les populations aborigènes

Transcription

les populations aborigènes
BUREAU INTERNATIONAL DU TRAVADL
LES POPULATIONS
ABORIGÈNES
Conditions de vie et de travail
des populations autochtones des pays indépendants
GENÈVE
1953
ÉTUDES ET
DOCUMENTS
Nouvelle série, n° 35
IMPRIMERIE DE «LA TRIBUNE DE GENÈVE», GENÈVE, SUISSE
PEÉFACE
Cet ouvrage a pour but d'exposer les principaux aspects
économiques et sociaux du problème indigène tel qu'il se
présente dans les pays indépendants et d'indiquer l'objet, la
portée et les résultats de l'action entreprise sur le plan national
et international en vue de faire participer les populations
aborigènes à la vie économique de chaque pays et d'améliorer
ainsi leurs conditions de vie et de travail.
Un examen attentif de la situation permet de saisir
d'emblée, dans les aspects et les répercussions du problème
indigène, d'appréciables différences de pays à pays, imputables à des facteurs historiques et culturels et à des conditions géographiques et économiques tantôt favorables, tantôt
contraires au dépassement du niveau de vie dont s'accompagne
l'économie de subsistance. Cependant, quelques traits semblent
être communs à tous les peuples aborigènes, même si certains
de ces peuples ont connu, au cours de leur histoire, des périodes
de grand progrès social, économique et culturel qui les distinguent des populations plus primitives. Parmi ces traits, il
convient de signaler particulièrement l'isolement géographique,
les barrières culturelles — surtout d'ordre linguistique —, un
net retard du développement économique par rapport au
reste de la population nationale, une conception mythique de
l'organisation sociale et de l'activité économique, l'insuffisance
des possibilités offertes à l'individu et la survivance de systèmes
anachroniques de relations économiques et d'occupation de la
terre, qui empêchent les aborigènes de développer leur capacité
de production et de consommation et contribuent à les maintenir dans une situation sociale défavorisée.
Complétant heureusement les efforts accomplis par les
gouvernements, l'action des organisations internationales
s'étend à l'heure actuelle à l'ensemble du monde. C'est ainsi,
par exemple, que la Commission d'experts pour le travail
des aborigènes de l'Organisation internationale du Travail a
recommandé en 1951 — en même temps qu'elle formulait
un programme universel d'action en faveur des populations
autochtones des pays indépendants — que les Nations Unies
IV
LES POPULATIONS ABORIGÈNES
et les institutions spécialisées compétentes unissent leurs
efforts et leurs ressources et entreprennent en commun une
action pratique susceptible d'une vaste application régionale
et internationale. L'assistance technique internationale aux
populations aborigènes commence d'ores et déjà à se coordonner. Une mission commune envoyée dans les hauts plateaux
des Andes par les Nations Unies, l'Organisation internationale
du Travail, l'Organisation des Nations Unies pour l'éducation,
la science et la culture, l'Organisation pour l'alimentation et
l'agriculture et l'Organisation mondiale de la santé, en collaboration avec l'Organisation des Etats américains, a donné
corps, sous la forme d'un plan de caractère pratique, aux
principes généraux du programme d'action en faveur des
aborigènes formulé par l'Organisation internationale du Travail. Cet effort international concerté permet d'affecter les
meilleures ressources humaines et économiques à la solution
du problème indigène sous tous ses aspects ; il est donc important que s'affirme cette collaboration entre les différentes
organisations intéressées, car, des résultats de l'assistance
technique internationale prêtée aux aborigènes des Andes, il
sera possible de tirer d'utiles leçons en vue d'une action
analogue dans d'autres parties du monde. La collaboration
sans réserve apportée par toutes les institutions internationales à l'Organisation internationale du Travail, aussi bien
dans la réalisation du programme d'assistance technique aux
populations aborigènes des hauts plateaux des Andes que dans
la préparation du présent volume, sera un puissant stimulant
pour l'action sociale et économique entreprise en vue de
résoudre le problème indigène.
L'ampleur du sujet traité ici et la rareté des documents
dignes de foi concernant les groupes de population dits aborigènes imposaient à un tel ouvrage des limites impossibles à
franchir. Malgré des insuffisances pleinement reconnues, il
faut espérer que ce livre pourra être de quelque utilité à
tous ceux qui estiment que la compréhension du problème posé
par les populations aborigènes des pays indépendants ne peut
que gagner à l'établissement de bases de comparaison internationales.
TABLE D E S MATIEEES
Pages
PRÉFACE
in
PREMIÈRE
PARTIE
DÉFINITIONS E T DONNÉES
CHAPITRE PREMIER : Définition
PRÉLIMINAIRES
de V«. aborigène »
Critères légaux et administratifs
Amérique latine
Canada et Etats-Unis
Asie
Australasie
Critères théoriques
L a langue
L a culture
L a conscience de groupe
Le critère multiple
Le critère fonctionnel
CHAPITRE I I : Données démographiques et géographiques
Amérique
Argentine
Bolivie
Brésil
Chili
Colombie
Costa-Rica
Equateur
Guatemala
Honduras
Mexique
Nicaragua
Panama
Paraguay
Pérou
Salvador
Venezuela
Canada
Indiens
Esquimaux
Etats-Unis
Indiens
Esquimaux
Asie
Birmanie
Ceylan
Inde
Indonésie
Pakistan
3
6
6
11
14
15
16
16
17
20
21
23
30
31
35
37
39
43
46
50
51
54
56
57
60
61
62
63
68
69
73
73
74
74
74
75
76
76
79
80
84
85
VI
LES POPULATIONS ABORIGÈNES
Pages
Philippines
Thaïlande
Australasie
Australie
Nouvelle-Zélande
86
88
90
90
92
DEUXIÈME PARTIE
CONDITIONS DE VIE
Note préliminaire
95
CHAPITRE I I I : Alimentation
Amérique
Bolivie
Equateur
Guatemala
Mexique
Pérou
Amélioration de l'alimentation de l'aborigène
Régime alimentaire des Indiens sylviooles
Etats-Unis
Asie
Ceylan
Inde
Philippines
Australasie
Australie
Nouvelle-Zélande
CHAPITRE IV : Habitation
Amérique latine
Bolivie
Equateur
Guatemala
Mexique
Pérou
Indiens sylviooles
Canada et Etats-Unis
Canada .
Etats-Unis
Asie
Birmanie
Ceylan
Inde
Indonésie
Philippines
Thaïlande
Australasie
Australie
Nouvelle-Zélande
CHAPITRE V : Problèmes sanitaires
Amérique latine
Bolivie
Brésil
97
".
97
98
100
101
102
103
106
106
109
110
110
110
112
112
112
114
115
115
116
118
119
119
121
123
124
124
125
127
127
128
128
129
130
130
131
131
133
135
135
138
139
TABLE DES MATIERES
Vu
Colombie
Equateur
Guatemala
Mexique
L'onchocercose au Mexique et au Guatemala
Nicaragua
Pérou
Salvador
Le vêtement de l'Indien d'Amérique latine e t le problème de la santé
Canada et Etats-Unis
Canada
Etats-Unis
Asie
.
Birmanie
Inde
Pakistan
Philippines
Australasie
Australie
Nouvelle-Zélande
Pages
140
141
145
147
150
152
152
155
156
159
159
160
162
162
163
164
165
165
165
166
CHAPITRE VI : L'alcoolisme et la mastication de la feuille de coca en Amérique
du Sud
169
Alcoolisme
Formes de la consommation de boissons alcooliques
Les fêtes indigènes et les effets de l'alcoolisme
Bolivie
Equateur
Pérou
170
170
172
172
173
174
Mastication de la feuille de coca
Introduction générale
Evolution historique de la consommation de la coca
Zones actuelles de culture et de consommation
Argentine
Bolivie
Colombie
Pérou
Causes et effets médicaux et sociaux de la mastication de la feuille
de coca
Cocaïsme e t sous-alimentation
Autres effets physiologiques et psychologiques
Cocaïsme et vie en altitude
L'emploi de la coca comme salaire en nature
Mesures de réglementation
Argentine
Bolivie
Colombie
Pérou
175
175
176
178
178
178
181
182
CHAPITRE V I I : Analphabétisme
Amérique latine
Bolivie
Equateur
Guatemala
et éducation
185
187
188
190
192
194
194
194
195
196
198
199
201
201
202
VIH
LBS POPULATIONS ABORIGÈNES
Pages
Mexique
Pérou
Causes de l'analphabétisme
Canada et Etats-Unis
Canada
Etats-Unis
Asie
Birmanie
Ceylan
Inde
Autres pays d'Asie
Australasie
Australie
Nouvelle-Zélande
202
202
203
206
206
207
209
209
209
210
212
213
213
216
TROISIÈME PARTIE
LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE
CTTAPITBE VTII : Métiers et occupations
Observations générales
Groupes principaux
Agriculture et élevage
Artisanat
Mines
Autres activités
Amérique
Argentine
Nord du pays
Région sud
Bolivie
Principales activités
Industrie minière
'
Economie sylvicole
Brésil
Populations inaccessibles
Tribus placées sous la surveillance du Service de protection
des Indiens
Populations «marginales»
Chili
Araucans
Autres tribus
Colombie
Indiens sylvicoles
Indiens de la Guajira
Indiens des communautés
Costa-Rica
Equateur
Considérations générales
Activités économiques de la population de la Sierra . . . .
Activités économiques des Indiens sylvicoles
221
221
224
225
226
226
227
228
228
228
229
230
230
234
235
236
236
239
240
241
241
242
243
243
244
246
247
248
248
249
254
TABLE DES MATIÈRES
Guatemala '.
Principales activités économiques
Transformation de l'économie agricole
Problèmes posés par le lotissement des communautés et par
l'éparpillement de la propriété
Plantations de café et autres plantations
Artisanat
Honduras et Nicaragua
Mexique
Economie primitive
Agriculture
Sylviculture et bùcheronnage
Artisanat
Récolte des produits naturels
Travail salarié
Travailleurs migrants
Panama
Paraguay
Pérou
Considérations générales
Agriculture et élevage
Artisanat
Travail dans les mines
Industries manufacturières
Travaux publics et transports
Occupations de l'Indien sylvicole
Venezuela
Foires et marchés indigènes dans quelques pays d'Amérique
latine
Bolivie
Equateur
Guatemala
Mexique
Pérou
Canada
Indiens
Esquimaux
Etats-Unis
Avoirs et revenus des Indiens des réserves
Problèmes particuliers à certaines tribus
Principales occupations
Asie
Birmanie
Ceylan
Inde
Agriculture et élevage
Chasse, pêche, collecte des produits naturels
Artisanat
Travail salarié
Indonésie
Philippines
Agriculteurs et nomades
Artisanat
Thaïlande
IX
Pages
255
255
256
257
258
259
260
261
262
263
264
264
267
267
269
270
271
274
274
278
280
283
284
285
287
288
290
291
293
294
295
296
296
296
300
300
301
302
305
306
307
308
308
310
311
312
313
315
316
316
317
318
X
LES POPULATIONS ABORIGÈNES
Australasie
Australie
Aperçu historique
Problèmes généraux
Répartition professionnelle
Evolution de l'emploi depuis 1933
Nouvelle-Zélande
Aperçu historique
Le3 problèmes actuels
Evolution générale de la situation de l'emploi
La colonisation des terres maories
L'exode vers les villes
Adaptation à la vie urbaine et industrielle
Pages
318
318
318
319
320
320
322
322
322
324
325
326
326
CHAPITRE IX : Le régime foncier et les conditions de travail
328
Le problème de la terre
Observations préliminaires sur les systèmes de possession et d'occupation du sol
Formes actuelles de possession et d'usufruit de la terre
Les communautés aborigènes dans sept pays d'Amérique latine
L'(( ejido » mexicain
Occupation et affectation de la terre chez les aborigènes sylvicoles
d'Amérique latine
Réserves et terres allouées à titre individuel
Canada
Etats-Unis
Australie
Nouvelle-Zélande
Les modalités d'occupation du sol en Amérique latine
Bolivie
Colombie
Equateur
Guatemala
Mexique
Pérou
L'évolution économique des communautés aborigènes et lejrégime
agraire en général
Méthodes de culture et crédit
Techniques agricoles
Crédit agricole
Les services personnels traditionnels
Amérique latine
Travaux accomplis au profit des autorités publiques et religieuses
Travaux accomplis au profit des propriétaires
Travaux exigés des adolescents
Entraide et coopération traditionnelles
Le cas des Indiens Guajiro
Considérations générales
Inde
Le recrutement de travailleurs
Caractéristiques et importance
Agriculture
Industrie minière
Conditions et modalités
329
329
341
341
361
370
372
372
374
378
381
383
385
388
389
392
393
394
397
401
401
405
411
412
412
421
428
431
432
434
436
445
445
446
448
449
TABLE DES MATIÈRES
Conditions
Modalités
Recrutement et conditions de travail
Agriculture
Industrie minière
Nouvelles perspectives
CHAPITRE X : Formation professionnelle et protection de l'artisanat
Formation professionnelle
Programmes pratiques
Programmes destinés aux groupes aborigènes vivant à l'état
tribal
Programmes destinés aux populations rurales
Programmes destinés aux populations aborigènes minoritaires
Préparation aux occupations urbaines
Mesures spéciales en faveur des travailleurs aborigènes
Bourses d'études
Placement et assistance sociale
Principes et méthodes de formation
Principes
Objectifs généraux
Moyens de formation
Conclusions
Protection de l'artisanat
Observations générales
L'artisanat dans la vie économique des communautés aborigènes
Les matières premières
Ressources disponibles sur place
Matières premières provenant d'autres régions
Le problème des approvisionnements
Conservation des ressources naturelles
Les techniques
Poterie
Textiles
L'habitation et l'ameublement
Les aliments
° L'équipement
La formation professionnelle et le besoin de techniques nouvelles
Les marchés
Nécessité du commerce
Difficultés du commerce
Marchés extérieurs
Revenus fournis par l'artisanat
Développement de l'artisanat
Recherches
Approvisionnement en matières premières
Amélioration des techniques et de l'équipement
Assistance
financière
Formation et perfectionnement des artisans
Coopération
Marchés protégés
Mesures proposées
Conclusions
XI
Pages
449
451
454
454
456
456
460
460
462
462
464
468
471
473
473
474
474
475
478
479
483
484
484
484
486
486
488
489
489
490
491
492
493
493
494
495
497
497
498
499
499
501
501
502
503
504
504
506
507
508
513
XII
LES POPULATIONS ABORIGÈNES
QUATRIÈME PARTIE
L'ACTION SUR LE PLAN NATIONAL ET INTERNATIONAL
Pages
CHAPITRE XI : Politique économique et sociale des gouvernements
Amérique
Argentine
La Direction de la protection des aborigènes
Prévisions du premier plan quinquennal
Autres mesures
Bolivie
Création du ministère des Affaires paysannes
Nationalisation des mines
Réforme agraire
Evolution de la législation sur les services personnels . . . .
Champ d'application de la législation générale
Santé publique et sécurité sociale
Education
Brésil
Statut légal de l'Indien
Le Service de protection des Indiens
Chili
La loi sur les Indiens
Législation proposée
Exonération de l'impôt foncier
Education
Colombie
« Resguardos » aborigènes
Population sylvicole
L'Institut national des affaires indigènes
Costa-Rica
Terres aborigènes
Le Conseil de protection des races aborigènes
Equateur
Mesures constitutionnelles
« Comunas »
Communautés
« Huasipungos »
'.
Services personnels
Contrat de travail
Le Conseil des affaires indigènes
Le Département des affaires indigènes
L'Institut national de prévoyance sociale
Education
Développement de l'artisanat
Guatemala
Réforme agraire
Application de la loi portant réforme agraire
Education
L'Institut national des affaires indigènes
Sécurité sociale et santé publique
Développement de l'artisanat et de la production agricole . .
Mexique
Réforme agraire
Crédit agricole
517
517
517
517
519
520
521
521
521
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540
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542
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545
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546
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550
550
552
553
554
555
556
558
558
560
TABLE DES MATIÈRES
Activité du secrétariat d ' E t a t à l'Education publique . . . .
Santé publique e t assurance sociale
Participation de l'Institut national des affaires indigènes à
l'action des pouvoirs publics
Nicaragua
Panama
Paraguay
Pérou
Régime administratif
Régime du travail
Education
Développement économique
Venezuela . . '.
Canada
Politique générale
Politique économique
Santé publique et sécurité sociale
Etats-Unis
La loi générale de 1887 sur la distribution des terres . . . .
La loi de 1934 sur la réorganisation des affaires indiennes . .
Mesures gouvernementales
Le plan en faveur des Indiens Navajo et Hopi
Le Bureau des affaires indiennes
Placement
Education
Législation sociale
Asie
Birmanie
Inde
La Constitution de 1947
Politique du gouvernement central
Mesures prises par les E t a t s
Pakistan
Philippines
Politique générale
Santé publique
Education
Assistance sociale
Australasie
Australie
Tendances générales
Sécurité sociale et bien-être
Nouvelle-Zélande
La Commission des affaires maories
Le problème de la terre
Assistance sociale
Logement
Santé publique
Sécurité sociale
Education
Accords intergouvernementaux
Aborigènes sylvicoles (Colombie-Pérou)
Instruction des populations aborigènes (Bolivie-Pérou)
Accord d'Arequipa
Projet Titicaca
XII!
Pages
561
565
567
569
570
571
572
573
575
576
578
581
584
584
586
587
589
590
590
591
591
592
594
595
596
597
597
599
599
600
603
612
615
615
616
616
616
617
617
617
619
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621
622
623
623
623
623
624
624
625
625
627
XIV
LES POPULATIONS ABORIGÈNES
Le Service coopératif interaméricain d'éducation
Travailleurs migrants (Mexique-Etats-Unis)
Autres formes d'action publique et privée
Missions religieuses et organisations privées
L'Institut linguistique d'été et les populations aborigènes du
Pérou et du Mexique
L'Université Cornell et l'anthropologie appliquée au Pérou . . .
CHAPITRE XII : Action internationale
La politique « indigéniste » interaméricaine
Principales réunions internationales jusqu'en 1948
Premier Congrès interaméricain des affaires indigènes . . . .
Conférences interaméricaines de l'agriculture
Premier Congrès démographique interaméricain
L'Organisation des Etats américains et l'action interaméricaine en
faveur des aborigènes à partir de 1948
Le Conseil culturel interaméricain
Autres activités ayant trait à la question aborigène
L'Institut interaméricain des affaires indigènes
Deuxième Congrès interaméricain des affaires indigènes . . .
Développement de la vallée du Mezquital
Formation d'experts des questions indigènes
Les Nations Unies et les problèmes sociaux des populations aborigènes
américaines
Le problème de la coca au Pérou et en Bolivie
La Commission économique pour l'Amérique latine
Comité spécial de l'esclavage
Comité spécial du travail forcé
Développement économique et social de Cuzco
Le programme de l'Organisation internationale du Travail
Historique
Conférences régionales
Les trois premières conférences régionales américaines . . . .
Conférence régionale préparatoire asienne
Conférence de Montevideo
Commission d'experts pour le travail des aborigènes
Formation professionnelle
Recrutement
Sécurité sociale
Artisanat
Sécurité et hygiène dans les mines
Populations aborigènes sylvicoles
Autres résolutions
Suite donnée aux résolutions
Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture
Intégration sociale
Les aborigènes sylvicoles du bassin du Huallaga (Pérou) . . . .
Centre régional d'éducation de base pour l'Amérique latine . . .
Autres activités
Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture . .
Développement de l'économie bolivienne
Assistance technique en Equateur
Développement de l'agriculture et des forêts au Guatemala . . .
Agriculture et sylviculture au Honduras
Autres activités
Pages
627
628
629
629
633
634
636
636
636
637
639
640
640
641
642
643
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645
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671
672
672
674
674
674
675
676
677
678
TABLE DES MATIERES
XV
Pages
Organisation mondiale de la santé et Ponds international de secours à
l'enfance
Protection de l'enfance et de la maternité
Lutte contre les maladies infectieuses
Mission commune d'assistance technique aux populations aborigènes
des hauts plateaux des Andes
Formation et activités de la mission
Rapport de la mission
Recommandations principales
Résultats de la mission
ANNEXE : Tableaux statistiques supplémentaires (n os L à LXI)
678
678
679
680
682
683
683
685
687
LISTE DES TABLEAUX
I. Amérique : Population vers 1492
II. Amérique : Evolution démographique de l'élément aborigène
depuis 1492
III. Amérique : Augmentation de la population aborigène et métisse
de 1930 à 1940
IV. Brésil : Répartition géographique de la population aborigène .
V. Brésil : Répartition géographique des tribus
VI. Chili : Population aborigène vivant dans les « réductions », 1940
VII. Chili : Répartition numérique et géographique de la population
aborigène
VIII. Equateur : Répartition de la population par races
IX. Equateur : Population de la Sierra et de la côte
X. Honduras : Répartition géographique des Indiens
XI. Pérou : Population de langue quichua dans trois départements
XII. Venezuela : Population aborigène par Etats et territoires d'après
les recensements de 1936, 1941 et 1950
XIII. Birmanie : Importance numérique des tribus et des groupes
linguistiques
XrV. Inde : Principales tribus, 1941
XV. Indonésie : Répartition numérique de la population aborigène,
1930
XVI. Pakistan : Tribus sylvicoles de Chittagong
XVII. Thaïlande : Importance numérique des tribus, 1920 . . . .
XVIII. Australie : Population aborigène lors de la colonisation . . .
XIX. Nouvelle-Galles du Sud : Aborigènes et métis
XX. Etats-Unis : Comparaison des indices démographiques (ensemble
de la population, population indienne et quelques tribus) . . .
XXI. Pérou: Superficie plantée en cocaïers, production et valeur,
1943-44
XXII. Amérique latine : Population illettrée
XXIII. Asie : Importance de l'analphabétisme dans quelques pays .
XXTV. Bolivie : Exportation de minéraux, 1949
XXV. Bolivie : Importance de la production d'étain par rapport à la
production mondiale
32
33
35
40
40
43
44
51
51
57
64
70
77
81
85
86
89
90
92
160
184
200
212
235
235
XVI
LES POPULATIONS ABORIGÈNES
Pages
XXVI. Brésil : Niveau de la production dans les postes indigènes,
janvier-juin 1949
240
XXVII. Mexique : Répartition géographique de l'artisanat aborigène .
266
XXVIII. Pérou : Répartition professionnelle de la population dans dix
départements à forte proportion d'Indiens
274-275
XXIX. Pérou : Répartition par branches d'activité économique de la
population aborigène des cinq départements de la Sierra
comptant la plus forte proportion d'Indiens
277
XXX. Pérou : Répartition géographique de l'artisanat aborigène . . 282
XXXI. Canada : Population aborigène économiquement active par
profession et par sexe
297
XXXII. Canada : Valeur et provenance des revenus des Indiens, 1946 .
298
XXXIII. Etats-Unis : Avoirs et revenus des Indiens des réserves . . . .
301
XXXIV. Etats-Unis : Terres et revenus des tribus Navajo, Hopi, BlackFeet et Pine Ridge, 1946
304
XXXV. Etats-Unis : Répartition de la population indienne âgée de plus
de quatorze ans par occupations et régions principales, 1940 .
306
XXXVI. Inde : Population tribale par occupations et modalités d'occupation du sol
309
XXXVII. Australie : Répartition professionnelle de la population aborigène de race pure
320
XXXVIII. Nouvelle-Zélande : Tendances de l'emploi dans la population
maorie, 1926-1945
323
XXXIX. Répartition professionnelle de la population maorie . . . .
324
XL. Bolivie : Répartition par départements des communautés
recensées, 1949
344
XLI. Chili : Communautés araucanes
346
XLII. Equateur : Répartition des communautés indiennes . . . .
351
XLIII. Guatemala : Répartition des exploitations par modes d'occupation de la terre et par superficies
355
XLIV. Pérou : Répartition professionnelle de la population des communautés indiennes officiellement reconnues à la fin de 1949
358-359
XLV. Mexique : « Ejidos » autorisés et nombre des membres . . . .
366
XLVI. Mexique : Population des « ejidos » dans la population totale,
nombre des membres actifs et pourcentage dans l'ensemble des
agriculteurs
367
XLVII. Canada : Terres réservées aux Indiens, 1951
373
XLVIII. Etats-Unis : Terres administrées par le Bureau des affaires
indiennes, 1949
375
XLIX. Guatemala : Systèmes de crédit agricole utilisés dans trente-sept
communes rurales
408
L. Amérique : Répartition géographique des populations indienne
et métisse, 1940
689
LI. Amérique : Répartition géographique de la population aborigène,
1940
690
LU. Amérique : Répartition géographique de la population aborigène,
1941
691
LUI. Bolivie : Répartition géographique de la population sylvioole 692
LTV. Guatemala : Répartition, par dialectes, de la population de
langue aborigène
693
TABLE DES MATIÈRES
XVTI
Pages
LV. Mexique : Population de cinq ans d'âge au moins parlant des
langues aborigènes par zones géographiques et par entités
fédératives, 1940
LVI. Panama : Répartition des tribus par provinces et par districts
LVII. Pérou : Répartition de la population indienne par régions et
selon l'altitude, 1948
LVIII. Pérou : Répartition linguistique par départements de la population aborigène âgée de plus de cinq ans, à l'exclusion des
personnes parlant uniquement l'espagnol
LIX. Etats-Unis : Répartition par Etats de la population indienne,
1940
LX. Philippines : Population Moro et «païenne et sans religion », 1948
LXI. Australie : Répartition géographique de la population aborigène, 1944
694
695
696
697
698
699
700
LISTE DES CARTES
I.
II.
III.
IV.
V.
VI.
VIL
VIII.
IX.
X.
Colombie : Zones de forte densité de population aborigène et métisse
Equateur : Zones de forte densité de population aborigène et métisse
Mexique : Population de langue aborigène, 1940
Pérou : Pourcentage de la population aborigène par rapport à
l'ensemble de la population
Venezuela : Répartition géographique de la population aborigène, 1950
Inde : Pourcentages représentés par les tribus dans la population
ayant déclaré une religion en 1931
Australie : Répartition géographique des aborigènes, 1940-1944. . .
Bolivie : Zones de culture de la coca
Pérou : Zones de culture de la coca
Etats-Unis : Répartition géographique des réserves indiennes . .
49
54
58
65
72
83
91
179
183
377
DIAGRAMME
Pérou : Répartition de la population selon l'altitude
67
LISTE DES ILLUSTRATIONS
I. Les Igorrot de Bontok (Philippines)
IL La vie des aborigènes de Madhya Pradesh (Inde)
III. Séchage de la ^jande dans la réserve de Peigan, sud de l'Alberta
(Canada)
IV. Habitations tropicales au Venezuela
V. Huttes indigènes primitives au Brésil
VI. La médecine en évolution
VII. L'éducation de base en Amérique latine
VIII. Travailleuses de la Puna
IX. Filage et tissage au Guatemala
X. L'agriculture sur le haut plateau des Andes
XI. Quand la nature empêche la mécanisation
102
103
118
119
158
159
190
191
222
223
254
2
xvm
XII.
Xin.
XIV.
XV.
XVI.
XVII.
XVIII.
XIX.
XX.
XXI.
XXII.
XXIII.
XXIV.
LBS POPULATIONS ABORIGÈNES
Fabrication des tissus indigènes
Occupations traditionnelles et modernes aux Etats-Unis . . . .
Les métiers des Maoris
La vie sur le haut plateau de Bolivie
Sur un marché bolivien
Enseignement du filage dans une école fédérale indienne du Nouveau-Mexique
La formation professionnelle des Maoris
Logements modernes après la création d'un poste indigène au
Brésil
Deux générations d'aborigènes dans l'Etat de Chiapas (Mexique) .
De la hutte au logement moderne, grâce aux Communautés pour
l'amélioration de la condition des aborigènes au Mexique . . . .
Les services sociaux dans les tribus d'Haïderabad
Une délégation d'Aymarás exposant ses revendications devant la
Commission d'experts pour le travail des aborigènes à La Paz . .
Agriculteurs du haut plateau des Andes
y
Pages
255
286
287
318
319
350
351
382
383
414
415
446
447
PREMIÈRE PARTIE
Définitions et données préliminaires
CHAPITEE P B E M I E B
DÉFINITION DE L'«ABORIGÈNE»
L'analyse des problèmes que posent la vie et le travail
des populations aborigènes des pays indépendants, comme
l'étude des mesures grâce auxquelles ces problèmes pourraient
être résolus, exige de façon évidente, entre autres conditions
préliminaires, la détermination des groupes que l'on doit
regarder comme les éléments constitutifs de ces populations.
Cette opération suscite malheureusement de grandes difficultés, faute d'un critère général qui permette de définir
quelles caractéristiques font ranger tel ou tel groupe donné
parmi les « aborigènes », ou les « Indiens », ou les « indigènes »,
selon la dénomination en honneur. Dans quelle mesure ces
groupes rentrent dans la définition de l'aborigène, on ne peut
l'établir qu'en se fondant sur des concepts tantôt fort hétérogènes, tantôt fort élastiques. De là de très sensibles divergences, à l'intérieur d'un même pays, entre les statistiques
ou les estimations ; de là aussi l'impossibilité de procéder,
d'un pays à un autre, à des comparaisons utiles. L'administrateur, le juriste et le sociologue ont chacun tendance à
fonder leurs définitions sur des critères différents et souvent
contradictoires : pigmentation de la peau, langage, coutumes,
organisation tribale, niveau de vie, etc. Chaque pays a
abordé le problème de la définition à sa manière, en fonction
de ses propres traditions, de son histoire, de sa structure
sociale, de sa politique, etc.
Il y a quatre siècles, dans ce qui est aujourd'hui l'Amérique
latine, et environ un siècle dans les autres parties du monde,
il était facile de définir ce que l'on entendait par le terme
d'«Indien». A cette époque, 1'«Indien» ou le «naturel» était
celui qui peuplait le pays au moment de la conquête ou de
la colonisation de celui-ci par les Européens. Il se distinguait
de l'envahisseur par son aspect physique, sa civilisation, ses
coutumes, etc. Le contact avec la culture étrangère, détentrice d'une technique et d'un armement supérieurs, ne pouvait
i
DÉFINITIONS ET DONNÉES PRÉLIMINAIRES
signifier, à brève échéance, que l'assujettissement de l'aborigène. Dès le début d'une lutte qui devait se prolonger longtemps
entre les deux groupes, certains noyaux d'autochtones étaient
exterminés dans diverses parties du monde ; d'autres étaient
refoulés dans les régions lointaines et inhospitalières de leur
antique domaine ; d'autres, enfin, se voyaient isolés dans des
« réserves » ou « réductions ». Quoi qu'il en fût, pour la majorité d'entre eux, ce contact a signifié l'instauration, puis
le développement, de rapports de maîtres à serfs entre
conquérants et vaincus. Peu à peu, dans divers pays, la
coexistence a estompé les lignes de démarcation somatique
et ethnique entre les deux groupes. Actuellement, le résultat
de cette coexistence est, dans bien des cas, une bigarrure de
métissage biologique et culturel. Le critère somatico-ethnique
ne conserve encore une certaine valeur pratique de classification que s'il s'agit de groupes comme les sylvicoles de
la région de l'Amazone, par exemple, que leur isolement
géographique ou leur structure sociale a maintenus en général
dans un état de relative « pureté ».
A l'exception de l'Uruguay 1, de Costa-Bica et d'une partie
de l'Argentine, l'Amérique latine possède en majorité une
population métissée au plus haut degré, sinon, dans certains
cas, mulâtre. Le brassage des éléments blanc et indien se
poursuit sans interruption depuis l'époque de la découverte ;
il a été particulièrement intense aux xvrr m e et x v m m e siècle.
Il faut encore y ajouter les mélanges entre métis et Indiens
(cholos), entre Blancs et Noirs (mulâtres), Indiens et Noirs
(zambos), métis et Noirs, etc., ainsi qu'entre les types résultant de ces unions 2.
La citation suivante, relative au Mexique, s'applique aussi
bien aux autres pays de l'Amérique latine :
Au moment où s'achevait la conquête espagnole, la définition
de l'Indien ne présentait aucune difficulté particulière. Il s'agissait
de gens d'une race, d'une langue et d'une culture distinctes... Durant
1
Où il n'existe plus de trihus aborigènes.
Pour des détails sur ce processus de fusion dans les divers pays d'Amérique
latine depuis l'époque de la découverte, voir Ángel ROSENBLAT : La población
indígena de América desde 1492 hasta la actualidad (Buenos-Aires, Institución
cultural española, 1945), annexe VI : « El mestizaje y las castas coloniales ». On a
évalué la population métisse (tant du point de vue racial que culturel) de l'Amérique
latine à environ 63 millions de personnes, soit 47 pour cent de la population totale.
Voir à ce sujet le chapitre de John G n u N : «Mestizo America », dans Most of the
World. The Peoples of Africa, Latín America and the East To-day (publié sous
la direction de Ralph LINTON, New-York, Columbia University Press, 1949),
pp. 156-211.
2
DÉFINITION D E L'a ABORIGÈNE ))
5
l'époque coloniale, la métamorphose économique et culturelle a
produit des différenciations au sein du groupe indien, dans la mesure
où certains s'ouvraient plus que d'autres à la culture européenne.
En outre, il se formait d'autres groupes (les « castes »), nés des nouvelles formes de l'économie et du contact entre Indiens, Espagnols
et Noirs, qui occupaient, dans les couches sociales de la colonie, une
position intermédiaire entre les Indiens et les Blancs. La stratification sociale n'en avait pas moins tendance à s'effectuer selon la race.
Lorsque le pays acquit son indépendance et que la loi cessa d'établir
des distinctions dans les droits et devoirs propres des Indiens et des
castes, la définition de l'Indien perdit de sa rigueur.
Ce fait, joint à
l'essor économique [des divers pays] à la fin du xix m e siècle, aboutit
à la création d'une société essentiellement stratifiée par classe, et
dans laquelle la classification ethnique passait au second plan... ;
le métissage a rendu impossible et presque inexistante toute division
fondée sur le type somatique. L'expansion progressive de la civilisation, sans être partout absolument identique, a déjà supprimé
toute démarcation de nature culturelle qui puisse servir
de délimitation précise et exacte entre Indiens et non-Indiens 1.
Dans les pays d'Asie, les mêmes facteurs d'adaptation
sociale et culturelle suscitent des difficultés plus ou moins
grandes lorsqu'il s'agit de définir de façon précise des termes
tels que « aborigène » ou « indigène ». Du point de vue historique, les aborigènes de ces pays représentent les groupes de
la population originale qui n'ont pas été assimilés par les
nouveaux arrivants et qui, dans la plupart des cas, s'étant
retirés dans les forêts, les montagnes ou les régions inaccessibles, ont conservé une culture et un mode de vie bien à eux.
Toutefois, sous l'influence toujours plus grande des systèmes
sociaux et économiques de la grande masse de la population,
l'isolement social et culturel des aborigènes a subi une évolution
qui, pour être graduelle, n'en a pas moins été fort nette. Ce
processus d'intégration et d'assimilation culturelle s'étant
poursuivi à des degrés divers dans les différents pays, il est
devenu de plus en plus difficile d'appliquer un critère précis
permettant de distinguer de façon nette les aborigènes du
reste de la population. Ce sont donc des éléments différents et,
dans une certaine mesure, contradictoires qui sont proposés
à l'heure actuelle pour servir de critères à cette fin.
Les pages ci-après résument en premier lieu les pratiques
légales et administratives suivies dans divers pays pour définir
1'« Indien », « indigène » ou « aborigène » et, en second lieu, les
critères théoriques retenus aux mêmes fins par divers sociologues et anthropologues d'Amérique.
1
Pedro CABRASCO : « Las culturas indígenas de Oaxaca, México », América
Indígena (publication de l'Institut interaméricain des affaires indigènes, Mexico),
vol. X I , n° 2, avril 1951, p p . 107-108.
6
DÉFINITIONS ET DONNÉES PRÉLIMINArRES
Critères légaux et administratifs
AMÉRIQUE LATINE
Le général San Martin, dans u n des premiers décrets qu'il
ait pris lors de son accession au gouvernement provisoire du
Pérou, a décidé qu'à l'avenir, les descendants de la population
autochtone Inca ne s'appellerait plus « Indiens » ou « naturels »,
mais Péruviens. Faisant écho aux proclamations et aux appels
révolutionnaires qui inaugurent la période de l'indépendance
latino-américaine, l'esprit égalitaire du décret caractérise bien
l'attitude que les jeunes nations ont observée depuis 1810
dans le domaine de l'émancipation de l'Indien.
En principe, le descendant de la population aborigène est
considéré comme un citoyen, et, comme tel, il est soumis à
toutes les obligations et jouit de tous les droits établis par la
Constitution; C'est uniquement à des fins de protection et en
raison de l'état primitif où se trouvent certains groupes de
souche aborigène — situation qui les rend vulnérables à l'exploitation d'autres groupes ou classes de la population nationale — que la législation de certains pays établit des distinctions entre « Indiens » et non-Indiens. C'est ainsi qu'en Bolivie,
par exemple, le décret n° 319, du 15 mai 1945, interdit aux
autorités administratives, judiciaires, ecclésiastiques, etc.,
« d'obliger les indigènes, colons, membres de collectivités ou
résidant dans des villes ou villages, à fournir des services non
rémunérés » 1 , et la Constitution politique du pays, dans son
article 165, «reconnaît et garantit l'existence légale des communautés indigènes ». Au Brésil, l'Indien ou « sylvicole » est
soumis à un régime juridique spécial qui le place sous la tutelle
de l'Etat et le met dans une incapacité relative pour certains
actes civils (liés surtout à la propriété foncière), jusqu'à ce
qu'il acquière le développement culturel et économique nécessaire pour pouvoir bénéficier effectivement des privilèges que
la loi accorde au citoyen en général 2 . Au Chili, en vertu de la
législation civile, le descendant des Araucans qui vit sous le
régime territorial de la « réduction » est frappé, pour une
1
M I N I S T E R I O D E TRABAJO, SALUBRIDAD Y P R E V I S I Ó N SOCIAL : Leyes
sociales
de Bolivia (La Paz, 1945), n° 3, pp. 120-121.
2
Décret n° 5484, du 27 juin 1928, dans MINISTERIO DA AGRICULTURA, Conselho
Nacional de Proteccäo aos Indios, publication n° 94, annexe 7, « Assuntos indígenas » : Coletânea de Zeis, atos e memorials referentes ao indigena brasileiro, compilados pelo oficial administrativo L. Humberto de Oliveira (Rio-de-Janeiro, Imprensa
Nacional, 1947), pp. 129-141.
7
DÉFINITION DE L'A ABORIGÈNE »
période déterminée, d'une incapacité relative de conclure des
contrats portant sur ses biens-fonds, sans l'autorisation préalable du tribunal des Indiens (juzgado de indios), à moins
qu'il ne remplisse certaines conditions d'instruction 1 . En
Colombie, il existe des dispositions juridiques spéciales pour
les resguardos indigènes 2 . En Equateur, la Constitution
(art. 185) dispose que le travail agricole, « particulièrement
celui qui est effectué par des indigènes », doit faire l'objet d'une
réglementation spéciale en ce qui touche la durée de la
journée de travail, et que les pouvoirs publics doivent favoriser,
« en priorité, le progrès moral, individuel, économique et social
de l'indigène 3 ». Au Guatemala, la Constitution de 1945, en
son article 83, déclare d'intérêt national l'élaboration d'«une
politique complète de progrès économique, social et culturel
des groupes indigènes », pour la réalisation de laquelle « peuvent
être édictés des lois, des règlements et des dispositions spéciales
aux groupes indigènes, compte tenu de leurs besoins, de leur
situation, de leurs pratiques, de leurs us et coutumes ». D'autre
part, selon l'article 137, il incombe au Président de la Eépublique de créer des institutions « qui concentrent leur attention
sur les problèmes indigènes 4 ». Au Panama, l'article 6 de la
Constitution de 1946 prévoit que l'Etat doit accorder « une
protection particulière » aux collectivités indigènes « afin de
les incorporer de manière effective à la communauté nationale
en ce qui concerne leur genre de vie, et dans les domaines
économique, politique et intellectuel 5 ». Au Pérou, un régime
juridique spécial existe pour les communautés indigènes traditionnelles, et des lois ou décrets spéciaux de protection de
l'Indien ont été promulgués en ce qui concerne les salaires,
l'organisation de coopératives de production, la prestation de
services personnels, le travail domestique des mineurs, les
migrations intérieures, les écoles, etc. L'aborigène, considéré
en tant que travailleur individuel, se trouve encadré dans
le système juridique général, mais, en tant que membre de sa
1
Loi n° 4111, du 12 juin 1931, sur la division des communautés, la liquidation
des crédits et l'établissement des indigènes, prorogée et amendée par une série de
dispositions législatives entre 1940 et 1950. Voir Alejandro LIPSCHÜTZ : « La propiedad indígena en la legislación reciente de Chile », America Indigena, vol. Vili,
n° 4, oct. 1948, pp. 321-326.
2
Antonio GABCÍA : Legislación indigenista de Colombia (Mexico, Instituto
Indigenista Interamericano, 1952). Pour une définition du resguardo, voir note 3,
p. 347.
3
Constitution de l'Equateur, Registro Oficial, 31 dec. 1946. •
4
Constitution du Guatemala, du 11 mars 1945, Diario de Centroamérica, 14 mars
1945.
5
Constitution du Panama, du 1 e r mars 1946, Gaceta Oficial, 4 mars 1946.
2*
8
DÉFINITIONS ET DONNÉES PnÉT.TMTNATRES
communauté traditionnelle, et aux fins d'application du
régime de la propriété, il est gouverné par des normes spéciales
de la Constitution et du Code civil 1 .
En outre, ce souci de protection s'est traduit, dans la
majorité des pays de l'Amérique latine, par la création de
directions ou de départements gouvernementaux des affaires
« indigènes », à titre, soit d'organismes autonomes, soit de
dépendances des ministères compétents, soit encore d'instituts
nationaux des affaires indigènes, dotés de la personnalité juridique, qui jouent le rôle de filiales de l'Institut interaméricain
des affaires indigènes, créé en 1940 et déclaré institution spécialisée de l'Organisation des Etats américains 2.
L'existence d'organismes officiels de cette sorte, ainsi que
des dispositions législatives spéciales citées ci-dessus, est
généralement interprétée comme la reconnaissance pratique
du fait que l'état d'infériorité économique, sociale et culturelle
où se trouvent d'importants groupes de population aborigène
oblige à adopter, à titre transitoire, des mesures spéciales en
faveur de ces groupes.
Or, si l'unanimité s'est faite sur l'opportunité d'adopter de
telles mesures, elle n'existe plus dès qu'il s'agit des critères
qu'il conviendrait d'employer pour identifier les groupes
auxquels ces mesures devraient s'appliquer. En effet, non
seulement il existe de grandes divergences à cet égard d'un
pays à l'autre, mais encore, à l'intérieur d'un même pays,
on observe parfois des discordances considérables entre un
organisme officiel et un autre, ou entre les critères utilisés par
un même organisme à des époques différentes. Dans le second
cas, cela se traduit naturellement par l'existence de deux ou
plusieurs chiffres statistiques ou estimations contradictoires
quant à l'importance numérique de la population dite indigène.
Cette situation a amené le directeur de l'Institut interaméricain des affaires indigènes à déplorer :
... la classification confuse et illogique, aussi bien quantitative
que qualitative, qui est appliquée dans presque tous les pays de
l'Amérique latine à la population autochtone et qui empêche de
définir correctement quelles
personnes doivent bénéficier de la politique « indigéniste » 3.
1
DIRECCIÓN GENERAL DE ASUNTOS INDÍGENAS : Legislación indigenista del Perú
(Lima, 1948).
2
P a r décision du Conseil de l'Organisation des Etata américains, en date du
7 janvier 1953. .
3
Manuel G A M O : Actividades del Instituto Indigenista Interamericano, Extracto
del informe presentado al Consejo directivo del Instituto Indigenista
Interamericano
en la asamblea celebrada el 18 de abril de 1944 (Mexico, 1944).
DÉFINITION DE L'A ABORIGÈNE »
9
Enumérons les divers critères officiellement retenus dans
certains pays de l'Amérique latine pour qualifier une personne
d'« Indien » ou d'« aborigène ».
Au Brésil, dans les textes législatifs qui portent sur ce
point, on emploie communément le terme d'« Indien » pour
désigner le descendant des populations autochtones qui habitaient le territoire national actuel à l'époque de la découverte.
On caractérise par ce terme « les particularités ethniques,
culturelles, nationales, politico-administratives, littéraires et
artistiques de cet habitant du Brésil » 1.
Au Chili, l'Etat semble ne regarder comme « Indien » que
le descendant des populations aborigènes dont les droits à
la terre dérivent d'un titre gracieux ou qui allègue sa qualité
d'héritier d'une personne qui a figuré sur un titre de cette
nature. Le recensement national de la population réserve une
catégorie spéciale aux Araucans qui vivent encore sous le
régime juridique de la « réduction ». Dans un projet de loi
sur les indigènes (titre I I , art. 1, paragr. 2), préparé en 1950
par une commission gouvernementale, on lit que seront considérés comme indigènes « les individus établis comme tels en
vertu d'un titre gracieux ou analogue », ainsi que « les
descendants des indigènes qui auront notoirement cette qualité
en vertu de leurs noms et patronymes, de leurs coutumes
et particularités et, en particulier, en raison de l'usage dominant de la langue vernaculaire » 2.
Au Guatemala, le dernier recensement a classé les habitants par « race » (Indiens, métis ou ladinos, Blancs) et par
langue. Néanmoins, dans sa réponse à un questionnaire du
B.I.T., l'Institut national des affaires indigènes définit l'aborigène comme « toute personne dont la civilisation est la civilisation primitive du pays », et la population indigène comme
« l'ensemble de ces personnes » s .
Au Mexique, avant le premier recensement de la population (1895), on classait les habitants par « race » (aborigènes
purs, aborigènes métissés de Blancs et Blancs) ; lors des trois
premiers recensements (1895, 1900, 1910), on les a classés
par langue ; lors du quatrième (1921), selon la langue et la
race ; lors du cinquième (1930), selon la langue, mais cette fois
en distinguant entre les unilingues et les bilingues, c'est-à-dire
1
Communication du gouvernement du Brésil, 31 mars 1950. Sans l'article 216
(titre IX) de la Constitution, on utilise le terme « sylvicole ».
2
Communication du gouvernement du Chili, 12 mai 1950.
3
Communication du gouvernement du Guatemala, 3 février 1950.
10
DÉFINITIONS ET DONNÉES PRÉLIMINAIRES
entre ceux qui parlaient uniquement une langue autochtone
et ceux qui y ajoutaient l'usage de l'espagnol x ; lors du sixième
recensement (1940), on a utilisé de nouveau le critère linguistique de 1930, en distinguant les unilingues et les bilingues,
mais il a été tenu compte en outre de plusieurs caractéristiques
culturelles : vêtement, consommation de pain de froment,
usage, pour le sommeil nocturne, d'une natte (tepexo), d'un
hamac, d'un lit de sangle ou d'un lit normal.
Au Panama, le recensement de 1940 établit une distinction
entre « population civile » et « population aborigène ». La première catégorie comprend tous les groupes qui vivent « dans
le cadre de la structure politico-sociale de la Eépublique »,
y compris les « individus de race aborigène » qui ont abandonné
leur organisation en tribus et se sont assimilé les coutumes,
la langue et la religion des descendants des conquérants
(comme, par exemple, les cholos de Code et Veraguas, qui
parlent l'espagnol et professent le catholicisme) ; la seconde
catégorie comprend uniquement les « Indiens organisés en
tribus..., vivant à l'écart dans les régions montagneuses et
côtières les plus éloignées et les plus inaccessibles de l'isthme » ¿ .
Au Pérou, le recensement de 1940 a classé les habitants
par « race » et par langue. Dans le premier cas, la décision
d'enregistrer une personne comme « Indien », « métis »,
«Blanc», etc., était laissée à 1'« opinion » des recenseurs ou
des recensés eux-mêmes (c'est l'avis des premiers qui a prévalu dans 87 pour cent des cas, et celui des seconds dans
13 pour cent des cas). Le recenseur avait reçu pour instruction
de classer comme « métis » toute personne qui ne semblerait
pas avoir « une race définie ». Le rapport du recensement
déclare qu'il s'est révélé impossible de distinguer clairement
entre les catégories des « Blancs » et « métis », et qu'il a été
décidé, en conséquence, de les fondre en un seul chiffre. Le
rapport déclare d'autre part que l'exactitude de l'information
a dépendu, dans le premier cas, de 1'« habileté» des recenseurs
pour procéder à l'appréciation, et, dans le second, de « la
sincérité ou du critère subjectif des habitants » s .
Au Venezuela, lors du premier recensement spécial de la
1
Cette division a permis d'apprécier dans une certaine mesure le degré d'adaptation culturelle de la population aborigène.
2
CONTRALORÎA GENERAL D E LA REPTÎBLICA, Oficina del Censo : Censo de Población de Panama, 1940, vol. X, Compendio General (Panama, 1945), p. 73.
3
DIRECCIÓN NACIONAL DE ESTADÍSTICA : Censo Nacional de Población y Ocupación, 1940, vol. 1, o Resúmenes generales » (Lima, 1944), p. 179.
DÉFINITION DE L'i! ABORIGÈNE »
11
population aborigène, destiné à compléter le recensement
national de 1950, la Direction générale de la statistique a
adopté, à titre de définitions de base, les notions de population aborigène « accessible » et « inaccessible ». Ont été
considérés comme « accessibles », les groupes d'aborigènes qui,
de par la situation favorable des lieux qu'ils occupent et
de par leurs caractéristiques et leurs coutumes, sont en relations de façon définie avec le reste de la population du pays ;
au contraire, ont été considérés comme « inaccessibles » les
groupes aborigènes qui, vivant ou étant supposés vivre en
des lieux isolés, ou conservant un caractère agressif (l'une
de ces deux caractéristiques n'excluant pas l'autre), se maintiennent en marge de la vie du reste de la population, les
seules nouvelles qui parviennent d'eux étant transmises plus
ou moins directement par des tribus voisines ou des voyageurs
qui traversent leurs territoires ou passent à proximité. Les
résultats des recherches spéciales effectuées entre le début de
1951 et le début de 1952 ne concernent pas l'ensemble de la
population que l'on pourrait qualifier d'« aborigène », du fait
de son type racial plus ou moins pur, car, sans aucun doute,
« il existe un grand nombre de personnes dans ce cas qui se sont
complètement assimilé la vie du pays et qu'il est impossible
de différencier de façon expresse ». Les aborigènes « inaccessibles » sont considérés, par les autorités chargées du recensement, comme « sylvicoles », et il est précisé qu'ils ne sont
pas accessibles à cause de la topographie des lieux, de leur
caractère belliqueux ou de leur nomadisme *.
CANADA ET ETATS-UNIS
Au Canada, la loi sur les Indiens de 1947 définit l'Indien:
« toute personne du sexe masculin, de sang indien, et dont
on sait qu'elle appartient à une « bande » déterminée » ;
« le fils d'une telle personne », et « la femme qui est ou était
1
MINISTERIO DE FOMENTO, Dirección General de Estadística, Oficina Central
del Censo Nacional : Censo nacional de 1950 : Sesultados preliminares de la investigación censual de la 'población indigena (Caracas, 1952). Les feuilles de recensement
destinées à la population aborigène et à chacune des familles de recensement devaient
contenir des informations d'ordre géographique, ethnologique, linguistique, sanitaire et éducatif. Dans le cas des collectivités aborigènes, des données étaient
demandées sur le mode d'occupation de la terre, les caractéristiques culturelles, les
principales activités économiques, les produits préparés en vue du troc ou de la
vente, les formes que revêtaient ces derniers, les autorités, les rapports avec les
noyaux civilisés, la situation sanitaire, le mode de vie et le nombre de logements
et de personnes, par sexe.
12
DÉFINITIONS ET DONNÉES PRÉLIMINAIRES
légalement mariée avec une telle personne» 1 . Par «bande», est
entendu toute tribu, bande ou groupement d'Indiens qui ont
en commun une possession ou un droit collectif dans une
réserve ou dans des terres indiennes dont le titre légal
appartient à la Couronne, ou qui participent, sur un pied
d'égalité, à la distribution d'un revenu annuel ou d'intérêts
monétaires dont le gouvernement du Canada est responsable.
Une personne de sang indien, réputée appartenir à une «bande»
irrégulière, ou pratiquant le genre de vie indien (the Indian
mode of life), est considérée comme un non-Treaty
Indian,
même si cette personne est résidante temporaire du Canada.
Toute Indienne qui épouse un non-Indien cesse d'être indienne
au sens et aux fins de cette loi, à ceci près qu'elle a le droit
de participer à la distribution du revenu annuel et de l'intérêt
monétaire cités ci-dessus.
Au milieu de 1950, le ministère de la Citoyenneté et de
l'Immigration a saisi la Chambre des communes d'un projet
de loi tendant à amender certaines parties de la loi de 1947.
Selon le projet, « la définition de 1'« Indien » dans la loi actuelle
n'est pas claire et n'a pas permis d'établir avec certitude qui
est et qui n'est pas « Indien » ». Il a été proposé de créer un
Registre des Indiens, où sera inscrit le nom de toutes les
personnes ayant droit à y figurer 2. Ce projet, qui a été
transformé en loi le 17 mai 1951, définit l'Indien : « toute
personne qui, en vertu de cette loi, est enregistrée comme
Indien ou a droit à être enregistrée comme Indien ». Ont
notamment ce droit : a) tout individu qui était, au 26 mai
1874, en vertu de la loi alors en vigueur, considéré comme
ayant droit à la possession, à l'usage ou à la jouissance de
terres et autres biens-fonds appartenant aux différentes tribus,
«bandes» ou groupes d'Indiens du Canada ou assignés à leur
usage ; b) tout descendant mâle en ligne directe masculine
de la personne mentionnée sous a) ; e) tout fils légitime de
la personne mentionnée sous a) ; d) toute femme ou veuve
d'une personne définie sous a) et b). Sont notamment exclues
de ce droit la personne qui a reçu des terres de métis (halfbreed) et la femme qui épouse un non-Indien. La nouvelle
loi définit la « bande » : tout groupe d'Indiens à l'usage et
1
DEPARTMENT OF MINES AND RESOURCES, Indian Afiairs Branch : The Indian
Act (Ottawa, 1947).
2
House of Commons, Second Session, Twenty-first Parliament, 14 George VI,
1950, Bill 267 : An Act respecting Indians, First Blading, 7 J u n e 1950 (Ottawa,
1950).
DÉFINITION D E L'(( ABORIGÈNE »
13
au bénéfice communs duquel on a concédé des terres dont
le titre appartient à la Couronne, ou au bénéfice commun
duquel le gouvernement de Sa Majesté administre des biensfonds en fiducie, ou tout groupe d'Indiens déclaré tel par le
gouverneur en son conseil 1 .
Aux Etats-Unis, le critère le plus répandu pour déterminer
qui est un Indien du point de vue légal ou administratif semble
être celui de l'appartenance à une tribu indienne, jointe à
une certaine proportion de sang indien. La loi de 1934, portant
nouveau statut des Indiens (art. 19), définit les Indiens :
« toutes les personnes de descendance indienne qui sont
membres d'une tribu indienne actuellement reconnue sous la
juridiction fédérale et toutes les personnes qui descendent de
tels membres et qui, au 1 e r juin 1934, résidaient dans les
limites actuelles d'une réserve indienne », ainsi que « toute
autre personne ayant au moins la moitié de sang indien ».
Aux fins de la loi citée, «... les Esquimaux et autres peuples
aborigènes de l'Alaska seront considérés comme Indiens 2 ».
Selon d'autres lois, la proportion de sang indien requise pour
constituer un critère de définition est inférieure à la moitié
et s'abaisse parfois à un seizième. Le règlement approuvé le
27 novembre 1935 par le secrétaire d'Etat à l'Intérieur (Indian
Law and Order Regulations) décide qu'aux fins de l'application
du texte cité «... sera considérée comme Indien toute personne
de descendance indienne qui soit membre d'une tribu actuellement reconnue sous la juridiction fédérale 2 ».
Lors du recensement de population effectué en 1930, on
a considéré comme Indien l'Indien de sang pur et tout individu
métis d'Indien et de Blanc, excepté lorsque le pourcentage
de sang indien était très minime ou lorsque l'intéressé était
considéré comme Blanc par la communauté dans laquelle il
vivait.
En revanche, pour le recensement de 1940, on a considéré
qu'«une personne présentant un mélange de sang blanc et
indien devrait être inscrite comme Indienne si elle était portée
sur les listes d'un bureau ou comprise dans un recensement
de réserve, et, à défaut de figurer sur ces listes, si la proportion
de sang indien était d'un quart au moins, ou si la personne était
1
House of Commons, Fourth Session, Twenty-first Parliament, 15 George VI,
1951, Bill 79 : An Act respecting Indians, as passed by the House of Commons,
17th May 1951 (Ottawa, 1951).
2
Cité par Felix S. COHEN : Handbook of Federal Indian Law (Washington,
United States Department of the Interior, 1942), p. 5.
14
DÉFINITIONS ET DONNÉES PRÉLIMINAIRES
considérée comme Indienne par la communauté dans laquelle
elle vivait 1 ».
Le Bureau des affaires indiennes des Etats-Unis considère
comme Indienne toute personne qui a du sang indien et qui
conserve des droits dans sa tribu. Le département du Travail
des Etats-Unis d'Amérique a informé le B.I.T. que, dans ce
pays, on entend par « population indigène » les habitants
« autochtones » ou « aborigènes » d'une région déterminée 2.
ASIE
Dans l'Inde, la Constitution contient des dispositions
spéciales concernant les scheduled tribes (tribus inscrites sur
des listes ou classées par catégories), définies comme «... celles
qui en tout ou partie constituent des tribus ou communautés
tribales », que le Président de la République peut déclarer
telles par notification publique (art. 342) 3 . On suppose que
les groupes formant des tribus constituent le secteur ethnologique le plus ancien de la population nationale 4. Ces derniers
temps, le terme adivasis (adi = originaire ; vasi = habitant)
a été adopté pour désigner ces groupes.
Récemment, le commissaire aux castes et tribus de l'Inde
a sondé les possibilités d'adopter u n critère de classification
qui aille plus loin que la notion juridique citée ci-dessus. Dans
cette intention, il s'est adressé aux divers gouvernements des
Etats et leur a demandé de suggérer les caractéristiques qui
leur paraissaient les plus propres à différencier les groupes dits
aborigènes du reste de la population nationale. La diversité
des facteurs suggérés montre la difficulté inhérente à toute
tentative de cette nature. Ainsi, le gouvernement de l'Assam
a proposé comme trait distinctif la descendance raciale mongoloïde, l'appartenance au groupe linguistique thibéto-birman,
l'existence d'une unité sociale du type clan, etc. ; le gouvernement de Bombay a cité l'habitat dans des zones forestières ;
celui de Madhya Pradesh, l'origine et la langue tribales et
l'habitat dans des zones forestières ; celui de Madras, la vie
primitive en tribus et l'habitat dans des régions montagneuses
1
UNITED
STATES
DEPARTMENT
OF COMMERCE,
Bureau
of
the
Census :
The Indian Population of the United States and Alaska, 1930 ; cité p a r COHEN,
op. cit., p. 2.
2
Communication spéciale du 26 juill. 1950. Voir également chapitre X I .
3
The Constitution (Scheduled Tribes) Order, 1950, e t The Constitution (Scheduled
Tribes) (Part C States) Order, 1951. Voir tableau X X V I .
4
Communication d u gouvernement d e l'Inde, 13 mai 1950.
DÉFINITION DE L'a ABORIGÈNE »
15
d'accès difficile ou au fond de la jungle, tout contact avec les
autres groupes de la population nationale étant négligeable ;
celui d'Orissa, l'origine raciale prédravidienne ou mongoloïde ;
celui du Pendjab, le langage de la tribu ; celui du Bengale
occidental, l'origine tribale ; celui de Haïderabad, l'habitat
dans la jungle, la religion animiste, l'usage d'un dialecte local,
la chasse, la pêche et la cueillette de fruits sylvestres comme
moyens primitifs de subsistance, etc. ; celui de Mysore, l'habitat
dans des districts montagneux et écartés de la jungle ; celui
de Travancore-Coehin, la vie dans la jungle, la religion de la
tribu et certains caractères raciaux et culturels ; celui de
Bhopal, l'habitat dans des régions écartées dans la jungle et
la montagne, le nomadisme, une subsistance assurée par la
chasse et la cueillette de fruits sylvestres ; celui de Vindhya
Pradesh, la préférence pour les fruits, racines et viandes animales (au lieu de céréales), l'emploi d'écorce et de feuilles
d'arbres pour la préparation de vêtements de cérémonie, le
nomadisme, la magie, l'adoration des esprits l .
Aux Philippines, pour les besoins des travaux de la Commission d'experts pour le travail des aborigènes de l'Organisation internationale du Travail, le gouvernement a interprété
les termes « aborigène » et « population aborigène » de la
manière suivante : il faut considérer comme aborigène « ce qui
a trait aux premiers habitants du pays, les autochtones dépendants (dependent natives), tels que les Moro, les Igorrot, les
Mangyan, les Negritos ou Aeta et autres groupes des montagnes » ; est population aborigène « l'ensemble des habitants
aborigènes ; les autochtones qui, dans leur majorité, constituent la fraction non chrétienne de la population totale du
pays » 2 .
ATJSTRALASIE
En Nouvelle-Zélande, aux fins du recensement, on entend
par aborigène du Dominion proprement dit (par opposition
à ses dépendances territoriales) tout Maori de race pure
(full blood), tout métis de Maori et d'Européen dont le sang
est mêlé à parts égales (half-caste) et tout métis de Maori
et d'Européen qui se trouve, du point de vue du sang, plus près
du Maori que de l'Européen 3.
1
L. M. SHBIKANT : Report of the Commissioner for Scheduled Castes and Scheduled Tribes for the Period ending 31st December, 1951 (La Nouvelle-Delhi, Government of India Press, 1952), pp. 109-111.
2
Communication du gouvernement des Philippines, 13 mars 1950.
3
Communication du gouvernement de la Nouvelle-Zélande, 17 février 1950.
16
DÉFINITIONS ET DONNÉES PRÉLIMINAIRES
En dépit de ce recours au critère biologique dans les classifications des recensements, on utilise plutôt un critère culturel
dans les rapports quotidiens entre les départements gouvernementaux et les Maoris. Eu égard au bilinguisme de la grande
majorité de la population maorie, le critère linguistique est
finalement inutile. Ainsi, du point de vue pratique, un Maori
est une personne qui est membre d'une tribu maorie, qui
peut prouver cette qualité par sa généalogie, et qui est acceptée
par les autres membres de la tribu à titre de participant
complet aux affaires de la tribu, compte tenu de l'âge, du sexe
et du statut social du suj'et. Très souvent, le Maori possède
une parcelle de terre en vertu d'un titre coutumier maori.
S'il ne vit pas dans un village ou une localité maori d'un
type essentiellement tribal, il reconnaîtra comme ses foyers
tel ou tel village ou localité, à proximité de sa maison de
réunion tribale. Par conséquent, la qualité de membre d'une
tribu est en définitive le signe ou la caractéristique la plus
importante en pratique pour classer en Nouvelle-Zélande un
individu comme Maori ou non-Maori.
Critères théoriques
L'unanimité sur les critères théoriques n'existe pas non
plus entre les experts des questions indigènes. Certains de
ceux-ci sont en faveur du critère linguistique, d'autres
du critère culturel, d'autres de celui de la « conscience de
groupe ou tribale », d'autres d'un critère « fonctionnel »,
d'autres encore préconisent un critère multiple qui englobe
deux ou plusieurs des critères isolés antérieurs et, dans certains
cas, le critère somatique lui-même.
C'est particulièrement en Amérique latine, où la définition
légale de l'Indien est exceptionnelle, que cette discussion
acquiert une certaine importance.
LA LANGUE
Selon ce critère, l'emploi exclusif de la langue maternelle
aborigène constituerait la principale indication pour établir
objectivement si un individu peut être qualifié d'Indien ou
d'aborigène. Ainsi, selon le directeur de l'Institut national
des affaires indigènes de Mexico, « si un homme emploie uniquement un idiome aborigène, nous pouvons affirmer qu'il est
DÉFINITION D E L'(( ABORIGÈNE »
17
Indien » 1 ; ou bien, selon le directeur de l'Institut interaméricain des affaires indigènes, le seul fait de s'exprimer
dans une langue aborigène révèle que l'intéressé « possède
une plus grande proportion de sang indien et de caractères
culturels autochtones » qu'un autre individu qui parle uniquement l'espagnol 2 .
Pourtant, ces mêmes auteurs se sont hâtés d'ajouter que
l'application restrictive de ce critère linguistique obligerait à
exclure de la catégorie d'« Indien » des millions d'individus
bilingues (langues aborigène et espagnole) et d'individus qui
ne parlent pas de langues aborigènes, mais qui, par d'autres
traits de leur civilisation, ou par leurs caractères somatiques,
ou par leur conscience de groupe, sont considérés ou se
considèrent eux-mêmes comme Indiens ou indigènes 3 .
LA
CULTURE
Ce critère a été vigoureusement défendu par le directeur
et le secrétaire général de l'Institut interaméricain des affaires
indigènes 4. Il consiste essentiellement à faire l'inventaire des
éléments de la civilisation matérielle et spirituelle d'un groupe,
tribu ou population donnés d'indigènes, et à les classer, du
point de vue de leurs origines et de leur efficacité sociale et
économique, en trois catégories différentes, à savoir : i) ceux
de caractère «précolombien» ou «autochtone»; ii) ceux de
caractère « postcolombien », « occidental » ou « étranger » (divisés à leur tour en : a) « coloniaux », b) « contemporains ») ;
iii) ceux de caractère « mixte ». Au nombre des éléments
précolombiens, on a proposé les suivants : le régime alimentaire
à prédominance végétarienne (patate, maïs et piment), le
metate (pierre pour moudre le maïs), le huarache (sandale
1
Alfonso CASO : «Definición del indio y lo indio», América Indígena (Mexico),
vol. Vili, n° 4, oct. 1948, p. 244.
2
Manuel GAMIO : « La identificación del indio », dans Consideraciones sobre el
problema indigena (Mexico, Instituto Indigenista Interamericano, 1948), p. 105.
3
Alfonso CASO, op. cit., p. 245. Manuel GAMIO : Communication au B.I.T.,
avril 1949. Voir également Manuel.Germán PARSA : Densidad de la población de
habla indígena en la República Mexicana (Mexico, Instituto Nacional Indigenista,
1950), p. 15.
4
Manuel GAMIO : Hacia un México nuevo (Mexico, 1935) ; « El índice cultural y
el biòtico », Proceedings of (he Eighth American Scientific Congress (Washington,
1942) ; « Consideraciones sobre el problema indígena en América », pp. 1-23 ; « Some
Considerations of Indianist Policy », dans The Science of Man in the World, Crisis
(publié sous la direction de Ralph LINTON, New-York, Columbia University Press,
1945), pp. 399-415 ; Juan COMAS : Panorama continental del indigenismo, tirage à
part de la revue Cuadernos Americanos (Mexico, Fondo de cultura econòmica, 1950),
pp. 154-156.
18
DÉFINITIONS ET DONNÉES PRÉLIMINAIRES
primitive), l'économie de troc, le recours aux guérisseursmagiciens, la conception mythique des phénomènes naturels,
surtout en rapport avec l'agriculture, certaines formes tribales
d'organisation familiale et sociale, etc. Au nombre des éléments dits postcolombiens, on a cité la charrue, la machette
de fer, la pelle, le phonographe, etc. Au nombre des éléments
mixtes, on a mentionné la selle des vaqueros, le canot monté
avec des clous, etc.
Serait indien ou aborigène tout groupe social dans lequel
les éléments dits précolombiens l'emporteraient dans une proportion considérable 1.
Le critère culturel a fait l'objet de divers commentaires
par des spécialistes des études indigènes du continent américain. Presque tous mentionnent les difficultés inhérentes :
a) à la détermination du nombre des éléments culturels que
l'on devrait retenir pour la classification ; b) à la détermination
du pourcentage que ces éléments devraient atteindre parmi les
membres d'un groupe déterminé pour justifier la qualification
d'indigène appliquée à ce dernier 2 ; c) à l'adoption des
normes que l'on devrait employer pour définir un élément
culturel donné comme précolombien. Le directeur de l'Institut
national des affaires indigènes du Mexique a fait observer
que «... il ne suffit pas qu'un élément culturel soit d'origine
indienne pour classer comme Indien celui qu'il caractérise;
il ne suffit pas non plus qu'il soit d'origine européenne pour
mettre celui qui l'emploie dans la catégorie des Blancs » ;
dans de nombreux cas, les éléments en question sont aussi
« métissés » sur le plan culturel que le sont, sur le plan biologique, les individus qui les emploient, comme, par exemple,
la coa (bâton utilisé dans l'agriculture pour mettre en terre
les grains de maïs), qui, pendant la période préhispanique,
possédait une pointe de cuivre ou simplement durcie par le
feu, mais qui, actuellement, est un objet de fer forgé ; ou
1
Manuel Gamio semble être d'avis qu'en général, il est probable qu'une telle
prépondérance se trouve accompagnée de la prédominance de l'unilinguisme.
Dans une communication au B.I.T., à l'occasion de la quatrième Conférence des
Etats d'Amérique Membres de l'O.LT. (Montevideo, 1949), le directeur de l'Instituto Indigenista Interamericano cite, comme exemple de groupes nettement
indigènes, la tribu des Lacandon (Mexique) dans laquelle, à côté de l'unilinguisme,
les éléments culturels précolombiens seraient représentés « dans une proportion de
90 pour cent ». (Voir aussi : o El Congreso de Cuzco y las actividades contra el
indigenismo », America Indígena (Mexico), vol. IX, n° 2, avril 1949, pp. 91-103.)
2
Dans une conférence prononcée au siège du B.I.T. en décembre 1949,
le D r Juan Comas, secrétaire général de l'Institut interaméricain des affaires
indigènes, a déclaré que l'Institut penchait vers l'adoption de 75 pour cent comme
critère pratique pour qualifier un groupe aborigène.
DÉFINITION DE L'if ABORIGÈNE »
19
encore, comme le piment, qui, actuellement, se frit dans du
saindoux ou s'assaisonne avec des herbes odorantes qui étaient
inconnues des Indiens d'avant la conquête 1 .
Le directeur de l'Institut national des affaires indigènes
du Guatemala a fait observer d'autre part que, dans son pays,
maints éléments postcolombiens (la machette, la pioche, certains rites du baptême et du mariage, etc.) sont fréquemment
utilisés par de nombreux individus qui, à d'autres égards, sont
considérés comme Indiens à cause de leur culture, et que,
inversement, certains des éléments précolombiens (par exemple,
le metate) sont employés par de nombreux individus déjà
adaptés à la civilisation européenne ou occidentale 2. Un sociologue mexicain a exprimé l'opinion que nombre d'éléments
désignés comme aborigènes ou précolombiens sont «... simplement des caractères distinctifs des ruraux, par opposition aux
populations urbaines 3 ». Il a été signalé à maintes reprises que
même dans les tribus qui vivent encore dans un état d'isolement
géographique presque complet, une série d'éléments culturels et
économiques postcolombiens — outils, animaux domestiques,
plantes, traits de la religion catholique ou protestante 4 — se
sont infiltrés grâce à l'action de la mission religieuse, de la
garnison militaire, de la compagnie pétrolière, ou forestière, etc.
Deux chercheurs américains ont insisté sur la difficulté qu'il
y a à discerner, à travers de simples données numériques,
la « valeur fonctionnelle » que les éléments précolombiens
possèdent dans un groupe déterminé, car ils ont observé
qu'une proportion de 20 pour cent seulement, par exemple,
« ... peut jouer un rôle d'une importance sociale plus grande
qu'une proportion supérieure dans un groupe différent, mais
dans lequel les éléments quantitatifs ont une moindre signification fonctionnelle 5 ». Finalement, en ce qui concerne le
critère secondaire de « l'efficacité » socio-économique, le
D r Gamio lui-même a indiqué que l'état primitif d'un élé1
2
Alfonso CASO, op. cit., p . 244.
Antonio GOUBAUD CARRERA : « Conferencia del Director del Instituto », Boletín
del Instituto Indigenista Nacional (Guatemala), vol. I, n° 1, déc. 1945, pp. 22-24.
3
Julio D E LA F U E N T E : « Definición, pase y desaparición del indio en México »,
América Indígena, voi. VII, n° 1, janv. 1947, p. 67.
4
Voir par exemple les études monographiques sur diverses tribus de la région
de l'Amazone réunies par le Bureau d'ethnologie américaine de la Smithsonian
Institution, bulletin 143 : Handbook of South American Indians, publié sous la
direction de Julian H. STEWARD ; vol. 3 : The Tropical Forest Tribes (Washington,
1948).
5
Oscar L E W I S et Ernest E. M A E S : «Base para una nueva definición práctica
del indio», América Indígena, vol. V, n° 2, avril 1945, p p . 107-118.
20
DÉFINITIONS ET DONNÉES PRÉLIMINAIRES
ment culturel donné ne le place pas nécessairement dans
la catégorie précolombienne 1 . En effet, on a observé que
bon nombre d'éléments de caractère postcolombien possèdent
également cette caractéristique, comme, par exemple, l'institution coloniale de la hacienda, la charrue de bois, la
machette, etc. 2.
LA CONSCIENCE D E GROUPE
Comme nous l'avons déjà indiqué, ce critère a été partiellement utilisé lors du dernier recensement de population qui
a eu lieu au Pérou. Dans 13 pour cent des cas, on a demandé
aux habitants s'ils se considéraient eux-mêmes comme étant
de « race » blanche, indienne, métisse, noire ou jaune. Comme
le rapport du recensement le signale lui-même, l'exactitude de
l'information a dépendu de la sincérité ou du critère subjectif
des habitants.
Ce critère semble se trouver également à la base d'une
résolution du deuxième Congrès interaméricain des affaires
indigènes d'après laquelle la notion d'« Indien » exprime une
conscience sociale liée aux systèmes de travail et à l'économie,
à la langue propre et à la tradition nationale respective des
peuples ou nations aborigènes 3 . Il a été défendu comme
« le plus définitif » par le directeur de l'Institut national des
affaires indigènes du Mexique, selon qui est Indien tout
individu «... qui se tient lui-même pour un aborigène, car
cette conscience de groupe ne peut exister sans l'acceptation
totale de la civilisation du groupe ». Le D r Caso reconnaît
néanmoins que ce critère est aussi le moins susceptible d'être
découvert objectivement, puisque « . . . dans le cas où il s'agit
d'un groupe social regardé comme inférieur, l'individu dissimulera sa conscience de groupe dans tous ses rapports avec
des personnes étrangères à celui-ci 4 ». ïful n'ignore d'ailleurs
la tendance des Indiens et métis qui ont gravi l'échelle écononique et sociale, ou qui désirent la gravir, à se désigner
eux-mêmes respectivement comme métis et Blancs.
1
Manuel GAMIO : « Cultural Patterns in Modem Mexico », The Quarterly Journal
of Inter-American Relations (Cambridge, Mass.), avril 1939.
2
Oscar L E W I S et Ernest E . MAES, op. cit., p . 113.
3
Acta final del segundo Congreso indigenista interamericano, Suplemento del
Boletín Indigenista (Mexico, Instituto Indigenista Interamericano, sept. 1949),
p . 11.
4
Alfonso CASO, op. cit., p . 245.
DÉFINITION DE i A ABORIGÈNE »
21
L E CRITÈBE MULTIPLE
Ce critère, comme son nom l'indique, consiste à appliquer
à la fois à un groupe déterminé de population deux ou plusieurs éléments de classification individuellement tenus pour
valables. Par exemple, selon le D r Caso, les éléments les plus
importants dont il faudrait tenir compte pour élaborer une
définition relativement satisfaisante de l'Indien sont au nombre
de quatre : a) l'élément biologique, reposant sur la notion
d'un ensemble de caractères somatiques « non européens » ;
b) l'élément culturel, reposant sur l'examen des objets, des
techniques et des croyances d'origine précolombienne, ou bien
européenne, mais qui ne sont pas adoptés par le Blanc ;
c) l'élément linguistique, lié avant tout au phénomène de
l'unilinguisme indigène ; enfin, d) l'élément psychologique,
selon que l'individu a ou non conscience de faire partie d'une
communauté indigène. Tout groupe qui comprendrait à un
degré prépondérant ces quatre éléments serait désigné comme
« pur indien », sans que cette définition signifie pour autant
pureté de race ou de civilisation. Le D r Caso a proposé la
définition suivante :
Est Indien celui qui a conscience d'appartenir à une communauté
indigène ; est communauté indigène celle dans laquelle prédominent
les éléments somatiques non européens, qui parle surtout une langue
indigène, qui possède dans sa civilisation matérielle et spirituelle
des éléments indigènes en forte proportion et qui, enfin, a le sentiment social de former une communauté isolée au sein des autres
communautés environnantes, sentiment qui l'amène par1 là mSme à
se distinguer des agglomérations de Blancs et de métis .
D'une manière analogue, le D r Gamio a été d'avis qu'en
principe, seules pourraient être classées comme « Indiens » les
personnes dont la filiation paternelle et maternelle est rigoureusement autochtone quant à la race, la civilisation ou la
langue, mais il ajoute néanmoins « qu'il n'existe probablement plus d'êtres humains répondant à ce type, sinon
peut-être dans les coins les plus écartés et les plus ignorés
du continent 2 ».
Il est facile de voir qu'aucun des critères individuels décrits
ci-dessus ne possède à priori une valeur générale de classification. Chacun d'eux tire sa valeur des cas et des circonstances
dans lesquels il s'applique (et de l'utilité sociale positive de
1
2
Alfonso CASO, op. cit., p . 246.
Manuel GAMIO : « Clasificación de las características culturales de los grupos
indígenas », Consideraciones sobre el problema indigena (Mexico, 1948).
22
DÉFINITIONS ET DONNÉES PRÉLIMINAIRES
son application). Chacun d'eux est unilatéral ou abstrait, en
ce sens que son aire de compréhension démographique ne
coïncide que partiellement avec celle de l'un quelconque des
autres. En d'autres termes, il n'existe pas de corrélation
nécessaire entre le nombre ou le pourcentage d'individus classés
comme aborigènes en vertu d'un de ces critères et le nombre
ou le pourcentage d'individus classés comme tels en vertu de
n'importe quel autre critère. Pour employer une image
empruntée à la géométrie, on pourrait dire que les rapports
existant entre les valeurs obtenues à l'aide des divers critères
individuels sont analogues à ceux qui existent entre une série
de circonférences sécantes, inscrivant des aires de superposition d'autant plus petites que le nombre des circonférences
considérées est plus grand.
Le résultat de cet état de choses sur la politique pratique
suivie à l'égard des aborigènes tombe sous le sens. Un programme de progrès social appliqué à un secteur de la population qualifiée d'aborigène en vertu d'un de ces critères laisserait hors de son champ d'application une importante proportion
d'un autre secteur de la population qualifié comme tel en
vertu d'un autre critère, et un programme fondé sur un
critère multiple réduirait considérablement l'ampleur du
groupe démographique bénéficiaire. D'autre part, si, aux fins
de la classification, la valeur de ces critères dépend des cas et
des circonstances dans lesquels ils s'appliquent, leur valeur
en tant que méthodes d'étude pratique de problèmes concrets
et déterminés peut être très grande. Ainsi, le critère linguistique
est d'une grande utilité lorsqu'il s'agit, par exemple, de jeter
les bases d'une politique éducative tendant à éliminer les
obstacles que l'unilinguisme indigène oppose au progrès de
l'unification culturelle, sociale, économique et politique de la
nation, ou, sur un plan plus spécial, pour établir jusqu'à quel
point une loi ou un décret général — par exemple sur le recrutement de la main-d'œuvre agricole, ou le respect des normes
de sécurité industrielle dans les mines — est susceptible, sans
adaptation administrative appropriée, d'apporter des avantages réels à une région dans laquelle un fort pourcentage des
travailleurs, faute de savoir la langue officielle, ne peuvent
prendre directement connaissance du contenu de leur contrat
de travail ou des consignes de sécurité qu'on leur remet. Le
critère culturel est d'une grande utilité lorsqu'il s'agit, par
exemple, de se rendre compte de l'influence de la civilisation
européenne sur la civilisation autochtone et vice versa, et de
DÉFINITION DE L'A ABORIGÈNE »
23
déterminer, d'un point de vue socio-économique moderne,
quels sont les aspects — positifs et négatifs — qui ont survécu
dans la seconde (ou dans le mélange des deux), afin d'établir
les normes les plus propres à permettre, soit de les éliminer de
la vie culturelle et économique de la nation, soit de les y incorporer K Le critère de la « conscience tribale », dans les limites
ci-dessus indiquées, peut somme toute se révéler utile pour
identifier les facteurs qui ont contribué à perpétuer ou à créer
dans un groupe déterminé un sentiment de « spécificité tribale »,
par opposition au sentiment d'appartenir à une collectivité
plus vaste, ou bien il peut servir, au contraire, à déterminer
jusqu'à quel point la conscience de groupe, liée aux survivances
tribales et socio-économiques des origines précolombiennes
(comme par exemple, le càlpuïli aztèque), a contribué à modeler
les institutions de caractère national (Vejido moderne du
Mexique). Le critère somatique peut encore avoir une certaine
utilité lorsqu'il sert uniquement à établir le degré de métissage
biologique que, par l'effet de la coexistence sociale et économique, la population d'une région ou d'un pays déterminés a
subi depuis l'arrivée des Européens 2.
L E CRITÈRE « FONCTIONNEL »
Désirant trancher le nœud gordien que représente cette
question, les deux sociologues américains déjà cités précédem1
La tentative faite il y a quelques années pour introduire parmi les Miskito
du Nicaragua certaines pratiques modernes d'hygiène est très instructive à cet
égard. L'opération a été sur le point d'échouer totalement parce qu'on n'avait
pas de prime abord attribué toute son importance au rôle affectif et culturel que les
conceptions mythiques de la médecine jouent dans la tribu citée. Dans d'autres
pays du continent américain, ainsi qu'en dehors de celui-ci, certaines tentatives
de modernisation agricole se sont vues paralysées par les croyances religieuses
de
l'aborigène relatives à la « Terre Mère ». Plus encore, comme l'a indiqué le D r Gamio
lui-même, dans certaines régions « la tradition séculaire est teUement enracinée et
forte qu'elle a fréquemment pour effet de s'opposer aux avantages possibles qu'entraîne la possession d'éléments économiques et qu'elle engendre une attitude
fataliste qui limite les préoccupations aux besoins matériels de la vie des ancêtres,
quelque étroits et élémentaires qu'ils soient ». Voir Manuel GAMIO : « Las características culturales y los censos indígenas », Consideraciones sobre el problema indigena,
op. cit.
2
Comme l'a indiqué, avec un profond esprit sociologique, le directeur de
l'Institut interaméricain des affaires indigènes — sans parler du fait que de telles
recherches peuvent éveiller et renforcer des préjugés et des pratiques racistes —, il
ne s'agit pas d'améliorer le type biologique de l'aborigène, objectif certainement
très discutable, mais de répondre aux besoins, notamment d'ordre biologique, des
groupes d'indigènes qui végètent dans les plus bas stades de l'évolution, « sans
s'arrêter à considérer si leur type racial est purement indigène ou métis à un degré
quelconque ». (Manuel GAMIO : Consideraciones sobre el problema indígena, p. 2.)
Ajoutons qu'il ne s'agit pas de déterminer le pourcentage de cellules héréditaires
qui se trouve dans le corps de l'aborigène, mais de protéger la personne physique
de celui-ci contre la famine, la maladie, les intempéries et les travaux épuisants.
24
DÉFINITIONS ET DONNÉES PREUMTNAHUES
ment ont proposé en 1945 d'employer un critère « fonctionnel »
pour aborder le problème des aborigènes. Selon ce critère,
« du point de vue de la personne intéressée de façon pratique
à l'action en faveur des aborigènes », il conviendrait de procéder dans l'autre sens et, au lieu d'essayer de définir d'abord
l'Indien pour pouvoir ensuite appliquer à son bénéfice les
mesures que l'on considère comme appropriées, de commencer
par un inventaire des données relatives aux conditions de vie
des groupes dits aborigènes dans chacun des pays où le problème se pose \ En s'appuyant sur ces données, on formulerait
un programme de progrès social applicable aux groupes qui
apparaîtraient comme les plus déshérités à la lumière des
informations recueillies. Au nombre des données à rassembler
figureraient celles qui indiquent : a) les besoins les plus évidents
et les lacunes sociales et économiques des groupes intéressés ;
b) les différences existant entre un groupe et un autre ; c) les
groupes pour lesquels la solution de problèmes déterminés
exigerait des méthodes spéciales ; d) comment il faudrait
adapter les programmes nationaux de progrès social, afin que
ces derniers puissent toucher les groupes les plus déshérités.
Dans la première catégorie rentreraient les renseignements
quantitatifs sur les revenus économiques, la production agricole, les maladies, etc. ; dans la deuxième, des renseignements
qui permettraient de localiser géographiquement les principales
lacunes existant dans le domaine de la technique agricole, du
régime foncier, etc. ; dans la troisième, des renseignements
sur l'importance numérique et l'habitat des groupes qui ne
parlent pas la langue officielle du pays ou qui vivent dans
un état d'isolement géographique et administratif qui les
empêche de profiter effectivement des programmes généraux
de progrès, ou encore qui nourrissent un sentiment prononcé
de méfiance envers les éléments appartenant à d'autres
groupes de la population ; dans la quatrième catégorie seraient
groupés des renseignements au sujet des croyances qui
pourraient influer sur la réalisation des programmes généraux de mise en valeur dans le domaine de l'agriculture,
de l'hygiène, etc.
Tout groupe qui présenterait quantitativement et qualitativement le maximum de besoins et de lacunes pourrait
être regardé, du point de vue pratique, comme aborigène,
tandis que tout groupe dans lequel ces besoins seraient
1
Oscar LEWIS et Ernest E. MAES, op. cit., pp. 107-118.
DÉFINITION DE I,'« ABORIGENE »
25
sans aucune gravité pourrait être qualifié de non aborigène 1 .
Comme on l'aura remarqué, ce critère tend à remplacer la
notion traditionnelle d'indigène (qu'on nous pardonne le jeu
de mots) par la notion d'« indigent » 2. En effet, comme les
tenants de cette thèse le reconnaissent eux-mêmes, on pourrait
d'un point de vue « fonctionnel » considérer comme posant un
problème certains groupes négroïdes du continent américain
dont les besoins sociaux et économiques sont aussi accusés que
ceux des groupes de descendance autochtone 3 . Plus encore,
comme l'a fait remarquer un spécialiste mexicain des études
indigènes, on pourrait également y inclure divers groupes
blancs suburbains ou même urbains, dont la situation économique et sociale serait en certains cas « plus misérable et plus
précaire » que celle « des groupes même considérés comme
indiens et établis dans des régions rurales 4 ».
Les partisans de ce critère reconnaissent également que la
diversité des conditions existantes d'un pays à un autre
empêche de donner de l'Indien une définition fonctionnelle
identique pour tout le continent et que « la combinaison [des
besoins et des lacunes] qui répond à ce que l'on doit considérer
comme Indien dans chaque pays [devrait être] déterminée
compte tenu de la situation locale ».
1
Oscar LEWIS et Ernest E. MABS, op. cit., p. 118.
2
Ce critère semble au fond coïncider avec une définition tautologique récemment suggérée par plusieurs spécialistes des questions indigènes du continent, selon
laquelle « est Indien celui qui vit comme un Indien... ; quiconque vit comme métis,
du point de vue sentimental, intellectuel et social, est métis ; peu importe qu'il soit
Indien du point de vue anthroposcopique ou de l'anthropométrie raciale. D'autre
part, quiconque s'intègre dans la culture et la société indigenes est Indien, même
s'il est Blanc ». (Manuel Antonio GmóN : « El indigena americano como problema
médicosocial », Universidad Nacional de Colombia, n° 14 (Bogota, 1949).)
3
4
Oscar LEWIS et Ernest E. MAES, op. cit., p. 117.
Fernando CÁMARA BARBACHANO : « Culturas contemporáneas de México »,
América Indígena, vol. VII, n° 2, avril 1947, pp. 109-117. En ce qui concerne particulièrement l'Amérique latine, ü est néanmoins probable que si l'on procédait à
un inventaire des lacunes et des besoins sociaux et économiques les plus criants,
on s'apercevrait que le gros de la population en cause est composé précisément
d'individus communément qualifiés d'« aborigènes » ou <c indo-métis », de par leur
aspect physique, leur langue ou leurs coutumes. Il va sans dire que cela ne prouverait en aucune manière l'existence nécessaire d'un lien entre les caractères somatiques, linguistiques et culturels de ce secteur démographique et ses conditions de
vie et de travail. Cela indiquerait l'existence d'un rapport d'ordre historique entre
l'état d'infériorité sociale et économique où est placé ce secteur de la population et
son origine « raciale », son unilinguisme et sa spécificité ethnique. C'est en ce sens
qu'un spécialiste péruvien des questions indigènes a suggéré d'englober, dans son
pays, sous le nom d'Indiens, <t la masse de la population de la Sierra du Pérou,
composée d'Indiens et de métis caractérisés par un état d'ignorance et de retard
intellectuel et dont la situation, en face des autres classes sociales, ne diffère que
peu de la servitude ». (Francisco PONCE DE LEÓN : Al servicio de los aborígenes
peruanos (Cuzco, Ediciones conmemorativas del CCL aniversario de la Universidad Nacional del Cuzco, 1946), pp. 75-76.
26
DÉFINITIONS E T DONNÉES PRÉLIMINAIRES
Il convient d'observer que la signification des mots « Indien »
et « métis » varie d'un pays à un autre et parfois d'une région
à une autre à l'intérieur d'un même pays. Ainsi, dans plusieurs
parties du haut plateau des Andes, un individu cesse d'être
regardé comme Indien et se métamorphose en métis du seul
fait qu'il a changé de vêtement, ou cesse d'être regardé comme
métis et accède à la catégorie de « Blanc » du seul fait qu'il a
acquis une propriété foncière. Dans certaines parties du
Yucatan (Mexique), l'Indien est considéré comme métis bien
que le degré de métissage biologique qu'il présente soit infime
ou absolument nul. Dans certaines régions de l'Amérique
centrale, le métis est appelé ladino, mais, dans d'autres, on
qualifie de ladino uniquement l'Indien qui parle l'espagnol.
Dans diverses régions du Guatemala, on nomme couramment
ladino l'Indien qui a adopté la langue espagnole et le style
vestimentaire occidental, mais nombreux sont ceux pour qui
le trait distinctif du ladino est seulement le costume, même
si ce ladino parle chez lui un dialecte aborigène et réserve
l'espagnol à son commerce avec les Blancs. Dans d'autres
régions, est ladino l'Indien qui vit et travaille à la ville en
qualité d'artisan 1. Dans certaines parties du Chili, un métis
qui parle l'espagnol, qui est propriétaire de biens-fonds et
possède d'autres caractères « hispaniques » sera considéré
comme « Blanc », tandis que le métis qui préfère parler une
langue aborigène et se mêler aux Indiens sera souvent regardé
comme un aborigène 2. Il arrive souvent en Amérique latine
que, « lorsque l'Indien a adopté la langue espagnole, le costume
européen et d'autres caractères nationaux, il soit classé parmi
les métis, bien qu'il soit biologiquement un « pur Indien » 3 ».
En réalité, il est bien rare en Amérique latine qu'un gouver1
Voir à ce sujet : Sol TAX : « Ethnie Relations in Guatemala », América Indigena,
vol. II, n° 4, oct. 1952 ; León STJSLOW : Aspects of Social Reforms in Guatemala,
1944-1949 : Problems of Planned Social Change in an Underdeveloped Country
(Hamilton, New-York, Colgate University, Area Studies, Latin America Seminar,
Report No. 1, 1949), pp. 3-5. En 1946, l'Institut national des affaires indigènes du
Guatemala a effectué une enquête parmi 1.500 maîtres ruraux pour déterminer quels
étaient les critères communément employés pour classer une personne dans la
catégorie des indigènes. Le critère de la « race » s'est révélé comme moins important
que ceux des « coutumes » et de 1'« usage d'une langue indigène dans le foyer ».
Antonio GOTJBATJD CARRERA : « El grupo étnico indígena. Criterios parao s su definición », Boletín del Instituto Indigenista Nacional (Guatemala), vol. I, n 2-3, marsjuin 1946, pp. 13-30.
2
Donald D. BRAND : « The Peoples and Languages of Chile », New Mexico
Anthropologist (Albuquerque, Nouveau-Mexique), vol. V, 1941.
3
Julian H. STEWARD : «The Changing American Indian», dans The Science of
Man in the World Crisis (publié sous la direction de Ralph LINTON, New-York,
Columbia University Press, 1945), p. 282.
DÉFINITION DE I,'« ABORIGÈNE »
27
nement essaie encore de définir l'Indien ou l'aborigène par ses
caractères somatiques. Dans la majorité de ces pays, le terme
de « race » lui-même perd de plus en plus son acception première pour se charger d'une signification culturelle ou socioéconomique 1.
... la race, en définitive, implique un classement social. L'Indien
et le Noir forment la couche inférieure de la société ; le métis, la
la classe intermédiaire et le Blanc, la classe supérieure : c'est une
stratification vieille de plus de quatre siècles... Aucun individu de
la couche supérieure ne veut admettre qu'il n'est pas Blanc, même
si le sang de la Guinée ou du Tawantinsuyu coule dans ses veines 2.
Si l'on tient compte de l'objectif que se propose l'Organisation internationale du Travail, il conviendra de laisser
de côté le problème complexe de la définition à priori de
1'« aborigène ». Certes, dans le présent rapport, les groupes
aborigènes définis comme tels par des mesures légales et
administratives reçoivent toute l'attention qu'ils méritent.
Néanmoins, pour fixer à cette étude un champ de recherche
suffisamment vaste, nous nous en tiendrons à la description
suivante, à titre de guide purement empirique, pour l'identification des groupes aborigènes des pays indépendants : sont
aborigènes les descendants de la population autochtone qui
habitait un pays déterminé à l'époque de la colonisation ou
de la conquête (ou de plusieurs vagues successives de conquêtes) réalisée par certains des ancêtres des groupes non
autochtones détenant actuellement le pouvoir politique et
économique ; en général, ces descendants ont tendance à
mener une vie plus conforme aux institutions sociales, économiques et culturelles antérieures à la colonisation ou à la
conquête — institutions qui se combinent, dans certains pays,
avec un régime foncier semi-féodal — qu'à la civilisation de
la nation à laquelle ils appartiennent ; ils ne participent pas
pleinement à la vie économique et culturelle nationale, du fait
des obstacles élevés par la langue, la coutume, les croyances,
les préjugés, les discriminations, etc., et souvent aussi par la
faute du régime anachronique et injuste des rapports entre
travailleurs et employeurs et d'autres éléments d'ordre social et
politique ; lorsque leur entière participation à la vie nationale
n'est pas exclue par certains des obstacles cités ci-dessus, elle
est restreinte par des facteurs d'ordre historique qui font
1
2
Julio D E LA F U E N T E , op. cit., p. 65.
Luis E . VALCÁRCEL : « Supervivencias precolombinas en el Perú », América
Indigena, vol. X, n° 1, janv. 1950, p . 47.
28
DÉFINITIONS ET DONNÉES PEÉLIMINAIEES
naître, dans l'esprit de l'aborigène, une attitude dominante
de fidélité avant tout à sa condition de membre d'une tribu
déterminée ; dans le cas d'individus ou de groupes indigènes
« marginaux », à cheval sur deux milieux, le problème résulte
d'une adhésion et d'une participation incomplètes, aussi bien
au milieu national qu'au milieu aborigène.
Ce guide empirique permet en fin de compte de concentrer
notre attention sur l'analyse des conditions de travail des
groupes dits aborigènes, dans la mesure où ces conditions présentent des problèmes spéciaux qui demandent à être traités
dans un esprit particulier. Dans ce cadre, la question semble
se poser de la manière suivante :
a) Dans les pays où les groupes dits aborigènes ne vivent
pas sous un régime juridique spécial, quels sont les facteurs
qui empêchent ces groupes, ou des noyaux déterminés de
ceux-ci, de bénéficier effectivement de la législation générale
et des programmes nationaux de progrès social et économique ?
Quelles sont les méthodes qui se sont révélées les mieux appropriées, et quelles méthodes supplémentaires pourraient être
proposées, pour adapter cette législation et ces programmes,
sur le plan administratif, aux conditions propres de ces groupes
ou de ces noyaux constitutifs ?
b) Dans les pays où les groupes dits aborigènes, ou certains
de leurs noyaux constitutifs, vivent encore sous un régime
juridique particulier, et pour lesquels des programmes spéciaux
de progrès social et économique ont été établis, quels sont les
facteurs qui ont empêché jusqu'à ce jour l'intégration de ces
groupes ou de ces noyaux dans le régime juridique, social et
économique général de la nation, et quelles sont les méthodes
qui se sont révélées les plus efficaces pour faire avancer cette
assimilation ?
Le problème se ramène à analyser la nature de ces facteurs
et la manière dont ils ont contribué à aggraver l'état d'infériorité sociale et économique où se trouvent les groupes considérés par rapport aux autres groupes socialement et économiquement déshérités de la population nationale. En ce qui
concerne leur nature, on peut distinguer entre les facteurs
intrinsèques et les facteurs extrinsèques par rapport à la
communauté ou à la tribu. Au nombre des premiers figurent,
par exemple, l'unilinguisme, les croyances et pratiques
mythiques touchant les phénomènes naturels, le nomadisme
(pour certaines régions), etc. Parmi les seconds, une valeur
DÉFINITION DE I,'« ABORIGENE »
29
déterminante s'attache notamment à l'éloignement géographique, à la persistance de certaines formes semi-féodales du
régime foncier et, dans nombre de cas, à la discrimination
sociale fondée sur le préjugé selon lequel 1'« Indien » serait
biologiquement incapable d'atteindre le niveau d'évolution
nécessaire pour s'intégrer dans le régime de l'économie et du
travail de la nation. Plusieurs pays illustrent l'importance du
facteur constitué par la « situation marginale », c'est-à-dire
l'état d'imparfaite culture d'individus qui se sont bien dégagés
de leur communauté originelle, mais n'ont pas réussi à se
fondre dans l'ensemble de la population.
Comme on verra plus loin x, ces considérations ont guidé
les travaux de la première réunion de la Commission d'experts
pour le travail des aborigènes de l'Organisation internationale
du Travail.
Comme l'a fait justement observer le général Armando
Artola, ministre du Travail et des Affaires indigènes du Pérou,
en ouvrant les débats du deuxième Congrès interaméricain
des affaires indigènes : «Le problème ne consiste pas pour nous
à étudier l'aborigène en tant que tel... Il n'y a de problème
que celui de l'indéniable infériorité de notre aborigène... par
rapport au niveau de vie et d'existence des autres groupes
ou catégories sociales... Gardons-nous bien d'admettre la
thèse de ceux qui, sous couvert de réaliser l'unité nationale,
feignent d'ignorer la réalité du monde aborigène 2. »
1
Voir chap. X I I .
Boletín Indigenista, vol. I X , n° 3, sept. 1949, édition spéciale consacrée au
deuxième Congrès interaméricain des affaires indigènes, p p . 228-229.
2
CHAPITBE IT
DONNÉES DÉMOGRAPHIQUES
ET GÉOGRAPHIQUES
Dans ce chapitre, on s'est efforcé de présenter les informations statistiques et les données les plus raisonnables et
les plus dignes de foi — résultant de recherches officielles
et privées effectuées selon des classifications souvent distinctes — au sujet de l'importance numérique des populations
aborigènes des pays indépendants et de la proportion que
représentent ces populations dans les chiffres connus ou
estimatifs relatifs à la population totale. A ces informations,
qui — on pourra s'en rendre compte — sont d'ordinaire
extrêmement contradictoires, a été ajoutée, à chaque fois que
la possibilité s'en est offerte, une esquisse à grands traits
des types et familles ethniques ou linguistiques auxquels
appartiennent les groupes de populations dont il s'agit, avec
des indications sur les régions géographiques où prédominent
les différentes tribus.
Pour certains pays, les données statistiques sur le chiffre
de la population indigène font presque entièrement défaut ;
pour d'autres, ces renseignements sont incomplets ou périmés ;
ailleurs, il est pour ainsi dire impossible d'obtenir toutes
les informations nécessaires au sujet des groupes aborigènes
sylvicoles, étant donné que ces groupes vivent dans des
régions éloignées ou inaccessibles et que beaucoup d'entre
eux sont nomades ; dans certains cas enfin, les renseignements
disponibles souffrent de l'imperfection des méthodes utilisées
pour les recueillir. En toute justice, il convient néanmoins
de signaler que, pour certains pays, le manque de renseignements démographiques sur les populations aborigènes provient
simplement de ce que, pour des raisons de principe, aucune
différence n'est faite, lors des recensements ou des évaluations,
entre les divers groupes somatiques ou ethniques, qui constituent la population nationale.
DONNÉES DÉMOGRAPHIQUES ET GÉOGRAPHIQUES
31
Amérique
Consciente de ces difficultés, la quatrième Conférence des
Etats d'Amérique Membres de l'Organisation internationale
du Travail (Montevideo, 1949) a souligné, dans une résolution
spéciale qu'elle a adoptée au sujet de la question indigène 1 ,
la nécessité de réunir des données plus précises et plus complètes
sur l'importance numérique de la population autochtone du
continent américain. Elle a demandé que le Conseil d'administration du B.I.T. recommande à ces Etats d'appuyer, dans
toute la mesure possible, la recommandation adoptée en 1950
par le Comité du recensement du continent américain, de
façon que l'on puisse soit recueillir lors de ce recensement
des renseignements détaillés sur la répartition démographique
et professionnelle de cette population, soit, au cas où cela
ne serait pas réalisable, évaluer l'importance de cette dernière 2.
Les calculs et les évaluations donnent, pour la population
indigène de l'ensemble du continent, un chiffre global oscillant
entre 14 et 30 millions. Parmi les totaux avancés par plusieurs chercheurs, il y a lieu de relever les suivants (chiffres
ronds) : Walter Wilcox, en 1929, 14 millions ; Paul Rivet,
en 1920, 15.500.000 ; Ángel Eosenblat 3 , en 1940, 16 millions ;
Johnston, en 1910, 16 millions ; Gilberto Loyo, en 1935,
17.200.000 ; John Gillin, en 1949, 17.400.000 ; Donald
D. Brand, en 1947, de 17 à 19 millions ; Moisés Sáenz, en 1940,
20 millions. D'après un calcul qui semble avoir été généralement accepté lors du premier Congrès interaméricain des
affaires indigènes (Patzcuaro, 1940), cette population atteindrait 30 millions d'habitants. Dans ce chiffre seraient compris
non seulement les Indiens de « race pure », mais aussi de nombreux millions de métis chez lesquels le sang indien prédomine.
Il n'existe aucune preuve digne de foi qui puisse offrir la
moindre certitude quant à l'exactitude d'un calcul de ce
genre. En 1947, Julian H. Steward, de la Smithsonian Institution, estimait que les «Indiens purs» n'étaient pas plus de
13 millions pour l'ensemble du continent 4.
Près de 80 pour cent de la population métisse de culture
indienne du continent vivraient dans les cinq pays suivants :
1
BUREAU INTERNATIONAL D U TRAVAIL : Bulletin
officiel, vol. X X X I I , n° 2,
15 juill. 1949, p . 71 (résolution concernant les conditions de vie et de travail des
populations indigènes).
a
Le Conseil d'administration du B.I.T. a transmis cette recommandation
aux gouvernements des pays intéressés.
3
Voir tableau L.
4
Julian H . STEWARD : « The Changing American Indian », op. cit., p. 291. Voir
tableau L I .
3
32
DÉFINITIONS E T DONNÉES PR.ÉT.TMTNATRF.S
Bolivie, Equateur, Guatemala, Mexique et Pérou. Le groupe
linguistique le plus important est le quichua, en Bolivie,
en Equateur et au Pérou ; on a évalué à environ 5 millions
le chiffre de cette population, qui se répartit approximativement comme suit : Bolivie (et nord de l'Argentine), 750.000 ;
Equateur, 1.250.000 ; Pérou, 2.890.000. Vient ensuite, par
ordre d'importance, le groupe maya, au Mexique et en
Amérique centrale, qui comprendrait environ 2.500.000 individus. Le groupe aymara occupe la troisième place ; cette
population, dont le nombre a été évalué à près de 600.000
individus 1 , vit en Bolivie et au Pérou.
Selon Ángel Eosenblat, la population autochtone du continent comptait, à l'époque de la découverte, environ
13.400.000 habitants qui se répartissaient géographiquement
de la façon suivante 2 :
TABLEAU I. — AMÉRIQUE : POPULATION VERS 1 4 9 2
I. Amérique du Nord, au nord du rio Grande . . .
II. Mexique, Amérique centrale et Antilles :
Mexique
Haïti et Saint-Domingue
Cuba
Porto-Rico
Jamaïque
Petites Antilles et Bahamas
Amérique centrale
III. Amérique du Sud :
Colombie
Venezuela
Guyanes
Equateur
Pérou
Bolivie
Paraguay
Argentine
Uruguay
Brésil
Chili
Total . . .
1.000.000
4.500.000
100.000
80.000
50.000
40.000
30.000
800.000
850.000
350.000
100.000
500.000
2.000.000
800.000
280.000
300.000
5.000
1.000.000
600.000
5.600.000
6.785.000
13.385.000
Eosenblat montre dans son étude comment cette population
a diminué dans une énorme proportion entre l'époque de la
1
Luis PERICOT Y GARCÍA : America Indigena, tome I : El hombre americano —
Los pueblos de América, première édition, vol. I de Historia de América y de los
pueblos americanos, publiée sous la direction d'Antonio BALLESTEROS Y BERETTA
(Barcelone, Salvat, 1936), p. 612.
2
Ángel ROSENBLAT, op. cit., p. 92. Il convient de remarquer que ces chiffres,
ainsi que l'auteur lui-même le déclare, sont de simples approximations. Es ont
été obtenus en combinant toute une série de données et d'évaluations tirées des
chroniques de la conquête, de rapports économiques de la première période coloniale, des archives de la Couronne, etc.
DONNÉES DÉMOGRAPHIQUES ET GÉOGRAPHIQUES
33
découverte et celle de l'indépendance, exposée qu'elle était
à l'action de multiples facteurs de destruction, guerres de
conquête, servage dans lequel la main-d'œuvre indigène a été
tenue pendant une grande partie de la période coloniale, épidémies amenées d'Europe, malnutrition et alcoolisme, etc., et
aussi, il va sans dire, par l'effet d'un métissage qui n'a cessé de
gagner en importance. L'auteur expose d'autre part comment,
depuis l'indépendance, ce chiffre a accusé un relèvement
notable : il a fait plus que doubler puisqu'il en est venu à
dépasser de près de 3 millions celui que la population
avait atteint, suppose-t-on, au moment de la découverte.
Le tableau ci-après indique, de façon approximative bien
entendu, la diminution subie entre la découverte et l'indépendance et l'augmentation intervenue après cette dernière.
TABLEAU I I . — AMERIQUE : ÉVOLUTION DÉMOGRAPHIQUE
DE L'ÉLÉMENT ABORIGENE DEPUIS 1492
1492
1570
1650
1825
1940
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
Population
aborigène
Augmentation
ou diminution
Population
totale
Pourcentage
d'aborigènes
13.385.000
10.827.150
10.035.000
8.634.301
16.211.670
_
-2.557.850
- 792.150
-1.400.699
+7.577.369
13.385.000
11.229.650
12.411.000
34.531.536
274.275.111
100,00
96,41
80,85
25,10
5,91
Source : Ángel ROSENBLAT, op. cit., p . 109.
Eosenblat distingue deux zones dans ce que l'on pourrait
appeler le fonds démographique de la population indigène du
continent : une « zone périphérique », dans laquelle cette
population est en voie d'extinction, et une « zone centrale »,
où elle augmente. Il voit, dans la première, une zone de
conflits et de chocs dans laquelle l'élément autochtone, composé de noyaux relativement restreints de chasseurs nomades,
ou de populations qui s'adonnent alternativement à la chasse
et à une agriculture primitive, a dû céder devant l'avance
inexorable des Blancs qui se sont emparés de son sol et de ses
terrains de chasse pour en tirer de nouvelles productions.
L'indigène s'est vu obligé de se replier vers des terres d'accès
plus difficile et, en général, beaucoup plus pauvres, où il a
progressivement disparu, faute de pouvoir s'adapter aux
nouvelles conditions de vie et de travail que lui imposaient
les colonisateurs, notamment par manque d'immunité contre
les maladies importées par ces derniers ; dans certaines régions,
34
DÉFINITIONS ET DONNÉES PEÉLTMINAIBES
il a fini par être fondu dans une population de plus en plus
métissée. Dans des parties importantes de cette zone, l'aborigène a été supplanté par le Noir, qui, au dire de l'auteur
cité, saurait mieux se plier aux diverses formes que le travail
revêt de nos jours dans les régions côtières et tropicales.
Dans la seconde zone, le Blanc jouit de l'hégémonie économique
et politique, mais, du point de vue ethnique, il ne représente
qu'une infime minorité : la population se compose, dans sa
très grande majorité, de noyaux indigènes fort denses qui
continuent à parler leurs propres langues et restent fidèles
à leurs formes traditionnelles, figées, d'organisation économique
et à bon nombre de coutumes et d'institutions culturelles
immuables. Cette population serait en voie de continuelle
augmentation et compenserait, par un léger excédent, la
diminution constatée dans la première zone.
Il semble possible de déduire de l'analyse de Eosenblat
que, en termes généraux et du point de vue géographique,
la « zone périphérique », ou d'extinction, serait représentée par
les côtes et par les forêts, et la « zone centrale », ou d'augmentation, par les hauts plateaux des Andes et les régions montagneuses de l'Amérique centrale et du Mexique. La seconde
comprendrait plus particulièrement les importants et denses
noyaux d'aborigènes et de métis de civilisation indienne
(indomestizos) des comunidades, parcialidades, etc., de la Bolivie,
du Pérou, de l'Equateur, de l'Amérique centrale et, dans une
mesure moindre, du Mexique, ainsi que les groupes aborigènes
des « réductions » et des réserves du Chili, de la Colombie, des
Etats-Unis et du Canada. La première comprendrait une
partie de la population indigène sylvicole de la région du
Chaco (Argentine, Paraguay, Bolivie), les peuplades de l'Amazonie et du bassin de l'Orénoque (certaines parties du Brésil,
de la Bolivie, du Pérou, de la Colombie et du Venezuela), de
l'Equateur et celles de quelques régions semi-tropicales de
l'Amérique centrale et du Mexique. Parmi les tribus sylvicoles
qui semblent être en voie d'extinction, il y a lieu de mentionner
les Pilaga du Chaco argentin, les Caingua et les Caraja du
Brésil, les Jivaro de l'Equateur, les Motilón de la Colombie,
les Lacandon et les Siri du Mexique, les Fuégiens du Chili
et de l'Argentine et les Patagons dans ce dernier pays.
D'après Eosenblat, on peut dire, à titre de première
approximation, que la population indienne et la population
métisse du continent auraient accusé, entre 1930 et 1940, les
augmentations suivantes (en cniffres ronds) :
DONNÉES DÉMOGRAPHIQUES ET GÉOGRAPHIQUES
35
T A B L E A U i n . — A M É R I Q U E : AUGMENTATION D E L A POPULATION
ABORIGÈNE E T METISSE D E 1 9 3 0 A 1 9 4 0
Année
1930
1940
. . . .
. . . .
Population
aborigène
Population
métisse
14.981.111
16.211.670
23.793.709
34.362.981
Source : Ángel ROSENBLAT, op. cit., p. 25.
Naturellement, en chiffres absolus, l'augmentation de la
population indienne pour l'ensemble du continent est considérablement inférieure à l'accroissement accusé par le reste
de la population. Comme le fait observer Eosenblat, à l'accroissement numérique de l'élément autochtone correspond une
baisse de l'intégrité raciale. L'Indien devient de moins en moins
indien et de plus en plus métis 1 .
On trouvera en annexe trois tableaux statistiques (n 08 L,
L I et LU) relatifs à la répartition numérique, par pays et
par groupes ethniques ou «raciaux», de la population aborigène
et métisse du continent et des divers pays de l'Amérique
latine ; ces données sont fondées sur les recensements ou sur
des évaluations faites par des organismes officiels ou par des
chercheurs privés. Il suffit de jeter un coup d'œil à ces tableaux
pour se rendre compte des différences sensibles qui existent
entre divers pays latino-américains. Ces divergences proviennent sans doute de l'emploi de critères de classification
différents, mais aussi du fait que, dans certains cas, on a
utilisé des données purement conjecturales, fournies par des
auteurs qui ne se sont occupés de ce problème qu'en passant.
ARGENTINE
Le recensement national de 1914 faisait apparaître une
population de 38.425 Indiens (18.425 Indiens recensés et un
total estimatif de 20.000 « non civilisés »). L'ancienne Commission honoraire des réductions d'Indiens a estimé que la
population indigène du pays atteignait 150.000 personnes,
dont 70.000 habiteraient la région septentrionale (Presidente
Perón, Formosa, nord-ouest de Catamarca, Jujuy, Salta) et
80.000 la région méridionale (d'Eva Perón au détroit de Magellan). Pour la Commission de protection des aborigènes, cette
population ne devait pas être inférieure à 200.000 âmes.
1
Ángel ROSENBLAT, op. cit., p p . 29 et 110.
36
DÉFINITIONS ET DONNÉES PRELIMINAIRES
Selon les- enquêtes effectuées par la Commission argentine
des affaires indigènes, il existait, en Argentine, à la fin de 1947,
près de 130.000 aborigènes « purs » qui se répartissaient
géographiquement de la façon suivante : a) Nord : région du
Chaco (Presidente Perón, Formosa et Chaco de Salta), 45.000 ;
b) région des Andes (ancien territoire de Los Andes, Jujuy
et vallées andines), 20.000 ; Sud (Chubut, Neuquén, Rio Negro
et Santa Cruz), 45.000 ; autres régions (Nord de Santa Fe,
Misiones, Corrientes et quelques groupes disséminés dans la
province de Buenos-Aires), 20.000.
Les principaux groupes sont les suivants : Nord (région
du Chaco) : Toba, Mataco, Mocoví, Choroti, Chiriguano,
Vuela, Mocho et Churupi (la plupart de ces groupes descendent des Guaikuru qui, eux-mêmes, avaient pour ascendants
les Guarani) ; région des Andes : Colla et Quichua ; région
méridionale : Araucan, Tehuelche et Pampa (les Ona, les
Yaghan et les Alakaluf sont en voie d'extinction complète ; la
première tribu ne compte plus qu'une trentaine de membres
dans la Terre de Feu) ; autres régions : Guayaki et Caingua
(Misiones), Mocovi et Toba (Corrientes et Santa Fe), Toldo
ou Eanquele (Buenos-Aires) x.
La région septentrionale compte la plus forte proportion
d'aborigènes. Il est cependant très difficile d'apprécier l'importance numérique de cette population dans chaque province
ou dans chaque territoire : en effet, de forts contingents de
travailleurs indigènes se déplacent périodiquement d'une province ou d'un territoire à un autre pour la récolte de la canne
à sucre dans le nord-ouest de l'Argentine et, en outre, plusieurs
tribus sylvicoles sont nomades. Le problème est rendu plus
compliqué encore par l'existence de plusieurs milliers d'Indiens
et de métis boliviens qui viennent régulièrement travailler
dans les plantations de canne à sucre de Salta et de Jujuy et
dans les mines des plateaux de cette dernière province.
Il existe des noyaux très importants de métis, mais on
manque de données précises quant à leur nombre. Dans la
région centrale de la province de Santiago del Estero, près
de 235.000 métis parlent couramment le quichua. De même,
dans la province de Corrientes et dans le territoire de Misiones,
un pourcentage considérable des populations rurales parlent
couramment le guarani. Selon une évaluation de 1945, il y
1
Lázaro FLURY : « El indigenado en la República Argentina », Boletín Indigenista,
vol. VII, n° 4, dec. 1947, pp. 305-309. Voir aussi Antonio SERRANO : Los aborigènes
argentinos : Síntesis etnográfica (Buenos-Aires, Editorial Nova, 1947).
DONNÉES DÉMOGRAPHIQUES ET GÉOGRAPHIQUES
37
aurait dans l'ensemble du pays environ 400.000 personnes
ayant des « traces de sang aborigène 1 ». La population indigène et métisse de l'Argentine atteindrait le demi-million.
BOLIVIE
D'après le recensement national de 1900, la population se
répartissait comme suit du point de vue ethnique : Indiens,
906.126 (52 pour cent) ; métis, 489.438 (27,7 pour cent) ;
Blancs, 231.688 ; Noirs, 3.945. Selon Y Anuario de Finanzas
y Economía de 1929, la population globale du pays était
de 2.972.583 habitants et se décomposait ainsi : Indiens,
1.620.058 (54,5 pour cent) ; métis, 917.339 (31 pour cent) ;
personnes d'origine européenne, 435,186 (14,5 pour cent).
Eiésumant les études ayant trait à cette question, Max A.
Bairón arrivait en 1942 à une population totale de 3.500.000
habitants qui se composait de : Indiens purs, 2.500.000 (71
pour cent) ; métis, 700.000 ; Blancs, 300.000 2. En février 1949,
la Direction générale de la statistique de Bolivie a calculé que
le nombre des Indiens s'élevait à 2.196.500 3 . En 1951, a été
publié un rapport contenant les résultats généraux du deuxième
recensement national de la population (1950). Toutefois, en
ce qui concerne la population indigène, ce rapport ne contient
que des données statistiques sur les tribus sylvicoles 4.
La population indigène comprend les groupes principaux
ci-après : 1) le groupe quichua-aymara, dans la région des
hauts plateaux au climat tempéré et froid ; il se compose de
groupes qui, à l'époque précolombienne, entretenaient des
relations plus ou moins étroites avec la civilisation inca ; et
2) le groupe sylvicole (qui parle quarante dialectes différents),
peu développé du point de vue culturel et économique, et qui
vit dans les régions basses de la Bolivie et dans les régions
boisées et chaudes des plaines de l'Amazone et du rio de la
Plata.
Le groupe linguistique le plus important est le quichua.
Selon des données officielles, de 30 à 33 pour cent des habitants
1
Aquilea D. YGOBONE : La Patagonia en la realidad argentina : Estudio de los
problemas sociales, económicos e institucionales de las gobernaciones del Sur (BuenosAires, El Ateneo, 1945), p. 144.
* Max A. BAIRÓN : « Educación del indio en Bolivia », América Indigena,
vol. n , n° 3, juül. 1942, pp. 7-10.
3
Communication du correspondant du B.I.T. en Bolivie.
* MINISTERIO DE HACIENDA Y ESTADÍSTICA, Dirección General de Estadística
y Censos : Resultados generales del censo de población de la República de Bolivia
levantado el dia 5 de septiembre de 1950 (La Paz, 1951), pp. 38-39.
38
DÉFINITIONS ET DONNÉES PRÉLIMINAIRES
parleraient cette langue 1. Cette population habite surtout les
vallées des départements de Cochabamba, de Sucre et de
Potosi. Les Aymarás occupent plus particulièrement les plateaux
élevés des départements de La Paz, d'Oruro et de Potosi,
ainsi que les versants de la Cordillère royale (Cordillera real),
et accusent une concentration plus forte sur les rives du lac
Titicaca. La langue aymara est parlée par la majeure partie
des habitants des provinces suivantes : Omasuyos, Ingavi,
Pacajes, Sicasica, Muñecas, Camacho, Larecaja, Los Andes,
Murillo et Loayza, ainsi que par le gros de la population dans
la partie la plus occidentale des provinces de Sur Yungas,
Inquisivi et Caupolican (département de La Paz) ; elle prédomine dans les provinces de Paria, de Carangas et dans une
partie de la province de Charanta (département d'Oruro) 2.
On trouve également des îlots de langue aymara dans certaines
vallées intermédiaires de ces départements, ainsi que dans la
région des Yungas ou vallées tropicales. D'après Bairón, la
population quichua compterait à peu près 1.400.000 habitants
et l'aymara, 800.000. Au sujet de ce dernier groupe, un autre
auteur bolivien a déclaré qu'il constituait l'élément actif de
la nation et de l'Etat bolivien, non seulement par son importance numérique, mais aussi par l'influence qu'il exerce dans
tous les domaines de la vie nationale 3.
