università ca` foscari di venezia université de paris viii
Transcription
università ca` foscari di venezia université de paris viii
UNIVERSITÀ UNIVERSITÉ DE PARIS VIII CA’ FOSCARI DI VENEZIA VINCENNES-SAINT-DENIS Dottorato di ricerca in École Doctorale Cognition, Langage, Linguistica e Filologia Moderna, 20°ciclo. Interaction. (A.A. 2004/2005 – A.A. 2006/2007) matricola : 955053 U.F.R. Sciences du Langage Settore scientifico-disciplinare di afferenza : DOCTORAT EN SCIENCES DU LANGAGE L-FIL-LET/09 Discipline : Linguistique MARA MANENTE L’ASPECT, LES AUXILIAIRES ‘ÊTRE’ ET ‘AVOIR’ ET L’HYPOTHÈSE INACCUSATIVE DANS UNE PERSPECTIVE COMPARATIVE FRANÇAIS/ITALIEN Thèse en cotutelle dirigée par M. Guglielmo CINQUE / Mme Anne ZRIBI-HERTZ Soutenue le 30/05/2008 JURY M. Guglielmo CINQUE Mme Anne ZRIBI-HERTZ Université Ca’ Foscari de Venise (directeur de thèse) Université de Paris VIII (directrice de thèse) Mme Brenda LACA Mme Marie-France MERGER Université de Paris VIII Université de Pise M. Christopher LAENZLINGER M. Ruggero DRUETTA Université de Genève (pré-rapporteur) Université de Turin (pré-rapporteur) Coordinatore del dottorato : Prof. Guglielmo Cinque Directeur de l’École Doctorale : M. Alain Blanchet REMERCIEMENTS Nombreuses sont les personnes qui m’ont guidée, aidée et soutenue pendant la rédaction de cette thèse. Mes remerciements vont en premier lieu à mes directeurs de recherche, les professeurs Guglielmo Cinque et Anne Zribi-Hertz qui m’ont toujours soutenue dans mon effort et avec lesquels j’ai eu des discussions très stimulantes. Merci aussi à tous ceux qui ont participé, d’une manière ou d’une autre, à l’aboutissement de cette étude, soit Laura Brugè, Carmel Mary Coonan, Alessandra Giorgi et Giuliana Giusti du Département des Sciences du Langage de l’Université de Venise et, en particulier, Maria Teresa Biason et Anna Cardinaletti pour leur soutien ininterrompu. Un remerciement particulier à Antonietta Bisetto, Pierre Cadiot, Denis Creissels, Brenda Laca, Béatrice Lamiroy, Lidia Lonzi, Cecilia Poletto, Jean-Yves Pollock, Dominique Sportiche, Sara Vecchiato et Maria Luisa Zubizarreta pour leur disponibilité. Je désire manifester aussi ma gratitude envers Marie-Thérèse Vinet de l’université de Sherbrooke, Luc Baronian de l’université du Québec à Chicoutimi et Ruth King de l’université de York pour leur générosité à m’aider avec les données concernant les variétés de français parlé au Canada. Je voudrais exprimer aussi ma gratitude aux étudiants, aux doctorants et aux « post-doc » du Département des Sciences du Langage de l’Université de Venise et de Paris VIII pour leur soutien, leurs conseils et leurs encouragements : Muhsina Alleesaib, Michele Brunelli, Stéphanie Chèvre, Marco Coniglio, Francesco Costantini, Steffen Heidinger, Veselina Laskova, María Martinez-Atienza, Benjamin Massot, Megan Rae, Jasper Roodenburg, Gerhard Schaden, Francesca Volpato et, tout spécialement, à Cristina Real-Puigdollers de l’université autonome de Barcelone avec laquelle j’ai partagé beaucoup d’idées et dont l’aide m’a beaucoup inspirée. Je n’oublie pas Marie-Christine Jamet toujours présente pour un conseil ou une suggestion. Je dois beaucoup, cela va sans dire, à mes parents, à mes amis et principalement à Ezio pour sa présence, sa patience, son amour…. 2 Résumé court/Abstract Titre : L’aspect, les auxiliaires ‘être’ et ‘avoir’ et l’Hypothèse Inaccusative dans une perspective comparative français/italien. Résumé court : Cette thèse décrit la distribution des auxiliaires ‘être’ et ‘avoir’ dans leur rapport avec certains verbes intransitifs dans une perspective comparative français/italien. Nous avons focalisé notre attention principalement sur deux sujets : la valeur aspectuelle du passé composé avec les auxiliaires ‘être’ et ‘avoir’ et le rôle joué par ces auxiliaires dans l’Hypothèse Inaccusative. En ce qui concerne la valeur aspectuelle du passé composé, nous nous sommes penchés sur les interprétations résultative et d’état résultant associées à la sélection de l’auxiliaire ‘être’ et, en particulier, sur les implications aspectuelles et syntaxiques de ces interprétations. Dans notre étude, nous avons analysé aussi les paramètres de la télicité, atélicité et de la direction. En particulier, nous avons vu que ces paramètres sont compatibles aussi bien avec la sélection de l’auxiliaire ‘être’ qu’avec la sélection de l’auxiliaire ‘avoir’. Ces considérations nous ont aidés aussi à fournir des preuves empiriques concernant l’Hypothèse Inaccusative. Mots-clés : télicité, atélicité, aspect, inaccusativité, auxiliaires, direction, résultativité, état résultant. Title: The aspect, the auxiliaries ‘être’ and ‘avoir’ and the Unaccusative Hypothesis in a comparative analysis French/Italian. Abstract: This dissertation is, essentially, an attempt to study the distribution of the auxiliaries ‘être’ and ‘avoir’ with some intransitive verbs in a comparative analysis French/Italian. Basically, two topics are at the centre of our attention – the aspectual value of the present perfect with the auxiliaries ‘être’ and ‘avoir’, and the role played by these auxiliaries in the Unaccusative Hypothesis. As for the aspectual value of the present perfect, we have focused on the resultative and resultant state interpretations of the auxiliary ‘être’ and on some of their aspectual and syntactic implications. The parameters telicity, atelicity and directionality are also involved in our analysis. In particular, we have shown that these parameters are compatible both with the selection of the auxiliary ‘être’ and with the selection of the auxiliary ‘avoir’. These considerations have also helped us to provide more empirical evidence concerning the Unaccusative Hypothesis. Key words: telicity, atelicity, aspect, unaccusativity, auxiliaries, directionality, resultativity, resultant state. 3 Résumé Cette thèse est organisée en quatre chapitres consacrés à l’analyse de la distribution des auxiliaires ‘être’ et ‘avoir’ avec certains verbes intransitifs dans une perspective comparative français/italien. En particulier, nous avons focalisé notre attention sur deux sujets : la valeur aspectuelle du passé composé avec les auxiliaires ‘être’ et ‘avoir’ et le rôle joué par les auxiliaires dans l’Hypothèse Inaccusative. En ce qui concerne la valeur aspectuelle du passé composé, nous nous sommes penchée sur les interprétations résultative et d’état résultant et, en particulier, sur les implications aspectuelles et syntaxiques de ces interprétations. Nous avons soutenu que l’état résultant est la condition nécessaire pour déclencher l’interprétation résultative mais que ces deux interprétations diffèrent au niveau aspectuel. Plus précisément, sur la base de l’analyse formelle des événements élaborée par Pustejovsky (1991), nous avons soutenu que l’état résultant est associé à la place événementielle <e2 >, tandis que l’interprétation résultative est associée à la valeur aspectuelle [+durative] impliquant un intervalle de temps entre <e 2> et T0 (moment de l’énonciation). En ce qui concerne la sélection de l’auxiliaire, nous avons vu que, contrairement à l’interprétation résultative, l’interprétation d’état résultant est indissolublement liée à la sélection de l’auxiliaire ‘être’ et que dans ce cas ‘être’ n’est plus interprété comme un auxiliaire mais comme la copule d’une phrase prédicative. En français le contexte permet de désambiguïser les deux interprétations dans les cas où la forme du passé composé serait homophone de la forme prédicative (c’est le cas, par exemple, des verbes ‘arriver’, ‘partir’, ‘entrer’, ‘sortir’, ‘tomber’, ‘monter’, ‘descendre’, ‘mourir’, ‘rester’, etc.), tandis que pour tous les autres verbes, le passé composé est distinct de la construction à copule à cause de la sélection de l’auxiliaire avoir. C’est un fait connu que les verbes qui sélectionnent l’auxiliaire être en français sont une sous-classe des verbes qui sélectionnent essere en italien (cf. Legendre et Sorace (2003)). À partir de ce fait, certains auteurs tels que Burzio (1981, 1986), Legendre (1989), Ruwet (1989), Legendre et Sorace (2003), entre autres, ont supposé que les verbes intransitifs qui sélectionnent avoir en français, et dont le correspondant italien sélectionne essere, sont eux aussi inaccusatifs. Comme nous l’avons observé (cf. supra), l’interprétation d’état résultant 4 est associée à la sélection de l’auxiliaire ‘être’. Toutefois, en français, exception faite de certains verbes (cf. supra), l’auxiliaire être, contrairement à ce qu’on observe avec l’auxiliaire essere en italien, n’est pas associé à une interprétation perfective. À partir de ces considérations, nous avons essayé de montrer que l’homologie entre les critères de sélection de l’auxiliaire essere en italien et de l’auxiliaire avoir en français, homologie supposée par les auteurs cités plus haut, se justifie à travers une analyse de type temporel et aspectuel. Au cours de la thèse, nous avons aussi essayé de proposer une réorientation du débat sur l’inaccusativité en termes syntaxiques en exploitant l’hypothèse de la coquille SV ( « VP shell » ) élaborée d’abord par Larson (1988) et ensuite reprise par Hale et Keyser (1993). La thèse est organisée de la façon suivante : dans le premier chapitre, nous avons passé en revue les hypothèses pertinentes pour l’analyse des phénomènes observés dans notre étude. En particulier, nous nous sommes arrêtée sur la quadripartition aspectuelle des prédicats verbaux en états, activités, accomplissements et achèvements élaborée par Vendler (1957) et sur l’analyse formelle des événements élaborée par Pustejovsky (1991). Sur la base de ces analyses, nous avons observé que, quand on admet l’appartenance à une classe événementielle plutôt qu’à une autre, en réalité on renvoie à une série de contextes typiques dans lesquels le verbe peut apparaître. Au cours de la thèse, nous avons montré qu’un verbe peut apparaître dans différents contextes aspectuels et que l’analyse de Vendler et Pustejovsky ne montre donc pas d’inacceptabilités tranchées. Nous avons conclu le premier chapitre en analysant brièvement les différents tests d’inaccusativité mentionnés dans la littérature générative. Dans le deuxième chapitre nous avons analysé en détail les paramètres aspectuels de la télicité, de l’atélicité et de la direction. En particulier, nous avons observé que l’auxiliaire ‘être’ est associé non seulement à des verbes intrinsèquement téliques mais aussi à des verbes à matrice lexicale atélique comme ‘monter’ et ‘descendre’. Sur la base de ces observations, nous avons essayé de détecter les implications de ces paramètres dans la sémantique et dans la structure argumentale de certains verbes intransitifs. Sur la base de nos résultats descriptifs, nous avons élaboré notre hypothèse de dérivation des phrases inaccusatives en exploitant la coquille SV. Dans le troisième chapitre nous avons analysé la catégorie aspectuelle de la résultativité et la compatibilité de l’adverbial ‘depuis x temps’, marqueur par excellence de l’aspect résultatif, avec l’interprétation perfective. La deuxième partie du chapitre revient sur la catégorie aspectuelle de l’état résultant. En nous appuyant sur l’analyse formelle envisagée 5 pour l’état résultant (cf. supra), nous avons soutenu que le participe absolu (PA) est compatible avec cette interprétation. Étant donné que l’interprétation d’état résultant est associée à la sélection de l’auxiliaire ‘être’, nous avons essayé de montrer que le participe passé des verbes compatibles avec le PA est réinterprété dans cette construction comme un élément prédicatif correspondant à un adverbe ou à un adjectif, selon le type de verbe considéré. Le quatrième chapitre analyse certains aspects des verbes de changement d’état. Plus précisément, nous avons analysé la relation entre le type d’auxiliaire sélectionné et les paramètres de la télicité et de l’atélicité. Nous avons observé que la variabilité dans l’interprétation de certains de ces verbes est à ramener, probablement, à l’ambiguïté de leur Aktionsart. En outre, nous avons analysé la distribution du ‘se’ inchoatif avec certains de ces verbes. En dernier lieu, nous avons approfondi certains aspects des couples de verbes de changement d’état dé-adjectivaux [±préfixés], (cf. grandir vs. agrandir, maigrir vs. amaigrir, etc.). En résumé, les données analysées dans cette étude ne sont pas exhaustives au sens où nous n’avons pas cherché à dresser des listes complètes de verbes. Néanmoins, nous croyons avoir analysé un nombre suffisant de verbes pour permettre de dégager des tendances aspectuelles et syntaxiques associées à certains verbes intransitifs. En particulier, l’approche syntaxique que nous avons développée pour la dérivation des phrases inaccusatives est une première tentative pour expliciter les interactions entre la structure événementielle et la structure syntaxique de certains verbes inaccusatifs. Riassunto La tesi è organizzata in quattro capitoli dedicati all’analisi comparativa della distribuzione degli ausiliari ‘être’ e ‘avoir’ in alcune classi di verbi intransitivi in francese e in italiano. Ci siamo concentrati principalmente su due argomenti: il valore aspettuale attribuito al passato prossimo a seconda dell’ausiliare selezionato e il ruolo degli ausiliari ‘être’ e ‘avoir’ nell’Ipotesi Inaccusativa. Per quanto riguarda il valore aspettuale del passato prossimo, ci siamo soffermati sull’interpretazione risultativa e sull’interpretazione denotante lo stato risultante. In particolare, abbiamo approfondito le implicazioni aspettuali e sintattiche associate a queste 6 due interpretazioni. Abbiamo sostenuto che lo stato risultante è la condizione necessaria per ottenere l’interpretazione risultativa, ma che queste due interpretazioni differiscono a livello aspettuale. Più precisamente, basandoci sull’analisi formale degli eventi elaborata da Pustejovsky (1991), abbiamo sostenuto che lo stato risultante è associato alla posizione evenemenziale <e2>, mentre l’interpretazione risultativa è associata al valore aspettuale [+durativo] denotante un intervallo temporale tra la posizione evenemenziale <e 2> e T0 (momento dell’enunciazione). Per quanto riguarda la selezione dell’ausiliare, abbiamo osservato che l’interpretazione di stato risultante è associata alla selezione dell’ausiliare ‘être’ e che in questo caso ‘être’ non è più interpretato come un ausiliare ma come la copula di una frase predicativa. In francese il contesto permette di disambiguare le due interpretazioni nel caso in cui la forma del passato prossimo è omofona della forma predicativa (è quanto succede, ad esempio, per i verbi ‘arriver’, ‘partir’, ‘entrer’, ‘sortir’, ‘tomber’, ‘monter’, ‘descendre’, ‘mourir’, ‘rester’, ecc.), mentre per tutti gli altri verbi, il passato prossimo è distinto dalla costruzione copulativa a causa della selezione dell’ausiliare avoir. È risaputo che i verbi selezionanti l’ausiliare être in francese sono una sotto classe dei verbi che selezionano essere in italiano (cf. Legendre e Sorace (2003)). Sulla base di questo dato, alcuni autori come Burzio (1981, 1986), Legendre (1989), Ruwet (1989), Legendre e Sorace (2003) hanno ipotizzato che i verbi intransitivi che selezionano avoir in francese, e la cui forma corrispondente italiana seleziona essere, sono anch’essi inaccusativi. Come abbiamo osservato (cf. supra), l’interpretazione di stato risultante è associata alla selezione dell’ausiliare ‘être’. Tuttavia, in francese, fatta eccezione per alcuni verbi (cf. supra), l’ausiliare être, a differenza di quanto si osserva con l’ausiliare essere in italiano, non è associato a un’interpretazione perfettiva. Sulla base di queste considerazioni, abbiamo cercato di dimostrare che l’omologia fra i criteri di selezione dell’ausiliare essere in italiano e la selezione dell’ausiliare avoir in francese, omologia sancita dall’affermazione degli autori succitati, si giustifica attraverso un’analisi di tipo temporale e aspettuale. Nel corso della tesi, abbiamo anche cercato di proporre un nuovo orientamento del dibattito sull’inaccusatività in termini sintattici basandoci sull’ipotesi della struttura a doppio SV ( «VP shell» ) elaborata da Hale e Keyser (1993). La tesi è organizzata nel modo seguente: nel primo capitolo abbiamo discusso alcune analisi trattate nella letteratura linguistica che sono pertinenti per i fenomeni osservati nel nostro studio. In particolare, ci siamo soffermati sulla quadripartizione aspettuale dei predicati 7 verbali elaborata da Vendler (1957) e sull’analisi formale degli eventi elaborata da Pustejovsky (1991). Sulla base di queste analisi, abbiamo osservato che quando si afferma che un verbo appartiene a una classe evenemenziale piuttosto che a un’altra, in realtà ci si riferisce a una serie di contesti tipici nei quali questo verbo può apparire. Nel corso della tesi, abbiamo cercato di dimostrare che un verbo può apparire in diversi contesti aspettuali e che quindi le categorie stabilite da Vendler e Pustejovsky non sono definitive. Il capitolo si conclude con una breve analisi dei diversi test di inaccusatività proposti nella letteratura generativa. Nel secondo capitolo abbiamo analizzato nei dettagli i parametri aspettuali della telicità, della atelicità e della direzione. In particolare, abbiamo osservato che l’ausiliare ‘être’ è associato non solo a verbi intrinsecamente telici ma anche a verbi di matrice lessicale atelica come ‘monter’ e ‘descendre’. Sulla base di queste osservazioni, abbiamo cercato di rilevare le implicazioni di questi parametri nella semantica e nella struttura argomentale di alcuni verbi intransitivi. Sullo sfondo di questo contesto, abbiamo elaborato la nostra ipotesi di derivazione delle frasi inaccusative basandoci sulla struttura sintattica a doppio SV. Nel terzo capitolo abbiamo analizzato la categoria aspettuale della risultatività e la compatibilità dell’avverbiale ‘depuis x temps’, indicatore per eccellenza dell’aspetto risultativo, con l’interpretazione perfettiva. La seconda parte del capitolo approfondisce la questione della categoria aspettuale dello stato risultante. Basandoci sull’analisi formale elaborata per lo stato risultante (cf. supra), abbiamo argomentato che il participio assoluto (PA) è compatibile con questa interpretazione. Dato che l’interpretazione di stato risultante è associata alla selezione dell’ausiliare ‘être’, abbiamo cercato di dimostrare che il participio passato dei verbi compatibili con il PA è reinterpretato in questa costruzione come un elemento predicativo corrispondente a un avverbio o a un aggettivo, a seconda del tipo di verbo considerato. Il quarto capitolo tratta brevemente dei verbi di cambiamento di stato. In particolare, abbiamo analizzato la relazione tra il tipo di ausiliare selezionato e i parametri della telicità e atelicità come si è fatto nel secondo capitolo con alcuni verbi di movimento. Abbiamo osservato che la variabilità nell’interpretazione di alcuni di questi verbi è da ricondursi, probabilmente, all’ambiguità del loro Aktionsart. Abbiamo analizzato, inoltre, la distribuzione del ‘se’ incoativo con alcuni di questi verbi. Infine, abbiamo approfondito alcuni aspetti delle coppie di verbi di cambiamento di stato deaggettivali [±prefissati] (cf. grandir vs. agrandir, maigrir vs. amaigrir, ecc.). 8 In conclusione, questo studio non si è prefissato come obiettivo quello di stabilire delle liste di verbi. Si è piuttosto cercato di chiarire alcune tendenze aspettuali e sintattiche associate ad alcuni verbi intransitivi. In particolare, l’approccio sintattico elaborato per la derivazione delle frasi inaccusative è un primo tentativo empirico che ha lo scopo di chiarire le interazioni tra l’evento descritto da alcuni verbi inaccusativi e la struttura sintattica di questi verbi. 9 TABLE DES MATIÈRES INTRODUCTION .................................................................................................................................... 15 CHAPITRE I. CONSIDÉRATIONS SUR L’ASPECT ET SUR L’HYPOTHÈSE INACCUSATIVE....... 20 Première partie : aspect et Aktionsart ........................................................................................................ 20 I.1. Aspect perfectif vs. Aspect imperfectif : ............................................................................................ 21 I.2. Aspect (im)perfectif vs. Aspect (in)accompli : ................................................................................... 22 I.3. Aspect fonctionnel vs. Aspect lexical : .............................................................................................. 23 I.4. La quadripartition de Vendler (1957) :............................................................................................. 24 I.4.1. États, activités, accomplissements et achèvements : ................................................................................... 24 I.4.2. Récapitulation : ........................................................................................................................................ 26 I.5. La quadripartition de Vendler et le paramètre [±télique] : ............................................................... 27 I.5.1. Définition d’(a)télicité : ............................................................................................................................ 27 I.5.2. Télicité inhérente et télicité compositionnelle : .......................................................................................... 28 I.5.3. Récapitulation : ........................................................................................................................................ 29 I.6. La notion de transition (Pustejovsky (1991)) : .................................................................................. 30 Deuxième partie : la valeur aspectuelle du passé composé......................................................................... 32 I.7. L’ambiguïté du passé composé avec les auxiliaires ‘avoir’ et ‘être’ : ................................................ 33 I.7.1. L’interprétation de passé simple : ............................................................................................................. 34 I.7.2. L’interprétation de parfait ou présent accompli : ....................................................................................... 36 I.7.3. L’état résultant : ....................................................................................................................................... 37 I.8. La double sélection de l’auxiliaire en français dialectal : ................................................................. 41 I.9. La distribution des auxiliaires être et avoir dans certaines variétés de français d’Amérique : ............ 42 I.9.1. Le français québécois (FQ) : ..................................................................................................................... 42 I.9.2. Le français acadien (FA) : ........................................................................................................................ 43 I.9.2.1. Le cas du verbe mourir :.................................................................................................................... 45 I.9.3. Récapitulation : ........................................................................................................................................ 47 I.10. L’alternance causative :................................................................................................................. 47 I.11. Hale et Keyser (1993) : .................................................................................................................. 51 I.12. Les phrases résultatives : ............................................................................................................... 54 I.12.1. La construction résultative et le changement d’état : ................................................................................ 55 I.12.2. Observations sur l’alternance causative et sur la construction résultative avec certains verbes de changement de lieu : .......................................................................................................................................... 56 Troisième partie : l’Hypothèse Inaccusative .............................................................................................. 61 I.13. La distribution des auxiliaires ‘être’ et ‘avoir’ en français et en italien (Legendre et Sorace (2003)) : .............................................................................................................................................................. 61 I.13.1. Verbes centraux et verbes périphériques :................................................................................................ 63 I.14. La structure argumentale : ............................................................................................................. 64 10 I.15. L’Hypothèse Inaccusative dans le cadre de la Grammaire Relationnelle (Perlmutter (1978)) : ........ 65 I.16. L’Hypothèse Inaccusative dans le cadre de la théorie du Gouvernement et du Liage (Burzio (1981, 1986)) : ................................................................................................................................................. 66 I.16.1. Les tests syntaxiques d’inaccusativité : .................................................................................................... 68 I.17. L’Hypothèse Inaccusative et les thêta-rôles : .................................................................................. 75 I.18. Conclusion du chapitre et bref aperçu sur les chapitres II, III et IV : .............................................. 76 CHAPITRE II. CONSIDÉRATIONS SUR L’(A)TÉLICITÉ, LA DIRECTION ET LA DÉRIVATION DES PHRASES INACCUSATIVES............................................................................................................. 78 Première partie : télicité intrinsèque et compositionnelle........................................................................... 78 II.1. Verbes de mouvement vs. verbes de changement de lieu : ................................................................ 79 II.1.1. L’approche typologique de Talmy (1985) dans l’analyse des verbes de mouvement : ................................. 79 II.1.2. Mouvement vs. déplacement : .................................................................................................................. 81 II.1.3. Récapitulation : ....................................................................................................................................... 82 II.2. Le paramètre de la télicité et les verbes de changement de lieu ‘arriver’, ‘partir’, ‘entrer’, ‘sortir’, ‘tomber’, ‘venir’ et ‘aller’ :.................................................................................................................... 83 II.3. Verbes dénotant un déplacement orienté mais non borné : .............................................................. 86 II.3.1. Les verbes salire et scendere vs. aumentare et diminuire : ......................................................................... 86 II.3.2. Les verbes monter et descendre : .............................................................................................................. 89 II.3.2.1. Le verbe monter et la sélection de l’auxiliaire : ................................................................................ 90 II.3.2.2. Le verbe descendre : ........................................................................................................................ 91 II.3.3. Les verbes augmenter et baisser : ............................................................................................................. 93 II.4. Récapitulation : .............................................................................................................................. 94 Deuxième partie : les verbes ‘monter’, ‘descendre’, ‘courir’ et ‘accourir’ et les paramètres But et Direction .................................................................................................................................................................. 94 II.5. Les verbes ‘monter’ et ‘descendre’ et les adverbes ‘en haut’ et ‘en bas’ : ........................................ 95 II.5.1. Les adverbes ‘en haut’ et ‘en bas’ et les paramètres But, Direction et état résultant : ................................ 95 II.6. Le verbe ‘accourir’ :....................................................................................................................... 98 II.6.1. Le verbe ‘accourir’ et les prépositions ‘à’ et ‘vers’ :................................................................................. 99 II.6.2. Le verbe ‘courir’ et les prépositions ‘à’ et ‘vers’ : .................................................................................. 100 II.6.3. Le rôle du préfixe ‘a-’ :.......................................................................................................................... 102 II.7. Les verbes correre et courir :......................................................................................................... 103 II.7.1. L’ambiguïté structurale du verbe correre (Hoekstra et Mulder (1990)) : .................................................. 106 II.8. Récapitulation : ............................................................................................................................ 108 Troisième partie : la dérivation des phrases inaccusatives ....................................................................... 109 II.9. La notion de « measurer » (Tenny (1994)) : .................................................................................. 109 II.10. L’inaccusativité et les traits [-agentif] et [±télique] (Arad (1998)) : ............................................ 110 II.11. Les traits [±c] et [±m] (Reinhart et Siloni (2005)) : ..................................................................... 112 II.11.1. L’Hypothèse Inaccusative et les traits [±c] et [±m] :............................................................................. 113 II.12. Les verbes inaccusatifs, la notion de transition et le trait [+c] :................................................... 116 II.12.1. L’expression de l’événement et la structure argumentale : .................................................................... 117 11 II.12.2. Le sujet des verbes inaccusatifs et la combinaison de traits [-c, -m] : .................................................... 121 II.12.3. Récapitulation : ................................................................................................................................... 122 II.13. La dérivation des phrases inaccusatives :.................................................................................... 124 II.13.1. La notion de transition et le trait [±télique] : ........................................................................................ 125 II.13.2. SV+(SvR) : .......................................................................................................................................... 127 II.13.3. SvR : ................................................................................................................................................... 129 II.13.4. Quelques observations sur la sélection de l’auxiliaire :......................................................................... 130 II.13.4.1. SV+(SvR) : .................................................................................................................................. 133 II.13.4.2. SvR : ........................................................................................................................................... 134 II.13.5. Récapitulation : ................................................................................................................................... 135 II.13.6. La structure SC et l’hypothèse de l’incorporation (Moro (1997)) : ........................................................ 135 II.14. Les verbes météorologiques : ...................................................................................................... 137 II.14.1. La question de l’auxiliaire : ................................................................................................................. 137 II.14.1.1. La sélection de l’auxiliaire en italien :.......................................................................................... 138 II.14.1.2. Benincà et Cinque (1992) :........................................................................................................... 139 II.14.2. La dérivation des verbes météorologiques : .......................................................................................... 140 II.15. Conclusion du chapitre :............................................................................................................. 143 CHAPITRE III. RÉSULTATIVITÉ ET ÉTAT RÉSULTANT ................................................................. 145 Première partie : résultativité et perfectivité............................................................................................. 145 III.1. La notion aspectuelle de résultativité :......................................................................................... 145 III.2. L’adverbial ‘depuis x temps’ et les aspects perfectif, imperfectif et résultatif : .............................. 147 III.3. L’adverbial ‘depuis x temps’ et les verbes de changement de lieu ‘arriver’, ‘partir’, ‘entrer’ et ‘sortir’ : .............................................................................................................................................. 149 III.4. L’adverbial ‘depuis x temps’ et le verbe ‘tomber’ : ...................................................................... 151 III.5. L’adverbial ‘depuis x temps’ et les verbes de changement d’état grossir, maigrir et grandir : ........ 152 III.6. Considérations sur l’incompatibilité des verbes ‘aller’ et ‘venir’ avec l’interprétation résultative : ............................................................................................................................................................ 154 III.7. Quelques observations sur la construction ‘il est resté Vé pendant x temps’ : ............................... 157 III.8. Récapitulation :........................................................................................................................... 160 III.9. Le détachement de l’adverbial ‘depuis x temps’ : ......................................................................... 161 III.9.1. Le détachement de l’adverbial ‘depuis x temps’ et la portée : ................................................................ 163 III.10. Les verbes météorologiques et leur compatibilité avec l’adverbial ‘depuis x temps’ :.................. 165 III.10.1. Le verbe ‘tomber’ + SN atmosphérique + ‘depuis x temps’ : ................................................................ 165 III.10.2. Les verbes météorologiques ‘pleuvoir’, ‘neiger’ et ‘grêler’ + ‘depuis x temps’ : ................................... 166 III.10.3. Le détachement de l’adverbial ‘depuis x temps’ avec les verbes météorologiques : ............................... 170 III.11. L’emploi du ‘depuis’ résultatif en français québécois et en français acadien : ............................ 170 III.12. Récapitulation :......................................................................................................................... 171 Deuxième partie : le participe absolu et l’état résultant ........................................................................... 172 III.13. La construction participiale absolue (PA) : ................................................................................ 172 III.13.1. Le PA et l’aspect : .............................................................................................................................. 173 12 III.13.2. Le PA et l’état résultant : .................................................................................................................... 174 III.13.2.1. Les verbes de changement d’état : ............................................................................................... 176 III.13.2.2. Les verbes de changement de lieu ‘arriver’, ‘partir’, sortir’, ‘entrer’, ‘tomber’, ‘venir’ et ‘aller’ : 177 III.13.2.3. Le verbe ‘accourir’ vs. le verbe ‘courir’ : .................................................................................... 179 III.13.2.4. Les verbes ‘monter’ et ‘descendre’ :............................................................................................ 181 III.13.2.5. Les verbes météorologiques : ...................................................................................................... 182 III.13.2.6. Récapitulation : .......................................................................................................................... 182 III.14. Le PA n’est pas un test fiable d’inaccusativité : ......................................................................... 183 III.14.1. L’analyse de Sorace et Legendre (2003) : ........................................................................................... 184 III.15. Récapitulation :......................................................................................................................... 185 III.16. Conclusion du chapitre : ........................................................................................................... 185 CHAPITRE IV. CONSIDÉRATIONS SUR L’AKTIONSART DE CERTAINS VERBES DE CHANGEMENT D’ÉTAT ......................................................................................................................... 187 Première partie : observations sur la forme réflexive et sur la forme intransitive des verbes de changement d’état ....................................................................................................................................................... 188 IV.1. La notion d’anticausativité (Reinhart et Siloni (2005)) : ............................................................... 190 IV.2. La construction CRE (Zribi-Hertz (1987)) : ................................................................................. 193 IV.3. La compatibilité de la forme réflexive et de la forme intransitive des verbes de changement d’état avec le paramètre de l’(a)télicité :........................................................................................................ 194 IV.4. La forme intransitive et la lecture à accomplissement graduel : .................................................... 201 IV.5. Les lectures d’achèvement vs. activité avec la forme intransitive des verbes ‘fondre’, ‘cuire’, ‘brûler’, ‘geler’ et ‘bouillir’ :............................................................................................................................. 205 IV.5.1. Les verbes ‘fondre’, ‘cuire’ et ‘brûler’ : ................................................................................................ 206 IV.5.2. Les verbes ‘geler’ et ‘bouillir’ : ............................................................................................................ 209 IV.6. Récapitulation : ........................................................................................................................... 212 Deuxième partie : observations sur certains verbes de changement d’état dé-adjectivaux [±préfixés]...... 214 IV.7. Les préfixes et leurs propriétés aspectuelles :............................................................................... 218 IV.8. Considérations sur l’aspect et sur la syntaxe de certains couples de verbes dé-adjectivaux [±préfixés] : ........................................................................................................................................ 222 IV.8.1. Les couples de verbes dé-adjectivaux grandir vs. agrandir, maigrir vs. amaigrir et mincir vs. amincir :..... 223 IV.9. Prépositions et préfixes : ............................................................................................................. 225 IV.9.1. La projection SP (Di Sciullo (1996)) : ................................................................................................... 226 IV.10. La dérivation du préfixe et les projections SP et SvR : ................................................................ 230 IV.10.1. La notion de « central coincidence » (Hale et Keyser (2002)) : ............................................................ 234 IV.11. Récapitulation : ......................................................................................................................... 240 IV.12. Conclusion du chapitre :............................................................................................................ 241 CONCLUSION....................................................................................................................................... 243 BIBLIOGRAPHIE ................................................................................................................................. 248 ANNEXES .............................................................................................................................................. 258 13 Annexe I. Liste des préfixes du français tirée de Béchade (1992 : 108-112) :........................................ 259 Annexe II. Verbes préfixés : ................................................................................................................ 259 Annexe III. Liste des suffixes verbaux du français tirée de Béchade (1992 : 108-112) : ........................ 260 Annexe IV. Dérivation par suffixation à partir d’une base verbale :..................................................... 261 Annexe V. Dérivation par suffixation à partir d’une base adjectivale : ................................................. 262 Annexe VI. Dérivation par suffixation à partir d’une base nominale : .................................................. 262 Annexe VII. Liste des préfixes de l’italien tirée de Jacobini (2004 : 108) : ........................................... 263 Annexe VIII. Verbes préfixés : ............................................................................................................ 263 Annexe IX. Liste des suffixes verbaux de l’italien tirée de Bertinetto (2004 : 465-472) : ....................... 265 Annexe X. Dérivation par suffixation à partir d’une base verbale : ...................................................... 265 Annexe XI. Liste des suffixes verbaux de l’italien qui permettent de dériver un verbe à partir d’une base adjectivale et/ou à partir d’une base nominale (Grossmann (2004 : 450-465)) : ................................... 266 Annexe XII. Dérivation par suffixation à partir d’une base adjectivale : .............................................. 266 Annexe XIII. Dérivation par suffixation à partir d’une base nominale : ............................................... 267 14 INTRODUCTION Cette thèse est consacrée à l’analyse de la distribution des auxiliaires ‘être’ et ‘avoir’ et aux implications sémantiques et syntaxiques liées à la distribution de ces auxiliaires avec certains verbes intransitifs en français et en italien. En particulier, nous porterons notre attention sur l’analyse : - des verbes de changement de lieu intrinsèquement téliques tels que ‘arriver’, ‘partir’, ‘sortir’, ‘entrer’, ‘tomber’ et ‘venir’. - du verbe de changement de lieu compositionnellement télique ‘aller’. - des verbes de changement de lieu compositionnellement téliques dénotant un mouvement dans une direction orientée non bornée tels que ‘monter’ et ‘descendre’. - du verbe de mode de mouvement ‘courir’ vs. le verbe directionnel de mode de mouvement ‘accourir’. - des verbes météorologiques tels que ‘pleuvoir’, ‘neiger’ et ‘grêler’. - de certains verbes de changement d’état. L’analyse de la distribution des auxiliaires ‘être’ et ‘avoir’ avec ces verbes nous conduira à introduire des notions aspectuelles telles que la télicité, l’atélicité et la résultativité. En particulier, nous tenterons aussi de réorienter le débat sur l’inaccusativité et de trouver un moyen pour intégrer la sélection de l’auxiliaire avoir et le paramètre aspectuel de l’atélicité dans un cadre d’analyse syntaxique exploitant la ‘coquille SV’ ( « VP shell » ) élaborée d’abord par Larson (1988) et ensuite reprise par Hale et Keyser (1993), (on verra à ce propos le chapitre II). À travers l’analyse du passé composé formé à partir des auxiliaires ‘être’ et ‘avoir’, nous visons aussi à obtenir des éclaircissements sur l’aspect. En particulier, la compatibilité du passé composé avec l’adverbial ‘depuis x temps’, marqueur par excellence de l’aspect résultatif, nous révélera des caractéristiques aspectuelles intéressantes sur les verbes météorologiques ‘pleuvoir’, ‘neiger’ et ‘grêler’ en italien. 15 INTRODUCTION À propos de la distribution des auxiliaires ‘être’ et ‘avoir’ avec les verbes intransitifs, nous observerons que dans deux variétés de français parlé en Amérique – le français québécois (FQ) et le français acadien (FA) – l’auxiliaire avoir est (presque) toujours employé avec les verbes intransitifs qui en français standard (FS) sélectionnent obligatoirement l’auxiliaire être (cf. les verbes ‘arriver’, ‘partir’, ‘sortir’, ‘entrer’, ‘tomber’, ‘venir’ et ‘aller’, entre autres). Ce phénomène se vérifie aussi en français dialectal où le remplacement de l’auxiliaire être par l’auxiliaire avoir permet de désambiguïser la phrase au profit de l’interprétation perfective. En revanche, l’auxiliaire être se spécialise et marque seulement l’interprétation d’état résultant ou d’état. D’après la liste des verbes cités plus haut, il s’ensuit que notre domaine d’étude comprend non seulement les notions de télicité et d’atélicité mais aussi les notions de mouvement, de changement de lieu et de direction dont nous essaierons de donner une définition exhaustive au chapitre II. Au niveau intuitif, le mouvement n’implique pas de changement de lieu, mais tout changement de lieu implique un mouvement qui déclenche une transition à partir d’un état initial vers un état final. En outre, tout changement de lieu se développe le long d’une trajectoire directionnelle dont le But n’est pas obligatoirement atteint. Nous approfondirons toutes ces notions dans les première et deuxième parties du chapitre II. Cette thèse est divisée en quatre chapitres. Chaque chapitre est divisé à son tour en parties afin de garantir un meilleur encadrement des analyses et des phénomènes que nous allons aborder. Dans le premier chapitre nous tentons de dégager les effets aspectuels associés à la sélection des auxiliaires ‘être’ et ‘avoir’. Nous introduisons aussi l’Hypothèse Inaccusative qui pose que le sujet de certains verbes intransitifs est engendré en position objet et que le type d’auxiliaire sélectionné par ces verbes est un corrélat secondaire de leur structure argumentale. En particulier, dans la première partie du chapitre, nous introduisons à grands traits les notions d’aspect et d’Aktionsart. Ensuite, dans la deuxième partie du chapitre, sur la base du formalisme de l’événement élaboré par Pustejovsky (1991), nous analysons, entre autres, les catégories aspectuelles de la télicité et de l’état résultant. En particulier, nous nous arrêtons sur la catégorie aspectuelle de l’état résultant et sur la représentation sémantique et syntaxique de la construction transitive-causative qui est ensuite reprise tout au long de notre travail. L’analyse des données concernant la distribution des auxiliaires être et avoir avec les verbes intransitifs en français dialectal, en français québécois et en français acadien se révèle 16 INTRODUCTION fort intéressante. Elle nous permet de constater que, dans ces variétés de français, la substitution de l’auxiliaire avoir à l’auxiliaire être peut être interprétée comme la dernière étape d’un changement allant vers une régularisation du choix de l’auxiliaire. Ce processus de régularisation peut s’interpréter aussi comme un changement au détriment de la spécificité aspectuelle des auxiliaires ‘être’ et/ou ‘avoir’ en français standard avec certains verbes intransitifs comme monter et descendre ou comme arriver, partir, entrer, sortir et tomber. Cette régularisation implique donc que, dans ces variétés de français, l’auxiliaire avoir a une valeur typiquement temporelle et qu’en revanche l’aspect est marqué par des adverbiaux. La troisième partie du chapitre est consacrée à l’analyse de l’Hypothèse Inaccusative et, en particulier, des tests d’inaccusativité proposés dans la littérature générative. D’après l’Hypothèse Inaccusative, la sélection du type d’auxiliaire joue un rôle fondamental dans la classification d’un verbe comme inaccusatif en italien. Il a été montré (cf. Burzio (1981) et (1986), entre autres), que les verbes inaccusatifs sélectionnent l’auxiliaire essere en italien, tandis qu’en français la sélection de l’auxiliaire n’est pas un indice fort d’inaccusativité. En effet, l’Hypothèse Inaccusative prédit qu’à la classe des verbes inaccusatifs en français appartiennent aussi bien les verbes intransitifs sélectionnant l’auxiliaire être que certains verbes intransitifs sélectionnant l’auxiliaire avoir. Nous proposerons notre formalisme de dérivation des phrases inaccusatives dans la troisième partie du chapitre II. Le deuxième chapitre concerne les paramètres aspectuels de la télicité, de l’atélicité et de la direction et leurs implications sur la dérivation des phrases inaccusatives. Le chapitre est divisé en trois parties. Dans la première partie, nous abordons des notions telles que le mouvement, le déplacement, la direction, la trajectoire, la télicité et l’atélicité (ces deux dernières ayant déjà fait l’objet d’une analyse dans les première et deuxième parties du chapitre I). Ensuite, nous traitons de la distribution des auxiliaires ‘être’ et ‘avoir’ avec les verbes ‘monter’, ‘descendre’, augmenter’, ‘diminuer’ et ‘baisser’ en français et en italien. Après avoir analysé en détail cet ensemble de verbes dans l’optique comparative français/italien, nous examinons les paramètres But et Direction et les verbes ‘monter’, ‘descendre’, ‘courir’ et ‘accourir’. En particulier, la deuxième partie du chapitre vise à établir les implications sous-jacentes à la sélection de l’auxiliaire avec les verbes ‘monter’, ‘descendre’, ‘courir’ et ‘accourir’ en français et en italien. L’objectif est d’obtenir une analyse aussi détaillée que possible du rapport entre la structure argumentale, le type d’auxiliaire sélectionné et les paramètres But et Direction avec ces verbes. Dans la troisième partie du 17 INTRODUCTION chapitre, nous élaborons notre analyse de la dérivation des phrases inaccusatives. En particulier, nous proposons une analyse formelle exploitant l’hypothèse de la ‘coquille SV’ telle que la formulent Hale et Keyser (1993). Tout en adhérant à grands traits à l’Hypothèse Inaccusative classique, nous tâchons d’intégrer à notre formalisation les notions de télicité, d’atélicité, d’agentivité et de Thème. En particulier, nous défendons l’idée qu’à la classe des verbes inaccusatifs en français peuvent appartenir aussi des verbes intransitifs sélectionnant l’auxiliaire avoir. Ensuite, nous élargissons notre proposition de dérivation des phrases inaccusatives aux phrases à verbe météorologique dans une perspective comparative français/italien. Le troisième chapitre est consacré aux catégories aspectuelles de la résultativité et de l’état résultant. Le chapitre est divisé en deux parties, l’une est consacrée à la résultativité et l’autre à l’interprétation d’état résultant associée à la construction participiale absolue (PA). Dans la première partie du chapitre, nous analysons la compatibilité de l’interprétation résultative avec différents types de verbes intransitifs. En particulier, nous verrons que l’adverbial ‘depuis x temps’, marqueur de l’interprétation résultative, peut être associé aussi à l’interprétation perfective si l’on construit un contexte approprié en manipulant la structure informationnelle de la phrase par l’intonation ou le déplacement de l’adverbial. Dans la deuxième partie du chapitre, nous analysons la construction participiale absolue et nous défendons l’idée que cette construction est associée à l’interprétation d’état résultant. En particulier, nous avançons l’hypothèse que la construction participiale absolue n’est pas un test fiable d’inaccusativité contrairement à ce que soutient l’Hypothèse Inaccusative. La thèse se termine par un chapitre consacré à l’analyse de certains aspects des verbes de changement d’état. En français tout comme en italien, les verbes de changement d’état se divisent en trois classes. Il y a les verbes qui admettent aussi bien une forme réflexive se+être (‘si+essere’) qu’une forme intransitive non réflexive, ceux qui admettent seulement la forme réflexive et ceux qui admettent seulement la forme intransitive non réflexive. Étant donné qu’en français la forme intransitive non réflexive sélectionne toujours l’auxiliaire avoir, tandis qu’en italien il peut y avoir de la variabilité dans le choix de l’auxiliaire, nous analysons la relation entre le type d’auxiliaire sélectionné et les paramètres de la télicité et atélicité. Nous analysons aussi la compatibilité de la forme intransitive réflexive en ‘se+être’ avec les adverbiaux ‘en x temps’ et ‘pendant x temps’. Dans la deuxième partie du chapitre, nous approfondissons certains aspects des couples de verbes de changement d’état dé-adjectivaux 18 INTRODUCTION [±préfixés], (cf. grandir vs. agrandir, maigrir vs. amaigrir, etc.). Étant donné que dans ces couples de verbes, le verbe préfixé est compatible avec l’interprétation d’état résultant, qui est en revanche indisponible avec le verbe sans préfixe, nous supposons que dans ces couples de verbes le préfixe véhicule une nuance aspectuelle relative à l’interprétation d’état résultant. En dernier lieu, nous tentons de donner une représentation syntaxique de la dérivation de ces préfixes à l’intérieur de la structure syntaxique à double SV. 19 . CHAPITRE I. CONSIDÉRATIONS SUR L’ASPECT ET SUR L’HYPOTHÈSE INACCUSATIVE Dans le présent chapitre, nous nous concentrerons sur des notions et des analyses qui ont été introduites dans la littérature linguistique et qui nous seront utiles tout au long de notre étude. Le chapitre est organisé autour de trois parties. Dans la première, nous examinerons les notions d’aspect et Aktionsart et, en particulier, les notions de télicité et atélicité. Nous rappellerons aussi la quadripartition de l’aspect lexical des prédicats verbaux élaborée par Vendler (1957). Dans la deuxième partie, nous porterons notre attention sur l’analyse de la valeur aspectuelle du passé composé selon le type d’auxiliaire sélectionné. Ces préliminaires étant posés, la troisième partie du chapitre est consacrée à l’analyse de l’Hypothèse Inaccusative et des tests d’inaccusativité qui ont été proposés dans la littérature. Première partie : aspect et Aktionsart Pour ce qui est de l’aspect, nous suivrons ici Comrie (1976). Selon Comrie, l’aspect marque les différentes manières de concevoir la structure temporelle interne d’un événement. On a donc différents types d’aspects et l’opposition de base sur laquelle nous nous pencherons est celle entre l’aspect perfectif et l’aspect imperfectif. Voici la définition d’aspect perfectif et aspect imperfectif d’après Comrie (1976 : 16) : ‘la perfectivité désigne la saisie d’une situation comme un tout, sans distinguer ses différentes phases ; alors que l’aspect imperfectif porte sur la structure interne de la situation’1. Si, comme nous le montrerons ci-dessous, l’aspect désigne la grammaticalisation d’une différence sémantique, nous verrons, en revanche, que l’Aktionsart désigne la lexicalisation de cette différence. La notion d’aspect ne doit pas être confondue avec celle de temps. D’après la définition de Comrie (1976 : 5), la notion de temps diffère de celle d’aspect. Le temps est une catégorie déictique qui se base sur 1 « […] perfectivity indicates the view of a situation as a single whole without distinction of the various separate phases that make up that situation ; while the imperfective pays essential attention to the internal structure of the situation » (Comrie (1976 : 16)). 20 CHAPITRE I CONSIDÉRATIONS SUR L’ASPECT ET SUR L’HYPOTHÈSE INACCUSATIVE les relations temporelles d’antériorité (passé), de simultanéité (présent) et de postériorité (futur) par rapport au moment de l’énonciation, tandis que l’aspect concerne la constitution temporelle interne d’une situation. Nous reviendrons sur ces notions tout au long de ce chapitre. I.1. Aspect perfectif vs. Aspect imperfectif : La notion d’aspect prend son origine au XIX siècle dans la description du russe et des langues slaves qui distinguent entre deux types d’aspect : l’aspect perfectif et l’aspect imperfectif. Dans ces langues, l’aspect se manifeste morphologiquement dans toutes les formes verbales. Comme l’a remarqué Kopecka (2004 : 119), en polonais, tout comme dans les autres langues slaves, tous les verbes sont caractérisés par l’aspect imperfectif dans le sens que la forme imperfective est la forme non marquée (forme de base) du point de vue morphologique. Un préfixe ajouté à la forme imperfective du verbe produit la forme perfective. Ainsi, les formes imperfectives des verbes ‘écrire’ et ‘lire’ n’impliquent de façon inhérente aucune limite à atteindre par l’action d’écrire ou de lire. En revanche, les formes perfectives de ces verbes imposent une limite à atteindre au-delà de laquelle l’action d’écrire ou de lire est considérée comme achevée. Voici, à titre indicatif, deux exemples tirés du polonais (Kopecka (2004 : 120 (93))) : pisać (‘écrire’) et na-pisać (‘sur-écrire’, ‘écrire jusqu’au bout’), czytać (‘lire’) et prze- czytać (‘par-lire’, ‘lire jusqu’au bout’). La définition du couple antonymique perfectif-imperfectif donnée par Kopecka (2004 : 119-120) est la suivante : « la caractéristique essentielle des formes perfectives est de dénoter des procès bornés et accomplis, qui ont déjà eu lieu, qui ont lieu ou qui auront lieu dans l'avenir. Par contre, les formes imperfectives dénotent des activités sans délimiter les bornes temporelles ». Vet (1980 : 46) observe que, généralement, « on définit l’aspect imperfectif comme présentant une situation dans sa continuation (donc sans commencement et sans fin) et l’aspect perfectif comme présentant une situation comme une totalité, ayant un commencement et une fin déterminés ». Les langues romanes, y compris le français, ne connaissent pas de notion d’aspect comparable à celle des langues slaves. C’est pourquoi la terminologie employée par les 21 CHAPITRE I CONSIDÉRATIONS SUR L’ASPECT ET SUR L’HYPOTHÈSE INACCUSATIVE auteurs qui ont essayé de définir la notion d’aspect dans les langues romanes est dans la plupart des cas chaotique. À propos de l’aspect en français, Smith (1986 : 110) affirme : « Il faut noter que les temps du passé sont les seuls temps en français qui offrent un choix aspectuel grammaticalisé. Les autres temps sont neutres à l’égard de l’aspect ». En d’autres termes, en français, l’aspect ne se manifeste pas de la même façon que dans les langues slaves. En français, il est grammaticalisé dans la morphologie flexionnelle tandis que dans les langues slaves il est encodé dans la morphologie lexicale. En français, le contraste aspectuel le plus marqué est celui qui concerne la paire imparfait/passé simple. Toutefois, étant donné que le passé simple est un temps inexistant dans l’état actuel de la langue parlée et qu’il est uniquement réservé au style écrit et littéraire, il a été remplacé par le passé composé. Comme nous le verrons ci-dessous, la valeur aspectuelle est traditionnellement attribuée en français à l’opposition entre temps simples et temps composés des verbes. Un temps simple comme, par exemple, l’imparfait, dénote un procès dans son développement (je lisais), tandis qu’un temps composé comme le passé composé dénote un procès terminé (j'ai lu). I.2. Aspect (im)perfectif vs. Aspect (in)accompli : Comme nous l’avons remarqué dessus, la grande diversité terminologique qui existe dans la littérature pour définir la notion d’aspect crée beaucoup de difficulté dans la compréhension de cette notion. À l’intérieur de ce chaos terminologique, la paire accompli-inaccompli se trouve souvent employée en tant que synonyme de la paire perfectif-imperfectif. Dubois (1964 : 14-15), par exemple, considère les oppositions accompli/inaccompli en tant que synonymes de perfectif/imperfectif. Selon Vet (1980 : 47), l’opposition accompli/inaccompli utilisée en linguistique romane est cependant très différente de l’opposition perfectif/imperfectif pertinente pour les langues slaves : « la paire accompli/inaccompli sert très souvent à exprimer une différence de temps, alors qu’il n'est pas ainsi des aspects slaves ». Asnes (2004 : 52) observe que « la paire accompli/inaccompli exprime une différence dans la construction de l’intervalle temporel d’une situation alors que les aspects slaves sont déterminés au niveau de la représentation 22 CHAPITRE I CONSIDÉRATIONS SUR L’ASPECT ET SUR L’HYPOTHÈSE INACCUSATIVE lexicale [avec des préfixes]. Autrement dit, la paire accompli/inaccompli caractérise la flexion alors que la distinction perfectif/imperfectif des langues slaves caractérise le prédicat ». Selon Asnes (2004 : 51-52), la distinction accompli-inaccompli se traduit en français, respectivement, par les temps grammaticaux nommés passé composé et imparfait. Selon Asnes et Smith (cf. supra), les temps du passé sont les seuls à avoir grammaticalisé la notion d’aspect dans la flexion verbale. Selon Maingueneau (1999 : 69), en revanche, l’opposition aspectuelle accompli-inaccompli se manifeste à tous les temps verbaux à travers l’opposition entre formes composées et formes simples : (1) ACCOMPLI INACCOMPLI Présent Il a su. Il sait. Futur Il aura su. Il saura. Passé simple Il eut su. Il sut. Imparfait Il avait su. Il savait. Du même avis que Maingueneau sont Dubois et alii (1994) qui remarquent que « l’accompli est une forme de l’aspect indiquant, par rapport au sujet de l’énonciation je, le résultat d'une action faite antérieurement. Pierre a mangé, Pierre avait mangé, Pierre aura mangé sont, respectivement, un accompli présent, un accompli passé et un accompli futur ». En ce qui concerne la notion d’inaccompli, Dubois et alii observent que « on appelle nonaccomplie la forme de l’aspect indiquant, par rapport au sujet de l'énonciation, l’action dans son déroulement : Pierre mange, Pierre mangeait, Pierre mangera sont respectivement un non-accompli présent, un non-accompli passé et un non-accompli futur ». Selon ces auteurs, on utilise dans le même sens le terme imperfectif. I.3. Aspect fonctionnel vs. Aspect lexical : Les auteurs cités ont reconnu dans les langues romanes l’existence de l’aspect flexionnel (aspect exprimé par les flexions temporelles) comparable à l’aspect des langues slaves. 23 CHAPITRE I CONSIDÉRATIONS SUR L’ASPECT ET SUR L’HYPOTHÈSE INACCUSATIVE En français, donc, contrairement aux langues slaves, l’aspect correspond à un système fermé de marques intégrées à la conjugaison verbale. À la notion d’aspect fonctionnel, s’oppose la notion d’aspect lexical (aspect inhérent des prédicats verbaux ou des prédicats verbaux avec leurs arguments). Selon Asnes (2004 : 52), les appellations telles que aspect non-déictique (Vet (1980)), Aktionsart (Comrie (1976)), mode d'action (Comrie (1976)), mode de procès (Maingueneau (1999 : 64)) sont toutes des synonymes de la notion d’aspect lexical et elles « veulent rendre compte du fait que les prédicats verbaux par leur sens lexical propre et indépendamment des marques morphologiques qui leur sont attachées, réfèrent à différents types de situations ». En d’autres termes, l’aspect lexical est imposé par le sens du verbe et indique de quelle façon se déroule le procès qu’il exprime. En revanche, l’aspect flexionnel, qui n’est pas une catégorie lexicale mais une catégorie morphosyntaxique, exprime de quelle manière on envisage le déroulement du procès, son mode de manifestation dans le temps (cf. Maingueneau (1999 : 63-64)). Contrairement aux langues romanes, dans les langues slaves, les préfixes assument à la fois la fonction d’aspect perfectif et celle d’aspect lexical. Voici des exemples tirés du polonais (Kopecka (2004 : 121)) : o-pisać (‘autour-écrire’, ‘décrire’), pod-pisać (‘sous-écrire’, ‘signer’). I.4. La quadripartition de Vendler (1957) : La quadripartition de Vendler en états, activités, accomplissements et achèvements est, peut-être, la plus connue parmi les classements que connaît la théorie de l’aspect lexical (Aktionsart) des prédicats verbaux. Nous rappelons ci-dessous cette quadripartition. I.4.1. États, activités, accomplissements et achèvements : D’abord, Vendler distingue entre les prédicats qui expriment un procès et les prédicats qui n’en expriment pas. Les prédicats appartenant à la première classe dénotent des procès se déroulant pendant un intervalle de temps et composés de phases qui se succèdent dans le temps. En revanche, les prédicats appartenant à la deuxième classe ne dénotent pas des procès se déroulant pendant un intervalle. 24 CHAPITRE I CONSIDÉRATIONS SUR L’ASPECT ET SUR L’HYPOTHÈSE INACCUSATIVE Au premier groupe appartiennent, par exemple, les prédicats ‘courir’, ‘danser’, ‘écrire’ et ‘peindre un tableau’, tandis que des prédicats comme ‘aimer’, ‘reconnaître’ et ‘atteindre le sommet’ appartiennent au deuxième groupe. Vendler observe que le test du progressif permet d’opérer une distinction entre les deux groupes : (2) Il est en train d’écrire/courir/danser/peindre un tableau/dessiner un cercle. (3) *Il est en train de reconnaître/savoir/aimer/atteindre le sommet 2. À l’intérieur du premier groupe de prédicats, Vendler distingue entre les activités et les accomplissements : (4) Il est en train d’écrire/de courir. (5) Il est en train de courir un kilomètre/d’écrire un roman. (activité) (accomplissement) La caractéristique des accomplissements est celle d’être orientés vers un terme. Ce sont des procès qui ont une durée, une fin déterminée ; ils ne sont vrais que lorsque le procès est arrivé à son terme. Vendler montre que le test de la durée permet de distinguer entre activités et accomplissements. Les prédicats dénotant une activité sont compatibles avec les adverbiaux temporels de durée introduits par la préposition pendant. Ce sont des procès sans borne temporelle et dont le déroulement est continu : à quelque moment que le procès s’arrête il est vrai qu’il a lieu. En revanche, les prédicats dénotant un accomplissement sont compatibles avec les adverbiaux temporels introduits par la préposition en qui signalent le procès comme borné par un point terminal : 2 En ce qui concerne le test du progressif, l’évaluation des données n’est pas nette. Selon Vendler, les états et les achèvements ne répondent jamais positivement à ce test, tandis que les prédicats d’activité et d’accomplissement oui (cf. infra pour les définitions vendleriennes d’état, d’activité, d’accomplissement et d’achèvement) : (i) a. Paul est en train de marcher. b. Paul est en train de construire une maison. Toutefois, les prédicats dénotant un achèvement peuvent, eux aussi, être compatibles avec le test du progressif si l’on crée un contexte adéquat pour cette interprétation. En particulier, en (iia), le progressif est compatible, par exemple, avec un contexte sémantique où ‘Paul est affecté par la maladie d'Alzheimer’ : (ii) a. ??Paul est en train de reconnaître Max. b. Paul est en train d’atteindre le sommet. c. Paul est en train d’arriver/partir/sortir/entrer/tomber/venir/aller chez elle. 25 CHAPITRE I CONSIDÉRATIONS SUR L’ASPECT ET SUR L’HYPOTHÈSE INACCUSATIVE (6) Il a couru/écrit/dessiné pendant deux heures/*en deux heures. (7) Il a couru un kilomètre/écrit une lettre/dessiné un tableau *pendant deux heures/en deux heures. (activité) (accomplissement) En (6) le prédicat dénote une activité, c’est pourquoi l’adverbial en deux heures est agrammatical, tandis qu’en (7) le prédicat dénote un accomplissement, c’est pourquoi l’adverbial pendant deux heures est agrammatical3. Parmi les prédicats appartenant au deuxième groupe, Vendler distingue ceux qui dénotent des achèvements (‘arriver’, ‘partir’, etc.) et ceux qui dénotent des états (‘savoir’, ‘aimer’, etc.). L’opposition [±ponctuel] permet de distinguer les achèvements des états : (8) Il est arrivé ici à midi/*pendant trois heures. (9) Il l’a aimée pendant trois ans/*à midi. (achèvement) (état) Les achèvements sont donc des procès ponctuels qui sont incompatibles avec les adverbiaux qui dénotent une durée. En revanche, les prédicats dénotant un état sont compatibles avec des adverbiaux de durée. Les états sont donc des prédicats duratifs 4. En particulier, l’opposition [±dynamique] permet de distinguer les états de tous les autres prédicats analysés par Vendler. I.4.2. Récapitulation : Les types de procès analysés par Vendler peuvent être ainsi définis et résumés : État = un prédicat d’état décrit une situation qui ne comporte pas de changement dans un intervalle de temps donné (‘être fatigué’, ‘savoir quelque chose’, ‘aimer le chocolat’, etc.). 