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CHAMBRE NATIONALE DE DISCIPLINE
AUPRES DU CONSEIL SUPERIEUR DE L’ORDRE DES EXPERTS-COMPTABLES
AUDIENCE PUBLIQUE DU 14 FEVRIER 2014
LECTURE PUBLIQUE DU 14 FEVRIER 2014
APPEL N° 698 bis
Conseil régional de l’Ordre des experts-comptables d’Auvergne /
L’expert-comptable
Le 14 février 2014, la Chambre nationale de discipline auprès du Conseil supérieur de l’Ordre
des experts-comptables s’est réunie ainsi composée lors des débats, de l’audience publique
et du délibéré, tenus au siège du Conseil supérieur de l’Ordre des experts-comptables :
-
M. Jean BARTHOLIN, Président de Chambre à la Cour d’appel de Paris, Président de la
Chambre nationale de discipline,
-
Mme Marie-Pierre SARRAILH, Fonctionnaire du ministère de l’Economie et des
Finances, et M. Jacques CHABRUN, Conseiller maître honoraire à la Cour des
Comptes, membres désignés par le ministre de l’Economie et des Finances,
-
M. Jean-Marc JAUMOUILLE et Mme Isabelle SIAUX, experts-comptables, membres
désignés par le Conseil supérieur de l’Ordre des experts-comptables,
Tous désignés en application de l’article 50 de l’ordonnance n°45-2138 du 19 septembre
1945.
En présence, lors des débats publics, de M. Christophe BAULINET, commissaire du
Gouvernement près le Conseil supérieur de l’Ordre des experts-comptables, de M. Lionel
TESSON, expert-comptable, chargé de la lecture du rapport, et de Mme M., permanente du
Conseil supérieur de l’Ordre des experts-comptables, chargée du secrétariat de la chambre.
Rappel de la procédure :
Par courrier en date du 17 novembre 2011, le Président du conseil régional de l’Ordre des
experts-comptables d’Auvergne a saisi le Président de la chambre régionale de discipline
d’Auvergne pour des manquements aux articles 4, 5 et 27 du code de déontologie porté par
décret du 27 septembre 2007 à l’encontre de l’expert-comptable.
Par décision publique rendue le 5 avril 2013, la chambre régionale de discipline d’Auvergne a
prononcé la sanction de radiation du tableau de l’Ordre à l’encontre de l’expert-comptable.
Par courrier en date du 26 avril 2013, l’expert-comptable a interjeté appel devant la
chambre nationale de discipline de la décision rendue le 5 avril 2013 par la chambre
régionale de discipline d’Auvergne.
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Par courrier en date du 17 mai 2013, le commissaire du Gouvernement près le conseil
régional de l’Ordre des experts-comptables d’Auvergne a interjeté appel incident de la
décision susvisée.
Par courrier recommandé avec avis de réception en date du 25 juillet 2013, le Président de la
Chambre a désigné M. Pierre PREJEAN en qualité de rapporteur, lequel a déposé son rapport
le 25 octobre 2013.
Par courriers recommandés avec avis de réception en date du 6 janvier 2014, le Président de
la Chambre a cité le Président du conseil régional de l’Ordre des experts-comptables
d’Auvergne et l’expert-comptable à comparaître devant la Chambre nationale de discipline à
l’audience du 14 février 2014, et les a informés que le dossier de l’appel, contenant
notamment le rapport du rapporteur, pouvait être consulté au secrétariat de la Chambre à
compter du 13 janvier 2014, conformément à l’article 184 du décret du 30 mars 2012.
L’expert-comptable, Président du conseil régional de l’Ordre des experts-comptables
d’Auvergne, a exercé son droit de consultation du dossier de procédure le 23 janvier 2014.
Le commissaire du Gouvernement près le Conseil supérieur de l’Ordre des expertscomptables a rédigé des observations écrites qui ont été communiquées aux parties par
courrier recommandé avec avis de réception en date du 3 février 2014.
Déroulement des débats :
Après lecture du rapport de M. Pierre PREJEAN, rapporteur, par M. Lionel TESSON ; après
avoir entendu Me Eric PLANCHAT, avocat de l’expert-comptable, et l’expert-comptable,
lequel a eu la parole en dernier.
Les parties ayant été averties que la décision serait lue le jour même à l'issue du délibéré, et
mise à leur disposition au secrétariat de la Chambre à compter du 14 février à 15 heures.