Parmi les groupes indigènes de moindre importance des
hauts plateaux, les Uru présentent les caractéristiques les
plus marquées ; ils peuplent diverses îles du lac Poopo et les
rives du rio Desaguadero. Ce groupe semble être en voie
d'extinction par suite d'une sécheresse qui a ravagé la vallée
de cette rivière de 1940 à 1946 4.
D'une manière générale, on peut dire que la population
1
DISECCIÓN GENERAL DE ESTADÍSTICA: Demografia 1941-1942(La Paz, 1942).
Sur 98.836 parents recensés, 27.886 hommes (28,21 pour cent) parlaient quichua
et 19.652 (19,88 pour cent) aymara. Pour les femmes, les chiffres étaient de 34.966
(35,38 pour cent) et 23.537 (23,81 pour cent).
2
On sait que le Pérou comprend également, dans la région du lac Titicaca,
une importante population de langue aymara. Toutefois, ce qui n'est pas le cas en
Bolivie, l'influence linguistique quichua y est très sensible. De façon générale, le
domaine de l'aymara dans ces deux pays serait délimité par une ligne qui, partant
de la ville de Puno (Pérou), passerait par le nord-ouest du lac Titicaca, le sud du lac
Copypaza, dans le département de Potosí (Bolivie), Colquechaca, dans le même
département, et Pelechuco, dans le département de La Paz (Bolivie) pour rejoindre
la ville de Puno. Il existe en outre quelques îlots de langue aymara au Chili dans les
provinces d'Arica et de Tarapaca. (Weston LA BABEE : The Aymara Indians of
the Lake Titicaca Plateau, Bolivia, volume spécial de American Anthropologist,
vol. L, n° 1, partie 2, janv. 1949, pp. 33-34.
3
Gustavo Adolfo OTERO : Figura y carácter del indio (Barcelone, 1935), p. 50.
4
Jehan VELLARD : « El problema uru », Kollasuyo (La Paz), juiU.-sept. 1951.
DONNÉES DÉMOGRAPHIQUES ET GÉOGRAPHIQUES
39
aymara habite de préférence les zones situées à plus de 3.300
mètres au-dessus du niveau de la mer ; les Quichuas vivent
principalement en-dessous de ce niveau, jusqu'aux approches
de la plaine tropicale dans les départements de Sucre, de
Cochabamba et de Potosí ; la population sylvicole de la partie
orientale du pays n'arrive que rarement à dépasser les zones
situées à plus de 600 mètres d'altitude.
La fraction du territoire national occupée par le groupe
quichua-aymara représente à peu près 30 pour cent de la
superficie totale de la Bolivie (1.332.000 kilomètres carrés
en 1932) ; la densité de la population varie de 6,6 à 12,9 habitants au kilomètre carré selon les départements. Le restant
du territoire national, domaine de l'Indien sylvicole, accuse
des densités de population allant de 0,3 à 1,1 par kilomètre
carré. Soixante-douze pour cent de la population vit entre
2.000 et 4.700 mètres d'altitude ; la population est concentrée
dans une région qui couvre à peu près la moitié des hauts plateaux, c'est-à-dire le sixième de la superficie totale du pays *.
Selon le recensement de 1950, la population aborigène
sylvicole de Bolivie ne compterait que 87.000 individus 2 . Pour
la majeure partie, ces tribus (63 au total) appartiennent à une
quinzaine de familles linguistiques, dont les principales sont
les suivantes : tupiguarani, arawak, caribe, takana et panoa 3 .
BRÉSIL
La population indigène du Brésil est sylvicole. Elle est
formée d'une grande quantité de « nations », de familles et de
groupes linguistiques et ethniques dont le niveau culturel et
économique est en général des plus primitifs, avec une organisation sociale de type tribal, matrilinéaire et exogamique. Elle
est disséminée sur une grande partie du territoire brésilien, et
particulièrement dans la vaste région appelée Hilea amazonienne, ainsi que dans la partie orientale et dans les forêts des
Etats de Mato Grosso et de Goiaz. Certains groupes n'ont pas
encore établi de contacts continus avec les civilisés et manifestent, à leur encontre, une hostilité marquée. D'autres vivent
loin de toute civilisation dans des régions d'un accès extrêmement difficile en l'absence de tout chemin. Dans la partie
1
Weston L A BAHRE, op. cit., pp. 34-35.
Voir tableau L U I .
3
Alfred MÉTRAUX : The Native Tribes of Eastern Bolivia and Western Matto
Grosso (Washington, Smithsonian Institution, Bureau of American Ethnology,
Bulletin 134, 1942).
2
3*
40
DÉFINITIONS ET DONNÉES PRÉLIMINAIRES
ouest de la région méridionale du pays, on rencontre quelques
noyaux d'aborigènes qui se mêlent peu à peu au reste de la
population.
Le recensement national de 1940 a donné, pour une population globale d'enyiron 41 millions d'habitants, la répartition
somatique suivante : Blancs, 62 pour cent ; sang-mêlé, 20,5 pour
cent; ÎToirs, 15 pour cent; Indiens, 2 pour cent; Japonais,
0,5 pour cent l . Une autre source officielle indique pour la
même année les pourcentages suivants : Blancs, 60 pour cent ;
mulâtres, 20 pour cent ; caboclos (métis), 10 pour cent; Noirs,
8 pour cent ; Indiens, 2 pour cent 2.
Selon le général Bondón, l'explorateur brésilien bien
connu, spécialiste des questions indigènes, la population
indigène atteindrait environ 1.200.000 individus, qui se répartissent géographiquement comme suit :
TABLEAU I V . — BRÉSIL : RÉPARTITION
D E LA P O P U L A T I O N
Tj, n t
t l a l
Mato Grosso
Acre1
Amazonas
Para
Goiaz
Paraná
1
Nombre
des Indiens
500.000
300.000
200.000
100.000
100.000
10.000
GÉOGRAPHIQUE
ABORIGÈNE
-. ,
Nombre
des Indiens
t t a t
Maranhâo, Espirito Santo,
Bahía e t Minas Gerais . 10.000
Santa Catarina
10.000
Rio Grande do Sul . . . 2.600
Sao Paulo
2.170
Source : Arthup HAMOS : Introducati a Antropologia Brasileira, vol. I : As culturas näoeuropéias (Rio-de-Janeiro, 1943), p . 66.
1
En ce qui concerne le Mato Grosso et le territoire d'Acre, il y a lieu de faire observer
que, pour le recensement de 1940, les chiffres correspondant à la population totale de ces Etats
(respectivement 434.265 et 81.326) sont inférieurs à ceux qui sont donnés dans ce tableau pour
la seule population indigène.
La répartition géographique, par Etat, des 247 tribus
connues serait la suivante :
T A B L E A U V. — B R É S I L : R É P A R T I T I O N G É O G R A P H I Q U E D E S T R I B U S
T7t .
11131
Nombre
des tribus
Amazonas e t territoire d'Acre 108
Bahía
2
Goiaz
9
Maranhâo
10
Mato Grosso
79
Minas Gérais
3
Para
22
„. .
lltat
Nombre
des tribus
Paraiba
Paraná
Pernambouc
Rio Grande do Sul
Santa Catarina
Säo Paulo
Espirito Santo
1
1
1
1
1
3
6
Source : A. BOTELHO DE MAGALIÏÀES : « Indios do Brasil », deuxième partie, América
gena, vol. VI, n° 1, janv. 1946, p p . 67-81.
1
INSTITUTO BRASTLEIRO D E GEOGRAFÌA E ESTADÍSTICA : Recenseamento
Indi-
geral
do Brasil. Sinopse do censo demografico : Dodos gérais (Rio-de-Janeiro, 1946), p . 2.
a
MINISTERIO D E RELAÇOES E X T E R I O R E S : Belaçao dos condiçoes
económicas e sociais (Rio-de-Janeiro, 1940), p . 25.
geográficas,
DONNÉES DÉMOGRAPHIQUES ET GÉOGRAPHIQUES
41
Botelho de Magalhäes distingue 14 groupe linguistiques
principaux, à savoir : Tupi-Guarani (48 tribus), Arawak (31),
Caribe (31), Botocudo (30), Tucano (12), Pano (7), Nambicuara (16), Urupa (9), Borôro (4), Guaicuru (3), Uapixana (3),
Chapacura (2), Guajiro (1), divers et non classés (19) 1 .
Aux termes de l'article 2 de la loi n° 5484 2 (27 juin 1928),
les Indiens sont classés en quatre groupes distincts : 1) nomades ;
2) semi-nomades vivant en collectivités (arranchados) ou dans
des villages indigènes ; 3) sédentaires, qui vivent dans des
centres indigènes ; 4) Indiens appartenant à des centres agricoles ou vivant au milieu des civilisés. Du point de vue du
contrôle exercé par le Service de protection des Indiens, les
aborigènes sont répartis entre les deux grandes catégories
ci-après : 1) Indiens surveillés immédiatement par le Service ;
2) Indiens qui échappent à l'action de celui-ci. Le premier
groupe a été subdivisé en deux sous-groupes : a) Indiens des
« postes indigènes » 3 ; b) Indiens des réserves, des villages ou
de toute autre agglomération dont les habitants peuvent avoir
des contacts indirects ou éventuels avec le Service. De son
côté, le second groupe a été subdivisé en deux sous-groupes :
a) Indiens sylvicoles ; b) Indiens qui sont nettement en voie
d'« acculturation », c'est-à-dire populations qui vivent parallèlement aux agglomérations rurales de la frontière de la civilisation (sertäo), bien qu'étant constituées en minorités indigènes plus ou moins représentatives.
On a évalué à une trentaine de mille le total des Indiens
qui sont en contact avec le Service par l'intermédiaire des
postes indigènes. Le Service a classé les Indiens en trois groupes,
d'après les relations qu'ils entretiennent avec la civilisation :
1. Le premier groupe comprendrait les Indiens qui vivent
au milieu des civilisés, parlent le portugais, travaillent dans
les exploitations agricoles, connaissent la valeur de l'argent et
ont quelque idée de l'organisation sociale du pays. Ces indigènes
conservent encore, néanmoins, certains des liens qui les attachent à leur ancienne vie tribale ; ils pratiquent les antiques
rites de leur religion primitive, plus ou moins déformée et
1
« Classificaçâo das tribos indígenas do Brasil sob o criterio linguistico pelo
General Càndido M. S. Rondón com a colaboraçào do Dr. J . Barbosa de Faria »,
reproduite par A. BOTELHO D E MAGALHÄES: «Indios do Brasilo, troisième partie,
América Indigena, vol. V I , n° 2, avril 1946, p p . 142-148.
2
Loi qui régit la situation des Indiens nés dans le territoire national. Voir
CONSELHO NACIONAL D E PBOTEÇÂO AOS I N D I O S : Coktânea de leis, atoa e memoriais
referentes ao indígena orasileiro, p . 131.
3
Voir chap. X I .
42
DÉFINITIONS ET DONNÉES PRÉLIMINAIRES
complétée par des pratiques empruntées aux habitants des
villages avec lesquels ils sont en contact ou aux personnes
qui ont essayé de leur enseigner la religion catholique. Entre
eux, ils emploient leur propre idiome à tel point que les enfants
n'apprennent le portugais que très tard et que beaucoup de
femmes ne le savent jamais.
2. Le deuxième groupe serait constitué par les tribus qui
entretiennent des relations pacifiques et procèdent à des
échanges commerciaux avec les civilisés, mais qui vivent dans
des territoires éloignés, près des sources des fleuves, dans des
endroits d'accès difficile. Leur organisation tribale est encore
assez solide pour qu'ils puissent maintenir leur cohésion ; ils
parlent leur langue propre ; certains connaissent le portugais ;
les institutions de la famille et les croyances animistes s'y
maintiennent presque sans altération.
3. Le troisième groupe serait formé par des tribus complètement sauvages qui, non seulement vivent isolées dans des
territoires d'accès difficile, mais s'opposent, les armes à la
main, à toute tentative de contact de la part des Blancs ; ces
tribus maintiennent évidemment plus pures leurs coutumes,
leurs institutions et leur langue.
On manque de cartes ethnographiques qui indiquent
l'habitat de tous les groupes aborigènes du Brésil. Cette lacune
est due au fait que de nombreuses régions dans lesquelles on
présume l'existence de tribus indigènes sont encore inconnues
et inaccessibles. Sous cette réserve, le Service de protection
des Indiens propose la répartition géographique suivante :
1. Indiens n'entretenant que des relations peu suivies,
voire inexistantes, avec la population civilisée, ou qui se montrent hostiles à cette dernière : a) périphérie et zone centrale
du haut plateau situé au centre du pays (Etats de Mato Grosso
et de Goiaz ; b) zones limitrophes de la Bolivie, du Pérou, de la
Colombie, du Venezuela et des Guyanes ; c) zones centrales du
Mato Grosso, du territoire fédéral de Guaporé, du territoire de
Bio Branco, du territoire d'Amapa ; d) zones des bassins des
rios Xingú, Tapajós, Madeira, Purús, Juruá, Negro et Branco ;
e) zones très restreintes des Etats de Bahia, de Minas Gérais,
de Paraná (?), de Santa Catarina (?), de Maranhâo.
2. Indiens de mœurs pacifiques auprès desquels le Service
entretient la plupart de ses «postes d'attraction des aborigènes»
et certains groupes du bassin du rio Xingú, les groupes canela
(centre-sud de Maranhâo), les Toldo (Eio Grande do Sul), etc.
DONNÉES DÉMOGRAPHIQUES ET GÉOGRAPHIQUES
43
3. Indiens dont les groupes se sont maintenus en îlots
dans les régions rurales nouvellement ouvertes à la civilisation et qui vivent « dans des centres agricoles ou à proximité
des civilisés x » comme, par exemple, les Indiens du Eio Grande
do Sul, du Paraná, de Santa Catarina, du sud du Mato Grosso,
de Minas Gérais, de Bahía, d'Alagoas, de Pernambouc, de Para,
d'Amazonas, etc. Ces Indiens, qui travaillent comme journaliers agricoles, entretiennent des contacts périodiques, soit avec
la population non indigène du sertâo à l'intérieur du pays, soit
avec les villes de la côte ou des Etats du Centre.
CHILI
Le onzième recensement de la population, effectué en 1940,
signalait l'existence de 115.149 Araucans. Ce groupe aborigène,
le plus important de tous, continue à vivre sous le régime
des « réductions » et se trouve principalement dans la province
de Cautín (centre-sud du pays), dans les vallées et sur les
contreforts de la Cordillère des Andes. D'après le recensement,
sa répartition géographique par province était la suivante :
TABLEAU V I . —
CHILI : POPULATION ABORIGÈNE
VIVANT D A N S L E S « R É D U C T I O N S », 1 9 4 0
Province
Nombre d'Indiens
Cautín
Malleco
Valdivia
Arauco
Bio Bio .
Llanquihué
Total . . .
91.383
15.691
3.622
2.933
1.451
69
115.149
Source : DIRECCIÓN GENERAL DE ESTADÍSTICA : • Reducciones indígenas», Estadística chilena
(Santiago du Chili, juiU. 1944).
Le recensement ne donne aucun renseignement sur l'importance numérique des autres noyaux indigènes du pays (extrémités nord et sud). Du point de vue de l'Etat, est Indien
tout autochtone qui continue de vivre en respectant les
coutumes de ses ancêtres et qui, en même temps, est établi
à demeure dans une « réduction ». Cela explique pourquoi,
dans le recensement, les Araucans sont seuls à constituer
une catégorie spéciale : en effet, cette population est la seule
qui continue de vivre sous le régime des réductions. Toutefois,
si l'on appliquait un critère de classification moins strict, on
1
Loi n° 5484 du 27 juin 1928 ; Coletdnea de leis, atos e memoriais referentes ao
indigena brasileiro, p . 131.
44
DÉFINITIONS ET DONNÉES PRÉLIMINAIRES
ne courrait pas grand risque à supposer que l'importance numérique de la population indigène du pays est considérablement
plus élevée que celle que fait apparaître le recensement.
Dans une publication de l'Inspection de l'enseignement indigène, datant de 1941, on parle de « 250.000 aborigènes... dans
la zone dite la Frontera, et 30.000 dans les régions limitrophes
de la Bolivie et du Pérou 1 ». D'après Mgr Guido Beck
Ramberga, vicaire apostolique de l'Araucanie et président de
la délégation chilienne au second Congrès interaméricain des
affaires indigènes, le nombre des Indiens purs approcherait de
200.000 pour l'ensemble du pays 2.
Aux termes d'une communication adressée au B.I.T. en mai
1950 par le ministère du Travail du Chili, il y aurait au total,
dans ce pays, environ 240.000 Indiens «y compris les métis qui
partagent l'existence des Indiens ». Ce chiffre coïncide à peu
près avec celui qui a été communiqué le même mois au Bureau
par le directeur général de la statistique du Chili, à savoir
265.000, dont 115.149 vivaient dans des «réductions» (dans
la Frontera) et quelque 150.000 en dehors de ces réductions.
L'anthropologiste Donald D. Brand estime que la population indigène du Chili ne serait que de 400.000 individus, se
répartissant géographiquement de la façon suivante :
TABLEAU V n . —
CHILI : REPARTITION
NUMERIQUE
E T G É O G R A P H I Q U E D E LA P O P U L A T I O N
ABORIGÈNE
Groupe
Région
Centre-Sud
Araucan
Nord
Aymara
Nord-Est
Quichua
Nord
Atacama
Côte nord
Chango
Côte sud
Alakaluf-Chono . .
Yahgan ou Y a m a n a
Ona
Indiens de langue espagnole dispersés dans l'ensemble
du pays
Importance numérique
300.000
40.000 !
j
4.000
?
260
25
?
100.000 à 150.000
Source : Donald D. BRAND : « The Peoples and Languages of Chile », New Mexico Anthropologist (Albuquerque), vol. V, 1941, p. 85.
1
Un autre anthropologue américain parle également de 40.000 Aymarás dans le nord du
Chili. Julian H. STEWARD : • The Changing American Indian », The Science of Man in the World
Crisis, op. cit., p. 297.
1
J . A. DB PATTXAEF : Labor desarrollada por la Inspeccionóle Enseñanza Indígena,
provincia de Cautín (Santiago du Chili, 1941), p . 29.
2
Eeportage publié dans El Comercio, Lima, 22 juin 1949. Le même chiffre
avait été avancé quelques années précédemment par José INALAPF NAVABRO :
Rol económico, social y político del indigena en Chile, thèse de doctorat en droit
soutenue devant la faculté des sciences juridiques et sociales de l'Université du
Chili (Santiago, 1945), p . 128.
DONNÉES DÉMOGRAPHIQUES ET GÉOGRAPHIQUES
45
Comme l'auteur lui-même le déclare, ces chiffres ont été
obtenus en appliquant un critère de classification « arbitraire
et superficiel », selon lequel est Indien tout individu qui, physiquement, semble être aux trois quarts indien, et Blanc quiconque paraît être blanc dans la même mesure, les types
intermédiaires étant considérés comme métis. Au nombre des
«Indiens» ainsi déterminés, «on a ajouté tous les individus
qui se considéraient eux-mêmes comme Indiens, qui avaient
été acceptés comme membres d'une collectivité indigène ou
qui employaient comme langue maternelle un idiome indigène x ». En évaluant l'importance numérique du groupe
araucan, l'auteur a compris dans cette catégorie « les nombreux
Chiliens de l'Araucanie qui ont plus de trois quarts de sang
indigène, même s'ils ne vivent pas comme les Araucans ou
s'ils ne parlent pas leur langue ». Selon le même chercheur,
les autres Indiens sont, dans leur grande majorité, disséminés au sein de la population métisse et ne diffèrent de
celle-ci ni par la langue ni par les coutumes, mais uniquement par la forte proportion de sang indigène qui court dans
leurs veines.
La plupart des autochtones vivent très loin des principaux
centres du pays : dans la cordillère, en face de Temuco, dans
les oasis et les villages montagnards du désert d'Atacama,
sur la côte désertique des provinces d'Atacama et de Coquimbo,
dans l'île de Pâques, etc. Le groupe le plus important est celui
des Mapuche, établi entre le rio Itata et le rio Imperial. Il est
suivi, par ordre d'importance, par les Huilliche, qui vivent
entre le rio Imperial et le canal de Chacao. D'après une évaluation récente, les premiers seraient environ 100.000, les
seconds quelque 15.000. Les Quichuas et Aymarás vivent en
petits villages dispersés dans l'intérieur des provinces septentrionales de Tarapaca et d'Antofagasta. Les Chango (appelés
aussi Uru) se rencontrent dans la région côtière des provinces
d'Atacama et de Coquimbo ; un pourcentage élevé d'entre
eux semble avoir été absorbé presque complètement par la
population métisse et par les groupes aymara et quichua
de la région, mais il existe encore quelques comunidades de
véritables Chango entre les rios Loa et Huasco et tout le
long de la côte entre Tocopilla et Taltal. Les Indiens d'Atacama, d'Arica et de Tarapaca semblent s'être fondus dans
une large mesure dans le noyau aymara venu du Pérou et de
1
Donald D. BBAND, op. cit., p. 78.
46
DÉFINITIONS ET DONNÉES PEELIMTNATRES
la Bolivie 1 ; ceux d'Antofagasta et du nord de la province
d'Atacama se sont très fortement hispanisés.
Quant aux Fuégiens, il n'en subsiste plus que quelques
petits groupes en voie de complète extinction, à savoir les
Alakaluf, dans la région du détroit de Magellan, au sud du
golfe de Penas et aux environs de Punta Arenas (île Dawson,
Fuerte Bulnes, île Biesco, Puerto Natales) ; les Yaghan ou
Tamaña, dans les îles Navarin et dans la zone du canal du
Beagle ; enfin les Ona de l'Isla Grande (Terre de Feu). D'après
une enquête démographique récente, ayant porté sur l'état
sanitaire de ces populations, celles-ci ne compteraient plus
que 120, 61 et 44 individus respectivement 2 . On a estimé
qu'au milieu du siècle passé la population aborigène de la
Terre de Feu s'élevait à près de 10.000 habitants s ; on trouve
encore quelques petits noyaux de ces mêmes tribus dans le
secteur argentin de ce territoire.
COLOMBIE
D'après le recensement national de 1938, il y avait en
Colombie 105.807 Indiens sur une population de 8.701.816
âmes. Il s'agirait de représentants d'environ 400 tribus 4. En
1940, la Section de la colonisation du ministère de l'Economie
nationale déclarait que l'on comptait 86.241 habitants dans
160 réserves aborigènes 5 . Le spécialiste colombien des questions
indigènes Juan Friede affirme que la population indigène de
son pays atteint environ 300.000 individus 6 . Luis Duque
Gómez parle d'une « population de plus de 400.000 indigènes,
établis dans les territoires dits nationaux et dans les zones
à forte densité de population, telles que les départements
1
A en juger d'après diverses sources, il existerait en outre, dans le nord du
Chili, plusieurs milliers d'indigènes et de métis de Bolivie et du Pérou qui franchissent périodiquement la frontière pour aller travailler dans les exploitations
de nitrate e t de soufre.
2
J u a n DAMIAKOVIC : Realidad sanitaria de la población indígena de la zona
austral antartica, tirage à part de la Revista Chilena de Higiene y Medicina Preventiva (Santiago du Chili, 1948).
3
Voir Samuel Kirkland LOTHROP : The Indians of Tierra del Fuego (New-York,
Museum of t h e American Indian, Fondation Heye, 1928), p . 25.
4
CONTRALORÍA GENERAL D E LA REPÚBLICA : Anales de Economia y
Estadística,
vol. IV, janv.-fév. 1941, cité par Ángel ROSENBLAT, op. cit., p . 121.
5
Communication officielle adressée au B.I.T. en juin 1940 p a r le ministère des
Relations extérieures, annexes.
6
J u a n F R I E D E : El indio en la lucha por la tierra : Historia de los resguardos del
macizo central colombiano (Bogota, Espiral Colombia, 1944), p . 210.
DONNÉES DÉMOGRAPHIQUES ET GÉOGRAPHIQUES
47
d e . . . 1 » . Enfin, selon Pablo Vila, la répartition ethnique de
la population, en pourcentage, serait la suivante : 152.000
Indiens (1,6 pour cent) ; 4.380.000 métis (46 pour cent) ;
420.000 ÍToirs (4,4 pour cent) ; 2.095.000 mulâtres et zambos
(22 pour cent) ; 2.476.000 Blancs (26 pour cent) 2 .
La fraction la plus importante de la population indigène
se trouve dans la région occidentale du pays (dans les montagnes et sur la côte). Il en existe d'importants noyaux auprès
des sources du rio Santiago (sud-ouest du département de
Bolivar), dans l'intendance du Choco, dans certaines régions
de l'ouest et du sud du département d'Antioquia, dans l'ouest
et au centre du département de Caldas et au sud du département du Valle (sur le versant occidental de la Cordillère centrale) et au nord du même département (jusqu'aux rives du
rio La Vieja), à l'est du Cauca, au centre du département de
Tolima, ainsi que dans les départements du Huila et de
Nariño. Les groupes les plus importants sont constitués par
les Indiens des resguardos ou des communautés ; ils vivent sur
les pentes occidentales du massif central andin, et surtout dans
les départements du Cauca (Est), de Caldas (Centre et Ouest),
de ïfarino, du Huila et de Tolima (Centre). Dans le département du Cauca, il y a lieu de mentionner plus spécialement les
Indiens Paez et Guambiano, et dans celui de Caldas, les
Pirsa, Irra, Guatica, Quinchua, Anserma et Apia. On trouve,
dans les régions orientales du Cauca, une population aborigène
de plus de 50.000 habitants qui parlent encore de préférence les
dialectes vernaculaires. Dans la partie occidentale du département de Caldas, la population comprendrait plus de 60 pour
cent d'Indiens dans les resguardos et les comunidades qui constituent les véritables bastions de la race autochtone : Bio
Sucio, Quinchúa, Guática, Mistrató ou Arrayanal, San Antonio
de Chami, Pueblo Eico et autres localités 3 . Il y a des réserves
de moindre importance dans les départements de Cundinamarca, de Boyacá, de Santander del Sur, de Santander del
Norte et de Magdalena.
Dans la Guajira vivent les Indiens Guajiro, représentés par
environ vingt-cinq tribus et comptant au total près de 25.000
individus ; dans la sierra de Perija vit la tribu belliqueuse et
sauvage des Motilón ; la tribu des Arauco subsiste dans la
1
Boletín de Arqueología (Bogota), mai-juin 1945.
Cité par Ángel ROSENBLAT, op. cit., p . 120.
3
Luis D U Q U E GÓMEZ : Problemas sociales de algunas parcialidades
indígenas
del Occidente de Colombia (Bogota, Instituto Indigenista de Colombia, 1944).
2
48
DÉFINITIONS ET DONNÉES PRÉLIMINAIRES
sierra Nevada de Santa Marta 1 . Il convient de mentionner
en outre les Indiens sylvicoles de la région des Llanos orientaux,
dont certaines tribus (celle des Tétete, par exemple) sont pour
ainsi dire inconnues 2. On peut énumérer, parmi les tribus
les plus importantes : dans le Caqueta, les Huitoto et Carijona ;
dans le Casanare, les Guacamayo ; dans le Vaupès, les
Guaipunabi (au nord), les Cubeo, les Caballeri, les Miritipuyo
et les Tariana (au sud) ; dans le Putumayo, les Macaguaje ;
et, dans l'Amazonas, les Matapi, les Tacuna, les Endoque,
les Mirana (au nord), les Bora, les Coreguaje et les Huitoto
(au sud) 3.
Le directeur de l'Institut colombien des affaires indigènes
distingue, dans la population aborigène de son pays, trois
régions culturelles, à savoir : a) la zone de l'Indien seminomade « extra-national », dont l'économie est fondée sur la
chasse, la pêche, le pacage et la cueillette des fruits sauvages,
qui possède une technique rudimentaire et une langue, une
religion et une organisation sociale qui en sont encore au stade
précolombien ; b) la zone de l'Indien sédentaire des resguardos
et des communautés, de culture mixte, de religion catholique,
dont la technique et l'organisation sociale ont été notablement influencées par la culture espagnole, usant de son propre
langage dans ses relations avec les siens et de l'espagnol dans
ses transactions et dans ses contrats ; c) la zone de l'Indien
«déraciné», qui n'a plus ni organisation communautaire ni
langue ou culture propres et qui vit dans les exploitations
agricoles des Blancs ou des métis comme journalier, métayer
ou fermier 4 . La première zone comprendrait les tribus de
chasseurs et de pêcheurs du bassin de l'Amazone, les cueilleurs du bassin du San J u a n et les éleveurs de la péninsule
de la Guajira ; dans la deuxième, on trouverait les Indiens
des resguardo* ou des comunidades du massif central andin, en
particulier dans les départements de Caldas, du Cauca, de
Nariño, de ToUma et du Huila ; dans la troisième, divers
groupes d'Indiens qui appartenaient précédemment aux deux
premières zones, à la deuxième surtout.
1
José Manuel BOTERO : Geografia de Colombia (Bogota, 1951), pp. 116-117.
2
Luis DUQUE GÓMEZ, op.
3
cit.
José Manuel BOTERO, op. cit..
4
Antonio GARCÍA. : Pasado y presente del indio (Bogota, Centro, 1939), p. 40.
Il convient de faire remarquer que, dans ses grandes lignes, cette classification
s'applique également aux populations aborigènes de la plupart des pays de l'Amérique latine.
DONNÉES DÉMOGRAPHIQUES ET GÉOGRAPHIQUES
CARTE I . —
COLOMBIE : ZONES D E F O R T E
D E POPULATION ABORIGÈNE ET
49
DENSITÉ
MÉTISSE
EQUATEUR
PEROU
Zone la plus peuplée.
Zone de l'Indien des réserves et des grandes propriétés.
Zone de l'Indien primitif.
Source : Antonio GARCÍA : Pasado y presente del indio (Bogota, 1939), p. 43.
Le même spécialiste a suggéré l'échelle ci-après de « types
de marginalité » indigène, établie en fonction du degré et de
la nature des contacts que tel ou tel groupe entretient avec
l'économie et la culture nationales : a) le groupe qui entretient
des relations permanentes et directes avec l'économie et la
culture du pays ; b) le groupe qui, en raison de sa situation
géographique marginale, reste fidèle à sa forme d'organisation
tribale, mais qui, néanmoins, est en contact permanent avec
50
DÉFINITIONS ET DONNÉES PBELrMTNATBES
l'économie et la culture du pays ; c) les groupes marginaux
du point de vue géographique et social, qui entrent en contact
occasionnellement avec l'économie et la culture du pays, par
l'intermédiaire des postes ou des garnisons militaires, des
missions religieuses ou des exploitations forestières ou minières ; d) les groupes absolument marginaux, qui n'ont que
des contacts accidentels, infructueux, sans raisons d'ordre
économique, avec les éléments civilisés de la population. La
première catégorie correspondrait en général à l'Indien des
resguardos ou des comunidades, comme, par exemple, les
Guambiano et les Paez dans le département du Cauca et
les noyaux indigènes du Eío Sucio et de Quincb.ua dans le
département de Caldas ; la deuxième serait représentée par
des tribus telles que les Guajiro dans la péninsule de la
Guajira et les Sibundoye dans le département de ÏTarino ;
on trouverait, dans la troisième, certaines tribus du bassin
de l'Amazone ; dans la quatrième figureraient les tribus sauvages de cette région et d'autres parties du pays 1.
COSTA-EICA
Partant d'un rapport de la Direction générale de la statistique de la Eépublique de Costa-Eica (1941), Eosenblat 2 a
calculé qu'en 1940, sur une population totale de 656.129 habitants, il existait 4.200 Indiens (0,64 pour cent), 65.612 métis
(10 pour cent), 26.900 Noirs et 20.000 mulâtres.
Les groupes les plus importants semblent être celui des
Bribri (près de 3.000 individus), établi dans la région de Talamanca dans les montagnes du sud du pays (à la frontière du
Panama, vers l'Atlantique), celui des Boruca (environ 900 individus) dans le sud-ouest du pays, du côté du Pacifique. Les
300 autres indigènes seraient représentés par de petits noyaux
de Chorotega-Mangue (péninsule de Nicoya) et de Guatuso
(frontières nord et ouest du pays, vers le lac de Nicaragua).
Le groupe Bribri comprend divers sous-groupes, et notamment
les Chirripo (région nord-ouest) et les Cabecare, qui tirent leur
nom des régions qu'ils habitent. Le groupe Boruca comprend
le sous-groupe des Terraba 3. Les Indiens de la péninsule de
Mcoya ne parlent que l'espagnol.
1
Antonio GAKCÎA : « Regímenes indígenas de salariado », América
Indigena,
vol. V i l i , n° 4, oct. 1948, pp. 266-267.
2
Ángel ROSENBLAT, op. cit., pp. 21 et 120. Voir tableau L.
3
Communication du correspondant du B.I.T. à Costa-Rica, janvier 1950.
Cf. également Doris STONE : « Indians and Costa Rica », Bulletin of the Pan
American union (Washington), vol. L X X X I I , n° 2, fév. 1948, pp. 61-69.
DONNÉES DÉMOGRAPHIQUES ET GÉOGRAPHIQUES
51
EQUATEUR
Le premier recensement national de la population date de
1780. Le deuxième a été fait en 1950, mais, au moment de
mettre le présent ouvrage sous presse, on ne disposait pas
encore des données relatives à la population indigène.
En 1944, la Direction nationale de la statistique répartissait comme suit, par « race », la population du pays.
T A B L E A U V i n . — E Q U A T E U R : R É P A R T I T I O N D E LA P O P U L A T I O N
PAR
RACES
Race
Aborigènes
Métis
Noirs et mulâtres
Autres
. . . .
Total . . .
Population
Pourcentage
1.204.740
1.266.522
308.908
154.454
154.454
3.089.078
39
41
10
5
5
100
Source : DIRECCIÓN NACIONAL DE ESTADÍSTICA : Ecuador en cifras, 1938 a 1942 (Quito,
Ministerio de Hacienda, 1944), p. 55.
En 1942, le général Paz y Miño a calculé que la population
des régions de la Sierra et de la côte se répartissait comme
suit du point de vue de la « race ».
TABLEAU I X . —
E Q U A T E U R : P O P U L A T I O N D E LA S I E R R A
ET
D E L A CÔTE
Race
Còte
Sierra
Pourcentages
Indiens
Métis
Mulâtres
Noirs
Total . . .
28,0
30,0
40,0
1,5
0,5
27
10
18
30
15
100,0
100
Source : Luis T. PAZ Y MIÑO : La población del Ecuador, tirage à part de la revue Ecuador,
n° 3, sept. 1936 (Quito, Ministerio de Previsión Social, 1936), p. 40.
Pour un autre chercheur équatorien, les indigènes étaient,
en 1940, au nombre de 1.119.000, dont 200.000 Indiens sylvicoles 1.
1
Luis MONSALVE P o z o : El indio : Cuestiones de su vida y de su pasión, (Cuenca,
1943), p . 545.
52
DÉFINITIONS ET DONNÉES PRÉLBUNAIRES
Selon une étude plus récente consacrée à la question, le
Bureau de l'état civil avait calculé que le pays comptait, en
1945, une population globale de 3.310.202 habitants, qui se
répartissaient géographiquement comme suit : littoral ou côte,
1.103.302; Sierra ou vallées interandines, 2.027.156; Oriente
179.744. L'auteur de cette étude attribue à la Sierra une
population rurale de 1.270.663 habitants et une population
urbaine de 756.493 personnes, dont environ 90 pour cent
(1.143.596) et 15 pour cent (113.473) respectivement seraient
des indigènes et des métis de culture indienne. Au total, la
population aborigène et métisse de cette région atteindrait
1.257.069 habitants, chiffre auquel il y aurait lieu d'ajouter,
selon le même auteur, 80.000 aborigènes sylvicoles au maximum pour la région de l'Oriente, car l'évaluation officielle
(179.744) de ce groupe serait exagérée 1.
De même que les chiffres cités précédemment, ces données
sont purement conjecturales. On les a obtenues en considérant
comme Indien « non seulement l'élément de culture aborigène,
mais aussi les personnes que leur évolution culturelle assimile
aux métis dans une certaine mesure et qui, en définitive, ont
gardé un contact plus étroit avec l'élément dont elles sont
issues et participent pleinement à ses coutumes et à sa civilisation 2 ». La population vraiment aborigène de la Sierra,
d'après cette même étude, ne représenterait que 65 pour cent
de la population totale de cette région.
Dans son immense majorité, la population aborigène est
d'origine quichua ; elle est concentrée dans la région interandine ou de la Sierra, dont l'altitude moyenne est de 2.500
mètres. Sur les 310 agglomérations de cette région, 267 s'échelonnent entre 2.000 et 3.500 mètres au-dessus du niveau de
la mer. Les provinces typiquement indigènes sont celles de
Tungurahua, Cañar, Cotopaxi, Ohimborazo, Bolivar, Imbabura et Azuay ; la densité de la population rurale y varie
entre 22 et 51 habitants au kilomètre carré. Dans certains
districts des provinces de Tungurahua, d'Imbabura et de
Cotopaxi, elle dépasse 80 ; en ce qui concerne les provinces
côtières du Guayas et d'Esmeraldas, elle n'est que de
9 habitants au kilomètre carré dans la première et de 3
dans la seconde 3.
1
César CISNEKOS CISNEEOS : Demografía y estadística sobre el indio
(Quito, Talleres Gráficos Nacionales, 1948), p p . 121-123.
2
Ibid., p. 97.
3
Ibid., p . 113.
ecuatoriano
DONNÉES DÉMOGRAPHIQUES ET GÉOGRAPHIQUES
53
Les Indiens sylvicoles vivent surtout dans la région orientale du pays. Les tribus les plus importantes sont les Jivaro
(Achuale, Ahuaruna, Huambiza), les Yumbo (de langue
quichua) et les Zaparo.
Les Jivaro (appelés également Shuara) occupent la région
comprise entre le rio Pastaza au nord, le rio Morona à l'est, le
Marañon au sud et la cordillère des Andes à l'ouest. Leur
nombre varierait entre 15.000 et 20.000. Ils sont belliqueux
et n'ont jamais accepté la domination du Blanc. Leur coutume
de « réduire » la tête de leurs ennemis leur vaut une renommée particulière. Les Yumbo occupent le bassin supérieur du
rio BTapo. Contrairement aux Jivaro, ils ont été presque
entièrement soumis par les colons blancs et métis. Les Zaparo
peuplent les rives septentrionales du bas Pastaza, du Bobonaza et de quelques affluents du Curaray 1 .
Parmi les autres tribus de la partie orientale du pays, il
y a lieu de mentionner les Aushiri, Shimigae, Chirapa, Murato,
Ayugi, Autipa, Uchuca, Cofane, Urarina, Ocame, Orejón, Paucari, ÏTapo, Tena, Arajuno, Loreto, Tale et Pano. Les six derniers
groupes entretiennent certaines relations avec les Blancs et les
métis. Certains sont en voie d'extinction complète, les Aushiri,
par exemple, « presque exterminés par les saigneurs d'hévéas
du Curaray et dont il ne subsiste que quelques individus 2 ».
Il existe également plusieurs groupes d'indigènes sylvicoles
dans la région de la côte ou du Montuvio. On trouve, sur les
rives du Cayapas et de l'Onzole, dans la province septentrionale
d'Esmeraldas, les Indiens Cayapa (environ 2.000). Dans la
jungle de Santo Domingo de los Colorados, située sur les contreforts des Andes occidentales, dans l'ouest de la province de
Pichincha, ainsi que dans les régions contiguos des provinces
d'Esmeraldas, de León et de Los Ríos, vivent les célèbres
Indiens Tsatchela ou Colorado (quelque 3.000). La population
de la région du Montuvio comprendrait, aux dires d'un auteur
équatorien, une cinquantaine de milliers de cholos, métis
ayant 60 pour cent de sang indien, 30 pour cent de sang noir
et 10 pour cent de sang blanc 3. Dans les provinces d'Esmeraldas et de Manabi, on trouve des noyaux importants de
zambos (métis de Noirs et d'Indiens).
1
Pour plus de détails, voir J. C. GRANJA : Nuestro Oriente (Quito, Imprenta
de la Universidad, 1942), pp. 73 et 78; cf. également Francisco TERÁN: Geografía
del Ecuador (Quito, 1948).
2
Francisco TERÁN, op. cit., p. 140.
3
José DE LA CUADRA : El montuvio ecuatoriano (Buenos-Aires, 1937).
54
DÉFINITIONS ET DONNÉES PRÉLIMINArRES
La carte I I montre quelles sont les régions dans lesquelles
prédominent les divers groupes.
CABTE I I . — E Q U A T E U R : ZONES D E F O R T E D E N S I T É
D E POPULATION ABORIGÈNE E T MÉTISSE
_ Indiens primitifs.
Source : Antonio GARCÍA : Pasado y presente del indio (Bogota, 1939), p . 77.
GUATEMALA
Le recensement de 1921 a mis en évidence l'existence de
1.299.927 Indiens (64,8 pour cent) et de 704.973 métis sur une
population totale de 2.004.900 habitants. Pour le recensement
de 1940, on a considéré comme ladinos (métis) de nombreuses
personnes qui, en 1921, avaient été classées comme « Indiens » ;
cette enquête a donné les résultats suivants : population
globale, 3.283.209; Indiens, 1.820.872 (55,46 pour cent);
Blancs et ladinos, 1.457.122 (44,38 pour cent) ; Noirs, 4.011 ;
Jaunes, 1.014 1. lie deuxième groupe se compose, en majeure
partie, de métis ayant un pourcentage élevé de sang aborigène.
1
D I S E C C I Ó N G E N E R A L D E ESTADÍSTICA : Quinto
censo general
de
población
levantado el 7 de abril de 1940 (Guatemala, 1942). 190 sont classés sous la rubrique
«autres catégories».
DONNÉES DÉMOGRAPHIQUES ET GÉOGRAPHIQUES
55
D'après le même recensement, 1.504.995 habitants ne
parlaient que les langues indigènes 1 . La population n'a pas été
classée uniquement d'après la langue maternelle, mais aussi
en fonction de la « race ». Il n'est pas sans intérêt de relever
à cet égard la différence qui existe entre le nombre des habitants recensés comme étant de race indienne (1.820.872) et
le nombre de ceux qui ne parlent qu'un idiome aborigène
(1.504.995). Cette différence d'environ 316.000 personnes
« peut s'interpréter en ce sens que l'on a considéré comme
aborigène des personnes qui ne parlent plus leur langue
maternelle 2 ».
E n 1945, le Département général de la statistique estimait
que la population du pays s'élevait à 3.487.444 habitants,
dont 55 pour cent d'Indiens purs. En 1948, le directeur de
l'Institut national guatémalien des affaires indigènes a déclaré
que la population du Guatemala était d'environ 3.500.000
habitants, dont 2 millions (près de 60 pour cent) d'aborigènes 3.
Le gros de la population indigène est d'origine maya et se
trouve concentré dans la région appelée le haut plateau
occidental. Cette région qui, en certains points, atteint environ
4.300 mètres d'altitude peut être délimitée, avec plus ou moins
de précision, par deux lignes imaginaires tirées, en partant
de la capitale de la Eépublique, vers l'ouest et vers le nord
jusqu'à la frontière mexicaine. Elle représente à peu près
un quart de la superficie du pays et, selon une évaluation,
est habitée par près d'un million d'indigènes appartenant aux
groupes linguistiques quiché-cakchiquel (centre-ouest) et mam
(à l'extrême ouest du pays). Le reste de la population autochtone vit dans diverses autres régions, spécialement dans la
partie centrale du nord du pays. Cette région est également
montagneuse, mais de faible altitude, et l'on a estimé qu'elle
était peuplée de quelque 300.000 aborigènes appartenant au
groupe linguistique pocomam (quekchi et pocomam) 4 .
La population ladino ou métisse prédomine dans l'est du
pays.
1
Voir tableau LIV.
« Lia población de habla indígena en Guatemala », Boletín del Instituto Indigenista Nacional (Guatemala), vol. I, n° 4, sept. 1946, p. 18.
3
Antonio GOUBAUD CABRERA : « Some Aspects of the Character Structure of
the Guatemala Indians », América Indigena, vol. VIII, n° 2, avril 1948, p. 97.
4
Données communiquées au B.I.T. par l'Institut guatémalien des affaires
indigènes en janvier 1950. L'Institut signale que les évaluations ont été faites
sur la base du recensement de 1940 et « qu'elles doivent être utilisées avec les
réserves d'usage ».
2
56
DÉFINITIONS ET DONNÉES PRÉLIMINAIRES
Dans le haut plateau, il y a plus de 200 communes dont les
habitants parlent surtout les langues indigènes et, dans
nombre d'entre elles, l'unilinguisme est absolu. A en juger
d'après une source récente, la population se compose, dans une
proportion de 85 pour cent, d'aborigènes qui parlent leur propre
dialecte, qui occupent des régions déterminées et qui, en
majeure partie, ne comprennent pas l'espagnol 1 . On a estimé
que la plupart des villages indigènes se trouvaient à des altitudes allant de 1.400 à 2.800 mètres 2.
Le pourcentage d'Indiens oscille entre 14 pour cent dans
la région d'Amatitlán (côte) et 96 pour cent dans le département de Totonicapán (haut plateau) 3 .
En sus du grand groupe indigène du haut plateau, il y a
lieu de mentionner l'existence, sur la côte du golfe du Mexique,
d'un petit groupe d'Indiens Caribe et, dans le département
du Petén, d'un groupe peu important de Lacandon. Le premier résulte d'un mélange entre Caribes venus de la région de
POrénoque et Noirs amenés par les Anglais, à la fin du
x v m m e siècle, des îles Sous-le-Vent à l'île Roatán et à d'autres
îles proches de la côte nord du Honduras. Le second est de
type primitif et semi-nomade. Certains de ses membres travaillent dans les monterías (terres incultes dans lesquelles
l'Etat autorise des coupes de bois) et dans les exploitations
de chicle.
HONDURAS
D'après le recensement de 1940, on comptait, sur une population globale de 1.107.859 habitants, 105.732 Indiens (9,54
pour cent) et 775.501 métis (70 pour cent). Deux ans plus tôt,
Eoberto Gamero 4 avait calculé que la population indigène
représentait 20 pour cent du total, les métis, 70 pour cent, et
les Noirs, 5 pour cent. Selon cet auteur, les indigènes ont
adopté l'espagnol dans leur grande majorité. En 1942, un
autre auteur estimait que le nombre des aborigènes ne dépassait pas 85.000 5.
1
Héctor Antonio GUERRA : El 'problema Ad analfabetismo en Guatemala, document ronéographié (Guatemala), 1 e r juill. 1948, p. 12.
2
Leo A. SUSLOW : Aspects of Social Reform in Guatemala, 1944-1949, op. cit.,
p. 5.
3
Pour plus de détails, voir « La población de habla indígena en Guatemala »,
op. cit., tableau 2 a).
4
Roberto GAMERO : « La República de Honduras », Revista Geográfica Americana, avril 1938, pp. 269-280.
6
Marcelina BONILLA : « El indio hondureno », Boletín Indigenista (Mexico),
vol. II, n° 1, mars 1942, p. 33.
DONNÉES DÉMOGRAPHIQUES ET GÉOGRAPHIQUES
57
La population indigène est d'origine aztèque et maya. Sa
répartition géographique est à peu près la suivante :
TABLEAUX X. — HONDURAS : RÉPARTITION GÉOGRAPHIQUE
DES INDIENS
Régions
Tribus
Ouest du pays (population éparpillée
dans plusieurs départements). . .
Département de La Paz
Département de Yoro
Nord du département d'Olancho . . .
Côtes de l'Atlantique
Chorotega, Miquirano, Guajiro
Opatoro
Jicaque (quelques centaines seulement)
Paya
Miskito, Suma
Source: Salvador COLINDRES: «La población indigena de Honduras», Boletín
vol. II, n ' 3, sept. 1942, p . 19.
Indigenista,
Les unions ont été nombreuses entre les Indiens du groupe
Miskito et les Noirs qui vivent dans la région.
Au nord du rio Tinto, le long de la mer et à proximité des
lagunes, vit un groupe de Caribes noirs ou Garif, descendant
d'Indiens de soucbe caribe et de Noirs venus des Antilles
(îles Sous-le-Vent) 1 . Ses membres parlent l'idiome caribe
et restent fidèles à de nombreuses coutumes indigènes. On
trouve également quelques groupes Garif dans d'autres parties
de l'Amérique centrale. Selon certaines évaluations, cette population indo-africaine compterait au total une quinzaine de
milliers d'individus, dont 3.500 habitent aux confins de la Costa
Mosquita et les autres sur la côte atlantique de l'Amérique
centrale, jusqu'à Stann Creek dans le Honduras britannique 2 .
MEXIQUE
D'après le recensement de 1940, pour l'établissement
duquel on a tenu compte d'un critère à la fois linguistique et
culturel, le nombre des habitants âgés de cinq ans au moins
qui parlaient une langue aborigène s'élevait à 2.490.909 3, dont
1.237.018 employaient exclusivement un idiome ou dialecte
aborigène et 1.253.891 utilisaient à la fois l'espagnol et une ou
plusieurs langues aborigènes 4. En 1942, le département des
Affaires indigènes déclarait que l'on comptait dans le pays
2.250.497 personnes parlant des langues indigènes et au moins
1
Ces derniers ont été déportés au x v m m e siècle par les autorités anglaises
à l'île de Roatán, dans la baie du Honduras.
2
Eduard COUZEMITJS : « Ethnographical Notes on the Black Carib (Garif) »,
American Anthropologist, vol. 30 (1928), n° 2, pp. 183-205.
3
H y aurait lieu d'ajouter à ce chiffre 454.176 Indiens de moins de cinq ans,
ce qui donnerait un total de 2.945.085.
4
Anuario Estadístico de los Estados Unidos Mexicanos, 1943-1945, pp. 30-31.
58
DÉFINITIONS E T DONNÉES PRÉLIMINAIRES
autant de Mexicains qui, sans parler une de ces langues, étaient
aborigènes par le sang et par les formes de leur économie
et de leur culture 1 . Selon M. Manuel Gamio, directeur de
l'Institut interaméricain des affaires indigènes, la statistique
« n'a pas compris plusieurs millions de personnes qui ne parlent
que l'espagnol, mais qui sont aborigènes ou métisses du fait
de leurs caractéristiques ethniques et culturelles 2 ».
En règle générale, la population indigène est le plus dense
le long de la Sierra Madre orientale et occidentale ; elle est de
nouveau plus compacte dans les Etats du Centre-Sud et du
Sud-Est (en particulier dans les Etats d'Oaxaca et de Chiapas).
Certains groupes importants, Mayas, Zapotèques, Mixtèques,
Tarasques et Otomis par exemple, occupent encore les régions
qu'ils habitaient à l'époque de la conquête. E n revanche,
le groupe aztèque (Náhuatl), le plus nombreux, se rencontre
aujourd'hui dans la plupart des Etats de la République.
CARTE m . — M E X I Q U E : P O P U L A T I O N
DE LANGUE ABORIGÈNE, 1 9 4 0
Source.- Sexto Censo de Población (1940).
DEPARTAMENTO D E ASUNTOS INDÍGENAS : Memoria,
América Indigena,
vol. I I , n° 2, avril 1942, p . 18.
1943-1945.
DONNÉES DÉMOGRAPHIQUES ET GÉOGRAPHIQUES
59
La famille mexicaine ou aztèque, largement répandue dans
diverses parties du pays, s'est mêlée à la population locale et,
dans quelques régions, conserve ses caractéristiques raciales
sans avoir subi d'autres influences 1.
Pour le directeur de l'Institut national mexicain des affaires
indigènes, le fait que quelques noyaux indigènes subsistent
dans les régions du centre-sud et du sud-est du pays s'explique
par les deux facteurs ci-après : a) l'organisation de la population aborigène à l'époque antérieure à la conquête espagnole;
b) la facilité, ou au contraire la difficulté, d'accès et d'exploitation des territoires occupés par ces populations. Dans les
régions où la population aborigène était sédentaire et possédait
une organisation économique et culturelle avancée, le conquérant espagnol a purement et simplement pris la place des gouvernants autochtones et, à son tour, a trouvé dans l'Indien
la base de la main-d'œuvre nécessaire à l'économie coloniale
naissante. En revanche, dans les régions où. la population
aborigène était nomade, semi-nomade ou insuffisamment dense,
l'Indien a rapidement disparu. Dans certaines zones, la conservation du premier de ces groupes est due, en outre, au fait que
les montagnes, d'accès plus difficile, n'ont subi que plus tard
l'influence de la culture européenne ; d'ailleurs, ces régions
suscitaient moins la convoitise du Blanc.
Elément le plus faible, l'indigène a été refoulé peu à peu vers
les zones les moins favorisées sur le plan économique ou, ce qui
revient au même, il a été chassé des vallées vers les montagnes.
D'autre part, il était plus facile, pour les aborigènes qui vivaient
dans les vallées, de se mêler à la population blanche et métisse,
d'un
point de vue non seulement biologique, mais aussi culturel 2 .
Une proportion considérable de la population de langue
indigène — qu'il n'est toutefois pas possible de déterminer
avec précision — est entrée, à des degrés divers, dans le circuit
économique et dans le circuit de la main-d'œuvre du pays ;
cette évolution est due surtout au nouveau régime agricole
des ejidos (propriétés rurales semi-collectives créées grâce au
morcellement des grands domaines), instauré par la réforme
agraire. D'importants noyaux de population aborigène continuent néanmoins à vivre en marge de ce circuit, organisés en
tribus, dans un état de grande pauvreté et d'isolement géogra1
Carlos BASAUBI : La población indigena de México : Etnografia (Mexico,
Secretaría de Educación Pública, 1940), vol. I, p. 128, et vol. I l l , p . 113.
2
Préface d'Alfonso CASO à l'ouvrage de Manuel Germán PARRA : Densidad
de la población de habla indigena en la República Mexicana (Mexico, 1950), p . 11.
60
DÉFINITIONS ET DONNÉES PRÉLIMINAIRES
phique et culturel ; il s'agit notamment des Otomis, des Tarahumara, des Lacandon, des Tzeltal, des Tzotzil, etc.
E n 1940, 94 pour cent de la population de langue aborigène
était concentrée dans les trois régions suivantes : Centre, 36
pour cent ; Pacifique sud, 35 pour cent ; golfe du Mexique,
23 pour cent ; la région du Nord ne comptait que 4 pour cent
de cette population, et celle du Pacifique 2 pour cent.
L'unilinguisme prédomine dans les régions du Nord (57
pour cent) et du Pacifique sud (61 pour cent), tandis que le
bilinguisme est plus répandu dans les régions du Pacifique
nord (76 pour cent), du Centre (56 pour cent) et du golfe du
Mexique (62 pour cent) 1 .
NICARAGUA
Le recensement de 1920 a donné la répartition suivante :
Blancs, 16,79 pour cent; trigueños (métis), 69,05 pour cent;
Noirs, 9,51 pour cent ; cobrizos (cuivrés), 4,59 pour cent 2 .
Le recensement de 1940, établi d'après des catégories différentes,
a fait apparaître les pourcentages ci-après : métis, 68 pour cent ;
habitants d'origine européenne, 17 pour cent ; Noirs, 10 pour
cent ; Indiens, 5 pour cent. E n 1943, on évaluait le nombre des
aborigènes à quelque 40.000 (sur une population globale d'environ 1.380.000 habitants).
La population blanche et métisse est concentrée dans la
région occidentale du pays, mais il existe également, dans cette
même région, d'importants noyaux indigènes. En revanche,
celle de la région orientale est constituée, dans son immense
majorité, d'Indiens sylvicoles, de zambos (mélange d'Indien et
de Noir) et de Noirs des Antilles.
Les groupes indigènes les plus importants sont ceux des
Miskito (ou Mosquito), des Suma et des Eama. Le premier (qui
compte entre 17.000 et 20.000 individus) habite les jungles de
la côte atlantique, dans le nord du pays ; environ 4.000 vivent
entre San Carlos et Santa Cruz, 5.000 entre Sauce et Bilhuaskarma, et 8.000 entre Klar et le cap Gracias a Dios 3. Le
deuxième groupe vit dispersé dans l'intérieur du pays. Le troisième s'est établi à proximité immédiate de Bluefields Lagoon.
1
Voir tableau LV.
Cité par Ángel ROSENBLAT, op. cit., p . 20.
3
Michel P I J O A N : « The Health and Customs of the Miskito Indians of
Northern Nicaragua : Inter-Relationships in a Medical Program », America Indigena,
vol. VI, n° 1, janv. 1946, p p . 50-52.
2
DONNÉES DÉMOGRAPHIQUES E T GÉOGRAPHIQUES
61
Au milieu du x v n m e siècle, un convoi de Noirs africains
s'empara du bateau qui les transportait comme esclaves et
débarqua dans une région de la côte atlantique habitée par les
Indiens Miskito. Avec le temps, les deux groupes se mêlèrent
et le mouvement s'accentua des siècles plus tard, à l'arrivée
de milliers de Noirs et de mulâtres que les planteurs faisaient
venir de la Jamaïque et d'autres îles des Antilles pour travailler
dans les bananeraies de la région. Dans certaines localités,
entre le cap Gracias a Dios et Sandy Bay, les Indiens Miskito,
purs eux-mêmes, sont appelés zambos. Les Miskito se sont
mélangés également, dans une mesure moindre, avec les Indiens
Suma ainsi qu'avec des Chinois, des Syriens, des créoles et des
Espagnols. Selon certaines évaluations, 50 pour cent de la
population Miskito présentent des caractéristiques somatiques
négroïdes 1.
PANAMA
Selon le recensement national de 1940, on comptait à cette
date, sur une population globale de 622.576 habitants, 59.338
Indiens (9,5 pour cent), 406.814 métis et mulâtres, 68.897
Blancs, 82.871 Noirs et 4.656 «autres». D'après le Bureau du
recensement, le nombre des Indiens organisés en tribus et
classés comme indigènes proprement dits n'atteint que 55.987 2.
Néanmoins, aux termes d'un rapport adressé par le ministre
de l'Intérieur et de la Justice du Panama à l'Institut interaméricain des affaires indigènes, « il ne serait pas exagéré
d'affirmer que 20 pour cent de la population de l'isthme sont
aborigènes de race et de culture 3 ».
La plupart des aborigènes organisés en tribus sont des
sylvicoles. Les groupes ethniques les plus importants sont :
a) les Cuna, établis à l'extrémité orientale de l'isthme sur les
côtes et dans les forêts de la région de San Blas (comprise entre
la péninsule de San Blas, le cap Tiburón à la frontière colombienne et la province de Panama), ainsi que dans l'archipel
de Las Mulatas ou de San Blas ; il en existe également de petits
noyaux dans le Darién du Nord, en particulier près des sources
des rios Chucunaque, Capeti, Pucro et Paya ; en 1940, la population Cuna atteignait environ 21.000 individus, dont près de
4.000 vivaient dans les villes de Colón et de Panama et dans la
1
2
Michel P I J O A N , op. cit.
CONTRALORÍA GENERAL D E LA B E P Ú B L I C A D E PAKAMÁ, Oficina del Censo : Censo
de población de Panamá, 1940, vol. X : Compendio general (Panama, 1946), p . 365.
3
Boletín Indigenista, vol. H I , n° 1, mars 1943, p p . 44-48.
62
DÉFINITIONS ET DONNÉES PRÉLIMINAIRES
zone du canal 1 ; b) les Guaymi, qui vivent isolés dans les
montagnes boisées de l'intérieur, dans les vallées et les savanes
des provinces de Chiriqui (environ 19.000), de Bocas del Toro
(environ 6.000) et de Veraguas (environ 1.500) ; c) les Chocoe,
perdus dans les vallées — Jaqué, Pirre, Marea, Chucunaque,
Mogue et Tuquesa — des forêts du Darién (environ 2.000) 2 .
La population chola, c'est-à-dire les métis de culture indienne
(indomestizos), se rencontre dans diverses régions de l'isthme
(Codé, Veraguas, etc.).
PARAGUAY
Les données disponibles sont purement conjecturales et
présentent des différences notables. Eosenblat 3 a évalué qu'en
1940 la population se composait à peu près comme suit :
métis, 700.000 ; Blancs, 200.000 ; Indiens purs, 40.000 ; Noirs
et mulâtres, 10.000.
La plupart des habitants du pays sont fortement métissés,
tant du point de vue physique que du point de vue linguistique. Une forte proportion d'entre eux sont bilingues (espagnol
et guarani) et près d'un quart, en particulier dans les régions
rurales, ne parlent que le guarani bien qu'ils soient physiologiquement des métis. Dans sa grande majorité, la population
métisse est établie dans les régions situées à l'est du Paraguay,
tandis que la majorité de la population indigène se trouve
dans la région forestière du Chaco, à l'ouest du même fleuve.
En 1945, l'Association paraguayenne d'études indigènes
évaluait le nombre des indigènes à 50.000. D'après cette
association, la plupart des tribus entretiennent des contacts
avec les autres groupes ethniques de la population nationale.
Parmi les principales exceptions, figuraient les Moro ou Moré,
dans la partie nord de la Gran Selva (environ 5.000) et les
Guayaki, dans le Haut-Parana 4 . En 1946, le président du
Service national de protection des indigènes (Patronato Nacional de Indígenas),5 estimait à environ 68.000 le nombre
1
Voir le chapitre VIII.
« Tribus indígenas », Censo de población de Panamá, 1940, vol. X : Compendio
general, pp. 43-46. Voir tableau LVI du présent ouvrage (en annexe).
3
Op. cit., p. 124.
4
Anales de la Asociación Indigenista del Paraguay (Asuncion), 11 oct. 1945.
5
Juan BELAIEFF: «The Present-Day Indians of the Gran Chaco», Handbook
of South American Indians, vol. 1 : The Marginal Tribes, publié sous la direction
de Julian H. STEWABD (Smithsonian Institution, Bureau of American Ethnology,
Bulletin 143) (Washington, 1946), p. 372. Voir aussi IDEM : « Los indios del Chaco
paraguayo y su tierra », Revista de la Sociedad Científica del Paraguay (Asuncion),
vol. V, n° 3, juin 1941.
2
DONNÉES DÉMOGRAPHIQUES ET GÉOGRAPHIQUES
63
des Indiens du Chaco paraguayen, répartis géographiquement
en trois régions, à savoir: 1) les tribus du Nord (9.800); 2) les
tribus de la forêt (7.700); 3) les tribus des Llanos, entre le
Pilcomayo et le Confuso (50.500).
D'après le même auteur, bon nombre des tribus sylvicoles
du Gran Chaco seraient en voie d'extinction complète.
PÉROU
Le recensement national de 1940 a établi que la population,
« recensée nominativement », s'élevait à 6.207.967 habitants,
qui se répartissaient par « races » de la façon suivante : Blancs et
métis, 3.283.360 (52,89 pour cent) ; Indiens, 2.847.196 (45,86
pour cent) ; Jaunes, 41.945 (0,68 pour cent) ; Noirs, 29.054
(0,47 pour cent) ; race non précisée, 6.412 (0,10 pour cent) \
Plusieurs spécialistes péruviens des questions indigènes
affirment que le nombre des Indiens dépasse très largement
le chiffre donné ci-dessus. C'est ainsi que, selon l'un d'eux,
la moitié des habitants recensés comme « métis » lors du
recensement seraient en réalité des indigènes, car on aurait
considéré « de nombreux indigènes comme métis pour la
simple raison qu'ils parlent l'espagnol, portent des vêtements
européens ou habitent dans des centres urbains » ; la population indigène ne serait pas inférieure à 5 millions, ce qui
représente environ 70 pour cent de la population globale
du pays 2. D'après un autre auteur, « le chiffre de plus de 3 millions de Blancs et de métis est une source d'erreurs, car la
proportion des uns et des autres n'est pas précisée... Il importe
de déterminer le nombre des métis, surtout si l'on peut le
décomposer en métis de culture indienne (indomestizos) et en
métis de culture européenne (blancomestizos) 3 ». L'importance
du premier de ces deux groupes serait démontrée par le fait
que, d'après le recensement, il y a dans plusieurs départements
du pays « plus de personnes qui parlent exclusivement l'idiome
indigène que l'on pourrait le croire en se fondant sur le total
des individus recensés comme étant de race indienne ». C'est
1
MINISTERIO
D E HACIENDA
Y COMERCIO,
Dirección
Nacional
de
Esta-
dística : Censo nacional de población y ocupación de 1940 (Lima, 1944), vol. I ,
tableaux 41 e t 42, p p . 148-152.
2
Atilio SrviRiCHl : Derecho indígena peruano (Lima, Ediciones Kuntur, 1946),
p . 46. Le chifire utilisé pour ce calcul et pour le diagramme de la page 67 est
évidemment le total estimatif du recensement de 1940 (7.023.111).
3
Luis A. VALCÁRCEL : « Supervivencias precolombinas en el Perú », América
Indigena, vol. X , n° 1, janv. 1950, p p . 46-47.
4
64
DÉFINITIONS E T DONNÉES PRÉUMTNATRES
d'ailleurs ce qui se dégage du tableau ci-après, qui donne
le pourcentage des aborigènes et celui des habitants qui
parlent exclusivement la langue quichua dans les départements
de Cuzco, d'Ayacucho et d'Apurimac.
TABLEAU X I . — PÉROU : POPULATION D E LANGUE
DANS TROIS
Département
Apurímac
QUICHUA
DÉPARTEMENTS
Pourcentage
d'Indiens
Pourcentage
d'habitants
qui parlent
le quichua
seulement
71,73
75,94
70,02
79,44
82,39
86,22
Source : Luis A. VALCARCEL : * Supervivencias precolombinas en el Perù », América
vol. X, n« 1, janv. 1950, p . 47.
Jndlgetia,
Selon le même auteur, il n'y a pas seulement un grand
nombre de métis qui, par leur culture, sont des Indiens : on
pourrait également classer comme tels de nombreux métis chez
lesquels le sang blanc est nettement prédominant, mais qui
vivent à la manière indienne sans savoir un mot d'espagnol
comme, par exemple, les Morocucho des pampas de Cangallo,
les habitants blonds de Pillpinto, dans la province d'Acomayo
(Cuzco), et les Talaverino de Andahuaylas. « Grande est la
surprise de ceux qui rencontrent ces gens blancs et barbus,
dont beaucoup ne parlent ni ne comprennent un mot d'espagnol
et vivent comme de véritables Indiens x. »
Selon un calcul de la Direction nationale de la statistique,
les indigènes étaient 3.121.071 2 (38,37 pour cent) à la fin de
décembre 1948 et les métis, 3.834.676 3 . On peut en déduire
que le premier chiffre ne comprend pas les Indiens sylvicoles
et que le second comprend la population blanche du pays.
(D'après Sivirichi, les Blancs formeraient au maximum 5 pour
cent de la population globale.)
S'écartant de la notion classique de répartition démographique « horizontale », par région, l'ancien directeur du
Bureau de statistique du Pérou a analysé les résultats du recen1
Luis A. VALCARCEL, op. cit, p. 47.
2
Voir tableau LVII.
« Dirección Nacional de Estadística », El Pueblo (Lima), 28 juiU. 1949.
3
DONNÉES DÉMOGRAPHIQUES ET GÉOGKAPHIQUES
CARTE I V . —
P E R O U : P O U R C E N T A G E D E LA
ABORIGÈNE PAR RAPPORT A L'ENSEMBLE
65
POPULATION
D E LA
POPULATION
COLOMBIE
Source : MINISTERIO DE HACIENDA Y COMERCIO, Dirección Naciona ¡de Estadística : Censo
nacional de población y ocupación de 1940.
66
DÉFINITIONS ET DONNÉES PRÉLIMINAIRES
sèment de 1940 en prenant comme critère la répartition
o verticale » de la population en fonction de l'altitude. Le
résultat de son analyse est donné dans le graphique ci-contre,
où la population est représentée comme un arbre dont les
racines seraient au niveau de la mer (1.975.000 habitants,
c'est-à-dire 28 pour cent), le tronc dans les régions plus élevées
de la côte et de la Selva (410.000, c'est-à-dire 6 pour cent)
et la frondaison dans la Sierra, ou hauts plateaux des Andes
(4.495.000, c'est-à-dire 64 pour cent). E n d'autres termes,
près des deux tiers de la population sont établis dans une
série de neuf couches d'altitude différente, comprises entre
1.750 et 4.500 mètres au-dessus du niveau de la mer et qui correspondent précisément à la région essentiellement indigène du
pays 1. (Le gros de cette population se trouve entre 3.000 et
4.000 mètres.) La tête de cet arbre correspond à la région
appelée Puna, principalement peuplée d'Indiens (143.000, ou
2 pour cent). Le directeur de l'Institut national de biologie
et de pathologie andines du Pérou, qui étudie depuis de nombreuses années le phénomène dit d'agresión climática (difficulté d'adaptation au climat des hautes altitudes) dans les
hauts plateaux des Andes, a signalé l'importance de la relation
qui existe entre cette répartition verticale de la population
indigène et l'avenir de l'économie nationale, en ce qui concerne
plus particulièrement les problèmes relatifs à l'acclimatation
(et à la fécondité) de la race humaine, des animaux et des
végétaux, à la santé et aux migrations de la main-d'œuvre 2.
D'après le recensement de 1940, 1.829.243 habitants
parlaient exclusivement les langues aborigènes (quichua,
1.625.156 ; aymara, 184.743 ; autres dialectes, 19.344) ; 816.966
Péruviens parlaient l'espagnol et le quichua et 47.022, l'espagnol et l'aymara. Comme le montre le tableau LVIII donné en
annexe, le secteur unilingue quichua (population concentrée
dans les départements de Cuzco, d'Ayacucho, de Puno, d'Ancachs, d'Apurimac, de Huancavelica, de Junin et de Huánuco)
constitue l'immense majorité de la population de la Sierra.
L'élément unilingue quichua, joint à l'élément bilingue, représente, par exemple, 98 pour cent de la population totale dans
le département de Cuzco et 99 pour cent dans le département
d'Ayacucho. Le groupe unilingue aymara est concentré en
1
Alberto ARCA PARRÓ : El medio geogràfico y la población del Perú (Lima,
Torres Aguirre, 1945), p. 52.
a
Carlos MONGE M. : « Aclimatación en los Andes », América Indigena, vol. IX,
n° 4, oct. 1949, pp. 267-285.
DONNÉES DÉMOGRAPHIQUES ET GÉOGRAPHIQUES
67
PÉROU : RÉPARTITION DE LA POPULATION
SELON L'ALTITUDE x
I
1—i
1
1
1
i
i
i
1
i
1
i
i
1
i
¡
1
1
r
Mètres
Mètres
4.251^.500
4.251^.500
4.001-4.250
4.001^.250
3.751^.000
3.751^.000
3.501-3.750
3.501-3.750
3.251-3.500
3.251-3.500
3.001-3.250
3.001-3.250
2.751-3.000
2.751-3.000
^JOMM
iszzzmmmm
2.501-2.750
2.251-2.500
2.501-2.750
2.251-2.500
2.001-2.250
2.001-2.250
1.751-2.000
1.751-2.000
1.501-1.750
1.501-1.750
1.251-1.500
1.251-1.500
1.001-1.250
1.001-1.250
751-1.000
751-1.000
501- 750
601- 750
251- 500
251- 500
.•. , . , A , . , .W. , . , . , . , . , . , . , . , . , .'.M.V:* , , »Í
0-250
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J
I
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n—r
Echelle : centaines de mille
Source : Censo nacional de población y ocupación de 1940 (Lima, 1944).
1
Altitude des chefs-lieux de province.
majeure partie dans le département de Puno (région du lac
Titicaca).
La population indigène sylvicole de l'Oriente (plaine de
l'Amazone) est formée de nombreuses tribus et sous-tribus
(près de 500 selon Sivirichi) d'origines diverses ; ce sont
68
DÉFINITIONS ET DONNÉES PRÉLIMINAIRES
notamment les suivantes : Amahuaca, Piro, Campa, Macheyenga, Amoesha, Cunibo, Shipibo, Cashibo, Capanahua, Remo
et Mayo, sur le rio TJcayali ; Aguaruna, Nantipa, Huambisa,
Shapra, Murato et Shimaco, sur le Marañón ; Secoya, Aoshiri
et Orejón, sur le rio Ñapo ; Pioje, Huitoto, Ocaína et Bora,
sur le Putumayo ; Cocama, Yahua et Ticuna, sur l'Amazone 1 .
La majeure partie de ces Indiens vivent dans les forêts du
département de Loreto et dans les zones montagneuses des
départements de San Martin et de l'Amazone. Quelques tribus
sont nettement en voie d'extinction du fait de l'action de toute
une série de facteurs, parmi lesquels on a relevé les maladies
contagieuses, les guerres intestines, ainsi que les mauvais
traitements et les travaux pénibles auxquels elles ont été
soumises 2. La tribu des Huitoto a subi de lourdes pertes au
cours des dix premières années de ce siècle, par suite des actes
inhumains auxquels se sont livrés les saigneurs d'hévéas.
Parmi les tribus les plus primitives, il y a lieu de mentionner
les Yagua, qui vivent entre l'Amazone et le Putumayo, à
proximité des frontières du Brésil et de la Colombie.
SALVADOS
En 1927, le directeur du Bureau de statistique décomposait
de la manière suivante la population du pays : Indiens, 20
pour cent ; métis, 78 pour cent ; étrangers, 2 pour cent. On
retrouve une répartition analogue dans l'Almanach de Gotha
de 1931 : Indiens, 20 pour cent ; métis, 75 pour cent ; Blancs,
5 pour cent. Dix ans plus tard, Eodolfo Barón Castro indique à
nouveau, dans une étude, cette même proportion de 20 pour
cent d'indigènes. Cet auteur répartit de la façon suivante la
population globale, évaluée à 1.787.930 habitants en 1940 :
357.586 Indiens; 1.340.948 métis; 89.396 Blancs. Pour la
même année, Eosenblat ramène à 348.907 le nombre des
aborigènes 3. Le noyau indigène le plus important, les Pipil
1
V. M. P I N E D O : « Los problemas de población de la selva peruana », Boletín
Indigenista, vol. IV, n° 3, sept. 1944, pp. 226-234.
2
Voir, par exemple, le rapport d'un missionnaire augustin du vicariat apostolique de San León del Amazonas, le P . A venció VILLABEJO, O.S.A. : Asi esla selva.
Estudio geográfico y etnográfico de la provincia de Bajo Amazonas (Lima, Torres
Aguirre, 1943), p p . 95-134, 146-148 et 204-229.
3
Eodolfo BARÓN CASTRO : La población de El Salvador. Estudio acerca de su
desenvolvimiento desde la época prehispánica hasta nuestros dios (Madrid, Consejo
Superior de Investigaciones Científicas, Instituto Gonzalo Fernandez de Oviedo,
1942), p p . 515-528. Cf. également Pedro S. FONSECA : Lecciones de estadística
(San-Salvador, 1927), p . 55, et Ángel ROSENBLAT, op. cit., p p . 21, 119-120, d'où
sont extraites les données du texte.
DONNÉES DÉMOGRAPHIQUES ET GÉOGRAPHIQUES
69
(environ 80.000 personnes), d'origine aztéco-toltèque, est
concentré en particulier à Nahuizalco, dans le département
de Sonsonate 1. Il existe en outre des groupes moins importants
de Nahua, de Quiche et de Cachiquel. Il n'a pas été possible
d'obtenir des renseignements au sujet de leur répartition
géographique.
VENEZUELA
Le cinquième recensement national (1926) a fait apparaître
l'existence de 136.147 Indiens sur une population totale de
3.026.878 habitants. D'après le sixième recensement national
(1936), il y aurait eu en l'espace de dix ans, parallèlement
à une augmentation considérable du total de la population
(qui passe à 3.491.159), une diminution sensible du nombre
des Indiens (103.492). Lors du septième recensement national
(1941), on a signalé une fois de plus un accroissement important
de la population globale (3.850.771) et une nouvelle diminution
de la population indigène (100.600). Lors de la publication du
dernier de ces recensements, il a été bien précisé que la population aborigène comprise dans ces résultats était celle qui vivait
« dans un état à demi sauvage et complètement en marge de la
vie administrative du pays 2 ».
La Direction générale de la statistique du Venezuela, lors
de la préparation du recensement national de 1950, décida
qu'il serait procédé à une enquête spéciale sur la population
aborigène dans la mesure du possible, au moyen d'une enumeration directe, complétée à l'aide d'estimations fondées sur
des témoignages concrets et prouvés. De plus, elle décida
que, outre les données démographiques usuelles relatives à la
population aborigène recensée, les services du recensement
rassembleraient des informations de caractère sanitaire, économique et culturel, qui permettraient de décrire exactement la
situation des Indiens vénézuéliens et dont pourraient s'inspirer
les mesures visant à améliorer leurs conditions de vie et à les
incorporer progressivement dans le milieu national. Le
recensement fut effectué en cinq régions géoethnographiques
et fut précédé d'une enquête préliminaire qui permit de
localiser exactement les noyaux aborigènes et de déterminer
les voies d'accès à leurs, communautés, en s'assurant la colla1
Tomás Fidias JIMÉNEZ : Nueva geografia de El Salvador (San-Salvador, 1947),
p. 37.
2
MINISTERIO DE FOMENTO, Dirección General de Estadística : Séptimo censo
nacional de población levantado el 7 de diciembre de 1941, tomo VIII : Resumen
general de la República (Caracas, 1947), pp. XXXII, 38.
70
DÉFINITIONS E T DONNÉES PRÉLIMINAIRES
boration d'aborigènes dans chacune des régions dans les
opérations de recensement proprement dit, dans la définition
des caractéristiques culturelles et dans les relations avec les
aborigènes 1 .
Le tableau ci-après donne les résultats de l'enquête spéciale
effectuée une fois terminé le recensement national de 1950.
TABLEAU X n . — VENEZUELA : POPULATION ABOEIGÈNE PAR
ÉTATS ET TERRITOIRES, D'APRÈS LES RECENSEMENTS DE 1 9 3 6 ,
1941 ET 1950
1950
Aborigènes
recenses nominativement
Etats et
territoires
19361
1941 2
Total
général
Total
Etats:
Anzoátegui
Apure . .
Bolivar . .
Monagas .
Sucre . . .
Zulia . . .
Estimations
sur les
aborigènes sylvicoles
Parmi
lesquels
étaient
déjà
Total
recensés
en nov.
1950
sibles •
« Inaccessibles >
.
.
.
.
.
.
6.085
13.204
17.925
920
1.400
15.475
1.200
1.650 1.310 899
340 —
14.000 10.511 3.961 130 6.550 300
18.000 10.341 6.146 950 4.195 443
515
515
47
—
—
—
593
93
30
500 —
—
15.000 29.020 19.020 2.406 10.000 2.000
Territoires :
Amazonas . .
Delta Amacuro
39.450
9.033
43.400 39.010 3.890 346 35.120 5.120 30.000
9.000 7.183 7.183 4.506
—
—
—
340
6.250
3.752
—
500
8.000
Total . . 103.492 100.600 98.823 42.118 9.314 56.705 7.863 48.842
Source : MINISTERIO DE FOMENTO, Dirección Nacional de Estadística, Oficina Central del
Censo Nacional : Censo de 1950 : Resultados preliminares de la investigación censal de la población
indígena (Caracas, 1952), p. 9. Voir aussi chap. I.
1
Aborigènes civilisés et non civilisés.
s
Estimations en ce qui concerne la population sylvicole.
Pour Tulio López Ramírez 2, on pourrait admettre sans
crainte de se tromper que le Venezuela compte au total environ
150.000 Indiens. En revanche, le E.P. Cesáreo de Armellada,
1
MINISTERIO DE FOMENTO, Dirección General de Estadística, Oficina Central
del Censo Nacional : Censo Nacional de 1950 : Resultados preliminares de la investigación censal de la población indigena (Caracas, 1952). Les données ont été
rassemblées en deux étapes entre le 15 mars 1951 et 15 janvier 1952. « Du fait
de la faible mobilité des groupes sédentaires et de l'imprécision des estimations
relatives à la population inaccessible, les résultats obtenus peuvent être considérés
comme faisant partie du recensement de 1950. » (Ibid., p. 8.)
2
Tulio LOPEZ RAMÍREZ : « Demografía indígena venezolana », Acta Americana
(organe de la Société interaméricaine d'anthropologie et de géographie), vol. I, n° 3,
juill.-sept. 1943 ; cité dans le Boletín Indigenista, vol. IV, n° 2, juin 1944, p. 150.
DONNÉES DÉMOGRAPHIQUES ET GÉOGRAPHIQUES
71
missionnaire capucin, estime que ce nombre atteindrait à
peine 60.000 K En 1941, après avoir consulté plusieurs spécialistes vénézuéliens des questions indigènes, le spécialiste américain Ernest E. Maes a estimé qu'il y avait au Venezuela
quelque 150.000 Indiens « purs » et environ 450.000 personnes
chez lesquelles le sang indigène prédominait.
Ces divergences sont dues à toute une série de facteurs.
En premier lieu, une fraction considérable de la population
indigène est de type sylvicole et vit dans des régions éloignées
et difficiles d'accès 2. En deuxième lieu, dans certaines des
zones habitées par les groupes indigènes à demi assimilés, il
est difficile d'établir une distinction claire entre l'Indien et le
métis. En troisième lieu, dans certains cas, les données auraient
été obtenues « en consultant des personnes censées connaître
les diverses zones», et dans les régions peu accessibles « on était
réduit à compter sur les dires de personnes dont les appréciations étaient plus ou moins sûres » 3 .
Les frontières du Venezuela sont bordées, sur la quasitotalité de leur longueur, par une immense bande de terres
peuplées d'Indiens sylvicoles. C'est ainsi, en commençant par
le Nord-Ouest, que les Guaraúno peuplent le delta du Bas-Orénoque (officiellement dénommé Tefritoire fédéral Delta Amacuro), à la frontière de la Guyane britannique. En suivant la
frontière en direction du Sud, puis du Sud-Ouest, on arrive à
l'Etat de Bolivar, habité, dans sa zone périphérique limitrophe
de la Guyane britannique puis du Brésil, par les Arekuna et les
Taurepán, de souche caribe. Dans la périphérie du territoire
fédéral de l'Amazone, également à la frontière du Brésil,
habitent les Guaica, les Maquiritare, les Guaharibo et les
Mandauaca. Eemontant vers le Nord, le long de la frontière
qui sépare la partie occidentale de ce territoire de la Colombie,
on trouve les Baré, les Baniba, les Curripaco, les Yavitero,
les Piaroa et les Guahibo. Vient ensuite la région du rio Meta,
limitrophe de la Colombie, au Sud, où habitent les Indiens
nomades Cuiba, Guahibo et Yaruro. Dans les régions du rio Oro
et de la sierra de Perijá, toujours à la frontière de la Colombie,
vivent les Motilón, tandis que plus au Nord, dans la partie
nord-ouest du pays, en bordure de la Colombie, on trouve
1
R.P. Cesáreo DE ARMELLADA : Gomo son los indios pemones de la Oran Sabana
(Caracas, Élite, 1946), p. 6.
2
Tulio LÓPEZ RAMÍREZ, op. cit., p.
150.
3
Miguel Acosta SAIGNES : Noticia sobre el problema indigena de Venezuela
(Caracas, Comisión Indigenista, 1948), p. 2.
4*
72
DÉFINITIONS ET DONNÉES PBÉLIMINAIKES
dans les plaines de la Guajira les Indiens Guajiro qui, eux, ne
sont pas sylvicoles, mais pasteurs 1.
CARTE V. — V E N E Z U E L A : R É P A R T I T I O N G É O G R A P H I Q U E
D E LA P O P U L A T I O N A B O R I G È N E , 1 9 5 0
Source : MINISTERIO DB FOMENTO, Dirección Nacional de Estadística, Oficina Central del
Censo Nacional : Censo de 1950 : Resultados preliminares de la investigación censal de la población
indigena (Caracas, 1952), p. 26.
Les indigènes à demi formés aux habitudes de vie et de
travail de la population sont surtout nombreux dans la région
des Andes (Etats de Lara, de Mérida, de Trujillo et, dans une
mesure moindre, de Zulia). On en a évalué le nombre à environ
90.000. Il y aurait plusieurs milliers d'Indiens à demi assimilés, d'origine Caribe et Arawak, établis le long de la côte
ou éparpillés dans les Llanos. Pour López Bamírez, le refoulement (arrinconamiento) de la population indigène du Venezuela s'est produit de deux façons : dans la périphérie ou
bien au sein même du reste de la population. Le premier cas
1
Communication du gouvernement du Venezuela au B.I.T., juillet 1952.
DONNÉES DÉMOGRAPHIQUES ET GÉOGRAPHIQUES
73
serait celui des groupes Warao ou Guarauno (delta de l'Orénoque), Guahibo, Chiricoa (rives du Meta, llanos orientaux),
Panare (à proximité du rio Paraguaza, en Guyane vénézuélienne), Piaroa (zones de Guarataro et de la Cañada, E t a t de
Bolívar), Guajiro (Etat de Zulia), etc. Le groupe Guajiro offre
une caractéristique intéressante en ce sens qu'il participe des
deux types : bien que ces Indiens se soient faits, dans une large
mesure, aux formes de la vie civilisée et qu'ils habitent à
proximité du centre pétrolier de Maracaibo, ils restent fidèles
à leur organisation communautaire, à leur langue et à leurs
vêtements traditionnels 1.
Acosta Saignes a distingué, du point de vue culturel, trois
régions typiquement indigènes, à savoir : 1) la péninsule de
la Guajira, à l'extrémité nord-est du pays, habitée par divers
groupes Guajiro d'origine Arawak ; 2) la sierra de Perijá, où
l'on rencontre plusieurs groupes d'origine Caribe, connus sous
le nom de Motilón ; 3) le delta de l'Orénoque, dans lequel
les Guaraúno constituent le groupe le plus important 2.
CANADA
Indiens
D'après lé huitième recensement national de 1941, il y
avait à cette date 118.316 Indiens dans le pays. Le recensement quinquennal départemental, effectué en 1949 par la
Division des affaires indiennes, a établi leur nombre à 136.407 ;
ces Indiens étaient répartis dans onze provinces et territoires
du Canada 3.
Le chiffre donné ci-dessus comprend tous les Indiens qui
relèvent de l'administration fédérale, y compris plusieurs
milliers de personnes d'origine aborigène qui ne vivent pas
dans les réserves. Toutefois, de nombreux autres Indiens sont
devenus citoyens de plein droit en vertu de la loi sur les Indiens
et ne sont plus considérés comme Indiens par la loi.
Il existe environ 600 collectivités indigènes ou « bandes » 4 ;
elles sont établies dans les réserves ou terres attribuées aux
1
Tulio LÓPEZ RAMÍREZ, op. cit., p . 152. I l existe dans les faubourgs de Maracaibo u n quartier indigène Guajiro appelé Ziruma.
2
Miguel ACOSTA SAIGNES : Esquema de las áreas culturales de Venezuela (Caracas,
Ministerio de Educación Nacional, 1949). Tirage à p a r t de la Revista Nacional de
Cultura (Caracas), n° 72, janv.-fév. 1949, p p . 11-12.
3
DEPARTMENT O F CITIZENSHIP AND IMMIGRATION : Report of Indian
Affairs
Branch for the Fiscal Tear ended March 31,1950 (Ottawa, 1951), pp. 55-56 et 78-83.
4
L a <t bande » est l'unité administrative de la population aborigène.
74
DÉFINITIONS ET DONNÉES PRÉLIMINAIRES
Indiens par le gouvernement fédéral. Le nombre de ces réserves
est d'environ 2.000. Près de la moitié de la population indienne
est établie dans le nord du pays.
Esquimaux
D'après le recensement de 1951, le Canada comptait
8.646 Esquimaux établis dans les Territoires du Nord-Ouest
et dans le nord de la province de Québec. A ce nombre doivent
être ajoutés 847 Esquimaux du Labrador, considérés comme
Canadiens depuis le recensement de 1941 1 . La majeure partie
d'entre eux vivent dans la frange septentrionale du continent
et sur les côtes de la baie d'Hudson et des îles de l'archipel
arctique. Il y a également quelques groupes d'Esquimaux à
l'intérieur du district de Keewatin, à l'ouest de la baie d'Hudson.
ETATS-UNIS
Indiens
Le recensement national de 1940 a permis de dénombrer
333.969 Indiens (0,3 pour cent de la population du pays), à
l'exclusion de la population autochtone du territoire de
l'Alaska. Ce chiffre comprenait environ 230 tribus disséminées
dans les 48 Etats et installées dans 175 réserves 2.
En 1943, le Bureau des affaires indiennes du ministère de
l'Intérieur signalait l'existence de 376.580 Indiens dans les
Etats-Unis proprement dits et de 32.750 aborigènes en Alaska
(11.385 Indiens, 15.716 Esquimaux et 5.649 Aléoutes) 3.
Selon le rapport sur le recensement de 1945, en janvier
1945, il y avait aux Etats-Unis proprement dits 393.622
Indiens sur une population globale d'environ 139.600.000
habitants 4 . En 1946, le directeur du Bureau des affaires
indiennes indiquait, dans son rapport annuel au secrétaire
d'Etat à l'Intérieur, que ses services protégaient les intérêts
de « plus de 400.000 Indiens, Esquimaux et Aléoutes 6 ».
La moitié environ de la population indienne des Etats-Unis
proprement dits vit dans les régions de l'ouest, et les trois
1
MINISTÈRE DES AFFAIRES EXTÉRIEURES, Division de l'information : Bulletin
hebdomadaire canadien, vol. VIII, n° 12, 26 janv. 1953, p. 9.
a
Voir, en annexe, le tableau LIX. Au sujet des réserves, voir carte X.
8
Statistical Supplement to the Annual Report of the Commissioner of Indian
Affairs for the Fiscal Year ended June 30, 1943.
* Chiffres donnés dans DEPARTMENT OF THE INTERIOR, United States Indian
Service : Tables of Hospitals, Schools, Population and School Census, tableau 3 :
a Indian Population in U.S. 1945 » (Washington, 1949).
6
IDEM, Bureau of Indian Affairs : Annual Report of the Commissioner... to the
Secretary of the Interior. Fiscal Tear Ended June 30, 1946, p. 351.
DONNÉES DÉMOGRAPHIQUES ET GÉOGRAPHIQUES
75
quarts dans l'ouest et le sud du pays. L'un des groupes les
plus importants, les Navajo (environ 45.000 individus), est
établi dans une immense réserve de 62.400 kilomètres carrés,
située dans le nord-est de l'Arizona et qui s'étend au-delà des
frontières de cet Etat dans le Nouveau-Mexique et l'Utah.
On a estimé que près de 60 pour cent de la population
indigène des Etats-Unis proprement dits sont de race pure ;
la population métisse a toutefois tendance à augmenter. Le
degré de métissage varie d'une région à l'autre. C'est ainsi
que 97 pour cent des indigènes des Etats du Nouveau-Mexique
et de l'Arizona seraient de pure race, tandis que dans le Minnesota cette proportion n'atteindrait que 17 pour cent. Les
Indiens du Nevada montrent une certaine propension à s'unir
avec des Blancs, tandis que les Apache, les Pueblo, les Navajo
et les Papago du Sud-Ouest se caractérisent par leur tendance
à maintenir intacte la pureté de leur sang *. Le degré d'assimilation culturelle varie également d'un groupe à l'autre,
d'une région à l'autre. Par exemple, dans la région des Grands
Lacs, les Indiens ont adopté la culture des Blancs au point
d'abandonner presque entièrement leur langue indigène. E n
revanche, les Navajo et les Papago se servent de préférence de
leur idiome, bien que beaucoup d'entre eux parlent également
l'anglais. Nombreux sont les Pueblo du Nouveau-Mexique qui
parlent trois langues : leur dialecte, l'anglais et l'espagnol.
En 1942, le National Indian Institute signalait que « la
population aborigène des Etats-Unis augmente à l'heure
actuelle à raison de 1 pour cent par année, tandis que le reste
de la population augmente de 0,7 pour cent 2 ». Selon d'autres
études, la population aborigène atteindra à la fin de ce siècle
à peu près le chiffre qui était le sien, suppose-t-on, à l'époque
de la découverte (environ 800.000). En 1875, il n'y avait que
270.000 Indiens. Le taux de mortalité des Indiens a diminué,
tombant de 27 pour mille en 1929 à 14 pour mille en 1940.
On constate le contraire en ce qui concerne les Esquimaux,
dont le nombre ne cesse de diminuer par suite d'un taux de
mortalité infantile élevé et d'une stérilité croissante.
Esquimaux
Les Esquimaux (dont on comptait 15.716 en 1943) sont
éparpillés sur un territoire de plus de 5.000 kilomètres carrés,
1
NATIONAL INDIAN INSTITUTE : Indians
1942), p . 2.
2
Ibid., p. 7.
of the United States
(Washington,
76
DÉFINITIONS ET DONNÉES PRÉLIMINAIRES
entre la côte de la mer de Behring, le cours inférieur du Yukon
et la vallée du Kuskohwim. Dans leurs déplacements, ils vont
même au-delà du détroit de Smith à 80 degrés de latitude nord.
Asie
Sur les pays indépendants de l'Asie, malgré l'importance
des populations autochtones non encore assimilées, le Bureau
international du Travail ne dispose pas pour le moment
d'autres informations que celles qui, dans les pages ci-après,
sont données au sujet du type, de l'importance numérique et
de la répartition géographique des tribus les plus importantes
de quelques-uns des pays d'Asie.
BIRMANIE
Les régions dites « séparées » ou « partiellement séparées »
(excluded ou partially excluded areas) couvrent 43 pour cent
de la superficie du pays et abritent près de 14 pour cent de
l'ensemble de la population. On appelle « séparées » les régions
où le degré de civilisation de la population est autre que dans
le reste du pays et où « il serait nécessaire de modifier radicalement, voire d'abandonner, les coutumes particulières aux tribus
si l'on veut faire participer ces populations à la vie politique
de la Birmanie ». Les régions « partiellement séparées » sont
celles qui ont adopté, dans une mesure plus ou moins grande,
le genre de civilisation qui prédomine dans les autres parties
du pays. Ces régions entièrement ou partiellement séparées
sont administrées par un service frontalier créé à cet effet.
Les régions « séparées » sont les suivantes : 1) les Etats
Shan, fédérés ou non fédérés ; 2) la région des monts Arrakan ;
3) les districts des montagnes Chin ; 4) certaines régions des
monts Kachin, dans les districts de Myitkina, de Bhamo et
de Katha ; 5) la zone du Somra ; 6) la région connue sous le
nom de « Triangle » ; 7) la vallée de Hukawng ; 8) le district
de la Salouen ; 9) toutes les régions où il n'existe aucune
administration et où vivent des tribus.
Les régions « partiellement séparées » sont : 1) les districts
de Myitkina et de Bhamo, à l'exception des zones Kachin ;
2) la subdivision de Homalin et une partie de la subdivision
de Mawlaik dans le district du haut Ohindwin ; 3) le district
de Kyaian et le cercle de Myawaddy dans le district de Kawkareik, ainsi que certaines parties des régions montagneuses
DONNÉES DÉMOGRAPHIQUES ET GÉOGRAPHIQUES
77
des Karen dans le district du Toungou oriental et dans le
district de Thaton x.
Le recensement de 1931, dans la partie consacrée aux
« tribus qui s'adonnent à l'agriculture, à la chasse, à la pêche
et à diverses industries (genre d'occupation non spécifié)»,
donne pour la Birmanie les chiffres qui apparaissent à la
colonne A du tableau ci-après. Quant à la colonne B, elle
indique la répartition des groupes linguistiques du pays
autres que les Birmans, les Chinois et les Malais.
TABLEAU H E . — BIRMANIE : IMPORTANCE NUMÉRIQUE
DES TRIBUS ET DES GROUPES LINGUISTIQUES
Tribu
Colonne A
Colonne B
348.994
343.854
Groupe Mon-Khmer :
165.917
10.465
Wa
J
176.024
305.294
Groupe Thaï :
Shan
Mro
Karen
Naga
Sak (Lui)
Salon
Singpho, Kachin
Lolo-Muhso
Man
' . . . . .
Total . . .
1.121
900.204
13.766
1.367.673
4.224
51.220
1.930
153.345
93.214 !
951 !
3.113.624
1.021.917
14.094
1.341.066
4.201
35.237
153.897
93.052
947
3.489.583
Source : Colonne A : Census of India, 1931 (Delhi, 1933), vol. I : India, partie II, tableau XVII,
pp. 522-523. Voir ci-dessous, note 1. Colonne B : Burma Census, vol. X I de Census of India, 1931
(Rangoon, Bennison, 1933), pp. 193-200, cité par J. LeRoy CHRISTIAN, op. cit., p. 14.
1
Census of India, 1931, vol. I : India, partie II, tableau XVIII, p. 548.
E n ce qui concerne la répartition par langue, un expert
en la matière fait observer que «le classement fondé sur la
langue, critère qui joue un rôle de première importance lorsqu'on l'emploie comme seule base de travail, peut conduire
— et a d'ailleurs conduit — à de nombreuses erreurs dans la
classification des races en Birmanie » 2 . On ne peut dire si
1
J. LeRoy CHRISTIAN : Modem Burma, A Survey of its Politicai and Economie
Development (Berkeley et Los Angeles, University of California Press, 1942),
pp. 106-108.
a
J. H. GKEEN: «A Note on the Indigenous Races of Burma», dans Census
of India, 1931, vol. I, partie I I I B (notes ethnographiques publiées sous la direction de J. D. HUTTON) (Simla, 1935), p. 170.
78
DÉFINITIONS ET DONNÉES PRÉLIMINAIRES
notre définition empirique d'une population aborigène s'applique aux Shan et aux Karen : en effet, ces populations peuvent avoir évolué depuis le recensement de 1931 et s'être intégrées, jusqu'à un certain point, dans la vie de la Birmanie.
On a dit des Shan qu'ils constituaient une population « pacifique » 1 , et les Etats Shan, fédérés ou non fédérés, sont classés
administrativement dans la catégorie des « régions séparées ».
Quant aux Karen, dont les deux groupes principaux, les Sgaw
et les Pwo, sont à peu près égaux en nombre et comprennent
la majeure partie du million et demi d'individus que compte
cette population, ils vivent dans le delta de l'Iraouaddi, dans
la vallée du Sittang et dans la région de Tenasserim, dans
l'Etat Karenni. Beaucoup d'entre eux en sont encore à un
stade primitif d'existence, bien que les Sgaw entretiennent
des contacts permanents avec les missionnaires baptistes américains depuis plus d'un siècle et que les Pwo évoluent vers le
bouddhisme et tendent à adopter la civilisation birmane 2.
Les Chin, cultivateurs du nord de la Birmanie, vivent dans
les montagnes dans la partie septentrionale du Somra, sur la
partie supérieure du lac Chindwin et au sud du district de
Basseïn. On a signalé qu'« un grand nombre de Chin du Sud
sont descendus ces dernières années vers les terres récemment
ouvertes à la culture du riz, dans la plaine de l'Iraouaddi et
même dans la partie orientale de la vallée de ce fleuve 3 » et
que certains d'entre eux se sont convertis au bouddhisme et
assimilent petit à petit la civilisation birmane. Au contraire,
la région nord des montagnes Chin demeure l'une des zones
les plus retardées de la Birmanie et l'on considère que ses
habitants sont « animistes et s'adonnent avec excès à la
consommation de liqueurs fortes et à d'autres vices 4 ». La
population Kachin enregistrée lors du recensement de 1931
dépassait légèrement 150.000 individus ; en 1944, on a calculé
qu'elle avait atteint 400.000 personnes, y compris les habitants
des régions dans lesquelles le recensement n'avait pas été
effectué 5 . Il s'agit, dit-on, d'une population primitive et
guerrière qui vit principalement au nord et au nord-ouest de
1
J. LeRoy CHRISTIAN, op. cit., p. 10.
2
Ibid., pp. 10 et 19 ; J. R. ANDRUS : Burmese Economie Life (Stanford, Californie, Stanford University Press, 1947), p. 30 ; et John F . CADY : « Burma »,
The Development of Self-Rule and Independence in Burma, Màktya and the Philippines (New-York, American Institute of Pacific Relations, 1948), partie I, pp. 9-10.
3
4
6
John F. CADY, op. cit., p. 13.
J. LeRoy CHRISTIAN, op. cit., p. 19.
N. H. STEVENSON : The Hill Peoples of Burma (Londres, Longmans, 1945).
DONNÉES DÉMOGRAPHIQUES E T GÉOGRAPHIQUES
79
Lashio, à proximité de Bhamo et au nord de la vallée de
Hukawng, bien qu'on rencontre également des Kachin à
Kengtung et dans les Etats Mong Mit 1 . Quant aux Wa, ils
sont vraisemblablement plus nombreux que ne le signale le
recensement et ils « constituent sans aucun doute la population
la moins civilisée de Birmanie 2 ». Ils vivent dans le nord-est
des plateaux Shan, mais on les rencontre également de l'autre
côté de la frontière, en Chine. Dans son livre, J . L. Christian
déclare que la Birmanie ne possède pas de « population vraiment primitive au sens anthropologique du terme ». Mais, étant
donné que les Wa pratiquent la culture saisonnière en se déplaçant selon les saisons, il ne semble pas douteux que cette
population ne soit effectivement un groupe primitif. Les
Palaung, qui, dans bien des cas, sont semblables aux Wa,
vivent à l'extrémité nord-ouest du pays, à Tawnpeng surtout,
et les Pedaung dans l'Etat Karenni. On trouve quelques
autres tribus, moins nombreuses, dans les montagnes qui
forment la frontière avec l'Inde, la Chine et la Thaïlande, dans
les régions « séparées » ou « partiellement séparées » qui s'étendent sur une superficie de près de 295.000 kilomètres carrés.
CETLAN
Les derniers descendants de la population primitive de
Ceylan, les Vedda, seraient peut-être 6.000 au total à l'heure
actuelle, bien que le recensement officiel (1946) ne donne que
le chiffre de 2.361 personnes dont 1.866 vivaient à Batticaloa,
127 à Anuradhapura et 351 dans les districts de Badulla.
Beaucoup d'entre eux vivant dans les forêts inaccessibles de
l'est de l'île, dans un état primitif, il est impossible d'en déterminer le nombre exact. Après avoir enregistré une augmentation entre le recensement de 1881 et celui de 1911 (2.228 en
1881, 5.332 en 1911), leur nombre a diminué, tombant à 4.510
en 1921 et, en 1946, au chiffre précité 3 .
Il existe, en outre, de petits groupes Bodiya (un peu moins
de 2.000) et Kinnaraya (près de 700) ; les premiers vivent
dans six districts des provinces du Centre et du Nord-Ouest,
tandis que les seconds se sont établis dans les provinces du
Centre, du Nord-Ouest, de l'Ouest et de Sabaragamuwa. On
1
J . L e R o y CHRISTIAN, op. cit., p . 20, e t J . R. A N D R U S , op. cit., p . 3 3 .
a
Ibid., p . 31.
3
D E P A R T M E N T O F CENSUS AND STATISTICS : Census
of Ceylon, 1946, vol. I ,
partie I I : Statistical Digest (Colombo, 1951), tableaux 26, 26 a) e t 28.
80
DÉFINITIONS ET DONNÉES PRÉLIMINAIRES
trouve également une petite colonie d'environ 80 Eodiya aux
environs de Colombo 1.
INDE
Parmi les populations aborigènes de l'Asie sur lesquelles
on dispose de renseignements plus ou moins détaillés, la plus
nombreuse est celle de l'Inde. Le problème de l'identification
et de l'énumération des groupes qui la composent a prêté à
de vives controverses, qui ont porté tant sur les origines, les
migrations, le mode de vie, le nombre de ces aborigènes que
sur l'influence que les Hindous ou d'autres éléments de la
population ont pu ou non exercer sur ces peuplades ou subir de
la part de celles-ci. Certaines déclarations récentes relatives à
leur nombre insistent sur l'inexactitude des chiffres donnés
par le recensement de 1941 : « Les Adivasis, ainsi qu'on les
appelle à l'heure actuelle, sont au moins 30 millions, selon
l'opinion des participants à la dernière réunion du Congrès
scientifique de l'Inde... Comme ces populations sont, depuis
des siècles, en voie d'assimilation et d'acculturation et comme
le recensement ne donne sur les Adivasis que des renseignements peu sûrs, il serait plus exact de dire que, si l'on envisage
la question sous son aspect ethnique, il y aurait lieu de quadrupler les chiffres relatifs aux tribus figurant dans le recensement 2 ». Pour un autre auteur, « les chiffres indiqués dans le
recensement de 1941 pour ces populations sont sujets à caution
puisque, dans certains totaux, on a confondu les aborigènes et
les « intouchables ». Le nombre des premiers pourra être établi
lorsqu'on connaîtra les résultats du recensement de 1951. Quoi
qu'il en soit, il doit avoir augmenté, parallèlement à l'accroissement de la population en général et au même rythme, pendant les vingt dernières années. Le chiffre de 25 millions ne
doit pas être loin de la réalité. Les aborigènes et les Harijans,
que l'on appelle aussi «intouchables», n'ont rien de commun,
car intouchables et Hindous ont la même origine ethnique 3 ».
D'autre part, les adversaires de cette thèse font valoir « qu'il
serait préférable de parler de populations hindoues arriérées
plutôt que d'animistes et d'aborigènes 4 ».
1
Communication du gouvernement de Ceylan, juilL 1952.
Jaipal SINGH : « Development and Adivasis », Asian Labour (Indian Labour
Forum, New-Delhi), vol. I, n° 4, janv. 1950, p. 52.
3
S. CHANDRASEKHAB : India's Population : Fact and Policy (Chidamabram,
Annansalai University, Indian Institute for Population Studies, 1950), pp. 39-40
et 44.
4
G. S. GHUBYE : The Aborigines—So-called—And Their Future (Poona, Ghokale Institute of Politics and Economics, 1943), p. 24.
2
DONNÉES DÉMOGRAPHIQUES E T GÉOGRAPHIQUES
81
Selon une déclaration officielle sur le statut social des
aborigènes, « les tribus qui figurent sur la liste spéciale (scheduled tribes) souffrent de certains désavantages sociaux.
Cependant, ces désavantages sont absolument étrangers à la
malédiction qui pèse sur les intouchables. Ils proviennent du
fait que ces tribus ont été constamment séparées du reste de
la société, que l'on ne s'est jamais sincèrement occupé d'elles
et que l'on ne s'est jamais employé à comprendre leur culture
et leur mode de vie. C'est une honte pour ceux qui s'enorgueillissent de l'antique patrimoine de la civilisation de l'Inde
que de laisser ces tribus dans leur situation actuelle, en les
exploitant chaque fois que cela est possible 1 ».
Le gouvernement de l'Inde a fait connaître quelques
chiffres qui permettent au moins de se faire une idée de la proportion des aborigènes par rapport à la population totale.
En 1931, les tribus primitives groupaient 24.613.848 aborigènes (22.615.708, si on en retranche la population de la Birmanie). D'après les résultats du recensement de 1941, les aborigènes étaient 24.819.237 2 dans les régions correspondant à
l'actuelle République de l'Inde (c'est-à-dire dans la péninsule
indienne à l'exception des régions qui constituent actuellement
le Pakistan). Ce chiffre représente 7 pour cent de la population
globale du pays.
Selon les chiffres du recensement de 1941, les groupes les
plus importants sont les suivants :
TABLEAU XIV.
INDE : PRINCIPALES
TRIBUS
Importance
numérique
Répartition par Etats
Gond
3.201.004
Santal
Bhü
2.732.266
2.330.270
Oraon
Kond
Munda
1.122.926
744.904
706.809
10.838.239
Bihar, Bombay, Madhya Pradesh, Madras, Orissa, Haïderabad, Madhya
Bharat.
Bengale, Bihar, Orissa, Madhya Pradesh.
Bombay, Madhya Pradesh, Haïderabad,
Rajasthan, Madhya Bharat, Saurashtra.
Bengale, Bihar, Orissa, Madhya Pradesh.
Madras, Orissa, Madhya Pradesh.
Bengale, Bihar, Orissa, Madhya Pradesh.
Tribu
Total . . .
Source : DEPARTMENT OP COMMERCIAL INTELLIGENCE AND STATISTICS : • Statistics of Selected
Tribes, compiled from the All-India Census Report, 1941 •, Statistical Abstract for British
from 1936-37 to 1940-41 (Delhi, 1948), pp. 19-21.
1
India,
L . M. S H B Œ A N T : Report of the Commissioner for Scheduled Castes and Sche-
duled Tribes for the Period ending 31st December 1951, op. cit., p . 15.
2
CONSTITUENT ASSEMBLY OP I N D I A : Statistical Handbook No. 1, deuxième édi-
tion, 1947 : The Population
of India According to
Communities.
82
DÉFINITIONS ET DONNÉES PRÉLIMINAIRES
D'autres tribus — plus de 180 — comptent moins de
500.000 membres chacune. Il en est fait état dans les ordonnances de 1950 et 1951 x sur les tribus qui doivent se considérer comme protégées en conformité de l'article 342 de la
Constitution. Le recensement de 1951 a révélé que la population représentée par ces tribus s'élevait à 19.136.250 habitants.
Il n'existe pas d'autres données récentes sur les autres groupes
aborigènes 2.
La répartition géographique des aborigènes de l'Inde,
d'après des renseignements officiels, correspond à trois régions
principales : en premier lieu l'Assam, y compris les zones montagneuses de l'Himalaya et de la frontière birmane, et celles
du Khasi central et du Garo ; en deuxième lieu, l'Inde centrale,
surtout la région de Chhota ÏTagpur et Chhatisgarh jusqu'à
Santal Parganas à l'est, Haïderabad au sud et la zone
Radjpoutana-Goudjerate avec une forte population Bhil à
l'ouest et au nord-ouest ; en troisième lieu, l'Inde méridionale,
spécialement au sud des Ghâtes occidentales, où vivent
diverses tribus aborigènes sylvicoles montagnardes 3.
Ce système général de répartition géographique peut se
préciser de façon plus détaillée : Les régions les plus vastes
habitées par ces groupes se trouvent dans la région du Centre,
qui comprend le grand plateau de Chhota Nagpur, s'étendant
au nord au-delà de Santal Parganas jusqu'au Gange dans la
région de Eajmahal. Au sud, ce massif se prolonge par les
chaînes de montagnes qui séparent l'Etat d'Orissa de la partie
orientale des Provinces centrales (actuellement Madhya Pradesh), entoure le plateau de Chhatisgarh et s'abaisse au sud
jusqu'au God avari inférieur. A l'ouest de Chhota Nagpur, la
région montagneuse passe au sud de Shahabad et de Mirzapur,
entourant la chaîne de Kaimur et celle de Vindhya jusqu'à
Udaipur (Newar) et aux monts Aravalli. Presque parallèlement
au sud du fleuve ÏTarbada se trouvent les monts Mahadeo et
les chaînes de Satpura de Bérar et de Khandesh qui arrivent
jusqu'à la zone boisée du Goudjerate oriental. A l'extrémité
occidentale de cette zone centrale commence la Cordillère de
Sahyadri ou des Ghâtes occidentales qui, jusqu'à Bhor, est
habitée par des tribus peu nombreuses de la même race que les
1
The Constitution (Scheduled Tribes) Order, 1950, et The Constitution (Scheduled Tribes) (Part C States) Order 1951.
2
Communication du correspondant du B.I.T. dans l'Inde. Pour plus de détails
sur les résultats de ce recensement, voir le tableau XXXVT.
3
Communication du gouvernement de l'Inde, mars 1950.
DONNÉES DÉMOGRAPHIQUES ET GÉOGRAPHIQUES
CARTE
VI.
—
INDE :
POURCENTAGES
TRIBUS DANS LA POPULATION
REPRÉSENTÉS
AVANT DÉCLARÉ U N E
EN 1931
83
PAR
LES
RELIGION
1
Source : Kingsley DAVIS : The Population 0/ India and Pakistan (Princeton, Princeton
University Press, 1951), p. 192.
1
II convient de noter qu'en 1931, la classification était fondée sur la religion tribale ; en
1941, cette catégorie a été abandonnée et remplacée par une autre, fondée sur l'origine tribale,
sans distinction quant à la religion. En 1951, on a noté une forte baisse dans le nombre des personnes recensées parmi les aborigènes, du fait qu'un grand nombre de celles-ci ont déclaré appartenir à la religion hindoue ou chrétienne et n'ont pas, de ce fait, été classées comme appartenant
à des tribus.
populations aborigènes déjà mentionnées et présentant les
mêmes caractères. Après une zone sans aborigènes, la région
où l'on rencontre de nouveau des tribus primitives est celle
des Nilgiris, y compris la langue de terre séparant l'Etat de
84
DÉFINITIONS ET DONNÉES PRÉI.TMTNATBJES
Travan core de la côte orientale. Les versants occidentaux des
Aravalli et le plateau Malwa forment la zone occidentale où
sont établies les tribus montagnardes. On trouve encore des
tribus de ce type dans d'autres régions, tout le long des terres
frontières d'Asie, du Baloutchistan à la côte orientale du
Bengale. Aux alentours de quelques-unes des régions ethniques
des terres basses de l'Inde, on peut rencontrer soit des langues
de terre, soit des zones montagneuses habitées par des peuples
à culture primitive 1.
Les divers groupes formant la population aborigène de
l'Inde vivent, à des degrés divers, dans des conditions primitives en ce qui concerne le logement, les moyens de communication, les relations avec les autres groupes de la population
nationale, les migrations, etc. Les tribus diffèrent les unes
des autres par leur origine ethnique aussi bien que par la
langue, les coutumes sociales et religieuses, même si ces dernières ont été influencées jusqu'à un certain point par les
peuplades voisines.
On estime que sur 25 millions d'aborigènes, 5 millions seulement vivent dans les montagnes complètement séparés du
reste de la population ; la proportion la plus forte de ces
habitants autochtones est donc en voie d'assimilation 2. Il faut
remarquer que ces derniers, même lorsqu'ils se sont adaptés à
la vie dans la plaine, gardent encore quelques-unes de leurs
coutumes propres (règles sur le mariage, la succession, etc.),
comme c'est le cas, par exemple, pour les aborigènes de l'Etat
d'Orissa et de Chhota Nagpur (Bihar), les Gonds de Madhya
Pradesh et les Bhils de Bombay 3.
INDONÉSIE
Les anthropologistes pensent qu'une grande partie du territoire formant la République d'Indonésie est habitée par des
groupes primitifs, dont quelques-uns s'adonnent à la chasse
au petit gibier et à l'agriculture primaire ; d'autres sont des
« bohémiens des mers ». D'après les données statistiques officielles dont on dispose sur les groupes ethniques d'Indonésie,
la population aborigène se monte à environ 16 millions d'âmes.
1
W. H. GILBEBT, Jr. : Peoples of India (Washington, Smithsonian Institution,
1944) (War Background Studies, n» 18), p. 55.
2
Introduction, par A. V. THAKKAR, du Report of the Conference of the Social
Workers and Anthropologists, oct. 1949.
3
CONSTITUENT ASSEMBLY OF INDIA, Excluded and Partially Excluded Areas
(other than Assam) Subcommittee : Report, 1947, p. 14.
DONNÉES DÉMOGRAPHIQUES ET GÉOGRAPHIQUES
85
On peut, en l'absence de renseignements plus complets, établir,
— comme cela s'est fait en 1930 — une liste des tribus primitives habitant le pays et évaluer leur densité de la manière
suivante.
TABLEAU XV. — INDONÉSIE : REPARTITION NUMERIQUE
DE LA POPULATION ABORIGÈNE, 1 9 3 0 .
Tribu 1
Sumatra :
Kubu (Ninangkabau) . .
Buginese
Battak
Malais de Pedang . . .
Achinese
Palembangan
Importance
numérique
Pourcentage
de la
population
totale
1.988.648
1.533.035
1.207.514
953.397
898.884
831.321
770.917
659.477
3,36
2,59
2,04
1,61
1,52
1.41
1,30
1.12
651.391
1,10
642.720
557.590
1,09
0,94
5.641.332
9,54
Bornéo :
Dyak
Célebes :
Toraja
Autres groupes
Total . . .
16.336.226
Source : DEPARTMENT VAN ECONOMISCHE ZAKEN, Central Kantoor voor de Statistiek:
Statistisch Zakboekje voor Nederlandsche Indie, 1940 (Batavia, Kolff, 1941), tableau 12.
1
L'orthographe originale du nom des tribus a été conservée dans la plupart des cas, en
l'absence d'une orthographe française bien déterminée.
PAKISTAN
L'évaluation du nombre des aborigènes de ce pays — après
la séparation de l'Inde et du Pakistan — se fonde sur des
déductions et des suppositions ; en effet, les recensements
effectués auparavant ne tiennent pas compte de certaines régions
faisant actuellement partie du Pakistan ; de plus, certains
calculs contradictoires partant de bases différentes ont été
faits sur ces populations tribales.
Le recensement de l'Inde de 1941 donne pour les provinces
et divisions qui forment actuellement le Pakistan une popula-
86
DÉFINITIONS ET DONNÉES PRÉLIMINAIRES
tion aborigène de 457.950 âmes 1, alors que certaines autres
sources fixent ce total à environ 1 million. Les chiffres provisoires du recensement de 1951 au Pakistan publiés jusqu'à
maintenant n'établissent pas de distinction entre les aborigènes
et le reste de la population ; il est cependant précisé que ce
recensement ne comprend pas le Jammu et le Cachemire (la
délimitation de leur territoire faisant encore l'objet d'un litige
entre l'Inde et le Pakistan), ni les régions de Junagadh, Manavadar, Gilgit et Baltistan, qui sont fort probablement habitées
par quelques tribus aborigènes et nomades. En fait, Symonds
mentionne spécialement les Mir de Hunza et de Nagar, dans les
régions de Gilgit et du Baltistan, où le « Pakistan a étendu une
autorité de fait sur les tribus et chefs de tribus 2 ».
Le recensement de 1951 ne fournit pas de données précises
sur les tribus de la région de Chittagong. Cependant, le ministère du Travail du Pakistan, se référant, en une communication adressée au Bureau international du Travail le 15 décembre 1952, à la population aborigène de cette région de la
province du Bengale oriental, signale qu'il y existe dix tribus
sylvicoles dont la composition paraît être la suivante :
TABLEAU XVI. — PAKISTAN : TRIBUS SYLVICOLES
DE CHITTAGONG
Tribu
Importance numérique
Chakma
Magha
Tripora
Kuki
Lushai
Khyang
Mro
Khomi
Chak
Tanohangya
Total calculé . . .
PHILIPPINES
110.000
78.000
29.254
5.000
3.100
1.200
12.000
175
1.000
10.000
249.729
La population aborigène est formée de plusieurs groupes
ethniques qui diffèrent par la langue et la religion et qui
vivent dans des conditions sociales et économiques fort diverses.
On peut citer parmi ces groupes, comme les plus nombreux et
les plus avancés, les Moro et les Igorrot. Les Igorrot sont
établis surtout dans l'île de Luçon (provinces de la ÏTouvelle1
Census of India, 1941 (Delhi, 1943), partie I, tableaux.
* Richard SYMONDS : The Making of Pakistan (Londres, Faber and Faber,
1949), pp. 140-141.
DONNÉES DÉMOGRAPHIQUES E T GÉOGRAPHIQUES
87
Biscaye et de Mountain) ; on trouve les Moro surtout dans l'île
de Mindanao (provinces de Cotabato, Davao, Bukidnon,
Soulou, Lanao, Agusan et Zamboanga).
Quelques-uns des groupes restants sont établis dans des
localités éloignées des centres alors que d'autres vivent en
nomades dans les régions inaccessibles du pays, surtout dans les
forêts et les montagnes des diverses provinces. Les Tinggian
se trouvent dans la province d'Abra, les Negrito ou Aeta dans
les régions de Bataan et Zambales, les Dumagat et les Ilongot
à Quezon (anciennement Tayabas), les Magyan à Mindoro ;
les Tagbuana et les Palaweño à Palaouan ; les Manobo dans la
région d'Agusan et les Bogobo à Davao 1.
En 1901, on classait ces populations comme « païennes » ;
le recensement de 1918 les désignait par l'expression « non
chrétiennes » et celui de 1948 distinguait les Moro (Maures) et
les « païens et autres personnes sans religion ».
Selon ces définitions, en 1901 on a recensé 504.000 « païens »,
en 1918, 821.000 « non-chrétiens » (dont 402.790 « païens ») et,
en 1948, 791.817 Moro et 353.842 « païens et autres personnes
sans religion ».
En 1918, un professeur d'anthropologie et d'ethnologie de
l'Université des Philippines a fait une étude montrant qu'un
grand nombre de tribus « païennes » possèdent une culture
définie qui permet de les classer comme populations semicivilisées. Les groupes véritablement primitifs qui vivent
surtout dans les grandes forêts et les régions montagneuses
éloignées étaient dispersés dans une vaste zone, mais ne comptaient pas au total plus de 200.000 âmes. Le même auteur
répartit ces populations en trois groupes : les Pygmées (connus
généralement sous le nom de Negritos), les Indonésiens et les
Malais 2.
