges du premier rang ou encore qu’ils ont déplacé
leur fauteuil roulant du deuxième rang au premier rang, etc.
La phrase (83) est, elle aussi, grammaticale et son interprétation suggère que ‘Marie’ est
passée d’un état de non solitude ‘ne pas être seule’ à un état de solitude marqué par l’adjectif
‘seule’. La suppression de l’adjectif ‘seule’ en (83) ne change pas d’interprétation :
(84)
Une fois restée/demeurée à la maison, Marie se mit à pleurer.
L’exemple (84) suggère que ‘Marie’ est passée d’un état où elle était dans un lieu autre que la
maison à un état où elle était à la maison.
La compatibilité de l’expression ‘une fois’ avec des adjectifs, qui, notamment, expriment
des états, déclenche une interprétation d’état résultant. Donc, des phrases comme :
(85) a. Une fois (devenu) rouge/jaune/pâle/grand/gros/gras/maigre/mince/vieux, Jean….
b. Une fois (devenu) liquide, l’eau s’est déversée dans les champs.
sont grammaticales à condition qu’on puisse construire le prédicat comme dénotant une
propriété susceptible de changement et issue d’une transition. Dans ce cas, un participe passé
marquant la transition est sous-entendu. Il s’agit du participe passé du verbe devenir.
Dans les prochaines sous-sections, nous analyserons la compatibilité du PA avec
différents groupes de verbes. Nous verrons que la condition nécessaire pour qu’un participe
passé puisse être compatible avec un PA est qu’il soit associé à l’interprétation d’état résultant
et, corrélativement, à la sélection de l’auxiliaire ‘être’.
24
Nous renvoyons le lecteur à Kratzer (1995) pour une définition détaillée de état épisodique ou transitoire
( « stage-level » ) et état permanent ( « individual-level » ).
175
CHAPITRE III
RÉSULTATIVITÉ ET ÉTAT RÉSULTANT
III.13.2.1. Les verbes de changement d’état :
Comme nous l’avons observé dans les sections III.1. et III.2., l’interprétation résultative
est associée à l’auxiliaire ‘être’. Voici des exemples incluant des verbes de changement d’état
qui montrent qu’avec ces verbes l’interprétation résultative est associée à la sélection de
l’auxiliaire ‘être’ :
(86) a. Le chocolat *a/est fondu depuis une demi-heure.
(Résultatif)
Il cioccolato *ha/è fuso da mezzora.
b. Le papier mural *a/est jauni depuis lundi.
La carta da parati *ha/è ingiallita da lunedì.
c. Les murs *ont/sont noirci(s) depuis lundi.
I muri *hanno/sono anneriti da lunedì.
En français, ces verbes sont tous compatibles avec le PA comme le montrent les exemples cidessous :
(87) a. Une fois le chocolat fondu, le pâtissier a étalé la pâte pour le gâteau.
b. Une fois le papier mural jauni, les ouvriers l’ont remplacé.
c. Une fois les murs noircis, les ouvriers les ont repeints.
Certains verbes de changement d’état tels que grossir, maigrir et grandir, entre autres,
sélectionnent l’auxiliaire avoir :
(88)
Jean a/*est grossi/maigri/grandi.
Ces verbes ne sont donc pas compatibles avec une interprétation résultative, et, pas non plus
avec une construction participiale absolue comme le montrent les exemples suivants :
176
CHAPITRE III
RÉSULTATIVITÉ ET ÉTAT RÉSULTANT
(89)
Jean a grossi/maigri/grandi depuis deux mois.
(Résultatif : *)(Perfectif : √)
(90) a. *Une fois grossi, nous ne l’avons pas reconnu.
b. *Une fois maigri, nous ne l’avons pas reconnu.
c. *Une fois grandi, nous ne l’avons pas reconnu.
Le comportement des verbes grossir, maigrir et grandir face au PA ne nous surprend pas vu
que dans la section précédente nous avons défini le PA comme une construction compatible
avec l’interprétation d’état résultant, laquelle est à son tour liée à la sélection de l’auxiliaire
‘être’.
Les verbes de changement d’état italiens correspondant aux verbes de changement d’état
français analysés ci-dessus sont tous compatibles avec le PA car ils sélectionnent tous
l’auxiliaire essere :
(91) a. Una volta fuso il cioccolato, il pasticcere ha steso la pasta per il dolce.
(= (87a))
b. Una volta ingiallita la carta da parati, gli operai l’hanno sostituita.
(= (87b))
c. Una volta anneriti i muri, gli operai li hanno ridipinti.
(= (87c))
d. Una volta ingrassato, non lo riconoscemmo.
(= (90a))
e. Una volta dimagrito, non lo riconoscemmo.
(= (90b))
f. Una volta cresciuto, non lo riconoscemmo.
(= (90c))
III.13.2.2. Les verbes de changement de lieu ‘arriver’, ‘partir’, sortir’, ‘entrer’, ‘tomber’,
‘venir’ et ‘aller’ :
Les verbes de changement de lieu ‘arriver’, ‘partir’, ‘sortir’, ‘entrer’, ‘tomber’ et ‘venir’
sont tous compatibles avec un PA. Ils sélectionnent l’auxiliaire ‘être’ dans les deux langues et
ils sont compatibles avec une interprétation d’état résultant :
177
CHAPITRE III
RÉSULTATIVITÉ ET ÉTAT RÉSULTANT
(92) a. Une fois Jean arrivé/parti/sorti/entré/tombé/venu, nous sortîmes.
b. Una volta arrivato/partito/uscito/entrato/caduto/venuto Gianni, uscimmo.
Contrairement aux verbes ‘arriver’, ‘partir’, ‘sortir’, ‘entrer’, ‘tomber’ et ‘venir’, le verbe
‘aller’ n’est pas intrinsèquement télique et afin d’être accepté dans un PA il est nécessaire que
le point final de la transition télique soit explicité :
(93) a. *Une fois les parents allés, nous nous précipitions sur la télé pour regarder les
programmes qu’ils nous interdisaient de voir.
b. *Una volta andati i genitori, ci precipitavamo davanti alla televisione per guardare i
programmi che ci impedivano di vedere.
(94) a. Une fois les parents allés à la messe, nous nous précipitions sur la télé pour regarder
les programmes qu’ils nous interdisaient de voir.
b. Una volta andati a messa i genitori, ci precipitavamo davanti alla televisione per
guardare i programmi che ci impedivano di vedere.
Dans la section III.6., nous avons observé que le verbe ‘aller’ n’est pas compatible avec
l’interprétation d’état résultant. Par ailleurs, dans la sous-section III.13.2., nous avons supposé
que le PA est compatible avec les participes passés associés à une interprétation d’état
résultant. La compatibilité du verbe ‘aller’ avec le PA (cf. aussi la sous-section I.16.1.)
semble donc être déclenchée par la sélection de l’auxiliaire ‘être’ associé à une interprétation
particulière du participe passé ‘allé’ qui est réinterprété comme ‘parti’ (cf. Une fois les
parents allés à la messe, […]
Une fois les parents partis pour aller à la messe, […])25.
La télicité compositionnelle du verbe ‘aller’ semble donc être une facteur secondaire
pour l’acceptabilité de ce verbe dans le PA.
Le verbe courir analysé dans la prochaine sous-section nous montre, lui aussi, que la
télicité compositionnelle n’est pas une condition suffisante pour qu’un verbe soit compatible
avec le PA.
25
Je remercie Marie-Christine Jamet (c.p.) pour cette observation et pour les exemples en (93a) et (94a).
Marie-Christine Jamet (c.p.) me fait observer aussi que la grammaticalité d’une phrase comme celle en (ia) est
discutable. Toutefois, si le participe passé du verbe ‘aller’ est réinterprété comme le participe passé du verbe
‘partir’, alors la phrase est tout à fait acceptable :
(i)
a. ?Une fois Marie allée en Angleterre, nous partîmes pour l’Irlande.
(ii)
b. Une fois Marie allée (= partie pour aller) en Angleterre, nous partîmes pour l’Irlande.
178
CHAPITRE III
RÉSULTATIVITÉ ET ÉTAT RÉSULTANT
III.13.2.3. Le verbe ‘accourir’ vs. le verbe ‘courir’ :
Le verbe accourir est formé sur la base du verbe de mode de mouvement courir au
moyen du préfixe a- qui exprime la direction du déplacement. Contrairement au verbe courir,
le verbe accourir est compatible avec le PA :
(95)
*Une fois Jean couru à la maison, nous sortîmes.
(96)
Une fois les pompiers accourus (dans la cour de l’immeuble/Place de la
République), nous sortîmes de l’immeuble.
(Jean-Yves Pollock (c.p.))
Dans la sous-section II.6.1., nous avons vu que le verbe accourir peut sélectionner les deux
auxiliaires. Nous supposons que la compatibilité du verbe accourir avec le PA est liée à la
sélection de l’auxiliaire être et qu’en (96) le préfixe a- est associé au trait [+But]26. Le verbe
courir, en revanche, sélectionne seulement l’auxiliaire avoir (cf. les sections II.6.2. et II.7.) et
le contexte télique dans lequel il peut apparaître ne le rend pas compatible avec le PA :
(97)
Jean a couru à (= jusqu’à) la maison en deux minutes.
(98)
*Une fois Jean couru à la maison, nous sortîmes.
Ces exemples nous confirment encore une fois que la compatibilité avec le PA est
nécessairement liée à la sélection de l’auxiliaire être.
26
Le verbe accourir tout comme le verbe accorrere est incompatible avec l’interprétation résultative (MarieChristine Jamet (c.p.)) :
(i)
a. *Jean est accouru depuis deux heures/hier.
b. *Gianni è accorso da due ore/ieri.
(ii)
a. *Jean est accouru à Rome depuis deux jours/hier.
b. *Gianni è accorso a Roma da due giorni/ieri.
Il s’ensuit donc que le participe passé du verbe ‘accourir’ est incompatible avec l’interprétation d’état résultant :
(iii)
a. Jean est accouru.
(État Résultant : *) (Perfectif : √)
b. Gianni è accorso.
(État Résultant : *) (Perfectif : √)
Toutefois, étant donné que le verbe ‘accourir’ est compatible avec le PA et que la condition nécessaire pour
apparaître dans le PA est la compatibilité avec l’interprétation d’état résultant, nous sommes conduite à supposer
que dans la construction participiale absolue le participe passé du verbe ‘accourir’ doit être réinterprété.
Autrement dit, nous supposons que les participes passés accourus en (96) et accorsi en (102) correspondent
sémantiquement à l’expression ‘arrivés en courant’. Le verbe ‘arriver’, tout comme le verbe ‘accourir’, est
intrinsèquement télique mais seulement le verbe ‘arriver’ est compatible avec l’interprétation d’état résultant.
Étant donné que notre analyse vise à montrer que le PA est compatible seulement avec l’interprétation d’état
résultant, il s’ensuit que le verbe ‘accourir’ est compatible avec le PA seulement s’il est implicitement interprété
comme ‘arriver en courant’.
179
CHAPITRE III
RÉSULTATIVITÉ ET ÉTAT RÉSULTANT
En italien, le verbe correre sélectionne aussi bien l’auxiliaire avere que l’auxiliaire
essere (cf. la section II.7.). Il est compatible avec le PA pourvu que le But du mouvement soit
explicité :
(99)
Una volta corsa *(a casa) Maria, uscimmo.
Lit. Une fois courue à maison Marie, (nous) sortîmes
Dans la section II.7., nous avons remarqué que le verbe correre, lorsqu’il sélectionne
l’auxiliaire essere, est associé à une interprétation télique et que, dans ce cas, le But de la
transition doit être explicitement exprimé pour que la phrase soit grammaticale. Étant donné
qu’aussi dans le PA (cf. (99)), le But doit être explicitement exprimé, nous supposons que le
participe passé du verbe correre compatible avec le PA est celui qui est associé à la sélection
de l’auxiliaire essere. Or, le participe passé du verbe correre n’est pas compatible avec
l’interprétation d’état résultant contrairement au participe passé des verbes ‘arriver’, ‘partir’,
‘sortir’, ‘entrer’, ‘tomber’, ‘venir’, ‘monter’ et ‘descendre’ (cf. les sous- sections III.13.2.2. et
III.13.2.4.) :
(100)
*Gianni è corso.
(État Résultant : *)
(101)
Gianni è arrivato/partito/uscito/entrato/caduto/venuto/salito/sceso.
(État Résultant : √)
Il s’ensuit donc que la sélection de l’auxiliaire essere par le verbe correre n’est pas une
condition suffisante pour être compatible avec l’interprétation d’état résultant. De même que
le participe passé du verbe ‘aller’ n’est pas compatible avec l’interprétation d’état résultant, le
participe passé du verbe correre n’est pas non plus compatible avec cette interprétation. À
partir de cette observation, nous supposons que le participe passé du verbe correre en (99)
doit être réinterprété. En particulier, nous supposons que le participe passé corsa en (99) est
réinterprété comme ‘arrivée à la maison en courant’ (voir à ce propos aussi les exemples (93)
et (94) et l’analyse que nous avons proposée pour le participe passé du verbe ‘aller’
compatible avec le PA).
En ce qui concerne le verbe accorrere, il sélectionne l’auxiliaire essere (cf. la section
II.6.). Il s’ensuit donc qu’il est compatible avec le PA :
180
CHAPITRE III
RÉSULTATIVITÉ ET ÉTAT RÉSULTANT
(102)
Una volta accorsi i pompieri (in Piazza della Repubblica), uscimmo dal palazzo. (=
(96))
III.13.2.4. Les verbes ‘monter’ et ‘descendre’ :
L’incompatibilité du verbe courir avec le PA en (98) nous montre que la télicité
compositionnelle n’est pas une condition suffisante pour apparaître dans le PA. Or, les verbes
‘monter’ et ‘descendre’, qui sont compositionnellement téliques (cf. la section II.3.),
sélectionnent l’auxiliaire ‘être’ et ils sont compatibles avec le PA :
(103) a. Une fois Jean monté/descendu, nous sortîmes.
b. Una volta salito/sceso Gianni, uscimmo.
Tout au long de la deuxième partie de ce chapitre, nous avons soutenu que le PA est une
construction compatible avec l’interprétation d’état résultant associée à la sélection de
l’auxiliaire ‘être’. Considérons les exemples suivants :
(104) a. Jean est monté/descendu depuis trente minutes.
b. Gianni è salito/sceso da trenta minuti.
Étant donné que l’état résultant est la condition nécessaire pour déclencher une interprétation
résultative (cf. la section III.1.), la compatibilité des verbes ‘monter’ et ‘descendre’ avec
l’adverbial ‘depuis x temps’, marqueur de la résultativité, prouve leur compatibilité avec
l’interprétation d’état résultant. Il s’ensuit donc que ces verbes sont compatibles avec le PA :
(105) a. Une fois Marie montée (=en haut)/Marie descendue (=en bas), nous sortîmes.
b. Una volta salita (=su) Maria/scesa (= giù) Maria, uscimmo.
La compatibilité des adverbes ‘en haut’ et ‘en bas’ avec le PA montre que ces adverbes sont
compatibles avec l’interprétation d’état résultant comme nous l’avons déjà observé dans la
sous-section II.5.1. :
181
CHAPITRE III
RÉSULTATIVITÉ ET ÉTAT RÉSULTANT
(106) a. Une fois (Marie montée) en haut/(Marie descendue) en bas, nous sortîmes.
b. Una volta (salita Maria) su/(scesa Maria) giù, uscimmo.
III.13.2.5. Les verbes météorologiques :
Les verbes météorologiques en français (cf. la section II.14.) sélectionnent l’auxiliaire
avoir et ils sont incompatibles avec le PA :
(107)
*Une fois plu/neigé/grêlé, nous sortîmes.
En revanche, les verbes météorologiques italiens sélectionnent les deux auxiliaires et ils sont
compatibles avec cette construction :
(108)
Una volta piovuto (pioggia)/nevicato (neve)/grandinato (grandine), pro uscimmo.
Dans la sous-section III.10.2., nous avons observé que les verbes météorologiques piovere,
nevicare et grandinare quand ils sélectionnent l’auxiliaire essere sont compatibles avec
l’interprétation résultative pourvu que le SN dénotant l’état résultant de la précipitation
atmosphérique (pluie, neige, grêle) soit explicité. État donné que l’état résultant est la
condition nécessaire pour déclencher l’interprétation résultative (cf. la section III.1.) et que la
condition nécessaire pour apparaître dans un PA est la compatibilité avec une interprétation
d’état résultant, nous formulons l’hypothèse qu’en (108) chaque verbe sélectionne un objet
interne implicite dénotant l’état résultant de la précipitation atmosphérique. En outre, étant
donné que l’interprétation d’état résultant est liée à la sélection de l’auxiliaire ‘être’, nous
supposons qu’avec les verbes météorologiques italiens le participe passé compatible avec le
PA est celui associé à la sélection de l’auxiliaire essere.
III.13.2.6. Récapitulation :
Nous avons montré qu’en français et en italien la condition nécessaire pour apparaître
dans un PA est la sélection de l’auxiliaire ‘être’ associée à l’interprétation d’état résultant du
participe passé.
182
CHAPITRE III
RÉSULTATIVITÉ ET ÉTAT RÉSULTANT
Nous essayerons de montrer maintenant que le PA n’est pas un test fiable
d’inaccusativité.
III.14. Le PA n’est pas un test fiable d’inaccusativité :
Le PA est en général considéré comme un test fiable d’inaccusativité (cf. la sous-section
I.16.1.).
Legendre et Sorace (2003) considèrent le PA comme une construction télique qui est
donc seulement compatible avec des prédicats téliques. Dans la sous-section III.13.2. et dans
les sous-sections suivantes, nous avons soutenu que le PA est compatible seulement avec
l’interprétation d’état résultant associée à la place événementielle <e2> et à la sélection de
l’auxiliaire ‘être’. Autrement dit, nous avons posé qu’une condition autre que celle de la
télicité doit être satisfaite afin qu’un participe passé puisse apparaître dans un PA. Supposer
que la condition nécessaire pour apparaître dans un PA est la sélection de l’auxiliaire ‘être’
associée à l’interprétation d’état résultant, revient à considérer le PA comme un test non fiable
d’inaccusativité. Comme nous l’avons montré dans la sous-section I.7.3., les phrases
associées à l’interprétation d’état résultant sont interprétées en tant que phrases prédicatives. Il
s’ensuit donc que la construction participiale absolue ne nous dit rien sur le statut inaccusatif
ou inergatif des verbes intransitifs car le participe passé de ces verbes a été « dégradé » et
réinterprété comme un élément prédicatif :
(109) a. Une fois (Jean arrivé) là/à Rome, nous sortîmes.
b. Une fois (Jean parti) absent, nous sortîmes.
c. Une fois (Jean monté) en haut, nous sortîmes.
d. Une fois (Jean descendu) en bas, nous sortîmes.
En résumé, après ces observations, nous croyons que le PA n’est pas un test fiable
d’inaccusativité. Dans la prochaine sous-section nous apporterons d’autres observations en
faveur de notre conclusion.
183
CHAPITRE III
RÉSULTATIVITÉ ET ÉTAT RÉSULTANT
III.14.1. L’analyse de Sorace et Legendre (2003) :
Sorace et Legendre (2003 : 220) considèrent le PA comme un test fiable d’inaccusativité.
En particulier, en ce qui concerne les verbes de changement d’état en français, elles observent
que certains sont compatibles avec le PA, tandis que d’autres ne le sont pas. Ceux qui sont
compatibles avec le PA sont considérés comme inaccusatifs (fondre, moisir, refroidir, etc.),
tandis que ceux qui ne le sont pas sont considérés comme inergatifs (rougir, pâlir, grandir,
etc.)27.
Sorace et Legendre (2003 : 222) observent, en outre, que le participe de tous les verbes
qui apparaissent dans le PA peut aussi apparaître dans une structure prédicative avec la copule
être qui dénote l’état résultant d’un changement ou d’un mouvement. En particulier, les
auteurs observent que pour certains verbes la forme prédicative est homophone de la forme du
passé composé : est parti, est monté, est mort, est resté, etc., tandis que pour tous les autres
verbes, la construction à copule est distincte de la forme du passé composé à cause de la
sélection de l’auxiliaire. Tel est le cas, par exemple, des verbes de changement d’état : est
fondu, est moisi, est refroidi, etc. Legendre et Sorace (2003 : 220) affirment aussi que « les
constructions participiales [définissent] plus de verbes comme inaccusatifs que ne le fait la
sélection de l’auxiliaire ». Autrement dit, selon les auteurs, les verbes de changement d’état
qui sélectionnent avoir et dont le participe peut apparaître dans une structure prédicative avec
la copule être sont inaccusatifs car compatibles avec le PA, tandis que les verbes qui
sélectionnent l’auxiliaire avoir mais qui sont exclus de la construction prédicative (*est
rougi/pali/grandi/couru, etc.) ne sont pas compatibles avec le PA et sont donc inergatifs.
Bref, sur la base de ces observations, Sorace et Legendre (2003 : 223) parviennent à la
conclusion que la possibilité d’apparaître dans une construction à copule est un test distinct du
test des constructions participiales mais qui confirme les prédictions de leur analyse. En effet,
seuls les verbes compatibles avec une construction à copule sont également compatibles avec
le PA. Étant donné que, selon Legendre et Sorace, le PA est un test d’inaccusativité, les
auteurs considèrent que le verbe fondre en (110) est inaccusatif :
27
Cf. Sorace et Legendre (2003 : 223) pour une liste plus détaillée de ces verbes.
184
CHAPITRE III
RÉSULTATIVITÉ ET ÉTAT RÉSULTANT
(110)
Le chocolat a fondu.
Toutefois, sur la base des données que nous avons analysées dans les sections ci-dessus, la
condition nécessaire pour apparaître dans le PA est la sélection de l’auxiliaire être associée à
une interprétation d’état résultant. Donc, selon notre hypothèse, le participe compatible avec
le PA est celui associé à la copule être :
(111)
Le chocolat est fondu.
et pas celui associé à l’auxiliaire avoir (cf. (110)). Autrement dit, c’est le participe passé
associé à l’interprétation d’état résultant et pas celui associé à l’interprétation perfective, qui
est compatible avec le PA. Il s’ensuit, comme nous l’avons remarqué dans la section
précédente, que le PA n’est pas un test d’inaccusativité car il n’est compatible qu’avec le
participe passé des constructions prédicatives sélectionnant la copule être.
