Quand la déontologie fait son entrée officielle à l`Assemblée

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Quand la déontologie fait son entrée officielle à l`Assemblée
Quand la déontologie fait
son entrée officielle à l’Assemblée nationale…
des questions juridiques et institutionnelles surgissent
Marc Deschamps1
L’actualité médiatique2 et judiciaire récente, la réglementation relative aux groupes
d’intérêts, l’image négative dont semblent parfois3 souffrir malheureusement et injustement
les représentants de la Nation4, le niveau de l’abstention aux différentes élections, les
difficultés économiques rencontrées par les Français, ainsi que semble-t-il plusieurs autres
éléments5 ont conduit le Bureau de l’Assemblée nationale à créer le 6 octobre 2010 un groupe
de travail présidé par Monsieur le président Bernard Accoyer sur la « prévention des conflits
d’intérêts ». Ce groupe, qui avait pour mission l’étude des conflits d’intérêts auxquels peuvent
être confrontés les députés dans l’exercice de leur mandat, vient de conduire6 le 6 avril 2011 à
l’adoption par le Bureau de l’Assemblée Nationale d’un « code de déontologie » ainsi qu’à
une « décision du Bureau relative au respect du code de déontologie des députés »7. A
l’évidence et avant de porter plus avant notre attention sur le contenu de ces textes, il faut
donc saluer l’effort de l’Assemblée nationale visant à considérer le traitement des conflits
d’intérêts comme une question non partisane.
L’objet de cette note vise à présenter brièvement les principes et le dispositif retenu
(lequel s’articule essentiellement autour de trois axes : l’instauration d’un code de
déontologie, l’institution d’un déontologue au sein de l’Assemblée nationale, et l’obligation
pour tous les députés de remplir une déclaration d’intérêts en début de mandat et de
1
ATER en Sciences Economiques à l’Université de Nancy 2, Université de Nice et GREDEG-CNRS, BETACNRS. Les opinions, commentaires et remarques de cette note sont personnelles et ne sauraient engager d’une
quelconque manière les institutions auxquelles nous appartenons. Nous remercions C. Savard-Chambard.
2
Voir notamment à ce sujet le livre de M. Hirsh, Pour en finir avec les conflits d’intérêts, Editions Stock [2010],
ou les recommandations de l’association Transparence International France.
3
Un sondage Viavoice effectué le 1er et 2 juillet 2010, par exemple, indiquait que 64% des Français estiment leur
classe politique « plutôt corrompue ».
4
C’est le syndrome démagogique du « tous pourris » qui nourrit tous les populismes.
5
Au niveau national, on peut en particulier songer à l’installation par le décret n°2010-1072 du 10 septembre
2010 de la Commission de réflexion pour la prévention des conflits d’intérêts dans la vie publique (dite
« Commission Sauvé ») laquelle cependant, conformément au principe de la séparation des pouvoirs, n’avait pas
pour mission de s’intéresser aux parlementaires mais seulement à l’exécutif et à ceux qui en dépendent. Par
ailleurs, il semble que certains éléments dépassent le cadre national et concernent l’ensemble des démocraties
comme en témoignent notamment la démission du ministre des affaires étrangères japonais Seiji Maehara le 6
mars 2011 soupçonné d’avoir reçu l’équivalent de 1736 euros d’une restauratrice coréenne (la loi japonaise
interdisant les dons de ressortissants étrangers), la démission de ministres suédois et finlandais, ou plus
récemment la révision du code de conduite des Commissaires européens par la Commission européenne le 20
avril 2011.
6
Les comptes-rendus et communiqués de presse de ce groupe sont disponibles à l’adresse Internet
http://www.assemblee-nationale.fr/13/controle/groupe-travail-prevention-conflits.asp .