3 En ce qui concerne la compatibilité avec les adverbiaux ‘en x temps’ et ‘pendant x temps’, l’évaluation des données n’est pas nette. Par exemple, en (i) : (i) Paul a construit la maison pendant deux ans. (activité) (Asnes (1994 : 77 (64d) et note 26) le prédicat d’accomplissement construire une maison est interprétable si l’on crée un contexte adéquat comme ‘Paul a construit la maison pendant deux ans, puis il a abandonné’. De la même manière, la phrase en (ii) : (ii) Paul a reconnu Max pendant deux minutes. (activité) (Asnes (1994 : 77 (64e) et note 27) est acceptable dans un contexte particulier comme celui indiquant que ‘Paul est affecté par la maladie d'Alzheimer’. Avec ces contextes, les prédicats en (i) et en (ii) ne sont plus interprétés, respectivement, comme un prédicat dénotant un accomplissement et un prédicat dénotant un achèvement mais, plutôt, comme des prédicats dénotant une activité. 4 L’opposition [±duratif] est juste une dénomination inversée pour [±ponctuel]. 26 CHAPITRE I CONSIDÉRATIONS SUR L’ASPECT ET SUR L’HYPOTHÈSE INACCUSATIVE Activité = un prédicat d’activité décrit une situation qui comporte un procès avec une transition d’un état vers un autre. Les prédicats dénotant une activité se composent d’une seule action (généralement non interrompue) qui se compose, à son tour, d’une suite d’actes identiques dont la somme est conçue en tant qu’une seule action (‘marcher’, ‘courir’, ‘manger’, ‘regarder un tableau’, etc.). Accomplissement = un prédicat d’accomplissement décrit une situation qui comporte un procès avec une transition d’un état vers un autre et qui a un aboutissement final (‘manger une pomme’, ‘rentrer chez soi’, ‘courir un 100 mètres’, etc.). Achèvement = un prédicat d’achèvement décrit une situation qui ne comporte pas de procès. Il s’agit de transitions instantanées vers un aboutissement final (‘sursauter’, ‘atteindre le sommet’, ‘arriver’, ‘partir’, ‘sortir’, ‘entrer’, ‘fondre’, ‘brûler’, etc.). I.5. La quadripartition de Vendler et le paramètre [±télique] : Nous analyserons ci-dessous le paramètre de l’(a)télicité et le rôle qu’il joue dans la quadripartition de Vendler. I.5.1. Définition d’(a)télicité : On utilise couramment les adverbiaux ‘en x temps’ et ‘pendant x temps’ comme test distinguant les procès téliques des procès atéliques. La notion de télicité implique la présence d’un point terminal (gr. telos = but, fin) et elle est associée à des verbes qui dénotent une action dont le déroulement est borné dans l’espace. Smith (1991 : 155) regroupe les adverbiaux temporels en quatre classes dans lesquelles figurent notamment les adverbiaux ‘en x temps’ et ‘pendant x temps’ : Adverbiaux ponctuels ( « locating adverbials » ) : at noon (‘à midi’), yesterday (‘hier’), etc. Adverbiaux de durée ( « durative adverbials » ) : for an hour (‘pendant une heure’), from 1 to 3 pm (‘d’une heure à trois heure de l’après-midi’). Adverbiaux d’accomplissement ( « completive adverbials » ) : in an hour (‘en une heure’), within an hour (‘au bout d’une heure’). Adverbiaux fréquentatifs ( « frequency adverbials » ) : often (’souvent’), 3 times a week (‘trois fois par semaine’), every week (‘chaque semaine’), etc. 27 CHAPITRE I CONSIDÉRATIONS SUR L’ASPECT ET SUR L’HYPOTHÈSE INACCUSATIVE Suivant Smith, ‘pendant x temps’ implique le caractère continu de l’événement, tandis que ‘en x temps’, en tant qu’adverbial d’accomplissement, implique son caractère ponctuel. Les exemples ci-dessous montrent l’incompatibilité du verbe ‘continuer’, qui exprime la continuité de l’événement, et de l’adverbial ‘en x temps’ : (10) a. La température a continué à diminuer pendant deux heures. b. La temperatura ha continuato a diminuire per due ore. (11) a. *La température a continué à diminuer en deux heures. b. *La temperatura ha continuato a diminuire in due ore. I.5.2. Télicité inhérente et télicité compositionnelle : Dans cette sous-section, nous verrons que la télicité n’est pas une propriété du seul verbe lexical mais peut concerner l’ensemble du prédicat : elle peut être soit inhérente (au verbe), soit compositionnelle. Selon Vendler, les verbes dénotant un achèvement tels que ‘arriver’, ‘partir’, ‘entrer’, ‘sortir’, ‘venir’, ‘tomber’, ‘atteindre’ et ‘quitter’ sont doués d’une télicité lexicale. Ils sont donc intrinsèquement téliques. Ils dénotent des événements à déroulement rapide dont le point initial coïncide idéalement avec son point final (Bertinetto (2001 : 27)). Ils sont définis aussi en tant que verbes ponctuels. L’adverbial ‘en x temps’, marqueur de la télicité, est néanmoins compatible avec ces verbes, mais il acquiert une signification particulière : il a le sens de ‘au bout de x temps’. Les verbes intrinsèquement téliques ne sont pas compatibles avec un adverbial qui implique l’atélicité : (12) a. Jean est arrivé/parti/entré/sorti/venu/tombé en deux minutes (= au bout de deux minutes)/*pendant deux minutes. b. Gianni è arrivato/partito/entrato/uscito/venuto/caduto in due minuti (= nel giro di due minuti)/*per due minuti. (13) a. Jean a atteint le sommet en deux heures/*pendant deux heures. b. Gianni ha raggiunto la vetta in due ore/*per due ore. (14) a. Jean a quitté la ville en deux heures/*pendant deux heures. b. Gianni ha lasciato la città in due ore/*per due ore. 28 CHAPITRE I CONSIDÉRATIONS SUR L’ASPECT ET SUR L’HYPOTHÈSE INACCUSATIVE Certains verbes transitifs ou intransitifs dénotant des activités, s’ils sont interprétés en tant qu’accomplissements, ont une interprétation télique pourvu que le C.O.D. ou le C.O.I. datif, qui dénote le But du processus, soit sous-entendu : (15) a. Jean a mangé (la pomme) en deux minutes. b. Jean a lu (le livre) en deux heures. c. Carine a chanté (ses chansons) en deux heures. d. Jean a couru (le marathon) en une heure. e. Jean a téléphoné (à tout le monde) en deux heures. f. Jean a parlé (à tout le monde) en deux heures. Pour d’autres verbes dénotant une activité, la compatibilité avec une interprétation télique est possible seulement si l’argument interne est explicitement réalisé (16) : (16) a. *Jean a dessiné en dix minutes. b. Jean a dessiné un cercle en dix minutes. Les exemples en (15) et (16) montrent que la télicité peut être ‘compositionnelle’, c’est-à-dire se vérifier au niveau du prédicat. I.5.3. Récapitulation : À ce moment-là, on peut associer à chaque type de prédicat le trait [±télique], [±ponctuel] et [±dynamique] qui lui convient. Les états sont [-téliques], [-ponctuels], [-dynamiques]. Les activités sont [-téliques], [-ponctuelles], [+dynamiques]. Les accomplissements et les achèvements comportent un mouvement vers un telos. La différence entre les deux est que les accomplissements dénotent des prédicats [-ponctuels], tandis que les achèvements dénotent des prédicats [+ponctuels]. Donc : Les accomplissements sont [+téliques], [-ponctuels], [+dynamiques]. Les achèvements sont [+intrinsèquement téliques], [+ponctuels], [+dynamiques]. 29 CHAPITRE I CONSIDÉRATIONS SUR L’ASPECT ET SUR L’HYPOTHÈSE INACCUSATIVE I.6. La notion de transition (Pustejovsky (1991)) : Pustejovsky (1991) subdivise les événements en trois classes : états, processus (activités) et transitions (accomplissements ou achèvements). L’analyse de Pustejovsky se base sur la classification vendlerienne des événements à laquelle l’auteur ajoute la notion de transition. Les trois classes d’événements distinguées par Pustejovsky sont analysées par l’auteur de la façon suivante. Les états, notés (S)tate, sont associés à un seul événement <e> qui ne comporte pas de changement dans un intervalle de temps donné (be sick (‘être malade’), love (‘aimer’), know (‘connaître’))5 : (17) S <e> Les processus, notés (P)rocessus, sont associés à une séquence d’événements identiques dont la somme est conçue en tant qu’un seul processus (run (‘courir’), push (‘pousser’)) : (18) P e1 … en Les transitions, notées (T)ransition, sont composées de deux sous-événements <e1 ; e2> (give (‘donner’), open (‘ouvrir’), build (‘construire’), destroy (‘détruire’), arrive (‘arriver’)) : 5 La notion d’état est donc liée à l’aspect imperfectif/duratif. 30 CHAPITRE I CONSIDÉRATIONS SUR L’ASPECT ET SUR L’HYPOTHÈSE INACCUSATIVE (19) T e1 e2 En (19), (T) représente la transition de la place événementielle <e 1> à la place événementielle <e2>. <e1> représente un processus qui précède le sous-événement <e2>, tandis que <e2 > représente l’état résultant du processus <e1>. Selon la théorie de Pustejovsky l’adverbe ‘en x temps’ est associé à deux positions événementielles et mesure donc la distance temporelle entre une position de départ et une position d’arrivée. Autrement dit, l’adverbial ‘en x temps’ dénote un événement composé de deux sousévénements <e1 ; e2> : <e1> dénote le point initial de la transition, tandis que <e2> dénote le point final de la transition. L’adverbial ‘en x temps’ est d’ailleurs tout à fait compatible aussi avec des emplois statiques comme le montre la phrase Je suis chez vous en cinq minutes6. Donc, les propriétés envisagées par Pustejovsky pour une caractérisation formelle de l’adverbial ‘en x temps’ ne semblent pas fournir d’inacceptabilités tranchées. En revanche, l’adverbial ‘pendant x temps’ est associé à une seule position événementielle et il ne peut donc mesurer que la durée temporelle d’un état ou d’une activité. L’un de nos objectifs dans la deuxième partie du chapitre et dans les chapitres qui suivent sera de dégager les effets aspectuels associés à la sélection de l’auxiliaire. En particulier, nous décrirons dans le détail les différents types d’interprétations aspectuelles liées à la sélection de l’auxiliaire avec le passé composé (PC). 6 Exemple tiré de Boons, Guillet et Leclère (1976 : 236). 31 CHAPITRE I CONSIDÉRATIONS SUR L’ASPECT ET SUR L’HYPOTHÈSE INACCUSATIVE Deuxième partie : la valeur aspectuelle du passé composé Le passé composé en français se prête à deux interprétations : (i) son interprétation dérivée, qui s’est développée à cause de la restriction du passé simple à la langue écrite (cf. (20)) ; (ii) son interprétation étymologique qui est celle d’un présent accompli (cf. (21)) : (20) Hier, à trois heures, j’ai mangé. (21) Maintenant que j’ai arrosé les fleurs, je peux sortir. Demirdache et Uribe-Etxebarria (2002) observent que l’emploi du PC comme un passé simple entraîne une interprétation perfective du PC : l’événement décrit est antérieur au moment de la parole et il est saisi dans sa globalité, de sa borne initiale à sa borne finale. En revanche, les auteurs observent que le PC employé comme présent accompli présente le procès comme achevé à un moment « en contact avec le présent » (Grevisse (1980 : 839), cité par Demirdache et Uribe-Etxebarria (2002 : 141)). Les adverbes compatibles avec cette interprétation sont donc ceux qui renvoient au temps de l’énonciation comme maintenant, à cette heure, etc. Dans l’optique de l’analyse de Demirdache et Uribe-Etxebarria (2002 : 142), « les deux interprétations du PC ont en commun de situer la fin de l’événement dans un intervalle de temps antérieur au moment de la parole ». Néanmoins, dans l’interprétation perfective le PC fonctionnerait comme un temps simple du passé, tandis que dans l’interprétation de présent accompli le PC fonctionnerait comme un aspect de l’accompli. En résumé, les auteurs distinguent entre une lecture temporelle et une lecture aspectuelle du PC. Empiriquement, cette ambiguïté est résolue par des repères temporels qui forcent une interprétation plutôt qu’une autre. En français tout comme en italien, le passé composé est ambigu s’il n’y a pas des repères temporels qui forcent une interprétation plutôt qu’une autre. Cette ambiguïté est présente aussi bien dans les formes composées avec l’auxiliaire ‘avoir’ que dans les formes composées avec l’auxiliaire ‘être’. 32 CHAPITRE I CONSIDÉRATIONS SUR L’ASPECT ET SUR L’HYPOTHÈSE INACCUSATIVE I.7. L’ambiguïté du passé composé avec les auxiliaires ‘avoir’ et ‘être’ : Considérons les phrases suivantes : (22) a. Jean a téléphoné/mangé/couru. b. Gianni ha telefonato/mangiato/corso. Le passé composé des phrases en (22a,b) est ambigu car il peut s’interpréter comme un passé simple ou bien comme un présent accompli (cf. supra). Il peut être désambiguïsé à l’aide d’adverbes temporels ponctuels ou bien grâce à l’adverbe ‘maintenant que’. Dans le premier cas, l’interprétation est celle de passé simple (cf. (23)), tandis que dans le deuxième cas l’interprétation est celle de présent accompli (cf. (24)) : (23) a. Hier Jean a téléphoné/mangé/couru. b. Ieri Gianni ha telefonato/mangiato/corso. (24) a. Maintenant que Jean a téléphoné/mangé/couru, on peut sortir. b. Ora che Gianni ha telefonato/mangiato/corso, possiamo uscire. Dans (23) et dans (24) l’événement dénoté par le verbe est terminé au moment de la parole. Toutefois, si l’interprétation de passé simple se situe dans le passé par rapport au moment de la parole, l’interprétation de présent accompli est ancrée au présent et le rôle de la conjonction ‘que’ en (24) semble celui de relier une situation passée à un état de choses pris en compte à T0. L’ambiguïté que nous avons relevée ci-dessus avec le passé composé sélectionnant l’auxiliaire ‘avoir’ se retrouve aussi avec les verbes de changement de lieu qui sélectionnent l’auxiliaire ‘être’7. Ainsi, les phrases : 7 Comme nous le préciserons dans la section II.1.2., nous considérons les verbes de changement de lieu comme impliquant un déplacement (borné ou non borné). À la suite de Pustejovsky (1991), nous définirons les verbes ‘arriver’, ‘partir’, ‘entrer’, sortir’, ‘tomber’, ‘venir’, ‘atteindre’, ‘quitter’, etc. en tant que verbes de changement de lieu car ils dénotent une transition d’un état initial <e1> à un état final <e2>. 33 CHAPITRE I CONSIDÉRATIONS SUR L’ASPECT ET SUR L’HYPOTHÈSE INACCUSATIVE (25) a. Jean est arrivé/parti/sorti/entré/tombé/venu/allé chez elle. b. Gianni è arrivato/partito/uscito/entrato/caduto/venuto/andato a casa sua. sont ambiguës entre l’interprétation de passé simple (cf. (26)) et l’interprétation de présent accompli (cf. (27)) : (26) a. Hier Jean est arrivé/parti/sorti/entré/tombé/venu/allé chez elle. b. Ieri Gianni è arrivato/partito/uscito/entrato/caduto/venuto/andato a casa sua. (27) a. Maintenant que Jean est arrivé/parti/sorti/entré/tombé/venu/allé chez elle, nous sommes inquiets. b. Ora che Gianni è arrivato/partito/entrato/caduto/venuto/andato a casa sua, siamo preoccupati. Il apparaît que le passé composé des verbes de changement de lieu sélectionnant l’auxiliaire ‘être’ présente une triple ambiguïté, alors que le passé composé des verbes sélectionnant l’auxiliaire ‘avoir’ n’est ouvert qu’à deux interprétations. Le passé composé sélectionnant ‘avoir’ est ambigu entre une interprétation de passé simple et une interprétation de présent accompli, tandis que le passé composé des verbes de changement de lieu sélectionnant l’auxiliaire ‘être’ est ambigu entre une interprétation de passé simple, une interprétation de présent accompli, et une interprétation d’état résultant8. Nous examinerons la notion d’état résultant de plus près dans la sous-section I.7.3. Avant d’aborder ce sujet, nous discuterons succinctement le modèle formel élaboré par Demirdache et Uribe-Etxebarria (2002) pour désambiguïser l’interprétation perfective de l’interprétation accomplie du passé composé. I.7.1. L’interprétation de passé simple : Parmi les articles recueillis par Brenda Laca dans Le temps et l’aspect (2002), l’étude de Demirdache et Uribe-Etxebarria propose un modèle original d’analyse de l’ambiguïté du passé composé. 8 Carlier (2002 : 47) est du même avis que Demirdache et Uribe-Etxebarria (2002) : elle observe que le passé composé d’un verbe de changement de lieu tel que ‘sortir’ « constitue un parfait du présent, ayant pour sens de marquer que le procès est arrivé à son terme et que l’état résultant Pierre est absent importe au moment présent [, ou bien,] en l’absence d’une telle valeur aspectuelle, le passé composé prend valeur d’antériorité et marque qu’il y a eu action de sortir avant le moment présent ». 34 CHAPITRE I CONSIDÉRATIONS SUR L’ASPECT ET SUR L’HYPOTHÈSE INACCUSATIVE Dans l’analyse de Demirdache et Uribe-Etxebarria, l’interprétation de passé simple du PC est associée à un intervalle temporel caractérisé par le trait [+ponctuel/perfectif]. Plus précisément, cet intervalle réfère à un événement ponctuel qui se situe dans le passé par rapport au moment de l’énonciation T 0. L’analyse proposée par Demirdache et UribeEtxebarria met en jeu trois intervalles de temps : le temps de l’assertion (noté AST-T pour « Assertion-Time » ), le temps de l’événement décrit par le verbe (noté EV-T pour « Event-Time » ) et le temps de l’énonciation (noté UT-T pour « Utterance-Time » ). Dans l’optique de Demirdache et Uribe-Etxebarria, le temps de l’assertion dénote un point de perspective aspectuelle. Autrement dit, selon les auteurs, le temps de l’assertion coïncide avec l’intervalle de temps focalisé par l’aspect dans la structure temporelle interne de l’événement 9. Comme le montre le schéma en (28), dans l’interprétation perfective du PC, le temps de l’assertion (AST-T) coïncide avec le temps de l’événement (EV-T) mais il est antérieur au temps de l’énonciation (UT-T)10 : (28) a. Hier Jean est arrivé/parti. b. Hier le chocolat a fondu. c. Hier Jean a mangé. EV-T = AST-T [ [ UT-T ] ] [ ] t HIER Étant donné qu’en (28) l’AST-T coïncide avec l’EV-T, il s’ensuit que l’événement décrit est saisi dans sa globalité de sa borne initiale à sa borne finale. Le PC est donc interprété comme un temps (passé simple) compatible avec un adverbe ponctuel tel que ‘hier’. 9 Cf. Klein (1995) pour plus de détails à propos de la notion ‘temps de l’assertion’. Le modèle proposé par Demirdache et Uribe-Etxebarria (2002) repose sur trois temps, tout comme le modèle temporel proposé par Reichenbach (1947). Dans le cadre théorique et descriptif élaboré par Reichenbach, la référence temporelle de l’événement se construit autour du moment de la parole (S), en situant le moment de l’événement (E) par rapport à lui, mais aussi par le recours à un moment particulier, le moment de référence (R). D’après Reichenbach, chaque temps grammatical est défini par une relation linéaire particulière de ces trois moments. Par exemple, l’événement peut être antérieur, simultané ou postérieur au moment de la parole. Une éventualité au plus-que-parfait dénote une éventualité antérieure à un moment lui-même antérieur au moment de la parole. C’est ce moment que Reichenbach nomme moment de référence. Le plus-que-parfait (Jean avait mangé une pomme) correspondra donc à une représentation de ce type : E_R_S. En revanche, avec un passé simple (Jean mangea une pomme), le moment de l’événement et le moment de référence sont simultanés et précèdent le moment de la parole : E,R_S. 10 35 CHAPITRE I CONSIDÉRATIONS SUR L’ASPECT ET SUR L’HYPOTHÈSE INACCUSATIVE I.7.2. L’interprétation de parfait ou présent accompli : Schaden (2007 : 2) observe que les temps grammaticaux passé, présent et futur ne suffisent pas à décrire tous les temps grammaticaux d’une langue comme, par exemple, le français. En effet, il existe d’autres temps grammaticaux, notamment les parfaits qui correspondent au plus-que-parfait, présent parfait (passé composé) et futur antérieur. À partir de cette observation, on serait amenés à conclure que le parfait dénote une catégorie temporelle. Néanmoins, Schaden (2007 : 24) observe que « ce n’est clairement pas une bonne idée de parler du parfait en tant que temps, puisqu’il peut se combiner […] aussi bien avec le temps présent, qu’avec les temps passé et futur » : (29) a. Cunégonde a chanté. (présent parfait/passé composé) (Schaden (2007 : 24 (45a))) b. Cunégonde avait chanté. (plus-que-parfait) (Schaden (2007 : 24 (45b))) c. Cunégonde aura chanté. (futur antérieur) (Schaden (2007 : 24 (45c))) Autrement dit, comme le montrent les exemples ci-dessus, le parfait marquerait les différentes manières de concevoir la structure temporelle interne d’un événement. En ce sens, le parfait définit plutôt une catégorie aspectuelle. Comme nous l’avons déjà observé dans l’introduction à cette section, l’expression ‘maintenant que’ permet de séparer l’interprétation de présent accompli de celle de passé simple et le rôle de la conjonction ‘que’ semble celui de relier une situation passée à un état de choses pris en compte à T0. Autrement dit, l’interprétation de parfait du PC n’est pas détachée de T0 et elle est en quelque sorte ancrée au temps présent. La représentation formelle de l’interprétation de parfait du PC élaborée par Demirdache et Uribe-Etxebarria (2002) est la suivante : 36 CHAPITRE I CONSIDÉRATIONS SUR L’ASPECT ET SUR L’HYPOTHÈSE INACCUSATIVE (30) a. Maintenant que Jean est arrivé/parti. b. Maintenant que le chocolat a fondu. c. Maintenant que Jean a mangé. UT-T = AST-T [ ] EV-T [ [ ] ] t MAINTENANT Dans le schéma en (30), le temps de l’assertion coïncide avec le temps de l’énonciation et le PC est interprété comme un aspect. L’événement décrit par le prédicat est présenté comme un parfait, c’est-à-dire comme un événement terminé avant AST-T/UT-T mais qui est, pour ainsi dire, en contact avec T0. C’est pourquoi l’AST-T/UT-T est modifiable par un adverbial compatible avec le temps de l’énonciation comme ‘maintenant (que)’, ‘à cette heure’, ‘aujourd’hui’, etc. Nous avons vu que le modèle formel élaboré par Demirdache et Uribe-Etxebarria permet de rendre compte des deux ambiguïtés aspectuelles du PC. Toutefois, comme nous l’avons remarqué dans l’introduction à cette section, le passé composé des verbes de changement de lieu sélectionnant l’auxiliaire ‘être’ est ambigu entre une interprétation de passé simple, une interprétation de présent accompli, et une interprétation d’état résultant. À partir de l’approche formelle élaborée par Pustejovsky (1991) pour analyser la notion de télicité, nous élaborerons ci-dessous notre représentation formelle de l’interprétation de l’état résultant. I.7.3. L’état résultant : Selon la classification de Vendler, la notion de télicité est associée aux prédicats dénotant un achèvement ou un accomplissement, c’est-à-dire à des événements ‘bornés à droite’ (cf. les sections I.4. et I.5.). Pustejovsky (1991) redéfinit la notion de télicité. En particulier, dans son analyse formelle, il pose que la télicité implique la transition d’un état <e1> vers un état <e2> : 37 CHAPITRE I CONSIDÉRATIONS SUR L’ASPECT ET SUR L’HYPOTHÈSE INACCUSATIVE (31) (Télicité) T e1 e2 Jean est arrivé en deux minutes Jean est parti en deux minutes Le chocolat a fondu en deux minutes Jean a mangé en deux minutes (Evénement Télique) Le schéma en (31) nous montre que la télicité est associée à deux positions événementielles <e1> et <e2>. En revanche, l’état résultant, contrairement à la télicité, est associé, comme nous le montrerons, à la seule place événementielle <e2>. L’état résultant dénote le résultat d’une transition, c’est-à-dire le résultat d’un changement d’état ou de lieu et il est indissolublement lié à la sélection de l’auxiliaire ‘être’. Il est associé à des prédicats dénotant des accomplissements ou des achèvements, c’est-à-dire à des prédicats téliques. Il s’ensuit donc qu’il est associé à la position événementielle <e2 > d’une transition impliquant un événement initial <e1> et un événement final <e2>11 : 11 Dans la deuxième partie du chapitre III, nous verrons que l’interprétation d’état résultant est compatible avec la structure syntaxique du participe absolu et que l’expression ‘une fois’ marque sans ambiguïté l’état résultant issu d’une transition. En outre, comme nous le verrons en détail dans la section III.1., l’état résultant est aussi à la base de l’interprétation que nous appellerons ‘résultative’. 38 CHAPITRE I CONSIDÉRATIONS SUR L’ASPECT ET SUR L’HYPOTHÈSE INACCUSATIVE (32) (État Résultant) T e1 Jean n'est pas encore arrivé Jean n’est pas encore parti Le chocolat n’est pas encore fondu (Evénement Initial) e2 Jean est arrivé Jean est parti Le chocolat est fondu (Etat Résultant) Avec les verbes sélectionnant un But comme ‘arriver’ et ‘entrer’, l’état résultant décrit la persistance dans un lieu de l’état issu de la transition, tandis qu’avec les verbes sélectionnant une Source comme ‘partir’ ou ‘sortir’, l’état résultant est la négation de la persistance dans un lieu de l’état issu de la transition. À proprement parler, la notion d’état résultant diffère de celle d’état (Folli (2001 : 111, note 27)). L’état, selon la classification de Pustejovsky (1991), est indépendant de tout processus antérieur12. Pustejovsky associe l’état à une place événementielle générique <e>, tandis que l’état résultant est lié à la position événementielle <e2> issue d’un changement de lieu ou d’un changement d’état. Néanmoins, la séquence marquant l’état résultant peut coïncider avec l’état. C’est le cas, par exemple, des verbes de changement d’état. Les phrases : (État Résultant : √) (État : √) (33) a. Le chocolat est fondu. b. Il cioccolato è fuso. peuvent s’interpréter en tant qu’état résultant ou en tant qu’état. C’est le contexte qui peut désambiguïser ces deux interprétations : 12 Nous renvoyons le lecteur à Nedjalkov et Jaxontov (1988) pour plus de détails. 39 CHAPITRE I CONSIDÉRATIONS SUR L’ASPECT ET SUR L’HYPOTHÈSE INACCUSATIVE (34) a. Le chocolat est désormais fondu. (État Résultant) b. Il cioccolato è ormai fuso. En (34), l’adverbe ‘désormais’ implique que le processus de fonte est terminé et ‘fondu’ est interprété comme l’état résultant du processus. Néanmoins, sans un contexte interprétatif approprié, les phrases en (33) peuvent être associées aux deux interprétations. Dans les deux cas elles s’interprètent comme des phrases prédicatives où le complément prédicatif correspond au participe ‘fondu’. Les verbes de changement de lieu dénotant un achèvement et sélectionnant l’auxiliaire ‘être’ peuvent, eux aussi, s’interpréter comme dénotant un état résultant ou un état : (État Résultant : √) (État : √) (35) a. Jean est arrivé. b. Gianni è arrivato. (État Résultant : √) (État : √) (36) a. Jean est parti. b. Gianni è partito. C’est le contexte qui permet de désambiguïser les deux interprétations : (37) a. Jean est désormais arrivé. (État Résultant) b. Gianni è ormai arrivato. (38) a. Jean est désormais parti. (État Résultant) b. Gianni è ormai partito. L’adverbe ‘désormais’ associe les phrases (37) et (38) à une interprétation d’état résultant. Qu’elles soient interprétées comme des phrases dénotant un état résultant ou un état, les phrases (35) et (36) s’interprètent comme des phrases prédicatives qui sont associées, respectivement, à l’interprétation ‘être là’ et ‘ne pas être là’. Dans le premier cas, ‘Jean est arrivé’ correspond à ‘Jean est là (= est à Rome, est chez soi, etc.)’, tandis que dans le deuxième cas, ‘Jean est parti’ correspond à ‘Jean n’est pas là (= est absent)’. Le même s’observe avec les verbes ‘entrer’ et ‘sortir’. Dans les prochaines sections nous présenterons des données du français dialectal et de certaines variétés de français d’Amérique concernant la distribution des auxiliaires être et avoir. Comme nous le verrons, certains verbes qui en français standard (FS) sélectionnent 40 CHAPITRE I CONSIDÉRATIONS SUR L’ASPECT ET SUR L’HYPOTHÈSE INACCUSATIVE seulement l’auxiliaire être, en français dialectal sélectionnent aussi bien l’auxiliaire être que l’auxiliaire avoir. Selon Leeman (1994), la double sélection de l’auxiliaire en français dialectal supprime des ambiguïtés qui, autrement, resteraient non résolues avec la sélection d’un seul auxiliaire. I.8. La double sélection de l’auxiliaire en français dialectal : Leeman (1994 : 49) remarque que dans la langue orale on trouve des emplois d’auxiliaires non-conformes à la norme grammaticale. Par exemple, les verbes tomber, sortir et partir, qui sont normalement conjugués avec l’auxiliaire être, se trouvent associés à l’auxiliaire avoir. Elle observe, en outre, qu’en français dialectal, le verbe mourir peut sélectionner l’auxiliaire avoir et que, dans ce cas-là, la forme participiale est mouru et pas mort laquelle, en revanche, est exclusivement associée à l’auxiliaire être13. Selon Leeman, la sélection de l’auxiliaire avoir permet de distinguer l’interprétation perfective de celle d’état résultant et de désambiguïser la phrase au profit de l’interprétation perfective14 : 13 Cf. aussi Désirat et Hordé (1976 : 142) et Bauche (1946 : 115, note 1), entre autres. Ledgeway (2000 : 233) observe qu’en napolitain le verbe murì (‘mourir’) a deux formes différentes de participe passé selon l’auxiliaire sélectionné : (i) a. Ha mur-uto/ ?muorto. (Ledgeway (2000 : 233 (78a,b))) b. È muorto/*mur-uto. Ledgeway (2000 : 229) observe qu’en napolitain d’autres verbes, outre au verbe murì, ont développé à côté d’un participe irrégulier, un participe régulier en –uto : (ii) a. Apierto/arap-uto (‘ouvrir’) b. Chiuso/chiud-uto (‘fermer’) c. Cotto/coci-uto (‘cuire’) d. Rutto/rump-uto (‘casser’) e. Sciso/scenn-uto (‘descendre’) f. Curzo/curr-uto (‘courir’) Comme remarqué par Ledgeway, les deux formes participiales en (ii) se sont spécialisées pour distinguer l’aspect. Le participe irrégulier est associé à l’aspect duratif/télique/résultatif tandis que celui en –uto est associé à l’aspect ponctuel. En ce qui concerne la distribution des auxiliaires, Ledgeway observe que le participe irrégulier est ambigu et qu’il peut être employé aussi bien avec l’auxiliaire essere qu’avec l’auxiliaire avere. En revanche, le participe passé régulier est un participe passé verbal compatible seulement avec l’auxiliaire avere. Il s’ensuit donc que le participe passé en –uto est spécifié pour l’aspect, tandis que le participe passé irrégulier est non-spécifié pour l’aspect. Voici des exemples tirés de (Ledgeway (2000 : 230 (70a,d)), (2000 : 232 (75a,b) et (76a,b))) : (iii) a. Sorata ha rumput’/rutt’ ‘o telefuno. (= Lit. Sœur-ta a cassé le téléphone) b. ‘o telefuno steva *rumputo/rutto. (= Lit. Le téléphone était cassé) (iv) a. Ha scennuto/sciso abbascio. (= Lit. (Il) a descendu en bas) b. È *scennuto/sciso abbascio. (= Lit. (Il) est descendu en bas) (v) a. Ha curruto/curzo addu Carmela. (= Lit. (Il) a couru chez Carmela) b. È *curruto/curzo addu Carmela. (= Lit. (Il) est couru chez Carmela) 14 41 CHAPITRE I CONSIDÉRATIONS SUR L’ASPECT ET SUR L’HYPOTHÈSE INACCUSATIVE (39) Il a mouru/parti/sorti/tombé (Perfectif) vs. Il est mort/parti/sorti/tombé (État Résultant) Blanche-Benveniste (1977 : 130) observe aussi que les enfants évitent la forme auxiliée il est mort dans la combinaison avec une datation ponctuelle et que, dans ce cas, la forme qu’ils utilisent est conjuguée avec l’auxiliaire avoir et le participe passé corresponds à la forme mouru : il a mouru en 1950, maintenant il est mort. Dans la prochaine section nous analyserons certaines variétés de français d’Amérique où l’emploi de l’auxiliaire avoir a désormais remplacé celui de l’auxiliaire être. Les verbes mourir et naître semblent être les seuls à sélectionner encore l’auxiliaire être. Néanmoins, comme nous le verrons, en français acadien, le verbe mourir peut sélectionner les deux auxiliaires. I.9. La distribution des auxiliaires être et avoir dans certaines variétés de français d’Amérique : Les études sur la distribution des auxiliaires être et avoir dans les français d'Amérique (cf. Sankoff et Thibault (1977) pour le français de Montréal, King et Nadasdi (2005) pour le français acadien, Canale et alii (1978) pour le français de l’Ontario, Russo et Roberts (1999) pour le français du Vermont, Brown (1988) pour la variété de français parlé en Louisiane, le cajun) montrent que l’auxiliaire être est remplacé par l’auxiliaire avoir avec quasiment tous les verbes. I.9.1. Le français québécois (FQ) : Les exemples proposés ci-dessous ont été produits par des locuteurs natifs du français québécois et ils nous montrent que l’auxiliaire avoir est employé avec les verbes de changement de lieu qui sélectionnent obligatoirement être en FS15 : Il serait intéressant d’approfondir la distribution et l’emploi des deux formes de participe passé en napolitain et de vérifier ce phénomène dans d’autres dialectes. Nous laisserons ce problème à des recherches futures. 15 Je remercie Marie-Thérèse Vinet et Luc Baronian pour les données du français québécois. Néanmoins, comme me l’a fait marquer Marie-Thérèse Vinet (c.p.), l’emploi de l’auxiliaire avoir peut varier selon le locuteur. 42 CHAPITRE I CONSIDÉRATIONS SUR L’ASPECT ET SUR L’HYPOTHÈSE INACCUSATIVE (40) a. J’ai tombé à terre. b. J’ai arrivé à la maison de bonne heure. c. On a sorti de bonne heure/J’ai sorti par la porte d’en arrière. d. J’ai rentré dans ma maison. e. J’ai venu pour le dire pis je me suis arrêté. f. Il a allé au stade en trois minutes. g. Il a entré dans la salle en un second. h. J’ai parti en deux minutes. i. Il a retourné à la maison en deux minutes. La sélection de l’auxiliaire avoir ne pose pas de problèmes de compatibilité avec les adverbiaux ponctuels et avec l’adverbial télique ‘en x temps’ : (41) Jean a arrivé/parti/entré/sorti à huit heures. (42) Jean a arrivé/parti/entré/sorti en deux minutes. En revanche, l’interprétation de présent accompli exige l’emploi de l’auxiliaire être en FQ : (43) a. *Maintenant qu’il a arrivé/entré chez lui, il ne voudra plus jamais ressortir. b. Maintenant qu’il est arrivé/entré chez lui, il ne voudra plus jamais ressortir. L’auxiliaire être est employé avec les verbes de changement de lieu tels que ‘arriver’, ‘partir’, ‘entrer’, ‘sortir’ et ‘tomber’ pour exprimer l’état : (44) Jean est arrivé (= là)/parti (= absent)/entré (= dedans)/sorti (= dehors)/tombé (= par terre). I.9.2. Le français acadien (FA) : Les variétés de français parlé au Canada sont traditionnellement regroupées en deux dialectes principaux : le français du Québec et le français acadien. Schématiquement, le français du Québec inclut le français parlé dans la province du Québec mais aussi le français de l’Ontario et le français parlé à l’ouest du Canada. Le français acadien inclut le français 43 CHAPITRE I CONSIDÉRATIONS SUR L’ASPECT ET SUR L’HYPOTHÈSE INACCUSATIVE parlé dans les trois provinces maritimes (Prince Edward Island, New Brunswick et Nova Scotia), dans la province du Newfoundland et dans des petites aires du Québec 16. King et Nadasdi (2005) observent que tout comme les autres variétés de français non standard, le français acadien parlé dans l’Ile-du-Prince-Edouard, au large de la côte Est du Canada, permet l’emploi de l’auxiliaire avoir avec les verbes qui, en français standard, se conjuguent obligatoirement avec être (cf. l’échelle de Legendre et Sorace dans la section I.13.). En outre, elles observent qu’il existe une division nette entre le français acadien et les autres variétés de français canadien : « L’emploi de avoir comme auxiliaire est presque catégorique en acadien alors qu’il y a beaucoup de variation dans les autres variétés » (King et Nadasdi (2005 : 105)). Voici des exemples concernant les verbes de changement de lieu : (45) a. Toute la famille a venu dans quatre-vingt-deux, on a tout été à Florida. (King et Nadasdi (2005 : 103 (1a))) b. J’ai parti en 1960 puis l’électricité a venu après. (King et Nadasdi (2005 : 105 (3a))) c. Ils avont sorti par la porte en arrière. (King et Nadasdi (2005 : 105 (3b))) d. Ils aviont tombé à l’eau. (King et Nadasdi (2005 : 105 (3c))) En FA comme en FQ, les adverbiaux ponctuels et l’adverbial télique ‘en x temps’ sont compatibles avec l’auxiliaire avoir : (46) Il a arrivé/parti/entré/sorti/venu/allé chez elle à huit heures. (Ruth King (c.p.)) (47) Il a arrivé/parti/entré/sorti/venu/allé chez elle en deux heures. (Ruth King (c.p.)) Contrairement à ce qu’on observe en FQ, l’interprétation de présent accompli en FA est compatible aussi bien avec l’auxiliaire être qu’avec l’auxiliaire avoir : (48) a. Asteure qu’il a arrivé/entré/parti/sorti/mouri. b. Asteure qu’il est arrivé/entré/parti/sorti/mort17. 16 Nous renvoyons le lecteur à King (2000) pour plus de détails. 44 CHAPITRE I CONSIDÉRATIONS SUR L’ASPECT ET SUR L’HYPOTHÈSE INACCUSATIVE Tout comme en FQ aussi en FA l’auxiliaire être est employé avec les verbes de changement de lieu tels que ‘arriver’, ‘partir’, ‘entrer’, ‘sortir’ et ‘tomber’ pour exprimer l’état : (49) Jean est arrivé (= là)/parti (= absent)/entré (= dedans)/sorti (= dehors)/tombé (= par terre). I.9.2.1. Le cas du verbe mourir : King et Nadasdi observent qu’en FA le verbe mourir peut sélectionner aussi bien l’auxiliaire être que l’auxiliaire avoir et que selon le type d’auxiliaire sélectionné la forme morphologique du participe change : mouri avec l’auxiliaire avoir et mort avec l’auxiliaire être18. Les adverbiaux ponctuels et l’adverbial télique ‘en x temps’ sont de préférence employés avec l’auxiliaire avoir : (50) a. Monsieur a mouri à huit heures. b. ??Monsieur est mort à huit heures. (Ruth King (c.p.)) (51) a. Monsieur a mouri en une heure. (Ruth King (c.p.)) b. ??Monsieur est mort en une heure. Observons maintenant les phrases suivantes tirées du corpus de King et Nadasdi (2005) : (52) a. Ma sœur était mariée avec Camille. Et puis euh, lui est mort. (King et Nadasdi (2005 : 108 (10a))) b. l’homme le plus fort qu’a jamais marché à Tignish. Il est mort. Il s’a fait mal. (King et Nadasdi (2005 : 108 (10b))) c. Il y avait un homme across du chemin, il est mort, un Arsenault. (King et Nadasdi (2005 : 108 (10c))) 17 Comme me l’a fait remarquer Ruth King (c.p.) asteure est une expression lexicalisée depuis longtemps en français dialectal. Elle vient de ‘à cette heure’. 18 Le verbe naître, par contre, s’emploie avec l’auxiliaire être tout comme en FS et en FQ (cf. King et Nadasdi (2005) pour plus de détails). 45 CHAPITRE I CONSIDÉRATIONS SUR L’ASPECT ET SUR L’HYPOTHÈSE INACCUSATIVE Dans les exemples ci-dessus, le verbe mourir se prête à deux interprétations différentes selon qu’il dénote l’événement mourir ou l’état qui en résulte. En FA, l’emploi de l’auxiliaire avoir avec le verbe mourir permet de distinguer l’interprétation perfective de celle d’état résultant et fait disparaître l’ambiguïté interprétative de la forme être mort. Dans les exemples ci-dessous, l’interprétation perfective est la seule possible19 : (53) a. Il a mouri de vieillesse. (King et Nadasdi (2005 : 106 (5a))) b. J’ai bien proche mouri. (King et Nadasdi (2005 : 106 (5b))) c. Ils ont dit qu’il a mouri, je crois, en allant...en allant à l’hôpital. (King et Nadasdi (2005 : 106 (5c))) d. Il a mouri avant. (King et Nadasdi (2005 : 106 (6))) Observons maintenant les exemples ci-dessous où le verbe mourir est employé avec l'auxiliaire être : (54) a. Il y a trois qui sont morts, tous les trois. L’un est mort à St-Jean. Un autre est mort à Bradford, Ontario. Un autre est mort à Toronto.(King et Nadasdi (2005 : 106 (7a))) b. Il est mort en ‘60, il avait 80. (King et Nadasdi (2005 : 106 (7b))) King et Nadasdi (2005 : 106) observent que dans ces exemples les adverbiaux de temps et de lieu forcent l’interprétation d’événement. Ruth King (c.p.) me fait observer que la variante avec l’auxiliaire avoir est aussi possible mais que, toutefois, il y a une assez forte tendance à employer l'auxiliaire être en (54). Les exemples en (54) montrent que lorsqu’on spécifie le lieu ou le temps où s’est déroulé l’événement, l’auxiliaire être est préféré car il n’y a aucune ambiguïté aspectuelle, tandis qu’en l’absence d’une expression forçant l’interprétation d’événement, on recourt à l’auxiliaire avoir pour lever cette ambiguïté. 19 Ruth King (c.p.) me fait observer qu’avec l’adverbe de manière ‘lentement’ l’auxiliaire avoir est nettement préféré : (i) Il a mouri lentement. (ii) ?*Il est mort lentement. 46 CHAPITRE I CONSIDÉRATIONS SUR L’ASPECT ET SUR L’HYPOTHÈSE INACCUSATIVE I.9.3. Récapitulation : La substitution de l’auxiliaire avoir à l’auxiliaire être dans les variétés de français parlé en Amérique peut s’analyser comme la dernière étape d’un changement allant vers une régularisation du choix de l’auxiliaire. Néanmoins, nous avons remarqué qu’en FQ l’interprétation de présent accompli exige l’emploi de l’auxiliaire être avec les verbes de changement de lieu qui sélectionnent l’auxiliaire être en FS, alors qu’en FA les deux auxiliaires sont possibles. En revanche, avec ces mêmes verbes, l’interprétation perfective et l’interprétation télique sont parfaitement compatibles avec l’auxiliaire avoir dans les deux variétés. La régularisation de l’emploi de l’auxiliaire avoir avec les verbes de changement de lieu qui sélectionnent être en FS semble donc s’arrêter devant l’interprétation de présent accompli20. Dans la sous-section I.7.3., nous avons défini l’état résultant comme le résultat d’une transition associée à un changement d’état ou à un changement de lieu. Dans la prochaine section, nous montrerons que l’état résultant peut s’inscrire dans une relation syntaxique appelée ‘alternance causative’. I.10. L’alternance causative : Les verbes de changement d’état aussi bien en italien qu’en français sont compatibles avec une construction transitive-causative dont l’objet est affecté par le changement d’état. Par ailleurs, l’objet peut devenir le sujet d’une phrase intransitive marquant l’état résultant du changement. Le paradigme syntaxique appariant ces deux constructions est appelé ‘alternance causative’. Syntaxiquement, la construction transitive-causative implique deux arguments dont l’un est la cause et l’autre l’argument interne affecté par le changement d’état 21. En 20 La même chose s’observe avec l’interprétation résultative. Dans la section III.11., nous verrons que, dans ces variétés de français, ces mêmes verbes sélectionnent obligatoirement l’auxiliaire être dans l’interprétation résultative, comme c’est le cas en français standard. 21 La notion d’ « affectedness » est due à Tenny (1994 : 157-158). Il s’agit d’une propriété sémantique de l’argument interne objet d’un verbe. Un argument affecté est décrit comme un argument qui pose une borne temporelle au changement d’état dénoté par le verbe. Cette notion est liée à celles de causativité et d’état résultant : (i) Le soleil a fondu la neige. (transitif-causatif) (ii) La neige est fondue. (État Résultant) En (i), le processus de fonte produit un changement d’état dans l’argument interne (qui est donc affecté par le verbe) de telle manière qu’à la fin du processus l’état résultant est que La neige est fondue (cf. (ii)). En revanche, la phrase : 47 CHAPITRE I CONSIDÉRATIONS SUR L’ASPECT ET SUR L’HYPOTHÈSE INACCUSATIVE revanche, dans la tournure intransitive, qui représente le résultat du changement d’état, il ne reste que l’argument interne. Voici des exemples : (55) a. L’incendie a jauni/noirci le mur. (transitif-causatif) b. Le mur est jauni/noirci. (État Résultant) (56) a. L’incendio ha ingiallito/annerito il muro. b. Il muro è ingiallito/annerito. (57) a. Le chimiste a fondu le métal. b. Le métal est fondu. (58) a. Il chimico ha fuso il metallo. b. Il metallo è fuso. Certains verbes de changement de lieu sélectionnant l’auxiliaire ‘être’ ont, eux aussi, un emploi transitif-causatif mais cela s’observe seulement en français et pas en italien. Il s’agit des verbes sortir (‘uscire’), monter (‘salire’) et descendre (‘scendere’) : (59) a. Max a sorti la bouteille/la casserole. (transitif-causatif) b. La bouteille/La casserole est sortie (du placard). (État Résultant) (60) a. *Max ha uscito la bottiglia/la pentola. b. La bottiglia/La pentola è uscita 22. (État Résultant : *) (Événementiel : √) (iii) Marie regarde la télé. n’est pas une phrase transitive-causative puisque le C.O.D. télé n’est affecté par aucun changement d’état. Le verbe regarder, donc, n’est pas capable de modifier la nature intrinsèque de l’objet (cf. Merlo (1989 : 30)). 22 Les phrases (60b) ne sont pas compatibles avec l’interprétation d’état résultant. Néanmoins, si l’on crée un contexte adéquat, par exemple un tremblement de terre qui fait sortir la bottiglia ou la pentola du placard, les phrases en (60b) sont interprétables et compatibles avec une interprétation dénotant l’action de ‘sortir’. Nous appelons cette interprétation ‘événementielle’. Considérons par exemple les phrases suivantes : (i) La bottiglia/la pentola è uscita (dall’armadietto) (alle otto)/(in un secondo). Lit. La bouteille/la casserole est sortie (du placard) (à huit heures)/(en un instant) (État Résultant : *) (Événementiel : √) Ces phrases sont interprétables dans un contexte comme le suivant : ‘C’è stato un un terremoto e ne è uscita una (di bottiglia/di pentola) dall’armadietto’/’Il y a eu un tremblement de terre et il en est sorti une (de bouteille/de casserole) du placard’. 48 CHAPITRE I CONSIDÉRATIONS SUR L’ASPECT ET SUR L’HYPOTHÈSE INACCUSATIVE (61) a. Max a monté/descendu la poubelle. (transitif-causatif) b. La poubelle est montée/descendue. (État Résultant) (62) a. *Max ha salito/ha sceso la spazzatura. b. La spazzatura è salita/scesa23. (État Résultant : *) (Événementiel : √) Dans l’optique des primitifs sémantiques de Jackendoff (1990), la sémantique de l’alternance causative est représentée de la façon suivante (cf. aussi Levin et Rappaport-Hovav (1995 : 84)) : (63) [x CAUSE [y BECOME [STATE]]] tandis que la relation : (64) [y STATE] serait la représentation de l’état résultant de l’alternance causative. Comme nous l’avons observé en (55)-(58), les verbes de changement d’état sont associés au paradigme de l’alternance causative. L’état résultant issu de cette transition est donc représenté par la relation sémantique en (65) : (65) [y STATE] Le métal est fondu. Il metallo è fuso. Cependant, l’état résultant n’est pas nécessairement mis en relation avec une forme transitive directe à valeur causative. En effet, comme nous l’avons observé dans la sous-section I.7.3., les verbes de changement de lieu tels que ‘arriver’ et ‘partir’ peuvent être associés à une interprétation d’état résultant même s’ils ne sont pas compatibles avec une structure transitive-causative. 23 L’observation que nous avons faite pour (60b) est valable aussi pour (62b). Imaginons un monte-charge qui monte et descend la poubelle. Dans ce contexte, les phrases (62b) sont interprétables et compatibles avec une interprétation dénotant l’action de ‘monter’ et ‘descendre’ : (i) La spazzatura è salita/scesa (alle otto)/(in due minuti)/(per due minuti). Lit. La poubelle est montée/descendue (à huit heures)/(en deux minutes)/(pendant deux minutes) (État Résultant : *) (Événementiel : √) 49 CHAPITRE I CONSIDÉRATIONS SUR L’ASPECT ET SUR L’HYPOTHÈSE INACCUSATIVE Donc, d’une part, il s’avère que beaucoup de verbes permettant l’état résultant ont aussi un emploi transitif-causatif comme, par exemple, casser, cuire, rouiller, durcir, augmenter, pourrir, mais d’autre part, il existe des verbes qui n’ont pas de correspondant transitif-causatif mais qui peuvent malgré tout être associés à une interprétation d’état résultant : divorcer, atterrir, décroître, aboutir, arriver, partir. Ci-dessous nous allons voir comment les primitifs sémantiques associés à l’alternance causative s’appliquent à la structure syntaxique de Hale et Keyser (1993). 50 CHAPITRE I CONSIDÉRATIONS SUR L’ASPECT ET SUR L’HYPOTHÈSE INACCUSATIVE I.11. Hale et Keyser (1993) : L’idée centrale de l’analyse de Hale et Keyser (1993 : 64) est que la syntaxe est projetée à partir du lexique. Autrement dit, selon ces auteurs, la structure argumentale correspond à une structure syntaxique particulière qui se base sur des relations lexicales ( « Lexical Relation Structure » (LRS)). La notion qui est à la base de la structure syntaxique élaborée par Hale et Keyser est celle de changement, qui peut correspondre à un changement d’état ou à un changement de lieu. Un changement implique un état résultant qui peut être associé aussi bien à un SA (syntagme adjectival) qu’à un SP (syntagme prépositionnel), selon que le changement correspond, respectivement, à un changement d’état ou à un changement de lieu : (66) The cook thinned the gravy. (Hale et Keyser (1993 : 72 et passim)) Le cuisinier a délayé la sauce. Sv SN The cook v’ v° (thin)ined SV V’ SN the gravy V° ti SA ti 51 CHAPITRE I CONSIDÉRATIONS SUR L’ASPECT ET SUR L’HYPOTHÈSE INACCUSATIVE (67) He shelved the books. (Hale et Keyser (1993 : 56 et passim)) Il a rangé les livres sur les/des étagères. Sv v’ He v° (shelv)ied SV V’ SN the books V° ti SP P° (on SN the shelf) Dans l’optique de l’analyse lexicale de Hale et Keyser (1993), un verbe de changement d’état comme thin (‘délayer’) est le résultat de l’incorporation d’une tête adjectivale dans une tête verbale V°. En (66), l’adjectif thin (‘fin’), engendré dans la tête du SA, se déplace dans V° pour former le verbe thin. Puis, le verbe se déplace dans v°. En revanche, la structure (67) nous montre la dérivation du verbe dé-nominal shelve (‘mettre sur une étagère’) qui est interprété par les auteurs comme un verbe de changement de lieu dont la périphrase serait put something on the shelf (‘mettre quelque chose sur l’étagère’). Dans l’optique de l’analyse lexicale de Hale et Keyser (1993), le verbe shelve est le résultat de l’incorporation du SN shelf (‘étagère’) complément du SP dans la tête P°. Puis, la séquence P°+SN monte en V° pour former le verbe shelve et ensuite le verbe se déplace en v°. Sans entrer dans les détails du 52 CHAPITRE I CONSIDÉRATIONS SUR L’ASPECT ET SUR L’HYPOTHÈSE INACCUSATIVE mécanisme d’incorporation adopté par Hale et Keyser, les structures arborescentes en (66) et (67) peuvent être décomposées de la façon suivante24 : • Sv est associé à la relation CAUSE de l’événement et accueille dans son spécificateur le SN qui déclenche le changement. • SV spécifie la nature du changement et accueille dans son spécificateur le SN affecté par le changement d’état ou de lieu. • SA et SP dénotent le telos de l’événement25. À la suite de Hale et Keyser (1993), Folli (2001 : 46) propose de remplacer les projections SA et SP par la projection SvR (syntagme de l’état résultant) qui accueille l’état résultant du changement d’état ou du changement de lieu. La représentation sémantique de l’alternance causative avec les verbes de changement d’état en (63) correspond à la structure syntaxique suivante où la projection SA a été remplacée par la projection SvR (cf. Folli (2001)) : 24 Les structures de Hale et Keyser en (66) et (67) s’inspirent à la structure à double SV élaborée par Larson (1988). En bref, Larson propose un éclatement de la projection SV en deux projections superposées : SV1, dont la tête V° a pour argument interne un autre SV (SV2) et, SV2, qui a pour argument interne un SP (cf. Larson (1988) pour plus de détails à ce propos). 25 La structure syntaxique transitive-causative proposée par Hale et Keyser entraîne aussi des conséquences concernant le Critère Thêta : le SN occupant la position [spéc. Sv] reçoit le thêta-rôle Cause, tandis que le SN dans [spéc. SV] est associé au thêta-rôle Thème, (cf. la section I.17. et la troisième partie du chapitre II pour plus de détails sur la notion de thêta-rôle et sur le thêta-rôle Thème). 53 CHAPITRE I CONSIDÉRATIONS SUR L’ASPECT ET SUR L’HYPOTHÈSE INACCUSATIVE (68) Sv v’ (le chimiste) SV CAUSE V’ (le métal) SvR BECOME vR’ SX STATE (fondu) Dans la prochaine sous-section, nous analyserons les phrases appelées résultatives (cf. Folli (2001)). I.12. Les phrases résultatives : L’ordre syntaxique linéaire des phrases résultatives est Sujet-Verbe-SN-SvR (SA/SP). L’emploi de ces constructions est plus répandu en anglais qu’en français et en italien. Dans les prochaines sous-sections, nous verrons des applications de la construction résultative dénotant un changement d’état ou de lieu. En particulier, nous focaliserons notre attention sur la construction résultative dénotant un changement de lieu (cf. la sous-section I.12.2.). 54 CHAPITRE I CONSIDÉRATIONS SUR L’ASPECT ET SUR L’HYPOTHÈSE INACCUSATIVE I.12.1. La construction résultative et le changement d’état : Considérons les phrases suivantes : (69) a. John hammered the metal flat. b. *Gianni ha martellato il metallo piatto. c. *Jean a martelé le métal plat. En (69), l’adjectif flat (‘plat’) dénote l’état résultant de l’objet affecté the metal (‘le métal’) par l’action de la cause John (‘Jean’). En particulier, la syntaxe de (69) correspond à la structure sémantique de l’alternance causative en (63) et rappelée ci-dessous en (70) : (70) [x CAUSE [y BECOME [STATE]]] [John hammered [the metal [flat]]] En fait, en italien, certaines phrases comme : (71) a. Gianni ha picchiato il cane a morte. Lit. Jean a frappé le chien à mort b. Gianni ha tagliato il prezzemolo fino fino. Lit. Jean a coupé le persil fin fin peuvent être analysées comme des constructions résultatives et être associées à la structure syntaxique en (68) et à la construction sémantique en (70)26. Dans la prochaine sous-section, nous appliquerons la structure en (68) pour analyser les verbes de changement de lieu qui ont un emploi transitif-causatif. 26 Nous renvoyons le lecteur à Folli (2001) pour plus de détails sur la syntaxe des constructions résultatives en italien. 55 CHAPITRE I CONSIDÉRATIONS SUR L’ASPECT ET SUR L’HYPOTHÈSE INACCUSATIVE I.12.2. Observations sur l’alternance causative et sur la construction résultative avec certains verbes de changement de lieu : Dans la section I.10., nous avons observé qu’en français, contrairement à l’italien, l’alternance causative concerne aussi certains verbes dénotant un changement de lieu. Nous avons aussi observé que la notion d’état résultant est impliquée dans l’alternance causative. Les verbes de changement de lieu analysés dans cette section sont monter, descendre, sortir et leurs correspondants italiens. Tenny (1994 : 148) remarque qu’en anglais certaines particules adverbiales ( « adverbial particles » ) ont une propriété sémantique particulière : elles peuvent déclencher une interprétation d’état résultant. Dans la terminologie de Tenny, ces particules adverbiales sont des évaluateurs ( « measurers » ), en ce sens qu’elles permettent d’évaluer l’état d’avancement de l’événement dénoté par le verbe 27. Lorsqu’elles occupent la position après l’objet elles déclenchent l’interprétation d’état résultant du prédicat (Tenny (1994 : 146 (23a))) : (72) a. Run up the flag. (construction transitive-causative) (activité : √) b. Hisse le drapeau. c. Tira su la bandiera. (73) a. Run the flag up. (construction résultative) (État Résultant : √) b. Hisse le drapeau jusqu’en haut. c. Tira la bandiera su. L’italien, contrairement au français, n’emploie pas les verbes uscire (‘sortir’), salire (‘monter’) et scendere (‘descendre’) dans l’alternance causative (comparer (74), (77), (80) avec (75), (78), (81)) mais il emploie, en revanche, des verbes complexes composés d’un verbe et d’un adverbe (cf. (76), (79), (82)) : 27 Nous renvoyons le lecteur à la troisième partie du chapitre II pour une analyse plus détaillée de la notion d’évaluateur. 56 CHAPITRE I CONSIDÉRATIONS SUR L’ASPECT ET SUR L’HYPOTHÈSE INACCUSATIVE (74) a. Max a sorti la bouteille/la casserole. (transitif-causatif) b. La bouteille/La casserole est sortie. (État Résultant) (75) a. *Max ha uscito la bottiglia/la pentola. b. La bottiglia/La pentola è uscita 28. (État Résultant : *) (Événementiel : √) (76) a. Max ha tirato fuori la bottiglia/la pentola. (transitif-causatif) Lit. Max a tiré dehors la bouteille/la casserole. ‘Max a sorti la bouteille/casserole.’ b. La bottiglia/La pentola è fuori. (État Résultant) Lit. La bouteille/La casserole est dehors (sortie). (77) a. Max a sorti la voiture. (transitif-causatif) b. La voiture est sortie. (État Résultant) (78) a. *Max ha uscito la macchina. b. La macchina è uscita29. (État Résultant : *) (Événementiel : √) (79) a. Max ha portato fuori la macchina. (transitif-causatif) Lit. Max a porté dehors la voiture. ‘Max a sorti la voiture.’ b. La macchina è fuori. (État Résultant) Lit. La voiture est dehors (sortie). (80) a. Max a monté/descendu la poubelle. (transitif-causatif) b. La poubelle est montée/descendue. (État Résultant) (81) a. *Max ha salito/ha sceso la spazzatura. (État Résultant : *) (Événementiel : √) b. La spazzatura è salita/scesa. (82) a. Max ha portato su/giù la spazzatura. (transitif-causatif) 28 Comme nous l’avons remarqué dans la section I.10., les phrases (75b) et (81b) ne sont pas compatibles avec l’interprétation d’état résultant mais elles sont interprétables dans un contexte dénotant l’action de ‘sortir’, ‘monter’ et ‘descendre’. Nous appelons cette interprétation ‘événementielle’. 29 La phrase (78b) n’est pas compatible avec l’interprétation d’état résultant contrairement à son correspondant français (cf. (77b)). Néanmoins, le SN macchina peut être interprété comme ayant des propriétés sémantiques animées si l’on considère que c’est la voiture plus son contenu (par exemple, le chauffeur) qui sort. Dans ce cas, (78b) est associée à une interprétation dénotant l’action de ‘sortir’. 57 CHAPITRE I CONSIDÉRATIONS SUR L’ASPECT ET SUR L’HYPOTHÈSE INACCUSATIVE Lit. Max a porté en haut/en bas la poubelle. ‘Max a porté la poubelle jusqu’en haut/bas.’ b. La spazzatura è su/giù. (État Résultant) Lit. La poubelle est en haut/en bas. Considérons maintenant les phrases suivantes : (construction résultative) (État Résultant : √) (83) a. Max a sorti la voiture dehors. b. *Max a sorti dehors la voiture. (84) a. Max a monté les meubles en haut 30. (construction résultative) (État Résultant : √) b. *Max a monté en haut les meubles. (85) a. Max a descendu la poubelle en bas. (construction résultative) (État Résultant : √) b. *Max a descendu en bas la poubelle. Les phrases (83a), (84a) et (85a) sont tout à fait acceptables quoique redondantes à cause de la présence de l’élément locatif dehors, en haut et en bas et elles montrent que les adverbes dehors, en haut et en bas sont compatibles avec les verbes sortir, monter et descendre seulement s’ils se placent en position finale. Les locuteurs du français auxquels ces phrases ont été soumises les associent à une interprétation d’état résultant. La même chose s’observe en anglais avec certains verbes complexes lesquels, comme l’a remarqué Tenny (cf. supra), sont interprétés différemment selon la position occupée par la particule adverbiale. En italien aussi, la place occupée par l’adverbe peut changer l’interprétation de la phrase. Par exemple, les phrases suivantes contrairement aux phrases en (76), (79) et (82) dénotent l’état résultant de l’action de ‘sortir la bouteille, la casserole, la voiture ; monter ou descendre la poubelle’ : (86) Max ha tirato la bottiglia/la pentola fuori. (construction résultative) (État Résultant : √) Lit. Max a tiré la bouteille/la casserole dehors. 30 Comme me l’a fait observer Anne Zribi-Hertz (c.p.), l’expression ‘monter un meuble’ est ambiguë. Elle signifie déplacer le meuble dans un endroit supérieur (antonyme : descendre) ou bien assembler (antonyme : démonter). Ici, nous retenons seulement l’interprétation de monter en tant que verbe de mouvement. 58 CHAPITRE I CONSIDÉRATIONS SUR L’ASPECT ET SUR L’HYPOTHÈSE INACCUSATIVE (87) Max ha portato la macchina fuori. (construction résultative) (État Résultant : √) Lit. Max a porté la voiture dehors. (88) Max ha portato la spazzatura su/giù. (construction résultative) (État Résultant : √) Lit. Max a porté la poubelle en bas/dehors. À partir des observations que nous avons faites ci-dessus, nous pouvons affirmer qu’en italien tout comme en anglais, certains verbes complexes dénotant un changement de lieu peuvent être associés à une structure syntaxique tout à fait semblable à celle de la construction résultative anglaise en (69a). Nous proposons donc la représentation syntaxique suivante pour les phrases italiennes (86), (87) et (88), tout comme pour les phrases françaises (83a), (84a) et (85a) et pour la phrase anglaise en (73a) : (89) Sv v’ (Max) SV CAUSE (la macchina/la voiture) V’ SvR TRANSITION vR’ SX ETAT (fuori/dehors) 59 CHAPITRE I CONSIDÉRATIONS SUR L’ASPECT ET SUR L’HYPOTHÈSE INACCUSATIVE La construction en (89) est tout à fait analogue à la construction (68). En (68), cette construction a été employée pour décrire formellement la sémantique de l’alternance causative avec les verbes de changement d’état et la sémantique des constructions résultatives associées aux verbes de changement d’état. Il s’ensuit donc que la construction en (68) est capable de décrire non seulement l’état résultant associé aux verbes de changement d’état mais aussi l’état résultant issu de la construction transitive-causative sélectionnée par certains verbes de changement de lieu. En effet, la propriété fondamentale de cette construction, qu’elle soit associée à des verbes de changement d’état ou de lieu, est celle de décrire un processus de changement qui mène à l’aboutissement d’un point final (telos) dénoté par un adjectif ou par un adverbe locatif. Comme nous l’avons déjà observé à plusieurs reprises, tout changement implique une transition à partir d’un sous-événement initial <e1> vers un sousévénement final <e2>. La transition dénotant un changement d’état est, généralement, associée au primitif sémantique Become (‘Devenir’) et, comme nous l’avons vu (cf. (68)), elle est associée au niveau syntaxique à la projection SV. Étant donné que la transition dénotant un changement de lieu n’est pas associée au primitif sémantique Become, nous proposons d’associer à la projection SV en (89) l’étiquette ‘transition’ pour dénoter des accomplissements ou des achèvements déclenchés par des verbes de changement de lieu. Au chapitre II, nous emploierons la construction à double SV de Hale et Keyser pour analyser les verbes inaccusatifs. C’est pourquoi la troisième partie de ce chapitre est entièrement consacrée à la question de l’Hypothèse Inaccusative telle qu’elle a été formulée par Perlmutter (1978), puis remaniée et approfondie par d’autres auteurs. Avant d’aborder l’Hypothèse Inaccusative, nous décrirons en bref l’approche sémantique et aspectuelle élaborée par Legendre et Sorace (2003) concernant la distribution des auxiliaires ‘être’ et ‘avoir’ avec les verbes intransitifs en français et en italien. 60 CHAPITRE I CONSIDÉRATIONS SUR L’ASPECT ET SUR L’HYPOTHÈSE INACCUSATIVE Troisième partie : l’Hypothèse Inaccusative I.13. La distribution des auxiliaires ‘être’ et ‘avoir’ en français et en italien (Legendre et Sorace (2003)) : La variation dans la sélection de l’auxiliaire des verbes intransitifs italiens et français est schématisée par Sorace et Legendre (2003) par une échelle de sélection de l’auxiliaire ( « Auxiliary Selection Hierarchy » (ASH)). Sur la base de cette échelle, on observe que l’auxiliaire ‘avoir’ est plus répandu en français qu’en italien et que l’ensemble des verbes qui sélectionnent être en français est un sous-ensemble des verbes qui sélectionnent essere en italien31. En outre, on observe qu’en italien certains verbes peuvent sélectionner les deux auxiliaires, tandis que ce cas de figure est très limité en français. En (90) nous rappelons le schéma de la distribution des auxiliaires ‘être/essere’ et ‘avoir/avere’ en français et en italien tel qu’il est proposé par Legendre et Sorace : 31 Parmi les ‘principales’ langues romanes, l’italien est encore loin d’une généralisation totale de l’auxiliaire avere pour former les temps composés. Lois (1990) divise les langues romanes en deux groupes selon le type d’auxiliaire sélectionné avec les verbes intransitifs. Les langues avec l’alternance des auxiliaires (GROUPE A) : français, italien, occitan, piémontais et les langues où il n’y a pas d’alternance (GROUPE B) : espagnol, portugais, roumain, wallon (à cette liste on pourrait ajouter aussi d’autres langues comme le catalan et le sicilien). Les langues du GROUPE B, contrairement aux langues du GROUPE A, sélectionnent ‘avoir’ comme auxiliaire de tous les verbes intransitifs. 61 CHAPITRE I CONSIDÉRATIONS SUR L’ASPECT ET SUR L’HYPOTHÈSE INACCUSATIVE (90) (tableau adapté d’après Sorace (2000) et Legendre et Sorace (2003)) AUXILIAIRE FRANÇAIS CLASSE DE VERBES ITALIEN E E E E E* E E* E A E* A E* A A E E* A A* A A A A* A A* A A Changement de lieu : arriver/arrivare, partir/partire, entrer/entrare, sortir/uscire, tomber/cadere, venir/venire, aller/andare. Changement d’état : a. Changement de condition : mourir/morire, naître/nascere. b. Apparition : apparaître/apparire, disparaître/scomparire, etc. c. Modification orientée non bornée : monter/salire, descendre/scendere diminuer/diminuire, baisser/abbassarsi, augmenter/aumentare, faner/appassire, empirer/peggiorare, fleurir/fiorire, pourrir/marcire, etc. Continuation d’un état pré-existant : durer/durare, rester/restare, survivre/sopravvivere, etc. Existence d’un état : a. être/essere. b. exister/esistere, suffire à/bastare, sembler/sembrare, appartenir/appartenere, servir/servire, etc. Processus incontrôlés : a. Emission : résonner/risuonare, sonner/suonare, (verbes météorologiques : pleuvoir/piovere, neiger/nevicare, grêler/grandinare, faires des éclairs/lampeggiare, tonner/tuonare), etc. b. Fonctionnements corporels : transpirer/sudare, etc. c. Réactions involontaires : trembler/tremare, etc. Mouvements contrôlés : nager/nuotare, sauter/saltare, courir/correre, etc. Processus contrôlés sans mouvement : travailler/lavorare, jouer/giocare, bavarder/chiacchierare, parler/parlare, rigoler/scherzare, etc. . 62 CHAPITRE I CONSIDÉRATIONS SUR L’ASPECT ET SUR L’HYPOTHÈSE INACCUSATIVE L’échelle en (90) vise à classer les verbes intransitifs du français et de l’italien en groupes sémantiques homogènes selon leur degré de cohérence dans la sélection de l’auxiliaire. En particulier, dans cette échelle, le choix de l’auxiliaire dépend de deux paramètres, l’un aspectuel et l’autre thématique : - paramètre aspectuel (télicité) - paramètre thématique (agentivité) Selons les auteurs, au fur et à mesure qu’on s’éloigne des verbes centraux (les verbes placés aux deux extrémités de l’échelle), le degré de télicité et d’agentivité diminue jusqu’à s’annuler au centre de l’échelle. I.13.1. Verbes centraux et verbes périphériques : En observant le tableau de Legendre et Sorace en (90) on voit qu’à une extrémité de l’échelle se placent des verbes de ‘changement de lieu’, tandis que dans l’autre extrémité se placent des verbes dénotant un processus contrôlé sans mouvement 32. Ces verbes présentent le degré de cohésion le plus élevé quant à la sélection de l’auxiliaire. Les premiers sélectionnent ‘être’ et ils sont associés au plus haut degré de télicité, tandis que les seconds sélectionnent ‘avoir’ et ils sont associés au plus haut degré d’agentivité. Ces verbes sont appelés ‘verbes centraux’ par les auteurs qui concluent que « c’est l’aspect présent dans la description lexicale ‘inhérente’ du verbe qui détermine le choix de l'auxiliaire » (Legendre et Sorace (2003 : 193)). En effet, les auteurs remarquent aussi que ces verbes « tendent à sélectionner le même auxiliaire indépendamment de la contribution apportée par d’autres éléments aspectuels […] de la phrase dans laquelle ils apparaissent » (Legendre et Sorace (2003 : 193)). Ainsi, un verbe tel que ‘arriver’ sélectionne l’auxiliaire ‘être’ bien que le contexte soit fréquentatif tout comme le verbe ‘tomber’ sélectionne l’auxiliaire ‘être’ qu’il soit associé à une interprétation agentive-intentionnelle ou non-agentive inintentionnelle : 32 Comme nous le verrons dans la section II.1., le mouvement n’implique pas nécessairement de déplacement. Néanmoins, certains des verbes que Legendre et Sorace classent dans le groupe des verbes dénotant un processus contrôlé sans mouvement peuvent être associés à un contexte de mouvement. Par exemple, les verbes ‘travailler’ et ‘jouer’ impliquent un mouvement. Suite à ces observations nous pouvons donc affirmer que cette classe de verbes n’est pas sémantiquement homogène contrairement à ce qu’affirment Legendre et Sorace. 