les populations aborigènes
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les populations aborigènes
BUREAU INTERNATIONAL DU TRAVADL LES POPULATIONS ABORIGÈNES Conditions de vie et de travail des populations autochtones des pays indépendants GENÈVE 1953 ÉTUDES ET DOCUMENTS Nouvelle série, n° 35 IMPRIMERIE DE «LA TRIBUNE DE GENÈVE», GENÈVE, SUISSE PEÉFACE Cet ouvrage a pour but d'exposer les principaux aspects économiques et sociaux du problème indigène tel qu'il se présente dans les pays indépendants et d'indiquer l'objet, la portée et les résultats de l'action entreprise sur le plan national et international en vue de faire participer les populations aborigènes à la vie économique de chaque pays et d'améliorer ainsi leurs conditions de vie et de travail. Un examen attentif de la situation permet de saisir d'emblée, dans les aspects et les répercussions du problème indigène, d'appréciables différences de pays à pays, imputables à des facteurs historiques et culturels et à des conditions géographiques et économiques tantôt favorables, tantôt contraires au dépassement du niveau de vie dont s'accompagne l'économie de subsistance. Cependant, quelques traits semblent être communs à tous les peuples aborigènes, même si certains de ces peuples ont connu, au cours de leur histoire, des périodes de grand progrès social, économique et culturel qui les distinguent des populations plus primitives. Parmi ces traits, il convient de signaler particulièrement l'isolement géographique, les barrières culturelles — surtout d'ordre linguistique —, un net retard du développement économique par rapport au reste de la population nationale, une conception mythique de l'organisation sociale et de l'activité économique, l'insuffisance des possibilités offertes à l'individu et la survivance de systèmes anachroniques de relations économiques et d'occupation de la terre, qui empêchent les aborigènes de développer leur capacité de production et de consommation et contribuent à les maintenir dans une situation sociale défavorisée. Complétant heureusement les efforts accomplis par les gouvernements, l'action des organisations internationales s'étend à l'heure actuelle à l'ensemble du monde. C'est ainsi, par exemple, que la Commission d'experts pour le travail des aborigènes de l'Organisation internationale du Travail a recommandé en 1951 — en même temps qu'elle formulait un programme universel d'action en faveur des populations autochtones des pays indépendants — que les Nations Unies IV LES POPULATIONS ABORIGÈNES et les institutions spécialisées compétentes unissent leurs efforts et leurs ressources et entreprennent en commun une action pratique susceptible d'une vaste application régionale et internationale. L'assistance technique internationale aux populations aborigènes commence d'ores et déjà à se coordonner. Une mission commune envoyée dans les hauts plateaux des Andes par les Nations Unies, l'Organisation internationale du Travail, l'Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture, l'Organisation pour l'alimentation et l'agriculture et l'Organisation mondiale de la santé, en collaboration avec l'Organisation des Etats américains, a donné corps, sous la forme d'un plan de caractère pratique, aux principes généraux du programme d'action en faveur des aborigènes formulé par l'Organisation internationale du Travail. Cet effort international concerté permet d'affecter les meilleures ressources humaines et économiques à la solution du problème indigène sous tous ses aspects ; il est donc important que s'affirme cette collaboration entre les différentes organisations intéressées, car, des résultats de l'assistance technique internationale prêtée aux aborigènes des Andes, il sera possible de tirer d'utiles leçons en vue d'une action analogue dans d'autres parties du monde. La collaboration sans réserve apportée par toutes les institutions internationales à l'Organisation internationale du Travail, aussi bien dans la réalisation du programme d'assistance technique aux populations aborigènes des hauts plateaux des Andes que dans la préparation du présent volume, sera un puissant stimulant pour l'action sociale et économique entreprise en vue de résoudre le problème indigène. L'ampleur du sujet traité ici et la rareté des documents dignes de foi concernant les groupes de population dits aborigènes imposaient à un tel ouvrage des limites impossibles à franchir. Malgré des insuffisances pleinement reconnues, il faut espérer que ce livre pourra être de quelque utilité à tous ceux qui estiment que la compréhension du problème posé par les populations aborigènes des pays indépendants ne peut que gagner à l'établissement de bases de comparaison internationales. TABLE D E S MATIEEES Pages PRÉFACE in PREMIÈRE PARTIE DÉFINITIONS E T DONNÉES CHAPITRE PREMIER : Définition PRÉLIMINAIRES de V«. aborigène » Critères légaux et administratifs Amérique latine Canada et Etats-Unis Asie Australasie Critères théoriques L a langue L a culture L a conscience de groupe Le critère multiple Le critère fonctionnel CHAPITRE I I : Données démographiques et géographiques Amérique Argentine Bolivie Brésil Chili Colombie Costa-Rica Equateur Guatemala Honduras Mexique Nicaragua Panama Paraguay Pérou Salvador Venezuela Canada Indiens Esquimaux Etats-Unis Indiens Esquimaux Asie Birmanie Ceylan Inde Indonésie Pakistan 3 6 6 11 14 15 16 16 17 20 21 23 30 31 35 37 39 43 46 50 51 54 56 57 60 61 62 63 68 69 73 73 74 74 74 75 76 76 79 80 84 85 VI LES POPULATIONS ABORIGÈNES Pages Philippines Thaïlande Australasie Australie Nouvelle-Zélande 86 88 90 90 92 DEUXIÈME PARTIE CONDITIONS DE VIE Note préliminaire 95 CHAPITRE I I I : Alimentation Amérique Bolivie Equateur Guatemala Mexique Pérou Amélioration de l'alimentation de l'aborigène Régime alimentaire des Indiens sylviooles Etats-Unis Asie Ceylan Inde Philippines Australasie Australie Nouvelle-Zélande CHAPITRE IV : Habitation Amérique latine Bolivie Equateur Guatemala Mexique Pérou Indiens sylviooles Canada et Etats-Unis Canada . Etats-Unis Asie Birmanie Ceylan Inde Indonésie Philippines Thaïlande Australasie Australie Nouvelle-Zélande CHAPITRE V : Problèmes sanitaires Amérique latine Bolivie Brésil 97 ". 97 98 100 101 102 103 106 106 109 110 110 110 112 112 112 114 115 115 116 118 119 119 121 123 124 124 125 127 127 128 128 129 130 130 131 131 133 135 135 138 139 TABLE DES MATIERES Vu Colombie Equateur Guatemala Mexique L'onchocercose au Mexique et au Guatemala Nicaragua Pérou Salvador Le vêtement de l'Indien d'Amérique latine e t le problème de la santé Canada et Etats-Unis Canada Etats-Unis Asie . Birmanie Inde Pakistan Philippines Australasie Australie Nouvelle-Zélande Pages 140 141 145 147 150 152 152 155 156 159 159 160 162 162 163 164 165 165 165 166 CHAPITRE VI : L'alcoolisme et la mastication de la feuille de coca en Amérique du Sud 169 Alcoolisme Formes de la consommation de boissons alcooliques Les fêtes indigènes et les effets de l'alcoolisme Bolivie Equateur Pérou 170 170 172 172 173 174 Mastication de la feuille de coca Introduction générale Evolution historique de la consommation de la coca Zones actuelles de culture et de consommation Argentine Bolivie Colombie Pérou Causes et effets médicaux et sociaux de la mastication de la feuille de coca Cocaïsme e t sous-alimentation Autres effets physiologiques et psychologiques Cocaïsme et vie en altitude L'emploi de la coca comme salaire en nature Mesures de réglementation Argentine Bolivie Colombie Pérou 175 175 176 178 178 178 181 182 CHAPITRE V I I : Analphabétisme Amérique latine Bolivie Equateur Guatemala et éducation 185 187 188 190 192 194 194 194 195 196 198 199 201 201 202 VIH LBS POPULATIONS ABORIGÈNES Pages Mexique Pérou Causes de l'analphabétisme Canada et Etats-Unis Canada Etats-Unis Asie Birmanie Ceylan Inde Autres pays d'Asie Australasie Australie Nouvelle-Zélande 202 202 203 206 206 207 209 209 209 210 212 213 213 216 TROISIÈME PARTIE LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE CTTAPITBE VTII : Métiers et occupations Observations générales Groupes principaux Agriculture et élevage Artisanat Mines Autres activités Amérique Argentine Nord du pays Région sud Bolivie Principales activités Industrie minière ' Economie sylvicole Brésil Populations inaccessibles Tribus placées sous la surveillance du Service de protection des Indiens Populations «marginales» Chili Araucans Autres tribus Colombie Indiens sylvicoles Indiens de la Guajira Indiens des communautés Costa-Rica Equateur Considérations générales Activités économiques de la population de la Sierra . . . . Activités économiques des Indiens sylvicoles 221 221 224 225 226 226 227 228 228 228 229 230 230 234 235 236 236 239 240 241 241 242 243 243 244 246 247 248 248 249 254 TABLE DES MATIÈRES Guatemala '. Principales activités économiques Transformation de l'économie agricole Problèmes posés par le lotissement des communautés et par l'éparpillement de la propriété Plantations de café et autres plantations Artisanat Honduras et Nicaragua Mexique Economie primitive Agriculture Sylviculture et bùcheronnage Artisanat Récolte des produits naturels Travail salarié Travailleurs migrants Panama Paraguay Pérou Considérations générales Agriculture et élevage Artisanat Travail dans les mines Industries manufacturières Travaux publics et transports Occupations de l'Indien sylvicole Venezuela Foires et marchés indigènes dans quelques pays d'Amérique latine Bolivie Equateur Guatemala Mexique Pérou Canada Indiens Esquimaux Etats-Unis Avoirs et revenus des Indiens des réserves Problèmes particuliers à certaines tribus Principales occupations Asie Birmanie Ceylan Inde Agriculture et élevage Chasse, pêche, collecte des produits naturels Artisanat Travail salarié Indonésie Philippines Agriculteurs et nomades Artisanat Thaïlande IX Pages 255 255 256 257 258 259 260 261 262 263 264 264 267 267 269 270 271 274 274 278 280 283 284 285 287 288 290 291 293 294 295 296 296 296 300 300 301 302 305 306 307 308 308 310 311 312 313 315 316 316 317 318 X LES POPULATIONS ABORIGÈNES Australasie Australie Aperçu historique Problèmes généraux Répartition professionnelle Evolution de l'emploi depuis 1933 Nouvelle-Zélande Aperçu historique Le3 problèmes actuels Evolution générale de la situation de l'emploi La colonisation des terres maories L'exode vers les villes Adaptation à la vie urbaine et industrielle Pages 318 318 318 319 320 320 322 322 322 324 325 326 326 CHAPITRE IX : Le régime foncier et les conditions de travail 328 Le problème de la terre Observations préliminaires sur les systèmes de possession et d'occupation du sol Formes actuelles de possession et d'usufruit de la terre Les communautés aborigènes dans sept pays d'Amérique latine L'(( ejido » mexicain Occupation et affectation de la terre chez les aborigènes sylvicoles d'Amérique latine Réserves et terres allouées à titre individuel Canada Etats-Unis Australie Nouvelle-Zélande Les modalités d'occupation du sol en Amérique latine Bolivie Colombie Equateur Guatemala Mexique Pérou L'évolution économique des communautés aborigènes et lejrégime agraire en général Méthodes de culture et crédit Techniques agricoles Crédit agricole Les services personnels traditionnels Amérique latine Travaux accomplis au profit des autorités publiques et religieuses Travaux accomplis au profit des propriétaires Travaux exigés des adolescents Entraide et coopération traditionnelles Le cas des Indiens Guajiro Considérations générales Inde Le recrutement de travailleurs Caractéristiques et importance Agriculture Industrie minière Conditions et modalités 329 329 341 341 361 370 372 372 374 378 381 383 385 388 389 392 393 394 397 401 401 405 411 412 412 421 428 431 432 434 436 445 445 446 448 449 TABLE DES MATIÈRES Conditions Modalités Recrutement et conditions de travail Agriculture Industrie minière Nouvelles perspectives CHAPITRE X : Formation professionnelle et protection de l'artisanat Formation professionnelle Programmes pratiques Programmes destinés aux groupes aborigènes vivant à l'état tribal Programmes destinés aux populations rurales Programmes destinés aux populations aborigènes minoritaires Préparation aux occupations urbaines Mesures spéciales en faveur des travailleurs aborigènes Bourses d'études Placement et assistance sociale Principes et méthodes de formation Principes Objectifs généraux Moyens de formation Conclusions Protection de l'artisanat Observations générales L'artisanat dans la vie économique des communautés aborigènes Les matières premières Ressources disponibles sur place Matières premières provenant d'autres régions Le problème des approvisionnements Conservation des ressources naturelles Les techniques Poterie Textiles L'habitation et l'ameublement Les aliments ° L'équipement La formation professionnelle et le besoin de techniques nouvelles Les marchés Nécessité du commerce Difficultés du commerce Marchés extérieurs Revenus fournis par l'artisanat Développement de l'artisanat Recherches Approvisionnement en matières premières Amélioration des techniques et de l'équipement Assistance financière Formation et perfectionnement des artisans Coopération Marchés protégés Mesures proposées Conclusions XI Pages 449 451 454 454 456 456 460 460 462 462 464 468 471 473 473 474 474 475 478 479 483 484 484 484 486 486 488 489 489 490 491 492 493 493 494 495 497 497 498 499 499 501 501 502 503 504 504 506 507 508 513 XII LES POPULATIONS ABORIGÈNES QUATRIÈME PARTIE L'ACTION SUR LE PLAN NATIONAL ET INTERNATIONAL Pages CHAPITRE XI : Politique économique et sociale des gouvernements Amérique Argentine La Direction de la protection des aborigènes Prévisions du premier plan quinquennal Autres mesures Bolivie Création du ministère des Affaires paysannes Nationalisation des mines Réforme agraire Evolution de la législation sur les services personnels . . . . Champ d'application de la législation générale Santé publique et sécurité sociale Education Brésil Statut légal de l'Indien Le Service de protection des Indiens Chili La loi sur les Indiens Législation proposée Exonération de l'impôt foncier Education Colombie « Resguardos » aborigènes Population sylvicole L'Institut national des affaires indigènes Costa-Rica Terres aborigènes Le Conseil de protection des races aborigènes Equateur Mesures constitutionnelles « Comunas » Communautés « Huasipungos » '. Services personnels Contrat de travail Le Conseil des affaires indigènes Le Département des affaires indigènes L'Institut national de prévoyance sociale Education Développement de l'artisanat Guatemala Réforme agraire Application de la loi portant réforme agraire Education L'Institut national des affaires indigènes Sécurité sociale et santé publique Développement de l'artisanat et de la production agricole . . Mexique Réforme agraire Crédit agricole 517 517 517 517 519 520 521 521 521 522 528 529 530 532 532 533 534 537 537 538 539 539 540 540 541 542 542 542 542 543 543 544 544 545 545 545 546 546 547 547 549 550 550 552 553 554 555 556 558 558 560 TABLE DES MATIÈRES Activité du secrétariat d ' E t a t à l'Education publique . . . . Santé publique e t assurance sociale Participation de l'Institut national des affaires indigènes à l'action des pouvoirs publics Nicaragua Panama Paraguay Pérou Régime administratif Régime du travail Education Développement économique Venezuela . . '. Canada Politique générale Politique économique Santé publique et sécurité sociale Etats-Unis La loi générale de 1887 sur la distribution des terres . . . . La loi de 1934 sur la réorganisation des affaires indiennes . . Mesures gouvernementales Le plan en faveur des Indiens Navajo et Hopi Le Bureau des affaires indiennes Placement Education Législation sociale Asie Birmanie Inde La Constitution de 1947 Politique du gouvernement central Mesures prises par les E t a t s Pakistan Philippines Politique générale Santé publique Education Assistance sociale Australasie Australie Tendances générales Sécurité sociale et bien-être Nouvelle-Zélande La Commission des affaires maories Le problème de la terre Assistance sociale Logement Santé publique Sécurité sociale Education Accords intergouvernementaux Aborigènes sylvicoles (Colombie-Pérou) Instruction des populations aborigènes (Bolivie-Pérou) Accord d'Arequipa Projet Titicaca XII! Pages 561 565 567 569 570 571 572 573 575 576 578 581 584 584 586 587 589 590 590 591 591 592 594 595 596 597 597 599 599 600 603 612 615 615 616 616 616 617 617 617 619 620 621 621 622 623 623 623 623 624 624 625 625 627 XIV LES POPULATIONS ABORIGÈNES Le Service coopératif interaméricain d'éducation Travailleurs migrants (Mexique-Etats-Unis) Autres formes d'action publique et privée Missions religieuses et organisations privées L'Institut linguistique d'été et les populations aborigènes du Pérou et du Mexique L'Université Cornell et l'anthropologie appliquée au Pérou . . . CHAPITRE XII : Action internationale La politique « indigéniste » interaméricaine Principales réunions internationales jusqu'en 1948 Premier Congrès interaméricain des affaires indigènes . . . . Conférences interaméricaines de l'agriculture Premier Congrès démographique interaméricain L'Organisation des Etats américains et l'action interaméricaine en faveur des aborigènes à partir de 1948 Le Conseil culturel interaméricain Autres activités ayant trait à la question aborigène L'Institut interaméricain des affaires indigènes Deuxième Congrès interaméricain des affaires indigènes . . . Développement de la vallée du Mezquital Formation d'experts des questions indigènes Les Nations Unies et les problèmes sociaux des populations aborigènes américaines Le problème de la coca au Pérou et en Bolivie La Commission économique pour l'Amérique latine Comité spécial de l'esclavage Comité spécial du travail forcé Développement économique et social de Cuzco Le programme de l'Organisation internationale du Travail Historique Conférences régionales Les trois premières conférences régionales américaines . . . . Conférence régionale préparatoire asienne Conférence de Montevideo Commission d'experts pour le travail des aborigènes Formation professionnelle Recrutement Sécurité sociale Artisanat Sécurité et hygiène dans les mines Populations aborigènes sylvicoles Autres résolutions Suite donnée aux résolutions Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture Intégration sociale Les aborigènes sylvicoles du bassin du Huallaga (Pérou) . . . . Centre régional d'éducation de base pour l'Amérique latine . . . Autres activités Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture . . Développement de l'économie bolivienne Assistance technique en Equateur Développement de l'agriculture et des forêts au Guatemala . . . Agriculture et sylviculture au Honduras Autres activités Pages 627 628 629 629 633 634 636 636 636 637 639 640 640 641 642 643 643 644 645 645 646 649 649 650 650 651 651 652 652 655 656 658 660 662 664 665 667 668 669 670 671 671 672 672 674 674 674 675 676 677 678 TABLE DES MATIERES XV Pages Organisation mondiale de la santé et Ponds international de secours à l'enfance Protection de l'enfance et de la maternité Lutte contre les maladies infectieuses Mission commune d'assistance technique aux populations aborigènes des hauts plateaux des Andes Formation et activités de la mission Rapport de la mission Recommandations principales Résultats de la mission ANNEXE : Tableaux statistiques supplémentaires (n os L à LXI) 678 678 679 680 682 683 683 685 687 LISTE DES TABLEAUX I. Amérique : Population vers 1492 II. Amérique : Evolution démographique de l'élément aborigène depuis 1492 III. Amérique : Augmentation de la population aborigène et métisse de 1930 à 1940 IV. Brésil : Répartition géographique de la population aborigène . V. Brésil : Répartition géographique des tribus VI. Chili : Population aborigène vivant dans les « réductions », 1940 VII. Chili : Répartition numérique et géographique de la population aborigène VIII. Equateur : Répartition de la population par races IX. Equateur : Population de la Sierra et de la côte X. Honduras : Répartition géographique des Indiens XI. Pérou : Population de langue quichua dans trois départements XII. Venezuela : Population aborigène par Etats et territoires d'après les recensements de 1936, 1941 et 1950 XIII. Birmanie : Importance numérique des tribus et des groupes linguistiques XrV. Inde : Principales tribus, 1941 XV. Indonésie : Répartition numérique de la population aborigène, 1930 XVI. Pakistan : Tribus sylvicoles de Chittagong XVII. Thaïlande : Importance numérique des tribus, 1920 . . . . XVIII. Australie : Population aborigène lors de la colonisation . . . XIX. Nouvelle-Galles du Sud : Aborigènes et métis XX. Etats-Unis : Comparaison des indices démographiques (ensemble de la population, population indienne et quelques tribus) . . . XXI. Pérou: Superficie plantée en cocaïers, production et valeur, 1943-44 XXII. Amérique latine : Population illettrée XXIII. Asie : Importance de l'analphabétisme dans quelques pays . XXTV. Bolivie : Exportation de minéraux, 1949 XXV. Bolivie : Importance de la production d'étain par rapport à la production mondiale 32 33 35 40 40 43 44 51 51 57 64 70 77 81 85 86 89 90 92 160 184 200 212 235 235 XVI LES POPULATIONS ABORIGÈNES Pages XXVI. Brésil : Niveau de la production dans les postes indigènes, janvier-juin 1949 240 XXVII. Mexique : Répartition géographique de l'artisanat aborigène . 266 XXVIII. Pérou : Répartition professionnelle de la population dans dix départements à forte proportion d'Indiens 274-275 XXIX. Pérou : Répartition par branches d'activité économique de la population aborigène des cinq départements de la Sierra comptant la plus forte proportion d'Indiens 277 XXX. Pérou : Répartition géographique de l'artisanat aborigène . . 282 XXXI. Canada : Population aborigène économiquement active par profession et par sexe 297 XXXII. Canada : Valeur et provenance des revenus des Indiens, 1946 . 298 XXXIII. Etats-Unis : Avoirs et revenus des Indiens des réserves . . . . 301 XXXIV. Etats-Unis : Terres et revenus des tribus Navajo, Hopi, BlackFeet et Pine Ridge, 1946 304 XXXV. Etats-Unis : Répartition de la population indienne âgée de plus de quatorze ans par occupations et régions principales, 1940 . 306 XXXVI. Inde : Population tribale par occupations et modalités d'occupation du sol 309 XXXVII. Australie : Répartition professionnelle de la population aborigène de race pure 320 XXXVIII. Nouvelle-Zélande : Tendances de l'emploi dans la population maorie, 1926-1945 323 XXXIX. Répartition professionnelle de la population maorie . . . . 324 XL. Bolivie : Répartition par départements des communautés recensées, 1949 344 XLI. Chili : Communautés araucanes 346 XLII. Equateur : Répartition des communautés indiennes . . . . 351 XLIII. Guatemala : Répartition des exploitations par modes d'occupation de la terre et par superficies 355 XLIV. Pérou : Répartition professionnelle de la population des communautés indiennes officiellement reconnues à la fin de 1949 358-359 XLV. Mexique : « Ejidos » autorisés et nombre des membres . . . . 366 XLVI. Mexique : Population des « ejidos » dans la population totale, nombre des membres actifs et pourcentage dans l'ensemble des agriculteurs 367 XLVII. Canada : Terres réservées aux Indiens, 1951 373 XLVIII. Etats-Unis : Terres administrées par le Bureau des affaires indiennes, 1949 375 XLIX. Guatemala : Systèmes de crédit agricole utilisés dans trente-sept communes rurales 408 L. Amérique : Répartition géographique des populations indienne et métisse, 1940 689 LI. Amérique : Répartition géographique de la population aborigène, 1940 690 LU. Amérique : Répartition géographique de la population aborigène, 1941 691 LUI. Bolivie : Répartition géographique de la population sylvioole 692 LTV. Guatemala : Répartition, par dialectes, de la population de langue aborigène 693 TABLE DES MATIÈRES XVTI Pages LV. Mexique : Population de cinq ans d'âge au moins parlant des langues aborigènes par zones géographiques et par entités fédératives, 1940 LVI. Panama : Répartition des tribus par provinces et par districts LVII. Pérou : Répartition de la population indienne par régions et selon l'altitude, 1948 LVIII. Pérou : Répartition linguistique par départements de la population aborigène âgée de plus de cinq ans, à l'exclusion des personnes parlant uniquement l'espagnol LIX. Etats-Unis : Répartition par Etats de la population indienne, 1940 LX. Philippines : Population Moro et «païenne et sans religion », 1948 LXI. Australie : Répartition géographique de la population aborigène, 1944 694 695 696 697 698 699 700 LISTE DES CARTES I. II. III. IV. V. VI. VIL VIII. IX. X. Colombie : Zones de forte densité de population aborigène et métisse Equateur : Zones de forte densité de population aborigène et métisse Mexique : Population de langue aborigène, 1940 Pérou : Pourcentage de la population aborigène par rapport à l'ensemble de la population Venezuela : Répartition géographique de la population aborigène, 1950 Inde : Pourcentages représentés par les tribus dans la population ayant déclaré une religion en 1931 Australie : Répartition géographique des aborigènes, 1940-1944. . . Bolivie : Zones de culture de la coca Pérou : Zones de culture de la coca Etats-Unis : Répartition géographique des réserves indiennes . . 49 54 58 65 72 83 91 179 183 377 DIAGRAMME Pérou : Répartition de la population selon l'altitude 67 LISTE DES ILLUSTRATIONS I. Les Igorrot de Bontok (Philippines) IL La vie des aborigènes de Madhya Pradesh (Inde) III. Séchage de la ^jande dans la réserve de Peigan, sud de l'Alberta (Canada) IV. Habitations tropicales au Venezuela V. Huttes indigènes primitives au Brésil VI. La médecine en évolution VII. L'éducation de base en Amérique latine VIII. Travailleuses de la Puna IX. Filage et tissage au Guatemala X. L'agriculture sur le haut plateau des Andes XI. Quand la nature empêche la mécanisation 102 103 118 119 158 159 190 191 222 223 254 2 xvm XII. Xin. XIV. XV. XVI. XVII. XVIII. XIX. XX. XXI. XXII. XXIII. XXIV. LBS POPULATIONS ABORIGÈNES Fabrication des tissus indigènes Occupations traditionnelles et modernes aux Etats-Unis . . . . Les métiers des Maoris La vie sur le haut plateau de Bolivie Sur un marché bolivien Enseignement du filage dans une école fédérale indienne du Nouveau-Mexique La formation professionnelle des Maoris Logements modernes après la création d'un poste indigène au Brésil Deux générations d'aborigènes dans l'Etat de Chiapas (Mexique) . De la hutte au logement moderne, grâce aux Communautés pour l'amélioration de la condition des aborigènes au Mexique . . . . Les services sociaux dans les tribus d'Haïderabad Une délégation d'Aymarás exposant ses revendications devant la Commission d'experts pour le travail des aborigènes à La Paz . . Agriculteurs du haut plateau des Andes y Pages 255 286 287 318 319 350 351 382 383 414 415 446 447 PREMIÈRE PARTIE Définitions et données préliminaires CHAPITEE P B E M I E B DÉFINITION DE L'«ABORIGÈNE» L'analyse des problèmes que posent la vie et le travail des populations aborigènes des pays indépendants, comme l'étude des mesures grâce auxquelles ces problèmes pourraient être résolus, exige de façon évidente, entre autres conditions préliminaires, la détermination des groupes que l'on doit regarder comme les éléments constitutifs de ces populations. Cette opération suscite malheureusement de grandes difficultés, faute d'un critère général qui permette de définir quelles caractéristiques font ranger tel ou tel groupe donné parmi les « aborigènes », ou les « Indiens », ou les « indigènes », selon la dénomination en honneur. Dans quelle mesure ces groupes rentrent dans la définition de l'aborigène, on ne peut l'établir qu'en se fondant sur des concepts tantôt fort hétérogènes, tantôt fort élastiques. De là de très sensibles divergences, à l'intérieur d'un même pays, entre les statistiques ou les estimations ; de là aussi l'impossibilité de procéder, d'un pays à un autre, à des comparaisons utiles. L'administrateur, le juriste et le sociologue ont chacun tendance à fonder leurs définitions sur des critères différents et souvent contradictoires : pigmentation de la peau, langage, coutumes, organisation tribale, niveau de vie, etc. Chaque pays a abordé le problème de la définition à sa manière, en fonction de ses propres traditions, de son histoire, de sa structure sociale, de sa politique, etc. Il y a quatre siècles, dans ce qui est aujourd'hui l'Amérique latine, et environ un siècle dans les autres parties du monde, il était facile de définir ce que l'on entendait par le terme d'«Indien». A cette époque, 1'«Indien» ou le «naturel» était celui qui peuplait le pays au moment de la conquête ou de la colonisation de celui-ci par les Européens. Il se distinguait de l'envahisseur par son aspect physique, sa civilisation, ses coutumes, etc. Le contact avec la culture étrangère, détentrice d'une technique et d'un armement supérieurs, ne pouvait i DÉFINITIONS ET DONNÉES PRÉLIMINAIRES signifier, à brève échéance, que l'assujettissement de l'aborigène. Dès le début d'une lutte qui devait se prolonger longtemps entre les deux groupes, certains noyaux d'autochtones étaient exterminés dans diverses parties du monde ; d'autres étaient refoulés dans les régions lointaines et inhospitalières de leur antique domaine ; d'autres, enfin, se voyaient isolés dans des « réserves » ou « réductions ». Quoi qu'il en fût, pour la majorité d'entre eux, ce contact a signifié l'instauration, puis le développement, de rapports de maîtres à serfs entre conquérants et vaincus. Peu à peu, dans divers pays, la coexistence a estompé les lignes de démarcation somatique et ethnique entre les deux groupes. Actuellement, le résultat de cette coexistence est, dans bien des cas, une bigarrure de métissage biologique et culturel. Le critère somatico-ethnique ne conserve encore une certaine valeur pratique de classification que s'il s'agit de groupes comme les sylvicoles de la région de l'Amazone, par exemple, que leur isolement géographique ou leur structure sociale a maintenus en général dans un état de relative « pureté ». A l'exception de l'Uruguay 1, de Costa-Bica et d'une partie de l'Argentine, l'Amérique latine possède en majorité une population métissée au plus haut degré, sinon, dans certains cas, mulâtre. Le brassage des éléments blanc et indien se poursuit sans interruption depuis l'époque de la découverte ; il a été particulièrement intense aux xvrr m e et x v m m e siècle. Il faut encore y ajouter les mélanges entre métis et Indiens (cholos), entre Blancs et Noirs (mulâtres), Indiens et Noirs (zambos), métis et Noirs, etc., ainsi qu'entre les types résultant de ces unions 2. La citation suivante, relative au Mexique, s'applique aussi bien aux autres pays de l'Amérique latine : Au moment où s'achevait la conquête espagnole, la définition de l'Indien ne présentait aucune difficulté particulière. Il s'agissait de gens d'une race, d'une langue et d'une culture distinctes... Durant 1 Où il n'existe plus de trihus aborigènes. Pour des détails sur ce processus de fusion dans les divers pays d'Amérique latine depuis l'époque de la découverte, voir Ángel ROSENBLAT : La población indígena de América desde 1492 hasta la actualidad (Buenos-Aires, Institución cultural española, 1945), annexe VI : « El mestizaje y las castas coloniales ». On a évalué la population métisse (tant du point de vue racial que culturel) de l'Amérique latine à environ 63 millions de personnes, soit 47 pour cent de la population totale. Voir à ce sujet le chapitre de John G n u N : «Mestizo America », dans Most of the World. The Peoples of Africa, Latín America and the East To-day (publié sous la direction de Ralph LINTON, New-York, Columbia University Press, 1949), pp. 156-211. 2 DÉFINITION D E L'a ABORIGÈNE )) 5 l'époque coloniale, la métamorphose économique et culturelle a produit des différenciations au sein du groupe indien, dans la mesure où certains s'ouvraient plus que d'autres à la culture européenne. En outre, il se formait d'autres groupes (les « castes »), nés des nouvelles formes de l'économie et du contact entre Indiens, Espagnols et Noirs, qui occupaient, dans les couches sociales de la colonie, une position intermédiaire entre les Indiens et les Blancs. La stratification sociale n'en avait pas moins tendance à s'effectuer selon la race. Lorsque le pays acquit son indépendance et que la loi cessa d'établir des distinctions dans les droits et devoirs propres des Indiens et des castes, la définition de l'Indien perdit de sa rigueur. Ce fait, joint à l'essor économique [des divers pays] à la fin du xix m e siècle, aboutit à la création d'une société essentiellement stratifiée par classe, et dans laquelle la classification ethnique passait au second plan... ; le métissage a rendu impossible et presque inexistante toute division fondée sur le type somatique. L'expansion progressive de la civilisation, sans être partout absolument identique, a déjà supprimé toute démarcation de nature culturelle qui puisse servir de délimitation précise et exacte entre Indiens et non-Indiens 1. Dans les pays d'Asie, les mêmes facteurs d'adaptation sociale et culturelle suscitent des difficultés plus ou moins grandes lorsqu'il s'agit de définir de façon précise des termes tels que « aborigène » ou « indigène ». Du point de vue historique, les aborigènes de ces pays représentent les groupes de la population originale qui n'ont pas été assimilés par les nouveaux arrivants et qui, dans la plupart des cas, s'étant retirés dans les forêts, les montagnes ou les régions inaccessibles, ont conservé une culture et un mode de vie bien à eux. Toutefois, sous l'influence toujours plus grande des systèmes sociaux et économiques de la grande masse de la population, l'isolement social et culturel des aborigènes a subi une évolution qui, pour être graduelle, n'en a pas moins été fort nette. Ce processus d'intégration et d'assimilation culturelle s'étant poursuivi à des degrés divers dans les différents pays, il est devenu de plus en plus difficile d'appliquer un critère précis permettant de distinguer de façon nette les aborigènes du reste de la population. Ce sont donc des éléments différents et, dans une certaine mesure, contradictoires qui sont proposés à l'heure actuelle pour servir de critères à cette fin. Les pages ci-après résument en premier lieu les pratiques légales et administratives suivies dans divers pays pour définir 1'« Indien », « indigène » ou « aborigène » et, en second lieu, les critères théoriques retenus aux mêmes fins par divers sociologues et anthropologues d'Amérique. 1 Pedro CABRASCO : « Las culturas indígenas de Oaxaca, México », América Indígena (publication de l'Institut interaméricain des affaires indigènes, Mexico), vol. X I , n° 2, avril 1951, p p . 107-108. 6 DÉFINITIONS ET DONNÉES PRÉLIMINArRES Critères légaux et administratifs AMÉRIQUE LATINE Le général San Martin, dans u n des premiers décrets qu'il ait pris lors de son accession au gouvernement provisoire du Pérou, a décidé qu'à l'avenir, les descendants de la population autochtone Inca ne s'appellerait plus « Indiens » ou « naturels », mais Péruviens. Faisant écho aux proclamations et aux appels révolutionnaires qui inaugurent la période de l'indépendance latino-américaine, l'esprit égalitaire du décret caractérise bien l'attitude que les jeunes nations ont observée depuis 1810 dans le domaine de l'émancipation de l'Indien. En principe, le descendant de la population aborigène est considéré comme un citoyen, et, comme tel, il est soumis à toutes les obligations et jouit de tous les droits établis par la Constitution; C'est uniquement à des fins de protection et en raison de l'état primitif où se trouvent certains groupes de souche aborigène — situation qui les rend vulnérables à l'exploitation d'autres groupes ou classes de la population nationale — que la législation de certains pays établit des distinctions entre « Indiens » et non-Indiens. C'est ainsi qu'en Bolivie, par exemple, le décret n° 319, du 15 mai 1945, interdit aux autorités administratives, judiciaires, ecclésiastiques, etc., « d'obliger les indigènes, colons, membres de collectivités ou résidant dans des villes ou villages, à fournir des services non rémunérés » 1 , et la Constitution politique du pays, dans son article 165, «reconnaît et garantit l'existence légale des communautés indigènes ». Au Brésil, l'Indien ou « sylvicole » est soumis à un régime juridique spécial qui le place sous la tutelle de l'Etat et le met dans une incapacité relative pour certains actes civils (liés surtout à la propriété foncière), jusqu'à ce qu'il acquière le développement culturel et économique nécessaire pour pouvoir bénéficier effectivement des privilèges que la loi accorde au citoyen en général 2 . Au Chili, en vertu de la législation civile, le descendant des Araucans qui vit sous le régime territorial de la « réduction » est frappé, pour une 1 M I N I S T E R I O D E TRABAJO, SALUBRIDAD Y P R E V I S I Ó N SOCIAL : Leyes sociales de Bolivia (La Paz, 1945), n° 3, pp. 120-121. 2 Décret n° 5484, du 27 juin 1928, dans MINISTERIO DA AGRICULTURA, Conselho Nacional de Proteccäo aos Indios, publication n° 94, annexe 7, « Assuntos indígenas » : Coletânea de Zeis, atos e memorials referentes ao indigena brasileiro, compilados pelo oficial administrativo L. Humberto de Oliveira (Rio-de-Janeiro, Imprensa Nacional, 1947), pp. 129-141. 7 DÉFINITION DE L'A ABORIGÈNE » période déterminée, d'une incapacité relative de conclure des contrats portant sur ses biens-fonds, sans l'autorisation préalable du tribunal des Indiens (juzgado de indios), à moins qu'il ne remplisse certaines conditions d'instruction 1 . En Colombie, il existe des dispositions juridiques spéciales pour les resguardos indigènes 2 . En Equateur, la Constitution (art. 185) dispose que le travail agricole, « particulièrement celui qui est effectué par des indigènes », doit faire l'objet d'une réglementation spéciale en ce qui touche la durée de la journée de travail, et que les pouvoirs publics doivent favoriser, « en priorité, le progrès moral, individuel, économique et social de l'indigène 3 ». Au Guatemala, la Constitution de 1945, en son article 83, déclare d'intérêt national l'élaboration d'«une politique complète de progrès économique, social et culturel des groupes indigènes », pour la réalisation de laquelle « peuvent être édictés des lois, des règlements et des dispositions spéciales aux groupes indigènes, compte tenu de leurs besoins, de leur situation, de leurs pratiques, de leurs us et coutumes ». D'autre part, selon l'article 137, il incombe au Président de la Eépublique de créer des institutions « qui concentrent leur attention sur les problèmes indigènes 4 ». Au Panama, l'article 6 de la Constitution de 1946 prévoit que l'Etat doit accorder « une protection particulière » aux collectivités indigènes « afin de les incorporer de manière effective à la communauté nationale en ce qui concerne leur genre de vie, et dans les domaines économique, politique et intellectuel 5 ». Au Pérou, un régime juridique spécial existe pour les communautés indigènes traditionnelles, et des lois ou décrets spéciaux de protection de l'Indien ont été promulgués en ce qui concerne les salaires, l'organisation de coopératives de production, la prestation de services personnels, le travail domestique des mineurs, les migrations intérieures, les écoles, etc. L'aborigène, considéré en tant que travailleur individuel, se trouve encadré dans le système juridique général, mais, en tant que membre de sa 1 Loi n° 4111, du 12 juin 1931, sur la division des communautés, la liquidation des crédits et l'établissement des indigènes, prorogée et amendée par une série de dispositions législatives entre 1940 et 1950. Voir Alejandro LIPSCHÜTZ : « La propiedad indígena en la legislación reciente de Chile », America Indigena, vol. Vili, n° 4, oct. 1948, pp. 321-326. 2 Antonio GABCÍA : Legislación indigenista de Colombia (Mexico, Instituto Indigenista Interamericano, 1952). Pour une définition du resguardo, voir note 3, p. 347. 3 Constitution de l'Equateur, Registro Oficial, 31 dec. 1946. • 4 Constitution du Guatemala, du 11 mars 1945, Diario de Centroamérica, 14 mars 1945. 5 Constitution du Panama, du 1 e r mars 1946, Gaceta Oficial, 4 mars 1946. 2* 8 DÉFINITIONS ET DONNÉES PnÉT.TMTNATRES communauté traditionnelle, et aux fins d'application du régime de la propriété, il est gouverné par des normes spéciales de la Constitution et du Code civil 1 . En outre, ce souci de protection s'est traduit, dans la majorité des pays de l'Amérique latine, par la création de directions ou de départements gouvernementaux des affaires « indigènes », à titre, soit d'organismes autonomes, soit de dépendances des ministères compétents, soit encore d'instituts nationaux des affaires indigènes, dotés de la personnalité juridique, qui jouent le rôle de filiales de l'Institut interaméricain des affaires indigènes, créé en 1940 et déclaré institution spécialisée de l'Organisation des Etats américains 2. L'existence d'organismes officiels de cette sorte, ainsi que des dispositions législatives spéciales citées ci-dessus, est généralement interprétée comme la reconnaissance pratique du fait que l'état d'infériorité économique, sociale et culturelle où se trouvent d'importants groupes de population aborigène oblige à adopter, à titre transitoire, des mesures spéciales en faveur de ces groupes. Or, si l'unanimité s'est faite sur l'opportunité d'adopter de telles mesures, elle n'existe plus dès qu'il s'agit des critères qu'il conviendrait d'employer pour identifier les groupes auxquels ces mesures devraient s'appliquer. En effet, non seulement il existe de grandes divergences à cet égard d'un pays à l'autre, mais encore, à l'intérieur d'un même pays, on observe parfois des discordances considérables entre un organisme officiel et un autre, ou entre les critères utilisés par un même organisme à des époques différentes. Dans le second cas, cela se traduit naturellement par l'existence de deux ou plusieurs chiffres statistiques ou estimations contradictoires quant à l'importance numérique de la population dite indigène. Cette situation a amené le directeur de l'Institut interaméricain des affaires indigènes à déplorer : ... la classification confuse et illogique, aussi bien quantitative que qualitative, qui est appliquée dans presque tous les pays de l'Amérique latine à la population autochtone et qui empêche de définir correctement quelles personnes doivent bénéficier de la politique « indigéniste » 3. 1 DIRECCIÓN GENERAL DE ASUNTOS INDÍGENAS : Legislación indigenista del Perú (Lima, 1948). 2 P a r décision du Conseil de l'Organisation des Etata américains, en date du 7 janvier 1953. . 3 Manuel G A M O : Actividades del Instituto Indigenista Interamericano, Extracto del informe presentado al Consejo directivo del Instituto Indigenista Interamericano en la asamblea celebrada el 18 de abril de 1944 (Mexico, 1944). DÉFINITION DE L'A ABORIGÈNE » 9 Enumérons les divers critères officiellement retenus dans certains pays de l'Amérique latine pour qualifier une personne d'« Indien » ou d'« aborigène ». Au Brésil, dans les textes législatifs qui portent sur ce point, on emploie communément le terme d'« Indien » pour désigner le descendant des populations autochtones qui habitaient le territoire national actuel à l'époque de la découverte. On caractérise par ce terme « les particularités ethniques, culturelles, nationales, politico-administratives, littéraires et artistiques de cet habitant du Brésil » 1. Au Chili, l'Etat semble ne regarder comme « Indien » que le descendant des populations aborigènes dont les droits à la terre dérivent d'un titre gracieux ou qui allègue sa qualité d'héritier d'une personne qui a figuré sur un titre de cette nature. Le recensement national de la population réserve une catégorie spéciale aux Araucans qui vivent encore sous le régime juridique de la « réduction ». Dans un projet de loi sur les indigènes (titre I I , art. 1, paragr. 2), préparé en 1950 par une commission gouvernementale, on lit que seront considérés comme indigènes « les individus établis comme tels en vertu d'un titre gracieux ou analogue », ainsi que « les descendants des indigènes qui auront notoirement cette qualité en vertu de leurs noms et patronymes, de leurs coutumes et particularités et, en particulier, en raison de l'usage dominant de la langue vernaculaire » 2. Au Guatemala, le dernier recensement a classé les habitants par « race » (Indiens, métis ou ladinos, Blancs) et par langue. Néanmoins, dans sa réponse à un questionnaire du B.I.T., l'Institut national des affaires indigènes définit l'aborigène comme « toute personne dont la civilisation est la civilisation primitive du pays », et la population indigène comme « l'ensemble de ces personnes » s . Au Mexique, avant le premier recensement de la population (1895), on classait les habitants par « race » (aborigènes purs, aborigènes métissés de Blancs et Blancs) ; lors des trois premiers recensements (1895, 1900, 1910), on les a classés par langue ; lors du quatrième (1921), selon la langue et la race ; lors du cinquième (1930), selon la langue, mais cette fois en distinguant entre les unilingues et les bilingues, c'est-à-dire 1 Communication du gouvernement du Brésil, 31 mars 1950. Sans l'article 216 (titre IX) de la Constitution, on utilise le terme « sylvicole ». 2 Communication du gouvernement du Chili, 12 mai 1950. 3 Communication du gouvernement du Guatemala, 3 février 1950. 10 DÉFINITIONS ET DONNÉES PRÉLIMINAIRES entre ceux qui parlaient uniquement une langue autochtone et ceux qui y ajoutaient l'usage de l'espagnol x ; lors du sixième recensement (1940), on a utilisé de nouveau le critère linguistique de 1930, en distinguant les unilingues et les bilingues, mais il a été tenu compte en outre de plusieurs caractéristiques culturelles : vêtement, consommation de pain de froment, usage, pour le sommeil nocturne, d'une natte (tepexo), d'un hamac, d'un lit de sangle ou d'un lit normal. Au Panama, le recensement de 1940 établit une distinction entre « population civile » et « population aborigène ». La première catégorie comprend tous les groupes qui vivent « dans le cadre de la structure politico-sociale de la Eépublique », y compris les « individus de race aborigène » qui ont abandonné leur organisation en tribus et se sont assimilé les coutumes, la langue et la religion des descendants des conquérants (comme, par exemple, les cholos de Code et Veraguas, qui parlent l'espagnol et professent le catholicisme) ; la seconde catégorie comprend uniquement les « Indiens organisés en tribus..., vivant à l'écart dans les régions montagneuses et côtières les plus éloignées et les plus inaccessibles de l'isthme » ¿ . Au Pérou, le recensement de 1940 a classé les habitants par « race » et par langue. Dans le premier cas, la décision d'enregistrer une personne comme « Indien », « métis », «Blanc», etc., était laissée à 1'« opinion » des recenseurs ou des recensés eux-mêmes (c'est l'avis des premiers qui a prévalu dans 87 pour cent des cas, et celui des seconds dans 13 pour cent des cas). Le recenseur avait reçu pour instruction de classer comme « métis » toute personne qui ne semblerait pas avoir « une race définie ». Le rapport du recensement déclare qu'il s'est révélé impossible de distinguer clairement entre les catégories des « Blancs » et « métis », et qu'il a été décidé, en conséquence, de les fondre en un seul chiffre. Le rapport déclare d'autre part que l'exactitude de l'information a dépendu, dans le premier cas, de 1'« habileté» des recenseurs pour procéder à l'appréciation, et, dans le second, de « la sincérité ou du critère subjectif des habitants » s . Au Venezuela, lors du premier recensement spécial de la 1 Cette division a permis d'apprécier dans une certaine mesure le degré d'adaptation culturelle de la population aborigène. 2 CONTRALORÎA GENERAL D E LA REPTÎBLICA, Oficina del Censo : Censo de Población de Panama, 1940, vol. X, Compendio General (Panama, 1945), p. 73. 3 DIRECCIÓN NACIONAL DE ESTADÍSTICA : Censo Nacional de Población y Ocupación, 1940, vol. 1, o Resúmenes generales » (Lima, 1944), p. 179. DÉFINITION DE L'i! ABORIGÈNE » 11 population aborigène, destiné à compléter le recensement national de 1950, la Direction générale de la statistique a adopté, à titre de définitions de base, les notions de population aborigène « accessible » et « inaccessible ». Ont été considérés comme « accessibles », les groupes d'aborigènes qui, de par la situation favorable des lieux qu'ils occupent et de par leurs caractéristiques et leurs coutumes, sont en relations de façon définie avec le reste de la population du pays ; au contraire, ont été considérés comme « inaccessibles » les groupes aborigènes qui, vivant ou étant supposés vivre en des lieux isolés, ou conservant un caractère agressif (l'une de ces deux caractéristiques n'excluant pas l'autre), se maintiennent en marge de la vie du reste de la population, les seules nouvelles qui parviennent d'eux étant transmises plus ou moins directement par des tribus voisines ou des voyageurs qui traversent leurs territoires ou passent à proximité. Les résultats des recherches spéciales effectuées entre le début de 1951 et le début de 1952 ne concernent pas l'ensemble de la population que l'on pourrait qualifier d'« aborigène », du fait de son type racial plus ou moins pur, car, sans aucun doute, « il existe un grand nombre de personnes dans ce cas qui se sont complètement assimilé la vie du pays et qu'il est impossible de différencier de façon expresse ». Les aborigènes « inaccessibles » sont considérés, par les autorités chargées du recensement, comme « sylvicoles », et il est précisé qu'ils ne sont pas accessibles à cause de la topographie des lieux, de leur caractère belliqueux ou de leur nomadisme *. CANADA ET ETATS-UNIS Au Canada, la loi sur les Indiens de 1947 définit l'Indien: « toute personne du sexe masculin, de sang indien, et dont on sait qu'elle appartient à une « bande » déterminée » ; « le fils d'une telle personne », et « la femme qui est ou était 1 MINISTERIO DE FOMENTO, Dirección General de Estadística, Oficina Central del Censo Nacional : Censo nacional de 1950 : Sesultados preliminares de la investigación censual de la 'población indigena (Caracas, 1952). Les feuilles de recensement destinées à la population aborigène et à chacune des familles de recensement devaient contenir des informations d'ordre géographique, ethnologique, linguistique, sanitaire et éducatif. Dans le cas des collectivités aborigènes, des données étaient demandées sur le mode d'occupation de la terre, les caractéristiques culturelles, les principales activités économiques, les produits préparés en vue du troc ou de la vente, les formes que revêtaient ces derniers, les autorités, les rapports avec les noyaux civilisés, la situation sanitaire, le mode de vie et le nombre de logements et de personnes, par sexe. 12 DÉFINITIONS ET DONNÉES PRÉLIMINAIRES légalement mariée avec une telle personne» 1 . Par «bande», est entendu toute tribu, bande ou groupement d'Indiens qui ont en commun une possession ou un droit collectif dans une réserve ou dans des terres indiennes dont le titre légal appartient à la Couronne, ou qui participent, sur un pied d'égalité, à la distribution d'un revenu annuel ou d'intérêts monétaires dont le gouvernement du Canada est responsable. Une personne de sang indien, réputée appartenir à une «bande» irrégulière, ou pratiquant le genre de vie indien (the Indian mode of life), est considérée comme un non-Treaty Indian, même si cette personne est résidante temporaire du Canada. Toute Indienne qui épouse un non-Indien cesse d'être indienne au sens et aux fins de cette loi, à ceci près qu'elle a le droit de participer à la distribution du revenu annuel et de l'intérêt monétaire cités ci-dessus. Au milieu de 1950, le ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration a saisi la Chambre des communes d'un projet de loi tendant à amender certaines parties de la loi de 1947. Selon le projet, « la définition de 1'« Indien » dans la loi actuelle n'est pas claire et n'a pas permis d'établir avec certitude qui est et qui n'est pas « Indien » ». Il a été proposé de créer un Registre des Indiens, où sera inscrit le nom de toutes les personnes ayant droit à y figurer 2. Ce projet, qui a été transformé en loi le 17 mai 1951, définit l'Indien : « toute personne qui, en vertu de cette loi, est enregistrée comme Indien ou a droit à être enregistrée comme Indien ». Ont notamment ce droit : a) tout individu qui était, au 26 mai 1874, en vertu de la loi alors en vigueur, considéré comme ayant droit à la possession, à l'usage ou à la jouissance de terres et autres biens-fonds appartenant aux différentes tribus, «bandes» ou groupes d'Indiens du Canada ou assignés à leur usage ; b) tout descendant mâle en ligne directe masculine de la personne mentionnée sous a) ; e) tout fils légitime de la personne mentionnée sous a) ; d) toute femme ou veuve d'une personne définie sous a) et b). Sont notamment exclues de ce droit la personne qui a reçu des terres de métis (halfbreed) et la femme qui épouse un non-Indien. La nouvelle loi définit la « bande » : tout groupe d'Indiens à l'usage et 1 DEPARTMENT OF MINES AND RESOURCES, Indian Afiairs Branch : The Indian Act (Ottawa, 1947). 2 House of Commons, Second Session, Twenty-first Parliament, 14 George VI, 1950, Bill 267 : An Act respecting Indians, First Blading, 7 J u n e 1950 (Ottawa, 1950). DÉFINITION D E L'(( ABORIGÈNE » 13 au bénéfice communs duquel on a concédé des terres dont le titre appartient à la Couronne, ou au bénéfice commun duquel le gouvernement de Sa Majesté administre des biensfonds en fiducie, ou tout groupe d'Indiens déclaré tel par le gouverneur en son conseil 1 . Aux Etats-Unis, le critère le plus répandu pour déterminer qui est un Indien du point de vue légal ou administratif semble être celui de l'appartenance à une tribu indienne, jointe à une certaine proportion de sang indien. La loi de 1934, portant nouveau statut des Indiens (art. 19), définit les Indiens : « toutes les personnes de descendance indienne qui sont membres d'une tribu indienne actuellement reconnue sous la juridiction fédérale et toutes les personnes qui descendent de tels membres et qui, au 1 e r juin 1934, résidaient dans les limites actuelles d'une réserve indienne », ainsi que « toute autre personne ayant au moins la moitié de sang indien ». Aux fins de la loi citée, «... les Esquimaux et autres peuples aborigènes de l'Alaska seront considérés comme Indiens 2 ». Selon d'autres lois, la proportion de sang indien requise pour constituer un critère de définition est inférieure à la moitié et s'abaisse parfois à un seizième. Le règlement approuvé le 27 novembre 1935 par le secrétaire d'Etat à l'Intérieur (Indian Law and Order Regulations) décide qu'aux fins de l'application du texte cité «... sera considérée comme Indien toute personne de descendance indienne qui soit membre d'une tribu actuellement reconnue sous la juridiction fédérale 2 ». Lors du recensement de population effectué en 1930, on a considéré comme Indien l'Indien de sang pur et tout individu métis d'Indien et de Blanc, excepté lorsque le pourcentage de sang indien était très minime ou lorsque l'intéressé était considéré comme Blanc par la communauté dans laquelle il vivait. En revanche, pour le recensement de 1940, on a considéré qu'«une personne présentant un mélange de sang blanc et indien devrait être inscrite comme Indienne si elle était portée sur les listes d'un bureau ou comprise dans un recensement de réserve, et, à défaut de figurer sur ces listes, si la proportion de sang indien était d'un quart au moins, ou si la personne était 1 House of Commons, Fourth Session, Twenty-first Parliament, 15 George VI, 1951, Bill 79 : An Act respecting Indians, as passed by the House of Commons, 17th May 1951 (Ottawa, 1951). 2 Cité par Felix S. COHEN : Handbook of Federal Indian Law (Washington, United States Department of the Interior, 1942), p. 5. 14 DÉFINITIONS ET DONNÉES PRÉLIMINAIRES considérée comme Indienne par la communauté dans laquelle elle vivait 1 ». Le Bureau des affaires indiennes des Etats-Unis considère comme Indienne toute personne qui a du sang indien et qui conserve des droits dans sa tribu. Le département du Travail des Etats-Unis d'Amérique a informé le B.I.T. que, dans ce pays, on entend par « population indigène » les habitants « autochtones » ou « aborigènes » d'une région déterminée 2. ASIE Dans l'Inde, la Constitution contient des dispositions spéciales concernant les scheduled tribes (tribus inscrites sur des listes ou classées par catégories), définies comme «... celles qui en tout ou partie constituent des tribus ou communautés tribales », que le Président de la République peut déclarer telles par notification publique (art. 342) 3 . On suppose que les groupes formant des tribus constituent le secteur ethnologique le plus ancien de la population nationale 4. Ces derniers temps, le terme adivasis (adi = originaire ; vasi = habitant) a été adopté pour désigner ces groupes. Récemment, le commissaire aux castes et tribus de l'Inde a sondé les possibilités d'adopter u n critère de classification qui aille plus loin que la notion juridique citée ci-dessus. Dans cette intention, il s'est adressé aux divers gouvernements des Etats et leur a demandé de suggérer les caractéristiques qui leur paraissaient les plus propres à différencier les groupes dits aborigènes du reste de la population nationale. La diversité des facteurs suggérés montre la difficulté inhérente à toute tentative de cette nature. Ainsi, le gouvernement de l'Assam a proposé comme trait distinctif la descendance raciale mongoloïde, l'appartenance au groupe linguistique thibéto-birman, l'existence d'une unité sociale du type clan, etc. ; le gouvernement de Bombay a cité l'habitat dans des zones forestières ; celui de Madhya Pradesh, l'origine et la langue tribales et l'habitat dans des zones forestières ; celui de Madras, la vie primitive en tribus et l'habitat dans des régions montagneuses 1 UNITED STATES DEPARTMENT OF COMMERCE, Bureau of the Census : The Indian Population of the United States and Alaska, 1930 ; cité p a r COHEN, op. cit., p. 2. 2 Communication spéciale du 26 juill. 1950. Voir également chapitre X I . 3 The Constitution (Scheduled Tribes) Order, 1950, e t The Constitution (Scheduled Tribes) (Part C States) Order, 1951. Voir tableau X X V I . 4 Communication d u gouvernement d e l'Inde, 13 mai 1950. DÉFINITION DE L'a ABORIGÈNE » 15 d'accès difficile ou au fond de la jungle, tout contact avec les autres groupes de la population nationale étant négligeable ; celui d'Orissa, l'origine raciale prédravidienne ou mongoloïde ; celui du Pendjab, le langage de la tribu ; celui du Bengale occidental, l'origine tribale ; celui de Haïderabad, l'habitat dans la jungle, la religion animiste, l'usage d'un dialecte local, la chasse, la pêche et la cueillette de fruits sylvestres comme moyens primitifs de subsistance, etc. ; celui de Mysore, l'habitat dans des districts montagneux et écartés de la jungle ; celui de Travancore-Coehin, la vie dans la jungle, la religion de la tribu et certains caractères raciaux et culturels ; celui de Bhopal, l'habitat dans des régions écartées dans la jungle et la montagne, le nomadisme, une subsistance assurée par la chasse et la cueillette de fruits sylvestres ; celui de Vindhya Pradesh, la préférence pour les fruits, racines et viandes animales (au lieu de céréales), l'emploi d'écorce et de feuilles d'arbres pour la préparation de vêtements de cérémonie, le nomadisme, la magie, l'adoration des esprits l . Aux Philippines, pour les besoins des travaux de la Commission d'experts pour le travail des aborigènes de l'Organisation internationale du Travail, le gouvernement a interprété les termes « aborigène » et « population aborigène » de la manière suivante : il faut considérer comme aborigène « ce qui a trait aux premiers habitants du pays, les autochtones dépendants (dependent natives), tels que les Moro, les Igorrot, les Mangyan, les Negritos ou Aeta et autres groupes des montagnes » ; est population aborigène « l'ensemble des habitants aborigènes ; les autochtones qui, dans leur majorité, constituent la fraction non chrétienne de la population totale du pays » 2 . ATJSTRALASIE En Nouvelle-Zélande, aux fins du recensement, on entend par aborigène du Dominion proprement dit (par opposition à ses dépendances territoriales) tout Maori de race pure (full blood), tout métis de Maori et d'Européen dont le sang est mêlé à parts égales (half-caste) et tout métis de Maori et d'Européen qui se trouve, du point de vue du sang, plus près du Maori que de l'Européen 3. 1 L. M. SHBIKANT : Report of the Commissioner for Scheduled Castes and Scheduled Tribes for the Period ending 31st December, 1951 (La Nouvelle-Delhi, Government of India Press, 1952), pp. 109-111. 2 Communication du gouvernement des Philippines, 13 mars 1950. 3 Communication du gouvernement de la Nouvelle-Zélande, 17 février 1950. 16 DÉFINITIONS ET DONNÉES PRÉLIMINAIRES En dépit de ce recours au critère biologique dans les classifications des recensements, on utilise plutôt un critère culturel dans les rapports quotidiens entre les départements gouvernementaux et les Maoris. Eu égard au bilinguisme de la grande majorité de la population maorie, le critère linguistique est finalement inutile. Ainsi, du point de vue pratique, un Maori est une personne qui est membre d'une tribu maorie, qui peut prouver cette qualité par sa généalogie, et qui est acceptée par les autres membres de la tribu à titre de participant complet aux affaires de la tribu, compte tenu de l'âge, du sexe et du statut social du suj'et. Très souvent, le Maori possède une parcelle de terre en vertu d'un titre coutumier maori. S'il ne vit pas dans un village ou une localité maori d'un type essentiellement tribal, il reconnaîtra comme ses foyers tel ou tel village ou localité, à proximité de sa maison de réunion tribale. Par conséquent, la qualité de membre d'une tribu est en définitive le signe ou la caractéristique la plus importante en pratique pour classer en Nouvelle-Zélande un individu comme Maori ou non-Maori. Critères théoriques L'unanimité sur les critères théoriques n'existe pas non plus entre les experts des questions indigènes. Certains de ceux-ci sont en faveur du critère linguistique, d'autres du critère culturel, d'autres de celui de la « conscience de groupe ou tribale », d'autres d'un critère « fonctionnel », d'autres encore préconisent un critère multiple qui englobe deux ou plusieurs des critères isolés antérieurs et, dans certains cas, le critère somatique lui-même. C'est particulièrement en Amérique latine, où la définition légale de l'Indien est exceptionnelle, que cette discussion acquiert une certaine importance. LA LANGUE Selon ce critère, l'emploi exclusif de la langue maternelle aborigène constituerait la principale indication pour établir objectivement si un individu peut être qualifié d'Indien ou d'aborigène. Ainsi, selon le directeur de l'Institut national des affaires indigènes de Mexico, « si un homme emploie uniquement un idiome aborigène, nous pouvons affirmer qu'il est DÉFINITION D E L'(( ABORIGÈNE » 17 Indien » 1 ; ou bien, selon le directeur de l'Institut interaméricain des affaires indigènes, le seul fait de s'exprimer dans une langue aborigène révèle que l'intéressé « possède une plus grande proportion de sang indien et de caractères culturels autochtones » qu'un autre individu qui parle uniquement l'espagnol 2 . Pourtant, ces mêmes auteurs se sont hâtés d'ajouter que l'application restrictive de ce critère linguistique obligerait à exclure de la catégorie d'« Indien » des millions d'individus bilingues (langues aborigène et espagnole) et d'individus qui ne parlent pas de langues aborigènes, mais qui, par d'autres traits de leur civilisation, ou par leurs caractères somatiques, ou par leur conscience de groupe, sont considérés ou se considèrent eux-mêmes comme Indiens ou indigènes 3 . LA CULTURE Ce critère a été vigoureusement défendu par le directeur et le secrétaire général de l'Institut interaméricain des affaires indigènes 4. Il consiste essentiellement à faire l'inventaire des éléments de la civilisation matérielle et spirituelle d'un groupe, tribu ou population donnés d'indigènes, et à les classer, du point de vue de leurs origines et de leur efficacité sociale et économique, en trois catégories différentes, à savoir : i) ceux de caractère «précolombien» ou «autochtone»; ii) ceux de caractère « postcolombien », « occidental » ou « étranger » (divisés à leur tour en : a) « coloniaux », b) « contemporains ») ; iii) ceux de caractère « mixte ». Au nombre des éléments précolombiens, on a proposé les suivants : le régime alimentaire à prédominance végétarienne (patate, maïs et piment), le metate (pierre pour moudre le maïs), le huarache (sandale 1 Alfonso CASO : «Definición del indio y lo indio», América Indígena (Mexico), vol. Vili, n° 4, oct. 1948, p. 244. 2 Manuel GAMIO : « La identificación del indio », dans Consideraciones sobre el problema indigena (Mexico, Instituto Indigenista Interamericano, 1948), p. 105. 3 Alfonso CASO, op. cit., p. 245. Manuel GAMIO : Communication au B.I.T., avril 1949. Voir également Manuel.Germán PARSA : Densidad de la población de habla indígena en la República Mexicana (Mexico, Instituto Nacional Indigenista, 1950), p. 15. 4 Manuel GAMIO : Hacia un México nuevo (Mexico, 1935) ; « El índice cultural y el biòtico », Proceedings of (he Eighth American Scientific Congress (Washington, 1942) ; « Consideraciones sobre el problema indígena en América », pp. 1-23 ; « Some Considerations of Indianist Policy », dans The Science of Man in the World, Crisis (publié sous la direction de Ralph LINTON, New-York, Columbia University Press, 1945), pp. 399-415 ; Juan COMAS : Panorama continental del indigenismo, tirage à part de la revue Cuadernos Americanos (Mexico, Fondo de cultura econòmica, 1950), pp. 154-156. 18 DÉFINITIONS ET DONNÉES PRÉLIMINAIRES primitive), l'économie de troc, le recours aux guérisseursmagiciens, la conception mythique des phénomènes naturels, surtout en rapport avec l'agriculture, certaines formes tribales d'organisation familiale et sociale, etc. Au nombre des éléments dits postcolombiens, on a cité la charrue, la machette de fer, la pelle, le phonographe, etc. Au nombre des éléments mixtes, on a mentionné la selle des vaqueros, le canot monté avec des clous, etc. Serait indien ou aborigène tout groupe social dans lequel les éléments dits précolombiens l'emporteraient dans une proportion considérable 1. Le critère culturel a fait l'objet de divers commentaires par des spécialistes des études indigènes du continent américain. Presque tous mentionnent les difficultés inhérentes : a) à la détermination du nombre des éléments culturels que l'on devrait retenir pour la classification ; b) à la détermination du pourcentage que ces éléments devraient atteindre parmi les membres d'un groupe déterminé pour justifier la qualification d'indigène appliquée à ce dernier 2 ; c) à l'adoption des normes que l'on devrait employer pour définir un élément culturel donné comme précolombien. Le directeur de l'Institut national des affaires indigènes du Mexique a fait observer que «... il ne suffit pas qu'un élément culturel soit d'origine indienne pour classer comme Indien celui qu'il caractérise; il ne suffit pas non plus qu'il soit d'origine européenne pour mettre celui qui l'emploie dans la catégorie des Blancs » ; dans de nombreux cas, les éléments en question sont aussi « métissés » sur le plan culturel que le sont, sur le plan biologique, les individus qui les emploient, comme, par exemple, la coa (bâton utilisé dans l'agriculture pour mettre en terre les grains de maïs), qui, pendant la période préhispanique, possédait une pointe de cuivre ou simplement durcie par le feu, mais qui, actuellement, est un objet de fer forgé ; ou 1 Manuel Gamio semble être d'avis qu'en général, il est probable qu'une telle prépondérance se trouve accompagnée de la prédominance de l'unilinguisme. Dans une communication au B.I.T., à l'occasion de la quatrième Conférence des Etats d'Amérique Membres de l'O.LT. (Montevideo, 1949), le directeur de l'Instituto Indigenista Interamericano cite, comme exemple de groupes nettement indigènes, la tribu des Lacandon (Mexique) dans laquelle, à côté de l'unilinguisme, les éléments culturels précolombiens seraient représentés « dans une proportion de 90 pour cent ». (Voir aussi : o El Congreso de Cuzco y las actividades contra el indigenismo », America Indígena (Mexico), vol. IX, n° 2, avril 1949, pp. 91-103.) 2 Dans une conférence prononcée au siège du B.I.T. en décembre 1949, le D r Juan Comas, secrétaire général de l'Institut interaméricain des affaires indigènes, a déclaré que l'Institut penchait vers l'adoption de 75 pour cent comme critère pratique pour qualifier un groupe aborigène. DÉFINITION DE L'if ABORIGÈNE » 19 encore, comme le piment, qui, actuellement, se frit dans du saindoux ou s'assaisonne avec des herbes odorantes qui étaient inconnues des Indiens d'avant la conquête 1 . Le directeur de l'Institut national des affaires indigènes du Guatemala a fait observer d'autre part que, dans son pays, maints éléments postcolombiens (la machette, la pioche, certains rites du baptême et du mariage, etc.) sont fréquemment utilisés par de nombreux individus qui, à d'autres égards, sont considérés comme Indiens à cause de leur culture, et que, inversement, certains des éléments précolombiens (par exemple, le metate) sont employés par de nombreux individus déjà adaptés à la civilisation européenne ou occidentale 2. Un sociologue mexicain a exprimé l'opinion que nombre d'éléments désignés comme aborigènes ou précolombiens sont «... simplement des caractères distinctifs des ruraux, par opposition aux populations urbaines 3 ». Il a été signalé à maintes reprises que même dans les tribus qui vivent encore dans un état d'isolement géographique presque complet, une série d'éléments culturels et économiques postcolombiens — outils, animaux domestiques, plantes, traits de la religion catholique ou protestante 4 — se sont infiltrés grâce à l'action de la mission religieuse, de la garnison militaire, de la compagnie pétrolière, ou forestière, etc. Deux chercheurs américains ont insisté sur la difficulté qu'il y a à discerner, à travers de simples données numériques, la « valeur fonctionnelle » que les éléments précolombiens possèdent dans un groupe déterminé, car ils ont observé qu'une proportion de 20 pour cent seulement, par exemple, « ... peut jouer un rôle d'une importance sociale plus grande qu'une proportion supérieure dans un groupe différent, mais dans lequel les éléments quantitatifs ont une moindre signification fonctionnelle 5 ». Finalement, en ce qui concerne le critère secondaire de « l'efficacité » socio-économique, le D r Gamio lui-même a indiqué que l'état primitif d'un élé1 2 Alfonso CASO, op. cit., p . 244. Antonio GOUBAUD CARRERA : « Conferencia del Director del Instituto », Boletín del Instituto Indigenista Nacional (Guatemala), vol. I, n° 1, déc. 1945, pp. 22-24. 3 Julio D E LA F U E N T E : « Definición, pase y desaparición del indio en México », América Indígena, voi. VII, n° 1, janv. 1947, p. 67. 4 Voir par exemple les études monographiques sur diverses tribus de la région de l'Amazone réunies par le Bureau d'ethnologie américaine de la Smithsonian Institution, bulletin 143 : Handbook of South American Indians, publié sous la direction de Julian H. STEWARD ; vol. 3 : The Tropical Forest Tribes (Washington, 1948). 5 Oscar L E W I S et Ernest E. M A E S : «Base para una nueva definición práctica del indio», América Indígena, vol. V, n° 2, avril 1945, p p . 107-118. 20 DÉFINITIONS ET DONNÉES PRÉLIMINAIRES ment culturel donné ne le place pas nécessairement dans la catégorie précolombienne 1 . En effet, on a observé que bon nombre d'éléments de caractère postcolombien possèdent également cette caractéristique, comme, par exemple, l'institution coloniale de la hacienda, la charrue de bois, la machette, etc. 2. LA CONSCIENCE D E GROUPE Comme nous l'avons déjà indiqué, ce critère a été partiellement utilisé lors du dernier recensement de population qui a eu lieu au Pérou. Dans 13 pour cent des cas, on a demandé aux habitants s'ils se considéraient eux-mêmes comme étant de « race » blanche, indienne, métisse, noire ou jaune. Comme le rapport du recensement le signale lui-même, l'exactitude de l'information a dépendu de la sincérité ou du critère subjectif des habitants. Ce critère semble se trouver également à la base d'une résolution du deuxième Congrès interaméricain des affaires indigènes d'après laquelle la notion d'« Indien » exprime une conscience sociale liée aux systèmes de travail et à l'économie, à la langue propre et à la tradition nationale respective des peuples ou nations aborigènes 3 . Il a été défendu comme « le plus définitif » par le directeur de l'Institut national des affaires indigènes du Mexique, selon qui est Indien tout individu «... qui se tient lui-même pour un aborigène, car cette conscience de groupe ne peut exister sans l'acceptation totale de la civilisation du groupe ». Le D r Caso reconnaît néanmoins que ce critère est aussi le moins susceptible d'être découvert objectivement, puisque « . . . dans le cas où il s'agit d'un groupe social regardé comme inférieur, l'individu dissimulera sa conscience de groupe dans tous ses rapports avec des personnes étrangères à celui-ci 4 ». ïful n'ignore d'ailleurs la tendance des Indiens et métis qui ont gravi l'échelle écononique et sociale, ou qui désirent la gravir, à se désigner eux-mêmes respectivement comme métis et Blancs. 1 Manuel GAMIO : « Cultural Patterns in Modem Mexico », The Quarterly Journal of Inter-American Relations (Cambridge, Mass.), avril 1939. 2 Oscar L E W I S et Ernest E . MAES, op. cit., p . 113. 3 Acta final del segundo Congreso indigenista interamericano, Suplemento del Boletín Indigenista (Mexico, Instituto Indigenista Interamericano, sept. 1949), p . 11. 4 Alfonso CASO, op. cit., p . 245. DÉFINITION DE i A ABORIGÈNE » 21 L E CRITÈBE MULTIPLE Ce critère, comme son nom l'indique, consiste à appliquer à la fois à un groupe déterminé de population deux ou plusieurs éléments de classification individuellement tenus pour valables. Par exemple, selon le D r Caso, les éléments les plus importants dont il faudrait tenir compte pour élaborer une définition relativement satisfaisante de l'Indien sont au nombre de quatre : a) l'élément biologique, reposant sur la notion d'un ensemble de caractères somatiques « non européens » ; b) l'élément culturel, reposant sur l'examen des objets, des techniques et des croyances d'origine précolombienne, ou bien européenne, mais qui ne sont pas adoptés par le Blanc ; c) l'élément linguistique, lié avant tout au phénomène de l'unilinguisme indigène ; enfin, d) l'élément psychologique, selon que l'individu a ou non conscience de faire partie d'une communauté indigène. Tout groupe qui comprendrait à un degré prépondérant ces quatre éléments serait désigné comme « pur indien », sans que cette définition signifie pour autant pureté de race ou de civilisation. Le D r Caso a proposé la définition suivante : Est Indien celui qui a conscience d'appartenir à une communauté indigène ; est communauté indigène celle dans laquelle prédominent les éléments somatiques non européens, qui parle surtout une langue indigène, qui possède dans sa civilisation matérielle et spirituelle des éléments indigènes en forte proportion et qui, enfin, a le sentiment social de former une communauté isolée au sein des autres communautés environnantes, sentiment qui l'amène par1 là mSme à se distinguer des agglomérations de Blancs et de métis . D'une manière analogue, le D r Gamio a été d'avis qu'en principe, seules pourraient être classées comme « Indiens » les personnes dont la filiation paternelle et maternelle est rigoureusement autochtone quant à la race, la civilisation ou la langue, mais il ajoute néanmoins « qu'il n'existe probablement plus d'êtres humains répondant à ce type, sinon peut-être dans les coins les plus écartés et les plus ignorés du continent 2 ». Il est facile de voir qu'aucun des critères individuels décrits ci-dessus ne possède à priori une valeur générale de classification. Chacun d'eux tire sa valeur des cas et des circonstances dans lesquels il s'applique (et de l'utilité sociale positive de 1 2 Alfonso CASO, op. cit., p . 246. Manuel GAMIO : « Clasificación de las características culturales de los grupos indígenas », Consideraciones sobre el problema indigena (Mexico, 1948). 22 DÉFINITIONS ET DONNÉES PRÉLIMINAIRES son application). Chacun d'eux est unilatéral ou abstrait, en ce sens que son aire de compréhension démographique ne coïncide que partiellement avec celle de l'un quelconque des autres. En d'autres termes, il n'existe pas de corrélation nécessaire entre le nombre ou le pourcentage d'individus classés comme aborigènes en vertu d'un de ces critères et le nombre ou le pourcentage d'individus classés comme tels en vertu de n'importe quel autre critère. Pour employer une image empruntée à la géométrie, on pourrait dire que les rapports existant entre les valeurs obtenues à l'aide des divers critères individuels sont analogues à ceux qui existent entre une série de circonférences sécantes, inscrivant des aires de superposition d'autant plus petites que le nombre des circonférences considérées est plus grand. Le résultat de cet état de choses sur la politique pratique suivie à l'égard des aborigènes tombe sous le sens. Un programme de progrès social appliqué à un secteur de la population qualifiée d'aborigène en vertu d'un de ces critères laisserait hors de son champ d'application une importante proportion d'un autre secteur de la population qualifié comme tel en vertu d'un autre critère, et un programme fondé sur un critère multiple réduirait considérablement l'ampleur du groupe démographique bénéficiaire. D'autre part, si, aux fins de la classification, la valeur de ces critères dépend des cas et des circonstances dans lesquels ils s'appliquent, leur valeur en tant que méthodes d'étude pratique de problèmes concrets et déterminés peut être très grande. Ainsi, le critère linguistique est d'une grande utilité lorsqu'il s'agit, par exemple, de jeter les bases d'une politique éducative tendant à éliminer les obstacles que l'unilinguisme indigène oppose au progrès de l'unification culturelle, sociale, économique et politique de la nation, ou, sur un plan plus spécial, pour établir jusqu'à quel point une loi ou un décret général — par exemple sur le recrutement de la main-d'œuvre agricole, ou le respect des normes de sécurité industrielle dans les mines — est susceptible, sans adaptation administrative appropriée, d'apporter des avantages réels à une région dans laquelle un fort pourcentage des travailleurs, faute de savoir la langue officielle, ne peuvent prendre directement connaissance du contenu de leur contrat de travail ou des consignes de sécurité qu'on leur remet. Le critère culturel est d'une grande utilité lorsqu'il s'agit, par exemple, de se rendre compte de l'influence de la civilisation européenne sur la civilisation autochtone et vice versa, et de DÉFINITION DE L'A ABORIGÈNE » 23 déterminer, d'un point de vue socio-économique moderne, quels sont les aspects — positifs et négatifs — qui ont survécu dans la seconde (ou dans le mélange des deux), afin d'établir les normes les plus propres à permettre, soit de les éliminer de la vie culturelle et économique de la nation, soit de les y incorporer K Le critère de la « conscience tribale », dans les limites ci-dessus indiquées, peut somme toute se révéler utile pour identifier les facteurs qui ont contribué à perpétuer ou à créer dans un groupe déterminé un sentiment de « spécificité tribale », par opposition au sentiment d'appartenir à une collectivité plus vaste, ou bien il peut servir, au contraire, à déterminer jusqu'à quel point la conscience de groupe, liée aux survivances tribales et socio-économiques des origines précolombiennes (comme par exemple, le càlpuïli aztèque), a contribué à modeler les institutions de caractère national (Vejido moderne du Mexique). Le critère somatique peut encore avoir une certaine utilité lorsqu'il sert uniquement à établir le degré de métissage biologique que, par l'effet de la coexistence sociale et économique, la population d'une région ou d'un pays déterminés a subi depuis l'arrivée des Européens 2. L E CRITÈRE « FONCTIONNEL » Désirant trancher le nœud gordien que représente cette question, les deux sociologues américains déjà cités précédem1 La tentative faite il y a quelques années pour introduire parmi les Miskito du Nicaragua certaines pratiques modernes d'hygiène est très instructive à cet égard. L'opération a été sur le point d'échouer totalement parce qu'on n'avait pas de prime abord attribué toute son importance au rôle affectif et culturel que les conceptions mythiques de la médecine jouent dans la tribu citée. Dans d'autres pays du continent américain, ainsi qu'en dehors de celui-ci, certaines tentatives de modernisation agricole se sont vues paralysées par les croyances religieuses de l'aborigène relatives à la « Terre Mère ». Plus encore, comme l'a indiqué le D r Gamio lui-même, dans certaines régions « la tradition séculaire est teUement enracinée et forte qu'elle a fréquemment pour effet de s'opposer aux avantages possibles qu'entraîne la possession d'éléments économiques et qu'elle engendre une attitude fataliste qui limite les préoccupations aux besoins matériels de la vie des ancêtres, quelque étroits et élémentaires qu'ils soient ». Voir Manuel GAMIO : « Las características culturales y los censos indígenas », Consideraciones sobre el problema indigena, op. cit. 2 Comme l'a indiqué, avec un profond esprit sociologique, le directeur de l'Institut interaméricain des affaires indigènes — sans parler du fait que de telles recherches peuvent éveiller et renforcer des préjugés et des pratiques racistes —, il ne s'agit pas d'améliorer le type biologique de l'aborigène, objectif certainement très discutable, mais de répondre aux besoins, notamment d'ordre biologique, des groupes d'indigènes qui végètent dans les plus bas stades de l'évolution, « sans s'arrêter à considérer si leur type racial est purement indigène ou métis à un degré quelconque ». (Manuel GAMIO : Consideraciones sobre el problema indígena, p. 2.) Ajoutons qu'il ne s'agit pas de déterminer le pourcentage de cellules héréditaires qui se trouve dans le corps de l'aborigène, mais de protéger la personne physique de celui-ci contre la famine, la maladie, les intempéries et les travaux épuisants. 24 DÉFINITIONS ET DONNÉES PREUMTNAHUES ment ont proposé en 1945 d'employer un critère « fonctionnel » pour aborder le problème des aborigènes. Selon ce critère, « du point de vue de la personne intéressée de façon pratique à l'action en faveur des aborigènes », il conviendrait de procéder dans l'autre sens et, au lieu d'essayer de définir d'abord l'Indien pour pouvoir ensuite appliquer à son bénéfice les mesures que l'on considère comme appropriées, de commencer par un inventaire des données relatives aux conditions de vie des groupes dits aborigènes dans chacun des pays où le problème se pose \ En s'appuyant sur ces données, on formulerait un programme de progrès social applicable aux groupes qui apparaîtraient comme les plus déshérités à la lumière des informations recueillies. Au nombre des données à rassembler figureraient celles qui indiquent : a) les besoins les plus évidents et les lacunes sociales et économiques des groupes intéressés ; b) les différences existant entre un groupe et un autre ; c) les groupes pour lesquels la solution de problèmes déterminés exigerait des méthodes spéciales ; d) comment il faudrait adapter les programmes nationaux de progrès social, afin que ces derniers puissent toucher les groupes les plus déshérités. Dans la première catégorie rentreraient les renseignements quantitatifs sur les revenus économiques, la production agricole, les maladies, etc. ; dans la deuxième, des renseignements qui permettraient de localiser géographiquement les principales lacunes existant dans le domaine de la technique agricole, du régime foncier, etc. ; dans la troisième, des renseignements sur l'importance numérique et l'habitat des groupes qui ne parlent pas la langue officielle du pays ou qui vivent dans un état d'isolement géographique et administratif qui les empêche de profiter effectivement des programmes généraux de progrès, ou encore qui nourrissent un sentiment prononcé de méfiance envers les éléments appartenant à d'autres groupes de la population ; dans la quatrième catégorie seraient groupés des renseignements au sujet des croyances qui pourraient influer sur la réalisation des programmes généraux de mise en valeur dans le domaine de l'agriculture, de l'hygiène, etc. Tout groupe qui présenterait quantitativement et qualitativement le maximum de besoins et de lacunes pourrait être regardé, du point de vue pratique, comme aborigène, tandis que tout groupe dans lequel ces besoins seraient 1 Oscar LEWIS et Ernest E. MAES, op. cit., pp. 107-118. DÉFINITION DE I,'« ABORIGENE » 25 sans aucune gravité pourrait être qualifié de non aborigène 1 . Comme on l'aura remarqué, ce critère tend à remplacer la notion traditionnelle d'indigène (qu'on nous pardonne le jeu de mots) par la notion d'« indigent » 2. En effet, comme les tenants de cette thèse le reconnaissent eux-mêmes, on pourrait d'un point de vue « fonctionnel » considérer comme posant un problème certains groupes négroïdes du continent américain dont les besoins sociaux et économiques sont aussi accusés que ceux des groupes de descendance autochtone 3 . Plus encore, comme l'a fait remarquer un spécialiste mexicain des études indigènes, on pourrait également y inclure divers groupes blancs suburbains ou même urbains, dont la situation économique et sociale serait en certains cas « plus misérable et plus précaire » que celle « des groupes même considérés comme indiens et établis dans des régions rurales 4 ». Les partisans de ce critère reconnaissent également que la diversité des conditions existantes d'un pays à un autre empêche de donner de l'Indien une définition fonctionnelle identique pour tout le continent et que « la combinaison [des besoins et des lacunes] qui répond à ce que l'on doit considérer comme Indien dans chaque pays [devrait être] déterminée compte tenu de la situation locale ». 1 Oscar LEWIS et Ernest E. MABS, op. cit., p. 118. 2 Ce critère semble au fond coïncider avec une définition tautologique récemment suggérée par plusieurs spécialistes des questions indigènes du continent, selon laquelle « est Indien celui qui vit comme un Indien... ; quiconque vit comme métis, du point de vue sentimental, intellectuel et social, est métis ; peu importe qu'il soit Indien du point de vue anthroposcopique ou de l'anthropométrie raciale. D'autre part, quiconque s'intègre dans la culture et la société indigenes est Indien, même s'il est Blanc ». (Manuel Antonio GmóN : « El indigena americano como problema médicosocial », Universidad Nacional de Colombia, n° 14 (Bogota, 1949).) 3 4 Oscar LEWIS et Ernest E. MAES, op. cit., p. 117. Fernando CÁMARA BARBACHANO : « Culturas contemporáneas de México », América Indígena, vol. VII, n° 2, avril 1947, pp. 109-117. En ce qui concerne particulièrement l'Amérique latine, ü est néanmoins probable que si l'on procédait à un inventaire des lacunes et des besoins sociaux et économiques les plus criants, on s'apercevrait que le gros de la population en cause est composé précisément d'individus communément qualifiés d'« aborigènes » ou <c indo-métis », de par leur aspect physique, leur langue ou leurs coutumes. Il va sans dire que cela ne prouverait en aucune manière l'existence nécessaire d'un lien entre les caractères somatiques, linguistiques et culturels de ce secteur démographique et ses conditions de vie et de travail. Cela indiquerait l'existence d'un rapport d'ordre historique entre l'état d'infériorité sociale et économique où est placé ce secteur de la population et son origine « raciale », son unilinguisme et sa spécificité ethnique. C'est en ce sens qu'un spécialiste péruvien des questions indigènes a suggéré d'englober, dans son pays, sous le nom d'Indiens, <t la masse de la population de la Sierra du Pérou, composée d'Indiens et de métis caractérisés par un état d'ignorance et de retard intellectuel et dont la situation, en face des autres classes sociales, ne diffère que peu de la servitude ». (Francisco PONCE DE LEÓN : Al servicio de los aborígenes peruanos (Cuzco, Ediciones conmemorativas del CCL aniversario de la Universidad Nacional del Cuzco, 1946), pp. 75-76. 26 DÉFINITIONS E T DONNÉES PRÉLIMINAIRES Il convient d'observer que la signification des mots « Indien » et « métis » varie d'un pays à un autre et parfois d'une région à une autre à l'intérieur d'un même pays. Ainsi, dans plusieurs parties du haut plateau des Andes, un individu cesse d'être regardé comme Indien et se métamorphose en métis du seul fait qu'il a changé de vêtement, ou cesse d'être regardé comme métis et accède à la catégorie de « Blanc » du seul fait qu'il a acquis une propriété foncière. Dans certaines parties du Yucatan (Mexique), l'Indien est considéré comme métis bien que le degré de métissage biologique qu'il présente soit infime ou absolument nul. Dans certaines régions de l'Amérique centrale, le métis est appelé ladino, mais, dans d'autres, on qualifie de ladino uniquement l'Indien qui parle l'espagnol. Dans diverses régions du Guatemala, on nomme couramment ladino l'Indien qui a adopté la langue espagnole et le style vestimentaire occidental, mais nombreux sont ceux pour qui le trait distinctif du ladino est seulement le costume, même si ce ladino parle chez lui un dialecte aborigène et réserve l'espagnol à son commerce avec les Blancs. Dans d'autres régions, est ladino l'Indien qui vit et travaille à la ville en qualité d'artisan 1. Dans certaines parties du Chili, un métis qui parle l'espagnol, qui est propriétaire de biens-fonds et possède d'autres caractères « hispaniques » sera considéré comme « Blanc », tandis que le métis qui préfère parler une langue aborigène et se mêler aux Indiens sera souvent regardé comme un aborigène 2. Il arrive souvent en Amérique latine que, « lorsque l'Indien a adopté la langue espagnole, le costume européen et d'autres caractères nationaux, il soit classé parmi les métis, bien qu'il soit biologiquement un « pur Indien » 3 ». En réalité, il est bien rare en Amérique latine qu'un gouver1 Voir à ce sujet : Sol TAX : « Ethnie Relations in Guatemala », América Indigena, vol. II, n° 4, oct. 1952 ; León STJSLOW : Aspects of Social Reforms in Guatemala, 1944-1949 : Problems of Planned Social Change in an Underdeveloped Country (Hamilton, New-York, Colgate University, Area Studies, Latin America Seminar, Report No. 1, 1949), pp. 3-5. En 1946, l'Institut national des affaires indigènes du Guatemala a effectué une enquête parmi 1.500 maîtres ruraux pour déterminer quels étaient les critères communément employés pour classer une personne dans la catégorie des indigènes. Le critère de la « race » s'est révélé comme moins important que ceux des « coutumes » et de 1'« usage d'une langue indigène dans le foyer ». Antonio GOTJBATJD CARRERA : « El grupo étnico indígena. Criterios parao s su definición », Boletín del Instituto Indigenista Nacional (Guatemala), vol. I, n 2-3, marsjuin 1946, pp. 13-30. 2 Donald D. BRAND : « The Peoples and Languages of Chile », New Mexico Anthropologist (Albuquerque, Nouveau-Mexique), vol. V, 1941. 3 Julian H. STEWARD : «The Changing American Indian», dans The Science of Man in the World Crisis (publié sous la direction de Ralph LINTON, New-York, Columbia University Press, 1945), p. 282. DÉFINITION DE I,'« ABORIGÈNE » 27 nement essaie encore de définir l'Indien ou l'aborigène par ses caractères somatiques. Dans la majorité de ces pays, le terme de « race » lui-même perd de plus en plus son acception première pour se charger d'une signification culturelle ou socioéconomique 1. ... la race, en définitive, implique un classement social. L'Indien et le Noir forment la couche inférieure de la société ; le métis, la la classe intermédiaire et le Blanc, la classe supérieure : c'est une stratification vieille de plus de quatre siècles... Aucun individu de la couche supérieure ne veut admettre qu'il n'est pas Blanc, même si le sang de la Guinée ou du Tawantinsuyu coule dans ses veines 2. Si l'on tient compte de l'objectif que se propose l'Organisation internationale du Travail, il conviendra de laisser de côté le problème complexe de la définition à priori de 1'« aborigène ». Certes, dans le présent rapport, les groupes aborigènes définis comme tels par des mesures légales et administratives reçoivent toute l'attention qu'ils méritent. Néanmoins, pour fixer à cette étude un champ de recherche suffisamment vaste, nous nous en tiendrons à la description suivante, à titre de guide purement empirique, pour l'identification des groupes aborigènes des pays indépendants : sont aborigènes les descendants de la population autochtone qui habitait un pays déterminé à l'époque de la colonisation ou de la conquête (ou de plusieurs vagues successives de conquêtes) réalisée par certains des ancêtres des groupes non autochtones détenant actuellement le pouvoir politique et économique ; en général, ces descendants ont tendance à mener une vie plus conforme aux institutions sociales, économiques et culturelles antérieures à la colonisation ou à la conquête — institutions qui se combinent, dans certains pays, avec un régime foncier semi-féodal — qu'à la civilisation de la nation à laquelle ils appartiennent ; ils ne participent pas pleinement à la vie économique et culturelle nationale, du fait des obstacles élevés par la langue, la coutume, les croyances, les préjugés, les discriminations, etc., et souvent aussi par la faute du régime anachronique et injuste des rapports entre travailleurs et employeurs et d'autres éléments d'ordre social et politique ; lorsque leur entière participation à la vie nationale n'est pas exclue par certains des obstacles cités ci-dessus, elle est restreinte par des facteurs d'ordre historique qui font 1 2 Julio D E LA F U E N T E , op. cit., p. 65. Luis E . VALCÁRCEL : « Supervivencias precolombinas en el Perú », América Indigena, vol. X, n° 1, janv. 1950, p . 47. 28 DÉFINITIONS ET DONNÉES PEÉLIMINAIEES naître, dans l'esprit de l'aborigène, une attitude dominante de fidélité avant tout à sa condition de membre d'une tribu déterminée ; dans le cas d'individus ou de groupes indigènes « marginaux », à cheval sur deux milieux, le problème résulte d'une adhésion et d'une participation incomplètes, aussi bien au milieu national qu'au milieu aborigène. Ce guide empirique permet en fin de compte de concentrer notre attention sur l'analyse des conditions de travail des groupes dits aborigènes, dans la mesure où ces conditions présentent des problèmes spéciaux qui demandent à être traités dans un esprit particulier. Dans ce cadre, la question semble se poser de la manière suivante : a) Dans les pays où les groupes dits aborigènes ne vivent pas sous un régime juridique spécial, quels sont les facteurs qui empêchent ces groupes, ou des noyaux déterminés de ceux-ci, de bénéficier effectivement de la législation générale et des programmes nationaux de progrès social et économique ? Quelles sont les méthodes qui se sont révélées les mieux appropriées, et quelles méthodes supplémentaires pourraient être proposées, pour adapter cette législation et ces programmes, sur le plan administratif, aux conditions propres de ces groupes ou de ces noyaux constitutifs ? b) Dans les pays où les groupes dits aborigènes, ou certains de leurs noyaux constitutifs, vivent encore sous un régime juridique particulier, et pour lesquels des programmes spéciaux de progrès social et économique ont été établis, quels sont les facteurs qui ont empêché jusqu'à ce jour l'intégration de ces groupes ou de ces noyaux dans le régime juridique, social et économique général de la nation, et quelles sont les méthodes qui se sont révélées les plus efficaces pour faire avancer cette assimilation ? Le problème se ramène à analyser la nature de ces facteurs et la manière dont ils ont contribué à aggraver l'état d'infériorité sociale et économique où se trouvent les groupes considérés par rapport aux autres groupes socialement et économiquement déshérités de la population nationale. En ce qui concerne leur nature, on peut distinguer entre les facteurs intrinsèques et les facteurs extrinsèques par rapport à la communauté ou à la tribu. Au nombre des premiers figurent, par exemple, l'unilinguisme, les croyances et pratiques mythiques touchant les phénomènes naturels, le nomadisme (pour certaines régions), etc. Parmi les seconds, une valeur DÉFINITION DE I,'« ABORIGENE » 29 déterminante s'attache notamment à l'éloignement géographique, à la persistance de certaines formes semi-féodales du régime foncier et, dans nombre de cas, à la discrimination sociale fondée sur le préjugé selon lequel 1'« Indien » serait biologiquement incapable d'atteindre le niveau d'évolution nécessaire pour s'intégrer dans le régime de l'économie et du travail de la nation. Plusieurs pays illustrent l'importance du facteur constitué par la « situation marginale », c'est-à-dire l'état d'imparfaite culture d'individus qui se sont bien dégagés de leur communauté originelle, mais n'ont pas réussi à se fondre dans l'ensemble de la population. Comme on verra plus loin x, ces considérations ont guidé les travaux de la première réunion de la Commission d'experts pour le travail des aborigènes de l'Organisation internationale du Travail. Comme l'a fait justement observer le général Armando Artola, ministre du Travail et des Affaires indigènes du Pérou, en ouvrant les débats du deuxième Congrès interaméricain des affaires indigènes : «Le problème ne consiste pas pour nous à étudier l'aborigène en tant que tel... Il n'y a de problème que celui de l'indéniable infériorité de notre aborigène... par rapport au niveau de vie et d'existence des autres groupes ou catégories sociales... Gardons-nous bien d'admettre la thèse de ceux qui, sous couvert de réaliser l'unité nationale, feignent d'ignorer la réalité du monde aborigène 2. » 1 Voir chap. X I I . Boletín Indigenista, vol. I X , n° 3, sept. 1949, édition spéciale consacrée au deuxième Congrès interaméricain des affaires indigènes, p p . 228-229. 2 CHAPITBE IT DONNÉES DÉMOGRAPHIQUES ET GÉOGRAPHIQUES Dans ce chapitre, on s'est efforcé de présenter les informations statistiques et les données les plus raisonnables et les plus dignes de foi — résultant de recherches officielles et privées effectuées selon des classifications souvent distinctes — au sujet de l'importance numérique des populations aborigènes des pays indépendants et de la proportion que représentent ces populations dans les chiffres connus ou estimatifs relatifs à la population totale. A ces informations, qui — on pourra s'en rendre compte — sont d'ordinaire extrêmement contradictoires, a été ajoutée, à chaque fois que la possibilité s'en est offerte, une esquisse à grands traits des types et familles ethniques ou linguistiques auxquels appartiennent les groupes de populations dont il s'agit, avec des indications sur les régions géographiques où prédominent les différentes tribus. Pour certains pays, les données statistiques sur le chiffre de la population indigène font presque entièrement défaut ; pour d'autres, ces renseignements sont incomplets ou périmés ; ailleurs, il est pour ainsi dire impossible d'obtenir toutes les informations nécessaires au sujet des groupes aborigènes sylvicoles, étant donné que ces groupes vivent dans des régions éloignées ou inaccessibles et que beaucoup d'entre eux sont nomades ; dans certains cas enfin, les renseignements disponibles souffrent de l'imperfection des méthodes utilisées pour les recueillir. En toute justice, il convient néanmoins de signaler que, pour certains pays, le manque de renseignements démographiques sur les populations aborigènes provient simplement de ce que, pour des raisons de principe, aucune différence n'est faite, lors des recensements ou des évaluations, entre les divers groupes somatiques ou ethniques, qui constituent la population nationale. DONNÉES DÉMOGRAPHIQUES ET GÉOGRAPHIQUES 31 Amérique Consciente de ces difficultés, la quatrième Conférence des Etats d'Amérique Membres de l'Organisation internationale du Travail (Montevideo, 1949) a souligné, dans une résolution spéciale qu'elle a adoptée au sujet de la question indigène 1 , la nécessité de réunir des données plus précises et plus complètes sur l'importance numérique de la population autochtone du continent américain. Elle a demandé que le Conseil d'administration du B.I.T. recommande à ces Etats d'appuyer, dans toute la mesure possible, la recommandation adoptée en 1950 par le Comité du recensement du continent américain, de façon que l'on puisse soit recueillir lors de ce recensement des renseignements détaillés sur la répartition démographique et professionnelle de cette population, soit, au cas où cela ne serait pas réalisable, évaluer l'importance de cette dernière 2. Les calculs et les évaluations donnent, pour la population indigène de l'ensemble du continent, un chiffre global oscillant entre 14 et 30 millions. Parmi les totaux avancés par plusieurs chercheurs, il y a lieu de relever les suivants (chiffres ronds) : Walter Wilcox, en 1929, 14 millions ; Paul Rivet, en 1920, 15.500.000 ; Ángel Eosenblat 3 , en 1940, 16 millions ; Johnston, en 1910, 16 millions ; Gilberto Loyo, en 1935, 17.200.000 ; John Gillin, en 1949, 17.400.000 ; Donald D. Brand, en 1947, de 17 à 19 millions ; Moisés Sáenz, en 1940, 20 millions. D'après un calcul qui semble avoir été généralement accepté lors du premier Congrès interaméricain des affaires indigènes (Patzcuaro, 1940), cette population atteindrait 30 millions d'habitants. Dans ce chiffre seraient compris non seulement les Indiens de « race pure », mais aussi de nombreux millions de métis chez lesquels le sang indien prédomine. Il n'existe aucune preuve digne de foi qui puisse offrir la moindre certitude quant à l'exactitude d'un calcul de ce genre. En 1947, Julian H. Steward, de la Smithsonian Institution, estimait que les «Indiens purs» n'étaient pas plus de 13 millions pour l'ensemble du continent 4. Près de 80 pour cent de la population métisse de culture indienne du continent vivraient dans les cinq pays suivants : 1 BUREAU INTERNATIONAL D U TRAVAIL : Bulletin officiel, vol. X X X I I , n° 2, 15 juill. 1949, p . 71 (résolution concernant les conditions de vie et de travail des populations indigènes). a Le Conseil d'administration du B.I.T. a transmis cette recommandation aux gouvernements des pays intéressés. 3 Voir tableau L. 4 Julian H . STEWARD : « The Changing American Indian », op. cit., p. 291. Voir tableau L I . 3 32 DÉFINITIONS E T DONNÉES PR.ÉT.TMTNATRF.S Bolivie, Equateur, Guatemala, Mexique et Pérou. Le groupe linguistique le plus important est le quichua, en Bolivie, en Equateur et au Pérou ; on a évalué à environ 5 millions le chiffre de cette population, qui se répartit approximativement comme suit : Bolivie (et nord de l'Argentine), 750.000 ; Equateur, 1.250.000 ; Pérou, 2.890.000. Vient ensuite, par ordre d'importance, le groupe maya, au Mexique et en Amérique centrale, qui comprendrait environ 2.500.000 individus. Le groupe aymara occupe la troisième place ; cette population, dont le nombre a été évalué à près de 600.000 individus 1 , vit en Bolivie et au Pérou. Selon Ángel Eosenblat, la population autochtone du continent comptait, à l'époque de la découverte, environ 13.400.000 habitants qui se répartissaient géographiquement de la façon suivante 2 : TABLEAU I. — AMÉRIQUE : POPULATION VERS 1 4 9 2 I. Amérique du Nord, au nord du rio Grande . . . II. Mexique, Amérique centrale et Antilles : Mexique Haïti et Saint-Domingue Cuba Porto-Rico Jamaïque Petites Antilles et Bahamas Amérique centrale III. Amérique du Sud : Colombie Venezuela Guyanes Equateur Pérou Bolivie Paraguay Argentine Uruguay Brésil Chili Total . . . 1.000.000 4.500.000 100.000 80.000 50.000 40.000 30.000 800.000 850.000 350.000 100.000 500.000 2.000.000 800.000 280.000 300.000 5.000 1.000.000 600.000 5.600.000 6.785.000 13.385.000 Eosenblat montre dans son étude comment cette population a diminué dans une énorme proportion entre l'époque de la 1 Luis PERICOT Y GARCÍA : America Indigena, tome I : El hombre americano — Los pueblos de América, première édition, vol. I de Historia de América y de los pueblos americanos, publiée sous la direction d'Antonio BALLESTEROS Y BERETTA (Barcelone, Salvat, 1936), p. 612. 2 Ángel ROSENBLAT, op. cit., p. 92. Il convient de remarquer que ces chiffres, ainsi que l'auteur lui-même le déclare, sont de simples approximations. Es ont été obtenus en combinant toute une série de données et d'évaluations tirées des chroniques de la conquête, de rapports économiques de la première période coloniale, des archives de la Couronne, etc. DONNÉES DÉMOGRAPHIQUES ET GÉOGRAPHIQUES 33 découverte et celle de l'indépendance, exposée qu'elle était à l'action de multiples facteurs de destruction, guerres de conquête, servage dans lequel la main-d'œuvre indigène a été tenue pendant une grande partie de la période coloniale, épidémies amenées d'Europe, malnutrition et alcoolisme, etc., et aussi, il va sans dire, par l'effet d'un métissage qui n'a cessé de gagner en importance. L'auteur expose d'autre part comment, depuis l'indépendance, ce chiffre a accusé un relèvement notable : il a fait plus que doubler puisqu'il en est venu à dépasser de près de 3 millions celui que la population avait atteint, suppose-t-on, au moment de la découverte. Le tableau ci-après indique, de façon approximative bien entendu, la diminution subie entre la découverte et l'indépendance et l'augmentation intervenue après cette dernière. TABLEAU I I . — AMERIQUE : ÉVOLUTION DÉMOGRAPHIQUE DE L'ÉLÉMENT ABORIGENE DEPUIS 1492 1492 1570 1650 1825 1940 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Population aborigène Augmentation ou diminution Population totale Pourcentage d'aborigènes 13.385.000 10.827.150 10.035.000 8.634.301 16.211.670 _ -2.557.850 - 792.150 -1.400.699 +7.577.369 13.385.000 11.229.650 12.411.000 34.531.536 274.275.111 100,00 96,41 80,85 25,10 5,91 Source : Ángel ROSENBLAT, op. cit., p . 109. Eosenblat distingue deux zones dans ce que l'on pourrait appeler le fonds démographique de la population indigène du continent : une « zone périphérique », dans laquelle cette population est en voie d'extinction, et une « zone centrale », où elle augmente. Il voit, dans la première, une zone de conflits et de chocs dans laquelle l'élément autochtone, composé de noyaux relativement restreints de chasseurs nomades, ou de populations qui s'adonnent alternativement à la chasse et à une agriculture primitive, a dû céder devant l'avance inexorable des Blancs qui se sont emparés de son sol et de ses terrains de chasse pour en tirer de nouvelles productions. L'indigène s'est vu obligé de se replier vers des terres d'accès plus difficile et, en général, beaucoup plus pauvres, où il a progressivement disparu, faute de pouvoir s'adapter aux nouvelles conditions de vie et de travail que lui imposaient les colonisateurs, notamment par manque d'immunité contre les maladies importées par ces derniers ; dans certaines régions, 34 DÉFINITIONS ET DONNÉES PEÉLTMINAIBES il a fini par être fondu dans une population de plus en plus métissée. Dans des parties importantes de cette zone, l'aborigène a été supplanté par le Noir, qui, au dire de l'auteur cité, saurait mieux se plier aux diverses formes que le travail revêt de nos jours dans les régions côtières et tropicales. Dans la seconde zone, le Blanc jouit de l'hégémonie économique et politique, mais, du point de vue ethnique, il ne représente qu'une infime minorité : la population se compose, dans sa très grande majorité, de noyaux indigènes fort denses qui continuent à parler leurs propres langues et restent fidèles à leurs formes traditionnelles, figées, d'organisation économique et à bon nombre de coutumes et d'institutions culturelles immuables. Cette population serait en voie de continuelle augmentation et compenserait, par un léger excédent, la diminution constatée dans la première zone. Il semble possible de déduire de l'analyse de Eosenblat que, en termes généraux et du point de vue géographique, la « zone périphérique », ou d'extinction, serait représentée par les côtes et par les forêts, et la « zone centrale », ou d'augmentation, par les hauts plateaux des Andes et les régions montagneuses de l'Amérique centrale et du Mexique. La seconde comprendrait plus particulièrement les importants et denses noyaux d'aborigènes et de métis de civilisation indienne (indomestizos) des comunidades, parcialidades, etc., de la Bolivie, du Pérou, de l'Equateur, de l'Amérique centrale et, dans une mesure moindre, du Mexique, ainsi que les groupes aborigènes des « réductions » et des réserves du Chili, de la Colombie, des Etats-Unis et du Canada. La première comprendrait une partie de la population indigène sylvicole de la région du Chaco (Argentine, Paraguay, Bolivie), les peuplades de l'Amazonie et du bassin de l'Orénoque (certaines parties du Brésil, de la Bolivie, du Pérou, de la Colombie et du Venezuela), de l'Equateur et celles de quelques régions semi-tropicales de l'Amérique centrale et du Mexique. Parmi les tribus sylvicoles qui semblent être en voie d'extinction, il y a lieu de mentionner les Pilaga du Chaco argentin, les Caingua et les Caraja du Brésil, les Jivaro de l'Equateur, les Motilón de la Colombie, les Lacandon et les Siri du Mexique, les Fuégiens du Chili et de l'Argentine et les Patagons dans ce dernier pays. D'après Eosenblat, on peut dire, à titre de première approximation, que la population indienne et la population métisse du continent auraient accusé, entre 1930 et 1940, les augmentations suivantes (en cniffres ronds) : DONNÉES DÉMOGRAPHIQUES ET GÉOGRAPHIQUES 35 T A B L E A U i n . — A M É R I Q U E : AUGMENTATION D E L A POPULATION ABORIGÈNE E T METISSE D E 1 9 3 0 A 1 9 4 0 Année 1930 1940 . . . . . . . . Population aborigène Population métisse 14.981.111 16.211.670 23.793.709 34.362.981 Source : Ángel ROSENBLAT, op. cit., p. 25. Naturellement, en chiffres absolus, l'augmentation de la population indienne pour l'ensemble du continent est considérablement inférieure à l'accroissement accusé par le reste de la population. Comme le fait observer Eosenblat, à l'accroissement numérique de l'élément autochtone correspond une baisse de l'intégrité raciale. L'Indien devient de moins en moins indien et de plus en plus métis 1 . On trouvera en annexe trois tableaux statistiques (n 08 L, L I et LU) relatifs à la répartition numérique, par pays et par groupes ethniques ou «raciaux», de la population aborigène et métisse du continent et des divers pays de l'Amérique latine ; ces données sont fondées sur les recensements ou sur des évaluations faites par des organismes officiels ou par des chercheurs privés. Il suffit de jeter un coup d'œil à ces tableaux pour se rendre compte des différences sensibles qui existent entre divers pays latino-américains. Ces divergences proviennent sans doute de l'emploi de critères de classification différents, mais aussi du fait que, dans certains cas, on a utilisé des données purement conjecturales, fournies par des auteurs qui ne se sont occupés de ce problème qu'en passant. ARGENTINE Le recensement national de 1914 faisait apparaître une population de 38.425 Indiens (18.425 Indiens recensés et un total estimatif de 20.000 « non civilisés »). L'ancienne Commission honoraire des réductions d'Indiens a estimé que la population indigène du pays atteignait 150.000 personnes, dont 70.000 habiteraient la région septentrionale (Presidente Perón, Formosa, nord-ouest de Catamarca, Jujuy, Salta) et 80.000 la région méridionale (d'Eva Perón au détroit de Magellan). Pour la Commission de protection des aborigènes, cette population ne devait pas être inférieure à 200.000 âmes. 1 Ángel ROSENBLAT, op. cit., p p . 29 et 110. 36 DÉFINITIONS ET DONNÉES PRELIMINAIRES Selon les- enquêtes effectuées par la Commission argentine des affaires indigènes, il existait, en Argentine, à la fin de 1947, près de 130.000 aborigènes « purs » qui se répartissaient géographiquement de la façon suivante : a) Nord : région du Chaco (Presidente Perón, Formosa et Chaco de Salta), 45.000 ; b) région des Andes (ancien territoire de Los Andes, Jujuy et vallées andines), 20.000 ; Sud (Chubut, Neuquén, Rio Negro et Santa Cruz), 45.000 ; autres régions (Nord de Santa Fe, Misiones, Corrientes et quelques groupes disséminés dans la province de Buenos-Aires), 20.000. Les principaux groupes sont les suivants : Nord (région du Chaco) : Toba, Mataco, Mocoví, Choroti, Chiriguano, Vuela, Mocho et Churupi (la plupart de ces groupes descendent des Guaikuru qui, eux-mêmes, avaient pour ascendants les Guarani) ; région des Andes : Colla et Quichua ; région méridionale : Araucan, Tehuelche et Pampa (les Ona, les Yaghan et les Alakaluf sont en voie d'extinction complète ; la première tribu ne compte plus qu'une trentaine de membres dans la Terre de Feu) ; autres régions : Guayaki et Caingua (Misiones), Mocovi et Toba (Corrientes et Santa Fe), Toldo ou Eanquele (Buenos-Aires) x. La région septentrionale compte la plus forte proportion d'aborigènes. Il est cependant très difficile d'apprécier l'importance numérique de cette population dans chaque province ou dans chaque territoire : en effet, de forts contingents de travailleurs indigènes se déplacent périodiquement d'une province ou d'un territoire à un autre pour la récolte de la canne à sucre dans le nord-ouest de l'Argentine et, en outre, plusieurs tribus sylvicoles sont nomades. Le problème est rendu plus compliqué encore par l'existence de plusieurs milliers d'Indiens et de métis boliviens qui viennent régulièrement travailler dans les plantations de canne à sucre de Salta et de Jujuy et dans les mines des plateaux de cette dernière province. Il existe des noyaux très importants de métis, mais on manque de données précises quant à leur nombre. Dans la région centrale de la province de Santiago del Estero, près de 235.000 métis parlent couramment le quichua. De même, dans la province de Corrientes et dans le territoire de Misiones, un pourcentage considérable des populations rurales parlent couramment le guarani. Selon une évaluation de 1945, il y 1 Lázaro FLURY : « El indigenado en la República Argentina », Boletín Indigenista, vol. VII, n° 4, dec. 1947, pp. 305-309. Voir aussi Antonio SERRANO : Los aborigènes argentinos : Síntesis etnográfica (Buenos-Aires, Editorial Nova, 1947). DONNÉES DÉMOGRAPHIQUES ET GÉOGRAPHIQUES 37 aurait dans l'ensemble du pays environ 400.000 personnes ayant des « traces de sang aborigène 1 ». La population indigène et métisse de l'Argentine atteindrait le demi-million. BOLIVIE D'après le recensement national de 1900, la population se répartissait comme suit du point de vue ethnique : Indiens, 906.126 (52 pour cent) ; métis, 489.438 (27,7 pour cent) ; Blancs, 231.688 ; Noirs, 3.945. Selon Y Anuario de Finanzas y Economía de 1929, la population globale du pays était de 2.972.583 habitants et se décomposait ainsi : Indiens, 1.620.058 (54,5 pour cent) ; métis, 917.339 (31 pour cent) ; personnes d'origine européenne, 435,186 (14,5 pour cent). Eiésumant les études ayant trait à cette question, Max A. Bairón arrivait en 1942 à une population totale de 3.500.000 habitants qui se composait de : Indiens purs, 2.500.000 (71 pour cent) ; métis, 700.000 ; Blancs, 300.000 2. En février 1949, la Direction générale de la statistique de Bolivie a calculé que le nombre des Indiens s'élevait à 2.196.500 3 . En 1951, a été publié un rapport contenant les résultats généraux du deuxième recensement national de la population (1950). Toutefois, en ce qui concerne la population indigène, ce rapport ne contient que des données statistiques sur les tribus sylvicoles 4. La population indigène comprend les groupes principaux ci-après : 1) le groupe quichua-aymara, dans la région des hauts plateaux au climat tempéré et froid ; il se compose de groupes qui, à l'époque précolombienne, entretenaient des relations plus ou moins étroites avec la civilisation inca ; et 2) le groupe sylvicole (qui parle quarante dialectes différents), peu développé du point de vue culturel et économique, et qui vit dans les régions basses de la Bolivie et dans les régions boisées et chaudes des plaines de l'Amazone et du rio de la Plata. Le groupe linguistique le plus important est le quichua. Selon des données officielles, de 30 à 33 pour cent des habitants 1 Aquilea D. YGOBONE : La Patagonia en la realidad argentina : Estudio de los problemas sociales, económicos e institucionales de las gobernaciones del Sur (BuenosAires, El Ateneo, 1945), p. 144. * Max A. BAIRÓN : « Educación del indio en Bolivia », América Indigena, vol. n , n° 3, juül. 1942, pp. 7-10. 3 Communication du correspondant du B.I.T. en Bolivie. * MINISTERIO DE HACIENDA Y ESTADÍSTICA, Dirección General de Estadística y Censos : Resultados generales del censo de población de la República de Bolivia levantado el dia 5 de septiembre de 1950 (La Paz, 1951), pp. 38-39. 38 DÉFINITIONS ET DONNÉES PRÉLIMINAIRES parleraient cette langue 1. Cette population habite surtout les vallées des départements de Cochabamba, de Sucre et de Potosi. Les Aymarás occupent plus particulièrement les plateaux élevés des départements de La Paz, d'Oruro et de Potosi, ainsi que les versants de la Cordillère royale (Cordillera real), et accusent une concentration plus forte sur les rives du lac Titicaca. La langue aymara est parlée par la majeure partie des habitants des provinces suivantes : Omasuyos, Ingavi, Pacajes, Sicasica, Muñecas, Camacho, Larecaja, Los Andes, Murillo et Loayza, ainsi que par le gros de la population dans la partie la plus occidentale des provinces de Sur Yungas, Inquisivi et Caupolican (département de La Paz) ; elle prédomine dans les provinces de Paria, de Carangas et dans une partie de la province de Charanta (département d'Oruro) 2. On trouve également des îlots de langue aymara dans certaines vallées intermédiaires de ces départements, ainsi que dans la région des Yungas ou vallées tropicales. D'après Bairón, la population quichua compterait à peu près 1.400.000 habitants et l'aymara, 800.000. Au sujet de ce dernier groupe, un autre auteur bolivien a déclaré qu'il constituait l'élément actif de la nation et de l'Etat bolivien, non seulement par son importance numérique, mais aussi par l'influence qu'il exerce dans tous les domaines de la vie nationale 3. Parmi les groupes indigènes de moindre importance des hauts plateaux, les Uru présentent les caractéristiques les plus marquées ; ils peuplent diverses îles du lac Poopo et les rives du rio Desaguadero. Ce groupe semble être en voie d'extinction par suite d'une sécheresse qui a ravagé la vallée de cette rivière de 1940 à 1946 4. D'une manière générale, on peut dire que la population 1 DISECCIÓN GENERAL DE ESTADÍSTICA: Demografia 1941-1942(La Paz, 1942). Sur 98.836 parents recensés, 27.886 hommes (28,21 pour cent) parlaient quichua et 19.652 (19,88 pour cent) aymara. Pour les femmes, les chiffres étaient de 34.966 (35,38 pour cent) et 23.537 (23,81 pour cent). 2 On sait que le Pérou comprend également, dans la région du lac Titicaca, une importante population de langue aymara. Toutefois, ce qui n'est pas le cas en Bolivie, l'influence linguistique quichua y est très sensible. De façon générale, le domaine de l'aymara dans ces deux pays serait délimité par une ligne qui, partant de la ville de Puno (Pérou), passerait par le nord-ouest du lac Titicaca, le sud du lac Copypaza, dans le département de Potosí (Bolivie), Colquechaca, dans le même département, et Pelechuco, dans le département de La Paz (Bolivie) pour rejoindre la ville de Puno. Il existe en outre quelques îlots de langue aymara au Chili dans les provinces d'Arica et de Tarapaca. (Weston LA BABEE : The Aymara Indians of the Lake Titicaca Plateau, Bolivia, volume spécial de American Anthropologist, vol. L, n° 1, partie 2, janv. 1949, pp. 33-34. 3 Gustavo Adolfo OTERO : Figura y carácter del indio (Barcelone, 1935), p. 50. 4 Jehan VELLARD : « El problema uru », Kollasuyo (La Paz), juiU.-sept. 1951. DONNÉES DÉMOGRAPHIQUES ET GÉOGRAPHIQUES 39 aymara habite de préférence les zones situées à plus de 3.300 mètres au-dessus du niveau de la mer ; les Quichuas vivent principalement en-dessous de ce niveau, jusqu'aux approches de la plaine tropicale dans les départements de Sucre, de Cochabamba et de Potosí ; la population sylvicole de la partie orientale du pays n'arrive que rarement à dépasser les zones situées à plus de 600 mètres d'altitude. La fraction du territoire national occupée par le groupe quichua-aymara représente à peu près 30 pour cent de la superficie totale de la Bolivie (1.332.000 kilomètres carrés en 1932) ; la densité de la population varie de 6,6 à 12,9 habitants au kilomètre carré selon les départements. Le restant du territoire national, domaine de l'Indien sylvicole, accuse des densités de population allant de 0,3 à 1,1 par kilomètre carré. Soixante-douze pour cent de la population vit entre 2.000 et 4.700 mètres d'altitude ; la population est concentrée dans une région qui couvre à peu près la moitié des hauts plateaux, c'est-à-dire le sixième de la superficie totale du pays *. Selon le recensement de 1950, la population aborigène sylvicole de Bolivie ne compterait que 87.000 individus 2 . Pour la majeure partie, ces tribus (63 au total) appartiennent à une quinzaine de familles linguistiques, dont les principales sont les suivantes : tupiguarani, arawak, caribe, takana et panoa 3 . BRÉSIL La population indigène du Brésil est sylvicole. Elle est formée d'une grande quantité de « nations », de familles et de groupes linguistiques et ethniques dont le niveau culturel et économique est en général des plus primitifs, avec une organisation sociale de type tribal, matrilinéaire et exogamique. Elle est disséminée sur une grande partie du territoire brésilien, et particulièrement dans la vaste région appelée Hilea amazonienne, ainsi que dans la partie orientale et dans les forêts des Etats de Mato Grosso et de Goiaz. Certains groupes n'ont pas encore établi de contacts continus avec les civilisés et manifestent, à leur encontre, une hostilité marquée. D'autres vivent loin de toute civilisation dans des régions d'un accès extrêmement difficile en l'absence de tout chemin. Dans la partie 1 Weston L A BAHRE, op. cit., pp. 34-35. Voir tableau L U I . 3 Alfred MÉTRAUX : The Native Tribes of Eastern Bolivia and Western Matto Grosso (Washington, Smithsonian Institution, Bureau of American Ethnology, Bulletin 134, 1942). 2 3* 40 DÉFINITIONS ET DONNÉES PRÉLIMINAIRES ouest de la région méridionale du pays, on rencontre quelques noyaux d'aborigènes qui se mêlent peu à peu au reste de la population. Le recensement national de 1940 a donné, pour une population globale d'enyiron 41 millions d'habitants, la répartition somatique suivante : Blancs, 62 pour cent ; sang-mêlé, 20,5 pour cent; ÎToirs, 15 pour cent; Indiens, 2 pour cent; Japonais, 0,5 pour cent l . Une autre source officielle indique pour la même année les pourcentages suivants : Blancs, 60 pour cent ; mulâtres, 20 pour cent ; caboclos (métis), 10 pour cent; Noirs, 8 pour cent ; Indiens, 2 pour cent 2. Selon le général Bondón, l'explorateur brésilien bien connu, spécialiste des questions indigènes, la population indigène atteindrait environ 1.200.000 individus, qui se répartissent géographiquement comme suit : TABLEAU I V . — BRÉSIL : RÉPARTITION D E LA P O P U L A T I O N Tj, n t t l a l Mato Grosso Acre1 Amazonas Para Goiaz Paraná 1 Nombre des Indiens 500.000 300.000 200.000 100.000 100.000 10.000 GÉOGRAPHIQUE ABORIGÈNE -. , Nombre des Indiens t t a t Maranhâo, Espirito Santo, Bahía e t Minas Gerais . 10.000 Santa Catarina 10.000 Rio Grande do Sul . . . 2.600 Sao Paulo 2.170 Source : Arthup HAMOS : Introducati a Antropologia Brasileira, vol. I : As culturas näoeuropéias (Rio-de-Janeiro, 1943), p . 66. 1 En ce qui concerne le Mato Grosso et le territoire d'Acre, il y a lieu de faire observer que, pour le recensement de 1940, les chiffres correspondant à la population totale de ces Etats (respectivement 434.265 et 81.326) sont inférieurs à ceux qui sont donnés dans ce tableau pour la seule population indigène. La répartition géographique, par Etat, des 247 tribus connues serait la suivante : T A B L E A U V. — B R É S I L : R É P A R T I T I O N G É O G R A P H I Q U E D E S T R I B U S T7t . 11131 Nombre des tribus Amazonas e t territoire d'Acre 108 Bahía 2 Goiaz 9 Maranhâo 10 Mato Grosso 79 Minas Gérais 3 Para 22 „. . lltat Nombre des tribus Paraiba Paraná Pernambouc Rio Grande do Sul Santa Catarina Säo Paulo Espirito Santo 1 1 1 1 1 3 6 Source : A. BOTELHO DE MAGALIÏÀES : « Indios do Brasil », deuxième partie, América gena, vol. VI, n° 1, janv. 1946, p p . 67-81. 1 INSTITUTO BRASTLEIRO D E GEOGRAFÌA E ESTADÍSTICA : Recenseamento Indi- geral do Brasil. Sinopse do censo demografico : Dodos gérais (Rio-de-Janeiro, 1946), p . 2. a MINISTERIO D E RELAÇOES E X T E R I O R E S : Belaçao dos condiçoes económicas e sociais (Rio-de-Janeiro, 1940), p . 25. geográficas, DONNÉES DÉMOGRAPHIQUES ET GÉOGRAPHIQUES 41 Botelho de Magalhäes distingue 14 groupe linguistiques principaux, à savoir : Tupi-Guarani (48 tribus), Arawak (31), Caribe (31), Botocudo (30), Tucano (12), Pano (7), Nambicuara (16), Urupa (9), Borôro (4), Guaicuru (3), Uapixana (3), Chapacura (2), Guajiro (1), divers et non classés (19) 1 . Aux termes de l'article 2 de la loi n° 5484 2 (27 juin 1928), les Indiens sont classés en quatre groupes distincts : 1) nomades ; 2) semi-nomades vivant en collectivités (arranchados) ou dans des villages indigènes ; 3) sédentaires, qui vivent dans des centres indigènes ; 4) Indiens appartenant à des centres agricoles ou vivant au milieu des civilisés. Du point de vue du contrôle exercé par le Service de protection des Indiens, les aborigènes sont répartis entre les deux grandes catégories ci-après : 1) Indiens surveillés immédiatement par le Service ; 2) Indiens qui échappent à l'action de celui-ci. Le premier groupe a été subdivisé en deux sous-groupes : a) Indiens des « postes indigènes » 3 ; b) Indiens des réserves, des villages ou de toute autre agglomération dont les habitants peuvent avoir des contacts indirects ou éventuels avec le Service. De son côté, le second groupe a été subdivisé en deux sous-groupes : a) Indiens sylvicoles ; b) Indiens qui sont nettement en voie d'« acculturation », c'est-à-dire populations qui vivent parallèlement aux agglomérations rurales de la frontière de la civilisation (sertäo), bien qu'étant constituées en minorités indigènes plus ou moins représentatives. On a évalué à une trentaine de mille le total des Indiens qui sont en contact avec le Service par l'intermédiaire des postes indigènes. Le Service a classé les Indiens en trois groupes, d'après les relations qu'ils entretiennent avec la civilisation : 1. Le premier groupe comprendrait les Indiens qui vivent au milieu des civilisés, parlent le portugais, travaillent dans les exploitations agricoles, connaissent la valeur de l'argent et ont quelque idée de l'organisation sociale du pays. Ces indigènes conservent encore, néanmoins, certains des liens qui les attachent à leur ancienne vie tribale ; ils pratiquent les antiques rites de leur religion primitive, plus ou moins déformée et 1 « Classificaçâo das tribos indígenas do Brasil sob o criterio linguistico pelo General Càndido M. S. Rondón com a colaboraçào do Dr. J . Barbosa de Faria », reproduite par A. BOTELHO D E MAGALHÄES: «Indios do Brasilo, troisième partie, América Indigena, vol. V I , n° 2, avril 1946, p p . 142-148. 2 Loi qui régit la situation des Indiens nés dans le territoire national. Voir CONSELHO NACIONAL D E PBOTEÇÂO AOS I N D I O S : Coktânea de leis, atoa e memoriais referentes ao indígena orasileiro, p . 131. 3 Voir chap. X I . 42 DÉFINITIONS ET DONNÉES PRÉLIMINAIRES complétée par des pratiques empruntées aux habitants des villages avec lesquels ils sont en contact ou aux personnes qui ont essayé de leur enseigner la religion catholique. Entre eux, ils emploient leur propre idiome à tel point que les enfants n'apprennent le portugais que très tard et que beaucoup de femmes ne le savent jamais. 2. Le deuxième groupe serait constitué par les tribus qui entretiennent des relations pacifiques et procèdent à des échanges commerciaux avec les civilisés, mais qui vivent dans des territoires éloignés, près des sources des fleuves, dans des endroits d'accès difficile. Leur organisation tribale est encore assez solide pour qu'ils puissent maintenir leur cohésion ; ils parlent leur langue propre ; certains connaissent le portugais ; les institutions de la famille et les croyances animistes s'y maintiennent presque sans altération. 3. Le troisième groupe serait formé par des tribus complètement sauvages qui, non seulement vivent isolées dans des territoires d'accès difficile, mais s'opposent, les armes à la main, à toute tentative de contact de la part des Blancs ; ces tribus maintiennent évidemment plus pures leurs coutumes, leurs institutions et leur langue. On manque de cartes ethnographiques qui indiquent l'habitat de tous les groupes aborigènes du Brésil. Cette lacune est due au fait que de nombreuses régions dans lesquelles on présume l'existence de tribus indigènes sont encore inconnues et inaccessibles. Sous cette réserve, le Service de protection des Indiens propose la répartition géographique suivante : 1. Indiens n'entretenant que des relations peu suivies, voire inexistantes, avec la population civilisée, ou qui se montrent hostiles à cette dernière : a) périphérie et zone centrale du haut plateau situé au centre du pays (Etats de Mato Grosso et de Goiaz ; b) zones limitrophes de la Bolivie, du Pérou, de la Colombie, du Venezuela et des Guyanes ; c) zones centrales du Mato Grosso, du territoire fédéral de Guaporé, du territoire de Bio Branco, du territoire d'Amapa ; d) zones des bassins des rios Xingú, Tapajós, Madeira, Purús, Juruá, Negro et Branco ; e) zones très restreintes des Etats de Bahia, de Minas Gérais, de Paraná (?), de Santa Catarina (?), de Maranhâo. 