7
A titre de complément il faut noter que le Sénat dispose, depuis un arrêté du Bureau du Sénat en date du 25
novembre 2009, d’un comité de déontologie parlementaire présidé par Monsieur Robert Badinter, depuis sa
réunion constitutive du 27 janvier 2010. La mission de ce comité consultatif étant, à la demande du Président du
Sénat ou du Bureau, de rendre des « avis sur des situations particulières ou sur des problématiques plus générales
relatives à l’éthique parlementaire ». Ce comité a défini, à titre consultatif, six principes généraux de déontologie
parlementaire : la dignité, l’indépendance, l’intégrité, l’assiduité, l’égalité et la laïcité.
1
l’actualiser « en cas de changement substantiel » durant la suite de leur mandat), ainsi qu’à
exposer pour chacun de ces textes certaines questions juridiques et/ou institutionnelles
susceptibles de se poser, avant qu’ils n’entrent en vigueur lors du prochain renouvellement
général de l’Assemblée nationale.
I] Le code de déontologie
Prenant une forme solennelle, le code de déontologie de l’Assemblée nationale débute
par un préambule composé de trois considérants rappelant successivement certains articles de
la Déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen (art. 3 et 4), certains articles de
la Constitution (art. 3, 24, 26 et 27) et par l’affirmation « qu’en toutes circonstances, les
députés doivent faire prévaloir les intérêts publics dont ils ont la charge et que le respect de ce
principe est l’une des conditions essentielles de la confiance des citoyens dans l’action de
leurs représentants à l’Assemblée nationale ». Il en est alors déduit que « les députés ont le
devoir de respecter l’intérêt général, les principes d’indépendance, d’objectivité, de
responsabilité, de probité et d’exemplarité et s’engagent à respecter ces principes énoncés
dans le présent code ». Suivent alors six articles reprenant le titre des six principes ainsi
dégagés.
Parmi les interrogations que peut susciter un tel texte figure évidemment et au premier
chef celle de la forme retenue par le Bureau de l’Assemblée nationale. Il peut en effet paraître
surprenant que la représentation nationale ait choisi, comme n’importe quelle autre
organisation, la forme d’un code de déontologie, typique d’un droit que la doctrine
continentale a qualifié de mou et ce, sans même fournir d’éléments permettant de comprendre
ce choix. En effet, sauf à imaginer qu’une loi en ce domaine ne serait pas pertinente8 ou que
l’Assemblée nationale, parce qu’elle est en fin de législature, ne se perçoive pas comme une
représentation suffisante de la Nation pour légiférer sur une telle question, on pourra avoir
quelque difficulté à comprendre pourquoi une forme si commune et si peu sûre juridiquement
a été retenue. Ce choix pouvant paraître d’ailleurs d’autant plus difficile à comprendre que ce
code ne rentrera en vigueur que lors de la prochaine législature et qu’il ne semble pas prévu,
pour l’heure, de l’intégrer au Règlement de l’Assemblée nationale.
S’agissant à présent du premier principe, à savoir l’intérêt général, il semble possible
de s’interroger sur la rédaction retenue pour le traiter. En effet, l’article premier du code de
déontologie indique que « Les députés doivent agir dans le seul intérêt de la nation et des
citoyens qu’ils représentent, à l’exclusion de toute satisfaction d’un intérêt privé ou de
l’obtention d’un bénéfice financier ou matériel pour eux-mêmes ou leurs proches ». Trois
questions peuvent à ce niveau être soulevées. La première est relative au problème épineux et
classique de savoir si les députés représentent la Nation ou les citoyens actuels : la
formulation choisie ne tranche pas la question et une ambiguïté semble donc apparaître à ce
niveau. La deuxième, plus problématique, provient du fait que certains travaux économiques,
en particulier ceux relevant de l’école du Public Choice, suggèrent de considérer les députés
comme tous les autres agents économiques, même lorsqu’ils agissent légalement, et donc de
considérer qu’à ce titre ils visent d’abord à maximiser leur utilité. Il pourrait donc sembler
difficile voire ingénu, si l’on suit cette analyse, d’attendre à la fois des députés qu’ils agissent
au mieux pour la Nation et, dans le même temps, qu’ils ne se soucient pas de leurs intérêts
8
Il faut toutefois rappeler que le Canada a choisi de légiférer sur ce sujet dès 2004 et que les recommandations
de l’association Transparence International dans son étude de 2010 préconisaient l’adoption d’un texte législatif.