63 CHAPITRE I CONSIDÉRATIONS SUR L’ASPECT ET SUR L’HYPOTHÈSE INACCUSATIVE (91) a. Des plaintes sont arrivées continuellement/pendant deux heures. (fréquentatif) b. Sono arrivate lamentele in continuazione/per due ore. (92) a. Marie est tombée volontairement pour ne pas aller travailler. (agentif-intentionnel) b. Maria è caduta apposta per non andare a lavorare. (93) a. Le vase est tombé de la table. (non-agentif inintentionnel) b. Il vaso è caduto dal tavolo. (Legendre et Sorace (2003 : (8a), (9a,b))) La variation dans la distribution des auxiliaires ‘être’ et ‘avoir’ entre les deux langues se trouve en dehors du groupe des verbes centraux. Ce sont les verbes appelés périphériques par les auteurs qui manifestent de la variation en ce qui concerne la sélection de l’auxiliaire. Pour ce qui concerne la sélection de l’auxiliaire, Legendre et Sorace remarquent que « c’est l’aspect ‘compositionnel’ (i.e. la structure de l’événement [télique ou atélique] associé avec l’ensemble du prédicat) qui détermine [le] choix [de l’auxiliaire] avec les verbes périphériques ». En particulier, en italien la variation est répandue dans toutes les classes de verbes périphériques, tandis qu’en français la variation est limitée à un groupe restreint de verbes. Plus précisément, selon Legendre et Sorace, en français, cette variation est limitée aux verbes monter et descendre, qui appartiennent à la classe des verbes dénotant une modification orientée non bornée, et à un certain nombre de verbes appartenant à la classe de verbes appelés ‘verbes d’apparition’ par les auteurs. Selon l’Hypothèse Inaccusative, le type d’auxiliaire sélectionné par les verbes est un corrélat secondaire de leur structure argumentale. Dans les prochaines sections, nous analyserons, dans l’optique de l’Hypothèse Inaccusative, la structure argumentale des verbes selon le type d’auxiliaire sélectionné. I.14. La structure argumentale : « On peut […] comparer le verbe à une sorte d’atome crochu susceptible d’exercer son attraction sur un nombre plus ou moins élevé d’actants, selon qu’il comporte un nombre plus ou moins élevé de crochets pour les maintenir dans sa dépendance. Le nombre de crochets que présente un verbe et par conséquent le nombre d’actants qu’il est susceptible de régir, constitue ce que nous appellerons la valence du verbe » (Tesnière (1965 : 238)). 64 CHAPITRE I CONSIDÉRATIONS SUR L’ASPECT ET SUR L’HYPOTHÈSE INACCUSATIVE Chez Tesnière, la notion d’actant est synonyme de celle d’argument en grammaire générative. Dans la terminologie de Tesnière, on distingue ainsi les verbes avalents, monovalents, bivalents et trivalents selon le nombre d’actants : (94) Il pleut. (avalent = 0 actants/arguments) (95) Jean mange. (96) Jean a cassé le verre. (bivalent = 2 actants/arguments) (97) Jean a donné le livre à Marie. (trivalent = 3 actants/arguments) (monovalent = 1 actant/argument) On emploie aussi couramment les termes intransitif, transitif et ditransitif pour caractériser un verbe par le nombre d’arguments qu’il sélectionne. Ainsi, un verbe intransitif sélectionne un argument, un verbe transitif sélectionne deux arguments, tandis qu’un verbe ditransitif sélectionne trois arguments. À l’intérieur du groupe des verbes à un seul argument (intransitifs), Perlmutter (1978) propose de distinguer deux sous-classes : les verbes inergatifs et les verbes inaccusatifs. Les verbes intransitifs qu’il baptise inergatifs sélectionnent un argument externe (sujet), tandis que les verbes intransitifs qu’il nomme inaccusatifs sélectionnent un argument interne qui est engendré dans la position d’objet. Nous allons préciser et justifier cette hypothèse dans les prochaines sections. I.15. L’Hypothèse Inaccusative dans le cadre de la Grammaire Relationnelle (Perlmutter (1978)) : C’est Perlmutter (1978) qui a élaboré le premier dans le cadre de la grammaire relationnelle (GR) ce qu’on appelle l’Hypothèse Inaccusative ( « The Unaccusative Hypothesis » (UH)). L’Hypothèse Inaccusative a été ensuite reprise et appliquée à l’analyse des verbes italiens par Burzio (1981, 1986). Dans le cadre de la GR, l’Hypothèse Inaccusative est formulée ainsi (Perlmutter (1978 : 160)) : certaines propositions intransitives ont un 2 (objet direct) initial mais pas de 1 (sujet) initial33. Perlmutter appuie son hypothèse sur l’observation que certains verbes sont 33 Dans le cadre de la GR, les relations grammaticales telles que sujet, objet direct, objet indirect et prédicat sont notés respectivement par ‘1’, ‘2’, ‘3’, ‘P’ et elles sont considérées comme des primitifs de la théorie syntaxique. La structure de la proposition est articulée selon différents niveaux (ou strates) de relations grammaticales. Ces 65 CHAPITRE I CONSIDÉRATIONS SUR L’ASPECT ET SUR L’HYPOTHÈSE INACCUSATIVE compatibles avec la structure impersonnelle, où l’argument sélectionné par le verbe n’est pas promu à la position canonique du sujet, c’est-à-dire à gauche du prédicat, mais reste à la droite du verbe dans la position normalement occupée par le C.O.D. Les verbes compatibles avec la structure impersonnelle sont donc étiquetés inaccusatifs par Perlmutter. En outre, Perlmutter observe que les verbes inaccusatifs partagent avec les constructions passives une caractéristique syntaxique : dans la structure impersonnelle, le sujet des verbes inaccusatifs est engendré dans la même positon que le sujet des verbes passivés. Dans le cadre de la GR, le passif est donc conçu comme la promotion d’un élément de la positon 2 à la position 1, à partir d’une structure transitive. Ci-dessous, nous allons rappeler l’Hypothèse Inaccusative telle qu’elle a été reprise par la théorie du gouvernement et du liage ( « Government and Binding » (GB)). Nous analyserons aussi les tests qui ont été proposés pour étiqueter un verbe comme inaccusatif. I.16. L’Hypothèse Inaccusative dans le cadre de la théorie du Gouvernement et du Liage (Burzio (1981, 1986)) : Dans le cadre de la GB, le schéma de la dérivation inaccusative est le suivant : (98) [ SI e [I' [SV VERBE SN ]]]34 La structure en (98) est une structure syntaxique à montée où le sujet est engendré en position post verbale. À partir d’une structure profonde comme celle en (98), on peut obtenir deux structures de surface : strates sont ordonnées à partir d’une strate initiale jusqu’à une strate finale du haut vers le bas. À chaque élément de la proposition, correspond une relation grammaticale, pour chaque strate (cf. Olié (1984) pour plus de détails). 34 Le symbole ‘e’ indique la position vide qui sera remplie par le sujet. 66 CHAPITRE I CONSIDÉRATIONS SUR L’ASPECT ET SUR L’HYPOTHÈSE INACCUSATIVE (99) [SI SNi [I' [SV VERBE ti ]]] [SI Une fillei [I' [SV est arrivée ti ]]] (100) [SI explétif [I' [SV VERBE SN ]]] (structure dite impersonnelle) [SI Il [I' [SV est arrivé une fille ]]] Selon cette analyse, le sujet d’un verbe inaccusatif se déplace dans [spéc. SI] pour recevoir le cas nominatif comme en (99) ou bien il reste dans sa position de base in situ (cf. (100)). Dans ce deuxième cas, la position en [spéc. SI] est remplie par un pronom explétif. Dans le cas du français le pronom explétif est il, tandis qu’en italien un élément nul appelé pro en grammaire générative occupe la position canonique du sujet à gauche du verbe en [spéc. SI] : (101) Il est arrivé deux filles. (102) pro sono arrivate due ragazze. L’Hypothèse Inaccusative est donc une théorie syntaxique qui pose que le sujet de certains verbes intransitifs est engendré en position objet. Étant donné que l’auxiliaire du passif est ‘être’ et que le sujet du passif est dérivé à partir d’une position d’objet, cette théorie revient donc à poser que les verbes qui sélectionnent ‘être’ mais qui n’ont pas d’interprétation passive ont également pour argument un ‘objet profond’. Ces verbes sont ceux qu’on étiquette inaccusatifs. Dans la GB comme dans la GR, les verbes inaccusatifs s’opposent aux verbes inergatifs par le fait que ces derniers sélectionnent un argument unique externe et ils sélectionnent l’auxiliaire ‘avoir’ : (103) [SI SN [I' [SV VERBE ]]] [SI Une fille [I' [SV a téléphoné/travaillé/parlé ]]] Nous traiterons de ces deux typologies de verbes et des tests d’inaccusativité dans la prochaine sous-section. 67 CHAPITRE I CONSIDÉRATIONS SUR L’ASPECT ET SUR L’HYPOTHÈSE INACCUSATIVE I.16.1. Les tests syntaxiques d’inaccusativité : Les corrélations conduisant à étiqueter un verbe tel que inaccusatif sont plusieurs. Cidessous nous rappelons la liste des tests syntaxiques d’inaccusativité d’après Burzio (1981, 1986). Pour chaque test, nous donnons des exemples avec des verbes inaccusatifs et inergatifs. Comme nous le verrons, la fiabilité de ces tests est discutable. Test 1 : la sélection de l’auxiliaire ‘être’ et l’accord du participe passé avec le sujet réel. Considérons les phrases suivantes : (104) a. Deux filles sont arrivées/parties/entrées/sorties/tombées/venues. b. Due ragazze sono arrivate/partite/entrate/uscite/cadute/venute. c. Deux filles sont allées à Venise. d. Due ragazze sono andate a Venezia. L’accord du participe passé avec le sujet est une propriété corrélée à la sélection de l’auxiliaire ‘être’. En effet, les verbes qui ne sélectionnent pas l’auxiliaire ‘être’ n’accordent pas le participe passé avec le sujet : (105) a. Deux filles ont téléphoné(*es)/travaillé(*es)/parlé(*es) b. Due ragazze hanno telefonato(*-e)/lavorato(*-e)/parlato(*-e) Dans la troisième partie du chapitre II, nous défendrons l’idée que les verbes inaccusatifs en français peuvent être associés à la sélection de l’auxiliaire avoir. 68 CHAPITRE I CONSIDÉRATIONS SUR L’ASPECT ET SUR L’HYPOTHÈSE INACCUSATIVE . Test 2 : la phrase impersonnelle. Considérons les phrase suivantes : (106) a. Il est arrivé/parti/entré/sorti/tombé/venu deux filles. b. pro sono arrivate/partite/entrate/uscite/cadute/venute due ragazze. c. Il est allé à Venise deux filles. d. pro sono andate a Venezia due ragazze. (107) a. Il a téléphoné deux cents personnes à notre standard depuis ce matin. b. pro hanno telefonato duecento persone al nostro centralino da questa mattina. c. Il a toujours travaillé vingt-cinq personnes dans cet atelier. d. pro hanno sempre lavorato venticinque persone in questo laboratorio. e. Il n’a parlé que huit personnes à notre colloque. f. pro hanno parlato solamente otto persone al nostro convegno. Comme le montrent les exemples ci-dessus, en français, tout comme en italien, les verbes inaccusatifs (cf. (106)) et les verbes inergatifs (cf. (107)) sont compatibles avec une construction impersonnelle. En particulier, les constructions impersonnelles en (107) se caractérisent entre autres par le fait qu’elles sont compatibles avec un verbe inergatif qui sélectionne habituellement un argument unique externe mais que dans ce cas se trouve dans une position postverbale. Du point de vue syntaxique, les exemples ci-dessus montrent que la construction impersonnelle ne permet pas de faire une distinction entre verbes inaccusatifs et verbes inergatifs35. Autrement dit, cette construction n’est pas un test fiable d’inaccusativité, contrairement à ce qu’affirme Burzio (1981, 1986). Plusieurs auteurs ont aussi remarqué que la construction impersonnelle implique une interprétation ‘non-agentive’. Dans la 35 littérature, on parle de valeur Legendre (1989 : 155) donne un échantillon d’exemples qui montrent que la construction impersonnelle est compatible avec des verbes inergatifs : (i) Il déjeune beaucoup de linguistes dans ce restaurant. (Legendre (1989 : 155 (129a))) (ii) Il travaille beaucoup d’ouvriers dans cette usine. (Legendre (1989 : 155 (129b))) (iii) Il lui téléphonait de nombreuses personnes à cette époque. (Legendre (1989 : 155 (129c))) (iv) Il a éternué beaucoup d’enfants pendant le concert. (Legendre (1989 : 155 (129h))) (v) Il a parlé beaucoup de personnes à Pierre après sa conférence. (Legendre (1989 : 155 (129j))) 69 CHAPITRE I CONSIDÉRATIONS SUR L’ASPECT ET SUR L’HYPOTHÈSE INACCUSATIVE existentielle/presentationnelle de la construction impersonnelle (cf. Zribi-Hertz (1987 : 29), Cummins (2000) et Legendre et Sorace (2003), entre autres)36. La présence quasi-obligatoire d’un complément de lieu ou de temps pour situer l’événement est l’un des facteurs qui jouent un rôle dans l’acceptabilité de cette construction avec des verbes inergatifs (cf. la note 35). Par exemple, comme l’a remarqué Cummins (2000 : 238), le verbe de mode de mouvement courir, qui est considéré comme un verbe inergatif, n’est pas associé à une lecture existentielle/presentationnelle en (108), tandis qu’en (109) la seule lecture possible est existentielle/presentationnelle. Cela montre que la lecture existentielle/presentationnelle est associée à la construction impersonnelle et non pas au verbe : (108) Deux enfants couraient (dans la salle). (109) Il courait deux enfants *(dans la salle). (Cummins (2000 : 238 (22a,b))) Par ailleurs, comme me l’a fait observer Anne Zribi-Hertz (c.p.), la sémantique existentielle n’est pas uniquement un effet de la construction impersonnelle. Elle est aussi inhérente à certains verbes (par exemple, les verbes ‘exister’, ‘naître’, ‘mourir’, etc. – les inaccusatifs prototypiques). Plus précisément, les verbes classiquement considérés comme inaccusatifs sont des verbes existentiels, dont le contenu sémantique se réduit à ‘exister’, ‘se mettre à exister’ (cf. les verbes ‘arriver’, ‘entrer’, ‘tomber’, ‘apparaître’, ‘naître’, etc.), et ‘cesser d’exister’ (cf. les verbes ‘mourir’, ‘disparaître’, ‘sortir’, ‘partir’, etc.). La construction impersonnelle a une sémantique existentielle, donc elle accueille d’autant plus naturellement un verbe qu’il a une sémantique existentielle. Les verbes inaccusatifs sont donc prioritaires, en quelque sorte, en tant qu’intrinsèquement existentiels. Mais les autres intransitifs (‘inergatifs’) peuvent être réduits à une sémantique existentielle, moyennant un certain contexte. Il y a donc bien une différence entre les inaccusatifs et les inergatifs, vis-à-vis du test de la construction impersonnelle : pour les premiers la sémantique existentielle est inhérente, tandis que pour les seconds elle ne l’est pas. 36 Voir à ce propos Lonzi (1986) pour l’italien. 70 CHAPITRE I CONSIDÉRATIONS SUR L’ASPECT ET SUR L’HYPOTHÈSE INACCUSATIVE . Test 3 : la cliticisation du sujet réel à l’aide du pronom clitique (partitif) en. Considérons les phrases suivantes : (110) a. (des hommes) Il en est arrivé/parti/entré/sorti/tombé/venu beaucoup 37. b. (di uomini) Ne sono arrivati/partiti/entrati/usciti/caduti/venuti molti. c. (des hommes) Il en est allé beaucoup à Venise. d. (di uomini) Ne sono andati molti a Venezia. (111) a. (des hommes) Il en a téléphoné/travaillé/parlé beaucoup dans ce bureau 38. b. ??/*(di uomini) Ne hanno telefonato/lavorato/parlato molti in questo ufficio 39. Legendre et Sorace (2003) soutiennent que la cliticisation à l’aide du pronom en n’est pas un test fiable d’inaccusativité car elle est dépendante de la construction impersonnelle où le SN postverbal est toujours gouverné par V, qu’il soit inaccusatif ou inergatif. En fait, les exemples ci-dessus montrent que le pronom en, qui est corrélé à la position de C.O.D. (cf. Pollock (1986)), est capable de cliticiser le sujet des verbes inaccusatifs (cf. (110)) tout comme celui des verbes inergatifs (cf. (111)). À partir de ces observations, il semble, donc, 37 La cliticisation avec en est possible aussi avec certains verbes intransitifs qui sélectionnent avoir en français et essere en italien : (i) a. (de bateaux) Il en a coulé deux. b. (di navi) Ne sono affondate due. (ii) a. (de prisonniers) Il en a étouffé deux. b. (di prigionieri) Ne sono soffocati due. Dans l’optique de l’Hypothèse Inaccusative ‘classique’, dans la troisième partie du chapitre II, nous défendrons l’idée que les verbes qui sélectionnent avoir en français et dont le correspondant sélectionne essere en italien sont des verbes inaccusatifs. 38 Cf. Legendre (1990) pour d’autres exemples. 39 Les jugements à propos de (111b) ne sont pas partagés par tous les locuteurs. Le fait que certains locuteurs considèrent (111b) et les phrases (i) et (ii) ci-dessous comme parfaitement grammaticales : (i) Ne ha camminato molta di gente su quei marciapiedi. Lit. (Il) en a marché beaucoup de gens sur ces trottoirs (ii) Ne è camminata molta di gente su quei marciapiedi. Lit. (Il) en est marchéeACCORD FEMININ beaucoup de gens sur ces trottoirs montre la possibilité d’un emploi ‘inaccusatif’ de certains verbes considérés généralement comme inergatifs. En particulier, la possibilité de l’accord du participe passé avec le sujet en (ii) montre la « dégradation » des verbes inergatifs vers un emploi ‘innacusatif’ (cf. Lonzi (2007)). Il faut remarquer aussi que certains locuteurs acceptent la cliticisation avec en pourvu que le verbe inergatif soit conjugué au temps présent et non au passé composé. Je remercie Guglielmo Cinque (c.p.) et Lidia Lonzi (c.p.) qui m’ont fait observer tous ces faits. 71 CHAPITRE I CONSIDÉRATIONS SUR L’ASPECT ET SUR L’HYPOTHÈSE INACCUSATIVE que le sujet des verbes inaccusatifs n’est pas syntaxiquement distinguable du sujet des verbes inergatifs dans la construction impersonnelle 40. Considérons maintenant les exemples suivants : (112) a. Il a mangé (*des spaghettis) beaucoup de touristes dans ce restaurant. b. Il a sauté (*des obstacles) beaucoup d’athlètes dans ce stade. c. Il chante (*des hymnes) beaucoup d’étudiants dans cette chorale. d. Il lit (*des livres d’anthropologie) beaucoup d’étudiants dans cette bibliothèque. Si le sujet des verbes transitifs tout comme le sujet des verbes inergatifs (cf. (107) et (111)) occupaient une position autre que celle de C.O.D., alors il serait possible pour l’argument interne des verbes transitifs d’occuper la position de C.O.D. Néanmoins, cela est impossible comme le montrent les exemples en (112). Le fait qu’en (112) un argument différent du sujet ne puisse pas occuper la position d’argument interne suggère que cette position doit être occupée par le sujet. Il s’ensuit donc que la construction impersonnelle dispose d’une syntaxe inaccusative, c’est-à-dire qu’elle sélectionne un seul argument interne. Si l’on accepte l’hypothèse de Lonzi (2007) selon laquelle les verbes inergatifs compatibles avec la cliticisation par en ont subi une « dégradation » de verbes inergatifs à verbes inaccusatifs, il s’ensuit que le test de la cliticisation à l’aide du pronom en est un test fiable d’inaccusativité puisqu’il permet l’extraction du sujet engendré dans une position d’argument interne. 40 À ce propos, Cummins (2000) observe que quand un verbe inergatif apparaît dans une construction impersonnelle, son argument unique occupe la même position syntaxique que le sujet d’un verbe inaccusatif. Cependant, Cummins ne prouve pas son hypothèse. Faute d’espace, nous laissons ce sujet en suspens. 72 CHAPITRE I CONSIDÉRATIONS SUR L’ASPECT ET SUR L’HYPOTHÈSE INACCUSATIVE . Test 4 : le PA (construction participiale absolue) Considérons les phrases suivantes : (113) a. Une fois Marie arrivée à Venise/partie pour Venise/entrée dans la salle/sortie dans la cour/venue à Venise/allée à Venise, nous avons téléphoné à sa mère41. b. Una volta arrivata a Venezia/partita per Venezia/entrata nella sala/uscita in giardino/venuta a Venezia/andata a Venezia Maria, abbiamo telefonato a sua madre. c. Une fois la noix de coco tombée (de l’arbre), nous l’avons coupée en deux pour nous désaltérer. d. Una volta caduta la noce di cocco (dall’albero), l’abbiamo tagliata in due per dissetarci. L’Hypothèse Inaccusative traite le PA comme un test syntaxique fiable d’inaccusativité dans la mesure où il est compatible avec le participe passé des verbes transitifs et des verbes inaccusatifs, tandis que les verbes inergatifs sont exclus de cette construction. Autrement dit, cette compatibilité montrerait que le sujet des verbes inaccusatifs est engendré dans la même position syntaxique que le C.O.D. des verbes transitifs. Selon l’Hypothèse Inaccusative, cette compatibilité serait donc suffisante pour montrer la fiabilité du PA en tant que test syntaxique d’inaccusativité. Toutefois, le test du PA semble contredire l’Hypothèse Inaccusative au niveau aspectuel. Nous analyserons cette contradiction dans la deuxième partie du chapitre III. 41 Les jugements de grammaticalité à propos de la compatibilité des verbes aller et venir avec le PA ne sont pas partagés par tous les locuteurs (cf. aussi Cummins (1996 : 54, note 16)). Comme me l’a fait remarquer Denis Creissels (c.p.), et comme nous le verrons dans la sous-section III.13.2.2., l’emploi du verbe aller semble être nettement meilleur dans le PA s’il est réinterprété comme ‘partir’, tandis que le verbe venir semble être préférable dans le PA s’il est réinterprété comme ‘arriver’. 73 CHAPITRE I CONSIDÉRATIONS SUR L’ASPECT ET SUR L’HYPOTHÈSE INACCUSATIVE . Test 5 : les relatives réduites. Considérons les phrases suivantes : (114) a. Les enfants (qui sont) arrivés à Venise/partis pour Venise/entrés dans la cuisine/sortis dans la cour/tombés dans le gouffre/venus chez moi/allés à Venise sont mes cousins42. b. I bambini (che sono) arrivati a Venezia/partiti per Venezia/entrati in cucina/usciti in giardino/caduti nella fossa/venuti a casa mia/andati a Venezia sono i miei cugini. (115) a. *Les enfants téléphonés, travaillés, parlés sont mes cousins. b. *I bambini telefonati, lavorati, parlati sono i miei cugini. Le test des relatives réduites semble le seul à répondre positivement à la restriction sur la sélection de l’auxiliaire. En effet, la condition nécessaire pour apparaître dans une relative réduite est la sélection de l’auxiliaire ‘être’ aussi bien en français qu’en italien. En français tout comme en italien, la relative réduite permet donc d’isoler les verbes qui sélectionnent ‘être’ des verbes qui sélectionnent ‘avoir’ comme le montrent les exemples ci-dessus43. 42 Nous tenons à souligner que les jugements de grammaticalité des phrases en (114a) ne sont pas partagés par tous les locuteurs. Plus précisément, les exemples qui semblent les plus discutables sont ceux avec les verbes aller et venir. 43 Comme me l’a fait observer Anne Zribi-Hertz (c.p.), les relatives réduites correspondent toujours à une phrase sélectionnant l’auxiliaire être et pas l’auxiliaire avoir. Cela est évident avec les verbes de changement d’état. En français, les verbes de changement d’état se divisent en trois classes. Il y a les verbes qui admettent aussi bien une forme réflexive se+être (‘si+essere’) qu’une forme intransitive non réflexive sélectionnant l’auxiliaire avoir, ceux qui admettent seulement la forme réflexive et ceux qui admettent seulement la forme intransitive non réflexive (cf. Labelle (1992) pour une liste détaillée de ces trois classes de verbes). Les verbes qui admettent les deux formes ou seulement la forme réflexive sont compatibles avec les relatives réduites, tandis que ceux qui admettent seulement la forme intransitive non réflexive sélectionnant l’auxiliaire avoir sont incompatibles avec les relatives réduites : (i) Les enfant (qui *ont abêti/se sont abêtis) abêtis à cause de la télé… (ii) La neige (qui a fondu/s’est fondue) fondue pendant ces dernières heures s’est transformée en boue. (iii) *La situation financière (qui a empiré/*s’est empirée) empirée pendant ces deux dernières années a été améliorée par le nouveau gouvernement. (iv) *La fille (qui a changé/*s’est changée) changée pendant ces deux ans est maintenant méconnaissable. (v) *L’enfant (qui a grossi/maigri/minci/*s’est grossi/maigri/minci) grossi/maigri/minci pendant cet été a ensuite eu des problèmes de métabolisme. Il semble donc qu’on n’a jamais le participe épithète si l’emploi de être est exclu. Autrement dit, les verbes de changement d’état qui sélectionnent se+être sont compatibles avec le participe épithète et le fait que l’emploi en avoir soit ou non parallèlement disponible est sans incidence sur l’acceptabilité du participe avec cette construction. 74 CHAPITRE I CONSIDÉRATIONS SUR L’ASPECT ET SUR L’HYPOTHÈSE INACCUSATIVE Au chapitre II, nous supposerons qu’en français la classe des verbes inaccusatifs comprend aussi des verbes sélectionnant l’auxiliaire avoir. Si notre hypothèse était correcte, le test de la relative réduite ne pourrait donc plus être considéré comme un test fiable d’inaccusativité car il se révélerait trop restrictif. Dans la prochaine section nous verrons que l’Hypothèse Inaccusative a des répercussions aussi au niveau de la Théorie Thématique. I.17. L’Hypothèse Inaccusative et les thêta-rôles : C’est la Théorie Thématique qui règle l’attribution des rôles thématiques. Comme nous l’avons vu dans la section I.14., chaque verbe possède sa structure argumentale, qui définit le nombre d’arguments qu’il requiert. La notion de rôle thématique est bien distincte de la notion de sujet, d’objet direct et d’objet indirect. Par exemple, le sujet peut avoir des rôles thématiques divers. La même chose s’observe pour l’objet direct et l’objet indirect. Une liste des rôles thématiques a aussi été établie : l’Agent est celui qui commence une action intentionnellement, le Thème est l’entité qui subit ou qui est affectée par l’événement dénoté par le prédicat, l’Expérient est celui qui éprouve un état psychologique, le Bénéficiaire est l’entité qui bénéfice d’une action, le But est l’entité vers laquelle une action est dirigée, etc.44. Il n’est pas question ici de donner une liste complète des thêta-rôles. D’ailleurs, aujourd’hui, on n’est pas encore parvenu à définir combien de thêta-rôles spécifiques existent et quels sont leurs dénominations précises. Notre but ici est celui de voir comment l’assignation des thêtarôles a été traitée à l’intérieur de l’Hypothèse Inaccusative. Selon l’Hypothèse Inaccusative, le sujet d’un verbe inaccusatif est engendré comme complément du verbe dans la position syntaxique qui accueille le C.O.D. (ou argument interne). Selon l’Hypothèse de l’uniformité de l’assignation thématique ( « Uniformity of Theta Assignment Hypothesis » (UTHA)) de Baker (1988), chaque thêta-rôle est associé à une position syntaxique bien définie de sorte que le thêta-rôle Thème (ou Patient) est assigné à la position syntaxique d’objet, tandis que le thêta-rôle Agent est assigné à la position syntaxique de sujet. Il s’ensuit donc que le sujet d’un verbe inaccusatif, qui, selon Le participe épithète produit une interprétation d’état résultant. Il s’ensuit donc que des verbes comme couler et étouffer, qui sélectionnent l’auxiliaire avoir, sont compatibles avec une relative réduite pourvu qu’elle s’interprète comme une phrase passive où être est interprété en tant qu’auxiliaire du passif : (vi) Le bateau coulé (qui a été coulé) il y a trois mois a été retrouvé. (vii) Les prisonniers étouffés (qui ont été étouffés) il y a trois mois ont été enterrés hier soir. 44 Liste tirée de Haegeman (1996 : 42). 75 CHAPITRE I CONSIDÉRATIONS SUR L’ASPECT ET SUR L’HYPOTHÈSE INACCUSATIVE l’Hypothèse Inaccusative, est engendré dans la position syntaxique de C.O.D., est associé au thêta-rôle Thème mais il ne peut pas être associé au thêta-rôle Agent. Néanmoins, le sujet des verbes ‘arriver’, ‘partir’, ‘entrer’, ‘sortir’, ‘venir’ et ‘aller’ peut être interprété comme un Agent et, corrélativement, être associé au trait [+intentionnel] car il est compatible avec des adverbes de volonté comme ‘volontairement’, ‘de son propre chef’ etc. L’interprétation agentive associée au sujet d’un verbe inaccusatif est compatible avec la dérivation du sujet dans la position de l’argument interne : (116) a. (di studenti) Vorrebbero intervenirne molti. b. (des étudiants) il voudrait en intervenir beaucoup. La phrase en (116a) montre que le sujet du verbe inaccusatif intervenire est engendré dans la position de l’argument interne de la phrase subordonnée puisqu’il peut être cliticisé avec le pronom en. On constate donc que le sens de volonté associé au verbe volere (‘vouloir’) n’empêche pas que le sujet soit engendré dans une position argumentale interne45. Nous discuterons de l’interprétation agentive plus en détail dans la troisième partie du chapitre II. Plus précisément, nous retraduirons la notion d’agentivité dans les termes de Reinhart et Siloni (2005) qui décomposent l’agentivité en deux traits indépendants : [±c] (‘cause’) et [±m] (‘état mental’, anglais « mental state » ). I.18. Conclusion du chapitre et bref aperçu sur les chapitres II, III et IV : Le choix du cadre aspectuel décrit dans les première et deuxième parties du chapitre est important, car il joue un rôle crucial dans l’analyse des auxiliaires ‘être’ et ‘avoir’ que nous approfondirons aux chapitres II, III et IV. La syntaxe jouera également un rôle important dans cette étude. Au chapitre II, nous proposerons d’engendrer les verbes inaccusatifs dénotant un changement de lieu dans la coquille SV ( « VP shell » ) de Hale et Keyser (1993). Nous définirons les verbes inaccusatifs comme des verbes à matrice lexicale [±télique] dont le sujet est associé au thêta-rôle Thème. Nous soutiendrons aussi qu’à la classe des verbes inaccusatifs appartiennent aussi des verbes sélectionnant l’auxiliaire avoir en français. Contrairement à ce 45 Je remercie Guglielmo Cinque (c.p.) qui m’a fait observer ce fait. 76 CHAPITRE I CONSIDÉRATIONS SUR L’ASPECT ET SUR L’HYPOTHÈSE INACCUSATIVE qu’affirme Arad (1998), nous défendrons l’idée que le sujet d’un verbe inaccusatif peut être interprété comme l’évaluateur de l’événement même si la matrice lexicale du verbe est atélique. Au chapitre III, nous reviendrons sur la catégorie aspectuelle de l’état résultant. En particulier, nous verrons que cette interprétation est une condition nécessaire pour déclencher l’interprétation que nous appellerons résultative. En outre, nous verrons que l’interprétation d’état résultant est une condition nécessaire pour qu’un verbe puisse apparaître dans la construction participiale absolue. Sur la base de cette observation, nous essayerons de montrer que cette construction n’est pas un test fiable d’inaccusativité. Au chapitre IV, nous analyserons succinctement la distribution des auxiliaires ‘être’ et ‘avoir’ avec certains verbes de changement d’état. En français, tout comme en italien, les verbes de changement d’état se divisent en trois classes. Il y a les verbes qui admettent aussi bien une forme réflexive se+être (‘si+essere’) qu’une forme intransitive non réflexive, ceux qui admettent seulement la forme réflexive et ceux qui admettent seulement la forme intransitive non réflexive. Cependant, si en français la forme intransitive est associée à la sélection de l’auxiliaire avoir, en italien, en revanche, cette forme peut être associée aussi bien à l’auxiliaire essere qu’à l’auxiliaire avere. Nous verrons que seulement une étude transversale visant à analyser la distribution des deux auxiliaires et l’Aktionsart inhérent à la racine lexicale peut rendre compte des différents types d’interprétations associées à ces verbes. 77 . CHAPITRE II. CONSIDÉRATIONS SUR L’(A)TÉLICITÉ, LA DIRECTION ET LA DÉRIVATION DES PHRASES INACCUSATIVES Dans ce chapitre nous porterons notre attention sur l’analyse : - des verbes de changement de lieu intrinsèquement téliques tels que ‘arriver’, ‘partir’, ‘sortir’, ‘entrer’, ‘tomber’ et ‘venir’. - du verbe de changement de lieu compositionnellement télique ‘aller’. - des verbes de changement de lieu compositionnellement téliques dénotant un mouvement dans une direction orientée non bornée tels que ‘monter’ et ‘descendre’. - des verbes de changement d’état compositionnellement téliques dénotant un mouvement dans une direction orientée non bornée tels que ‘augmenter’, ‘diminuer’ et ‘baisser’. - du verbe de mode de mouvement ‘courir’ vs. le verbe directionnel de mode de mouvement ‘accourir’. - des verbes météorologiques tels que ‘pleuvoir’, ‘neiger’ et ‘grêler’. Notre but sera d’analyser le rapport de ces verbes avec les paramètres de la direction et de l’(a)télicité et de détecter les implications de ces paramètres dans la sémantique et dans la structure argumentale de ces verbes. Dans cette optique, nous élaborerons notre propre hypothèse concernant la dérivation des phrases inaccusatives. Les données analysées ne sont pas exhaustives. Néanmoins, nous espérons analyser un nombre suffisant de verbes et d’exemples pour permettre de dégager certaines tendances sémantiques et syntaxiques associées à ces verbes. Première partie : télicité intrinsèque et compositionnelle Avant de procéder à l’analyse des verbes énumérés dans l’introduction du chapitre, nous essayerons, dans les prochaines sections, de donner une définition aux étiquettes ‘verbes de mouvement’ et ‘verbes de changement de lieu’. 78 CHAPITRE II CONSIDÉRATIONS SUR L’(A)TÉLICITÉ, LA DIRECTION ET LA DÉRIVATION DES PHRASES INACCUSATIVES II.1. Verbes de mouvement vs. verbes de changement de lieu : Legendre et Sorace (2003) emploient l’expression ‘verbes de changement de lieu’ pour dénoter un groupe restreint de verbes de mouvement qui sélectionnent l’auxiliaire ‘être’ aussi bien en français qu’en italien (cf. la section I.13.). Cependant, en français, les verbes à auxiliaire être n’épuisent pas l’ensemble des verbes qui dénotent un changement de lieu. Des verbes tels que émigrer, immigrer, déménager, fuir, décamper, dégringoler, chuter prennent l’auxiliaire avoir et ils dénotent des éventualités impliquant un changement de lieu. Cidessous nous rappelons succinctement la description de la typologie des événements spatiaux élaborée par Talmy (1985). Nous verrons que Talmy ne distingue pas entre ‘mouvement’ et ‘déplacement’ et qu’il traite ces deux termes comme synonymes. Contrairement à ce qu’affirme Talmy, nous proposerons de considérer le ‘mouvement’ et le ‘déplacement’ comme deux notions différentes. Une fois clarifiées ces deux notions, nous pourrons définir d’une façon plus précise les catégories nommées ‘verbes de mouvement’ et ‘verbes de changement de lieu’. II.1.1. L’approche typologique de Talmy (1985) dans l’analyse des verbes de mouvement : Talmy (1985) suppose que les langues peuvent lexicaliser jusqu’à cinq composants sémantiques impliqués dans l’événement spatial : le mouvement/déplacement, la trajectoire, la manière, la figure et le fond. Dans sa description de la typologie de l’événement spatial, Talmy propose de subdiviser les langues du monde en deux grands types selon qu’elles encodent la trajectoire dans le verbe (‘langues à verbes trajectoriels’ (LVT) : « verb-framed languages » ) ou dans un élément satellite associé au verbe, c’est-à-dire un préfixe ou une particule verbale ‘langues à verbes non trajectoriels’ (LVNT) : « satellite-framed languages » ). Talmy considère les langues romanes comme des ‘langues à verbes trajectoriels’. Toutefois, plusieurs éléments suggèrent que le français et l’italien ont la particularité d’être à cheval sur les deux typologies. Le français, tout comme l’italien, est capable aussi bien d’encoder la trajectoire dans le radical verbal (‘entrer’, ‘sortir’, ‘arriver’, ‘venir’, ‘partir’) que d’encoder la trajectoire dans un préfixe verbal (ac-courir/ac-correre, par-venir/per-venire, par-courir/per-correre). Par ailleurs, il existe aussi des constructions à verbe non trajectoriel, dans lesquelles la trajectoire est exprimée par un satellite. En particulier, il existe en italien des verbes, appelés en anglais 79 CHAPITRE II CONSIDÉRATIONS SUR L’(A)TÉLICITÉ, LA DIRECTION ET LA DÉRIVATION DES PHRASES INACCUSATIVES « phrasal verbs » ou « particle verbs », où l’élément trajectoriel ne fusionne pas avec le verbe et donne donc lieu à une construction à verbe non trajectoriel : correre su/giù (lit. ‘courir vers le haut/le bas’), saltare su/giù (lit. ‘sauter en haut/en bas’), volare su/giù (lit. ‘voler vers le haut/le bas’), salire su (lit. ‘monter en haut’), scendere giù (lit. ‘descendre en bas’), ‘portare su/giù’ (lit. ‘porter en haut/en bas’), mettere su/giù (lit. ‘mettre en haut/en bas’), etc. Les verbes de mode de mouvement sont un autre exemple de constructions directionnelles ‘à satellite’. Quand ils sont associés à une interprétation télique, ces verbes nécessitent qu’un SP dénotant le But soit explicité (Gianni è corso *(a casa)/Jean a couru *(à la maison)). Sur la base de l’analyse sémantique de verbes dans des langues diverses, Talmy (1985 : 75) distingue trois types de lexicalisation de l’événement spatial : - mouvement/déplacement + trajectoire - mouvement/déplacement + manière - mouvement/déplacement + figure Selon Talmy, les langues romanes font partie du premier groupe car elles peuvent lexicaliser dans le verbe à la fois le mouvement et la trajectoire, mais pas le mouvement et la manière, ni le mouvement et la figure 1. Par exemple, des verbes tels que ‘entrer’, ‘sortir’, ‘arriver’, ‘traverser’, ‘monter’ et ‘descendre’ encodent outre le déplacement, la trajectoire du déplacement. Étant donné que, selon Talmy, dans les langues romanes, la manière ne peut pas être encodée avec le mouvement, le français et l’italien recourent à des périphrases, notamment au gérondif, pour exprimer à la fois les deux composantes : (1) a. Jean est entré dans la pièce en dansant. b. Gianni è entrato nella stanza danzando. (2) a. Jean est sorti de la pièce en dansant. b. Gianni è uscito dalla stanza danzando. D’après ces observations introductives, nous pouvons affirmer que la typologie élaborée par Talmy pour les verbes de mouvement n’est pas aussi catégorique que l’auteur ne l’a envisagé. En effet, comme nous l’avons observé, le français et l’italien peuvent exprimer la trajectoire 1 Dans la section II.14. nous verrons que ce type de lexicalisation est possible dans les langues romanes avec les verbes météorologiques. 80 CHAPITRE II CONSIDÉRATIONS SUR L’(A)TÉLICITÉ, LA DIRECTION ET LA DÉRIVATION DES PHRASES INACCUSATIVES dans un préfixe et encoder la manière dans la racine verbale comme le montrent les exemples ci-dessous : (3) a. Jean a ac-couru à l’école. b. Gianni è ac-corso a scuola. (4) a. Jean s’est en-volé pour le Japon hier matin. b. Gianni ha preso (= spiccato) il volo per il Giappone ieri mattina. II.1.2. Mouvement vs. déplacement : Contrairement à ce qu’affirme Talmy, nous défendons l’idée que le ‘mouvement’ et le ‘déplacement’ sont deux notions tout à fait différentes. Intuitivement, le mouvement peut être défini comme un processus dynamique par opposition à un état. Néanmoins, le mouvement ne conduit pas nécessairement à un changement de lieu, c’est-à-dire à un déplacement de l’entité dans l’espace. Le mouvement peut donc ne pas impliquer de déplacement bien qu’il soit une condition nécessaire du déplacement. Si un mouvement est orienté, il décrit un déplacement orienté. Un déplacement orienté dénote une direction par rapport à un lieu de départ, ou par rapport à un lieu d’arrivée. Un déplacement orienté implique donc la présence d’une trajectoire le long de laquelle se déplace la figure à partir d’une Source (point initial du trajet/début du déplacement) pour atteindre un But (point final du trajet/fin du déplacement) 2. Voici un schéma formel du déplacement, où l’intervalle temporel [t 1 - t2] correspond au temps utilisé pour aller du point initial au point final du trajet : (5) source trajet t1 but t2 La présence d’une direction est indépendante de la télicité. Autrement dit, le déplacement d’un élément le long d’une trajectoire n’implique pas que cet élément atteigne nécessairement 2 Nous renvoyons le lecteur à Laur (1991) et à Kopecka (2004) pour plus de détails. 81 CHAPITRE II CONSIDÉRATIONS SUR L’(A)TÉLICITÉ, LA DIRECTION ET LA DÉRIVATION DES PHRASES INACCUSATIVES un point final/un But. C’est le cas, par exemple, des verbes ‘monter’ et ‘descendre’ qui peuvent être compositionnellement téliques (cf. la section II.3.). Un déplacement télique, en revanche, atteigne un But. Les verbes de changement de lieu, c’est-à-dire les verbes qui impliquent un déplacement (borné ou non borné) selon notre définition, forment une classe assez hétérogène. On y trouve des prédicats dénotant une activité, un accomplissement ou un achèvement. Dans la section I.4., nous avons observé que les prédicats dénotant une activité se composent d’une seule action (généralement non interrompue), laquelle se compose d’une suite d’actes identiques dont la somme est conçue comme un seul événement. En revanche, un prédicat d’accomplissement décrit un procès impliquant une transition d’un état vers un autre et ayant un point d’aboutissement final. En ce qui concerne les achèvements, nous les avons caractérisés comme des prédicats qui dénotent des événements dépourvus de durée. Il s’agit de transitions instantanées. Or, comme l’a remarqué Pustejovsky (1991) (cf. la section I.6.), les accomplissements et les achèvements impliquent une transition, que celle-ci soit instantanée (cf. les achèvements) ou pas (cf. les accomplissements). Il apparaît donc que la classe des verbes de changement de lieu inclut aussi des prédicats d’achèvement [+intrinsèquement téliques], [+ponctuels] tels que arriver, partir, entrer, sortir, tomber, venir, déménager, atteindre, quitter. II.1.3. Récapitulation : Nous avons observé qu’un changement de lieu implique nécessairement un déplacement et que le mouvement ne conduit pas nécessairement à un déplacement mais qu’il est cependant une condition nécessaire au déplacement. Étant bien entendu que se déplacer vers un But n’implique pas nécessairement qu’on atteigne ce But, nous avons soutenu que le déplacement implique une directionnalité, mais pas le simple mouvement. Nous avons aussi défini les verbes de changement de lieu comme des verbes qui impliquent un déplacement orienté vers un But. Selon notre analyse, donc, la classe des verbes de changement de lieu est une sous-classe des verbes dénotant un mouvement. Nous avons aussi observé que la classe des verbes de changement de lieu inclut aussi bien des verbes sélectionnant l’auxiliaire ‘être’ que des verbes sélectionnant l’auxiliaire ‘avoir’. En effet, comme nous l’avons remarqué, les verbes à auxiliaire être en français n’épuisent pas l’ensemble des verbes qui dénotent un changement de lieu. Des verbes tels que émigrer, 82 CHAPITRE II CONSIDÉRATIONS SUR L’(A)TÉLICITÉ, LA DIRECTION ET LA DÉRIVATION DES PHRASES INACCUSATIVES immigrer, déménager, fuir, décamper, dégringoler, chuter prennent l’auxiliaire avoir et ils peuvent être définis comme verbes de changement de lieu car ils impliquent un déplacement. Dans les prochaines sections nous tournerons notre attention sur certains verbes intransitifs de changement de lieu sélectionnant l’auxiliaire ‘être’ aussi bien en français qu’en italien. Il s’agit des verbes ‘arriver’, ‘partir’, ‘sortir’, ‘entrer’, ‘tomber’, ‘venir’, ‘aller’, ‘monter’ et ‘descendre’. II.2. Le paramètre de la télicité et les verbes de changement de lieu ‘arriver’, ‘partir’, ‘entrer’, ‘sortir’, ‘tomber’, ‘venir’ et ‘aller’ : Dans la sous-section I.5.2., nous avons observé que les verbes de changement de lieu ‘arriver’, ‘partir’, ‘entrer’, ‘sortir’, ‘tomber’ et ‘venir’ sont des prédicats d’achèvement et que leur nature ponctuelle nous fait interpréter l’adverbial ‘en x temps’ avec le sens de ‘au bout de x temps’. Il s’ensuit en effet que les phrases : (6) a. Jean est arrivé/parti/entré/sorti/tombé/venu en deux minutes (= au bout de deux minutes). b. Gianni è arrivato/partito/entrato/uscito/caduto/venuto in due minuti (= nel giro di due minuti). n’affirment pas que Jean a fait l’action d’arriver/partir/entrer/sortir/tomber/venir pendant toute la durée de l’intervalle temporel dénoté par l’adverbial ‘en x temps’. En revanche, avec les prédicats dénotant des accomplissements : (7) Jean a mangé (la pomme) en une heure. on comprend que le processus dénoté par le verbe a eu lieu pendant toute la durée de l’intervalle temporel dénoté par l’adverbial ‘en x temps’. Néanmoins, comme nous l’avons déjà remarqué au chapitre I (note 2), certains prédicats dénotant des achèvements sont compatibles avec la périphrase progressive ‘être en train de’. Il en va de même des verbes de changement de lieu ‘arriver’, ‘partir’, ‘entrer’, ‘sortir’, ‘tomber’, ‘venir’ et ‘aller’ : 83 CHAPITRE II CONSIDÉRATIONS SUR L’(A)TÉLICITÉ, LA DIRECTION ET LA DÉRIVATION DES PHRASES INACCUSATIVES (8) a. Jean est en train d’arriver/partir/entrer/sortir/venir. b. Jean est en train d’aller à Rome. (9) Jean/Le météorite/Le vase/Le caillou est en train de tomber. La compatibilité de ces verbes avec la périphrase progressive montre que même si chez Vendler (1957) ces verbes sont caractérisés comme des prédicats [+ponctuels], ils peuvent dénoter aussi le déroulement d’un processus. Donc, les propriétés envisagées par Vendler pour une caractérisation formelle des prédicats qu’il appelle [+ponctuels] ne prédit pas des inacceptabilités tranchées3. Dans la sous-section I.5.2., nous avons affirmé aussi que les verbes ‘arriver’, ‘partir’, ‘entrer’, ‘sortir’, ‘tomber’ et ‘venir’, en tant que verbes intrinsèquement téliques, ne sont pas compatibles avec une interprétation atélique. Néanmoins, il s’avère qu’ils sont compatibles avec l’adverbial atélique ‘pendant x temps’. L’emploi de l’adverbial ‘pendant x temps’ ne modifie pas l’aspect intrinsèquement télique de ces verbes mais il pose des contraintes sur le type de SN sujet sélectionné, lequel doit être un SN pluriel ou massique4 : 3 Laca (2003) observe que dans les langues ibéro-romanes et, donc, aussi en français la périphrase progressive peut se combiner avec presque tous les types d’éventualités (classes vendleriennes) et que, notamment, elle est compatible avec une éventualité ponctuelle : (i) Pierre était en train de mourir. (Laca (2003 : 138 (3c))) La périphrase progressive est donc compatible avec des activités (cf. (ii)), avec des accomplissements (cf. (iii)), avec des verbes de changement graduel (cf. (iv)) et avec des achèvements (cf. (v)). Voici des exemples tiré de Laca (2004 : 94) : (ii) Allez chercher les ministres, ils sont sans doute encore en train de dormir. (Laca (2004 : 94 (19a))) (iii) Ils sont en train de ramasser les provisions. (Laca (2004 : 94 (19b))) (iv) On était en train de redescendre…Et tout à coup, tu t’es arrêté. (Laca (2004 : 94 (19c))) (v) …le grand cheikh est en train de mourir dans la maison la plus pauvre de Tiznit, comme un mendiant… (Laca (2004 : 94 (19d))) Cf. aussi Bertinetto (2001 : 131-138) pour plus de détails sur la périphrase progressive en italien. 4 Sur la base des exemples ci-dessous : (i) La temperatura è diminuita per un’ora. (Folli (2001 : 122 (99b))) Lit. La température est diminuée pendant une heure ‘La température a baissé pendant une heure.’ (ii) I prezzi sono aumentati per un anno. (Folli (2001 : 122 (100b))) Lit. Les prix sont augmentés pendant un an ‘Les prix ont augmenté pendant un an.’ Folli (2001 : 122) affirme que l’occurrence de l’adverbial ‘pendant x temps’ dénote clairement l’atélicité lexicale d’un verbe. Néanmoins, cette affirmation n’est pas valable pour les verbes ‘arriver’, ‘partir’, ‘entrer’, ‘sortir’, ‘tomber’ et ‘venir’ car, comme nous l’avons observé, l’emploi de l’adverbial ‘pendant x temps’ avec ces verbes ne change pas leur nature intrinsèquement télique. Donc, contrairement à ce qu’affirme Folli, nous supposons que l’emploi de l’adverbial ‘pendant x temps’ n’est pas un test qui prouve clairement l’atélicité lexicale d’un verbe. 84 CHAPITRE II CONSIDÉRATIONS SUR L’(A)TÉLICITÉ, LA DIRECTION ET LA DÉRIVATION DES PHRASES INACCUSATIVES (10) a. *Jean est arrivé/parti/entré/sorti/venu pendant deux heures. b. *Gianni è arrivato/partito/entrato/uscito/venuto per due ore. (11) a. Des gens sont arrivés/partis/entrés/sortis/venus pendant deux heures. b. pro è arrivata/partita/entrata/uscita/venuta gente per due ore. (12) a. *Jean/Le vase/Le caillou est tombé pendant deux heures. b. *Gianni/Il vaso/Il sasso è caduto per due ore. (13) a. Des cailloux sont tombés pendant deux heures. b. pro sono caduti sassi per due ore. (14) a. La neige/La pluie est tombée pendant deux heures. b. La neve/La pioggia è caduta per due ore. Les phrases (11), (13) et (14) sont associées à une interprétation de type fréquentatif/distributif. Dans (11), on comprend que pendant deux heures une quantité non spécifiée de membres de l’espèce ‘gens’ sont arrivés/partis/sortis/entrés/venus, et, de la même façon, dans (13) on comprend qu’une quantité non spécifiée de membres de l’espèce ‘caillou’ sont tombés pendant deux heures. La même chose s’observe pour (14). Contrairement aux verbes ‘arriver’, ‘partir’, ‘entrer’, ‘sortir’, ‘tomber’ et ‘venir’, le verbe de changement de lieu ‘aller’ n’est pas intrinsèquement télique et un But doit être explicitement exprimé, autrement la phrase est agrammaticale : (15) a. *Jean est allé. b. *Gianni è andato. (16) a. *Jean est allé en deux heures. b. *Gianni è andato in due ore. (17) a. Jean est allé à la maison (en une heure). b. Gianni è andato a casa (in un’ora). Les prochaines sections sont consacrées à l’analyse de certains verbes dénotant un mouvement orienté mais non borné tels que ‘monter’, ‘descendre’, ‘augmenter’, ‘diminuer’ et ‘baisser’. 85 CHAPITRE II CONSIDÉRATIONS SUR L’(A)TÉLICITÉ, LA DIRECTION ET LA DÉRIVATION DES PHRASES INACCUSATIVES II.3. Verbes dénotant un déplacement orienté mais non borné : Levin et Rappaport-Hovav (1995 : 172) montrent que les verbes dénotant un mouvement intrinsèquement orienté ne sont pas tous téliques. Plus précisément, selon Levin et Rappaport-Hovav, les verbes dénotant un mouvement intrinsèquement orienté se subdivisent en verbes intrinsèquement téliques et en verbes qui ne sont pas intrinsèquement téliques et dont le sens de base est atélique comme, par exemple, en anglais, fall (‘tomber’) 5, rise (‘monter’/‘augmenter’) et descend (‘diminuer’/‘baisser’). Ces verbes sont appelés par les auteurs verbes atéliques de mouvement intrinsèquement orienté ( « atelic verbs of inherently directed motion » ). Dans les termes que nous avons introduits (cf. la section II.1.), ces verbes sont des verbes de déplacement orienté mais non borné. Les verbes qui seront analysés dans cette section sont salire, scendere, aumentare, diminuire et leurs correspondants français monter, descendre, augmenter, diminuer/baisser. II.3.1. Les verbes salire et scendere vs. aumentare et diminuire : En italien, les verbes salire, scendere, aumentare et diminuire sélectionnent l’auxiliaire essere6. Ils sont compositionnellement téliques et ils sont donc compatibles aussi bien avec l’adverbial télique ‘en x temps’ qu’avec l’adverbial atélique ‘pendant x temps’ : 5 Levin et Rappaport-Hovav (1995) considèrent le verbe ‘tomber’ comme un verbe non intrinsèquement télique car il est compatible avec l’adverbial ‘pendant x temps’. Considérons l’exemple suivant tiré d’après Tortora (1997 : 18 (10c)) : (i) a. The meteorite fell for fifteen minutes. b. Le météorite est tombé pendant quinze minutes. c. Il meteorite è caduto per quindici minuti. En (i), il y a une re-catégorisation du verbe lequel n’est plus interprété en tant qu’un achèvement mais en tant qu’une activité. En (i), c’est la nature du SN sujet qui déclenche la re-catégorisation achèvement>activité du verbe ‘tomber’. En fait, d’autres types de SN sujet singulier ne déclenchent pas cette re-catégorisation et ils sont incompatibles avec un contexte atélique (cf. (12)). Par ailleurs, les sujets singuliers en (12), qui sont incompatibles avec un contexte atéliques, sont en revanche compatibles avec une périphrase progressive (cf. (9)). Ces faits nous montrent que quand on admet l’appartenance d’un verbe à une classe événementielle plutôt qu’à une autre, en réalité on renvoie à une série de contextes précis dans lesquels ce verbe peut apparaître. En résumé, ces données nous montrent que la nature du SN employé (singulier, pluriel ou massique) tout comme l’aspect et les temps verbaux déclenchent de différents types d’interprétations. Donc, comme nous l’avons observé dans la section II.2., la quadripartition de Vendler ne prédit pas d’inacceptabilités tranchées. Il s’ensuit donc que l’affirmation de Levin et Rappaport-Hovav à propos du verbe ‘tomber’ doit être révisée. 6 Certains locuteurs acceptent, même si marginalement, l’emploi de l’auxiliaire avere avec les verbes aumentare et diminuire dans des contextes atéliques : (i) ?/*I prezzi hanno aumentato/diminuito. ‘Les prix ont augmenté/baissé.’ (ii) ?/*I prezzi hanno aumentato/diminuito per due mesi. ‘Les prix ont augmenté/baissé pendant deux mois.’ 86 CHAPITRE II CONSIDÉRATIONS SUR L’(A)TÉLICITÉ, LA DIRECTION ET LA DÉRIVATION DES PHRASES INACCUSATIVES (18) Gianni è salito/sceso. (atélique) ‘Jean est monté/descendu.’ (19) Gianni è salito/sceso in due ore. (télique) ‘Jean est monté/descendu en deux heures.’ (20) Gianni è salito/sceso per due ore7. (atélique) Lit. Jean est monté/descendu pendant deux heures8 (21) La temperatura è salita/scesa. (atélique) Lit. La température est montée/descendue ‘La température a monté/descendu.’ (22) La temperatura è salita/scesa in due ore. (télique) ‘La température est montée/descendue en deux heures.’ (23) La temperatura è salita/scesa per due ore. (atélique) Lit. La température est montée/descendue pendant deux heures ‘La température a monté/descendu pendant deux heures.’ Considérons maintenant les exemples suivants : (iii) *I prezzi hanno aumentato/diminuito in due mesi. ‘Les prix ont augmenté/baissé en deux mois.’ 7 La phrase : (i) Gianni è salito per due ore. Lit. Jean est monté pendant deux heures est grammaticale dans un contexte atélique comme, par exemple, le suivant : ‘Gianni è salito per due ore ma non è riuscito a raggiungere la vetta della montagna (Lit. Jean est monté pendant deux heures mais il n’a pas réussi à atteindre le sommet de la montagne)’. Le verbe scendere est également compatible avec l’adverbial de durée ‘pendant x temps’ : (ii) Gianni è sceso per due ore. Lit. Jean est descendu pendant deux heures Le contexte d’acceptabilité de cette phrase est, lui aussi, associé à une interprétation atélique : ‘Gianni è sceso per due ore ma non è riuscito a raggiungere il paese (Lit. Jean est descendu pendant deux heures mais il n’a pas réussi à atteindre le village)’. 8 Ces phrases ne sont pas acceptées par tous les locuteurs dans un contexte atélique. Nous renvoyons le lecteur à la sous-section II.3.2.1. pour plus de détails à ce propos. 87 CHAPITRE II CONSIDÉRATIONS SUR L’(A)TÉLICITÉ, LA DIRECTION ET LA DÉRIVATION DES PHRASES INACCUSATIVES (24) a. Gianni è salito/*aumentato. (interprétation changement de lieu) b. Jean est monté/*augmenté. (25) a. Gianni è sceso/*diminuito. b. Jean est descendu/*diminué9. (interprétation changement d’état) (26) a. La temperatura è salita/aumentata. b. La température a monté/augmenté. (27) a. La temperatura è scesa/diminuita. b. La température a descendu/diminué/baissé. Les verbes salire et scendere et leurs correspondants français monter et descendre dénotent un mouvement orienté verticalement qui implique un changement de lieu (cf. (24) et (25)) ou un changement d’état (cf. (26) et (27)). Contrairement aux verbes salire et scendere, les verbes aumentare (‘augmenter’) et diminuire (‘diminuer’) sont associés seulement à l’interprétation de changement d’état et, lorsqu’ils selectionnent un sujet [+animé], l’explicitation d’un complément de mesure est obligatoire (comparer (24a) et (25a) avec (28)) : (28) Gianni è aumentato/diminuito *(di tre chili). (poids) Lit. Jean a augmenté/diminué de trois kilos ‘Jean a grossi/maigri (de trois kilos).’ (29) Gianni è aumentato/diminuito *(di tre cm di altezza) 10. (taille) Lit. Jean a augmenté/diminué de trois cm de hauteur ‘Jean a grandi/rapetissé (de trois centimètres).’ Contrairement aux verbes salire et scendere, qui ont une directionnalité nécessairement verticale qui s’applique à une échelle verticale, (salire est paraphrasé par andare su (lit. ‘aller vers le haut’) et scendere par andare giù (lit. ‘aller vers le bas’)), les verbes aumentare et 9 Comme me l’a fait observer Anne Zribi-Hertz (c.p.), la phrase : (i) Jean est diminué. est possible en français mais elle n’est pas associée à une interprétation de changement de lieu. La phrase (i) signifie ‘Jean est affaibli’ parce qu’il est gravement malade ou qu’il a eu un accident. 10 Avec le verbe diminuire la phrase (29) peut apparaître douteuse. Néanmoins, dans un contexte adéquat (par exemple, un homme vieux qui rapetisse de plus en plus sous l’effet d’une bosse) l’emploi du verbe diminuire en (29) devient plus acceptable. 88 CHAPITRE II CONSIDÉRATIONS SUR L’(A)TÉLICITÉ, LA DIRECTION ET LA DÉRIVATION DES PHRASES INACCUSATIVES diminuire ont une directionnalité intrinsèque dont l’orientation dépend du contexte et n’est pas obligatoirement verticale. Ces verbes peuvent être associés à différentes échelles de mesure comme, par exemple, le poids, le volume, la taille, etc. Les verbes aumentare et diminuire des exemples (28) et (29) ressemblent aux verbes de mesure tels que ‘peser’, ‘mesurer’, ‘valoir’, ‘coûter’, etc. À propos des verbes de mesure, Jackendoff (1972 : 44) observe que ‘le sujet de ces verbes est interprété comme un Thème et que le complément de mesure spécifie la position du sujet sur l’échelle de mesure’11. En effet, le sujet des verbes en (28) et (29) est affecté par le complément de mesure qui décrit l’état d’avancement du changement d’état dénoté par le verbe. Nous interprétons donc le sujet des verbes aumentare et diminuire en (28) et (29) comme ayant un thêta-rôle Thème (cf. la soussection II.13.4. pour plus de détails). Dans la prochaine sous-section, nous analyserons d’une façon plus détaillée les verbes français correspondant aux verbes italiens salire, scendere, aumentare et diminuire. II.3.2. Les verbes monter et descendre : Contrairement à leurs correspondants italiens salire et scendere, les verbes monter et descendre sélectionnent aussi bien l’auxiliaire être que l’auxiliaire avoir. L’emploi de l’auxiliaire avoir avec ces verbes semble à première vue attribuable à un phénomène de régularisation, autrement dit à un processus de grammaticalisation conduisant à un système plus économique. Toutefois, contrairement à cette première impression, il apparaît que l’auxiliaire être est corrélé à un effet télique, tandis que l’auxiliaire avoir est assez nettement corrélé à un effet non télique. Nous allons décrire ce phénomène plus en détail dans la prochaine sous-section. 11 « With these verbs, the measure phrase is an expression of Location on the scale of value being measured. The (deep) subject is Theme, and the sentence specifies its locations on the scale denoted by the measure phrase » (Jackendoff 1972 : 44). 89 CHAPITRE II CONSIDÉRATIONS SUR L’(A)TÉLICITÉ, LA DIRECTION ET LA DÉRIVATION DES PHRASES INACCUSATIVES II.3.2.1. Le verbe monter et la sélection de l’auxiliaire : En français, le verbe monter est compatible aussi bien avec un sujet [+animé] (cf. (30)) qu’avec un sujet [-animé] (cf. (31))12. Avec un sujet [+animé], l’emploi de l’auxiliaire avoir est possible pourvu qu’un C.O.D. soit sous-entendu13. En revanche, avec un sujet [-animé] il semble que l’emploi de l’auxiliaire être et de l’auxiliaire avoir est soumis à des contraintes concernant respectivement la télicité et l’atélicité. Voici des exemples : (30) a. Jean est monté. b. Jean est monté en deux heures. c. Jean est monté au sommet (en deux heures). d. ?/*Jean est monté pendant deux heures14. e. *Jean a monté. f. *Jean a monté en deux heures. g. *Jean a monté au sommet (en deux heures). h. *Jean a monté pendant deux heures. 12 La même chose a été observée à propos des verbes salire et scendere en italien (cf. la sous-section II.3.1.). Comme me l’ont fait observer Anne Zribi-Hertz et Marie-Christine Jamet (c.p.), l’emploi de l’auxiliaire avoir est possible seulement si un C.O.D. est sous-entendu et donc si le verbe est re-catégorisé comme verbe transitif : (i) Jean a monté (la côte) en deux heures/pendant deux heures. En revanche, l’emploi intransitif du verbe monter avec l’auxiliaire avoir et un SN sujet [+humain] est agrammatical que le contexte soit télique ou atélique, comme le montrent les exemples en (30e,f,g,h). 14 L’emploi de l’adverbial ‘pendant x temps’ en (30d) n’est pas complètement agrammatical si l’on crée un contexte adéquat permettant à l’intervalle temporel dénoté par l’adverbial atélique ‘pendant x temps’ d’être construit comme un sous-ensemble d’un intervalle borné. La même chose peut se dire du verbe descendre en (34d), (Marie-Christine Jamet (c.p.)) : (i) Jean est monté pendant deux heures. Contexte : ‘La montée devait durer trois heures. Jean est monté pendant deux heures, puis l’orage a éclaté. Il s’est abrité sous un rocher…’. (ii) Jean est descendu pendant une heure. Contexte : ‘La descente devait durer trois heures. Jean est descendu pendant deux heures, puis l’orage a éclaté. Il s’est abrité sous un rocher…’. Anne Zribi-Hertz (c.p.) me fait observer qu’elle accepte les phrases (30d) et (34d) dans un contexte où le sujet monte et redescend sans arrêt ‘pendant x temps’ : (iii) Jean est monté pendant deux heures. Contexte : ‘Jean est monté et redescendu plusieurs fois pendant deux heures’. (iv) Jean est descendu pendant une heure. Contexte : ‘Jean est descendu et remonté plusieurs fois pendant une heure’. 13 90 CHAPITRE II CONSIDÉRATIONS SUR L’(A)TÉLICITÉ, LA DIRECTION ET LA DÉRIVATION DES PHRASES INACCUSATIVES (31) a. La température/la mer/le blé a/?est monté(e)15. b. La température ?*a/est monté(e) en deux minutes. c. *La température est montée pendant deux jours. d. La température a monté pendant deux jours. En (31), on observe qu’un sujet [-animé] entraîne la sélection de l’auxiliaire être ou de l’auxiliaire avoir selon que le contexte est télique ou atélique. En particulier, l’emploi d’un complément de mesure permettant d’évaluer l’état d’avancement du processus dénoté par le verbe est compatible aussi bien avec l’auxiliaire avoir qu’avec l’auxiliaire être lorsque le sujet est un SN [-animé]. Dans ce cas, deux types d’interprétation sont possibles : une interprétation télique où l’on constate le point final du changement – l’auxiliaire employé est alors être – ou une interprétation atélique, où l’on emploie l’auxiliaire avoir : (32) La température a/est monté(e) de deux degrés. (33) L’eau a/est monté(e) de deux mètres. (Leeman (1994 : 55)) En (32) et en (33), les syntagmes quantifiés ‘deux degrés/deux mètres’ sont traités comme ambigus : ou bien ils dénotent un intervalle perçu de l’intérieur (‘en parcourant un intervalle de deux degrés/de deux mètres’), l’auxiliaire employé étant donc avoir ; ou bien ils dénotent le point d’aboutissement du changement (‘deux degrés/deux mètres au-delà du point de départ’). Dans ce cas, l’auxiliaire employé est être. II.3.2.2. Le verbe descendre : Tout comme le verbe monter, le verbe descendre est compatible aussi bien avec un sujet [-animé] qu’avec un sujet [+animé]. Voici des exemples : 15 Voici d’autres exemples avec un sujet [-animé] tirés de Ruwet (1972) et (1989) : (i) a. Le niveau de la rivière a/*est monté(e). (Ruwet (1972 : 161 (130a,b))) b. Entre l'aurore et midi, la température a monté/??est montée. (Ruwet (1989 : 315 (8b))) 91 CHAPITRE II CONSIDÉRATIONS SUR L’(A)TÉLICITÉ, LA DIRECTION ET LA DÉRIVATION DES PHRASES INACCUSATIVES (34) a. Jean est descendu. b. Jean est descendu en une heure. c. Jean est descendu à la cave (en une minute). d. ?/*Jean est descendu pendant une heure16. e. *Jean a descendu. f. *Jean a descendu en une heure. g. *Jean a descendu à la cave (en une minute). h. *Jean a descendu pendant une heure. (35) a. Les prix ont/?sont descendu(s). b. Les cours de la bourse ont/*sont descendu(s) pendant tout le mois de mai. c. Les cours de la bourse *ont/sont descendu(s) en une semaine. Tout comme le verbe monter, le verbe descendre, lorsqu’il sélectionne un SN sujet [+animé], est compatible avec l’auxiliaire avoir pourvu qu’un C.O.D. soit sous-entendu. Dans ce cas, le verbe est donc re-catégorisé comme transitif17. En revanche, avec un sujet [-animé] il semble que l’emploi de l’auxiliaire être et de l’auxiliaire avoir soit dépendant de l’(a)télicité, comme nous l’avons observé pour le verbe monter dans la sous-section précédente : (36) Le niveau de l’eau a/est descendu de deux mètres. En (36), le complément de mesure ‘de deux mètres’ nous permet d’évaluer l’état d’avancement du processus dénoté par le verbe descendre. On a donc une interprétation atélique lorsque l’auxiliaire sélectionné est avoir, tandis qu’on a une interprétation télique si l’auxiliaire sélectionné est être. 16 Mais voir la note 14 pour certains contextes d’acceptabilité. Voici un exemple : (i) Jean a descendu (la côte) en deux heures/pendant deux heures. 17 92 CHAPITRE II CONSIDÉRATIONS SUR L’(A)TÉLICITÉ, LA DIRECTION ET LA DÉRIVATION DES PHRASES INACCUSATIVES II.3.3. Les verbes augmenter et baisser : Contrairement aux verbes monter et descendre, les verbes augmenter et baisser sélectionnent seulement l’auxiliaire avoir et l’auxiliaire être est employé exclusivement dans l’interprétation d’état résultant déclenchée à partir d’une phrase transitive-causative. Voici des exemples : (37) Le gouvernent a augmenté les prix. Les prix sont augmentés. (38) (transitif-causatif) (État Résultant) (Zribi-Hertz (1987 : 43 (84a))) Le gouvernement a baissé les prix. (transitif-causatif) Les prix sont baissés18. (État Résultant) Étant donné qu’avec ces verbes la sélection de l’auxiliaire être est liée seulement à une interprétation d’état résultant, l’auxiliaire avoir est compatible aussi bien avec une interprétation télique qu’avec une interprétation atélique et l’ajout du complément de mesure ‘de 10%’ ne déclenche pas l’emploi de l’auxiliaire être (cf. (39c)) : (39) a. La température a augmenté/baissé en deux minutes/pendant deux minutes. b. Les prix ont augmenté/baissé en deux mois/pendant deux mois. c. Les prix ont augmenté/baissé de 10% en deux mois/pendant deux mois. 18 Comme me l’a fait observer Anne Zribi-Hertz (c.p.), les phrases : (i) Les prix sont baissés. (ii) Les prix sont augmentés. ne sont interprétables que comme phrases passives, impliquant préalablement un processus déclenché par une causalité intentionnelle. 93 CHAPITRE II CONSIDÉRATIONS SUR L’(A)TÉLICITÉ, LA DIRECTION ET LA DÉRIVATION DES PHRASES INACCUSATIVES II.4. Récapitulation : Dans le tableau qui suit nous résumons les propriétés des verbes que nous avons analysés jusqu’ici : (40) ITALIEN FRANÇAIS PARAMÈTRES auxiliaire auxiliaire ESSERE ÊTRE - télicité intrinsèque - direction intrinsèque ESSERE ÊTRE ESSERE ÊTRE - télicité intrinsèque - direction compositionnelle - télicité compositionnelle - direction intrinsèque sur une échelle verticale qui dénote un changement de lieu ou d’état ESSERE AVOIR VERBES - télicité - direction - télicité compositionnelle - direction intrinsèque qui dénote un changement d’état ‘arriver/arrivare’,‘partir/partire’, ‘entrer/entrare’,‘sortir/uscire’, ‘tomber/cadere’,‘venir/venire’ ‘aller/andare’ ‘monter/salire’, ‘descendre/scendere’ ‘augmenter/aumentare’, ‘diminuer ou baisser/diminuire’ Deuxième partie : les verbes ‘monter’, ‘descendre’, ‘courir’ et ‘accourir’ et les paramètres But et Direction Dans cette deuxième partie, nous analyserons les verbes ‘monter’ et ‘descendre’ et leur rapport avec les paramètres Direction et But. Ensuite, nous porterons notre attention sur l’analyse du verbe de mouvement ‘accourir’ qui montre des caractéristiques lexicales particulières. L’analyse de ‘accourir’ nous permettra aussi d’approfondir l’analyse du verbe de mode de mouvement ‘courir’ et son rapport avec les paramètres Direction et But. 94 CHAPITRE II CONSIDÉRATIONS SUR L’(A)TÉLICITÉ, LA DIRECTION ET LA DÉRIVATION DES PHRASES INACCUSATIVES II.5. Les verbes ‘monter’ et ‘descendre’ et les adverbes ‘en haut’ et ‘en bas’ : Les verbes ‘monter’ et ‘descendre’ sont spécifiés pour la direction de sorte que le verbe ‘monter’ n’est pas compatible avec l’adverbe référentiel ‘en bas’ et inversement, le verbe ‘descendre’ avec l’adverbe référentiel ‘en haut’ : (41) a. Gianni è salito su/(*giù). b. Jean est monté en haut/(*en bas). (42) a. Gianni è sceso giù/(*su). b. Jean est descendu en bas/(*en haut)19. Le fait que la phrase (43) n’est pas paraphrasable par (44) suit naturellement du fait que ‘en haut’ et ‘en bas’ dénotent un lieu et l’élévation de la température n’est pas un déplacement spatial : (43) La température a monté/descendu. (44) La température a monté en haut/en bas. Étant donné que ‘en haut’ et ‘en bas’ dénotent un lieu, (44) n’est interprétable que dans un contexte où ‘en haut’ et ‘en bas’ dénotent le lieu où le changement d’état s’est déroulé, cf. : (45) La température a monté (= augmenté) au premier étage (= en haut). (46) La température a descendu (= baissé) au rez-de-chaussée (= en bas). II.5.1. Les adverbes ‘en haut’ et ‘en bas’ et les paramètres But, Direction et état résultant : En italien, les verbes complexes salire su (lit. ‘monter vers le haut/en haut’) et scendere giù (lit. ‘descendre vers le bas/en bas’), tout comme les verbes simples salire et scendere (cf. la sous-section II.3.1.), peuvent être associés à une interprétation télique où les adverbes su et giù dénotent un Lieu construit comme l’aboutissement du mouvement. Cette interprétation est également disponible en français pour monter en haut/descendre en bas : 19 Ceci dit, l’emploi des adverbes ‘en haut’ et ‘en bas’ en (41) et (42) est redondant vue la nature intrinsèquement directionnelle des verbes ‘monter’ et ‘descendre’. C’est pourquoi les combinaisons monter en haut/descendre en bas sont déconseillées aux écoliers francophones. 