III.15. Récapitulation :
Dans la deuxième partie de ce chapitre, nous avons montré que le PA est compatible avec
l’interprétation d’état résultant. Comme nous l’avons remarqué dans la sous-section I.7.3.,
lorsqu’il est associé à l’interprétation d’état résultant, le verbe ‘être’ est interprété comme une
copule est pas plus comme un verbe auxiliaire. Il s’ensuit donc que les participes passés des
verbes compatibles avec le PA sont réinterprétés comme des compléments prédicatifs et que
le PA n’est pas un test qui nous permet de distinguer entre verbes inaccusatifs et verbes
inergatifs.
III.16. Conclusion du chapitre :
Dans ce chapitre nous avons analysé en détail l’une des notions aspectuelles que nous
avons introduites au chapitre I, c’est-à-dire la résultativité et sa compatibilité vs.
incompatibilité avec certains verbes intransitifs sélectionnant l’auxiliaire ‘être’ et l’auxiliaire
‘avoir’. Nous avons aussi soutenu que l’interprétation résultative est solidaire de la notion
d’état résultant. L’analyse de l’adverbial ‘depuis x temps’ nous a permis de dégager les
facteurs syntaxiques et intonatifs qui permettent d’associer cet adverbial à une autre type
185
CHAPITRE III
RÉSULTATIVITÉ ET ÉTAT RÉSULTANT
d’interprétation, c’est-à-dire l’interprétation perfective. Enfin, nous avons soutenu que la
construction participiale absolue n’est pas compatible avec l’interprétation télique associée à
deux places événementielles (cf. Pustejovsky (1991)) mais, plutôt, qu’elle est compatible avec
l’interprétation d’état résultant associée à la place événementielle <e 2>. Corrélativement, nous
avons soutenu que le PA n’est pas un test fiable d’inaccusativité car le PA est associé à une
interprétation d’état résultant qui est compatible seulement avec des phrases prédicatives.
186
.
CHAPITRE IV.
CONSIDÉRATIONS SUR L’AKTIONSART DE CERTAINS
VERBES DE CHANGEMENT D’ÉTAT
Dans ce chapitre nous analyserons des propriétés de certains verbes de changement d’état
dans une perspective comparative français/italien. Nous introduirons d’abord la notion de se
anticausatif et, ensuite, nous décrirons la compatibilité de la forme intransitive réflexive de
ces verbes avec des contextes téliques et atéliques 1. Nous décrirons aussi la forme intransitive
non réflexive associée à ces verbes et sa compatibilité avec les mêmes contextes. La
compatibilité de ces verbes avec différents types de lectures nous conduira à formuler
l’hypothèse que la racine lexicale de ces verbes est sous-spécifiée par rapport à l’Aktionsart.
Dans la deuxième partie du chapitre, nous analyserons certains couples de verbes de
changement d’état dé-adjectivaux dont l’un est porteur d’un préfixe, alors que l’autre n’en a
pas. Nous verrons que dans ces couples de verbes le préfixe a une incidence sur
l’interprétation d’état résultant. Autrement dit, nous verrons que la forme préfixée est
compatible avec l’interprétation d’état résultant, tandis que la forme non préfixée ne l’est pas.
En revanche, nous verrons que le préfixe n’a pas d’incidence sur la compatibilité de ces
couples de verbes avec les interprétations télique et atélique car aussi bien la forme préfixée
que la forme non préfixée sont compatibles avec ces deux interprétations. Nous tenterons
aussi de donner une représentation syntaxique de la dérivation du préfixe à l’intérieur de la
structure syntaxique à double SV, élaborée d’abord par Larson (1988) et reprise ensuite par
Hale et Keyser (1993), en exploitant l’analyse de Di Sciullo (1996). Nous étendrons cette
analyse aussi à certains verbes dé-nominaux doués d’un préfixe et compatibles avec une
interprétation d’état résultant.
1
Le pronom clitique se est associé à plusieurs interprétations. On peut distinguer notamment le se anticausatif
(La neige s’est fondue), le se réfléchi (Marie s’est lavée), le se inhérent (s’asseoir), le se moyen (Ces livres se
vendent bien/Il se vend beaucoup de voitures ici), le se réciproque (se rencontrer).
187
CHAPITRE IV
CONSIDÉRATIONS SUR L’AKTIONSART DE CERTAINS VERBES DE CHANGEMENT D’ÉTAT
Première partie : observations sur la forme réflexive et sur la forme
intransitive des verbes de changement d’état
Labelle (1992) observe qu’en français les verbes de changement d’état se divisent en
trois classes. Il y a les verbes qui admettent aussi bien une forme réflexive se+être
(‘si+essere’) qu’une forme intransitive non réflexive sélectionnant l’auxiliaire avoir, ceux qui
admettent seulement la forme réflexive et ceux qui admettent seulement la forme intransitive
non réflexive. La même chose s’observe en italien (cf. Folli (2001)) :
(1)
a. Ce bâton d’encens s’est brûlé en une minute.
b. Questo bastone d’incenso si è bruciato in un minuto.
(2)
a. Ce bâton d’encens a brûlé.
b. √/?/*Questo bastone d’incenso ha bruciato2.
(3)
a. Les enfants se sont abêtis.
b. I bambini si sono instupiditi.
(4)
a. *Les enfants ont abêti.
b. *I bambini hanno instupidito.
(5)
a. *Le lait s’est bouilli.
b. *Il latte si è bollito.
(6)
a. Le lait a bouilli.
b. Il latte ha bollito.
Au niveau intuitif, les verbes de changement d’état partagent avec les verbes de changement
de lieu la notion de transition. Plus précisément, avec les verbes de changement de lieu
comme avec les verbes de changement d’état il y a une modification des coordonnées du
Thème entre le début et la fin du procès. Avec les verbes de changement de lieu la
modification implique un changement de localisation spatiale du Thème, tandis qu’avec les
verbes de changement d’état la modification implique un changement des propriétés
intrinsèques du Thème.
2
Nous renvoyons le lecteur à la sous-section IV.5.1. où nous verrons que l’interprétation perfective du verbe
bruciare est compatible avec l’auxiliaire avere mais que cet emploi n’est pas partagé par tous les locuteurs.
188
CHAPITRE IV
CONSIDÉRATIONS SUR L’AKTIONSART DE CERTAINS VERBES DE CHANGEMENT D’ÉTAT
Tout changement implique une transition à partir d’un point/état initial <e1> vers un
point/état final <e2> (cf. Pustejovsky (1991)). Grevisse (2004 : 1127) appelle les verbes qui
indiquent le passage dans un état (c’est-à-dire les verbes de changement d’état) verbes
inchoatifs (du latin inchoatum, supin du verbe latin inchoare ‘commencer, entreprendre’, à
partir du XIVè siècle l’adjectif s’applique à ce qui exprime une action commençante, une
progression) 3. Cette appellation a été utilisée par d’autres auteurs et grammairiens comme
Riegel et alii (2005 : 295), entre autres4.
Dans la section I.10., nous avons observé que l’alternance causative implique en
construction transitive (7) deux arguments dont l’un est la Cause et l’autre l’argument interne
affecté par le changement d’état. En revanche, dans la tournure intransitive (8) qui représente
le résultat du changement d’état, il ne reste que l’argument interne :
(7)
Le vent/Jean a cassé la fenêtre.
(8)
La fenêtre est cassée.
En français, tout comme en italien, la sémantique inchoative est corrélée (à la troisième
personne) à l’occurrence du clitique se (‘si’). Voici des exemples :
(9)
a. Le vent/Jean a cassé la fenêtre.
(transitif-causatif)
‘Il vento/Gianni ha rotto la finestra.’
b. La fenêtre s’est cassée.
(anticausatif)
‘La finestra si è rotta.’
c. La fenêtre est cassée.
(État Résultant)
‘La finestra è rotta.’
Certains verbes de changement d’état en français sont compatibles aussi avec une forme
intransitive non réflexive sélectionnant l’auxiliaire avoir. C’est le cas, par exemple, du verbe
casser (cf. aussi brûler en (1a) et (2a), entre autres) :
3
Rey, A., Dictionnaire historique de la langue française, Paris, Dictionnaires Le Robert, 2000, ad vocem.
Sur le sillon des primitifs de Jackendoff (1990), la sémantique inchoative correspond à la structure suivante :
(i)
[y BECOME [STATE]]
4
189
CHAPITRE IV
CONSIDÉRATIONS SUR L’AKTIONSART DE CERTAINS VERBES DE CHANGEMENT D’ÉTAT
(10) a. Le vent/Jean a cassé la planche.
b. La planche a cassé.
c. La planche est cassée.
La forme intransitive non réflexive en (10b) a, elle aussi, une sémantique inchoative car elle
indique le passage dans un état. S’il est vrai, au moment M1, que La planche a cassé, alors la
phrase La planche est cassée est vraie au moment M2. Autrement dit, le terme inchoatif
dénote un type d’interprétation et les verbes de changement d’état qui ont aussi bien une
forme intransitive qu’une forme réflexive sont compatibles avec une lecture inchoative dans
les deux formes.
La forme réflexive inchoative est généralement interprétée comme dénotant un
enchaînement transitionnel composé de trois phases différentes : CAUSE/DEVENIR/ÉTAT.
La première phase est celle de départ ou causative (cf. (9a)) ; la deuxième phase, que l’on
appelle aussi inchoative ou progressive (cf. (9b)), est la processive, qui dénote le déroulement
du changement ; la troisième phase dénote l’état résultant de la transition (cf. (9c)). La forme
intransitive non réflexive est, elle aussi, inchoative car elle implique bien les trois phases
(cause-événement-état résultant), (voir (10b)).
Dans la prochaine section, nous analyserons succinctement la notion d’anticausativité
associée aux verbes de changement d’état.
IV.1. La notion d’anticausativité (Reinhart et Siloni (2005)) :
Dans la section II.11., nous avons discuté l’analyse de Reinhart et Siloni (2005) qui
décomposent les rôles thématiques en traits binaires [±c] et [±m].
Plusieurs auteurs ont soutenu que la forme réflexive ‘se’ en (9b) est essentiellement un
marqueur de réduction de valence (Grimshaw (1982), Wehrli (1986), Zribi-Hertz (1987),
Reinhart et Siloni (2005)). En ce qui concerne la structure argumentale, la phrase (9b)
entraîne une réduction de valence (c’est-à-dire la suppression de la Cause) à partir de la
phrase (9a). Cette réduction de valence est appelé ‘changement anticausatif’ car, à partir d’une
phrase transitive-causative (cf. (9a)), on supprime l’argument Cause et l’on obtient une phrase
qui n’a pas d’argument causatif (cf. (9b))5. Nous avons déjà observé (cf. la section I.10.)
5
Le terme anticausatif n’est pas utilisé dans la grammaire traditionnelle, qui emploie, plutôt, le terme
‘inchoatif’. Le terme anticausatif est dû à l’école de typologie russe où il a été d’abord employé pour définir une
190
CHAPITRE IV
CONSIDÉRATIONS SUR L’AKTIONSART DE CERTAINS VERBES DE CHANGEMENT D’ÉTAT
qu’une phrase transitive-causative a deux arguments : un argument externe dont le rôle
thématique est celui de Cause et un argument interne qui correspond à l’objet affecté par le
changement. Dans l’optique de Reinhart et Siloni (2005), la phrase en (9b) est douée d’un
seul argument interne (l’objet affecté) qui occupe la position de sujet. Même si au niveau
syntaxique il y a une modification de la structure argumentale dès lors que l’argument externe
est supprimé6, certains auteurs (cf. Labelle (1992 : 395, note 15), Grimshaw (1982) et Wehrli
(1986), entre autres) soutiennent que la phrase anticausative inclut deux positions
thématiques : l’une représentée par le sujet et l’autre représentée par le ‘se’ anticausatif qui
absorbe le rôle thématique Cause. Autrement dit, selon ces auteurs, le ‘se’ anticausatif est la
marque morphologique de la Cause qui a déclenché le changement.
Reinhart et Siloni (2005 : 418) supposent que le thêta-rôle Cause est supprimé dans le
lexique et que l’incompatibilité du ‘se’ anticausatif avec des compléments instrumentaux
montre que le trait [+c], outre qu’il n’est pas projeté au niveau syntaxique, n’est pas
sémantiquement interprétable :
(11)
*La branche s’est cassée avec une hache.
(Reinhart et Siloni (2005 : 418 (66a)))
Cependant, il n’existe pas, vraisemblablement, une raison convaincante pour supposer que le
rôle Cause est supprimé et donc qu’il n’est pas sémantiquement interprétable à l’anticausatif.
L’inacceptabilité de l’instrumental dans l’exemple (11) prouve qu’il n’y a pas de rôle Agent
[+c, +m] mais cette inacceptabilité ne prouve pas qu’il n’y a pas de rôle Cause dans la phrase.
En fait, on peut avoir :
(12)
La branche s’est cassée sous l’effet de l’orage.
catégorie morphologique dont la fonction est celle de marquer la suppression de l’Agent ou de la Cause d’un
événement (cf. Haspelmath et Müller-Bardey (2004)). Les moyens formels dont une langue donnée se sert pour
marquer les changements de valence dépendent du caractère typologique de cette langue. Par exemple, dans une
langue agglutinante comme le turc et dans beaucoup de langues caucasiennes on emploie un affixe qui a comme
fonction celle de marquer la suppression de l’Agent ou de la Cause :
(i)
Anne-m kapi-yi aç-ti.
(Haspelmath et Müller-Bardey (2004 : 1133 (9a,b)))
Lit. mère-1SG porte-ACC ouvert-PASSÉ(3SG)
Ma mère a ouvert la porte.
(ii)
Kapi aç-il-di.
Lit. porte ouvert-ANTIC-PASSÉ(3SG)
La porte s’est ouverte.
6
Noter que ce qui est supprimé est l’argument externe et pas la position syntaxique du sujet qui est remplie par
le sujet dérivé.
191
CHAPITRE IV
CONSIDÉRATIONS SUR L’AKTIONSART DE CERTAINS VERBES DE CHANGEMENT D’ÉTAT
où la Cause [+c, -m] est explicitée.
Si, comme le supposent Reinhart et Siloni, le pronom ‘se’ en (9b) est un marqueur de
réduction de valence, son incompatibilité avec les verbes de changement de lieu tels que
‘arriver’, ‘partir’, ‘entrer’, ‘sortir’, ‘tomber’, ‘venir’ et ‘aller’ ne nous surprend pas. Ces
verbes sont définis comme inaccusatifs en littérature (cf. la section I.16.), c’est-à-dire comme
des verbes sélectionnant un seul argument (interne). L’emploi de ‘se’, en tant que marqueur
de réduction de valence, est donc incompatible avec ces verbes qui disposent d’un seul
argument (interne) :
(13) a. *Jean s’est arrivé/parti/entré/sorti/tombé/venu/allé chez elle.
b. *Gianni si è arrivato/partito/entrato/uscito/caduto/venuto/andato a casa sua.
Les verbes inergatifs présentent la même incompatibilité avec l’anticausatif car ils ont un seul
argument externe7 :
(14) a. *Jean s’est dormi/couru/etc.
b. *Gianni si è dormito/corso/ecc.
7
Autrement dit, les verbes inaccusatifs et inergatifs sont incompatibles avec l’anticausatif dans la mesure où ces
verbes n’ont pas d’emploi transitif, donc ils ne sélectionnent pas à fortiori deux arguments dont l’un serait le
sujet causatif :
(i)
*La fatigue a dormi Pierre.
(ii)
*Jean a arrivé/parti Pierre.
192
CHAPITRE IV
CONSIDÉRATIONS SUR L’AKTIONSART DE CERTAINS VERBES DE CHANGEMENT D’ÉTAT
IV.2. La construction CRE (Zribi-Hertz (1987)) :
Zribi-Hertz (1987 : 45) observe que la forme anticausative s’inscrit dans un mécanisme
productif qu’elle appelle ‘construction réflexive ergative’ (CRE) et qu’on peut schématiser de
la manière suivante :
(15)
a.
SN0
CAUSE
V
SN1
THEME
CRE : SN1 se V
b.
EF (état final) : SN1 être XV
(XV = participe passé accompli ou adjectif radical)
Le schéma ci-dessus montre que pour que la CRE soit légitimée, le paradigme a. et b. doit être
satisfait. Autrement dit, le ‘se’ anticausatif déclenche un changement de valence à partir d’une
phrase transitive-causative comme l’ont montré Reinhart et Siloni (2005) mais il est soumis
aussi à une autre contrainte : celle de l’état final (EF).
Voici deux exemples tirés de Zribi-Hertz (1987) où la CRE est productive :
(16) a. (CAUSATIF) L’humidité a rouillé le métal.
(Zribi-Hertz (1987 : 42))
b. (CRE) Le métal s’est rouillé (sous l’effet de l’humidité).
c. (EF) Le métal est (très) rouillé.
(17) a. (CAUSATIF) La télé a abêti Marie.
(Zribi-Hertz (1987 : 43))
b. (CRE) Marie s’est abêtie.
c. (EF) Marie est (plus) bête.
193
CHAPITRE IV
CONSIDÉRATIONS SUR L’AKTIONSART DE CERTAINS VERBES DE CHANGEMENT D’ÉTAT
Considérons maintenant les exemples suivants tirés de (Zribi-Hertz (1987 : 44)) :
(18) a. (CAUSATIF) Ceci vieillit/grandit/grossit/maigrit/rapetisse/pâlit Marie.
b. (CRE) *Marie se vieillit/grandit/grossit/maigrit/rapetisse/pâlit 8.
c. (≠EF) Marie est (plus) vieille/grande/grosse/maigre/petite/pâle.
Les verbes dé-adjectivaux vieillir, grandir, grossir, maigrir, rapetisser et pâlir dénotent un
changement d’état. Néanmoins, ils ne sont pas compatibles avec la CRE car, comme l’a
observé Zribi-Hertz (1987 : 45), ils ne dénotent pas un changement d’état intrinsèque de leur
objet thématique9. Cela nous montre que les contraintes sur l’acceptabilité de la CRE ne sont
pas seulement de nature syntaxique (cf. le paradigme a. et b.) mais aussi de nature
sémantique. En (18), les conditions sémantiques pour obtenir la CRE ne sont pas satisfaites,
donc la CRE est exclue.
IV.3. La compatibilité de la forme réflexive et de la forme intransitive des verbes de
changement d’état avec le paramètre de l’(a)télicité :
Dans l’introduction à la première partie du chapitre, nous avons remarqué que la forme
intransitive réflexive des verbes de changement d’état est associée à une interprétation
inchoative dénotant la deuxième phase d’un enchaînement transitionnel composé de trois
phases différentes (CAUSE/DEVENIR/ÉTAT). La forme intransitive réflexive des verbes de
changement d’état est en général décrite comme une forme dénotant un processus conduisant
à un terme. Cette forme implique donc une idée d’aboutissement et elle est associée
généralement à une interprétation télique. Toutefois, dans beaucoup de cas, cette forme peut
être associée aussi à un contexte atélique. Labelle (1992 : 395-396) observe, par exemple, que
les formes réflexive et non réflexive du verbe casser sont l’une et l’autre compatibles avec la
périphrase verbale progressive ‘être en train de’ :
8
Comme le remarque Zribi-Hertz (1987 : 44, note 33), les formes réflexives sont acceptables dans une lecture
réfléchie à sujet agentif mais pas en tant que phrases dérivées d’une construction transitive-causative.
9
Comme me l’a fait observer Anne Zribi-Hertz (c.p.), la phrase :
(i)
Ce chapeau vieillit Marie.
signifie que le chapeau fait paraître Marie plus vieille, mais pas qu’il la fait devenir plus vieille. Autrement dit, la
phrase (i) signifie que le chapeau rend Marie plus vieille aux yeux du locuteur, mais pas que le chapeau la rend
objectivement plus vieille.
194
CHAPITRE IV
CONSIDÉRATIONS SUR L’AKTIONSART DE CERTAINS VERBES DE CHANGEMENT D’ÉTAT
(19)
La branche est en train de casser.
(20)
La branche est en train de se casser.
(Labelle (1992 : 396 (46a,b)))
Ce fait s’observe avec d’autres formes réflexives des verbes de changement d’état :
(21)
Marie est en train de s’abêtir.
(22)
?La neige est en train de se fondre 10.
La périphrase progressive ‘être en train de’ est aspectuellement imperfective comme
l’adverbial peu à peu et l’adverbial atélique ‘pendant x temps’ qui sont, eux aussi,
compatibles avec la forme intransitive réflexive :
(23) a. Le métal rouille peu à peu.
(Labelle (1992 : 396 (46c,d,e,f)))
b. Le métal se rouille peu à peu.
(24) a. Tous les jours ses pieds gonflaient pendant quelques heures.
b. À chaque expiration, le ballon se gonflait pendant quelques secondes.
La forme réflexive des verbes de changement d’état ne semble donc pas être catégoriquement
liée à l’aspect télique et sa compatibilité avec des adverbes aspectuellement imperfectifs
confirme cette observation.
Dans l’optique de Pustejovsky (1991), l’adverbial ‘en x temps’ dénote une transition
d’un état initial <e1> vers un état final <e2>. Néanmoins, si l’adverbial ‘en x temps’ est
toujours compatible avec la forme réflexive, l’adverbial ‘pendant x temps’ est contraint.
Quelle est donc la raison qui permet à l’adverbial ‘en x temps’, par rapport à l’adverbial
‘pendant x temps’, d’être toujours compatible avec cette forme ? Le mécanisme productif de
la CRE élaboré par Zribi-Hertz (1987) (cf. la section IV.2.) semble révélateur à ce propos.
Zribi-Hertz observe que la CRE est possible si l’on satisfait deux conditions. Ce qui nous
concerne ici n’est que la condition b. sur l’état final (EF). Selon l’analyse de Zribi-Hertz, afin
d’obtenir une CRE, il faut, entre autres, que l’objet qui subit le changement soit
intrinsèquement affecté par ce changement (condition b.). L’adverbial télique ‘en x temps’ est
donc compatible avec la CRE car il dénote l’intervalle temporel qui conduit à l’aboutissement
10
Comme me l’a fait observer Anne Zribi-Hertz (c.p.), la phrase (22) est nettement moins optimale que (21) car
‘fondre’ (non réflexif) est disponible en (22) pour la lecture atélique :
(i)
La neige est en train de fondre.
195
CHAPITRE IV
CONSIDÉRATIONS SUR L’AKTIONSART DE CERTAINS VERBES DE CHANGEMENT D’ÉTAT
de l’état final du changement d’état. En revanche, l’adverbial atélique ‘pendant x temps’
n’implique pas qu’à la fin de l’intervalle temporel on aboutisse à l’état final du changement
d’état. Il donne donc lieu à des contraintes lorsqu’il est employé avec la forme réflexive.