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Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés
fondamentales ;
Vu l’ordonnance n° 45-2138 du 19 septembre 1945 ;
Vu le décret n°45-2370 du 15 octobre 1945, le décret n°70-147 du 19 février 1970, le décret
n°2007-1387 du 27 septembre 2007 abrogés et remplacés par le décret n°2012-432 du 30
mars 2012, relatif à l’exercice de l’activité d’expertise comptable ;
Vu l’arrêté du 6 juin 2008 abrogé et remplacé par l’arrêté du 3 mai 2012, portant agrément
du Règlement intérieur de l’Ordre des experts-comptables ;
Vu les pièces du dossier ;
Après en avoir délibéré en la présence de ses seuls membres, et à l'exclusion du rapporteur ;
Décision :
Le 17 novembre 2011, par une délibération unanime, le conseil régional de l'ordre
des experts-comptables d’Auvergne saisissait de poursuites disciplinaires la chambre
régionale de discipline à l'encontre de l’expert-comptable.
Il retenait notamment à la charge de l'intéressé l'existence de redressements fiscaux
« portant sur des montants très significatifs » et de n'avoir pas informé le conseil régional de
ce qu'il avait été assigné en paiement par l'URSSAF devant le tribunal de commence. A la
suite de cette assignation, le 6 mai 2011, la présidente du tribunal de commerce de
MONTLUCON avait ordonné une enquête pour recueillir tout renseignement sur la situation
financière, économique et sociale de la SARL « C » dont l’expert-comptable était le gérant à
la suite d'une assignation de l'URSSAF.
Le 14 juin 2011, un juge enquêteur du tribunal de commerce avait déposé son
rapport dans lequel il indiquait que la société avait « été sans doute en grande difficulté de
trésorerie voir de cessation de paiement en 2008/2009 » mais que ce devait ne plus être le
cas au moment de son contrôle dans la mesure où des décisions avaient été prises pour
« mise en place de certaines économies » et qu'une « amélioration était en vue afin de
solder les retards de paiement des dettes ».
Les conclusions du juge commissaire avait été les suivantes :
« • La société a vécu plusieurs événements perturbants au cours des trois ou quatre dernières
années entre ses différents établissements avec des difficultés de personnel correspondantes.
• La crise a eu son impact sur la société même avec retardement. Les pertes sur créances
clients en montrent l'importance.
• Les points critiques de la société sont d'une part l'importance du poste clients et le suivi de
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la récupération de ces créances et d'autre part les charges inadéquates avec le chiffre
d'affaires.
• La prise de conscience de la situation de la société par le dirigeant a à mon avis été tardive
et montre un certain laxisme passé. Les dépenses liées au dirigeant peuvent laisser croire
qu'il n'a pas effectué suffisamment de contrôle de sa gestion et que la société n'a pu
supporter des dépenses au-dessus de ses moyens. Les décisions montrent toutefois une
volonté de remettre les choses en bon ordre afin de rendre la situation pérenne et conforme à
ce que l'on peut attendre d'un cabinet d'expertise comptable.
• A ce sujet j'aimerais préciser que les locaux vétustés et le classement non ordonné apparent
donnent une image non homogène avec l'image d'un cabinet d'expertise comptable.
• La société a eu des difficultés certaines et a sans doute frôlé une situation persistante de
cessation de paiement il y trois ans. Dans l'état actuel des choses elle n'est pas en état de
cessation de paiement
• Toutefois les engagements pris par le dirigeant au niveau des processus clients en
particulier et des économies à réaliser doivent faire l'objet d'une attention particulière pour
s'assurer de la pérennité de l'activité ».
Le 2 décembre 2011, le directeur régional des services fiscaux informait le conseil
régional, lequel transmettait l'information à la chambre régionale de discipline, qu'une
vérification fiscale de l'EURL C. EC avait mis en évidence pour la période du 1er janvier 2008
au 31 décembre 2009 « des déclarations de taxe sur le chiffre d'affaires qui se sont avérées
fortement minorées, à raison d'une part de la dissimulation d'une partie importante du
chiffre d'affaires imposable alors que les recettes effectivement réalisées ressortaient
clairement de la comptabilité et d'autre part à raison de la déduction abusive de la TVA
afférente à des charges non justifiées ».
Le courrier mentionnait qu'un précédent contrôle avait donné lieu à des rappels de
même nature.
Le directeur régional des services fiscaux joignait à son envoi un rapport de synthèse
d'une enquête de police transmis par le procureur de la République en date du 6 mars 2011
ayant mis en exergue depuis 2008 des prélèvements importants sous la forme de virements
nombreux de règlements de clients sur son compte courant alors que parallèlement la
société « n'était pas en capacité d'honorer ses dettes les plus exigibles ».