95 CHAPITRE II CONSIDÉRATIONS SUR L’(A)TÉLICITÉ, LA DIRECTION ET LA DÉRIVATION DES PHRASES INACCUSATIVES (47) a. Gianni è salito su in due minuti. b. Jean est monté en haut en deux minutes. (48) a. Gianni è sceso giù in due minuti. b. Jean est descendu en bas en deux minutes. En (47) et (48) les adverbes ‘en haut’ et ‘en bas’ sont des arguments But. En effet, ils peuvent être remplacés par des SP dénotant un lieu incarnant le But de la transition : (49) a. Gianni è salito al secondo piano in due minuti. b. Jean est monté au deuxième étage en deux minutes. (50) a. Gianni è sceso al piano terra in due minuti. b. Jean est descendu au rez-de-chaussée en deux minutes. Une fois que le But est atteint, les adverbes ‘en haut’ et ‘en bas’ peuvent être associés à une interprétation marquant l’état résultant de la transition comme on le voit en (51) et (52)20 : (51) a. Gianni è su. b. Jean est en haut. (52) a. Gianni è giù. b. Jean est en bas. En italien, les adverbes su et giù sont par ailleurs compatibles avec une interprétation atélique, comme les montrent les exemples suivants. Dans ce cas, su et giù dénotent non pas le But du mouvement mais sa Direction : 20 Les phrases copulatives/prédicatives en (51) et (52) peuvent être associées aussi à une interprétation stative. Comme nous l’avons remarqué dans la sous-section I.7.3., l’interprétation d’état résultant peut coïncider avec celle d’état. Plus précisément, nous avons observé que l’interprétation d’état résultant associée aux verbes de changement de lieu comme ‘arriver’ et ‘entrer’ décrit la persistance dans un lieu de l’état issu de la transition dénotée par le verbe. Ainsi, les phrases en (51) et (52) sont ambiguës, selon le contexte, entre l’interprétation d’état résultant et l’interprétation d’état qui, contrairement à l’interprétation d’état résultant, ne présuppose pas un événement ayant eu lieu antérieurement. 96 CHAPITRE II CONSIDÉRATIONS SUR L’(A)TÉLICITÉ, LA DIRECTION ET LA DÉRIVATION DES PHRASES INACCUSATIVES (53) Gianni è salito su per due minuti. Lit. Jean est monté vers le haut pendant deux minutes (54) Gianni è sceso giù per due minuti. Lit. Jean est descendu vers le bas pendant deux minutes Les adverbes su et giù des phrases en (53) et (54) sont des arguments directionnels. En effet, ils peuvent être remplacés par des SP dénotant la direction du mouvement : (55) a. Gianni è salito verso la cappella per due minuti. ‘Jean est monté vers la chapelle pendant deux minutes.’ (56) a. Gianni è sceso verso la costa per due minuti. ‘Jean est descendu vers la côte pendant deux minutes.’ En italien, les adverbes su et giù peuvent donc dénoter aussi bien le But d’une transition que la direction du mouvement selon que le contexte est télique ou atélique. En revanche, en français, les adverbes en haut et en bas ne sont jamais directionnels. Les traductions françaises des phrases (53) et (54) nous montrent ce contraste : (57) a. *Jean est monté en haut pendant deux minutes. b. Jean est monté vers le haut pendant deux minutes. (58) a. *Jean est descendu en bas pendant deux minutes. b. Jean est descendu vers le bas pendant deux minutes. Suite à ces observations, nous supposons qu’en italien la valeur But ou Direction associée aux adverbes su et giù est compositionnelle, c’est-à-dire que c’est le contexte télique ou atélique qui donne respectivement la valeur [+But] ou [+Direction] à ces adverbes. En revanche, en français, les adverbes en haut et en bas n’ont jamais de lecture directionnelle comme le montrent les exemples en (57a) et (58a). 97 CHAPITRE II CONSIDÉRATIONS SUR L’(A)TÉLICITÉ, LA DIRECTION ET LA DÉRIVATION DES PHRASES INACCUSATIVES II.6. Le verbe ‘accourir’ : Le verbe accourir (du latin accurere de ad curere ‘courir vers’, ‘aller vite vers un but’, ‘venir en courant, en allant vite’) 21 est formé sur la base du verbe de mode de mouvement courir au moyen du préfixe a- qui exprime la direction du déplacement. Dans l’optique de l’analyse typologique de Talmy (1985) (cf. la sous-section II.1.1.), le verbe accourir lexicalise la composante Direction en plus de la composante Mode de mouvement. En ce qui concerne la sélection de l’auxiliaire, accourir peut sélectionner aussi bien l’auxiliaire être que l’auxiliaire avoir. Considérons les exemples suivants : (59) a. Jean ?a/est accouru. b. Jean ?a/est accouru en deux minutes. c. Jean ?a /est accouru au château. d. Jean ?a/est accouru chez moi. e. Jean ?a/est accouru sauver Marie de la noyade. f. Jean ?a/est accouru voir l’accident. g. *Jean a/est accouru pendant une heure. h. Les pompiers ?ont/sont accouru(s) pendant une heure. Les exemples ci-dessus montrent que l’emploi de l’auxiliaire être est préféré mais que l’auxiliaire avoir n’est pas écarté par les locuteurs. Un contexte explicitement atélique force la sélection d’un sujet collectif qui permet d’interpréter l’événement comme duratif (comparer (59g) avec (59h)). En (59h) on comprend que pendant une heure les divers membres du groupe des pompiers ont couru dans la direction du But. La même chose s’observe en italien (comparer (60g) avec (60h)). Contrairement à ce qu’on observe en français, en italien le verbe accorrere sélectionne seulement l’auxiliaire essere : 21 Rey, A., Dictionnaire historique de la langue française, Paris, Dictionnaires Le Robert, 2000, ad vocem. 98 CHAPITRE II CONSIDÉRATIONS SUR L’(A)TÉLICITÉ, LA DIRECTION ET LA DÉRIVATION DES PHRASES INACCUSATIVES (60) a. Gianni è/*ha accorso. b. Gianni è/*ha accorso in due minuti. c. Gianni è/*ha accorso al castello. d. Gianni è/*ha accorso a casa mia. e. Gianni è/*ha accorso a salvare Maria dall’annegamento. f. Gianni è/*ha accorso a vedere l’incidente. g. *Gianni è/*ha accorso per un’ora. h. I pompieri sono/*hanno accorsi per un’ora. II.6.1. Le verbe ‘accourir’ et les prépositions ‘à’ et ‘vers’ : Le verbe accourir est compatible avec la préposition directionnelle atélique vers : (61) a. Les pompiers ?ont/sont accouru(s) vers le château/l’appartement. b. Jean ?a/est accouru vers le château/l’appartement. En italien aussi, le verbe accorrere est compatible avec la préposition directionnelle atélique verso : (62) a. I pompieri sono accorsi verso il castello/l’appartamento. b. Gianni è accorso verso il castello/l’appartamento. L’emploi de la préposition locative à/a est aussi compatible avec ce verbe : (63) a. Les pompiers ?ont/sont accouru(s) au château/à la porte. b. Jean ?a/est accouru au château/à la porte. (64) a. I pompieri sono accorsi al castello/alla porta. b. Gianni è accorso al castello/alla porta. Comme le montrent les exemples ci-dessus, la sélection obligatoire de l’auxiliaire essere par le verbe accorrere n’entraîne pas d’incompatibilité avec l’emploi de la préposition directionnelle atélique verso. En effet, comme nous l’avons déjà observé dans la section II.3., la sélection de l’auxiliaire essere n’implique pas nécessairement d’interprétation télique : 99 CHAPITRE II CONSIDÉRATIONS SUR L’(A)TÉLICITÉ, LA DIRECTION ET LA DÉRIVATION DES PHRASES INACCUSATIVES (65) Gianni è salito verso la cappella. ‘Jean est monté vers la chapelle.’ (66) Gianni è sceso verso il paese/la costa. ‘Jean est descendu vers le village/la côte.’ Ci-dessous nous allons analyser la compatibilité du verbe de mode de mouvement ‘courir’ avec la préposition ‘vers’ et la préposition ‘à’. Nous verrons qu’en italien, contrairement au français, la préposition a peut avoir une interprétation directionnelle. II.6.2. Le verbe ‘courir’ et les prépositions ‘à’ et ‘vers’ : Le verbe correre est un verbe de mode de mouvement qui dénote une activité. Il est donc lexicalement atélique. En français, le verbe courir sélectionne seulement l’auxiliaire avoir. En revanche, en italien, le verbe correre peut sélectionner aussi bien l’auxiliaire essere que l’auxiliaire avere. Quand il sélectionne l’auxiliaire essere, il est interprété en tant que verbe télique et l’explicitation du But du mouvement est obligatoire, tandis que quand il sélectionne l’auxiliaire avere, il est interprété comme un verbe atélique dénotant une activité : (67) Gianni è corso *(nel parco). Lit. Jean est couru dans-le parc ‘Jean a couru dans le parc (= jusqu’au parc).’ (68) Gianni ha corso (nel parco). Lit. Jean a couru dans-le parc ‘Jean a couru dans le parc (= à l’intérieur du parc).’ La préposition atélique verso est compatible aussi bien avec l’auxiliaire essere qu’avec l’auxiliaire avere comme le montrent les exemples ci-dessous (cf. la sous-section II.7. pour une analyse plus détaillée de l’alternance des auxiliaires et de l’emploi de la préposition verso avec le verbe correre) : 100 CHAPITRE II CONSIDÉRATIONS SUR L’(A)TÉLICITÉ, LA DIRECTION ET LA DÉRIVATION DES PHRASES INACCUSATIVES (69) Gianni è corso verso la spiaggia. Lit. Jean est couru vers la plage ‘Jean a couru vers la plage.’ (70) Gianni ha corso verso la spiaggia. ‘Jean a couru vers la plage.’ Le verbe correre, quand il sélectionne l’auxiliaire essere, est compatible aussi avec la préposition a : (71) Gianni è corso a casa. Lit. Jean est couru à maison ‘Jean a couru à la maison (= jusqu’à la maison).’ En (71) la préposition a est ambiguë : et elle peut être interprétée comme directionnelle atélique, tout comme la préposition verso, ou comme télique (assignatrice du thêta-rôle But). La phrase ci-dessous nous montre explicitement que la préposition a peut avoir une interprétation directionnelle atélique en italien : (72) Gianni è corso a casa ma a metà strada si è fermato. Lit. Jean est couru à (= vers) maison mais à mi-chemin il s’est arrêté Autrement dit, en italien, quand le verbe correre sélectionne l’auxiliaire essere et qu’il est employé avec la préposition a, il peut être interprété en tant que verbe dénotant un mouvement dans une direction orientée non bornée (dans ce cas-là, la préposition a a le sens de verso) ou en tant que verbe télique (dans ce cas-là, la préposition a indique le But/le point final du déplacement). L’emploi de l’adverbial ‘en x temps’ force une interprétation télique du prédicat et, par conséquent, la préposition a ne peut s’interpréter en sa présence que comme télique : 101 CHAPITRE II CONSIDÉRATIONS SUR L’(A)TÉLICITÉ, LA DIRECTION ET LA DÉRIVATION DES PHRASES INACCUSATIVES (73) Gianni è corso a casa in due ore. Lit. Jean est couru à maison en deux heures ‘Jean a couru à la maison (= jusqu’à la maison) en deux heures.’ La préposition à en français ne peut pas avoir le sens de vers, contrairement à ce qui arrive en italien (comparer (72) avec (74) ci-dessous) : (74) *Jean a couru à la maison mais à mi-chemin il s’est arrêté. En français, la préposition à est locative par défaut tout comme en italien. Tout comme en italien, elle peut avoir aussi un emploi télique mais elle ne peut pas être associée à une interprétation atélique comme le montre l’exemple en (74). Autrement dit, en français, pour la préposition à la lecture directionnelle n’est pas disponible. Dans la prochaine sous-section, nous allons analyser le préfixe a- associé aux verbes accourir et accorrere. Nous avancerons l’hypothèse qu’il est associé par défaut au trait [+Direction]. II.6.3. Le rôle du préfixe ‘a-’ : Comme nous l’avons observé (cf. supra), le verbe accourir contient dans sa racine même la combinaison ad+curere (‘courir vers’, ‘aller vite vers un but’). La préposition ad en latin était associée à un sens de Direction mais aussi de But22. Dufresne et Dupuis (2001 : 39) observent qu’en ancien français, le préfixe a-, lorsqu’il est combiné à une base verbale imperfective, ajoute, entre autres, l’idée de fin. Ainsi, un verbe dénotant une activité comme river (‘longer la rive’) se transforme en verbe dénotant un achèvement : ariver (‘mener à la rive’, ‘toucher à la rive’). Il s’ensuit que le préfixe a-, associé au verbe ‘accourir’, nous ramène à l’ambiguïté entre les interprétations de But et de Direction de la préposition latine ad- et, en même temps, à l’ambiguïté entre les interprétations de But et de Direction de la préposition italienne a dérivée de la préposition latine ad, (cf. (71)). 22 Le préfixe a- est associé à un sens de But avec d’autres verbes de mouvement, par exemple, le verbe atterrir et le néologisme alunir. 102 CHAPITRE II CONSIDÉRATIONS SUR L’(A)TÉLICITÉ, LA DIRECTION ET LA DÉRIVATION DES PHRASES INACCUSATIVES Autrement dit, en français et en italien, le préfixe a- du verbe ‘accourir’ semble être ambigu entre une interprétation de But et une interprétation de Direction et c’est pourquoi le verbe ‘accourir’ est compatible aussi bien avec la préposition télique ‘à’ qu’avec la préposition atélique ‘vers’. Dans cette optique, le préfixe a- contribue directement à l’interprétation sémantique du verbe lui-même. Néanmoins, la distinction entre les lectures télique et directionnelle de ‘accourir’ peut être dérivée plus finement de la façon dont on combine l’interprétation du complément (Locatif) avec celle du verbe. Supposons que le préfixe a- soit seulement directionnel. Dans cette hypothèse, si le verbe régit un complément locatif, on a une ambiguïté selon qu’on construit le Lieu comme l’aboutissement du mouvement (lecture télique), ou pas (lecture directionnelle/atélique). L’ambiguïté ne serait donc pas inhérente au préfixe et, selon cette analyse, la télicité n’est pas un trait lexical du verbe, mais un effet de la combinaison V+SP. II.7. Les verbes correre et courir : Le verbe correre n’est ni intrinsèquement télique ni intrinsèquement directionnel, ces deux composantes étant compositionnelles. Comme nous l’avons déjà observé dans la soussection II.6.2., le verbe correre sélectionne aussi bien l’auxiliaire essere que l’auxiliaire avere. Quand il sélectionne l’auxiliaire essere, il est associé à une interprétation télique et l’argument locatif marquant le But du mouvement doit être explicité pour que la phrase soit grammaticale : 103 CHAPITRE II CONSIDÉRATIONS SUR L’(A)TÉLICITÉ, LA DIRECTION ET LA DÉRIVATION DES PHRASES INACCUSATIVES (75) *Gianni è corso23. Lit. Jean est couru (76) *Gianni è corso in due minuti. Lit. Jean est couru en deux minutes *‘Jean a couru en deux minutes.’ (77) Gianni è corso nel parco (in due minuti)/*per due minuti. Lit. Jean est couru dans-le (= jusqu’au) parc en deux minutes/pendant deux minutes ‘Jean a couru jusqu’au parc en deux minutes/*pendant deux minutes.’ L’exemple en (76) montre qu’un contexte télique déclenché par l’adverbial ‘en x temps’ ne suffit pas à rendre la phrase grammaticale mais qu’il faut que le But du mouvement soit explicité (cf. (77)). L’adverbial ‘pendant x temps’ est évidemment incompatible avec (77) car la séquence auxiliaire+verbe dénote un mouvement télique et pas une activité. En revanche, l’adverbial ‘pendant x temps’ est compatible avec le verbe correre lorsqu’il sélectionne l’auxiliaire avere. Dans ce cas, correre est interprété comme un verbe dénotant une activité et l’élément locatif dénotant le lieu où se déroule l’événement peut être omis. L’adverbial télique ‘en x temps’ est évidemment incompatible avec l’interprétation dénotant une activité : (78) Gianni ha corso. ‘Jean a couru.’ (79) Gianni ha corso per due minuti. ‘Jean a couru pendant deux minutes.’ (80) Gianni ha corso (nel parco) (per due minuti)/*in due minuti. ‘Jean a couru dans le parc (= à l’intérieur du parc) pendant deux minutes/*en deux minutes.’ En français, le verbe courir ne manifeste pas d’alternance dans le choix de l’auxiliaire. À la différence de l’italien, en français, le verbe courir sélectionne l’auxiliaire avoir qu’il soit interprété comme prédicat télique ou comme prédicat d’activité (dans ce cas le SP locatif peut 23 Sorace (2000 : 883, note 31) donne l’exemple suivant : (i) Ho sentito un rumore terribile che veniva dalla cucina, sono corsa e ho visto i piatti rotti. ‘J’ai entendu un bruit terrible qui venait de la cuisine, je suis accourue et j’ai vu les assiettes cassées.’ L’exemple en (i) montre qu’avec l’auxiliaire essere, le complément But, s’il n’est pas explicité, doit être quand même récupérable anaphoriquement dans le contexte discursif. En effet, hors contexte, l’emploi de l’auxiliaire essere serait totalement agrammatical comme le montre la phrase en (75). 104 CHAPITRE II CONSIDÉRATIONS SUR L’(A)TÉLICITÉ, LA DIRECTION ET LA DÉRIVATION DES PHRASES INACCUSATIVES être omis comme avec le verbe correre en italien). Autrement dit, en français il n’y a pas d’alternance du type d’auxiliaire selon l’information aspectuelle donnée par le contexte. Toutefois, le rôle joué par le contexte permet de distinguer entre l’interprétation télique et l’interprétation atélique. Par exemple, selon le contexte créé, la phrase (81) peut avoir deux lectures différentes : (81) Jean a couru dans le parc. (82) Jean a vu un oiseau par la fenêtre et il a couru dans le parc pour l’attraper. (interprétation télique) (83) Pour préparer la compétition Jean a couru une heure dans le parc. (interprétation atélique) Si l’on ajoute les adverbiaux ‘en x temps’ ou ‘pendant x temps’ l’ambiguïté aspectuelle est levée : (84) Jean a couru dans le parc en un instant. (85) Jean a couru dans le parc pendant cinq minutes. (interprétation télique) (interprétation atélique) Étant donné que le verbe correre est un verbe compositionnellement directionnel, il s’ensuit qu’il est compatible avec une préposition atélique comme verso qui marque la direction d’un déplacement. Comme nous l’avons déjà observé dans la sous-section II.6.2., la préposition atélique verso est compatible aussi bien avec l’auxiliaire essere qu’avec l’auxiliaire avere : (86) Gianni è corso verso la spiaggia in due minuti/per due minuti. Lit. Jean est couru vers la plage en deux minutes/pendant deux minutes (87) Gianni ha corso verso la spiaggia *in due minuti/per due minuti. Lit. Jean a couru vers la plage en deux minutes/pendant deux minutes Comme le montre l’exemple en (86), la préposition directionnelle atélique verso est compatible avec l’auxiliaire essere et donc avec un contexte télique comme le montre l’emploi de l’adverbial télique in due minuti. Le SP verso la spiaggia dénote la direction du mouvement mais il ne spécifie pas le But du mouvement. Du moment que le point final du mouvement n’est pas spécifié, l’adverbial in due minuti peut être interprété seulement avec le 105 CHAPITRE II CONSIDÉRATIONS SUR L’(A)TÉLICITÉ, LA DIRECTION ET LA DÉRIVATION DES PHRASES INACCUSATIVES sens de ‘au bout de deux minutes’. Autrement dit, l’adverbial in due minuti dénote le temps nécessaire afin que l’événement dénoté par le verbe ‘courir’ commence. En (86), l’adverbial per due minuti n’est pas accepté par tous les locuteurs. Cela vient peut-être du fait que certains locuteurs voient une compatibilité aspectuelle entre l’adverbial atélique per due minuti et la préposition directionnelle atélique verso, tandis que d’autres ignorent cette compatibilité et associent l’auxiliaire essere à une interprétation télique qui est incompatible avec l’adverbial atélique per due minuti. Nous croyons que l’emploi de la préposition directionnelle atélique verso et de l’adverbial atélique per due minuti est compatible avec la sélection de l’auxiliaire essere pourvu que l’événement dénoté par le verbe correre soit interprété comme un processus « scalaire ». Autrement dit, le SP verso la spiaggia est compatible avec un événement qui dénote une approche graduelle du But du mouvement. Il s’ensuit donc que l’adverbial per due minuti en (86) dénote un intervalle temporel à l’intérieur d’une échelle directionnelle où l’aboutissement du point final se fait nécessairement par degrés. En revanche, en (87), le verbe correre dénote une activité et il est compatible seulement avec l’adverbial atélique per due minuti. En français aussi, l’adverbial ‘en x temps’ est compatible avec la préposition atélique vers et il a le sens de ‘au bout de x temps’ : (88) Jean a couru vers la plage en deux minutes/pendant deux minutes. Dans la prochaine section, nous décrirons en bref l’analyse de la structure argumentale du verbe correre proposée par Hoekstra et Mulder (1990). II.7.1. L’ambiguïté structurale du verbe correre (Hoekstra et Mulder (1990)) : Étant donné qu’en italien la sélection de l’auxiliaire essere distingue par hypothèse les verbes inaccusatifs des inergatifs, le verbe de mode de mouvement correre, qui sélectionne à la fois l’auxiliaire avere et l’auxiliaire essere, sélectionne deux structures syntaxiques différentes selon le type d’auxiliaire sélectionné. Quand il sélectionne l’auxiliaire avere il est interprété comme inergatif et dénote une activité, et quand il sélectionne l’auxiliaire essere il est interprété comme inaccusatif télique. Le caractère obligatoire ou optionnel d’un SP locatif a des répercussions sur la structure argumentale de ce verbe : 106 CHAPITRE II CONSIDÉRATIONS SUR L’(A)TÉLICITÉ, LA DIRECTION ET LA DÉRIVATION DES PHRASES INACCUSATIVES (89) Gianni è corso *(a casa). (inaccusatif) Lit. Jean est couru à (= jusqu’à) maison (90) Gianni ha corso (a casa). (inergatif) ‘Jean a couru à (= à l’intérieur de) la maison.’ Hoekstra et Mulder (1990) proposent une seule structure syntaxique qui expliquerait le comportement inergatif ou inaccusatif du verbe correre. L’idée de Hoekstra et Mulder est que le sujet de la phrase (89) n’est pas l’argument interne du verbe mais, plutôt, l’argument externe (le sujet) d’une phrase réduite ( « small clause » ), désormais SC, qui est le complément du verbe24. Ensuite, le SN sujet de la SC se déplace dans [spéc. SI], au-dessus de l’auxiliaire, pour recevoir le Cas nominatif. La configuration proposée par Hoekstra et Mulder est la suivante : (91) SNi SV[ V SC[ ti SPloc]] Giannii è corso SC[ ti a casa] Lit. Jean est couru à maison En revanche, en (90), où le verbe correre sélectionne l’auxiliaire avere, le SN sujet serait projeté en tant qu’argument externe du verbe et le SP locatif, interprété comme un ajout au SV. Hoekstra et Mulder supposent qu’en (90) le SP locatif est engendré dans une SC ajout au verbe et que le sujet de la SC est réalisé comme un PRO co-indicé avec l’argument externe (le sujet) du verbe correre25. La structure proposée par Hoekstra et Mulder pour analyser (90) est la suivante : (92) SNi SV[ V SC[ PROi SPloc]] Giannii ha corso (SC[ PROi a casa]) ‘Jean a couru à la maison.’ 24 En grammaire générative, les phrases réduites sont définies comme des prédications non verbales. Par exemple, dans la phrase : (i) Maigret croit SC[le chauffeur du taxi innocent] la séquence ‘le chauffeur du taxi innocent’ est interprétée comme une phrase à copule elliptique ‘le chauffeur du taxi (est) innocent’. La phrase réduite en (i) est donc formée de deux constituants : ‘le chauffeur du taxi’ qui est le sujet et l’adjectif ‘innocent’ qui est le prédicat de la SC. 25 Posant que toute phrase requiert un sujet pour être correctement interprétée, on postule un sujet implicite nommé PRO en l’absence d’un sujet visible. 107 CHAPITRE II CONSIDÉRATIONS SUR L’(A)TÉLICITÉ, LA DIRECTION ET LA DÉRIVATION DES PHRASES INACCUSATIVES Aussi bien en (89) qu’en (90) le sujet est engendré comme argument externe mais, en (89), contrairement à ce qu’on a en (90), le sujet est engendré comme l’argument externe d’une SC qui est interprétée comme l’argument interne du verbe. Comme l’observent Benincà et Cinque (1992 : 159), l’analyse élaborée par Hoekstra et Mulder permet de résoudre « l’apparente violation du Principe de Projection [, c’est-à-dire que] le même argument du verbe peut être en fait projeté soit de façon externe (ce qui est visible quand l’auxiliaire est avere) soit de façon interne (on le voit quand l’auxiliaire est essere) ». En effet, cette violation « est résolue si on suppose que le cas où l’argument semble projeté de façon interne est seulement apparent […] le sujet de surface […] vient en fait de la position sujet d’une phrase réduite qui est complément du verbe ». II.8. Récapitulation : Nous avons observé que le verbe correre n’est doué ni d’une direction ni d’une télicité intrinsèque. Autrement dit, correre est directionnel ou télique de façon compositionnelle. Quand il sélectionne l’auxiliaire essere il est associé à une interprétation télique et il est nécessaire d’expliciter un SP dénotant le But ou la Direction du mouvement afin d’obtenir une phrase grammaticale (*Gianni è corso in due minuti ; √Gianni è corso a casa/verso la spiaggia in due minuti). La même chose s’observe en français avec le verbe courir. Même si courir sélectionne seulement l’auxiliaire avoir, quand il est associé à l’adverbial télique ‘en x temps’, il requiert que le But ou la Direction du mouvement soit explicité (*Jean a couru en deux minutes ; √Jean a couru à la maison/vers la plage en deux minutes)26. Tout comme le verbe correre, les verbes salire et scendere sont compositionnellement téliques (cf. la sous-section II.3.1.) mais, à la différence du verbe correre, ils sont intrinsèquement directionnels. En outre, nous avons observé que les verbes salire et scendere sont compatibles avec l’adverbial ‘en x temps’ sans que le But du mouvement soit nécessairement explicité (Gianni è salito/sceso in due minuti). La même chose s’observe en français (Jean est monté/descendu en deux minutes). Une analyse plus approfondie des verbes ‘monter’ et ‘descendre’ et de leur compatibilité avec les adverbiaux ‘en haut/vers le haut’ et ‘en bas/vers le bas’ nous a montré qu’en italien les adverbiaux su et giù peuvent être associés 26 La phrase en (i) est interprétable pourvu qu’un C.O.D. soit sous-entendu et que le contexte interprétatif soit récupérable à partir du discours : (i) a. Jean a couru (le marathon) en une heure. b. Gianni ha corso (la maratona) in un’ora. 108 CHAPITRE II CONSIDÉRATIONS SUR L’(A)TÉLICITÉ, LA DIRECTION ET LA DÉRIVATION DES PHRASES INACCUSATIVES à une lecture directionnelle, tandis que cette lecture est exclue en français avec les adverbiaux en haut et en bas. En résumé, les verbes que nous avons analysés dans les première et deuxième parties de ce chapitre ont montré des caractéristiques particulières par rapport aux paramètres aspectuels de l’(a)télicité et de la direction. Dans la troisième partie de ce chapitre, nous reviendrons sur l’Hypothèse Inaccusative telle qu’elle a été formulée par Burzio (1981, 1986) et nous proposerons notre formulation de la notion d’inaccusativité. Plus précisément, nous nous pencherons sur les propriétés thématiques et aspectuelles qui contribuent, à notre avis, à étiqueter un verbe comme inaccusatif. En outre, nous proposerons notre analyse syntaxique des verbes inaccusatifs de changement de lieu exploitant l’hypothèse de la ‘coquille SV’ ( « VP shell » ) élaborée d’abord par Larson (1988) et ensuite remaniée par Hale et Keyser (1993). Troisième partie : la dérivation des phrases inaccusatives Dans les sections I.15. et I.16., nous avons observé que dans les théories de la Grammaire Relationnelle et du Gouvernement et Liage, les verbes inaccusatifs sont considérés comme des verbes à montée : il est supposé que leur unique argument est engendré dans la structure profonde comme un argument interne (objet) et, qu’au cours de la dérivation syntaxique de la phrase, il se déplace dans la position de l’argument externe (sujet) dans [spéc. SI]. Les verbes inaccusatifs ont été décrits aussi comme des verbes intransitifs téliques dont le sujet est nonagentif (cf. Legendre et Sorace (2003), entre autres). Arad (1998) essaye de formuler une généralisation concernant les verbes inaccusatifs sur la base de la notion d’évaluateur ( « measurer » ) de l’événement élaborée par Tenny (1994 : 63). Nous introduirons en bref cidessous la notion d’évaluateur de l’événement telle qu’elle a été formulée par Tenny. II.9. La notion de « measurer » (Tenny (1994)) : Tenny (1994 : 11) formule un principe appelé Contrainte sur les arguments internes capables de mesurer l’événement ( « Measuring-Out Constraint on Direct Internal Argument » ) qui pose que : 109 CHAPITRE II CONSIDÉRATIONS SUR L’(A)TÉLICITÉ, LA DIRECTION ET LA DÉRIVATION DES PHRASES INACCUSATIVES 1) L’argument interne direct d’un verbe […] [peut subir] un déplacement ou un changement qui « mesure l’événement » temporellement (où mesurer signifie jouer un rôle particulier dans la délimitation de l’événement). 2) Les arguments internes directs sont les seuls qui peuvent mesurer l’événement. 3) Il ne peut y avoir plus d’une mesure pour un événement27. Dans la théorie thématique, habituellement, on appelle Thème le rôle thématique de l’entité qui subit un changement de lieu ou un changement d’état, mais dans l’analyse de type événementiel adoptée par Tenny cette entité est appelée évaluateur. Plus précisément, selon l’analyse de Tenny, un évaluateur est l’entité qui nous permet d’évaluer l’état d’avancement de l’événement. Selon Tenny (1994 : 63), le sujet des verbes inaccusatifs est un évaluateur car il est impliqué dans le processus dénoté par le verbe à la manière des objets, qui sont engendrés en tant qu’arguments internes. Néanmoins, tous les objets ne s’interprètent pas comme des évaluateurs. La notion d’ « affectedness » élaborée par Tenny (1994 : 157-158) est à la base de la notion d’évaluateur. Plus précisément, un objet est défini en tant qu’évaluateur s’il est affecté par l’événement. Ainsi, l’objet de la phrase (93) est affecté par l’événement, tandis que l’objet de la phrase (94) ne l’est pas car un verbe statique comme ‘connaître’ n’est pas capable de modifier la nature intrinsèque de l’objet. Il s’ensuit donc que le SN pomme en (93) est un évaluateur, tandis que le SN réponse en (94) ne l’est pas : (93) Jean a mangé une pomme. (94) Jean connaît la réponse. II.10. L’inaccusativité et les traits [-agentif] et [±télique] (Arad (1998)) : Posant que le sujet des verbes inaccusatifs est engendré comme un argument interne (objet) et que tous les objets ne s’interprètent pas comme des évaluateurs (comparer (93) avec (94)), Arad (1998 : 16) formule la généralisation suivante : ‘s’il y a des objets qui ne sont pas des évaluateurs (l’interprétation étant donc atélique), rien ne devrait interdire des inaccusatifs 27 La traduction de Tenny (1994) est empruntée de Asnes (2004 : 138). 110 CHAPITRE II CONSIDÉRATIONS SUR L’(A)TÉLICITÉ, LA DIRECTION ET LA DÉRIVATION DES PHRASES INACCUSATIVES […] atéliques’28. Arad donne comme exemples de verbes atéliques les verbes ‘monter’, ‘descendre’ et ‘tomber’ que nous avons analysés dans la section II.3. (cf. aussi Levin et Rappaport-Hovav (1995) pour une liste plus détaillée de ces verbes). Selon Arad, à la classe des verbes inaccusatifs peuvent donc appartenir aussi bien des verbes téliques que des verbes atéliques. Arad soutient aussi que les verbes inaccusatifs partagent tous la propriété que leur sujet n’est jamais associé au thêta-rôle Agent. En effet, dans l’optique de l’Hypothèse Inaccusative, le sujet d’un verbe inaccusatif n’est pas engendré dans la position structurale où cette interprétation est disponible (la position de l’argument externe). En ce qui concerne la valeur agentive ou non-agentive associée au sujet, dans la section I.17., nous avons défendu l’idée que le sujet des verbes de changement de lieu dénotant un achèvement comme ‘arriver’ et ‘partir’ peut être associé à une interprétation agentive. Pour être compatible avec cette interprétation, un sujet doit être pourvu du trait [+animé]. Toutefois, ce trait n’est pas suffisant pour déclencher l’interprétation agentive : il faut aussi que le trait [+animé] soit associé au trait [+intentionnel] (cf. Arad (1998) et les références citées dans ce texte). Considérons les exemples suivants : (95) a. Le printemps est arrivé. b. Le métro est arrivé en retard. c. Le train est déjà parti. (96) Jean est arrivé/parti à huit heures. Dans les exemples ci-dessus, le verbe ‘arriver’ tout comme le verbe ‘partir’ est compatible avec un sujet pourvu du trait [-animé] et, corrélativement, du trait [-intentionnel] (comparer (95) avec (96)). Pustejovsky (1991) définit les phrases en (95) comme des transitions inaccusatives non agentives et les phrases en (96) comme des transitions inaccusatives agentives. Dans cette optique, on peut supposer qu’en (95) et (96) l’agentivité n’est pas assignée au sujet par les verbes ‘arriver’ et ‘partir’ mais qu’elle dépend du trait [+intentionnel] associé au sujet pour 28 « if there are objects which are not measurers (and therefore atelic), there is nothing preventing unaccusative verbs from having their arguments generated at the object position, and denote atelic events » (Arad (1998 : 16)). 111 CHAPITRE II CONSIDÉRATIONS SUR L’(A)TÉLICITÉ, LA DIRECTION ET LA DÉRIVATION DES PHRASES INACCUSATIVES des raisons indépendantes. Autrement dit, les exemples (95) et (96) montrent que l’intentionnalité n’est pas un effet du contenu du prédicat29. Arad (1998 : 3) observe que la notion d’agentivité est généralement associée au trait [+intentionnel] mais que la notion d’intentionnalité n’ajoute rien du tout à la notion d’agentivité30. Dans l’optique de Arad, le trait [+intentionnel] est associé au sujet pour des raisons indépendantes de la syntaxe du verbe et il est en quelque sorte lié à la notion de ‘cause’ ( « originator » ). Dans la prochaine section, nous aborderons la théorie de Reinhart et Siloni (2005) qui décompose la notion d’agentivité en deux traits indépendants [±c] (‘cause’) et [±m] (‘état mental’, anglais « mental state » ). En adoptant la décomposition de Reinhart et Siloni, nous parviendrons à une description plus fine du rapport entre les thêta-rôles et la structure argumentale des verbes inaccusatifs. II.11. Les traits [±c] et [±m] (Reinhart et Siloni (2005)) : Reinhart et Siloni (2005) décomposent les rôles thématiques en traits binaires [±c] (cause du changement : l’argument [+c] met un processus en branle) et [±m] (état mental, c’est-àdire activation d’une conscience). Le traits binaires [±c] et [±m] donnent lieu aux combinaisons suivantes : - [+c, +m] (agent intentionnel, thêta-rôle Agent) - [–c, –m] (thêta-rôle Thème) - [+c, –m] (thêta-rôle Cause) 29 Haiden (2007 : 158-159) observe qu’en allemand l’intentionnalité du sujet n’est pas spécifiée par l’entrée lexicale du verbe transitif bekommen (‘recevoir’) : (i) Hans hat ein Buch bekommen. Lit. Hans a un livre reçu ‘Hans a reçu un livre.’ En (i) le verbe assigne le rôle But à son sujet qui est donc affecté dans le sens où il est le point final d’une trajectoire. Haiden observe que le sujet Hans peut être interprété comme un sujet intentionnel (Hans peut avoir commandé le livre) mais que cette interprétation n’est pas nécessaire. La même chose s’observe en français et en italien avec le verbe ‘recevoir’. Comme nous le verrons dans les pages suivantes (cf. infra), dans l’optique de Reinhart et Siloni (2005) l’interprétation non intentionnelle est associée au faisceau de traits [-c, +m], tandis que l’interprétation intentionnelle est associée au faisceau de traits [+c, +m]. Comme me l’a fait observer Anne Zribi-Hertz (c.p.), l’intentionnalité peut être un effet du contenu du prédicat. Par exemple, en (ii) le sujet est [-intentionnel], tandis qu’en (iii) le sujet est [+intentionnel] : (ii) Marie croit que Jean va partir. (iii) Marie a critiqué son frère. 30 Voir à ce propos aussi Haiden (2007) et les références citées dans ce texte. 112 CHAPITRE II CONSIDÉRATIONS SUR L’(A)TÉLICITÉ, LA DIRECTION ET LA DÉRIVATION DES PHRASES INACCUSATIVES - [–c, +m] (thêta-rôle Expérient) Voici deux exemples tirés de Reinhart et Siloni (2005) : (97) a. Le vent/Jean a cassé la branche. (Reinhart et Siloni (2005 : 418 (64a,b))) b. La branche s’est cassée. (98) a. Le bruit/Jean a fâché Pierre. (Reinhart et Siloni (2005 : 418 (65a,b))) b. Pierre s’est fâché. Les phrases (97a) et (98a) sont des constructions transitives-causatives. En (97a), le SN le vent est une Cause [+c, –m], le SN Jean est un Agent [+c, +m] et le C.O.D. branche un Thème [–c, –m], tandis qu’en (97b), la Cause a été supprimée et le sujet est interprété comme un Thème. En (98a), le SN le bruit est une Cause [+c, –m], le SN Jean est un Agent [+c, +m] et le C.O.D. Pierre est un Expérient [–c, +m], tandis qu’en (98b) la Cause a été supprimée et le sujet est interprété comme un Expérient. Dans l’optique de l’Hypothèse Inaccusative (cf. la section I.16.), les verbes inaccusatifs sélectionnent un unique argument interne qui ne peut pas être associé au thêta-rôle Agent, puisque l’Agent n’est jamais un thêta-rôle interne. Or, le trait [+m] peut être assigné à un argument interne (cf. (98a)). C’est le rôle [+c] qui ne peut pas être interne. Si on traduit le raisonnement de Perlmutter (1978) et Burzio (1981, 1986) (cf. les sections I.15. et I.16.) concernant la structure argumentale des verbes inaccusatifs dans les termes de Reinhart et Siloni (2005), on arrive donc à formuler l’hypothèse suivante : l’argument d’un verbe inaccusatif ne peut pas être associé au trait [+c]. Autrement dit, les verbes inaccusatifs n’assignent pas le rôle [+c] à leur argument car leur argument est interne. Il s’ensuit donc que le trait [+c] ne peut être assigné qu’à un argument externe. II.11.1. L’Hypothèse Inaccusative et les traits [±c] et [±m] : Nous avons observé que la notion d’intentionnalité n’apporte rien de plus à la notion d’agentivité et que ces deux notions sont donc analogues. Nous avons aussi proposé que la compatibilité des verbes inaccusatifs ‘arriver’ et ‘partir’ avec des sujets [-animés] et donc [intentionnels] montre que l’intentionnalité/l’agentivité n’est pas un effet du contenu du prédicat. Ce que nous voudrions montrer dans ce qui suit est que les verbes ‘arriver’, ‘partir’, 113 CHAPITRE II CONSIDÉRATIONS SUR L’(A)TÉLICITÉ, LA DIRECTION ET LA DÉRIVATION DES PHRASES INACCUSATIVES ‘entrer’, ‘sortir’ et ‘tomber’ n’assignent pas à leur argument le trait [+c]. En outre, nous voudrions montrer que des adverbiaux du type ‘délibérément’, ‘exprès’, etc. ne testent pas la combinaison [+c, +m] avec le sujet des verbes ‘arriver’, ‘partir’, ‘entrer’, ‘sortir’ et ‘tomber’. Nous avons déjà observé dans la section I.7.3. que les verbes ‘arriver’ et ‘partir’ peuvent être associés à une interprétation d’état résultant ou d’état (cf. ‘Jean est arrivé’ (= est là)’, ‘Jean est parti (= est absent)’). La même chose s’observe avec les verbes ‘entrer’, ‘sortir’ et ‘tomber’ (cf. ‘Jean est entré (= est dedans)’, ‘Jean est sorti (= est dehors)’), (cf. ‘Jean est tombé (= est à terre)’). Dans ce cas, ces phrases sont interprétées comme des phrases statives où les éléments prédicatifs sont, respectivement, l’adverbe ‘là’, l’adjectif ‘absent’, les adverbes ‘dedans’ et ‘dehors’ (ou leurs synonymes), l’expression locative ‘à terre’. L’interprétation d’état résultant ou d’état implique une interprétation non agentive du sujet de ces verbes. Il s’ensuit donc que dans ce cas le sujet de ces verbes est un Thème et il n’a ni le trait [+c], ni le trait [+m]. Cependant, ces verbes sont compatibles avec une proposition infinitive finale ou un adverbial du type ‘exprès’, ‘délibérément’, etc. qui véhiculent une valeur sémantique agentive : (99) a. Jeank est arrivé pour PROk embêter Marie. b. Jeank est entré pour PROk embêter Marie. c. Jeank est parti pour PROk rejoindre sa mère en Iraq. d. Jeank est sorti pour PROk acheter des cadeaux. e. Jeank est tombé pour PROk attirer l’attention du public. f. Jeank est venu pour PROk faire visite à sa grand-mère. g. Jeank est allé à la piscine pour PROk rencontrer ses amis. (100) a. Jean est délibérément arrivé au milieu de la réunion. b. Jean est délibérément entré dans la cuisine. c. Jean est délibérément parti pour l’Iraq. d. Jean est délibérément sorti dans la cour. e. Jean est délibérément tombé pour attirer l’attention. f. Jean est délibérément venu chez nous. g. Jean est délibérément allé à la piscine. 114 CHAPITRE II CONSIDÉRATIONS SUR L’(A)TÉLICITÉ, LA DIRECTION ET LA DÉRIVATION DES PHRASES INACCUSATIVES Dans les exemples en (99), nous supposons que les traits [+c] et [+m] sont associés au sujet PRO de la proposition infinitive finale et que l’intentionnalité perçue n’est pas un effet du contenu sémantique du verbe inaccusatif mais plutôt du prédicat de la phrase infinitive finale qui assigne les traits [+c] et [+m] à son sujet PRO co-indicé avec le SN Jean. En revanche, nous supposons qu’en (100) l’adverbial de volonté ‘délibérément’ contribue à donner au sujet une interprétation agentive mais il n’est pas impliqué dans l’assignation du thêta-rôle Agent au sujet. Dans la terminologie de Reinhart et Siloni, le thêta-rôle Agent est décomposable dans les traits [+c, +m] qui sont assignés par le prédicat à son sujet. D’après l’Hypothèse Inaccusative, le sujet des verbes inaccusatifs n’a pas le trait [+c] car il est engendré comme un argument interne. Il s’ensuit donc que l’agentivité/intentionnalité associée au sujet des verbes en (100) n’est pas un effet du contenu sémantique de ces verbes mais qu’il s’agit plutôt d’un effet de l’adverbial ‘délibérément’. À partir de ces observations, nous croyons qu’il faut distinguer entre l’interprétation agentive et le thêta-rôle Agent. Le thêta-rôle Agent est assigné par le verbe à son sujet si celuici occupe la position structurale où cette interprétation est disponible (la position de l’argument externe). Il s’ensuit donc qu’une fois qu’un SN est associé au thêta-rôle Agent, il est associé à une interprétation agentive. Étant donné que le sujet des verbes inaccusatifs n’a pas le trait [+c] car il est engendré comme un argument interne, nous supposons que le sujet de ces verbes peut être associé à une interprétation agentive/intentionnelle mais qu’il n’est pas associé au thêta-rôle Agent. Autrement dit, les données considérées en (99) et (100) restent compatibles avec l’analyse inaccusative des verbes du type ‘arriver’, etc. Si leur argument semble être interprété comme intentionnel, cette propriété est héritée du sujet PRO que l’argument inaccusatif contrôle (cf. (99)) ou de l’adverbe de volonté ‘délibérément’ (cf. (100))31. 31 Un problème, cependant, pourrait être que l’effet intentionnel associé à l’argument [+animé] des verbes ‘sortir’, ‘venir’, ‘entrer’, ‘partir’, ‘monter’ et ‘descendre’ (notamment) n’a pas besoin d’une phrase finale ou de l’adverbe ‘délibérément’ pour être compris comme intentionnel : (i) Pierre est parti. suggère que Pierre a changé de position délibérément (sauf quand on emploie le verbe ‘partir’ pour ‘mourir’). Les verbes dits inaccusatifs sont variables de ce point de vue : (ii) Pierre est tombé. s’interprète plutôt comme non intentionnel, tandis que (iii) Pierre est sorti. s’interprète plutôt comme intentionnel. Les verbes inaccusatifs ‘mourir’ et ‘naître’ sont non intentionnels. Toutes ces variations suggèrent que le paramètre de l’intentionnalité au regard de ces verbes devrait être analysé d’une façon plus fine. Faute d’espace, nous laissons ce sujet en suspens. 115 CHAPITRE II CONSIDÉRATIONS SUR L’(A)TÉLICITÉ, LA DIRECTION ET LA DÉRIVATION DES PHRASES INACCUSATIVES Dans l’analyse syntaxique des verbes inaccusatifs que nous allons adopter, le sujet de ces verbes est engendré dans la position structurale où le thêta-rôle Agent ne peut pas être assigné, à savoir la position de l’argument interne. Autrement dit, nous adhérons à l’Hypothèse Inaccusative classique selon laquelle le sujet des verbes inaccusatifs est engendré comme un argument interne. Sur la base de ces observations, nous élaborerons notre hypothèse selon laquelle les verbes inaccusatifs n’assignent pas le rôle [+c] à leur argument mais projettent une Cause externe. Avant de proposer notre analyse des verbes inaccusatifs, nous nous pencherons sur l’analyse événementielle de ces verbes proposée par Pustejovsky (1991). Certaines observations nous seront ensuite utiles pour décrire le cadre syntaxique dans lequel nous proposons d’engendrer les verbes inaccusatifs. II.12. Les verbes inaccusatifs, la notion de transition et le trait [+c] : Pustejosky (1991 : 75-76) définit les verbes inaccusatifs comme des transitions impliquant une opposition prédicative. Autrement dit, selon Pustejovsky, une transition est associée à deux sous-événements : <e1> (événement initial ou cause qui déclenche la transition) et <e2> (événement final ou état résultant de la transition). Pustejovsky observe que les notions de Cause et d’Agent sont en quelque sorte associées au sous-événement initial <e1> de la structure événementielle’32. En particulier, il suppose l’existence d’un participant causatif ou agentif associé à la position <e1>. Selon Pustejovsky ce participant causatif ou agentif est engendré dans la position argumentale externe de la structure événementielle du verbe mais il n’est pas projeté en syntaxe. Dans ce qui suit nous avancerons l’hypothèse d’une interaction entre l’événement et la structure argumentale. 32 « […], that the notions of causer and agent are somehow associated with the initial subevent of an event structure » (Pustejovsky (1991 : 75)). Comme me l’a fait remarquer Anne Zribi-Hertz (c.p.), la notion de transition définie par Pustejovsky est synonyme de ce que Reinhart et Siloni (2005) appellent le trait [+c]. La formulation de Reinhart et Siloni est toutefois plus précise parce qu’au lieu de juxtaposer en vrac la notion de Cause et d’Agent, comme le fait Pustejovsky, elle distingue explicitement les traits [c] (= transition/cause) et [m] (= état mental/agent). 116 CHAPITRE II CONSIDÉRATIONS SUR L’(A)TÉLICITÉ, LA DIRECTION ET LA DÉRIVATION DES PHRASES INACCUSATIVES II.12.1. L’expression de l’événement et la structure argumentale : Nous rappelons ci-dessous (cf. aussi la section I.11.) la structure à double SV de Hale et Keyser (1993) où les projections SA et SP dénotant, respectivement, le telos du changement d’état et de lieu sont remplacées par la projection SvR dénotant l’état résultant du changement (cf. Folli (2001)) : (101) Sv v’ SV CAUSE V’ SvR TRANSITION vR’ SX ETAT Posant que les verbes inaccusatifs dénotent des transitions (cf. Pustejovsky (1991)) et que la structure à double SV décrit un changement d’état ou de lieu impliquant un enchaînement transitionnel composé de trois phases différentes (CAUSE/TRANSITION/ÉTAT), on serait conduit à admettre que les verbes inaccusatifs de changement de lieu tels que ‘arriver’, ‘partir’, ‘entrer’ et ‘sortir’ sont engendrés dans un SV dénotant une transition à l’intérieur d’une structure syntaxique à double SV comme celle en (101). Supposons que tel soit le cas. 117 CHAPITRE II CONSIDÉRATIONS SUR L’(A)TÉLICITÉ, LA DIRECTION ET LA DÉRIVATION DES PHRASES INACCUSATIVES Cette analyse entraîne cependant un problème important concernant la projection d’un syntagme verbal causatif (Sv) au-dessus de SV. Les verbes ‘arriver’, ‘partir’, ‘entrer’ et ‘sortir’, en tant que verbes intransitifs, ne projettent pas une projection causative Sv, mais sont des projections verbales simples (des SV) (cf. Chomsky (1995 : 316))33. Supposons maintenant qu’une Cause déclenche ces événements mais qu’elle ne soit pas projetée au niveau syntaxique, comme le soutient Pustejovsky. Dans cette optique, le sujet des verbes ‘arriver’, ‘partir’, ‘entrer’ et ‘sortir’ dans [spéc. SV] est interprété comme un Thème, ([-c, -m] dans les termes de Reinhart et Siloni (2005)). Autrement dit, l’hypothèse que nous voudrions avancer ici est que les verbes inaccusatifs de changement de lieu du type ‘arriver’ sont engendrés à l’intérieur d’une structure à double SV qui a été tronquée, c’est-à-dire dépouillée de sa projection causative Sv et qu’une Cause qui déclenche l’événement est présente mais qu’elle n’est pas projetée en syntaxe. En effet, la projection d’une Cause au niveau syntaxique contreviendrait à l’Hypothèse Inaccusative qui pose que les verbes inaccusatifs sélectionnent un seul argument interne (sujet) et, par conséquent, qu’ils ne peuvent pas projeter un argument externe Sv. Dans l’optique de l’Hypothèse Inaccusative, nous avons soutenu que le trait [+c] ne fait pas partie de l’entrée lexicale des verbes ‘arriver’, ‘partir’, ‘sortir’, ‘entrer’ et ‘tomber’ et que le sujet de ces verbes est interprété comme un Thème car il est engendré dans la position [spéc. SV] à l’intérieur d’une structure à double SV qui a été tronquée. En tant que Thème, le sujet de ces verbes est interprété comme un évaluateur de l’événement car il subit un déplacement. Demirdache et Uribe-Etxebarria (2002 : 35) ont adapté la structure syntaxique complexe à double SV de Hale et Keyser (1993) à une structure événementielle complexe 34: 33 La projection Sv dénotant la causalité n’est projetée qu’avec un verbe transitif dont l’objet est affecté intrinsèquement par l’événement (cf. (93)). 34 Cf. Demirdache et Uribe-Etxebarria (2002) pour plus de détails sur la structure événementielle Ev1 et Ev2. 118 CHAPITRE II CONSIDÉRATIONS SUR L’(A)TÉLICITÉ, LA DIRECTION ET LA DÉRIVATION DES PHRASES INACCUSATIVES (102) SV1 EV1 SV1 SV2 V° EV2 SV2 On pourrait envisager qu’à l’intérieur de la structure en (102), le sujet du verbe inaccusatif occupe la position [spéc. SV2], tandis qu’en [spéc. SV1] est engendrée la Cause qui déclenche le déplacement subit par l’objet (c’est-à-dire le sujet du verbe inaccusatif). Autrement dit, les verbes du type ‘arriver’ pourraient être associés à une structure comme celle en (102) où [spéc. SV1] contient la Cause non explicitée et V° contient un verbe causatif (du tipe ‘faire’ non explicité). Cette idée est pour beaucoup d’aspects très semblable à celle proposée par Kayne (2008) qui suppose que des phrases comme : (103) La nave è affondata ieri. (Kayne (2008 : 7 (46))) (104) Le bateau a coulé hier. (Kayne (2008 : 7 (47))) contiennent une cause non réalisée phonologiquement ( « silent causer » ) et un verbe causatif non réalisé phonologiquement ( « silent causative verb » ) du type ‘faire’ : (105) La nave è FATTA affondata ieri. (Kayne (2008 : 14 (76))) (106) Le bateau a FAIT coulé hier. (Kayne (2008 : 14 (77))) En ce qui concerne les verbes inaccusatifs tels que ‘arriver’, ‘partir’, ‘sortir’, ‘entrer’ et ‘tomber’, nous supposons que le changement de lieu décrit par ces verbes est déclenché par 119 CHAPITRE II CONSIDÉRATIONS SUR L’(A)TÉLICITÉ, LA DIRECTION ET LA DÉRIVATION DES PHRASES INACCUSATIVES une Cause qui n’est réalisée ni phonologiquement ni syntaxiquement. En fait, la présence d’une Cause dans l’expression de l’événement permet d’interpréter le sujet de ces verbes comme un Thème, tout comme affirme l’Hypothèse Inaccusative. Dans l’optique de l’Hypothèse Inaccusative, les verbes inaccusatifs sélectionnent un seul argument interne où est engendré le sujet. On s’attendrait donc à l’incompatibilité des constructions causatives avec les verbes inaccusatifs. Néanmoins, cette prédiction n’est pas correcte car les verbes inaccusatifs sont compatibles avec des constructions causatives du type ‘faire’ : (107) a. Carlo fece arrivare Maria in ritardo. (Sanfilippo (1995 : 189 (26a))) b. Charles a fait arriver Marie en retard. En (107), le SN Maria est le sujet du verbe arrivare et il est engendré dans la position de l’argument interne de la phrase subordonnée, tandis que le SN Carlo est le sujet causatif associé au verbe fare (‘faire’). Dans le but de trouver une analyse qui permette d’interpréter le sujet des verbes inaccusatifs comme un Thème ([-c, -m]), nous proposons que les verbes inaccusatifs sont engendrés à l’intérieur d’une structure causative tronquée, c’est-à-dire dépouillée de sa projection causative Sv (cf. supra). Dans l’optique de Kayne (2008), nous proposons d’étendre l’analyse des phrases en (105) et en (106) aux phrases en (108) qui contiennent, par hypothèse, une cause non réalisée phonologiquement ( « silent causer » ) et un verbe causatif non réalisé phonologiquement ( « silent causative verb » ) du type ‘faire’ : (108) Marie est arrivée/partie. (109) Marie est FAIT arrivée/partie. En effet, il est possible de dériver une phrase comme ‘Marie est arrivée en retard’ (cf. (110)) à partir d’une phrase comme (107b) : (110) Charles a fait arriver Marie en retard. 120 Marie est arrivée en retard. CHAPITRE II CONSIDÉRATIONS SUR L’(A)TÉLICITÉ, LA DIRECTION ET LA DÉRIVATION DES PHRASES INACCUSATIVES II.12.2. Le sujet des verbes inaccusatifs et la combinaison de traits [-c, -m] : Haiden (2007 : 178) observe que « si la dénotation de l’entrée lexicale d’un verbe requiert la présence d’un participant à un événement qui est soit poussé, soit touché par un autre objet, ou qui subit un changement, alors le verbe assigne le trait [-c]. En revanche, si la dénotation de l’entrée lexicale d’un verbe requiert la présence d’un participant à un événement qui pousse, touche ou change un autre objet, ou qui se déplace ou change de manière indépendante, alors ce verbe assigne le trait [+c] ». Le sujet des verbes tels que ‘arriver’, ‘partir’, ‘sortir’, ‘entrer’ et ‘tomber’ n’est pas affecté par un changement d’état mais subit un déplacement. En ce sens, dans les exemples ci-dessous, le SN Jean est un évaluateur de l’événement car, même s’il n’acquiert aucune propriété ou qualité, contrairement au sujet des verbes de changement d’état, il mesure la transition du point initial au point final du changement de lieu dénoté par le verbe. Autrement dit, dans les paires ci-dessous, la vérité de la proposition A à gauche implique nécessairement celle de la proposition B à droite à un certain moment postérieur à l’événement dénoté par A, mais pas forcément au moment de l’énonciation : (111) a. Jean est arrivé à Rome. b. Jean est entré dans la salle. c. Jean est sorti de la salle. Jean est à Rome. Jean est dans la salle. Jean se trouve dans un lieu autre que la salle/Jean est hors de la salle. d. Jean est parti de Rome. e. Jean est tombé. Jean n’est plus à Rome/Jean est absent (de Rome). Jean est par terre/sur la pelouse, etc. Du moment que la vérité de la proposition A à gauche implique nécessairement celle de la proposition B à droite (A B), il s’ensuit que la spécification du trait [c] dans les verbes en (111) est [-c]. Étant donné que les propositions (B) sont des phrases prédicatives où le sujet est interprété comme un évaluateur de l’événement, il s’ensuit que le SN sujet Jean est associé aux traits [-c, -m], c’est-à-dire au thêta-rôle Thème. L’emploi d’un adverbe ponctuel tel que ‘hier’ ou d’une expression ponctuelle telle que ‘à trois heures’ implique une interprétation perfective du passé composé (cf. la section I.7.). L’interprétation perfective du passé composé est compatible avec l’interprétation Thème [-c, m] du sujet comme le montrent les exemples ci-dessous. En fait, en (112), la vérité de la 121 CHAPITRE II CONSIDÉRATIONS SUR L’(A)TÉLICITÉ, LA DIRECTION ET LA DÉRIVATION DES PHRASES INACCUSATIVES proposition A à gauche implique nécessairement celle de la proposition B à droite (A B) : (112) a. Jean est arrivé à Rome hier/à trois heures. Jean était à Rome hier/à trois heures. b. Jean est entré dans la salle hier/à trois heures. Jean était dans la salle hier/à trois heures. c. Jean est sorti de la salle hier/à trois heures. Jean se trouvait dans un lieu autre que la salle hier/à trois heures/Jean était hors de la salle hier/à trois heures. d. Jean est parti de Rome hier/à trois heures. Jean n’était plus à Rome hier/à trois heures/Jean était absent (de Rome) hier/à trois heures. e. Jean est tombé hier/à trois heures. Jean était par terre/sur la pelouse hier/à trois heures. Les exemples en (111) et (112) prouvent que le sujet des verbes ‘arriver’, ‘partir’, ‘sortir’, ‘entrer’ et ‘tomber’ n’a ni le trait [+c], ni le trait [+m], que l’interprétation dénote un état résultant, un état ou qu’elle soit perfective. En outre, comme nous l’avons soutenu pour les phrases en (99) et (100) (cf. la sous-section II.12.1.) la présence d’une proposition finale ou d’un adverbial du type ‘exprès’, ‘délibérément’, etc. ne prouve pas que le sujet de ces verbes soit associé au faisceau de traits [+c, +m]. En résumé, il nous semble pouvoir affirmer que des contextes explicitement intentionnels ou perfectifs ne prouvent pas que ces verbes assignent à leur argument le faisceau de traits [+c, +m]. II.12.3. Récapitulation : Dans les sections précédentes, nous avons défini les verbes inaccusatifs comme des verbes à matrice lexicale [±télique] dont le sujet est associé au thêta-rôle Thème ([-c, -m] dans l’optique de Reinhart et Siloni (2005)). Nous avons proposé que la compatibilité des verbes inaccusatifs ‘arriver’ et ‘partir’ avec des sujets [-animés] et donc [-intentionnels] montre que l’intentionnalité/l’agentivité n’est pas un effet du contenu du prédicat. En outre, nous avons supposé que la présence d’une proposition finale ou d’un adverbial de volonté du type ‘exprès’, ‘délibérément’, etc. ne prouve pas que le sujet de ces verbes soit associé au thêtarôle Agent ([+c, +m] dans l’optique de Reinhart et Siloni (2005)). Plus précisément, nous 122 CHAPITRE II CONSIDÉRATIONS SUR L’(A)TÉLICITÉ, LA DIRECTION ET LA DÉRIVATION DES PHRASES INACCUSATIVES avons soutenu que les traits [+c] et [+m] sont associés au sujet PRO de la proposition infinitive finale et que l’intentionnalité perçue est un effet du contenu sémantique du prédicat de la phrase infinitive finale et pas du verbe inaccusatif. En outre, nous avons soutenu que l’adverbial de volonté ‘délibérément’ contribue à donner au sujet du verbe inaccusatif une interprétation agentive mais qu’il n’est pas impliqué dans l’assignation d’un thêta-rôle Agent au sujet. Enfin, nous avons proposé une distinction entre l’interprétation agentive et l’assignation du thêta-rôle Agent. Les verbes inaccusatifs de changement de lieu, en tant que verbe intransitifs, ne projettent jamais un Sv en syntaxe. Cependant, nous avons supposé qu’une Cause est quand même représentée dans l’expression de l’événement. Les structures syntaxiques que nous avons proposées sont donc tronquées, en ce sens qu’elles ne projettent pas de Sv. L’approche que nous avons développée ici est donc une première tentative pour exprimer les interactions entre l’expression de l’événement et la structure syntaxique dans l’analyse de certains verbes inaccusatifs. À ce stade de l’analyse, une question se pose. La notion de Cause, telle que nous l’avons maniée, doit-elle être projetée seulement avec les verbes du type ‘arriver’ ou avec les verbes transitifs qui affectent intrinsèquement leur objet thématique (nous dirons, l’évaluateur de l’événement) ou peut-elle être projetée aussi avec les verbes inergatifs?. Considérons l’exemple suivant avec le verbe inergatif ‘dormir’ : (113) Jean a dormi profondément (sous l’effet du somnifère). Selon la classification de Vendler (1957), le verbe ‘dormir’ dénote une activité. Il s’agit d’un verbe inergatif car il projette seulement un argument externe (Jean) et son sujet ne peut donc pas être interprété comme un évaluateur de l’événement (statut disponible seulement pour les arguments internes). Chomsky (1995 : 316) affirme que les verbes intransitifs sont des projections verbales simples, c’est-à-dire des SV. Ces verbes ne projettent donc pas une projection causative Sv. Toutefois, comme le montre l’exemple en (113), il peut y avoir une Cause, récupérable à partir du contexte énonciatif, qui a déclenché l’activité de dormir. Cette Cause qui ne peut pas être projetée en syntaxe, vu le statut intransitif du verbe ‘dormir’, nous proposons qu’elle soit projetée au niveau événementiel. En (113), le SN sujet Jean n’est pas associé aux traits 123 CHAPITRE II CONSIDÉRATIONS SUR L’(A)TÉLICITÉ, LA DIRECTION ET LA DÉRIVATION DES PHRASES INACCUSATIVES [+c, +m] mais plutôt aux traits [-c, +m]. Autrement dit, Jean est associé au thêta-rôle Expérient : (114) Jean (= [-c, +m]) a dormi profondément sous l’effet du somnifère. Considérons maintenant le verbe transitif ‘épouser’ : (115) Jean a épousé Marie (sous l’effet de la pression familiale). Contrairement au verbe ‘dormir’, le verbe ‘épouser’ est un verbe transitif. En (115), le verbe ‘épouser’, tout comme le verbe ‘dormir’, projette un SV mais il sélectionne aussi un argument interne C.O.D. (Marie). Le verbe ‘épouser’, même s’il est un verbe transitif, ne projette pas de Sv, c’est-à-dire qu’il n’est pas compatible avec une structure transitive-causative. En effet, son objet thématique (Marie) ne peut pas s’interpréter comme l’évaluateur de l’événement car il n’est pas en mesure de délimiter temporellement l’événement dénoté par le prédicat, comme c’est le cas, en revanche, avec des prédicats dénotant un accomplissement ou un achèvement. Toutefois, si une Cause (cf. sous l’effet de la pression familiale) est récupérable à partir du contexte énonciatif, nous supposons que cette Cause n’est pas projetée dans un Sv vu l’incompatibilité du verbe ‘épouser’ avec une sémantique causative. Nous proposons que la Cause soit projetée au niveau événementiel. Dans ce cas particulier, le sujet Jean ne peut pas s’interpréter comme un Agent mais comme un sujet ‘agi’, c’est-à-dire comme un sujet affecté par la pression familiale. Il s’ensuit donc que dans ce cas, le SN sujet est associé au faisceau de traits [-c, +m] et, en conséquent, au thêta-rôle Expérient. Le rapport entre la présence ou l’absence d’une Cause qui déclenche l’événement et la structure argumentale du verbe est un sujet qui mériterait d’être approfondi davantage mais que nous laissons de côté ici pour des recherches futures. Dans la prochaine section, en nous basant sur les observations faites dans les sections précédentes, nous proposerons notre analyse syntaxique des verbes inaccusatifs. II.13. La dérivation des phrases inaccusatives : Dans la sous-section I.12.2., nous avons décrit l’emploi transitif-causatif de certains verbes de changement de lieu comme monter, descendre et sortir. En tant que verbes 124 CHAPITRE II CONSIDÉRATIONS SUR L’(A)TÉLICITÉ, LA DIRECTION ET LA DÉRIVATION DES PHRASES INACCUSATIVES transitifs-causatifs, monter, descendre et sortir dénotent des accomplissements et leur structure événementielle est associée à une structure syntaxique causative impliquant un enchaînement transitionnel (CAUSE/TRANSITION/ÉTAT). Néanmoins, comme nous l’avons observé dans la section II.3., les verbes monter et descendre peuvent être employés intransitivement et être associés aussi bien à une interprétation dénotant une activité compatible avec un contexte atélique qu’à une interprétation télique. En revanche, dans son emploi intransitif, le verbe sortir est compatible seulement avec l’interprétation télique mais plus avec l’interprétation atélique dénotant une activité. Comme nous l’avons remarqué, les verbes salire, scendere et uscire n’ont pas d’emploi transitif-causatif contrairement à leurs analogues français. Cependant, ils sont employés intransitivement et, dans ce cas, ils sont associés aux mêmes interprétations que leurs analogues français. Dans l’optique de notre analyse, il s’ensuit que dans l’interprétation atélique dénotant une activité, les projections causative (Sv) et état résultant (SvR) sont supprimées. En revanche, dans l’interprétation télique la projection causative (Sv) est supprimée mais les projections transition (SV) et état résultant (SvR) sont projetées. Dans la prochaine sous-section, nous analyserons les verbes ‘monter’ et ‘descendre’ et leur rapport avec la notion de transition et les paramètres de la télicité et de l’atélicité. Plus précisément, nous verrons que l’affirmation de Pustejovsky selon laquelle les prédicats inaccusatifs dénotent des transitions est discutable. Puis, nous reviendrons sur notre analyse formelle de la dérivation des phrases inaccusatives. II.13.1. La notion de transition et le trait [±télique] : Si l’on suppose, dans l’optique de l’analyse de Pustejovsky (1991), que les verbes inaccusatifs dénotent des transitions et qu’une transition est composée de deux sousévénements dont le deuxième <e2> dénote l’état résultant, on prédit que les prédicats inaccusatifs sont incompatibles avec des interprétations atéliques. Or, dans ce qui suit, nous voudrions soutenir exactement le contraire, c’est-à-dire que la classe des verbes inaccusatifs inclut des prédicats atéliques. Mais pour envisager cette hypothèse, il convient de réviser l’hypothèse de Pustejovsky et admettre que les verbes inaccusatifs ne dénotent pas tous une transition. 125 CHAPITRE II CONSIDÉRATIONS SUR L’(A)TÉLICITÉ, LA DIRECTION ET LA DÉRIVATION DES PHRASES INACCUSATIVES Dans la section II.3., nous avons défini les verbes ‘monter’ et ‘descendre’ comme des verbes intrinsèquement directionnels mais compositionnellement téliques. Autrement dit, les phrases : (116) a. Le niveau de l’eau a monté/descendu pendant deux heures. b. Il livello dell’acqua è salito/sceso per due ore. dénotent un mouvement orienté non borné. Ces verbes sont cependant compatibles avec un complément de mesure dénotant le degré d’avancement du mouvement orienté, et ce complément s’avère compatible avec l’adverbial atélique ‘pendant x temps’ : (117) a. Le niveau de l’eau a monté/descendu pendant deux heures de deux mètres. b. Il livello dell’acqua è salito/sceso di due metri per due ore. Si en (117a), on place l’expression ‘de deux mètres’ juste à droite du verbe, l’adverbial ‘pendant x temps’ est incompatible avec ce nouvel ordre syntaxique : (118) Le niveau de l’eau a monté/descendu de deux mètres (*pendant deux heures). En effet, si ‘de deux mètres’ est un complément de mesure du verbe, comme en (118), il induit une lecture télique, qui est incompatible avec l’adverbial ‘pendant deux heures’. Le fait que (117a) soit acceptable confirme donc que ‘de deux mètres’ ne peut pas être un complément du verbe. En (117) et (118), le syntagme quantifié ‘de deux mètres’ dénote le degré d’avancement de l’événement de montée et de descente et le SN ‘niveau de l’eau’ est l’évaluateur de ce changement. Étant donné que tout changement implique une transition, nous pouvons supposer que, même si les verbes ‘monter’ et ‘descendre’ ont une matrice lexicale atélique, le SN sujet en (117) est un évaluateur de l’événement. Contrairement à ce qu’affirme Arad (cf. la section II.10.), nous soutenons donc que le sujet des verbes inaccusatifs atéliques comme ‘monter’ et ‘descendre’ peut être interprété comme un évaluateur de l’événement. Dans la prochaine sous-section, nous verrons que quand les verbes ‘monter’ et ‘descendre’ sont employés intransitivement, ils projettent des structures syntaxiques 126 CHAPITRE II CONSIDÉRATIONS SUR L’(A)TÉLICITÉ, LA DIRECTION ET LA DÉRIVATION DES PHRASES INACCUSATIVES différentes selon le type d’interprétation auquel ils sont associés. Nous élargirons aussi notre analyse aux verbes ‘arriver’, ‘entrer’, ‘partir’ et ‘sortir’. II.13.2. SV+(SvR) : Considérons d’abord les verbes ‘arriver’, ‘entrer’, ‘partir’ et ‘sortir’. En tant que verbes intrinsèquement téliques, ils requièrent un argument locatif construit thématiquement comme But ou Source : (119) a. Jean est arrivé/entré (dans le hall de l’hôtel). b. Gianni è arrivato/entrato (nella hall dell’hotel). (120) a. Jean est parti/sorti (de chez lui). b. Gianni è partito/uscito (da/di casa). Dans l’optique de notre hypothèse, la structure syntaxique dérivationnelle de ces verbes est la suivante : (121) SV[ Jean V’[ V° est arrivé/entré/parti/sorti SvR(SP)[ Ø/dans le hall de l’hôtel/de chez luilocatif]]]35 Les verbes en (121) projettent un SV dénotant la transition et un SvR dénotant l’état résultant de la transition. Dans l’optique de Pustejovsky (cf. la section II.12.), nous supposons que les transitions décrites en (121) projettent une Cause au niveau lexical et que cette Cause déclenche la transition dénotée par les verbes. D’après notre hypothèse, c’est la Cause qui conduit à interpréter le sujet ‘Jean’ dans [spéc. SV] comme un Thème. En (121), le syntagme SvR est un argument sélectionné par SV. Contrairement aux verbes ‘arriver’, ‘entrer’, ‘partir’ et ‘sortir’, les verbes ‘monter’ et ‘descendre’ sont compositionnellement téliques et ils ne requièrent donc pas un argument locatif construit 35 Par souci de simplicité, nous avons placé l’auxiliaire et le participe passé dans V°. Selon l’hypothèse courante en grammaire générative, le sujet est engendré dans le spécificateur de la projection SV, puis il se déplace dans [spéc. SI], tandis que l’auxiliaire est engendré dans la tête d’une projection SAux (syntagme de l’auxiliaire) entre SI (syntagme de la flexion verbale) et SV. Le participe passé se place, par hypothèse, dans la tête de la projection SAcc. p. passé (syntagme de l’accord du participe passé) qui se situe entre les projections SI et SV mais audessous de SAux. C’est dans la tête de la projection SAcc. p. passé que le participe passé vérifie ses traits d’accord, (cf. Kayne (2000) pour une analyse plus approfondie). 