Chez les Pygmées, on rencontre trois types métissés :
a) les Negrito proprement dits, qui ont sans doute des affinités
négroïdes, b) les Proto-Malais, à fortes affinités mongoliques,
c) les Australoïdes-Aïnous, qui constituent un type intermédiaire entre l'aborigène australien et l'Aïnou du nord du Japon.
Ces populations vivent surtout dans les zones montagneuses
et boisées d'Apayao, d'Ilocos et de Zambales, dans les régions
occidentales et méridionales de l'île de Luçon, ainsi qu'aux
Visayas et à Mindanao. E n 1939, les Pygmées ou Negritos
1
Communication du gouvernement des Philippines, mars 1950.
H . O. B E Y E R : « The Non-Christian People of the Philippines », Census of the
Philippine Islands, 1920 (Manille), vol. I I .
2
88
DÉFINITIONS ET DONNÉES PRELIMINAIRES
étaient au nombre d'environ 29.000. Le correspondant du
B.I.T. à Manille estimait cependant en août 1951 qu'ils devaient
alors être moins nombreux, « car les tribus primitives du pays
sont en voie de disparition graduelle ».
Le groupe indonésien se trouve dans la partie méridionale
de Luçon, dans les îles Visayas, dans les régions occidentales
et centrales de Mindanao, dans la péninsule Zamboanga et
dans l'archipel de Jolo. Il faut mentionner comme faisant
partie du groupe indonésien les groupes ethniques ci-après:
Ibanog, Gaddang, Katinga, Apoyao (Luçon) ; Visayas, Tagbunua (îles Visayas) ; Bukidnon, Manobo, Mandaya, Ismal,
Ata, Bagobo, Kulaman, Tagakaolo, Bilaan, Tiruran (Mindanao) et Bajao (archipel de Jolo).
Le groupe malais est divisé en deux sous-groupes importants : les Malais « païens » et les Malais « mahométans ». Parmi
les premiers, on trouve les Tinggian, les Bontok, les Igorrot
et les Ifugao (régions montagneuses de l'intérieur dans le nord
de l'île de Luçon). Les seconds, fixés principalement dans
l'archipel de Jolo, dans la région méridionale de Palaouan et
dans les provinces de Zamboanga, Cotabato et Lanao de l'île
Mindanao, comprennent les Moro de Samal, Lanao et Soulou.
On ne connaît pas encore les résultats complets du recensement de 1948, mais les tableaux statistiques de la population
classée par langue maternelle et par dialecte sont déjà en cours
de préparation ; ils permettront d'établir de façon plus exacte
la densité et la répartition de la population « non chrétienne ».
Néanmoins, le tableau LX, en annexe, qui fait apparaître
la classification par religion, indique approximativement la
densité et la répartition des Moro et des « païens vivant aux
Philippines. Les Moro se trouvent particulièrement dans les
provinces de Cotabato, Lanao, Soulou et Zamboanga, alors
que les « païens » comprenant les Tinggian, les Bontok, les
Igorrot et les Ifugao sont établis dans la région montagneuse
se trouvant à l'intérieur de la partie septentrionale de Luçon
et les Tagbuana à Palaouan. Diverses autres tribus « non
chrétiennes » sont disséminées dans d'autres provinces 1.
THAÏLANDE
Les données statistiques récentes font également défaut
au sujet de la Thaïlande, et les chiffres cités dans cette étude
doivent être considérés comme un minimum. En effet, la
1
Communication du gouvernement des Philippines, juin 1950.
DONNÉES DÉMOGRAPHIQUES ET GÉOGRAPHIQUES
89
population totale dénombrée par le recensement de 1920 était
d'environ 10 millions d'habitants, alors qu'actuellement on
l'estime à plus de 18 millions. Les chiffres concernant les tribus
datent pour la plupart de 1920.
TABLEAU XVII. — THAÏLANDE : IMPORTANCE NUMÉRIQUE
DES TRIBUS, 1 9 2 0
Groupe
Importance numérique
Khmer
Malais
Mon
Karen
Divers autres
Total . . .
450.000
400.000
60.000
60.000
600.000
1.570.000
1
D'après Graham , la répartition géographique de ces
groupes est la suivante : les Semang du Siam comptent
environ 6.000 âmes au total et vivent dans les montagnes
qui bordent les districts de Chaiya, Sôngkla et Pattani. Les
Lawa sont des tribus montagnardes fixées dans les cordillères
frontières de l'ouest et du sud-ouest du Siam septentrional.
Les Kamuko, les Kämet, les Lamet, les Ka bit, les K a hok
et les Paï sont des tribus des montagnes, étroitement apparentées, établies en partie dans les chaînes de îfuang nan à
l'est du Siam septentrional. De nombreux membres de ces
tribus (que les Siamois désignent sous le nom de Ka ou Kaché,
expression qui à l'origine signifiait « esclave ») ont atteint un
certain degré de civilisation grâce aux contacts prolongés et
étroits qu'ils ont eus avec les Laotiens et les Siamois ; ils ont
embrassé le bouddhisme et adopté divers usages et coutumes
de leurs voisins. Par contre, les autres membres de ces tribus,
c'est-à-dire la majorité, demeurent dans les conditions arriérées
et rudimentaires de leurs prédécesseurs. Les Ohong forment
de petites tribus dispersées dans la chaîne de montagnes
située au nord de la province de Chantabun. On trouve u n
certain nombre de villages Meao dans la province de ]STan et
dans quelques autres régions du Siam septentrional. Les
Muhsö, auxquels on attribue une origine tibétano-birmane,
constituent une autre tribu très répandue. Ils vivent surtout
dans la région de Muang-Fang, à l'extrémité nord du Chieng
Mei, ou cirque Payap. Les Kaw, connus en d'autres lieux
sous le nom d'Akha, ne sont pas très nombreux au Siam.
Une tribu disséminée dans le sud-ouest du Yunnan, dans la
zone de Kachin (Birmanie) et dans la plupart des Etats Shan,
1
W. A. GRAHAM : Siam (Londres, A. Moring, Ltd., 1924), p. 114.
90
DÉFINITIONS E T DONNÉES PRÉLIMINAIRES
appelée Lishaw, est représentée a u Siam par deux ou trois
cents personnes seulement. Les Yao, ou Tao-yin, font partie
d'une tribu arrivée au Siam à une époque récente, et venant,
semble-t-il, des régions montagneuses du Nord et de la zone
située à l'est du Mékong. Quelques-unes de ces tribus se sont
établies dans les montagnes voisines de Chieng Sen, Chieng
Kawng et dans la province de Nam. Les Karen venus de Birmanie et qui au total comptent quelque 30.000 âmes vivent dans
les chaînes de montagnes de l'ouest et du sud-ouest du Siam 1.
Australasie
AUSTEALIE
D'après le recensement des aborigènes effectué en 1944
dans tous les Etats d'Australie, la Nouvelle-Galles du Sud
exceptée, la population autochtone comprend 71.895 personnes, dont 47.014 sont de « sang pur » et 24.881 métissées.
La plus grande partie de ces populations se trouvent en Australie occidentale, au Queensland et dans le Territoire du Nord 2.
Au moment de la première colonisation de l'Australie par
les Blancs, on évaluait la densité de la population aborigène à
plus d'un quart de million, répartie comme le montre le
tableau ci-dessous.
TABLEAU
XVm. —
AUSTEALIE : POPULATION
L O R S D E LA
Etats et territoires
Australie occidentale .
.
.
.
Victoria
Queensland
Nouvelle-Galles du Sud
Territoire du Nord
Tasmanie
. . .
Total . . .
Moyenne. .
ABORIGÈNE
COLONISATION
Importance
numérique
Superficie
(milles carrés)
Densité (nombre
de milles carrés
par personne)
52.000
10.000
11.500
100.000
40.000
35.000
2.500
975.920
380.070
87.884
670.500
310.372
523.620
26.215
18,8
38,0
7,6
6,7
7,8
15,0
10,5
251.000
2.974.581
11,9
Source : A. R. RADCLIFFE BROWN : « Former Numbers and Distribution of the Australian
Aborigines », Official Year-Book of the Commonwealth of Australia (Canberra, Commonwealth
Bureau of Census and Statistics, 1930), chap. XXIV, p . 696.
1
2
W . A. GRAHAM, op. cit., p p . 102-147.
Voir tableau L X I , en annexe.
DONNÉES DÉMOGRAPHIQUES ET GÉOGRAPHIQUES
CARTE
Vn.
—
AUSTRALIE : RÉPARTITION
91
GÉOGRAPHIQUE
DES ABORIGÈNES, 1 9 4 0 - 1 9 4 4
Colonies et stations du gouvernement.
Missions.
Réserves aborigènes.
MELBOURNE
m
(2)
(3)
(4)
(5)
(6)
(')
Aborigènes
Blancs
Métis
21.821
463.530
4.781
13.901
8.764
902
1.918.101
673
77
1.023.449
6.164
8.766
595.841
2.250
2.704
2.801.991
11.073
690
Insulaires du détroit de Torres : 3.727
Source : A. P . ELKIN : Citizenship for the Aborigines.
(Sydney, Australasian Publishing Co., 1944).
A National
Aboriginal
Policy
On a discerné une évolution constante dans la composition
de la population aborigène. Le nombre des personnes de
« sang pur » diminue rapidement, alors que la proportion des
métissés augmente presque au même rythme. Par exemple,
92
DÉFINITIONS ET DONNÉES PBÉLTMINAIBES
la population d'aborigènes « purs » en Nouvelle-Galles du Sud
a diminué de 25,88 pour cent de 1891 à 1901, de 46,74 pour
cent de 1901 à 1911 et de 20,6 pour cent de 1911 à 1921. Les
chiffres sont les suivants.
TABLEAU XIX. — NOUVELLE-GALLES DU SUD : ABORIGÈNES
ET MÉTIS
1882
Aborigènes de « sang pur » . .
Métis
1892
1902
1912
6.450 4.458 2.880 1.917
2.379 3.015 3.948 5.117
1921
1941
1.281
6.270
594
10.022
Source : Griffith TAYLOR : Environment and Hace, A Study of the Evolution, Migration,
Settlement and Status of the Haces of Man (Londres, Oxford University Press, 1927), p . 341. Les
données relatives à Tannée 1941 sont tirées de COMMONWEALTH BUREAU OF CENSUS AND STATISTICS : Official Year-Book, 194S-Í7, n» 37 (Canberra, 1949), p . 741.
NOUVELLE-ZÉLANDE
En septembre 1949, la population aborigène (maorie) du
Dominion comprenait 115.250 personnes, représentant 6,05 pour
cent de la population totale 1. Jusqu'en 1926, on a considéré
comme Européens les métissés de Maoris et d'Européens qui
vivaient à la manière européenne, alors que ceux qui avaient
des coutumes maories ont été classés comme aborigènes maoris ;
depuis le recensement de 1926, tous ces aborigènes ont été
classés comme faisant partie de la population maorie, quel que
fût leur genre de vie. A côté des Maori-Européens, il existe
de petits groupes de Maori-Chinois, de Maori-Indiens, de
Maori-Syriens et de Maori-Noirs. Près de 50 pour cent des
personnes considérées comme aborigènes sont des Maoris de
« sang pur ». D'après le recensement de 1948, ceux-ci se
trouvent presque tous dans le district provincial d'Auckland,
dans l'île septentrionale. Un groupe peu important de Maoris
de « sang pur » vit au nord de l'île méridionale.
La population maorie, qui a diminué depuis l'époque du
premier recensement, n'a cessé d'augmenter régulièrement
depuis 1901, passant de 45.549 à 115.250 en 1949. EUe était
revenue à 113.777 2 en 1951.
1
Communication du gouvernement néo-zélandais, février 1950. Les autres
données sur la population maorie sont extraites de CENSUS AND STATISTICS DEPARTMENT : New Zealand Official Year-Book, 1946 et 1947-1949 (Wellington, 1948
et 1950).
2
Chiffre provisoire du recensement de 1951, donné par le ministère du Recensement et de la Statistique.
DEUXIÈME PARTIE
Conditions de vie
NOTE
PBÉLIMINAIRE
Le niveau de vie d'un groupement humain dépend essentiellement de la coexistence de différents facteurs, au nombre
desquels on peut ranger : une offre suffisante des biens de
consommation indispensables, la possibilité matérielle de subvenir aux besoins essentiels (alimentation, logement, hygiène,
vêtement) x , l'existence de certains services d'assistance sociale
chargés non seulement de veiller à la santé de la collectivité
et de l'individu, mais d'assurer l'enseignement et l'éducation,
et, enfin, l'instauration de conditions de travail raisonnables,
capables d'exercer une influence heureuse sur la santé générale,
la régularité des revenus et la productivité.
En général, le niveau de vie des populations aborigènes
des pays indépendants est extrêmement bas et, dans la majorité des cas, considérablement inférieur à celui des couches
indigentes de la population non aborigène. Dans plusieurs
régions, on peut remarquer que les groupes autochtones
continuent de végéter dans des conditions de misère économique aiguë et que leur retard dans les domaines économique
et culturel limite considérablement leurs possibilités de production et de consommation. Cet état de choses est imputable
aux conditions primitives dans lesquelles ces groupes sont
obligés de gagner leur subsistance, au fait que rien ne les
encourage à s'instruire — et qu'ils n'ont d'ailleurs souvent
aucune possibilité de le faire — et à l'absence quasi complète,
dans certaines régions, de tout système d'assistance, de tout
service social et de toute mesure de protection des travailleurs 2.
Sans doute, la situation peut varier d'un pays à un autre,
voire d'une région à une autre au sein d'un même pays, en
fonction de divers facteurs d'ordre ethnique et climatique,
1
En ce qui concerne les Indiens d'Amérique, on trouvera un aperçu des principaux éléments ethnographiques et des manifestations les plus importantes de
la vie matérielle dans Luis PEBICOT Y GARCÍA : America Indigena, op. cit.,
pp. 110-160, et les notes bibliographiques correspondantes. Voir également C. Daryll
FORDE : Habitat, Economy and Society. A Geographical Introduction to Ethnology
(Londres, Methuen and Co., 1949).
2
II convient de noter dès l'abord que, dans la majorité des pays intéressés, il
existe des groupes aborigènes qui, grâce à la politique sociale poursuivie par leur
gouvernement (voir chap. XI), jouissent d'un niveau de vie plus élevé et de
conditions de travail plus avantageuses.
5
96
CONDITIONS D E VIE
en fonction aussi du milieu ; cependant, on peut affirmer
qu'à quelques rares exceptions près, les conditions dans
lesquelles vivent les aborigènes sont nettement inférieures
aux normes qui garantiraient un minimum de santé et de
culture. Dans le régime alimentaire, on observe habituellement
un déficit marqué des éléments de protection (protéines,
minéraux et vitamines) et une prédominance exagérée des
hydrates de carbone. Cela se traduit par l'existence de toute
une gamme de maladies de carence, en particulier chez les
enfants. Dans certaines régions de l'Amérique latine, cet état
de sous-alimentation est compensé artificiellement par une
consommation excessive d'alcool et de coca. Sous des aspects
divers, le logement est presque toujours caractérisé par l'humidité, la mauvaise aération, l'encombrement et l'absence des
accessoires sanitaires les plus élémentaires ; tous ces facteurs
sont de puissants agents de propagation des maladies des
voies respiratoires et de l'appareil digestif et du paludisme.
En général, le vêtement ne répond pas aux rigueurs du climat
ou aux exigences de l'hygiène, ce qui, avec l'insalubrité du
logement, contribue à la propagation de diverses maladies
de la peau et de maladies parasitaires.
Souvent, le contact avec des éléments de la population
non autochtone est à l'origine de la dissémination, dans le
milieu aborigène, de maladies infectieuses et contagieuses telles
que la tuberculose, la syphilis, etc.
Dans la plupart des régions habitées par les groupes aborigènes, les soins médicaux scientifiques, qu'il s'agisse de médecine préventive ou curative, n'existent absolument pas. Pour
des raisons d'ordre économique et professionnel, c'est dans
les agglomérations importantes et les autres centres urbains
très éloignés des zones de population aborigène que l'on
trouve le plus fort pourcentage de médecins, de pharmaciens,
d'infirmières et d'assistants sociaux. Cette situation est aggravée encore par la persistance en pays indigène de certaines
pratiques empiriques, d'origine mythique ou religieuse, dans
le domaine de l'alimentation, de la guérison des maladies, de
l'accouchement, du sevrage, etc. De plus, l'analphabétisme
sévit dans une très grande partie de la population aborigène ;
dans certaines régions, il est dû non seulement à la rareté
des moyens d'enseignement, mais aussi à l'attitude défiante
ou hostile qu'adopte l'indigène envers celui qui, à son avis,
apporte dans ses bagages la civilisation d'origine européenne.
CHAPITRE I I I
ALIMENTATION
C'est énoncer un postulat élémentaire de la science médicale contemporaine que de dire que l'organisme humain a
besoin non seulement d'une quantité suffisante d'aliments,
mais encore d'une combinaison équilibrée d'éléments nutritifs
essentiels, pour faire face aux rigueurs du climat et aux
assauts des maladies aussi bien que pour recouvrer les forces
dépensées au travail.
Le régime alimentaire ne sera pas satisfaisant s'il ne comporte pas simultanément des éléments énergétiques et des
éléments jouant un rôle de protecteur ou accroissant la résistance de l'organisme (protéines, minéraux, vitamines). Une
carence accentuée et constante de ces derniers éléments provoquera inévitablement un état de dénutrition, de maladie et
de diminution de la capacité de production.
S'il est certain que l'on ne possède pas encore de renseignements statistiques suffisants à ce sujet, les données descriptives
dont on dispose permettent d'affirmer qu'en règle générale la
valeur énergétique du régime alimentaire de l'aborigène ne
s'approche pas, tant s'en faut, du minimum nécessaire. Quant
à sa teneur en aliments de protection, elle est généralement
très insuffisante.
Amérique
Dans un rapport sur les résultats de la troisième Conférence
internationale de l'alimentation, le directeur de l'Institut
national de la nutrition de la République argentine déclare
que 1'« Amérique connaît une situation véritablement tragique
du fait de la sous-alimentation qui sévit dans tous les pays
de l'Amérique latine sans exception x ». Ainsi qu'on le verra
1
Pedro ESCUDERO : La tercera Conferencia Internacional de la Alimentación.
Síntesis de sus deliberaciones (Buenos-Aires, ministère des Affaires étrangères,
non daté).
98
CONDITIONS D E VIE
plus loin, cette affirmation s'applique aisément à la grande
masse de la population aborigène.
Un rapport publié en 1946 par le Comité de coopération
pour l'Amérique latine fournit les données générales suivantes
au sujet du régime alimentaire de l'Indien du massif méridional des Andes : les composants principaux de ce régime
sont le maïs, l'orge, le chuño (pomme de terre déshydratée) et
le blé, aux altitudes inférieures à 3.600 mètres, et aux altitudes
supérieures, le chuño, le quinoa, l'oca 1 et l'orge. Dans bien
des régions, l'aborigène ne mange de viande qu'aux seuls jours
de fête ou de marché. On constate une carence en potassium
et en magnésium qui s'explique par la très faible consommation de fruits et de légumes ; le goitre endémique, que l'on
trouve dans bien des régions, témoigne d'un régime insuffisamment iodé ; en raison de la pauvreté du sol et d'une très
faible consommation de lait, l'organisme de l'aborigène est
également très pauvre en calcium et en phosphore ; en général,
les enfants ne boivent jamais de lait après le sevrage, qui
commence à deux ans. Le régime alimentaire de l'aborigène
est indubitablement pauvre en vitamines de toute sorte, mais
dans de nombreux districts, il manque en particulier de vitamines B, ainsi qu'en atteste la prédominance des maladies de
la peau et des yeux ; il manque aussi de vitamines C. En
général, l'Indien des Andes pâtit d'un manque de légumes et
de protéines. Les maladies de carence et les troubles stomacaux
sont communs. La durée moyenne de la vie oscille entre trentedeux ans et quarante ans et le taux de la mortalité infantile
est exceptionnellement élevé. Dans l'Equateur, sur 20.000
nouveau-nés, 6.000 meurent pendant la première année de
leur existence 2.
On trouvera ci-après certaines données précises concernant
les conditions qui régnent dans les cinq pays de l'Amérique
latine possédant les populations aborigènes les plus nombreuses.
BOLIVIE
Selon un rapport pubhé en 1941 par deux anciens fonctionnaires du ministère du Travail, la population minière (dont
1
Oxalidacée (Oxalis crenata ou Oxalis tuberosa) dont les tubercules farineux
sont utilisés pour l'alimentation.
2
COMMITTEE ON COOPERATION I N LATIN AMEBICA : Indians
of the High Andes :
Report of the Commission Appointed by the Committee on Cooperation in Latin America
to Study the Indians of the Andean Highlands, publié sous la direction de W. Stanley
B Y C R O I T (New-York, 1946), p p . 109-110 et 231-235.
ALIMENTATION
99
les aborigènes constituent un pourcentage très élevé) «... subissait un processus d'appauvrissement biologique progressif et
procréait des générations organiquement faibles à capacité de
travail déclinante ». Ce rapport signalait que le régime alimentaire de la famille du mineur n'atteignait pas, dans la plupart
des cas, la ration de travail, ni même la ration minimum ordinaire qui correspond à une vie inactive, qu'il était insuffisant
en qualité comme en quantité, surtout en ce qui concerne les
éléments mêmes de la nutrition (graisses, albumines et vitamines) et que la consommation de légumes, de plantes potagères, de légumes verts et de fruits était à peu de chose près
nulle *.
Quant à la population des hauts plateaux en général, un
rapport de la Commission mixte du travail Bolivie-Etats-Unis,
rédigé en 1943, signalait que, de l'avis général des experts, le
régime alimentaire de la moyenne des travailleurs de Bolivie
était alors très inférieur aux normes communément considérées
comme nécessaires au maintien d'une bonne santé et que, pour
bon nombre de groupes de travailleurs, la consommation ne
dépassait pas un niveau dangereusement bas 2.
Un rapport de l'Organisation des Nations Unies pour
l'alimentation et l'agriculture fait état des travaux d'un économiste bolivien, qui a calculé que, sur 222.000 individus
considérés aux fins de son étude, 72,7 pour cent n'avaient pas
un revenu suffisant pour se procurer les aliments nécessaires.
Il cite également un renseignement fourni par le Bureau
bolivien d'assurance sociale, selon lequel 77 pour cent des
travailleurs des mines n'ont pas les moyens de subvenir à
l'alimentation d'une famille de trois personnes 3.
D'après le rapport de la mission d'assistance technique que
les Nations Unies ont envoyée en Bolivie en 1950, la mauvaise
qualité du régime alimentaire de la population — principalement sur les hauts plateaux—est due surtout à la consommation
faible, et dans bien des cas nulle, de lait, de fruits frais et de
légumes ; l'insuffisance de ce régime revêt une exceptionnelle
* Remberto CAPRILES R I C O e t Gastón ARDUZ E G U Î A : El problema social en
Bolivia : Condiciones de vida y de trabajo (La P a z , Fénix, 1941), p p . 22-23.
2
Pour plus amples renseignements, voir BUREAU INTERNATIONAL DU TRAVAIL :
Labour Problems in Bolivia, Report of t h e Joint Bolivian-United States Labour
Commission (Montréal, 1943), pp. 38-41.
3
Cf. doc. F.A.O. N.48/C0.2/11, Montevideo, juill. 1948, cité dans NATIONS
U N I E S , Conseil économique et social, procès-verbaux officiels, douzième session,
supplément spécial n° 1 : Rapport de la Commission d'étude sur la feuille de coca
(Lake Success, New-York, juill. 1950), doc. E/1666, E/CN.7/AC.2/1, p . 2 1 .
100
CONDITIONS DE VIE
gravité dans le cas des enfants et permet d'expliquer les taux
extraordinairement élevés de la mortalité infantile*.
EQUATEUR
D'après les résultats d'une enquête conduite par le professeur Pablo A. Suárez, de l'Université de Quito, la valeur énergétique de la ration alimentaire quotidienne d'un péon aborigène n'était, en 1934, que de 1.690 calories 2. En 1941, elle ne
dépassait pas 2.000 calories. Les principaux éléments qui constituent l'alimentation du péon sont l'orge, le quinoa, la pomme
de terre et Voca. La répartition de la ration moyenne journalière a été établie de la manière suivante : albumines, 35
grammes ; graisses, 22 grammes ; hydrates de carbone, 410
grammes ; minéraux, 6 grammes. Quant aux vitamines, elles
accusaient toutes un déficit 3 .
L'expert équatorien des questions indigènes Antonio
Santiana a décrit le régime alimentaire de l'aborigène des
régions montagneuses dans les termes suivants :
On trouve à peine dans son régime les éléments réparateurs des
subtils complexes chargés de l'activité cérébrale et nerveuse ; l'albumine en est quasi absente. Il s'agit d'un régime végétarien à base de
féculents, où la quantité remplace la qualité et où la viande n'entre
que dans des proportions infimes et encore à des occasions solennelles,
pour célébrer une fête ou par suite de la mort accidentelle d'un
animal... *.
Selon une autre source, la consommation de lait de l'Indien
est, elle aussi, dérisoire. La presque totalité des 37 millions de
litres de lait produits dans l'Equateur en 1942 a été traite par
les Indiens, mais on peut affirmer que ces derniers y ont à
peine goûté. On peut en dire autant du Pérou et de la Bolivie 5 .
Luis A. León fait remarquer que le régime de l'Indien se
compose depuis l'enfance d'éléments « presque exclusivement
à base d'hydrates de carbone » et que ce fait, joint à « la pénurie
marquée de protéines qui caractérise ce régime», expliquerait
1
UNITED NATIONS, Technical Assistance Administration : Report of the United
Nations Mission of Technical Assistance to Bolivia (New-York, 1951), doc. ST/
TAA/K/Bolivia/1, pp. 89-90.
2
Pablo A. SUAREZ : Contribución al estudio de las realidades entre las closes
obreras y campesinas (Quito, Universidad Central, 1934), p. 34.
3
IDEM : a La situación real del indio en el Ecuador », América Indigena,
vol. I, no 1, janv. 1941, p. 61.
4
Antonio SANTIANA : Panorama del indio ecuatoriano : Síntesis de un personaje
olvidado y vision de su porvenir (Quito, 1952), p. 120.
6
Indians of the High Andes, op. cit., p. 230.
ALIMENTATION
101
« les troubles du développement que l'on observe chez les
individus de cette race » 1 .
D'après les résultats d'une enquête de médecine sociale
effectuée en 1948 par l'Institut national de prévoyance sociale
et portant sur les conditions économiques et sociales du paysan
dans diverses paroisses de la province de Pichincha, environ
65 pour cent des familles considérées déjeunent d'une bolée
de soupe aux biscuits ou d'un brouet d'oignons et de máchica
(farine d'orge rôtie) ou simplement d'un peu de farine rôtie ;
le repas du matin consiste en deux bolées de mazamorra (mets
de farine rôtie) avec quelques morceaux de pommes de terre
ou de gâteau d'orge rôtie. La consommation de protéines
d'origine animale est minime : elle est, par famille et par jour,
de 116 grammes. L'alimentation se compose surtout d'hydrates
de carbone, les autres principes nutritifs y sont très rares, les
calories et certaines vitamines insuffisantes. Le rapport de
l'enquête révèle que l'alimentation du paysan a notablement
perdu de sa qualité depuis 1934, époque à laquelle le D r Suárez
avait effectué la première enquête 2.
GUATEMALA
Les données dont on dispose sur ce pays ne portent pas
spécifiquement sur la population aborigène, mais sur les paysans
en général. Cependant, ces derniers étant en grande majorité
aborigènes, les données en question peuvent être considérées
comme représentatives. C'est ainsi qu'un rapport publié en
1949 signale que le régime alimentaire du travailleur rural se
compose principalement de maïs, de haricots et de piments.
« Il n'est pas surprenant, précise le rapport, qu'au Guatemala
la productivité du travailleur soit si basse, si l'on se rappelle
que les travailleurs souffrent en majorité de dénutrition, de
maladies intestinales parasitaires et de paludisme. L'eau-de-vie
à bon marché contribue également à débiliter les travailleurs
ruraux 3. »
Dans un exposé présenté au Conseil économique national,
le Président de la Eépublique a déclaré en 1951 que le maïs
représente 60 pour cent de la totalité des calories consommées
1
Luis A. LEÓN : « Breves consideraciones sobre la patología del indio en el
Ecuador », Cuestiones indígenas del Ecuador (Quito, Instituto Indigenista Ecuatoriano, 1946), p. 253.
2
Plutarco NAKANJO VAKGAS : El campesinado ecuatoriano y el seguro social
obligatorio (Quito, Instituto Nacional de Previsión, 1948), p. 21.
3
Leo
A. STJSLOW, op.
cit.,
p.
101.
102
CONDITIONS DE VTE
par l'ensemble de la population (le blé 6 pour cent, le riz
1 pour cent). En protéines consommées, et malgré sa faible
teneur, le maïs apporte 56 pour cent et, en hydrates de carbone,
6'5 pour cent.
MEXIQUE
Le régime alimentaire des Indiens, essentiellement à base
de maïs, aboutissant dans certaines tribus à la monodiététique
absolue, est bien entendu incomplet ou carence. On a beaucoup
écrit sur l'état de dénutrition dû à l'absence d'acides aminés
dans le maïs. Ainsi, l'alimentation de l'Indien est défectueuse
en qualité et en quantité 1 .
D'après un rapport publié en 1941 par le secrétariat d'Etat
au Travail et à la Prévoyance sociale, l'alimentation habituelle
des paysans du centre du pays se composait surtout de galettes,
de haricots, de piments, de café et d'un peu de sucre brûlé ;
très rares étaient les familles consommant du lait et, parmi
les groupes les plus pauvres, le repas se composait uniquement
de galette et de sel ; en général, ces familles ne consommaient
jamais ni viande ni œufs ; dans le Nord, on observait une
carence marquée de la consommation du lait et dans la région
méridionale du littoral du Pacifique, le régime alimentaire de
nombreuses familles était limité au maïs, aux haricots et aux
herbes sauvages 2.
Dans un rapport présenté au premier Congrès national de
l'assistance sociale, qui s'est réuni à Mexico au mois d'août
1943, Juan Comas, de l'Institut interaméricain des affaires
indigènes 3 , a déclaré que les enquêtes effectuées parmi divers
groupes et tribus aborigènes indiquent de façon manifeste une
« très nette déficience biologique ». Ce délégué, citant Carlos
Basauri, signale que, chez les Mayas, la carence du régime alimentaire est aiguë dans le Yucatan ; la pénurie de vitamines
d'origine animale, de légumes frais et de fruits prend des proportions très grandes. Il semble que l'anémie dont la population
est généralement atteinte soit due en grande partie à une ali1
Carlos BASAUBI : La población indigena de México (Mexico, Secretaría de
Educación Pública, 1940), tome I, p p . 46-47.
2
SECRETARÍA DEL TRABAJO Y DE LA P R E V I S I Ó N SOCIAL : La
fijación
de
salarios
mínimos para 1942-1943 (Mexico, 1941), p p . 38-39.
3
Carlos BASAURI, op. cit., tome I I , p p . 36 et 236, tome I I I , p p . 85 et 290-292 ;
Alfonso FABILA : Valle de El Mezquita! (Mexico, Editorial Cultura, 1938),
pp. 173-175 ; José GÓMEZ ROBLEDA : Los Tarascos (Mexico, 1940), p p . 122-126 ;
et Manuel BASAURI : Monografia de los Tarahumaras (Mexico, 1929), p/-36. Ouvrages
cités par J u a n COMAS : « La asistencia pública y el desarrollo biológico del indígena »
(rapport presenté au premier Congrès national de l'assistance sociale, 15-22 a o û t
1943), América Indigena, vol. I l l , n° 4, oct. 1943, p. 337-344.
La vie des
aborigènes
de Madhya
Pradesh (Ine
(Commissioner
for Scheduled
Castes and
Scheduled Tribes
Madhya Pradesh
Famille Baiga
(district de
Balaghat)
Aborigène
Madia en route
pour le marché
Extraction
d'huile végétale
de l'herbe de
«russa»
(tribu Korku,
district
d'Amravati)
ALIMENTATION
103
mentation insuffisante ; chez les Tojolabal de l'Etat de Chiapas,
sur les huit ou neuf enfants qui naissent en moyenne dans
chaque foyer, au moins 50 pour cent meurent des suites des
négligences dont leur alimentation a pâti pendant la première
enfance ; la ration alimentaire des Otomis est généralement
insuffisante en quantité et en qualité. Entre autres facteurs,
ce régime alimentaire déficient exerce une profonde influence
sur l'équilibre endocrinien des Otomis. La mortalité infantile
est effrayante : les femmes ont en moyenne dix enfants (il
arrive que certaines en aient jusqu'à vingt-cinq). Néanmoins,
il est rare que quatre ou cinq enfants survivent dans chaque
ménage. Citant Alfonso Fabila, le délégué a révélé que la ration
alimentaire des Otomis de la vallée du Mezquital se répartit de
la manière suivante : 34,70 pour cent de pulque 1, 22,47 pour
cent de maïs, 5,11 pour cent de piment, 4,02 pour cent de
quelites (genre de blettes) et seulement 6,32 pour cent de lait et
de viande. Les 27,38 pour cent restants groupent des proportions infimes de tomates, de haricots, de riz, de sucre, de pain,
de café et d'eau-de-vie ; chez les Tepecano de Jalisco, le tableau
n'est guère plus réjouissant : les maladies dominantes des
enfants affectent l'appareil digestif et résultent directement de
l'alimentation peu appropriée qu'ils reçoivent. D'après le
témoignage de Gómez Bobleda, « les déficiences physiologiques, l'insuffisance endocrinienne et même les caractéristiques
mentales des Tarasques peuvent être considérées comme étant
des conséquences inévitables d'une alimentation déficiente et
d'un état de fatigue chronique». Enfin, le rapporteur a ajouté
que, d'après Manuel Basauri, les Tarahumara de Chihuahua
vivent dans des conditions misérables, souffrent d'une faim
chronique et sont en pleine décadence physiologique.
PÉKOTJ
Dans la Sierra du Pérou, d'après une enquête médicosociale effectuée en 1948, les principales carences du régime
alimentaire de l'aborigène rural sont constatées dans les minéraux (en particulier l'iode, le calcium et le fer), les protéines
et les' vitamines (A et C, complexe B, en particulier la tiamine
et la riboflavine) 2. Cela se traduirait par une série de maladies
de carence et d'affections gastr o-intestinales et expliquerait
1
Boisson fermentée extraite de l'agave.
Maxime H . KTJCZYNSKI-GODARD et Carlos Enrique P A Z SOLDÁN : Disección
del indigenismo peruano : Un examen sociológico y médicosocial (Lima, Instituto de
medicina social, 1948), p . 106.
2
5*
104
CONDITIONS D E VIE
en partie la vie moyenne extrêmement courte de l'aborigène
(de trente-deux à quarante ans) 1 .
Selon le rapport de la Commission d'étude des Nations
Unies sur la feuille de coca 2 :
L'impression générale est que l'on se trouve dans les régions de
l'altipiano, en Bolivie comme au Pérou, en présence d'une population
sous-alimentée, dont l'alimentation se compose presque uniquement de
pommes de terre, de haricots et de quinoa. On consomme également
de la viande séchée (selon les ressources individuelles) une ou deux
fois par semaine. Ce régime est déficient en graisses et en protéines
d'origine
animale et la valeur calorique en est probablement insuffisante 3.
Dans plusieurs districts de la région du lac Titicaca, l'aborigène ne vit que de pommes de terre à partir du mois de mai
et jusqu'à la mi-juillet ; il lui arrive à l'occasion de manger un
peu de charqui (viande séchée de mouton ou de pore), de sel
et d'oignons ; entre juillet et mi-novembre, il s'alimente principalement de chuño (pomme de terre séchée) et de patasca
(plat d'orge mêlée d'un soupçon de graisse de porc) ; la viande
est un aliment de luxe ; dans de nombreux districts miniers
du département de Puno, les bergers eux-mêmes ne tuent un
lama que tous les deux mois pour avoir de la viande ; de la
mi-novembre à lafinde février, on consomme de préférence de
la patasca et du quinoa 4 . Le régime est exceptionnellement
pauvre en graisse ; il n'y entre pratiquement pas de fruits,
ceux-ci constituant un luxe aussi rare que les friandises. La
consommation de légumes verts, de salades, etc., est très
réduite et même inconnue dans de nombreux foyers 5 .
Luis N. Sáenz, dans une étude publiée en 1945, constate :
Il est peu de groupes humains chez qui l'on trouve, à des époques
où la famine ne peut être imputée à la guerre, à la peste ou à d'autres
circonstances exceptionnelles, des carences alimentaires aussi 6cruelles
que celles qui frappent la population de la Sierra du Pérou .
1
COMMITTEE ON COOPERATION IN LATIN AMERICA : Indians of the High Andes,
op. cit., pp. 109-110.
2
Voir chap. VI.
3
Op. cit., p. 19.
4
Maxime H. KUCZYNSKI-GODARD : Estudios médicosociales en minas de Puno,
con anotaciones sobre las migraciones indígenas (Lima, Ministerio de Salud Pública
y Asistencia Social, 1945), p. 15.
6
IDEM : Estudio familiar, demográficoecológico en estancias indias de la altiplanicie del Titicaca, Ichupampa (Lima, Ministerio de Salud Pública y Asistencia
Social, 1945), pp. 35-37 et 39.
6
Luis N. SXENZ : El punto de vista médico en el problema indigena peruano
(Lima, 1945), p. 35.
ALIMENTATION
105
Une autre enquête, qui a porté sur de nombreuses collectivités montagnardes 1, a permis de démontrer que la ration
alimentaire quotidienne de l'aborigène est « insuffisante en
valeur calorique et manque particulièrement de graisse et
surtout de protéines » ; les albumines d'origine animale brillent
par leur absence, étant donné que le cheptel bovin appartient
généralement au grand propriétaire terrien et que l'Indien se
trouve dans l'obligation, pour augmenter quelque peu ses
revenus, de vendre les œufs de ses poules ; la carence alimentaire de l'aborigène se serait traduite par un pourcentage élevé
des inaptes au service militaire, une faible résistance aux maladies infectieuses, un taux très bas d'accroissement de la population en dépit du taux élevé de fécondité, et une altération
de la génération, l'enfant venant au monde grevé de tares
carencielles héréditaires.
Carlos Gutiérrez Noriega a calculó qu'en 1945 la consommation alimentaire moyenne par jour dans la partie méridionale
de la Sierra était de 777 grammes (contre 1.096 sur le littoral) ;
ce chiffre se rapporte à l'ensemble de la population de la
région ; abstraction faite des groupes les plus favorisés, la
consommation moyenne du paysan aborigène n'atteindrait que
500 grammes d'aliments par jour.
En calories, le déficit que subit le régime alimentaire moyen de
l'habitant des Andes méridionales atteint, par conséquent, 1.200
à 2.100 unités, c'est-à-dire que sa ration alimentaire ne lui fournit
que 50 à 66 pour cent des calories correspondant à ses besoins
physiologiques 2.
Dans cette étude, comme dans d'autres qui ont été publiées
en 1948 et en 1949, l'auteur que nous venons de citer a soutenu
que le déficit énergétique de la ration alimentaire de l'aborigène
est comblé par l'alcool ou bien fallacieusement compensé par
une forte consommation de coca 3.
x
Luis N. SAENZ : « El coqueo, factor de hiponutrición », Revista de la Sanidad
de Policía (Lima), vol. I, mai 1941, pp. 129-147.
2
Carlos GUTIÉRREZ NORIEGA : El cocaísmo y la alimentación en el Perú (Lima,
Instituto df Farmacología y Terapéutica, 1948), p. 67. Ces données sont puisées
dans L. ROSE UGARTE : La situación alimenticia en el Perú (Lima, Ministerio de
Agricultura y Servicio Cooperativo Interamericano de Producción de Alimentos,
1945). Dans une publication plus récente du ministère de l'Agriculture, le déficit
du régime alimentaire en calories dans les régions rurales du pays est considéré
comme oscillant entre 500 et 2.000 unités. Voir Angélica C. RONCAL : Investigación sobre las costumbres alimenticias en las zonas rurales del Perú (Lima, 1948) ;
ouvrages cités" dans le Rapport de la Commission d'étude sur la feuille de coca,
op. cit., p. 21.
3
Voir à ce sujet le chapitre VI.
106
CONDITIONS D E VIE
AMÉLIORATION DE L'ALIMENTATION DE L'ABORIGENE
Pour expliquer la carence quantitative et qualitative du
régime alimentaire de l'aborigène de l'Amérique latine, deux
causes peuvent être invoquées : un dénuement économique
complet, qui interdit à l'aborigène de consacrer à sa nourriture
une part plus importante de son budget, et l'ignorance dans
laquelle il se trouve des possibilités de varier son régime
malgré sa situation économique précaire. Les campagnes
d'éducation et de propagande lancées dans de nombreux
pays à l'effet d'inculquer à l'aborigène des notions de diététique qui lui permettent d'utiliser de manière plus rationnelle
les éléments constitutifs de son régime alimentaire ou de
recourir à d'autres aliments qui pourraient être à sa portée
se sont heurtées à une série d'obstacles d'ordre culturel, tels
que la tradition, la routine, les tabous alimentaires, etc. 1.
L'Institut interaméricain des affaires indigènes s'est activement préoccupé de favoriser l'introduction du soja, les expériences tentées dans certaines régions du Mexique ayant
donné d'excellents résultats. A cette fin, il a distribué, dans un
certain nombre de pays latino-américains, des semences de soja
en faisant connaître le mode de culture et les moyens d'utiliser
les graines comestibles. L'emploi du soja n'a cependant pas
accusé de progrès positifs parmi la population aborigène. Il a
été question également de rationaliser l'emploi d'aliments
spécifiquement indigènes (chuño, quinoa, etc.), que l'aborigène
utilise selon des procédés empiriques traditionnels.
Sans méconnaître l'influence de la tradition sur le caractère
non différencié du régime de l'aborigène, il importe de se
rappeler que le problème de l'alimentation d'un groupe humain
déterminé ne peut être isolé des facteurs économiques qui
sont à son origine.
E É G L M E A L I M E N T A I R E D E S I N D I E N S SYLVICOLES
Les renseignements dont on dispose quant à la valeur du
régime alimentaire de l'Indien sylvicole de l'Amérique latine
sont quelque peu contradictoires. Ainsi, dans une étude présentée au Comité de la vie rurale de l'Organisation des Nations
Unies pour l'alimentation et l'agriculture, à sa session d'octobre
1
Manuel G A M O : « Reforma de la dieta de indios y mestizos », Boletín
nista, vol. V I I I , nos 3_4; sept.-déo. 1948, pp. 186-194.
Indige-
ALIMENTATION
107
1948, le directeur de l'Institut interaméricain des affaires indigènes a exprimé l'opinion que l'alimentation de l'aborigène
sylvicole est beaucoup plus propre à répondre aux besoins de
l'organisme que celle de l'Indien des hauts plateaux. Cette
situation serait due au fait que l'isolement géographique et
social, l'organisation économique particulière et même la relative indépendance politique de cet aborigène lui permettent
de combiner un régime varié et jusqu'à un certain point plus
complet, en ce qu'il se compose des produits de la chasse, de la
pêche et de la cueillette des fruits de la forêt, ainsi que des
produits des petites cultures que l'aborigène entretient à son
gré sur les terrains forestiers qui s'y prêtent 1 .
Un expert équatorien a exprimé un avis analogue, déclarant
que l'Indien sylvicole de son pays, qu'il s'agisse de celui de la
partie orientale ou de celui du littoral, n'accuse pas de troubles
majeurs de la nutrition 2.
D'autre part, un sociologue brésilien bien connu a soutenu,
dans un rapport soumis au deuxième Congrès interaméricain
des affaires indigènes, que l'aborigène de l'Amazone pâtit d'une
sous-alimentation assez alarmante. D'après ce rapport, l'aliment de base de cet indigène est la farine de manioc ; les possibilités de chasse étant limitées, les protéines d'origine animale
proviennent principalement de la pêche ; la pénurie de protéines se traduit par la petite taille du sylvicole et par l'œdème
qui accompagne le béribéri ; la faible teneur des aliments en
minéraux est imputable à la pauvreté du sol ; on constate une
grave pénurie de chlorure de sodium ; les vitamines qui manquent le plus sont celles du groupe B ; la sous-alimentation
explique en grande partie le taux élevé de la mortalité dans la
région, dont la population demeure numériquement stationnaire 3.
On peut dire de façon générale que le régime alimentaire des
sylvicoles d'Amérique du Sud s'apparente à celui de l'Indien sylvicole du Brésil, qui est omnivore et se nourrit aussi bien de
viande, de poisson, d'insectes, de larves, de serpents, d'œufs de
tortue, de fruits, etc., que de quelques produits végétaux qui
croissent spontanément dans la région (manioc doux ou amer,
1
Voir Manuel GAMIO : « Reforma de la dieta de indios y mestizos », op. cit.,
pp. 186-188.
2
Luis A. LEÓN, op. cit., pp. 253-254.
3
Josué DE CASTRO : « El área alimenticia en la Amazonia. La influencia regional
en la alimentación indigena », Anales (Segundo Congreso Indigenista Interamericano,
Cuzco, Pérou, 1949), pp. 242-243.
108
CONDITIONS DE VES
maïs et igname). H cultive également ces plantes alimentaires,
encore que dans des proportions réduites.
Les éléments de base de son alimentation lui sont fournis
par la chasse et la pêche, celle-ci n'étant toutefois possible
que pendant trois ou quatre mois de l'année, à l'époque des
basses eaux. L'aborigène complète son régime par le miel et
les fruits sauvages qu'il récolte. Parmi les produits d'origine
végétale les plus consommés, le manioc occupe incontestablement la première place. Il semble, dans les parties orientale et
méridionale de la région des Amazones et dans les Andes
équatoriales, que seule la variété amère soit cultivée ;
dans les autres régions, on cultive indifféremment le manioc
amer et le manioc doux. Le maïs se place au deuxième
rang, le climat constamment humide ne favorisant pas cette
culture x ; néanmoins, l'Indien connaît quelques variétés de
cette céréale.
Outre le manioc et le maïs, l'aborigène sylvicole cultive
encore le haricot et l'igname, encore que sous une forme primitive et rudimentaire. En revanche, il ne plante jamais d'arbres
fruitiers et, dans sa condition primitive, il ignore l'élevage du
bétail. Une fois établi le contact avec les populations non
aborigènes de l'intérieur ou avec d'autres tribus, plus proches de
la civilisation, l'aborigène sylvicole a pu connaître une plus
grande variété d'espèces végétales (encore qu'il s'en tienne à
une technique agricole fort rudimentaire), et en dehors des
cultures traditionnelles précitées, il dispose aujourd'hui de
nouvelles variétés de semences que lui ont fournies les populations civilisées 2.
Si l'on en croit la chronique de l'époque coloniale, son
régime alimentaire semble avoir été plus riche au temps de la
conquête, et il est possible de conclure que son émigration
forcée vers l'intérieur du pays et sa dispersion dans des régions
qu'il n'avait jamais habitées auparavant, lui ont fait oublier
certaines des espèces végétales qu'il cultivait.
Chez l'Indien sylvicole resté à l'écart de la civilisation,
la préparation des aliments est assez rudimentaire. On peut
dire que l'Indien ne consomme pratiquement pas de sel. En
revanche, il assaisonne fortement ses aliments de poivre, de
piment et d'aji. L'abus d'aliments crus ou à moitié cuits, ainsi
1
Max. SORBE : Les fondements de la géographie humaine, tome I : Les fonde'
menta biologiques (Paris, Armand Colin, 1947), p. 265.
2
A. J. DE SAMPAIO : Alimentaçôo sertaneja e do interior da Amazonas (SaoPaulo, 1944), pp. 132-138.
ALIMENTATION
109
que les conditions du climat et du milieu favorisent le développement de parasites de l'estomac, la dysenterie et les
dermatoses.
ETATS-UNIS
L'alimentation des Indiens des Etats-Unis et, en particulier,
de ceux qui peuplent les réserves du Sud-Ouest se situe à un
niveau inférieur à celui qui caractérise la population en général.
Cette insuffisance peut prendre la forme d'une pénurie de calories
ou d'une pénurie de vitamines, voire ces deux formes à la fois.
Le régime des îfavajo est insuffisant et peu varié ; il se
traduit par une sous-alimentation généralisée. Les éléments
principaux de ce régime sont le pain frit, la pomme de terre,
le café et un peu de mouton dans les occasions exceptionnelles.
Les analyses cliniques effectuées dans le cadre d'une enquête
récente portant sur des enfants d'âge scolaire ont démontré
que 40 pour cent des enfants Sioux étaient sous-alimentés et
souffraient d'une carence de vitamines ; 18 pour cent des
enfants Papago étaient sous-alimentés et 44 pour cent mal
nourris ; 38 pour cent des Hopi étaient mal nourris et 24 pour
cent sous-alimentés. Le régime des Papago manquait de
vitamines A et C, celui des Hopi de vitamines A, B, C et D.
De plus, dans le cas des Hopi, la nourriture ne contenait pas
assez de protéines, de graisse, et quant aux calories, la quantité
qui en était effectivement consommée correspondait à peine
à la normale chez les adultes et était nettement insuffisante
chez les enfants 1.
Il semble que dans d'autres régions, le régime soit mieux
approprié et plus équilibré, comme par exemple chez les Indiens
de Coast Salish, dans la partie occidentale de l'Etat de Washington (Etats-Unis), et, au Canada, dans le sud de la province de
Colombie britannique 2. On a remarqué aussi que, chez ces
Indiens, le régime alimentaire paraît moins équilibré dans le
cas des familles qui se sont adaptées aux coutumes générales
de la région et ont adopté le régime alimentaire local 3 .
1
J. A. KRTJG : The Navajo, A Long-Range Program for Navajo Rehabilitation
(Washington, U.S. Bureau of Indian Affairs, 1948), et Laura THOMPSON : Personality
and Government : Findings and Recommendations of the Indian Administration
Research (Mexico, Institute Indigenista Interamericano, 1951).
2
En ce qui concerne les Esquimaux du Canada, voir C. Daryll FOBDE : Habitat,
Economy and Society, op. cit., pp. 107-128.
3
Voir Trinità RIVERA : « Diet of a Food Gathering People, with Chemical
Analysis of Salmon and Saskatoons », Indians of the Urban Northwest, publié
sous la direction de Marian W. SMITH (New-York, Columbia, University Press,
1949), p. 26.
110
CONDITIONS DE VIE
Asie
CEYLAN
Les Eodiya et les Kinnaráya ne prennent qu'un seul repas de
riz au curry 1, le soir. Les Vedda vivent de la chasse et de la
collecte des rayons de miel sauvage. Les principaux éléments
de leur régime alimentaire sont la viande de cerf et de singe,
qu'ils apprécient tout particulièrement et qu'ils complètent
par le Tcurrakan, l'igname et le manioc 2.
INDE
Le régime alimentaire des aborigènes de l'Inde varie selon
le stade de développement de la collectivité à laquelle ils
appartiennent et selon les régions qu'ils habitent 3 . Quelquesunes des tribus les plus primitives se nourrissent de produits
forestiers (tubercules, fruits, racines), auxquels s'ajoutent les
poissons et les autres animaux qu'ils peuvent capturer. En
règle générale, ces tribus sont omnivores et rares sont les
produits qu'elles ne peuvent faire servir à leur alimentation.
D'autres tribus plus évoluées mangent de la viande de bœuf
et de cerf et pourvoient à leur nourriture en pratiquant une
culture plus ou moins permanente 4.
On trouvera ci-après quelques exemples de ces coutumes
diététiques : les denrées alimentaires couramment consommées
par les Paliyan sont « les racines (principalement d'igname
sauvage), le miel et la chair de mammifères et d'oiseaux
sauvages ; ces tribus consomment aussi diverses graines
(Tcoumbou, tcholam, etc.) lorsqu'elles sont en mesure de
les obtenir par l'intermédiaire de marchands ou en les
récoltant elles-mêmes ; elles échangent du miel, des racines,
des peaux et d'autres produits contre les denrées dont elles
ont besoin ; elles ne mangent pas de bœuf et pratiquent le
piégeage 5 ».
1
M. 0 . RAGHAVAN : Cultural Anthropology of the Rodiyas, et The Kinnaraya,
the Tribe of Mat-Weavers (Colombo, 1951). (Spolia Zeylanica, vol. X X V I , parties I
et I I : «Ethnological Survey of Ceylan», n°» 1 et 2.)
2
Communication du gouvernement de Ceylan, juill. 1952.
3
Voir Tribes of India, publié sous la direction de A. V. THAKKAE (Kingsway,
Delhi, Bharatiya Adinijati Sevak Sangh, 1950).
4
A. AIYAPPAN : Report on the Socio-economic Conditions of the Aboriginal
Tribes in the Province of Madras (Madras, Government Press, 1948), p p . 63 et 69.
5
R. FATJLKES : « A Note on t h e Paliyans of Madura District », Census of India,
1931, vol. I , partie I I I B , p. 196.
ALIMENTATION
111
L'alimentation des Tchentchou se compose surtout « de
racines (gaddalou) et de baies (pandoulou). Ces aborigènes
consomment aussi des herbes et des champignons ; ils préparent
de plus les gousses du tamarinier en y mêlant les cendres de
l'écorce de cet arbre. La fleur de mohwa se mange cuite ; ils
ne salent pas les aliments cuits, qu'il s'agisse de racines, de
fruits ou de jawar (sorghum vulgare); ils mangent la viande
des animaux, mais ne dédaignent pas la peau, une fois les
poils brûlés, ni les tripes, une fois lavées. Ils mangent aussi
de petits oiseaux, des écureuils, des rats et des souris grillés 1 ».
Les Kadar s'alimentent « de tous produits de la chasse ou
de la pêche, à l'exception du buffle et de l'ours, qu'aucun
Kadar ne touche vifs ou morts ; ils apprécient beaucoup le
miel et font de sa récolte leur passe-temps favori 2 ».
Les Baji d'Askot, dans l'Himalaya, se nourrissent principalement de tubercules et d'autres produits forestiers d'origine
végétale, à quoi s'ajoutent le riz et le millet, qu'ils cultivent
dans les clairières, les poissons, les oiseaux et certains animaux
sauvages. En règle générale, on peut considérer ces tribus
comme omnivores 3.
Les Katkar, eux aussi, se nourrissent pratiquement de
tout. Une branche de cette tribu, appartenant à la communauté méridionale des Oraon, est considérée comme un peu
plus évoluée que le reste du seul fait que ses membres se
refusent à manger les rats et les lézards dont leurs congénères
font leur ordinaire 4.
Dans l'Uttar Pradesh, le maïs et quelques variétés de
millet constituent l'aliment de base des Korwa, des Kharwa,
des Ghasi et des Tcheros, chez qui le riz est considéré comme
un article de luxe. Les Korwa mangent de la viande de singe,
mais ils se nourrissent aussi de volaille, de viande d'ours, de
porc, de bœuf, de buffle et de diverses espèces de cervidés,
tandis que les Ghasi apprécient particulièrement la viande de
porc et de chèvre. Les Panija mangent de tout, à l'exception
de la viande de vache, de buffle, de cheval, de crocodile, de
1
GHTTLAM Ahmed Khan : « The Chenchus », Census of India, 1931, op. cit., p. 210.
Les Gond mangent aussi différentes sortes d'animaux, y compris les serpents
et les crocodiles, mais leur nourriture la plus courante est le riz. Voir Syed Khaja
GAÏOOK : Tribes and Tribal Welfare in Hyderabad (Haïderabad, Social Service
Department, 1952), p. 16.
2
P. Govinda MBNON : « The Kadar of Cochin », Census of India, 1931, op. cit., p. 213.
3
S. D. PANT : The Social Economy of the Himalayans (Londres, Allen and
Unwin, 1935), pp. 88-89.
4
W. H. GILBERT, Jr. : Peoples of India, op. cit., pp. 75-81.
112
CONDITIONS DE VIE
couleuvre et de lézard, cependant que les Bhuiya consomment
indifféremment la viande de bœuf et celle de crocodile Les
Kharwa, qui ont adopté les coutumes hindoues, refusent la
volaille et la viande de porc *.
La boisson revêt une importance particulière dans la vie
des aborigènes de l'Inde et la plupart des tribus préparent
des breuvages alcoolisés à base de fleurs de mahwa et d'autres
plantes. Le lait n'est pas utilisé comme boisson. Les Mikir
de 1'Assam, qui élèvent des bovins, n'en consomment pas et
les Kanikar, de même que les Ourali de Travancore, le considèrent comme tabou et comme vomitif. Les tribus qui entretiennent des relations avec les populations de la plaine ont
commencé à prendre l'habitude du café et du thé 2.
PHILIPPINES
Les Negrito se nourrissent du produit de la chasse et des
quelques variétés de légumes qu'ils cultivent sur les terrains
qu'ils ont pu défricher en brûlant la végétation sylvestre 3 .
Toutefois, quelques autres tribus sont mieux organisées et
disposent de greniers où elles emmagasinent du riz, du maïs,
du millet et des haricots. L'alimentation des Ifugao provient
des sources suivantes : agriculture, 84 pour cent ; denrées alimentaires d'origine forestière, 9,4 pour cent ; animaux domestiques, 4,2 pour cent ; produits importés, 2,4 pour cent 4.
Dans sa réponse à un questionnaire envoyé par le Bureau
international du Travail, le gouvernement des Philippines a
fait savoir, en mai 1953, que parmi les dix principales causes
de mortalité, il faut ranger l'avitaminose et les autres maladies de carence.
Australasie
AUSTEALIE
La publication des résultats du recensement de 1910 a
révélé qu'en Australie, «les aliments dont dispose la population
aborigène sont très variés, pour des raisons de nécessité autant
que d'élection. Les éléments de l'alimentation vont de l'argile
1
D. N. MAJTJMDAK : The Fortunes of Primitive Tribes (Lucknow, Universal
Publishers, Ltd., 1944), passim.
2
L. A. Krishna IYER et N. Kunjan PILLAI : « The Primitive Tribes of Travancore », Census of India, 1931, vol. I, partie I I I B, p. 237.
3
H. H. MILLER : Economic Conditions in the Philippines (Boston, Ginn, 1920),
p. 237.
4
IDEM, op. cit., p. 12.
ALIMENTATION
113
à la viande de kangourou, du nardoo au miel. Le D r Walter
E. Both a classé et décrit 240 plantes comestibles et 93 espèces
de mollusques consommés par les aborigènes du Queensland
septentrional. Dans certaines régions, on consomme, après
l'avoir soigneusement préparée, l'argile blanche, considérée
comme un mets de première qualité, au même titre que celle
qui sert à la construction des fourmilières. Au nombre des
aliments consommés par l'aborigène, mais que le Blanc ne
tolère pas, figurent les fourmis, les papillons, les chenilles, les
vers, les larves de guêpe, les lézards, les iguanes, les grenouilles,
les rats, les souris et les serpents * ».
D'autres experts en la matière affirment que le kangourou,
extrêmement répandu dans toute l'Australie, constitue le
premier élément du régime carné. Viennent ensuite la sarigue et
certaines espèces de serpents, de vers, de lézards, de poissons
et d'oiseaux. En ce qui concerne les végétaux, l'igname occupe
la première place en raison même de sa profusion. Le miel
entre également dans l'alimentation. Quant au nardoo, c'est
une substance farineuse obtenue à partir des graines (en réalité
des sporanges) que l'on trouve sur les rhizomes des plantes qui
poussent en terrain marécageux ou proche des marais. En été,
les marais se dessèchent et les plantes se fanent, ne laissant
sur le sol que les graines, qui sont récoltées puis écrasées entre
deux pierres, la poudre ainsi obtenue servant à préparer une
sorte de farine ou de pâte. Il ne s'agit pas d'un aliment de
base employé isolément, mais d'un produit d'appoint, que l'on
ajoute à la viande, au poisson et aux racines. Au Queensland,
les noix des bunya-pines 2 « constituent un des aliments les
plus délicats que connaissent les aborigènes 3 ».
Afin de compléter ce régime alimentaire «naturel», les
gouvernements de divers Etats ont institué des rations-types
qu'ils fournissent aux aborigènes sous des formes diverses.
Une déclaration officielle s'exprime dans les termes suivants :
La composition des rations fournies aux aborigènes des montagnes de Kimberley laisse beaucoup à désirer... Les natifs qui
consomment les aliments préparés dans les centres d'élevage se
trouvent sans aucun doute mieux alimentés que ceux qui reçoivent
la ration sèche. Cette dernière se compose particulièrement de viande,
1
W. R. SMITH : «The Aborigines of Australia», Official Year-Book of the Commonwealth of Australia, Containing Authoritative Statistics for the Period 1901-1909
(Canberra, Commonwealth Bureau of Census and Statistics, 1910), p. 167.
2
Conifere (Araucaria bidwillii), dont les graines mûres ont le goût des châtaignes
grillées.
3
J. HEALY : Aboriginal People of Australia (Sydney, Pellegrini and Co.,
1948), p. 12.
114
CONDITIONS DE VIE
de thé, de farine et de sucre, c'est-à-dire qu'il s'agit d'une ration de
même type que la ration sèche que le ministère distribue aux indigents. Le corps médical estime que le régime alimentaire des
autochtones est insuffisant et que son amélioration permettrait de
réduire la prédisposition aux maladies *.
Dans quelques Etats, en Nouvelle-Galles du Sud par
exemple, les aborigènes âgés, débiles ou indigents reçoivent
des rations complètes et dans la plupart des centres d'élevage,
la ration-type distribuée est complétée par du lait et des végétaux produits sur place 2.
NOUVELLE-ZÉLANDE
Les Maoris s'étant en général adaptés à la vie économique
et sociale du pays, il est difficile d'obtenir des renseignements
précis quant au niveau de leur nutrition. E n général, leur
alimentation s'apparente à celle de l'Européen tant par les
denrées consommées que par le mode de préparation des
aliments. Bien ne permet d'affirmer, semble-t-il, que les Maoris
soient mal nourris en comparaison des Européens. Il est
difficile d'attribuer à des différences de régime alimentaire
l'incidence différente de certaines maladies dans les deux
populations. En règle générale, il semble que l'on puisse
formuler au sujet des Maoris des districts ruraux et semiruraux les considérations suivantes : le régime alimentaire
n'est pas varié et les méthodes de préparation des repas sont
rudimentaires ; les aliments dits de protection, tels que le lait
et le fromage, sont consommés en quantités très limitées ; les
crudités d'origine végétale sont pratiquement inconnues. Bien
entendu, le régime alimentaire et le niveau de nutrition des
Maoris qui habitent les villes s'apparentent davantage à celui
des Européens, avec qui ils sont plus intimement associés 3.
1
F. E. A. BATBMAN : Report on Survey of Native Affairs (Perth, Government
Printer, 1948), p. 17.
2
Annual Report of the Aborigines' Welfare Board, New South Wales, for the Year
Ending 30th June 1944 (Sydney, Government Printer, 1946), p. 14.
3
Communication du professeur E. BEAGLEHOLE, membre néo-zélandais de la
Commission d'experts pour le travail des aborigènes de l'O.I.T., 1951. Voir également Elsdon BEST : Maori Agriculture : The Cultivated Food Plants of the Natives
of New Zealand, with some Accounts of Native Methods of Agriculture, its Ritual
and Original Myths, Dominion Museum Bulletin No. 9 (Wellington, 1925).
CHAPITEE IV
HABITATION
Amérique latine
La situation économique précaire de l'aborigène de l'Amérique latine se reflète dans son habitation, généralement délabrée, aux murs insuffisants, malsaine et n'offrant pas la protection indispensable contre les rigueurs du climat, lequel est
en général très rude dans les régions de la Puna et dans la
partie désertique de Vcdtiplano. Le matériau utilisé est primitif : quelques pieux pour le soutènement, une charpente
sommaire pour le toit, un toit de chaume ou de feuilles trouvées sur place. Avec des moyens inégaux, que ce soit pour des
raisons géographiques ou économiques ou du fait de facteurs
culturels particuliers, les aborigènes latino-américains, surtout
les sédentaires, continuent à utiliser des matériaux d'origine
végétale, des briques crues et des pierres, selon leur degré d'évolution, comme üs le faisaient avant l'arrivée des Espagnols.
Les habitations des Indiens aymarás et quichuas sont de
brique crue ou de pierre, les portes sont basses et étroites,
le parquet est au-dessous du niveau du sol, les parois sont
rustiques et sans fenêtres, le toit sans cheminée ni autre ouverture. Le sol, de terre pulvérulente, de l'unique pièce de l'habitation est généralement recouvert de débris et d'excréments
d'animaux qui servent de combustible 'en l'absence de bois ;
dans un coin, en guise de lit, sont empilées des peaux de mouton
ou des couvertures tissées. Aux parois, sont accrochés les vêtements, les ustensiles domestiques et les outils ; à des crochets
sont suspendus des sacs contenant les maigres réserves d'aliments secs ou les tresses d'épis de maïs ou de légumes. D'un
côté se trouve le four de fonte, le brasero ou le foyer primitif.
Les poules, les lapins et les autres animaux domestiques
viennent s'abriter à l'intérieur de la case et il est bien rare
qu'ils soient isolés des habitants par des cloisons dignes de
ce nom. A l'extérieur et autour de la porte sont logés les autres
116
CONDITIONS DE VIE
animaux qui appartiennent à l'Indien. La demeure est constamment envahie de rongeurs, d'araignées et d'insectes porteurs des germes de différentes maladies et qui sont une vraie
plaie pour les hommes et les animaux 1.
Le logement construit par le colon ou le métayer aborigène
à la hacienda ou sur le domaine du propriétaire est très souvent le plus précaire de tous ; il est bâti comme s'il ne devait
durer que fort peu de temps. E n revanche, la maison proprement dite de l'aborigène vivant en communauté, construite
sur sa propre terre, est habituellement plus solide et plus
durable et sa construction témoigne d'un certain soin 2. Cela
ne veut pas dire que le logement de l'Indien vivant en communauté soit satisfaisant, loin de là. Par exemple, il est rare
qu'une fenêtre y prodigue l'air et la lumière. De même, le
sol ne comporte presque jamais de carrelage ni de plancher.
BOLIVIE
Dans une étude très complète et très documentée concernant l'Indien de la région du lac Titicaca, en Bolivie, Weston
La Barre rapporte que, de nos jours, le logement de l'Aymara
est une petite cabane (uta), d'environ 2 à 3 mètres de large
sur 3 à á mètres de long, aux murs de terre, généralement
dépourvue de fenêtre, dont le toit est recouvert de chaume
d'alfa et parfois, dans le voisinage du lac, de joncs de massette. « A droite de la porte, à l'intérieur de la cabane, se
trouve un brasero ou un four de terre ; la seule issue pour la
fumée est la porte elle-même ou les interstices du chaume
qui recouvre les murs et le toit 3 ».
Capriles Eico et Arduz Eguia, en 1941, ont décrit de la
façon suivante les conditions de logement de l'ouvrier mineur :
Lorsqu'il ne s'agit pas tout simplement de chaumières rustiques
et misérables, dont les murs à moitié démolis laissent filtrer le froid
et le vent de la Puna, l'habitation manque de fenêtre et de tout
autre moyen d'aération, elle est dépourvue de plancher, d'éclairage
électrique, d'eau potable, de lit et de toute installation sanitaire.
Dans la plupart des cas, l'ouvrier dispose d'une seule pièce qui sert
1
Indians of the High Andes, op. cit., pp. 76, 111 et 223.
Un rapport présenté en 1943 par la Commission mixte gouvernementale
Bolivie-Etats-Unis chargée d'étudier les problèmes du travail en Bolivie signale
que les travailleurs agricoles des haciendas étaient, à cette époque, privés de toute
garantie quant à la stabilité de leur résidence et dépourvus de tout sentiment de
propriété ; dans ces conditions, le logement qu'ils construisaient tendait à être
plus pauvre que celui du petit propriétaire. Labour Problema in Bolivia, op. cit.,
p. 32.
3
Weston LA BARBE, op. cit., pp. 93-94.
2
HABITATION
117
à la fois de chambre à coucher, de salle à manger, de cuisine, de
salle commune et d'étable... Dans cette pièce unique — dépotoir
jonché de débris de vaisselle, de chiffons et de détritus — cohabitent
le travailleur, sa femme et ses enfants, sans compter ses animaux
domestiques. Et cela, en supposant que cette unique pièce n'abrite
pas deux familles ou davantage *.
Dans l'ancien camp ouvrier de la Compagnie minière
d'Oruro, 85 pour cent des ouvriers étaient logés dans des
habitations dépourvues de fenêtres, dont les murs et le sol
étaient de terre ; dans le camp de Pulacayo, la plupart des
habitations n'avaient pas de fenêtres, le sol et les murs n'en
avaient pas été refaits depuis fort longtemps ; pour tout un
camp, hébergeant environ 12.000 ouvriers, il n'existait pas
même une seule installation sanitaire, pas même un établissement central de bains ; dans le camp de Telamayu, deux
familles ou davantage cohabitaient fréquemment dans le même
logement, sans éclairage ni eau potable ; les conditions les
plus déplorables régnaient dans la mine « Animas », où les
ouvriers des équipes de nuit et ceux des équipes de jour étaient
contraints d'occuper alternativement les mêmes logements ;
dans le camp de la Compagnie minière et agricole Oploca de
Bolivie, les habitations étaient dépourvues de fenêtres, d'eau
potable et d'installations sanitaires.
Dans certains camps, le logement commençait toutefois
à répondre aux normes les plus élémentaires d'aération et
d'espace habitable et comportait des installations collectives
d'eau courante et d'hygiène et la lumière électrique. E n règle
générale, la situation du logement serait nettement meilleure
dans les camps de la Société Patino Mines, à Catavi, et de la
Compagnie Aramayo de Minas en Bolivie, à Quechisla.
Le rapport de la Commission gouvernementale mixte
Bolivie-Etats-Unis, dont il a été fait mention plus haut,
a révélé qu'il existait en 1943 une grave pénurie de logements
ouvriers dans de nombreuses mines et que, bien souvent, deux
familles devaient vivre entassées dans u n seul et même logement. « La plupart des maisons manquent de fenêtres, et, bien
souvent, les cuisines ne possèdent ni cheminée ni autre
moyen d'évacuer la fumée... Dans les mines les moins
importantes, il arrive que le travailleur ne dispose que d'une
étroite cabane d'environ deux mètres sur trois, où la porte
est remplacée par une vieille serpillière et dont le toit est fait
de morceaux de tôle mal ajustés et percés en maints endroits.
1
Remberto CAPRILES RICO et Gastón ARDUZ EGUÍA, op. cit., p . 23.
118
CONDITIONS DE VIE
De nombreuses mines sont dépourvues de toute installation
sanitaire. Eares sont celles qui sont dotées d'une installation
de douche ou de buanderie. Dans bien des cas, aucune installation d'eau potable ne se trouve à proximité 1.
Du rapport de la Commission d'étude des Nations Unies
sur la feuille de coca (1950), il ressort que, sept ans plus tard,
la situation du logement ouvrier dans l'importante région
minière de Catavi ne s'était pas améliorée 2.
Le rapport de la mission d'assistance technique des Nations
Unies indique que le logement typique des régions rurales et
des camps miniers de Bolivie « n'approche pas, tant s'en faut,
des normes les plus modestes de salubrité et de décence admises
dans le monde occidental... En général, il est dépourvu de
fenêtre, de cheminée, d'installation de chauffage intérieur,
d'eau courante ou d'installation sanitaire ». En revanche, « un
nombre surprenant de familles possèdent des machines à
coudre » 3 .
EQUATEUR
Dans l'Equateur, d'après les résultats d'une enquête
effectuée en 1948 par Plutarco Naranjo Vargas pour l'Institut
national de prévoyance sociale en vue d'étudier les conditions
de vie du paysan dans diverses régions de la province de Pichincha, la maison de l'Indien et de l'ouvrier de hacienda consiste,
généralement, « en quatre murs de terre, recouverts d'un toit
de tuiles ou de chaume ; dans la plupart des cas, l'ouvrier partage son gîte avec les animaux domestiques. Il suffira de dire
que dans les haciendas en question, où l'on élève du bétail de
race, les animaux sont logés beaucoup mieux que les ouvriers 4 ».
Aníbal Buitrón et Bárbara Salisbury Buitrón, dans un
rapport adressé au même Institut, rapportent que, dans les
régions rurales de la province en question, les deux tiers des
maisons n'ont ni plancher ni plafond ; les murs sont faits de
1
Labour Problems in Bolivia, op. cit., pp. 33-34.
« [Ces habitations] sont construites en série, sous forme de grands pavillons
et chaque logement comprend une pièce de dimensions réduites et une cuisine
exiguë, sans eau ni instaHation sanitaire. Dans cette pièce vit toute une famille,
si nombreuse qu'elle soit. Les pièces manquent d'aération, du fait que, le plus
souvent, la seule ouverture est celle de la porte d'entrée... D'autres mineurs vivent
à proximité des logements susmentionnés, dans des huttes faites de pierres superposées qui les protègent mal des intempéries. Une famille entière vit dans chacune
de ces huttes, qui ne comportent que quatre murs. Il n'y a aucune trace d'installation hygiénique, sanitaire, d'eau, d'électricité, etc. » Voir Bapport de la Commission d'étude sur la feuille de coca, op. cit., p. 54.
8
Report of the United Nations Mission of Technical Assistance to Bolivia,
op. cit., p. 306.
2
4
Plutarco NAEANJO VABOAS, op. cit., pp. 18 et 25.
Ill
Séchage de la viande dans la réserve de Peigan, sud de l'Alberta (Canada)
(National Film Board)
IV
Habitations tropicales au Venezuela
(Extraits de Tierra Firme (Caracas),
nos 1 et 3, mars et mai 1953)
HABITATION
119
torchis et ne sont recouverts d'aucun crépi qui les protège des
intempéries, ce qui explique leur rapide délabrement ; la
plupart des logements n'ont qu'une porte étroite et basse pour
unique moyen d'aération et d'éclairage ; « les propriétaires des
haciendas ne se préoccupent guère, ou pas du tout, de l'état des
maisons qu'ils mettent à la disposition des huasipun güeros1 ».
L'abbé Leónidas Eodríguez Sandoval, de l'archevêché de
Quito, mentionne le fait que la hutte de l'aborigène de la
Sierra «est dépourvue de cloisons et que sa charpente de bois
non travaillé est fichée en terre et sommairement recouverte
d'un enchevêtrement de laiche. Une seule entrée, étroite et
basse, ordinairement dépourvue de porte, y donne accès. Il n'y
a pas de fenêtre. Les Indiens dorment à même le sol sur de
la paille, tout près du fourneau. Ils n'ont pas de table pour
prendre leurs repas et s'assoient sur des souches d'agave ou sur
des troncs d'arbre 2 ».
GUATEMALA
La maison aborigène commune comporte, dans ce pays, un
sol de terre battue, des murs de demi-rondins, de briques de
terre, de cannes ou de planches et un toit de tuiles d'argile
ou de chaume. Elle ne compte, en général, qu'un seul logement,
sans fenêtre, dans lequel la famille fait sa cuisine, prend ses
repas et dort. Dans certaines communautés, les Indiens
dorment sur des claies, dans d'autres, à même le sol. A San
Antonio Aguas Calientes, rares sont les maisons possédant des
installations sanitaires. A Chuarrancho, aucune des maisons
ne possède d'installation sanitaire. A Santo Domingo Xenacoj
et à Chinautla, les aborigènes dorment sur des claies (tapexcos)
et les plus industrieux dans des lits ; l'aborigène laisse entendre
qu'il aimerait dormir dans un lit, mais qu'il n'a pas les moyens
de s'en acheter 3.
MEXIQUE
D'après les résultats d'une enquête spéciale portant sur
ce sujet, il existe au Mexique une grande variété d'habitations
1
Aníbal BUITRÓN et Bárbara SALISBURY BUITRÓN : Condiciones de vida y
trabajo del campesino de la provincia de Pichincha (Quito, Instituto Nacional de
Previsión, mars 1947), pp. 33-37.
a
Leónidas RODRÍGUEZ SANDOVAL : Vida económicosocial del indio libre de la
sierra ecuatoriana (Washington, Universidad Católica de América, 1949), p. 70.
3
INSTITUTO INDIGENISTA NACIONAL : Chuarrancho. Síntesis socioeconómica de
una comunidad indígena guatemalteca (Guatemala, 1948), pp. 6-7. Voir en outre
les autres monographies de la série, consacrées à San Juan Sacatepequez, Chinautla,
Parramos, San Antonio Aguas Calientes, Santa Catarina Barahona, Santo Domingo
Xenacoj et San Bartolomé Milpas Altas, rédigées comme la précédente par Antonio
GOUBAUD CARRERA.
120
CONDITIONS DE VIE
aborigènes, dont le type est déterminé non seulement par le
climat et les matériaux disponibles, mais aussi par le niveau de
développement économique et social qu'a atteint la tribu ou
le groupe. Cette diversité s'étend de la minuscule hutte de
branchages, recouverte de lamelles d'épongé ou d'écaillés de
tortue (dans le cas des Seri) jusqu'au logement aux murs de
briques de terre et au toit de lattes ou de tuiles (divers groupes
Mixtèques, Zapotèques et Aztèques), en passant par des types
intermédiaires tels que le petit réduit de pierre qui sert à la
'fois de chambre à coucher pour toute la famille, de cuisine et
d'abri pour les animaux. En général, dans les régions froides,
l'habitation aux murs de briques de terre ou de pierre et au
toit recouvert de lattes, d'herbe, de feuilles de palmier ou de
tuiles prédomine, tandis que dans les régions chaudes on
trouve plutôt la hutte aux murs de laiche ou de bois et au toit
d'herbe ou de feuilles de palmier. Dans les régions pauvres des
hauts plateaux, par exemple dans la vallée du Mezquital
(Etat d'Hidalgo), on trouve les huttes construites à l'aide de
feuilles d'agave « qui s'élèvent tout juste assez au-dessus du sol
pour offrir à la famille un abri misérable ». Dans la région
froide de la sierra Tarahumara (Etat de Chihuahua), quelques
communautés vivent dans des cavernes à peine aménagées
pour répondre aux nécessités minima de l'existence humaine.
Ce phénomène peut être observé aussi chez les Indiens Pirna,
qui « s'établissent dans des cavernes pendant certaines périodes
de l'année 1 ».
La conclusion générale de cette enquête semble pouvoir se
résumer dans les passages ci-après du rapport :
Les habitations de la plupart des groupes aborigènes du Mexique
se caractérisent par leur fragilité, par une utilisation fort peu rationnelle des matériaux disponibles, par une construction défectueuse qui
ne protège pas l'occupant de manière satisfaisante contre les intempéries... ; les conditions déplorables du logement de l'Indien
contribuent à perpétuer son retard culturel et à propager la plupart
des maladies qui augmentent tragiquement le taux de mortalité
de la population rurale du Mexique... La plupart des maisons
aborigènes pâtissent de vices fondamentaux : le sol en est de terre
battue... bien souvent, le fourneau qui sert à la préparation des
aliments... se trouve dans la pièce même où couche la famille...
Les déjections des animaux
attirent les mouches et contaminent
fréquemment les aliments 2.
1
Lucio MEKDIETA Y NIÎNEZ : La habitación indigena, Monografías del Instituto
de Investigaciones Sociales de la Universidad Nacional Autónoma de México
(México, 1939), p. 17. Cette étude contient un tableau ethnographique des habitations aborigènes du pays, par tribu et par habitat, où sont énumérées les caractéristiques des divers types de construction.
2
Ibid., pp. 28 et 31-32.
HABITATION
121
Cette conclusion a été confirmée par les résultats de plusieurs enquêtes. C'est ainsi, par exemple, qu'une étude publiée
par le secrétariat à l'Instruction publique affirme que « le
logement typiquement aborigène n'a pour ainsi dire pas évolué
depuis l'époque préhispanique 1 ».
Dans les régions les plus élevées, les déficiences du logement aborigène constituent probablement l'une des causes
principales du taux élevé de la mortalité, imputable aux
maladies de l'appareil respiratoire. C'est ainsi qu'à la Meseta
Tarasca, « l'humidité du sol pendant la saison des pluies est
constante ; l'air froid des nuits d'hiver pénètre librement par
les lézardes du mur, et la fumée qui se dégage du bois de chauffage en combustion irrite les yeux et les voies respiratoires.
Il ne fait pas de doute que tous ces facteurs sont en grande
partie à l'origine de la fréquence des pneumonies et des
broncho-pneumonies si souvent mortelles 2 ».
PÉBOU
Au Pérou, d'après un rapport publié par le département
de l'hygiène et de l'assistance sociale de la Caisse nationale
d'assurance sociale, le type de logement le plus courant chez
les péons des grandes propriétés de la Sierra consiste en une
seule pièce sans fenêtre, au sol d'argile et au toit de chaume ;
dans les agglomérations aborigènes (rancherías) des haciendas
de la région côtière, l'habitation de l'ouvrier agricole se compose souvent d'une seule pièce, qui, dans bien des cas, est
faite de branches, de chaume et d'argile, avec la terre pour seule
fondation ; cette habitation a tôt fait de quitter la verticale,
le tassement de l'argile ouvrant des lézardes dans les murs 3 .
Au dire d'un médecin péruvien, le D r Luis Sáenz, dans
maintes régions de la Sierra, « il n'existe pas de différences
bien grandes entre les constructions actuelles... et l'habitation édifiée par l'homme qui a immédiatement succédé à
l'homme des cavernes » ; dans de nombreuses haciendas de
la côte, les rancherías ou coicas des péons aborigènes seraient
plus primitives que les étables et les écuries que certains
propriétaires font construire pour leurs bêtes 4.
1
Carlos BASAUKI : La población indigena de Mexico, op. cit., tome I, pp. 57-64.
Gonzalo AGUIKRE BELTRÁN : Problemas de la población indigena de la cuenca
del Tepalcaiepec (Memorias del Instituto Nacional Indigenista, México, 1952), p. 292.
3
« Aspectos sanitarios del problema de la vivienda obrera en el Perú », Informaciones Sociales (Lima), janv. 1941, pp. 8-16.
4
Luis N. SÁENZ : El punto de vista médico en el problema indigena peruano,
op. cit., p. 41.
3
122
CONDITIONS DB VIE
Le rapport de la Commission d'étude des Nations Unies
sur la feuille de coca 1 décrit le logement des travailleurs
agricoles aborigènes de la Sierra comme ne comportant qu'une
seule pièce dans laquelle vit toute la famille, souvent même
avec quelques animaux domestiques. E n général, il n'y a pas
de fenêtre et la porte est l'unique ouverture qui permette
d'aérer plus ou moins la maison. Comme le fait a déjà été
relevé à propos d'autres pays, il n'y a aucune installation
hygiénique, fût-ce la plus rudimentaire.
En ce qui concerne les ouvriers mineurs, la commission
constituée par le Comité de coopération en Amérique latine
signalait en 1946 que 800 familles de la région de La Oroya
vivaient dans des baraquements dont chacun comprenait
vingt-quatre logements. C'est dire qu'il n'y avait aucune
vie privée ; les enfants et les parents occupaient ordinairement
le même lit et il n'y avait qu'une seule latrine pour vingt-quatre
familles. Deux conduites d'eau courante servaient à tous les
besoins des vingt-quatre familles 2.
Pedro Erasmo Eoca, dans un rapport plus récent présenté
au gouvernement péruvien en 1950 et traitant des conditions
de vie et de travail qui régnent dans divers districts miniers
de la Sierra, affirme que l'aspect le plus impressionnant des
conditions de vie des travailleurs, «en majorité aborigènes»,
est celui qu'offre l'habitation, et que c'est à La Oroya que le
problème se pose avec le plus d'acuité.
D'après les données communiquées par la Société Cerro de Pasco
C.P., il existe à La Oroya 265 compartiments de deux pièces destinés
en majorité à loger les employés et 1.460 d'une pièce affectés aux
ouvriers — le nombre total de ces derniers étant de 4.101... Il
arrive très fréquemment que des familles de quatre personnes ou plus
habitent une même pièce de trois mètres sur trois, où la cuisinière à
coke, installée dans un des angles, occupe à elle seule près d'un
mètre carré.
Un autre aspect intéressant du logement, et plus particulièrement du logement des travailleurs, est l'absence d'hygiène et de
salubrité, qui caractérise, à quelques différences de détaü près, tous
les centres miniers que nous avons visités. Cette insalubrité tire
généralement son origine : premièrement, de l'absence ou de la pénurie
d'installations hygiéniques adéquates et suffisantes, notamment
pour l'amenée et l'évacuation de l'eau dans les campements, et,
deuxièmement, de l'ignorance des travailleurs des mines en matière
d'hygiène corporelle et domestique 3.
1
Op. cit., p. 53.
Indians of the High Andes, op. cit., p. 50.
3
P. Erasmo ROCA: «Las condiciones de vida y de trabajo de los mineros
peruanos », Hechos e Ideas (Buenos-Aires), vol. XI, n° 76, juill. 1950, p. 236.
2
HABITATION
123
I N D I E N S SYLVICOLES
Chez les Indiens sylvicoles d'Amérique latine, de la
région amazonienne en particulier, l'habitation varie selon le
degré d'évolution culturelle et en fonction de l'influence exercée
par la culture euro-américaine, et, en général, on peut y
distinguer trois types.
En premier lieu, les formes primitives originales, comprenant soit des abris simples (paravents), soit des abris doubles
dont la toiture peut dans certains cas être distincte, soit
encore des habitations en forme de ruche d'abeilles. Le paravent, qui constitue l'abri le plus primitif, consiste en une
paroi de branchages, plus ou moins verticale, rapidement et
grossièrement dressée. Le type de demeure à double auvent,
construction déjà plus régulière dont les parois sont appuyées
sur des pieux ou des arbres, se trouve parmi les tribus du Chaco
et du plateau brésilien. Ces tribus, d'ailleurs, construisent
également des huttes cintrées à toit-paroi ; ce genre de hutte,
toutefois, se trouve principalement dans la région de l'Araguaya
et du Tapajoz, notamment chez les Sambioia, les Mehinakou,
les Ipourina, les Paoumar (Arwak), les Bakairi (Caribe), les
Apiaka (Tupi). Ces formes rudimentaires d'abri n'excluent
pas l'existence, dans les mêmes tribus, d'habitations en ruche
d'abeilles, comme c'est le cas chez les Gê du plateau brésilien,
moins avancés et qui, s'ils n'habitent pas des anfractuosités
de roches et des terriers souterrains, se contentent de simples
paravents recouverts de peaux ou de feuilles.
En deuxième lieu, viennent les formes plus évoluées dans
le cadre de la culture autochtone et dérivées des types primitifs. Telles sont l'habitation ronde ou elliptique à toiture
en ruche d'abeilles et l'habitation cylindrique à toiture conique.
La demeure circulaire se trouve notamment chez les Botocudo
et les Coroado du plateau brésilien, les Tchoroti, les Toba,
les Chamakoko du Brésil et du Chaco. Quant à la hutte à
toit conique, elle se retrouve aussi bien en Equateur et au
Brésil que dans les Guyanes, chez des tribus parvenues à des
niveaux de culture différents et appartenant à des groupes
linguistiques divers. Notons que, dans les Guyanes, la demeure
sur pilotis se trouve fréquemment.
Viennent ensuite les formes dérivées d'une influence européenne. Tel est le cas de la demeure quadrangulaire ou pseudoquadrangulaire (en fait elle est souvent elliptique) dont les
parois ne font pas bloc avec le toit comme dans la hutte
124
CONDITIONS DE VIE
elliptique à toit-paroi ; elle se trouve chez les Jivaro de
l'Equateur et les Tupi-Guarani du haut Xingu et du Tapajoz 1.
Mention doit être faite également de la demeure sur arbre,
qui se trouve notamment chez les Choco de Colombie, les
Motilón (Caribe) du Venezuela, les Guarauno de l'Orénoque
et les Pano des régions frontières bolivienne, brésilienne et
péruvienne.
Dans tous les cas, le matériau employé pour la construction
de ces habitations est fourni uniquement par la forêt ou la
brousse et consiste en troncs d'arbres et perches pour l'armature, feuilles de palmes et herbes pour la toiture.
L'aménagement intérieur est, dans tous les cas, des plus
simples. Le mobilier se compose de hamacs, de couches de
feuillages ou de peaux d'animaux ; les ustensiles de ménage
comprennent des poteries et des objets de vannerie ; chez
certaines tribus, il est fait usage de bancs de bois rustiquement
taillés, et des cloisons internes de séparation forment une
grande pièce commune où vivent groupés par familles les
membres de la tribu ; chaque famille entretient son propre
foyer.
Quant à l'aspect général des villages, il est le plus souvent
le reflet de l'organisation sociale des habitants. Un cas typique
est offert par les villages des Borôro, qui changent de lieu de
résidence selon la saison et quittent les rivières à l'époque des
pluies. Cette tribu est divisée en deux moitiés ou phratries,
exogames et matrilinéaires ; de ce fait, les villages, de forme
circulaire, sont divisés en deux moitiés dont chacune comprend
sept habitations, une par clan, soit un total de quatorze.
Au centre, une habitation de forme rectangulaire est la maison
de réunion des hommes 2.
Canada et Etats-Unis
CANADA
Les informations dont on dispose indiquent qu'une proportion considérable des Indiens du Canada, surtout ceux qui
travaillent comme ouvriers dans les régions fortement peuplées,
1
Cf. G. MONTANDON : Traité d'ethnologie culturelle. L'ologènèse culturelle (Paria,
Payot, 1934), pp. 293-297, et A. RAMOS, op. cit., vol. I, p. 86.
2
P. Antonio COLBACCHINI et P. César ALBISETTT : Os Borôro orientais. Orarimogodogue do PlanaUo Oriental de Mato Grosso (Sào-Paulo, Editora Nacional,
1942), p. 36.
HABITATION
125
ont des habitations permanentes construites de façon satisfaisante.
Dans la partie sud de la province de Québec, par exemple,
Íes Indiens vivent dans des « maisons bien construites, de
pierre, de briques ou de bois. Un grand nombre de ces logements sont meublés avec goût. Leurs gains étant très élevés
dans l'industrie et la construction, les Indiens apportent
des perfectionnements sensibles à leurs habitations ». Les rapports établis pendant les dernières années par le Service des
affaires indiennes font état des progrès considérables réalisés
dans d'autres provinces dans le domaine de la construction
de nouvelles habitations ou dans celui de la réparation et de
l'amélioration des logements existants.
Dans les régions les plus éloignées, où l'Indien est surtout
trappeur et chasseur, on rapporte qu'il vit pratiquement toute
l'année sous la tente 1.
Les améliorations des conditions de logement de l'Indien
ont été apportées surtout depuis 1946, époque à laquelle fut
lancé un programme de coupe de bois de construction (à l'aide
de scies portatives) dans les réserves indiennes dont les ressources de bois sont suffisantes, ce qui a pour conséquence de
réduire le prix de revient de base. Ce programme a permis de
réparer 2.271 logements et de construire 1.197 logements
nouveaux pendant l'exercice 1949-50 2.
ETATS-UNIS
Comparé à l'habitation de type général telle qu'elle se
présente dans le pays, le logement de l'Indien est plutôt
insuffisant, aussi bien dans les réserves administrées par le
1
Annual Report of the Department of Mines and Resources for the Fiscal Year
Ended March 31,1947 (Ottawa, 1948), pp. 206-214. La littérature existante concernant les Esquimaux est considérable. Chez ce peuple, le logement, comme les armes
et les outils, témoigne d'une grande ingéniosité et d'une faculté extraordinaire
de tirer parti des ressources d'une économie primitive dans un milieu peu hospitalier. Ne disposant pas de bois, les Esquimaux utilisent les os, la pierre, le cuir,
la neige et la glace et construisent des habitations permanentes dotées d'installations qui surprennent chez des populations primitives. Cf. E. M. WEQBB : The
Eskimos : Their Environment and Folkways (New-Haven, Connecticut, Yale
University, 1932). Chez les Indiens du Canada, il convient de signaler spécialement
les progrès réalisés dans le domaine de l'habitation par les tribus de la Colombie
britannique. Cf. C. Daryll FORDE, op. cit., pp. 69-95. Voir également T. T. WATERMAN :
Native Houses of Western North America (New-York, Museum of the American
Indian, Heye Foundation, 1921), et D. JENNESS : The Indians of Canada (Ottawa,
National Museum of Canada, 1932).
2
«Report of Indian Affairs Branch», dans Annval Report of the Department
of Citizenship and Immigration for the Fiscal Year Ended March 31, 1950, op. cit.,
pp. 69-70.
126
CONDITIONS DE VIE
gouvernement que dans les centres urbains et ruraux où les
Indiens travaillent comme salariés.
Dans les réserves, le logement est conforme à l'architecture
traditionnelle de la tribu et s'ajuste autant que possible aux
nécessités de la vie familiale : c'est le « hogan » d'une seule
pièce chez les Navajo, la cabane de rondins chez les Sioux et
la maison d'une ou de deux pièces, en clayonnage et torchis ou
en briques de terre, au sol de terre battue, chez les Papago.
J . A. Krug, qui fut secrétaire d'Etat à l'Intérieur, a qualifié
les conditions de logement des Navajo d'inconcevables pour
la majorité des Américains qui n'en ont pas été témoins. La
famille Navajo vit dans une cabane faite de rondins et d'adobe,
sans fenêtres ni plancher ; il n'y a pas d'installations sanitaires
ni de commodités modernes ; le mobilier est pratiquement
absent et il est rare qu'il s'y trouve un poêle ou un lit ; un feu
allumé au centre de la pièce et l'ouverture pratiquée dans le
plafond permettent seuls le chauffage et l'aération 1. Dans les
réserves des Etats du Minnesota, du Wisconsin, du Montana,
du Dakota du Nord et du Dakota du Sud, il n'est pas rare
de rencontrer une famille de six à huit personnes habitant
dans une case d'une seule pièce mesurant 4 mètres sur 6. Si
l'on considère qu'il existe plus de 1.000 cas contagieux de
tuberculose pour lesquels il n'y a pas de possibilités d'hospitalisation, on ne saurait sous-estimer la gravité d'un tel entassement de personnes 2.
En ce qui concerne les Indiens qui vivent en dehors des
réserves, ceux qui se sont fixés dans les villes et y ont
adopté un mode de vie sédentaire se voient contraints de
vivre dans des quartiers misérables 3. Dans un rapport récent,
G. E. E. Lindquist signale qu'en règle générale, lorsque les
Indiens ne résident pas dans les réserves, ils doivent s'installer
1
J. A. RRTO : The Navajo, op. cit., p. 6 ; Laura THOMPSON : Personality and
Government, op. cit., passim.
2
H. Norman OLD : « Sanitation Problems of the American Indians », American
Journal of Public Health and the Nation's Health, vol. XLIII, n° 2, fév. 1953,
p. 213. L'auteur, conseiller auprès du Bureau des affaires indiennes pour les questions
sanitaires, indique que l'adduction d'eau se fait dans des conditions contraires à
l'hygiène et que souvent, au lieu de creuser des puits pour se procurer l'eau potable
en quantité suffisante, les Indiens continuent d'utiliser des eaux courantes contaminées, sans qu'il soit possible de les convaincre de la relation qui existe entre la
prévention des maladies telles que la dysenterie et l'utilisation des eaux des ruisseaux et des mares. La situation n'est pas plus rassurante en ce qui concerne les
égouts — généralement inexistants ou insuffisants — et la lutte contre les insectes,
qui jouent le rôle d'agents transmetteurs de diverses maladies.
3
Theodore H. HASS : « The American Indian in Recent Perspective », Boletín
Indigenista, vol. Vili, n° 2, juin 1948, p. 113. Extrait de Race Relations, déc. 1947janv. 1948, pp. 51-59.
HABITATION
127
dans des quartiers surpeuplés et misérables dans les régions
industrielles où ils travaillent, mais qu'il est encourageant de
constater combien est grand leur désir d'améliorer leurs
conditions de vie 1.
Asie
Chez les tribus aborigènes de l'Asie, la forme nomade de
l'économie agricole, qui souvent exige que soient pratiquées
des cultures saisonnières dans des régions différentes selon le
moment de l'année, peut obliger l'aborigène à installer sa précaire habitation sur des pilotis ou sur des plates-formes disposées à la fourche des arbres. Ces constructions, de caractère
toujours provisoire, varient selon les éléments utilisés, éléments
que l'aborigène se procure facilement dans les bois, dans les
régions lacustres ou au bord des marais. E n général, une
armature de bois ou de bambou est recouverte de paille ou de
branches ; il n'existe pas de fenêtres et le logement sert à la fois
de lieu de travail, de chambre à coucher et de cuisine. Il s'agit
là d'un refuge plus que d'une habitation ; les parois et le toit
font l'office d'un abri destiné aux bêtes aussi bien qu'aux gens.
Chez certaines tribus, l'habitation est collective et la tradition
exige que les célibataires vivent isolés.
BIRMANIE
En Birmanie, l'habitation de l'aborigène est rudimentaire.
Des troncs légers et des tiges de bambou font office de poutres ;
les murs et le sol sont faits de cannes de bambou si mal assemblées qu'elles ne protègent pas des intempéries, le toit est de
chaume, de feuilles de palmiers ou bien, dans le cas de la tribu
des Kachin, d'une feuille appelée « shingle lap ». Dans le Sud,
le logement est exigu et de construction fragile; il se compose
d'une pièce à laquelle donnent accès deux portes, une devant
et une derrière, et se trouve perché sur des pilotis à environ
un mètre du sol. Dans les villages du Nord, le logement est
plus spacieux et la construction, où sont utilisés des madriers
épais, plus solide ; il est généralement entouré d'une palissade
de pieux. La moitié de la maison est divisée d'avant en arrière
en compartiments (de trois à six selon le nombre des familles
qui l'habitent). L'autre moitié est une véranda ouverte ou
fermée par des cloisons de bambou, sur laquelle ouvrent toutes
1
G. E. E. LINDQUIST : Indians in Transition, A Study of Protestant Missions
to Indians in the United States (New-York, National Council of Churches of Christ,
Division of Home Missions, 1951), p. 16.
6
128
CONDITIONS DE VIE
les pièces. Cette habitation n'a pas de fenêtres. Le feu y est
constamment allumé et la fumée acre envahit tout le logement x .
CETLAN
Les Vedda ont abandonné leurs mœurs troglodytiques
primitives et vivent dans des huttes construites à l'aide de
pieux et d'écorce et recouvertes d'herbes. Ceux qui se sont
installés sur la côte vivent dans des huttes ou abris (cadjans)
construits à même le sable. Les quelques familles établies dans
les camps de la Couronne sont mieux logées 2. Les Rodiya
vivent dans des villages bien délimités, où ils habitent des
huttes d'une pièce construites de branches entrelacées ou de
morceaux d'écorce de palmier et recouvertes d'un torchis de
boue 3 . Enfin, les Kinnaraya possèdent des maisons propres
et bien tenues *.
INDE
Ce même type d'habitation, à quelques nuances près, est
répandu dans toutes les régions de l'Inde où sont établies des
tribus aborigènes. Si l'on considère l'ensemble du pays, c'està-dire non pas seulement les aborigènes, mais aussi le reste de
la population, « on estime que, sur 66.400.000 maisons habitées
dans les 600.000 villages de l'Inde, les puTclca, ou maisons de
briques, ne représentent pas plus de 2 pour cent et les kutcha,
ou maisons de terre, de bois ou de clayonnages de bambou,
au toit de chaume ou de tôle ondulée et possédant des portes
et des fenêtres répondant à différents types, ne représentent
pas plus de 7 pour c e n t 5 ».
E n fait, les aborigènes arboricoles « se situent dans une
bande de territoire s'étendant du sud de l'Inde (notamment
les Kanikarar et les Mandowar, à l'extrême sud du pays, et
parfois les Irula des monts ïfilgiri à l'est) jusqu'à l'Assam
(les Garo) et au-delà, dans plusieurs régions de l'Indochine
jusqu'au pays Miao aux confins de la Chine 6 ». Les tribus de
l'Inde méridionale ont leur architecture propre. Les Tchentchou
ne connaissent qu'un seul type de huttes : un tronc bien sec
1
T. P . DEWAB : « General Description of t h e Naga Tribes inhabiting the Burma
Side of the Patkoi Range », Census of India, 1931, vol. 1, partie I I I B, op. cit.,
pp. 152-153. Pour plus de détails sur les conditions de logement en Birmanie, voir
J o h n LePvoy CHRISTIAN, op. cit., p p . 154-162.
2
Communication du gouvernement de Ceylan, juillet 1952.
3
M. D. RAGHAVAN : Cultural Anthropology of the Rodiya, op. cit., p . 22.
4
I D E M : The Kinnaraya,
5
S. CHANDRASEKHAB, op. cit., p . 56.
G. MONTANDON, op. cit., p . 297.
6
op. cit., p. 224.
HABITATION
129
d'environ 2 m 50 de long et 30 centimètres de circonférence à sa base est planté en terre. A l'aide d'une baguette
d'environ 1 m 70 de long, un cercle est tracé autour du poteau
et un clayonnage de bambou de 1 mètre de large et assez long
pour parcourir tout le cercle est ensuite assujetti et fixé au sol à
l'aide de chevilles. A partir de l'extrémité supérieure du poteau
central, des piquets de bambou sont installés de manière à reposer sur la paroi de clayonnage et la carcasse du toit conique
est complétée par le même matériau et recouverte de chaume \
En revanche, les Kadar, qui sont leurs voisins, vivent dans
des huttes de branchages recouvertes d'herbes oda très résistantes. Dans certains cas, le sol de la hutte est surélevé 2.
Dans l'Etat de Travancore, les Kanikar, les Mannan, les
Muduvan, les Paliyan et les Vishavan ne surélèvent pas le sol
de leurs huttes et, en conséquence, le drainage et les conditions sanitaires laissent à désirer. En revanche, les MalaArayan, les Ulladan et les Mala-Pulaya ont coutume de surélever
le sol de leurs habitations 3.
Dans l'Etat de Madras, les autorités se sont efforcées de
procurer du terrain à bâtir à certains groupes aborigènes en
leur allouant certaines terres appartenant à l'Etat ou en
achetant de nouvelles parcelles à des particuliers 4 . Dans cet
Etat, les Toda des monts Nilgiri, qui pratiquent l'élevage, ont
un type de logement qui leur est propre. Il s'agit d'une habitation de bois rectangulaire et couverte de chaume, dont le
toit est de forme ogivale 5 .
Les travailleurs logés dans les plantations ou dans les
camps de certaines compagnies disposent d'habitations plus
modernes.
INDONÉSIE
En Indonésie, des statistiques du logement établies en
1930, mais publiées beaucoup plus tard, ce qui laisse supposer
qu'elles sont toujours valables, indiquent que 4.836.805 des
maisons qui abritent la population indonésienne (mais pas
seulement aborigène au sens où le terme est employé dans le
1
GHTJLAM Ahmed Khan : « The Chenchus », Census of India, 1931, vol. I,
partie I H B, op. cit., p. 210.
2
P. G. MENON : « The Kadar of Cochin », ibid., p. 213.
3
L. A. Krishna IYER et N. K. PILLAI : « The Primitive Tribes of Travancore »,
ibid., p. 237.
4
Administration Report of the Labour Department (Madras) on the Work Done
for the Amelioration of the Eligible Communities, for the Year Ending 31st March 1946,
(Madras, Government Press, 1946).
6
G. MONTANDON, Op. tit., p . 182.
130
CONDITIONS DE VIE
présent rapport), soit 55 pour cent, «ne sont pas en briques
tout en ayant un toit solide », et classent 3.521.794 maisons,
soit 40 pour cent, dans la catégorie « autres logements 1 ».
Dans la partie nord-ouest de Bornéo et même à proximité
du littoral, les Bassap habitent sous un simple toit de feuilles
porté par quatre piquets, même s'ils s'installent pour plusieurs
mois. Dans les régions où la forêt est très dense, et où les
habitants doivent changer souvent de résidence pour aller
défricher de nouvelles terres à cultiver, le logement est provisoire, la construction de bambou et d'écorce. Mais dans les
régions défrichées, les aborigènes s'établissent de manière plus
permanente et construisent des maisons de bois. Dans une
grande partie de l'Indonésie, chaque maison abrite plusieurs
familles, mais cette catégorie fait place peu à peu à l'habitation
destinée à une seule famille. Dans les Célebes, en particulier,
les Toradja ont été encouragés à construire des villages permanents et c'est ainsi que ce nouveau mode de vie a converti les
Minahassa, connus il y a encore cinq ans comme de féroces
chasseurs de tètes, en un peuple pacifique et prospère 2.
PHILIPPINES
Parmi les Pygmées, seuls les Negritos vivent, comme la
plupart des habitants non aborigènes de condition modeste,
dans des habitations à toit de chaume et à plancher surélevé.
Les aborigènes d'origine indonésienne vivent dans des demeures
construites soit dans les arbres, soit à même le sol. Certains
d'entre eux, les Bajao, « Bohémiens de la mer », logent sur leurs
bateaux. Les Ifugao, les Igorrot, les Tinggian et les Apayao
vivent dans des habitations construites sur pilotis et comportant un toit de bois pyramidal. Ils construisent aussi des
maisons aux murs de boue ou de pierre, ou encore de planches
imbriquées, avec un toit de chaume 3.
THAÏLANDE
Les tribus de la Thaïlande ont des logements analogues
à ceux qui viennent d'être décrits, à quelques différences près.
La maison Semang consiste généralement en un abri de feuilles
1
CENTRAL BUEEATT or STATISTICS : « Types of Habitations in Java and Madura
(1930) », Statistical Pocket Book of Indonesia, 1941 (Batavia, 1947), p. 149.
2
Géographie universelle, publié sous la direction de P. VIDAL DE LA BLACHE
et L. GALLOIS, tome IX : Asie des mcmssons, par Jules SION, 2 m e partie (Paris,
Armand Colin, 1928), pp. 483-484.
*
3
Communication du gouvernement des Philippines, mai 1953, et H. H. MILLER :
Economie Conditions in the Philippines, op. cit., pp. 6 et 14.
HABITATION
131
de palmiers entrelacées à l'extrémité supérieure, ou en une
petite hutte de palme tressée. Les Semang les moins évolués
élisent plus simplement domicile sous un surplomb de rocher
ou dans un arbre creux.
Les habitations des Lawa sont faites de bambou et couvertes de chaume, tandis que les villages Kaché, sur lés hauts
plateaux, sont composés de constructions longues et basses,
de bois et de bambou, couvertes de chaume et surélevées de
plusieurs pieds. Les maisons des Meao sont de construction
plus solide, les murs sont de boue ou de bois, le sol empierré ;
elles sont souvent construites le plus près possible de la crête
des montagnes. Les Muhsoe possèdent des maisons bien
construites de bois et de bambou, et les Yao construisent les
leurs en demi-rondins et conservent le sol de terre. Les Karen
ont de longues maisons communautaires, souvent faites de
bambou et couvertes d'herbes 1 .
Australasie
AUSTRALIE
Les nomades d'Australie ne construisent généralement
pas de maisons ni même d'abris, mais dorment à même le sol,
soit sous un buisson très feuillu, soit, à la saison froide, entre
deux petits feux 2 . Dans certaines régions de l'Australie
méridionale, les habitants construisent des huttes en forme de
ruches faites de jeunes troncs et dont les murs sont de briques
crues. Ces mêmes matériaux sont utilisés aussi dans les monts
Kimberley, dans la partie nord du territoire. Dans certaines
parties du Queensland du ÏTord, les aborigènes dorment sur
des plates-formes construites au-dessus d'un petit feu dont la
fumée éloigne les moustiques. Toutefois, certains aborigènes,
en contact avec la civilisation, ont commencé à construire des
maisons qui s'apparentent davantage à celles des Blancs 3.
Dans les réserves et dans les domaines agricoles de la NouvelleGalles du Sud, chaque famille est pourvue d'une maison
normale, pour laquelle elle ne paie aucun loyer, mais l'absence
d'installations sanitaires demeure un problème 4. En Australie
1
W . A. GRAHAM : Siam, op. cit., passim.
C. DUOTTLD : The Aborigines of Australia, deuxième édition (Adélaïde, 1946),
passim.
3
A. P. ELKTN : The Australian Aborigines (Sydney, Angus and Robertson,
1948), pp. 18-19.
2
4
PARLIAMENT OF NEW SOUTH WALES, Aborigines Welfare Board : Annual
Report for the Year Ended 30th June 1944 (Sydney, Government Printer, 1946), p. 14.
132
CONDITIONS DE VIE
occidentale, le logement n'est pas fourni d'office aux aborigènes
qui vivent dans les exploitations gérées par l'Etat ; ces aborigènes se fabriquent eux-mêmes des abris, souvent avec des
matériaux de rebut. E n général, aucune installation sanitaire
n'est fournie, encore que, dans une de ces exploitations — et
non la moindre —, des douches et des lavabos conformes au
modèle en usage dans l'armée, aient été installés. Des baraques
de tôle d'environ 2 mètres sur 2 sont fournies dans certaines
exploitations de l'Etat, mais les aborigènes n'y demeurent pas
habituellement et préfèrent dormir à la belle étoile. Des
recommandations ont été formulées visant à faire construire
des logements plus convenables à l'aide de matériaux locaux,
logements dont le sol serait de bois ou de ciment, le toit de
tôle ou de chaume imperméable, et comportant une petite
véranda 1 .
L'extension des prestations de la sécurité sociale aux
aborigènes qui abandonnent la vie tribale et qui, comme les
métis, s'efforcent, dès qu'ils sont salariés, d'accéder à un niveau
de vie comparable à celui de la population d'origine européenne, a rendu nécessaire, depuis la fin de la guerre dans le
Pacifique, la création dans les réserves de la zone méridionale
du pays de services de logements, à loyers peu élevés ou dont
l'usufruit peut même être gratuit. La politique du gouvernement du Commonwealth semble viser à subventionner les
programmes de logement et à appuyer les initiatives prises
dans le même sens par les divers Etats, car il s'agit de faciliter
l'adaptation des aborigènes à des normes modernes ; parfois,
il est nécessaire d'ajuster ces normes aux nécessités culturelles
de l'aborigène, en construisant, par exemple, des habitations
comprenant de vastes galeries ouvertes qui donnent aux occupants l'impression de vivre à l'air libre dans les campements
de leur réserve. Les aborigènes qui, loin de leur tribu d'origine,
vivent dans les grandes villes jouissent généralement de conditions satisfaisantes de logement dans le district urbain. En
revanche, ceux qui ont abandonné le mode de vie tribal et
demeurent dans les districts ruraux en y occupant des habitations permanentes ne bénéficient pas de normes aussi élevées
et ils doivent être dans une certaine mesure l'objet de la surveillance des pouvoirs publics 2.
1
F. E. A. BATEMAN : Report on Survey of Native Affaira, op. cit., p. 17.
2
DEPARTMENT OS NATIVE AFFAIRS (Western Australia) : Annual Report of the
Commissioner for Native Affairs for the Year Ended 30th June 1944 (Perth, Government Printer, 1945), p. 8.
HABITATION
133
NOUVELLE-ZÉLANDE
Par rapport aux normes européennes de logement, l'habitation des Maoris de Nouvelle-Zélande n'est pas satisfaisante.
D'après le recensement de 1945, le nombre total des logements
occupés par les Maoris s'élevait à 16.028,- contre 13.793 en
1936, ce qui représente une augmentation de 2.235 logements,
soit 16,2 pour cent. Toutefois, pendant la même période, la
population maorie a augmenté de presque 20 pour cent, compte
tenu des Maoris enrôlés dans les forces armées d'outre-mer ;
les conditions de logement ne se sont donc pas améliorées en
proportion du rythme d'accroissement de la population. Tant
en 1936 qu'en 1945, pratiquement 90 pour cent des maisons
maories contenaient d'une à cinq pièces, comptant en moyenne
six occupants. E n 1936, 70,51 pour cent des logements étaient
la propriété du chef de famille, tandis qu'en 1945, cette proportion était tombée à 54,84 pour cent. Inversement, le pourcentage des maisons en location s'est élevé de 18,74 à 31,47
pour cent, du fait sans doute d'un mouvement migratoire vers
les villes, tandis que la proportion des maisons occupées et
exonérées de loyer s'est élevée, elle aussi, de 10,75 à 13,69 pour
cent. Sur un total de 15.780 logements, 11.522 comportaient
d'une à quatre pièces ; dans presque la moitié, il demeurait
plus de cinq personnes 1 .
La qualité de la construction de nombreuses maisons
maories laisse à désirer. C'est ainsi qu'une enquête officielle
effectuée dans une région rurale et semi-rurale habitée par
les Maoris a révélé que 7 pour cent seulement des habitations
rurales et 16,5 pour cent des habitations semi-rurales répondaient aux normes européennes de construction et ne nécessitaient pas de réparations. Il a été estimé également que
65 pour cent des maisons rurales et 39 pour cent des maisons
semi-rurales auraient dû être démolies parce qu'impropres à
l'habitation. Opposées à celles des Maoris, les normes de logement d'une communauté rurale européenne comparable font
apparaître une situation inverse. En effet, tandis que 78 pour
cent des maisons sont jugées excellentes en Europe, 7 pour
cent seulement des maisons maories sont dans ce cas. A l'autre
extrémité de l'échelle, 2 pour cent seulement des maisons
européennes menacent ruine, tandis que 65 pour cent des maisons maories sont considérées comme irréparables. Il semble
1
CENSUS AND STATISTICS DEPARTMENT : « Maori Dwellings », New
Official Year Book, 1947-1949, p p . 970-971.
Zealand
134
CONDITIONS DE
VIE
par conséquent évident que la norme de logement du Maori
soit très inférieure à celle de l'agriculteur européen 1. Cette
situation n'est pas pour nous surprendre s'il est tenu compte
du fait que le recensement de 1936 (d'après les renseignements
fournis par les Maoris qui ont répondu à un questionnaire
destiné aux Européens, c'est-à-dire par ceux d'entre eux qui
se sont le plus rapprochés du mode de vie européen) indique
que 0,03 pour cent seulement des Maoris ont un revenu annuel
d'au moins 364 livres, alors que cette proportion est de 2,3 pour
cent pour les Européens, c'est-à-dire que cette catégorie de
revenu compte 80 fois plus d'Européens que de Maoris. Les
données postérieures à 1936 ne sont pas encore disponibles,
mais rien ne permet de supposer que le rapport entre les
revenus des Maoris et ceux des Européens se soit en rien
modifié, ni que le revenu moyen des Maoris ait subi aucun
changement.
1
Ernest et Pearl BEAGLBHOLB : Some Modem Maoris (Wellington, New Zealand
Council for Educational Research, 1946), pp. 70-72.
CHAPITEE V
PROBLÊMES SANITAIRES
Déjà insuffisamment pourvu dans les domaines de l'alimentation, du logement et du vêtement, l'aborigène voit
encore son sort aggravé par l'absence de services sanitaires et,
dans certaines régions (notamment celle du massif méridional
des Andes sud-américaines), par des conditions climatiques
très rudes, ce qui se traduit par la propagation de diverses
maladies qui menacent gravement la résistance biologique.
Dans de nombreux cas, le problème se complique du fait
de la persistance dans le milieu aborigène de croyances et
de pratiques magiques dans le domaine de la médecine 1 et,
dans le cas de quelques pays d'Amérique latine, par l'alcoolisme et par l'habitude de la mastication de la feuille de coca,
qui sont étudiés au chapitre VI.
Amérique latine
En général, le caractère fragmentaire et insuffisant des
renseignements statistiques, quand ce n'est pas leur absence
totale, oblige à recourir à d'autres données qui puissent permettre des estimations sur l'importance et la répartition
géographique des principales maladies dont souffre la population aborigène. Comme l'Institut interaméricain des affaires
indigènes l'a récemment déclaré, dans des milliers de communautés et de noyaux aborigènes du type traditionnel :
Il n'existe aucune donnée digne de foi en ce qui concerne la
morbidité ; personne ne sait à coup sûr quelles maladies ont causé
tel ou tel décès, puisqu'il n'y a pas de médecin qui en délivre certificat... ; les maladies naissent spontanément et ce n'est que dans des
circonstances exceptionnelles, quand la morbidité s'élève énormé1
Pour la Bolivie, par exemple, voir : Weston LA BARRE : The Aymara Indians
of the Lake Titicaca Plateau, Bolivia, op. cit., chap. VI ; sur les croyances des
Indiens du Guatemala, voir Richard N. ADAMS : Un análisis de las creencias
y prácticas médicas en un pueblo indígena de Guatemala, con sugerencias relacionadas
con la práctica de medicina en el área maya (Guatemala, Instituto Indigenista
Nacional, 1952) ; pour le Mexique, cf. Gonzalo AGUIRRE BELTRÁN : Problemas de
la población indígena de la cuenca del Tepalcatepec, op. cit., pp. 295-307.
6*
136
CONDITIONS DE VIE
ment, que l'on demande leur aide aux autorités sanitaires de la
Fédération et de l'Etat \
Comme il est naturel, les informations relatives à la mortalité et à la morbidité au sein d'une population d'aborigènes
sylvicoles nomades sont encore moins sûres, et, dans de nombreux cas, on sait que les taux correspondants :
... ont atteint ou atteignent de très grandes proportions, lorsque
l'on constate que nombre de langues et de dialectes se sont éteints ;
ce n'est pas d'ailleurs que la langue espagnole, portugaise ou une
autre langue d'origine occidentale les aient
remplacés : tout simplement, ceux qui les parlaient ont disparu 2.
Malgré la pauvreté des données démographiques, les
informations descriptives disponibles permettent néanmoins
d'affirmer que la situation sanitaire de l'Indien, aussi bien
dans les régions du haut plateau que dans celles de la forêt,
est déplorable et que, dans un nombre appréciable de régions,
elle revêt un caractère de très grande gravité. L'examen des
diverses sources consultées indique que ce sont en général les
maladies parasitaires, respiratoires et de carence qui font le
plus grand nombre de victimes. L'ankylostomiase (avec
prédominance de la forme amibienne) et la dysenterie se
détachent dans le premier groupe ; la tuberculose dans le
second. Comme nous l'avons vu dans le chapitre précédent,
les facteurs qui contribuent le plus à la propagation de ces
maladies sont la promiscuité de l'aborigène avec ses animaux
domestiques, porteurs d'acariens, de puces, etc., la présence
de rats, de mouches, de punaises, etc., dans l'habitation,
l'entassement de la famille dans une seule pièce dépourvue
de ventilation, l'exposition des pieds nus aux microbes des
excréments et des eaux polluées, et la malpropreté corporelle 3 .
Relativement à la région méridionale des Andes, J. Merle
Davis, dans le rapport de la Commission de coopération
en Amérique latine, auquel nous nous sommes déjà référés,
signale que :
... la race autochtone est minée par des maladies et montre une
réceptivité alarmante aux affections respiratoires et digestives. La
mortalité infantile varie entre 250 et 750 pour mille et la durée
1
« La salud del indio », America Indigena, vol. XII, n° 2, avril 1952, p. 99.
Ibid.
En ce qui concerne le dernier de ces facteurs, il convient de préciser que,
dans le haut plateau des Andes, il s'explique en grande partie par la rareté de
l'eau dans de nombreuses régions et par le fait qu'elle doit être souvent transportée
depuis des points très éloignés. Il est par exemple notoire que les aborigènes
d'Otavalo (Equateur), à proximité du lac de San Pablo, pratiquent une propreté
remarquable.
2
3
PROBLÈMES SANITAIRES
137
moyenne de l'espérance de vie, entre 30 et 35 ans ; l'ankylostomiase
réduit gravement la vitalité normale de l'aborigène, tandis que la
dysenterie, l'entérite et la tuberculose le rendent trop faible pour tout
travail ; les maladies respiratoires causées par le travail dans les mines
de cuivre et d'étain sont responsables annuellement de l'invalidité
de milliers d'hommes vigoureux. Les chiffres de la tuberculose
provoquée par la silicose
dans les mines sont parmi les plus élevés
du monde du travail 1 .
Parmi les autres constatations générales dont fait état le
rapport, citons encore les suivantes : l'influenza sévit périodiquement sous forme épidémique, la coqueluche s'attaque
à un nombre très élevé d'enfants, la rougeole est commune ;
la phtiriase est presque universelle ; partout on observe des
lésions cutanées et oculaires dues au manque de vitamines ;
au nombre des maladies causées par des organismes pathogènes,
figurent la leishmaniose, la fllariose, la trypanosomiase, la
grippe et la fièvre d'Oroya ; la première, qui attaque les
muqueuses du nez, de la bouche et du pharynx, se trouve
répandue dans la Sierra péruvienne et, à une moindre échelle,
dans la Sierra équatorienne et dans les régions nord et centre
du Pérou, à des altitudes qui varient entre 900 et 3.500 mètres ;
la typhoïde et la paratyphoide ont passé à l'état endémique
dans plusieurs régions ; le typhus « est endémique dans toute
la Sierra » ; les épidémies de variole se reproduisent fréquemment et entraînent un fort pourcentage de mortalité ; en raison
de l'insuffisance d'iode dans l'air et dans le sol, un nombre
considérable d'Indiens souffrent du goitre ; même le paludisme, maladie de basse altitude, existe dans certaines régions
des hauts plateaux ; on l'a découvert chez les Indiens hospitalisés dans des localités situées entre 2.500 et é.250 mètres
au-dessus du niveau de la mer (Ibarra, au nord de l'Equateur,
et Potosí, au sud de la Bolivie) ; néanmoins, dans la grande
majorité des cas, l'Indien contracte cette maladie lorsqu'il
descend travailler dans les villes ou sur la côte 2.