2. Indiens de mœurs pacifiques auprès desquels le Service entretient la plupart de ses «postes d'attraction des aborigènes» et certains groupes du bassin du rio Xingú, les groupes canela (centre-sud de Maranhâo), les Toldo (Eio Grande do Sul), etc. DONNÉES DÉMOGRAPHIQUES ET GÉOGRAPHIQUES 43 3. Indiens dont les groupes se sont maintenus en îlots dans les régions rurales nouvellement ouvertes à la civilisation et qui vivent « dans des centres agricoles ou à proximité des civilisés x » comme, par exemple, les Indiens du Eio Grande do Sul, du Paraná, de Santa Catarina, du sud du Mato Grosso, de Minas Gérais, de Bahía, d'Alagoas, de Pernambouc, de Para, d'Amazonas, etc. Ces Indiens, qui travaillent comme journaliers agricoles, entretiennent des contacts périodiques, soit avec la population non indigène du sertâo à l'intérieur du pays, soit avec les villes de la côte ou des Etats du Centre. CHILI Le onzième recensement de la population, effectué en 1940, signalait l'existence de 115.149 Araucans. Ce groupe aborigène, le plus important de tous, continue à vivre sous le régime des « réductions » et se trouve principalement dans la province de Cautín (centre-sud du pays), dans les vallées et sur les contreforts de la Cordillère des Andes. D'après le recensement, sa répartition géographique par province était la suivante : TABLEAU V I . — CHILI : POPULATION ABORIGÈNE VIVANT D A N S L E S « R É D U C T I O N S », 1 9 4 0 Province Nombre d'Indiens Cautín Malleco Valdivia Arauco Bio Bio . Llanquihué Total . . . 91.383 15.691 3.622 2.933 1.451 69 115.149 Source : DIRECCIÓN GENERAL DE ESTADÍSTICA : • Reducciones indígenas», Estadística chilena (Santiago du Chili, juiU. 1944). Le recensement ne donne aucun renseignement sur l'importance numérique des autres noyaux indigènes du pays (extrémités nord et sud). Du point de vue de l'Etat, est Indien tout autochtone qui continue de vivre en respectant les coutumes de ses ancêtres et qui, en même temps, est établi à demeure dans une « réduction ». Cela explique pourquoi, dans le recensement, les Araucans sont seuls à constituer une catégorie spéciale : en effet, cette population est la seule qui continue de vivre sous le régime des réductions. Toutefois, si l'on appliquait un critère de classification moins strict, on 1 Loi n° 5484 du 27 juin 1928 ; Coletdnea de leis, atos e memoriais referentes ao indigena brasileiro, p . 131. 44 DÉFINITIONS ET DONNÉES PRÉLIMINAIRES ne courrait pas grand risque à supposer que l'importance numérique de la population indigène du pays est considérablement plus élevée que celle que fait apparaître le recensement. Dans une publication de l'Inspection de l'enseignement indigène, datant de 1941, on parle de « 250.000 aborigènes... dans la zone dite la Frontera, et 30.000 dans les régions limitrophes de la Bolivie et du Pérou 1 ». D'après Mgr Guido Beck Ramberga, vicaire apostolique de l'Araucanie et président de la délégation chilienne au second Congrès interaméricain des affaires indigènes, le nombre des Indiens purs approcherait de 200.000 pour l'ensemble du pays 2. Aux termes d'une communication adressée au B.I.T. en mai 1950 par le ministère du Travail du Chili, il y aurait au total, dans ce pays, environ 240.000 Indiens «y compris les métis qui partagent l'existence des Indiens ». Ce chiffre coïncide à peu près avec celui qui a été communiqué le même mois au Bureau par le directeur général de la statistique du Chili, à savoir 265.000, dont 115.149 vivaient dans des «réductions» (dans la Frontera) et quelque 150.000 en dehors de ces réductions. L'anthropologiste Donald D. Brand estime que la population indigène du Chili ne serait que de 400.000 individus, se répartissant géographiquement de la façon suivante : TABLEAU V n . — CHILI : REPARTITION NUMERIQUE E T G É O G R A P H I Q U E D E LA P O P U L A T I O N ABORIGÈNE Groupe Région Centre-Sud Araucan Nord Aymara Nord-Est Quichua Nord Atacama Côte nord Chango Côte sud Alakaluf-Chono . . Yahgan ou Y a m a n a Ona Indiens de langue espagnole dispersés dans l'ensemble du pays Importance numérique 300.000 40.000 ! j 4.000 ? 260 25 ? 100.000 à 150.000 Source : Donald D. BRAND : « The Peoples and Languages of Chile », New Mexico Anthropologist (Albuquerque), vol. V, 1941, p. 85. 1 Un autre anthropologue américain parle également de 40.000 Aymarás dans le nord du Chili. Julian H. STEWARD : • The Changing American Indian », The Science of Man in the World Crisis, op. cit., p. 297. 1 J . A. DB PATTXAEF : Labor desarrollada por la Inspeccionóle Enseñanza Indígena, provincia de Cautín (Santiago du Chili, 1941), p . 29. 2 Eeportage publié dans El Comercio, Lima, 22 juin 1949. Le même chiffre avait été avancé quelques années précédemment par José INALAPF NAVABRO : Rol económico, social y político del indigena en Chile, thèse de doctorat en droit soutenue devant la faculté des sciences juridiques et sociales de l'Université du Chili (Santiago, 1945), p . 128. DONNÉES DÉMOGRAPHIQUES ET GÉOGRAPHIQUES 45 Comme l'auteur lui-même le déclare, ces chiffres ont été obtenus en appliquant un critère de classification « arbitraire et superficiel », selon lequel est Indien tout individu qui, physiquement, semble être aux trois quarts indien, et Blanc quiconque paraît être blanc dans la même mesure, les types intermédiaires étant considérés comme métis. Au nombre des «Indiens» ainsi déterminés, «on a ajouté tous les individus qui se considéraient eux-mêmes comme Indiens, qui avaient été acceptés comme membres d'une collectivité indigène ou qui employaient comme langue maternelle un idiome indigène x ». En évaluant l'importance numérique du groupe araucan, l'auteur a compris dans cette catégorie « les nombreux Chiliens de l'Araucanie qui ont plus de trois quarts de sang indigène, même s'ils ne vivent pas comme les Araucans ou s'ils ne parlent pas leur langue ». Selon le même chercheur, les autres Indiens sont, dans leur grande majorité, disséminés au sein de la population métisse et ne diffèrent de celle-ci ni par la langue ni par les coutumes, mais uniquement par la forte proportion de sang indigène qui court dans leurs veines. La plupart des autochtones vivent très loin des principaux centres du pays : dans la cordillère, en face de Temuco, dans les oasis et les villages montagnards du désert d'Atacama, sur la côte désertique des provinces d'Atacama et de Coquimbo, dans l'île de Pâques, etc. Le groupe le plus important est celui des Mapuche, établi entre le rio Itata et le rio Imperial. Il est suivi, par ordre d'importance, par les Huilliche, qui vivent entre le rio Imperial et le canal de Chacao. D'après une évaluation récente, les premiers seraient environ 100.000, les seconds quelque 15.000. Les Quichuas et Aymarás vivent en petits villages dispersés dans l'intérieur des provinces septentrionales de Tarapaca et d'Antofagasta. Les Chango (appelés aussi Uru) se rencontrent dans la région côtière des provinces d'Atacama et de Coquimbo ; un pourcentage élevé d'entre eux semble avoir été absorbé presque complètement par la population métisse et par les groupes aymara et quichua de la région, mais il existe encore quelques comunidades de véritables Chango entre les rios Loa et Huasco et tout le long de la côte entre Tocopilla et Taltal. Les Indiens d'Atacama, d'Arica et de Tarapaca semblent s'être fondus dans une large mesure dans le noyau aymara venu du Pérou et de 1 Donald D. BBAND, op. cit., p. 78. 46 DÉFINITIONS ET DONNÉES PEELIMTNATRES la Bolivie 1 ; ceux d'Antofagasta et du nord de la province d'Atacama se sont très fortement hispanisés. Quant aux Fuégiens, il n'en subsiste plus que quelques petits groupes en voie de complète extinction, à savoir les Alakaluf, dans la région du détroit de Magellan, au sud du golfe de Penas et aux environs de Punta Arenas (île Dawson, Fuerte Bulnes, île Biesco, Puerto Natales) ; les Yaghan ou Tamaña, dans les îles Navarin et dans la zone du canal du Beagle ; enfin les Ona de l'Isla Grande (Terre de Feu). D'après une enquête démographique récente, ayant porté sur l'état sanitaire de ces populations, celles-ci ne compteraient plus que 120, 61 et 44 individus respectivement 2 . On a estimé qu'au milieu du siècle passé la population aborigène de la Terre de Feu s'élevait à près de 10.000 habitants s ; on trouve encore quelques petits noyaux de ces mêmes tribus dans le secteur argentin de ce territoire. COLOMBIE D'après le recensement national de 1938, il y avait en Colombie 105.807 Indiens sur une population de 8.701.816 âmes. Il s'agirait de représentants d'environ 400 tribus 4. En 1940, la Section de la colonisation du ministère de l'Economie nationale déclarait que l'on comptait 86.241 habitants dans 160 réserves aborigènes 5 . Le spécialiste colombien des questions indigènes Juan Friede affirme que la population indigène de son pays atteint environ 300.000 individus 6 . Luis Duque Gómez parle d'une « population de plus de 400.000 indigènes, établis dans les territoires dits nationaux et dans les zones à forte densité de population, telles que les départements 1 A en juger d'après diverses sources, il existerait en outre, dans le nord du Chili, plusieurs milliers d'indigènes et de métis de Bolivie et du Pérou qui franchissent périodiquement la frontière pour aller travailler dans les exploitations de nitrate e t de soufre. 2 J u a n DAMIAKOVIC : Realidad sanitaria de la población indígena de la zona austral antartica, tirage à part de la Revista Chilena de Higiene y Medicina Preventiva (Santiago du Chili, 1948). 3 Voir Samuel Kirkland LOTHROP : The Indians of Tierra del Fuego (New-York, Museum of t h e American Indian, Fondation Heye, 1928), p . 25. 4 CONTRALORÍA GENERAL D E LA REPÚBLICA : Anales de Economia y Estadística, vol. IV, janv.-fév. 1941, cité par Ángel ROSENBLAT, op. cit., p . 121. 5 Communication officielle adressée au B.I.T. en juin 1940 p a r le ministère des Relations extérieures, annexes. 6 J u a n F R I E D E : El indio en la lucha por la tierra : Historia de los resguardos del macizo central colombiano (Bogota, Espiral Colombia, 1944), p . 210. DONNÉES DÉMOGRAPHIQUES ET GÉOGRAPHIQUES 47 d e . . . 1 » . Enfin, selon Pablo Vila, la répartition ethnique de la population, en pourcentage, serait la suivante : 152.000 Indiens (1,6 pour cent) ; 4.380.000 métis (46 pour cent) ; 420.000 ÍToirs (4,4 pour cent) ; 2.095.000 mulâtres et zambos (22 pour cent) ; 2.476.000 Blancs (26 pour cent) 2 . La fraction la plus importante de la population indigène se trouve dans la région occidentale du pays (dans les montagnes et sur la côte). Il en existe d'importants noyaux auprès des sources du rio Santiago (sud-ouest du département de Bolivar), dans l'intendance du Choco, dans certaines régions de l'ouest et du sud du département d'Antioquia, dans l'ouest et au centre du département de Caldas et au sud du département du Valle (sur le versant occidental de la Cordillère centrale) et au nord du même département (jusqu'aux rives du rio La Vieja), à l'est du Cauca, au centre du département de Tolima, ainsi que dans les départements du Huila et de Nariño. Les groupes les plus importants sont constitués par les Indiens des resguardos ou des communautés ; ils vivent sur les pentes occidentales du massif central andin, et surtout dans les départements du Cauca (Est), de Caldas (Centre et Ouest), de ïfarino, du Huila et de Tolima (Centre). Dans le département du Cauca, il y a lieu de mentionner plus spécialement les Indiens Paez et Guambiano, et dans celui de Caldas, les Pirsa, Irra, Guatica, Quinchua, Anserma et Apia. On trouve, dans les régions orientales du Cauca, une population aborigène de plus de 50.000 habitants qui parlent encore de préférence les dialectes vernaculaires. Dans la partie occidentale du département de Caldas, la population comprendrait plus de 60 pour cent d'Indiens dans les resguardos et les comunidades qui constituent les véritables bastions de la race autochtone : Bio Sucio, Quinchúa, Guática, Mistrató ou Arrayanal, San Antonio de Chami, Pueblo Eico et autres localités 3 . Il y a des réserves de moindre importance dans les départements de Cundinamarca, de Boyacá, de Santander del Sur, de Santander del Norte et de Magdalena. Dans la Guajira vivent les Indiens Guajiro, représentés par environ vingt-cinq tribus et comptant au total près de 25.000 individus ; dans la sierra de Perija vit la tribu belliqueuse et sauvage des Motilón ; la tribu des Arauco subsiste dans la 1 Boletín de Arqueología (Bogota), mai-juin 1945. Cité par Ángel ROSENBLAT, op. cit., p . 120. 3 Luis D U Q U E GÓMEZ : Problemas sociales de algunas parcialidades indígenas del Occidente de Colombia (Bogota, Instituto Indigenista de Colombia, 1944). 2 48 DÉFINITIONS ET DONNÉES PRÉLIMINAIRES sierra Nevada de Santa Marta 1 . Il convient de mentionner en outre les Indiens sylvicoles de la région des Llanos orientaux, dont certaines tribus (celle des Tétete, par exemple) sont pour ainsi dire inconnues 2. On peut énumérer, parmi les tribus les plus importantes : dans le Caqueta, les Huitoto et Carijona ; dans le Casanare, les Guacamayo ; dans le Vaupès, les Guaipunabi (au nord), les Cubeo, les Caballeri, les Miritipuyo et les Tariana (au sud) ; dans le Putumayo, les Macaguaje ; et, dans l'Amazonas, les Matapi, les Tacuna, les Endoque, les Mirana (au nord), les Bora, les Coreguaje et les Huitoto (au sud) 3. Le directeur de l'Institut colombien des affaires indigènes distingue, dans la population aborigène de son pays, trois régions culturelles, à savoir : a) la zone de l'Indien seminomade « extra-national », dont l'économie est fondée sur la chasse, la pêche, le pacage et la cueillette des fruits sauvages, qui possède une technique rudimentaire et une langue, une religion et une organisation sociale qui en sont encore au stade précolombien ; b) la zone de l'Indien sédentaire des resguardos et des communautés, de culture mixte, de religion catholique, dont la technique et l'organisation sociale ont été notablement influencées par la culture espagnole, usant de son propre langage dans ses relations avec les siens et de l'espagnol dans ses transactions et dans ses contrats ; c) la zone de l'Indien «déraciné», qui n'a plus ni organisation communautaire ni langue ou culture propres et qui vit dans les exploitations agricoles des Blancs ou des métis comme journalier, métayer ou fermier 4 . La première zone comprendrait les tribus de chasseurs et de pêcheurs du bassin de l'Amazone, les cueilleurs du bassin du San J u a n et les éleveurs de la péninsule de la Guajira ; dans la deuxième, on trouverait les Indiens des resguardo* ou des comunidades du massif central andin, en particulier dans les départements de Caldas, du Cauca, de Nariño, de ToUma et du Huila ; dans la troisième, divers groupes d'Indiens qui appartenaient précédemment aux deux premières zones, à la deuxième surtout. 1 José Manuel BOTERO : Geografia de Colombia (Bogota, 1951), pp. 116-117. 2 Luis DUQUE GÓMEZ, op. 3 cit. José Manuel BOTERO, op. cit.. 4 Antonio GARCÍA. : Pasado y presente del indio (Bogota, Centro, 1939), p. 40. Il convient de faire remarquer que, dans ses grandes lignes, cette classification s'applique également aux populations aborigènes de la plupart des pays de l'Amérique latine. DONNÉES DÉMOGRAPHIQUES ET GÉOGRAPHIQUES CARTE I . — COLOMBIE : ZONES D E F O R T E D E POPULATION ABORIGÈNE ET 49 DENSITÉ MÉTISSE EQUATEUR PEROU Zone la plus peuplée. Zone de l'Indien des réserves et des grandes propriétés. Zone de l'Indien primitif. Source : Antonio GARCÍA : Pasado y presente del indio (Bogota, 1939), p. 43. Le même spécialiste a suggéré l'échelle ci-après de « types de marginalité » indigène, établie en fonction du degré et de la nature des contacts que tel ou tel groupe entretient avec l'économie et la culture nationales : a) le groupe qui entretient des relations permanentes et directes avec l'économie et la culture du pays ; b) le groupe qui, en raison de sa situation géographique marginale, reste fidèle à sa forme d'organisation tribale, mais qui, néanmoins, est en contact permanent avec 50 DÉFINITIONS ET DONNÉES PBELrMTNATBES l'économie et la culture du pays ; c) les groupes marginaux du point de vue géographique et social, qui entrent en contact occasionnellement avec l'économie et la culture du pays, par l'intermédiaire des postes ou des garnisons militaires, des missions religieuses ou des exploitations forestières ou minières ; d) les groupes absolument marginaux, qui n'ont que des contacts accidentels, infructueux, sans raisons d'ordre économique, avec les éléments civilisés de la population. La première catégorie correspondrait en général à l'Indien des resguardos ou des comunidades, comme, par exemple, les Guambiano et les Paez dans le département du Cauca et les noyaux indigènes du Eío Sucio et de Quincb.ua dans le département de Caldas ; la deuxième serait représentée par des tribus telles que les Guajiro dans la péninsule de la Guajira et les Sibundoye dans le département de ÏTarino ; on trouverait, dans la troisième, certaines tribus du bassin de l'Amazone ; dans la quatrième figureraient les tribus sauvages de cette région et d'autres parties du pays 1. COSTA-EICA Partant d'un rapport de la Direction générale de la statistique de la Eépublique de Costa-Eica (1941), Eosenblat 2 a calculé qu'en 1940, sur une population totale de 656.129 habitants, il existait 4.200 Indiens (0,64 pour cent), 65.612 métis (10 pour cent), 26.900 Noirs et 20.000 mulâtres. Les groupes les plus importants semblent être celui des Bribri (près de 3.000 individus), établi dans la région de Talamanca dans les montagnes du sud du pays (à la frontière du Panama, vers l'Atlantique), celui des Boruca (environ 900 individus) dans le sud-ouest du pays, du côté du Pacifique. Les 300 autres indigènes seraient représentés par de petits noyaux de Chorotega-Mangue (péninsule de Nicoya) et de Guatuso (frontières nord et ouest du pays, vers le lac de Nicaragua). Le groupe Bribri comprend divers sous-groupes, et notamment les Chirripo (région nord-ouest) et les Cabecare, qui tirent leur nom des régions qu'ils habitent. Le groupe Boruca comprend le sous-groupe des Terraba 3. Les Indiens de la péninsule de Mcoya ne parlent que l'espagnol. 1 Antonio GAKCÎA : « Regímenes indígenas de salariado », América Indigena, vol. V i l i , n° 4, oct. 1948, pp. 266-267. 2 Ángel ROSENBLAT, op. cit., pp. 21 et 120. Voir tableau L. 3 Communication du correspondant du B.I.T. à Costa-Rica, janvier 1950. Cf. également Doris STONE : « Indians and Costa Rica », Bulletin of the Pan American union (Washington), vol. L X X X I I , n° 2, fév. 1948, pp. 61-69. DONNÉES DÉMOGRAPHIQUES ET GÉOGRAPHIQUES 51 EQUATEUR Le premier recensement national de la population date de 1780. Le deuxième a été fait en 1950, mais, au moment de mettre le présent ouvrage sous presse, on ne disposait pas encore des données relatives à la population indigène. En 1944, la Direction nationale de la statistique répartissait comme suit, par « race », la population du pays. T A B L E A U V i n . — E Q U A T E U R : R É P A R T I T I O N D E LA P O P U L A T I O N PAR RACES Race Aborigènes Métis Noirs et mulâtres Autres . . . . Total . . . Population Pourcentage 1.204.740 1.266.522 308.908 154.454 154.454 3.089.078 39 41 10 5 5 100 Source : DIRECCIÓN NACIONAL DE ESTADÍSTICA : Ecuador en cifras, 1938 a 1942 (Quito, Ministerio de Hacienda, 1944), p. 55. En 1942, le général Paz y Miño a calculé que la population des régions de la Sierra et de la côte se répartissait comme suit du point de vue de la « race ». TABLEAU I X . — E Q U A T E U R : P O P U L A T I O N D E LA S I E R R A ET D E L A CÔTE Race Còte Sierra Pourcentages Indiens Métis Mulâtres Noirs Total . . . 28,0 30,0 40,0 1,5 0,5 27 10 18 30 15 100,0 100 Source : Luis T. PAZ Y MIÑO : La población del Ecuador, tirage à part de la revue Ecuador, n° 3, sept. 1936 (Quito, Ministerio de Previsión Social, 1936), p. 40. Pour un autre chercheur équatorien, les indigènes étaient, en 1940, au nombre de 1.119.000, dont 200.000 Indiens sylvicoles 1. 1 Luis MONSALVE P o z o : El indio : Cuestiones de su vida y de su pasión, (Cuenca, 1943), p . 545. 52 DÉFINITIONS ET DONNÉES PRÉLBUNAIRES Selon une étude plus récente consacrée à la question, le Bureau de l'état civil avait calculé que le pays comptait, en 1945, une population globale de 3.310.202 habitants, qui se répartissaient géographiquement comme suit : littoral ou côte, 1.103.302; Sierra ou vallées interandines, 2.027.156; Oriente 179.744. L'auteur de cette étude attribue à la Sierra une population rurale de 1.270.663 habitants et une population urbaine de 756.493 personnes, dont environ 90 pour cent (1.143.596) et 15 pour cent (113.473) respectivement seraient des indigènes et des métis de culture indienne. Au total, la population aborigène et métisse de cette région atteindrait 1.257.069 habitants, chiffre auquel il y aurait lieu d'ajouter, selon le même auteur, 80.000 aborigènes sylvicoles au maximum pour la région de l'Oriente, car l'évaluation officielle (179.744) de ce groupe serait exagérée 1. De même que les chiffres cités précédemment, ces données sont purement conjecturales. On les a obtenues en considérant comme Indien « non seulement l'élément de culture aborigène, mais aussi les personnes que leur évolution culturelle assimile aux métis dans une certaine mesure et qui, en définitive, ont gardé un contact plus étroit avec l'élément dont elles sont issues et participent pleinement à ses coutumes et à sa civilisation 2 ». La population vraiment aborigène de la Sierra, d'après cette même étude, ne représenterait que 65 pour cent de la population totale de cette région. Dans son immense majorité, la population aborigène est d'origine quichua ; elle est concentrée dans la région interandine ou de la Sierra, dont l'altitude moyenne est de 2.500 mètres. Sur les 310 agglomérations de cette région, 267 s'échelonnent entre 2.000 et 3.500 mètres au-dessus du niveau de la mer. Les provinces typiquement indigènes sont celles de Tungurahua, Cañar, Cotopaxi, Ohimborazo, Bolivar, Imbabura et Azuay ; la densité de la population rurale y varie entre 22 et 51 habitants au kilomètre carré. Dans certains districts des provinces de Tungurahua, d'Imbabura et de Cotopaxi, elle dépasse 80 ; en ce qui concerne les provinces côtières du Guayas et d'Esmeraldas, elle n'est que de 9 habitants au kilomètre carré dans la première et de 3 dans la seconde 3. 1 César CISNEKOS CISNEEOS : Demografía y estadística sobre el indio (Quito, Talleres Gráficos Nacionales, 1948), p p . 121-123. 2 Ibid., p. 97. 3 Ibid., p . 113. ecuatoriano DONNÉES DÉMOGRAPHIQUES ET GÉOGRAPHIQUES 53 Les Indiens sylvicoles vivent surtout dans la région orientale du pays. Les tribus les plus importantes sont les Jivaro (Achuale, Ahuaruna, Huambiza), les Yumbo (de langue quichua) et les Zaparo. Les Jivaro (appelés également Shuara) occupent la région comprise entre le rio Pastaza au nord, le rio Morona à l'est, le Marañon au sud et la cordillère des Andes à l'ouest. Leur nombre varierait entre 15.000 et 20.000. Ils sont belliqueux et n'ont jamais accepté la domination du Blanc. Leur coutume de « réduire » la tête de leurs ennemis leur vaut une renommée particulière. Les Yumbo occupent le bassin supérieur du rio BTapo. Contrairement aux Jivaro, ils ont été presque entièrement soumis par les colons blancs et métis. Les Zaparo peuplent les rives septentrionales du bas Pastaza, du Bobonaza et de quelques affluents du Curaray 1 . Parmi les autres tribus de la partie orientale du pays, il y a lieu de mentionner les Aushiri, Shimigae, Chirapa, Murato, Ayugi, Autipa, Uchuca, Cofane, Urarina, Ocame, Orejón, Paucari, ÏTapo, Tena, Arajuno, Loreto, Tale et Pano. Les six derniers groupes entretiennent certaines relations avec les Blancs et les métis. Certains sont en voie d'extinction complète, les Aushiri, par exemple, « presque exterminés par les saigneurs d'hévéas du Curaray et dont il ne subsiste que quelques individus 2 ». Il existe également plusieurs groupes d'indigènes sylvicoles dans la région de la côte ou du Montuvio. On trouve, sur les rives du Cayapas et de l'Onzole, dans la province septentrionale d'Esmeraldas, les Indiens Cayapa (environ 2.000). Dans la jungle de Santo Domingo de los Colorados, située sur les contreforts des Andes occidentales, dans l'ouest de la province de Pichincha, ainsi que dans les régions contiguos des provinces d'Esmeraldas, de León et de Los Ríos, vivent les célèbres Indiens Tsatchela ou Colorado (quelque 3.000). La population de la région du Montuvio comprendrait, aux dires d'un auteur équatorien, une cinquantaine de milliers de cholos, métis ayant 60 pour cent de sang indien, 30 pour cent de sang noir et 10 pour cent de sang blanc 3. Dans les provinces d'Esmeraldas et de Manabi, on trouve des noyaux importants de zambos (métis de Noirs et d'Indiens). 1 Pour plus de détails, voir J. C. GRANJA : Nuestro Oriente (Quito, Imprenta de la Universidad, 1942), pp. 73 et 78; cf. également Francisco TERÁN: Geografía del Ecuador (Quito, 1948). 2 Francisco TERÁN, op. cit., p. 140. 3 José DE LA CUADRA : El montuvio ecuatoriano (Buenos-Aires, 1937). 54 DÉFINITIONS ET DONNÉES PRÉLIMINArRES La carte I I montre quelles sont les régions dans lesquelles prédominent les divers groupes. CABTE I I . — E Q U A T E U R : ZONES D E F O R T E D E N S I T É D E POPULATION ABORIGÈNE E T MÉTISSE _ Indiens primitifs. Source : Antonio GARCÍA : Pasado y presente del indio (Bogota, 1939), p . 77. GUATEMALA Le recensement de 1921 a mis en évidence l'existence de 1.299.927 Indiens (64,8 pour cent) et de 704.973 métis sur une population totale de 2.004.900 habitants. Pour le recensement de 1940, on a considéré comme ladinos (métis) de nombreuses personnes qui, en 1921, avaient été classées comme « Indiens » ; cette enquête a donné les résultats suivants : population globale, 3.283.209; Indiens, 1.820.872 (55,46 pour cent); Blancs et ladinos, 1.457.122 (44,38 pour cent) ; Noirs, 4.011 ; Jaunes, 1.014 1. lie deuxième groupe se compose, en majeure partie, de métis ayant un pourcentage élevé de sang aborigène. 1 D I S E C C I Ó N G E N E R A L D E ESTADÍSTICA : Quinto censo general de población levantado el 7 de abril de 1940 (Guatemala, 1942). 190 sont classés sous la rubrique «autres catégories». DONNÉES DÉMOGRAPHIQUES ET GÉOGRAPHIQUES 55 D'après le même recensement, 1.504.995 habitants ne parlaient que les langues indigènes 1 . La population n'a pas été classée uniquement d'après la langue maternelle, mais aussi en fonction de la « race ». Il n'est pas sans intérêt de relever à cet égard la différence qui existe entre le nombre des habitants recensés comme étant de race indienne (1.820.872) et le nombre de ceux qui ne parlent qu'un idiome aborigène (1.504.995). Cette différence d'environ 316.000 personnes « peut s'interpréter en ce sens que l'on a considéré comme aborigène des personnes qui ne parlent plus leur langue maternelle 2 ». E n 1945, le Département général de la statistique estimait que la population du pays s'élevait à 3.487.444 habitants, dont 55 pour cent d'Indiens purs. En 1948, le directeur de l'Institut national guatémalien des affaires indigènes a déclaré que la population du Guatemala était d'environ 3.500.000 habitants, dont 2 millions (près de 60 pour cent) d'aborigènes 3. Le gros de la population indigène est d'origine maya et se trouve concentré dans la région appelée le haut plateau occidental. Cette région qui, en certains points, atteint environ 4.300 mètres d'altitude peut être délimitée, avec plus ou moins de précision, par deux lignes imaginaires tirées, en partant de la capitale de la Eépublique, vers l'ouest et vers le nord jusqu'à la frontière mexicaine. Elle représente à peu près un quart de la superficie du pays et, selon une évaluation, est habitée par près d'un million d'indigènes appartenant aux groupes linguistiques quiché-cakchiquel (centre-ouest) et mam (à l'extrême ouest du pays). Le reste de la population autochtone vit dans diverses autres régions, spécialement dans la partie centrale du nord du pays. Cette région est également montagneuse, mais de faible altitude, et l'on a estimé qu'elle était peuplée de quelque 300.000 aborigènes appartenant au groupe linguistique pocomam (quekchi et pocomam) 4 . La population ladino ou métisse prédomine dans l'est du pays. 1 Voir tableau LIV. « Lia población de habla indígena en Guatemala », Boletín del Instituto Indigenista Nacional (Guatemala), vol. I, n° 4, sept. 1946, p. 18. 3 Antonio GOUBAUD CABRERA : « Some Aspects of the Character Structure of the Guatemala Indians », América Indigena, vol. VIII, n° 2, avril 1948, p. 97. 4 Données communiquées au B.I.T. par l'Institut guatémalien des affaires indigènes en janvier 1950. L'Institut signale que les évaluations ont été faites sur la base du recensement de 1940 et « qu'elles doivent être utilisées avec les réserves d'usage ». 2 56 DÉFINITIONS ET DONNÉES PRÉLIMINAIRES Dans le haut plateau, il y a plus de 200 communes dont les habitants parlent surtout les langues indigènes et, dans nombre d'entre elles, l'unilinguisme est absolu. A en juger d'après une source récente, la population se compose, dans une proportion de 85 pour cent, d'aborigènes qui parlent leur propre dialecte, qui occupent des régions déterminées et qui, en majeure partie, ne comprennent pas l'espagnol 1 . On a estimé que la plupart des villages indigènes se trouvaient à des altitudes allant de 1.400 à 2.800 mètres 2. Le pourcentage d'Indiens oscille entre 14 pour cent dans la région d'Amatitlán (côte) et 96 pour cent dans le département de Totonicapán (haut plateau) 3 . En sus du grand groupe indigène du haut plateau, il y a lieu de mentionner l'existence, sur la côte du golfe du Mexique, d'un petit groupe d'Indiens Caribe et, dans le département du Petén, d'un groupe peu important de Lacandon. Le premier résulte d'un mélange entre Caribes venus de la région de POrénoque et Noirs amenés par les Anglais, à la fin du x v m m e siècle, des îles Sous-le-Vent à l'île Roatán et à d'autres îles proches de la côte nord du Honduras. Le second est de type primitif et semi-nomade. Certains de ses membres travaillent dans les monterías (terres incultes dans lesquelles l'Etat autorise des coupes de bois) et dans les exploitations de chicle. HONDURAS D'après le recensement de 1940, on comptait, sur une population globale de 1.107.859 habitants, 105.732 Indiens (9,54 pour cent) et 775.501 métis (70 pour cent). Deux ans plus tôt, Eoberto Gamero 4 avait calculé que la population indigène représentait 20 pour cent du total, les métis, 70 pour cent, et les Noirs, 5 pour cent. Selon cet auteur, les indigènes ont adopté l'espagnol dans leur grande majorité. En 1942, un autre auteur estimait que le nombre des aborigènes ne dépassait pas 85.000 5. 1 Héctor Antonio GUERRA : El 'problema Ad analfabetismo en Guatemala, document ronéographié (Guatemala), 1 e r juill. 1948, p. 12. 2 Leo A. SUSLOW : Aspects of Social Reform in Guatemala, 1944-1949, op. cit., p. 5. 3 Pour plus de détails, voir « La población de habla indígena en Guatemala », op. cit., tableau 2 a). 4 Roberto GAMERO : « La República de Honduras », Revista Geográfica Americana, avril 1938, pp. 269-280. 6 Marcelina BONILLA : « El indio hondureno », Boletín Indigenista (Mexico), vol. II, n° 1, mars 1942, p. 33. DONNÉES DÉMOGRAPHIQUES ET GÉOGRAPHIQUES 57 La population indigène est d'origine aztèque et maya. Sa répartition géographique est à peu près la suivante : TABLEAUX X. — HONDURAS : RÉPARTITION GÉOGRAPHIQUE DES INDIENS Régions Tribus Ouest du pays (population éparpillée dans plusieurs départements). . . Département de La Paz Département de Yoro Nord du département d'Olancho . . . Côtes de l'Atlantique Chorotega, Miquirano, Guajiro Opatoro Jicaque (quelques centaines seulement) Paya Miskito, Suma Source: Salvador COLINDRES: «La población indigena de Honduras», Boletín vol. II, n ' 3, sept. 1942, p . 19. Indigenista, Les unions ont été nombreuses entre les Indiens du groupe Miskito et les Noirs qui vivent dans la région. Au nord du rio Tinto, le long de la mer et à proximité des lagunes, vit un groupe de Caribes noirs ou Garif, descendant d'Indiens de soucbe caribe et de Noirs venus des Antilles (îles Sous-le-Vent) 1 . Ses membres parlent l'idiome caribe et restent fidèles à de nombreuses coutumes indigènes. On trouve également quelques groupes Garif dans d'autres parties de l'Amérique centrale. Selon certaines évaluations, cette population indo-africaine compterait au total une quinzaine de milliers d'individus, dont 3.500 habitent aux confins de la Costa Mosquita et les autres sur la côte atlantique de l'Amérique centrale, jusqu'à Stann Creek dans le Honduras britannique 2 . MEXIQUE D'après le recensement de 1940, pour l'établissement duquel on a tenu compte d'un critère à la fois linguistique et culturel, le nombre des habitants âgés de cinq ans au moins qui parlaient une langue aborigène s'élevait à 2.490.909 3, dont 1.237.018 employaient exclusivement un idiome ou dialecte aborigène et 1.253.891 utilisaient à la fois l'espagnol et une ou plusieurs langues aborigènes 4. En 1942, le département des Affaires indigènes déclarait que l'on comptait dans le pays 2.250.497 personnes parlant des langues indigènes et au moins 1 Ces derniers ont été déportés au x v m m e siècle par les autorités anglaises à l'île de Roatán, dans la baie du Honduras. 2 Eduard COUZEMITJS : « Ethnographical Notes on the Black Carib (Garif) », American Anthropologist, vol. 30 (1928), n° 2, pp. 183-205. 3 H y aurait lieu d'ajouter à ce chiffre 454.176 Indiens de moins de cinq ans, ce qui donnerait un total de 2.945.085. 4 Anuario Estadístico de los Estados Unidos Mexicanos, 1943-1945, pp. 30-31. 58 DÉFINITIONS E T DONNÉES PRÉLIMINAIRES autant de Mexicains qui, sans parler une de ces langues, étaient aborigènes par le sang et par les formes de leur économie et de leur culture 1 . Selon M. Manuel Gamio, directeur de l'Institut interaméricain des affaires indigènes, la statistique « n'a pas compris plusieurs millions de personnes qui ne parlent que l'espagnol, mais qui sont aborigènes ou métisses du fait de leurs caractéristiques ethniques et culturelles 2 ». En règle générale, la population indigène est le plus dense le long de la Sierra Madre orientale et occidentale ; elle est de nouveau plus compacte dans les Etats du Centre-Sud et du Sud-Est (en particulier dans les Etats d'Oaxaca et de Chiapas). Certains groupes importants, Mayas, Zapotèques, Mixtèques, Tarasques et Otomis par exemple, occupent encore les régions qu'ils habitaient à l'époque de la conquête. E n revanche, le groupe aztèque (Náhuatl), le plus nombreux, se rencontre aujourd'hui dans la plupart des Etats de la République. CARTE m . — M E X I Q U E : P O P U L A T I O N DE LANGUE ABORIGÈNE, 1 9 4 0 Source.- Sexto Censo de Población (1940). DEPARTAMENTO D E ASUNTOS INDÍGENAS : Memoria, América Indigena, vol. I I , n° 2, avril 1942, p . 18. 1943-1945. DONNÉES DÉMOGRAPHIQUES ET GÉOGRAPHIQUES 59 La famille mexicaine ou aztèque, largement répandue dans diverses parties du pays, s'est mêlée à la population locale et, dans quelques régions, conserve ses caractéristiques raciales sans avoir subi d'autres influences 1. Pour le directeur de l'Institut national mexicain des affaires indigènes, le fait que quelques noyaux indigènes subsistent dans les régions du centre-sud et du sud-est du pays s'explique par les deux facteurs ci-après : a) l'organisation de la population aborigène à l'époque antérieure à la conquête espagnole; b) la facilité, ou au contraire la difficulté, d'accès et d'exploitation des territoires occupés par ces populations. Dans les régions où la population aborigène était sédentaire et possédait une organisation économique et culturelle avancée, le conquérant espagnol a purement et simplement pris la place des gouvernants autochtones et, à son tour, a trouvé dans l'Indien la base de la main-d'œuvre nécessaire à l'économie coloniale naissante. En revanche, dans les régions où. la population aborigène était nomade, semi-nomade ou insuffisamment dense, l'Indien a rapidement disparu. Dans certaines zones, la conservation du premier de ces groupes est due, en outre, au fait que les montagnes, d'accès plus difficile, n'ont subi que plus tard l'influence de la culture européenne ; d'ailleurs, ces régions suscitaient moins la convoitise du Blanc. Elément le plus faible, l'indigène a été refoulé peu à peu vers les zones les moins favorisées sur le plan économique ou, ce qui revient au même, il a été chassé des vallées vers les montagnes. D'autre part, il était plus facile, pour les aborigènes qui vivaient dans les vallées, de se mêler à la population blanche et métisse, d'un point de vue non seulement biologique, mais aussi culturel 2 . Une proportion considérable de la population de langue indigène — qu'il n'est toutefois pas possible de déterminer avec précision — est entrée, à des degrés divers, dans le circuit économique et dans le circuit de la main-d'œuvre du pays ; cette évolution est due surtout au nouveau régime agricole des ejidos (propriétés rurales semi-collectives créées grâce au morcellement des grands domaines), instauré par la réforme agraire. D'importants noyaux de population aborigène continuent néanmoins à vivre en marge de ce circuit, organisés en tribus, dans un état de grande pauvreté et d'isolement géogra1 Carlos BASAUBI : La población indigena de México : Etnografia (Mexico, Secretaría de Educación Pública, 1940), vol. I, p. 128, et vol. I l l , p . 113. 2 Préface d'Alfonso CASO à l'ouvrage de Manuel Germán PARRA : Densidad de la población de habla indigena en la República Mexicana (Mexico, 1950), p . 11. 60 DÉFINITIONS ET DONNÉES PRÉLIMINAIRES phique et culturel ; il s'agit notamment des Otomis, des Tarahumara, des Lacandon, des Tzeltal, des Tzotzil, etc. E n 1940, 94 pour cent de la population de langue aborigène était concentrée dans les trois régions suivantes : Centre, 36 pour cent ; Pacifique sud, 35 pour cent ; golfe du Mexique, 23 pour cent ; la région du Nord ne comptait que 4 pour cent de cette population, et celle du Pacifique 2 pour cent. L'unilinguisme prédomine dans les régions du Nord (57 pour cent) et du Pacifique sud (61 pour cent), tandis que le bilinguisme est plus répandu dans les régions du Pacifique nord (76 pour cent), du Centre (56 pour cent) et du golfe du Mexique (62 pour cent) 1 . NICARAGUA Le recensement de 1920 a donné la répartition suivante : Blancs, 16,79 pour cent; trigueños (métis), 69,05 pour cent; Noirs, 9,51 pour cent ; cobrizos (cuivrés), 4,59 pour cent 2 . Le recensement de 1940, établi d'après des catégories différentes, a fait apparaître les pourcentages ci-après : métis, 68 pour cent ; habitants d'origine européenne, 17 pour cent ; Noirs, 10 pour cent ; Indiens, 5 pour cent. E n 1943, on évaluait le nombre des aborigènes à quelque 40.000 (sur une population globale d'environ 1.380.000 habitants). La population blanche et métisse est concentrée dans la région occidentale du pays, mais il existe également, dans cette même région, d'importants noyaux indigènes. En revanche, celle de la région orientale est constituée, dans son immense majorité, d'Indiens sylvicoles, de zambos (mélange d'Indien et de Noir) et de Noirs des Antilles. Les groupes indigènes les plus importants sont ceux des Miskito (ou Mosquito), des Suma et des Eama. Le premier (qui compte entre 17.000 et 20.000 individus) habite les jungles de la côte atlantique, dans le nord du pays ; environ 4.000 vivent entre San Carlos et Santa Cruz, 5.000 entre Sauce et Bilhuaskarma, et 8.000 entre Klar et le cap Gracias a Dios 3. Le deuxième groupe vit dispersé dans l'intérieur du pays. Le troisième s'est établi à proximité immédiate de Bluefields Lagoon. 1 Voir tableau LV. Cité par Ángel ROSENBLAT, op. cit., p . 20. 3 Michel P I J O A N : « The Health and Customs of the Miskito Indians of Northern Nicaragua : Inter-Relationships in a Medical Program », America Indigena, vol. VI, n° 1, janv. 1946, p p . 50-52. 2 DONNÉES DÉMOGRAPHIQUES E T GÉOGRAPHIQUES 61 Au milieu du x v n m e siècle, un convoi de Noirs africains s'empara du bateau qui les transportait comme esclaves et débarqua dans une région de la côte atlantique habitée par les Indiens Miskito. Avec le temps, les deux groupes se mêlèrent et le mouvement s'accentua des siècles plus tard, à l'arrivée de milliers de Noirs et de mulâtres que les planteurs faisaient venir de la Jamaïque et d'autres îles des Antilles pour travailler dans les bananeraies de la région. Dans certaines localités, entre le cap Gracias a Dios et Sandy Bay, les Indiens Miskito, purs eux-mêmes, sont appelés zambos. Les Miskito se sont mélangés également, dans une mesure moindre, avec les Indiens Suma ainsi qu'avec des Chinois, des Syriens, des créoles et des Espagnols. Selon certaines évaluations, 50 pour cent de la population Miskito présentent des caractéristiques somatiques négroïdes 1. PANAMA Selon le recensement national de 1940, on comptait à cette date, sur une population globale de 622.576 habitants, 59.338 Indiens (9,5 pour cent), 406.814 métis et mulâtres, 68.897 Blancs, 82.871 Noirs et 4.656 «autres». D'après le Bureau du recensement, le nombre des Indiens organisés en tribus et classés comme indigènes proprement dits n'atteint que 55.987 2. Néanmoins, aux termes d'un rapport adressé par le ministre de l'Intérieur et de la Justice du Panama à l'Institut interaméricain des affaires indigènes, « il ne serait pas exagéré d'affirmer que 20 pour cent de la population de l'isthme sont aborigènes de race et de culture 3 ». La plupart des aborigènes organisés en tribus sont des sylvicoles. Les groupes ethniques les plus importants sont : a) les Cuna, établis à l'extrémité orientale de l'isthme sur les côtes et dans les forêts de la région de San Blas (comprise entre la péninsule de San Blas, le cap Tiburón à la frontière colombienne et la province de Panama), ainsi que dans l'archipel de Las Mulatas ou de San Blas ; il en existe également de petits noyaux dans le Darién du Nord, en particulier près des sources des rios Chucunaque, Capeti, Pucro et Paya ; en 1940, la population Cuna atteignait environ 21.000 individus, dont près de 4.000 vivaient dans les villes de Colón et de Panama et dans la 1 2 Michel P I J O A N , op. cit. CONTRALORÍA GENERAL D E LA B E P Ú B L I C A D E PAKAMÁ, Oficina del Censo : Censo de población de Panamá, 1940, vol. X : Compendio general (Panama, 1946), p . 365. 3 Boletín Indigenista, vol. H I , n° 1, mars 1943, p p . 44-48. 62 DÉFINITIONS ET DONNÉES PRÉLIMINAIRES zone du canal 1 ; b) les Guaymi, qui vivent isolés dans les montagnes boisées de l'intérieur, dans les vallées et les savanes des provinces de Chiriqui (environ 19.000), de Bocas del Toro (environ 6.000) et de Veraguas (environ 1.500) ; c) les Chocoe, perdus dans les vallées — Jaqué, Pirre, Marea, Chucunaque, Mogue et Tuquesa — des forêts du Darién (environ 2.000) 2 . La population chola, c'est-à-dire les métis de culture indienne (indomestizos), se rencontre dans diverses régions de l'isthme (Codé, Veraguas, etc.). PARAGUAY Les données disponibles sont purement conjecturales et présentent des différences notables. Eosenblat 3 a évalué qu'en 1940 la population se composait à peu près comme suit : métis, 700.000 ; Blancs, 200.000 ; Indiens purs, 40.000 ; Noirs et mulâtres, 10.000. La plupart des habitants du pays sont fortement métissés, tant du point de vue physique que du point de vue linguistique. Une forte proportion d'entre eux sont bilingues (espagnol et guarani) et près d'un quart, en particulier dans les régions rurales, ne parlent que le guarani bien qu'ils soient physiologiquement des métis. Dans sa grande majorité, la population métisse est établie dans les régions situées à l'est du Paraguay, tandis que la majorité de la population indigène se trouve dans la région forestière du Chaco, à l'ouest du même fleuve. En 1945, l'Association paraguayenne d'études indigènes évaluait le nombre des indigènes à 50.000. D'après cette association, la plupart des tribus entretiennent des contacts avec les autres groupes ethniques de la population nationale. Parmi les principales exceptions, figuraient les Moro ou Moré, dans la partie nord de la Gran Selva (environ 5.000) et les Guayaki, dans le Haut-Parana 4 . En 1946, le président du Service national de protection des indigènes (Patronato Nacional de Indígenas),5 estimait à environ 68.000 le nombre 1 Voir le chapitre VIII. « Tribus indígenas », Censo de población de Panamá, 1940, vol. X : Compendio general, pp. 43-46. Voir tableau LVI du présent ouvrage (en annexe). 3 Op. cit., p. 124. 4 Anales de la Asociación Indigenista del Paraguay (Asuncion), 11 oct. 1945. 5 Juan BELAIEFF: «The Present-Day Indians of the Gran Chaco», Handbook of South American Indians, vol. 1 : The Marginal Tribes, publié sous la direction de Julian H. STEWABD (Smithsonian Institution, Bureau of American Ethnology, Bulletin 143) (Washington, 1946), p. 372. Voir aussi IDEM : « Los indios del Chaco paraguayo y su tierra », Revista de la Sociedad Científica del Paraguay (Asuncion), vol. V, n° 3, juin 1941. 2 DONNÉES DÉMOGRAPHIQUES ET GÉOGRAPHIQUES 63 des Indiens du Chaco paraguayen, répartis géographiquement en trois régions, à savoir: 1) les tribus du Nord (9.800); 2) les tribus de la forêt (7.700); 3) les tribus des Llanos, entre le Pilcomayo et le Confuso (50.500). D'après le même auteur, bon nombre des tribus sylvicoles du Gran Chaco seraient en voie d'extinction complète. PÉROU Le recensement national de 1940 a établi que la population, « recensée nominativement », s'élevait à 6.207.967 habitants, qui se répartissaient par « races » de la façon suivante : Blancs et métis, 3.283.360 (52,89 pour cent) ; Indiens, 2.847.196 (45,86 pour cent) ; Jaunes, 41.945 (0,68 pour cent) ; Noirs, 29.054 (0,47 pour cent) ; race non précisée, 6.412 (0,10 pour cent) \ Plusieurs spécialistes péruviens des questions indigènes affirment que le nombre des Indiens dépasse très largement le chiffre donné ci-dessus. C'est ainsi que, selon l'un d'eux, la moitié des habitants recensés comme « métis » lors du recensement seraient en réalité des indigènes, car on aurait considéré « de nombreux indigènes comme métis pour la simple raison qu'ils parlent l'espagnol, portent des vêtements européens ou habitent dans des centres urbains » ; la population indigène ne serait pas inférieure à 5 millions, ce qui représente environ 70 pour cent de la population globale du pays 2. D'après un autre auteur, « le chiffre de plus de 3 millions de Blancs et de métis est une source d'erreurs, car la proportion des uns et des autres n'est pas précisée... Il importe de déterminer le nombre des métis, surtout si l'on peut le décomposer en métis de culture indienne (indomestizos) et en métis de culture européenne (blancomestizos) 3 ». L'importance du premier de ces deux groupes serait démontrée par le fait que, d'après le recensement, il y a dans plusieurs départements du pays « plus de personnes qui parlent exclusivement l'idiome indigène que l'on pourrait le croire en se fondant sur le total des individus recensés comme étant de race indienne ». C'est 1 MINISTERIO D E HACIENDA Y COMERCIO, Dirección Nacional de Esta- dística : Censo nacional de población y ocupación de 1940 (Lima, 1944), vol. I , tableaux 41 e t 42, p p . 148-152. 2 Atilio SrviRiCHl : Derecho indígena peruano (Lima, Ediciones Kuntur, 1946), p . 46. Le chifire utilisé pour ce calcul et pour le diagramme de la page 67 est évidemment le total estimatif du recensement de 1940 (7.023.111). 3 Luis A. VALCÁRCEL : « Supervivencias precolombinas en el Perú », América Indigena, vol. X , n° 1, janv. 1950, p p . 46-47. 4 64 DÉFINITIONS E T DONNÉES PRÉUMTNATRES d'ailleurs ce qui se dégage du tableau ci-après, qui donne le pourcentage des aborigènes et celui des habitants qui parlent exclusivement la langue quichua dans les départements de Cuzco, d'Ayacucho et d'Apurimac. TABLEAU X I . — PÉROU : POPULATION D E LANGUE DANS TROIS Département Apurímac QUICHUA DÉPARTEMENTS Pourcentage d'Indiens Pourcentage d'habitants qui parlent le quichua seulement 71,73 75,94 70,02 79,44 82,39 86,22 Source : Luis A. VALCARCEL : * Supervivencias precolombinas en el Perù », América vol. X, n« 1, janv. 1950, p . 47. Jndlgetia, Selon le même auteur, il n'y a pas seulement un grand nombre de métis qui, par leur culture, sont des Indiens : on pourrait également classer comme tels de nombreux métis chez lesquels le sang blanc est nettement prédominant, mais qui vivent à la manière indienne sans savoir un mot d'espagnol comme, par exemple, les Morocucho des pampas de Cangallo, les habitants blonds de Pillpinto, dans la province d'Acomayo (Cuzco), et les Talaverino de Andahuaylas. « Grande est la surprise de ceux qui rencontrent ces gens blancs et barbus, dont beaucoup ne parlent ni ne comprennent un mot d'espagnol et vivent comme de véritables Indiens x. » Selon un calcul de la Direction nationale de la statistique, les indigènes étaient 3.121.071 2 (38,37 pour cent) à la fin de décembre 1948 et les métis, 3.834.676 3 . On peut en déduire que le premier chiffre ne comprend pas les Indiens sylvicoles et que le second comprend la population blanche du pays. (D'après Sivirichi, les Blancs formeraient au maximum 5 pour cent de la population globale.) S'écartant de la notion classique de répartition démographique « horizontale », par région, l'ancien directeur du Bureau de statistique du Pérou a analysé les résultats du recen1 Luis A. VALCARCEL, op. cit, p. 47. 2 Voir tableau LVII. « Dirección Nacional de Estadística », El Pueblo (Lima), 28 juiU. 1949. 3 DONNÉES DÉMOGRAPHIQUES ET GÉOGKAPHIQUES CARTE I V . — P E R O U : P O U R C E N T A G E D E LA ABORIGÈNE PAR RAPPORT A L'ENSEMBLE 65 POPULATION D E LA POPULATION COLOMBIE Source : MINISTERIO DE HACIENDA Y COMERCIO, Dirección Naciona ¡de Estadística : Censo nacional de población y ocupación de 1940. 66 DÉFINITIONS ET DONNÉES PRÉLIMINAIRES sèment de 1940 en prenant comme critère la répartition o verticale » de la population en fonction de l'altitude. Le résultat de son analyse est donné dans le graphique ci-contre, où la population est représentée comme un arbre dont les racines seraient au niveau de la mer (1.975.000 habitants, c'est-à-dire 28 pour cent), le tronc dans les régions plus élevées de la côte et de la Selva (410.000, c'est-à-dire 6 pour cent) et la frondaison dans la Sierra, ou hauts plateaux des Andes (4.495.000, c'est-à-dire 64 pour cent). E n d'autres termes, près des deux tiers de la population sont établis dans une série de neuf couches d'altitude différente, comprises entre 1.750 et 4.500 mètres au-dessus du niveau de la mer et qui correspondent précisément à la région essentiellement indigène du pays 1. (Le gros de cette population se trouve entre 3.000 et 4.000 mètres.) La tête de cet arbre correspond à la région appelée Puna, principalement peuplée d'Indiens (143.000, ou 2 pour cent). Le directeur de l'Institut national de biologie et de pathologie andines du Pérou, qui étudie depuis de nombreuses années le phénomène dit d'agresión climática (difficulté d'adaptation au climat des hautes altitudes) dans les hauts plateaux des Andes, a signalé l'importance de la relation qui existe entre cette répartition verticale de la population indigène et l'avenir de l'économie nationale, en ce qui concerne plus particulièrement les problèmes relatifs à l'acclimatation (et à la fécondité) de la race humaine, des animaux et des végétaux, à la santé et aux migrations de la main-d'œuvre 2. D'après le recensement de 1940, 1.829.243 habitants parlaient exclusivement les langues aborigènes (quichua, 1.625.156 ; aymara, 184.743 ; autres dialectes, 19.344) ; 816.966 Péruviens parlaient l'espagnol et le quichua et 47.022, l'espagnol et l'aymara. Comme le montre le tableau LVIII donné en annexe, le secteur unilingue quichua (population concentrée dans les départements de Cuzco, d'Ayacucho, de Puno, d'Ancachs, d'Apurimac, de Huancavelica, de Junin et de Huánuco) constitue l'immense majorité de la population de la Sierra. L'élément unilingue quichua, joint à l'élément bilingue, représente, par exemple, 98 pour cent de la population totale dans le département de Cuzco et 99 pour cent dans le département d'Ayacucho. Le groupe unilingue aymara est concentré en 1 Alberto ARCA PARRÓ : El medio geogràfico y la población del Perú (Lima, Torres Aguirre, 1945), p. 52. a Carlos MONGE M. : « Aclimatación en los Andes », América Indigena, vol. IX, n° 4, oct. 1949, pp. 267-285. DONNÉES DÉMOGRAPHIQUES ET GÉOGRAPHIQUES 67 PÉROU : RÉPARTITION DE LA POPULATION SELON L'ALTITUDE x I 1—i 1 1 1 i i i 1 i 1 i i 1 i ¡ 1 1 r Mètres Mètres 4.251^.500 4.251^.500 4.001-4.250 4.001^.250 3.751^.000 3.751^.000 3.501-3.750 3.501-3.750 3.251-3.500 3.251-3.500 3.001-3.250 3.001-3.250 2.751-3.000 2.751-3.000 ^JOMM iszzzmmmm 2.501-2.750 2.251-2.500 2.501-2.750 2.251-2.500 2.001-2.250 2.001-2.250 1.751-2.000 1.751-2.000 1.501-1.750 1.501-1.750 1.251-1.500 1.251-1.500 1.001-1.250 1.001-1.250 751-1.000 751-1.000 501- 750 601- 750 251- 500 251- 500 .•. , . , A , . , .W. , . , . , . , . , . , . , . , . , .'.M.V:* , , »Í 0-250 • l l l l i i 11 y V i i V i V i i i i I ' í J I i_ n—r Echelle : centaines de mille Source : Censo nacional de población y ocupación de 1940 (Lima, 1944). 1 Altitude des chefs-lieux de province. majeure partie dans le département de Puno (région du lac Titicaca). La population indigène sylvicole de l'Oriente (plaine de l'Amazone) est formée de nombreuses tribus et sous-tribus (près de 500 selon Sivirichi) d'origines diverses ; ce sont 68 DÉFINITIONS ET DONNÉES PRÉLIMINAIRES notamment les suivantes : Amahuaca, Piro, Campa, Macheyenga, Amoesha, Cunibo, Shipibo, Cashibo, Capanahua, Remo et Mayo, sur le rio TJcayali ; Aguaruna, Nantipa, Huambisa, Shapra, Murato et Shimaco, sur le Marañón ; Secoya, Aoshiri et Orejón, sur le rio Ñapo ; Pioje, Huitoto, Ocaína et Bora, sur le Putumayo ; Cocama, Yahua et Ticuna, sur l'Amazone 1 . La majeure partie de ces Indiens vivent dans les forêts du département de Loreto et dans les zones montagneuses des départements de San Martin et de l'Amazone. Quelques tribus sont nettement en voie d'extinction du fait de l'action de toute une série de facteurs, parmi lesquels on a relevé les maladies contagieuses, les guerres intestines, ainsi que les mauvais traitements et les travaux pénibles auxquels elles ont été soumises 2. La tribu des Huitoto a subi de lourdes pertes au cours des dix premières années de ce siècle, par suite des actes inhumains auxquels se sont livrés les saigneurs d'hévéas. Parmi les tribus les plus primitives, il y a lieu de mentionner les Yagua, qui vivent entre l'Amazone et le Putumayo, à proximité des frontières du Brésil et de la Colombie. SALVADOS En 1927, le directeur du Bureau de statistique décomposait de la manière suivante la population du pays : Indiens, 20 pour cent ; métis, 78 pour cent ; étrangers, 2 pour cent. On retrouve une répartition analogue dans l'Almanach de Gotha de 1931 : Indiens, 20 pour cent ; métis, 75 pour cent ; Blancs, 5 pour cent. Dix ans plus tard, Eodolfo Barón Castro indique à nouveau, dans une étude, cette même proportion de 20 pour cent d'indigènes. Cet auteur répartit de la façon suivante la population globale, évaluée à 1.787.930 habitants en 1940 : 357.586 Indiens; 1.340.948 métis; 89.396 Blancs. Pour la même année, Eosenblat ramène à 348.907 le nombre des aborigènes 3. Le noyau indigène le plus important, les Pipil 1 V. M. P I N E D O : « Los problemas de población de la selva peruana », Boletín Indigenista, vol. IV, n° 3, sept. 1944, pp. 226-234. 2 Voir, par exemple, le rapport d'un missionnaire augustin du vicariat apostolique de San León del Amazonas, le P . A venció VILLABEJO, O.S.A. : Asi esla selva. Estudio geográfico y etnográfico de la provincia de Bajo Amazonas (Lima, Torres Aguirre, 1943), p p . 95-134, 146-148 et 204-229. 3 Eodolfo BARÓN CASTRO : La población de El Salvador. Estudio acerca de su desenvolvimiento desde la época prehispánica hasta nuestros dios (Madrid, Consejo Superior de Investigaciones Científicas, Instituto Gonzalo Fernandez de Oviedo, 1942), p p . 515-528. Cf. également Pedro S. FONSECA : Lecciones de estadística (San-Salvador, 1927), p . 55, et Ángel ROSENBLAT, op. cit., p p . 21, 119-120, d'où sont extraites les données du texte. DONNÉES DÉMOGRAPHIQUES ET GÉOGRAPHIQUES 69 (environ 80.000 personnes), d'origine aztéco-toltèque, est concentré en particulier à Nahuizalco, dans le département de Sonsonate 1. Il existe en outre des groupes moins importants de Nahua, de Quiche et de Cachiquel. Il n'a pas été possible d'obtenir des renseignements au sujet de leur répartition géographique. VENEZUELA Le cinquième recensement national (1926) a fait apparaître l'existence de 136.147 Indiens sur une population totale de 3.026.878 habitants. D'après le sixième recensement national (1936), il y aurait eu en l'espace de dix ans, parallèlement à une augmentation considérable du total de la population (qui passe à 3.491.159), une diminution sensible du nombre des Indiens (103.492). Lors du septième recensement national (1941), on a signalé une fois de plus un accroissement important de la population globale (3.850.771) et une nouvelle diminution de la population indigène (100.600). Lors de la publication du dernier de ces recensements, il a été bien précisé que la population aborigène comprise dans ces résultats était celle qui vivait « dans un état à demi sauvage et complètement en marge de la vie administrative du pays 2 ». La Direction générale de la statistique du Venezuela, lors de la préparation du recensement national de 1950, décida qu'il serait procédé à une enquête spéciale sur la population aborigène dans la mesure du possible, au moyen d'une enumeration directe, complétée à l'aide d'estimations fondées sur des témoignages concrets et prouvés. De plus, elle décida que, outre les données démographiques usuelles relatives à la population aborigène recensée, les services du recensement rassembleraient des informations de caractère sanitaire, économique et culturel, qui permettraient de décrire exactement la situation des Indiens vénézuéliens et dont pourraient s'inspirer les mesures visant à améliorer leurs conditions de vie et à les incorporer progressivement dans le milieu national. Le recensement fut effectué en cinq régions géoethnographiques et fut précédé d'une enquête préliminaire qui permit de localiser exactement les noyaux aborigènes et de déterminer les voies d'accès à leurs, communautés, en s'assurant la colla1 Tomás Fidias JIMÉNEZ : Nueva geografia de El Salvador (San-Salvador, 1947), p. 37. 2 MINISTERIO DE FOMENTO, Dirección General de Estadística : Séptimo censo nacional de población levantado el 7 de diciembre de 1941, tomo VIII : Resumen general de la República (Caracas, 1947), pp. XXXII, 38. 70 DÉFINITIONS E T DONNÉES PRÉLIMINAIRES boration d'aborigènes dans chacune des régions dans les opérations de recensement proprement dit, dans la définition des caractéristiques culturelles et dans les relations avec les aborigènes 1 . Le tableau ci-après donne les résultats de l'enquête spéciale effectuée une fois terminé le recensement national de 1950. TABLEAU X n . — VENEZUELA : POPULATION ABOEIGÈNE PAR ÉTATS ET TERRITOIRES, D'APRÈS LES RECENSEMENTS DE 1 9 3 6 , 1941 ET 1950 1950 Aborigènes recenses nominativement Etats et territoires 19361 1941 2 Total général Total Etats: Anzoátegui Apure . . Bolivar . . Monagas . Sucre . . . Zulia . . . Estimations sur les aborigènes sylvicoles Parmi lesquels étaient déjà Total recensés en nov. 1950 sibles • « Inaccessibles > . . . . . . 6.085 13.204 17.925 920 1.400 15.475 1.200 1.650 1.310 899 340 — 14.000 10.511 3.961 130 6.550 300 18.000 10.341 6.146 950 4.195 443 515 515 47 — — — 593 93 30 500 — — 15.000 29.020 19.020 2.406 10.000 2.000 Territoires : Amazonas . . Delta Amacuro 39.450 9.033 43.400 39.010 3.890 346 35.120 5.120 30.000 9.000 7.183 7.183 4.506 — — — 340 6.250 3.752 — 500 8.000 Total . . 103.492 100.600 98.823 42.118 9.314 56.705 7.863 48.842 Source : MINISTERIO DE FOMENTO, Dirección Nacional de Estadística, Oficina Central del Censo Nacional : Censo de 1950 : Resultados preliminares de la investigación censal de la población indígena (Caracas, 1952), p. 9. Voir aussi chap. I. 1 Aborigènes civilisés et non civilisés. s Estimations en ce qui concerne la population sylvicole. Pour Tulio López Ramírez 2, on pourrait admettre sans crainte de se tromper que le Venezuela compte au total environ 150.000 Indiens. En revanche, le E.P. Cesáreo de Armellada, 1 MINISTERIO DE FOMENTO, Dirección General de Estadística, Oficina Central del Censo Nacional : Censo Nacional de 1950 : Resultados preliminares de la investigación censal de la población indigena (Caracas, 1952). Les données ont été rassemblées en deux étapes entre le 15 mars 1951 et 15 janvier 1952. « Du fait de la faible mobilité des groupes sédentaires et de l'imprécision des estimations relatives à la population inaccessible, les résultats obtenus peuvent être considérés comme faisant partie du recensement de 1950. » (Ibid., p. 8.) 2 Tulio LOPEZ RAMÍREZ : « Demografía indígena venezolana », Acta Americana (organe de la Société interaméricaine d'anthropologie et de géographie), vol. I, n° 3, juill.-sept. 1943 ; cité dans le Boletín Indigenista, vol. IV, n° 2, juin 1944, p. 150. DONNÉES DÉMOGRAPHIQUES ET GÉOGRAPHIQUES 71 missionnaire capucin, estime que ce nombre atteindrait à peine 60.000 K En 1941, après avoir consulté plusieurs spécialistes vénézuéliens des questions indigènes, le spécialiste américain Ernest E. Maes a estimé qu'il y avait au Venezuela quelque 150.000 Indiens « purs » et environ 450.000 personnes chez lesquelles le sang indigène prédominait. Ces divergences sont dues à toute une série de facteurs. En premier lieu, une fraction considérable de la population indigène est de type sylvicole et vit dans des régions éloignées et difficiles d'accès 2. En deuxième lieu, dans certaines des zones habitées par les groupes indigènes à demi assimilés, il est difficile d'établir une distinction claire entre l'Indien et le métis. En troisième lieu, dans certains cas, les données auraient été obtenues « en consultant des personnes censées connaître les diverses zones», et dans les régions peu accessibles « on était réduit à compter sur les dires de personnes dont les appréciations étaient plus ou moins sûres » 3 . Les frontières du Venezuela sont bordées, sur la quasitotalité de leur longueur, par une immense bande de terres peuplées d'Indiens sylvicoles. C'est ainsi, en commençant par le Nord-Ouest, que les Guaraúno peuplent le delta du Bas-Orénoque (officiellement dénommé Tefritoire fédéral Delta Amacuro), à la frontière de la Guyane britannique. En suivant la frontière en direction du Sud, puis du Sud-Ouest, on arrive à l'Etat de Bolivar, habité, dans sa zone périphérique limitrophe de la Guyane britannique puis du Brésil, par les Arekuna et les Taurepán, de souche caribe. Dans la périphérie du territoire fédéral de l'Amazone, également à la frontière du Brésil, habitent les Guaica, les Maquiritare, les Guaharibo et les Mandauaca. Eemontant vers le Nord, le long de la frontière qui sépare la partie occidentale de ce territoire de la Colombie, on trouve les Baré, les Baniba, les Curripaco, les Yavitero, les Piaroa et les Guahibo. Vient ensuite la région du rio Meta, limitrophe de la Colombie, au Sud, où habitent les Indiens nomades Cuiba, Guahibo et Yaruro. Dans les régions du rio Oro et de la sierra de Perijá, toujours à la frontière de la Colombie, vivent les Motilón, tandis que plus au Nord, dans la partie nord-ouest du pays, en bordure de la Colombie, on trouve 1 R.P. Cesáreo DE ARMELLADA : Gomo son los indios pemones de la Oran Sabana (Caracas, Élite, 1946), p. 6. 2 Tulio LÓPEZ RAMÍREZ, op. cit., p. 150. 3 Miguel Acosta SAIGNES : Noticia sobre el problema indigena de Venezuela (Caracas, Comisión Indigenista, 1948), p. 2. 4* 72 DÉFINITIONS ET DONNÉES PBÉLIMINAIKES dans les plaines de la Guajira les Indiens Guajiro qui, eux, ne sont pas sylvicoles, mais pasteurs 1. CARTE V. — V E N E Z U E L A : R É P A R T I T I O N G É O G R A P H I Q U E D E LA P O P U L A T I O N A B O R I G È N E , 1 9 5 0 Source : MINISTERIO DB FOMENTO, Dirección Nacional de Estadística, Oficina Central del Censo Nacional : Censo de 1950 : Resultados preliminares de la investigación censal de la población indigena (Caracas, 1952), p. 26. Les indigènes à demi formés aux habitudes de vie et de travail de la population sont surtout nombreux dans la région des Andes (Etats de Lara, de Mérida, de Trujillo et, dans une mesure moindre, de Zulia). On en a évalué le nombre à environ 90.000. Il y aurait plusieurs milliers d'Indiens à demi assimilés, d'origine Caribe et Arawak, établis le long de la côte ou éparpillés dans les Llanos. Pour López Bamírez, le refoulement (arrinconamiento) de la population indigène du Venezuela s'est produit de deux façons : dans la périphérie ou bien au sein même du reste de la population. Le premier cas 1 Communication du gouvernement du Venezuela au B.I.T., juillet 1952. DONNÉES DÉMOGRAPHIQUES ET GÉOGRAPHIQUES 73 serait celui des groupes Warao ou Guarauno (delta de l'Orénoque), Guahibo, Chiricoa (rives du Meta, llanos orientaux), Panare (à proximité du rio Paraguaza, en Guyane vénézuélienne), Piaroa (zones de Guarataro et de la Cañada, E t a t de Bolívar), Guajiro (Etat de Zulia), etc. Le groupe Guajiro offre une caractéristique intéressante en ce sens qu'il participe des deux types : bien que ces Indiens se soient faits, dans une large mesure, aux formes de la vie civilisée et qu'ils habitent à proximité du centre pétrolier de Maracaibo, ils restent fidèles à leur organisation communautaire, à leur langue et à leurs vêtements traditionnels 1. Acosta Saignes a distingué, du point de vue culturel, trois régions typiquement indigènes, à savoir : 1) la péninsule de la Guajira, à l'extrémité nord-est du pays, habitée par divers groupes Guajiro d'origine Arawak ; 2) la sierra de Perijá, où l'on rencontre plusieurs groupes d'origine Caribe, connus sous le nom de Motilón ; 3) le delta de l'Orénoque, dans lequel les Guaraúno constituent le groupe le plus important 2. CANADA Indiens D'après lé huitième recensement national de 1941, il y avait à cette date 118.316 Indiens dans le pays. Le recensement quinquennal départemental, effectué en 1949 par la Division des affaires indiennes, a établi leur nombre à 136.407 ; ces Indiens étaient répartis dans onze provinces et territoires du Canada 3. Le chiffre donné ci-dessus comprend tous les Indiens qui relèvent de l'administration fédérale, y compris plusieurs milliers de personnes d'origine aborigène qui ne vivent pas dans les réserves. Toutefois, de nombreux autres Indiens sont devenus citoyens de plein droit en vertu de la loi sur les Indiens et ne sont plus considérés comme Indiens par la loi. Il existe environ 600 collectivités indigènes ou « bandes » 4 ; elles sont établies dans les réserves ou terres attribuées aux 1 Tulio LÓPEZ RAMÍREZ, op. cit., p . 152. I l existe dans les faubourgs de Maracaibo u n quartier indigène Guajiro appelé Ziruma. 2 Miguel ACOSTA SAIGNES : Esquema de las áreas culturales de Venezuela (Caracas, Ministerio de Educación Nacional, 1949). Tirage à p a r t de la Revista Nacional de Cultura (Caracas), n° 72, janv.-fév. 1949, p p . 11-12. 3 DEPARTMENT O F CITIZENSHIP AND IMMIGRATION : Report of Indian Affairs Branch for the Fiscal Tear ended March 31,1950 (Ottawa, 1951), pp. 55-56 et 78-83. 4 L a <t bande » est l'unité administrative de la population aborigène. 74 DÉFINITIONS ET DONNÉES PRÉLIMINAIRES Indiens par le gouvernement fédéral. Le nombre de ces réserves est d'environ 2.000. Près de la moitié de la population indienne est établie dans le nord du pays. Esquimaux D'après le recensement de 1951, le Canada comptait 8.646 Esquimaux établis dans les Territoires du Nord-Ouest et dans le nord de la province de Québec. A ce nombre doivent être ajoutés 847 Esquimaux du Labrador, considérés comme Canadiens depuis le recensement de 1941 1 . La majeure partie d'entre eux vivent dans la frange septentrionale du continent et sur les côtes de la baie d'Hudson et des îles de l'archipel arctique. Il y a également quelques groupes d'Esquimaux à l'intérieur du district de Keewatin, à l'ouest de la baie d'Hudson. ETATS-UNIS Indiens Le recensement national de 1940 a permis de dénombrer 333.969 Indiens (0,3 pour cent de la population du pays), à l'exclusion de la population autochtone du territoire de l'Alaska. Ce chiffre comprenait environ 230 tribus disséminées dans les 48 Etats et installées dans 175 réserves 2. En 1943, le Bureau des affaires indiennes du ministère de l'Intérieur signalait l'existence de 376.580 Indiens dans les Etats-Unis proprement dits et de 32.750 aborigènes en Alaska (11.385 Indiens, 15.716 Esquimaux et 5.649 Aléoutes) 3. Selon le rapport sur le recensement de 1945, en janvier 1945, il y avait aux Etats-Unis proprement dits 393.622 Indiens sur une population globale d'environ 139.600.000 habitants 4 . En 1946, le directeur du Bureau des affaires indiennes indiquait, dans son rapport annuel au secrétaire d'Etat à l'Intérieur, que ses services protégaient les intérêts de « plus de 400.000 Indiens, Esquimaux et Aléoutes 6 ». La moitié environ de la population indienne des Etats-Unis proprement dits vit dans les régions de l'ouest, et les trois 1 MINISTÈRE DES AFFAIRES EXTÉRIEURES, Division de l'information : Bulletin hebdomadaire canadien, vol. VIII, n° 12, 26 janv. 1953, p. 9. a Voir, en annexe, le tableau LIX. Au sujet des réserves, voir carte X. 8 Statistical Supplement to the Annual Report of the Commissioner of Indian Affairs for the Fiscal Year ended June 30, 1943. * Chiffres donnés dans DEPARTMENT OF THE INTERIOR, United States Indian Service : Tables of Hospitals, Schools, Population and School Census, tableau 3 : a Indian Population in U.S. 1945 » (Washington, 1949). 6 IDEM, Bureau of Indian Affairs : Annual Report of the Commissioner... to the Secretary of the Interior. Fiscal Tear Ended June 30, 1946, p. 351. DONNÉES DÉMOGRAPHIQUES ET GÉOGRAPHIQUES 75 quarts dans l'ouest et le sud du pays. L'un des groupes les plus importants, les Navajo (environ 45.000 individus), est établi dans une immense réserve de 62.400 kilomètres carrés, située dans le nord-est de l'Arizona et qui s'étend au-delà des frontières de cet Etat dans le Nouveau-Mexique et l'Utah. On a estimé que près de 60 pour cent de la population indigène des Etats-Unis proprement dits sont de race pure ; la population métisse a toutefois tendance à augmenter. Le degré de métissage varie d'une région à l'autre. C'est ainsi que 97 pour cent des indigènes des Etats du Nouveau-Mexique et de l'Arizona seraient de pure race, tandis que dans le Minnesota cette proportion n'atteindrait que 17 pour cent. Les Indiens du Nevada montrent une certaine propension à s'unir avec des Blancs, tandis que les Apache, les Pueblo, les Navajo et les Papago du Sud-Ouest se caractérisent par leur tendance à maintenir intacte la pureté de leur sang *. Le degré d'assimilation culturelle varie également d'un groupe à l'autre, d'une région à l'autre. Par exemple, dans la région des Grands Lacs, les Indiens ont adopté la culture des Blancs au point d'abandonner presque entièrement leur langue indigène. E n revanche, les Navajo et les Papago se servent de préférence de leur idiome, bien que beaucoup d'entre eux parlent également l'anglais. Nombreux sont les Pueblo du Nouveau-Mexique qui parlent trois langues : leur dialecte, l'anglais et l'espagnol. En 1942, le National Indian Institute signalait que « la population aborigène des Etats-Unis augmente à l'heure actuelle à raison de 1 pour cent par année, tandis que le reste de la population augmente de 0,7 pour cent 2 ». Selon d'autres études, la population aborigène atteindra à la fin de ce siècle à peu près le chiffre qui était le sien, suppose-t-on, à l'époque de la découverte (environ 800.000). En 1875, il n'y avait que 270.000 Indiens. Le taux de mortalité des Indiens a diminué, tombant de 27 pour mille en 1929 à 14 pour mille en 1940. On constate le contraire en ce qui concerne les Esquimaux, dont le nombre ne cesse de diminuer par suite d'un taux de mortalité infantile élevé et d'une stérilité croissante. Esquimaux Les Esquimaux (dont on comptait 15.716 en 1943) sont éparpillés sur un territoire de plus de 5.000 kilomètres carrés, 1 NATIONAL INDIAN INSTITUTE : Indians 1942), p . 2. 2 Ibid., p. 7. of the United States (Washington, 76 DÉFINITIONS ET DONNÉES PRÉLIMINAIRES entre la côte de la mer de Behring, le cours inférieur du Yukon et la vallée du Kuskohwim. Dans leurs déplacements, ils vont même au-delà du détroit de Smith à 80 degrés de latitude nord. Asie Sur les pays indépendants de l'Asie, malgré l'importance des populations autochtones non encore assimilées, le Bureau international du Travail ne dispose pas pour le moment d'autres informations que celles qui, dans les pages ci-après, sont données au sujet du type, de l'importance numérique et de la répartition géographique des tribus les plus importantes de quelques-uns des pays d'Asie. BIRMANIE Les régions dites « séparées » ou « partiellement séparées » (excluded ou partially excluded areas) couvrent 43 pour cent de la superficie du pays et abritent près de 14 pour cent de l'ensemble de la population. On appelle « séparées » les régions où le degré de civilisation de la population est autre que dans le reste du pays et où « il serait nécessaire de modifier radicalement, voire d'abandonner, les coutumes particulières aux tribus si l'on veut faire participer ces populations à la vie politique de la Birmanie ». Les régions « partiellement séparées » sont celles qui ont adopté, dans une mesure plus ou moins grande, le genre de civilisation qui prédomine dans les autres parties du pays. Ces régions entièrement ou partiellement séparées sont administrées par un service frontalier créé à cet effet. Les régions « séparées » sont les suivantes : 1) les Etats Shan, fédérés ou non fédérés ; 2) la région des monts Arrakan ; 3) les districts des montagnes Chin ; 4) certaines régions des monts Kachin, dans les districts de Myitkina, de Bhamo et de Katha ; 5) la zone du Somra ; 6) la région connue sous le nom de « Triangle » ; 7) la vallée de Hukawng ; 8) le district de la Salouen ; 9) toutes les régions où il n'existe aucune administration et où vivent des tribus. Les régions « partiellement séparées » sont : 1) les districts de Myitkina et de Bhamo, à l'exception des zones Kachin ; 2) la subdivision de Homalin et une partie de la subdivision de Mawlaik dans le district du haut Ohindwin ; 3) le district de Kyaian et le cercle de Myawaddy dans le district de Kawkareik, ainsi que certaines parties des régions montagneuses DONNÉES DÉMOGRAPHIQUES ET GÉOGRAPHIQUES 77 des Karen dans le district du Toungou oriental et dans le district de Thaton x. Le recensement de 1931, dans la partie consacrée aux « tribus qui s'adonnent à l'agriculture, à la chasse, à la pêche et à diverses industries (genre d'occupation non spécifié)», donne pour la Birmanie les chiffres qui apparaissent à la colonne A du tableau ci-après. Quant à la colonne B, elle indique la répartition des groupes linguistiques du pays autres que les Birmans, les Chinois et les Malais. TABLEAU H E . — BIRMANIE : IMPORTANCE NUMÉRIQUE DES TRIBUS ET DES GROUPES LINGUISTIQUES Tribu Colonne A Colonne B 348.994 343.854 Groupe Mon-Khmer : 165.917 10.465 Wa J 176.024 305.294 Groupe Thaï : Shan Mro Karen Naga Sak (Lui) Salon Singpho, Kachin Lolo-Muhso Man ' . . . . . Total . . . 1.121 900.204 13.766 1.367.673 4.224 51.220 1.930 153.345 93.214 ! 951 ! 3.113.624 1.021.917 14.094 1.341.066 4.201 35.237 153.897 93.052 947 3.489.583 Source : Colonne A : Census of India, 1931 (Delhi, 1933), vol. I : India, partie II, tableau XVII, pp. 522-523. Voir ci-dessous, note 1. Colonne B : Burma Census, vol. X I de Census of India, 1931 (Rangoon, Bennison, 1933), pp. 193-200, cité par J. LeRoy CHRISTIAN, op. cit., p. 14. 1 Census of India, 1931, vol. I : India, partie II, tableau XVIII, p. 548. E n ce qui concerne la répartition par langue, un expert en la matière fait observer que «le classement fondé sur la langue, critère qui joue un rôle de première importance lorsqu'on l'emploie comme seule base de travail, peut conduire — et a d'ailleurs conduit — à de nombreuses erreurs dans la classification des races en Birmanie » 2 . On ne peut dire si 1 J. LeRoy CHRISTIAN : Modem Burma, A Survey of its Politicai and Economie Development (Berkeley et Los Angeles, University of California Press, 1942), pp. 106-108. a J. H. GKEEN: «A Note on the Indigenous Races of Burma», dans Census of India, 1931, vol. I, partie I I I B (notes ethnographiques publiées sous la direction de J. D. HUTTON) (Simla, 1935), p. 170. 78 DÉFINITIONS ET DONNÉES PRÉLIMINAIRES notre définition empirique d'une population aborigène s'applique aux Shan et aux Karen : en effet, ces populations peuvent avoir évolué depuis le recensement de 1931 et s'être intégrées, jusqu'à un certain point, dans la vie de la Birmanie. On a dit des Shan qu'ils constituaient une population « pacifique » 1 , et les Etats Shan, fédérés ou non fédérés, sont classés administrativement dans la catégorie des « régions séparées ». Quant aux Karen, dont les deux groupes principaux, les Sgaw et les Pwo, sont à peu près égaux en nombre et comprennent la majeure partie du million et demi d'individus que compte cette population, ils vivent dans le delta de l'Iraouaddi, dans la vallée du Sittang et dans la région de Tenasserim, dans l'Etat Karenni. Beaucoup d'entre eux en sont encore à un stade primitif d'existence, bien que les Sgaw entretiennent des contacts permanents avec les missionnaires baptistes américains depuis plus d'un siècle et que les Pwo évoluent vers le bouddhisme et tendent à adopter la civilisation birmane 2. Les Chin, cultivateurs du nord de la Birmanie, vivent dans les montagnes dans la partie septentrionale du Somra, sur la partie supérieure du lac Chindwin et au sud du district de Basseïn. On a signalé qu'« un grand nombre de Chin du Sud sont descendus ces dernières années vers les terres récemment ouvertes à la culture du riz, dans la plaine de l'Iraouaddi et même dans la partie orientale de la vallée de ce fleuve 3 » et que certains d'entre eux se sont convertis au bouddhisme et assimilent petit à petit la civilisation birmane. Au contraire, la région nord des montagnes Chin demeure l'une des zones les plus retardées de la Birmanie et l'on considère que ses habitants sont « animistes et s'adonnent avec excès à la consommation de liqueurs fortes et à d'autres vices 4 ». La population Kachin enregistrée lors du recensement de 1931 dépassait légèrement 150.000 individus ; en 1944, on a calculé qu'elle avait atteint 400.000 personnes, y compris les habitants des régions dans lesquelles le recensement n'avait pas été effectué 5 . Il s'agit, dit-on, d'une population primitive et guerrière qui vit principalement au nord et au nord-ouest de 1 J. LeRoy CHRISTIAN, op. cit., p. 10. 2 Ibid., pp. 10 et 19 ; J. R. ANDRUS : Burmese Economie Life (Stanford, Californie, Stanford University Press, 1947), p. 30 ; et John F . CADY : « Burma », The Development of Self-Rule and Independence in Burma, Màktya and the Philippines (New-York, American Institute of Pacific Relations, 1948), partie I, pp. 9-10. 3 4 6 John F. CADY, op. cit., p. 13. J. LeRoy CHRISTIAN, op. cit., p. 19. N. H. STEVENSON : The Hill Peoples of Burma (Londres, Longmans, 1945). DONNÉES DÉMOGRAPHIQUES E T GÉOGRAPHIQUES 79 Lashio, à proximité de Bhamo et au nord de la vallée de Hukawng, bien qu'on rencontre également des Kachin à Kengtung et dans les Etats Mong Mit 1 . Quant aux Wa, ils sont vraisemblablement plus nombreux que ne le signale le recensement et ils « constituent sans aucun doute la population la moins civilisée de Birmanie 2 ». Ils vivent dans le nord-est des plateaux Shan, mais on les rencontre également de l'autre côté de la frontière, en Chine. Dans son livre, J . L. Christian déclare que la Birmanie ne possède pas de « population vraiment primitive au sens anthropologique du terme ». Mais, étant donné que les Wa pratiquent la culture saisonnière en se déplaçant selon les saisons, il ne semble pas douteux que cette population ne soit effectivement un groupe primitif. Les Palaung, qui, dans bien des cas, sont semblables aux Wa, vivent à l'extrémité nord-ouest du pays, à Tawnpeng surtout, et les Pedaung dans l'Etat Karenni. On trouve quelques autres tribus, moins nombreuses, dans les montagnes qui forment la frontière avec l'Inde, la Chine et la Thaïlande, dans les régions « séparées » ou « partiellement séparées » qui s'étendent sur une superficie de près de 295.000 kilomètres carrés. CETLAN Les derniers descendants de la population primitive de Ceylan, les Vedda, seraient peut-être 6.000 au total à l'heure actuelle, bien que le recensement officiel (1946) ne donne que le chiffre de 2.361 personnes dont 1.866 vivaient à Batticaloa, 127 à Anuradhapura et 351 dans les districts de Badulla. Beaucoup d'entre eux vivant dans les forêts inaccessibles de l'est de l'île, dans un état primitif, il est impossible d'en déterminer le nombre exact. Après avoir enregistré une augmentation entre le recensement de 1881 et celui de 1911 (2.228 en 1881, 5.332 en 1911), leur nombre a diminué, tombant à 4.510 en 1921 et, en 1946, au chiffre précité 3 . Il existe, en outre, de petits groupes Bodiya (un peu moins de 2.000) et Kinnaraya (près de 700) ; les premiers vivent dans six districts des provinces du Centre et du Nord-Ouest, tandis que les seconds se sont établis dans les provinces du Centre, du Nord-Ouest, de l'Ouest et de Sabaragamuwa. On 1 J . L e R o y CHRISTIAN, op. cit., p . 20, e t J . R. A N D R U S , op. cit., p . 3 3 . a Ibid., p . 31. 3 D E P A R T M E N T O F CENSUS AND STATISTICS : Census of Ceylon, 1946, vol. I , partie I I : Statistical Digest (Colombo, 1951), tableaux 26, 26 a) e t 28. 80 DÉFINITIONS ET DONNÉES PRÉLIMINAIRES trouve également une petite colonie d'environ 80 Eodiya aux environs de Colombo 1. INDE Parmi les populations aborigènes de l'Asie sur lesquelles on dispose de renseignements plus ou moins détaillés, la plus nombreuse est celle de l'Inde. Le problème de l'identification et de l'énumération des groupes qui la composent a prêté à de vives controverses, qui ont porté tant sur les origines, les migrations, le mode de vie, le nombre de ces aborigènes que sur l'influence que les Hindous ou d'autres éléments de la population ont pu ou non exercer sur ces peuplades ou subir de la part de celles-ci. Certaines déclarations récentes relatives à leur nombre insistent sur l'inexactitude des chiffres donnés par le recensement de 1941 : « Les Adivasis, ainsi qu'on les appelle à l'heure actuelle, sont au moins 30 millions, selon l'opinion des participants à la dernière réunion du Congrès scientifique de l'Inde... Comme ces populations sont, depuis des siècles, en voie d'assimilation et d'acculturation et comme le recensement ne donne sur les Adivasis que des renseignements peu sûrs, il serait plus exact de dire que, si l'on envisage la question sous son aspect ethnique, il y aurait lieu de quadrupler les chiffres relatifs aux tribus figurant dans le recensement 2 ». Pour un autre auteur, « les chiffres indiqués dans le recensement de 1941 pour ces populations sont sujets à caution puisque, dans certains totaux, on a confondu les aborigènes et les « intouchables ». Le nombre des premiers pourra être établi lorsqu'on connaîtra les résultats du recensement de 1951. Quoi qu'il en soit, il doit avoir augmenté, parallèlement à l'accroissement de la population en général et au même rythme, pendant les vingt dernières années. Le chiffre de 25 millions ne doit pas être loin de la réalité. Les aborigènes et les Harijans, que l'on appelle aussi «intouchables», n'ont rien de commun, car intouchables et Hindous ont la même origine ethnique 3 ». D'autre part, les adversaires de cette thèse font valoir « qu'il serait préférable de parler de populations hindoues arriérées plutôt que d'animistes et d'aborigènes 4 ». 1 Communication du gouvernement de Ceylan, juilL 1952. Jaipal SINGH : « Development and Adivasis », Asian Labour (Indian Labour Forum, New-Delhi), vol. I, n° 4, janv. 1950, p. 52. 3 S. CHANDRASEKHAB : India's Population : Fact and Policy (Chidamabram, Annansalai University, Indian Institute for Population Studies, 1950), pp. 39-40 et 44. 4 G. S. GHUBYE : The Aborigines—So-called—And Their Future (Poona, Ghokale Institute of Politics and Economics, 1943), p. 24. 2 DONNÉES DÉMOGRAPHIQUES E T GÉOGRAPHIQUES 81 Selon une déclaration officielle sur le statut social des aborigènes, « les tribus qui figurent sur la liste spéciale (scheduled tribes) souffrent de certains désavantages sociaux. Cependant, ces désavantages sont absolument étrangers à la malédiction qui pèse sur les intouchables. Ils proviennent du fait que ces tribus ont été constamment séparées du reste de la société, que l'on ne s'est jamais sincèrement occupé d'elles et que l'on ne s'est jamais employé à comprendre leur culture et leur mode de vie. C'est une honte pour ceux qui s'enorgueillissent de l'antique patrimoine de la civilisation de l'Inde que de laisser ces tribus dans leur situation actuelle, en les exploitant chaque fois que cela est possible 1 ». Le gouvernement de l'Inde a fait connaître quelques chiffres qui permettent au moins de se faire une idée de la proportion des aborigènes par rapport à la population totale. En 1931, les tribus primitives groupaient 24.613.848 aborigènes (22.615.708, si on en retranche la population de la Birmanie). D'après les résultats du recensement de 1941, les aborigènes étaient 24.819.237 2 dans les régions correspondant à l'actuelle République de l'Inde (c'est-à-dire dans la péninsule indienne à l'exception des régions qui constituent actuellement le Pakistan). Ce chiffre représente 7 pour cent de la population globale du pays. Selon les chiffres du recensement de 1941, les groupes les plus importants sont les suivants : TABLEAU XIV. INDE : PRINCIPALES TRIBUS Importance numérique Répartition par Etats Gond 3.201.004 Santal Bhü 2.732.266 2.330.270 Oraon Kond Munda 1.122.926 744.904 706.809 10.838.239 Bihar, Bombay, Madhya Pradesh, Madras, Orissa, Haïderabad, Madhya Bharat. Bengale, Bihar, Orissa, Madhya Pradesh. Bombay, Madhya Pradesh, Haïderabad, Rajasthan, Madhya Bharat, Saurashtra. Bengale, Bihar, Orissa, Madhya Pradesh. Madras, Orissa, Madhya Pradesh. Bengale, Bihar, Orissa, Madhya Pradesh. Tribu Total . . . Source : DEPARTMENT OP COMMERCIAL INTELLIGENCE AND STATISTICS : • Statistics of Selected Tribes, compiled from the All-India Census Report, 1941 •, Statistical Abstract for British from 1936-37 to 1940-41 (Delhi, 1948), pp. 19-21. 1 India, L . M. S H B Œ A N T : Report of the Commissioner for Scheduled Castes and Sche- duled Tribes for the Period ending 31st December 1951, op. cit., p . 15. 2 CONSTITUENT ASSEMBLY OP I N D I A : Statistical Handbook No. 1, deuxième édi- tion, 1947 : The Population of India According to Communities. 82 DÉFINITIONS ET DONNÉES PRÉLIMINAIRES D'autres tribus — plus de 180 — comptent moins de 500.000 membres chacune. Il en est fait état dans les ordonnances de 1950 et 1951 x sur les tribus qui doivent se considérer comme protégées en conformité de l'article 342 de la Constitution. Le recensement de 1951 a révélé que la population représentée par ces tribus s'élevait à 19.136.250 habitants. Il n'existe pas d'autres données récentes sur les autres groupes aborigènes 2. La répartition géographique des aborigènes de l'Inde, d'après des renseignements officiels, correspond à trois régions principales : en premier lieu l'Assam, y compris les zones montagneuses de l'Himalaya et de la frontière birmane, et celles du Khasi central et du Garo ; en deuxième lieu, l'Inde centrale, surtout la région de Chhota ÏTagpur et Chhatisgarh jusqu'à Santal Parganas à l'est, Haïderabad au sud et la zone Radjpoutana-Goudjerate avec une forte population Bhil à l'ouest et au nord-ouest ; en troisième lieu, l'Inde méridionale, spécialement au sud des Ghâtes occidentales, où vivent diverses tribus aborigènes sylvicoles montagnardes 3. Ce système général de répartition géographique peut se préciser de façon plus détaillée : Les régions les plus vastes habitées par ces groupes se trouvent dans la région du Centre, qui comprend le grand plateau de Chhota Nagpur, s'étendant au nord au-delà de Santal Parganas jusqu'au Gange dans la région de Eajmahal. Au sud, ce massif se prolonge par les chaînes de montagnes qui séparent l'Etat d'Orissa de la partie orientale des Provinces centrales (actuellement Madhya Pradesh), entoure le plateau de Chhatisgarh et s'abaisse au sud jusqu'au God avari inférieur. A l'ouest de Chhota Nagpur, la région montagneuse passe au sud de Shahabad et de Mirzapur, entourant la chaîne de Kaimur et celle de Vindhya jusqu'à Udaipur (Newar) et aux monts Aravalli. Presque parallèlement au sud du fleuve ÏTarbada se trouvent les monts Mahadeo et les chaînes de Satpura de Bérar et de Khandesh qui arrivent jusqu'à la zone boisée du Goudjerate oriental. A l'extrémité occidentale de cette zone centrale commence la Cordillère de Sahyadri ou des Ghâtes occidentales qui, jusqu'à Bhor, est habitée par des tribus peu nombreuses de la même race que les 1 The Constitution (Scheduled Tribes) Order, 1950, et The Constitution (Scheduled Tribes) (Part C States) Order 1951. 2 Communication du correspondant du B.I.T. dans l'Inde. Pour plus de détails sur les résultats de ce recensement, voir le tableau XXXVT. 3 Communication du gouvernement de l'Inde, mars 1950. DONNÉES DÉMOGRAPHIQUES ET GÉOGRAPHIQUES CARTE VI. — INDE : POURCENTAGES TRIBUS DANS LA POPULATION REPRÉSENTÉS AVANT DÉCLARÉ U N E EN 1931 83 PAR LES RELIGION 1 Source : Kingsley DAVIS : The Population 0/ India and Pakistan (Princeton, Princeton University Press, 1951), p. 192. 1 II convient de noter qu'en 1931, la classification était fondée sur la religion tribale ; en 1941, cette catégorie a été abandonnée et remplacée par une autre, fondée sur l'origine tribale, sans distinction quant à la religion. En 1951, on a noté une forte baisse dans le nombre des personnes recensées parmi les aborigènes, du fait qu'un grand nombre de celles-ci ont déclaré appartenir à la religion hindoue ou chrétienne et n'ont pas, de ce fait, été classées comme appartenant à des tribus. populations aborigènes déjà mentionnées et présentant les mêmes caractères. Après une zone sans aborigènes, la région où l'on rencontre de nouveau des tribus primitives est celle des Nilgiris, y compris la langue de terre séparant l'Etat de 84 DÉFINITIONS ET DONNÉES PRÉI.TMTNATBJES Travan core de la côte orientale. Les versants occidentaux des Aravalli et le plateau Malwa forment la zone occidentale où sont établies les tribus montagnardes. On trouve encore des tribus de ce type dans d'autres régions, tout le long des terres frontières d'Asie, du Baloutchistan à la côte orientale du Bengale. Aux alentours de quelques-unes des régions ethniques des terres basses de l'Inde, on peut rencontrer soit des langues de terre, soit des zones montagneuses habitées par des peuples à culture primitive 1. Les divers groupes formant la population aborigène de l'Inde vivent, à des degrés divers, dans des conditions primitives en ce qui concerne le logement, les moyens de communication, les relations avec les autres groupes de la population nationale, les migrations, etc. Les tribus diffèrent les unes des autres par leur origine ethnique aussi bien que par la langue, les coutumes sociales et religieuses, même si ces dernières ont été influencées jusqu'à un certain point par les peuplades voisines. On estime que sur 25 millions d'aborigènes, 5 millions seulement vivent dans les montagnes complètement séparés du reste de la population ; la proportion la plus forte de ces habitants autochtones est donc en voie d'assimilation 2. Il faut remarquer que ces derniers, même lorsqu'ils se sont adaptés à la vie dans la plaine, gardent encore quelques-unes de leurs coutumes propres (règles sur le mariage, la succession, etc.), comme c'est le cas, par exemple, pour les aborigènes de l'Etat d'Orissa et de Chhota Nagpur (Bihar), les Gonds de Madhya Pradesh et les Bhils de Bombay 3. INDONÉSIE Les anthropologistes pensent qu'une grande partie du territoire formant la République d'Indonésie est habitée par des groupes primitifs, dont quelques-uns s'adonnent à la chasse au petit gibier et à l'agriculture primaire ; d'autres sont des « bohémiens des mers ». D'après les données statistiques officielles dont on dispose sur les groupes ethniques d'Indonésie, la population aborigène se monte à environ 16 millions d'âmes. 1 W. H. GILBEBT, Jr. : Peoples of India (Washington, Smithsonian Institution, 1944) (War Background Studies, n» 18), p. 55. 2 Introduction, par A. V. THAKKAR, du Report of the Conference of the Social Workers and Anthropologists, oct. 1949. 3 CONSTITUENT ASSEMBLY OF INDIA, Excluded and Partially Excluded Areas (other than Assam) Subcommittee : Report, 1947, p. 14. DONNÉES DÉMOGRAPHIQUES ET GÉOGRAPHIQUES 85 On peut, en l'absence de renseignements plus complets, établir, — comme cela s'est fait en 1930 — une liste des tribus primitives habitant le pays et évaluer leur densité de la manière suivante. TABLEAU XV. — INDONÉSIE : REPARTITION NUMERIQUE DE LA POPULATION ABORIGÈNE, 1 9 3 0 . Tribu 1 Sumatra : Kubu (Ninangkabau) . . Buginese Battak Malais de Pedang . . . Achinese Palembangan Importance numérique Pourcentage de la population totale 1.988.648 1.533.035 1.207.514 953.397 898.884 831.321 770.917 659.477 3,36 2,59 2,04 1,61 1,52 1.41 1,30 1.12 651.391 1,10 642.720 557.590 1,09 0,94 5.641.332 9,54 Bornéo : Dyak Célebes : Toraja Autres groupes Total . . . 16.336.226 Source : DEPARTMENT VAN ECONOMISCHE ZAKEN, Central Kantoor voor de Statistiek: Statistisch Zakboekje voor Nederlandsche Indie, 1940 (Batavia, Kolff, 1941), tableau 12. 1 L'orthographe originale du nom des tribus a été conservée dans la plupart des cas, en l'absence d'une orthographe française bien déterminée. PAKISTAN L'évaluation du nombre des aborigènes de ce pays — après la séparation de l'Inde et du Pakistan — se fonde sur des déductions et des suppositions ; en effet, les recensements effectués auparavant ne tiennent pas compte de certaines régions faisant actuellement partie du Pakistan ; de plus, certains calculs contradictoires partant de bases différentes ont été faits sur ces populations tribales. Le recensement de l'Inde de 1941 donne pour les provinces et divisions qui forment actuellement le Pakistan une popula- 86 DÉFINITIONS ET DONNÉES PRÉLIMINAIRES tion aborigène de 457.950 âmes 1, alors que certaines autres sources fixent ce total à environ 1 million. Les chiffres provisoires du recensement de 1951 au Pakistan publiés jusqu'à maintenant n'établissent pas de distinction entre les aborigènes et le reste de la population ; il est cependant précisé que ce recensement ne comprend pas le Jammu et le Cachemire (la délimitation de leur territoire faisant encore l'objet d'un litige entre l'Inde et le Pakistan), ni les régions de Junagadh, Manavadar, Gilgit et Baltistan, qui sont fort probablement habitées par quelques tribus aborigènes et nomades. En fait, Symonds mentionne spécialement les Mir de Hunza et de Nagar, dans les régions de Gilgit et du Baltistan, où le « Pakistan a étendu une autorité de fait sur les tribus et chefs de tribus 2 ». Le recensement de 1951 ne fournit pas de données précises sur les tribus de la région de Chittagong. Cependant, le ministère du Travail du Pakistan, se référant, en une communication adressée au Bureau international du Travail le 15 décembre 1952, à la population aborigène de cette région de la province du Bengale oriental, signale qu'il y existe dix tribus sylvicoles dont la composition paraît être la suivante : TABLEAU XVI. — PAKISTAN : TRIBUS SYLVICOLES DE CHITTAGONG Tribu Importance numérique Chakma Magha Tripora Kuki Lushai Khyang Mro Khomi Chak Tanohangya Total calculé . . . PHILIPPINES 110.000 78.000 29.254 5.000 3.100 1.200 12.000 175 1.000 10.000 249.729 La population aborigène est formée de plusieurs groupes ethniques qui diffèrent par la langue et la religion et qui vivent dans des conditions sociales et économiques fort diverses. On peut citer parmi ces groupes, comme les plus nombreux et les plus avancés, les Moro et les Igorrot. Les Igorrot sont établis surtout dans l'île de Luçon (provinces de la ÏTouvelle1 Census of India, 1941 (Delhi, 1943), partie I, tableaux. * Richard SYMONDS : The Making of Pakistan (Londres, Faber and Faber, 1949), pp. 140-141. DONNÉES DÉMOGRAPHIQUES E T GÉOGRAPHIQUES 87 Biscaye et de Mountain) ; on trouve les Moro surtout dans l'île de Mindanao (provinces de Cotabato, Davao, Bukidnon, Soulou, Lanao, Agusan et Zamboanga). Quelques-uns des groupes restants sont établis dans des localités éloignées des centres alors que d'autres vivent en nomades dans les régions inaccessibles du pays, surtout dans les forêts et les montagnes des diverses provinces. Les Tinggian se trouvent dans la province d'Abra, les Negrito ou Aeta dans les régions de Bataan et Zambales, les Dumagat et les Ilongot à Quezon (anciennement Tayabas), les Magyan à Mindoro ; les Tagbuana et les Palaweño à Palaouan ; les Manobo dans la région d'Agusan et les Bogobo à Davao 1. En 1901, on classait ces populations comme « païennes » ; le recensement de 1918 les désignait par l'expression « non chrétiennes » et celui de 1948 distinguait les Moro (Maures) et les « païens et autres personnes sans religion ». Selon ces définitions, en 1901 on a recensé 504.000 « païens », en 1918, 821.000 « non-chrétiens » (dont 402.790 « païens ») et, en 1948, 791.817 Moro et 353.842 « païens et autres personnes sans religion ». En 1918, un professeur d'anthropologie et d'ethnologie de l'Université des Philippines a fait une étude montrant qu'un grand nombre de tribus « païennes » possèdent une culture définie qui permet de les classer comme populations semicivilisées. Les groupes véritablement primitifs qui vivent surtout dans les grandes forêts et les régions montagneuses éloignées étaient dispersés dans une vaste zone, mais ne comptaient pas au total plus de 200.000 âmes. Le même auteur répartit ces populations en trois groupes : les Pygmées (connus généralement sous le nom de Negritos), les Indonésiens et les Malais 2. Chez les Pygmées, on rencontre trois types métissés : a) les Negrito proprement dits, qui ont sans doute des affinités négroïdes, b) les Proto-Malais, à fortes affinités mongoliques, c) les Australoïdes-Aïnous, qui constituent un type intermédiaire entre l'aborigène australien et l'Aïnou du nord du Japon. Ces populations vivent surtout dans les zones montagneuses et boisées d'Apayao, d'Ilocos et de Zambales, dans les régions occidentales et méridionales de l'île de Luçon, ainsi qu'aux Visayas et à Mindanao. E n 1939, les Pygmées ou Negritos 1 Communication du gouvernement des Philippines, mars 1950. H . O. B E Y E R : « The Non-Christian People of the Philippines », Census of the Philippine Islands, 1920 (Manille), vol. I I . 2 88 DÉFINITIONS ET DONNÉES PRELIMINAIRES étaient au nombre d'environ 29.000. Le correspondant du B.I.T. à Manille estimait cependant en août 1951 qu'ils devaient alors être moins nombreux, « car les tribus primitives du pays sont en voie de disparition graduelle ». Le groupe indonésien se trouve dans la partie méridionale de Luçon, dans les îles Visayas, dans les régions occidentales et centrales de Mindanao, dans la péninsule Zamboanga et dans l'archipel de Jolo. Il faut mentionner comme faisant partie du groupe indonésien les groupes ethniques ci-après: Ibanog, Gaddang, Katinga, Apoyao (Luçon) ; Visayas, Tagbunua (îles Visayas) ; Bukidnon, Manobo, Mandaya, Ismal, Ata, Bagobo, Kulaman, Tagakaolo, Bilaan, Tiruran (Mindanao) et Bajao (archipel de Jolo). Le groupe malais est divisé en deux sous-groupes importants : les Malais « païens » et les Malais « mahométans ». Parmi les premiers, on trouve les Tinggian, les Bontok, les Igorrot et les Ifugao (régions montagneuses de l'intérieur dans le nord de l'île de Luçon). Les seconds, fixés principalement dans l'archipel de Jolo, dans la région méridionale de Palaouan et dans les provinces de Zamboanga, Cotabato et Lanao de l'île Mindanao, comprennent les Moro de Samal, Lanao et Soulou. On ne connaît pas encore les résultats complets du recensement de 1948, mais les tableaux statistiques de la population classée par langue maternelle et par dialecte sont déjà en cours de préparation ; ils permettront d'établir de façon plus exacte la densité et la répartition de la population « non chrétienne ». Néanmoins, le tableau LX, en annexe, qui fait apparaître la classification par religion, indique approximativement la densité et la répartition des Moro et des « païens vivant aux Philippines. Les Moro se trouvent particulièrement dans les provinces de Cotabato, Lanao, Soulou et Zamboanga, alors que les « païens » comprenant les Tinggian, les Bontok, les Igorrot et les Ifugao sont établis dans la région montagneuse se trouvant à l'intérieur de la partie septentrionale de Luçon et les Tagbuana à Palaouan. Diverses autres tribus « non chrétiennes » sont disséminées dans d'autres provinces 1. THAÏLANDE Les données statistiques récentes font également défaut au sujet de la Thaïlande, et les chiffres cités dans cette étude doivent être considérés comme un minimum. En effet, la 1 Communication du gouvernement des Philippines, juin 1950. DONNÉES DÉMOGRAPHIQUES ET GÉOGRAPHIQUES 89 population totale dénombrée par le recensement de 1920 était d'environ 10 millions d'habitants, alors qu'actuellement on l'estime à plus de 18 millions. Les chiffres concernant les tribus datent pour la plupart de 1920. TABLEAU XVII. — THAÏLANDE : IMPORTANCE NUMÉRIQUE DES TRIBUS, 1 9 2 0 Groupe Importance numérique Khmer Malais Mon Karen Divers autres Total . . . 450.000 400.000 60.000 60.000 600.000 1.570.000 1 D'après Graham , la répartition géographique de ces groupes est la suivante : les Semang du Siam comptent environ 6.000 âmes au total et vivent dans les montagnes qui bordent les districts de Chaiya, Sôngkla et Pattani. Les Lawa sont des tribus montagnardes fixées dans les cordillères frontières de l'ouest et du sud-ouest du Siam septentrional. Les Kamuko, les Kämet, les Lamet, les Ka bit, les K a hok et les Paï sont des tribus des montagnes, étroitement apparentées, établies en partie dans les chaînes de îfuang nan à l'est du Siam septentrional. De nombreux membres de ces tribus (que les Siamois désignent sous le nom de Ka ou Kaché, expression qui à l'origine signifiait « esclave ») ont atteint un certain degré de civilisation grâce aux contacts prolongés et étroits qu'ils ont eus avec les Laotiens et les Siamois ; ils ont embrassé le bouddhisme et adopté divers usages et coutumes de leurs voisins. Par contre, les autres membres de ces tribus, c'est-à-dire la majorité, demeurent dans les conditions arriérées et rudimentaires de leurs prédécesseurs. Les Ohong forment de petites tribus dispersées dans la chaîne de montagnes située au nord de la province de Chantabun. On trouve u n certain nombre de villages Meao dans la province de ]STan et dans quelques autres régions du Siam septentrional. Les Muhsö, auxquels on attribue une origine tibétano-birmane, constituent une autre tribu très répandue. Ils vivent surtout dans la région de Muang-Fang, à l'extrémité nord du Chieng Mei, ou cirque Payap. Les Kaw, connus en d'autres lieux sous le nom d'Akha, ne sont pas très nombreux au Siam. Une tribu disséminée dans le sud-ouest du Yunnan, dans la zone de Kachin (Birmanie) et dans la plupart des Etats Shan, 1 W. A. GRAHAM : Siam (Londres, A. Moring, Ltd., 1924), p. 114. 90 DÉFINITIONS E T DONNÉES PRÉLIMINAIRES appelée Lishaw, est représentée a u Siam par deux ou trois cents personnes seulement. Les Yao, ou Tao-yin, font partie d'une tribu arrivée au Siam à une époque récente, et venant, semble-t-il, des régions montagneuses du Nord et de la zone située à l'est du Mékong. Quelques-unes de ces tribus se sont établies dans les montagnes voisines de Chieng Sen, Chieng Kawng et dans la province de Nam. Les Karen venus de Birmanie et qui au total comptent quelque 30.000 âmes vivent dans les chaînes de montagnes de l'ouest et du sud-ouest du Siam 1. Australasie AUSTEALIE D'après le recensement des aborigènes effectué en 1944 dans tous les Etats d'Australie, la Nouvelle-Galles du Sud exceptée, la population autochtone comprend 71.895 personnes, dont 47.014 sont de « sang pur » et 24.881 métissées. La plus grande partie de ces populations se trouvent en Australie occidentale, au Queensland et dans le Territoire du Nord 2. Au moment de la première colonisation de l'Australie par les Blancs, on évaluait la densité de la population aborigène à plus d'un quart de million, répartie comme le montre le tableau ci-dessous. TABLEAU XVm. — AUSTEALIE : POPULATION L O R S D E LA Etats et territoires Australie occidentale . . . . Victoria Queensland Nouvelle-Galles du Sud Territoire du Nord Tasmanie . . . Total . . . Moyenne. . ABORIGÈNE COLONISATION Importance numérique Superficie (milles carrés) Densité (nombre de milles carrés par personne) 52.000 10.000 11.500 100.000 40.000 35.000 2.500 975.920 380.070 87.884 670.500 310.372 523.620 26.215 18,8 38,0 7,6 6,7 7,8 15,0 10,5 251.000 2.974.581 11,9 Source : A. R. RADCLIFFE BROWN : « Former Numbers and Distribution of the Australian Aborigines », Official Year-Book of the Commonwealth of Australia (Canberra, Commonwealth Bureau of Census and Statistics, 1930), chap. XXIV, p . 696. 1 2 W . A. GRAHAM, op. cit., p p . 102-147. Voir tableau L X I , en annexe. DONNÉES DÉMOGRAPHIQUES ET GÉOGRAPHIQUES CARTE Vn. — AUSTRALIE : RÉPARTITION 91 GÉOGRAPHIQUE DES ABORIGÈNES, 1 9 4 0 - 1 9 4 4 Colonies et stations du gouvernement. Missions. Réserves aborigènes. MELBOURNE m (2) (3) (4) (5) (6) (') Aborigènes Blancs Métis 21.821 463.530 4.781 13.901 8.764 902 1.918.101 673 77 1.023.449 6.164 8.766 595.841 2.250 2.704 2.801.991 11.073 690 Insulaires du détroit de Torres : 3.727 Source : A. P . ELKIN : Citizenship for the Aborigines. (Sydney, Australasian Publishing Co., 1944). A National Aboriginal Policy On a discerné une évolution constante dans la composition de la population aborigène. Le nombre des personnes de « sang pur » diminue rapidement, alors que la proportion des métissés augmente presque au même rythme. Par exemple, 92 DÉFINITIONS ET DONNÉES PBÉLTMINAIBES la population d'aborigènes « purs » en Nouvelle-Galles du Sud a diminué de 25,88 pour cent de 1891 à 1901, de 46,74 pour cent de 1901 à 1911 et de 20,6 pour cent de 1911 à 1921. Les chiffres sont les suivants. TABLEAU XIX. — NOUVELLE-GALLES DU SUD : ABORIGÈNES ET MÉTIS 1882 Aborigènes de « sang pur » . . Métis 1892 1902 1912 6.450 4.458 2.880 1.917 2.379 3.015 3.948 5.117 1921 1941 1.281 6.270 594 10.022 Source : Griffith TAYLOR : Environment and Hace, A Study of the Evolution, Migration, Settlement and Status of the Haces of Man (Londres, Oxford University Press, 1927), p . 341. Les données relatives à Tannée 1941 sont tirées de COMMONWEALTH BUREAU OF CENSUS AND STATISTICS : Official Year-Book, 194S-Í7, n» 37 (Canberra, 1949), p . 741. NOUVELLE-ZÉLANDE En septembre 1949, la population aborigène (maorie) du Dominion comprenait 115.250 personnes, représentant 6,05 pour cent de la population totale 1. Jusqu'en 1926, on a considéré comme Européens les métissés de Maoris et d'Européens qui vivaient à la manière européenne, alors que ceux qui avaient des coutumes maories ont été classés comme aborigènes maoris ; depuis le recensement de 1926, tous ces aborigènes ont été classés comme faisant partie de la population maorie, quel que fût leur genre de vie. A côté des Maori-Européens, il existe de petits groupes de Maori-Chinois, de Maori-Indiens, de Maori-Syriens et de Maori-Noirs. Près de 50 pour cent des personnes considérées comme aborigènes sont des Maoris de « sang pur ». D'après le recensement de 1948, ceux-ci se trouvent presque tous dans le district provincial d'Auckland, dans l'île septentrionale. Un groupe peu important de Maoris de « sang pur » vit au nord de l'île méridionale. La population maorie, qui a diminué depuis l'époque du premier recensement, n'a cessé d'augmenter régulièrement depuis 1901, passant de 45.549 à 115.250 en 1949. EUe était revenue à 113.777 2 en 1951. 1 Communication du gouvernement néo-zélandais, février 1950. Les autres données sur la population maorie sont extraites de CENSUS AND STATISTICS DEPARTMENT : New Zealand Official Year-Book, 1946 et 1947-1949 (Wellington, 1948 et 1950). 2 Chiffre provisoire du recensement de 1951, donné par le ministère du Recensement et de la Statistique. DEUXIÈME PARTIE Conditions de vie NOTE PBÉLIMINAIRE Le niveau de vie d'un groupement humain dépend essentiellement de la coexistence de différents facteurs, au nombre desquels on peut ranger : une offre suffisante des biens de consommation indispensables, la possibilité matérielle de subvenir aux besoins essentiels (alimentation, logement, hygiène, vêtement) x , l'existence de certains services d'assistance sociale chargés non seulement de veiller à la santé de la collectivité et de l'individu, mais d'assurer l'enseignement et l'éducation, et, enfin, l'instauration de conditions de travail raisonnables, capables d'exercer une influence heureuse sur la santé générale, la régularité des revenus et la productivité. En général, le niveau de vie des populations aborigènes des pays indépendants est extrêmement bas et, dans la majorité des cas, considérablement inférieur à celui des couches indigentes de la population non aborigène. Dans plusieurs régions, on peut remarquer que les groupes autochtones continuent de végéter dans des conditions de misère économique aiguë et que leur retard dans les domaines économique et culturel limite considérablement leurs possibilités de production et de consommation. Cet état de choses est imputable aux conditions primitives dans lesquelles ces groupes sont obligés de gagner leur subsistance, au fait que rien ne les encourage à s'instruire — et qu'ils n'ont d'ailleurs souvent aucune possibilité de le faire — et à l'absence quasi complète, dans certaines régions, de tout système d'assistance, de tout service social et de toute mesure de protection des travailleurs 2. Sans doute, la situation peut varier d'un pays à un autre, voire d'une région à une autre au sein d'un même pays, en fonction de divers facteurs d'ordre ethnique et climatique, 1 En ce qui concerne les Indiens d'Amérique, on trouvera un aperçu des principaux éléments ethnographiques et des manifestations les plus importantes de la vie matérielle dans Luis PEBICOT Y GARCÍA : America Indigena, op. cit., pp. 110-160, et les notes bibliographiques correspondantes. Voir également C. Daryll FORDE : Habitat, Economy and Society. A Geographical Introduction to Ethnology (Londres, Methuen and Co., 1949). 2 II convient de noter dès l'abord que, dans la majorité des pays intéressés, il existe des groupes aborigènes qui, grâce à la politique sociale poursuivie par leur gouvernement (voir chap. XI), jouissent d'un niveau de vie plus élevé et de conditions de travail plus avantageuses. 5 96 CONDITIONS D E VIE en fonction aussi du milieu ; cependant, on peut affirmer qu'à quelques rares exceptions près, les conditions dans lesquelles vivent les aborigènes sont nettement inférieures aux normes qui garantiraient un minimum de santé et de culture. Dans le régime alimentaire, on observe habituellement un déficit marqué des éléments de protection (protéines, minéraux et vitamines) et une prédominance exagérée des hydrates de carbone. Cela se traduit par l'existence de toute une gamme de maladies de carence, en particulier chez les enfants. Dans certaines régions de l'Amérique latine, cet état de sous-alimentation est compensé artificiellement par une consommation excessive d'alcool et de coca. Sous des aspects divers, le logement est presque toujours caractérisé par l'humidité, la mauvaise aération, l'encombrement et l'absence des accessoires sanitaires les plus élémentaires ; tous ces facteurs sont de puissants agents de propagation des maladies des voies respiratoires et de l'appareil digestif et du paludisme. En général, le vêtement ne répond pas aux rigueurs du climat ou aux exigences de l'hygiène, ce qui, avec l'insalubrité du logement, contribue à la propagation de diverses maladies de la peau et de maladies parasitaires. Souvent, le contact avec des éléments de la population non autochtone est à l'origine de la dissémination, dans le milieu aborigène, de maladies infectieuses et contagieuses telles que la tuberculose, la syphilis, etc. Dans la plupart des régions habitées par les groupes aborigènes, les soins médicaux scientifiques, qu'il s'agisse de médecine préventive ou curative, n'existent absolument pas. Pour des raisons d'ordre économique et professionnel, c'est dans les agglomérations importantes et les autres centres urbains très éloignés des zones de population aborigène que l'on trouve le plus fort pourcentage de médecins, de pharmaciens, d'infirmières et d'assistants sociaux. Cette situation est aggravée encore par la persistance en pays indigène de certaines pratiques empiriques, d'origine mythique ou religieuse, dans le domaine de l'alimentation, de la guérison des maladies, de l'accouchement, du sevrage, etc. De plus, l'analphabétisme sévit dans une très grande partie de la population aborigène ; dans certaines régions, il est dû non seulement à la rareté des moyens d'enseignement, mais aussi à l'attitude défiante ou hostile qu'adopte l'indigène envers celui qui, à son avis, apporte dans ses bagages la civilisation d'origine européenne. CHAPITRE I I I ALIMENTATION C'est énoncer un postulat élémentaire de la science médicale contemporaine que de dire que l'organisme humain a besoin non seulement d'une quantité suffisante d'aliments, mais encore d'une combinaison équilibrée d'éléments nutritifs essentiels, pour faire face aux rigueurs du climat et aux assauts des maladies aussi bien que pour recouvrer les forces dépensées au travail. Le régime alimentaire ne sera pas satisfaisant s'il ne comporte pas simultanément des éléments énergétiques et des éléments jouant un rôle de protecteur ou accroissant la résistance de l'organisme (protéines, minéraux, vitamines). Une carence accentuée et constante de ces derniers éléments provoquera inévitablement un état de dénutrition, de maladie et de diminution de la capacité de production. S'il est certain que l'on ne possède pas encore de renseignements statistiques suffisants à ce sujet, les données descriptives dont on dispose permettent d'affirmer qu'en règle générale la valeur énergétique du régime alimentaire de l'aborigène ne s'approche pas, tant s'en faut, du minimum nécessaire. Quant à sa teneur en aliments de protection, elle est généralement très insuffisante. Amérique Dans un rapport sur les résultats de la troisième Conférence internationale de l'alimentation, le directeur de l'Institut national de la nutrition de la République argentine déclare que 1'« Amérique connaît une situation véritablement tragique du fait de la sous-alimentation qui sévit dans tous les pays de l'Amérique latine sans exception x ». Ainsi qu'on le verra 1 Pedro ESCUDERO : La tercera Conferencia Internacional de la Alimentación. Síntesis de sus deliberaciones (Buenos-Aires, ministère des Affaires étrangères, non daté). 98 CONDITIONS D E VIE plus loin, cette affirmation s'applique aisément à la grande masse de la population aborigène. Un rapport publié en 1946 par le Comité de coopération pour l'Amérique latine fournit les données générales suivantes au sujet du régime alimentaire de l'Indien du massif méridional des Andes : les composants principaux de ce régime sont le maïs, l'orge, le chuño (pomme de terre déshydratée) et le blé, aux altitudes inférieures à 3.600 mètres, et aux altitudes supérieures, le chuño, le quinoa, l'oca 1 et l'orge. Dans bien des régions, l'aborigène ne mange de viande qu'aux seuls jours de fête ou de marché. On constate une carence en potassium et en magnésium qui s'explique par la très faible consommation de fruits et de légumes ; le goitre endémique, que l'on trouve dans bien des régions, témoigne d'un régime insuffisamment iodé ; en raison de la pauvreté du sol et d'une très faible consommation de lait, l'organisme de l'aborigène est également très pauvre en calcium et en phosphore ; en général, les enfants ne boivent jamais de lait après le sevrage, qui commence à deux ans. Le régime alimentaire de l'aborigène est indubitablement pauvre en vitamines de toute sorte, mais dans de nombreux districts, il manque en particulier de vitamines B, ainsi qu'en atteste la prédominance des maladies de la peau et des yeux ; il manque aussi de vitamines C. En général, l'Indien des Andes pâtit d'un manque de légumes et de protéines. Les maladies de carence et les troubles stomacaux sont communs. La durée moyenne de la vie oscille entre trentedeux ans et quarante ans et le taux de la mortalité infantile est exceptionnellement élevé. Dans l'Equateur, sur 20.000 nouveau-nés, 6.000 meurent pendant la première année de leur existence 2. On trouvera ci-après certaines données précises concernant les conditions qui régnent dans les cinq pays de l'Amérique latine possédant les populations aborigènes les plus nombreuses. BOLIVIE Selon un rapport pubhé en 1941 par deux anciens fonctionnaires du ministère du Travail, la population minière (dont 1 Oxalidacée (Oxalis crenata ou Oxalis tuberosa) dont les tubercules farineux sont utilisés pour l'alimentation. 2 COMMITTEE ON COOPERATION I N LATIN AMEBICA : Indians of the High Andes : Report of the Commission Appointed by the Committee on Cooperation in Latin America to Study the Indians of the Andean Highlands, publié sous la direction de W. Stanley B Y C R O I T (New-York, 1946), p p . 109-110 et 231-235. ALIMENTATION 99 les aborigènes constituent un pourcentage très élevé) «... subissait un processus d'appauvrissement biologique progressif et procréait des générations organiquement faibles à capacité de travail déclinante ». Ce rapport signalait que le régime alimentaire de la famille du mineur n'atteignait pas, dans la plupart des cas, la ration de travail, ni même la ration minimum ordinaire qui correspond à une vie inactive, qu'il était insuffisant en qualité comme en quantité, surtout en ce qui concerne les éléments mêmes de la nutrition (graisses, albumines et vitamines) et que la consommation de légumes, de plantes potagères, de légumes verts et de fruits était à peu de chose près nulle *. Quant à la population des hauts plateaux en général, un rapport de la Commission mixte du travail Bolivie-Etats-Unis, rédigé en 1943, signalait que, de l'avis général des experts, le régime alimentaire de la moyenne des travailleurs de Bolivie était alors très inférieur aux normes communément considérées comme nécessaires au maintien d'une bonne santé et que, pour bon nombre de groupes de travailleurs, la consommation ne dépassait pas un niveau dangereusement bas 2. Un rapport de l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture fait état des travaux d'un économiste bolivien, qui a calculé que, sur 222.000 individus considérés aux fins de son étude, 72,7 pour cent n'avaient pas un revenu suffisant pour se procurer les aliments nécessaires. Il cite également un renseignement fourni par le Bureau bolivien d'assurance sociale, selon lequel 77 pour cent des travailleurs des mines n'ont pas les moyens de subvenir à l'alimentation d'une famille de trois personnes 3. D'après le rapport de la mission d'assistance technique que les Nations Unies ont envoyée en Bolivie en 1950, la mauvaise qualité du régime alimentaire de la population — principalement sur les hauts plateaux—est due surtout à la consommation faible, et dans bien des cas nulle, de lait, de fruits frais et de légumes ; l'insuffisance de ce régime revêt une exceptionnelle * Remberto CAPRILES R I C O e t Gastón ARDUZ E G U Î A : El problema social en Bolivia : Condiciones de vida y de trabajo (La P a z , Fénix, 1941), p p . 22-23. 2 Pour plus amples renseignements, voir BUREAU INTERNATIONAL DU TRAVAIL : Labour Problems in Bolivia, Report of t h e Joint Bolivian-United States Labour Commission (Montréal, 1943), pp. 38-41. 3 Cf. doc. F.A.O. N.48/C0.2/11, Montevideo, juill. 1948, cité dans NATIONS U N I E S , Conseil économique et social, procès-verbaux officiels, douzième session, supplément spécial n° 1 : Rapport de la Commission d'étude sur la feuille de coca (Lake Success, New-York, juill. 1950), doc. E/1666, E/CN.7/AC.2/1, p . 2 1 . 100 CONDITIONS DE VIE gravité dans le cas des enfants et permet d'expliquer les taux extraordinairement élevés de la mortalité infantile*. EQUATEUR D'après les résultats d'une enquête conduite par le professeur Pablo A. Suárez, de l'Université de Quito, la valeur énergétique de la ration alimentaire quotidienne d'un péon aborigène n'était, en 1934, que de 1.690 calories 2. En 1941, elle ne dépassait pas 2.000 calories. Les principaux éléments qui constituent l'alimentation du péon sont l'orge, le quinoa, la pomme de terre et Voca. La répartition de la ration moyenne journalière a été établie de la manière suivante : albumines, 35 grammes ; graisses, 22 grammes ; hydrates de carbone, 410 grammes ; minéraux, 6 grammes. Quant aux vitamines, elles accusaient toutes un déficit 3 . L'expert équatorien des questions indigènes Antonio Santiana a décrit le régime alimentaire de l'aborigène des régions montagneuses dans les termes suivants : On trouve à peine dans son régime les éléments réparateurs des subtils complexes chargés de l'activité cérébrale et nerveuse ; l'albumine en est quasi absente. Il s'agit d'un régime végétarien à base de féculents, où la quantité remplace la qualité et où la viande n'entre que dans des proportions infimes et encore à des occasions solennelles, pour célébrer une fête ou par suite de la mort accidentelle d'un animal... *. Selon une autre source, la consommation de lait de l'Indien est, elle aussi, dérisoire. La presque totalité des 37 millions de litres de lait produits dans l'Equateur en 1942 a été traite par les Indiens, mais on peut affirmer que ces derniers y ont à peine goûté. On peut en dire autant du Pérou et de la Bolivie 5 . Luis A. León fait remarquer que le régime de l'Indien se compose depuis l'enfance d'éléments « presque exclusivement à base d'hydrates de carbone » et que ce fait, joint à « la pénurie marquée de protéines qui caractérise ce régime», expliquerait 1 UNITED NATIONS, Technical Assistance Administration : Report of the United Nations Mission of Technical Assistance to Bolivia (New-York, 1951), doc. ST/ TAA/K/Bolivia/1, pp. 89-90. 2 Pablo A. SUAREZ : Contribución al estudio de las realidades entre las closes obreras y campesinas (Quito, Universidad Central, 1934), p. 34. 3 IDEM : a La situación real del indio en el Ecuador », América Indigena, vol. I, no 1, janv. 1941, p. 61. 4 Antonio SANTIANA : Panorama del indio ecuatoriano : Síntesis de un personaje olvidado y vision de su porvenir (Quito, 1952), p. 120. 6 Indians of the High Andes, op. cit., p. 230. ALIMENTATION 101 « les troubles du développement que l'on observe chez les individus de cette race » 1 . D'après les résultats d'une enquête de médecine sociale effectuée en 1948 par l'Institut national de prévoyance sociale et portant sur les conditions économiques et sociales du paysan dans diverses paroisses de la province de Pichincha, environ 65 pour cent des familles considérées déjeunent d'une bolée de soupe aux biscuits ou d'un brouet d'oignons et de máchica (farine d'orge rôtie) ou simplement d'un peu de farine rôtie ; le repas du matin consiste en deux bolées de mazamorra (mets de farine rôtie) avec quelques morceaux de pommes de terre ou de gâteau d'orge rôtie. La consommation de protéines d'origine animale est minime : elle est, par famille et par jour, de 116 grammes. L'alimentation se compose surtout d'hydrates de carbone, les autres principes nutritifs y sont très rares, les calories et certaines vitamines insuffisantes. Le rapport de l'enquête révèle que l'alimentation du paysan a notablement perdu de sa qualité depuis 1934, époque à laquelle le D r Suárez avait effectué la première enquête 2. GUATEMALA Les données dont on dispose sur ce pays ne portent pas spécifiquement sur la population aborigène, mais sur les paysans en général. Cependant, ces derniers étant en grande majorité aborigènes, les données en question peuvent être considérées comme représentatives. C'est ainsi qu'un rapport publié en 1949 signale que le régime alimentaire du travailleur rural se compose principalement de maïs, de haricots et de piments. « Il n'est pas surprenant, précise le rapport, qu'au Guatemala la productivité du travailleur soit si basse, si l'on se rappelle que les travailleurs souffrent en majorité de dénutrition, de maladies intestinales parasitaires et de paludisme. L'eau-de-vie à bon marché contribue également à débiliter les travailleurs ruraux 3. » Dans un exposé présenté au Conseil économique national, le Président de la Eépublique a déclaré en 1951 que le maïs représente 60 pour cent de la totalité des calories consommées 1 Luis A. LEÓN : « Breves consideraciones sobre la patología del indio en el Ecuador », Cuestiones indígenas del Ecuador (Quito, Instituto Indigenista Ecuatoriano, 1946), p. 253. 2 Plutarco NAKANJO VAKGAS : El campesinado ecuatoriano y el seguro social obligatorio (Quito, Instituto Nacional de Previsión, 1948), p. 21. 3 Leo A. STJSLOW, op. cit., p. 101. 102 CONDITIONS DE VTE par l'ensemble de la population (le blé 6 pour cent, le riz 1 pour cent). En protéines consommées, et malgré sa faible teneur, le maïs apporte 56 pour cent et, en hydrates de carbone, 6'5 pour cent. MEXIQUE Le régime alimentaire des Indiens, essentiellement à base de maïs, aboutissant dans certaines tribus à la monodiététique absolue, est bien entendu incomplet ou carence. On a beaucoup écrit sur l'état de dénutrition dû à l'absence d'acides aminés dans le maïs. Ainsi, l'alimentation de l'Indien est défectueuse en qualité et en quantité 1 . D'après un rapport publié en 1941 par le secrétariat d'Etat au Travail et à la Prévoyance sociale, l'alimentation habituelle des paysans du centre du pays se composait surtout de galettes, de haricots, de piments, de café et d'un peu de sucre brûlé ; très rares étaient les familles consommant du lait et, parmi les groupes les plus pauvres, le repas se composait uniquement de galette et de sel ; en général, ces familles ne consommaient jamais ni viande ni œufs ; dans le Nord, on observait une carence marquée de la consommation du lait et dans la région méridionale du littoral du Pacifique, le régime alimentaire de nombreuses familles était limité au maïs, aux haricots et aux herbes sauvages 2. Dans un rapport présenté au premier Congrès national de l'assistance sociale, qui s'est réuni à Mexico au mois d'août 1943, Juan Comas, de l'Institut interaméricain des affaires indigènes 3 , a déclaré que les enquêtes effectuées parmi divers groupes et tribus aborigènes indiquent de façon manifeste une « très nette déficience biologique ». Ce délégué, citant Carlos Basauri, signale que, chez les Mayas, la carence du régime alimentaire est aiguë dans le Yucatan ; la pénurie de vitamines d'origine animale, de légumes frais et de fruits prend des proportions très grandes. Il semble que l'anémie dont la population est généralement atteinte soit due en grande partie à une ali1 Carlos BASAUBI : La población indigena de México (Mexico, Secretaría de Educación Pública, 1940), tome I, p p . 46-47. 2 SECRETARÍA DEL TRABAJO Y DE LA P R E V I S I Ó N SOCIAL : La fijación de salarios mínimos para 1942-1943 (Mexico, 1941), p p . 38-39. 3 Carlos BASAURI, op. cit., tome I I , p p . 36 et 236, tome I I I , p p . 85 et 290-292 ; Alfonso FABILA : Valle de El Mezquita! (Mexico, Editorial Cultura, 1938), pp. 173-175 ; José GÓMEZ ROBLEDA : Los Tarascos (Mexico, 1940), p p . 122-126 ; et Manuel BASAURI : Monografia de los Tarahumaras (Mexico, 1929), p/-36. Ouvrages cités par J u a n COMAS : « La asistencia pública y el desarrollo biológico del indígena » (rapport presenté au premier Congrès national de l'assistance sociale, 15-22 a o û t 1943), América Indigena, vol. I l l , n° 4, oct. 1943, p. 337-344. La vie des aborigènes de Madhya Pradesh (Ine (Commissioner for Scheduled Castes and Scheduled Tribes Madhya Pradesh Famille Baiga (district de Balaghat) Aborigène Madia en route pour le marché Extraction d'huile végétale de l'herbe de «russa» (tribu Korku, district d'Amravati) ALIMENTATION 103 mentation insuffisante ; chez les Tojolabal de l'Etat de Chiapas, sur les huit ou neuf enfants qui naissent en moyenne dans chaque foyer, au moins 50 pour cent meurent des suites des négligences dont leur alimentation a pâti pendant la première enfance ; la ration alimentaire des Otomis est généralement insuffisante en quantité et en qualité. Entre autres facteurs, ce régime alimentaire déficient exerce une profonde influence sur l'équilibre endocrinien des Otomis. La mortalité infantile est effrayante : les femmes ont en moyenne dix enfants (il arrive que certaines en aient jusqu'à vingt-cinq). Néanmoins, il est rare que quatre ou cinq enfants survivent dans chaque ménage. Citant Alfonso Fabila, le délégué a révélé que la ration alimentaire des Otomis de la vallée du Mezquital se répartit de la manière suivante : 34,70 pour cent de pulque 1, 22,47 pour cent de maïs, 5,11 pour cent de piment, 4,02 pour cent de quelites (genre de blettes) et seulement 6,32 pour cent de lait et de viande. Les 27,38 pour cent restants groupent des proportions infimes de tomates, de haricots, de riz, de sucre, de pain, de café et d'eau-de-vie ; chez les Tepecano de Jalisco, le tableau n'est guère plus réjouissant : les maladies dominantes des enfants affectent l'appareil digestif et résultent directement de l'alimentation peu appropriée qu'ils reçoivent. D'après le témoignage de Gómez Bobleda, « les déficiences physiologiques, l'insuffisance endocrinienne et même les caractéristiques mentales des Tarasques peuvent être considérées comme étant des conséquences inévitables d'une alimentation déficiente et d'un état de fatigue chronique». Enfin, le rapporteur a ajouté que, d'après Manuel Basauri, les Tarahumara de Chihuahua vivent dans des conditions misérables, souffrent d'une faim chronique et sont en pleine décadence physiologique. PÉKOTJ Dans la Sierra du Pérou, d'après une enquête médicosociale effectuée en 1948, les principales carences du régime alimentaire de l'aborigène rural sont constatées dans les minéraux (en particulier l'iode, le calcium et le fer), les protéines et les' vitamines (A et C, complexe B, en particulier la tiamine et la riboflavine) 2. Cela se traduirait par une série de maladies de carence et d'affections gastr o-intestinales et expliquerait 1 Boisson fermentée extraite de l'agave. Maxime H . KTJCZYNSKI-GODARD et Carlos Enrique P A Z SOLDÁN : Disección del indigenismo peruano : Un examen sociológico y médicosocial (Lima, Instituto de medicina social, 1948), p . 