127 CHAPITRE II CONSIDÉRATIONS SUR L’(A)TÉLICITÉ, LA DIRECTION ET LA DÉRIVATION DES PHRASES INACCUSATIVES thématiquement comme But (cf. la section II.3.). Il s’ensuit que la sélection d’une projection SvR par ces verbes est optionnelle. Quand ils sont interprétés comme téliques, SV et SvR sont projetés, et quand ils sont interprétés comme des verbes atéliques dénotant une activité, seule SV est projeté : (122) a. Jean est monté au sommet (en deux heures). b. Gianni è salito in cima (in due ore). c. Jean est monté en deux heures. d. Gianni è salito in due ore. (123) a. Jean est descendu à la cave (en deux minutes). b. Gianni è sceso in cantina (in due minuti). c. Jean est descendu en deux minutes. d. Gianni è sceso in due minuti. (124) a. SV[ Jean V’[ V° est monté/descendu SvR(SP)[ au sommet/à la cave ]]] (en deux heures/minutes) b. SV[ Jean V’[ V° est monté/descendu SvR(SP)[ Ø ]]] (en deux heures/minutes) (125) a. Jean est monté/descendu (pendant deux heures). b. Gianni è salito/sceso (per due ore). (126) SV[ Jean V’[ V° est monté/descendu]] (pendant deux heures) Dans l’optique de notre hypothèse, le sujet de (124) et de (126) est un évaluateur. En fait, même si en (126) le prédicat dénote une activité et l’interprétation est atélique, le SN Jean mesure le déplacement du mouvement sur l’échelle de directionnalité verticale impliquée par le verbe. Dans la prochaine sous-section nous analyserons les cas où seule le syntagme SvR est projeté. 128 CHAPITRE II CONSIDÉRATIONS SUR L’(A)TÉLICITÉ, LA DIRECTION ET LA DÉRIVATION DES PHRASES INACCUSATIVES II.13.3. SvR : Dans la sous-section I.7.3., nous avons montré que les phrases ‘Jean est arrivé’ et ‘Jean est parti’ peuvent être associées aux interprétations état résultant ou état. Comme nous l’avons soutenu, l’interprétation d’état résultant est associée à la place événementielle <e2> et elle dénote le point final de la transition dénotée par le verbe. Tout comme les verbes ‘arriver’ et ‘partir’, les verbes ‘entrer’ et ‘sortir’ peuvent être associés à une interprétation d’état résultant ou d’état (cf. ‘Jean est entré (= est dedans)’, ‘Jean est sorti (= est dehors)’). Dans l’interprétation d’état résultant, le SN sujet de ces phrases acquiert donc la propriété ‘être là’ (cf. ‘Jean est arrivé’), ‘être absent’ (cf. ‘Jean est parti’), ‘être dedans’ (cf. ‘Jean est entré’) ou ‘être dehors’ (cf. ‘Jean est sorti’). Les phrases sont donc interprétées comme des phrases prédicatives où le prédicat inaccusatif est la copule ‘être’ et les éléments prédicatifs sont, respectivement, l’adverbe ‘là’, l’adjectif ‘absent’, les adverbes ‘dedans’ et ‘dehors’ (ou leurs synonymes). L’interprétation d’état résultant est représentée par la projection SvR d’après la structure de Hale et Keyser (1993) : (127) SvR[Jean vR’[ vR° est arrivé (= là)/parti (= absent)/entré (= dedans)/sorti (= dehors)]] (État Résultant : √) Les verbes ‘monter’ et ‘descendre’ sont, eux aussi, compatibles avec l’interprétation d’état résultant, dans ce cas ils projettent donc un SvR : (128) SvR[Jean vR’[ vR° est monté (= en haut)/descendu (= en bas) ]] (État Résultant : √) En (128), la phrase est interprétée comme copulative/prédicative. Le sujet Jean s’interprète comme un évaluateur de l’événement car même s’il n’acquiert aucune propriété ou qualité, contrairement au sujet des verbes de changement d’état, il mesure l’aboutissement d’un lieu sur l’échelle de directionnalité impliquée par les verbes ‘monter’ et ‘descendre’. Dans la prochaine section, nous montrerons succinctement que si un verbe intransitif sélectionne l’auxiliaire avoir et qu’il est compatible aussi avec l’auxiliaire être, la sélection de être entraîne une interprétation d’état résultant. En revanche, du fait qu’en italien l’emploi de l’auxiliaire essere est plus répandu (cf. l’échelle de Legendre et Sorace (2003) dans la section 129 CHAPITRE II CONSIDÉRATIONS SUR L’(A)TÉLICITÉ, LA DIRECTION ET LA DÉRIVATION DES PHRASES INACCUSATIVES I.13.), il arrive que essere puisse être associé aussi bien à une interprétation d’état résultant qu’à une interprétation perfective. II.13.4. Quelques observations sur la sélection de l’auxiliaire : Comme nous l’avons vu (cf. la section I.13.), les verbes qui sélectionnent l’auxiliaire être en français sont une sous-classe des verbes qui sélectionnent essere en italien. Ceci a conduit certains auteurs (cf. Burzio (1981, 1986), Legendre (1989), Ruwet (1989), Legendre et Sorace (2003), entre autres) à supposer que les verbes intransitifs qui sélectionnent avoir en français, et dont le verbe correspondant italien sélectionne essere, sont, eux aussi, inaccusatifs36. Les verbes français ci-dessous sont donc considérés comme inaccusatifs par ces auteurs : (129) a. La nave è affondata. b. Le bateau a coulé. (130) a. I prezzi sono aumentati/diminuiti. b. Les prix ont augmenté/baissé. En ce qui concerne l’italien, l’Hypothèse Inaccusative affirme que les verbes inaccusatifs sélectionnent l’auxiliaire essere mais elle ne se prononce pas sur l’interprétation de l’événement décrit par le verbe : l’interprétation, est-elle de type perfectif ou de type état résultant ? Comme le montrent les exemples ci-dessous, la sélection de essere est, en effet, associée aussi bien à une interprétation perfective qu’à une interprétation d’état résultant produite par une syntaxe transitive-causative. Dans les travaux générativistes des années 1980, les verbes affondare (‘couler’), aumentare (‘augmenter’) et diminuire (‘baisser’) ont été étiquetés ergatifs car ce sont des verbes intransitifs qui ont aussi un emploi transitif à valeur causative37 : 36 Burzio (1986 : 142) affirme que « […] there is no reason at all to believe that French and Italian have different classes of ergative verbs, only differences in auxiliary assignment ». 37 Avant l’élaboration de l’Hypothèse Inaccusative par Perlmutter, le mot ergatif/ergative était employé pour désigner un certain cas morphologique, et les langues où ce type de cas apparaît comme, par exemple, le basque ou le géorgien. Dans ces langues, le sujet d’un verbe intransitif et l’objet d’un verbe transitif ont le même cas (absolutif, quelquefois nommé aussi nominatif), tandis que le sujet d’un verbe transitif est marqué pour le cas ergatif. En d’autres termes, dans les traductions des exemples suivants dans une langue ergative, on observe les cas suivants : (i) Jean mange une pomme. Cas : ergatif absolutif (ii) Jean est parti. 130 CHAPITRE II CONSIDÉRATIONS SUR L’(A)TÉLICITÉ, LA DIRECTION ET LA DÉRIVATION DES PHRASES INACCUSATIVES (131) La nave è affondata alle otto. (Perfectif) (132) Ieri i prezzi sono aumentati/diminuiti. (Perfectif) (133) a. I soldati hanno affondato la nave. (transitif-causatif) b. La nave è affondata. (État Résultant) (134) a. Il governo ha aumentato/diminuito i prezzi. b. I prezzi sono aumentati/diminuiti. (transitif-causatif) (État Résultant) En français, les verbes couler, augmenter et baisser, lorsqu’ils sélectionnent l’auxiliaire être, sont associés à une interprétation d’état résultant et pas à une interprétation perfective : (135) Le bateau a/*est coulé à huit heures. (Perfectif) (136) Hier les prix ont/*sont augmenté(s)/baissé(s). (Perfectif) (137) a. Les soldats ont coulé le bateau. (transitif-causatif) b. Le bateau est coulé. (État Résultant) (138) a. Le gouvernement a augmenté/baissé les prix. b. Les prix sont augmentés/baissés. (transitif-causatif) (État Résultant) Comme nous l’avons remarqué (cf. supra), certains auteurs affirment que les verbes intransitifs français qui sélectionnent l’auxiliaire avoir et dont l’analogue italien sélectionne l’auxiliaire essere sont, eux aussi, inaccusatifs. Cependant, les propriétés empiriques sur lesquelles se fonde cette affirmation ne sont pas précisées. À la lumière des observations que nous avons faites sur le passé composé conjugué avec ‘être’ ou ‘avoir’ (cf. la section I.7.), il nous semble que l’affirmation de ces auteurs se justifie par une analyse de type temporel et Cas : absolutif Lepschy (1989) remarque que la notion d’ergativité a été appliquée à la description des langues indoeuropéennes à partir des années soixante et, en particulier, à la description de l’anglais. En particulier, il a été observé qu’en anglais le sujet de certains verbes intransitifs peut devenir l’objet du même verbe employé transitivement. Comme l’a remarqué Lepschy (1989 : 434), dans la grammaire de Fillmore (1968 : 25), le sujet du verbe transitif est rapproché du sujet ergatif des langues ergatives. Un verbe comme to slide (‘glisser’) est donc appelé ergatif par Fillmore qu’il soit employé intransitivement (iii) ou transitivement (iv) : (iii) The book slides down the table. ‘Le livre glisse vers le bout de la table.’ (iv) John slides the book down the table. ‘Jean glisse le livre vers le bout de la table.’ 131 CHAPITRE II CONSIDÉRATIONS SUR L’(A)TÉLICITÉ, LA DIRECTION ET LA DÉRIVATION DES PHRASES INACCUSATIVES aspectuel. En ce qui concerne les verbes ‘couler’, ‘augmenter’ et ‘baisser’, l’interprétation perfective est commune aux auxiliaires essere et avoir. Toutefois, contrairement à l’auxiliaire essere, l’auxiliaire être est compatible seulement avec l’interprétation d’état résultant (comparer (135) et (136) avec (137b) et (138b)). Les verbes ‘couler’, ‘augmenter’ et ‘baisser’ dénotent des transitions impliquant respectivement un changement de lieu et un changement d’état. Nous avons supposé (cf. supra) qu’à la classe des verbes inaccusatifs appartiennent des verbes à matrice lexicale atélique comme ‘monter’ et ‘descendre’ et que leur sujet est associé au thêta-rôle Thème. Les verbes ‘augmenter’ et ‘baisser’ sont, eux aussi, des verbes à matrice lexicale atélique et nous avons supposé que leur sujet est associé au thêta-rôle Thème car il mesure le degré d’avancement du mouvement décrit par le verbe. Leur sujet se comporte donc comme un évaluateur de l’événement. Étant donné que ces verbes ont une matrice lexicale atélique, l’événement décrit est construit sémantiquement comme une activité. Ces verbes sont donc associés à la projection SV, et ils ne dénotent pas une transition dont on pourrait percevoir un état résultant (final). Tout comme les verbes ‘monter’ et ‘descendre’ (cf. la sous-section II.13.1.), ces verbes sont compatibles avec un complément de mesure dénotant le degré d’avancement du mouvement directionnel dénoté par le verbe : (139) a. Les prix ont augmenté/baissé pendant deux mois de 10%. (comparer avec (117a)) b. I prezzi sono aumentati/diminuiti del 10% per due mesi. En (139) le changement est interprété comme une transition perçue comme un intervalle borné par le syntagme quantifié ‘de 10%’. Étant donné qu’en (139) le contexte est atélique, les verbes en (139) sont interprétés comme des activités (ils projettent donc un SV), tandis qu’un contexte télique comme le suivant implique la projection syntaxique SV+SvR : (140) a. Les prix ont augmenté/baissé (de 10%) en deux mois. b. I prezzi sono aumentati/diminuiti (del 10%) in due mesi. Contrairement aux verbes ‘augmenter’ et ‘baisser’, le verbe ‘couler’ dénote un changement de lieu et il est intrinsèquement télique. Autrement dit, si l’on affirme que ‘Le bateau a coulé’, cet événement implique bien les trois phases cause-transition-état résultant, et donc qu’au 132 CHAPITRE II CONSIDÉRATIONS SUR L’(A)TÉLICITÉ, LA DIRECTION ET LA DÉRIVATION DES PHRASES INACCUSATIVES terme de la transition ‘Le bateau est coulé’ (état résultant). Le verbes ‘couler’ est par ailleurs compatible avec un contexte atélique ‘Le bateau a coulé pendant deux heures’. Dans les prochaines sous-sections, nous proposerons une représentation formelle des projections syntaxiques associées aux verbes intransitifs ‘couler’, ‘augmenter’ et ‘baisser’. II.13.4.1. SV+(SvR) : Comme nous l’avons observé dans les sections précédentes, la sélection de l’auxiliaire ‘être’ avec les verbes ‘monter’ et ‘descendre’ n’implique pas la sélection d’une projection SvR car ces verbes ont une matrice lexicale atélique. Autrement dit, au niveau interprétatif, la sélection de l’auxiliaire ‘être’ n’est pas nécessairement liée à un contexte télique. La même chose s’observe avec le verbe affondare qui sélectionne l’auxiliaire essere et qui, selon le type d’interprétation, projette deux structures syntaxiques différentes : (141) La nave è affondata in due ore/alle otto. (142) SV[ (143) La nave è affondata per due ore. (144) SV[ (télique/ponctuel) La nave V’[ V° è affondata SvR[ Ø ]]] in due ore/alle otto (atélique) La nave V’[ V° è affondata ]] per due ore Comme nous l’avons observé, le verbe couler sélectionne l’auxiliaire avoir. La sélection de l’auxiliaire avoir est compatible aussi bien avec un contexte télique qu’avec un contexte atélique. Selon le type d’interprétation, on obtient deux structures syntaxiques différentes : (145) Le bateau a coulé en deux heures/à huit heures. (146) SV[ (147) Le bateau a coulé pendant deux heures. (148) SV[ (télique/ponctuel) Le bateau V’[ V° a coulé SvR[ Ø ]]] en deux heures/à huit heures (atélique) Le bateau V’[ V° a coulé ]] pendant deux heures Les verbes ‘augmenter’ et baisser’, en revanche, sont des verbes à matrice lexicale atélique. Ils projettent donc un SV. Néanmoins, si le contexte est explicitement télique ils projettent aussi un SvR : 133 CHAPITRE II CONSIDÉRATIONS SUR L’(A)TÉLICITÉ, LA DIRECTION ET LA DÉRIVATION DES PHRASES INACCUSATIVES (149) a. Les prix ont augmenté/baissé pendant deux jours. b. I prezzi sono aumentati/diminuiti per due giorni. (150) SV[ Les prix/I prezzi V’[ V° ont augmenté/baissé ; sono aumentati/diminuiti ]] pendant deux jours/per due giorni (151) a. Les prix ont augmenté/baissé en deux jours. b. I prezzi sono aumentati/diminuiti in due giorni. (152) SV[ Les prix/I prezzi V’[ V° ont augmenté/baissé ; sono aumentati/diminuiti SvR[ Ø ]]] en deux jours/in due giorni II.13.4.2. SvR : La projection syntaxique SvR est associée à l’état résultant d’une transition. D’après les hypothèses que nous avons proposées dans les sections précédentes, il s’ensuit que la phrase ‘Le bateau est coulé’ est associée à ce type de représentation syntaxique, tandis que la phrase ‘La nave è affondata’ est ambiguë entre une interprétation perfective et une interprétation d’état résultant. Dans ce deuxième cas, on projettera un syntagme SvR : (153) a. Le bateau est coulé. b. La nave è affondata. (154) SvR[Le bateau/La nave vR’[vR° est coulé/è affondata ]] (État Résultant : √) Les verbes ‘augmenter’ et ‘baisser’ sont, eux aussi, compatibles avec l’interprétation d’état résultant : (155) a. Les prix sont augmentés/baissés. b. I prezzi sono aumentati/diminuiti. (156) SvR[Les prix/I prezzi vR’[vR° sont augmentés/baissés ; sono aumentati/diminuiti ]] (État Résultant : √) 134 CHAPITRE II CONSIDÉRATIONS SUR L’(A)TÉLICITÉ, LA DIRECTION ET LA DÉRIVATION DES PHRASES INACCUSATIVES II.13.5. Récapitulation : La section II.13. a été entièrement consacrée à l’analyse de la dérivation des phrases inaccusatives. Étant donné que les verbes inaccusatifs peuvent être aussi des verbes à matrice lexicale atélique, nous avons soutenu, contrairement à ce qu’affirme Pustejovsky (1991), que les verbes inaccusatifs ne dénotent pas tous des transitions. En outre, contrairement à Arad (1998), nous avons défendu l’idée que le sujet d’un verbe inaccusatif peut être interprété comme l’évaluateur de l’événement même si la matrice lexicale du verbe est atélique. Nous avons aussi soutenu qu’à la classe des verbes inaccusatifs peuvent appartenir des verbes sélectionnant l’auxiliaire avoir en français (cf. les verbes monter, descendre, augmenter, baisser et couler). II.13.6. La structure SC et l’hypothèse de l’incorporation (Moro (1997)) : Moro (1997) affirme que tous les verbes inaccusatifs sélectionnent obligatoirement un prédicat locatif engendré à l’intérieur d’une SC complément du verbe. Sur la base de la théorie des relations lexicales ( « Lexical Relation Structure» (LRS)) élaborée par Hale et Keyser (1993) (cf. la section I.11.), Moro propose d’analyser les verbes de changement de lieu, tels arrivare (‘arriver’), partire (‘partir’), entrare (‘entrer’) et uscire (‘sortir’) comme le résultat d’une incorporation lexicale du prédicat locatif de la SC au verbe dans V°. Voici la structure proposée par Moro (1997 : 290-291, note 18 ; cf. aussi Moro (1997 : 232 (38))) pour le verbe arrivare38 : (157) SI[pro SV[locj-arrivano SC[SN molte (158) SI[ ragazze tj locatif]]]] molte ragazzei SV[locj-arrivano]SC[ ti tj locatif]] Selon l’analyse de Moro, ce n’est qu’après l’incorporation que le verbe assigne le thêta-rôle Thème à son argument interne et à la SC désormais dépourvue de prédicat. Après l’incorporation du prédicat locatif avec le verbe, le sujet demeure in situ (cf. (157) ou bien monte dans [spéc. SI] (cf. (158)). 38 La nature lexicale de la tête prédicative reste non précisée dans l’analyse de Moro. Nous supposons cependant que dans le cas du verbe arriver la tête prédicative correspond à la préposition locative a. En effet, comme nous l’avons rappelé dans la sous-section II.6.3., le verbe ‘arriver’ est historiquement issu de l’incorporation de la préposition latine ad au verbe river de l’ancien français. 135 CHAPITRE II CONSIDÉRATIONS SUR L’(A)TÉLICITÉ, LA DIRECTION ET LA DÉRIVATION DES PHRASES INACCUSATIVES D’autres verbes qui dénotent un changement de lieu comme accorrere (‘accourir’), pervenire (‘parvenir’) et discendere (‘descendre’) encodent explicitement dans leur racine un préfixe locatif (cf. aussi Moro (1997 : 291 note 19)). Moro propose de dériver ces verbes à partir de la structure syntaxique en (159) : (159) V°[Pi°-V°] SC[ SN SP[ti locatif]] V°[aci-correre] SC[ SN SP[ti locatif]] accorrere Selon la structure en (159), les préfixes a-, per- et di- des verbes ac-correre, per-venire et discendere sont engendrés dans la tête d’une projection SP. Moro considère l’incorporation comme un processus morphologique qui opère en syntaxe. Il suppose que dans certains cas, comme par exemple avec le verbe arrivare, ce processus est opaque, tandis qu’avec d’autres verbes, qui encodent explicitement un préfixe locatif dans leur racine (cf. les verbes ac-correre, per-venire et di-scendere, entre autres), ce processus est morphologiquement transparent. Étant donné que la position de prédicat est remplie dans la SC par une expression locative qui, ensuite, monte et s’incorpore à V°, un SP locatif dénotant le But ou la Source du mouvement doit être projeté à l’extérieur de la SC en tant qu’ajout. Toutefois, les verbes ‘arriver’ et ‘entrer’, tout comme les verbes ‘partir’ et ‘sortir’, sont intrinsèquement téliques et ils requièrent un argument locatif construit thématiquement comme But ou Source. L’hypothèse de l’incorporation élaborée par Moro n’est donc pas adéquate car elle entraîne la projection du But ou de la Source en tant qu’ajout. Notre analyse des verbes ‘arriver’, ‘entrer’, ‘partir’ et ‘sortir’ se révèle donc plus adéquate car, dans la structure causative, le SP dénotant l’état résultant est projeté comme l’argument interne du SV. Dans les prochaines sections, nous analyserons les phrases à verbe météorologique en italien et en français et nous proposerons une analyse différente de l’hypothèse de la SC exploitant l’hypothèse de la coquille SV élaborée par Hale et Keyser (1993). 136 CHAPITRE II CONSIDÉRATIONS SUR L’(A)TÉLICITÉ, LA DIRECTION ET LA DÉRIVATION DES PHRASES INACCUSATIVES II.14. Les verbes météorologiques : Les auteurs qui se sont intéressés, d’une manière plus ou moins approfondie, à l’étude de la syntaxe et de la sémantique des verbes météorologiques sont nombreux. Pour ce qui concerne les études sur la syntaxe des verbes météorologiques en français et en italien, nous rappelons, respectivement, Ruwet (1989) et Benincà et Cinque (1992). Comme nous le verrons, ces verbes peuvent être interprétés aussi bien comme des verbes dénotant une activité que comme des verbes dénotant un achèvement et ils présentent des caractéristiques syntaxiques différentes en français et en italien, notamment en ce qui concerne le choix de l’auxiliaire. Au niveau typologique, les verbes météorologiques pleuvoir (‘piovere’), neiger (‘nevicare’) et grêler (‘grandinare’) lexicalisent le Mouvement et la Figure (cf. la sous-section II.1.1.). Autrement dit, ces verbes encodent dans leur lexique deux composantes sémantiques : la Figure, qui correspond à la substance atmosphérique pluie, neige et grêle, et le déplacement de celle-ci avec une orientation du haut vers le bas 39. Les verbes météorologiques sont donc intrinsèquement directionnels. II.14.1. La question de l’auxiliaire : Le français et l’italien se présentent comme deux systèmes linguistiques asymétriques pour ce qui concerne le type d’auxiliaire employé avec les verbes météorologiques. L’italien emploie aussi bien l’auxiliaire essere que l’auxiliaire avere pour conjuguer les verbes météorologiques aux temps composés, tandis que le français emploie seulement l’auxiliaire avoir. En italien, la sélection de l’auxiliaire essere déclenche une interprétation télique, tandis que la sélection de l’auxiliaire avere déclenche une interprétation atélique d’activité. La contrainte sur la sélection de l’auxiliaire est particulièrement évidente quand le changement de lieu de la substance atmosphérique est explicité par un SP dénotant le But du mouvement. Dans ce cas, seulement l’auxiliaire essere est possible : 39 Les verbes tonner (‘tuonare’) et faire des éclairs (‘lampeggiare’) aussi encodent dans leur lexique la Figure qui correspond, respectivement, au SN tonnerre et au SN éclair. Leur composante directionnelle intrinsèque est interprétée, respectivement, comme le mouvement du bruit provoqué par le tonnerre et le mouvement de la lumière provoquée par l’éclair. 137 CHAPITRE II CONSIDÉRATIONS SUR L’(A)TÉLICITÉ, LA DIRECTION ET LA DÉRIVATION DES PHRASES INACCUSATIVES (160) pro Ci *ha/è piovuto/nevicato/grandinato in testa. Lit. y a/est plu/neigé/grêlé en tête Les verbes météorologiques français ne manifestent pas d’alternance dans le choix de l’auxiliaire selon l’information aspectuelle donnée par le contexte. Si le But du mouvement n’est pas explicité, ces verbes s’interprètent comme des verbes dénotant une activité (cf. (161)), tandis que si le But est explicité ils sont interprétés comme des verbes téliques (cf. (162) : (161) Il a plu/neigé/grêlé. (162) Il a alors plu sur nous des instructions contradictoires. (Anne Zribi-Hertz (c.p.))40 II.14.1.1. La sélection de l’auxiliaire en italien : Benincà et Cinque (1992 : 158) observent que certains verbes météorologiques italiens sélectionnent seulement l’auxiliaire avere, tandis que d’autres sélectionnent aussi bien l’auxiliaire essere que l’auxiliaire avere : (163) ITALIEN 40 FRANÇAIS pro ha/è piovuto. Il a/*est plu. pro ha/è nevicato. Il a/*est neigé. pro ha/è grandinato. Il a/*est grêlé. pro ha/*è lampeggiato. Il a fait des éclairs. pro ha/*è gelato. Il a/*est gelé. pro ha/*è tuonato. Il a/*est tonné. En (162), l’emploi du verbe pleuvoir est métaphorique. 138 CHAPITRE II CONSIDÉRATIONS SUR L’(A)TÉLICITÉ, LA DIRECTION ET LA DÉRIVATION DES PHRASES INACCUSATIVES Les auteurs suggèrent aussi que les verbes météorologiques qui sélectionnent les deux auxiliaires, contrairement à ceux qui sélectionnent seulement l’auxiliaire avoir, ont une composante dynamique. En particulier, les verbes piovere, nevicare et grandinare « indiquent le changement de lieu d’une substance [pluie, neige, grêle] » (Benincà et Cinque 1992 : 158), tandis que les verbes tels que tuonare (‘tonner’), lampeggiare (‘faire des éclairs’) et gelare (‘geler’) indiquent, plutôt, un phénomène global « qui ne peut pas être envisagé comme un déplacement d’un point à un autre de l’espace [il n’y a pas de pluie, neige ou grêle qui tombe] » (Benincà et Cinque 1992 : 158). Il est intéressant de remarquer qu’en italien, certains locuteurs admettent l’auxiliaire essere avec les verbes tuonare, lampeggiare et gelare : (164) a. pro è tuonato. ‘Il a tonné.’ b. pro è lampeggiato. ‘Il y a eu des éclairs.’ c. pro è gelato. ‘Il a gelé.’ Benincà et Cinque aussi (1992 : 160, notes 1 et 4) observent qu’avec les verbes gelare et tuonare l’auxiliaire essere n’est pas complètement impossible et que l’acceptabilité de la phrase È tuonato (Lit. Est tonné) dépendrait d’une possible interprétation de mouvement télique du bruit. À la suite de Levin et Rappaport-Hovav (1995), Sorace (2000) définit le verbe tuonare comme un verbe dénotant l’émission d’un son ( « a verb of sound emission » ) compatible avec une interprétation télique. Selon Sorace, le verbe lampeggiare aussi, en tant que verbe dénotant l’émission de la lumière ( « verb of light emission » ), est compatible avec une interprétation télique et donc avec l’auxiliaire essere. II.14.1.2. Benincà et Cinque (1992) : Selon l’Hypothèse Inaccusative, les verbes météorologiques sélectionnant l’auxiliaire essere sont inaccusatifs, tandis que les verbes météorologiques qui sélectionnent l’auxiliaire avere sont inergatifs. Benincà et Cinque (1992) proposent d’adopter la structure syntaxique à 139 CHAPITRE II CONSIDÉRATIONS SUR L’(A)TÉLICITÉ, LA DIRECTION ET LA DÉRIVATION DES PHRASES INACCUSATIVES SC pour expliquer le comportement inergatif ou inaccusatif de ces verbes. En particulier, les auteurs adoptent la configuration syntaxique proposée par Hoekstra et Mulder (1990) pour l’analyse du verbe de mode de mouvement correre qui sélectionne les deux auxiliaires tout comme les verbes météorologiques. Voici la structure adoptée par Benincà et Cinque (1992) d’après Hoekstra et Mulder (1990)41 : (165) [SNi [AUX SV[V SC[t i SPloc]]]] Selon Benincà et Cinque, l’emploi de la structure en (165) permet de résoudre l’ambiguïté structurale liée à la sélection de l’auxiliaire. Considérons les phrases suivantes : (166) proi è piovuto/nevicato/grandinato SC[ti Øloc] (167) proi ha piovuto/nevicato/grandinato (SC[PROi Øloc]) Aussi bien en (166) qu’en (167) le sujet est engendré comme argument externe mais, en (166), contrairement qu’en (167), le sujet est engendré comme l’argument externe d’une SC qui est interprétée comme l’argument interne du verbe. La projection interne du sujet en (166) est donc seulement apparente, selon l’hypothèse de Benincà et Cinque (1992 : 159). La contrainte concernant le Principe de Projection est donc satisfaite car le sujet est toujours projeté de façon externe. Dans la prochaine section, nous verrons comment l’éclatement de la coquille SV peut être utilement exploitée pour l’analyse des verbes météorologiques. II.14.2. La dérivation des verbes météorologiques : La position syntaxique de sujet des verbes météorologiques est remplie, selon le type de langue, par un sujet nul pro comme en italien et en espagnol ou par un pronom explétif, il en français et it en anglais : 41 Nous renvoyons le lecteur à la sous-section II.7.1. pour l’application de la SC à l’analyse du verbe correre. 140 CHAPITRE II CONSIDÉRATIONS SUR L’(A)TÉLICITÉ, LA DIRECTION ET LA DÉRIVATION DES PHRASES INACCUSATIVES (168) a. pro piove. b. pro lluve. c. Il pleut. d. It is raining. Une question qui reste encore non résolue dans la littérature linguistique est celle de la valeur sémantique du pronom sujet des verbes météorologiques. Nombreux sont les auteurs qui ont concentré leur attention sur ce point. Pour n’en citer que quelques-uns, nous rappelons Bolinger (1973), Chomsky (1981) et Rizzi (1986). En (168), pro, il et it occupent la position syntaxique de sujet : [spéc. SI] mais ils ne sont associés à aucun thêta-rôle. Autrement dit, dans leur emploi météorologique ces pronoms ne sont pas référentiels. Dans l’optique de Chomsky (1981 : 325), les pronoms sujets des verbes météorologiques sont des ‘quasi-arguments’ car, contrairement aux arguments, ils ne sont pas référentiels. Cependant, ces pronoms peuvent fonctionner comme des contrôleurs (cf. (169)). Il se comportent donc comme des arguments et, corrélativement, ils peuvent être associés à un thêta-rôle atmosphérique, selon l’hypothèse de Chomsky (1981 : 325), (cf. aussi Rizzi (1986 : 528-529)) : (169) a. It sometimes rains after [PRO snowing] b. Quelquefois il pleut après avoir neigé. Nous avons déjà remarqué que les verbes météorologiques ‘pleuvoir’, ‘neiger’ et ‘grêler’ encodent dans leur lexique la Figure du mouvement, correspondant à la substance atmosphérique pluie, neige, grêle. Fernandez-Soriano (1999 : 103) suppose que les verbes météorologiques tels que ‘pleuvoir’, ‘neiger’ et ‘grêler’ sélectionnent toujours un objet interne qui fusionne avec le verbe et qui dénote la substance atmosphérique. Pour rendre compte de ces propriétés, nous supposons que la structure causative impliquant deux projections SV élaborée par Hale et Keyser peut être étendue aux phrases à verbe météorologique. Dans cette structure, l’objet interne, correspondant à la Figure, se place dans [spéc. SV]. On obtient donc les configurations suivantes : 141 CHAPITRE II CONSIDÉRATIONS SUR L’(A)TÉLICITÉ, LA DIRECTION ET LA DÉRIVATION DES PHRASES INACCUSATIVES (170) pro ha piovuto/nevicato/grandinato (a Roma). (171) Il a plu/neigé/grêlé (à Rome). (172) a. Sv[pro v’[ v° SPlocatif[Ø/(a b. Sv[Il v’[v° ha piovutoi/nevicatoi/grandinatoi SV[ (pioggia/neve/grandine) [ V’[V° ti Roma)]]]]]] a plui/neigéi/grêléi SV[ (pluie/neige/grêle) [V’[V° ti SPlocatif[Ø/(à Rome)]]]]]] En (172), la position [spéc. SV] est occupée par l’objet interne qui, comme l’a supposé Fernandez-Soriano, fusionne avec le verbe. Nous supposons que les pronoms pro et il en (172) sont associés à un thêta-rôle atmosphérique (cf. Chomsky (1981)) compatible avec la sémantique causative de la structure à double SV. Selon cette analyse, pro et il sont donc interprétés comme des Causes générées dans la position [spéc. Sv]. Les verbes météorologiques peuvent aussi sélectionner un SN qui correspond au « sujet réel » (argument sélectionnel) du verbe et qui est réalisé dans la position objet : (173) Sono piovute pietre. Lit. Sont plues pierres ‘Il a plu des pierres.’ (174) *Hanno piovuto pietre. Lit. Ont plu pierres En italien, la sélection d’un SN en position d’objet avec les verbes météorologiques entraîne la sélection de l’auxiliaire essere comme le montre l’exemple en (173). En français aussi les verbes météorologiques peuvent sélectionner un SN incarnant le « sujet réel » du verbe : 142 CHAPITRE II CONSIDÉRATIONS SUR L’(A)TÉLICITÉ, LA DIRECTION ET LA DÉRIVATION DES PHRASES INACCUSATIVES (175) a. Il a plu une petite pluie fine. (Ruwet (1989 : 327 (47a))) b. Il a neigé de gros flocons. (Ruwet (1989 : 329 (54a))) Nous supposons que le SN pietre en (173) et les SN petite pluie fine et gros flocons en (175) occupent la position [spéc. SV], celle qui accueille par ailleurs le complément d’objet direct dans la structure transitive-causative en (172)42. II.15. Conclusion du chapitre : Ce chapitre a été organisé autour de trois parties. D’abord, nous avons examiné un ensemble de verbes dans l’optique comparative français/italien et nous avons analysé la distribution des auxiliaires ‘être’ et ‘avoir’ par rapport aux paramètres de télicité et de directionnalité. En particulier, nous avons observé que même si les verbes monter et descendre sélectionnent aussi bien l’auxiliaire être que l’auxiliaire avoir, la sélection de l’auxiliaire avoir en français standard n’est pas attribuable à un phénomène de régularisation, comme c’est le cas pour les verbes intransitifs d’autres variétés dialectales de français (cf. la section I.9.). L’auxiliaire avoir associé aux verbes monter et descendre en français standard est assez nettement corrélé à un effet non télique, tandis que l’auxiliaire être est corrélé à un effet télique. Toutefois, ce comportement ne semble s’observer que pour les verbes monter et descendre. En effet, avec d’autres verbes tels que augmenter, baisser et couler (cf. les soussections II.3.3. et II.13.4.), qui sélectionnent aussi les deux auxiliaires, être est associé à l’interprétation d’état résultant. Dans l’optique de l’échelle de Legendre et Sorace (cf. la section I.13.), on peut dire que les verbes qui figurent sur l’échelle au-dessous de monter et descendre sélectionnent tous l’auxiliaire avoir, qui est compatible aussi bien avec un contexte atélique qu’avec un contexte télique. Dans la deuxième partie du chapitre, nous avons principalement examiné les propriétés du verbe ‘courir’. En particulier, nous avons observé 42 L’auxiliaire ‘être’ n’est employé en tant qu’auxiliaire d’un verbe transitif ni en français ni en italien. Il s’ensuit donc qu’il ne peut pas être compatible avec la construction transitive-causative en (172). Nous supposons donc que des phrases telles que : (i) È piovuto/nevicato/grandinato. (ii) Sono piovute pietre. (= (173)) sont engendrées à l’intérieur d’une projection SV qui sélectionne comme complément une projection SvR dénotant le telos du mouvement directionnel décrit par le verbe météorologique. Sv n’est donc pas projeté. Nous supposons que de même que les verbes de changement de lieu ‘arriver’, ‘partir’, ‘entrer’, ‘sortir’, ‘monter’ et ‘descendre’ (cf. la section II.12.), les verbes météorologiques italiens sélectionnant l’auxiliaire essere projettent au niveau événementiel – mais pas au niveau syntaxique – une Cause qui déclenche l’événement atmosphérique. 143 CHAPITRE II CONSIDÉRATIONS SUR L’(A)TÉLICITÉ, LA DIRECTION ET LA DÉRIVATION DES PHRASES INACCUSATIVES que la sélection de l’auxiliaire essere par le verbe correre est compatible avec un contexte atélique marqué par la préposition verso. Toutefois, nous avons soutenu que cette compatibilité est corrélée à la valeur directionnelle de la préposition verso. Autrement dit, cette préposition implique un mouvement graduel/scalaire en direction du But qui est compatible avec la sélection de l’auxiliaire essere. Ces observations (cf. les sections II.2. et II.3.) nous montrent que quand on affirme qu’un verbe appartient à une classe événementielle plutôt qu’à une autre, on parle d’une série de contextes typiques dans lesquels ce verbe peut apparaître. On ne peut donc pas prédire des inacceptabilités tranchées. Dans cette optique, la troisième partie du chapitre est conçue comme une première tentative pour représenter formellement l’articulation de l’expression de l’événement et de la structure argumentale des verbes dits inaccusatifs. 144 CHAPITRE III. RÉSULTATIVITÉ ET ÉTAT RÉSULTANT Dans la première partie de ce chapitre nous analyserons la compatibilité de l’interprétation résultative avec différents types de verbes intransitifs. En particulier, nous verrons que l’adverbial ‘depuis x temps’, marqueur de l’interprétation résultative, peut être associé aussi à l’interprétation perfective si l’on construit un contexte approprié en manipulant la structure informationnelle de la phrase par l’intonation ou le déplacement de l’adverbial. Puis, dans la deuxième partie du chapitre, nous analyserons la construction participiale absolue et nous défendrons l’idée que cette construction est associée à l’interprétation d’état résultant. Finalement, nous avancerons l’hypothèse que la construction participiale absolue n’est pas un test fiable d’inaccusativité contrairement à ce que soutient l’Hypothèse Inaccusative. Première partie : résultativité et perfectivité III.1. La notion aspectuelle de résultativité : À propos du mot ‘résultatif’, Nedjalkov et Jaxontov (1988 : 6) remarquent que ‘le terme résultatif réfère à des prédicats dénotant un état issu d’un événement ayant eu lieu antérieurement. La différence entre les termes résultatif et statif est la suivante : les prédicats statifs dénotent un état qui n’implique pas un événement ayant lieu antérieurement, tandis que les prédicats résultatifs dénotent aussi bien un état que l’action antérieure qui a donné lieu à cet état’1. La définition donnée par Nedjalkov et Jaxontov au mot résultatif est égale à celle que nous avons donnée à l’interprétation d’état résultant (cf. I.7.3.). Nous emploierons ici le terme résultatif dans un sens différent de celui que lui donnent Nedjalkov et Jaxontov. 1 « the term resultative is applied to those verb forms that express a state implying a previous event. The difference between the stative ant the resultative is as follows : the stative expresses a state of thing without any implication of its origin, while the resultative expresses both a state and the preceding action it has resulted from » (Nedjalkov et Jaxontov (1988 : 6)). 145 CHAPITRE III RÉSULTATIVITÉ ET ÉTAT RÉSULTANT L’interprétation résultative est pour nous solidaire de la notion d’état résultant. Néanmoins, contrairement à l’état résultant, qui est indissolublement lié à la sélection de l’auxiliaire ‘être’ et qui est associé à la place événementielle <e 2>, l’interprétation résultative est associée à la valeur aspectuelle [+durative] impliquant un intervalle de temps entre <e2> et T0. L’interprétation résultative peut également être associée à des verbes sélectionnant l’auxiliaire ‘avoir’ pourvu qu’ils dénotent des achèvements (cf. (5)). L’état résultant est la condition nécessaire pour déclencher l’interprétation résultative. L’interprétation résultative peut donc être représentée comme suit : (1) (résultativité) T e1 T0 e2 t Jean n'est pas arrivé Jean est arrivé Jean est arrivé depuis x temps Jean n’est pas parti Jean est parti Jean est parti depuis x temps Le chocolat est fondu Le chocolat est fondu depuis x temps (Etat Résultant) (Interprétation Résultative) Le chocolat n’est pas fondu (Evénement Initial) La préposition ‘depuis’, suivie d’une expression temporelle, est le marqueur de l’interprétation résultative. Franckel (1989 : 204) décrit le contenu sémantique de la préposition depuis de la façon suivante : « depuis, décomposable en de…et puis…opère une délimitation à partir d’un premier point, selon une orientation gauche-droite ». Selon Bertinetto (2001 : 56), ‘depuis’ réfère à l’intervalle temporel qui sépare la conclusion de l’événement du moment de l’énonciation T0. La préposition ‘depuis’ peut avoir comme complément ou bien une expression ponctuelle ou bien une expression durative. Dans le premier cas, ce qu’on nomme c’est le début de 146 CHAPITRE III RÉSULTATIVITÉ ET ÉTAT RÉSULTANT l’intervalle temporel et pas l’intervalle lui-même (cf. Jean est parti depuis lundi/l’été/ce matin), tandis que dans le deuxième cas, la localisation temporelle se calcule à partir de T0 et elle dénote une mesure temporelle (cf. Jean est parti depuis deux jours). III.2. L’adverbial ‘depuis x temps’ et les aspects perfectif, imperfectif et résultatif : La préposition ‘depuis’ n’est pas un test assez restrictif de résultativité car elle est compatible avec des interprétations aspectuelles autres que la résultative, notamment l’interprétation perfective et l’interprétation imperfective 2. Ici, nous nous concentrerons sur la lecture résultative : (2) a. Cunégonde a mangé trois pommes depuis minuit. (aspect perfectif) (Schaden (2007 : 89 (9a))) b. Cunegonda ha mangiato tre mele da mezzanotte. (3) a. Cunégonde a mangé sans interruption depuis minuit. (aspect imperfectif) (Schaden (2007 : 89 (9b))) b. Cunegonda ha mangiato senza interruzione da mezzanotte. (4) a. Cunégonde est partie depuis minuit. (aspect résultatif) (Schaden (2007 : 89 (9c))) b. Cunegonda è partita da mezzanotte. Schaden (2007 : 126) observe que dans l’interprétation résultative « la phase résultante de l’éventualité fournit la phase homogène tenant pendant toute la durée de l’intervalle de ‘depuis’ ». Autrement dit, le ‘depuis’ résultatif réfère à l’intervalle temporel qui sépare la conclusion de l’événement du moment de l’énonciation T0 (Bertinetto (2001 : 56)). Le ‘depuis’ résultatif est marqué [+duratif], c’est pourquoi Schaden appelle ‘homogène’ la durée de l’intervalle temporel signalé par ‘depuis’. L’aspect résultatif est également compatible avec l’auxiliaire ‘avoir’ : 2 Nous renvoyons le lecteur à la section I.1. pour une définition de perfectif vs. imperfectif. 147 CHAPITRE III RÉSULTATIVITÉ ET ÉTAT RÉSULTANT (5) a. Cunégonde a quitté la ville depuis vendredi/trois jours. (Résultatif)3 (Schaden (2007 : 126 (106))) b. Cunegonda ha lasciato la città da venerdì/da tre giorni. En effet, ce qu’on peut affirmer de la phrase ci-dessus est que si Cunégonde a quitté la ville depuis vendredi/trois jours, cela signifie qu’elle n’est pas retournée dans la ville et que donc son éloignement de la ville persiste au moment de l’énonciation T04. De la même manière, si j’affirme que Cunégonde est partie depuis minuit cela signifie qu’elle n’est pas encore rentrée (cf. (4)). Comme l’a remarqué Schaden (2007 : 127) « les lectures résultatives sont très nettement meilleures avec des Aktionsarten téliques, qui disposent d’une phase résultante bien définie, qu’avec des Aktionsarten atéliques, qui n’ont pas de phase résultante saillante ». Autrement dit, l’interprétation résultative est compatible avec des achèvements, c’est-à-dire avec des prédicats intrinsèquement téliques comme le montrent les exemples (4) et (5). C’est pourquoi en (6) où le verbe ‘chanter’ dénote une activité l’intuition d’agrammaticalité est très forte avec une interprétation résultative : (6) a. Cunégonde a chanté depuis midi/trois heures. (Résultatif : *) (Perfectif : √) (Schaden (2007 : 127 (107))) b. Cunegonda ha cantato da mezzogiorno/tre ore. Dans les prochaines sections, nous verrons que les phrases en (6) sont compatibles avec une interprétation perfective si l’on construit un contexte approprié en manipulant la structure informationnelle de la phrase par l’intonation ou le déplacement de l’adverbial ‘depuis x temps’. Néanmoins, avant d’aborder ce sujet, nous analyserons la compatibilité de l’adverbial ‘depuis x temps’ avec les verbes de changement de lieu ‘arriver’, ‘partir’, ‘entrer’, ‘sortir’, ‘tomber’, ‘venir’ et ‘aller’ et certains verbes de changement d’état. En particulier, nous 3 Dans la section III.1., nous avons soutenu que la notion d’état résultant se distingue de la résultativité. L’état résultant de (5) correspond à la phrase : La ville est quittée. 4 La même remarque s’applique au verbe de changement d’état ‘fondre’ : (i) a. L’ouvrier a fondu le métal depuis trente minutes. b. L’operaio ha fuso il metallo da trenta minuti. Les phrases en (i) signifient que l’ouvrier a fondu le métal une demi-heure avant le moment de l’énonciation et que le métal demeure fondu au moment de l’énonciation T0. 148 CHAPITRE III RÉSULTATIVITÉ ET ÉTAT RÉSULTANT verrons que l’emploi du ‘depuis’ résultatif est corrélé à certaines contraintes avec certains verbes appartenant à ces deux groupes. III.3. L’adverbial ‘depuis x temps’ et les verbes de changement de lieu ‘arriver’, ‘partir’, ‘entrer’ et ‘sortir’ : Les verbes de changement de lieu ‘arriver’, ‘partir’, ‘entrer’ et ‘sortir’ sont compatibles aussi bien avec une interprétation résultative qu’avec une interprétation télique (cf. Bouchard (1995 : 174-179-183-188)) : (7) a. Jean est arrivé/parti/entré5/sorti depuis hier. (Résultatif) b. Gianni è arrivato/partito/entrato/uscito da ieri. (8) a. Jean est arrivé/parti/entré/sorti en deux minutes. (Télique) b. Gianni è arrivato/partito/entrato/uscito in due minuti. Si l’interprétation résultative est solidaire de la télique, comme l’affirme Creissels (2000) 6, on ne comprend pas pourquoi des verbes tels que ‘venir’, ‘aller’ et ‘tomber’, qui sont compatibles avec une interprétation télique, ne le sont pas avec une interprétation résultative : 5 L’emploi du ‘depuis’ résultatif avec le verbe entrer n’est pas partagé par tous les locuteurs. Marie-Christine Jamet et Stéphanie Chèvre (c.p.) acceptent la phrase : (i) Jean est entré depuis une heure. pourvu que le participe passé entré soit interprété en tant qu’état résultant : (ii) Il est entré (= dedans) depuis une heure. Cette intuition est une confirmation supplémentaire de ce que nous avons affirmé dans la section III.1., à savoir, que l’interprétation d’état résultant est à la base de l’interprétation résultative. Contrairement aux locuteurs auxquels nous avons soumis la phrase en (i), Anne Zribi-Hertz (c.p.) n’accepte l’interprétation d’état résultant qu’en présence d’un SP locatif : (iii) La seringue est entrée dans ma veine depuis une heure. (Anne Zribi-Hertz (c.p.)) 6 À ce propos, Creissels (2000 : 141-142) observe : « L’interprétation résultative de être+participe passé n’est possible qu’en liaison avec une interprétation télique du sens lexical du verbe ; elle est impossible avec les verbes qui ne sont pas susceptibles de recevoir une telle interprétation. […] On peut donc […] penser que la possibilité d’un emploi résultatif de être + participe passé constitue une propriété lexicale des verbes téliques » . Dans la même optique que Creissels (2000), Lagae (2005) et Schaden (2007) affirment que c’est l’Aktionsart télique de la forme verbale qui permet d’avoir ce type d’interprétation. Néanmoins, Lagae observe que certains verbes téliques conjugués avec l’auxiliaire être tels que aller, devenir, tomber et venir n’ont pas de forme résultative. Elle parvient donc à la conclusion que la forme résultative n’est pas nécessairement liée à la télicité et à la sélection de l’auxiliaire être. En ce qui concerne la sélection de l’auxiliaire, il existe, en effet, des verbes qui sélectionnent l’auxiliaire avoir et qui peuvent être associés à une interprétation résultative. Dans ce cas-là, néanmoins, il s’agit de verbes intrinsèquement téliques dénotant des achèvements comme quitter la ville ou atteindre le sommet (cf. la section III.2.). Les seuls verbes qui sont exclus de l’interprétation résultative sont les verbes lexicalement atéliques tels que caresser, chercher, regarder, admirer, intéresser, menacer, protéger, aimer, connaître, manger, etc. 149 CHAPITRE III RÉSULTATIVITÉ ET ÉTAT RÉSULTANT (9) a. Jean est venu/allé chez elle en cinq minutes. (Télique) b. Gianni è venuto/andato a casa sua in cinque minuti. (10) a. Jean est tombé en un instant. b. Gianni è caduto in un attimo. (11) a. Jean est venu/allé chez elle depuis hier. (Résultatif : *) (Perfectif : √) b. Gianni è venuto/andato a casa sua da ieri. (12) a. Jean est tombé depuis trente minutes/depuis midi. (Résultatif : ?/*) (Perfectif : √) b. Gianni è caduto da trenta minuti/da mezzogiorno. Ces exemples suggèrent que la résultativité et la télicité sont deux notions différentes, confirmant les hypothèses que nous avons avancées au chapitre I à propos de la notion de télicité et dans la section III.1. à propos de la notion de résultativité. L’interprétation résultative indique la continuation, au moment de l’énonciation T 0, de l’état résultant issu du changement de lieu ou changement d’état. L’expression ‘en x temps’, en revanche, dénote la transition d’un changement. Considérons, par exemple, les phrases ci-dessous : (13) Le colis est arrivé depuis deux jours. (14) Le colis est arrivé en deux jours. (15) Le médecin est arrivé depuis dix minutes. (16) Le médecin est arrivé en dix minutes. (Résultatif) (Télique) (Résultatif) (Télique) En (13) et (15) on attire l’attention sur l’intervalle temporel dénoté par l’expression ‘depuis x temps’ et sur le fait que l’état résultant persiste au moment de l’énonciation T 0, tandis qu’en (14) et (16) on attire l’attention sur le point final de la transition dénotée par l’adverbial ‘en x temps’. Ci-dessous, nous allons analyser les contraintes sur l’emploi de ‘depuis’ avec le verbe ‘tomber’ et certains verbes de changement d’état. Plus précisément, nous supposons qu’avec ces verbes l’emploi du ‘depuis’ résultatif est possible pourvu qu’une expression de mesure soit explicitée. Ensuite, nous aborderons l’analyse des contraintes sur l’emploi du ‘depuis’ résultatif avec les verbes de changement de lieu ‘aller’ et ‘venir’. 150 CHAPITRE III RÉSULTATIVITÉ ET ÉTAT RÉSULTANT III.4. L’adverbial ‘depuis x temps’ et le verbe ‘tomber’ : Le verbe ‘tomber’ dénote un achèvement mais il n’est pas compatible avec le ‘depuis’ résultatif. Voici l’exemple (12) répété ci-dessous en (17) : (17) a. Jean est tombé depuis trente minutes/depuis midi7. (Résultatif : ?/*) (Perfectif : √) b. Gianni è caduto da trenta minuti/da mezzogiorno. Les jugements à propos de (17) ne sont pas partagés par tous les locuteurs. Certains trouvent (17) complètement agrammaticale, tandis que d’autres considèrent (17) marginalement acceptable. Il semble que ceux qui acceptent (17) re-catégorisent le verbe ‘tomber’ en tant que verbe dénotant un état et pas un changement de lieu. Autrement dit, ‘tomber’ serait interprété en tant que synonyme de l’expression ‘être par terre’ et, dans ce cas-là, en tant que verbe dénotant un état résultant et, donc, compatible avec ‘depuis’ : (18) a. Jean est tombé (= est par terre) depuis trente minutes/depuis midi 8. (Résultatif : √) b. Gianni è caduto (= è per terra/giace per terra) da trenta minuti/da mezzogiorno. Cette re-catégorisation du verbe ‘tomber’ est plus évidente si l’on crée un contexte compatible avec l’état résultant déclenché par le sème ‘chute’ encodé dans le verbe ‘tomber’. Cela est très évident si l’on remplace le sujet ‘Jean’ de (17a) avec des SN tels que ‘parachutiste’ ou ‘neige’ qui sont compatibles, pour ainsi dire, avec le mouvement non marqué, canonique du verbe ‘tomber’. Autrement dit, ‘un parachutiste’ ou ‘la neige’ ne se manifestent qu’en tombant. Une fois qu’ils sont tombés, ils se trouvent au But : 7 Je remercie Denis Creissels (c.p.) pour l’exemple (17a). Anne Zribi-Hertz (c.p.) me fait observer qu’elle n’accepte pas (17a). Si Jean est tombé à midi, et que depuis ce moment-là il est resté par terre, elle emploie la phrase en (i) et pas celle en (ii) : (i) Jean est par terre depuis midi. (ii) *Jean est tombé depuis midi. 8 151 CHAPITRE III RÉSULTATIVITÉ ET ÉTAT RÉSULTANT (19) Ce parachutiste/cette neige est tombé(e) depuis deux heures9. (Résultatif : √) L’explicitation de la Source ou du But de la chute rend, en général, l’emploi du ‘depuis’ résultatif plus acceptable : (20) a. Jean est tombé de la chaise/dans le puits depuis trente minutes/depuis midi. (Résultatif : ?) b. Gianni è caduto dalla sedia/nel pozzo da trenta minuti/da mezzogiorno. c. Jean est tombé dedans (= dans le puits) depuis midi. (Résultatif : ?) d. Gianni è caduto dentro (= nel pozzo) da mezzogiorno. Dans la prochaine section, nous montrerons que les verbes de changement d’état grossir, maigrir et grandir, même s’ils sélectionnent l’auxiliaire avoir, sont compatibles avec l’interprétation résultative sous certaines conditions. À partir de cela, nous essayerons de formuler une généralisation permettant d’expliquer la compatibilité des verbes grossir, maigrir, grandir et tomber (comparer (17) avec (20)) avec l’interprétation résultative. III.5. L’adverbial ‘depuis x temps’ et les verbes de changement d’état grossir, maigrir et grandir : Dans la section III.2. nous avons vu que l’interprétation résultative est compatible avec l’auxiliaire ‘avoir’ pourvu que les verbes aient un Aktionsart télique. Certains verbes de changement d’état comme grossir, maigrir et grandir, qui ne sélectionnent pas l’auxiliaire être, sont quand même compatibles avec l’interprétation résultative si l’on ajoute un adverbe de degré comme beaucoup : 9 Anne Zribi-Hertz (c.p.) me fait observer qu’avec les deux sujets l’interprétation est différente. Avec le SN ‘parachutiste’ on comprend que ça fait deux heures que l’événement ‘tomber’ s’est produit mais cela n’implique pas du tout que le parachutiste soit resté par terre. En revanche, avec le SN ‘neige’ c’est différent. Une fois tombée, la neige reste par terre. Avec le SN ‘neige’, donc, le verbe ‘tomber’ se réduit à un verbe existentiel dont le contenu sémantique équivaut à ‘exister’, ‘se mettre à exister’. 152 CHAPITRE III RÉSULTATIVITÉ ET ÉTAT RÉSULTANT (Résultatif : *)(Perfectif : √) (21) Jean a grossi/maigri/grandi depuis trois mois. (22) Jean a beaucoup grossi/maigri/grandi depuis trois mois. (Résultatif : √)10 Les verbes de changement d’état grossir, maigrir et grandir font partie de la classe des verbes scalaires dont la réalisation d’un telos se fait nécessairement par degrés. Ces verbes sont donc compositionnellement téliques. Bertinetto et Squartini (1995) définissent les verbes scalaires de changement d’état en tant que verbes à accomplissement graduel ( « gradual completion verbs » (GCV)) car ils présentent « une approche graduelle d’un but final qui, pour des raisons pragmatiques, est plus ou moins clairement définissable »11. En particulier, ils observent qu’avec ces verbes l’emploi de l’adverbe beaucoup marque un degré élevé d’avancement du processus dénoté par le verbe. Ils observent, en outre, que même si ce degré élevé ne correspond pas à une limite précise, il marque malgré tout un avancement du changement d’état par rapport à une phase précédente. Or, en (22), l’adverbe scalaire beaucoup, en tant qu’expression de mesure, produit un effet télique en ce sens qu’il marque un avancement du changement d’état par rapport à une phase précédente. Nous supposons donc que les prédicats en (22) sont réinterprétés comme des prédicats dénotant un accomplissement scalaire compatible avec une interprétation résultative. En résumé, nous formulons l’hypothèse que les verbes grossir, maigrir et grandir, même s’ils ne sont pas intrinsèquement téliques, sont compatibles avec une interprétation résultative déclenchée par l’adverbe de degré beaucoup qui permet de décrire l’intervalle dénoté par ‘depuis’ en tant que « phase homogène tenant pendant toute la durée de l’intervalle de ‘depuis’ » (cf. Schaden (2007)). Dans la section précédente, nous avons remarqué que l’explicitation d’un SP dénotant le But ou la Source du mouvement déclenche l’interprétation résultative du verbe de changement de lieu ‘tomber’. En fait, les SP ‘de la chaise’ et ‘dans le puits’ en (20) sont interprétés comme compléments de mesure de l’événement dénoté par le verbe tout comme l’adverbe de degré ‘beaucoup’ en (22). Autrement dit, ces compléments permettent de décrire l’intervalle dénoté par ‘depuis’ en tant que « phase homogène tenant pendant toute la durée de 10 Les verbes de changement d’état ingrassare, dimagrire et crescere sélectionnent l’auxiliaire essere en italien. Ils sont donc tous compatibles avec une interprétation résultative. Nous reproduisons ci-dessous la traduction italienne des phrases (21) et (22) : (i) Gianni è ingrassato/dimagrito/cresciuto da tre mesi. (Résultatif : √) (ii) Gianni è ingrassato/dimagrito/cresciuto molto da tre mesi. (Résultatif : √) 11 « these verbs indicate that the event is characterised by the gradual approach to a goal, which for pragmatic reasons may or may not be clearly definable » (Bertinetto et Squartini (1995 : 12)). 153 CHAPITRE III RÉSULTATIVITÉ ET ÉTAT RÉSULTANT l’intervalle de ‘depuis’ » (cf. Schaden (2007)). C’est pourquoi les phrases en (20) sont plus acceptables, au moins pour certains locuteurs, que les phrases en (17). Le SP dénotant le But du mouvement explicite le point d’arrivée de la chute. Le But équivaut, donc, à l’état résultant compatible avec le ‘depuis’ résultatif. En revanche, le SP dénotant la Source du mouvement explicite le point de départ de la chute dont la trajectoire est définie par rapport à une échelle verticale avec une direction du haut vers le bas. C’est seulement si la Source du mouvement est explicitée que le verbe ‘tomber’ est quand même compatible avec le ‘depuis’ résultatif, le But du mouvement étant déjà encodé dans la matrice lexicale du verbe : (23) a. Jean est tombé de la chaise (par terre)/(sur la pelouse) depuis trente minutes/depuis midi. b. Gianni è caduto dalla sedia (per terra)/(sul prato) da trenta minuti/da mezzogiorno. III.6. Considérations sur l’incompatibilité des verbes ‘aller’ et ‘venir’ avec l’interprétation résultative : Comme nous l’avons vu (cf. (11a,b)), les verbes ‘aller’ et ‘venir’ ne sont pas compatibles avec l’interprétation résultative. Considérons les phrases suivantes : (24) Jean est venu depuis dix minutes. (Résultatif : *) (Perfectif : √) (25) Jean est allé à Rome depuis un mois. (Résultatif : *) (Perfectif : √) Les phrases en (24) et en (25) sont exclues de l’interprétation résultative. La phrase (24) ne veut pas dire : ‘Jean est arrivé il y a dix minutes et il est là’ au moment de l’énonciation. De la même manière, (25) n’implique pas : ‘Jean est arrivé à Rome il y a un mois et il est là’ au moment de l’énonciation. Autrement dit, dans les exemples ci-dessous la vérité de la proposition A à gauche n’implique pas celle de la proposition B à droite au moment de l’énonciation : (26) Jean est venu. Jean est là. (27) Jean est allé à Rome. Jean est à Rome. 154 CHAPITRE III RÉSULTATIVITÉ ET ÉTAT RÉSULTANT Bouchard (1995 : 242-243) observe que la trajectoire dénotée par les verbes ‘arriver’, ‘partir’, ‘entrer’ et ‘sortir’ n’est pas orientée vers un point défini en tant que déictique. En revanche, ‘aller’ et ‘venir’ sont des verbes déictiques et, en particulier, le verbe ‘aller’ dénote une trajectoire centrifuge par rapport au locuteur, tandis que la trajectoire dénotée par le verbe ‘venir’ est centripète par rapport au locuteur. L’événement dénoté par les verbes ‘aller’ et ‘venir’ se déroule le long de cette trajectoire déictique. En ce qui concerne le verbe ‘venir’, le But de la transition est atteint une fois que le SN sujet a parcouru la trajectoire déictique et qu’il est arrivé jusqu’au But de ce parcours. Le verbe ‘venir’ peut donc être associé à l’interprétation d’état résultant et à la place événementielle <e2>. En adoptant l’analyse formelle de Pustejovsky (1991) (cf. la section I.6.), nous proposons la représentation suivante : (28) T e1 Jean n'est pas encore venu chez moi (Evénement Initial) e2 Jean est venu chez moi (Etat Résultant) Jean est venu chez moi en deux minutes (Interprétation Télique) En revanche, le verbe ‘aller’ ne peut pas être associé à l’interprétation d’état résultant. Considérons la phrase suivante : (29) Jean est allé à Rome en deux heures. (Télique) La phrase (29) signifie que Jean a fait l’action d’aller à Rome pendant toute la durée de l’intervalle temporel dénoté par l’adverbial ‘en x temps’. Néanmoins, une fois que Jean est à Rome, on ne peut pas associer le verbe ‘aller’ à l’interprétation d’état résultant : 155 CHAPITRE III RÉSULTATIVITÉ ET ÉTAT RÉSULTANT (30) (État Résultant : *) (Perfectif : √) Jean est allé à Rome. En effet, une fois que Jean a atteint le But on ne peut pas affirmer que ‘Jean est allé à Rome’ mais, plutôt, que ‘Jean est à Rome/Jean est arrivé à Rome’. La représentation formelle que nous proposons pour le verbe ‘aller’ dans l’optique de Pustejovsky (1991) est la suivante : (31) T e1 Jean n'est pas encore allé à Rome (Evénement Initial) e2 Jean est arrivé à Rome (Etat Résultant) Jean est allé à Rome en deux minutes (Interprétation Télique) En (31), ‘aller’ dénote une transition. La place événementielle <e2> dénotant le point final de la transition n’est pas remplie par le verbe ‘aller’ mais par un verbe intrinsèquement télique comme ‘arriver’ qui permet d’interpréter correctement l’état résultant de la transition déclenchée par le verbe ‘aller’. En résumé, le verbe ‘venir’ peut être associé à l’interprétation d’état résultant, laquelle, comme nous l’avons montré (cf. la section III.1.), est à la base de l’interprétation résultative. Cependant, le verbe ‘venir’ n’est pas compatible avec une interprétation résultative (cf. (24)). En revanche, le verbe ‘aller’ ne peut pas être associé à l’interprétation d’état résultant et donc il n’est pas compatible non plus avec une interprétation résultative. L’incompatibilité de ‘aller’ avec le ‘depuis’ résultatif s’explique par le fait que ‘aller’ n’est pas associé à la position événementielle <e2> qui accueille l’état résultant (cf. (31)). L’incompatibilité de ‘venir’ avec l’interprétation résultative pourrait s’expliquer par le fait qu’une fois que le But est atteint, l’état résultant du verbe ‘venir’ ne peut pas s’interpréter 156 CHAPITRE III RÉSULTATIVITÉ ET ÉTAT RÉSULTANT comme « une phase homogène tenant pendant toute la durée de l’intervalle de ‘depuis’ » (Schaden (2007 : 126)). Autrement dit, une fois que le centre déictique est atteint, l’état résultant ‘X est venu’ épuise la possibilité de s’étendre à l’intérieur de l’intervalle temporel dénoté par le ‘depuis’ résultatif. III.7. Quelques observations sur la construction ‘il est resté Vé pendant x temps’ : Nous avons observé que l’interprétation résultative est solidaire de la notion d’état résultant (cf. la section III.1.). Plus précisément, nous avons observé que les verbes de changement de lieu tels que arriver, partir, entrer, sortir, venir et marginalement, pour certains locuteurs, tomber sont compatibles avec l’interprétation d’état résultant. En revanche, nous avons soutenu que le verbe aller n’est pas compatible avec cette interprétation. Le verbe ‘rester’ implique la continuation d’une condition préexistante, il s’ensuit qu’une durée temporelle est nécessairement présente dans son interprétation et qu’il est donc naturel de la rendre explicite à travers l’adverbial de durée ‘pendant x temps’. La construction ‘il est resté Vé pendant x temps’ est donc associée à une interprétation [+durative/continuative]. Par ailleurs, le verbe ‘rester’ est étiqueté comme un verbe continuatif par Bertinetto (2001 : 2935) qui associe à ce verbe le faisceau de traits [+duratif, -télique]. Les participes passés compatibles avec la construction ‘il est resté Vé pendant x temps’ correspondent à l’état (état résultant) issu d’une transition impliquant un changement de lieu ou d’état. En fait, les états se combinent très bien avec les adverbiaux de durée car ils dénotent des situations duratives. Néanmoins, pas tous les verbes que nous avons analysés dans les sections précédentes et qui sont compatibles avec l’interprétation d’état résultant sont aussi compatibles avec la construction ‘il est resté Vé pendant x temps’ : 157 CHAPITRE III RÉSULTATIVITÉ ET ÉTAT RÉSULTANT (32) a. Le torchon/L’huile est resté(e) sorti(e) du placard pendant trois heures. b. Jean est resté parti de la maison pendant trois ans. c. *Jean est resté arrivé/entré/venu pendant trois heures. d. ?*Jean est resté tombé (par terre/sur le sol) pendant trois heures. e. *Jean est resté allé à Nice pendant trois ans. Les exemples en (32) montrent que la construction ‘il est resté Vé pendant x temps’ n’est pas un test pour l’état résultant12. En ce sens, une question se soulève. Quelles sont les restrictions qui empêchent l’emploi des participes passés des verbes arriver, entrer, venir, tomber et aller avec cette construction ? La sémantique du verbe ‘rester’ est révélatrice à ce propos. Étant donné que le verbe ‘rester’ implique la continuation d’une condition préexistante, il ne peut pas être compatible avec l’interprétation d’état résultant du participe passé du verbe arriver car ce verbe est intrinsèquement télique/ponctuel et il est donc incompatible avec un adverbial de durée comme ‘pendant x temps’. Une fois que le SN sujet du verbe arriver a atteint le But, l’état résultant ‘X est arrivé’ épuise la possibilité de s’étendre à l’intérieur de l’intervalle temporel dénoté par l’adverbial ‘pendant x temps’. La même observation est valable pour les verbes intrinsèquement téliques entrer, venir et tomber. Comme nous l’avons observé à plusieurs reprises tout au long de cette étude, le verbe aller est compositionnellement télique (*Jean est allé/√Jean est allé à Rome), il ne peut donc pas être compatible avec la construction ‘il est resté Vé pendant x temps’ car la télicité est incompatible avec un contexte duratif. En revanche, les participes passés des verbes sortir et partir sont compatibles avec la construction ‘il est resté Vé pendant x temps’ (cf. (32a,b)). D’après nos observations, les verbes sortir et partir sont des verbes intrinsèquement téliques tout comme les verbes arriver, entrer, tomber et venir. La compatibilité des participes passés sorti et parti avec la construction ‘il est resté Vé pendant x temps’ peut s’expliquer si l’on suppose que ces participes sont interprétés dans cette construction, respectivement, comme un adjectif absent et comme un adverbe locatif dehors. En fait, l’adjectif absent et l’adverbe dehors sont compatibles avec cette construction puisqu’ils sont interprétés comme le complément prédicatif du verbe ‘rester’ : 12 Lagae (2005 : 128) observe que cette construction « est généralement difficile et donc peu révélatrice » pour tester l’état résultant. 158 CHAPITRE III RÉSULTATIVITÉ ET ÉTAT RÉSULTANT (33) a. Le torchon/L’huile est resté(e) hors du placard/dehors pendant trois heures. b. Jean est resté absent de la maison pendant trois ans. Comme nous l’avons remarqué (cf. les sous-sections I.7.3. et II.11.1.), les participes passés des verbes arriver, entrer et, marginalement, pour certains locuteurs, tomber peuvent, eux aussi, s’interpréter comme des éléments prédicatifs correspondant à des adverbes locatifs ou à des expressions locatives : arrivé = là, entré = dedans, tombé = par terre/sur le sol compatibles avec la construction ‘il est resté Vé pendant x temps’ : (34) a. Jean est resté là pendant trois heures. b. Jean est resté dedans pendant trois heures. c. Jean est resté par terre/sur le sol pendant trois heures. Toutefois, le participe de ces verbes n’est pas compatible avec la construction ‘il est resté Vé pendant x temps’ comme le montrent les exemples (32c,d). Nous n’avons pas à ce stade d’hypothèse à proposer pour expliquer cette incompatibilité. Empiriquement, il semble que les participes passés sorti et parti peuvent être interprétés comme des éléments marquant un état et sont donc compatibles avec une interprétation durative/continuative. L’emploi décrit en (32d) n’est pas unanimement écarté comme agrammatical par les francophones interrogés. Il est intéressant de remarquer que les locuteurs qui acceptent marginalement (32d) acceptent marginalement aussi l’emploi du ‘depuis’ résultatif avec le verbe tomber (cf. (20))13. En italien, aucun des emplois en (32) n’est possible. Cela encore une fois peut s’expliquer par le fait qu’en italien ces participes passés n’ont pas un emploi compatible avec une interprétation durative. Avant de conclure cette section, nous voudrions revenir sur la question du ‘depuis’ résultatif. Nous avons observé que l’interprétation résultative indique la continuation, au moment de l’énonciation, de l’état résultant issu d’un changement de lieu ou d’un changement d’état. Nous avons aussi observé (cf. la première partie du chapitre I) que les verbes arriver, partir, entrer et sortir ne sont pas compatibles avec un contexte duratif dénotant une activité et marqué par l’adverbial de durée ‘pendant x temps’. Toutefois, ces verbes sont compatibles avec l’interprétation résultative qui indique la continuation, au moment de l’énonciation, de 13 Je remercie Denis Creissels qui m’a fait observer ce fait. 159 CHAPITRE III RÉSULTATIVITÉ ET ÉTAT RÉSULTANT l’état résultant issu d’une transition (cf. la section III.3.). Il s’ensuit que dans l’interprétation résultative le participe passé des verbes arriver, partir, entrer et sortir s’interprète comme un complément prédicatif (cf. les sous-sections I.7.3. et II.11.1.). En effet, seule cette recatégorisation du participe passé permet d’interpréter l’intervalle de temps dénoté par le ‘depuis’ résultatif comme un intervalle de temps marquant la continuation d’un état préexistant : (35) a. Jean est arrivé (= là)/parti (=absent)/entré (= dedans)/sorti (= dehors) depuis hier. b. Jean est tombé (= sur le sol/par terre) depuis trente minutes. III.8. Récapitulation : Nous avons montré que l’interprétation résultative est compatible avec l’auxiliaire ‘avoir’ mais qu’elle est possible seulement avec des verbes à Aktionsart télique (cf. la section III.1.). Nous avons aussi montré que les verbes de changement de lieu ‘arriver’, ‘partir’, ‘entrer’ et ‘sortir’, qui sont intrinsèquement téliques, sont compatibles avec une interprétation résultative (cf. la section III.3.). Nous avons par ailleurs montré que l’interprétation résultative est totalement exclue avec les verbes de changement de lieu ‘aller’ et ‘venir’ (cf. la section III.3.). En outre, nous avons montré que certains verbes de changement d’état, qui ne sélectionnent pas l’auxiliaire ‘être’ et qui ne sont pas intrinsèquement téliques, sont compatibles avec une interprétation résultative moyennant la satisfaction de certaines contraintes syntaxiques. Nous avons observé que le verbe de changement de lieu ‘tomber’ est, lui aussi, soumis à certaines contraintes syntaxiques avec l’interprétation résultative (cf. les sections III.4. et III.5.). Finalement, dans la section III.7., nous avons montré que la construction ‘il est resté Vé pendant x temps’ est un test discutable pour l’état résultant. D’après les observations que nous avons faites jusqu’ici, il s’avère que, de même que la télicité n’est pas nécessairement liée à la sélection de l’auxiliaire ‘être’ (cf. la sous-section I.5.2.), la résultativité n’est pas non plus obligatoirement associée à la sélection de l’auxiliaire ‘être’, et ce, tant en français qu’en italien. En outre, il s’avère aussi que la sélection de l’auxiliaire ‘être’ n’est pas toujours compatible avec une interprétation résultative (cf. les verbes ‘aller’ et ‘venir’). Dans les sections suivantes, nous verrons que les verbes que nous avons analysés jusqu’ici, et qui ne sont pas compatibles avec une interprétation résultative, peuvent être 160 CHAPITRE III RÉSULTATIVITÉ ET ÉTAT RÉSULTANT associés à une lecture perfective si l’on construit un contexte approprié en manipulant la structure informationnelle de la phrase par l’intonation ou par le déplacement de l’adverbial ‘depuis x temps’. III.9. Le détachement de l’adverbial ‘depuis x temps’ : Dans la section III.2., nous avons vu que le verbe ‘chanter’ en tant que verbe atélique dénotant une activité n’est pas compatible avec une interprétation résultative : (36) Cunégonde a chanté depuis midi/trois heures. (Résultatif : *) (Perfectif : √) Si l’on place l’adverbial ‘depuis x temps’ en position frontale, l’adverbial peut se lire comme un topique scénique ( « stage topic » )14, c’est-à-dire comme une expression qui pose un espace temporel à l’intérieur duquel on interprète, ensuite, l’événement ‘Cunégonde a chanté’. Dans ces conditions, l’emploi de l’adverbial ‘depuis x temps’ ne pose pas de problèmes mais la phrase a une interprétation perfective et non plus résultative : (37) Depuis midi/trois heures, Cunégonde a chanté. (Perfectif : √) En (37), on comprend que l’événement ‘Cunégonde a chanté’ a eu lieu ‘au moins une fois’ à l’intérieur de l’intervalle de temps entre T 0 et midi/trois heures. Dans les sections III.3. et III.5., nous avons observé que les verbes aller, venir, grossir, maigrir et grandir ne sont pas compatibles avec le ‘depuis’ résultatif. Néanmoins, si l’on disloque l’adverbial ‘depuis x temps’ en position frontale on obtient des phrases compatibles avec une interprétation perfective : (Perfectif : √) (38) a. Depuis hier, Jean est venu. (Perfectif : √) b. Depuis hier, Jean est allé chez elle. (39) Depuis un an, Jean a grossi/maigri/grandi. (Perfectif : √) Dans les phrases en (38) on comprend que Jean est venu/allé chez elle ‘au moins une fois’ dans l’intervalle temporel entre ‘hier’ et T 0. La même chose s’observe en (39) : on comprend 14 Cf. Erteschik-Shir ((1997) et (1999)). 