Voici des exemples où la compatibilité de la forme réflexive avec l’adverbial ‘pendant x
temps’ est plus ou moins douteuse selon le type de verbe employé :
196
CHAPITRE IV
CONSIDÉRATIONS SUR L’AKTIONSART DE CERTAINS VERBES DE CHANGEMENT D’ÉTAT
(25)
FRANÇAIS
ITALIEN
La neige s’est fondue en deux heures.
La neve si è fusa in due ore.
√/?/*La neige s’est fondue pendant deux heures.
√/?La neve si è fusa per due ore.
La viande s’est cuite en deux heures.
La carne si è cotta in due ore.
√/?/*La viande s’est cuite pendant deux heures.
√/?La carne si è cotta per due ore.
Le bâton d’encens s’est brûlé en deux heures.
Il bastone d’incenso si è bruciato in due ore.
√/?/*Le bâton s’est brûlé pendant deux heures.
√/?Il bastone d’incenso si è bruciato per due
ore.
Le lac s’est gelé en deux jours.
Il lago si è gelato in due giorni.
√/?/*Le lac s’est gelé pendant deux jours.
√/?Il lago si è gelato per due giorni.
La cire s’est durcie en deux heures.
La cera si è indurita in due ore.
√/?/*La cire s’est durcie pendant deux minutes.
La cera si è indurita per due ore.
L’eau s’est jaunie en deux minutes.
L’acqua si è ingiallita in due minuti.
√/?/*L’eau s’est jaunie pendant deux minutes.
L’acqua si è ingiallita per due minuti.
Le riz s’est refroidi en cinq minutes.
Il riso si è raffreddato in cinque minuti.
√/?/*Le riz s’est refroidi pendant cinq minutes.
Il riso si è raffreddato per cinque minuti.
Le riz s’est réchauffé en cinq minutes.
Il riso si è riscaldato in cinque minuti.
√/?/*Le riz s’est réchauffé pendant cinq minutes.
Il riso si è riscaldato per cinque minuti.
La baignoire s’est remplie en deux heures.
La vasca si è riempita in due ore.
La baignoire s’est remplie pendant deux heures.
La vasca si è riempita per due ore.
Le trou s’est élargi en une minute.
Il buco si è allargato in un minuto.
Le trou s’est élargi pendant une minute.
Il buco si è allargato per un minuto.
*L’eau s’est bouillie en deux minutes.
*L’acqua si è bollita in due minuti.
*L’eau s’est bouillies pendant deux minutes.
*L’acqua si è bollita per due minuti.
La situation s’est améliorée en deux mois.
*La situazione si è migliorata in due mesi.
La situation s’est améliorée pendant deux mois.
*La situazione si è migliorata per due mesi.
La branche s’est cassée en deux minutes.
Il ramo si è rotto in due minuti.
*La branche s’est cassée pendant deux minutes.
*Il ramo si è rotto per due minuti.
197
CHAPITRE IV
CONSIDÉRATIONS SUR L’AKTIONSART DE CERTAINS VERBES DE CHANGEMENT D’ÉTAT
Les exemples du tableau (25) nous montrent que la forme intransitive réflexive de certains
verbes de changement d’état est compatible aussi bien avec un contexte télique qu’avec un
contexte atélique. Cette variabilité dans l’interprétation semble être inhérente au radical
lexical. Autrement dit, il semble que les verbes qui sont compatibles avec les deux
interprétations soient ambigus au niveau aspectuel. Dans le tableau (25), le cas extrême est
représenté par le verbe ponctuel ‘casser’ qui, en tant que verbe intrinsèquement télique
dénotant un achèvement, n’est compatible ni en français ni en italien avec l’adverbial atélique
‘pendant x temps’. L’autre exception est représentée par le verbe ‘bouillir’ qui ne sélectionne
pas de forme intransitive réflexive, ni en français ni en italien, et par le verbe ‘s’améliorer’ qui
sélectionne la forme intransitive réflexive en français mais pas en italien.
Contrairement au tableau (25), en (26), les verbes sont employés à la forme intransitive
non réflexive. Comme le montre le tableau (26), la forme intransitive non réflexive de certains
verbes de changement d’état (là où elle existe) est compatible aussi bien avec un contexte
télique qu’avec un contexte atélique :
198
CHAPITRE IV
CONSIDÉRATIONS SUR L’AKTIONSART DE CERTAINS VERBES DE CHANGEMENT D’ÉTAT
(26)
FRANÇAIS
ITALIEN
√/?/*La neige a fondu en deux heures.
?/*La neve ha fuso in due ore.
La neige a fondu pendant deux heures.
√/?/*La neve ha fuso per due ore.
√/?/*La viande a cuit en deux heures.
?/*La carne ha cotto in due ore.
La viande a cuit pendant deux heures.
√/?/*La carne ha cotto per due ore.
√/?/*Le bâton d’encens a brûlé en deux heures.
?/*Il bastone d’incenso ha bruciato in due ore.
Le bâton d’encens a brûlé pendant deux heures.
√/?/*Il bastone d’incenso ha bruciato per due ore.
√/?/*Le lac a gelé en deux jours.
?/*Il lago ha gelato in due giorni.
Le lac a gelé pendant deux jours.
√/?/*Il lago ha gelato per due giorni.
√/?/*La cire a durci en deux heures.
*La cera ha indurito in due ore.
La cire a durci pendant deux minutes.
*La cera ha indurito per due ore.
√/?/*L’eau a jauni en deux minutes.
L’acqua *ha ingiallito/è ingiallita in due minuti.
L’eau a jauni pendant deux minutes.
L’acqua *ha ingiallito/è ingiallita per due minuti.
√/?/*Le riz a refroidi en cinq minutes.
*Il riso ha raffreddato in cinque minuti.
Le riz a refroidi pendant cinq minutes.
*Il riso ha raffreddato per cinque minuti.
√/?/*Le riz a réchauffé en cinq minutes.
*Il riso ha riscaldato in cinque minuti.
Le riz a réchauffé pendant cinq minutes.
*Il riso ha riscaldato per cinque minuti.
*La baignoire a rempli en deux heures.
*La vasca ha riempito in due ore.
*La baignoire a rempli pendant deux heures.
*La vasca ha riempito per due ore.
*Le trou a élargi en une minute.
*Il buco ha allargato in un minuto.
*Le trou a élargi pendant une minute.
*Il buco ha allargato per un minuto.
L’eau a bouilli en deux minutes.
L’acqua ?è bollita/ ?/*ha bollito in due minuti.
L’eau a bouilli pendant deux minutes.
L’acqua ?/*è bollita/ha bollito per due minuti.
*La situation a amélioré en deux mois.
La situazione *ha migliorato/è migliorata in due mesi.
*La situation a amélioré pendant deux mois.
La situazione *ha migliorato/è migliorata per due mesi.
√/?/*La branche a cassé en deux minutes.
*Il ramo ha rotto in due minuti.
*La branche a cassé pendant deux minutes.
*Il ramo ha rotto per due minuti.
199
CHAPITRE IV
CONSIDÉRATIONS SUR L’AKTIONSART DE CERTAINS VERBES DE CHANGEMENT D’ÉTAT
La comparaison des tableaux (25) et (26) nous montre qu’en français chaque fois qu’on a le
choix entre la forme intransitive réflexive en se+être et la forme intransitive non réflexive
sélectionnant l’auxiliaire avoir, la forme intransitive réflexive est plutôt compatible avec un
contexte télique, tandis que la forme intransitive non réflexive est plutôt compatible avec un
contexte atélique. C’est le cas des verbes fondre, cuire, brûler, geler, durcir, jaunir, refroidir
et réchauffer. Lorsque la forme intransitive non réflexive n’est pas disponible, la compatibilité
de la forme intransitive en se avec les lectures télique et atélique ne pose pas de contraintes
(comparer les données concernant les verbes s’élargir, se remplir et s’améliorer dans les
tableaux (25) et (26)). On observe la même chose lorsque la forme non disponible est celle
intransitive réflexive (cf. le verbe bouillir). L’idée de l’ambiguïté aspectuelle inhérente au
radical lexical des verbes des tableaux (25) et (26) (exception faite pour le verbe ‘casser’)
n’est pas en conflit avec l’idée que la forme intransitive réflexive en se+être favorise une
lecture télique, tandis que la forme intransitive non réflexive à auxiliaire avoir favorise une
lecture atélique (là où les deux formes sont disponibles).
En ce qui concerne l’italien, les tableaux (25) et (26) nous montrent que les verbes
fondere, cuocere, bruciare et gelare sélectionnent la forme intransitive réflexive en si+essere,
tandis que la forme intransitive non réflexive sélectionnant l’auxiliaire avere est difficilement
acceptable. Il s’ensuit donc qu’avec ces verbes la forme en si+essere est compatible aussi bien
avec un contexte télique qu’avec un contexte atélique, tandis que la forme intransitive
sélectionnant l’auxiliaire avere est difficilement compatible avec une lecture télique mais elle
est marginalement compatible avec une lecture atélique. En revanche, le verbe indurire
sélectionne seulement la forme intransitive réflexive, qui est donc compatible aussi bien avec
une lecture télique qu’avec une lecture atélique. On observe la même chose avec les verbes
raffreddare, riscaldare, riempire et allargare. Le verbe rompere sélectionne, lui aussi,
seulement la forme intransitive réflexive mais, en tant que verbe intrinsèquement télique, il
est compatible seulement avec une lecture télique. Tout comme en français, en italien aussi, le
verbe bollire sélectionne seulement la forme intransitive non réflexive, qui est donc
compatible avec les deux lectures (télique et atélique). Toutefois, en italien la forme
intransitive non réflexive du verbe bollire sélectionne aussi bien l’auxiliaire avere que
l’auxiliaire essere. Il s’ensuit donc que la forme en avere est compatible plutôt avec un
contexte atélique, tandis que la forme en essere est compatible plutôt avec un contexte télique.
Contrairement au français, en italien, le verbe migliorare sélectionne la forme intransitive non
200
CHAPITRE IV
CONSIDÉRATIONS SUR L’AKTIONSART DE CERTAINS VERBES DE CHANGEMENT D’ÉTAT
réflexive à auxiliaire essere, qui est donc compatible aussi bien avec la lecture télique qu’avec
la lecture atélique. Pour ce qui concerne le verbe ingiallire, il sélectionne aussi bien une forme
intransitive réflexive en se+essere qu’une forme intransitive non réflexive sélectionnant
l’auxiliaire essere. Les deux formes sont compatibles aussi bien avec une lecture télique
qu’avec une lecture atélique. Comme nous l’avons affirmé au début de notre analyse, le
contenu lexical de la plupart des verbes de changement d’état est à priori compatible avec des
lectures téliques et atéliques mais, comme nous l’avons observé au cours de cette description,
les auxiliaires ‘être’ et ‘avoir’ ont une incidence sur l’aspect de sorte que l’auxiliaire ‘être’
favorise une lecture télique, tandis que l’auxiliaire ‘avoir’ favorise une lecture atélique.
Néanmoins, comme nous l’avons observé, si seulement un des deux auxiliaires est
sélectionné, celui-ci sera compatible avec les deux lectures. Le verbe ingiallire sélectionne
seulement l’auxiliaire essere, qu’il soit associé à une forme intransitive réflexive ou bien à
une forme intransitive non réflexive. Il s’ensuit donc qu’avec le verbe ingiallire les deux
formes sélectionnant l’auxiliaire essere sont compatibles avec les deux lectures (télique et
atélique). Le verbe ingiallire, tout comme le verbe migliorare, nous montre que c’est plutôt
l’ambiguïté de la composante lexicale inhérente au verbe et non le type d’auxiliaire
sélectionné qui permet à ce verbe d’être compatible avec les deux lectures. Toutefois, l’idée
de l’ambiguïté lexicale inhérente n’est pas en conflit avec l’idée que l’auxiliaire essere
favorise une lecture télique et que l’auxiliaire avere favorise une lecture atélique (là où les
deux auxiliaires sont disponibles).
IV.4. La forme intransitive et la lecture à accomplissement graduel :
En français, contrairement à l’italien, la forme intransitive non réflexive des verbes de
changement d’état est compatible seulement avec l’auxiliaire avoir.
Considérons la phrase suivante :
(27)
La pomme a rougi.
La phrase en (27) manifeste une certaine ambiguïté entre une interprétation télique dont le
sens est ‘La pomme est devenue rouge’ (rougir = ‘devenir rouge’) et une interprétation
atélique dont le sens est ‘La pomme est devenue plus rouge’ (rougir = ‘devenir plus rouge’).
201
CHAPITRE IV
CONSIDÉRATIONS SUR L’AKTIONSART DE CERTAINS VERBES DE CHANGEMENT D’ÉTAT
La combinaison avec les adverbiaux ‘en x temps’ et ‘pendant x temps’ rend les interprétations
télique et atélique explicites. Donc, la phrase :
(28)
La pomme a rougi en deux heures.
nous oblige à comprendre qu’à la fin de l’intervalle temporel dénoté par l’adverbial ‘en x
temps’ la pomme est rouge, tandis que la phrase :
(29)
La pomme a rougi pendant deux heures.
n’implique pas qu’à la fin de l’intervalle temporel marqué par l’adverbial ‘pendant x temps’ la
pomme soit rouge. Plus précisément, le contexte atélique peut être paraphrasé avec l’emploi
du verbe ‘continuer’ qui exprime la continuité de l’événement :
(30)
La pomme a rougi pendant deux heures.
deux heures.
La pomme a continué à rougir pendant
La pomme est devenue de plus en plus rouge pendant deux
heures.
Sorace (2000 : 865) observe que la plupart des verbes de changement d’état présentent une
approche graduelle d’un but final. La liste de ces verbes comprend aussi bien des verbes
dérivés d’adjectifs que des verbes non dé-adjectivaux : verdir, rougir, noircir, grandir,
grossir, rapetisser, rétrécir, baisser, augmenter, diminuer, etc. (cf. Legendre et Sorace
(2003 : 213) pour une liste plus exhaustive).
Comme nous l’avons déjà vu dans la section III.5., Bertinetto et Squartini (1995)
définissent comme verbes scalaires les verbes de changement d’état comportant un
rapprochement graduel d’un but final. Plus précisément, ils adoptent l’étiquette verbes à
accomplissement graduel ( « gradual completion verbs » (GCV)). Dans la lecture à
accomplissement graduel on construit le changement d’état dans sa durée. Autrement dit,
l’accomplissement graduel décrit un changement d’état en cours qui n’a pas encore atteint son
But. La scalarité dont parlent Bertinetto et Squartini est donc une caractéristique de la lecture
à accomplissement graduel. Néanmoins, il faut remarquer que, d’une part, les verbes de
couleur, tels ‘verdir’, ‘rougir’, ‘noircir’, etc. et, d’autre part, les verbes ‘grandir’, ‘grossir’,
‘rapetisser’, ‘rétrécir’, ‘baisser’, ‘augmenter’, ‘diminuer’ ont une scalarité qui n’est pas
202
CHAPITRE IV
CONSIDÉRATIONS SUR L’AKTIONSART DE CERTAINS VERBES DE CHANGEMENT D’ÉTAT
exactement de même nature. Pour le premier groupe de verbes il existe un point P au-delà
duquel on ne peut plus continuer à verdir, rougir, noircir, tandis que pour le deuxième groupe
de verbes il n’existe pas de point final P ou de limite supérieure à atteindre. En effet, si l’on
affirme que :
(31) a. Jean a grandi/grossi/rapetissé en deux mois.
b. La jupe a rétréci en deux jours.
c. La température a baissé en deux heures.
d. Les prix ont augmenté/diminué en deux semaines.
il s’ensuit qu’une fois que Jean a grandi/grossi/rapetissé, il peut devenir encore plus
grand/gros/petit. De la même façon, une fois que la température a baissé, elle peut baisser
encore et une fois que les prix ont augmenté/diminué, ils peuvent devenir encore plus élevés
ou encore plus bas.
Contrairement au français, en italien, la forme intransitive non réflexive des verbes de
changement d’état sélectionne l’auxiliaire essere. Toutefois, certains verbes de changement
d’état peuvent sélectionner aussi bien l’auxiliaire essere que l’auxiliaire avere à la forme
intransitive non réflexive. Par exemple, pour n’en citer que quelques-uns, les verbes marcire
(‘pourrir’), fiorire (‘fleurir’), impallidire (‘pâlir’) et arrossire (‘rougir’) sélectionnent les deux
auxiliaires, tandis que les verbes ingiallire (‘jaunir’), migliorare (‘s’améliorer’) 11, crescere
(‘grandir’),
ingrassare
(‘grossir’),
dimagrire
(‘maigrir’)
et
invecchiare
sélectionnent seulement l’auxiliaire essere. Voici une brève liste illustrative :
11
Cf. le tableau (26).
203
(‘vieillir’)
CHAPITRE IV
CONSIDÉRATIONS SUR L’AKTIONSART DE CERTAINS VERBES DE CHANGEMENT D’ÉTAT
(32) a. Le citron a pourri.
b. Il limone è/?ha marcito.
(33) a. Le pommier a fleuri.
b. Il melo è/?ha fiorito.
(34) a. Jean a pâli.
b. Gianni è/?ha impallidito.
(35) a. Jean a rougi.
b. Gianni è/?ha arrossito.
(36) a. Jean a grandi/grossi/maigri/vieilli.
b. Gianni è/*ha cresciuto/ingrassato/dimagrito/invecchiato.
Bien que l’auxiliaire essere favorise une lecture télique, tandis que l’auxiliaire avere favorise
une lecture atélique, il s’avère qu’avec les verbes de changement d’état sélectionnant les deux
auxiliaires à la forme intransitive, l’auxiliaire essere n’est pas complètement incompatible
avec l’adverbial atélique ‘pendant x temps’ et, de la même manière, l’auxiliaire avere n’est
pas complètement agrammatical avec l’adverbial télique ‘en x temps’. Avec ces verbes il
n’est donc pas possible de prédire des incompatibilités tranchées avec les adverbiaux ‘pendant
x temps’ et ‘en x temps’ selon le type d’auxiliaire sélectionné :
(37)
Gianni è/ ?ha arrossito in un minuto.
Lit. Jean est/a rougi en une minute
‘Jean a rougi en une minute.’
(38)
Gianni ?è/ha arrossito per un minuto.
Lit. Jean est/a rougi pendant une minute
‘Jean a rougi pendant une minute.’
(39)
Il melo è/ ?ha fiorito in due mesi.
Lit. Le pommier est/a fleuri en deux mois
‘Le pommier a fleuri en deux mois.’
(40)
Il melo ?è/ha fiorito per due mesi.
Lit. Le pommier est/a fleuri pendant due mois
‘Le pommier a fleuri pendant deux mois.’
204
CHAPITRE IV
CONSIDÉRATIONS SUR L’AKTIONSART DE CERTAINS VERBES DE CHANGEMENT D’ÉTAT
Les exemples ci-dessus nous montrent que c’est plutôt l’ambiguïté de la composante lexicale
inhérente à ces verbes et non le type d’auxiliaire sélectionné qui permet à ces verbes d’être
compatibles avec les deux lectures. Toutefois, comme le montrent les exemples ci-dessus,
l’idée de l’ambiguïté lexicale inhérente n’est pas en conflit avec l’idée que l’auxiliaire essere
favorise une lecture télique et que l’auxiliaire avere favorise une lecture atélique (là où les
deux auxiliaires sont disponibles).
En ce qui concerne la scalarité, nous avons remarqué (cf. supra) que pour les verbes de
couleur, tels ‘verdir’, ‘rougir’, ‘noircir’, etc. il existe un point P au-delà duquel on ne peut
plus continuer à verdir, rougir, noircir. La même chose s’observe en italien. La phrase (37)
nous laisse comprendre qu’à la fin de l’intervalle temporel dénoté par l’adverbial ‘en x temps’
le SN Gianni a acquis la qualité ‘être rouge’ et cela même si l’auxiliaire sélectionné est avere.
En revanche, avec les verbes du type crescere (‘grandir’), ingrassare (‘grossir’), dimagrire
(‘maigrir’), etc. il n’existe pas de point final P ou de limite supérieure à atteindre :
(41)
Gianni è cresciuto/ingrassato/dimagrito in due mesi.
Lit. Jean est grandi/grossi/maigri en deux mois
‘Jean a grandi/grossi/maigri en deux mois.’
En (41) bien que les verbes sélectionnent l’auxiliaire essere et qu’ils soient compatibles avec
l’adverbial télique ‘en x temps’, le changement d’état n’implique pas un point final P au-delà
duquel on ne peut plus continuer à crescere/ingrassare/dimagrire.
IV.5. Les lectures d’achèvement vs. activité avec la forme intransitive des verbes ‘fondre’,
‘cuire’, ‘brûler’, ‘geler’ et ‘bouillir’ :
Dans cette section, nous analyserons les cinq verbes ‘fondre’, ‘cuire’, ‘brûler’, ‘geler’ et
‘bouillir’ qui dénotent un changement d’état mais qui ne sont pas dérivés d’adjectifs. Plus
précisément, nous analyserons la forme intransitive non réflexive de ces verbes et la
compatibilité des auxiliaires essere et avere sélectionnés par ces verbes avec les lectures
télique et atélique en italien. Le français, contrairement à l’italien, n’a pas de verbes de
changement d’état non réflexifs à auxiliaire être. En ce qui concerne le français, nous
analyserons donc la forme intransitive non réflexive à auxiliaire avoir de ces verbes et la
compatibilité de cette forme avec les lectures téliques et atéliques. Nous montrerons que la
205
CHAPITRE IV
CONSIDÉRATIONS SUR L’AKTIONSART DE CERTAINS VERBES DE CHANGEMENT D’ÉTAT
forme intransitive non réflexive de ces verbes est compatible avec différentes lectures
aspectuelles. À partir de ce fait, nous formulerons l’hypothèse que la racine lexicale de ces
verbes est sous-spécifiée au regard de l’Aktionsart et nous essayerons de préciser les
différents types d’Aktionsart associés à chaque verbe.
IV.5.1. Les verbes ‘fondre’, ‘cuire’ et ‘brûler’ :
Le verbe ‘fondre’, tout comme le verbe ‘brûler’, est un prédicat d’achèvement. Un
prédicat d’achèvement décrit une situation qui ne comporte pas de procès. Il s’agit d’un
changement instantané qui donne un nouvel état comme résultat 12.
Le verbe ‘cuire’ est compatible avec une lecture d’achèvement mais, contrairement aux
verbes ‘fondre’ et ‘brûler’, il est compatible aussi avec une lecture d’accomplissement
graduel13.