106. 2 5* 104 CONDITIONS D E VIE en partie la vie moyenne extrêmement courte de l'aborigène (de trente-deux à quarante ans) 1 . Selon le rapport de la Commission d'étude des Nations Unies sur la feuille de coca 2 : L'impression générale est que l'on se trouve dans les régions de l'altipiano, en Bolivie comme au Pérou, en présence d'une population sous-alimentée, dont l'alimentation se compose presque uniquement de pommes de terre, de haricots et de quinoa. On consomme également de la viande séchée (selon les ressources individuelles) une ou deux fois par semaine. Ce régime est déficient en graisses et en protéines d'origine animale et la valeur calorique en est probablement insuffisante 3. Dans plusieurs districts de la région du lac Titicaca, l'aborigène ne vit que de pommes de terre à partir du mois de mai et jusqu'à la mi-juillet ; il lui arrive à l'occasion de manger un peu de charqui (viande séchée de mouton ou de pore), de sel et d'oignons ; entre juillet et mi-novembre, il s'alimente principalement de chuño (pomme de terre séchée) et de patasca (plat d'orge mêlée d'un soupçon de graisse de porc) ; la viande est un aliment de luxe ; dans de nombreux districts miniers du département de Puno, les bergers eux-mêmes ne tuent un lama que tous les deux mois pour avoir de la viande ; de la mi-novembre à lafinde février, on consomme de préférence de la patasca et du quinoa 4 . Le régime est exceptionnellement pauvre en graisse ; il n'y entre pratiquement pas de fruits, ceux-ci constituant un luxe aussi rare que les friandises. La consommation de légumes verts, de salades, etc., est très réduite et même inconnue dans de nombreux foyers 5 . Luis N. Sáenz, dans une étude publiée en 1945, constate : Il est peu de groupes humains chez qui l'on trouve, à des époques où la famine ne peut être imputée à la guerre, à la peste ou à d'autres circonstances exceptionnelles, des carences alimentaires aussi 6cruelles que celles qui frappent la population de la Sierra du Pérou . 1 COMMITTEE ON COOPERATION IN LATIN AMERICA : Indians of the High Andes, op. cit., pp. 109-110. 2 Voir chap. VI. 3 Op. cit., p. 19. 4 Maxime H. KUCZYNSKI-GODARD : Estudios médicosociales en minas de Puno, con anotaciones sobre las migraciones indígenas (Lima, Ministerio de Salud Pública y Asistencia Social, 1945), p. 15. 6 IDEM : Estudio familiar, demográficoecológico en estancias indias de la altiplanicie del Titicaca, Ichupampa (Lima, Ministerio de Salud Pública y Asistencia Social, 1945), pp. 35-37 et 39. 6 Luis N. SXENZ : El punto de vista médico en el problema indigena peruano (Lima, 1945), p. 35. ALIMENTATION 105 Une autre enquête, qui a porté sur de nombreuses collectivités montagnardes 1, a permis de démontrer que la ration alimentaire quotidienne de l'aborigène est « insuffisante en valeur calorique et manque particulièrement de graisse et surtout de protéines » ; les albumines d'origine animale brillent par leur absence, étant donné que le cheptel bovin appartient généralement au grand propriétaire terrien et que l'Indien se trouve dans l'obligation, pour augmenter quelque peu ses revenus, de vendre les œufs de ses poules ; la carence alimentaire de l'aborigène se serait traduite par un pourcentage élevé des inaptes au service militaire, une faible résistance aux maladies infectieuses, un taux très bas d'accroissement de la population en dépit du taux élevé de fécondité, et une altération de la génération, l'enfant venant au monde grevé de tares carencielles héréditaires. Carlos Gutiérrez Noriega a calculó qu'en 1945 la consommation alimentaire moyenne par jour dans la partie méridionale de la Sierra était de 777 grammes (contre 1.096 sur le littoral) ; ce chiffre se rapporte à l'ensemble de la population de la région ; abstraction faite des groupes les plus favorisés, la consommation moyenne du paysan aborigène n'atteindrait que 500 grammes d'aliments par jour. En calories, le déficit que subit le régime alimentaire moyen de l'habitant des Andes méridionales atteint, par conséquent, 1.200 à 2.100 unités, c'est-à-dire que sa ration alimentaire ne lui fournit que 50 à 66 pour cent des calories correspondant à ses besoins physiologiques 2. Dans cette étude, comme dans d'autres qui ont été publiées en 1948 et en 1949, l'auteur que nous venons de citer a soutenu que le déficit énergétique de la ration alimentaire de l'aborigène est comblé par l'alcool ou bien fallacieusement compensé par une forte consommation de coca 3. x Luis N. SAENZ : « El coqueo, factor de hiponutrición », Revista de la Sanidad de Policía (Lima), vol. I, mai 1941, pp. 129-147. 2 Carlos GUTIÉRREZ NORIEGA : El cocaísmo y la alimentación en el Perú (Lima, Instituto df Farmacología y Terapéutica, 1948), p. 67. Ces données sont puisées dans L. ROSE UGARTE : La situación alimenticia en el Perú (Lima, Ministerio de Agricultura y Servicio Cooperativo Interamericano de Producción de Alimentos, 1945). Dans une publication plus récente du ministère de l'Agriculture, le déficit du régime alimentaire en calories dans les régions rurales du pays est considéré comme oscillant entre 500 et 2.000 unités. Voir Angélica C. RONCAL : Investigación sobre las costumbres alimenticias en las zonas rurales del Perú (Lima, 1948) ; ouvrages cités" dans le Rapport de la Commission d'étude sur la feuille de coca, op. cit., p. 21. 3 Voir à ce sujet le chapitre VI. 106 CONDITIONS D E VIE AMÉLIORATION DE L'ALIMENTATION DE L'ABORIGENE Pour expliquer la carence quantitative et qualitative du régime alimentaire de l'aborigène de l'Amérique latine, deux causes peuvent être invoquées : un dénuement économique complet, qui interdit à l'aborigène de consacrer à sa nourriture une part plus importante de son budget, et l'ignorance dans laquelle il se trouve des possibilités de varier son régime malgré sa situation économique précaire. Les campagnes d'éducation et de propagande lancées dans de nombreux pays à l'effet d'inculquer à l'aborigène des notions de diététique qui lui permettent d'utiliser de manière plus rationnelle les éléments constitutifs de son régime alimentaire ou de recourir à d'autres aliments qui pourraient être à sa portée se sont heurtées à une série d'obstacles d'ordre culturel, tels que la tradition, la routine, les tabous alimentaires, etc. 1. L'Institut interaméricain des affaires indigènes s'est activement préoccupé de favoriser l'introduction du soja, les expériences tentées dans certaines régions du Mexique ayant donné d'excellents résultats. A cette fin, il a distribué, dans un certain nombre de pays latino-américains, des semences de soja en faisant connaître le mode de culture et les moyens d'utiliser les graines comestibles. L'emploi du soja n'a cependant pas accusé de progrès positifs parmi la population aborigène. Il a été question également de rationaliser l'emploi d'aliments spécifiquement indigènes (chuño, quinoa, etc.), que l'aborigène utilise selon des procédés empiriques traditionnels. Sans méconnaître l'influence de la tradition sur le caractère non différencié du régime de l'aborigène, il importe de se rappeler que le problème de l'alimentation d'un groupe humain déterminé ne peut être isolé des facteurs économiques qui sont à son origine. E É G L M E A L I M E N T A I R E D E S I N D I E N S SYLVICOLES Les renseignements dont on dispose quant à la valeur du régime alimentaire de l'Indien sylvicole de l'Amérique latine sont quelque peu contradictoires. Ainsi, dans une étude présentée au Comité de la vie rurale de l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture, à sa session d'octobre 1 Manuel G A M O : « Reforma de la dieta de indios y mestizos », Boletín nista, vol. V I I I , nos 3_4; sept.-déo. 1948, pp. 186-194. Indige- ALIMENTATION 107 1948, le directeur de l'Institut interaméricain des affaires indigènes a exprimé l'opinion que l'alimentation de l'aborigène sylvicole est beaucoup plus propre à répondre aux besoins de l'organisme que celle de l'Indien des hauts plateaux. Cette situation serait due au fait que l'isolement géographique et social, l'organisation économique particulière et même la relative indépendance politique de cet aborigène lui permettent de combiner un régime varié et jusqu'à un certain point plus complet, en ce qu'il se compose des produits de la chasse, de la pêche et de la cueillette des fruits de la forêt, ainsi que des produits des petites cultures que l'aborigène entretient à son gré sur les terrains forestiers qui s'y prêtent 1 . Un expert équatorien a exprimé un avis analogue, déclarant que l'Indien sylvicole de son pays, qu'il s'agisse de celui de la partie orientale ou de celui du littoral, n'accuse pas de troubles majeurs de la nutrition 2. D'autre part, un sociologue brésilien bien connu a soutenu, dans un rapport soumis au deuxième Congrès interaméricain des affaires indigènes, que l'aborigène de l'Amazone pâtit d'une sous-alimentation assez alarmante. D'après ce rapport, l'aliment de base de cet indigène est la farine de manioc ; les possibilités de chasse étant limitées, les protéines d'origine animale proviennent principalement de la pêche ; la pénurie de protéines se traduit par la petite taille du sylvicole et par l'œdème qui accompagne le béribéri ; la faible teneur des aliments en minéraux est imputable à la pauvreté du sol ; on constate une grave pénurie de chlorure de sodium ; les vitamines qui manquent le plus sont celles du groupe B ; la sous-alimentation explique en grande partie le taux élevé de la mortalité dans la région, dont la population demeure numériquement stationnaire 3. On peut dire de façon générale que le régime alimentaire des sylvicoles d'Amérique du Sud s'apparente à celui de l'Indien sylvicole du Brésil, qui est omnivore et se nourrit aussi bien de viande, de poisson, d'insectes, de larves, de serpents, d'œufs de tortue, de fruits, etc., que de quelques produits végétaux qui croissent spontanément dans la région (manioc doux ou amer, 1 Voir Manuel GAMIO : « Reforma de la dieta de indios y mestizos », op. cit., pp. 186-188. 2 Luis A. LEÓN, op. cit., pp. 253-254. 3 Josué DE CASTRO : « El área alimenticia en la Amazonia. La influencia regional en la alimentación indigena », Anales (Segundo Congreso Indigenista Interamericano, Cuzco, Pérou, 1949), pp. 242-243. 108 CONDITIONS DE VES maïs et igname). H cultive également ces plantes alimentaires, encore que dans des proportions réduites. Les éléments de base de son alimentation lui sont fournis par la chasse et la pêche, celle-ci n'étant toutefois possible que pendant trois ou quatre mois de l'année, à l'époque des basses eaux. L'aborigène complète son régime par le miel et les fruits sauvages qu'il récolte. Parmi les produits d'origine végétale les plus consommés, le manioc occupe incontestablement la première place. Il semble, dans les parties orientale et méridionale de la région des Amazones et dans les Andes équatoriales, que seule la variété amère soit cultivée ; dans les autres régions, on cultive indifféremment le manioc amer et le manioc doux. Le maïs se place au deuxième rang, le climat constamment humide ne favorisant pas cette culture x ; néanmoins, l'Indien connaît quelques variétés de cette céréale. Outre le manioc et le maïs, l'aborigène sylvicole cultive encore le haricot et l'igname, encore que sous une forme primitive et rudimentaire. En revanche, il ne plante jamais d'arbres fruitiers et, dans sa condition primitive, il ignore l'élevage du bétail. Une fois établi le contact avec les populations non aborigènes de l'intérieur ou avec d'autres tribus, plus proches de la civilisation, l'aborigène sylvicole a pu connaître une plus grande variété d'espèces végétales (encore qu'il s'en tienne à une technique agricole fort rudimentaire), et en dehors des cultures traditionnelles précitées, il dispose aujourd'hui de nouvelles variétés de semences que lui ont fournies les populations civilisées 2. Si l'on en croit la chronique de l'époque coloniale, son régime alimentaire semble avoir été plus riche au temps de la conquête, et il est possible de conclure que son émigration forcée vers l'intérieur du pays et sa dispersion dans des régions qu'il n'avait jamais habitées auparavant, lui ont fait oublier certaines des espèces végétales qu'il cultivait. Chez l'Indien sylvicole resté à l'écart de la civilisation, la préparation des aliments est assez rudimentaire. On peut dire que l'Indien ne consomme pratiquement pas de sel. En revanche, il assaisonne fortement ses aliments de poivre, de piment et d'aji. L'abus d'aliments crus ou à moitié cuits, ainsi 1 Max. SORBE : Les fondements de la géographie humaine, tome I : Les fonde' menta biologiques (Paris, Armand Colin, 1947), p. 265. 2 A. J. DE SAMPAIO : Alimentaçôo sertaneja e do interior da Amazonas (SaoPaulo, 1944), pp. 132-138. ALIMENTATION 109 que les conditions du climat et du milieu favorisent le développement de parasites de l'estomac, la dysenterie et les dermatoses. ETATS-UNIS L'alimentation des Indiens des Etats-Unis et, en particulier, de ceux qui peuplent les réserves du Sud-Ouest se situe à un niveau inférieur à celui qui caractérise la population en général. Cette insuffisance peut prendre la forme d'une pénurie de calories ou d'une pénurie de vitamines, voire ces deux formes à la fois. Le régime des îfavajo est insuffisant et peu varié ; il se traduit par une sous-alimentation généralisée. Les éléments principaux de ce régime sont le pain frit, la pomme de terre, le café et un peu de mouton dans les occasions exceptionnelles. Les analyses cliniques effectuées dans le cadre d'une enquête récente portant sur des enfants d'âge scolaire ont démontré que 40 pour cent des enfants Sioux étaient sous-alimentés et souffraient d'une carence de vitamines ; 18 pour cent des enfants Papago étaient sous-alimentés et 44 pour cent mal nourris ; 38 pour cent des Hopi étaient mal nourris et 24 pour cent sous-alimentés. Le régime des Papago manquait de vitamines A et C, celui des Hopi de vitamines A, B, C et D. De plus, dans le cas des Hopi, la nourriture ne contenait pas assez de protéines, de graisse, et quant aux calories, la quantité qui en était effectivement consommée correspondait à peine à la normale chez les adultes et était nettement insuffisante chez les enfants 1. Il semble que dans d'autres régions, le régime soit mieux approprié et plus équilibré, comme par exemple chez les Indiens de Coast Salish, dans la partie occidentale de l'Etat de Washington (Etats-Unis), et, au Canada, dans le sud de la province de Colombie britannique 2. On a remarqué aussi que, chez ces Indiens, le régime alimentaire paraît moins équilibré dans le cas des familles qui se sont adaptées aux coutumes générales de la région et ont adopté le régime alimentaire local 3 . 1 J. A. KRTJG : The Navajo, A Long-Range Program for Navajo Rehabilitation (Washington, U.S. Bureau of Indian Affairs, 1948), et Laura THOMPSON : Personality and Government : Findings and Recommendations of the Indian Administration Research (Mexico, Institute Indigenista Interamericano, 1951). 2 En ce qui concerne les Esquimaux du Canada, voir C. Daryll FOBDE : Habitat, Economy and Society, op. cit., pp. 107-128. 3 Voir Trinità RIVERA : « Diet of a Food Gathering People, with Chemical Analysis of Salmon and Saskatoons », Indians of the Urban Northwest, publié sous la direction de Marian W. SMITH (New-York, Columbia, University Press, 1949), p. 26. 110 CONDITIONS DE VIE Asie CEYLAN Les Eodiya et les Kinnaráya ne prennent qu'un seul repas de riz au curry 1, le soir. Les Vedda vivent de la chasse et de la collecte des rayons de miel sauvage. Les principaux éléments de leur régime alimentaire sont la viande de cerf et de singe, qu'ils apprécient tout particulièrement et qu'ils complètent par le Tcurrakan, l'igname et le manioc 2. INDE Le régime alimentaire des aborigènes de l'Inde varie selon le stade de développement de la collectivité à laquelle ils appartiennent et selon les régions qu'ils habitent 3 . Quelquesunes des tribus les plus primitives se nourrissent de produits forestiers (tubercules, fruits, racines), auxquels s'ajoutent les poissons et les autres animaux qu'ils peuvent capturer. En règle générale, ces tribus sont omnivores et rares sont les produits qu'elles ne peuvent faire servir à leur alimentation. D'autres tribus plus évoluées mangent de la viande de bœuf et de cerf et pourvoient à leur nourriture en pratiquant une culture plus ou moins permanente 4. On trouvera ci-après quelques exemples de ces coutumes diététiques : les denrées alimentaires couramment consommées par les Paliyan sont « les racines (principalement d'igname sauvage), le miel et la chair de mammifères et d'oiseaux sauvages ; ces tribus consomment aussi diverses graines (Tcoumbou, tcholam, etc.) lorsqu'elles sont en mesure de les obtenir par l'intermédiaire de marchands ou en les récoltant elles-mêmes ; elles échangent du miel, des racines, des peaux et d'autres produits contre les denrées dont elles ont besoin ; elles ne mangent pas de bœuf et pratiquent le piégeage 5 ». 1 M. 0 . RAGHAVAN : Cultural Anthropology of the Rodiyas, et The Kinnaraya, the Tribe of Mat-Weavers (Colombo, 1951). (Spolia Zeylanica, vol. X X V I , parties I et I I : «Ethnological Survey of Ceylan», n°» 1 et 2.) 2 Communication du gouvernement de Ceylan, juill. 1952. 3 Voir Tribes of India, publié sous la direction de A. V. THAKKAE (Kingsway, Delhi, Bharatiya Adinijati Sevak Sangh, 1950). 4 A. AIYAPPAN : Report on the Socio-economic Conditions of the Aboriginal Tribes in the Province of Madras (Madras, Government Press, 1948), p p . 63 et 69. 5 R. FATJLKES : « A Note on t h e Paliyans of Madura District », Census of India, 1931, vol. I , partie I I I B , p. 196. ALIMENTATION 111 L'alimentation des Tchentchou se compose surtout « de racines (gaddalou) et de baies (pandoulou). Ces aborigènes consomment aussi des herbes et des champignons ; ils préparent de plus les gousses du tamarinier en y mêlant les cendres de l'écorce de cet arbre. La fleur de mohwa se mange cuite ; ils ne salent pas les aliments cuits, qu'il s'agisse de racines, de fruits ou de jawar (sorghum vulgare); ils mangent la viande des animaux, mais ne dédaignent pas la peau, une fois les poils brûlés, ni les tripes, une fois lavées. Ils mangent aussi de petits oiseaux, des écureuils, des rats et des souris grillés 1 ». Les Kadar s'alimentent « de tous produits de la chasse ou de la pêche, à l'exception du buffle et de l'ours, qu'aucun Kadar ne touche vifs ou morts ; ils apprécient beaucoup le miel et font de sa récolte leur passe-temps favori 2 ». Les Baji d'Askot, dans l'Himalaya, se nourrissent principalement de tubercules et d'autres produits forestiers d'origine végétale, à quoi s'ajoutent le riz et le millet, qu'ils cultivent dans les clairières, les poissons, les oiseaux et certains animaux sauvages. En règle générale, on peut considérer ces tribus comme omnivores 3. Les Katkar, eux aussi, se nourrissent pratiquement de tout. Une branche de cette tribu, appartenant à la communauté méridionale des Oraon, est considérée comme un peu plus évoluée que le reste du seul fait que ses membres se refusent à manger les rats et les lézards dont leurs congénères font leur ordinaire 4. Dans l'Uttar Pradesh, le maïs et quelques variétés de millet constituent l'aliment de base des Korwa, des Kharwa, des Ghasi et des Tcheros, chez qui le riz est considéré comme un article de luxe. Les Korwa mangent de la viande de singe, mais ils se nourrissent aussi de volaille, de viande d'ours, de porc, de bœuf, de buffle et de diverses espèces de cervidés, tandis que les Ghasi apprécient particulièrement la viande de porc et de chèvre. Les Panija mangent de tout, à l'exception de la viande de vache, de buffle, de cheval, de crocodile, de 1 GHTTLAM Ahmed Khan : « The Chenchus », Census of India, 1931, op. cit., p. 210. Les Gond mangent aussi différentes sortes d'animaux, y compris les serpents et les crocodiles, mais leur nourriture la plus courante est le riz. Voir Syed Khaja GAÏOOK : Tribes and Tribal Welfare in Hyderabad (Haïderabad, Social Service Department, 1952), p. 16. 2 P. Govinda MBNON : « The Kadar of Cochin », Census of India, 1931, op. cit., p. 213. 3 S. D. PANT : The Social Economy of the Himalayans (Londres, Allen and Unwin, 1935), pp. 88-89. 4 W. H. GILBERT, Jr. : Peoples of India, op. cit., pp. 75-81. 112 CONDITIONS DE VIE couleuvre et de lézard, cependant que les Bhuiya consomment indifféremment la viande de bœuf et celle de crocodile Les Kharwa, qui ont adopté les coutumes hindoues, refusent la volaille et la viande de porc *. La boisson revêt une importance particulière dans la vie des aborigènes de l'Inde et la plupart des tribus préparent des breuvages alcoolisés à base de fleurs de mahwa et d'autres plantes. Le lait n'est pas utilisé comme boisson. Les Mikir de 1'Assam, qui élèvent des bovins, n'en consomment pas et les Kanikar, de même que les Ourali de Travancore, le considèrent comme tabou et comme vomitif. Les tribus qui entretiennent des relations avec les populations de la plaine ont commencé à prendre l'habitude du café et du thé 2. PHILIPPINES Les Negrito se nourrissent du produit de la chasse et des quelques variétés de légumes qu'ils cultivent sur les terrains qu'ils ont pu défricher en brûlant la végétation sylvestre 3 . Toutefois, quelques autres tribus sont mieux organisées et disposent de greniers où elles emmagasinent du riz, du maïs, du millet et des haricots. L'alimentation des Ifugao provient des sources suivantes : agriculture, 84 pour cent ; denrées alimentaires d'origine forestière, 9,4 pour cent ; animaux domestiques, 4,2 pour cent ; produits importés, 2,4 pour cent 4. Dans sa réponse à un questionnaire envoyé par le Bureau international du Travail, le gouvernement des Philippines a fait savoir, en mai 1953, que parmi les dix principales causes de mortalité, il faut ranger l'avitaminose et les autres maladies de carence. Australasie AUSTEALIE La publication des résultats du recensement de 1910 a révélé qu'en Australie, «les aliments dont dispose la population aborigène sont très variés, pour des raisons de nécessité autant que d'élection. Les éléments de l'alimentation vont de l'argile 1 D. N. MAJTJMDAK : The Fortunes of Primitive Tribes (Lucknow, Universal Publishers, Ltd., 1944), passim. 2 L. A. Krishna IYER et N. Kunjan PILLAI : « The Primitive Tribes of Travancore », Census of India, 1931, vol. I, partie I I I B, p. 237. 3 H. H. MILLER : Economic Conditions in the Philippines (Boston, Ginn, 1920), p. 237. 4 IDEM, op. cit., p. 12. ALIMENTATION 113 à la viande de kangourou, du nardoo au miel. Le D r Walter E. Both a classé et décrit 240 plantes comestibles et 93 espèces de mollusques consommés par les aborigènes du Queensland septentrional. Dans certaines régions, on consomme, après l'avoir soigneusement préparée, l'argile blanche, considérée comme un mets de première qualité, au même titre que celle qui sert à la construction des fourmilières. Au nombre des aliments consommés par l'aborigène, mais que le Blanc ne tolère pas, figurent les fourmis, les papillons, les chenilles, les vers, les larves de guêpe, les lézards, les iguanes, les grenouilles, les rats, les souris et les serpents * ». D'autres experts en la matière affirment que le kangourou, extrêmement répandu dans toute l'Australie, constitue le premier élément du régime carné. Viennent ensuite la sarigue et certaines espèces de serpents, de vers, de lézards, de poissons et d'oiseaux. En ce qui concerne les végétaux, l'igname occupe la première place en raison même de sa profusion. Le miel entre également dans l'alimentation. Quant au nardoo, c'est une substance farineuse obtenue à partir des graines (en réalité des sporanges) que l'on trouve sur les rhizomes des plantes qui poussent en terrain marécageux ou proche des marais. En été, les marais se dessèchent et les plantes se fanent, ne laissant sur le sol que les graines, qui sont récoltées puis écrasées entre deux pierres, la poudre ainsi obtenue servant à préparer une sorte de farine ou de pâte. Il ne s'agit pas d'un aliment de base employé isolément, mais d'un produit d'appoint, que l'on ajoute à la viande, au poisson et aux racines. Au Queensland, les noix des bunya-pines 2 « constituent un des aliments les plus délicats que connaissent les aborigènes 3 ». Afin de compléter ce régime alimentaire «naturel», les gouvernements de divers Etats ont institué des rations-types qu'ils fournissent aux aborigènes sous des formes diverses. Une déclaration officielle s'exprime dans les termes suivants : La composition des rations fournies aux aborigènes des montagnes de Kimberley laisse beaucoup à désirer... Les natifs qui consomment les aliments préparés dans les centres d'élevage se trouvent sans aucun doute mieux alimentés que ceux qui reçoivent la ration sèche. Cette dernière se compose particulièrement de viande, 1 W. R. SMITH : «The Aborigines of Australia», Official Year-Book of the Commonwealth of Australia, Containing Authoritative Statistics for the Period 1901-1909 (Canberra, Commonwealth Bureau of Census and Statistics, 1910), p. 167. 2 Conifere (Araucaria bidwillii), dont les graines mûres ont le goût des châtaignes grillées. 3 J. HEALY : Aboriginal People of Australia (Sydney, Pellegrini and Co., 1948), p. 12. 114 CONDITIONS DE VIE de thé, de farine et de sucre, c'est-à-dire qu'il s'agit d'une ration de même type que la ration sèche que le ministère distribue aux indigents. Le corps médical estime que le régime alimentaire des autochtones est insuffisant et que son amélioration permettrait de réduire la prédisposition aux maladies *. Dans quelques Etats, en Nouvelle-Galles du Sud par exemple, les aborigènes âgés, débiles ou indigents reçoivent des rations complètes et dans la plupart des centres d'élevage, la ration-type distribuée est complétée par du lait et des végétaux produits sur place 2. NOUVELLE-ZÉLANDE Les Maoris s'étant en général adaptés à la vie économique et sociale du pays, il est difficile d'obtenir des renseignements précis quant au niveau de leur nutrition. E n général, leur alimentation s'apparente à celle de l'Européen tant par les denrées consommées que par le mode de préparation des aliments. Bien ne permet d'affirmer, semble-t-il, que les Maoris soient mal nourris en comparaison des Européens. Il est difficile d'attribuer à des différences de régime alimentaire l'incidence différente de certaines maladies dans les deux populations. En règle générale, il semble que l'on puisse formuler au sujet des Maoris des districts ruraux et semiruraux les considérations suivantes : le régime alimentaire n'est pas varié et les méthodes de préparation des repas sont rudimentaires ; les aliments dits de protection, tels que le lait et le fromage, sont consommés en quantités très limitées ; les crudités d'origine végétale sont pratiquement inconnues. Bien entendu, le régime alimentaire et le niveau de nutrition des Maoris qui habitent les villes s'apparentent davantage à celui des Européens, avec qui ils sont plus intimement associés 3. 1 F. E. A. BATBMAN : Report on Survey of Native Affairs (Perth, Government Printer, 1948), p. 17. 2 Annual Report of the Aborigines' Welfare Board, New South Wales, for the Year Ending 30th June 1944 (Sydney, Government Printer, 1946), p. 14. 3 Communication du professeur E. BEAGLEHOLE, membre néo-zélandais de la Commission d'experts pour le travail des aborigènes de l'O.I.T., 1951. Voir également Elsdon BEST : Maori Agriculture : The Cultivated Food Plants of the Natives of New Zealand, with some Accounts of Native Methods of Agriculture, its Ritual and Original Myths, Dominion Museum Bulletin No. 9 (Wellington, 1925). CHAPITEE IV HABITATION Amérique latine La situation économique précaire de l'aborigène de l'Amérique latine se reflète dans son habitation, généralement délabrée, aux murs insuffisants, malsaine et n'offrant pas la protection indispensable contre les rigueurs du climat, lequel est en général très rude dans les régions de la Puna et dans la partie désertique de Vcdtiplano. Le matériau utilisé est primitif : quelques pieux pour le soutènement, une charpente sommaire pour le toit, un toit de chaume ou de feuilles trouvées sur place. Avec des moyens inégaux, que ce soit pour des raisons géographiques ou économiques ou du fait de facteurs culturels particuliers, les aborigènes latino-américains, surtout les sédentaires, continuent à utiliser des matériaux d'origine végétale, des briques crues et des pierres, selon leur degré d'évolution, comme üs le faisaient avant l'arrivée des Espagnols. Les habitations des Indiens aymarás et quichuas sont de brique crue ou de pierre, les portes sont basses et étroites, le parquet est au-dessous du niveau du sol, les parois sont rustiques et sans fenêtres, le toit sans cheminée ni autre ouverture. Le sol, de terre pulvérulente, de l'unique pièce de l'habitation est généralement recouvert de débris et d'excréments d'animaux qui servent de combustible 'en l'absence de bois ; dans un coin, en guise de lit, sont empilées des peaux de mouton ou des couvertures tissées. Aux parois, sont accrochés les vêtements, les ustensiles domestiques et les outils ; à des crochets sont suspendus des sacs contenant les maigres réserves d'aliments secs ou les tresses d'épis de maïs ou de légumes. D'un côté se trouve le four de fonte, le brasero ou le foyer primitif. Les poules, les lapins et les autres animaux domestiques viennent s'abriter à l'intérieur de la case et il est bien rare qu'ils soient isolés des habitants par des cloisons dignes de ce nom. A l'extérieur et autour de la porte sont logés les autres 116 CONDITIONS DE VIE animaux qui appartiennent à l'Indien. La demeure est constamment envahie de rongeurs, d'araignées et d'insectes porteurs des germes de différentes maladies et qui sont une vraie plaie pour les hommes et les animaux 1. Le logement construit par le colon ou le métayer aborigène à la hacienda ou sur le domaine du propriétaire est très souvent le plus précaire de tous ; il est bâti comme s'il ne devait durer que fort peu de temps. E n revanche, la maison proprement dite de l'aborigène vivant en communauté, construite sur sa propre terre, est habituellement plus solide et plus durable et sa construction témoigne d'un certain soin 2. Cela ne veut pas dire que le logement de l'Indien vivant en communauté soit satisfaisant, loin de là. Par exemple, il est rare qu'une fenêtre y prodigue l'air et la lumière. De même, le sol ne comporte presque jamais de carrelage ni de plancher. BOLIVIE Dans une étude très complète et très documentée concernant l'Indien de la région du lac Titicaca, en Bolivie, Weston La Barre rapporte que, de nos jours, le logement de l'Aymara est une petite cabane (uta), d'environ 2 à 3 mètres de large sur 3 à á mètres de long, aux murs de terre, généralement dépourvue de fenêtre, dont le toit est recouvert de chaume d'alfa et parfois, dans le voisinage du lac, de joncs de massette. « A droite de la porte, à l'intérieur de la cabane, se trouve un brasero ou un four de terre ; la seule issue pour la fumée est la porte elle-même ou les interstices du chaume qui recouvre les murs et le toit 3 ». Capriles Eico et Arduz Eguia, en 1941, ont décrit de la façon suivante les conditions de logement de l'ouvrier mineur : Lorsqu'il ne s'agit pas tout simplement de chaumières rustiques et misérables, dont les murs à moitié démolis laissent filtrer le froid et le vent de la Puna, l'habitation manque de fenêtre et de tout autre moyen d'aération, elle est dépourvue de plancher, d'éclairage électrique, d'eau potable, de lit et de toute installation sanitaire. Dans la plupart des cas, l'ouvrier dispose d'une seule pièce qui sert 1 Indians of the High Andes, op. cit., pp. 76, 111 et 223. Un rapport présenté en 1943 par la Commission mixte gouvernementale Bolivie-Etats-Unis chargée d'étudier les problèmes du travail en Bolivie signale que les travailleurs agricoles des haciendas étaient, à cette époque, privés de toute garantie quant à la stabilité de leur résidence et dépourvus de tout sentiment de propriété ; dans ces conditions, le logement qu'ils construisaient tendait à être plus pauvre que celui du petit propriétaire. Labour Problema in Bolivia, op. cit., p. 32. 3 Weston LA BARBE, op. cit., pp. 93-94. 2 HABITATION 117 à la fois de chambre à coucher, de salle à manger, de cuisine, de salle commune et d'étable... Dans cette pièce unique — dépotoir jonché de débris de vaisselle, de chiffons et de détritus — cohabitent le travailleur, sa femme et ses enfants, sans compter ses animaux domestiques. Et cela, en supposant que cette unique pièce n'abrite pas deux familles ou davantage *. Dans l'ancien camp ouvrier de la Compagnie minière d'Oruro, 85 pour cent des ouvriers étaient logés dans des habitations dépourvues de fenêtres, dont les murs et le sol étaient de terre ; dans le camp de Pulacayo, la plupart des habitations n'avaient pas de fenêtres, le sol et les murs n'en avaient pas été refaits depuis fort longtemps ; pour tout un camp, hébergeant environ 12.000 ouvriers, il n'existait pas même une seule installation sanitaire, pas même un établissement central de bains ; dans le camp de Telamayu, deux familles ou davantage cohabitaient fréquemment dans le même logement, sans éclairage ni eau potable ; les conditions les plus déplorables régnaient dans la mine « Animas », où les ouvriers des équipes de nuit et ceux des équipes de jour étaient contraints d'occuper alternativement les mêmes logements ; dans le camp de la Compagnie minière et agricole Oploca de Bolivie, les habitations étaient dépourvues de fenêtres, d'eau potable et d'installations sanitaires. Dans certains camps, le logement commençait toutefois à répondre aux normes les plus élémentaires d'aération et d'espace habitable et comportait des installations collectives d'eau courante et d'hygiène et la lumière électrique. E n règle générale, la situation du logement serait nettement meilleure dans les camps de la Société Patino Mines, à Catavi, et de la Compagnie Aramayo de Minas en Bolivie, à Quechisla. Le rapport de la Commission gouvernementale mixte Bolivie-Etats-Unis, dont il a été fait mention plus haut, a révélé qu'il existait en 1943 une grave pénurie de logements ouvriers dans de nombreuses mines et que, bien souvent, deux familles devaient vivre entassées dans u n seul et même logement. « La plupart des maisons manquent de fenêtres, et, bien souvent, les cuisines ne possèdent ni cheminée ni autre moyen d'évacuer la fumée... Dans les mines les moins importantes, il arrive que le travailleur ne dispose que d'une étroite cabane d'environ deux mètres sur trois, où la porte est remplacée par une vieille serpillière et dont le toit est fait de morceaux de tôle mal ajustés et percés en maints endroits. 1 Remberto CAPRILES RICO et Gastón ARDUZ EGUÍA, op. cit., p . 23. 118 CONDITIONS DE VIE De nombreuses mines sont dépourvues de toute installation sanitaire. Eares sont celles qui sont dotées d'une installation de douche ou de buanderie. Dans bien des cas, aucune installation d'eau potable ne se trouve à proximité 1. Du rapport de la Commission d'étude des Nations Unies sur la feuille de coca (1950), il ressort que, sept ans plus tard, la situation du logement ouvrier dans l'importante région minière de Catavi ne s'était pas améliorée 2. Le rapport de la mission d'assistance technique des Nations Unies indique que le logement typique des régions rurales et des camps miniers de Bolivie « n'approche pas, tant s'en faut, des normes les plus modestes de salubrité et de décence admises dans le monde occidental... En général, il est dépourvu de fenêtre, de cheminée, d'installation de chauffage intérieur, d'eau courante ou d'installation sanitaire ». En revanche, « un nombre surprenant de familles possèdent des machines à coudre » 3 . EQUATEUR Dans l'Equateur, d'après les résultats d'une enquête effectuée en 1948 par Plutarco Naranjo Vargas pour l'Institut national de prévoyance sociale en vue d'étudier les conditions de vie du paysan dans diverses régions de la province de Pichincha, la maison de l'Indien et de l'ouvrier de hacienda consiste, généralement, « en quatre murs de terre, recouverts d'un toit de tuiles ou de chaume ; dans la plupart des cas, l'ouvrier partage son gîte avec les animaux domestiques. Il suffira de dire que dans les haciendas en question, où l'on élève du bétail de race, les animaux sont logés beaucoup mieux que les ouvriers 4 ». Aníbal Buitrón et Bárbara Salisbury Buitrón, dans un rapport adressé au même Institut, rapportent que, dans les régions rurales de la province en question, les deux tiers des maisons n'ont ni plancher ni plafond ; les murs sont faits de 1 Labour Problems in Bolivia, op. cit., pp. 33-34. « [Ces habitations] sont construites en série, sous forme de grands pavillons et chaque logement comprend une pièce de dimensions réduites et une cuisine exiguë, sans eau ni instaHation sanitaire. Dans cette pièce vit toute une famille, si nombreuse qu'elle soit. Les pièces manquent d'aération, du fait que, le plus souvent, la seule ouverture est celle de la porte d'entrée... D'autres mineurs vivent à proximité des logements susmentionnés, dans des huttes faites de pierres superposées qui les protègent mal des intempéries. Une famille entière vit dans chacune de ces huttes, qui ne comportent que quatre murs. Il n'y a aucune trace d'installation hygiénique, sanitaire, d'eau, d'électricité, etc. » Voir Bapport de la Commission d'étude sur la feuille de coca, op. cit., p. 54. 8 Report of the United Nations Mission of Technical Assistance to Bolivia, op. cit., p. 306. 2 4 Plutarco NAEANJO VABOAS, op. cit., pp. 18 et 25. Ill Séchage de la viande dans la réserve de Peigan, sud de l'Alberta (Canada) (National Film Board) IV Habitations tropicales au Venezuela (Extraits de Tierra Firme (Caracas), nos 1 et 3, mars et mai 1953) HABITATION 119 torchis et ne sont recouverts d'aucun crépi qui les protège des intempéries, ce qui explique leur rapide délabrement ; la plupart des logements n'ont qu'une porte étroite et basse pour unique moyen d'aération et d'éclairage ; « les propriétaires des haciendas ne se préoccupent guère, ou pas du tout, de l'état des maisons qu'ils mettent à la disposition des huasipun güeros1 ». L'abbé Leónidas Eodríguez Sandoval, de l'archevêché de Quito, mentionne le fait que la hutte de l'aborigène de la Sierra «est dépourvue de cloisons et que sa charpente de bois non travaillé est fichée en terre et sommairement recouverte d'un enchevêtrement de laiche. Une seule entrée, étroite et basse, ordinairement dépourvue de porte, y donne accès. Il n'y a pas de fenêtre. Les Indiens dorment à même le sol sur de la paille, tout près du fourneau. Ils n'ont pas de table pour prendre leurs repas et s'assoient sur des souches d'agave ou sur des troncs d'arbre 2 ». GUATEMALA La maison aborigène commune comporte, dans ce pays, un sol de terre battue, des murs de demi-rondins, de briques de terre, de cannes ou de planches et un toit de tuiles d'argile ou de chaume. Elle ne compte, en général, qu'un seul logement, sans fenêtre, dans lequel la famille fait sa cuisine, prend ses repas et dort. Dans certaines communautés, les Indiens dorment sur des claies, dans d'autres, à même le sol. A San Antonio Aguas Calientes, rares sont les maisons possédant des installations sanitaires. A Chuarrancho, aucune des maisons ne possède d'installation sanitaire. A Santo Domingo Xenacoj et à Chinautla, les aborigènes dorment sur des claies (tapexcos) et les plus industrieux dans des lits ; l'aborigène laisse entendre qu'il aimerait dormir dans un lit, mais qu'il n'a pas les moyens de s'en acheter 3. MEXIQUE D'après les résultats d'une enquête spéciale portant sur ce sujet, il existe au Mexique une grande variété d'habitations 1 Aníbal BUITRÓN et Bárbara SALISBURY BUITRÓN : Condiciones de vida y trabajo del campesino de la provincia de Pichincha (Quito, Instituto Nacional de Previsión, mars 1947), pp. 33-37. a Leónidas RODRÍGUEZ SANDOVAL : Vida económicosocial del indio libre de la sierra ecuatoriana (Washington, Universidad Católica de América, 1949), p. 70. 3 INSTITUTO INDIGENISTA NACIONAL : Chuarrancho. Síntesis socioeconómica de una comunidad indígena guatemalteca (Guatemala, 1948), pp. 6-7. Voir en outre les autres monographies de la série, consacrées à San Juan Sacatepequez, Chinautla, Parramos, San Antonio Aguas Calientes, Santa Catarina Barahona, Santo Domingo Xenacoj et San Bartolomé Milpas Altas, rédigées comme la précédente par Antonio GOUBAUD CARRERA. 120 CONDITIONS DE VIE aborigènes, dont le type est déterminé non seulement par le climat et les matériaux disponibles, mais aussi par le niveau de développement économique et social qu'a atteint la tribu ou le groupe. Cette diversité s'étend de la minuscule hutte de branchages, recouverte de lamelles d'épongé ou d'écaillés de tortue (dans le cas des Seri) jusqu'au logement aux murs de briques de terre et au toit de lattes ou de tuiles (divers groupes Mixtèques, Zapotèques et Aztèques), en passant par des types intermédiaires tels que le petit réduit de pierre qui sert à la 'fois de chambre à coucher pour toute la famille, de cuisine et d'abri pour les animaux. En général, dans les régions froides, l'habitation aux murs de briques de terre ou de pierre et au toit recouvert de lattes, d'herbe, de feuilles de palmier ou de tuiles prédomine, tandis que dans les régions chaudes on trouve plutôt la hutte aux murs de laiche ou de bois et au toit d'herbe ou de feuilles de palmier. Dans les régions pauvres des hauts plateaux, par exemple dans la vallée du Mezquital (Etat d'Hidalgo), on trouve les huttes construites à l'aide de feuilles d'agave « qui s'élèvent tout juste assez au-dessus du sol pour offrir à la famille un abri misérable ». Dans la région froide de la sierra Tarahumara (Etat de Chihuahua), quelques communautés vivent dans des cavernes à peine aménagées pour répondre aux nécessités minima de l'existence humaine. Ce phénomène peut être observé aussi chez les Indiens Pirna, qui « s'établissent dans des cavernes pendant certaines périodes de l'année 1 ». La conclusion générale de cette enquête semble pouvoir se résumer dans les passages ci-après du rapport : Les habitations de la plupart des groupes aborigènes du Mexique se caractérisent par leur fragilité, par une utilisation fort peu rationnelle des matériaux disponibles, par une construction défectueuse qui ne protège pas l'occupant de manière satisfaisante contre les intempéries... ; les conditions déplorables du logement de l'Indien contribuent à perpétuer son retard culturel et à propager la plupart des maladies qui augmentent tragiquement le taux de mortalité de la population rurale du Mexique... La plupart des maisons aborigènes pâtissent de vices fondamentaux : le sol en est de terre battue... bien souvent, le fourneau qui sert à la préparation des aliments... se trouve dans la pièce même où couche la famille... Les déjections des animaux attirent les mouches et contaminent fréquemment les aliments 2. 1 Lucio MEKDIETA Y NIÎNEZ : La habitación indigena, Monografías del Instituto de Investigaciones Sociales de la Universidad Nacional Autónoma de México (México, 1939), p. 17. Cette étude contient un tableau ethnographique des habitations aborigènes du pays, par tribu et par habitat, où sont énumérées les caractéristiques des divers types de construction. 2 Ibid., pp. 28 et 31-32. HABITATION 121 Cette conclusion a été confirmée par les résultats de plusieurs enquêtes. C'est ainsi, par exemple, qu'une étude publiée par le secrétariat à l'Instruction publique affirme que « le logement typiquement aborigène n'a pour ainsi dire pas évolué depuis l'époque préhispanique 1 ». Dans les régions les plus élevées, les déficiences du logement aborigène constituent probablement l'une des causes principales du taux élevé de la mortalité, imputable aux maladies de l'appareil respiratoire. C'est ainsi qu'à la Meseta Tarasca, « l'humidité du sol pendant la saison des pluies est constante ; l'air froid des nuits d'hiver pénètre librement par les lézardes du mur, et la fumée qui se dégage du bois de chauffage en combustion irrite les yeux et les voies respiratoires. Il ne fait pas de doute que tous ces facteurs sont en grande partie à l'origine de la fréquence des pneumonies et des broncho-pneumonies si souvent mortelles 2 ». PÉBOU Au Pérou, d'après un rapport publié par le département de l'hygiène et de l'assistance sociale de la Caisse nationale d'assurance sociale, le type de logement le plus courant chez les péons des grandes propriétés de la Sierra consiste en une seule pièce sans fenêtre, au sol d'argile et au toit de chaume ; dans les agglomérations aborigènes (rancherías) des haciendas de la région côtière, l'habitation de l'ouvrier agricole se compose souvent d'une seule pièce, qui, dans bien des cas, est faite de branches, de chaume et d'argile, avec la terre pour seule fondation ; cette habitation a tôt fait de quitter la verticale, le tassement de l'argile ouvrant des lézardes dans les murs 3 . Au dire d'un médecin péruvien, le D r Luis Sáenz, dans maintes régions de la Sierra, « il n'existe pas de différences bien grandes entre les constructions actuelles... et l'habitation édifiée par l'homme qui a immédiatement succédé à l'homme des cavernes » ; dans de nombreuses haciendas de la côte, les rancherías ou coicas des péons aborigènes seraient plus primitives que les étables et les écuries que certains propriétaires font construire pour leurs bêtes 4. 1 Carlos BASAUKI : La población indigena de Mexico, op. cit., tome I, pp. 57-64. Gonzalo AGUIKRE BELTRÁN : Problemas de la población indigena de la cuenca del Tepalcaiepec (Memorias del Instituto Nacional Indigenista, México, 1952), p. 292. 3 « Aspectos sanitarios del problema de la vivienda obrera en el Perú », Informaciones Sociales (Lima), janv. 1941, pp. 8-16. 4 Luis N. SÁENZ : El punto de vista médico en el problema indigena peruano, op. cit., p. 41. 3 122 CONDITIONS DB VIE Le rapport de la Commission d'étude des Nations Unies sur la feuille de coca 1 décrit le logement des travailleurs agricoles aborigènes de la Sierra comme ne comportant qu'une seule pièce dans laquelle vit toute la famille, souvent même avec quelques animaux domestiques. E n général, il n'y a pas de fenêtre et la porte est l'unique ouverture qui permette d'aérer plus ou moins la maison. Comme le fait a déjà été relevé à propos d'autres pays, il n'y a aucune installation hygiénique, fût-ce la plus rudimentaire. En ce qui concerne les ouvriers mineurs, la commission constituée par le Comité de coopération en Amérique latine signalait en 1946 que 800 familles de la région de La Oroya vivaient dans des baraquements dont chacun comprenait vingt-quatre logements. C'est dire qu'il n'y avait aucune vie privée ; les enfants et les parents occupaient ordinairement le même lit et il n'y avait qu'une seule latrine pour vingt-quatre familles. Deux conduites d'eau courante servaient à tous les besoins des vingt-quatre familles 2. Pedro Erasmo Eoca, dans un rapport plus récent présenté au gouvernement péruvien en 1950 et traitant des conditions de vie et de travail qui régnent dans divers districts miniers de la Sierra, affirme que l'aspect le plus impressionnant des conditions de vie des travailleurs, «en majorité aborigènes», est celui qu'offre l'habitation, et que c'est à La Oroya que le problème se pose avec le plus d'acuité. D'après les données communiquées par la Société Cerro de Pasco C.P., il existe à La Oroya 265 compartiments de deux pièces destinés en majorité à loger les employés et 1.460 d'une pièce affectés aux ouvriers — le nombre total de ces derniers étant de 4.101... Il arrive très fréquemment que des familles de quatre personnes ou plus habitent une même pièce de trois mètres sur trois, où la cuisinière à coke, installée dans un des angles, occupe à elle seule près d'un mètre carré. Un autre aspect intéressant du logement, et plus particulièrement du logement des travailleurs, est l'absence d'hygiène et de salubrité, qui caractérise, à quelques différences de détaü près, tous les centres miniers que nous avons visités. Cette insalubrité tire généralement son origine : premièrement, de l'absence ou de la pénurie d'installations hygiéniques adéquates et suffisantes, notamment pour l'amenée et l'évacuation de l'eau dans les campements, et, deuxièmement, de l'ignorance des travailleurs des mines en matière d'hygiène corporelle et domestique 3. 1 Op. cit., p. 53. Indians of the High Andes, op. cit., p. 50. 3 P. Erasmo ROCA: «Las condiciones de vida y de trabajo de los mineros peruanos », Hechos e Ideas (Buenos-Aires), vol. XI, n° 76, juill. 1950, p. 236. 2 HABITATION 123 I N D I E N S SYLVICOLES Chez les Indiens sylvicoles d'Amérique latine, de la région amazonienne en particulier, l'habitation varie selon le degré d'évolution culturelle et en fonction de l'influence exercée par la culture euro-américaine, et, en général, on peut y distinguer trois types. En premier lieu, les formes primitives originales, comprenant soit des abris simples (paravents), soit des abris doubles dont la toiture peut dans certains cas être distincte, soit encore des habitations en forme de ruche d'abeilles. Le paravent, qui constitue l'abri le plus primitif, consiste en une paroi de branchages, plus ou moins verticale, rapidement et grossièrement dressée. Le type de demeure à double auvent, construction déjà plus régulière dont les parois sont appuyées sur des pieux ou des arbres, se trouve parmi les tribus du Chaco et du plateau brésilien. Ces tribus, d'ailleurs, construisent également des huttes cintrées à toit-paroi ; ce genre de hutte, toutefois, se trouve principalement dans la région de l'Araguaya et du Tapajoz, notamment chez les Sambioia, les Mehinakou, les Ipourina, les Paoumar (Arwak), les Bakairi (Caribe), les Apiaka (Tupi). Ces formes rudimentaires d'abri n'excluent pas l'existence, dans les mêmes tribus, d'habitations en ruche d'abeilles, comme c'est le cas chez les Gê du plateau brésilien, moins avancés et qui, s'ils n'habitent pas des anfractuosités de roches et des terriers souterrains, se contentent de simples paravents recouverts de peaux ou de feuilles. En deuxième lieu, viennent les formes plus évoluées dans le cadre de la culture autochtone et dérivées des types primitifs. Telles sont l'habitation ronde ou elliptique à toiture en ruche d'abeilles et l'habitation cylindrique à toiture conique. La demeure circulaire se trouve notamment chez les Botocudo et les Coroado du plateau brésilien, les Tchoroti, les Toba, les Chamakoko du Brésil et du Chaco. Quant à la hutte à toit conique, elle se retrouve aussi bien en Equateur et au Brésil que dans les Guyanes, chez des tribus parvenues à des niveaux de culture différents et appartenant à des groupes linguistiques divers. Notons que, dans les Guyanes, la demeure sur pilotis se trouve fréquemment. Viennent ensuite les formes dérivées d'une influence européenne. Tel est le cas de la demeure quadrangulaire ou pseudoquadrangulaire (en fait elle est souvent elliptique) dont les parois ne font pas bloc avec le toit comme dans la hutte 124 CONDITIONS DE VIE elliptique à toit-paroi ; elle se trouve chez les Jivaro de l'Equateur et les Tupi-Guarani du haut Xingu et du Tapajoz 1. Mention doit être faite également de la demeure sur arbre, qui se trouve notamment chez les Choco de Colombie, les Motilón (Caribe) du Venezuela, les Guarauno de l'Orénoque et les Pano des régions frontières bolivienne, brésilienne et péruvienne. Dans tous les cas, le matériau employé pour la construction de ces habitations est fourni uniquement par la forêt ou la brousse et consiste en troncs d'arbres et perches pour l'armature, feuilles de palmes et herbes pour la toiture. L'aménagement intérieur est, dans tous les cas, des plus simples. Le mobilier se compose de hamacs, de couches de feuillages ou de peaux d'animaux ; les ustensiles de ménage comprennent des poteries et des objets de vannerie ; chez certaines tribus, il est fait usage de bancs de bois rustiquement taillés, et des cloisons internes de séparation forment une grande pièce commune où vivent groupés par familles les membres de la tribu ; chaque famille entretient son propre foyer. Quant à l'aspect général des villages, il est le plus souvent le reflet de l'organisation sociale des habitants. Un cas typique est offert par les villages des Borôro, qui changent de lieu de résidence selon la saison et quittent les rivières à l'époque des pluies. Cette tribu est divisée en deux moitiés ou phratries, exogames et matrilinéaires ; de ce fait, les villages, de forme circulaire, sont divisés en deux moitiés dont chacune comprend sept habitations, une par clan, soit un total de quatorze. Au centre, une habitation de forme rectangulaire est la maison de réunion des hommes 2. Canada et Etats-Unis CANADA Les informations dont on dispose indiquent qu'une proportion considérable des Indiens du Canada, surtout ceux qui travaillent comme ouvriers dans les régions fortement peuplées, 1 Cf. G. MONTANDON : Traité d'ethnologie culturelle. L'ologènèse culturelle (Paria, Payot, 1934), pp. 293-297, et A. RAMOS, op. cit., vol. I, p. 86. 2 P. Antonio COLBACCHINI et P. César ALBISETTT : Os Borôro orientais. Orarimogodogue do PlanaUo Oriental de Mato Grosso (Sào-Paulo, Editora Nacional, 1942), p. 36. HABITATION 125 ont des habitations permanentes construites de façon satisfaisante. Dans la partie sud de la province de Québec, par exemple, Íes Indiens vivent dans des « maisons bien construites, de pierre, de briques ou de bois. Un grand nombre de ces logements sont meublés avec goût. Leurs gains étant très élevés dans l'industrie et la construction, les Indiens apportent des perfectionnements sensibles à leurs habitations ». Les rapports établis pendant les dernières années par le Service des affaires indiennes font état des progrès considérables réalisés dans d'autres provinces dans le domaine de la construction de nouvelles habitations ou dans celui de la réparation et de l'amélioration des logements existants. Dans les régions les plus éloignées, où l'Indien est surtout trappeur et chasseur, on rapporte qu'il vit pratiquement toute l'année sous la tente 1. Les améliorations des conditions de logement de l'Indien ont été apportées surtout depuis 1946, époque à laquelle fut lancé un programme de coupe de bois de construction (à l'aide de scies portatives) dans les réserves indiennes dont les ressources de bois sont suffisantes, ce qui a pour conséquence de réduire le prix de revient de base. Ce programme a permis de réparer 2.271 logements et de construire 1.197 logements nouveaux pendant l'exercice 1949-50 2. ETATS-UNIS Comparé à l'habitation de type général telle qu'elle se présente dans le pays, le logement de l'Indien est plutôt insuffisant, aussi bien dans les réserves administrées par le 1 Annual Report of the Department of Mines and Resources for the Fiscal Year Ended March 31,1947 (Ottawa, 1948), pp. 206-214. La littérature existante concernant les Esquimaux est considérable. Chez ce peuple, le logement, comme les armes et les outils, témoigne d'une grande ingéniosité et d'une faculté extraordinaire de tirer parti des ressources d'une économie primitive dans un milieu peu hospitalier. Ne disposant pas de bois, les Esquimaux utilisent les os, la pierre, le cuir, la neige et la glace et construisent des habitations permanentes dotées d'installations qui surprennent chez des populations primitives. Cf. E. M. WEQBB : The Eskimos : Their Environment and Folkways (New-Haven, Connecticut, Yale University, 1932). Chez les Indiens du Canada, il convient de signaler spécialement les progrès réalisés dans le domaine de l'habitation par les tribus de la Colombie britannique. Cf. C. Daryll FORDE, op. cit., pp. 69-95. Voir également T. T. WATERMAN : Native Houses of Western North America (New-York, Museum of the American Indian, Heye Foundation, 1921), et D. JENNESS : The Indians of Canada (Ottawa, National Museum of Canada, 1932). 2 «Report of Indian Affairs Branch», dans Annval Report of the Department of Citizenship and Immigration for the Fiscal Year Ended March 31, 1950, op. cit., pp. 69-70. 126 CONDITIONS DE VIE gouvernement que dans les centres urbains et ruraux où les Indiens travaillent comme salariés. Dans les réserves, le logement est conforme à l'architecture traditionnelle de la tribu et s'ajuste autant que possible aux nécessités de la vie familiale : c'est le « hogan » d'une seule pièce chez les Navajo, la cabane de rondins chez les Sioux et la maison d'une ou de deux pièces, en clayonnage et torchis ou en briques de terre, au sol de terre battue, chez les Papago. J . A. Krug, qui fut secrétaire d'Etat à l'Intérieur, a qualifié les conditions de logement des Navajo d'inconcevables pour la majorité des Américains qui n'en ont pas été témoins. La famille Navajo vit dans une cabane faite de rondins et d'adobe, sans fenêtres ni plancher ; il n'y a pas d'installations sanitaires ni de commodités modernes ; le mobilier est pratiquement absent et il est rare qu'il s'y trouve un poêle ou un lit ; un feu allumé au centre de la pièce et l'ouverture pratiquée dans le plafond permettent seuls le chauffage et l'aération 1. Dans les réserves des Etats du Minnesota, du Wisconsin, du Montana, du Dakota du Nord et du Dakota du Sud, il n'est pas rare de rencontrer une famille de six à huit personnes habitant dans une case d'une seule pièce mesurant 4 mètres sur 6. Si l'on considère qu'il existe plus de 1.000 cas contagieux de tuberculose pour lesquels il n'y a pas de possibilités d'hospitalisation, on ne saurait sous-estimer la gravité d'un tel entassement de personnes 2. En ce qui concerne les Indiens qui vivent en dehors des réserves, ceux qui se sont fixés dans les villes et y ont adopté un mode de vie sédentaire se voient contraints de vivre dans des quartiers misérables 3. Dans un rapport récent, G. E. E. Lindquist signale qu'en règle générale, lorsque les Indiens ne résident pas dans les réserves, ils doivent s'installer 1 J. A. RRTO : The Navajo, op. cit., p. 6 ; Laura THOMPSON : Personality and Government, op. cit., passim. 2 H. Norman OLD : « Sanitation Problems of the American Indians », American Journal of Public Health and the Nation's Health, vol. XLIII, n° 2, fév. 1953, p. 213. L'auteur, conseiller auprès du Bureau des affaires indiennes pour les questions sanitaires, indique que l'adduction d'eau se fait dans des conditions contraires à l'hygiène et que souvent, au lieu de creuser des puits pour se procurer l'eau potable en quantité suffisante, les Indiens continuent d'utiliser des eaux courantes contaminées, sans qu'il soit possible de les convaincre de la relation qui existe entre la prévention des maladies telles que la dysenterie et l'utilisation des eaux des ruisseaux et des mares. La situation n'est pas plus rassurante en ce qui concerne les égouts — généralement inexistants ou insuffisants — et la lutte contre les insectes, qui jouent le rôle d'agents transmetteurs de diverses maladies. 3 Theodore H. HASS : « The American Indian in Recent Perspective », Boletín Indigenista, vol. Vili, n° 2, juin 1948, p. 113. Extrait de Race Relations, déc. 1947janv. 1948, pp. 51-59. HABITATION 127 dans des quartiers surpeuplés et misérables dans les régions industrielles où ils travaillent, mais qu'il est encourageant de constater combien est grand leur désir d'améliorer leurs conditions de vie 1. Asie Chez les tribus aborigènes de l'Asie, la forme nomade de l'économie agricole, qui souvent exige que soient pratiquées des cultures saisonnières dans des régions différentes selon le moment de l'année, peut obliger l'aborigène à installer sa précaire habitation sur des pilotis ou sur des plates-formes disposées à la fourche des arbres. Ces constructions, de caractère toujours provisoire, varient selon les éléments utilisés, éléments que l'aborigène se procure facilement dans les bois, dans les régions lacustres ou au bord des marais. E n général, une armature de bois ou de bambou est recouverte de paille ou de branches ; il n'existe pas de fenêtres et le logement sert à la fois de lieu de travail, de chambre à coucher et de cuisine. Il s'agit là d'un refuge plus que d'une habitation ; les parois et le toit font l'office d'un abri destiné aux bêtes aussi bien qu'aux gens. Chez certaines tribus, l'habitation est collective et la tradition exige que les célibataires vivent isolés. BIRMANIE En Birmanie, l'habitation de l'aborigène est rudimentaire. Des troncs légers et des tiges de bambou font office de poutres ; les murs et le sol sont faits de cannes de bambou si mal assemblées qu'elles ne protègent pas des intempéries, le toit est de chaume, de feuilles de palmiers ou bien, dans le cas de la tribu des Kachin, d'une feuille appelée « shingle lap ». Dans le Sud, le logement est exigu et de construction fragile; il se compose d'une pièce à laquelle donnent accès deux portes, une devant et une derrière, et se trouve perché sur des pilotis à environ un mètre du sol. Dans les villages du Nord, le logement est plus spacieux et la construction, où sont utilisés des madriers épais, plus solide ; il est généralement entouré d'une palissade de pieux. La moitié de la maison est divisée d'avant en arrière en compartiments (de trois à six selon le nombre des familles qui l'habitent). L'autre moitié est une véranda ouverte ou fermée par des cloisons de bambou, sur laquelle ouvrent toutes 1 G. E. E. LINDQUIST : Indians in Transition, A Study of Protestant Missions to Indians in the United States (New-York, National Council of Churches of Christ, Division of Home Missions, 1951), p. 16. 6 128 CONDITIONS DE VIE les pièces. Cette habitation n'a pas de fenêtres. Le feu y est constamment allumé et la fumée acre envahit tout le logement x . CETLAN Les Vedda ont abandonné leurs mœurs troglodytiques primitives et vivent dans des huttes construites à l'aide de pieux et d'écorce et recouvertes d'herbes. Ceux qui se sont installés sur la côte vivent dans des huttes ou abris (cadjans) construits à même le sable. Les quelques familles établies dans les camps de la Couronne sont mieux logées 2. Les Rodiya vivent dans des villages bien délimités, où ils habitent des huttes d'une pièce construites de branches entrelacées ou de morceaux d'écorce de palmier et recouvertes d'un torchis de boue 3 . Enfin, les Kinnaraya possèdent des maisons propres et bien tenues *. INDE Ce même type d'habitation, à quelques nuances près, est répandu dans toutes les régions de l'Inde où sont établies des tribus aborigènes. Si l'on considère l'ensemble du pays, c'està-dire non pas seulement les aborigènes, mais aussi le reste de la population, « on estime que, sur 66.400.000 maisons habitées dans les 600.000 villages de l'Inde, les puTclca, ou maisons de briques, ne représentent pas plus de 2 pour cent et les kutcha, ou maisons de terre, de bois ou de clayonnages de bambou, au toit de chaume ou de tôle ondulée et possédant des portes et des fenêtres répondant à différents types, ne représentent pas plus de 7 pour c e n t 5 ». E n fait, les aborigènes arboricoles « se situent dans une bande de territoire s'étendant du sud de l'Inde (notamment les Kanikarar et les Mandowar, à l'extrême sud du pays, et parfois les Irula des monts ïfilgiri à l'est) jusqu'à l'Assam (les Garo) et au-delà, dans plusieurs régions de l'Indochine jusqu'au pays Miao aux confins de la Chine 6 ». Les tribus de l'Inde méridionale ont leur architecture propre. Les Tchentchou ne connaissent qu'un seul type de huttes : un tronc bien sec 1 T. P . DEWAB : « General Description of t h e Naga Tribes inhabiting the Burma Side of the Patkoi Range », Census of India, 1931, vol. 1, partie I I I B, op. cit., pp. 152-153. Pour plus de détails sur les conditions de logement en Birmanie, voir J o h n LePvoy CHRISTIAN, op. cit., p p . 154-162. 2 Communication du gouvernement de Ceylan, juillet 1952. 3 M. D. RAGHAVAN : Cultural Anthropology of the Rodiya, op. cit., p . 22. 4 I D E M : The Kinnaraya, 5 S. CHANDRASEKHAB, op. cit., p . 56. G. MONTANDON, op. cit., p . 297. 6 op. cit., p. 224. HABITATION 129 d'environ 2 m 50 de long et 30 centimètres de circonférence à sa base est planté en terre. A l'aide d'une baguette d'environ 1 m 70 de long, un cercle est tracé autour du poteau et un clayonnage de bambou de 1 mètre de large et assez long pour parcourir tout le cercle est ensuite assujetti et fixé au sol à l'aide de chevilles. A partir de l'extrémité supérieure du poteau central, des piquets de bambou sont installés de manière à reposer sur la paroi de clayonnage et la carcasse du toit conique est complétée par le même matériau et recouverte de chaume \ En revanche, les Kadar, qui sont leurs voisins, vivent dans des huttes de branchages recouvertes d'herbes oda très résistantes. Dans certains cas, le sol de la hutte est surélevé 2. Dans l'Etat de Travancore, les Kanikar, les Mannan, les Muduvan, les Paliyan et les Vishavan ne surélèvent pas le sol de leurs huttes et, en conséquence, le drainage et les conditions sanitaires laissent à désirer. En revanche, les MalaArayan, les Ulladan et les Mala-Pulaya ont coutume de surélever le sol de leurs habitations 3. Dans l'Etat de Madras, les autorités se sont efforcées de procurer du terrain à bâtir à certains groupes aborigènes en leur allouant certaines terres appartenant à l'Etat ou en achetant de nouvelles parcelles à des particuliers 4 . Dans cet Etat, les Toda des monts Nilgiri, qui pratiquent l'élevage, ont un type de logement qui leur est propre. Il s'agit d'une habitation de bois rectangulaire et couverte de chaume, dont le toit est de forme ogivale 5 . Les travailleurs logés dans les plantations ou dans les camps de certaines compagnies disposent d'habitations plus modernes. INDONÉSIE En Indonésie, des statistiques du logement établies en 1930, mais publiées beaucoup plus tard, ce qui laisse supposer qu'elles sont toujours valables, indiquent que 4.836.805 des maisons qui abritent la population indonésienne (mais pas seulement aborigène au sens où le terme est employé dans le 1 GHTJLAM Ahmed Khan : « The Chenchus », Census of India, 1931, vol. I, partie I H B, op. cit., p. 210. 2 P. G. MENON : « The Kadar of Cochin », ibid., p. 213. 3 L. A. Krishna IYER et N. K. PILLAI : « The Primitive Tribes of Travancore », ibid., p. 237. 4 Administration Report of the Labour Department (Madras) on the Work Done for the Amelioration of the Eligible Communities, for the Year Ending 31st March 1946, (Madras, Government Press, 1946). 6 G. MONTANDON, Op. tit., p . 182. 130 CONDITIONS DE VIE présent rapport), soit 55 pour cent, «ne sont pas en briques tout en ayant un toit solide », et classent 3.521.794 maisons, soit 40 pour cent, dans la catégorie « autres logements 1 ». Dans la partie nord-ouest de Bornéo et même à proximité du littoral, les Bassap habitent sous un simple toit de feuilles porté par quatre piquets, même s'ils s'installent pour plusieurs mois. Dans les régions où la forêt est très dense, et où les habitants doivent changer souvent de résidence pour aller défricher de nouvelles terres à cultiver, le logement est provisoire, la construction de bambou et d'écorce. Mais dans les régions défrichées, les aborigènes s'établissent de manière plus permanente et construisent des maisons de bois. Dans une grande partie de l'Indonésie, chaque maison abrite plusieurs familles, mais cette catégorie fait place peu à peu à l'habitation destinée à une seule famille. Dans les Célebes, en particulier, les Toradja ont été encouragés à construire des villages permanents et c'est ainsi que ce nouveau mode de vie a converti les Minahassa, connus il y a encore cinq ans comme de féroces chasseurs de tètes, en un peuple pacifique et prospère 2. PHILIPPINES Parmi les Pygmées, seuls les Negritos vivent, comme la plupart des habitants non aborigènes de condition modeste, dans des habitations à toit de chaume et à plancher surélevé. Les aborigènes d'origine indonésienne vivent dans des demeures construites soit dans les arbres, soit à même le sol. Certains d'entre eux, les Bajao, « Bohémiens de la mer », logent sur leurs bateaux. Les Ifugao, les Igorrot, les Tinggian et les Apayao vivent dans des habitations construites sur pilotis et comportant un toit de bois pyramidal. Ils construisent aussi des maisons aux murs de boue ou de pierre, ou encore de planches imbriquées, avec un toit de chaume 3. THAÏLANDE Les tribus de la Thaïlande ont des logements analogues à ceux qui viennent d'être décrits, à quelques différences près. La maison Semang consiste généralement en un abri de feuilles 1 CENTRAL BUEEATT or STATISTICS : « Types of Habitations in Java and Madura (1930) », Statistical Pocket Book of Indonesia, 1941 (Batavia, 1947), p. 149. 2 Géographie universelle, publié sous la direction de P. VIDAL DE LA BLACHE et L. GALLOIS, tome IX : Asie des mcmssons, par Jules SION, 2 m e partie (Paris, Armand Colin, 1928), pp. 483-484. * 3 Communication du gouvernement des Philippines, mai 1953, et H. H. MILLER : Economie Conditions in the Philippines, op. cit., pp. 6 et 14. HABITATION 131 de palmiers entrelacées à l'extrémité supérieure, ou en une petite hutte de palme tressée. Les Semang les moins évolués élisent plus simplement domicile sous un surplomb de rocher ou dans un arbre creux. Les habitations des Lawa sont faites de bambou et couvertes de chaume, tandis que les villages Kaché, sur lés hauts plateaux, sont composés de constructions longues et basses, de bois et de bambou, couvertes de chaume et surélevées de plusieurs pieds. Les maisons des Meao sont de construction plus solide, les murs sont de boue ou de bois, le sol empierré ; elles sont souvent construites le plus près possible de la crête des montagnes. Les Muhsoe possèdent des maisons bien construites de bois et de bambou, et les Yao construisent les leurs en demi-rondins et conservent le sol de terre. Les Karen ont de longues maisons communautaires, souvent faites de bambou et couvertes d'herbes 1 . Australasie AUSTRALIE Les nomades d'Australie ne construisent généralement pas de maisons ni même d'abris, mais dorment à même le sol, soit sous un buisson très feuillu, soit, à la saison froide, entre deux petits feux 2 . Dans certaines régions de l'Australie méridionale, les habitants construisent des huttes en forme de ruches faites de jeunes troncs et dont les murs sont de briques crues. Ces mêmes matériaux sont utilisés aussi dans les monts Kimberley, dans la partie nord du territoire. Dans certaines parties du Queensland du ÏTord, les aborigènes dorment sur des plates-formes construites au-dessus d'un petit feu dont la fumée éloigne les moustiques. Toutefois, certains aborigènes, en contact avec la civilisation, ont commencé à construire des maisons qui s'apparentent davantage à celles des Blancs 3. Dans les réserves et dans les domaines agricoles de la NouvelleGalles du Sud, chaque famille est pourvue d'une maison normale, pour laquelle elle ne paie aucun loyer, mais l'absence d'installations sanitaires demeure un problème 4. En Australie 1 W . A. GRAHAM : Siam, op. cit., passim. C. DUOTTLD : The Aborigines of Australia, deuxième édition (Adélaïde, 1946), passim. 3 A. P. ELKTN : The Australian Aborigines (Sydney, Angus and Robertson, 1948), pp. 18-19. 2 4 PARLIAMENT OF NEW SOUTH WALES, Aborigines Welfare Board : Annual Report for the Year Ended 30th June 1944 (Sydney, Government Printer, 1946), p. 14. 132 CONDITIONS DE VIE occidentale, le logement n'est pas fourni d'office aux aborigènes qui vivent dans les exploitations gérées par l'Etat ; ces aborigènes se fabriquent eux-mêmes des abris, souvent avec des matériaux de rebut. E n général, aucune installation sanitaire n'est fournie, encore que, dans une de ces exploitations — et non la moindre —, des douches et des lavabos conformes au modèle en usage dans l'armée, aient été installés. Des baraques de tôle d'environ 2 mètres sur 2 sont fournies dans certaines exploitations de l'Etat, mais les aborigènes n'y demeurent pas habituellement et préfèrent dormir à la belle étoile. Des recommandations ont été formulées visant à faire construire des logements plus convenables à l'aide de matériaux locaux, logements dont le sol serait de bois ou de ciment, le toit de tôle ou de chaume imperméable, et comportant une petite véranda 1 . L'extension des prestations de la sécurité sociale aux aborigènes qui abandonnent la vie tribale et qui, comme les métis, s'efforcent, dès qu'ils sont salariés, d'accéder à un niveau de vie comparable à celui de la population d'origine européenne, a rendu nécessaire, depuis la fin de la guerre dans le Pacifique, la création dans les réserves de la zone méridionale du pays de services de logements, à loyers peu élevés ou dont l'usufruit peut même être gratuit. La politique du gouvernement du Commonwealth semble viser à subventionner les programmes de logement et à appuyer les initiatives prises dans le même sens par les divers Etats, car il s'agit de faciliter l'adaptation des aborigènes à des normes modernes ; parfois, il est nécessaire d'ajuster ces normes aux nécessités culturelles de l'aborigène, en construisant, par exemple, des habitations comprenant de vastes galeries ouvertes qui donnent aux occupants l'impression de vivre à l'air libre dans les campements de leur réserve. Les aborigènes qui, loin de leur tribu d'origine, vivent dans les grandes villes jouissent généralement de conditions satisfaisantes de logement dans le district urbain. En revanche, ceux qui ont abandonné le mode de vie tribal et demeurent dans les districts ruraux en y occupant des habitations permanentes ne bénéficient pas de normes aussi élevées et ils doivent être dans une certaine mesure l'objet de la surveillance des pouvoirs publics 2. 1 F. E. A. BATEMAN : Report on Survey of Native Affaira, op. cit., p. 17. 2 DEPARTMENT OS NATIVE AFFAIRS (Western Australia) : Annual Report of the Commissioner for Native Affairs for the Year Ended 30th June 1944 (Perth, Government Printer, 1945), p. 8. HABITATION 133 NOUVELLE-ZÉLANDE Par rapport aux normes européennes de logement, l'habitation des Maoris de Nouvelle-Zélande n'est pas satisfaisante. D'après le recensement de 1945, le nombre total des logements occupés par les Maoris s'élevait à 16.028,- contre 13.793 en 1936, ce qui représente une augmentation de 2.235 logements, soit 16,2 pour cent. Toutefois, pendant la même période, la population maorie a augmenté de presque 20 pour cent, compte tenu des Maoris enrôlés dans les forces armées d'outre-mer ; les conditions de logement ne se sont donc pas améliorées en proportion du rythme d'accroissement de la population. Tant en 1936 qu'en 1945, pratiquement 90 pour cent des maisons maories contenaient d'une à cinq pièces, comptant en moyenne six occupants. E n 1936, 70,51 pour cent des logements étaient la propriété du chef de famille, tandis qu'en 1945, cette proportion était tombée à 54,84 pour cent. Inversement, le pourcentage des maisons en location s'est élevé de 18,74 à 31,47 pour cent, du fait sans doute d'un mouvement migratoire vers les villes, tandis que la proportion des maisons occupées et exonérées de loyer s'est élevée, elle aussi, de 10,75 à 13,69 pour cent. Sur un total de 15.780 logements, 11.522 comportaient d'une à quatre pièces ; dans presque la moitié, il demeurait plus de cinq personnes 1 . La qualité de la construction de nombreuses maisons maories laisse à désirer. C'est ainsi qu'une enquête officielle effectuée dans une région rurale et semi-rurale habitée par les Maoris a révélé que 7 pour cent seulement des habitations rurales et 16,5 pour cent des habitations semi-rurales répondaient aux normes européennes de construction et ne nécessitaient pas de réparations. Il a été estimé également que 65 pour cent des maisons rurales et 39 pour cent des maisons semi-rurales auraient dû être démolies parce qu'impropres à l'habitation. Opposées à celles des Maoris, les normes de logement d'une communauté rurale européenne comparable font apparaître une situation inverse. En effet, tandis que 78 pour cent des maisons sont jugées excellentes en Europe, 7 pour cent seulement des maisons maories sont dans ce cas. A l'autre extrémité de l'échelle, 2 pour cent seulement des maisons européennes menacent ruine, tandis que 65 pour cent des maisons maories sont considérées comme irréparables. Il semble 1 CENSUS AND STATISTICS DEPARTMENT : « Maori Dwellings », New Official Year Book, 1947-1949, p p . 970-971. Zealand 134 CONDITIONS DE VIE par conséquent évident que la norme de logement du Maori soit très inférieure à celle de l'agriculteur européen 1. Cette situation n'est pas pour nous surprendre s'il est tenu compte du fait que le recensement de 1936 (d'après les renseignements fournis par les Maoris qui ont répondu à un questionnaire destiné aux Européens, c'est-à-dire par ceux d'entre eux qui se sont le plus rapprochés du mode de vie européen) indique que 0,03 pour cent seulement des Maoris ont un revenu annuel d'au moins 364 livres, alors que cette proportion est de 2,3 pour cent pour les Européens, c'est-à-dire que cette catégorie de revenu compte 80 fois plus d'Européens que de Maoris. Les données postérieures à 1936 ne sont pas encore disponibles, mais rien ne permet de supposer que le rapport entre les revenus des Maoris et ceux des Européens se soit en rien modifié, ni que le revenu moyen des Maoris ait subi aucun changement. 1 Ernest et Pearl BEAGLBHOLB : Some Modem Maoris (Wellington, New Zealand Council for Educational Research, 1946), pp. 70-72. CHAPITEE V PROBLÊMES SANITAIRES Déjà insuffisamment pourvu dans les domaines de l'alimentation, du logement et du vêtement, l'aborigène voit encore son sort aggravé par l'absence de services sanitaires et, dans certaines régions (notamment celle du massif méridional des Andes sud-américaines), par des conditions climatiques très rudes, ce qui se traduit par la propagation de diverses maladies qui menacent gravement la résistance biologique. Dans de nombreux cas, le problème se complique du fait de la persistance dans le milieu aborigène de croyances et de pratiques magiques dans le domaine de la médecine 1 et, dans le cas de quelques pays d'Amérique latine, par l'alcoolisme et par l'habitude de la mastication de la feuille de coca, qui sont étudiés au chapitre VI. Amérique latine En général, le caractère fragmentaire et insuffisant des renseignements statistiques, quand ce n'est pas leur absence totale, oblige à recourir à d'autres données qui puissent permettre des estimations sur l'importance et la répartition géographique des principales maladies dont souffre la population aborigène. Comme l'Institut interaméricain des affaires indigènes l'a récemment déclaré, dans des milliers de communautés et de noyaux aborigènes du type traditionnel : Il n'existe aucune donnée digne de foi en ce qui concerne la morbidité ; personne ne sait à coup sûr quelles maladies ont causé tel ou tel décès, puisqu'il n'y a pas de médecin qui en délivre certificat... ; les maladies naissent spontanément et ce n'est que dans des circonstances exceptionnelles, quand la morbidité s'élève énormé1 Pour la Bolivie, par exemple, voir : Weston LA BARRE : The Aymara Indians of the Lake Titicaca Plateau, Bolivia, op. cit., chap. VI ; sur les croyances des Indiens du Guatemala, voir Richard N. ADAMS : Un análisis de las creencias y prácticas médicas en un pueblo indígena de Guatemala, con sugerencias relacionadas con la práctica de medicina en el área maya (Guatemala, Instituto Indigenista Nacional, 1952) ; pour le Mexique, cf. Gonzalo AGUIRRE BELTRÁN : Problemas de la población indígena de la cuenca del Tepalcatepec, op. cit., pp. 295-307. 6* 136 CONDITIONS DE VIE ment, que l'on demande leur aide aux autorités sanitaires de la Fédération et de l'Etat \ Comme il est naturel, les informations relatives à la mortalité et à la morbidité au sein d'une population d'aborigènes sylvicoles nomades sont encore moins sûres, et, dans de nombreux cas, on sait que les taux correspondants : ... ont atteint ou atteignent de très grandes proportions, lorsque l'on constate que nombre de langues et de dialectes se sont éteints ; ce n'est pas d'ailleurs que la langue espagnole, portugaise ou une autre langue d'origine occidentale les aient remplacés : tout simplement, ceux qui les parlaient ont disparu 2. Malgré la pauvreté des données démographiques, les informations descriptives disponibles permettent néanmoins d'affirmer que la situation sanitaire de l'Indien, aussi bien dans les régions du haut plateau que dans celles de la forêt, est déplorable et que, dans un nombre appréciable de régions, elle revêt un caractère de très grande gravité. L'examen des diverses sources consultées indique que ce sont en général les maladies parasitaires, respiratoires et de carence qui font le plus grand nombre de victimes. L'ankylostomiase (avec prédominance de la forme amibienne) et la dysenterie se détachent dans le premier groupe ; la tuberculose dans le second. Comme nous l'avons vu dans le chapitre précédent, les facteurs qui contribuent le plus à la propagation de ces maladies sont la promiscuité de l'aborigène avec ses animaux domestiques, porteurs d'acariens, de puces, etc., la présence de rats, de mouches, de punaises, etc., dans l'habitation, l'entassement de la famille dans une seule pièce dépourvue de ventilation, l'exposition des pieds nus aux microbes des excréments et des eaux polluées, et la malpropreté corporelle 3 . Relativement à la région méridionale des Andes, J. Merle Davis, dans le rapport de la Commission de coopération en Amérique latine, auquel nous nous sommes déjà référés, signale que : ... la race autochtone est minée par des maladies et montre une réceptivité alarmante aux affections respiratoires et digestives. La mortalité infantile varie entre 250 et 750 pour mille et la durée 1 « La salud del indio », America Indigena, vol. XII, n° 2, avril 1952, p. 99. Ibid. En ce qui concerne le dernier de ces facteurs, il convient de préciser que, dans le haut plateau des Andes, il s'explique en grande partie par la rareté de l'eau dans de nombreuses régions et par le fait qu'elle doit être souvent transportée depuis des points très éloignés. Il est par exemple notoire que les aborigènes d'Otavalo (Equateur), à proximité du lac de San Pablo, pratiquent une propreté remarquable. 2 3 PROBLÈMES SANITAIRES 137 moyenne de l'espérance de vie, entre 30 et 35 ans ; l'ankylostomiase réduit gravement la vitalité normale de l'aborigène, tandis que la dysenterie, l'entérite et la tuberculose le rendent trop faible pour tout travail ; les maladies respiratoires causées par le travail dans les mines de cuivre et d'étain sont responsables annuellement de l'invalidité de milliers d'hommes vigoureux. Les chiffres de la tuberculose provoquée par la silicose dans les mines sont parmi les plus élevés du monde du travail 1 . Parmi les autres constatations générales dont fait état le rapport, citons encore les suivantes : l'influenza sévit périodiquement sous forme épidémique, la coqueluche s'attaque à un nombre très élevé d'enfants, la rougeole est commune ; la phtiriase est presque universelle ; partout on observe des lésions cutanées et oculaires dues au manque de vitamines ; au nombre des maladies causées par des organismes pathogènes, figurent la leishmaniose, la fllariose, la trypanosomiase, la grippe et la fièvre d'Oroya ; la première, qui attaque les muqueuses du nez, de la bouche et du pharynx, se trouve répandue dans la Sierra péruvienne et, à une moindre échelle, dans la Sierra équatorienne et dans les régions nord et centre du Pérou, à des altitudes qui varient entre 900 et 3.500 mètres ; la typhoïde et la paratyphoide ont passé à l'état endémique dans plusieurs régions ; le typhus « est endémique dans toute la Sierra » ; les épidémies de variole se reproduisent fréquemment et entraînent un fort pourcentage de mortalité ; en raison de l'insuffisance d'iode dans l'air et dans le sol, un nombre considérable d'Indiens souffrent du goitre ; même le paludisme, maladie de basse altitude, existe dans certaines régions des hauts plateaux ; on l'a découvert chez les Indiens hospitalisés dans des localités situées entre 2.500 et é.250 mètres au-dessus du niveau de la mer (Ibarra, au nord de l'Equateur, et Potosí, au sud de la Bolivie) ; néanmoins, dans la grande majorité des cas, l'Indien contracte cette maladie lorsqu'il descend travailler dans les villes ou sur la côte 2. Il n'est, du reste, pas difficile de comprendre cet état de choses lorsqu'on se souvient qu'en Bolivie et au Pérou — et cette observation s'applique également à l'Equateur —, dans les villages indigènes, à moins qu'il ne s'agisse de villages importants, il n'existe pas de services médicaux et pharmaceutiques de quelque ordre que ce soit ; la médecine est exercée par des sorciers et revêt souvent la forme 1 J. Merle DAVIS : « The Indian Way of Life », Indians of the High Andes, op. cit., p. 77. 2 Walter J. K. CLOTHTER : « The Indian and his Diseases », ibid., pp. 236-250. 138 CONDITIONS DE VIE de pratiques plus ou moins magiques ou superstitieuses x . Comme on le verra plus loin, la majorité des maladies susmentionnées s'attaquent également, quoique à des degrés divers, aux groupes aborigènes des autres régions de l'Amérique latine. E n outre, au sud du Mexique et au nord du Guatemala, une partie de la population aborigène est victime du fléau de l'onchocercose ophtalmique, dont la propagation représente un grave péril pour le continent américain, étant donné que la route panaméricaine passe à travers certaines des régions affectées. BOLIVIE Selon un rapport du ministère de la Santé publique, en 1941, sur 5.178 aborigènes de l'Oriente, 99 pour cent souffraient de maladies parasitaires intestinales, principalement d'ankylostomiase 2. A en juger par une autre source, «la fièvre typhoïde, le paludisme, la variole, la tuberculose et la coqueluche prélèvent chaque année leur tribut sur la vie de centaines d'aborigènes 3 ». Weston La Barre, dans son étude de 1948 consacrée aux conditions de vie dans la région du lac Titicaca, signale que, chez les Indiens appartenant au groupe aymara, sont répandues plusieurs maladies de peau, la fièvre scarlatine, la variole, la tuberculose, et, dans les régions plus élevées, l'ophtalmie des neiges ou surumpi. Les affections cutanées sont fréquentes : éruptions granulaires, urticaires, taches noires et rouges de la peau, etc., sont désignés par des noms indigènes. La variole et la scarlatine sont très redoutées des aborigènes, car, outre qu'elles provoquent parmi eux une mortalité élevée, elles les laissent souvent aveugles ou contrefaits. La tuberculose est sans aucun doute la cause principale de mortalité. Dans certaines régions, notamment à Larecaja et Muñecas, le goitre est extrêmement fréquent. Dans aucune partie du pays, on ne peut boire d'eau non bouillie, à cause de la typhoïde et de la dysenterie noire. Le typhus est endémique sur le haut plateau 4. La mission d'assistance technique que les Nations Unies ont envoyée en Bolivie en 1950 indique dans son rapport que la population indigène reste pratiquement étrangère à l'action 1 Rapport de la Commission d'étude sur la feuille de coca, op. cit., pp. 58-59. Boletín de la Oficina Sanitaria Panamericana (Washington), XXI m e année, n° 4, avril 1942, p. 398. 8 Luis TEEÁN GÓMEZ : « Cómo debe encararse el problema educacional del indígena en Bolivia », Boletín de la Sociedad Geográfica de la Paz (La Paz), déc. 1945, p. 74. 4 Weston LA BABEE, op. cit., pp. 47-48 et 211-216. 2 PROBLÈMES SANITAIRES 139 entreprise dans les domaines de l'éducation, de l'hygiène, de la législation du travail et des services sociaux en général 1 . Il est notoire que, dans de nombreux centres miniers du haut plateau, l'indice d'infection tuberculeuse est très élevé. Il ressort des recherches effectuées par Capriles Eico et Arduz Eguia que l'expansion progressive de la tuberculose au sein de la population bolivienne « est allée de pair avec l'industrialisation des mines du pays 2 ». On ne dispose pas d'informations statistiques sûres et complètes sur ce phénomène, mais on peut se faire une idée approximative de l'ampleur du problème grâce à certains faits tels que l'élévation de l'indice de mortalité par tuberculose dans les départements de La Paz, Sucre et Potosí et le nombre croissant des tuberculeux qui reçoivent des prestations de la Caisse d'assurance et d'épargne ouvrière. En 1941, ce nombre aurait représenté environ 75 pour cent du total des cas de maladie professionnelle couverts par ladite caisse. D'autres informations font supposer que, dans les mines de Pulacayo (département de Potosí), 60 pour cent des ouvriers se trouveraient atteints de cette maladie et que 50 pour cent des enfants meurent dans leur première année, que les soins médicaux sont rares et que fort peu d'ouvriers peuvent survivre à une maladie ou à une blessure grave ; aussi est-il nécessaire de faire venir constamment de nouveaux travailleurs. BRÉSIL Les principales maladies qui frappent l'Indien sylvicole du Brésil sont l'inflammation et la suppuration des glandes du mésentère, les inflammations du foie et de la rate, l'hydropisie, diverses formes de dermatose et, en plus de la malaria, une multitude de fièvres. A ces maladies, que l'on pourrait qualifier de primitives, sont venus s'ajouter, à l'arrivée des Blancs et des Noirs, la variole, la syphilis, le trachome et la tuberculose. Cette dernière maladie se manifeste sous ses formes les plus aiguës 3 et, jointe à la grippe, à la pneumonie et à la coqueluche, est responsable de l'indice extrêmement élevé de mortalité parmi les Indiens sylvicoles. Ceux-ci sont également décimés par des épidémies de variole et de rougeole, 1 Report of the United Nations Mission of Technical Assistance to Bolivia, op. cit., p. 106. 2 3 Remberto CAPRILES RICO et Gastón AEDUZ EOUÎA, op. cit., p. 34. Voir C. F . P . VON MABTIDS : Das Naturell, die Krankheiten, das Arztthum und die Heilmittel der Urbewohner Brasiliens (Munich, 1844), traduction portugaise avec introduction et notes de PIRAJÁ DA SILVA : Natureza, doenças, medicina e remedios dos indios brasileños (Sao-Paulo, Companhia Editora Nacional, 1939). 140 CONDITIONS DE VIE fréquemment suivies de coqueluche. Les dermatoses et la malaria, sans être moins fréquentes, ne revêtent pas un tel caractère de gravité. On observe assez régulièrement que les aborigènes, en abandonnant une forme d'adaptation pour une autre d'inspiration européenne (nouvelles techniques et nouvelles habitudes alimentaires), commencent à souffrir de maladies de carence qui ne sont guère observées dans les tribus qui ont conservé leur mode de vie traditionnel. La perte de vigueur physique et la baisse de la natalité qu'elle entraîne sont imputables à des facteurs aussi bien biologiques que sociaux et psychiques. Au nombre des premiers doivent être rangées les affections mentionnées ci-dessus, auxquelles s'ajoutent les maladies vénériennes et le trachome. Parmi les causes sociales, le Service de protection des Indiens signale : l'échec des efforts tentés par les aborigènes pour trouver leur place dans la vie économique du pays, assurer leur subsistance et satisfaire les besoins nouveaux qui naissent du processus d'adaptation culturelle ; la nature du travail auquel s'adonnent les aborigènes, qui ne leur permet pas de récupérer les forces perdues et provoque une fatigue et un vieillissement précoce ; enfin, les modifications subies par les habitudes alimentaires, qui entraînent des maladies de carence, des troubles gastriques, etc. Parmi les facteurs psychiques, il est surtout fait état du choc psychologique que provoque le conflit des cultures, phénomène qui s'accompagne toujours d'une diminution massive de la natalité et d'une augmentation du taux de mortalité. S'il est vrai qu'il n'existe pas de statistiques permettant de calculer le pourcentage de mortalité imputable à chaque maladie, le Service de protection des Indiens estime qu'il est plus important, aux fins d'une étude comme celle-ci, d'établir les différences qui peuvent exister entre les groupements aborigènes du point de vue des contacts qu'ils entretiennent avec des noyaux de civilisation, que d'établir des statistiques ou de déterminer les régions où se manifestent les maladies les plus graves 1 . COLOMBIE Chez les indigènes de la Colombie, les maladies les plus fréquentes sont celles du tube digestif, des appareils respiratoire et circulatoire et de la peau. Il existe une grande variété 1 Communication de la Section d'étude du Service de protection des Indiens, août 1952. Voir également Noel NUTELS : « Plano para urna campanha de defesa do indio brasileiro contra a tuberculose », Revista Brasileña de Tuberculose, vol. XX, n° 139, janv.-fév. 1952, pp. 3-28. PROBLÈMES SANITAIRES 141 d'affections parasitaires intestinales dues à des vermines et à des protozoaires ; l'anémie vermineuse affecte la majorité des zones aborigènes ; l'une des très rares contrées épargnées est la péninsule de la Guajira, le sol sableux et la rareté de l'eau empêchant le fléau de revêtir un caractère de fréquence et d'intensité ; la dysenterie amibienne et la diarrhée dysentérique sont très fréquentes ; la tuberculose pulmonaire est très rare lorsqu'il n'y a pas contact avec la population blanche ou métisse, mais elle est fréquente et grave dans le cas contraire 1 . Dans les régions des fleuves Caqueta, Yari, Putumayo et de leurs affluents, la tuberculose fait des ravages à cause des traces laissées dans la population aborigène par les épidémies de grippe. La syphilis s'attaque à un pourcentage élevé des aborigènes par suite de leur cohabitation avec d'autres groupes ethniques. Les Indiens habitant le Vaupes, dans l'Orénoque, et ceux du Haut Guania, dans l'Amazone, qui vivent à l'écart des Blancs, sont indemnes de maladies vénériennes. Il existe par contre des noyaux autochtones qui se trouvent contaminés à 100 pour cent par la blennorragie. L'ophtalmie purulente des nouveaunés est également très fréquente dans plusieurs régions. Parmi les affections de la peau que l'on observe le plus fréquemment dans le milieu aborigène figurent la leishmaniose de la peau et des muqueuses (cette dernière généralement mortelle), le pian, la pinta et l'onychomycose. La pinta (carote) est très répandue chez les Indiens qui habitent les régions chaudes, notamment sur les rives du Caqueta, du Putumayo et de leurs affluents. Dans cette même région, on observe communément chez les aborigènes une forme de blépharite qui provoque des desquamations des rebords palpébraux, avec extension à la partie conjonctive. Selon toute apparence, cette affection est produite par une avitaminose compliquée d'une irritation causée par certains moustiques. EQUATEUR Luis A. León a fait observer 2 qu'il existe, dans les milieux aborigènes de l'Equateur, un taux inquiétant de mortalité infantile causée par les complications pulmonaires et gastro1 César UKJBE PIEDRAHITA : « Esquema p a r a un estudio de la patología indígena en Colombia », América Indigena, vol. I, n° 1, janv. 1941, p . 70. 2 Luis A. LEÓN, op. cit., p p . 241-262. Les informations qui suivent sont exclusivement tirées de cette source. 142 CONDITIONS DE VTE intestinales de la rougeole ; la variole se manifeste sporadiquement ; la dysenterie amibienne, sous des formes endémoépidémiques, atteint toute la population de la région interandine et particulièrement le secteur aborigène ; l'ascaridiase, la trochocéphalie et l'uncinariose jouent, dans les régions du littoral et de l'Est, un rôle néfaste pour l'avenir biologique de la race autochtone ; dans la région de la Sierra, cette dernière maladie n'existe pas et les deux premières revêtent un caractère bénin, à l'exception des vallées humides et boisées, où l'affection est également grave. E n raison de la consommation excessive d'alcool de canne et de maïs (guarapo, chicha), la gastro-entérite alcoolique est très fréquente chez les aborigènes ; le botulisme et les intoxications alimentaires « sont des indispositions qui frappent presque exclusivement la race aborigène en raison de la consommation de viande putréfiée, de reptiles, de mollusques et d'insectes »; l'Indien manifeste une prédisposition particulière aux coliques et aux occlusions intestinales à cause de ce genre d'alimentation dans la région sylvestre et du régime essentiellement féculent dans la région de l'Altipiano. La tuberculose a été pratiquement inconnue dans les milieux aborigènes jusqu'au début du x x m e siècle ; actuellement, « presque toutes les agglomérations aborigènes sont atteintes de cette maladie » ; parmi les facteurs qui ont favorisé les progrès de la tuberculose chez l'aborigène, il faut citer les suivants : l'emploi de l'Indien par les autorités et les particuliers, sans la protection et le contrôle sanitaires nécessaires, au nettoyage des latrines publiques et privées et des égouts, au balayage des rues, des places et des maisons particulières, etc. ; la diffusion croissante de la maladie dans les villes et, par conséquent, la propagation dans les communautés et agglomérations aborigènes voisines ; la malnutrition ; l'influence débilitante de l'alcoolisme et l'absence de centres de prophylaxie antituberculeuse dans les milieux ruraux. Dans la région de l'Est, la prédisposition de l'Indien à la tuberculose est due spécialement: à la coutume de consommer de l'alcool de maïs (chicha), fermenté après une mastication collective à laquelle participent fréquemment des tuberculeux ; au paludisme, au pian et à l'ankylostomiase et au travail épuisant que l'Indien effectue dans les laveries d'or et dans les exploitations minières. Parmi les Indiens de la Sierra, les indices de morbidité et de mortalité par pneumonie, broncho-pneumonie, pleurésie et bronchite sont élevés ; cela est dû surtout aux changements brusques de PROBLÈMES SANITAIRES 143 température et à l'indigence du vêtement aborigène ; par exemple, en 1945, sur les 1.084 cas mortels survenus dans la province de Pichincha, 40 pour cent touchaient des aborigènes. La grippe et la coqueluche font des ravages dans de nombreuses collectivités autochtones et occasionnent, par leurs complications, un pourcentage élevé de mortalité. Le typhus exanthématique épidémique est très répandu chez les Indiens de la Sierra. Le manque de soins corporels et la pédiculose contribuent à faire de cette affection une maladie endémo-épidémique qui redouble pendant les périodes de sécheresse. Néanmoins, l'infection typhi que, en général, est plus bénigne dans le milieu aborigène que dans les autres. Les raisons en seraient une immunité relative acquise pendant l'enfance par l'effet des infections typhiques bénignes ou latentes et une immunité provoquée par l'ingestion de poux contaminés. E n raison du manque de latrines et de la consommation d'eaux polluées et de légumes cultivés sur des fumiers ou dans des terres fumées avec des excréments, les affections typhoïdiques, parasitaires et la colibacillose sévissent à l'état endémique dans tous les groupes aborigènes. Le paludisme ne menace pas les communautés aborigènes de la Sierra, mais attaque mortellement les individus qui vont dans les vallées et les villages des montagnes de l'Ouest pour travailler en qualité de journaliers. On a réussi à l'extirper des vallées de la province de Pichincha et d'une partie de celle d'Imbabura, mais il tend à se propager graduellement dans la région amazonienne. La lutte contre cette maladie est rendue difficile par la pauvreté vestimentaire de l'aborigène et par l'absence de dispositifs protecteurs contre les moustiques dans des cases presque toujours construites à proximité des rigoles et des ruisseaux. « Outre les pires conditions hygiéniques qui le prédisposent à la malaria, l'Indien, plus que tout autre élément ethnique, présente une réceptivité spéciale à cette affection et un défaut marqué de résistance à ses effets pathologiques ; pour cette raison, il succombe facilement aux attaques du paludisme. » A propos des maladies parasitaires, León indique que la pinta est fréquente parmi les aborigènes ; on a estimé qu'entre 20 et 30 pour cent des Indiens de la vallée des Chillos, de la vallée de Malacatos et des provinces orientales sont atteints de cette maladie. Quant au pian (euchipe dans la région de l'Est, bubas dans celle de l'Ouest), il revêt un caractère d'extrême gravité chez 144 CONDITIONS DE VIE les Indiens ; les tribus qui habitent les régions chaudes et montagneuses de l'Est souffrent en outre de la leishmaniose, d'ulcères fusospiralaires et d'une foule d'infections microbiennes vulgairement connues sous le nom de gale aiguë ou màlicaracha. A cause de l'habillement insuffisant, de la cohabitation avec les animaux domestiques — surtout le cobaye, agent transmetteur de différentes épidémies —, de l'entassement et de la promiscuité dans les habitations, l'aborigène se trouve particulièrement prédisposé à un grand nombre de maladies de peau. La pédiculose est très répandue chez les Indiens de la région interandine ; les chiques se rencontrent non seulement dans les régions tropicales et subtropicales, mais encore dans certaines localités plus froides où les aborigènes cohabitent surtout avec le porc ; la gale revêt parfois un caractère épidémique, notamment chez les enfants. Les affections des organes génito-urinaires et les maladies vénériennes existent aussi chez les aborigènes. Les infections puerpérales provoquent une forte mortalité chez les mères indiennes en raison de l'absence totale de soins médicaux professionnels et de l'ignorance des principes les plus élémentaires de l'asepsie. Les accouchements sont confiés d'ordinaire à des sages-femmes aborigènes, qui, généralement, coupent le cordon ombilical du nouveau-né avec un morceau de verre. Les affections cardio-vasculaires occupent une place prépondérante dans la région de la Sierra et provoquent le plus grand nombre de décès après les maladies broncho-pulmonaires et gastro-intestinales. Ceci provient en partie de l'altitude et en partie de la pénurie en albumine du régime alimentaire de l'aborigène et de la pauvreté de ses vêtements. Parmi les maladies qui causent la dégénérescence, le goitre est l'une des plus fréquentes 1. Plutarco Naranjo Vargas, dans un rapport sur une enquête effectuée par l'Institut national de prévoyance dans la province de Pichincha, où se trouve la capitale, affirme que la maladie la plus fréquente du paysan est la gastro-entérite 2. 1 « Sur le plateau interandin et dans les contreforts des Andes, le goitre se rencontre très souvent dans presque toutes les agglomérations aborigènes ; il faut signaler que le problème est beaucoup plus grave dans les provinces de Pichincha, Cotopaxi et Bolivar, qui abritent des localités dans lesquelles la maladie a finalement évolué en idiotie et en crétinisme.» Cf. Luis A. LEÓN, op. cit., p. 252. 2 « L'indice de la parasitose intestinale est véritablement effrayant. Nous n'exagérons pas en affirmant que 100 pour cent des enfants ont des parasites intestinaux... Chez les enfants, et notamment chez ceux d'un an, la diarrhée est le symptôme le plus fréquent. » Cf. Plutarco NARANJO VARGAS, op. cit., p. 36. PROBLÈMES SANITAIRES 145 En 1948, la peste bubonique constituait encore une menace dans les régions rurales des provinces montagneuses de Chimborazo et Loja. Dans la province de Chimborazo, l'infection était entretenue par les cobayes et les rats, qui cohabitent avec l'aborigène. Dans la province de Loja, le problème présentait une gravité encore plus grande ; l'infection se trouvait largement répandue au sein des divers rongeurs des vallées et des zones forestières l . A la fin de janvier 1951, on a assisté, dans la région de Santo Domingo de Colorados, à une poussée de fièvre jaune qui, en l'espace de quelques semaines, a causé la mort d'une vingtaine de personnes. La majorité des individus atteints étaient des Indiens de la Sierra qui avaient été attirés sur la côte pour travailler à la cueillette des bananes, à l'exploitation des bois, à la récolte du caoutchouc, etc. 2 . Selon Ernest E. Maes, en Equateur, 95 pour cent des Indiens dépourvus de terres ne reçoivent pas de soins médicaux; le pourcentage, chez les Indiens vivant en communauté, est également élevé 3. En 1946, il y avait dans le pays 808 médecins, 246 pharmaciens, 220 dentistes, 107 obstétriciens, 99 infirmières et 363 droguistes. Environ 60 pour cent de ces praticiens et 50 pour cent des services se trouvaient concentrés dans les provinces de Guayas et Pichincha et, à l'intérieur même de celles-ci, dans les villes de Guayaquil et de Quito. GUATEMALA En 1938, lorsque le professeur Shattuck, de l'Université Harvard, publia les résultats d'une enquête médicale qu'il avait dirigée au Guatemala, le paludisme constituait la plus grande menace contre la santé de la population paysanne en même temps que la cause d'une très forte mortalité ; il sévissait en particulier dans les régions basses, dans les vallées et jusqu'à 500 mètres d'altitude ; néanmoins, il avait aussi causé d'importantes épidémies dans les régions situées entre 1.400 et 1.500 mètres au-dessus du niveau de la mer (celles de Chinautla et du lac Atitlan). Les infections gastro-intestinales, notamment plusieurs genres de dysenterie bacillaire et 1 Boletín de la Oficina Sanitaria Panamericana (Washington), XXVIII m e année, n° 9, sept. 1949, pp. 906-907. 2 Ibid., vol. XXXI, n» 4, oct. 1951, pp. 347-349. 3 Ernest E. MAES : Report on the Indian Policies of Peru (Washington, National Indian Institute, avril 1952), cité par John T. DALE : « Adverse Social and Economic Environment of the Indian », Indians of the High Andes, op. cit., p. 101. 146 CONDITIONS DE VD3 de dysenterie amibienne, provoquaient une haute mortalité infantile. La pneumonie, la broncho-pneumonie et la bronchite causaient un nombre élevé de décès dans la région des hauts plateaux. Le typhus était répandu dans cette région et revêtait un caractère endémique dans les départements de Huehuetenango, Quiche, Quetzaltenango, Totonicapán et Chimaltenango. Le goitre sévissait également dans plusieurs localités de l'Altipiano. Par ordre d'importance, les maladies suivantes produisaient le plus grand nombre de décès chez les enfants : diarrhée, entérite, parasitose intestinale, paludisme, rougeole, phtisie galopante, influenza, variole et diphtérie ; la bronchite et la broncho-pneumonie venaient au second r a n g x . Une publication plus récente de l'Institut guatémalien de sécurité sociale indiquait que cette situation ne s'est pas sensiblement améliorée de 1938 à 1947. La parasitose intestinale, le paludisme, le typhus, la fièvre typhoïde et les maladies respiratoires continuaient à exercer des ravages dans la population rurale 2. Le paludisme sévit dans toutes les régions basses du nord-est du pays, dans les départements d'Izabal, de Petén, d'Alta et Baja Verapaz, ainsi que le long de la côte du Pacifique. E n 1945 et 1946, plus de 10 pour cent de la mortalité par maladie a été due au paludisme. Une publication de 1943 de la Direction générale de la santé expose que près d'un tiers de la population rurale du pays (800.000 personnes) souffre de paludisme chronique ou intermittent 3 . E n 1950, 38,7 pour cent des décès du pays ont eu pour cause des maladies infectieuses et parasitaires, 13 pour cent des maladies de l'appareil respiratoire et 18 pour cent des maladies de l'appareil digestif. La même année, 89 pour cent des personnes victimes de maladies ou d'accidents n'avaient reçu aucune espèce de soins médicaux 4. A partir de 1949, sur le total de 3.373 lits répartis dans 21 hôpitaux d'Etat, 1.096 se trouvaient dans la capitale du pays. Ces établissements étaient construits de façon précaire 1 George Cheever SHATTUCK : A Médical Survey of the Republic of Guatemala (Washington, Carnegie Institution of Washington, 1938), p p . 18 e t 237-244. 2 O. BARAHONA STREBER et J . Walter DITTEL : Bases de la seguridad social en Guatemala (Guatemala, Instituto Guatemalteco de Seguridad Social, 1947), vol. I, p p . 95-117. Pour des informations sur l'onchocercose, voir plus loin. 3 4 Cité par Leo A. SUSLOW, op. cit., p. 100. Informe del delegado técnico de Guatemala a la primera Reunión sobre el bienestar del niño centroamericano (Guatemala, août 1951), Boletín del Instituto Internacional Americano de Prolección a la Infancia (Montevideo), vol. X X V , n° 4, déc. 1951, p . 363. PROBLÈMES SANITAIRES 147 et manquaient de l'équipement nécessaire *. En 1949, sur un total de 390 médecins, 275 (70 pour cent) exerçaient dans la capitale ; il y avait un médecin pour 695 personnes dans la capitale et pour 32.437 personnes dans le reste du pays (86.000 dans le département indigène de Quiche). Sur un nombre total de 115 dentistes, 91 (80 pour cent) exerçaient dans la capitale ; des 195 pharmaciens, 134 (70 pour cent) travaillaient dans la capitale. Cette situation est due moins à la pénurie de personnes diplômées pour exercer ces professions qu'à l'impossibilité pour eux d'exercer dans le milieu rural, où les conditions de vie et les perspectives de rémunération sont absolument insuffisantes 2. MEXIQUE Les informations rassemblées en 1940 par le ministère mexicain de l'Instruction publique 3 indiquent que, dans ce pays, les maladies qui se manifestaient avec le plus de fréquence et de gravité, selon la région ou le district, chez les aborigènes étaient les suivantes : le paludisme, la parasitose intestinale, les affections respiratoires (tuberculose, bronchite aiguë, pneumonie, broncho-pneumonie), les dermatoses, la variole épidémique, la typhoïde, le goitre, la pinta et l'onchocercose. Les renseignements qui suivent sont donnés à titre d'exemple et concernent quelques groupes ou tribus aborigènes du pays. Chez les Mayas (Etat de Yucatan), sévissaient le paludisme, la parasitose intestinale, le typhus, la grippe et la diphtérie ; toutefois, le paludisme offrait un caractère particulièrement grave dans les régions de Chichén Itzá et de Chankón *. Chez les Mixtèques (Etat d'Oaxaca), les principales maladies qui frappaient la population étaient le paludisme, la dysenterie, la variole, la rougeole et la scarlatine. Le paludisme et la dysenterie « sont les causes principales de mortalité dans cette région 5 ». Chez les Zapotèques (Etat d'Oaxaca), les principales maladies étaient le typhus, la typhoïde, la pneumonie, la 1 2 Leo A. SUSLOW, op. cit., p. 101. INTERNATIONAL BANK FOR RECONSTRUCTION AND DEVELOPMENT : The Economic Development of Guatemala, Report of a Mission sponsored by the International Bank for Reconstruction and Development in Collaboration with the Government of Guatemala (Washington, 1951), p. 259. 3 Carlos BASAURI : La población indigena de Mexico, op. cit., passim. 4 Ibid., tome II, pp. 36-37. 5 Ibid., p. 316. 148 CONDITIONS DE VIE rougeole et la variole 1. Chez les Otomis (Etats de Guanajuato, Querétaro, etc.), la population infantile était décimée 'par les parasites intestinaux, les dermatoses, la coqueluche, la tuberculose, la variole, etc. ; la mortalité des enfants était si élevée que, sur un nombre moyen de dix enfants par famille, il était rare que plus de quatre réussissent à survivre. Cette mortalité était due à la mauvaise alimentation et à l'ignorance absolue des règles de la puériculture 2. Chez les Taratìumara (sierra Madre de l'Ouest), les maladies les plus fréquentes étaient les maladies de l'appareil respiratoire (tuberculose, coqueluche, bronchite aiguë, pneumonie et broncho-pneumonie), les maladies de l'appareil digestif (entérite aiguë, ictère catarrhal, etc.), toute une variété des dermatoses (gale, pityriasis, etc.) et la variole. Cette dernière maladie « revêt une forme épidémique et cause de nombreux décès, car un très petit nombre seulement d'indigènes sont vaccinés 3 ». Chez les Tzotzil (Etat de Chiapas), « la maladie qui a causé le plus de ravages est la variole maligne, dite variole noire » ; les maladies pulmonaires étaient très fréquentes 4 . Chez les Huaxtèques (Etats de Vera Cruz, San Luis Potosí, etc.) régnaient le paludisme, la coqueluche, la rougeole et la scarlatine 5. Chez les Chontal (Etat de Tabasco) sévissaient le paludisme ainsi que les maladies de l'appareil respiratoire et de l'intestin 6 . Chez les Tarasques (Etat de Michoacán), les populations de la région limitrophe de l'Etat de Guerrero souffraient surtout d'infections intestinales, de typhoïde, de diphtérie et du mal de Pinto ; dans les régions de Cañada de Chuchota, Paracho, Cherán, Tangacícuaro, Cheranástico et Nahuatzen, le goitre était endémique et la conjonctivite infectieuse fréquente. Les principales maladies infantiles étaient les maladies de l'appareil digestif, la variole et diverses formes de dermatose. Les causes les plus fréquentes de la mortalité infantile comprennent la dysenterie et la diarrhée dues « au régime alimentaire défectueux des enfants et aux conditions désastreuses d'hygiène dans lesquelles vivent ces populations indiennes en général ' ». En ce qui concerne les derniers groupes cités, les informations plus récentes montrent que la situation ne s'est guère 1 Carlos BASATJRI : La población indígena de Mexico, op. cit., tome II, p. 385. Ibid., tome III, p. 292. 3 Ibid., tome I, p. 319. 4 Ibid., tome II, p. 171. 5 Ibid., p. 79. 6 Ibid., p. 128. 7 Ibid., tome III, pp. 539-540. 2 PROBLÈMES SANITAIRES 149 améliorée depuis 1940. Ainsi, James E. Bussell, dans une étude spéciale sur les problèmes sanitaires parmi les Chontal de Tabasco, rapporte que la maladie qui cause la mortalité la plus élevée est la dysenterie (amibienne et bacillaire), due au climat tropical, à la consommation d'eaux polluées et à l'absence de mesures sanitaires ; il n'est évidemment pas question d'égouts, les excréments sont déposés autour des huttes, et la contamination se fait par les porcs et les volailles qui circulent librement à l'intérieur de l'habitation. Viennent ensuite, par ordre de gravité, le paludisme, qui contribue pour une large part à la forte mortalité dysentérique, et la tuberculose. Par temps froid, la population manque des vêtements indispensables, tandis que la résistance biologique de nombreux individus est extrêmement faible parce que leur alimentation est insuffisante. Si l'état de santé de l'adulte est mauvais, celui des enfants est absolument déplorable 1 . En ce qui concerne la population aborigène du plateau Tarasque, dans une vaste étude très documentée sur les problèmes sociaux et économiques de la vallée de Tepalcatepec, Gonzalo Aguirre Beltrán mentionne la « forte incidence des maladies infectieuses qui sévissent dans cette région insalubre et qui causent près de 50 pour cent de la mortalité 2 ». Pendant la période 1940-1949, les taux de mortalité pour cent mille habitants se sont établis de la manière suivante : diarrhée et entérite, 257,6 ; pneumonie et broncho-pneumonie, 174 ; paludisme, 51 ; rougeole, 45 ; dysenterie, 37,4 ; coqueluche, 37 ; typhoïde, 25,5 ; tuberculose pulmonaire, 24,4. Les mauvaises conditions d'alimentation et d'hygiène des Indiens, le manque d'eau potable et l'absence d'égouts et de fosses d'aisances font que les maladies hydriques « constituent l'un des principaux problèmes de la salubrité publique dans la région du plateau Tarasque 3 ». Dans de nombreux villages, plus de 80 pour cent des habitants sont atteints du goitre. « Toute la vallée de Tepalcatepec est une région parfaitement délimitée, où sévit le goitre 4 ». La rougeole et la coqueluche sont les principales causes de mortalité des enfants des régions des hauts plateaux et, quand ces deux maladies se produisent simultanément, « la mortalité atteint des chiffres absolument effrayants 5 ». 1 James E. RUSSELL : « Some Health Problems Among the Chontals of Tabasco, Mexico», America Indígena, vol. VII, n° 4, oct. 1947, pp. 315-321. 2 3 Gonzalo AGUIRRE BELTRÁN, op. cit., p. Ibid., p. 267. 4 Ibid., p. 250. 5 Ibid., p. 273. 129. 150 CONDITIONS DE VIE De 1940 à 1942 et de 1946 à 1949, on a noté en divers endroits des poussées de typhus exanthématique qui ont entraîné « un nombre de décès et de séquelles difficile à évaluer ». Le paludisme fait des ravages surtout dans les groupes aborigènes des Etats d'Oaxaca, de Tabasco, du Yucatan et de Chiapas. Dans ce dernier Etat, le taux moyen de mortalité a été de 309,9 pour cent mille ' pendant la période 1939-1945. Comme dans les autres pays d'Amérique latine, le pourcentage des médecins qui exercent dans les régions habitées par des aborigènes est très peu élevé par rapport à ce qu'il est dans les autres régions. Cette situation est due en premier lieu à des facteurs d'ordre économique. Aguirre Beltrán, dans un ouvrage consacré aux problèmes sociaux et économiques qui se posent dans la vallée de Tepalcatepec, constate que : La médecine, en tant que profession libérale, est un luxe que l'économie aborigène n'est pas habituée à s'offrir... ; les honoraires que demande le médecin constituent le principal obstacle qui empêche le malade de venir vers lui, et, devant l'impossibilité d'avoir un niveau de vie répondant aux normes de la culture urbaine, le médecin se voit obligé d'abandonner l'endroit où son2 activité ne peut pas être rétribuée selon la valeur qu'il lui assigne . Vonchocercose au Mexique et au Guatemala L'onchocercose (mal morado, erysipèle de la côte, mal de ceguera, sévit parmi divers groupes aborigènes des Etats d'Oaxaca et de Chiapas, au sud du pays. Cette maladie, causée par Vonchocerca volvulus, a été importée par les esclaves africains à l'époque coloniale ; elle sévit dans une région de quelque 1.000 km 2 . Le nombre des cas connus atteint à peu près 40.000, parmi lesquels il y a un pourcentage élevé d'aveugles. Le foyer le plus important se trouve dans l'Etat de Chiapas : il comprend les anciens districts de Soconusco et de Mariscal et une partie des districts de Comitán et de La Libertad. D'après une étude effectuée par le Bureau sanitaire panaméricain et l'Institut interaméricain des affaires indigènes, le nombre des malades était de 25.000 dans l'Etat de Chiapas. La région la plus atteinte se trouve au nord-ouest du pays ; elle s'étend presque parallèlement à la grande route panaméricaine et va jusqu'au Guatemala par Cahoatan, Santo Domingo, Las Nubes, etc. 3 . 1 Boletín de la Oficina Sanitaria p. 72. 2 3 Panamericana, Gonzalo A G U I R R E BELTRÁN, op. cit., p. vol. X X X I , n° 4, oct. 1951, 296. Isaac OCHOTERENA : La onchocercosis en México 1949), p p . 29-30. (Mexico, Colegio Nacional, PROBLÈMES SANITAIRES 151 Dans l'Etat d'Oaxaca, la zone atteinte comprend la plus grande partie de l'ancien district d'Ixtlán, ainsi que presque toute la superficie du district de Villa Alta et une partie des districts de Tuxtepec, de Cuicatlán et de Choapan. On peut voir sur la route de Tiltepec (Oaxaca) de lamentables théories d'individus attachés l'un à l'autre par une corde et guidés par un des leurs tenant à la main un bâton qui lui sert d'antenne de direction et qui, avec des mouvements particuliers de la tête, semble explorer le chemin, de ses yeux malades : ce sont des aveugles atteints d'onchocercose, déguenillés et sales, qui vont accomplir de menues tâches agricoles. A l'aide seulement de leur sens du toucher, ils amassent, par exemple, de petits monticules de terre au pied des tiges de maïs. On comprend aisément qu'ils se trouvent à la merci des serpents venimeux. Et que dire des malheureuses femmes aveugles qui, à la maison, cuisent les galettes de maïs sur leurs fourneaux (tleeuile) tout en soignant leurs enfants. Il arrive que, désespérées, elles partent sur les routes et implorent la charité publique 1 . Au Guatemala, la zone de l'onchocercose comprend une partie des départements de San Marcos, de Quetzaltenango, de Betalhuleu, de Suchitepéquez, d'Escuintla, de Santa Eosa et de Jutiapa. Tant au Guatemala qu'au Mexique, la maladie paraît être particulière aux ouvriers des plantations de café situées sur le versant du Pacifique et c'est pourquoi quelques auteurs ont estimé que l'onchocercose doit être considérée comme une maladie professionnelle 2. Les études effectuées ont permis d'établir que les zones les plus propres au développement de la maladie sont situées dans la région subtropicale entre 500 et 1.500 mètres au-dessus du niveau de la mer. Au premier rang des facteurs qui favorisent ce développement se trouve la moiteur du climat (de 60 à 65 pour cent d'humidité relative) et la grande abondance de miasmes. Un autre facteur de propagation de la maladie est le va-et-vient périodique des ouvriers indigènes (mexicains et guatémaliens) qui vont s'embaucher dans les plantations de café de l'Etat de Chiapas 3 . En raison du grave danger qui résulterait de la propagation de cette maladie par la grande route panaméricaine, les gou1 Isaac OCHOTERENA, Op. Cit., p. 23. Voir, par exemple : Roberto AMOROS G. : La onchocercosis es enfermedad profesional (Mexico, 1949), pp. 17 et 18. 3 Pour plus de détails, voir : « Investigación biogeograficosocial en las zonas onchocercosas de México y Guatemala », Boletín Indigenista, vol. V, n° 1, mars 1945, p p . 8-18 ; Manuel GAMIO : « Exploración economicocultural en la región onchocercoaa de Chiapas», America Indígena, vol. VI, n° 3, juill. 1946, p p . 199-245; et Isaac OCHOTERENA : « El medio biológico y el estado social en las zonas onchocercosas », Boletín Indigenista, vol. V i l i , n 0 B 3-4, sept.-déc. 1948, p p . 276-284. 2 152 CONDITIONS DE VIE vernements du Mexique et du Guatemala, conjointement avec le Bureau sanitaire panaméricain et l'Institut panaméricain des affaires indigènes, ont adopté une série de moyens préventifs qui sont décrits plus loin 1. NICARAGUA Selon Michel Pijoan, les Indiens Miskito du nord du Nicaragua, en particulier ceux de la vallée du Coco, souffrent du paludisme, de la dysenterie, de l'anémie, de la coqueluche (en diminution), de la pinta et de diverses formes de dermatose et de parasitose intestinale. On constate des indices de tuberculose dans les régions minières. Le paludisme se propage spécialement parmi les enfants. La diarrhée dysentériforme se présente sous une forme épidémique au commencement et à la fin de la saison des pluies. L'indice de mortalité infantile atteint 10 pour cent 2. La mission organisée par la Banque internationale pour la reconstruction et le développement en vue d'étudier les possibilités de développement économique du Nicaragua suggérait dans son rapport en 1952 que l'objet principal du programme sanitaire de ce pays devrait résider dans l'amélioration du niveau général par l'élimination du paludisme et des parasitoses intestinales, causes principales de l'indice élevé de mortalité et de la faible productivité de la population. Le rapport laisse prévoir que la réalisation du programme national en ce qui concerne l'adduction d'eau potable, l'installation d'égouts et la neutralisation des zones de reproduction du moustique contribueront à diminuer l'importance de ces maladies et précise, d'autre part, qu'il est nécessaire d'adopter d'autres mesures pour empêcher la propagation de l'alcoolisme, des maladies vénériennes, de la tuberculose et de la lèpre 3. PÉROU Au Pérou, les maladies mentionnées le plus fréquemment dans les publications concernant la population aborigène de la Sierra sont les suivantes : la parasitose intestinale, la variole, la fièvre typhoïde, le typhus exanthématique, la tuberculose 1 Voir chap. XI. Michel PIJOAN, op. cit., America Indígena, vol. VI, n° 1, janv. 1946, pp. 41-66, et no 2, avril 1946, pp. 157-183. 2 s INTERNATIONAL BANK FOB RECONSTRUCTION AND DEVELOPMENT : The Economic Development of Nicaragua. Report of a Mission Organized by the International Bank for Reconstruction and Development at the Request of the Government of Nicaragua (Baltimore, Johns Hopkins Press, 1952), p. 23. PROBLÈMES SANITAIRES 153 et les autres affections des voies respiratoires, le paludisme, le goitre et les infections puerpérales. L'habitat rural aborigène, zone marginale de notre civilisation, est continuellement parcouru par des vagues de maladies contagieuses... En fait, il n'est fait état, dans les rapports officiels, que d'une partie seulement des véritables pandémies qui y sévissent... Les Indiens eux-mêmes demeurent hostiles à la médecine scientifique et restent en dehors du champ d'application des mesures d'assistance et de prévention de l'Etat 1 . La Commission d'étude des Kations Unies sur la feuille de coca constate dans son rapport 2 que la fièvre typhoïde et la dysenterie sont très répandues dans les régions de l'Altipiano, que presque tout le monde souffre d'ankylostomiase et que la tuberculose se répand de plus en plus chez les travailleurs revenant des basses terres, lesquels, étant donné la vie primitive qu'ils mènent dans les huttes, peuvent devenir des agents d'infection. Une des principales causes de prédisposition à la tuberculose chez les montagnards aborigènes migrants est l'état d'anémie dans lequel ils se trouvent à la suite des fièvres paludéennes auxquelles ils sont particulièrement exposés durant leurs périodes d'embauché dans la région côtière. « Dans la plupart des camps des exploitations, le péon ne dispose d'aucun moyen prophylactique contre le paludisme, car, en règle générale, les propriétaires négligent d'appliquer les mesures nécessaires à cet égard 3 . » Carlos Monge, directeur de l'Institut national de biologie andine, a signalé les effets pathologiques des changements périodiques d'altitude auxquels est soumis le travailleur aborigène migrant 4 . D'autre part, dans les camps miniers de la Sierra qui sont situés à des altitudes variant entre 3.400 et 4.800 mètres au-dessus du niveau de la mer, le phénomène de 1'« agression climatique » (agresión climática), pour reprendre l'expression de Carlos Monge, ainsi que l'absorption constante de pous1 M. H . KTJCZYNSKI-GODARD et C. E . P A Z SOLDÁN : Disección del indigenismo peruano, op. cit., p . 111. M. H . KUCZTNSKY-GODABD : Estudio familiar demográficoecológico en estancias indias de la altiplanicie del Titicaca (Lima, Ministerio de Salud Pública y Asistencia Social, 1945), p . 58. 2 Op. cit., p . 18. 3 Luis N . SAENZ : El punto de vista mèdico en el problema indigena peruano, op. cit., p . 50. 1 « L a mobilisation en masse des habitants des régions montagneuses pour les basses terres provoque... des troubles qui les prédisposent à certains processus morbides et notamment aux maladies suivantes : troubles respiratoires, pneumonie, bronchite chronique, bronchiolyse ectasiante, abcès pulmonaire, et surtout, tuberculose pulmonaire. » Carlos MONGE : « Aclimatación en los Andes », America Indigena, vol. I X , n° 4, oct. 1949, p. 270. 154 CONDITIONS DE VIE sières de silice, prédisposent l'ouvrier indigène à la tuberculose. Dans la Sierra, la fréquence de la parasitose intestinale est due principalement à ce que l'eau consommée par la grande majorité de la population rurale de cette région a un degré de turbidité supérieur à 22 et contient une abondante flore microbienne 1 . D'après une étude médico-sociale effectuée en 1944 dans différentes régions du département d'Ayacucho, 74 pour cent des décès sont causés par l'helminthiase 2 . Il existe une forte pénurie de médecins et de services d'assistance dans les régions éloignées des centres. D'après le rapport de la Commission d'étude des Nations Unies sur la feuille de coca 3, dans la grande majorité des cas, le sorcier indien, lorsqu'il y en a un, est seul à soigner la population indienne. Hors des principales villes, à quelques rares exceptions près (hôpitaux des sociétés minières d'Oroya ou de l'Association des planteurs de Quillibamba), les hôpitaux demeurent pauvres et exigus. Là où existent quelques dispensaires, comme par exemple dans la région de Puno, ils s'occupent surtout de vaccination antivariolique. Il semble que rien n'ait été fait contre le typhus. Mais le rapport fait état de l'active campagne contre le paludisme qui est en cours dans la région de Quillibamba, de Caj amarca et à Tingo Maria, où la majorité des huttes indiennes ont été désinfectées au D.D.T. Quant aux Indiens sylvicoles, les informations dont on dispose indiquent que les conditions d'hygiène dans lesquelles ils vivent sont loin d'être satisfaisantes. Ainsi, l'une des études consultées signale une « propagation sans précédent de la tuberculose », les progrès considérables, chez les adultes, de la syphilis en raison de l'immigration d'éléments blancs et métis en provenance d'autres régions, ainsi que le caractère quasi universel des dermatomycoses, des sporotrichoses et de l'ankylostomiase 4. Emilio Delboy estime que l'ankylostomiase représente « l'ennemi principal du capital humain dans la forêt » ; 40 pour 1 2 Luis N. SÁENZ, op. cit., p . 43. M. H . KUCZYNSKI-GODARD : Estudios médicosociales en Ayacucho (Lima, 1946), p p . 35-37. 3 Op. cit., p. 18. 4 M. H . KUCZYNSKI-GODARD : La vida en la Amazonia peruana (Lima, Libreria Internacional, 1944), pp. 17, 126 et 131. Voir également M. H . KTJCZYNSKI-GODABD et C. E. PAZ SOLDÁN : Algunas observaciones médicosociales sobre el departamento de Amazonas (Lima, Institute) de Medicina Social, 1940), p p . 