2
financiers et matériels. La solution consisterait en l’espèce à trouver un système institutionnel
qui aligne les intérêts de la Nation avec ceux des députés, ou mieux encore qui ne sélectionne
comme députés que ceux dont les intérêts personnels suivent ceux de la Nation, ce qui est
évidemment extrêmement complexe. En outre, une troisième question pourrait se
poser concernant l’articulation entre cet article premier et le fait que de nombreux députés
disposent également d’un autre mandat local et peuvent, à ce titre, être tentés de faire jouer
leurs relations politiques (ou être soupçonnés de le faire) pour privilégier « leur territoire » 9
au détriment de l’intérêt général de la Nation. C’est le problème des conflits d’intérêts
opposant deux intérêts publics, l’un local et l’autre nationale.
L’article 2 porte sur l’indépendance et dispose que « En aucun cas, les députés ne
doivent se trouver dans une situation de dépendance à l’égard d’une personne morale ou
physique qui pourrait les détourner du respect de leurs devoirs tels qu’énoncés dans le présent
code ». La principale question soulevée par cet article porte évidemment sur ce qu’il convient
de comprendre par l’expression « situation de dépendance ». En effet, l’actualité récente
semble avoir démontré que les citoyens pouvaient considérer qu’il y avait une situation de
dépendance même lorsque de faibles montants financiers étaient en jeu. Par ailleurs, comment
ce principe s’articule-t-il avec la question du financement des campagnes électorales ? On
peut en effet se souvenir que la Commission nationale des comptes de campagne et des
financements politiques (CNCCFP) avait mis en exergue certaines des « lacunes et
imprécisions de la loi » quant au financement des partis politiques10, ou le phénomène des
« micro-partis » irriguant certains candidats ou partis politiques. Plus généralement, on peut
constater qu’il est extrêmement difficile pour le citoyen de savoir à quelle hauteur une
personne physique ou morale a réellement contribué au financement d’une campagne
électorale d’un candidat ou au budget de l’un des “vrais” partis politiques (c’est-à-dire à un
parti clairement identifié comme tel par l’ensemble des citoyens et dont l’existence est
pérenne11).
L’article 4, portant sur « la responsabilité », indique que « Les députés doivent rendre
compte de leurs décisions et de leurs actions aux citoyens qu’ils représentent. A cette fin, les
députés doivent agir de manière transparente dans l’exercice de leur mandat ». A ce niveau
encore se pose un problème de rédaction car si un principe de transparence est posé, rien n’est
dit quant à son degré, c’est-à-dire quant aux modalités pratiques que les députés doivent
mettre en œuvre pour l’assurer. On peut notamment songer ici aux rapports que peuvent
entretenir les députés avec les différents lobbys et au fait que certains d’entre eux leur mettent
à disposition des « propositions de lois clé en main ». Plus généralement, doit-on par exemple
envisager que cet article 4 invite tous les députés à expliciter le plus clairement possible et à
l’égard de l’ensemble des citoyens la chronologie des événements et rencontres, ainsi que
l’ensemble des éléments dont ils disposent et qui les ont conduit à faire une proposition de loi
ou à s’y associer ?
Enfin, l’article 5 traitant de « la probité » dispose que « Les députés ont le devoir de
faire connaître tout intérêt personnel qui pourrait interférer dans leur action publique et
prendre toute disposition pour résoudre un tel conflit d’intérêts au profit du seul intérêt
général ». Plusieurs points de cette rédaction peuvent à nouveau nourrir quelques
9
Les analyses de sciences politiques sont d’ailleurs particulièrement prolixes sur la notion de « fief électoral ».
Voir en particulier sur ce point le neuvième rapport d’activité de 2006, au Chapitre 1, le paragraphe B du point
3, disponible à l’adresse Internet suivante http://www.cnccfp.fr/index.php?art=754 .