161 CHAPITRE III RÉSULTATIVITÉ ET ÉTAT RÉSULTANT que Jean a grossi/maigri/grandi ‘au moins une fois’ dans l’intervalle de temps entre ‘un an’ et T0. Si dans les phrases en (38) et en (39) on insère l’adverbial itératif ‘trois fois’, on obtient les phrases suivantes : (Perfectif : √) (40) a. Jean est venu trois fois depuis hier. (Perfectif : √) b. Jean est allé chez elle trois fois depuis hier. (41) (Perfectif : √) Jean a grossi/maigri/grandi trois fois depuis un an. Intuitivement, en (40), l’adverbial itératif ‘trois fois’ épuise le nombre des venues et des allées. Le rôle de l’adverbial itératif est donc celui de marquer explicitement « la classe des instants temporaux » délimitée par l’intervalle temporel dénoté par ‘depuis’ (Franckel 1989 : 28)15. La représentation de l’adverbial itératif sur l’axe temporel serait donc la suivante : (42) X hier ère X ème (1 fois) (2 fois) (3 X ème fois) t T0 L’adverbial itératif ‘trois fois’ déclenche une interprétation perfective du prédicat et la préposition ‘depuis’ s’interprète donc comme un ‘depuis’ perfectif et pas comme un ‘depuis’ résultatif. Le verbe ‘tomber’, tout comme les autres verbes de changement de lieu ‘arriver’, ‘partir’, ‘entrer’ et ‘sortir’, est également compatible avec l’adverbial itératif ‘trois fois’ comme le montrent les exemples ci-dessous. Tout comme pour les verbes ‘aller’ et ‘venir’, pour ces verbes aussi l’interprétation déclenchée par l’adverbial itératif est perfective et non pas résultative : 15 Voir Franckel (1989 : 196) pour plus de détails à ce propos. 162 CHAPITRE III RÉSULTATIVITÉ ET ÉTAT RÉSULTANT (43) a. Jean est tombé trois fois depuis lundi. (Perfectif : √) b. Jean est arrivé trois fois au sommet depuis le début de sa carrière sportive/parti trois fois depuis le mois de mai/entré trois fois depuis ce matin/sorti trois fois depuis ce (Perfectif : √) matin. D’après ces exemples, il s’ensuit que l’insertion de l’adverbial itératif ‘trois fois’ permet d’avoir une interprétation perfective sans construire l’adverbial ‘depuis x temps’ comme topical. III.9.1. Le détachement de l’adverbial ‘depuis x temps’ et la portée : Considérons les exemples suivants : (44) a. Depuis hier/deux jours, Jean est venu chez nous. b. Depuis hier/deux jours, Jean est allé chez elle. (45) a. Jean est VENU chez nous depuis hier/deux jours. b. Jean est ALLÉ chez elle depuis hier/deux jours. (Perfectif : √) (Perfectif : √) (Perfectif : √) (Perfectif : √) En (44), le détachement de la préposition ‘depuis’ et de son complément place l’expression ‘depuis x temps’ hors de l’intonation d’assertion et oblige l’allocuteur à rechercher, dans le contexte énonciatif, le moment auquel le processus dénoté par le verbe réfère et à le situer à l’intérieur de l’intervalle temporel dénoté par ‘depuis’. L’interprétation est donc perfective. En particulier, en (45), l’interprétation perfective est marquée au niveau intonatif par un focus intonatif sur le verbe et le détachement en position frontale de l’adverbial ‘depuis x temps’ n’est pas nécessaire16. D’après les observations que nous avons faites sur l’interprétation perfective et l’emploi de l’adverbe itératif ‘trois fois’ avec les verbes venir et aller (cf. supra), nous supposons que l’interprétation perfective est déclenchée par un operateur de portée qui dénombre le(s) occurrence(s) de l’événement dénoté par le verbe. Le terme ‘portée’ est utilisé en linguistique pour désigner le domaine sur lequel un opérateur fait effet. Dans les exemples ci-dessous, 16 La même chose s’observe avec les verbes de changement d’état grossir, maigrir et grandir (cf. la section III.5.) : (i) a. Jean a GROSSI/MAIGRI/GRANDI depuis un an. (Perfectif : √) b. Depuis un an, Jean a grossi/maigri/grandi. (Perfectif : √) 163 CHAPITRE III RÉSULTATIVITÉ ET ÉTAT RÉSULTANT nous considérons l’adverbe itératif ‘trois fois’ comme un opérateur de portée qui fait effet sur le prédicat auquel il est associé et qui dénombre ce prédicat en trois sous-événements. Nous supposons que dans une représentation formelle l’adverbial ‘trois fois’ peut être associé à une projection QtS (où Qt = quantité) qui a portée sur le verbe : (46) QtS[trois foisi SI[Jean est venu chez nous/allé chez elle ti]]17 Jean est venu/allé chez elle trois fois. L’adverbial itératif ‘trois fois’ déclenche une interprétation perfective et, dans ce cas-là, le détachement de l’adverbial ‘depuis x temps’ n’est pas nécessaire : (47) Jean est venu/allé chez elle trois fois depuis lundi. Si le nombre d’occurrences de l’événement n’est pas explicité, l’adverbial ‘depuis x temps’ est obligatoirement détaché. Dans ce cas-là, nous supposons qu’un opérateur de portée est quand même présent en forme logique. Cette opérateur de portée représenté par l’expression ‘x fois’ ne spécifie pas le nombre des occurrences de l’événement dénoté par le verbe mais la phrase s’interprète par défaut, on comprend que l’événement a eu lieu ‘au moins une fois’18 : (48) QtS[x foisi SI[Jean est venu/allé chez elle t i]] Depuis lundi, Jean est venu/allé chez elle. Jean est VENU/ALLÉ chez elle depuis lundi. En revanche, avec les verbes arriver, partir, entrer, sortir et tomber, qui sont compatibles avec une interprétation perfective et résultative, nous supposons que l’opérateur de quantité (Qt) est projeté en forme logique dans l’interprétation perfective : 17 À la différence des mouvements en Structure S (= de surface), qui sont visibles, le mouvement décrit en (46) s’opère en forme logique (FL) où la vérification des propriétés logiques et sémantiques de la phrase provoque des mouvements de syntagmes qui restent invisibles. 18 x est une variable qui dénote donc ‘une quantité non spécifiée d’événements’. 164 CHAPITRE III RÉSULTATIVITÉ ET ÉTAT RÉSULTANT (49) QtS[x fois/trois foisi SI[Jean est arrivé/sorti/entré/parti/tombé t i]] Jean est arrivé/sorti/entré/parti/tombé trois fois depuis le mois d’avril. Depuis le mois d’avril, Jean est arrivé/sorti/entré/parti/tombé. Jean est ARRIVÉ/SORTI/ENTRÉ/PARTI/TOMBÉ depuis le mois d’avril. Dans les prochaines sections, nous aborderons le comportement des verbes météorologiques français et italiens vis-à-vis de l’adverbial ‘depuis x temps’. III.10. Les verbes météorologiques et leur compatibilité avec l’adverbial ‘depuis x temps’ : Au chapitre II, nous avons vu qu’en anglais, espagnol, français et italien les verbes météorologiques ‘pleuvoir’, ‘neiger’ et ‘grêler’ encodent dans leurs racines deux composantes sémantiques : la Figure et le déplacement de celle-ci avec une orientation du haut vers le bas. Ruwet (1986 : 210, note 13) observe que le substantif pluie dénote seulement une précipitation atmosphérique et pas de substance, tandis que le substantif neige dénote aussi bien une précipitation atmosphérique que la substance résultant de la précipitation. Tout comme le substantif neige, le substantif grêle dénote aussi bien une précipitation atmosphérique que la substance résultant de la précipitation. Ces observations de nature lexicale, typologique et sémantique nous seront utiles pour comprendre certains comportements syntaxiques des verbes météorologiques et leur compatibilité avec l’adverbial ‘depuis x temps’. III.10.1. Le verbe ‘tomber’ + SN atmosphérique + ‘depuis x temps’ : Le verbe ‘tomber’ est intrinsèquement télique et il dénote un mouvement directionnel du haut vers le bas. Il est donc compatible avec les substantifs neige et grêle qui dénotent la précipitation d’une substance atmosphérique. L’emploi du verbe ‘tomber’ au passé composé avec un sujet météorologique est compatible avec l’adverbial ‘depuis x temps’ : 165 CHAPITRE III RÉSULTATIVITÉ ET ÉTAT RÉSULTANT (50) La neige/La grêle est tombée depuis trente minutes. Cette compatibilité rejoint les observations sémantiques de Ruwet à propos des SN météorologiques. Les SN neige et grêle dénotent une substance atmosphérique qui est le résultat effectif/tangible d’une précipitation atmosphérique. Autrement dit, (50) dénote le résultat d’un processus de précipitation (c’est-à-dire d’un mouvement dynamique directionnel) compatible avec le ‘depuis’ résultatif. En revanche, l’interprétation résultative avec le SN pluie est bloquée par la sélection lexicale du SN sujet : (51) *La pluie est tombée depuis trente minutes. Empiriquement, en (51), on ne peut plus comprendre qu’il s’agit d’un résultatif, par exemple, de l’eau tombée dans un tonneau car, comme l’a observé Ruwet (cf. dessus), le SN pluie dénote seulement la substance météorologique en tant que précipitation et pas en tant que résultat de la précipitation. En revanche, le SN eau est compatible avec l’interprétation résultative car il dénote la substance atmosphérique résultant de la précipitation : (52) Cette eau est tombée depuis trente minutes. Dans la prochaine section, nous analyserons les verbes météorologiques ‘pleuvoir’, ‘neiger’ et ‘grêler’ en italien et en français et leur compatibilité avec l’adverbial ‘depuis x temps’. III.10.2. Les verbes météorologiques ‘pleuvoir’, ‘neiger’ et ‘grêler’ + ‘depuis x temps’ : Comme nous l’avons remarqué dans la sous-section II.14.1.1., les verbes météorologiques en italien sélectionnent aussi bien l’auxiliaire avere (interprétation atélique dénotant une activité) que l’auxiliaire essere (interprétation télique). Quand ils sélectionnent l’auxiliaire essere, ils sont compatibles aussi avec une interprétation perfective comme le montrent les exemples ci-dessous : 166 CHAPITRE III RÉSULTATIVITÉ ET ÉTAT RÉSULTANT (53) a. pro è piovuto/nevicato/grandinato alle otto. (Perfectif : √) Lit. (il) est plu/neigé/grêlé à huit heures b. pro ha piovuto/nevicato/grandinato alle otto. (Perfectif : √) Lit. (il) a plu/neigé/grêlé à huit heures Considérons, maintenant, les exemples suivants illustrant l’emploi de l’adverbial ‘depuis x temps’ : (54) pro è piovuto/nevicato/grandinato da mezzanotte. (Résultatif : *) (Perfectif : √) Lit. (il) est plu/neigé/grêlé depuis minuit (55) pro ha piovuto/nevicato/grandinato da mezzanotte. (Résultatif : *) (Perfectif : √) Lit. (il) a plu/neigé/grêlé depuis minuit Les phrases (54) et (55) réfèrent à un événement qui a commencé à minuit et qui est terminé avant T0 ou bien elles veulent dire que dans l’intervalle de temps entre minuit et T 0, il a plu au moins une fois19. Les deux interprétations sont perfectives et non pas résultatives. En résumé, en (54) et (55) l’adverbial da mezzanotte peut être associé à deux interprétations perfectives dont, la première se traduit en français par l’expression à partir de (cf. (56)), tandis que l’autre correspond au depuis perfectif qui marque que l’événement a eu lieu au moins une fois entre minuit et T0 (cf. (57)) : (56) Il a plu/neigé/grêlé à partir de minuit. (Résultatif : *) (Perfectif : √) (57) Il a plu/neigé/grêlé depuis minuit. (Résultatif : *) (Perfectif : √) L’emploi de l’adverbial ‘depuis x temps’ avec l’auxiliaire essere en (54) semble contraint. Dans l’optique d’une analyse inaccusative des verbes météorologiques, certains auteurs, parmi lesquels Ruwet (1989) et Fernandez-Soriano (1999 : 129), ont supposé que les verbes météorologiques sélectionnent un ‘objet interne’ qui fusionne avec le verbe et qui reste implicite : 19 Contrairement au passé composé, l’emploi du temps présent indique que la pluie/neige/grêle n’a pas cessé de tomber entre minuit et T0 : (i) pro piove/nevica/grandina da mezzanotte (e piove/nevica/grandina ancora in T0). (ii) Il pleut/neige/grêle depuis minuit (et il pleut/neige/grêle encore à T0). 167 CHAPITRE III RÉSULTATIVITÉ ET ÉTAT RÉSULTANT (58) a. Il pleut (de la pluie). b. pro piove (pioggia). c. Il neige (de la neige). d. pro nevica (neve). e. Il grêle (de la grêle). f. pro grandina (grandine). Selon l’hypothèse inaccusative (cf. chapitre I), le sujet d’un verbe inaccusatif est engendré comme argument interne, puis il se déplace dans [spéc. SI] ou bien reste in situ. En italien, la sélection de l’auxiliaire essere est un indice d’inaccusativité. Les phrases en (54) auraient donc une structure syntaxique à argument interne (‘objet interne’) implicite. Selon l’analyse de Tenny (1994), l’argument interne des verbes inaccusatifs est un évaluateur car, tout comme les C.O.D. des prédicats dénotant des accomplissements, il est en mesure de délimiter temporellement l’événement dénoté par le prédicat. Si cela était vrai, il ne devrait exister aucune contrainte sur l’emploi de l’adverbial ‘depuis x temps’ avec l’auxiliaire essere en (54). Toutefois, cette prédiction n’est pas vérifiée. Les phrases en (54) ne sont pas compatibles avec une interprétation résultative même si l’auxiliaire sélectionné est essere. Autrement dit, les phrases en (54) n’impliquent pas qu’au moment de l’énonciation il soit encore en train de pleuvoir, neiger ou grêler. Cependant, si l’on explicite l’argument interne, le verbe est réinterprété comme un accomplissement et est alors compatible avec l’interprétation résultative : (59) pro è piovuta sabbia/acqua scura da mezzanotte. (Résultatif : √) Lit. (il) est plu(e) (du) sable/(de l’) eau foncée depuis minuit (60) pro è nevicata neve scurissima da mezzanotte. (Résultatif : √) Lit. (il) est neigée (de la) neige très foncée depuis minuit (61) pro è grandinata grandine color verde da mezzanotte. (Résultatif : √) Lit. (il) est grêlée (de la) grêle couleur verte depuis minuit Les SN sabbia, acqua scura, neve scurissima et grandine color verde en (59), (60) et (61) dénotent la substance qui est tombée, donc l’état résultant de la précipitation atmosphérique, qui est compatible avec une interprétation résultative. 168 CHAPITRE III RÉSULTATIVITÉ ET ÉTAT RÉSULTANT Les verbes météorologiques piovere, nevicare et grandinare présentent des similitudes avec le verbe cadere : ils sont tous pourvus d’une composante sémantique directionnelle qui encode un mouvement orienté de haut en bas et, en outre, ils sont contraints dans leur combinaison avec l’adverbial ‘depuis x temps’ lorsque l’auxiliaire sélectionné est essere. C’est seulement quand ils sont re-catégorisés comme verbes dénotant un état résultant, et que cet état résultant est explicité par un SN, qu’ils deviennent compatibles avec une interprétation résultative, comme le montrent les exemples (59), (60) et (61) que nous venons d’analyser. Néanmoins, la présence explicite de l’objet interne révèle de nouvelles contraintes avec le verbe piovere : (62) pro è piovuta una pioggerella fine da mezzanotte. (Résultatif : *) (Perfectif : √) Lit. (il) est plue (une) petite pluie fine depuis minuit En (62), l’interprétation résultative est bloquée par la sélection lexicale pioggerella fine qui dénote la précipitation et non pas la substance résultant de l’événement atmosphérique. En revanche, (60) et (61) sont parfaitement compatibles avec l’interprétation résultative car les SN neve et grandine dénotent aussi bien la précipitation que la substance atmosphérique. En français, les verbes météorologiques sélectionnent l’auxiliaire avoir et l’interprétation résultative associée à l’expression ‘depuis x temps’ est impossible : (63) (Résultatif : *) (Perfectif : √) Il a plu/neigé/grêlé depuis midi. Toutefois, si l’on explicite l’argument interne, le verbe est réinterprété comme un accomplissement et est alors compatible avec l’interprétation résultative : (64) a. Il a plu du sable très fin depuis hier soir. (Résultatif : √) b. Il a neigé de la neige bien blanche depuis minuit. (Résultatif : √) c. Il a grêlé des cailloux gros comme des œufs depuis hier soir. (Résultatif : √) Ci-dessous nous allons analyser plus en détail l’interprétation perfective associée à l’emploi de l’adverbial ‘depuis x temps’ avec les verbes météorologiques. 169 CHAPITRE III RÉSULTATIVITÉ ET ÉTAT RÉSULTANT III.10.3. Le détachement de l’adverbial ‘depuis x temps’ avec les verbes météorologiques : Si l’expression ‘depuis x temps’ subit un détachement et se situe hors de l’intonation d’assertion, l’interprétation du prédicat est perfective et non pas résultative : (65) Depuis un an, il a plu/neigé/grêlé. (Résultatif : *) (Perfectif : √) (66) Il a PLU/NEIGÉ/GRÊLÉ depuis un an. (Résultatif : *) (Perfectif : √) En (65) et (66) on comprend qu’il a plu/neigé/grêlé ‘au moins une fois’ dans l’intervalle temporel entre ‘un an’ et T0. En particulier, en (66) l’interprétation perfective est marquée par un focus intonatif sur le verbe. Comme nous l’avons déjà remarqué dans la section III.9., l’emploi de l’adverbial itératif ‘trois fois’ déclenche une interprétation perfective et le détachement de l’adverbial ‘depuis x temps’ n’est pas nécessaire : (67) Il a plu/neigé/grêlé trois fois depuis un an. La même chose s’observe en italien : (68) pro ha/è piovuto/nevicato/grandinato tre volte da un anno. Dans la prochaine section, qui conclut la première partie de ce chapitre, nous verrons que, dans certaines variétés de français d’Amérique où l’auxiliaire avoir est employé pour conjuguer tous les verbes (cf. la section I.9.), l’emploi du depuis résultatif exige la sélection de l’auxiliaire être. III.11. L’emploi du ‘depuis’ résultatif en français québécois et en français acadien : En ce qui concerne l’interprétation résultative, l’emploi de l’adverbial ‘depuis x temps’ avec les verbes de changement de lieu arriver, partir, entrer et sortir déclenche la sélection de l’auxiliaire être en FQ20 : 20 Je remercie Marie-Thérèse Vinet et Ruth King pour les données du FQ et du FA. 170 CHAPITRE III RÉSULTATIVITÉ ET ÉTAT RÉSULTANT (69) a. Jean a arrivé/parti/entré/sorti depuis lundi. b. Jean est arrivé/parti/entré/sorti depuis lundi. (Résultatif : *) (Perfectif : √) (Résultatif : √) (Perfectif : *) Selon nos attentes, si l’on ajoute l’adverbial fréquentatif trois fois, l’adverbial ‘depuis x temps’ est compatible avec l’auxiliaire avoir. Toutefois, dans ce cas, l’interprétation est perfective et non pas résultative : Il a sorti de chez elle trois fois depuis trente minutes. (Résultatif : *) (Perfectif : √) (70) En FA, tout comme en FQ, le depuis résultatif est compatible seulement avec l’auxiliaire être : (71) a. Il a arrivé/parti/entré/sorti depuis trente minutes. b. Il est arrivé/parti/entré/sorti depuis trente minutes. (Résultatif : *) (Perfectif : √) (Résultatif : √) (Perfectif : *) (72) a. Il a mouri depuis lundi. (Résultatif : *) (Perfectif : √) b. Il est mort depuis lundi. (Résultatif : √) (Perfectif : *) Les données présentées ci-dessus montrent que l’emploi de l’auxiliaire être est encore vivant dans les variétés de français parlé en Amérique mais que cet emploi est limité à l’interprétation résultative. Nous suggérons que ce comportement peut s’interpréter comme la dernière opposition vers une généralisation de la distribution de l’auxiliaire avoir dans ces variétés de français. III.12. Récapitulation : L’analyse de la compatibilité des verbes météorologiques italiens piovere, nevicare et grandinare avec l’adverbial da x tempo (‘depuis x temps’) nous a permis de détecter certains comportements à première vue inattendus. Par exemple, nous avons observé que l’adverbial da x tempo entraîne une interprétation perfective aussi bien avec l’auxiliaire essere qu’avec l’auxiliaire avere. En particulier, nous avons observé que les verbes météorologiques piovere, nevicare et grandinare sont compatibles avec l’interprétation résultative pourvu qu’ils sélectionnent l’auxiliaire essere et que le SN sujet dénotant la substance atmosphérique soit 171 CHAPITRE III RÉSULTATIVITÉ ET ÉTAT RÉSULTANT explicité. Si aucun SN sujet n’est explicité, on a une interprétation perfective mais pas une interprétation résultative. L’interprétation résultative est pour nous solidaire de la notion d’état résultant (cf. la section III.1.), nous sommes donc conduite à supposer que le participe passé des verbes piovere, nevicare et grandinare quand il est associé à l’auxiliaire essere et qu’il ne sélectionne pas un SN sujet, ne dénote pas un état résultant. Autrement dit, les phrases : (73) È piovuto/nevicato/grandinato. Lit. (il) est plu/neigé/grêlé seraient associées à une interprétation perfective non à un état résultant. Deuxième partie : le participe absolu et l’état résultant La deuxième partie de ce chapitre est consacrée à l’analyse de la construction participiale absolue. D’après les données que nous présenterons, le participe passé compatible avec la construction participiale absolue est associé à une interprétation d’état résultant et non pas à une interprétation télique. Nous montrerons, en outre, que le participe absolu, contrairement à ce qui est généralement admis, n’est pas un test fiable d’inaccusativité. Cette analyse nous permettra de décrire plus en détail la différence entre deux des notions aspectuelles dont nous avons traité dans cette étude, à savoir, la notion d’état résultant et la notion de télicité. III.13. La construction participiale absolue (PA) : D’après Burzio (1981, 1986), Perlmutter (1989), Legendre (1989) et Belletti (1990), entre autres, la construction participiale absolue (désormais PA) est possible avec le participe passé des verbes transitifs et des verbes inaccusatifs. Les verbes inergatifs sont exclus de cette construction : 172 CHAPITRE III RÉSULTATIVITÉ ET ÉTAT RÉSULTANT (74) a. Arrivata Maria, fummo tutti più allegri. b. Une fois Marie arrivée, tout le monde fut plus content. (75) a. Tagliata la torta, gli invitati applaudirono. b. Une fois coupé le gâteau, les invités ont applaudi. (76) a. *Reagito Giovanni, ci fu un momento di imbarazzo. b. *Une fois réagi Jean, il y eut un moment d’embarras. (77) a. *Tagliato Giovanni la torta, gli invitati applaudirono. b. *Une fois coupé Jean le gâteau, les invités ont applaudi. Plus précisément, en italien, le sujet des verbes inaccusatifs et l’objet des transitifs sont compatibles avec le PA, tandis que le sujet des verbes inergatifs et celui des verbes transitifs n’est pas admis dans cette construction. La même chose s’observe en français. III.13.1. Le PA et l’aspect : Legendre et Sorace (2003 : 221-222) observent que la construction participiale absolue est soumise à deux restrictions aspectuelles : la télicité et la dynamicité. En particulier, les auteurs observent que l’événement secondaire décrit par le PA doit être achevé avant que ne commence l’événement principal dénoté par la phrase matrice (restriction sur la télicité) et que l’état dénoté par le PA doit être le résultat d’un changement (restriction sur la dynamicité). Le PA est souvent introduit par l’expression ‘une fois’ qui est associée à la place événementielle <e2>, qui accueille l’état résultant d’un changement d’état ou de lieu. Le participe passé compatible avec le PA est donc associé à une interprétation d’état résultant et, par conséquent, à la sélection de l’auxiliaire ‘être’21. Or, bien que Legendre et Sorace observent qu’un prédicat pour être compatible avec le PA doit être télique, nous avons remarqué dans la sous-section I.7.3. que l’interprétation télique est associée à deux places événementielles <e1> et <e2>. Il s’ensuit que cette interprétation ne peut pas être compatible avec le PA qui, au contraire, dénote un état résultant et donc est associé à la position événementielle <e2>. En effet, l’expression ‘une fois’ n’est pas compatible avec l’adverbial ‘en x temps’ marquant une transition télique comme le montrent les exemples ci-dessous : 21 Dans la sous-section I.7.3., nous avons déjà observé que l’interprétation d’état résultant est associée à la sélection de l’auxiliaire ‘être’. 173 CHAPITRE III RÉSULTATIVITÉ ET ÉTAT RÉSULTANT (78) a. *Une fois les pompiers arrivés en deux minutes, nous sortîmes de l’immeuble. b. Une fois les pompiers arrivés, nous sortîmes de l’immeuble. (79) a. *Une fois Marie arrivée en deux minutes, nous sortîmes. b. Une fois Marie arrivée, nous sortîmes. Les exemples en (78) et (79) montrent que le PA est compatible avec l’interprétation d’état résultant et non pas avec l’interprétation télique22. III.13.2. Le PA et l’état résultant : Dans leur analyse, Legendre et Sorace distinguent entre participe absolu (PA) et participe équi (PE). Or, la différence entre PA et PE réside, en particulier, dans la relation de coréférence que le sujet de la phrase participiale établit avec celui de la phrase matrice. Dans le PA, le sujet de la principale n’est pas co-indicé avec celui de la participiale, tandis que dans le PE le sujet de la participiale établit une relation de coréférence avec le sujet de la principale. Legendre et Sorace affirment qu’il y a aussi des différences aspectuelles entre les deux constructions, en particulier, dans le PE, contrairement à ce qu’on observe dans le PA, « Le temps de l’événement secondaire doit seulement chevaucher celui de l’événement principal, et n’est pas le résultat d’un changement » (cf. Legendre et Sorace (2003 : 222223))23. Les exemples en (80) et (81), où le prédicat dénote un état ou la continuation d’un état préexistant, sont des exemples de PE. Néanmoins l’adverbial aspectuel ‘une fois’ est compatible avec ces constructions comme le montrent les exemples en (82) et (83) : (80) Assis au premier rang, les enfants ne quittaient pas la scène des yeux. (Legendre et Sorace (2003 : 222 (54a))) (81) Restée/demeurée seule à la maison, Marie se mit à pleurer. (Legendre et Sorace (2003 : 222 (54e))) (82) Une fois assis au premier rang, les enfants ne quittaient pas la scène des yeux. (83) Une fois restée/demeurée (seule) à la maison, Marie se mit à pleurer. 22 Je remercie Béatrice Lamiroy et Denis Creissels pour les exemples en (78) et (79). Nous renvoyons le lecteur à Loporcaro (2003) pour plus de détails en ce qui concerne la distinction entre PA et PE. 23 174 CHAPITRE III RÉSULTATIVITÉ ET ÉTAT RÉSULTANT Les exemples en (82) et (83) montrent que le PE peut, lui aussi, être compatible avec une interprétation d’état résultant à condition qu’on puisse construire le prédicat comme épisodique ( « stage-level » )24, c’est-à-dire comme dénotant une propriété susceptible de changement. L’explicitation de l’expression ‘une fois’ déclenche, en effet, l’interprétation d’état résultant d’un changement. L’exemple (82) est donc grammatical et l’interprétation peut suggérer que ‘les enfants’ sont passés de la position debout à la position assise ou qu’ils ont glissé (sans se lever) de leurs sièges du deuxième rang jusqu’aux sièges du premier rang ou encore qu’ils ont déplacé leur fauteuil roulant du deuxième rang au premier rang, etc. La phrase (83) est, elle aussi, grammaticale et son interprétation suggère que ‘Marie’ est passée d’un état de non solitude ‘ne pas être seule’ à un état de solitude marqué par l’adjectif ‘seule’. La suppression de l’adjectif ‘seule’ en (83) ne change pas d’interprétation : (84) Une fois restée/demeurée à la maison, Marie se mit à pleurer. L’exemple (84) suggère que ‘Marie’ est passée d’un état où elle était dans un lieu autre que la maison à un état où elle était à la maison. La compatibilité de l’expression ‘une fois’ avec des adjectifs, qui, notamment, expriment des états, déclenche une interprétation d’état résultant. Donc, des phrases comme : (85) a. Une fois (devenu) rouge/jaune/pâle/grand/gros/gras/maigre/mince/vieux, Jean…. b. Une fois (devenu) liquide, l’eau s’est déversée dans les champs. sont grammaticales à condition qu’on puisse construire le prédicat comme dénotant une propriété susceptible de changement et issue d’une transition. Dans ce cas, un participe passé marquant la transition est sous-entendu. Il s’agit du participe passé du verbe devenir. Dans les prochaines sous-sections, nous analyserons la compatibilité du PA avec différents groupes de verbes. Nous verrons que la condition nécessaire pour qu’un participe passé puisse être compatible avec un PA est qu’il soit associé à l’interprétation d’état résultant et, corrélativement, à la sélection de l’auxiliaire ‘être’. 24 Nous renvoyons le lecteur à Kratzer (1995) pour une définition détaillée de état épisodique ou transitoire ( « stage-level » ) et état permanent ( « individual-level » ). 175 CHAPITRE III RÉSULTATIVITÉ ET ÉTAT RÉSULTANT III.13.2.1. Les verbes de changement d’état : Comme nous l’avons observé dans les sections III.1. et III.2., l’interprétation résultative est associée à l’auxiliaire ‘être’. Voici des exemples incluant des verbes de changement d’état qui montrent qu’avec ces verbes l’interprétation résultative est associée à la sélection de l’auxiliaire ‘être’ : (86) a. Le chocolat *a/est fondu depuis une demi-heure. (Résultatif) Il cioccolato *ha/è fuso da mezzora. b. Le papier mural *a/est jauni depuis lundi. La carta da parati *ha/è ingiallita da lunedì. c. Les murs *ont/sont noirci(s) depuis lundi. I muri *hanno/sono anneriti da lunedì. En français, ces verbes sont tous compatibles avec le PA comme le montrent les exemples cidessous : (87) a. Une fois le chocolat fondu, le pâtissier a étalé la pâte pour le gâteau. b. Une fois le papier mural jauni, les ouvriers l’ont remplacé. c. Une fois les murs noircis, les ouvriers les ont repeints. Certains verbes de changement d’état tels que grossir, maigrir et grandir, entre autres, sélectionnent l’auxiliaire avoir : (88) Jean a/*est grossi/maigri/grandi. Ces verbes ne sont donc pas compatibles avec une interprétation résultative, et, pas non plus avec une construction participiale absolue comme le montrent les exemples suivants : 176 CHAPITRE III RÉSULTATIVITÉ ET ÉTAT RÉSULTANT (89) Jean a grossi/maigri/grandi depuis deux mois. (Résultatif : *)(Perfectif : √) (90) a. *Une fois grossi, nous ne l’avons pas reconnu. b. *Une fois maigri, nous ne l’avons pas reconnu. c. *Une fois grandi, nous ne l’avons pas reconnu. Le comportement des verbes grossir, maigrir et grandir face au PA ne nous surprend pas vu que dans la section précédente nous avons défini le PA comme une construction compatible avec l’interprétation d’état résultant, laquelle est à son tour liée à la sélection de l’auxiliaire ‘être’. Les verbes de changement d’état italiens correspondant aux verbes de changement d’état français analysés ci-dessus sont tous compatibles avec le PA car ils sélectionnent tous l’auxiliaire essere : (91) a. Una volta fuso il cioccolato, il pasticcere ha steso la pasta per il dolce. (= (87a)) b. Una volta ingiallita la carta da parati, gli operai l’hanno sostituita. (= (87b)) c. Una volta anneriti i muri, gli operai li hanno ridipinti. (= (87c)) d. Una volta ingrassato, non lo riconoscemmo. (= (90a)) e. Una volta dimagrito, non lo riconoscemmo. (= (90b)) f. Una volta cresciuto, non lo riconoscemmo. (= (90c)) III.13.2.2. Les verbes de changement de lieu ‘arriver’, ‘partir’, sortir’, ‘entrer’, ‘tomber’, ‘venir’ et ‘aller’ : Les verbes de changement de lieu ‘arriver’, ‘partir’, ‘sortir’, ‘entrer’, ‘tomber’ et ‘venir’ sont tous compatibles avec un PA. Ils sélectionnent l’auxiliaire ‘être’ dans les deux langues et ils sont compatibles avec une interprétation d’état résultant : 177 CHAPITRE III RÉSULTATIVITÉ ET ÉTAT RÉSULTANT (92) a. Une fois Jean arrivé/parti/sorti/entré/tombé/venu, nous sortîmes. b. Una volta arrivato/partito/uscito/entrato/caduto/venuto Gianni, uscimmo. Contrairement aux verbes ‘arriver’, ‘partir’, ‘sortir’, ‘entrer’, ‘tomber’ et ‘venir’, le verbe ‘aller’ n’est pas intrinsèquement télique et afin d’être accepté dans un PA il est nécessaire que le point final de la transition télique soit explicité : (93) a. *Une fois les parents allés, nous nous précipitions sur la télé pour regarder les programmes qu’ils nous interdisaient de voir. b. *Una volta andati i genitori, ci precipitavamo davanti alla televisione per guardare i programmi che ci impedivano di vedere. (94) a. Une fois les parents allés à la messe, nous nous précipitions sur la télé pour regarder les programmes qu’ils nous interdisaient de voir. b. Una volta andati a messa i genitori, ci precipitavamo davanti alla televisione per guardare i programmi che ci impedivano di vedere. Dans la section III.6., nous avons observé que le verbe ‘aller’ n’est pas compatible avec l’interprétation d’état résultant. Par ailleurs, dans la sous-section III.13.2., nous avons supposé que le PA est compatible avec les participes passés associés à une interprétation d’état résultant. La compatibilité du verbe ‘aller’ avec le PA (cf. aussi la sous-section I.16.1.) semble donc être déclenchée par la sélection de l’auxiliaire ‘être’ associé à une interprétation particulière du participe passé ‘allé’ qui est réinterprété comme ‘parti’ (cf. Une fois les parents allés à la messe, […] Une fois les parents partis pour aller à la messe, […])25. La télicité compositionnelle du verbe ‘aller’ semble donc être une facteur secondaire pour l’acceptabilité de ce verbe dans le PA. Le verbe courir analysé dans la prochaine sous-section nous montre, lui aussi, que la télicité compositionnelle n’est pas une condition suffisante pour qu’un verbe soit compatible avec le PA. 25 Je remercie Marie-Christine Jamet (c.p.) pour cette observation et pour les exemples en (93a) et (94a). Marie-Christine Jamet (c.p.) me fait observer aussi que la grammaticalité d’une phrase comme celle en (ia) est discutable. Toutefois, si le participe passé du verbe ‘aller’ est réinterprété comme le participe passé du verbe ‘partir’, alors la phrase est tout à fait acceptable : (i) a. ?Une fois Marie allée en Angleterre, nous partîmes pour l’Irlande. (ii) b. Une fois Marie allée (= partie pour aller) en Angleterre, nous partîmes pour l’Irlande. 178 CHAPITRE III RÉSULTATIVITÉ ET ÉTAT RÉSULTANT III.13.2.3. Le verbe ‘accourir’ vs. le verbe ‘courir’ : Le verbe accourir est formé sur la base du verbe de mode de mouvement courir au moyen du préfixe a- qui exprime la direction du déplacement. Contrairement au verbe courir, le verbe accourir est compatible avec le PA : (95) *Une fois Jean couru à la maison, nous sortîmes. (96) Une fois les pompiers accourus (dans la cour de l’immeuble/Place de la République), nous sortîmes de l’immeuble. (Jean-Yves Pollock (c.p.)) Dans la sous-section II.6.1., nous avons vu que le verbe accourir peut sélectionner les deux auxiliaires. Nous supposons que la compatibilité du verbe accourir avec le PA est liée à la sélection de l’auxiliaire être et qu’en (96) le préfixe a- est associé au trait [+But]26. Le verbe courir, en revanche, sélectionne seulement l’auxiliaire avoir (cf. les sections II.6.2. et II.7.) et le contexte télique dans lequel il peut apparaître ne le rend pas compatible avec le PA : (97) Jean a couru à (= jusqu’à) la maison en deux minutes. (98) *Une fois Jean couru à la maison, nous sortîmes. Ces exemples nous confirment encore une fois que la compatibilité avec le PA est nécessairement liée à la sélection de l’auxiliaire être. 26 Le verbe accourir tout comme le verbe accorrere est incompatible avec l’interprétation résultative (MarieChristine Jamet (c.p.)) : (i) a. *Jean est accouru depuis deux heures/hier. b. *Gianni è accorso da due ore/ieri. (ii) a. *Jean est accouru à Rome depuis deux jours/hier. b. *Gianni è accorso a Roma da due giorni/ieri. Il s’ensuit donc que le participe passé du verbe ‘accourir’ est incompatible avec l’interprétation d’état résultant : (iii) a. Jean est accouru. (État Résultant : *) (Perfectif : √) b. Gianni è accorso. (État Résultant : *) (Perfectif : √) Toutefois, étant donné que le verbe ‘accourir’ est compatible avec le PA et que la condition nécessaire pour apparaître dans le PA est la compatibilité avec l’interprétation d’état résultant, nous sommes conduite à supposer que dans la construction participiale absolue le participe passé du verbe ‘accourir’ doit être réinterprété. Autrement dit, nous supposons que les participes passés accourus en (96) et accorsi en (102) correspondent sémantiquement à l’expression ‘arrivés en courant’. Le verbe ‘arriver’, tout comme le verbe ‘accourir’, est intrinsèquement télique mais seulement le verbe ‘arriver’ est compatible avec l’interprétation d’état résultant. Étant donné que notre analyse vise à montrer que le PA est compatible seulement avec l’interprétation d’état résultant, il s’ensuit que le verbe ‘accourir’ est compatible avec le PA seulement s’il est implicitement interprété comme ‘arriver en courant’. 179 CHAPITRE III RÉSULTATIVITÉ ET ÉTAT RÉSULTANT En italien, le verbe correre sélectionne aussi bien l’auxiliaire avere que l’auxiliaire essere (cf. la section II.7.). Il est compatible avec le PA pourvu que le But du mouvement soit explicité : (99) Una volta corsa *(a casa) Maria, uscimmo. Lit. Une fois courue à maison Marie, (nous) sortîmes Dans la section II.7., nous avons remarqué que le verbe correre, lorsqu’il sélectionne l’auxiliaire essere, est associé à une interprétation télique et que, dans ce cas, le But de la transition doit être explicitement exprimé pour que la phrase soit grammaticale. Étant donné qu’aussi dans le PA (cf. (99)), le But doit être explicitement exprimé, nous supposons que le participe passé du verbe correre compatible avec le PA est celui qui est associé à la sélection de l’auxiliaire essere. Or, le participe passé du verbe correre n’est pas compatible avec l’interprétation d’état résultant contrairement au participe passé des verbes ‘arriver’, ‘partir’, ‘sortir’, ‘entrer’, ‘tomber’, ‘venir’, ‘monter’ et ‘descendre’ (cf. les sous- sections III.13.2.2. et III.13.2.4.) : (100) *Gianni è corso. (État Résultant : *) (101) Gianni è arrivato/partito/uscito/entrato/caduto/venuto/salito/sceso. (État Résultant : √) Il s’ensuit donc que la sélection de l’auxiliaire essere par le verbe correre n’est pas une condition suffisante pour être compatible avec l’interprétation d’état résultant. De même que le participe passé du verbe ‘aller’ n’est pas compatible avec l’interprétation d’état résultant, le participe passé du verbe correre n’est pas non plus compatible avec cette interprétation. À partir de cette observation, nous supposons que le participe passé du verbe correre en (99) doit être réinterprété. En particulier, nous supposons que le participe passé corsa en (99) est réinterprété comme ‘arrivée à la maison en courant’ (voir à ce propos aussi les exemples (93) et (94) et l’analyse que nous avons proposée pour le participe passé du verbe ‘aller’ compatible avec le PA). En ce qui concerne le verbe accorrere, il sélectionne l’auxiliaire essere (cf. la section II.6.). Il s’ensuit donc qu’il est compatible avec le PA : 180 CHAPITRE III RÉSULTATIVITÉ ET ÉTAT RÉSULTANT (102) Una volta accorsi i pompieri (in Piazza della Repubblica), uscimmo dal palazzo. (= (96)) III.13.2.4. Les verbes ‘monter’ et ‘descendre’ : L’incompatibilité du verbe courir avec le PA en (98) nous montre que la télicité compositionnelle n’est pas une condition suffisante pour apparaître dans le PA. Or, les verbes ‘monter’ et ‘descendre’, qui sont compositionnellement téliques (cf. la section II.3.), sélectionnent l’auxiliaire ‘être’ et ils sont compatibles avec le PA : (103) a. Une fois Jean monté/descendu, nous sortîmes. b. Una volta salito/sceso Gianni, uscimmo. Tout au long de la deuxième partie de ce chapitre, nous avons soutenu que le PA est une construction compatible avec l’interprétation d’état résultant associée à la sélection de l’auxiliaire ‘être’. Considérons les exemples suivants : (104) a. Jean est monté/descendu depuis trente minutes. b. Gianni è salito/sceso da trenta minuti. Étant donné que l’état résultant est la condition nécessaire pour déclencher une interprétation résultative (cf. la section III.1.), la compatibilité des verbes ‘monter’ et ‘descendre’ avec l’adverbial ‘depuis x temps’, marqueur de la résultativité, prouve leur compatibilité avec l’interprétation d’état résultant. Il s’ensuit donc que ces verbes sont compatibles avec le PA : (105) a. Une fois Marie montée (=en haut)/Marie descendue (=en bas), nous sortîmes. b. Una volta salita (=su) Maria/scesa (= giù) Maria, uscimmo. La compatibilité des adverbes ‘en haut’ et ‘en bas’ avec le PA montre que ces adverbes sont compatibles avec l’interprétation d’état résultant comme nous l’avons déjà observé dans la sous-section II.5.1. : 181 CHAPITRE III RÉSULTATIVITÉ ET ÉTAT RÉSULTANT (106) a. Une fois (Marie montée) en haut/(Marie descendue) en bas, nous sortîmes. b. Una volta (salita Maria) su/(scesa Maria) giù, uscimmo. III.13.2.5. Les verbes météorologiques : Les verbes météorologiques en français (cf. la section II.14.) sélectionnent l’auxiliaire avoir et ils sont incompatibles avec le PA : (107) *Une fois plu/neigé/grêlé, nous sortîmes. En revanche, les verbes météorologiques italiens sélectionnent les deux auxiliaires et ils sont compatibles avec cette construction : (108) Una volta piovuto (pioggia)/nevicato (neve)/grandinato (grandine), pro uscimmo. Dans la sous-section III.10.2., nous avons observé que les verbes météorologiques piovere, nevicare et grandinare quand ils sélectionnent l’auxiliaire essere sont compatibles avec l’interprétation résultative pourvu que le SN dénotant l’état résultant de la précipitation atmosphérique (pluie, neige, grêle) soit explicité. État donné que l’état résultant est la condition nécessaire pour déclencher l’interprétation résultative (cf. la section III.1.) et que la condition nécessaire pour apparaître dans un PA est la compatibilité avec une interprétation d’état résultant, nous formulons l’hypothèse qu’en (108) chaque verbe sélectionne un objet interne implicite dénotant l’état résultant de la précipitation atmosphérique. En outre, étant donné que l’interprétation d’état résultant est liée à la sélection de l’auxiliaire ‘être’, nous supposons qu’avec les verbes météorologiques italiens le participe passé compatible avec le PA est celui associé à la sélection de l’auxiliaire essere. III.13.2.6. Récapitulation : Nous avons montré qu’en français et en italien la condition nécessaire pour apparaître dans un PA est la sélection de l’auxiliaire ‘être’ associée à l’interprétation d’état résultant du participe passé. 182 CHAPITRE III RÉSULTATIVITÉ ET ÉTAT RÉSULTANT Nous essayerons de montrer maintenant que le PA n’est pas un test fiable d’inaccusativité. III.14. Le PA n’est pas un test fiable d’inaccusativité : Le PA est en général considéré comme un test fiable d’inaccusativité (cf. la sous-section I.16.1.). Legendre et Sorace (2003) considèrent le PA comme une construction télique qui est donc seulement compatible avec des prédicats téliques. Dans la sous-section III.13.2. et dans les sous-sections suivantes, nous avons soutenu que le PA est compatible seulement avec l’interprétation d’état résultant associée à la place événementielle <e2> et à la sélection de l’auxiliaire ‘être’. Autrement dit, nous avons posé qu’une condition autre que celle de la télicité doit être satisfaite afin qu’un participe passé puisse apparaître dans un PA. Supposer que la condition nécessaire pour apparaître dans un PA est la sélection de l’auxiliaire ‘être’ associée à l’interprétation d’état résultant, revient à considérer le PA comme un test non fiable d’inaccusativité. Comme nous l’avons montré dans la sous-section I.7.3., les phrases associées à l’interprétation d’état résultant sont interprétées en tant que phrases prédicatives. Il s’ensuit donc que la construction participiale absolue ne nous dit rien sur le statut inaccusatif ou inergatif des verbes intransitifs car le participe passé de ces verbes a été « dégradé » et réinterprété comme un élément prédicatif : (109) a. Une fois (Jean arrivé) là/à Rome, nous sortîmes. b. Une fois (Jean parti) absent, nous sortîmes. c. Une fois (Jean monté) en haut, nous sortîmes. d. Une fois (Jean descendu) en bas, nous sortîmes. En résumé, après ces observations, nous croyons que le PA n’est pas un test fiable d’inaccusativité. Dans la prochaine sous-section nous apporterons d’autres observations en faveur de notre conclusion. 183 CHAPITRE III RÉSULTATIVITÉ ET ÉTAT RÉSULTANT III.14.1. L’analyse de Sorace et Legendre (2003) : Sorace et Legendre (2003 : 220) considèrent le PA comme un test fiable d’inaccusativité. En particulier, en ce qui concerne les verbes de changement d’état en français, elles observent que certains sont compatibles avec le PA, tandis que d’autres ne le sont pas. Ceux qui sont compatibles avec le PA sont considérés comme inaccusatifs (fondre, moisir, refroidir, etc.), tandis que ceux qui ne le sont pas sont considérés comme inergatifs (rougir, pâlir, grandir, etc.)27. Sorace et Legendre (2003 : 222) observent, en outre, que le participe de tous les verbes qui apparaissent dans le PA peut aussi apparaître dans une structure prédicative avec la copule être qui dénote l’état résultant d’un changement ou d’un mouvement. En particulier, les auteurs observent que pour certains verbes la forme prédicative est homophone de la forme du passé composé : est parti, est monté, est mort, est resté, etc., tandis que pour tous les autres verbes, la construction à copule est distincte de la forme du passé composé à cause de la sélection de l’auxiliaire. Tel est le cas, par exemple, des verbes de changement d’état : est fondu, est moisi, est refroidi, etc. Legendre et Sorace (2003 : 220) affirment aussi que « les constructions participiales [définissent] plus de verbes comme inaccusatifs que ne le fait la sélection de l’auxiliaire ». Autrement dit, selon les auteurs, les verbes de changement d’état qui sélectionnent avoir et dont le participe peut apparaître dans une structure prédicative avec la copule être sont inaccusatifs car compatibles avec le PA, tandis que les verbes qui sélectionnent l’auxiliaire avoir mais qui sont exclus de la construction prédicative (*est rougi/pali/grandi/couru, etc.) ne sont pas compatibles avec le PA et sont donc inergatifs. Bref, sur la base de ces observations, Sorace et Legendre (2003 : 223) parviennent à la conclusion que la possibilité d’apparaître dans une construction à copule est un test distinct du test des constructions participiales mais qui confirme les prédictions de leur analyse. En effet, seuls les verbes compatibles avec une construction à copule sont également compatibles avec le PA. Étant donné que, selon Legendre et Sorace, le PA est un test d’inaccusativité, les auteurs considèrent que le verbe fondre en (110) est inaccusatif : 27 Cf. Sorace et Legendre (2003 : 223) pour une liste plus détaillée de ces verbes. 184 CHAPITRE III RÉSULTATIVITÉ ET ÉTAT RÉSULTANT (110) Le chocolat a fondu. Toutefois, sur la base des données que nous avons analysées dans les sections ci-dessus, la condition nécessaire pour apparaître dans le PA est la sélection de l’auxiliaire être associée à une interprétation d’état résultant. Donc, selon notre hypothèse, le participe compatible avec le PA est celui associé à la copule être : (111) Le chocolat est fondu. et pas celui associé à l’auxiliaire avoir (cf. (110)). Autrement dit, c’est le participe passé associé à l’interprétation d’état résultant et pas celui associé à l’interprétation perfective, qui est compatible avec le PA. Il s’ensuit, comme nous l’avons remarqué dans la section précédente, que le PA n’est pas un test d’inaccusativité car il n’est compatible qu’avec le participe passé des constructions prédicatives sélectionnant la copule être. III.15. Récapitulation : Dans la deuxième partie de ce chapitre, nous avons montré que le PA est compatible avec l’interprétation d’état résultant. Comme nous l’avons remarqué dans la sous-section I.7.3., lorsqu’il est associé à l’interprétation d’état résultant, le verbe ‘être’ est interprété comme une copule est pas plus comme un verbe auxiliaire. Il s’ensuit donc que les participes passés des verbes compatibles avec le PA sont réinterprétés comme des compléments prédicatifs et que le PA n’est pas un test qui nous permet de distinguer entre verbes inaccusatifs et verbes inergatifs. III.16. Conclusion du chapitre : Dans ce chapitre nous avons analysé en détail l’une des notions aspectuelles que nous avons introduites au chapitre I, c’est-à-dire la résultativité et sa compatibilité vs. incompatibilité avec certains verbes intransitifs sélectionnant l’auxiliaire ‘être’ et l’auxiliaire ‘avoir’. Nous avons aussi soutenu que l’interprétation résultative est solidaire de la notion d’état résultant. L’analyse de l’adverbial ‘depuis x temps’ nous a permis de dégager les facteurs syntaxiques et intonatifs qui permettent d’associer cet adverbial à une autre type 185 CHAPITRE III RÉSULTATIVITÉ ET ÉTAT RÉSULTANT d’interprétation, c’est-à-dire l’interprétation perfective. Enfin, nous avons soutenu que la construction participiale absolue n’est pas compatible avec l’interprétation télique associée à deux places événementielles (cf. Pustejovsky (1991)) mais, plutôt, qu’elle est compatible avec l’interprétation d’état résultant associée à la place événementielle <e 2>. Corrélativement, nous avons soutenu que le PA n’est pas un test fiable d’inaccusativité car le PA est associé à une interprétation d’état résultant qui est compatible seulement avec des phrases prédicatives. 186 . CHAPITRE IV. CONSIDÉRATIONS SUR L’AKTIONSART DE CERTAINS VERBES DE CHANGEMENT D’ÉTAT Dans ce chapitre nous analyserons des propriétés de certains verbes de changement d’état dans une perspective comparative français/italien. Nous introduirons d’abord la notion de se anticausatif et, ensuite, nous décrirons la compatibilité de la forme intransitive réflexive de ces verbes avec des contextes téliques et atéliques 1. Nous décrirons aussi la forme intransitive non réflexive associée à ces verbes et sa compatibilité avec les mêmes contextes. La compatibilité de ces verbes avec différents types de lectures nous conduira à formuler l’hypothèse que la racine lexicale de ces verbes est sous-spécifiée par rapport à l’Aktionsart. Dans la deuxième partie du chapitre, nous analyserons certains couples de verbes de changement d’état dé-adjectivaux dont l’un est porteur d’un préfixe, alors que l’autre n’en a pas. Nous verrons que dans ces couples de verbes le préfixe a une incidence sur l’interprétation d’état résultant. Autrement dit, nous verrons que la forme préfixée est compatible avec l’interprétation d’état résultant, tandis que la forme non préfixée ne l’est pas. En revanche, nous verrons que le préfixe n’a pas d’incidence sur la compatibilité de ces couples de verbes avec les interprétations télique et atélique car aussi bien la forme préfixée que la forme non préfixée sont compatibles avec ces deux interprétations. Nous tenterons aussi de donner une représentation syntaxique de la dérivation du préfixe à l’intérieur de la structure syntaxique à double SV, élaborée d’abord par Larson (1988) et reprise ensuite par Hale et Keyser (1993), en exploitant l’analyse de Di Sciullo (1996). Nous étendrons cette analyse aussi à certains verbes dé-nominaux doués d’un préfixe et compatibles avec une interprétation d’état résultant. 1 Le pronom clitique se est associé à plusieurs interprétations. On peut distinguer notamment le se anticausatif (La neige s’est fondue), le se réfléchi (Marie s’est lavée), le se inhérent (s’asseoir), le se moyen (Ces livres se vendent bien/Il se vend beaucoup de voitures ici), le se réciproque (se rencontrer). 187 CHAPITRE IV CONSIDÉRATIONS SUR L’AKTIONSART DE CERTAINS VERBES DE CHANGEMENT D’ÉTAT Première partie : observations sur la forme réflexive et sur la forme intransitive des verbes de changement d’état Labelle (1992) observe qu’en français les verbes de changement d’état se divisent en trois classes. Il y a les verbes qui admettent aussi bien une forme réflexive se+être (‘si+essere’) qu’une forme intransitive non réflexive sélectionnant l’auxiliaire avoir, ceux qui admettent seulement la forme réflexive et ceux qui admettent seulement la forme intransitive non réflexive. La même chose s’observe en italien (cf. Folli (2001)) : (1) a. Ce bâton d’encens s’est brûlé en une minute. b. Questo bastone d’incenso si è bruciato in un minuto. (2) a. Ce bâton d’encens a brûlé. b. √/?/*Questo bastone d’incenso ha bruciato2. (3) a. Les enfants se sont abêtis. b. I bambini si sono instupiditi. (4) a. *Les enfants ont abêti. b. *I bambini hanno instupidito. (5) a. *Le lait s’est bouilli. b. *Il latte si è bollito. (6) a. Le lait a bouilli. b. Il latte ha bollito. Au niveau intuitif, les verbes de changement d’état partagent avec les verbes de changement de lieu la notion de transition. Plus précisément, avec les verbes de changement de lieu comme avec les verbes de changement d’état il y a une modification des coordonnées du Thème entre le début et la fin du procès. Avec les verbes de changement de lieu la modification implique un changement de localisation spatiale du Thème, tandis qu’avec les verbes de changement d’état la modification implique un changement des propriétés intrinsèques du Thème. 2 Nous renvoyons le lecteur à la sous-section IV.5.1. où nous verrons que l’interprétation perfective du verbe bruciare est compatible avec l’auxiliaire avere mais que cet emploi n’est pas partagé par tous les locuteurs. 188 CHAPITRE IV CONSIDÉRATIONS SUR L’AKTIONSART DE CERTAINS VERBES DE CHANGEMENT D’ÉTAT Tout changement implique une transition à partir d’un point/état initial <e1> vers un point/état final <e2> (cf. Pustejovsky (1991)). Grevisse (2004 : 1127) appelle les verbes qui indiquent le passage dans un état (c’est-à-dire les verbes de changement d’état) verbes inchoatifs (du latin inchoatum, supin du verbe latin inchoare ‘commencer, entreprendre’, à partir du XIVè siècle l’adjectif s’applique à ce qui exprime une action commençante, une progression) 3. Cette appellation a été utilisée par d’autres auteurs et grammairiens comme Riegel et alii (2005 : 295), entre autres4. Dans la section I.10., nous avons observé que l’alternance causative implique en construction transitive (7) deux arguments dont l’un est la Cause et l’autre l’argument interne affecté par le changement d’état. En revanche, dans la tournure intransitive (8) qui représente le résultat du changement d’état, il ne reste que l’argument interne : (7) Le vent/Jean a cassé la fenêtre. (8) La fenêtre est cassée. En français, tout comme en italien, la sémantique inchoative est corrélée (à la troisième personne) à l’occurrence du clitique se (‘si’). Voici des exemples : (9) a. Le vent/Jean a cassé la fenêtre. (transitif-causatif) ‘Il vento/Gianni ha rotto la finestra.’ b. La fenêtre s’est cassée. (anticausatif) ‘La finestra si è rotta.’ c. La fenêtre est cassée. (État Résultant) ‘La finestra è rotta.’ Certains verbes de changement d’état en français sont compatibles aussi avec une forme intransitive non réflexive sélectionnant l’auxiliaire avoir. C’est le cas, par exemple, du verbe casser (cf. aussi brûler en (1a) et (2a), entre autres) : 3 Rey, A., Dictionnaire historique de la langue française, Paris, Dictionnaires Le Robert, 2000, ad vocem. Sur le sillon des primitifs de Jackendoff (1990), la sémantique inchoative correspond à la structure suivante : (i) [y BECOME [STATE]] 4 189 CHAPITRE IV CONSIDÉRATIONS SUR L’AKTIONSART DE CERTAINS VERBES DE CHANGEMENT D’ÉTAT (10) a. Le vent/Jean a cassé la planche. b. La planche a cassé. c. La planche est cassée. La forme intransitive non réflexive en (10b) a, elle aussi, une sémantique inchoative car elle indique le passage dans un état. S’il est vrai, au moment M1, que La planche a cassé, alors la phrase La planche est cassée est vraie au moment M2. Autrement dit, le terme inchoatif dénote un type d’interprétation et les verbes de changement d’état qui ont aussi bien une forme intransitive qu’une forme réflexive sont compatibles avec une lecture inchoative dans les deux formes. La forme réflexive inchoative est généralement interprétée comme dénotant un enchaînement transitionnel composé de trois phases différentes : CAUSE/DEVENIR/ÉTAT. La première phase est celle de départ ou causative (cf. (9a)) ; la deuxième phase, que l’on appelle aussi inchoative ou progressive (cf. (9b)), est la processive, qui dénote le déroulement du changement ; la troisième phase dénote l’état résultant de la transition (cf. (9c)). La forme intransitive non réflexive est, elle aussi, inchoative car elle implique bien les trois phases (cause-événement-état résultant), (voir (10b)). Dans la prochaine section, nous analyserons succinctement la notion d’anticausativité associée aux verbes de changement d’état. IV.1. La notion d’anticausativité (Reinhart et Siloni (2005)) : Dans la section II.11., nous avons discuté l’analyse de Reinhart et Siloni (2005) qui décomposent les rôles thématiques en traits binaires [±c] et [±m]. Plusieurs auteurs ont soutenu que la forme réflexive ‘se’ en (9b) est essentiellement un marqueur de réduction de valence (Grimshaw (1982), Wehrli (1986), Zribi-Hertz (1987), Reinhart et Siloni (2005)). En ce qui concerne la structure argumentale, la phrase (9b) entraîne une réduction de valence (c’est-à-dire la suppression de la Cause) à partir de la phrase (9a). Cette réduction de valence est appelé ‘changement anticausatif’ car, à partir d’une phrase transitive-causative (cf. (9a)), on supprime l’argument Cause et l’on obtient une phrase qui n’a pas d’argument causatif (cf. (9b))5. Nous avons déjà observé (cf. la section I.10.) 5 Le terme anticausatif n’est pas utilisé dans la grammaire traditionnelle, qui emploie, plutôt, le terme ‘inchoatif’. Le terme anticausatif est dû à l’école de typologie russe où il a été d’abord employé pour définir une 190 CHAPITRE IV CONSIDÉRATIONS SUR L’AKTIONSART DE CERTAINS VERBES DE CHANGEMENT D’ÉTAT qu’une phrase transitive-causative a deux arguments : un argument externe dont le rôle thématique est celui de Cause et un argument interne qui correspond à l’objet affecté par le changement. Dans l’optique de Reinhart et Siloni (2005), la phrase en (9b) est douée d’un seul argument interne (l’objet affecté) qui occupe la position de sujet. Même si au niveau syntaxique il y a une modification de la structure argumentale dès lors que l’argument externe est supprimé6, certains auteurs (cf. Labelle (1992 : 395, note 15), Grimshaw (1982) et Wehrli (1986), entre autres) soutiennent que la phrase anticausative inclut deux positions thématiques : l’une représentée par le sujet et l’autre représentée par le ‘se’ anticausatif qui absorbe le rôle thématique Cause. Autrement dit, selon ces auteurs, le ‘se’ anticausatif est la marque morphologique de la Cause qui a déclenché le changement. Reinhart et Siloni (2005 : 418) supposent que le thêta-rôle Cause est supprimé dans le lexique et que l’incompatibilité du ‘se’ anticausatif avec des compléments instrumentaux montre que le trait [+c], outre qu’il n’est pas projeté au niveau syntaxique, n’est pas sémantiquement interprétable : (11) *La branche s’est cassée avec une hache. (Reinhart et Siloni (2005 : 418 (66a))) Cependant, il n’existe pas, vraisemblablement, une raison convaincante pour supposer que le rôle Cause est supprimé et donc qu’il n’est pas sémantiquement interprétable à l’anticausatif. L’inacceptabilité de l’instrumental dans l’exemple (11) prouve qu’il n’y a pas de rôle Agent [+c, +m] mais cette inacceptabilité ne prouve pas qu’il n’y a pas de rôle Cause dans la phrase. En fait, on peut avoir : (12) La branche s’est cassée sous l’effet de l’orage. catégorie morphologique dont la fonction est celle de marquer la suppression de l’Agent ou de la Cause d’un événement (cf. Haspelmath et Müller-Bardey (2004)). Les moyens formels dont une langue donnée se sert pour marquer les changements de valence dépendent du caractère typologique de cette langue. Par exemple, dans une langue agglutinante comme le turc et dans beaucoup de langues caucasiennes on emploie un affixe qui a comme fonction celle de marquer la suppression de l’Agent ou de la Cause : (i) Anne-m kapi-yi aç-ti. (Haspelmath et Müller-Bardey (2004 : 1133 (9a,b))) Lit. mère-1SG porte-ACC ouvert-PASSÉ(3SG) Ma mère a ouvert la porte. (ii) Kapi aç-il-di. Lit. porte ouvert-ANTIC-PASSÉ(3SG) La porte s’est ouverte. 6 Noter que ce qui est supprimé est l’argument externe et pas la position syntaxique du sujet qui est remplie par le sujet dérivé. 191 CHAPITRE IV CONSIDÉRATIONS SUR L’AKTIONSART DE CERTAINS VERBES DE CHANGEMENT D’ÉTAT où la Cause [+c, -m] est explicitée. Si, comme le supposent Reinhart et Siloni, le pronom ‘se’ en (9b) est un marqueur de réduction de valence, son incompatibilité avec les verbes de changement de lieu tels que ‘arriver’, ‘partir’, ‘entrer’, ‘sortir’, ‘tomber’, ‘venir’ et ‘aller’ ne nous surprend pas. Ces verbes sont définis comme inaccusatifs en littérature (cf. la section I.16.), c’est-à-dire comme des verbes sélectionnant un seul argument (interne). L’emploi de ‘se’, en tant que marqueur de réduction de valence, est donc incompatible avec ces verbes qui disposent d’un seul argument (interne) : (13) a. *Jean s’est arrivé/parti/entré/sorti/tombé/venu/allé chez elle. b. *Gianni si è arrivato/partito/entrato/uscito/caduto/venuto/andato a casa sua. Les verbes inergatifs présentent la même incompatibilité avec l’anticausatif car ils ont un seul argument externe7 : (14) a. *Jean s’est dormi/couru/etc. b. *Gianni si è dormito/corso/ecc. 7 Autrement dit, les verbes inaccusatifs et inergatifs sont incompatibles avec l’anticausatif dans la mesure où ces verbes n’ont pas d’emploi transitif, donc ils ne sélectionnent pas à fortiori deux arguments dont l’un serait le sujet causatif : (i) *La fatigue a dormi Pierre. (ii) *Jean a arrivé/parti Pierre. 192 CHAPITRE IV CONSIDÉRATIONS SUR L’AKTIONSART DE CERTAINS VERBES DE CHANGEMENT D’ÉTAT IV.2. La construction CRE (Zribi-Hertz (1987)) : Zribi-Hertz (1987 : 45) observe que la forme anticausative s’inscrit dans un mécanisme productif qu’elle appelle ‘construction réflexive ergative’ (CRE) et qu’on peut schématiser de la manière suivante : (15) a. SN0 CAUSE V SN1 THEME CRE : SN1 se V b. EF (état final) : SN1 être XV (XV = participe passé accompli ou adjectif radical) Le schéma ci-dessus montre que pour que la CRE soit légitimée, le paradigme a. et b. doit être satisfait. Autrement dit, le ‘se’ anticausatif déclenche un changement de valence à partir d’une phrase transitive-causative comme l’ont montré Reinhart et Siloni (2005) mais il est soumis aussi à une autre contrainte : celle de l’état final (EF). Voici deux exemples tirés de Zribi-Hertz (1987) où la CRE est productive : (16) a. (CAUSATIF) L’humidité a rouillé le métal. (Zribi-Hertz (1987 : 42)) b. (CRE) Le métal s’est rouillé (sous l’effet de l’humidité). c. (EF) Le métal est (très) rouillé. (17) a. (CAUSATIF) La télé a abêti Marie. (Zribi-Hertz (1987 : 43)) b. (CRE) Marie s’est abêtie. c. (EF) Marie est (plus) bête. 193 CHAPITRE IV CONSIDÉRATIONS SUR L’AKTIONSART DE CERTAINS VERBES DE CHANGEMENT D’ÉTAT Considérons maintenant les exemples suivants tirés de (Zribi-Hertz (1987 : 44)) : (18) a. (CAUSATIF) Ceci vieillit/grandit/grossit/maigrit/rapetisse/pâlit Marie. b. (CRE) *Marie se vieillit/grandit/grossit/maigrit/rapetisse/pâlit 8. c. (≠EF) Marie est (plus) vieille/grande/grosse/maigre/petite/pâle. Les verbes dé-adjectivaux vieillir, grandir, grossir, maigrir, rapetisser et pâlir dénotent un changement d’état. Néanmoins, ils ne sont pas compatibles avec la CRE car, comme l’a observé Zribi-Hertz (1987 : 45), ils ne dénotent pas un changement d’état intrinsèque de leur objet thématique9. Cela nous montre que les contraintes sur l’acceptabilité de la CRE ne sont pas seulement de nature syntaxique (cf. le paradigme a. et b.) mais aussi de nature sémantique. En (18), les conditions sémantiques pour obtenir la CRE ne sont pas satisfaites, donc la CRE est exclue. IV.3. La compatibilité de la forme réflexive et de la forme intransitive des verbes de changement d’état avec le paramètre de l’(a)télicité : Dans l’introduction à la première partie du chapitre, nous avons remarqué que la forme intransitive réflexive des verbes de changement d’état est associée à une interprétation inchoative dénotant la deuxième phase d’un enchaînement transitionnel composé de trois phases différentes (CAUSE/DEVENIR/ÉTAT). La forme intransitive réflexive des verbes de changement d’état est en général décrite comme une forme dénotant un processus conduisant à un terme. Cette forme implique donc une idée d’aboutissement et elle est associée généralement à une interprétation télique. Toutefois, dans beaucoup de cas, cette forme peut être associée aussi à un contexte atélique. Labelle (1992 : 395-396) observe, par exemple, que les formes réflexive et non réflexive du verbe casser sont l’une et l’autre compatibles avec la périphrase verbale progressive ‘être en train de’ : 8 Comme le remarque Zribi-Hertz (1987 : 44, note 33), les formes réflexives sont acceptables dans une lecture réfléchie à sujet agentif mais pas en tant que phrases dérivées d’une construction transitive-causative. 9 Comme me l’a fait observer Anne Zribi-Hertz (c.p.), la phrase : (i) Ce chapeau vieillit Marie. signifie que le chapeau fait paraître Marie plus vieille, mais pas qu’il la fait devenir plus vieille. Autrement dit, la phrase (i) signifie que le chapeau rend Marie plus vieille aux yeux du locuteur, mais pas que le chapeau la rend objectivement plus vieille. 