15-16 et 21. PROBLÈMES SANITAIRES 155 cent des enfants sont atteints de cette maladie qui entraîne un pourcentage élevé de mortalité. Le même auteur estime également que la grippe, maladie importée, a causé la mort de milliers d'aborigènes 1 . Selon un missionnaire, le B..P. A. Villarejo, les maladies qui déciment le plus la population indigène des forêts sont le paludisme, la tuberculose, la parasitose intestinale (dont, au dire des médecins, 90 pour cent de la population sont atteints), la pinta et la conjonctivite infantile 2. Selon un médecin de la région, les principales causes de mortalité infantile parmi les populations des forêts comprennent les suivantes : les tares pathologiques diverses comme la syphilis, le pian et la tuberculose ; la misère physiologique de la mère pendant la gestation et les maladies des appareils digestif et respiratoire 3. Enfin, dans une communication spéciale au B.I.T. en date du 1 e r octobre 1951, la Corporation péruvienne de l'Amazone indique que, par manque de défense organique, les tribus aborigènes sont victimes de maladies épidémiques dont les plus virulentes sont la rougeole et la coqueluche, qui les déciment et entraînent parmi elles une mortalité considérable. La raison en est que l'Indien, lorsqu'il se sent fiévreux, cherche à se soulager en se plongeant dans l'eau des fleuves, ce qui entraîne une pneumonie fulgurante. SALVADOR En vue de montrer quels moyens peuvent être utilisés pour étudier et améliorer la santé de la population dans un pays donné, l'Organisation mondiale de la santé a choisi le Salvador ; il s'agit en effet d'un pays dont la population se trouve dans une situation sanitaire représentative de celle que l'on peut observer en Amérique centrale du fait de la gravité des problèmes que posent le paludisme, la tuberculose, la dysenterie amibienne et bacillaire, la syphilis, la dénutrition, les infections parasitaires intestinales, les affections de l'appareil respiratoire et l'indice élevé de la mortalité infantile. Si ces informations s'appliquent à l'ensemble de la population, à bien plus forte raison seront-elles valables pour les aborigènes. 1 Emilio DELBOY : Memorándum sobre la Selva del Perú (Lima, 1942), p p . 56-60. Padre Avencio VILLABEJO, op. cit., p p . 146-148. 3 Víctor M. P I N E D O : « Los problemas de población de la Selva peruana », Boletín Indigenista, vol. IV, n° 3, sept. 1944, p. 232. 2 156 CONDITIONS DE VIE En 1948, les causes principales de la mortalité étaient les suivantes : Indice pour 100.000 habitants Diarrhée, entérite e t dysenterie 287,1 Pneumonie, grippe, broncho-pneumonie, bronchite 148,4 Paludisme 123,2 Après examen de la situation sanitaire dans la zone choisie pour la démonstration, la mission compétente est arrivée à la conclusion que les statistiques officielles ne donnaient pas toute leur importance à la tuberculose et à la mortalité qu'elle entraîne et que les principaux problèmes sanitaires qui se posent au Salvador résultaient de la dysenterie et des autres infections gastro-intestinales, de la tuberculose pulmonaire, du paludisme, de la dénutrition, des affections de l'appareil respiratoire et des infections parasitaires intestinales, sans d'ailleurs qu'il soit possible de déterminer exactement l'ordre d'importance qu'il convient d'attribuer à ces différents facteurs 1. L E VÊTEMENT DE L ' I N D I E N D'AMÉRIQUE LATINE ET LE PROBLÈME DE LA SANTÉ En général, l'Indien d'Amérique latine fabrique ses propres vêtements ; la matière première que lui fournissent ses rares moutons est filée, tissée et enfin confectionnée rudimentairement en différents articles vestimentaires. Ces tâches, c'est généralement la femme qui les accomplit. Pour l'aborigène de Bolivie — comme d'ailleurs pour celui de l'Equateur, du Guatemala, du Mexique ou du Pérou —, « le problème du vêtement ne se pose pas de la même manière que celui de l'alimentation. La population aborigène ainsi que la majeure partie de la population métisse... subviennent à leurs besoins grâce à des tissus fabriqués par elles-mêmes et à un prix de revient très bas 2 ». Cependant, il ne suffit pas de constater que l'aborigène fabrique ses propres vêtements ; il faut ajouter que la qualité de ces derniers est souvent insuffisante pour résister efficacement aux intempéries des déserts et des plateaux de la cordillère des Andes. La garde-robe de l'Indien est maigre. Pour l'homme, elle se compose généralement d'une chemise grossière, d'un 1 NATIONS U N I E S , Département des questions sociales : Rapport préliminaire sur la situation sociale dans le monde et les niveaux de vie en particulier (New-York, 1952), doc. E/CN.5/267/Rev. 1, 8 sept. 1952 (1952. IV. 11). 2 Moisés POBLETE TKONCOSO : El subconsumo en América del Sur (Santiago du Chili, Nascimento, 1946), p . 164. PROBLÈMES SANITAIRES 157 pantalon à l'avenant, d'un chapeau, d'un poncho et, parfois, de sandales ou ojotas qui tiennent lieu de chaussures ; pour la femme, d'une jupe primitive (anaco), d'une chemise, d'un châle enveloppant (appelé faehalina par les Quichua), d'un chapeau ou d'un carré de tissu pour couvrir la tête, et, parfois, d'ojotas. On comprendra que, dans les climats très chauds, dans les basses vallées, l'aborigène n'ait pas besoin d'être vêtu davantage, mais dans les hauteurs des sierras, où l'aborigène a généralement son habitat, un pareil costume doit être compensé par un prodige d'adaptation physique au milieu ambiant. Le port de chaussures est très rare. Les Indiens emploient communément une espèce de sandale ou d'espadrille primitive (alpargate, huarache, ojota, etc.), ou vont pieds nus, car la plante de leurs pieds s'est endurcie au contact du sol. Cette particularité expose leur organisme à une série de maladies d'origine parasitaire. Ainsi, au Mexique, selon des indications fournies par le recensement de 1940, environ 1.116.000 indigènes allaient nu-pieds x, et, dans plusieurs régions du pays, « 90 pour cent des habitants marchent toujours nu-pieds ou portent des sandales, ce qui constitue une cause directe de graves maladies parasitaires, telles que l'ankylostomiase, la sarcopsyllose, etc. 2 ». E n Equateur, d'une enquête effectuée en 1948 pour l'Institut national de prévoyance sociale par Plutarco Naranjo Vargas, il ressort que, dans plusieurs régions rurales de la province de Pichincha, 57 pour cent de la population allaient nu-pieds, « en particulier les Indiens », et 26 pour cent employaient des sandales (ojotas) 3 . On sait que le costume aborigène varie d'un pays à un autre et souvent, à l'intérieur d'un même pays, d'une région à une autre. Dans chaque pays, on remarque une extrême variété de vêtements, de motifs, de dessins, de teintes, etc., qu'il n'entre pas dans notre propos de décrire ici 4 . 1 SECRETARÍA DE LA ECONOMÍA NACIONAL (Mexique), Dirección General de Estadística : Sexto censo de población, 1940 : Resumen general (1943), p. 35. 2 Manuel GAMIO : « The Consumption Level of the Rural Indo-Mestizo Groups », The Social Sciences in Mexico and South and Central America (Mexico), vol. I, n° 2 (1947), p. 22. 3 Plutarco NARANJO VARGAS, op. cit., p. 23. Dans plusieurs régions du haut plateau andin, la fabrication des sandales avec le caoutchouc de vieux pneus s'est répandue chez les Indiens. 4 Voir le chap. V i n . Pour les détails, consulter notamment: Weston LA BAHRE, op. cit. ; Leónidas RODRÍGUEZ SANDOVAL, op. cit. ; Lily DE JONGH OSBORNE : « Apuntes sobre la indumentaria indígena de Guatemala », Antropología e historia de Guatemala (Instituto de antropología e historia de Guatemala), vol. I, n° 2, juin 1949, pp. 49-57. 158 CONDITIONS DB VIE Au Mexique : ... il existe dans l'habillement, tant des hommes que des femmes, toute une gamme qui va de la nudité presque totale des Tarahumara, Tepehuan, Seri et Lacandon, qui ne portent généralement qu'un pagne et se drapent dans une pièce de tissu, jusqu'aux atours élégants et compliqués des femmes Maya... Le costume est pittoresque et richement orné de motifs voyants dans certaines régions, mais 1il porte toujours la marque de la misère qui règne chez les Indiens . A peu d'exceptions près, seuls les groupes éloignés des centres nationaux conservent intact leur costume traditionnel. C'est surtout aux modifications graduelles que subit celui-ci que se fait sentir le métissage culturel. Ce phénomène est particulièrement remarquable chez les femmes. Luis E. Valcárcel, directeur du Musée national d'histoire du Pérou, rapporte que l'Indien de ce pays, désireux d'affirmer son égalité avec le reste de la population, abandonne peu à peu son costume traditionnel pour que son vêtement ne constitue pas la marque de sa condition sociale 2 . D'une manière générale, on peut affirmer que le costume de l'aborigène est trop pauvre pour répondre aux nécessités de la protection physique, et insuffisant pour permettre d'en changer comme l'exigerait l'hygiène. L'aborigène dispose rarement de plus de deux costumes par an et souvent son linge trahit sa vétusté par un grand nombre de rapiéçages. En Bolivie, dans la région du lac Titicaca : ... les hommes ne quittent jamais leurs vêtements tant qu'ils ne tombent pas en lambeaux... ; l'Aymara ne change littéralement de vêtement que lorsque celui-ci se détache de son corps... Les aborigènes, hommes et femmes, ne sont pas particulièrement propres dans leur habillement. Celui-ci dégage souvent une odeur d'ammoniaque. Les deux sexes dorment dans les vêtements qu'ils ne lavent jamais et dont ils ne changent jamais, sauf à l'occasion d'une fête ou d'un voyage3 ; encore arrive-t-il souvent qu'ils les conservent même dans ces cas . En Equateur, Plutarco Naranjo Vargas a pu constater que, dans plusieurs districts ruraux de la province de Pichincha, 55 pour cent des habitants ne portent pas de linge de dessous ; pour l'homme, le costume se compose d'un pantalon et d'une chemise de toile « qu'il garde sur lui pendant plusieurs mois » ; la quasi-totalité de la population n'emploie pas de vêtements de n u i t 4 . 1 Carlos BASATOI : La población indigena de México, op. cit., tome I, pp. 47 et 57. U.N.E.S.C.O., Education Clearing House : Preservation and Development of Indigenous Arts : A Report of a Meeting of Experts called by U.N.E.S.C.O., 10-14 October 1949 (Paris, oct. 1950), doc. U.N.E.S.C.O./ED/OCC/8, p . 43. 2 3 Weston L A BAHRE, op. cit., p. 93. 4 P l u t a r c o N A R A N J O VARGAS, op. cit., p. 23. V Huttes indigènes primitives au Brésil (Ministerio da Agricultura VI Un guérisseur panamien dans le Darién (Ministerio de Agricultura, Comercio e Industrias) La médecine en évolution La vaccination des enfants d'une communauté Tzotzil par un membre de celle-ci (Mexique) (Instituto Nacional Indigenista) ^ " 1 <;*r^l . .. ¿•-i:^S^mù^i4:^^^-'r'-?ï^ PROBLÈMES SANITAIRES 159 On a essayé, au besoin par des méthodes de coercition, de donner aux Indiens l'habitude de changer de vêtements. Par exemple, on leur a laissé entendre que, pour être admis dans les villes, il leur faudrait abandonner le poncho pour des raisons d'hygiène. Le simplisme d'une pareille suggestion ne peut que sauter aux yeux : bien plus qu'un problème vestimentaire, en effet, l'hygiène est une question relevant de l'économie et de l'éducation. De même, grâce au service militaire obligatoire, on a pensé que l'aborigène s'attacherait à la mode vestimentaire des Blancs. C'est ce qui arrive en effet lorsque l'Indien ne retourne pas dans son milieu familial et social ; mais en réalité, il y retourne presque toujours. C'est là un problème très important, lié à celui de la fusion culturelle. Il existe en effet des localités et des régions où l'appartenance à un groupe aborigène déterminé se traduit par certaines caractéristiques vestimentaires ; mais plus importante encore est cette considération qu'il ne faut pas tenter d'obtenir la conversion de l'aborigène aux pratiques d'hygiène d'un milieu social techniquement plus avancé, aux dépens de son costume traditionnel, car non seulement celui-ci est un signe, et non des moindres, de son habileté manuelle, mais il a une indéniable valeur esthétique, et sa disparition signifierait une perte authentique pour le capital culturel du pays qui l'abrite. Canada et Etats-Unis CANADA L'indice de mortalité reste très élevé chez les aborigènes canadiens : 19,6 pour 1.000 habitants en 1949, contre 9,2 pour 1.000 habitants dans l'ensemble de la population. Cette situation défavorable se reflète dans l'importance de la mortalité infantile : on compte 146 décès pour 1.000 naissances alors que l'on en compte 43 dans l'ensemble de la population. C'est la tuberculose qui constitue la menace la plus grave : on pouvait lui imputer 399,6 décès pour 100.000 habitants en 1949 alors qu'elle n'est responsable que de 26,7 décès pour 100.000 habitants pour l'ensemble du Canada. Cependant, les progrès de la lutte contre la tuberculose sont évidents lorsqu'on compare les chiffres ci-dessus aux indices de 1947 (549,8) et de 1948 (480,1). La vaccination collective et les autres mesures de prévention ont fait diminuer l'indice de la mortalité due à cette maladie. Les mesures d'immunisation contre la diphtérie, la coqueluche 7 160 CONDITIONS D E VIE et les affections de type typhoïdique sont conditionnées bien plus par le danger de contagion que par une politique bien déterminée de prévention. La grippe se présente sous une forme épidémique chaque année ; dans l'ensemble, les maladies vénériennes sont en régression. Les services compétents de la province du Manitoba ont signalé que les Indiens du nord de cette province sont sujets à la tularemie. La création de stations d'assistance médicale et l'adoption d'autres mesures par le gouvernement canadien sont rendues plus difficiles du fait de l'isolement et de la dispersion géographique des Indiens et des Esquimaux du Canada. Plus de la moitié de la population aborigène demeure hors de portée des routes et des voies de chemin de fer ; les Esquimaux, surtout, se trouvent concentrés dans le nord du pays 1 . ETATS-UNIS Un taux de mortalité élevé prouve que l'état de santé des Indiens résidant aux Etats-Unis est très inférieur à celui du reste de la population. Cependant, grâce à un taux de natalité également plus élevé que celui du reste de la population, la population indienne augmente à un rythme accéléré. On trouvera au tableau ci-dessous quelques données comparatives récentes, ainsi que des chiffres se rapportant à un certain nombre de tribus. T A B L E A U X X . — É T A T S - U N I S : COMPARAISON D E S I N D I C E S D É M O G R A P H I Q U E S ( E N S E M B L E D E LA P O P U L A T I O N , POPULATION I N D I E N N E E T QUELQUES T R I B U S ) Indices Taux de natalité (pour 1.000) . . . . Taux de mortalité (pour 1.000) . . . . Taux d'accroissement annuel de la population (pour 100) . . . Ensemble Popude la lation popuindienne lation Navajo Papago Hopi Sioux 19,5 25,3 36 42,3 40 25 10,5 13,3 16 32,3 25 15,8 0,9 1,06 2 2 1,8 0,016 Source : Laura THOMPSON : Personality and Government, op. cit., p. 34. 1 Rapport annuel du ministre de la Santé nationale et du Bien-être social pour l'année financière terminée le 31 mars 1951 (Ottawa, 1951), pp. 18 e t 57-61. Sur les mesures adoptées par le gouvernement pour améliorer la santé des aborigènes, voir chap. X I . PROBLÈMES SANITAIRES 161 L'étude des données disponibles montre qu'une forte proportion des décès enregistrés parmi la population indienne ont lieu pendant la période de l'enfance. Pour l'ensemble de la population indienne, le taux de la mortalité infantile a été récemment établi à 110 pour mille naissances d'enfants vivants, contre une moyenne de 41 pour mille pour la population totale. Ce taux est de 318 chezlesïTavajo, de 180 chez les Hopi et de 110 chez les Sioux. Près de 57 pour cent de l'ensemble des décès enregistrés parmi la population Navajo ont lieu pendant les cinq premières années de la vie. Chez les Papago, un quart des 260 enfants qui naissent chaque année meurent avant d'avoir atteint l'âge d'un an et près de 40 pour cent meurent au cours des cinq premières années 1. Les décès dus à la tuberculose et à la pneumonie sont beaucoup plus nombreux chez les Indiens que dans l'ensemble de la population. On estime que, sur 100.000 décès dans la population indienne, 203 sont dus à la tuberculose, tandis que le taux correspondant n'atteint que 43 pour cent mille pour l'ensemble de la population. Pour la pneumonie, les taux sont de 123,6 et 51,8. La syphilis est aussi à l'origine d'un plus grand nombre de décès chez les Indiens que dans le reste de la population, bien que cette maladie ne soit la cause de nombreux décès dans aucun des deux groupes, les taux approximatifs étant de 22,4 et 10,7 pour cent mille décès respectivement. D'autres éléments importants du taux de mortalité chez les Indiens sont les décès dus aux affections cardiaques et au cancer, bien que l'incidence de ces deux maladies soit plus faible en ce qui concerne les Indiens que pour l'ensemble de la population. Le taux de la mortalité par affections cardiaques a été de 118,9 pour cent mille chez les Indiens contre 321,5 en ce qui concerne l'ensemble de la population ; pour le cancer, les taux ont été de 44,2 et 134,5 respectivement 2 . D'après une déclaration du commissaire aux Affaires indiennes par intérim, le mauvais état de santé des Indiens 1 Laura THOMPSON : Personality and Government, op. cit., p. 34. Voir également la déclaration du commissaire aux Affaires indiennes par intérim, M. William Zimmerman, devant la Commission parlementaire des affaires intérieures et insulaires dans UNITED STATES SENATE, Eighty-first Congress, First Session, Committee on Interior and Insular Affairs : Hearings... on National Resources Policy, January 31, February 1, 2, 3, 4 and 7,1949 (Washington, Government Printing Office, 1949), p. 327. 2 Hearings... on National Resources Policy, op. cit., diagramme n° 49, p. 348. Voir également Laura THOMPSON, op. cit. Les données citées dans ces deux sources d'information sont quelque peu différentes, mais peuvent se comparer cependant en ce qui concerne le rapport entre les chiffres relatifs à la population indienne et les chiffres relatifs à l'ensemble de la population. 162 CONDITIONS DE VIE « est dû à une situation économique déplorable qui s'accompagne naturellement d'une alimentation insuffisante, de conditions sanitaires défectueuses et de mauvaises conditions de vie. Même si ces causes peuvent être éliminées, il n'en reste pas moins que, tant qu'on ne réduira pas la morbidité, l'Indien ne sera pas en mesure de bénéficier des mesures de progrès économique x ». En ce qui concerne les Aléoutes et les Esquimaux de l'Alaska, la maladie qui cause les ravages les plus grands parmi eux est la tuberculose. E n 1946-47, on a enregistré dans l'Alaska 295 décès imputables à cette maladie, chiffre sans doute incomplet, mais qui, si on l'utilise pour estimer les cas de tuberculose évolutive en multipliant la statistique annuelle des cas mortels par le coefficient 9, permet de supposer que le total des tuberculeux est de 2.655 sur une population qui n'atteint pas 100.000 âmes. D'autres données, également officielles, permettent d'affirmer que, dans certains villages aborigènes, la tuberculose atteint jusqu'à 25 pour cent de la population 2. Norman Old, conseiller auprès du Bureau des affaires indiennes, estime que parmi les facteurs auxquels il faut imputer le fait que « la population indienne a un retard d'un demi-siècle en ce qui concerne l'application des connaissances sanitaires modernes à la prévention des maladies » il convient de ranger l'insuffisance des revenus familiaux (moins de 400 dollars par an et par famille en moyenne) et les caractéristiques des terres concédées aux aborigènes, sans parler évidemment des déficiences de l'enseignement 3 . Asie BIRMANIE Les affections les plus courantes chez les tribus sylvicoles des Etats Kachin et Kaya en Birmanie sont les maladies vénériennes, le goitre, la malaria, les maladies de l'appareil respiratoire, la diarrhée et les maladies de carence. Le taux de fréquence atteindrait de 10 à 15 pour cent pour les maladies vénériennes. Sauf dans les régions situées à plus de 2.000 1 Hearings... on National Resources Policy, op. cit., p. 327. Ibid., p. 334. 3 H. Norman OLD : « Sanitation Problems of the American Indians », op. cit., pp. 210-211. Voir sur les problèmes de l'enseignement, chap. VII, et sur la qualité des terres et les revenus, chap. IX. 2 PROBLÈMES SANITAIRES 163 mètres d'altitude, la malaria sévit dans les montagnes,*et l'on constate un taux de 30 à 100 pour cent de Splenomegalie chez les enfants 1 . On ne dispose pas de statistiques concernant exclusivement les aborigènes, mais la population birmane dans son ensemble est exposée non seulement aux maladies ci-dessus, mais encore à des épidémies de choléra, de variole et de peste bubonique, à la lèpre et à la méningite cérébrospinale 2. INDE Les aborigènes de l'Inde sont dans un état de santé « en général meilleur que celui des habitants des vallées, sauf, lorsqu'ils sont en contact avec ceux-ci, notamment par l'intermédiaire des travailleurs agricoles ». Si le niveau sanitaire général de l'aborigène des forêts — qui se nourrit des produits de la cueillette — ou du cultivateur nomade est supérieur à celui de l'habitant des basses terres, c'est surtout parce que son alimentation est moins déficiente. On constate une situation analogue en ce qui concerne la fréquence des dermatoses et des maladies du système respiratoire. Le paludisme, même lorsqu'il sévit dans toute une région montagneuse, semble frapper moins durement les membres des tribus aborigènes que les autres groupes de la population. Cependant, chaque fois qu'un régime alimentaire varié est remplacé par une alimentation à base de riz, l'incidence de la dysenterie et du choléra augmente. La gale et la trichophytie, de même que les maladies vénériennes et les dermatoses qui étaient pratiquement inconnues chez ces populations, se développent aujourd'hui parmi celles-ci. En raison du manque de soins appropriés, les lésions et fractures entraînent très souvent la mort ou la perte de membres 3 . En Assam, la multiplication des contacts des aborigènes avec les villages civilisés a entraîné un accroissement de la morbidité. « Non seulement des maladies comme les maladies vénériennes et la tuberculose, inconnues autrefois, se présentent aujourd'hui, mais les épidémies se développent plus rapidement 4 ». 1 Communication du gouvernement de la Birmanie, avril 1953. 2 MINISTRY OF HEALTH AND LOCAL GOVERNMENT : Annual Report on the State of Public Health in Burma during the Year 1948 (Rangoon, 1950), pp. 6-14. 3 Communication du gouvernement de l'Inde, mars 1950. Cf. aussi S. CHANDRASEKHAR, op. cit., pp. 57-74. 4 J. P . MILLS : « Notes on the Effect on Some Primitive Tribes of Assam of Contacts \rith Civilization », Census of India, 1931, vol. I, partie III B, p. 147. 164 CONDITIONS DE VTE Lé» paludisme sévit dans les régions minières de Bihar et d'Orissa ; cependant, des mesures ont été prises par les employeurs pour lutter contre cette maladie, et ceux-ci estiment que « son incidence a été réduite au minimum et que l'état de santé général de la population est satisfaisant 1 ». Dans l'Etat de Bombay, « l'état sanitaire général des aborigènes est déficient » ; les maladies les plus fréquentes sont le paludisme, la filariose, le scorbut et d'autres maladies de carence dues à un régime alimentaire déficient. Lorsqu'ils sont malades, les aborigènes s'adressent de préférence aux sorciers et aux guérisseurs 2. Dans le Sud, la dénutrition a eu des effets nocifs dans les tribus ; elle est due surtout à l'abandon de l'alimentation traditionnelle, composée du produit de la cueillette dans les régions forestières, pour un régime à base de riz et comportant aussi la consommation fréquente d'eau-de-vie de palme et l'usage de l'opium, introduit par les ouvriers sylvicoles sous contrat. Par suite surtout des contacts établis avec des habitants d'autres régions, ces populations connaissent aujourd'hui le choléra, la variole, le diabète et l'albuminurie 3 . Les Koya souffrent aussi du pian (de même que les Eeddi et les autres tribus du Sud) 4. Dans l'Etat de Travancore, particulièrement, on cite des cas de lèpre chez les Kanikar (qui ne sont pas épargnés par l'éléphantiasis), les Muduvan et les Vishavan. La syphilis sévit chez les Paliyan et la variole chez les Muduvan, les Mannan et dans les autres tribus. A l'exception des Muduvan, des Mannan, des Paliyan et des Urali, qui habitent des régions exemptes de fièvres paludéennes, toutes les autres tribus montagnardes souffrent de paludisme, maladie qui fait de nombreuses victimes 5. PAKISTAN Chez les sylvicoles de la région de Chittagong (Bengale oriental), les maladies les plus communes sont la malaria, la trichophytie, la gale, l'ascaridiose, l'entérite et le pian. La malaria est très répandue, surtout dans les régions bien 1 Communication du gouvernement de l'Inde, mars 1950. Communication du correspondant du B.I.T. à la Nouvelle-Delhi. 3 K. Govinda MBKON : « The Kadar of Cochin », Census of India, 1931, vol. I, partie III B, p. 215. 2 4 6 A. AIYAPPAN, op. cit., p. 63. L. A. Krishna IYER et N. Kunjan PILLAI : « The Primitive Tribes of Travancore », Census of India, 1931, vol. I, partie III B, p. 237. PROBLÈMES SANITAIRES 165 irriguées. Les tribus Murung et Chak sont les moins affectées par cette maladie, peut-être parce qu'elles vivent à des altitudes assez élevées, ce qui leur permet de jouir d'une santé meilleure que le reste des tribus. Le pian se propage surtout pendant la saison des pluies. Dans six tribus du district de Mimensingh groupant environ 83.000 aborigènes, les maladies les plus fréquentes étaient, en 1952, la malaria, les maladies des yeux, la dysenterie, la diarrhée, la fièvre noire et le choléra. Le taux de mortalité était de 1,8 pour cent chez les sylvicoles, alors qu'il n'était que de 1,5 pour cent pour le reste de la population de la région considérée 1. PHILIPPINES L'état sanitaire général des aborigènes de l'archipel de Jolo, de Cotabato, de Bukidnon, de Davao et de la province de Mountain est considéré comme relativement satisfaisant et les maladies contagieuses sont moins fréquentes chez eux que parmi le reste de la population. Les principales affections constatées sont la bronchite, le béribéri et la malaria ; les cas de tuberculose pulmonaire sont relativement moins fréquents parmi les tribus que chez les autres groupes de population. Au nombre des dix principales causes de mortalité signalées pour l'ensemble de la population des Philippines en 1951, on rangeait la tuberculose pulmonaire, la malaria, l'avitaminose et les autres maladies de carence, la broncho-pneumonie, la bronchite aiguë, les autres formes de bronchite, spécialement la forme chronique, la gastro-entérite et la colite, à l'exception de la diarrhée des nouveau-nés 2. Australasie AUSTRALIE La population aborigène d'Australie est sujette au pian, aux ophtalmies, au paludisme, à l'ankylostomiase, à la dysenterie et à la lèpre. Si la tuberculose est peu fréquente et « ne pose aucun problème grave chez les aborigènes 3 », « les affections intestinales de l'enfance, la débilité et les troubles pul1 2 3 Communications du gouvernement du Pakistan, 15 déc. 1952 et oct. 1952. Communication du gouvernement des Philippines, mai 1953. COMMISSIONEROTNATIVE AFFAIRS (Western Australia) : Annual Report for the Year Ended 30th June 1944 (Perth, Government Printer, 1946), p. 7. 166 CONDITIONS DE VTE monaires sont à l'origine d'un grand nombre de décès parmi la population de couleur, situation à laquelle il serait possible de remédier 1 ». En Australie occidentale, « la maladie la plus redoutable est la lèpre. Il est incontestable que les cas de lèpre se multiplient ». En outre, il y a un grand nombre de cas de dermatoses, d'ophtalmie, de maladies vénériennes, de paludisme, de pian et d'influenza. Sur toute la superficie de l'Etat, des centaines d'aborigènes, y compris des enfants, ont un besoin urgent de soins dentaires 2. NOUVELLE-ZÉLANDE Le taux élevé de la natalité chez les Maoris de NouvelleZélande (45 pour mille au minimum durant la période 19431947, soit près du double du taux de natalité des Européens, qui était de 26,42 pour mille en 1947) fournit une indication sur l'état sanitaire de ces populations. D'autre part, en 1947, les taux de mortalité se sont établis à 14,45 pour mille chez les Maoris et à 9,38 pour mille chez les Européens. Les causes de mortalité font également apparaître une différence entre les deux groupes de population. Sauf en ce qui concerne la diphtérie et la scarlatine, les maladies épidémiques et infectieuses font un plus grand nombre de victimes parmi les Maoris que parmi les Européens. Parmi ces maladies, le premier rang revient à la tuberculose (en 1947, le taux de mortalité des Maoris a atteint 32,88 pour dix mille, et celui des Européens 3,08) ; la fièvre typhoïde vient ensuite (pour 1947, les taux se sont établis à 1,13 pour dix mille chez les Maoris et à 0,05 chez les Européens). Quelques autres maladies du système respiratoire ainsi que les diarrhées et les troubles intestinaux frappent plus fréquemment les Maoris que les Européens. En revanche, le taux de mortalité des Maoris est très inférieur à celui des Européens en ce qui concerne le cancer, les affections cardiaques et autres maladies du système circulatoire, les néphrites, le diabète, le goitre exophtalmique et un certain nombre de maladies du système nerveux comprenant l'apoplexie et l'hémorragie cérébrale. Le taux de mortalité infantile est beaucoup plus élevé chez les Maoris que chez les Européens, en raison surtout de la fréquence des maladies épidémiques, de la tuberculose, des affections du système respiratoire et de 1 A. O. NEVILLE : Australia's Coloured Minority (Sydney, Currawong Publishing Co., 1947), p p . 253-255. 2 F . E . A. BATEMAN, op. cit., p p . 19-21. PROBLÈMES SANITAIRES 167 diverses formes de diarrhée. De 1943 à 1947, le taux de mortalité infantile pendant la première année de vie a été de 86 pour mille enfants vivants chez les Maoris, contre 28 pour mille chez les Européens. E n 1951, le chiffre des naissances dans la population maorie a atteint 5.238, contre 44.561 dans la population d'origine européenne ; la somme de ces chiffres dépasse de 85 le total enregistré en 1947, année qui, encore récemment, était considérée comme exceptionnelle du point de vue du nombre des naissances. L'indice de mortalité infantile (chez les enfants de moins d'un an) a été de 67,39 pour mille naissances, chiffre le plus bas qui ait été enregistré pour la population maorie. Pendant cette même année, on a noté 646 cas de maladies dont la déclaration est obligatoire contre 3.093 parmi la population d'origine européenne. Le kyste hidatidique et la méningite cérébro-spinale ont marqué une augmentation par rapport aux années antérieures ; en revanche, la tuberculose a été en régression (466 cas en 1951 contre 568 en 1950). Le chiffre des cas mortels de cette dernière maladie a également été moins élevé : 168 cas en 1951 contre 254 en 1950, et cette baisse a été particulièrement nette chez les femmes. Les services de lutte contre la tuberculose ont examiné 2.899 cas de tuberculose évolutive et de tuberculose non évolutive de tout type, c'est-à-dire 110 de plus qu'en 1950 *. Les données relatives aux maladies mentales semblent prouver que les Maoris jouissent d'un meilleur équilibre mental que les Européens. A la fin de 1947, le nombre des Maoris qui étaient internés dans des hôpitaux psychiatriques représentait un taux de 21,93 pour dix mille membres de la population maorie, tandis que le taux concernant la population européenne était de 49,39. Chez les Maoris, le taux d'incidence des grandes psychoses n'atteint approximativement que la moitié du taux concernant les Européens. Durant les années de guerre, le nombre des cas de névrose enregistrés parmi les Maoris enrôlés dans les forces armées à l'étranger ou en NouvelleZélande n'a été que de la moitié environ du nombre des cas enregistrés parmi les unités composées d'Européens 2. 1 DEPARTMENT OF HEALTH (Nouvelle-Zélande) : Annual Report of the Director General of Health, 1951-1952 (Wellington, Government Printer, 1952), pp. 3, 8-18 et 61-64. 2 E . BEAGLEHOLE : Mental Health in New Zealand (Wellington, University of New Zealand Press, 1951) ; Ernest e t Pearl BEAGLEHOLE : Some Modern Maoris, op. cit., p p . 241-242. 7* 168 CONDITIONS DE VIE Les Maoris acceptent de plus en plus volontiers les traitements médicaux et l'hospitalisation dans les établissements européens, dont ils se méfiaient auparavant. Toutefois, leurs croyances et pratiques ancestrales les empêchent encore trop souvent, lorsqu'ils sont malades, de se soumettre à temps au traitement nécessaire ou d'appliquer les mesures préventives qui s'imposent 1 . 1 1. L. G. SUTHERLAND : « Maori and Pakeha », New Zealand (Berkeley et Los Angeles, University of California Press, 1947), p. 68 ; Ernest et Pearl BEAGLEHOLE : Some Modern Maoris, op. cit., pp. 217-222 et 225-255. CHAPITEE VI L'ALCOOLISME ET LA MASTICATION DE LA FEUILLE DE COCA EN AMÉRIQUE DU SUD Le présent chapitre, consacré exclusivement à l'Amérique du Sud, expose la gravité des ravages accomplis dans ce continent par l'alcoolisme et la mastication de la feuille de coca 1 . Etroitement lié à des questions générales telles que la misère sociale et économique des populations aborigènes, ces pratiques constituent un sérieux obstacle à l'amélioration des conditions de vie et de travail de ces populations. Dans une certaine mesure, l'abus d'alcool et la mastication de la feuille de coca permettent d'expliquer les anomalies d'ordre social, économique et sanitaire dont souffre souvent l'Indien des hauts plateaux des Andes ; ces désordres trouvent leur explication dans la vie sociale indigène prise dans son ensemble et dans les circonstances par la faute desquelles les difficultés de toute nature rencontrées par les aborigènes n'ont pu être atténuées autrement que par les moyens traditionnellement utilisés par ceux-ci pour soulager la faim et la fatigue. 1 L'intérêt des organisations internationales pour la question des effets nocifs de la préparation et de la consommation des drogues date déjà d'un certain temps et ne s'est pas démenti dans la période récente. La Société des Nations et, de leur côté, les gouvernements de différents pays qui jouent un rôle important dans le domaine industriel ont, depuis le début du siècle, accompli de grands efforts pour étudier ce problème sous ses différents aspects et pour lutter, dans la mesure du possible, contre le vice de l'usage des drogues. L'action internationale contre l'opium, commencée en 1909, a été explicitement étendue à différents alcaloïdes dont la consommation sans ordonnance médicale est considérée comme particulièrement préjudiciable à la santé et au bien-être des personnes intéressées. Les conventions internationales de 1925 et de 1931 concernant l'opium et les autres stupéfiants demandent aux pays signataires d'adopter certaines mesures visant à réglementer la production et la distribution des feuilles de coca. En examinant le problème de la mastication de la feuille de coca en Amérique du Sud, le Bureau international du Travail se propose de l'étudier uniquement sous ses aspects les plus étroitement liés à la situation sociale de l'aborigène. Les renseignements dont dispose le Bureau sur l'alcoolisme et l'usage des stupéfiants chez les aborigènes des pays d'Asie n'ont pas paru présenter un intérêt suffisamment actuel pour servir de base à une étude sur cette partie du monde. Les textes authentiques des conventions pourront être trouvés dans SOCIÉTÉ DES NATIONS : Actes de la deuxième Conférence de l'opium, Genève, 17 novembre 192419 février 1925, vol. I, annexe 31 : Convention, Protocole, Acte final, Genève, le 170 CONDITIONS DE vTE Alcoolisme Diverses opinions prévalent en Amérique latine quant à la situation de l'aborigène et du paysan en général, au regard de l'emploi ou de l'abus des boissons alcooliques. Selon l'une d'elles, l'aborigène n'est pas un buveur invétéré, mais presque toujours, il a recours à l'alcool parce qu'il doit compenser l'usure de son organisme ou acquérir artificiellement la force nécessaire à l'accomplissement de son dur labeur. La vie — ont pu écrire deux experts péruviens — offre à l'Indien trois échappatoires, qui revêtent un grand intérêt social : la migration, qui lui permet de fuir son village, où il ne possède pas de terre ; le coca, pour tromper sa faim ; l'alcool, pour le soulager de sa misère 1. Selon une autre opinion, l'alcoolisme serait u n vice si enraciné chez l'Indien qu'il n'existerait pas de moyen qui puisse l'extirper individuellement ou collectivement. Les hommes de science qui ont étudié cette question se rallient presque toujours à la première de ces opinions. Les gens qui entretiennent des relations de commerce ou de travail avec l'aborigène penchent souvent pour la seconde. Les médecins et les hygiénistes qui, à des fins sociales, ont étudié le problème de l'alcoolisme en tenant dûment compte des caractéristiques de chaque pays estiment que l'abus des boissons alcooliques chez les aborigènes constitue un immense danger d'appauvrissement et de dégénération biologique, d'accroissement de la propension à la criminalité et de ruine pour l'économie déjà précaire de l'aborigène. FORMES D E LA CONSOMMATION DE BOISSONS ALCOOLIQUES Sans vouloir entrer dans des considérations techniques, relevant de la médecine sociale et de l'hygiène, nous pouvons affirmer que l'alcool ingéré à doses faibles et occasionnelles n'est pas préjudiciable à la santé. En ce qui concerne l'Indien — réserve faite de certaines différences d'une région à une autre, notamment dans les mesures prohibitives ou restrictives prises dans les différents pays —, il est possible de dire qu'en 19 février 1925 (doc. C.760.M.260.1924.XI [1924.XI.I] et C.88.M.44.1925.XI), et IDEM, Conférence pour la limitation des stupéfiants, Genève, 1931 : Convention pour limiter la fabrication et réglementer la distribution des stupéfiants, Protocole de signature et Acte final (doc. C.455.M.193.1931.XI [1931.XI.8]). 1 M. H. KUCZYNSKI-GODARD et C. E. PAZ SOLDÁN : Disección del indigenismo peruano, op. cit., p. 96. ALCOOLISME ET COCA EN AMÉRIQUE DU SUD 171 règle générale, il boit de l'alcool en grandes quantités ; il accepte ou demande presque toujours à boire, soit pour se stimuler au travail, soit pour se réconforter. Bien entendu, ses libations ne sont pas quotidiennes ni constantes, mais il est rare qu'il ne profite pas d'un jour de congé ou d'une soirée de liberté pour s'adonner à la boisson. Dans bien des régions habitées par les aborigènes, la consommation de l'eaude-vie est très forte malgré un prix élevé qui s'explique surtout par les taxes que beaucoup de gouvernements prélèvent sur l'alcool en vue d'en rendre le prix prohibitif. Dans certains pays, l'alcoolisme de l'aborigène trouve un stimulant dans les occasions créées par la présence de débits officiels d'eau-de-vie. La Eégie a établi dans le pays un grand nombre de débits d'eaude-vie stratégiquement répartis. Dans les localités éloignées et isolées, où il est pratiquement impossible de se procurer de l'eau et où l'homme peut facilement mourir de faim et de soif, il est bien rare qu'il ne se trouve pas un estaminet ou un débit d'eau-de-vie. La Eégie prend un soin jaloux — digne d'un but plus louable — de maintenir toujours une réserve abondante d'eau-de-vie. Elle est en cela admirablement secondée par les débitants, dont les établissements sont si nombreux qu'il est des villages dont presque chaque maison est un estaminet où le consommateur trouve toujours de grandes facilités de paiement 1 . Dans les plantations de diverses régions, la majeure partie du sucre est consacrée à la production d'eau-de-vie, chaque sucrerie possédant sa propre distillerie 2. Outre l'eau-de-vie, l'Indien absorbe en grandes quantités d'autres boissons enivrantes telles que la chicha, le guarapo, le pulque, etc. La chicha est une boisson fermentée à base de maïs, de manioc ou de riz, dont la consommation est encouragée par les circonstances. En effet, dans le cas où la législation du pays ne restreint ni n'interdit la fabrication de cette boisson, l'aborigène peut la préparer lui-même à très peu de frais à son domicile ; dans le cas contraire, il la préparera quand même, clandestinement. Dans quelques pays, des études de laboratoire ont établi la toxicité de la chicha 3. Le guarapo (ou wirapu) est une boisson fermentée à base de jus de canne à sucre et parfois aussi de maïs. Bien entendu, il est consommé plus généralement par les aborigènes qui 1 Aníbal BUITRÓN : « Vida y pasión del campesino ecuatoriano», América Indígena, vol. V I I I , n° 2, avril 1948, p. 122. 2 Rapport de la Commission d'étude sur la feuille de coca, op. cit., p. 25. 3 A la suite d'études et d'analyses chimiques effectuées en Colombie, un décret de juin 1948 fixe les conditions auxquelles doit répondre la chicha pour que la consommation publique en soit autorisée. 172 CONDITIONS DE VIE résident ou travaillent dans les régions sucrières. Outre sa forte teneur en alcool éthylique, cette boisson contient un certain nombre d'autres éléments de fermentation qui lui confèrent une toxicité presque mortelle 1. Si l'on en croit divers auteurs, ces boissons représentent l'un des principaux articles de vente des épiceries de plusieurs plantations et de nombreux camps miniers. La bière, fabriquée à base de quinoa et de Ttañawa (et, dans certaines régions, à base de maïs), trouve, elle aussi, dans l'aborigène un grand consommateur. Bien souvent, les entreprises qui la vendent dans les zones de population aborigène fabriquent spécialement une bière de qualité inférieure à la bière ordinaire. L E S FÊTES INDIGÈNES ET LES EFFETS DE L'ALCOOLISME L'aborigène de l'Amérique latine témoigne, comme chacun le sait, d'une propension marquée à célébrer toutes sortes de fêtes. Dans bien des cas, ces fêtes tirent leur origine des solennités religieuses de ses ancêtres, où se confondaient l'offrande aux dieux tutélaires et l'adoration de la terre, dispensatrice de toutes richesses. Chez les Incas, la fête des semailles ou celle de la moisson revêtaient le caractère d'un véritable culte. A ces occasions, la chicha coulant à flots, il s'ensuivait une orgie collective. Cette coutume s'est en partie perpétuée jusqu'à nos jours. Dans la plupart des fêtes aborigènes d'aujourd'hui, à la musique, aux feux d'artifice, aux mascarades et aux danses, s'ajoute une forte consommation de chicha, de guarapo, etc., exigée par la tradition locale. Souvent, l'aborigène passe de la cérémonie du temple à la cantine ou à l'estaminet et, dans bien des cas, la fête atteint son paroxysme dans l'ivresse générale. Bolivie Sur les hauts plateaux de Bolivie, aucune fête ne serait complète s'il n'était consommé de grandes quantités d'alcool pur, fabriqué dans les Yungas et transporté dans la région montagneuse pour y être vendu sur les marchés des hameaux les plus reculés. « Jamais, déclare Weston La Barre, je n'ai vu les Indiens d'Amérique dans un état d'ébriété aussi complet que lors d'une fête aymara ordinaire 2. » 1 s Luis A. LEÓN, op. cit., p. 258. Weston Là. BABEE, op. cil., p. 65. ALCOOLISME ET COCA EN AMÉRIQUE DU SUD 173 Le rapport de la mission d'assistance technique des Nations Unies à la Bolivie indique que, dans la région de l'Altipiano, il n'est pas rare que les frais entraînés par une seule fête indigène atteignent de 20.000 à 30.000 bolivianos, somme que les aborigènes se procurent en prélevant sur leurs économies, en vendant des terres, en se faisant liquider le capital de pensions de retraite d'ouvriers mineurs ou en contractant des dettes 1 . Une enquête effectuée dans un district de la vallée de Cochabamba a révélé que la moyenne annuelle des dépenses familiales affectées à l'alimentation était de 4.318 bolivianos, sur lesquels la consommation de boissons alcooliques (surtout de chicha) pendant les fêtes représentait 1.250 bolivianos, soit 30 pour cent du budget réservé à l'alimentation a . Equateur Dans la Sierra de l'Equateur, chaque fête donne lieu à une grande consommation d'eau-de-vie et de chicha, qui accompagne les exhibitions acrobatiques, les feux d'artifice, les mascarades, etc. Les municipalités et le fisc tirent des revenus considérables de la consommation de chicha et d'eau-de-vie et des impôts qui grèvent ces boissons, dont le monopole appartient à l ' E t a t 3 . Un médecin, qui est aussi un spécialiste des questions aborigènes, a pu faire le tableau suivant de la situation : Pour l'Indien, l'alcoolisme est un vice invétéré et une des toxicomanies aux conséquences les plus funestes du point de vue tant biologique qu'économique et social... Les fêtes religieuses, les réunions de famüle, les loisirs du samedi et du dimanche, la moisson, la construction d'habitations, les travaux de construction de routes et de chemins, les mariages, les enterrements, les prises de voile, etc., n'ont pour l'Indien aucune raison d'être si l'eau-de-vie, ou quelque autre alcool, n'y coule à flots 4. E n ce qui concerne la population rurale de la région de Pichincha, l'auteur d'une autre étude note que « le paysan consacre obligatoirement une partie de ses faibles revenus à l'achat de boissons alcooliques et, ce qui est plus grave encore, 1 Report of the United Nations Mission of Technical Assistance to Bolivia, op. cit., p. 91. 2 Olen E. LEONABD : Canton Chullpas : A Socio-economic Study in the Cochabamba Valley of Bolivia (U.S. Department of Agriculture, Office of Foreign Agricultural Relations, Foreign Agriculture Report No. 27) (Washington, juill. 1948), pp. 56-57. 3 Gonzalo RUBIO ORBE : « El indio en el Ecuador », América Indigena, vol. IX, n° 3, juill. 1949, p. 229. 4 Luis A. LEÓN, op. cit., p. 258. 174 CONDITIONS DE VIE il est capable de dilapider sans compter les économies de toute une année à l'occasion d'une fête dont les seuls bénéficiaires sont le prêtre et le cabaretier x ». Le pire, selon Aníbal Buitrón, est que lorsque le paysan a épuisé l'argent qu'il réservait à ses distractions dans le village, le débitant de boissons lui offre de l'eau-de-vie en échange de ses bestiaux ou de ses produits agricoles, ou bien lui ouvre de nouveaux crédits. « C'est ainsi que les villages restent fréquemment presque déserts, parce que les habitants sont allés chez les paysans recouvrer leurs dettes et ne rentrent qu'à la nuit tombante, avec des moutons, des porcs, des volailles, des cochons d'Inde, des œufs, des sacs de pommes de terre, d'orge, etc. » En conséquence, ajoute Buitrón, « le paysan vit dans la pauvreté, éternellement endetté 2 ». D'après les résultats d'une enquête effectuée par un médecin équatorien bien connu, Pablo A. Suárez, les Indiens consomment en moyenne 300 litres d'alcool par an et par tête, ce qui représente un coût moyen annuel de 40 sucres par habitant. Une famille dépense 200 sucres par an pour sa boisson sur un revenu annuel total de 500 à 1.000 sucres ; en d'autres termes, la boisson absorbe de 20 à 40 pour cent du budget annuel ; les jours de fête et de libations ne représentent pas moins de 30 pour cent de l'ensemble des jours ouvrables 3. Pérou Dans la Sierra du Pérou, les obligations sociales qu'entraîne pour l'Indien le désir d'accroître son prestige individuel lors des fêtes religieuses, joint à la volonté d'oublier une vie pénible et toute d'humiliation, amène l'Indien à faire « des dépenses ruineuses en alcool 4 ». Kuczynski-Godard et Paz Soldán signalent que, dans de nombreuses haciendas, l'habitude est prise de servir à boire aux ouvriers au commencement et à la fin de la journée de travail et que cette « libéralité » incite les Indiens à continuer de boire pour leur propre compte jusqu'à dilapider la majeure partie de leur gain, sinon la totalité. Ainsi l'alcoolisme les endette sans fin... C'est là une des multiples formes de la lutte que mènent certains propriétaires contre leurs voisins aborigènes, lutte sans merci, dépourvue de toute conscience 1 P l u t a r c o N A R A N J O VARGAS, op. cit., p . 244. 2 Aníbal BUITRÓN : « Vida y pasión del campesino ecuatoriano », op. cit., p. 123. Pablo A. STJÁREZ : « La situación real del indio en el Ecuador », América Indígena, vol. I, n° 1, janv. 1941. 3 4 M. H . KUCZYNSKI-GODABD e t C. E . P A Z SOLDÁN, op. cit., p p . 95-98. ALCOOLISME ET COCA EN AMÉRIQUE DU SUD 175 sociale, visant uniquement à les affaiblir économiquement et à s'assurer leur « collaboration » à l'exploitation des terres, collaboration à laquelle il serait difficile de prétendre normalement sans offrir des salaires intéressants et sans établir des conditions de travail très supérieures 1. Mastication de la feuille de coca INTRODUCTION GÉNÉRALE L'habitude de la mastication de la feuille de coca chez les Indiens de l'Amérique du Sud, en particulier ceux de la partie méridionale des Andes, semble remonter à l'époque préinca. L'importance que revêtaient la production et la consommation de cette plante ainsi que sa teneur en cocaïne ont commencé à être remarquées" par les chroniqueurs espagnols peu de temps après la découverte de l'Amérique. Au début de la conquête, la pratique de la mastication de la coca a été observée dans diverses régions de l'Amérique centrale et de la partie méridionale de l'Amérique du Sud, aussi bien sur les côtes de l'Atlantique que sur celles du Pacifique. A l'heure actuelle, la zone de production et de consommation s'est réduite, mais les effets de cette habitude sur les populations aborigènes de l'Amérique du Sud, surtout en Bolivie et au Pérou, n'en restent pas moins néfastes. Sur l'initiative du gouvernement du Pérou, qui, en 1947, présenta à la Commission des stupéfiants du Conseil économique et social des Nations Unies un projet de recommandation préconisant une enquête sur l'importance biologique, sociale et économique de cette plante, les Nations Unies ont constitué une Commission d'étude sur la feuille de coca, qui a mené une enquête spéciale au Pérou et en Bolivie de septembre à décembre 1949 2. Lors de la quatrième Conférence panaméricaine de la Croix-Rouge, une résolution a été approuvée, qui condamne l'usage de la coca. Une résolution adoptée par le deuxième 1 2 M. H. KUCZYNSKJ-GODARD et C. E. PAZ SOLDÁN, op. cit., pp." 95-98. La Commission a soumis son rapport à la Commission des stupéfiants du Conseil économique et social en septembre 1950. Voir NATIONS UNIES, Conseil économique et social, procès-verbaux officiels, douzième session, supplément spécial n° 1 : Rapport de la Commission d'étude sur la feuille de coca, mai 1950 (Lake Success, New-York, juill. 1950), doc. E/1666.E/CN.7/AC.2/1. En plus de considérations médicales, sociales et économiques sur les effets de la mastication de la feuille de coca et sur la possibilité de limiter la production et de réglementer la distribution de cette plante, le rapport contient les conclusions et recommandations de la Commission. L'annexe II est une étude bibliographique générale avec des annotations de Pablo Oswaldo Wolff sur les effets de la mastication des feuilles de coca d'après les opinions exprimées par plus de cent auteurs. 176 CONDITIONS DE VIE Congrès interaméricain des affaires indigènes (Cuzco, Pérou, 1949) recommande aux pays dans lesquels se pose le problème de la coca de constituer, en collaboration avec les Nations Unies, un comité permanent pour l'étude complète de ce problème, en vue de préparer une réunion extraordinaire qui grouperait des représentants desdits pays et aurait pour mission de recommander les mesures qui lui paraîtraient les mieux appropriées. EVOLUTION HISTORIQUE DE LA CONSOMMATION DE LA COCA Les conquérants espagnols nous ont laissé des chroniques sur l'habitude du coqueo parmi les aborigènes de certaines régions qui représentent actuellement les territoires de la Bolivie, du Pérou, de la Colombie et du Venezuela. Dans l'ancien Pérou, la plante possédait un caractère presque sacré ; la mastication de la feuille de coca était réservée aux classes aristocratiques. Les plantations étaient rares et appartenaient à l'Inca et aux temples. Après la conquête, la culture du cocaïer aurait pris une grande extension, donnant naissance à un commerce très lucratif *. Cette extension serait due en partie au déclin considérable de la production agricole et à la disparition presque totale de l'élevage primitif pratiqué dans la région des Andes, résultat de la guerre de conquête et du changement de structure sociale 2. « Les données historiques indiquent que la crise a été particulièrement intense dans la région où, encore maintenant, sont consommées les plus importantes quantités de coca 3. » La production de la coca a connu, semble-t-il, une augmentation considérable sous le régime républicain. Néanmoins, les éléments d'informations ne sont pas assez nombreux pour qu'il soit possible d'en apprécier l'ampleur. Ainsi qu'on le verra plus loin, il n'existe pas non plus de statistiques dignes de foi quant à la production et à la consommation actuelles de feuilles de coca. La production réelle semble dépasser de 1 Les prix élevés de la plante eurent tôt fait d'exciter les convoitises des conquérants, ce qui eut pour résultat l'exploitation de l'Indien par les colons, non seulement dans la culture, mais dans le commerce de la coca. Voir Luis A. LEÓN : « Historia y extinción del cocaísmo en el Ecuador », América Indigena, vol. XII, n° 1, janv. 1952, p. 20. 2 Carlos GUTIÉRREZ NOBIEOA : El cocaísmo y la alimentación en el Perú, op. cit., p. 26-27. 3 IDEM : « El hábito de la coca en Sudamérica », America Indígena, vol. XII, n° 2, avril 1952, pp. 117-118. ALCOOLISME ET COCA EN AMÉRIQUE DU SUI) 177 beaucoup celle dont font état les chiffres officiels. Cela est imputable, entre autres facteurs, à l'absence d'un cadastre satisfaisant des plantations de coca, au non-enregistrement des données relatives à la production réelle, à l'absence d'un mécanisme adéquat de contrôle permettant de remédier à ces deux déficiences. E n général, il existe une différence importante entre la production réelle et la production livrée à la consommation et soumise à l'impôt ; en outre, les données statistiques officielles relatives à cette dernière sont souvent contradictoires 1 . Dans leur grande majorité, les mâcheurs de coca se trouvent dans la région des hauts plateaux du Pérou et de la Bolivie. Les autres sont répartis entre l'Argentine (Salta, Jujuy), les départements du Cauca et de l'Huila en Colombie et, dans des proportions moindres, certaines régions du Chili (quelques mines proches de la frontière bolivienne), du Brésil (vallée des Purus et des Amazones) et du Venezuela (frontière colombienne). L'habitude de mâcher la coca est à peine connue des Indiens de l'Equateur 2. La plante ne pousse pas sur le territoire du pays, même à l'état sauvage (à la seule exception peut-être d'un petit district situé dans la partie occidentale de la province d'Azuay). Elle a sans aucun doute été cultivée à l'époque préinca et pendant la période coloniale. La raison exacte de sa disparition n'est pas connue 3. D'après Luis A. León, le phénomène s'expliquerait surtout par les progrès réalisés dans les domaines de l'agriculture et de l'élevage au x v i i m e siècle et pendant la première moitié du xviii m e , progrès qui auraient eu pour conséquence d'améliorer le régime alimentaire de l'aborigène *. Carlos Gutiérrez Noriega estime que l'habitude de mâcher la feuille de coca, là où elle s'est implantée, affecte au moins 30 ou 40 pour cent de la population adulte. Dans les cas extrêmes, la population s'adonne à la coca dans une proportion voisine de 100 pour cent. Le même auteur évalue le nombre des habitués de cette drogue en Amérique du Sud à 5 ou 6 millions 5 ; au Pérou, « presque la moitié des hommes de la région des 1 Rapport de la Commission d'étude sur la feuille de coca, op. cit., p . 75. H semble que seules certaines tribus sylvicoles de l'est du pays (Yumbo et Jívaro) se livrent à u n cocaïsme sporadique. Luis A. LEÓN : « Historia y extinción del cocaísmo en el Ecuador », p. 19. 3 V. Gabriel GARCÉS : « El indio ecuatoriano y la coca », América Indígena, vol. V, n° 4, oct. 1945, pp. 292-293. 4 Luis A. L E Ó N : « Historia y extinción del cocaísmo en el Ecuador », op. cit., pp. 52-53. 5 Carlos GUTIERREZ NORIEGA : « El hábito de la coca en Sudamérica », op. cit., p. 112. 2 178 CONDITIONS DE VIE Andes ont contracté l'habitude de mâcher la feuille de coca 1 ». La Commission d'étude des Nations Unies sur la feuille de coca a estimé le nombre des mâcheurs de coca parmi les aborigènes, non compris les métis, à 1.268.596 au Pérou et 913.875 en Bolivie, ce qui représente 45 et 50 pour cent de la population aborigène et 20 et 25 pour cent de la population totale de ces pays. D'après des données recueillies par cette commission, 90 pour cent des mineurs du fond (aborigènes et métis) mâchent des feuilles de coca 2. ZONES ACTUELLES DE CULTUEE E T D E CONSOMMATION Argentine En Argentine, pas plus que dans l'Equateur, il n'existe, semble-t-il, de plantations, mais la coca est consommée en quantités relativement considérables dans la partie septentrionale du territoire. Pendant les deux années 1946 et 1947, l'Argentine a importé de Bolivie environ 820.000 kg de feuilles 3 . La population qui s'adonne à la mastication de la feuille de coca se compose surtout d'aborigènes argentins et de manœuvres aborigènes boliviens descendus des hauts plateaux pour venir travailler dans les plantations de canne à sucre et dans les centres miniers de Salta et Jujuy. Bolivie Le cocaïer ne croît pas sur les hauts plateaux, néanmoins la très grande majorité de la population consommatrice se compose d'aborigènes de cette région, en particulier de ceux des départements de La Paz, d'Oruro et de Potosí. Dans sa réponse à un questionnaire adressé par les Nations Unies, le gouvernement de la Bolivie a fait savoir que 90 pour cent des mâcheurs de coca du pays sont des Indiens 4. Les principales zones de culture se trouvent dans les départements de La Paz (Yungas du Nord, Yungas du Sud, Inquisivi, Caupolicán, Murillo, Muñecas, Larecaja) et de Cochabamba (Chaparé, Carrasco, Arani, Quillacollo et Cliza). Les régions de Corèico et de Coripata (Yungas du Nord) et de Chulumani (Yungas du Sud) sont des centres importants de culture. 1 Carlos GUTIÉRREZ NORIEGA et Vicente ZAPATA ORTIZ : Estudios sobre la coca y la cocaina en el Perú (Lima, Ministerio de Educación Pública, 1947), p. 17. 2 Rapport de la Commission d'étude sur la feuille de coca, op. cit., pp. 60-64. 3 Ibid., p. 51. 4 Ibid., p. 117. ALCOOLISME E T COCA EN AMERIQUE DU SUD 179 D'après les renseignements fournis à la Commission des Nations Unies par le ministère de l'Agriculture et par la Société des propriétaires des Yungas, la superficie cultivée atteindrait en moyenne 6.000 hectares, dont 5.500 environ se trouveraient dans le département de La Paz et le reste dans le département de Cochabamba 1 . CAUTE V m . — BOLIVIE : ZONES DE CULTURE DE LA COCA Zones approximatives de culture de la coca. ^-~ ^ . M BAS 11, \ \ SANTA CMJZ i / J ' , \ POTOSÍ CHUQUISÄCÄ""/ •••• » H TAR.UA / * Source : NATIONS UNIES, Conseil économique et social : Rapport de la Commission sur la feuille de coca (Lake Success, New-York, juill. 1950). 1 Rapport de la Commission d'étude sur la feuille de coca, op. cit., p. 74. \> \ \ , l , d'étude • 180 CONDITIONS DE VIE Les données relatives à la production de la coca, qu'elles proviennent de sources officielles ou privées, sont loin de concorder. E n effet, d'après la Direction générale des statistiques, la production de l'ensemble du pays en 1941-42 a atteint 5.817.000 kg. Selon une information communiquée à la Commission des Nations Unies par le ministère de l'Agriculture en 3948, la quantité de feuilles de coca en circulation et soumise au contrôle de la régie a été de 4.299.000 kg dans les départements de La Paz et de Cochabamba (3.468.000 kg pour le premier et 831.000 kg pour le second). D'après les statistiques établies par la Société des propriétés des Yungas, la production de 1947 a atteint dans le département de La Paz 3.697.665 kg. Dans une réponse communiquée à la Commission des Nations Unies, cette même société indique qu'en 1947, le département de Cochabamba avait produit 333.889 kg de feuilles de coca, cependant que la régie de la coca du même département faisait savoir à la Commission que 830.875 kg de feuilles de coca avaient été livrées à la consommation en 1948 l. L'ancien directeur général des statistiques de Bolivie a affirmé que la production annuelle moyenne se monte à 5.500.000 kg, qui se répartissent comme suit : La Paz 4.900.000 kg (89 pour cent), Cochabamba 550.000 kg (10 pour cent), Santa-Cruz 50.000 kg (1 pour cent) 2. Selon diverses sources, la production semble avoir diminué considérablement pendant les quinze dernières années. C'est ainsi que, dans sa réponse au questionnaire des Nations Unies, le gouvernement a déclaré que dans le département de La Paz, entre 1938 et 1946, la production est tombée de 7.125.900 à 2.976.817 kg. D'après un renseignement pubké dans l'annuaire statistique de l'agriculture et de l'élevage, la superficie plantée en cocaïers dans la région des Yungas atteignait, en 1938, 17.465 hectares, tandis que la réponse au questionnaire précité indique qu'en 1946, la superficie des terres cultivées n'était que de 7.088 hectares 3. E n 1941, le médecin bolivien Gregorio Mendoza Catacora a présenté au premier Congrès national de médecine et à la quatrième Conférence panaméricaine de la Croix-Eouge un rapport qui renferme les assertions suivantes : 1 Rapport de la Commission d'étude sur la feuille de coca, op. cit., pp. 71-73. Jorge PANDO GUTIÉRREZ : Geografia economica : Bolivia y el mundo (La Paz, 1947), tome I I , p. 268. 3 Rapport de la Commission d'étude sur la feuille de coca, op. cit., p p . 73,120 et 121 • a ALCOOLISME ET COCA EN AMÉRIQUE DU SUD 181 D'après les données officielles publiées par la Direction générale des statistiques, en 1938, la production totale des feuilles de coca a atteint en Bolivie 4.800.000 kg. De cette quantité, selon des données non moins officielles, n'ont été exportés que 400.000 kg. Par conséquent, tout le reste, soit 4.400.000 kg de coca, a été consommé dans le pays. Tenant compte du fait qu'un kilogramme de coca de Bolivie contient 2,5 grammes de cocaïne, nous pouvons dire que la quantité de coca absorbée cette année-là dans le pays contenait 11.000 kg de cocaïne, autrement dit 11 tonnes de ce produit 1 . Se fondant sur des données émanant de sources statistiques diverses, la Commission des Nations Unies a avancé pour l'année 1948 le chiffre total de 4.112.694 kg de feuilles de coca soumises à l'impôt (consommation 3.865.802 kg, exportation 246.892 kg) 2 . La même année, le prix de vente en fut d'environ 55 bolivianos le kg, ce qui signifie que le volume de la circulation monétaire correspondant aux 4 millions de kg de feuilles de coca serait approximativement de 220 millions de bolivianos 3. En Bolivie, contrairement à l'usage qui prévaut au Pérou, la coca n'est pas soumise à un impôt d'Etat, mais simplement à une taxe départementale. En 1948, le produit de cette taxe à La Paz et à Cochabamba a été de 31.696.000 bolivianos 4. Colombie D'après une communication adressée en 1945 à l'Académie nationale de médecine de Bogota, « loin de diminuer, le vice de la mastication de la feuille de coca se propage comme une véritable épidémie parmi les paysans et les aborigènes des départements du Cauca et de l'Huila 5 ». L'habitude de mâcher la coca étend son emprise sur une population d'environ 60.000 âmes. A ce chiffre, il conviendrait d'ajouter les habitants de la région de Popayán-La Plata, de la sierra Nevada, de Santa Marta (Indiens arawak) et de la sierra de Perijá, dont on ne connaît pas le nombre. En 1942, le pays a produit 225.000 kg de feuilles de coca, dont 210.000 destinés à la mastication 6 . Il a été estimé que le marché de la feuille de coca dans le département de l'Huila porte sur quelque 170.000 pesos colombiens par an. Dans la municipalité de San Agustín, dont le budget s'élève à peine à 10.000 pesos colombiens, le 1 Gregorio MENDOZA CATACOKA : El empleo de la coca en Bolivia (La Paz, Imprenta Artística, 1941). 2 Rapport de la Commission d'étude sur la feuille de coca, op. eu., p. 92. 3 Ibid., p . 90. 4 Ibid., pp. 89-90. 6 Jorge BEJARANO : « E l cocaísmo en Colombia », América Indigena, vol. V, n° 1, janv. 1949, p . 19. 6 Rapport de la Commission d'étude sur la feuille de coca, op. cit., pp. 111-112. 182 CONDITIONS DE VIE marché de la feuille de coca porte sur une valeur annuelle de près de 60.000 pesos. Les départements où la coca est actuellement cultivée sont ceux de Cauca, Huila, Boyaca et Santander. Le nombre des cocaïers cultivés semble être de 277.025, fournissant une production de 186.960 kg. Ces chiffres correspondent aux arbres cultivés sur 767 hectares ensemencés. En fait, environ 400 hectares se trouvent dans le département du Cauca, où le nombre des arbres en production est de 86.142 et où la récolte représente 142.025 kg, produit de la culture intensive effectuée dans 12 des 33 municipalités du département 1 . Bejarano affirme que, dans diverses localités, le péon aborigène consacre la plus grande partie de son maigre salaire à l'acquisition de coca pour lui-même et pour sa famille, de poudre à fusil, de sel et de guarapo 2. Pérou Au Pérou, la zone de culture la plus importante est la vallée de La Convención (département de Cuzco), qui produit plus du tiers de la coca du pays. Il existe aussi d'importantes plantations dans les vallées de Lares et Cotabamba, situées dans le même département, ainsi que dans la région de Tingo María (département de Huánuco). Viennent ensuite divers secteurs des départements de Ayacucho, de Cajamarca et de La Libertad. Le ministère de l'Agriculture a estimé que la superficie des terres plantées en cocaïers est de quelque 15.000 hectares, soit à peine 6.000 hectares de moins que la superficie des terres plantées en légumes. La production annuelle de feuilles de coca au Pérou a été estimée en moyenne à 700 kg par hectare, ce qui représente une production nationale effective de près de 10 millions de kg par an 3. D'après le recensement de 1940, les travailleurs occupés dans les plantations de cocaïers étaient au nombre de 22.415 (contre 15.443 dans les plantations de caféiers et 14.045 dans les plantations d'arbres fruitiers 4 ). D'après la Commission des Nations Unies, ces chiffres sont incomplets et ne se rapportent qu'aux seuls départements de Cuzco, de Huánuco et d'Ayacucho 5. 1 Jorge BEJABANO : « Nuevos capítulos sobre el cocaísmo en Colombia », América Indigena, vol. X I I I , n° 1, janv. 1953, p p . 22-23. 2 I D E M : « El cocaísmo en Colombia », op. cit., p . 16. 3 Rapport de la Commission d'étude sur la feuille de coca, op. cit., p . 72. 4 Censo nacional de población y ocupación, op. cit., vol. I, pp. 432-433. 5 Rapport de la Commission d'étude sur la feuille de coca, op. eu., p. 68. ALCOOLISME ET COCA EN AMÉRIQUE D U SUD 183 CAUTE I X . — P E R O U : ZONES D E C U L T U R E D E LA COCA " W l l L III Mljl I I ' .Lil|IIUJLH'IH-HL IUI I TUMBE5 , i | l " l ' <ü I ]M" ' I1 I III l n i l M I llglllj Y •y ^ ¿¿ \v Wim ,uM ra L o.- S V LAMBAYEQUÊf ; 3AN (MARTIN/*- •^ LORETO / > 0 ' V \i LIBERTAD / % . . \ ^ -e O P\. Vvcuzco \ M m t DE ym CALLAO. ^^•c^ Colle*« o \ ^4siid LIMA VHUANCA EUC/ .•••^ DIOS ÄPA ' V L * »CAY S : V ^ •• < • \ / AREQUIPA Zones approximatives d e culture de la coca. f ¡ / • / ''few |fe i PUNO S-. WÊÉi /y» • TACNA ^ % Source : Rapport de la Commission d'étude sur la feuille de coca, op. cit. mm j*MA 184 CONDITIONS DE VIE Pour la période 1943-44, une publication du ministère de l'Agriculture établit comme suit la répartition géographique des superficies cultivées, de la production et de la valeur de la coca x : T A B L E A U X X I . — P É R O U : S U P E R F I C I E P L A N T É E E N COCAÏERS, PRODUCTION E T V A L E U R , Production Superficie Département 1943-44 Valeur 'Milliers d'hectares Pourcentage Milliers de tonnes métriques Pourcentage Milliers de sols Nord: Cajamarca . . . . La Libertad . . . . 0,8 2,0 5 12 0,5 1,0 6 12 815 1.740 Total . . . 2,8 17 1,5 18 2.555 3,4 0,2 2,0 1,7 0,1 1,0 5,6 20 1 12 33 2,8 20 1 12 33 2.720 160 1.500 4.380 8,0 0,4 47 2 4,0 0,2 46 2 6.400 340 8,4 49 4,2 48 6.740 Centre : Huánuco Junin Total . . . Sud: Cuzco Total Est: Amazonas . . . . . . . 0,2 1 0,1 1 165 Total généra] . . . 17,0 100 8,6 100 13.840 Source : Luis ROSE UGARTE : La situación alimenticia en el Perú (Lima, Ministerio de Agricultura y Servicio Cooperativo Interamericano de Producción de Alimentos, 1945} (reproduit dans le Rapport de la Commission d'étude sur la feuille de coca, op. cit., p. 119). D'après les données statistiques communiquées par la Caisse des dépôts et consignations, la quantité de coca livrée à la consommation pendant l'année 1948 s'est élevée à 6.916.100 k g 2 . Comme l'estime la Commission des Nations Unies, il conviendrait d'ajouter à ces chiffres ceux qui correspondent aux quantités de feuilles de coca exportées et aux quantités de feuilles utilisées pour la fabrication de la cocaïne brute. E n ce qui concerne l'année 1946, la Commission a estimé à 7.415.239 kg la quantité de feuilles de coca consommées pour lesquelles l'impôt a été perçu, à 317.642 kg la quantité de feuilles de coca exportées et à 196.000 kg la quantité de feuilles de coca utilisées pour la fabrication licite de la cocaïne 1 2 Rapport de la Commission d'étude sur la feuille de coca, op. cit., p . 119. Ibid., p . 72. ALCOOLISME ET COCA EN AMÉRIQUE DU SUD 185 brute, ce qui représente un total de 7.928.881 kg. Ce total ne comprend pas les quantités de feuilles de coca mastiquées pour lesquelles aucun impôt n'a été perçu, ni les quantités de feuilles de coca utilisées pour la fabrication illicite de cocaïne brute. D'après une statistique établie par le Service coopératif interaméricain de production d'aliments (S.C.I.P.A.), la répartition de la consommation entre les grandes régions serait approximativement la suivante: Nord, 1.400.000 k g ; Centre, 1.900.000 kg ; Sud, 4.800.000 kg 1. Les centres de consommation les plus importants se trouvent dans les départements de Cuzco et de Puno au Sud, de Huancayo et de Huancavelica au Centre, et dans la région de Chicama au Nord. D'après un renseignement officiel donné dans l'annuaire statistique du Pérou pour 1946 et cité par la Commission des Nations Unies, le niveau de la consommation s'est élevé graduellement à partir de 1930. C'est ainsi que la consommation atteignait cette année-là 5.201.434 kg, et qu'elle avait passé en 1946 à 7.415.239 kg 2. La valeur des feuilles de coca en circulation a été estimée à environ 357 millions de sols par an. En 1950, les recettes que l'Etat escomptait encaisser une fois perçue la taxe sur la coca ont été évaluées à 3.784.000 sols 3. CAUSES ET EFFETS MÉDICAUX ET SOCIAUX D E LA MASTICATION DE LA FEUILLE DE COCA Une légende inca rapporte que la coca est un présent que les dieux ont fait à l'homme pour lui permettre de chasser la faim et la fatigue. La grande majorité des experts qui se sont penchés sur le problème s'accordent à penser que la poésie de cette légende cache une vérité scientifique. Au nombre de ceux qui ont soutenu cette théorie avec le plus d'insistance, figure le regretté professeur péruvien Carlos Gutiérrez Noriega, ancien directeur du département de pharmacologie de la faculté de médecine de Lima. La raison pour laquelle la majorité des aborigènes des Andes s'initient à l'usage de la coca est la nécessité de supprimer la faim au moyen de cette drogue. Malheureusement, au bout de quelques années, l'usage de cette drogue provoque la perte de l'appétit. 1 Luis ROSE UGAKTE, op. cit., tableaux 99 et 100, cité dans le Rapport de la. Commission d'étude sur la feuille de coca, op. cit., p. 50. 2 Rapport de la Commission d'étude sur la, feuille de coca, op. cit., pp. 112-113. 3 Ibid., p. 89. 186 CONDITIONS DE VIE L'habitué préfère la drogue aux aliments et consacre une grande partie de son salaire à l'acquisition de coca. Il s'établit de la sorte un véritable cercle vicieux : on commence à prendre la coca pour supprimer la sensation de faim, mais le sujet ne tarde pas à perdre l'appétit et mange peu parce qu'il prend de la coca. La coca agit comme un narcotique en ce qui concerne la faim, la soif, la fatigue, le froid...1. Gutiérrez Noriega mentionne, entre autres causes du cocaïsme, la nécessité de vaincre le sommeil pour permettre l'exécution des durs travaux nocturnes et de se libérer d'un état de dépression psychologique 2 . D'après cet auteur, l'habitude de mâcher la feuille de coca prédomine chez les personnes qui se livrent à des travaux pénibles, en particulier chez les paysans, les mineurs et les bergers. La proportion d'habitués est bien moindre dans les villes. Le cocaïsme trouve aussi des adeptes parmi les enfants d'âge scolaire ; dans certaines écoles, la proportion des enfants qui s'adonnent à la coca atteint 100 pour cent. Cela est dû à diverses raisons : travaux agricoles assez pénibles accomplis dès l'âge le plus tendre ; nécessité d'apaiser la faim et souci d'affirmer une personnalité d'homme. Carlos A. Eicketts, Maxime H. Kuczynski-Godard, C. E. Paz Soldán, Gregorio Mendoza Catacora, Luis ÏL Sáenz, Gerardo Bonilla Iragorri, Juan Friede, Vicente Zapata Ortiz et, en général, la majorité des spécialistes qui ont étudié les effets médicaux et sociaux de la mastication de la feuille de coca, même s'ils ne sont pas toujours d'accord sur le degré de toxicité de cette plante, conviennent que l'habitude de la mastication de la feuille de coca est la conséquence de la faim et qu'elle a pour but de tromper l'appétit ; les raisons profondes du mal, qui sont de caractère économique et social, ne pourront être éliminées tant que dureront les croyances relatives aux propriétés de la coca, héritage de l'époque préinca, tant que la production de denrées alimentaires restera insuffisante, tant que les conditions générales de vie et de travail seront mauvaises, tant que subsistera la ségrégation de l'aborigène et tant que des mesures appropriées ne seront pas prises pour réglementer la culture, la distribution et la consommation de la feuille de coca 3. La Société des propriétaires des Yungas 1 Carlos GUTIÉRREZ NORIEGA : « El hábito de la coca en Sudamérica », op. cit., pp. 117-118, et El cocaísmo, la alimentación en el Perú, op. cit., p. 53. 2 IDEM : <t El hábito de la coca en el Perú », América Indigena, vol. IX, n° 2, avril 1949, p. 148. 8 Les opinions des auteurs cités ont été rassemblées dans le Rapport de la Commission d'étude sur la feuille de coca ; voir, en particulier, la bibliographie annotée qui figure à l'annexe II, pp. 126-175. ALCOOLISME E T COCA E N AMÉRIQUE D U SUD 187 (Bolivie) a exprimé l'opinion que, non seulement la feuille de coca ne produit aucun effet nocif, mais qu' «elle constitue un aliment » ; aussi, elle déplore que la coca ait été rangée parmi les stupéfiants lors de la deuxième Conférence internationale de l'opium, s'élève contre cette « calomnie adressée à notre noble produit », et réclame que la coca des Yungas soit exclue de la liste internationale des stupéfiants 1 . Cocaïsme et sous-alimentation Se fondant sur une enquête effectuée par le ministère péruvien de l'Agriculture, Gutiérrez Noriega fournit notamment les données suivantes qui, selon lui, démontrent l'étroite liaison qui existe entre le cocaïsme et la sous-alimentation. Dans la partie méridionale des Andes, le poids moyen de la ration alimentaire quotidienne est de 767 grammes par tête et la consommation annuelle de coca oscille entre 2 et 4 kg. Cette ration contient à peine 2.000 calories. En revanche, dans la région des Andes septentrionales, la ration alimentaire moyenne journalière représente quelque 900 grammes, tandis que la consommation annuelle de coca par individu n'est que de 1 à 2 kg. Plus significatif encore est le fait que, dans les régions dont la population ne s'adonne pas à la mastication de la feuille de coca, ou n'en consomme que des quantités infimes, la ration alimentaire moyenne par jour et par tête est de 1.100 grammes environ 2. Eemberto Capriles Rico et Gastón Arduz Eguía ont particulièrement signalé, en ce qui concerne les travailleurs des mines de Bolivie, que « l'abus de la coca est la conséquence évidente des déficiences d'un régime alimentaire incapable de donner à lui seul l'énergie qu'exigent les difficiles conditions de travail. Ce que les mineurs cherchent et trouvent artificiellement dans la coca, ce sont les forces et la résistance organiques que l'alimentation ne peut leur procurer 3 ». La Commission des Nations Unies s'est déclarée d'accord avec la thèse soutenue par les médecins et sociologues latino-américains cités plus haut. Elle conclut que la mastication de la feuille 1 SOCIEDAD D E PROPIETARIOS D E YUNGAS : La coca de Tungos, Bolivia : Su origen, situación internacional y valor alimenticio (La Paz, 1948). Œuvre citée dans le Rapport de la Commission d'étude sur la feuille de coca, p p . 168-169. a Carlos GUTIERREZ NORIEGA : « El hábito de la coca en Sudamérica », op. cit., p . 118. 3 Remberto CAPRILES R I C O e t Gastón ARDUZ E G U Í A : El problema Bolivia, op. cit., p p . 28-29. social en 188 CONDITIONS D E VIE de coca est une habitude, et non une toxicomanie, qui est liée au niveau de vie extrêmement bas de l'Indien. « L'action toxique de la cocaïne lui fait en partie oublier la dure vie qu'il mène. Elle diminue les sensations de faim et de fatigue et lui permet ainsi de travailler davantage 1. » La Commission ajoute, d'autre part, que l'habitude de mâcher la feuille de coca tend à disparaître chez l'Indien lorsque son alimentation devient meilleure. Autres effets physiologiques et psychologiques Les résultats d'une série d'enquêtes sur les effets physiologiques et psychologiques du cocaïsme, effectuées par le département de pharmacologie de la faculté de médecine de Lima, ont été publiés en 1947 2. Ils semblent démontrer l'existence, chez les habitués, d'altérations intermittentes du métabolisme basai, de modifications de l'acuité visuelle, d'augmentation de la température et du rythme des fonctions cardiocirculatoires et de l'hématopoïèse, de même que de diverses altérations de la personnalité (introversion, apathie, aboulie), de la capacité d'idéation, de la mémoire et de l'intelligence 3. Gutiérrez Noriega indique également qu'il semble exister une corrélation significative entre la consommation de coca et l'analphabétisme (de 60 à 90 pour cent d'illettrés dans les régions de forte consommation, contre 10 à 50 pour cent dans les régions de consommation nulle ou minime) *. En Bolivie et en Colombie, les experts ont abouti à des conclusions du même ordre. Le médecin bolivien Juan Manuel Balcázar affirme que l'Indien qui ne s'adonne pas à la mastication de la feuille de coca est plus perspicace, plus intelligent, plus gai que le coquero. Il témoigne de plus d'énergie au travail, de plus de vigueur et de résistance aux maladies. Cette opinion est corroborée par celle du docteur Gregorio Mendoza Catacora, qui a pu observer que les travailleurs aborigènes des régions où sévit le cocaïsme sont plus facilement victimes des maladies tropicales et moins résistants aux travaux de force que les 1 Rapport de la Commission d'étude sur la feuille de coca, op. cit., pp. 45 et 99. Voir dans le présent ouvrage, chap. X I I . 2 Carlos GUTIÉRREZ NORIEGA e t Vicente ZAPATA ORTIZ : Estudios sobre la coca y la cocaina en el Perú (Lima, Ministerio de Educación Pública, 1947). 3 Carlos GUTIERREZ NORIEGA : « Alteraciones mentales producidas por la coca », Revista de Neuropsiguiatria (Lima), vol. X , n° 2 (1947), p p . 145-176. 4 Carlos GUTIERREZ NORIEGA et Vicente ZAPATA ORTIZ, op. cit., p p . 73-74. Voir aussi Carlos GUTIÉRREZ NOBIEGA : « El hábito de la coca en Sudamérica », op. cit., p . 117. ALCOOLISME E T COCA EN AMÉRIQUE DU SUD 189 travailleurs des régions non atteintes par le cocaïsme, Beni par exemple. « L'habitué de la coca est aboulique, apathique, paresseux, insensible au milieu ; son intelligence est obnubilée ; avec le temps il se transforme en automate ; il est anesthésié moralement et intellectuellement 1 . » D'après César Uribe Piedrahita, médecin colombien, le cocaïsme chronique se traduit par une profonde déchéance de la volition et des autres fonctions psychiques, qui va « jusqu'à anéantir toute valeur spirituelle et intellectuelle 2 ». Un autre médecin colombien, Jorge Bej arano, estime que la progéniture des mâcheurs de coca présente des déficiences marquées de l'intelligence, au point que beaucoup d'enfants ne parviennent pas à apprendre à lire en trois ou quatre ans d'enseignement continu 3. Quant aux effets immédiats du cocaïsme, le même auteur les décrit en ces termes : lorsque la cocaïne libérée se répand dans l'organisme, la respiration se fait plus ample, l'excitation cardiaque et nerveuse augmente, les muscles acquièrent une force plus grande et la vue s'aiguise ; l'Indien se sent possédé par une grande inquiétude et s'attaque à son travail avec un enthousiasme qui s'apparente parfois à la frénésie ; le débordement de son activité peut alors présenter un danger pour son entourage, car, en travaillant, il manie son machete sans prêter attention aux compagnons qui travaillent à ses côtés. L'euphorie de son organisme peut le conduire aux limites de la mégalomanie. Au bout d'une ou de deux heures, les effets se sont dissipés et l'aborigène retombe dans un état d'apathie 4. Quant à ceux chez qui l'habitude est invétérée, la Commission des Nations Unies, lors d'une enquête auprès des ingénieurs et des ouvriers des mines de Cerro de Pasco (Pérou) et de Catavi (Bolivie), a constaté qu'ils ne prêtent pas attention à leur tâche et donnent l'impression de travailler mécaniquement. Un représentant des mines de Cerro de Pasco a estimé que le mâcheur de coca, bien que travaillant plus, prête moins attention à sa sécurité et exige plus de surveillance et que les victimes des accidents du travail étaient en majorité des 1 J u a n Manuel BALCÁZAR : « Coca y cocamania », Archivos bolivianos de higiene mental, vol. I, n° 2 (1945), pp. 45-51. 2 César U R I B E PIEDRAHITA : « Esquema para u n estudio de la patología indígena en Colombia », America Indígena, vol. I I , n° 2, avril 1942, p. 67. 3 Jorge BEJARANO : « El cocaísmo en Colombia », op. cit., p. 16. 4 I D E M , op. cit. 190 CONDITIONS DE VIE ouvriers s'adonnant à la mastication de la feuille de coca 1 . De la plupart des enquêtes effectuées à ce jour, il semble ressortir que si l'on admet que la mastication de la feuille de coca diminue la sensation de fatigue, elle ne produit pas une augmentation réelle de la capacité de travail ; l'accroissement observé de la capacité de travail n'est que temporaire et n'est donc pour l'individu qu'une énergie factice qu'il lui faut payer sur son équilibre métabolique 2 . Luis A. León, se référant aux indigènes de l'Equateur, a fait observer que l'autochtone de son pays jouit d'une vigueur physique supérieure à celle de l'Indien des autres pays de l'Amérique du Sud, et ce phénomène serait dû, entre autres facteurs, à l'extinction du cocaïsme dans l'Equateur 3 . Quoi qu'il en soit, il semble évident qu'en Bolivie et au Pérou, la condition physique des mâcheurs invétérés soit nettement inférieure à celle des sujets qui ne s'adonnent pas à la mastication dans une même région 4. Cocaïsme et vie en altitude Certaines des conclusions de la Commission des Nations Unies et des médecins latino-américains que nous avons mentionnées plus haut ont été contestées par le D r Carlos Monge, directeur de l'Institut national de biologie andine du Pérou. Dans une déclaration communiquée en décembre 1950 aux membres de la Commission des stupéfiants des Nations Unies, le D r Monge, en sa qualité de représentant du gouvernement du Pérou, affirme que la Commission des Nations Unies a interprété les renseignements recueillis selon le critère orthodoxe de la biologie du niveau de la mer, que l'homme des Andes est un être physiologiquement et chimiquement différent de l'homme du niveau de la mer et qu'il n'est pas possible de lui appliquer les critères physiologiques et pharmacologiques établis par la science au niveau de la mer, enfin, qu'il y a une relation directe entre l'altitude et la mastication de la coca : entre 4.000 et 5.000 mètres, tous les habitants des Andes mastiquent la feuille de coca ; entre 2.500 et á.OOO mètres, le pourcentage des mâcheurs de coca diminue considérablement 1 Rapport de la Commission d'étude sur la feuille de coca, op. cit., p. 63. 2 Ibid., p. 28. 3 Luis A. LEÓN : « Historia y extinción del cocaísmo en el Ecuador », op. cit., p. 32. 4 Rapport de la Commission d'étude sur la feuille de. coca, op. cit., p. 30. VII Jeunes et vieux dans une école Tzeitzal-Tzotzil dans l'Etat de Chiapas (Mexique) L'éducation de base en Amérique latine Les écoliers du poste indigène de Taunay (Brésil) (Ministerio da Agricultura) ç 't S*)tf."..;î-. Z>°' Jfe i i r i V «Ì- ) - • iflH m jr, Vili Indienne de Pomabamba au travail devant son habitation (Pérou) (Runcio Foto) Travailleuses de la Puna Indienne aymara conduisant ses lamas au marché (Bolivie ALCOOLISME ET COCA EN AMÉRIQUE DU SUD 191 et, arrivé sur le littoral, l'Indien abandonne l'habitude de mastiquer la feuille de coca 1. Dans une étude publiée en 1946, le D r Monge déclare qu'« à titre d'hypothèse de travail, il est possible de supposer que [l'habitude de mâcher la feuille de coca] joue le rôle d'un agent pharmacologique stimulant des réactions humorales permettant à l'individu un rendement plus élevé 2 ». Dans son rapport, la Commission des Nations Unies déclare qu'« il n'existe aucune preuve que la feuille de coca soit utile ou même nécessaire pour l'adaptation au travail ou à la vie en général aux altitudes élevées » ; que l'homme des Andes n'est pas physiologiquement différent de l'homme vivant au niveau de la mer et que « le prétendu rapport entre la haute altitude et la mastication de la feuille de coca est le reflet d'autres facteurs et, notamment, des difficultés de la vie, dans les hautes régions des Andes, qui favorisent l'emploi d'une drogue allégeant la souffrance 3 ». Ces considérations concordent avec celles du D r Gutiérrez Noriega, qui a soutenu la thèse suivante : Si la feuille de coca était indispensable à la vie sur les hauts plateaux, le fait qu'un secteur considérable de la population vivant à plus de 3.000 et 4.000 mètres au-dessus du niveau de la mer peut s'en passer complètement serait inexplicable ; le nombre des Indiens parfaitement adaptés vivant dans ces régions sans consommer de coca est considérablement supérieur à celui des Indiens qui s'adonnent à la mastication et qui vivent dans la même région ; qui plus est, les premiers jouissent d'une santé physique et mentale bien meilleure que les seconds 4. 1 « L a thèse scientifique admise au Pérou est que l'homme des Andes peut être considéré comme une variété physiologique de la race humaine. Il se distingue de l'homme vivant au niveau de la mer en ce que ses réactions physiologiques e t ses indices biochimiques sont toujours différents par leur intensité, leur quantité et même par leur sens. » Voir NATIONS U N I E S , Conseil économique et social, X I I I m e session : Stupéfiants, E/1666/ADD.3 ; E/CN.7/AC.2/1/ADD.3, 27 juin 1951. Sur la position du Pérou au sujet du rapport de la Commission, voir également Perú Indigena, publication de l'Institut péruvien des affaires indigènes, vol. I I , n°s 5 et 6, juin 1952. 2 Carlos MONGE : « El problema de la coca en el Perú », Anales de la Facultad de Medicina (Lima), vol. X X I X , n° 4 (1946), p p . 311-315. Cité dans le Rapport de la Commission d'étude sur la feuille de coca, op. cit., pp. 165-166. Voir aussi C. A. PVICKETTS : « El cocaísmo en el Perú », America Indígena, vol. X I I , n° 4, oct. 1952, pp. 309-321, et Carlos MONGE : « L a necesidad de estudiar el problema de la masticación de las hojas de coca », ibid, vol. X I I I , n° 1, janv. 1953, pp. 47-53. 3 Rapport de la Commission d'étude sur la feuille de coca, op. cit., pp. 41 et 42. 4 Carlos GUTIÉRREZ NORIEGA : « Errores sobre la interpretación del cocaísmo en las grandes alturas », Revista de Farmacologia y Medicina Experimental (Lima), vol. I, 1948, pp. 100-123, et « El hábito de la coca en Sudamérica », op. cit., p. 119. 192 CONDITIONS DE VIE L'emploi de la coca comme salaire en nature 1 Si l'on en croit diverses sources de caractère aussi bien officiel que privé, il n'est pas rare que les propriétaires terriens paient à leurs travailleurs aborigènes une partie de leur salaire sous forme de feuilles de coca. La Commission d'étude sur la feuille de coca a réuni à ce sujet des renseignements qui prouvent qu'une partie considérable des feuilles produites dans les plantations de cocaïers du Pérou et de Bolivie est mise en circulation sans donner lieu à la perception d'aucun impôt, du fait qu'il n'en est pas tenu compte dans les statistiques. Dans son rapport, la Commission a fait observer qu'outre la production qui passe directement au marché de consommation, une partie importante est destinée, dans certaines plantations, au paiement partiel des salaires 2. Dans le cas de la Bolivie, elle a constaté que les salaires journaliers sont payés assez fréquemment sous la forme de feuilles de coca 3. Le gouvernement colombien, dans des rapports adressés aux Nations Unies et dans sa réponse au questionnaire relatif à la feuille de coca qui lui a été adressé par le secrétariat des Nations Unies, fait état de données qui permettent de conclure que « la suppression totale de la culture de la coca constitue une lutte économique, car les propriétaires paient une grande partie des salaires de leurs ouvriers agricoles en feuilles de coca 4 ». De son côté, en 1942, le spécialiste colombien des questions indigènes César Uribe Piedrahita a déclaré que « la ration de coca a pris rang de monnaie pour le paiement des salaires : une grande partie de ceux-ci sont payés en poignées de feuilles de coca cultivée dans les exploitations agricoles 5 ». Gerardo Bonilla Iragorri donne des informations plus récentes au sujet de la consommation de feuilles de coca dans le département du Cauca ; d'après lui, en 1948, le grand propriétaire terrien et les personnes ayant une certaine importance économique versent à leurs journaliers et à leurs fermiers des salaires de misère, dont une partie est encore payée sous forme de 1 La convention internationale du travail n° 95, de 1949, relative à la protection du salaire, dispose que « la législation nationale, les conventions collectives ou les sentences arbitrales peuvent permettre le paiement partiel du salaire en nature», mais que «le paiement du salaire sous forme de spiritueux ou de drogues nuisibles ne sera admis en aucun cas». 2 Rapport de la Commission d'étude sur la feuille de coca, op. cit., p. 67. 3 Ibid., p. 124. 4 Ibid., p. 112. 5 César URIBE PIEDRAHITA : « Esquema para un estudio de la patología indígena en Colombia», op. cit., pp. 67-74. ALCOOLISME E T COCA EN AMERIQUE DTT SUD J93 feuilles de coca *. Son compatriote Antonio Garcia affirme, d'autre part, que, chez les Indiens Guambiano et Paez qui habitent dans les régions les plus inaccessibles de la cordillère, « le salaire en nature a été imposé, qu'il soit évalué en unités monétaires (auquel cas le paiement se fait sous forme d'aliments et de vêtements), ou qu'un produit déterminé (généralement la coca) joue le rôle d'unité de compte et remplace l'étalon monétaire 2 ». En ce qui concerne la Sierra du Pérou, le médecin péruvien Luis N. Sáenz a déclaré que dans plusieurs régions, l'ouvrier reçoit couramment une certaine quantité journalière de coca et d'alcool qui fait partie de son salaire et qui, dans bien des cas, représente une valeur supérieure à celle du salaire en espèces. Le prolétaire de la Sierra reçoit en coca beaucoup plus de la moitié de son salaire journalier ; asservi à la feuille de coca, il se résigne aux sommes insignifiantes d'argent que lui vaut son travail à condition que lui soit fournie la ration de coca que son habitude réclame impérieusement 3. Gutiérrez Noriega signale que dans les lieux où le cocaïsme se manifeste de façon généralisée, « les paysans reçoivent, presque comme unique salaire, des rations hebdomadaires de coca et d'eau-de-vie » et que « l'un et l'autre de ces produits ont pour ainsi dire la valeur d'une monnaie régulière 4 ». Dans leur ouvrage Disección del indigenismo peruano, les docteurs Kuczynski-Godard et Paz Soldán affirment que la quantité de coca consommée annuellement est supérieure à celle que présentent les statistiques officielles, du fait qu'aucun contrôle officiel n'est exercé sur les feuilles, qui « servent souvent pour le paiement du travail 5 ». Le premier de ces deux auteurs a pu constater que dans la pampa d'Ilave, près du lac Titicaca, une partie du salaire est payée en coca 6. 1 Gerardo BONILLA IRAGORRI : « E l consumo de hojas de coca en el departamento del Cauca », El problema del cultivo y masticación de hojas de coca en Colombia (Bogota, Ministerio de Higiene, 1948). Cité dans le Rapport de la Commission d'étude sur la feuille de coca, op. cit., p . 131. 2 Antonio GARCÍA : « Regímenes indígenas de salariado », America Indigena, vol. V i l i , n° 4, oct. 1948, p . 270. 3 Luis N . SAENZ : El punto de vista mèdico en el problema indigena peruano (Lima, Imprenta Miranda, 1945), p p . 26, 39 e t 52. 4 Carlos GUTIÉBEEZ NORIEGA : El cocaísmo y la alimentación en el Perú, op. cit., p . 73. Cité dans le Rapport de la Commission d'étude sur la feuille de coca, op. cit., p . 143. 6 M. H . KUCZYNSKI-GODARD et C. E . P A Z SOLDÁN : Disección del indigenismo peruano, op. cit., p p . 86 et 88. 6 M. H . KTTCZYNSKI-GODARD : La pampa de llave y su hinterland (Lima, L a Reforma Médica, 1944). Cité dans le Rapport de la Commission d'étude sur la feuille de coca, op. cit., p . 148. 194 CONDITIONS DE VIE MESURES D E RÉGLEMENTATION Dans tous les pays sud-américains ou sévit le cocaïsme, des dispositions ont été prises en vue de réglementer la production, la consommation ou l'importation de la feuille de coca suivant les cas. Argentine En Argentine, en vertu de la résolution n° 23134 du 25 février 1950, une Commission technique de la coca a été instituée avec les attributions suivantes : a) effectuer des enquêtes en vue de déterminer les effets biologiques et toxiques de la consommation de la feuille de coca ; b) travailler à une réforme de la législation en vigueur en vue d'établir et de proposer un plan d'élimination progressive et totale de la consommation de coca ; c) déterminer les quantités qu'il y aura lieu d'importer et de répartir entre les importateurs agréés. La résolution déclare que « l'habitude de mâcher la feuille de coca, enracinée depuis des siècles dans le pays, pose encore de nos jours, pour l'état sanitaire de la Eépublique argentine, un problème qui concerne une grande partie de la population du nord du pays » ; qu'« il est prouvé que cette habitude a des conséquences nuisibles, même si certains de ses effets sont encore aujourd'hui discutés x ». Bolivie En Bolivie, la législation en vigueur revêt un caractère purement fiscal ; la production y est libre et seules les feuilles livrées à la consommation sont soumises à l'impôt : la perception de cet impôt incombe aux régies de la coca de La Paz et de Cochabamba (décret-loi du 19 décembre 1941). La Bolivie a souscrit à la convention internationale de 1925, qui invite les parties contractantes à limiter le nombre des villes, ports et autres localités par lesquels l'exportation ou l'importation des feuilles de coca est permise. Toutefois, la Bolivie a fait une réserve aux termes de laquelle elle ne s'engage pas à restreindre la culture ni la production de la coca dans le pays, ni à interdire l'usage des feuilles de coca parmi les populations indigènes 2. A la veille de l'arrivée de la Commission des Nations Unies dans le pays, le gouvernement a pris un décret portant création d'une Commission nationale de la coca dont les 1 Rapport de la Commission d'étude sur la feuille de coca, op. cit., p. 180. \Ibid„ p. 88. ALCOOLISME ET COCA EN AMÉRIQUE DU SUD 195 attributions sont les suivantes : a) étudier de façon approfondie le problème de la coca en Bolivie ; b) collaborer avec la Commission des Nations Unies ; c) coordonner les accords avec les organismes étrangers de même nature 1 . En 1943, la Commission gouvernementale mixte d'experts du travail de Bolivie et des Etats-Unis a déclaré que de toute évidence, le problème de la coca présente des ramifications multiples qui nécessitent une étude poussée et de longue haleine, et que tant que le problème n'aura pas été examiné sous tous ses aspects, il sera difficile de formuler des recommandations en vue de le résoudre au moyen de mesures fiscales ou de toute autre manière. La Commission a souligné le fait que la grande superficie des terres consacrées à la culture de la coca en Bolivie confère à ce problème un caractère économique 2. Colombie Le gouvernement colombien, par la décision n° 578 prise en septembre 1941, a complété les mesures existantes sur le commerce des stupéfiants et a réglementé la culture du cocaïer et la vente en gros des feuilles de coca. Cette décision oblige les inspecteurs de la santé, les maires et les préfets à faire le recensement des plantations de coca dans les zones placées sous leur juridiction, interdit la vente en gros de la coca sans autorisation de l'inspecteur de la santé ou du maire et stipule qu'il ne pourra être créé dans le pays de nouvelles plantations de coca ; des sanctions sont prévues en cas d'infraction. En mars 1947, a été promulgué le décret n° 896, qui, après avoir rappelé les obligations qui incombent à la Colombie du fait de son adhésion aux conventions internationales de 1925 et de 1931, ainsi que les termes du décret n° 2127, de 1945 3, interdit le paiement partiel ou total des salaires sous forme de spiritueux ou de feuilles de coca, déclare nuls et non avenus les contrats de travail qui contiennent des stipulations en ce sens, fixe les sanctions applicables en cas d'infraction ou de récidive, interdit la culture du cocaïer et des espèces d'arbres voisines, ainsi que de la mariguana, interdit de même la distribution et la vente des feuilles de ces plantes, 1 Rapport de la Commission d'étude sur la feuille de coca, p p . 179-180. 2 BTTREAU INTERNATIONAL D U TRAVAIL : Los problemas del trabajo en Bolivia, op. cit., p . 40. 3 Ce texte interdit a u x employeurs le paiement du salaire sous forme de marchandises, de billets à ordre, de jetons, ou sous quelque autre forme qui puisse être substituée à la monnaie a y a n t cours légal. 196 CONDITIONS DE VIE autorise les maires, préfets et autorités sanitaires et policières à détruire les plantations existantes et à confisquer les feuilles déjà sur le marché et prévoit enfin d'autres mesures complémentaires. Toutefois, la mise en vigueur de ce décret a été ajournée pour une année en vertu du décret n° 1472, de la même année, en ce qui concerne la destruction des plantations et la confiscation des feuilles déjà sur le marché ; en revanche, il a été ordonné de procéder à un recensement des plantations et il a été interdit d'en établir de nouvelles 1. Pérou Au Pérou, entre 1891 et 1944, la coca a fait l'objet d'une trentaine de lois et règlements, la plupart de caractère fiscal instituant des impôts à la consommation dont le produit est affecté à la construction ou à l'entretien de routes, d'hôpitaux, d'établissements scolaires, etc. Certaines de ces lois font état des effets nocifs de la mastication (« dégénérescence de la race », « conséquences funestes pour la santé et pour la vie », etc.). Cependant, ainsi que l'a fait observer la Commission des Nations Unies, « considérée en soi, la politique fiscale d'augmentations constantes des impôts sur la feuille de coca et, par la suite, du prix de la feuille de coca, n'a entraîné en plus de cinquante années ni la réduction de la production ni celle de la mastication 2 ». A la date du 13 juin 1949, le gouvernement a promulgué le décret-loi n° 11046 portant création, sur l'ensemble du territoire de la République, de la Eégie de la coca, chargée de contrôler les ensemencements, la culture et la récolte, la distribution, la consommation et l'exportation de la coca. Aux termes du même décret, l'utilisation industrielle de la feuille de coca à des fins médicales relève du ministère de la Santé publique et de l'Assistance sociale conformément à un décret antérieur, en date du 8 juin 1948. En vertu d'un décret spécial, le ministère des Finances doit signaler la région du territoire national où peut être pratiquée la culture et fixer les délais dans lesquels l'existence de quantités de coca prêtes à la consommation devra être déclarée afin que la Eégie puisse en faire l'acquisition aux prix fixés par ledit ministère. Il autorise le même ministère à adopter une réglementation sur : a) le prix fixe du produit ; b) la répartition du produit des taxes fiscales et 1 Jorge B E JABANO : « Nuevos capítulos sobre el cocaísmo en Colombia », op. cit., pp. 37-40. 2 Rapport de la Commission d'étude sur la feuille de coca, op. cit., p . 84. ALCOOLISME ET COCA EN AMÉRIQUE DU SUD 197 locales sur la coca entre les diverses entités gouvernementales ; c) le cadastre des cultures ; d) les sanctions applicables aux contrevenants ; e) le budget des dépenses entraînées par le fonctionnement du système. Le 2 août 1949, le gouvernement a promulgué un décret réglementant l'application dudit décret-loi. Outre la fixation des zones du territoire national où la culture de la coca est autorisée, ce règlement porte notamment sur les points ci-après : a) inscription obligatoire dans les registres de la Eégie de toute personne physique ou morale qui se livre à la culture ou au commerce de la coca ; b) interdiction de mettre de nouvelles terres en culture ou d'agrandir les plantations existantes sans en aviser au préalable la Eégie de la coca ; c) établissement par la Eégie d'un cadastre des plantations ; d) interdiction de transporter la coca des centres de production aux centres de consommation en dehors des voies publiques et des heures de jour ; e) obligation faite aux propriétaires d'établissements consacrés à l'expédition de la coca d'apposer à la porte une plaque spéciale distribuée par la Eégie ; f) monopole concédé à la Eégie de l'exportation de la coca produite dans le pays. Les contrevenants aux dispositions qui gouvernent le fonctionnement de la Eégie de la coca sont passibles des peines suivantes : a) confiscation de la totalité des plantations établies sans permis de la Eégie ; b) confiscation de la coca transportée par des voies détournées ou la nuit ou pour laquelle la documentation protectrice prescrite n'a pas été établie ; c) confiscation de la coca qui se trouve dans les dépôts ou dans les établissements de vente sans qu'ait été établi le certificat de paiement ou l'autorisation y relative. Le 25 août 1949, le gouvernement a pris un autre décret stipulant que les exportations de feuilles de coca continueront d'être assujetties au régime de contrôle international des stupéfiants 1 . Par la résolution n° 122 du 7 septembre 1949, le ministère de la Justice et du Travail a décidé de constituer une Commission péruvienne de la coca, chargée : a) d'étudier de façon approfondie le problème de la coca dans le pays ; b) de collaborer avec la Commission des Nations Unies ; c) de coordonner ses efforts avec ceux des organisations étrangères créées à des fins analogues. 1 Le Pérou n'est pas partie à la convention de 1925 ; cependant, il applique les dispositions relatives aux certificats d'exportation et d'importation, et il est partie à la convention de 1931 prévoyant la réglementation et la limitation de la fabrication des stupéfiants. CHAPITRE VII ANALPHABÉTISME ET ÉDUCATION1 L'analphabétisme pose un problème différent selon qu'il s'agit de l'ensemble de la population d'un pays ou de la population aborigène. Problème national si on le considère du point de vue du niveau de l'éducation populaire générale, il se complique et se particularise dès qu'il s'agit d'élaborer une politique visant à donner à des populations qui possèdent leur culture et leur langue propres la possibilité de lire et d'écrire dans la langue officielle du pays auquel elles appartiennent. Lorsqu'ils veulent déterminer le niveau d'instruction de la population nationale, les gouvernements s'assurent que l'obligation scolaire est respectée ou que certaines conditions minima sont remplies, grâce auxquelles il est possible de lire et d'écrire dans la langue officielle. Que la population d'un pays soit en tout ou en partie illettrée, c'est là en général le signe qu'aucune mesure spéciale n'a été prise pour incorporer les groupes aborigènes à la culture qui prévaut dans le pays, même aux dépens de la culture autochtone. Dans les pays à forte densité de population aborigène, où les langues et dialectes primitifs revêtent une importance très grande, la culture indigène fondée sur une ou plusieurs langues — mais rarement exprimée dans la langue officielle — n'est pas assimilée à la culture nationale, à moins que l'aborigène ne commence à surmonter les obstacles Knguistiques qui le séparent du reste de la population ; dans ce cas d'ailleurs, l'aborigène ne constate pas souvent, chez ses concitoyens plus favorisés, un grand empressement à rompre l'isolement où l'enferme son unilinguisme. Dans la plupart des cas, lorsque se posent des problèmes linguistiques, l'analphabétisme se mesure par rapport à une 1 Pour l'exposé des mesures prises dans ce domaine par les gouvernements, voir le chap. XI. AKALPHABÉTISME ET ÉDUCATION 199 langue conventionnelle qu'il s'agit d'établir comme base de l'enseignement général et obligatoire 1 . Si l'on veut mettre les populations aborigènes en mesure de s'assimiler à la vie économique, politique et culturelle de la nation sur un pied d'égalité, il est indispensable de considérer le problème de l'analphabétisme sans le séparer de celui de l'unilinguisme des individus, déjà esquissé au chapitre I I , et de celui de la multiplicité des langues et dialectes aborigènes qui, à cause de la tradition historique ou de l'isolement géographique et culturel, empêche les citoyens d'un même pays de communiquer librement entre eux. Les informations contenues dans le présent chapitre se. rapportent, de manière générale, au degré d'analphabétisme de la population aborigène, par rapport au critère de l'éducation primaire dans la langue officielle de chacun des pays. Il n'est pas toujours possible de fournir des renseignements exclusivement relatifs à la population autochtone. Dans bien des cas, cette lacune a été comblée au moyen d'informations qui permettent de se faire une idée de l'importance du problème de l'enseignement élémentaire 2. Amérique latine L'un des problèmes qui réclament une solution avec le plus d'urgence en Amérique latine est celui de l'éducation des populations rurales. Le pourcentage des adultes qui ne savent ni lire ni écrire et celui des enfants qui ne peuvent fréquenter l'école — à cause de leur indigence ou des difficultés de transport ou simplement parce qu'il n'existe pas d'écoles — est très élevé dans la plupart des pays. Comme pour les autres aspects de la vie sociale, ce sont les aborigènes qui sont les moins favorisés. A quelques rares exceptions près, il n'existe pas de statistiques spéciales sur l'analphabétisme parmi les aborigènes, mais il n'est certainement pas imprudent d'affirmer que, dans tous les pays considérés, ce pourcentage est beaucoup plus élevé que dans le reste de la population. Si l'on se souvient que, dans quelques-uns de ces pays, la population comprend 1 Les difficultés que suscite le problème de l'établissement d'une langue nationale ou d'une langue nouvelle dans des pays possédant une forte proportion d'habitants parlant une langue primitive sont exposées dans NATIONS UNIES, Département des questions sociales : Rapport préliminaire sur la situation sociale dans le monde, op. cit., pp. 85-88. 2 En ce qui concerne la formation professionnelle et l'enseignement des métiers artisanaux, voir le chap. X. 8* 200 CONDITIONS DE VIE plus de deux tiers d'Indiens 1 et que, bien souvent, il n'existe pas de données dignes de foi sur la population « inaccessible » aux fins des recensements, on comprendra plus, facilement l'ampleur du problème tel qu'il apparaît dans les chiffres du tableau ci-après. TABLEAU XXII. — AMÉRIQUE LATINE : POPULATION ILLETTRÉE Pays Bolivie ' Brésil . . Chili 1 . . Colombie 2l Equateur Guatemala Honduras . Mexique . 3 Panama . 4 Pérou . . Salvador 3. Venezuela Dates des recensements 1943 1940 1940 1938 1950 1940 (1950)1 1945 1940 1940 1940 1930 1941 Groupe d'âge Nombre d'illettrés 10 ans et plus 16.452.832 — 10 ans et plus 7 7 10 10 10 8 10 — ans ans ans ans ans ans ans et et et et et et et plus plus plus plus plus plus plus — 2.699.374 — 1.677.297 622.049 7.198.756 144.142 2.448.060 804.523 1.555.551 Pourcentage de la population 80,0 56,7 27,2 44,2 60,0 65,4 66,3 51,6 35,3 56,6 72,8 56,8 Source : U.N.E.S.C.O., Département de l'éducation, Centre d'information : Données statistiques sur l'analphabétisme d'après les statistiques nationales existantes (Paris, 30 avril 1950), doc. U.N.E.S.C.O./ED/OCC./6. 1 Données empruntées à NATIONS UNIES : Rapport préliminaire sur la situation sociale dans le monde, op. cit., pp. 104-105. — 2 Non compris 4.775 aborigénes illettrés. — s Non compris les Indiens vivant en tribus et la population sylvicole. — * Chiffre de population ne comprenant pas une estimation de 465.144 pour compenser des lacunes dans le dénombrement et de 350.000 pour la population vivant dans la jungle. La Commission d'étude sur la feuille de coca a signalé dans son rapport que l'on compte environ 75 pour cent d'illettrés parmi les Indiens des Andes. « La proportion pourrait être bien plus grande, étant donné que les écoles sont souvent très éloignées des fermes, non seulement dans les régions de l'Altipiano, mais aussi dans d'autres régions du Pérou et de la Bolivie 2. » Eoberto Moreno y Garcia a calculé que dans les cinq pays latino-américains qui comptent la plus forte population aborigène, la proportion des enfants d'âge scolaire qui ne fréquentent pas l'école s'établit comme suit : Bolivie, 86 pour cent ; Guatemala, 80 pour cent ; Equateur, 70 pour cent ; Pérou, 63 pour cent ; Mexique, 57 pour cent 3 . 1 Environ 80 pour cent de la population indienne et métisse de culture indienne réside en Bolivie, en Equateur, au Guatemala, au Mexique et au Pérou. Pour plus de détails, voir chap. II. 2 Rapport de la Commission d'étude sur la feuille de coca, op. cit., p. 18. 8 Roberto MOBENO Y GAKCÎA : Analfabetismo y educación popular en America (Mexico, 1941), p. 72. ANALPHABÉTISME ET ÉDUCATION 201 BOLIVIE En 1943, la population bolivienne comprenait au moins 75 pour cent d'illettrés ; parmi les enfants d'âge scolaire, un sixième au maximum fréquentaient l'école ; 30 pour cent au plus des maîtres des écoles rurales avaient reçu une formation pédagogique suffisante ; 74 pour cent des élèves manquaient de sièges et de pupitres et la pénurie de livres et de fournitures scolaires était quasi totale *. EQUATEUR Pablo Arturo Suárez a pu calculer qu'en 1934, 80 pour cent des travailleurs agricoles équatoriens habitant les exploitations et 50 pour cent des paysans libres étaient illettrés 2 . Selon des informations communiquées au B.I.T. au début de 1950 par le ministère de l'Instruction publique, sur un total de 331.564 élèves des écoles élémentaires du pays, 71.492 seulement étaient des Indiens (21,56 pour cent). Eappelons que la population indigène et métisse du pays représente environ 55 pour cent de la population totale. Emilio Uzcátegui estimait récemment, dans un rapport élaboré pour l'U.N.E.S.C.O., qu'en 1944, le nombre total des illettrés s'élevait (sur une population totale de 3.519.900) à 1.958.506, dont 132.700 enfants et 1.820.746 adultes. Dans les régions de la Sierra et de l'est du pays, où habite la majorité de la population indigène, le nombre des illettrés était de 1.231.925. En 1951, sur les 520.000 enfants d'âge scolaire, 300.000 seulement étaient inscrits dans les écoles ; sur dix enfants qui entraient dans la première classe, cinq passaient dans la deuxième et un seulement parvenait jusqu'à la sixième ; 82 pour cent des écoles rurales n'avaient qu'un seul instituteur ; dans la majorité des cas, l'absentéisme scolaire était dû à la nécessité dans laquelle se trouvaient les pères de famille de faire travailler leurs enfants, aux conditions climatiques et aux maladies 3. 1 BUREAU INTERNATIONAL DU TRAVAIL : Labour Problems in Bolivia, op. cit., p. 13. 2 Pablo Arturo SUÁREZ : Contribución al estudio de las realidades entre las clases obreras y campesinas, pp. cit., p. 35. 3 Emilio UZCITEQUI : L'obligation scolaire en Equateur, Etudes sur la scolarité obligatoire, n° VII (Paris, U.N.E.S.C.O., 1951), pp. 43 et suiv. 202 CONDITIONS D E VIE GUATEMALA Les résultats du recensement général de la population effectué en 1940 au Guatemala font ressortir le nombre des illettrés à 1.667.297 sur une population totale de 2.566.244 personnes de plus de sept ans (69,33 pour cent). Le pourcentage des illettrés était beaucoup plus élevé dans les régions rurales habitées par les aborigènes. Ainsi, par exemple, dans le département de Solóla, ce pourcentage atteignait 88,44, tandis qu'il n'était que de 42,10 dans le département de la capitale. En 1951, sur un total d'environ 537.000 enfants d'âge scolaire, 199.000 seulement (37 pour cent) étaient inscrits dans les écoles primaires x. Pendant de nombreuses années, le pourcentage de la fréquentation scolaire a varié entre 15 et 20 pour cent et l'on estime que dans les régions rurales un enfant seulement sur dix fréquente l'école 2 . Très peu d'enfants dépassent la première classe élémentaire ; entre la première et la deuxième, la fréquentation scolaire baisse de 50 pour cent et 4 pour cent seulement des élèves inscrits arrivent à la troisième classe ; les trois quarts des maîtres qualifiés enseignent dans la capitale du pays 3 . MEXIQUE Dans un message adressé au Congrès national en septembre 1940, le Président de la Eépublique a déclaré que le Mexique compte 45 pour cent d'illettrés. D'après le recensement effectué cette même année, il y avait au Mexique 8.956.812 personnes âgées de six ans au moins qui ne savaient ni lire ni écrire 4 . PÉROU Le recensement de la population et des professions effectué en 1940 a montré que 2.039.006 seulement des 5.060.464 Péruviens et Péruviennes âgés de plus de six ans avaient fréquenté ou fréquentaient l'école. La population d'âge scolaire atteignait à peu près le chiffre de 1.464.664, mais 1 Boletín del Instituto Internacional Americano de Protección a la Infancia (Montevideo), vol. XXV, n° 4, déc. 1951, p. 365. 2 Oscar BABAHONA STREBER et J. Walter DITTEL : Bases de la seguridad social en Guatemala, op. cit., tome I, pp. 11-112. 3 Leo A. SUSLOW : Aspects of Social Reforms in Guatemala, 1944-1949, op. cit., p. 19. Voir également Manuel CHAVARRÍA FLORES : Analfabetismo en Guatemala. Informe de seis añas (Guatemala, Comité Nacional de Alfabetización, 1951). * SECRETARÍA DE LA ECONOMÍA NACIONAL, Dirección General de Estadística : Sexto censo de población, 1940 : Resumen general (Mexico, 1943), p. 8. ANALPHABÉTISME ET ÉDUCATION 203 514.843 enfants seulement (35 pour cent) étaient inscrits dans les écoles du pays. Dans la région de la Sierra, où se trouve la majorité de la population indigène, ce pourcentage est presque deux fois moins élevé (209.585 enfants inscrits sur un total de 887.650 enfants d'âge scolaire) 1 . Dans 2.600 agglomérations de cette région, il n'existait aucun bâtiment scolaire. Pour les différentes régions géographiques, le pourcentage moyen des illettrés s'établissait comme suit : côte, 32,45 ; Sierra, 73,16 ; région forestière, 49,54. Dans cinq départements de la Sierra où le taux de la population indigène était de 84,68 pour cent, le pourcentage des illettrés était de 81,45. « La majorité des illettrés se trouvent dans les départements du Sud (Apurímac, Puno, Cuzco, Huancavelica) et dans deux départements du Centre (Huánuco et Ancash). C'est précisément dans ces régions que se trouvent concentrées les populations quichua et aymara 2. » D'après le recensement, le taux moyen de la population non illettrée d'âge postscolaire atteignait 42,39. Cependant, la répartition démographique par région montre que les départements aborigènes de la Sierra présentaient des pourcentages de non-illettrés très inférieurs à ceux des départements des basses terres où les éléments aborigènes sont en minorité. Ainsi, pour le département d'Apurímac, le pourcentage est de 12,64 ; il est de 14 pour Puno, de 14,69 pour Ayacucho, de 16,81 pour Huancavelica, de 18,18 pour Cuzco, etc. Seul le département de Junin renferme un pourcentage d'aborigènes qui se rapproche de la moyenne nationale de 42,39 pour cent 3 . CAUSES D E L'ANALPHABÉTISME A l'origine de cette situation figure en premier lieu l'absence complète ou l'insuffisance des moyens d'instruction. Cependant, dans de nombreux endroits, l'analphabétisme reste élevé bien qu'il existe des écoles et des moyens d'instruction. Ici se pose le problème de l'absentéisme scolaire des aborigènes, dû principalement à l'obligation dans laquelle se trouve le paysan de faire travailler ses enfants, même à un âge très 1 MINISTERIO DE HACIENDA Y COMERCIO, Dirección Nacional de Estadística : Estado de la instrucción en el Perú según el censo nacional de 1940 (Lima, 1942), pp. 11-19 ; voir aussi MINISTERIO DE EDUCACIÓN : Plan de educación nacional aprobado por decreto supremo del 13 de enero de 1950 (Lima, 1950), p. 72. 2 Max H. MINANO GARCÍA : Some Educational Problems in Peru, Institute of Latin American Studies, Occasional Series, I (Austin, The University of Texas Press, 1945), p. 27. 8 Estado de la Instrucción en el Perú..., op. cit., p. 190. 204 CONDITIONS D B VIE précoce, afin d'accroître le revenu familial. Dans une communication adressée au Bureau international du Travail en 1950, le ministère de l'Education de l'Equateur impute à la pauvreté des familles la très courte fréquentation scolaire chez les enfants aborigènes. On estime qu'en Amérique latine plus de 10 millions d'enfants (aborigènes et non aborigènes) sont occupés à des travaux qui, en raison de leur nature, devraient être exécutés par des travailleurs plus âgés 1. Au Guatemala, les pères de famille aborigènes « ne peuvent pas s'offrir le luxe d'envoyer leurs enfants à l'école 2 ». Une enquête effectuée en 1934 par l'Institut international américain de protection de l'enfance a permis d'établir que l'âge moyen auquel l'enfant aborigène commence à travailler varie entre neuf et dix ans ; des cas d'emploi d'enfants de quatre à cinq ans ont même été également constatés 3. En 1943, la Commission mixte d'experts du travail de la Bolivie et des Etats-Unis a relevé la présence au travail d'enfants de moins de quatorze ans (parfois même de huit ans) dans des mines de Bolivie 4. Dans certains pays, l'absentéisme scolaire est encore aggravé par le va-et-vient migratoire de groupes aborigènes importants qui se voient dans la nécessité d'abandonner périodiquement leur village d'origine situé dans la région des hauts plateaux pour se rendre dans les exploitations et les plantations des basses terres. Souvent, les conditions d'embauché de la main-d'œuvre aborigène comportent l'obligation, pour les enfants des ouvriers, d'accomplir certains travaux dans l'exploitation ou dans la maison du propriétaire. Le système d'enseignement rural se heurte au double problème de l'absentéisme et du départ prématuré de l'école : dans ces deux cas, ce sont les parents qui ont besoin du travail de leurs enfants. Parmi les pères de ces enfants, nombreux sont les ouvriers migrants qui, lorsqu'ils quittent leur village, emmènent aussi leur famille... Dans les meilleures conditions, les enfants fréquentent l'école jusqu'à neuf ou dix ans, ce qui est notoirement insuffisant. Les programmes scolaires doivent nécessairement tenir compte de ces difficultés6. 1 R o b e r t o MORENO Y GARCÍA, op. 3 Leo A. SUSLOW, op. cit., p. cit. 20. 3 Voir « Encuesta sobre el niño indígena », Boletín del Instituto Americano de Protección a la Infancia, oct. 1934, p . 113. 4 Internacional B U R E A U INTERNATIONAL D U TRAVAIL : Labour Problems in Bolivia, op. cit., p . 14. 5 INSTITUTO D E FOMENTO D E LA PRODUCCIÓN : Crédito agricola supervisado para Guatemala (Guatemala, mai 1951), p . 139. Il s'agit ici de l'édition préliminaire de cet ouvrage, publiée sous les auspices de l'Institut national d'encouragement à la production d u Guatemala, de la F.A.O. e t de l'Administration de l'assistance technique. ANALPHABÉTISME E T ÉDUCATION 205 Dans quelques régions, l'indigence de la famille aborigène l'oblige à retirer ses enfants de l'école pour les placer comme domestiques chez des propriétaires ou chez quelque chef politique local, contre la nourriture et le vêtement. Dans d'autres, le travail gratuit de ses enfants constitue, pour l'ouvrier aborigène, une des obligations fixées dans le contrat de travail en contrepartie du droit de cultiver une petite parcelle de terre dans l'exploitation 1. Dans de nombreux endroits toutefois, ce n'est pas sans appréhension que l'enfant aborigène se rend à l'école. Imbu du vieux préjugé de la prétendue infériorité de l'aborigène, l'enfant blanc ou métis n'est que trop disposé à mépriser son condisciple aborigène. Le ministère de l'Instruction publique de l'Equateur a signalé que, dans les écoles rurales, les enfants aborigènes ont, en général, une attitude passive et rêveuse quand ils se trouvent en minorité, tandis qu'ils déploient au contraire une grande activité et manifestent beaucoup d'animation lorsqu'ils sont les plus nombreux. Il faut observer aussi que, souvent, l'absentéisme scolaire du jeune aborigène est dû à la méfiance avec laquelle les parents considèrent un enseignement peu adapté aux nécessités pratiques de la vie rurale. Dans de nombreuses régions, l'unilinguisme aborigène, joint à la multiplicité d'idiomes autochtones irrégulièrement répartis, constitue un obstacle à l'utilisation de moyens d'instruction et en complique l'organisation 2. Il suffira de rappeler ici qu'au Guatemala, par exemple, la majorité de la population aborigène ne comprend pas l'espagnol, que dans plus de deux cents villages de l'Altipiano prédominent les langues aborigènes et que, dans nombre de ces villages, l'unilinguisme est absolu. Au Mexique 3 , le recensement de 1940 indiquait que le nombre des aborigènes âgés de cinq ans au moins et parlant uniquement leur propre dialecte était de 1.237.018, tandis que l'unilinguisme prédominait dans les régions du Nord et du Pacifique sud (57 et 61 pour cent respectivement). Au Pérou, le recensement de 1940 a permis d'établir que plus de 1.800.000 personnes parlent exclusivement le quichua ou l'aymara (1.625.156 et 184.743 respectivement) ; dans les départements montagneux de Cuzco, d'Ayacucho et d'Apurimac, la population aborigène unilingue 1 2 3 Pour plus de détails, voir le chap. I X . Voir tableaux LIV, LV et L V I I I . Voir carte I I I . 206 CONDITIONS DE VIE représente 79,44 pour cent, 92,39 pour cent et 86,22 pour cent. Malgré toutes ces difficultés, la majorité des pays intéressés ont adopté des mesures légales et administratives en vue de répandre l'instruction parmi la population aborigène. On verra dans la partie IV, consacrée à la politique sociale et économique des gouvernements, que les résultats obtenus ont été parfois satisfaisants. Canada et Etats-Unis CANADA Sur une population indienne d'âge scolaire (de sept à seize ans) de 29.167 enfants, 26.903 recevaient un enseignement primaire, secondaire et spécial en 1949 x. En ce qui concerne le niveau d'instruction de l'ensemble de la population, 96,2 pour cent des habitants âgés de dix ans au moins savaient lire 2. Les rapports récents indiquent que la pénurie de services scolaires, particulièrement dans la partie nord des provinces et dans les territoires du Nord-Ouest, où la population est très disséminée, est probablement à l'origine de la différence qui existe entre le nombre des enfants d'âge scolaire et le nombre des enfants inscrits dans les écoles. Le nombre des enfants inscrits dans les écoles de jour a fortement augmenté au cours des dernières années (passant de 10.982 en 1947-48 à 15.514 en 1950-51), en raison principalement de l'exécution d'un programme de construction de nouveaux bâtiments scolaires, surtout dans les régions mentionnées ci-dessus. La fréquentation scolaire a aussi augmenté d'une manière notable depuis 1947. De 1940 à 1948, le taux de fréquentation a varié entre 82,37 et 80,34 pour cent, alors qu'il a passé de 85,33 à 89,69 pour cent de 1948 à 1951. L'amélioration de la fréquentation scolaire semble notamment être due au fait que les maîtres des écoles indiennes de jour ont désormais une formation pédagogique plus poussée et plus d'expérience. D'autre part, le système d'après lequel les allocations familiales sont versées aux parents à condition que les enfants fréquentent l'école a également contribué à élever la fréquentation scolaire 3 . 1 Report of the Department of Citizenship and Immigration... 1951 (Ottawa, 1951), pp. 57, 71, 84-85 et 89-90. 2 Rapport préliminaire sur la situation sociale dans le monde, op. eu., pp. 109-110. 3 Report of the Department of Citizenship and Immigration... 1951, op. cit., pp. 62, 68, 82-83 et 86-87. ANALPHABÉTISME ET ÉDUCATION 207 ETATS-UNIS D'après des informations récentes, 25,2 pour cent de la population indienne 1 des Etats-Unis ne bénéficiaient d'aucune instruction scolaire (le pourcentage correspondant est de 3,7 pour le reste de la population des Etats-Unis). Le nombre moyen des années de fréquentation scolaire est de 5,7 pour les Indiens et de 8,4 pour le reste de la population. Le recensement de 1930 a montré que 95,7 pour cent des habitants âgés d'au moins dix ans savaient lire et écrire. Dans le cas de quelques tribus, comme par exemple celles qui vivent dans l'Etat d'Oklahoma, et dans la partie nord-est du pays, le nombre des années de fréquentation scolaire n'est pas sensiblement inférieur à ce qu'il est dans les communautés rurales non indiennes de l'Etat. De même, presque tous les adultes de la tribu des Hopi ont fréquenté l'école, la majorité d'entre eux pendant plusieurs années. Dans l'est de l'Oklahoma, où les Indiens vivent mêlés au reste de la population, la proportion des illettrés n'atteint que 10 pour cent au maximum; mais chez les Navajo, qui ont une population de près de 61.000 âmes, la durée moyenne de la fréquentation scolaire est inférieure à un an. Les deux tiers des Navajo n'ont jamais fréquenté l'école. Chez les Papago (7.000 personnes), moins de 40 pour cent parlent anglais et moins de 20 pour cent savent lire et écrire 2. Même chez les tribus qui bénéficient de conditions meilleures en matière d'instruction, la situation se caractérise par une pénurie de moyens d'instruction. D'après les informations présentées à la Commission des affaires intérieures et insulaires du Congrès par le commissaire par intérim aux Affaires indigènes, en 1945, sur un total de 92.296 Indiens d'âge scolaire (de six à dix-huit ans), 31.927 étaient inscrits dans des écoles publiques de l'Etat ou de leur municipalité (34,6 pour cent), 27.252 dans des écoles fédérales (29,5 pour cent) et 7.813 dans des écoles dépendant des missions religieuses (8,5 pour cent). Pendant cette même année, 19.375 Indiens étaient privés de toute possibilité de suivre un enseignement quelconque (21 pour cent), et sur ce nombre les 1 Estimée à 400.000 Indiens, Esquimaux et Aléoutes. J. A. KRUG : The Navajo, A Long-Range Program for Navajo Rehabilitation, op. cit., p. 7 ; déclaration du commissaire aux Affaires indigènes par intérim, William ZIMMERMAK, reproduite dans Hearings... on National Resources Policy, op. cit, pp. 326-327 ; et Laura THOMPSOK : Personality and Government, op. cit., pp. 55, 125, 144 et 162. 2 208 CONDITIONS DE VIE trois quarts résidaient dans les réserves destinées aux Navajo. Enfin, la situation de 5.929 Indiens (6,4 pour cent) qui ne figuraient sur les registres d'aucun établissement d'enseignement n'a pu être déterminée avec exactitude. On peut affirmer que les proportions étaient sensiblement les mêmes en 1949 1 . Chez les Navajo, les Papago et les autres tribus du SudOuest, environ 80 pour cent de la population ne parlent pas l'anglais. Récemment encore, certaines tribus se refusaient à envoyer leurs enfants à l'école. En 1946, la population scolaire des établissements d'enseignement fédéraux comprenait 73 pour cent des Indiens non métis et 56 pour cent de l'ensemble provenaient de foyers où seule était parlée la langue maternelle aborigène. Dans le cas des écoles publiques, les pourcentages correspondants sont, respectivement, 37 et 18. La situation est déplorable chez les Navajo, surtout si l'on se rappelle que le traité auquel ils sont partie depuis 1868 oblige le gouvernement fédéral à prévoir un bâtiment scolaire et un instituteur pour 30 habitants d'âge scolaire 2. La pénurie d'écoles atteint son maximum de gravité chez les Navajo. En 1948, pour une population d'âge scolaire de 24.000 enfants, la capacité des écoles existantes ne correspondait guère qu'à 7.500 élèves 3 . Il semble aussi que les moyens d'instruction existants ne soient pas utilisés comme il convient ou qu'ils ne soient pas appropriés aux besoins. En 1945-46, moins de 6.000 enfants Navajo étaient inscrits dans des écoles de différentes catégories, dont la description suivante a été faite : « établissements scolaires provisoires, administration et matériel défectueux, insuffisants, inappropriés et peu économiques 4 ». Laura Thompson a déclaré que la fréquentation scolaire des enfants Navajo est très irrégulière, même chez ceux qui sont inscrits dans une école. Chez les Papago, une statistique relative à 1947-48 montre qu'un tiers environ des 2.100 enfants d'âge scolaire de la tribu ne sont inscrits dans aucune école et que la moyenne d'assistance journalière des enfants inscrits n'atteint guère que 65 pour cent 5 . En plus des causes mentionnées ci-dessus, il faut imputer le taux très bas de la fréquentation scolaire et la mauvaise 1 Hearings... on National Resources Policy, op. cit., p. 327, et diagramme 48, p. 340. 