L'instruction de la plainte permettait d'apprendre du directeur régional des finances
publiques que l'EURL C. EC avait fait l'objet en réalité de trois contrôles fiscaux.
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Une première vérification de comptabilité portant sur les exercices du 01/10/1996 au
30/09/1999 avait donné lieu à des rappels de TVA de 19.3516 € assortis d'une majoration de
40% pour manquement délibéré ; elle avait été suivie d'un contrôle sur pièces portant sur les
mois d'octobre et décembre 1999 ainsi que sur les mois de février à mai 2000 conclu par une
taxation d'office de TVA dont les rappels en droits (16.529€) avaient été assortis d'une
majoration de 40% pour défaut de dépôt de déclaration. Les droits avaient été
postérieurement acquittés.
Une deuxième vérification de comptabilité portant sur les exercices 2004 à 2006 avait
révélé des insuffisances non seulement en matière de TVA mais également en matière
d'impôt sur les sociétés. Les droits rappelés en matière de TVA d'un montant de 37.011€
avaient à nouveau été assortis d'une majoration de 40% pour manquement délibéré. En
matière d'impôt sur les sociétés, les rappels s'élevaient à 17.289€.
Le 24 septembre 2013, la cour administrative d'appel déchargeait l'EURL C. EC des
rappels de TVA à hauteur de 13.886 € ainsi que des pénalités y afférentes au motif qu'en
l'absence de remise en cause de la sincérité de la comptabilité, l'administration fiscale ne
pouvait pas recourir à des tests de cohérence pour apporter la preuve de l'insuffisance de
déclaration de TVA.
Une troisième vérification de comptabilité portant sur les exercices 2007 à 2009
révélait une fois encore l'existence d'insuffisances déclaratives en matière de TVA : 15% du
chiffre d'affaires non déclaré en 2008 et en 2009, ayant abouti à minorer le montant de la
TVA à payer de 72% en 2008 et de 78% en 2009, soit au total 77.405€.
Le 28 janvier 2014, la cour administrative d'appel déchargeait l'EURL C. EC des
rappels de TVA à hauteur de 17.133 € ainsi que des pénalités y afférentes pour des raisons
identiques à celles retenues dans sa décision du 24 septembre 2013.
Le 5 avril 2013, la chambre régionale de discipline, tout en tenant compte des deux
recours pendant devant la cour administrative d'appel de LYON retenait « les manquements
relevés » et après avoir considéré « que ces manquements réitérés revêtent un caractère
délibéré et présente une gravité exceptionnelle » et qu'il caractérisait des fautes
disciplinaires, au regard des articles 4, 5 et 27 du code de déontologie, prononçait la
radiation du tableau comportant interdiction définitive d'exercer la profession à l'encontre
de l’expert-comptable.
L'intéressé relevait appel de cette décision dans les délais légaux.
Le 24 septembre 2013, lorsqu'il était entendu par le rapporteur désigné par le
président de la chambre nationale de discipline, le conseil de l’expert-comptable contestait
le rôle joué par le commissaire du gouvernement auprès de la chambre régionale de
discipline, mettait en avant les montants du redressement fiscal jugés par lui « peu
significatifs » et critiquait son renvoi devant le tribunal correctionnel de Montluçon devant
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qui il devait comparaître le 8 octobre suivant.
Le 19 novembre 2013, le tribunal correctionnel déclarait l’expert-comptable
coupable des délits d'abus de biens sociaux et de fraude fiscale et le condamnait à la peine
d'un an de prison avec sursis.
L'intéressé a relevé appel de cette condamnation.
Dans un document intitulé « note de synthèse », l’expert-comptable reprend ses
griefs concernant l'intervention du directeur régional des services fiscaux en qualité de
commissaire du gouvernement auprès de la chambre régionale de discipline au motif que
cette présence contreviendrait à l'exigence du procès équitable au sens de l'article 6 de la
CEDH et contreviendrait également à l'article 50 de la charte des droits fondamentaux de
l'Union Européenne selon lequel « nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement en raison
d'une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné dans l'Union par un
jugement définitif conformément à la loi ». Il maintenait également ses réserves concernant
les redressements dont il avait été l'objet.
Le commissaire du gouvernement a conclu à la confirmation de la radiation.