Les données présentées dans le tableau (26) montrent qu’en italien la forme intransitive
non réflexive des verbes de changement d’état fondere (‘fondre’), cuocere (‘cuire’) et
bruciare (‘brûler’) est marginalement compatible avec l’auxiliaire avere. Plus précisément, il
semble que l’auxiliaire avere est plus acceptable dans un contexte atélique que dans un
contexte télique. Les verbes de changement d’état fondere, cuocere et bruciare sont orientés
vers un terme. Il s’ensuit donc que la forme intransitive non réflexive sélectionnant
l’auxiliaire avere, qui est associé plutôt à un contexte atélique, est difficilement acceptable
dans un contexte télique où l’on emploie la forme si+essere (‘se+être’), (cf. le tableau (25)).
12
La compatibilité du verbe ‘fondre’ avec des adverbiaux de degré comme ‘à moitié’, ‘aux trois-quarts’, ‘un
peu’, ‘complètement’, etc. ne prouve pas que ‘fondre’ soit un verbe dénotant un processus graduel :
(i)
a. La neige est à moitié/aux trois-quarts/un peu/complètement fondue.
b. La neve è per metà/per tre quarti/un po’/completamente fusa.
Les phrases en (i) dénotent l’état résultant du processus de fonte. Ce processus produit un changement d’état du
SN ‘neige’ (qui est donc affecté par le verbe) de telle manière qu’à la fin du processus l’état résultant est que ‘La
neige est fondue’. Les adverbiaux ‘à moitié’, ‘aux trois-quarts’ et ‘un peu’ indiquent que le changement produit
par le processus de fonte n’a affecté qu’à moitié/aux trois-quarts/un peu la quantité de neige considérée dans le
contexte discursif. En revanche, l’adverbial ‘complètement’ indique que ce changement concerne toute la
quantité de neige à laquelle fait allusion le contexte discursif. Donc, les adverbiaux ‘à moitié’, ‘aux trois-quarts’,
‘un peu’ et ‘complètement’ spécifient la quantité de neige affectée par le changement d’état mais ils ne prouvent
pas que ‘fondre’ dénote un processus graduel. Autrement dit, ils ne prouvent pas que ‘fondre’ est un verbe à
accomplissement graduel. Il en est de même pour le verbe ‘brûler’ :
(ii)
a. Le bâton d’encens est à moitié/aux trois-quarts/un peu/complètement brûlé.
b. Il bastone d’incenso è per metà/per tre quarti/un po’/completamente bruciato.
En (iia,b), les adverbiaux de degré ‘à moitié’, ‘aux trois-quarts’, ‘un peu’, ‘complètement’ spécifient la quantité
de bâton d’encens affectée par le changement d’état mais ils ne prouvent pas que ‘brûler’ est un verbe à
accomplissement graduel.
13
Par ailleurs, ce verbe peut être interprété comme la phase de départ d’un processus d’accomplissement
graduel : cuire > brûler > carboniser > consumer.
206
CHAPITRE IV
CONSIDÉRATIONS SUR L’AKTIONSART DE CERTAINS VERBES DE CHANGEMENT D’ÉTAT
Quand les verbes fondere et bruciare sélectionnent la forme intransitive à auxiliaire
essere, ils sont compatibles avec l’adverbial télique ‘en x temps’, et l’adverbial atélique
‘pendant x temps’ n’est pas complètement exclu. En revanche, le verbe cuocere, lorsqu’il
sélectionne l’auxiliaire essere, est incompatible avec ces deux adverbiaux :
(42) a. Il cioccolato è fuso ?in due minuti/ ?/*per due ore.
b. Lit. Le chocolat est fondu en deux minutes/pendant deux heures
c. ‘Le chocolat a fondu √/?/*en deux minutes/pendant deux heures’.
(43) a. La carne è cotta *in due minuti/*per due ore14.
b. Lit. La viande est cuite en deux minutes/pendant deux heures
c. ‘La viande a cuit √/?/*en deux minutes/pendant deux heure.’
(44) a. Il bastone d’incenso è bruciato ?in due minuti/ ?/*per due ore.
b. Lit. Le bâton d’encens est brûlé en deux minutes/pendant deux heures
c. ‘Le bâton d’encens a brûlé √/?/*en deux minutes/pendant deux heures.’
Les données en (42a), (43a) et (44a) nous montrent que les verbes fondere et bruciare,
contrairement au verbe cuocere, sont marginalement compatibles avec l’adverbial télique ‘en
x temps’ quand ils sélectionnent l’auxiliaire essere, tandis que l’emploi de l’adverbial
‘pendant x temps’ est presque exclu. Ce comportement ne nous surprend pas étant donné que,
comme nous l’avons remarqué dans la section IV.4., la sélection de l’auxiliaire essere est
fortement corrélée à une lecture télique, tandis que la sélection de l’auxiliaire avere est plutôt
corrélée à une lecture atélique. En fait, les exemples suivants nous montrent que quand on
remplace l’auxiliaire essere par l’auxiliaire avere, les jugements de grammaticalité des
phrases en (42a), (43a) et (44a) changent :
(45) a. Il cioccolato ha fuso ?/*in due minuti/√/?/*per due ore.
b. Le chocolat a fondu √/?/*en deux minutes/pendant deux heures.
(46) a. La carne ha cotto ?/*in due minuti/√/?/*per due ore.
b. La viande a cuit √/?/*en deux minutes/pendant deux heures.
(47) a. Il bastone d’incenso ha bruciato ?/*in due minuti/√/?/*per due ore.
b. Le bâton d’encens a brûlé √/?/*en deux minutes/pendant deux heures.
14
La phrase (43a) peut être interprétée comme une phrase passive associée à une lecture habituelle aussi bien
avec l’adverbial ‘en x temps’ qu’avec l’adverbial ‘pendant x temps’.
207
CHAPITRE IV
CONSIDÉRATIONS SUR L’AKTIONSART DE CERTAINS VERBES DE CHANGEMENT D’ÉTAT
Une explication des données en (45)-(47) s’impose. Les exemples en (45a), (46a) et (47a)
nous montrent que l’auxiliaire avere est compatible, au moins pour certains locuteurs, avec
l’adverbial atélique ‘pendant x temps’ mais que l’emploi de l’adverbial ‘en x temps’ est plus
contraint. Comme nous l’avons déjà observé pour les phrases en (42a) et (44a), ce
comportement variable ne nous surprend pas non plus avec les phrases (45a), (46a) et (47a).
En italien, la sélection de l’auxiliaire essere est fortement corrélée à un effet télique, tandis
que la sélection de l’auxiliaire avere est plutôt corrélée à un effet atélique. C’est pourquoi
l’emploi de l’adverbial ‘en x temps’ en (45a), (46a) et (47a) est plus contraint que l’emploi de
l’adverbial ‘pendant x temps’. Cette variabilité d’emploi nous montre que ces verbes ont un
Aktionsart ambigu et que c’est l’ambiguïté inhérente au radical lexical, et non le type
d’auxiliaire sélectionné, qui permet cette variabilité d’emploi. Toutefois, l’idée de l’ambiguïté
lexicale inhérente n’est pas en conflit avec l’idée que l’auxiliaire essere favorise une lecture
télique et que l’auxiliaire avere favorise une lecture atélique (cf. (42a), (44a), (45a), (46a) et
(47a)).
En revanche, les phrases (42c), (43c) et (44c) nous montrent que le français n’a pas de
verbes de changement d’état non réflexifs à auxiliaire être. Ces exemples nous montrent que,
tout comme en italien, en français aussi, l’emploi de l’auxiliaire avoir est plutôt corrélé à un
effet atélique. C’est pourquoi avec ces verbes, qui disposent aussi d’une forme télique en
se+être, l’emploi de la forme intransitive non réflexive à auxiliaire avoir est contraint avec
l’adverbial télique ‘en x temps’, tandis qu’il ne l’est pas avec l’adverbial ‘pendant x temps’.
Nous avons défini les verbes ‘fondre’ et ‘brûler’ comme des achèvements. Une fois que
le terme implicite du changement est atteint, ces verbes sont compatibles avec une
interprétation d’activité marquée par l’adverbial ‘pendant x temps’. Nous rappelons (cf. la
sous-section I.4.1.) que les prédicats dénotant une activité se composent d’une seule action
(généralement non interrompue) qui se compose, à son tour, d’une suite d’actes identiques
dont la somme est conçue en tant qu’une seule action. En effet, l’interprétation dénotant une
activité peut se traduire par la périphrase ‘continuer à’ qui dénote la continuité de
l’événement :
208
CHAPITRE IV
CONSIDÉRATIONS SUR L’AKTIONSART DE CERTAINS VERBES DE CHANGEMENT D’ÉTAT
(48) a. Il cioccolato ha fuso (= ha continuato a fondere) per mezzora.
‘Le chocolat a fondu (= a continué à fondre) pendant une demi-heure.’
b. Il bastone d’incenso ha bruciato (= ha continuato a bruciare) per due ore.
‘Le bâton d’encens a brûlé (= a continué à brûler) pendant deux heures.’
Le verbe ‘cuire’ est, lui aussi, compatible avec une interprétation d’activité marquée par
l’adverbial ‘pendant x temps’ (cf. (46)). Dans ce cas, on construit le changement d’état dans
sa durée :
(49)
La carne ha cotto (= ha continuato a cuocere) per due ore.
‘La viande a cuit (= a continué à cuire) pendant deux heures.’
Les observations que nous avons faites dans cette sous-section nous amènent à formuler les
conclusions suivantes :
- les verbes ‘fondre’ et ‘brûler’ sont compatibles avec un Aktionsart dénotant un achèvement
ou une activité.
- le verbe ‘cuire’ est compatible avec un Aktionsart dénotant un achèvement, un
accomplissement graduel ou une activité.
IV.5.2. Les verbes ‘geler’ et ‘bouillir’ :
Les verbes de changement d’état ‘geler’ et ‘bouillir’ sont des prédicats d’achèvement (cf.
L’eau bout à 100°C ; L’eau gèle à 0°C) tout comme les verbes ‘fondre’ et ‘brûler’ 15. En
15
Comme nous l’avons déjà observé pour les verbes ‘fondre’ et ‘brûler’ (cf. ci-dessus la note 12), la
compatibilité du verbe ‘geler’ avec les adverbiaux de degré du type ‘un peu’, ‘légèrement’, ‘complètement’, etc.
ne prouve pas que le verbe ‘geler’ est un verbe à accomplissement graduel :
(i)
a. Le lac est un peu/légèrement/complètement gelé.
b. Il lago è un po’/leggermente/completamente gelato.
Ces adverbiaux indiquent tout simplement la quantité d’eau affectée par le changement d’état mais ils ne
prouvent pas que le verbe ‘geler’ est un prédicat à accomplissement graduel. Contrairement au verbe ‘geler’, le
verbe ‘bouillir’ n’est pas compatible avec des adverbiaux de degré :
(ii)
a. *L’eau est un peu/légèrement/complètement bouillie.
b. *L’acqua è un po’/leggermente/completamente bollita.
En effet, il s’avère que le processus d’ébullition, contrairement aux processus de congélation, de fonte et
d’ébullition (cf. ci-dessus la note 12), affecte toute la quantité d’eau indiquée par le contexte discursif.
Autrement dit, l’eau ou elle est bouillie ou elle ne l’est pas. Les observations que nous avons faites à propos des
exemples (ia,b) et des exemples dans le texte (cf. infra) nous amènent à considérer le verbe ‘geler’ comme un
verbe d’achèvement et pas comme un verbe à accomplissement graduel. Les verbes ‘fondre’, ‘brûler’, ‘geler’ et
‘bouillir’ sont donc, selon nos considérations, des verbes d’achèvement.
209
CHAPITRE IV
CONSIDÉRATIONS SUR L’AKTIONSART DE CERTAINS VERBES DE CHANGEMENT D’ÉTAT
italien la forme intransitive non réflexive de ces verbes sélectionne aussi bien l’auxiliaire
essere que l’auxiliaire avere. Comme nous l’avons remarqué à plusieurs reprises (cf. supra),
la sélection de l’auxiliaire essere est fortement corrélée à un effet télique, tandis que la
sélection de l’auxiliaire avere est plutôt corrélée à un effet atélique :
(50) a. Il lago è gelato ?in due ore/?/*per due giorni.
b. L’acqua è bollita ?in due ore/?/*per due ore.
(51) a. Il lago ha gelato ?/*in due ore/√/?/*per due giorni.
b. L’acqua ha bollito ?/*in due ore/per due ore.
Les exemples ci-dessus nous montrent que les jugements d’acceptabilité des adverbiaux ‘en x
temps’ et ‘pendant x temps’ changent selon le type d’auxiliaire sélectionné, mais que l’emploi
de l’adverbial ‘en x temps’ avec l’auxiliaire avere et l’emploi de l’adverbial ‘pendant x
temps’ avec l’auxiliaire essere n’est pas complètement exclu. La compatibilité, même si
marginale dans certains cas, des adverbiaux ‘en x temps’ et ‘pendant x temps’ avec l’un des
deux auxiliaires nous montre encore une fois qu’avec les verbes de changement d’état
sélectionnant les deux auxiliaires, c’est plutôt l’ambiguïté inhérente au radical lexical, et non
le type d’auxiliaire sélectionné, qui permet cette variabilité d’emploi. Toutefois, comme nous
l’avons déjà remarqué à plusieurs reprises et comme le montrent les exemples (50) et (51),
l’idée de l’ambiguïté lexicale inhérente n’entre pas en conflit avec l’idée que l’auxiliaire
essere favorise une lecture télique et que l’auxiliaire avere favorise une lecture atélique. Dans
cette hypothèse, une explication des données en (50) et (51) est nécessaire. Comme nous
l’avons remarqué dans les tableaux (25) et (26), le verbe gelare sélectionne aussi bien une
forme intransitive à auxiliaire avere qu’une forme intransitive réflexive. En revanche, le verbe
bollire est compatible seulement avec la forme intransitive. Plus précisément, nous avons
observé que l’adverbial ‘en x temps’ est compatible plutôt avec la forme réflexive du verbe
gelare qu’avec la forme intransitive à auxiliaire avere (cf. les tableaux (25) et (26)). Étant
donné que l’auxiliaire essere est assez fortement corrélé à une interprétation télique, il s’avère
que l’emploi de l’adverbial télique in due ore est moins contraint avec la forme intransitive
sélectionnant l’auxiliaire essere qu’avec la forme intransitive sélectionnant l’auxiliaire avere
(comparer (50a) avec (51a)). En revanche, le verbe bollire sélectionne une forme intransitive
associée à l’auxiliaire essere ou à l’auxiliaire avere, c’est pourquoi, lorsqu’il sélectionne
l’auxiliaire essere, l’adverbial télique in due ore est acceptable, tandis qu’avec l’auxiliaire
210
CHAPITRE IV
CONSIDÉRATIONS SUR L’AKTIONSART DE CERTAINS VERBES DE CHANGEMENT D’ÉTAT
avere l’emploi de cet adverbial est discutable (comparer (50b) avec (51b)). En ce qui
concerne l’emploi de l’adverbial atélique per due giorni/per due ore, nous observons que cet
adverbial est contraint avec la forme intransitive sélectionnant l’auxiliaire essere (cf. (50a,b)),
tandis qu’il est compatible avec l’auxiliaire avere (cf. (51a,b)).
En français, la sélection obligatoire de l’auxiliaire avoir avec la forme intransitive non
réflexive des verbes de changement d’état et la compatibilité des adverbiaux ‘en x temps’ et
‘pendant x temps’ avec la forme intransitive à auxiliaire avoir des verbes geler et bouillir est
une confirmation du fait que c’est l’ambiguïté inhérente à la racine lexicale de ces verbes et
pas le type d’auxiliaire sélectionné qui permet cette variabilité d’emploi :
(52) a. Le lac a gelé √/?/*en deux heures/pendant deux jours.
b. L’eau a bouilli en deux heures/pendant deux jours.
Comme pour l’italien (cf. (50a) et (51a), pour le français aussi (cf. (52a)), l’idée de
l’ambiguïté lexicale inhérente n’est pas en conflit avec l’idée que l’auxiliaire être favorise une
lecture télique et que l’auxiliaire avoir favorise une lecture atélique. En effet, comme nous
l’avons remarqué dans la section IV.3., le verbe geler, outre à sélectionner une forme
intransitive à auxiliaire avoir, sélectionne aussi une forme en se+être qui est compatible avec
un contexte télique. C’est pourquoi en (52a) la forme intransitive à auxiliaire avoir n’est pas
optimale avec l’adverbial télique ‘en x temps’. De sont côté, le verbe bouillir sélectionne
seulement une forme intransitive à auxiliaire avoir. Ce fait nous montre que c’est plutôt
l’ambiguïté de la composante lexicale inhérente au verbe bouillir et non le type d’auxiliaire
sélectionné qui permet à ce verbe d’être compatible avec les deux lectures.
Nous avons défini les verbes ‘geler’ et ‘bouillir’ comme des achèvements. Une fois que
le terme implicite du changement est atteint (cf. 100°C/0°C) ces verbes sont compatibles avec
une interprétation d’activité dénotant la continuité de l’événement. Autrement dit, 100°C et
0°C sont les points à partir desquels l’activité de congélation et d’ébullition commence. C’est
en effet ce qu’on observe :
211
CHAPITRE IV
CONSIDÉRATIONS SUR L’AKTIONSART DE CERTAINS VERBES DE CHANGEMENT D’ÉTAT
(53)
Il lago ha gelato (= ha continuato a gelare) per due giorni.
‘Le lac a gelé (= a continué à geler) pendant deux jours.’
(54)
L’acqua ha bollito (= ha continuato a bollire) per due ore.
‘L’eau a bouilli (= a continué à bouillir) pendant deux heures.’
En (53) et (54), la compatibilité des verbes ‘geler’ et ‘bouillir’ avec l’adverbial atélique
‘pendant x temps’ montre leur compatibilité avec une lecture dénotant une activité.
Les observations que nous avons faites jusqu’ici nous invitent à conclure que les verbes
‘geler’ et ‘bouillir’ tout comme les verbes ‘fondre’ et ‘brûler’ sont compatibles aussi bien
avec une lecture d’achèvement qu’avec une lecture d’activité.
IV.6. Récapitulation :
Ce que nous avons observé à partir des données présentées dans les sous-sections IV.5.1.
et IV.5.2. est qu’en italien la forme intransitive des verbes de changement d’état fondere,
cuocere, bruciare, gelare et bollire est compatible aussi bien avec une interprétation télique
qu’avec une interprétation atélique. Comme nous l’avons remarqué, l’idée de l’ambiguïté
lexicale inhérente à ces verbes n’est pas en conflit avec l’idée que l’auxiliaire essere favorise
une lecture télique et que l’auxiliaire avere favorise une lecture atélique (là où les deux
auxiliaires sont disponibles). Même si la sélection de l’auxiliaire essere est corrélée à un effet
télique, tandis que la sélection de l’auxiliaire avere est plutôt associée à un effet non télique, il
s’avère que l’auxiliaire essere n’est pas complètement exclu dans un contexte atélique, tout
comme l’auxiliaire avere n’est pas complètement agrammatical dans un contexte télique.
Le français, contrairement à l’italien, n’a pas de verbes de changement d’état non
réflexifs à auxiliaire être. L’auxiliaire être associé aux verbes de changement d’état n’est
compatible qu’avec une interprétation d’état résultant en français. En français, comme nous
l’avons observé, seulement la forme en se+être et la forme intransitive non réflexive
sélectionnant l’auxiliaire avoir sont compatibles avec une lecture événementielle.
En résumé, dans les deux langues l’auxiliaire ‘être’, quand il est en compétition avec
l’auxiliaire ‘avoir’, favorise une lecture télique. En français, avec les verbes de changement
d’état, l’auxiliaire être est corrélé à la forme réflexive, alors qu’en italien, l’auxiliaire essere
peut être sélectionné par cette classe de verbes, avec un effet télique, en l’absence de ‘se’.
Nous avons donc établit un rapprochement entre la forme intransitive non réflexive des verbes
212
CHAPITRE IV
CONSIDÉRATIONS SUR L’AKTIONSART DE CERTAINS VERBES DE CHANGEMENT D’ÉTAT
de changement d’état sélectionnant l’auxiliaire essere, en italien, et la forme intransitive
réflexive des verbes de changement d’état sélectionnant la séquence se+être en français sur la
base de la propriété commune aux auxiliaires essere et être, c’est-à-dire la compatibilité avec
un contexte télique.
Dans la section précédente, nous avons montré aussi que dans les deux langues les verbes
‘fondre’, ‘brûler’, ‘geler’ et ‘bouillir’ sont compatibles aussi bien avec une lecture
d’achèvement qu’avec une lecture d’activité, tandis que le verbe ‘cuire’ est compatible avec
trois lectures : achèvement, accomplissement graduel et activité. Nous avons donc précisé les
différents types d’Aktionsart qui peuvent être associés à un même verbe.
Ces observations nous conduisent à préciser la classification aspectuelle des prédicats
élaborée par Vendler (1957). Un des problèmes des classifications aspectuelles est que c’est
toujours le contexte qui définit le type aspectuel et leur type d’interprétation et que selon le
type de contexte le radical verbal est associé à différents types d’Aktionsart. Nous formulons
donc l’hypothèse que le radical verbal de ces verbes est sous-spécifié par rapport à
l’Aktionsart. Le contexte joue donc un rôle central dans l’interprétation des prédicats. En
général, les données que nous avons analysées nous montrent que, quand on admet
l’appartenance d’un verbe à une classe aspectuelle plutôt qu’à une autre, en réalité on renvoie
à une série de contextes précis dans lesquels ce verbe peut apparaître. Nous pouvons donc
affirmer qu’en général la quadripartition de Vendler (cf. la section I.4.) ne prédit pas
d’inacceptabilités tranchées.
Les données que nous avons analysées dans les sections IV.4. et IV.5., même si elles
concernent un groupe restreint de verbes, nous montrent que l’italien par rapport au français
présente encore un grand emploi de l’auxiliaire essere et une alternance considérable entre les
deux auxiliaires (cf. aussi, dans la section I.13., l’échelle de la sélection de l’auxiliaire
élaborée par Legendre et Sorace (2003)). L’italien, contrairement au français, n’est donc pas
proche d’une élimination totale de ‘être’ comme auxiliaire en alternance avec ‘avoir’ avec les
verbes de changement d’état.