11
Il existe en effet un phénomène consistant à créer des partis politiques ad hoc uniquement en vue d’une
élection.
10
3
interrogations. En effet, il semble tout d’abord qu’il revienne au député d’évaluer l’existence
(ou non) d’un éventuel conflit d’intérêt. Or, si une telle interprétation devait être retenue, elle
pourrait se révéler problématique pour le député puisqu’elle ne lui indique pas clairement, ni
même à partir d’exemples, ce qui peut être considéré par un tiers extérieur raisonnable comme
susceptible d’interférer avec son action publique. De plus comment le député doit-il
comprendre la notion d’ « intérêt personnel » ? Cela inclut-il ceux de sa parentèle ? Par
ailleurs, la rédaction retenue semble indiquer que c’est au député qu’il revient, le cas échéant,
de résoudre l’éventuel conflit d’intérêt, ce qui à nouveau n’est pas très sécurisant puisqu’il
doit être en mesure de trouver non seulement une solution à cette éventuel conflit, mais qui
plus est une solution proportionnelle à l’intensité de ce dernier.
Ces principes définis, le Bureau de l’Assemble nationale a souhaité établir un
dispositif permettant d’en assurer l’effectivité et donc visant à répondre à certaines des
questions que peut susciter la seule lecture du code de déontologie.
II] La décision du Bureau de l’Assemblée nationale relative au respect
du code de déontologie des députés
La décision du Bureau de l’Assemblée nationale du 6 avril 2011 vise à garantir tant à
l’égard des citoyens que des députés que les six principes contenus dans le code de
déontologie des députés seront effectifs dès le prochain renouvellement général de
l’Assemblée nationale. A ce titre, elle se compose de six articles : trois portant sur le
déontologue de l’Assemblée nationale, un sur « la déclaration d’intérêts, de voyages, de dons
et avantages », un autre sur les « manquements au code de déontologie », le dernier étant
relatif à l’entrée en vigueur de ces dispositions.
Les articles 1 et 2 instituent un « déontologue de l’Assemblée nationale » élu par les
trois cinquièmes des membres du Bureau12, sur proposition de son Président et avec l’accord
d’au moins un président d’un groupe d’opposition, pour un mandat non renouvelable
correspondant à la durée de la législature. Il ne peut être démis qu’en cas d’incapacité ou de
manquement à ses obligations selon une élection suivant les mêmes modalités que sa
nomination. Il est à noter qu’aucune autre condition que celle d’être une « personnalité
indépendante » n’est requise, ce qui peut sembler dommageable si l’on considère que
certaines compétences, notamment légales, devraient être demandées. Par ailleurs, rien
n’indique si cette mission du déontologue s’effectue à titre gracieux, s’il est défrayé (et le cas
échéant jusqu’à quel montant), ou bien encore s’il est rémunéré (et dans ce cas à quel niveau).
Il n’est pas non plus fait mention des moyens (en particulier humains) qui seront mis à sa
disposition pour l’accomplissement de sa mission.
L’article 3 définit les missions du déontologue de l’Assemblée nationale. Son premier
alinéa dispose que le déontologue « recueille les déclarations des députés mentionnées à
l’article 4 », est responsable de leur conservation, et ne les communique qu’au Bureau, par
l’intermédiaire du Président de l’Assemblée nationale, lorsque le Bureau analyse un cas
dénoncé par le déontologue de manquement au code de déontologie de la part d’un député. Le
12
On pourra s’interroger sur cette disposition puisque actuellement le Bureau de l’Assemblée nationale est
composé de 22 membres et donc que les trois cinquièmes représentent 13,2 membres. Il faudrait ainsi sans doute
compléter à ce niveau la règle en indiquant si l’on arrondi au nombre de membres inférieur (13) ou supérieur
(14).
