Yann Delacour

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Yann Delacour
Yann Delacour
, par Portraits
Discrètes origines
Le parcours de Yann Delacour progresse dans le sens d’un allègement. Formé très jeune au dessin dans
les ateliers de la ville de Paris, en sculpture à l’ENSBA, et en fonderie chez Coubertin, les premiers
travaux de Yann Delacour s’apparentent à première vue à de la sculpture classique, dans une tradition
animalière.
Et cependant. Ces formes en céramique, si elles évoquent évidemment des reptiles, des animaux
archaïques qui n’existent peut-être presque plus, fossiles vivants d’ères très anciennes, figurent des êtres
difficilement identifiables. Le matériau lui-même est trompeur : ce qui semble être du bronze est une
céramique, et l’artiste a soigneusement recouvert la carapace de boulettes d’argile, accentuant l’effet de
carapace et de recouvrement d’une forme qui se donne en se dissimulant.Ces sculptures montrent en fait
des animaux qui se cachent, des enveloppes d’animaux – et le geste du sculpteur tend alors au paradoxe.
La sculpture qui d’ordinaire occupe l’espace, crée des formes réelles, en volume, et non des images,
semble ici donner à voir des êtres qui cherchent à disparaître, à se mettre en retrait – avec peut être leur
créateur. Ce geste paradoxal est au cœur d’une partie du travail de Yann Delacour.
De ce vide central, Yann Delacour fait avancer son travail
selon plusieurs axes. Ceux-ci, et cette progression même, créent une figure d’artiste qui serait plutôt un
chercheur, explorant des pistes, jouant avec, pour un art informé par une réflexion de type intellectuel
(nul spontanéisme du geste chez Yann Delacour), mais qui échappe tout à fait à l’art conceptuel ou au
duchampisme. Partant du vide, une série de travaux portent en apparence sur l’absence, la trace, la
disparition, une autre travaille le multiple par opposition à l’unique, la production, éventuellement
sérielle, une autre approche la figure humaine, le corps et le portrait, après l’animal. Toutes signalent un
effacement du geste artistique, et attendent de l’œil du spectateur qu’il achève les œuvres en s’y frottant.
Cafard et playmobils
La sortie du vide se fait par le retour de la bestiole, et l’utilisation de nouveaux média. C’est une
caractéristique de la recherche de Delacour que de se déployer d’une façon surprenante sur des supports
différents : sculpture, photographie, installations, photo d’installation. Les Cafards, tirés d’un livre
d’entomologie, petites céramiques dégoûtantes et envahissantes de deux centimètres de long, ont été
disposés dans plusieurs installations, salle de bain familiale, hôtel, photographiés par l’artiste, par les
usagers de la chambre, photographies exposées ensuite pour faire croire à une invasion dans une cage
d’ascenseur… Les cafards reprennent la thématique animalière mais la croisent avec un désir d’introduire
l’art dans l’espace public pour le perturber et le renvoyer à ce que cet espace aime exclure, d’exotiques
étrangers par exemple, ou ce qui remonte des profondeurs.
La fabrication des cafards, selon un moule, en série, fait aussi de l’artiste un producteur. Le geste acquiert
un automatisme qui n’est plus celui du savoir-faire fabuleux ou du génie. La découverte à cette occasion
de la photographie, qui capture de façon mécanique, geste minimal qui rompt avec la mythologie du
sculpteur en prise avec son bloc de pierre, va dans le même sens d’un allègement et d’une libération.
Cette énergie libérée peut alors être réinvestie dans une action au sein de l’espace public et y créer du
jeu, au deux sens du terme.
La photographie comme trace d’une action artistique nouvelle, sans institution, sans œuvre, sans
spectateurs au sens kantien du terme, et sans auteur au sens d’une production générative pensée sur le
modèle de la création divine ou de l’enfantement ? Apologie d’une « valeur d’usage » de l’art ?
Il est très intéressant à mon sens que le travail de Yann Delacour soit traversé de ces questions très
contemporaines qui concernent à la fois le marché de l’art et notre système économique et social qui
cumule libéralisme économique et normalisation des comportements, questions que théorise par exemple
Stephen Wright et la Biennale de Paris. Ces analyses permettent d’éclairer par exemple la figure d’artiste
discret, qu’est Yann Delacour qui ne se dit même plus « artiste », ainsi que son rapprochement avec les
Jeunes Entrepreneurs visant à faire se rencontrer mondes artistique et entrepreneurial. Ces perspectives
permettent aussi de désigner une fonction émergente de l’art au début du 21ème siècle – l’artiste infiltré
dans l’économie, en embuscade comme le soldat yankee, acteur de l’économie sans entrer pour autant
dans son jeu, changeant les règles de l’intérieur.