Il n'est, du reste, pas difficile de comprendre cet état de
choses lorsqu'on se souvient qu'en Bolivie et au Pérou — et
cette observation s'applique également à l'Equateur —,
dans les villages indigènes, à moins qu'il ne s'agisse de
villages importants, il n'existe pas de services médicaux et
pharmaceutiques de quelque ordre que ce soit ; la médecine
est exercée par des sorciers et revêt souvent la forme
1
J. Merle DAVIS : « The Indian Way of Life », Indians of the High Andes,
op. cit., p. 77.
2
Walter J. K. CLOTHTER : « The Indian and his Diseases », ibid., pp. 236-250.
138
CONDITIONS DE VIE
de pratiques plus ou moins magiques ou superstitieuses x .
Comme on le verra plus loin, la majorité des maladies
susmentionnées s'attaquent également, quoique à des degrés
divers, aux groupes aborigènes des autres régions de l'Amérique
latine. E n outre, au sud du Mexique et au nord du Guatemala,
une partie de la population aborigène est victime du fléau de
l'onchocercose ophtalmique, dont la propagation représente
un grave péril pour le continent américain, étant donné que
la route panaméricaine passe à travers certaines des régions
affectées.
BOLIVIE
Selon un rapport du ministère de la Santé publique, en
1941, sur 5.178 aborigènes de l'Oriente, 99 pour cent souffraient
de maladies parasitaires intestinales, principalement d'ankylostomiase 2.
A en juger par une autre source, «la fièvre typhoïde, le paludisme, la variole, la tuberculose et la coqueluche prélèvent
chaque année leur tribut sur la vie de centaines d'aborigènes 3 ».
Weston La Barre, dans son étude de 1948 consacrée aux
conditions de vie dans la région du lac Titicaca, signale que,
chez les Indiens appartenant au groupe aymara, sont répandues
plusieurs maladies de peau, la fièvre scarlatine, la variole, la
tuberculose, et, dans les régions plus élevées, l'ophtalmie des
neiges ou surumpi. Les affections cutanées sont fréquentes :
éruptions granulaires, urticaires, taches noires et rouges de
la peau, etc., sont désignés par des noms indigènes. La variole
et la scarlatine sont très redoutées des aborigènes, car, outre
qu'elles provoquent parmi eux une mortalité élevée, elles les
laissent souvent aveugles ou contrefaits. La tuberculose est
sans aucun doute la cause principale de mortalité. Dans certaines régions, notamment à Larecaja et Muñecas, le goitre est
extrêmement fréquent. Dans aucune partie du pays, on ne
peut boire d'eau non bouillie, à cause de la typhoïde et de la
dysenterie noire. Le typhus est endémique sur le haut plateau 4.
La mission d'assistance technique que les Nations Unies
ont envoyée en Bolivie en 1950 indique dans son rapport que
la population indigène reste pratiquement étrangère à l'action
1
Rapport de la Commission d'étude sur la feuille de coca, op. cit., pp. 58-59.
Boletín de la Oficina Sanitaria Panamericana (Washington), XXI m e année,
n° 4, avril 1942, p. 398.
8
Luis TEEÁN GÓMEZ : « Cómo debe encararse el problema educacional del
indígena en Bolivia », Boletín de la Sociedad Geográfica de la Paz (La Paz), déc.
1945, p. 74.
4
Weston LA BABEE, op. cit., pp. 47-48 et 211-216.
2
PROBLÈMES SANITAIRES
139
entreprise dans les domaines de l'éducation, de l'hygiène, de la
législation du travail et des services sociaux en général 1 .
Il est notoire que, dans de nombreux centres miniers du
haut plateau, l'indice d'infection tuberculeuse est très élevé.
Il ressort des recherches effectuées par Capriles Eico et Arduz
Eguia que l'expansion progressive de la tuberculose au sein
de la population bolivienne « est allée de pair avec l'industrialisation des mines du pays 2 ». On ne dispose pas d'informations
statistiques sûres et complètes sur ce phénomène, mais on
peut se faire une idée approximative de l'ampleur du problème
grâce à certains faits tels que l'élévation de l'indice de mortalité par tuberculose dans les départements de La Paz, Sucre
et Potosí et le nombre croissant des tuberculeux qui reçoivent
des prestations de la Caisse d'assurance et d'épargne ouvrière.
En 1941, ce nombre aurait représenté environ 75 pour cent du
total des cas de maladie professionnelle couverts par ladite
caisse. D'autres informations font supposer que, dans les mines
de Pulacayo (département de Potosí), 60 pour cent des ouvriers
se trouveraient atteints de cette maladie et que 50 pour cent
des enfants meurent dans leur première année, que les soins
médicaux sont rares et que fort peu d'ouvriers peuvent survivre
à une maladie ou à une blessure grave ; aussi est-il nécessaire
de faire venir constamment de nouveaux travailleurs.
BRÉSIL
Les principales maladies qui frappent l'Indien sylvicole
du Brésil sont l'inflammation et la suppuration des glandes
du mésentère, les inflammations du foie et de la rate, l'hydropisie, diverses formes de dermatose et, en plus de la malaria,
une multitude de fièvres. A ces maladies, que l'on pourrait
qualifier de primitives, sont venus s'ajouter, à l'arrivée des
Blancs et des Noirs, la variole, la syphilis, le trachome et la
tuberculose. Cette dernière maladie se manifeste sous ses
formes les plus aiguës 3 et, jointe à la grippe, à la pneumonie
et à la coqueluche, est responsable de l'indice extrêmement
élevé de mortalité parmi les Indiens sylvicoles. Ceux-ci sont
également décimés par des épidémies de variole et de rougeole,
1
Report of the United Nations Mission of Technical Assistance to Bolivia, op. cit.,
p. 106.
2
3
Remberto CAPRILES RICO et Gastón AEDUZ EOUÎA, op. cit., p. 34.
Voir C. F . P . VON MABTIDS : Das Naturell, die Krankheiten, das Arztthum
und die Heilmittel der Urbewohner Brasiliens (Munich, 1844), traduction portugaise
avec introduction et notes de PIRAJÁ DA SILVA : Natureza, doenças, medicina
e remedios dos indios brasileños (Sao-Paulo, Companhia Editora Nacional, 1939).
140
CONDITIONS DE VIE
fréquemment suivies de coqueluche. Les dermatoses et la
malaria, sans être moins fréquentes, ne revêtent pas un tel
caractère de gravité. On observe assez régulièrement que les
aborigènes, en abandonnant une forme d'adaptation pour une
autre d'inspiration européenne (nouvelles techniques et nouvelles habitudes alimentaires), commencent à souffrir de
maladies de carence qui ne sont guère observées dans les tribus
qui ont conservé leur mode de vie traditionnel. La perte de
vigueur physique et la baisse de la natalité qu'elle entraîne
sont imputables à des facteurs aussi bien biologiques que
sociaux et psychiques. Au nombre des premiers doivent être
rangées les affections mentionnées ci-dessus, auxquelles
s'ajoutent les maladies vénériennes et le trachome. Parmi les
causes sociales, le Service de protection des Indiens signale :
l'échec des efforts tentés par les aborigènes pour trouver leur
place dans la vie économique du pays, assurer leur subsistance
et satisfaire les besoins nouveaux qui naissent du processus
d'adaptation culturelle ; la nature du travail auquel s'adonnent
les aborigènes, qui ne leur permet pas de récupérer les forces
perdues et provoque une fatigue et un vieillissement précoce ;
enfin, les modifications subies par les habitudes alimentaires,
qui entraînent des maladies de carence, des troubles gastriques,
etc. Parmi les facteurs psychiques, il est surtout fait état du
choc psychologique que provoque le conflit des cultures,
phénomène qui s'accompagne toujours d'une diminution
massive de la natalité et d'une augmentation du taux de
mortalité. S'il est vrai qu'il n'existe pas de statistiques permettant de calculer le pourcentage de mortalité imputable à
chaque maladie, le Service de protection des Indiens estime
qu'il est plus important, aux fins d'une étude comme celle-ci,
d'établir les différences qui peuvent exister entre les groupements aborigènes du point de vue des contacts qu'ils entretiennent avec des noyaux de civilisation, que d'établir des statistiques ou de déterminer les régions où se manifestent les maladies
les plus graves 1 .
COLOMBIE
Chez les indigènes de la Colombie, les maladies les plus
fréquentes sont celles du tube digestif, des appareils respiratoire et circulatoire et de la peau. Il existe une grande variété
1
Communication de la Section d'étude du Service de protection des Indiens,
août 1952. Voir également Noel NUTELS : « Plano para urna campanha de defesa
do indio brasileiro contra a tuberculose », Revista Brasileña de Tuberculose,
vol. XX, n° 139, janv.-fév. 1952, pp. 3-28.
PROBLÈMES SANITAIRES
141
d'affections parasitaires intestinales dues à des vermines et à
des protozoaires ; l'anémie vermineuse affecte la majorité des
zones aborigènes ; l'une des très rares contrées épargnées est
la péninsule de la Guajira, le sol sableux et la rareté de l'eau
empêchant le fléau de revêtir un caractère de fréquence et
d'intensité ; la dysenterie amibienne et la diarrhée dysentérique
sont très fréquentes ; la tuberculose pulmonaire est très rare
lorsqu'il n'y a pas contact avec la population blanche ou
métisse, mais elle est fréquente et grave dans le cas contraire 1 .
Dans les régions des fleuves Caqueta, Yari, Putumayo et de
leurs affluents, la tuberculose fait des ravages à cause des
traces laissées dans la population aborigène par les épidémies
de grippe.
La syphilis s'attaque à un pourcentage élevé des aborigènes
par suite de leur cohabitation avec d'autres groupes ethniques.
Les Indiens habitant le Vaupes, dans l'Orénoque, et ceux du
Haut Guania, dans l'Amazone, qui vivent à l'écart des Blancs,
sont indemnes de maladies vénériennes. Il existe par contre
des noyaux autochtones qui se trouvent contaminés à 100 pour
cent par la blennorragie. L'ophtalmie purulente des nouveaunés est également très fréquente dans plusieurs régions.
Parmi les affections de la peau que l'on observe le plus
fréquemment dans le milieu aborigène figurent la leishmaniose
de la peau et des muqueuses (cette dernière généralement mortelle), le pian, la pinta et l'onychomycose. La pinta (carote)
est très répandue chez les Indiens qui habitent les régions
chaudes, notamment sur les rives du Caqueta, du Putumayo
et de leurs affluents. Dans cette même région, on observe
communément chez les aborigènes une forme de blépharite
qui provoque des desquamations des rebords palpébraux,
avec extension à la partie conjonctive. Selon toute apparence,
cette affection est produite par une avitaminose compliquée
d'une irritation causée par certains moustiques.
EQUATEUR
Luis A. León a fait observer 2 qu'il existe, dans les milieux
aborigènes de l'Equateur, un taux inquiétant de mortalité
infantile causée par les complications pulmonaires et gastro1
César UKJBE PIEDRAHITA : « Esquema p a r a un estudio de la patología indígena
en Colombia », América Indigena, vol. I, n° 1, janv. 1941, p . 70.
2
Luis A. LEÓN, op. cit., p p . 241-262. Les informations qui suivent sont
exclusivement tirées de cette source.
142
CONDITIONS DE VTE
intestinales de la rougeole ; la variole se manifeste sporadiquement ; la dysenterie amibienne, sous des formes endémoépidémiques, atteint toute la population de la région interandine et particulièrement le secteur aborigène ; l'ascaridiase, la
trochocéphalie et l'uncinariose jouent, dans les régions du
littoral et de l'Est, un rôle néfaste pour l'avenir biologique de la
race autochtone ; dans la région de la Sierra, cette dernière
maladie n'existe pas et les deux premières revêtent un caractère
bénin, à l'exception des vallées humides et boisées, où l'affection
est également grave.
E n raison de la consommation excessive d'alcool de canne
et de maïs (guarapo, chicha), la gastro-entérite alcoolique est
très fréquente chez les aborigènes ; le botulisme et les intoxications alimentaires « sont des indispositions qui frappent presque
exclusivement la race aborigène en raison de la consommation
de viande putréfiée, de reptiles, de mollusques et d'insectes »;
l'Indien manifeste une prédisposition particulière aux coliques
et aux occlusions intestinales à cause de ce genre d'alimentation dans la région sylvestre et du régime essentiellement
féculent dans la région de l'Altipiano.
La tuberculose a été pratiquement inconnue dans les
milieux aborigènes jusqu'au début du x x m e siècle ; actuellement, « presque toutes les agglomérations aborigènes sont
atteintes de cette maladie » ; parmi les facteurs qui ont favorisé
les progrès de la tuberculose chez l'aborigène, il faut citer les
suivants : l'emploi de l'Indien par les autorités et les particuliers, sans la protection et le contrôle sanitaires nécessaires, au
nettoyage des latrines publiques et privées et des égouts, au
balayage des rues, des places et des maisons particulières, etc. ;
la diffusion croissante de la maladie dans les villes et, par conséquent, la propagation dans les communautés et agglomérations
aborigènes voisines ; la malnutrition ; l'influence débilitante
de l'alcoolisme et l'absence de centres de prophylaxie antituberculeuse dans les milieux ruraux. Dans la région de l'Est,
la prédisposition de l'Indien à la tuberculose est due spécialement: à la coutume de consommer de l'alcool de maïs (chicha),
fermenté après une mastication collective à laquelle participent
fréquemment des tuberculeux ; au paludisme, au pian et à
l'ankylostomiase et au travail épuisant que l'Indien effectue
dans les laveries d'or et dans les exploitations minières. Parmi
les Indiens de la Sierra, les indices de morbidité et de mortalité
par pneumonie, broncho-pneumonie, pleurésie et bronchite
sont élevés ; cela est dû surtout aux changements brusques de
PROBLÈMES SANITAIRES
143
température et à l'indigence du vêtement aborigène ; par
exemple, en 1945, sur les 1.084 cas mortels survenus dans
la province de Pichincha, 40 pour cent touchaient des aborigènes. La grippe et la coqueluche font des ravages dans de
nombreuses collectivités autochtones et occasionnent, par leurs
complications, un pourcentage élevé de mortalité.
Le typhus exanthématique épidémique est très répandu
chez les Indiens de la Sierra. Le manque de soins corporels
et la pédiculose contribuent à faire de cette affection une
maladie endémo-épidémique qui redouble pendant les périodes
de sécheresse. Néanmoins, l'infection typhi que, en général,
est plus bénigne dans le milieu aborigène que dans les autres.
Les raisons en seraient une immunité relative acquise pendant
l'enfance par l'effet des infections typhiques bénignes ou latentes
et une immunité provoquée par l'ingestion de poux contaminés.
E n raison du manque de latrines et de la consommation
d'eaux polluées et de légumes cultivés sur des fumiers ou dans
des terres fumées avec des excréments, les affections typhoïdiques, parasitaires et la colibacillose sévissent à l'état endémique dans tous les groupes aborigènes.
Le paludisme ne menace pas les communautés aborigènes
de la Sierra, mais attaque mortellement les individus qui
vont dans les vallées et les villages des montagnes de l'Ouest
pour travailler en qualité de journaliers. On a réussi à l'extirper
des vallées de la province de Pichincha et d'une partie de celle
d'Imbabura, mais il tend à se propager graduellement dans la
région amazonienne. La lutte contre cette maladie est rendue
difficile par la pauvreté vestimentaire de l'aborigène et par
l'absence de dispositifs protecteurs contre les moustiques dans
des cases presque toujours construites à proximité des rigoles
et des ruisseaux. « Outre les pires conditions hygiéniques qui le
prédisposent à la malaria, l'Indien, plus que tout autre élément
ethnique, présente une réceptivité spéciale à cette affection
et un défaut marqué de résistance à ses effets pathologiques ;
pour cette raison, il succombe facilement aux attaques du
paludisme. »
A propos des maladies parasitaires, León indique que la
pinta est fréquente parmi les aborigènes ; on a estimé qu'entre
20 et 30 pour cent des Indiens de la vallée des Chillos, de la
vallée de Malacatos et des provinces orientales sont atteints
de cette maladie.
Quant au pian (euchipe dans la région de l'Est, bubas dans
celle de l'Ouest), il revêt un caractère d'extrême gravité chez
144
CONDITIONS DE VIE
les Indiens ; les tribus qui habitent les régions chaudes et
montagneuses de l'Est souffrent en outre de la leishmaniose,
d'ulcères fusospiralaires et d'une foule d'infections microbiennes vulgairement connues sous le nom de gale aiguë ou
màlicaracha.
A cause de l'habillement insuffisant, de la cohabitation
avec les animaux domestiques — surtout le cobaye, agent
transmetteur de différentes épidémies —, de l'entassement
et de la promiscuité dans les habitations, l'aborigène se trouve
particulièrement prédisposé à un grand nombre de maladies
de peau. La pédiculose est très répandue chez les Indiens de
la région interandine ; les chiques se rencontrent non seulement
dans les régions tropicales et subtropicales, mais encore dans
certaines localités plus froides où les aborigènes cohabitent
surtout avec le porc ; la gale revêt parfois un caractère épidémique, notamment chez les enfants. Les affections des organes
génito-urinaires et les maladies vénériennes existent aussi chez
les aborigènes.
Les infections puerpérales provoquent une forte mortalité
chez les mères indiennes en raison de l'absence totale de soins
médicaux professionnels et de l'ignorance des principes les plus
élémentaires de l'asepsie. Les accouchements sont confiés
d'ordinaire à des sages-femmes aborigènes, qui, généralement,
coupent le cordon ombilical du nouveau-né avec un morceau
de verre. Les affections cardio-vasculaires occupent une place
prépondérante dans la région de la Sierra et provoquent le plus
grand nombre de décès après les maladies broncho-pulmonaires
et gastro-intestinales. Ceci provient en partie de l'altitude et
en partie de la pénurie en albumine du régime alimentaire de
l'aborigène et de la pauvreté de ses vêtements.
Parmi les maladies qui causent la dégénérescence, le goitre
est l'une des plus fréquentes 1.
Plutarco Naranjo Vargas, dans un rapport sur une enquête
effectuée par l'Institut national de prévoyance dans la province
de Pichincha, où se trouve la capitale, affirme que la maladie
la plus fréquente du paysan est la gastro-entérite 2.
1
« Sur le plateau interandin et dans les contreforts des Andes, le goitre se
rencontre très souvent dans presque toutes les agglomérations aborigènes ; il faut
signaler que le problème est beaucoup plus grave dans les provinces de Pichincha,
Cotopaxi et Bolivar, qui abritent des localités dans lesquelles la maladie a finalement évolué en idiotie et en crétinisme.» Cf. Luis A. LEÓN, op. cit., p. 252.
2
« L'indice de la parasitose intestinale est véritablement effrayant. Nous n'exagérons pas en affirmant que 100 pour cent des enfants ont des parasites intestinaux... Chez les enfants, et notamment chez ceux d'un an, la diarrhée est le
symptôme le plus fréquent. » Cf. Plutarco NARANJO VARGAS, op. cit., p. 36.
PROBLÈMES SANITAIRES
145
En 1948, la peste bubonique constituait encore une menace
dans les régions rurales des provinces montagneuses de
Chimborazo et Loja. Dans la province de Chimborazo, l'infection était entretenue par les cobayes et les rats, qui cohabitent
avec l'aborigène. Dans la province de Loja, le problème
présentait une gravité encore plus grande ; l'infection se trouvait largement répandue au sein des divers rongeurs des
vallées et des zones forestières l .
A la fin de janvier 1951, on a assisté, dans la région de
Santo Domingo de Colorados, à une poussée de fièvre jaune qui,
en l'espace de quelques semaines, a causé la mort d'une
vingtaine de personnes. La majorité des individus atteints
étaient des Indiens de la Sierra qui avaient été attirés sur la
côte pour travailler à la cueillette des bananes, à l'exploitation
des bois, à la récolte du caoutchouc, etc. 2 .
Selon Ernest E. Maes, en Equateur, 95 pour cent des
Indiens dépourvus de terres ne reçoivent pas de soins médicaux;
le pourcentage, chez les Indiens vivant en communauté, est
également élevé 3. En 1946, il y avait dans le pays 808 médecins,
246 pharmaciens, 220 dentistes, 107 obstétriciens, 99 infirmières et 363 droguistes. Environ 60 pour cent de ces praticiens
et 50 pour cent des services se trouvaient concentrés dans
les provinces de Guayas et Pichincha et, à l'intérieur même
de celles-ci, dans les villes de Guayaquil et de Quito.
GUATEMALA
En 1938, lorsque le professeur Shattuck, de l'Université
Harvard, publia les résultats d'une enquête médicale qu'il
avait dirigée au Guatemala, le paludisme constituait la plus
grande menace contre la santé de la population paysanne
en même temps que la cause d'une très forte mortalité ; il
sévissait en particulier dans les régions basses, dans les vallées
et jusqu'à 500 mètres d'altitude ; néanmoins, il avait aussi
causé d'importantes épidémies dans les régions situées entre
1.400 et 1.500 mètres au-dessus du niveau de la mer (celles
de Chinautla et du lac Atitlan). Les infections gastro-intestinales, notamment plusieurs genres de dysenterie bacillaire et
1
Boletín de la Oficina Sanitaria Panamericana (Washington), XXVIII m e année,
n° 9, sept. 1949, pp. 906-907.
2
Ibid., vol. XXXI, n» 4, oct. 1951, pp. 347-349.
3
Ernest E. MAES : Report on the Indian Policies of Peru (Washington, National
Indian Institute, avril 1952), cité par John T. DALE : « Adverse Social and
Economic Environment of the Indian », Indians of the High Andes, op. cit., p. 101.
146
CONDITIONS DE VD3
de dysenterie amibienne, provoquaient une haute mortalité
infantile. La pneumonie, la broncho-pneumonie et la bronchite
causaient un nombre élevé de décès dans la région des hauts
plateaux. Le typhus était répandu dans cette région et revêtait
un caractère endémique dans les départements de Huehuetenango, Quiche, Quetzaltenango, Totonicapán et Chimaltenango.
Le goitre sévissait également dans plusieurs localités de
l'Altipiano. Par ordre d'importance, les maladies suivantes
produisaient le plus grand nombre de décès chez les enfants :
diarrhée, entérite, parasitose intestinale, paludisme, rougeole,
phtisie galopante, influenza, variole et diphtérie ; la bronchite
et la broncho-pneumonie venaient au second r a n g x . Une
publication plus récente de l'Institut guatémalien de sécurité
sociale indiquait que cette situation ne s'est pas sensiblement améliorée de 1938 à 1947. La parasitose intestinale,
le paludisme, le typhus, la fièvre typhoïde et les maladies
respiratoires continuaient à exercer des ravages dans la
population rurale 2.
Le paludisme sévit dans toutes les régions basses du nord-est
du pays, dans les départements d'Izabal, de Petén, d'Alta et
Baja Verapaz, ainsi que le long de la côte du Pacifique. E n 1945
et 1946, plus de 10 pour cent de la mortalité par maladie a été
due au paludisme. Une publication de 1943 de la Direction
générale de la santé expose que près d'un tiers de la population
rurale du pays (800.000 personnes) souffre de paludisme
chronique ou intermittent 3 . E n 1950, 38,7 pour cent des
décès du pays ont eu pour cause des maladies infectieuses
et parasitaires, 13 pour cent des maladies de l'appareil respiratoire et 18 pour cent des maladies de l'appareil digestif.
La même année, 89 pour cent des personnes victimes de maladies ou d'accidents n'avaient reçu aucune espèce de soins
médicaux 4.
A partir de 1949, sur le total de 3.373 lits répartis dans
21 hôpitaux d'Etat, 1.096 se trouvaient dans la capitale du
pays. Ces établissements étaient construits de façon précaire
1
George Cheever SHATTUCK : A Médical Survey of the Republic of Guatemala
(Washington, Carnegie Institution of Washington, 1938), p p . 18 e t 237-244.
2
O. BARAHONA STREBER et J . Walter DITTEL : Bases de la seguridad social
en Guatemala (Guatemala, Instituto Guatemalteco de Seguridad Social, 1947),
vol. I, p p . 95-117. Pour des informations sur l'onchocercose, voir plus loin.
3
4
Cité par Leo A. SUSLOW, op. cit., p. 100.
Informe del delegado técnico de Guatemala a la primera Reunión sobre el
bienestar del niño centroamericano (Guatemala, août 1951), Boletín del Instituto
Internacional Americano de Prolección a la Infancia (Montevideo), vol. X X V , n° 4,
déc. 1951, p . 363.
PROBLÈMES SANITAIRES
147
et manquaient de l'équipement nécessaire *. En 1949, sur un
total de 390 médecins, 275 (70 pour cent) exerçaient dans la
capitale ; il y avait un médecin pour 695 personnes dans la
capitale et pour 32.437 personnes dans le reste du pays
(86.000 dans le département indigène de Quiche). Sur un
nombre total de 115 dentistes, 91 (80 pour cent) exerçaient
dans la capitale ; des 195 pharmaciens, 134 (70 pour cent)
travaillaient dans la capitale. Cette situation est due moins à
la pénurie de personnes diplômées pour exercer ces professions
qu'à l'impossibilité pour eux d'exercer dans le milieu rural,
où les conditions de vie et les perspectives de rémunération
sont absolument insuffisantes 2.
MEXIQUE
Les informations rassemblées en 1940 par le ministère
mexicain de l'Instruction publique 3 indiquent que, dans ce
pays, les maladies qui se manifestaient avec le plus de fréquence et de gravité, selon la région ou le district, chez les
aborigènes étaient les suivantes : le paludisme, la parasitose
intestinale, les affections respiratoires (tuberculose, bronchite
aiguë, pneumonie, broncho-pneumonie), les dermatoses, la
variole épidémique, la typhoïde, le goitre, la pinta et l'onchocercose. Les renseignements qui suivent sont donnés à titre
d'exemple et concernent quelques groupes ou tribus aborigènes
du pays.
Chez les Mayas (Etat de Yucatan), sévissaient le paludisme,
la parasitose intestinale, le typhus, la grippe et la diphtérie ;
toutefois, le paludisme offrait un caractère particulièrement
grave dans les régions de Chichén Itzá et de Chankón *. Chez
les Mixtèques (Etat d'Oaxaca), les principales maladies qui
frappaient la population étaient le paludisme, la dysenterie,
la variole, la rougeole et la scarlatine. Le paludisme et la
dysenterie « sont les causes principales de mortalité dans cette
région 5 ». Chez les Zapotèques (Etat d'Oaxaca), les principales
maladies étaient le typhus, la typhoïde, la pneumonie, la
1
2
Leo A. SUSLOW, op. cit., p. 101.
INTERNATIONAL BANK FOR RECONSTRUCTION AND DEVELOPMENT :
The
Economic Development of Guatemala, Report of a Mission sponsored by the International Bank for Reconstruction and Development in Collaboration with the Government of Guatemala (Washington, 1951), p. 259.
3
Carlos BASAURI : La población indigena de Mexico, op. cit., passim.
4
Ibid., tome II, pp. 36-37.
5
Ibid., p. 316.
148
CONDITIONS DE VIE
rougeole et la variole 1. Chez les Otomis (Etats de Guanajuato,
Querétaro, etc.), la population infantile était décimée 'par les
parasites intestinaux, les dermatoses, la coqueluche, la tuberculose, la variole, etc. ; la mortalité des enfants était si élevée
que, sur un nombre moyen de dix enfants par famille, il était
rare que plus de quatre réussissent à survivre. Cette mortalité
était due à la mauvaise alimentation et à l'ignorance absolue
des règles de la puériculture 2. Chez les Taratìumara (sierra
Madre de l'Ouest), les maladies les plus fréquentes étaient les
maladies de l'appareil respiratoire (tuberculose, coqueluche,
bronchite aiguë, pneumonie et broncho-pneumonie), les maladies
de l'appareil digestif (entérite aiguë, ictère catarrhal, etc.),
toute une variété des dermatoses (gale, pityriasis, etc.) et la
variole. Cette dernière maladie « revêt une forme épidémique
et cause de nombreux décès, car un très petit nombre seulement
d'indigènes sont vaccinés 3 ». Chez les Tzotzil (Etat de Chiapas),
« la maladie qui a causé le plus de ravages est la variole maligne,
dite variole noire » ; les maladies pulmonaires étaient très
fréquentes 4 . Chez les Huaxtèques (Etats de Vera Cruz, San Luis
Potosí, etc.) régnaient le paludisme, la coqueluche, la rougeole
et la scarlatine 5. Chez les Chontal (Etat de Tabasco) sévissaient
le paludisme ainsi que les maladies de l'appareil respiratoire
et de l'intestin 6 . Chez les Tarasques (Etat de Michoacán), les
populations de la région limitrophe de l'Etat de Guerrero
souffraient surtout d'infections intestinales, de typhoïde, de
diphtérie et du mal de Pinto ; dans les régions de Cañada de
Chuchota, Paracho, Cherán, Tangacícuaro, Cheranástico et
Nahuatzen, le goitre était endémique et la conjonctivite
infectieuse fréquente. Les principales maladies infantiles
étaient les maladies de l'appareil digestif, la variole et diverses
formes de dermatose. Les causes les plus fréquentes de la
mortalité infantile comprennent la dysenterie et la diarrhée
dues « au régime alimentaire défectueux des enfants et aux
conditions désastreuses d'hygiène dans lesquelles vivent ces
populations indiennes en général ' ».
En ce qui concerne les derniers groupes cités, les informations plus récentes montrent que la situation ne s'est guère
1
Carlos BASATJRI : La población indígena de Mexico, op. cit., tome II, p. 385.
Ibid., tome III, p. 292.
3
Ibid., tome I, p. 319.
4
Ibid., tome II, p. 171.
5
Ibid., p. 79.
6
Ibid., p. 128.
7
Ibid., tome III, pp. 539-540.
2
PROBLÈMES SANITAIRES
149
améliorée depuis 1940. Ainsi, James E. Bussell, dans une étude
spéciale sur les problèmes sanitaires parmi les Chontal de
Tabasco, rapporte que la maladie qui cause la mortalité la
plus élevée est la dysenterie (amibienne et bacillaire), due au
climat tropical, à la consommation d'eaux polluées et à l'absence de mesures sanitaires ; il n'est évidemment pas question
d'égouts, les excréments sont déposés autour des huttes, et la
contamination se fait par les porcs et les volailles qui circulent
librement à l'intérieur de l'habitation. Viennent ensuite, par
ordre de gravité, le paludisme, qui contribue pour une large
part à la forte mortalité dysentérique, et la tuberculose. Par
temps froid, la population manque des vêtements indispensables, tandis que la résistance biologique de nombreux individus
est extrêmement faible parce que leur alimentation est insuffisante. Si l'état de santé de l'adulte est mauvais, celui des
enfants est absolument déplorable 1 .
En ce qui concerne la population aborigène du plateau
Tarasque, dans une vaste étude très documentée sur les problèmes sociaux et économiques de la vallée de Tepalcatepec,
Gonzalo Aguirre Beltrán mentionne la « forte incidence des
maladies infectieuses qui sévissent dans cette région insalubre
et qui causent près de 50 pour cent de la mortalité 2 ». Pendant la période 1940-1949, les taux de mortalité pour cent mille
habitants se sont établis de la manière suivante : diarrhée et
entérite, 257,6 ; pneumonie et broncho-pneumonie, 174 ; paludisme, 51 ; rougeole, 45 ; dysenterie, 37,4 ; coqueluche, 37 ;
typhoïde, 25,5 ; tuberculose pulmonaire, 24,4. Les mauvaises
conditions d'alimentation et d'hygiène des Indiens, le manque
d'eau potable et l'absence d'égouts et de fosses d'aisances font
que les maladies hydriques « constituent l'un des principaux
problèmes de la salubrité publique dans la région du plateau
Tarasque 3 ». Dans de nombreux villages, plus de 80 pour cent
des habitants sont atteints du goitre. « Toute la vallée de
Tepalcatepec est une région parfaitement délimitée, où sévit le
goitre 4 ». La rougeole et la coqueluche sont les principales
causes de mortalité des enfants des régions des hauts plateaux
et, quand ces deux maladies se produisent simultanément, « la
mortalité atteint des chiffres absolument effrayants 5 ».
1
James E. RUSSELL : « Some Health Problems Among the Chontals of Tabasco,
Mexico», America Indígena, vol. VII, n° 4, oct. 1947, pp. 315-321.
2
3
Gonzalo AGUIRRE BELTRÁN, op. cit., p.
Ibid., p. 267.
4
Ibid., p. 250.
5
Ibid., p. 273.
129.
150
CONDITIONS DE VIE
De 1940 à 1942 et de 1946 à 1949, on a noté en divers
endroits des poussées de typhus exanthématique qui ont
entraîné « un nombre de décès et de séquelles difficile à évaluer ».
Le paludisme fait des ravages surtout dans les groupes aborigènes des Etats d'Oaxaca, de Tabasco, du Yucatan et de
Chiapas. Dans ce dernier Etat, le taux moyen de mortalité a
été de 309,9 pour cent mille ' pendant la période 1939-1945.
Comme dans les autres pays d'Amérique latine, le pourcentage des médecins qui exercent dans les régions habitées par
des aborigènes est très peu élevé par rapport à ce qu'il est
dans les autres régions. Cette situation est due en premier lieu
à des facteurs d'ordre économique. Aguirre Beltrán, dans
un ouvrage consacré aux problèmes sociaux et économiques
qui se posent dans la vallée de Tepalcatepec, constate que :
La médecine, en tant que profession libérale, est un luxe que
l'économie aborigène n'est pas habituée à s'offrir... ; les honoraires
que demande le médecin constituent le principal obstacle qui empêche le malade de venir vers lui, et, devant l'impossibilité d'avoir un
niveau de vie répondant aux normes de la culture urbaine, le médecin
se voit obligé d'abandonner l'endroit où son2 activité ne peut pas
être rétribuée selon la valeur qu'il lui assigne .
Vonchocercose au Mexique et au Guatemala
L'onchocercose (mal morado, erysipèle de la côte, mal de
ceguera, sévit parmi divers groupes aborigènes des Etats
d'Oaxaca et de Chiapas, au sud du pays. Cette maladie, causée
par Vonchocerca volvulus, a été importée par les esclaves africains
à l'époque coloniale ; elle sévit dans une région de quelque
1.000 km 2 . Le nombre des cas connus atteint à peu près
40.000, parmi lesquels il y a un pourcentage élevé d'aveugles.
Le foyer le plus important se trouve dans l'Etat de Chiapas : il
comprend les anciens districts de Soconusco et de Mariscal
et une partie des districts de Comitán et de La Libertad.
D'après une étude effectuée par le Bureau sanitaire panaméricain et l'Institut interaméricain des affaires indigènes, le
nombre des malades était de 25.000 dans l'Etat de Chiapas.
La région la plus atteinte se trouve au nord-ouest du pays ;
elle s'étend presque parallèlement à la grande route panaméricaine et va jusqu'au Guatemala par Cahoatan, Santo Domingo,
Las Nubes, etc. 3 .
1
Boletín de la Oficina Sanitaria
p. 72.
2
3
Panamericana,
Gonzalo A G U I R R E BELTRÁN, op. cit.,
p.
vol. X X X I , n° 4, oct. 1951,
296.
Isaac OCHOTERENA : La onchocercosis en México
1949), p p . 29-30.
(Mexico, Colegio Nacional,
PROBLÈMES
SANITAIRES
151
Dans l'Etat d'Oaxaca, la zone atteinte comprend la plus
grande partie de l'ancien district d'Ixtlán, ainsi que presque
toute la superficie du district de Villa Alta et une partie des
districts de Tuxtepec, de Cuicatlán et de Choapan.
On peut voir sur la route de Tiltepec (Oaxaca) de lamentables
théories d'individus attachés l'un à l'autre par une corde et guidés
par un des leurs tenant à la main un bâton qui lui sert d'antenne de
direction et qui, avec des mouvements particuliers de la tête, semble
explorer le chemin, de ses yeux malades : ce sont des aveugles
atteints d'onchocercose, déguenillés et sales, qui vont accomplir de
menues tâches agricoles. A l'aide seulement de leur sens du toucher,
ils amassent, par exemple, de petits monticules de terre au pied des
tiges de maïs. On comprend aisément qu'ils se trouvent à la merci
des serpents venimeux. Et que dire des malheureuses femmes
aveugles qui, à la maison, cuisent les galettes de maïs sur leurs
fourneaux (tleeuile) tout en soignant leurs enfants. Il arrive que,
désespérées, elles partent sur les routes et implorent la charité
publique 1 .
Au Guatemala, la zone de l'onchocercose comprend une
partie des départements de San Marcos, de Quetzaltenango,
de Betalhuleu, de Suchitepéquez, d'Escuintla, de Santa Eosa
et de Jutiapa. Tant au Guatemala qu'au Mexique, la maladie
paraît être particulière aux ouvriers des plantations de café
situées sur le versant du Pacifique et c'est pourquoi quelques
auteurs ont estimé que l'onchocercose doit être considérée
comme une maladie professionnelle 2.
Les études effectuées ont permis d'établir que les zones
les plus propres au développement de la maladie sont situées
dans la région subtropicale entre 500 et 1.500 mètres au-dessus
du niveau de la mer. Au premier rang des facteurs qui favorisent
ce développement se trouve la moiteur du climat (de 60 à 65
pour cent d'humidité relative) et la grande abondance de
miasmes. Un autre facteur de propagation de la maladie est le
va-et-vient périodique des ouvriers indigènes (mexicains et
guatémaliens) qui vont s'embaucher dans les plantations de
café de l'Etat de Chiapas 3 .
En raison du grave danger qui résulterait de la propagation
de cette maladie par la grande route panaméricaine, les gou1
Isaac OCHOTERENA, Op. Cit., p. 23.
Voir, par exemple : Roberto AMOROS G. : La onchocercosis es enfermedad
profesional (Mexico, 1949), pp. 17 et 18.
3
Pour plus de détails, voir : « Investigación biogeograficosocial en las zonas
onchocercosas de México y Guatemala », Boletín Indigenista, vol. V, n° 1, mars
1945, p p . 8-18 ; Manuel GAMIO : « Exploración economicocultural en la región
onchocercoaa de Chiapas», America Indígena, vol. VI, n° 3, juill. 1946, p p . 199-245;
et Isaac OCHOTERENA : « El medio biológico y el estado social en las zonas onchocercosas », Boletín Indigenista, vol. V i l i , n 0 B 3-4, sept.-déc. 1948, p p . 276-284.
2
152
CONDITIONS DE VIE
vernements du Mexique et du Guatemala, conjointement
avec le Bureau sanitaire panaméricain et l'Institut panaméricain des affaires indigènes, ont adopté une série de moyens
préventifs qui sont décrits plus loin 1.
NICARAGUA
Selon Michel Pijoan, les Indiens Miskito du nord du Nicaragua, en particulier ceux de la vallée du Coco, souffrent du paludisme, de la dysenterie, de l'anémie, de la coqueluche (en
diminution), de la pinta et de diverses formes de dermatose
et de parasitose intestinale. On constate des indices de tuberculose dans les régions minières. Le paludisme se propage
spécialement parmi les enfants. La diarrhée dysentériforme
se présente sous une forme épidémique au commencement et
à la fin de la saison des pluies. L'indice de mortalité infantile
atteint 10 pour cent 2.
La mission organisée par la Banque internationale pour la
reconstruction et le développement en vue d'étudier les
possibilités de développement économique du Nicaragua
suggérait dans son rapport en 1952 que l'objet principal du
programme sanitaire de ce pays devrait résider dans l'amélioration du niveau général par l'élimination du paludisme et
des parasitoses intestinales, causes principales de l'indice élevé
de mortalité et de la faible productivité de la population.
Le rapport laisse prévoir que la réalisation du programme
national en ce qui concerne l'adduction d'eau potable, l'installation d'égouts et la neutralisation des zones de reproduction
du moustique contribueront à diminuer l'importance de ces
maladies et précise, d'autre part, qu'il est nécessaire d'adopter
d'autres mesures pour empêcher la propagation de l'alcoolisme,
des maladies vénériennes, de la tuberculose et de la lèpre 3.
PÉROU
Au Pérou, les maladies mentionnées le plus fréquemment
dans les publications concernant la population aborigène de
la Sierra sont les suivantes : la parasitose intestinale, la variole,
la fièvre typhoïde, le typhus exanthématique, la tuberculose
1
Voir chap. XI.
Michel PIJOAN, op. cit., America Indígena, vol. VI, n° 1, janv. 1946, pp. 41-66,
et no 2, avril 1946, pp. 157-183.
2
s
INTERNATIONAL
BANK
FOB
RECONSTRUCTION
AND
DEVELOPMENT :
The
Economic Development of Nicaragua. Report of a Mission Organized by the International Bank for Reconstruction and Development at the Request of the Government
of Nicaragua (Baltimore, Johns Hopkins Press, 1952), p. 23.
PROBLÈMES SANITAIRES
153
et les autres affections des voies respiratoires, le paludisme, le
goitre et les infections puerpérales.
L'habitat rural aborigène, zone marginale de notre civilisation,
est continuellement parcouru par des vagues de maladies contagieuses... En fait, il n'est fait état, dans les rapports officiels, que
d'une partie seulement des véritables pandémies qui y sévissent...
Les Indiens eux-mêmes demeurent hostiles à la médecine scientifique
et restent en dehors du champ d'application des mesures d'assistance et de prévention de l'Etat 1 .
La Commission d'étude des Kations Unies sur la feuille
de coca constate dans son rapport 2 que la fièvre typhoïde et la
dysenterie sont très répandues dans les régions de l'Altipiano, que
presque tout le monde souffre d'ankylostomiase et que la tuberculose se répand de plus en plus chez les travailleurs revenant
des basses terres, lesquels, étant donné la vie primitive qu'ils
mènent dans les huttes, peuvent devenir des agents d'infection.
Une des principales causes de prédisposition à la tuberculose chez les montagnards aborigènes migrants est l'état
d'anémie dans lequel ils se trouvent à la suite des fièvres paludéennes auxquelles ils sont particulièrement exposés durant
leurs périodes d'embauché dans la région côtière. « Dans la
plupart des camps des exploitations, le péon ne dispose d'aucun
moyen prophylactique contre le paludisme, car, en règle générale, les propriétaires négligent d'appliquer les mesures nécessaires à cet égard 3 . »
Carlos Monge, directeur de l'Institut national de biologie
andine, a signalé les effets pathologiques des changements
périodiques d'altitude auxquels est soumis le travailleur
aborigène migrant 4 .
D'autre part, dans les camps miniers de la Sierra qui sont
situés à des altitudes variant entre 3.400 et 4.800 mètres
au-dessus du niveau de la mer, le phénomène de 1'« agression
climatique » (agresión climática), pour reprendre l'expression
de Carlos Monge, ainsi que l'absorption constante de pous1
M. H . KTJCZYNSKI-GODARD et C. E . P A Z SOLDÁN : Disección del
indigenismo
peruano, op. cit., p . 111. M. H . KUCZTNSKY-GODABD : Estudio familiar demográficoecológico en estancias indias de la altiplanicie del Titicaca (Lima, Ministerio de
Salud Pública y Asistencia Social, 1945), p . 58.
2
Op. cit., p . 18.
3
Luis N . SAENZ : El punto de vista mèdico en el problema indigena peruano,
op. cit., p . 50.
1
« L a mobilisation en masse des habitants des régions montagneuses pour les
basses terres provoque... des troubles qui les prédisposent à certains processus
morbides et notamment aux maladies suivantes : troubles respiratoires, pneumonie,
bronchite chronique, bronchiolyse ectasiante, abcès pulmonaire, et surtout, tuberculose pulmonaire. » Carlos MONGE : « Aclimatación en los Andes », America Indigena, vol. I X , n° 4, oct. 1949, p. 270.
154
CONDITIONS DE VIE
sières de silice, prédisposent l'ouvrier indigène à la tuberculose.
Dans la Sierra, la fréquence de la parasitose intestinale est
due principalement à ce que l'eau consommée par la grande
majorité de la population rurale de cette région a un degré de
turbidité supérieur à 22 et contient une abondante flore
microbienne 1 .
D'après une étude médico-sociale effectuée en 1944 dans
différentes régions du département d'Ayacucho, 74 pour cent
des décès sont causés par l'helminthiase 2 .
Il existe une forte pénurie de médecins et de services d'assistance dans les régions éloignées des centres. D'après le
rapport de la Commission d'étude des Nations Unies sur la
feuille de coca 3, dans la grande majorité des cas, le sorcier
indien, lorsqu'il y en a un, est seul à soigner la population
indienne. Hors des principales villes, à quelques rares exceptions près (hôpitaux des sociétés minières d'Oroya ou de
l'Association des planteurs de Quillibamba), les hôpitaux
demeurent pauvres et exigus. Là où existent quelques dispensaires, comme par exemple dans la région de Puno, ils s'occupent surtout de vaccination antivariolique. Il semble que
rien n'ait été fait contre le typhus. Mais le rapport fait état
de l'active campagne contre le paludisme qui est en cours
dans la région de Quillibamba, de Caj amarca et à Tingo Maria,
où la majorité des huttes indiennes ont été désinfectées au
D.D.T.
Quant aux Indiens sylvicoles, les informations dont on
dispose indiquent que les conditions d'hygiène dans lesquelles
ils vivent sont loin d'être satisfaisantes. Ainsi, l'une des études
consultées signale une « propagation sans précédent de la tuberculose », les progrès considérables, chez les adultes, de la
syphilis en raison de l'immigration d'éléments blancs et métis
en provenance d'autres régions, ainsi que le caractère quasi
universel des dermatomycoses, des sporotrichoses et de
l'ankylostomiase 4.
Emilio Delboy estime que l'ankylostomiase représente
« l'ennemi principal du capital humain dans la forêt » ; 40 pour
1
2
Luis N. SÁENZ, op. cit., p . 43.
M. H . KUCZYNSKI-GODARD : Estudios médicosociales en Ayacucho (Lima,
1946), p p . 35-37.
3
Op. cit., p. 18.
4
M. H . KUCZYNSKI-GODARD : La vida en la Amazonia peruana (Lima, Libreria
Internacional, 1944), pp. 17, 126 et 131. Voir également M. H . KTJCZYNSKI-GODABD
et C. E. PAZ SOLDÁN : Algunas observaciones médicosociales sobre el departamento
de Amazonas (Lima, Institute) de Medicina Social, 1940), p p . 15-16 et 21.
PROBLÈMES SANITAIRES
155
cent des enfants sont atteints de cette maladie qui entraîne
un pourcentage élevé de mortalité. Le même auteur estime
également que la grippe, maladie importée, a causé la mort
de milliers d'aborigènes 1 .
Selon un missionnaire, le B..P. A. Villarejo, les maladies
qui déciment le plus la population indigène des forêts sont le
paludisme, la tuberculose, la parasitose intestinale (dont, au
dire des médecins, 90 pour cent de la population sont atteints),
la pinta et la conjonctivite infantile 2.
Selon un médecin de la région, les principales causes de
mortalité infantile parmi les populations des forêts comprennent les suivantes : les tares pathologiques diverses comme
la syphilis, le pian et la tuberculose ; la misère physiologique
de la mère pendant la gestation et les maladies des appareils
digestif et respiratoire 3.
Enfin, dans une communication spéciale au B.I.T. en date
du 1 e r octobre 1951, la Corporation péruvienne de l'Amazone
indique que, par manque de défense organique, les tribus
aborigènes sont victimes de maladies épidémiques dont les
plus virulentes sont la rougeole et la coqueluche, qui les déciment et entraînent parmi elles une mortalité considérable. La
raison en est que l'Indien, lorsqu'il se sent fiévreux, cherche à
se soulager en se plongeant dans l'eau des fleuves, ce qui
entraîne une pneumonie fulgurante.
SALVADOR
En vue de montrer quels moyens peuvent être utilisés pour
étudier et améliorer la santé de la population dans un pays
donné, l'Organisation mondiale de la santé a choisi le Salvador ;
il s'agit en effet d'un pays dont la population se trouve dans
une situation sanitaire représentative de celle que l'on peut
observer en Amérique centrale du fait de la gravité des problèmes que posent le paludisme, la tuberculose, la dysenterie
amibienne et bacillaire, la syphilis, la dénutrition, les infections
parasitaires intestinales, les affections de l'appareil respiratoire
et l'indice élevé de la mortalité infantile. Si ces informations
s'appliquent à l'ensemble de la population, à bien plus forte
raison seront-elles valables pour les aborigènes.
1
Emilio DELBOY : Memorándum sobre la Selva del Perú (Lima, 1942), p p . 56-60.
Padre Avencio VILLABEJO, op. cit., p p . 146-148.
3
Víctor M. P I N E D O : « Los problemas de población de la Selva peruana », Boletín
Indigenista, vol. IV, n° 3, sept. 1944, p. 232.
2
156
CONDITIONS DE VIE
En 1948, les causes principales de la mortalité étaient les
suivantes :
Indice pour
100.000 habitants
Diarrhée, entérite e t dysenterie
287,1
Pneumonie, grippe, broncho-pneumonie, bronchite 148,4
Paludisme
123,2
Après examen de la situation sanitaire dans la zone choisie
pour la démonstration, la mission compétente est arrivée à la
conclusion que les statistiques officielles ne donnaient pas
toute leur importance à la tuberculose et à la mortalité qu'elle
entraîne et que les principaux problèmes sanitaires qui se
posent au Salvador résultaient de la dysenterie et des autres
infections gastro-intestinales, de la tuberculose pulmonaire,
du paludisme, de la dénutrition, des affections de l'appareil
respiratoire et des infections parasitaires intestinales, sans
d'ailleurs qu'il soit possible de déterminer exactement l'ordre
d'importance qu'il convient d'attribuer à ces différents
facteurs 1.
L E VÊTEMENT DE L ' I N D I E N D'AMÉRIQUE LATINE
ET LE PROBLÈME DE LA SANTÉ
En général, l'Indien d'Amérique latine fabrique ses propres
vêtements ; la matière première que lui fournissent ses rares
moutons est filée, tissée et enfin confectionnée rudimentairement en différents articles vestimentaires. Ces tâches, c'est
généralement la femme qui les accomplit. Pour l'aborigène de
Bolivie — comme d'ailleurs pour celui de l'Equateur, du
Guatemala, du Mexique ou du Pérou —, « le problème du
vêtement ne se pose pas de la même manière que celui de
l'alimentation. La population aborigène ainsi que la majeure
partie de la population métisse... subviennent à leurs
besoins grâce à des tissus fabriqués par elles-mêmes et à un
prix de revient très bas 2 ».
Cependant, il ne suffit pas de constater que l'aborigène fabrique ses propres vêtements ; il faut ajouter que la qualité de ces
derniers est souvent insuffisante pour résister efficacement aux
intempéries des déserts et des plateaux de la cordillère des
Andes. La garde-robe de l'Indien est maigre. Pour l'homme,
elle se compose généralement d'une chemise grossière, d'un
1
NATIONS U N I E S , Département des questions sociales : Rapport préliminaire
sur la situation sociale dans le monde et les niveaux de vie en particulier (New-York,
1952), doc. E/CN.5/267/Rev. 1, 8 sept. 1952 (1952. IV. 11).
2
Moisés POBLETE TKONCOSO : El subconsumo en América del Sur (Santiago du
Chili, Nascimento, 1946), p . 164.
PROBLÈMES
SANITAIRES
157
pantalon à l'avenant, d'un chapeau, d'un poncho et, parfois,
de sandales ou ojotas qui tiennent lieu de chaussures ; pour la
femme, d'une jupe primitive (anaco), d'une chemise, d'un
châle enveloppant (appelé faehalina par les Quichua), d'un
chapeau ou d'un carré de tissu pour couvrir la tête, et, parfois,
d'ojotas. On comprendra que, dans les climats très chauds,
dans les basses vallées, l'aborigène n'ait pas besoin d'être vêtu
davantage, mais dans les hauteurs des sierras, où l'aborigène a
généralement son habitat, un pareil costume doit être compensé
par un prodige d'adaptation physique au milieu ambiant.
Le port de chaussures est très rare. Les Indiens emploient
communément une espèce de sandale ou d'espadrille primitive
(alpargate, huarache, ojota, etc.), ou vont pieds nus, car la
plante de leurs pieds s'est endurcie au contact du sol. Cette
particularité expose leur organisme à une série de maladies
d'origine parasitaire. Ainsi, au Mexique, selon des indications
fournies par le recensement de 1940, environ 1.116.000 indigènes
allaient nu-pieds x, et, dans plusieurs régions du pays, « 90 pour
cent des habitants marchent toujours nu-pieds ou portent des
sandales, ce qui constitue une cause directe de graves maladies
parasitaires, telles que l'ankylostomiase, la sarcopsyllose,
etc. 2 ».
E n Equateur, d'une enquête effectuée en 1948 pour l'Institut national de prévoyance sociale par Plutarco Naranjo Vargas,
il ressort que, dans plusieurs régions rurales de la province de
Pichincha, 57 pour cent de la population allaient nu-pieds,
« en particulier les Indiens », et 26 pour cent employaient des
sandales (ojotas) 3 .
On sait que le costume aborigène varie d'un pays à un
autre et souvent, à l'intérieur d'un même pays, d'une région
à une autre. Dans chaque pays, on remarque une extrême
variété de vêtements, de motifs, de dessins, de teintes, etc.,
qu'il n'entre pas dans notre propos de décrire ici 4 .
1
SECRETARÍA DE LA ECONOMÍA NACIONAL (Mexique), Dirección General de
Estadística : Sexto censo de población, 1940 : Resumen general (1943), p. 35.
2
Manuel GAMIO : « The Consumption Level of the Rural Indo-Mestizo Groups »,
The Social Sciences in Mexico and South and Central America (Mexico), vol. I, n° 2
(1947), p. 22.
3
Plutarco NARANJO VARGAS, op. cit., p. 23. Dans plusieurs régions du haut
plateau andin, la fabrication des sandales avec le caoutchouc de vieux pneus s'est
répandue chez les Indiens.
4
Voir le chap. V i n . Pour les détails, consulter notamment: Weston LA BAHRE,
op. cit. ; Leónidas RODRÍGUEZ SANDOVAL, op. cit. ; Lily DE JONGH OSBORNE :
« Apuntes sobre la indumentaria indígena de Guatemala », Antropología e historia
de Guatemala (Instituto de antropología e historia de Guatemala), vol. I, n° 2, juin
1949, pp. 49-57.
158
CONDITIONS DB VIE
Au Mexique :
... il existe dans l'habillement, tant des hommes que des femmes,
toute une gamme qui va de la nudité presque totale des Tarahumara,
Tepehuan, Seri et Lacandon, qui ne portent généralement qu'un
pagne et se drapent dans une pièce de tissu, jusqu'aux atours élégants
et compliqués des femmes Maya... Le costume est pittoresque et
richement orné de motifs voyants dans certaines régions, mais 1il
porte toujours la marque de la misère qui règne chez les Indiens .
A peu d'exceptions près, seuls les groupes éloignés des
centres nationaux conservent intact leur costume traditionnel.
C'est surtout aux modifications graduelles que subit celui-ci que
se fait sentir le métissage culturel. Ce phénomène est particulièrement remarquable chez les femmes. Luis E. Valcárcel, directeur
du Musée national d'histoire du Pérou, rapporte que l'Indien
de ce pays, désireux d'affirmer son égalité avec le reste de la population, abandonne peu à peu son costume traditionnel pour que
son vêtement ne constitue pas la marque de sa condition sociale 2 .
D'une manière générale, on peut affirmer que le costume
de l'aborigène est trop pauvre pour répondre aux nécessités de
la protection physique, et insuffisant pour permettre d'en
changer comme l'exigerait l'hygiène. L'aborigène dispose
rarement de plus de deux costumes par an et souvent son
linge trahit sa vétusté par un grand nombre de rapiéçages. En
Bolivie, dans la région du lac Titicaca :
... les hommes ne quittent jamais leurs vêtements tant qu'ils
ne tombent pas en lambeaux... ; l'Aymara ne change littéralement de vêtement que lorsque celui-ci se détache de son corps...
Les aborigènes, hommes et femmes, ne sont pas particulièrement
propres dans leur habillement. Celui-ci dégage souvent une odeur
d'ammoniaque. Les deux sexes dorment dans les vêtements qu'ils ne
lavent jamais et dont ils ne changent jamais, sauf à l'occasion d'une
fête ou d'un voyage3 ; encore arrive-t-il souvent qu'ils les conservent
même dans ces cas .
En Equateur, Plutarco Naranjo Vargas a pu constater que,
dans plusieurs districts ruraux de la province de Pichincha,
55 pour cent des habitants ne portent pas de linge de dessous ;
pour l'homme, le costume se compose d'un pantalon et d'une
chemise de toile « qu'il garde sur lui pendant plusieurs mois » ;
la quasi-totalité de la population n'emploie pas de vêtements
de n u i t 4 .
1
Carlos BASATOI : La población indigena de México, op. cit., tome I, pp. 47 et 57.
U.N.E.S.C.O., Education Clearing House : Preservation and Development of
Indigenous Arts : A Report of a Meeting of Experts called by
U.N.E.S.C.O.,
10-14 October 1949 (Paris, oct. 1950), doc. U.N.E.S.C.O./ED/OCC/8, p . 43.
2
3
Weston L A BAHRE, op. cit., p. 93.
4
P l u t a r c o N A R A N J O VARGAS, op.
cit.,
p.
23.
V
Huttes indigènes primitives au Brésil
(Ministerio da Agricultura
VI
Un guérisseur panamien dans le Darién
(Ministerio de Agricultura, Comercio e Industrias)
La médecine en évolution
La vaccination des enfants d'une communauté
Tzotzil par un membre de celle-ci (Mexique)
(Instituto Nacional Indigenista)
^ " 1 <;*r^l . ..
¿•-i:^S^mù^i4:^^^-'r'-?ï^
PROBLÈMES SANITAIRES
159
On a essayé, au besoin par des méthodes de coercition, de
donner aux Indiens l'habitude de changer de vêtements. Par
exemple, on leur a laissé entendre que, pour être admis dans les
villes, il leur faudrait abandonner le poncho pour des raisons
d'hygiène. Le simplisme d'une pareille suggestion ne peut que
sauter aux yeux : bien plus qu'un problème vestimentaire,
en effet, l'hygiène est une question relevant de l'économie et
de l'éducation. De même, grâce au service militaire obligatoire,
on a pensé que l'aborigène s'attacherait à la mode vestimentaire
des Blancs. C'est ce qui arrive en effet lorsque l'Indien ne
retourne pas dans son milieu familial et social ; mais en réalité,
il y retourne presque toujours. C'est là un problème très
important, lié à celui de la fusion culturelle. Il existe en effet
des localités et des régions où l'appartenance à un groupe
aborigène déterminé se traduit par certaines caractéristiques
vestimentaires ; mais plus importante encore est cette considération qu'il ne faut pas tenter d'obtenir la conversion de
l'aborigène aux pratiques d'hygiène d'un milieu social techniquement plus avancé, aux dépens de son costume traditionnel,
car non seulement celui-ci est un signe, et non des moindres,
de son habileté manuelle, mais il a une indéniable valeur
esthétique, et sa disparition signifierait une perte authentique
pour le capital culturel du pays qui l'abrite.
Canada et Etats-Unis
CANADA
L'indice de mortalité reste très élevé chez les aborigènes
canadiens : 19,6 pour 1.000 habitants en 1949, contre 9,2 pour
1.000 habitants dans l'ensemble de la population. Cette situation défavorable se reflète dans l'importance de la mortalité
infantile : on compte 146 décès pour 1.000 naissances alors que
l'on en compte 43 dans l'ensemble de la population. C'est la
tuberculose qui constitue la menace la plus grave : on pouvait
lui imputer 399,6 décès pour 100.000 habitants en 1949 alors
qu'elle n'est responsable que de 26,7 décès pour 100.000 habitants pour l'ensemble du Canada. Cependant, les progrès de la
lutte contre la tuberculose sont évidents lorsqu'on compare les
chiffres ci-dessus aux indices de 1947 (549,8) et de 1948 (480,1).
La vaccination collective et les autres mesures de prévention
ont fait diminuer l'indice de la mortalité due à cette maladie.
Les mesures d'immunisation contre la diphtérie, la coqueluche
7
160
CONDITIONS D E VIE
et les affections de type typhoïdique sont conditionnées bien
plus par le danger de contagion que par une politique bien
déterminée de prévention. La grippe se présente sous une forme
épidémique chaque année ; dans l'ensemble, les maladies
vénériennes sont en régression. Les services compétents de la
province du Manitoba ont signalé que les Indiens du nord de
cette province sont sujets à la tularemie. La création de
stations d'assistance médicale et l'adoption d'autres mesures
par le gouvernement canadien sont rendues plus difficiles du
fait de l'isolement et de la dispersion géographique des Indiens
et des Esquimaux du Canada. Plus de la moitié de la population aborigène demeure hors de portée des routes et des voies
de chemin de fer ; les Esquimaux, surtout, se trouvent concentrés dans le nord du pays 1 .
ETATS-UNIS
Un taux de mortalité élevé prouve que l'état de santé des
Indiens résidant aux Etats-Unis est très inférieur à celui du
reste de la population. Cependant, grâce à un taux de natalité
également plus élevé que celui du reste de la population, la
population indienne augmente à un rythme accéléré. On
trouvera au tableau ci-dessous quelques données comparatives
récentes, ainsi que des chiffres se rapportant à un certain
nombre de tribus.
T A B L E A U X X . — É T A T S - U N I S : COMPARAISON D E S I N D I C E S
D É M O G R A P H I Q U E S ( E N S E M B L E D E LA P O P U L A T I O N , POPULATION
I N D I E N N E E T QUELQUES T R I B U S )
Indices
Taux de natalité
(pour 1.000) . . . .
Taux de mortalité
(pour 1.000) . . . .
Taux d'accroissement
annuel de la population (pour 100) . . .
Ensemble Popude la
lation
popuindienne
lation
Navajo
Papago
Hopi
Sioux
19,5
25,3
36
42,3
40
25
10,5
13,3
16
32,3
25
15,8
0,9
1,06
2
2
1,8
0,016
Source : Laura THOMPSON : Personality and Government, op. cit., p. 34.
1
Rapport annuel du ministre de la Santé nationale et du Bien-être social pour
l'année financière terminée le 31 mars 1951 (Ottawa, 1951), pp. 18 e t 57-61. Sur
les mesures adoptées par le gouvernement pour améliorer la santé des aborigènes,
voir chap. X I .
PROBLÈMES
SANITAIRES
161
L'étude des données disponibles montre qu'une forte
proportion des décès enregistrés parmi la population indienne
ont lieu pendant la période de l'enfance. Pour l'ensemble de la
population indienne, le taux de la mortalité infantile a été
récemment établi à 110 pour mille naissances d'enfants vivants,
contre une moyenne de 41 pour mille pour la population
totale. Ce taux est de 318 chezlesïTavajo, de 180 chez les Hopi
et de 110 chez les Sioux. Près de 57 pour cent de l'ensemble des
décès enregistrés parmi la population Navajo ont lieu pendant
les cinq premières années de la vie. Chez les Papago, un quart
des 260 enfants qui naissent chaque année meurent avant
d'avoir atteint l'âge d'un an et près de 40 pour cent meurent
au cours des cinq premières années 1.
Les décès dus à la tuberculose et à la pneumonie sont
beaucoup plus nombreux chez les Indiens que dans l'ensemble
de la population. On estime que, sur 100.000 décès dans la
population indienne, 203 sont dus à la tuberculose, tandis que
le taux correspondant n'atteint que 43 pour cent mille pour
l'ensemble de la population. Pour la pneumonie, les taux sont
de 123,6 et 51,8. La syphilis est aussi à l'origine d'un plus
grand nombre de décès chez les Indiens que dans le reste de la
population, bien que cette maladie ne soit la cause de nombreux
décès dans aucun des deux groupes, les taux approximatifs
étant de 22,4 et 10,7 pour cent mille décès respectivement.
D'autres éléments importants du taux de mortalité chez
les Indiens sont les décès dus aux affections cardiaques et au
cancer, bien que l'incidence de ces deux maladies soit plus
faible en ce qui concerne les Indiens que pour l'ensemble de la
population. Le taux de la mortalité par affections cardiaques
a été de 118,9 pour cent mille chez les Indiens contre 321,5 en
ce qui concerne l'ensemble de la population ; pour le cancer,
les taux ont été de 44,2 et 134,5 respectivement 2 .
D'après une déclaration du commissaire aux Affaires
indiennes par intérim, le mauvais état de santé des Indiens
1
Laura THOMPSON : Personality and Government, op. cit., p. 34. Voir également
la déclaration du commissaire aux Affaires indiennes par intérim, M. William Zimmerman, devant la Commission parlementaire des affaires intérieures et insulaires
dans UNITED STATES SENATE, Eighty-first Congress, First Session, Committee on
Interior and Insular Affairs : Hearings... on National Resources Policy, January
31, February 1, 2, 3, 4 and 7,1949 (Washington, Government Printing Office, 1949),
p. 327.
2
Hearings... on National Resources Policy, op. cit., diagramme n° 49, p. 348.
Voir également Laura THOMPSON, op. cit. Les données citées dans ces deux sources
d'information sont quelque peu différentes, mais peuvent se comparer cependant
en ce qui concerne le rapport entre les chiffres relatifs à la population indienne et les
chiffres relatifs à l'ensemble de la population.
162
CONDITIONS DE VIE
« est dû à une situation économique déplorable qui s'accompagne naturellement d'une alimentation insuffisante, de
conditions sanitaires défectueuses et de mauvaises conditions
de vie. Même si ces causes peuvent être éliminées, il n'en reste
pas moins que, tant qu'on ne réduira pas la morbidité, l'Indien
ne sera pas en mesure de bénéficier des mesures de progrès
économique x ».
En ce qui concerne les Aléoutes et les Esquimaux de
l'Alaska, la maladie qui cause les ravages les plus grands parmi
eux est la tuberculose. E n 1946-47, on a enregistré dans
l'Alaska 295 décès imputables à cette maladie, chiffre sans
doute incomplet, mais qui, si on l'utilise pour estimer les cas
de tuberculose évolutive en multipliant la statistique annuelle
des cas mortels par le coefficient 9, permet de supposer que le
total des tuberculeux est de 2.655 sur une population qui
n'atteint pas 100.000 âmes. D'autres données, également
officielles, permettent d'affirmer que, dans certains villages
aborigènes, la tuberculose atteint jusqu'à 25 pour cent de la
population 2.
Norman Old, conseiller auprès du Bureau des affaires
indiennes, estime que parmi les facteurs auxquels il faut
imputer le fait que « la population indienne a un retard d'un
demi-siècle en ce qui concerne l'application des connaissances
sanitaires modernes à la prévention des maladies » il convient
de ranger l'insuffisance des revenus familiaux (moins de 400
dollars par an et par famille en moyenne) et les caractéristiques des terres concédées aux aborigènes, sans parler évidemment des déficiences de l'enseignement 3 .
Asie
BIRMANIE
Les affections les plus courantes chez les tribus sylvicoles
des Etats Kachin et Kaya en Birmanie sont les maladies
vénériennes, le goitre, la malaria, les maladies de l'appareil
respiratoire, la diarrhée et les maladies de carence. Le taux
de fréquence atteindrait de 10 à 15 pour cent pour les maladies
vénériennes. Sauf dans les régions situées à plus de 2.000
1
Hearings... on National Resources Policy, op. cit., p. 327.
Ibid., p. 334.
3
H. Norman OLD : « Sanitation Problems of the American Indians », op. cit.,
pp. 210-211. Voir sur les problèmes de l'enseignement, chap. VII, et sur la qualité
des terres et les revenus, chap. IX.
2
PROBLÈMES SANITAIRES
163
mètres d'altitude, la malaria sévit dans les montagnes,*et l'on
constate un taux de 30 à 100 pour cent de Splenomegalie chez
les enfants 1 . On ne dispose pas de statistiques concernant
exclusivement les aborigènes, mais la population birmane
dans son ensemble est exposée non seulement aux maladies
ci-dessus, mais encore à des épidémies de choléra, de variole
et de peste bubonique, à la lèpre et à la méningite cérébrospinale 2.
INDE
Les aborigènes de l'Inde sont dans un état de santé « en
général meilleur que celui des habitants des vallées, sauf,
lorsqu'ils sont en contact avec ceux-ci, notamment par l'intermédiaire des travailleurs agricoles ». Si le niveau sanitaire
général de l'aborigène des forêts — qui se nourrit des produits
de la cueillette — ou du cultivateur nomade est supérieur à
celui de l'habitant des basses terres, c'est surtout parce que
son alimentation est moins déficiente. On constate une situation analogue en ce qui concerne la fréquence des dermatoses
et des maladies du système respiratoire. Le paludisme, même
lorsqu'il sévit dans toute une région montagneuse, semble
frapper moins durement les membres des tribus aborigènes
que les autres groupes de la population. Cependant, chaque
fois qu'un régime alimentaire varié est remplacé par une
alimentation à base de riz, l'incidence de la dysenterie et du
choléra augmente. La gale et la trichophytie, de même que
les maladies vénériennes et les dermatoses qui étaient pratiquement inconnues chez ces populations, se développent
aujourd'hui parmi celles-ci. En raison du manque de soins
appropriés, les lésions et fractures entraînent très souvent la
mort ou la perte de membres 3 .
En Assam, la multiplication des contacts des aborigènes
avec les villages civilisés a entraîné un accroissement de la
morbidité. « Non seulement des maladies comme les maladies
vénériennes et la tuberculose, inconnues autrefois, se présentent
aujourd'hui, mais les épidémies se développent plus rapidement 4 ».
1
Communication du gouvernement de la Birmanie, avril 1953.
2
MINISTRY OF HEALTH AND LOCAL GOVERNMENT : Annual Report on the State
of Public Health in Burma during the Year 1948 (Rangoon, 1950), pp. 6-14.
3
Communication du gouvernement de l'Inde, mars 1950. Cf. aussi S. CHANDRASEKHAR, op. cit., pp. 57-74.
4
J. P . MILLS : « Notes on the Effect on Some Primitive Tribes of Assam of
Contacts \rith Civilization », Census of India, 1931, vol. I, partie III B, p. 147.
164
CONDITIONS DE VTE
Lé» paludisme sévit dans les régions minières de Bihar et
d'Orissa ; cependant, des mesures ont été prises par les
employeurs pour lutter contre cette maladie, et ceux-ci estiment que « son incidence a été réduite au minimum et que
l'état de santé général de la population est satisfaisant 1 ».
Dans l'Etat de Bombay, « l'état sanitaire général des aborigènes est déficient » ; les maladies les plus fréquentes sont le
paludisme, la filariose, le scorbut et d'autres maladies de
carence dues à un régime alimentaire déficient. Lorsqu'ils
sont malades, les aborigènes s'adressent de préférence aux
sorciers et aux guérisseurs 2.
Dans le Sud, la dénutrition a eu des effets nocifs dans les
tribus ; elle est due surtout à l'abandon de l'alimentation
traditionnelle, composée du produit de la cueillette dans les
régions forestières, pour un régime à base de riz et comportant
aussi la consommation fréquente d'eau-de-vie de palme et
l'usage de l'opium, introduit par les ouvriers sylvicoles sous
contrat. Par suite surtout des contacts établis avec des habitants d'autres régions, ces populations connaissent aujourd'hui
le choléra, la variole, le diabète et l'albuminurie 3 . Les Koya
souffrent aussi du pian (de même que les Eeddi et les autres
tribus du Sud) 4.
Dans l'Etat de Travancore, particulièrement, on cite des
cas de lèpre chez les Kanikar (qui ne sont pas épargnés par
l'éléphantiasis), les Muduvan et les Vishavan. La syphilis sévit
chez les Paliyan et la variole chez les Muduvan, les Mannan et
dans les autres tribus. A l'exception des Muduvan, des Mannan,
des Paliyan et des Urali, qui habitent des régions exemptes de
fièvres paludéennes, toutes les autres tribus montagnardes
souffrent de paludisme, maladie qui fait de nombreuses
victimes 5.
PAKISTAN
Chez les sylvicoles de la région de Chittagong (Bengale
oriental), les maladies les plus communes sont la malaria, la
trichophytie, la gale, l'ascaridiose, l'entérite et le pian. La
malaria est très répandue, surtout dans les régions bien
1
Communication du gouvernement de l'Inde, mars 1950.
Communication du correspondant du B.I.T. à la Nouvelle-Delhi.
3
K. Govinda MBKON : « The Kadar of Cochin », Census of India, 1931, vol. I,
partie III B, p. 215.
2
4
6
A. AIYAPPAN, op. cit., p. 63.
L. A. Krishna IYER et N. Kunjan PILLAI : « The Primitive Tribes of Travancore », Census of India, 1931, vol. I, partie III B, p. 237.
PROBLÈMES
SANITAIRES
165
irriguées. Les tribus Murung et Chak sont les moins affectées
par cette maladie, peut-être parce qu'elles vivent à des altitudes
assez élevées, ce qui leur permet de jouir d'une santé meilleure
que le reste des tribus. Le pian se propage surtout pendant la
saison des pluies. Dans six tribus du district de Mimensingh
groupant environ 83.000 aborigènes, les maladies les plus
fréquentes étaient, en 1952, la malaria, les maladies des yeux,
la dysenterie, la diarrhée, la fièvre noire et le choléra. Le taux
de mortalité était de 1,8 pour cent chez les sylvicoles, alors
qu'il n'était que de 1,5 pour cent pour le reste de la population
de la région considérée 1.
PHILIPPINES
L'état sanitaire général des aborigènes de l'archipel de
Jolo, de Cotabato, de Bukidnon, de Davao et de la province de
Mountain est considéré comme relativement satisfaisant et
les maladies contagieuses sont moins fréquentes chez eux que
parmi le reste de la population. Les principales affections
constatées sont la bronchite, le béribéri et la malaria ; les cas
de tuberculose pulmonaire sont relativement moins fréquents
parmi les tribus que chez les autres groupes de population. Au
nombre des dix principales causes de mortalité signalées pour
l'ensemble de la population des Philippines en 1951, on rangeait
la tuberculose pulmonaire, la malaria, l'avitaminose et les
autres maladies de carence, la broncho-pneumonie, la bronchite
aiguë, les autres formes de bronchite, spécialement la forme
chronique, la gastro-entérite et la colite, à l'exception de la
diarrhée des nouveau-nés 2.
Australasie
AUSTRALIE
La population aborigène d'Australie est sujette au pian,
aux ophtalmies, au paludisme, à l'ankylostomiase, à la dysenterie et à la lèpre. Si la tuberculose est peu fréquente et « ne
pose aucun problème grave chez les aborigènes 3 », « les affections intestinales de l'enfance, la débilité et les troubles pul1
2
3
Communications du gouvernement du Pakistan, 15 déc. 1952 et oct. 1952.
Communication du gouvernement des Philippines, mai 1953.
COMMISSIONEROTNATIVE AFFAIRS (Western Australia) : Annual Report for the
Year Ended 30th June 1944 (Perth, Government Printer, 1946), p. 7.
166
CONDITIONS DE VTE
monaires sont à l'origine d'un grand nombre de décès parmi
la population de couleur, situation à laquelle il serait possible
de remédier 1 ». En Australie occidentale, « la maladie la plus
redoutable est la lèpre. Il est incontestable que les cas de
lèpre se multiplient ». En outre, il y a un grand nombre de
cas de dermatoses, d'ophtalmie, de maladies vénériennes, de
paludisme, de pian et d'influenza. Sur toute la superficie de
l'Etat, des centaines d'aborigènes, y compris des enfants, ont
un besoin urgent de soins dentaires 2.
NOUVELLE-ZÉLANDE
Le taux élevé de la natalité chez les Maoris de NouvelleZélande (45 pour mille au minimum durant la période 19431947, soit près du double du taux de natalité des Européens,
qui était de 26,42 pour mille en 1947) fournit une indication sur
l'état sanitaire de ces populations. D'autre part, en 1947, les
taux de mortalité se sont établis à 14,45 pour mille chez les
Maoris et à 9,38 pour mille chez les Européens. Les causes de
mortalité font également apparaître une différence entre les
deux groupes de population. Sauf en ce qui concerne la diphtérie
et la scarlatine, les maladies épidémiques et infectieuses font
un plus grand nombre de victimes parmi les Maoris que parmi
les Européens. Parmi ces maladies, le premier rang revient à
la tuberculose (en 1947, le taux de mortalité des Maoris a atteint
32,88 pour dix mille, et celui des Européens 3,08) ; la fièvre
typhoïde vient ensuite (pour 1947, les taux se sont établis
à 1,13 pour dix mille chez les Maoris et à 0,05 chez les Européens). Quelques autres maladies du système respiratoire
ainsi que les diarrhées et les troubles intestinaux frappent
plus fréquemment les Maoris que les Européens. En revanche,
le taux de mortalité des Maoris est très inférieur à celui des
Européens en ce qui concerne le cancer, les affections cardiaques et autres maladies du système circulatoire, les néphrites,
le diabète, le goitre exophtalmique et un certain nombre de
maladies du système nerveux comprenant l'apoplexie et
l'hémorragie cérébrale. Le taux de mortalité infantile est beaucoup plus élevé chez les Maoris que chez les Européens, en
raison surtout de la fréquence des maladies épidémiques, de
la tuberculose, des affections du système respiratoire et de
1
A. O. NEVILLE : Australia's Coloured Minority (Sydney, Currawong Publishing
Co., 1947), p p . 253-255.
2
F . E . A. BATEMAN, op. cit., p p . 19-21.
PROBLÈMES
SANITAIRES
167
diverses formes de diarrhée. De 1943 à 1947, le taux de mortalité infantile pendant la première année de vie a été de 86 pour
mille enfants vivants chez les Maoris, contre 28 pour mille
chez les Européens.
E n 1951, le chiffre des naissances dans la population
maorie a atteint 5.238, contre 44.561 dans la population d'origine européenne ; la somme de ces chiffres dépasse de 85 le
total enregistré en 1947, année qui, encore récemment, était
considérée comme exceptionnelle du point de vue du nombre
des naissances. L'indice de mortalité infantile (chez les enfants
de moins d'un an) a été de 67,39 pour mille naissances, chiffre
le plus bas qui ait été enregistré pour la population maorie.
Pendant cette même année, on a noté 646 cas de maladies
dont la déclaration est obligatoire contre 3.093 parmi la population d'origine européenne. Le kyste hidatidique et la méningite cérébro-spinale ont marqué une augmentation par rapport
aux années antérieures ; en revanche, la tuberculose a été en
régression (466 cas en 1951 contre 568 en 1950). Le chiffre
des cas mortels de cette dernière maladie a également été
moins élevé : 168 cas en 1951 contre 254 en 1950, et cette
baisse a été particulièrement nette chez les femmes. Les
services de lutte contre la tuberculose ont examiné 2.899 cas
de tuberculose évolutive et de tuberculose non évolutive de
tout type, c'est-à-dire 110 de plus qu'en 1950 *.
Les données relatives aux maladies mentales semblent
prouver que les Maoris jouissent d'un meilleur équilibre mental
que les Européens. A la fin de 1947, le nombre des Maoris qui
étaient internés dans des hôpitaux psychiatriques représentait
un taux de 21,93 pour dix mille membres de la population
maorie, tandis que le taux concernant la population européenne était de 49,39. Chez les Maoris, le taux d'incidence des
grandes psychoses n'atteint approximativement que la moitié
du taux concernant les Européens. Durant les années de guerre,
le nombre des cas de névrose enregistrés parmi les Maoris
enrôlés dans les forces armées à l'étranger ou en NouvelleZélande n'a été que de la moitié environ du nombre des cas
enregistrés parmi les unités composées d'Européens 2.
1
DEPARTMENT OF HEALTH (Nouvelle-Zélande) : Annual Report of the Director
General of Health, 1951-1952 (Wellington, Government Printer, 1952), pp. 3,
8-18 et 61-64.
2
E . BEAGLEHOLE : Mental Health in New Zealand (Wellington, University of
New Zealand Press, 1951) ; Ernest e t Pearl BEAGLEHOLE : Some Modern Maoris,
op. cit., p p . 241-242.
7*
168
CONDITIONS DE VIE
Les Maoris acceptent de plus en plus volontiers les traitements médicaux et l'hospitalisation dans les établissements
européens, dont ils se méfiaient auparavant. Toutefois, leurs
croyances et pratiques ancestrales les empêchent encore trop
souvent, lorsqu'ils sont malades, de se soumettre à temps au
traitement nécessaire ou d'appliquer les mesures préventives
qui s'imposent 1 .
1
1. L. G. SUTHERLAND : « Maori and Pakeha », New Zealand (Berkeley et
Los Angeles, University of California Press, 1947), p. 68 ; Ernest et Pearl BEAGLEHOLE : Some Modern Maoris, op. cit., pp. 217-222 et 225-255.
CHAPITEE VI
L'ALCOOLISME ET LA MASTICATION DE LA FEUILLE
DE COCA EN AMÉRIQUE DU SUD
Le présent chapitre, consacré exclusivement à l'Amérique
du Sud, expose la gravité des ravages accomplis dans ce
continent par l'alcoolisme et la mastication de la feuille de
coca 1 . Etroitement lié à des questions générales telles que la
misère sociale et économique des populations aborigènes, ces
pratiques constituent un sérieux obstacle à l'amélioration des
conditions de vie et de travail de ces populations. Dans une
certaine mesure, l'abus d'alcool et la mastication de la feuille
de coca permettent d'expliquer les anomalies d'ordre social,
économique et sanitaire dont souffre souvent l'Indien des
hauts plateaux des Andes ; ces désordres trouvent leur explication dans la vie sociale indigène prise dans son ensemble et
dans les circonstances par la faute desquelles les difficultés de
toute nature rencontrées par les aborigènes n'ont pu être
atténuées autrement que par les moyens traditionnellement
utilisés par ceux-ci pour soulager la faim et la fatigue.
1
L'intérêt des organisations internationales pour la question des effets nocifs
de la préparation et de la consommation des drogues date déjà d'un certain temps
et ne s'est pas démenti dans la période récente. La Société des Nations et, de leur
côté, les gouvernements de différents pays qui jouent un rôle important dans le
domaine industriel ont, depuis le début du siècle, accompli de grands efforts pour
étudier ce problème sous ses différents aspects et pour lutter, dans la mesure du
possible, contre le vice de l'usage des drogues. L'action internationale contre
l'opium, commencée en 1909, a été explicitement étendue à différents alcaloïdes
dont la consommation sans ordonnance médicale est considérée comme particulièrement préjudiciable à la santé et au bien-être des personnes intéressées. Les
conventions internationales de 1925 et de 1931 concernant l'opium et les autres
stupéfiants demandent aux pays signataires d'adopter certaines mesures visant à
réglementer la production et la distribution des feuilles de coca. En examinant
le problème de la mastication de la feuille de coca en Amérique du Sud, le Bureau
international du Travail se propose de l'étudier uniquement sous ses aspects les
plus étroitement liés à la situation sociale de l'aborigène.
Les renseignements dont dispose le Bureau sur l'alcoolisme et l'usage des
stupéfiants chez les aborigènes des pays d'Asie n'ont pas paru présenter un intérêt
suffisamment actuel pour servir de base à une étude sur cette partie du monde.
Les textes authentiques des conventions pourront être trouvés dans SOCIÉTÉ
DES NATIONS : Actes de la deuxième Conférence de l'opium, Genève, 17 novembre 192419 février 1925, vol. I, annexe 31 : Convention, Protocole, Acte final, Genève, le
170
CONDITIONS DE vTE
Alcoolisme
Diverses opinions prévalent en Amérique latine quant à la
situation de l'aborigène et du paysan en général, au regard de
l'emploi ou de l'abus des boissons alcooliques. Selon l'une
d'elles, l'aborigène n'est pas un buveur invétéré, mais presque
toujours, il a recours à l'alcool parce qu'il doit compenser
l'usure de son organisme ou acquérir artificiellement la force
nécessaire à l'accomplissement de son dur labeur. La vie — ont
pu écrire deux experts péruviens — offre à l'Indien trois échappatoires, qui revêtent un grand intérêt social : la migration,
qui lui permet de fuir son village, où il ne possède pas de terre ;
le coca, pour tromper sa faim ; l'alcool, pour le soulager de
sa misère 1. Selon une autre opinion, l'alcoolisme serait u n vice
si enraciné chez l'Indien qu'il n'existerait pas de moyen qui
puisse l'extirper individuellement ou collectivement. Les
hommes de science qui ont étudié cette question se rallient
presque toujours à la première de ces opinions. Les gens qui
entretiennent des relations de commerce ou de travail avec
l'aborigène penchent souvent pour la seconde.
Les médecins et les hygiénistes qui, à des fins sociales, ont
étudié le problème de l'alcoolisme en tenant dûment compte
des caractéristiques de chaque pays estiment que l'abus
des boissons alcooliques chez les aborigènes constitue un
immense danger d'appauvrissement et de dégénération biologique, d'accroissement de la propension à la criminalité et de
ruine pour l'économie déjà précaire de l'aborigène.
FORMES D E LA CONSOMMATION DE BOISSONS
ALCOOLIQUES
Sans vouloir entrer dans des considérations techniques,
relevant de la médecine sociale et de l'hygiène, nous pouvons
affirmer que l'alcool ingéré à doses faibles et occasionnelles
n'est pas préjudiciable à la santé. En ce qui concerne l'Indien
— réserve faite de certaines différences d'une région à une
autre, notamment dans les mesures prohibitives ou restrictives
prises dans les différents pays —, il est possible de dire qu'en
19 février 1925 (doc. C.760.M.260.1924.XI [1924.XI.I] et C.88.M.44.1925.XI), et
IDEM, Conférence pour la limitation des stupéfiants, Genève, 1931 : Convention
pour limiter la fabrication et réglementer la distribution des stupéfiants, Protocole de
signature et Acte final (doc. C.455.M.193.1931.XI [1931.XI.8]).
1
M. H. KUCZYNSKI-GODARD et C. E. PAZ SOLDÁN : Disección del indigenismo
peruano, op. cit., p. 96.
ALCOOLISME ET COCA EN AMÉRIQUE DU SUD
171
règle générale, il boit de l'alcool en grandes quantités ; il
accepte ou demande presque toujours à boire, soit pour se
stimuler au travail, soit pour se réconforter. Bien entendu,
ses libations ne sont pas quotidiennes ni constantes, mais
il est rare qu'il ne profite pas d'un jour de congé ou d'une
soirée de liberté pour s'adonner à la boisson. Dans bien des
régions habitées par les aborigènes, la consommation de l'eaude-vie est très forte malgré un prix élevé qui s'explique surtout
par les taxes que beaucoup de gouvernements prélèvent sur
l'alcool en vue d'en rendre le prix prohibitif.
Dans certains pays, l'alcoolisme de l'aborigène trouve un
stimulant dans les occasions créées par la présence de débits
officiels d'eau-de-vie.
La Eégie a établi dans le pays un grand nombre de débits d'eaude-vie stratégiquement répartis. Dans les localités éloignées et isolées,
où il est pratiquement impossible de se procurer de l'eau et où
l'homme peut facilement mourir de faim et de soif, il est bien rare
qu'il ne se trouve pas un estaminet ou un débit d'eau-de-vie.
La Eégie prend un soin jaloux — digne d'un but plus louable —
de maintenir toujours une réserve abondante d'eau-de-vie. Elle est en
cela admirablement secondée par les débitants, dont les établissements sont si nombreux qu'il est des villages dont presque chaque
maison est un estaminet où le
consommateur trouve toujours de
grandes facilités de paiement 1 .
Dans les plantations de diverses régions, la majeure partie
du sucre est consacrée à la production d'eau-de-vie, chaque
sucrerie possédant sa propre distillerie 2.
Outre l'eau-de-vie, l'Indien absorbe en grandes quantités
d'autres boissons enivrantes telles que la chicha, le guarapo,
le pulque, etc. La chicha est une boisson fermentée à base de
maïs, de manioc ou de riz, dont la consommation est encouragée par les circonstances. En effet, dans le cas où la législation du pays ne restreint ni n'interdit la fabrication de cette
boisson, l'aborigène peut la préparer lui-même à très peu de
frais à son domicile ; dans le cas contraire, il la préparera quand
même, clandestinement. Dans quelques pays, des études de
laboratoire ont établi la toxicité de la chicha 3.
Le guarapo (ou wirapu) est une boisson fermentée à base
de jus de canne à sucre et parfois aussi de maïs. Bien entendu,
il est consommé plus généralement par les aborigènes qui
1
Aníbal BUITRÓN : « Vida y pasión del campesino ecuatoriano», América Indígena, vol. V I I I , n° 2, avril 1948, p. 122.
2
Rapport de la Commission d'étude sur la feuille de coca, op. cit., p. 25.
3
A la suite d'études et d'analyses chimiques effectuées en Colombie, un décret
de juin 1948 fixe les conditions auxquelles doit répondre la chicha pour que la
consommation publique en soit autorisée.
172
CONDITIONS DE VIE
résident ou travaillent dans les régions sucrières. Outre sa forte
teneur en alcool éthylique, cette boisson contient un certain
nombre d'autres éléments de fermentation qui lui confèrent
une toxicité presque mortelle 1.
Si l'on en croit divers auteurs, ces boissons représentent
l'un des principaux articles de vente des épiceries de plusieurs
plantations et de nombreux camps miniers.
La bière, fabriquée à base de quinoa et de Ttañawa (et, dans
certaines régions, à base de maïs), trouve, elle aussi, dans l'aborigène un grand consommateur. Bien souvent, les entreprises
qui la vendent dans les zones de population aborigène fabriquent spécialement une bière de qualité inférieure à la bière
ordinaire.
L E S FÊTES INDIGÈNES ET LES EFFETS DE L'ALCOOLISME
L'aborigène de l'Amérique latine témoigne, comme chacun
le sait, d'une propension marquée à célébrer toutes sortes de
fêtes. Dans bien des cas, ces fêtes tirent leur origine des solennités religieuses de ses ancêtres, où se confondaient l'offrande
aux dieux tutélaires et l'adoration de la terre, dispensatrice
de toutes richesses. Chez les Incas, la fête des semailles ou celle
de la moisson revêtaient le caractère d'un véritable culte. A
ces occasions, la chicha coulant à flots, il s'ensuivait une orgie
collective. Cette coutume s'est en partie perpétuée jusqu'à nos
jours. Dans la plupart des fêtes aborigènes d'aujourd'hui, à
la musique, aux feux d'artifice, aux mascarades et aux danses,
s'ajoute une forte consommation de chicha, de guarapo, etc.,
exigée par la tradition locale. Souvent, l'aborigène passe de la
cérémonie du temple à la cantine ou à l'estaminet et, dans
bien des cas, la fête atteint son paroxysme dans l'ivresse
générale.
Bolivie
Sur les hauts plateaux de Bolivie, aucune fête ne serait
complète s'il n'était consommé de grandes quantités d'alcool
pur, fabriqué dans les Yungas et transporté dans la région
montagneuse pour y être vendu sur les marchés des hameaux
les plus reculés. « Jamais, déclare Weston La Barre, je n'ai vu
les Indiens d'Amérique dans un état d'ébriété aussi complet
que lors d'une fête aymara ordinaire 2. »
1
s
Luis A. LEÓN, op. cit., p. 258.
Weston Là. BABEE, op. cil., p. 65.
ALCOOLISME ET COCA EN AMÉRIQUE DU SUD
173
Le rapport de la mission d'assistance technique des Nations
Unies à la Bolivie indique que, dans la région de l'Altipiano, il
n'est pas rare que les frais entraînés par une seule fête indigène
atteignent de 20.000 à 30.000 bolivianos, somme que les aborigènes se procurent en prélevant sur leurs économies, en
vendant des terres, en se faisant liquider le capital de pensions
de retraite d'ouvriers mineurs ou en contractant des dettes 1 .
Une enquête effectuée dans un district de la vallée de Cochabamba a révélé que la moyenne annuelle des dépenses familiales
affectées à l'alimentation était de 4.318 bolivianos, sur lesquels
la consommation de boissons alcooliques (surtout de chicha)
pendant les fêtes représentait 1.250 bolivianos, soit 30 pour
cent du budget réservé à l'alimentation a .
Equateur
Dans la Sierra de l'Equateur, chaque fête donne lieu à une
grande consommation d'eau-de-vie et de chicha, qui accompagne les exhibitions acrobatiques, les feux d'artifice, les mascarades, etc. Les municipalités et le fisc tirent des revenus
considérables de la consommation de chicha et d'eau-de-vie
et des impôts qui grèvent ces boissons, dont le monopole
appartient à l ' E t a t 3 . Un médecin, qui est aussi un spécialiste
des questions aborigènes, a pu faire le tableau suivant de la
situation :
Pour l'Indien, l'alcoolisme est un vice invétéré et une des toxicomanies aux conséquences les plus funestes du point de vue tant
biologique qu'économique et social... Les fêtes religieuses, les réunions
de famüle, les loisirs du samedi et du dimanche, la moisson, la construction d'habitations, les travaux de construction de routes et de
chemins, les mariages, les enterrements, les prises de voile, etc., n'ont
pour l'Indien aucune raison
d'être si l'eau-de-vie, ou quelque autre
alcool, n'y coule à flots 4.
E n ce qui concerne la population rurale de la région de
Pichincha, l'auteur d'une autre étude note que « le paysan
consacre obligatoirement une partie de ses faibles revenus à
l'achat de boissons alcooliques et, ce qui est plus grave encore,
1
Report of the United Nations Mission of Technical Assistance to Bolivia, op. cit.,
p. 91.
2
Olen E. LEONABD : Canton Chullpas : A Socio-economic Study in the Cochabamba Valley of Bolivia (U.S. Department of Agriculture, Office of Foreign Agricultural Relations, Foreign Agriculture Report No. 27) (Washington, juill. 1948),
pp. 56-57.
3
Gonzalo RUBIO ORBE : « El indio en el Ecuador », América Indigena, vol. IX,
n° 3, juill. 1949, p. 229.
4
Luis A. LEÓN, op. cit., p. 258.
174
CONDITIONS DE VIE
il est capable de dilapider sans compter les économies de
toute une année à l'occasion d'une fête dont les seuls bénéficiaires sont le prêtre et le cabaretier x ». Le pire, selon Aníbal
Buitrón, est que lorsque le paysan a épuisé l'argent qu'il
réservait à ses distractions dans le village, le débitant de
boissons lui offre de l'eau-de-vie en échange de ses bestiaux
ou de ses produits agricoles, ou bien lui ouvre de nouveaux
crédits. « C'est ainsi que les villages restent fréquemment
presque déserts, parce que les habitants sont allés chez les
paysans recouvrer leurs dettes et ne rentrent qu'à la nuit tombante, avec des moutons, des porcs, des volailles, des cochons
d'Inde, des œufs, des sacs de pommes de terre, d'orge, etc. »
En conséquence, ajoute Buitrón, « le paysan vit dans la pauvreté, éternellement endetté 2 ».
D'après les résultats d'une enquête effectuée par un médecin équatorien bien connu, Pablo A. Suárez, les Indiens consomment en moyenne 300 litres d'alcool par an et par tête,
ce qui représente un coût moyen annuel de 40 sucres par habitant. Une famille dépense 200 sucres par an pour sa boisson
sur un revenu annuel total de 500 à 1.000 sucres ; en d'autres
termes, la boisson absorbe de 20 à 40 pour cent du budget
annuel ; les jours de fête et de libations ne représentent pas
moins de 30 pour cent de l'ensemble des jours ouvrables 3.
Pérou
Dans la Sierra du Pérou, les obligations sociales qu'entraîne
pour l'Indien le désir d'accroître son prestige individuel lors
des fêtes religieuses, joint à la volonté d'oublier une vie pénible
et toute d'humiliation, amène l'Indien à faire « des dépenses
ruineuses en alcool 4 ». Kuczynski-Godard et Paz Soldán
signalent que, dans de nombreuses haciendas, l'habitude est
prise de servir à boire aux ouvriers au commencement et à la
fin de la journée de travail et que cette « libéralité » incite les
Indiens à continuer de boire pour leur propre compte jusqu'à
dilapider la majeure partie de leur gain, sinon la totalité.
Ainsi l'alcoolisme les endette sans fin... C'est là une des multiples
formes de la lutte que mènent certains propriétaires contre leurs
voisins aborigènes, lutte sans merci, dépourvue de toute conscience
1
P l u t a r c o N A R A N J O VARGAS, op. cit., p . 244.
2
Aníbal BUITRÓN : « Vida y pasión del campesino ecuatoriano », op. cit., p. 123.
Pablo A. STJÁREZ : « La situación real del indio en el Ecuador », América
Indígena, vol. I, n° 1, janv. 1941.
3
4
M. H . KUCZYNSKI-GODABD e t C. E . P A Z SOLDÁN, op. cit., p p . 95-98.
ALCOOLISME ET COCA EN AMÉRIQUE DU SUD
175
sociale, visant uniquement à les affaiblir économiquement et à
s'assurer leur « collaboration » à l'exploitation des terres, collaboration à laquelle il serait difficile de prétendre normalement sans
offrir des salaires intéressants et sans établir des conditions de travail
très supérieures 1.
Mastication de la feuille de coca
INTRODUCTION GÉNÉRALE
L'habitude de la mastication de la feuille de coca chez
les Indiens de l'Amérique du Sud, en particulier ceux de la
partie méridionale des Andes, semble remonter à l'époque
préinca. L'importance que revêtaient la production et la consommation de cette plante ainsi que sa teneur en cocaïne ont
commencé à être remarquées" par les chroniqueurs espagnols
peu de temps après la découverte de l'Amérique. Au début
de la conquête, la pratique de la mastication de la coca a été
observée dans diverses régions de l'Amérique centrale et de
la partie méridionale de l'Amérique du Sud, aussi bien sur les
côtes de l'Atlantique que sur celles du Pacifique. A l'heure
actuelle, la zone de production et de consommation s'est réduite,
mais les effets de cette habitude sur les populations aborigènes
de l'Amérique du Sud, surtout en Bolivie et au Pérou, n'en
restent pas moins néfastes. Sur l'initiative du gouvernement du
Pérou, qui, en 1947, présenta à la Commission des stupéfiants
du Conseil économique et social des Nations Unies un projet de
recommandation préconisant une enquête sur l'importance
biologique, sociale et économique de cette plante, les Nations
Unies ont constitué une Commission d'étude sur la feuille de
coca, qui a mené une enquête spéciale au Pérou et en Bolivie
de septembre à décembre 1949 2.
Lors de la quatrième Conférence panaméricaine de la
Croix-Rouge, une résolution a été approuvée, qui condamne
l'usage de la coca. Une résolution adoptée par le deuxième
1
2
M. H. KUCZYNSKJ-GODARD et C. E. PAZ SOLDÁN, op. cit., pp." 95-98.
La Commission a soumis son rapport à la Commission des stupéfiants du
Conseil économique et social en septembre 1950. Voir NATIONS UNIES, Conseil
économique et social, procès-verbaux officiels, douzième session, supplément spécial
n° 1 : Rapport de la Commission d'étude sur la feuille de coca, mai 1950 (Lake Success,
New-York, juill. 1950), doc. E/1666.E/CN.7/AC.2/1. En plus de considérations
médicales, sociales et économiques sur les effets de la mastication de la feuille de
coca et sur la possibilité de limiter la production et de réglementer la distribution
de cette plante, le rapport contient les conclusions et recommandations de la
Commission. L'annexe II est une étude bibliographique générale avec des annotations de Pablo Oswaldo Wolff sur les effets de la mastication des feuilles de coca
d'après les opinions exprimées par plus de cent auteurs.
176
CONDITIONS DE VIE
Congrès interaméricain des affaires indigènes (Cuzco, Pérou,
1949) recommande aux pays dans lesquels se pose le problème
de la coca de constituer, en collaboration avec les Nations Unies,
un comité permanent pour l'étude complète de ce problème,
en vue de préparer une réunion extraordinaire qui grouperait
des représentants desdits pays et aurait pour mission de
recommander les mesures qui lui paraîtraient les mieux
appropriées.
EVOLUTION HISTORIQUE DE LA CONSOMMATION
DE LA COCA
Les conquérants espagnols nous ont laissé des chroniques
sur l'habitude du coqueo parmi les aborigènes de certaines
régions qui représentent actuellement les territoires de la
Bolivie, du Pérou, de la Colombie et du Venezuela. Dans l'ancien Pérou, la plante possédait un caractère presque sacré ;
la mastication de la feuille de coca était réservée aux classes
aristocratiques. Les plantations étaient rares et appartenaient
à l'Inca et aux temples.
Après la conquête, la culture du cocaïer aurait pris une
grande extension, donnant naissance à un commerce très
lucratif *. Cette extension serait due en partie au déclin considérable de la production agricole et à la disparition presque
totale de l'élevage primitif pratiqué dans la région des Andes,
résultat de la guerre de conquête et du changement de structure
sociale 2. « Les données historiques indiquent que la crise a été
particulièrement intense dans la région où, encore maintenant,
sont consommées les plus importantes quantités de coca 3. »
La production de la coca a connu, semble-t-il, une augmentation considérable sous le régime républicain. Néanmoins,
les éléments d'informations ne sont pas assez nombreux pour
qu'il soit possible d'en apprécier l'ampleur. Ainsi qu'on le
verra plus loin, il n'existe pas non plus de statistiques dignes
de foi quant à la production et à la consommation actuelles
de feuilles de coca. La production réelle semble dépasser de
1
Les prix élevés de la plante eurent tôt fait d'exciter les convoitises des conquérants, ce qui eut pour résultat l'exploitation de l'Indien par les colons, non seulement dans la culture, mais dans le commerce de la coca. Voir Luis A. LEÓN : « Historia y extinción del cocaísmo en el Ecuador », América Indigena, vol. XII, n° 1,
janv. 1952, p. 20.
2
Carlos GUTIÉRREZ NOBIEOA : El cocaísmo y la alimentación en el Perú, op. cit.,
p. 26-27.
3
IDEM : « El hábito de la coca en Sudamérica », America Indígena, vol. XII,
n° 2, avril 1952, pp. 117-118.
ALCOOLISME ET COCA EN AMÉRIQUE DU SUI)
177
beaucoup celle dont font état les chiffres officiels. Cela est
imputable, entre autres facteurs, à l'absence d'un cadastre
satisfaisant des plantations de coca, au non-enregistrement
des données relatives à la production réelle, à l'absence d'un
mécanisme adéquat de contrôle permettant de remédier à ces
deux déficiences. E n général, il existe une différence importante
entre la production réelle et la production livrée à la consommation et soumise à l'impôt ; en outre, les données statistiques
officielles relatives à cette dernière sont souvent contradictoires 1 .
Dans leur grande majorité, les mâcheurs de coca se
trouvent dans la région des hauts plateaux du Pérou et de
la Bolivie. Les autres sont répartis entre l'Argentine (Salta,
Jujuy), les départements du Cauca et de l'Huila en Colombie et, dans des proportions moindres, certaines régions du
Chili (quelques mines proches de la frontière bolivienne),
du Brésil (vallée des Purus et des Amazones) et du Venezuela
(frontière colombienne). L'habitude de mâcher la coca est
à peine connue des Indiens de l'Equateur 2. La plante ne
pousse pas sur le territoire du pays, même à l'état sauvage
(à la seule exception peut-être d'un petit district situé dans
la partie occidentale de la province d'Azuay). Elle a sans
aucun doute été cultivée à l'époque préinca et pendant la
période coloniale. La raison exacte de sa disparition n'est pas
connue 3. D'après Luis A. León, le phénomène s'expliquerait
surtout par les progrès réalisés dans les domaines de l'agriculture et de l'élevage au x v i i m e siècle et pendant la première
moitié du xviii m e , progrès qui auraient eu pour conséquence
d'améliorer le régime alimentaire de l'aborigène *.
Carlos Gutiérrez Noriega estime que l'habitude de mâcher
la feuille de coca, là où elle s'est implantée, affecte au moins
30 ou 40 pour cent de la population adulte. Dans les cas
extrêmes, la population s'adonne à la coca dans une proportion
voisine de 100 pour cent. Le même auteur évalue le nombre des
habitués de cette drogue en Amérique du Sud à 5 ou 6 millions 5 ;
au Pérou, « presque la moitié des hommes de la région des
1
Rapport de la Commission d'étude sur la feuille de coca, op. cit., p . 75.
H semble que seules certaines tribus sylvicoles de l'est du pays (Yumbo et
Jívaro) se livrent à u n cocaïsme sporadique. Luis A. LEÓN : « Historia y extinción
del cocaísmo en el Ecuador », p. 19.
3
V. Gabriel GARCÉS : « El indio ecuatoriano y la coca », América
Indígena,
vol. V, n° 4, oct. 1945, pp. 292-293.
4
Luis A. L E Ó N : « Historia y extinción del cocaísmo en el Ecuador », op. cit.,
pp. 52-53.
5
Carlos GUTIERREZ NORIEGA : « El hábito de la coca en Sudamérica », op. cit.,
p. 112.
2
178
CONDITIONS DE VIE
Andes ont contracté l'habitude de mâcher la feuille de coca 1 ».
La Commission d'étude des Nations Unies sur la feuille de coca
a estimé le nombre des mâcheurs de coca parmi les aborigènes,
non compris les métis, à 1.268.596 au Pérou et 913.875 en
Bolivie, ce qui représente 45 et 50 pour cent de la population
aborigène et 20 et 25 pour cent de la population totale de ces
pays. D'après des données recueillies par cette commission,
90 pour cent des mineurs du fond (aborigènes et métis)
mâchent des feuilles de coca 2.
ZONES ACTUELLES DE CULTUEE E T D E CONSOMMATION
Argentine
En Argentine, pas plus que dans l'Equateur, il n'existe,
semble-t-il, de plantations, mais la coca est consommée en
quantités relativement considérables dans la partie septentrionale du territoire. Pendant les deux années 1946 et 1947,
l'Argentine a importé de Bolivie environ 820.000 kg de
feuilles 3 . La population qui s'adonne à la mastication de
la feuille de coca se compose surtout d'aborigènes argentins
et de manœuvres aborigènes boliviens descendus des hauts
plateaux pour venir travailler dans les plantations de canne
à sucre et dans les centres miniers de Salta et Jujuy.
Bolivie
Le cocaïer ne croît pas sur les hauts plateaux, néanmoins
la très grande majorité de la population consommatrice se
compose d'aborigènes de cette région, en particulier de ceux
des départements de La Paz, d'Oruro et de Potosí. Dans sa
réponse à un questionnaire adressé par les Nations Unies, le
gouvernement de la Bolivie a fait savoir que 90 pour cent
des mâcheurs de coca du pays sont des Indiens 4.
Les principales zones de culture se trouvent dans les départements de La Paz (Yungas du Nord, Yungas du Sud, Inquisivi,
Caupolicán, Murillo, Muñecas, Larecaja) et de Cochabamba
(Chaparé, Carrasco, Arani, Quillacollo et Cliza). Les régions
de Corèico et de Coripata (Yungas du Nord) et de Chulumani
(Yungas du Sud) sont des centres importants de culture.
1
Carlos GUTIÉRREZ NORIEGA et Vicente ZAPATA ORTIZ : Estudios sobre la
coca y la cocaina en el Perú (Lima, Ministerio de Educación Pública, 1947), p. 17.
2
Rapport de la Commission d'étude sur la feuille de coca, op. cit., pp. 60-64.
3
Ibid., p. 51.
4
Ibid., p. 117.
ALCOOLISME E T COCA EN AMERIQUE DU SUD
179
D'après les renseignements fournis à la Commission des
Nations Unies par le ministère de l'Agriculture et par la
Société des propriétaires des Yungas, la superficie cultivée
atteindrait en moyenne 6.000 hectares, dont 5.500 environ se
trouveraient dans le département de La Paz et le reste dans
le département de Cochabamba 1 .
CAUTE V m . —
BOLIVIE : ZONES DE CULTURE DE LA COCA
Zones approximatives
de culture de la coca.
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Source : NATIONS UNIES, Conseil économique et social : Rapport de la Commission
sur la feuille de coca (Lake Success, New-York, juill. 1950).
1
Rapport de la Commission d'étude sur la feuille de coca, op. cit., p. 74.
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d'étude
•
180
CONDITIONS DE VIE
Les données relatives à la production de la coca, qu'elles
proviennent de sources officielles ou privées, sont loin de
concorder. E n effet, d'après la Direction générale des statistiques, la production de l'ensemble du pays en 1941-42 a atteint
5.817.000 kg. Selon une information communiquée à la Commission des Nations Unies par le ministère de l'Agriculture
en 3948, la quantité de feuilles de coca en circulation et
soumise au contrôle de la régie a été de 4.299.000 kg dans
les départements de La Paz et de Cochabamba (3.468.000 kg
pour le premier et 831.000 kg pour le second). D'après les
statistiques établies par la Société des propriétés des Yungas,
la production de 1947 a atteint dans le département de
La Paz 3.697.665 kg. Dans une réponse communiquée à la
Commission des Nations Unies, cette même société indique
qu'en 1947, le département de Cochabamba avait produit
333.889 kg de feuilles de coca, cependant que la régie de la
coca du même département faisait savoir à la Commission que
830.875 kg de feuilles de coca avaient été livrées à la consommation en 1948 l. L'ancien directeur général des statistiques
de Bolivie a affirmé que la production annuelle moyenne se
monte à 5.500.000 kg, qui se répartissent comme suit : La Paz
4.900.000 kg (89 pour cent), Cochabamba 550.000 kg (10 pour
cent), Santa-Cruz 50.000 kg (1 pour cent) 2.
Selon diverses sources, la production semble avoir diminué
considérablement pendant les quinze dernières années. C'est
ainsi que, dans sa réponse au questionnaire des Nations Unies,
le gouvernement a déclaré que dans le département de La Paz,
entre 1938 et 1946, la production est tombée de 7.125.900 à
2.976.817 kg.
D'après un renseignement pubké dans l'annuaire statistique de l'agriculture et de l'élevage, la superficie plantée
en cocaïers dans la région des Yungas atteignait, en 1938,
17.465 hectares, tandis que la réponse au questionnaire précité
indique qu'en 1946, la superficie des terres cultivées n'était
que de 7.088 hectares 3.
E n 1941, le médecin bolivien Gregorio Mendoza Catacora
a présenté au premier Congrès national de médecine et à la
quatrième Conférence panaméricaine de la Croix-Eouge un
rapport qui renferme les assertions suivantes :
1
Rapport de la Commission d'étude sur la feuille de coca, op. cit., pp. 71-73.
Jorge PANDO GUTIÉRREZ : Geografia economica : Bolivia y el mundo (La
Paz, 1947), tome I I , p. 268.
3
Rapport de la Commission d'étude sur la feuille de coca, op. cit., p p . 73,120 et 121 •
a
ALCOOLISME ET COCA EN AMÉRIQUE DU SUD
181
D'après les données officielles publiées par la Direction générale
des statistiques, en 1938, la production totale des feuilles de coca a
atteint en Bolivie 4.800.000 kg. De cette quantité, selon des données
non moins officielles, n'ont été exportés que 400.000 kg. Par conséquent, tout le reste, soit 4.400.000 kg de coca, a été consommé dans
le pays. Tenant compte du fait qu'un kilogramme de coca de Bolivie
contient 2,5 grammes de cocaïne, nous pouvons dire que la quantité
de coca absorbée cette année-là dans le pays contenait
11.000 kg de
cocaïne, autrement dit 11 tonnes de ce produit 1 .
Se fondant sur des données émanant de sources statistiques diverses, la Commission des Nations Unies a avancé pour
l'année 1948 le chiffre total de 4.112.694 kg de feuilles de coca
soumises à l'impôt (consommation 3.865.802 kg, exportation
246.892 kg) 2 . La même année, le prix de vente en fut d'environ
55 bolivianos le kg, ce qui signifie que le volume de la circulation monétaire correspondant aux 4 millions de kg de feuilles
de coca serait approximativement de 220 millions de bolivianos 3. En Bolivie, contrairement à l'usage qui prévaut au Pérou,
la coca n'est pas soumise à un impôt d'Etat, mais simplement
à une taxe départementale. En 1948, le produit de cette taxe
à La Paz et à Cochabamba a été de 31.696.000 bolivianos 4.
Colombie
D'après une communication adressée en 1945 à l'Académie
nationale de médecine de Bogota, « loin de diminuer, le vice
de la mastication de la feuille de coca se propage comme une
véritable épidémie parmi les paysans et les aborigènes des
départements du Cauca et de l'Huila 5 ». L'habitude de mâcher
la coca étend son emprise sur une population d'environ 60.000
âmes. A ce chiffre, il conviendrait d'ajouter les habitants de la
région de Popayán-La Plata, de la sierra Nevada, de Santa
Marta (Indiens arawak) et de la sierra de Perijá, dont on ne
connaît pas le nombre. En 1942, le pays a produit 225.000 kg
de feuilles de coca, dont 210.000 destinés à la mastication 6 .
Il a été estimé que le marché de la feuille de coca dans le
département de l'Huila porte sur quelque 170.000 pesos
colombiens par an. Dans la municipalité de San Agustín,
dont le budget s'élève à peine à 10.000 pesos colombiens, le
1
Gregorio MENDOZA CATACOKA : El empleo de la coca en Bolivia (La Paz,
Imprenta Artística, 1941).
2
Rapport de la Commission d'étude sur la feuille de coca, op. eu., p. 92.
3
Ibid., p . 90.
4
Ibid., pp. 89-90.
6
Jorge BEJARANO : « E l cocaísmo en Colombia », América Indigena, vol. V,
n° 1, janv. 1949, p . 19.
6
Rapport de la Commission d'étude sur la feuille de coca, op. cit., pp. 111-112.
182
CONDITIONS DE VIE
marché de la feuille de coca porte sur une valeur annuelle de
près de 60.000 pesos.
Les départements où la coca est actuellement cultivée sont
ceux de Cauca, Huila, Boyaca et Santander. Le nombre
des cocaïers cultivés semble être de 277.025, fournissant une
production de 186.960 kg. Ces chiffres correspondent aux
arbres cultivés sur 767 hectares ensemencés. En fait, environ
400 hectares se trouvent dans le département du Cauca,
où le nombre des arbres en production est de 86.142 et où la
récolte représente 142.025 kg, produit de la culture intensive
effectuée dans 12 des 33 municipalités du département 1 .
Bejarano affirme que, dans diverses localités, le péon aborigène consacre la plus grande partie de son maigre salaire
à l'acquisition de coca pour lui-même et pour sa famille, de
poudre à fusil, de sel et de guarapo 2.
Pérou
Au Pérou, la zone de culture la plus importante est la
vallée de La Convención (département de Cuzco), qui produit
plus du tiers de la coca du pays. Il existe aussi d'importantes
plantations dans les vallées de Lares et Cotabamba, situées
dans le même département, ainsi que dans la région de Tingo
María (département de Huánuco). Viennent ensuite divers
secteurs des départements de Ayacucho, de Cajamarca et de
La Libertad.
Le ministère de l'Agriculture a estimé que la superficie des
terres plantées en cocaïers est de quelque 15.000 hectares, soit
à peine 6.000 hectares de moins que la superficie des terres
plantées en légumes. La production annuelle de feuilles de
coca au Pérou a été estimée en moyenne à 700 kg par hectare,
ce qui représente une production nationale effective de près
de 10 millions de kg par an 3. D'après le recensement de 1940,
les travailleurs occupés dans les plantations de cocaïers étaient
au nombre de 22.415 (contre 15.443 dans les plantations de
caféiers et 14.045 dans les plantations d'arbres fruitiers 4 ).
D'après la Commission des Nations Unies, ces chiffres sont
incomplets et ne se rapportent qu'aux seuls départements de
Cuzco, de Huánuco et d'Ayacucho 5.
1
Jorge BEJABANO : « Nuevos capítulos sobre el cocaísmo en Colombia »,
América Indigena, vol. X I I I , n° 1, janv. 1953, p p . 22-23.
2
I D E M : « El cocaísmo en Colombia », op. cit., p . 16.
3
Rapport de la Commission d'étude sur la feuille de coca, op. cit., p . 72.
4
Censo nacional de población y ocupación, op. cit., vol. I, pp. 432-433.
5
Rapport de la Commission d'étude sur la feuille de coca, op. eu., p. 68.
ALCOOLISME ET COCA EN AMÉRIQUE D U SUD
183
CAUTE I X . — P E R O U : ZONES D E C U L T U R E D E LA COCA
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Source : Rapport de la Commission d'étude sur la feuille de coca, op. cit.
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184
CONDITIONS DE VIE
Pour la période 1943-44, une publication du ministère de
l'Agriculture établit comme suit la répartition géographique
des superficies cultivées, de la production et de la valeur de
la coca x :
T A B L E A U X X I . — P É R O U : S U P E R F I C I E P L A N T É E E N COCAÏERS,
PRODUCTION E T V A L E U R ,
Production
Superficie
Département
1943-44
Valeur
'Milliers
d'hectares
Pourcentage
Milliers
de tonnes
métriques
Pourcentage
Milliers
de sols
Nord:
Cajamarca
. . . .
La Libertad . . . .
0,8
2,0
5
12
0,5
1,0
6
12
815
1.740
Total . . .
2,8
17
1,5
18
2.555
3,4
0,2
2,0
1,7
0,1
1,0
5,6
20
1
12
33
2,8
20
1
12
33
2.720
160
1.500
4.380
8,0
0,4
47
2
4,0
0,2
46
2
6.400
340
8,4
49
4,2
48
6.740
Centre :
Huánuco
Junin
Total . . .
Sud:
Cuzco
Total
Est:
Amazonas
. . .
. . . .
0,2
1
0,1
1
165
Total généra] . . .
17,0
100
8,6
100
13.840
Source : Luis ROSE UGARTE : La situación alimenticia en el Perú (Lima, Ministerio de
Agricultura y Servicio Cooperativo Interamericano de Producción de Alimentos, 1945}
(reproduit dans le Rapport de la Commission d'étude sur la feuille de coca, op. cit., p. 119).
D'après les données statistiques communiquées par la
Caisse des dépôts et consignations, la quantité de coca livrée
à la consommation pendant l'année 1948 s'est élevée à
6.916.100 k g 2 . Comme l'estime la Commission des Nations
Unies, il conviendrait d'ajouter à ces chiffres ceux qui correspondent aux quantités de feuilles de coca exportées et aux
quantités de feuilles utilisées pour la fabrication de la cocaïne
brute. E n ce qui concerne l'année 1946, la Commission a estimé
à 7.415.239 kg la quantité de feuilles de coca consommées pour
lesquelles l'impôt a été perçu, à 317.642 kg la quantité de
feuilles de coca exportées et à 196.000 kg la quantité de
feuilles de coca utilisées pour la fabrication licite de la cocaïne
1
2
Rapport de la Commission d'étude sur la feuille de coca, op. cit., p . 119.
Ibid., p . 72.
ALCOOLISME ET COCA EN AMÉRIQUE DU SUD
185
brute, ce qui représente un total de 7.928.881 kg. Ce total ne
comprend pas les quantités de feuilles de coca mastiquées pour
lesquelles aucun impôt n'a été perçu, ni les quantités de feuilles
de coca utilisées pour la fabrication illicite de cocaïne brute.
D'après une statistique établie par le Service coopératif
interaméricain de production d'aliments (S.C.I.P.A.), la répartition de la consommation entre les grandes régions serait
approximativement la suivante: Nord, 1.400.000 k g ; Centre,
1.900.000 kg ; Sud, 4.800.000 kg 1.
Les centres de consommation les plus importants se trouvent
dans les départements de Cuzco et de Puno au Sud, de Huancayo et de Huancavelica au Centre, et dans la région de Chicama
au Nord.
D'après un renseignement officiel donné dans l'annuaire
statistique du Pérou pour 1946 et cité par la Commission des
Nations Unies, le niveau de la consommation s'est élevé graduellement à partir de 1930. C'est ainsi que la consommation
atteignait cette année-là 5.201.434 kg, et qu'elle avait passé
en 1946 à 7.415.239 kg 2.
La valeur des feuilles de coca en circulation a été estimée
à environ 357 millions de sols par an. En 1950, les recettes
que l'Etat escomptait encaisser une fois perçue la taxe sur la
coca ont été évaluées à 3.784.000 sols 3.