213
CHAPITRE IV
CONSIDÉRATIONS SUR L’AKTIONSART DE CERTAINS VERBES DE CHANGEMENT D’ÉTAT
Deuxième partie : observations sur certains verbes de changement
d’état dé-adjectivaux [±préfixés]
Le français, contrairement à l’italien, a un échantillon productif de couples de verbes de
changement d’état dé-adjectivaux dont l’un est porteur d’un préfixe, alors que l’autre n’en a
pas. Voici une liste (non exhaustive mais représentative) de ces couples :
(55)
VERBE AVEC PRÉFIXE
VERBE SANS PRÉFIXE
ADJECTIF
a-baisser
ra-/re-baisser
baisser
bas
af-faiblir
faiblir
faible
a-grandir
grandir
grand
a-maigrir
maigrir
maigre
a-mincir
mincir
mince
a-mollir
ra-mollir
mollir
mou
at-tiédir
tiédir
tiède
dé-fraîchir
fraîchir
frais
dé-grossir
grossir
gros
é-chauffer
ré-chauffer
chauffer
chaud
en-durcir
durcir
dur
re-froidir
froidir
froid
En italien, la plupart des verbes de changement d’état dé-adjectivaux contiennent un préfixe.
Par exemple, les verbes énumérés dans le tableau (55) requièrent un préfixe en italien :
214
CHAPITRE IV
CONSIDÉRATIONS SUR L’AKTIONSART DE CERTAINS VERBES DE CHANGEMENT D’ÉTAT
(56)
FRANÇAIS
ITALIEN
ADJECTIF
a-baisser/baisser
ra/re-baisser/baisser
*re-a-abaisser
ab-bassare/*bassare
ri-bassare/*bassare
ri-ab-bassare16
bas/basso
a-ffaiblir/faiblir
in-debolire/*debolire
faible/debole
a-grandir/grandir
in-grandire/*grandire17
grand/grande
a-maigrir/maigrir
di-magrire/*magrire
maigre/magro
a-mincir/mincir
as-sottigliare/*sottigliare
mince/sottile
a-mollir/mollir
ra-mollir/mollir
*re-a-mollir
am-morbidire/*morbidire
*ri-morbidire/*morbidire
ri-am-morbidire18
mou/morbido
at-tiédir/tiédir
in-tiepidire/*tiepidire
tiède/tiepido
dé-fraîchir
rin-frescare/*frescare
frais/fresco
dé-grossir/grossir
s-grossare/*grossare19
gros/grosso
é-chauffer/chauffer
ré-chauffer/chauffer
s-caldare/*caldare
ri-scaldare/*caldare
chaud/caldo
en-durcir/durcir
in-durire/*durire
dur/duro
re-froidir/ froidir
raf-freddare/freddare20
froid/freddo
À cette liste, s’ajoutent d’autres verbes dé-adjectivaux qui requièrent un préfixe en italien
mais dont le correspondant français est sans préfixe :
16
Les préfixes ra- et ri- des verbe rabaisser et ribassare ne sont pas associés à une valeur itérative. La lecture
itérative est exprimée en italien par le verbe riabbassare qui n’a pas de correspondant homographe en français
(*reabaisser). En français, la lecture itérative est exprimée par le verbe rebaisser.
17
Le correspondant italien du verbe grandir est crescere :
(i)
a. Jean a grandi.
b. Gianni è cresciuto.
Les verbes grandir et crescere signifient aussi bien augmenter d’en âge qu’augmenter en hauteur.
18
Le préfixe r- du verbe ramollir n’est pas porteur d’un sens itératif. Le verbe ramollir est synonyme du verbe
amollir. Le sens itératif est associé en italien au verbe riammorbidire, tandis qu’en français on recourt à
l’expression ‘à nouveau’ pour déclencher une lecture itérative :
(i)
L’asphalte a amolli/ramolli à nouveau à cause de la chaleur.
19
Les correspondants italiens du verbe grossir sont ingrassare (verbe dont la base est l’adjectif grasso ‘gras’) ou
ingrossare (verbe dont la base est l’adjectif grosso ‘gros’) :
(i)
Jean a grossi.
(ii)
Gianni è ingrassato/ingrossato.
20
L’emploi du verbe freddare est désuet.
215
CHAPITRE IV
CONSIDÉRATIONS SUR L’AKTIONSART DE CERTAINS VERBES DE CHANGEMENT D’ÉTAT
(57)
FRANÇAIS
ITALIEN
ADJECTIF
blanchir
*(im)bianchire
blanc/bianco
blondir
*(im)biondire
blond/biondo
grisonner
*(in)grigire
gris/grigio
jaunir
*(in)giallire
jaune/giallo
noircir
*(an)nerire
noir/nero
pâlir
*(im)pallidire
pâle/pallido
rougir
*(ar)rossire
rouge/rosso
verdir
*(in)verdire
vert/verde
vieillir
*(in)vecchiare
vieux/vecchio
Il s’avère aussi que certains verbes dé-adjectivaux n’ont pas de préfixe en italien, comme, par
exemple, les verbes migliorare (‘s’améliorer’) ou peggiorare (‘empirer’). En revanche, en
français, ces verbes requièrent un préfixe : s’améliorer et empirer. Il existe aussi des verbes
qui ont deux ou trois formes, dont l’une est douée d’un préfixe et les autres non, et cela tant
en français qu’en italien (cf., par exemple, sécher/seccare ; assécher/prosciugare ;
dessécher/essiccare (= inaridire)). Il s’ensuit donc que le système de dérivation des verbes
dé-adjectivaux dans les deux langues est assez hétérogène et variable en ce qui concerne la
préfixation. Parmi les verbes dé-adjectivaux, il y en a certains qui requièrent un préfixe aussi
bien en français qu’en italien et dont il n’existe pas de forme sans préfixe. Voici une liste
illustrative :
216
CHAPITRE IV
CONSIDÉRATIONS SUR L’AKTIONSART DE CERTAINS VERBES DE CHANGEMENT D’ÉTAT
(58)
FRANÇAIS
ITALIEN
ADJECTIF
*(a)bêtir
*(in)stupidire
bête/stupido
*(a)lourdir
*(ap)pesantire
lourd/pesante
*(ap)pauvrir
*(im)poverire
pauvre/povero
*(a)platir
*(ap)piattire
plat/piatto
*(al)léger
*(al)leggerire
léger/leggero
(al)longer 21
*(al)lungare
long/lungo
*(dé)nuder
*(de)nudare
nu/nudo
*(é)largir
*(al)largare
large/largo
*(é)loigner
*(al)lontanare
loin/lontano
*(en)richir
*(ar)ricchire
riche/ricco
*(ra)jeunir
*(rin)giovanire
jeune/giovane
*(ra)petisser
*(rim)picciollire
petit/piccolo
*(rac)courcir
*(ac)corciare22
court/corto
Comme le remarquent Jacobini (2004) et Scalise (1994), entre autres, il faut distinguer entre
verbes préfixés et verbes parasynthétiques. En général, les formes verbales préfixées se
distinguent des formes verbales parasynthétiques par le fait que, une fois le préfixe enlevé, on
21
Le verbe longer existe dans le lexique français mais il n’est pas employé en tant que verbe de changement
d’état mais en tant que verbe de mouvement dont le sens est ‘aller le long de (qqch.), en suivant le bord, en
marchant auprès’ (cf. Rey, Alain, Rey-Debove, Josette, Le nouveau Petit Robert. Dictionnaire alphabétique et
analogique de la langue française, 1993, ad vocem).
22
En italien le préfixe ri- (‘ré-, re-, r-’) est compatible avec les verbes accorciare et stringere > ri-accorciare et
ri-stringere et il est porteur d’un sens répétitif/itératif. Les préfixes rac- et ré- des correspondants français des
verbes italiens accorciare et stringere n’ont pas un sens répétitif/itératif. Afin de déclencher ce type de lecture il
est nécessaire d’employer l’expression ‘à nouveau’ :
(i)
a. Marie a raccourci à nouveau sa jupe.
b. Marie a rétréci à nouveau sont pull.
En italien aussi l’expression ‘à nouveau’ est compatible avec les verbes accorciare et stringere pour véhiculer
une lecture répétitive :
(ii)
a. Maria ha accorciato di nuovo la sua gonna.
b. Maria ha stretto di nuovo il suo pullover.
L’expression di nuovo peut être employée aussi avec les verbes ri-accorciare et ri-stringere quoique son emploi
résulte redondant à cause de la présence du préfixe itératif ri-.
217
CHAPITRE IV
CONSIDÉRATIONS SUR L’AKTIONSART DE CERTAINS VERBES DE CHANGEMENT D’ÉTAT
obtient un verbe, quelle que soit sa dérivation (un nom ou un adjectif). Par ailleurs, la
dérivation parasynthétique forme des mots selon le double processus de la préfixation et de la
suffixation. Les verbes parasynthétiques peuvent s’obtenir à partir d’une base substantivale ou
bien d’une base adjectivale et ils sont des créations du type :
(59)
préfixe + substantif/adjectif + suffixe
dont les formes reproduites en (60) et (61) n’existant pas :
(60)
*préfixe + substantif/adjectif
(61)
*substantif/adjectif + suffixe
Il s’ensuit donc que les verbes du tableau (55) sont des verbes préfixés car, dans le lexique du
français, il existe aussi une forme verbale non préfixée. En revanche, le tableau (56) nous
montre que les verbes énumérés dans le tableau (55), sont des formes parasynthétiques en
italien, puisque la forme sans préfixe n’est pas attestée. En (57) on observe un comportement
différent en français et en italien au regard de la même classe de verbes. Les verbes français
en (57) sont dérivés à partir d’une base adjectivale à travers un processus de suffixation,
tandis que les verbes italiens en (57) sont des formes parasynthétiques. En (58) nous avons
des exemples de verbes parasynthétiques en français et en italien 23. Nous renvoyons le lecteur
aux annexes pour des listes plus exhaustives des préfixes et des suffixes du français et de
l’italien.
IV.7. Les préfixes et leurs propriétés aspectuelles :
Selon Béchade (1992), le français possède environ soixante préfixes. Ici, nous
n’analyserons pas tous les préfixes du français et nous n’explorerons pas toutes les nuances
sémantiques qui leur sont associées, cette analyse dépassant notre objectif. Nous nous
bornerons à analyser les préfixes a(b/d)- ; dé-; é-/ex- ; en-/em- ; ré-/re-/r-24.
23
24
Je remercie Antonietta Bisetto qui m’a aidée à clarifier ce point.
Nous renvoyons le lecteur aux annexes pour une liste plus détaillée des préfixes et des suffixes du français.
218
CHAPITRE IV
CONSIDÉRATIONS SUR L’AKTIONSART DE CERTAINS VERBES DE CHANGEMENT D’ÉTAT
(62)
PRÉFIXE
A-
EN - / EM -
RE -
DÉ -
É - / EX -
ASPECT
Scalaire : a-baisser, a-mincir, a-mollir, *(ap)pauvrir.
Télique (but) : ac-courir, ap-porter, at-tirer, *(a)dosser, *(a)lunir,
*(a)merrir, *(at)terrir.
Scalaire : en-durcir, *(em)bellir, *(en)richir.
Directionnel (source) : s’enfuir, s’envoler25.
Télique (inclusif) : em-mener, em-murer, em-porter, *(em)barquer,
en-fermer, en-sabler, *(en)flammer, *(en)terrer.
Télique (itératif/répétitif) : re-baisser, re-dire, re-faire, re-peindre.
Télique (restitutif) : *(ra)jeunir 26.
Inverseur de procès : dé-charger, dé-coller, dé-couvrir, dé-faire, dé-fraîchir,
*(dé)terrer27.
Directionnel (source) : dé-livrer, *(dé)barquer, *(dé)terrer.
Télique (restitutif) : dé-con-geler, dé-geler28.
Directionnel (source) : é-puiser, *(é)cosser, *(é)crémer, *(é)loigner,
*(ex)patrier, *(ex)trader.
25
Il existe en français deux préfixes homophones et homographes en-/em- qui ont des origines distincts et qui
portent un sens différent (cf. Béchade (1992 : 104)). On a donc un préfixe en-/em- issu de l’adverbe latin inde
‘hors de’ dénotant l’éloignement à partir d’une source (cf. enlever, emporter), et un préfixe en-/em- issu de la
préposition latine in ‘dans’ et impliquant le passage de la Figure (cf. Talmy (1985)) du dehors au-dedans de
l’espace final visé (cf. encaisser, emmener). À partir de ces observations, il s’ensuit donc que le préfixe en-/empeut être associé aussi bien à un sens d’éloignement à partir du lieu initial de référence qu’à un sens inclusif.
Voici des exemples :
(i)
a. L’oiseau s’est envolé de son nid.
b. Marie s’est enfui du stade.
(ii)
a. L’oiseau s’est envolé dans le ciel/Jean s’est envolé pour le Japon.
b. Marie a enfermé le lapin dans une boîte.
Comme le montrent les exemples en (ia) et (iia), le verbe s’envoler, à cause de son préfixe, peut être associé
aussi bien à un sens dénotant l’éloignement à partir d’une source qu’à un sens inclusif.
26
Comme le remarque San Giacomo (2004), le préfixe re- peut impliquer une lecture répétitive ou une lecture
restitutive. Alors que dans la lecture répétitive, l’événement est construit sémantiquement comme se réalisant
une deuxième fois, dans la lecture restitutive, on comprend que c’est un état antérieur qui est rétabli (cf. aussi
Franckel (1989 : 236-244)). Comme le remarque San Giacomo (2004), la répétition implique une limite : si les
événements peuvent se répéter, c’est parce qu’ils ont eu un terme. Autrement dit, selon cet auteur, la répétition
est associée au trait [+télique].
27
Guillet et Leclère (1992 : 210) étiquettent le préfixe dé- en tant que préfixe ‘inverseur de procès’ doué d’un
sens négatif. Ils emploient l’étiquette Pfx Nég pour indiquer cette valeur du préfixe dé- dans leurs tables de
verbes. Cependant, ces auteurs remarquent que le préfixe dé- peut être associé aussi à un sens locatif dénotant
l’origine d’un processus.
28
En adoptant la terminologie de San Giacomo (2004), qui associe au préfixe ré- une lecture restitutive dans
certains contextes (cf. le tableau (62) et la note 26), nous proposons que le préfixe dé- peut être associé, lui aussi,
à une lecture restitutive. Plus précisément, il nous semble que les verbes décongeler et dégeler impliquent un
événement préalable ‘geler’ partant d’un état initial liquide. Le préfixe dé- décrirait donc le retour au stade initial
liquide, ce qui est un facteur de télicité. Autrement dit, le procès auquel renvoient les verbes préfixés décongeler
et dégeler ne présuppose pas le procès auquel renvoient les verbes congeler et geler mais seulement l’état
résultant de ce procès.
219
CHAPITRE IV
CONSIDÉRATIONS SUR L’AKTIONSART DE CERTAINS VERBES DE CHANGEMENT D’ÉTAT
Les préfixes a- ; dé- ; é-/ex- ; en-/em- et ré-/re-/r- permettent de dériver des verbes à partir de
trois types de bases : verbale, nominale et adjectivale.
Les préfixes qui sélectionnent une base verbale peuvent modifier la valeur aspectuelle de
ces verbes en produisant un effet de télicité. C’est le cas, par exemple, des verbes accourir,
apporter, attirer, emporter, emmener, ensabler, emmurer, épuiser, refaire, redire,
repeindre29. Ainsi s’opposent, par exemple, les verbes courir vs. accourir et porter vs.
apporter : alors que courir et porter dénotent des procès non bornés, accourir et apporter
dénotent des procès qui ont une borne finale. Dans l’optique de l’analyse morphologique
constructionnelle (cf. Corbin (2004 : 1294-1295), entre autres), la structure compositionnelle
de ces verbes est la suivante :
(63)
[préfixe [X]V]V
Pour ce qui en est des verbes obtenus à travers un processus de préfixation à partir d’une base
nominale ou adjectivale, il faut remarquer que les verbes à base nominale appartiennent à la
classe des verbes perfectifs (cf. atterrir, alunir, adosser, embarquer, enterrer, enflammer,
débarquer, déterrer, écrémer). Selon Corbin (2004 : 1294), les préfixes des verbes associés à
la structure :
(64)
[préfixe [X]N]V
servent tous à localiser le procès par rapport à ce que dénote la base (par exemple,
terreN
enterrerV ‘mettre dans la terre’ ; terreN
atterrirV ‘arriver jusqu’à la terre’).
Cependant, il y a au moins une exception à la généralisation de Corbin qui semble considérer
les verbes construits à partir d’une base nominale comme des verbes dénotant la phase finale
(But) d’un changement de lieu. Le verbe écrémer, par exemple, est un verbe formé sur la base
du N crème et il dénote un changement d’état.
Par ailleurs, les verbes à base adjectivale ont, selon Corbin (2004), une structure
dérivationnelle du type suivant :
29
Comme l’a remarqué San Giacomo (2004) la lecture répétitive/itérative associée au préfixe ré- est [+télique]
(cf. la note 26).
220
CHAPITRE IV
CONSIDÉRATIONS SUR L’AKTIONSART DE CERTAINS VERBES DE CHANGEMENT D’ÉTAT
(65)
[préfixe [X]A]V
Ils dénotent tous un changement d’état. Comme le remarque Corbin (2004 : 1295) « beaucoup
de préfixes entrant dans cette structure [ont] une instruction sémantique d’ordre aspectuel ».
Par ailleurs, comme nous l’avons montré en (62), les préfixes sont associés à différentes
nuances aspectuelles. Comme l’a observé Corbin (1990 : 49), les verbes dénotant un
changement d’état en français peuvent être construits soit à l’aide de préfixes (principalement
a-, é- et en- (cf. (66a)), soit à l’aide de suffixes comme –ifi(er) ou –is(er), (cf. (66b)), dont
nous ne traiterons pas ici30, soit par conversion (cf. (66c)) :
(66) a. [(Y)préf [X]A]V (ex. appauvrir, élargir, enrichir)
(Corbin (1990 : 49 (8a)))
b. [[X]A(Y)suf]V (ex. humidifier, immobiliser)
c. [[X]A]V (ex. blanchir)
Comme le remarque Corbin les procédés en (66) donnent aux verbes le sens de « rendre (plus)
[adjectif de base] ».
En observant le tableau (62), on voit que les préfixes sont associés à différentes valeurs
aspectuelles et que l’instruction sémantique fondamentale dont est porteur un préfixe peut se
réaliser de façon différente selon la catégorie de la base. Ainsi, comme le montre le tableau
(62), le préfixe en-/em- est associé à un sens scalaire lorsqu’il est ajouté à une base
adjectivale, tandis qu’il est associé à un sens télique (inclusif) lorsqu’il est ajouté à une base
nominale31.
Dans les pages qui suivent nous porterons notre attention sur certains couples de verbes
dé-adjectivaux dont l’un est porteur d’un préfixe, alors que l’autre n’en a pas. Nous verrons
que le préfixe a une incidence sur l’interprétation d’état résultant. Autrement dit, nous verrons
que, dans ces couples de verbes, la forme préfixée est compatible avec l’interprétation d’état
résultant tandis que la forme non préfixée ne l’est pas. En revanche, nous verrons que le
préfixe n’a pas d’incidence sur la compatibilité de ces couples de verbes avec les
30
Nous renvoyons le lecteur aux annexes pour une liste détaillé des suffixes du français.
Di Sciullo (1993 : 76-79) aussi observe que les propriétés aspectuelles des préfixes a-, en-/em-, dé-, é-/ex- et
ré-/re-/r- peuvent varier selon le type de racine verbale avec laquelle ces préfixes se combinent ( « Determining
the semantic properties of these prefixes is complicated by the fact that their interpretation depends on the kind
of root they occur with ; […] » (Di Sciullo 1993 : 76)).
31
221
CHAPITRE IV
CONSIDÉRATIONS SUR L’AKTIONSART DE CERTAINS VERBES DE CHANGEMENT D’ÉTAT
interprétations télique et atélique car aussi bien la forme préfixée que la forme non préfixée
sont compatibles avec ces deux interprétations.
IV.8. Considérations sur l’aspect et sur la syntaxe de certains couples de verbes déadjectivaux [±préfixés] :
Comme nous l’avons observé dans le tableau (55), il existe des couples de verbes de
changement d’état dé-adjectivaux dont l’un est porteur d’un préfixe, alors que l’autre n’en a
pas. Dans ce qui suit nous traiterons des couples grandir vs. agrandir, maigrir vs. maigrir,
mincir vs. amincir et baisser vs. abaisser. Comme le montrent les exemples ci-dessous, le
verbe non préfixé, tout comme le verbe préfixé, se révèle compatible aussi bien avec
l’adverbial ‘en x temps’ qu’avec l’adverbial ‘pendant x temps’. Il nous semble donc que la
compatibilité des verbes en (67)-(72) avec les adverbiaux ‘en x temps’ et ‘pendant x temps’
dépend d’autre chose que du préfixe et, plus précisément, de la sous-spécification des racines
lexicales quant à la catégorie [±télique] :
(67) a. Jean a grandi/maigri/minci en deux ans.
b. Jean a grandi/maigri/minci pendant deux ans.
(68) a. La famille s’est agrandie en deux ans.
b. La famille s’est agrandie pendant deux ans.
(J. Y. Pollock et M. C. Jamet (c.p.))
(J. Y. Pollock et M. C. Jamet (c.p.))
(69) a. Son visage s’est amaigri en deux mois (à cause de son séjour en prison).
b. Son visage s’est amaigri pendant deux mois (tant qu’il était en prison).
(70) a. Son corps s’est aminci en deux mois (à cause de sa fréquentation régulière du
gymnase).
b. Son corps s’est aminci pendant deux mois (tant qu’il a fréquenté régulièrement le
gymnase).
(71) a. La température a baissé en deux heures.
b. La température a baissé pendant deux heures.
(72) a. Le pont-levis s’est abaissé en deux minutes.
b. Le pont-levis s’est abaissé pendant deux minutes.
Comme nous l’avons déjà remarqué dans la section IV.4., la scalarité associée à certains
verbes de changement d’état peut varier selon le type de verbe. En (72) ‘abaisser (pont-levis)’
222
CHAPITRE IV
CONSIDÉRATIONS SUR L’AKTIONSART DE CERTAINS VERBES DE CHANGEMENT D’ÉTAT
est compatible avec une lecture scalaire, mais il existe un point P au-delà duquel le pont-levis
ne peut plus continuer à baisser. En revanche, pour ‘baisser (température)’, il n’y a pas de
point final : la température peut baisser de plus en plus (cf. aussi la section IV.4.). La scalarité
n’est donc pas exactement de même nature dans les deux cas. Pour ce qui en est des verbes
‘agrandir (famille)’, ‘amaigrir (visage)’, ‘amincir (corps)’, ‘grandir’, ‘maigrir’ et ‘mincir’, ils
sont compatibles avec une lecture scalaire. Comme nous l’avons déjà remarqué dans la
section IV.4., avec les verbes du type ‘grandir’, ‘maigrir’ et ‘mincir’, il n’existe pas de point
final P ou de limite supérieure à atteindre car, une fois que Jean a grandi/maigri/minci, il peut
devenir encore plus grand/maigre/mince. La même chose s’observe avec les verbes ‘agrandir’,
‘amaigrir’ et ‘amincir’ : une fois la famille agrandie/le visage amaigri/le corps aminci, la
famille peut s’agrandir de plus en plus, le visage peut s’amaigrir de plus en plus et le corps
peut s’amincir de plus en plus.