2 Ibid., pp. 339-341. 3 J. A. KRTTG, op. cit., p. 39. 4 George I. SANCHEZ : The People : A Study of the Navajos (Lawrence, Kansas, U.S. Indian Service, 1948), p. 26. 6 Laura THOMPSON, op. cit., pp. 39, 55 et 108. ANALPHABÉTISME ET ÉDUCATION 209 utilisation des écoles qui existent, à la difficulté pour les parents d'envoyer régulièrement leurs enfants en classe lorsqu'un emploi saisonnier les oblige à quitter leur habitation de la réserve et qu'il ne reste personne au foyer pour prendre soin des enfants 1 . Asie BIRMANIE Les chiffres du recensement de 1931 indiquaient que 59 pour cent de la population birmane âgée de dix ans au moins était illettrée 2, que, sur 14.647.497 personnes classées selon leur distribution par religions, 10.001.409 étaient illettrées et que, sur le reste, seulement 161.690 avaient appris l'anglais s . De 1931 à 1937, la Birmanie fut la seule province de ce qui était alors l'Empire des Indes où l'enseignement primaire et secondaire était donné dans la langue aborigène. On peut dire que le bouddhisme et le christianisme =— celui-ci grâce à l'œuvre accomplie par les missionnaires — ont exercé une influence considérable sur le développement de la culture populaire 4. C'est dans les Etats Shan et Karen que l'on observe le retard le plus net dans le domaine culturel. Cependant, l'activité déployée par les missions parmi les tribus Karen est digne de remarque, et, d'autre part, il convient de préciser, comme nous le mentionnions déjà au chapitre I I , que certaines populations, même parmi les moins avancées du point de vue de la civilisation en Birmanie, réunissent toutefois certaines caractéristiques qui permettent de ne pas les comprendre dans la classification empirique de populations aborigènes, utilisée dans le présent ouvrage. Les informations réunies au sujet de la Birmanie sont de portée générale et celles qui concernent certains groupes de population considérés comme aborigènes aux fins du présent ouvrage sont contradictoires. CETTLAN D'après, les données du recensement de 1946, le chiffre de la population illettrée était estimé cette année-là à 2.445.656 1 2 3 Hearings... on National Resources Policy, op. cit., p. 327. Rapport préliminaire sur la situation sociale dans le monde, op. cit., p. 99. DEPARTMENT OS COMMERCIAL INTELLIGENCE AND STATISTICS (Inde) : Statis- tical Abstract for British India... 1929-30 to 1938-39 (Delhi, 1941), tableau 14, partie I I : Birmanie, p. 31. Cité par John LeRoy CHRISTIAN, op. cit., p. 352. 4 Pour plus de détails, voir John LeRoy CHRISTIAN, op. cit., pp. 188-200 et 207-222. 210 CONDITIONS D E VIE (soit 42,2 pour cent) personnes âgées de cinq ans au moins 1 . La population aborigène, généralement illettrée, représente une très faible proportion du total. E n effet, si l'on ajoute à la population Vedda (qui n'excédait pas 2.361 personnes en 1946) les groupes Kinnaraya (environ 2.000) et Rodiya (environ 700), on obtient un total qui ne représente qu'une fraction minime de la population de l'ensemble du pays (5.796.373 habitants). Des informations récentes permettent de supposer que ces aborigènes adoptent graduellement la langue ceylanaise et commencent à bénéficier de l'œuvre éducative du pays et à s'adapter graduellement 2 . INDE Le dépouillement du recensement effectué en 1931 dans l'Inde a permis d'établir que seulement environ 23.500.000 habitants savaient lire et écrire sur une population totale de 336 millions de personnes âgées de cinq ans au moins. Ce total comprenait 7.611.803 personnes appartenant à des groupements aborigènes de forme tribale, sur lesquelles 7.567.452 étaient complètement illettrées. (Le nombre de celles qui savaient lire et écrire représentait 44.351, c'est-à-dire une personne sur 172, soit 0,58 pour cent 3 .) Si le nombre des habitants instruits a augmenté depuis 1931 pour atteindre plus de 47 millions en 1941, la population illettrée n'a pas, elle non plus, cessé de croître et a passé approximativement de plus de 312 millions à 341 millions 4. D'autre part, en ce qui concerne les scheduled tribes, le recensement de 1951 indique que leur total atteint environ 19 millions d'habitants. Les données du même recensement — lequel, contrairement à ceux de 1931 et de 1941, ne comprend pas le Pakistan — montrent que la population de l'Inde dépasse 361 millions d'habitants, sur lesquels 54 millions d'enfants d'âge scolaire suivent un programme d'enseignement obligatoire de cinq ans et que, pour le moment, un sur trois des enfants âgés de six à onze ans fréquente l'école 5. Etant donné l'analphabétisme qui règne 1 U.N.E.S.C.O. : Données statistiques sur l'analphabétisme d'après les statistiques nationales existantes, op. cit., p. V. 2 E. K. COOK : Ceylon, op. cit., pp. 241-245 ; et M. D. RAGHAVAN : Cultural Anthropology of the Rcdiyas, op. cit., p. 30, et The Kinnaraya, op. cit., p. 225. 3 Census of India, 1931, vol. I, partie II, tableau XHI, p. 427. 4 S. CHANDRASEKHAB : India's Population, op. cit., pp. 41-43. 6 K. G. SAIYTDAIN, J. P. NATK et S. ABID HUSATN : L'obligation scolaire en Inde, Etudes sur la scolarité obligatoire, n° XI (Paris, U.N.E.S.C.O., 1952), pp. 39 et 182. ANALPHABÉTISME ET ÉDUCATION 211 dans l'ensemble de la population, ce serait faire preuve d'un optimisme exagéré que de supposer que la situation s'est améliorée dans les tribus aborigènes l . L'instruction primaire, complémentaire, secondaire ou préprofessionnelle est pratiquement inexistante chez les autochtones. Bien que les aborigènes qui suivent des cours universitaires soient fort peu nombreux, cet enseignement leur est ouvert chez les Khasi de l'Assam et chez les Munda et les Oraons de Chhota ÎTagpur, parmi lesquels on rencontre quelques étudiants. En général, non seulement les écoles sont rares dans les villages autochtones, mais encore les habitants ne peuvent ou ne veulent pas envoyer leurs enfants dans des écoles situées loin des villages ou dans les villes. Le recrutement des maîtres pose également un problème difficile. En effet, l'habitat de la plupart des populations aborigènes est situé dans des régions d'accès difficile, au climat malsain, et bien peu de maîtres acceptent d'y être envoyés ou d'y rester assez longtemps. L'idiome dans lequel l'enseignement doit être donné constitue une autre difficulté : en plus du problème que pose l'unilinguisme aborigène, les maîtres qui acquièrent une connaissance suffisante des idiomes autochtones sont trop peu nombreux. Enfin, les aborigènes n'utilisent pas suffisamment les moyens d'instruction existants parce que la plupart des écoles se trouvent dans des centres qui sont hors de leur portée 2. L'examen des résultats obtenus dans diverses régions permet de constater qu'en Assam l'éducation des aborigènes a notamment permis d'apprendre aux élèves garçons et filles à vivre selon des normes acceptées de discipline et à remplir les tâches qui leur incombent en leur qualité de membres d'une collectivité, même si cette conception s'écarte de la notion d'instruction prise dans l'acception occidentale. Par contre, chez les Naga, le système d'instruction semble avoir donné peu de résultats satisfaisants. Oes populations estiment en effet que l'instruction est un moyen d'accès aux emplois dans l'administration publique plutôt qu'une préparation à mieux vivre dans le village d'origine. Il s'ensuit, comme a pu l'observer J . P. Mills, que de nombreux jeunes ÎTaga incomplètement instruits refusent de retourner chez eux, perdant leur temps à chercher en vain un emploi approprié aux capacités 1 Voir toutefois, au chap. XI, l'exposé des programmes actuellement mis à exécution. 2 A. V. THAKKAE : The Problem of Aborigines in India, op. cit., pp. 15-17. 212 CONDITIONS D E VTE qu'ils croient avoir acquises 1 . Pour les Lushei, leur conversion au christianisme et l'instruction qu'ils ont reçue, si elles ont réduit l'importance de l'analphabétisme, les amenaient récemment encore, une fois qu'ils savaient lire et écrire, à professer une aversion absolue pour le travail manuel et il en résultait un accroissement correspondant du nombre des jeunes chômeurs et des insatisfaits 2. De même, l'instruction a produit chez les Kadar une certaine insatisfaction et les a rendus inadaptés à leur ancien mode de vie, sans leur donner la possibilité d'en adopter un nouveau s . Dans l'Etat de Travancore, on peut également contester le succès de l'œuvre éducative entreprise pour les aborigènes : limité à la lecture et à l'écriture, l'enseignement a sapé le respect des coutumes traditionnelles et suscité le mépris des travaux manuels 4 . AUTRES PATS D ' A S I E Le tableau ci-après présente quelques données sur l'analphabétisme dans d'autres pays d'Asie. Il convient de signaler TABLEAU XXm. — ASIE : IMPORTANCE DANS Pays Indonésie 1 Pakistan 2 Philippines Thaïlande 4 3 QUELQUES DE L'ANALPHABÉTISME PATS Date du recensement Population totale Habitants sachant lire et écrire Pourcentage d'illettrés 1930 60.727.000 4.296.579 92 15 ans et plus 1951 75.842.000 86 Tous les âges 1948 19.234.182 39 10 ans et plus 1947 17.442.689 60 Non indiqué 7.052.231 Groupes d'âge 1 DEPARTMENT OF ECONOMIC AFFAIRS, Central Bureau of Statistics : Statistical Pocket Book of Indonesia, 1941, pp. 7, 9 et 26. Sur l'ensemble de la population, 59.138.067 habitants étaient des éléments autochtones, et sur ce nombre, 3.746.229 savaient lire et écrire. On a calculé que la population de l'Indonésie s'élevait en 1951 à 76.500.000 habitants. Voir NATIONS UNIES, Département des affaires économiques, Bureau de statistiques : Annuaire démographique, 1952 {NewYork, 1952), p. 127.— * NATIONS UNIES : Rapport préliminaire sur la situation sociale dans le monde, op. cit., p. 100.— s Antonio ISIDRO, Juan C. CANAVE, Priscila S. MANALANO et Matilde M. VALDES : L'obligation scolaire aux Philippines, Etudes surla scolarité obligatoire, n° I X {Paris, U.N.E.S.C.O., 1952), et NATIONS UNIES : Rapport préliminaire sur la situation sociale dans le monde, op. cit., p. 100.— * M. L. Manich JUMSAI : L'obligation scolaire en Thallande, Etudes sur la scolarité obligatoire, n° VIII (Paris, U.N.E.S.C.O., 1952), p . 13. 1 J . P . M I L L S : <t Notes o n t h e Effect on Some Primitive Tribes of Assam of Contacts with Civilization », Censué of India, 1931, vol. 1, partie I I I B , p p . 147-148. 2 C. H . H E L M E : « The Effects on t h e Lushei of Contacte with Civilization », ibid,, p p . 147-148. 3 P . G. M E N O N : « The K a d a r of Cochin », ibid., p . 216. 4 L. A. K . I Y E R e t N . K. P I L L A I : « Primitive Tribes of Travancore », ibid., p . 237. ANALPHABÉTISME E T ÉDUCATION 213 que, comme pour d'autres informations données au sujet des pays dont la situation a été décrite de façon plus détaillée dans le présent chapitre, ces données concernent la population en général et que, du fait de l'impossibilité — déjà constatée au chapitre I I — d'obtenir des renseignements dignes de foi sur l'importance numérique des populations aborigènes, il est difficile de comparer les chiffres donnés dans ce tableau. Australasie AUSTRALIE D'après le recensement de 1951, la population australienne, non compris les aborigènes — dont le nombre s'élevait à 71.895 en 1944 —, était de 8.431.391 habitants. On estime que, chez les adultes, la proportion d'illettrés n'était que de 5 pour cent. L'enseignement est obligatoire et la scolarité dure de huit à dix ans selon les Etats. Le recensement de 1947 a montré que 15,1 pour cent de l'ensemble de la population étaient compris dans le groupe d'âge de cinq à quatorze ans (moyenne de l'âge scolaire). A. O. Neville, ancien commissaire aux Affaires indigènes d'Australie occidentale, a signalé qu'à peine un quart des 21.000 enfants aborigènes de cet Etat recevaient un enseignement primaire en 1947, mais que les chiffres exacts faisaient défaut à ce sujet 1 . Selon P. W. Beckenham 2 , il existait dans l'Etat de Victoria, en 1946, deux écoles pour enfants aborigènes, fréquentées par 72 élèves (8 pour cent de l'ensemble de la population aborigène de l'Etat). Dans ces établissements, l'enseignement est identique à ce qu'il est dans les écoles pour enfants « européens », mais on insiste spécialement sur les travaux manuels : couture, charpenterie, tissage, etc. En Nouvelle-Galles du Sud, une proportion relativement élevée de jeunes aborigènes fréquentaient les écoles destinées aux habitants de race blanche. Environ 1.075 élèves étaient inscrits dans 31 écoles créées spécialement à leur intention et administrées par les départements de l'Education de l'Etat. Pour enseigner dans ces établissements, on choisit des maîtres possédant des aptitudes spéciales ou qui s'intéressent personnellement à l'instruction 1 A. O. NEVILLE : Australia's Coloured Minoriti/, op. cit., pp. 144-145. P. W. BECKENHAM : The Education of the Australian Aborigine (Melbourne, Australian Council for Educational Research, 1948), passim. s 214 CONDITIONS DB VIE des aborigènes ; toutefois, ces maîtres, qui sont en général des Blancs, ne font l'objet d'aucun enseignement pédagogique spécial. Les jeunes aborigènes suivent un programme d'études analogue à celui qui est prévu pour les jeunes « Européens », et, comme dans l'Etat de Victoria, une attention particulière est prêtée aux travaux manuels. Quelques écoles spéciales pour aborigènes disposaient de postes de radio et d'appareils de projection fournis par le département du Bien-être des aborigènes. La fréquentation scolaire est obligatoire et, si l'on en croit l'étude citée ci-dessus, on peut dire que l'absentéisme ne dépasse pas le pourcentage normal observé chez les enfants de race blanche. En règle générale, les écoliers sont soumis à des examens médicaux dans les hôpitaux publics et dans les cliniques dentaires et les cliniques pour enfants. De plus, ils peuvent avoir recours aux services médicaux des autres institutions publiques ainsi qu'aux médecins et dentistes locaux. Au Queensland, 1.000 élèves aborigènes fréquentent les écoles ordinaires à côté des enfants de race blanche, et 1.403 fréquentent des écoles spéciales pour aborigènes, ce qui représente un fort pourcentage de la population aborigène d'âge scolaire. L'instruction donnée aux aborigènes va jusqu'à la cinquième année du programme primaire ; l'enseignement ultérieur porte sur des travaux manuels et les arts ménagers. La même année, treize enfants fréquentaient les écoles secondaires en vue de se préparer à remplir des emplois d'auxiliaires dans l'administration de l'Etat. A côté de l'instruction organisée par le département de l'Education, les missions subventionnées par le gouvernement ouvrent aussi des écoles pour les enfants aborigènes. Les écoles de la mission anglicane donnent un enseignement théorique et pratique, et consacrent un jour de la semaine aux méthodes de chasse et de pêche. Les jeunes filles suivent des cours de travaux ménagers et les garçons apprennent les principes de l'élevage du bétail et s'initient au travail en mer. Le gouvernement de l'Australie méridionale n'a pas établi de statistiques séparées concernant les aborigènes. Le département de l'Education a créé dans des exploitations agricoles deux écoles pour les aborigènes, dirigées par un maître et deux assistants. Les programmes d'études sont les mêmes que pour les enfants de race blanche. En outre, cinquante enfants aborigènes suivaient des cours par correspondance organisés par les missions. ANALPHABÉTISME ET ÉDUCATION 215 En Australie occidentale, les enfants aborigènes qui vivent dans les régions d'élevage du mouton ne reçoivent aucune instruction. Ceux qui habitent dans les agglomérations importantes peuvent fréquenter les écoles ordinaires, sauf s'ils sont atteints de maladies contagieuses ou infectieuses ou s'ils ne remplissent pas certaines conditions de propreté. Dans les camps des missions, les enfants reçoivent une instruction élémentaire et suivent quelques cours de formation professionnelle, enseignement qui, toutefois, ne saurait suffire à les préparer à la vie qui les attend. Comme dans les autres Etats, l'instruction est obligatoire pour les enfants aborigènes. Le 1 e r avril 1946, 560 enfants aborigènes et métis fréquentaient des écoles spéciales pour les aborigènes. Le programme des études vise notamment à enseigner aux enfants les rudiments de la civilisation occidentale, à leur donner une instruction générale comprenant une connaissance pratique de la langue anglaise et du système des poids et mesures, à leur inculquer de bonnes habitudes en matière d'hygiène et de mode de vie, à leur donner une connaissance des travaux ruraux et enfin à leur inculquer des principes moraux et spirituels. Cependant, 80 pour cent au moins de la population aborigène de cet E t a t ne reçoivent aucune espèce d'instruction. Le ministre des Affaires indigènes de l'Etat a fait observer, en étudiant les problèmes que pose l'éducation des aborigènes, combien il est illogique de créer des possibilités d'éducation sans améliorer les normes et les conditions de vie de la population aborigène 1 . Dans le Territoire du Nord, comme dans le reste de l'Australie, les lacunes les plus graves sont constatées dans le système d'enseignement destiné aux aborigènes de race pure, surtout dans les fermes d'élevage. Depuis plus de soixante ans, une mission luthérienne enseigne aux aborigènes du groupe Kokoyimidir des rudiments d'anglais et des notions de la langue primitive et les prépare peu à peu à participer d'une façon intelligente à la vie économique de la région. L'idée qui se dégage de cette expérience est que l'éducation de type général et pratique est celle qui convient le mieux à l'aborigène et que le devoir qui s'impose le plus impérieusement dans les zones à forte population aborigène est de constituer, dans ces zones, un corps enseignant ayant reçu une formation pédagogique spéciale et possédant des connaissances anthropologiques, grâce auquel pourraient être jetées les bases de 1 F . E. A. BATEMAN : Repart on Survey occidentale), p p . 23-27. of Native Affairs, op. cit. (Australie 216 CONDITIONS DE VIE noyaux scolaires partout où existent au moins douze personnes en âge de fréquenter l'école 1 . NOUVELLE-ZÉLANDE La loi néo-zélandaise dispose que l'enseignement scolaire est obligatoire de six à quinze ans, et qu'il est gratuit jusqu'à la fin de l'année au cours de laquelle l'élève atteint l'âge de dix-neuf ans ; aussi n'est-il pas surprenant qu'une proportion considérable d'élèves continue à suivre l'enseignement officiel au-delà de l'âge imposé par la loi et que, malgré une scolarité obligatoire de huit années, environ trois cinquièmes de la population fréquentent des établissements scolaires pendant au moins onze ans 2. Chez les adultes, on estime que le pourcentage des illettrés n'excède pas 5 pour cent 3. En 1951, sur une population maorie de 116.934 âmes, environ 31.000, c'est-à-dire plus de la moitié des jeunes gens d'âge scolaire recensés, fréquentaient l'école et représentaient environ 10 pour cent de la population totale soumise à l'enseignement obligatoire 4. A la fin de 1948, 28.735 enfants maoris fréquentaient les écoles primaires de l'Etat ; 16.591 d'entre eux fréquentaient les mêmes écoles publiques que les enfants « européens » et suivaient un programme d'études de type européen ; les autres, soit 13.254 enfants (dont 1.110 enfants européens), fréquentaient 159 écoles de villages maoris, où les programmes d'enseignement sont adaptés aux besoins de la population aborigène. Le taux moyen de fréquentation de ces écoles par les enfants maoris était de 87 pour cent (la moyenne s'établit à 90 pour cent pour les écoles publiques). En 1948, le nombre des maîtres employés dans les écoles des villages maoris était de 532, Européens pour la plupart. Il existait en outre dix écoles missionnaires maories fréquentées par 744 élèves 5. Pour diverses raisons, les enfants maoris n'ont pas participé aux cours d'instruction postprimaire dans les ¡mêmes conditions que les enfants européens. C'est ainsi qu'en 1947, le nombre 1 « The Future of the Australian Aborigine », Current Affairs Bulletin, (Sydney, Commonwealth Office of Education), vol. I, n° 13, 15 mars 1948, p. 10. 2 L'obligation scolaire en Nouvelle-Zélande, Etude de la Commission nationale néo-zélandaise pour VU.N.E.S.C.O., Etudes sur la scolarité obligatoire, n° X (Paris, U.N.E.S.C.O., 1952), p. 9. 3 NATTONS UNIES : Rapport préliminaire sur la situation sociale dans le monde, op. cit., p. 111. 4 L'obligation scolaire en Nouvelle-Zélande, op. cit., p. 67. 5 CENSUS AND STATISTICS DEPARTMENT : The New Zealand Official Year-Book, 1950 (Wellington, 1951), pp. 158-159. ANALPHABÉTISME ET ÉDUCATION 217 des enfants maoris qui ont fréquenté les écoles postprimaires européennes (secondaires, techniques et supérieures) était de 1.191. De plus, 490 élèves maoris fréquentaient les écoles secondaires pour aborigènes. Près de la moitié de ces enfants bénéficiaient de bourses d'enseignement postprimaire du gouvernement. La création de sept écoles indigènes supérieures de district dans les régions qui comptent une forte population maorie a marqué un nouveau progrès en matière d'organisation de l'enseignement postprimaire pour les Maoris. Les programmes de ces écoles comprennent des cours pratiques adaptés aux besoins des élèves maoris 1 . Bien que les Maoris bénéficient théoriquement, après le stade primaire, des mêmes moyens d'instruction que les Européens, on constate que la population aborigène, soit par manque d'intérêt, soit souvent parce qu'elle est trop pauvre, n'utilise pas toutes les possibilités qui lui sont offertes à cet égard 2. Le nombre des jeunes Maoris, garçons et filles, qui accèdent à l'université de Nouvelle-Zélande et terminent leurs études supérieures est faible et ne représente probablement qu'une fraction minime par rapport aux 5 à 8 pour cent de jeunes « Européens » qui entrent chaque année dans les diverses facultés. Outre le fait qu'un petit nombre seulement de Maoris pourront se trouver en mesure, pour des raisons surtout économiques, de fréquenter l'école quatre ou cinq années après leurs études primaires, il y a lieu de croire que le nombre de ceux qui, parmi eux, pourront entrer à l'université et embrasser ensuite des professions intellectuelles et semi-intellectuelles sera toujours inférieur à celui des Européens. Le nombre des jeunes Maoris qui entrent dans l'enseignement et dans le service dentaire scolaire ne cesse de s'accroître. La majorité d'entre eux enseignent dans les écoles de villages maoris 3. Le département de la Santé prend des mesures en vue d'encourager les vocations d'infirmière chez les jeunes filles maories. En 1945, cinquante d'entre elles au moins étaient reconnues aptes à l'exercice de cette profession et près de vingt étaient en cours de formation 4. 1 Sur le développement de l'enseignement destiné aux Maoris et les problèmes généraux qu'il pose, voir l'étude de Henry Charles MCQUEEN : Vocations for Maori Youth (Wellington, New Zealand Council for Education Research, 1945), pp. 27-28, et L'obligation scolaire en Nouvelle-Zélande, op. cit., pp. 67-76. 2 Ernest et Pearl BEAGLEHOLE : Some Modem Maoris, op. cit., pp. 171-172. 3 4 H. C. MCQUEEN, op. cit., p. 131. I. L. G. SUTHERLAND : « Maori and Pakeha », op. cit., TROISIÈME PARTIE Le travailleur aborigène dans l'économie CHAPITRE VIII MÉTIERS ET OCCUPATIONS Observations générales 1 Avant que soient établies des normes internationales pour l'amélioration des conditions de travail des populations aborigènes dans les pays indépendants, il faut tout d'abord procéder à l'analyse sociale, économique et technique des activités principales auxquelles se consacrent les aborigènes, des caractéristiques de ces activités et des problèmes qui leur sont propres. Toutefois, les difficultés — évoquées au chapitre I I — que l'on rencontre lorsqu'il s'agit de déterminer exactement l'importance numérique s'aggravent encore lorsqu'on s'efforce d'établir, même de façon approximative, la proportion économiquement active de ces populations et la place qu'elles occupent dans les diverses branches de l'économie nationale. L'inventaire et l'évaluation des renseignements quantitatifs disponibles révèlent que l'on manque de données suffisantes sur plusieurs points importants. Ajoutons que, dans la majorité des cas, les renseignements existants résultent d'enquêtes effectuées à des fins différentes sur des aspects divers et d'ailleurs limités du problème. En outre, et surtout en ce qui concerne l'Amérique latine, les renseignements sont souvent antérieurs à la deuxième guerre mondiale, et l'on sait que depuis lors, la structure économique de la majorité des pays en question a subi des modifications importantes qui ont sans doute influé sur la condition du travailleur aborigène du point de vue professionnel. Au nombre des conséquences de ces changements, mentionnons l'achèvement de réseaux de communications et la baisse des tarifs de transport qui, 1 Signalons dès l'abord que le chapitre XI expose des mesures récentes de politique gouvernementale, telles que la réforme agraire en Bolivie et au Guatemala, qui ont pu contribuer à faire évoluer l'état de choses décrit dans les deux chapitres ci-après. De plus, certains des problèmes particuliers qui rentrent dans le cadre du présent chapitre ont été traités de façon plus détaillée dans les chapitres suivants, en particulier les conséquences du régime foncier, le recrutement de diverses catégories de travailleurs et l'artisanat. 222 LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE dans plusieurs pays, ont permis à divers groupes aborigènes naguère isolés dans des régions retirées d'accéder aux grands centres urbains, les progrès accomplis dans le domaine de la technique et de l'organisation du travail par suite de la nécessité d'augmenter la production des denrées alimentaires et des produits miniers d'importance stratégique pendant la deuxième guerre mondiale, une industrialisation accélérée dans divers pays, due également à la guerre. Ces faits ont provoqué à leur tour dans diverses régions l'exode de groupes aborigènes important vers les centres industriels (c'est-à-dire le déplacement de secteurs importants de la main-d'œuvre d'une activité à une autre) et ont contribué également, soit dit en passant, à mettre en lumière le rôle de l'aborigène comme élément de production. Enfin, il existe un obstacle, dû à la nature même de l'objet de l'enquête, qui provient de ce que l'on pourrait appeler le « multiprofessionnalisme » (ou, pour employer l'expression d'un spécialiste péruvien des questions indigènes, le « polymorphisme professionnel »*) du travailleur indigène dans la majorité des pays en question. Aussi est-il souvent très difficile de classer le travailleur aborigène dans une activité économique donnée, du fait de sa grande mobilité professionnelle. Le même individu peut souvent être métayer et journalier, soit simultanément, soit alternativement. Le travailleur agricole, ou le mineur, peut être également propriétaire ou fermier d'une petite parcelle de terrain qu'il cultive pendant une partie de l'année. En général, cette intercurrence professionnelle est due surtout à la pénurie de terres. Dans certaines régions d'Amérique latine, elle s'est manifestée par la migration intérieure périodique d'importants contingents d'Indiens des hauts plateaux vers la vallée ou la côte et vice versa, à la recherche d'activités saisonnières complémentaires. Ce phénomène de vagabondage professionnel pose à son tour d'importants problèmes du point de "vue de l'hygiène du logement 2 . D'autre part, l'effectif de ces travailleurs saisonniers subit souvent des fluctuations sensibles selon l'importance de la culture ou de la récolte, de sorte que les renseignements concernant une année donnée peuvent être sans valeur à l'égard de l'année suivante. 1 M. H . KUCZYNSKI-GODABD : Inventario del potencial económico de la nación (Lima, 1949-50), p . 23. 2 E n ce qui concerne le Pérou, par exemple, voir M. H. KTJCZYNSKI-GODABD : La vida bifronte de los campesinos ayacuchanos (Lima, Ministerio de Salud pública y Asistencia Social, 1947) et Las migraciones indígenas (Lima, 1945). Voir aussi, Carlos MONGE M. : « Aclimatación en los Andes », op. cit., p . 270. IX '-"'',r^h V'-" . ~* 8®' . .^ >'; ^stas- Filage et tissage au Guatemala (Instituto Indigenista Nacional) X Laboureur bolivien dans la vallée de Sorata (Foto Linares) mm^mÊ^ÊJi-: L'agriculture sur le haut plateau des Andes L'«homme à la houe» équatorien (Estudio Rodo Wuth) MÉTIERS ET OCCUPATIONS 223 Sous ces réserves, le présent chapitre se propose d'esquisser la structure professionnelle des groupes aborigènes dans les diverses régions du monde, grâce aux renseignements fournis par les gouvernements, les instituts nationaux des affaires indigènes et certains membres de la Commission d'experts de l'O.I.T. pour le travail deB aborigènes, et grâce aux informations provenant de diverses publications officielles et privées. En général, une documentation trop fragmentaire ne permettra pas au lecteur de se faire une idée exacte de la situation sous tous ses aspects importants. Pour ce qui est des pays d'Amérique latine et d'Asie, on a dû, dans la majorité des cas, recourir à l'estimation ou à l'induction. Cependant, malgré sa pauvreté en éléments quantitatifs, la documentation disponible contient déjà des éléments suffisants pour qu'il soit possible d'apprécier le rôle que le travail des aborigènes de plusieurs pays joue ou peut jouer dans les différents secteurs de l'économie nationale. On constate par exemple qu'en Amérique latine, dans la région méridionale du haut plateau, la majorité des ouvriers agricoles, des colons, des métayers et des mineurs sont des aborigènes ou des métis. Cet état de choses semble dû non seulement au fait que l'aborigène constitue la source principale de maind'œuvre, mais encore au fait qu'il s'est montré physiologiquement capable de s'adapter au milieu hostile de cette région. On a pu dire à juste titre que la meilleure utilisation des ressources matérielles immenses produites à la surface ou extraites du sous-sol des sierras qui forment le massif méridional des Andes, et partant, le développement des pays qu'il constitue, seront demain l'œuvre du travail indigène, comme ils l'ont été hier, et comme ils le sont aujourd'hui. La documentation recueillie démontre également qu'à l'exception de la population indigène sylvicole nomade, qui représente une catégorie à part, l'agriculture 1 est dans la majorité des pays l'activité centrale d'où la main-d'œuvre indigène rayonne vers d'autres occupations saisonnières ou permanentes : artisanat à domicile, industrie minière, bâtiment, transports et — dans une moindre mesure, encore que de manière croissante — industrie manufacturière. Ce fait, qui établit une relation étroite entre la situation de l'agriculture d'une part et la situation économique et sociale de l'Indien d'autre part, démontre que, d'une manière générale, il est très difficile, sinon 1 Dans certains pays, comme par exemple le Pérou et le Guatemala, on a pu constater que la production de denrées alimentaires dépend presque en totalité du travail des aborigènes. 9 224 LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE impossible, d'envisager le problème indigène sans le considérer comme un élément essentiel de la question agraire. GROUPES PRINCIPAUX En termes généraux, on peut dire que les populations aborigènes des pays indépendants se répartissent, d'après la nature de leurs occupations, en cinq groupes principaux : 1. Tribus sylvicoles nomades ou semi-nomades, qui s'adonnent à la chasse, à la pêche et à la cueillette des fruits sauvages, qu'elles complètent parfois en pratiquant des formes primitives d'agriculture sur des terres défrichées au feu ou à la hache. E n de nombreux cas, la chasse est à la base d'un système de troc qui est la cause des premiers contacts délibérés avec les éléments producteurs du reste du pays ; dans certains pays, la chasse commerciale a pris un certain développement. Il existe également des tribus sylvicoles dont l'occupation principale est l'agriculture et pour lesquelles la chasse et la pêche ne sont que des activités d'appoint. 2. Tribus semi-nomades, résidant dans des régions marginales et qui s'adonnent à l'agriculture ou à l'élevage pour leur propre subsistance et à la collecte de matières premières végétales pour les occupations artisanales. Dans certaines régions, ces deux groupes restent en contact avec le marché du travail du pays ou de l'étranger : en effet, leurs membres se louent d'ordinaire comme journaliers dans les entreprises forestières ou minières, les plantations de café, de canne à sucre, de riz, de thé, etc., comme muletiers ou pour des travaux analogues. 3. Agriculteurs, pasteurs, gardiens de troupeaux, sédentaires et indépendants, qui travaillent individuellement ou collectivement et liés dans une mesure plus ou moins grande à l'économie de la région ou du pays où ils exercent leurs activités et au marché international du travail, du fait qu'ils sont employés souvent comme journaliers dans des plantations commerciales. Dans de nombreuses régions, l'artisanat constitue, pour cette catégorie de travailleurs, une importante activité d'appoint. 4. Peones, attachés aux grandes propriétés par un régime coutumier semi-féodal qui entraîne pour eux une série d'obligations personnelles envers le propriétaire. MÉTIERS ET OCCUPATIONS 225 5. Travailleurs salariés, source principale de main-d'œuvre pour les plantations commerciales, les entreprises d'élevage, les mines, les exploitations forestières, etc. Cette catégorie fait plus ou moins partie intégrante de la vie générale et économique de chacun des pays. AGRICULTURE ET ÉLEVAGE Les activités agricoles — sans en exclure l'élevage — de l'aborigène présentent des formes sociales très diverses — vestiges, pour la plupart, de traditions anciennes antérieures à l'époque de la conquête ou bien introduites sous le régime colonial —, qui coexistent et se complètent les unes les autres. Ces phénomènes sociaux diffèrent en nature et en importance selon la géographie économique et les traditions historiques du pays. Pour réduire cet exposé général à ses grandes lignes, nous distinguerons les catégories ou types principaux ci-après d'organisation de l'élevage et de l'agriculture aborigène 1 : a) le travail dans la « collectivité » aborigène (appelée suivant les cas comunidad, resguardo, reducción, etc.) en Amérique du Sud. Cette institution qui, dans sa forme primitive, comportait à la fois la propriété en commun des terres et des instruments de travail et le travail collectif, a fini, en se modifiant et en se diversifiant, par revêtir un très grand nombre de formes de propriété et d'assistance dans le travail. Ce dernier élément paraît être le plus solide et le plus durable : en effet, lorsque la collectivité se désagrège progressivement, la coopération dans le travail demeure généralement jusqu'au bout. Tel est le cas chez des groupes d'aborigènes qui, en réalité, sont petits propriétaires, métayers ou colons, mais qui continuent à se considérer comme membres d'une collectivité, du fait qu'ils sont liés les uns aux autres par des travaux communs et par des entreprises coopératives d'intérêt général comme la construction et l'entretien des chemins et des voies d'irrigation ; b) le travail dans Yejido mexicain, qui représente une transformation et une modernisation d'une ancienne collectivité agricole aztèque (le calpuïli) ; aujourd'hui toutefois, il 1 Pour évaluer l'importance économique de l'agriculture indigène, il faut nécessairement tenir compte des différences qui proviennent des divers régimes de la propriété et du travail. Cette importance, dans l'économie générale, varie sensiblement suivant que l'aborigène est ou n'est pas propriétaire de la terre qu'il cultive, c'est-à-dire, soit propriétaire individuel ou collectif, soit colon, métayer, journalier, etc. (Voir à ce sujet le chapitre suivant.) 226 LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE possède une physionomie économique et sociale toute particulière qui le distingue de la comunidad indigène en Amérique du Sud ; c) le travail dans la « réserve » tribale, dans divers pays anglo-saxons, qui possède également ses caractères particuliers; d) l'ensemble des formes de colonage et de métayage indigène, également très variées, qui va du fermage de terres payable en nature jusqu'à la location de services, rémunérés en tout ou en partie avec l'usufruit d'un lopin de terre. Ce aystème est répandu particulièrement dans divers pays de l'Amérique latine et de l'Asie ; e) le travail de l'indigène comme salarié agricole, presque toujours saisonnier, dans les grandes propriétés, les domaines et les plantations. ARTISANAT X Parmi les activités typiquement indigènes, l'artisanat rural occupe la deuxième place dans plusieurs pays de l'Amérique latine. La fabrication, à l'aide d'instruments primitifs, de multiples objets, soit pour sa consommation propre, soit pour le commerce, constitue pour l'Indien un des principaux moyens de subvenir directement à ses besoins et de gagner en partie sa subsistance. On jugera de l'importance de cette activité par la grande variété des articles mis en vente sur le marché et par l'ampleur de ses applications dans le domaine de l'habillement, des ustensiles domestiques et des outils. Notons cependant qu'en général l'artisanat indigène revêt le caractère d'une activité complémentaire de l'agriculture. MINES Le travail dans les mines occupe la troisième place, particulièrement en Bolivie, au Pérou et dans l'Inde. L'importance du travail dans les mines parmi les métiers indigènes en Bolivie et au Pérou n'est pas seulement due au nombre des individus qui s'y consacrent, mais aussi au fait qu'aucune autre race ne possède les qualités physiques qui permettent à l'Indien de s'adapter au pénible labeur dans des mines situées parfois à 4.000, voire à 5.000 mètres au-dessus du niveau de la mer. Sans doute les métis et les Blancs représentent-ils une partie considérable de la main-d'œuvre employée 1 Voir chap. X . MÉTIERS E T OCCUPATIONS 227 au jour et dans certains postes spécialisés ; cependant, les travaux souterrains les plus pénibles sont effectués en grande majorité par des travailleurs indigènes 1. Aussi la prospérité de l'industrie minière du haut plateau andin dépend-elle de l'existence d'un contingent de main-d'œuvre indigène à la disposition de cette industrie, et de l'introduction de conditions de vie et de bien-être pouvant encourager un meilleur rendement du travail 2 . AUTRES ACTIVITÉS Parmi les activités économiques de l'aborigène de l'Asie et de la région de l'Amazone, la sylviculture occupe une place importante, soit qu'il l'exerce au service des administrations forestières des gouvernements intéressés ou d'entreprises privées, soit, dans certaines régions, que l'aborigène la pratique pour son propre compte. Enfin, aux Etats-Unis, au Canada, en Nouvelle-Zélande et; à un degré moindre, dans certains pays de l'Amérique latine, on voit se développer la catégorie des aborigènes qui travaillent comme ouvriers dans l'industrie des transports ou du bâtiment ou — dans une proportion plus faible, mais croissante — dans les industries de transformation. Le fait que l'autochtone continue de s'adonner principalement à la culture de la terre et à l'élevage et qu'en outre, il est artisan, mineur ou ouvrier forestier, etc., ne saurait faire oublier les possibilités que laisse entrevoir l'accès, même comme travailleur manuel, à diverses catégories de métiers spécialisés dans les activités manufacturières modernes. Ce ne sont pas les chiffres qui peuvent donner une idée exacte du rôle que l'industrie est appelée à jouer à l'avenir comme champ d'action pour le développement social et culturel de l'indigène, et en réalité, les statistiques officielles ne donnent pas une image claire de la situation actuelle ; en effet, à l'exception des quelques cas où le concept d'autochtone est purement « racial », les travailleurs 1 On évalue à 45.000 en Bolivie et à 35.000 au Pérou le nombre des indigènes qui travaillent dans les mines, ce qui représente, par rapport à l'ensemble de la main-d'œuvre minière, environ 80 pour cent dans le premier cas, et 50 pour cent dans le second. 2 L'industrie minière constitue la source principale du revenu national du Pérou, et c'est sur elle que repose l'économie de la Bolivie. « Depuis l'époque coloniale, l'économie de la Bolivie (qui s'appelait alors le Haut-Pérou) est fondée sur les mines... Le rôle économique international de la Bolivie devra continuer à reposer (probablement pendant longtemps encore) sur ses richesses minières, parce que la stabilité du pays dépend de la capacité des gisements et des fluctuations du marché mondial », ont aflfirmé Remberto CAPRILES RICO et Gastón ARDTTZ EGUÎA dans El problema social en Bolivia, op. cit., p. 134. Voir plus loin. 228 LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE d'origine indigène déjà assimilés à la vie sociale et économique de leur pays et qui ont cessé de participer activement à celle de leur communauté d'origine n'apparaissent pas dans les catégories ethniques distinguées dans les statistiques. Les fabriques étant généralement situées dans les villes — ce qui oblige les aborigènes qui y sont employés à des contacts quotidiens avec des personnes originaires de milieux culturels différents —, ces aborigènes perdent rapidement les caractéristiques linguistiques ou l'organisation tribale qui les distinguent officiellement du reste de la population et se fondent dans la grande masse des travailleurs en général. ÎTous examinerons dans les pages qui suivent l'importance des occupations indigènes dans quelques pays de l'Amérique, de l'Asie et de l'Océanie, en laissant toutefois de côté les activités de caractère commercial, dont il sera question à la fin du chapitre et au chapitre X I I I , consacré à la protection de l'artisanat. Amérique ARGENTINE Nord du -pays Dans la région septentrionale du pays, les principales activités de la population indigène sont la chasse, la pêche et la récolte de fruits sauvages, l'élevage d'ovins et de caprins, l'agriculture primitive de subsistance et le travail salarié saisonnier dans les plantations de canne à sucre des provinces de Salta et de Jujuy, dans les plantations de coton de la région du Chaco, ou dans les établissements miniers du plateau de Jujuy. Certains groupes vivent rassemblés en réserves ou en colonies et s'adonnent à la culture du coton pour leur propre compte. Chez les Mataco et les Caingúa, l'artisanat à domicile a pris un certain développement. Les premiers se sont spécialisés dans la confection de sacs et de vêtements légers en fibre de caraguatá, tissée au crochet ; les autres se distinguent par la fabrication de paniers en écorce et en feuilles d'arbres, de cordes et de filets, ainsi que de tissus de coton filé avec un fuseau de bois. Parmi les régions où les groupes d'autochtones s'adonnent principalement à l'agriculture, celle des vallées Calchaqui (ouest de la province de Salta) et celle de la gorge de Humahuaca (province de Jujuy) présentent un intérêt particulier. MÉTIEBS ET OCCUPATIONS 229 Dans la première, l'agriculture revêt un caractère communautaire : plusieurs familles louent une superficie déterminée de terrain à un propriétaire privé et le cultivent collectivement, en répartissant les bénéfices entre les familles ; ce système constitue un vestige du régime agricole inca, dont l'influence s'est fait sentir dans certaines parties du nord-ouest de l'Argentine. Dans la seconde région, les Indiens occupent en vertu d'un droit coutumier des terres de l'Etat, sur lesquelles ils cultivent individuellement une grande variété de fruits et de légumes qu'ils vendent ensuite dans les villages du défilé. Environ 35.000 Indiens du Nord abandonnent périodiquement leurs demeures traditionnelles de la forêt ou de la montagne pour aller travailler dans les plantations de canne à sucre de Salta et de Jujuy 1. On estime que près de 25.000 Toba et Mataco émigrent chaque année dans ce but. Le reste provient des départements élevés de Yavi, Cochinoca et Humahuaca (Jujuy), et de Santa Victoria et Iruya (Salta), où ils se consacrent, sur les terres de l'Etat, à une agriculture primitive de subsistance ou à l'élevage des chèvres et des lamas 2 . Il y a lieu de mentionner également les plusieurs milliers d'Indiens (Chiriguano, Choroti, Colla, Chane, etc.) et de métis boliviens qui traversent périodiquement les frontières pour aller travailler soit dans les plantations déjà mentionnées, soit dans les mines du plateau de Jujuy. Région sud Dans le sud du pays, les principales occupations des tribus aborigènes sont la chasse et la pêche, l'élevage des ovins, l'abattage des arbres et le transport de la laine pour le compte des entreprises forestières et des éleveurs de la Patagonie. Chez les Patagons, la chasse au guanaco et à l'autruche est 1 Les plantations les plus importantes sont lea suivantes : San Martin del Tabacal, à l'extrémité nord-ouest de la province de Salta (département d'Oran), dans laquelle se trouve l'une des entreprises sucrières les plus grandes du monde ; La Esperanza, à San Pedro de Jujuy, qui appartient à la société Leach Brothers ; Ledesma, dans le même département (Jujuy). 2 Les vallées de la Puna argentine, depuis la frontière de la Bolivie jusqu'au nord de Catamarca (situées à une altitude d'environ 2.000 mètres), constituent l'une des régions du monde les plus riches en lamas. Pour l'Indien, cet animal représente le moyen de subsistance le plus important et le moins coûteux. En effet, le lama lui fournit la nourriture, le vêtement et le transport. Il est très sobre et peut supporter la soif pendant plusieurs jours. La dernière réserve de lamas se trouve aujourd'hui dans la province de Jujuy, en particulier dans le défilé de Humahuaca, et dans l'ancien territoire de Los Andes. Selon le recensement de 1942-43, le nombre des lamas dans la province de Jujuy atteignait cette année-là 32.735. 230 LE TBAVATLLEUB. ABORIGENE DANS L'ÉCONOMIE très importante, alors que les Ona et les Yahgan pratiquent surtout la chasse au phoque et la pêche des coquillages. BOLIVIE Principales activités Il n'existe pas de renseignements statistiques sur la répartition de la population par professions. A l'exception de la main-d'œuvre des mines, on ne dispose que de renseignements descriptifs généraux sur les principales activités économiques de l'Indien, selon les régions et les altitudes. On peut affirmer que la grande majorité de la population aborigène vit de l'agriculture et de l'élevage et des industries connexes, complétés par l'artisanat domestique et le commerce. Dans certaines régions, particulièrement dans la région d'Oruro et de Potosí, le travail salarié dans les entreprises minières joue un rôle important. Sur les rives du lac Titicaca et des rivières Desaguadero et Mauri, la pêche et la construction des radeaux de roseaux (totora) utilisés à cette fin sont assez développées. Le nombre des Indiens qui pratiquent le travail agricole journalier est relativement restreint. Tout ce que produit le pays... vient du travail de l'aborigène, qu'il s'agisse d'agriculture ou d'élevage. Il cultive l'or vert que représente la coca dans les Yungas, abondante source de richesse publique et privée. Il cultive le maïs et il mastique le muko pour la fabrication de la chicha, autre source importante de revenus pour l'Etat. Il constitue l'unique moyen de transport dont dispose la production de l'industrie, de l'élevage et des mines. Il est la bête de somme dans un pays qui ne possède que 2.240 kilomètres de chemins de fer et 1.983 kilomètres de routes. C'est lui qui a creusé les tunnels et ouvert les galeries de mines. C'est lui qui, avec 1des procédés primitifs, exploite la totalité des ressources minérales... . Agriculture et élevage. En gros, la population aborigène agricole comprend les membres des communautés traditionnelles et les colons des grandes propriétés foncières 2. Les différences de climat d'une région du pays à l'autre contribuent à créer divers types d'agriculture. On peut distinguer principalement l'agriculture des régions élevées et froides des Indiens aymarás, celle des régions tempérées intermédiaires 1 Rafael A. RBYEEOS : El pongueaje. La servidumbre personal de los indios bolivianos (La Paz, Empresa Editora Universo, 1949), p . 33. 2 Au sujet des communautés indigènes, voir chap. I X . Au sujet de la réforme agraire de 1953, voir chap. X I . MÉTIEBS ET OCCUPATIONS 231 des Indiens quichuas et celle des Yungas ou régions semitropicales. A son tour, cette division coïncide dans ses grandes lignes avec la répartition de la population indigène selon les altitudes, qui a été exposée au chapitre I I . L'agriculture de la région du haut plateau et de certaines pentes montagneuses est centrée principalement sur la culture de céréales locales très résistantes au froid, comme le quinoa et la cañahua1; dans les régions où le climat est plus doux, on cultive l'orge, les fèves et l'oca. Dans les parties les plus élevées de cette région, l'élevage (lamas et ovins) est davantage pratiqué. A mesure que les conditions climatiques sont plus favorables, on voit s'affirmer la prédominance de l'agriculture sur l'élevage. Conformément à l'observation qui vient d'être faite sur la répartition géographique de la population, on peut donc dire d'une manière générale que les peuplades aymara pratiquent proportionnellement plus l'élevage que la population quichua, qui jouit d'un climat plus tempéré et relativement sec. Les activités agricoles de cette dernière peuplade sont centrées presque exclusivement sur la culture du maïs, au détriment des autres céréales, encore que ces autres céréales et les tubercules soient également représentés dans l'économie locale. Dans certaines vallées la culture de la vigne revêt une certaine importance. Sous le climat semi-tropical des Yungas, la principale ressource agricole est la culture de la coca ; au nombre des activités secondaires figurent la culture d'arbres fruitiers (bananes, oranges, mandarines, chérimoles et autres fruits régionaux) et certaines cultures de subsistance (manioc et maïs). Industries dérivées de Vagriculture. Au nombre des transformations de matières premières d'origine agricole figure notamment (pour la zone élevée, c'est-à-dire pour la région habitée par les Aymarás) la fabrication de la fécule, de la tunta et de la caya, obtenues par déshydratation de tubercules au moyen de la congélation et du pressage ; le but principal de ce procédé consiste à permettre l'accumulation pendant un temps indéfini des excédents de la récolte. Dans la région des vallées tempérées, la culture intensive du maïs a donné naissance à l'industrie de la chicha (boisson fermentée alcoolisée, d'origine inca) et de son produit intermédiaire, le muko (farine de maïs mêlée de salive 1 Variété d'orge. 9* 232 LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE selon un procédé spécial). Dans la région basse ou tropicale, à l'exception de la distillation de l'alcool de canne à sucre, qui n'est pas précisément entre les mains de la population indigène, on trouve la fabrication de produits d'origine agricole, qui ne se distingue pas nettement des travaux ordinaires de préparation de certains produits pour leur vente (séchage de la coca et du café). Industries dérivées de Vélevage. Les activités de transformation des produits d'origine animale consistent principalement dans l'utilisation de la laine 1 de mouton, de lama, d'alpaca, de vigogne et de guanaco pour la confection de vêtements (tissus de bure, chapeaux, etc.), d'instruments de travail (cordes et sacs) et d'ustensiles domestiques. Le filage et le tissage sont pratiqués dans presque tout le haut plateau ainsi que dans la région de Cochabamba (vallées de Quillacollo, Cliza et Punata). Selon une évaluation de 1950, fournie par le Département des questions indigènes du ministère de l'Education, environ 70 pour cent des familles indigènes filent la laine de mouton et 25 pour cent tissent la laine filée. La première de ces activités est pratiquée généralement par les femmes, qui, dans leurs heures de loisir, tandis qu'elles gardent les troupeaux ou simplement au cours de leurs déplacements, filent au moyen de petits fuseaux de fabrication locale 2 . Dans les trois régions ci-dessus mentionnées, on fabrique des lacets, des rênes et des filets de cuir, des sacs, etc., qui servent au harnachement et au chargement des bêtes de somme. Le tannage des peaux est pratiqué surtout par des artisans métis de La Paz et de Potosí, et à la campagne, dans les départements de Potosí (partie sud), de Tarija et de Sucre. Dans la région haute où l'élevage est pratiqué, les industries principales sont l'utilisation du lait de brebis pour la fromagerie, et la salaison de la viande pour fabriquer le charque ou la chalona. Artisanat. Poterie, vannerie, corderie, etc. — Dans plusieurs régions du haut plateau et dans les vallées, les indigènes utilisent diverses 1 Le coton est employé moins fréquemment du fait qu'il ne pousse pas sur le haut plateau. 2 Renseignements transmis au B.I.T. par le D r Elizardo Pérez, membre du Comité d'experts pour le travail des aborigènes, août 1950. MÉTIERS ET OCCUPATIONS 233 matières premières minérales et végétales pour la fabrication d'articles de poterie (ustensiles de cuisine, poupées, figurines d'animaux ou statuettes religieuses), de paniers et de nattes de paille ou de palme, et pour la construction de radeaux (avec des joncs de la forêt appelés totora). Le centre le plus important de la vannerie indigène est la péninsule de Copacabana sur le lac Titicaca ; la matière première la plus importante est une sorte d'alfa ou Mcu, avec lequel on fabrique également des longes et des cordes. La fabrication des radeaux de totora est une activité typique et importante des Indiens aymarás, sur la partie méridionale du lac Titicaca, et des Indiens Uru, dans la région du Desaguadero. La voile des radeaux est tissée, mais les radeaux eux-mêmes sont fabriqués en réunissant un grand nombre de faisceaux de joncs 1 ; certains peuvent transporter jusqu'à douze passagers avec leurs bagages. Métallurgie. — La métallurgie indigène revêt encore une certaine importance dans quelques localités comme Jesús de Machaca et Corocoro (objets de cuivre), Umala et Sicasica (objets d'argent). L'orfèvrerie est développée dans la capitale du pays et dans d'autres villes importantes du haut plateau. Cependant, comme dans d'autres pays d'Amérique latine, cette industrie n'est pas pratiquée à proprement parler par l'élément indigène, mais par l'élément cholo ou métis, qui fabrique une variété d'articles de filigrane avec des motifs représentant des animaux. Fabrication d'instruments de musique. — Dans plusieurs parties du haut plateau, on fabrique notamment des instruments de musique autochtones comme le siTçu (ou flûte de Pan), le pipeau, la pusipia, le pinlcïlu (sortes de flûte), la tarka (sorte de clarinette fabriquée avec un bois spécial), le pututu (trompette fabriquée avec une corne de bœuf), la haha et la wankara (sortes de tambours), etc. Importance des industries à domicile. — Les industries à domicile qui viennent d'être énumérées présentent pour la plupart le caractère d'activités familiales saisonnières de subsistance ; certaines d'entre elles, toutefois, du fait de leur rendement particulier, tendent à prendre dans certaines régions un caractère professionnel et finissent par constituer l'activité économique principale de la famille indigène. Tel est surtout 1 Pour la description dea cet intéressant procédé de fabrication, voir Weston L A B A R R E , op. cit., pp. 105-106. 234 LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE le cas de la fabrication et de la vente au détail de la chicha. A un degré moindre, on retrouve ce caractère dans la poterie, la vannerie, la manufacture de radeaux de totora, la fabrication du savon et des bougies, et le tissage de couvertures et de tapis décoratifs. Industrie minière Le développement considérable de l'industrie minière bolivienne a donné naissance à la formation d'une maind'œuvre salariée qui comprend environ 45.000 ouvriers d'origine indigène groupés principalement dans les départements, miniers par excellence, de Potosí et d'Oruro. Les districts de Catavi, Llallagua, Pulacayo et Tupiza, ainsi que les villes de Potosí et d'Oruro, absorbent la plus grande partie de cette main-d'œuvre ; le reste est employé à La Paz et, à un degré moindre, à Cochabamba et à Sucre. On estime qu'un tiers environ des ouvriers mineurs sont saisonniers. Ce contingent, qui provient en bonne partie des districts ruraux voisins des centres miniers, appartient donc alternativement à deux domaines économiques et juridiques différents. En effet, le passage de l'Indien au régime du salariat dans la mine, joint d'une part au fait qu'il se trouve dans le cadre de la législation nationale du travail et d'autre part à l'existence d'une organisation syndicale puissante et active, contribue à le distinguer de l'Indien demeuré sous le régime semiféodal qui prédomine dans l'agriculture x. A cet égard, le travail dans la mine constitue un élément décisif de « métissage culturel ». D'autre part, dans l'ordre économique, à mesure qu'elle s'éloigne de l'ancien système du travail colonial sous l'influence des nécessités propres à la production industrielle moderne, la condition du mineur indigène dépasse largement le cadre de ce qu'on a appelé le «problème indigène», pour prendre l'aspect d'un problème ordinaire de relations professionnelles 2. Le tableau suivant, qui porte sur l'année 1949, indique l'importance de ce secteur de l'économie qui, de 1938 à 1948, a fourni 94,94 pour cent de l'ensemble des exportations du pays. 1 Toutefois, la nationalisation des mines d'étain et la réforme agraire semblent marquer le début d'une transformation sociale dans les deux branches de l'économie. 2 Ces considérations semblent s'appliquer également aux mineurs indigènes du Pérou et du Mexique. 235 MÉTIERS EX OCCUPATIONS TABLEAU XXIV. — BOLIVIE : EXPORTATIONS DE MINÉRAUX, 1949 Quantité de métal fin Minéraux Valeur nette 1 PourcenValeur brute approximative tage de la valeur nette Dollars des Etats-Unis Kilogrammes Plomb Divers (zinc, tungstène, cuivre, or, bismuth et 34.646.116 31.351.769 206.391 10.275.159 72.791.874 8.524.420 4.652.864 4.184.703 63.656.494 6.077.911 4.559.807 2.992.063 76,2 7,3 5,6 3,7 28.761.162 8.745.117 6.174.402 7,2 98.998.9792 83.460.677 100,0 Total . . . Source : UNITED NATIONS, Technical Assistance Administration : Report of the Uniled Nations Mission of Technical Assistance to Bolivia (New-York, 1951), p. 45. 1 La valeur nette représente la valeur brute moins le coût de l'extraction. — 2 Le total donne 98.898.978. Le tableau ci-après indique, en tonnes, la part prise par la Bolivie dans la production mondiale d'étain pour les périodes 1935-1939 et 1940-1941 (moyennes annuelles) et pendant les années 1946 à 1949. TABLEAU XXV. — B O L I V I E : I M P O R T A N C E B E LA D ' É T A I N P A R R A P P O R T A LA P R O D U C T I O N PRODUCTION MONDIALE (Tonnes) Périodes 1935-1939 ! . . . 1940-1941 ! . . . 1946 1947 1948 1949 Production mondiale totale Fédération de Malaisie et Indonésie 170.300 236.350 87.000 114.000 153.500 162.400 84.470 129.230 14.850 42.940 73.370 83.875 Bolivie 25.770 40.000 37.620 33.260 37.310 34.646 Pourcentage de la production bolivienne dans la production mondiale 15,1 16,9 43,0 29,0 24,0 21,0 Source : Chiffres extraits du Beport of the United Nations Mission of Technical Assistance to Bolivia, op. cit., annexe II, p. 120. 1 Moyennes annuelles. Economie sylvicole La population aborigène sylvicole vit essentiellement de chasse et de pêche, pratiquant parfois une forme élémentaire d'agriculture (culture du manioc) qui utilise comme instruments des pieux aiguisés et durcis au feu. Hormis la fabrication d'objets et d'ustensiles indispensables à la vie dans la forêt 236 LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE (arcs et flèches, filets, cordes de lianes, etc.), on ne peut distinguer chez ces peuplades aucune activité industrielle importante, sauf chez certaines tribus (Guarayo, Leco) qui se trouvaient dans le champ d'action de missions religieuses et qui ont réussi à développer certains travaux à des fins commerciales tels que la fabrication de hamacs en fibres végétales ou de chapeaux de feuilles de palmier. Quelques groupes ont également été incorporés au régime économique non indigène de la région. C'est ainsi, par exemple, que la majorité des membres de la tribu des Sirionô (départements du Beni et de Santa Cruz) «ont été assimilés et vivent à l'heure actuelle dans des conditions voisines de celles du travail forcé dans les grandes propriétés qui pratiquent l'élevage, les fermes et les missions situées près de Trinidad, Magdalena, Baures, El Carmen, Guarayos et Santa Cruz 1 ». Suivant un auteur bolivien, « dans les grandes propriétés de Santa Cruz on compte, parmi les ouvriers manuels, des Sirionô connus sous le nom générique de Cambas, donné à tous les Indiens sauvages capturés au cours des battues qui sont effectuées dans la forêt ou élevés en captivité depuis leur tendre enfance 2 ». BRÉSIL Les diverses occupations auxquelles se consacrent les peuplades aborigènes du Brésil dépendent essentiellement de leur degré d'assimilation à la culture et à l'économie générale du pays. Aussi reprendrons-nous ici la distinction, déjà établie au chapitre I I , entre trois groupes : 1) les tribus qui refusent tout contact avec la civilisation ou qui n'entretiennent avec elle que des relations occasionnelles ou fortuites ; 2) les tribus contrôlées par le Service pour la protection des Indiens ; 3) les populations aborigènes marginales. Populations inaccessibles Dans leur presque totalité, les peuplades aborigènes de ce groupe sont sylvicoles et leurs occupations sont du type classique des activités généralement pratiquées par les groupes primitifs, c'est-à-dire la chasse, la pêche, ainsi qu'une agricul1 Allan R. HOLMBERG : Nomads of the Long Bow: The Siriano of Eastern Bolivia, Smithsonian Institution, Institute of Social Anthropology, Publication No. 10, (Washington, 1950), p. 6. 2 Max A. B A I E Ó N : «La educación indígena en las selvas de Bolivia», América Indigena, vol. X I I , n° 2, avril 1952, p . 144. MÉTIERS ET OCCUPATIONS 237 ture extrêmement rudimentaire. En ce qui concerne les activités artisanales, elles sont limitées à la fabrication de poterie, d'armes, d'ustensiles divers, de canots, d'articles tressés, etc., ainsi qu'à la fabrication de quelques meubles primitifs, le tout destiné à répondre aux besoins de la consommation courante et personnelle. On ne saurait parler de commerce proprement dit entre les diverses tribus sylvicoles ou entre les tribus sylvicoles et les populations civilisées ; en réalité, il s'agit d'un système de troc qui peut parfois présenter une certaine importance, mais qui est de toute manière très limité. Chasse. La chasse, qui constitue l'une des occupations les plus importantes des aborigènes sylvicoles, est en même temps l'un de leurs moyens essentiels de subsistance. Les principales armes employées pour la chasse sont l'arc et les flèches, et pour certaines tribus, la lance, la sarbacane, les propulseurs et les boules. Les Tupi du littoral ne connaissent pas les propulseurs et si, de leur côté, les Omagua, les Cocama et les Tete s'en servent, on estime généralement que c'est parce que d'autres peuplades voisines leur en ont révélé l'usage. Il en est d'ailleurs de même des Camayura et des Aueto, qui ont probablement appris à utiliser le propulseur des Indiens Suya, Trumai et Caraja, chez lesquels il est d'usage courant. C'est ainsi encore que l'on explique que les Omagua, les Cocama et les Maué soient les seules tribus Tupi à utiliser la sarbacane. E n revanche, la totalité des tribus qui constituent le groupe Tupi-Guarani semblent avoir en commun l'emploi de lacets pour capturer les oiseaux. Quelques autres tribus, comme les Nambiquara, utilisent également les filets et les pièges. Pêche. Outre la chasse, la pêche constitue l'une des occupations essentielles des aborigènes sylvicoles. Chez certaines tribus (par exemple chez les Caraja), la pêche constitue une occupation primordiale et les instruments utilisés sont plus perfectionnés que chez les autres tribus : ils comprennent non seulement l'arc et les flèches, mais encore l'hameçon, qu'ignorent les Tupi, les Guarani, les Carbi et les Borôro. Toutes les peuplades mentionnées connaissent en revanche l'utilisation des filets et des lacets tressés. Les Caraja construisent en outre des barrages sur les rivières pour rassembler les poissons qu'ils capturent ensuite avec de grands filets (procédé également 238 LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE utilisé par les Borôro), ou encore ils empoisonnent l'eau avec le suc de certaines lianes et ramassent alors les poissons qui viennent flotter morts à la surface. Utilisation des 'produits naturels. La troisième source principale de subsistance des Indiens sylvicoles est la récolte des fruits et d'autres produits naturels, expression qui ne désigne d'ailleurs pas seulement les fruits et les racines sauvages, mais encore le miel, les larves, les fourmis, divers insectes, les œufs de tortue et d'oiseaux. En fait, l'Indien sylvicole se nourrit de tout ce que peuvent lui fournir la forêt, la savane, les lacs et les rivières. Il connaît parfaitement toutes les variétés comestibles de racines, de fruits et de tubercules et celles qui sont vénéneuses, ainsi que leurs antidotes (comme dans le cas du manioc amer). Agriculture. L'agriculture représente une activité très limitée chez les aborigènes sylvicoles, même chez les tribus Arwak, qui sont considérées comme les peuplades agricoles par excellence à l'est des Andes. En fait, les quelques cultures que les Arwak pratiquent sont limitées au manioc, au maïs (dont ils connaissent un grand nombre de variétés), aux fèves, au tabac, aux patates douces, au coton et à quelques espèces de cucurbitacées. E n général, les champs sont petits, semés sans la moindre méthode et ils présentent un aspect de grande confusion. Néanmoins, il semble que les peuplades aborigènes qui habitaient sur la côte au x v i m e siècle aient pratiqué un type d'agriculture plus vaste et plus variée que leurs descendants actuels de la forêt. A mesure qu'ils ont été refoulés vers l'intérieur du pays, ils ont perdu certaines des connaissances qu'ils possédaient en matière d'agriculture. Il y a lieu de signaler les méthodes employées pour le travail de la terre qui sont pratiquées dans plusieurs endroits du pays et non seulement par les Indiens, mais encore par les métis et les Blancs. Il s'agit du système connu au Brésil sous le nom de coivara ou culture sur brûlis 1. Une fois qu'ils ont choisi l'emplacement du terrain qu'ils vont cultiver, les Indiens abattent les arbres à la hache (de pierre, dans le cas de l'Indien qui repousse tout contact avec les populations civilisées, d'acier dans le cas des autres), puis ils y mettent le feu immédiate1 Le nom d'écobuage désigne également ce procédé d'agriculture nomade. MÉTIERS ET OCCUPATIONS 239 ment- Les cendres servent d'engrais et l'on dépose les semences dans les trous que l'on fait à l'aide d'un épieu de bois durci. Comme on n'arrache pas les racines des arbres détruits et qu'on ne déblaie pas les troncs qui n'ont pas été consumés par le feu, les champs de l'aborigène présentent un aspect chaotique. Le sol s'épuise rapidement (en général, d'ailleurs, c'est l'humus végétal plus que la terre elle-même qui est utilisé) et la tribu abandonne les clairières pour aller chercher d'autres emplacements. Les tribus qui entretiennent des relations plus ou moins constantes avec la population agricole du pays disposent parfois d'une variété plus grande de semences, que leur fournissent les autres peuplades *. Artisanat. La production des artisans sylvicoles peut se résumer dans les articles suivants : armes (arcs, flèches, casse-têtes, etc.), filets de pêche, lassos, hamacs, textiles divers, articles de vannerie, poteries, ustensiles ménagers et de travail (très primitifs) ; certaines tribus fabriquent des meubles rudimentaires (bancs, chaises) et des canots creusés à la hache ou au moyen du feu dans des troncs d'arbres. Pour ce qui est de la poterie de terre, la fabrication en est très commune, la cuisson médiocre. Néanmoins, toutes les tribus ne connaissent pas cette industrie ; tel est le cas principalement chez certaines tribus du groupe Gê, qui, pour conserver les liquides, utilisent les gourdes de certains fruits tropicaux 2. Les tribus du groupe Gê qui fabriquent des poteries, les Caigang par exemple, ont appris cette industrie des tribus du groupe Tupi et il en est de même en ce qui concerne les textiles. Tribus placées sous la surveillance du Service de protection des Indiens Les Indiens qui se trouvent entièrement sous le contrôle du Service de protection des Indiens se consacrent aux occupations les plus diverses, depuis l'agriculture jusqu'au petit artisanat et au travail dans des ateliers de mécanique. Dans le domaine de l'agriculture, et sous la direction de fonctionnaires des « postes indigènes » du Service, ils ont appris des procédés 1 A. J . DU SAMPAIO: A alimentaçao sertaneja e do interior da Amazonia, Biblioteca pedagógica brasileira, série 5, vol. 238 (Sào-Paulo, 1944). 2 Arthur RAMOS : Introducilo a anthropologia brasileira, op. cit., p . 151. 240 LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE plus rationnels et — outre la culture, chez eux traditionnelle, du manioc, du maïs, du coton, du tabac, des fèves et des patates douces — le jardinage ainsi que la culture de la canne à sucre, du riz, du blé, du cacao et de quelques arbres fruitiers ne leur sont pas inconnus. Ils ont également appris la pratique de l'élevage du bétail, qu'ils ignoraient complètement et dans lequel ils se sont montrés particulièrement habiles. Ils s'adonnent en outre à quelques activités industrielles d'importance moyenne, comme le tannage des peaux, la fabrication des briques, l'industrie du bois et les réparations mécaniques. Le tableau ci-après permet de juger de l'importance de la production dans les « postes indigènes » pendant le premier semestre de 1949 1. TABLEAU XXVI. — BRÉSIL : NIVEAU DE LA PRODUCTION DANS LES POSTES INDIGÈNES, JANVIER-JUIN 1 9 4 9 Production agricole Fruits Animaux et produits dérivés : Lait Œufs Chasse Production industrielle Graisses végétales Industries d'extraction Poterie Elevage : Bovins Equina Porcins Anes Mulets Ovins Caprins Volailles 17.194.146 kg 3.736.460 » 19.231 1.363 4.867 2.493.437 15.438 21.032 8.100 litres douzaines kg » » » » 11.757 têtes 1.539 » 1.135 » 81 » 234 » 442 » 260 » 5.273 » Populations « marginales » En ce qui concerne les aborigènes appartenant aux groupes marginaux qui ont perdu les caractères culturels et tribaux qui leur étaient traditionnels sans pouvoir toutefois s'assimiler à la collectivité rurale ambiante, ils trouvent à s'employer dans diverses activités (plantations, travaux agricoles saisonniers) et ils participent fréquemment à la collecte du caoutchouc. 1 Actividades do S.P.I. (Rio-de-Janeiro, Ministerio da Agricultura, 1949). MÉTIERS ET OCCUPATIONS 241 CHILI Araueans Environ 90 pour cent du secteur indigène le plus important (les Araueans) se consacrent à l'agriculture et à l'élevage, soit dans les réserves ou collectivités auxquelles ils appartiennent, soit dans les domaines privés, où ils effectuent divers travaux suivant la nature des exploitations ; environ 7 pour cent de ces indigènes se consacrent, soit à titre d'occupation d'appoint, soit exclusivement, à des travaux artisanaux comme la fabrication de textiles, d'articles en cuivre, en argent, en bois, d'instruments agricoles, etc. ; environ 2 pour cent se livrent au commerce des produits de l'agriculture, de l'élevage et de l'artisanat, soit à l'intérieur, soit à l'extérieur des réserves x. Exode des populations aborigènes. La Direction générale des terres et de la colonisation a fait observer qu'il existe un puissant mouvement d'émigration des jeunes Araueans, qui quittent les réserves pour se rendre vers les centres urbains. C'est ainsi qu'il y aurait dans la capitale de la République environ 10.000 Mapuches (mapu : terre ; che : homme) qui travaillent surtout dans le bâtiment, dans les transports et dans la boulangerie ou se sont engagés dans le corps des carabiniers 2. L'activité économique dans les «réductions». Environ 50 pour cent de la population araucane (soit 80.000 individus) se consacrent à la petite agriculture et à •l'élevage sur les territoires des « réductions » (dont la superficie est approximativement de 500.000 hectares), situées entre la province de Bio Bio et celle de Llanquihué. L'Araucan cultive principalement le blé, le maïs, la pomme de terre. L'élevage constitue une importante activité économique d'appoint, encore qu'il ait subi une régression notable au cours du siècle actuel par suite du manque de terres de pâturage. En général, l'élevage des ovins revêt une importance particulière tant par la consommation de la viande que pour l'utilisation de la laine dans le tissage domestique. Dans certaines régions, les bovins, soit destinés à la boucherie, soit utuisés comme bêtes de somme ou de trait, font aussi l'objet d'un élevage important. La 1 2 Données communiquées au B.I.T. en juillet 1950. Communication au B.I.T., juillet 1950. 242 LE TRAVAILLETTE. ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE production de l'agriculture et de l'élevage est destinée en premier lieu à répondre aux besoins alimentaires de la famille ; l'Araucan vend l'excédent de sa production dans les villages voisins des réserves. Artisanat. L'Araucan pratique le tissage (châles, ceintures, capes, sacs, etc.), la vannerie, l'orfèvrerie, le travail du cuivre, la poterie et la bourrellerie, dont les produits parviennent jusqu'aux centres touristiques régionaux et aux marchés de la capitale. Pour teindre ses textiles, l'Indien utilise une grande variété de plantes sauvages dont les racines, les tiges ou les fleurs produisent diverses matières colorantes. Autres tribus On a pu réunir également quelques renseignements fragmentaires sur les occupations principales des Chango et des Atacameño au Nord et des Fuégiens au Sud. Les Chango, qui vivent entre les fleuves Lao et Huasco et le long de la côte entre Tocopilla et Taltal, se consacrent surtout à la pêche et à l'élevage des chèvres, complétés par une agriculture de subsistance ou par le travail journalier dans les mines de cuivre ou de nitrate de la région. Les Atacameño sont agriculteurs et pasteurs (Arica et Taracapá), ouvriers mineurs (Antofogasta et nord d'Atacama) ou pasteurs nomades (landes d'Atacama). Parmi les Indiens Fuégiens, les Ona et les Yámana se consacrent à l'élevage (produits laitiers, laine, etc.) dans les grandes propriétés de la région ; pendant leurs loisirs, les Yámana se livrent à la pêche et à la chasse d'animaux présentant une valeur commerciale, comme le phoque et la loutre, dont ils vendent ou troquent les peaux à Punta Arenas ou Usuhuaia 1 ; chez les Alacaluf, on peut distinguer le groupe des environs de Puerto Eden, qui se consacre exclusivement à la pêche, et le groupe qui habite aux environs de Punta Arenas, qui vit soit de la pêche, soit du travail dans les grands domaines d'élevage. Les Indiens du Nord fabriquent des articles textiles, des poteries et de la vannerie. Les Fuégiens (et particulièrement les Alacaluf) fabriquent des paniers et de petits bateaux d'écorce. 1 Greta MOSTNY : «Transculturación de las tribus fueguinas», América vol. X, n° 3, juill. 1950. Indigena, MÉTTEES ET OCCUPATIONS 243 COLOMBIE On peut distinguer, dans la population indigène de la Colombie, quatre catégories, d'après les activités professionnelles : 1) les Indiens sylvicoles, nomades ou semi-nomades, de la région de l'Orénoque, des sierras de Perijá et de Bobali, des forêts du haut Catatumbo, etc., qui vivent de chasse, de pêche et de la cueillette de fruits sauvages, complétées souvent par une agriculture nomade très primitive et un artisanat extrêmement rudimentaire; 2) les Indiens de la péninsule de la Guajira, dont les activités généralement pastorales sont complétées, dans quelques régions, par la pêche des perles et le travail journalier dans les exploitations agricoles et minières, etc. ; 3) les Indiens sédentaires des réserves, dans le massif central andin, qui vivent d'agriculture et d'élevage pratiqués en commun, conformément à la tradition ; 4) les Indiens du plateau qui, ayant perdu leurs terres de réserve, se sont incorporés aux grandes propriétés des Blancs et des métis comme ouvriers journaliers, métayers ou locataires. Indiens sylvicoles GuaMbo et Motilón. Parmi les tribus sylvicoles les plus importantes, il y a lieu de mentionner les Guahibo et les Motilón. Les Guahibo se distinguent par une de leurs méthodes de chasse, qui consiste à incendier de grandes superficies de terrain afin de pouvoir ensuite recueillir les animaux à demi-carbonisés. L'écobuage (ou défrichement au moyen du feu) se pratique également pour la culture du manioc, du maïs, de la banane, de l'igname, etc. La division du travail, qui y est strictement respectée, s'effectue selon les sexes : la femme prépare le terrain et soigne les cultures ; en outre, elle fabrique les articles de poterie. L'homme fait les semailles et la récolte; il confectionne également des articles de fibre et de bois ; la corderie et la sparterie, à base de fibres de palme moriche, sont des activités essentiellement masculines x. Les Motilón sont avant tout nomades, s'arrêtant de temps en temps dans une région déboisée pour cultiver entre les troncs abattus un peu de manioc doux, de maïs, de banane ou de tabac. L'artisanat, qui est chez eux une occupation essentiellement réservée aux femmes, comprend 1 Gerardo REICHEL-DOLMATOÏT : « La cultura material de los indios guahibo », Revista del Instituto Etnològico Nacional (Bogota), vol. I, n° 2, p p . 450-472. 244 LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE la corderie (avec les fibres de la feuille d'agave sauvage), la céramique (marmites grossières et ru alimentaires) et le filage du coton sauvage travaillé avec un fuseau de bois de type Bakari avec un grand rouet de bois ; la sparterie est une occupation réservée aux hommes 1. Selon plusieurs auteurs, l'expansion de la colonisation blanche autour du département de Santander et le développement de l'industrie pétrolière dans la région de Catatumbo ont progressivement refoulé les Motilón, qui ont été obligés d'abandonner leurs terrains de chasse et de pêche 2. Indiens de la Guajira Les Guajiro occupent une région qui, à cause de son aspect désertique et de sa température élevée, a été appelée 1'« Arabie américaine ». A l'origine, cette peuplade vivait de cueillette, de chasse et d'agriculture, mais, par suite d'une série de circonstances, elle est devenue peu à peu un peuple surtout pastoral. Certains groupes se livrent encore à une agriculture de subsistance 3 et à la chasse ; d'autres s'adonnent à l'artisanat domestique (tissage, poterie, travail du bois, de la corne, de l'écorce de noix de coco, du corail, bourrellerie, etc.) ; d'autres vivent de la pêche des perles ou de la cueillette de fruits sauvages ; d'autres encore travaillent comme journaliers dans les ports ou dans les marais salants de la région, comme ouvriers agricoles dans les régions voisines (dans le département de Magdalena et au Venezuela) ou comme ouvriers des transports routiers. La pêche des perles est très active dans les régions où les huîtres sont abondantes, comme les ports de Cardón, Ahuyama et Carrizal. Le Guajiro pêche pour son compte ou travaille au service du Blanc ou du métis. Il est employé en effectifs importants au chargement des navires dans les ports d'Estrella et de Riohacha. 1 Pour plus de détails, voir Gerardo REICHEL-DOLMATOFF : « Los indios motilones : etnografía y lingüística », Revista del Instituto Etnológico Nacional, op. cit., vol. II, no 1, 1945, pp. 15-115. 2 Voir, par exemple, les études de Roberto PINEDA GIRALDO : « Colonización e inmigración y el problema indígena», et de G. REICHEL-DOLMATOFF: «Informe sobre las investigaciones preliminares de la Comisión etnológica al Catatumbo », Boletín de Arqueología (publication de l'Institut d'ethnologie et d'archéologie, du ministère de l'Education, Bogota), tome II, n° 4, oct.-déc. 1946, pp. 373-378 et 381-392. 3 Le seul district relativement fertile de la péninsule se trouve dans la région de Punta Espada, où les Guajiro cultivent un peu de manioc, des bananes, quelques légumes, la canne à sucre, la coca et le tabac. Voir John M. ARMSTRONG et Alfred MÉTRATJX : « The Goajiro », Handbook of South American Indians, op. cit., vol. 4 : The Circum-Caribbean Tribes (Washington, 1948), pp. 369-383. MÉTIERS ET OCCUPATIONS 245 Par suite de la pénurie d'eau et de pâturages (l'été dure de janvier à septembre), l'élevage présente, chez les Guajiro, un caractère transhumant et saisonnier. A l'heure actuelle, il se trouve dans une situation très précaire due aux effets désastreux des sécheresses qui ont éprouvé la région au cours des dernières années 1 . Le cheptel de la péninsule qui, en 1943, atteignait environ un million de têtes comptait en 1946 à peine 30.000 têtes et était composé surtout de caprins, animaux qui s'adaptent le mieux à la sécheresse 2. Au cours des dix dernières années, un pourcentage élevé de la population aborigène s'est vu obligé d'émigrer vers d'autres régions du pays et principalement vers la région voisine du Zulia, au Venezuela, où il a réussi à s'assimiler partiellement à la main-d'œuvre agricole et pétrolière 3. On estime qu'entre 1943 et 1946, environ 25.000 des 54.000 Indiens qui habitaient la Guajira colombienne ont dû abandonner la péninsule 4. Il existe sur la côte septentrionale du pays Guajiro trois marais salants (Pájaro, Manaure et Bahía Honda) qui sont exploités sous le contrôle direct de la Banque d'Etat. La main-d'œuvre qui y est employée est presque entièrement aborigène. Les travaux d'exploitation durent de trois à quatre mois chaque année. Le travail de l'ouvrier aborigène consiste à extraire, à sécher, à purifier, à emballer, à peser et à charger le sel 5 . L'ouvrier n'est pas rémunéré à la journée, mais à la tâche, par quantités de 75 kg qui sont ensachées et transportées par les femmes ; il travaille également à la journée comme maçon, vendeur, ouvrier de briqueterie, aux fours à chaux ou à 1 Dans un rapport sur les résultats d'une expédition scientifique organisée en 1947 par l'Institut national d'ethnologie, on lit ce qui suit : « Le pays Guajiro... présente un spectacle désolant à cause de la sécheresse des trois ou quatre dernières années, qui empêche absolument la culture des produits agricoles et rend extrêmement dimoile non seulement l'élevage, mais même la simple conservation du cheptel des indigènes, dont les effectifs sont tombés à des chiffres minimes. » Voir Roberto PINEDA GIRALDO : « Informe preliminar sobre aspectos sociales y económicos de la Guajira. Expedición 1947 », Boletín de Arqueología (Bogota), vol. II, n08 5-6, janv.-déc. 1947, p. 570. Voir également Milciades CHAVBS : « Emigración guajira», Boletín de la Sociedad Geográfica de Colombia (Bogota), vol. IX, n° 1, 1951, p. 18. 2 Roberto PINEDA GIRALDO : « Informe preliminar... », op. cit., p. 543. Le gouvernement du Venezuela a construit dans la ville pétrolière de Maracaibo un quartier ouvrier (Siruma) réservé exclusivement aux immigrants Guajiro et qui est muni d'eau courante, d'écoles, de terrains de sport, de services médicaux, etc. 3 (Milciades CHAVES, op. cit., p. 27.) 4 Roberto PINEDA GIRALDO : <c Colonización e inmigración y el problema indígena », Boletín de Arqueología, op. cit., p. 378. 6 IDEM : « Informe preliminar... », op. cit. Voir également Antonio GARCÍA : « Regímenes indígenas de salariado », America Indígena, vol. VIII, n° 4, oct. 1948, p. 280. 246 LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE charbon, dans le charriage des matériaux, le forage des puits ou encore comme garçon de courses ou domestique 1. Le Guajiro entretient des relations commerciales d'une certaine importance avec les villes de Bio Hacha, Santa Marta, Barranquüla (Colombie), Maracaibo (Venezuela), avec Curaçao et Aruba, et avec les navires en provenance des Antilles. Il vend des cuirs, des perles, du dividivi, des textiles, des poteries, etc., et achète notamment des toiles, du rhum, du tabac, des armes. Indiens des communautés Quant aux Indiens des communautés (qui constituent approximativement 50 pour cent de la population aborigène du pays), leur activité économique la plus importante est l'agriculture extensive. Au nombre de leurs occupations secondaires figurent principalement l'élevage et l'artisanat domestique et, dans certaines régions, la construction. On possède quelques renseignements sur les cultures principales pratiquées dans les comunidades de la région Páez, dans le département du Cauca, et dans celles du département de Nariño. Dans la première de ces régions, on cultive surtout le maïs dans les zones tempérées, et la pomme de terre dans les zones les plus froides (tierra adentro) ; puis viennent par ordre d'importance les cultures du manioc, du potiron, de Vullueo, des fèves et de ï'arracada et d'une grande variété d'arbres et de plantes à fruits : bananier, goyave, avocatier, papayer et ananas. Au cours des dernières années, la culture du blé, du caféier, de la canne à sucre a pris un certain développement 2 . Dans la deuxième région mentionnée, on cultive surtout la pomme de terre, l'orge, le maïs et à un moindre degré le blé, ainsi que les légumes et les fleurs pour la vente 3. E n général, et à l'exception de la région des Páez et des Guambiano, lesquels entretiennent des relations commerciales agricoles importantes avec les marchés centraux du Cauca, les communautés « mènent une vie recluse et insulaire » au sein de l'économie nationale 4. Certaines 1 Voir Virginia GUTIÉRREZ DE PINEDA: «Organización social en la Guajira», Revista del Instituto Etnológico Nacional (Bogota), vol. I l l , 1950, chap. XVI, p. 232. 2 Gregorio HERNÁNDEZ DE ALBA : a The Highland Tribes of Southern Colombia », Handbook of South American Indians, vol. II : The Andean Civilizations (Washington, 1946), pp. 914-960. 3 Sergio Elias ORTIZ : « The Modern Quillacinga, Pasto and Coaiquer », Handbook of South American Indians, pp. 961-968. 4 Antonio GARCÍA : « Regímenes indígenas de salariado », América Indigena, loe. cit. MÉTIERS ET OCCUPATIONS 247 tribus des réserves, comme celles des Chami à l'ouest du département de Caldas, sont revenues au nomadisme et se consacrent de préférence à la chasse et à la pêche. Parmi les occupations supplémentaires de l'indigène des réserves, il y a lieu de signaler particulièrement, dans la région occupée par les Páez et les Guambiano, le tissage et la corderie, cette dernière étant effectuée avec les fibres d'agave (filets, bâts, etc.), tandis que, dans la région de ÏTarino, les travaux de maçonnerie ont pris un certain développement dans les villages et les villes. Ce phénomène met en évidence la capacité extraordinaire d'adaptation dont fait preuve l'Indien, pour s'incorporer à la vie économique nationale ; l'expérience montre qu'il est en outre un ouvrier très adroit *. On ne dispose pas de renseignements permettant d'établir le nombre ou le pourcentage des Indiens qui, par suite de la dissolution des communautés où ils vivaient, sont devenus métayers (terrazgueros) ou jardiniers agricoles indépendants. Ce nombre est important, comme permet de le supposer le fait que la population indigène constitue l'une des sources principales de la main-d'œuvre employée conformément aux divers systèmes de métayage ou de peonage pratiqués dans les grandes propriétés de la région du haut plateau. Il n'a pas été possible non plus de déterminer le nombre ou le pourcentage des Indiens des réserves qui, par suite de l'exiguïté de leurs terres, se trouvent obligés de chercher des revenus supplémentaires en travaillant temporairement comme salariés dans les entreprises agricoles ou minières du massif andin. COSTA-RICA Les principales occupations de l'aborigène costaricien sont la chasse, la pêche et l'agriculture de subsistance. Cette dernière est pratiquée surtout par le groupe indigène le plus important, les Bribri, qui cultivent le bananier, le maïs, le cacaoyer et les tubercules. Certaines tribus consacrent une partie de leur temps à des activités artisanales, selon des pratiques traditionnelles datant de l'époque précolombienne. Les Indiens des forêts de Talamanca se distinguent par la fabrication de sacs de fibre qu'ils tissent avec les doigts et qu'ils colorent ensuite avec des teintures extraites de plantes et d'arbustes sauvages. Au 1 Sergio Elias ORTIZ, op. cit. 248 LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE nombre des pratiques artisanales traditionnelles figure notamment la fabrication de tissus d'écorces d'arbres. Les Boruca cultivent un coton brun et fabriquent encore des tissus à double face, où le motif décoratif n'apparaît pas à l'envers. (La seule autre région du continent américain où l'on pratique cette méthode est la partie orientale de l'Equateur.) Le tissu est teint avec un colorant pourpre extrait d'un coquillage (murex pourpre) au moyen d'un procédé ingénieux et économique de dégorgement provoqué qui permet de ne pas tuer le crustacé. Les Indiens de Nicoya fabriquent une sorte de céramique artistique qu'ils décorent de dessins noirs tracés sur la terre de couleur avec le jus du fruit du nacascolo. EQUATEUR Considérations générales La grande majorité de la population indigène du pays, concentrée dans la région de la Sierra, se consacre essentiellement à l'agriculture et à l'élevage et, à un degré moindre (en général, à titre d'occupation d'appoint), à l'artisanat domestique. L'économie agricole de la Sierra est une économie de subsistance, alors que sur le littoral prédomine l'agriculture de type commercial. A la différence de ce qui se produit dans d'autres pays d'Amérique latine (Pérou, Guatemala, etc.), l'Indien du haut plateau de l'Equateur ne représente pas une proportion importante de la main-d'œuvre agricole des plantations de la côte. Cet état de choses semble dû en partie à la médiocrité des moyens de communications entre les deux régions et aux difficultés que présente l'acclimatation. Selon des renseignements transmis au B.I.T. par le gouvernement de l'Equateur, il est également dû au fait que le travailleur montuvio ou métis de la région du littoral n'accepte pas sans difficultés la concurrence du journalier indigène de la Sierra 1. Dans les provinces où la grande propriété domine, comme c'est le cas par exemple dans les provinces de Pichincha et de Chimborazo, une proportion élevée de la population indigène est constituée de huasipungueros 2 ; en revanche, dans d'autres 1 Communication en date du 31 mars 1950. Les huasipungueros Bont une catégorie particulière d'ouvriers agricoles, dont le salaire est en partie constitué par l'usufruit de lopins de terre situés dans la propriété où ils travaillent. A ce sujet, et pour les questions relatives à la possession de la terre, voir le chapitre suivant. 2 MÉTIEES ET OCCUPATIONS 249 provinces, comme par exemple celles de Tungurahua et d'Imbabura, où la grande propriété ne joue pas un rôle important, le nombre des Jiuasipungüeros est réduit et le pourcentage des petits agriculteurs aborigènes est considérable. La rareté des terres arables, jointe à la prolifération de la population paysanne, a entraîné un morcellement croissant de la propriété foncière indigène. Dans certaines provinces, cet état de choses a amené « une proportion appréciable de propriétaires à offrir leurs services comme métayers, journaliers ou travailleurs agricoles intermittents, soit dans des propriétés voisines, soit encore dans des entreprises de travaux publics pour le compte des municipalités, de l'Etat ou de particuliers 1 ». Activités économiques de la population de la Sierra On ne dispose pas de renseignements statistiques sur la répartition par activités de la population rurale de la Sierra. En 1942, on a pu observer qu'environ la moitié de cette population (soit 800.000 individus) avait « droit à l'usage de la terre, soit à titre individuel, soit à titre collectif » et que la plus grande partie du reste de la population était composée de journaliers agricoles employés dans les grandes propriétés 2. Selon une évaluation plus récente de M. Victor Gabriel Garces, membre équatorien de la Commission d'experts pour le travail des aborigènes de l'O.I.T., la population aborigène rurale de la Sierra atteindrait environ un million d'individus, dont 300.000 seraient travailleurs journaliers agricoles et ouvriershuasipungueros et 200.000 à 300.000 seraient membres d'exploitations en collectivité ou « se livreraient à d'autres activités n'impliquant pas la subordination à un employeur », tandis que le reste se composerait d'artisans ou de vieillards et mineurs ne travaillant pas 3. Enfin, selon un renseignement estimatif transmis au mois de mars 1950 par le gouvernement de l'Equateur, les effectifs de la population indigène qui s'adonne aux travaux agricoles seraient de l'ordre de 600.000 individus, chiffre qui comprendrait les travailleurs journaliers, les métayers, les fermiers et les membres des entreprises collectives. Le chiffre correspondant aux membres des entreprises 1 2 César CISNEROS CISNEROS, op. cit., p. 186. Ernest E. MAES : « Indian Farming in South America », Agriculture in the Americas (Washington, Department of Agriculture, déc. 1942), p. 235. 3 Communication au B.I.T., mars 1950. 250 LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE en collectivité (comuneros) semble comprendre non seulement les membres des collectivités indigènes traditionnelles, mais également les membres d'un nombre indéterminé de communautés métisses 1. Les statistiques relatives aux travailleurs journaliers agricoles prêtent également à une certaine confusion. M. Garces lui-même fait l'importante observation qu'un pourcentage élevé de cette main-d'œuvre agricole est constitué en réalité de comuneros et de métayers qui ne travaillent qu'à l'occasion comme ouvriers agricoles dans les grandes propriétés pour augmenter les maigres revenus qu'ils tirent de leur occupation principale. En d'autres termes, le nombre des Indiens qui travaillent de manière plus ou moins permanente comme travailleurs agricoles salariés est inférieur à celui que mentionnent les statistiques précitées. On ignore d'autre part quelle proportion approximative de ce dernier groupe se compose d'ouvriers agricoles indépendants, par opposition aux ouvriers huasipungüeros. Exode de la population agricole de la Sierra. Au cours de ces dernières années, on a constaté un déplacement de la population indigène paysanne depuis la Sierra vers la côte et la région orientale. Du fait notamment des faibles salaires qu'ils reçoivent, de la dure condition du huasipunguero, de la rareté et de l'appauvrissement des terres collectives, de nombreux Indiens cherchent d'autres moyens de subsistance. Un pourcentage indéterminé de cette population aborigène migrante s'est consacré à l'orpaillage. A ce sujet, Francisco Terán a pu écrire : Dans l'Azuay, qui est l'une des provinces les plus pauvres du point de vue agricole... ceux qui ne possèdent pas de terres ou qui ne veulent pas continuer à demeurer enchaînés au travail épuisant et improductif que constitue la fabrication des chapeaux de paille se dirigent vers l'est à la recherche de terres ou à la recherche de l'or : des miniers d'orpailleurs agitent pendant de longues heures chaque jour des corbeilles primitives dans lesquelles on recueille les2 sables ou les pépites d'or sur les rives des fleuves de l'est de l'Azuay . Travaux publics. D'autre part, le paysan indigène participe chaque jour davantage à certains types d'activités non agricoles et parti1 Pour les différences entre ces deux catégories d'institutions, voir le chapitre suivant. 2 Francisco TEKÁN : Geografia del Ecuador (Quito, 1948), p . 204. METTEBS E T OCCUPATIONS 251 culièrement aux entreprises de travaux publics. Selon des renseignements fournis par M. Garces, l'élément aborigène représente environ 80 pour cent des 7.000 ouvriers qui étaient employés au mois de mars 1950 par la Direction générale des ponts et chaussées. Métiers industriels. Le nombre des Indiens employés dans les entreprises manufacturières est extrêmement réduit. Selon une enquête effectuée par M. Garces, il ne dépasserait pas quelque 200 individus dans tout le pays. Tel est également le cas des aborigènes employés à l'extraction des minéraux. Dans les mines de Portovelo et de Macuchi, qui ont suspendu leur activité en 1950 1 , de petits groupes d'indigènes effectuaient des travaux secondaires à la surface. On a observé un phénomène analogue dans l'industrie du pétrole, dont la plupart des centres se trouvent situés, il est vrai, dans la région du littoral où l'élément indigène est peu nombreux. La main-d'œuvre manufacturière minière et pétrolière de l'Equateur est constituée en grande majorité de métis et de Blancs. Activités dans certaines provinces. On trouvera, ci-après, quelques renseignements descriptifs concernant les occupations principales de quelques-uns des groupes indigènes représentatifs dans sept des dix provinces que comprend la région de la Sierra. Dans la province d'Imbabura (cantons d'Otavalo et de Cotacachi), la majorité des Indiens sont agriculteurs indépendants ou tisserands d'étoffes de laine minces. Dans la province de Pichincha (cantons de Cayambe et de Tabacundo), la majorité est composée d'ouvriers agricoles et de huasipungueros ; dans les environs de Quito, on voit surtout des huasipungueros et des agriculteurs indépendants besogneux, qui sont obligés de compléter leurs maigres revenus en travaillant comme balayeurs des rues ou comme domestiques ; dans la vallée des Chillos, également près de Quito, le groupe aborigène de GuangapoUo se consacre au tissage du crin et au commerce des étoffes. Dans la province de Cotopaxi, de nombreuses communautés (notamment dans les cantons de Catunga, de Saquisili et de Pujili) s'adonnent à l'agriculture et, dans un cas (Pujili), à la fabrication de vases 1 Plus récemment s'est constituée la société Nueva Empresa de Portovelo avec des capitaux d'Etat fournis, pour la plupart, par la Banque nationale pour le développement. 252 LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE de terre cuite, parfois vitrifiée, qui servent de vaisselle à la population paysanne d'une grande partie de la Sierra. Dans la province de Tungurahua, les Indiens Salasaca, connus pour l'hostilité dont ils témoignent contre les Blancs et les métis, cultivent l'agave et font, avec sa fibre, des cordes et des sacs qu'ils vendent à la foire d'Ambato. Dans la province de Chimborazo (cantons de Eiobamba et de Cajabamba), la plupart des Indiens sont des huasipungueros extrêmement pauvres. Il en est de même dans les communautés voisines des provinces de Bolivar, de Tungurahua et de Cotopaxi. Dans les provinces de Cañar (canton du même nom, Azogues, etc.) et d'Azuay (aux confins de Cuenca), un pourcentage élevé de la population aborigène s'adonne à la fabrication de chapeaux de paille fine 1 . Artisanat. Il n'a pas été possible d'obtenir des renseignements sur le nombre ou sur le pourcentage des aborigènes qui exercent, à domicile, des métiers relevant de l'artisanat rural. Cette lacune ne laisse pas de susciter des difficultés, compliquées encore par le fait qu'en règle générale ces métiers artisanaux n'ont pas le caractère d'une occupation principale, ce qui faciliterait leur classification statistique, mais constituent plutôt, pour les agriculteurs, une activité d'appoint. L'étendue et la qualité du lopin de terre que possède l'agriculteur aborigène déterminent fréquemment le temps que celui-ci consacre à une activité artisanale donnée. C'est ainsi, par exemple, que dans le canton d'Otavalo (province d'Imbabura) les membres des collectivités disposant de terres tant dans la région basse que sur les hauteurs s'occupent de tissage à domicile à leurs moments perdus. En revanche, ceux qui ne possèdent des terres que dans la région basse et pour qui l'année ne comporte qu'une seule saison propice à l'agriculture consacrent presque toute la morte-saison (août-octobre) à la fabrication de châles, de ponchos, de nattes, de corbeilles, etc. Dans certains villages de ce canton (Human, Peguche, Quinchuqui et Agato), l'agriculture est pour ainsi dire passée au second plan et il n'est pas rare de voir des aborigènes exploiter des ateliers produisant surtout des textiles, en employant comme main-d'œuvre d'autres Indiens rémunérés selon un tarif plus ou moins fixe. Parmi les diverses activités artisanales typiques de l'aborigène, il y a lieu de relever, selon le district ou la localité, le 1 Francisco TERÀN, op. cit., p p . 177-191. MÉTIEBS ET OCCUPATIONS 253 tissage sous ses diverses formes, la fabrication de cordes d'agave, la poterie, la céramique et la tannerie. Viennent ensuite, par ordre d'importance, le travail du cuivre et l'orfèvrerie *. Spécialisation de Vartisanat. — De même que dans d'autres régions de l'Amérique latine, on constate dans plusieurs districts de la Sierra un phénomène fort intéressant: la spécialisation de l'artisanat aborigène par commune, par collectivité ou par village. Dans le canton d'Otavalo, par exemple, les habitants d'Human s'occupent surtout de tissage, ceux de Peguehe fabriquent des poteries et ceux de Cotacachi travaillent le cuivre ou tannent les cuirs. Il va de soi que, fréquemment, le développement d'une activité artisanale donnée est fonction des disponibilités en matières premières 2. Ainsi, les populations qui vivent sur les rives des lacs (celui de San Pablo, par exemple) fabriquent des nattes de totora (sorte de roseau géant) tandis que celles qui se sont établies à proximité des forêts confectionnent de préférence des corbeilles et des chapeaux en liège. Tissage. — L'industrie aborigène du tissage a ses centres les plus importants dans les provinces suivantes : Imbabura (canton d'Otavalo), pour les lainages (châles, ponchos, couvertures, fichus, etc.), les objets en paille (chapeaux, corbeilles) et en fibre (nattes) ; Azuay (Cuenca), Cañar, Manabí (Montecristi, Jipijapa et Portoviejo) et, dans une mesure moindre, Pichincha (canton de Pedro Moncayo), pouf les chapeaux de paille fine ; Chimborazo (canton de Guano), pour les tapis. On tisse également la laine dans plusieurs localités de Eiobamba et de Tungurahua. Fabrication des chapeaux. — L'activité artisanale aborigène la plus importante, tant du point de vue économique que du point de vue de l'effectif de la main-d'œuvre employée, est la fabrication du chapeau de paille fine appelé « panama 3 » Il y a quelques années, les chapeaux de paille fine occupaient le deuxième rang dans les exportations du pays ; en 1943, les maisons de commerce de la ville de Cuenca (province d'Azuay) ont exporté à elles seules 163.000 douzaines de chapeaux. En 1 Comme dans les autres pays de l'Amérique latine, le métier d'orfèvre est en réalité exercé par les métis plus que par les aborigènes. 2 Au sujet du problème des matières premières, de même que sur la production et l'écoulement des produits, voir chap. X. 3 Ce nom lui a été donné dans le passé, lorsque Panama était le principal centre de distribution de cet article à l'étranger. On utilise pour cette fabrication la toquilla, ou paille fine, tirée des fibres d'un petit palmier (bombonaje), qui croît dans la forêt péruvienne et equatoriale. 254 LE TRAVAILLEUR ABORIGENE DANS L'ÉCONOMIE 1945, la valeur de ce poste des exportations atteignait plus de 64.130.000 sucres, dont 65 pour cent pour les provinces d'Azuay et de Cañar *. Il y aurait, dans la province d'Azuay seulement, près de 80.000 tresseurs de chapeaux, tandis que le nombre des personnes qui vivent de cette industrie, dans cette province et dans celle de Cañar, dépasserait 400.000 2. Selon une enquête effectuée par l'Institut national de prévoyance sociale, ces deux provinces compteraient environ 200^000 tresseurs de chapeaux 3 . Il y a lieu d'ajouter à ce nombre celui des tresseurs de chapeaux des provinces de Manabi (Montecristi et Jipijapa), de Pichincha (Tabacundo) et d'Imbabura (San Pablo), sur lesquelles on manque de données précises. Le tressage des chapeaux est effectué surtout par les femmes ; les ouvrières se divisent en deux catégories : a) les tresseuses de profession qui consacrent tout leur temps à la fabrication des chapeaux ; b) les travailleuses agricoles ou domestiques pour lesquelles cette activité n'est que secondaire. Activités économiques des Indiens sylvicoles En ce qui concerne l'Indien sylvicole, on dispose de certains renseignements intéressants sur les occupations de trois groupes importants, à savoir : les Jivaro, dans la région de l'Est ; les Colorado ou Tzátchela, dans la jungle de Santo Domingo de los Colorados (province de Pichincha et régions contiguos) ; les Cayapa, dans les forêts d'Esmeraldas. Tribu Jivaro. Contrairement à ce que l'on suppose souvent, le Jivaro, en dépit de son penchant pour la guerre, tire une partie de sa subsistance de travaux agricoles. L'homme débroussaille le terrain et prépare un jardin que la femme se charge d'entretenir. Ses cultures les plus importantes sont le manioc doux, le palmier chonta, la banane et la papaye. Sa technique agricole est des plus primitives : il n'emploie qu'un bâton pointu, tant pour ameublir le sol que pour mettre en terre les semences. La femme tisse des fibres et du coton et fabrique de grossières poteries d'argile ; l'homme s'adonne surtout à la chasse et à la pêche. 1 2 Francisco TERÁN, op. cit., p. 224. Luis MONSALVE Pozo : « La industria de los sombreros de paja toquilla », Cuestiones indígenas del Ecuador, op. cit., pp. 110-111. 3 Voir « El problema de la paja toquilla en el Azuay », Boletín del Instituto Nacional de Previsión, Quito, mars 1946 XI Quand la nature empêche la mécanisation Récolte du guano dans les îles le la côte du Pérou (Runcio Foto) Porteurs indiens sur une piste de montagne du Pérou XII Le tissage sur le haut plateau de Bolivie (Foto Linares) Fabrication des tissus indigènes Un métier primitif équatorien (Estudio Rodo Wuth) l ff •j» . w li • • « MÉTIEBS ET OCCUPATIONS 255 Tribus Tzátchela et Cayapa. L'agriculture nomade sur brûlis constitue la principale occupation des Indiens Tzátchela et Cayapa. Les Tzátchela cultivent deux genres de parcelles : un champ principal, situé à proximité immédiate de la maison, et un champ secondaire, plus éloigné. La pêche et la chasse sont des activités complémentaires, de même que la récolte de produits forestiers et la préparation de peaux de jaguar vendues au marché. Parmi les activités secondaires du Cayapa, il y a lieu de signaler le travail du bois, le tissage, la vannerie (on utilise surtout des écorces et des racines) et le commerce (vente de caoutchouc, d'ivoire végétal, etc., dans les localités de la côte du pays et de la Colombie, en échange de machettes, de haches ; de hameçons). Ces dernières années, le Cayapa a été chassé de son habitat par les chercheurs de produits forestiers (habitants du Montuvio et Noirs) 1 . Certaines tribus de l'Oriente (plaine de l'Amazone) telles que les ïTapo, les Tena, les Arajuno, les Loreto et les Tala, pratiquent l'orpaillage ou récoltent des gommes et du caoutchouc qu'ils vendent aux commerçants blancs et métis de la région. GUATEMALA Principales activités économiques Dans leur grande majorité, les Indiens font de l'élevage et de la culture en qualité de colons (pegujalerosz), de métayers, de petits propriétaires ou de travailleurs agricoles salariés. Ils, travaillent dans les exploitations des hauts plateaux ou dans les grandes plantations commerciales et les fermes d'élevage de la côte. Une fraction importante de la population aborigène tire en outre une partie de sa subsistance de l'artisanat domestique (tissage, céramique, etc.) 3. Dans certaines localités, où le sol se prête mal à la culture, l'artisanat, l'élevage du mouton, le commerce ambulant, la pêche sont les occupations principales, voire exclusives, des aborigènes. Sauf en ce qui 1 Voir J o h n MUERA : « The Cayapa and Colorado », Handbook of South American Indians, vol. 4 : The Circum-Garibbean Tribes, publié sous la direction de Julian H . STEWARD (Washington, 1948), p p . 277-291. 2 Salariés permanents à qui l'on permet de cultiver certaines parcelles pour les fixer à la terre et pour que les produits qu'ils récoltent ainsi complètent leur salaire. 3 C'est ce que permet de déduire l'analyse d'une série d'enquêtes spéciales déjà mentionnées dans un chapitre antérieur. Voir INSTITUTO INDIGENISTA NACIONAL : Chuarrancho. Sintesi« socioeconomica de una comunidad indigena guatemalteca, op. cit., p p . 6-7. 10 256 LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE concerne certaines catégories de colons et de journaliers agricoles, on manque de données statistiques permettant de déterminer le nombre ou le pourcentage des Indiens qui se livrent à chacune de ces occupations. Toutefois, il est facile d'évaluer l'ampleur du rôle que le travail des aborigènes joue dans l'économie nationale si l'on songe que ceux-ci produisent chaque année pour environ 80 minions de quetzals ( 1 quetzal = environ 1 dollar) de maïs, 30 millions de quetzals de café, 16 millions de quetzals de haricots et de 10 à 15 millions de quetzals de tissus et autres produits artisanaux. Et ce total reste incomplet si l'on ne mentionne pas la production de canne à sucre, de bananes, de riz, de blé, de fruits et légumes, la manufacture d'importantes quantités d'articles d'usage courant et l'élevage, auquel l'aborigène participe également dans une certaine mesure 1. Néanmoins, « exception faite de la vente de son travail, l'Indien vit en marge de l'économie nationale 2 ». Dans les hauts plateaux, l'économie aborigène repose surtout sur une agriculture de subsistance et un artisanat domestique de type primitif qui restent dans le cadre d'un « système de production, de distribution et de consommation indépendant en fait des plantations éloignées, des maisons d'importation et d'exportation et des banques du Guatemala 3 ». Transformation de l'économie agricole La situation du travailleur agricole est intimement liée au problème de la concentration de la propriété, étudié dans le chapitre suivant. Il convient toutefois de signaler que le recensement agricole de 1950 a permis de constater que, sur 276.043 exploitations (le nombre total de celles-ci s'élevant à 341.188), 1.052.794 personnes étaient au travail, dont 219.099 adolescents de moins de quatorze ans et 833.695 adultes (611.233 hommes et 222.462 femmes). Le Congrès guatémalien a promulgué, le 15 juin 1952, une loi portant réforme agraire 4, qui vise à apporter « des modifl1 Renseignements communiqués à la quatrième Conférence des Etats d'Amérique Membres de l'Organisation internationale du Travail (Montevideo, avril-mai 1948) par M. Antonio GOTJBAUD CABBEHA, président de la délégation du Guatemala. 2 3 Leo A. SUSLOW, op. cit., p. 5. Sol TAX : « La economía regional de los indígenas de Guatemala », Boletín del Instituto Indigenista Nacional, vol. II, n° 2, juin-sept. 1947, p. 170. 4 El Guatemalteco, 17 juin 1952, pp. 957-962. MÉTIERS ET OCCUPATIONS 257 cations substantielles au régime de la propriété et dans les modalités d'occupation de la terre, à titre de mesure pour combler le retard économique du Guatemala et relever sensiblement le niveau de vie des grandes masses de la population ». Cette loi a déjà fait l'objet d'un début d'application et les réalisations les plus notables dans ce domaine sont exposées au chapitre X I . Problèmes posés par le lotissement des communautés et par Véparpïllement de la propriété La situation des travailleurs agricoles a empiré depuis le milieu du siècle dernier, du fait que ces travailleurs ont perdu une forte proportion des terres qu'ils possédaient en commun 1 ; aussi beaucoup d'entre eux ont-ils dû se mettre à cultiver, comme colons, les terres des grandes exploitations des hauts plateaux ou des plantations commerciales de la côte. D'autre part, les propriétés que les communautés aborigènes traditionnelles ont réussi à conserver se sont de plus en plus morcelées du fait de l'augmentation régulière de la population. C'est pourquoi un nombre appréciable de petits propriétaires aborigènes des hauts plateaux se sont vus dans la nécessité de trouver des revenus d'appoint, ce qui les a amenés à émigrer périodiquement vers les plantations de la côte et vers la région d'Alta Verapaz pour y travailler à la tâche en qualité de cuadrilleros 2 ou de temporalistas 3. Bon nombre de travailleurs migrants se sont autrefois fixés dans les plantations de café comme colons pegujaleros ou comme métayers, ou ont dû accepter du travail à titre de salariés dans les grandes exploitations, en vertu des lois qui ont introduit l'obligation des services personnels x dans certaines circonstances. Dans de nombreux cas, cette situation est imputable au fait que les paysans du plateau arrivant de régions à forte densité de population, lorsqu'ils étaient propriétaires ou usufruitiers de terres, n'avaient pas de parcelles suffisantes même pour pratiquer une agriculture de subsistance 4. 1 2 3 4 Voir chap. IX. Ouvriers saisonniers travaillant en équipes. Travailleurs temporaires. INSTITUTO DE FOMENTO DB LA PRODUCCIÓN : Crédito agricola supervisado para Guatemala (Guatemala, mai 1951), pp. 58 et suiv. 258 LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE Plantations de café et autres plantations Les plantations de caféiers sont situées dans deux régions du pays : 1) la côte du Pacifique, à une certaine altitude, aux flancs des volcans dans les départements de Santa Eosa, d'Escuintla* de Suchitepéquez, de San Marcos, de Chimaltenango et de Saratepéquez ; 2) la région de Cobán, dans le département d'Alta Verapaz. Celles de la première région appartenaient à des Allemands, qui ont été expropriés en 1942 ; elles sont maintenant administrées par les pouvoirs publics (« propriétés nationales » et « propriétés sous séquestre ») 1 . Celles de la deuxième région sont en majeure partie entre les mains d'Autrichiens, de Suisses, d'Américains et d'Espagnols. La terre y est moins fertile et sa culture exige deux ou trois fois plus de jours-homme que dans la première ; néanmoins, les plantations de Cobán peuvent soutenir la concurrence de celles de la côte du Pacifique grâce à la main-d'œuvre aborigène à bon marché dont elles disposent. (Selon une étude récente, le salaire journalier ne dépassait parfois pas 0,10 quetzal 2 .) Les plantations de bananes, propriété de la United Fruit Company, sont situées sur la côte du Pacifique (Tiquisate) et, du côté de l'Atlantique, dans la région nord-est du pays (Bananera). La canne à sucre se cultive dans la région de la Costa Cuca du Pacifique, entre les plantations de café et les bananeraies. En 1947-48, 75.700 hectares étaient plantés de caféiers et 41.650 de bananiers 3. Les activités principales du colon et du journalier aborigènes varient d'une région à l'autre ; elles comprennent la récolte du café, la culture, le transport et le broyage de la canne à sucre, la culture et le transport de la banane, l'ouverture de chemins desservant les plantations, les semailles, l'entretien des cultures, etc. On a estimé qu'en 1947 les exploitations agricoles commerciales du pays occupaient au total environ 450.500 travailleurs, dont 425.500 pour les plantations de café (près de 80 pour cent du paysanat actif du Guatemala) et 25.000 pour les cultures industrielles (banane, etc.). En chiffres ronds, le nombre indiqué pour les plantations de café 1 Le Département des propriétés nationales et des propriétés sous séquestre administre 273.726 hectares de terres depuis sa création en 1944. Le morcellement de ces terres, prévu par la loi portant réforme agraire citée plus haut, a déjà commencé. 2 3 Leo A. SUSLOW, op. cit., p. 78. Crédito agricola supervisado para Guatemala, op. cit., p. 63. MÉTIERS ET OCCUPATIONS 259 se décomposait de la façon suivante : 282.600 travailleurs fixes ou résidants (colons ou pegujaleros) et 143.000 travailleurs temporaires ou saisonniers. Les bananeraies occupaient 15.301 travailleurs guatémaliens (qui recevaient un salaire journalier moyen de 1,40 quetzal) ; les propriétés nationales et les propriétés sous séquestre employaient de leur côté 23.600 colons 1. Artisanat Quant à l'artisanat à domicile, une enquête effectuée en 1949 par l'Institut national des affaires indigènes du Guatemala, dans près de deux cents collectivités aborigènes, a montré que les activités les plus importantes et les plus répandues étaient le tissage (coton, laine et soie), la fabrication de tuiles et de briques, de filets et d'articles de pêche, de nattes, la vannerie, la poterie et la céramique, la confection de chapeaux de paille 2. On peut constater dans ces différents travaux une spécialisation assez poussée, résultant souvent de la production localisée de certaines matières premières 8. Certaines populations tirent leur subsistance en tout ou en partie de la fabrication d'articles de corde, de la confection de chapeaux de fibres de palme tressées, du tressage de corbeilles, du tissage de couvertures de laine ou de la fabrication de poteries ou de multiples autres objets. On constate une spécialisation analogue dans d'autres activités économiques de la population autochtone qui, elles, ne sont pas typiquement « aborigènes » : horticulture, pêche, charpenterie, ébénisterie, maçonnerie, etc. Voici quelques exemples qui illustrent ce phénomène : sur les rives du lac Atitlán, le village de San Pablo fabrique surtout des cordes, tandis que celui de San Pedro est un centre de tissage et que les habitants de Santiago Atitlán sont avant tout des constructeurs de canots et des horticulteurs. Mieux encore, certaines localités ont poussé plus avant la spécialisation du métier artisanal qui est le propre de leur région : en ce qui concerne le travail du bois par exemple, auquel s'adonnent les Indiens Chorti du département de Chiquimula, 1 Francisco COSENZA GALVKS : « Notas sobre la planeación económica de Guatemala », Revista de Economia (Mexico, oct. 1950). Cité dans Crédito agricola supervisado para Guatemala, op. cit., pp. 59-61. 2 Communication adressée au B.I.T. en janvier 1950. 3 Sur l'approvisionnement en matières premières et les autres problèmes de l'artisanat, voir chap. X. Les activités commerciales et, en particulier, le rôle joué par les marchés régionaux sont traités plus loin. 260 LE TRAVAILLEUR ABOEIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE un village ne fabrique que des violons, un autre des tables et des chaises, un troisième des canots, etc. 1 . Le tissage de la laine est particulièrement répandu dans le centre-ouest et l'ouest du pays ; les tisseurs de coton et de soie sont nombreux dans les hauts plateaux et au centre du Guatemala ; on fabrique des céramiques et des poteries dans diverses localités des hauts plateaux, ainsi que dans certains endroits du centre et du centre-ouest du pays. En 1948, la valeur des vêtements confectionnés par les Indiens était évaluée à 4.551.000 quetzals, celle des autres produits de l'artisanat aborigène à 6.187.000 quetzals 2. L'industrie aborigène de la céramique et de la poterie se répartit entre quinze centres du pays. Les plus importants sont la commune de Totonicapán, où l'on trouve une grande variété de techniques et de styles, puis celle d'Antigua ; l'on peut encore mentionner San Pedro Jocopilas, Huehuetenango, Torión, San Sebastián et Santa Maria Chiquimula. En règle générale, les articles fabriqués sont de type utilitaire. Les fameuses jarres fabriquées à Chinautla constituent une exception notable par leur caractère nettement artistique. Huit communes se sont spécialisées dans la vannerie, et notamment Santa Catarina Ixtahuacan et Santa Clara. Santa Cruz Quiche et San Sebastián Lemea sont les principaux centres de fabrication de chapeaux en palme tressée. Les célèbres jicaras du Guatemala, faites du fruit du calebassier, se fabriquent exclusivement à Eabinal (Baja Verapaz) 3 . HONDURAS ET NICARAGUA Le principal groupe aborigène (les Miskito) est établi sur la côte atlantique des deux pays. Ses principales occupations sont la chasse, la pêche et l'agriculture nomade de subsistance. Les insectes destructeurs, dont il existe d'innombrables espèces, et une flore forestière exubérante qui envahit sans cesse les parcelles cultivées, ont toutefois rendu impossible le développement de l'agriculture. L'homme met le feu à un coin de forêt et débroussaille ce lopin de terre situé en général 1 Pour plus de détails, consulter Charles WISDOM : The Chorti Indians of Guatemala (Chicago, University of Chicago Press, 1940), p. 23. 2 The Economic Development of Guatemala, op. cit., p. 93. 3 Pour plus de détails sur la répartition géographique des centres les plus importants d'artisanat aborigène à domicile, consulter Felix Webster MCBBYDB : Cvhural and Historical Geography of Southwest Guatemala (Washington, Smithsonian Institution, 1945) et plus particulièrement les cartes n os 15, 16 et 17. MÉTIEBS ET OCCUPATIONS 261 à proximité d'une rivière navigable, puis la femme s'occupe des cultures et des récoltes. Après avoir tiré de son champ deux ou trois récoltes, l'Indien l'abandonne au lieu de le remettre en état et ouvre, par le feu, une autre clairière dans la forêt ; les cultures principales sont les suivantes : la banane, la banane à cuire, le manioc doux, la patate et, dans certains districts, le riz, la canne à sucre et le coton. La chasse et la pêche, avec la fabrication des engins nécessaires, constituent les activités essentielles de l'homme ; les femmes participent à la construction des canots, indispensables du fait que la jungle est trop dense pour permettre l'usage des charrettes. Le Miskito trouve une occupation accessoire importante dans l'extraction, pour son propre compte, de la sève de l'hévéa qui pousse dans les forêts ; il échange ce produit (ainsi que les peaux de divers animaux sauvages) contre du plomb, de la poudre, du sel, du tabac et d'autres marchandises que lui apporte le commerçant blanc ou métis x. Le Miskito gagne parfois sa vie en travaillant comme journalier au service de diverses entreprises : compagnies fruitières, exploitations forestières (acajou) ou mines d'or. Dans certains districts, la femme exerce des métiers artisanaux à domicile ; dans le nord de la Costa Mosquita, elle tisse des toiles au moyen de l'écorce d'une sorte d'arbre à caoutchouc 2. MEXIQUE 3 E n 1940, dans une vaste étude sur les formes de vie et les occupations de la population aborigène de son pays, M. Carlos Basauri, alors chef du département de l'Education de la population aborigène, signalait que cette population constituait, du point de vue économique et culturel, une véritable mosaïque, dont les divers fragments représentaient les différentes étapes de l'évolution de l'humanité. La vie de certaines tribus aborigènes (Seri, Lacandon, Tarahumara) est fort proche de celle que l'homme menait à l'époque 1 La production de caoutchouc du Nicaragua semble assez proche, en volume, de celle de l'Equateur, pays qui, dans ce domaine, vient immédiatement après le Brésil par ordre d'importance. 2 Eduard CONZEMTÜS : Ethnographical Survey of the Miskito and Sumu Indians of Honduras and Nicaragua, Smithsonian Institution, Bureau of American Ethnology, Bulletin 106 (Washington, 1932) ; Michel PIJOAN : The Health and Customs of the Miskito Indians of Northern Nicaragua, op. cit. ; Paul KIRCHHOFE : « The Caribbean Lowland Tribes : The Mosquito, Suma, Pata and Jicaque », Handbook of South American Indians, vol. 4 : The Circum-Caribbean Tribes, op. cit., pp. 219-229. 3 En ce qui concerne la transformation de l'économie agraire, voir chap. IX et XI. 262 LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE paléolithique. Le niveau de culture des autres tribus s'élève par degrés jusqu'à celui des plus évoluées, qui ne se distinguent plus des Blancs et des métis de culture occidentale 1 . Economie primitive Les Seri (Etat de Sonora) sont semi-nomades ; durant une partie de l'année, ils pèchent dans l'île Tiburón (golfe de Californie), échangeant leur poisson contre du mezcal (sorte d'eau-de-vie) et de la farine ; le reste du temps, ils tirent leur subsistance de la chasse et de la cueillette de fruits sauvages sur la côte du même Etat. Les Lacandon (Etat de Chiapas) sont chasseurs dans les montagnes et pêcheurs dans la région des lacs ; il en existe deux groupes : celui du nord de la forêt et celui de la région des rios Jataté et Usumacinta ; le second vit absolument isolé, tandis que le premier maintient certains contacts avec les plantations et les exploitations forestières de la région. Les Pápago (Etat de Sonora) sont semi-nomades et se livrent surtout à la chasse et à l'agriculture nomade. Les Quikapu (Etat de Coahuila) vivent de la chasse des cerfs et des antilopes et d'une agriculture primitive de défrichement. Les Huave (Etat d'Oaxaca) sont essentiellement des pêcheurs ; ils consomment le produit de leur pêche ou le vendent dans plusieurs agglomérations de l'isthme de Tehuantepec. Quant aux Tarahumara (sierra Madre occidentale, E t a t de Chihuahua et certaines parties de l'Etat de Durango), ils vivent, dans la région où le sol est fertile (Baja Tarahumara), de la culture de leurs exploitations (ejidos) ; l'Alta Tarahumara, en revanche, est un haut plateau situé à quelque 3.000 mètres d'altitude, au dimat très froid, au sol pierreux et fortement érodé par les vents violents qui le balaient ; les habitants de certaines agglomérations (Bocoyna, Tolayotes, Arareco, etc.) font des coupes de bois dans des endroits voisins de la voie ferrée ; d'autres vont travailler périodiquement dans les entreprises de l'industrie du bois qui, dans cette région, fabriquent des traverses de chemins de fer ; certains enfin sont employés dans les mines ; près du rio Tubares, ils pratiquent l'orpaillage ; les Indiens les mieux assimilés travaillent comme ouvriers agricoles dans les grandes propriétés de Chihuahua et de Durango ; on peut citer," parmi les occupations accessoires de certains groupes, le tissage, les travaux de corderie et la fabrication d'instruments de musique (surtout de violons travaillés au couteau). 1 Carlos BASAURI : La población indigena de Mexico, op. cit., vol. I, p . 4 3 . MÉTIERS ET OCCUPATIONS 263 Agriculture L'agriculture est l'occupation principale des tribus dont le développement économique est le plus poussé ; elle va, passant par toute une série d'échelons, de l'écobuage pratiqué par les Tepehuán jusqu'à la culture mécanisée des ejidos des Yaqui. Cette diversité de types d'économie agricole ne s'observe pas seulement d'une tribu à l'autre, mais souvent aussi au sein d'une même tribu. Ainsi, par exemple, les Zapotèques et les Mixtèques (Etat d'Oaxaca) connaissent deux régimes d'économie agricole assez nettement définis : 1) une agriculture primitive — l'écobuage — complétée par un artisanat embryonnaire ou peu développé, avec une maigre production marcbande et une offre minimum de main-d'œuvre ; 2) une agriculture utilisant toujours les mêmes terrains, travaillés à la charrue, jointe à un artisanat important, aux formes multiples, permettant une production marchande considérable et une offre abondante de main-d'œuvre. Le premier type prédomine dans les chaînes de la côte (districts de Jamiltepec, de Juquila, de Pochutla, de Miahuatlán) et dans les villages des versants humides des montagnes de la partie septentrionale de l'Etat (districts de Mixe, de Ohoapán, de Ohinantla, etc.) ; le second prévaut dans les vallées centrales, la Cañada, laMixteca, la sierra de Juárez et dans l'isthme de Tehuantepec 1. Agriculture de subsistance. — L'agriculture de subsistance (maïs et fèves en premier lieu, mais également légumes, piments, coton, sucre, mûrier, blé, café, banane, cacao, tabac, etc., selon la région) prédomine dans les tribus ou groupes suivants : Tepecano (Jalisco), Totigue, Tojolabale, Marne, Choie, Tzotzil, Tzeltal (Chiapas), Chontal, Mixe, Mazatèque et Mixtèque (Oaxaca), Mazahua (Mexico), Totonaca (Puebla, sierra de Veracruz, Hidalgo), Tlapanèque (Guerrero), Cora (sierra de ÜTayarit), Otomí (Hidalgo, Guanajato, Querétaro, Mexico, Tlaxcala, Puebla, San Luis Potosí, Michoacán), etc. Agriculture commerciale. -— Les cultures marchandes ont pris un développement plus ou moins marqué dans les deux groupes ci-après : les Tarasques (Michoacán), caractérisés par la diversité des produits qu'ils cultivent (céréales et légumes) et, dans certaines régions, par une exploitation forestière de type semi-coopératif ; les Yaqui (Sonora), producteurs de tabac, de sucre, de tomates, de melons, etc. ; les Mayas 1 Pedro CAERASCO : « Las culturas indígenas de Oaxaca, México », América Indigena, vol. XI, n° 2, avril 1951, pp. 101-103. 