CAUSES ET EFFETS MÉDICAUX ET SOCIAUX D E LA MASTICATION
DE LA FEUILLE DE COCA
Une légende inca rapporte que la coca est un présent que
les dieux ont fait à l'homme pour lui permettre de chasser la
faim et la fatigue. La grande majorité des experts qui se sont
penchés sur le problème s'accordent à penser que la poésie de
cette légende cache une vérité scientifique. Au nombre de ceux
qui ont soutenu cette théorie avec le plus d'insistance, figure
le regretté professeur péruvien Carlos Gutiérrez Noriega,
ancien directeur du département de pharmacologie de la
faculté de médecine de Lima.
La raison pour laquelle la majorité des aborigènes des Andes
s'initient à l'usage de la coca est la nécessité de supprimer la faim
au moyen de cette drogue. Malheureusement, au bout de quelques
années, l'usage de cette drogue provoque la perte de l'appétit.
1
Luis ROSE UGAKTE, op. cit., tableaux 99 et 100, cité dans le Rapport de la.
Commission d'étude sur la feuille de coca, op. cit., p. 50.
2
Rapport de la Commission d'étude sur la, feuille de coca, op. cit., pp. 112-113.
3
Ibid., p. 89.
186
CONDITIONS DE VIE
L'habitué préfère la drogue aux aliments et consacre une grande
partie de son salaire à l'acquisition de coca. Il s'établit de la sorte un
véritable cercle vicieux : on commence à prendre la coca pour supprimer la sensation de faim, mais le sujet ne tarde pas à perdre l'appétit
et mange peu parce qu'il prend de la coca. La coca agit comme un
narcotique en ce qui concerne la faim, la soif, la fatigue, le froid...1.
Gutiérrez Noriega mentionne, entre autres causes du
cocaïsme, la nécessité de vaincre le sommeil pour permettre
l'exécution des durs travaux nocturnes et de se libérer d'un
état de dépression psychologique 2 . D'après cet auteur, l'habitude de mâcher la feuille de coca prédomine chez les personnes
qui se livrent à des travaux pénibles, en particulier chez les
paysans, les mineurs et les bergers. La proportion d'habitués
est bien moindre dans les villes. Le cocaïsme trouve aussi
des adeptes parmi les enfants d'âge scolaire ; dans certaines
écoles, la proportion des enfants qui s'adonnent à la coca
atteint 100 pour cent. Cela est dû à diverses raisons : travaux
agricoles assez pénibles accomplis dès l'âge le plus tendre ;
nécessité d'apaiser la faim et souci d'affirmer une personnalité
d'homme.
Carlos A. Eicketts, Maxime H. Kuczynski-Godard, C. E. Paz
Soldán, Gregorio Mendoza Catacora, Luis ÏL Sáenz, Gerardo
Bonilla Iragorri, Juan Friede, Vicente Zapata Ortiz et, en
général, la majorité des spécialistes qui ont étudié les effets
médicaux et sociaux de la mastication de la feuille de coca,
même s'ils ne sont pas toujours d'accord sur le degré de toxicité
de cette plante, conviennent que l'habitude de la mastication
de la feuille de coca est la conséquence de la faim et qu'elle
a pour but de tromper l'appétit ; les raisons profondes du mal,
qui sont de caractère économique et social, ne pourront être
éliminées tant que dureront les croyances relatives aux propriétés de la coca, héritage de l'époque préinca, tant que la
production de denrées alimentaires restera insuffisante, tant
que les conditions générales de vie et de travail seront mauvaises, tant que subsistera la ségrégation de l'aborigène et
tant que des mesures appropriées ne seront pas prises pour
réglementer la culture, la distribution et la consommation de
la feuille de coca 3. La Société des propriétaires des Yungas
1
Carlos GUTIÉRREZ NORIEGA : « El hábito de la coca en Sudamérica », op. cit.,
pp. 117-118, et El cocaísmo, la alimentación en el Perú, op. cit., p. 53.
2
IDEM : <t El hábito de la coca en el Perú », América Indigena, vol. IX, n° 2,
avril 1949, p. 148.
8
Les opinions des auteurs cités ont été rassemblées dans le Rapport de la Commission d'étude sur la feuille de coca ; voir, en particulier, la bibliographie annotée
qui figure à l'annexe II, pp. 126-175.
ALCOOLISME E T COCA E N AMÉRIQUE D U SUD
187
(Bolivie) a exprimé l'opinion que, non seulement la feuille de
coca ne produit aucun effet nocif, mais qu' «elle constitue un
aliment » ; aussi, elle déplore que la coca ait été rangée parmi
les stupéfiants lors de la deuxième Conférence internationale
de l'opium, s'élève contre cette « calomnie adressée à notre
noble produit », et réclame que la coca des Yungas soit exclue
de la liste internationale des stupéfiants 1 .
Cocaïsme et sous-alimentation
Se fondant sur une enquête effectuée par le ministère péruvien de l'Agriculture, Gutiérrez Noriega fournit notamment les
données suivantes qui, selon lui, démontrent l'étroite liaison
qui existe entre le cocaïsme et la sous-alimentation. Dans la
partie méridionale des Andes, le poids moyen de la ration alimentaire quotidienne est de 767 grammes par tête et la consommation annuelle de coca oscille entre 2 et 4 kg. Cette ration
contient à peine 2.000 calories. En revanche, dans la région
des Andes septentrionales, la ration alimentaire moyenne
journalière représente quelque 900 grammes, tandis que la
consommation annuelle de coca par individu n'est que de
1 à 2 kg. Plus significatif encore est le fait que, dans les régions
dont la population ne s'adonne pas à la mastication de la
feuille de coca, ou n'en consomme que des quantités infimes,
la ration alimentaire moyenne par jour et par tête est de
1.100 grammes environ 2.
Eemberto Capriles Rico et Gastón Arduz Eguía ont particulièrement signalé, en ce qui concerne les travailleurs des
mines de Bolivie, que « l'abus de la coca est la conséquence évidente des déficiences d'un régime alimentaire incapable de
donner à lui seul l'énergie qu'exigent les difficiles conditions
de travail. Ce que les mineurs cherchent et trouvent artificiellement dans la coca, ce sont les forces et la résistance
organiques que l'alimentation ne peut leur procurer 3 ». La Commission des Nations Unies s'est déclarée d'accord avec la
thèse soutenue par les médecins et sociologues latino-américains
cités plus haut. Elle conclut que la mastication de la feuille
1
SOCIEDAD D E PROPIETARIOS D E YUNGAS : La coca de Tungos,
Bolivia : Su
origen, situación internacional y valor alimenticio (La Paz, 1948). Œuvre citée dans
le Rapport de la Commission d'étude sur la feuille de coca, p p . 168-169.
a
Carlos GUTIERREZ NORIEGA : « El hábito de la coca en Sudamérica », op.
cit., p . 118.
3
Remberto CAPRILES R I C O e t Gastón ARDUZ E G U Í A : El problema
Bolivia, op. cit., p p . 28-29.
social en
188
CONDITIONS D E VIE
de coca est une habitude, et non une toxicomanie, qui est liée
au niveau de vie extrêmement bas de l'Indien. « L'action
toxique de la cocaïne lui fait en partie oublier la dure vie
qu'il mène. Elle diminue les sensations de faim et de fatigue et
lui permet ainsi de travailler davantage 1. » La Commission
ajoute, d'autre part, que l'habitude de mâcher la feuille
de coca tend à disparaître chez l'Indien lorsque son alimentation devient meilleure.
Autres effets physiologiques et psychologiques
Les résultats d'une série d'enquêtes sur les effets physiologiques et psychologiques du cocaïsme, effectuées par le
département de pharmacologie de la faculté de médecine
de Lima, ont été publiés en 1947 2. Ils semblent démontrer
l'existence, chez les habitués, d'altérations intermittentes du
métabolisme basai, de modifications de l'acuité visuelle,
d'augmentation de la température et du rythme des fonctions
cardiocirculatoires et de l'hématopoïèse, de même que de
diverses altérations de la personnalité (introversion, apathie,
aboulie), de la capacité d'idéation, de la mémoire et de l'intelligence 3. Gutiérrez Noriega indique également qu'il semble
exister une corrélation significative entre la consommation de
coca et l'analphabétisme (de 60 à 90 pour cent d'illettrés dans
les régions de forte consommation, contre 10 à 50 pour cent
dans les régions de consommation nulle ou minime) *.
En Bolivie et en Colombie, les experts ont abouti à des
conclusions du même ordre. Le médecin bolivien Juan Manuel
Balcázar affirme que l'Indien qui ne s'adonne pas à la mastication de la feuille de coca est plus perspicace, plus intelligent,
plus gai que le coquero. Il témoigne de plus d'énergie au travail,
de plus de vigueur et de résistance aux maladies. Cette opinion
est corroborée par celle du docteur Gregorio Mendoza Catacora,
qui a pu observer que les travailleurs aborigènes des régions
où sévit le cocaïsme sont plus facilement victimes des maladies
tropicales et moins résistants aux travaux de force que les
1
Rapport de la Commission d'étude sur la feuille de coca, op. cit., pp. 45 et 99.
Voir dans le présent ouvrage, chap. X I I .
2
Carlos GUTIÉRREZ NORIEGA e t Vicente ZAPATA ORTIZ : Estudios
sobre la
coca y la cocaina en el Perú (Lima, Ministerio de Educación Pública, 1947).
3
Carlos GUTIERREZ NORIEGA : « Alteraciones mentales producidas por la coca »,
Revista de Neuropsiguiatria (Lima), vol. X , n° 2 (1947), p p . 145-176.
4
Carlos GUTIERREZ NORIEGA et Vicente ZAPATA ORTIZ, op. cit., p p . 73-74.
Voir aussi Carlos GUTIÉRREZ NOBIEGA : « El hábito de la coca en Sudamérica »,
op. cit., p . 117.
ALCOOLISME E T COCA EN AMÉRIQUE DU SUD
189
travailleurs des régions non atteintes par le cocaïsme, Beni
par exemple. « L'habitué de la coca est aboulique, apathique,
paresseux, insensible au milieu ; son intelligence est obnubilée ;
avec le temps il se transforme en automate ; il est anesthésié
moralement et intellectuellement 1 . »
D'après César Uribe Piedrahita, médecin colombien, le
cocaïsme chronique se traduit par une profonde déchéance de
la volition et des autres fonctions psychiques, qui va « jusqu'à
anéantir toute valeur spirituelle et intellectuelle 2 ». Un autre
médecin colombien, Jorge Bej arano, estime que la progéniture
des mâcheurs de coca présente des déficiences marquées de
l'intelligence, au point que beaucoup d'enfants ne parviennent
pas à apprendre à lire en trois ou quatre ans d'enseignement
continu 3.
Quant aux effets immédiats du cocaïsme, le même auteur
les décrit en ces termes : lorsque la cocaïne libérée se répand
dans l'organisme, la respiration se fait plus ample, l'excitation
cardiaque et nerveuse augmente, les muscles acquièrent une
force plus grande et la vue s'aiguise ; l'Indien se sent possédé
par une grande inquiétude et s'attaque à son travail avec un
enthousiasme qui s'apparente parfois à la frénésie ; le débordement de son activité peut alors présenter un danger pour son
entourage, car, en travaillant, il manie son machete sans
prêter attention aux compagnons qui travaillent à ses
côtés. L'euphorie de son organisme peut le conduire aux
limites de la mégalomanie. Au bout d'une ou de deux heures,
les effets se sont dissipés et l'aborigène retombe dans un état
d'apathie 4.
Quant à ceux chez qui l'habitude est invétérée, la Commission des Nations Unies, lors d'une enquête auprès des ingénieurs et des ouvriers des mines de Cerro de Pasco (Pérou) et
de Catavi (Bolivie), a constaté qu'ils ne prêtent pas attention
à leur tâche et donnent l'impression de travailler mécaniquement. Un représentant des mines de Cerro de Pasco a estimé
que le mâcheur de coca, bien que travaillant plus, prête moins
attention à sa sécurité et exige plus de surveillance et que les
victimes des accidents du travail étaient en majorité des
1
J u a n Manuel BALCÁZAR : « Coca y cocamania », Archivos bolivianos de higiene
mental, vol. I, n° 2 (1945), pp. 45-51.
2
César U R I B E PIEDRAHITA : « Esquema para u n estudio de la patología indígena
en Colombia », America Indígena, vol. I I , n° 2, avril 1942, p. 67.
3
Jorge BEJARANO : « El cocaísmo en Colombia », op. cit., p. 16.
4
I D E M , op.
cit.
190
CONDITIONS DE VIE
ouvriers s'adonnant à la mastication de la feuille de coca 1 .
De la plupart des enquêtes effectuées à ce jour, il semble
ressortir que si l'on admet que la mastication de la feuille de
coca diminue la sensation de fatigue, elle ne produit pas une
augmentation réelle de la capacité de travail ; l'accroissement
observé de la capacité de travail n'est que temporaire et n'est
donc pour l'individu qu'une énergie factice qu'il lui faut payer
sur son équilibre métabolique 2 .
Luis A. León, se référant aux indigènes de l'Equateur, a fait
observer que l'autochtone de son pays jouit d'une vigueur
physique supérieure à celle de l'Indien des autres pays de
l'Amérique du Sud, et ce phénomène serait dû, entre autres
facteurs, à l'extinction du cocaïsme dans l'Equateur 3 .
Quoi qu'il en soit, il semble évident qu'en Bolivie et au Pérou,
la condition physique des mâcheurs invétérés soit nettement
inférieure à celle des sujets qui ne s'adonnent pas à la mastication dans une même région 4.
Cocaïsme et vie en altitude
Certaines des conclusions de la Commission des Nations
Unies et des médecins latino-américains que nous avons
mentionnées plus haut ont été contestées par le D r Carlos
Monge, directeur de l'Institut national de biologie andine du
Pérou. Dans une déclaration communiquée en décembre 1950
aux membres de la Commission des stupéfiants des Nations
Unies, le D r Monge, en sa qualité de représentant du gouvernement du Pérou, affirme que la Commission des Nations Unies a
interprété les renseignements recueillis selon le critère orthodoxe de la biologie du niveau de la mer, que l'homme des
Andes est un être physiologiquement et chimiquement différent
de l'homme du niveau de la mer et qu'il n'est pas possible de
lui appliquer les critères physiologiques et pharmacologiques
établis par la science au niveau de la mer, enfin, qu'il y a une
relation directe entre l'altitude et la mastication de la coca :
entre 4.000 et 5.000 mètres, tous les habitants des Andes
mastiquent la feuille de coca ; entre 2.500 et á.OOO mètres, le
pourcentage des mâcheurs de coca diminue considérablement
1
Rapport de la Commission d'étude sur la feuille de coca, op. cit., p. 63.
2 Ibid., p. 28.
3
Luis A. LEÓN : « Historia y extinción del cocaísmo en el Ecuador », op. cit.,
p. 32.
4
Rapport de la Commission d'étude sur la feuille de. coca, op. cit., p. 30.
VII
Jeunes et vieux dans une école Tzeitzal-Tzotzil
dans l'Etat de Chiapas (Mexique)
L'éducation de base en Amérique latine
Les écoliers du poste indigène de Taunay (Brésil)
(Ministerio da Agricultura)
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Indienne de Pomabamba au travail devant
son habitation (Pérou)
(Runcio Foto)
Travailleuses de la Puna
Indienne aymara conduisant ses lamas au marché (Bolivie
ALCOOLISME ET COCA EN AMÉRIQUE DU SUD
191
et, arrivé sur le littoral, l'Indien abandonne l'habitude de
mastiquer la feuille de coca 1.
Dans une étude publiée en 1946, le D r Monge déclare
qu'« à titre d'hypothèse de travail, il est possible de supposer
que [l'habitude de mâcher la feuille de coca] joue le rôle d'un
agent pharmacologique stimulant des réactions humorales permettant à l'individu un rendement plus élevé 2 ».
Dans son rapport, la Commission des Nations Unies déclare
qu'« il n'existe aucune preuve que la feuille de coca soit utile
ou même nécessaire pour l'adaptation au travail ou à la vie en
général aux altitudes élevées » ; que l'homme des Andes n'est
pas physiologiquement différent de l'homme vivant au niveau
de la mer et que « le prétendu rapport entre la haute altitude
et la mastication de la feuille de coca est le reflet d'autres
facteurs et, notamment, des difficultés de la vie, dans les
hautes régions des Andes, qui favorisent l'emploi d'une drogue
allégeant la souffrance 3 ».
Ces considérations concordent avec celles du D r Gutiérrez
Noriega, qui a soutenu la thèse suivante : Si la feuille de coca
était indispensable à la vie sur les hauts plateaux, le fait qu'un
secteur considérable de la population vivant à plus de 3.000
et 4.000 mètres au-dessus du niveau de la mer peut s'en passer
complètement serait inexplicable ; le nombre des Indiens
parfaitement adaptés vivant dans ces régions sans consommer
de coca est considérablement supérieur à celui des Indiens qui
s'adonnent à la mastication et qui vivent dans la même région ;
qui plus est, les premiers jouissent d'une santé physique et
mentale bien meilleure que les seconds 4.
1
« L a thèse scientifique admise au Pérou est que l'homme des Andes peut
être considéré comme une variété physiologique de la race humaine. Il se distingue
de l'homme vivant au niveau de la mer en ce que ses réactions physiologiques
e t ses indices biochimiques sont toujours différents par leur intensité, leur quantité
et même par leur sens. » Voir NATIONS U N I E S , Conseil économique et social, X I I I m e
session : Stupéfiants, E/1666/ADD.3 ; E/CN.7/AC.2/1/ADD.3, 27 juin 1951. Sur
la position du Pérou au sujet du rapport de la Commission, voir également
Perú Indigena, publication de l'Institut péruvien des affaires indigènes, vol. I I ,
n°s 5 et 6, juin 1952.
2
Carlos MONGE : « El problema de la coca en el Perú », Anales de la Facultad
de Medicina (Lima), vol. X X I X , n° 4 (1946), p p . 311-315. Cité dans le Rapport
de la Commission d'étude sur la feuille de coca, op. cit., pp. 165-166. Voir aussi C. A.
PVICKETTS : « El cocaísmo en el Perú », America Indígena, vol. X I I , n° 4, oct. 1952,
pp. 309-321, et Carlos MONGE : « L a necesidad de estudiar el problema de la masticación de las hojas de coca », ibid, vol. X I I I , n° 1, janv. 1953, pp. 47-53.
3
Rapport de la Commission d'étude sur la feuille de coca, op. cit., pp. 41 et 42.
4
Carlos GUTIÉRREZ NORIEGA : « Errores sobre la interpretación del cocaísmo
en las grandes alturas », Revista de Farmacologia y Medicina Experimental (Lima),
vol. I, 1948, pp. 100-123, et « El hábito de la coca en Sudamérica », op. cit., p. 119.
192
CONDITIONS DE VIE
L'emploi de la coca comme salaire en nature
1
Si l'on en croit diverses sources de caractère aussi bien officiel que privé, il n'est pas rare que les propriétaires terriens
paient à leurs travailleurs aborigènes une partie de leur salaire
sous forme de feuilles de coca. La Commission d'étude sur la
feuille de coca a réuni à ce sujet des renseignements qui prouvent qu'une partie considérable des feuilles produites dans les
plantations de cocaïers du Pérou et de Bolivie est mise en
circulation sans donner lieu à la perception d'aucun impôt, du
fait qu'il n'en est pas tenu compte dans les statistiques. Dans
son rapport, la Commission a fait observer qu'outre la production qui passe directement au marché de consommation,
une partie importante est destinée, dans certaines plantations,
au paiement partiel des salaires 2. Dans le cas de la Bolivie,
elle a constaté que les salaires journaliers sont payés assez
fréquemment sous la forme de feuilles de coca 3.
Le gouvernement colombien, dans des rapports adressés
aux Nations Unies et dans sa réponse au questionnaire relatif
à la feuille de coca qui lui a été adressé par le secrétariat des
Nations Unies, fait état de données qui permettent de conclure
que « la suppression totale de la culture de la coca constitue
une lutte économique, car les propriétaires paient une grande
partie des salaires de leurs ouvriers agricoles en feuilles de
coca 4 ». De son côté, en 1942, le spécialiste colombien des
questions indigènes César Uribe Piedrahita a déclaré que « la
ration de coca a pris rang de monnaie pour le paiement des
salaires : une grande partie de ceux-ci sont payés en poignées
de feuilles de coca cultivée dans les exploitations agricoles 5 ».
Gerardo Bonilla Iragorri donne des informations plus récentes
au sujet de la consommation de feuilles de coca dans le département du Cauca ; d'après lui, en 1948, le grand propriétaire
terrien et les personnes ayant une certaine importance économique versent à leurs journaliers et à leurs fermiers des salaires
de misère, dont une partie est encore payée sous forme de
1
La convention internationale du travail n° 95, de 1949, relative à la protection du salaire, dispose que « la législation nationale, les conventions collectives
ou les sentences arbitrales peuvent permettre le paiement partiel du salaire en
nature», mais que «le paiement du salaire sous forme de spiritueux ou de drogues
nuisibles ne sera admis en aucun cas».
2
Rapport de la Commission d'étude sur la feuille de coca, op. cit., p. 67.
3
Ibid., p. 124.
4
Ibid., p. 112.
5
César URIBE PIEDRAHITA : « Esquema para un estudio de la patología indígena
en Colombia», op. cit., pp. 67-74.
ALCOOLISME E T COCA EN AMERIQUE DTT SUD
J93
feuilles de coca *. Son compatriote Antonio Garcia affirme,
d'autre part, que, chez les Indiens Guambiano et Paez qui
habitent dans les régions les plus inaccessibles de la cordillère,
« le salaire en nature a été imposé, qu'il soit évalué en unités
monétaires (auquel cas le paiement se fait sous forme d'aliments
et de vêtements), ou qu'un produit déterminé (généralement
la coca) joue le rôle d'unité de compte et remplace l'étalon
monétaire 2 ».
En ce qui concerne la Sierra du Pérou, le médecin péruvien
Luis N. Sáenz a déclaré que dans plusieurs régions, l'ouvrier
reçoit couramment une certaine quantité journalière de coca
et d'alcool qui fait partie de son salaire et qui, dans bien des
cas, représente une valeur supérieure à celle du salaire en
espèces. Le prolétaire de la Sierra reçoit en coca beaucoup plus
de la moitié de son salaire journalier ; asservi à la feuille
de coca, il se résigne aux sommes insignifiantes d'argent que
lui vaut son travail à condition que lui soit fournie la ration
de coca que son habitude réclame impérieusement 3.
Gutiérrez Noriega signale que dans les lieux où le cocaïsme
se manifeste de façon généralisée, « les paysans reçoivent,
presque comme unique salaire, des rations hebdomadaires de
coca et d'eau-de-vie » et que « l'un et l'autre de ces produits
ont pour ainsi dire la valeur d'une monnaie régulière 4 ». Dans
leur ouvrage Disección del indigenismo peruano, les docteurs
Kuczynski-Godard et Paz Soldán affirment que la quantité de
coca consommée annuellement est supérieure à celle que présentent les statistiques officielles, du fait qu'aucun contrôle
officiel n'est exercé sur les feuilles, qui « servent souvent pour
le paiement du travail 5 ». Le premier de ces deux auteurs a
pu constater que dans la pampa d'Ilave, près du lac Titicaca,
une partie du salaire est payée en coca 6.
1
Gerardo BONILLA IRAGORRI : « E l consumo de hojas de coca en el departamento del Cauca », El problema del cultivo y masticación de hojas de coca en Colombia
(Bogota, Ministerio de Higiene, 1948). Cité dans le Rapport de la Commission
d'étude sur la feuille de coca, op. cit., p . 131.
2
Antonio GARCÍA : « Regímenes indígenas de salariado », America
Indigena,
vol. V i l i , n° 4, oct. 1948, p . 270.
3
Luis N . SAENZ : El punto de vista mèdico en el problema indigena peruano
(Lima, Imprenta Miranda, 1945), p p . 26, 39 e t 52.
4
Carlos GUTIÉBEEZ NORIEGA : El cocaísmo y la alimentación en el Perú, op.
cit., p . 73. Cité dans le Rapport de la Commission d'étude sur la feuille de coca, op.
cit., p . 143.
6
M. H . KUCZYNSKI-GODARD et C. E . P A Z SOLDÁN : Disección del
indigenismo
peruano, op. cit., p p . 86 et 88.
6
M. H . KTTCZYNSKI-GODARD : La pampa de llave y su hinterland (Lima, L a
Reforma Médica, 1944). Cité dans le Rapport de la Commission d'étude sur la feuille
de coca, op. cit., p . 148.
194
CONDITIONS DE VIE
MESURES D E RÉGLEMENTATION
Dans tous les pays sud-américains ou sévit le cocaïsme,
des dispositions ont été prises en vue de réglementer la production, la consommation ou l'importation de la feuille de
coca suivant les cas.
Argentine
En Argentine, en vertu de la résolution n° 23134 du
25 février 1950, une Commission technique de la coca a été instituée avec les attributions suivantes : a) effectuer des enquêtes
en vue de déterminer les effets biologiques et toxiques de la
consommation de la feuille de coca ; b) travailler à une réforme
de la législation en vigueur en vue d'établir et de proposer
un plan d'élimination progressive et totale de la consommation de coca ; c) déterminer les quantités qu'il y aura lieu d'importer et de répartir entre les importateurs agréés.
La résolution déclare que « l'habitude de mâcher la feuille
de coca, enracinée depuis des siècles dans le pays, pose encore
de nos jours, pour l'état sanitaire de la Eépublique argentine,
un problème qui concerne une grande partie de la population du nord du pays » ; qu'« il est prouvé que cette habitude
a des conséquences nuisibles, même si certains de ses effets
sont encore aujourd'hui discutés x ».
Bolivie
En Bolivie, la législation en vigueur revêt un caractère
purement fiscal ; la production y est libre et seules les feuilles
livrées à la consommation sont soumises à l'impôt : la perception de cet impôt incombe aux régies de la coca de La Paz
et de Cochabamba (décret-loi du 19 décembre 1941).
La Bolivie a souscrit à la convention internationale de 1925,
qui invite les parties contractantes à limiter le nombre des
villes, ports et autres localités par lesquels l'exportation ou
l'importation des feuilles de coca est permise. Toutefois, la
Bolivie a fait une réserve aux termes de laquelle elle ne s'engage pas à restreindre la culture ni la production de la coca
dans le pays, ni à interdire l'usage des feuilles de coca parmi
les populations indigènes 2.
A la veille de l'arrivée de la Commission des Nations
Unies dans le pays, le gouvernement a pris un décret portant
création d'une Commission nationale de la coca dont les
1
Rapport de la Commission d'étude sur la feuille de coca, op. cit., p. 180.
\Ibid„ p. 88.
ALCOOLISME ET COCA EN AMÉRIQUE DU SUD
195
attributions sont les suivantes : a) étudier de façon approfondie le problème de la coca en Bolivie ; b) collaborer avec
la Commission des Nations Unies ; c) coordonner les accords
avec les organismes étrangers de même nature 1 .
En 1943, la Commission gouvernementale mixte d'experts
du travail de Bolivie et des Etats-Unis a déclaré que de toute
évidence, le problème de la coca présente des ramifications
multiples qui nécessitent une étude poussée et de longue
haleine, et que tant que le problème n'aura pas été examiné
sous tous ses aspects, il sera difficile de formuler des recommandations en vue de le résoudre au moyen de mesures fiscales
ou de toute autre manière. La Commission a souligné le fait
que la grande superficie des terres consacrées à la culture
de la coca en Bolivie confère à ce problème un caractère
économique 2.
Colombie
Le gouvernement colombien, par la décision n° 578 prise
en septembre 1941, a complété les mesures existantes sur le
commerce des stupéfiants et a réglementé la culture du cocaïer
et la vente en gros des feuilles de coca. Cette décision oblige
les inspecteurs de la santé, les maires et les préfets à faire
le recensement des plantations de coca dans les zones placées
sous leur juridiction, interdit la vente en gros de la coca sans
autorisation de l'inspecteur de la santé ou du maire et stipule
qu'il ne pourra être créé dans le pays de nouvelles plantations de coca ; des sanctions sont prévues en cas d'infraction.
En mars 1947, a été promulgué le décret n° 896, qui, après
avoir rappelé les obligations qui incombent à la Colombie
du fait de son adhésion aux conventions internationales de
1925 et de 1931, ainsi que les termes du décret n° 2127, de
1945 3, interdit le paiement partiel ou total des salaires sous
forme de spiritueux ou de feuilles de coca, déclare nuls et
non avenus les contrats de travail qui contiennent des stipulations en ce sens, fixe les sanctions applicables en cas d'infraction ou de récidive, interdit la culture du cocaïer et des
espèces d'arbres voisines, ainsi que de la mariguana, interdit
de même la distribution et la vente des feuilles de ces plantes,
1
Rapport de la Commission d'étude sur la feuille de coca, p p . 179-180.
2
BTTREAU INTERNATIONAL D U TRAVAIL : Los problemas del trabajo en
Bolivia,
op. cit., p . 40.
3
Ce texte interdit a u x employeurs le paiement du salaire sous forme de marchandises, de billets à ordre, de jetons, ou sous quelque autre forme qui puisse
être substituée à la monnaie a y a n t cours légal.
196
CONDITIONS DE VIE
autorise les maires, préfets et autorités sanitaires et policières à détruire les plantations existantes et à confisquer les
feuilles déjà sur le marché et prévoit enfin d'autres mesures
complémentaires. Toutefois, la mise en vigueur de ce décret
a été ajournée pour une année en vertu du décret n° 1472, de
la même année, en ce qui concerne la destruction des plantations et la confiscation des feuilles déjà sur le marché ; en
revanche, il a été ordonné de procéder à un recensement des
plantations et il a été interdit d'en établir de nouvelles 1.
Pérou
Au Pérou, entre 1891 et 1944, la coca a fait l'objet d'une
trentaine de lois et règlements, la plupart de caractère fiscal
instituant des impôts à la consommation dont le produit est
affecté à la construction ou à l'entretien de routes, d'hôpitaux,
d'établissements scolaires, etc. Certaines de ces lois font état
des effets nocifs de la mastication (« dégénérescence de la race »,
« conséquences funestes pour la santé et pour la vie », etc.).
Cependant, ainsi que l'a fait observer la Commission des
Nations Unies, « considérée en soi, la politique fiscale d'augmentations constantes des impôts sur la feuille de coca et,
par la suite, du prix de la feuille de coca, n'a entraîné en plus
de cinquante années ni la réduction de la production ni celle
de la mastication 2 ».
A la date du 13 juin 1949, le gouvernement a promulgué le
décret-loi n° 11046 portant création, sur l'ensemble du territoire
de la République, de la Eégie de la coca, chargée de contrôler
les ensemencements, la culture et la récolte, la distribution, la
consommation et l'exportation de la coca. Aux termes du même
décret, l'utilisation industrielle de la feuille de coca à des fins
médicales relève du ministère de la Santé publique et de
l'Assistance sociale conformément à un décret antérieur, en
date du 8 juin 1948. En vertu d'un décret spécial, le ministère
des Finances doit signaler la région du territoire national où
peut être pratiquée la culture et fixer les délais dans lesquels
l'existence de quantités de coca prêtes à la consommation
devra être déclarée afin que la Eégie puisse en faire l'acquisition aux prix fixés par ledit ministère. Il autorise le même
ministère à adopter une réglementation sur : a) le prix fixe du
produit ; b) la répartition du produit des taxes fiscales et
1
Jorge B E JABANO : « Nuevos capítulos sobre el cocaísmo en Colombia »,
op. cit., pp. 37-40.
2
Rapport de la Commission d'étude sur la feuille de coca, op. cit., p . 84.
ALCOOLISME ET COCA EN AMÉRIQUE DU SUD
197
locales sur la coca entre les diverses entités gouvernementales ;
c) le cadastre des cultures ; d) les sanctions applicables aux
contrevenants ; e) le budget des dépenses entraînées par le
fonctionnement du système.
Le 2 août 1949, le gouvernement a promulgué un décret
réglementant l'application dudit décret-loi. Outre la fixation
des zones du territoire national où la culture de la coca est autorisée, ce règlement porte notamment sur les points ci-après :
a) inscription obligatoire dans les registres de la Eégie de toute
personne physique ou morale qui se livre à la culture ou au
commerce de la coca ; b) interdiction de mettre de nouvelles
terres en culture ou d'agrandir les plantations existantes sans
en aviser au préalable la Eégie de la coca ; c) établissement
par la Eégie d'un cadastre des plantations ; d) interdiction de
transporter la coca des centres de production aux centres de
consommation en dehors des voies publiques et des heures
de jour ; e) obligation faite aux propriétaires d'établissements consacrés à l'expédition de la coca d'apposer à la porte
une plaque spéciale distribuée par la Eégie ; f) monopole
concédé à la Eégie de l'exportation de la coca produite dans le
pays. Les contrevenants aux dispositions qui gouvernent le
fonctionnement de la Eégie de la coca sont passibles des peines
suivantes : a) confiscation de la totalité des plantations établies
sans permis de la Eégie ; b) confiscation de la coca transportée
par des voies détournées ou la nuit ou pour laquelle la documentation protectrice prescrite n'a pas été établie ; c) confiscation de la coca qui se trouve dans les dépôts ou dans les
établissements de vente sans qu'ait été établi le certificat de
paiement ou l'autorisation y relative.
Le 25 août 1949, le gouvernement a pris un autre décret stipulant que les exportations de feuilles de coca continueront d'être
assujetties au régime de contrôle international des stupéfiants 1 .
Par la résolution n° 122 du 7 septembre 1949, le ministère
de la Justice et du Travail a décidé de constituer une Commission péruvienne de la coca, chargée : a) d'étudier de façon
approfondie le problème de la coca dans le pays ; b) de collaborer avec la Commission des Nations Unies ; c) de coordonner
ses efforts avec ceux des organisations étrangères créées à des
fins analogues.
1
Le Pérou n'est pas partie à la convention de 1925 ; cependant, il applique
les dispositions relatives aux certificats d'exportation et d'importation, et il est
partie à la convention de 1931 prévoyant la réglementation et la limitation de la
fabrication des stupéfiants.
CHAPITRE VII
ANALPHABÉTISME ET ÉDUCATION1
L'analphabétisme pose un problème différent selon qu'il
s'agit de l'ensemble de la population d'un pays ou de la population aborigène. Problème national si on le considère du
point de vue du niveau de l'éducation populaire générale,
il se complique et se particularise dès qu'il s'agit d'élaborer
une politique visant à donner à des populations qui possèdent
leur culture et leur langue propres la possibilité de lire et
d'écrire dans la langue officielle du pays auquel elles appartiennent.
Lorsqu'ils veulent déterminer le niveau d'instruction
de la population nationale, les gouvernements s'assurent que
l'obligation scolaire est respectée ou que certaines conditions
minima sont remplies, grâce auxquelles il est possible de lire
et d'écrire dans la langue officielle. Que la population d'un
pays soit en tout ou en partie illettrée, c'est là en général le
signe qu'aucune mesure spéciale n'a été prise pour incorporer
les groupes aborigènes à la culture qui prévaut dans le pays,
même aux dépens de la culture autochtone. Dans les pays
à forte densité de population aborigène, où les langues et
dialectes primitifs revêtent une importance très grande, la
culture indigène fondée sur une ou plusieurs langues — mais
rarement exprimée dans la langue officielle — n'est pas assimilée à la culture nationale, à moins que l'aborigène ne commence à surmonter les obstacles Knguistiques qui le séparent du
reste de la population ; dans ce cas d'ailleurs, l'aborigène ne
constate pas souvent, chez ses concitoyens plus favorisés,
un grand empressement à rompre l'isolement où l'enferme son
unilinguisme.
Dans la plupart des cas, lorsque se posent des problèmes
linguistiques, l'analphabétisme se mesure par rapport à une
1
Pour l'exposé des mesures prises dans ce domaine par les gouvernements, voir
le chap. XI.
AKALPHABÉTISME ET ÉDUCATION
199
langue conventionnelle qu'il s'agit d'établir comme base de
l'enseignement général et obligatoire 1 .
Si l'on veut mettre les populations aborigènes en mesure
de s'assimiler à la vie économique, politique et culturelle de
la nation sur un pied d'égalité, il est indispensable de considérer le problème de l'analphabétisme sans le séparer de celui
de l'unilinguisme des individus, déjà esquissé au chapitre I I ,
et de celui de la multiplicité des langues et dialectes aborigènes
qui, à cause de la tradition historique ou de l'isolement géographique et culturel, empêche les citoyens d'un même pays
de communiquer librement entre eux.
Les informations contenues dans le présent chapitre se.
rapportent, de manière générale, au degré d'analphabétisme
de la population aborigène, par rapport au critère de l'éducation
primaire dans la langue officielle de chacun des pays. Il n'est
pas toujours possible de fournir des renseignements exclusivement relatifs à la population autochtone. Dans bien des
cas, cette lacune a été comblée au moyen d'informations
qui permettent de se faire une idée de l'importance du problème de l'enseignement élémentaire 2.
Amérique latine
L'un des problèmes qui réclament une solution avec le
plus d'urgence en Amérique latine est celui de l'éducation des
populations rurales. Le pourcentage des adultes qui ne savent
ni lire ni écrire et celui des enfants qui ne peuvent fréquenter
l'école — à cause de leur indigence ou des difficultés de transport ou simplement parce qu'il n'existe pas d'écoles — est
très élevé dans la plupart des pays. Comme pour les autres
aspects de la vie sociale, ce sont les aborigènes qui sont les
moins favorisés. A quelques rares exceptions près, il n'existe
pas de statistiques spéciales sur l'analphabétisme parmi les
aborigènes, mais il n'est certainement pas imprudent d'affirmer
que, dans tous les pays considérés, ce pourcentage est beaucoup
plus élevé que dans le reste de la population. Si l'on se souvient
que, dans quelques-uns de ces pays, la population comprend
1
Les difficultés que suscite le problème de l'établissement d'une langue
nationale ou d'une langue nouvelle dans des pays possédant une forte proportion
d'habitants parlant une langue primitive sont exposées dans NATIONS UNIES,
Département des questions sociales : Rapport préliminaire sur la situation sociale
dans le monde, op. cit., pp. 85-88.
2
En ce qui concerne la formation professionnelle et l'enseignement des métiers
artisanaux, voir le chap. X.
8*
200
CONDITIONS DE VIE
plus de deux tiers d'Indiens 1 et que, bien souvent, il n'existe
pas de données dignes de foi sur la population « inaccessible »
aux fins des recensements, on comprendra plus, facilement
l'ampleur du problème tel qu'il apparaît dans les chiffres
du tableau ci-après.
TABLEAU XXII. — AMÉRIQUE LATINE : POPULATION ILLETTRÉE
Pays
Bolivie '
Brésil . .
Chili 1 . .
Colombie 2l
Equateur
Guatemala
Honduras .
Mexique .
3
Panama
.
4
Pérou . .
Salvador 3.
Venezuela
Dates des
recensements
1943
1940
1940
1938
1950
1940 (1950)1
1945
1940
1940
1940
1930
1941
Groupe d'âge
Nombre
d'illettrés
10 ans et plus
16.452.832
—
10 ans et plus
7
7
10
10
10
8
10
—
ans
ans
ans
ans
ans
ans
ans
et
et
et
et
et
et
et
plus
plus
plus
plus
plus
plus
plus
—
2.699.374
—
1.677.297
622.049
7.198.756
144.142
2.448.060
804.523
1.555.551
Pourcentage de
la population
80,0
56,7
27,2
44,2
60,0
65,4
66,3
51,6
35,3
56,6
72,8
56,8
Source : U.N.E.S.C.O., Département de l'éducation, Centre d'information : Données statistiques sur l'analphabétisme d'après les statistiques nationales existantes (Paris, 30 avril 1950),
doc. U.N.E.S.C.O./ED/OCC./6.
1 Données empruntées à NATIONS UNIES : Rapport préliminaire sur la situation sociale dans
le monde, op. cit., pp. 104-105. — 2 Non compris 4.775 aborigénes illettrés. — s Non compris
les Indiens vivant en tribus et la population sylvicole. — * Chiffre de population ne comprenant
pas une estimation de 465.144 pour compenser des lacunes dans le dénombrement et de 350.000
pour la population vivant dans la jungle.
La Commission d'étude sur la feuille de coca a signalé
dans son rapport que l'on compte environ 75 pour cent
d'illettrés parmi les Indiens des Andes. « La proportion pourrait
être bien plus grande, étant donné que les écoles sont souvent
très éloignées des fermes, non seulement dans les régions de
l'Altipiano, mais aussi dans d'autres régions du Pérou et de la
Bolivie 2. »
Eoberto Moreno y Garcia a calculé que dans les cinq
pays latino-américains qui comptent la plus forte population
aborigène, la proportion des enfants d'âge scolaire qui ne
fréquentent pas l'école s'établit comme suit : Bolivie, 86 pour
cent ; Guatemala, 80 pour cent ; Equateur, 70 pour cent ;
Pérou, 63 pour cent ; Mexique, 57 pour cent 3 .
1
Environ 80 pour cent de la population indienne et métisse de culture indienne
réside en Bolivie, en Equateur, au Guatemala, au Mexique et au Pérou. Pour
plus de détails, voir chap. II.
2
Rapport de la Commission d'étude sur la feuille de coca, op. cit., p. 18.
8
Roberto MOBENO Y GAKCÎA : Analfabetismo y educación popular en America
(Mexico, 1941), p. 72.
ANALPHABÉTISME ET ÉDUCATION
201
BOLIVIE
En 1943, la population bolivienne comprenait au moins
75 pour cent d'illettrés ; parmi les enfants d'âge scolaire,
un sixième au maximum fréquentaient l'école ; 30 pour cent
au plus des maîtres des écoles rurales avaient reçu une formation
pédagogique suffisante ; 74 pour cent des élèves manquaient
de sièges et de pupitres et la pénurie de livres et de fournitures
scolaires était quasi totale *.
EQUATEUR
Pablo Arturo Suárez a pu calculer qu'en 1934, 80 pour cent
des travailleurs agricoles équatoriens habitant les exploitations et 50 pour cent des paysans libres étaient illettrés 2 .
Selon des informations communiquées au B.I.T. au début
de 1950 par le ministère de l'Instruction publique, sur un total
de 331.564 élèves des écoles élémentaires du pays, 71.492
seulement étaient des Indiens (21,56 pour cent). Eappelons
que la population indigène et métisse du pays représente
environ 55 pour cent de la population totale.
Emilio Uzcátegui estimait récemment, dans un rapport
élaboré pour l'U.N.E.S.C.O., qu'en 1944, le nombre total des
illettrés s'élevait (sur une population totale de 3.519.900) à
1.958.506, dont 132.700 enfants et 1.820.746 adultes. Dans
les régions de la Sierra et de l'est du pays, où habite la majorité
de la population indigène, le nombre des illettrés était de
1.231.925. En 1951, sur les 520.000 enfants d'âge scolaire,
300.000 seulement étaient inscrits dans les écoles ; sur dix
enfants qui entraient dans la première classe, cinq passaient
dans la deuxième et un seulement parvenait jusqu'à la sixième ;
82 pour cent des écoles rurales n'avaient qu'un seul instituteur ; dans la majorité des cas, l'absentéisme scolaire était
dû à la nécessité dans laquelle se trouvaient les pères de
famille de faire travailler leurs enfants, aux conditions climatiques et aux maladies 3.
1
BUREAU INTERNATIONAL DU TRAVAIL : Labour Problems in Bolivia, op. cit.,
p. 13.
2
Pablo Arturo SUÁREZ : Contribución al estudio de las realidades entre las
clases obreras y campesinas, pp. cit., p. 35.
3
Emilio UZCITEQUI : L'obligation scolaire en Equateur, Etudes sur la scolarité
obligatoire, n° VII (Paris, U.N.E.S.C.O., 1951), pp. 43 et suiv.
202
CONDITIONS D E VIE
GUATEMALA
Les résultats du recensement général de la population
effectué en 1940 au Guatemala font ressortir le nombre des
illettrés à 1.667.297 sur une population totale de 2.566.244
personnes de plus de sept ans (69,33 pour cent). Le pourcentage
des illettrés était beaucoup plus élevé dans les régions rurales
habitées par les aborigènes. Ainsi, par exemple, dans le département de Solóla, ce pourcentage atteignait 88,44, tandis qu'il
n'était que de 42,10 dans le département de la capitale. En
1951, sur un total d'environ 537.000 enfants d'âge scolaire,
199.000 seulement (37 pour cent) étaient inscrits dans les
écoles primaires x. Pendant de nombreuses années, le pourcentage de la fréquentation scolaire a varié entre 15 et 20 pour
cent et l'on estime que dans les régions rurales un enfant
seulement sur dix fréquente l'école 2 . Très peu d'enfants dépassent la première classe élémentaire ; entre la première et la
deuxième, la fréquentation scolaire baisse de 50 pour cent
et 4 pour cent seulement des élèves inscrits arrivent à la troisième classe ; les trois quarts des maîtres qualifiés enseignent
dans la capitale du pays 3 .
MEXIQUE
Dans un message adressé au Congrès national en septembre
1940, le Président de la Eépublique a déclaré que le Mexique
compte 45 pour cent d'illettrés. D'après le recensement effectué
cette même année, il y avait au Mexique 8.956.812 personnes
âgées de six ans au moins qui ne savaient ni lire ni écrire 4 .
PÉROU
Le recensement de la population et des professions effectué
en 1940 a montré que 2.039.006 seulement des 5.060.464
Péruviens et Péruviennes âgés de plus de six ans avaient
fréquenté ou fréquentaient l'école. La population d'âge
scolaire atteignait à peu près le chiffre de 1.464.664, mais
1
Boletín del Instituto Internacional Americano de Protección a la Infancia
(Montevideo), vol. XXV, n° 4, déc. 1951, p. 365.
2
Oscar BABAHONA STREBER et J. Walter DITTEL : Bases de la seguridad social
en Guatemala, op. cit., tome I, pp. 11-112.
3
Leo A. SUSLOW : Aspects of Social Reforms in Guatemala, 1944-1949, op. cit.,
p. 19. Voir également Manuel CHAVARRÍA FLORES : Analfabetismo en Guatemala.
Informe de seis añas (Guatemala, Comité Nacional de Alfabetización, 1951).
* SECRETARÍA DE LA ECONOMÍA NACIONAL, Dirección General de Estadística :
Sexto censo de población, 1940 : Resumen general (Mexico, 1943), p. 8.
ANALPHABÉTISME ET ÉDUCATION
203
514.843 enfants seulement (35 pour cent) étaient inscrits
dans les écoles du pays. Dans la région de la Sierra, où se
trouve la majorité de la population indigène, ce pourcentage
est presque deux fois moins élevé (209.585 enfants inscrits sur
un total de 887.650 enfants d'âge scolaire) 1 . Dans 2.600
agglomérations de cette région, il n'existait aucun bâtiment
scolaire. Pour les différentes régions géographiques, le pourcentage moyen des illettrés s'établissait comme suit : côte,
32,45 ; Sierra, 73,16 ; région forestière, 49,54. Dans cinq départements de la Sierra où le taux de la population indigène était
de 84,68 pour cent, le pourcentage des illettrés était de 81,45.
« La majorité des illettrés se trouvent dans les départements
du Sud (Apurímac, Puno, Cuzco, Huancavelica) et dans deux
départements du Centre (Huánuco et Ancash). C'est précisément dans ces régions que se trouvent concentrées les populations quichua et aymara 2. »
D'après le recensement, le taux moyen de la population
non illettrée d'âge postscolaire atteignait 42,39. Cependant, la
répartition démographique par région montre que les départements aborigènes de la Sierra présentaient des pourcentages
de non-illettrés très inférieurs à ceux des départements des
basses terres où les éléments aborigènes sont en minorité.
Ainsi, pour le département d'Apurímac, le pourcentage est de
12,64 ; il est de 14 pour Puno, de 14,69 pour Ayacucho, de
16,81 pour Huancavelica, de 18,18 pour Cuzco, etc. Seul le
département de Junin renferme un pourcentage d'aborigènes
qui se rapproche de la moyenne nationale de 42,39 pour cent 3 .
CAUSES D E L'ANALPHABÉTISME
A l'origine de cette situation figure en premier lieu l'absence
complète ou l'insuffisance des moyens d'instruction. Cependant,
dans de nombreux endroits, l'analphabétisme reste élevé
bien qu'il existe des écoles et des moyens d'instruction. Ici
se pose le problème de l'absentéisme scolaire des aborigènes,
dû principalement à l'obligation dans laquelle se trouve le
paysan de faire travailler ses enfants, même à un âge très
1
MINISTERIO DE HACIENDA Y COMERCIO, Dirección Nacional de Estadística :
Estado de la instrucción en el Perú según el censo nacional de 1940 (Lima, 1942),
pp. 11-19 ; voir aussi MINISTERIO DE EDUCACIÓN : Plan de educación nacional
aprobado por decreto supremo del 13 de enero de 1950 (Lima, 1950), p. 72.
2
Max H. MINANO GARCÍA : Some Educational Problems in Peru, Institute
of Latin American Studies, Occasional Series, I (Austin, The University of Texas
Press, 1945), p. 27.
8
Estado de la Instrucción en el Perú..., op. cit., p. 190.
204
CONDITIONS D B VIE
précoce, afin d'accroître le revenu familial. Dans une communication adressée au Bureau international du Travail en 1950,
le ministère de l'Education de l'Equateur impute à la pauvreté
des familles la très courte fréquentation scolaire chez les
enfants aborigènes. On estime qu'en Amérique latine plus de
10 millions d'enfants (aborigènes et non aborigènes) sont
occupés à des travaux qui, en raison de leur nature, devraient
être exécutés par des travailleurs plus âgés 1. Au Guatemala,
les pères de famille aborigènes « ne peuvent pas s'offrir le luxe
d'envoyer leurs enfants à l'école 2 ». Une enquête effectuée
en 1934 par l'Institut international américain de protection
de l'enfance a permis d'établir que l'âge moyen auquel l'enfant
aborigène commence à travailler varie entre neuf et dix ans ;
des cas d'emploi d'enfants de quatre à cinq ans ont même été
également constatés 3. En 1943, la Commission mixte d'experts
du travail de la Bolivie et des Etats-Unis a relevé la présence
au travail d'enfants de moins de quatorze ans (parfois même
de huit ans) dans des mines de Bolivie 4.
Dans certains pays, l'absentéisme scolaire est encore
aggravé par le va-et-vient migratoire de groupes aborigènes
importants qui se voient dans la nécessité d'abandonner
périodiquement leur village d'origine situé dans la région des
hauts plateaux pour se rendre dans les exploitations et les
plantations des basses terres. Souvent, les conditions d'embauché de la main-d'œuvre aborigène comportent l'obligation,
pour les enfants des ouvriers, d'accomplir certains travaux
dans l'exploitation ou dans la maison du propriétaire.
Le système d'enseignement rural se heurte au double problème
de l'absentéisme et du départ prématuré de l'école : dans ces deux
cas, ce sont les parents qui ont besoin du travail de leurs enfants.
Parmi les pères de ces enfants, nombreux sont les ouvriers migrants
qui, lorsqu'ils quittent leur village, emmènent aussi leur famille...
Dans les meilleures conditions, les enfants fréquentent l'école jusqu'à
neuf ou dix ans, ce qui est notoirement insuffisant. Les programmes
scolaires doivent nécessairement tenir compte de ces difficultés6.
1
R o b e r t o MORENO Y GARCÍA, op.
3
Leo A. SUSLOW, op. cit.,
p.
cit.
20.
3
Voir « Encuesta sobre el niño indígena », Boletín del Instituto
Americano de Protección a la Infancia, oct. 1934, p . 113.
4
Internacional
B U R E A U INTERNATIONAL D U TRAVAIL : Labour Problems in Bolivia,
op. cit.,
p . 14.
5
INSTITUTO D E FOMENTO D E LA PRODUCCIÓN : Crédito agricola
supervisado
para Guatemala (Guatemala, mai 1951), p . 139. Il s'agit ici de l'édition préliminaire
de cet ouvrage, publiée sous les auspices de l'Institut national d'encouragement
à la production d u Guatemala, de la F.A.O. e t de l'Administration de l'assistance
technique.
ANALPHABÉTISME E T ÉDUCATION
205
Dans quelques régions, l'indigence de la famille aborigène
l'oblige à retirer ses enfants de l'école pour les placer comme
domestiques chez des propriétaires ou chez quelque chef
politique local, contre la nourriture et le vêtement. Dans
d'autres, le travail gratuit de ses enfants constitue, pour
l'ouvrier aborigène, une des obligations fixées dans le contrat
de travail en contrepartie du droit de cultiver une petite
parcelle de terre dans l'exploitation 1.
Dans de nombreux endroits toutefois, ce n'est pas sans
appréhension que l'enfant aborigène se rend à l'école. Imbu
du vieux préjugé de la prétendue infériorité de l'aborigène,
l'enfant blanc ou métis n'est que trop disposé à mépriser son
condisciple aborigène. Le ministère de l'Instruction publique
de l'Equateur a signalé que, dans les écoles rurales, les enfants
aborigènes ont, en général, une attitude passive et rêveuse
quand ils se trouvent en minorité, tandis qu'ils déploient
au contraire une grande activité et manifestent beaucoup
d'animation lorsqu'ils sont les plus nombreux.
Il faut observer aussi que, souvent, l'absentéisme scolaire
du jeune aborigène est dû à la méfiance avec laquelle les
parents considèrent un enseignement peu adapté aux nécessités pratiques de la vie rurale.
Dans de nombreuses régions, l'unilinguisme aborigène,
joint à la multiplicité d'idiomes autochtones irrégulièrement
répartis, constitue un obstacle à l'utilisation de moyens
d'instruction et en complique l'organisation 2. Il suffira de rappeler ici qu'au Guatemala, par exemple, la majorité de la
population aborigène ne comprend pas l'espagnol, que dans
plus de deux cents villages de l'Altipiano prédominent les
langues aborigènes et que, dans nombre de ces villages,
l'unilinguisme est absolu. Au Mexique 3 , le recensement de
1940 indiquait que le nombre des aborigènes âgés de cinq ans
au moins et parlant uniquement leur propre dialecte était
de 1.237.018, tandis que l'unilinguisme prédominait dans les
régions du Nord et du Pacifique sud (57 et 61 pour cent respectivement). Au Pérou, le recensement de 1940 a permis
d'établir que plus de 1.800.000 personnes parlent exclusivement le quichua ou l'aymara (1.625.156 et 184.743 respectivement) ; dans les départements montagneux de Cuzco, d'Ayacucho et d'Apurimac, la population aborigène unilingue
1
2
3
Pour plus de détails, voir le chap. I X .
Voir tableaux LIV, LV et L V I I I .
Voir carte I I I .
206
CONDITIONS DE VIE
représente 79,44 pour cent, 92,39 pour cent et 86,22 pour cent.
Malgré toutes ces difficultés, la majorité des pays intéressés
ont adopté des mesures légales et administratives en vue de
répandre l'instruction parmi la population aborigène. On
verra dans la partie IV, consacrée à la politique sociale et
économique des gouvernements, que les résultats obtenus
ont été parfois satisfaisants.
Canada et Etats-Unis
CANADA
Sur une population indienne d'âge scolaire (de sept à seize
ans) de 29.167 enfants, 26.903 recevaient un enseignement
primaire, secondaire et spécial en 1949 x. En ce qui concerne
le niveau d'instruction de l'ensemble de la population, 96,2 pour
cent des habitants âgés de dix ans au moins savaient lire 2.
Les rapports récents indiquent que la pénurie de services
scolaires, particulièrement dans la partie nord des provinces
et dans les territoires du Nord-Ouest, où la population est très
disséminée, est probablement à l'origine de la différence qui
existe entre le nombre des enfants d'âge scolaire et le nombre
des enfants inscrits dans les écoles. Le nombre des enfants
inscrits dans les écoles de jour a fortement augmenté au cours
des dernières années (passant de 10.982 en 1947-48 à 15.514
en 1950-51), en raison principalement de l'exécution d'un
programme de construction de nouveaux bâtiments scolaires,
surtout dans les régions mentionnées ci-dessus.
La fréquentation scolaire a aussi augmenté d'une manière
notable depuis 1947. De 1940 à 1948, le taux de fréquentation
a varié entre 82,37 et 80,34 pour cent, alors qu'il a passé de
85,33 à 89,69 pour cent de 1948 à 1951. L'amélioration de la
fréquentation scolaire semble notamment être due au fait que
les maîtres des écoles indiennes de jour ont désormais une formation pédagogique plus poussée et plus d'expérience. D'autre
part, le système d'après lequel les allocations familiales sont
versées aux parents à condition que les enfants fréquentent
l'école a également contribué à élever la fréquentation scolaire 3 .
1
Report of the Department of Citizenship and Immigration... 1951 (Ottawa,
1951), pp. 57, 71, 84-85 et 89-90.
2
Rapport préliminaire sur la situation sociale dans le monde, op. eu., pp. 109-110.
3
Report of the Department of Citizenship and Immigration... 1951, op. cit., pp. 62,
68, 82-83 et 86-87.
ANALPHABÉTISME ET ÉDUCATION
207
ETATS-UNIS
D'après des informations récentes, 25,2 pour cent de la
population indienne 1 des Etats-Unis ne bénéficiaient d'aucune
instruction scolaire (le pourcentage correspondant est de 3,7
pour le reste de la population des Etats-Unis). Le nombre
moyen des années de fréquentation scolaire est de 5,7 pour
les Indiens et de 8,4 pour le reste de la population. Le recensement de 1930 a montré que 95,7 pour cent des habitants
âgés d'au moins dix ans savaient lire et écrire.
Dans le cas de quelques tribus, comme par exemple celles
qui vivent dans l'Etat d'Oklahoma, et dans la partie nord-est
du pays, le nombre des années de fréquentation scolaire n'est
pas sensiblement inférieur à ce qu'il est dans les communautés
rurales non indiennes de l'Etat. De même, presque tous les
adultes de la tribu des Hopi ont fréquenté l'école, la majorité
d'entre eux pendant plusieurs années.
Dans l'est de l'Oklahoma, où les Indiens vivent mêlés au
reste de la population, la proportion des illettrés n'atteint que
10 pour cent au maximum; mais chez les Navajo, qui ont une
population de près de 61.000 âmes, la durée moyenne de la
fréquentation scolaire est inférieure à un an. Les deux tiers
des Navajo n'ont jamais fréquenté l'école. Chez les Papago
(7.000 personnes), moins de 40 pour cent parlent anglais et
moins de 20 pour cent savent lire et écrire 2.
Même chez les tribus qui bénéficient de conditions meilleures en matière d'instruction, la situation se caractérise par
une pénurie de moyens d'instruction.
D'après les informations présentées à la Commission des
affaires intérieures et insulaires du Congrès par le commissaire
par intérim aux Affaires indigènes, en 1945, sur un total de
92.296 Indiens d'âge scolaire (de six à dix-huit ans), 31.927
étaient inscrits dans des écoles publiques de l'Etat ou de leur
municipalité (34,6 pour cent), 27.252 dans des écoles fédérales
(29,5 pour cent) et 7.813 dans des écoles dépendant des missions
religieuses (8,5 pour cent). Pendant cette même année, 19.375
Indiens étaient privés de toute possibilité de suivre un enseignement quelconque (21 pour cent), et sur ce nombre les
1
Estimée à 400.000 Indiens, Esquimaux et Aléoutes.
J. A. KRUG : The Navajo, A Long-Range Program for Navajo Rehabilitation,
op. cit., p. 7 ; déclaration du commissaire aux Affaires indigènes par intérim,
William ZIMMERMAK, reproduite dans Hearings... on National Resources
Policy, op. cit, pp. 326-327 ; et Laura THOMPSOK : Personality and Government,
op. cit., pp. 55, 125, 144 et 162.
2
208
CONDITIONS DE VIE
trois quarts résidaient dans les réserves destinées aux Navajo.
Enfin, la situation de 5.929 Indiens (6,4 pour cent) qui ne
figuraient sur les registres d'aucun établissement d'enseignement n'a pu être déterminée avec exactitude. On peut affirmer
que les proportions étaient sensiblement les mêmes en 1949 1 .
Chez les Navajo, les Papago et les autres tribus du SudOuest, environ 80 pour cent de la population ne parlent pas
l'anglais. Récemment encore, certaines tribus se refusaient à
envoyer leurs enfants à l'école. En 1946, la population scolaire
des établissements d'enseignement fédéraux comprenait 73
pour cent des Indiens non métis et 56 pour cent de l'ensemble
provenaient de foyers où seule était parlée la langue maternelle aborigène. Dans le cas des écoles publiques, les pourcentages correspondants sont, respectivement, 37 et 18. La
situation est déplorable chez les Navajo, surtout si l'on se
rappelle que le traité auquel ils sont partie depuis 1868 oblige
le gouvernement fédéral à prévoir un bâtiment scolaire et un
instituteur pour 30 habitants d'âge scolaire 2.
La pénurie d'écoles atteint son maximum de gravité chez
les Navajo. En 1948, pour une population d'âge scolaire de
24.000 enfants, la capacité des écoles existantes ne correspondait guère qu'à 7.500 élèves 3 . Il semble aussi que les moyens
d'instruction existants ne soient pas utilisés comme il convient
ou qu'ils ne soient pas appropriés aux besoins. En 1945-46,
moins de 6.000 enfants Navajo étaient inscrits dans des écoles
de différentes catégories, dont la description suivante a été
faite : « établissements scolaires provisoires, administration et
matériel défectueux, insuffisants, inappropriés et peu économiques 4 ». Laura Thompson a déclaré que la fréquentation
scolaire des enfants Navajo est très irrégulière, même chez
ceux qui sont inscrits dans une école. Chez les Papago, une
statistique relative à 1947-48 montre qu'un tiers environ des
2.100 enfants d'âge scolaire de la tribu ne sont inscrits dans
aucune école et que la moyenne d'assistance journalière des
enfants inscrits n'atteint guère que 65 pour cent 5 .
En plus des causes mentionnées ci-dessus, il faut imputer
le taux très bas de la fréquentation scolaire et la mauvaise
1
Hearings... on National Resources Policy, op. cit., p. 327, et diagramme 48,
p. 340.
2
Ibid., pp. 339-341.
3
J. A. KRTTG, op. cit., p. 39.
4
George I. SANCHEZ : The People : A Study of the Navajos (Lawrence, Kansas,
U.S. Indian Service, 1948), p. 26.
6
Laura THOMPSON, op. cit., pp. 39, 55 et 108.
ANALPHABÉTISME ET ÉDUCATION
209
utilisation des écoles qui existent, à la difficulté pour les
parents d'envoyer régulièrement leurs enfants en classe lorsqu'un emploi saisonnier les oblige à quitter leur habitation de
la réserve et qu'il ne reste personne au foyer pour prendre
soin des enfants 1 .
Asie
BIRMANIE
Les chiffres du recensement de 1931 indiquaient que 59 pour
cent de la population birmane âgée de dix ans au moins était
illettrée 2, que, sur 14.647.497 personnes classées selon leur
distribution par religions, 10.001.409 étaient illettrées et que,
sur le reste, seulement 161.690 avaient appris l'anglais s . De
1931 à 1937, la Birmanie fut la seule province de ce qui était
alors l'Empire des Indes où l'enseignement primaire et secondaire était donné dans la langue aborigène. On peut dire que
le bouddhisme et le christianisme =— celui-ci grâce à l'œuvre
accomplie par les missionnaires — ont exercé une influence
considérable sur le développement de la culture populaire 4.
C'est dans les Etats Shan et Karen que l'on observe le retard
le plus net dans le domaine culturel. Cependant, l'activité
déployée par les missions parmi les tribus Karen est digne de
remarque, et, d'autre part, il convient de préciser, comme
nous le mentionnions déjà au chapitre I I , que certaines populations, même parmi les moins avancées du point de vue de la
civilisation en Birmanie, réunissent toutefois certaines caractéristiques qui permettent de ne pas les comprendre dans la
classification empirique de populations aborigènes, utilisée
dans le présent ouvrage. Les informations réunies au sujet de
la Birmanie sont de portée générale et celles qui concernent
certains groupes de population considérés comme aborigènes
aux fins du présent ouvrage sont contradictoires.
CETTLAN
D'après, les données du recensement de 1946, le chiffre
de la population illettrée était estimé cette année-là à 2.445.656
1
2
3
Hearings... on National Resources Policy, op. cit., p. 327.
Rapport préliminaire sur la situation sociale dans le monde, op. cit., p. 99.
DEPARTMENT OS COMMERCIAL INTELLIGENCE AND STATISTICS (Inde) : Statis-
tical Abstract for British India... 1929-30 to 1938-39 (Delhi, 1941), tableau 14,
partie I I : Birmanie, p. 31. Cité par John LeRoy CHRISTIAN, op. cit., p. 352.
4
Pour plus de détails, voir John LeRoy CHRISTIAN, op. cit., pp. 188-200 et
207-222.
210
CONDITIONS D E VIE
(soit 42,2 pour cent) personnes âgées de cinq ans au moins 1 .
La population aborigène, généralement illettrée, représente
une très faible proportion du total. E n effet, si l'on ajoute à la
population Vedda (qui n'excédait pas 2.361 personnes en 1946)
les groupes Kinnaraya (environ 2.000) et Rodiya (environ 700),
on obtient un total qui ne représente qu'une fraction minime
de la population de l'ensemble du pays (5.796.373 habitants).
Des informations récentes permettent de supposer que ces
aborigènes adoptent graduellement la langue ceylanaise et
commencent à bénéficier de l'œuvre éducative du pays et à
s'adapter graduellement 2 .
INDE
Le dépouillement du recensement effectué en 1931 dans
l'Inde a permis d'établir que seulement environ 23.500.000
habitants savaient lire et écrire sur une population totale de
336 millions de personnes âgées de cinq ans au moins. Ce
total comprenait 7.611.803 personnes appartenant à des
groupements aborigènes de forme tribale, sur lesquelles
7.567.452 étaient complètement illettrées. (Le nombre de celles
qui savaient lire et écrire représentait 44.351, c'est-à-dire une
personne sur 172, soit 0,58 pour cent 3 .) Si le nombre des habitants instruits a augmenté depuis 1931 pour atteindre plus de
47 millions en 1941, la population illettrée n'a pas, elle non
plus, cessé de croître et a passé approximativement de plus
de 312 millions à 341 millions 4. D'autre part, en ce qui concerne
les scheduled tribes, le recensement de 1951 indique que leur
total atteint environ 19 millions d'habitants. Les données du
même recensement — lequel, contrairement à ceux de 1931
et de 1941, ne comprend pas le Pakistan — montrent que la
population de l'Inde dépasse 361 millions d'habitants, sur
lesquels 54 millions d'enfants d'âge scolaire suivent un programme d'enseignement obligatoire de cinq ans et que, pour
le moment, un sur trois des enfants âgés de six à onze ans
fréquente l'école 5. Etant donné l'analphabétisme qui règne
1
U.N.E.S.C.O. : Données statistiques sur l'analphabétisme d'après les statistiques
nationales existantes, op. cit., p. V.
2
E. K. COOK : Ceylon, op. cit., pp. 241-245 ; et M. D. RAGHAVAN : Cultural
Anthropology of the Rcdiyas, op. cit., p. 30, et The Kinnaraya, op. cit., p. 225.
3
Census of India, 1931, vol. I, partie II, tableau XHI, p. 427.
4
S. CHANDRASEKHAB : India's Population, op. cit., pp. 41-43.
6
K. G. SAIYTDAIN, J. P. NATK et S. ABID HUSATN : L'obligation scolaire en
Inde, Etudes sur la scolarité obligatoire, n° XI (Paris, U.N.E.S.C.O., 1952), pp. 39
et 182.
ANALPHABÉTISME ET ÉDUCATION
211
dans l'ensemble de la population, ce serait faire preuve d'un
optimisme exagéré que de supposer que la situation s'est améliorée dans les tribus aborigènes l .
L'instruction primaire, complémentaire, secondaire ou
préprofessionnelle est pratiquement inexistante chez les
autochtones. Bien que les aborigènes qui suivent des cours
universitaires soient fort peu nombreux, cet enseignement leur
est ouvert chez les Khasi de l'Assam et chez les Munda et les
Oraons de Chhota ÎTagpur, parmi lesquels on rencontre quelques
étudiants. En général, non seulement les écoles sont rares dans
les villages autochtones, mais encore les habitants ne peuvent
ou ne veulent pas envoyer leurs enfants dans des écoles situées
loin des villages ou dans les villes. Le recrutement des maîtres
pose également un problème difficile. En effet, l'habitat de la
plupart des populations aborigènes est situé dans des régions
d'accès difficile, au climat malsain, et bien peu de maîtres
acceptent d'y être envoyés ou d'y rester assez longtemps.
L'idiome dans lequel l'enseignement doit être donné constitue une autre difficulté : en plus du problème que pose
l'unilinguisme aborigène, les maîtres qui acquièrent une connaissance suffisante des idiomes autochtones sont trop peu
nombreux. Enfin, les aborigènes n'utilisent pas suffisamment
les moyens d'instruction existants parce que la plupart
des écoles se trouvent dans des centres qui sont hors de leur
portée 2.
L'examen des résultats obtenus dans diverses régions
permet de constater qu'en Assam l'éducation des aborigènes
a notamment permis d'apprendre aux élèves garçons et filles
à vivre selon des normes acceptées de discipline et à remplir
les tâches qui leur incombent en leur qualité de membres d'une
collectivité, même si cette conception s'écarte de la notion
d'instruction prise dans l'acception occidentale. Par contre,
chez les Naga, le système d'instruction semble avoir donné
peu de résultats satisfaisants. Oes populations estiment en effet
que l'instruction est un moyen d'accès aux emplois dans
l'administration publique plutôt qu'une préparation à mieux
vivre dans le village d'origine. Il s'ensuit, comme a pu l'observer J . P. Mills, que de nombreux jeunes ÎTaga incomplètement instruits refusent de retourner chez eux, perdant leur
temps à chercher en vain un emploi approprié aux capacités
1
Voir toutefois, au chap. XI, l'exposé des programmes actuellement mis à
exécution.
2
A. V. THAKKAE : The Problem of Aborigines in India, op. cit., pp. 15-17.
212
CONDITIONS D E VTE
qu'ils croient avoir acquises 1 . Pour les Lushei, leur conversion
au christianisme et l'instruction qu'ils ont reçue, si elles ont
réduit l'importance de l'analphabétisme, les amenaient récemment encore, une fois qu'ils savaient lire et écrire, à professer
une aversion absolue pour le travail manuel et il en résultait
un accroissement correspondant du nombre des jeunes chômeurs
et des insatisfaits 2.
De même, l'instruction a produit chez les Kadar une certaine insatisfaction et les a rendus inadaptés à leur ancien
mode de vie, sans leur donner la possibilité d'en adopter un
nouveau s . Dans l'Etat de Travancore, on peut également
contester le succès de l'œuvre éducative entreprise pour les
aborigènes : limité à la lecture et à l'écriture, l'enseignement
a sapé le respect des coutumes traditionnelles et suscité le
mépris des travaux manuels 4 .
AUTRES PATS D ' A S I E
Le tableau ci-après présente quelques données sur l'analphabétisme dans d'autres pays d'Asie. Il convient de signaler
TABLEAU
XXm. —
ASIE : IMPORTANCE
DANS
Pays
Indonésie 1
Pakistan
2
Philippines
Thaïlande
4
3
QUELQUES
DE
L'ANALPHABÉTISME
PATS
Date
du
recensement
Population
totale
Habitants
sachant
lire et écrire
Pourcentage
d'illettrés
1930
60.727.000
4.296.579
92
15 ans et plus
1951
75.842.000
86
Tous les âges
1948
19.234.182
39
10 ans et plus
1947
17.442.689
60
Non indiqué
7.052.231
Groupes d'âge
1 DEPARTMENT OF ECONOMIC AFFAIRS, Central Bureau of Statistics : Statistical Pocket Book
of Indonesia, 1941, pp. 7, 9 et 26. Sur l'ensemble de la population, 59.138.067 habitants étaient
des éléments autochtones, et sur ce nombre, 3.746.229 savaient lire et écrire. On a calculé que la
population de l'Indonésie s'élevait en 1951 à 76.500.000 habitants. Voir NATIONS UNIES, Département des affaires économiques, Bureau de statistiques : Annuaire démographique, 1952 {NewYork, 1952), p. 127.— * NATIONS UNIES : Rapport préliminaire sur la situation sociale dans le monde,
op. cit., p. 100.— s Antonio ISIDRO, Juan C. CANAVE, Priscila S. MANALANO et Matilde M. VALDES :
L'obligation scolaire aux Philippines, Etudes surla scolarité obligatoire, n° I X {Paris, U.N.E.S.C.O.,
1952), et NATIONS UNIES : Rapport préliminaire sur la situation sociale dans le monde, op. cit.,
p. 100.— * M. L. Manich JUMSAI : L'obligation scolaire en Thallande, Etudes sur la scolarité
obligatoire, n° VIII (Paris, U.N.E.S.C.O., 1952), p . 13.
1
J . P . M I L L S : <t Notes o n t h e Effect on Some Primitive Tribes of Assam of
Contacts with Civilization », Censué of India, 1931, vol. 1, partie I I I B , p p . 147-148.
2
C. H . H E L M E : « The Effects on t h e Lushei of Contacte with Civilization »,
ibid,, p p . 147-148.
3
P . G. M E N O N : « The K a d a r of Cochin », ibid., p . 216.
4
L. A. K . I Y E R e t N . K. P I L L A I : « Primitive Tribes of Travancore », ibid., p . 237.
ANALPHABÉTISME E T ÉDUCATION
213
que, comme pour d'autres informations données au sujet des
pays dont la situation a été décrite de façon plus détaillée
dans le présent chapitre, ces données concernent la population
en général et que, du fait de l'impossibilité — déjà constatée
au chapitre I I — d'obtenir des renseignements dignes de foi
sur l'importance numérique des populations aborigènes, il est
difficile de comparer les chiffres donnés dans ce tableau.
Australasie
AUSTRALIE
D'après le recensement de 1951, la population australienne,
non compris les aborigènes — dont le nombre s'élevait à 71.895
en 1944 —, était de 8.431.391 habitants. On estime que, chez
les adultes, la proportion d'illettrés n'était que de 5 pour cent.
L'enseignement est obligatoire et la scolarité dure de huit à
dix ans selon les Etats. Le recensement de 1947 a montré que
15,1 pour cent de l'ensemble de la population étaient compris
dans le groupe d'âge de cinq à quatorze ans (moyenne de l'âge
scolaire).
A. O. Neville, ancien commissaire aux Affaires indigènes
d'Australie occidentale, a signalé qu'à peine un quart des
21.000 enfants aborigènes de cet Etat recevaient un enseignement primaire en 1947, mais que les chiffres exacts faisaient
défaut à ce sujet 1 .
Selon P. W. Beckenham 2 , il existait dans l'Etat de Victoria,
en 1946, deux écoles pour enfants aborigènes, fréquentées par
72 élèves (8 pour cent de l'ensemble de la population aborigène
de l'Etat). Dans ces établissements, l'enseignement est identique à ce qu'il est dans les écoles pour enfants « européens »,
mais on insiste spécialement sur les travaux manuels : couture,
charpenterie, tissage, etc. En Nouvelle-Galles du Sud, une
proportion relativement élevée de jeunes aborigènes fréquentaient les écoles destinées aux habitants de race blanche.
Environ 1.075 élèves étaient inscrits dans 31 écoles créées
spécialement à leur intention et administrées par les départements de l'Education de l'Etat. Pour enseigner dans ces établissements, on choisit des maîtres possédant des aptitudes
spéciales ou qui s'intéressent personnellement à l'instruction
1
A. O. NEVILLE : Australia's Coloured Minoriti/, op. cit., pp. 144-145.
P. W. BECKENHAM : The Education of the Australian Aborigine (Melbourne,
Australian Council for Educational Research, 1948), passim.
s
214
CONDITIONS DB VIE
des aborigènes ; toutefois, ces maîtres, qui sont en général des
Blancs, ne font l'objet d'aucun enseignement pédagogique
spécial. Les jeunes aborigènes suivent un programme d'études
analogue à celui qui est prévu pour les jeunes « Européens »,
et, comme dans l'Etat de Victoria, une attention particulière
est prêtée aux travaux manuels.
Quelques écoles spéciales pour aborigènes disposaient de
postes de radio et d'appareils de projection fournis par le
département du Bien-être des aborigènes. La fréquentation
scolaire est obligatoire et, si l'on en croit l'étude citée ci-dessus,
on peut dire que l'absentéisme ne dépasse pas le pourcentage
normal observé chez les enfants de race blanche. En règle
générale, les écoliers sont soumis à des examens médicaux
dans les hôpitaux publics et dans les cliniques dentaires et les
cliniques pour enfants. De plus, ils peuvent avoir recours aux
services médicaux des autres institutions publiques ainsi qu'aux
médecins et dentistes locaux.
Au Queensland, 1.000 élèves aborigènes fréquentent les
écoles ordinaires à côté des enfants de race blanche, et 1.403
fréquentent des écoles spéciales pour aborigènes, ce qui représente un fort pourcentage de la population aborigène d'âge
scolaire. L'instruction donnée aux aborigènes va jusqu'à la
cinquième année du programme primaire ; l'enseignement
ultérieur porte sur des travaux manuels et les arts ménagers.
La même année, treize enfants fréquentaient les écoles secondaires en vue de se préparer à remplir des emplois d'auxiliaires
dans l'administration de l'Etat. A côté de l'instruction organisée par le département de l'Education, les missions subventionnées par le gouvernement ouvrent aussi des écoles
pour les enfants aborigènes. Les écoles de la mission anglicane donnent un enseignement théorique et pratique, et consacrent un jour de la semaine aux méthodes de chasse et de
pêche. Les jeunes filles suivent des cours de travaux ménagers
et les garçons apprennent les principes de l'élevage du bétail
et s'initient au travail en mer.
Le gouvernement de l'Australie méridionale n'a pas établi
de statistiques séparées concernant les aborigènes. Le département de l'Education a créé dans des exploitations agricoles
deux écoles pour les aborigènes, dirigées par un maître et deux
assistants. Les programmes d'études sont les mêmes que pour
les enfants de race blanche. En outre, cinquante enfants
aborigènes suivaient des cours par correspondance organisés
par les missions.
ANALPHABÉTISME ET ÉDUCATION
215
En Australie occidentale, les enfants aborigènes qui vivent
dans les régions d'élevage du mouton ne reçoivent aucune
instruction. Ceux qui habitent dans les agglomérations importantes peuvent fréquenter les écoles ordinaires, sauf s'ils sont
atteints de maladies contagieuses ou infectieuses ou s'ils ne
remplissent pas certaines conditions de propreté. Dans les camps
des missions, les enfants reçoivent une instruction élémentaire et suivent quelques cours de formation professionnelle,
enseignement qui, toutefois, ne saurait suffire à les préparer à la
vie qui les attend. Comme dans les autres Etats, l'instruction est
obligatoire pour les enfants aborigènes. Le 1 e r avril 1946, 560
enfants aborigènes et métis fréquentaient des écoles spéciales
pour les aborigènes. Le programme des études vise notamment
à enseigner aux enfants les rudiments de la civilisation occidentale, à leur donner une instruction générale comprenant
une connaissance pratique de la langue anglaise et du système
des poids et mesures, à leur inculquer de bonnes habitudes en
matière d'hygiène et de mode de vie, à leur donner une connaissance des travaux ruraux et enfin à leur inculquer des principes moraux et spirituels. Cependant, 80 pour cent au moins
de la population aborigène de cet E t a t ne reçoivent aucune
espèce d'instruction. Le ministre des Affaires indigènes de
l'Etat a fait observer, en étudiant les problèmes que pose
l'éducation des aborigènes, combien il est illogique de créer des
possibilités d'éducation sans améliorer les normes et les conditions de vie de la population aborigène 1 .
Dans le Territoire du Nord, comme dans le reste de l'Australie, les lacunes les plus graves sont constatées dans le système d'enseignement destiné aux aborigènes de race pure,
surtout dans les fermes d'élevage. Depuis plus de soixante
ans, une mission luthérienne enseigne aux aborigènes du
groupe Kokoyimidir des rudiments d'anglais et des notions
de la langue primitive et les prépare peu à peu à participer
d'une façon intelligente à la vie économique de la région.
L'idée qui se dégage de cette expérience est que l'éducation
de type général et pratique est celle qui convient le mieux à
l'aborigène et que le devoir qui s'impose le plus impérieusement
dans les zones à forte population aborigène est de constituer,
dans ces zones, un corps enseignant ayant reçu une formation
pédagogique spéciale et possédant des connaissances anthropologiques, grâce auquel pourraient être jetées les bases de
1
F . E. A. BATEMAN : Repart on Survey
occidentale), p p . 23-27.
of Native Affairs,
op. cit. (Australie
216
CONDITIONS DE VIE
noyaux scolaires partout où existent au moins douze personnes
en âge de fréquenter l'école 1 .
NOUVELLE-ZÉLANDE
La loi néo-zélandaise dispose que l'enseignement scolaire
est obligatoire de six à quinze ans, et qu'il est gratuit jusqu'à
la fin de l'année au cours de laquelle l'élève atteint l'âge de
dix-neuf ans ; aussi n'est-il pas surprenant qu'une proportion
considérable d'élèves continue à suivre l'enseignement officiel
au-delà de l'âge imposé par la loi et que, malgré une scolarité
obligatoire de huit années, environ trois cinquièmes de la
population fréquentent des établissements scolaires pendant
au moins onze ans 2. Chez les adultes, on estime que le pourcentage des illettrés n'excède pas 5 pour cent 3.
En 1951, sur une population maorie de 116.934 âmes,
environ 31.000, c'est-à-dire plus de la moitié des jeunes gens
d'âge scolaire recensés, fréquentaient l'école et représentaient
environ 10 pour cent de la population totale soumise à l'enseignement obligatoire 4.
A la fin de 1948, 28.735 enfants maoris fréquentaient les
écoles primaires de l'Etat ; 16.591 d'entre eux fréquentaient
les mêmes écoles publiques que les enfants « européens » et
suivaient un programme d'études de type européen ; les autres,
soit 13.254 enfants (dont 1.110 enfants européens), fréquentaient 159 écoles de villages maoris, où les programmes d'enseignement sont adaptés aux besoins de la population aborigène. Le taux moyen de fréquentation de ces écoles par les
enfants maoris était de 87 pour cent (la moyenne s'établit à
90 pour cent pour les écoles publiques). En 1948, le nombre
des maîtres employés dans les écoles des villages maoris était
de 532, Européens pour la plupart. Il existait en outre dix
écoles missionnaires maories fréquentées par 744 élèves 5.
Pour diverses raisons, les enfants maoris n'ont pas participé
aux cours d'instruction postprimaire dans les ¡mêmes conditions
que les enfants européens. C'est ainsi qu'en 1947, le nombre
1
« The Future of the Australian Aborigine », Current Affairs Bulletin, (Sydney,
Commonwealth Office of Education), vol. I, n° 13, 15 mars 1948, p. 10.
2
L'obligation scolaire en Nouvelle-Zélande, Etude de la Commission nationale
néo-zélandaise pour VU.N.E.S.C.O., Etudes sur la scolarité obligatoire, n° X (Paris,
U.N.E.S.C.O., 1952), p. 9.
3
NATTONS UNIES : Rapport préliminaire sur la situation sociale dans le monde,
op. cit., p. 111.
4
L'obligation scolaire en Nouvelle-Zélande, op. cit., p. 67.
5
CENSUS AND STATISTICS DEPARTMENT : The New Zealand Official Year-Book,
1950 (Wellington, 1951), pp. 158-159.
ANALPHABÉTISME ET ÉDUCATION
217
des enfants maoris qui ont fréquenté les écoles postprimaires
européennes (secondaires, techniques et supérieures) était de
1.191. De plus, 490 élèves maoris fréquentaient les écoles
secondaires pour aborigènes. Près de la moitié de ces enfants
bénéficiaient de bourses d'enseignement postprimaire du gouvernement. La création de sept écoles indigènes supérieures
de district dans les régions qui comptent une forte population
maorie a marqué un nouveau progrès en matière d'organisation
de l'enseignement postprimaire pour les Maoris. Les programmes
de ces écoles comprennent des cours pratiques adaptés aux
besoins des élèves maoris 1 . Bien que les Maoris bénéficient
théoriquement, après le stade primaire, des mêmes moyens
d'instruction que les Européens, on constate que la population
aborigène, soit par manque d'intérêt, soit souvent parce qu'elle
est trop pauvre, n'utilise pas toutes les possibilités qui lui
sont offertes à cet égard 2.
Le nombre des jeunes Maoris, garçons et filles, qui accèdent
à l'université de Nouvelle-Zélande et terminent leurs études
supérieures est faible et ne représente probablement qu'une
fraction minime par rapport aux 5 à 8 pour cent de jeunes
« Européens » qui entrent chaque année dans les diverses
facultés. Outre le fait qu'un petit nombre seulement de Maoris
pourront se trouver en mesure, pour des raisons surtout économiques, de fréquenter l'école quatre ou cinq années après
leurs études primaires, il y a lieu de croire que le nombre de
ceux qui, parmi eux, pourront entrer à l'université et embrasser
ensuite des professions intellectuelles et semi-intellectuelles
sera toujours inférieur à celui des Européens. Le nombre des
jeunes Maoris qui entrent dans l'enseignement et dans le service
dentaire scolaire ne cesse de s'accroître. La majorité d'entre
eux enseignent dans les écoles de villages maoris 3. Le département de la Santé prend des mesures en vue d'encourager les
vocations d'infirmière chez les jeunes filles maories. En 1945,
cinquante d'entre elles au moins étaient reconnues aptes à
l'exercice de cette profession et près de vingt étaient en cours
de formation 4.
1
Sur le développement de l'enseignement destiné aux Maoris et les problèmes
généraux qu'il pose, voir l'étude de Henry Charles MCQUEEN : Vocations for Maori
Youth (Wellington, New Zealand Council for Education Research, 1945), pp. 27-28,
et L'obligation scolaire en Nouvelle-Zélande, op. cit., pp. 67-76.
2
Ernest et Pearl BEAGLEHOLE : Some Modem Maoris, op. cit., pp. 171-172.
3
4
H. C. MCQUEEN, op. cit., p. 131.
I. L. G. SUTHERLAND : « Maori and Pakeha », op. cit.,
TROISIÈME PARTIE
Le travailleur aborigène dans l'économie
CHAPITRE VIII
MÉTIERS ET OCCUPATIONS
Observations générales 1
Avant que soient établies des normes internationales pour
l'amélioration des conditions de travail des populations aborigènes dans les pays indépendants, il faut tout d'abord procéder
à l'analyse sociale, économique et technique des activités
principales auxquelles se consacrent les aborigènes, des caractéristiques de ces activités et des problèmes qui leur sont propres.
Toutefois, les difficultés — évoquées au chapitre I I — que
l'on rencontre lorsqu'il s'agit de déterminer exactement l'importance numérique s'aggravent encore lorsqu'on s'efforce
d'établir, même de façon approximative, la proportion économiquement active de ces populations et la place qu'elles
occupent dans les diverses branches de l'économie nationale.
L'inventaire et l'évaluation des renseignements quantitatifs
disponibles révèlent que l'on manque de données suffisantes
sur plusieurs points importants. Ajoutons que, dans la majorité
des cas, les renseignements existants résultent d'enquêtes
effectuées à des fins différentes sur des aspects divers et
d'ailleurs limités du problème. En outre, et surtout en ce qui
concerne l'Amérique latine, les renseignements sont souvent
antérieurs à la deuxième guerre mondiale, et l'on sait que
depuis lors, la structure économique de la majorité des pays
en question a subi des modifications importantes qui ont
sans doute influé sur la condition du travailleur aborigène
du point de vue professionnel. Au nombre des conséquences
de ces changements, mentionnons l'achèvement de réseaux
de communications et la baisse des tarifs de transport qui,
1
Signalons dès l'abord que le chapitre XI expose des mesures récentes de
politique gouvernementale, telles que la réforme agraire en Bolivie et au Guatemala,
qui ont pu contribuer à faire évoluer l'état de choses décrit dans les deux chapitres
ci-après. De plus, certains des problèmes particuliers qui rentrent dans le cadre du
présent chapitre ont été traités de façon plus détaillée dans les chapitres suivants,
en particulier les conséquences du régime foncier, le recrutement de diverses catégories de travailleurs et l'artisanat.
222
LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE
dans plusieurs pays, ont permis à divers groupes aborigènes
naguère isolés dans des régions retirées d'accéder aux grands
centres urbains, les progrès accomplis dans le domaine de la
technique et de l'organisation du travail par suite de la nécessité
d'augmenter la production des denrées alimentaires et des
produits miniers d'importance stratégique pendant la deuxième
guerre mondiale, une industrialisation accélérée dans divers
pays, due également à la guerre. Ces faits ont provoqué à leur
tour dans diverses régions l'exode de groupes aborigènes
important vers les centres industriels (c'est-à-dire le déplacement de secteurs importants de la main-d'œuvre d'une activité
à une autre) et ont contribué également, soit dit en passant,
à mettre en lumière le rôle de l'aborigène comme élément de
production. Enfin, il existe un obstacle, dû à la nature même
de l'objet de l'enquête, qui provient de ce que l'on pourrait
appeler le « multiprofessionnalisme » (ou, pour employer l'expression d'un spécialiste péruvien des questions indigènes, le
« polymorphisme professionnel »*) du travailleur indigène dans
la majorité des pays en question. Aussi est-il souvent très
difficile de classer le travailleur aborigène dans une activité
économique donnée, du fait de sa grande mobilité professionnelle. Le même individu peut souvent être métayer et journalier, soit simultanément, soit alternativement. Le travailleur
agricole, ou le mineur, peut être également propriétaire ou
fermier d'une petite parcelle de terrain qu'il cultive pendant une
partie de l'année. En général, cette intercurrence professionnelle est due surtout à la pénurie de terres. Dans certaines
régions d'Amérique latine, elle s'est manifestée par la migration
intérieure périodique d'importants contingents d'Indiens des
hauts plateaux vers la vallée ou la côte et vice versa, à la
recherche d'activités saisonnières complémentaires. Ce phénomène de vagabondage professionnel pose à son tour d'importants problèmes du point de "vue de l'hygiène du logement 2 .
D'autre part, l'effectif de ces travailleurs saisonniers subit
souvent des fluctuations sensibles selon l'importance de la
culture ou de la récolte, de sorte que les renseignements concernant une année donnée peuvent être sans valeur à l'égard
de l'année suivante.
1
M. H . KUCZYNSKI-GODABD : Inventario del potencial económico de la nación
(Lima, 1949-50), p . 23.
2
E n ce qui concerne le Pérou, par exemple, voir M. H. KTJCZYNSKI-GODABD :
La vida bifronte de los campesinos ayacuchanos (Lima, Ministerio de Salud pública
y Asistencia Social, 1947) et Las migraciones indígenas (Lima, 1945). Voir aussi,
Carlos MONGE M. : « Aclimatación en los Andes », op. cit., p . 270.
IX
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8®'
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^stas-
Filage et tissage au Guatemala
(Instituto Indigenista Nacional)
X
Laboureur bolivien
dans la vallée de Sorata
(Foto Linares)
mm^mÊ^ÊJi-:
L'agriculture
sur le haut plateau
des Andes
L'«homme à la houe»
équatorien
(Estudio Rodo Wuth)
MÉTIERS ET OCCUPATIONS
223
Sous ces réserves, le présent chapitre se propose d'esquisser
la structure professionnelle des groupes aborigènes dans les
diverses régions du monde, grâce aux renseignements fournis
par les gouvernements, les instituts nationaux des affaires
indigènes et certains membres de la Commission d'experts
de l'O.I.T. pour le travail deB aborigènes, et grâce aux informations provenant de diverses publications officielles et privées.
En général, une documentation trop fragmentaire ne permettra
pas au lecteur de se faire une idée exacte de la situation sous
tous ses aspects importants. Pour ce qui est des pays d'Amérique latine et d'Asie, on a dû, dans la majorité des cas, recourir
à l'estimation ou à l'induction. Cependant, malgré sa pauvreté
en éléments quantitatifs, la documentation disponible contient
déjà des éléments suffisants pour qu'il soit possible d'apprécier
le rôle que le travail des aborigènes de plusieurs pays joue ou
peut jouer dans les différents secteurs de l'économie nationale.
On constate par exemple qu'en Amérique latine, dans la région
méridionale du haut plateau, la majorité des ouvriers agricoles,
des colons, des métayers et des mineurs sont des aborigènes
ou des métis. Cet état de choses semble dû non seulement au
fait que l'aborigène constitue la source principale de maind'œuvre, mais encore au fait qu'il s'est montré physiologiquement capable de s'adapter au milieu hostile de cette région.
On a pu dire à juste titre que la meilleure utilisation
des ressources matérielles immenses produites à la surface ou
extraites du sous-sol des sierras qui forment le massif méridional des Andes, et partant, le développement des pays
qu'il constitue, seront demain l'œuvre du travail indigène,
comme ils l'ont été hier, et comme ils le sont aujourd'hui. La
documentation recueillie démontre également qu'à l'exception
de la population indigène sylvicole nomade, qui représente
une catégorie à part, l'agriculture 1 est dans la majorité des pays
l'activité centrale d'où la main-d'œuvre indigène rayonne vers
d'autres occupations saisonnières ou permanentes : artisanat
à domicile, industrie minière, bâtiment, transports et — dans
une moindre mesure, encore que de manière croissante —
industrie manufacturière. Ce fait, qui établit une relation
étroite entre la situation de l'agriculture d'une part et la
situation économique et sociale de l'Indien d'autre part,
démontre que, d'une manière générale, il est très difficile, sinon
1
Dans certains pays, comme par exemple le Pérou et le Guatemala, on a pu
constater que la production de denrées alimentaires dépend presque en totalité du
travail des aborigènes.
9
224
LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE
impossible, d'envisager le problème indigène sans le considérer
comme un élément essentiel de la question agraire.
GROUPES PRINCIPAUX
En termes généraux, on peut dire que les populations
aborigènes des pays indépendants se répartissent, d'après
la nature de leurs occupations, en cinq groupes principaux :
1. Tribus sylvicoles nomades ou semi-nomades, qui s'adonnent à la chasse, à la pêche et à la cueillette des fruits sauvages,
qu'elles complètent parfois en pratiquant des formes primitives
d'agriculture sur des terres défrichées au feu ou à la hache. E n
de nombreux cas, la chasse est à la base d'un système de troc
qui est la cause des premiers contacts délibérés avec les éléments producteurs du reste du pays ; dans certains pays, la
chasse commerciale a pris un certain développement. Il existe
également des tribus sylvicoles dont l'occupation principale est
l'agriculture et pour lesquelles la chasse et la pêche ne sont
que des activités d'appoint.
2. Tribus semi-nomades, résidant dans des régions marginales et qui s'adonnent à l'agriculture ou à l'élevage pour leur
propre subsistance et à la collecte de matières premières
végétales pour les occupations artisanales.
Dans certaines régions, ces deux groupes restent en contact
avec le marché du travail du pays ou de l'étranger : en effet,
leurs membres se louent d'ordinaire comme journaliers dans
les entreprises forestières ou minières, les plantations de café,
de canne à sucre, de riz, de thé, etc., comme muletiers ou pour
des travaux analogues.
3. Agriculteurs, pasteurs, gardiens de troupeaux, sédentaires et indépendants, qui travaillent individuellement ou
collectivement et liés dans une mesure plus ou moins grande
à l'économie de la région ou du pays où ils exercent leurs activités et au marché international du travail, du fait qu'ils sont
employés souvent comme journaliers dans des plantations
commerciales. Dans de nombreuses régions, l'artisanat constitue, pour cette catégorie de travailleurs, une importante
activité d'appoint.
4. Peones, attachés aux grandes propriétés par un régime
coutumier semi-féodal qui entraîne pour eux une série d'obligations personnelles envers le propriétaire.
MÉTIERS ET OCCUPATIONS
225
5. Travailleurs salariés, source principale de main-d'œuvre
pour les plantations commerciales, les entreprises d'élevage,
les mines, les exploitations forestières, etc. Cette catégorie fait
plus ou moins partie intégrante de la vie générale et économique
de chacun des pays.
AGRICULTURE ET ÉLEVAGE
Les activités agricoles — sans en exclure l'élevage — de
l'aborigène présentent des formes sociales très diverses —
vestiges, pour la plupart, de traditions anciennes antérieures
à l'époque de la conquête ou bien introduites sous le régime
colonial —, qui coexistent et se complètent les unes les autres.
Ces phénomènes sociaux diffèrent en nature et en importance
selon la géographie économique et les traditions historiques
du pays.
Pour réduire cet exposé général à ses grandes lignes,
nous distinguerons les catégories ou types principaux ci-après
d'organisation de l'élevage et de l'agriculture aborigène 1 :
a) le travail dans la « collectivité » aborigène (appelée suivant les cas comunidad, resguardo, reducción, etc.) en Amérique
du Sud. Cette institution qui, dans sa forme primitive, comportait à la fois la propriété en commun des terres et des
instruments de travail et le travail collectif, a fini, en se modifiant et en se diversifiant, par revêtir un très grand nombre de
formes de propriété et d'assistance dans le travail. Ce dernier
élément paraît être le plus solide et le plus durable : en effet,
lorsque la collectivité se désagrège progressivement, la coopération dans le travail demeure généralement jusqu'au bout.
Tel est le cas chez des groupes d'aborigènes qui, en réalité, sont
petits propriétaires, métayers ou colons, mais qui continuent à
se considérer comme membres d'une collectivité, du fait qu'ils
sont liés les uns aux autres par des travaux communs et par
des entreprises coopératives d'intérêt général comme la construction et l'entretien des chemins et des voies d'irrigation ;
b) le travail dans Yejido mexicain, qui représente une
transformation et une modernisation d'une ancienne collectivité agricole aztèque (le calpuïli) ; aujourd'hui toutefois, il
1
Pour évaluer l'importance économique de l'agriculture indigène, il faut
nécessairement tenir compte des différences qui proviennent des divers régimes de
la propriété et du travail. Cette importance, dans l'économie générale, varie sensiblement suivant que l'aborigène est ou n'est pas propriétaire de la terre qu'il
cultive, c'est-à-dire, soit propriétaire individuel ou collectif, soit colon, métayer,
journalier, etc. (Voir à ce sujet le chapitre suivant.)
226
LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE
possède une physionomie économique et sociale toute particulière qui le distingue de la comunidad indigène en Amérique
du Sud ;
c) le travail dans la « réserve » tribale, dans divers pays
anglo-saxons, qui possède également ses caractères particuliers;
d) l'ensemble des formes de colonage et de métayage indigène, également très variées, qui va du fermage de terres
payable en nature jusqu'à la location de services, rémunérés
en tout ou en partie avec l'usufruit d'un lopin de terre. Ce
aystème est répandu particulièrement dans divers pays de
l'Amérique latine et de l'Asie ;
e) le travail de l'indigène comme salarié agricole, presque
toujours saisonnier, dans les grandes propriétés, les domaines
et les plantations.
ARTISANAT X
Parmi les activités typiquement indigènes, l'artisanat
rural occupe la deuxième place dans plusieurs pays de l'Amérique latine. La fabrication, à l'aide d'instruments primitifs,
de multiples objets, soit pour sa consommation propre, soit
pour le commerce, constitue pour l'Indien un des principaux
moyens de subvenir directement à ses besoins et de gagner
en partie sa subsistance. On jugera de l'importance de cette
activité par la grande variété des articles mis en vente sur le
marché et par l'ampleur de ses applications dans le domaine de
l'habillement, des ustensiles domestiques et des outils. Notons
cependant qu'en général l'artisanat indigène revêt le caractère
d'une activité complémentaire de l'agriculture.
MINES
Le travail dans les mines occupe la troisième place, particulièrement en Bolivie, au Pérou et dans l'Inde.
L'importance du travail dans les mines parmi les métiers
indigènes en Bolivie et au Pérou n'est pas seulement due au
nombre des individus qui s'y consacrent, mais aussi au fait
qu'aucune autre race ne possède les qualités physiques qui
permettent à l'Indien de s'adapter au pénible labeur dans des
mines situées parfois à 4.000, voire à 5.000 mètres au-dessus
du niveau de la mer. Sans doute les métis et les Blancs représentent-ils une partie considérable de la main-d'œuvre employée
1
Voir chap. X .
MÉTIERS E T OCCUPATIONS
227
au jour et dans certains postes spécialisés ; cependant, les
travaux souterrains les plus pénibles sont effectués en grande
majorité par des travailleurs indigènes 1. Aussi la prospérité de
l'industrie minière du haut plateau andin dépend-elle de
l'existence d'un contingent de main-d'œuvre indigène à la
disposition de cette industrie, et de l'introduction de conditions
de vie et de bien-être pouvant encourager un meilleur rendement du travail 2 .
AUTRES ACTIVITÉS
Parmi les activités économiques de l'aborigène de l'Asie
et de la région de l'Amazone, la sylviculture occupe une place
importante, soit qu'il l'exerce au service des administrations
forestières des gouvernements intéressés ou d'entreprises
privées, soit, dans certaines régions, que l'aborigène la pratique
pour son propre compte.
Enfin, aux Etats-Unis, au Canada, en Nouvelle-Zélande et;
à un degré moindre, dans certains pays de l'Amérique latine,
on voit se développer la catégorie des aborigènes qui travaillent
comme ouvriers dans l'industrie des transports ou du bâtiment
ou — dans une proportion plus faible, mais croissante — dans les
industries de transformation. Le fait que l'autochtone continue
de s'adonner principalement à la culture de la terre et à
l'élevage et qu'en outre, il est artisan, mineur ou ouvrier
forestier, etc., ne saurait faire oublier les possibilités que
laisse entrevoir l'accès, même comme travailleur manuel, à
diverses catégories de métiers spécialisés dans les activités
manufacturières modernes. Ce ne sont pas les chiffres qui
peuvent donner une idée exacte du rôle que l'industrie est
appelée à jouer à l'avenir comme champ d'action pour le
développement social et culturel de l'indigène, et en réalité, les
statistiques officielles ne donnent pas une image claire de la
situation actuelle ; en effet, à l'exception des quelques cas où
le concept d'autochtone est purement « racial », les travailleurs
1
On évalue à 45.000 en Bolivie et à 35.000 au Pérou le nombre des indigènes
qui travaillent dans les mines, ce qui représente, par rapport à l'ensemble de la
main-d'œuvre minière, environ 80 pour cent dans le premier cas, et 50 pour cent
dans le second.
2
L'industrie minière constitue la source principale du revenu national du Pérou,
et c'est sur elle que repose l'économie de la Bolivie. « Depuis l'époque coloniale,
l'économie de la Bolivie (qui s'appelait alors le Haut-Pérou) est fondée sur les
mines... Le rôle économique international de la Bolivie devra continuer à reposer
(probablement pendant longtemps encore) sur ses richesses minières, parce que la
stabilité du pays dépend de la capacité des gisements et des fluctuations du marché
mondial », ont aflfirmé Remberto CAPRILES RICO et Gastón ARDTTZ EGUÎA dans
El problema social en Bolivia, op. cit., p. 134. Voir plus loin.
228
LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE
d'origine indigène déjà assimilés à la vie sociale et économique
de leur pays et qui ont cessé de participer activement à celle
de leur communauté d'origine n'apparaissent pas dans les
catégories ethniques distinguées dans les statistiques. Les
fabriques étant généralement situées dans les villes — ce qui
oblige les aborigènes qui y sont employés à des contacts
quotidiens avec des personnes originaires de milieux culturels
différents —, ces aborigènes perdent rapidement les caractéristiques linguistiques ou l'organisation tribale qui les distinguent
officiellement du reste de la population et se fondent dans la
grande masse des travailleurs en général.
ÎTous examinerons dans les pages qui suivent l'importance
des occupations indigènes dans quelques pays de l'Amérique,
de l'Asie et de l'Océanie, en laissant toutefois de côté les
activités de caractère commercial, dont il sera question à la
fin du chapitre et au chapitre X I I I , consacré à la protection
de l'artisanat.
Amérique
ARGENTINE
Nord du -pays
Dans la région septentrionale du pays, les principales
activités de la population indigène sont la chasse, la pêche et
la récolte de fruits sauvages, l'élevage d'ovins et de caprins,
l'agriculture primitive de subsistance et le travail salarié saisonnier dans les plantations de canne à sucre des provinces
de Salta et de Jujuy, dans les plantations de coton de la région
du Chaco, ou dans les établissements miniers du plateau
de Jujuy. Certains groupes vivent rassemblés en réserves ou
en colonies et s'adonnent à la culture du coton pour leur
propre compte. Chez les Mataco et les Caingúa, l'artisanat à
domicile a pris un certain développement. Les premiers se sont
spécialisés dans la confection de sacs et de vêtements légers en
fibre de caraguatá, tissée au crochet ; les autres se distinguent
par la fabrication de paniers en écorce et en feuilles d'arbres,
de cordes et de filets, ainsi que de tissus de coton filé avec un
fuseau de bois.
Parmi les régions où les groupes d'autochtones s'adonnent
principalement à l'agriculture, celle des vallées Calchaqui
(ouest de la province de Salta) et celle de la gorge de Humahuaca (province de Jujuy) présentent un intérêt particulier.
MÉTIEBS ET OCCUPATIONS
229
Dans la première, l'agriculture revêt un caractère communautaire : plusieurs familles louent une superficie déterminée
de terrain à un propriétaire privé et le cultivent collectivement,
en répartissant les bénéfices entre les familles ; ce système
constitue un vestige du régime agricole inca, dont l'influence
s'est fait sentir dans certaines parties du nord-ouest de l'Argentine. Dans la seconde région, les Indiens occupent en vertu
d'un droit coutumier des terres de l'Etat, sur lesquelles ils
cultivent individuellement une grande variété de fruits et de
légumes qu'ils vendent ensuite dans les villages du défilé.
Environ 35.000 Indiens du Nord abandonnent périodiquement leurs demeures traditionnelles de la forêt ou de la montagne pour aller travailler dans les plantations de canne à
sucre de Salta et de Jujuy 1. On estime que près de 25.000
Toba et Mataco émigrent chaque année dans ce but. Le reste
provient des départements élevés de Yavi, Cochinoca et
Humahuaca (Jujuy), et de Santa Victoria et Iruya (Salta),
où ils se consacrent, sur les terres de l'Etat, à une agriculture
primitive de subsistance ou à l'élevage des chèvres et des
lamas 2 .
Il y a lieu de mentionner également les plusieurs milliers
d'Indiens (Chiriguano, Choroti, Colla, Chane, etc.) et de métis
boliviens qui traversent périodiquement les frontières pour
aller travailler soit dans les plantations déjà mentionnées, soit
dans les mines du plateau de Jujuy.
Région sud
Dans le sud du pays, les principales occupations des tribus
aborigènes sont la chasse et la pêche, l'élevage des ovins,
l'abattage des arbres et le transport de la laine pour le compte
des entreprises forestières et des éleveurs de la Patagonie.
Chez les Patagons, la chasse au guanaco et à l'autruche est
1
Les plantations les plus importantes sont lea suivantes : San Martin del
Tabacal, à l'extrémité nord-ouest de la province de Salta (département d'Oran),
dans laquelle se trouve l'une des entreprises sucrières les plus grandes du monde ;
La Esperanza, à San Pedro de Jujuy, qui appartient à la société Leach Brothers ;
Ledesma, dans le même département (Jujuy).
2
Les vallées de la Puna argentine, depuis la frontière de la Bolivie jusqu'au
nord de Catamarca (situées à une altitude d'environ 2.000 mètres), constituent
l'une des régions du monde les plus riches en lamas. Pour l'Indien, cet animal
représente le moyen de subsistance le plus important et le moins coûteux. En effet,
le lama lui fournit la nourriture, le vêtement et le transport. Il est très sobre et peut
supporter la soif pendant plusieurs jours. La dernière réserve de lamas se trouve
aujourd'hui dans la province de Jujuy, en particulier dans le défilé de Humahuaca,
et dans l'ancien territoire de Los Andes. Selon le recensement de 1942-43, le nombre
des lamas dans la province de Jujuy atteignait cette année-là 32.735.
230
LE TBAVATLLEUB. ABORIGENE DANS L'ÉCONOMIE
très importante, alors que les Ona et les Yahgan pratiquent
surtout la chasse au phoque et la pêche des coquillages.
BOLIVIE
Principales activités
Il n'existe pas de renseignements statistiques sur la répartition de la population par professions. A l'exception de la
main-d'œuvre des mines, on ne dispose que de renseignements
descriptifs généraux sur les principales activités économiques
de l'Indien, selon les régions et les altitudes. On peut affirmer
que la grande majorité de la population aborigène vit de l'agriculture et de l'élevage et des industries connexes, complétés par
l'artisanat domestique et le commerce. Dans certaines régions,
particulièrement dans la région d'Oruro et de Potosí, le travail
salarié dans les entreprises minières joue un rôle important.
Sur les rives du lac Titicaca et des rivières Desaguadero et
Mauri, la pêche et la construction des radeaux de roseaux
(totora) utilisés à cette fin sont assez développées. Le nombre
des Indiens qui pratiquent le travail agricole journalier est
relativement restreint.
Tout ce que produit le pays... vient du travail de l'aborigène, qu'il
s'agisse d'agriculture ou d'élevage. Il cultive l'or vert que représente
la coca dans les Yungas, abondante source de richesse publique et
privée. Il cultive le maïs et il mastique le muko pour la fabrication
de la chicha, autre source importante de revenus pour l'Etat. Il
constitue l'unique moyen de transport dont dispose la production
de l'industrie, de l'élevage et des mines. Il est la bête de somme dans
un pays qui ne possède que 2.240 kilomètres de chemins de fer et
1.983 kilomètres de routes. C'est lui qui a creusé les tunnels et ouvert
les galeries de mines. C'est lui qui, avec 1des procédés primitifs, exploite
la totalité des ressources minérales... .
Agriculture et élevage.
En gros, la population aborigène agricole comprend les
membres des communautés traditionnelles et les colons des
grandes propriétés foncières 2.
Les différences de climat d'une région du pays à l'autre
contribuent à créer divers types d'agriculture. On peut distinguer principalement l'agriculture des régions élevées et froides
des Indiens aymarás, celle des régions tempérées intermédiaires
1
Rafael A. RBYEEOS : El pongueaje. La servidumbre personal de los indios
bolivianos (La Paz, Empresa Editora Universo, 1949), p . 33.
2
Au sujet des communautés indigènes, voir chap. I X . Au sujet de la réforme
agraire de 1953, voir chap. X I .
MÉTIEBS ET OCCUPATIONS
231
des Indiens quichuas et celle des Yungas ou régions semitropicales. A son tour, cette division coïncide dans ses grandes
lignes avec la répartition de la population indigène selon les
altitudes, qui a été exposée au chapitre I I . L'agriculture de
la région du haut plateau et de certaines pentes montagneuses
est centrée principalement sur la culture de céréales locales
très résistantes au froid, comme le quinoa et la cañahua1;
dans les régions où le climat est plus doux, on cultive l'orge,
les fèves et l'oca. Dans les parties les plus élevées de cette région,
l'élevage (lamas et ovins) est davantage pratiqué. A mesure
que les conditions climatiques sont plus favorables, on voit
s'affirmer la prédominance de l'agriculture sur l'élevage.
Conformément à l'observation qui vient d'être faite sur la
répartition géographique de la population, on peut donc dire
d'une manière générale que les peuplades aymara pratiquent
proportionnellement plus l'élevage que la population quichua,
qui jouit d'un climat plus tempéré et relativement sec. Les
activités agricoles de cette dernière peuplade sont centrées
presque exclusivement sur la culture du maïs, au détriment
des autres céréales, encore que ces autres céréales et les tubercules soient également représentés dans l'économie locale.
Dans certaines vallées la culture de la vigne revêt une certaine
importance.
Sous le climat semi-tropical des Yungas, la principale
ressource agricole est la culture de la coca ; au nombre des
activités secondaires figurent la culture d'arbres fruitiers
(bananes, oranges, mandarines, chérimoles et autres fruits
régionaux) et certaines cultures de subsistance (manioc et maïs).
Industries dérivées de Vagriculture.
Au nombre des transformations de matières premières
d'origine agricole figure notamment (pour la zone élevée,
c'est-à-dire pour la région habitée par les Aymarás) la fabrication de la fécule, de la tunta et de la caya, obtenues par
déshydratation de tubercules au moyen de la congélation et du
pressage ; le but principal de ce procédé consiste à permettre
l'accumulation pendant un temps indéfini des excédents de la
récolte. Dans la région des vallées tempérées, la culture intensive du maïs a donné naissance à l'industrie de la chicha
(boisson fermentée alcoolisée, d'origine inca) et de son produit intermédiaire, le muko (farine de maïs mêlée de salive
1
Variété d'orge.
9*
232
LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE
selon un procédé spécial). Dans la région basse ou tropicale,
à l'exception de la distillation de l'alcool de canne à sucre,
qui n'est pas précisément entre les mains de la population
indigène, on trouve la fabrication de produits d'origine agricole, qui ne se distingue pas nettement des travaux ordinaires
de préparation de certains produits pour leur vente (séchage
de la coca et du café).
Industries dérivées de Vélevage.
Les activités de transformation des produits d'origine
animale consistent principalement dans l'utilisation de la
laine 1 de mouton, de lama, d'alpaca, de vigogne et de guanaco
pour la confection de vêtements (tissus de bure, chapeaux,
etc.), d'instruments de travail (cordes et sacs) et d'ustensiles
domestiques. Le filage et le tissage sont pratiqués dans presque
tout le haut plateau ainsi que dans la région de Cochabamba
(vallées de Quillacollo, Cliza et Punata). Selon une évaluation
de 1950, fournie par le Département des questions indigènes du
ministère de l'Education, environ 70 pour cent des familles
indigènes filent la laine de mouton et 25 pour cent tissent la
laine filée. La première de ces activités est pratiquée généralement par les femmes, qui, dans leurs heures de loisir, tandis
qu'elles gardent les troupeaux ou simplement au cours de leurs
déplacements, filent au moyen de petits fuseaux de fabrication
locale 2 . Dans les trois régions ci-dessus mentionnées, on
fabrique des lacets, des rênes et des filets de cuir, des sacs, etc.,
qui servent au harnachement et au chargement des bêtes de
somme. Le tannage des peaux est pratiqué surtout par des
artisans métis de La Paz et de Potosí, et à la campagne,
dans les départements de Potosí (partie sud), de Tarija et de
Sucre.
Dans la région haute où l'élevage est pratiqué, les industries
principales sont l'utilisation du lait de brebis pour la fromagerie, et la salaison de la viande pour fabriquer le charque ou
la chalona.
Artisanat.
Poterie, vannerie, corderie, etc. — Dans plusieurs régions du
haut plateau et dans les vallées, les indigènes utilisent diverses
1
Le coton est employé moins fréquemment du fait qu'il ne pousse pas sur le
haut plateau.
2
Renseignements transmis au B.I.T. par le D r Elizardo Pérez, membre du
Comité d'experts pour le travail des aborigènes, août 1950.
MÉTIERS ET OCCUPATIONS
233
matières premières minérales et végétales pour la fabrication
d'articles de poterie (ustensiles de cuisine, poupées, figurines
d'animaux ou statuettes religieuses), de paniers et de nattes
de paille ou de palme, et pour la construction de radeaux (avec
des joncs de la forêt appelés totora). Le centre le plus important
de la vannerie indigène est la péninsule de Copacabana sur
le lac Titicaca ; la matière première la plus importante est
une sorte d'alfa ou Mcu, avec lequel on fabrique également des
longes et des cordes. La fabrication des radeaux de totora est
une activité typique et importante des Indiens aymarás, sur
la partie méridionale du lac Titicaca, et des Indiens Uru, dans
la région du Desaguadero. La voile des radeaux est tissée,
mais les radeaux eux-mêmes sont fabriqués en réunissant un
grand nombre de faisceaux de joncs 1 ; certains peuvent transporter jusqu'à douze passagers avec leurs bagages.
Métallurgie. — La métallurgie indigène revêt encore une
certaine importance dans quelques localités comme Jesús de
Machaca et Corocoro (objets de cuivre), Umala et Sicasica
(objets d'argent). L'orfèvrerie est développée dans la capitale
du pays et dans d'autres villes importantes du haut plateau.
Cependant, comme dans d'autres pays d'Amérique latine,
cette industrie n'est pas pratiquée à proprement parler par
l'élément indigène, mais par l'élément cholo ou métis, qui
fabrique une variété d'articles de filigrane avec des motifs
représentant des animaux.
Fabrication d'instruments de musique. — Dans plusieurs
parties du haut plateau, on fabrique notamment des instruments de musique autochtones comme le siTçu (ou flûte de
Pan), le pipeau, la pusipia, le pinlcïlu (sortes de flûte), la
tarka (sorte de clarinette fabriquée avec un bois spécial), le
pututu (trompette fabriquée avec une corne de bœuf), la haha
et la wankara (sortes de tambours), etc.
Importance des industries à domicile. — Les industries à
domicile qui viennent d'être énumérées présentent pour la
plupart le caractère d'activités familiales saisonnières de subsistance ; certaines d'entre elles, toutefois, du fait de leur
rendement particulier, tendent à prendre dans certaines régions
un caractère professionnel et finissent par constituer l'activité
économique principale de la famille indigène. Tel est surtout
1
Pour la description dea cet intéressant procédé de fabrication, voir Weston
L A B A R R E , op. cit., pp. 105-106.
234
LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE
le cas de la fabrication et de la vente au détail de la chicha.
A un degré moindre, on retrouve ce caractère dans la poterie,
la vannerie, la manufacture de radeaux de totora, la fabrication
du savon et des bougies, et le tissage de couvertures et de tapis
décoratifs.
Industrie
minière
Le développement considérable de l'industrie minière
bolivienne a donné naissance à la formation d'une maind'œuvre salariée qui comprend environ 45.000 ouvriers d'origine indigène groupés principalement dans les départements,
miniers par excellence, de Potosí et d'Oruro. Les districts de
Catavi, Llallagua, Pulacayo et Tupiza, ainsi que les villes de
Potosí et d'Oruro, absorbent la plus grande partie de cette
main-d'œuvre ; le reste est employé à La Paz et, à un degré
moindre, à Cochabamba et à Sucre. On estime qu'un tiers
environ des ouvriers mineurs sont saisonniers. Ce contingent,
qui provient en bonne partie des districts ruraux voisins des
centres miniers, appartient donc alternativement à deux
domaines économiques et juridiques différents.
En effet, le passage de l'Indien au régime du salariat dans
la mine, joint d'une part au fait qu'il se trouve dans le cadre
de la législation nationale du travail et d'autre part à l'existence d'une organisation syndicale puissante et active, contribue à le distinguer de l'Indien demeuré sous le régime semiféodal qui prédomine dans l'agriculture x. A cet égard, le travail
dans la mine constitue un élément décisif de « métissage
culturel ». D'autre part, dans l'ordre économique, à mesure
qu'elle s'éloigne de l'ancien système du travail colonial sous
l'influence des nécessités propres à la production industrielle
moderne, la condition du mineur indigène dépasse largement
le cadre de ce qu'on a appelé le «problème indigène», pour
prendre l'aspect d'un problème ordinaire de relations professionnelles 2.
Le tableau suivant, qui porte sur l'année 1949, indique
l'importance de ce secteur de l'économie qui, de 1938 à 1948,
a fourni 94,94 pour cent de l'ensemble des exportations du
pays.
1
Toutefois, la nationalisation des mines d'étain et la réforme agraire semblent
marquer le début d'une transformation sociale dans les deux branches de l'économie.
2
Ces considérations semblent s'appliquer également aux mineurs indigènes
du Pérou et du Mexique.
235
MÉTIERS EX OCCUPATIONS
TABLEAU
XXIV.
—
BOLIVIE : EXPORTATIONS
DE
MINÉRAUX,
1949
Quantité
de métal fin
Minéraux
Valeur nette 1 PourcenValeur brute approximative
tage de la
valeur nette
Dollars des Etats-Unis
Kilogrammes
Plomb
Divers (zinc, tungstène,
cuivre, or, bismuth et
34.646.116
31.351.769
206.391
10.275.159
72.791.874
8.524.420
4.652.864
4.184.703
63.656.494
6.077.911
4.559.807
2.992.063
76,2
7,3
5,6
3,7
28.761.162
8.745.117
6.174.402
7,2
98.998.9792
83.460.677
100,0
Total . . .
Source : UNITED NATIONS, Technical Assistance Administration : Report of the Uniled
Nations Mission of Technical Assistance to Bolivia (New-York, 1951), p. 45.
1
La valeur nette représente la valeur brute moins le coût de l'extraction. — 2 Le total
donne 98.898.978.
Le tableau ci-après indique, en tonnes, la part prise par la
Bolivie dans la production mondiale d'étain pour les périodes
1935-1939 et 1940-1941 (moyennes annuelles) et pendant les
années 1946 à 1949.