4
deuxième alinéa, qui pourrait sembler souligner d’ors et déjà l’incomplétude de l’analyse du
déontologue, dispose que celui-ci « peut être saisi par tout député qui souhaite, pour son cas
personnel, le consulter sur le respect des principes énoncés dans le code de déontologie », ces
demandes et avis étant confidentiels sauf si le député désire les rendre publics. L’articulation
entre ces deux alinéas pourra en effet apparaître comme un aveu de la faiblesse de l’ensemble
du dispositif, car si la notion de conflit d’intérêts a été correctement appréhendée et si tous les
éléments susceptibles d’y participer sont remis au déontologue, on comprend difficilement
quels pourraient être les éléments que ce dernier aurait à analyser à la suite d’une saisine
reposant sur ce deuxième alinéa. Le troisième alinéa énonce que le déontologue devra
effectuer un rapport annuel public qu’il remettra au Président de l’Assemblée nationale et au
Bureau, dans lequel il rendra compte des conditions générales d’application des principes du
code de déontologie (« sans faire état d’éléments relatifs à un cas personnel ») et fera « toute
proposition aux fins d’améliorer le respect des principes énoncés dans le code de
déontologie ». Le quatrième et dernier alinéa dispose que « Hormis dans le cadre de la
communication mentionnée au premier alinéa, le déontologue de l’Assemblée nationale et ses
collaborateurs sont tenus au secret professionnel et ne peuvent faire état d’aucune information
recueillie dans l’exercice de leurs fonctions sous peine d’être poursuivis en application des
dispositions de l’article 226-13 du Code pénal, et, pour le déontologue de l’Assemblée
nationale, d’être démis de ses fonctions par le Bureau dans les conditions prévues à l’article
2 ». Trois difficultés doivent à ce niveau être soulignées. Premièrement, cet alinéa évoque la
notion de « collaborateurs » du déontologue, sans en préciser le nombre ni le statut.
Deuxièmement, en cas d’éléments de nature à constituer une infraction pénale, c’est-à-dire ici
principalement de corruption et de trafic d’influence (art. L 432-11 du Code pénal) et/ou de
prise illégale d’intérêts (art. L 432-12 du Code pénal), le déontologue et ses collaborateurs
seront dans l’obligation légale de dénoncer ces faits auprès du procureur de la République au
titre de l’article 40 du code de procédure pénale13. Enfin, troisièmement, même si le principe
de séparation des pouvoirs fonde juridiquement le fait que le Bureau puisse démettre le
déontologue dans un tel cas, il pourra malheureusement apparaître à certains citoyens que les
députés cherchent d’abord à « laver leur linge sale en famille », ce qui atteindrait de façon
dommageable l’effort de transparence et de respect de la déontologie auquel se livre de façon
permanente l’Assemblée nationale et risquerait de nourrir un certain antiparlementarisme.
L’article 4 traite de la « déclaration d’intérêts, de voyages, de dons et avantages » et se
compose de cinq alinéas.
Le premier alinéa est la pierre angulaire de cet article14 puisque simultanément : il
donne une définition de ce qu’est une situation de conflit d’intérêts en l’assimilant à « une
situation d’interférence entre les devoirs du député et un intérêt privé qui, par sa nature et son
intensité, peut raisonnablement être regardé comme pouvant influencer ou paraître influencer
l’exercice de ses fonctions parlementaires », assujettit les députés dans les trente jours suivant
leur élection à déclarer au déontologue « leurs intérêts personnels, ainsi que ceux de leurs
ascendants ou descendants directs, de leur conjoint, de leur concubin ou partenaire de pacte
civile de solidarité, de nature à les placer en situation de conflit d’intérêts », et leur demande
« d’apprécier la nécessité de déclarer tout intérêt d’une personne dont ils sont proches et qui
13
Le deuxième alinéa de cet article dispose en effet que « Toute autorité constituée, tout officier public ou
fonctionnaire qui, dans l'exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d'un crime ou d'un délit est tenu d'en
donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements,
procès-verbaux et actes qui y sont relatifs ».
14
Il est donc regrettable que le formulaire nécessaire à l’application de cet alinéa ne soit pas disponible sur le site
Internet de l’Assemblée nationale.