194 CHAPITRE IV CONSIDÉRATIONS SUR L’AKTIONSART DE CERTAINS VERBES DE CHANGEMENT D’ÉTAT (19) La branche est en train de casser. (20) La branche est en train de se casser. (Labelle (1992 : 396 (46a,b))) Ce fait s’observe avec d’autres formes réflexives des verbes de changement d’état : (21) Marie est en train de s’abêtir. (22) ?La neige est en train de se fondre 10. La périphrase progressive ‘être en train de’ est aspectuellement imperfective comme l’adverbial peu à peu et l’adverbial atélique ‘pendant x temps’ qui sont, eux aussi, compatibles avec la forme intransitive réflexive : (23) a. Le métal rouille peu à peu. (Labelle (1992 : 396 (46c,d,e,f))) b. Le métal se rouille peu à peu. (24) a. Tous les jours ses pieds gonflaient pendant quelques heures. b. À chaque expiration, le ballon se gonflait pendant quelques secondes. La forme réflexive des verbes de changement d’état ne semble donc pas être catégoriquement liée à l’aspect télique et sa compatibilité avec des adverbes aspectuellement imperfectifs confirme cette observation. Dans l’optique de Pustejovsky (1991), l’adverbial ‘en x temps’ dénote une transition d’un état initial <e1> vers un état final <e2>. Néanmoins, si l’adverbial ‘en x temps’ est toujours compatible avec la forme réflexive, l’adverbial ‘pendant x temps’ est contraint. Quelle est donc la raison qui permet à l’adverbial ‘en x temps’, par rapport à l’adverbial ‘pendant x temps’, d’être toujours compatible avec cette forme ? Le mécanisme productif de la CRE élaboré par Zribi-Hertz (1987) (cf. la section IV.2.) semble révélateur à ce propos. Zribi-Hertz observe que la CRE est possible si l’on satisfait deux conditions. Ce qui nous concerne ici n’est que la condition b. sur l’état final (EF). Selon l’analyse de Zribi-Hertz, afin d’obtenir une CRE, il faut, entre autres, que l’objet qui subit le changement soit intrinsèquement affecté par ce changement (condition b.). L’adverbial télique ‘en x temps’ est donc compatible avec la CRE car il dénote l’intervalle temporel qui conduit à l’aboutissement 10 Comme me l’a fait observer Anne Zribi-Hertz (c.p.), la phrase (22) est nettement moins optimale que (21) car ‘fondre’ (non réflexif) est disponible en (22) pour la lecture atélique : (i) La neige est en train de fondre. 195 CHAPITRE IV CONSIDÉRATIONS SUR L’AKTIONSART DE CERTAINS VERBES DE CHANGEMENT D’ÉTAT de l’état final du changement d’état. En revanche, l’adverbial atélique ‘pendant x temps’ n’implique pas qu’à la fin de l’intervalle temporel on aboutisse à l’état final du changement d’état. Il donne donc lieu à des contraintes lorsqu’il est employé avec la forme réflexive. Voici des exemples où la compatibilité de la forme réflexive avec l’adverbial ‘pendant x temps’ est plus ou moins douteuse selon le type de verbe employé : 196 CHAPITRE IV CONSIDÉRATIONS SUR L’AKTIONSART DE CERTAINS VERBES DE CHANGEMENT D’ÉTAT (25) FRANÇAIS ITALIEN La neige s’est fondue en deux heures. La neve si è fusa in due ore. √/?/*La neige s’est fondue pendant deux heures. √/?La neve si è fusa per due ore. La viande s’est cuite en deux heures. La carne si è cotta in due ore. √/?/*La viande s’est cuite pendant deux heures. √/?La carne si è cotta per due ore. Le bâton d’encens s’est brûlé en deux heures. Il bastone d’incenso si è bruciato in due ore. √/?/*Le bâton s’est brûlé pendant deux heures. √/?Il bastone d’incenso si è bruciato per due ore. Le lac s’est gelé en deux jours. Il lago si è gelato in due giorni. √/?/*Le lac s’est gelé pendant deux jours. √/?Il lago si è gelato per due giorni. La cire s’est durcie en deux heures. La cera si è indurita in due ore. √/?/*La cire s’est durcie pendant deux minutes. La cera si è indurita per due ore. L’eau s’est jaunie en deux minutes. L’acqua si è ingiallita in due minuti. √/?/*L’eau s’est jaunie pendant deux minutes. L’acqua si è ingiallita per due minuti. Le riz s’est refroidi en cinq minutes. Il riso si è raffreddato in cinque minuti. √/?/*Le riz s’est refroidi pendant cinq minutes. Il riso si è raffreddato per cinque minuti. Le riz s’est réchauffé en cinq minutes. Il riso si è riscaldato in cinque minuti. √/?/*Le riz s’est réchauffé pendant cinq minutes. Il riso si è riscaldato per cinque minuti. La baignoire s’est remplie en deux heures. La vasca si è riempita in due ore. La baignoire s’est remplie pendant deux heures. La vasca si è riempita per due ore. Le trou s’est élargi en une minute. Il buco si è allargato in un minuto. Le trou s’est élargi pendant une minute. Il buco si è allargato per un minuto. *L’eau s’est bouillie en deux minutes. *L’acqua si è bollita in due minuti. *L’eau s’est bouillies pendant deux minutes. *L’acqua si è bollita per due minuti. La situation s’est améliorée en deux mois. *La situazione si è migliorata in due mesi. La situation s’est améliorée pendant deux mois. *La situazione si è migliorata per due mesi. La branche s’est cassée en deux minutes. Il ramo si è rotto in due minuti. *La branche s’est cassée pendant deux minutes. *Il ramo si è rotto per due minuti. 197 CHAPITRE IV CONSIDÉRATIONS SUR L’AKTIONSART DE CERTAINS VERBES DE CHANGEMENT D’ÉTAT Les exemples du tableau (25) nous montrent que la forme intransitive réflexive de certains verbes de changement d’état est compatible aussi bien avec un contexte télique qu’avec un contexte atélique. Cette variabilité dans l’interprétation semble être inhérente au radical lexical. Autrement dit, il semble que les verbes qui sont compatibles avec les deux interprétations soient ambigus au niveau aspectuel. Dans le tableau (25), le cas extrême est représenté par le verbe ponctuel ‘casser’ qui, en tant que verbe intrinsèquement télique dénotant un achèvement, n’est compatible ni en français ni en italien avec l’adverbial atélique ‘pendant x temps’. L’autre exception est représentée par le verbe ‘bouillir’ qui ne sélectionne pas de forme intransitive réflexive, ni en français ni en italien, et par le verbe ‘s’améliorer’ qui sélectionne la forme intransitive réflexive en français mais pas en italien. Contrairement au tableau (25), en (26), les verbes sont employés à la forme intransitive non réflexive. Comme le montre le tableau (26), la forme intransitive non réflexive de certains verbes de changement d’état (là où elle existe) est compatible aussi bien avec un contexte télique qu’avec un contexte atélique : 198 CHAPITRE IV CONSIDÉRATIONS SUR L’AKTIONSART DE CERTAINS VERBES DE CHANGEMENT D’ÉTAT (26) FRANÇAIS ITALIEN √/?/*La neige a fondu en deux heures. ?/*La neve ha fuso in due ore. La neige a fondu pendant deux heures. √/?/*La neve ha fuso per due ore. √/?/*La viande a cuit en deux heures. ?/*La carne ha cotto in due ore. La viande a cuit pendant deux heures. √/?/*La carne ha cotto per due ore. √/?/*Le bâton d’encens a brûlé en deux heures. ?/*Il bastone d’incenso ha bruciato in due ore. Le bâton d’encens a brûlé pendant deux heures. √/?/*Il bastone d’incenso ha bruciato per due ore. √/?/*Le lac a gelé en deux jours. ?/*Il lago ha gelato in due giorni. Le lac a gelé pendant deux jours. √/?/*Il lago ha gelato per due giorni. √/?/*La cire a durci en deux heures. *La cera ha indurito in due ore. La cire a durci pendant deux minutes. *La cera ha indurito per due ore. √/?/*L’eau a jauni en deux minutes. L’acqua *ha ingiallito/è ingiallita in due minuti. L’eau a jauni pendant deux minutes. L’acqua *ha ingiallito/è ingiallita per due minuti. √/?/*Le riz a refroidi en cinq minutes. *Il riso ha raffreddato in cinque minuti. Le riz a refroidi pendant cinq minutes. *Il riso ha raffreddato per cinque minuti. √/?/*Le riz a réchauffé en cinq minutes. *Il riso ha riscaldato in cinque minuti. Le riz a réchauffé pendant cinq minutes. *Il riso ha riscaldato per cinque minuti. *La baignoire a rempli en deux heures. *La vasca ha riempito in due ore. *La baignoire a rempli pendant deux heures. *La vasca ha riempito per due ore. *Le trou a élargi en une minute. *Il buco ha allargato in un minuto. *Le trou a élargi pendant une minute. *Il buco ha allargato per un minuto. L’eau a bouilli en deux minutes. L’acqua ?è bollita/ ?/*ha bollito in due minuti. L’eau a bouilli pendant deux minutes. L’acqua ?/*è bollita/ha bollito per due minuti. *La situation a amélioré en deux mois. La situazione *ha migliorato/è migliorata in due mesi. *La situation a amélioré pendant deux mois. La situazione *ha migliorato/è migliorata per due mesi. √/?/*La branche a cassé en deux minutes. *Il ramo ha rotto in due minuti. *La branche a cassé pendant deux minutes. *Il ramo ha rotto per due minuti. 199 CHAPITRE IV CONSIDÉRATIONS SUR L’AKTIONSART DE CERTAINS VERBES DE CHANGEMENT D’ÉTAT La comparaison des tableaux (25) et (26) nous montre qu’en français chaque fois qu’on a le choix entre la forme intransitive réflexive en se+être et la forme intransitive non réflexive sélectionnant l’auxiliaire avoir, la forme intransitive réflexive est plutôt compatible avec un contexte télique, tandis que la forme intransitive non réflexive est plutôt compatible avec un contexte atélique. C’est le cas des verbes fondre, cuire, brûler, geler, durcir, jaunir, refroidir et réchauffer. Lorsque la forme intransitive non réflexive n’est pas disponible, la compatibilité de la forme intransitive en se avec les lectures télique et atélique ne pose pas de contraintes (comparer les données concernant les verbes s’élargir, se remplir et s’améliorer dans les tableaux (25) et (26)). On observe la même chose lorsque la forme non disponible est celle intransitive réflexive (cf. le verbe bouillir). L’idée de l’ambiguïté aspectuelle inhérente au radical lexical des verbes des tableaux (25) et (26) (exception faite pour le verbe ‘casser’) n’est pas en conflit avec l’idée que la forme intransitive réflexive en se+être favorise une lecture télique, tandis que la forme intransitive non réflexive à auxiliaire avoir favorise une lecture atélique (là où les deux formes sont disponibles). En ce qui concerne l’italien, les tableaux (25) et (26) nous montrent que les verbes fondere, cuocere, bruciare et gelare sélectionnent la forme intransitive réflexive en si+essere, tandis que la forme intransitive non réflexive sélectionnant l’auxiliaire avere est difficilement acceptable. Il s’ensuit donc qu’avec ces verbes la forme en si+essere est compatible aussi bien avec un contexte télique qu’avec un contexte atélique, tandis que la forme intransitive sélectionnant l’auxiliaire avere est difficilement compatible avec une lecture télique mais elle est marginalement compatible avec une lecture atélique. En revanche, le verbe indurire sélectionne seulement la forme intransitive réflexive, qui est donc compatible aussi bien avec une lecture télique qu’avec une lecture atélique. On observe la même chose avec les verbes raffreddare, riscaldare, riempire et allargare. Le verbe rompere sélectionne, lui aussi, seulement la forme intransitive réflexive mais, en tant que verbe intrinsèquement télique, il est compatible seulement avec une lecture télique. Tout comme en français, en italien aussi, le verbe bollire sélectionne seulement la forme intransitive non réflexive, qui est donc compatible avec les deux lectures (télique et atélique). Toutefois, en italien la forme intransitive non réflexive du verbe bollire sélectionne aussi bien l’auxiliaire avere que l’auxiliaire essere. Il s’ensuit donc que la forme en avere est compatible plutôt avec un contexte atélique, tandis que la forme en essere est compatible plutôt avec un contexte télique. Contrairement au français, en italien, le verbe migliorare sélectionne la forme intransitive non 200 CHAPITRE IV CONSIDÉRATIONS SUR L’AKTIONSART DE CERTAINS VERBES DE CHANGEMENT D’ÉTAT réflexive à auxiliaire essere, qui est donc compatible aussi bien avec la lecture télique qu’avec la lecture atélique. Pour ce qui concerne le verbe ingiallire, il sélectionne aussi bien une forme intransitive réflexive en se+essere qu’une forme intransitive non réflexive sélectionnant l’auxiliaire essere. Les deux formes sont compatibles aussi bien avec une lecture télique qu’avec une lecture atélique. Comme nous l’avons affirmé au début de notre analyse, le contenu lexical de la plupart des verbes de changement d’état est à priori compatible avec des lectures téliques et atéliques mais, comme nous l’avons observé au cours de cette description, les auxiliaires ‘être’ et ‘avoir’ ont une incidence sur l’aspect de sorte que l’auxiliaire ‘être’ favorise une lecture télique, tandis que l’auxiliaire ‘avoir’ favorise une lecture atélique. Néanmoins, comme nous l’avons observé, si seulement un des deux auxiliaires est sélectionné, celui-ci sera compatible avec les deux lectures. Le verbe ingiallire sélectionne seulement l’auxiliaire essere, qu’il soit associé à une forme intransitive réflexive ou bien à une forme intransitive non réflexive. Il s’ensuit donc qu’avec le verbe ingiallire les deux formes sélectionnant l’auxiliaire essere sont compatibles avec les deux lectures (télique et atélique). Le verbe ingiallire, tout comme le verbe migliorare, nous montre que c’est plutôt l’ambiguïté de la composante lexicale inhérente au verbe et non le type d’auxiliaire sélectionné qui permet à ce verbe d’être compatible avec les deux lectures. Toutefois, l’idée de l’ambiguïté lexicale inhérente n’est pas en conflit avec l’idée que l’auxiliaire essere favorise une lecture télique et que l’auxiliaire avere favorise une lecture atélique (là où les deux auxiliaires sont disponibles). IV.4. La forme intransitive et la lecture à accomplissement graduel : En français, contrairement à l’italien, la forme intransitive non réflexive des verbes de changement d’état est compatible seulement avec l’auxiliaire avoir. Considérons la phrase suivante : (27) La pomme a rougi. La phrase en (27) manifeste une certaine ambiguïté entre une interprétation télique dont le sens est ‘La pomme est devenue rouge’ (rougir = ‘devenir rouge’) et une interprétation atélique dont le sens est ‘La pomme est devenue plus rouge’ (rougir = ‘devenir plus rouge’). 201 CHAPITRE IV CONSIDÉRATIONS SUR L’AKTIONSART DE CERTAINS VERBES DE CHANGEMENT D’ÉTAT La combinaison avec les adverbiaux ‘en x temps’ et ‘pendant x temps’ rend les interprétations télique et atélique explicites. Donc, la phrase : (28) La pomme a rougi en deux heures. nous oblige à comprendre qu’à la fin de l’intervalle temporel dénoté par l’adverbial ‘en x temps’ la pomme est rouge, tandis que la phrase : (29) La pomme a rougi pendant deux heures. n’implique pas qu’à la fin de l’intervalle temporel marqué par l’adverbial ‘pendant x temps’ la pomme soit rouge. Plus précisément, le contexte atélique peut être paraphrasé avec l’emploi du verbe ‘continuer’ qui exprime la continuité de l’événement : (30) La pomme a rougi pendant deux heures. deux heures. La pomme a continué à rougir pendant La pomme est devenue de plus en plus rouge pendant deux heures. Sorace (2000 : 865) observe que la plupart des verbes de changement d’état présentent une approche graduelle d’un but final. La liste de ces verbes comprend aussi bien des verbes dérivés d’adjectifs que des verbes non dé-adjectivaux : verdir, rougir, noircir, grandir, grossir, rapetisser, rétrécir, baisser, augmenter, diminuer, etc. (cf. Legendre et Sorace (2003 : 213) pour une liste plus exhaustive). Comme nous l’avons déjà vu dans la section III.5., Bertinetto et Squartini (1995) définissent comme verbes scalaires les verbes de changement d’état comportant un rapprochement graduel d’un but final. Plus précisément, ils adoptent l’étiquette verbes à accomplissement graduel ( « gradual completion verbs » (GCV)). Dans la lecture à accomplissement graduel on construit le changement d’état dans sa durée. Autrement dit, l’accomplissement graduel décrit un changement d’état en cours qui n’a pas encore atteint son But. La scalarité dont parlent Bertinetto et Squartini est donc une caractéristique de la lecture à accomplissement graduel. Néanmoins, il faut remarquer que, d’une part, les verbes de couleur, tels ‘verdir’, ‘rougir’, ‘noircir’, etc. et, d’autre part, les verbes ‘grandir’, ‘grossir’, ‘rapetisser’, ‘rétrécir’, ‘baisser’, ‘augmenter’, ‘diminuer’ ont une scalarité qui n’est pas 202 CHAPITRE IV CONSIDÉRATIONS SUR L’AKTIONSART DE CERTAINS VERBES DE CHANGEMENT D’ÉTAT exactement de même nature. Pour le premier groupe de verbes il existe un point P au-delà duquel on ne peut plus continuer à verdir, rougir, noircir, tandis que pour le deuxième groupe de verbes il n’existe pas de point final P ou de limite supérieure à atteindre. En effet, si l’on affirme que : (31) a. Jean a grandi/grossi/rapetissé en deux mois. b. La jupe a rétréci en deux jours. c. La température a baissé en deux heures. d. Les prix ont augmenté/diminué en deux semaines. il s’ensuit qu’une fois que Jean a grandi/grossi/rapetissé, il peut devenir encore plus grand/gros/petit. De la même façon, une fois que la température a baissé, elle peut baisser encore et une fois que les prix ont augmenté/diminué, ils peuvent devenir encore plus élevés ou encore plus bas. Contrairement au français, en italien, la forme intransitive non réflexive des verbes de changement d’état sélectionne l’auxiliaire essere. Toutefois, certains verbes de changement d’état peuvent sélectionner aussi bien l’auxiliaire essere que l’auxiliaire avere à la forme intransitive non réflexive. Par exemple, pour n’en citer que quelques-uns, les verbes marcire (‘pourrir’), fiorire (‘fleurir’), impallidire (‘pâlir’) et arrossire (‘rougir’) sélectionnent les deux auxiliaires, tandis que les verbes ingiallire (‘jaunir’), migliorare (‘s’améliorer’) 11, crescere (‘grandir’), ingrassare (‘grossir’), dimagrire (‘maigrir’) et invecchiare sélectionnent seulement l’auxiliaire essere. Voici une brève liste illustrative : 11 Cf. le tableau (26). 203 (‘vieillir’) CHAPITRE IV CONSIDÉRATIONS SUR L’AKTIONSART DE CERTAINS VERBES DE CHANGEMENT D’ÉTAT (32) a. Le citron a pourri. b. Il limone è/?ha marcito. (33) a. Le pommier a fleuri. b. Il melo è/?ha fiorito. (34) a. Jean a pâli. b. Gianni è/?ha impallidito. (35) a. Jean a rougi. b. Gianni è/?ha arrossito. (36) a. Jean a grandi/grossi/maigri/vieilli. b. Gianni è/*ha cresciuto/ingrassato/dimagrito/invecchiato. Bien que l’auxiliaire essere favorise une lecture télique, tandis que l’auxiliaire avere favorise une lecture atélique, il s’avère qu’avec les verbes de changement d’état sélectionnant les deux auxiliaires à la forme intransitive, l’auxiliaire essere n’est pas complètement incompatible avec l’adverbial atélique ‘pendant x temps’ et, de la même manière, l’auxiliaire avere n’est pas complètement agrammatical avec l’adverbial télique ‘en x temps’. Avec ces verbes il n’est donc pas possible de prédire des incompatibilités tranchées avec les adverbiaux ‘pendant x temps’ et ‘en x temps’ selon le type d’auxiliaire sélectionné : (37) Gianni è/ ?ha arrossito in un minuto. Lit. Jean est/a rougi en une minute ‘Jean a rougi en une minute.’ (38) Gianni ?è/ha arrossito per un minuto. Lit. Jean est/a rougi pendant une minute ‘Jean a rougi pendant une minute.’ (39) Il melo è/ ?ha fiorito in due mesi. Lit. Le pommier est/a fleuri en deux mois ‘Le pommier a fleuri en deux mois.’ (40) Il melo ?è/ha fiorito per due mesi. Lit. Le pommier est/a fleuri pendant due mois ‘Le pommier a fleuri pendant deux mois.’ 204 CHAPITRE IV CONSIDÉRATIONS SUR L’AKTIONSART DE CERTAINS VERBES DE CHANGEMENT D’ÉTAT Les exemples ci-dessus nous montrent que c’est plutôt l’ambiguïté de la composante lexicale inhérente à ces verbes et non le type d’auxiliaire sélectionné qui permet à ces verbes d’être compatibles avec les deux lectures. Toutefois, comme le montrent les exemples ci-dessus, l’idée de l’ambiguïté lexicale inhérente n’est pas en conflit avec l’idée que l’auxiliaire essere favorise une lecture télique et que l’auxiliaire avere favorise une lecture atélique (là où les deux auxiliaires sont disponibles). En ce qui concerne la scalarité, nous avons remarqué (cf. supra) que pour les verbes de couleur, tels ‘verdir’, ‘rougir’, ‘noircir’, etc. il existe un point P au-delà duquel on ne peut plus continuer à verdir, rougir, noircir. La même chose s’observe en italien. La phrase (37) nous laisse comprendre qu’à la fin de l’intervalle temporel dénoté par l’adverbial ‘en x temps’ le SN Gianni a acquis la qualité ‘être rouge’ et cela même si l’auxiliaire sélectionné est avere. En revanche, avec les verbes du type crescere (‘grandir’), ingrassare (‘grossir’), dimagrire (‘maigrir’), etc. il n’existe pas de point final P ou de limite supérieure à atteindre : (41) Gianni è cresciuto/ingrassato/dimagrito in due mesi. Lit. Jean est grandi/grossi/maigri en deux mois ‘Jean a grandi/grossi/maigri en deux mois.’ En (41) bien que les verbes sélectionnent l’auxiliaire essere et qu’ils soient compatibles avec l’adverbial télique ‘en x temps’, le changement d’état n’implique pas un point final P au-delà duquel on ne peut plus continuer à crescere/ingrassare/dimagrire. IV.5. Les lectures d’achèvement vs. activité avec la forme intransitive des verbes ‘fondre’, ‘cuire’, ‘brûler’, ‘geler’ et ‘bouillir’ : Dans cette section, nous analyserons les cinq verbes ‘fondre’, ‘cuire’, ‘brûler’, ‘geler’ et ‘bouillir’ qui dénotent un changement d’état mais qui ne sont pas dérivés d’adjectifs. Plus précisément, nous analyserons la forme intransitive non réflexive de ces verbes et la compatibilité des auxiliaires essere et avere sélectionnés par ces verbes avec les lectures télique et atélique en italien. Le français, contrairement à l’italien, n’a pas de verbes de changement d’état non réflexifs à auxiliaire être. En ce qui concerne le français, nous analyserons donc la forme intransitive non réflexive à auxiliaire avoir de ces verbes et la compatibilité de cette forme avec les lectures téliques et atéliques. Nous montrerons que la 205 CHAPITRE IV CONSIDÉRATIONS SUR L’AKTIONSART DE CERTAINS VERBES DE CHANGEMENT D’ÉTAT forme intransitive non réflexive de ces verbes est compatible avec différentes lectures aspectuelles. À partir de ce fait, nous formulerons l’hypothèse que la racine lexicale de ces verbes est sous-spécifiée au regard de l’Aktionsart et nous essayerons de préciser les différents types d’Aktionsart associés à chaque verbe. IV.5.1. Les verbes ‘fondre’, ‘cuire’ et ‘brûler’ : Le verbe ‘fondre’, tout comme le verbe ‘brûler’, est un prédicat d’achèvement. Un prédicat d’achèvement décrit une situation qui ne comporte pas de procès. Il s’agit d’un changement instantané qui donne un nouvel état comme résultat 12. Le verbe ‘cuire’ est compatible avec une lecture d’achèvement mais, contrairement aux verbes ‘fondre’ et ‘brûler’, il est compatible aussi avec une lecture d’accomplissement graduel13. Les données présentées dans le tableau (26) montrent qu’en italien la forme intransitive non réflexive des verbes de changement d’état fondere (‘fondre’), cuocere (‘cuire’) et bruciare (‘brûler’) est marginalement compatible avec l’auxiliaire avere. Plus précisément, il semble que l’auxiliaire avere est plus acceptable dans un contexte atélique que dans un contexte télique. Les verbes de changement d’état fondere, cuocere et bruciare sont orientés vers un terme. Il s’ensuit donc que la forme intransitive non réflexive sélectionnant l’auxiliaire avere, qui est associé plutôt à un contexte atélique, est difficilement acceptable dans un contexte télique où l’on emploie la forme si+essere (‘se+être’), (cf. le tableau (25)). 12 La compatibilité du verbe ‘fondre’ avec des adverbiaux de degré comme ‘à moitié’, ‘aux trois-quarts’, ‘un peu’, ‘complètement’, etc. ne prouve pas que ‘fondre’ soit un verbe dénotant un processus graduel : (i) a. La neige est à moitié/aux trois-quarts/un peu/complètement fondue. b. La neve è per metà/per tre quarti/un po’/completamente fusa. Les phrases en (i) dénotent l’état résultant du processus de fonte. Ce processus produit un changement d’état du SN ‘neige’ (qui est donc affecté par le verbe) de telle manière qu’à la fin du processus l’état résultant est que ‘La neige est fondue’. Les adverbiaux ‘à moitié’, ‘aux trois-quarts’ et ‘un peu’ indiquent que le changement produit par le processus de fonte n’a affecté qu’à moitié/aux trois-quarts/un peu la quantité de neige considérée dans le contexte discursif. En revanche, l’adverbial ‘complètement’ indique que ce changement concerne toute la quantité de neige à laquelle fait allusion le contexte discursif. Donc, les adverbiaux ‘à moitié’, ‘aux trois-quarts’, ‘un peu’ et ‘complètement’ spécifient la quantité de neige affectée par le changement d’état mais ils ne prouvent pas que ‘fondre’ dénote un processus graduel. Autrement dit, ils ne prouvent pas que ‘fondre’ est un verbe à accomplissement graduel. Il en est de même pour le verbe ‘brûler’ : (ii) a. Le bâton d’encens est à moitié/aux trois-quarts/un peu/complètement brûlé. b. Il bastone d’incenso è per metà/per tre quarti/un po’/completamente bruciato. En (iia,b), les adverbiaux de degré ‘à moitié’, ‘aux trois-quarts’, ‘un peu’, ‘complètement’ spécifient la quantité de bâton d’encens affectée par le changement d’état mais ils ne prouvent pas que ‘brûler’ est un verbe à accomplissement graduel. 13 Par ailleurs, ce verbe peut être interprété comme la phase de départ d’un processus d’accomplissement graduel : cuire > brûler > carboniser > consumer. 206 CHAPITRE IV CONSIDÉRATIONS SUR L’AKTIONSART DE CERTAINS VERBES DE CHANGEMENT D’ÉTAT Quand les verbes fondere et bruciare sélectionnent la forme intransitive à auxiliaire essere, ils sont compatibles avec l’adverbial télique ‘en x temps’, et l’adverbial atélique ‘pendant x temps’ n’est pas complètement exclu. En revanche, le verbe cuocere, lorsqu’il sélectionne l’auxiliaire essere, est incompatible avec ces deux adverbiaux : (42) a. Il cioccolato è fuso ?in due minuti/ ?/*per due ore. b. Lit. Le chocolat est fondu en deux minutes/pendant deux heures c. ‘Le chocolat a fondu √/?/*en deux minutes/pendant deux heures’. (43) a. La carne è cotta *in due minuti/*per due ore14. b. Lit. La viande est cuite en deux minutes/pendant deux heures c. ‘La viande a cuit √/?/*en deux minutes/pendant deux heure.’ (44) a. Il bastone d’incenso è bruciato ?in due minuti/ ?/*per due ore. b. Lit. Le bâton d’encens est brûlé en deux minutes/pendant deux heures c. ‘Le bâton d’encens a brûlé √/?/*en deux minutes/pendant deux heures.’ Les données en (42a), (43a) et (44a) nous montrent que les verbes fondere et bruciare, contrairement au verbe cuocere, sont marginalement compatibles avec l’adverbial télique ‘en x temps’ quand ils sélectionnent l’auxiliaire essere, tandis que l’emploi de l’adverbial ‘pendant x temps’ est presque exclu. Ce comportement ne nous surprend pas étant donné que, comme nous l’avons remarqué dans la section IV.4., la sélection de l’auxiliaire essere est fortement corrélée à une lecture télique, tandis que la sélection de l’auxiliaire avere est plutôt corrélée à une lecture atélique. En fait, les exemples suivants nous montrent que quand on remplace l’auxiliaire essere par l’auxiliaire avere, les jugements de grammaticalité des phrases en (42a), (43a) et (44a) changent : (45) a. Il cioccolato ha fuso ?/*in due minuti/√/?/*per due ore. b. Le chocolat a fondu √/?/*en deux minutes/pendant deux heures. (46) a. La carne ha cotto ?/*in due minuti/√/?/*per due ore. b. La viande a cuit √/?/*en deux minutes/pendant deux heures. (47) a. Il bastone d’incenso ha bruciato ?/*in due minuti/√/?/*per due ore. b. Le bâton d’encens a brûlé √/?/*en deux minutes/pendant deux heures. 14 La phrase (43a) peut être interprétée comme une phrase passive associée à une lecture habituelle aussi bien avec l’adverbial ‘en x temps’ qu’avec l’adverbial ‘pendant x temps’. 207 CHAPITRE IV CONSIDÉRATIONS SUR L’AKTIONSART DE CERTAINS VERBES DE CHANGEMENT D’ÉTAT Une explication des données en (45)-(47) s’impose. Les exemples en (45a), (46a) et (47a) nous montrent que l’auxiliaire avere est compatible, au moins pour certains locuteurs, avec l’adverbial atélique ‘pendant x temps’ mais que l’emploi de l’adverbial ‘en x temps’ est plus contraint. Comme nous l’avons déjà observé pour les phrases en (42a) et (44a), ce comportement variable ne nous surprend pas non plus avec les phrases (45a), (46a) et (47a). En italien, la sélection de l’auxiliaire essere est fortement corrélée à un effet télique, tandis que la sélection de l’auxiliaire avere est plutôt corrélée à un effet atélique. C’est pourquoi l’emploi de l’adverbial ‘en x temps’ en (45a), (46a) et (47a) est plus contraint que l’emploi de l’adverbial ‘pendant x temps’. Cette variabilité d’emploi nous montre que ces verbes ont un Aktionsart ambigu et que c’est l’ambiguïté inhérente au radical lexical, et non le type d’auxiliaire sélectionné, qui permet cette variabilité d’emploi. Toutefois, l’idée de l’ambiguïté lexicale inhérente n’est pas en conflit avec l’idée que l’auxiliaire essere favorise une lecture télique et que l’auxiliaire avere favorise une lecture atélique (cf. (42a), (44a), (45a), (46a) et (47a)). En revanche, les phrases (42c), (43c) et (44c) nous montrent que le français n’a pas de verbes de changement d’état non réflexifs à auxiliaire être. Ces exemples nous montrent que, tout comme en italien, en français aussi, l’emploi de l’auxiliaire avoir est plutôt corrélé à un effet atélique. C’est pourquoi avec ces verbes, qui disposent aussi d’une forme télique en se+être, l’emploi de la forme intransitive non réflexive à auxiliaire avoir est contraint avec l’adverbial télique ‘en x temps’, tandis qu’il ne l’est pas avec l’adverbial ‘pendant x temps’. Nous avons défini les verbes ‘fondre’ et ‘brûler’ comme des achèvements. Une fois que le terme implicite du changement est atteint, ces verbes sont compatibles avec une interprétation d’activité marquée par l’adverbial ‘pendant x temps’. Nous rappelons (cf. la sous-section I.4.1.) que les prédicats dénotant une activité se composent d’une seule action (généralement non interrompue) qui se compose, à son tour, d’une suite d’actes identiques dont la somme est conçue en tant qu’une seule action. En effet, l’interprétation dénotant une activité peut se traduire par la périphrase ‘continuer à’ qui dénote la continuité de l’événement : 208 CHAPITRE IV CONSIDÉRATIONS SUR L’AKTIONSART DE CERTAINS VERBES DE CHANGEMENT D’ÉTAT (48) a. Il cioccolato ha fuso (= ha continuato a fondere) per mezzora. ‘Le chocolat a fondu (= a continué à fondre) pendant une demi-heure.’ b. Il bastone d’incenso ha bruciato (= ha continuato a bruciare) per due ore. ‘Le bâton d’encens a brûlé (= a continué à brûler) pendant deux heures.’ Le verbe ‘cuire’ est, lui aussi, compatible avec une interprétation d’activité marquée par l’adverbial ‘pendant x temps’ (cf. (46)). Dans ce cas, on construit le changement d’état dans sa durée : (49) La carne ha cotto (= ha continuato a cuocere) per due ore. ‘La viande a cuit (= a continué à cuire) pendant deux heures.’ Les observations que nous avons faites dans cette sous-section nous amènent à formuler les conclusions suivantes : - les verbes ‘fondre’ et ‘brûler’ sont compatibles avec un Aktionsart dénotant un achèvement ou une activité. - le verbe ‘cuire’ est compatible avec un Aktionsart dénotant un achèvement, un accomplissement graduel ou une activité. IV.5.2. Les verbes ‘geler’ et ‘bouillir’ : Les verbes de changement d’état ‘geler’ et ‘bouillir’ sont des prédicats d’achèvement (cf. L’eau bout à 100°C ; L’eau gèle à 0°C) tout comme les verbes ‘fondre’ et ‘brûler’ 15. En 15 Comme nous l’avons déjà observé pour les verbes ‘fondre’ et ‘brûler’ (cf. ci-dessus la note 12), la compatibilité du verbe ‘geler’ avec les adverbiaux de degré du type ‘un peu’, ‘légèrement’, ‘complètement’, etc. ne prouve pas que le verbe ‘geler’ est un verbe à accomplissement graduel : (i) a. Le lac est un peu/légèrement/complètement gelé. b. Il lago è un po’/leggermente/completamente gelato. Ces adverbiaux indiquent tout simplement la quantité d’eau affectée par le changement d’état mais ils ne prouvent pas que le verbe ‘geler’ est un prédicat à accomplissement graduel. Contrairement au verbe ‘geler’, le verbe ‘bouillir’ n’est pas compatible avec des adverbiaux de degré : (ii) a. *L’eau est un peu/légèrement/complètement bouillie. b. *L’acqua è un po’/leggermente/completamente bollita. En effet, il s’avère que le processus d’ébullition, contrairement aux processus de congélation, de fonte et d’ébullition (cf. ci-dessus la note 12), affecte toute la quantité d’eau indiquée par le contexte discursif. Autrement dit, l’eau ou elle est bouillie ou elle ne l’est pas. Les observations que nous avons faites à propos des exemples (ia,b) et des exemples dans le texte (cf. infra) nous amènent à considérer le verbe ‘geler’ comme un verbe d’achèvement et pas comme un verbe à accomplissement graduel. Les verbes ‘fondre’, ‘brûler’, ‘geler’ et ‘bouillir’ sont donc, selon nos considérations, des verbes d’achèvement. 209 CHAPITRE IV CONSIDÉRATIONS SUR L’AKTIONSART DE CERTAINS VERBES DE CHANGEMENT D’ÉTAT italien la forme intransitive non réflexive de ces verbes sélectionne aussi bien l’auxiliaire essere que l’auxiliaire avere. Comme nous l’avons remarqué à plusieurs reprises (cf. supra), la sélection de l’auxiliaire essere est fortement corrélée à un effet télique, tandis que la sélection de l’auxiliaire avere est plutôt corrélée à un effet atélique : (50) a. Il lago è gelato ?in due ore/?/*per due giorni. b. L’acqua è bollita ?in due ore/?/*per due ore. (51) a. Il lago ha gelato ?/*in due ore/√/?/*per due giorni. b. L’acqua ha bollito ?/*in due ore/per due ore. Les exemples ci-dessus nous montrent que les jugements d’acceptabilité des adverbiaux ‘en x temps’ et ‘pendant x temps’ changent selon le type d’auxiliaire sélectionné, mais que l’emploi de l’adverbial ‘en x temps’ avec l’auxiliaire avere et l’emploi de l’adverbial ‘pendant x temps’ avec l’auxiliaire essere n’est pas complètement exclu. La compatibilité, même si marginale dans certains cas, des adverbiaux ‘en x temps’ et ‘pendant x temps’ avec l’un des deux auxiliaires nous montre encore une fois qu’avec les verbes de changement d’état sélectionnant les deux auxiliaires, c’est plutôt l’ambiguïté inhérente au radical lexical, et non le type d’auxiliaire sélectionné, qui permet cette variabilité d’emploi. Toutefois, comme nous l’avons déjà remarqué à plusieurs reprises et comme le montrent les exemples (50) et (51), l’idée de l’ambiguïté lexicale inhérente n’entre pas en conflit avec l’idée que l’auxiliaire essere favorise une lecture télique et que l’auxiliaire avere favorise une lecture atélique. Dans cette hypothèse, une explication des données en (50) et (51) est nécessaire. Comme nous l’avons remarqué dans les tableaux (25) et (26), le verbe gelare sélectionne aussi bien une forme intransitive à auxiliaire avere qu’une forme intransitive réflexive. En revanche, le verbe bollire est compatible seulement avec la forme intransitive. Plus précisément, nous avons observé que l’adverbial ‘en x temps’ est compatible plutôt avec la forme réflexive du verbe gelare qu’avec la forme intransitive à auxiliaire avere (cf. les tableaux (25) et (26)). Étant donné que l’auxiliaire essere est assez fortement corrélé à une interprétation télique, il s’avère que l’emploi de l’adverbial télique in due ore est moins contraint avec la forme intransitive sélectionnant l’auxiliaire essere qu’avec la forme intransitive sélectionnant l’auxiliaire avere (comparer (50a) avec (51a)). En revanche, le verbe bollire sélectionne une forme intransitive associée à l’auxiliaire essere ou à l’auxiliaire avere, c’est pourquoi, lorsqu’il sélectionne l’auxiliaire essere, l’adverbial télique in due ore est acceptable, tandis qu’avec l’auxiliaire 210 CHAPITRE IV CONSIDÉRATIONS SUR L’AKTIONSART DE CERTAINS VERBES DE CHANGEMENT D’ÉTAT avere l’emploi de cet adverbial est discutable (comparer (50b) avec (51b)). En ce qui concerne l’emploi de l’adverbial atélique per due giorni/per due ore, nous observons que cet adverbial est contraint avec la forme intransitive sélectionnant l’auxiliaire essere (cf. (50a,b)), tandis qu’il est compatible avec l’auxiliaire avere (cf. (51a,b)). En français, la sélection obligatoire de l’auxiliaire avoir avec la forme intransitive non réflexive des verbes de changement d’état et la compatibilité des adverbiaux ‘en x temps’ et ‘pendant x temps’ avec la forme intransitive à auxiliaire avoir des verbes geler et bouillir est une confirmation du fait que c’est l’ambiguïté inhérente à la racine lexicale de ces verbes et pas le type d’auxiliaire sélectionné qui permet cette variabilité d’emploi : (52) a. Le lac a gelé √/?/*en deux heures/pendant deux jours. b. L’eau a bouilli en deux heures/pendant deux jours. Comme pour l’italien (cf. (50a) et (51a), pour le français aussi (cf. (52a)), l’idée de l’ambiguïté lexicale inhérente n’est pas en conflit avec l’idée que l’auxiliaire être favorise une lecture télique et que l’auxiliaire avoir favorise une lecture atélique. En effet, comme nous l’avons remarqué dans la section IV.3., le verbe geler, outre à sélectionner une forme intransitive à auxiliaire avoir, sélectionne aussi une forme en se+être qui est compatible avec un contexte télique. C’est pourquoi en (52a) la forme intransitive à auxiliaire avoir n’est pas optimale avec l’adverbial télique ‘en x temps’. De sont côté, le verbe bouillir sélectionne seulement une forme intransitive à auxiliaire avoir. Ce fait nous montre que c’est plutôt l’ambiguïté de la composante lexicale inhérente au verbe bouillir et non le type d’auxiliaire sélectionné qui permet à ce verbe d’être compatible avec les deux lectures. Nous avons défini les verbes ‘geler’ et ‘bouillir’ comme des achèvements. Une fois que le terme implicite du changement est atteint (cf. 100°C/0°C) ces verbes sont compatibles avec une interprétation d’activité dénotant la continuité de l’événement. Autrement dit, 100°C et 0°C sont les points à partir desquels l’activité de congélation et d’ébullition commence. C’est en effet ce qu’on observe : 211 CHAPITRE IV CONSIDÉRATIONS SUR L’AKTIONSART DE CERTAINS VERBES DE CHANGEMENT D’ÉTAT (53) Il lago ha gelato (= ha continuato a gelare) per due giorni. ‘Le lac a gelé (= a continué à geler) pendant deux jours.’ (54) L’acqua ha bollito (= ha continuato a bollire) per due ore. ‘L’eau a bouilli (= a continué à bouillir) pendant deux heures.’ En (53) et (54), la compatibilité des verbes ‘geler’ et ‘bouillir’ avec l’adverbial atélique ‘pendant x temps’ montre leur compatibilité avec une lecture dénotant une activité. Les observations que nous avons faites jusqu’ici nous invitent à conclure que les verbes ‘geler’ et ‘bouillir’ tout comme les verbes ‘fondre’ et ‘brûler’ sont compatibles aussi bien avec une lecture d’achèvement qu’avec une lecture d’activité. IV.6. Récapitulation : Ce que nous avons observé à partir des données présentées dans les sous-sections IV.5.1. et IV.5.2. est qu’en italien la forme intransitive des verbes de changement d’état fondere, cuocere, bruciare, gelare et bollire est compatible aussi bien avec une interprétation télique qu’avec une interprétation atélique. Comme nous l’avons remarqué, l’idée de l’ambiguïté lexicale inhérente à ces verbes n’est pas en conflit avec l’idée que l’auxiliaire essere favorise une lecture télique et que l’auxiliaire avere favorise une lecture atélique (là où les deux auxiliaires sont disponibles). Même si la sélection de l’auxiliaire essere est corrélée à un effet télique, tandis que la sélection de l’auxiliaire avere est plutôt associée à un effet non télique, il s’avère que l’auxiliaire essere n’est pas complètement exclu dans un contexte atélique, tout comme l’auxiliaire avere n’est pas complètement agrammatical dans un contexte télique. Le français, contrairement à l’italien, n’a pas de verbes de changement d’état non réflexifs à auxiliaire être. L’auxiliaire être associé aux verbes de changement d’état n’est compatible qu’avec une interprétation d’état résultant en français. En français, comme nous l’avons observé, seulement la forme en se+être et la forme intransitive non réflexive sélectionnant l’auxiliaire avoir sont compatibles avec une lecture événementielle. En résumé, dans les deux langues l’auxiliaire ‘être’, quand il est en compétition avec l’auxiliaire ‘avoir’, favorise une lecture télique. En français, avec les verbes de changement d’état, l’auxiliaire être est corrélé à la forme réflexive, alors qu’en italien, l’auxiliaire essere peut être sélectionné par cette classe de verbes, avec un effet télique, en l’absence de ‘se’. Nous avons donc établit un rapprochement entre la forme intransitive non réflexive des verbes 212 CHAPITRE IV CONSIDÉRATIONS SUR L’AKTIONSART DE CERTAINS VERBES DE CHANGEMENT D’ÉTAT de changement d’état sélectionnant l’auxiliaire essere, en italien, et la forme intransitive réflexive des verbes de changement d’état sélectionnant la séquence se+être en français sur la base de la propriété commune aux auxiliaires essere et être, c’est-à-dire la compatibilité avec un contexte télique. Dans la section précédente, nous avons montré aussi que dans les deux langues les verbes ‘fondre’, ‘brûler’, ‘geler’ et ‘bouillir’ sont compatibles aussi bien avec une lecture d’achèvement qu’avec une lecture d’activité, tandis que le verbe ‘cuire’ est compatible avec trois lectures : achèvement, accomplissement graduel et activité. Nous avons donc précisé les différents types d’Aktionsart qui peuvent être associés à un même verbe. Ces observations nous conduisent à préciser la classification aspectuelle des prédicats élaborée par Vendler (1957). Un des problèmes des classifications aspectuelles est que c’est toujours le contexte qui définit le type aspectuel et leur type d’interprétation et que selon le type de contexte le radical verbal est associé à différents types d’Aktionsart. Nous formulons donc l’hypothèse que le radical verbal de ces verbes est sous-spécifié par rapport à l’Aktionsart. Le contexte joue donc un rôle central dans l’interprétation des prédicats. En général, les données que nous avons analysées nous montrent que, quand on admet l’appartenance d’un verbe à une classe aspectuelle plutôt qu’à une autre, en réalité on renvoie à une série de contextes précis dans lesquels ce verbe peut apparaître. Nous pouvons donc affirmer qu’en général la quadripartition de Vendler (cf. la section I.4.) ne prédit pas d’inacceptabilités tranchées. Les données que nous avons analysées dans les sections IV.4. et IV.5., même si elles concernent un groupe restreint de verbes, nous montrent que l’italien par rapport au français présente encore un grand emploi de l’auxiliaire essere et une alternance considérable entre les deux auxiliaires (cf. aussi, dans la section I.13., l’échelle de la sélection de l’auxiliaire élaborée par Legendre et Sorace (2003)). L’italien, contrairement au français, n’est donc pas proche d’une élimination totale de ‘être’ comme auxiliaire en alternance avec ‘avoir’ avec les verbes de changement d’état. 213 CHAPITRE IV CONSIDÉRATIONS SUR L’AKTIONSART DE CERTAINS VERBES DE CHANGEMENT D’ÉTAT Deuxième partie : observations sur certains verbes de changement d’état dé-adjectivaux [±préfixés] Le français, contrairement à l’italien, a un échantillon productif de couples de verbes de changement d’état dé-adjectivaux dont l’un est porteur d’un préfixe, alors que l’autre n’en a pas. Voici une liste (non exhaustive mais représentative) de ces couples : (55) VERBE AVEC PRÉFIXE VERBE SANS PRÉFIXE ADJECTIF a-baisser ra-/re-baisser baisser bas af-faiblir faiblir faible a-grandir grandir grand a-maigrir maigrir maigre a-mincir mincir mince a-mollir ra-mollir mollir mou at-tiédir tiédir tiède dé-fraîchir fraîchir frais dé-grossir grossir gros é-chauffer ré-chauffer chauffer chaud en-durcir durcir dur re-froidir froidir froid En italien, la plupart des verbes de changement d’état dé-adjectivaux contiennent un préfixe. Par exemple, les verbes énumérés dans le tableau (55) requièrent un préfixe en italien : 214 CHAPITRE IV CONSIDÉRATIONS SUR L’AKTIONSART DE CERTAINS VERBES DE CHANGEMENT D’ÉTAT (56) FRANÇAIS ITALIEN ADJECTIF a-baisser/baisser ra/re-baisser/baisser *re-a-abaisser ab-bassare/*bassare ri-bassare/*bassare ri-ab-bassare16 bas/basso a-ffaiblir/faiblir in-debolire/*debolire faible/debole a-grandir/grandir in-grandire/*grandire17 grand/grande a-maigrir/maigrir di-magrire/*magrire maigre/magro a-mincir/mincir as-sottigliare/*sottigliare mince/sottile a-mollir/mollir ra-mollir/mollir *re-a-mollir am-morbidire/*morbidire *ri-morbidire/*morbidire ri-am-morbidire18 mou/morbido at-tiédir/tiédir in-tiepidire/*tiepidire tiède/tiepido dé-fraîchir rin-frescare/*frescare frais/fresco dé-grossir/grossir s-grossare/*grossare19 gros/grosso é-chauffer/chauffer ré-chauffer/chauffer s-caldare/*caldare ri-scaldare/*caldare chaud/caldo en-durcir/durcir in-durire/*durire dur/duro re-froidir/ froidir raf-freddare/freddare20 froid/freddo À cette liste, s’ajoutent d’autres verbes dé-adjectivaux qui requièrent un préfixe en italien mais dont le correspondant français est sans préfixe : 16 Les préfixes ra- et ri- des verbe rabaisser et ribassare ne sont pas associés à une valeur itérative. La lecture itérative est exprimée en italien par le verbe riabbassare qui n’a pas de correspondant homographe en français (*reabaisser). En français, la lecture itérative est exprimée par le verbe rebaisser. 17 Le correspondant italien du verbe grandir est crescere : (i) a. Jean a grandi. b. Gianni è cresciuto. Les verbes grandir et crescere signifient aussi bien augmenter d’en âge qu’augmenter en hauteur. 18 Le préfixe r- du verbe ramollir n’est pas porteur d’un sens itératif. Le verbe ramollir est synonyme du verbe amollir. Le sens itératif est associé en italien au verbe riammorbidire, tandis qu’en français on recourt à l’expression ‘à nouveau’ pour déclencher une lecture itérative : (i) L’asphalte a amolli/ramolli à nouveau à cause de la chaleur. 19 Les correspondants italiens du verbe grossir sont ingrassare (verbe dont la base est l’adjectif grasso ‘gras’) ou ingrossare (verbe dont la base est l’adjectif grosso ‘gros’) : (i) Jean a grossi. (ii) Gianni è ingrassato/ingrossato. 20 L’emploi du verbe freddare est désuet. 215 CHAPITRE IV CONSIDÉRATIONS SUR L’AKTIONSART DE CERTAINS VERBES DE CHANGEMENT D’ÉTAT (57) FRANÇAIS ITALIEN ADJECTIF blanchir *(im)bianchire blanc/bianco blondir *(im)biondire blond/biondo grisonner *(in)grigire gris/grigio jaunir *(in)giallire jaune/giallo noircir *(an)nerire noir/nero pâlir *(im)pallidire pâle/pallido rougir *(ar)rossire rouge/rosso verdir *(in)verdire vert/verde vieillir *(in)vecchiare vieux/vecchio Il s’avère aussi que certains verbes dé-adjectivaux n’ont pas de préfixe en italien, comme, par exemple, les verbes migliorare (‘s’améliorer’) ou peggiorare (‘empirer’). En revanche, en français, ces verbes requièrent un préfixe : s’améliorer et empirer. Il existe aussi des verbes qui ont deux ou trois formes, dont l’une est douée d’un préfixe et les autres non, et cela tant en français qu’en italien (cf., par exemple, sécher/seccare ; assécher/prosciugare ; dessécher/essiccare (= inaridire)). Il s’ensuit donc que le système de dérivation des verbes dé-adjectivaux dans les deux langues est assez hétérogène et variable en ce qui concerne la préfixation. Parmi les verbes dé-adjectivaux, il y en a certains qui requièrent un préfixe aussi bien en français qu’en italien et dont il n’existe pas de forme sans préfixe. Voici une liste illustrative : 216 CHAPITRE IV CONSIDÉRATIONS SUR L’AKTIONSART DE CERTAINS VERBES DE CHANGEMENT D’ÉTAT (58) FRANÇAIS ITALIEN ADJECTIF *(a)bêtir *(in)stupidire bête/stupido *(a)lourdir *(ap)pesantire lourd/pesante *(ap)pauvrir *(im)poverire pauvre/povero *(a)platir *(ap)piattire plat/piatto *(al)léger *(al)leggerire léger/leggero (al)longer 21 *(al)lungare long/lungo *(dé)nuder *(de)nudare nu/nudo *(é)largir *(al)largare large/largo *(é)loigner *(al)lontanare loin/lontano *(en)richir *(ar)ricchire riche/ricco *(ra)jeunir *(rin)giovanire jeune/giovane *(ra)petisser *(rim)picciollire petit/piccolo *(rac)courcir *(ac)corciare22 court/corto Comme le remarquent Jacobini (2004) et Scalise (1994), entre autres, il faut distinguer entre verbes préfixés et verbes parasynthétiques. En général, les formes verbales préfixées se distinguent des formes verbales parasynthétiques par le fait que, une fois le préfixe enlevé, on 21 Le verbe longer existe dans le lexique français mais il n’est pas employé en tant que verbe de changement d’état mais en tant que verbe de mouvement dont le sens est ‘aller le long de (qqch.), en suivant le bord, en marchant auprès’ (cf. Rey, Alain, Rey-Debove, Josette, Le nouveau Petit Robert. Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, 1993, ad vocem). 22 En italien le préfixe ri- (‘ré-, re-, r-’) est compatible avec les verbes accorciare et stringere > ri-accorciare et ri-stringere et il est porteur d’un sens répétitif/itératif. Les préfixes rac- et ré- des correspondants français des verbes italiens accorciare et stringere n’ont pas un sens répétitif/itératif. Afin de déclencher ce type de lecture il est nécessaire d’employer l’expression ‘à nouveau’ : (i) a. Marie a raccourci à nouveau sa jupe. b. Marie a rétréci à nouveau sont pull. En italien aussi l’expression ‘à nouveau’ est compatible avec les verbes accorciare et stringere pour véhiculer une lecture répétitive : (ii) a. Maria ha accorciato di nuovo la sua gonna. b. Maria ha stretto di nuovo il suo pullover. L’expression di nuovo peut être employée aussi avec les verbes ri-accorciare et ri-stringere quoique son emploi résulte redondant à cause de la présence du préfixe itératif ri-. 217 CHAPITRE IV CONSIDÉRATIONS SUR L’AKTIONSART DE CERTAINS VERBES DE CHANGEMENT D’ÉTAT obtient un verbe, quelle que soit sa dérivation (un nom ou un adjectif). Par ailleurs, la dérivation parasynthétique forme des mots selon le double processus de la préfixation et de la suffixation. Les verbes parasynthétiques peuvent s’obtenir à partir d’une base substantivale ou bien d’une base adjectivale et ils sont des créations du type : (59) préfixe + substantif/adjectif + suffixe dont les formes reproduites en (60) et (61) n’existant pas : (60) *préfixe + substantif/adjectif (61) *substantif/adjectif + suffixe Il s’ensuit donc que les verbes du tableau (55) sont des verbes préfixés car, dans le lexique du français, il existe aussi une forme verbale non préfixée. En revanche, le tableau (56) nous montre que les verbes énumérés dans le tableau (55), sont des formes parasynthétiques en italien, puisque la forme sans préfixe n’est pas attestée. En (57) on observe un comportement différent en français et en italien au regard de la même classe de verbes. Les verbes français en (57) sont dérivés à partir d’une base adjectivale à travers un processus de suffixation, tandis que les verbes italiens en (57) sont des formes parasynthétiques. En (58) nous avons des exemples de verbes parasynthétiques en français et en italien 23. Nous renvoyons le lecteur aux annexes pour des listes plus exhaustives des préfixes et des suffixes du français et de l’italien. IV.7. Les préfixes et leurs propriétés aspectuelles : Selon Béchade (1992), le français possède environ soixante préfixes. Ici, nous n’analyserons pas tous les préfixes du français et nous n’explorerons pas toutes les nuances sémantiques qui leur sont associées, cette analyse dépassant notre objectif. Nous nous bornerons à analyser les préfixes a(b/d)- ; dé-; é-/ex- ; en-/em- ; ré-/re-/r-24. 23 24 Je remercie Antonietta Bisetto qui m’a aidée à clarifier ce point. Nous renvoyons le lecteur aux annexes pour une liste plus détaillée des préfixes et des suffixes du français. 218 CHAPITRE IV CONSIDÉRATIONS SUR L’AKTIONSART DE CERTAINS VERBES DE CHANGEMENT D’ÉTAT (62) PRÉFIXE A- EN - / EM - RE - DÉ - É - / EX - ASPECT Scalaire : a-baisser, a-mincir, a-mollir, *(ap)pauvrir. Télique (but) : ac-courir, ap-porter, at-tirer, *(a)dosser, *(a)lunir, *(a)merrir, *(at)terrir. Scalaire : en-durcir, *(em)bellir, *(en)richir. Directionnel (source) : s’enfuir, s’envoler25. Télique (inclusif) : em-mener, em-murer, em-porter, *(em)barquer, en-fermer, en-sabler, *(en)flammer, *(en)terrer. Télique (itératif/répétitif) : re-baisser, re-dire, re-faire, re-peindre. Télique (restitutif) : *(ra)jeunir 26. Inverseur de procès : dé-charger, dé-coller, dé-couvrir, dé-faire, dé-fraîchir, *(dé)terrer27. Directionnel (source) : dé-livrer, *(dé)barquer, *(dé)terrer. Télique (restitutif) : dé-con-geler, dé-geler28. Directionnel (source) : é-puiser, *(é)cosser, *(é)crémer, *(é)loigner, *(ex)patrier, *(ex)trader. 25 Il existe en français deux préfixes homophones et homographes en-/em- qui ont des origines distincts et qui portent un sens différent (cf. Béchade (1992 : 104)). On a donc un préfixe en-/em- issu de l’adverbe latin inde ‘hors de’ dénotant l’éloignement à partir d’une source (cf. enlever, emporter), et un préfixe en-/em- issu de la préposition latine in ‘dans’ et impliquant le passage de la Figure (cf. Talmy (1985)) du dehors au-dedans de l’espace final visé (cf. encaisser, emmener). À partir de ces observations, il s’ensuit donc que le préfixe en-/empeut être associé aussi bien à un sens d’éloignement à partir du lieu initial de référence qu’à un sens inclusif. Voici des exemples : (i) a. L’oiseau s’est envolé de son nid. b. Marie s’est enfui du stade. (ii) a. L’oiseau s’est envolé dans le ciel/Jean s’est envolé pour le Japon. b. Marie a enfermé le lapin dans une boîte. Comme le montrent les exemples en (ia) et (iia), le verbe s’envoler, à cause de son préfixe, peut être associé aussi bien à un sens dénotant l’éloignement à partir d’une source qu’à un sens inclusif. 26 Comme le remarque San Giacomo (2004), le préfixe re- peut impliquer une lecture répétitive ou une lecture restitutive. Alors que dans la lecture répétitive, l’événement est construit sémantiquement comme se réalisant une deuxième fois, dans la lecture restitutive, on comprend que c’est un état antérieur qui est rétabli (cf. aussi Franckel (1989 : 236-244)). Comme le remarque San Giacomo (2004), la répétition implique une limite : si les événements peuvent se répéter, c’est parce qu’ils ont eu un terme. Autrement dit, selon cet auteur, la répétition est associée au trait [+télique]. 27 Guillet et Leclère (1992 : 210) étiquettent le préfixe dé- en tant que préfixe ‘inverseur de procès’ doué d’un sens négatif. Ils emploient l’étiquette Pfx Nég pour indiquer cette valeur du préfixe dé- dans leurs tables de verbes. Cependant, ces auteurs remarquent que le préfixe dé- peut être associé aussi à un sens locatif dénotant l’origine d’un processus. 28 En adoptant la terminologie de San Giacomo (2004), qui associe au préfixe ré- une lecture restitutive dans certains contextes (cf. le tableau (62) et la note 26), nous proposons que le préfixe dé- peut être associé, lui aussi, à une lecture restitutive. Plus précisément, il nous semble que les verbes décongeler et dégeler impliquent un événement préalable ‘geler’ partant d’un état initial liquide. Le préfixe dé- décrirait donc le retour au stade initial liquide, ce qui est un facteur de télicité. Autrement dit, le procès auquel renvoient les verbes préfixés décongeler et dégeler ne présuppose pas le procès auquel renvoient les verbes congeler et geler mais seulement l’état résultant de ce procès. 219 CHAPITRE IV CONSIDÉRATIONS SUR L’AKTIONSART DE CERTAINS VERBES DE CHANGEMENT D’ÉTAT Les préfixes a- ; dé- ; é-/ex- ; en-/em- et ré-/re-/r- permettent de dériver des verbes à partir de trois types de bases : verbale, nominale et adjectivale. Les préfixes qui sélectionnent une base verbale peuvent modifier la valeur aspectuelle de ces verbes en produisant un effet de télicité. C’est le cas, par exemple, des verbes accourir, apporter, attirer, emporter, emmener, ensabler, emmurer, épuiser, refaire, redire, repeindre29. Ainsi s’opposent, par exemple, les verbes courir vs. accourir et porter vs. apporter : alors que courir et porter dénotent des procès non bornés, accourir et apporter dénotent des procès qui ont une borne finale. Dans l’optique de l’analyse morphologique constructionnelle (cf. Corbin (2004 : 1294-1295), entre autres), la structure compositionnelle de ces verbes est la suivante : (63) [préfixe [X]V]V Pour ce qui en est des verbes obtenus à travers un processus de préfixation à partir d’une base nominale ou adjectivale, il faut remarquer que les verbes à base nominale appartiennent à la classe des verbes perfectifs (cf. atterrir, alunir, adosser, embarquer, enterrer, enflammer, débarquer, déterrer, écrémer). Selon Corbin (2004 : 1294), les préfixes des verbes associés à la structure : (64) [préfixe [X]N]V servent tous à localiser le procès par rapport à ce que dénote la base (par exemple, terreN enterrerV ‘mettre dans la terre’ ; terreN atterrirV ‘arriver jusqu’à la terre’). Cependant, il y a au moins une exception à la généralisation de Corbin qui semble considérer les verbes construits à partir d’une base nominale comme des verbes dénotant la phase finale (But) d’un changement de lieu. Le verbe écrémer, par exemple, est un verbe formé sur la base du N crème et il dénote un changement d’état. Par ailleurs, les verbes à base adjectivale ont, selon Corbin (2004), une structure dérivationnelle du type suivant : 29 Comme l’a remarqué San Giacomo (2004) la lecture répétitive/itérative associée au préfixe ré- est [+télique] (cf. la note 26). 220 CHAPITRE IV CONSIDÉRATIONS SUR L’AKTIONSART DE CERTAINS VERBES DE CHANGEMENT D’ÉTAT (65) [préfixe [X]A]V Ils dénotent tous un changement d’état. Comme le remarque Corbin (2004 : 1295) « beaucoup de préfixes entrant dans cette structure [ont] une instruction sémantique d’ordre aspectuel ». Par ailleurs, comme nous l’avons montré en (62), les préfixes sont associés à différentes nuances aspectuelles. Comme l’a observé Corbin (1990 : 49), les verbes dénotant un changement d’état en français peuvent être construits soit à l’aide de préfixes (principalement a-, é- et en- (cf. (66a)), soit à l’aide de suffixes comme –ifi(er) ou –is(er), (cf. (66b)), dont nous ne traiterons pas ici30, soit par conversion (cf. (66c)) : (66) a. [(Y)préf [X]A]V (ex. appauvrir, élargir, enrichir) (Corbin (1990 : 49 (8a))) b. [[X]A(Y)suf]V (ex. humidifier, immobiliser) c. [[X]A]V (ex. blanchir) Comme le remarque Corbin les procédés en (66) donnent aux verbes le sens de « rendre (plus) [adjectif de base] ». En observant le tableau (62), on voit que les préfixes sont associés à différentes valeurs aspectuelles et que l’instruction sémantique fondamentale dont est porteur un préfixe peut se réaliser de façon différente selon la catégorie de la base. Ainsi, comme le montre le tableau (62), le préfixe en-/em- est associé à un sens scalaire lorsqu’il est ajouté à une base adjectivale, tandis qu’il est associé à un sens télique (inclusif) lorsqu’il est ajouté à une base nominale31. Dans les pages qui suivent nous porterons notre attention sur certains couples de verbes dé-adjectivaux dont l’un est porteur d’un préfixe, alors que l’autre n’en a pas. Nous verrons que le préfixe a une incidence sur l’interprétation d’état résultant. Autrement dit, nous verrons que, dans ces couples de verbes, la forme préfixée est compatible avec l’interprétation d’état résultant tandis que la forme non préfixée ne l’est pas. En revanche, nous verrons que le préfixe n’a pas d’incidence sur la compatibilité de ces couples de verbes avec les 30 Nous renvoyons le lecteur aux annexes pour une liste détaillé des suffixes du français. Di Sciullo (1993 : 76-79) aussi observe que les propriétés aspectuelles des préfixes a-, en-/em-, dé-, é-/ex- et ré-/re-/r- peuvent varier selon le type de racine verbale avec laquelle ces préfixes se combinent ( « Determining the semantic properties of these prefixes is complicated by the fact that their interpretation depends on the kind of root they occur with ; […] » (Di Sciullo 1993 : 76)). 31 221 CHAPITRE IV CONSIDÉRATIONS SUR L’AKTIONSART DE CERTAINS VERBES DE CHANGEMENT D’ÉTAT interprétations télique et atélique car aussi bien la forme préfixée que la forme non préfixée sont compatibles avec ces deux interprétations. IV.8. Considérations sur l’aspect et sur la syntaxe de certains couples de verbes déadjectivaux [±préfixés] : Comme nous l’avons observé dans le tableau (55), il existe des couples de verbes de changement d’état dé-adjectivaux dont l’un est porteur d’un préfixe, alors que l’autre n’en a pas. Dans ce qui suit nous traiterons des couples grandir vs. agrandir, maigrir vs. maigrir, mincir vs. amincir et baisser vs. abaisser. Comme le montrent les exemples ci-dessous, le verbe non préfixé, tout comme le verbe préfixé, se révèle compatible aussi bien avec l’adverbial ‘en x temps’ qu’avec l’adverbial ‘pendant x temps’. Il nous semble donc que la compatibilité des verbes en (67)-(72) avec les adverbiaux ‘en x temps’ et ‘pendant x temps’ dépend d’autre chose que du préfixe et, plus précisément, de la sous-spécification des racines lexicales quant à la catégorie [±télique] : (67) a. Jean a grandi/maigri/minci en deux ans. b. Jean a grandi/maigri/minci pendant deux ans. (68) a. La famille s’est agrandie en deux ans. b. La famille s’est agrandie pendant deux ans. (J. Y. Pollock et M. C. Jamet (c.p.)) (J. Y. Pollock et M. C. Jamet (c.p.)) (69) a. Son visage s’est amaigri en deux mois (à cause de son séjour en prison). b. Son visage s’est amaigri pendant deux mois (tant qu’il était en prison). (70) a. Son corps s’est aminci en deux mois (à cause de sa fréquentation régulière du gymnase). b. Son corps s’est aminci pendant deux mois (tant qu’il a fréquenté régulièrement le gymnase). (71) a. La température a baissé en deux heures. b. La température a baissé pendant deux heures. (72) a. Le pont-levis s’est abaissé en deux minutes. b. Le pont-levis s’est abaissé pendant deux minutes. Comme nous l’avons déjà remarqué dans la section IV.4., la scalarité associée à certains verbes de changement d’état peut varier selon le type de verbe. En (72) ‘abaisser (pont-levis)’ 222 CHAPITRE IV CONSIDÉRATIONS SUR L’AKTIONSART DE CERTAINS VERBES DE CHANGEMENT D’ÉTAT est compatible avec une lecture scalaire, mais il existe un point P au-delà duquel le pont-levis ne peut plus continuer à baisser. En revanche, pour ‘baisser (température)’, il n’y a pas de point final : la température peut baisser de plus en plus (cf. aussi la section IV.4.). La scalarité n’est donc pas exactement de même nature dans les deux cas. Pour ce qui en est des verbes ‘agrandir (famille)’, ‘amaigrir (visage)’, ‘amincir (corps)’, ‘grandir’, ‘maigrir’ et ‘mincir’, ils sont compatibles avec une lecture scalaire. Comme nous l’avons déjà remarqué dans la section IV.4., avec les verbes du type ‘grandir’, ‘maigrir’ et ‘mincir’, il n’existe pas de point final P ou de limite supérieure à atteindre car, une fois que Jean a grandi/maigri/minci, il peut devenir encore plus grand/maigre/mince. La même chose s’observe avec les verbes ‘agrandir’, ‘amaigrir’ et ‘amincir’ : une fois la famille agrandie/le visage amaigri/le corps aminci, la famille peut s’agrandir de plus en plus, le visage peut s’amaigrir de plus en plus et le corps peut s’amincir de plus en plus. Dans les pages suivantes nous verrons que les verbes dé-adjectivaux grandir, maigrir et mincir, qui ne sont pas compatibles avec la CRE (cf. la section IV.2.), ne sont compatibles non plus avec l’interprétation d’état résultant, tandis que les verbes dé-adjectivaux agrandir, amaigrir et amincir sont compatibles avec la CRE et, par conséquent, avec l’interprétation d’état résultant. À partir de ce fait, nous défendrons l’hypothèse que dans ces couples de verbes le préfixe a une incidence sur l’aspect. Plus précisément, nous formulerons l’hypothèse que le préfixe est porteur d’un sens aspectuel scalaire qui est compatible avec l’interprétation d’état résultant. Nous montrerons donc que, dans ces couples de verbes, il y a des différences aspectuelles entre le verbe préfixé et le verbe non préfixé en ce qui concerne l’interprétation d’état résultant. IV.8.1. Les couples de verbes dé-adjectivaux grandir vs. agrandir, maigrir vs. amaigrir et mincir vs. amincir : Il s’avère que certains verbes dé-adjectivaux préfixés contrairement à leurs correspondants non préfixés s’inscrivent dans le mécanisme productif de la CRE (cf. la section IV.2.). Plus précisément, la forme préfixée est compatible avec la construction de l’alternance causative et, par conséquent, elle est compatible avec le ‘se’ anticausatif et avec l’interprétation d’état résultant sélectionnant l’auxiliaire être. En revanche, la forme non préfixée n’est pas compatible avec la construction de l’alternance causative et, par conséquent, elle n’est compatible ni avec le ‘se’ anticausatif ni avec l’interprétation d’état 223 CHAPITRE IV CONSIDÉRATIONS SUR L’AKTIONSART DE CERTAINS VERBES DE CHANGEMENT D’ÉTAT résultant. En outre, la forme préfixée ne peut pas être employée intransitivement, tandis que la forme non préfixée a un emploi intransitif. Voici des exemples illustratifs avec les couples de verbes grandir vs. agrandir, maigrir vs. amaigrir et mincir vs. amincir : (73) a. (CAUSATIF) L’effet de la surprise a agrandi ses yeux. a’ *L’effet de la surprise a grandi ses yeux. (Labelle (1992 : 391 (37b))) b. (CRE) Ses yeux se sont agrandis (sous l’effet de la surprise). b’. *Ses yeux se sont grandis (sous l’effet de la surprise). c. (EF) Ses yeux sont agrandis. c’. *Ses yeux sont grandis. d. (INTRANSITIF) *Jean a agrandi. d’. Jean a grandi. (74) a. (CAUSATIF) Son long séjour en prison a amaigri le visage de Marie. a’. *Son long séjour en prison a maigri le visage de Marie. b. (CRE) Le visage de Marie s’est amaigri (à cause de son long séjour en prison). b’. *Le visage de Marie s’est maigri (à cause de son long séjour en prison). c. (EF) Le visage de Marie est amaigri. c’. *Le visage de Marie est maigri. d. (INTRANSITIF) *Jean a amaigri. d’. Jean a maigri. (75) a. (CAUSATIF) Sa fréquentation régulière du gymnase a aminci les jambes de Marie. a’. *Sa fréquentation régulière du gymnase a minci les jambes de Marie. b. (CRE) Les jambes de Marie se sont amincies (à cause de sa fréquentation régulière du gymnase). b’. *Les jambes de Marie se sont mincies (à cause de sa fréquentation régulière du gymnase). c. (EF) Les jambes de Marie sont amincies. c’. *Les jambes de Marie sont mincies. d. (INTRANSITIF) *Jean a aminci. d’. Jean a minci. 