TABLEAU XXV. —
B O L I V I E : I M P O R T A N C E B E LA
D ' É T A I N P A R R A P P O R T A LA P R O D U C T I O N
PRODUCTION
MONDIALE
(Tonnes)
Périodes
1935-1939 ! . . .
1940-1941 ! . . .
1946
1947
1948
1949
Production
mondiale
totale
Fédération
de Malaisie
et Indonésie
170.300
236.350
87.000
114.000
153.500
162.400
84.470
129.230
14.850
42.940
73.370
83.875
Bolivie
25.770
40.000
37.620
33.260
37.310
34.646
Pourcentage
de la production
bolivienne dans
la production
mondiale
15,1
16,9
43,0
29,0
24,0
21,0
Source : Chiffres extraits du Beport of the United Nations Mission of Technical Assistance to
Bolivia,
op. cit., annexe II, p. 120.
1
Moyennes annuelles.
Economie sylvicole
La population aborigène sylvicole vit essentiellement
de chasse et de pêche, pratiquant parfois une forme élémentaire
d'agriculture (culture du manioc) qui utilise comme instruments des pieux aiguisés et durcis au feu. Hormis la fabrication
d'objets et d'ustensiles indispensables à la vie dans la forêt
236
LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE
(arcs et flèches, filets, cordes de lianes, etc.), on ne peut
distinguer chez ces peuplades aucune activité industrielle
importante, sauf chez certaines tribus (Guarayo, Leco) qui se
trouvaient dans le champ d'action de missions religieuses et qui
ont réussi à développer certains travaux à des fins commerciales tels que la fabrication de hamacs en fibres végétales ou
de chapeaux de feuilles de palmier.
Quelques groupes ont également été incorporés au régime
économique non indigène de la région. C'est ainsi, par exemple,
que la majorité des membres de la tribu des Sirionô (départements du Beni et de Santa Cruz) «ont été assimilés et vivent
à l'heure actuelle dans des conditions voisines de celles du travail forcé dans les grandes propriétés qui pratiquent l'élevage,
les fermes et les missions situées près de Trinidad, Magdalena,
Baures, El Carmen, Guarayos et Santa Cruz 1 ». Suivant un
auteur bolivien, « dans les grandes propriétés de Santa Cruz on
compte, parmi les ouvriers manuels, des Sirionô connus sous
le nom générique de Cambas, donné à tous les Indiens sauvages
capturés au cours des battues qui sont effectuées dans la
forêt ou élevés en captivité depuis leur tendre enfance 2 ».
BRÉSIL
Les diverses occupations auxquelles se consacrent les
peuplades aborigènes du Brésil dépendent essentiellement de
leur degré d'assimilation à la culture et à l'économie générale
du pays. Aussi reprendrons-nous ici la distinction, déjà établie
au chapitre I I , entre trois groupes : 1) les tribus qui refusent
tout contact avec la civilisation ou qui n'entretiennent avec
elle que des relations occasionnelles ou fortuites ; 2) les tribus
contrôlées par le Service pour la protection des Indiens ;
3) les populations aborigènes marginales.
Populations inaccessibles
Dans leur presque totalité, les peuplades aborigènes de ce
groupe sont sylvicoles et leurs occupations sont du type
classique des activités généralement pratiquées par les groupes
primitifs, c'est-à-dire la chasse, la pêche, ainsi qu'une agricul1
Allan R. HOLMBERG : Nomads of the Long Bow: The Siriano of Eastern Bolivia,
Smithsonian Institution, Institute of Social Anthropology, Publication No. 10,
(Washington, 1950), p. 6.
2
Max A. B A I E Ó N : «La educación indígena en las selvas de Bolivia», América
Indigena, vol. X I I , n° 2, avril 1952, p . 144.
MÉTIERS ET OCCUPATIONS
237
ture extrêmement rudimentaire. En ce qui concerne les activités
artisanales, elles sont limitées à la fabrication de poterie,
d'armes, d'ustensiles divers, de canots, d'articles tressés, etc.,
ainsi qu'à la fabrication de quelques meubles primitifs, le
tout destiné à répondre aux besoins de la consommation
courante et personnelle. On ne saurait parler de commerce
proprement dit entre les diverses tribus sylvicoles ou entre les
tribus sylvicoles et les populations civilisées ; en réalité, il
s'agit d'un système de troc qui peut parfois présenter une
certaine importance, mais qui est de toute manière très limité.
Chasse.
La chasse, qui constitue l'une des occupations les plus
importantes des aborigènes sylvicoles, est en même temps
l'un de leurs moyens essentiels de subsistance. Les principales
armes employées pour la chasse sont l'arc et les flèches, et
pour certaines tribus, la lance, la sarbacane, les propulseurs et
les boules. Les Tupi du littoral ne connaissent pas les propulseurs et si, de leur côté, les Omagua, les Cocama et les Tete
s'en servent, on estime généralement que c'est parce que
d'autres peuplades voisines leur en ont révélé l'usage. Il en est
d'ailleurs de même des Camayura et des Aueto, qui ont probablement appris à utiliser le propulseur des Indiens Suya,
Trumai et Caraja, chez lesquels il est d'usage courant. C'est
ainsi encore que l'on explique que les Omagua, les Cocama et
les Maué soient les seules tribus Tupi à utiliser la sarbacane.
E n revanche, la totalité des tribus qui constituent le groupe
Tupi-Guarani semblent avoir en commun l'emploi de lacets
pour capturer les oiseaux. Quelques autres tribus, comme les
Nambiquara, utilisent également les filets et les pièges.
Pêche.
Outre la chasse, la pêche constitue l'une des occupations
essentielles des aborigènes sylvicoles. Chez certaines tribus
(par exemple chez les Caraja), la pêche constitue une occupation primordiale et les instruments utilisés sont plus perfectionnés que chez les autres tribus : ils comprennent non seulement l'arc et les flèches, mais encore l'hameçon, qu'ignorent
les Tupi, les Guarani, les Carbi et les Borôro. Toutes les peuplades mentionnées connaissent en revanche l'utilisation des
filets et des lacets tressés. Les Caraja construisent en outre
des barrages sur les rivières pour rassembler les poissons qu'ils
capturent ensuite avec de grands filets (procédé également
238
LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE
utilisé par les Borôro), ou encore ils empoisonnent l'eau avec le
suc de certaines lianes et ramassent alors les poissons qui
viennent flotter morts à la surface.
Utilisation des 'produits naturels.
La troisième source principale de subsistance des Indiens
sylvicoles est la récolte des fruits et d'autres produits naturels, expression qui ne désigne d'ailleurs pas seulement les
fruits et les racines sauvages, mais encore le miel, les larves,
les fourmis, divers insectes, les œufs de tortue et d'oiseaux.
En fait, l'Indien sylvicole se nourrit de tout ce que peuvent
lui fournir la forêt, la savane, les lacs et les rivières. Il connaît
parfaitement toutes les variétés comestibles de racines, de
fruits et de tubercules et celles qui sont vénéneuses, ainsi que
leurs antidotes (comme dans le cas du manioc amer).
Agriculture.
L'agriculture représente une activité très limitée chez les
aborigènes sylvicoles, même chez les tribus Arwak, qui sont
considérées comme les peuplades agricoles par excellence à
l'est des Andes. En fait, les quelques cultures que les Arwak
pratiquent sont limitées au manioc, au maïs (dont ils connaissent un grand nombre de variétés), aux fèves, au tabac,
aux patates douces, au coton et à quelques espèces de cucurbitacées. E n général, les champs sont petits, semés sans la
moindre méthode et ils présentent un aspect de grande confusion. Néanmoins, il semble que les peuplades aborigènes qui
habitaient sur la côte au x v i m e siècle aient pratiqué un type
d'agriculture plus vaste et plus variée que leurs descendants
actuels de la forêt. A mesure qu'ils ont été refoulés vers l'intérieur du pays, ils ont perdu certaines des connaissances
qu'ils possédaient en matière d'agriculture.
Il y a lieu de signaler les méthodes employées pour le travail
de la terre qui sont pratiquées dans plusieurs endroits du pays
et non seulement par les Indiens, mais encore par les métis
et les Blancs. Il s'agit du système connu au Brésil sous le nom
de coivara ou culture sur brûlis 1. Une fois qu'ils ont choisi
l'emplacement du terrain qu'ils vont cultiver, les Indiens
abattent les arbres à la hache (de pierre, dans le cas de l'Indien
qui repousse tout contact avec les populations civilisées, d'acier
dans le cas des autres), puis ils y mettent le feu immédiate1
Le nom d'écobuage désigne également ce procédé d'agriculture nomade.
MÉTIERS ET OCCUPATIONS
239
ment- Les cendres servent d'engrais et l'on dépose les semences
dans les trous que l'on fait à l'aide d'un épieu de bois durci.
Comme on n'arrache pas les racines des arbres détruits et
qu'on ne déblaie pas les troncs qui n'ont pas été consumés par
le feu, les champs de l'aborigène présentent un aspect chaotique. Le sol s'épuise rapidement (en général, d'ailleurs, c'est
l'humus végétal plus que la terre elle-même qui est utilisé)
et la tribu abandonne les clairières pour aller chercher d'autres
emplacements. Les tribus qui entretiennent des relations plus
ou moins constantes avec la population agricole du pays disposent parfois d'une variété plus grande de semences, que
leur fournissent les autres peuplades *.
Artisanat.
La production des artisans sylvicoles peut se résumer dans
les articles suivants : armes (arcs, flèches, casse-têtes, etc.),
filets de pêche, lassos, hamacs, textiles divers, articles de
vannerie, poteries, ustensiles ménagers et de travail (très
primitifs) ; certaines tribus fabriquent des meubles rudimentaires (bancs, chaises) et des canots creusés à la hache ou au
moyen du feu dans des troncs d'arbres. Pour ce qui est de la
poterie de terre, la fabrication en est très commune, la cuisson
médiocre. Néanmoins, toutes les tribus ne connaissent pas
cette industrie ; tel est le cas principalement chez certaines
tribus du groupe Gê, qui, pour conserver les liquides, utilisent
les gourdes de certains fruits tropicaux 2. Les tribus du groupe
Gê qui fabriquent des poteries, les Caigang par exemple, ont
appris cette industrie des tribus du groupe Tupi et il en est de
même en ce qui concerne les textiles.
Tribus placées sous la surveillance du Service de protection
des Indiens
Les Indiens qui se trouvent entièrement sous le contrôle
du Service de protection des Indiens se consacrent aux occupations les plus diverses, depuis l'agriculture jusqu'au petit
artisanat et au travail dans des ateliers de mécanique. Dans
le domaine de l'agriculture, et sous la direction de fonctionnaires
des « postes indigènes » du Service, ils ont appris des procédés
1
A. J . DU SAMPAIO: A alimentaçao sertaneja e do interior da Amazonia, Biblioteca
pedagógica brasileira, série 5, vol. 238 (Sào-Paulo, 1944).
2
Arthur RAMOS : Introducilo a anthropologia brasileira, op. cit., p . 151.
240
LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE
plus rationnels et — outre la culture, chez eux traditionnelle, du
manioc, du maïs, du coton, du tabac, des fèves et des patates
douces — le jardinage ainsi que la culture de la canne à sucre,
du riz, du blé, du cacao et de quelques arbres fruitiers ne leur
sont pas inconnus. Ils ont également appris la pratique de
l'élevage du bétail, qu'ils ignoraient complètement et dans
lequel ils se sont montrés particulièrement habiles. Ils s'adonnent en outre à quelques activités industrielles d'importance
moyenne, comme le tannage des peaux, la fabrication des
briques, l'industrie du bois et les réparations mécaniques.
Le tableau ci-après permet de juger de l'importance de la
production dans les « postes indigènes » pendant le premier
semestre de 1949 1.
TABLEAU XXVI. — BRÉSIL : NIVEAU DE LA PRODUCTION
DANS LES POSTES INDIGÈNES, JANVIER-JUIN 1 9 4 9
Production agricole
Fruits
Animaux et produits dérivés :
Lait
Œufs
Chasse
Production industrielle
Graisses végétales
Industries d'extraction
Poterie
Elevage :
Bovins
Equina
Porcins
Anes
Mulets
Ovins
Caprins
Volailles
17.194.146 kg
3.736.460 »
19.231
1.363
4.867
2.493.437
15.438
21.032
8.100
litres
douzaines
kg
»
»
»
»
11.757 têtes
1.539 »
1.135 »
81 »
234 »
442 »
260 »
5.273 »
Populations « marginales »
En ce qui concerne les aborigènes appartenant aux groupes
marginaux qui ont perdu les caractères culturels et tribaux
qui leur étaient traditionnels sans pouvoir toutefois s'assimiler
à la collectivité rurale ambiante, ils trouvent à s'employer
dans diverses activités (plantations, travaux agricoles saisonniers) et ils participent fréquemment à la collecte du
caoutchouc.
1
Actividades do S.P.I. (Rio-de-Janeiro, Ministerio da Agricultura, 1949).
MÉTIERS ET OCCUPATIONS
241
CHILI
Araueans
Environ 90 pour cent du secteur indigène le plus important
(les Araueans) se consacrent à l'agriculture et à l'élevage, soit
dans les réserves ou collectivités auxquelles ils appartiennent,
soit dans les domaines privés, où ils effectuent divers travaux
suivant la nature des exploitations ; environ 7 pour cent de
ces indigènes se consacrent, soit à titre d'occupation d'appoint,
soit exclusivement, à des travaux artisanaux comme la fabrication de textiles, d'articles en cuivre, en argent, en bois,
d'instruments agricoles, etc. ; environ 2 pour cent se livrent
au commerce des produits de l'agriculture, de l'élevage et de
l'artisanat, soit à l'intérieur, soit à l'extérieur des réserves x.
Exode des populations aborigènes.
La Direction générale des terres et de la colonisation a fait
observer qu'il existe un puissant mouvement d'émigration
des jeunes Araueans, qui quittent les réserves pour se rendre
vers les centres urbains. C'est ainsi qu'il y aurait dans la capitale
de la République environ 10.000 Mapuches (mapu : terre ;
che : homme) qui travaillent surtout dans le bâtiment, dans
les transports et dans la boulangerie ou se sont engagés
dans le corps des carabiniers 2.
L'activité économique dans les «réductions».
Environ 50 pour cent de la population araucane (soit
80.000 individus) se consacrent à la petite agriculture et à
•l'élevage sur les territoires des « réductions » (dont la superficie
est approximativement de 500.000 hectares), situées entre la
province de Bio Bio et celle de Llanquihué. L'Araucan cultive
principalement le blé, le maïs, la pomme de terre. L'élevage
constitue une importante activité économique d'appoint,
encore qu'il ait subi une régression notable au cours du siècle
actuel par suite du manque de terres de pâturage. En général,
l'élevage des ovins revêt une importance particulière tant par
la consommation de la viande que pour l'utilisation de la laine
dans le tissage domestique. Dans certaines régions, les bovins,
soit destinés à la boucherie, soit utuisés comme bêtes de somme
ou de trait, font aussi l'objet d'un élevage important. La
1
2
Données communiquées au B.I.T. en juillet 1950.
Communication au B.I.T., juillet 1950.
242
LE TRAVAILLETTE. ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE
production de l'agriculture et de l'élevage est destinée en premier lieu à répondre aux besoins alimentaires de la famille ;
l'Araucan vend l'excédent de sa production dans les villages
voisins des réserves.
Artisanat.
L'Araucan pratique le tissage (châles, ceintures, capes, sacs,
etc.), la vannerie, l'orfèvrerie, le travail du cuivre, la poterie
et la bourrellerie, dont les produits parviennent jusqu'aux
centres touristiques régionaux et aux marchés de la capitale.
Pour teindre ses textiles, l'Indien utilise une grande variété
de plantes sauvages dont les racines, les tiges ou les fleurs
produisent diverses matières colorantes.
Autres tribus
On a pu réunir également quelques renseignements fragmentaires sur les occupations principales des Chango et des
Atacameño au Nord et des Fuégiens au Sud. Les Chango, qui
vivent entre les fleuves Lao et Huasco et le long de la côte
entre Tocopilla et Taltal, se consacrent surtout à la pêche
et à l'élevage des chèvres, complétés par une agriculture de
subsistance ou par le travail journalier dans les mines de cuivre
ou de nitrate de la région. Les Atacameño sont agriculteurs
et pasteurs (Arica et Taracapá), ouvriers mineurs (Antofogasta
et nord d'Atacama) ou pasteurs nomades (landes d'Atacama).
Parmi les Indiens Fuégiens, les Ona et les Yámana se consacrent à l'élevage (produits laitiers, laine, etc.) dans les grandes
propriétés de la région ; pendant leurs loisirs, les Yámana se
livrent à la pêche et à la chasse d'animaux présentant une
valeur commerciale, comme le phoque et la loutre, dont ils
vendent ou troquent les peaux à Punta Arenas ou Usuhuaia 1 ;
chez les Alacaluf, on peut distinguer le groupe des environs
de Puerto Eden, qui se consacre exclusivement à la pêche, et le
groupe qui habite aux environs de Punta Arenas, qui vit soit
de la pêche, soit du travail dans les grands domaines d'élevage.
Les Indiens du Nord fabriquent des articles textiles, des poteries et de la vannerie. Les Fuégiens (et particulièrement
les Alacaluf) fabriquent des paniers et de petits bateaux
d'écorce.
1
Greta MOSTNY : «Transculturación de las tribus fueguinas», América
vol. X, n° 3, juill. 1950.
Indigena,
MÉTTEES ET OCCUPATIONS
243
COLOMBIE
On peut distinguer, dans la population indigène de la
Colombie, quatre catégories, d'après les activités professionnelles : 1) les Indiens sylvicoles, nomades ou semi-nomades,
de la région de l'Orénoque, des sierras de Perijá et de Bobali,
des forêts du haut Catatumbo, etc., qui vivent de chasse, de
pêche et de la cueillette de fruits sauvages, complétées souvent
par une agriculture nomade très primitive et un artisanat extrêmement rudimentaire; 2) les Indiens de la péninsule de la Guajira, dont les activités généralement pastorales sont complétées,
dans quelques régions, par la pêche des perles et le travail
journalier dans les exploitations agricoles et minières, etc. ;
3) les Indiens sédentaires des réserves, dans le massif central
andin, qui vivent d'agriculture et d'élevage pratiqués en
commun, conformément à la tradition ; 4) les Indiens du
plateau qui, ayant perdu leurs terres de réserve, se sont incorporés aux grandes propriétés des Blancs et des métis comme
ouvriers journaliers, métayers ou locataires.
Indiens sylvicoles
GuaMbo et Motilón.
Parmi les tribus sylvicoles les plus importantes, il y a lieu
de mentionner les Guahibo et les Motilón. Les Guahibo se
distinguent par une de leurs méthodes de chasse, qui consiste
à incendier de grandes superficies de terrain afin de pouvoir
ensuite recueillir les animaux à demi-carbonisés. L'écobuage
(ou défrichement au moyen du feu) se pratique également
pour la culture du manioc, du maïs, de la banane, de l'igname,
etc. La division du travail, qui y est strictement respectée,
s'effectue selon les sexes : la femme prépare le terrain et soigne
les cultures ; en outre, elle fabrique les articles de poterie.
L'homme fait les semailles et la récolte; il confectionne également des articles de fibre et de bois ; la corderie et la sparterie,
à base de fibres de palme moriche, sont des activités essentiellement masculines x. Les Motilón sont avant tout nomades,
s'arrêtant de temps en temps dans une région déboisée pour
cultiver entre les troncs abattus un peu de manioc doux, de
maïs, de banane ou de tabac. L'artisanat, qui est chez eux une
occupation essentiellement réservée aux femmes, comprend
1
Gerardo REICHEL-DOLMATOÏT : « La cultura material de los indios guahibo »,
Revista del Instituto Etnològico Nacional (Bogota), vol. I, n° 2, p p . 450-472.
244
LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE
la corderie (avec les fibres de la feuille d'agave sauvage), la
céramique (marmites grossières et ru alimentaires) et le filage
du coton sauvage travaillé avec un fuseau de bois de type
Bakari avec un grand rouet de bois ; la sparterie est une
occupation réservée aux hommes 1.
Selon plusieurs auteurs, l'expansion de la colonisation
blanche autour du département de Santander et le développement de l'industrie pétrolière dans la région de Catatumbo
ont progressivement refoulé les Motilón, qui ont été obligés
d'abandonner leurs terrains de chasse et de pêche 2.
Indiens de la Guajira
Les Guajiro occupent une région qui, à cause de son aspect
désertique et de sa température élevée, a été appelée 1'« Arabie
américaine ». A l'origine, cette peuplade vivait de cueillette,
de chasse et d'agriculture, mais, par suite d'une série de circonstances, elle est devenue peu à peu un peuple surtout pastoral. Certains groupes se livrent encore à une agriculture de
subsistance 3 et à la chasse ; d'autres s'adonnent à l'artisanat
domestique (tissage, poterie, travail du bois, de la corne, de
l'écorce de noix de coco, du corail, bourrellerie, etc.) ; d'autres
vivent de la pêche des perles ou de la cueillette de fruits sauvages ; d'autres encore travaillent comme journaliers dans les
ports ou dans les marais salants de la région, comme ouvriers
agricoles dans les régions voisines (dans le département de
Magdalena et au Venezuela) ou comme ouvriers des transports
routiers. La pêche des perles est très active dans les régions
où les huîtres sont abondantes, comme les ports de Cardón,
Ahuyama et Carrizal. Le Guajiro pêche pour son compte ou
travaille au service du Blanc ou du métis. Il est employé en
effectifs importants au chargement des navires dans les ports
d'Estrella et de Riohacha.
1
Pour plus de détails, voir Gerardo REICHEL-DOLMATOFF : « Los indios motilones : etnografía y lingüística », Revista del Instituto Etnológico Nacional, op. cit.,
vol. II, no 1, 1945, pp. 15-115.
2
Voir, par exemple, les études de Roberto PINEDA GIRALDO : « Colonización e
inmigración y el problema indígena», et de G. REICHEL-DOLMATOFF: «Informe
sobre las investigaciones preliminares de la Comisión etnológica al Catatumbo »,
Boletín de Arqueología (publication de l'Institut d'ethnologie et d'archéologie, du
ministère de l'Education, Bogota), tome II, n° 4, oct.-déc. 1946, pp. 373-378 et
381-392.
3
Le seul district relativement fertile de la péninsule se trouve dans la région de
Punta Espada, où les Guajiro cultivent un peu de manioc, des bananes, quelques
légumes, la canne à sucre, la coca et le tabac. Voir John M. ARMSTRONG et Alfred
MÉTRATJX : « The Goajiro », Handbook of South American Indians, op. cit.,
vol. 4 : The Circum-Caribbean Tribes (Washington, 1948), pp. 369-383.
MÉTIERS ET OCCUPATIONS
245
Par suite de la pénurie d'eau et de pâturages (l'été dure
de janvier à septembre), l'élevage présente, chez les Guajiro, un
caractère transhumant et saisonnier. A l'heure actuelle, il se
trouve dans une situation très précaire due aux effets désastreux des sécheresses qui ont éprouvé la région au cours des
dernières années 1 . Le cheptel de la péninsule qui, en 1943,
atteignait environ un million de têtes comptait en 1946 à
peine 30.000 têtes et était composé surtout de caprins, animaux
qui s'adaptent le mieux à la sécheresse 2. Au cours des dix
dernières années, un pourcentage élevé de la population aborigène s'est vu obligé d'émigrer vers d'autres régions du pays
et principalement vers la région voisine du Zulia, au Venezuela,
où il a réussi à s'assimiler partiellement à la main-d'œuvre
agricole et pétrolière 3. On estime qu'entre 1943 et 1946, environ
25.000 des 54.000 Indiens qui habitaient la Guajira colombienne ont dû abandonner la péninsule 4.
Il existe sur la côte septentrionale du pays Guajiro trois
marais salants (Pájaro, Manaure et Bahía Honda) qui sont
exploités sous le contrôle direct de la Banque d'Etat. La
main-d'œuvre qui y est employée est presque entièrement
aborigène. Les travaux d'exploitation durent de trois à quatre
mois chaque année. Le travail de l'ouvrier aborigène consiste
à extraire, à sécher, à purifier, à emballer, à peser et à charger le
sel 5 . L'ouvrier n'est pas rémunéré à la journée, mais à la tâche,
par quantités de 75 kg qui sont ensachées et transportées par
les femmes ; il travaille également à la journée comme maçon,
vendeur, ouvrier de briqueterie, aux fours à chaux ou à
1
Dans un rapport sur les résultats d'une expédition scientifique organisée en
1947 par l'Institut national d'ethnologie, on lit ce qui suit : « Le pays Guajiro...
présente un spectacle désolant à cause de la sécheresse des trois ou quatre dernières
années, qui empêche absolument la culture des produits agricoles et rend extrêmement dimoile non seulement l'élevage, mais même la simple conservation du cheptel
des indigènes, dont les effectifs sont tombés à des chiffres minimes. » Voir Roberto
PINEDA GIRALDO : « Informe preliminar sobre aspectos sociales y económicos de
la Guajira. Expedición 1947 », Boletín de Arqueología (Bogota), vol. II, n08 5-6,
janv.-déc. 1947, p. 570. Voir également Milciades CHAVBS : « Emigración
guajira», Boletín de la Sociedad Geográfica de Colombia (Bogota), vol. IX, n° 1,
1951, p. 18.
2
Roberto PINEDA GIRALDO : « Informe preliminar... », op. cit., p. 543.
Le gouvernement du Venezuela a construit dans la ville pétrolière de Maracaibo
un quartier ouvrier (Siruma) réservé exclusivement aux immigrants Guajiro et qui
est muni d'eau courante, d'écoles, de terrains de sport, de services médicaux, etc.
3
(Milciades CHAVES, op. cit., p. 27.)
4
Roberto PINEDA GIRALDO : <c Colonización e inmigración y el problema
indígena », Boletín de Arqueología, op. cit., p. 378.
6
IDEM : « Informe preliminar... », op. cit. Voir également Antonio GARCÍA :
« Regímenes indígenas de salariado », America Indígena, vol. VIII, n° 4, oct. 1948,
p. 280.
246
LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE
charbon, dans le charriage des matériaux, le forage des puits ou
encore comme garçon de courses ou domestique 1.
Le Guajiro entretient des relations commerciales d'une
certaine importance avec les villes de Bio Hacha, Santa Marta,
Barranquüla (Colombie), Maracaibo (Venezuela), avec Curaçao
et Aruba, et avec les navires en provenance des Antilles. Il
vend des cuirs, des perles, du dividivi, des textiles, des poteries,
etc., et achète notamment des toiles, du rhum, du tabac, des
armes.
Indiens des communautés
Quant aux Indiens des communautés (qui constituent
approximativement 50 pour cent de la population aborigène
du pays), leur activité économique la plus importante est
l'agriculture extensive. Au nombre de leurs occupations secondaires figurent principalement l'élevage et l'artisanat domestique et, dans certaines régions, la construction. On possède
quelques renseignements sur les cultures principales pratiquées
dans les comunidades de la région Páez, dans le département
du Cauca, et dans celles du département de Nariño. Dans la
première de ces régions, on cultive surtout le maïs dans les zones
tempérées, et la pomme de terre dans les zones les plus froides
(tierra adentro) ; puis viennent par ordre d'importance les
cultures du manioc, du potiron, de Vullueo, des fèves et de
ï'arracada et d'une grande variété d'arbres et de plantes à
fruits : bananier, goyave, avocatier, papayer et ananas.
Au cours des dernières années, la culture du blé, du caféier,
de la canne à sucre a pris un certain développement 2 . Dans la
deuxième région mentionnée, on cultive surtout la pomme de
terre, l'orge, le maïs et à un moindre degré le blé, ainsi que les
légumes et les fleurs pour la vente 3. E n général, et à l'exception
de la région des Páez et des Guambiano, lesquels entretiennent
des relations commerciales agricoles importantes avec les
marchés centraux du Cauca, les communautés « mènent une vie
recluse et insulaire » au sein de l'économie nationale 4. Certaines
1
Voir Virginia GUTIÉRREZ DE PINEDA: «Organización social en la Guajira»,
Revista del Instituto Etnológico Nacional (Bogota), vol. I l l , 1950, chap. XVI, p. 232.
2
Gregorio HERNÁNDEZ DE ALBA : a The Highland Tribes of Southern Colombia »,
Handbook of South American Indians, vol. II : The Andean Civilizations
(Washington, 1946), pp. 914-960.
3
Sergio Elias ORTIZ : « The Modern Quillacinga, Pasto and Coaiquer », Handbook
of South American Indians, pp. 961-968.
4
Antonio GARCÍA : « Regímenes indígenas de salariado », América Indigena,
loe. cit.
MÉTIERS ET OCCUPATIONS
247
tribus des réserves, comme celles des Chami à l'ouest du
département de Caldas, sont revenues au nomadisme et se
consacrent de préférence à la chasse et à la pêche.
Parmi les occupations supplémentaires de l'indigène des
réserves, il y a lieu de signaler particulièrement, dans la région
occupée par les Páez et les Guambiano, le tissage et la corderie,
cette dernière étant effectuée avec les fibres d'agave (filets,
bâts, etc.), tandis que, dans la région de ÏTarino, les travaux
de maçonnerie ont pris un certain développement dans les
villages et les villes. Ce phénomène met en évidence la capacité
extraordinaire d'adaptation dont fait preuve l'Indien, pour
s'incorporer à la vie économique nationale ; l'expérience montre
qu'il est en outre un ouvrier très adroit *.
On ne dispose pas de renseignements permettant d'établir
le nombre ou le pourcentage des Indiens qui, par suite de la
dissolution des communautés où ils vivaient, sont devenus
métayers (terrazgueros) ou jardiniers agricoles indépendants.
Ce nombre est important, comme permet de le supposer le fait
que la population indigène constitue l'une des sources principales de la main-d'œuvre employée conformément aux divers
systèmes de métayage ou de peonage pratiqués dans les grandes
propriétés de la région du haut plateau. Il n'a pas été possible
non plus de déterminer le nombre ou le pourcentage des Indiens
des réserves qui, par suite de l'exiguïté de leurs terres, se trouvent obligés de chercher des revenus supplémentaires en travaillant temporairement comme salariés dans les entreprises
agricoles ou minières du massif andin.
COSTA-RICA
Les principales occupations de l'aborigène costaricien
sont la chasse, la pêche et l'agriculture de subsistance. Cette
dernière est pratiquée surtout par le groupe indigène le plus
important, les Bribri, qui cultivent le bananier, le maïs, le
cacaoyer et les tubercules.
Certaines tribus consacrent une partie de leur temps à des
activités artisanales, selon des pratiques traditionnelles datant
de l'époque précolombienne. Les Indiens des forêts de Talamanca se distinguent par la fabrication de sacs de fibre qu'ils
tissent avec les doigts et qu'ils colorent ensuite avec des
teintures extraites de plantes et d'arbustes sauvages. Au
1
Sergio Elias ORTIZ, op. cit.
248
LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE
nombre des pratiques artisanales traditionnelles figure notamment la fabrication de tissus d'écorces d'arbres. Les Boruca
cultivent un coton brun et fabriquent encore des tissus à
double face, où le motif décoratif n'apparaît pas à l'envers.
(La seule autre région du continent américain où l'on pratique
cette méthode est la partie orientale de l'Equateur.) Le tissu
est teint avec un colorant pourpre extrait d'un coquillage
(murex pourpre) au moyen d'un procédé ingénieux et économique de dégorgement provoqué qui permet de ne pas tuer
le crustacé. Les Indiens de Nicoya fabriquent une sorte de
céramique artistique qu'ils décorent de dessins noirs tracés
sur la terre de couleur avec le jus du fruit du nacascolo.
EQUATEUR
Considérations générales
La grande majorité de la population indigène du pays,
concentrée dans la région de la Sierra, se consacre essentiellement à l'agriculture et à l'élevage et, à un degré moindre
(en général, à titre d'occupation d'appoint), à l'artisanat
domestique.
L'économie agricole de la Sierra est une économie de
subsistance, alors que sur le littoral prédomine l'agriculture
de type commercial. A la différence de ce qui se produit dans
d'autres pays d'Amérique latine (Pérou, Guatemala, etc.),
l'Indien du haut plateau de l'Equateur ne représente pas une
proportion importante de la main-d'œuvre agricole des plantations de la côte. Cet état de choses semble dû en partie à la
médiocrité des moyens de communications entre les deux
régions et aux difficultés que présente l'acclimatation. Selon
des renseignements transmis au B.I.T. par le gouvernement de
l'Equateur, il est également dû au fait que le travailleur
montuvio ou métis de la région du littoral n'accepte pas sans
difficultés la concurrence du journalier indigène de la Sierra 1.
Dans les provinces où la grande propriété domine, comme
c'est le cas par exemple dans les provinces de Pichincha et de
Chimborazo, une proportion élevée de la population indigène
est constituée de huasipungueros 2 ; en revanche, dans d'autres
1
Communication en date du 31 mars 1950.
Les huasipungueros Bont une catégorie particulière d'ouvriers agricoles, dont le
salaire est en partie constitué par l'usufruit de lopins de terre situés dans la propriété
où ils travaillent. A ce sujet, et pour les questions relatives à la possession de la
terre, voir le chapitre suivant.
2
MÉTIEES ET OCCUPATIONS
249
provinces, comme par exemple celles de Tungurahua et
d'Imbabura, où la grande propriété ne joue pas un rôle important, le nombre des Jiuasipungüeros est réduit et le pourcentage des petits agriculteurs aborigènes est considérable.
La rareté des terres arables, jointe à la prolifération de la
population paysanne, a entraîné un morcellement croissant
de la propriété foncière indigène. Dans certaines provinces,
cet état de choses a amené « une proportion appréciable de
propriétaires à offrir leurs services comme métayers, journaliers ou travailleurs agricoles intermittents, soit dans des
propriétés voisines, soit encore dans des entreprises de travaux
publics pour le compte des municipalités, de l'Etat ou de
particuliers 1 ».
Activités économiques de la population de la Sierra
On ne dispose pas de renseignements statistiques sur la
répartition par activités de la population rurale de la Sierra.
En 1942, on a pu observer qu'environ la moitié de cette population (soit 800.000 individus) avait « droit à l'usage de la
terre, soit à titre individuel, soit à titre collectif » et que la
plus grande partie du reste de la population était composée
de journaliers agricoles employés dans les grandes propriétés 2.
Selon une évaluation plus récente de M. Victor Gabriel Garces,
membre équatorien de la Commission d'experts pour le travail
des aborigènes de l'O.I.T., la population aborigène rurale de
la Sierra atteindrait environ un million d'individus, dont
300.000 seraient travailleurs journaliers agricoles et ouvriershuasipungueros et 200.000 à 300.000 seraient membres d'exploitations en collectivité ou « se livreraient à d'autres activités
n'impliquant pas la subordination à un employeur », tandis
que le reste se composerait d'artisans ou de vieillards et mineurs
ne travaillant pas 3. Enfin, selon un renseignement estimatif
transmis au mois de mars 1950 par le gouvernement de l'Equateur, les effectifs de la population indigène qui s'adonne aux
travaux agricoles seraient de l'ordre de 600.000 individus,
chiffre qui comprendrait les travailleurs journaliers, les
métayers, les fermiers et les membres des entreprises collectives. Le chiffre correspondant aux membres des entreprises
1
2
César CISNEROS CISNEROS, op. cit., p. 186.
Ernest E. MAES : « Indian Farming in South America », Agriculture in the
Americas (Washington, Department of Agriculture, déc. 1942), p. 235.
3
Communication au B.I.T., mars 1950.
250
LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE
en collectivité (comuneros) semble comprendre non seulement
les membres des collectivités indigènes traditionnelles, mais
également les membres d'un nombre indéterminé de communautés métisses 1.
Les statistiques relatives aux travailleurs journaliers agricoles prêtent également à une certaine confusion. M. Garces
lui-même fait l'importante observation qu'un pourcentage
élevé de cette main-d'œuvre agricole est constitué en réalité
de comuneros et de métayers qui ne travaillent qu'à l'occasion
comme ouvriers agricoles dans les grandes propriétés pour
augmenter les maigres revenus qu'ils tirent de leur occupation
principale. En d'autres termes, le nombre des Indiens qui
travaillent de manière plus ou moins permanente comme
travailleurs agricoles salariés est inférieur à celui que mentionnent les statistiques précitées. On ignore d'autre part
quelle proportion approximative de ce dernier groupe se
compose d'ouvriers agricoles indépendants, par opposition
aux ouvriers huasipungüeros.
Exode de la population agricole de la Sierra.
Au cours de ces dernières années, on a constaté un déplacement de la population indigène paysanne depuis la Sierra
vers la côte et la région orientale. Du fait notamment des
faibles salaires qu'ils reçoivent, de la dure condition du huasipunguero, de la rareté et de l'appauvrissement des terres collectives, de nombreux Indiens cherchent d'autres moyens de
subsistance. Un pourcentage indéterminé de cette population
aborigène migrante s'est consacré à l'orpaillage. A ce sujet,
Francisco Terán a pu écrire :
Dans l'Azuay, qui est l'une des provinces les plus pauvres du
point de vue agricole... ceux qui ne possèdent pas de terres ou qui
ne veulent pas continuer à demeurer enchaînés au travail épuisant
et improductif que constitue la fabrication des chapeaux de paille
se dirigent vers l'est à la recherche de terres ou à la recherche de l'or :
des miniers d'orpailleurs agitent pendant de longues heures chaque
jour des corbeilles primitives dans lesquelles on recueille les2 sables
ou les pépites d'or sur les rives des fleuves de l'est de l'Azuay .
Travaux
publics.
D'autre part, le paysan indigène participe chaque jour
davantage à certains types d'activités non agricoles et parti1
Pour les différences entre ces deux catégories d'institutions, voir le chapitre
suivant.
2
Francisco TEKÁN : Geografia del Ecuador (Quito, 1948), p . 204.
METTEBS E T OCCUPATIONS
251
culièrement aux entreprises de travaux publics. Selon des
renseignements fournis par M. Garces, l'élément aborigène
représente environ 80 pour cent des 7.000 ouvriers qui étaient
employés au mois de mars 1950 par la Direction générale des
ponts et chaussées.
Métiers
industriels.
Le nombre des Indiens employés dans les entreprises manufacturières est extrêmement réduit. Selon une enquête effectuée
par M. Garces, il ne dépasserait pas quelque 200 individus
dans tout le pays. Tel est également le cas des aborigènes
employés à l'extraction des minéraux. Dans les mines de
Portovelo et de Macuchi, qui ont suspendu leur activité en
1950 1 , de petits groupes d'indigènes effectuaient des travaux
secondaires à la surface. On a observé un phénomène analogue
dans l'industrie du pétrole, dont la plupart des centres se
trouvent situés, il est vrai, dans la région du littoral où l'élément indigène est peu nombreux. La main-d'œuvre manufacturière minière et pétrolière de l'Equateur est constituée en
grande majorité de métis et de Blancs.
Activités dans certaines provinces.
On trouvera, ci-après, quelques renseignements descriptifs
concernant les occupations principales de quelques-uns des
groupes indigènes représentatifs dans sept des dix provinces
que comprend la région de la Sierra. Dans la province d'Imbabura (cantons d'Otavalo et de Cotacachi), la majorité des
Indiens sont agriculteurs indépendants ou tisserands d'étoffes
de laine minces. Dans la province de Pichincha (cantons de
Cayambe et de Tabacundo), la majorité est composée d'ouvriers
agricoles et de huasipungueros ; dans les environs de Quito,
on voit surtout des huasipungueros et des agriculteurs indépendants besogneux, qui sont obligés de compléter leurs
maigres revenus en travaillant comme balayeurs des rues ou
comme domestiques ; dans la vallée des Chillos, également
près de Quito, le groupe aborigène de GuangapoUo se consacre
au tissage du crin et au commerce des étoffes. Dans la province
de Cotopaxi, de nombreuses communautés (notamment dans
les cantons de Catunga, de Saquisili et de Pujili) s'adonnent à
l'agriculture et, dans un cas (Pujili), à la fabrication de vases
1
Plus récemment s'est constituée la société Nueva Empresa de Portovelo
avec des capitaux d'Etat fournis, pour la plupart, par la Banque nationale pour
le développement.
252
LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE
de terre cuite, parfois vitrifiée, qui servent de vaisselle à la
population paysanne d'une grande partie de la Sierra.
Dans la province de Tungurahua, les Indiens Salasaca,
connus pour l'hostilité dont ils témoignent contre les Blancs
et les métis, cultivent l'agave et font, avec sa fibre, des cordes
et des sacs qu'ils vendent à la foire d'Ambato. Dans la province
de Chimborazo (cantons de Eiobamba et de Cajabamba), la
plupart des Indiens sont des huasipungueros extrêmement
pauvres. Il en est de même dans les communautés voisines des
provinces de Bolivar, de Tungurahua et de Cotopaxi. Dans les
provinces de Cañar (canton du même nom, Azogues, etc.) et
d'Azuay (aux confins de Cuenca), un pourcentage élevé de la
population aborigène s'adonne à la fabrication de chapeaux
de paille fine 1 .
Artisanat.
Il n'a pas été possible d'obtenir des renseignements sur le
nombre ou sur le pourcentage des aborigènes qui exercent, à
domicile, des métiers relevant de l'artisanat rural. Cette lacune
ne laisse pas de susciter des difficultés, compliquées encore par
le fait qu'en règle générale ces métiers artisanaux n'ont pas
le caractère d'une occupation principale, ce qui faciliterait
leur classification statistique, mais constituent plutôt, pour
les agriculteurs, une activité d'appoint. L'étendue et la qualité
du lopin de terre que possède l'agriculteur aborigène déterminent fréquemment le temps que celui-ci consacre à une
activité artisanale donnée. C'est ainsi, par exemple, que dans
le canton d'Otavalo (province d'Imbabura) les membres des
collectivités disposant de terres tant dans la région basse que
sur les hauteurs s'occupent de tissage à domicile à leurs
moments perdus. En revanche, ceux qui ne possèdent des
terres que dans la région basse et pour qui l'année ne comporte
qu'une seule saison propice à l'agriculture consacrent presque
toute la morte-saison (août-octobre) à la fabrication de châles,
de ponchos, de nattes, de corbeilles, etc. Dans certains villages
de ce canton (Human, Peguche, Quinchuqui et Agato), l'agriculture est pour ainsi dire passée au second plan et il n'est pas
rare de voir des aborigènes exploiter des ateliers produisant
surtout des textiles, en employant comme main-d'œuvre
d'autres Indiens rémunérés selon un tarif plus ou moins fixe.
Parmi les diverses activités artisanales typiques de l'aborigène, il y a lieu de relever, selon le district ou la localité, le
1
Francisco TERÀN, op. cit., p p . 177-191.
MÉTIEBS ET OCCUPATIONS
253
tissage sous ses diverses formes, la fabrication de cordes d'agave,
la poterie, la céramique et la tannerie. Viennent ensuite, par
ordre d'importance, le travail du cuivre et l'orfèvrerie *.
Spécialisation de Vartisanat. — De même que dans d'autres
régions de l'Amérique latine, on constate dans plusieurs districts
de la Sierra un phénomène fort intéressant: la spécialisation
de l'artisanat aborigène par commune, par collectivité ou par
village. Dans le canton d'Otavalo, par exemple, les habitants
d'Human s'occupent surtout de tissage, ceux de Peguehe
fabriquent des poteries et ceux de Cotacachi travaillent le
cuivre ou tannent les cuirs. Il va de soi que, fréquemment, le
développement d'une activité artisanale donnée est fonction
des disponibilités en matières premières 2. Ainsi, les populations qui vivent sur les rives des lacs (celui de San Pablo, par
exemple) fabriquent des nattes de totora (sorte de roseau
géant) tandis que celles qui se sont établies à proximité des
forêts confectionnent de préférence des corbeilles et des chapeaux en liège.
Tissage. — L'industrie aborigène du tissage a ses centres
les plus importants dans les provinces suivantes : Imbabura
(canton d'Otavalo), pour les lainages (châles, ponchos, couvertures, fichus, etc.), les objets en paille (chapeaux, corbeilles)
et en fibre (nattes) ; Azuay (Cuenca), Cañar, Manabí (Montecristi, Jipijapa et Portoviejo) et, dans une mesure moindre,
Pichincha (canton de Pedro Moncayo), pouf les chapeaux de
paille fine ; Chimborazo (canton de Guano), pour les tapis. On
tisse également la laine dans plusieurs localités de Eiobamba
et de Tungurahua.
Fabrication des chapeaux. — L'activité artisanale aborigène
la plus importante, tant du point de vue économique que du
point de vue de l'effectif de la main-d'œuvre employée, est la
fabrication du chapeau de paille fine appelé « panama 3 » Il y
a quelques années, les chapeaux de paille fine occupaient le
deuxième rang dans les exportations du pays ; en 1943, les
maisons de commerce de la ville de Cuenca (province d'Azuay)
ont exporté à elles seules 163.000 douzaines de chapeaux. En
1
Comme dans les autres pays de l'Amérique latine, le métier d'orfèvre est en
réalité exercé par les métis plus que par les aborigènes.
2
Au sujet du problème des matières premières, de même que sur la production
et l'écoulement des produits, voir chap. X.
3
Ce nom lui a été donné dans le passé, lorsque Panama était le principal
centre de distribution de cet article à l'étranger. On utilise pour cette fabrication
la toquilla, ou paille fine, tirée des fibres d'un petit palmier (bombonaje), qui croît
dans la forêt péruvienne et equatoriale.
254
LE TRAVAILLEUR ABORIGENE DANS L'ÉCONOMIE
1945, la valeur de ce poste des exportations atteignait plus de
64.130.000 sucres, dont 65 pour cent pour les provinces d'Azuay
et de Cañar *. Il y aurait, dans la province d'Azuay seulement,
près de 80.000 tresseurs de chapeaux, tandis que le nombre
des personnes qui vivent de cette industrie, dans cette province
et dans celle de Cañar, dépasserait 400.000 2. Selon une enquête
effectuée par l'Institut national de prévoyance sociale, ces deux
provinces compteraient environ 200^000 tresseurs de chapeaux 3 .
Il y a lieu d'ajouter à ce nombre celui des tresseurs de chapeaux
des provinces de Manabi (Montecristi et Jipijapa), de Pichincha
(Tabacundo) et d'Imbabura (San Pablo), sur lesquelles on
manque de données précises.
Le tressage des chapeaux est effectué surtout par les femmes ;
les ouvrières se divisent en deux catégories : a) les tresseuses
de profession qui consacrent tout leur temps à la fabrication
des chapeaux ; b) les travailleuses agricoles ou domestiques
pour lesquelles cette activité n'est que secondaire.
Activités économiques des Indiens
sylvicoles
En ce qui concerne l'Indien sylvicole, on dispose de certains
renseignements intéressants sur les occupations de trois groupes
importants, à savoir : les Jivaro, dans la région de l'Est ; les
Colorado ou Tzátchela, dans la jungle de Santo Domingo de
los Colorados (province de Pichincha et régions contiguos) ;
les Cayapa, dans les forêts d'Esmeraldas.
Tribu Jivaro.
Contrairement à ce que l'on suppose souvent, le Jivaro,
en dépit de son penchant pour la guerre, tire une partie de sa
subsistance de travaux agricoles. L'homme débroussaille le
terrain et prépare un jardin que la femme se charge d'entretenir. Ses cultures les plus importantes sont le manioc doux,
le palmier chonta, la banane et la papaye. Sa technique agricole est des plus primitives : il n'emploie qu'un bâton pointu,
tant pour ameublir le sol que pour mettre en terre les semences.
La femme tisse des fibres et du coton et fabrique de grossières
poteries d'argile ; l'homme s'adonne surtout à la chasse et à la
pêche.
1
2
Francisco TERÁN, op. cit., p. 224.
Luis MONSALVE Pozo : « La industria de los sombreros de paja toquilla »,
Cuestiones indígenas del Ecuador, op. cit., pp. 110-111.
3
Voir « El problema de la paja toquilla en el Azuay », Boletín del Instituto
Nacional de Previsión, Quito, mars 1946
XI
Quand la nature empêche
la mécanisation
Récolte du guano dans les îles
le la côte du Pérou
(Runcio Foto)
Porteurs indiens sur une piste
de montagne du Pérou
XII
Le tissage sur le haut plateau de Bolivie
(Foto Linares)
Fabrication des tissus indigènes
Un métier primitif équatorien
(Estudio Rodo Wuth)
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MÉTIEBS ET OCCUPATIONS
255
Tribus Tzátchela et Cayapa.
L'agriculture nomade sur brûlis constitue la principale
occupation des Indiens Tzátchela et Cayapa. Les Tzátchela
cultivent deux genres de parcelles : un champ principal, situé
à proximité immédiate de la maison, et un champ secondaire,
plus éloigné. La pêche et la chasse sont des activités complémentaires, de même que la récolte de produits forestiers
et la préparation de peaux de jaguar vendues au marché.
Parmi les activités secondaires du Cayapa, il y a lieu de signaler
le travail du bois, le tissage, la vannerie (on utilise surtout des
écorces et des racines) et le commerce (vente de caoutchouc,
d'ivoire végétal, etc., dans les localités de la côte du pays et
de la Colombie, en échange de machettes, de haches ; de hameçons). Ces dernières années, le Cayapa a été chassé de son
habitat par les chercheurs de produits forestiers (habitants du
Montuvio et Noirs) 1 .
Certaines tribus de l'Oriente (plaine de l'Amazone) telles
que les ïTapo, les Tena, les Arajuno, les Loreto et les Tala,
pratiquent l'orpaillage ou récoltent des gommes et du caoutchouc qu'ils vendent aux commerçants blancs et métis de la
région.
GUATEMALA
Principales activités économiques
Dans leur grande majorité, les Indiens font de l'élevage et
de la culture en qualité de colons (pegujalerosz), de métayers,
de petits propriétaires ou de travailleurs agricoles salariés. Ils,
travaillent dans les exploitations des hauts plateaux ou dans
les grandes plantations commerciales et les fermes d'élevage
de la côte. Une fraction importante de la population aborigène
tire en outre une partie de sa subsistance de l'artisanat
domestique (tissage, céramique, etc.) 3. Dans certaines localités,
où le sol se prête mal à la culture, l'artisanat, l'élevage du
mouton, le commerce ambulant, la pêche sont les occupations
principales, voire exclusives, des aborigènes. Sauf en ce qui
1
Voir J o h n MUERA : « The Cayapa and Colorado », Handbook of South American
Indians, vol. 4 : The Circum-Garibbean Tribes, publié sous la direction de Julian
H . STEWARD (Washington, 1948), p p . 277-291.
2
Salariés permanents à qui l'on permet de cultiver certaines parcelles pour les
fixer à la terre et pour que les produits qu'ils récoltent ainsi complètent leur salaire.
3
C'est ce que permet de déduire l'analyse d'une série d'enquêtes spéciales
déjà mentionnées dans un chapitre antérieur. Voir INSTITUTO INDIGENISTA
NACIONAL : Chuarrancho. Sintesi« socioeconomica de una comunidad indigena guatemalteca, op. cit., p p . 6-7.
10
256
LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE
concerne certaines catégories de colons et de journaliers agricoles, on manque de données statistiques permettant de
déterminer le nombre ou le pourcentage des Indiens qui se
livrent à chacune de ces occupations.
Toutefois, il est facile d'évaluer l'ampleur du rôle que le travail des aborigènes joue dans l'économie nationale si l'on songe
que ceux-ci produisent chaque année pour environ 80 minions
de quetzals ( 1 quetzal = environ 1 dollar) de maïs, 30 millions
de quetzals de café, 16 millions de quetzals de haricots et de 10
à 15 millions de quetzals de tissus et autres produits artisanaux.
Et ce total reste incomplet si l'on ne mentionne pas la production de canne à sucre, de bananes, de riz, de blé, de fruits et
légumes, la manufacture d'importantes quantités d'articles
d'usage courant et l'élevage, auquel l'aborigène participe
également dans une certaine mesure 1. Néanmoins, « exception
faite de la vente de son travail, l'Indien vit en marge de l'économie nationale 2 ». Dans les hauts plateaux, l'économie aborigène repose surtout sur une agriculture de subsistance et un
artisanat domestique de type primitif qui restent dans le
cadre d'un « système de production, de distribution et de
consommation indépendant en fait des plantations éloignées,
des maisons d'importation et d'exportation et des banques
du Guatemala 3 ».
Transformation
de l'économie agricole
La situation du travailleur agricole est intimement liée au
problème de la concentration de la propriété, étudié dans le
chapitre suivant. Il convient toutefois de signaler que le recensement agricole de 1950 a permis de constater que, sur 276.043
exploitations (le nombre total de celles-ci s'élevant à 341.188),
1.052.794 personnes étaient au travail, dont 219.099 adolescents de moins de quatorze ans et 833.695 adultes (611.233
hommes et 222.462 femmes).
Le Congrès guatémalien a promulgué, le 15 juin 1952, une
loi portant réforme agraire 4, qui vise à apporter « des modifl1
Renseignements communiqués à la quatrième Conférence des Etats d'Amérique
Membres de l'Organisation internationale du Travail (Montevideo, avril-mai 1948)
par M. Antonio GOTJBAUD CABBEHA, président de la délégation du Guatemala.
2
3
Leo A. SUSLOW, op. cit., p. 5.
Sol TAX : « La economía regional de los indígenas de Guatemala », Boletín
del Instituto Indigenista Nacional, vol. II, n° 2, juin-sept. 1947, p. 170.
4
El Guatemalteco, 17 juin 1952, pp. 957-962.
MÉTIERS ET OCCUPATIONS
257
cations substantielles au régime de la propriété et dans les
modalités d'occupation de la terre, à titre de mesure pour
combler le retard économique du Guatemala et relever sensiblement le niveau de vie des grandes masses de la population ».
Cette loi a déjà fait l'objet d'un début d'application et les
réalisations les plus notables dans ce domaine sont exposées
au chapitre X I .
Problèmes posés par le lotissement des communautés
et par Véparpïllement de la propriété
La situation des travailleurs agricoles a empiré depuis le
milieu du siècle dernier, du fait que ces travailleurs ont perdu
une forte proportion des terres qu'ils possédaient en commun 1 ;
aussi beaucoup d'entre eux ont-ils dû se mettre à cultiver,
comme colons, les terres des grandes exploitations des hauts
plateaux ou des plantations commerciales de la côte. D'autre
part, les propriétés que les communautés aborigènes traditionnelles ont réussi à conserver se sont de plus en plus morcelées du fait de l'augmentation régulière de la population.
C'est pourquoi un nombre appréciable de petits propriétaires
aborigènes des hauts plateaux se sont vus dans la nécessité
de trouver des revenus d'appoint, ce qui les a amenés à émigrer
périodiquement vers les plantations de la côte et vers la région
d'Alta Verapaz pour y travailler à la tâche en qualité de
cuadrilleros 2 ou de temporalistas 3.
Bon nombre de travailleurs migrants se sont autrefois fixés
dans les plantations de café comme colons pegujaleros ou comme
métayers, ou ont dû accepter du travail à titre de salariés
dans les grandes exploitations, en vertu des lois qui ont
introduit l'obligation des services personnels x dans certaines
circonstances.
Dans de nombreux cas, cette situation est imputable au
fait que les paysans du plateau arrivant de régions à forte
densité de population, lorsqu'ils étaient propriétaires ou usufruitiers de terres, n'avaient pas de parcelles suffisantes même
pour pratiquer une agriculture de subsistance 4.
1
2
3
4
Voir chap. IX.
Ouvriers saisonniers travaillant en équipes.
Travailleurs temporaires.
INSTITUTO DE FOMENTO DB LA PRODUCCIÓN : Crédito agricola supervisado
para Guatemala (Guatemala, mai 1951), pp. 58 et suiv.
258
LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE
Plantations de café et autres plantations
Les plantations de caféiers sont situées dans deux régions
du pays : 1) la côte du Pacifique, à une certaine altitude, aux
flancs des volcans dans les départements de Santa Eosa, d'Escuintla* de Suchitepéquez, de San Marcos, de Chimaltenango
et de Saratepéquez ; 2) la région de Cobán, dans le département
d'Alta Verapaz. Celles de la première région appartenaient à des
Allemands, qui ont été expropriés en 1942 ; elles sont maintenant administrées par les pouvoirs publics (« propriétés
nationales » et « propriétés sous séquestre ») 1 . Celles de la
deuxième région sont en majeure partie entre les mains d'Autrichiens, de Suisses, d'Américains et d'Espagnols. La terre y
est moins fertile et sa culture exige deux ou trois fois plus de
jours-homme que dans la première ; néanmoins, les plantations
de Cobán peuvent soutenir la concurrence de celles de la côte
du Pacifique grâce à la main-d'œuvre aborigène à bon marché
dont elles disposent. (Selon une étude récente, le salaire
journalier ne dépassait parfois pas 0,10 quetzal 2 .) Les plantations de bananes, propriété de la United Fruit Company,
sont situées sur la côte du Pacifique (Tiquisate) et, du côté de
l'Atlantique, dans la région nord-est du pays (Bananera). La
canne à sucre se cultive dans la région de la Costa Cuca du
Pacifique, entre les plantations de café et les bananeraies. En
1947-48, 75.700 hectares étaient plantés de caféiers et 41.650
de bananiers 3.
Les activités principales du colon et du journalier aborigènes varient d'une région à l'autre ; elles comprennent la
récolte du café, la culture, le transport et le broyage de la
canne à sucre, la culture et le transport de la banane, l'ouverture de chemins desservant les plantations, les semailles,
l'entretien des cultures, etc. On a estimé qu'en 1947 les exploitations agricoles commerciales du pays occupaient au total
environ 450.500 travailleurs, dont 425.500 pour les plantations
de café (près de 80 pour cent du paysanat actif du Guatemala)
et 25.000 pour les cultures industrielles (banane, etc.). En
chiffres ronds, le nombre indiqué pour les plantations de café
1
Le Département des propriétés nationales et des propriétés sous séquestre
administre 273.726 hectares de terres depuis sa création en 1944. Le morcellement
de ces terres, prévu par la loi portant réforme agraire citée plus haut, a déjà
commencé.
2
3
Leo A. SUSLOW, op. cit., p. 78.
Crédito agricola supervisado para Guatemala, op. cit., p. 63.
MÉTIERS ET OCCUPATIONS
259
se décomposait de la façon suivante : 282.600 travailleurs
fixes ou résidants (colons ou pegujaleros) et 143.000 travailleurs temporaires ou saisonniers. Les bananeraies occupaient
15.301 travailleurs guatémaliens (qui recevaient un salaire
journalier moyen de 1,40 quetzal) ; les propriétés nationales
et les propriétés sous séquestre employaient de leur côté 23.600
colons 1.
Artisanat
Quant à l'artisanat à domicile, une enquête effectuée en
1949 par l'Institut national des affaires indigènes du Guatemala, dans près de deux cents collectivités aborigènes, a
montré que les activités les plus importantes et les plus
répandues étaient le tissage (coton, laine et soie), la fabrication
de tuiles et de briques, de filets et d'articles de pêche, de nattes,
la vannerie, la poterie et la céramique, la confection de
chapeaux de paille 2.
On peut constater dans ces différents travaux une spécialisation assez poussée, résultant souvent de la production
localisée de certaines matières premières 8. Certaines populations tirent leur subsistance en tout ou en partie de la fabrication d'articles de corde, de la confection de chapeaux de
fibres de palme tressées, du tressage de corbeilles, du tissage
de couvertures de laine ou de la fabrication de poteries ou de
multiples autres objets. On constate une spécialisation analogue dans d'autres activités économiques de la population
autochtone qui, elles, ne sont pas typiquement « aborigènes » :
horticulture, pêche, charpenterie, ébénisterie, maçonnerie, etc.
Voici quelques exemples qui illustrent ce phénomène : sur
les rives du lac Atitlán, le village de San Pablo fabrique surtout
des cordes, tandis que celui de San Pedro est un centre de
tissage et que les habitants de Santiago Atitlán sont avant
tout des constructeurs de canots et des horticulteurs. Mieux
encore, certaines localités ont poussé plus avant la spécialisation du métier artisanal qui est le propre de leur région :
en ce qui concerne le travail du bois par exemple, auquel
s'adonnent les Indiens Chorti du département de Chiquimula,
1
Francisco COSENZA GALVKS : « Notas sobre la planeación económica de
Guatemala », Revista de Economia (Mexico, oct. 1950). Cité dans Crédito agricola
supervisado para Guatemala, op. cit., pp. 59-61.
2
Communication adressée au B.I.T. en janvier 1950.
3
Sur l'approvisionnement en matières premières et les autres problèmes de
l'artisanat, voir chap. X. Les activités commerciales et, en particulier, le rôle
joué par les marchés régionaux sont traités plus loin.
260
LE TRAVAILLEUR ABOEIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE
un village ne fabrique que des violons, un autre des tables et
des chaises, un troisième des canots, etc. 1 .
Le tissage de la laine est particulièrement répandu dans
le centre-ouest et l'ouest du pays ; les tisseurs de coton et de
soie sont nombreux dans les hauts plateaux et au centre du
Guatemala ; on fabrique des céramiques et des poteries dans
diverses localités des hauts plateaux, ainsi que dans certains
endroits du centre et du centre-ouest du pays. En 1948, la
valeur des vêtements confectionnés par les Indiens était
évaluée à 4.551.000 quetzals, celle des autres produits de
l'artisanat aborigène à 6.187.000 quetzals 2. L'industrie aborigène de la céramique et de la poterie se répartit entre quinze
centres du pays. Les plus importants sont la commune de
Totonicapán, où l'on trouve une grande variété de techniques
et de styles, puis celle d'Antigua ; l'on peut encore mentionner
San Pedro Jocopilas, Huehuetenango, Torión, San Sebastián
et Santa Maria Chiquimula. En règle générale, les articles
fabriqués sont de type utilitaire. Les fameuses jarres fabriquées à Chinautla constituent une exception notable par leur
caractère nettement artistique. Huit communes se sont spécialisées dans la vannerie, et notamment Santa Catarina Ixtahuacan et Santa Clara. Santa Cruz Quiche et San Sebastián
Lemea sont les principaux centres de fabrication de chapeaux
en palme tressée. Les célèbres jicaras du Guatemala, faites du
fruit du calebassier, se fabriquent exclusivement à Eabinal
(Baja Verapaz) 3 .
HONDURAS ET NICARAGUA
Le principal groupe aborigène (les Miskito) est établi sur la
côte atlantique des deux pays. Ses principales occupations
sont la chasse, la pêche et l'agriculture nomade de subsistance.
Les insectes destructeurs, dont il existe d'innombrables
espèces, et une flore forestière exubérante qui envahit sans
cesse les parcelles cultivées, ont toutefois rendu impossible
le développement de l'agriculture. L'homme met le feu à un
coin de forêt et débroussaille ce lopin de terre situé en général
1
Pour plus de détails, consulter Charles WISDOM : The Chorti Indians of
Guatemala (Chicago, University of Chicago Press, 1940), p. 23.
2
The Economic Development of Guatemala, op. cit., p. 93.
3
Pour plus de détails sur la répartition géographique des centres les plus
importants d'artisanat aborigène à domicile, consulter Felix Webster MCBBYDB :
Cvhural and Historical Geography of Southwest Guatemala (Washington, Smithsonian Institution, 1945) et plus particulièrement les cartes n os 15, 16 et 17.
MÉTIEBS ET OCCUPATIONS
261
à proximité d'une rivière navigable, puis la femme s'occupe
des cultures et des récoltes. Après avoir tiré de son champ
deux ou trois récoltes, l'Indien l'abandonne au lieu de le
remettre en état et ouvre, par le feu, une autre clairière dans
la forêt ; les cultures principales sont les suivantes : la banane,
la banane à cuire, le manioc doux, la patate et, dans certains
districts, le riz, la canne à sucre et le coton. La chasse et la
pêche, avec la fabrication des engins nécessaires, constituent
les activités essentielles de l'homme ; les femmes participent
à la construction des canots, indispensables du fait que la
jungle est trop dense pour permettre l'usage des charrettes.
Le Miskito trouve une occupation accessoire importante
dans l'extraction, pour son propre compte, de la sève de
l'hévéa qui pousse dans les forêts ; il échange ce produit
(ainsi que les peaux de divers animaux sauvages) contre du
plomb, de la poudre, du sel, du tabac et d'autres marchandises
que lui apporte le commerçant blanc ou métis x.
Le Miskito gagne parfois sa vie en travaillant comme
journalier au service de diverses entreprises : compagnies
fruitières, exploitations forestières (acajou) ou mines d'or.
Dans certains districts, la femme exerce des métiers
artisanaux à domicile ; dans le nord de la Costa Mosquita, elle
tisse des toiles au moyen de l'écorce d'une sorte d'arbre à
caoutchouc 2.
MEXIQUE
3
E n 1940, dans une vaste étude sur les formes de vie et les
occupations de la population aborigène de son pays, M. Carlos
Basauri, alors chef du département de l'Education de la
population aborigène, signalait que cette population constituait, du point de vue économique et culturel, une véritable
mosaïque, dont les divers fragments représentaient les différentes étapes de l'évolution de l'humanité.
La vie de certaines tribus aborigènes (Seri, Lacandon, Tarahumara) est fort proche de celle que l'homme menait à l'époque
1
La production de caoutchouc du Nicaragua semble assez proche, en volume,
de celle de l'Equateur, pays qui, dans ce domaine, vient immédiatement après
le Brésil par ordre d'importance.
2
Eduard CONZEMTÜS : Ethnographical Survey of the Miskito and Sumu Indians
of Honduras and Nicaragua, Smithsonian Institution, Bureau of American Ethnology, Bulletin 106 (Washington, 1932) ; Michel PIJOAN : The Health and Customs of
the Miskito Indians of Northern Nicaragua, op. cit. ; Paul KIRCHHOFE : « The
Caribbean Lowland Tribes : The Mosquito, Suma, Pata and Jicaque », Handbook
of South American Indians, vol. 4 : The Circum-Caribbean Tribes, op. cit.,
pp. 219-229.
3
En ce qui concerne la transformation de l'économie agraire, voir chap. IX et XI.
262
LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE
paléolithique. Le niveau de culture des autres tribus s'élève par
degrés jusqu'à celui des plus évoluées, qui ne se distinguent plus
des Blancs et des métis de culture occidentale 1 .
Economie
primitive
Les Seri (Etat de Sonora) sont semi-nomades ; durant une
partie de l'année, ils pèchent dans l'île Tiburón (golfe de
Californie), échangeant leur poisson contre du mezcal (sorte
d'eau-de-vie) et de la farine ; le reste du temps, ils tirent leur
subsistance de la chasse et de la cueillette de fruits sauvages
sur la côte du même Etat. Les Lacandon (Etat de Chiapas)
sont chasseurs dans les montagnes et pêcheurs dans la région
des lacs ; il en existe deux groupes : celui du nord de la forêt
et celui de la région des rios Jataté et Usumacinta ; le second
vit absolument isolé, tandis que le premier maintient certains
contacts avec les plantations et les exploitations forestières
de la région. Les Pápago (Etat de Sonora) sont semi-nomades
et se livrent surtout à la chasse et à l'agriculture nomade.
Les Quikapu (Etat de Coahuila) vivent de la chasse des cerfs
et des antilopes et d'une agriculture primitive de défrichement.
Les Huave (Etat d'Oaxaca) sont essentiellement des pêcheurs ;
ils consomment le produit de leur pêche ou le vendent dans
plusieurs agglomérations de l'isthme de Tehuantepec.
Quant aux Tarahumara (sierra Madre occidentale, E t a t
de Chihuahua et certaines parties de l'Etat de Durango), ils
vivent, dans la région où le sol est fertile (Baja Tarahumara),
de la culture de leurs exploitations (ejidos) ; l'Alta Tarahumara, en revanche, est un haut plateau situé à quelque
3.000 mètres d'altitude, au dimat très froid, au sol pierreux
et fortement érodé par les vents violents qui le balaient ;
les habitants de certaines agglomérations (Bocoyna, Tolayotes,
Arareco, etc.) font des coupes de bois dans des endroits voisins
de la voie ferrée ; d'autres vont travailler périodiquement
dans les entreprises de l'industrie du bois qui, dans cette
région, fabriquent des traverses de chemins de fer ; certains
enfin sont employés dans les mines ; près du rio Tubares, ils
pratiquent l'orpaillage ; les Indiens les mieux assimilés
travaillent comme ouvriers agricoles dans les grandes propriétés de Chihuahua et de Durango ; on peut citer," parmi
les occupations accessoires de certains groupes, le tissage, les
travaux de corderie et la fabrication d'instruments de musique
(surtout de violons travaillés au couteau).
1
Carlos BASAURI : La población indigena
de Mexico, op. cit., vol. I, p . 4 3 .
MÉTIERS ET OCCUPATIONS
263
Agriculture
L'agriculture est l'occupation principale des tribus dont
le développement économique est le plus poussé ; elle va,
passant par toute une série d'échelons, de l'écobuage pratiqué
par les Tepehuán jusqu'à la culture mécanisée des ejidos
des Yaqui. Cette diversité de types d'économie agricole ne
s'observe pas seulement d'une tribu à l'autre, mais souvent
aussi au sein d'une même tribu. Ainsi, par exemple, les
Zapotèques et les Mixtèques (Etat d'Oaxaca) connaissent deux
régimes d'économie agricole assez nettement définis : 1) une
agriculture primitive — l'écobuage — complétée par un
artisanat embryonnaire ou peu développé, avec une maigre
production marcbande et une offre minimum de main-d'œuvre ;
2) une agriculture utilisant toujours les mêmes terrains, travaillés à la charrue, jointe à un artisanat important, aux formes
multiples, permettant une production marchande considérable
et une offre abondante de main-d'œuvre. Le premier type prédomine dans les chaînes de la côte (districts de Jamiltepec, de
Juquila, de Pochutla, de Miahuatlán) et dans les villages des
versants humides des montagnes de la partie septentrionale de
l'Etat (districts de Mixe, de Ohoapán, de Ohinantla, etc.) ; le
second prévaut dans les vallées centrales, la Cañada, laMixteca,
la sierra de Juárez et dans l'isthme de Tehuantepec 1.
Agriculture de subsistance. — L'agriculture de subsistance
(maïs et fèves en premier lieu, mais également légumes,
piments, coton, sucre, mûrier, blé, café, banane, cacao,
tabac, etc., selon la région) prédomine dans les tribus ou groupes
suivants : Tepecano (Jalisco), Totigue, Tojolabale, Marne,
Choie, Tzotzil, Tzeltal (Chiapas), Chontal, Mixe, Mazatèque
et Mixtèque (Oaxaca), Mazahua (Mexico), Totonaca (Puebla,
sierra de Veracruz, Hidalgo), Tlapanèque (Guerrero), Cora
(sierra de ÜTayarit), Otomí (Hidalgo, Guanajato, Querétaro,
Mexico, Tlaxcala, Puebla, San Luis Potosí, Michoacán), etc.
Agriculture commerciale. -— Les cultures marchandes ont
pris un développement plus ou moins marqué dans les deux
groupes ci-après : les Tarasques (Michoacán), caractérisés par
la diversité des produits qu'ils cultivent (céréales et légumes)
et, dans certaines régions, par une exploitation forestière de
type semi-coopératif ; les Yaqui (Sonora), producteurs de
tabac, de sucre, de tomates, de melons, etc. ; les Mayas
1
Pedro CAERASCO : « Las culturas indígenas de Oaxaca, México », América
Indigena, vol. XI, n° 2, avril 1951, pp. 101-103.
10*
264
LB TBAVAILLETJB, ABOBIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE
(Yucatan et Quintana Eoo), qui cultivent l'agave dans la
première de ces régions et le chicle dans l'autre et qui, dans
le Yucatan, fabriquent des articles en corde; les Zapotèques
(Oaxaca), cultivateurs de fruits ; les Chontal (Tabasco), producteurs de bananes, de café, de sucre et de tabac ; les
Huastèques (Veracruz, San Luis Potosí), qui cultivent le café,
le maïs, le sucre, la banane, les fruits, le coton, etc.
Sylviculture et bûcheronnage
La sylviculture a pris un développement considérable chez
les Indiens du Plateau tarasque (une des principales réserves
forestières du pays). Parmi les divers usages qu'ils font du
bois, il y a lieu de mentionner plus particulièrement la préparation de combustibles (charbon de bois, bois de feu et
bois d'allumage), l'extraction de la résine, la préparation de
bardeaux (qui servent également, parfois, à recouvrir les
parois) et la fabrication d'objets artisanaux. Etant donné que,
dans la plupart des villages, les bois appartiennent à la collectivité, tous les membres de celle-ci peuvent librement se
procurer la matière dont ils ont besoin ; toutefois, dans
certaines localités, il existe des bûcherons professionnels qui
versent un « droit de défrichement » au groupe aborigène
propriétaire de la forêt qu'ils exploitent. Certains villages, qui
n'ont pas suffisamment de terres, vivent exclusivement du travail du bois à la hache. Il existe plusieurs entreprises appliquant des méthodes modernes qui exploitent la résine et auxquelles les Indiens vendent celle qu'ils extraient de leurs forêts 1 .
Artisanat
E n général, l'agriculture est complétée par des activités
artisanales qui, souvent, relèguent l'agriculture au second plan
lorsqu'elles ne la supplantent pas entièrement ; l'insuffisance
des revenus peut d'ailleurs rendre nécessaires des occupations
secondaires : bûcheronnage, travail dans les mines ou les
chemins de fer, ou encore commerce ambulant, pêche, chasse,
travail de muletier, pour ne donner que quelques exemples.
Les industries artisanales domestiques constituent une
occupation très importante chez les Zapotèques, les Mixtèques,
les Tarasques, les Mayas, les Popolaca, etc. Les habitants de
certains villages tarasques sont surtout potiers (Tzintzuntzán,
Quiroga, Santa Fe), céramistes (Cocucho), constructeurs de
1
Gonzalo AGUIBBE BEI/TRAN : El problema de la población indigena
cuenca del Tepàkatepec, op. cit., p p . 191-207.
de la
MÉTIEKS E T OCCUPATIONS
265
canots (TJricho), fabricants de nattes et d'objets de jonc
(Hihuatzio), tisseurs d'agave (Tanaco), de coton (Paracho),
de laine (ÏTahuatzen), de palmes (Zacan, Paracho, Charapan,
Arantepacua, Jarácuaro), menuisiers spécialisés dans les travaux à l'herminette (Pamatácuaro), charpentiers (Corupo,
Pichatáro), fabricants d'instruments de musique (Paracho),
tanneurs de peaux (Parangaricutiro), tisseurs de filets (île de
Janitzio). E n règle générale, ces spécialisations sont le fait
des villages qui ne possèdent pas assez de terres 1 . Selon
certaines évaluations, 25 pour cent des Tarasques exercent des
métiers artisanaux à domicile, tels que la céramique, le
tissage, la vannerie, la fabrication des chapeaux de paille,
le travail du bois, du cuir ou des métaux, la fabrication
d'instruments de musique, etc. Dans diverses localités, les
Indiens se sont spécialisés dans la production de laques
renommées; à cet égard, le centre de Uruapan (de même que
celui de Olinalá dans l'Etat de Guerrero) jouit d'une réputation toute particulière. Le tissage est extrêmement répandu
chez les Zapotèques et donne lieu à d'importants échanges
commerciaux. Il existe des villages dont la quasi-totalité des
habitants fabriquent des sarapes (couvertures de couleurs
vives), comme Teotitlán del Valle, ou de la céramique,
Azompán et Coyotepec par exemple ; certaines agglomérations
fabriquent des quantités appréciables de feux d'artifice,
d'images, de cierges et de cordes. Les Mixtèques sont surtout
tisserands et potiers. La fabrication de cordes et d'engins
de pêche au moyen de la fibre de maguey (industrie de Vixtle),
de même que le tissage du coton et de la laine et la confection
de chapeaux en palme tressée, ont pris une grande extension
chez les Otomis. Chez les Chocho, la fabrication de chapeaux
en palme tressée est une occupation si importante qu'un
de leurs villages s'appelle Tequixtepec de los Sombreros. Les
Yaqui sont avant tout tisserands et vanniers ; les Huastèques
et les Popolaca, fabricants de chapeaux en palme tressée et
d'autres articles en fibre de maguey ; les Chinantèques construisent des ponts suspendus faits de lianes.
Répartition
géographique.
Le tableau ci-après indique la répartition géographique des
occupations artisanales des aborigènes et des métis indiens 2.
1
2
Gonzalo AGDIEKE BELTEÁN, op. cit., p. 210.
Renseignements communiqués au B.I.T. par le gouvernement du Mexique
en juin 1950.
266
LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE
TABLEAU
XXVLT. —
MEXIQUE : RÉPARTITION
DE L'ARTISANAT
GÉOGRAPHIQUE
ABORIGÈNE
Occupation
Etat ou zone
Tissage et tressage :
Palme
Zone mixtèque d'Oaxaca ; Puebla et
Guerrero.
Jonc, etc.
Zones otomie de Mexico et de Hidalgo,
Tzotzil de Chiapas, mixtèque e t
zapotèque (vallée d'Oaxaca), Purépecha de Michoacan et otomie de
Querétaro.
Ixtle
Zone otomie de la vallée de Mezquital ;
Hidalgo, Querétaro et San Luis
Potosí.
Sisal et zapupe
Zones maya du Yucatan, aztèque et
huastèque de Veracruz.
Laine
Dans toutes les zones aborigènes du
pays, à l'exception de la région de
Chiapas peuplée de Lacandon.
Coton
Zone de Chiapas peuplée de Lacandon ;
E t a t s de Mexico, Guanajuato, Michoacan, Veracruz, Hidalgo, Querétaro, Yucatán, Tlaxcala.
Racines
Zone Matzahua de l ' E t a t de Mexico.
Poterie :
Terre cuite
Dans toutes les régions aborigènes du
pays ; la vaisselle fabriquée dans
les E t a t s d'Oaxaca e t Michoacan
est particulièrement remarquable.
Poterie à glaçure
P a t a m b a , Michoacan.
Autres industries :
Tannerie (préparation de semelles)
Zones zapotèque e t mixtèque d'Oaxaca ; zone Tzotzil de Chiapas.
Chamoisage
Quicapu de Coahuila.
Coutellerie
Zones mixtèque des terres basses
d'Oaxaca et Guerrero ; zapotèque
de la vallée d'Oaxaca.
Laques
Zone Purépecha de Michoacan (Paracho, Uruapan e t Quiroga); E t a t s
de Guerrero et d'Oaxaca.
Fabrication d'instruments de
musique
Paracho (Michoacan) et zone mixtèque
d'Oaxaca.
Tournage du bois et objets d'art
Paracho (Michoacan) et zone otomie
de l ' E t a t de Mexico.
Fabrication de sandales
Oaxaca, Mexico, Yucatán, Chiapas,
Guerrero, Puebla, Tlaxcala, Michoacan, Chihuahua.
Travail du cuivre
Michoacan.
MÉTIERS ET OCCUPATIONS
267
Récolte des produits naturels
Un nombre appréciable d'aborigènes vivent, en partie
ou complètement, de la cueillette de fruits sauvages et de
produits forestiers. Ces populations se trouvent surtout dans
les régions suivantes, énumérées selon les produits récoltés :
1) chicle : Etats de Campeche, de Quitana Roo, de Tabasco
et du Yucatan ; dans cette région, de nombreux aborigènes
travaillent également comme ouvriers salariés ; 2) incile : Etats
de Hidalgo, de San Luis Potosí et de Zacatecas ; 3) coquito
de aceite 1 : Etats de Nayarit, de Colima, de Veracruz et de
Tabasco ; 4) zacatón 2 : Etat de Mexico ; on a estimé que
près de 30.000 familles vivent de cette occupation à l'est
de la ville de Toluca ; 5) feuille de palmier : Etat d'Oaxaca ;
les aborigènes en confectionnent des chapeaux et on a évalué
à 10.000 le nombre des familles mixtèques qui gagnent ainsi
leur vie ; 6) candelilla 3 : dans les régions à demi arides du
Nord ; 7) guayule4 : Etats de Coahuila, de Durango, de
Zacatecas et de Chihuahua 5.
Travail salarié
Le travail salarié, à titre saisonnier, dans les plantations,
les fermes d'élevage, les exploitations forestières, les mines,
les chemins de fer, a pris une certaine extension dans les
Etats de Chiapas, Oaxaca, Sonora, Tabasco, Michoacán,
Chihuahua, Durango, Hidalgo.
Dans l'Etat de Chiapas, les Tzotzil, les Tzeltal, les Marne,
les Choie et les Lacandon sont embauchés comme travailleurs
agricoles dans les plantations de café, comme tondeurs ou
cardeurs de laine et coupeurs de bois. Dans l'Etat d'Oaxaca,
les Zapotèques, les Mazatèques, les Mixe, les Cuitateco et les
Trique sont employés dans les exploitations agricoles, les
plantations de café, les sucreries et les mines (les Trique, en
particulier, pour ce dernier genre d'emploi). Les Yaqui et les
Mayas de l'Etat de Sonora sont d'ordinaire travailleurs agricoles, vachers, mineurs (abattage à la main) et travailleurs des
chemins de fer. Les Chontal de l'Etat de Tabrasco sont employés
1
Sorte de noix.
Herbe dont les racines servent à la fabrication de plusieurs genres de brosses.
3
Substance végétale dont les Indiens tirent diverses sortes de cire.
4
Sève d'un arbre à caoutchouc.
5
Pour plus de détails, consulter Nathan L. WHETTEN : Rural Mexico (Chicago,
Chicago University Press, 1948), pp. 264-266.
2
268
LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE
généralement dans les sucreries, les plantations de café et de
cacao et les bananeraies. Les Tarasques de l'Etat de Michoacán
se louent comme travailleurs agricoles au Mexique et à
l'étranger (Etats-Unis). Les Tarahumara des Etats de Chihuahua et de Durango travaillent dans les exploitations
agricoles et forestières, tandis que les Otomis, dans l'Etat
d'Hidalgo et les autres Etats, sont généralement ouvriers
agricoles.
Il n'a pas été possible de déterminer l'importance numérique
de cette catégorie de travailleurs. Le recensement ne fait
aucune distinction entre aborigènes et non-aborigènes. L'Institut national des affaires indigènes, pour suppléer à la
pénurie d'informations, a indiqué : que les aborigènes qui ne
possèdent pas de terre, ou qui ne figurent pas dans le recensement des ejidos, constituent une population essentiellement
rurale ; qu'en 1940, on comptait au total 3.830.871 personnes
qui vivaient de l'agriculture, de l'élevage, de la chasse, de la
pêche et de la sylviculture, dont 2.490.909 aborigènes (unilingues et bilingues), les 1.339.962 autres étant surtout des métis,
ce qui semble indiquer que les aborigènes constituent 65 pour
cent de la population agricole du pays ; si l'on déduit de la
population occupée dans l'agriculture (3.830.871), les membres
des ejidos et les petits propriétaires (2.441.788), on constate
que 1.389.083 personnes ne possédaient aucune terre et
vivaient, soit de l'élevage, de la chasse, de la pêche ou de la
sylviculture, soit de leur travail comme journaliers agricoles
ou métayers dans de petites propriétés ou des exploitations
de moyenne importance 1.
Il convient de compléter cette analyse par les deux constatations suivantes : 1) une proportion considérable d'aborigènes
non propriétaires qui s'adonnent à la chasse, à la pêche ou à la
sylviculture travaillent en outre périodiquement comme
travailleurs agricoles salariés ; 2) pour diverses raisons (propriétés trop petites, insuffisance de l'irrigation, précipitations
trop faibles sur les terres cultivées pendant la saison des pluies
seulement, technique agricole désuète, érosion, etc.), il existe,
dans certaines zones du haut plateau, de très nombreux cultivateurs d'ejidos et petits propriétaires qui se voient dans l'obligation de chercher un gain accessoire en s'engageant périodiquement comme journaliers agricoles au Mexique ou à
l'étranger. Selon le deuxième recensement des ejidos de 1940,
1
Communication de l'Institut national des affaires indigènes, janvier 1950.
MÉTIERS ET OCCUPATIONS
269
les cultivateurs de ces parcelles travaillaient en moyenne
186 jours dans les ejidos et 62 jours sur d'autres terres x.
D'après le dernier recensement de la population, le nombre
des journaliers agricoles atteignait 1.892.257 sur une population
agricole active de 3.830.892 (49,4 pour cent) 2 . Etant donné le
pourcentage élevé d'aborigènes dans la population rurale du
pays (surtout dans les régions du Sud et du Centre), et compte
tenu du fait que l'élément autochtone a toujours constitué la
principale réserve de main-d'œuvre agricole, on peut dire sans
risque de se tromper qu'il s'agissait surtout d'aborigènes.
Certains — dont la proportion ne peut être déterminée —
possèdent de petits biens familiaux cultivés par les femmes
et par les enfants, tandis que les chefs de famille vont se louer
dans les grandes propriétés pour se procurer un gain supplémentaire. Néanmoins, « la plupart d'entre eux manquent
probablement de terres et n'ont que leur salaire d'ouvriers
agricoles pour entretenir leur famille 3 ».
Travailleurs
migrants
On a évalué à environ 200.000 le nombre des travailleurs
agricoles qui, chaque année, se déplacent à l'intérieur du pays.
Fort probablement, les aborigènes des Etats de Chiapas, de
Guerrero, de Nayarit, d'Oaxaca, de Puebla et de Veracruz
forment un pourcentage élevé de ces travailleurs itinérants.
Dans le premier de ces Etats, c'est près de 35.000 aborigènes
qui, certaines années, descendent des montagnes pour aller
travailler dans les basses terres et plus particulièrement dans
les plantations de café de Soconusco, tout près de la frontière
du Guatemala. De nombreux Indiens des montagnes de l'est
de Nayarit descendent périodiquement se louer dans les plaines
de cet Etat et de celui de Sinaloa. Un grand nombre de
journaliers aborigènes migrants vont travailler dans les régions
où l'on peut cultiver des légumes en hiver, au nord de l'Etat
de Sinaloa et au sud du Sonora, ainsi que dans les zones de
1
DIRECCIÓN GENERAL DE ESTADÍSTICA : Segundo censo ejidál (1940), cité
par N. L. WHETTEN, op. cit., p. 600. Dans le district fédéral et dans les Etats et
territoires de Hidalgo, de Mexico, de Quintana Roo et de Basse Californie du Sud,
le nombre des jours de travail hors des ejidos atteignait 230, 146, 125, 110 et 91 respectivement. Voir également Manuel GAMIO: «La producción agrícola y la industrialización de los ejidatarios », America Indigena, vol. V, n° 4, oct. 1945, pp. 303305.
2
IDEM : Sexto censo de población (1940), cité par N. L. WHETTEN, op. cit., p. 602.
La répartition par région était la suivante : Centre, 879.812; Nord, 336.802; Pacifique sud, 310.194 ; golfe du Mexique, 245.087 ; Pacifique nord, 120.362.
3
N. L. WHETTEN, op. cit., p. 259.
270
LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE
culture du coton, du café, de la canne à sucre et des légumes
dans l'Etat de Mexico 1 .
En ce qui concerne les journaliers agricoles qui se rendent
périodiquement aux Etats-Unis pour la récolte du coton, de la
betterave à sucre et des fruits, leur nombre atteignait en 1945
environ 104.000 2.
PANAMA
Les Indiens les plus nombreux au Panama (les Cuna de
l'archipel de San Blas) s'occupent d'arboriculture fruitière, d'artisanat, de commerce et, accessoirement, de pêche et de chasse.
Sous l'influence du commerce maritime, très actif dans
l'archipel, l'agriculture de subsistance cède progressivement
la place aux cultures marchandes ; la noix de coco, une des
principales productions, sert de monnaie à l'aborigène dans
ses transactions avec le Blanc. Pour se procurer des terres, le
Cuna revendique la possession d'une parcelle de forêt vierge
qu'il entoure d'un sentier pour établir son droit de propriété,
personnelle ou familiale ; certaines îles connaissent en outre
la propriété collective du sol : dans ce cas, une partie du produit
des récoltes va grossir le trésor de la collectivité. Les Cuna
pratiquent l'agriculture nomade et utilisent d'ordinaire la
machette et le coupe-coupe de fer.
Le Cuna fait d'importants échanges commerciaux avec les
propriétaires des nombreuses goélettes qui parcourent l'archipel; c'est d'eux qu'il obtient, en échange de noix de coco,
d'oranges et d'œufs, les multiples produits industriels (hameçons, fusils et balles, aiguilles, savon, pétrole, tabac, etc.)
dont il a besoin.
Parmi les articles d'artisanat fabriqués par les femmes, il
y a lieu de mentionner tout particulièrement la blouse panamienne appelée mola, en toile multicolore, aux dessins éclatants
et d'une grande diversité : animaux, fleurs et figures géométriques. L'Indienne Cuna est également fort adroite à d'autres
travaux : tissage de hamacs, de coton cultivé sur place ou de
fil acheté aux commerçants de la région, confection de vêtements pour hommes ; beaucoup de femmes aborigènes, dans
les îles du golfe de San Blas notamment, sont d'habiles coutu1
Comme il a été dit au chapitre III, les migrations périodiques de journaliers
agricoles aborigènes dans le sud du pays posent un grave problème de santé
publique, étant donné qu'il existe dans plusieurs districts des Etats de Chiapas
et d'Oaxaca d'importants foyers d'onchocercose.
2
Voir aussi chap. IX et XI.
MÉTIERS ET OCCUPATIONS
271
rieres. Les hommes se sont spécialisés dans le tressage des
corbeilles, la construction de canots, la fabrication de rames,
de harpons, de voiles, de filets, etc. ; ils travaillent aussi les
calebasses dont ils font des flacons, des tamis et d'autres
ustensiles 1 .
Au cours des vingt dernières années, l'économie nationale
a absorbé un nombre toujours croissant de jeunes Cuna des
deux sexes. Selon le recensement de 1940, il y en avait près de
4.000 qui travaillaient comme garçons de restaurant, barmen,
domestiques, etc., dans les villes de Colón et de Panamá, ou
comme ouvriers dans les établissements militaires de la zone
du canal. Cet afflux de main-d'œuvre aborigène n'a pas laissé
de susciter des difficultés d'ordre sanitaire. Selon D. B. Stout,
les Cuna qui travaillent à Colón et à Panamá « vivent dans
une extrême pauvreté et, de ce fait, introduisent dans les
îles des maladies vénériennes, pulmonaires et autres (lors de
leurs visites) 2 ».
Les Guaymi vivent surtout de la chasse et de la pêche.
Pendant l'été, ils s'établissent dans des clairières défrichées
dans la jungle ; les femmes y cultivent, sur de petites pièces
de terre, le tabac, le maïs, le riz, des arbres fruitiers, des
tubercules et des bananes, tandis que les hommes vont se louer
comme manœuvres dans les plantations et les fermes d'élevage
appartenant aux colons blancs et métis. Les Chocó vivent
pauvrement de la pêche et de la chasse. Les femmes cultivent
de petits jardins et, en outre, font du tissage à domicile ; il y
a lieu de mentionner surtout, parmi leurs produits, le hamac
de coton multicolore 3 .
PARAGUAY
Les aborigènes du Chaco sont avant tout chasseurs, pêcheurs
et cueilleurs de fruits sauvages. Pendant la plus grande partie
de l'année, les femmes vont à la recherche de tubercules dans
les marécages, ou récoltent les fruits du cactus et de l'ananas
sauvage. En novembre et en décembre, des caravanes d'hommes
et de femmes partent à la recherche des caroubes (fruits du
1
David B. STOUT : San Blas Cuna Acculturation : An Introduction (Viking
Fund, Publications in Anthropology, No. 9, New-York, 1947, pp. 21-24, 57,60; et
« The Cuna », Handbook of South American Indians, vol. 4 : The Circum-Garibbean
Tribes, op. cit., pp. 257-268.
2
D. B. STOUT : San Bias Cuna Acculturation, op. cit., p. 60.
3
« Tribus indígenas », dans Censo de población de Panamá, 1940, op. cit.,
pp. 43-46. Voir aussi Ángel RUBIO : « La economía la y vivienda rural e indígena
en Panamá », America Indígena, vol. XII, n° 1, janv. 1952, pp. 55-70.
272
LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE
caroubier blanc), dont on tire une farine à saveur sucrée.
Parmi les occupations accessoires de l'Indien sylvicole du
Chaco, il y a lieu de signaler, selon la tribu et le district, l'agriculture primitive de subsistance, l'élevage du bétail, l'élevage
de l'aigrette et d'autres oiseaux sauvages dont les plumes
servent à fabriquer une grande quantité d'ornements, le tissage
et la vannerie, le travail agricole en qualité de journaliers,
selon la saison 1 .
Dans le passé, l'agriculture était l'occupation principale
des populations sylvicoles de certaines régions. Cette activité
est toutefois en nette régression par suite des migrations
forcées de certaines tribus dues à diverses causes : développement de la production de tanin (dans les centres de Guarany,
Sastre, Casado, Pinasco et Galileo), guerre du Chaco, extension des fermes d'élevage, qui a entraîné la transformation des
champs en pâturages. C'est ainsi par exemple que les Indiens
Mbyá (département du Guaira), qui étaient de remarquables
cultivateurs, abandonnent aujourd'hui périodiquement leurs
villages de tentes pour aller travailler dans les exploitations
de quebracho (arbres dont l'écorce fournit une sorte de tanin),
les fermes d'élevage et les plantations 2.
Certaines tribus continuent néanmoins de cultiver le melon,
la pastèque, la calebasse et le haricot sur de petites parcelles
de terre situées dans le lit humide des lacs desséchés ou sur
les rives des fleuves. D'autres cultivent le manioc et le maïs,
voire le tabac, dans de petits champs conquis sur la forêt. A
la suite des bouleversements provoqués par la guerre dans
l'économie naturelle des populations sylvicoles, les chefs de
certaines tribus (Chulupi, Maca, Lengua, Mascoi) se sont
efforcés d'inciter les Indiens à s'adonner davantage à l'agriculture. A l'heure actuelle, grâce à l'utilisation de semences
sélectionnées et d'instruments aratoires modernes, certains
groupes produisent déjà de quoi se nourrir pendant la plus
grande partie de l'année. Il n'en demeure pas moins que l'insécurité régnante en ce qui concerne la propriété foncière fait
obstacle au développement de l'agriculture aborigène 3.
La guerre du Chaco a non seulement amené certaines
tribus à cultiver moins, si ce n'est à abandonner complètement
1
J u a n BELAIEFF : « The Present-Day Indians of the Gran Chaco », Handbook
of South American Indians, vol. 1 : The Marginal Tribes, of. cit., p p . 371-377.
2
Voir León CADOGAN : « Los indios jeguaká-tenondé (mbyá), Paraguay »,
América Indigena, vol. V i l i , n° 2, avril 1948, pp. 131-139.
3
J u a n B E L A I E P F , loe.
cit.
MÉTIEES ET OCCUPATIONS
273
l'agriculture, elle a encore apporté des bouleversements d'un
autre ordre dans l'économie naturelle de l'Indien sylvicole.
Ainsi, toute la population aborigène de la région du rio Izozog
a été déplacée à plusieurs reprises d'un endroit à un autre et
a perdu tout son bétail. La tribu des Chulupi, qui se trouvait
au centre même des hostilités, a souffert davantage encore ;
celle des Choroti a dû émigrer en Argentine jusqu'à la fin de
la guerre. En outre, le gibier a disparu dans le sud du pays et
le pécari, chassé par les Blancs, est en voie d'extinction. A
l'heure actuelle, il ne reste guère de gibier de valeur commerciale dans un périmètre d'une trentaine de lieues autour
du confluent du Paraguay et du Pilcomayo.
Certaines tribus de la région du Pilcomayo et du Parapiti
possèdent de petits troupeaux de moutons, de chèvres et de
vaches. La laine des brebis sert à fabriquer des manteaux et
des ceintures d'excellente qualité.
Les tissus de laine et d'agave fabriqués par l'Indien du
Chaco jouissent d'une réputation méritée. Il est rare de trouver,
dans les villages de tentes des tribus du Sud, une femme qui
n'ait pas sa quenouille. L'aborigène de cette région connaît
parfaitement la technique de la teinture naturelle et utilise
sept couleurs extrêmement résistantes qu'il tire de racines et
de plantes sauvages. L'Indien de la partie orientale (Caringua,
Chiripá, etc.) se distingue dans la fabrication de corbeilles et
d'éventails.
Dans certains districts, l'Indien sylvicole effectue des
échanges commerciaux d'une certaine importance avec le
métis et le Blanc. Parmi les articles que l'aborigène livre sur
le marché, il y a lieu de mentionner les peaux d'animaux
sauvages (pumas, jaguars, etc.), les ornements de plumes, les
tissus de laine, les ceintures, les sacs, les filets, les hamacs, les
corbeilles, les arcs, les flèches, etc. L'indigène acquiert, contre
l'argent qu'il gagne ou par le troc, toute une série de produits
industriels : savon, allumettes, fusils, poudre, machettes, couteaux, balles, etc., et même, dans certains cas, des scies et
des charrues 1 .
Un pourcentage considérable de la main-d'œuvre des
fermes d'élevage du Sud est constitué par des Indiens sylvicoles ; plusieurs exploitations de la région du Centre utilisent
un nombre appréciable d'Indiens (Lengua, Mascoi, Chulupi)
comme journaliers agricoles. Les Chamacoco de Bahia Negra,
1
J u a n B E L A I E I T , loe.
cit.
274
LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE
de Voluntad et de Sastre, les Angaité et les Toba, les Sanapana,
les Lengua de Casado et de Pinasco gagnent leur vie en travaillant comme manœuvres dans les exploitations de quebracho.
«Toutes les grandes entreprises établies dans le Cbaco... ont
recours aux bras de l'Indien. L'Indien est la véritable force
motrice dans certains districts du pays 1 . »
Plusieurs milliers d'Indiens Choroti et Chané passent
périodiquement dans les provinces du nord de la République
argentine (Jujuy et Salta) pour travailler comme journaliers
agricoles dans les plantations de canne à sucre 2.
PÉROU
Considérations générales
Dans la région de la Sierra (entre 1.750 et 4.000 mètres
environ), où vit la grande masse de la population aborigène
du pays, l'agriculture de subsistance constitue la principale
activité économique. Viennent ensuite, par ordre d'importance, l'élevage, l'artisanat à domicile (occupation accessoire)
et, dans certaines régions, l'industrie minière. Les cultures
marchandes, de même que les industries de transformation —
localisées le long de la côte —, ne jouent qu'un rôle secondaire.
TABLEAU X X V I I I .
P E R O U : R E P A R T I T I O N P R O F E S S I O N N E L L E D E LA
(Pourcen-
Départements
Ancash
Apurimac
Ayacucho
Cuzco
Huancavelica
Huánuco
Junín
Moquegua
Puno
Tacna
Total pour la
blique
Indiens,
en pourcentage de
la population totale
Agriculture,
élevage,
forestage,
chasse,
pêche
Mines et
industries
extractives
similaires
Industries
manufacturières
Bâtiment,
construction et
réparations
65,83
70,02
75,94
71,73
78,68
63,46
60,85
46,17
92,36
52,17
72,93
76,82
75,50
65,89
77,85
78,39
61,35
75,23
78,57
61,27
1,08
0,76
0,48
0,82
0,85
0,30
8,42
0,15
1,27
1,31
14,21
14,04
14,31
18,01
11,73
10,51
12,37
9,25
11,89
8,74
0,73
1,75
0,46
1,18
0,92
1,72
1,79
1,25
0,57
1,19
45,86
62,46
1,81
15,36
1,85
Répu-
Source : MINISTERIO DE HACIENDA Y COMERCIO, Dirección Nacional de Estadística :
1
Anales de la Asociación Indigenista del Paraguay (Asuncion), oct. 1947, p. 4.
J u a n BELAIEFF : « Los indios del Chaco paraguayo y su tierra », Revista de
la Sociedad Científica del Paraguay (Asuncion, 1941).
2
275
M É T I E B S E T OCCUPATIONS
Dans la région de la Puna (4.250 à 4.500 mètres), dont la
plupart des habitants sont aborigènes, on constate, par suite
du climat, une diminution de l'activité agricole qui va de pair
avec un développement assez poussé de l'élevage en pâturages
naturels. En fait, ce phénomène se produit déjà entre 3.750 et
4.000 mètres d'altitude. Quant à la région comprise entre
4.000 et 4.250 mètres, on peut affirmer qu'elle est pour ainsi
dire non peuplée 1 .
Répartition de la population par branches d'activité.
Le tableau X X V I I I indique la répartition de la population active par branches principales d'activité économique dans
dix départements du Pérou où l'on compte une forte proportion d'aborigènes, c'est-à-dire un pourcentage supérieur à la
moyenne nationale (égale, d'après le recensement de 1940, à
45,86 pour cent). Ces données ne concernent pas uniquement
le groupe ethnique aborigène 2 , mais couvrent l'ensemble de la
population des départements en question ; elles permettent
néanmoins de déduire de façon approximative l'importance de
certaines des occupations exercées par les habitants des régions
du pays où la population aborigène est le plus dense. En premier lieu, on signale que ces populations se livrent surtout à
POPULATION DANS DIX DÉPARTEMENTS A FORTE PROPORTION D'INDIENS
tages)
Transports
et communications
Commerce,
banque et
assurances
Administration
publique
et services
essentiels
Métiers
indépendants, services domestiques,
etc.
Autres
branches
d'activité
économique non
classées
0,70
0,56
0,73
0,95
0,58
0,82
2,09
1,05
0,51
2,12
2,06
1,24
2,47
3,99
2,32
2,24
4,34
2,69
2,30
5,96
1,56
1,02
1,29
1,90
1,29
1,42
2,59
2,24
1,16
8,42
5,44
3,33
3,24
6,13
2,72
3,52
5,57
7,53
2,80
9,36
1,29
0,48
1,52
1,13
1,74
1,08
1,48
0,61
0,93
1,63
2,06
4,53
3,60
6,67
1,66
Départements
Ancash
Apurimac
Ayacucho
Cuzco
Huancavelica
Huánuco
Junín
Moquegua
Puno
Tacna
Total pour la République
Censo nacional de población y ocupación de 1940, vol. I, op. cit.t tableau 90, p. 366.
1
Alberto ARCA PARRÓ : El medio geográfico y la población del Peru. (Lima, 1945).
Pour plus de détails sur l'activité économique des communautés aborigènes,
voir tableau XLIV.
2
276
LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE
l'agriculture et à l'élevage : de 61,27 à 78,57 pour cent des
aborigènes s'adonnent à ces travaux. Dans la plupart des cas,
le pourcentage des personnes qui exercent ces occupations
dans les départements mentionnés dépasse celui de l'ensemble
du pays. Le pourcentage des ouvriers occupés dans les industries manufacturières varie entre 8,74 pour cent dans le département de Tacna et 18,01 pour cent dans celui de Cuzco.
Sauf dans ce dernier département, dans lequel se sont établies
de grandes fabriques de textile dont la main-d'œuvre est
essentiellement aborigène, le pourcentage correspondant à
cette occupation est inférieur à la moyenne nationale, qui
atteint 15,36 pour cent. Il ne faut pas oublier que cette rubrique
comprend, parallèlement à l'industrie moderne, la fabrication
à la main de filets et de tissus, de céramiques, etc. Dans la
colonne intitulée « Mines et industries d'extraction », il y a
lieu de mentionner le département de Junin, le premier centre
minier et métallurgique du pays, qui signale le pourcentage
le plus élevé (8,42 pour cent).
Les données de ce tableau semblent confirmées par un
rapport publié à la fin de 1948 par la Direction nationale de
la statistique du Pérou sur la répartition, par occupations, de
la population active « aborigène » dans les cinq départements
qui, d'après le recensement de 1940, comptent la plus forte
proportion d'Indiens de tout le pays (Puno, 92 pour cent ;
Huancavelica, 79 pour cent ; Ayacucho, 76 pour cent ; Cuzco,
72 pour cent ; Apurimac, 70 pour cent). Ces données sont
également corroborées par un tableau estimatif dressé par
la Direction générale des affaires indigènes et relatif aux
principales occupations de la population des comunidades
officiellement reconnues jusqu'à la fin de 1949. D'après ce
rapport, les données estimatives obtenues peuvent être considérées comme représentatives de la situation dans l'ensemble
de la Sierra, car « l'activité économique de l'Indien est partout
analogue, sinon identique, d'un bout à l'autre du Pérou 1 ».
Le pourcentage de la population aborigène économiquement active dans ces départements s'établit comme suit :
Puno, 50,67 pour cent ; Cuzco, 45,02 pour cent ; Apurimac,
43,82 pour cent ; Ayacucho, 43,32 pour cent ; Huancavelica,
39,41 pour cent. La répartition de cette population par branches
d'activité économique apparaît au tableau X X I X .
1
Voir « Población indígena económicamente activa según el censo de población », Boletín de estadística peruana (Ministerio de Hacienda y Comercio, Dirección
Nacional de Estadística, Lima), oct.-déc. 1948, p. 87.
277
MÉTIERS ET OCCUPATIONS
TABLEAU XXIX. — PÉROU : RÉPARTITION PAR BRANCHES D'ACTIVITÉ
ÉCONOMIQUE DE LA POPULATION ABORIGÈNE DES CINQ DÉPARTEMENTS
DE LA SIERRA COMPTANT LA PLUS FORTE PROPORTION D'INDIENS *
(Estimations établies sur la base du recensement de 1940)
Branche d'activité économique
Apurimac
Ayacucho
a) Chiffres absolus
Total général . . . 79.197
118.091
53.249
78.061
Agriculture
8.304
11.560
Elevage, sylviculture, pêche et chasse
483
555
Mines et carrières
11.096
16.521
Industries manufacturières
1.328
527
Bâtiment, construction et réparations
326
851
Transports et communications . . .
Administrations publiques et autres
660
1.513
services essentiels
Professions libérales, services domes2.682
3.759
tiques et autres services
. . . .
Autres secteurs économiques non
355
1.905
classés
b) Pourcentages
100,00
Total . . . 100,00
67,24
Agriculture
66,10
10,48
9,79
Elevage, sylviculture, pêche et chasse
0,61
0,47
Mines et carrières
14,01
13,99
Industries manufacturières
1,68
0,46
Bâtiment, construction et réparations
0,41
0,71
Transports et communications . . .
0,90
2,41
Commerce, banque et assurances . .
0,83
1,28
Administrations publiques et autres
services essentiels
Professions libérales, services domes3,39
3,18
tiques et autres services
. . . .
0,45
1,61
Autres secteurs économiques non
Cuzco
Huancavelica
Puno
157.119
75.847
88.163
15.415
1.283
28.245
1.844
1.469
48.999
10.181
3.140
957
256.623
132.225
73.337
2.687
29.836
1.334
1.117
2.547
9.570
2.024
6.423
1.788
1.317
2.184
100,00
100,00
56,11
9,81
0,82
17,98
1,17
0,93
3,95
64,60
13,42
0,83
11,71
0,91
0,56
2,30
2,00
1,26
100,00
51,52
28,58
1,05
11,63
0,52
0,44
1,92
0,99
6,09
2,67
2,50
1,14
1,74
0,85
634
8.880
688
425
1
Voir « Población indigena económicamente activa según el censo de población y ocupación del -año 1940 »,
Boletín de Estadística Peruana, op. cit., p p . 90-91.
La comparaison des chiffres donnés par les deux tableaux
permet de dégager les conclusions suivantes : a) dans les
cinq départements considérés, le pourcentage des Indiens
occupés dans l'agriculture et l'élevage est considérablement
supérieur à celui du pays pris dans son ensemble, tandis que
b) à l'exception du département de Cuzco, le pourcentage
relatif aux industries manufacturières est inférieur à la moyenne
nationale. A première vue, la différence constatée dans ce
dernier cas ne semble guère importante, mais il y a lieu de
tenir compte du fait que, dans leur grande majorité, les personnes classées sous la rubrique « Industries de transformation »
278
LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE
ont en fait pour métier la fabrication à la main de filets et de
tissus, la céramique, la tannerie ou d'autres activités artisanales à domicile, qui, dans la Sierra, jouent un rôle de premier,
plan, mais ne rentrent pas dans la catégorie des travaux industriels au sens strict du terme. Aussi bien les renseignements
détaillés donnés dans ce même rapport font-ils apparaître que,
sur les 94.578 aborigènes qui, dans les cinq départements
précités, sont employés dans les industries de transformation,
66.541 étaient des tisseurs sur métier à main.
Agriculture et élevage
Dans la partie nord de la Sierra (entre 2.100 et 2.400
mètres), on trouve surtout les cultures de la région tempérée,
notamment le maïs, la pomme de terre et le blé. Dans la partie
méridionale, l'élevage gagne en importance et, dans ses régions
les plus élevées, l'agriculture se ramène en fait à la récolte du
foin. Dans la région du lac Titicaca (à près de 3.600 mètres
d'altitude), on pratique surtout l'élevage (lamas, alpacas,
moutons et vaches) ; la culture de la pomme de terre, de l'orge
et du quinoa y prend également une certaine importance.
D'une manière générale, les cultures de montagne se font de
moins en moins variées, et la qualité de leurs produits baisse
progressivement, en allant du nord au sud. Les meilleurs
produits agricoles viennent des vallées du haut Marañón au
nord, puis de Jauja et Huancayo au centre et, enfin, d'Abancay
et de Cuzco au sud ; la région du lac Titicaca est celle qui se
prête le moins bien à la production agricole x.
Problèmes qui se posent à Vagriculteur.
Le peu d'étendue des terres arables dans la Sierra, le
montant élevé du fermage des terres disponibles et le morcellement excessif des biens aborigènes se sont traduits par la
constitution d'une classe extrêmement nombreuse de colons
et de yanaconas 2 et par la création d'une population flottante
de paysans aborigènes qui, pour gagner de quoi vivre, doivent
émigrer périodiquement vers la côte pour travailler à la journée
dans les grandes plantations de coton et de canne à sucre, ou
dans les rizières. Néanmoins, en dépit de ces facteurs, qui
limitent le développement de l'agriculture, la Sierra passe
1
2
Ernest E . MAES : « Indian F a n n i n g in South America », op. cit.
Voir chap. I X , consacré a u x problèmes de la terre.
METIEB.S ET OCCUPATIONS
279
pour le « grenier du Pérou », sa production agricole couvrant une
grande partie des besoins de la consommation nationale, et pour
le « réservoir de potentiel humain » du pays x , car c'est de là surtout que proviennent non seulement la main-d'œuvre nécessaire
à l'agriculture et aux mines des hauts plateaux, mais aussi les
travailleurs dont a besoin l'agriculture industrielle de la côte.
L'Indien... sait tirer une récolte de la terre des Andes, à quelque
altitude que ce soit, dans les régions les plus inhospitalières, paît
le bétail, fore les galeries des mines, fournit la main-d'œuvre nécessaire à la construction et à l'entretien des routes, descend à la côte
pour les semailles et pour les récoltes, est domestique de maison,
donne à l'armée la plupart de ses soldats et possède en outre des
aptitudes exceptionnelles pour l'industrie artisanale que l'on peut
appeler autochtone 2 .
Importance des communautés
et du salariat agricole3.
traditionnelles
On manque de renseignements précis permettant de déterminer comment l'ensemble de la population indigène occupée
dans l'agriculture et l'élevage se répartit entre les divers
groupes professionnels qui la composent : petits paysans (propriétés individuelles ou collectives), colons, partidarios (sorte
d'ouvriers agricoles-métayers), compañeros, yanaconas, travailleurs rémunérés à la journée ou au mois, gardiens, bergers,
etc. On dispose cependant d'évaluations partielles relatives aux
membres des comunidades et aux journaliers agricoles saisonniers.
Les aborigènes vivant en collectivités se trouvaient surtout
dans les départements de Junin, d'Ayacucho, de Huancavelica,
d'Ancash, de Cuzco, de Lima et de Huánuco ; leurs biensfonds étaient situés en majeure partie dans les départements
d'Ancash, de Lima, de Junin et de Huancavelica. La répartition, par grands groupes d'occupations, des membres de ces
comunidades était la suivante : agriculture et élevage, 467.725 ;
textiles, 59.980 ; fabrication des mélasses et eaux-de-vie,
43.929 ; construction des routes, 34.740 ; culture de la coca et
du tabac, 27.560 ; poterie, 23.797 ; aviculture, 16.280 ; fabrication de chapeaux, 14.080 ; autres activités, 73.159. (Pour
plus de détails, voir le tableau XLIV.)
Quant aux journaliers agricoles, la seule évaluation dont
on dispose ne concerne que les salariés, pour la plupart travail1
2
Alberto ARCA PABKÓ, op. cit., pp. 39 et
52.
La industria familiar indigena, rapport préparé pour le B.I.T. par le
Service coopératif interaméricain d'éducation (Lima, 1950).
3
Voir chap. IX.
280
LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE
leurs saisonniers, des plantations de la côte. D'après cette
évaluation, le nombre des Indiens occupés en 1946 à la culture
et à la récolte du coton, de la canne à sucre et du riz s'élevait
à 82.000 (40.000, 30.000 et 12.000 respectivement).
Répartition géographique des plantations.
Les plantations de coton sont situées dans les départements
d'Ica, de Lima et de Piura, au centre et au nord du pays ; les
canneraies, dans les départements de Lambayeque et de
Libertad, au nord et au sud (vallée de Chicama, Chancay,
etc.) ; les rizières, dans les départements de Lambayeque, de
Libertad et de Piura. Dans la Sierra, passablement d'aborigènes
sont employés comme journaliers dans les plantations de
coca, plus particulièrement dans les départements de Cuzco
et de Huánuco. D'après le recensement de 1940, le nombre
des travailleurs de ces plantations atteignait à peu près 22.500.
Artisanat
On manque également de renseignements permettant de
déterminer comment la population autochtone globale se
répartit en pourcentage entre les diverses activités de l'artisanat à domicile.
Tissage.
Le rapport de la Direction nationale de la statistique cité
ci-dessus contient quelques données relatives aux tisseurs sur
métier à main, qui auraient été en 1940 au nombre de 66.541,
se répartissant de la façon suivante : Puno, 22.435 ; Cuzco,
18.688 ; Ayacucho, 10.914 ; Apurímac, 8.358 ; Huancavelica,
6.146. On ne précise pas si ce chiffre se rapporte aux Indiens
qui sont exclusivement tisseurs à domicile ou si, au contraire,
il comprend également les agriculteurs ou les éleveurs pour
lesquels le tissage au métier à main constitue une occupation
accessoire. Il y a lieu de présumer que la première hypothèse
est la bonne, car on sait qu'au Pérou, comme dans d'autres
pays de l'Amérique latine, il y a fréquemment un certain pourcentage des membres d'une collectivité d'agriculteurs ou de
pasteurs aborigènes qui consacrent une partie de leur temps
à une activité artisanale 1. Si tel est bien le cas, on peut en
1
II existe également un certain nombre de comunidades que l'on pourrait
appeler « industrielles » ; chacune d'elles exerce exclusivement un métier artisanal
donné. Pour plus de détails, voir par exemple Harry TSCHOPIK, J r . : Highland
Communities of Central Peru, op. cit., p . 29.
MÉTIERS ET OCCUPATIONS
281
déduire qu'une proportion considérable de la population
aborigène de la Sierra s'adonne au tissage à domicile. (La
même observation pourrait s'appliquer, semble-t-il, aux catégories «textiles » et «poterie » du tableau XLIV.) Le rapport
met en lumière un fait significatif : dans leur grande majorité,
les personnes classées comme « tisseurs sur métier à main »
dans les cinq départements en question étaient des femmes
(53.801 femmes contre 12.740 hommes).
Le tissage comprend une série d'occupations particulières,
variant selon la région ou le district et, dans certains cas, en
fonction des matières premières disponibles sur place. La
plus importante est la fabrication de tissus de laine. De
nombreux villages aborigènes de la Sierra et de la côte,
ainsi que la plupart des familles appartenant aux organisations communautaires de la première de ces régions, se
consacrent à ce travail. Parmi les produits fabriqués, extraordinairement variés, il y a lieu de relever les ponchos, les
couvertures, les sacoches, ainsi que des serges et autres
étoffes grossières (utilisées pour la confection de vêtements de
toute sorte).
Dans certains districts, le tressage des chapeaux est une
activité fort importante, qui occupe un pourcentage élevé de la
population du district de Catacaos, dans le département de
Piura, à proximité de l'Equateur, et des groupes de moindre
importance dans les départements de Lambayeque et de
Cajamarca. Le tressage de chapeaux en macora (paille semblable à celle des roseaux, provenant d'une plante qui pousse
en abondance dans la Selva) est très répandu dans les provinces
de Chiclayo (Monsefu, Santa Eosa, Lagunas, Bten et Eeque)
et de Huarás (Jangas et Tarica) ; les chapeaux en roseau sont
fabriqués à Catacaos et à Chiclayo.
Dans certaines des comunidades de la partie méridionale de la Sierra, l'aborigène fabrique également des chapeaux en paille d'orge ou de blé. Dans d'autres, on confectionne des chapeaux de laine fine (laine d'alpaca ou de
vigogne).
Le tressage du roseau géant appelé totora (corbeilles, nattes,
sièges, agrès, etc.) s'est développé dans plusieurs districts de
la côte (Catacaos, Chimbóte, Shumay) ainsi qu'au nord du
lac Titicaca et dans certaines collectivités lacustres du département de Puno. Dans la région du lac Titicaca, les aborigènes
en font aussi des radeaux qu'ils emploient pour la pêche ou
pour les transports.
282
LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE
Répartition géographique des artisans
par branches d'activité.
Le tableau ci-après indique la répartition géographique des
principaux métiers artisanaux de la population aborigène.
TABLEAU XXX. — PÉROU : RÉPARTITION GÉOGRAPHIQUE
DE L'ARTISANAT ABORIGÈNE
Occupation
Département
Tissage de la laine :
Couvertures, ponchos, tapis, manteaux, draps, sacoches, bourses, etc.,
en laine de mouton, de lama, d'alpaca et de vigogne.
Ayacucho, Apurimac, Cuzco, Puno,
Cajamarca, Huancavelica, Junin.
Tissage et tressage de fibres végétales :
Corbeilles, nattes, chapeaux, bourses, cordes, chaises, pantoufles,
vêtements,
etc., en agave, gramalote 1, paille fine, totora, roseau,
osier, etc.
Céramique :
Marmites, assiettes, vases, carafes,
tasses, cruches, jarres, tuiles, ornements, jouets, etc.
Travail du bois :
Plateaux, assiettes, cuillères, statues, jouets, etc.
Travail du cuir :
Portefeuilles, chaussures, rênes, harnais, etc.
Travail de l'argent et d'autres métaux :
Bagues, boucles d'oreilles, agrafes,
bracelets, colliers, boutons de manchettes, petites cuillères, cendriers,
médailles, chaînes, etc.
Puno, Piura, Loreto, Ayacucho, Junin,
Lima, Ancash, San Martin.
Puno, Cuzco, Apurimac, Junin, Huancavelica, Ayacucho.
Ayacucho, Cuzco, Puno, Huancavelica, Cajamarca, Lambayeque, Ancash, Loreto, Madre de Dios, San
Martín, Amazonas. (Les départements de Junin et de Huancavelica
sont également connus pour leurs
mates, calebasses sèches dont les
Indiens se servent pour divers
usages domestiques.)
Huancavelica, Apurimac, Arequipa,
Cuzco, Puno, Cajamarca, Ancash,
Huánueo, La Libertad.
Ayacucho,
Cuzco.
Junin,
Huancavelica,
Source : Renseignements communiqués au B.I.T. par le Service coopératif interaméricain
de l'éducation, Lima, 1950.
1
Sorte de graminée.
Une très forte proportion de la production artisanale et
agricole aborigène est destinée au commerce et est écoulée
par vente ou par troc.
MÉTIERS ET OCCUPATIONS
283
Travail dans les mines
On a évalué à 35.000 * le nombre des Indiens occupés dans
l'industrie minière et la métallurgie (extraction de minéraux
et fonderie de métaux), ce qui représente près de 90 pour cent
de l'ensemble de la main-d'œuvre employée dans cette branche
de l'activité économique. D'après le recensement de 1940, le
pourcentage de la population active de la Sierra occupée dans
les « mines métalliques et autres » n'était que de 1,81 pour
cent (contre 62 pour cent pour la catégorie agriculture, élevage,
sylviculture, chasse et pêche). Toutefois, il s'élevait à 8,24
pour cent dans le département de Junin, principal centre de
l'industrie minière et métallurgique du pays. Un simple chiffre
ne suffit pas à donner une image exacte de l'importance du
mineur aborigène dans l'économie nationale. Comme on l'a
déjà dit en parlant du massif méridional des Andes, aucun
autre type ethnique ne possède comme l'Indien, avantagé par
un processus millénaire d'adaptation au climat, les qualités
biologiques nécessaires pour effectuer le rude travail du mineur
dans les installations situées dans la Puna 2 . Il y a lieu de
rappeler, d'autre part, que l'exportation des minéraux que les
Indiens extraient des mines et celle des métaux semi-préparés
qu'ils travaillent dans les fonderies, situées parfois à 4.000 ou
5.000 mètres au-dessus du niveau de la mer, constituent la
majeure partie du revenu national du Pérou 3.