5
serait de nature à les placer dans une telle situation ». Concernant la définition d’une situation
de conflit d’intérêts, le Bureau de l’Assemblée nationale a souhaité seulement retenir
l’hypothèse d’un conflit entre les devoirs du député et un intérêt privé, choix qui pourra
sembler limité15, en particulier si l’on songe aux conflits qui peuvent exister entre l’intérêt de
la Nation et les intérêts locaux auxquels peuvent notamment être soumis les députés ayant
également un mandat local. De plus, la précision selon laquelle le conflit entre les devoirs
d’un député et un intérêt privé doit être évalué selon la nature et l’intensité de ce dernier, ne
paraît pas garantir une très forte sécurité juridique au député, ni correspondre totalement aux
aspirations d’une partie des citoyens, ce qui conduit à s’interroger sur l’utilité de cette
rédaction. Enfin, si la rédaction consistant à inclure tous les membres de la parentèle ainsi que
les partenaires de vie répond clairement aux interrogations qui auraient pu être soulevées à la
lecture du code de déontologie, celle ayant trait à « toute personne dont ils sont proches »
pourra sembler particulièrement floue et laisser place à toutes les supputations possibles
concernant les personnes entrant dans cette catégorie (ami(e), amant, maîtresse, etc.).
Le deuxième alinéa précise que les députés « doivent déclarer, dans les mêmes
conditions et sans délai, toute modification substantielle de leur situation ou celle de l’un de
leurs ascendants ou descendants directs, de leur conjoint, de leur concubin ou partenaire de
pacte civile de solidarité ». La principale question pouvant surgir à ce niveau étant
évidemment ce qu’il convient d’entendre par « modification substantielle », car aucun
élément ne permet de savoir si, concernant par exemple l’aspect financier, l’adjectif doit être
compris au sens relatif (par exemple une modification de 20%) ou au sens absolu (par
exemple une modification supérieure à 1000 euros). Imprécision qui pourrait toutefois être
partiellement résolue par la lecture du troisième et du quatrième alinéas qui disposent
successivement que les députés « doivent déclarer au déontologue de l’Assemblée nationale
tout don ou avantage d’une valeur supérieure à 150 euros dont ils ont bénéficié » et qu’ils
« doivent déclarer au déontologue de l’Assemblée nationale tout voyage accompli à
l’invitation totale, ou partielle, d’une personne morale ou physique ». En effet, en procédant à
une lecture téléologique, il semble qu’il serait possible de déduire que le deuxième alinéa
doive s’interpréter en terme absolu, même si la question du quantum demeure.
Le cinquième et dernier alinéa dispose que « le refus de procéder aux déclarations
prévues au présent article ou le fait de procéder à une déclaration fausse ou incomplète est
constitutif d’un manquement au sens de l’article 5 », et renvoie à l’inévitable question de la
sanction en cas de manquement aux obligations découlant du code de déontologie.
L’article 5 traite des « manquements au code de déontologie » et sera très
probablement le premier article auquel les députés mais aussi les citoyens, par un mécanisme
d’induction à rebours, s’intéresseront. En effet, la théorie juridique comme la théorie
économique soulignent depuis longtemps le fait que si l’infraction conduit le fautif à gagner
plus qu’il ne perd, aucune dissuasion rationnelle ne sera possible et qu’il ne restera dès lors
plus qu’à espérer du côté de la morale et de l’éthique pour éviter de tels comportements. La
rédaction de cet article se décompose en deux parties puisque les deux premiers alinéas
portent sur la procédure et le second sur la sanction.
15
La définition donnée par le Conseil de l’Europe évoque ainsi la notion d’ « intérêt personnel », celle de l’AMF
traite d’un « intérêt secondaire », et le Professeur Yves Mény lors de son audition par le groupe de travail de
l’Assemblée nationale a avancé l’idée qu’il y a conflit d’intérêts dès que le sacrifice d’un intérêt est nécessaire
pour en garantir un autre.