10* 264 LB TBAVAILLETJB, ABOBIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE (Yucatan et Quintana Eoo), qui cultivent l'agave dans la première de ces régions et le chicle dans l'autre et qui, dans le Yucatan, fabriquent des articles en corde; les Zapotèques (Oaxaca), cultivateurs de fruits ; les Chontal (Tabasco), producteurs de bananes, de café, de sucre et de tabac ; les Huastèques (Veracruz, San Luis Potosí), qui cultivent le café, le maïs, le sucre, la banane, les fruits, le coton, etc. Sylviculture et bûcheronnage La sylviculture a pris un développement considérable chez les Indiens du Plateau tarasque (une des principales réserves forestières du pays). Parmi les divers usages qu'ils font du bois, il y a lieu de mentionner plus particulièrement la préparation de combustibles (charbon de bois, bois de feu et bois d'allumage), l'extraction de la résine, la préparation de bardeaux (qui servent également, parfois, à recouvrir les parois) et la fabrication d'objets artisanaux. Etant donné que, dans la plupart des villages, les bois appartiennent à la collectivité, tous les membres de celle-ci peuvent librement se procurer la matière dont ils ont besoin ; toutefois, dans certaines localités, il existe des bûcherons professionnels qui versent un « droit de défrichement » au groupe aborigène propriétaire de la forêt qu'ils exploitent. Certains villages, qui n'ont pas suffisamment de terres, vivent exclusivement du travail du bois à la hache. Il existe plusieurs entreprises appliquant des méthodes modernes qui exploitent la résine et auxquelles les Indiens vendent celle qu'ils extraient de leurs forêts 1 . Artisanat E n général, l'agriculture est complétée par des activités artisanales qui, souvent, relèguent l'agriculture au second plan lorsqu'elles ne la supplantent pas entièrement ; l'insuffisance des revenus peut d'ailleurs rendre nécessaires des occupations secondaires : bûcheronnage, travail dans les mines ou les chemins de fer, ou encore commerce ambulant, pêche, chasse, travail de muletier, pour ne donner que quelques exemples. Les industries artisanales domestiques constituent une occupation très importante chez les Zapotèques, les Mixtèques, les Tarasques, les Mayas, les Popolaca, etc. Les habitants de certains villages tarasques sont surtout potiers (Tzintzuntzán, Quiroga, Santa Fe), céramistes (Cocucho), constructeurs de 1 Gonzalo AGUIBBE BEI/TRAN : El problema de la población indigena cuenca del Tepàkatepec, op. cit., p p . 191-207. de la MÉTIEKS E T OCCUPATIONS 265 canots (TJricho), fabricants de nattes et d'objets de jonc (Hihuatzio), tisseurs d'agave (Tanaco), de coton (Paracho), de laine (ÏTahuatzen), de palmes (Zacan, Paracho, Charapan, Arantepacua, Jarácuaro), menuisiers spécialisés dans les travaux à l'herminette (Pamatácuaro), charpentiers (Corupo, Pichatáro), fabricants d'instruments de musique (Paracho), tanneurs de peaux (Parangaricutiro), tisseurs de filets (île de Janitzio). E n règle générale, ces spécialisations sont le fait des villages qui ne possèdent pas assez de terres 1 . Selon certaines évaluations, 25 pour cent des Tarasques exercent des métiers artisanaux à domicile, tels que la céramique, le tissage, la vannerie, la fabrication des chapeaux de paille, le travail du bois, du cuir ou des métaux, la fabrication d'instruments de musique, etc. Dans diverses localités, les Indiens se sont spécialisés dans la production de laques renommées; à cet égard, le centre de Uruapan (de même que celui de Olinalá dans l'Etat de Guerrero) jouit d'une réputation toute particulière. Le tissage est extrêmement répandu chez les Zapotèques et donne lieu à d'importants échanges commerciaux. Il existe des villages dont la quasi-totalité des habitants fabriquent des sarapes (couvertures de couleurs vives), comme Teotitlán del Valle, ou de la céramique, Azompán et Coyotepec par exemple ; certaines agglomérations fabriquent des quantités appréciables de feux d'artifice, d'images, de cierges et de cordes. Les Mixtèques sont surtout tisserands et potiers. La fabrication de cordes et d'engins de pêche au moyen de la fibre de maguey (industrie de Vixtle), de même que le tissage du coton et de la laine et la confection de chapeaux en palme tressée, ont pris une grande extension chez les Otomis. Chez les Chocho, la fabrication de chapeaux en palme tressée est une occupation si importante qu'un de leurs villages s'appelle Tequixtepec de los Sombreros. Les Yaqui sont avant tout tisserands et vanniers ; les Huastèques et les Popolaca, fabricants de chapeaux en palme tressée et d'autres articles en fibre de maguey ; les Chinantèques construisent des ponts suspendus faits de lianes. Répartition géographique. Le tableau ci-après indique la répartition géographique des occupations artisanales des aborigènes et des métis indiens 2. 1 2 Gonzalo AGDIEKE BELTEÁN, op. cit., p. 210. Renseignements communiqués au B.I.T. par le gouvernement du Mexique en juin 1950. 266 LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE TABLEAU XXVLT. — MEXIQUE : RÉPARTITION DE L'ARTISANAT GÉOGRAPHIQUE ABORIGÈNE Occupation Etat ou zone Tissage et tressage : Palme Zone mixtèque d'Oaxaca ; Puebla et Guerrero. Jonc, etc. Zones otomie de Mexico et de Hidalgo, Tzotzil de Chiapas, mixtèque e t zapotèque (vallée d'Oaxaca), Purépecha de Michoacan et otomie de Querétaro. Ixtle Zone otomie de la vallée de Mezquital ; Hidalgo, Querétaro et San Luis Potosí. Sisal et zapupe Zones maya du Yucatan, aztèque et huastèque de Veracruz. Laine Dans toutes les zones aborigènes du pays, à l'exception de la région de Chiapas peuplée de Lacandon. Coton Zone de Chiapas peuplée de Lacandon ; E t a t s de Mexico, Guanajuato, Michoacan, Veracruz, Hidalgo, Querétaro, Yucatán, Tlaxcala. Racines Zone Matzahua de l ' E t a t de Mexico. Poterie : Terre cuite Dans toutes les régions aborigènes du pays ; la vaisselle fabriquée dans les E t a t s d'Oaxaca e t Michoacan est particulièrement remarquable. Poterie à glaçure P a t a m b a , Michoacan. Autres industries : Tannerie (préparation de semelles) Zones zapotèque e t mixtèque d'Oaxaca ; zone Tzotzil de Chiapas. Chamoisage Quicapu de Coahuila. Coutellerie Zones mixtèque des terres basses d'Oaxaca et Guerrero ; zapotèque de la vallée d'Oaxaca. Laques Zone Purépecha de Michoacan (Paracho, Uruapan e t Quiroga); E t a t s de Guerrero et d'Oaxaca. Fabrication d'instruments de musique Paracho (Michoacan) et zone mixtèque d'Oaxaca. Tournage du bois et objets d'art Paracho (Michoacan) et zone otomie de l ' E t a t de Mexico. Fabrication de sandales Oaxaca, Mexico, Yucatán, Chiapas, Guerrero, Puebla, Tlaxcala, Michoacan, Chihuahua. Travail du cuivre Michoacan. MÉTIERS ET OCCUPATIONS 267 Récolte des produits naturels Un nombre appréciable d'aborigènes vivent, en partie ou complètement, de la cueillette de fruits sauvages et de produits forestiers. Ces populations se trouvent surtout dans les régions suivantes, énumérées selon les produits récoltés : 1) chicle : Etats de Campeche, de Quitana Roo, de Tabasco et du Yucatan ; dans cette région, de nombreux aborigènes travaillent également comme ouvriers salariés ; 2) incile : Etats de Hidalgo, de San Luis Potosí et de Zacatecas ; 3) coquito de aceite 1 : Etats de Nayarit, de Colima, de Veracruz et de Tabasco ; 4) zacatón 2 : Etat de Mexico ; on a estimé que près de 30.000 familles vivent de cette occupation à l'est de la ville de Toluca ; 5) feuille de palmier : Etat d'Oaxaca ; les aborigènes en confectionnent des chapeaux et on a évalué à 10.000 le nombre des familles mixtèques qui gagnent ainsi leur vie ; 6) candelilla 3 : dans les régions à demi arides du Nord ; 7) guayule4 : Etats de Coahuila, de Durango, de Zacatecas et de Chihuahua 5. Travail salarié Le travail salarié, à titre saisonnier, dans les plantations, les fermes d'élevage, les exploitations forestières, les mines, les chemins de fer, a pris une certaine extension dans les Etats de Chiapas, Oaxaca, Sonora, Tabasco, Michoacán, Chihuahua, Durango, Hidalgo. Dans l'Etat de Chiapas, les Tzotzil, les Tzeltal, les Marne, les Choie et les Lacandon sont embauchés comme travailleurs agricoles dans les plantations de café, comme tondeurs ou cardeurs de laine et coupeurs de bois. Dans l'Etat d'Oaxaca, les Zapotèques, les Mazatèques, les Mixe, les Cuitateco et les Trique sont employés dans les exploitations agricoles, les plantations de café, les sucreries et les mines (les Trique, en particulier, pour ce dernier genre d'emploi). Les Yaqui et les Mayas de l'Etat de Sonora sont d'ordinaire travailleurs agricoles, vachers, mineurs (abattage à la main) et travailleurs des chemins de fer. Les Chontal de l'Etat de Tabrasco sont employés 1 Sorte de noix. Herbe dont les racines servent à la fabrication de plusieurs genres de brosses. 3 Substance végétale dont les Indiens tirent diverses sortes de cire. 4 Sève d'un arbre à caoutchouc. 5 Pour plus de détails, consulter Nathan L. WHETTEN : Rural Mexico (Chicago, Chicago University Press, 1948), pp. 264-266. 2 268 LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE généralement dans les sucreries, les plantations de café et de cacao et les bananeraies. Les Tarasques de l'Etat de Michoacán se louent comme travailleurs agricoles au Mexique et à l'étranger (Etats-Unis). Les Tarahumara des Etats de Chihuahua et de Durango travaillent dans les exploitations agricoles et forestières, tandis que les Otomis, dans l'Etat d'Hidalgo et les autres Etats, sont généralement ouvriers agricoles. Il n'a pas été possible de déterminer l'importance numérique de cette catégorie de travailleurs. Le recensement ne fait aucune distinction entre aborigènes et non-aborigènes. L'Institut national des affaires indigènes, pour suppléer à la pénurie d'informations, a indiqué : que les aborigènes qui ne possèdent pas de terre, ou qui ne figurent pas dans le recensement des ejidos, constituent une population essentiellement rurale ; qu'en 1940, on comptait au total 3.830.871 personnes qui vivaient de l'agriculture, de l'élevage, de la chasse, de la pêche et de la sylviculture, dont 2.490.909 aborigènes (unilingues et bilingues), les 1.339.962 autres étant surtout des métis, ce qui semble indiquer que les aborigènes constituent 65 pour cent de la population agricole du pays ; si l'on déduit de la population occupée dans l'agriculture (3.830.871), les membres des ejidos et les petits propriétaires (2.441.788), on constate que 1.389.083 personnes ne possédaient aucune terre et vivaient, soit de l'élevage, de la chasse, de la pêche ou de la sylviculture, soit de leur travail comme journaliers agricoles ou métayers dans de petites propriétés ou des exploitations de moyenne importance 1. Il convient de compléter cette analyse par les deux constatations suivantes : 1) une proportion considérable d'aborigènes non propriétaires qui s'adonnent à la chasse, à la pêche ou à la sylviculture travaillent en outre périodiquement comme travailleurs agricoles salariés ; 2) pour diverses raisons (propriétés trop petites, insuffisance de l'irrigation, précipitations trop faibles sur les terres cultivées pendant la saison des pluies seulement, technique agricole désuète, érosion, etc.), il existe, dans certaines zones du haut plateau, de très nombreux cultivateurs d'ejidos et petits propriétaires qui se voient dans l'obligation de chercher un gain accessoire en s'engageant périodiquement comme journaliers agricoles au Mexique ou à l'étranger. Selon le deuxième recensement des ejidos de 1940, 1 Communication de l'Institut national des affaires indigènes, janvier 1950. MÉTIERS ET OCCUPATIONS 269 les cultivateurs de ces parcelles travaillaient en moyenne 186 jours dans les ejidos et 62 jours sur d'autres terres x. D'après le dernier recensement de la population, le nombre des journaliers agricoles atteignait 1.892.257 sur une population agricole active de 3.830.892 (49,4 pour cent) 2 . Etant donné le pourcentage élevé d'aborigènes dans la population rurale du pays (surtout dans les régions du Sud et du Centre), et compte tenu du fait que l'élément autochtone a toujours constitué la principale réserve de main-d'œuvre agricole, on peut dire sans risque de se tromper qu'il s'agissait surtout d'aborigènes. Certains — dont la proportion ne peut être déterminée — possèdent de petits biens familiaux cultivés par les femmes et par les enfants, tandis que les chefs de famille vont se louer dans les grandes propriétés pour se procurer un gain supplémentaire. Néanmoins, « la plupart d'entre eux manquent probablement de terres et n'ont que leur salaire d'ouvriers agricoles pour entretenir leur famille 3 ». Travailleurs migrants On a évalué à environ 200.000 le nombre des travailleurs agricoles qui, chaque année, se déplacent à l'intérieur du pays. Fort probablement, les aborigènes des Etats de Chiapas, de Guerrero, de Nayarit, d'Oaxaca, de Puebla et de Veracruz forment un pourcentage élevé de ces travailleurs itinérants. Dans le premier de ces Etats, c'est près de 35.000 aborigènes qui, certaines années, descendent des montagnes pour aller travailler dans les basses terres et plus particulièrement dans les plantations de café de Soconusco, tout près de la frontière du Guatemala. De nombreux Indiens des montagnes de l'est de Nayarit descendent périodiquement se louer dans les plaines de cet Etat et de celui de Sinaloa. Un grand nombre de journaliers aborigènes migrants vont travailler dans les régions où l'on peut cultiver des légumes en hiver, au nord de l'Etat de Sinaloa et au sud du Sonora, ainsi que dans les zones de 1 DIRECCIÓN GENERAL DE ESTADÍSTICA : Segundo censo ejidál (1940), cité par N. L. WHETTEN, op. cit., p. 600. Dans le district fédéral et dans les Etats et territoires de Hidalgo, de Mexico, de Quintana Roo et de Basse Californie du Sud, le nombre des jours de travail hors des ejidos atteignait 230, 146, 125, 110 et 91 respectivement. Voir également Manuel GAMIO: «La producción agrícola y la industrialización de los ejidatarios », America Indigena, vol. V, n° 4, oct. 1945, pp. 303305. 2 IDEM : Sexto censo de población (1940), cité par N. L. WHETTEN, op. cit., p. 602. La répartition par région était la suivante : Centre, 879.812; Nord, 336.802; Pacifique sud, 310.194 ; golfe du Mexique, 245.087 ; Pacifique nord, 120.362. 3 N. L. WHETTEN, op. cit., p. 259. 270 LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE culture du coton, du café, de la canne à sucre et des légumes dans l'Etat de Mexico 1 . En ce qui concerne les journaliers agricoles qui se rendent périodiquement aux Etats-Unis pour la récolte du coton, de la betterave à sucre et des fruits, leur nombre atteignait en 1945 environ 104.000 2. PANAMA Les Indiens les plus nombreux au Panama (les Cuna de l'archipel de San Blas) s'occupent d'arboriculture fruitière, d'artisanat, de commerce et, accessoirement, de pêche et de chasse. Sous l'influence du commerce maritime, très actif dans l'archipel, l'agriculture de subsistance cède progressivement la place aux cultures marchandes ; la noix de coco, une des principales productions, sert de monnaie à l'aborigène dans ses transactions avec le Blanc. Pour se procurer des terres, le Cuna revendique la possession d'une parcelle de forêt vierge qu'il entoure d'un sentier pour établir son droit de propriété, personnelle ou familiale ; certaines îles connaissent en outre la propriété collective du sol : dans ce cas, une partie du produit des récoltes va grossir le trésor de la collectivité. Les Cuna pratiquent l'agriculture nomade et utilisent d'ordinaire la machette et le coupe-coupe de fer. Le Cuna fait d'importants échanges commerciaux avec les propriétaires des nombreuses goélettes qui parcourent l'archipel; c'est d'eux qu'il obtient, en échange de noix de coco, d'oranges et d'œufs, les multiples produits industriels (hameçons, fusils et balles, aiguilles, savon, pétrole, tabac, etc.) dont il a besoin. Parmi les articles d'artisanat fabriqués par les femmes, il y a lieu de mentionner tout particulièrement la blouse panamienne appelée mola, en toile multicolore, aux dessins éclatants et d'une grande diversité : animaux, fleurs et figures géométriques. L'Indienne Cuna est également fort adroite à d'autres travaux : tissage de hamacs, de coton cultivé sur place ou de fil acheté aux commerçants de la région, confection de vêtements pour hommes ; beaucoup de femmes aborigènes, dans les îles du golfe de San Blas notamment, sont d'habiles coutu1 Comme il a été dit au chapitre III, les migrations périodiques de journaliers agricoles aborigènes dans le sud du pays posent un grave problème de santé publique, étant donné qu'il existe dans plusieurs districts des Etats de Chiapas et d'Oaxaca d'importants foyers d'onchocercose. 2 Voir aussi chap. IX et XI. MÉTIERS ET OCCUPATIONS 271 rieres. Les hommes se sont spécialisés dans le tressage des corbeilles, la construction de canots, la fabrication de rames, de harpons, de voiles, de filets, etc. ; ils travaillent aussi les calebasses dont ils font des flacons, des tamis et d'autres ustensiles 1 . Au cours des vingt dernières années, l'économie nationale a absorbé un nombre toujours croissant de jeunes Cuna des deux sexes. Selon le recensement de 1940, il y en avait près de 4.000 qui travaillaient comme garçons de restaurant, barmen, domestiques, etc., dans les villes de Colón et de Panamá, ou comme ouvriers dans les établissements militaires de la zone du canal. Cet afflux de main-d'œuvre aborigène n'a pas laissé de susciter des difficultés d'ordre sanitaire. Selon D. B. Stout, les Cuna qui travaillent à Colón et à Panamá « vivent dans une extrême pauvreté et, de ce fait, introduisent dans les îles des maladies vénériennes, pulmonaires et autres (lors de leurs visites) 2 ». Les Guaymi vivent surtout de la chasse et de la pêche. Pendant l'été, ils s'établissent dans des clairières défrichées dans la jungle ; les femmes y cultivent, sur de petites pièces de terre, le tabac, le maïs, le riz, des arbres fruitiers, des tubercules et des bananes, tandis que les hommes vont se louer comme manœuvres dans les plantations et les fermes d'élevage appartenant aux colons blancs et métis. Les Chocó vivent pauvrement de la pêche et de la chasse. Les femmes cultivent de petits jardins et, en outre, font du tissage à domicile ; il y a lieu de mentionner surtout, parmi leurs produits, le hamac de coton multicolore 3 . PARAGUAY Les aborigènes du Chaco sont avant tout chasseurs, pêcheurs et cueilleurs de fruits sauvages. Pendant la plus grande partie de l'année, les femmes vont à la recherche de tubercules dans les marécages, ou récoltent les fruits du cactus et de l'ananas sauvage. En novembre et en décembre, des caravanes d'hommes et de femmes partent à la recherche des caroubes (fruits du 1 David B. STOUT : San Blas Cuna Acculturation : An Introduction (Viking Fund, Publications in Anthropology, No. 9, New-York, 1947, pp. 21-24, 57,60; et « The Cuna », Handbook of South American Indians, vol. 4 : The Circum-Garibbean Tribes, op. cit., pp. 257-268. 2 D. B. STOUT : San Bias Cuna Acculturation, op. cit., p. 60. 3 « Tribus indígenas », dans Censo de población de Panamá, 1940, op. cit., pp. 43-46. Voir aussi Ángel RUBIO : « La economía la y vivienda rural e indígena en Panamá », America Indígena, vol. XII, n° 1, janv. 1952, pp. 55-70. 272 LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE caroubier blanc), dont on tire une farine à saveur sucrée. Parmi les occupations accessoires de l'Indien sylvicole du Chaco, il y a lieu de signaler, selon la tribu et le district, l'agriculture primitive de subsistance, l'élevage du bétail, l'élevage de l'aigrette et d'autres oiseaux sauvages dont les plumes servent à fabriquer une grande quantité d'ornements, le tissage et la vannerie, le travail agricole en qualité de journaliers, selon la saison 1 . Dans le passé, l'agriculture était l'occupation principale des populations sylvicoles de certaines régions. Cette activité est toutefois en nette régression par suite des migrations forcées de certaines tribus dues à diverses causes : développement de la production de tanin (dans les centres de Guarany, Sastre, Casado, Pinasco et Galileo), guerre du Chaco, extension des fermes d'élevage, qui a entraîné la transformation des champs en pâturages. C'est ainsi par exemple que les Indiens Mbyá (département du Guaira), qui étaient de remarquables cultivateurs, abandonnent aujourd'hui périodiquement leurs villages de tentes pour aller travailler dans les exploitations de quebracho (arbres dont l'écorce fournit une sorte de tanin), les fermes d'élevage et les plantations 2. Certaines tribus continuent néanmoins de cultiver le melon, la pastèque, la calebasse et le haricot sur de petites parcelles de terre situées dans le lit humide des lacs desséchés ou sur les rives des fleuves. D'autres cultivent le manioc et le maïs, voire le tabac, dans de petits champs conquis sur la forêt. A la suite des bouleversements provoqués par la guerre dans l'économie naturelle des populations sylvicoles, les chefs de certaines tribus (Chulupi, Maca, Lengua, Mascoi) se sont efforcés d'inciter les Indiens à s'adonner davantage à l'agriculture. A l'heure actuelle, grâce à l'utilisation de semences sélectionnées et d'instruments aratoires modernes, certains groupes produisent déjà de quoi se nourrir pendant la plus grande partie de l'année. Il n'en demeure pas moins que l'insécurité régnante en ce qui concerne la propriété foncière fait obstacle au développement de l'agriculture aborigène 3. La guerre du Chaco a non seulement amené certaines tribus à cultiver moins, si ce n'est à abandonner complètement 1 J u a n BELAIEFF : « The Present-Day Indians of the Gran Chaco », Handbook of South American Indians, vol. 1 : The Marginal Tribes, of. cit., p p . 371-377. 2 Voir León CADOGAN : « Los indios jeguaká-tenondé (mbyá), Paraguay », América Indigena, vol. V i l i , n° 2, avril 1948, pp. 131-139. 3 J u a n B E L A I E P F , loe. cit. MÉTIEES ET OCCUPATIONS 273 l'agriculture, elle a encore apporté des bouleversements d'un autre ordre dans l'économie naturelle de l'Indien sylvicole. Ainsi, toute la population aborigène de la région du rio Izozog a été déplacée à plusieurs reprises d'un endroit à un autre et a perdu tout son bétail. La tribu des Chulupi, qui se trouvait au centre même des hostilités, a souffert davantage encore ; celle des Choroti a dû émigrer en Argentine jusqu'à la fin de la guerre. En outre, le gibier a disparu dans le sud du pays et le pécari, chassé par les Blancs, est en voie d'extinction. A l'heure actuelle, il ne reste guère de gibier de valeur commerciale dans un périmètre d'une trentaine de lieues autour du confluent du Paraguay et du Pilcomayo. Certaines tribus de la région du Pilcomayo et du Parapiti possèdent de petits troupeaux de moutons, de chèvres et de vaches. La laine des brebis sert à fabriquer des manteaux et des ceintures d'excellente qualité. Les tissus de laine et d'agave fabriqués par l'Indien du Chaco jouissent d'une réputation méritée. Il est rare de trouver, dans les villages de tentes des tribus du Sud, une femme qui n'ait pas sa quenouille. L'aborigène de cette région connaît parfaitement la technique de la teinture naturelle et utilise sept couleurs extrêmement résistantes qu'il tire de racines et de plantes sauvages. L'Indien de la partie orientale (Caringua, Chiripá, etc.) se distingue dans la fabrication de corbeilles et d'éventails. Dans certains districts, l'Indien sylvicole effectue des échanges commerciaux d'une certaine importance avec le métis et le Blanc. Parmi les articles que l'aborigène livre sur le marché, il y a lieu de mentionner les peaux d'animaux sauvages (pumas, jaguars, etc.), les ornements de plumes, les tissus de laine, les ceintures, les sacs, les filets, les hamacs, les corbeilles, les arcs, les flèches, etc. L'indigène acquiert, contre l'argent qu'il gagne ou par le troc, toute une série de produits industriels : savon, allumettes, fusils, poudre, machettes, couteaux, balles, etc., et même, dans certains cas, des scies et des charrues 1 . Un pourcentage considérable de la main-d'œuvre des fermes d'élevage du Sud est constitué par des Indiens sylvicoles ; plusieurs exploitations de la région du Centre utilisent un nombre appréciable d'Indiens (Lengua, Mascoi, Chulupi) comme journaliers agricoles. Les Chamacoco de Bahia Negra, 1 J u a n B E L A I E I T , loe. cit. 274 LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE de Voluntad et de Sastre, les Angaité et les Toba, les Sanapana, les Lengua de Casado et de Pinasco gagnent leur vie en travaillant comme manœuvres dans les exploitations de quebracho. «Toutes les grandes entreprises établies dans le Cbaco... ont recours aux bras de l'Indien. L'Indien est la véritable force motrice dans certains districts du pays 1 . » Plusieurs milliers d'Indiens Choroti et Chané passent périodiquement dans les provinces du nord de la République argentine (Jujuy et Salta) pour travailler comme journaliers agricoles dans les plantations de canne à sucre 2. PÉROU Considérations générales Dans la région de la Sierra (entre 1.750 et 4.000 mètres environ), où vit la grande masse de la population aborigène du pays, l'agriculture de subsistance constitue la principale activité économique. Viennent ensuite, par ordre d'importance, l'élevage, l'artisanat à domicile (occupation accessoire) et, dans certaines régions, l'industrie minière. Les cultures marchandes, de même que les industries de transformation — localisées le long de la côte —, ne jouent qu'un rôle secondaire. TABLEAU X X V I I I . P E R O U : R E P A R T I T I O N P R O F E S S I O N N E L L E D E LA (Pourcen- Départements Ancash Apurimac Ayacucho Cuzco Huancavelica Huánuco Junín Moquegua Puno Tacna Total pour la blique Indiens, en pourcentage de la population totale Agriculture, élevage, forestage, chasse, pêche Mines et industries extractives similaires Industries manufacturières Bâtiment, construction et réparations 65,83 70,02 75,94 71,73 78,68 63,46 60,85 46,17 92,36 52,17 72,93 76,82 75,50 65,89 77,85 78,39 61,35 75,23 78,57 61,27 1,08 0,76 0,48 0,82 0,85 0,30 8,42 0,15 1,27 1,31 14,21 14,04 14,31 18,01 11,73 10,51 12,37 9,25 11,89 8,74 0,73 1,75 0,46 1,18 0,92 1,72 1,79 1,25 0,57 1,19 45,86 62,46 1,81 15,36 1,85 Répu- Source : MINISTERIO DE HACIENDA Y COMERCIO, Dirección Nacional de Estadística : 1 Anales de la Asociación Indigenista del Paraguay (Asuncion), oct. 1947, p. 4. J u a n BELAIEFF : « Los indios del Chaco paraguayo y su tierra », Revista de la Sociedad Científica del Paraguay (Asuncion, 1941). 2 275 M É T I E B S E T OCCUPATIONS Dans la région de la Puna (4.250 à 4.500 mètres), dont la plupart des habitants sont aborigènes, on constate, par suite du climat, une diminution de l'activité agricole qui va de pair avec un développement assez poussé de l'élevage en pâturages naturels. En fait, ce phénomène se produit déjà entre 3.750 et 4.000 mètres d'altitude. Quant à la région comprise entre 4.000 et 4.250 mètres, on peut affirmer qu'elle est pour ainsi dire non peuplée 1 . Répartition de la population par branches d'activité. Le tableau X X V I I I indique la répartition de la population active par branches principales d'activité économique dans dix départements du Pérou où l'on compte une forte proportion d'aborigènes, c'est-à-dire un pourcentage supérieur à la moyenne nationale (égale, d'après le recensement de 1940, à 45,86 pour cent). Ces données ne concernent pas uniquement le groupe ethnique aborigène 2 , mais couvrent l'ensemble de la population des départements en question ; elles permettent néanmoins de déduire de façon approximative l'importance de certaines des occupations exercées par les habitants des régions du pays où la population aborigène est le plus dense. En premier lieu, on signale que ces populations se livrent surtout à POPULATION DANS DIX DÉPARTEMENTS A FORTE PROPORTION D'INDIENS tages) Transports et communications Commerce, banque et assurances Administration publique et services essentiels Métiers indépendants, services domestiques, etc. Autres branches d'activité économique non classées 0,70 0,56 0,73 0,95 0,58 0,82 2,09 1,05 0,51 2,12 2,06 1,24 2,47 3,99 2,32 2,24 4,34 2,69 2,30 5,96 1,56 1,02 1,29 1,90 1,29 1,42 2,59 2,24 1,16 8,42 5,44 3,33 3,24 6,13 2,72 3,52 5,57 7,53 2,80 9,36 1,29 0,48 1,52 1,13 1,74 1,08 1,48 0,61 0,93 1,63 2,06 4,53 3,60 6,67 1,66 Départements Ancash Apurimac Ayacucho Cuzco Huancavelica Huánuco Junín Moquegua Puno Tacna Total pour la République Censo nacional de población y ocupación de 1940, vol. I, op. cit.t tableau 90, p. 366. 1 Alberto ARCA PARRÓ : El medio geográfico y la población del Peru. (Lima, 1945). Pour plus de détails sur l'activité économique des communautés aborigènes, voir tableau XLIV. 2 276 LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE l'agriculture et à l'élevage : de 61,27 à 78,57 pour cent des aborigènes s'adonnent à ces travaux. Dans la plupart des cas, le pourcentage des personnes qui exercent ces occupations dans les départements mentionnés dépasse celui de l'ensemble du pays. Le pourcentage des ouvriers occupés dans les industries manufacturières varie entre 8,74 pour cent dans le département de Tacna et 18,01 pour cent dans celui de Cuzco. Sauf dans ce dernier département, dans lequel se sont établies de grandes fabriques de textile dont la main-d'œuvre est essentiellement aborigène, le pourcentage correspondant à cette occupation est inférieur à la moyenne nationale, qui atteint 15,36 pour cent. Il ne faut pas oublier que cette rubrique comprend, parallèlement à l'industrie moderne, la fabrication à la main de filets et de tissus, de céramiques, etc. Dans la colonne intitulée « Mines et industries d'extraction », il y a lieu de mentionner le département de Junin, le premier centre minier et métallurgique du pays, qui signale le pourcentage le plus élevé (8,42 pour cent). Les données de ce tableau semblent confirmées par un rapport publié à la fin de 1948 par la Direction nationale de la statistique du Pérou sur la répartition, par occupations, de la population active « aborigène » dans les cinq départements qui, d'après le recensement de 1940, comptent la plus forte proportion d'Indiens de tout le pays (Puno, 92 pour cent ; Huancavelica, 79 pour cent ; Ayacucho, 76 pour cent ; Cuzco, 72 pour cent ; Apurimac, 70 pour cent). Ces données sont également corroborées par un tableau estimatif dressé par la Direction générale des affaires indigènes et relatif aux principales occupations de la population des comunidades officiellement reconnues jusqu'à la fin de 1949. D'après ce rapport, les données estimatives obtenues peuvent être considérées comme représentatives de la situation dans l'ensemble de la Sierra, car « l'activité économique de l'Indien est partout analogue, sinon identique, d'un bout à l'autre du Pérou 1 ». Le pourcentage de la population aborigène économiquement active dans ces départements s'établit comme suit : Puno, 50,67 pour cent ; Cuzco, 45,02 pour cent ; Apurimac, 43,82 pour cent ; Ayacucho, 43,32 pour cent ; Huancavelica, 39,41 pour cent. La répartition de cette population par branches d'activité économique apparaît au tableau X X I X . 1 Voir « Población indígena económicamente activa según el censo de población », Boletín de estadística peruana (Ministerio de Hacienda y Comercio, Dirección Nacional de Estadística, Lima), oct.-déc. 1948, p. 87. 277 MÉTIERS ET OCCUPATIONS TABLEAU XXIX. — PÉROU : RÉPARTITION PAR BRANCHES D'ACTIVITÉ ÉCONOMIQUE DE LA POPULATION ABORIGÈNE DES CINQ DÉPARTEMENTS DE LA SIERRA COMPTANT LA PLUS FORTE PROPORTION D'INDIENS * (Estimations établies sur la base du recensement de 1940) Branche d'activité économique Apurimac Ayacucho a) Chiffres absolus Total général . . . 79.197 118.091 53.249 78.061 Agriculture 8.304 11.560 Elevage, sylviculture, pêche et chasse 483 555 Mines et carrières 11.096 16.521 Industries manufacturières 1.328 527 Bâtiment, construction et réparations 326 851 Transports et communications . . . Administrations publiques et autres 660 1.513 services essentiels Professions libérales, services domes2.682 3.759 tiques et autres services . . . . Autres secteurs économiques non 355 1.905 classés b) Pourcentages 100,00 Total . . . 100,00 67,24 Agriculture 66,10 10,48 9,79 Elevage, sylviculture, pêche et chasse 0,61 0,47 Mines et carrières 14,01 13,99 Industries manufacturières 1,68 0,46 Bâtiment, construction et réparations 0,41 0,71 Transports et communications . . . 0,90 2,41 Commerce, banque et assurances . . 0,83 1,28 Administrations publiques et autres services essentiels Professions libérales, services domes3,39 3,18 tiques et autres services . . . . 0,45 1,61 Autres secteurs économiques non Cuzco Huancavelica Puno 157.119 75.847 88.163 15.415 1.283 28.245 1.844 1.469 48.999 10.181 3.140 957 256.623 132.225 73.337 2.687 29.836 1.334 1.117 2.547 9.570 2.024 6.423 1.788 1.317 2.184 100,00 100,00 56,11 9,81 0,82 17,98 1,17 0,93 3,95 64,60 13,42 0,83 11,71 0,91 0,56 2,30 2,00 1,26 100,00 51,52 28,58 1,05 11,63 0,52 0,44 1,92 0,99 6,09 2,67 2,50 1,14 1,74 0,85 634 8.880 688 425 1 Voir « Población indigena económicamente activa según el censo de población y ocupación del -año 1940 », Boletín de Estadística Peruana, op. cit., p p . 90-91. La comparaison des chiffres donnés par les deux tableaux permet de dégager les conclusions suivantes : a) dans les cinq départements considérés, le pourcentage des Indiens occupés dans l'agriculture et l'élevage est considérablement supérieur à celui du pays pris dans son ensemble, tandis que b) à l'exception du département de Cuzco, le pourcentage relatif aux industries manufacturières est inférieur à la moyenne nationale. A première vue, la différence constatée dans ce dernier cas ne semble guère importante, mais il y a lieu de tenir compte du fait que, dans leur grande majorité, les personnes classées sous la rubrique « Industries de transformation » 278 LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE ont en fait pour métier la fabrication à la main de filets et de tissus, la céramique, la tannerie ou d'autres activités artisanales à domicile, qui, dans la Sierra, jouent un rôle de premier, plan, mais ne rentrent pas dans la catégorie des travaux industriels au sens strict du terme. Aussi bien les renseignements détaillés donnés dans ce même rapport font-ils apparaître que, sur les 94.578 aborigènes qui, dans les cinq départements précités, sont employés dans les industries de transformation, 66.541 étaient des tisseurs sur métier à main. Agriculture et élevage Dans la partie nord de la Sierra (entre 2.100 et 2.400 mètres), on trouve surtout les cultures de la région tempérée, notamment le maïs, la pomme de terre et le blé. Dans la partie méridionale, l'élevage gagne en importance et, dans ses régions les plus élevées, l'agriculture se ramène en fait à la récolte du foin. Dans la région du lac Titicaca (à près de 3.600 mètres d'altitude), on pratique surtout l'élevage (lamas, alpacas, moutons et vaches) ; la culture de la pomme de terre, de l'orge et du quinoa y prend également une certaine importance. D'une manière générale, les cultures de montagne se font de moins en moins variées, et la qualité de leurs produits baisse progressivement, en allant du nord au sud. Les meilleurs produits agricoles viennent des vallées du haut Marañón au nord, puis de Jauja et Huancayo au centre et, enfin, d'Abancay et de Cuzco au sud ; la région du lac Titicaca est celle qui se prête le moins bien à la production agricole x. Problèmes qui se posent à Vagriculteur. Le peu d'étendue des terres arables dans la Sierra, le montant élevé du fermage des terres disponibles et le morcellement excessif des biens aborigènes se sont traduits par la constitution d'une classe extrêmement nombreuse de colons et de yanaconas 2 et par la création d'une population flottante de paysans aborigènes qui, pour gagner de quoi vivre, doivent émigrer périodiquement vers la côte pour travailler à la journée dans les grandes plantations de coton et de canne à sucre, ou dans les rizières. Néanmoins, en dépit de ces facteurs, qui limitent le développement de l'agriculture, la Sierra passe 1 2 Ernest E . MAES : « Indian F a n n i n g in South America », op. cit. Voir chap. I X , consacré a u x problèmes de la terre. METIEB.S ET OCCUPATIONS 279 pour le « grenier du Pérou », sa production agricole couvrant une grande partie des besoins de la consommation nationale, et pour le « réservoir de potentiel humain » du pays x , car c'est de là surtout que proviennent non seulement la main-d'œuvre nécessaire à l'agriculture et aux mines des hauts plateaux, mais aussi les travailleurs dont a besoin l'agriculture industrielle de la côte. L'Indien... sait tirer une récolte de la terre des Andes, à quelque altitude que ce soit, dans les régions les plus inhospitalières, paît le bétail, fore les galeries des mines, fournit la main-d'œuvre nécessaire à la construction et à l'entretien des routes, descend à la côte pour les semailles et pour les récoltes, est domestique de maison, donne à l'armée la plupart de ses soldats et possède en outre des aptitudes exceptionnelles pour l'industrie artisanale que l'on peut appeler autochtone 2 . Importance des communautés et du salariat agricole3. traditionnelles On manque de renseignements précis permettant de déterminer comment l'ensemble de la population indigène occupée dans l'agriculture et l'élevage se répartit entre les divers groupes professionnels qui la composent : petits paysans (propriétés individuelles ou collectives), colons, partidarios (sorte d'ouvriers agricoles-métayers), compañeros, yanaconas, travailleurs rémunérés à la journée ou au mois, gardiens, bergers, etc. On dispose cependant d'évaluations partielles relatives aux membres des comunidades et aux journaliers agricoles saisonniers. Les aborigènes vivant en collectivités se trouvaient surtout dans les départements de Junin, d'Ayacucho, de Huancavelica, d'Ancash, de Cuzco, de Lima et de Huánuco ; leurs biensfonds étaient situés en majeure partie dans les départements d'Ancash, de Lima, de Junin et de Huancavelica. La répartition, par grands groupes d'occupations, des membres de ces comunidades était la suivante : agriculture et élevage, 467.725 ; textiles, 59.980 ; fabrication des mélasses et eaux-de-vie, 43.929 ; construction des routes, 34.740 ; culture de la coca et du tabac, 27.560 ; poterie, 23.797 ; aviculture, 16.280 ; fabrication de chapeaux, 14.080 ; autres activités, 73.159. (Pour plus de détails, voir le tableau XLIV.) Quant aux journaliers agricoles, la seule évaluation dont on dispose ne concerne que les salariés, pour la plupart travail1 2 Alberto ARCA PABKÓ, op. cit., pp. 39 et 52. La industria familiar indigena, rapport préparé pour le B.I.T. par le Service coopératif interaméricain d'éducation (Lima, 1950). 3 Voir chap. IX. 280 LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE leurs saisonniers, des plantations de la côte. D'après cette évaluation, le nombre des Indiens occupés en 1946 à la culture et à la récolte du coton, de la canne à sucre et du riz s'élevait à 82.000 (40.000, 30.000 et 12.000 respectivement). Répartition géographique des plantations. Les plantations de coton sont situées dans les départements d'Ica, de Lima et de Piura, au centre et au nord du pays ; les canneraies, dans les départements de Lambayeque et de Libertad, au nord et au sud (vallée de Chicama, Chancay, etc.) ; les rizières, dans les départements de Lambayeque, de Libertad et de Piura. Dans la Sierra, passablement d'aborigènes sont employés comme journaliers dans les plantations de coca, plus particulièrement dans les départements de Cuzco et de Huánuco. D'après le recensement de 1940, le nombre des travailleurs de ces plantations atteignait à peu près 22.500. Artisanat On manque également de renseignements permettant de déterminer comment la population autochtone globale se répartit en pourcentage entre les diverses activités de l'artisanat à domicile. Tissage. Le rapport de la Direction nationale de la statistique cité ci-dessus contient quelques données relatives aux tisseurs sur métier à main, qui auraient été en 1940 au nombre de 66.541, se répartissant de la façon suivante : Puno, 22.435 ; Cuzco, 18.688 ; Ayacucho, 10.914 ; Apurímac, 8.358 ; Huancavelica, 6.146. On ne précise pas si ce chiffre se rapporte aux Indiens qui sont exclusivement tisseurs à domicile ou si, au contraire, il comprend également les agriculteurs ou les éleveurs pour lesquels le tissage au métier à main constitue une occupation accessoire. Il y a lieu de présumer que la première hypothèse est la bonne, car on sait qu'au Pérou, comme dans d'autres pays de l'Amérique latine, il y a fréquemment un certain pourcentage des membres d'une collectivité d'agriculteurs ou de pasteurs aborigènes qui consacrent une partie de leur temps à une activité artisanale 1. Si tel est bien le cas, on peut en 1 II existe également un certain nombre de comunidades que l'on pourrait appeler « industrielles » ; chacune d'elles exerce exclusivement un métier artisanal donné. Pour plus de détails, voir par exemple Harry TSCHOPIK, J r . : Highland Communities of Central Peru, op. cit., p . 29. MÉTIERS ET OCCUPATIONS 281 déduire qu'une proportion considérable de la population aborigène de la Sierra s'adonne au tissage à domicile. (La même observation pourrait s'appliquer, semble-t-il, aux catégories «textiles » et «poterie » du tableau XLIV.) Le rapport met en lumière un fait significatif : dans leur grande majorité, les personnes classées comme « tisseurs sur métier à main » dans les cinq départements en question étaient des femmes (53.801 femmes contre 12.740 hommes). Le tissage comprend une série d'occupations particulières, variant selon la région ou le district et, dans certains cas, en fonction des matières premières disponibles sur place. La plus importante est la fabrication de tissus de laine. De nombreux villages aborigènes de la Sierra et de la côte, ainsi que la plupart des familles appartenant aux organisations communautaires de la première de ces régions, se consacrent à ce travail. Parmi les produits fabriqués, extraordinairement variés, il y a lieu de relever les ponchos, les couvertures, les sacoches, ainsi que des serges et autres étoffes grossières (utilisées pour la confection de vêtements de toute sorte). Dans certains districts, le tressage des chapeaux est une activité fort importante, qui occupe un pourcentage élevé de la population du district de Catacaos, dans le département de Piura, à proximité de l'Equateur, et des groupes de moindre importance dans les départements de Lambayeque et de Cajamarca. Le tressage de chapeaux en macora (paille semblable à celle des roseaux, provenant d'une plante qui pousse en abondance dans la Selva) est très répandu dans les provinces de Chiclayo (Monsefu, Santa Eosa, Lagunas, Bten et Eeque) et de Huarás (Jangas et Tarica) ; les chapeaux en roseau sont fabriqués à Catacaos et à Chiclayo. Dans certaines des comunidades de la partie méridionale de la Sierra, l'aborigène fabrique également des chapeaux en paille d'orge ou de blé. Dans d'autres, on confectionne des chapeaux de laine fine (laine d'alpaca ou de vigogne). Le tressage du roseau géant appelé totora (corbeilles, nattes, sièges, agrès, etc.) s'est développé dans plusieurs districts de la côte (Catacaos, Chimbóte, Shumay) ainsi qu'au nord du lac Titicaca et dans certaines collectivités lacustres du département de Puno. Dans la région du lac Titicaca, les aborigènes en font aussi des radeaux qu'ils emploient pour la pêche ou pour les transports. 282 LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE Répartition géographique des artisans par branches d'activité. Le tableau ci-après indique la répartition géographique des principaux métiers artisanaux de la population aborigène. TABLEAU XXX. — PÉROU : RÉPARTITION GÉOGRAPHIQUE DE L'ARTISANAT ABORIGÈNE Occupation Département Tissage de la laine : Couvertures, ponchos, tapis, manteaux, draps, sacoches, bourses, etc., en laine de mouton, de lama, d'alpaca et de vigogne. Ayacucho, Apurimac, Cuzco, Puno, Cajamarca, Huancavelica, Junin. Tissage et tressage de fibres végétales : Corbeilles, nattes, chapeaux, bourses, cordes, chaises, pantoufles, vêtements, etc., en agave, gramalote 1, paille fine, totora, roseau, osier, etc. Céramique : Marmites, assiettes, vases, carafes, tasses, cruches, jarres, tuiles, ornements, jouets, etc. Travail du bois : Plateaux, assiettes, cuillères, statues, jouets, etc. Travail du cuir : Portefeuilles, chaussures, rênes, harnais, etc. Travail de l'argent et d'autres métaux : Bagues, boucles d'oreilles, agrafes, bracelets, colliers, boutons de manchettes, petites cuillères, cendriers, médailles, chaînes, etc. Puno, Piura, Loreto, Ayacucho, Junin, Lima, Ancash, San Martin. Puno, Cuzco, Apurimac, Junin, Huancavelica, Ayacucho. Ayacucho, Cuzco, Puno, Huancavelica, Cajamarca, Lambayeque, Ancash, Loreto, Madre de Dios, San Martín, Amazonas. (Les départements de Junin et de Huancavelica sont également connus pour leurs mates, calebasses sèches dont les Indiens se servent pour divers usages domestiques.) Huancavelica, Apurimac, Arequipa, Cuzco, Puno, Cajamarca, Ancash, Huánueo, La Libertad. Ayacucho, Cuzco. Junin, Huancavelica, Source : Renseignements communiqués au B.I.T. par le Service coopératif interaméricain de l'éducation, Lima, 1950. 1 Sorte de graminée. Une très forte proportion de la production artisanale et agricole aborigène est destinée au commerce et est écoulée par vente ou par troc. MÉTIERS ET OCCUPATIONS 283 Travail dans les mines On a évalué à 35.000 * le nombre des Indiens occupés dans l'industrie minière et la métallurgie (extraction de minéraux et fonderie de métaux), ce qui représente près de 90 pour cent de l'ensemble de la main-d'œuvre employée dans cette branche de l'activité économique. D'après le recensement de 1940, le pourcentage de la population active de la Sierra occupée dans les « mines métalliques et autres » n'était que de 1,81 pour cent (contre 62 pour cent pour la catégorie agriculture, élevage, sylviculture, chasse et pêche). Toutefois, il s'élevait à 8,24 pour cent dans le département de Junin, principal centre de l'industrie minière et métallurgique du pays. Un simple chiffre ne suffit pas à donner une image exacte de l'importance du mineur aborigène dans l'économie nationale. Comme on l'a déjà dit en parlant du massif méridional des Andes, aucun autre type ethnique ne possède comme l'Indien, avantagé par un processus millénaire d'adaptation au climat, les qualités biologiques nécessaires pour effectuer le rude travail du mineur dans les installations situées dans la Puna 2 . Il y a lieu de rappeler, d'autre part, que l'exportation des minéraux que les Indiens extraient des mines et celle des métaux semi-préparés qu'ils travaillent dans les fonderies, situées parfois à 4.000 ou 5.000 mètres au-dessus du niveau de la mer, constituent la majeure partie du revenu national du Pérou 3. 1 Selon le recensement de la population et le recensement professionnel de 1940, le nombre des ouvriers occupés cette année-là dans les « mines métalliques et autres » s'élevait à 44.700. 2 L'importance économique de ce processus d'adaptation au phénomène appelé agresión, climática a été mise en évidence par le D r Carlos MONGE, directeur de l'Institut de biologie andine (voir par exemple son étude récente intitulée «Aclimatación en los Andes», dans America Indígena, vol. IX, n° 4, oct. 1949). Pour ARCA PARRÓ, il se peut que l'immunité de l'Indien contre cette «agression» ne soit pas indéfinie et que, « à la longue, l'effort physique prolongé qu'il fournit à une haute altitude provoque une sorte de fatigue due au travail bien distincte de celle que l'on connaît au niveau de la mer ». L'ancien directeur de l'Office national de statistique en est arrivé à dire que ce phénomène « justifierait l'adoption d'une échelle spéciale pour la durée légale de la journée de travail, qui varierait en fonction de l'altitude ». 3 En 1946, la valeur de la production minière a été, au Pérou, d'environ 407.400.000 sols. Le cuivre, le¡ plomb, le zinc, l'or, l'argent et le pétrole ont représenté, cette année-là, 83,8 pour cent de la valeur des produits miniers. Le Pérou produit environ 2 pour cent de la production mondiale de cuivre et environ 10 pour cent de la production de l'Amérique latine. Entre 1940 et 1946, la valeur totale de la production d'antimoine, de bismuth, de molybdène, de tungstène et de vanadium a atteint 138.200.000 sols. Pendant la même période, la production d'or et d'argent a atteint une valeur globale de 649.900.000 sols. Environ 81 pour cent de la valeur de la production minière péruvienne pour 1946 provenait des départements de Piura, Lima, Junin et Pasco. Si l'on ajoute à ces départements ceux d'Ancash, de Libertad, d'Arequipa, de Tumbes et d'Ayacucho, on obtient 284 LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE Il n'est pas sans intérêt de signaler que, de même qu'en Bolivie, seule une faible proportion de la main-d'œuvre aborigène exerce cette activité à titre permanent. D'ordinaire, l'Indien fait alterner son travail de mineur dans la Puna et son travail d'agriculteur dans la vallée 1 . Industries manufacturières S'il est bien évident que la participation de l'aborigène à l'industrie est encore faible par rapport au rôle qu'il joue dans l'agriculture et dans l'artisanat rural 2, il convient néanmoins de faire observer que sa facilité d'adaptation à la technique moderne des travaux industriels est riche de promesses pour l'économie du pays. Les Indiens qui ont eu l'occasion d'être admis dans une école des arts et métiers y ont acquis des connaissances étendues. Ceux qui travaillent dans les fabriques, les ateliers, les ateliers d'entretien et de réparation, se transforment très rapidement en ouvriers experts et conduisent avec habileté des machines compliquées 3. la liste des neuf départements qui, en 1946, ont produit 95,5 pour cent de la valeur totale des minéraux destinés a la consommation et à l'exportation. L'industrie minière n'occupe guère que 2 pour cent de la population active, mais c'est d'elle que proviennent 12 pour cent des revenus du pays. Pendant l'année à laquelle correspondent les données indiquées ci-dessus, 35.118 personnes étaient employées dans les mines et les industries extractives, et sur ce nombre 20.613 personnes travaillaient pour des compagnies étrangères. L'effectif total des ouvriers mineurs a été estimé à 45.000 en 1940. Le salaire journalier moyen des travailleurs péruviens dans toutes les branches d'activité était de 3,68 sols en 1944 et de 4,64 sols en 1945. En 1946, en réponse à un questionnaire envoyé en vue du recensement, 14 entreprises minières ont indiqué que la moyenne des salaires de 14.241 travailleurs et de 259 travailleuses employés pendant 336 jours par an était de 4,81 sols par jour pour les hommes et de 1,71 sol pour les femmes. Les principales entreprises minières sont situées à des altitudes qui varient entre 3.600 et 4.500 mètres. Les mines de Cerro de Pasco sont à 4.359 mètres audessus du niveau de la mer. Voir PAN AMERICAN UNION, Division of Economie Research : The Peruvian Economy. A Study of its Characteristics, Stage of Development and Main Problems (Washington, juill. 1950), pp. 23, 48, 95-108 et 191. 1 II y a très peu d'ouvriers mineurs qui vivent en permanence avec leurs familles dans les districts miniers pendant de longues années et qui, partant, peuvent être considérés comme faisant vraiment partie de cette industrie. La majorité des mineurs sont des jeunes gens, travailleurs temporaires ou saisonniers, qui ne passent dans les mines qu'assez de temps pour pouvoir économiser de quoi acheter de nouvelles parcelles de terres, ou qui retournent périodiquement labourer leurs champs, faire les semailles ou moissonner. Voir à ce sujet Indians of the High Andes, op. cit., p. 49. 2 D'après des renseignements communiqués par le Service coopératif interaméricain d'éducation (Lima 1950), « il n'y a pas moins de 70 pour cent d'aborigènes parmi les ouvriers occupés (dans les industries manufacturières) ». Sauf en ce qui concerne l'industrie textile, il semble que ce pourcentage soit passablement exagéré. 3 Francisco PONCE DE LEÓN : Al servicio de los aborígenes peruanos, op. cit., p. 111. MÉTIERS ET OCCUPATIONS 285 Plusieurs fabriques modernes de textiles se sont installées dans les départements de Cuzco et de Junin ; leur main-d'œuvre est essentiellement formée d'aborigènes des deux sexes, dont beaucoup ont prouvé qu'ils étaient d'excellents ouvriers spécialisés. On trouve à Arequipa plusieurs établissements de lavage de la laine exploités par des sociétés étrangères et qui occupent presque exclusivement des femmes aborigènes, originaires de la Sierra. Le nettoyage et le tri de la laine (qui vient également de la Sierra et qui est exportée à l'étranger) sont faits à la main. Certains de ces établissements existent depuis soixantedix ans déjà. Travaux publics et transports On sait que, pendant les dix dernières années, les Indiens ont été de plus en plus nombreux à abandonner l'agriculture pour effectuer, comme salariés, des travaux publics (construction de chemins, de routes, de bâtiments, etc.) ou pour travailler dans les services de transports. Il n'a toutefois pas été possible d'obtenir des renseignements statistiques sur ce point x. Muletiers et charretiers. Parmi les occupations accessoires des aborigènes dans certaines zones de la Sierra, on peut mentionner le transport à dos de lama, d'âne ou de mulet des produits de l'agriculture, de l'élevage, de l'artisanat et de l'industrie minière. Du fait de l'insuffisance du réseau de voies modernes de communication, due parfois à la topographie tourmentée du pays, il semble que certaines fonderies de la Sierra dépendent du muletier aborigène pour le transport de la matière brute du lieu de l'extraction à celui où elle subit une première transformation 2. C'est également au muletier aborigène qu'ont recours les exploitations agricoles et les fermes d'élevage pour assurer le transport de leurs produits aux agglomérations. Travailleurs libres et « yanaconas ». — Castro Pozo a distingué deux types de muletier aborigène, à savoir: a) le 1 D'après des données communiquées par le Service coopératif interaméricain d'éducation (Lima, 1950), la proportion des aborigènes dans la main-d'œuvre de l'industrie du bâtiment aurait atteint 90 pour cent dans certaines régions. 2 On a pu dire que les fonderies de La Oroya, de Casapalca, de Huarán et Smelter « ne pourraient fonctionner sans le travail important effectué par l'Indien qui transporte à dos de lama les minéraux qui doivent être fondus ». Voir Hildebrando CASTRO POZO : Nuestra comunidad indígena (Lima, El Lucero, 1924), p. 492. 286 LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE travailleur libre qui, en règle générale, est membre d'une collectivité (comunidad), et b) le yanacona, qui effectue des transports dans le cadre des services qu'il est tenu de rendre sur les terres de son propriétaire. Dans le premier cas, les bêtes de somme et les barnais appartiennent à l'aborigène, qui supporte les frais de leur entretien. Fréquemment, le muletier libre est rémunéré au quintal transporté s'il s'agit de produits minéraux, ou au voyage d'aller, ou encore d'aller et retour, s'il s'agit de produits de l'agriculture ou de l'élevage. Ce genre de transport prédomine dans la partie septentrionale de la Sierra, alors qu'on rencontre plus fréquemment le muletier yanacona dans le Sud et dans certaines propriétés du Centre 1. Muletiers-commerçants. — Dans certaines parties de la Sierra, on trouve des muletiers-commerçants aborigènes qui achètent, transportent et revendent pour leur propre compte les produits des exploitations agricoles, des fermes d'élevage et des comunidades aborigènes, ainsi que les objets fabriqués par les artisans de ces comunidades et des villages. Au cours d'une année, un de ces muletiers effectue deux ou trois voyages, qui durent chacun de deux à trois mois. La construction de routes et le développement des moyens de transport modernes réduisent de plus en plus le nombre des Indiens qui exercent cette activité 2. Transports lacustres et fluviaux. Dans la région du lac Titicaca, il y a lieu de mentionner les passeurs aborigènes qui, pour 10 ou 20 centavos par cargaison, transportent sur leurs radeaux de roseau marchandises et passagers entre les îles et les péninsules proches de Puno. C'est un métier qui joue également un rôle d'une certaine importance sur diverses rivières des hauts plateaux 3. Porteurs de VAmazonie. Enfin, l'aborigène de l'Amazonie, muni de la machette, ouvre dans la forêt vierge des sentiers par où il transporte à de très longues distances les produits commerciaux de la région. Il existe dans le département de San Martin des tribus exclusi1 Hildebrando CASTRO P O Z O , op. cit., p . 493. 2 Harry TSCHOPEK, op. cit., pp. 30-31. 3 Emilio ROMERO : Monografia de Puno, p. 298. cité p a r Atilio SIVTRICHI, op. cit., XIII Potier Pueblo du Nouveau-Mexique Occupations traditionnelles et modernes aux Etats-Unis U.S. Indian Service) Equipe de Navajo au travail sur la voie ferrée X Les métic des Mao (National Publicity SU Wellington) Infirmières l'hôpital de Kaitaia ^^sr2' _>> •;v„ í\ - -efeÄe^J •-•"!*-" «fin ^ ^ L'égalité da le travail 40 '0 . . •- Cf\'TC (¡.f. ft') il :.!< r-A :. . .« ¿-.< mm vi<«r La récolte d carottes dai la région du mont Egmoi MÉTIERS ET OCCUPATIONS 287 vement vouées à ce genre d'activité et chez lesquelles le jeune homme est considéré comme apte au mariage lorsqu'il a acquis une virtuosité suffisante 1 . Occupations de VIndien sylvicole Comme dans les autres pays ayant des territoires dans le bassin de l'Amazone, l'Indien forestier de la Montaña ou forêt péruvienne tire principalement sa subsistance de la pêche, de la chasse et des produits naturels de la forêt. Cependant, divers groupes pratiquent en plus une sorte d'agriculture primitive après défrichage et déboisage. Ainsi, par exemple, les Huitoto du Putumayo, les Aguaruna du Marañón, les Conebo du haut Ucayali, les Piro de l'Urubamba et les Sirineiro et Machiguenga de Madre de Dios récoltent, dans de petites exploitations (chacras) aménagées au bord des fleuves, une variété de tubercules, de plantes et d'arbustes : caféier, maïs, canne à sucre, cotonnier, etc. 2. Quelques tribus pratiquent aussi à petite échelle le tissage, la fabrication de poterie, le travail des peaux et du bois. D'autres font avec les Blancs un commerce restreint portant sur le balata, les troncs d'arbres, les peaux, le sel, etc. A l'époque de la ruée vers le caoutchouc (les dix premières années du siècle), de nombreux Indiens des forêts de la région du fleuve Putumayo furent employés à extraire le latex des hévéas dans des conditions inhumaines qui ont décimé ces populations. Aujourd'hui, les aborigènes sont notamment occupés à l'exploitation du balata, ou au transport de l'acajou et du cèdre espagnol pour le compte des établissements de la région. D'après des renseignements provenant de diverses sources, des milliers d'Indiens des forêts (Canivo, Shipivo, Capahuana, Piro et Campa 3) continuent à être employés, souvent à l'insu des autorités, par diverses sociétés d'exploitation du caoutchouc, de la gomme, du bois et du cuir. Dans une communication spéciale au Bureau international du Travail, l'administrateur de la Corporation péruvienne des Amazones s'exprime ainsi : 1 Ricardo CAVEEO EGUSQUIZA : Monografía del departamento de San Martín, cité par Atilio SrvmicHi, op. cit., p. 299. 8 Sur la dernière de ces tribu3, on consultera avec profit l'ouvrage du missionnaire dominicain P. Fr. Vicente DB CENITAGOYA : Los Machiguengas (Lima, 1943). 3 P. A. Medina VALDERRAMA : La colonización de la selva peruana (Lima, 1951), pp. 63-64. Il 288 LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE Comme, en règle générale, les travailleurs ne connaissent pas la valeur de l'argent et qu'ils sont incapables d'en reconnaître le montant, leur travail n'est pas rémunéré en espèces... Les périodes de travail ne se comptent pas par semaines ou par mois, mais par lunaisons (période de vingt-huit jours) et les Indiens reçoivent en paiement des vêtements, des outils ou de la pacotille, auxquels le patron attribue une valeur correspondant aux lunaisons de travail. La comptabilité du patron consiste à ouvrir au nom de chaque travailleur un compte auquel il inscrit le prix, fixé par lui-même selon son propre intérêt, des objets remis à chaque péon. Il s'ensuit que le compte du travailleur est toujours débiteur et jamais créancier et que, pendant des générations entières, les Indiens sont obligés de servir le même patron. La fuite est leur seul moyen de libération, mais ils n'y parviennent pas toujours car le patron « lésé » fait poursuivre le fugitif et le remet au travail \ VENEZUELA Suivant le groupe ou la région, les principales activités économiques de l'aborigène sont la chasse, la pêche, la récolte des produits Spontanés du sol et, pour les Guajiro, l'élevage du bétail. Dans quelques tribus des Llanos et de la sierra de Perijá, le tissage de la fibre ou du coton et d'autres formes d'artisanat domestique revêtent une certaine importance. A un petit nombre d'exceptions près, l'agriculture du type sédentaire est inexistante. Quelques tribus se livrent à un commerce actif avec leurs voisins sédentaires (notamment les Guahibo du delta de l'Orénoque) et avec les trafiquants côtiers d'autres pays (les Guajiro, par exemple, dans la péninsule du même nom). Dans certains districts, le travail salarié de l'Indien sylvicole — dans l'exploitation saisonnière du sarrapia, du balata, de l'arbre à caoutchouc et du bois — a commencé à prendre une certaine importance. Citons à titre d'exemple le cas des Indiens employés par les entrepreneurs créoles qui fournissent le bois aux compagnies pétrolières de la région du rio Catatumbo. De plus, ces mêmes Indiens sont employés à la construction des bâtiments des exploitations agricoles et au transport de fruits et de matériaux. « Les aborigènes sont généralement payés en nature (machettes, couteaux, verroterie, aliments). Ignorant tout de la véritable valeur, de ces marchandises, ils sont généralement lésés dans le salaire qu'ils perçoivent pour les services fournis aux créoles 2 . » 1 Memorándum sobre el trabajo del indio selvàtico peruano, transmis au B.I.T. par l'administrateur de la Corporación Peruana del Amazonas (Lima) en octobre 1951. 2 Renseignements communiqués au B.I.T. par le gouvernement du Venezuela, juillet 1952. MÉTIERS ET OCCUPATIONS 289 Les Guahibo et les Chiricoa (dans le delta de l'Orénoque) pratiquent la chasse et la cueillette des fruits ; entre avril et juin, ils se déplacent d'une palmeraie à une autre en mangeant à satiété ; pendant le reste de l'année, ils vivent du guapo et d'autres racines, et du manioc amer qu'ils cultivent de façon peu intensive. Ils pratiquent le commerce avec leurs voisins sédentaires, troquant avec eux des cordes et des hamacs de fibre de palmier, des calebasses, contre du tabac en poudre, des coquilles, etc. Les Yaruro (du delta de l'Orénoque) sont avant tout pêcheurs et chasseurs d'animaux marins. Les Guarauno, qui habitent la même région, sont semi-sédentaires et pratiquent la pêche et la récolte de produits naturels ; ceux qui habitent le long des rives des rios Amacuro et Barima se réunissent annuellement pendant la période de mai à juillet pour se rendre en pèlerinage dans l'île de Cangrejos, située sur le bras de ÎTavios de l'embouchure de l'Orénoque. Certains groupes pratiquent à petite échelle la culture du riz. Les Motilón (qui habitent dans la sierra de Perijá) pratiquent la chasse, la pêche et la récolte des produits naturels ; pendant la saison sèche, ils descendent vers les rios et les lagunes des plaines à la suite de leurs animaux ; ils reviennent vers les hauteurs pendant la période des pluies. Quelques groupes sédentaires cultivent sur des superficies relativement importantes le maïs, le manioc, le bananier et d'autres arbres fruitiers. L'artisanat textile a pris un assez grand développement. (Le tissage constitue le travail principal de la sous-tribu des Macoa.) Les aborigènes ne connaissent pas le métier à tisser ; ils tordent et façonnent à la main les fibres végétales. Les Panar (Etat de Bolivar) sont agriculteurs ou éleveurs de bétail, selon la région ; le groupe de la Cañada et du Guaratero, qui pratique l'élevage, se trouve à proximité des bifurcations des pistes qui réunissent les savanes de la région. Les Guajiro (presqu'île de la Guajira) sont surtout éleveurs, mais se livrent aussi chaque année à la chasse des grandes tortues et à la pêche des écrevisses, activités qui jouent pour eux un rôle important. La stérilité du sol et la pénurie d'eau dans toute la partie sud de la péninsule entravent le développement de l'agriculture. Le travail agricole est réduit à la culture de petites parcelles de millet, de manioc, etc. Pendant la saison d'été, l'aborigène est obligé de creuser, parfois jusqu'à une profondeur de dix mètres, des puits dans les lits desséchés et sablonneux des rivières ; il dépend, pour maintenir ses animaux en vie, des casimbas, petites lagunes natu- 290 LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE relies, et des bassins artificiels qu'il aménage au moyen de remblais de terre ; récemment, la région a souffert d'une terrible sécheresse qui a entraîné la mort de milliers de têtes de bétail et l'émigration de tribus entières. L'aborigène Guajiro fait du commerce avec des bateaux provenant de Curaçao, d'Aruba et de la Jamaïque, qui accostent pour embarquer du bétail, du fromage, du cuir, etc., ainsi qu'avec ses voisins de Riohacha (Colombie) et de Sinamaica 1. Pour les rares groupes forestiers restreints, l'agriculture constitue l'occupation principale (particulièrement la culture du riz). En général, les missionnaires cherchent à attacher l'Indien au centre missionnaire en l'employant dans des exploitations agricoles sédentaires. Dans quelques régions propices à l'élevage (Etat de Bolivar), ce développement rentre dans les possibilités locales. La mission d'Araguay, dans le Territoire fédéral du Delta Amacuro, se préoccupe de développer parmi les Indiens l'exploitation des différentes essences de bois. L'Etat de Bolivar comprend de petits groupes aborigènes qui se livrent à des travaux miniers selon des méthodes primitives 2. FOIRES ET MARCHÉS INDIGÈNES DANS QUELQUES PAYS D'AMÉRIQUE LATINE Le troc existe même parmi les peuplades les plus isolées, les plus inaccessibles ou les plus craintives, que ce soit entre les membres d'un même groupe ou entre tribus et populations différentes. Le simple échange de produits, même non accompagnés de paroles, qui s'effectue sans témoins au plus profond de la jungle, en Asie, en Amérique et en Afrique, est l'indice d'une nécessité économique et d'un embryon de commerce. A mesure que se développe la confiance entre les individus, on note l'apparition de marchés locaux pour le commerce de troc, et, dans les civilisations plus avancées, on voit se déve1 D'après des données extraites de Paul KIRCHHOFF : « Food-Gathering Tribes of the Venezuelan Llanos », Handbook of South American Indians, vol. 4 : The Circum-Caribbean Tribes, op. cit., pp. 445-468 ; Lisandro ALVARADO : Datos etnográficos de Venezuela (Caracas, Biblioteca Venezolana de Cultura, 1945), pp. 2685 ; Alfredo J A H N : Los aborígenes del occidente de Venezuela : Su historia, etnografia y afinidades lingüisticas (Caracas, Del Comercio, 1927), passim; Miguel ACOSTA SAIGNES : Esquema de las áreas culturales de Venezuela, loe. cit., et Teoría de la estructura económicosocial de Venezuela (Caracas, 1948), passim; R. P . Cesáreo D E ARMELLADA : « Los indios motilones », Venezuela misionera (Caracas), X m e année, n° 119,1948 ; et R . P . Baltasar D E MATALLANA : Labor de los padres capuchinos en la misión del Caroni (Venezuela), op. cit., pp. 20, 26, 30-31,57, 66-70, 78. 2 Communication du gouvernement vénézuélien au B.I.T., juillet 1952. Sur l'activité des missions religieuses, voir chap. X I . METIEBS ET OCCUPATIONS 291 lopper des marchés et des foires régionaux où la monnaie est d'un usage courant, signe évident d'une évolution culturelle et matérielle avancée, ou dont l'activité se fonde encore sur l'échange 1 . En Amérique latine, parmi les populations sylvicoles, et même parmi les populations sédentaires et isolées qui résident en altitude ou le long de la côte, le commerce de troc est prédominant. Si, dans le cas des tribus sylvicoles le grand obstacle au commerce est constitué par le manque d'une monnaie (encore que l'on rencontre souvent des succédanés de monnaie ou, comme dit Montandon 2 , des monnaies naturelles, utilitaires ou symboliques), les populations sylvicoles de culture plus avancée n'éprouvent pas moins de difficultés à établir des relations commerciales, soit parce que les moyens de transport sont encore primitifs et épuisants (les peuples précolombiens ignoraient l'usage de la roue et avaient recours, comme leurs descendants le font encore, au portage et aux bêtes de somme), soit parce que la navigation est encore rudimentaire, soit enfin parce que, faute d'une protection suffisante, les aborigènes sont lésés dans leurs transactions commerciales 3. En Bolivie, en Equateur, au Guatemala et au Pérou, le commerce a atteint un état d'évolution avancé. L'écoulement des produits de l'artisanat sera traité dans un chapitre ultérieur 4 ; les indications données ci-dessous sur le commerce des Indiens dans les quatre pays énumérés compléteront ce qui a déjà été exposé à ce sujet dans le présent chapitre. Bolivie En règle générale, la production de la population indigène est une production de subsistance. Cependant, comme elle 1 Certains articles, tels que la coca, les teintures d'aniline, les chapeaux et les articles textiles sont fréquemment vendus contre des espèces, tandis que d'autres sont toujours obtenus par le troc. Dans les hautes altitudes, les produits des vallées, en particulier les céréales et les piments, sont vendus contre de la monnaie. La coca est souvent achetée collectivement, et dans ce cas, une sorte de coopérative de consommation se forme presque spontanément. (Cf. Bernard MISHKIN : « The Contemporary Quechua », Handbook of South American Indians, vol. 2 : The Andean Civilizations, op. cit., p. 437.) La pharmacopée indigène occupe également une place importante sur les marchés régionaux ; au Pérou, les foires sont fréquentées par les guérisseurs et les sorciers indiens, qui pratiquent également leur profession itinérante en Bolivie. Voir Luis E. VALCÁRCEL : « Indian Markets and Fairs in Peru », ibid., p . 478 ; et Gustavo Adolfo OTERO : « El profesionalismo de loa indios callahuayas, Bolivia », América Indígena, vol. X I , n° 1, janv. 1951, pp. 55-68. 2 3 4 George MONTANDON, op. cit., pp. 614-615. Luis PERICOT Y GARCÍA : America Indigena, Voir chap. X . op. cit., p p . 131-134. 292 LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE ne suffit pas pour répondre à ses besoins, l'aborigène a fréquemment recours au commerce de troc, échangeant les produits dont il dispose pour d'autres provenant de régions où le climat est différent. Les principaux courants de ce commerce sont ceux qui se trouvent établis entre la région des hauts plateaux et les vallées intermédiaires. La vallée reçoit des huiles et des laines, du bétail sur pied et des tubercules en échange principalement de maïs, que les vallées produisent en abondance. Il existe un autre courant analogue entre le haut plateau et les vallées semi-tropicales ; dans ce cas, les principaux produits d'échange sont la fécule et la tunta, qui peuvent se conserver pendant longtemps dans l'humidité de la région tropicale, ainsi que la viande salée, indispensable dans une région où l'élevage n'est pas développé, qui sont troquées contre de la coca, du maïs, des fruits, de l'alcool et du locoto (variété locale de piment équivalant au chile mexicain, très appréciée par les indigènes des régions élevées). Sur le haut plateau lui-même, le commerce indigène régulier est assez limité ; il y a lieu de mentionner à titre d'exemple, dans la région du lac Titicaca, le troc ou la vente des joncs de totora comme fourrage pour les ânes et les mulets, des radeaux de totora, des poissons, etc., commerce assez intense lors de certaines des fêtes religieuses annuelles qui se célèbrent dans cette région. A cet égard, on peut citer notamment la fête de Copacabana, à laquelle se rendent des milliers d'Indiens venus de toutes les parties du pays ainsi que du sud du Pérou et du nord de l'Argentine. Les autres fêtes importantes sont celles de San Andrés (près de Corocoro) et de Pacajes. Lors de ces fêtes, les commerçants indigènes doivent souvent payer une redevance à la municipalité pour le droit d'occuper un petit emplacement (sentaje)1. Chez les groupes indigènes qui, du fait qu'ils habitent à proximité de centres urbains importants, ont acquis un sens plus développé de l'adaptation aux activités économiques (districts voisins des villes de La Paz et de Oochabamba), on trouve également certaines activités commerciales plus organisées. Les Aymarás du haut plateau ont pris l'habitude d'acquérir des bêtes de somme (délaissant le lama, qui se prête moins aux transports rapides à grande distance), avec lesquelles ils exercent un commerce prospère consistant à acheter dans les villes de la farine, du riz et du sucre importés 1 Weston L A B A R R E : The Aymara Indians of the Lake Titicaca Plateau, op. cit., p. 153. Bolivia, MÉTIERS E T OCCUPATIONS 293 et à les acheminer vers les régions tropicales éloignées, où ils les revendent avec grand bénéfice, le voyage de retour servant au transport des fruits vers les marchés des villes. La construction des routes et le développement des transports motorisés ont considérablement affecté cette branche naissante du commerce indigène. Cependant, un commerce analogue est toujours florissant et actif dans le département de Cochabamba, où l'élément indigène, mieux adapté aux contacts avec les Blancs, pratique un trafic de même nature avec les régions éloignées, et réalise un double bénéfice en vendant certaines denrées vivrières aux groupes indigènes et en leur achetant les produits qui leur sont propres. Equateur L'écoulement d'une bonne partie de la production artisanale aborigène se fait grâce à un réseau de foires et de marchés locaux et régionaux ; ceux d'Otavalo, d'Ambato et de Saquisili sont les plus connus, tant par la variété des articles mis en vente que par la grande affluence de vendeurs et d'acheteurs venant de diverses parties du pays 1 . Il existe, en outre, dans certaines collectivités des commerçants indiens qui servent d'intermédiaires entre les marchés et les consommateurs et qui vont de ville en village, à pied, en autobus ou conduisant leur âne, offrir les produits de l'artisanat. Dans certains districts de la Sierra, on trouve même des commerçants ambulants aborigènes qui, doués d'un sens aigu des affaires, achètent les produits artisanaux à la foire locale et vont les ^-^ù revendre à crédit, moyennant le versement d'acomptes bimgn*»''-*"' suels ou mensuels 2. v« - •""*"*" " Di^i^buUVïï''Œ6Y'proauitf"âe Vartismmtr^j^-^^ 750*^ r^> —..-»-—,,,—•'' Dans plusieurs localités des hauts plateaux du Guatemala, la distribution des produits commerciaux de l'artisanat (ou de l'agriculture) aborigène est entre les mains de personnes appartenant à des collectivités agricoles déterminées et qui achètent la production dans les villages et localités de la 1 Pour une description colorée et abondamment illustrée de la foire d'Otavalo, lire John COLLIER, Jr., et Aníbal BUITRÓN : The Awakening Valley (Chicago, The University of Chicago Press, 1949), et également Elsie CLEWS PARSONS : Peguche, Canton of Otavalo, Province of Imbabura, Ecuador. A Stiidy of Andean Indiana (Chicago, University of Chicago Press, 1945), p. 30. 2 Gonzalo RUBIO ORBE : Nuestros indios (Quito, Imprenta de la Universidad, 1947), p. 225. 294 LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE région pour l'écouler au détail sur les marchés régionaux. Ces intermédiaires sont nombreux à Chichicastenango, et l'on a estimé que les commerçants ambulants aborigènes de cette localité passaient près des cinq septièmes de leur temps sur les chemins qui les conduisent aux marchés 1. Pour le transport de sa production agricole ou artisanale, le paysan s'en tient à un système primitif : il se charge lourdement et parcourt de longues distances, ployant sous son fardeau. Cette méthode extrêmement fatigante est un des indices les plus probants de la pauvreté des campagnes et l'un des spectacles les plus affligeants qui se puissent voir 2. Depuis une quinzaine d'années, grâce à la politique de développement du réseau routier mise en œuvre par le gouvernement, les commerçants ambulants aborigènes qui cessent de courir les chemins pour voyager en autobus sont de plus en plus nombreux. Dans certaines régions du pays, cette modification semble s'être traduite par un accroissement de la production artisanale aborigène 3. Plus de 25.000 marchés régionaux sont tenus chaque année dans le pays, sans compter ceux qui sont organisés lors des fêtes patronales ou à d'autres occasions dans chaque commune. Selon une enquête effectuée par l'Institut national des affaires indigènes, 193 des 311 (aujourd'hui 318) municipalités du pays organisent des marchés réguliers ; dans les régions à population aborigène, ces marchés se tiennent une ou deux fois par semaine. Dans 75 pour cent des cas, c'est de deux à trente kilomètres à la ronde que l'on vient écouler ses produits et s'approvisionner au marché. Dans certaines agglomérations situées le long des anciennes routes commerciales, le marché aborigène s'est transformé en un important centre régional d'échanges où les vendeurs viennent non seulement de diverses régions du pays, mais aussi de districts adjacents du Mexique, du Honduras et du Salvador 4. 1 Pour plus de détails, voir Boberto R E D F I E L D : « Primitive Merchants in Guatemala », The Quarterly Journal of Interamerican Relations, vol. I, n° 4, oct. 1939, pp. 42-56. 2 Crédilo agricola supervisado farà Guatemala, op. cit., p. 79. 3 Voir Manuel NORIEGA MOEALES : o El indio como factor económico de Guatemala », Anales de la Sociedad de Geografia e Historia (Guatemala), déc. 1942. 4 Voir « Mercados regionales de Guatemala », Boletín del Instituto Indigenista Nacional (Guatemala), juin-sept. 1947 ; et Crédito agricola supervisado para Guatemala, op. cit., pp. 77-80. METIERS ET OCCUPATIONS 295 Mexique Certains noyaux aborigènes tels que les Zapotèques, les Yalaltèques, les Chatino (Oaxaca) et les Tarasques (Michoacán) travaillent de préférence comme muletiers et comme porteurs. Ce sont parfois des collectivités entières qui s'adonnent à ces occupations spécialisées. Chez les Tarasques, il y a lieu de mentionner comme occupation typique le métier du colporteur (huacalero), qui, le dos chargé des marchandises les plus diverses, court les foires locales ou régionales. Ces colporteurs sont également nombreux chez les Yalaltèques (Oaxaca) et les Huastèques (Veracruz et San Luis Potosí). En ce colporteur tarasque — le huacalero, appelé aussi inspikuriri — revit le tameme (porteur) de l'époque coloniale. « Le transport à dos d'homme des marchandises, du lieu de production au marché voisin... est un système extrêmement répandu 1 . » Le huacalero couvre parfois de longues distances pour transporter les produits du haut plateau aux marchés métis des régions périphériques. Le transport à dos d'âne ou de mulet (fieteria), constitue une activité-type du commerçant professionnel aborigène de la région ; ce système est utilisé surtout pour les échanges de marchandises entre le haut plateau et les terres chaudes. A l'heure actuelle, le porteur et le muletier « sont remplacés petit à petit par l'autobus ou le camion, voire par l'avion, véhicules dont l'usage est de plus en plus fréquent 2 ». Comme dans d'autres pays de l'Amérique latine, la distribution d'une partie considérable de la production des artisans et des agriculteurs aborigènes s'effectue au moyen des marchés locaux et des foires régionales. En règle générale, le marché a lieu une fois par semaine tandis que la foire se tient une fois par an à l'occasion de quelque fête religieuse. C'est ainsi par exemple que dans le secteur du plateau tarasque, plusieurs foires ont une grande importance économique, notamment celles de la Fête-Dieu à Paracho (deuxième dimanche d'août), de Nahuatzen (25 août) et de Charapán (à la Saint-Antoine). C'est par milliers que vendeurs, producteurs et revendeurs professionnels (rescatones), en majeure partie des femmes (75 pour cent), accourent à ces foires 3. 1 Gonzalo AGUIBRB 'BEI/TRAN : El problema de la población indigena de la cuenca del Tepalcatepec, op. cit., p . 230. 2 Ibid., p . 15. 3 Ibid., p p . 223-227. il* 296 LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE Pérou Les foires et marchés attirent, au Pérou, de très grands concours de population venant non seulement d'autres districts du pays, mais aussi des régions frontières de l'Equateur et de la Bolivie. En règle générale, la foire coïncide avec une fête religieuse (c'est le cas par exemple pour la grande foire de Pâques d'Ayacucho et d'Apurimac), tandis que le marché se tient chaque semaine, à jour fixe, le dimanche à Huancayo, le samedi à Chupaca, etc. La foire de Pucará attire parfois près de 15.000 personnes venant de diverses régions de la Sierra et de la côte, ainsi que du nord de la Bolivie. (De son côté, la foire de Copacabana, sur la rive bolivienne du lac Titicaca, réunit à certaines occasions jusqu'à 50.000 personnes venant de Bolivie, du Pérou et du nord de l'Argentine 1 .) Il y a également lieu de citer parmi les foires importantes celles de Yunguyo, Eosaspata, Vilque et Llave, au sud du pays. Le commerce en gros s'effectue par l'intermédiaire de revendeurs (rescatadores), métis pour la plupart. CANADA Indiens Les Indiens du Canada sont surtout chasseurs et trappeurs, pêcheurs, sylviculteurs et agriculteurs. Dans quelques districts, un nombre assez important d'entre eux travaillent dans les fabriques, dans la construction et sont employés comme domestiques. Répartition par métier en 1941. Le tableau ci-après montre la répartition professionnelle de la population indigène économiquement active, établi d'après les résultats du recensement de 1941. 1 Luis E . VALCARCEL : « Indian Markets and Fairs in Peru », Handbook of South American Indians, vol. 2 : The Andean Civilizations, op. cit., p p . 477-482. Dans le même volume, voir également, a u sujet d'autres pays que le Pérou, les chapitres de : Bernard MISHKTN : « The Contemporary Quechua », p p . 434-437 ; Wendell C. B E N N E T T : « The Atacameño », p . 607 ; Gregorio H E R N Á N D E Z D E A L B A : « The Highland Tribes of Southern Colombia », pp. 931 et 944 ; A. L . K R O E B E R : « The Chibeha », p p . 901-902 ; et Harry T S C H O P Œ , J r . : « The Aymara », p p . 537-538. Parmi les nombreux ouvrages consacrés à ce sujet, voir également Gerardo REICHELDOLMATOFF : « Los Kogi, una tribu de la Sierra Nevada de Santa Marta, Colombia », Revista del Instituto Etnològico Nacional (Colombia), vol. IV, n ° 8 1 e t 2, 1949-50, pp. 119-123 ; Mario C. VÁSQUEZ VÁRELA : « La antropología cultural y nuestro problema del indio : Vicos — u n caso de antropologia aplicada », Perú Indigena (publication de l'Institut péruvien des affaires indigènes), vol. I I , n o s 5 e t 6, juin 1952, pp. 110-114 ; e t Charles WISDOM : The Chorti Indians of Ghiatemala, op. cit., pp. 24-38. 297 MÉTIEES ET OCCUPATIONS TABLEAU X X X I . — CANADA: POPULATION ABORIGÈNE É C O N O M I Q U E M E N T ACTIVE PAR P R O F E S S I O N E T PAR (Personnes de quatorze ans au SEXE moins) Profession Hommes Femmes Sylviculture, pêche, piégeage Agriculture Travaux miniers, carrières, pétrole . . . Industrie manufacturière Electricité, gaz, eau Construction Transport et communication Commerce Finance e t assurances Services (publics, professionnels e t domestiques) Emplois non déclarés Total . . . 19.609 11.186 238 1.747 93 1.062 839 374 20 259 296 1 515 1 69 10 19.868 11.482 239 2.262 94 1.062 847 443 30 767 967 1.972 14 2.739 981 36.902 3.145 40.047 Tolal Source : Communication du gouvernement du Canada en date du 25 février 1949. La structure économique du pays s'étant modifiée durant et après la guerre, les chiffres concernant certaines des activités mentionnées ont pu subir des variations à partir de 1941. Dans l'ensemble, toutefois, les proportions indiquées semblent rester valables. Ces chiffres se rapportent tant aux Indiens inscrits comme membres des réserves 1 qu'à ceux qui s'embauchent, fréquemment pour des périodes temporaires, hors des réserves, dans le pays même ou à l'étranger, et dont la proportion a été évaluée à 50 pour cent environ. La majorité des réserves et des « bandes » indigènes possèdent des fonds fiduciaires administrés pour eux par le Service des affaires indiennes. Ces fonds, qui sont constitués principalement par le produit de la vente des ressources naturelles, s'élevaient à plus de 18 millions de dollars en 1946, alors qu'ils ne représentaient que 200.000 dollars en 1870. Revenus des aborigènes. Le tableau ci-après indique la valeur et la provenance des revenus indigènes en 1946, par province et par territoire. Aide fournie à Véeonomie aborigène. Le gouvernement fédéral aide l'aborigène à développer les activités qui lui permettent d'utiliser les ressources de la 1 E n ce qui concerne le régime de propriété appliqué dans les réserves, voir chap. I X . 298 LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE TABLEAU XXXII. DES — CANADA : VALEUR, E T REVENUS DES INDIENS, (En dollars PROVENANCE 1946 canadiens) Revenus provenant de diverses exploitations et activités Province ou territoire Produits agricoles Ile du PrinceEdouard . . . 3.000 7.150 Nouvelle-Ecosse Nouveau4.450 Brunswick . . 132.210 Québec . . . . 295.340 Ontario . . . . 245.648 Manitoba . . . 527.903 Saskatchewan . 470.087 Alberta . . . . 842.666 Colombie britannique . 5.476 Territoires du Nord-Ouest . Total . . 2.533.930 Viande de bœuf vendue ou consommée comme nourriture 600 220 Pêche 650 900 900 4.400 22.882 6.922 56.910 342.933 42.840 141.640 124.174 37.258 263.140 11.130 222.560 1.866.670 néant 14.975 Chasse et piégeage 750 1.300 Salaires Autres revenus R evenu total ' 1.400 98.500 10.900 119.062 3.100 29.820 72.800 526.887 214.291 979.795 960.085 1.046.934 1.771.000 260.575 230.301 153.600 115.038 528.417 429.191 386.294 510.091 257.156 115.470 1.882.987 4.473.202 1.074.604 1.761.981 1.897.898 439.730 6.192.610 471.000 4.500 10.992 623.384 2.197.600 24.805 19.970 536.226 734.226 2.427.478 3.164.759 3.223.535 5.981.012 18.064.940 Source : DEPARTMENT OF TRADE AND COMMERCE, Dominion liureau of Statistics : The Canada Book, 1948-49 (Ottawa, 1949), p. 1175. 1 Year Comprend le revenu provenant du bois et des droits miniers, des intérêts portés parles fonds administrés et ilu produit des loyers des terres. réserve tout en lui laissant le loisir de travailler dans les régions voisines. Ainsi, le Service des affaires indiennes envoie des moniteurs agricoles dans les réserves et, conjointement avec les « bandes » indiennes, gère des exploitations où les aborigènes apprennent la pratique de l'agriculture. Cette méthode a été adoptée surtout pour les Indiens des plaines, dont la subsistance dépendait essentiellement de l'économie primitive du bison et que la disparition de cet animal, survenue en 1878, a laissés dans un état voisin de la misère. Désormais, les Indiens de la prairie sont véritablement devenus agriculteurs ; ceux de l'est du pays ont même reçu une instruction agricole. En général, on peut dire que, dans les régions où les ressources naturelles se prêtent à l'exploitation agricole, l'Indien est devenu un bon agriculteur et un bon éleveur. MÉTIERS ET OCCUPATIONS 299 Dans divers districts indigènes de la partie ouest du pays, le Service des affaires indiennes a créé des élevages expérimentaux de petit bétail et a mis à la disposition des réserves des machines agricoles modernes que les Indiens utilisent sous la direction d'instructeurs fonctionnaires fédéraux. Dans d'autres districts, le Service a établi des scieries (douze au total) et en exploite quelques-unes en commun avec les Indiens. Protection de la chasse et de la pêche. Près de la moitié de la population aborigène habite l'extrême nord du Dominion et tire sa subsistance principalement de la chasse et de la pêche. Afin de la protéger contre le caractère aléatoire de la chasse et les fluctuations du prix des peaux, le gouvernement fédéral a, aux termes d'accords spéciaux passés avec le gouvernement des provinces, constitué de vastes réserves de chasse et il a créé, dans quelques-unes de ces réserves, des centres de développement de l'industrie de la pelleterie. Ainsi, dans le district voisin de Le Pas (Manitoba), sur une superficie de 170.000 hectares, s'est développée avec succès l'industrie des peaux de rat musqué ; dans les provinces de l'Ontario et de Québec prospèrent huit réserves de castors ; en 1948, deux réserves plus anciennes, situées sur le fleuve ïïottaway et dans le district d'Abitibi (Québec) ont donné plus de 10.000 peaux de castor qui ont rapporté aux Indiens un gain d'environ 100.000 dollars. Plusieurs groupes d'Indiens du littoral de la Colombie britannique se consacrent avec profit à la pêche commerciale. Ils arrivent généralement à se suffire, mais reçoivent une certaine assistance du Service des affaires indiennes, en vue surtout de l'achat d'outillage de travail. En 1952, le Service a étudié les moyens d'amener les groupes aborigènes des Territoires du ISTord-Bst, dont la traditionnelle occupation est la chasse, à pratiquer la pêche commerciale, afin de leur procurer une source supplémentaire de gain en prévision des périodes de morte-saison. Migrations intérieures et emploi à Vétranger. Un pourcentage indéterminé d'Indiens quitte périodiquement son habitat pour s'embaucher dans les cultures de houblon de la Colombie britannique (Canada), pour les travaux de récolte des fruits et dans les entreprises sylvicoles de l'Etat de Washington (Etats-Unis). En outre, de nombreux 300 LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE Indiens sont occupés dans les cultures de pommes de terre des provinces maritimes. Les aborigènes de ces provinces traversent aussi la frontière de l'Etat du Maine (Etats-Unis) à l'époque de la récolte de ce tubercule. Artisanat. L'artisanat domestique constitue une source supplémentaire de gain, particulièrement pendant les périodes où aucun autre travail n'est possible. Mais un petit nombre seulement d'Indiens sont capables de se consacrer avec profit à ce genre d'activité. De plus, les débouchés de la production artisanale indienne sont limités. Esquimaux Les Esquimaux sont chasseurs, trappeurs et pêcheurs. Ils tirent principalement leur nourriture du phoque, du cheval marin, de la baleine blanche, de la truite de mer et, dans le district de Keewatin, du caribou. Protection des sources de revenus. Les Esquimaux, en échange de peaux de renard blanc, se procurent dans les ports commerciaux de l'Arctique divers produits manufacturés. Le gouvernement a signalé que l'irrégularité des résultats de la chasse tant en ce qui concerne l'alimentation que les peaux, et les énormes fluctuations des prix sur le marché des peaux, rendent une telle économie assez précaire 1. L'épuisement de la faune régionale et ces fortes fluctuations dans le prix des peaux préoccupent le gouvernement. Le ministère des Ressources et du Développement économique a pris des mesures, par l'intermédiaire de ses représentants dans le nord du pays, en vue d'assurer la conservation des espèces animales. ETATS-UNIS Bien que suffisamment abondantes, les informations relatives aux métiers des Indiens des Etats-Unis se rapportent surtout aux programmes et mesures de politique sociale exposés au chapitre X I . C'est pourquoi seules seront données ici quelques indications d'intérêt général sur les activités économiques de ces populations, avec quelques détails plus précis sur des tribus Communication du gouvernement canadien en date du 25 février 1952. MÉTIERS ET 301 OCCUPATIONS dont la situation a suscité un intérêt spécial de la part des pouvoirs publics. Avoirs et revenus des Indiens des réserves D'après les informations ci-après et d'autres sources, il semble bien que les principales activités économiques dans les réserves soient l'agriculture, l'élevage, la sylviculture et le travail dans les mines. D'ailleurs, la quantité et la qualité des ressources disponibles varient considérablement, non seulement d'une tribu à l'autre, mais encore au sein d'une même tribu. T A B L E A U X X X I I I . — É T A T S - U N I S : AVOIRS E T R E V E N U S DES INDIENS DES RÉSERVES Avoirs : Bétail (têtes) : pour la boucherie 363.358 vaches laitières 47.580 Terres (hectares) : en pâturage 13.470.000 en culture 401.760 Revenus (en dollars) : Bétail et produits de l'élevage Activités exclusivement agricoles Sylviculture Artisanat (1945) Travail salarié (1945) 30.973.800 25.377.546 4.589.000 1.300.000 24.700.000 Source : UNITED STATES INDIAN SERVICE : American Indians (Pamphlet H) (Washington 1949), p. 28. Sauf indication contraire, les données portent sur l'année 1948. Ainsi, par exemple, si les Indiens Osage de l'Etat d'Oklahoma (au nombre de 3.000 environ) ont, en quarante ans à peu près, tiré de leurs terres un revenu supérieur à 250 millions de dollars en droits de concessions à des entreprises pétrolières, si, d'autre part, la tribu Menominee (Wisconsin) et la tribu Klamath (Oregon) possèdent d'excellentes terres à bois et exploitent des scieries qui sont propriétés tribales, d'autres tribus, beaucoup plus importantes du point de vue numérique, éprouvent les plus grandes difficultés à trouver de quoi vivre. Dans la plupart des cas, aux Etats-Unis, les ressources minérales des réserves sont exploitées pour le compte de concessionnaires étrangers aux tribus et qui doivent être agréés par le département de l'Intérieur. Les chiffres de 1948 indiquent la superficie des terres appartenant aux Indiens, avec la production correspondante : terres concédées pour l'exploitation du gaz et du pétrole, 415.000.040 hectares ; nombre de concessions accordées à cette fin, 11.302 ; autres terrains loués pour l'exploitation d'autres ressources minérales, 20.800 hectares ; produc- 302 LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE tion pétrolière totale entre 1933 et 1945, 251 millions de barils de pétrole, plus le gaz naturel. Du 30 juin 1947 au 30 juin 1948, les revenus des tribus et des particuliers obtenus au titre de la location des terres et de la production des minéraux s'élevaient à environ 12 millions de dollars 1 . Problèmes particuliers à certaines tribus En contraste frappant avec la condition des tribus dont il vient d'être question est celle des Navajo, des Hopi et des Papago (Arizona et Nouveau-Mexique), ainsi que celle des différents groupes d'Indiens Pueblo qui habitent le long du rio Grande ; tous ces Indiens — on le verra dans le chapitre suivant — vivent dans la misère du fait de la pauvreté et de l'épuisement de leurs terres. Les Navajo. En ce qui concerne les Navajo, lorsque a été examinée en 1948, devant une commission parlementaire, l'opportunité de promulguer une loi visant à venir en aide aux Navajo et aux Hopi et à relever leur niveau de vie 2, environ 61.000 personnes de cette tribu, soit à peu près 12.000 familles, habitaient la grande réserve qui s'étend sur des territoires du Nouveau-Mexique, de l'Arizona et de l'Utah. Sur ces 12.000 familles, qui étaient en rapide accroissement, 9.334 vivaient de l'agriculture et, sur celles-ci, 6.700 n'avaient guère plus de 500 dollars de revenus nets par an. Si l'on tient compte du fait que, dans une économie de subsistance, fondée sur l'élevage des moutons pour la laine, 250 moutons par famille sont nécessaires pour assurer des revenus suffisants, seules 129 familles sur 9.334 possédaient de 200 à 300 moutons et 6.134 n'en possédaient guère qu'une centaine. Les Navajo ont produit en 1946 plus de 2.100.000 livres de laine non dégraissée, mais la transformation de 310.000 livres de laine en tapis leur a rapporté à peine 5 à 6 cents de l'heure ; signalons que les taux horaires normaux de rémunération des ouvriers occupés à la production et à la transformation 1 BUREAU o r INDIAN AFFAIRS : Annual Report of the Commissioner to the Secretary of the Interior. Fiscal Year Ended June 30, p . 376. 2 Voir Max M. DREFKOFF : « An Industrial Program for the Navajo Indian Reservation », e t J . A. KRUG : « The Navajo—A Long-Range Problem for Navajo Rehabilitation», reproduit dans U N I T E D STATES SENATE, Eightieth Congress, Second Session, Subcommittee of t h e Committee on Interior and Insular Affairs : Hearings... on a Bill to Promote the Rehabilitation of the Navajo and Hopi Tribes... March 29, April 21, 22, 23 and 29, 1948 (Washington, Government Printing Office, 1948), pp. 244-261 et 484-529. METIERS ET OCCUPATIONS 303 de la laine varient entre 75 cents et 1 dollar. C'est là une preuve, comme l'a exposé le représentant des Indiens îtfavajo, que, sauf dans la réserve, l'artisanat artistique fournit au travailleur manuel des revenus horaires plus importants que ceux que lui procurerait la fabrication d'articles faits à la machine. Les revenus généraux de la tribu pourraient s'accroître considérablement si celle-ci renonçait à produire des matières premières — cuir, bois, laine — et des chevaux (pour la vente et la consommation de la viande), et si des mesures étaient prises pour protéger les industries naissantes, pour stimuler le développement de l'artisanat et des coopératives de crédit, généraliser les méthodes mécaniques modernes de production et créer de nouvelles occupations et de nouvelles sources de revenus grâce à la transformation de l'économie en vue de la production d'articles finis et de produits de l'élevage et en vue de l'exploitation forestière et de l'agriculture. La plupart des ventes de laine, de cuir, de chevaux sur pied s'opèrent généralement sous la forme du troc, contre des aliments, des chaussures et des vêtements. Les ressources dont disposent actuellement les Navajo consistent en une vaste superficie de prairies naturelles pauvres, une surface restreinte de terres irriguées, quelques bois, des gisements non encore estimés de charbon, de pétrole et d'autres minéraux, une aptitude spéciale pour les arts et une importante offre de main-d'œuvre, généralement non qualifiée et illettrée. Exploitées au maximum, ces ressources pourraient suffire à assurer l'existence de 35.000 personnes dans une économie de subsistance : pourtant, en 1948, 61.000 Navajo vivaient dans la réserve alors que, dans les conditions qui régnaient alors, on n'aurait dû y conserver que 20.000 personnes. La nouvelle législation adoptée en 1949 apporte certaines solutions aux problèmes ainsi posés *. Le tableau X X X I V fournit quelques données sur les revenus de quatre tribus d'Indiens des EtatsUnis et sur les terres qui leur appartiennent en propre, ainsi que sur les terres de l'Etat dont ils ont l'usufruit. Abandon des réserves en vue de la recherche de nouveaux revenus. En 1948, le nombre des familles indiennes qui se consacraient à l'agriculture étaient de 40.200. Cependant, en raison de la pauvreté des terres, de nombreux Indiens se voient 1 Annual Report of the Secretary of Interior. (Washington, 1949), p. 346. Fiscal Year Ended June 30, 1949 304 LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE TABLEAU X X X I V . — É T A T S - U N I S : T E R R E S E T R E V E N U S D E S T R I B U S N A V A J O , HOPI, BLACKFEET E T P I N E RIDGE, Population Tribus Terres en usufruit Terres tribales Acres Acres Revenus totaux Total . Hopi . . 3.603 631.019 631.194 Agriculture . . Travail salarié . Artisanat . . . Produits autochtones Autres sources . Total . Blackfeet . . (Montana) 4.527 628.812 80.290 Agriculture . . Travail salarié . Artisanat . . . Produits autochtones Autres sources . Total . Pine Ridge . (Dakota du Sud) 9.144 766.020 Autres prove- Provenant d'activités rémunérées 56.483 13.722.947 14.476.789 Agriculture . . Travail salarié . Artisanat . . . Produits autochtones Autres sources . Navajo . 1946 250.987 Agriculture . . Travail salarié . Artisanat . . . Produits autochtones Autres sources . Total . Source : Hearings... on a Bill to Promote the Rehabilitation II, IV et VI, pp. 532, 533 et 535. $ 2.811.195 7.892.285 364.800 386.410 28.364 11.483.054 2.056.944 239,71 187.657 116.203 6.311 5.216 17.052 332.439 93.512 118,22 481.926 171.548 2.521 28.000 52.872 736.867 444.564 260,97 549.497 502.318 6.402 5.000 1.063.217 634.385 185,65 of the Navajoand Hopi Tribes, op. cit., tableaux obligés d'abandonner leurs réserves pour chercher de nouveaux revenus ; ils travaillent comme salariés dans les exploitations productrices de légumes, dans les plantations d'arbres à fruits, dans les chemins de fer, sur les routes, etc. 1 . Ainsi, par exemple, pendant la campagne 1948, environ 3.000 Navajo ont été recrutés pour travailler dans les champs de betteraves, les cultures de céleris, de pommes de terre, de tomates et autres légumes dans l'Etat de l'Utah. Au cours des dernières années, 1 Revenu par personne Communication du département du Travail des Etats-Unis, juillet 1950. MÉTIERS E T OCCUPATIONS 305 le nombre des ïTavajo qui ont quitté leurs réserves de leur propre initiative n'a cessé de croître 1. Travail salarié. E n 1945, une proportion de 37,5 pour cent du revenu total de la population indienne provenait du travail salarié. Pour certaines tribus, cette forme de travail est devenue la principale source de revenus. Ainsi, en 1937, 71 pour cent du revenu des Papago provenaient de l'utilisation des ressources naturelles et 27 pour cent seulement provenaient du travail salarié. Dix ans plus tard, les proportions étaient inversées et les revenus de la tribu provenaient pour 56 pour cent du travail salarié et pour 39 pour cent de l'utilisation des ressources naturelles 2. Malgré les revenus d'appoint provenant du travail salarié, bon nombre d'Indiens des réserves ne parviennent pas à gagner suffisamment pour subvenir à leurs propres besoins pendant toute l'année. Le déficit est couvert partiellement au moyen de subventions du gouvernement. En 1948, cette assistance s'est élevée à 4,3 pour cent du revenu total de la population indienne. Artisanat. Quelques groupes consacrent une partie de leur temps à la production d'articles artisanaux (articles textiles, vannerie, poterie, travail de l'argent, du cuir, etc.). En 1945, la vente de ces produits a fourni environ 7 pour cent du revenu total effectif. Principales occupations Le tableau XXXV indique la répartition de la population indienne par métiers principaux en 1940. On observera que l'emploi était plus généralisé dans la région de l'Ouest où se trouve une plus grande concentration d'Indiens. Dans cette région résident 57 pour cent du total de la population indienne économiquement active. Pour l'ensemble du pays, plus de la moitié des Indiens occupés travaillaient dans des exploitations agricoles ; environ 17 pour cent des travailleurs agricoles indiens étaient des salariés ; les travailleurs intellectuels constituaient 2,2 pour cent du total. Il est évident que l'artisa1 E. C. Ho WE : « Navajo Indian Farm Workers », Employment Security Review (Bureau of Employment Security), vol. 17, n° 3, mars 1950, p. 25. 2 Laura THOMPSON : Personality and Government, op. cit., p. 103. 306 LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE nat et les métiers ne jouent pas un rôle considérable (moins de 5 pour cent) dans l'ensemble des emplois. TABLEAU XXXV. — É T A T S - U N I S : R É P A R T I T I O N D E LA POPULATION I N D I E N N E  G É E D E P L U S D E QUATORZE A N S PAR OCCUPATION E T R É G I O N P R I N C I P A L E , 1 9 4 0 Occupations Professions intellectuelles . . Professions semi-intellectuelles Agriculteurs et administrateurs Propriétaires, administrateurs et fonctionnaires (à l'exclusion de l'agriculture) . . . Employés, vendeurs et métiers Artisans, contremaîtres e t travailleurs analogues . . . . Etats du NordEst Etats du Centre Etats du Sud Etats de l'Ouest 73 19 291 73 610 85 487 257 131 2.098 7.215 15.190 86 144 424 267 921 91 397 696 638 1.822 248 533 411 565 794 492 719 937 567 1.698 6.980 1.133 3.230 9.244 2.603 212 651 669 1.301 2.833 190 714 2.360 2.970 6.234 49 402 2.803 3.641 6.895 444 32 1.361 81 1.447 197 3.062 243 6.314 553 2.519 8.063 18.729 37.867 67.178 Total 1.461 434 24.634 Services (à l'exception d u serTravailleurs agricoles (salariés) e t chefs de travaux agricoles Travailleurs agricoles (non Manœuvres (à l'exception des exploitations agricoles) . . Total des personnes employées . . . Source : U N I T E D STATES DEPARTMENT OF COMMERCE, Bureau of the Census : Sixteenth Census of the United States (1940) : Population : Characteristics of the Non-White Population by Hace Washington, D.C., Government Printing Office, 1943), tableau S, pp. 47-57. Asie Les peuples dits primitifs de l'Asie ont été répartis par certains auteurs dans des catégories différentes selon qu'ils s'adonnaient aux activités ci-après : chasse (sous ses formes rudimentaires ou évoluées), chasse et collecte des produits naturels (parfois en relation avec des peuplades plus évoluées), agriculture primitive, agriculture nomade, élevage nomade, et agriculture de type plus évolué 1. Les populations aborigènes de tous les pays d'Asie comprennent des représentants de ces 1 L. T. H O B H O U S E , G. C. W H E E L E R e t M. GINSBERG : The Material and Social Institutions pp. 16-45. Culture of the Simpler Peoples (Londres, Chapman a n d Hall, 1930), MÉTIERS ET OCCUPATIONS 307 différentes catégories ; dans la plupart des cas d'ailleurs, chez les agriculteurs « avancés », la distinction entre les groupes aborigènes et le reste des habitants est purement arbitraire. Il a paru plus pratique malgré tout d'étudier dans le présent chapitre les populations qui ont conservé un mode de vie tribal, ou qui tirent entièrement ou principalement leur subsistance de la chasse, de la cueillette et de la pêche pratiquées seulement pour assurer leur propre consommation, et de l'agriculture de subsistance pratiquée sur des terres choisies au hasard, et qui n'ont que peu de contacts commerciaux — si mêmes ils en ont — avec le reste de la population, ainsi que les membres des tribus qui travaillent à l'intérieur ou hors de leur habitat, sur une base contractuelle ou non. BIRMANIE Les Naga et les Kachin qui vivent dans l'extrême Nord, les Chin de l'Ouest, les Palaung et les Wa du Nord-Est pratiquent tous l'agriculture nomade de subsistance au moyen de l'écobuage 1. La grande majorité des Karen sont agriculteurs, mais la plupart d'entre eux ont quitté leur habitat montagneux de l'Etat Karenni pour le delta de l'Iraouaddi et la vallée du fleuve Sittang; il est peu probable qu'ils continuent à pratiquer l'écobuage 2. Parmi les tribus Naga, les travaux d'égrenage, de filage et de tissage du coton sont exécutés par les femmes au moyen d'un outillage très primitif. Les herbes et les racines de la jungle fournissent les teintures. Les hommes fabriquent des filets de pêche, des pièges, etc., avec les fibres de l'arbre kachin. Les Shan et les Karen tissent à la main une partie des vêtements, des couvertures et des sacs dont ils ont besoin 3. Les tribus montagnardes sont capables d'apprendre d'autres métiers et se spécialisent même dans certaines branches. Ainsi, «hez les Karen, « les femmes excellent dans la profession d'infirmière ou de sage-femme, qu'elles exercent dans presque tous les hôpitaux de l'Etat 4 », et les hommes, pour la plupart agriculteurs, «n'en sont pas moins employés également dans la police et dans l'armée ou les bureaux de l'administration 5 ». 1 J . R. A N D R U S , op. cit., pp. 32-34. 2 Ibid., p . 31. 3 John LeRoy CHRISTIAN, op. cit., pp. 180-181. *Ibid., p. 159. 5 J. R. A N D R U S , op. cit., p. 31. 308 LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE En ce qui concerne les Chin, ceux qui ont atteint un certain degré de civilisation « sont d'excellents citoyens et un grand nombre d'entre eux s'enrôlent dans la police militaire et autres forces armées de Birmanie * ». CEYLAN Les occupations traditionnelles des 3.000 à 6.000 Vedda qui subsistent encore sont très primitives. Ils chassent le daim, les singes, certaines espèces de lézards et pratiquent la pêche. Ils récoltent le miel, les ignames sauvages, les fruits, certaines fleurs comestibles de la jungle, etc. 2. On sait toutefois que bon nombre d'entre eux sont maintenant sédentaires et habitent des villages, pratiquant la culture du maïs et du Tcarraklcan ou l'élevage 3. Les Eodiya, bien que souvent mendiants et chasseurs, se font parfois artisans, les femmes surtout. Ils fabriquent des nattes, des paniers, des sacs et des éventails avec des roseaux et des tiges de jonc. Mais « bien que le Eodiya soit premièrement et surtout un artisan, sa grande ambition est de posséder une petite rizière. Lorsque le Eodiya est en mesure de faire de la culture, il y montre une réelle aptitude 4 ». Fabricants de nattes par tradition, les Kinnaraya complètent les revenus qu'ils tirent de ce travail par l'agriculture. En général, les femmes fabriquent les nattes, tandis que les hommes se procurent la matière première — teinte ensuite au moyen de produits végétaux —, cultivent leur terre et s'embauchent comme ouvriers agricoles 5. INDE De manière générale, on peut dire que les tribus du nordest de l'Inde s'adonnent à l'agriculture sédentaire sur des terrains en terrasses, tandis que l'agriculture nomade est la forme la plus courante de production des denrées alimentaires de la zone centrale. Dans le sud, par contre, la vie économique est principalement fondée sur la collecte des produits de la jungle. L'agriculture nomade n'en reste pas moins un caractère 1 J o h n LeRoy CHRISTIAN, op. cit., p . 20. H . WILLIAMS : Ceylon, Pearl of the East (Londres, Robert Hale, Ltd. [sans date]), p p . 176-177. 2 3 E . R. COOK : Ceylon, op. cit., p . 242. 4 M. D . RAGHAVAN : Cultural Anthropology of the Rodiyas, op. cit, p. 22. I D E M : The Kinnaraya, the Tribe of Mat-Weavers, op. cit., pp. 237-243. 5 309 MÉTIERS ET OCCUPATIONS commun à toutes les zones. La chasse, la pêche et les petites industries de village (telles que la vannerie) sont les principales occupations d'appoint. Dans les régions montagneuses, la production agricole consiste généralement en céréales grossières ; ailleurs, le riz, le blé et le jowar sont également cultivés. Le caractère primitif des méthodes de culture enlève le plus souvent aux produits toute valeur commerciale ; il ne s'agit, la plupart du temps, que d'une agriculture de subsistance. La main-d'œuvre aborigène est attirée vers les entreprises sylvicoles, soit directement, soit par l'intermédiaire de recruteurs ou de concessionnaires particuliers. En nombre considérable, les aborigènes travaillent dans les plantations et les mines, ou trouvent des emplois de travailleurs agricoles, parfois de colons 1 . Le tableau XXXVI indique la répartition des scheduled tribes d'après le recensement de 1951. Les catégories « propriétaires » et « fermiers et métayers » comprennent les exploitants agricoles qui, dans le premier cas, sont propriétaires et, dans le second cas, sont locataires, d'au moins une certaine proportion des terres qu'ils exploitent. TABLEAU XXXVI. PAU OCCUPATION INDE : POPULATION TRIBALE E T P A R MODALITE D'OCCUPATION D U SOL Hommes Femmes Total 6.289.068 957.361 1.402.891 29.691 8.679.011 6.279.848 917.061 1.400.302 34.579 8.631.790 12.568.916 1.874.422 2.803.193 64.270 17.310.801 Autres services et divers . . . Total . . . 411.442 59.514 34.030 443.652 948.638 353.814 64.243 28.627 430.127 876.811 765.256 123.757 62.657 873.779 1.825.449 Total de la population des scheduled tribes 2 9.627.649 9.508.601 19.136.250 Branches d'activité Agriculture 1 : Travailleurs agricoles Total . . . Occupations non agricoles l : Source : Communication du gouvernement de l'Inde, IG juin 1953. i Y compris les personnes à charge. 2 Non compris 9.816 personnes d'Ajmer pour lesquelles aucune répartition n'est disponible. Communication du gouvernement de l'Inde, août 1952. 310 LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE Agriculture et élevage Comme on peut le constater d'après le recensement de 1951, sur 19.136.250 aborigènes qui constituent les tribus protégées (scheduled tribes), 17.310.801 s'adonnent à diverses formes d'agriculture. Bien que l'agriculture semble demeurer l'activité principale, on peut observer évidemment, chez les tribus les plus avancées, une diversification croissante de l'économie tribale selon les ressources naturelles et les besoins de maind'œuvre de chaque région x. Les Gond de Madhya Pradesh abandonnent peu à peu l'agriculture pour travailler comme salariés à la fabrication du charbon de bois, au bûcheronnage, au transport du bois, à la récolte des produits naturels de la forêt et à la fabrication d'articles de bambou. Les Oraon descendent dans les plaines pour pratiquer des formes rudimentaires de l'agriculture. Les Bhil de Bombay ont choisi l'agriculture sédentaire qu'ils pratiquent depuis cent cinquante ans, même s'ils doivent travailler la terre comme salariés. Dans l'Etat d'Haïderabad, cette tribu, tout en s'adonnant à la récolte des produits naturels, à la pêche et à la chasse du petit gibier, préfère cependant les occupations sédentaires, et, chaque fois qu'elle a pu se procurer des terres, elle a témoigné d'aptitudes certaines pour l'agriculture. Faute de terres et d'animaux de trait, ses membres cherchent des emplois saisonniers ou travaillent à la journée. Les salaires qui leur sont payés sont très bas : un mari et une femme se relayant à la garde d'une plantation ne gagnent guère que 10 roupies par mois à eux deux 2. Dans le Bengale, les Santal sont essentiellement un peuple d'agriculteurs. Une enquête effectuée en 1947 dans six districts du Bengals a permis de constater que sur 1.072 familles, 564 vivaient de l'agriculture et 353 des travaux agricoles et du travail salarié 3. Les Majhwar, les Kharwar et les Korwa de l'Etat d'Uttar Pradesh sont dans une situation analogue. Les deux premiers de ces peuples ont abandonné leurs coutumes primitives et ont appris de leurs voisins les rudiments de l'agriculture. 1 Sur les mesures prises par le gouvernement central et les Etats pour hâter l'assimilation des aborigènes de l'Inde à l'économie du pays, voir chap. XL 2 Pour plus de détails, consulter les études groupées dans l'ouvrage Tribes of India, op. cit., vol. I et IL 3 K. P. CHATTOPADHYAY : Report on Santals in Northern and Western Bengal (Calcutta, 1947), passim. MÉTIEBS ET OCCUPATIONS 311 D'après des données récentes, la tribu Kolam, qui réside dans l'Etat de Madhya Pradesh, abandonne graduellement la technique de l'agriculture dispersée (podu) sur des terres défrichées rapidement, procédé que restent seuls à utiliser les groupes voisins des montagnes. « Mises en mesure de pratiquer des méthodes plus rationnelles, ces tribus les préfèrent au système du podu 1. » L'agriculture est une activité courante chez les tribus qui habitent l'est de 1'Assam. La culture du café, du thé et des fruits y a été introduite et s'y développe de façon satisfaisante 2. L'occupation principale des Tharu et des Bhoksa (Etats du Bengale, d'Uttar Pradesh, de Bihar et d'Orissa) est également l'agriculture, à laquelle s'ajoutent la chasse et la pêche quand l'occasion s'en présente. Quant aux Bhotiya (habitants de la région himalayenne), ils ne semblent pas encore avoir opté entre l'agriculture proprement dite et l'élevage nomade. Pendant les mois d'été, ils pratiquent l'agriculture de subsistance sur des terres défrichées à cet effet, en utilisant, selon leur degré d'évolution, soit la houe, soit une charrue primitive 3 . Les Toda semblent constituer la seule tribu de pasteurs authentiques qui subsiste dans l'Inde ; leur nombre a d'ailleurs fortement diminué et ils ne comptent plus guère actuellement que 600 personnes qui se trouvent dans l'Etat de Madras. Chasse, pêche, collecte des produits naturels Il y a environ un demi-siècle, un peu moins de la moitié de la population des tribus montagnardes de la péninsule méridionale tirait sa subsistance de la collecte des fruits et produits de la jungle, qu'elle vendait ou troquait aux populations de la plaine. Actuellement, les tribus montagnardes qui dépendent encore uniquement de ce genre d'activité pour leur subsistance et ne produisent aucune denrée alimentaire ne valent pas la peine d'être mentionnées 4. Parmi les peuples chasseurs et collecteurs de produits naturels qui ne pratiquent absolument pas l'agriculture, mais se tiennent dans les environs des villages, sur les marchés 1 P. S. RAO : Among the Gonds of Adiîabad (Haïderabad, Decean, 1949), p. 64. C. H. HELM : « The Effects on the Lushei of Contacts with Civilisation », Census of India, 1931, vol. I, partie 3 B, p. 149. 3 S. D. PANT : The Social Economy of the Himalayans, op. cit., pp. 43-44. 4 Communication du gouvernement de l'Inde, mars 1950. 2 312 LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE desquels ils vendent les produits de la jungle, on trouve, en majorité, les tribus Yanadi, Tchentchou et Korumba, ainsi que d'autres de moindre importance qui se trouvent dans l'ouest de l'Etat de Madras, dans les Etats d'Haïderabad et de Travancore-Cochin et également la tribu Katodi de Baroda (Etat de Bombay) ; toutefois, « parmi les principales de ces tribus, bon nombre de personnes vivent exclusivement de la cueillette des produits sauvages avant de procéder aux récoltes d'automne 1 ». Dans l'Etat de Travancore, les différents groupes de la tribu Pantaram, peuplade nomade montagnarde qui s'adonne à la chasse, s'arrêtent pendant une semaine en un endroit et se déplacent vers un autre lorsque les ressources alimentaires sont épuisées. Un accord tacite entre les différents groupes veut qu'aucun d'entre eux ne pénètre sur les territoires d'un autre 2. Les Bagata de l'Etat de Madras sont principalement cultivateurs, mais environ 25 pour cent d'entre eux « gagnent leur vie comme coolies et vivent des gains qu'ils tirent de la récolte et de la vente de produits forestiers, tels que le miel, le soapnut, le mirobalam, les gousses de tamarinier, les feuilles (Vaclda, etc. 3 » Artisanat La vannerie, le filage et le tissage sont connus de nombreuses tribus appartenant à différentes régions. Dans l'Assam, l'artisanat le plus répandu est la fabrication des tissus au moyen de fibres de coton de jhum, teintes au moyen de colorants végétaux. Les Momba et les Sherdukpen, qui vivent au nord du Brahmapoutre, fabriquent des jarres, qu'ils vernissent et ornementent de dessins en filigrane d'argent. Au Bengale, le tissage et la tapisserie sont des activités de type domestique, bien qu'à proprement parler elles ne soient pas le fait d'artisans. Dans le centre du pays, la tribu des Maria Gond occupe principalement son temps à distiller de l'alcool à base de produits forestiers. Chez les Savara, les Khond et les Gond, il existe des classes ou des castes qui se distinguent par la profession exercée : élevage du gros bétail, travail des métaux, tissage, vannerie, poterie, etc. Les Korwa, dans certaines 1 2 W. H. GILBERT, Jr. : Peoples of India, op. cit., p. 75. L. A. Krishna IYER et N. Kunjan PILLAI : « The Primitive Tribes of Travancore », Census of India, 1931, op. cit., p. 229. 3 A. AIYAPPAN : Report on the Socio-Economie Conditions of the Aboriginal Tribes of the Province of Madras, op. cit., p. 72. METIERS BT OCCUPATIONS 313 régions, savent fondre le fer et forger leurs propres armes et leurs propres outils 1. Les Agaharia sont par tradition fondeurs de fer et forgent une variété d'outils et d'instruments d'usage courant au moyen d'une technique, il est vrai, fort peu avancée. Les Ghasi fabriquent des cordes au moyen de fibres d'origine animale. Les Tharu, en plus de leurs occupations agricoles, fabriquent des meubles, des ustensiles de cuisine, des paniers, des instruments de musique, des armes, des «ordes et des nattes. Les paniers et les nattes sont fabriqués par les femmes au moyen de bambous et de roseaux achetés .sur les marchés et les foires hebdomadaires 2. Les Irula de Madras fabriquent également des nattes de bambou et des paniers, des socs de charrue et des roues, mais pas dans le dessein d'en faire commerce 3. Sur les hauts plateaux de l'Himalaya, les femmes de la tribu Bhotiya pratiquent diverses formes de l'industrie textile. Oes femmes possèdent des aptitudes spéciales pour filer et tisser la laine et en fabriquer des tissus de fort belle apparence et très solides. Ce travail a été encouragé par l'abondance de la matière première que leur fournissent leurs troupeaux et par la proximité des marchés à laine thibétains. Le filage est effectué à la main, au moyen d'un fuseau très simple connu sous le nom de takli ou de Jcatwa... Les femmes ont également acquis une technique très perfectionnée du traitement, du triage et de la teinture de la laine *. Travail salarié5 Travail dans les mines. Les principaux bassins houillers du Bengale et du Bihar, étant situés à l'intérieur ou à proximité du pays habité par les tribus aborigènes, se procurent une bonne proportion de leur main-d'œuvre parmi ces tribus 6. La plupart des mineurs de 1 W. H . GILBERT, J r . , op. cit., 2 D. N . MAJUMDAB : The Fortunes of Primitive 3 A. A I Y A P P A N , op. cit., p . 4 S. D. P A N T , op. cit., pp. 61-64. 5 passim. Tribes, op. cit., p p . 83-88. 104. Voir également chap. I X . E n 1921, les résultats du recensement effectué dans l ' E t a t de Bihar ont indiqué •que sur environ 100.000 travailleurs des mines de charbon, les aborigènes ou « semiaborigènes », au nombre desquels figuraient des Santal, des Munda et des Bauri, représentaient 32 pour cent. Au Bengale, où en 1921 le pourcentage s'élevait à -50 pour cent sur u n total approximatif de 130.000 travailleurs, il semble qu'entre •cette année-là et 1940 la répartition de la main-d'œuvre des houillères n'ait subi -aucune modification importante, hormis l'accroissement du nombre des manœuvres venus de Madhya Pradesh et d ' U t t a r Pradesh. Voir B . R . S E T H : Labour in the .Indian Coal Industry (Bombay, D . B . Taraporevala, 1940), p. 27. 6 314 LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE charbon de l'Etat de Madhya Pradesh appartiennent aux tribus Gond, Mawasi et Mahar. Certains groupes aborigènes témoignent d'aptitudes spéciales pour certains travaux ; par exemple, les Santal sont très habiles au travail du pic 1. Dans les mines de manganèse de Madhya Pradesh, 50 pour cent des travailleurs employés en 1946 étaient d'origine aborigène 2. On estime que les travailleurs des mines de fer employés par des recruteurs professionnels sont en majorité des aborigènes (surtout des tribus Santal et Kol) et que la quasi-totalité des mineurs non qualifiés des mines et carrières de l'entreprise Tata Iron and Steel Co. sont également aborigènes (environ 17.000) 3. Dans l'industrie du mica de l'Etat de Bihar, environ 250.000 aborigènes trouvent du travail. Les entreprises sont en grande partie situées au cœur de la jungle et se procurent leur main-d'œuvre parmi la population locale. Avant-guerre, 70 pour cent des travailleurs des mines de mica étaient des Santal ; ce pourcentage s'est progressivement réduit jusqu'à atteindre actuellement 25 pour cent, surtout à cause de la migration des travailleurs vers les plantations de thé de l'Assam 4. Plantations et exploitations forestières. Plus d'un demi-million de travailleurs adultes et un nombre équivalent de jeunes travailleurs sont employés dans les plantations de l'Assam. Sur ce nombre, 50 pour cent sont constitués par des groupes aborigènes (tribus Gond, Khond, Santal, etc.), et une autre grande partie de cette main-d'œuvre provient des autres Etats du sud et du centre de l'Inde, d'où elle est acheminée à la suite des opérations de recrutement prévues par la loi relative aux travailleurs migrants, promulguée en 1932, vers les plantations de thé. Pendant la période 194950, plus de 25.000 personnes ont été recrutées hors de l'Assam, ce qui représente, par rapport à l'année précédente, une diminution de 6.500 (plus de 10.000 travailleurs venaient de l'Etat de Bihar, 9.670 d'Orissa et plus de 4.500 de Madhya Pradesh). 1 S. R. DESHPANDE : Report on an Enquiry into Conditions of Labour in theCoal Mining Industry in India (New-Delhi, 1946), p. 21. 2 GOVERNMENT OF INDIA, Labour Investigation Committee : Main Report (Delhi, 1946), pp. 75 e t 82. 3 Soit 7.000 travailleurs non qualifiés employés directement par la compagnie et 10.000 employés sous contrat par les concessionnaires. Communication d u gouvernement de l'Inde, mai 1950. 4 C. M. RAJGARHIA : Mining, Processing and Uses of Indian Mica (New-York, McGraw-Hill, 1951), passim. MÉTIERS ET OCCUPATIONS 315 Le nombre des travailleurs rapatriés pendant la même période a atteint le chiffre de 30.000 1. Une autre occupation importante des aborigènes de l'Inde est la récolte des produits forestiers, jointe à d'autres travaux analogues, pour le compte des services gouvernementaux, soit directement, soit par l'intermédiaire de concessionnaires privés. Les concessionnaires obtiennent du gouvernement l'autorisation de procéder à la récolte d'une série de produits (fruits, écorces, etc., employés pour la fabrication de médicaments, de colorants et de certaines denrées comestibles), dans des zones bien marquées de la jungle, et d'abattre des arbres pour leur propre compte ou pour le compte d'agent^ intermédiaires de l'Etat ; dans d'autres cas, ces concessionnaires fabriquent du charbon de bois. La main-d'œuvre nécessaire à ces différents travaux est recrutée sous contrat parmi les tribus locales 2. INDONÉSIE Au nord-est de Bornéo, les Bassap subsistent presque uniquement par la cueillette et par la chasse. Mais ces chasseurs disparaissent ou évoluent 3. Les statistiques officielles se rapportant aux terres cultivées à Java et à Madura (qui sont les parties du pays les plus évoluées) montrent que 50 pour cent de ces terres sont consacrées à l'agriculture paysanne, y compris les humablocks (terres déboisées par le feu) ; 0,5 pour cent aux pêcheries à terre et 31 pour cent aux plantations et aux forêts de l'Etat, cette classification comprenant l'agriculture et l'horticulture pratiquées sur une petite échelle 4. Certains, comme les Batak, ont de riches jardins de légumes, d'indigo, de canne, de tabac et des vergers de cocotiers, de bananiers, de palmiers à sucre et à bétel. Très généralement on connaît la rizière humide, mais l'irrigation n'est pratiquée que là où elle est très facile et, même dans ce cas, les Toradja de Célebes préfèrent les cultures sèches. Si quelques-uns continuent à beaucoup demander, au moins pendant plusieurs mois, à la chasse et aux produits de la forêt, d'autres sont devenus d'excellents agriculteurs s . 1 Annual Report on the Working of the Tea Districts Emigrant Labour Act (XXII of 1932) for the Year Ending 30th September 1950 (Shillong, Assam Government Press, 1951), p. 38. 2 Sur le système de recrutement, les problèmes qu'il pose et les mesures prises pour protéger les travailleurs forestiers et améliorer leur situation, voir chap. IX et XI. 3 Jules SION : Asie des moussons, op. cit., partie II, p. 483. 4 Statistical Pocket Book of Indonesia, 1941, op. cit., p. 36. 5 Jules SION, loe. cil. 316 LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE PHILIPPINES Agriculteurs et nomades La population aborigène a été répartie en deux principaux groupes professionnels. Ceux qui vivent dans des colonies agricoles loin des villes, et ceux qui mènent une existence nomade dans les parties à peu près inaccessibles du pays. La principale occupation du premier groupe est l'agriculture, complétée par la chasse et la pêche. La population nomade est véritablement primitive ; « sauf lors des visites effectuées par les fonctionnaires du gouvernement qui veillent à leur bienêtre, ils n'ont aucun contact avec la population chrétienne»; ces tribus vivent de la chasse, de la pêche et de la cueillette 1. Quelques groupes aborigènes s'adonnent à la culture sur des terres de l'Etat. D'autres travaillent comme métayers pour des planteurs de riz ou comme ouvriers agricoles ; d'autres encore sont employés dans les mines et dans les exploitations forestières. Les Moro sont les plus évolués et sont connus comme de bons commerçants et d'habiles pêcheurs 2 . Les tribus sylvicoles surveillées cultivent le riz, le blé, la pomme de terre, la patate douce, l'igname, l'arachide, l'oignon et les fruits ; ils troquent dans les villes leurs produits excédentaires 3. Le groupe le plus primitif est celui des Negritos, qui comprend deux sous-groupes, selon la nature de leur activité : a) les bandes nomades, qui vivent dans la profondeur des forêts ; b) ceux qui ont quelque contact avec des secteurs plus avancés de la population du pays et qui ont adopté un mode de vie semi-sédentaire. Les tribus du premier groupe mènent une vie entièrement errante. Leurs membres ne construisent pas d'habitations, se contentant d'abris provisoires faits de feuilles tombées et de branches ; ils sont surtout chasseurs et trappeurs et récoltent les produits naturels de la forêt, dont ils se nourrissent ; ils ne sont pas agriculteurs ; ils craignent l'eau, ne savent pas nager et n'utilisent ni bateaux ni radeaux. Leur arme principale et souvent unique est constituée par l'arc et la flèche. Leur seule méthode de pêche consiste à lancer de la rive sur le poisson une flèche munie d'une corde, de manière à pouvoir tirer leur prise de l'eau sans avoir à se mouiller 4. 1 Communication du gouvernement des Philippines au B.I.T., mars 1950. Informations fournies par le correspondant du B.I.T. à Manille, avril 1950. 3 Communication du gouvernement des Philippines, mai 1953. 