1
Selon le recensement de la population et le recensement professionnel de
1940, le nombre des ouvriers occupés cette année-là dans les « mines métalliques
et autres » s'élevait à 44.700.
2
L'importance économique de ce processus d'adaptation au phénomène appelé
agresión, climática a été mise en évidence par le D r Carlos MONGE, directeur de
l'Institut de biologie andine (voir par exemple son étude récente intitulée
«Aclimatación en los Andes», dans America Indígena, vol. IX, n° 4, oct. 1949).
Pour ARCA PARRÓ, il se peut que l'immunité de l'Indien contre cette «agression»
ne soit pas indéfinie et que, « à la longue, l'effort physique prolongé qu'il fournit à
une haute altitude provoque une sorte de fatigue due au travail bien distincte de
celle que l'on connaît au niveau de la mer ». L'ancien directeur de l'Office national
de statistique en est arrivé à dire que ce phénomène « justifierait l'adoption d'une
échelle spéciale pour la durée légale de la journée de travail, qui varierait en fonction
de l'altitude ».
3
En 1946, la valeur de la production minière a été, au Pérou, d'environ
407.400.000 sols. Le cuivre, le¡ plomb, le zinc, l'or, l'argent et le pétrole ont représenté, cette année-là, 83,8 pour cent de la valeur des produits miniers. Le Pérou
produit environ 2 pour cent de la production mondiale de cuivre et environ
10 pour cent de la production de l'Amérique latine. Entre 1940 et 1946, la valeur
totale de la production d'antimoine, de bismuth, de molybdène, de tungstène et
de vanadium a atteint 138.200.000 sols. Pendant la même période, la production
d'or et d'argent a atteint une valeur globale de 649.900.000 sols. Environ 81 pour
cent de la valeur de la production minière péruvienne pour 1946 provenait des
départements de Piura, Lima, Junin et Pasco. Si l'on ajoute à ces départements
ceux d'Ancash, de Libertad, d'Arequipa, de Tumbes et d'Ayacucho, on obtient
284
LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE
Il n'est pas sans intérêt de signaler que, de même qu'en
Bolivie, seule une faible proportion de la main-d'œuvre aborigène exerce cette activité à titre permanent. D'ordinaire,
l'Indien fait alterner son travail de mineur dans la Puna et
son travail d'agriculteur dans la vallée 1 .
Industries
manufacturières
S'il est bien évident que la participation de l'aborigène à
l'industrie est encore faible par rapport au rôle qu'il joue dans
l'agriculture et dans l'artisanat rural 2, il convient néanmoins
de faire observer que sa facilité d'adaptation à la technique
moderne des travaux industriels est riche de promesses pour
l'économie du pays. Les Indiens qui ont eu l'occasion d'être
admis dans une école des arts et métiers y ont acquis des connaissances étendues. Ceux qui travaillent dans les fabriques,
les ateliers, les ateliers d'entretien et de réparation, se transforment très rapidement en ouvriers experts et conduisent
avec habileté des machines compliquées 3.
la liste des neuf départements qui, en 1946, ont produit 95,5 pour cent de la valeur
totale des minéraux destinés a la consommation et à l'exportation. L'industrie
minière n'occupe guère que 2 pour cent de la population active, mais c'est d'elle
que proviennent 12 pour cent des revenus du pays. Pendant l'année à laquelle
correspondent les données indiquées ci-dessus, 35.118 personnes étaient employées
dans les mines et les industries extractives, et sur ce nombre 20.613 personnes
travaillaient pour des compagnies étrangères. L'effectif total des ouvriers mineurs
a été estimé à 45.000 en 1940.
Le salaire journalier moyen des travailleurs péruviens dans toutes les branches
d'activité était de 3,68 sols en 1944 et de 4,64 sols en 1945. En 1946, en réponse
à un questionnaire envoyé en vue du recensement, 14 entreprises minières ont
indiqué que la moyenne des salaires de 14.241 travailleurs et de 259 travailleuses
employés pendant 336 jours par an était de 4,81 sols par jour pour les hommes et
de 1,71 sol pour les femmes.
Les principales entreprises minières sont situées à des altitudes qui varient
entre 3.600 et 4.500 mètres. Les mines de Cerro de Pasco sont à 4.359 mètres audessus du niveau de la mer. Voir PAN AMERICAN UNION, Division of Economie
Research : The Peruvian Economy. A Study of its Characteristics, Stage of Development and Main Problems (Washington, juill. 1950), pp. 23, 48, 95-108 et 191.
1
II y a très peu d'ouvriers mineurs qui vivent en permanence avec leurs familles
dans les districts miniers pendant de longues années et qui, partant, peuvent être
considérés comme faisant vraiment partie de cette industrie. La majorité des
mineurs sont des jeunes gens, travailleurs temporaires ou saisonniers, qui ne passent
dans les mines qu'assez de temps pour pouvoir économiser de quoi acheter de nouvelles parcelles de terres, ou qui retournent périodiquement labourer leurs champs,
faire les semailles ou moissonner. Voir à ce sujet Indians of the High Andes, op.
cit., p. 49.
2
D'après des renseignements communiqués par le Service coopératif interaméricain d'éducation (Lima 1950), « il n'y a pas moins de 70 pour cent d'aborigènes
parmi les ouvriers occupés (dans les industries manufacturières) ». Sauf en ce qui
concerne l'industrie textile, il semble que ce pourcentage soit passablement exagéré.
3
Francisco PONCE DE LEÓN : Al servicio de los aborígenes peruanos, op. cit.,
p. 111.
MÉTIERS ET OCCUPATIONS
285
Plusieurs fabriques modernes de textiles se sont installées
dans les départements de Cuzco et de Junin ; leur main-d'œuvre
est essentiellement formée d'aborigènes des deux sexes, dont
beaucoup ont prouvé qu'ils étaient d'excellents ouvriers
spécialisés.
On trouve à Arequipa plusieurs établissements de lavage
de la laine exploités par des sociétés étrangères et qui occupent
presque exclusivement des femmes aborigènes, originaires de
la Sierra. Le nettoyage et le tri de la laine (qui vient également
de la Sierra et qui est exportée à l'étranger) sont faits à la
main. Certains de ces établissements existent depuis soixantedix ans déjà.
Travaux publics et transports
On sait que, pendant les dix dernières années, les Indiens
ont été de plus en plus nombreux à abandonner l'agriculture pour effectuer, comme salariés, des travaux publics
(construction de chemins, de routes, de bâtiments, etc.) ou
pour travailler dans les services de transports. Il n'a toutefois
pas été possible d'obtenir des renseignements statistiques sur
ce point x.
Muletiers et charretiers.
Parmi les occupations accessoires des aborigènes dans certaines zones de la Sierra, on peut mentionner le transport à
dos de lama, d'âne ou de mulet des produits de l'agriculture,
de l'élevage, de l'artisanat et de l'industrie minière. Du fait de
l'insuffisance du réseau de voies modernes de communication,
due parfois à la topographie tourmentée du pays, il semble
que certaines fonderies de la Sierra dépendent du muletier
aborigène pour le transport de la matière brute du lieu de l'extraction à celui où elle subit une première transformation 2.
C'est également au muletier aborigène qu'ont recours les
exploitations agricoles et les fermes d'élevage pour assurer le
transport de leurs produits aux agglomérations.
Travailleurs libres et « yanaconas ». — Castro Pozo a distingué deux types de muletier aborigène, à savoir: a) le
1
D'après des données communiquées par le Service coopératif interaméricain
d'éducation (Lima, 1950), la proportion des aborigènes dans la main-d'œuvre de
l'industrie du bâtiment aurait atteint 90 pour cent dans certaines régions.
2
On a pu dire que les fonderies de La Oroya, de Casapalca, de Huarán et Smelter
« ne pourraient fonctionner sans le travail important effectué par l'Indien qui
transporte à dos de lama les minéraux qui doivent être fondus ». Voir Hildebrando
CASTRO POZO : Nuestra comunidad indígena (Lima, El Lucero, 1924), p. 492.
286
LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE
travailleur libre qui, en règle générale, est membre d'une
collectivité (comunidad), et b) le yanacona, qui effectue des
transports dans le cadre des services qu'il est tenu de rendre
sur les terres de son propriétaire. Dans le premier cas, les bêtes
de somme et les barnais appartiennent à l'aborigène, qui supporte les frais de leur entretien. Fréquemment, le muletier
libre est rémunéré au quintal transporté s'il s'agit de produits
minéraux, ou au voyage d'aller, ou encore d'aller et retour,
s'il s'agit de produits de l'agriculture ou de l'élevage. Ce
genre de transport prédomine dans la partie septentrionale
de la Sierra, alors qu'on rencontre plus fréquemment le muletier yanacona dans le Sud et dans certaines propriétés du
Centre 1.
Muletiers-commerçants. — Dans certaines parties de la
Sierra, on trouve des muletiers-commerçants aborigènes qui
achètent, transportent et revendent pour leur propre compte
les produits des exploitations agricoles, des fermes d'élevage et
des comunidades aborigènes, ainsi que les objets fabriqués par
les artisans de ces comunidades et des villages. Au cours d'une
année, un de ces muletiers effectue deux ou trois voyages,
qui durent chacun de deux à trois mois. La construction de
routes et le développement des moyens de transport modernes
réduisent de plus en plus le nombre des Indiens qui exercent
cette activité 2.
Transports lacustres et fluviaux.
Dans la région du lac Titicaca, il y a lieu de mentionner
les passeurs aborigènes qui, pour 10 ou 20 centavos par cargaison, transportent sur leurs radeaux de roseau marchandises
et passagers entre les îles et les péninsules proches de Puno.
C'est un métier qui joue également un rôle d'une certaine
importance sur diverses rivières des hauts plateaux 3.
Porteurs de VAmazonie.
Enfin, l'aborigène de l'Amazonie, muni de la machette,
ouvre dans la forêt vierge des sentiers par où il transporte à de
très longues distances les produits commerciaux de la région.
Il existe dans le département de San Martin des tribus exclusi1
Hildebrando CASTRO P O Z O , op. cit., p . 493.
2
Harry TSCHOPEK, op. cit., pp. 30-31.
3
Emilio ROMERO : Monografia de Puno,
p. 298.
cité p a r Atilio SIVTRICHI, op. cit.,
XIII
Potier Pueblo
du Nouveau-Mexique
Occupations traditionnelles
et modernes aux Etats-Unis
U.S. Indian Service)
Equipe de Navajo au travail
sur la voie ferrée
X
Les métic
des Mao
(National
Publicity SU
Wellington)
Infirmières
l'hôpital
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La récolte d
carottes dai
la région du
mont Egmoi
MÉTIERS ET OCCUPATIONS
287
vement vouées à ce genre d'activité et chez lesquelles le jeune
homme est considéré comme apte au mariage lorsqu'il a
acquis une virtuosité suffisante 1 .
Occupations de VIndien sylvicole
Comme dans les autres pays ayant des territoires dans le
bassin de l'Amazone, l'Indien forestier de la Montaña ou
forêt péruvienne tire principalement sa subsistance de la pêche,
de la chasse et des produits naturels de la forêt. Cependant,
divers groupes pratiquent en plus une sorte d'agriculture
primitive après défrichage et déboisage. Ainsi, par exemple,
les Huitoto du Putumayo, les Aguaruna du Marañón, les
Conebo du haut Ucayali, les Piro de l'Urubamba et les Sirineiro et Machiguenga de Madre de Dios récoltent, dans de
petites exploitations (chacras) aménagées au bord des fleuves,
une variété de tubercules, de plantes et d'arbustes : caféier,
maïs, canne à sucre, cotonnier, etc. 2. Quelques tribus pratiquent aussi à petite échelle le tissage, la fabrication de
poterie, le travail des peaux et du bois. D'autres font avec les
Blancs un commerce restreint portant sur le balata, les troncs
d'arbres, les peaux, le sel, etc.
A l'époque de la ruée vers le caoutchouc (les dix premières
années du siècle), de nombreux Indiens des forêts de la région
du fleuve Putumayo furent employés à extraire le latex des
hévéas dans des conditions inhumaines qui ont décimé ces
populations. Aujourd'hui, les aborigènes sont notamment occupés à l'exploitation du balata, ou au transport de l'acajou
et du cèdre espagnol pour le compte des établissements de la
région.
D'après des renseignements provenant de diverses sources,
des milliers d'Indiens des forêts (Canivo, Shipivo, Capahuana,
Piro et Campa 3) continuent à être employés, souvent à l'insu
des autorités, par diverses sociétés d'exploitation du caoutchouc, de la gomme, du bois et du cuir.
Dans une communication spéciale au Bureau international
du Travail, l'administrateur de la Corporation péruvienne des
Amazones s'exprime ainsi :
1
Ricardo CAVEEO EGUSQUIZA : Monografía del departamento de San Martín,
cité par Atilio SrvmicHi, op. cit., p. 299.
8
Sur la dernière de ces tribu3, on consultera avec profit l'ouvrage du missionnaire dominicain P. Fr. Vicente DB CENITAGOYA : Los Machiguengas (Lima, 1943).
3
P. A. Medina VALDERRAMA : La colonización de la selva peruana (Lima, 1951),
pp. 63-64.
Il
288
LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE
Comme, en règle générale, les travailleurs ne connaissent pas la
valeur de l'argent et qu'ils sont incapables d'en reconnaître le montant, leur travail n'est pas rémunéré en espèces... Les périodes de
travail ne se comptent pas par semaines ou par mois, mais par
lunaisons (période de vingt-huit jours) et les Indiens reçoivent en paiement des vêtements, des outils ou de la pacotille, auxquels le patron
attribue une valeur correspondant aux lunaisons de travail. La
comptabilité du patron consiste à ouvrir au nom de chaque travailleur un compte auquel il inscrit le prix, fixé par lui-même selon son
propre intérêt, des objets remis à chaque péon. Il s'ensuit que le
compte du travailleur est toujours débiteur et jamais créancier et
que, pendant des générations entières, les Indiens sont obligés de
servir le même patron. La fuite est leur seul moyen de libération,
mais ils n'y parviennent pas toujours car le patron « lésé » fait poursuivre le fugitif et le remet au travail \
VENEZUELA
Suivant le groupe ou la région, les principales activités
économiques de l'aborigène sont la chasse, la pêche, la récolte
des produits Spontanés du sol et, pour les Guajiro, l'élevage
du bétail. Dans quelques tribus des Llanos et de la sierra de
Perijá, le tissage de la fibre ou du coton et d'autres formes
d'artisanat domestique revêtent une certaine importance. A
un petit nombre d'exceptions près, l'agriculture du type sédentaire est inexistante. Quelques tribus se livrent à un commerce
actif avec leurs voisins sédentaires (notamment les Guahibo
du delta de l'Orénoque) et avec les trafiquants côtiers d'autres
pays (les Guajiro, par exemple, dans la péninsule du même nom).
Dans certains districts, le travail salarié de l'Indien sylvicole
— dans l'exploitation saisonnière du sarrapia, du balata, de
l'arbre à caoutchouc et du bois — a commencé à prendre une
certaine importance. Citons à titre d'exemple le cas des
Indiens employés par les entrepreneurs créoles qui fournissent
le bois aux compagnies pétrolières de la région du rio
Catatumbo. De plus, ces mêmes Indiens sont employés à la
construction des bâtiments des exploitations agricoles et au
transport de fruits et de matériaux. « Les aborigènes sont
généralement payés en nature (machettes, couteaux, verroterie, aliments). Ignorant tout de la véritable valeur, de ces
marchandises, ils sont généralement lésés dans le salaire
qu'ils perçoivent pour les services fournis aux créoles 2 . »
1
Memorándum sobre el trabajo del indio selvàtico peruano, transmis au B.I.T.
par l'administrateur de la Corporación Peruana del Amazonas (Lima) en octobre
1951.
2
Renseignements communiqués au B.I.T. par le gouvernement du Venezuela,
juillet 1952.
MÉTIERS ET OCCUPATIONS
289
Les Guahibo et les Chiricoa (dans le delta de l'Orénoque)
pratiquent la chasse et la cueillette des fruits ; entre avril et
juin, ils se déplacent d'une palmeraie à une autre en mangeant
à satiété ; pendant le reste de l'année, ils vivent du guapo et
d'autres racines, et du manioc amer qu'ils cultivent de façon
peu intensive. Ils pratiquent le commerce avec leurs voisins
sédentaires, troquant avec eux des cordes et des hamacs de
fibre de palmier, des calebasses, contre du tabac en poudre,
des coquilles, etc. Les Yaruro (du delta de l'Orénoque) sont
avant tout pêcheurs et chasseurs d'animaux marins. Les
Guarauno, qui habitent la même région, sont semi-sédentaires
et pratiquent la pêche et la récolte de produits naturels ;
ceux qui habitent le long des rives des rios Amacuro et Barima
se réunissent annuellement pendant la période de mai à juillet
pour se rendre en pèlerinage dans l'île de Cangrejos, située
sur le bras de ÎTavios de l'embouchure de l'Orénoque. Certains
groupes pratiquent à petite échelle la culture du riz. Les
Motilón (qui habitent dans la sierra de Perijá) pratiquent la
chasse, la pêche et la récolte des produits naturels ; pendant
la saison sèche, ils descendent vers les rios et les lagunes des
plaines à la suite de leurs animaux ; ils reviennent vers les
hauteurs pendant la période des pluies. Quelques groupes
sédentaires cultivent sur des superficies relativement importantes le maïs, le manioc, le bananier et d'autres arbres fruitiers. L'artisanat textile a pris un assez grand développement.
(Le tissage constitue le travail principal de la sous-tribu des
Macoa.) Les aborigènes ne connaissent pas le métier à tisser ;
ils tordent et façonnent à la main les fibres végétales. Les
Panar (Etat de Bolivar) sont agriculteurs ou éleveurs de
bétail, selon la région ; le groupe de la Cañada et du Guaratero,
qui pratique l'élevage, se trouve à proximité des bifurcations
des pistes qui réunissent les savanes de la région.
Les Guajiro (presqu'île de la Guajira) sont surtout éleveurs,
mais se livrent aussi chaque année à la chasse des grandes
tortues et à la pêche des écrevisses, activités qui jouent pour
eux un rôle important. La stérilité du sol et la pénurie d'eau
dans toute la partie sud de la péninsule entravent le développement de l'agriculture. Le travail agricole est réduit à la
culture de petites parcelles de millet, de manioc, etc. Pendant
la saison d'été, l'aborigène est obligé de creuser, parfois jusqu'à une profondeur de dix mètres, des puits dans les lits
desséchés et sablonneux des rivières ; il dépend, pour maintenir ses animaux en vie, des casimbas, petites lagunes natu-
290
LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE
relies, et des bassins artificiels qu'il aménage au moyen de
remblais de terre ; récemment, la région a souffert d'une
terrible sécheresse qui a entraîné la mort de milliers de têtes
de bétail et l'émigration de tribus entières. L'aborigène Guajiro fait du commerce avec des bateaux provenant de Curaçao,
d'Aruba et de la Jamaïque, qui accostent pour embarquer
du bétail, du fromage, du cuir, etc., ainsi qu'avec ses voisins
de Riohacha (Colombie) et de Sinamaica 1.
Pour les rares groupes forestiers restreints, l'agriculture
constitue l'occupation principale (particulièrement la culture
du riz). En général, les missionnaires cherchent à attacher
l'Indien au centre missionnaire en l'employant dans des
exploitations agricoles sédentaires. Dans quelques régions
propices à l'élevage (Etat de Bolivar), ce développement
rentre dans les possibilités locales. La mission d'Araguay,
dans le Territoire fédéral du Delta Amacuro, se préoccupe de
développer parmi les Indiens l'exploitation des différentes
essences de bois. L'Etat de Bolivar comprend de petits groupes
aborigènes qui se livrent à des travaux miniers selon des
méthodes primitives 2.
FOIRES ET MARCHÉS INDIGÈNES DANS QUELQUES PAYS
D'AMÉRIQUE LATINE
Le troc existe même parmi les peuplades les plus isolées, les
plus inaccessibles ou les plus craintives, que ce soit entre les
membres d'un même groupe ou entre tribus et populations
différentes. Le simple échange de produits, même non accompagnés de paroles, qui s'effectue sans témoins au plus profond
de la jungle, en Asie, en Amérique et en Afrique, est l'indice
d'une nécessité économique et d'un embryon de commerce.
A mesure que se développe la confiance entre les individus,
on note l'apparition de marchés locaux pour le commerce de
troc, et, dans les civilisations plus avancées, on voit se déve1
D'après des données extraites de Paul KIRCHHOFF : « Food-Gathering Tribes
of the Venezuelan Llanos », Handbook of South American Indians, vol. 4 : The
Circum-Caribbean Tribes, op. cit., pp. 445-468 ; Lisandro ALVARADO : Datos
etnográficos de Venezuela (Caracas, Biblioteca Venezolana de Cultura, 1945), pp. 2685 ; Alfredo J A H N : Los aborígenes del occidente de Venezuela : Su historia, etnografia y afinidades lingüisticas (Caracas, Del Comercio, 1927), passim; Miguel
ACOSTA SAIGNES : Esquema de las áreas culturales de Venezuela, loe. cit., et Teoría
de la estructura económicosocial de Venezuela (Caracas, 1948), passim; R. P . Cesáreo
D E ARMELLADA : « Los indios motilones », Venezuela misionera (Caracas),
X m e année, n° 119,1948 ; et R . P . Baltasar D E MATALLANA : Labor de los padres capuchinos en la misión del Caroni (Venezuela), op. cit., pp. 20, 26, 30-31,57, 66-70, 78.
2
Communication du gouvernement vénézuélien au B.I.T., juillet 1952. Sur
l'activité des missions religieuses, voir chap. X I .
METIEBS ET OCCUPATIONS
291
lopper des marchés et des foires régionaux où la monnaie est d'un
usage courant, signe évident d'une évolution culturelle et matérielle avancée, ou dont l'activité se fonde encore sur l'échange 1 .
En Amérique latine, parmi les populations sylvicoles, et
même parmi les populations sédentaires et isolées qui résident en altitude ou le long de la côte, le commerce de troc
est prédominant. Si, dans le cas des tribus sylvicoles le grand
obstacle au commerce est constitué par le manque d'une
monnaie (encore que l'on rencontre souvent des succédanés
de monnaie ou, comme dit Montandon 2 , des monnaies naturelles, utilitaires ou symboliques), les populations sylvicoles
de culture plus avancée n'éprouvent pas moins de difficultés
à établir des relations commerciales, soit parce que les moyens
de transport sont encore primitifs et épuisants (les peuples
précolombiens ignoraient l'usage de la roue et avaient recours,
comme leurs descendants le font encore, au portage et aux
bêtes de somme), soit parce que la navigation est encore
rudimentaire, soit enfin parce que, faute d'une protection
suffisante, les aborigènes sont lésés dans leurs transactions
commerciales 3.
En Bolivie, en Equateur, au Guatemala et au Pérou, le
commerce a atteint un état d'évolution avancé. L'écoulement
des produits de l'artisanat sera traité dans un chapitre ultérieur 4 ; les indications données ci-dessous sur le commerce
des Indiens dans les quatre pays énumérés compléteront ce
qui a déjà été exposé à ce sujet dans le présent chapitre.
Bolivie
En règle générale, la production de la population indigène
est une production de subsistance. Cependant, comme elle
1
Certains articles, tels que la coca, les teintures d'aniline, les chapeaux et les
articles textiles sont fréquemment vendus contre des espèces, tandis que d'autres
sont toujours obtenus par le troc. Dans les hautes altitudes, les produits des vallées,
en particulier les céréales et les piments, sont vendus contre de la monnaie. La coca
est souvent achetée collectivement, et dans ce cas, une sorte de coopérative de
consommation se forme presque spontanément. (Cf. Bernard MISHKIN : « The Contemporary Quechua », Handbook of South American Indians, vol. 2 : The Andean
Civilizations, op. cit., p. 437.) La pharmacopée indigène occupe également une
place importante sur les marchés régionaux ; au Pérou, les foires sont fréquentées
par les guérisseurs et les sorciers indiens, qui pratiquent également leur profession
itinérante en Bolivie. Voir Luis E. VALCÁRCEL : « Indian Markets and Fairs in
Peru », ibid., p . 478 ; et Gustavo Adolfo OTERO : « El profesionalismo de loa indios
callahuayas, Bolivia », América Indígena, vol. X I , n° 1, janv. 1951, pp. 55-68.
2
3
4
George MONTANDON, op. cit., pp. 614-615.
Luis PERICOT Y GARCÍA : America Indigena,
Voir chap. X .
op. cit., p p . 131-134.
292
LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE
ne suffit pas pour répondre à ses besoins, l'aborigène a fréquemment recours au commerce de troc, échangeant les produits
dont il dispose pour d'autres provenant de régions où le climat
est différent. Les principaux courants de ce commerce sont
ceux qui se trouvent établis entre la région des hauts plateaux
et les vallées intermédiaires. La vallée reçoit des huiles et des
laines, du bétail sur pied et des tubercules en échange principalement de maïs, que les vallées produisent en abondance.
Il existe un autre courant analogue entre le haut plateau et
les vallées semi-tropicales ; dans ce cas, les principaux produits
d'échange sont la fécule et la tunta, qui peuvent se conserver
pendant longtemps dans l'humidité de la région tropicale,
ainsi que la viande salée, indispensable dans une région où
l'élevage n'est pas développé, qui sont troquées contre de
la coca, du maïs, des fruits, de l'alcool et du locoto (variété
locale de piment équivalant au chile mexicain, très appréciée
par les indigènes des régions élevées).
Sur le haut plateau lui-même, le commerce indigène régulier est assez limité ; il y a lieu de mentionner à titre d'exemple,
dans la région du lac Titicaca, le troc ou la vente des joncs de
totora comme fourrage pour les ânes et les mulets, des radeaux
de totora, des poissons, etc., commerce assez intense lors de
certaines des fêtes religieuses annuelles qui se célèbrent dans
cette région. A cet égard, on peut citer notamment la fête de
Copacabana, à laquelle se rendent des milliers d'Indiens venus
de toutes les parties du pays ainsi que du sud du Pérou et du
nord de l'Argentine. Les autres fêtes importantes sont celles
de San Andrés (près de Corocoro) et de Pacajes. Lors de ces
fêtes, les commerçants indigènes doivent souvent payer une
redevance à la municipalité pour le droit d'occuper un petit
emplacement (sentaje)1.
Chez les groupes indigènes qui, du fait qu'ils habitent à
proximité de centres urbains importants, ont acquis un sens
plus développé de l'adaptation aux activités économiques
(districts voisins des villes de La Paz et de Oochabamba),
on trouve également certaines activités commerciales plus
organisées. Les Aymarás du haut plateau ont pris l'habitude
d'acquérir des bêtes de somme (délaissant le lama, qui se
prête moins aux transports rapides à grande distance), avec
lesquelles ils exercent un commerce prospère consistant à
acheter dans les villes de la farine, du riz et du sucre importés
1
Weston L A B A R R E : The Aymara Indians of the Lake Titicaca Plateau,
op. cit., p. 153.
Bolivia,
MÉTIERS E T OCCUPATIONS
293
et à les acheminer vers les régions tropicales éloignées, où ils
les revendent avec grand bénéfice, le voyage de retour servant
au transport des fruits vers les marchés des villes. La construction des routes et le développement des transports motorisés
ont considérablement affecté cette branche naissante du
commerce indigène. Cependant, un commerce analogue est
toujours florissant et actif dans le département de Cochabamba, où l'élément indigène, mieux adapté aux contacts
avec les Blancs, pratique un trafic de même nature avec les
régions éloignées, et réalise un double bénéfice en vendant
certaines denrées vivrières aux groupes indigènes et en leur
achetant les produits qui leur sont propres.
Equateur
L'écoulement d'une bonne partie de la production artisanale
aborigène se fait grâce à un réseau de foires et de marchés
locaux et régionaux ; ceux d'Otavalo, d'Ambato et de Saquisili
sont les plus connus, tant par la variété des articles mis en
vente que par la grande affluence de vendeurs et d'acheteurs
venant de diverses parties du pays 1 . Il existe, en outre, dans
certaines collectivités des commerçants indiens qui servent
d'intermédiaires entre les marchés et les consommateurs et
qui vont de ville en village, à pied, en autobus ou conduisant
leur âne, offrir les produits de l'artisanat. Dans certains
districts de la Sierra, on trouve même des commerçants
ambulants aborigènes qui, doués d'un sens aigu des affaires,
achètent les produits artisanaux à la foire locale et vont les
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revendre à crédit, moyennant le versement d'acomptes bimgn*»''-*"'
suels ou mensuels 2.
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Dans plusieurs localités des hauts plateaux du Guatemala,
la distribution des produits commerciaux de l'artisanat (ou
de l'agriculture) aborigène est entre les mains de personnes
appartenant à des collectivités agricoles déterminées et qui
achètent la production dans les villages et localités de la
1
Pour une description colorée et abondamment illustrée de la foire d'Otavalo,
lire John COLLIER, Jr., et Aníbal BUITRÓN : The Awakening Valley (Chicago, The
University of Chicago Press, 1949), et également Elsie CLEWS PARSONS : Peguche,
Canton of Otavalo, Province of Imbabura, Ecuador. A Stiidy of Andean Indiana
(Chicago, University of Chicago Press, 1945), p. 30.
2
Gonzalo RUBIO ORBE : Nuestros indios (Quito, Imprenta de la Universidad,
1947), p. 225.
294
LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE
région pour l'écouler au détail sur les marchés régionaux.
Ces intermédiaires sont nombreux à Chichicastenango, et l'on
a estimé que les commerçants ambulants aborigènes de cette
localité passaient près des cinq septièmes de leur temps sur
les chemins qui les conduisent aux marchés 1.
Pour le transport de sa production agricole ou artisanale, le
paysan s'en tient à un système primitif : il se charge lourdement
et parcourt de longues distances, ployant sous son fardeau. Cette
méthode extrêmement fatigante est un des indices les plus probants
de la pauvreté des campagnes et l'un des spectacles les plus affligeants qui se puissent voir 2.
Depuis une quinzaine d'années, grâce à la politique de
développement du réseau routier mise en œuvre par le gouvernement, les commerçants ambulants aborigènes qui cessent
de courir les chemins pour voyager en autobus sont de plus
en plus nombreux. Dans certaines régions du pays, cette
modification semble s'être traduite par un accroissement de
la production artisanale aborigène 3.
Plus de 25.000 marchés régionaux sont tenus chaque
année dans le pays, sans compter ceux qui sont organisés lors
des fêtes patronales ou à d'autres occasions dans chaque
commune. Selon une enquête effectuée par l'Institut national
des affaires indigènes, 193 des 311 (aujourd'hui 318) municipalités du pays organisent des marchés réguliers ; dans les
régions à population aborigène, ces marchés se tiennent une
ou deux fois par semaine. Dans 75 pour cent des cas, c'est de
deux à trente kilomètres à la ronde que l'on vient écouler ses
produits et s'approvisionner au marché. Dans certaines agglomérations situées le long des anciennes routes commerciales,
le marché aborigène s'est transformé en un important centre
régional d'échanges où les vendeurs viennent non seulement
de diverses régions du pays, mais aussi de districts adjacents
du Mexique, du Honduras et du Salvador 4.
1
Pour plus de détails, voir Boberto R E D F I E L D : « Primitive Merchants in
Guatemala », The Quarterly Journal of Interamerican Relations, vol. I, n° 4, oct.
1939, pp. 42-56.
2
Crédilo agricola supervisado farà Guatemala, op. cit., p. 79.
3
Voir Manuel NORIEGA MOEALES : o El indio como factor económico de
Guatemala », Anales de la Sociedad de Geografia e Historia (Guatemala), déc. 1942.
4
Voir « Mercados regionales de Guatemala », Boletín del Instituto
Indigenista
Nacional (Guatemala), juin-sept. 1947 ; et Crédito agricola supervisado para Guatemala, op. cit., pp. 77-80.
METIERS ET OCCUPATIONS
295
Mexique
Certains noyaux aborigènes tels que les Zapotèques, les
Yalaltèques, les Chatino (Oaxaca) et les Tarasques (Michoacán)
travaillent de préférence comme muletiers et comme porteurs.
Ce sont parfois des collectivités entières qui s'adonnent à ces
occupations spécialisées. Chez les Tarasques, il y a lieu de
mentionner comme occupation typique le métier du colporteur
(huacalero), qui, le dos chargé des marchandises les plus
diverses, court les foires locales ou régionales. Ces colporteurs
sont également nombreux chez les Yalaltèques (Oaxaca)
et les Huastèques (Veracruz et San Luis Potosí). En ce colporteur tarasque — le huacalero, appelé aussi inspikuriri —
revit le tameme (porteur) de l'époque coloniale. « Le transport
à dos d'homme des marchandises, du lieu de production au
marché voisin... est un système extrêmement répandu 1 . »
Le huacalero couvre parfois de longues distances pour transporter les produits du haut plateau aux marchés métis des
régions périphériques. Le transport à dos d'âne ou de mulet
(fieteria), constitue une activité-type du commerçant professionnel aborigène de la région ; ce système est utilisé surtout
pour les échanges de marchandises entre le haut plateau et
les terres chaudes. A l'heure actuelle, le porteur et le muletier
« sont remplacés petit à petit par l'autobus ou le camion,
voire par l'avion, véhicules dont l'usage est de plus en plus
fréquent 2 ».
Comme dans d'autres pays de l'Amérique latine, la distribution d'une partie considérable de la production des artisans
et des agriculteurs aborigènes s'effectue au moyen des marchés
locaux et des foires régionales. En règle générale, le marché a
lieu une fois par semaine tandis que la foire se tient une fois
par an à l'occasion de quelque fête religieuse. C'est ainsi par
exemple que dans le secteur du plateau tarasque, plusieurs
foires ont une grande importance économique, notamment
celles de la Fête-Dieu à Paracho (deuxième dimanche d'août),
de Nahuatzen (25 août) et de Charapán (à la Saint-Antoine).
C'est par milliers que vendeurs, producteurs et revendeurs
professionnels (rescatones), en majeure partie des femmes
(75 pour cent), accourent à ces foires 3.
1
Gonzalo AGUIBRB 'BEI/TRAN : El problema de la población indigena de la cuenca
del Tepalcatepec, op. cit., p . 230.
2
Ibid., p . 15.
3
Ibid., p p . 223-227.
il*
296
LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE
Pérou
Les foires et marchés attirent, au Pérou, de très grands
concours de population venant non seulement d'autres
districts du pays, mais aussi des régions frontières de l'Equateur et de la Bolivie. En règle générale, la foire coïncide avec
une fête religieuse (c'est le cas par exemple pour la grande
foire de Pâques d'Ayacucho et d'Apurimac), tandis que le
marché se tient chaque semaine, à jour fixe, le dimanche à
Huancayo, le samedi à Chupaca, etc. La foire de Pucará attire
parfois près de 15.000 personnes venant de diverses régions de
la Sierra et de la côte, ainsi que du nord de la Bolivie. (De son
côté, la foire de Copacabana, sur la rive bolivienne du lac
Titicaca, réunit à certaines occasions jusqu'à 50.000 personnes
venant de Bolivie, du Pérou et du nord de l'Argentine 1 .) Il y
a également lieu de citer parmi les foires importantes celles
de Yunguyo, Eosaspata, Vilque et Llave, au sud du pays.
Le commerce en gros s'effectue par l'intermédiaire de revendeurs (rescatadores), métis pour la plupart.
CANADA
Indiens
Les Indiens du Canada sont surtout chasseurs et trappeurs,
pêcheurs, sylviculteurs et agriculteurs. Dans quelques districts,
un nombre assez important d'entre eux travaillent dans les
fabriques, dans la construction et sont employés comme
domestiques.
Répartition par métier en 1941.
Le tableau ci-après montre la répartition professionnelle
de la population indigène économiquement active, établi
d'après les résultats du recensement de 1941.
1
Luis E . VALCARCEL : « Indian Markets and Fairs in Peru », Handbook of South
American Indians, vol. 2 : The Andean Civilizations, op. cit., p p . 477-482. Dans le
même volume, voir également, a u sujet d'autres pays que le Pérou, les chapitres
de : Bernard MISHKTN : « The Contemporary Quechua », p p . 434-437 ; Wendell C.
B E N N E T T : « The Atacameño », p . 607 ; Gregorio H E R N Á N D E Z D E A L B A : « The
Highland Tribes of Southern Colombia », pp. 931 et 944 ; A. L . K R O E B E R : « The
Chibeha », p p . 901-902 ; et Harry T S C H O P Œ , J r . : « The Aymara », p p . 537-538.
Parmi les nombreux ouvrages consacrés à ce sujet, voir également Gerardo REICHELDOLMATOFF : « Los Kogi, una tribu de la Sierra Nevada de Santa Marta, Colombia »,
Revista del Instituto Etnològico Nacional (Colombia), vol. IV, n ° 8 1 e t 2, 1949-50,
pp. 119-123 ; Mario C. VÁSQUEZ VÁRELA : « La antropología cultural y nuestro
problema del indio : Vicos — u n caso de antropologia aplicada », Perú Indigena
(publication de l'Institut péruvien des affaires indigènes), vol. I I , n o s 5 e t 6, juin
1952, pp. 110-114 ; e t Charles WISDOM : The Chorti Indians of Ghiatemala, op. cit.,
pp. 24-38.
297
MÉTIEES ET OCCUPATIONS
TABLEAU X X X I . —
CANADA: POPULATION
ABORIGÈNE
É C O N O M I Q U E M E N T ACTIVE PAR P R O F E S S I O N E T PAR
(Personnes
de quatorze ans au
SEXE
moins)
Profession
Hommes
Femmes
Sylviculture, pêche, piégeage
Agriculture
Travaux miniers, carrières, pétrole . . .
Industrie manufacturière
Electricité, gaz, eau
Construction
Transport et communication
Commerce
Finance e t assurances
Services (publics, professionnels e t domestiques)
Emplois non déclarés
Total . . .
19.609
11.186
238
1.747
93
1.062
839
374
20
259
296
1
515
1
69
10
19.868
11.482
239
2.262
94
1.062
847
443
30
767
967
1.972
14
2.739
981
36.902
3.145
40.047
Tolal
Source : Communication du gouvernement du Canada en date du 25 février 1949. La structure
économique du pays s'étant modifiée durant et après la guerre, les chiffres concernant certaines
des activités mentionnées ont pu subir des variations à partir de 1941. Dans l'ensemble, toutefois,
les proportions indiquées semblent rester valables.
Ces chiffres se rapportent tant aux Indiens inscrits comme
membres des réserves 1 qu'à ceux qui s'embauchent, fréquemment pour des périodes temporaires, hors des réserves, dans le
pays même ou à l'étranger, et dont la proportion a été évaluée
à 50 pour cent environ.
La majorité des réserves et des « bandes » indigènes possèdent des fonds fiduciaires administrés pour eux par le Service
des affaires indiennes. Ces fonds, qui sont constitués principalement par le produit de la vente des ressources naturelles,
s'élevaient à plus de 18 millions de dollars en 1946, alors
qu'ils ne représentaient que 200.000 dollars en 1870.
Revenus des aborigènes.
Le tableau ci-après indique la valeur et la provenance des
revenus indigènes en 1946, par province et par territoire.
Aide fournie à Véeonomie aborigène.
Le gouvernement fédéral aide l'aborigène à développer les
activités qui lui permettent d'utiliser les ressources de la
1
E n ce qui concerne le régime de propriété appliqué dans les réserves, voir
chap. I X .
298
LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE
TABLEAU
XXXII.
DES
—
CANADA : VALEUR, E T
REVENUS
DES INDIENS,
(En dollars
PROVENANCE
1946
canadiens)
Revenus provenant de diverses exploitations
et activités
Province
ou
territoire
Produits
agricoles
Ile du PrinceEdouard . . .
3.000
7.150
Nouvelle-Ecosse
Nouveau4.450
Brunswick . .
132.210
Québec . . . . 295.340
Ontario . . . . 245.648
Manitoba . . . 527.903
Saskatchewan . 470.087
Alberta . . . .
842.666
Colombie
britannique .
5.476
Territoires du
Nord-Ouest .
Total . . 2.533.930
Viande
de bœuf
vendue
ou consommée
comme
nourriture
600
220
Pêche
650
900
900
4.400
22.882
6.922
56.910 342.933
42.840
141.640
124.174
37.258
263.140
11.130
222.560 1.866.670
néant
14.975
Chasse
et
piégeage
750
1.300
Salaires
Autres
revenus
R evenu
total '
1.400
98.500
10.900
119.062
3.100
29.820
72.800
526.887
214.291 979.795
960.085 1.046.934 1.771.000
260.575 230.301 153.600
115.038
528.417 429.191
386.294
510.091 257.156
115.470
1.882.987
4.473.202
1.074.604
1.761.981
1.897.898
439.730
6.192.610
471.000
4.500
10.992
623.384 2.197.600
24.805
19.970
536.226
734.226 2.427.478 3.164.759 3.223.535 5.981.012 18.064.940
Source : DEPARTMENT OF TRADE AND COMMERCE, Dominion liureau of Statistics : The Canada
Book, 1948-49 (Ottawa, 1949), p. 1175.
1
Year
Comprend le revenu provenant du bois et des droits miniers, des intérêts portés parles fonds administrés
et ilu produit des loyers des terres.
réserve tout en lui laissant le loisir de travailler dans les régions
voisines. Ainsi, le Service des affaires indiennes envoie des
moniteurs agricoles dans les réserves et, conjointement avec
les « bandes » indiennes, gère des exploitations où les aborigènes apprennent la pratique de l'agriculture. Cette méthode
a été adoptée surtout pour les Indiens des plaines, dont la
subsistance dépendait essentiellement de l'économie primitive du bison et que la disparition de cet animal, survenue en
1878, a laissés dans un état voisin de la misère. Désormais,
les Indiens de la prairie sont véritablement devenus agriculteurs ; ceux de l'est du pays ont même reçu une instruction
agricole. En général, on peut dire que, dans les régions où les
ressources naturelles se prêtent à l'exploitation agricole,
l'Indien est devenu un bon agriculteur et un bon éleveur.
MÉTIERS ET OCCUPATIONS
299
Dans divers districts indigènes de la partie ouest du pays,
le Service des affaires indiennes a créé des élevages expérimentaux de petit bétail et a mis à la disposition des réserves
des machines agricoles modernes que les Indiens utilisent sous
la direction d'instructeurs fonctionnaires fédéraux. Dans
d'autres districts, le Service a établi des scieries (douze au
total) et en exploite quelques-unes en commun avec les
Indiens.
Protection de la chasse et de la pêche.
Près de la moitié de la population aborigène habite l'extrême nord du Dominion et tire sa subsistance principalement de la chasse et de la pêche. Afin de la protéger contre le
caractère aléatoire de la chasse et les fluctuations du prix des
peaux, le gouvernement fédéral a, aux termes d'accords
spéciaux passés avec le gouvernement des provinces, constitué
de vastes réserves de chasse et il a créé, dans quelques-unes
de ces réserves, des centres de développement de l'industrie
de la pelleterie. Ainsi, dans le district voisin de Le Pas (Manitoba), sur une superficie de 170.000 hectares, s'est développée
avec succès l'industrie des peaux de rat musqué ; dans les
provinces de l'Ontario et de Québec prospèrent huit réserves
de castors ; en 1948, deux réserves plus anciennes, situées sur
le fleuve ïïottaway et dans le district d'Abitibi (Québec) ont
donné plus de 10.000 peaux de castor qui ont rapporté aux
Indiens un gain d'environ 100.000 dollars.
Plusieurs groupes d'Indiens du littoral de la Colombie
britannique se consacrent avec profit à la pêche commerciale.
Ils arrivent généralement à se suffire, mais reçoivent une certaine
assistance du Service des affaires indiennes, en vue surtout
de l'achat d'outillage de travail. En 1952, le Service a étudié
les moyens d'amener les groupes aborigènes des Territoires
du ISTord-Bst, dont la traditionnelle occupation est la chasse,
à pratiquer la pêche commerciale, afin de leur procurer une
source supplémentaire de gain en prévision des périodes
de morte-saison.
Migrations intérieures et emploi à Vétranger.
Un pourcentage indéterminé d'Indiens quitte périodiquement son habitat pour s'embaucher dans les cultures de
houblon de la Colombie britannique (Canada), pour les travaux de récolte des fruits et dans les entreprises sylvicoles
de l'Etat de Washington (Etats-Unis). En outre, de nombreux
300
LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE
Indiens sont occupés dans les cultures de pommes de terre
des provinces maritimes. Les aborigènes de ces provinces
traversent aussi la frontière de l'Etat du Maine (Etats-Unis)
à l'époque de la récolte de ce tubercule.
Artisanat.
L'artisanat domestique constitue une source supplémentaire de gain, particulièrement pendant les périodes où aucun
autre travail n'est possible. Mais un petit nombre seulement
d'Indiens sont capables de se consacrer avec profit à ce genre
d'activité. De plus, les débouchés de la production artisanale
indienne sont limités.
Esquimaux
Les Esquimaux sont chasseurs, trappeurs et pêcheurs.
Ils tirent principalement leur nourriture du phoque, du cheval
marin, de la baleine blanche, de la truite de mer et, dans le
district de Keewatin, du caribou.
Protection des sources de revenus.
Les Esquimaux, en échange de peaux de renard blanc,
se procurent dans les ports commerciaux de l'Arctique divers
produits manufacturés. Le gouvernement a signalé que
l'irrégularité des résultats de la chasse tant en ce qui concerne
l'alimentation que les peaux, et les énormes fluctuations des
prix sur le marché des peaux, rendent une telle économie
assez précaire 1. L'épuisement de la faune régionale et ces
fortes fluctuations dans le prix des peaux préoccupent le
gouvernement. Le ministère des Ressources et du Développement économique a pris des mesures, par l'intermédiaire de
ses représentants dans le nord du pays, en vue d'assurer la
conservation des espèces animales.
ETATS-UNIS
Bien que suffisamment abondantes, les informations relatives aux métiers des Indiens des Etats-Unis se rapportent
surtout aux programmes et mesures de politique sociale exposés
au chapitre X I . C'est pourquoi seules seront données ici quelques
indications d'intérêt général sur les activités économiques de
ces populations, avec quelques détails plus précis sur des tribus
Communication du gouvernement canadien en date du 25 février 1952.
MÉTIERS ET
301
OCCUPATIONS
dont la situation a suscité un intérêt spécial de la part des
pouvoirs publics.
Avoirs et revenus des Indiens des réserves
D'après les informations ci-après et d'autres sources,
il semble bien que les principales activités économiques dans
les réserves soient l'agriculture, l'élevage, la sylviculture et le
travail dans les mines. D'ailleurs, la quantité et la qualité des
ressources disponibles varient considérablement, non seulement
d'une tribu à l'autre, mais encore au sein d'une même tribu.
T A B L E A U X X X I I I . — É T A T S - U N I S : AVOIRS E T R E V E N U S
DES INDIENS DES RÉSERVES
Avoirs :
Bétail (têtes) :
pour la boucherie
363.358
vaches laitières
47.580
Terres (hectares) :
en pâturage
13.470.000
en culture
401.760
Revenus (en dollars) :
Bétail et produits de l'élevage
Activités exclusivement agricoles
Sylviculture
Artisanat (1945)
Travail salarié (1945)
30.973.800
25.377.546
4.589.000
1.300.000
24.700.000
Source : UNITED STATES INDIAN SERVICE : American Indians (Pamphlet H) (Washington
1949), p. 28. Sauf indication contraire, les données portent sur l'année 1948.
Ainsi, par exemple, si les Indiens Osage de l'Etat d'Oklahoma (au nombre de 3.000 environ) ont, en quarante ans à peu
près, tiré de leurs terres un revenu supérieur à 250 millions de
dollars en droits de concessions à des entreprises pétrolières,
si, d'autre part, la tribu Menominee (Wisconsin) et la tribu
Klamath (Oregon) possèdent d'excellentes terres à bois et
exploitent des scieries qui sont propriétés tribales, d'autres
tribus, beaucoup plus importantes du point de vue numérique,
éprouvent les plus grandes difficultés à trouver de quoi vivre.
Dans la plupart des cas, aux Etats-Unis, les ressources
minérales des réserves sont exploitées pour le compte de
concessionnaires étrangers aux tribus et qui doivent être agréés
par le département de l'Intérieur. Les chiffres de 1948 indiquent
la superficie des terres appartenant aux Indiens, avec la production correspondante : terres concédées pour l'exploitation du
gaz et du pétrole, 415.000.040 hectares ; nombre de concessions
accordées à cette fin, 11.302 ; autres terrains loués pour l'exploitation d'autres ressources minérales, 20.800 hectares ; produc-
302
LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE
tion pétrolière totale entre 1933 et 1945, 251 millions de barils
de pétrole, plus le gaz naturel. Du 30 juin 1947 au 30 juin 1948,
les revenus des tribus et des particuliers obtenus au titre de la
location des terres et de la production des minéraux s'élevaient
à environ 12 millions de dollars 1 .
Problèmes particuliers à certaines tribus
En contraste frappant avec la condition des tribus dont il
vient d'être question est celle des Navajo, des Hopi et des
Papago (Arizona et Nouveau-Mexique), ainsi que celle des
différents groupes d'Indiens Pueblo qui habitent le long du
rio Grande ; tous ces Indiens — on le verra dans le chapitre
suivant — vivent dans la misère du fait de la pauvreté et de
l'épuisement de leurs terres.
Les Navajo.
En ce qui concerne les Navajo, lorsque a été examinée
en 1948, devant une commission parlementaire, l'opportunité
de promulguer une loi visant à venir en aide aux Navajo et
aux Hopi et à relever leur niveau de vie 2, environ 61.000
personnes de cette tribu, soit à peu près 12.000 familles, habitaient la grande réserve qui s'étend sur des territoires du
Nouveau-Mexique, de l'Arizona et de l'Utah. Sur ces 12.000
familles, qui étaient en rapide accroissement, 9.334 vivaient
de l'agriculture et, sur celles-ci, 6.700 n'avaient guère plus
de 500 dollars de revenus nets par an. Si l'on tient compte du
fait que, dans une économie de subsistance, fondée sur l'élevage
des moutons pour la laine, 250 moutons par famille sont
nécessaires pour assurer des revenus suffisants, seules 129
familles sur 9.334 possédaient de 200 à 300 moutons et 6.134
n'en possédaient guère qu'une centaine.
Les Navajo ont produit en 1946 plus de 2.100.000 livres
de laine non dégraissée, mais la transformation de 310.000
livres de laine en tapis leur a rapporté à peine 5 à 6 cents de
l'heure ; signalons que les taux horaires normaux de rémunération des ouvriers occupés à la production et à la transformation
1
BUREAU o r INDIAN AFFAIRS : Annual
Report
of the Commissioner
to the
Secretary of the Interior. Fiscal Year Ended June 30, p . 376.
2
Voir Max M. DREFKOFF : « An Industrial Program for the Navajo Indian
Reservation », e t J . A. KRUG : « The Navajo—A Long-Range Problem for Navajo
Rehabilitation», reproduit dans U N I T E D STATES SENATE, Eightieth Congress,
Second Session, Subcommittee of t h e Committee on Interior and Insular Affairs :
Hearings...
on a Bill to Promote the Rehabilitation of the Navajo and Hopi
Tribes... March 29, April 21, 22, 23 and 29, 1948 (Washington, Government
Printing Office, 1948), pp. 244-261 et 484-529.
METIERS ET OCCUPATIONS
303
de la laine varient entre 75 cents et 1 dollar. C'est là une preuve,
comme l'a exposé le représentant des Indiens îtfavajo, que,
sauf dans la réserve, l'artisanat artistique fournit au travailleur
manuel des revenus horaires plus importants que ceux que lui
procurerait la fabrication d'articles faits à la machine. Les
revenus généraux de la tribu pourraient s'accroître considérablement si celle-ci renonçait à produire des matières premières
— cuir, bois, laine — et des chevaux (pour la vente et la consommation de la viande), et si des mesures étaient prises pour
protéger les industries naissantes, pour stimuler le développement de l'artisanat et des coopératives de crédit, généraliser
les méthodes mécaniques modernes de production et créer de
nouvelles occupations et de nouvelles sources de revenus grâce
à la transformation de l'économie en vue de la production
d'articles finis et de produits de l'élevage et en vue de l'exploitation forestière et de l'agriculture. La plupart des ventes de laine,
de cuir, de chevaux sur pied s'opèrent généralement sous la
forme du troc, contre des aliments, des chaussures et des
vêtements.
Les ressources dont disposent actuellement les Navajo
consistent en une vaste superficie de prairies naturelles pauvres,
une surface restreinte de terres irriguées, quelques bois, des
gisements non encore estimés de charbon, de pétrole et d'autres
minéraux, une aptitude spéciale pour les arts et une importante
offre de main-d'œuvre, généralement non qualifiée et illettrée.
Exploitées au maximum, ces ressources pourraient suffire à
assurer l'existence de 35.000 personnes dans une économie de
subsistance : pourtant, en 1948, 61.000 Navajo vivaient dans
la réserve alors que, dans les conditions qui régnaient alors,
on n'aurait dû y conserver que 20.000 personnes. La nouvelle
législation adoptée en 1949 apporte certaines solutions aux
problèmes ainsi posés *. Le tableau X X X I V fournit quelques
données sur les revenus de quatre tribus d'Indiens des EtatsUnis et sur les terres qui leur appartiennent en propre, ainsi
que sur les terres de l'Etat dont ils ont l'usufruit.
Abandon des réserves en vue de la recherche
de nouveaux revenus.
En 1948, le nombre des familles indiennes qui se consacraient à l'agriculture étaient de 40.200. Cependant, en raison
de la pauvreté des terres, de nombreux Indiens se voient
1
Annual Report of the Secretary of Interior.
(Washington, 1949), p. 346.
Fiscal Year Ended June 30, 1949
304
LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE
TABLEAU X X X I V . — É T A T S - U N I S : T E R R E S E T R E V E N U S D E S T R I B U S N A V A J O ,
HOPI, BLACKFEET E T P I N E RIDGE,
Population
Tribus
Terres
en
usufruit
Terres
tribales
Acres
Acres
Revenus totaux
Total .
Hopi . .
3.603
631.019
631.194 Agriculture . .
Travail salarié .
Artisanat . . .
Produits autochtones
Autres sources .
Total .
Blackfeet . .
(Montana)
4.527
628.812
80.290 Agriculture . .
Travail salarié .
Artisanat . . .
Produits autochtones
Autres sources .
Total .
Pine Ridge .
(Dakota du
Sud)
9.144
766.020
Autres
prove-
Provenant d'activités
rémunérées
56.483 13.722.947 14.476.789 Agriculture . .
Travail salarié .
Artisanat . . .
Produits autochtones
Autres sources .
Navajo .
1946
250.987 Agriculture . .
Travail salarié .
Artisanat . . .
Produits autochtones
Autres sources .
Total .
Source : Hearings... on a Bill to Promote the Rehabilitation
II, IV et VI, pp. 532, 533 et 535.
$
2.811.195
7.892.285
364.800
386.410
28.364
11.483.054
2.056.944 239,71
187.657
116.203
6.311
5.216
17.052
332.439
93.512 118,22
481.926
171.548
2.521
28.000
52.872
736.867
444.564 260,97
549.497
502.318
6.402
5.000
1.063.217
634.385 185,65
of the Navajoand Hopi Tribes, op. cit., tableaux
obligés d'abandonner leurs réserves pour chercher de nouveaux
revenus ; ils travaillent comme salariés dans les exploitations
productrices de légumes, dans les plantations d'arbres à fruits,
dans les chemins de fer, sur les routes, etc. 1 . Ainsi, par exemple,
pendant la campagne 1948, environ 3.000 Navajo ont été
recrutés pour travailler dans les champs de betteraves, les
cultures de céleris, de pommes de terre, de tomates et autres
légumes dans l'Etat de l'Utah. Au cours des dernières années,
1
Revenu
par
personne
Communication du département du Travail des Etats-Unis, juillet 1950.
MÉTIERS E T OCCUPATIONS
305
le nombre des ïTavajo qui ont quitté leurs réserves de leur
propre initiative n'a cessé de croître 1.
Travail salarié.
E n 1945, une proportion de 37,5 pour cent du revenu
total de la population indienne provenait du travail salarié.
Pour certaines tribus, cette forme de travail est devenue
la principale source de revenus. Ainsi, en 1937, 71 pour cent du
revenu des Papago provenaient de l'utilisation des ressources
naturelles et 27 pour cent seulement provenaient du travail
salarié. Dix ans plus tard, les proportions étaient inversées et
les revenus de la tribu provenaient pour 56 pour cent du travail
salarié et pour 39 pour cent de l'utilisation des ressources
naturelles 2.
Malgré les revenus d'appoint provenant du travail salarié,
bon nombre d'Indiens des réserves ne parviennent pas à
gagner suffisamment pour subvenir à leurs propres besoins
pendant toute l'année. Le déficit est couvert partiellement au
moyen de subventions du gouvernement. En 1948, cette
assistance s'est élevée à 4,3 pour cent du revenu total de la
population indienne.
Artisanat.
Quelques groupes consacrent une partie de leur temps à la
production d'articles artisanaux (articles textiles, vannerie,
poterie, travail de l'argent, du cuir, etc.). En 1945, la vente de
ces produits a fourni environ 7 pour cent du revenu total
effectif.
Principales occupations
Le tableau XXXV indique la répartition de la population
indienne par métiers principaux en 1940. On observera que
l'emploi était plus généralisé dans la région de l'Ouest où se
trouve une plus grande concentration d'Indiens. Dans cette
région résident 57 pour cent du total de la population indienne
économiquement active. Pour l'ensemble du pays, plus de la
moitié des Indiens occupés travaillaient dans des exploitations
agricoles ; environ 17 pour cent des travailleurs agricoles
indiens étaient des salariés ; les travailleurs intellectuels
constituaient 2,2 pour cent du total. Il est évident que l'artisa1
E. C. Ho WE : « Navajo Indian Farm Workers », Employment Security Review
(Bureau of Employment Security), vol. 17, n° 3, mars 1950, p. 25.
2
Laura THOMPSON : Personality and Government, op. cit., p. 103.
306
LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE
nat et les métiers ne jouent pas un rôle considérable (moins de
5 pour cent) dans l'ensemble des emplois.
TABLEAU XXXV. — É T A T S - U N I S : R É P A R T I T I O N
D E LA POPULATION I N D I E N N E Â G É E D E P L U S D E QUATORZE A N S
PAR OCCUPATION E T R É G I O N P R I N C I P A L E , 1 9 4 0
Occupations
Professions intellectuelles . .
Professions semi-intellectuelles
Agriculteurs et administrateurs
Propriétaires, administrateurs
et fonctionnaires (à l'exclusion de l'agriculture) . . .
Employés, vendeurs et métiers
Artisans, contremaîtres e t travailleurs analogues . . . .
Etats
du
NordEst
Etats
du
Centre
Etats
du
Sud
Etats
de
l'Ouest
73
19
291
73
610
85
487
257
131
2.098
7.215
15.190
86
144
424
267
921
91
397
696
638
1.822
248
533
411
565
794
492
719
937
567
1.698
6.980
1.133
3.230
9.244
2.603
212
651
669
1.301
2.833
190
714
2.360
2.970
6.234
49
402
2.803
3.641
6.895
444
32
1.361
81
1.447
197
3.062
243
6.314
553
2.519
8.063
18.729
37.867
67.178
Total
1.461
434
24.634
Services (à l'exception d u serTravailleurs agricoles (salariés)
e t chefs de travaux agricoles
Travailleurs
agricoles (non
Manœuvres (à l'exception des
exploitations agricoles) . .
Total des personnes
employées . . .
Source : U N I T E D STATES DEPARTMENT OF COMMERCE, Bureau of the Census :
Sixteenth
Census of the United States (1940) : Population : Characteristics of the Non-White
Population
by Hace Washington, D.C., Government Printing Office, 1943), tableau S, pp. 47-57.
Asie
Les peuples dits primitifs de l'Asie ont été répartis par
certains auteurs dans des catégories différentes selon qu'ils
s'adonnaient aux activités ci-après : chasse (sous ses formes
rudimentaires ou évoluées), chasse et collecte des produits
naturels (parfois en relation avec des peuplades plus évoluées),
agriculture primitive, agriculture nomade, élevage nomade, et
agriculture de type plus évolué 1. Les populations aborigènes
de tous les pays d'Asie comprennent des représentants de ces
1
L. T. H O B H O U S E , G. C. W H E E L E R e t M. GINSBERG : The Material
and Social Institutions
pp. 16-45.
Culture
of the Simpler Peoples (Londres, Chapman a n d Hall, 1930),
MÉTIERS ET OCCUPATIONS
307
différentes catégories ; dans la plupart des cas d'ailleurs,
chez les agriculteurs « avancés », la distinction entre les groupes
aborigènes et le reste des habitants est purement arbitraire.
Il a paru plus pratique malgré tout d'étudier dans le présent
chapitre les populations qui ont conservé un mode de vie
tribal, ou qui tirent entièrement ou principalement leur
subsistance de la chasse, de la cueillette et de la pêche pratiquées seulement pour assurer leur propre consommation, et
de l'agriculture de subsistance pratiquée sur des terres choisies
au hasard, et qui n'ont que peu de contacts commerciaux — si
mêmes ils en ont — avec le reste de la population, ainsi que les
membres des tribus qui travaillent à l'intérieur ou hors de leur
habitat, sur une base contractuelle ou non.
BIRMANIE
Les Naga et les Kachin qui vivent dans l'extrême Nord, les
Chin de l'Ouest, les Palaung et les Wa du Nord-Est pratiquent
tous l'agriculture nomade de subsistance au moyen de l'écobuage 1. La grande majorité des Karen sont agriculteurs, mais
la plupart d'entre eux ont quitté leur habitat montagneux de
l'Etat Karenni pour le delta de l'Iraouaddi et la vallée du
fleuve Sittang; il est peu probable qu'ils continuent à pratiquer l'écobuage 2.
Parmi les tribus Naga, les travaux d'égrenage, de filage et
de tissage du coton sont exécutés par les femmes au moyen
d'un outillage très primitif. Les herbes et les racines de la
jungle fournissent les teintures. Les hommes fabriquent des
filets de pêche, des pièges, etc., avec les fibres de l'arbre kachin.
Les Shan et les Karen tissent à la main une partie des vêtements, des couvertures et des sacs dont ils ont besoin 3.
Les tribus montagnardes sont capables d'apprendre d'autres
métiers et se spécialisent même dans certaines branches. Ainsi,
«hez les Karen, « les femmes excellent dans la profession
d'infirmière ou de sage-femme, qu'elles exercent dans presque
tous les hôpitaux de l'Etat 4 », et les hommes, pour la plupart
agriculteurs, «n'en sont pas moins employés également dans la
police et dans l'armée ou les bureaux de l'administration 5 ».
1
J . R. A N D R U S , op. cit., pp. 32-34.
2
Ibid., p . 31.
3
John LeRoy CHRISTIAN, op. cit., pp. 180-181.
*Ibid., p. 159.
5
J. R. A N D R U S , op. cit.,
p.
31.
308
LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE
En ce qui concerne les Chin, ceux qui ont atteint un certain
degré de civilisation « sont d'excellents citoyens et un grand
nombre d'entre eux s'enrôlent dans la police militaire et autres
forces armées de Birmanie * ».
CEYLAN
Les occupations traditionnelles des 3.000 à 6.000 Vedda
qui subsistent encore sont très primitives. Ils chassent le daim,
les singes, certaines espèces de lézards et pratiquent la pêche.
Ils récoltent le miel, les ignames sauvages, les fruits, certaines
fleurs comestibles de la jungle, etc. 2. On sait toutefois que bon
nombre d'entre eux sont maintenant sédentaires et habitent
des villages, pratiquant la culture du maïs et du Tcarraklcan
ou l'élevage 3.
Les Eodiya, bien que souvent mendiants et chasseurs, se
font parfois artisans, les femmes surtout. Ils fabriquent des
nattes, des paniers, des sacs et des éventails avec des roseaux
et des tiges de jonc. Mais « bien que le Eodiya soit premièrement et surtout un artisan, sa grande ambition est de posséder
une petite rizière. Lorsque le Eodiya est en mesure de faire
de la culture, il y montre une réelle aptitude 4 ».
Fabricants de nattes par tradition, les Kinnaraya complètent les revenus qu'ils tirent de ce travail par l'agriculture.
En général, les femmes fabriquent les nattes, tandis que les
hommes se procurent la matière première — teinte ensuite
au moyen de produits végétaux —, cultivent leur terre et
s'embauchent comme ouvriers agricoles 5.
INDE
De manière générale, on peut dire que les tribus du nordest de l'Inde s'adonnent à l'agriculture sédentaire sur des
terrains en terrasses, tandis que l'agriculture nomade est la
forme la plus courante de production des denrées alimentaires
de la zone centrale. Dans le sud, par contre, la vie économique
est principalement fondée sur la collecte des produits de la
jungle. L'agriculture nomade n'en reste pas moins un caractère
1
J o h n LeRoy CHRISTIAN, op. cit., p . 20.
H . WILLIAMS : Ceylon, Pearl of the East (Londres, Robert Hale, Ltd. [sans
date]), p p . 176-177.
2
3
E . R. COOK : Ceylon, op. cit., p . 242.
4
M. D . RAGHAVAN : Cultural Anthropology of the Rodiyas, op. cit, p. 22.
I D E M : The Kinnaraya, the Tribe of Mat-Weavers, op. cit., pp. 237-243.
5
309
MÉTIERS ET OCCUPATIONS
commun à toutes les zones. La chasse, la pêche et les petites
industries de village (telles que la vannerie) sont les principales
occupations d'appoint.
Dans les régions montagneuses, la production agricole
consiste généralement en céréales grossières ; ailleurs, le riz,
le blé et le jowar sont également cultivés. Le caractère primitif
des méthodes de culture enlève le plus souvent aux produits
toute valeur commerciale ; il ne s'agit, la plupart du temps,
que d'une agriculture de subsistance.
La main-d'œuvre aborigène est attirée vers les entreprises
sylvicoles, soit directement, soit par l'intermédiaire de recruteurs ou de concessionnaires particuliers. En nombre considérable, les aborigènes travaillent dans les plantations et les
mines, ou trouvent des emplois de travailleurs agricoles, parfois
de colons 1 .
Le tableau XXXVI indique la répartition des scheduled
tribes d'après le recensement de 1951. Les catégories « propriétaires » et « fermiers et métayers » comprennent les exploitants
agricoles qui, dans le premier cas, sont propriétaires et, dans
le second cas, sont locataires, d'au moins une certaine proportion des terres qu'ils exploitent.
TABLEAU
XXXVI.
PAU OCCUPATION
INDE : POPULATION
TRIBALE
E T P A R MODALITE D'OCCUPATION
D U SOL
Hommes
Femmes
Total
6.289.068
957.361
1.402.891
29.691
8.679.011
6.279.848
917.061
1.400.302
34.579
8.631.790
12.568.916
1.874.422
2.803.193
64.270
17.310.801
Autres services et divers . . .
Total . . .
411.442
59.514
34.030
443.652
948.638
353.814
64.243
28.627
430.127
876.811
765.256
123.757
62.657
873.779
1.825.449
Total de la population des
scheduled tribes 2
9.627.649
9.508.601
19.136.250
Branches d'activité
Agriculture 1 :
Travailleurs agricoles
Total . . .
Occupations non agricoles l :
Source : Communication du gouvernement de l'Inde, IG juin 1953.
i Y compris les personnes à charge. 2 Non compris 9.816 personnes d'Ajmer pour lesquelles
aucune répartition n'est disponible.
Communication du gouvernement de l'Inde, août 1952.
310
LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE
Agriculture et élevage
Comme on peut le constater d'après le recensement de 1951,
sur 19.136.250 aborigènes qui constituent les tribus protégées
(scheduled tribes), 17.310.801 s'adonnent à diverses formes
d'agriculture. Bien que l'agriculture semble demeurer l'activité
principale, on peut observer évidemment, chez les tribus les
plus avancées, une diversification croissante de l'économie
tribale selon les ressources naturelles et les besoins de maind'œuvre de chaque région x.
Les Gond de Madhya Pradesh abandonnent peu à peu
l'agriculture pour travailler comme salariés à la fabrication
du charbon de bois, au bûcheronnage, au transport du bois,
à la récolte des produits naturels de la forêt et à la fabrication
d'articles de bambou. Les Oraon descendent dans les plaines
pour pratiquer des formes rudimentaires de l'agriculture. Les
Bhil de Bombay ont choisi l'agriculture sédentaire qu'ils
pratiquent depuis cent cinquante ans, même s'ils doivent
travailler la terre comme salariés. Dans l'Etat d'Haïderabad,
cette tribu, tout en s'adonnant à la récolte des produits naturels, à la pêche et à la chasse du petit gibier, préfère cependant
les occupations sédentaires, et, chaque fois qu'elle a pu se
procurer des terres, elle a témoigné d'aptitudes certaines pour
l'agriculture. Faute de terres et d'animaux de trait, ses membres
cherchent des emplois saisonniers ou travaillent à la journée.
Les salaires qui leur sont payés sont très bas : un mari et une
femme se relayant à la garde d'une plantation ne gagnent
guère que 10 roupies par mois à eux deux 2.
Dans le Bengale, les Santal sont essentiellement un peuple
d'agriculteurs. Une enquête effectuée en 1947 dans six districts
du Bengals a permis de constater que sur 1.072 familles, 564
vivaient de l'agriculture et 353 des travaux agricoles et du
travail salarié 3. Les Majhwar, les Kharwar et les Korwa de
l'Etat d'Uttar Pradesh sont dans une situation analogue. Les
deux premiers de ces peuples ont abandonné leurs coutumes
primitives et ont appris de leurs voisins les rudiments de
l'agriculture.
1
Sur les mesures prises par le gouvernement central et les Etats pour hâter
l'assimilation des aborigènes de l'Inde à l'économie du pays, voir chap. XL
2
Pour plus de détails, consulter les études groupées dans l'ouvrage Tribes of
India, op. cit., vol. I et IL
3
K. P. CHATTOPADHYAY : Report on Santals in Northern and Western Bengal
(Calcutta, 1947), passim.
MÉTIEBS ET OCCUPATIONS
311
D'après des données récentes, la tribu Kolam, qui réside
dans l'Etat de Madhya Pradesh, abandonne graduellement la
technique de l'agriculture dispersée (podu) sur des terres
défrichées rapidement, procédé que restent seuls à utiliser les
groupes voisins des montagnes. « Mises en mesure de pratiquer
des méthodes plus rationnelles, ces tribus les préfèrent au
système du podu 1. »
L'agriculture est une activité courante chez les tribus qui
habitent l'est de 1'Assam. La culture du café, du thé et des
fruits y a été introduite et s'y développe de façon satisfaisante 2. L'occupation principale des Tharu et des Bhoksa
(Etats du Bengale, d'Uttar Pradesh, de Bihar et d'Orissa) est
également l'agriculture, à laquelle s'ajoutent la chasse et la
pêche quand l'occasion s'en présente. Quant aux Bhotiya
(habitants de la région himalayenne), ils ne semblent pas
encore avoir opté entre l'agriculture proprement dite et l'élevage nomade. Pendant les mois d'été, ils pratiquent l'agriculture de subsistance sur des terres défrichées à cet effet, en
utilisant, selon leur degré d'évolution, soit la houe, soit une
charrue primitive 3 . Les Toda semblent constituer la seule
tribu de pasteurs authentiques qui subsiste dans l'Inde ; leur
nombre a d'ailleurs fortement diminué et ils ne comptent plus
guère actuellement que 600 personnes qui se trouvent dans
l'Etat de Madras.
Chasse, pêche, collecte des produits
naturels
Il y a environ un demi-siècle, un peu moins de la moitié
de la population des tribus montagnardes de la péninsule
méridionale tirait sa subsistance de la collecte des fruits
et produits de la jungle, qu'elle vendait ou troquait aux
populations de la plaine. Actuellement, les tribus montagnardes qui dépendent encore uniquement de ce genre d'activité pour leur subsistance et ne produisent aucune denrée
alimentaire ne valent pas la peine d'être mentionnées 4.
Parmi les peuples chasseurs et collecteurs de produits
naturels qui ne pratiquent absolument pas l'agriculture, mais
se tiennent dans les environs des villages, sur les marchés
1
P. S. RAO : Among the Gonds of Adiîabad (Haïderabad, Decean, 1949), p. 64.
C. H. HELM : « The Effects on the Lushei of Contacts with Civilisation »,
Census of India, 1931, vol. I, partie 3 B, p. 149.
3
S. D. PANT : The Social Economy of the Himalayans, op. cit., pp. 43-44.
4
Communication du gouvernement de l'Inde, mars 1950.
2
312
LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE
desquels ils vendent les produits de la jungle, on trouve, en
majorité, les tribus Yanadi, Tchentchou et Korumba, ainsi que
d'autres de moindre importance qui se trouvent dans l'ouest
de l'Etat de Madras, dans les Etats d'Haïderabad et de Travancore-Cochin et également la tribu Katodi de Baroda (Etat de
Bombay) ; toutefois, « parmi les principales de ces tribus, bon
nombre de personnes vivent exclusivement de la cueillette des
produits sauvages avant de procéder aux récoltes d'automne 1 ».
Dans l'Etat de Travancore, les différents groupes de la
tribu Pantaram, peuplade nomade montagnarde qui s'adonne
à la chasse, s'arrêtent pendant une semaine en un endroit
et se déplacent vers un autre lorsque les ressources alimentaires
sont épuisées. Un accord tacite entre les différents groupes
veut qu'aucun d'entre eux ne pénètre sur les territoires d'un
autre 2.
Les Bagata de l'Etat de Madras sont principalement cultivateurs, mais environ 25 pour cent d'entre eux « gagnent leur
vie comme coolies et vivent des gains qu'ils tirent de la
récolte et de la vente de produits forestiers, tels que le miel,
le soapnut, le mirobalam, les gousses de tamarinier, les feuilles
(Vaclda, etc. 3 »
Artisanat
La vannerie, le filage et le tissage sont connus de nombreuses
tribus appartenant à différentes régions. Dans l'Assam, l'artisanat le plus répandu est la fabrication des tissus au moyen
de fibres de coton de jhum, teintes au moyen de colorants
végétaux. Les Momba et les Sherdukpen, qui vivent au nord
du Brahmapoutre, fabriquent des jarres, qu'ils vernissent et
ornementent de dessins en filigrane d'argent. Au Bengale, le
tissage et la tapisserie sont des activités de type domestique,
bien qu'à proprement parler elles ne soient pas le fait d'artisans.
Dans le centre du pays, la tribu des Maria Gond occupe
principalement son temps à distiller de l'alcool à base de
produits forestiers. Chez les Savara, les Khond et les Gond,
il existe des classes ou des castes qui se distinguent par la profession exercée : élevage du gros bétail, travail des métaux,
tissage, vannerie, poterie, etc. Les Korwa, dans certaines
1
2
W. H. GILBERT, Jr. : Peoples of India, op. cit., p. 75.
L. A. Krishna IYER et N. Kunjan PILLAI : « The Primitive Tribes of Travancore », Census of India, 1931, op. cit., p. 229.
3
A. AIYAPPAN : Report on the Socio-Economie Conditions of the Aboriginal
Tribes of the Province of Madras, op. cit., p. 72.
METIERS BT OCCUPATIONS
313
régions, savent fondre le fer et forger leurs propres armes et
leurs propres outils 1. Les Agaharia sont par tradition fondeurs de fer et forgent une variété d'outils et d'instruments
d'usage courant au moyen d'une technique, il est vrai, fort peu
avancée. Les Ghasi fabriquent des cordes au moyen de fibres
d'origine animale. Les Tharu, en plus de leurs occupations
agricoles, fabriquent des meubles, des ustensiles de cuisine,
des paniers, des instruments de musique, des armes, des
«ordes et des nattes. Les paniers et les nattes sont fabriqués
par les femmes au moyen de bambous et de roseaux achetés
.sur les marchés et les foires hebdomadaires 2. Les Irula de
Madras fabriquent également des nattes de bambou et des
paniers, des socs de charrue et des roues, mais pas dans le
dessein d'en faire commerce 3.
Sur les hauts plateaux de l'Himalaya, les femmes de la
tribu Bhotiya pratiquent diverses formes de l'industrie textile.
Oes femmes possèdent des aptitudes spéciales pour filer et tisser
la laine et en fabriquer des tissus de fort belle apparence et très
solides. Ce travail a été encouragé par l'abondance de la matière
première que leur fournissent leurs troupeaux et par la proximité
des marchés à laine thibétains. Le filage est effectué à la main, au
moyen d'un fuseau très simple connu sous le nom de takli ou de
Jcatwa... Les femmes ont également acquis une technique très perfectionnée du traitement, du triage et de la teinture de la laine *.
Travail
salarié5
Travail dans les mines.
Les principaux bassins houillers du Bengale et du Bihar,
étant situés à l'intérieur ou à proximité du pays habité par les
tribus aborigènes, se procurent une bonne proportion de leur
main-d'œuvre parmi ces tribus 6. La plupart des mineurs de
1
W. H . GILBERT, J r . , op. cit.,
2
D. N . MAJUMDAB : The Fortunes of Primitive
3
A. A I Y A P P A N , op. cit., p .
4
S. D. P A N T , op. cit., pp. 61-64.
5
passim.
Tribes, op. cit., p p . 83-88.
104.
Voir également chap. I X .
E n 1921, les résultats du recensement effectué dans l ' E t a t de Bihar ont indiqué
•que sur environ 100.000 travailleurs des mines de charbon, les aborigènes ou « semiaborigènes », au nombre desquels figuraient des Santal, des Munda et des Bauri,
représentaient 32 pour cent. Au Bengale, où en 1921 le pourcentage s'élevait à
-50 pour cent sur u n total approximatif de 130.000 travailleurs, il semble qu'entre
•cette année-là et 1940 la répartition de la main-d'œuvre des houillères n'ait subi
-aucune modification importante, hormis l'accroissement du nombre des manœuvres
venus de Madhya Pradesh et d ' U t t a r Pradesh. Voir B . R . S E T H : Labour in the
.Indian Coal Industry (Bombay, D . B . Taraporevala, 1940), p. 27.
6
314
LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE
charbon de l'Etat de Madhya Pradesh appartiennent aux
tribus Gond, Mawasi et Mahar. Certains groupes aborigènes
témoignent d'aptitudes spéciales pour certains travaux ; par
exemple, les Santal sont très habiles au travail du pic 1.
Dans les mines de manganèse de Madhya Pradesh, 50 pour
cent des travailleurs employés en 1946 étaient d'origine aborigène 2. On estime que les travailleurs des mines de fer employés
par des recruteurs professionnels sont en majorité des aborigènes (surtout des tribus Santal et Kol) et que la quasi-totalité
des mineurs non qualifiés des mines et carrières de l'entreprise
Tata Iron and Steel Co. sont également aborigènes (environ
17.000) 3. Dans l'industrie du mica de l'Etat de Bihar, environ
250.000 aborigènes trouvent du travail. Les entreprises sont
en grande partie situées au cœur de la jungle et se procurent
leur main-d'œuvre parmi la population locale. Avant-guerre,
70 pour cent des travailleurs des mines de mica étaient des
Santal ; ce pourcentage s'est progressivement réduit jusqu'à
atteindre actuellement 25 pour cent, surtout à cause de la
migration des travailleurs vers les plantations de thé de
l'Assam 4.
Plantations et exploitations forestières.
Plus d'un demi-million de travailleurs adultes et un nombre
équivalent de jeunes travailleurs sont employés dans les
plantations de l'Assam. Sur ce nombre, 50 pour cent sont
constitués par des groupes aborigènes (tribus Gond, Khond,
Santal, etc.), et une autre grande partie de cette main-d'œuvre
provient des autres Etats du sud et du centre de l'Inde, d'où
elle est acheminée à la suite des opérations de recrutement
prévues par la loi relative aux travailleurs migrants, promulguée
en 1932, vers les plantations de thé. Pendant la période 194950, plus de 25.000 personnes ont été recrutées hors de l'Assam,
ce qui représente, par rapport à l'année précédente, une diminution de 6.500 (plus de 10.000 travailleurs venaient de l'Etat
de Bihar, 9.670 d'Orissa et plus de 4.500 de Madhya Pradesh).
1
S. R. DESHPANDE : Report on an Enquiry into Conditions of Labour in theCoal Mining Industry in India (New-Delhi, 1946), p. 21.
2
GOVERNMENT OF INDIA, Labour Investigation Committee : Main Report
(Delhi, 1946), pp. 75 e t 82.
3
Soit 7.000 travailleurs non qualifiés employés directement par la compagnie
et 10.000 employés sous contrat par les concessionnaires. Communication d u
gouvernement de l'Inde, mai 1950.
4
C. M. RAJGARHIA : Mining, Processing and Uses of Indian Mica (New-York,
McGraw-Hill, 1951), passim.
MÉTIERS ET OCCUPATIONS
315
Le nombre des travailleurs rapatriés pendant la même période
a atteint le chiffre de 30.000 1.
Une autre occupation importante des aborigènes de l'Inde
est la récolte des produits forestiers, jointe à d'autres travaux
analogues, pour le compte des services gouvernementaux, soit
directement, soit par l'intermédiaire de concessionnaires
privés. Les concessionnaires obtiennent du gouvernement
l'autorisation de procéder à la récolte d'une série de produits
(fruits, écorces, etc., employés pour la fabrication de médicaments, de colorants et de certaines denrées comestibles), dans
des zones bien marquées de la jungle, et d'abattre des arbres
pour leur propre compte ou pour le compte d'agent^ intermédiaires de l'Etat ; dans d'autres cas, ces concessionnaires
fabriquent du charbon de bois. La main-d'œuvre nécessaire
à ces différents travaux est recrutée sous contrat parmi les
tribus locales 2.
INDONÉSIE
Au nord-est de Bornéo, les Bassap subsistent presque
uniquement par la cueillette et par la chasse. Mais ces chasseurs
disparaissent ou évoluent 3.
Les statistiques officielles se rapportant aux terres cultivées
à Java et à Madura (qui sont les parties du pays les plus évoluées)
montrent que 50 pour cent de ces terres sont consacrées à
l'agriculture paysanne, y compris les humablocks (terres
déboisées par le feu) ; 0,5 pour cent aux pêcheries à terre et
31 pour cent aux plantations et aux forêts de l'Etat, cette
classification comprenant l'agriculture et l'horticulture pratiquées sur une petite échelle 4.
Certains, comme les Batak, ont de riches jardins de légumes,
d'indigo, de canne, de tabac et des vergers de cocotiers, de bananiers,
de palmiers à sucre et à bétel. Très généralement on connaît la rizière
humide, mais l'irrigation n'est pratiquée que là où elle est très facile
et, même dans ce cas, les Toradja de Célebes préfèrent les cultures
sèches. Si quelques-uns continuent à beaucoup demander, au moins
pendant plusieurs mois, à la chasse et aux produits
de la forêt,
d'autres sont devenus d'excellents agriculteurs s .
1
Annual Report on the Working of the Tea Districts Emigrant Labour Act (XXII
of 1932) for the Year Ending 30th September 1950 (Shillong, Assam Government
Press, 1951), p. 38.
2
Sur le système de recrutement, les problèmes qu'il pose et les mesures prises
pour protéger les travailleurs forestiers et améliorer leur situation, voir chap. IX
et XI.
3
Jules SION : Asie des moussons, op. cit., partie II, p. 483.
4
Statistical Pocket Book of Indonesia, 1941, op. cit., p. 36.
5
Jules SION, loe. cil.
316
LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE
PHILIPPINES
Agriculteurs et nomades
La population aborigène a été répartie en deux principaux
groupes professionnels. Ceux qui vivent dans des colonies
agricoles loin des villes, et ceux qui mènent une existence
nomade dans les parties à peu près inaccessibles du pays. La
principale occupation du premier groupe est l'agriculture,
complétée par la chasse et la pêche. La population nomade
est véritablement primitive ; « sauf lors des visites effectuées
par les fonctionnaires du gouvernement qui veillent à leur bienêtre, ils n'ont aucun contact avec la population chrétienne»;
ces tribus vivent de la chasse, de la pêche et de la cueillette 1.
Quelques groupes aborigènes s'adonnent à la culture sur des
terres de l'Etat. D'autres travaillent comme métayers pour
des planteurs de riz ou comme ouvriers agricoles ; d'autres
encore sont employés dans les mines et dans les exploitations
forestières. Les Moro sont les plus évolués et sont connus
comme de bons commerçants et d'habiles pêcheurs 2 . Les
tribus sylvicoles surveillées cultivent le riz, le blé, la pomme de
terre, la patate douce, l'igname, l'arachide, l'oignon et les
fruits ; ils troquent dans les villes leurs produits excédentaires 3.
Le groupe le plus primitif est celui des Negritos, qui comprend deux sous-groupes, selon la nature de leur activité :
a) les bandes nomades, qui vivent dans la profondeur des forêts ;
b) ceux qui ont quelque contact avec des secteurs plus
avancés de la population du pays et qui ont adopté un mode
de vie semi-sédentaire. Les tribus du premier groupe mènent
une vie entièrement errante. Leurs membres ne construisent
pas d'habitations, se contentant d'abris provisoires faits de
feuilles tombées et de branches ; ils sont surtout chasseurs et
trappeurs et récoltent les produits naturels de la forêt, dont ils
se nourrissent ; ils ne sont pas agriculteurs ; ils craignent l'eau,
ne savent pas nager et n'utilisent ni bateaux ni radeaux. Leur
arme principale et souvent unique est constituée par l'arc et
la flèche. Leur seule méthode de pêche consiste à lancer de la
rive sur le poisson une flèche munie d'une corde, de manière
à pouvoir tirer leur prise de l'eau sans avoir à se mouiller 4.
1
Communication du gouvernement des Philippines au B.I.T., mars 1950.
Informations fournies par le correspondant du B.I.T. à Manille, avril 1950.
3
Communication du gouvernement des Philippines, mai 1953.
4
H . Otley B E Y E R : « The Non-Christian People of the Philippines », Census of
the Philippine Islande, op. cit.
2
MÉTIEBS ET OCCUPATIONS
317
Leur occupation principale et à peu près unique est la recherche
de la nourriture. Ils ne constituent que de très petites réserves
ou même n'en font aucune. Ils cultivent de petites parcelles
de terre où ils récoltent des patates douces, du blé et des potirons, mais ne font, à part cela, aucune réserve en prévision de
l'avenir *.
Quant à ceux du second groupe, dans certains endroits ils
bâtissent de bonnes habitations, cultivent des légumineuses
et des céréales et s'installent pendant assez longtemps dans le
même endroit. Toutefois, ils passent presque tous une grande
partie de la saison sèche à chasser dans les forêts. Ils ramassent
les produits de la forêt et les échangent à leurs voisins philippins
contre des vêtements, des ornements, des armes, etc. Beaucoup
d'entre eux se rendent dans les villes et y travaillent pendant
une saison, mais tous, tôt ou tard, retournent toujours dans la
forêt s .
Les Igorrot, les Bontok et les Ifugao pratiquent à la fois
l'agriculture selon la méthode de l'écobuage et la culture du
riz. Ils aménagent des cultures en gradins sur les versants
escarpés des collines, y tassent du gravier, du sable, de l'argile
et de la terre, le tout étant retenu par d'épais murs de pierre
d'une hauteur de 50 centimètres à 10 mètres. On compte, dans
les territoires qu'ils occupent, plus de 19.000 kilomètres de
murs de ce genre d'une hauteur de 8 mètres.
Artisanat
L'artisanat est en honneur dans diverses tribus montagnardes. Ainsi, chez les Bontok, les habitants de différentes
localités sont spécialisés dans la fabrication de poteries, de
haches et de lances de combat, de pipes d'argile et de pierres à
aiguiser. Les Subanun fabriquent des paniers grossiers avec le
nito (tige d'une fougère grimpante), le rotin, le bambou et
certaines sortes de bois. Ils sont vêtus d'étoffes tissées par euxmêmes. « Ces artisans utilisent la quenouille et le rouet, mais
achètent le coton qu'ils emploient aux Moro, qui leur fournissent aussi des filés. Ils savent travailler le fer. Comme outils,
ils emploient des soufflets de bambou, l'enclume (un morceau
de fer placé sur un bloc de bois) et le marteau. Ils échangent les
matières premières qu'ils obtiennent par le troc contre des
1
2
H. H. MTTXEB : Economie Conditions in the Philippines, op. cit., p. 2.
H. Otley BEYER, loe. cit.
318
LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE
couteaux et des armes. Ils fabriquent des instruments de
musique en bambou et en bois, ainsi que des bagues et des
peignes. Avec les feuilles de palmier et de pandan, ils fabriquent
des nattes 1.»
Selon un autre auteur, « les Ifugao utilisent des bêches et
d'autres instruments de bois... Ils savent fondre le fer, et en
fabriquent des haches, des herminettes, des ciseaux à bois...
des lances. Les femmes tissent le coton et en font des jupes et
des vestes 2 ».
THAÏLANDE
Les Semang sont des « chasseurs habiles et courageux qui
s'attaquent à tous les gibiers, depuis l'éléphant jusqu'au plus
petit oiseau, avec leurs armes primitives ». Les Lawa, les
Kaché, les Muhso, les Lishaw, les Yao et les Karen pratiquent
tous la culture du riz, du chanvre, du tabac, des légumes et du
pavot à opium, en plus de céréales courantes. Les Karien sont
d'excellents cultivateurs et possèdent de vastes aires défrichées et cultivées ; les Kaché et les Yao pratiquent l'élevage du
bétail, des chèvres, des volailles, des porcs et même des poneys.
Les Kamuk s'embauchent comme mahouts et ouvriers forestiers dans les exploitations des forêts de tecks. Les Lawa
fondent le fer selon des méthodes primitives ; ils fabriquent des
socs de charrue, des couteaux et d'autres objets ; les femmes
Kaché « pratiquent régulièrement le tissage et les travaux de
broderie ; leurs ouvrages présentent souvent une véritable
valeur artistique ». Les Karen sont aussi fondeurs de fer ; ils
fabriquent des couteaux, des socs de charrue, des houes et
autres outils 3.
Australasie
AUSTRALIE
Aperçu historique
Vers la fin du x v n i m e siècle, les premiers colons de
race blanche trouvèrent une population aborigène disséminée,
organisée en tribus et en hordes et ne possédant guère qu'une
1
Eufronio M. A L I P : Political and Cultural History oj the Philippines,
(Manille, Alip and Brion Publications, 1950), pp. 328-329.
2
H . H . MILLER, op. cit.,
3
W. A. GRAHAM : Siam, op. cit., passim.
passim.
vol. I
XV
Les bateaux de «totora»
sur le lac Titicaca
La vie sur le haut plateau de Bolivie
ffoío Linares)
En route vers le marché
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*
Mt,
XVI
Sur un marché bolivien
(Foto Linares)
MÉTIERS ET OCCUPATIONS
319
culture très primitive. Les ancêtres de cette population, qui
avaient des affinités ethniques avec les Vedda de Ceylan
ainsi qu'avec les groupes voisins de l'Inde du Sud et de quelques
îles de l'archipel malais, avaient atteint la côte nord de l'Australie plusieurs milliers d'années auparavant. Depuis lors, ces
populations avaient vécu éloignées des contacts féconds avec
d'autres peuples, dans des conditions qui entravèrent leur
évolution normale. Ne disposant pas d'animaux susceptibles
d'être domestiqués et de fournir du lait, de la viande, des
vêtements et des moyens de transport, les céréales les plus
courantes leur restant inconnues, elles ne purent atteindre le
stade agraire. L'aborigène australien continua à dépendre,
pour vivre, de la chasse, de la pêche et de la cueillette.
Problèmes généraux
En dépit de l'expansion ininterrompue de la colonisation
blanche dans le pays, une forte proportion — 50 pour cent
environ — de la population entièrement aborigène continue
à mener une vie nomade. La plupart des tribus qui n'ont pas
été touchées par la colonisation se trouvent dans des régions
à peu près inaccessibles et difficiles à exploiter : régions subtropicales du nord ou déserts brûlants et arides du centre du
continent. Certes, l'aborigène est connu pour ses extraordinaires qualités de chasseur, mais sa vie n'en reste pas moins
la plupart du temps une lutte incessante contre la soif et la
faim.
Le nombre des aborigènes groupés en tribus qui dépendent
pour subsister des activités traditionnelles n'a cessé de diminuer
à mesure que s'étendait la zone colonisée, mais beaucoup
d'entre eux ont préféré, même lorsque le travail était abondant,
vivre des « rations » du gouvernement et des produits de la
chasse, activité qui leur a été rendue beaucoup plus facile
grâce au chien et au fusil, et surtout par l'arrivée sur le continent australien du lapin, qui a tout de suite proliféré.
Les efforts déployés en vue de modifier cet état de choses
n'ont eu longtemps que des résultats décevants, mais, depuis
la dernière guerre particulièrement, l'emploi d'aborigènes —
même de race pure — à d'autres travaux s'est développé.
L'accroissement de la population métisse, qui recherche plus
volontiers des emplois ordinaires, et la diminution correspondante du nombre des aborigènes de race pure prouvent que la
situation actuelle ne cesse d'évoluer. Néanmoins, il reste aussi
12
320
LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE
vrai maintenant qu'autrefois que « même lorsqu'il paraît s'être
adapté à la civilisation, l'aborigène de race pure et sa compagne ont une nostalgie intense et irrésistible de la vie sauvage
et tombent réellement malades si cette nostalgie n'est pas
satisfaite 1 ».
Répartition
professionnelle
Il n'est pas facile de déterminer le rôle joué par les aborigènes dans l'économie nationale. La classification professionnelle de la population aborigène effectuée en 1933 a donné les
résultats indiqués dans le tableau ci-après.
TABLEAU
XXXVLT. —
AUSTRALIE : RÉPARTITION
PROFESSIONNELLE
D E LA P O P U L A T I O N A B O R I G È N E D E RACE
NouvelleGalles
du
Sud
Catégories
Victoria
Quenes
land
11
Australie
méridionale
PURE
Australie
occidentale
923
Territoire
du
Nord
Total
87
21
1.042
1.212
10
26
22
12
5
4.822
42
56
353
72
25
65
273
4
Agriculture, élevage, produits
233
6
3
2
103
22
Transports et communications
1
Administrations publiques et
professions intellectuelles
Service domestique et services
1.385
23
14
163
55
8
169
169
1
21
4
4
6
1.820
1
15
22
1
7
24
7
3
2
1
61
93
9
4
583
1.201
41
64
1.042
961
399
1.071
2.135
3.394
518
43
4.524
310
3.980
2.843
12.218
Total . . .
Source : « Summary Relating to Full-Blood Aboriginals », Census
30 June 1933, Census Bulletin No. 24 (Canberra, 1933), p. 10.
of the Commonwealth
of
Evolution de Vemploi depuis 1933
Sur l'évolution de la situation depuis 1933, il est intéressant
de comparer les données relatives à certains des Etats. En 1944,
des informations provenant de l'Australie occidentale indiquaient que :
Le Département se propose comme objectif de développer surtout
l'emploi rural et pastoral, et il est réjouissant de constater que 2.463
permis de travail dans ces branches d'activité ont été délivrés
1
W. R. SMITH : « The Aborigines of Australia », Official Tear-Book of the Com-
monwealth of Australia, No. 3, op. cit., p . 166.
Australia
MÉTIERS ET OCCUPATIONS
321
l'année considérée. Ces permis ont donné la possibilité de travailler à
5.625 aborigènes... Etant donné que le chiffre estimatif de l'ensemble
de la population aborigène est seulement de 27.052, dont 10.000
vivent sans aucun contact avec la civilisation, le fait que 5.625
d'entre eux ont été en emploi pendant l'année constitue un succès
remarquable même au regard
des chiffres relatifs à l'emploi des
travailleurs de race blanche 1 .
Le rapport rappelle que durant la guerre, des mesures
disciplinaires ont été prises pour amener ces aborigènes au
travail et observe que, bien que le recours à de telles méthodes
ne soit pas possible en temps de paix, il y aurait lieu d'« astreindre les aborigènes à travailler chaque fois que cela est
possible si les conditions offertes sont satisfaisantes 2 ».
Une enquête effectuée en 1948 a permis de constater que
les aborigènes sont principalement employés dans les exploitations d'élevage « où ils sont surtout chargés des soins aux
animaux, travail dans lequel ils excellent 3 . E n outre, nombreux sont ceux qui montrent une grande habileté dans l'utilisation et la réparation des moulins à vent, tandis que d'autres
sont des mécaniciens et des forgerons experts. Les femmes
sont employées comme cuisinières et comme domestiques * ».
Les aborigènes d'Australie qui sont entrés en contact avec
les colons blancs sont employés par eux non seulement comme
ouvriers agricoles, manœuvres, domestiques, conducteurs et
dans d'autres emplois peu ou non qualifiés, mais dans un certain nombre d'autres ; ainsi, dans la pêche des perles, les aborigènes sont occupés au triage et au chargement ou encore
comme plongeurs ; ils sont aussi bateliers, constructeurs de
bateaux, charpentiers, mécaniciens, conducteurs de camion
ou de tracteur, auxiliaires de la police, pointeurs de marchandises, employés dans les services de l'armée, ainsi que dans
divers emplois semi-qualifiés urbains et ruraux. Un petit
nombre d'aborigènes ont manifesté un véritable talent de
peintres, de chanteurs et d'instrumentistes ; d'autres sont
devenus professeurs, prêtres ou pasteurs.
1
DEPARTMENT OF NATIVE AFFAIRS (Australie occidentale) : Annual Report of
the Commissioner for Native Affairs for the Year Ended 30th June 1944, op. cit., p . 11.
2
Ibid.
3
Les résultats obtenus par les aborigènes dans l'élevage sont illustrés par un
exemple récent, pris au Queensland, où « 209 boeufs gras de taille moyenne proven a n t d'un établissement indigène se sont vendus, à Brisbane, pour plus de 30 livres
australiennes par tête. Les bêtes avaient toutes été élevées par des aborigènes sous
la surveillance de Blancs, et ces bœufs ont été décrits comme les plus beaux qu'on
ait vus sur le champ de foire depuis au moins u n an ». (Cf. Radio Australia News,
15 sept. 1950.)
4
F . E . A. BATEMAN : Report on Survey of Native Affairs, op. cit., p p . 15 et 19.
322
LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE
NOUVELLE-ZÉLANDE
Aperçu historique
A l'origine, toute l'activité des Maoris était conditionnée
par les ressources naturelles disponibles et par celles que l'on
pouvait obtenir par la guerre. Les principales activités économiques étaient l'agriculture, la chasse et la pêche, diverses
formes de l'artisanat, le tissage et la fabrication de nattes.
Il existait une certaine division du travail. Les hommes
pouvaient être agriculteurs ou guerriers, artisans, prêtres,
érudits ou chefs. Les femmes s'occupaient au tissage et à la
fabrication de nattes, les besognes inférieures étant réservées
aux esclaves pris à la guerre. Mais la plupart des travaux qui
exigeaient de nombreux concours étaient exécutés en commun
par les membres de la collectivité et « seuls les artisans qualifiés
(constructeurs, sculpteurs et tatoueurs) étaient rémunérés en
rations et en nature pour leur travail 1 ».
La colonisation de l'intérieur du pays par les Blancs
détruisit le fondement même de l'ancienne économie maorie ;
il est vrai que, bien avant cela, l'introduction du mousquet,
de l'alcool et des maladies européennes avaient déjà eu de
graves répercussions sur le chiffre de la population, sur l'offre
de main-d'œuvre et sur l'emploi. E n particulier, l'effort
accompli pour produire suffisamment de chanvre indigène
roui à échanger contre des armes à feu entraîna une forte diminution de la production de denrées alimentaires et, par suite,
un abaissement de l'énergie même du peuple 2. L'abandon
des terres et le déclin de la population ont été à l'origine de la
perte des terres tribales au profit des Blancs.
Les problèmes actuels
Au cours des cent années qui ont suivi 1840, ventes et
confiscations ont privé les Maoris de l'ensemble de leurs terres,
hormis 1.600.000 hectares sur les 26.400.000 que représente
la Nouvelle-Zélande. Les techniques traditionnelles au moyen
desquelles le Maori gagnait sa vie sont devenues insuffisantes ;
les arts et métiers sont tombés en désuétude et pendant cinquante ans, jusqu'en 1896, la population n'a cessé de décroître,
comme en témoignent les données des recensements.
1
Te Bangi HmoA (Sir Peter BUCK) : The Corning of the Maori (Wellington,
Maori Purposes F u n d Board, Whitcombe and Tombs, Ltd., 1949), p. 375.
2
F . E. MANNING : Old New Zealand (Christchurch, Wbitcombe and Tombs,
Ltd., 1930), p p . 184-190.
MÉTIEES ET
323
OCCUPATIONS
A l'heure actuelle, c'est l'accroissement rapide de la population maorie qui constitue, en matière d'emploi, la question
cruciale. Cet accroissement se produit dans les régions où le
nombre des possibilités d'emploi dans d'autres branches que
l'agriculture sont très restreintes, car la population maorie se
trouve être le plus dense dans les régions dont le développement
industriel n'est pas suffisant pour absorber localement le
nombre sans cesse accru de Maoris qui atteignent l'âge d'entrer
en emploi. C'est pourquoi les jeunes Maoris quittent leur foyer
pour se rendre dans les villes et les régions urbaines, où ils
essaient de se placer comme manœuvres, domestiques ou
travailleurs industriels. Le tableau X X X V I I I indique l'ampleur prise par ce mouvement de 1926 à 1945.
TABLEAU X X X V m . — NOUVELLE-ZÉLANDE : TENDANCES
DE L'EMPLOI DANS LA POPULATION MAORIE, 1 9 2 6 - 1 9 4 5
Nombre des
travailleurs
Pourcentage
des travailleurs
Nature de l'emploi
1926
1945
38,9
9,1
5,7
4,5
3,0
4,4
34,8
5,6
10,8
8,1
5,8
5,3
1926
1945
8.062
1.285
2.499
1.866
1.334
1.226
Divers ou indéterminé
(manœuvres principalement).
6.893
1.606
1.009
795
525
774
6.101
6.860
34,4
29,6
Total. . .
17.703
23.132
100,0
100,0
1.798
39
1.043
487
58,3
1,3
24,7
11,5
. . . .
627
374
243
1.660
879
155
39,3
20,8
3,7
Total . . .
3.081
4.224
20,4
12,1
7,9
100,0
Hommes :
Agriculture
Autres activités primaires .
Industries de transformation
Bâtiments et constructions .
Transports et communications
.
.
.
.
Femmes :
Domestiques et personnel des
Divers ou indéterminé
100,0
Source : DEPARTMENT OF LABOUR AND EMPLOYMENT, National Employment Service :
Halt-Yearly Survey of Employment (Wellington, janv. 1950), p. 19.
Le tableau X X X I X indique de façon plus détaillée comment se répartissait la population maorie active en 1936 et
en 1945.
324
LE TRAVAILLEUR ABOEIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE
TABLEAU XXXIX. — NOUVELLE-ZÉLANDE : REPARTITION
PROFESSIONNELLE DE LA POPULATION MAORIE
Recensement
de 193C
Recensement
de 1945
Métiers
Hommes
Femmes
Pêche et piégeage
120
8.477
Agriculture et élevage
984
Sylviculture
125
Mines et carrières
Pierre, argile, poterie, chaux, ciment,
13
verre, etc
20
Industries chimiques
Métaux non précieux, appareillage élec88
trique, etc
2
Métaux précieux
8
Navigation
Travail des fibres textiles (à l'exclusion
43
des vêtements)
13
Habillement
2
Sellerie, bourrellerie, etc
304
Alimentation, boissons, tabac
268
Bois
3
Papier, imprimerie, etc
3
Autres matières
1.259
Construction, routes, etc
13
Services publics (gaz, électricité, etc.)
475
Transports et communications
. . . .
100
Finance et commerce
11
Aolministrations publiques
387
Bureaux et professions libérales . . . .
47
Spectacles
51
8.480
Services (personnels et domestique) . .
145
Activités diverses et non précisées :
499
Manoeuvres
Autres occupations
21.940
20.923
Non précisées
Total de la population active . . 42.863
Total de la population inactive . .
Total de la population maorie . .
18
1.531
57
Hommes
Femmes
131
8.062
807
347
217
142
315
2
16
14
27
77
50
21
13
1
2
898
577
69
24
1.866
103
1.334
177
520
8
26
197
25
792
275
27
3.035
36.428
39.463
9
348
66
115
5.924
261
675
23.132
27.143
50.275
Source : CENSUS AND STATISTICS DEPARTMENT : The New Zealand Official Year-Book,
op, cit., p. 963. Pour des données plus ventilées, voir IDEM : Population Census, 1945, vol. 111:
Maori Census, op. cit., pp. 34-43.
Evolution générale de la situation de Vemploi
L'évolution que révèlent les tableaux ci-dessus est intéressante à plus d'un titre. Si le nombre absolu des hommes employés
dans l'agriculture a augmenté pendant la période considérée,
leur pourcentage a considérablement baissé (de 38,9 à 34,8),
tandis que ce pourcentage a doublé dans les industries de
transformation (5,7 à 10,8 pour cent). Une tendance similaire
MÉTIERS ET OCCUPATIONS
325
peut être observée dans d'autres branches, comme les transports, la construction, etc. Chez les femmes, la baisse de
l'emploi agricole est encore plus marquée, le pourcentage
tombant de 58 à 24, tandis que les emplois urbains marquent
une forte progression, principalement dans le service domestique (de 20,4 à 39,3 pour cent), ainsi que dans d'autres catégories de services (de 12,1 à 20,8 pour cent). La classification
des professions sur laquelle se fondent les statistiques disponibles n'est pas suffisamment détaillée pour permettre une
évaluation numérique de l'importance du secteur secondaire
de l'emploi en ce qui concerne l'ensemble de la population
maorie. Toutefois, d'autres renseignements indiquent que la
participation des Maoris à toutes les activités urbaines de
caractère manuel ou intellectuel s'accroît constamment.
Le département des Affaires maories signale qu'un nombre
croissant de Maoris travaillent dans des bureaux et pratiquent
des professions libérales, particulièrement comme professeurs,
médecins, infirmières, prêtres et, à un degré moindre, comme
avocats, et souligne que de nombreux Maoris sont employés dans
les administrations fédérales et dans celles des Etats et des
communes ; à la tête de deux départements ministériels, on a
déjà vu des personnes d'origine maorie 1.
La colonisation des terres maories
L'augmentation du nombre des travailleurs agricoles entre
1926 et 1945 (de 6.893 à 8.062) peut s'expliquer par la mise
en application du programme de colonisation des terres
maories, commencée conformément à la législation adoptée à
ce sujet en 1929. Ces mesures de politique sociale et économique seront exposées en détail dans le chapitre consacré à cette
question. Il suffira ici de signaler que, de 1936 à 1948, ce programme a porté sur 260.000 hectares, sur lesquels 115.240
ont été occupés par 1.808 colons agriculteurs et éleveurs 2.
Le 31 mars 1952, le nombre des exploitations d'agriculture et
d'élevage dont s'occupait la Commission des affaires maories
était de 122 qui représentaient une superficie de 168.887 hectares
(si l'on y comprend les terres dépendant d'autres organismes
de tutelle). A cette même date, on comptait 1.530 colons établis
sur une superficie de 84.465 hectares et pratiquant principale1
DEPARTMENT OF MAORI AFFAIRS : The Maori Today (Wellington, 1949), pp. 28
et suiv.
2
Voir The New Zealand Official Year-Booh, 1947-1949, op. cit., p. 866, ainsi
que les annuaires antérieurs.
326
LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE
ment l'élevage et la production de la laine, du lait et des produits laitiers 1 . Toutefois, sur le total de 168.887 hectares
mentionné ci-dessus, il convient d'en déduire 51.734 impropres
à l'exploitation et 42.608 dont le sol est actuellement préparé
pour une utilisation agricole ou pourra être mis en valeur par
la suite. A ce sujet, il n'est pas sans intérêt de mentionner les
observations ci-après.
On a estimé qu'une fois toutes les terres maories mises en valeur,
les exploitations ne pourront faire vivre, à un niveau de vie pakeha 2,
que le quart ou le tiers de la population maorie existante. Cette proportion serait plus élevée en cas de nécessité, avec un niveau de vie
plus bas. Avec une agriculture de subsistance et des cultures diversifiées, il serait possible de faire vivre des produits de la culture une
certaine proportion supplémentaire de la population. Les cultures
maraîchères ont été introduites dans le pays et le reboisement
constitue une autre possibilité. Mais il est évident que le mode de vie
fondé uniquement sur les produits du sol, auquel les Maoris sont bien
adaptés, sera désormais fermé à une grande partie de la population.
La création de nouvelles possibilités d'emploi pour les travailleurs
est une nécessité absolue s .
IPexode vers les villes
Bien que l'exode vers les villes se trouve, dans une certaine
mesure, contrebalancé par l'attachement du Maori à sa collectivité d'origine, des signes d'évolution apparaissent. Les
causes en sont notamment la nécessité, pour la population
agricole, de trouver de nouvelles possibilités d'emploi en raison
de la pénurie de terres due à l'accroissement de la population,
le manque de main-d'œuvre dans les villes, sensible depuis
quelques années, et la politique d'éducation, qui, en offrant des
possibilités d'instruction aux Maoris, a facilité leur assimilation.
Adaptation à la vie urbaine et industrielle
L'économie maorie n'est pas une économie distincte de celle
des Blancs et le degré de séparation ou d'assimilation varie
d'une région à l'autre. Pour les Maoris qui vivent à proximité de
possibilités d'emploi non agricole ou urbain, la transition d'un
mode de vie à l'autre se trouve simplifiée.
1
DEPARTMENT or MAORI AFFAIRS : Annual Report of the Board of Maori Affairs
and of the Under-Secretary, Department of Maori Affairs, for the Year Ended 31 March
1952 (Wellington, 1952), pp. 10 et 12-13.
2
Le terme pakeha signifie Blanc ou homme blanc.
3
I. L. G. SUTHERLAND : « Maori and Pakeha », New Zealand, op. cit., chap. I l l ,
p. 64.
MÉTIERS E T OCCUPATIONS
327
La principale raison pour laquelle le Maori s'adapte difficilement
au travail industriel « provient probablement de ce que le travailleur
maori moyen n'est jamais très heureux si son emploi le retient trop
éloigné de son marae (centre tribal de réunion). Le marae et la maison
d'accueil symbolisent la chaude et cordiale familiarité du groupe
tribal. En comparaison, la ville industrielle moderne est froide,
hostile et inhospitalière. Dans les villes, le Maori souffre souvent de
nostalgie. Il n'est vraiment heureux que lorsqu'il se retrouve dans
sa communauté d'origine. S'il travaille dans une fabrique, il aime se
rendre à son marae pour y passer les fins de semaine. L'attitude
psychologique du Maori à l'égard de son travail est assez semblable
à celle du marin — une période de dur labeur suivie d'une période
de détente et de plaisir — plutôt qu'à celle de l'ouvrier industriel
moderne1.
1
DEPARTMENT OF INTERNAL AFFAIRS, Historical Branch : Introduction to New
Zealand (Wellington, Whitcombe and Tombs, Ltd., 1945), p. 162.
12*
CHAPITEE I X
LE RÉGIME FONCIER ET LES CONDITIONS
DE TRAVAIL
Le chapitre précédent, en décrivant les conditions de vie
des populations aborigènes et en déterminant le rôle que
jouent ces populations, par leur importance numérique et les
métiers qu'elles exercent, dans l'économie des différents pays,
a signalé la pression considérable que l'accroissement démographique exerce sur la superficie limitée de terres dont dispose
l'aborigène et qu'il peut exploiter de façon rentable. Le présent
chapitre décrira la relation qui existe entre l'homme et la
terre, et donnera des indications générales sur la signification
économique et sociale des systèmes de propriété et d'occupation de la terre les plus largement répandus et sur quelques-unes
des conséquences de ces systèmes 1 . Les conditions de vie et de
travail de l'agriculteur aborigène l'obligent bien souvent à
rechercher d'autres occupations ; aussi a-t-on estimé que
le recrutement de travailleurs en vue de certains travaux
étrangers à l'agriculture (plantations, mines, exploitations
forestières, etc.) est directement ou indirectement lié au régime
foncier. Après avoir passé en revue les formes traditionnelles
de possession et d'usufruit de la terre, nous examinerons les
conditions qui régissent la location dans différents pays et
mentionnerons les services personnels exigés des aborigènes en
Amérique latine et dans l'Inde, même si ces pratiques ne sont
pas directement liées au système foncier ; il n'est pas impossible
en effet que la prestation de services personnels — que ce soit
aux propriétaires terriens, aux créanciers, aux entrepreneurs
ou aux autorités publiques et religieuses — résulte de la survivance de systèmes traditionnels ou coutumiers de travail dont
l'origine remonte à l'organisation primitive des sociétés
tribales, à l'utilisation de la main-d'œuvre aborigène par les
1
La situation qui est décrite dans ce chapitre, de même que celle qui l'a été
dans le précédent, doit être examinée compte tenu des mesures récentes de politique
sociale (la réforme agraire en Bolivie et au Guatemala, par exemple) qui sont
exposées au chapitre XI.
LE PROBLÈME DE LA TEERE
329
conquérants et aux différences sociales qui existaient déjà
avant la conquête. Il sera également question dans ce chapitre,
quoique de façon plus générale, de l'occupation et de la répartition des terres chez les Indiens sylvicoles. Enfin, pour compléter le tableau de la manière dont les aborigènes peuvent
exploiter les terres dont ils disposent, le chapitre contient
des indications sur les méthodes de culture des aborigènes
et sur les facilités de crédit qui leur sont offertes.
Le problème de la terre
OBSERVATIONS PRÉLIMINAIRES SUR LES SYSTÈMES
D E POSSESSION ET D'OCCUPATION DU SOL
On peut dire, de façon générale, que l'organisation primitive
de la vie économique des populations aborigènes correspondait
à la structure tribale ou à l'existence de clans. Le régime de la
propriété foncière ne reconnaissait donc à aucun individu le
droit de disposer d'une parcelle de terre en l'échangeant contre
de l'argent ou un paiement en nature. En fait, dans de nombreux groupes aborigènes, la notion de propriété individuelle
se limitait aux objets d'usage personnel (ornements, armes,
ustensiles de ménage) ; c'est un état de choses qui subsiste
encore dans quelques régions. La terre était exploitée en commun et, lorsque des parcelles étaient allouées à tel ou tel
individu, les autorités tribales pouvaient toujours procéder à
une nouvelle répartition. Les limites des terres occupées par
les tribus ou les clans étaient déterminées par des facteurs
climatiques et géographiques ainsi que par l'opposition qui se
manifestait de la part des tribus rivales. De nombreuses
restrictions, qui prenaient la forme de tabous, de pratiques
magiques et de châtiments, limitaient l'exploitation des
ressources de la tribu et orientaient le courant des produits de
l'activité tribale selon la situation sociale et la tradition. Le
chef de la tribu ou de la caste, en sa qualité de représentant,
pouvait être désigné comme propriétaire de la terre. En fait,
cependant, cette procédure avait pour objet de faciliter une
nouvelle répartition des terres parmi les membres de la tribu
et de déterminer les parts de production qui revenaient aux
travailleurs, aux guerriers, aux prêtres et aux chefs. L'effort
principal du groupe visait à sauvegarder le patrimoine de la
tribu, et les nomades eux-mêmes étaient parvenus à se faire
une idée nette des régions où ils se déplaçaient pour faire paître
330
LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE
le bétail, récolter les fruits, chasser ou pratiquer des formes
primitives de culture sur des terres défrichées au hasard dans
le dessein de n'y effectuer qu'une seule récolte de subsistance.
La tribu existait en tant que telle pour protéger les droits de ses
membres contre l'usurpation d'ennemis, et les pouvoirs du chef,
lorsqu'il s'agissait de disposer de la terre, étaient limités par
la tradition.
Le droit d'occuper et d'exploiter la terre dans les communautés primitives pouvait venir d'un héritage ancestral, ou de
la conquête et de l'occupation. Pour la tribu dans son ensemble,
il pouvait y avoir des transferts rituels de terres à d'autres
tribus, mais aussi longtemps que la terre n'est pas devenue
rare et que la culture ne s'est pas stabilisée, l'achat et la vente
de terres sont restés des conceptions étrangères aux aborigènes. Même plus tard, lorsque les occupants eurent établi
leurs droits sur certaines parcelles, leur pouvoir d'en disposer,
si on le compare à celui que créent l'usage et la coutume en
Europe, était souvent très restreint. Le consentement des
autorités de la tribu ou d'autres membres de la famille qui
travaillaient la terre était exigé.
L'exploitation de la terre était surtout une activité sociale
et les conditions dans lesquelles elle était effectuée, ainsi que
le type auquel elle se conformait, étaient déterminés par une
autorisation de la communauté. L'individu détenait la terre en
fidéicommis ; il héritait ses droits de ses ancêtres ou les possédait en tant que membre reconnu de la communauté, puis les
transmettait à ses héritiers reconnus.
La conquête et la colonisation européennes (et — dans le
cas de l'Asie — aryenne ou mongole) ont introduit des modifications fondamentales et lourdes de conséquences dans les
systèmes traditionnels d'occupation des terres des peuples
aborigènes.
En Amérique du Sud x , la « communauté aborigène » (comunidad de origen) n'est que la survivance et la transformation d'une ancienne institution inca, Vayllu, qui consistait en
l'organisation de diverses familles liées par le sang ou par des
attaches totémiques en une unité sociale et économique fondée
1
Au sujet des questions traitées ici, voir Ángel ROSENBLAT : La población
indigena de América desde 1492 hasta la actvalidad, op. cit., pp. 64 et suiv. ; José
M. OTS CAPDEQTJÍ : El régimen de la tierra en la América española durante el período
colonial (Ciudad Trujillo, Universidad de Santo Domingo, 1946), et Silvio A.
ZAVALA : La encomienda indiana (Madrid, Junta para amplicaeión de estudios e
investigaciones científicas, centro de estudios históricos, sección hispanoamericana,
1935).
LE PEOBLÈME DB LA TERRE
331
sur le travail coopératif. Avec le temps, aux liens familiaux
s'ajouta le lien de la propriété ou de l'exploitation en commun
de la terre, de sorte que l'institution prit aussi un caractère
agricole. Pendant la période coloniale, de nombreux ayllus
reçurent un statut légal par le système des réserves (reducciones), qui visait notamment à faciliter la fixation et la
perception des tributs. En un sens, un certain nombre de
communautés aborigènes actuelles sont le résultat de cette
politique qui, à un moment donné (avec les ordonnances de
Toledo), aboutit à l'octroi aux membres des ayllus de l'usufruit
de leurs anciennes terres et réglementa l'utilisation commune
des eaux et des forêts. Cependant, les conquérants espagnols,
avec leurs idées européennes sur la propriété, adoptèrent un
système de propriété, Vencomienda, fait pour des personnes
qui venaient recueillir des richesses minérales et non s'établir
sur les terres en vue de les cultiver. Par ce système, les
conquérants reçurent des droits sur le travail ou les produits
du travail des Indiens, soit à titre de tribut, soit en contrepartie
de la « protection » et de l'instruction religieuse. Graduellement,
ce qui tout d'abord n'était qu'une répartition des travailleurs
aborigènes se transforma en un système de grandes propriétés privées. Le système de répartition (repartimientos) et
de concessions (mercedes) aux propriétaires détruisit un grand
nombre d'ayllus et changea leurs membres en vassaux 1.
Les Indiens étaient employés à la culture des parcelles les
plus accessibles de la propriété et recevaient en compensation
l'usufruit de petites parcelles de terre qu'us cultivaient ou
utilisaient comme pâturages. Ils étaient transférés avec la
propriété quand celle-ci changeait de mains, et des peines
étaient prescrites contre les personnes qui essayaient d'attirer
les Indiens hors de la propriété. Ainsi s'établit un système de
servage dont quelques caractéristiques n'ont jamais complètement disparu.
Au Mexique, l'organisation collective indienne est née
d'une institution agraire aztèque, analogue à Vayllu, connue
sous le nom de calpulli. La terre du calpulli était divisée en
trois parties : l'une pour la culture individuelle (également
appelée calpulli), la deuxième utilisée en commun comme pâturage, pour l'exploitation du bois, la pêche, etc., Valtepetlalli,
1
Dans diverses régions, la comunidad aborigène était le résultat d'une association de plusieurs ayllus s'unissant pour défendre leur terre et pour protéger leurs
habitudes de travail collectives contre l'usurpation et l'influence du système d'occupation des terres institué par les autorités coloniales.