Dans les pages suivantes nous verrons que les verbes dé-adjectivaux grandir, maigrir et
mincir, qui ne sont pas compatibles avec la CRE (cf. la section IV.2.), ne sont compatibles
non plus avec l’interprétation d’état résultant, tandis que les verbes dé-adjectivaux agrandir,
amaigrir et amincir sont compatibles avec la CRE et, par conséquent, avec l’interprétation
d’état résultant. À partir de ce fait, nous défendrons l’hypothèse que dans ces couples de
verbes le préfixe a une incidence sur l’aspect. Plus précisément, nous formulerons l’hypothèse
que le préfixe est porteur d’un sens aspectuel scalaire qui est compatible avec l’interprétation
d’état résultant. Nous montrerons donc que, dans ces couples de verbes, il y a des différences
aspectuelles entre le verbe préfixé et le verbe non préfixé en ce qui concerne l’interprétation
d’état résultant.
IV.8.1. Les couples de verbes dé-adjectivaux grandir vs. agrandir, maigrir vs. amaigrir et
mincir vs. amincir :
Il s’avère que certains verbes dé-adjectivaux préfixés contrairement à leurs
correspondants non préfixés s’inscrivent dans le mécanisme productif de la CRE (cf. la
section IV.2.). Plus précisément, la forme préfixée est compatible avec la construction de
l’alternance causative et, par conséquent, elle est compatible avec le ‘se’ anticausatif et avec
l’interprétation d’état résultant sélectionnant l’auxiliaire être. En revanche, la forme non
préfixée n’est pas compatible avec la construction de l’alternance causative et, par
conséquent, elle n’est compatible ni avec le ‘se’ anticausatif ni avec l’interprétation d’état
223
CHAPITRE IV
CONSIDÉRATIONS SUR L’AKTIONSART DE CERTAINS VERBES DE CHANGEMENT D’ÉTAT
résultant. En outre, la forme préfixée ne peut pas être employée intransitivement, tandis que la
forme non préfixée a un emploi intransitif. Voici des exemples illustratifs avec les couples de
verbes grandir vs. agrandir, maigrir vs. amaigrir et mincir vs. amincir :
(73) a. (CAUSATIF) L’effet de la surprise a agrandi ses yeux.
a’ *L’effet de la surprise a grandi ses yeux.
(Labelle (1992 : 391 (37b)))
b. (CRE) Ses yeux se sont agrandis (sous l’effet de la surprise).
b’. *Ses yeux se sont grandis (sous l’effet de la surprise).
c. (EF) Ses yeux sont agrandis.
c’. *Ses yeux sont grandis.
d. (INTRANSITIF) *Jean a agrandi.
d’. Jean a grandi.
(74) a. (CAUSATIF) Son long séjour en prison a amaigri le visage de Marie.
a’. *Son long séjour en prison a maigri le visage de Marie.
b. (CRE) Le visage de Marie s’est amaigri (à cause de son long séjour en prison).
b’. *Le visage de Marie s’est maigri (à cause de son long séjour en prison).
c. (EF) Le visage de Marie est amaigri.
c’. *Le visage de Marie est maigri.
d. (INTRANSITIF) *Jean a amaigri.
d’. Jean a maigri.
(75) a. (CAUSATIF) Sa fréquentation régulière du gymnase a aminci les jambes de Marie.
a’. *Sa fréquentation régulière du gymnase a minci les jambes de Marie.
b. (CRE) Les jambes de Marie se sont amincies (à cause de sa fréquentation régulière
du gymnase).
b’. *Les jambes de Marie se sont mincies (à cause de sa fréquentation régulière du
gymnase).
c. (EF) Les jambes de Marie sont amincies.
c’. *Les jambes de Marie sont mincies.
d. (INTRANSITIF) *Jean a aminci.
d’. Jean a minci.
224
CHAPITRE IV
CONSIDÉRATIONS SUR L’AKTIONSART DE CERTAINS VERBES DE CHANGEMENT D’ÉTAT
Comme nous l’avons observé dans la section IV.2., les verbes grandir, maigrir et mincir ont
un emploi transitif-causatif (ils satisfont donc la condition a. (cf. (15a)) du mécanisme
productif de la CRE) mais ils ne sont pas compatibles avec l’interprétation d’état résultant. En
revanche, la compatibilité des formes préfixées (cf. agrandir, amaigrir et amincir) avec la
CRE implique un changement d’état intrinsèque de l’objet affecté et donc la compatibilité de
ces verbes avec l’interprétation d’état résultant. Étant donné que les contraintes sur
l’acceptabilité de la CRE ne sont pas seulement de nature syntaxique mais aussi de nature
sémantique (le verbe doit dénoter un changement d’état intrinsèque de son Thème), nous
supposons que dans ces couples de verbes c’est le préfixe qui déclenche la compatibilité des
verbes agrandir, amaigrir et amincir avec la CRE et qui permet de satisfaire la contrainte
sémantique sur la CRE. En fait, le préfixe a- (cf. le tableau (62)) est associé à une valeur
aspectuelle dénotant la scalarité du procès par rapport à ce qui dénote la base. Le préfixe aest donc porteur d’un sens aspectuel qui est compatible avec l’interprétation d’état résultant.
En résume, suite à nos observations, nous pouvons tirer ces conclusions :
- la racine lexicale des couples de verbes dé-adjectivaux [±préfixés] que nous avons analysés
est sous-spécifiée au regard de la catégorie [±télique] et c’est pourquoi ces formes sont
compatibles aussi bien avec l’adverbial télique ‘en x temps’ qu’avec l’adverbial atélique
‘pendant x temps’.
- dans ces couples de verbes le préfixe a une incidence sur l’interprétation d’état résultant car
la forme préfixée est compatible avec cette interprétation tandis que la forme non préfixée ne
l’est pas.
Dans les pages suivantes nous rappelons le modèle syntaxique élaboré par Di Sciullo
(1996) pour dériver les verbes dé-adjectivaux et les verbes dé-nominaux parasynthétiques.
Dans le modèle de Di Sciullo le préfixe des verbes parasynthétiques est engendré dans la tête
d’une catégorie prépositionnelle P placée entre un SV et un SA ou un SN.
IV.9. Prépositions et préfixes :
En italien il existe deux préfixes a(d)- et in- qui sont homophones et homographes des
prépositions a et in lesquelles expriment des relations spatio-temporrelles. Comme le montre
le tableau (62), les préfixes a(d)- et in- peuvent être associés à des sens spatiaux : télique
(but), télique (inclusif), directionnel (source). Les locuteurs sont généralement encore
capables de percevoir un lien entre a(d)- et in- et les prépositions a et in. Néanmoins, du point
225
CHAPITRE IV
CONSIDÉRATIONS SUR L’AKTIONSART DE CERTAINS VERBES DE CHANGEMENT D’ÉTAT
de vue phonologique, la forme monosyllabique de ces deux préfixes peut favoriser leur
intégration avec la base et la perte de transparence sémantique du mot dérivé. Par exemple,
dans le cas du verbe ammettere (‘admettre’) la simple adjonction du préfixe a- à ce verbe fait
naître un sens nouveau qui n’entretient pas de lien sémantique immédiat avec le sens spatial
du verbe d’origine.
En ce qui concerne le français, Di Sciullo (1993) observe que les préfixes a- et enressemblent phonologiquement aux prépositions françaises à et en et aux prépositions latines
a(d)- et in-. Selon Di Sciullo, cette ressemblance joue en faveur de l’hypothèse que ces
préfixes sont engendrés en tant que têtes d’un SP. Selon Di Sciullo, donc, les préfixes ne
peuvent pas être engendrés à l’intérieur d’un SV mais ils sont projetés indépendamment.
Selon l’auteur, une des données qui appuient cette hypothèse est que, par exemple, les
préfixes monosyllabiques ac- et em- des verbes accourir et emporter ne s’intègrent pas
totalement avec le radical lexical et que donc, par conséquent, il n’y a pas de perte de
transparence sémantique du mot dérivé à partir des formes sans préfixe courir et porter.
Rappelons qu’il ne s’agit pas ici d’explorer la problématique du statut prépositionnel ou non
prépositionnel des préfixes, cette analyse dépassant notre objectif. Nous nous bornerons donc
à décrire le modèle d’analyse proposé par Di Sciullo (1996) et à voir si, ensuite, son modèle,
qui reconnaît aux préfixes a- et en- un statut prépositionnel, peut nous aider à formuler une
hypothèse de dérivation des verbes dé-adjectivaux et, aussi, dé-nominaux.
IV.9.1. La projection SP (Di Sciullo (1996)) :
Contrairement à l’approche lexicaliste, Di Sciullo (1996) applique à l’analyse de la
morphologie des mots des mécanismes syntaxiques visant à établir des relations
argumentales. L’un des buts de l’analyse de Di Sciullo est de montrer que le préfixe des
verbes dé-adjectivaux et des verbes dé-nominaux est indépendant du verbe au niveau
syntaxique et qu’il est associé à une projection SP. Plus précisément, Di Sciullo suppose que
la tête P° du SP est ou bien remplie par un préfixe (cf., par exemple, les verbes dé-adjectivaux
amincir (‘assottigliare’) et embellir (‘imbellire’) et les verbes dé-nominaux accrocher
(‘appendere’) et enterrer (‘sotterrare’)), ou bien vide (cf., par exemple, le verbe dé-adjectival
rougir (‘arrossire’) et le verbe dé-nominal seller (‘sellare’) :
226
CHAPITRE IV
CONSIDÉRATIONS SUR L’AKTIONSART DE CERTAINS VERBES DE CHANGEMENT D’ÉTAT
(76) a.
Vmax
V’
SN
Pmax
V°
-ir
-ir
Amax
P°
aemA°
mince
belle
b.
Vmax
V’
SN
Pmax
V°
-er
-er
Nmax
P°
aenN°
crochet
terre
227
CHAPITRE IV
CONSIDÉRATIONS SUR L’AKTIONSART DE CERTAINS VERBES DE CHANGEMENT D’ÉTAT
(77) a.
Vmax
V’
SN
Pmax
V°
-ir
Amax
P°
Ø
A°
rouge
b.
Vmax
V’
SN
Pmax
V°
-er
Nmax
P°
Ø
N°
selle
Dans la section I.10., nous avons observé que les verbes de changement d’état sont
compatibles avec une construction transitive-causative dont l’objet est affecté par le
changement d’état et que l’objet peut devenir le sujet d’une phrase intransitive marquant l’état
228
CHAPITRE IV
CONSIDÉRATIONS SUR L’AKTIONSART DE CERTAINS VERBES DE CHANGEMENT D’ÉTAT
résultant du changement. Le paradigme syntaxique appariant ces deux constructions est
appelé ‘alternance causative’. Nous avons aussi observé que, dans l’optique des primitifs
sémantiques de Jackendoff (1990), la sémantique de l’alternance causative est représentée de
la façon suivante :
(78)
[x CAUSE [y BECOME [STATE]]]
et que dans l’optique de Hale et Keyser (1993), la représentation sémantique de l’alternance
causative avec les verbes de changement d’état correspond à une structure syntaxique bien
définie :
(79)
Sv
v’
SV
CAUSE
V’
SvR
DEVENIR
vR’
SX
ETAT
Par ailleurs, nous avons observé (cf. la section I.10. et la sous-section I.12.2.) que certains
verbes de changement de lieu sont compatibles avec l’alternance causative et, donc, avec une
structure comme la suivante :
229
CHAPITRE IV
CONSIDÉRATIONS SUR L’AKTIONSART DE CERTAINS VERBES DE CHANGEMENT D’ÉTAT
(80)
Sv
v’
SV
CAUSE
V’
SvR
TRANSITION
vR’
SX
ETAT
Dans les pages suivantes nous proposons un affinement de la structure syntaxique élaborée
par Di Sciullo. En particulier, nous proposons d’engendrer le préfixe des verbes de
changement d’état dé-adjectivaux tels que agrandir, amaigrir et amincir et des verbes dénominaux tels que ensabler, enterrer et emmurer dans la tête P° d’un SP en exploitant,
respectivement, une structure syntaxique à double SV comme (79) et (80). Plus précisément,
nous supposerons qu’avec ces verbes le préfixe est engendré dans la tête d’un SP qui
correspond sémantiquement à la projection SvR dénotant l’état résultant (cf. (79) et (80)).
IV.10. La dérivation du préfixe et les projections SP et SvR :
Une alternative à l’analyse de Di Sciullo est de considérer le SP où est engendré le
préfixe du verbe dé-adjectival ou dé-nominal comme un SP complexe. Comme le remarquent
Zubizarreta et Oh (2007 : 16), les SP complexes sont ainsi appelés car ils se composent de
230
CHAPITRE IV
CONSIDÉRATIONS SUR L’AKTIONSART DE CERTAINS VERBES DE CHANGEMENT D’ÉTAT
deux projections SP. Dans le SP enchâssé sont engendrées les prépositions locatives, tandis
que dans le SP externe sont engendrées les prépositions directionnelles. La preuve de la
complexité des SP directionnels est l’existence de prépositions complexes comme la
préposition anglaise into ‘en-à’, composée de la préposition directionnelle to ‘à’ et de la
préposition locative in ‘en’ cliticisée à la préposition to (cf. Zubizarreta et Oh (2007 : 16) et
les références citées dans ce texte) :
(81)
John went into the room.
(Zubizarreta et Oh (2007: 16 (38)))
Lit. Jean est allé dans-à la pièce.
‘Jean est entré dans la pièce.’
Il s’ensuit, donc, que les prépositions locatives sont associées à une seule projection SP (cf.
(82)), tandis que les prépositions directionnelles sont associées à un SP complexe composé de
deux projections SP (cf. (83))32 :
(82)
[SP P [SD D]]
[SV Jean [V est [SP dans [SD le parc]]]]
Jean est dans le parc.
(83)
[SP P [SP P [SD D]]]
[SV Jean [V est allé [SP à [SP Ø [SD le parc]]]]]
Jean est allé au parc.
Dans la sous-section IV.8.1. nous avons supposé que dans les couples de verbes grandir vs.
agrandir, maigrir vs. amaigrir et mincir vs. amincir le préfixe a- est porteur d’un sens
aspectuel scalaire (cf. le tableau (62)) qui est compatible avec l’interprétation d’état résultant.
À partir de ces observations, nous supposons, avec Di Sciullo, que le préfixe a- de ces verbes
est engendré dans la tête d’un SP mais, contrairement à Di Sciullo, nous supposons que ce SP
correspond sémantiquement à la projection SvR dénotant l’état résultant d’un changement
32
Zubizarreta et Oh (2007 : 16) appliquent la même analyse aux phrases anglaises correspondantes :
(i)
John is in the park.
(ii)
John went to the park.
231
CHAPITRE IV
CONSIDÉRATIONS SUR L’AKTIONSART DE CERTAINS VERBES DE CHANGEMENT D’ÉTAT
d’état (cf. (79)). Par exemple, le préfixe du verbe de changement d’état amincir
(‘assottigliare’) serait engendré de la manière suivante :
(84)
SV[-ir SvR/SP[vR°/P°
a- SX=SA[A° mince]]]
SV[-ir SvR/SP[vR°/P°
a-mincej SX=SA[A° tj]]]
SV[amincej-ir SvR/SP[ vR°/P° t j SX=SA[ A°
tj]]]
a-mince-ir > amincir.
Nous supposons avec Di Sciullo que les verbes de changement d’état dé-adjectivaux non
préfixés compatibles avec l’interprétation d’état résultant projettent malgré tout un SP et, dans
l’optique de notre hypothèse, nous supposons que, dans ce cas, la tête du SP locatif est
remplie par une catégorie locative non réalisée phonologiquement 33. Donc, en (85), l’adjectif
fusionnerait avec cette catégorie dans SP par un processus morphologique opaque
d’incorporation :
33
Di Sciullo (1996 : 182-183) propose, elle aussi, que, dans le cas des verbes dé-adjectivaux non préfixés, la tête
P° est remplie par une catégorie non réalisée phonologiquement et que cette catégorie est une catégorie abstraite
conceptuelle « abstract conceptual category ». Cette analyse s’inspire à grands traits à l’analyse de Hale et
Keyser (1993), ensuite reprise par Hale et Keyser (2002), dont nous traiterons dans la sous-section IV.10.1.
Selon Di Sciullo, la tête P° associée à la structure syntaxique d’un verbe dé-adjectival comme rougir (cf. (77a))
est remplie par la catégorie conceptuelle [AT] (‘en’). Di Sciullo n’explique pas qu’elle est la fonction de cette
catégorie conceptuelle. Dans la sous-section IV.10.1., dans l’optique de Hale et Keyser (2002), nous formulerons
l’hypothèse qu’il existe une catégorie conceptuelle/fonctionnelle δ qui met en relation le sujet avec la base
adjectivale du verbe et que cette catégorie δ déclenche une relation de stativité entre le sujet et la base adjectivale
du verbe non préfixé. La catégorie δ correspond donc à la catégorie [AT] employée par Di Sciullo. Nous
supposerons donc qu’une catégorie du type δ soit représentée dans la dérivation d’une phrase comme :
(i)
L’eau est rougie.
(cf. (96))
En revanche, Di Sciullo associe la tête P° de la structure dérivationnelle d’un verbe dé-nominal non préfixé
comme seller (cf. (77b)) à la catégorie conceptuelle abstraite [WITH] (‘avec’). Dans l’optique de Hale et Keyser
(2002), cette catégorie a la fonction de mettre en relation le sujet avec la base nominale d’un verbe et elle
déclenche une relation ‘possessive’ entre le sujet et la base nominale du verbe comme le montrent les exemples
(iia) et (iib) tirés de Hale et Keyser (2002 : 19 (35a,b)) :
(ii) a. She saddled the horse.
Elle a sellé le cheval.
b. She fitted the horse with a saddle.
Elle a équipé/muni le cheval d’une selle.
Pour ce qui est des verbes dé-nominaux non préfixés tels que seller, dans l’optique de Hale et Keyser (2002),
nous formulerons l’hypothèse qu’il existe une catégorie δ correspondant à la catégorie [WITH] et que cette
catégorie soit représentée dans la dérivation d’une phrase comme :
(iii) Le cheval est sellé.
(cf. (101))
Pour ce qui est des verbes dé-adjectivaux préfixés (cf. (95)) et des verbes dé-nominaux préfixés (cf. (98)), nous
formulerons l’hypothèse que cette catégorie relationnelle n’est pas abstraite mais qu’elle est représentée par le
préfixe de ces verbes et qu’elle est engendrée en P°.
232
CHAPITRE IV
CONSIDÉRATIONS SUR L’AKTIONSART DE CERTAINS VERBES DE CHANGEMENT D’ÉTAT
(85)
SV[-ir SvR/SP[vR°/P°
Ø SX=SA[A° jaune/rouge/grand]]]
SV[-ir SvR/SP[vR°/P°
Ø-jaunej/rougej/grandj SX=SA[A° tj]]]
SV[Ø-jaunej/Ø-rougej/Ø-grandj-ir SvR/SP[ vR°/P°
Ø- tj SX=SA[A° tj]]]
Ø-jaune-ir/Ø-rouge-ir/Ø-grand-ir > jaunir/rougir/grandir.
Pour ce qui est des verbes dé-nominaux tels que enterrer, ensabler, emmurer, accrocher etc.,
ils sont associés à la structure dérivationnelle [préfixe [X] N]V selon Corbin (2004) (cf. la
section IV.7.) et ils servent tous à localiser le procès par rapport à ce que dénote la base (par
exemple, terreN
sable’ ; murN
enterrerV ‘mettre dans la terre’ ; sableN
ensablerV ‘mettre dans le
emmurer ‘mettre dans un mur’ ; crochetN
accrocher ‘mettre sur un
crochet’). Comme pour les verbes de changement d’état agrandir, amaigrir et amincir, nous
supposons que le préfixe des verbes dé-nominaux enterrer, ensabler, emmurer et accrocher
est engendré dans la tête d’un SP locatif et qu’il correspond sémantiquement à la projection
SvR dénotant l’état résultant d’un changement de lieu (cf. (80)) :
(86)
SV[-er SvR/SP[vR°/P°
en-/a- SX=SN[N° terre/crochet]]]
SV[-er SvR/SP[vR°/P°
en-terrej/a-crochetj SX=SN[N° tj]]]
SV[enterrej/accroch(et)j-er SvR/SP[ vR°/P° t j SX=SN[N°
tj]]]
en-terre-er > enterrer ; a-croch(et)-er > accrocher.
Nous supposons que si le verbe dé-nominal n’est pas préfixé, il projette quand même un SP
locatif dont la tête est remplie par une catégorie locative non phonologiquement réalisée :
(87)
SV[-er SvR/SP[vR°/P°
Ø SX=SN[N° selle]]]
SV[-er SvR/SP[vR°/P°
Ø-sellej SX=SN[N° tj]]]
SV[Ø-sellej-er SvR/SP[vR°/P° t j SX=SN[N°
tj]]]
Ø-seller > seller.
L’idée d’une préposition locative marquant l’état résultant dans amincir en (84) semble
impliquer que dans une phrase prédicative comme :
233
CHAPITRE IV
CONSIDÉRATIONS SUR L’AKTIONSART DE CERTAINS VERBES DE CHANGEMENT D’ÉTAT
(88)
Paul est mince.
le prédicat mince est précédé d’une préposition locative vide.
Dans la prochaine sous-section nous porterons notre attention sur la relation entre le SP
locatif et les catégories A(djectif) et N(om).