4 H . Otley B E Y E R : « The Non-Christian People of the Philippines », Census of the Philippine Islande, op. cit. 2 MÉTIEBS ET OCCUPATIONS 317 Leur occupation principale et à peu près unique est la recherche de la nourriture. Ils ne constituent que de très petites réserves ou même n'en font aucune. Ils cultivent de petites parcelles de terre où ils récoltent des patates douces, du blé et des potirons, mais ne font, à part cela, aucune réserve en prévision de l'avenir *. Quant à ceux du second groupe, dans certains endroits ils bâtissent de bonnes habitations, cultivent des légumineuses et des céréales et s'installent pendant assez longtemps dans le même endroit. Toutefois, ils passent presque tous une grande partie de la saison sèche à chasser dans les forêts. Ils ramassent les produits de la forêt et les échangent à leurs voisins philippins contre des vêtements, des ornements, des armes, etc. Beaucoup d'entre eux se rendent dans les villes et y travaillent pendant une saison, mais tous, tôt ou tard, retournent toujours dans la forêt s . Les Igorrot, les Bontok et les Ifugao pratiquent à la fois l'agriculture selon la méthode de l'écobuage et la culture du riz. Ils aménagent des cultures en gradins sur les versants escarpés des collines, y tassent du gravier, du sable, de l'argile et de la terre, le tout étant retenu par d'épais murs de pierre d'une hauteur de 50 centimètres à 10 mètres. On compte, dans les territoires qu'ils occupent, plus de 19.000 kilomètres de murs de ce genre d'une hauteur de 8 mètres. Artisanat L'artisanat est en honneur dans diverses tribus montagnardes. Ainsi, chez les Bontok, les habitants de différentes localités sont spécialisés dans la fabrication de poteries, de haches et de lances de combat, de pipes d'argile et de pierres à aiguiser. Les Subanun fabriquent des paniers grossiers avec le nito (tige d'une fougère grimpante), le rotin, le bambou et certaines sortes de bois. Ils sont vêtus d'étoffes tissées par euxmêmes. « Ces artisans utilisent la quenouille et le rouet, mais achètent le coton qu'ils emploient aux Moro, qui leur fournissent aussi des filés. Ils savent travailler le fer. Comme outils, ils emploient des soufflets de bambou, l'enclume (un morceau de fer placé sur un bloc de bois) et le marteau. Ils échangent les matières premières qu'ils obtiennent par le troc contre des 1 2 H. H. MTTXEB : Economie Conditions in the Philippines, op. cit., p. 2. H. Otley BEYER, loe. cit. 318 LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE couteaux et des armes. Ils fabriquent des instruments de musique en bambou et en bois, ainsi que des bagues et des peignes. Avec les feuilles de palmier et de pandan, ils fabriquent des nattes 1.» Selon un autre auteur, « les Ifugao utilisent des bêches et d'autres instruments de bois... Ils savent fondre le fer, et en fabriquent des haches, des herminettes, des ciseaux à bois... des lances. Les femmes tissent le coton et en font des jupes et des vestes 2 ». THAÏLANDE Les Semang sont des « chasseurs habiles et courageux qui s'attaquent à tous les gibiers, depuis l'éléphant jusqu'au plus petit oiseau, avec leurs armes primitives ». Les Lawa, les Kaché, les Muhso, les Lishaw, les Yao et les Karen pratiquent tous la culture du riz, du chanvre, du tabac, des légumes et du pavot à opium, en plus de céréales courantes. Les Karien sont d'excellents cultivateurs et possèdent de vastes aires défrichées et cultivées ; les Kaché et les Yao pratiquent l'élevage du bétail, des chèvres, des volailles, des porcs et même des poneys. Les Kamuk s'embauchent comme mahouts et ouvriers forestiers dans les exploitations des forêts de tecks. Les Lawa fondent le fer selon des méthodes primitives ; ils fabriquent des socs de charrue, des couteaux et d'autres objets ; les femmes Kaché « pratiquent régulièrement le tissage et les travaux de broderie ; leurs ouvrages présentent souvent une véritable valeur artistique ». Les Karen sont aussi fondeurs de fer ; ils fabriquent des couteaux, des socs de charrue, des houes et autres outils 3. Australasie AUSTRALIE Aperçu historique Vers la fin du x v n i m e siècle, les premiers colons de race blanche trouvèrent une population aborigène disséminée, organisée en tribus et en hordes et ne possédant guère qu'une 1 Eufronio M. A L I P : Political and Cultural History oj the Philippines, (Manille, Alip and Brion Publications, 1950), pp. 328-329. 2 H . H . MILLER, op. cit., 3 W. A. GRAHAM : Siam, op. cit., passim. passim. vol. I XV Les bateaux de «totora» sur le lac Titicaca La vie sur le haut plateau de Bolivie ffoío Linares) En route vers le marché JE" Jr.:WÍ-ÍF$ -¡.••»•.tei m * Mt, XVI Sur un marché bolivien (Foto Linares) MÉTIERS ET OCCUPATIONS 319 culture très primitive. Les ancêtres de cette population, qui avaient des affinités ethniques avec les Vedda de Ceylan ainsi qu'avec les groupes voisins de l'Inde du Sud et de quelques îles de l'archipel malais, avaient atteint la côte nord de l'Australie plusieurs milliers d'années auparavant. Depuis lors, ces populations avaient vécu éloignées des contacts féconds avec d'autres peuples, dans des conditions qui entravèrent leur évolution normale. Ne disposant pas d'animaux susceptibles d'être domestiqués et de fournir du lait, de la viande, des vêtements et des moyens de transport, les céréales les plus courantes leur restant inconnues, elles ne purent atteindre le stade agraire. L'aborigène australien continua à dépendre, pour vivre, de la chasse, de la pêche et de la cueillette. Problèmes généraux En dépit de l'expansion ininterrompue de la colonisation blanche dans le pays, une forte proportion — 50 pour cent environ — de la population entièrement aborigène continue à mener une vie nomade. La plupart des tribus qui n'ont pas été touchées par la colonisation se trouvent dans des régions à peu près inaccessibles et difficiles à exploiter : régions subtropicales du nord ou déserts brûlants et arides du centre du continent. Certes, l'aborigène est connu pour ses extraordinaires qualités de chasseur, mais sa vie n'en reste pas moins la plupart du temps une lutte incessante contre la soif et la faim. Le nombre des aborigènes groupés en tribus qui dépendent pour subsister des activités traditionnelles n'a cessé de diminuer à mesure que s'étendait la zone colonisée, mais beaucoup d'entre eux ont préféré, même lorsque le travail était abondant, vivre des « rations » du gouvernement et des produits de la chasse, activité qui leur a été rendue beaucoup plus facile grâce au chien et au fusil, et surtout par l'arrivée sur le continent australien du lapin, qui a tout de suite proliféré. Les efforts déployés en vue de modifier cet état de choses n'ont eu longtemps que des résultats décevants, mais, depuis la dernière guerre particulièrement, l'emploi d'aborigènes — même de race pure — à d'autres travaux s'est développé. L'accroissement de la population métisse, qui recherche plus volontiers des emplois ordinaires, et la diminution correspondante du nombre des aborigènes de race pure prouvent que la situation actuelle ne cesse d'évoluer. Néanmoins, il reste aussi 12 320 LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE vrai maintenant qu'autrefois que « même lorsqu'il paraît s'être adapté à la civilisation, l'aborigène de race pure et sa compagne ont une nostalgie intense et irrésistible de la vie sauvage et tombent réellement malades si cette nostalgie n'est pas satisfaite 1 ». Répartition professionnelle Il n'est pas facile de déterminer le rôle joué par les aborigènes dans l'économie nationale. La classification professionnelle de la population aborigène effectuée en 1933 a donné les résultats indiqués dans le tableau ci-après. TABLEAU XXXVLT. — AUSTRALIE : RÉPARTITION PROFESSIONNELLE D E LA P O P U L A T I O N A B O R I G È N E D E RACE NouvelleGalles du Sud Catégories Victoria Quenes land 11 Australie méridionale PURE Australie occidentale 923 Territoire du Nord Total 87 21 1.042 1.212 10 26 22 12 5 4.822 42 56 353 72 25 65 273 4 Agriculture, élevage, produits 233 6 3 2 103 22 Transports et communications 1 Administrations publiques et professions intellectuelles Service domestique et services 1.385 23 14 163 55 8 169 169 1 21 4 4 6 1.820 1 15 22 1 7 24 7 3 2 1 61 93 9 4 583 1.201 41 64 1.042 961 399 1.071 2.135 3.394 518 43 4.524 310 3.980 2.843 12.218 Total . . . Source : « Summary Relating to Full-Blood Aboriginals », Census 30 June 1933, Census Bulletin No. 24 (Canberra, 1933), p. 10. of the Commonwealth of Evolution de Vemploi depuis 1933 Sur l'évolution de la situation depuis 1933, il est intéressant de comparer les données relatives à certains des Etats. En 1944, des informations provenant de l'Australie occidentale indiquaient que : Le Département se propose comme objectif de développer surtout l'emploi rural et pastoral, et il est réjouissant de constater que 2.463 permis de travail dans ces branches d'activité ont été délivrés 1 W. R. SMITH : « The Aborigines of Australia », Official Tear-Book of the Com- monwealth of Australia, No. 3, op. cit., p . 166. Australia MÉTIERS ET OCCUPATIONS 321 l'année considérée. Ces permis ont donné la possibilité de travailler à 5.625 aborigènes... Etant donné que le chiffre estimatif de l'ensemble de la population aborigène est seulement de 27.052, dont 10.000 vivent sans aucun contact avec la civilisation, le fait que 5.625 d'entre eux ont été en emploi pendant l'année constitue un succès remarquable même au regard des chiffres relatifs à l'emploi des travailleurs de race blanche 1 . Le rapport rappelle que durant la guerre, des mesures disciplinaires ont été prises pour amener ces aborigènes au travail et observe que, bien que le recours à de telles méthodes ne soit pas possible en temps de paix, il y aurait lieu d'« astreindre les aborigènes à travailler chaque fois que cela est possible si les conditions offertes sont satisfaisantes 2 ». Une enquête effectuée en 1948 a permis de constater que les aborigènes sont principalement employés dans les exploitations d'élevage « où ils sont surtout chargés des soins aux animaux, travail dans lequel ils excellent 3 . E n outre, nombreux sont ceux qui montrent une grande habileté dans l'utilisation et la réparation des moulins à vent, tandis que d'autres sont des mécaniciens et des forgerons experts. Les femmes sont employées comme cuisinières et comme domestiques * ». Les aborigènes d'Australie qui sont entrés en contact avec les colons blancs sont employés par eux non seulement comme ouvriers agricoles, manœuvres, domestiques, conducteurs et dans d'autres emplois peu ou non qualifiés, mais dans un certain nombre d'autres ; ainsi, dans la pêche des perles, les aborigènes sont occupés au triage et au chargement ou encore comme plongeurs ; ils sont aussi bateliers, constructeurs de bateaux, charpentiers, mécaniciens, conducteurs de camion ou de tracteur, auxiliaires de la police, pointeurs de marchandises, employés dans les services de l'armée, ainsi que dans divers emplois semi-qualifiés urbains et ruraux. Un petit nombre d'aborigènes ont manifesté un véritable talent de peintres, de chanteurs et d'instrumentistes ; d'autres sont devenus professeurs, prêtres ou pasteurs. 1 DEPARTMENT OF NATIVE AFFAIRS (Australie occidentale) : Annual Report of the Commissioner for Native Affairs for the Year Ended 30th June 1944, op. cit., p . 11. 2 Ibid. 3 Les résultats obtenus par les aborigènes dans l'élevage sont illustrés par un exemple récent, pris au Queensland, où « 209 boeufs gras de taille moyenne proven a n t d'un établissement indigène se sont vendus, à Brisbane, pour plus de 30 livres australiennes par tête. Les bêtes avaient toutes été élevées par des aborigènes sous la surveillance de Blancs, et ces bœufs ont été décrits comme les plus beaux qu'on ait vus sur le champ de foire depuis au moins u n an ». (Cf. Radio Australia News, 15 sept. 1950.) 4 F . E . A. BATEMAN : Report on Survey of Native Affairs, op. cit., p p . 15 et 19. 322 LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE NOUVELLE-ZÉLANDE Aperçu historique A l'origine, toute l'activité des Maoris était conditionnée par les ressources naturelles disponibles et par celles que l'on pouvait obtenir par la guerre. Les principales activités économiques étaient l'agriculture, la chasse et la pêche, diverses formes de l'artisanat, le tissage et la fabrication de nattes. Il existait une certaine division du travail. Les hommes pouvaient être agriculteurs ou guerriers, artisans, prêtres, érudits ou chefs. Les femmes s'occupaient au tissage et à la fabrication de nattes, les besognes inférieures étant réservées aux esclaves pris à la guerre. Mais la plupart des travaux qui exigeaient de nombreux concours étaient exécutés en commun par les membres de la collectivité et « seuls les artisans qualifiés (constructeurs, sculpteurs et tatoueurs) étaient rémunérés en rations et en nature pour leur travail 1 ». La colonisation de l'intérieur du pays par les Blancs détruisit le fondement même de l'ancienne économie maorie ; il est vrai que, bien avant cela, l'introduction du mousquet, de l'alcool et des maladies européennes avaient déjà eu de graves répercussions sur le chiffre de la population, sur l'offre de main-d'œuvre et sur l'emploi. E n particulier, l'effort accompli pour produire suffisamment de chanvre indigène roui à échanger contre des armes à feu entraîna une forte diminution de la production de denrées alimentaires et, par suite, un abaissement de l'énergie même du peuple 2. L'abandon des terres et le déclin de la population ont été à l'origine de la perte des terres tribales au profit des Blancs. Les problèmes actuels Au cours des cent années qui ont suivi 1840, ventes et confiscations ont privé les Maoris de l'ensemble de leurs terres, hormis 1.600.000 hectares sur les 26.400.000 que représente la Nouvelle-Zélande. Les techniques traditionnelles au moyen desquelles le Maori gagnait sa vie sont devenues insuffisantes ; les arts et métiers sont tombés en désuétude et pendant cinquante ans, jusqu'en 1896, la population n'a cessé de décroître, comme en témoignent les données des recensements. 1 Te Bangi HmoA (Sir Peter BUCK) : The Corning of the Maori (Wellington, Maori Purposes F u n d Board, Whitcombe and Tombs, Ltd., 1949), p. 375. 2 F . E. MANNING : Old New Zealand (Christchurch, Wbitcombe and Tombs, Ltd., 1930), p p . 184-190. MÉTIEES ET 323 OCCUPATIONS A l'heure actuelle, c'est l'accroissement rapide de la population maorie qui constitue, en matière d'emploi, la question cruciale. Cet accroissement se produit dans les régions où le nombre des possibilités d'emploi dans d'autres branches que l'agriculture sont très restreintes, car la population maorie se trouve être le plus dense dans les régions dont le développement industriel n'est pas suffisant pour absorber localement le nombre sans cesse accru de Maoris qui atteignent l'âge d'entrer en emploi. C'est pourquoi les jeunes Maoris quittent leur foyer pour se rendre dans les villes et les régions urbaines, où ils essaient de se placer comme manœuvres, domestiques ou travailleurs industriels. Le tableau X X X V I I I indique l'ampleur prise par ce mouvement de 1926 à 1945. TABLEAU X X X V m . — NOUVELLE-ZÉLANDE : TENDANCES DE L'EMPLOI DANS LA POPULATION MAORIE, 1 9 2 6 - 1 9 4 5 Nombre des travailleurs Pourcentage des travailleurs Nature de l'emploi 1926 1945 38,9 9,1 5,7 4,5 3,0 4,4 34,8 5,6 10,8 8,1 5,8 5,3 1926 1945 8.062 1.285 2.499 1.866 1.334 1.226 Divers ou indéterminé (manœuvres principalement). 6.893 1.606 1.009 795 525 774 6.101 6.860 34,4 29,6 Total. . . 17.703 23.132 100,0 100,0 1.798 39 1.043 487 58,3 1,3 24,7 11,5 . . . . 627 374 243 1.660 879 155 39,3 20,8 3,7 Total . . . 3.081 4.224 20,4 12,1 7,9 100,0 Hommes : Agriculture Autres activités primaires . Industries de transformation Bâtiments et constructions . Transports et communications . . . . Femmes : Domestiques et personnel des Divers ou indéterminé 100,0 Source : DEPARTMENT OF LABOUR AND EMPLOYMENT, National Employment Service : Halt-Yearly Survey of Employment (Wellington, janv. 1950), p. 19. Le tableau X X X I X indique de façon plus détaillée comment se répartissait la population maorie active en 1936 et en 1945. 324 LE TRAVAILLEUR ABOEIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE TABLEAU XXXIX. — NOUVELLE-ZÉLANDE : REPARTITION PROFESSIONNELLE DE LA POPULATION MAORIE Recensement de 193C Recensement de 1945 Métiers Hommes Femmes Pêche et piégeage 120 8.477 Agriculture et élevage 984 Sylviculture 125 Mines et carrières Pierre, argile, poterie, chaux, ciment, 13 verre, etc 20 Industries chimiques Métaux non précieux, appareillage élec88 trique, etc 2 Métaux précieux 8 Navigation Travail des fibres textiles (à l'exclusion 43 des vêtements) 13 Habillement 2 Sellerie, bourrellerie, etc 304 Alimentation, boissons, tabac 268 Bois 3 Papier, imprimerie, etc 3 Autres matières 1.259 Construction, routes, etc 13 Services publics (gaz, électricité, etc.) 475 Transports et communications . . . . 100 Finance et commerce 11 Aolministrations publiques 387 Bureaux et professions libérales . . . . 47 Spectacles 51 8.480 Services (personnels et domestique) . . 145 Activités diverses et non précisées : 499 Manoeuvres Autres occupations 21.940 20.923 Non précisées Total de la population active . . 42.863 Total de la population inactive . . Total de la population maorie . . 18 1.531 57 Hommes Femmes 131 8.062 807 347 217 142 315 2 16 14 27 77 50 21 13 1 2 898 577 69 24 1.866 103 1.334 177 520 8 26 197 25 792 275 27 3.035 36.428 39.463 9 348 66 115 5.924 261 675 23.132 27.143 50.275 Source : CENSUS AND STATISTICS DEPARTMENT : The New Zealand Official Year-Book, op, cit., p. 963. Pour des données plus ventilées, voir IDEM : Population Census, 1945, vol. 111: Maori Census, op. cit., pp. 34-43. Evolution générale de la situation de Vemploi L'évolution que révèlent les tableaux ci-dessus est intéressante à plus d'un titre. Si le nombre absolu des hommes employés dans l'agriculture a augmenté pendant la période considérée, leur pourcentage a considérablement baissé (de 38,9 à 34,8), tandis que ce pourcentage a doublé dans les industries de transformation (5,7 à 10,8 pour cent). Une tendance similaire MÉTIERS ET OCCUPATIONS 325 peut être observée dans d'autres branches, comme les transports, la construction, etc. Chez les femmes, la baisse de l'emploi agricole est encore plus marquée, le pourcentage tombant de 58 à 24, tandis que les emplois urbains marquent une forte progression, principalement dans le service domestique (de 20,4 à 39,3 pour cent), ainsi que dans d'autres catégories de services (de 12,1 à 20,8 pour cent). La classification des professions sur laquelle se fondent les statistiques disponibles n'est pas suffisamment détaillée pour permettre une évaluation numérique de l'importance du secteur secondaire de l'emploi en ce qui concerne l'ensemble de la population maorie. Toutefois, d'autres renseignements indiquent que la participation des Maoris à toutes les activités urbaines de caractère manuel ou intellectuel s'accroît constamment. Le département des Affaires maories signale qu'un nombre croissant de Maoris travaillent dans des bureaux et pratiquent des professions libérales, particulièrement comme professeurs, médecins, infirmières, prêtres et, à un degré moindre, comme avocats, et souligne que de nombreux Maoris sont employés dans les administrations fédérales et dans celles des Etats et des communes ; à la tête de deux départements ministériels, on a déjà vu des personnes d'origine maorie 1. La colonisation des terres maories L'augmentation du nombre des travailleurs agricoles entre 1926 et 1945 (de 6.893 à 8.062) peut s'expliquer par la mise en application du programme de colonisation des terres maories, commencée conformément à la législation adoptée à ce sujet en 1929. Ces mesures de politique sociale et économique seront exposées en détail dans le chapitre consacré à cette question. Il suffira ici de signaler que, de 1936 à 1948, ce programme a porté sur 260.000 hectares, sur lesquels 115.240 ont été occupés par 1.808 colons agriculteurs et éleveurs 2. Le 31 mars 1952, le nombre des exploitations d'agriculture et d'élevage dont s'occupait la Commission des affaires maories était de 122 qui représentaient une superficie de 168.887 hectares (si l'on y comprend les terres dépendant d'autres organismes de tutelle). A cette même date, on comptait 1.530 colons établis sur une superficie de 84.465 hectares et pratiquant principale1 DEPARTMENT OF MAORI AFFAIRS : The Maori Today (Wellington, 1949), pp. 28 et suiv. 2 Voir The New Zealand Official Year-Booh, 1947-1949, op. cit., p. 866, ainsi que les annuaires antérieurs. 326 LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE ment l'élevage et la production de la laine, du lait et des produits laitiers 1 . Toutefois, sur le total de 168.887 hectares mentionné ci-dessus, il convient d'en déduire 51.734 impropres à l'exploitation et 42.608 dont le sol est actuellement préparé pour une utilisation agricole ou pourra être mis en valeur par la suite. A ce sujet, il n'est pas sans intérêt de mentionner les observations ci-après. On a estimé qu'une fois toutes les terres maories mises en valeur, les exploitations ne pourront faire vivre, à un niveau de vie pakeha 2, que le quart ou le tiers de la population maorie existante. Cette proportion serait plus élevée en cas de nécessité, avec un niveau de vie plus bas. Avec une agriculture de subsistance et des cultures diversifiées, il serait possible de faire vivre des produits de la culture une certaine proportion supplémentaire de la population. Les cultures maraîchères ont été introduites dans le pays et le reboisement constitue une autre possibilité. Mais il est évident que le mode de vie fondé uniquement sur les produits du sol, auquel les Maoris sont bien adaptés, sera désormais fermé à une grande partie de la population. La création de nouvelles possibilités d'emploi pour les travailleurs est une nécessité absolue s . IPexode vers les villes Bien que l'exode vers les villes se trouve, dans une certaine mesure, contrebalancé par l'attachement du Maori à sa collectivité d'origine, des signes d'évolution apparaissent. Les causes en sont notamment la nécessité, pour la population agricole, de trouver de nouvelles possibilités d'emploi en raison de la pénurie de terres due à l'accroissement de la population, le manque de main-d'œuvre dans les villes, sensible depuis quelques années, et la politique d'éducation, qui, en offrant des possibilités d'instruction aux Maoris, a facilité leur assimilation. Adaptation à la vie urbaine et industrielle L'économie maorie n'est pas une économie distincte de celle des Blancs et le degré de séparation ou d'assimilation varie d'une région à l'autre. Pour les Maoris qui vivent à proximité de possibilités d'emploi non agricole ou urbain, la transition d'un mode de vie à l'autre se trouve simplifiée. 1 DEPARTMENT or MAORI AFFAIRS : Annual Report of the Board of Maori Affairs and of the Under-Secretary, Department of Maori Affairs, for the Year Ended 31 March 1952 (Wellington, 1952), pp. 10 et 12-13. 2 Le terme pakeha signifie Blanc ou homme blanc. 3 I. L. G. SUTHERLAND : « Maori and Pakeha », New Zealand, op. cit., chap. I l l , p. 64. MÉTIERS E T OCCUPATIONS 327 La principale raison pour laquelle le Maori s'adapte difficilement au travail industriel « provient probablement de ce que le travailleur maori moyen n'est jamais très heureux si son emploi le retient trop éloigné de son marae (centre tribal de réunion). Le marae et la maison d'accueil symbolisent la chaude et cordiale familiarité du groupe tribal. En comparaison, la ville industrielle moderne est froide, hostile et inhospitalière. Dans les villes, le Maori souffre souvent de nostalgie. Il n'est vraiment heureux que lorsqu'il se retrouve dans sa communauté d'origine. S'il travaille dans une fabrique, il aime se rendre à son marae pour y passer les fins de semaine. L'attitude psychologique du Maori à l'égard de son travail est assez semblable à celle du marin — une période de dur labeur suivie d'une période de détente et de plaisir — plutôt qu'à celle de l'ouvrier industriel moderne1. 1 DEPARTMENT OF INTERNAL AFFAIRS, Historical Branch : Introduction to New Zealand (Wellington, Whitcombe and Tombs, Ltd., 1945), p. 162. 12* CHAPITEE I X LE RÉGIME FONCIER ET LES CONDITIONS DE TRAVAIL Le chapitre précédent, en décrivant les conditions de vie des populations aborigènes et en déterminant le rôle que jouent ces populations, par leur importance numérique et les métiers qu'elles exercent, dans l'économie des différents pays, a signalé la pression considérable que l'accroissement démographique exerce sur la superficie limitée de terres dont dispose l'aborigène et qu'il peut exploiter de façon rentable. Le présent chapitre décrira la relation qui existe entre l'homme et la terre, et donnera des indications générales sur la signification économique et sociale des systèmes de propriété et d'occupation de la terre les plus largement répandus et sur quelques-unes des conséquences de ces systèmes 1 . Les conditions de vie et de travail de l'agriculteur aborigène l'obligent bien souvent à rechercher d'autres occupations ; aussi a-t-on estimé que le recrutement de travailleurs en vue de certains travaux étrangers à l'agriculture (plantations, mines, exploitations forestières, etc.) est directement ou indirectement lié au régime foncier. Après avoir passé en revue les formes traditionnelles de possession et d'usufruit de la terre, nous examinerons les conditions qui régissent la location dans différents pays et mentionnerons les services personnels exigés des aborigènes en Amérique latine et dans l'Inde, même si ces pratiques ne sont pas directement liées au système foncier ; il n'est pas impossible en effet que la prestation de services personnels — que ce soit aux propriétaires terriens, aux créanciers, aux entrepreneurs ou aux autorités publiques et religieuses — résulte de la survivance de systèmes traditionnels ou coutumiers de travail dont l'origine remonte à l'organisation primitive des sociétés tribales, à l'utilisation de la main-d'œuvre aborigène par les 1 La situation qui est décrite dans ce chapitre, de même que celle qui l'a été dans le précédent, doit être examinée compte tenu des mesures récentes de politique sociale (la réforme agraire en Bolivie et au Guatemala, par exemple) qui sont exposées au chapitre XI. LE PROBLÈME DE LA TEERE 329 conquérants et aux différences sociales qui existaient déjà avant la conquête. Il sera également question dans ce chapitre, quoique de façon plus générale, de l'occupation et de la répartition des terres chez les Indiens sylvicoles. Enfin, pour compléter le tableau de la manière dont les aborigènes peuvent exploiter les terres dont ils disposent, le chapitre contient des indications sur les méthodes de culture des aborigènes et sur les facilités de crédit qui leur sont offertes. Le problème de la terre OBSERVATIONS PRÉLIMINAIRES SUR LES SYSTÈMES D E POSSESSION ET D'OCCUPATION DU SOL On peut dire, de façon générale, que l'organisation primitive de la vie économique des populations aborigènes correspondait à la structure tribale ou à l'existence de clans. Le régime de la propriété foncière ne reconnaissait donc à aucun individu le droit de disposer d'une parcelle de terre en l'échangeant contre de l'argent ou un paiement en nature. En fait, dans de nombreux groupes aborigènes, la notion de propriété individuelle se limitait aux objets d'usage personnel (ornements, armes, ustensiles de ménage) ; c'est un état de choses qui subsiste encore dans quelques régions. La terre était exploitée en commun et, lorsque des parcelles étaient allouées à tel ou tel individu, les autorités tribales pouvaient toujours procéder à une nouvelle répartition. Les limites des terres occupées par les tribus ou les clans étaient déterminées par des facteurs climatiques et géographiques ainsi que par l'opposition qui se manifestait de la part des tribus rivales. De nombreuses restrictions, qui prenaient la forme de tabous, de pratiques magiques et de châtiments, limitaient l'exploitation des ressources de la tribu et orientaient le courant des produits de l'activité tribale selon la situation sociale et la tradition. Le chef de la tribu ou de la caste, en sa qualité de représentant, pouvait être désigné comme propriétaire de la terre. En fait, cependant, cette procédure avait pour objet de faciliter une nouvelle répartition des terres parmi les membres de la tribu et de déterminer les parts de production qui revenaient aux travailleurs, aux guerriers, aux prêtres et aux chefs. L'effort principal du groupe visait à sauvegarder le patrimoine de la tribu, et les nomades eux-mêmes étaient parvenus à se faire une idée nette des régions où ils se déplaçaient pour faire paître 330 LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE le bétail, récolter les fruits, chasser ou pratiquer des formes primitives de culture sur des terres défrichées au hasard dans le dessein de n'y effectuer qu'une seule récolte de subsistance. La tribu existait en tant que telle pour protéger les droits de ses membres contre l'usurpation d'ennemis, et les pouvoirs du chef, lorsqu'il s'agissait de disposer de la terre, étaient limités par la tradition. Le droit d'occuper et d'exploiter la terre dans les communautés primitives pouvait venir d'un héritage ancestral, ou de la conquête et de l'occupation. Pour la tribu dans son ensemble, il pouvait y avoir des transferts rituels de terres à d'autres tribus, mais aussi longtemps que la terre n'est pas devenue rare et que la culture ne s'est pas stabilisée, l'achat et la vente de terres sont restés des conceptions étrangères aux aborigènes. Même plus tard, lorsque les occupants eurent établi leurs droits sur certaines parcelles, leur pouvoir d'en disposer, si on le compare à celui que créent l'usage et la coutume en Europe, était souvent très restreint. Le consentement des autorités de la tribu ou d'autres membres de la famille qui travaillaient la terre était exigé. L'exploitation de la terre était surtout une activité sociale et les conditions dans lesquelles elle était effectuée, ainsi que le type auquel elle se conformait, étaient déterminés par une autorisation de la communauté. L'individu détenait la terre en fidéicommis ; il héritait ses droits de ses ancêtres ou les possédait en tant que membre reconnu de la communauté, puis les transmettait à ses héritiers reconnus. La conquête et la colonisation européennes (et — dans le cas de l'Asie — aryenne ou mongole) ont introduit des modifications fondamentales et lourdes de conséquences dans les systèmes traditionnels d'occupation des terres des peuples aborigènes. En Amérique du Sud x , la « communauté aborigène » (comunidad de origen) n'est que la survivance et la transformation d'une ancienne institution inca, Vayllu, qui consistait en l'organisation de diverses familles liées par le sang ou par des attaches totémiques en une unité sociale et économique fondée 1 Au sujet des questions traitées ici, voir Ángel ROSENBLAT : La población indigena de América desde 1492 hasta la actvalidad, op. cit., pp. 64 et suiv. ; José M. OTS CAPDEQTJÍ : El régimen de la tierra en la América española durante el período colonial (Ciudad Trujillo, Universidad de Santo Domingo, 1946), et Silvio A. ZAVALA : La encomienda indiana (Madrid, Junta para amplicaeión de estudios e investigaciones científicas, centro de estudios históricos, sección hispanoamericana, 1935). LE PEOBLÈME DB LA TERRE 331 sur le travail coopératif. Avec le temps, aux liens familiaux s'ajouta le lien de la propriété ou de l'exploitation en commun de la terre, de sorte que l'institution prit aussi un caractère agricole. Pendant la période coloniale, de nombreux ayllus reçurent un statut légal par le système des réserves (reducciones), qui visait notamment à faciliter la fixation et la perception des tributs. En un sens, un certain nombre de communautés aborigènes actuelles sont le résultat de cette politique qui, à un moment donné (avec les ordonnances de Toledo), aboutit à l'octroi aux membres des ayllus de l'usufruit de leurs anciennes terres et réglementa l'utilisation commune des eaux et des forêts. Cependant, les conquérants espagnols, avec leurs idées européennes sur la propriété, adoptèrent un système de propriété, Vencomienda, fait pour des personnes qui venaient recueillir des richesses minérales et non s'établir sur les terres en vue de les cultiver. Par ce système, les conquérants reçurent des droits sur le travail ou les produits du travail des Indiens, soit à titre de tribut, soit en contrepartie de la « protection » et de l'instruction religieuse. Graduellement, ce qui tout d'abord n'était qu'une répartition des travailleurs aborigènes se transforma en un système de grandes propriétés privées. Le système de répartition (repartimientos) et de concessions (mercedes) aux propriétaires détruisit un grand nombre d'ayllus et changea leurs membres en vassaux 1. Les Indiens étaient employés à la culture des parcelles les plus accessibles de la propriété et recevaient en compensation l'usufruit de petites parcelles de terre qu'us cultivaient ou utilisaient comme pâturages. Ils étaient transférés avec la propriété quand celle-ci changeait de mains, et des peines étaient prescrites contre les personnes qui essayaient d'attirer les Indiens hors de la propriété. Ainsi s'établit un système de servage dont quelques caractéristiques n'ont jamais complètement disparu. Au Mexique, l'organisation collective indienne est née d'une institution agraire aztèque, analogue à Vayllu, connue sous le nom de calpulli. La terre du calpulli était divisée en trois parties : l'une pour la culture individuelle (également appelée calpulli), la deuxième utilisée en commun comme pâturage, pour l'exploitation du bois, la pêche, etc., Valtepetlalli, 1 Dans diverses régions, la comunidad aborigène était le résultat d'une association de plusieurs ayllus s'unissant pour défendre leur terre et pour protéger leurs habitudes de travail collectives contre l'usurpation et l'influence du système d'occupation des terres institué par les autorités coloniales. 332 LE TBAVAILLETFB ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE la troisième pour la culture collective à des fins publiques comme l'entretien d'institutions religieuses, le paiement du tribut à des chefs, etc. La première partie, à son tour, était divisée en petites parcelles individuelles. L'usufruit pouvait en être transmis aux différents chefs de famille du calpulli. Les droits d'usufruit étaient confisqués si la parcelle de terre n'était pas cultivée pendant deux ans consécutifs. Lorsqu'une famille s'éteignait, la terre revenait à la communauté, qui l'attribuait au chef d'une autre famille ou la gardait en réserve. Avec l'institution du système de Vencomienda, les conquérants espagnols : ... reçurent juridiction sur la terre et les gens, avec le droit d'exiger le tribut, le travail et d'autres services personnels des habitants... Si la terre était transférée à quelque autre usage, [les serfs indiens] étaient transférés en même temps. Ils cultivaient le sol et donnaient une part de la récolte aux propriétaires. En outre, ils devaient certains services tels que la fourniture du bois à brûler et de l'eau, des soins personnels, etc., à certains moments de l'année. La ressemblance de ces propriétés avec l'hacienda moderne sera facilement reconnue1. Comme ce fut le cas pour les ayllus en Amérique du Sud, à un certain moment de la période coloniale, un essai fut fait par la Couronne pour promulguer une législation protégeant les calpullis ; plusieurs calpullis furent établis en tant qu'unités territoriales et des tribunaux spéciaux furent créés pour prévenir l'aliénation de leurs propriétés. Beaucoup d'entre eux furent reconstitués sur la base d'un système écologique qui existait alors en Castille et qui prévoyait des terres municipales (bienes concejiles) et des terres communales (bienes comunales), composées : a) d'une zone de bois et de pâturages, et b) d'une région séparée {Vejido, étymologiquement : sortie), généralement située en dehors des portes de la ville et gardée en réserve pour être mise en valeur par la suite. La terre municipale était de la terre arable et les gains qu'elle procurait (soit par le travail collectif des habitants de la ville, soit par loyer) étaient utilisés pour payer les dépenses du gouvernement local. Ii'ejido était utilisé comme dépôt de céréales, terrain de jeux, place publique, etc. 2. Avec l'avènement de la forme républicaine de gouvernement, l'existence des communautés aborigènes restantes fut 1 N a t h a n L. W H E T T E N : Rural Mexico, op. eu., p . 79. Cf. L. MENDIETA Y NtrÑEZ : El problema agrario de México (Mexico, 1935), pp. 1-15 ; George McCutchen M C B E I D E : The Land System of Mexico (New-York, American Geographical Society), p . 166 ; Enrique MUNGTJIS : a Le problème agraire au Mexique », Revue internationale du Travail, vol. X X X V I , n 0B 1 et 2, juill. et a o û t 1937, pp. 50-93 et 213-260. 2 LE PROBLÈME DE LA TEBEE 333 mise en péril par le fait que le droit positif d'Amérique latine, inspiré de la doctrine européenne du libéralisme économique, renia le principe de la propriété collective de la terre et refusa d'accorder un statut légal à ces communautés. Ceci facilita l'aliénation de la terre collective, soit par voie d'achat, soit à la suite de prises de possession par les propriétaires puissants, en sorte que beaucoup des membres des comunidades devinrent locataires ou ouvriers agricoles dans les haciendas. Peu familiers avec la langue officielle et troublés par une économie fondée sur les échanges monétaires, les Indiens se séparèrent souvent sans le savoir de leurs terres et des droits d'utilisation d'eau qui avaient acquis une soudaine valeur du fait de leur rareté. L'individualisation des titres de propriété se révéla désastreuse pour de nombreuses communautés indiennes. Dans quelques pays, la reconnaissance de ces titres impliquait une procédure positive d'acquisition par une demande de concession officielle, procédure sans aucun sens pour un peuple auquel l'idée de propriété privée était étrangère. Lorsque la nécessité leur fut imposée de faire enregistrer les titres de propriété, beaucoup d'Indiens, ignorant l'existence de cette exigence ou sa signification, ne s'y conformèrent pas, ce qui entraîna la vente de leurs propriétés comme terres inoccupées aux propriétaires de grands domaines, les Indiens eux-mêmes devenant fermiers ou travailleurs agricoles salariés sur leurs propres terres. Le colon blanc prenait souvent avantage de la confusion des titres de propriété et de l'absence de cadastre exact pour usurper les terres aborigènes et chasser les Indiens par tous les moyens légaux et illégaux. Le processus de désintégration des terres communales indiennes atteignit son point culminant dans la seconde moitié du x i x m e siècle. En Bolivie, en 1866, le Président Melgarejo promulgua une déclaration abofissant l'institution de la comunidad aborigène et ordonnant que la terre soit répartie entre les Indiens à titre individuel. Dix ans plus tard, la loi d'expropriation des terres ayllù (5 octobre 1874) porta encore un coup aux propriétés collectives aborigènes. A la suite de ces mesures, les terres d'un grand nombre de comunidades furent transférées par la vente ou par d'autres moyens à des Blancs et des métis 1 . 1 En 1871, de nombreuses transactions portant sur des terres de communautés indiennes furent annulées et les propriétaires de bonne foi furent dédommagés par l'Etat. Cf. George McCutchen MCBRIDE : Agrarian Indian Communities of Highland Bolivia (New-York, American Geographical Society, 1921). 334 LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE Dans les cas, fréquents dans les régions les plus accessibles, où la propriété ayllu a été effectivement abolie et la propriété individuelle rendue obligatoire pour les aborigènes, leurs propriétés privées ont bientôt été absorbées dans les grandes fincas ou haciendas privées, et les aborigènes sont restés sur leurs terres ancestrales à titre de serfs à qui leur maître 1assignait quelques arpents de terre et peut-être quelques animaux . Même dans les premières années de notre siècle, nombreux ont encore été les cas où les Indiens ont été contraints d'adopter le statut de fermiers et où les comunidades ont été transformées en fermes ou en domaines aux mains des Blancs ou des métis. Au Chili, le système des « réductions » (reducciones) fut introduit en 1886 dans le double but de garder certaines régions du pays pour les Indiens (Araucans) et d'ouvrir les autres à la colonisation des Blancs, Chiliens ou immigrants. Puis on nota dans la législation du pays une tendance à répartir en parcelles familiales la terre possédée collectivement par les Araucans. Pour différentes raisons — ignorance des aborigènes, activité de monopolisateurs de terres peu scrupuleux, manque de méthodes rapides et pratiques pour assurer l'observation de la loi —, une proportion importante des terres collectives des Araucans fut annexée aux grandes propriétés entre 1866 et 1927 2. Eécemment (on le verra au chapitre XI), le gouvernement chilien, par décret du ministre des Finances, a décidé d'exonérer d'impôts les aborigènes titulaires de concessions, dont les terres auraient été cotées conformément à la loi sur les Indiens. E n Colombie, la première loi républicaine ordonnant la répartition par famille des terres collectives des resguardos aborigènes remonte au 11 octobre 1821. Depuis, le même principe général a toujours inspiré toute la législation aborigène du pays. Parmi les autres textes sur ce sujet, on peut mentionner les suivants : a) la loi n° 55, du 29 avril 1905, confirmant les ordres judiciaires aux termes desquels certaines terres des resguardos devaient être déclarées « libres », confirmant la vente de ces terres aux enchères publiques, et cédant certaines terres indiennes abandonnées 1 2 Weston L A B A R R E , op. cit., p . 148. Cf., p a r exemple, Sergio GUEVARA CALDERÓN e t Rafael EYZAGUIRRE E C H E - VERRÍA : Historia de la civilización y legislación indigena de Chile, thèse soutenue pour l'obtention du titre de licencié de la faculté des sciences juridiques e t sociales de l'Université du Chili (Santiago du Chili, 1948), p . 111 ; également José INALAFF NAVARRO : Sol económico y politico del indigena de Chile, op. cit., p . 82. E n 1928, plus d'un million d'hectares qui avaient été occupés illégalement p a r des personnes non indiennes furent rendus aux communautés araucanes par le gouvernement. (Cf. Memoria del Ministerio de Fomento, 1928, p . 196.) LE PROBLÈME DE LA TERRE 335 aux municipalités intéressées ; b) la loi n° 104 du 16 décembre 1919 déclarant abolis les resguardos aborigènes composés de moins de trente familles chacun et ordonnant la répartition de leurs terres entre les Indiens par petites propriétés ; c) la loi n° 19 du 23 septembre 1927 créant un système de commissions fédérales spéciales pour la répartition des terres des resguardos et établissant qu'après la distribution, les propriétaires indiens acquerraient le statut de citoyen à la fois pour leur propriété et pour leur personne ; et d) le décret n° 918 du 19 avril 1944 ordonnant la répartition des terres des resguardos dans la région de Tierradentro, département de Cauca, qui jusqu'à cette époque étaient restées entières *. Au Guatemala, jusqu'en 1870 environ, la population aborigène de la région du plateau a conservé une forte proportion des terres qu'elle possédait sous le système traditionnel de la comunidad. Sous le régime Bufino Barrios, ce système fut aboli et remplacé par la propriété individuelle. Cependant : ...le milieu n'était pas mûr pour la dislocation des anciennes formes institutionnelles et les résultats en furent déplorables. Beaucoup d'Indiens ne firent pas enregistrer leurs domaines comme le voulait la loi et leurs terres furent vendues aux propriétaires de grandes haciendas comme terres incultes. Les petites propriétés furent bientôt absorbées par les grandes et éparpillées par les héritages. Quelques comunidades furent sauvées parce que le temps et l'occasion manquèrent pour leur appliquer les dispositions d'enregistrement. De toute façon, cette période marque la décadence de la propriété collective qui remontait aux Mayas et qui avait été très forte pendant la période coloniale. La proportion des personnes sans terres augmenta, ainsi que la concentration en grands domaines, qui gardaient la plupart de leurs caractéristiques féodales du temps de la colonie *. Au Mexique, afin de créer une classe de petits propriétaires indépendants, la Constitution de 1857 interdit aux corporations civiles et ecclésiastiques de posséder ou d'administrer des biens-fonds (sauf des immeubles). Cette interdiction porta un coup au système traditionnel de la propriété ou de l'exploitation collectives de la terre, car les comunidades et les ejidos étaient regardés comme ayant la personnalité morale. E n 1854, on comptait dans le pays environ 5.000 organisations agricoles collectives, composées d'Indiens ou de métis, occupant une superficie totale d'environ 117.000 kilomètres carrés. A partir 1 Pour le texte complet de ces lois et décrets, voir Antonio GARCÍA : Legislación indigenista de Colombia (Mexico, Instituto Indigenista Interamericano, 1952). 2 INSTITUTO DE FOMENTO DE LA PRODUCCIÓN : Crédito agricola supervisado para Guatemala, op. cit., p. 290. 336 LE TRAVAILLEUR ABORIGENE DANS L'ÉCONOMIE de 1857, commença un processus de désintégration de ces organisations par l'aliénation, la concession, la vente et la mise aux enchères des terres, des eaux et des forêts. Ce processus s'accéléra à partir de 1876, date à laquelle une loi accorda des concessions à des sociétés privées pour faire le relevé de grandes bandes de terrain dans des régions spécifiées du pays et soumit à revision les titres de propriété qui s'y rapportaient. La loi rendait possible la saisie des terres dont les titres de propriété n'étaient pas enregistrés, en sorte que nombre de comunidades agricoles disparurent. On a estimé que presque 920.500 hectares de terres appartenant aux comunidades passèrent aux mains des haciendas du fait de l'occupation et de l'acquisition de terres soi-disant « incultes » et de l'acquisition des terres par l'exercice des droits d'utilisation de l'eau x. En même temps, le nombre et la superficie des grands domaines augmentèrent et de nombreux membres des comunidades et des ejidos devinrent ouvriers agricoles sur ces propriétés 2. A la fin de la dictature de Porfirio Díaz, environ 1 pour cent de la population possédait près de 70 pour cent du sol arable du pays. Une seule famille dans l'Etat de Chihuahua possédait des propriétés terriennes totalisant le chiffre étonnant de 4.956.000 hectares, et trois familles possédaient la plupart des terres agricoles de l'Etat d'Hidalgo. Dans la grande majorité des Etats, environ 95 pour cent des familles rurales étaient sans terres. La grande propriété, l'absentéisme et la monopolisation des terres par les familles politiquement influentes et les sociétés étrangères et mexicaines pavaient le chemin de la réforme agraire 3 . Au Pérou, d'après une étude récente de M. Francisco Ponce de León, président de la Commission des affaires indigènes de la Chambre des députés et membre péruvien de la Commission d'experts de l'O.I.T. pour le travail des aborigènes, entre la déclaration d'indépendance (1821) et la promulgation de la Constitution de 1920, les terres de beaucoup de comunidades et d'ayllus aborigènes : 1 N a t h a n L. W H E T T B N : Rural Mexico, op. cit., pp. 8S-89. P o u r plus de détails, voir Cinco siglos de legislación agraria en México (Mexico, 1941), publié sous la direction de Manuel PABILA (5 volumes) ; Enrique MUNGUÍA, loe. cit. ; Eyler N . SIMPSON : The Ejido, Mexico's Way Out (Chapel Hill, N.C., The University of North Carolina Press, 1937), p p . 24, 29-31 ; e t les ouvrages cités dans les bibliographies de ces volumes. 3 E n 1940 — fin de l'administration Cárdenas —, environ 18.210.000 hectares de terres avaient été distribués aux paysans, selon le système ejido e t à titre individuel. Cf. SECRETARÍA DE GOBERNACIÓN : Seis años al servicio de México, 19351940 (Mexico, 30 nov. 1940). 2 LE PROBLÈME D E LA TEBEE 337 ... devinrent la proie facile de ceux qui, dans leur cupidité, s'en emparaient par tous les moyens légaux ou non, et je crois que ce fut plus par la fraude ou la violence que par des moyens légaux... Ainsi, les terres qui avaient d'abord appartenu à de nombreux Indiens et à leurs communautés passèrent aux mains de personnes privées et devinrent le fondement des grandes haciendas. Les anciens propriétaires aborigènes devinrent yanaconas ou colons partiaires des nouveaux propriétaires 1. Au Venezuela, en vertu d'une loi en date du 2 juin 1882, les anciennes réserves indiennes furent abolies en même temps que tous les privilèges que les lois coloniales précédentes avaient accordés à la population aborigène. Les seules comunidades indiennes reconnues furent celles des territoires fédéraux de l'Amazone, de l'Orénoque supérieur et de la Guajira. La loi sur les resguardos aborigènes du 8 avril 1904 disposait que les terres ayant appartenu à des comunidades aborigènes éteintes et celles pour lesquelles les titres de propriété ne pouvaient pas être authentifiés deviendraient la propriété de l'Etat. Aux Etats-Unis, le morcellement des terres appartenant aux tribus indiennes fut le résultat inattendu de la loi de 1887 sur la répartition générale des terres. Bien que destinée à avantager les Indiens, cette loi eut comme conséquence de les obliger à aliéner de grandes superficies possédées collectivement et à vendre de nombreuses propriétés privées. E n conséquence, entre 1887 et 1934, la superficie des terres indiennes tomba de 56 millions à environ 21 millions d'hectares. Pendant la même période, la population indienne passait de 240.000 à 400.000 âmes. A quelques exceptions près, la région perdue était composée des terres les plus fertiles et des plus belles forêts 2. Dans l'Inde, on ne peut facilement distinguer le processus de désagrégation des propriétés aborigènes de celui des propriétés agricoles en général. Néanmoins, l'évolution de la situation n'est pas sans analogie avec ce qui s'est passé en Amérique latine. Ainsi, chez les Gond d'Haïderabad, les titres de propriété concédés au x v i m e siècle par les Mongols se justifiaient par la culture ou le défrichement de la jungle (même aujourd'hui, les Gond appuient leurs revendications agraires sur ce motif). A partir du x v n i m e siècle, la terre fut 1 Francisco PONCE DE LEÓN : « Bosquejo del problema de la propiedad de la tierra en el Perú », Perú Indigena, vol. ITE, n° s 7 et 8, dec. 1952, p. 160. 2 Hearings ...on National Resources Policy, op. cit. Depuis 1934, environ 1.620.000 hectares ont été rendus aux Indiens en vertu de la loi ou par voie d'achat. 338 LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE de plus en plus souvent attribuée dans les régions tribales à des personnes autres que les aborigènes. Des éléments étrangers aux tribus s'infiltrèrent et devinrent fermiers et percepteurs et évincèrent les familles Gond. Le gouvernement encouragea l'installation de ces colons, afin de développer le district et d'en tirer des revenus, et au x i x m e siècle, les colonies non tribales devinrent les centres commerciaux de la région. Les colons recevaient de la terre sans avoir à payer de loyer pendant trente ans. Très souvent, ils devenaient chefs de village et se prévalaient de ce titre pour expulser les véritables propriétaires. On estimait, lorsque pour une raison ou pour une autre les aborigènes quittaient temporairement leurs terres, qu'ils avaient renoncé à leurs droits sur elles. Les colons s'en emparaient immédiatement et les fonctionnaires du fisc les considéraient comme les propriétaires légitimes. Les aborigènes, lorsqu'ils revenaient, ne pouvaient obtenir qu'on leur rendît leurs terres. Les Gond perdirent aussi leurs terres en ne faisant pas inscrire leur nom sur les cadastres. Beaucoup d'entre eux devinrent des travailleurs sans terres ou les fermiers-exploitants des nouveaux colons ou des propriétaires absents. Un Gond expulsé de sa terre pouvait prendre une nouvelle parcelle, la défricher et commencer à la cultiver ; il en était chassé une fois' de plus par un homme montrant un titre de propriété écrit lui donnant droit à cette parcelle. Le Gond pouvait alors devenir le fermier de l'intrus ou quitter de nouveau cette terre. De cette manière, les aborigènes se retirèrent vers les montagnes les plus inaccessibles, où il restait encore de la terre à cultiver. La politique forestière a, elle aussi, porté tort aux propriétés tribales des aborigènes. Lorsque les forêts « réservées » furent délimitées, on ne tint aucun compte des colonies aborigènes ; plus tard, les lignes de démarcation furent tracées extrêmement près des villages, ne laissant aux villageois que les terres pour lesquelles ils pouvaient montrer des titres de propriété écrits, même s'ils cultivaient les autres depuis des temps immémoriaux. A la suite de la dispersion, des expulsions et des exactions diverses, le nombre des propriétaires aborigènes était tombé en 1942 à-environ un cinquième de ce qu'il était autrefois et beaucoup de ceux qui restaient avaient perdu leurs droits sur leurs terres 1 . 1 P. S. R A O : Among the Oonds of Adilabad, op. cit., pp. 80 et suiv. LE PROBLÈME DE LA TEKEE 339 Un autre auteur signale qu'avant la création des Etats de l'Inde et du Pakistan, le même phénomène s'est produit chez les Munda et les tribus montagnardes de Chittagong : la coutume tribale fut communément remplacée par un code dont l'application eut pour effet de priver la tribu de sa propriété, soit par aliénation au profit d'étrangers, soit par la transformation du régime de tutelle du chef de la tribu en une propriété absolue d'un genre entièrement étranger aux habitudes de la tribu 1 . En AustraUe, vers la fin du x v n i m e siècle, le nombre des aborigènes vivant en tribus commença à diminuer régulièrement à mesure que s'étendait la colonisation blanche. Les premières régions colonisées étaient les plus fertiles et les plus tempérées, les zones côtières de l'Est, du Sud et du Sud-Ouest. A mesure que les colons avançaient à l'intérieur, la population aborigène se retirait ou était repoussée vers les régions les moins hospitalières de l'intérieur, ou encore s'établissait à la limite des nouvelles villes et des nouvelles exploitations. Même dans quelques-unes des régions les moins accueillantes de l'intérieur, les aborigènes eurent à souffrir des abus inévitables de la colonisation. Privés parfois de leurs points d'eau à la suite de la découverte d'or et d'autres minéraux précieux dans des régions où les précipitations sont rares, ils ne purent que se retirer encore plus à l'intérieur dans des régions à ressources rares et inconnues, à moins qu'ils ne préférassent rester à la lisière des colonies. En Nouvelle-Zélande, la colonisation, par les Européens, de l'intérieur du pays a sapé les bases mêmes de l'ancienne économie maorie. L'abandon de la terre et le dépeuplement ont accéléré la perte des propriétés tribales en faveur des Blancs. On a estimé que dans les cent années qui ont suivi 1840, les Maoris ont perdu, par vente ou par confiscation, 25 des 27 millions d'hectares qui représentent la superficie totale du pays 2. Bien que, très tôt, la Couronne se soit réservé un droit de préemption en vertu d'un traité qui garantissait aux chefs et aux tribus la possession paisible des terres qu'ils désiraient garder selon leurs coutumes et leurs usages, les Maoris vendirent de grandes superficies de terre pour des sommes dérisoires, qu'ils eurent d'ailleurs tôt fait de gaspiller. Les titres de propriété aborigènes étaient si compliqués et parfois si obscurs 1 D r HUTTON, cité par A. V. THAKKAE : The Problem of Aborigines op. cit., p . 11. 3 F . E . MANNING : Old New Zealand, op. cit., p p . 184-190. in India, 340 LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE qu'ils ne pouvaient manquer de susciter tôt ou tard une grande confusion. En cas de résistance armée de la part des Maoris, la Couronne renonçait à son droit de préemption et, en outre, confisquait d'importantes superficies de terres aborigènes fertiles \ Pour mettre fin au désordre, un tribunal des terres aborigènes fut créé, ayant le pouvoir de sanctionner officiellement les titres de propriété et d'établir les certificats de vente ou de location des terres par les Maoris. Un peu plus tard, l'adoption du principe de l'individualisation des titres de propriété des terres maories eut des conséquences si néfastes que l'Etat essaya d'abord de réintroduire le principe du droit de préemption de la Couronne, puis de limiter ou de supprimer le droit des Maoris d'agir à l'encontre de leurs propres intérêts. A cette fin, la création de conseils des terres maories, chargés de surveiller les transactions concernant ces terres, fut décidée. Les terres maories pouvaient alors être aliénées de la même manière que les terres européennes, sauf lorsque les intérêts de plus de dix personnes étaient en jeu ou lorsque le Maori ne gardait qu'une superficie insuffisante à assurer sa propre subsistance. En outre, l'aliénation pouvait se faire par décision d'une commission constituée par les propriétaires maoris dont les titres de propriété avaient été réunis par le tribunal des terres aborigènes ou par une résolution de la majorité des propriétaires réunis par le conseil des terres maories. Cependant, ces mesures ne résolvaient pas le problème de l'administration agricole. Sans doute on essaya d'examiner les titres en fonction du droit coutumier. En réalité, le propriétaire maori ne recevait pas de titre clairement établi pour une parcelle donnée de terre qu'il pouvait appeler sa propriété. Au lieu de cela, il se trouvait détenir des intérêts légalement reconnus, mais dispersés sur plusieurs parcelles qui pouvaient bien être vendues, mais qu'il ne pouvait exploiter pour lui-même. Les tentatives faites pour faire le relevé de la terre et la subdiviser échouèrent, les frais entraînés dépassant souvent la valeur du terrain et les parcelles obtenues étant finalement trop petites et trop dispersées pour pouvoir être cultivées. Ce n'est que ces dernières années que les remèdes ont été trouvés à cette situation étrange, qui avait pour effet de déposséder rapidement les Maoris : ce furent la réunion d'un certain nombre de grands terrains en vue de les faire exploiter coopérativement par ceux qui avaient des droits sur ces terres, et le groupement des intérêts dispersés au moyen d'un long processus de rajustement entre familles et personnes intéressées et enfin l'établissement de2 plans spéciaux de colonisation sur les terres appartenant à l'Etat . 1 F . E . MANKDTG : Old New Zealand, op. cit., p p . 184-190. Felix M. K E E S I N G : The South Seas in the Modem World (Institute of Pacifie Relations, New-York, John D a y Company, 1941), pp. 108-109. 2 LE PROBLÈME DE LA TERRE 341 FORMES ACTUELLES DE POSSESSION ET D'USUFRUIT DE LA TERRE Les communautés aborigènes dans sept pays d'Amérique latine Entre 1910 et 1920, les législations de l'Amérique latine ont commencé à accorder la personnalité juridique aux comunidades existantes et à encourager l'établissement et le développement économique de nouvelles collectivités. Dans quelques pays, elles ont interdit l'aliénation ou la saisie de leurs terres en précisant les conditions auxquelles les copropriétaires ou co-usufruitiers, suivant le cas, pouvaient hypothéquer leurs propriétés. Dans quelques cas, le législateur a même ordonné le retour de terres aliénées aux descendants des membres des communautés qui en étaient autrefois propriétaires. Même ainsi, dans nombre de communautés de fait (c'est-à-dire qui n'ont pas encore été reconnues officiellement et enregistrées par les pouvoirs publics), la propriété de la terre n'est pas encore fondée sur la possession de titres de propriété et n'est maintenue que par la tradition. La plupart des comunidades qui ont survécu se trouvent dans des régions montagneuses éloignées et arides dont les exploitants peuvent à peine subsister et où l'on ne risque pas de voir les grands propriétaires venir accaparer des terres en excédent. Beaucoup d'entre elles se sont retirées dans les régions désertes des plateaux, parfois en des endroits très difficiles d'accès. Dans les régions «où la hacienda s'est appropriée les terres basses, les Indiens ont été obligés de chercher refuge dans les terres hautes, montant quelquefois jusqu'à des hauteurs incroyables, aussi haut que les conditions climatiques permettent de faire pousser quelque chose 1 ». Dans de nombreux districts, les haciendas voisines ont monopolisé l'eau et les forêts ou contrôlent les droits de passage stratégiques, de sorte que les Indiens des communautés doivent travailler sur les domaines pour obtenir les fournitures nécessaires en eau et en bois ou les droits de passage. Fréquemment, les terres appartenant à la comunidad sont morcelées en nombreuses parcelles isolées entre lesquelles s'étendent de grandes superficies appartenant aux haciendas. Parfois, quelques-unes de ces parcelles sont dans les vallées, alors que d'autres sont à une très grande distance dans les montagnes. 1 Moisés SÁENZ : Sobre el indio ecuatoriano y su incorporación al medio nacional (Mexico, Secretaría de Educación Pública, 1933), pp. 50-51. 342 LE TRAVAILLEUR ABORIGENE DANS L'ÉCONOMIE Moisés Sáenz cite des cas où, à cause de l'éparpülement de leurs terres, les membres d'une collectivité aborigène sont forcés de passer des heures, parfois des journées entières, pour se rendre d'une partie de la propriété collective à une autre 1. Généralement, les terres de la collectivité sont pauvres et ont besoin, après une récolte, d'une longue période de repos (deux à cinq ans et parfois jusqu'à dix ans). Ceci provient notamment du fait que dans la plupart des cas, les aborigènes ne connaissent pas l'usage des engrais modernes, ni le système de l'assolement 2. La situation est aggravée par l'habitude des Indiens de labourer les pièces en pente de haut en bas, ce qui vient ajouter à l'action des eaux de ruissellement pendant la saison des pluies. De là des phénomènes d'érosion, le glissement des terrains, le ravinement, l'inondation des terres dans les régions plus basses et la formation de torrents de boue grossis par les pluies. Dans différentes parties du haut plateau des Andes, les murs de pierre monumentaux édifiés autrefois par les Incas pour soutenir les terrasses tombent en décrépitude et le système traditionnel d'irrigation indien a été complètement négligé. La production de la communauté agraire est généralement destinée à la consommation des membres. En règle générale, elle se limite au maïs, aux haricots, aux pommes de terre et aux légumes ; il s'y ajoute parfois des fruits destinés à la vente. Celles des communautés qui pratiquent l'élevage vendent du bétail, produisent de la viande, des œufs, du lait, etc., pour les marchés. Sur tout le plateau des Andes, de la frontière colombienne jusqu'à la frontière entre la Bolivie et l'Argentine, les aborigènes sont surtout bergers. Si, sur les hauts plateaux de la Bolivie et du Pérou méridional, les moutons et les lamas prédominent, dans le Pérou septentrional et en Equateur, ce sont les bovins et les ânes. Au Pérou et en Equateur surtout, certaines communautés, propriétaires de superficies relativement étendues, ne se limitent pas à l'élevage du bétail et aux activités connexes, mais pratiquent aussi une importante agriculture commerciale. Par exemple, au Pérou, dans la vallée Jauja, certaines communautés ont réussi à installer des moulins à blé, à maïs, à orge, etc. 1 Moisés SÁENZ : Sobre el indio ecuatoriano y su incorporación al medio nacional, op. cit., pp. 50-51. 2 II est vrai qu'en général la rotation des cultures n'est guère facile sur les hauts plateaux. LE PROBLÈME D E LA TEBBE 343 Les comunidades ont été classées de nombreuses manières différentes selon les modalités de propriété ou d'exploitation collective de la terre. Il semble, à quelques exceptions près, que la propriété collective de la terre n'existe plus. Dans la plupart des cas, la terre arable est devenue entièrement propriété individuelle des Indiens et le contrôle collectif ne s'exerce que pour prévenir son aliénation au profit de personnes ou d'entreprises étrangères à la communauté. Les pâturages et l'irrigation restent dans la plupart des cas dévolus à la communauté. Le travail en commun et la participation à certaines besognes d'intérêt public (construction et entretien des routes et des canaux d'irrigation, par exemple), bien plus que la propriété ou l'utilisation collective de la terre ou des instruments, semblent être les caractéristiques traditionnelles qui, dans la communauté contemporaine, ont le mieux résisté au temps 1 . Tel est l'état de choses que l'on peut observer dans certaines régions, même chez des Indiens qui sont en fait ouvriers agricoles ou métayers, mais qui continuent à se considérer comme membres d'une communauté pour tout ce qui concerne les aspects collectifs de leur vie. Les données précises faisant défaut, il est impossible de se faire une idée exacte du nombre des communautés actuellement en existence, ou de leur population. La difficulté vient du fait que les informations statistiques officielles ne concernent que les communautés officiellement reconnues par les pouvoirs publics. Bolivie. D'après Capriles Eico et Ardúz Eguía, les comunidades offrent en Bolivie une telle variété de caractéristiques d'organisation interne et de buts qu'il est extrêmement difficile de les classer systématiquement. Cette réserve faite, ils distinguent quatre catégories différentes, à savoir : a) la communauté fondée sur une collectivisation absolue, établie généralement sur d'assez vastes superficies de pâturages ; b) la communauté moins strictement collective, généralement située sur des terres pauvres, et dont chaque membre cultive une parcelle q"ui lui est assignée par la communauté elle-même et qui, par une occupation continue, acquiert le caractère d'une propriété 1 « La comunidad indienne n'implique pas nécessairement l'appropriation collective de la terre ; sa caractéristique essentielle est simplement l'existence de liens sociaux entre les membres du groupe. » (Remberto CAPEILES RICO et Gastón ABDDZ EQUÌA : El problema social de Bolivia, op. cit., p. 45.) 344 LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE individuelle ; c) la communauté où la propriété est relativement individuelle et dont les membres jouissent de l'usufruit de leur parcelle leur vie durant avec la possibilité de transmettre leurs droits à leurs héritiers ; d) la communauté coopérative, fondée sur des droits de propriété individuels bien définis, mais qui admettent la propriété collective des pâturages et les services d'aide réciproque 1. Selon les renseignements communiqués par la Direction de l'économie rurale de Bolivie, le nombre des collectivités recensées s'élevait en février 1949 à 4.148, réparties géographiquement de la manière suivante : TABLEAU XL. — BOLIVIE : RÉPARTITION PAR D E S COMMUNAUTÉS R E C E N S É E S , Département Nombre des communautés recensées L a Paz Cochabamba Oruro Potosí Tarija Source: DÉPARTEMENT 1949 723 479 1.195 1.724 27 Communication du correspondant du B.I.T. en Bolivie, février 1949. On estime qu'approximativement 50 pour cent de la population indigène qui s'adonne à l'agriculture dans les départements de La Paz et d'Oruro vit sous le régime de la collectivité. La plupart des comunidades sont situées sur des terres peu fertiles et éloignées des principales routes. Dans les régions plus fertiles, sur les pentes du plateau et dans les vallées Yunga, les grands domaines privés prédominent. D'après l'une des sources consultées, la superficie moyenne d'une parcelle familiale indienne dans la région du haut plateau est d'environ le tiers d'un hectare 2. Si les conditions observées dans les communautés ne sont pas nécessairement identiques à celles que posent les problèmes de la production et des métiers dans l'ensemble du pays, les observations générales qui suivent semblent valables aussi bien pour l'Indien vivant en communauté que pour les autres agriculteurs aborigènes. Alors qu'environ 70 pour cent de la population du pays dépendent de l'agriculture, moins de 2 pour cent de la terre est cultivée. Sur cette proportion, environ 49 pour cent sont représentés par le haut plateau où est concentrée la plus grande partie de la 1 R. CAPRILES R I C O et G. A B D U Z EGTJÎA, op. cit., p. 45. 2 Indians of the High Andes, op. cit. LE PROBLÈME DE LA TEBBE 345 population aborigène et où le rendement agricole du sol est très limité 1. lia concentration la plus forte d'habitants se trouve actuellement sur les terres les moins capables de fournir un niveau de vie normal alors que de grandes superficies de terres fertiles sont relativement peu peuplées... Le système d'occupation de la terre entrave presque complètement le développement d'une agriculture progressive 2. La production agricole dans la région du haut plateau est très restreinte à cause de la surpopulation, de l'épuisement du sol arable et des pâturages trop utilisés et du bas niveau de la technique. L'érosion enlève lentement mais sûrement la couverture du sol et ne laisse derrière elle que des rochers nus. La région des chaînes de montagnes septentrionales n'a pas de valeur agricole à cause du sol pierreux et peu profond. D'autre part, dans la région des montagnes méridionales, les pentes sont raides, érodées et ne portent généralement que peu de végétation à part des buissons et une herbe rase. A cause de l'utilisation trop fréquente des pâturages, l'érosion est devenue un problème très grave. Quant à la partie sud du plateau, seules de petites régions y sont cultivées et le rendement est faible à cause du manque d'irrigation et du bas niveau de la technique agricole 3. Parmi les Indiens aymarás de la région du lac Titicaca... ... la terre de Vayllu est divisée en un certain nombre de parcelles, appelées ainoqa, dont une ou deux sont cultivées chaque année d'après un système de rotation, alors que le reste sert de pâturage ou reste entièrement en jachère. La même parcelle peut être cultivée pendant cinq, dix, quinze ou vingt ans selon la densité de la population, la superficie des terres possédées par Vayllu, la fertilité du sol, etc. 4. Chili. Au Chili, en 1940, le nombre des « réductions » araucanes était de 3.078, avec une population totale d'environ 90.000 personnes et une superficie de plus d'un demi-million d'hectares, ainsi qu'il ressort du tableau ci-après. 1 D'après une évaluation officielle, le rendement moyen par hectare n'est que de 3,5 tonnes pour les pommes de terre, de 350 kilogrammes pour le quinoa et de 600 kilogrammes pour l'orge. Quant à la laine, la tonte annuelle n'en fournit que de 0,5 à 1,5 livre par mouton. Le taux de reproduction du troupeau n'est que d'en- viron 50 pour cent. Cf. UNITED NATIONS FOOD AND AGBICUI/TTOE ORGANIZATION : Agriculture in the Altiplano of Bolivia, F.A.O. Development Paper No. 4 (Washington, mai 1950), pp. 4 et 26. ^Report of the United Nations Mission of Technical Assistance to Bolivia, op. cit., p. 53. Voir chap. XI. 3 Ibid., pp. 53 et 54. Pour des détails sur les techniques agricoles, voir plus loin. 4 Weston LA BABEE, op. cit., pp. 155-156. 346 LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE T A B L E A U X X I . — C H I L I : COMMUNAUTÉS Nombre de • réductions » District ARAUCANES Superficie (en hectares) Population Termico 1 Lautaro Nueva Imperial . . 603 171 719 104.653,30 29.852,20 115.851,60 22.079 3.781 22.985 Pitrufquén x . Villarica Valdivia La Unión . Río Bueno . Osorno Llanuihué . 304 305 410 15 87 40 2 41.653,40 47.858,48 64.512,60 422,00 5.125,50 3.450,00 83,50 7.251 7.566 9.502 101 1.737 1.828 29 38 183 82 47 66 6 8.410,00 53.656,75 12.605,00 8.869,50 7.115,59 659,00 1.438 7.067 1.716 1.291 1.912 118 3.078 504.778,42 90.401 . . . . . . . . . . . . 1 Victoria Traiguén Collipulli Angol Cañete Mulchén Total . . . Source : Dina MUÑOZ BAYER : Comunidades Indígenas (thèse soutenue pour obtenir le titre de licencié de la faculté des sciences juridiques et sociales de l'Université du Chili) (Temuco, 1948), p. 39. 1 Chef-lieu de groupe, siège d'un tribunal des affaires indiennes, chargé de la répartition des terres. Le premier de ces chiffres se rapporte probablement aux réserves qui ont conservé leur ancien système collectif tribal d'occupation des terres et à celles où cette structure traditionnelle s'est perdue et où la terre a été convertie en parcelles familiales. D'après une source officielle, il semble qu'en 1940 le nombre des communautés appartenant au premier groupe n'était que de 1.268 \ D'après des renseignements fournis au B.I.T. en mai 1950 par le ministre chilien du Travail, la superficie moyenne d'une parcelle individuelle n'est que de 2,5 hectares. Le problème s'est aggravé du fait que les calculs primitifs de répartition des terres étaient fondés sur une population araucane de 80.000 personnes, alors que ce nombre est beaucoup plus élevé actuellement, chaque famille comprenant en moyenne huit personnes 2 . Le quatrième Congrès national du Front uni araucan, qui s'est tenu à Temuco en mai 1940, a déclaré que les Indiens 1 DIRECCIÓN GENERAL D E ESTADÍSTICA : <¡ Reducciones indígenas », Estadística chilena (Santiago, juill. 1944). 2 Cf. Alicia N . CABRERA SANTOS : Educación y cultura de los araucanos (Temuco, 1946). LE PROBLÈME DE LA TEERE 347 étaient « dans une situation misérable à cause de la pénurie de terres... 1 ». Dans quelques régions, le rendement moyen par parcelle n'est que de 80 kilogrammes de blé par année 2. Colombie. Pour la Colombie, il n'a pas été possible d'obtenir des renseignements sur le nombre total des resguardos3 aborigènes actuellement en existence ou sur la densité de la population qui y vit. En 1940, selon la Division de la colonisation du ministère de l'Economie nationale, on comptait environ 86.241 Indiens répartis dans 160 communautés différentes 4. La grande majorité de ces réserves sont situées sur les pentes occidentales du massif central des Andes, spécialement dans les départements de Cauca (Est), Caldas (Centre et Ouest), ÎTarino, Huila et Tolima (Centre). Il en existe également dans la plupart des autres départements, ainsi que dans le territoire de Chocó. Disséminées du nord au sud à des altitudes variant de 2.200 à 2.600 mètres, elles occupent l'une des « zones froides » des tropiques... Les Indiens continuent à lutter désespérément pour garder leurs droits de propriété collectifs traditionnels sur les terres qu'ils occupent... Nombre de communautés sont près de disparaître et luttent désespérément, sans aucune chance de succès d'ailleurs, contre leurs voisins blancs qui utilisent tous les moyens, légaux et illégaux, pour s'introduire sur leurs terres, les déloger graduellement et transformer les Indiens en travailleurs agricoles salariés... Des problèmes internes, tels que la pénurie de terres et d'outils, les abus des autorités et les discussions intestines, sont aggravés par des procès contre les sBlancs pour des questions de limites, de droits d'occupation, etc. . A ceci s'ajoute, comme le signale un autre expert colombien, le fait que la propriété des resguardos « est peu sûre, voire tout à fait précaire, car l'absence de titres de propriété bien définis a permis le démembrement de nombreuses communautés et 1 Cité p a r José INALAFF NAVARRO, op. cit., p . 104. 2 Olivia MONTIEL HATJPT : Vida económicosocial de la raza mapuche (Temuco, 1945), et José INALATI" NAVARRO, op. cit., p . 83. 3 Le resguardo colombien est une institution sociale et agraire aborigène semblable à la comunidad d'autres pays de l'Amérique latine ; c'est une unité territoriale sans limites précises, occupée collectivement p a r une tribu ou une peuplade qui en est devenue l'occupante pendant la période coloniale à la suite d'une donation, d'une attribution ou d'un achat. A l'intérieur du resguardo, le chef de chaque famille occupe une parcelle individuelle sur laquelle il a u n droit d'usufruit, mais non de propriété. Son droit est en fait celui d'une propriété restreinte qui finit avec la vie de l'occupant et qui n'implique pas de droit de succession. 4 Communication du ministre des Affaires étrangères, juin 1940. 5 J u a n F R I E D E : El indio en lucha por la tierra, op. cit., p p . 14-15 et 125. 348 LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE a facilité les plans et les agissements des propriétaires de grands domaines * ». L'enregistrement obligatoire des terres, la valeur croissante des terres indiennes et la pression démographique toujours plus grande subie par celles qui avaient été sauvées de l'expansion urbaine protégée par la loi sont autant de facteurs qui, joints aux mesures législatives limitant les grandes propriétés et à l'abandon des parcelles devenues trop petites pour assurer la subsistance des resguardos, ont contribué à la désintégration de ceux-ci 2 . La situation de la communauté aborigène varie d'une région à une autre : partout où la position de la grande propriété est précaire, comme dans le Sud, le resguardo est étendu, établi sur une base coopérative et Ubre de certaines formes de servitude envers les propriétaires de domaines ; mais là où la grande propriété est puissante, comme dans la région nordest des montagnes centrales, on constate une tendance marquée au démembrement des terres indiennes et l'existence d'un grand nombre d'ouvriers-exploitants et de travailleurs indiens temporaires. L'absorption des terres indiennes est plus accentuée près des villes, des routes et des chemins de fer et partout où existent des possibilités d'irrigation. On a pu distinguer quatre catégories différentes de resguardos, suivant le système d'occupation de la terre : 1) ceux qui ont survécu, mais avec une économie étroite et fermée ; 2) ceux qui ont survécu, mais qui, économiquement, dépendent des grands domaines ; 3) ceux qui ont été morcelés et dont les membres sont devenus ouvriers-exploitants du nouveau propriétaire ; 4) ceux qui ont été morcelés et vendus aux grands domaines, et dont les membres ont été dispersés et forment une population mobile de travailleurs agricoles 3. On a fait valoir que les grands domaines voisins du resguardo ont intérêt à créer les deux dernières situations « parce que de cette manière ils obtiennent une source abondante de main-d'œuvre à bon marché et parce que les Indiens deviennent dépendants du propriétaire comme la communauté indienne le devient du grand domaine 4 ». Comme dans d'autres pays de l'Amérique latine, l'économie du resguardo aborigène a souffert d'une pénurie marquée 1 Gerardo CABRERA MORENO : « Los resguardos indígenas de Colombia », America Indigena, vol. I I , n° 4, oct. 1942, p . 30. 2 Antonio GARCÍA : Legislación indigenista de Colombia, op. cit., passim. 3 I D E M : Pasado y presente del indio, op. cit.. p. 42. 4 Gerardo CABRERA MORENO, op. cit., p. 42. LE PROBLÈME DE LA TERRE 349 de terres arables. « L'Indien qui ne possède qu'une petite parcelle de terre doit chercher du travail comme journalier ; sa terre ne peut produire une quantité suffisante de nourriture pour lui et sa famille 1. » Equateur. La plupart des communautés aborigènes de type traditionnel semblent avoir disparu en Equateur. En 1941, le nombre des comunas2 officiellement enregistrées était de 1.080, avec une population totale de 503.000 personnes 3 . En 1948, il s'établissait à 1.200 4. La même année, le nombre des « centres ruraux indo-métis » de la Sierra équatorienne s'élevait à 1.622 et la population de ces centres à 423.665 habitants au total 5 . Sans doute peut-on présumer que les chiffres relatifs aux comunas et aux centres ruraux indo-métis comprennent les comunidades de type traditionnel, mais les évaluations concernant le nombre de ces communautés sont très contradictoires. Ainsi, d'après César Cisneros Cisneros, leur nombre n'était en 1948 que de 189, avec une population de 118.722 personnes 6. Miguel Ángel Zambrano estime que les comunidades représentent environ 75 pour cent du nombre total des comunas 7. Selon une estimation faite par le membre équatorien de la Commission d'experts pour le travail des aborigènes, la population rurale indienne de la région de la Sierra représente 1 2 Juan FBIEDE, op. cit., p. 166. Selon la législation équatorienne (décret législatif du 6 août 1937), le terme comuna désigne toute localité rurale comptant au moins 50 habitants (village, hameau, quartier, partie d'agglomération ou tout autre groupe d'habitations). Les familles qui la composent possèdent fréquemment des parcelles à titre individuel et peuvent avoir le droit d'utilisation collective des pâturages et des bois. En fait, la comuna est une institution moderne qui répond à un principe d'organisation sociale rurale et ne conditionne pas la structure économique du groupe intéressé. La comunidad, par contre, est une institution de fait plutôt que de droit, dans laquelle la propriété ou l'usufruit collectif de l'eau, des pâturages, des bois et, dans certains cas, des terres cultivables, joints à un système d'entraide dans les travaux agricoles et de services collectifs d'intérêt public (par exemple l'entretien des routes), joue son rôle traditionnel prédominant. La comuna groupe aussi bien des métis que des Indiens (ces derniers toutefois dans une moindre mesure), tandis que la comunidad ne comprend que des Indiens. 3 Boletín del Ministerio de Previsión Social (Quito, 1943). 4 Renseignement fourni, en mars 1950, par M. Victor Gabriel Garces, membre équatorien de la Commission d'experts pour le travail des aborigènes. 6 César CISNEROS CISNEROS : Demografía y estadística sobre él indio ecuatoriano, op. cit., pp. 150-294. 6 IDEM : « Comunidades indígenas del Ecuador », América Indígena, vol. IX, n» 1, janv. 1949, p. 55. 7 UNIÓN PANAMERICANA, División de Asuntos Sociales y de Trabajo : « Las comunidades indígenas », par Miguel Ángel ZAMBRANO, dans El cooperativismo y el problema indigena (Washington, 1951). 350 LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE environ un million d'habitants, parmi lesquels de 200.000 à 300.000 sont membres de comunidades 1 . Cisneros distingue cinq catégories de comunidades aborigènes en Equateur : a) la communauté agraire, « avec propriété collective de terres arables généralement situées dans les régions basses, les terres hautes étant constituées de pâturages communs, de forêts et de terres désertes » ; les terres arables sont fréquemment subdivisées et réparties entre les familles à un loyer fixe, les hautes terres sont utilisées en commun ; dans les deux cas, les droits d'utilisation d'eau sont collectifs et les réparations aux canaux d'irrigation, la délimitation des parcelles, etc., se font en commun ; b) la communauté d'exploitation (le type le plus courant), dont les membres possèdent à titre individuel des parcelles dans les basses terres et en commun les hautes terres ; c) la communauté fondée sur l'utilisation de l'eau en commun, type nouveau institué par la loi relative à l'eau d'irrigation ; elle consiste en « un groupe de propriétaires métis ou aborigènes qui, ayant demandé l'attribution d'eau d'irrigation ou ayant capté des sources, ont le droit d'utiliser cette eau » ; d) la communauté industrielle, qui se rencontre rarement, et qui travaille des terres élevées et très sauvages ; elle « loue de petites parcelles aux membres inscrits qui travaillent la terre à des fins industrielles, par exemple la préparation d'argile pour la céramique et la poterie, du bois pour le charbon de bois, des roseaux (totora) pour les articles manufacturés, etc. » ; e) la communauté mixte, qui peut présenter une ou plusieurs des caractéristiques énumérées ci-dessus 2 . Le tableau ci-après indique la répartition géographique de ces cinq catégories de communautés. Dans les provinces où prédomine la grande propriété (Pichincha et Chimborazo, par exemple), une grande partie de la population aborigène est composée de huasipungueros (travailleurs-exploitants). Au contraire, dans les provinces où la grande propriété n'est pas une institution importante (telles que Imbabura et Tungurahua), le nombre des huasipungueros 1 Communication de M. Victor Gabriel Garces, mars 1950. César CISNEROS CISNEROS : « Comunidades indígenas del Ecuador », op. cit., p. 43. 2 XVII Enseignement du filage dans une école fédérale indienne du Nouveau-Mexique (U.S. Indian Service) XV Ecole maorie de Wakarewarewa La formation professionnelle des Maoris (National Publicity Studios, Wellington) Apprentissage dans une ferme de Ruatoria ^: 351 LE PE0BLÈME D E LA T E E E E TABLEAU X L H . — EQUATEUR : RÉPARTITION D E S COMMUNAUTÉS I N D I E N N E S Nombre de cantons Province Type de comunidades * A B c 2 1 2 1 6 1 5 4 13 6 16 . . . . . . . . . . 3 4 3 4 3 6 2 2 1 6 8 7 4 7 6 4 3 2 1 7 4 15 18 14 17 22 4 1 Total . 34 49 103 Carchi . . Imbabura . Pichincha . Cotopaxi . Tungurahua Chimborazo Bolivar . . Cañar . . Azuay . . Loja* . . D Total Population 14 28 31 23 29 36 7 3 1 17 189 6.800 22.100 12.410 15.762 15.150 28.100 9.000 4.300 300 4.800 E 5 7 1 8 118.722 Source : César CISNEROS CISNEROS : * Comunidades indígenas del Ecuador •, op. cit., p. 55. 1 Deux communautés de cette province ne figurent dans aucune des catégories ci-dessus. • A = agraires; B == d'exploitation agricole ou de p â t u r a g e ; C =* d'utilisation de l'eau; D = industrielles ; E = mixtes. est peu élevé, et l'on trouve de nombreux petits propriétaires indiens indépendants. On estime qu'à peine un quart de la population possède de la terre, bien que le pays dispose d'environ 4.750.000 hectares de terres cultivables. D'après une étude sur la propriété faite en 1940, le nombre des domaines valant plus de 1.000 sucres chacun (50 dollars) était d'environ 60.000 et celui des domaines d'une valeur moins grande d'environ 100.000, et l'on comptait quelque 9.000 très grands domaines qui monopolisaient la plus grande partie des terres du pays 1 . La plus grande partie de la terre arable et des pâturages appartient aux grandes haciendas. Fréquemment, un seul propriétaire possède une région plus grande que celle de tout un village de 1.000 habitants ou davantage. Dans certaines provinces de la région montagneuse, la plupart des villages et des communautés sont entourés par les grandes propriétés qui, à la 2longue, asphyxient l'économie débile du petit propriétaire aborigène . Au cours des récentes années, cette situation a causé le déplacement d'une proportion toujours plus forte d'Indiens des hautes terres vers les régions côtières et la jungle orientale. Beaucoup de familles aborigènes cherchent de nouvelles possibilités économiques en s'établissant comme squatters sur des terres du domaine public non occupées de ces deux régions 3 . 1 2 3 Emilio UZCÁTEGTJI : L'obligation scolaire en Equateur, op. cit., p p . 53 e t 58. Francisco T E R A N : Geografia del Ecuador, op. cit., p . 203. Ibid. 13 352 LE TRAVAILLEUR ABC-EIGENE DANS L'ÉCONOMIE La pénurie de terres arables dans la région montagneuse, jointe à l'augmentation rapide de la population rurale, a entraîné la réduction progressive de la superficie des propriétés indiennes. D'après une enquête faite par l'Institut de bien-être national, la superficie de 709 des 941 exploitations de la province de Pichincha varie entre 20 et 80 ares chacune 1 . Lorsqu'un chef de famille meurt, sa terre est divisée proportionnellement entre ses héritiers et il arrive fréquemment que l'un des derniers ne reçoive que deux ou trois sillons. Dans quelques provinces, le résultat est qu'une proportion considérable d'exploitants se placent comme ouvriers agricoles ou métayers sur les propriétés voisines ou comme travailleurs du bâtiment auprès des autorités publiques ou de sociétés privées 2. Guatemala. Au Guatemala également, la majorité des comunidades aborigènes traditionnelles semblent avoir disparu, et il n'a pas été possible de recueillir des renseignements sur le nombre, la situation et la structure de celles qui restent. D'après une publication de l'Institut pour le développement de la production, leur nombre, en 1951, n'était que de 55 3. Les circonstances ont amené la population indienne à se concentrer sur les pentes appauvries des montagnes, souvent sur des terres absolument impropres à la culture des céréales... ; les terres choisies de la côte et des vallées sont occupées depuis les premiers temps de l'époque coloniale espagnole par un petit nombre de propriétaires habitant dans les capitales nationales ou départementales 4. Ce problème ne touche pas seulement les comunidades indiennes, mais aussi la paysannerie en général. Les chiffres 1 Aníbal BUITRÓN et Bárbara SALISBURY BUITRÓN : Condiciones de vida y trabajo del campesino de la provincia de Pichincha, op. cit, tableau X V I I I . 2 César CISNEROS CISNEROS : Demografia y estadística sobre el indio ecuatoriano, op. cit., p . 186. Dans certains districts, cependant, le paysan indien se trouve dans une situation beaucoup plus favorable. Ainsi, dans le canton d'Otavalo (province d'Imbabura), certaines familles possèdent de 20 à 50 hectares chacune, même si d'autres ne disposent guère que d'un hectare. 3 INSTITUTO D E FOMENTO D E LA PRODUCCIÓN : Crédito supervisado para Guatemala, op. cit., p . 40. 1 INTERNATIONAL B A N K FOR RECONSTRUCTION AND DEVELOPMENT : The Eco- nomie Development of Guatemala, op. cit., p . 25. E n 1952, le Congrès du Guatemala a adopté une loi portant réforme agraire, qui est analysée au chapitre X I du présent volume. Jusqu'en 1951, environ 15 pour cent (près de 300.000 hectares) de la superficie arable totale du pays était sous le contrôle du gouvernement. Sur cette superficie, 273.726 hectares appartiennent aux Fincas nacionales e intervenidas (193.901 e t 79.825 respectivement) e t 17.260 hectares sont exploités par l'Institut pour le développement de la production. Ces dernières années, les Fincas nacionales o n t produit de 20 à 33 pour cent du café du pays pour l'exportation et l'on dit que le revenu englobe environ 10 pour cent du budget national. (Cf. Crédito agricola supervisado para Guatemala, op. cit., p. 41.) LE PROBLÈME DE LA TERRE 353 provisoires du recensement agricole de 1950 indiquent l'existence de 330.701 exploitations agricoles pour une population rurale évaluée à 700.000 personnes 1 . Plus de 50 pour cent de ces exploitations étaient d'une superficie inférieure à 2 manzanas 2 chacune. D'autre part, il existe de nombreux domaines qui «englobent dans leurs limites des villages d'une certaine importance qui font partie intégrante de leur superficie... (et) dont la vie municipale et économique tend à passer sous le contrôle des propriétaires plutôt que sous celui des pouvoirs publics 3 ». Une étude faite en 1949 par l'Institut national des affaires indigènes, portant sur 170 municipalités dans treize départements différents, a montré que dans 63 pour cent des cas la terre des comunidades était « insuffisante pour faire subsister une famille ». Dans quelques départements, cette proportion atteignait de 80 à 100 pour cent. Dans 39 pour cent des cas, les familles indiennes n'avaient pas la moitié de la quantité mini mum de terre nécessaire à leur subsistance. La superficie moyenne de la parcelle familiale était d'un hectare et demi, alors que le minimum exigé était évalué à 3,8 hectares. L'institut national des affaires indigènes estime que c'est un des défauts les plus graves de la structure agraire du pays 4. D'après Leo A. Suslow, il n'est pas rare que le paysan indien ne possède qu'une parcelle de moins de 50 ares, sur des pentes montagneuses qui ne peuvent fournir un niveau de subsistance suffisant, alors que son voisin blanc ou métis possède de 3 à 300 hectares de terre fertile. Un autre problème grave est celui de l'absence de titres de propriété en règle, qui « donne lieu à d'innombrables et gênants procès et entraîne des abus de la part des propriétaires les plus puissants 5 ». '' Dans une étude récemment faite par la Banque internationale pour la reconstruction et le développement, en collaboration avec le gouvernement du Guatemala, la situation agricole de la paysannerie indienne de l'ouest du plateau central est décrite de la manière suivante : Ni la topographie ni les facteurs écologiques généraux qui caractérisent la plus grande partie de cette région ne sont favorables à une haute productivité, pas plus d'ailleurs que le régime foncier 1 2 INSTITUTO DE FOMENTO DE LA PRODUCCIÓN, op. cit., p. 37. Voir plus loin. La manzana équivaut à 6.972,25 m2. Crédito agrícola supervisado para Guatemala, op. cit., p. 36. i Ibid., pp. 38-39. 5 Ibid., p. 43. 3 354 LB TRAVAILLEUR ABORIGENE DANS L'ÉCONOMIE actuel qui, dans quelques cas, met à rude épreuve les ressources du pays. Dans certaines parties des départements de Guatemala, de Sacatepéquez, de CMmaltenango, de Solóla, de Totonicapán et de San Marcos, l'utilisation trop fréquente de méthodes primitives de production a entraîné l'épuisement et l'érosion du sol. Ceci, ajouté à une densité de population toujours plus forte, rend impossible une amélioration du niveau de vie. Le sous-emploi existe à cause de la nature saisonnière de l'agriculture vivrière ou de la culture relativement peu productive de terres ne fournissant pas un niveau de subsistance suffisant \ Le recensement agricole de 1950 a révélé que les propriétés de moins de 5 manzanas représentent en nombre 76 pour cent et en superficie seulement 10 pour cent de l'ensemble, alors que les propriétés de plus d'une caballería 2 représentent en nombre à peine 2,2 pour cent et en superficie 70,6 pour cent de l'ensemble. D'autre part, le recensement révèle l'existence de 22 propriétés d'une superficie supérieure à 200 caballerías, lesquelles représentent par conséquent 13,6 pour cent de la superficie totale des terres en exploitation dans le pays, ce qui contraste fortement avec les 161.501 exploitations n'atteignant pas 2 manzanas, lesquelles occupent quelque 3,3 pour cent des terres recensées 3. Le tableau X L I I I indique comment se répartit la terre par modes d'occupation et par superficies des exploitations. E n ce qui concerne la répartition des exploitations entre les Blancs et métis (ladinos) et les aborigènes, la Direction générale de la statistique a publié des données d'après lesquelles 341.188 propriétés se répartissent entre 120.000 Blancs et ladinos et 220.988 aborigènes, qui occupent la terre selon des modalités diverses, et l'on observe que les petits propriétaires ou les agriculteurs aborigènes indépendants — quel que soit le nom par lequel on les désigne — sont particulièrement nombreux dans les départements de Sacatepéquez, Chimaltenango, Solóla, Totonicapán, Quezaltenango *, Suehitepéquez, Betalhuleu, San Marcos, Huehuetenango, Quiche, Alta et Baja Verapaz, Chiquimula et Jalapa, où les aborigènes atteignent un total de 202.547 contre 54.384 Blancs et ladinos. Il convient de signaler que, dans les quatorze dépar1 INTERNATIONAL BANK FOR RECONSTRUCTION AND DEVELOPMENT : The Economie Development of Guatemala, op. cit., p . 82. 2 L a caballería guatémalienne équivaut à 64 manzanas. 3 DIRECCIÓN GENERAL D E ESTADÍSTICA : Boletín (Guatemala), n o s 33-34, oct.- déc. 1951 (numéro spécial, donnant les résultats d u recensement agricole), pp. 6, 14 et suiv., et Ignacio ACOSTA L. et AguBtin ACOSTA L . : « L a reforma agraria, e n Guatemala », Revista de Economia (Mexico), vol. XV, n° 12, déc. 1952, p . 375. 4 Départements à forte densité de population (entre 95 e t 187 habitants p a r kilomètre carré). 355 LE PROBLÈME D E LA TEBBE TABLEAU XLLTI.— GUATEMALA : RÉPARTITION D E S E X P L O I T A T I O N S P A R M O D E S D'OCCUPATION D E LA TERRE E T PAR Superficie de3 exploitations Nombre des exploitations Ensemble . . . 341.191 En manzanas : Moins de 1 De 1 inclus à 2 exclu . De 2 inclus à 5 exclu . De 5 inclus à 10 exclu . De 10 inclus à 32 exclu De 32 inclus à 64 exclu 72.775 88.726 97.668 41.963 26.545 6.068 En cabalkrias : De 1 inclus à 10 exclu De 10 inclus à 20 exclu De 20 inclus à 50 exclu De 50 inclus à 100 exclu De 100 inclus à 200 exclu 200 et plus 6.387 555 351 104 27 22 Superficie totale (en manzanas) SUPERFICIES Mode d'occupation du sol (en manzanas) Propriétés de l'exploitant Louées à l'exploitant Autre mode d'occupation 205.024 291.144 17.699 50.315 152.125 199.340 375.167 235.543 8.928 36.653 61.810 27.883 20.585 11.996 13.201 44.163 83.244 52.406 42.461 21.360 1.144.711 1.102.012 493.632 480.569 695.400 688.567 468.257 460.826 273.770 272.665 714.070 713.723 22.632 8.218 4.742 1.222 8 347 20.067 4.845 2.091 6.209 1.097 5.244.719 4.748.551 39.828 131.131 297.179 279.629 438.213 268.899 Source : DIRECCIÓN GENERAL DE ESTADÍSTICA : Boletín, n 0 " 33-34, oct.-déc. 1951, p. 14. tements susmentionnés, les parcelles tendent à s'éparpiller « spécialement sur les hauts plateaux de l'Ouest, où la culture continue, réalisée au moyen de techniques primitives... a appauvri (la terre) considérablement... ; dans (le département de Totonicapán), le morcellement de la terre pose le problème de la propriété trop petite. Les parcelles sont devenues tellement restreintes que les forces actives dont dispose une famille, même lorsqu'elle utilise des outils primitifs, sont hors de proportion avec ce qu'exigerait une culture intelligente 1 ». Les cultures de céréales, de légumes et de certaines autres plantes bisannuelles occupent une superficie qui varie de 89,3 pour cent du total dans les propriétés n'atteignant pas une manzana à seulement 5,2 pour cent dans les propriétés supérieures à 200 caballerías. « On constate que plus la dimension de l'exploitation augmente, moindre est la surface consacrée, proportionnellement, à la production de denrées alimentaires de base ; les grandes exploitations sont spécialisées dans les cultures commerciales (plantations) ou l'élevage du bétail ; 1 DIRECCIÓN G E N E R A L D E ESTADÍSTICA : Boletín, op. cit., p . 13. 356 LE TRAVAILLEtTE ABOBIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE les petites propriétés produisent la plus grande partie des aliments de base nécessaires à l'alimentation de la population 1 . Pérou. Castro Pozo a classé les comunidades péruviennes de la manière suivante : 1) celles qui se livrent à l'agriculture ; 2) celles qui pratiquent l'agriculture et l'élevage ; 3) celles où les pâturages et les droits d'utilisation de l'eau sont communs ; 4) les communautés usufruitières. Le même auteur fait observer que les communautés aborigènes de ce pays varient à tel point suivant le milieu où elles se développent qu'aucune de ces catégories ne peut être strictement délimitée ; la catégorie agricole peut avoir des caractéristiques appartenant à une autre catégorie, et vice versa 2 . Valdez de la Torre, autre autorité péruvienne, distingue dans son pays cinq types différents de comunidades, à savoir : 1) la communauté uniquement agricole, dans laquelle la propriété privée n'existe pas (cette catégorie, ajoute-t-il, se rencontre rarement) ; 2) la comunidad mixte, dans laquelle les terres les plus fertiles sont propriété privée et les pâturages propriété collective ; 3) la communauté quasi « nominale », dans laquelle les seules terres encore communes sont les pâturages ; 4) la communauté fondée sur les droits d'irrigation, dans laquelle la propriété est privée, mais où l'utilisation de l'eau reste un droit collectif ; 5) la communauté vraiment « nominale », dans laquelle le seul élément collectif qui subsiste est celui de la coopération pour les travaux d'intérêt commun 3 . La grande majorité des comunidades aborigènes se trouvent dans les départements de Puno et de Cuzco. Le recensement de 1940 indique que leur nombre était alors de 4.685. Cependant, d'après des renseignements fournis par la Direction générale des affaires indigènes, le nombre de comunidades « officiellement enregistrées » en 1949 n'était que de 1.322 ; leur superficie totale était de 4.163.512 hectares et leur population totale d'environ un million de personnes 4 . Comme 1 2 D I R E C C I Ó N GENERAL D E ESTADÍSTICA : Boletín, op. cit., p p . 27-28. Hildebrando CASTRO POZO : Nuestra comunidad indigena, op. cit., p p . 16-17. Cité par Moisés SAENZ : Sobre el indio peruano y su incorporación al medio nacional, op. cit., pp. 70-71. 3 Carlos VALDEZ D E LA TORRE : Evolución de las comunidades indígenas (Lima, 1921), p . 208. Cité par Moisés SÁENZ, op. cit., p p . 71-72. 4 D'après une communication d u Département péruvien des affaires aborigènes à l'Institut interaméricain des affaires indigènes en 1944, le nombre des comunidades reconnues e t non reconnues était de 5.000. (Cf. « La ley y el indio en el Perú », América Indigena, Instituto Indigenista Interamericano, Mexico, janv. 1945.) LE PROBLEME D E LA TEURE 357 l'indique le tableau XLIV, la majeure partie de la population appartenant aux comunidades se trouve dans les provinces de Junín, Ayacucho, Huancavelica, Ancash, Cuzco, Lima et Huánuco ; les communautés les plus vastes se trouvent dans les départements d'Ancash, Lima, Junín et Huancavelica. Comme dans d'autres pays, la pénurie de terre arable chez les paysans aborigènes est très aiguë à cause d'une augmentation régulière de la population qui a entraîné ce qu'un membre péruvien de la Commission d'experts de l'O.T.T. pour le travail des aborigènes a appelé la « pulvérisation » des droits de propriété, c'est-à-dire l'éparpillement de la parcelle familiale résultant du régime successoral. Dans diverses régions du haut plateau (Cuzco, Puno, Apurímac), ce morcellement des propriétés a atteint des proportions incroyables, puisque l'unité agraire dans laquelle sont exprimées les parts n'est plus la parcelle, mais le sillon. La terre ainsi morcelée ne peut remplir sa fonction économique et sociale ; elle n'est plus que la cause de disputes acharnées à propos de limites..., et d'innombrables procès entre co-usufruitiers et voisins, qui entraînent des dépenses hors de proportion avec la valeur des parcelles, sans parler du temps perdu en procédures judiciaires et administratives devant les autorités... On peut sans crainte d'exagération affirmer que les dépenses ainsi entraînées représentent fréquemment de huit à dix fois la valeur de la terre contestée. Souvent aussi, les conflits dégénèrent en véritables rixes, causant des dommages personnels et des blessures, parfois même des décès *. Un rapport publié par la Banque agricole du Pérou en 1938 montrait que la superficie moyenne de terre cultivée par habitant dans la région de la Sierra était de 0,230 hectare (contre 0,542 sur la côte). Dans deux des cinq départements ayant le plus haut pourcentage de population aborigène, à savoir ceux de Cuzco et d'Apurímac, la superficie moyenne n'était que de 0,086 et 0,183 hectare respectivement. La pénurie est la plus marquée dans la région du pays où, à cause du caractère de l'économie et du bas niveau du rendement, la terre est le plus demandée, à savoir la Sierra... De là provient sans aucun doute la grande différence de niveau de vie entre la population de la Sierra et celle de la côte, différence que reflètent l'alimentation, la culture et le progrès, et qui constitue l'un des problèmes économiques et sociaux les plus profonds et les plus graves qui se posent au pays 2. Entre autres conséquences de cette situation, le même rapport signale les suivantes : a) une faible production agricole 1 Francisco PONCE D E L E Ó N : Bosquejo del problema de la propiedad de la tierra en el Perú, op. cit., p . 8. 2 Rómulo A. FERRERÒ : Tierra y población en el Perú. La escasez de tierras cultivadas y sus consecuencias (Lima, Banco Agricola del Perú, 1938), p p . 7 e t 8. 358 LE TBAVATT,T,EUB, ABOBIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE TABLEAU X L I V . — PÉROU : EÉPAETITION D E S COMMUNAUTÉS I N D I E N N E S O F F I C I E L Nombre des Indiens dans les Département Ayacucho Cajamarca . . . . Huancavelica . . . L a Libertad . . . . Lambayeque . . . Moquegua . . . . Nombre des communautés Population 19 93 49 6 120 36 192 118 67 6 270 8 8 223 1 7 39 31 21 8 1.322 11.182 85.982 56.677 3.803 112.307 26.008 81.824 97.923 74.109 6.074 205.179 6.937 25.694 98.035 185 1.916 42.118 53.640 14.866 2.127 1.006.586 Agriculture et élevage 4.443 34.393 28.480 1.997 59.538 11.704 39.276 47.002 35.572 2.916 98.485 4.079 15.008 49.017 92 960 10.470 15.825 7.406 1.062 467.725 Poterie 850 85 4.961 390 3.273 1.566 1.185 97 8.207 68 125 1.632 Chapellerie 227 642 Tissage 1.146 2.125 57 5.953 1.333 6.546 9.400 2.964 243 18.055 340 752 4.904 1.055 246 25 15.211 80 3.492 527 1.234 53 23.797 14.080 59.204 32 Total . . . Source: MINISTERIO DE TRABAJO Y ASUNTOS INDÍGENAS: Dirección General de Asuntos Indígenas, Departacomunidades indígenas oficialmente reconocidas par habitant et un pouvoir d'achat très bas ; b) la haute valeur des terres et la cherté des loyers ; c) un marché national restreint pour l'industrie ; d) un bas niveau d'épargne. Le deuxième de ces facteurs crée à son tour des conditions favorables à l'extension des systèmes d'occupation des terres où le loyer est payé sous forme de services, en espèces et en nature, et à l'apparition d'une population aborigène rurale mobile, obligée d'émigrer périodiquement vers la côte à la recherche de travail dans les grandes plantations de coton, de canne à sucre et de riz 1. Dans l'ensemble, le rendement des terres dans la région de la Sierra est faible à cause de la culture incessante qui épuise la fertilité du sol, à cause du manque de moyens d'irrigation et du climat peu stable, à cause du manque d'engrais et des techniques agricoles primitives. 1 Voir le chapitre précédent. 359 LE PROBLÈME DE LA TEKEE PROFESSIONNELLE DE LA POPULATION L E M E N T R E C O N N U E S A LA F I N D E 1 9 4 9 divers métiers, occupations et activités économiques Fabrication du beurre et du fromage Aviculture 2.866 4.250 285 3.969 1.170 5.236 7.834 4.472 48 16.414 679 1.255 4.085 74 573 1.275 28 1.984 585 654 2.350 1.778 145 3.282 135 412 2.451 740 4.585 2.250 256 9.923 985 2.618 8 192 48 2.108 16 1.747 1.581 984 89 56.980 Fabrication des mélasses et eaux-devie 6.521 486 6.565 475 2.826 3.268 Départements Culture de la coca et du tabac Construction de routes Divers LUI 740 5.732 425 85 3.969 1.365 1.309 783 2.371 291 1.641 277 1.759 8.985 64 2.108 2.676 132 68 34.740 298 8.027 853 60 5.953 979 2.621 6.270 597 634 6.570 746 2.315 7.356 40 200 17.101 11.055 1.358 73.159 126 1.700 2.980 780 3.927 3.133 3.557 4.924 369 177 141 4.748 615 37 16.280 43.929 27.560 mento Tècnico, Sección Estadística : Estimativa en la República (Lima, 15 fév. 1950). de las principales ocupaciones de Amazone Ancash Apurimac Arequipa Ayacucho Cajamarca Cuzco Huancavelica Huánuco Ica Junín La Libertad Lambayeque Lima Loreto Moquegua Pasco Piura Puno Taona laTotal población de las L'économie agricole de la Sierra « a gardé, dans une grande mesure, son ancienne organisation fondée sur l'autarcie régionale et même locale, qui remonte à l'époque préinca ; mais la pénurie de terres et le bas niveau de rendement font qu'une telle économie ne peut assurer qu'un niveau de vie très peu élevé 1 ». Il faut souligner, cependant, que dans quelques régions montagneuses, il existe des comunidades aborigènes prospères, qui, non seulement ont une superficie de terre suffisante mais qui, grâce à l'introduction de méthodes coopératives, ont réussi à augmenter graduellement leur rendement. Parmi celles-ci, on cite souvent la communauté de Muquiyauyu, dans la province de Jauja, dont il est question de façon plus détaillée à la page suivante. 1 Rómulo A. F E R R E R Ò , op. cit., pp. 13, 22-23 et 27. 13' 360 LE THAVALLLEtTR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE Venezuela. Pour le Venezuela, il n'a pas été possible d'obtenir de renseignements sur le nombre et la situation économique des comunidades encore en existence. D'après diverses sources, il semble que dans quelques régions la superficie de terre possédée par ces communautés ait nettement diminué. Un auteur signale, par exemple, que « la superficie des terres indiennes s'est fortement réduite à mesure qu'avançait — parfois en recourant à la violence et à la brutalité — l'élément non aborigène ; la presse a souvent d'ailleurs l'occasion de dénoncer les abus de ce genre 1 ». Restauration des communautés aborigènes. Dans quelques cas, les communautés aborigènes ont réussi par leurs propres efforts à rétablir un certain équilibre entre la population et les ressources. Là où, d'une manière générale, les grands domaines prédominent, ce processus de restauration est très difficile, mais dans les régions où la terre a été subdivisée en petites parcelles — comme c'est le cas dans certaines parties de la vallée de Cochabamba, en Bolivie —, les Indiens ont pu se procurer suffisamment de ressources pour atteindre à un certain degré d'indépendance économique. Dans la région d'Otavalo (Equateur), l'artisanat aborigène s'est révélé un moyen de relèvement économique. Grâce aux sommes qu'il permet d'épargner, les Indiens de cette région ont réussi à étendre leurs domaines par l'acquisition des terres fertiles des vallées appartenant aux domaines voisins 2. Par cette méthode, ils s'arrachent graduellement à leur misère traditionnelle et deviennent une société de citoyens prospères et indépendants 8 . Un autre exemple significatif est celui de la communauté de Muquiyauyu, dans la province de Jauja (Pérou). Avec l'argent économisé sur les salaires gagnés dans-les mines, la comunidad a acheté 400 hectares de terres. En dix ans, les Indiens ont économisé par un travail commun 70.000 soles, qui ont été investis dans la construction d'une usine hydroélectrique. Cette usine fournit non seulement la lumière et l'énergie à la communauté, mais également la moitié de 1 Tulio LÓPEZ RAMÍREZ : « El estudiantado venezolano y el problema del indio », América Indigena, vol. V, n° 2, avril 1945, p . 137. 2 Une proportion importante de terres indiennes de ee district était située depuis des dizaines d'années sur les pentes pierreuses des collines d'Imbabura, où le sol est peu fertile à cause du manque d'irrigation. 3 Pour plus de détails, cf. J o h n COLLIER, J r . , et Aníbal BUITRÓN : The Awakening Valley (Chicago, The University of Chicago Press, 1949). LE PROBLÈME D E LA TEERE 361 l'électricité nécessaire à la ville voisine de Jauja. Les habitants ont installé également un moulin électrique grâce auquel les femmes ont pu consacrer leur temps à certains travaux artisanaux. Ils ont également bâti une école pour 300 enfants, dont la communauté a fait don au gouvernement. Muquiyauyu a apporté la preuve... non seulement de la capacité de « survivance » des sociétés indiennes, mais de leur faculté d'adaptation. Ses habitants ont remis en honneur beaucoup des anciennes valeurs, ont modernisé la coopération immémoriale entre l'homme et la nature et se sont montrés prêts à adopter de nouvelles méthodes, et à les mettre en pratique 1. Dans d'autres cas, la restauration économique de certaines communautés aborigènes a été effectuée grâce à l'intervention du gouvernement. Les méthodes utilisées et les résultats acquis dans plusieurs pays sont exposés au chapitre X I . £'« ejido » mexicain 2 Pour le Mexique, les renseignements font défaut sur le nombre et la densité des communautés tribales aborigènes qui ont gardé relativement intacte leur structure économique et sociale précolombienne ou coloniale et qui n'ont pas encore été transformées en organisations du type ejido. Le passage ci-dessous, extrait d'un rapport soumis par le ministère mexicain de l'Agriculture au premier Congrès interaméricain des affaires indigènes en 1940, laisse à penser qu'il existe un certain nombre de ces communautés, réparties dans différentes régions du pays. Dans certaines parties du pays, qui comprennent de vastes zones des Etats de Guerrero, Chiapas, Oaxaca, Michoacán, ïïayarit, Durango, Sonora, Chihuahua, Coahuila et Yucatán, et le territoire de Quintana Eoo, les groupes aborigènes sont parvenus à deux stades distincts de développement en matière d'occupation de la terre. Les uns ont gardé les caractéristiques des tribus nomades et occupent — sans toutefois en avoir la possession de droit — des terres qu'ils considèrent comme leur propriété et dont les limites sont déterminées par les mouvements réels de la tribu. Les autres sont stables et possèdent, du moins en fait, des régions qui restent nominalement propriété collective : tel est le cas des Mixtèques, des Zapotèques, des Cnamula, des Yaqui, des Tarasques, etc. 3. 1 J. COLLIER: The Indians of the Americas (New-York, W.W.Norton, 1947), p. 184. II convient de signaler que, le métissage ayant pris de très grandes proportions dans les milieux ruraux mexicains, l'organisation des ejidos concerne non seulement les noyaux exclusivement aborigènes, mais aussi des secteurs beaucoup plus vastes de la paysannerie mexicaine. 2 3 DEPARTAMENTO AGRARIO DE MÉXICO : El tratamiento a los indígenas en la redistribución de la propiedad rural (Rapport ronéographié soumis par le département de l'Agriculture du Mexique au premier Congrès interaméricain des affaires indigènes) (Mexico, 1940). 362 LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE Si les renseignements font défaut au sujet des communautés tribales, en revanche, on connaît fort bien les effets de la révolution agraire, dont la cause déterminante a été la nécessité d'élaborer un système d'occupation des terres qui mette un terme à la misère où vivaient les Indiens et, en particulier, apporte une solution au problème du péon attaché à la propriété. C'est ce qui a conduit au développement de Vejido moderne, dont les caractéristiques sont décrites ci-après. Organisation et caractéristiques de V« ejido ». La répartition des terres aux habitants d'un village pour la formation d'un ejido peut s'opérer selon quatre procédures : 1) la restitution, c'est-à-dire la distribution d'anciennes terres collectives, illégalement aliénées, aux groupes qui peuvent faire état de titres de propriété valables ; 2) la donation, ou octroi de terres à titre gratuit aux groupes qui ne peuvent faire état de titres de propriété ; 3) la confirmation, qui n'est que la simple légalisation de droits sur une terre qu'un groupe possède déjà en fait ; 4) l'expansion, c'est-à-dire l'octroi de terres supplémentaires lorsque la dotation originelle est devenue insuffisante pour répondre aux besoins du groupe. Lorsque la terre est remise à un groupe donné, une étude attentive est faite de la région, de la qualité de la terre, des genres de récolte et du rendement moyen qu'elles peuvent donner, de la disposition des bâtiments publics, etc. E n plus de la terre arable, Vejido comprend : des pâturages, des bois, etc., qui seront utuisés collectivement par les membres (ejidatarios) ; une zone d'habitation ; des terres arables loties en parcelles pour les écoles ; des zones spéciales qui, parce qu'elles sont matériellement indivisibles, doivent être cultivées collectivement par les membres ; des moyens d'irrigation 1. Dans la zone d'habitation, une section est réservée aux services pubUcs de la communauté et une autre est prévue pour l'accroissement de la population. Le reste est morcelé en sites de construction, dont l'usufruit est donné aux membres avec l'obligation de bâtir leur maison et d'y vivre ; après quatre ans d'occupation, ils reçoivent les titres de propriété de la parcelle. 1 Les droits d'eau d'irrigation dans un ejido sont collectifs et appartiennent au groupe. LE PROBLEME DE LA TERRE 363 L'article 204 du Code agraire dispose que la terre arable peut être cultivée individuellement ou collectivement. Les catégories suivantes doivent être cultivées collectivement : a) celles qui constituent géographiquement des unités de pulture indivisibles et qui doivent être cultivées conjointement par les membres ; b) celles qui constituent des zones agricoles relevant d'une industrie ; c) celles dont le rendement, pour des raisons techniques et économiques, peut être plus élevé et qui peuvent contribuer à élever le niveau de vie des membres si elles sont cultivées collectivement. En outre, la culture collective est adoptée lorsque la culture individuelle se révèle peu rentable à cause de la topographie du sol, de sa qualité, du genre de culture, de l'équipement nécessaire, etc. L'article 138 du Code établit que les droits de propriété agraires collectifs acquis par les ejidos sont inaliénables, imprescriptibles, insaisissables et non transmissibles et qu'ils ne peuvent « en aucun cas ou sous aucune forme être aliénés, cédés, transmis, loués ou hypothéqués, entièrement ou en partie... ». L'article 140 interdit «la conclusion d'accords de location ou de fermage et généralement de tout acte légal qui implique l'exploitation indirecte d'une terre à? ejido ». Néanmoins, si Vejido y voit un avantage économique, il peut échanger une partie de ses terres collectives pour celles d'un autre ejido, à condition que cet échange soit approuvé par l'assemblée générale des membres de chaque communauté et reçoive l'agrément du ministère de l'Agriculture et de la Banque nationale de crédit des ejidos (art. 46 et 150). Lorsque le système de culture individuelle du sol est adopté, ce dernier est divisé en parcelles, dont la superficie et la qualité sont déterminées par un ordre présidentiel. Le Code agraire de 1943 fixait l'unité individuelle à 6 hectares de terre irriguée et 12 hectares de terre non irriguée, mais le 12 février 1947, le Congrès national a adopté un amendement à l'article 27 de la Constitution en vertu duquel l'unité ne doit pas être inférieure à 10 hectares de terre irriguée ou, à défaut, à 20 hectares de terre non irriguée, 40 hectares de pâturage d'été de bonne qualité et 80 hectares de forêts ou de pâturages d'été dans les régions sèches 1 . Il ne doit pas être employé de travailleurs salariés dans les propriétés des ejidos. Cependant, le Code permet certaines dérogations à cette règle, par exemple lorsqu'il s'agit d'une femme 1 Diario Oficial (Mexico), 12 fév. 1947. 364 LE TRAVAILLEUR ABORIGENE DANS L'ÉCONOMIE ayant une famille à sa charge et incapable de ce fait de travailler la terre elle-même, ou de membres (ejidatarios) victimes d'accidents ou atteints de maladies les empêchant de travailler la terre. D'autre part, le ministère de l'Agriculture peut autoriser un ejidatario à employer des travailleurs salariés pour des tâches spécifiées dans les cas où la nature spéciale de la culture l'exige. Quand Vejidatario meurt, ses droits passent à sa femme ou à ses enfants ou à leur défaut à toute personne qui, bien que non-membre de la famille, était à sa charge et vivait sous son toit 5 lorsqu'on ne peut trouver aucun successeur, la terre redevient propriété du groupe et l'assemblée générale peut, par un vote des deux tiers, nommer un nouveau propriétaire. li'ejidatario perd ses droits s'il ne cultive pas sa parcelle pendant deux années consécutives. L'article 171 du Code interdit qu'une seule famille possède plusieurs parcelles (par mariage entre deux membres). Vejidatario n'est pas Ubre de cultiver sa parcelle comme bon lui semble ; il doit se conformer à une série de règlements administratifs et économiques établis par les autorités de Vejido et le gouvernement. En outre, il doit prendre sa part du travail collectif dans les terres collectives et contribuer à l'impôt foncier des ejidos 1 et aux frais de l'école, du terrain de sport et d'autres institutions publiques de Vejido. Les autorités de Vejido sont : l'assemblée générale des membres, les commissaires de Vejido et de la propriété collective, le conseil de surveillance. L'assemblée générale demande l'intervention des autorités agraires pour le règlement de cas relatifs à la suspension ou au retrait des droits des membres et détermine le mode d'utilisation de la terre collective, sous réserve de l'approbation du ministère de l'Agriculture ou de la Banque nationale de crédit des ejidos. Les commissaires représentent les membres auprès des autorités administratives et légales ; ils administrent la propriété commune de Vejido grâce à une procuration générale, surveillent le morcellement de la terre et s'assurent que les parcelles individuelles et collectives sont cultivées conformément aux dispositions de la législation en vigueur et des réglementations des autorités agraires officielles. 1 Le régime fiscal des ejidos est soumis aux règles suivantes : la municipalité, l'Etat ou le gouvernement fédéral peuvent soumettre la propriété ejido seulement à une forme d'impôt foncier, qui ne peut dépasser 5 pour cent de la production annuelle de Vejido ; la production agricole de Vejido ne peut être imposée en aucun cas. LE PROBLÈME DE LA TEBEE 365 Les organismes agraires officiels sont le département agraire, les commissions agraires mixtes des Etats et le ministère de l'Agriculture (Direction générale de l'organisation des ejidos). Le ministère de l'Agriculture est responsable de l'organisation économique des ejidos et peut déléguer ses fonctions à la Banque nationale de crédit ejido. Ses fonctions comprennent : a) la détermination des produits et des méthodes de culture qui devraient être interdits comme non rentables ou susceptibles de provoquer l'érosion du sol ; b) la détermination des meilleurs produits et des méthodes les mieux appropriées pour l'exploitation la plus efficace des ressources naturelles et humaines ; c) la détermination de la forme d'organisation des membres la mieux appropriée pour la culture et l'écoulement des produits ; d) la détermination des moyens les mieux appropriés pour l'utilisation efficace des forêts et des pâturages collectifs, etc. Importance et population des « ejidos ». Avant la promulgation du Code agraire de 1934, on estimait qu'environ 2 millions de personnes pouvaient prétendre à l'octroi de terres soumises au régime des ejidos. Entre 1922 et 1933, on a réparti à titre définitif 7.600.000 hectares (dont 531.046 par confirmation des titres de propriété) entre 754.577 personnes. En outre, environ 3 millions d'hectares ont été répartis à titre provisoire entre 2.377 communautés. En 1935-36, 6.324.266 hectares ont été distribués En 1940, on comptait dans le pays 13.959 ejidos, comprenant 1 740.557 membres x. D'après le recensement de 1940, les membres actifs des ejidos représentaient 56,7 pour cent du nombre total des propriétaires terriens du pays et possédaient 47,4 pour cent de la terre arable, 56,2 pour cent de la terre irriguée et 18,3 pour cent des pâturages. En 1943, on comptait 15.600 ejidos occupant une superficie totale de 36.800.000 hectares, répartis entre 1.840.314 membres qui, avec leurs familles, représentaient une population de 7.361.356 habitants 2. A la fin de mai 1948, le nombre des ejidos qui possédaient leurs terres à titre définitif était de 15.645, et le nombre de leurs membres de 1.560.845. Comme le montre le tableau XLV, la plus forte concentration (Tejidos se trouve dans les Etats de Veracruz, Michoacán, Guanajuato et Jalisco. 1 2 Seis años al servicio de México, 1934-1940, op. cit., p. 145. DEPARTAMENTO AGRAMO DE MÉXICO : Memoria 1942-43. 366 LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE TABLEAU XLV. — MEXIQUE : « EJIDOS » AUTORISÉS ET NOMBRE DES MEMBRES (5 février 1915-31 mai 1948) Etat ou territoire Aguascalientes Baja California Norte . . Baja California Sur . . . Campeche Chiapas Chihuahua Coahuila Colima District fédéral Durango Guanajuato Guerrero Hidalgo Jalisco Mexico Michoacán Morelos Nayarit Nuevo León Oaxaca Puebla Querétaro Quintana Roo San Luis Potosí . . . . Sinaloa Sonora Tabasco Tamaulipas Tlaxcala Veracruz Yucatán Zacatecas Source : Données fournies par le Total . février 1949. Nombre des ejidos Nombre des membres 181 70 30 109 531 464 585 93 73 541 1.006 642 627 1.005 961 1.205 197 274 440 489 870 265 43 783 417 239 332 700 179 1.472 257 15.645 566 12.013 6.109 3.375 13.103 53.531 46.857 60.479 6.631 17.473 52.903 82.755 61.291 56.199 103.469 144.750 117.573 26.009 28.965 25.877 57.730 108.177 25.519 2.943 71.484 41.413 23.857 29.900 33.642 27.966 113.632 46.382 1.560.845 58.838 ministère mexicain de l'Agriculture, H n'est pas sans intérêt de comparer les différences dans le nombre des bénéficiaires qui ressortent de la comparaison entre le tableau relatif au nombre des ejidos autorisés à la date du 31 mai 1948 et le tableau XLVI, relatif au nombre total des membres actifs des ejidos et des membres de leur famille, par rapport au total de la population et au nombre des travailleurs agricoles du pays. Entre 1948 et 1950, la situation a continué d'évoluer, comme en témoignent les résultats préliminaires du recensement de 1950. Lors de ce recensement, 5.243.119 personnes LE PROBLÈME DE LA TEERE 367 TABLEAU XLVI. — MEXIQUE : POPULATION DES « EJIDOS » DANS LA POPULATION TOTALE, NOMBRE DES MEMBRES ACTIFS ET POURCENTAGE DANS L'ENSEMBLE DES AGRICULTEURS Région et E t a t Pacifique nord Baja California N, Baja California S, Nayarit. . . Sinaloa . . . Sonora . . . Nord . . . . Chihuahua Coahuila . Durango . Nuevo León San Luis Potosí Tamaulipas Zacatecas . Centre . . Aguascalientes District fédéral Guanajuato Hidalgo. . Jalisco . . Mexico . . Michoacán Morelos Puebla . . Querétaro Tlaxoala . Golfe du Mexique Campeche . . Quintana Roo Tabasco. . Veracruz . Yucatán . Pacifique sud Chiapas . . Colima . . Guerrero . Oaxaca . . Total . Population des ejidos Pourcentage de la population totale Nombre des membres actifs 273.061 10.274 3.998 87.325 105.170 66.284 1.008.565 139.552 146.128 167.710 59.933 246.710 87.523 161.009 22,7 13,0 7,8 40,3 21,3 18,2 2.438.916 32.074 82.947 228.164 265.470 259.186 554.616 341.472 87.379 415.752 85.525 86.331 737.120 36.645 6.253 75.132 401.891 217.109 534.406 161.830 15.819 184.042 172.715 4.992.058 25,9 19,8 4,7 21,8 34,4 18,3 48,4 28,9 47,8 32,1 34,9 38,5 800.599 9.103 32.719 74,389 84.565 82.432 173.765 30,3 40,5 33,3 26,3 24,8 51,9 209.705 19,9 23,8 20,1 25,1 14,5 169.181 25,4 1.601.392 25,8 22,4 26,5 34,7 11,1 36,3 19,1 28,5 103.792 3.627 2.410 29.137 41.944 26.674 318.115 42.725 46.240 59.046 20.909 70.167 26.493 52.535 118.169 29.218 138.348 25.396 32.495 10.283 1.895 21.847 114.259 61.421 50.245 5.138 62.940 50.858 Source : DIRECCIÓN GENERAL DE ESTADÍSTICA : Sexto censo de población y Segundo censo eiidal (1940) ; données tirées de ces sources par Nathan L. WHETTEN : Rural Mexico, op. cit., pp. 596-597. vivaient dans le cadre des ejidos (1.767.145 en étaient membres actifs). En 1950, sur l'ensemble de la population agricole du pays, 35,2 pour cent étaient des travailleurs membres tejidos ; 368 LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE la population des ejidos représentait 31,2 pour cent de la population rurale et 20,4 pour cent de la population totale du pays *. Résultats de la réforme agraire. La réforme agraire qui a été effectuée au Mexique a été la conséquence de la révolution de 1910. Environ 30 millions d'hectares qui appartenaient autrefois aux grands propriétaires ont été redistribués entre 1922 et 1945, c'est-à-dire 25 pour cent de la superficie totale des exploitations, y compris les zones de montagnes et de pâturages arides. L'institution du régime des ejidos, prévue par l'article 27 de la Constitution de 1917, a eu des effets sociaux indubitablement bienfaisants. Si les conditions d'emploi des travailleurs agricoles se sont améliorées, le nombre de ces travailleurs a diminué par rapport à l'ensemble de la population 2 , sans d'ailleurs que cela indique une baisse de l'intérêt dans l'exploitation de la terre : en 1945, le nombre des paysans auxquels il n'a pas été possible d'accorder des terres s'est élevé à 455.251. La demande de terres est donc loin d'avoir fléchi et, à ce sujet, il convient de rappeler que 378.620 des membres actifs des ejidos enregistrés en 1940 ne possédaient pas la parcelle qui aurait convenu à leurs besoins, et que 461.035 ne cultivaient pas leur parcelle faute de ressources ou d'outillage 3. Avant la réforme, la moitié environ de la population rurale, enchaînée aux haciendas par ses dettes, vivait dans un état de demiservage. Cette population jouit maintenant de sa liberté de mouvement. La coutume suivant laquelle, pour les petits lopins de terre nécessaires à leur subsistance, les ouvriers agricoles payaient un fermage aux propriétaires de domaines sous forme de deux ou trois jours de travail non rétribué par semaine, a maintenant presque entièrement disparu. A l'heure actuelle, une grande partie des ouvriers agricoles ne travaillent plus dans les domaines d'une manière permanente ; on ne les emploie que pendant certaines périodes ; ils préfèrent cultiver leurs parcelles ejido pendant la saison 4des pluies et travailler comme péons pendant la saison sèche d'hiver . Les conditions régnant dans les ejidos varient énormément suivant la qualité de la terre, les moyens de communication, l'organisation économique de la communauté, etc. On peut distinguer trois groupes différents : a) les ejidos situés dans le 1 CONFERENCIA INTERAMERICANA D E SEGURIDAD SOCIAL, c u a r t a reunión : « L a extensión del seguro social al agro mexicano », La extensión del seguro social al campo (Mexico, 1952), p . 124. 2 NATIONS U N I E S , Département des questions économiques : La réforme agraire. Les défauts de la structure agraire qui entravent le développement économique (NewYork, 1951) (E/2O03/R*v. 1, ST/BCA/11, numéro de vente : 1951.II.B.3), p p . 66-68. 3 Ibid., p . 69. *Ibid., p p . 67-68. LE PROBLÈME D E LA TEBEE 369 voisinage des grands centres et qui peuvent disposer de moyens modernes en matière de technique agricole, d'irrigation, d'installations sanitaires, etc. ; b) ceux qui sont situés dans des régions privilégiées à l'égard du climat et de l'humidité, mais qui n'ont pas de bonnes communications et ne disposent pas des mêmes moyens que les premiers ; c) ceux qui n'ont pas de terre arable, ayant été établis sur d'anciens domaines d'élevage. La deuxième catégorie semble prédominer sur le plateau central et dans quelques-unes des régions de la côte. L'une des régions où prédomine Vejido est celle de La Laguna, dans les Etats de Chihuahua et de Durango ; on y pratique surtout la culture du coton et du blé, et, dans une moindre mesure, celle du maïs et de la luzerne. D'autres régions ejido importantes sont celles où l'on cultive l'agave dans le Yucatan et la canne à sucre à Morelos. Le système de Vejido a entraîné une amélioration importante des conditions sociales et économiques de la population aborigène et métisse dans diverses régions du pays 1 . Le cas des Indiens Yaqui et Mayo, qui habitent le nord du pays, est souvent cité. Eécemment encore, ces Indiens, surtout chasseurs, vivaient dans les conditions économiques les plus primitives. Grâce à l'utilisation d'équipement moderne, ils produisent actuellement des quantités considérables de sucre et de riz, de légumes et de fruits. Cependant, nous l'indiquions précédemment, la distribution de terres à'ejidos ne permet pas encore de répondre aux besoins des paysans. En 1940, on estimait qu'environ la moitié de la population rurale du pays continuait à être sans terre, et que 70 pour cent de la terre arable était encore concentrée dans des domaines de plus de 1.200 hectares chacun 2. En 1949, on estimait que sur un total d'environ 15 millions d'hectares de terre arable, 2.700.000 hectares étaient constitués par des parcelles aborigènes, mais la production agricole, dans 82 pour cent de cette superficie était en dessous d'un niveau normal de subsistance à cause d'une mauvaise topographie, du manqué de moyens d'irrigation, de l'érosion et des techniques primitives 3. La plupart des parcelles des ejidos ont en moyenne 18 hectares, dont seulement 4,4 hectares de terre arable. 