SUR CE LA CHAMBRE NATIONALE DE DISCIPLINE
Concernant les atteintes supposées aux exigences du procès équitable et à la
règle « non bis in idem »
Considérant qu'aux termes des articles 56 et suivants de l’ordonnance du 19
septembre 1945, le commissaire du gouvernement « assiste » aux séances des chambre
régionale et nationale de discipline ; que cette présence trouve son origine dans la tutelle
des pouvoirs publics sur l'ordre des experts-comptables exercée par le ministre chargé de
l'économie que le commissaire du gouvernement représente ; que le commissaire du
gouvernement n'est pas membre des instances disciplinaires et ne participe pas à ses
délibérés ; que ses pouvoirs sont limitativement énumérés par la loi et n'ont pas pour effet
de lui accorder une position dominante dans la procédure et de lui permettre d'exercer une
influence importante sur l'appréciation des juges, même lorsqu'il est à l'origine des
poursuites disciplinaires et que celles-ci trouvent leur cause dans des insuffisances fiscales ;
qu'en effet la personne poursuivie a un accès complet à la procédure et dispose du droit de
solliciter des investigations auprès du rapporteur lequel doit l'entendre ou la mettre en
mesure de faire connaître ses explications ; que le moyen tiré de la violation de l'article 6 § 1
de la CEDH sera par conséquent écarté ;
Considérant que si le principe « non bis idem » est consacré par l'article 4 du
protocole n°7 de la Convention européenne des Droits de l'Homme, le paragraphe 7 de
l'article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966
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et l'article 50 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union Européenne, ce principe n'est
applicable qu'en matière pénale et n'interdit pas le cumul des poursuites et des sanctions
pénales et disciplinaires ou pénales et fiscales ; que pour cette raison le second moyen sera
lui aussi écarté ;
Concernant les manquements imputables à l’expert-comptable
Considérant que même en prenant compte la réduction des redressements notifiés à
l’expert-comptable ordonnée par les deux décisions de la cour administrative d'appel de
LYON, le montant des soustractions volontaires à l'impôt reste significatif ; que le caractère
délibéré de ces manquements est avéré par les majorations fiscales prononcées ; qu'ils se
sont prolongés sur une très longue période puisque sont concernés les exercices 1996 à
1999, 2004 à 2006 et 2007 à 2009 ;
Considérant encore que sur la période 2008-2010, notamment, l’expert-comptable
s'est accordé une rémunération en abondant son compte courant en totale disproportion
avec les capacités financières du cabinet, et alors que selon l'enquête ordonnée par le
tribunal de commerce, pendant la même période les résultats étaient très faibles, qu'il
existait une insuffisance de trésorerie telle que l'entreprise était en état de cessation de
paiement en raison notamment de dettes exigibles envers l'administration fiscale et
l'URSSAF ; que contrairement à ce que soutient l’expert-comptable, selon qui, ces
prélèvements n'avaient jamais eu pour effet de rendre son compte courant débiteur, les
enquêteurs avaient relevé que le solde de ce compte était devenu débiteur à plusieurs
reprises ;
Considérant qu'en agissant dans ces conditions et en dissimulant l'assignation de
l'URSSAF à son président de conseil régional, l’expert-comptable a contrevenu gravement
aux dispositions des articles 4, 5 et 27 du code de déontologie des professionnels de
l'expertise comptable du 27 septembre 2007 et reprises aux articles 144, 145 et 167 du
décret du 30 mars 2012 ; que ces manquements répétés de la part d'un professionnel du
chiffre exigent une sanction importante qui, si elle ne doit pas aller jusqu'à la radiation, doit
être une suspension pour une durée de trois ans ;
PAR CES MOTIFS
INFIRME la décision prononcée par la chambre régionale d’Auvergne le 5 avril 2013,
PRONONCE la sanction de suspension pour une durée de trois ans.
DIT que la présente décision sera régulièrement notifiée à M. le Président du Conseil
régional de l’Ordre des experts-comptables d’Auvergne, à M. le commissaire du
Gouvernement près le Conseil supérieur de l’Ordre des experts-comptables, à M. le
commissaire du Gouvernement près le Conseil régional de l’Ordre des experts-comptables
d’Auvergne, à l’expert-comptable et son avocat Me Eric PLANCHAT.
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Fait et délibéré à Paris, le 14 février 2014
Lecture en audience publique, le 14 février 2014
A. M.
J. BARTHOLIN
Conseil supérieur de l’Ordre des experts-comptables
Président de la Chambre nationale
de discipline des expertscomptables
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