IV.10.1. La notion de « central coincidence » (Hale et Keyser (2002)) :
Dans leur monographie Prolegomenon to a Theory of Argument Structure parue en 2002,
Hale et Keyser reviennent au chapitre VII aux relations événementielles de ‘coïncidence
centrale’ ( « central coincidence » ) et ‘coïncidence terminale’ ( « terminal coincidence » ) qui
ont fait l’objet d’une série de leurs articles parus avant 2002 (cf. Hale et Keyser (2002) et les
références citées dans ce texte). Dans l’optique de Hale et Keyser (2002), une phrase
stative/prédicative comme celle en (88) peut être structuralement représentée comme une
relation entre un SN engendré dans [spéc. SV] et un complément adjectival. C’est cette
relation que les auteurs appellent relation de ‘coïncidence centrale’ qui correspond à la notion
de stativité. La relation de ‘coïncidence terminale’ correspond, en revanche, à une
interprétation télique impliquant un changement (nous dirons, transition) 34. Dans l’optique de
Hale et Keyser la représentation d’une phrase comme (88) serait la suivante :
(89)
V
SN
Paul
V
V°
est
Amax
mince
34
Nous renvoyons le lecteur à Hale et Keyser (2002) pour plus de détails à ce propos.
234
CHAPITRE IV
CONSIDÉRATIONS SUR L’AKTIONSART DE CERTAINS VERBES DE CHANGEMENT D’ÉTAT
En (89) la position dans [spéc. SV] accueille le spécificateur (Paul) requis par l’adjectif,
tandis qu’en V° se place la copule être.
La stativité n’est pas une propriété exclusive de certains verbes (cf. les verbes
comprendre et connaître, la copule être, etc.) mais elle est associée à d’autres catégories
comme, par exemple, les prépositions. Dans l’introduction à cette section, nous avons rappelé
que les prépositions locatives sont généralement analysées comme des têtes P°.
Hale et Keyser (2002 : 160) étiquettent les prépositions locatives comme des prépositions
dénotant une relation de ‘coïncidence centrale’. Ils observent, par exemple, que dans une
phrase comme :
(90)
With [Annan in Baghdad], we can relax.
(Hale et Keyser (2002 : 220 (32)))
Avec Annan à Baghdad, nous pouvons nous rassurer.
la préposition in (‘à’) met en relation la position de l’entité Annan avec le lieu Baghdad de
sorte qu’on comprend que Annan est/se trouve à Baghdad :
(91)
SP
SD
Annan
P'
P°
N
in
Baghdad
Considérons maintenant la phrase suivante contenant une SC :
235
CHAPITRE IV
CONSIDÉRATIONS SUR L’AKTIONSART DE CERTAINS VERBES DE CHANGEMENT D’ÉTAT
(92)
We found SC[the sky clear].
(Hale et Keyser 2002 : 206 (2a)))
Lit. Nous avons trouvé le ciel dégagé
Hale et Keyser (2002) observent que la relation entre le SD the sky et l’adjectif clear est une
relation de ‘coïncidence centrale’. Ils supposent donc l’existence d’une catégorie
fonctionnelle δ capable de mettre en relation ces deux éléments. La catégorie fonctionnelle δ
pourrait être paraphrasée par l’expression ‘se trouver dans l’état d’être X’. Tout comme P en
(91), δ aurait donc la fonction de marquer la stativité. La phrase en (92) est ainsi représentée
par Hale et Keyser (2002 : 207) :
(93)
Sδ
δ'
SD
the sky
δ°
Amax
clear
Dans l’optique de Hale et Keyser (2002), une phrase copulative/prédicative comme celle en
(88) aurait donc la représentation structurale reproduite en (94) où le symbole Ø indique que
la tête de la projection Sδ est remplie par une catégorie conceptuelle abstraite impliquant une
relation de ‘coïncidence centrale’ entre le SN Paul et l’adjectif mince :
(94)
SV[Paul V°[est Sδ[(Paul) δ°[
Ø[A mince]]]]]
Dans l’introduction à cette section, nous avons supposé que le préfixe des couples de verbes
dé-adjectivaux grandir vs. agrandir, maigrir vs. amaigrir et mincir vs. amincir est engendré
236
CHAPITRE IV
CONSIDÉRATIONS SUR L’AKTIONSART DE CERTAINS VERBES DE CHANGEMENT D’ÉTAT
dans la tête d’une projection SP qui correspond sémantiquement à la projection SvR dénotant
l’état résultant (cf. (79)).
Dans l’optique de Hale et Keyser (2002), nous supposons qu’avec les verbes sans
préfixe, qui sont compatibles avec une interprétation d’état résultant, la projection SP est
remplacée par la projection Sδ impliquant une relation de ‘coïncidence centrale’ entre l’entité
affectée par le changement et la qualité dénotée par l’adjectif engendré dans le SA (cf. (96)).
Par ailleurs, nous supposons que le préfixe aussi se comporte comme un élément dénotant une
relation de ‘coïncidence centrale’ puisqu’il met en relation l’état dans lequel se trouve l’entité
affectée par le changement avec la qualité dénotée par l’adjectif dans le SA (cf. (95)) :
(95)
(96)
Marie est amincie.
SvR/SP[Marie vR°/P°[
a- SX=SA[A° mince]]]
SvR/SP[Marie vR°/P°[
est a-minciej SX=SA[A° tj]]]35
L’eau est rougie.
SvR/Sδ
[L’eau vR°/δ°[ Ø- SX=SA[A° rougie]]]
SvR/Sδ
[L'eau vR°/δ°[ est Ø-rougiej SX=SA[A° tj]]]
Pour ce qui est des verbes dé-nominaux tels que enterrer, ensabler, emmurer, accrocher etc.,
nous avons vu qu’ils servent tous à localiser le procès par rapport à ce que dénote la base
nominale. Nous avons donc supposé (cf. (86)) que leur préfixe est un préfixe locatif engendré,
par hypothèse, dans la tête d’un SP locatif. Or, selon la définition de Hale et Keyser (2002)
(cf. supra), les prépositions locatives dénotent une relation de ‘coïncidence centrale’ qui
correspond à la notion de stativité. Étant donné que les verbes dé-nominaux enterrer,
ensabler, emmurer et accrocher servent tous à localiser un procès par rapport à ce que dénote
la base, nous supposons que leur préfixe met en relation la position de l’entité qui subit le
35
Par souci de simplicité, nous avons placé l’auxiliaire et le participe passé dans vR°/δ°. Selon l’hypothèse
courante en grammaire générative, le sujet est engendré dans le spécificateur de la projection SV, qui correspond
à notre SvR/Sδ, puis il se déplace dans [spéc. SI], tandis que l’auxiliaire est engendré dans la tête d’une
projection SAux (syntagme de l’auxiliaire) entre SI (syntagme de la flexion verbale) et SV. Le participe passé se
place, par hypothèse, dans la tête de la projection SAcc. p. passé (syntagme de l’accord du participe passé) qui se
situe entre les projections SI et SV mais au-dessous de SAux. C’est dans la tête de la projection SAcc. p. passé
que le participe passé vérifie ses traits d’accord, (cf. Kayne (2000) pour une analyse plus approfondie).
237
CHAPITRE IV
CONSIDÉRATIONS SUR L’AKTIONSART DE CERTAINS VERBES DE CHANGEMENT D’ÉTAT
changement de lieu avec le lieu final du procès. Autrement dit, nous supposons que dans des
phrases comme :
(97) a. Leur grand-mère est enterrée.
b. Le bateau est ensablé.
c. La plupart des desaparecidos chiliens sont emmurés.
d. Le manteau de mon père est accroché.
les préfixes a- et en- peuvent fonctionner comme des prépositions locatives qui mettent dans
une relation de ‘coïncidence centrale’ chaque SN sujet avec son lieu de sorte qu’on comprend
que Leur grand-mère est/se trouve sous la terre ; Le bateau est/se trouve sous le sable ; La
plupart des cadavres des desaparecidos chiliens sont/se trouvent à l’intérieur d’un mur ; Le
manteau de mon père est/se trouve sur un crochet (cf. (91)). Nous supposons donc que tout
comme pour certains verbes dé-adjectivaux préfixés aussi pour certains verbes dé-nominaux
préfixés la relation de stativité est représentée par le préfixe engendré la tète P° d’une
projection SP et que cette relation de stativité pourrait être paraphrasée avec l’expression ‘se
trouver dans un lieu X’ :
(98) a. Leur grand-mère est enterrée.
SvR/SP[Leur
grand-mère vR°/P°[ en- SX=SN[N° terre]]]
SvR/SP[Leur
grand mère vR°/P°[ est en-terréej SX= SN[N° tj]]]
b. Le bateau est ensablé.
SvR/SP[Le
bateau vR°/P°[ en- SX=SN[N° sable]]]
SvR/SP[Le
bateau vR°/P°[ est en-sabléj SX= SN[N° tj]]]
c. La plupart des desaparecidos chiliens sont emmurés.
SvR/SP[La
plupart des desaparecidos chiliens vR°/P°[ en- SX=SN[N° mur]]]
SvR/SP[La
plupart des desaparecidos chiliens vR°/P°[ sont en-murésj SX= SN[N° tj]]]
d. Le manteau de mon père est accroché.
SvR/SP[Le
manteau de mon père vR°/P°[ a- SX=SN[N° crochet]]]
SvR/SP[Le
manteau de mon père vR°/P°[ est ac-crochéj SX= SN[N° tj]]]
Autrement dit, les verbes enterrer, ensabler, emmurer et accrocher dénotent un changement
de lieu dont l’état résultant est représenté en (99) (voir aussi (97)) :
238
CHAPITRE IV
CONSIDÉRATIONS SUR L’AKTIONSART DE CERTAINS VERBES DE CHANGEMENT D’ÉTAT
(99) a. Les petits-enfants ont enterré leur grand-mère.
b. La poussée des vagues a fini par ensabler le bateau.
Leur grand-mère est enterrée.
Le bateau est ensablé.
c. Pinochet a fait emmurer la plupart des desaparecidos chiliens.
La plupart des
desaparecidos chiliens sont emmurés.
d. La femme de ménage a accroché le manteau de mon père.
Le manteau de
mon père est accroché.
Le fait qu’on ait le même préfixe dans embeillir, emmurrer et ensabler tout comme dans
agrandir, amaigrir et accrocher contribue à prouver que ces préfixes peuvent être interprétés
comme des prédicats locatifs qui peuvent être paraphrasés respectivement par les expressions
‘se trouver dans l’état d’être X’ et ‘se trouver dans un lieu X’.
En résumé, nous proposons qu’avec ces verbes les préfixes a- et en- ont un contenu
locatif et que ce contenu locatif peut être associé au niveau syntaxique avec la tête P° d’un SP
locatif. La catégorie conceptuelle à laquelle nous avons relié ces préfixes est celle de la
stativité ou ‘coïncidence centrale’ selon la définition de Hale et Keyser (2002). Les
prépositions locatives ‘à’ et ‘en’ sont généralement analysées comme des prédicats
locatifs/statifs lorsqu’elles apparaissent dans une phrase copulative/prédicative. Plus
précisément, étant donné que la copule ‘être’ est considérée comme un verbe ‘à montée’, ces
prépositions sont analysées en structure profonde comme le prédicat d’une phrase réduite SC
( « small clause » ) composée par le SN sujet et un complément locatif dénotant le lieu où se
trouve le sujet :
(100) a. Jean est à Rome.
est SC[Jean à Rome]
b. Jean est en Roumanie.
est SC[Jean en Roumanie]
Par ailleurs, nous supposons qu’avec les verbes dé-nominaux sans préfixe tels que seller, qui
sont compatibles avec une interprétation d’état résultant, la projection SP est remplacée par la
projection Sδ impliquant une relation de ‘coïncidence centrale’ (nous dirons de stativité) entre
l’entité qui subit le changement (le cheval) et ce qui dénote la base nominale (selle)36 :
36
Cf. à ce propos la note 33.
239
CHAPITRE IV
CONSIDÉRATIONS SUR L’AKTIONSART DE CERTAINS VERBES DE CHANGEMENT D’ÉTAT
(101)
Le cheval est sellé.
SvR/Sδ
[Le cheval vR°/δ°[ Ø- SX=SN[N° selle]]]
SvR/Sδ
[Le cheval vR°/δ°[ est Ø-selléj SX=SN[N° tj]]]
IV.11. Récapitulation :
Dans cette deuxième partie du chapitre, nous avons montré que la compatibilité des
couples de verbes dé-adjectivaux grandir vs. agrandir, maigrir vs. amaigrir et mincir vs.
amincir aussi bien avec l’adverbial télique ‘en x temps’ qu’avec l’adverbial atélique ‘pendant
x temps’ est à ramener à la sous-spécification de la racine lexicale de ces verbes au regard de
la catégorie [±télique].
La compatibilité des formes préfixées (cf. agrandir, amaigrir et amincir) avec la CRE
implique un changement d’état intrinsèque du Thème, et donc la compatibilité de ces verbes
avec l’interprétation d’état résultant (cf. la section IV.2.). Étant donné que les contraintes sur
l’acceptabilité de la CRE ne sont pas seulement de nature syntaxique mais aussi de nature
sémantique, nous supposons que dans ces couples de verbes c’est le préfixe qui déclenche la
compatibilité des verbes agrandir, amaigrir et amincir avec la CRE et qui permet de satisfaire
la contrainte sémantique sur la CRE. En fait, le préfixe a- (cf. le tableau (62)) est associé à
une valeur aspectuelle dénotant la scalarité du procès par rapport à ce que dénote la base. Le
préfixe a- est donc porteur d’un sens aspectuel qui est compatible avec l’interprétation d’état
résultant.
Puis, en remaniant l’analyse de Di Sciullo (1996), nous avons proposé de dériver le
préfixe a- de ces couples de verbes dans la tête d’une projection prépositionnelle (SP) qui
correspond, sémantiquement, à la projection SvR dénotant l’état résultant. Dans l’optique de
Hale et Keyser (2002), nous avons proposé que, dans ces couples de verbes, le préfixe adéclenche un relation de ‘coïncidence centrale’ qui est compatible avec l’interprétation d’état
résultant. Nous avons proposé aussi que l’adjectif qui est à la base des verbes dé-adjectivaux
non préfixés compatibles avec l’interprétation d’état résultant fusionne en P° avec une
catégorie conceptuelle abstraite δ (cf. Hale et Keyser (2002) qui déclenche une relation de
stativité (nous dirons d’état résultant ou, dans les termes de Hale et Keyser (2002) de
‘coïncidence centrale’) entre l’entité affectée par le changement d’état et la propriété dénotée
par l’adjectif. En ce qui concerne les verbes dé-adjectivaux préfixés qui n’ont pas de
correspondant sans préfixe (cf. appauvrir, embellir, améliorer, etc.), nous supposons que leur
240
CHAPITRE IV
CONSIDÉRATIONS SUR L’AKTIONSART DE CERTAINS VERBES DE CHANGEMENT D’ÉTAT
préfixe est engendré dans la tête d’une projection SP qui correspond à une projection SvR
dénotant l’état résultant.
Nous avons analysé aussi certains verbes dé-nominaux préfixés par les préfixes a- et en(cf. enterrer, ensabler, emmurer et accrocher) et nous avons formulé l’hypothèse d’engendrer
leurs préfixes dans la tête d’une projection locative SP. Étant donné que ces verbes servent
tous à localiser un procès par rapport à ce que dénote la base nominale, nous avons supposé
que leur préfixe met en relation la position de l’entité qui subit le changement de lieu, avec le
lieu final du procès. Plus précisément, nous avons supposé que ces préfixes signalent une
relation de stativité ou ‘coïncidence centrale’, selon la définition de Hale et Keyser (2002),
entre l’entité qui subit le déplacement et le lieu final du procès. En revanche, pour ce qui est
des verbes dé-nominaux sans préfixe tels que seller, nous avons supposé, dans l’optique de
Hale et Keyser (2002), que la relation de ‘coïncidence centrale’ est représentée par une
catégorie conceptuelle abstraite δ qui met est relation le sujet avec l’interprétation d’état
résultant.
IV.12. Conclusion du chapitre :
Dans ce chapitre nous avons observé qu’en français tout comme en italien les verbes de
changement d’état se divisent en trois classes. Il y a les verbes qui admettent aussi bien une
forme réflexive ‘se+être’ qu’une forme intransitive non réflexive, ceux qui admettent
seulement la forme réflexive et ceux qui admettent seulement la forme intransitive non
réflexive. En français la forme intransitive non réflexive des verbes de changement d’état est
compatible seulement avec l’auxiliaire avoir. En revanche, en italien la forme intransitive non
réflexive de ces verbes sélectionne l’auxiliaire essere, mais l’auxiliaire avere n’est pas
complètement exclu, au moins dans certains cas. Autrement dit, en italien, contrairement
qu’au français, l’auxiliaire essere peut être sélectionné par la classe des verbes de changement
d’état en l’absence de ‘se’. Nous avons remarqué que dans les deux langues l’auxiliaire ‘être’,
quand il est en compétition avec l’auxiliaire ‘avoir’, favorise une lecture télique. Nous avons
aussi observé que l’idée de l’ambiguïté lexicale inhérente à ces verbes n’est pas en conflit
avec l’idée que l’auxiliaire ‘être’ favorise une lecture télique et que l’auxiliaire ‘avoir’
favorise une lecture atélique (là où les deux auxiliaires sont disponibles). La forme
intransitive non réflexive des verbes de changement d’état sélectionnant l’auxiliaire essere en
italien, et la forme intransitive réflexive des verbes de changement d’état sélectionnant la
241
CHAPITRE IV
CONSIDÉRATIONS SUR L’AKTIONSART DE CERTAINS VERBES DE CHANGEMENT D’ÉTAT
séquence se+être en français partagent une propriété qui est commune aux auxiliaires essere
et être, à savoir la compatibilité avec un contexte télique. L’analyse des propriétés
aspectuelles variables de certains verbes de changement d’état, tels ‘fondre’, ‘cuire’, ‘brûler’,
‘geler’ et ‘bouillir’ nous a conduite à formuler l’hypothèse que le radical lexical de ces verbes
est sous-spécifié par rapport à l’Aktionsart.
Dans la deuxième partie du chapitre, nous avons décrits les couples de verbes déadjectivaux grandir vs. agrandir, maigrir vs. amaigrir et mincir vs. amincir dont l’un est
porteur d’un préfixe, alors que l’autre n’en a pas. Nous avons montré que les deux membres
de ces couples sont compatibles aussi bien avec une interprétation télique qu’avec une
interprétation atélique et que cette variabilité dépend de la sous-spécification des racines
lexicales de ces verbes quant à la catégorie [±télique]. Bien que nous ayons observé que dans
ces couples de verbes la variabilité entre la lecture télique et la lecture atélique dépend de la
sous-spécification de la racine lexicale et pas du préfixe, nous avons observé aussi que la
forme préfixée est compatible avec une interprétation d’état résultant, tandis que la forme non
préfixée ne l’est pas. À partir de ce fait, nous avons défendu l’hypothèse que dans ces couples
de verbes le préfixe a une incidence sur l’aspect. Plus précisément, nous avons supposé que le
préfixe a- est porteur d’un sens aspectuel scalaire qui est compatible avec l’interprétation
d’état résultant. En dernier lieu, nous avons tenté de donner une représentation syntaxique de
la dérivation de ce préfixe à l’intérieur de la structure syntaxique à double SV, élaborée
d’abord par Larson (1988) et reprise ensuite par Hale et Keyser (1993), en exploitant l’analyse
de Di Sciullo (1996). Plus précisément, en remaniant l’analyse de Di Sciullo (1996), nous
avons proposé de dériver le préfixe a- de ces couples de verbes dans la tête d’une projection
prépositionnelle (SP), qui correspond sémantiquement à la projection SvR dénotant l’état
résultant. Nous avons étendu cette analyse aussi à certains verbes dé-nominaux doués d’un
préfixe et compatibles, eux aussi, avec une interprétation d’état résultant.
242
.
CONCLUSION
Dans l’introduction à cette thèse, nous nous étions proposée d’analyser la distribution des
auxiliaires ‘être’ et ‘avoir’ avec certains verbes intransitifs dans une perspective comparative
français/italien. En commençant à travailler sur un groupe restreint de verbes intransitifs, nous
avons cherché à dégager les propriétés sémantiques, aspectuelles et syntaxiques liées à la
distribution de ces auxiliaires, ce qui a posé un problème : comment parler des différentes
propriétés sous-jacentes à la sélection de l’auxiliaire sans employer une approche
méthodologique permettant de les intégrer ?. Il s’est donc révélé indispensable de créer un
chapitre introductif où nous avons analysé, à grands traits, les ingrédients principaux de notre
analyse : les notions d’aspect et d’Aktionsart, la théorie syntaxique de l’Inaccusativité, et les
tests d’inaccusativité.
L’aspect est un domaine particulièrement riche et qui a été traité par un grand nombre
d’approches. Or, comme l’un des objectifs de cette étude est la description des propriétés
aspectuelles et syntaxiques sous-jacentes à la sélection de l’auxiliaire, nous avons limité notre
analyse de l’aspect aux formes auxiliées du passé composé. Plus précisément, les paramètres
aspectuels qui ont joué un rôle déterminant dans notre étude sont la télicité, l’atélicité et l’état
résultant. Ces paramètres, tout comme le paramètre de la direction, nous ont aidées à éclaircir
certains points concernant la structure argumentale de verbes tels que ‘monter’, ‘descendre’,
‘courir’ et ‘accourir’, entre autres.
D’après l’Hypothèse Inaccusative, les paramètres de la télicité et de l’atélicité sont
associés, respectivement, aux verbes inaccusatifs et aux verbes inergatifs. Il s’avère
néanmoins que l’auxiliaire ‘être’, considéré comme un indice fort d’inaccusativité, est
compatible avec un contexte atélique signalé par l’adverbial ‘pendant x temps’ (cf. les verbes
‘monter’ et ‘descendre’) et que certains verbes inergatifs sélectionnant l’auxiliaire ‘avoir’ sont
compatibles avec un contexte télique signalé par l’adverbial ‘en x temps’. Dans une
perspective comparative français/italien, il s’avère, entre autres, que certains verbes qui
sélectionnent essere en italien ont comme forme correspondante en français un verbe
sélectionnant l’auxiliaire avoir. C’est un fait connu que les verbes qui sélectionnent
l’auxiliaire être en français sont une sous-classe des verbes qui sélectionnent essere en italien
243
CONCLUSION
(cf. Legendre et Sorace (2003)). À partir de ces considérations, nous avons avancé
l’hypothèse, déjà soutenue par Burzio (1981, 1986), Legendre (1989), Ruwet (1989),
Legendre et Sorace (2003), entre autres, que les verbes intransitifs qui sélectionnent avoir en
français, et dont le verbe italien correspondant sélectionne essere, sont, eux aussi,
inaccusatifs. Sur la base de ces observations, nous avons ensuite essayé de montrer que,
même si ces verbes diffèrent quant au choix de l’auxiliaire dans les deux langues, ils sont
similaires du point de vue aspectuel. Afin de dégager les interactions entre l’expression de
l’événement et la structure syntaxique des verbes dits inaccusatifs nous avons exploité la
structure de la ‘coquille SV’ proposée par Larson (1988) et élaborée par Hale et Keyser
(1993). Plus précisément, nous avons soutenu que les verbes inaccusatifs de changement de
lieu, en tant que verbes intransitifs, ne projettent jamais un Sv en syntaxe mais qu’une Cause
est néanmoins représentée au niveau événementiel. Cette hypothèse nous a permis d’exploiter
la structure de la ‘coquille SV’ sans contrevenir à un principe fondamental de l’Hypothèse
Inaccusative, stipulant que les verbes inaccusatifs ne projettent jamais un argument externe.