1 2 3 Preston JAMBS : Latin America, New-York et Boston, 1942, p. 668. Seis años al servicio de México, 1934-1940, op. cit., p. 327. SECRETARÍA DE AGRICULTURA y GANADERÍA : Conservación de los suelos en las zonas indígenas; rapport présenté au deuxième Congrès interaméricain des affaires indigènes. Voir Anales del Congreso, op. cit., p. 317. 370 LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE Sans aucun doute on aurait pu encore augmenter la production s'il avait été possible d'établir les exploitations ejidos sur une base économique plus solide en leur donnant des parcelles plus grandes et en leur accordant des crédits moins onéreux. Le rendement à l'hectare de ces terres est un peu inférieur à celui des exploitations de même importance sous le régime de la propriété privée, et très inférieur à celui des grandes exploitations 1. Le problème de l'irrigation a fait l'objet d'une attention spéciale de la part de nombreux experts mexicains. Le directeur de l'Institut interaméricain des affaires indigènes a résumé ce problème de la manière suivante : (Dans les grands domaines) l'exploitation se suffisait souvent à elle-même ; disposant de terres irriguées et de terres à rendement saisonnier, de pâturages, de bois, etc., le propriétaire pouvait, lorsque la sécheresse ruinait les récoltes des terres non irriguées, compenser cette perte grâce aux produits de ses terres irriguées, de ses bois ou de son bétail ; ou si celui-ci était victime d'épizooties dévastatrices, les autres produits du domaine permettaient de parer au désastre. Maintenant que les grands domaines ont été divisés en ejidos et morcelés, le paysan qui a reçu une petite parcelle de terre non irriguée n'a rien pour compenser les pertes en cas de sécheresse ou d'intempéries ; il est forcé de rester oisif ou d'aller travailler pour un maigre salaire, soit dans les ejidos qui ont des terres irriguées (et ils sont rares), soit chez de petits propriétaires ; ou bien encore il lui faut émigrer dans d'autres régions à la recherche de travail 2. OCCUPATION ET AFFECTATION DE LA TERRE CHEZ LES ABORIGÈNES SYLVICOLES D'AMÉRIQUE LATINE Cbez les Indiens sylvicoles, le problème de la terre est tout différent de ce qu'il est dans les communautés aborigènes traditionnelles des hauts plateaux de l'Amérique latine, à cause du caractère semi-nomadique du sylvicole, de l'isolement géographique dans lequel il vit et de ses caractéristiques culturelles. Les données disponibles sur la question sont rares et incomplètes, surtout à cause des deux premières raisons. Ce n'est qu'à une date relativement récente que les populations aborigènes sylvicoles se sont installées à l'intérieur du continent ; elles vivaient primitivement sur une bande de terre d'une profondeur de quelques dizaines de kilomètres, bordant l'Atlantique sud, et s'étendant de la Terre de Feu à la mer des Caraïbes, et il est presque certain qu'elles n'avaient jamais pénétré très profondément dans les terres. Ce furent 1 NATIONS U N I E S , Département des questions économiques : La réforme agraire, op. cit., p . 69. D'après des données extraites de N a t h a n L. W H E T T E N , op. cit., p . 566. 2 Manuel GAMIO : « La producción agrícola y la industrialización de los ejidatarios », Oonsideraciones sobre el problema indigena (Mexico, Institut» Indigenista Interamericano, 1948), p. 32. LE PROBLÈME DE LA TEEBE 371 les conquérants d'abord, et les colons ensuite, qui les refoulèrent toujours plus loin vers leur habitat actuel. Chassé de ses terres primitives ou fuyant l'esclavage, l'Indien sylvicole recula devant l'avance de colons toujours plus nombreux, et s'enfonça toujours plus profondément au cœur des forêts et des marécages, réussissant, au prix de pertes vraisemblablement fort grandes, à s'adapter aux nouvelles conditions que les circonstances lui imposaient. Toutefois, lors de l'arrivée des conquérants blancs sur le littoral sud-atlantique d'Amérique, de grandes masses de population indienne étaient déjà en mouvement ; des tribus et des nations entières étaient chassées par la montée vers le nord des tribus Tupi-Guarani qui, à la recherche de territoires pour s'installer, les repoussaient devant elles. Ces mouvements migratoires semblent avoir revêtu une ampleur particulière et l'on ne saurait mieux les comparer qu'à ceux que provoquèrent en Europe les grandes invasions. Eepoussés à leur tour par les Blancs, ou fuyant le contact avec les nouveaux arrivants, les Tupi-Guarani refoulèrent devant eux les peuplades et tribus qui s'étaient réfugiées à l'intérieur des terres et les repoussèrent au cœur du continent. Dès l'époque coloniale, le problème des terres pour les aborigènes sylvicoles s'est imposé à la considération des couronnes d'Espagne et de Portugal ; par des édits et des ordonnances, les cours de Madrid et de Lisbonne ont essayé de réserver des terres pour la subsistance des Indiens. De nos jours, les terres occupées par les groupes sylvicoles en plein cœur du continent suscitent de plus en plus la convoitise des populations civilisées, au fur et à mesure que s'accroît l'importance numérique de celles-ci et que s'intensifie la recherche de richesses naturelles, de terres arables et de pâturages. Les contacts entre sylvicoles et autres groupes de la population rurale se multiplient, posant des problèmes complexes et divers. Par endroits, les sylvicoles se trouvent littéralement encerclés par les colons, qui leur disputent âprement la terre, et là où aucun contrôle n'est exercé par les gouvernements, l'Indien finit par succomber, soit à la suite d'une expulsion pure et simple, soit du fait de la désagrégation des collectivités indigènes entraînée par la civilisation, des ravages des épidémies et des maladies diverses que lui vaut le contact avec les nouveaux venus ou encore des représailles auxquelles donnent lieu des actes considérés comme criminels. Un exemple typique est fourni par les Indiens Tapirapé de la région de l'Araguaia (Brésil), peu à peu encerclés par les 372 LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE populations rurales, qui se sont emparées des meilleures terres, des territoires de chasse, des cours d'eau, etc. : Il ne fait aucun doute que c'est aux populations rurales installées définitivement et en nombre toujours croissant sur les bords du fleuve qu'il faut imputer l'appauvrissement constant des ressources en gibier et en poisson, que les Indiens ne chassaient et ne péchaient qu'à certaines époques de l'année. Si les Tapirapé ont remonté le fleuve vers le nord, c'est qu'ils ne trouvaient plus ni terres, ni gibier, ni poisson pour leur subsistance et qu'ils se sentaient menacés par la proximité des colons blancs 1. Au Brésil, le Service de protection des Indiens s'est vu dans l'obligation de racheter des terres aux fermiers qui s'étaient installés à proximité de plusieurs postes indigènes, privant ainsi les Indiens des meilleures terres cultivables. Il a même dû transférer progressivement des groupes d'Indiens encerclés par la colonisation dans d'autres localités et y assurer leur installation 2 . La Commission d'experts pour le travail des aborigènes, de l'Organisation internationale du Travail, examinera à sa prochaine session les rapports préparés par le Bureau international du Travail sur la question des Indiens sylvicoles, en particulier en ce qui concerne la protection des moyens de subsistance de ces populations, et, partant, de leurs terres. RÉSERVES ET TERRES ALLOUÉES A TITRE INDIVIDUEL Canada Les zones réservées aux Indiens du Canada dépassent le chiffre de 2.000. Comme l'indique le tableau XLVII, en mars 1951, la superficie totale des réserves dépassait 2.400.000 hectares, dont à peine 142.000 étaient en culture. Aussi le problème de la pression démographique ne semble-t-il pas se poser, pas plus d'ailleurs que celui de la pénurie de terres arables. Les principales ressources des aborigènes proviennent de l'exploitation des forêts et de la chasse ou de l'élevage des animaux à fourrure, ce qui n'empêche pas les pouvoirs publics de stimuler également le développement des fermes d'agriculture et d'élevage et des exploitations laitières. La superficie totale indiquée dans le tableau appartient pour 25,7 pour cent à l'Ontario, pour 23,9 pour cent à l'Alberta et pour 21,8 pour cent à la Saskatchewan. 1 MINISTERIO DE RBLAÇÔES EXTERIORES, Serviço de Informaçôes para o Exte- rior : Itamaraty, n° 50, 15 dec. 1949. 2 H. BALDTJS : «Tribos da Bacia do Araguaia e o Serviço de Proteçâo aos Indios», Revista do Mustu Pauluta (Sào-Paulo), nouvelle série, vol. II, 1948, p. 139. 373 LE PROBLÈME DE LA TERRE TABLEAU XLVII. CANADA : TERRES RÉSERVÉES AUX INDIENS, 1 9 5 1 (En acres) Provinces et territoires Ile du Prince-Edouard . . . Nouvelle-Ecosse Nouveau-Brunswick . . . . Québec Ontario Manitoba Saskatchewan Alberta Colombie britannique . . . Territoires du Nord-Ouest et Yukon Total . . . Superficie totale des réserves Bois Terres défrichées mais non cultivées 2.741 19.498 37.727 179.619 1.560.221 525.299 1.203.293 1.516.796 816.549 5.620 1.721 22.924 33.602 138.799 1.198.900 308.909 496.961 565.373 437.063 3.537 820 1.235 1.157 11.597 107.957 161.821 623.918 772.351 240.028 41 200 636 294 4.487 33.427 20.040 116.868 136.060 42.169 5.867.3631 3.207.789 1.920.925 354.201 Terres cultivées 20 Source : DEPARTMENT OF CITIZENSHIP AND IMMIGRATION, Indian Affairs Branch : Report.. tor the Fiscal Year Ended March 31,1951 (Ottawa, 1951), pp. 84-85. 1 Soit 2.400.000 hectares. Sauf en cas d'expropriation à des fins d'utilité publique, les réserves ne peuvent être aliénées sans le consentement du gouvernement et des propriétaires aborigènes. Les terres sont de propriété commune et, outre le droit d'occupation, seules appartiennent à l'individu les améliorations matérielles qu'il apporte à la parcelle qu'il occupe. Dans le Nord, où l'on ne saurait encore parler de colonisation, aucune réserve n'a été créée, et les Indiens ont conservé le système d'organisation en « bandes ». Chacune de celles-ci dispose de fonds fiduciaires collectifs, dont les revenus proviennent surtout de la vente des produits naturels. Entre 1870 et 1948, le montant de ces fonds — on en compte plus de 480 — a passé de 200.000 à 18.400.000 doUars \ Les Indiens du Canada sont soumis à la loi sur un pied d'égalité avec les autres citoyens. Ils peuvent assumer des obligations contractuelles, ester et être poursuivis en justice. Les biens-fonds et les biens personnels de l'Indien résidant dans une réserve sont exempts d'impôts. A moins d'être l'objet d'une action judiciaire intentée par un autre Indien, la propriété de l'aborigène ne peut être saisie pour des dettes ou des hypothèques de quelque nature que ce soit 2 . 1 DOMINION BUHEAU or STATISTICS : The Canada Yearbook, 1948-1949 (Ottawa, 1949), p. 1172. 2 Ibid., p. 1176. 374 LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE Comme on le verra dans le chapitre consacré à cette question, le gouvernement canadien vient en aide aux Indiens et aux Esquimaux dans la mise en valeur de leurs ressources économiques et le développement de leurs possibilités d'emploi productif. On a pu constater au cours des années récentes une notable diminution dans le nombre des Indiens de Colombie britannique qui abandonnent les réserves pour se rendre dans l'Etat de Washington, aux Etats-Unis, en vue de louer leurs services pour la moisson ou la récolte de fruits. Malgré les salaires élevés qui leur sont proposés, les Indiens préfèrent demeurer dans leurs réserves pour s'adonner à l'agriculture. Le nombre de pêcheurs et de trappeurs occupés à temps partiel dans l'industrie est en augmentation, ce qui contribue à assurer la conservation de la faune qui fournit aux Indiens leurs moyens de subsistance. La neige, le gel, la sécheresse et les inondations raccourcissent la campagne agricole et endommagent les récoltes, rendant plus difficile l'exploitation de la terre dans les provinces exposées à un climat rigoureux. Dans les cas exceptionnels, ou lorsqu'il est difficile de trouver de l'emploi en dehors des réserves, la subsistance de l'Indien est assurée au moyen de subventions. Si la sécheresse persiste en été, les incendies causent la perte de vastes zones boisées et la diminution du nombre d'animaux à fourrure chassés par les Indiens 3. Etats- Unis En 1949, la superficie totale des terres possédées par les Indiens des Etats-Unis dépassait 22 millions d'hectares, dont 14 millions en forêts et 6 millions en pâturages. Plus d'un million et demi d'hectares ont été classés comme terre agricole, mais la moite seulement de cette superficie peut être irriguée. Les terres qui étaient propriété des tribus représentaient plus de 15 millions d'hectares et celles qui étaient confiées à titre individuel à des aborigènes, environ 7 millions 2. Le tableau XLVIII indique la répartition par Etats des terres indigènes exemptes d'impôts placées sous la juridiction du Bureau des affaires indiennes (statistiques de 1949). Dans la déclaration qu'il a faite devant la Commission parlementaire des affaires intérieures et insulaires en février 1949, M. William Zimmerman, commissaire par intérim aux 1 Au sujet de l'économie de subsistance et des autres questions relatives à l'utilisation des ressources naturelles, voir également les passages consacrés au Canada dans le chapitre précédent. 2 Cf. Hearings on... National Resources Policy, op. cit., p. 4. L E P R O B L È M E D E LA TABLEAU X l i V m . — 375 TERRE ÉTATS-UNIS : T E E E E S ADMINISTRÉES PAR LE BUREAU DES AFFAIRES INDIENNES, (En Etat Superfìcie totale Arizona Arkansas . . . . Californie . . . . Caroline du Nord . Colorado . . . . Dakota du Nord . Dakota du Sud . . Floride Idaho Iowa Kansas Michigan . . . . Minnesota . . . . Mississippi . . . Montana . . . . Nebraska . . . . Newada New-York . . . . Nouveau-Mexique. Oklahoma . . . . Oregon Pennsylvanie . . Texas Utah Washington . . . Wisconsin . . . . Wyoming . . . . 19.457.374 95 548.408 55.784 730.513 1.093.882 5.779.684 80.028 864.610 5.040 36.423 26.397 863.028 15.488 6.502.211 28.073 1.141.362 86.008 6.717.033 2.468.770 1.733.080 640 4.081 2.509.769 2.723.593 452.678 2.080.618 Total . . . 56.004.670 1949 acres) Terres confiées à des particuliers 263.996 95 75.302 — 25.830 1.006.678 4.420.621 — 446.400 1.059 33.710 15.349 170.509 — 5.163.777 14.214 85.865 30 738.504 2.341.356 393.430 — Terres tribales Terres appartenant à l'Etat fédéral 19.152.712 40.666 — 456.211 55.399 704.109 77.504 1.213.559 80.028 378.171 3.903 1.697 7.026 659.961 15.280 1.217.967 13.706 1.051.382 85.978 5.655.863 73.378 1.331.834 640 — 16.895 385 574 9.700 145.504 — 40.039 78 1.016 4.022 32.558 208 120.467 153 4.115 — 322.666 54.036 7.816 — 1.010 90.895 959.050 147.071 139.309 2.409.289 1.757.754 264.318 1.904.315 3.071 9.585 6.789 41.289 994 16.534.060 38.607.984 862.626 — Source : U.S. BUREAU OF THE CENSUS : Statistical Abstract o/ the United States, 1952 (Washington, Government Printing Office, 1952), p. 171. affaires indiennes, a décrit de la manière suivante la condition des Indiens : Les Indiens vivent aujourd'hui dans la misère et il ne leur est guère laissé de possibilités d'en sortir... Si la terre était répartie également ou si elle se trouvait dans des endroits plus favorisés par le climat, ce qui est loin d'être le cas, la situation pourrait être différente. Un nombre élevé d'Indiens, que l'on peut évaluer à 100.000, sont totalement privés de terres. Pour beaucoup d'autres, la superficie allouée est insuffisante ou de mauvaise qualité, ce qui affecte défavorablement les conditions de vie 1. Plus récemment, M. Dillon S. Myer, commissaire aux affaires indiennes a déclaré qu'« à quelques exceptions près, les terres réservées à l'usage des Indiens représentent générale1 Cf. Hearings on. .. National Resources Policy, op. cit., p . 3. 376 LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE ment les régions les plus pauvres et les moins productives des Etats-Unis 1 ». Environ 4.800.000 hectares de terres indiennes seulement se trouvent dans la zone recevant de 50 à 75 centimètres de pluie, limite à laquelle le dry farming peut être pratiqué avec succès. Plus de 5.200.000 hectares sont situés dans des régions où les précipitations ne dépassent pas chaque année 25 centimètres. Environ 9.200.000 hectares se trouvent dans la zone recevant de 25 à 37 centimètres de pluie par année et 3.200.000 hectares dans la zone recevant de 37 à 50 centimètres 2. Si de grands progrès ont été accomplis dans l'agriculture et dans l'élevage 3, il n'en reste pas moins un écart sensible entre les revenus agricoles des Indiens et la moyenne nationale pour les Etats-Unis. En 1945, le revenu indien par exploitation était de 500 dollars par an, c'est-à-dire seulement un cinquième de la moyenne pour l'ensemble des exploitations agricoles 4. La superficie moyenne d'une propriété familiale indienne est d'environ 372 hectares. Dans quelques réserves cependant, comme celle des Papago, la végétation est si rare que plus de 100 hectares sont nécessaires pour nourrir une seule vache pendant une année 5. La qualité des terres tribales varie beaucoup. Par exemple, « les 92.676 hectares des Indiens Menominee sont de grande valeur parce qu'ils contiennent des forêts, alors que les 951.077 hectares des Papago sont des terres désertiques et comportant très peu de pâturages 6 ». En plus de la tribu Papago, celles des Navajo et des Hopi, ainsi que de nombreuses tribus Pueblo le long du Rio Grande, sont celles qui souffrent le plus de la pénurie de terres suffisamment fertiles. Sur la réserve Hopi, seuls 2.800 hectares sont propres à la culture, et le reste est en pâturages et en jachères. D'après une étude récente, les conditions agricoles sont les plus précaires de toute la région du sud-ouest 7 . Quant à la réserve Navajo — la plus importante en superficie et en 1 Dillon S. M Y E B : Address... before the Combined Assemblies of the Division of Christian Life and Work of the National Council of the Churches of Christ at Buck Hill Falls, Pennsylvania, on December 12, 1951. (Document ronéographié.) 2 B U R E A U O F INDIAN AFFAIRS : Annual 3 Les revenus, qui s'élevaient à 1.224.500 dollars en 1933, o n t atteint 30.973.800 Report... 1948, op. cit., p p . 371-372. dollars en 1948. Cf. U N I T E D STATES I N D I A N SERVICE : Here are the Answers to Tour Questions on American Indians (Washington, 1949), p . 28. 4 Hearings... on National Policy, op. cit., p . 5. 5 6 B U R E A U OF INDIAN AFFAIRS : Annual Report, 1948, pp. 371-372. Allan G. H A R P E R : Las tierras de los indios en los Estados Unidos (Washington, The National Indian Institute, 1942), p . 30. 7 Laura THOMPSON : Personality and Government, op. cit., p p . 136-137. CÁETE X. — ÉTATS-UNIS : RÉPARTITION GÉOGRAPHIQUE DES RÉSERVES INDIENNES S \ \ L_.__. 1§ ^ l r.i_... k 3 '• äi i!, Pl '• / Mr !* - I 5 - E ill *M . . ü« SB Source: Allan G. HARPER : Las tierras de los indios en los Estados Unidos^ op. cit. ; :* 378 LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE densité de population —, elle est située sur un plateau aride (de 1.050 à 3.000 mètres d'altitude), où l'érosion fait de grands ravages. En outre, d'après un rapport soumis en 1948 au secrétaire d'Etat à l'Intérieur, le cheptel dont disposaient la plupart des familles était bien inférieur en nombre au minimum qu'exigerait la simple subsistance (250 moutons fournissant un revenu annuel net d'environ 750 dollars). Même en se fondant sur ce minimum, les ressources en pâturages dont peuvent disposer les Navajo ne pourraient nourrir qu'environ un cinquième de la population actuelle 1 . Le commissaire aux Affaires indiennes a fait en décembre 1951 les déclarations suivantes sur la population indienne dans son ensemble : Dans la quasi-totalité des réserves, la terre, même après la mise en valeur la plus poussée, ne pourrait subvenir aux besoins que d'une petite fraction de la population... C'est dans les réserves que l'on rencontre bien souvent les districts ruraux les plus sordides des Etats-Unis. La misère est générale, avec les conséquences qu'entraîne un bas niveau de vie : mauvais logements, alimentation insuffisante, conditions sanitaires déplorables, taux de maladies effroyablement élevés, notamment pour la tuberculose z. La politique actuelle du Bureau des affaires indiennes consiste à assouplir la surveillance qu'il exerce sur la propriété foncière des Indiens et à apporter une solution aux problèmes d'occupation de la terre posés par le système de répartition mis en vigueur par la loi de 1887. Comme l'indique le rapport annuel du Bureau pour 1952 : La demande de terre et les prix élevés pratiqués sur le marché foncier ont abouti à une augmentation continuelle des demandes formulées par les Indiens désireux de vendre leurs terres ou de faire lever les restrictions et les clauses de protection... de façon à pouvoir disposer de leur parcelle. Pendant l'exercice financier 1952, il est devenu évident que de nombreux Indiens ont améüoré leur situation économique et qu'ils parviendront à pouvoir acquérir de nouvelles terres d'appoint ou à acheter toutes les parcelles sur lesquelles ils détiennent des droits dans des zones où ils ont hérité d'intérêts déterminés. D'autres essaient de regrouper leurs parcelles en unités permettant une exploitation rationnelle. En conséquence, les transferts de terre se poursuivent à un rythme accéléré 3. Australie La colonisation européenne a privé l'aborigène australien non seulement de sa terre, mais des aliments qu'il y trouvait 1 2 J . A. KBTJG : The Navajo, op. cit., p. 14. Dillon S. MYER, op. cit., p. 2. 3 Annual Report of the Secretary of the Interior, Fiscal Year Ended June 30, 1952 (Washington, 1952), pp. 404-405. LE PROBLÈME DE LA TEBEE 379 et des caractéristiques totémiques de sa culture. L'introduction de l'agriculture et de l'élevage a détruit les sources traditionnelles d'où provenaient les aliments principaux des autochtones. L'adaptation forcée à de nouvelles circonstances d u t se faire à un moment mal choisi et n'eut que peu de succès dans les régions où la colonisation était le plus développée. Pour l'aborigène accoutumé à la vie nomade, la superficie de terre qu'on lui réservait pour son usage était nettement insuffisante et il ne pouvait y trouver, pour assurer sa subsistance, les éléments qui correspondaient à ses besoins. La population aborigène commença à vivre aux dépens des villages, des colonies et des établissements des Blancs dans la vaste zone orientale qui s'étend entre Rockhampton et Port Lincoln ainsi que dans la région du sud-ouest de l'Australie, et de manière générale, supporta les conséquences d'un contact de cultures auquel elle n'était pas préparée. Dans le centre et le nord du pays, toutefois, elle put s'adapter avec plus de facilité aux nouvelles conditions : divers facteurs contribuèrent en effet à la faire recruter comme main-d'œuvre agricole dans les exploitations à défaut de travailleurs européens. Avec la perte des terres tribales, la dépendance envers le colon blanc ne fit que croître et ce processus fut encore accéléré par la famine et la soif résultant des grandes périodes de sécheresse. En conséquence de cette colonisation, les aborigènes restèrent complètement dépourvus de terres après quelques années. Dans de nombreuses régions, ils ne peuvent actuellement subsister que s'ils gagnent leur vie ou s'ils reçoivent des rations alimentaires des pouvoirs publics 1 . Malgré ces circonstances, il semble que les aborigènes qui vivent dans des réserves ou qui dépendent des missions soient peu nombreux. Après 170 ans de colonisation européenne, les groupes aborigènes les plus nombreux — comme nous l'avons indiqué dans les chapitres précédents — vivent sur les territoires les plus hostiles et les plus désertiques du pays. La soif, les maladies et la transformation radicale de leur mode de vie primitif continuent encore maintenant à les décimer. En Australie occidentale, les terres réservées aux aborigènes représentaient en 1945 plus de 15 millions d'hectares 2. 1 COMMONWEALTH OFFICE OF EDUCATION : Current Affairs Bulletin, op. cit., pp. 4-5. 2 W E S T E R N AUSTRALIA, DEPARTMENT O F N A T I V E A F F A I R S : Annual Commissioner Report of the of Native Affairs for the Year Ended 30th June 1944, op. cit., p . 11. 380 LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE Sur les 26.234 métis et aborigènes de race pure recensés en 1947, à peine 2.600 résidaient dans les réserves et les missions établies dans cet Etat. Dans le territoire des missions de Pallotine, du fleuve Drysdale et du fleuve Forrest, qui représentent une superficie de 500.000 hectares, o'n évaluait à 520 le nombre des aborigènes qui bénéficiaient de l'action missionnaire dans des régions isolées et inaccessibles. Dans les diverses réserves qui dépendent du gouvernement de l'Etat, le travail productif était chose peu courante, et, en général, les établissements se transformaient en asiles d'indigents, en établissements de correction, en dispensaires ou en stations de quarantaine pour malades contagieux, ou encore en centres de distribution de rations alimentaires. Telles sont les constatations faites par M. F . E. A. Bateman, juge résident de l'Etat, dans le rapport qu'il a adressé au ministre des Affaires indigènes de l'Australie occidentale sur l'enquête qu'il a effectuée en 1947 et 1948. Les réserves de l'Etat sont situées dans des zones fort peu productives. En général, on peut dire que l'élevage du mouton et l'agriculture ne suffisent pas pour répondre aux besoins des habitants des réserves, même lorsque — comme c'est le cas des établissements de Carrolup (1.980 hectares) et de Cosmo-Newberry (135.758 hectares), administrés par l'Etat — les conditions sont particulièrement favorables comparées à celles qui régnent dans les autres réserves de l'Etat !. En Nouvelle-Galles du Sud, il existait deux types de réserves en 1944. Le département du Bien-être des aborigènes administrait dix-neuf établissements de culture et d'élevage (aboriginal stations), où travaillaient de 75 à 100 pour cent des aborigènes physiquement aptes résidant sur le territoire soumis à sa juridiction ; en plus des tâches qu'exigent normalement l'agriculture et l'élevage du mouton, les aborigènes étaient employés à la réparation et à la construction de routes, à la culture du bananier et de la canne à sucre, à la pêche, à l'horticulture et à la culture des arbres à fruits, à l'exploitation des bois et à la fabrication de traverses de chemins de fer. Malgré cela, les chiffres absolus pour l'année 1944 indiquent que, sur 10.616 aborigènes qui habitaient cet Etat, 2.654 résidaient dans des établissements de l'Etat et, sur ce chiffre, 667 seulement bénéficiaient d'un emploi « protégé ». En revanche, à la fin de la même année, on ne comptait que 1.674 aborigènes 1 F . E . A. BATEMAN : Report on Survey of Native Affairs, 28-30. op. cit., p p . 4-15 et LE PROBLÈME DE LA TEB.EE 381 dans trente-deux des cinquante réserves de l'Etat dont la surveillance incombait aux polices locales *. Nouvelle-Zélande En 1951, la superficie totale de terres appartenant aux Maoris était d'environ 1.600.000 hectares, dont les trois quarts se trouvaient dans l'île du Nord. Ce chiffre représente environ 6 pour cent de la superficie totale de la Nouvelle-Zélande et environ 9 pour cent de la superficie disponible pour l'utilisation par des particuliers. Une grande partie des terres occupées par les Maoris sont incultes ou de mauvaise qualité. Au cours des soixante-dix dernières années, le rapport entre l'accroissement de la population maorie et la quantité de terre dont elle pouvait disposer s'est inversé : en 1891, 44.177 Maoris disposaient d'une superficie de 4.332.000 hectares ; en 1911, 52.723 Maoris étaient établis sur 2.855.000 hectares, et, en 1951, la population maorie était de 113.777 âmes, alors que la superficie de terre dont elle disposait n'était plus que de 1.600.000 hectares 2. Les autorités estiment que, du fait de l'accroissement démographique continuel, les Maoris éprouveront des difficultés croissantes à obtenir des emplois sur leur propre terre 3. Les terres maories sont de deux catégories selon qu'elles sont placées sous la simple possession de l'occupant ou qu'elles sont vraiment sa propriété. Les terres du premier type n'ont jamais fait l'objet de concessions de la part de la Couronne, et les Maoris les conservent en vertu du droit coutumier, conformément aux usages de la population maorie. Elles continuent d'appartenir à la Couronne, mais le titre coutumier d'occupation peut être transformé en titre de propriété par le tribunal des terres maories. Il reste fort peu de terres qui appartiennent à cette catégorie. Les terres du deuxième type sont celles auxquelles donne droit l'acquisition d'un titre de propriété ordinaire qui reste, 1 PARLIAMENT OF NEW SOUTH WALES : Annual Report of the Aborigines Welfare Board for the Year Ended 30th June 1944, op. cit., pp. 6 et 12. La loi de 1943, qui a amendé la législation relative à la protection des aborigènes, autorise le département à acquérir des terres et à construire des logements qu'il peut vendre ou louer aux aborigènes. Signalons, d'autre part, qu'un grand nombre de ceux-ci sont employés, sur l'ensemble du territoire australien, par 1'Allied Works Council of National Works. 2 H. C. MCQUEEN : Vocations for Maori Youth, op. cit., p. 6 ; Census of 17th April 1951 : Interim Returns of Population and Dwellings, op. cit, p. 7. 3 Pour plus de détails sur le problème de la terre chez les Maoris, voir aux chap. V i l i et XI. 382 LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE toutefois, soumis à certaines restrictions en matière d'aliénation, non applicables aux autres propriétaires. Quoique les ayants droit maoris puissent vendre leur part d'une propriété collective, celle-ci continue à appartenir aux Maoris jusqu'à ce que tous les propriétaires aient cédé ou transmis leur droit ou jusqu'à ce que l'acheteur ait morcelé la propriété ainsi acquise. Les dispositions relatives à l'aliénation des terres maories ne sont pas applicables aux successions, mais les propriétaires maoris ne peuvent laisser des terres en héritage à un Européen, à moins que celui-ci ne soit le conjoint ou l'ascendant direct du testateur. Quant aux terres possédées en vertu du droit coutumier, elles ne peuvent être aliénées même par héritage ; le transfert des titres de propriété des terres maories au profit d'un autre propriétaire maori ne peut se faire sans l'accord du tribunal des terres compétent. Avant d'autoriser un tel transfert, le tribunal doit s'assurer que l'aliénation ne porte pas préjudice aux intérêts du Maori qui cède la propriété et que celui-ci, en conséquence du transfert, ne perd pas l'ensemble de ses terres \ Depuis 1929, la Commission des affaires maories se préoccupe de la colonisation et de la mise en valeur des terres des aborigènes. Grâce à son activité, les titres de propriété de domaines fractionnés ont été groupés, des fonds ont été accordés pour le développement des terres et les services d'un personnel compétent ont été mis à la disposition des agriculteurs maoris. Pour éviter les délais ou les difficultés suscités par les caractéristiques légales des titres de propriété maoris, la Commission a été autorisée à inclure une série de terres dans le champ d'application du programme de développement ; les propriétaires ne peuvent s'opposer aux travaux de mise en valeur agricole ou aliéner les terres qui font l'objet de ce programme. En même temps, les terres limitrophes, propriété de la Couronne, peuvent également être mises en valeur 2 . Les conseils des terres maories et le Bureau fiduciaire maori se chargent de fournir des fonds supplémentaires pour financer ces activités et pour l'administration des terres occupées par les Maoris. Ces conseils sont en réalité des conseils de district qui administrent, à titre fiduciaire, de vastes étendues de terres habitées par des Maoris. Ils disposent de pouvoirs étendus en matière de vente, de fixation des loyers et d'administration et viennent en aide aux aborigènes dans leurs 1 New Zealand Official Year-Book, 1950, op. cit., pp. 295 et 297. "Ibid., p. 297. XIX Logements modernes après la création d'un poste indigène au Brésil (Ministerio da Agricultura) XX Le travail coopératif sur les routes chez les Huastèques Deux générations d'aborigènes dans l'Etat de Chiapas (Mexique) (Instituto Nacional Indigenista) Ecoliers Tzotzil * LE PROBLÈME DE LA TEKEE 383 travaux agricoles. Quant au Bureau fiduciaire, il administre les fonds et les réserves qui lui sont confiés et, pour encourager les Maoris à cultiver et à administrer leurs propres terres, il leur avance des sommes sous la garantie de leur propriété, tout en vérifiant les dépenses et en contrôlant l'administration des exploitations agricoles 1 . Grâce à l'aide fournie par des commissions constituées à l'échelon local, l'élevage du mouton s'est développé de façon satisfaisante, et au cours des dernières années, l'industrie laitière a pris une grande importance ; ceci implique l'établissement de colonies agricoles en rapport plus étroit les unes avec les autres, lesquelles ont pu offrir des possibilités d'emploi plus grandes. Tous les programmes de mise en valeur prévoient une instruction destinée à améliorer les méthodes agricoles. Les buts à atteindre sont notamment l'amélioration des pâturages, les soins au bétail, les méthodes de tonte et de préparation de la laine pour la vente sur les marchés ; de même, une assistance technique est prévue en matière de production et d'écoulement des produits de l'horticulture. Cette dernière activité vise non seulement à fournir un travail rémunéré aux Maoris, hommes et femmes, mais aussi à développer la production de légumes et de fruits destinés à améliorer leur régime alimentaire. L E S MODALITÉS D'OCCUPATION DU SOL EN AMÉRIQUE LATINE A partir de la conquête, la désintégration des communautés aborigènes a donné naissance à diverses formes de colonage, de métayage et de peonage. Dans diverses régions du haut plateau des Andes, cette évolution se poursuit en conséquence de la subdivision excessive des parcelles individuelles dans les comunidades restantes. La parcelle de terre devient trop petite pour assurer la subsistance de la famille et le petit propriétaire aborigène cherche du travail à l'extérieur, obtient une avance sur son salaire ou s'endette envers un économat ou un usurier. Que les frais qu'il encourt augmentent, que sa récolte soit mauvaise, qu'il ait à payer un impôt nouveau, et le petit propriétaire contractera d'autres dettes, qui auront pour conséquence la perte de ses terres ; et la terre devenant plus rare, il lui sera beaucoup plus difficile de redevenir propriétaire. C'est ainsi que 1 En exécution d'un plan de centralisation, les fonctions des conseils des terres maories doivent être confiées au Bureau fiduciaire maori. 14 384 LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE Yhacendado du district arrive à être maître de la main-d'œuvre aborigène, ou à se faire remettre une partie des produits de cette main-d'œuvre par le métayage, le colonage ou le fermage. Ainsi ont pris naissance deux systèmes principaux d'utilisation de la main-d'œuvre aborigène. Selon l'un, le travailleur reçoit l'usufruit d'une parcelle de la hacienda, qu'il cultive ou utilise comme pâturage, ce qui constitue une partie de son salaire. Selon l'autre, le travailleur est tenu de travailler dans le domaine et acquitte ainsi, en tout ou partie, le loyer de la parcelle qu'il cultive comme colon ou comme métayer. Il existe plusieurs formes intermédiaires, qu'il est malaisé de distinguer l'une de l'autre. Souvent, la maison, la terre et les prêts qui peuvent être accordés au fermier aborigène ou au travailleur résidant sont un moyen de l'empêcher de partir. La législation de quelques pays semble établir une distinction entre, d'une part, le fermier payant effectivement son loyer ou le métayer (qui généralement reçoit du propriétaire la parcelle de terre et les semences, la récolte étant divisée entre les deux en parts égales) et, d'autre part, l'ouvrier agricole dont le salaire est constitué en partie par l'usufruit de la parcelle de terre qu'il cultive pour son propre compte. En pratique, cependant, ces deux catégories se confondent fréquemment. En règle générale, il s'agit d'un contrat où la location de la terre et la location de services sont combinées en un seul acte, dont les détails diffèrent d'un pays à un autre et quelquefois d'une région à' une autre dans le même pays, « selon que le loyer est payé en travail agricole — avec ou sans salaire complémentaire convenu — ou au moyen d'une partie des récoltes ou selon les deux systèmes 1 ». Dans certaines régions du haut plateau des Andes, le système fondé sur le service est le plus fréquent, avec « un très petit salaire en nature ou en espèces 1 ». Ailleurs, ce paiement subsidiaire semble avoir disparu et la rémunération consiste uniquement dans l'exploitation d'une parcelle de terre 2. Dans certaines zones de la région des Andes, il existe un troisième système qui revêt une importance spéciale du point de vue des conditions sociales et économiques du colon aborigène. D'après cette méthode, le propriétaire fournit à 1 Cf. Remberto C A P E U E S R I C O et Gastón ARDUZ E G U Î A : El problema social de Bolivia, op. cit., p . 43. 2 Aníbal BUITRÓN : « Situación económica y social del indio otavaleño », América Indígena, voi. V I I , n° 1, janv. 1947, p . 57. LE PROBLÈME DE LA TEBEE 385 l'Indien les semences, les engrais, les outils et une avance en espèces pour subvenir à ses besoins ; en compensation, l'aborigène lui doit un paiement en nature à un taux fixé par le propriétaire. L'ouverture de ce «compte en nature» crée pour l'aborigène une situation de dépendance, car l'accumulation des dettes le force très souvent à rester indéfiniment au service du propriétaire. Généralement, la parcelle de terre dont le colon indigène reçoit l'usufruit est située sur une partie du domaine que le propriétaire ne tient pas à cultiver à cause du caractère accidenté du terrain — situé fréquemment sur une pente de montagne rocailleuse et pierreuse — ou à cause de la stérilité du sol. Souvent, l'aborigène doit défricher toute la parcelle qui lui est attribuée avant de pouvoir la cultiver. Bolivie Sur le haut plateau bolivien, la forme la plus fréquente d'occupation des terres dans les régions aborigènes est celle du colonato. La caractéristique essentielle de ce système est que l'Indien doit rendre certains services au propriétaire du domaine en échange du droit de vivre sur ce domaine et de cultiver sa parcelle. La nature et l'étendue de ses droits et de ses obligations sont régies par la coutume, qui varie souvent d'un lieu à un autre et qui, dans de nombreux cas, ne peut être distinguée facilement des caprices personnels du propriétaire. Les caractéristiques générales de ce système peuvent être résumées de la manière suivante : Le colon reçoit une parcelle de terre (désignée, selon les pays, par les noms de sayaña, hopina, ou huasipungo) sur laquelle il peut bâtir sa maison. Il est exceptionnel qu'il trouve une maison déjà prête. Il risque plutôt de ne trouver que les murs de la maison de son prédécesseur, lequel aura le plus souvent emporté toute la charpente du toit avec lui. La superficie et la qualité de la parcelle varient considérablement selon la région. Là où l'offre de main-d'œuvre est abondante, la parcelle est petite et souvent à peine suffisante pour subvenir aux besoins de l'aborigène et de sa famille. En revanche, sur les grands domaines situés à la limite des zones cultivées, où le problème consiste à attirer de la main-d'œuvre, le colon peut être libre de cultiver autant de terre qu'il le désire. Cependant, même dans ce cas, le temps qu'il doit consacrer à travailler pour le propriétaire et les restrictions apportées 386 LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE à la vente de ses produits limitent considérablement ses possibilités de tirer un revenu de son travail. Les conditions dans lesquelles l'aborigène travaille pour le domaine varient également d'une région à une autre. Plus ou moins favorables dans les régions où la main-d'œuvre est rare, elles constituent fréquemment de véritables abus quand la main-d'œuvre est abondante. Dans la région à faible population des vallées Yunga, le colon travaille généralement dans le domaine les trois premiers jours de la semaine et le reste pour lui. Dans d'autres régions, l'habitude est de travailler pour le propriétaire une semaine sur deux. Dans d'autres encore, le colon doit travailler dans le domaine sans aucune pause jusqu'à ce que tout le travail soit terminé, ne disposant que de la période la moins favorable pour cultiver sa parcelle. Dans ce cas, l'Indien n'est en fait même plus un colono, mais plutôt un travailleur jouissant du « privilège » d'une parcelle et, en dernière analyse, la définition d'un tel système s'apparente de très près à celle du travail forcé, particulièrement si le colon, en plus des soins au bétail et à l'entretien des pâturages, doit encore rendre des services domestiques et personnels dans la maison de campagne ou de ville du propriétaire 1 . Le colon doit apporter ses propres outils et ses animaux de trait. Généralement, seul le bétail utilisé pour travailler dans le domaine peut paître gratuitement sur les pâturages et «un droit de pâturage» doit être payé pour le reste du bétail. L'employeur n'est soumis à aucune obligation ou restriction légale en ce qui concerne le paiement d'un salaire minimum, la rémunération de services personnels déterminés, l'observation d'une durée de travail précise, les périodes de repos obligatoires, la fourniture de denrées alimentaires, le logement, la protection de la maternité, le travail des femmes et des enfants, la réparation des accidents du travail, les soins médicaux, etc. En fait, il s'agit d'un système possédant toutes les caractéristiques du système féodal2. Le décret gouvernemental n° 318 du 15 mai 1945, après avoir constaté que, malgré l'interdiction contenue dans l'article 50 de la Constitution, les colons sont soumis « à des exactions dans la fourniture de biens en nature et de produits sans rémunération équitable, suivant des coutumes néfastes 1 Voir plus loin. Souvent, les conditions inhérentes à l'occupation de la terre sont indissolublement liées à celles qui s'attachent à la prestation obligatoire ou traditionnelle de certains services. Le présent chapitre traite les deux aspects de la question, en les séparant dans la mesure du possible. 2 R. CAPEILES RICO et G. AEDUZ EOUÎA, op. cit., pp. 42-43. Voir aussi Rafael REYEROS : El pongueaje, op. cit., p. 12. LE PROBLÈME DE LA TEBBE 387 qui ont été imposées depuis la période coloniale », dispose que le colon doit être le maître absolu de sa récolte, qu'il pourra la vendre librement sur le marché sans autre restriction que celles qu'imposent les lois en vigueur, et que le propriétaire ne pourra pas exiger de lui des dîmes, des vingtièmes, etc. (sous forme d'agneaux, de laine, de volaille ou d'autres produits) 1 . Dans quelques districts, l'usage de fournir une parcelle de terre a complètement disparu et l'Indien est devenu un ouvrier agricole attaché à la propriété qui, en échange du logement et de la nourriture, d'une certaine quantité de produits et d'une somme d'argent payée à la fin de son contrat de service, effectue le travail pour Vhacienda pendant une année entière. Ce genre de travailleur est appelé huataruna, terme qui, dans la langue quichua, signifie « l'homme d'une année » (de huata, année, et runa, homme). On loue le huataruna, comme son nom l'indique, pour une année. Tant que dure son contrat, il est entièrement à la disposition de son maître... Son salaire passe presque entièrement au paiement des dettes... qu'il contracte à l'occasion de fêtes ruineuses ou pour tenter de subvenir à ses besoins élémentaires. Il est astreint à un labeur continu. N'étant protégé par aucune loi sociale, il ne connaît ni durée maximum du travail, ni salaire minimum, ni soins médicaux, ni congés... Une multitude d'occupations diverses remplissent ses journées et ses nuits. Il est alternativement moyen de transport, maçon, travailleur agricole, serviteur, cuisinier... messager envoyé en des randonnées longues et fatigantes... Si les circonstances l'exigent, il peut même assurer la garde des enfants. Lorsqu'on n'a plus rien à lui donner à faire dans la maison du maître, il est envoyé chez un voisin, loué à la journée, à la semaine ou même au mois 2. Parmi les Indiens, le salariat agricole constitue une exception et n'existe que lorsqu'une pénurie de main-d'œuvre (vallées Yunga) oblige le propriétaire du domaine à utiliser un salaire en espèces pour attirer les travailleurs, ou dans les régions où le haut rendement des cultures locales (le raisin, par exemple) et un plus grand morcellement des terres lui font préférer le système des salaires, afin que sa terre soit mieux cultivée. Néanmoins, même dans ce cas, qui se produit dans quelques vallées des départements de Cochabamba, La Paz, Potosi et Sucre, la pratique habituelle est de mettre une parcelle de terre à la disposition du travailleur agricole indien, et le salaire ne représente qu'une forme complémentaire de rémunération 3 . 1 M I N I S T E R I O D E T R A B A J O , SALUBRIDAD Y P R E V I S I Ó N SOCIAL : Leyes sociales de Bolivia, op. cit., pp. 114-116. 2 Rafael REYEROS, op. cit., pp. 156-158. 3 E n 1949, le salaire d u travailleur agricole était d e 20 bolivianos p a r jour. Cf. H . G. D I O N , op. cit., p . 3. 388 LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE Colombie Dans les régions indiennes du massif occidental des Andes, particulièrement dans les départements de ìfarino et Cauca, le terraje est un mode d'usufruit de la terre qui ressemble au colonato bolivien. Le terrazguero est un aborigène sans terre, mais à qui le grand propriétaire attribue l'usufruit d'une petite parcelle désignée par le nom de pegujal, à la condition qu'il travaille comme ouvrier agricole dans son domaine «s'assurant ainsi une source de main-d'œuvre sûre et à bon marché pour les travaux agricoles et l'élevage ». Le terraje lui-même, c'est-à-dire le nombre de jours pendant lesquels l'Indien doit travailler dans le domaine, varie suivant la région ou la localité, et peut être d'un, deux, trois, quatre ou même cinq jours par semaine ; dans ce dernier cas, le fermier est souvent obligé « d'utiliser les nuits de clair de lune pour cultiver sa propre parcelle» 1 . Dans certains districts, l'aborigène doit travailler un nombre spécifié de jours par mois en contrepartie de l'exploitation de sa parcelle et quelques jours en plus comme travailleur agricole, pour lesquels il recevait en 1944 un salaire journalier de 10 centavos 2. Dans d'autres districts, le salaire serait payé en maïs cuit à un prix fixé par l'employeur 3 . D'après une autre source, là où la comunidad aborigène existe à côté des grands domaines (comme c'est le cas par exemple dans la région des Indiens Guambiano et Páez) et là où les produits agricoles trouvent aisément accès au marché, le système mixte de paiement en espèces et en nature prédomine alors que dans les parties les moins accessibles des montagnes (région de Tierradentro), le paiement en espèces est plus commun, et « les salaires sont calculés en espèces, mais payés sous forme de nourriture et de vêtement, ou bien quelque produit spécifié, tel que la feuille de coca, remplace la monnaie légale et sert d'unité de compte 4 ». Le salaire dit « naturel » (c'est-à-dire le salaire en nature) coïncide avec l'existence du système terraje, lequel permet au grand propriétaire « de condamner le travailleur aborigène à l'immobilité, au sens matériel du terme comme du point de vue du progrès économique 5 ». 1 Luis DUQUE GÓMEZ : Problemas sociales de algunas parcialidades indígenas del Occidente de Colombia (Bogota, Instituto Nacional Indigenista, 1944), p . 16. 2 Milciades CHAVES : El -problema indigena en el departamento de Nariño (Bogota, Instituto Indigenista de Colombia, 1944). 3 4 Luis D U Q U E GÓMEZ, 40p. cit., p. 16. Antonio GARCÍA : « Regímenes indígenas de salariado », América vol. VIII, n° 4, oct. 1948, p. 270. 5 Ibid., p. 271. Indigena, LE PROBLÈME DE LA TERRE 389 Equateur Dans la Sierra equatoriale, le système du huasipungo est une institution apparentée au colonato bolivien et au terraje colombien. Le huasipungo est une petite parcelle de terre que le propriétaire remet au travailleur indien et sur laquelle ce dernier a le droit de bâtir une hutte, de cultiver un jardin et d'élever quelques têtes de bétail. En compensation, l'Indien doit travailler dans le domaine pour un salaire peu élevé un certain nombre de jours par semaine 1 . Fréquemment, la femme du travailleur doit traire les vaches du propriétaire ou accomplir d'autres tâches agricoles (sarclage ou égrenage du maïs, préparation de bois pour les clôtures, etc.), pour lesquelles elle reçoit parfois une certaine quantité de la récolte ou une petite rémunération en espèces. Le Code du travail dispose que le nombre de jours pendant lesquels le Jiuasipunguero doit travailler dans le domaine ne doit pas dépasser quatre par semaine et que le salaire ne doit pas être inférieur à la moitié du taux minimum établi pour les travailleurs agricoles de la localité. Malgré ces mesures de protection et d'autres dispositions similaires, le système semble se prêter à un certain nombre d'abus. Dans une étude de l'Institut national de prévoyance sociale, publiée en 1947, les renseignements suivants sont donnés à l'égard du système du huasipungo dans l'une des principales provinces de la Sierra. Dans la plupart des domaines, les fermiers travaillent pour le propriétaire du lundi au vendredi et, dans quelques districts, du lundi au samedi. Le travail prend la forme d'un certain nombre de « tâches », comprenant le labourage, le sarclage, la pose de clôtures, etc. L'accomplissement de l'une de ces tâches exige généralement au moins huit heures de travail par jour. En outre, chaque travailleur doit, pendant des périodes allant d'un à trois mois prendre son tour comme berger ou comme serviteur dans la maison de l'employeur 2. Pendant la période où il remplit les fonctions de serviteur, l'Indien travaille tous les jours de la semaine, y compris le dimanche, de 6 heures du matin à 6 heures du soir, et son salaire pour ce genre de travail est le même que celui qu'il reçoit comme huasipunguero. Dans quelques 1 « Il faut entendre par huasipunguero une personne qui travaille dans un domaine pour une rémunération qu'elle reçoit partiellement en espèces, à titre de salaire, et partiellement sous forme d'un droit d'exploitation d'une parcelle de terre que l'employeur a mise à sa disposition. » (Article 244 du Code du travail.) 2 Voir, plus loin, la partie du chapitre consacrée aux services personnels. 390 LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE domaines, ce salaire n'est que symbolique ; dans d'autres, il s'élève à 10 sucres par mois ; en règle générale, il va de 45 centavos à 3 sucres par journée de travail (souvent de douze heures)*. Une étude plus récente, préparée pour le même Institut, indique qu'en 1949, le salaire journalier des huasipungueros dans les grands domaines de la région nord-est de la même province allait de 0,40 à 1,20 sucre 2. Souvent, le huasipunguero doit attendre des mois avant de recevoir son salaire. Cela l'oblige à solliciter un suplido, ou avance en espèces. A la fin de l'année, l'employeur fait le bilan des avances reçues et du nombre de jours de travail, bilan qui se traduit généralement par un passif pour le huasipunguero. Ce système d'accumulation des dettes sert à retenir les Indiens dans les domaines pendant des périodes indéfinies. « A la mort du père, le huasipungo passe à la femme ou à l'aîné des fils, si la famille compte des descendants. Les dettes du père vont avec la propriété. Or, avant que la famille puisse quitter son huasipungo, elle doit payer ses dettes 3. » Il ressort d'autres sources encore que des conditions similaires prévalent dans d'autres parties de la Sierra. Ainsi, une étude publiée en 1944 signale le cas des indios propios qui sont soumis au système huasipungo et travaillent pour le propriétaire cinq jours par semaine comme travailleurs agricoles et serviteurs pour un salaire journalier de 0,20 sucre 4. Une autre étude révèle que dans la province d'Imbabura, en échange de l'exploitation d'une parcelle de terre et d'un salaire journalier, variant de 30 à 70 centavos, souvent payé en céréales, l'Indien doit travailler la plupart du temps dans le domaine du propriétaire, à diverses tâches agricoles : entretien des fossés, soins au bétail, entretien des pâturages, etc., alors que sa femme trait les vaches et que ses enfants servent de domestiques. Un autre genre de fermier est le cuadrero qui, en contrepartie de l'exploitation d'une parcelle de terre et d'un salaire de 5 à 12 sucres, cultive et garde la propriété urbaine du propriétaire (cuadra) et, avec les membres de sa famille, travaille comme domestique dans la maison du propriétaire. 1 Aníbal BUITRÓN et Bárbara SALISBURY BUITRÓN : Condiciones de vida y trabajo del campesino de la provincia de Pichincha, op. cit., pp. 66-70, 79-80 et tableau XIX. 2 David G. BASILE et Humberto PAREDES : « Algunos factores económicos y geográficos que afectan a los campesinos del Noreste de la provincia de Pichincha » (Quito, 1949). (Manuscrit bienveillamment fourni par les auteurs.) 3 Aníbal BUITRÓN et Bárbara SALISBURY BUITRÓN, op. cit., p. 80. * Luis MONSALVE POZO : El Indio (Cuenca, 1944). LE PROBLÈME DE LA TEEEE 391 Lorsque l'employeur le permet, cet Indien est libre de travailler pour son compte en dehors de la cuadra í. Le huasipunguero est véritablement un déshérité... En règle générale, le propriétaire du domaine choisit la terre la moins fertile et la plus difficile à cultiver de sa propriété pour la morceler et la distribuer à ses fermiers... Pour cette parcelle et une hutte, le travailleur indien et sa famille deviennent les serfs de l'hacienda 2. Dans certaines parties de la Sierra, des systèmes de fermage proprement dit ou de métayage prévalent au lieu de celui du huasipungo. Dans le premier cas, le propriétaire fournit à l'Indien une superficie de terre contre un loyer payé en espèces. Cependant, cet arrangement est souvent théorique et, en fait, le loyer est payé en travail. Par exemple, dans le nord-est de la province de Pichincha, le fermier doit souvent payer son loyer sous forme de quatre à cinq jours de travail par semaine dans le domaine du propriétaire. D'après le système du métayage (qui se rencontre plus fréquemment dans certaines régions des provinces de Cotopaxi, Tungurahua, Carchi, Azuay et Loja), l'Indien fournit son travail et le fumier, et le propriétaire fournit la terre et les semences. La récolte est partagée en parts égales entre eux. Dans de nombreux cas, cependant, l'Indien doit fournir également les semences ou, s'il ne le fait pas, il ne reçoit que 45 pour cent de la récolte 3 . En outre, comme il ressort du texte ci-après, les conditions de travail réelles du métayer ressemblent souvent à celles du huasipunguero. En règle générale, le contrat de métayage n'est qu'oral, circonstance qui donne naissance à des abus. L'Indien reçoit une parcelle de terre qu'il cultive, alors que les semences sont fournies soit par le propriétaire, soit par le métayer, soit par les deux. Lorsque arrive le temps de la récolte, l'Indien doit donner aux compagnons qui l'ont aidé à rentrer la récolte une « ration », c'est-à-dire une petite partie de la récolte. Puis, il faut encore déduire la dîme (diezmos) pour l'autorité religieuse locale et celle (primicias) que prélève le propriétaire lui-même. En outre, il reste à payer les prétendus dommages causés aux domaines voisins. Ce que reçoit finalement le métayer n'est que ce qui reste du 50 pour cent une fois ces déductions faites. En outre, une coutume très répandue veut que, pendant la durée du contrat, le partidario apporte certaines améliorations au sol et rende des services4 personnels pendant un nombre déterminé de jours au propriétaire . 1 Gonzalo RUBIO ORBE : Nuestros indios, op. cit., pp. 221-222. Plutarco NARANJO VARGAS : El campesinado ecuatoriano y el seguro social obligatorio, op. cit., p. 17. 3 G. BASILE et H. PAREDES, op. cit. D'après l'article 266 du Code du travail, «en aucun cas, le pourcentage du métayer ne doit être inférieur à la moitié de la récolte ». 4 César CISNEROS CISNEROS : Demografia y estadística sobre el indio ecuatoriano, op. cit., p. 87. 2 14* 392 LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE Le huasipungo est une institution typique de la région du plateau. Sur la côte, les systèmes de fermage simple, de métayage et de sembrador prévalent. D'après ce dernier système, pratiqué spécialement dans les plantations de riz, le fermier reçoit une parcelle de terre du propriétaire qui, par contrat, s'engage à acheter la récolte. Dans quelques cas, le fermier paie l'usufruit de sa terre en travaillant dans la plantation. Les travailleurs agricoles ordinaires reçoivent parfois aussi du propriétaire une parcelle de terre dont ils paient l'usufruit en fournissant une partie de la récolte. Mentionnons enfin une catégorie particulière de travailleurs agricoles typique de certaines régions de la Sierra, spécialement dans les provinces de Pichincha et d'Imbabura, les yanaperos. L'article 246 du Code du travail définit le yanapero comme un travailleur qui « s'engage à travailler un nombre fixé de jours par semaine ou par mois dans le domaine, en compensation de certains avantages qu'il reçoit du propriétaire ». Ces avantages peuvent être des droits de pâturage dans une parcelle éloignée et élevée du domaine ou le droit d'utiliser l'eau et le bois de la hacienda pour son usage domestique. En règle générale, le yanapero est un Indien appartenant à une communauté dont la parcelle est trop petite pour lui permettre de le faire subsister, lui et sa famille, ou un métayer dont le contrat ne comprend pas ces avantages. D'après une autorité équatorienne, l'institution de la yanapa, comme celle du huasipungo est « un vestige du système néfaste des services personnels qui a pris naissance pendant la période coloniale * ». Guatemala Au Guatemala, le terme colonato est utilisé pour désigner un certain nombre de régimes d'occupation de la terre qui comprennent le métayage. D'après les renseignements fournis par l'Institut national des affaires indigènes, trois systèmes sont d'application courante. D'après le premier, le fermier indien cultive une parcelle de terre à condition de donner au propriétaire la moitié ou le tiers de la récolte, suivant qu'il fournit seulement son travail, ou son travail, les semences et les outils. D'après le deuxième système, l'Indien paie pour sa parcelle un loyer s'élevant parfois jusqu'à une livre de maïs par mètre carré. D'après le troisième système, l'Indien loue 1 César CISNEROS CISNBKOS : Demografia y estadística sobre el indio ecuatoriano, op. cit., p. 87. LE PROBLÈME DE LA TERRE 393 sa terre pour une année ou une campagne annuelle, et paie, selon l'abondance des récoltes, de 7 à 10 quetzals par manzana. Cependant, ce dernier système est peu fréquent et ne se rencontre qu'aux abords de la capitale du pays 1. D'après une autre source, il semble que, dans quelques régions, le système le plus largement appliqué soit celui du pegujal, selon lequel le fermier indien travaille dans le domaine du propriétaire une semaine par mois ou trois mois par an, selon les exigences du propriétaire, généralement en échange d'un salaire de 0,05 à 0,5 quetzal par jour ou par tâche. Le pegujal est défini comme « une parcelle de terre que le travailleur agricole permanent a le droit de cultiver, à la fois pour le fixer dans le domaine et pour lui permettre de compléter son salaire... il s'agit de la survivance d'une institution féodale, d'un vestige d'anciennes formes de servitude 2 ». Les informations de source officielle attestent que les différentes modalités d'occupation de la terre coexistent continuellement, ce qui a donné naissance à de nombreuses combinaisons possibles de fermage, de métayage, de colonage et de communautés. Une autre étude signale que dans les départements d'Alta et de Baja Verapaz, le fermier indien (mozo) paie son loyer avec la moitié ou les deux tiers de la récolte et s'engage en même temps à « travailler sans salaire, ou pour quelques centavos par jour, pendant 150 jours par an 3 ». On a estimé le revenu individuel du paysan guatémalien à environ 70 quetzals par année, alors qu'il s'établit à 246 quetzals pour le reste de la population 4. Les salaires ne dépassent pas une moyenne de 0,35 quetzal par jour et sont complétés en nature (maïs, haricots, riz). Mexique A cause du développement du système ejido dans diverses régions indiennes, l'institution du colonage est moins fréquente 1 Communication adressée au B.I.T., en janvier 1950. D'après une autre source. dans quelques régions, le taux du fermage peut s'élever à 50 pour cent de la récolte, Dans d'autres, il représente la moitié du nombre de journées de travail de l'Indien, indépendamment de la superficie de la parcelle qu'il occupe ; voir Crédito supervisado para Guatemala, op. cit., p. 36. 2 Ibid. 3 Héctor A. GUERRA : El problema de la alfabetización de Guatemala, op. cit., pp. 11-12. 4 John H. ADLER, Eugene R. SCHLESINGER et Ernest C. OLSON (en collaboration avec le département de recherche de la Banque du Guatemala) : Public Finance and Economie Development in Guatemala (Stanford, Californie, Stanford University Press, 1952), p. 25. 394 LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE au Mexique que dans d'autres pays de l'Amérique latine. Cependant, le système consistant à fixer (acasillar) le travailleur dans un village du domaine semble offrir une certaine similitude avec celui du colonato dans d'autres pays. Les habitants des villages compris dans les haciendas ne possèdent pas de terre, et dépendent par conséquent entièrement, pour leurs moyens de subsistance, du domaine auquel ils sont attachés, qu'ils soient salariés ou métayers de catégories diverses ou que leur situation combine les systèmes à la fois 1. Il n'a pas été possible de se procurer des détails sur les caractéristiques de ce système ni sur les régions dans lesquelles il est appliqué. Pérou Au Pérou, les deux genres principaux de fermage indien sont ceux du colonato et du yanaconaje 2. Le premier est très semblable à celui qui a été décrit pour la Bolivie. M. Francisco Ponce de León, membre péruvien de la Commission d'experts pour le travail des aborigènes, a décrit les différences entre ce système et celui du fermage de la manière suivante 3 : Dans le cas du fermage, le contrat est signé pour une période précise et découle d'un accord entre deux parties traitant sur un pied d'égalité. Dans le cas du colonato, le contrat est valable pour une période indéfinie et résulte très fréquemment d'une situation de fait dans laquelle un accord préalable n'a joué aucun rôle. L'Indien est né dans le domaine et il est obligé d'accepter les conditions établies dans le passé par la coutume et la tradition. Parmi ces conditions, figure l'obligation pour le colon : ... de travailler un certain nombre de jours par mois dans le domaine, d'ensemencer une superficie donnée avec ses propres semences et de rentrer la récolte du propriétaire ; de remettre à celui-ci une quantité donnée de sa propre récolte ; de rendre des services personnels dans la maison du propriétaire, que ce soit dans le domaine ou en ville ; et d'autres encore qu'il serait trop long d'énumérer. L'Indien doit remplir ces obligations avec résignation, parce qu'une dure expérience lui a appris que le propriétaire dispose de moyens rapides pour le forcer à effectuer ces travaux en cas de résistance ou de négligence 4. 1 Eyler N . SIMPSON : The Ejido, Mexico's Way Out, op. cit., p . 35. Le premier prédomine dans la région montagneuse, le second dans la région côtière. 3 Francisco PONCE D E L E Ó N : Al servicio de los aborigénes peruanos, op. cit., pp. 69-71. 4 Ibid., p. 69. 2 LE PROBLÈME DE LA TEERE 395 Le m ê m e a u t e u r décrit en ces termes la différence entre le fermage et le colonato : Le fermage avec loyer est un simple contrat par lequel l'une des parties cède l'exploitation de la terre pour un prix fixé à l'autre partie, alors que le colonato est un double contrat de location par lequel le fermier est locataire de la terre et, en même temps, bailleur de ses propres services. E n règle générale, à cause de la précaire situation économique e t sociale de l'Indien, a u c u n litige entre celui-ci et le propriétaire ne risque de s'élever : Pratiquement, le colono reste en dehors de la protection de la loi, dont les dispositions, bien que visant à le protéger, restent lettre morte. Tout litige ou désaccord entre les deux parties est réglé par la volonté de l'une des deux : le propriétaire 1 . Le système d u yanaconaje 2, combinaison d u m é t a y a g e e t du colonato, présente aussi quelques caractéristiques d u fermage simple. Dans u n e communication a u B.I.T. d u mois d e mai 1950, M. Manuel Sánchez Palacios, ancien m e m b r e péruvien de la Commission d'experts pour le travail des aborigènes, décrit ce système de la manière suivante : Le yanacona est un travailleur qui accomplit deux contrats en même temps : l'un par lequel il travaille dans le domaine comme travailleur fixe, l'autre par lequel il reçoit une parcelle de terre à cultiver pour son propre compte, ce qui donne à l'arrangement son caractère de stabilité. Si le second est un contrat de fermage, le loyer peut être payé en espèces, mais généralement il est payé en produits spécifiés et en quantités fixées par l'employeur. Lorsque le second contrat est un contrat de métayage, le travailleur s'appelle, suivant les différentes régions du pays : partidario, socio, compañero, etc. 3. D a n s u n article spécialement consacré à ce sujet, le m ê m e a u t e u r précise la différence qui existe entre le m é t a y a g e et le yanaconaje : les deux systèmes o n t ceci de c o m m u n que le propriétaire fournit la terre, les semences et les outils et l'Indien seulement son propre travail, mais dans le premier, si la récolte est mauvaise, le propriétaire et le fermier subissent u n e p e r t e égale, alors que dans le dernier, le seul p e r d a n t est l'Indien, puisque le propriétaire reçoit u n loyer fixe qui n e dépend p a s des vicissitudes de la production. Le m ê m e a u t e u r ajoute que le yanaconaje diffère d u fermage en ce que, selon ce dernier système, l'Indien n'assume pas envers le propriétaire d ' a u t r e 1 Francisco PONCE DE L E Ó N : Al servicio de los aborígenes peruanos, op. cit. pp. 70-71. 2 Ce terme date de la période coloniale. U n yanacón ou yanacona était un Indien appartenant à une communauté et qui, ayant perdu sa terre, devenait serf dans un grand domaine, travaillant contre une rémunération en espèces ou en nature, ou contre le droit d'exploiter une parcelle de terre. 3 Communication de M. Manuel SÁNCHEZ PALACIOS, mai 1950. 396 LB TBAVAILLEUB, ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE obligation que celle de payer son loyer en espèces aux époques convenues, alors que s'il est yanacona, il doit souvent payer pour pouvoir exploiter sa terre et pour la fourniture de semences et d'outils en donnant une partie de sa récolte ou en travaillant dans le domaine du propriétaire 1. En pratique, la différence entre yanaconaje et colonato reste très vague dans quelques régions. D'après une définition donnée récemment par Ponce de León, dans la région de Cuzco, « le yanacona est un travailleur agricole qui paie le loyer de sa parcelle de terre en accomplissant un travail agricole un certain nombre de jours par semaine dans la hacienda 2 ». A part le fermage proprement dit, rarement pratiqué dans les régions indiennes, il semble exister, dans différentes parties de la Sierra, plusieurs autres régimes d'occupation de la terre parmi lesquels on peut citer les suivants : a) loyer payé en travail ; b) loyer payé en produits, et pouvant représenter jusqu'à 50 pour cent de la récolte ; c) le fermage mixte. Dans le premier cas, le loyer peut être payé sous la forme d'un nombre spécifié de jours de travail non rémunéré, ou sous la forme d'une quantité spécifiée de travail rémunéré à un taux annuel fondé soit sur le salaire journalier courant, soit sur un chiffre convenu à l'avance. Dans le deuxième cas, la proportion de la récolte qui constitue le loyer n'est pas convenue à l'avance, mais dépend de la valeur de la production 3 . Dans les deux cas, cependant, le fermier doit souvent rendre des services personnels dans le domaine ou dans la maison du propriétaire pour un salaire peu élevé, voire sans aucune rémunération 4. Pour illustrer le «fermage mixte» (espèces, travail et nature), on peut citer le système appliqué dans quelques régions : chaque fermier occupe une parcelle de terre (mañay) dont il paye le loyer : a) en fournissant une certaine quantité de bois à brûler au propriétaire, b) en livrant une certaine quantité de laine, c) en payant une certaine somme en espèces, d) en cultivant des pommes de terre pour le propriétaire, et e) en faisant office de berger et de serviteur pendant un nombre fixé de semaines par année 5. 1 Manuel SÁNCHEZ PALACIOS : « Desaparición legal del yanaconaje en el Perú », Revista de Derecho y Ciencias Politicas (Lima, 1948), XII m e année, n° 1, pp. 45-52. 2 Francisco PONCE DE LEÓN : « Bosquejo del problema de la propiedad de la tierra en el Perú », op. cit., p. 166. 3 IDEM : Al servicio de los aborígenes peruanos, op. cit., pp. 31-44 ; voir aussi Atilio SrvmiCHi : Derecho indígena peruano, op. cit., pp. 273-282. 4 Francisco PONCE DE LEÓN : Al servicio de los aborígenes peruanos, op. cit., p. 40. 5 Ibid., p. 43. LE PROBLÈME DE LA TERRE 397 D'après des renseignements donnés dans le rapport de la Commission d'étude des Nations Unies sur la feuille de coca, dans diverses régions du haut plateau des Andes, lorsque le loyer se paie en travail, le fermier doit réserver de 8 à 12 jours de travail par mois au propriétaire. En règle générale, chaque journée de travail est censée représenter cinq sols, dont 4 à 4,50 sont considérés comme destinés au paiement du loyer. Si le fermier ne peut se présenter au travail, il doit envoyer à sa place et à son compte un remplaçant (allegado). Fréquemment, le fermier doit, à titre d'obligation contractuelle, fournir au propriétaire le nombre d'ouvriers dont celui-ci a besoin pour son entreprise 1 . L ' É V O L U T I O N ÉCONOMIQUE D E S COMMUNAUTÉS E T L E R É G I M E AGRAIRE E N ABORIGÈNES GÉNÉRAL Il est évident que dans la plupart des pays intéressés, et surtout dans ceux de l'Amérique latine, les ressources de terre disponibles pour la population aborigène ne suffisent pas à lui fournir un niveau de vie qui puisse être comparé à celui dont jouissent d'autres groupes de la population dans le même pays. Comme la plus grande partie des communautés aborigènes pratiquent une économie de subsistance ou produisent pour un marché local plutôt que pour le marché national ou international, il y a peu de chances dans les conditions actuelles qu'elles participent au commerce mondial qui lui permettrait d'augmenter le montant ou la mobilité de leurs capitaux. S'il se produit un excédent de capital, la communauté ne se préoccupe guère, en général, de le consacrer à l'achat des instruments de travail grâce auxquels elle pourrait accroître sa productivité. De toute évidence, pour qu'une collectivité épargne, il faut qu'elle ait confiance dans son avenir. Elle doit se débarrasser du fardeau de l'endettement passé, conséquence de la pauvreté et de l'exploitation. Elle doit vouloir et pouvoir offrir des garanties pour les prêts et faire de ceux-ci un usage productif ; ceci implique l'existence d'un marché qui puisse absorber les biens ou services que les membres peuvent fournir, et la possibilité d'avoir recours à des organismes qui puissent, par leurs conseils techniques, indiquer comment les ressources devraient être utilisées et quels biens et services devraient être produits. 1 Rapport de la Commission d'étude sur la feuille de coca, op. cit., p . 81. 398 LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE Dans certaines régions, une redistribution des terres peut donc être une condition préalable à toute restauration véritable des communautés aborigènes. Il faut cependant reconnaître que, dans certains districts surpeuplés (particulièrement sur le haut plateau des Andes), une telle redistribution ne semble pas possible et qu'il faut chercher la solution de ce problème dans l'installation de la population aborigène excédentaire dans d'autres régions où la densité est plus basse. Il semble douteux qu'on puisse réaliser ce transfert dans un avenir proche sans une aide technique et financière internationale 1 . Les obstacles importants qui s'opposent à un programme de ce genre sont notamment l'insalubrité des régions disponibles et l'insuffisance — sinon l'absence complète — des moyens de transport indispensables, qui permettraient en outre, après le transfert, de maintenir les marchés locaux. De plus, la connaissance restreinte qu'ont les aborigènes des techniques agricoles modernes limite beaucoup les possibilités de rétablissement, même lorsque les obstacles mentionnés ci-dessus n'existent pas. Tout plan de ce genre exige des mesures pour assurer la formation professionnelle des travailleurs et l'équipement technique qui permettrait de tirer tout le parti possible d'un sol, d'une végétation et d'un climat nouveaux, ces conditions physiques pouvant elles aussi, si on ne les modifie pas, constituer un obstacle sérieux au développement économique. Il faut souligner également que le succès de tout programme de développement agricole dépendra de l'appui et de l'enthousiasme qu'il suscitera parmi la population aborigène elle-même, laquelle, dans la plupart des cas, témoigne d'un attachement culturel et religieux profond pour ses habitats traditionnels. Dans le cas des comunidades dans lesquelles l'exploitation collective des ressources matérielles et humaines a été conservée, cet appui sera plus facilement acquis si la colonisation, au lieu d'être laissée à l'initiative individuelle, respecte l'organisation des aborigènes en unités sociales de travail. Malgré les mesures constitutionnelles et les diverses dispositions administratives et législatives adoptées par les gouvernements pour protéger et renforcer le système des comunidades 1 II faut aussi se garder de perdre de vue l'aspect culturel de toute tentative visant à ré-établir les aborigènes ou à les amener à modifier leur mode de vie, fût-ce même en vue d'agir sur leurs activités productives. L'aide aux populations indigènes, leur incorporation effective à l'économie nationale doivent rester subordonnées à leur culture et à leurs besoins et non pas uniquement être conditionnées par des questions de main-d'œuvre ou par le désir de trouver des débouchés pour les produits aborigènes dans des conditions qui, à la longue, peuvent être préjudiciables à ceux-là mêmes auxquels il s'agit de venir en aide. LE PROBLÈME DE LA TEERE 399 aborigènes, nombre de celles-ci semblent incapables d'échapper au danger d'un affaiblissement progressif de leur structure, pour ne pas dire d'une désintégration totale. D'après différents auteurs, ce danger est dû à un certain nombre de facteurs, parmi lesquels on peut mentionner les suivants : a) l'augmentation naturelle de la population des comunidades et le morcellement des petites parcelles individuelles qui obligent de nombreux Indiens à chercher d'autres moyens de subsistance dans les plantations, les mines, les travaux publics, etc. ; b) la pénurie d'eau, le manque de crédit, de ressources techniques, de marchés, de moyens de communication, etc. ; c) une tendance, chez les autorités municipales des pays où les comunidades sont exemptes d'impôt rural sur la propriété, à demander la permission au gouvernement de morceler les terres collectives afin d'augmenter le revenu des impôts ; d) la pratique répandue chez les membres des comunidades de certaines régions, bien qu'interdite par la loi, qui consiste à vendre leur parcelle individuelle à des personnes n'appartenant pas à la communauté, ces ventes étant plus tard légalisées ; e) dans quelques régions, l'apparition, dans la comunidad elle-même, de l'esprit de propriété individuelle, qui aboutit au morcellement de la terre collective ou à l'acquisition d'une forte proportion de celle-ci par un petit nombre de membres qui deviennent ainsi à leur tour de petits propriétaires. Depuis une vingtaine d'années, la thèse selon laquelle le meilleur moyen d'aider à la restauration économique des communautés aborigènes est d'en faire des unités coopératives modernes jouit d'une faveur croissante. Tel a été le point de vue adopté en 1940 par le premier Congrès interaméricain des questions indigènes, qui a voté une résolution recommandant aux Etats américains intéressés « d'élaborer la législation nécessaire pour organiser les comunidades en coopératives d'agriculture ou d'élevage, ou en sociétés agricoles qui, sous le contrôle technique de l'Etat, s'intégreraient dans l'économie générale du pays x ». Comme on le verra au chapitre XII, cette opinion a également reçu l'appui de la mission commune d'assistance technique aux populations aborigènes qui, en 1952, s'est rendue sur le haut plateau des Andes, afin d'élaborer avec les gouvernements de Bolivie, de l'Equateur et du Pérou un programme d'action pour ces populations. 1 Final Act of the First Inter-American Indian Congress... Patzcuaro, Mexico (Washington, Panamerican Union, 1941). 400 LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE Auparavant, la même idée avait déjà inspiré le statut légal des communautés rurales promulgué par le gouvernement de l'Equateur, dont une des dispositions prévoit que « les autorités publiques prendront les mesures nécessaires pour transformer les comunidades en coopératives de production 1 ». Il faut remarquer cependant qu'à de rares exceptions près 2, et malgré les efforts accomplis en ce sens, l'organisation de coopératives n'a pas encore fait beaucoup de progrès dans les comunidades aborigènes de l'Amérique latine. Par exemple, sur les soixante coopératives qui existaient en Equateur en 1947, aucune n'était composée d'Indiens à proprement parler. Il semble bien que la raison principale de cet état de choses, quelque peu paradoxal, réside dans le fait que la plupart du temps, lors des essais qui ont été tentés, les pouvoirs publics n'ont pas accordé suffisamment d'attention à la nécessité d'adapter les méthodes coopératives modernes aux conditions économiques et culturelles particulières des organisations collectives indiennes. Déterminer quelles catégories de communautés aborigènes seront plus aptes à améliorer les revenus de leurs membres par des méthodes coopératives de production pose un problème délicat qui mérite un examen approfondi. Dans une certaine mesure, la solution pourrait en être trouvée dans la nature de la production agricole telle qu'elle est déterminée par la qualité et la quantité des terres disponibles. En règle générale, les communautés de pasteurs semblent mieux se prêter à l'adoption des méthodes coopératives d'utilisation de la terre et de la main-d'œuvre que les communautés disposant de terres arables de bonne qualité. L'expérience semble montrer que le développement d'une communauté aborigène se fait plus rapidement là où des forces extérieures au groupe obligent ses membres à s'intégrer dans une économie de marché. Parmi ces forces, on peut citer les suivantes, qui sont importantes : le relèvement du niveau de la production nationale, le développement des moyens de formation professionnelle agricole, l'amélioration des conditions d'hygiène, et l'accroissement de la demande de main-d'œuvre. 1 Código del Trabajo, sus reformas y jurisprudencia, op. cit., p. 306; voir également UNIÓN PANAMERICANA, División de Asuntos Sociales y de Trabajo : El cooperativismo y el problema indigena. Ensayos sobre el Ecuador y Perú (Washington, 1951). 2 L'une de celles-ci étant constituée par l'organisation de coopératives d'élevage du mouton dans quelques régions du haut plateau par le gouvernement péruvien. MÉTHODES DE CULTURE ET CRÉDIT 401 A cet égard, le problème des terres aborigènes n'est qu'un aspect du problème plus vaste du développement économique de chacun des pays. Il faut souligner cependant qu'une condition fondamentale du succès de ce développement plus vaste est l'élimination de certaines formes semi-féodales d'occupation des terres et d'affermage qui, dans la plupart des régions habitées par les aborigènes, constituent l'obstacle principal au progrès économique et social. Méthodes de culture et crédit TECHNIQUES AGRICOLES Il est généralement difficile et souvent vain de discuter des techniques agricoles. Les techniques sont liées dans chaque propriété à la superficie des terres disponibles, à leur répartition en parcelles, aux précipitations et à l'irrigation, au capital et à la main-d'œuvre utilisés, aux prix, aux coûts de la production et à l'étendue du marché, pour ne mentionner que quelques facteurs. Il reste vrai néanmoins qu'il existe une relation particulièrement étroite entre les techniques agricoles et les ressources de terres disponibles pour la culture et que, d'une manière générale, les techniques agricoles utilisées dans une communauté rurale sont inséparables de certaines phases bien déterminées du développement économique. Ce rapport entre les terres disponibles et les techniques — de même que les effets de l'évolution d'un de ces éléments sur l'autre — est loin d'être simple. Par exemple, dans différentes régions d'Amérique latine, l'épuisement des terres a fait de certaines tribus sédentaires des nomades. Dans d'autres, particulièrement dans la région du haut plateau des Andes, ce même phénomène a profondément bouleversé un système compliqué d'irrigation. Par contre, chez les Maoris de Nouvelle-Zélande, l'épuisement du sol n'a pas empêché l'adoption progressive de techniques agricoles modernes. Sur le haut plateau de l'Amérique du Sud, il existe des zones utilisées pour la culture qui, ailleurs, parce qu'elles sont très en pente, que leur sol est pierreux et qu'elles sont exposées au vent et à la gelée, seraient probablement utilisées uniquement comme pâturages ou même laissées en friche. Le soin et le travail consacrés à bâtir des terrasses sur ces surfaces rocailleuses attestent non seulement la survivance de techniques primitives, mais également l'in- 402 LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE fluence d'une main-d'œuvre à bon marché et du manque de capitaux à investir dans l'application de techniques agricoles. D'autres considérations entrent en ligne de compte dans le perfectionnement de l'agriculture. Dans les régions élevées de l'Amérique latine, particulièrement sur le haut plateau des Andes, le système d'occupation de la terre décrit plus haut a empêché la mécanisation de l'agriculture dans les grands domaines. Pour l'Equateur, par exemple, on a pu dire que, selon toute probabilité : ... la principale raison pour laquelle les machines ne sont pas utilisées est que les haciendas sont organisées en fonction d'une main-d'œuvre à bon marché et relativement stable. Pouvant faire paître ses bœufs toute l'année à peu de frais et disposant de bouviers qu'il peut payer un sucre par jour, l'exploitant moyen n'est guère tenté de mécaniser ses méthodes de culture1. De même, au Guatemala, on a noté que, dans les grands domaines agricoles, les machines sont « une curiosité » à cause « de la main-d'œuvre à bon marché provenant de la tierra fría » (terre froide), et que, sans cette main-d'œuvre, « l'économie agricole commerciale actuelle du pays s'effondrerait 2 ». On a fait remarquer que dans la région de Cobán (département d'Alta Verapaz), les plantations de caféiers peuvent soutenir la concurrence de celles de la côte du Pacifique grâce à la maind'œuvre indienne à bon marché, et pourtant la moins grande fertilité du sol et le prix plus élevé des transports exigent environ deux à trois fois plus de journées-homme pour produire et distribuer le café 3. En ce qui concerne les comunidades aborigènes, dans la plupart des cas, les techniques agricoles restent aussi primitives qu'elles l'étaient à l'époque coloniale. Dans un certain nombre d'entre elles, l'utilisation de la roue est encore inconnue. En Bolivie, la culture se fait à la main ou avec une charrue de bois à pointe de métal tirée par des bœufs de petite taille. Cet outil ne pénètre pas profondément dans le sol et n'arrache même pas toutes les herbes. L'introduction de la charrue de métal se heurte à une certaine opposition parce qu'elle est trop lourde à tirer pour les animaux utilisés. Les petites céréales sont moissonnées à la faucille, battues par des bœufs qui foulent le grain, et vannées au van. Les pommes 1 Indiana of the High Andes, op. cit., p . 182 ; cf. aussi : Aníbal BUITRÓN : « Vida y pasión del campesino ecuatoriano », op. cit., p. 116. 2 E . C. H I O B E B : « The Principal Agricultural Regions of Guatemala », The Geographical Review, avril 1947, p. 181. 3 D'après une étude publiée en 1949, le salaire dans quelques domaines n'était quo de 0,10 quetzal par jour. (Cf. Leo A. SUSLOW, op. cit., p. 66.) MÉTHODES D E CULTURE ET CRÉDIT 403 de terre sont plantées et récoltées à l'aide d'une houe courte, à pointe de métal et au manche d'environ 50 cm. de1 long. Ces opérations exigent une grande quantité de main-d'œuvre . Les Indiens aymarás de la région du lac Titicaca utilisent encore pour la culture des pommes de terre la UuTcana, « morceau de bois recourbé en angle aigu dont le bras le plus court porte, attaché à la façon d'une bêche, une lame plate », Vuisu, sorte de bêche consistant en un morceau de bois dur aiguisé et durci au feu « avec d'un côté un poussoir pour le pied, attaché à la hampe par une lanière de peau », et la taMa, charrue de bois dont la lame est fréquemment garnie d'une dent de fer ou de métal comme celle de la Hulearía. L'Aymara ignore pratiquement tout du labourage suivant les courbes de niveau, de sorte que le sol finit par être entraîné par les eaux de ruissellement. Il laboure ses sillons du haut en bas des collines les plus raides, ce qui « appauvrit encore plus le sol déjà stérile et pierreux du haut plateau » 2 . Fréquemment, les semences utilisées sont dégénérées et ne conviennent pas au milieu, en sorte que les maladies agricoles détruisent une forte proportion de la récolte. En règle générale, le paysan aborigène ignore tout de l'irrigation. L'utilisation des engrais modernes lui est totalement inconnue. Très souvent, le sol n'est traité qu'avec du fumier de lama ou de cheval 3 , et encore l'utilisation de fumier animal est-elle restreinte : la rareté du bois sur l'Altipiano oblige l'Indien à utiliser tous les combustibles de remplacement pour faire la cuisine. Dans la Sierra de l'Equateur, un outillage primitif, la rotation peu fréquente des cultures et le manque de moyens d'irrigation font que le rendement du sol est beaucoup plus bas dans les communautés indiennes que sur la côte. Dans quelques provinces, le problème de l'érosion aurait pris des proportions alarmantes 4 . Dans les hautes terres centrales du Guatemala, les outils sont rudimentaires, les semences de mauvaise qualité et l'utilisation des fertilisants et des insecticides pratiquement inconnue. Le feu est presque le seul moyen utilisé par les Indiens pour arracher les arbres et les buissons, pour détruire les insectes et les 1 H. G. DION : Agriculture in the Altiplano of Bolivia, op. cit., p. 28. Weston LA BARBE : The Aymara Indians of the Lake Titicaca Plateau, Bolivia, op. cit., pp. 80-81. Pour une description exacte de la takla, cf. aussi Rafael REYEROS : Gaquiaviri (La Paz, 1946), pp. 227-228. 3 Weston LA BARRE, op. cit., pp. 85-86. 2 4 David G. BASILE et Humberto PAREDES, loe. cit. 404 LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE mauvaises herbes. Le sol est alors ameubli et cultivé avec des houes, des machettes et des bâtons pointus. Il est d'ailleurs facilement entraîné par de fortes chutes de pluie... La région est très sérieusement déboisée et érodée et la terre fertile y devient assez rare 1. D'après une étude déjà citée de l'Institut national des affaires indigènes, sur trente-sept municipalités rurales étudiées, dix n'utilisaient pas la charrue et dans dix-neuf autres elle n'était utilisée que par une minorité de paysans 2. Au Mexique, sauf dans les ejidos où a été introduite la culture mécanisée, les outils utilisés par les Indiens sont aussi très primitifs. Ainsi, d'après une étude récente sur la condition des paysans aborigènes du Plateau tarasque, « la préparation et la culture de la terre sont presque toujours effectuées au moyen de l'ancienne charrue de bois (tareJcua) 3 ». Sur les hauts plateaux du Pérou, d'après un rapport de la Direction générale de la statistique, les techniques agricoles sont « presque identiques à celles qu'utilisent les Indiens depuis des temps immémoriaux i ». Le sol dur est préparé au moyen du chauqui-tacla, charrue primitive tirée à la main et enfoncée avec le pied et qui ne pénètre que de 15 à 20 cm dans le sol ; pour sarcler, le racuana, hoyau à manche court et à petite lame, est utilisé, et pour couper les branches, la faucille ordinaire est d'usage courant. La machette, la pioche et la pelle sont aussi souvent utilisées 5 . Certes, on peut citer un certain nombre d'exemples encourageants de l'introduction de techniques agricoles modernes chez les aborigènes. Toutefois, il est admis en général qu'il n'est pas suffisant de préparer l'aborigène à ces méthodes sans lui fournir également les moyens économiques de les utiliser ; ceci implique qu'il recevra non seulement l'équipement nécessaire, mais aussi une instruction appropriée. Par exemple, en conséquence des migrations périodiques de travailleurs agricoles du Plateau tarasque vers la région du sud-ouest des Etats-Unis, l'Indien se montre plus favorable à l'adoption de 1 The Economie Development of Guatemala, op. cit., p. 25. Cf. également « La economía regional de los indígenas de Guatemala », Boletín del Instituto Indigenista Nacional (Guatemala), vol. II, juin-sept. 1947, p. 180. 2 Crédito supervisado para Guatemala, op. cit., p. 70. 3 Gonzalo AGTJTRRE BELTBÁN : Problemas de la población indígena de la cuenca del Tepalcatepec, op. cit., p. 13. 1 « Población indígena económicamente activa según el censo de población y ocupación del año 1940 », Boletín de Estadística Peruana (Dirección Nacional de Estadística, Lima), neuvième année, n° 4, oct.-déc. 1948, p. 87. 5 Moisés SÁENZ : Sobre el indio peruano y su incorporación al medio nacional, op. cit., pp. 120-121. MÉTHODES DE CULTURE ET CRÉDIT 405 la charrue métallique, mais dans la grande majorité des cas, les frais d'acquisition de cet outil moderne dépassent ses moyens 1. Dans les tribus sylvicoles qui pratiquent l'agriculture nomade sur brûlis, les techniques sont encore naturellement beaucoup plus primitives 2. Si l'on veut fixer ces nomades, il faut non seulement vaincre la jungle elle-même, mais aussi venir à bout des parasites et des maladies qu'ils transmettent et trouver le moyen de sauvegarder la fertilité du sol tropical une fois éliminée la végétation protectrice. A cet égard, aussi bien qu'en ce qui concerne l'introduction d'outillage agricole moderne, les résultats intéressants atteints par le Service de la protection des Indiens du Brésil revêtent une grande importance 3. CRÉDIT AGRICOLE En économie agricole, on distingue d'ordinaire différents genres de crédit : crédit à long terme pour l'achat de terres et le financement de l'amélioration permanente des terres, crédit à terme moyen pour l'achat d'équipement et de bétail, etc., et crédit à court terme permettant de faire face aux dépenses courantes, jusqu'à ce que l'on puisse disposer de la nouvelle récolte. En règle générale, dans les régions habitées par les groupes aborigènes, le crédit accordé est à court terme. La principale raison semble être l'absence, dans ces régions, d'un marché développé de biens fonciers. La terre possédée par les communautés aborigènes, morcelée en petites parcelles et grevée par les litiges concernant les titres de propriété, a peu de valeur en tant que garantie pour des prêts à long terme. Lorsque des spéculateurs avancent de l'argent sur ces terres, c'est trop souvent dans l'espoir de les saisir ou de placer le propriétaire dans un état d'endettement permanent. En outre, dans les communautés fondées sur l'agriculture de subsistance, il y a peu de possibilités d'accumuler des fonds en vue du développement. D'autre part, dans une économie où le niveau de production par tête et la longévité sont bas, les taux d'intérêt sont élevés, autre facteur défavorable au crédit. Enfin, l'aborigène peut d'autant moins disposer de crédits utilisables qu'il 1 2 Gonzalo AGUIRRE BEI/TRAN, op. cit., p. Voir chap. IX. 3 Voir chap, XI. 155. 406 LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE participe plus activement à la vie de sa communauté, surtout à cause de la générosité — on pourrait même dire de la prodigalité — dont il témoigne à l'occasion des fêtes et cérémonies religieuses. Il ne fait pas de doute que les nécessités de la vie sociale qui donnent son caractère à la communauté indigène peuvent être une cause d'endettement. Les types les plus courants de crédit à court terme dans les communautés aborigènes sont l'ouverture d'un compte en nature à l'économat, ou l'avance sur les salaires. Il faut y ajouter la mise en gage des produits auprès de marchands ou de bailleurs de fonds qui souvent s'adonnent exclusivement à ce genre d'activité. En fait, il s'agit là de contracter une dette plutôt que d'obtenir du crédit. Le bailleur de fonds songe rarement à être remboursé ou à accorder un prêt viable. Rares sont les pays pour lesquels des renseignements précis soient disponibles en ce qui concerne les prêts accordés aux paysans aborigènes. Au Chili, l'Indien araucan doit souvent avoir recours aux prêteurs, afin d'obtenir les avances en espèces ou en semences dont il a besoin pour l'exploitation de sa parcelle. La récolte est engagée en remboursement du prêt et «les taux d'intérêt sont très élevés 1 ». Le Tribunal des Indiens de Temuco a pris des dispositions pour que la Caisse de crédit agricole ouvre ses portes aux petits fermiers araucans et a entrepris lui-même de tenir un registre spécial des crédits attribués. En 1940, le Congrès national araucan a demandé au gouvernement d'établir une société de développement qui permette de donner aux Indiens des crédits agricoles à long terme à des taux d'intérêt peu élevés ; il a également demandé qu'un représentant du Front uni araucan fasse partie du conseil d'administration de la caisse agricole en qualité de conseiller. La loi sur les coopératives de petits exploitants agricoles est applicable aux Indiens des « réductions », mais jusqu'à maintenant aucune coopérative comprenant des Indiens de cette catégorie n'a encore été constituée. Au Guatemala, d'après un récent rapport de la Banque internationale pour la reconstruction et le développement, il n'existe pratiquement pas « de crédit agricole pour l'Indien ; 1 Alicia ELORRIETA FERRARI : El problema indigena en Chile, thèse soutenue pour obtenir le grade de licencié de la faculté des sciences juridiques et sociales de l'Université du Chili (Santiago du Chili, 1941), pp. 92-93. MÉTHODES DE CULTORE ET CRÉDIT 407 lorsqu'il emprunte de l'argent, c'est pour des besoins de consommation et sous forme d'une avance consentie par l'agent recruteur de Vhacienda sur les sommes qu'il gagnera pendant la cueillette du café 1 ». En 1951, l'Institut de développement de la production a publié les résultats d'une étude sur le crédit rural dans trentesept communes, faite avec l'aide de l'Institut national des affaires indigènes 2. Il ressort de cette étude que le crédit est la plupart du temps donné simplement sous forme de petites avances pour des périodes relativement courtes, et le bailleur de fonds demande souvent un intérêt de 10 pour cent par mois 3. Dans quelques districts, des prêts individuels beaucoup plus importants sont alloués par les banques moyennant des garanties valables à des taux modérés d'intérêt (de 4 à 6 pour cent par an). La plus grande partie du crédit prend la forme d'avances sur les salaires ou sur les récoltes. Dans le premier cas, le remboursement se fait en travail, conformément aux clauses du contrat de travail ; dans le deuxième, il se fait, en espèces, en livrant la récolte aux courtiers spécialisés ; l'intérêt demandé peut alors atteindre 100 pour cent par mois 4. La plupart des emprunteurs sont des salariés, de petits propriétaires, des fermiers et des métayers. Dans le cas du premier de ces groupes, les emprunts sont le plus fréquemment faits auprès des agents de recrutement des domaines. On signale que lorsque l'emprunteur est un travailleur migrant, environ 30 pour cent du prêt est souvent affecté au paiement du transport. Dans de nombreuses communautés aborigènes, l'entraide est traditionnelle entre petits propriétaires et colons, qui s'accordent des prêts peu importants sans demander aucun intérêt 5 . Le tableau ci-après donne un aperçu de la situation telle qu'elle se présente dans les communautés passées en revue dans l'étude. 1 The Economie Development of Guatemala, op. cit., p. 26. 2 INSTITUTO INDIGENISTA NACIONAL : « Datos para el estudio de las modalidades del crédito rural en Guatemala » (Guatemala, 1951) (non publié). Résumé dans Crédito supervisado para Guatemala, op. cit., pp. 87-96. 3 Ceci est confirmé par un rapport communiqué au B.I.T. par l'Institut national des affaires indigènes et relatif aux modalités du crédit dans diverses communautés aborigènes dans les cinq départements de Momostenango, Solóla, Quetzaltenango, Alta Verapaz et Chiquimula (1951). 4 Crédito supervisado para Guatemala, op. cit, p. 94. 5 Ibid., p. 93. 408 LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE T A B L E A U X L I X . — GUATEMALA : S Y S T È M E S D E C R É D I T AGRICOLE UTILISÉS DANS TRENTE-SEPT Sources de crédit Organisations collectives ou familiales Services de recrutement des exploitations 1 Propriétaires « Spéculateurs » 2 Bailleurs de fonds 3 . . . . Magasins Banques Département de développement des coopératives . Institut de développement de la production . . . . Négociants en produits agricoles 4 Sous-entrepreneurs •* . . . Total . . . COMMUNES Montant moyen des prêts RURALES Intérêts usuels Durée usuelle du prêt (en jours) Aucun 39 Nombre d'emprunteurs Montant total des prêts 5.504 48.820 9.522 2.929 1.940 2.078 115 8 47.2296 16.432e 29.217 79.539 3.996 5.400 3,68 2,55 7,76 14,30 13,35 675,00 Aucun Aucun 46,31 8,2-10 > par mois 300 45.750 100,00 0,5 par mois 365 2 1.400 700,00 4 par an 303 57 680 2.066 33.150 17,00 37,50 12,7 par mois 60 25 23.135 412.999 (En quetzals) 2,50 24,4 J 6 par an 20 12 69 66 18 751 — Source : INSTITUTO DE FOMENTO DE LA PRODUCCIÓN : Crédito agrícola supervisado para Guatemala, op. cit., pp. 90-95. 1 Engagent des travailleurs salariés et font des avances sur les travaux à accomplir.— 1 Acheteurs de produits agricoles pour leur propre compte ; avancent de l'argent, en échange duquel l'emprunteur livre sa récolte à des conditions convenues (remboursement en nature).— 8 Bailleurs de fonds des5 villages ; demandent parfois des gages. — * Achètent les récoltes pour de tierces personnes.— Avancent de l'argent sur des travaux à accomplir à la tâche.— " Avances remboursables sous forme de prestations de services. Au Mexique, le problème du crédit a été résolu au moyen de l'organisation des communautés du type ejido. Des dispositions ont été prises pour l'établissement, dans chaque ejido, d'un « fonds commun », alimenté par les bénéfices provenant de l'exploitation des ressources collectives (forêts et pâturages, par exemple), par des cotisations individuelles perçues par les autorités de Vejido en vue de travaux d'utilité publique, et par des contrats de concession conclus avec des tiers pour l'exploitation des ressources qui ne sont ni agricoles, ni pastorales, ni forestières. Le fonds est destiné à financer la mise en valeur des terres, les travaux d'irrigation, la construction d'écoles et de services d'utilité publique, l'acquisition de machines agricoles, d'outils, de bétail et de semences. En outre, la Banque nationale de crédit des ejidos fournit de l'argent liquide pour aider à la production et à l'écoulement des produits, ainsi que des crédits à moyen terme pour l'achat de machines agricoles et pour le financement des cultures permanentes. De plus, elle donne des conseils techniques aux ejidos MÉTHODES DE CULTURE ET CRÉDIT 409 pour la sélection des semences, les méthodes de culture, l'organisation coopérative et la mécanisation. De 1936 à 1947, la banque a accordé des prêts s'élevant à 1.052 millions de pesos. Au 31 décembre 1947, le montant total des prêts avait atteint 929 millions de pesos, dont 783 millions avaient déjà été remboursés 1 . Les sociétés locales de crédit des ejidos assument ensemble la garantie des crédits obtenus. E n 1947, le nombre de ces sociétés était de 6.359 et comptaient au total 480.661 membres. En 1950, les opérations de la banque ont été effectuées par l'intermédiaire de 35 agences, 212 bureaux locaux, 57 unions de sociétés, 45 sociétés d'intérêt collectif agricole et 6.814 sociétés locales de crédit des ejidos, avec un effectif de 511.120 membres associés ; une population de 2.600.000 paysans a bénéficié de ce réseau. Les prêts se sont élevés à 303.516.000 pesos, dont 228.628.000 ont été affectés aux cultures, 3.875.000 au défrichement, 21.968.000 aux travaux d'irrigation, 19.954.000 aux machines agricoles et 13.718.000 aux industries et à divers autres usages, le reste allant aux frais d'administration 2. Il faut remarquer cependant que dans diverses régions du pays, les avantages de ce système de crédit n'ont pas encore atteint un secteur important de la population agricole. Ainsi, une étude récente effectuée par l'Institut national mexicain des affaires indigènes révèle que dans un certain nombre de districts du Plateau tarasque, l'absence de crédit officiel place les petits propriétaires aborigènes à la merci des marchands locaux, dont les boutiques jouent le rôle « de petites institutions bancaires ». Les prêts revêtent généralement la forme de denrées alimentaires ou de fonds destinés aux'fiestas; l'Indien engage à l'avance sa récolte ou le produit de ses forêts à un prix bien inférieur à ce qu'il pourrait en obtenir à la saison des moissons ou de la coupe du bois. Dans un.certain nombre de districts, ces conditions ont provoqué la monopolisation du commerce des céréales et du bois par quelques négociants 3. Aux Etats-Unis, le gouvernement a activé la réalisation du programme visant à fournir aux Indiens des réserves les moyens financiers d'améliorer leur situation économique. Les difficultés principales que suscite l'octroi de crédits par 1 Informe del Banco Nacional de Crédito Ejidal (Mexico, 8 déc. 1948). 2 Voir CONFERENCIA INTERAMERICANA D E SEGURIDAD SOCIAL, cuarta reunión : « La extensión del seguro social al agro mexicano », op. cit., p p . 127-128. 3 Gonzalo AOUIRRE BELTRÁN : Problemas de la población indigena de la ctienca del Tepalcatepec, op. cit., p . 228. 410 LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE des organismes privés ou des personnes étrangères au Bureau des Affaires indiennes proviennent de la condition économique précaire des Indiens, du manque de garanties bancaires, de l'ignorance dont les Indiens font preuve à l'égard des opérations commerciales et d'un manque d'expérience de la part des bailleurs de fonds privés dans leur relations avec les aborigènes. Pour que les Indiens puissent avoir recours aux organismes d'assistance aux anciens combattants et aux exploitants agricoles sur un pied d'égalité avec les autres citoyens, la législation qui les empêchait d'hypothéquer les terres qu'ils occupaient en fidéicommis ou sous certaines conditions spéciales, a été révisée en 1951. Le Bureau des affaires indiennes peut maintenant autoriser l'hypothèque lorsque le prêt accordé par une entité habilitée à cet effet vise à financer une entreprise productive du bénéficiaire, à fournir à celui-ci un logement ou à lui permettre l'achat ou la mise en place d'installations et d'équipement améliorés. L'hypothèque est interdite lorsqu'il s'agit de bois en exploitation ou de pâturages, car la perte complète de terres de ce genre en cas de saisie peut porter préjudice à l'utilisation rationnelle des terres disponibles. Le 30 juin 1952, le fonds de roulement de la Caisse officielle d'avances remboursables aux Indiens était de 11.523.400 dollars, somme avec laquelle, en raison du caractère spécial de cette caisse, des prêts représentant une valeur d'environ 21.585.000 dollars avaient été consentis. Outre les opérations de crédit autorisées par la caisse susmentionnée, les Indiens complètent les prêts qu'ils obtiennent au moyen de fonds provenant des biens tribaux qui leur sont confiés. Le 30 juin 1952, ils avaient obtenu 8.537.444 dollars de prêts provenant de ces sources. A la même date, des crédits s'élevant à environ 41 millions de dollars avaient été affectés au développement des activités commerciales et industrielles chez les Indiens \ Dans certaines régions de l'Inde, les taux d'intérêt demandés par les propriétaires et les prêteurs aux fermiers et aux métayers pour des avances en céréales et en semences sont d'environ 25 pour cent de la récolte et, en cas de défaut de paiement, peuvent atteindre 50 pour cent. Dans certains districts des provinces centrales, les « colons occupants » aborigènes ont un droit inaliénable sur leur terre. Cependant, les taux d'intérêt élevés demandés par les bailleurs de fonds les placent souvent dans une situation d'« endettement perpétuel », en sorte qu'ils 1 Animal Report of the Secretary of the Interior... 1952, op. cit., pp. 414-416. SERVICES PERSONNELS TRADITIONNELS 411 doivent remettre le produit de leur parcelle et devenir de simples salariés. En 1936, les besoins des fermiers étaient si importants qu'à l'occasion de l'enquête du Conseil de conciliation en matière de dettes « des centaines de débiteurs envoyèrent des pétitions au Conseil, lui demandant de ne pas intervenir dans leurs transactions, sinon ils ne pourraient plus obtenir de crédit 1 ». Ces dernières années, les gouvernements de différents Etats ont tenté de mettre un terme à cette exploitation en créant des institutions de crédit (golas) auprès desquelles les fermiers aborigènes peuvent obtenir des prêts à des taux d'intérêt peu élevés. Des crédits analogues sont également accordés pour l'achat de bœufs ou pour l'amendement du sol ; ils peuvent être remboursés par petits versements échelonnés. En Nouvelle-Zélande, les fonds pour la mise en valeur des terres maories sont fournis par le ministre des Terres, qui administre un crédit spécial à cette fin. Le Bureau fiduciaire maori peut fournir des fonds supplémentaires et avancer de l'argent aux agriculteurs aborigènes, en prenant leurs terres comme garantie ; il exerce une surveillance sur l'affectation des fonds avancés et sur les méthodes de culture. Cet organisme sert également d'agent fiduciaire pour environ 10.000 Maoris. En 1948, le chiffre d'affaires du Bureau s'élevait à 2.300.000 livres, et les placements (dépôts, hypothèques et sommes destinées aux bénéficiaires maoris) totalisaient plus de 3 millions de livres. Les services personnels traditionnels De nos jours encore, les aborigènes de diverses régions d'Amérique latine et de l'Inde sont astreints à fournir des services personnels. Certes, dans de nombreux cas, il ne s'agit là que de la survivance d'usages et de coutumes qui datent de temps immémoriaux ou de la déformation d'institutions sociales indigènes comme celle du travail coopératif ; mais ces services n'en sont pas moins très souvent imposés, que ce soit par les autorités publiques et religieuses, par les propriétaires, par les recruteurs et les sous-entrepreneurs ou encore par les créanciers. Aussi, les travaux effectués à ce titre sont-ils 1 K. G. SrvASWAMY : « Serf Labour Among the Aboriginals », Indian Journal of Social Work (Bombay, The Faculty of the Tata Institute of Social Sciences), vol. VIII, n° 4, mars 1948, pp. 310-319. On verra plus loin comment le système de crédit crée des conditions propices à la prestation obligatoire de services. 412 LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE considérés par divers auteurs comme des formes de servitude ; ils correspondent pour l'Indien à une condition d'infériorité générale, imputable la plupart du temps à la résignation avec laquelle il accepte son sort et aux trop longs délais qu'on a laissé s'écouler avant de résoudre le problème de la terre et d'établir une égalité économique et sociale réelle entre les aborigènes et les autres citoyens. AMÉRIQUE LATINE Le terme générique « services personnels » sert à désigner toute une série de tâches diverses, qui se rattachent ou non au travail agricole et que, dans différentes régions de l'Amérique latine, le travailleur aborigène, indépendant ou non, est appelé à accomplir au profit du propriétaire ou des autorités locales, tant civiles que religieuses. Cette institution est un héritage de l'époque coloniale 1, et, en dépit de la législation prohibitive en vigueur 2, elle continue à subsister comme un des éléments caractéristiques du régime semi-féodal de la terre. Il n'a pas été possible de vérifier quels sont, parmi les services personnels mentionnés ci-après, ceux qui étaient exigés à la date de parution du présent rapport. Il ressort des sources d'information utilisées que, pour la plupart, ils sont encore de pratique courante, même si la législation les interdit et si les noms qui les désignent sont tombés en désuétude. Travaux accomplis au profit des autorités publiques et religieuses Nous mentionnerons en premier lieu les services que l'aborigène propriétaire de terres collectives doit fournir aux autorités administratives, municipales ou judiciaires, ou au clergé des localités de province. Ces prestations comportent divers travaux qui ont un double caractère administratif ou personnel. Bolivie. Rafael Eeyeros, ancien fonctionnaire supérieur des affaires indigènes, qui s'est livré à une enquête sur les hauts plateaux boliviens, a pu constater que : 1 Cf. J u a n COMAS : La realidad del trato dado a los indígenas de America entre los siglos XV y XX (Mexico, Instituto Indigenista Interamericano, oct. 1951) ; D . J . D E BARROSA Y MUÑOZ DB BUSTILLO : La colonización española en América. Estudio histórico legal del servicio personal de los indios de las colonias españolas de América durante los siglos XV al XIX (Madrid, 1925). 2 Voir chap. X I . SERVICES PEESONNELS TRADITIONNELS 413 ... les aborigènes des communautés sont tenus de se mettre à la disposition des préfets, des prêtres et des juges, c'est-à-dire des représentants du pouvoir politique, ecclésiastique et judiciaire du district ou de la province. Ils doivent non seulement aider à l'accomplissement de tâches officielles afférentes à l'administration gouvernementale, à la pratique du culte et à l'administration de la justice, mais aussi prêter aux représentants des autorités des services de caractère personnel ; ils peuvent être chargés de transmettre les ordres du pouvoir central, d'aller chercher des vivres, du bois et du fumier, de balayer les églises, de sonner les cloches, d'aider à la célébration de la messe en qualité de sacristain ou de chantre. Ils peuvent aussi bien notifier un décret, exécuter des saisies et appréhender des délinquants que préparer le repas du juge, réparer la toiture ou crépir les murs de son habitation,1 cultiver ses terres, prendre soin de son bétail et de sa basse-cour . D'après Beyeros, les administrateurs cantonaux (corregidores) et les sous-préfet sont coutume de désigner un ou plusieurs alcaldes indigènes qui remplissent certaines fonctions policières et qui accomplissent également toutes sortes de tâches domestiques exigées par les autorités. Il n'est pas rare que l'épouse de Valcalde doive également s'occuper du ménage du représentant de l'autorité. Le corregidor dispose souvent d'un islero, qui, notamment, remplit les fonctions de portier et cultive sa terre ; parfois, il dispose d'un cuisinier (pajsijaque), qui travaille pour lui pendant un mois, et d'un alguacil qui doit s'occuper de la prison locale. Les autorités judiciaires ont à leur service des regidores indigènes pour les travaux domestiques. Le clergé local ne bénéficie pas moins de services de ce genre : Virasiri est un administrateur temporel de l'église locale, qui prête ses services pendant un mois, cependant que le majordome assure les mêmes services pendant une année ; le fuellero (souffleur) est tout particulièrement chargé de faire fonctionner l'harmonium de l'église ; le tolero doit fournir le combustible pour la cuisine paroissiale, tandis que la mitani s'occupe de la cuisine ; Valférez joue le rôle d'amphitryon lors de la fête religieuse annuelle, privilège qui n'exclut pas l'obligation de fournir de nombreux présents et de rendre des services personnels. D'ailleurs, d'une manière générale, toutes les charges mentionnées ci-dessus impliquent pour l'aborigène qui doit s'en acquitter l'obligation de contribuer par des dons en espèces et en nature au ménage des bénéficiaires. Eeyeros donne la définition suivante de quelques-unes de ces prestations. ISislero « est chargé des fonctions de concierge de l'habitation... il soigne les volailles, leur fournit le grain et 1 Rafael REYEKOS : El pongueaje. La servidumbre personal de los indios bolivianos, op. cit., p . 118. 414 LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE l'eau, les conduit à la rivière, prépare leurs nids ». Le pajsijaque (de pajsi, mois, et jaque homme) « est le cuisinier du corregidor ; il emmagasine le combustible et s'acquitte de toutes les tâches qui incombent au pongo ou péon des grandes propriétés agricoles 1 ». hHrasiri « reste en général un mois au service du prêtre ou du corregidor et effectue divers travaux domestiques ; il nettoie le logement et la basse-cour, fait la cuisine, cultive les terres, s'occupe du ménage, parcourt cinq, six ou vingt lieues pour porter une lettre ou acheter une livre de sucre ; il est gardien, policier, alguazil ; il cultive les terres du prêtre, répare le presbytère, etc. 2 . Le mayordomo « est le dépositaire des clefs de l'église et fait l'inventaire général des biens ecclésiastiques... il prend soin des nappesd'autel, des précieux joyaux des statues ; il doit aussi confectionner les hosties et conserver le vin de messe 3 ». L'álférez « doit, les veilles de fêtes, porter au presbytère, du combustible, des volailles et des agneaux pour le repas paroissial 4 ». Weston La Barre voit dans Valferezado un système de services non rémunérés que l'Indien Aymara «est obligé de rendre aux prêtres, aux maires, aux corregidores, aux voyageurs, etc. ; ces services comportent toutes sortes de tâches, qui vont du tissage aux travaux de cuisine effectués pour les Blancs 5 ». Il faut ranger dans la même catégorie le postillonaje, qui consistait, à l'origine, en l'obligation d'assurer le transport de marchandises et du courrier et de guider les voyageurs. Selon une étude déjà citée, « le système du postillonaje subsiste encore dans les régions privées de chemin de fer ou de moyens de transport motorisé 6 ». Le tableau des chemins et distances de la Direction générale des postes faisait encore état, en 1951, pour la région des hauts plateaux d'Oruro, d'un parcours annuel de 104.728 kilomètres effectué par des courriers indigènes. Une loi du 30 novembre 1904 exemptait de ce service les aborigènes propriétaires de terres indiennes d'origine, c'est-à-dire ceux qui payaient l'impôt foncier rural. Depuis 1920, le postillonaje est devenu facultatif et doit être accompli moyennant une rémunération fixe. Il a été supprimé par une loi de 1936, mais, dans la pratique, de nombreuses administrations cantonales continuent de l'utiliser en raison de la pénurie, 1 Rafael R E Y E R O S : El pongueaje, op. cit., p p . 262 et 124. 2 I D E M : Caquiaviri, op. cit., p . 73. IDEM : El pongueaje, op. cit., p. 121. IDEM : Caquiaviri, op. cit., p . 78. Weston L A B A R R E , op. cit., p . 38. 3 4 5 6 Rafael REYEROS : El pongueaje, op. cit., p . 115. XXI lèti ir De la hutte au logement moderne, grâce aux Communautés pour l'amélioration de la condition des aborigènes au Mexique (Dirección General de Asuntos Indígenas! XXII Un centre d'action Les services sociaux dans les tribus d'Haïderabad (Social Service Department, Hyderabad Government) Formation professionnelle SERVICES PERSONNELS TRADITIONNELS 415 voire de l'absence complète, de moyens modernes de communication. Dans certaines régions du district de Potosí, le courrier est transporté à dos d'homme, comme au temps de Toledo 1. Dans ce même district, les courriers font de nos jours divers trajets de plus de 90 kilomètres avec des bagages sui' les épaules entre le fameux bassin minier de Uncia et Lagunillas, Morochata, Pocoata, Colquechaca, et parcourent 50 kilomètres entre Uncia et la station historique de Chayanta et Panacachi... ils vont généralement à pied, à la course ou au trot, mais rarement au pas. On les reconnaît aisément en dehors de leurs heures2 de service, à ce qu'ils ont les mollets très développés et le dos voûté . Il arrive parfois que, déjà astreint à des services de caractère administratif et domestique pour les autorités locales, l'aborigène soit en outre appelé à travailler sans rémunération à la création et à l'entretien des chemins et des routes ou à la construction d'édifices publics ou religieux. Dans le cadre des obligations qui leur incombent envers l'Etat, [les aborigènes] doivent fournir cinq jours de travail par an pour les travaux routiers, qui sont imposés à tous les hommes, à l'exception des infirmes... Tous les travaux publics, tels que la construction des routes, des ponts, etc., sont effectués au moyen du travail obligatoire et non rémunéré des Indiens du voisinage *. En réponse à un questionnaire envoyé par le Comité spécial de l'esclavage des Nations Unies, le gouvernement de la Bolivie a déclaré notamment en 1950 : Les seuls services personnels dus en vertu de la loi sont le service militaire et une prestation en nature pour l'entretien des chemins ; cette prestation, qui consiste en trois jours de travail, peut être remplacée par le paiement d'une contribution de 40 pesos boliviens, montant inférieur au salaire moyen des travailleurs de l'industrie et des mines 4. Bien que la conscription s'applique en principe à tout le monde, sans exception, il convient cependant de ne pas perdre de vue que le caractère obligatoire du travail est en réalité subordonné aux ressources matérielles de chaque individu. Dans ces conditions, les indigènes constituent la réserve la plus importante de main-d'œuvre gratuite pour ces travaux. « Le Blanc et le métis s'acquittent de la contribution routière en monnaie courante ; seul l'Indien la paie par son travail personnel 5 ». 1 Allusion à Francisco de Toledo, vice-roi et organisateur de l'administration espagnole du Haut-Pérou (1559-1581). 2 Rafael REYEROS : El pongueaje, op. cit., pp. 114-115. 3 Ibid., p. 148. 4 NATIONS UNIES, Conseil économique et social : Questionnaire sur l'esclavage et la servitude, doc. E/AC.33/10/Add. 22, 8 sept. 1950, pp. 1-2. 5 Rafael REYEROS : Caquiaviri, op. cit., p. 226. 15 416 LE TBAVAILLETJR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE Colombie. Dans diverses zones de la région du massif occidental, il semble que l'aborigène soit tenu de rendre des services gratuits au cabildo (conseil municipal indien) et à l'église. Ainsi, par exemple, le directeur de l'Institut national des affaires indigènes constate : Dans les resguardos de Pancitará, Ríoblanco, San Juan, etc. (Cauca), la prestation non rémunérée de journées de travail à l'église et au cabildo et la célébration des jours de fêtes absorbent environ 40 pour cent des 276 jours ouvrables dont dispose tout citoyen colombien pour assurer ses moyens d'existence. A cette importante perte de travail, il faut ajouter la « contribution décimale », payée par l'Indien au commerçant qui a acquis le droit de percevoir la dîme, et les frais qu'entraînent les jours de fêtes et les obligations religieuses 1. J u a n Friede, quant à lui, estime que : Aujourd'hui, comme il y a cent ans, les travaux effectués pour le cabildo, c'est-à-dire les « corvées », ne sont pas rémunérés et sont uniquement payés en coca... A l'époque coloniale, le cabildo était chargé de verser les redevances royales et de les payer à Y encomendero 2 et au corregidor. Depuis la Eépublique, le cabildo est élu au suffrage populaire pour une durée d'un an par la masse des Indiens, et impose la « corvée ». On appelle « corvée » (obligación) les jours de travail non rémunéré que le cabildo impose chaque année aux Indiens de la réserve au bénéfice de la collectivité... La corvée imposée par le cabildo varie entre 15 et 25 jours par an, ce qui réduit encore les 256 jours de travail... L'Eglise également bénéficie de la corvée. Elle peut ainsi faire construire et crépir le presbytère, faire réparer le sanctuaire, veiller à l'entretien du moulin, faire semer et récolter le blé, nettoyer les étables et assurer les soins aux animaux avec lesquels les prêtres vont collecter les aumônes a . Equateur. Dans la région de la Sierra, « les autorités locales contraignent souvent de nombreux Indiens à travailler sans rémunération » 4 . Dans certains centres urbains de la Sierra persiste la coutume d'exiger des aborigènes, sans rémunération, qu'ils nettoient les rues et les places publiques quand ils viennent au marché apporter leurs produits. De plus, on utilise les services de l'aborigène pour la réparation des routes, des églises, etc. s . Il est apparemment assez fréquent que des 1 Antonio GARCÍA : « Regímenes indígenas de salariado », op. cit., p p . 273-274. li'encomendero était le détenteur d'une encomienda, privilège p a r lequel le roi d'Espagne confiait à des Espagnols d'Amérique la protection d'un certain nombre d'Indiens. Voir, plus haut, le passage sur le régime foncier au Pérou. 8 J u a n F R I E D E : El indio en lucha por la tierra, op. cit., p p . 19, 168, 171, 178. 4 Leónidas RODRÍGUEZ SANDOVAL : Vida económicosocial del indio libre de la Sierra ecuatoriana, op. cit., p . 85. 2 5 Cf. Elsie CLEWS PARSONS : Peguche, op. cit., p p . H-12. SERVICES PERSONNELS TRADITIONNELS 417 agents de la police municipale g u e t t e n t les Indiens p e n d a n t les premières heures de la matinée et leur enlèvent u n e pièce d'habillement afin de les obliger à effectuer ces t r a v a u x en échange de la restitution d u « gage » 1 . Dans les localités à forte population paysanne, et surtout aborigène, les autorités civiles qui, en raison de leurs fonctions, se trouvent en contact direct et étroit avec elle, font d'excellentes affaires à ses dépens et commettent des abus si grands et incroyables que l'on est amené fatalement à penser que le Frère Bartholomé de las Casas n'a en rien travesti la vérité lorsqu'il a écrit sa « Destruction des Indes ». Nous avons pu, quant à nous, être témoin des abus commis par les chefs politiques, les commissaires et les policiers. Nous avons vu comment un chef politique, qui avait besoin de main-d'œuvre pour sa propriété, envoyait un agent de pouce « semer l'argent », c'est-àdire porter dans autant de maisons qu'il lui fallait d'Indiens à employer comme péons, un salaire qu'il était certainement le seul à considérer comme suffisant, en indiquant aux intéressés le jour auquel ils devaient se présenter à la hacienda. En pareil cas, les protestations des Indiens sont absolument sans effet ; ils se trouvent en face de la première autorité du canton et aucune raison ne peut prévaloir contre ses intérêts personnels. Parfois même les intermédiaires auxquels les Indiens ont dû apporter des cadeaux ne se montrent d'aucune utilité. Si l'Indien ne se présente pas à la hacienda, on le met en prison ou on lui prend en gages des objets qu'il ne peut récupérer qu'une fois le travail accompli. Nous avons pu voir également comment toutes ces autorités donnent l'ordre aux alcaldes des communautés aborigènes de leur apporter des volailles, des œufs, des cochons d'Inde à des prix fixés arbitrairement, des prix qui représentent la moitié de ceux qui sont pratiqués sur le marché. Nous avons pu voir comment ces mêmes autorités — et même n'importe quelle personne de race blanche, à condition qu'elle soit couverte par elle — se saisissent des Indiens qui arrivent dans les villages pour des raisons personnelles et les obligent à balayer les rues et les places, à travailler dans les jardins, à transporter des charges, à poser des clôtures et à jeter dans un ravin le chien mort que personne, parmi les villageois non indiens, n'a été capable de retirer du passage. On n'en finirait point s'il fallait établir la liste lamentable de toutes les formes d'exploitation et d'abus dont sont victimes les aborigènes 2. Q u a n t à la « corvée de r o u t e », à la suite d'une pétition des organisations ouvrières, le Congrès national a abrogé, en octobre 1951, la loi qui prescrivait le travail obligatoire de 1 Gonzalo RUBIO ORBB rapporte à ce sujet que « les agents de police parcourent les places au moment des foires en enlevant les « gages » ; ou bien ils vont dans les réserves opérer ces prélèvements, obligeant ainsi les Indiens à venir effectuer un travail forcé, généralement non rémunéré. C'est un spectacle pénible que de voir dans les rues, ces jours de fête, le défilé des Indiens qui se couvrent la tête d'un coin de leur manteau parce qu'on leur a pris leur chapeau, ou qui marchent derrière les policiers, implorant qu'on leur rende leur bien ou offrant de l'argent pour recouvrer leur liberté ». Voir Nuestros indios, op. cit., p. 293. 2 Aníbal BUITRÓN : « Vida y pasión del campesino ecuatoriano », op. cit., pp. 126-127. 418 LE TBAVAILLBUB ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE quatre jours (ou le paiement des sommes correspondant au salaire) en vue de la construction et de l'entretien des chemins et des routes. Il va de soi que la main-d'œuvre employée à ces travaux était composée, dans sa majorité, d'aborigènes 1. Guatemala2. Jusqu'à la fin du siècle dernier, l'Indien guatémalien était tenu de travailler pour l'autorité locale quand il en recevait l'ordre pour un salaire minime ou un échange de sa nourriture seulement. Par décret n° 471, du 23 octobre 1893, le gouvernement a aboli la réquisition de travailleurs et a déclaré que le travail était libre sur tout le territoire de la Eépublique. Il paraîtrait, cependant, que la pratique des services personnels est toujours en vigueur dans certaines régions du pays. Ainsi, le premier Congrès régional de l'économie, de caractère tripartite, qui s'est tenu à Escuintla, de mars à juin 1945, a adopté une résolution dans laquelle il demandait «que fussent supprimées les corvées non rémunérées des aborigènes au profit de l'administration, parce que l'agriculture manquait de maind'œuvre et parce que tout travail devait être rémunéré 3 ». Mexique. Selon diverses informations, la prestation de services non rémunérés pour des travaux d'intérêt public subsiste dans certaines régions du pays. Ainsi, un spécialiste mexicain des questions indigènes a déclaré que de nombreuses municipalités des Etats de Mexico, Hidalgo, Guerrero, Puebla, Oaxaca, Chiapas et Yucatan imposent à leurs habitants : ... le système traditionnel, mais anticonstitutionnel, du tequio (corvée), c'est-à-dire du travail non rémunéré et obligatoire pour la construction de routes, d'installations télégraphiques ou téléphoniques, la réparation des édifices publics, la construction des écoles, etc. Dans de nombreuses localités, ce service occupe jusqu'à soixante jours de travail par an, qui, au taux du salaire minimum, représente une contribution de 60 pesos, somme qui constitue, par rapport au revenu, un impôt que ne paie aucune des autres classes sociales du Mexique 4. Un autre auteur mexicain définit le tequio comme un système par lequel les indigènes « effectuent des travaux d'intérêt public, presque toujours sous la direction des autorités 1 Communication du correspondant du B.I.T. en Equateur, octobre 1951. Voir également chap. XI. 3 El triángulo de Escuintla (Guatemala, 1946), pp. 365-366. 4 Miguel 0. DE MENDIZÁBAIÍ : « Los problemas indígenas y su más urgente tratamiento », Cuadernos Americanos (Mexico), juill.-août 1945, pp. 53-54. 2 SERVICES PERSONNELS TRADITIONNELS 419 civiles de l'endroit, sans recevoir aucun salaire ». Ces travaux comprennent : ... la construction et la réparation d'édifices publics (mairies, églises, écoles), de rues et de chemins, le percement de puits, la pose de canalisations d'eau, et certains autres travaux analogues... Le travail est obligatoire pour tous les hommes d'une localité qui appartiennent à un groupe d'âge déterminé et d'une certaine condition... dans de nombreux cas, la « collaboration » est évidemment forcée ; ... certaines minorités fournissent moins de travail ou versent une certaine somme au lieu de travail... En revanche, les travaux pénibles sont effectués surtout par les paysans... et, en général, par ceux qui n'ont pas les moyens de payer une somme équivalente au travail requis ou par ceux dont le temps est moins précieux que celui des autres *. Dans certaines régions, l'aborigène est tenu d'accomplir une série de tâches de caractère civil ou religieux au profit de la collectivité, « en commençant par les plus humbles pour terminer, théoriquement, par les plus élevées ». Ainsi, par exemple, l'Indien commence pa