6
Le premier alinéa dispose ainsi que : « Lorsqu’il constate un manquement aux
principes énoncés dans le code de déontologie, le déontologue en informe le député concerné
ainsi que le Président de l’Assemblée nationale. Il fait au député toutes préconisations
nécessaires pour lui permettre de se conformer à ses devoirs. Si le député conteste avoir
manqué à ses devoirs ou estime ne pas devoir suivre les préconisations du déontologue, le
déontologue de l’Assemblée nationale saisit le Président de l’Assemblée nationale, qui doit
alors saisir le Bureau afin que celui-ci statue, dans les deux mois, sur ce manquement. Cette
saisine n’est pas rendue publique » et le deuxième alinéa précise que « Le Bureau peut
entendre le député concerné. Cette audition est de droit à la demande du député ». Trois
questions semblent alors pouvoir être soulevées. Premièrement, si le manquement constaté par
le déontologue a déjà conduit à des conséquences dommageables pour les intérêts de la
Nation, rien ne semble être prévu en réparation de ces dernières ; la procédure ne semble donc
traiter efficacement que de trois cas : les manquements potentiels, ceux qui n’auraient pas
encore eu de conséquence, ou encore pour éviter une sorte de récidive. Deuxièmement, rien
n’encadre la mission du déontologue et en particulier il ne lui est pas demandé de respecter le
principe de proportionnalité dans ses préconisations. Enfin, il pourra paraître surprenant au vu
du principe du contradictoire que le Bureau, lorsqu’il est saisi, n’entende pas
systématiquement le député concerné (ou un autre député qui aurait été chargé par ce dernier
de le représenter), en particulier si le député n’a déposé aucun écrit devant le Bureau pour
faire valoir ses arguments.
Pour finir, le troisième alinéa dispose que « si le Bureau conclut à l’existence d’un
manquement, il rend publique ses conclusions. Il en informe le député qui doit prendre toutes
dispositions pour se conformer à ses devoirs ». Cette rédaction, comme d’ailleurs la notion de
conflit d’intérêts et celle de code de déontologie, pourra paraître typique de ce que les anglosaxons nomment Blame and Shame (Blâmer et faire honte), c’est-à-dire de livrer à
l’appréciation du public le manquement reproché, en l’occurrence à un député, par ses pairs.
Deux points pourraient être soulignés ici. Tout d’abord, il pourrait être soutenu que ce type de
sanction n’est pas dans notre tradition juridique, comme en témoignent aussi bien les peines
d’inéligibilité16 que l’existence de la Cour de justice de la République pour les membres de
l’exécutif. Ensuite, il pourrait être souligné que la seule réelle conséquence d’une diffusion
publique d’un manquement pourrait être, qu’au terme de son mandat, le député ne soit pas
réélu, s’il décide de se représenter. Un calcul et un arbitrage pourrait dès lors être effectués
par un député peu scrupuleux et/ou en fin de « carrière politique » (un député étant élu en
moyenne sept ans et demi) qui consisterait à user, pour la suite de son mandat, d’autant plus
du conflit d’intérêts qu’il sait qu’il ne se représentera pas ou qu’il ne pourra pas être réélu. Le
problème est d’autant moins improbable qu’il semble que les principales sources de conflits
d’intérêts qui touchent les députés renvoient en fait institutionnellement, sauf quelques cas
particuliers, aux questions liées au statut de l’élu, à l’évaluation de ses activités et à sa
rémunération.
Au final, si l’on partage certaines des interrogations qui viennent d’être soulevées tant
à propos du code de déontologie que de la décision du Bureau de l’Assemblée nationale, il
pourrait apparaître que l’Assemblée nationale en voulant répondre trop rapidement aux
soupçons et aux critiques d’une partie de la population, qui dans la quasi-totalité des cas sont
infondés et injustes, n’ouvre en fait une boîte de Pandore juridique et institutionnelle et
fournisse quelques arguments de plus à des populismes dangereux.
16
Il semblerait en effet difficile de soutenir que l’existence d’une telle peine ne provienne pas de la méfiance du
législateur à l’égard du possible vote des citoyens pour des candidats ayant été condamnés judiciairement.
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