À la fin de cette étude, notre position vis-à-vis de l’Hypothèse Inaccusative ne nous
conduit pas à reformuler cette hypothèse d’une façon radicale mais, plutôt, à retenir certains
critères d’inaccusativité. Nos résultats ne nous conduisent pas à mettre en question l’idée
centrale de l’Hypothèse Inaccusative, laquelle prévoit que les verbes intransitifs se
subdivisent en deux sous-classes selon le statut interne ou externe de leur argument ; en outre,
d’après nos conclusions, la sélection de l’auxiliaire être est toujours un signe d’inaccusativité,
tandis que la sélection de l’auxiliaire avoir n’est pas un signe d’inergativité en français,
comme le soutiennent d’autres auteurs tels, entre autres, Burzio (1981, 1986) et Legendre
(1989), (cf. supra).
En résumé, les paramètres de la télicité et de l’atélicité ne sont pas des critères solides
d’inaccusativité car certains verbes inaccusatifs peuvent être compatibles aussi bien avec un
contexte télique qu’avec un contexte atélique. En ce qui concerne les auxiliaires essere et
avere, ils sont, respectivement, un indice fort d’inaccusativité et d’inergativité en italien. En
revanche, en français, bien que l’auxiliaire être soit un indice fort d’inaccusativité, il s’avère
que l’auxiliaire avoir n’est pas un signe fort d’inergativité. Autrement dit, en français, certains
verbes inaccusatifs sélectionnent l’auxiliaire avoir. Il s’ensuit donc que la sélection de
l’auxiliaire est un critère solide d’inaccusativité seulement en italien et pas en français. Il faut
retenir aussi que l’interprétation télique ou atélique des verbes inaccusatifs ne dépend pas du
244
CONCLUSION
type d’auxiliaire sélectionné. Certains verbes qui sélectionnent l’auxiliaire ‘être’, et qui sont
donc inaccusatifs, sont compatibles aussi bien avec un contexte télique qu’avec un contexte
atélique dans les deux langues (cf. les verbes ‘monter’ et ‘descendre’). Comme nous l’avons
déjà remarqué, en français, certains verbes sélectionnant l’auxiliaire avoir sont inaccusatifs et
ils sont compatibles aussi bien avec un contexte télique qu’avec un contexte atélique (cf. les
verbes ‘monter’ et ‘descendre’ employés avec un sujet [-animé] et le verbe ‘couler’, entre
autres). Nous avons aussi traité la question très débattue du statut agentif/intentionnel et non
agentif/non intentionnel du sujet des verbes inaccusatifs. Bien que nous ayons apporté des
arguments à l’appui de l’hypothèse que le sujet des verbes inaccusatifs est un Thème associé
au faisceau de traits [-c, -m] dans les termes de Reinhart et Siloni (2005), nous avons observé
aussi que l’effet intentionnel associé au sujet de ces verbes n’a pas besoin de l’explicitation
d’une proposition finale ou d’un adverbe de volonté comme ‘délibérément’ pour être compris
comme intentionnel. Ces variations suggèrent que le paramètre de l’intentionnalité au regard
de ces verbes devrait être analysé d’une façon plus détaillée.
Il faut souligner aussi que l’Hypothèse Inaccusative prédit correctement que les verbes
du type ‘venir’, ‘arriver’, etc. ne peuvent pas se passiver : *Il a été venu/arrivé ici récemment.
Pourtant, le verbe ‘parvenir’ (dérivé de ‘venir’), qui sélectionne l’auxiliaire être en français et
qui doit donc être inaccusatif, admet le passif impersonnel : Il a été parvenu à un compromis
acceptable (voir, entre autres, Zribi-Hertz (1987) et Legendre (1987, 1990)). Sur ce point
donc ‘parvenir’ contraste avec ‘arriver’, dont le contenu sémantique est pourtant très proche :
*Il a été arrivé à un compromis acceptable. Nous n’avons pas à ce stade d’hypothèse à
proposer pour expliquer la compatibilité du verbe ‘parvenir’ avec la construction passive
impersonnelle. Cette question demeure donc ouverte tout comme demeurent encore ouvertes
d’autres questions soulevées au cours de notre analyse.
L’analyse des verbes de changement d’état au chapitre IV nous a permis d’approfondir
les relations entre le type d’auxiliaire sélectionné par ces verbes dans les deux langues et les
interprétations télique et atélique. Nous avons observé qu’en français tout comme en italien
les verbes de changement d’état se divisent en trois classes. Il y a les verbes qui admettent
aussi bien une forme réflexive ‘se+être’ qu’une forme intransitive non réflexive, ceux qui
admettent seulement la forme réflexive et ceux qui admettent seulement la forme intransitive
non réflexive. Nous avons observé aussi qu’en italien, contrairement qu’au français,
l’auxiliaire essere peut être sélectionné par la classe des verbes de changement d’état en
245
CONCLUSION
l’absence de ‘se’. En outre, nous avons remarqué que dans les deux langues l’auxiliaire ‘être’,
quand il est en compétition avec l’auxiliaire ‘avoir’, favorise une lecture télique. À partir de
ce fait, nous avons donc établit un rapprochement entre la forme intransitive non réflexive des
verbes de changement d’état sélectionnant l’auxiliaire essere, en italien, et la forme
intransitive réflexive des verbes de changement d’état sélectionnant la séquence se+être en
français sur la base de la propriété commune aux auxiliaires essere et être, c’est-à-dire la
compatibilité avec un contexte télique. Nous avons observé aussi que même si la sélection de
l’auxiliaire ‘être’ est corrélée à un effet télique, tandis que la sélection de l’auxiliaire ‘avoir’
est plutôt associée à un effet non télique, l’auxiliaire ‘être’ n’est pas complètement exclu dans
un contexte atélique, tout comme l’auxiliaire ‘avoir’ n’est pas complètement agrammatical
dans un contexte télique. Nous avons soutenu que cette variabilité peut s’expliquer en
stipulant une ambigüité inhérente à la racine lexicale des verbes analysés.
En dernier lieu, nous voudrions revenir, encore une fois, sur la question du groupe
restreint de verbes que nous avons analysés. Les données analysées dans cette étude ne sont
pas exhaustives puisque nous n’avons pas cherché à dresser des listes complètes de verbes.
Toutefois, la manière de traiter ces données dépend de ce que l’on veut obtenir comme
renseignements. En général, à travers cette étude, nous espérons avoir contribué à la
réorientation du débat sur les verbes inaccusatifs. À notre avis, dans l’avenir, ce débat devrait
se faire d’une façon transversale, c’est-à-dire dans l’optique d’une interaction entre l’aspect,
la structure événementielle et la structure argumentale de ces verbes. L’approche que nous
avons essayé de développer se révèle donc un premier essai empirique afin de détecter ces
interactions pour certains verbes identifiables comme inaccusatifs.
Comme n’importe quel travail de recherche, cette étude a également soulevé un certain
nombre de questions qui demeurent ouvertes. Un groupe plus large et plus détaillé de verbes
devra certainement être étudié en détail afin d’élargir la description et d’obtenir beaucoup plus
d’informations empiriques. En particulier, il serait intéressant de tester la distribution des
auxiliaires essere et avere dans les variétés régionales de l’italien, et dans l’italien parlé par
les plus jeunes locuteurs. Ensuite, il serait également intéressant de comparer la distribution
de essere et avere avec la distribution des auxiliaires être et avoir en français dialectal (cf.
Leeman (1994) et le travail toujours actuel de Blanche-Benveniste (1977), entre autres).
L’analyse de la distribution des auxiliaires être et avoir en français québécois, en français
acadien et dans d’autres variétés de français d’Amérique mériterait, elle aussi, une étude plus
246
CONCLUSION
approfondie. Il serait également intéressant d’étudier la diachronie de la distribution des
auxiliaires ‘être’ et ‘avoir’ aussi bien en français qu’en italien.
247
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257
ANNEXES
(cf. chapitre IV)
258
ANNEXES
Annexe I. Liste des préfixes du français tirée de Béchade (1992 : 108-112) :
a-, an-, ab-, ad-, ac-, af-, al-, ap-, anté-, anti-, après-, archi-, arch-, arrière-, avant-, bien-,
bis-, bi-, circon-, circum-, cis-, com-, co-, col-, con-, contre-, di-, dis-, dé-, des-, dys-, en-,
em-, épi-, ex- é-, ef-, es-, extra-, hémi-, hyper-, hypo-, in-, il-, im-, ir-, infra-, inter-, entre-,
intra-, juxta-, mal-, més-, mé-, méta-, mi-, non-, outre-, para-, par-, péné-, pén-, per-, par-,
péri-, plus-, post-, pré-, pro-, pour-, re-, ré-, ra-, r-, rétro-, sans-, semi-, sous-, sou-, sub-,
super-, supra-, sur-, sus-, trans-, tres-, tré-, tri-, tris-, ultra-, vice-, vi-.
Dans l’Annexe II. nous reproduisons des exemples de verbes préfixés tirés de Béchade
(1992). Il s’agit de formes préfixées et pas de formes parasynthétiques car, une fois le préfixe
enlevé, on obtient un verbe, quelle que soit sa dérivation (un nom ou un adjectif).
Annexe II. Verbes préfixés :
préfixe
exemple
1
a-, ac-, ad-,
af-, al-, ap-,
ar-
abattre, accoupler,
adjoindre, affaiblir, allonger,
apposer, arranger.
2
anti-
antidater.
3
bis-
bistourner.
4
co-
coexister.
5
contre-
contrebalancer, contrebattre,
contrefaire, contre-indiquer,
contresigner.
6
dé-, dés-
décharger, désamorcer.
7
en-, em-
endormir, enfermer, emmener.
8
ef-, es-
effeuiller, essouffler.
9
inter-, entre-
interposer, entremêler,
s'entretuer, entrevoir.
10
mal-
malmener.
11
més-, mé-
mésestimer, méconnaître.
259
ANNEXES
préfixe
exemple
12
outre-
outrepasser.
13
post-
postposer.
14
pré-
préétablir.
15
re-, ré-, ra-,
r-
recouvrir, redire, redorer,
refermer, refroidir, relire,
remettre, replier, replonger,
retourner, réarmer, rééditer,
réunir, rafraîchir, ramener,
rattraper.
16
rétro-
rétropédaler.
17
sous-
sous-entendre, sous-louer.
18
sub-
subdiviser.
19
super-
superposer.
20
sur-
suralimenter, surcharger.
21
trans-, tré-
transpercer, trépasser.
Annexe III. Liste des suffixes verbaux du français tirée de Béchade (1992 : 108-112) :
-aill-er, -ass-er, -c-ir, -el-er, -er, -(e)t-er, -(i)fi-er, -ill-er, -in-er, -ir, -is-er, -nich-er, -och-er,
-onn-er, -ot-er, -ouill-er, -oy-er.
Comme le remarque Béchade (1992 : 119), « [les suffixes verbaux] permettent de créer des
dérivés aussi bien sur des bases substantivales, adjectivales que verbales ». Les exemples de
l’Annexe IV. se réfèrent à des verbes obtenus par un processus de suffixation à partir d’un
verbe déjà existant.
260
ANNEXES
Annexe IV. Dérivation par suffixation à partir d’une base verbale :
suffixe
exemple
crier > criailler, discuter > discutailler,
fumer > fumailler, tirer > tirailler.
baver > bavasser,
pleuvoir > pleuvasser,
traîner > traînasser.
1
-aill-er
2
-ass-er
3
-el-er
craquer > craqueler.
4
-(e)t-er
marquer > marqueter.
5
-ill-er
boiter > boitiller.
6
-nich-er
pleurer > pleurnicher.
7
-och-er
effiler > effilocher.
8
-onn-er
9
-ot-er
10
-ouill-er
mâcher > mâchouiller.
11
-oy-er
tourner > tournoyer.
chanter > chantonner,
griffer > griffonner.
siffler > siffloter, tousser> toussoter,
trafiquer > traficoter.
261
ANNEXES
Annexe V. Dérivation par suffixation à partir d’une base adjectivale :
suffixe
exemple
1
-c-ir
dur > durcir, fort > forcir.
2
-er
faux > fausser.
3
-(i)fi-er
bon > bonifier, solide > solidifier.
4
-ir
blond > blondir, faible > faiblir.
5
-is-er
banal > banaliser, fidèle > fidéliser,
légal > légaliser.
6
-ouill-er
vaseux > vasouiller.
7
-oy-er
vert > verdoyer, rouge > rougeoyer.
Annexe VI. Dérivation par suffixation à partir d’une base nominale :
suffixe
exemple
1
-aill-er
ferre > ferrailler, flirt > flirtailler,
rime > rimailler.
2
-el-er
bosse > bosseler, grain > greneler.
3
-er
timbre > timbrer, voyage > voyager.
4
-(e)t-er
5
-(i)fi-er
6
-ill-er
grappe > grappiller.
7
-in-er
trot > trottiner.
8
-ir
fleur > fleurir.
9
-is-er
miniature > miniaturiser,
pacte > pactiser.
10
-ot-er
piano > pianoter, sirop > siro(p)ter.
11
-ouill-er
patrouille > pat(r)ouiller.
12
-oy-er
larme > larmoyer, poudre > poudroyer.
froufrou > froufrouter,
mouche > moucheter.
nid > nidifier, os > ossifier,
statue > statufier, vitre > vitrifier.
262
ANNEXES
Annexe VII. Liste des préfixes de l’italien tirée de Jacobini (2004 : 108) :
a-, ab-, ad-, ante-, anti-, archi-, arci-, auto-, avan-, bis-, circum-, cir-, cis-, citra-, co-, com-,
con-, contra-, contro-, de-, di-, dis-, e-, es-, estra-, estro-, ex-, extra-, fra-, giusta-, in-, infra-,
inter-, intra-, intro-, iper-, ipo-, macro-, maxi-, mega-, meta-, micro-, mini-, mis-, multi-, neo-,
non-, ob-, oltre-, para-, per-, pluri-, poli-, post-, pre-, pro-, ra-, re-, retro-, ri-, rin-, s-, se-,
semi-, so-, sor-, sopra-/sovra-, sotto-, stra-, su-, sub-, super-, sur-, tra-, trans-, tras-, ultra-,
vice-.
Annexe VIII. Verbes préfixés :
préfixe
exemple
1
ac-, ad-, af-, am-,
ap-
accorrere, adornare, affluire,
ammettere, apporre.
2
ante-
anteporre.
3
auto-
autodenunciarsi, autofinanziarsi,
autogestire, autogovernarsi, autoproclamarsi.
4
co-, con-
coabitare, copartecipare, contenere.
5
contro-, contra-
6
de-, dis-, di-
7
fra-
fraintendere, frapporre.
8
giusta-
giustapporre.
9
in-, im-
incominciare, immettere,
imporre.
10
infra-
inframmettere, inframmischiare.
11
inter-, intra-, intro-
interagire, interconnettere, intercorrere, intravedere,
intromettere.
12
iper-
ipervalutare.
13
ipo-
iponutrirsi.
controbattere, controbilanciare, controindicare,
contraddire.
decodificare, decomporre,
decomprimere, demilitarizzare, denasalizzare,
depolarizzare, dequalificare, detassare, detrarre,
disapprovare, disarmare, disconnettere, disfare,
disidratare, disinteressarsi, disobbedire, disossidare,
disseminare, disellare.
263
ANNEXES
préfixe
exemple
14
oltre-
oltrepassare.
15
pos(t)-
posporre, posticipare.
preavvisare, preconfezionare, predeterminare,
predire, preesistere, prefabbricare, prefissare,
premeditare, preporre.
raccontare, rapprendere, recedere, reinserire,
reintegrare, respingere, riaccendere, rialzare,
riascoltare, riassumere, ribollire, ributtare,
ricercare, richiedere, ricomporre, ridare, ridire,
riemergere, rifare, rifluire, rigettare, rileggere,
rimandare, rimettere, riportare, ripulire, riscaldare,
risentire, rispedire, rispolverare, ritassare,
rivendere, rinchiudere, rincorrere, rintracciare.
16
pre-
17
ra-, re-, ri-, rin-
18
retro-
retrocedere, retrodatare.
19
s-
sbloccare, scacciare, scambiare, scaricare,
scucire, sfiorire, sgonfiare, sgridare, slegare,
smacchiare, smascherare, smettere, smuovere,
sparlare, spettinare, spremere, sragionare, stappare,
stendere, storcere, svendere, svestire.
20
semi-
semiconvincere, seminascondere.
21
so-
22
23
sobbalzare, socchiudere, soffermare,
soffriggere, soppesare.
sopraelevare, sopraggiungere, sopravvalutare,
sopravvenire, sopravvivere, sovrapporre,
sopra-, sovra-, sor- sovrabbondare, sovraccaricare, sovrapagare,
sovrastare, sovrastimare, sormontare, sorpassare,
sorprendere, sorvolare.
sottolineare, sottopagare, sottoscrivere, sottostare,
sottosottostimare, sottovalutare.
24
stra-
strafare, strapagare, straparlare.
25
sub-
subaffittare, subappaltare.
26
super-
superpagare.
27
sur-
surgelare.
28
tra-, tras-
traforare, trasmettere, trasudare.
264
ANNEXES
Annexe IX. Liste des suffixes verbaux de l’italien tirée de Bertinetto (2004 : 465-472) :
-acchi-are, -icchi-are, -ol-are, -eggi-are, -ucchi-are, -azz-are, -erell-are, -ett-are, -ic-are,
-ecchi-are, -uzz-are, -acci-are, -iccic-are, -ign-are, -izz-are, -arell-are, -ell-are, -icchin-are,
-icci-are, -iggin-are, -in-are, -occhi-are, -onzol-are, -ott-are, -ottol-are, -ucol-are, -ugli-are,
-uzzic-are.
Annexe X. Dérivation par suffixation à partir d’une base verbale :
suffixe
exemple
fumare > fumacchiare, bruciare > bruciacchiare,
innamorarsi > innamoracchiarsi, rubare > rubacchiare,
stirare > stiracchiare, vivere > vivacchiare.
cantare > canticchiare, dormire > dormicchiare,
mordere > mordicchiare.
guadagnare > guadagnucchiare, leggere > leggiucchiare,
mangiare > mangiucchiare.
1
-acchi-are
2
-icchi-are
3
-ucchi-are
4
-occhi-are
sgranare > sgranocchiare.
5
-ell-are
bucare > bucherellare, cantare > canterellare,
trottare > trotterellare.
6
-eggi-are
palpare > palpeggiare.
7
-ett-are
fischiare > fischiettare.
8
-acci-are
spendere > spendacciare.
9
-azz-are
bere > (s)bevazzare, copiare > *(s)copiazzare,
correre > *(s)corrazzare, piegare > *(s)piegazzare,
volare > *(s)volazzare.
10
-onzol-are
girare > gironzolare.
11
-ecchi-are
pungere > punzecchiare.
265
ANNEXES
Annexe XI. Liste des suffixes verbaux de l’italien qui permettent de dériver un verbe à partir
d’une base adjectivale et/ou à partir d’une base nominale (Grossmann (2004 : 450-465)) :
-eggi-are, -ific-are, -izz-are, -ic-are, -it-are, -ett-are, -ol-are, -are, -ire.
Les suffixes -eggi-are, -ific-are et -izz-are sont très productifs en italien et ils sont employés
pour dériver des verbes à partir d’une base nominale ou adjectivale. Ils sont tous suivis du
morphème -are caractérisant les verbes appartenant à la première conjugaison. Il existe
d’autres suffixes peu productifs comme -ic-are et -it-are qui sont employés pour dériver des
verbes à partir d’une base adjectivale et -ett-are et -ol-are qui sont employés pour dériver des
verbes à partir d’une base nominale. Les suffixes - are et -ire s’emploient aussi bien avec des
bases adjectivales qu’avec des bases nominales tout comme leurs correspondants français -er
et -ir (cf. les Annexes V. et VI.).
Annexe XII. Dérivation par suffixation à partir d’une base adjectivale :
suffixe
exemple
bianco > biancheggiare, pari > pareggiare,
scarso > scarseggiare, verde > verdeggiare.
autentico > autentificare, intenso > intensificare,
pari > parificare, umido > umidificare.
marginale > marginalizzare,
ovale > ovalizzare, privato > privatizzare,
sterile > sterilizzare.
1
-eggi-are
2
-ific-are
3
-izz-are
4
-ic-are
zoppo > zoppicare.
5
-it-are
capace > capacitare, facile > facilitare.
6
-are
attivo > attivare, calmo > calmare,
curioso > curiosare.
7
-ire
chiaro > chiarire, zitto > zittire.
266
ANNEXES
Annexe XIII. Dérivation par suffixation à partir d’une base nominale :
suffixe
1
2
3
exemple
alpi > alpeggiare, arpa > arpeggiare,
borsa > borseggiare, capitano > capitaneggiare,
capo > capeggiare, costa > costeggiare,
favore > favoreggiare, filosofia > filosofeggiare,
gara > gareggiare, lampo > lampeggiare,
-eggi-are
ombra > ombreggiare, padrone > padroneggiare,
palla > palleggiare, pavone > pavoneggiarsi,
poltrona > poltroneggiare, scimmia > scimmieggiare,
serpe > serpeggiare, simbolo > simboleggiare,
spuma > spumeggiare, verso > verseggiare.
cemento > cementificare, gas > gas(s)ificare,
-ific-are osso > ossificare, pietra > pietrificare,
vetro > vetrificare.
carbone > carbonizzare, gamba > gambizzare,
gelatina > gelatinizzare, ghetto > ghettizzare,
ipotesi > ipotizzare, marmo > marmorizzare,
-izz-are
miniatura > miniaturizzare, motore > motorizzare,
ospedale > ospedalizzare, teoria > teorizzare,
vitamina > vitaminizzare.
4
-ett-are
sgambetto > sgambettare, ticchettio > ticchettare.
5
-ol-are
branca > brancolare.
6
-are
arma > armare, olio > oliare, parcheggio > parcheggiare,
sci > sciare, telefono > telefonare.
7
-ire
fiore > fiorire.
267