224 CHAPITRE IV CONSIDÉRATIONS SUR L’AKTIONSART DE CERTAINS VERBES DE CHANGEMENT D’ÉTAT Comme nous l’avons observé dans la section IV.2., les verbes grandir, maigrir et mincir ont un emploi transitif-causatif (ils satisfont donc la condition a. (cf. (15a)) du mécanisme productif de la CRE) mais ils ne sont pas compatibles avec l’interprétation d’état résultant. En revanche, la compatibilité des formes préfixées (cf. agrandir, amaigrir et amincir) avec la CRE implique un changement d’état intrinsèque de l’objet affecté et donc la compatibilité de ces verbes avec l’interprétation d’état résultant. Étant donné que les contraintes sur l’acceptabilité de la CRE ne sont pas seulement de nature syntaxique mais aussi de nature sémantique (le verbe doit dénoter un changement d’état intrinsèque de son Thème), nous supposons que dans ces couples de verbes c’est le préfixe qui déclenche la compatibilité des verbes agrandir, amaigrir et amincir avec la CRE et qui permet de satisfaire la contrainte sémantique sur la CRE. En fait, le préfixe a- (cf. le tableau (62)) est associé à une valeur aspectuelle dénotant la scalarité du procès par rapport à ce qui dénote la base. Le préfixe aest donc porteur d’un sens aspectuel qui est compatible avec l’interprétation d’état résultant. En résume, suite à nos observations, nous pouvons tirer ces conclusions : - la racine lexicale des couples de verbes dé-adjectivaux [±préfixés] que nous avons analysés est sous-spécifiée au regard de la catégorie [±télique] et c’est pourquoi ces formes sont compatibles aussi bien avec l’adverbial télique ‘en x temps’ qu’avec l’adverbial atélique ‘pendant x temps’. - dans ces couples de verbes le préfixe a une incidence sur l’interprétation d’état résultant car la forme préfixée est compatible avec cette interprétation tandis que la forme non préfixée ne l’est pas. Dans les pages suivantes nous rappelons le modèle syntaxique élaboré par Di Sciullo (1996) pour dériver les verbes dé-adjectivaux et les verbes dé-nominaux parasynthétiques. Dans le modèle de Di Sciullo le préfixe des verbes parasynthétiques est engendré dans la tête d’une catégorie prépositionnelle P placée entre un SV et un SA ou un SN. IV.9. Prépositions et préfixes : En italien il existe deux préfixes a(d)- et in- qui sont homophones et homographes des prépositions a et in lesquelles expriment des relations spatio-temporrelles. Comme le montre le tableau (62), les préfixes a(d)- et in- peuvent être associés à des sens spatiaux : télique (but), télique (inclusif), directionnel (source). Les locuteurs sont généralement encore capables de percevoir un lien entre a(d)- et in- et les prépositions a et in. Néanmoins, du point 225 CHAPITRE IV CONSIDÉRATIONS SUR L’AKTIONSART DE CERTAINS VERBES DE CHANGEMENT D’ÉTAT de vue phonologique, la forme monosyllabique de ces deux préfixes peut favoriser leur intégration avec la base et la perte de transparence sémantique du mot dérivé. Par exemple, dans le cas du verbe ammettere (‘admettre’) la simple adjonction du préfixe a- à ce verbe fait naître un sens nouveau qui n’entretient pas de lien sémantique immédiat avec le sens spatial du verbe d’origine. En ce qui concerne le français, Di Sciullo (1993) observe que les préfixes a- et enressemblent phonologiquement aux prépositions françaises à et en et aux prépositions latines a(d)- et in-. Selon Di Sciullo, cette ressemblance joue en faveur de l’hypothèse que ces préfixes sont engendrés en tant que têtes d’un SP. Selon Di Sciullo, donc, les préfixes ne peuvent pas être engendrés à l’intérieur d’un SV mais ils sont projetés indépendamment. Selon l’auteur, une des données qui appuient cette hypothèse est que, par exemple, les préfixes monosyllabiques ac- et em- des verbes accourir et emporter ne s’intègrent pas totalement avec le radical lexical et que donc, par conséquent, il n’y a pas de perte de transparence sémantique du mot dérivé à partir des formes sans préfixe courir et porter. Rappelons qu’il ne s’agit pas ici d’explorer la problématique du statut prépositionnel ou non prépositionnel des préfixes, cette analyse dépassant notre objectif. Nous nous bornerons donc à décrire le modèle d’analyse proposé par Di Sciullo (1996) et à voir si, ensuite, son modèle, qui reconnaît aux préfixes a- et en- un statut prépositionnel, peut nous aider à formuler une hypothèse de dérivation des verbes dé-adjectivaux et, aussi, dé-nominaux. IV.9.1. La projection SP (Di Sciullo (1996)) : Contrairement à l’approche lexicaliste, Di Sciullo (1996) applique à l’analyse de la morphologie des mots des mécanismes syntaxiques visant à établir des relations argumentales. L’un des buts de l’analyse de Di Sciullo est de montrer que le préfixe des verbes dé-adjectivaux et des verbes dé-nominaux est indépendant du verbe au niveau syntaxique et qu’il est associé à une projection SP. Plus précisément, Di Sciullo suppose que la tête P° du SP est ou bien remplie par un préfixe (cf., par exemple, les verbes dé-adjectivaux amincir (‘assottigliare’) et embellir (‘imbellire’) et les verbes dé-nominaux accrocher (‘appendere’) et enterrer (‘sotterrare’)), ou bien vide (cf., par exemple, le verbe dé-adjectival rougir (‘arrossire’) et le verbe dé-nominal seller (‘sellare’) : 226 CHAPITRE IV CONSIDÉRATIONS SUR L’AKTIONSART DE CERTAINS VERBES DE CHANGEMENT D’ÉTAT (76) a. Vmax V’ SN Pmax V° -ir -ir Amax P° aemA° mince belle b. Vmax V’ SN Pmax V° -er -er Nmax P° aenN° crochet terre 227 CHAPITRE IV CONSIDÉRATIONS SUR L’AKTIONSART DE CERTAINS VERBES DE CHANGEMENT D’ÉTAT (77) a. Vmax V’ SN Pmax V° -ir Amax P° Ø A° rouge b. Vmax V’ SN Pmax V° -er Nmax P° Ø N° selle Dans la section I.10., nous avons observé que les verbes de changement d’état sont compatibles avec une construction transitive-causative dont l’objet est affecté par le changement d’état et que l’objet peut devenir le sujet d’une phrase intransitive marquant l’état 228 CHAPITRE IV CONSIDÉRATIONS SUR L’AKTIONSART DE CERTAINS VERBES DE CHANGEMENT D’ÉTAT résultant du changement. Le paradigme syntaxique appariant ces deux constructions est appelé ‘alternance causative’. Nous avons aussi observé que, dans l’optique des primitifs sémantiques de Jackendoff (1990), la sémantique de l’alternance causative est représentée de la façon suivante : (78) [x CAUSE [y BECOME [STATE]]] et que dans l’optique de Hale et Keyser (1993), la représentation sémantique de l’alternance causative avec les verbes de changement d’état correspond à une structure syntaxique bien définie : (79) Sv v’ SV CAUSE V’ SvR DEVENIR vR’ SX ETAT Par ailleurs, nous avons observé (cf. la section I.10. et la sous-section I.12.2.) que certains verbes de changement de lieu sont compatibles avec l’alternance causative et, donc, avec une structure comme la suivante : 229 CHAPITRE IV CONSIDÉRATIONS SUR L’AKTIONSART DE CERTAINS VERBES DE CHANGEMENT D’ÉTAT (80) Sv v’ SV CAUSE V’ SvR TRANSITION vR’ SX ETAT Dans les pages suivantes nous proposons un affinement de la structure syntaxique élaborée par Di Sciullo. En particulier, nous proposons d’engendrer le préfixe des verbes de changement d’état dé-adjectivaux tels que agrandir, amaigrir et amincir et des verbes dénominaux tels que ensabler, enterrer et emmurer dans la tête P° d’un SP en exploitant, respectivement, une structure syntaxique à double SV comme (79) et (80). Plus précisément, nous supposerons qu’avec ces verbes le préfixe est engendré dans la tête d’un SP qui correspond sémantiquement à la projection SvR dénotant l’état résultant (cf. (79) et (80)). IV.10. La dérivation du préfixe et les projections SP et SvR : Une alternative à l’analyse de Di Sciullo est de considérer le SP où est engendré le préfixe du verbe dé-adjectival ou dé-nominal comme un SP complexe. Comme le remarquent Zubizarreta et Oh (2007 : 16), les SP complexes sont ainsi appelés car ils se composent de 230 CHAPITRE IV CONSIDÉRATIONS SUR L’AKTIONSART DE CERTAINS VERBES DE CHANGEMENT D’ÉTAT deux projections SP. Dans le SP enchâssé sont engendrées les prépositions locatives, tandis que dans le SP externe sont engendrées les prépositions directionnelles. La preuve de la complexité des SP directionnels est l’existence de prépositions complexes comme la préposition anglaise into ‘en-à’, composée de la préposition directionnelle to ‘à’ et de la préposition locative in ‘en’ cliticisée à la préposition to (cf. Zubizarreta et Oh (2007 : 16) et les références citées dans ce texte) : (81) John went into the room. (Zubizarreta et Oh (2007: 16 (38))) Lit. Jean est allé dans-à la pièce. ‘Jean est entré dans la pièce.’ Il s’ensuit, donc, que les prépositions locatives sont associées à une seule projection SP (cf. (82)), tandis que les prépositions directionnelles sont associées à un SP complexe composé de deux projections SP (cf. (83))32 : (82) [SP P [SD D]] [SV Jean [V est [SP dans [SD le parc]]]] Jean est dans le parc. (83) [SP P [SP P [SD D]]] [SV Jean [V est allé [SP à [SP Ø [SD le parc]]]]] Jean est allé au parc. Dans la sous-section IV.8.1. nous avons supposé que dans les couples de verbes grandir vs. agrandir, maigrir vs. amaigrir et mincir vs. amincir le préfixe a- est porteur d’un sens aspectuel scalaire (cf. le tableau (62)) qui est compatible avec l’interprétation d’état résultant. À partir de ces observations, nous supposons, avec Di Sciullo, que le préfixe a- de ces verbes est engendré dans la tête d’un SP mais, contrairement à Di Sciullo, nous supposons que ce SP correspond sémantiquement à la projection SvR dénotant l’état résultant d’un changement 32 Zubizarreta et Oh (2007 : 16) appliquent la même analyse aux phrases anglaises correspondantes : (i) John is in the park. (ii) John went to the park. 231 CHAPITRE IV CONSIDÉRATIONS SUR L’AKTIONSART DE CERTAINS VERBES DE CHANGEMENT D’ÉTAT d’état (cf. (79)). Par exemple, le préfixe du verbe de changement d’état amincir (‘assottigliare’) serait engendré de la manière suivante : (84) SV[-ir SvR/SP[vR°/P° a- SX=SA[A° mince]]] SV[-ir SvR/SP[vR°/P° a-mincej SX=SA[A° tj]]] SV[amincej-ir SvR/SP[ vR°/P° t j SX=SA[ A° tj]]] a-mince-ir > amincir. Nous supposons avec Di Sciullo que les verbes de changement d’état dé-adjectivaux non préfixés compatibles avec l’interprétation d’état résultant projettent malgré tout un SP et, dans l’optique de notre hypothèse, nous supposons que, dans ce cas, la tête du SP locatif est remplie par une catégorie locative non réalisée phonologiquement 33. Donc, en (85), l’adjectif fusionnerait avec cette catégorie dans SP par un processus morphologique opaque d’incorporation : 33 Di Sciullo (1996 : 182-183) propose, elle aussi, que, dans le cas des verbes dé-adjectivaux non préfixés, la tête P° est remplie par une catégorie non réalisée phonologiquement et que cette catégorie est une catégorie abstraite conceptuelle « abstract conceptual category ». Cette analyse s’inspire à grands traits à l’analyse de Hale et Keyser (1993), ensuite reprise par Hale et Keyser (2002), dont nous traiterons dans la sous-section IV.10.1. Selon Di Sciullo, la tête P° associée à la structure syntaxique d’un verbe dé-adjectival comme rougir (cf. (77a)) est remplie par la catégorie conceptuelle [AT] (‘en’). Di Sciullo n’explique pas qu’elle est la fonction de cette catégorie conceptuelle. Dans la sous-section IV.10.1., dans l’optique de Hale et Keyser (2002), nous formulerons l’hypothèse qu’il existe une catégorie conceptuelle/fonctionnelle δ qui met en relation le sujet avec la base adjectivale du verbe et que cette catégorie δ déclenche une relation de stativité entre le sujet et la base adjectivale du verbe non préfixé. La catégorie δ correspond donc à la catégorie [AT] employée par Di Sciullo. Nous supposerons donc qu’une catégorie du type δ soit représentée dans la dérivation d’une phrase comme : (i) L’eau est rougie. (cf. (96)) En revanche, Di Sciullo associe la tête P° de la structure dérivationnelle d’un verbe dé-nominal non préfixé comme seller (cf. (77b)) à la catégorie conceptuelle abstraite [WITH] (‘avec’). Dans l’optique de Hale et Keyser (2002), cette catégorie a la fonction de mettre en relation le sujet avec la base nominale d’un verbe et elle déclenche une relation ‘possessive’ entre le sujet et la base nominale du verbe comme le montrent les exemples (iia) et (iib) tirés de Hale et Keyser (2002 : 19 (35a,b)) : (ii) a. She saddled the horse. Elle a sellé le cheval. b. She fitted the horse with a saddle. Elle a équipé/muni le cheval d’une selle. Pour ce qui est des verbes dé-nominaux non préfixés tels que seller, dans l’optique de Hale et Keyser (2002), nous formulerons l’hypothèse qu’il existe une catégorie δ correspondant à la catégorie [WITH] et que cette catégorie soit représentée dans la dérivation d’une phrase comme : (iii) Le cheval est sellé. (cf. (101)) Pour ce qui est des verbes dé-adjectivaux préfixés (cf. (95)) et des verbes dé-nominaux préfixés (cf. (98)), nous formulerons l’hypothèse que cette catégorie relationnelle n’est pas abstraite mais qu’elle est représentée par le préfixe de ces verbes et qu’elle est engendrée en P°. 232 CHAPITRE IV CONSIDÉRATIONS SUR L’AKTIONSART DE CERTAINS VERBES DE CHANGEMENT D’ÉTAT (85) SV[-ir SvR/SP[vR°/P° Ø SX=SA[A° jaune/rouge/grand]]] SV[-ir SvR/SP[vR°/P° Ø-jaunej/rougej/grandj SX=SA[A° tj]]] SV[Ø-jaunej/Ø-rougej/Ø-grandj-ir SvR/SP[ vR°/P° Ø- tj SX=SA[A° tj]]] Ø-jaune-ir/Ø-rouge-ir/Ø-grand-ir > jaunir/rougir/grandir. Pour ce qui est des verbes dé-nominaux tels que enterrer, ensabler, emmurer, accrocher etc., ils sont associés à la structure dérivationnelle [préfixe [X] N]V selon Corbin (2004) (cf. la section IV.7.) et ils servent tous à localiser le procès par rapport à ce que dénote la base (par exemple, terreN sable’ ; murN enterrerV ‘mettre dans la terre’ ; sableN ensablerV ‘mettre dans le emmurer ‘mettre dans un mur’ ; crochetN accrocher ‘mettre sur un crochet’). Comme pour les verbes de changement d’état agrandir, amaigrir et amincir, nous supposons que le préfixe des verbes dé-nominaux enterrer, ensabler, emmurer et accrocher est engendré dans la tête d’un SP locatif et qu’il correspond sémantiquement à la projection SvR dénotant l’état résultant d’un changement de lieu (cf. (80)) : (86) SV[-er SvR/SP[vR°/P° en-/a- SX=SN[N° terre/crochet]]] SV[-er SvR/SP[vR°/P° en-terrej/a-crochetj SX=SN[N° tj]]] SV[enterrej/accroch(et)j-er SvR/SP[ vR°/P° t j SX=SN[N° tj]]] en-terre-er > enterrer ; a-croch(et)-er > accrocher. Nous supposons que si le verbe dé-nominal n’est pas préfixé, il projette quand même un SP locatif dont la tête est remplie par une catégorie locative non phonologiquement réalisée : (87) SV[-er SvR/SP[vR°/P° Ø SX=SN[N° selle]]] SV[-er SvR/SP[vR°/P° Ø-sellej SX=SN[N° tj]]] SV[Ø-sellej-er SvR/SP[vR°/P° t j SX=SN[N° tj]]] Ø-seller > seller. L’idée d’une préposition locative marquant l’état résultant dans amincir en (84) semble impliquer que dans une phrase prédicative comme : 233 CHAPITRE IV CONSIDÉRATIONS SUR L’AKTIONSART DE CERTAINS VERBES DE CHANGEMENT D’ÉTAT (88) Paul est mince. le prédicat mince est précédé d’une préposition locative vide. Dans la prochaine sous-section nous porterons notre attention sur la relation entre le SP locatif et les catégories A(djectif) et N(om). IV.10.1. La notion de « central coincidence » (Hale et Keyser (2002)) : Dans leur monographie Prolegomenon to a Theory of Argument Structure parue en 2002, Hale et Keyser reviennent au chapitre VII aux relations événementielles de ‘coïncidence centrale’ ( « central coincidence » ) et ‘coïncidence terminale’ ( « terminal coincidence » ) qui ont fait l’objet d’une série de leurs articles parus avant 2002 (cf. Hale et Keyser (2002) et les références citées dans ce texte). Dans l’optique de Hale et Keyser (2002), une phrase stative/prédicative comme celle en (88) peut être structuralement représentée comme une relation entre un SN engendré dans [spéc. SV] et un complément adjectival. C’est cette relation que les auteurs appellent relation de ‘coïncidence centrale’ qui correspond à la notion de stativité. La relation de ‘coïncidence terminale’ correspond, en revanche, à une interprétation télique impliquant un changement (nous dirons, transition) 34. Dans l’optique de Hale et Keyser la représentation d’une phrase comme (88) serait la suivante : (89) V SN Paul V V° est Amax mince 34 Nous renvoyons le lecteur à Hale et Keyser (2002) pour plus de détails à ce propos. 234 CHAPITRE IV CONSIDÉRATIONS SUR L’AKTIONSART DE CERTAINS VERBES DE CHANGEMENT D’ÉTAT En (89) la position dans [spéc. SV] accueille le spécificateur (Paul) requis par l’adjectif, tandis qu’en V° se place la copule être. La stativité n’est pas une propriété exclusive de certains verbes (cf. les verbes comprendre et connaître, la copule être, etc.) mais elle est associée à d’autres catégories comme, par exemple, les prépositions. Dans l’introduction à cette section, nous avons rappelé que les prépositions locatives sont généralement analysées comme des têtes P°. Hale et Keyser (2002 : 160) étiquettent les prépositions locatives comme des prépositions dénotant une relation de ‘coïncidence centrale’. Ils observent, par exemple, que dans une phrase comme : (90) With [Annan in Baghdad], we can relax. (Hale et Keyser (2002 : 220 (32))) Avec Annan à Baghdad, nous pouvons nous rassurer. la préposition in (‘à’) met en relation la position de l’entité Annan avec le lieu Baghdad de sorte qu’on comprend que Annan est/se trouve à Baghdad : (91) SP SD Annan P' P° N in Baghdad Considérons maintenant la phrase suivante contenant une SC : 235 CHAPITRE IV CONSIDÉRATIONS SUR L’AKTIONSART DE CERTAINS VERBES DE CHANGEMENT D’ÉTAT (92) We found SC[the sky clear]. (Hale et Keyser 2002 : 206 (2a))) Lit. Nous avons trouvé le ciel dégagé Hale et Keyser (2002) observent que la relation entre le SD the sky et l’adjectif clear est une relation de ‘coïncidence centrale’. Ils supposent donc l’existence d’une catégorie fonctionnelle δ capable de mettre en relation ces deux éléments. La catégorie fonctionnelle δ pourrait être paraphrasée par l’expression ‘se trouver dans l’état d’être X’. Tout comme P en (91), δ aurait donc la fonction de marquer la stativité. La phrase en (92) est ainsi représentée par Hale et Keyser (2002 : 207) : (93) Sδ δ' SD the sky δ° Amax clear Dans l’optique de Hale et Keyser (2002), une phrase copulative/prédicative comme celle en (88) aurait donc la représentation structurale reproduite en (94) où le symbole Ø indique que la tête de la projection Sδ est remplie par une catégorie conceptuelle abstraite impliquant une relation de ‘coïncidence centrale’ entre le SN Paul et l’adjectif mince : (94) SV[Paul V°[est Sδ[(Paul) δ°[ Ø[A mince]]]]] Dans l’introduction à cette section, nous avons supposé que le préfixe des couples de verbes dé-adjectivaux grandir vs. agrandir, maigrir vs. amaigrir et mincir vs. amincir est engendré 236 CHAPITRE IV CONSIDÉRATIONS SUR L’AKTIONSART DE CERTAINS VERBES DE CHANGEMENT D’ÉTAT dans la tête d’une projection SP qui correspond sémantiquement à la projection SvR dénotant l’état résultant (cf. (79)). Dans l’optique de Hale et Keyser (2002), nous supposons qu’avec les verbes sans préfixe, qui sont compatibles avec une interprétation d’état résultant, la projection SP est remplacée par la projection Sδ impliquant une relation de ‘coïncidence centrale’ entre l’entité affectée par le changement et la qualité dénotée par l’adjectif engendré dans le SA (cf. (96)). Par ailleurs, nous supposons que le préfixe aussi se comporte comme un élément dénotant une relation de ‘coïncidence centrale’ puisqu’il met en relation l’état dans lequel se trouve l’entité affectée par le changement avec la qualité dénotée par l’adjectif dans le SA (cf. (95)) : (95) (96) Marie est amincie. SvR/SP[Marie vR°/P°[ a- SX=SA[A° mince]]] SvR/SP[Marie vR°/P°[ est a-minciej SX=SA[A° tj]]]35 L’eau est rougie. SvR/Sδ [L’eau vR°/δ°[ Ø- SX=SA[A° rougie]]] SvR/Sδ [L'eau vR°/δ°[ est Ø-rougiej SX=SA[A° tj]]] Pour ce qui est des verbes dé-nominaux tels que enterrer, ensabler, emmurer, accrocher etc., nous avons vu qu’ils servent tous à localiser le procès par rapport à ce que dénote la base nominale. Nous avons donc supposé (cf. (86)) que leur préfixe est un préfixe locatif engendré, par hypothèse, dans la tête d’un SP locatif. Or, selon la définition de Hale et Keyser (2002) (cf. supra), les prépositions locatives dénotent une relation de ‘coïncidence centrale’ qui correspond à la notion de stativité. Étant donné que les verbes dé-nominaux enterrer, ensabler, emmurer et accrocher servent tous à localiser un procès par rapport à ce que dénote la base, nous supposons que leur préfixe met en relation la position de l’entité qui subit le 35 Par souci de simplicité, nous avons placé l’auxiliaire et le participe passé dans vR°/δ°. Selon l’hypothèse courante en grammaire générative, le sujet est engendré dans le spécificateur de la projection SV, qui correspond à notre SvR/Sδ, puis il se déplace dans [spéc. SI], tandis que l’auxiliaire est engendré dans la tête d’une projection SAux (syntagme de l’auxiliaire) entre SI (syntagme de la flexion verbale) et SV. Le participe passé se place, par hypothèse, dans la tête de la projection SAcc. p. passé (syntagme de l’accord du participe passé) qui se situe entre les projections SI et SV mais au-dessous de SAux. C’est dans la tête de la projection SAcc. p. passé que le participe passé vérifie ses traits d’accord, (cf. Kayne (2000) pour une analyse plus approfondie). 237 CHAPITRE IV CONSIDÉRATIONS SUR L’AKTIONSART DE CERTAINS VERBES DE CHANGEMENT D’ÉTAT changement de lieu avec le lieu final du procès. Autrement dit, nous supposons que dans des phrases comme : (97) a. Leur grand-mère est enterrée. b. Le bateau est ensablé. c. La plupart des desaparecidos chiliens sont emmurés. d. Le manteau de mon père est accroché. les préfixes a- et en- peuvent fonctionner comme des prépositions locatives qui mettent dans une relation de ‘coïncidence centrale’ chaque SN sujet avec son lieu de sorte qu’on comprend que Leur grand-mère est/se trouve sous la terre ; Le bateau est/se trouve sous le sable ; La plupart des cadavres des desaparecidos chiliens sont/se trouvent à l’intérieur d’un mur ; Le manteau de mon père est/se trouve sur un crochet (cf. (91)). Nous supposons donc que tout comme pour certains verbes dé-adjectivaux préfixés aussi pour certains verbes dé-nominaux préfixés la relation de stativité est représentée par le préfixe engendré la tète P° d’une projection SP et que cette relation de stativité pourrait être paraphrasée avec l’expression ‘se trouver dans un lieu X’ : (98) a. Leur grand-mère est enterrée. SvR/SP[Leur grand-mère vR°/P°[ en- SX=SN[N° terre]]] SvR/SP[Leur grand mère vR°/P°[ est en-terréej SX= SN[N° tj]]] b. Le bateau est ensablé. SvR/SP[Le bateau vR°/P°[ en- SX=SN[N° sable]]] SvR/SP[Le bateau vR°/P°[ est en-sabléj SX= SN[N° tj]]] c. La plupart des desaparecidos chiliens sont emmurés. SvR/SP[La plupart des desaparecidos chiliens vR°/P°[ en- SX=SN[N° mur]]] SvR/SP[La plupart des desaparecidos chiliens vR°/P°[ sont en-murésj SX= SN[N° tj]]] d. Le manteau de mon père est accroché. SvR/SP[Le manteau de mon père vR°/P°[ a- SX=SN[N° crochet]]] SvR/SP[Le manteau de mon père vR°/P°[ est ac-crochéj SX= SN[N° tj]]] Autrement dit, les verbes enterrer, ensabler, emmurer et accrocher dénotent un changement de lieu dont l’état résultant est représenté en (99) (voir aussi (97)) : 238 CHAPITRE IV CONSIDÉRATIONS SUR L’AKTIONSART DE CERTAINS VERBES DE CHANGEMENT D’ÉTAT (99) a. Les petits-enfants ont enterré leur grand-mère. b. La poussée des vagues a fini par ensabler le bateau. Leur grand-mère est enterrée. Le bateau est ensablé. c. Pinochet a fait emmurer la plupart des desaparecidos chiliens. La plupart des desaparecidos chiliens sont emmurés. d. La femme de ménage a accroché le manteau de mon père. Le manteau de mon père est accroché. Le fait qu’on ait le même préfixe dans embeillir, emmurrer et ensabler tout comme dans agrandir, amaigrir et accrocher contribue à prouver que ces préfixes peuvent être interprétés comme des prédicats locatifs qui peuvent être paraphrasés respectivement par les expressions ‘se trouver dans l’état d’être X’ et ‘se trouver dans un lieu X’. En résumé, nous proposons qu’avec ces verbes les préfixes a- et en- ont un contenu locatif et que ce contenu locatif peut être associé au niveau syntaxique avec la tête P° d’un SP locatif. La catégorie conceptuelle à laquelle nous avons relié ces préfixes est celle de la stativité ou ‘coïncidence centrale’ selon la définition de Hale et Keyser (2002). Les prépositions locatives ‘à’ et ‘en’ sont généralement analysées comme des prédicats locatifs/statifs lorsqu’elles apparaissent dans une phrase copulative/prédicative. Plus précisément, étant donné que la copule ‘être’ est considérée comme un verbe ‘à montée’, ces prépositions sont analysées en structure profonde comme le prédicat d’une phrase réduite SC ( « small clause » ) composée par le SN sujet et un complément locatif dénotant le lieu où se trouve le sujet : (100) a. Jean est à Rome. est SC[Jean à Rome] b. Jean est en Roumanie. est SC[Jean en Roumanie] Par ailleurs, nous supposons qu’avec les verbes dé-nominaux sans préfixe tels que seller, qui sont compatibles avec une interprétation d’état résultant, la projection SP est remplacée par la projection Sδ impliquant une relation de ‘coïncidence centrale’ (nous dirons de stativité) entre l’entité qui subit le changement (le cheval) et ce qui dénote la base nominale (selle)36 : 36 Cf. à ce propos la note 33. 239 CHAPITRE IV CONSIDÉRATIONS SUR L’AKTIONSART DE CERTAINS VERBES DE CHANGEMENT D’ÉTAT (101) Le cheval est sellé. SvR/Sδ [Le cheval vR°/δ°[ Ø- SX=SN[N° selle]]] SvR/Sδ [Le cheval vR°/δ°[ est Ø-selléj SX=SN[N° tj]]] IV.11. Récapitulation : Dans cette deuxième partie du chapitre, nous avons montré que la compatibilité des couples de verbes dé-adjectivaux grandir vs. agrandir, maigrir vs. amaigrir et mincir vs. amincir aussi bien avec l’adverbial télique ‘en x temps’ qu’avec l’adverbial atélique ‘pendant x temps’ est à ramener à la sous-spécification de la racine lexicale de ces verbes au regard de la catégorie [±télique]. La compatibilité des formes préfixées (cf. agrandir, amaigrir et amincir) avec la CRE implique un changement d’état intrinsèque du Thème, et donc la compatibilité de ces verbes avec l’interprétation d’état résultant (cf. la section IV.2.). Étant donné que les contraintes sur l’acceptabilité de la CRE ne sont pas seulement de nature syntaxique mais aussi de nature sémantique, nous supposons que dans ces couples de verbes c’est le préfixe qui déclenche la compatibilité des verbes agrandir, amaigrir et amincir avec la CRE et qui permet de satisfaire la contrainte sémantique sur la CRE. En fait, le préfixe a- (cf. le tableau (62)) est associé à une valeur aspectuelle dénotant la scalarité du procès par rapport à ce que dénote la base. Le préfixe a- est donc porteur d’un sens aspectuel qui est compatible avec l’interprétation d’état résultant. Puis, en remaniant l’analyse de Di Sciullo (1996), nous avons proposé de dériver le préfixe a- de ces couples de verbes dans la tête d’une projection prépositionnelle (SP) qui correspond, sémantiquement, à la projection SvR dénotant l’état résultant. Dans l’optique de Hale et Keyser (2002), nous avons proposé que, dans ces couples de verbes, le préfixe adéclenche un relation de ‘coïncidence centrale’ qui est compatible avec l’interprétation d’état résultant. Nous avons proposé aussi que l’adjectif qui est à la base des verbes dé-adjectivaux non préfixés compatibles avec l’interprétation d’état résultant fusionne en P° avec une catégorie conceptuelle abstraite δ (cf. Hale et Keyser (2002) qui déclenche une relation de stativité (nous dirons d’état résultant ou, dans les termes de Hale et Keyser (2002) de ‘coïncidence centrale’) entre l’entité affectée par le changement d’état et la propriété dénotée par l’adjectif. En ce qui concerne les verbes dé-adjectivaux préfixés qui n’ont pas de correspondant sans préfixe (cf. appauvrir, embellir, améliorer, etc.), nous supposons que leur 240 CHAPITRE IV CONSIDÉRATIONS SUR L’AKTIONSART DE CERTAINS VERBES DE CHANGEMENT D’ÉTAT préfixe est engendré dans la tête d’une projection SP qui correspond à une projection SvR dénotant l’état résultant. Nous avons analysé aussi certains verbes dé-nominaux préfixés par les préfixes a- et en(cf. enterrer, ensabler, emmurer et accrocher) et nous avons formulé l’hypothèse d’engendrer leurs préfixes dans la tête d’une projection locative SP. Étant donné que ces verbes servent tous à localiser un procès par rapport à ce que dénote la base nominale, nous avons supposé que leur préfixe met en relation la position de l’entité qui subit le changement de lieu, avec le lieu final du procès. Plus précisément, nous avons supposé que ces préfixes signalent une relation de stativité ou ‘coïncidence centrale’, selon la définition de Hale et Keyser (2002), entre l’entité qui subit le déplacement et le lieu final du procès. En revanche, pour ce qui est des verbes dé-nominaux sans préfixe tels que seller, nous avons supposé, dans l’optique de Hale et Keyser (2002), que la relation de ‘coïncidence centrale’ est représentée par une catégorie conceptuelle abstraite δ qui met est relation le sujet avec l’interprétation d’état résultant. IV.12. Conclusion du chapitre : Dans ce chapitre nous avons observé qu’en français tout comme en italien les verbes de changement d’état se divisent en trois classes. Il y a les verbes qui admettent aussi bien une forme réflexive ‘se+être’ qu’une forme intransitive non réflexive, ceux qui admettent seulement la forme réflexive et ceux qui admettent seulement la forme intransitive non réflexive. En français la forme intransitive non réflexive des verbes de changement d’état est compatible seulement avec l’auxiliaire avoir. En revanche, en italien la forme intransitive non réflexive de ces verbes sélectionne l’auxiliaire essere, mais l’auxiliaire avere n’est pas complètement exclu, au moins dans certains cas. Autrement dit, en italien, contrairement qu’au français, l’auxiliaire essere peut être sélectionné par la classe des verbes de changement d’état en l’absence de ‘se’. Nous avons remarqué que dans les deux langues l’auxiliaire ‘être’, quand il est en compétition avec l’auxiliaire ‘avoir’, favorise une lecture télique. Nous avons aussi observé que l’idée de l’ambiguïté lexicale inhérente à ces verbes n’est pas en conflit avec l’idée que l’auxiliaire ‘être’ favorise une lecture télique et que l’auxiliaire ‘avoir’ favorise une lecture atélique (là où les deux auxiliaires sont disponibles). La forme intransitive non réflexive des verbes de changement d’état sélectionnant l’auxiliaire essere en italien, et la forme intransitive réflexive des verbes de changement d’état sélectionnant la 241 CHAPITRE IV CONSIDÉRATIONS SUR L’AKTIONSART DE CERTAINS VERBES DE CHANGEMENT D’ÉTAT séquence se+être en français partagent une propriété qui est commune aux auxiliaires essere et être, à savoir la compatibilité avec un contexte télique. L’analyse des propriétés aspectuelles variables de certains verbes de changement d’état, tels ‘fondre’, ‘cuire’, ‘brûler’, ‘geler’ et ‘bouillir’ nous a conduite à formuler l’hypothèse que le radical lexical de ces verbes est sous-spécifié par rapport à l’Aktionsart. Dans la deuxième partie du chapitre, nous avons décrits les couples de verbes déadjectivaux grandir vs. agrandir, maigrir vs. amaigrir et mincir vs. amincir dont l’un est porteur d’un préfixe, alors que l’autre n’en a pas. Nous avons montré que les deux membres de ces couples sont compatibles aussi bien avec une interprétation télique qu’avec une interprétation atélique et que cette variabilité dépend de la sous-spécification des racines lexicales de ces verbes quant à la catégorie [±télique]. Bien que nous ayons observé que dans ces couples de verbes la variabilité entre la lecture télique et la lecture atélique dépend de la sous-spécification de la racine lexicale et pas du préfixe, nous avons observé aussi que la forme préfixée est compatible avec une interprétation d’état résultant, tandis que la forme non préfixée ne l’est pas. À partir de ce fait, nous avons défendu l’hypothèse que dans ces couples de verbes le préfixe a une incidence sur l’aspect. Plus précisément, nous avons supposé que le préfixe a- est porteur d’un sens aspectuel scalaire qui est compatible avec l’interprétation d’état résultant. En dernier lieu, nous avons tenté de donner une représentation syntaxique de la dérivation de ce préfixe à l’intérieur de la structure syntaxique à double SV, élaborée d’abord par Larson (1988) et reprise ensuite par Hale et Keyser (1993), en exploitant l’analyse de Di Sciullo (1996). Plus précisément, en remaniant l’analyse de Di Sciullo (1996), nous avons proposé de dériver le préfixe a- de ces couples de verbes dans la tête d’une projection prépositionnelle (SP), qui correspond sémantiquement à la projection SvR dénotant l’état résultant. Nous avons étendu cette analyse aussi à certains verbes dé-nominaux doués d’un préfixe et compatibles, eux aussi, avec une interprétation d’état résultant. 242 . CONCLUSION Dans l’introduction à cette thèse, nous nous étions proposée d’analyser la distribution des auxiliaires ‘être’ et ‘avoir’ avec certains verbes intransitifs dans une perspective comparative français/italien. En commençant à travailler sur un groupe restreint de verbes intransitifs, nous avons cherché à dégager les propriétés sémantiques, aspectuelles et syntaxiques liées à la distribution de ces auxiliaires, ce qui a posé un problème : comment parler des différentes propriétés sous-jacentes à la sélection de l’auxiliaire sans employer une approche méthodologique permettant de les intégrer ?. Il s’est donc révélé indispensable de créer un chapitre introductif où nous avons analysé, à grands traits, les ingrédients principaux de notre analyse : les notions d’aspect et d’Aktionsart, la théorie syntaxique de l’Inaccusativité, et les tests d’inaccusativité. L’aspect est un domaine particulièrement riche et qui a été traité par un grand nombre d’approches. Or, comme l’un des objectifs de cette étude est la description des propriétés aspectuelles et syntaxiques sous-jacentes à la sélection de l’auxiliaire, nous avons limité notre analyse de l’aspect aux formes auxiliées du passé composé. Plus précisément, les paramètres aspectuels qui ont joué un rôle déterminant dans notre étude sont la télicité, l’atélicité et l’état résultant. Ces paramètres, tout comme le paramètre de la direction, nous ont aidées à éclaircir certains points concernant la structure argumentale de verbes tels que ‘monter’, ‘descendre’, ‘courir’ et ‘accourir’, entre autres. D’après l’Hypothèse Inaccusative, les paramètres de la télicité et de l’atélicité sont associés, respectivement, aux verbes inaccusatifs et aux verbes inergatifs. Il s’avère néanmoins que l’auxiliaire ‘être’, considéré comme un indice fort d’inaccusativité, est compatible avec un contexte atélique signalé par l’adverbial ‘pendant x temps’ (cf. les verbes ‘monter’ et ‘descendre’) et que certains verbes inergatifs sélectionnant l’auxiliaire ‘avoir’ sont compatibles avec un contexte télique signalé par l’adverbial ‘en x temps’. Dans une perspective comparative français/italien, il s’avère, entre autres, que certains verbes qui sélectionnent essere en italien ont comme forme correspondante en français un verbe sélectionnant l’auxiliaire avoir. C’est un fait connu que les verbes qui sélectionnent l’auxiliaire être en français sont une sous-classe des verbes qui sélectionnent essere en italien 243 CONCLUSION (cf. Legendre et Sorace (2003)). À partir de ces considérations, nous avons avancé l’hypothèse, déjà soutenue par Burzio (1981, 1986), Legendre (1989), Ruwet (1989), Legendre et Sorace (2003), entre autres, que les verbes intransitifs qui sélectionnent avoir en français, et dont le verbe italien correspondant sélectionne essere, sont, eux aussi, inaccusatifs. Sur la base de ces observations, nous avons ensuite essayé de montrer que, même si ces verbes diffèrent quant au choix de l’auxiliaire dans les deux langues, ils sont similaires du point de vue aspectuel. Afin de dégager les interactions entre l’expression de l’événement et la structure syntaxique des verbes dits inaccusatifs nous avons exploité la structure de la ‘coquille SV’ proposée par Larson (1988) et élaborée par Hale et Keyser (1993). Plus précisément, nous avons soutenu que les verbes inaccusatifs de changement de lieu, en tant que verbes intransitifs, ne projettent jamais un Sv en syntaxe mais qu’une Cause est néanmoins représentée au niveau événementiel. Cette hypothèse nous a permis d’exploiter la structure de la ‘coquille SV’ sans contrevenir à un principe fondamental de l’Hypothèse Inaccusative, stipulant que les verbes inaccusatifs ne projettent jamais un argument externe. À la fin de cette étude, notre position vis-à-vis de l’Hypothèse Inaccusative ne nous conduit pas à reformuler cette hypothèse d’une façon radicale mais, plutôt, à retenir certains critères d’inaccusativité. Nos résultats ne nous conduisent pas à mettre en question l’idée centrale de l’Hypothèse Inaccusative, laquelle prévoit que les verbes intransitifs se subdivisent en deux sous-classes selon le statut interne ou externe de leur argument ; en outre, d’après nos conclusions, la sélection de l’auxiliaire être est toujours un signe d’inaccusativité, tandis que la sélection de l’auxiliaire avoir n’est pas un signe d’inergativité en français, comme le soutiennent d’autres auteurs tels, entre autres, Burzio (1981, 1986) et Legendre (1989), (cf. supra). En résumé, les paramètres de la télicité et de l’atélicité ne sont pas des critères solides d’inaccusativité car certains verbes inaccusatifs peuvent être compatibles aussi bien avec un contexte télique qu’avec un contexte atélique. En ce qui concerne les auxiliaires essere et avere, ils sont, respectivement, un indice fort d’inaccusativité et d’inergativité en italien. En revanche, en français, bien que l’auxiliaire être soit un indice fort d’inaccusativité, il s’avère que l’auxiliaire avoir n’est pas un signe fort d’inergativité. Autrement dit, en français, certains verbes inaccusatifs sélectionnent l’auxiliaire avoir. Il s’ensuit donc que la sélection de l’auxiliaire est un critère solide d’inaccusativité seulement en italien et pas en français. Il faut retenir aussi que l’interprétation télique ou atélique des verbes inaccusatifs ne dépend pas du 244 CONCLUSION type d’auxiliaire sélectionné. Certains verbes qui sélectionnent l’auxiliaire ‘être’, et qui sont donc inaccusatifs, sont compatibles aussi bien avec un contexte télique qu’avec un contexte atélique dans les deux langues (cf. les verbes ‘monter’ et ‘descendre’). Comme nous l’avons déjà remarqué, en français, certains verbes sélectionnant l’auxiliaire avoir sont inaccusatifs et ils sont compatibles aussi bien avec un contexte télique qu’avec un contexte atélique (cf. les verbes ‘monter’ et ‘descendre’ employés avec un sujet [-animé] et le verbe ‘couler’, entre autres). Nous avons aussi traité la question très débattue du statut agentif/intentionnel et non agentif/non intentionnel du sujet des verbes inaccusatifs. Bien que nous ayons apporté des arguments à l’appui de l’hypothèse que le sujet des verbes inaccusatifs est un Thème associé au faisceau de traits [-c, -m] dans les termes de Reinhart et Siloni (2005), nous avons observé aussi que l’effet intentionnel associé au sujet de ces verbes n’a pas besoin de l’explicitation d’une proposition finale ou d’un adverbe de volonté comme ‘délibérément’ pour être compris comme intentionnel. Ces variations suggèrent que le paramètre de l’intentionnalité au regard de ces verbes devrait être analysé d’une façon plus détaillée. Il faut souligner aussi que l’Hypothèse Inaccusative prédit correctement que les verbes du type ‘venir’, ‘arriver’, etc. ne peuvent pas se passiver : *Il a été venu/arrivé ici récemment. Pourtant, le verbe ‘parvenir’ (dérivé de ‘venir’), qui sélectionne l’auxiliaire être en français et qui doit donc être inaccusatif, admet le passif impersonnel : Il a été parvenu à un compromis acceptable (voir, entre autres, Zribi-Hertz (1987) et Legendre (1987, 1990)). Sur ce point donc ‘parvenir’ contraste avec ‘arriver’, dont le contenu sémantique est pourtant très proche : *Il a été arrivé à un compromis acceptable. Nous n’avons pas à ce stade d’hypothèse à proposer pour expliquer la compatibilité du verbe ‘parvenir’ avec la construction passive impersonnelle. Cette question demeure donc ouverte tout comme demeurent encore ouvertes d’autres questions soulevées au cours de notre analyse. L’analyse des verbes de changement d’état au chapitre IV nous a permis d’approfondir les relations entre le type d’auxiliaire sélectionné par ces verbes dans les deux langues et les interprétations télique et atélique. Nous avons observé qu’en français tout comme en italien les verbes de changement d’état se divisent en trois classes. Il y a les verbes qui admettent aussi bien une forme réflexive ‘se+être’ qu’une forme intransitive non réflexive, ceux qui admettent seulement la forme réflexive et ceux qui admettent seulement la forme intransitive non réflexive. Nous avons observé aussi qu’en italien, contrairement qu’au français, l’auxiliaire essere peut être sélectionné par la classe des verbes de changement d’état en 245 CONCLUSION l’absence de ‘se’. En outre, nous avons remarqué que dans les deux langues l’auxiliaire ‘être’, quand il est en compétition avec l’auxiliaire ‘avoir’, favorise une lecture télique. À partir de ce fait, nous avons donc établit un rapprochement entre la forme intransitive non réflexive des verbes de changement d’état sélectionnant l’auxiliaire essere, en italien, et la forme intransitive réflexive des verbes de changement d’état sélectionnant la séquence se+être en français sur la base de la propriété commune aux auxiliaires essere et être, c’est-à-dire la compatibilité avec un contexte télique. Nous avons observé aussi que même si la sélection de l’auxiliaire ‘être’ est corrélée à un effet télique, tandis que la sélection de l’auxiliaire ‘avoir’ est plutôt associée à un effet non télique, l’auxiliaire ‘être’ n’est pas complètement exclu dans un contexte atélique, tout comme l’auxiliaire ‘avoir’ n’est pas complètement agrammatical dans un contexte télique. Nous avons soutenu que cette variabilité peut s’expliquer en stipulant une ambigüité inhérente à la racine lexicale des verbes analysés. En dernier lieu, nous voudrions revenir, encore une fois, sur la question du groupe restreint de verbes que nous avons analysés. Les données analysées dans cette étude ne sont pas exhaustives puisque nous n’avons pas cherché à dresser des listes complètes de verbes. Toutefois, la manière de traiter ces données dépend de ce que l’on veut obtenir comme renseignements. En général, à travers cette étude, nous espérons avoir contribué à la réorientation du débat sur les verbes inaccusatifs. À notre avis, dans l’avenir, ce débat devrait se faire d’une façon transversale, c’est-à-dire dans l’optique d’une interaction entre l’aspect, la structure événementielle et la structure argumentale de ces verbes. L’approche que nous avons essayé de développer se révèle donc un premier essai empirique afin de détecter ces interactions pour certains verbes identifiables comme inaccusatifs. Comme n’importe quel travail de recherche, cette étude a également soulevé un certain nombre de questions qui demeurent ouvertes. Un groupe plus large et plus détaillé de verbes devra certainement être étudié en détail afin d’élargir la description et d’obtenir beaucoup plus d’informations empiriques. En particulier, il serait intéressant de tester la distribution des auxiliaires essere et avere dans les variétés régionales de l’italien, et dans l’italien parlé par les plus jeunes locuteurs. Ensuite, il serait également intéressant de comparer la distribution de essere et avere avec la distribution des auxiliaires être et avoir en français dialectal (cf. Leeman (1994) et le travail toujours actuel de Blanche-Benveniste (1977), entre autres). L’analyse de la distribution des auxiliaires être et avoir en français québécois, en français acadien et dans d’autres variétés de français d’Amérique mériterait, elle aussi, une étude plus 246 CONCLUSION approfondie. Il serait également intéressant d’étudier la diachronie de la distribution des auxiliaires ‘être’ et ‘avoir’ aussi bien en français qu’en italien. 247 . BIBLIOGRAPHIE ARAD, Maya, Are unaccusatives aspectually characterized ? (And other related questions), MIT Working Papers In Linguistics, 1998, 32, p. 1-20. ASNES, Maria, Référence nominale et verbale. Analogies et interactions, Paris : Presses de l’Université Paris-Sorbonne, 2004. BAKER, Mark, Incorporation. A Theory of Grammatical Function Changing, Chicago : University of Chicago Press, 1988. BAUCHE, Henri, Le langage populaire, Paris : Payot, 1946. BÉCHADE, Hervé-D., Phonétique et morphologie du français moderne et contemporain, Paris : PUF, 1992. BELLETTI, Adriana, Generalized verb movement, Torino : Rosemberg et Sellier, 1990. BENINCÀ, Paola, CINQUE, Guglielmo, Sur l’ambiguïté structurale des verbes météorologiques en italien, De la musique à la linguistique. Hommage à Nicolas Ruwet / ed. par Liliane TASMOWSKI, Anne ZRIBI-HERTZ. Ghent : Communication and Cognition, 1992, p.155-162. BERTINETTO, Pier Marco, SQUARTINI, Mario, An attempt at defining the class of ‘gradual completion verbs’, Temporal Reference, Aspect and Actionality, Semantic and Syntactic perspectives / ed. par Pier Marco BERTINETTO, Valentina BIANCHI, James HIGGINBOTHAM, Mario SQUARTINI. Torino : Rosemberg et Sellier, 1995, vol. I, p. 1126. BERTINETTO, Pier Marco, Il verbo, Grande Grammatica italiana di consultazione / ed. par Anna CARDINALETTI, Lorenzo RENZI, Giampaolo SALVI. Bologna : il Mulino, 2001, vol. II, p. 13-161. 248 BIBLIOGRAPHIE BERTINETTO, Pier Marco, Verbi deverbali, La formazione delle parole in italiano / ed. par Maria GROSSMANN, Franz RAINER. Tübingen : Max Niemeyer Verlag, 2004, p. 465-472. BLANCHE-BENVENISTE, Claire, L’un chasse l’autre. Le domaine des auxiliaires, Recherches sur le français parlé, 1977, 1, p. 100-148. BOLINGER, Dwight, Ambient it is meaningful too, Journal of Linguistics, 1973, 9, p. 261270. BOONS, Jean-Paul, GUILLET, Alain, LECLÈRE, Christian, La structure des phrases simples en français. Constructions intransitives, Genève : Droz, 1976. BOUCHARD, Denis, The semantics of syntax : a minimalist approach to grammar, Chicago : The University of Chicago, 1995. BROWN, Becky, Problems with Past Participles Agreement in French and Italian Dialects, Advances in Romance Linguistics / ed. par David BIRDSONG, Jean-Pierre MONTREUIL. Dordrecht : Foris Publications, 1988, p. 51-66. BURZIO, Luigi, Intransitive verbs and Italian auxiliaries, Thèse : Linguistique : Massachusetts Institute of Technology, 1981. BURZIO, Luigi, Italian Syntax - A Government Binding Approach, Dordrecht : D. Reidel Publishing Company, 1986. CANALE, Michael, BELANGER, Monique, MOUGEON, Raymond, Analogical leveling of the auxiliary être in Ontarian French, Contemporary Studies in Romance Linguistics / ed. par Margarita SUNER. Washington : Georgetown University Press, 1978, p. 41-61. CARLIER, Anne, Les propriétés aspectuelles du passif, Temps et Aspect / ed. par Céline BENNINGER, Anne CARLIER, Véronique LAGAE. Amsterdam-Atlanta : Rodopi, 2002, p. 41-63. (Cahiers Chronos ; 10). CHOMSKY, Noam, Lectures on Government and Binding -The Pisa Lectures-, Dordrecht : Foris Publications, 1981. 249 BIBLIOGRAPHIE CHOMSKY, Noam, The Minimalist Program, Cambridge, Massachusetts : The MIT Press, 1995. COMRIE, Bernard, Aspect. An Introduction to the Study of Verbal Aspect and Related Problems, Cambridge : Cambridge University Press, 1976. CORBIN, Danielle, Associativité et stratification dans la représentation des mots construits, Contemporary Morphology / ed. par Wolfgang U. DRESSLER, Hans C. LUSCHUTZKY, Oscar E. PFEIFFER, John R. RENNISON. Berlin : Mouton de Gruyter, 1990, p. 43-59. CORBIN, Danielle, Français (Indo-européen: Roman), Morphology, An International Handbook on Inflection and Word-Formation / ed. par Geert BOOIJ, Christian LEHMANN, Joachim MUGDAN, Stavros SKOPETEAS. Berlin : Walter de Gruyter, 2004, p. 1285-1299. CREISSELS, Denis, L’emploi résultatif de être+participe passé en français, Passé et Parfait / ed. par Céline BENNINGER, Anne CARLIER, Véronique LAGAE. Amsterdam-Atlanta : Rodopi, 2000, p. 133-142. (Cahiers Chronos ; 6). CUMMINS, Sarah, Meaning and Mapping, Thèse : Linguistique : University of Toronto, 1996. CUMMINS, Sarah, The Unaccusative Hypothesis and the Impersonal Construction in French, Revue Canadienne de Linguistique, 2000, 45, (3/4), p. 225-251. DEMIRDACHE, Hamida, URIBE-ETXEBARRIA, Myriam, La grammaire des prédicats spatiotemporels : temps, aspects et adverbes de temps, Temps et Aspect / ed. par Brenda LACA. Saint-Denis : PUV, 2002, p. 125-176. DÉSIRAT, Claude, HORDÉ, Tristan, La langue française au XX siècle, Paris : Bordas, 1976. DI SCIULLO, Anna-Maria, KLIPPLE, Elizabeth, Modifying Affixes, Proceeding of the Western Conference on Linguistics, 1993, 6, p. 68-80. DI SCIULLO, Anna-Maria, Prefixes and Suffixes, Aspects of Romance Linguistics / ed. par Claudia PARODI, Carlos QUICOLI, Mario SALTARELLI, Maria-Luisa ZUBIZARRETA. Georgetown University Press : Washington, 1996, p. 177-194. 250 BIBLIOGRAPHIE DUBOIS, Jean, La traduction de l’aspect et du temps dans le code français, Le français moderne, 1964, 32, 1, p. 1-26. DUBOIS, Jean, GIACOMO, Mathée, GUESPIN, Louis et al., Dictionnaire de linguistique, Paris : Larousse, 2001. DUFRESNE, Monique, DUPUIS, Fernande, Un changement dans la diachronie du français : la perte de la préfixation aspectuelle en a-, Revue québécoise de linguistique, 2001, 29, 2, p. 33-52. ERTESCHIK-SHIR, Nomi, The dynamics of focus structure, Cambridge : Cambridge University Press, 1997. ERTESCHIK-SHIR, Nomi, Focus structure and scope, The Grammar of focus / ed. par Georges REBUSCHI, Laurice TULLER. Amsterdam/Philadelphia : John Benjamins, 1999, p. 119-150. FERNANDEZ-SORIANO, Olga, Two types of impersonal sentences in Spanish : locative and dative subjects, Syntax, 2, 2, 1999, p. 101-140. FILLMORE, Charles J., The Case for Case, Universals in Linguistic Theory / ed. par Emmon BACH, Robert T. HARMS. New York : Holt, Rinehart et Winston, 1968, p. 1-88. FOLLI, Raffaella, Constructing Telicity in English and Italian, Thèse : Linguistique : University of Oxford, 2001. GREVISSE, Maurice, Le Bon Usage, Paris : Duculot, 1980 et 2004. GRIMSHAW, Jane, On the lexical representation of romance reflexive clitics, The mental representation of grammatical relations / ed. par Joan BRESNAN. Cambridge Massachusetts : The MIT Press, 1982, p. 87-148. GROSSMANN, Maria, Derivazione verbale, La formazione delle parole in italiano / ed. par Maria GROSSMANN, Franz RAINER. Tübingen : Max Niemeyer Verlag, 2004, p. 450-465. GUILLET, Alain, LECLÈRE, Christian, La structure des phrases simples en français. Constructions transitives locatives, Genève-Paris : Droz, 1992. 251 BIBLIOGRAPHIE HAEGEMAN, Liliane, Manuale di grammatica generativa, Milano : Hoepli, 1996. HAIDEN, Martin, Sous-spécification et projection argumentale dans le Theta System, Recherches Linguistiques de Vincennes, 2007, 36, p. 153-188. HALE, Ken, KEYSER, Samuel Jay, On Argument Structure and the Lexical Expression of Syntactic Relations, The view from Building 20, Essays in Linguistics in Honor of Sylvain Bromberger / ed. par Ken HALE, Samuel JAY KEYSER. Cambridge, Massachusetts : The MIT Press, 1993, p. 53-109. HALE, Ken, KEYSER, Samuel Jay, Prolegomenon to a Theory of argument Structure, Cambridge, Massachusetts : The MIT Press, 2002. HASPELMATH, Martin, MULLER-BARDEY, Thomas, Valency change, Morphology, An International Handbook on Inflection and Word-Formation / ed. par Geert BOOIJ, Christian LEHMANN, Joachim MUGDAN, Stavros SKOPETEAS. Berlin : Walter de Gruyter, 2004, p. 1130-1145. HOEKSTRA, Teun, MULDER, René, Unergatives as copular verbs ; locational and existential predication, The Linguistic Review, 1990, 7, p. 1-79. JACKENDOFF, Ray, Semantic Interpretation in Generative Grammar, Cambridge, Massachusetts : The MIT Press, 1972. JACKENDOFF, Ray, Semantic Structures, Cambridge, Massachusetts : The MIT Press, 1990. JACOBINI, Claudio, Prefissazione, La formazione delle parole in italiano / ed. par Maria GROSSMANN, Franz RAINER. Tübingen : Max Niemeyer Verlag, 2004. p. 97-186. JACOBINI, Claudio, Parasintesi, La formazione delle parole in italiano / ed. par Maria GROSSMANN, Franz RAINER. Tübingen : Max Niemeyer Verlag, 2004. p. 165-186. KAYNE, Richard, S., Parameters and Universals, New York : Oxford University Press, 2000, p. 10-39. KAYNE, Richard, S., A Note on Auxiliary Alternantions and Silent Causation, New York University, manuscrit, janvier 2008, p. 1-18. 252 BIBLIOGRAPHIE KING, Ruth, The Lexical Basis of Grammatical Borrowing. A Prince Edward Island French case study, Amserdam/Philadelphia : John Benjamins Publishing Company, 2000. KING, Ruth et NADASDI, Terry, Deux auxiliaires qui voulaient mourir en français acadien, Français d’Amérique : approches morphosyntaxiques / ed. par Patrice BRASSEUR, Anika FALKERT. Paris : l’Harmattan, 2005, p. 103-111. KLEIN, Wolfgang, A time-relational analysis of Russian aspect, Language, 1995, 71, 4, p. 669-695. KOPECKA, Anetta, Étude typologique de l'expression de l'espace : localisation et déplacement en français et en polonais, Thèse : Linguistique : Université de Lyon 2, 2004. KRATZER, Angelika, Stage-Level and Individual-Level Predicates, The Generic Book / ed. par Gregory N. CARLSON, Francis J. PELLETIER. Chicago : University of Chicago Press, p. 125-175. KUPFERMAN, Lucien, En observant des allées et venues, Folia Linguistica, 1985, 19, 3/4, p. 463-497. LABELLE, Marie, Change of state and valency, Journal of Linguistics, 1992, 28, p. 375-414. LACA, Brenda, Les syncrétismes Aktionsart – Aspect – Localisation Temporelle dans le domaine des périphrases verbales romanes, Recherches en Linguistique et Psycologie cognitive, 2003, 20, p. 135-151. LACA, Brenda, Les catégories aspectuelles à expression périphrastique : une interprétation des apparentes « lacunes » du français, Langue française, 2004, 141, 1, p. 85-98. LAGAE, Véronique, Les formes en être + participe passé à valeur résultative dans le système verbal français, Temporalité et Attitude / ed. par Arie MOLENDIJK, Co VET. AmsterdamAtlanta : Rodopi, 2005, p. 125-142. (Cahiers Chronos ; 12). LARSON, Richard K., On the Double Object Construction, Linguistic Inquiry, 1988, 19, 3, p. 335-391. 253 BIBLIOGRAPHIE LAUR, Dany, Sémantique du déplacement et de la localisation en français : une étude des verbes, des prépositions et de leurs relations dans la phrase simple, Thèse : Linguistique : Université Toulouse-le-Mirail, 1991. LEDGEWAY, Adam, A Comparative Syntax of the Dialects of Southern Italy, Oxford : Blackwell, 2000. LEEMAN, Danielle, Si j’aurais su, j’aurais pas venu remarques sur les auxiliaires, la transitivité et l'intransitivité, Le gré des Langues, 1994, 7, p.48-62. LEGENDRE, Géraldine, Unaccusativity in French, Lingua, 1989, 79, p. 95-164. LEGENDRE, Géraldine, Topics in French Syntax, Thèse : Linguistique : University of California, San Diego, 1987. LEGENDRE, Géraldine, French impersonal constructions, Natural Language and Linguistic Theory, 1990, 8, p. 81-128. LEGENDRE, Géraldine, SORACE, Antonella, Auxiliaires et intransitivité en français et dans les langues romanes, Les langues romanes / ed. par Danielle GODARD. Paris : CNRS éditions, 2003, p. 185-233. LEPSCHY, Giulio, Teoria e descrizione nella sintassi italiana. Reggenza, legamento, e un uso di ne, Romance Philology, 1989, 41, 4, p. 422-435. LEVIN, Beth, RAPPAPORT, HOVAV, Malka, Unaccusativity. At the Syntax-Lexical Semantics Interface, Cambridge, Massachusetts : The MIT Press, 1995. LOIS, Xinema, Auxiliary selection and past participle agreement in Romance, Probus, 1990, 2, 2, p. 233-255. LONZI, Lidia, Pertinenza della struttura Tema-Rema per l'analisi sintattica, Tema-Rema in Italiano / ed. par Stammerjohann HARRO. Tübingen : Narr, 1986, p. 99-120. LONZI, Lidia, Caratteri della Cliticizzazione de ne, manuscrit, avril 2007, p. 1-23. 254 BIBLIOGRAPHIE LOPORCARO, Michele, The Unaccusative Hypothesis and participial absolutes in Italian : Perlmutters’s generalization revised, Rivista di Linguistica, 2003, 15, 2, p. 199-263. MAINGUENEAU, Dominique, L'énonciation en linguistique française, Paris : Hachette, 1999. MERLO, Paola, Risultative in italiano e in inglese, Rivista di Grammatica Generativa, 1989, 14, p. 29-53. MORO, Andrea, The raising of predicates, Cambridge : Cambridge University Press, 1997. NEDJALKOV, Vladimir P., JAXONTOV, Sergej Je., The typology of resultative constructions, Typology of resultative constructions / ed. par Vladimir P. NEDJALKOV. Amsterdam/Philadelphia : John Benjamins Publishing Company, 1988, p. 3-61. OLIÉ, Annie, L’hypothèse de l’inaccusatif en français, Linguisticae Investigationes, 1984, 8, 2, p. 363-401. PERLMUTTER, David M., Impersonal passives and the Unaccusative Hypothesis, Proceedings of the Fourth Annual Meeting of the Berkeley Linguistics Society (BLS4), Berkeley : University of California, 1978, p. 157-189. POLLOCK, Jean-Yves, Sur la syntaxe de en et le paramètre du sujet nul, La grammaire modulaire / ed. par Mitsou RONAT, Daniel COUQUAUX. Paris : Éditions de Minuit, 1986, p. 211-246. PUSTEJOVSKY, James, The syntax of event structure, Cognition, 1991, 41, p. 47-81. REICHENBACH, Hans, Elements of Symbolic Logic, Toronto : Collier-MacMillan, (1947/1966). REINHART, Tanya, SILONI, Tal, The Lexicon-Syntax Parameter : reflexivisation and other arity operations, Linguistic Inquiry, 2005, 36, 3, p. 389-436. REY, Alain, REY-DEBOVE, Josette, Le nouveau Petit Robert. Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, Paris : Dictionnaires Le Robert, 1993. 255 BIBLIOGRAPHIE REY, Alain, Dictionnaire historique de la langue française, Paris : Dictionnaires Le Robert, 2000. RIEGEL, Martin, PELLAT, Jean-Christophe, RIOUL, René, Grammaire méthodique du français, Paris : PUF, 2005. RIZZI, Luigi, Null Objects in Italian and the Theory of PRO, Linguistic Inquiry, 1986, 17, 3, p. 501-557. RUSSO, Marijke, ROBERTS, Julie, Linguistic change in endangered dialects : The case of alternation between avoir and être in Vermont French, Language Variation and Change, 1999, 11, p. 67-85. RUWET, Nicolas, Théorie syntaxique et syntaxe du français, Paris : Éditions du Seuil, 1972. RUWET, Nicolas, On weather verbs, Chicago Linguistic Society, 1986, 22, p. 195-215. RUWET, Nicolas, Weather-verbs and the unaccusative hypothesis, Studies in Romance linguistics / ed. par Carl KIRSCHNER, Janet DECESARIS. Amsterdam/Philadelphia : Jonh Benjamins Publishing Company, 1989, p. 313-345. SANFILIPPO, Antonio, Thematic affectedness and aspect compositionality, Temporal Reference, Aspect and Actionality, Semantic and Syntactic perspectives / ed. par Pier Marco BERTINETTO, Valentina BIANCHI, James HIGGINBOTHAM, Mario SQUARTINI. Torino : Rosemberg et Sellier, 1995, vol. I, p. 179-193. SAN GIACOMO, Marcela, Les expressions de répétition en français et en espagnol, Mémoire de DEA : Linguistique : Université de Paris VIII, 2004. SANKOFF, Gillian, THIBAULT, Pierrette, L’alternance entre les auxiliaires avoir et être en français parlé à Montréal, Langue Française, 1977, 34, p. 81-108. SCALISE, Sergio, Morfologia, Bologna : il Mulino, 1994. SCHADEN, Gerhard, La sémantique du Parfait. Etude des « temps composés » dans un choix de langues germaniques et romanes, Thèse : Linguistique : Université de Paris VIII, 2007. 256 BIBLIOGRAPHIE SMITH, Carlota, A Speaker-Based Approach to Aspect, Linguistics and Philosophy, 1986, 9, p. 97-115. SMITH, Carlota, The Parameter of Aspect, Dordrecht : Kluwer Academic Publishers, 1991. SORACE, Antonella, Gradients in auxiliary selection with intransitive verbs, Language, 2000, 76, 4, p. 859-890. TALMY, Leonard, Lexicalization patterns : semantic structure in lexical forms, Language typology and syntactic description / ed. par Timothy SHOPEN. Cambridge : Cambridge University Press, 1985, vol. III, p. 57-149. TENNY, Carol, L., Aspectual Roles and Syntax-Semantics Interface, Dordrecht : Kluwer Academic Publishers, 1994. TESNIÈRE, Lucien, Eléments de syntaxe structurale, Paris : Klincksieck, 1965. TORTORA, Christina, M., The syntax and semantics of the weak locative, Thèse : Linguistique : University of Delaware, 1997. WEHRLI, Eric, On some properties of French clitic se, The Syntax of Pronominal clitics / ed. par Hagit BORER. Orlando : Academic Press, 1986, p. 263-365. VENDLER, Zeno, Verbs and Times, The Philosophical Review, 1957, 66, 2, p. 143-160. VET, Co, Temps, aspects et adverbes de temps en français contemporain. Essai de sémantique formelle, Genève : Droz, 1980. ZRIBI-HERTZ, Anne, La réflexivité ergative en français moderne, Le français moderne, 1987, 55, p. 23-54. ZUBIZARRETA, Maria-Luisa, OH, Eunjeong, On the Syntactic Composition of Manner and Motion, Cambridge, Massachusetts : The MIT Press, 2007. 257 ANNEXES (cf. chapitre IV) 258 ANNEXES Annexe I. Liste des préfixes du français tirée de Béchade (1992 : 108-112) : a-, an-, ab-, ad-, ac-, af-, al-, ap-, anté-, anti-, après-, archi-, arch-, arrière-, avant-, bien-, bis-, bi-, circon-, circum-, cis-, com-, co-, col-, con-, contre-, di-, dis-, dé-, des-, dys-, en-, em-, épi-, ex- é-, ef-, es-, extra-, hémi-, hyper-, hypo-, in-, il-, im-, ir-, infra-, inter-, entre-, intra-, juxta-, mal-, més-, mé-, méta-, mi-, non-, outre-, para-, par-, péné-, pén-, per-, par-, péri-, plus-, post-, pré-, pro-, pour-, re-, ré-, ra-, r-, rétro-, sans-, semi-, sous-, sou-, sub-, super-, supra-, sur-, sus-, trans-, tres-, tré-, tri-, tris-, ultra-, vice-, vi-. Dans l’Annexe II. nous reproduisons des exemples de verbes préfixés tirés de Béchade (1992). Il s’agit de formes préfixées et pas de formes parasynthétiques car, une fois le préfixe enlevé, on obtient un verbe, quelle que soit sa dérivation (un nom ou un adjectif). Annexe II. Verbes préfixés : préfixe exemple 1 a-, ac-, ad-, af-, al-, ap-, ar- abattre, accoupler, adjoindre, affaiblir, allonger, apposer, arranger. 2 anti- antidater. 3 bis- bistourner. 4 co- coexister. 5 contre- contrebalancer, contrebattre, contrefaire, contre-indiquer, contresigner. 6 dé-, dés- décharger, désamorcer. 7 en-, em- endormir, enfermer, emmener. 8 ef-, es- effeuiller, essouffler. 9 inter-, entre- interposer, entremêler, s'entretuer, entrevoir. 10 mal- malmener. 11 més-, mé- mésestimer, méconnaître. 259 ANNEXES préfixe exemple 12 outre- outrepasser. 13 post- postposer. 14 pré- préétablir. 15 re-, ré-, ra-, r- recouvrir, redire, redorer, refermer, refroidir, relire, remettre, replier, replonger, retourner, réarmer, rééditer, réunir, rafraîchir, ramener, rattraper. 16 rétro- rétropédaler. 17 sous- sous-entendre, sous-louer. 18 sub- subdiviser. 19 super- superposer. 20 sur- suralimenter, surcharger. 21 trans-, tré- transpercer, trépasser. Annexe III. Liste des suffixes verbaux du français tirée de Béchade (1992 : 108-112) : -aill-er, -ass-er, -c-ir, -el-er, -er, -(e)t-er, -(i)fi-er, -ill-er, -in-er, -ir, -is-er, -nich-er, -och-er, -onn-er, -ot-er, -ouill-er, -oy-er. Comme le remarque Béchade (1992 : 119), « [les suffixes verbaux] permettent de créer des dérivés aussi bien sur des bases substantivales, adjectivales que verbales ». Les exemples de l’Annexe IV. se réfèrent à des verbes obtenus par un processus de suffixation à partir d’un verbe déjà existant. 260 ANNEXES Annexe IV. Dérivation par suffixation à partir d’une base verbale : suffixe exemple crier > criailler, discuter > discutailler, fumer > fumailler, tirer > tirailler. baver > bavasser, pleuvoir > pleuvasser, traîner > traînasser. 1 -aill-er 2 -ass-er 3 -el-er craquer > craqueler. 4 -(e)t-er marquer > marqueter. 5 -ill-er boiter > boitiller. 6 -nich-er pleurer > pleurnicher. 7 -och-er effiler > effilocher. 8 -onn-er 9 -ot-er 10 -ouill-er mâcher > mâchouiller. 11 -oy-er tourner > tournoyer. chanter > chantonner, griffer > griffonner. siffler > siffloter, tousser> toussoter, trafiquer > traficoter. 261 ANNEXES Annexe V. Dérivation par suffixation à partir d’une base adjectivale : suffixe exemple 1 -c-ir dur > durcir, fort > forcir. 2 -er faux > fausser. 3 -(i)fi-er bon > bonifier, solide > solidifier. 4 -ir blond > blondir, faible > faiblir. 5 -is-er banal > banaliser, fidèle > fidéliser, légal > légaliser. 6 -ouill-er vaseux > vasouiller. 7 -oy-er vert > verdoyer, rouge > rougeoyer. Annexe VI. Dérivation par suffixation à partir d’une base nominale : suffixe exemple 1 -aill-er ferre > ferrailler, flirt > flirtailler, rime > rimailler. 2 -el-er bosse > bosseler, grain > greneler. 3 -er timbre > timbrer, voyage > voyager. 4 -(e)t-er 5 -(i)fi-er 6 -ill-er grappe > grappiller. 7 -in-er trot > trottiner. 8 -ir fleur > fleurir. 9 -is-er miniature > miniaturiser, pacte > pactiser. 10 -ot-er piano > pianoter, sirop > siro(p)ter. 11 -ouill-er patrouille > pat(r)ouiller. 12 -oy-er larme > larmoyer, poudre > poudroyer. froufrou > froufrouter, mouche > moucheter. nid > nidifier, os > ossifier, statue > statufier, vitre > vitrifier. 262 ANNEXES Annexe VII. Liste des préfixes de l’italien tirée de Jacobini (2004 : 108) : a-, ab-, ad-, ante-, anti-, archi-, arci-, auto-, avan-, bis-, circum-, cir-, cis-, citra-, co-, com-, con-, contra-, contro-, de-, di-, dis-, e-, es-, estra-, estro-, ex-, extra-, fra-, giusta-, in-, infra-, inter-, intra-, intro-, iper-, ipo-, macro-, maxi-, mega-, meta-, micro-, mini-, mis-, multi-, neo-, non-, ob-, oltre-, para-, per-, pluri-, poli-, post-, pre-, pro-, ra-, re-, retro-, ri-, rin-, s-, se-, semi-, so-, sor-, sopra-/sovra-, sotto-, stra-, su-, sub-, super-, sur-, tra-, trans-, tras-, ultra-, vice-. Annexe VIII. Verbes préfixés : préfixe exemple 1 ac-, ad-, af-, am-, ap- accorrere, adornare, affluire, ammettere, apporre. 2 ante- anteporre. 3 auto- autodenunciarsi, autofinanziarsi, autogestire, autogovernarsi, autoproclamarsi. 4 co-, con- coabitare, copartecipare, contenere. 5 contro-, contra- 6 de-, dis-, di- 7 fra- fraintendere, frapporre. 8 giusta- giustapporre. 9 in-, im- incominciare, immettere, imporre. 10 infra- inframmettere, inframmischiare. 11 inter-, intra-, intro- interagire, interconnettere, intercorrere, intravedere, intromettere. 12 iper- ipervalutare. 13 ipo- iponutrirsi. controbattere, controbilanciare, controindicare, contraddire. decodificare, decomporre, decomprimere, demilitarizzare, denasalizzare, depolarizzare, dequalificare, detassare, detrarre, disapprovare, disarmare, disconnettere, disfare, disidratare, disinteressarsi, disobbedire, disossidare, disseminare, disellare. 263 ANNEXES préfixe exemple 14 oltre- oltrepassare. 15 pos(t)- posporre, posticipare. preavvisare, preconfezionare, predeterminare, predire, preesistere, prefabbricare, prefissare, premeditare, preporre. raccontare, rapprendere, recedere, reinserire, reintegrare, respingere, riaccendere, rialzare, riascoltare, riassumere, ribollire, ributtare, ricercare, richiedere, ricomporre, ridare, ridire, riemergere, rifare, rifluire, rigettare, rileggere, rimandare, rimettere, riportare, ripulire, riscaldare, risentire, rispedire, rispolverare, ritassare, rivendere, rinchiudere, rincorrere, rintracciare. 16 pre- 17 ra-, re-, ri-, rin- 18 retro- retrocedere, retrodatare. 19 s- sbloccare, scacciare, scambiare, scaricare, scucire, sfiorire, sgonfiare, sgridare, slegare, smacchiare, smascherare, smettere, smuovere, sparlare, spettinare, spremere, sragionare, stappare, stendere, storcere, svendere, svestire. 20 semi- semiconvincere, seminascondere. 21 so- 22 23 sobbalzare, socchiudere, soffermare, soffriggere, soppesare. sopraelevare, sopraggiungere, sopravvalutare, sopravvenire, sopravvivere, sovrapporre, sopra-, sovra-, sor- sovrabbondare, sovraccaricare, sovrapagare, sovrastare, sovrastimare, sormontare, sorpassare, sorprendere, sorvolare. sottolineare, sottopagare, sottoscrivere, sottostare, sottosottostimare, sottovalutare. 24 stra- strafare, strapagare, straparlare. 25 sub- subaffittare, subappaltare. 26 super- superpagare. 27 sur- surgelare. 28 tra-, tras- traforare, trasmettere, trasudare. 264 ANNEXES Annexe IX. Liste des suffixes verbaux de l’italien tirée de Bertinetto (2004 : 465-472) : -acchi-are, -icchi-are, -ol-are, -eggi-are, -ucchi-are, -azz-are, -erell-are, -ett-are, -ic-are, -ecchi-are, -uzz-are, -acci-are, -iccic-are, -ign-are, -izz-are, -arell-are, -ell-are, -icchin-are, -icci-are, -iggin-are, -in-are, -occhi-are, -onzol-are, -ott-are, -ottol-are, -ucol-are, -ugli-are, -uzzic-are. Annexe X. Dérivation par suffixation à partir d’une base verbale : suffixe exemple fumare > fumacchiare, bruciare > bruciacchiare, innamorarsi > innamoracchiarsi, rubare > rubacchiare, stirare > stiracchiare, vivere > vivacchiare. cantare > canticchiare, dormire > dormicchiare, mordere > mordicchiare. guadagnare > guadagnucchiare, leggere > leggiucchiare, mangiare > mangiucchiare. 1 -acchi-are 2 -icchi-are 3 -ucchi-are 4 -occhi-are sgranare > sgranocchiare. 5 -ell-are bucare > bucherellare, cantare > canterellare, trottare > trotterellare. 6 -eggi-are palpare > palpeggiare. 7 -ett-are fischiare > fischiettare. 8 -acci-are spendere > spendacciare. 9 -azz-are bere > (s)bevazzare, copiare > *(s)copiazzare, correre > *(s)corrazzare, piegare > *(s)piegazzare, volare > *(s)volazzare. 10 -onzol-are girare > gironzolare. 11 -ecchi-are pungere > punzecchiare. 265 ANNEXES Annexe XI. Liste des suffixes verbaux de l’italien qui permettent de dériver un verbe à partir d’une base adjectivale et/ou à partir d’une base nominale (Grossmann (2004 : 450-465)) : -eggi-are, -ific-are, -izz-are, -ic-are, -it-are, -ett-are, -ol-are, -are, -ire. Les suffixes -eggi-are, -ific-are et -izz-are sont très productifs en italien et ils sont employés pour dériver des verbes à partir d’une base nominale ou adjectivale. Ils sont tous suivis du morphème -are caractérisant les verbes appartenant à la première conjugaison. Il existe d’autres suffixes peu productifs comme -ic-are et -it-are qui sont employés pour dériver des verbes à partir d’une base adjectivale et -ett-are et -ol-are qui sont employés pour dériver des verbes à partir d’une base nominale. Les suffixes - are et -ire s’emploient aussi bien avec des bases adjectivales qu’avec des bases nominales tout comme leurs correspondants français -er et -ir (cf. les Annexes V. et VI.). Annexe XII. Dérivation par suffixation à partir d’une base adjectivale : suffixe exemple bianco > biancheggiare, pari > pareggiare, scarso > scarseggiare, verde > verdeggiare. autentico > autentificare, intenso > intensificare, pari > parificare, umido > umidificare. marginale > marginalizzare, ovale > ovalizzare, privato > privatizzare, sterile > sterilizzare. 1 -eggi-are 2 -ific-are 3 -izz-are 4 -ic-are zoppo > zoppicare. 5 -it-are capace > capacitare, facile > facilitare. 6 -are attivo > attivare, calmo > calmare, curioso > curiosare. 7 -ire chiaro > chiarire, zitto > zittire. 266 ANNEXES Annexe XIII. Dérivation par suffixation à partir d’une base nominale : suffixe 1 2 3 exemple alpi > alpeggiare, arpa > arpeggiare, borsa > borseggiare, capitano > capitaneggiare, capo > capeggiare, costa > costeggiare, favore > favoreggiare, filosofia > filosofeggiare, gara > gareggiare, lampo > lampeggiare, -eggi-are ombra > ombreggiare, padrone > padroneggiare, palla > palleggiare, pavone > pavoneggiarsi, poltrona > poltroneggiare, scimmia > scimmieggiare, serpe > serpeggiare, simbolo > simboleggiare, spuma > spumeggiare, verso > verseggiare. cemento > cementificare, gas > gas(s)ificare, -ific-are osso > ossificare, pietra > pietrificare, vetro > vetrificare. carbone > carbonizzare, gamba > gambizzare, gelatina > gelatinizzare, ghetto > ghettizzare, ipotesi > ipotizzare, marmo > marmorizzare, -izz-are miniatura > miniaturizzare, motore > motorizzare, ospedale > ospedalizzare, teoria > teorizzare, vitamina > vitaminizzare. 4 -ett-are sgambetto > sgambettare, ticchettio > ticchettare. 5 -ol-are branca > brancolare. 6 -are arma > armare, olio > oliare, parcheggio > parcheggiare, sci > sciare, telefono > telefonare. 7 -ire fiore > fiorire. 267