332
LE TBAVAILLETFB ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE
la troisième pour la culture collective à des fins publiques
comme l'entretien d'institutions religieuses, le paiement du
tribut à des chefs, etc. La première partie, à son tour, était
divisée en petites parcelles individuelles. L'usufruit pouvait
en être transmis aux différents chefs de famille du calpulli.
Les droits d'usufruit étaient confisqués si la parcelle de terre
n'était pas cultivée pendant deux ans consécutifs. Lorsqu'une
famille s'éteignait, la terre revenait à la communauté, qui
l'attribuait au chef d'une autre famille ou la gardait en réserve.
Avec l'institution du système de Vencomienda, les conquérants espagnols :
... reçurent juridiction sur la terre et les gens, avec le droit d'exiger
le tribut, le travail et d'autres services personnels des habitants...
Si la terre était transférée à quelque autre usage, [les serfs indiens]
étaient transférés en même temps. Ils cultivaient le sol et donnaient
une part de la récolte aux propriétaires. En outre, ils devaient certains
services tels que la fourniture du bois à brûler et de l'eau, des soins
personnels, etc., à certains moments de l'année. La ressemblance de
ces propriétés avec l'hacienda moderne sera facilement reconnue1.
Comme ce fut le cas pour les ayllus en Amérique du Sud,
à un certain moment de la période coloniale, un essai fut fait
par la Couronne pour promulguer une législation protégeant
les calpullis ; plusieurs calpullis furent établis en tant qu'unités
territoriales et des tribunaux spéciaux furent créés pour prévenir l'aliénation de leurs propriétés. Beaucoup d'entre eux
furent reconstitués sur la base d'un système écologique qui
existait alors en Castille et qui prévoyait des terres municipales (bienes concejiles) et des terres communales (bienes
comunales), composées : a) d'une zone de bois et de pâturages,
et b) d'une région séparée {Vejido, étymologiquement : sortie),
généralement située en dehors des portes de la ville et gardée
en réserve pour être mise en valeur par la suite. La terre municipale était de la terre arable et les gains qu'elle procurait
(soit par le travail collectif des habitants de la ville, soit par
loyer) étaient utilisés pour payer les dépenses du gouvernement local. Ii'ejido était utilisé comme dépôt de céréales, terrain
de jeux, place publique, etc. 2.
Avec l'avènement de la forme républicaine de gouvernement, l'existence des communautés aborigènes restantes fut
1
N a t h a n L. W H E T T E N : Rural Mexico, op. eu., p . 79.
Cf. L. MENDIETA Y NtrÑEZ : El problema agrario de México (Mexico, 1935),
pp. 1-15 ; George McCutchen M C B E I D E : The Land System of Mexico (New-York,
American Geographical Society), p . 166 ; Enrique MUNGTJIS : a Le problème agraire
au Mexique », Revue internationale du Travail, vol. X X X V I , n 0B 1 et 2, juill. et a o û t
1937, pp. 50-93 et 213-260.
2
LE PROBLÈME DE LA TEBEE
333
mise en péril par le fait que le droit positif d'Amérique latine,
inspiré de la doctrine européenne du libéralisme économique,
renia le principe de la propriété collective de la terre et refusa
d'accorder un statut légal à ces communautés. Ceci facilita
l'aliénation de la terre collective, soit par voie d'achat, soit
à la suite de prises de possession par les propriétaires puissants,
en sorte que beaucoup des membres des comunidades devinrent
locataires ou ouvriers agricoles dans les haciendas. Peu familiers
avec la langue officielle et troublés par une économie fondée
sur les échanges monétaires, les Indiens se séparèrent souvent
sans le savoir de leurs terres et des droits d'utilisation d'eau
qui avaient acquis une soudaine valeur du fait de leur rareté.
L'individualisation des titres de propriété se révéla désastreuse pour de nombreuses communautés indiennes. Dans
quelques pays, la reconnaissance de ces titres impliquait une
procédure positive d'acquisition par une demande de concession officielle, procédure sans aucun sens pour un peuple auquel
l'idée de propriété privée était étrangère. Lorsque la nécessité
leur fut imposée de faire enregistrer les titres de propriété,
beaucoup d'Indiens, ignorant l'existence de cette exigence ou
sa signification, ne s'y conformèrent pas, ce qui entraîna la
vente de leurs propriétés comme terres inoccupées aux propriétaires de grands domaines, les Indiens eux-mêmes devenant
fermiers ou travailleurs agricoles salariés sur leurs propres
terres. Le colon blanc prenait souvent avantage de la confusion
des titres de propriété et de l'absence de cadastre exact pour
usurper les terres aborigènes et chasser les Indiens par tous
les moyens légaux et illégaux.
Le processus de désintégration des terres communales
indiennes atteignit son point culminant dans la seconde moitié
du x i x m e siècle.
En Bolivie, en 1866, le Président Melgarejo promulgua une
déclaration abofissant l'institution de la comunidad aborigène
et ordonnant que la terre soit répartie entre les Indiens à titre
individuel. Dix ans plus tard, la loi d'expropriation des terres
ayllù (5 octobre 1874) porta encore un coup aux propriétés
collectives aborigènes. A la suite de ces mesures, les terres
d'un grand nombre de comunidades furent transférées par la
vente ou par d'autres moyens à des Blancs et des métis 1 .
1
En 1871, de nombreuses transactions portant sur des terres de communautés
indiennes furent annulées et les propriétaires de bonne foi furent dédommagés
par l'Etat. Cf. George McCutchen MCBRIDE : Agrarian Indian Communities of Highland Bolivia (New-York, American Geographical Society, 1921).
334
LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE
Dans les cas, fréquents dans les régions les plus accessibles, où
la propriété ayllu a été effectivement abolie et la propriété individuelle rendue obligatoire pour les aborigènes, leurs propriétés privées
ont bientôt été absorbées dans les grandes fincas ou haciendas privées,
et les aborigènes sont restés sur leurs terres ancestrales à titre de serfs
à qui leur maître 1assignait quelques arpents de terre et peut-être
quelques animaux .
Même dans les premières années de notre siècle, nombreux
ont encore été les cas où les Indiens ont été contraints d'adopter
le statut de fermiers et où les comunidades ont été transformées
en fermes ou en domaines aux mains des Blancs ou des métis.
Au Chili, le système des « réductions » (reducciones) fut
introduit en 1886 dans le double but de garder certaines
régions du pays pour les Indiens (Araucans) et d'ouvrir les
autres à la colonisation des Blancs, Chiliens ou immigrants.
Puis on nota dans la législation du pays une tendance à
répartir en parcelles familiales la terre possédée collectivement
par les Araucans. Pour différentes raisons — ignorance des
aborigènes, activité de monopolisateurs de terres peu scrupuleux, manque de méthodes rapides et pratiques pour assurer
l'observation de la loi —, une proportion importante des terres
collectives des Araucans fut annexée aux grandes propriétés
entre 1866 et 1927 2. Eécemment (on le verra au chapitre XI),
le gouvernement chilien, par décret du ministre des Finances,
a décidé d'exonérer d'impôts les aborigènes titulaires de concessions, dont les terres auraient été cotées conformément à la
loi sur les Indiens.
E n Colombie, la première loi républicaine ordonnant la
répartition par famille des terres collectives des resguardos
aborigènes remonte au 11 octobre 1821.
Depuis, le même principe général a toujours inspiré toute
la législation aborigène du pays. Parmi les autres textes sur ce
sujet, on peut mentionner les suivants : a) la loi n° 55, du
29 avril 1905, confirmant les ordres judiciaires aux termes
desquels certaines terres des resguardos devaient être déclarées
« libres », confirmant la vente de ces terres aux enchères
publiques, et cédant certaines terres indiennes abandonnées
1
2
Weston L A B A R R E , op. cit., p . 148.
Cf., p a r exemple, Sergio GUEVARA CALDERÓN e t Rafael EYZAGUIRRE E C H E -
VERRÍA : Historia de la civilización y legislación indigena de Chile, thèse soutenue
pour l'obtention du titre de licencié de la faculté des sciences juridiques e t sociales
de l'Université du Chili (Santiago du Chili, 1948), p . 111 ; également José INALAFF
NAVARRO : Sol económico y politico del indigena de Chile, op. cit., p . 82. E n 1928,
plus d'un million d'hectares qui avaient été occupés illégalement p a r des personnes
non indiennes furent rendus aux communautés araucanes par le gouvernement.
(Cf. Memoria del Ministerio de Fomento, 1928, p . 196.)
LE PROBLÈME DE LA TERRE
335
aux municipalités intéressées ; b) la loi n° 104 du 16 décembre
1919 déclarant abolis les resguardos aborigènes composés de
moins de trente familles chacun et ordonnant la répartition de
leurs terres entre les Indiens par petites propriétés ; c) la loi
n° 19 du 23 septembre 1927 créant un système de commissions
fédérales spéciales pour la répartition des terres des resguardos
et établissant qu'après la distribution, les propriétaires indiens
acquerraient le statut de citoyen à la fois pour leur propriété
et pour leur personne ; et d) le décret n° 918 du 19 avril 1944
ordonnant la répartition des terres des resguardos dans la région
de Tierradentro, département de Cauca, qui jusqu'à cette époque
étaient restées entières *.
Au Guatemala, jusqu'en 1870 environ, la population
aborigène de la région du plateau a conservé une forte proportion des terres qu'elle possédait sous le système traditionnel
de la comunidad. Sous le régime Bufino Barrios, ce système fut
aboli et remplacé par la propriété individuelle. Cependant :
...le milieu n'était pas mûr pour la dislocation des anciennes
formes institutionnelles et les résultats en furent déplorables. Beaucoup d'Indiens ne firent pas enregistrer leurs domaines comme le
voulait la loi et leurs terres furent vendues aux propriétaires de
grandes haciendas comme terres incultes. Les petites propriétés
furent bientôt absorbées par les grandes et éparpillées par les héritages. Quelques comunidades furent sauvées parce que le temps et
l'occasion manquèrent pour leur appliquer les dispositions d'enregistrement. De toute façon, cette période marque la décadence de la
propriété collective qui remontait aux Mayas et qui avait été très
forte pendant la période coloniale. La proportion des personnes sans
terres augmenta, ainsi que la concentration en grands domaines,
qui gardaient la plupart de leurs caractéristiques féodales du temps
de la colonie *.
Au Mexique, afin de créer une classe de petits propriétaires
indépendants, la Constitution de 1857 interdit aux corporations civiles et ecclésiastiques de posséder ou d'administrer
des biens-fonds (sauf des immeubles). Cette interdiction porta
un coup au système traditionnel de la propriété ou de l'exploitation collectives de la terre, car les comunidades et les ejidos
étaient regardés comme ayant la personnalité morale. E n 1854,
on comptait dans le pays environ 5.000 organisations agricoles
collectives, composées d'Indiens ou de métis, occupant une
superficie totale d'environ 117.000 kilomètres carrés. A partir
1
Pour le texte complet de ces lois et décrets, voir Antonio GARCÍA : Legislación
indigenista de Colombia (Mexico, Instituto Indigenista Interamericano, 1952).
2
INSTITUTO DE FOMENTO DE LA PRODUCCIÓN : Crédito agricola supervisado para
Guatemala, op. cit., p. 290.
336
LE TRAVAILLEUR ABORIGENE DANS L'ÉCONOMIE
de 1857, commença un processus de désintégration de ces
organisations par l'aliénation, la concession, la vente et la
mise aux enchères des terres, des eaux et des forêts. Ce processus s'accéléra à partir de 1876, date à laquelle une loi accorda
des concessions à des sociétés privées pour faire le relevé de
grandes bandes de terrain dans des régions spécifiées du pays
et soumit à revision les titres de propriété qui s'y rapportaient. La loi rendait possible la saisie des terres dont les
titres de propriété n'étaient pas enregistrés, en sorte que
nombre de comunidades agricoles disparurent. On a estimé
que presque 920.500 hectares de terres appartenant aux comunidades passèrent aux mains des haciendas du fait de l'occupation et de l'acquisition de terres soi-disant « incultes » et de
l'acquisition des terres par l'exercice des droits d'utilisation
de l'eau x. En même temps, le nombre et la superficie des
grands domaines augmentèrent et de nombreux membres des
comunidades et des ejidos devinrent ouvriers agricoles sur ces
propriétés 2. A la fin de la dictature de Porfirio Díaz, environ
1 pour cent de la population possédait près de 70 pour cent
du sol arable du pays. Une seule famille dans l'Etat de
Chihuahua possédait des propriétés terriennes totalisant le
chiffre étonnant de 4.956.000 hectares, et trois familles possédaient la plupart des terres agricoles de l'Etat d'Hidalgo.
Dans la grande majorité des Etats, environ 95 pour cent
des familles rurales étaient sans terres. La grande propriété,
l'absentéisme et la monopolisation des terres par les familles
politiquement influentes et les sociétés étrangères et mexicaines pavaient le chemin de la réforme agraire 3 .
Au Pérou, d'après une étude récente de M. Francisco
Ponce de León, président de la Commission des affaires
indigènes de la Chambre des députés et membre péruvien de la
Commission d'experts de l'O.I.T. pour le travail des aborigènes,
entre la déclaration d'indépendance (1821) et la promulgation
de la Constitution de 1920, les terres de beaucoup de comunidades et d'ayllus aborigènes :
1
N a t h a n L. W H E T T B N : Rural Mexico, op. cit., pp. 8S-89.
P o u r plus de détails, voir Cinco siglos de legislación agraria en México (Mexico,
1941), publié sous la direction de Manuel PABILA (5 volumes) ; Enrique MUNGUÍA,
loe. cit. ; Eyler N . SIMPSON : The Ejido, Mexico's Way Out (Chapel Hill, N.C.,
The University of North Carolina Press, 1937), p p . 24, 29-31 ; e t les ouvrages cités
dans les bibliographies de ces volumes.
3
E n 1940 — fin de l'administration Cárdenas —, environ 18.210.000 hectares
de terres avaient été distribués aux paysans, selon le système ejido e t à titre individuel. Cf. SECRETARÍA DE GOBERNACIÓN : Seis años al servicio de México, 19351940 (Mexico, 30 nov. 1940).
2
LE PROBLÈME D E LA TEBEE
337
... devinrent la proie facile de ceux qui, dans leur cupidité, s'en
emparaient par tous les moyens légaux ou non, et je crois que ce fut
plus par la fraude ou la violence que par des moyens légaux... Ainsi,
les terres qui avaient d'abord appartenu à de nombreux Indiens et à
leurs communautés passèrent aux mains de personnes privées et
devinrent le fondement des grandes haciendas. Les anciens propriétaires aborigènes devinrent
yanaconas ou colons partiaires des nouveaux propriétaires 1.
Au Venezuela, en vertu d'une loi en date du 2 juin 1882,
les anciennes réserves indiennes furent abolies en même temps
que tous les privilèges que les lois coloniales précédentes
avaient accordés à la population aborigène. Les seules comunidades indiennes reconnues furent celles des territoires
fédéraux de l'Amazone, de l'Orénoque supérieur et de la
Guajira. La loi sur les resguardos aborigènes du 8 avril 1904
disposait que les terres ayant appartenu à des comunidades
aborigènes éteintes et celles pour lesquelles les titres de propriété ne pouvaient pas être authentifiés deviendraient la
propriété de l'Etat.
Aux Etats-Unis, le morcellement des terres appartenant
aux tribus indiennes fut le résultat inattendu de la loi de 1887
sur la répartition générale des terres. Bien que destinée à
avantager les Indiens, cette loi eut comme conséquence de les
obliger à aliéner de grandes superficies possédées collectivement
et à vendre de nombreuses propriétés privées. E n conséquence,
entre 1887 et 1934, la superficie des terres indiennes tomba
de 56 millions à environ 21 millions d'hectares. Pendant la
même période, la population indienne passait de 240.000 à
400.000 âmes. A quelques exceptions près, la région perdue
était composée des terres les plus fertiles et des plus belles
forêts 2.
Dans l'Inde, on ne peut facilement distinguer le processus
de désagrégation des propriétés aborigènes de celui des propriétés agricoles en général. Néanmoins, l'évolution de la
situation n'est pas sans analogie avec ce qui s'est passé en
Amérique latine. Ainsi, chez les Gond d'Haïderabad, les titres
de propriété concédés au x v i m e siècle par les Mongols se
justifiaient par la culture ou le défrichement de la jungle
(même aujourd'hui, les Gond appuient leurs revendications
agraires sur ce motif). A partir du x v n i m e siècle, la terre fut
1
Francisco PONCE DE LEÓN : « Bosquejo del problema de la propiedad de la
tierra en el Perú », Perú Indigena, vol. ITE, n° s 7 et 8, dec. 1952, p. 160.
2
Hearings ...on National Resources Policy, op. cit. Depuis 1934, environ
1.620.000 hectares ont été rendus aux Indiens en vertu de la loi ou par voie d'achat.
338
LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE
de plus en plus souvent attribuée dans les régions tribales
à des personnes autres que les aborigènes. Des éléments
étrangers aux tribus s'infiltrèrent et devinrent fermiers et
percepteurs et évincèrent les familles Gond. Le gouvernement
encouragea l'installation de ces colons, afin de développer
le district et d'en tirer des revenus, et au x i x m e siècle, les
colonies non tribales devinrent les centres commerciaux de
la région. Les colons recevaient de la terre sans avoir à payer
de loyer pendant trente ans. Très souvent, ils devenaient
chefs de village et se prévalaient de ce titre pour expulser
les véritables propriétaires. On estimait, lorsque pour une
raison ou pour une autre les aborigènes quittaient temporairement leurs terres, qu'ils avaient renoncé à leurs droits sur elles.
Les colons s'en emparaient immédiatement et les fonctionnaires
du fisc les considéraient comme les propriétaires légitimes.
Les aborigènes, lorsqu'ils revenaient, ne pouvaient obtenir
qu'on leur rendît leurs terres. Les Gond perdirent aussi leurs
terres en ne faisant pas inscrire leur nom sur les cadastres.
Beaucoup d'entre eux devinrent des travailleurs sans terres
ou les fermiers-exploitants des nouveaux colons ou des propriétaires absents. Un Gond expulsé de sa terre pouvait prendre
une nouvelle parcelle, la défricher et commencer à la cultiver ;
il en était chassé une fois' de plus par un homme montrant un
titre de propriété écrit lui donnant droit à cette parcelle. Le
Gond pouvait alors devenir le fermier de l'intrus ou quitter
de nouveau cette terre. De cette manière, les aborigènes se
retirèrent vers les montagnes les plus inaccessibles, où il restait
encore de la terre à cultiver.
La politique forestière a, elle aussi, porté tort aux propriétés
tribales des aborigènes. Lorsque les forêts « réservées » furent
délimitées, on ne tint aucun compte des colonies aborigènes ;
plus tard, les lignes de démarcation furent tracées extrêmement
près des villages, ne laissant aux villageois que les terres
pour lesquelles ils pouvaient montrer des titres de propriété
écrits, même s'ils cultivaient les autres depuis des temps
immémoriaux.
A la suite de la dispersion, des expulsions et des exactions
diverses, le nombre des propriétaires aborigènes était tombé
en 1942 à-environ un cinquième de ce qu'il était autrefois et
beaucoup de ceux qui restaient avaient perdu leurs droits sur
leurs terres 1 .
1
P. S. R A O : Among the Oonds of Adilabad,
op. cit., pp. 80 et suiv.
LE PROBLÈME DE LA TEKEE
339
Un autre auteur signale qu'avant la création des Etats de
l'Inde et du Pakistan, le même phénomène s'est produit chez
les Munda et les tribus montagnardes de Chittagong : la coutume tribale fut communément remplacée par un code dont
l'application eut pour effet de priver la tribu de sa propriété,
soit par aliénation au profit d'étrangers, soit par la transformation du régime de tutelle du chef de la tribu en une propriété absolue d'un genre entièrement étranger aux habitudes de la tribu 1 .
En AustraUe, vers la fin du x v n i m e siècle, le nombre des
aborigènes vivant en tribus commença à diminuer régulièrement à mesure que s'étendait la colonisation blanche. Les
premières régions colonisées étaient les plus fertiles et les plus
tempérées, les zones côtières de l'Est, du Sud et du Sud-Ouest.
A mesure que les colons avançaient à l'intérieur, la population
aborigène se retirait ou était repoussée vers les régions les
moins hospitalières de l'intérieur, ou encore s'établissait à la
limite des nouvelles villes et des nouvelles exploitations. Même
dans quelques-unes des régions les moins accueillantes de
l'intérieur, les aborigènes eurent à souffrir des abus inévitables
de la colonisation. Privés parfois de leurs points d'eau à la
suite de la découverte d'or et d'autres minéraux précieux
dans des régions où les précipitations sont rares, ils ne purent
que se retirer encore plus à l'intérieur dans des régions à ressources rares et inconnues, à moins qu'ils ne préférassent
rester à la lisière des colonies.
En Nouvelle-Zélande, la colonisation, par les Européens,
de l'intérieur du pays a sapé les bases mêmes de l'ancienne
économie maorie. L'abandon de la terre et le dépeuplement
ont accéléré la perte des propriétés tribales en faveur des
Blancs. On a estimé que dans les cent années qui ont suivi
1840, les Maoris ont perdu, par vente ou par confiscation,
25 des 27 millions d'hectares qui représentent la superficie
totale du pays 2.
Bien que, très tôt, la Couronne se soit réservé un droit de
préemption en vertu d'un traité qui garantissait aux chefs et
aux tribus la possession paisible des terres qu'ils désiraient
garder selon leurs coutumes et leurs usages, les Maoris vendirent
de grandes superficies de terre pour des sommes dérisoires,
qu'ils eurent d'ailleurs tôt fait de gaspiller. Les titres de propriété aborigènes étaient si compliqués et parfois si obscurs
1
D r HUTTON, cité par A. V. THAKKAE : The Problem of Aborigines
op. cit., p . 11.
3
F . E . MANNING : Old New Zealand, op. cit., p p . 184-190.
in
India,
340
LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE
qu'ils ne pouvaient manquer de susciter tôt ou tard une grande
confusion. En cas de résistance armée de la part des Maoris, la
Couronne renonçait à son droit de préemption et, en outre, confisquait d'importantes superficies de terres aborigènes fertiles \
Pour mettre fin au désordre, un tribunal des terres aborigènes fut créé, ayant le pouvoir de sanctionner officiellement
les titres de propriété et d'établir les certificats de vente ou
de location des terres par les Maoris. Un peu plus tard, l'adoption du principe de l'individualisation des titres de propriété
des terres maories eut des conséquences si néfastes que l'Etat
essaya d'abord de réintroduire le principe du droit de préemption de la Couronne, puis de limiter ou de supprimer le droit des
Maoris d'agir à l'encontre de leurs propres intérêts. A cette fin,
la création de conseils des terres maories, chargés de surveiller
les transactions concernant ces terres, fut décidée. Les terres
maories pouvaient alors être aliénées de la même manière que
les terres européennes, sauf lorsque les intérêts de plus de dix
personnes étaient en jeu ou lorsque le Maori ne gardait qu'une
superficie insuffisante à assurer sa propre subsistance. En
outre, l'aliénation pouvait se faire par décision d'une commission constituée par les propriétaires maoris dont les titres de
propriété avaient été réunis par le tribunal des terres aborigènes ou par une résolution de la majorité des propriétaires
réunis par le conseil des terres maories.
Cependant, ces mesures ne résolvaient pas le problème de
l'administration agricole. Sans doute on essaya d'examiner les
titres en fonction du droit coutumier.
En réalité, le propriétaire maori ne recevait pas de titre clairement
établi pour une parcelle donnée de terre qu'il pouvait appeler sa
propriété. Au lieu de cela, il se trouvait détenir des intérêts légalement reconnus, mais dispersés sur plusieurs parcelles qui pouvaient
bien être vendues, mais qu'il ne pouvait exploiter pour lui-même.
Les tentatives faites pour faire le relevé de la terre et la subdiviser
échouèrent, les frais entraînés dépassant souvent la valeur du terrain
et les parcelles obtenues étant finalement trop petites et trop dispersées pour pouvoir être cultivées. Ce n'est que ces dernières années
que les remèdes ont été trouvés à cette situation étrange, qui avait
pour effet de déposséder rapidement les Maoris : ce furent la réunion
d'un certain nombre de grands terrains en vue de les faire exploiter
coopérativement par ceux qui avaient des droits sur ces terres, et le
groupement des intérêts dispersés au moyen d'un long processus de
rajustement entre familles et personnes intéressées et enfin l'établissement de2 plans spéciaux de colonisation sur les terres appartenant
à l'Etat .
1
F . E . MANKDTG : Old New Zealand, op. cit., p p . 184-190.
Felix M. K E E S I N G : The South Seas in the Modem World (Institute of Pacifie
Relations, New-York, John D a y Company, 1941), pp. 108-109.
2
LE PROBLÈME DE LA TERRE
341
FORMES ACTUELLES DE POSSESSION ET D'USUFRUIT
DE LA TERRE
Les communautés aborigènes dans sept pays
d'Amérique latine
Entre 1910 et 1920, les législations de l'Amérique latine
ont commencé à accorder la personnalité juridique aux comunidades existantes et à encourager l'établissement et le
développement économique de nouvelles collectivités. Dans
quelques pays, elles ont interdit l'aliénation ou la saisie de
leurs terres en précisant les conditions auxquelles les copropriétaires ou co-usufruitiers, suivant le cas, pouvaient
hypothéquer leurs propriétés. Dans quelques cas, le législateur
a même ordonné le retour de terres aliénées aux descendants
des membres des communautés qui en étaient autrefois propriétaires. Même ainsi, dans nombre de communautés de fait
(c'est-à-dire qui n'ont pas encore été reconnues officiellement
et enregistrées par les pouvoirs publics), la propriété de la
terre n'est pas encore fondée sur la possession de titres de
propriété et n'est maintenue que par la tradition.
La plupart des comunidades qui ont survécu se trouvent
dans des régions montagneuses éloignées et arides dont les
exploitants peuvent à peine subsister et où l'on ne risque pas
de voir les grands propriétaires venir accaparer des terres en
excédent. Beaucoup d'entre elles se sont retirées dans les régions
désertes des plateaux, parfois en des endroits très difficiles
d'accès. Dans les régions «où la hacienda s'est appropriée les
terres basses, les Indiens ont été obligés de chercher refuge dans
les terres hautes, montant quelquefois jusqu'à des hauteurs
incroyables, aussi haut que les conditions climatiques permettent de faire pousser quelque chose 1 ».
Dans de nombreux districts, les haciendas voisines ont
monopolisé l'eau et les forêts ou contrôlent les droits de passage
stratégiques, de sorte que les Indiens des communautés doivent
travailler sur les domaines pour obtenir les fournitures nécessaires en eau et en bois ou les droits de passage. Fréquemment,
les terres appartenant à la comunidad sont morcelées en
nombreuses parcelles isolées entre lesquelles s'étendent de
grandes superficies appartenant aux haciendas. Parfois, quelques-unes de ces parcelles sont dans les vallées, alors que
d'autres sont à une très grande distance dans les montagnes.
1
Moisés SÁENZ : Sobre el indio ecuatoriano y su incorporación al medio nacional
(Mexico, Secretaría de Educación Pública, 1933), pp. 50-51.
342
LE TRAVAILLEUR ABORIGENE DANS L'ÉCONOMIE
Moisés Sáenz cite des cas où, à cause de l'éparpülement de
leurs terres, les membres d'une collectivité aborigène sont
forcés de passer des heures, parfois des journées entières,
pour se rendre d'une partie de la propriété collective à une
autre 1.
Généralement, les terres de la collectivité sont pauvres et
ont besoin, après une récolte, d'une longue période de repos
(deux à cinq ans et parfois jusqu'à dix ans). Ceci provient
notamment du fait que dans la plupart des cas, les aborigènes
ne connaissent pas l'usage des engrais modernes, ni le système
de l'assolement 2. La situation est aggravée par l'habitude des
Indiens de labourer les pièces en pente de haut en bas, ce qui
vient ajouter à l'action des eaux de ruissellement pendant la
saison des pluies. De là des phénomènes d'érosion, le glissement
des terrains, le ravinement, l'inondation des terres dans les
régions plus basses et la formation de torrents de boue grossis
par les pluies. Dans différentes parties du haut plateau des
Andes, les murs de pierre monumentaux édifiés autrefois par
les Incas pour soutenir les terrasses tombent en décrépitude et
le système traditionnel d'irrigation indien a été complètement
négligé.
La production de la communauté agraire est généralement
destinée à la consommation des membres. En règle générale,
elle se limite au maïs, aux haricots, aux pommes de terre et
aux légumes ; il s'y ajoute parfois des fruits destinés à la vente.
Celles des communautés qui pratiquent l'élevage vendent du
bétail, produisent de la viande, des œufs, du lait, etc., pour les
marchés. Sur tout le plateau des Andes, de la frontière colombienne jusqu'à la frontière entre la Bolivie et l'Argentine, les
aborigènes sont surtout bergers. Si, sur les hauts plateaux de
la Bolivie et du Pérou méridional, les moutons et les lamas prédominent, dans le Pérou septentrional et en Equateur, ce sont
les bovins et les ânes. Au Pérou et en Equateur surtout, certaines communautés, propriétaires de superficies relativement
étendues, ne se limitent pas à l'élevage du bétail et aux activités
connexes, mais pratiquent aussi une importante agriculture
commerciale. Par exemple, au Pérou, dans la vallée Jauja,
certaines communautés ont réussi à installer des moulins à
blé, à maïs, à orge, etc.
1
Moisés SÁENZ : Sobre el indio ecuatoriano y su incorporación al medio nacional,
op. cit., pp. 50-51.
2
II est vrai qu'en général la rotation des cultures n'est guère facile sur les
hauts plateaux.
LE PROBLÈME D E LA TEBBE
343
Les comunidades ont été classées de nombreuses manières
différentes selon les modalités de propriété ou d'exploitation
collective de la terre. Il semble, à quelques exceptions près,
que la propriété collective de la terre n'existe plus. Dans la
plupart des cas, la terre arable est devenue entièrement
propriété individuelle des Indiens et le contrôle collectif ne
s'exerce que pour prévenir son aliénation au profit de personnes
ou d'entreprises étrangères à la communauté. Les pâturages et
l'irrigation restent dans la plupart des cas dévolus à la communauté. Le travail en commun et la participation à certaines
besognes d'intérêt public (construction et entretien des routes
et des canaux d'irrigation, par exemple), bien plus que la propriété ou l'utilisation collective de la terre ou des instruments,
semblent être les caractéristiques traditionnelles qui, dans la
communauté contemporaine, ont le mieux résisté au temps 1 .
Tel est l'état de choses que l'on peut observer dans certaines
régions, même chez des Indiens qui sont en fait ouvriers agricoles ou métayers, mais qui continuent à se considérer comme
membres d'une communauté pour tout ce qui concerne les
aspects collectifs de leur vie.
Les données précises faisant défaut, il est impossible de se
faire une idée exacte du nombre des communautés actuellement en existence, ou de leur population. La difficulté vient du
fait que les informations statistiques officielles ne concernent
que les communautés officiellement reconnues par les pouvoirs
publics.
Bolivie.
D'après Capriles Eico et Ardúz Eguía, les comunidades
offrent en Bolivie une telle variété de caractéristiques d'organisation interne et de buts qu'il est extrêmement difficile de les
classer systématiquement. Cette réserve faite, ils distinguent
quatre catégories différentes, à savoir : a) la communauté
fondée sur une collectivisation absolue, établie généralement
sur d'assez vastes superficies de pâturages ; b) la communauté
moins strictement collective, généralement située sur des terres
pauvres, et dont chaque membre cultive une parcelle q"ui lui
est assignée par la communauté elle-même et qui, par une
occupation continue, acquiert le caractère d'une propriété
1
« La comunidad indienne n'implique pas nécessairement l'appropriation collective de la terre ; sa caractéristique essentielle est simplement l'existence de liens
sociaux entre les membres du groupe. » (Remberto CAPEILES RICO et Gastón
ABDDZ EQUÌA : El problema social de Bolivia, op. cit., p. 45.)
344
LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE
individuelle ; c) la communauté où la propriété est relativement
individuelle et dont les membres jouissent de l'usufruit de leur
parcelle leur vie durant avec la possibilité de transmettre leurs
droits à leurs héritiers ; d) la communauté coopérative, fondée
sur des droits de propriété individuels bien définis, mais qui
admettent la propriété collective des pâturages et les services
d'aide réciproque 1.
Selon les renseignements communiqués par la Direction
de l'économie rurale de Bolivie, le nombre des collectivités
recensées s'élevait en février 1949 à 4.148, réparties géographiquement de la manière suivante :
TABLEAU
XL. —
BOLIVIE : RÉPARTITION
PAR
D E S COMMUNAUTÉS R E C E N S É E S ,
Département
Nombre des
communautés recensées
L a Paz
Cochabamba
Oruro
Potosí
Tarija
Source:
DÉPARTEMENT
1949
723
479
1.195
1.724
27
Communication du correspondant du B.I.T. en Bolivie, février 1949.
On estime qu'approximativement 50 pour cent de la
population indigène qui s'adonne à l'agriculture dans les
départements de La Paz et d'Oruro vit sous le régime de la
collectivité.
La plupart des comunidades sont situées sur des terres peu
fertiles et éloignées des principales routes. Dans les régions
plus fertiles, sur les pentes du plateau et dans les vallées Yunga,
les grands domaines privés prédominent. D'après l'une des
sources consultées, la superficie moyenne d'une parcelle
familiale indienne dans la région du haut plateau est d'environ
le tiers d'un hectare 2. Si les conditions observées dans les
communautés ne sont pas nécessairement identiques à celles
que posent les problèmes de la production et des métiers dans
l'ensemble du pays, les observations générales qui suivent
semblent valables aussi bien pour l'Indien vivant en communauté que pour les autres agriculteurs aborigènes. Alors
qu'environ 70 pour cent de la population du pays dépendent
de l'agriculture, moins de 2 pour cent de la terre est cultivée.
Sur cette proportion, environ 49 pour cent sont représentés par
le haut plateau où est concentrée la plus grande partie de la
1
R. CAPRILES R I C O et G. A B D U Z EGTJÎA, op. cit., p. 45.
2
Indians
of the High Andes, op. cit.
LE PROBLÈME DE LA TEBBE
345
population aborigène et où le rendement agricole du sol est
très limité 1.
lia concentration la plus forte d'habitants se trouve actuellement
sur les terres les moins capables de fournir un niveau de vie normal
alors que de grandes superficies de terres fertiles sont relativement
peu peuplées... Le système d'occupation de la terre entrave presque
complètement le développement d'une agriculture progressive 2.
La production agricole dans la région du haut plateau
est très restreinte à cause de la surpopulation, de l'épuisement
du sol arable et des pâturages trop utilisés et du bas niveau
de la technique. L'érosion enlève lentement mais sûrement
la couverture du sol et ne laisse derrière elle que des rochers
nus. La région des chaînes de montagnes septentrionales n'a
pas de valeur agricole à cause du sol pierreux et peu profond.
D'autre part, dans la région des montagnes méridionales, les
pentes sont raides, érodées et ne portent généralement que
peu de végétation à part des buissons et une herbe rase.
A cause de l'utilisation trop fréquente des pâturages, l'érosion
est devenue un problème très grave. Quant à la partie sud
du plateau, seules de petites régions y sont cultivées et le rendement est faible à cause du manque d'irrigation et du bas
niveau de la technique agricole 3. Parmi les Indiens aymarás
de la région du lac Titicaca...
... la terre de Vayllu est divisée en un certain nombre de parcelles,
appelées ainoqa, dont une ou deux sont cultivées chaque année d'après
un système de rotation, alors que le reste sert de pâturage ou reste
entièrement en jachère. La même parcelle peut être cultivée pendant
cinq, dix, quinze ou vingt ans selon la densité de la population, la
superficie des terres possédées par Vayllu, la fertilité du sol, etc. 4.
Chili.
Au Chili, en 1940, le nombre des « réductions » araucanes
était de 3.078, avec une population totale d'environ 90.000 personnes et une superficie de plus d'un demi-million d'hectares,
ainsi qu'il ressort du tableau ci-après.
1
D'après une évaluation officielle, le rendement moyen par hectare n'est que
de 3,5 tonnes pour les pommes de terre, de 350 kilogrammes pour le quinoa et de
600 kilogrammes pour l'orge. Quant à la laine, la tonte annuelle n'en fournit que
de 0,5 à 1,5 livre par mouton. Le taux de reproduction du troupeau n'est que d'en-
viron 50 pour cent. Cf. UNITED NATIONS FOOD AND AGBICUI/TTOE ORGANIZATION :
Agriculture in the Altiplano of Bolivia, F.A.O. Development Paper No. 4 (Washington, mai 1950), pp. 4 et 26.
^Report of the United Nations Mission of Technical Assistance to Bolivia, op. cit.,
p. 53. Voir chap. XI.
3
Ibid., pp. 53 et 54. Pour des détails sur les techniques agricoles, voir plus loin.
4
Weston LA BABEE, op. cit., pp. 155-156.
346
LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE
T A B L E A U X X I . — C H I L I : COMMUNAUTÉS
Nombre
de • réductions »
District
ARAUCANES
Superficie
(en hectares)
Population
Termico 1
Lautaro
Nueva Imperial . .
603
171
719
104.653,30
29.852,20
115.851,60
22.079
3.781
22.985
Pitrufquén x .
Villarica
Valdivia
La Unión .
Río Bueno .
Osorno
Llanuihué .
304
305
410
15
87
40
2
41.653,40
47.858,48
64.512,60
422,00
5.125,50
3.450,00
83,50
7.251
7.566
9.502
101
1.737
1.828
29
38
183
82
47
66
6
8.410,00
53.656,75
12.605,00
8.869,50
7.115,59
659,00
1.438
7.067
1.716
1.291
1.912
118
3.078
504.778,42
90.401
. . .
. . .
. . .
. . .
1
Victoria
Traiguén
Collipulli
Angol
Cañete
Mulchén
Total
. . .
Source : Dina MUÑOZ BAYER : Comunidades Indígenas (thèse soutenue pour obtenir le titre
de licencié de la faculté des sciences juridiques et sociales de l'Université du Chili) (Temuco,
1948), p. 39.
1
Chef-lieu de groupe, siège d'un tribunal des affaires indiennes, chargé de la répartition des
terres.
Le premier de ces chiffres se rapporte probablement aux
réserves qui ont conservé leur ancien système collectif tribal
d'occupation des terres et à celles où cette structure traditionnelle s'est perdue et où la terre a été convertie en parcelles
familiales. D'après une source officielle, il semble qu'en 1940
le nombre des communautés appartenant au premier groupe
n'était que de 1.268 \
D'après des renseignements fournis au B.I.T. en mai 1950
par le ministre chilien du Travail, la superficie moyenne d'une
parcelle individuelle n'est que de 2,5 hectares. Le problème
s'est aggravé du fait que les calculs primitifs de répartition des
terres étaient fondés sur une population araucane de 80.000
personnes, alors que ce nombre est beaucoup plus élevé actuellement, chaque famille comprenant en moyenne huit personnes 2 .
Le quatrième Congrès national du Front uni araucan, qui
s'est tenu à Temuco en mai 1940, a déclaré que les Indiens
1
DIRECCIÓN GENERAL D E ESTADÍSTICA : <¡ Reducciones indígenas »,
Estadística
chilena (Santiago, juill. 1944).
2
Cf. Alicia N . CABRERA SANTOS : Educación y cultura de los araucanos (Temuco,
1946).
LE PROBLÈME DE LA TEERE
347
étaient « dans une situation misérable à cause de la pénurie
de terres... 1 ». Dans quelques régions, le rendement moyen
par parcelle n'est que de 80 kilogrammes de blé par année 2.
Colombie.
Pour la Colombie, il n'a pas été possible d'obtenir des
renseignements sur le nombre total des resguardos3 aborigènes
actuellement en existence ou sur la densité de la population
qui y vit. En 1940, selon la Division de la colonisation du
ministère de l'Economie nationale, on comptait environ
86.241 Indiens répartis dans 160 communautés différentes 4.
La grande majorité de ces réserves sont situées sur les pentes
occidentales du massif central des Andes, spécialement dans
les départements de Cauca (Est), Caldas (Centre et Ouest),
ÎTarino, Huila et Tolima (Centre). Il en existe également
dans la plupart des autres départements, ainsi que dans le
territoire de Chocó.
Disséminées du nord au sud à des altitudes variant de 2.200 à
2.600 mètres, elles occupent l'une des « zones froides » des tropiques...
Les Indiens continuent à lutter désespérément pour garder leurs
droits de propriété collectifs traditionnels sur les terres qu'ils
occupent...
Nombre de communautés sont près de disparaître et luttent
désespérément, sans aucune chance de succès d'ailleurs, contre leurs
voisins blancs qui utilisent tous les moyens, légaux et illégaux,
pour s'introduire sur leurs terres, les déloger graduellement et
transformer les Indiens en travailleurs agricoles salariés... Des
problèmes internes, tels que la pénurie de terres et d'outils, les abus
des autorités et les discussions intestines, sont aggravés par des
procès contre les sBlancs pour des questions de limites, de droits
d'occupation, etc. .
A ceci s'ajoute, comme le signale un autre expert colombien,
le fait que la propriété des resguardos « est peu sûre, voire tout
à fait précaire, car l'absence de titres de propriété bien définis
a permis le démembrement de nombreuses communautés et
1
Cité p a r José INALAFF NAVARRO, op. cit., p . 104.
2
Olivia MONTIEL HATJPT : Vida económicosocial de la raza mapuche
(Temuco,
1945), et José INALATI" NAVARRO, op. cit., p . 83.
3
Le resguardo colombien est une institution sociale et agraire aborigène semblable à la comunidad d'autres pays de l'Amérique latine ; c'est une unité
territoriale sans limites précises, occupée collectivement p a r une tribu ou une
peuplade qui en est devenue l'occupante pendant la période coloniale à la suite
d'une donation, d'une attribution ou d'un achat. A l'intérieur du resguardo, le chef
de chaque famille occupe une parcelle individuelle sur laquelle il a u n droit d'usufruit, mais non de propriété. Son droit est en fait celui d'une propriété restreinte
qui finit avec la vie de l'occupant et qui n'implique pas de droit de succession.
4
Communication du ministre des Affaires étrangères, juin 1940.
5
J u a n F R I E D E : El indio en lucha por la tierra, op. cit., p p . 14-15 et 125.
348
LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE
a facilité les plans et les agissements des propriétaires de grands
domaines * ». L'enregistrement obligatoire des terres, la valeur
croissante des terres indiennes et la pression démographique
toujours plus grande subie par celles qui avaient été sauvées
de l'expansion urbaine protégée par la loi sont autant de
facteurs qui, joints aux mesures législatives limitant les grandes
propriétés et à l'abandon des parcelles devenues trop petites
pour assurer la subsistance des resguardos, ont contribué à la
désintégration de ceux-ci 2 .
La situation de la communauté aborigène varie d'une région
à une autre : partout où la position de la grande propriété est
précaire, comme dans le Sud, le resguardo est étendu, établi
sur une base coopérative et Ubre de certaines formes de
servitude envers les propriétaires de domaines ; mais là où
la grande propriété est puissante, comme dans la région nordest des montagnes centrales, on constate une tendance marquée
au démembrement des terres indiennes et l'existence d'un
grand nombre d'ouvriers-exploitants et de travailleurs indiens
temporaires. L'absorption des terres indiennes est plus accentuée près des villes, des routes et des chemins de fer et partout
où existent des possibilités d'irrigation.
On a pu distinguer quatre catégories différentes de resguardos, suivant le système d'occupation de la terre : 1) ceux qui
ont survécu, mais avec une économie étroite et fermée ;
2) ceux qui ont survécu, mais qui, économiquement, dépendent
des grands domaines ; 3) ceux qui ont été morcelés et dont les
membres sont devenus ouvriers-exploitants du nouveau propriétaire ; 4) ceux qui ont été morcelés et vendus aux grands
domaines, et dont les membres ont été dispersés et forment
une population mobile de travailleurs agricoles 3. On a fait
valoir que les grands domaines voisins du resguardo ont intérêt
à créer les deux dernières situations « parce que de cette manière
ils obtiennent une source abondante de main-d'œuvre à bon
marché et parce que les Indiens deviennent dépendants du
propriétaire comme la communauté indienne le devient du
grand domaine 4 ».
Comme dans d'autres pays de l'Amérique latine, l'économie du resguardo aborigène a souffert d'une pénurie marquée
1
Gerardo CABRERA MORENO : « Los resguardos indígenas de Colombia », America
Indigena, vol. I I , n° 4, oct. 1942, p . 30.
2
Antonio GARCÍA : Legislación indigenista de Colombia, op. cit., passim.
3
I D E M : Pasado y presente del indio, op. cit.. p. 42.
4
Gerardo CABRERA MORENO, op.
cit.,
p.
42.
LE PROBLÈME DE LA TERRE
349
de terres arables. « L'Indien qui ne possède qu'une petite
parcelle de terre doit chercher du travail comme journalier ;
sa terre ne peut produire une quantité suffisante de nourriture
pour lui et sa famille 1. »
Equateur.
La plupart des communautés aborigènes de type traditionnel semblent avoir disparu en Equateur. En 1941, le nombre des
comunas2 officiellement enregistrées était de 1.080, avec une
population totale de 503.000 personnes 3 . En 1948, il s'établissait à 1.200 4. La même année, le nombre des « centres ruraux
indo-métis » de la Sierra équatorienne s'élevait à 1.622 et la
population de ces centres à 423.665 habitants au total 5 . Sans
doute peut-on présumer que les chiffres relatifs aux comunas
et aux centres ruraux indo-métis comprennent les comunidades
de type traditionnel, mais les évaluations concernant le nombre
de ces communautés sont très contradictoires. Ainsi, d'après
César Cisneros Cisneros, leur nombre n'était en 1948 que de
189, avec une population de 118.722 personnes 6. Miguel Ángel
Zambrano estime que les comunidades représentent environ
75 pour cent du nombre total des comunas 7.
Selon une estimation faite par le membre équatorien de la
Commission d'experts pour le travail des aborigènes, la population rurale indienne de la région de la Sierra représente
1
2
Juan FBIEDE, op. cit., p. 166.
Selon la législation équatorienne (décret législatif du 6 août 1937), le terme
comuna désigne toute localité rurale comptant au moins 50 habitants (village,
hameau, quartier, partie d'agglomération ou tout autre groupe d'habitations).
Les familles qui la composent possèdent fréquemment des parcelles à titre individuel et peuvent avoir le droit d'utilisation collective des pâturages et des bois.
En fait, la comuna est une institution moderne qui répond à un principe d'organisation sociale rurale et ne conditionne pas la structure économique du groupe
intéressé. La comunidad, par contre, est une institution de fait plutôt que de
droit, dans laquelle la propriété ou l'usufruit collectif de l'eau, des pâturages, des
bois et, dans certains cas, des terres cultivables, joints à un système d'entraide
dans les travaux agricoles et de services collectifs d'intérêt public (par exemple
l'entretien des routes), joue son rôle traditionnel prédominant. La comuna groupe
aussi bien des métis que des Indiens (ces derniers toutefois dans une moindre
mesure), tandis que la comunidad ne comprend que des Indiens.
3
Boletín del Ministerio de Previsión Social (Quito, 1943).
4
Renseignement fourni, en mars 1950, par M. Victor Gabriel Garces, membre
équatorien de la Commission d'experts pour le travail des aborigènes.
6
César CISNEROS CISNEROS : Demografía y estadística sobre él indio ecuatoriano,
op. cit., pp. 150-294.
6
IDEM : « Comunidades indígenas del Ecuador », América Indígena, vol. IX,
n» 1, janv. 1949, p. 55.
7
UNIÓN PANAMERICANA, División de Asuntos Sociales y de Trabajo : « Las
comunidades indígenas », par Miguel Ángel ZAMBRANO, dans El cooperativismo y
el problema indigena (Washington, 1951).
350
LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE
environ un million d'habitants, parmi lesquels de 200.000 à
300.000 sont membres de comunidades 1 .
Cisneros distingue cinq catégories de comunidades aborigènes en Equateur :
a) la communauté agraire, « avec propriété collective de
terres arables généralement situées dans les régions basses,
les terres hautes étant constituées de pâturages communs,
de forêts et de terres désertes » ; les terres arables sont fréquemment subdivisées et réparties entre les familles à un loyer
fixe, les hautes terres sont utilisées en commun ; dans les deux
cas, les droits d'utilisation d'eau sont collectifs et les réparations
aux canaux d'irrigation, la délimitation des parcelles, etc., se
font en commun ;
b) la communauté d'exploitation (le type le plus courant),
dont les membres possèdent à titre individuel des parcelles
dans les basses terres et en commun les hautes terres ;
c) la communauté fondée sur l'utilisation de l'eau en
commun, type nouveau institué par la loi relative à l'eau
d'irrigation ; elle consiste en « un groupe de propriétaires
métis ou aborigènes qui, ayant demandé l'attribution d'eau
d'irrigation ou ayant capté des sources, ont le droit d'utiliser
cette eau » ;
d) la communauté industrielle, qui se rencontre rarement,
et qui travaille des terres élevées et très sauvages ; elle « loue
de petites parcelles aux membres inscrits qui travaillent la
terre à des fins industrielles, par exemple la préparation d'argile
pour la céramique et la poterie, du bois pour le charbon de
bois, des roseaux (totora) pour les articles manufacturés, etc. » ;
e) la communauté mixte, qui peut présenter une ou plusieurs des caractéristiques énumérées ci-dessus 2 .
Le tableau ci-après indique la répartition géographique
de ces cinq catégories de communautés.
Dans les provinces où prédomine la grande propriété
(Pichincha et Chimborazo, par exemple), une grande partie de
la population aborigène est composée de huasipungueros (travailleurs-exploitants). Au contraire, dans les provinces où
la grande propriété n'est pas une institution importante (telles
que Imbabura et Tungurahua), le nombre des huasipungueros
1
Communication de M. Victor Gabriel Garces, mars 1950.
César CISNEROS CISNEROS : « Comunidades indígenas del Ecuador », op. cit.,
p. 43.
2
XVII
Enseignement du filage
dans une école fédérale indienne du Nouveau-Mexique
(U.S. Indian Service)
XV
Ecole maorie de Wakarewarewa
La formation professionnelle des Maoris
(National Publicity Studios, Wellington)
Apprentissage dans une ferme
de Ruatoria
^:
351
LE PE0BLÈME D E LA T E E E E
TABLEAU X L H . — EQUATEUR : RÉPARTITION
D E S COMMUNAUTÉS I N D I E N N E S
Nombre
de
cantons
Province
Type de comunidades *
A
B
c
2
1
2
1
6
1
5
4
13
6
16
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
3
4
3
4
3
6
2
2
1
6
8
7
4
7
6
4
3
2
1
7
4
15
18
14
17
22
4
1
Total .
34
49
103
Carchi . .
Imbabura .
Pichincha .
Cotopaxi .
Tungurahua
Chimborazo
Bolivar . .
Cañar . .
Azuay . .
Loja* . .
D
Total
Population
14
28
31
23
29
36
7
3
1
17
189
6.800
22.100
12.410
15.762
15.150
28.100
9.000
4.300
300
4.800
E
5
7
1
8
118.722
Source : César CISNEROS CISNEROS : * Comunidades indígenas del Ecuador •, op. cit., p. 55.
1
Deux communautés de cette province ne figurent dans aucune des catégories ci-dessus.
• A = agraires; B == d'exploitation agricole ou de p â t u r a g e ; C =* d'utilisation de l'eau;
D = industrielles ; E = mixtes.
est peu élevé, et l'on trouve de nombreux petits propriétaires
indiens indépendants.
On estime qu'à peine un quart de la population possède
de la terre, bien que le pays dispose d'environ 4.750.000 hectares
de terres cultivables. D'après une étude sur la propriété faite
en 1940, le nombre des domaines valant plus de 1.000 sucres
chacun (50 dollars) était d'environ 60.000 et celui des domaines
d'une valeur moins grande d'environ 100.000, et l'on comptait
quelque 9.000 très grands domaines qui monopolisaient la plus
grande partie des terres du pays 1 .
La plus grande partie de la terre arable et des pâturages appartient aux grandes haciendas. Fréquemment, un seul propriétaire
possède une région plus grande que celle de tout un village de 1.000
habitants ou davantage. Dans certaines provinces de la région montagneuse, la plupart des villages et des communautés sont entourés
par les grandes propriétés qui, à la 2longue, asphyxient l'économie
débile du petit propriétaire aborigène .
Au cours des récentes années, cette situation a causé le
déplacement d'une proportion toujours plus forte d'Indiens
des hautes terres vers les régions côtières et la jungle orientale.
Beaucoup de familles aborigènes cherchent de nouvelles possibilités économiques en s'établissant comme squatters sur des
terres du domaine public non occupées de ces deux régions 3 .
1
2
3
Emilio UZCÁTEGTJI : L'obligation scolaire en Equateur, op. cit., p p . 53 e t 58.
Francisco T E R A N : Geografia del Ecuador, op. cit., p . 203.
Ibid.
13
352
LE TRAVAILLEUR ABC-EIGENE DANS L'ÉCONOMIE
La pénurie de terres arables dans la région montagneuse,
jointe à l'augmentation rapide de la population rurale, a
entraîné la réduction progressive de la superficie des propriétés indiennes. D'après une enquête faite par l'Institut de
bien-être national, la superficie de 709 des 941 exploitations
de la province de Pichincha varie entre 20 et 80 ares chacune 1 .
Lorsqu'un chef de famille meurt, sa terre est divisée proportionnellement entre ses héritiers et il arrive fréquemment que
l'un des derniers ne reçoive que deux ou trois sillons. Dans
quelques provinces, le résultat est qu'une proportion considérable d'exploitants se placent comme ouvriers agricoles ou
métayers sur les propriétés voisines ou comme travailleurs du
bâtiment auprès des autorités publiques ou de sociétés privées 2.
Guatemala.
Au Guatemala également, la majorité des comunidades
aborigènes traditionnelles semblent avoir disparu, et il n'a
pas été possible de recueillir des renseignements sur le nombre,
la situation et la structure de celles qui restent. D'après une
publication de l'Institut pour le développement de la production, leur nombre, en 1951, n'était que de 55 3.
Les circonstances ont amené la population indienne à se concentrer
sur les pentes appauvries des montagnes, souvent sur des terres
absolument impropres à la culture des céréales... ; les terres choisies
de la côte et des vallées sont occupées depuis les premiers temps de
l'époque coloniale espagnole par un petit nombre de propriétaires
habitant dans les capitales nationales ou départementales 4.
Ce problème ne touche pas seulement les comunidades
indiennes, mais aussi la paysannerie en général. Les chiffres
1
Aníbal BUITRÓN et Bárbara SALISBURY BUITRÓN : Condiciones de vida y
trabajo del campesino de la provincia de Pichincha, op. cit, tableau X V I I I .
2
César CISNEROS CISNEROS : Demografia y estadística sobre el indio ecuatoriano,
op. cit., p . 186. Dans certains districts, cependant, le paysan indien se trouve dans
une situation beaucoup plus favorable. Ainsi, dans le canton d'Otavalo (province
d'Imbabura), certaines familles possèdent de 20 à 50 hectares chacune, même si
d'autres ne disposent guère que d'un hectare.
3
INSTITUTO D E FOMENTO D E LA PRODUCCIÓN : Crédito supervisado para Guatemala, op. cit., p . 40.
1
INTERNATIONAL B A N K FOR RECONSTRUCTION AND DEVELOPMENT : The
Eco-
nomie Development of Guatemala, op. cit., p . 25. E n 1952, le Congrès du Guatemala
a adopté une loi portant réforme agraire, qui est analysée au chapitre X I du
présent volume. Jusqu'en 1951, environ 15 pour cent (près de 300.000 hectares)
de la superficie arable totale du pays était sous le contrôle du gouvernement. Sur
cette superficie, 273.726 hectares appartiennent aux Fincas nacionales e intervenidas
(193.901 e t 79.825 respectivement) e t 17.260 hectares sont exploités par l'Institut
pour le développement de la production. Ces dernières années, les Fincas nacionales
o n t produit de 20 à 33 pour cent du café du pays pour l'exportation et l'on dit que
le revenu englobe environ 10 pour cent du budget national. (Cf. Crédito agricola
supervisado para Guatemala, op. cit., p. 41.)
LE PROBLÈME DE LA TERRE
353
provisoires du recensement agricole de 1950 indiquent l'existence de 330.701 exploitations agricoles pour une population
rurale évaluée à 700.000 personnes 1 . Plus de 50 pour cent de
ces exploitations étaient d'une superficie inférieure à 2 manzanas 2 chacune. D'autre part, il existe de nombreux domaines
qui «englobent dans leurs limites des villages d'une certaine
importance qui font partie intégrante de leur superficie... (et)
dont la vie municipale et économique tend à passer sous le
contrôle des propriétaires plutôt que sous celui des pouvoirs
publics 3 ».
Une étude faite en 1949 par l'Institut national des affaires
indigènes, portant sur 170 municipalités dans treize départements différents, a montré que dans 63 pour cent des cas la terre
des comunidades était « insuffisante pour faire subsister une
famille ». Dans quelques départements, cette proportion atteignait de 80 à 100 pour cent. Dans 39 pour cent des cas, les
familles indiennes n'avaient pas la moitié de la quantité mini
mum de terre nécessaire à leur subsistance. La superficie
moyenne de la parcelle familiale était d'un hectare et demi,
alors que le minimum exigé était évalué à 3,8 hectares. L'institut national des affaires indigènes estime que c'est un des
défauts les plus graves de la structure agraire du pays 4.
D'après Leo A. Suslow, il n'est pas rare que le paysan
indien ne possède qu'une parcelle de moins de 50 ares, sur
des pentes montagneuses qui ne peuvent fournir un niveau
de subsistance suffisant, alors que son voisin blanc ou métis
possède de 3 à 300 hectares de terre fertile.
Un autre problème grave est celui de l'absence de titres
de propriété en règle, qui « donne lieu à d'innombrables et
gênants procès et entraîne des abus de la part des propriétaires
les plus puissants 5 ».
''
Dans une étude récemment faite par la Banque internationale pour la reconstruction et le développement, en collaboration avec le gouvernement du Guatemala, la situation
agricole de la paysannerie indienne de l'ouest du plateau
central est décrite de la manière suivante :
Ni la topographie ni les facteurs écologiques généraux qui caractérisent la plus grande partie de cette région ne sont favorables
à une haute productivité, pas plus d'ailleurs que le régime foncier
1
2
INSTITUTO DE FOMENTO DE LA PRODUCCIÓN, op. cit., p. 37.
Voir plus loin. La manzana équivaut à 6.972,25 m2.
Crédito agrícola supervisado para Guatemala, op. cit., p. 36.
i
Ibid., pp. 38-39.
5
Ibid., p. 43.
3
354
LB TRAVAILLEUR ABORIGENE DANS L'ÉCONOMIE
actuel qui, dans quelques cas, met à rude épreuve les ressources du
pays. Dans certaines parties des départements de Guatemala, de
Sacatepéquez, de CMmaltenango, de Solóla, de Totonicapán et de
San Marcos, l'utilisation trop fréquente de méthodes primitives de
production a entraîné l'épuisement et l'érosion du sol. Ceci, ajouté
à une densité de population toujours plus forte, rend impossible
une amélioration du niveau de vie. Le sous-emploi existe à cause de
la nature saisonnière de l'agriculture vivrière ou de la culture relativement peu productive de terres ne fournissant pas un niveau de
subsistance suffisant \
Le recensement agricole de 1950 a révélé que les propriétés
de moins de 5 manzanas représentent en nombre 76 pour cent
et en superficie seulement 10 pour cent de l'ensemble, alors
que les propriétés de plus d'une caballería 2 représentent en
nombre à peine 2,2 pour cent et en superficie 70,6 pour cent
de l'ensemble. D'autre part, le recensement révèle l'existence
de 22 propriétés d'une superficie supérieure à 200 caballerías,
lesquelles représentent par conséquent 13,6 pour cent de la
superficie totale des terres en exploitation dans le pays,
ce qui contraste fortement avec les 161.501 exploitations
n'atteignant pas 2 manzanas, lesquelles occupent quelque
3,3 pour cent des terres recensées 3.
Le tableau X L I I I indique comment se répartit la terre par
modes d'occupation et par superficies des exploitations.
E n ce qui concerne la répartition des exploitations entre les
Blancs et métis (ladinos) et les aborigènes, la Direction générale
de la statistique a publié des données d'après lesquelles 341.188
propriétés se répartissent entre 120.000 Blancs et ladinos
et 220.988 aborigènes, qui occupent la terre selon des
modalités diverses, et l'on observe que les petits propriétaires ou les agriculteurs aborigènes indépendants — quel
que soit le nom par lequel on les désigne — sont particulièrement nombreux dans les départements de Sacatepéquez, Chimaltenango, Solóla, Totonicapán, Quezaltenango *,
Suehitepéquez, Betalhuleu, San Marcos, Huehuetenango,
Quiche, Alta et Baja Verapaz, Chiquimula et Jalapa, où les
aborigènes atteignent un total de 202.547 contre 54.384 Blancs
et ladinos. Il convient de signaler que, dans les quatorze dépar1
INTERNATIONAL
BANK
FOR RECONSTRUCTION
AND
DEVELOPMENT :
The
Economie Development of Guatemala, op. cit., p . 82.
2
L a caballería guatémalienne équivaut à 64 manzanas.
3
DIRECCIÓN GENERAL D E ESTADÍSTICA : Boletín (Guatemala), n o s 33-34, oct.-
déc. 1951 (numéro spécial, donnant les résultats d u recensement agricole), pp. 6,
14 et suiv., et Ignacio ACOSTA L. et AguBtin ACOSTA L . : « L a reforma agraria,
e n Guatemala », Revista de Economia (Mexico), vol. XV, n° 12, déc. 1952, p . 375.
4
Départements à forte densité de population (entre 95 e t 187 habitants p a r
kilomètre carré).
355
LE PROBLÈME D E LA TEBBE
TABLEAU
XLLTI.— GUATEMALA :
RÉPARTITION
D E S E X P L O I T A T I O N S P A R M O D E S D'OCCUPATION
D E LA TERRE E T PAR
Superficie de3
exploitations
Nombre
des
exploitations
Ensemble . . . 341.191
En manzanas :
Moins de 1
De 1 inclus à 2 exclu .
De 2 inclus à 5 exclu .
De 5 inclus à 10 exclu .
De 10 inclus à 32 exclu
De 32 inclus à 64 exclu
72.775
88.726
97.668
41.963
26.545
6.068
En cabalkrias :
De 1 inclus à 10 exclu
De 10 inclus à 20 exclu
De 20 inclus à 50 exclu
De 50 inclus à 100 exclu
De 100 inclus à 200 exclu
200 et plus
6.387
555
351
104
27
22
Superficie
totale
(en
manzanas)
SUPERFICIES
Mode d'occupation du sol
(en manzanas)
Propriétés de
l'exploitant
Louées
à l'exploitant
Autre
mode
d'occupation
205.024
291.144
17.699
50.315
152.125
199.340
375.167
235.543
8.928
36.653
61.810
27.883
20.585
11.996
13.201
44.163
83.244
52.406
42.461
21.360
1.144.711 1.102.012
493.632 480.569
695.400 688.567
468.257 460.826
273.770 272.665
714.070 713.723
22.632
8.218
4.742
1.222
8
347
20.067
4.845
2.091
6.209
1.097
5.244.719 4.748.551
39.828
131.131
297.179
279.629
438.213
268.899
Source : DIRECCIÓN GENERAL DE ESTADÍSTICA : Boletín, n 0 " 33-34, oct.-déc. 1951, p. 14.
tements susmentionnés, les parcelles tendent à s'éparpiller
« spécialement sur les hauts plateaux de l'Ouest, où la culture
continue, réalisée au moyen de techniques primitives... a
appauvri (la terre) considérablement... ; dans (le département
de Totonicapán), le morcellement de la terre pose le problème
de la propriété trop petite. Les parcelles sont devenues tellement restreintes que les forces actives dont dispose une famille,
même lorsqu'elle utilise des outils primitifs, sont hors de proportion avec ce qu'exigerait une culture intelligente 1 ».
Les cultures de céréales, de légumes et de certaines autres
plantes bisannuelles occupent une superficie qui varie de 89,3
pour cent du total dans les propriétés n'atteignant pas une
manzana à seulement 5,2 pour cent dans les propriétés supérieures à 200 caballerías. « On constate que plus la dimension
de l'exploitation augmente, moindre est la surface consacrée,
proportionnellement, à la production de denrées alimentaires
de base ; les grandes exploitations sont spécialisées dans les
cultures commerciales (plantations) ou l'élevage du bétail ;
1
DIRECCIÓN G E N E R A L D E ESTADÍSTICA : Boletín, op. cit., p . 13.
356
LE TRAVAILLEtTE ABOBIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE
les petites propriétés produisent la plus grande partie des
aliments de base nécessaires à l'alimentation de la population 1 .
Pérou.
Castro Pozo a classé les comunidades péruviennes de la
manière suivante : 1) celles qui se livrent à l'agriculture ;
2) celles qui pratiquent l'agriculture et l'élevage ; 3) celles où
les pâturages et les droits d'utilisation de l'eau sont communs ;
4) les communautés usufruitières. Le même auteur fait observer
que les communautés aborigènes de ce pays varient à tel point
suivant le milieu où elles se développent qu'aucune de ces
catégories ne peut être strictement délimitée ; la catégorie
agricole peut avoir des caractéristiques appartenant à une
autre catégorie, et vice versa 2 .
Valdez de la Torre, autre autorité péruvienne, distingue
dans son pays cinq types différents de comunidades, à savoir :
1) la communauté uniquement agricole, dans laquelle la propriété privée n'existe pas (cette catégorie, ajoute-t-il, se rencontre rarement) ; 2) la comunidad mixte, dans laquelle les
terres les plus fertiles sont propriété privée et les pâturages
propriété collective ; 3) la communauté quasi « nominale »,
dans laquelle les seules terres encore communes sont les pâturages ; 4) la communauté fondée sur les droits d'irrigation,
dans laquelle la propriété est privée, mais où l'utilisation de
l'eau reste un droit collectif ; 5) la communauté vraiment
« nominale », dans laquelle le seul élément collectif qui subsiste
est celui de la coopération pour les travaux d'intérêt commun 3 .
La grande majorité des comunidades aborigènes se trouvent
dans les départements de Puno et de Cuzco. Le recensement
de 1940 indique que leur nombre était alors de 4.685. Cependant, d'après des renseignements fournis par la Direction
générale des affaires indigènes, le nombre de comunidades
« officiellement enregistrées » en 1949 n'était que de 1.322 ;
leur superficie totale était de 4.163.512 hectares et leur population totale d'environ un million de personnes 4 . Comme
1
2
D I R E C C I Ó N GENERAL D E ESTADÍSTICA : Boletín,
op. cit., p p . 27-28.
Hildebrando CASTRO POZO : Nuestra comunidad indigena, op. cit., p p . 16-17.
Cité par Moisés SAENZ : Sobre el indio peruano y su incorporación al medio nacional,
op. cit., pp. 70-71.
3
Carlos VALDEZ D E LA TORRE : Evolución de las comunidades indígenas (Lima,
1921), p . 208. Cité par Moisés SÁENZ, op. cit., p p . 71-72.
4
D'après une communication d u Département péruvien des affaires aborigènes
à l'Institut interaméricain des affaires indigènes en 1944, le nombre des comunidades
reconnues e t non reconnues était de 5.000. (Cf. « La ley y el indio en el Perú »,
América Indigena, Instituto Indigenista Interamericano, Mexico, janv. 1945.)
LE PROBLEME D E LA TEURE
357
l'indique le tableau XLIV, la majeure partie de la population appartenant aux comunidades se trouve dans les provinces de Junín, Ayacucho, Huancavelica, Ancash, Cuzco,
Lima et Huánuco ; les communautés les plus vastes se trouvent
dans les départements d'Ancash, Lima, Junín et Huancavelica.
Comme dans d'autres pays, la pénurie de terre arable chez
les paysans aborigènes est très aiguë à cause d'une augmentation régulière de la population qui a entraîné ce qu'un
membre péruvien de la Commission d'experts de l'O.T.T.
pour le travail des aborigènes a appelé la « pulvérisation » des
droits de propriété, c'est-à-dire l'éparpillement de la parcelle
familiale résultant du régime successoral. Dans diverses régions
du haut plateau (Cuzco, Puno, Apurímac), ce morcellement
des propriétés a atteint des proportions incroyables, puisque
l'unité agraire dans laquelle sont exprimées les parts n'est plus
la parcelle, mais le sillon.
La terre ainsi morcelée ne peut remplir sa fonction économique
et sociale ; elle n'est plus que la cause de disputes acharnées à propos
de limites..., et d'innombrables procès entre co-usufruitiers et voisins,
qui entraînent des dépenses hors de proportion avec la valeur des
parcelles, sans parler du temps perdu en procédures judiciaires et
administratives devant les autorités... On peut sans crainte d'exagération affirmer que les dépenses ainsi entraînées représentent fréquemment de huit à dix fois la valeur de la terre contestée. Souvent
aussi, les conflits dégénèrent en véritables rixes, causant des dommages personnels et des blessures, parfois même des décès *.
Un rapport publié par la Banque agricole du Pérou en
1938 montrait que la superficie moyenne de terre cultivée
par habitant dans la région de la Sierra était de 0,230 hectare
(contre 0,542 sur la côte). Dans deux des cinq départements
ayant le plus haut pourcentage de population aborigène, à
savoir ceux de Cuzco et d'Apurímac, la superficie moyenne
n'était que de 0,086 et 0,183 hectare respectivement.
La pénurie est la plus marquée dans la région du pays où, à cause
du caractère de l'économie et du bas niveau du rendement, la terre est
le plus demandée, à savoir la Sierra... De là provient sans aucun doute
la grande différence de niveau de vie entre la population de la Sierra
et celle de la côte, différence que reflètent l'alimentation, la culture
et le progrès, et qui constitue l'un des problèmes économiques et
sociaux les plus profonds et les plus graves qui se posent au pays 2.
Entre autres conséquences de cette situation, le même
rapport signale les suivantes : a) une faible production agricole
1
Francisco PONCE D E L E Ó N : Bosquejo del problema de la propiedad de la tierra
en el Perú, op. cit., p . 8.
2
Rómulo A. FERRERÒ : Tierra y población en el Perú. La escasez de tierras cultivadas y sus consecuencias (Lima, Banco Agricola del Perú, 1938), p p . 7 e t 8.
358
LE TBAVATT,T,EUB, ABOBIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE
TABLEAU X L I V . —
PÉROU :
EÉPAETITION
D E S COMMUNAUTÉS I N D I E N N E S O F F I C I E L Nombre des Indiens dans les
Département
Ayacucho
Cajamarca
. . . .
Huancavelica . . .
L a Libertad . . . .
Lambayeque . . .
Moquegua
. . . .
Nombre
des communautés
Population
19
93
49
6
120
36
192
118
67
6
270
8
8
223
1
7
39
31
21
8
1.322
11.182
85.982
56.677
3.803
112.307
26.008
81.824
97.923
74.109
6.074
205.179
6.937
25.694
98.035
185
1.916
42.118
53.640
14.866
2.127
1.006.586
Agriculture et
élevage
4.443
34.393
28.480
1.997
59.538
11.704
39.276
47.002
35.572
2.916
98.485
4.079
15.008
49.017
92
960
10.470
15.825
7.406
1.062
467.725
Poterie
850
85
4.961
390
3.273
1.566
1.185
97
8.207
68
125
1.632
Chapellerie
227
642
Tissage
1.146
2.125
57
5.953
1.333
6.546
9.400
2.964
243
18.055
340
752
4.904
1.055
246
25
15.211
80
3.492
527
1.234
53
23.797
14.080
59.204
32
Total . . .
Source: MINISTERIO DE TRABAJO Y ASUNTOS INDÍGENAS: Dirección General de Asuntos Indígenas, Departacomunidades indígenas oficialmente reconocidas
par habitant et un pouvoir d'achat très bas ; b) la haute
valeur des terres et la cherté des loyers ; c) un marché national
restreint pour l'industrie ; d) un bas niveau d'épargne. Le
deuxième de ces facteurs crée à son tour des conditions favorables à l'extension des systèmes d'occupation des terres où
le loyer est payé sous forme de services, en espèces et en nature,
et à l'apparition d'une population aborigène rurale mobile,
obligée d'émigrer périodiquement vers la côte à la recherche
de travail dans les grandes plantations de coton, de canne à
sucre et de riz 1.
Dans l'ensemble, le rendement des terres dans la région
de la Sierra est faible à cause de la culture incessante qui épuise
la fertilité du sol, à cause du manque de moyens d'irrigation
et du climat peu stable, à cause du manque d'engrais et des
techniques agricoles primitives.
1
Voir le chapitre précédent.
359
LE PROBLÈME DE LA TEKEE
PROFESSIONNELLE
DE
LA
POPULATION
L E M E N T R E C O N N U E S A LA F I N D E 1 9 4 9
divers métiers, occupations et activités économiques
Fabrication du
beurre et
du
fromage
Aviculture
2.866
4.250
285
3.969
1.170
5.236
7.834
4.472
48
16.414
679
1.255
4.085
74
573
1.275
28
1.984
585
654
2.350
1.778
145
3.282
135
412
2.451
740
4.585
2.250
256
9.923
985
2.618
8
192
48
2.108
16
1.747
1.581
984
89
56.980
Fabrication
des mélasses
et eaux-devie
6.521
486
6.565
475
2.826
3.268
Départements
Culture
de la coca
et du
tabac
Construction de
routes
Divers
LUI
740
5.732
425
85
3.969
1.365
1.309
783
2.371
291
1.641
277
1.759
8.985
64
2.108
2.676
132
68
34.740
298
8.027
853
60
5.953
979
2.621
6.270
597
634
6.570
746
2.315
7.356
40
200
17.101
11.055
1.358
73.159
126
1.700
2.980
780
3.927
3.133
3.557
4.924
369
177
141
4.748
615
37
16.280
43.929
27.560
mento Tècnico, Sección Estadística : Estimativa
en la República (Lima, 15 fév. 1950).
de las principales
ocupaciones de
Amazone
Ancash
Apurimac
Arequipa
Ayacucho
Cajamarca
Cuzco
Huancavelica
Huánuco
Ica
Junín
La Libertad
Lambayeque
Lima
Loreto
Moquegua
Pasco
Piura
Puno
Taona
laTotal
población de las
L'économie agricole de la Sierra « a gardé, dans une grande
mesure, son ancienne organisation fondée sur l'autarcie régionale et même locale, qui remonte à l'époque préinca ; mais
la pénurie de terres et le bas niveau de rendement font
qu'une telle économie ne peut assurer qu'un niveau de vie
très peu élevé 1 ».
Il faut souligner, cependant, que dans quelques régions
montagneuses, il existe des comunidades aborigènes prospères,
qui, non seulement ont une superficie de terre suffisante mais
qui, grâce à l'introduction de méthodes coopératives, ont réussi
à augmenter graduellement leur rendement. Parmi celles-ci,
on cite souvent la communauté de Muquiyauyu, dans la province de Jauja, dont il est question de façon plus détaillée à la
page suivante.
1
Rómulo A. F E R R E R Ò , op. cit., pp. 13, 22-23 et 27.
13'
360
LE THAVALLLEtTR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE
Venezuela.
Pour le Venezuela, il n'a pas été possible d'obtenir de
renseignements sur le nombre et la situation économique des
comunidades encore en existence. D'après diverses sources, il
semble que dans quelques régions la superficie de terre possédée
par ces communautés ait nettement diminué. Un auteur
signale, par exemple, que « la superficie des terres indiennes
s'est fortement réduite à mesure qu'avançait — parfois en
recourant à la violence et à la brutalité — l'élément non
aborigène ; la presse a souvent d'ailleurs l'occasion de dénoncer
les abus de ce genre 1 ».
Restauration des communautés aborigènes.
Dans quelques cas, les communautés aborigènes ont réussi
par leurs propres efforts à rétablir un certain équilibre entre
la population et les ressources. Là où, d'une manière générale,
les grands domaines prédominent, ce processus de restauration
est très difficile, mais dans les régions où la terre a été subdivisée en petites parcelles — comme c'est le cas dans certaines
parties de la vallée de Cochabamba, en Bolivie —, les Indiens
ont pu se procurer suffisamment de ressources pour atteindre
à un certain degré d'indépendance économique. Dans la région
d'Otavalo (Equateur), l'artisanat aborigène s'est révélé un
moyen de relèvement économique. Grâce aux sommes qu'il
permet d'épargner, les Indiens de cette région ont réussi à
étendre leurs domaines par l'acquisition des terres fertiles des
vallées appartenant aux domaines voisins 2. Par cette méthode,
ils s'arrachent graduellement à leur misère traditionnelle et
deviennent une société de citoyens prospères et indépendants 8 .
Un autre exemple significatif est celui de la communauté
de Muquiyauyu, dans la province de Jauja (Pérou). Avec
l'argent économisé sur les salaires gagnés dans-les mines, la
comunidad a acheté 400 hectares de terres. En dix ans, les
Indiens ont économisé par un travail commun 70.000 soles,
qui ont été investis dans la construction d'une usine hydroélectrique. Cette usine fournit non seulement la lumière et
l'énergie à la communauté, mais également la moitié de
1
Tulio LÓPEZ RAMÍREZ : « El estudiantado venezolano y el problema del indio »,
América Indigena, vol. V, n° 2, avril 1945, p . 137.
2
Une proportion importante de terres indiennes de ee district était située depuis
des dizaines d'années sur les pentes pierreuses des collines d'Imbabura, où le sol
est peu fertile à cause du manque d'irrigation.
3
Pour plus de détails, cf. J o h n COLLIER, J r . , et Aníbal BUITRÓN : The Awakening
Valley (Chicago, The University of Chicago Press, 1949).
LE PROBLÈME D E LA TEERE
361
l'électricité nécessaire à la ville voisine de Jauja. Les habitants
ont installé également un moulin électrique grâce auquel les
femmes ont pu consacrer leur temps à certains travaux artisanaux. Ils ont également bâti une école pour 300 enfants,
dont la communauté a fait don au gouvernement.
Muquiyauyu a apporté la preuve... non seulement de la capacité
de « survivance » des sociétés indiennes, mais de leur faculté d'adaptation. Ses habitants ont remis en honneur beaucoup des anciennes
valeurs, ont modernisé la coopération immémoriale entre l'homme
et la nature et se sont montrés
prêts à adopter de nouvelles méthodes,
et à les mettre en pratique 1.
Dans d'autres cas, la restauration économique de certaines
communautés aborigènes a été effectuée grâce à l'intervention
du gouvernement. Les méthodes utilisées et les résultats
acquis dans plusieurs pays sont exposés au chapitre X I .
£'« ejido » mexicain
2
Pour le Mexique, les renseignements font défaut sur le
nombre et la densité des communautés tribales aborigènes qui
ont gardé relativement intacte leur structure économique et
sociale précolombienne ou coloniale et qui n'ont pas encore
été transformées en organisations du type ejido. Le passage
ci-dessous, extrait d'un rapport soumis par le ministère
mexicain de l'Agriculture au premier Congrès interaméricain
des affaires indigènes en 1940, laisse à penser qu'il existe un
certain nombre de ces communautés, réparties dans différentes
régions du pays.
Dans certaines parties du pays, qui comprennent de vastes zones
des Etats de Guerrero, Chiapas, Oaxaca, Michoacán, ïïayarit,
Durango, Sonora, Chihuahua, Coahuila et Yucatán, et le territoire
de Quintana Eoo, les groupes aborigènes sont parvenus à deux
stades distincts de développement en matière d'occupation de la
terre. Les uns ont gardé les caractéristiques des tribus nomades et
occupent — sans toutefois en avoir la possession de droit — des
terres qu'ils considèrent comme leur propriété et dont les limites
sont déterminées par les mouvements réels de la tribu. Les autres
sont stables et possèdent, du moins en fait, des régions qui restent
nominalement propriété collective : tel est le cas des Mixtèques,
des
Zapotèques, des Cnamula, des Yaqui, des Tarasques, etc. 3.
1
J. COLLIER: The Indians of the Americas (New-York, W.W.Norton, 1947), p. 184.
II convient de signaler que, le métissage ayant pris de très grandes proportions
dans les milieux ruraux mexicains, l'organisation des ejidos concerne non seulement
les noyaux exclusivement aborigènes, mais aussi des secteurs beaucoup plus vastes
de la paysannerie mexicaine.
2
3
DEPARTAMENTO AGRARIO DE MÉXICO : El tratamiento a los indígenas en la
redistribución de la propiedad rural (Rapport ronéographié soumis par le département de l'Agriculture du Mexique au premier Congrès interaméricain des affaires
indigènes) (Mexico, 1940).
362
LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE
Si les renseignements font défaut au sujet des communautés tribales, en revanche, on connaît fort bien les effets de la
révolution agraire, dont la cause déterminante a été la
nécessité d'élaborer un système d'occupation des terres qui
mette un terme à la misère où vivaient les Indiens et, en
particulier, apporte une solution au problème du péon attaché à la propriété. C'est ce qui a conduit au développement de Vejido moderne, dont les caractéristiques sont décrites
ci-après.
Organisation et caractéristiques de V« ejido ».
La répartition des terres aux habitants d'un village pour
la formation d'un ejido peut s'opérer selon quatre procédures :
1) la restitution, c'est-à-dire la distribution d'anciennes terres
collectives, illégalement aliénées, aux groupes qui peuvent
faire état de titres de propriété valables ; 2) la donation, ou
octroi de terres à titre gratuit aux groupes qui ne peuvent
faire état de titres de propriété ; 3) la confirmation, qui n'est
que la simple légalisation de droits sur une terre qu'un groupe
possède déjà en fait ; 4) l'expansion, c'est-à-dire l'octroi de
terres supplémentaires lorsque la dotation originelle est devenue insuffisante pour répondre aux besoins du groupe.
Lorsque la terre est remise à un groupe donné, une étude
attentive est faite de la région, de la qualité de la terre, des
genres de récolte et du rendement moyen qu'elles peuvent
donner, de la disposition des bâtiments publics, etc.
E n plus de la terre arable, Vejido comprend : des pâturages,
des bois, etc., qui seront utuisés collectivement par les membres
(ejidatarios) ; une zone d'habitation ; des terres arables
loties en parcelles pour les écoles ; des zones spéciales qui,
parce qu'elles sont matériellement indivisibles, doivent être
cultivées collectivement par les membres ; des moyens
d'irrigation 1.
Dans la zone d'habitation, une section est réservée aux
services pubUcs de la communauté et une autre est prévue
pour l'accroissement de la population. Le reste est morcelé
en sites de construction, dont l'usufruit est donné aux membres
avec l'obligation de bâtir leur maison et d'y vivre ; après
quatre ans d'occupation, ils reçoivent les titres de propriété
de la parcelle.
1
Les droits d'eau d'irrigation dans un ejido sont collectifs et appartiennent au
groupe.
LE PROBLEME DE LA TERRE
363
L'article 204 du Code agraire dispose que la terre arable
peut être cultivée individuellement ou collectivement. Les
catégories suivantes doivent être cultivées collectivement :
a) celles qui constituent géographiquement des unités de
pulture indivisibles et qui doivent être cultivées conjointement
par les membres ; b) celles qui constituent des zones agricoles
relevant d'une industrie ; c) celles dont le rendement, pour
des raisons techniques et économiques, peut être plus élevé
et qui peuvent contribuer à élever le niveau de vie des membres
si elles sont cultivées collectivement. En outre, la culture
collective est adoptée lorsque la culture individuelle se révèle
peu rentable à cause de la topographie du sol, de sa qualité,
du genre de culture, de l'équipement nécessaire, etc.
L'article 138 du Code établit que les droits de propriété
agraires collectifs acquis par les ejidos sont inaliénables,
imprescriptibles, insaisissables et non transmissibles et qu'ils
ne peuvent « en aucun cas ou sous aucune forme être aliénés,
cédés, transmis, loués ou hypothéqués, entièrement ou en
partie... ». L'article 140 interdit «la conclusion d'accords de
location ou de fermage et généralement de tout acte légal
qui implique l'exploitation indirecte d'une terre à? ejido ». Néanmoins, si Vejido y voit un avantage économique, il peut échanger une partie de ses terres collectives pour celles d'un autre
ejido, à condition que cet échange soit approuvé par l'assemblée
générale des membres de chaque communauté et reçoive
l'agrément du ministère de l'Agriculture et de la Banque
nationale de crédit des ejidos (art. 46 et 150).
Lorsque le système de culture individuelle du sol est
adopté, ce dernier est divisé en parcelles, dont la superficie et
la qualité sont déterminées par un ordre présidentiel. Le Code
agraire de 1943 fixait l'unité individuelle à 6 hectares de terre
irriguée et 12 hectares de terre non irriguée, mais le 12 février
1947, le Congrès national a adopté un amendement à l'article 27
de la Constitution en vertu duquel l'unité ne doit pas être
inférieure à 10 hectares de terre irriguée ou, à défaut, à 20 hectares de terre non irriguée, 40 hectares de pâturage d'été de
bonne qualité et 80 hectares de forêts ou de pâturages d'été
dans les régions sèches 1 .
Il ne doit pas être employé de travailleurs salariés dans les
propriétés des ejidos. Cependant, le Code permet certaines dérogations à cette règle, par exemple lorsqu'il s'agit d'une femme
1
Diario Oficial (Mexico), 12 fév. 1947.
364
LE TRAVAILLEUR ABORIGENE DANS L'ÉCONOMIE
ayant une famille à sa charge et incapable de ce fait de travailler la terre elle-même, ou de membres (ejidatarios) victimes
d'accidents ou atteints de maladies les empêchant de travailler
la terre. D'autre part, le ministère de l'Agriculture peut
autoriser un ejidatario à employer des travailleurs salariés
pour des tâches spécifiées dans les cas où la nature spéciale
de la culture l'exige.
Quand Vejidatario meurt, ses droits passent à sa femme ou
à ses enfants ou à leur défaut à toute personne qui, bien que
non-membre de la famille, était à sa charge et vivait sous son
toit 5 lorsqu'on ne peut trouver aucun successeur, la terre
redevient propriété du groupe et l'assemblée générale peut,
par un vote des deux tiers, nommer un nouveau propriétaire.
li'ejidatario perd ses droits s'il ne cultive pas sa parcelle pendant deux années consécutives. L'article 171 du Code interdit
qu'une seule famille possède plusieurs parcelles (par mariage
entre deux membres).
Vejidatario n'est pas Ubre de cultiver sa parcelle comme
bon lui semble ; il doit se conformer à une série de règlements
administratifs et économiques établis par les autorités de Vejido
et le gouvernement. En outre, il doit prendre sa part du travail
collectif dans les terres collectives et contribuer à l'impôt
foncier des ejidos 1 et aux frais de l'école, du terrain de sport
et d'autres institutions publiques de Vejido.
Les autorités de Vejido sont : l'assemblée générale des
membres, les commissaires de Vejido et de la propriété collective,
le conseil de surveillance. L'assemblée générale demande l'intervention des autorités agraires pour le règlement de cas relatifs
à la suspension ou au retrait des droits des membres et détermine le mode d'utilisation de la terre collective, sous réserve
de l'approbation du ministère de l'Agriculture ou de la Banque
nationale de crédit des ejidos. Les commissaires représentent les
membres auprès des autorités administratives et légales ; ils
administrent la propriété commune de Vejido grâce à une
procuration générale, surveillent le morcellement de la terre
et s'assurent que les parcelles individuelles et collectives sont
cultivées conformément aux dispositions de la législation en
vigueur et des réglementations des autorités agraires officielles.
1
Le régime fiscal des ejidos est soumis aux règles suivantes : la municipalité,
l'Etat ou le gouvernement fédéral peuvent soumettre la propriété ejido seulement
à une forme d'impôt foncier, qui ne peut dépasser 5 pour cent de la production
annuelle de Vejido ; la production agricole de Vejido ne peut être imposée en aucun cas.
LE PROBLÈME DE LA TEBEE
365
Les organismes agraires officiels sont le département agraire,
les commissions agraires mixtes des Etats et le ministère de
l'Agriculture (Direction générale de l'organisation des ejidos).
Le ministère de l'Agriculture est responsable de l'organisation
économique des ejidos et peut déléguer ses fonctions à la
Banque nationale de crédit ejido. Ses fonctions comprennent :
a) la détermination des produits et des méthodes de culture
qui devraient être interdits comme non rentables ou susceptibles de provoquer l'érosion du sol ; b) la détermination
des meilleurs produits et des méthodes les mieux appropriées
pour l'exploitation la plus efficace des ressources naturelles
et humaines ; c) la détermination de la forme d'organisation
des membres la mieux appropriée pour la culture et l'écoulement des produits ; d) la détermination des moyens les mieux
appropriés pour l'utilisation efficace des forêts et des pâturages collectifs, etc.
Importance et population des « ejidos ».
Avant la promulgation du Code agraire de 1934, on estimait qu'environ 2 millions de personnes pouvaient prétendre
à l'octroi de terres soumises au régime des ejidos. Entre 1922
et 1933, on a réparti à titre définitif 7.600.000 hectares (dont
531.046 par confirmation des titres de propriété) entre 754.577
personnes. En outre, environ 3 millions d'hectares ont été répartis à titre provisoire entre 2.377 communautés. En 1935-36,
6.324.266 hectares ont été distribués En 1940, on comptait
dans le pays 13.959 ejidos, comprenant 1 740.557 membres x.
D'après le recensement de 1940, les membres actifs des ejidos
représentaient 56,7 pour cent du nombre total des propriétaires
terriens du pays et possédaient 47,4 pour cent de la terre
arable, 56,2 pour cent de la terre irriguée et 18,3 pour cent
des pâturages. En 1943, on comptait 15.600 ejidos occupant
une superficie totale de 36.800.000 hectares, répartis entre
1.840.314 membres qui, avec leurs familles, représentaient une
population de 7.361.356 habitants 2. A la fin de mai 1948, le
nombre des ejidos qui possédaient leurs terres à titre définitif
était de 15.645, et le nombre de leurs membres de 1.560.845.
Comme le montre le tableau XLV, la plus forte concentration (Tejidos se trouve dans les Etats de Veracruz, Michoacán,
Guanajuato et Jalisco.
1
2
Seis años al servicio de México, 1934-1940, op. cit., p. 145.
DEPARTAMENTO AGRAMO DE MÉXICO : Memoria 1942-43.
366
LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE
TABLEAU XLV. — MEXIQUE : « EJIDOS » AUTORISÉS
ET NOMBRE DES MEMBRES
(5 février 1915-31 mai 1948)
Etat ou territoire
Aguascalientes
Baja California Norte . .
Baja California Sur . . .
Campeche
Chiapas
Chihuahua
Coahuila
Colima
District fédéral
Durango
Guanajuato
Guerrero
Hidalgo
Jalisco
Mexico
Michoacán
Morelos
Nayarit
Nuevo León
Oaxaca
Puebla
Querétaro
Quintana Roo
San Luis Potosí
. . . .
Sinaloa
Sonora
Tabasco
Tamaulipas
Tlaxcala
Veracruz
Yucatán
Zacatecas
Source : Données fournies par le
Total .
février 1949.
Nombre
des ejidos
Nombre des
membres
181
70
30
109
531
464
585
93
73
541
1.006
642
627
1.005
961
1.205
197
274
440
489
870
265
43
783
417
239
332
700
179
1.472
257
15.645
566
12.013
6.109
3.375
13.103
53.531
46.857
60.479
6.631
17.473
52.903
82.755
61.291
56.199
103.469
144.750
117.573
26.009
28.965
25.877
57.730
108.177
25.519
2.943
71.484
41.413
23.857
29.900
33.642
27.966
113.632
46.382
1.560.845
58.838
ministère mexicain de l'Agriculture,
H n'est pas sans intérêt de comparer les différences dans
le nombre des bénéficiaires qui ressortent de la comparaison
entre le tableau relatif au nombre des ejidos autorisés à la date
du 31 mai 1948 et le tableau XLVI, relatif au nombre total
des membres actifs des ejidos et des membres de leur famille,
par rapport au total de la population et au nombre des travailleurs agricoles du pays.
Entre 1948 et 1950, la situation a continué d'évoluer,
comme en témoignent les résultats préliminaires du recensement de 1950. Lors de ce recensement, 5.243.119 personnes
LE PROBLÈME DE LA TEERE
367
TABLEAU XLVI. — MEXIQUE : POPULATION DES « EJIDOS » DANS
LA POPULATION TOTALE, NOMBRE DES MEMBRES ACTIFS ET
POURCENTAGE DANS L'ENSEMBLE DES AGRICULTEURS
Région et E t a t
Pacifique nord
Baja California N,
Baja California S,
Nayarit. . .
Sinaloa . . .
Sonora . . .
Nord . . . .
Chihuahua
Coahuila .
Durango .
Nuevo León
San Luis Potosí
Tamaulipas
Zacatecas .
Centre . .
Aguascalientes
District fédéral
Guanajuato
Hidalgo. .
Jalisco . .
Mexico . .
Michoacán
Morelos
Puebla . .
Querétaro
Tlaxoala .
Golfe du Mexique
Campeche . .
Quintana Roo
Tabasco. .
Veracruz .
Yucatán .
Pacifique sud
Chiapas . .
Colima . .
Guerrero .
Oaxaca . .
Total .
Population
des ejidos
Pourcentage de la
population
totale
Nombre des
membres actifs
273.061
10.274
3.998
87.325
105.170
66.284
1.008.565
139.552
146.128
167.710
59.933
246.710
87.523
161.009
22,7
13,0
7,8
40,3
21,3
18,2
2.438.916
32.074
82.947
228.164
265.470
259.186
554.616
341.472
87.379
415.752
85.525
86.331
737.120
36.645
6.253
75.132
401.891
217.109
534.406
161.830
15.819
184.042
172.715
4.992.058
25,9
19,8
4,7
21,8
34,4
18,3
48,4
28,9
47,8
32,1
34,9
38,5
800.599
9.103
32.719
74,389
84.565
82.432
173.765
30,3
40,5
33,3
26,3
24,8
51,9
209.705
19,9
23,8
20,1
25,1
14,5
169.181
25,4
1.601.392
25,8
22,4
26,5
34,7
11,1
36,3
19,1
28,5
103.792
3.627
2.410
29.137
41.944
26.674
318.115
42.725
46.240
59.046
20.909
70.167
26.493
52.535
118.169
29.218
138.348
25.396
32.495
10.283
1.895
21.847
114.259
61.421
50.245
5.138
62.940
50.858
Source : DIRECCIÓN GENERAL DE ESTADÍSTICA : Sexto censo de población y Segundo censo
eiidal (1940) ; données tirées de ces sources par Nathan L. WHETTEN : Rural Mexico, op. cit.,
pp. 596-597.
vivaient dans le cadre des ejidos (1.767.145 en étaient membres
actifs). En 1950, sur l'ensemble de la population agricole du
pays, 35,2 pour cent étaient des travailleurs membres tejidos ;
368
LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE
la population des ejidos représentait 31,2 pour cent de la population rurale et 20,4 pour cent de la population totale du pays *.
Résultats de la réforme agraire.
La réforme agraire qui a été effectuée au Mexique a été
la conséquence de la révolution de 1910. Environ 30 millions
d'hectares qui appartenaient autrefois aux grands propriétaires
ont été redistribués entre 1922 et 1945, c'est-à-dire 25 pour cent
de la superficie totale des exploitations, y compris les zones
de montagnes et de pâturages arides.
L'institution du régime des ejidos, prévue par l'article 27
de la Constitution de 1917, a eu des effets sociaux indubitablement bienfaisants. Si les conditions d'emploi des travailleurs
agricoles se sont améliorées, le nombre de ces travailleurs a
diminué par rapport à l'ensemble de la population 2 , sans d'ailleurs que cela indique une baisse de l'intérêt dans l'exploitation
de la terre : en 1945, le nombre des paysans auxquels il n'a pas
été possible d'accorder des terres s'est élevé à 455.251. La
demande de terres est donc loin d'avoir fléchi et, à ce sujet, il
convient de rappeler que 378.620 des membres actifs des ejidos
enregistrés en 1940 ne possédaient pas la parcelle qui aurait
convenu à leurs besoins, et que 461.035 ne cultivaient pas leur
parcelle faute de ressources ou d'outillage 3.
Avant la réforme, la moitié environ de la population rurale,
enchaînée aux haciendas par ses dettes, vivait dans un état de demiservage. Cette population jouit maintenant de sa liberté de mouvement. La coutume suivant laquelle, pour les petits lopins de terre
nécessaires à leur subsistance, les ouvriers agricoles payaient un
fermage aux propriétaires de domaines sous forme de deux ou trois
jours de travail non rétribué par semaine, a maintenant presque
entièrement disparu. A l'heure actuelle, une grande partie des ouvriers
agricoles ne travaillent plus dans les domaines d'une manière permanente ; on ne les emploie que pendant certaines périodes ; ils
préfèrent cultiver leurs parcelles ejido pendant la saison 4des pluies
et travailler comme péons pendant la saison sèche d'hiver .
Les conditions régnant dans les ejidos varient énormément
suivant la qualité de la terre, les moyens de communication,
l'organisation économique de la communauté, etc. On peut
distinguer trois groupes différents : a) les ejidos situés dans le
1
CONFERENCIA INTERAMERICANA D E SEGURIDAD SOCIAL, c u a r t a reunión : « L a
extensión del seguro social al agro mexicano », La extensión del seguro social al
campo (Mexico, 1952), p . 124.
2
NATIONS U N I E S , Département des questions économiques : La réforme agraire.
Les défauts de la structure agraire qui entravent le développement économique (NewYork, 1951) (E/2O03/R*v. 1, ST/BCA/11, numéro de vente : 1951.II.B.3), p p . 66-68.
3
Ibid., p . 69.
*Ibid., p p . 67-68.
LE PROBLÈME D E LA TEBEE
369
voisinage des grands centres et qui peuvent disposer de moyens
modernes en matière de technique agricole, d'irrigation,
d'installations sanitaires, etc. ; b) ceux qui sont situés dans des
régions privilégiées à l'égard du climat et de l'humidité, mais
qui n'ont pas de bonnes communications et ne disposent pas
des mêmes moyens que les premiers ; c) ceux qui n'ont pas
de terre arable, ayant été établis sur d'anciens domaines
d'élevage. La deuxième catégorie semble prédominer sur le
plateau central et dans quelques-unes des régions de la côte.
L'une des régions où prédomine Vejido est celle de La Laguna,
dans les Etats de Chihuahua et de Durango ; on y pratique
surtout la culture du coton et du blé, et, dans une moindre
mesure, celle du maïs et de la luzerne. D'autres régions ejido
importantes sont celles où l'on cultive l'agave dans le Yucatan
et la canne à sucre à Morelos.
Le système de Vejido a entraîné une amélioration importante des conditions sociales et économiques de la population
aborigène et métisse dans diverses régions du pays 1 .
Le cas des Indiens Yaqui et Mayo, qui habitent le nord du
pays, est souvent cité. Eécemment encore, ces Indiens, surtout
chasseurs, vivaient dans les conditions économiques les plus
primitives. Grâce à l'utilisation d'équipement moderne, ils
produisent actuellement des quantités considérables de sucre
et de riz, de légumes et de fruits.
Cependant, nous l'indiquions précédemment, la distribution de terres à'ejidos ne permet pas encore de répondre aux
besoins des paysans. En 1940, on estimait qu'environ la moitié
de la population rurale du pays continuait à être sans terre,
et que 70 pour cent de la terre arable était encore concentrée
dans des domaines de plus de 1.200 hectares chacun 2. En 1949,
on estimait que sur un total d'environ 15 millions d'hectares
de terre arable, 2.700.000 hectares étaient constitués par des
parcelles aborigènes, mais la production agricole, dans 82
pour cent de cette superficie était en dessous d'un niveau normal
de subsistance à cause d'une mauvaise topographie, du manqué
de moyens d'irrigation, de l'érosion et des techniques primitives 3. La plupart des parcelles des ejidos ont en moyenne
18 hectares, dont seulement 4,4 hectares de terre arable.
1
2
3
Preston JAMBS : Latin America, New-York et Boston, 1942, p. 668.
Seis años al servicio de México, 1934-1940, op. cit., p. 327.
SECRETARÍA DE AGRICULTURA y GANADERÍA : Conservación de los suelos en
las zonas indígenas; rapport présenté au deuxième Congrès interaméricain des
affaires indigènes. Voir Anales del Congreso, op. cit., p. 317.
370
LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE
Sans aucun doute on aurait pu encore augmenter la production
s'il avait été possible d'établir les exploitations ejidos sur une base
économique plus solide en leur donnant des parcelles plus grandes
et en leur accordant des crédits moins onéreux. Le rendement à
l'hectare de ces terres est un peu inférieur à celui des exploitations
de même importance sous le régime de la propriété privée, et très
inférieur à celui des grandes exploitations 1.
Le problème de l'irrigation a fait l'objet d'une attention
spéciale de la part de nombreux experts mexicains. Le directeur de l'Institut interaméricain des affaires indigènes a
résumé ce problème de la manière suivante :
(Dans les grands domaines) l'exploitation se suffisait souvent à
elle-même ; disposant de terres irriguées et de terres à rendement
saisonnier, de pâturages, de bois, etc., le propriétaire pouvait, lorsque
la sécheresse ruinait les récoltes des terres non irriguées, compenser
cette perte grâce aux produits de ses terres irriguées, de ses bois
ou de son bétail ; ou si celui-ci était victime d'épizooties dévastatrices, les autres produits du domaine permettaient de parer au
désastre. Maintenant que les grands domaines ont été divisés en
ejidos et morcelés, le paysan qui a reçu une petite parcelle de terre
non irriguée n'a rien pour compenser les pertes en cas de sécheresse
ou d'intempéries ; il est forcé de rester oisif ou d'aller travailler pour
un maigre salaire, soit dans les ejidos qui ont des terres irriguées (et
ils sont rares), soit chez de petits propriétaires ; ou bien encore
il lui
faut émigrer dans d'autres régions à la recherche de travail 2.
OCCUPATION ET
AFFECTATION DE
LA
TERRE
CHEZ
LES
ABORIGÈNES SYLVICOLES D'AMÉRIQUE LATINE
Cbez les Indiens sylvicoles, le problème de la terre est
tout différent de ce qu'il est dans les communautés aborigènes
traditionnelles des hauts plateaux de l'Amérique latine, à
cause du caractère semi-nomadique du sylvicole, de l'isolement géographique dans lequel il vit et de ses caractéristiques
culturelles. Les données disponibles sur la question sont rares
et incomplètes, surtout à cause des deux premières raisons.
Ce n'est qu'à une date relativement récente que les populations aborigènes sylvicoles se sont installées à l'intérieur du
continent ; elles vivaient primitivement sur une bande de
terre d'une profondeur de quelques dizaines de kilomètres,
bordant l'Atlantique sud, et s'étendant de la Terre de Feu à
la mer des Caraïbes, et il est presque certain qu'elles n'avaient
jamais pénétré très profondément dans les terres. Ce furent
1
NATIONS U N I E S , Département des questions économiques : La réforme agraire,
op. cit., p . 69. D'après des données extraites de N a t h a n L. W H E T T E N , op. cit., p . 566.
2
Manuel GAMIO : « La producción agrícola y la industrialización de los ejidatarios », Oonsideraciones sobre el problema indigena (Mexico, Institut» Indigenista
Interamericano, 1948), p. 32.
LE PROBLÈME DE LA TEEBE
371
les conquérants d'abord, et les colons ensuite, qui les refoulèrent toujours plus loin vers leur habitat actuel. Chassé de
ses terres primitives ou fuyant l'esclavage, l'Indien sylvicole
recula devant l'avance de colons toujours plus nombreux, et
s'enfonça toujours plus profondément au cœur des forêts et
des marécages, réussissant, au prix de pertes vraisemblablement fort grandes, à s'adapter aux nouvelles conditions que
les circonstances lui imposaient. Toutefois, lors de l'arrivée
des conquérants blancs sur le littoral sud-atlantique d'Amérique, de grandes masses de population indienne étaient déjà
en mouvement ; des tribus et des nations entières étaient chassées
par la montée vers le nord des tribus Tupi-Guarani qui, à la
recherche de territoires pour s'installer, les repoussaient devant
elles. Ces mouvements migratoires semblent avoir revêtu une
ampleur particulière et l'on ne saurait mieux les comparer qu'à
ceux que provoquèrent en Europe les grandes invasions.
Eepoussés à leur tour par les Blancs, ou fuyant le contact
avec les nouveaux arrivants, les Tupi-Guarani refoulèrent
devant eux les peuplades et tribus qui s'étaient réfugiées à
l'intérieur des terres et les repoussèrent au cœur du continent.
Dès l'époque coloniale, le problème des terres pour les
aborigènes sylvicoles s'est imposé à la considération des couronnes d'Espagne et de Portugal ; par des édits et des ordonnances, les cours de Madrid et de Lisbonne ont essayé de
réserver des terres pour la subsistance des Indiens.
De nos jours, les terres occupées par les groupes sylvicoles
en plein cœur du continent suscitent de plus en plus la convoitise des populations civilisées, au fur et à mesure que s'accroît
l'importance numérique de celles-ci et que s'intensifie la
recherche de richesses naturelles, de terres arables et de
pâturages. Les contacts entre sylvicoles et autres groupes de
la population rurale se multiplient, posant des problèmes
complexes et divers. Par endroits, les sylvicoles se trouvent
littéralement encerclés par les colons, qui leur disputent âprement la terre, et là où aucun contrôle n'est exercé par les gouvernements, l'Indien finit par succomber, soit à la suite d'une
expulsion pure et simple, soit du fait de la désagrégation des
collectivités indigènes entraînée par la civilisation, des ravages
des épidémies et des maladies diverses que lui vaut le contact
avec les nouveaux venus ou encore des représailles auxquelles
donnent lieu des actes considérés comme criminels.
Un exemple typique est fourni par les Indiens Tapirapé
de la région de l'Araguaia (Brésil), peu à peu encerclés par les
372
LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE
populations rurales, qui se sont emparées des meilleures terres,
des territoires de chasse, des cours d'eau, etc. :
Il ne fait aucun doute que c'est aux populations rurales installées
définitivement et en nombre toujours croissant sur les bords du
fleuve qu'il faut imputer l'appauvrissement constant des ressources
en gibier et en poisson, que les Indiens ne chassaient et ne péchaient
qu'à certaines époques de l'année. Si les Tapirapé ont remonté le
fleuve vers le nord, c'est qu'ils ne trouvaient plus ni terres, ni gibier,
ni poisson pour leur subsistance et qu'ils se sentaient menacés par
la proximité des colons blancs 1.
Au Brésil, le Service de protection des Indiens s'est vu
dans l'obligation de racheter des terres aux fermiers qui
s'étaient installés à proximité de plusieurs postes indigènes,
privant ainsi les Indiens des meilleures terres cultivables. Il
a même dû transférer progressivement des groupes d'Indiens
encerclés par la colonisation dans d'autres localités et y
assurer leur installation 2 .
La Commission d'experts pour le travail des aborigènes,
de l'Organisation internationale du Travail, examinera à sa
prochaine session les rapports préparés par le Bureau international du Travail sur la question des Indiens sylvicoles, en particulier en ce qui concerne la protection des moyens de subsistance de ces populations, et, partant, de leurs terres.
RÉSERVES ET TERRES ALLOUÉES A TITRE INDIVIDUEL
Canada
Les zones réservées aux Indiens du Canada dépassent le
chiffre de 2.000. Comme l'indique le tableau XLVII, en
mars 1951, la superficie totale des réserves dépassait 2.400.000
hectares, dont à peine 142.000 étaient en culture. Aussi le
problème de la pression démographique ne semble-t-il pas
se poser, pas plus d'ailleurs que celui de la pénurie de terres
arables. Les principales ressources des aborigènes proviennent
de l'exploitation des forêts et de la chasse ou de l'élevage
des animaux à fourrure, ce qui n'empêche pas les pouvoirs
publics de stimuler également le développement des fermes
d'agriculture et d'élevage et des exploitations laitières. La
superficie totale indiquée dans le tableau appartient pour
25,7 pour cent à l'Ontario, pour 23,9 pour cent à l'Alberta
et pour 21,8 pour cent à la Saskatchewan.
1
MINISTERIO DE RBLAÇÔES EXTERIORES, Serviço de Informaçôes para o Exte-
rior : Itamaraty, n° 50, 15 dec. 1949.
2
H. BALDTJS : «Tribos da Bacia do Araguaia e o Serviço de Proteçâo aos Indios»,
Revista do Mustu Pauluta (Sào-Paulo), nouvelle série, vol. II, 1948, p. 139.
373
LE PROBLÈME DE LA TERRE
TABLEAU XLVII.
CANADA : TERRES RÉSERVÉES
AUX INDIENS, 1 9 5 1
(En acres)
Provinces et territoires
Ile du Prince-Edouard . . .
Nouvelle-Ecosse
Nouveau-Brunswick
. . . .
Québec
Ontario
Manitoba
Saskatchewan
Alberta
Colombie britannique . . .
Territoires du Nord-Ouest et
Yukon
Total . . .
Superficie
totale des
réserves
Bois
Terres
défrichées
mais non
cultivées
2.741
19.498
37.727
179.619
1.560.221
525.299
1.203.293
1.516.796
816.549
5.620
1.721
22.924
33.602
138.799
1.198.900
308.909
496.961
565.373
437.063
3.537
820
1.235
1.157
11.597
107.957
161.821
623.918
772.351
240.028
41
200
636
294
4.487
33.427
20.040
116.868
136.060
42.169
5.867.3631 3.207.789
1.920.925
354.201
Terres
cultivées
20
Source : DEPARTMENT OF CITIZENSHIP AND IMMIGRATION, Indian Affairs Branch : Report..
tor the Fiscal Year Ended March 31,1951 (Ottawa, 1951), pp. 84-85.
1
Soit 2.400.000 hectares.
Sauf en cas d'expropriation à des fins d'utilité publique,
les réserves ne peuvent être aliénées sans le consentement
du gouvernement et des propriétaires aborigènes. Les terres
sont de propriété commune et, outre le droit d'occupation,
seules appartiennent à l'individu les améliorations matérielles
qu'il apporte à la parcelle qu'il occupe. Dans le Nord, où l'on
ne saurait encore parler de colonisation, aucune réserve n'a
été créée, et les Indiens ont conservé le système d'organisation
en « bandes ». Chacune de celles-ci dispose de fonds fiduciaires
collectifs, dont les revenus proviennent surtout de la vente
des produits naturels. Entre 1870 et 1948, le montant de ces
fonds — on en compte plus de 480 — a passé de 200.000 à
18.400.000 doUars \
Les Indiens du Canada sont soumis à la loi sur un pied
d'égalité avec les autres citoyens. Ils peuvent assumer des
obligations contractuelles, ester et être poursuivis en justice.
Les biens-fonds et les biens personnels de l'Indien résidant
dans une réserve sont exempts d'impôts. A moins d'être
l'objet d'une action judiciaire intentée par un autre Indien,
la propriété de l'aborigène ne peut être saisie pour des dettes
ou des hypothèques de quelque nature que ce soit 2 .
1
DOMINION BUHEAU or STATISTICS : The Canada Yearbook, 1948-1949 (Ottawa,
1949), p. 1172.
2
Ibid., p. 1176.
374
LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE
Comme on le verra dans le chapitre consacré à cette question, le gouvernement canadien vient en aide aux Indiens
et aux Esquimaux dans la mise en valeur de leurs ressources
économiques et le développement de leurs possibilités d'emploi
productif. On a pu constater au cours des années récentes
une notable diminution dans le nombre des Indiens de Colombie
britannique qui abandonnent les réserves pour se rendre dans
l'Etat de Washington, aux Etats-Unis, en vue de louer leurs
services pour la moisson ou la récolte de fruits. Malgré les
salaires élevés qui leur sont proposés, les Indiens préfèrent
demeurer dans leurs réserves pour s'adonner à l'agriculture.
Le nombre de pêcheurs et de trappeurs occupés à temps
partiel dans l'industrie est en augmentation, ce qui contribue
à assurer la conservation de la faune qui fournit aux Indiens
leurs moyens de subsistance. La neige, le gel, la sécheresse
et les inondations raccourcissent la campagne agricole et
endommagent les récoltes, rendant plus difficile l'exploitation
de la terre dans les provinces exposées à un climat rigoureux.
Dans les cas exceptionnels, ou lorsqu'il est difficile de trouver
de l'emploi en dehors des réserves, la subsistance de l'Indien
est assurée au moyen de subventions. Si la sécheresse persiste
en été, les incendies causent la perte de vastes zones boisées
et la diminution du nombre d'animaux à fourrure chassés par
les Indiens 3.
Etats- Unis
En 1949, la superficie totale des terres possédées par les
Indiens des Etats-Unis dépassait 22 millions d'hectares, dont
14 millions en forêts et 6 millions en pâturages. Plus d'un
million et demi d'hectares ont été classés comme terre agricole,
mais la moite seulement de cette superficie peut être irriguée.
Les terres qui étaient propriété des tribus représentaient plus
de 15 millions d'hectares et celles qui étaient confiées à titre
individuel à des aborigènes, environ 7 millions 2. Le tableau
XLVIII indique la répartition par Etats des terres indigènes
exemptes d'impôts placées sous la juridiction du Bureau des
affaires indiennes (statistiques de 1949).
Dans la déclaration qu'il a faite devant la Commission
parlementaire des affaires intérieures et insulaires en février
1949, M. William Zimmerman, commissaire par intérim aux
1
Au sujet de l'économie de subsistance et des autres questions relatives à
l'utilisation des ressources naturelles, voir également les passages consacrés au
Canada dans le chapitre précédent.
2
Cf. Hearings on... National Resources Policy, op. cit., p. 4.
L E P R O B L È M E D E LA
TABLEAU X l i V m . —
375
TERRE
ÉTATS-UNIS : T E E E E S
ADMINISTRÉES
PAR LE BUREAU DES AFFAIRES INDIENNES,
(En
Etat
Superfìcie
totale
Arizona
Arkansas
. . . .
Californie . . . .
Caroline du Nord .
Colorado
. . . .
Dakota du Nord .
Dakota du Sud . .
Floride
Idaho
Iowa
Kansas
Michigan
. . . .
Minnesota . . . .
Mississippi . . .
Montana
. . . .
Nebraska . . . .
Newada
New-York . . . .
Nouveau-Mexique.
Oklahoma . . . .
Oregon
Pennsylvanie . .
Texas
Utah
Washington . . .
Wisconsin . . . .
Wyoming . . . .
19.457.374
95
548.408
55.784
730.513
1.093.882
5.779.684
80.028
864.610
5.040
36.423
26.397
863.028
15.488
6.502.211
28.073
1.141.362
86.008
6.717.033
2.468.770
1.733.080
640
4.081
2.509.769
2.723.593
452.678
2.080.618
Total . . .
56.004.670
1949
acres)
Terres
confiées à des
particuliers
263.996
95
75.302
—
25.830
1.006.678
4.420.621
—
446.400
1.059
33.710
15.349
170.509
—
5.163.777
14.214
85.865
30
738.504
2.341.356
393.430
—
Terres
tribales
Terres
appartenant
à l'Etat fédéral
19.152.712
40.666
—
456.211
55.399
704.109
77.504
1.213.559
80.028
378.171
3.903
1.697
7.026
659.961
15.280
1.217.967
13.706
1.051.382
85.978
5.655.863
73.378
1.331.834
640
—
16.895
385
574
9.700
145.504
—
40.039
78
1.016
4.022
32.558
208
120.467
153
4.115
—
322.666
54.036
7.816
—
1.010
90.895
959.050
147.071
139.309
2.409.289
1.757.754
264.318
1.904.315
3.071
9.585
6.789
41.289
994
16.534.060
38.607.984
862.626
—
Source : U.S. BUREAU OF THE CENSUS : Statistical Abstract o/ the United States, 1952 (Washington, Government Printing Office, 1952), p. 171.
affaires indiennes, a décrit de la manière suivante la condition
des Indiens :
Les Indiens vivent aujourd'hui dans la misère et il ne leur est
guère laissé de possibilités d'en sortir... Si la terre était répartie
également ou si elle se trouvait dans des endroits plus favorisés par
le climat, ce qui est loin d'être le cas, la situation pourrait être différente. Un nombre élevé d'Indiens, que l'on peut évaluer à 100.000,
sont totalement privés de terres. Pour beaucoup d'autres, la superficie
allouée est insuffisante ou de mauvaise
qualité, ce qui affecte défavorablement les conditions de vie 1.
Plus récemment, M. Dillon S. Myer, commissaire aux
affaires indiennes a déclaré qu'« à quelques exceptions près,
les terres réservées à l'usage des Indiens représentent générale1
Cf. Hearings on. .. National Resources Policy, op. cit., p . 3.
376
LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE
ment les régions les plus pauvres et les moins productives des
Etats-Unis 1 ».
Environ 4.800.000 hectares de terres indiennes seulement
se trouvent dans la zone recevant de 50 à 75 centimètres de
pluie, limite à laquelle le dry farming peut être pratiqué avec
succès. Plus de 5.200.000 hectares sont situés dans des régions
où les précipitations ne dépassent pas chaque année 25 centimètres. Environ 9.200.000 hectares se trouvent dans la zone
recevant de 25 à 37 centimètres de pluie par année et 3.200.000
hectares dans la zone recevant de 37 à 50 centimètres 2.
Si de grands progrès ont été accomplis dans l'agriculture
et dans l'élevage 3, il n'en reste pas moins un écart sensible
entre les revenus agricoles des Indiens et la moyenne nationale
pour les Etats-Unis. En 1945, le revenu indien par exploitation
était de 500 dollars par an, c'est-à-dire seulement un cinquième
de la moyenne pour l'ensemble des exploitations agricoles 4.
La superficie moyenne d'une propriété familiale indienne est
d'environ 372 hectares. Dans quelques réserves cependant,
comme celle des Papago, la végétation est si rare que plus de
100 hectares sont nécessaires pour nourrir une seule vache
pendant une année 5. La qualité des terres tribales varie beaucoup. Par exemple, « les 92.676 hectares des Indiens Menominee sont de grande valeur parce qu'ils contiennent des
forêts, alors que les 951.077 hectares des Papago sont des
terres désertiques et comportant très peu de pâturages 6 ».
En plus de la tribu Papago, celles des Navajo et des Hopi,
ainsi que de nombreuses tribus Pueblo le long du Rio Grande,
sont celles qui souffrent le plus de la pénurie de terres suffisamment fertiles. Sur la réserve Hopi, seuls 2.800 hectares sont
propres à la culture, et le reste est en pâturages et en jachères.
D'après une étude récente, les conditions agricoles sont les
plus précaires de toute la région du sud-ouest 7 . Quant à la
réserve Navajo — la plus importante en superficie et en
1
Dillon S. M Y E B : Address...
before the Combined Assemblies of the Division
of Christian Life and Work of the National Council of the Churches of Christ at Buck
Hill Falls, Pennsylvania, on December 12, 1951. (Document ronéographié.)
2
B U R E A U O F INDIAN AFFAIRS : Annual
3
Les revenus, qui s'élevaient à 1.224.500 dollars en 1933, o n t atteint 30.973.800
Report...
1948, op. cit., p p . 371-372.
dollars en 1948. Cf. U N I T E D STATES I N D I A N SERVICE : Here are the Answers to Tour
Questions on American Indians (Washington, 1949), p . 28.
4
Hearings...
on National Policy, op. cit., p . 5.
5
6
B U R E A U OF INDIAN AFFAIRS : Annual
Report, 1948, pp. 371-372.
Allan G. H A R P E R : Las tierras de los indios en los Estados Unidos (Washington,
The National Indian Institute, 1942), p . 30.
7
Laura THOMPSON : Personality and Government, op. cit., p p . 136-137.
CÁETE X. — ÉTATS-UNIS : RÉPARTITION GÉOGRAPHIQUE
DES RÉSERVES INDIENNES
S
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Source: Allan G. HARPER : Las tierras de los indios en los Estados Unidos^ op. cit.
;
:*
378
LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE
densité de population —, elle est située sur un plateau aride
(de 1.050 à 3.000 mètres d'altitude), où l'érosion fait de grands
ravages. En outre, d'après un rapport soumis en 1948 au
secrétaire d'Etat à l'Intérieur, le cheptel dont disposaient la
plupart des familles était bien inférieur en nombre au minimum
qu'exigerait la simple subsistance (250 moutons fournissant
un revenu annuel net d'environ 750 dollars). Même en se fondant sur ce minimum, les ressources en pâturages dont peuvent
disposer les Navajo ne pourraient nourrir qu'environ un cinquième de la population actuelle 1 .
Le commissaire aux Affaires indiennes a fait en décembre
1951 les déclarations suivantes sur la population indienne dans
son ensemble :
Dans la quasi-totalité des réserves, la terre, même après la mise
en valeur la plus poussée, ne pourrait subvenir aux besoins que
d'une petite fraction de la population... C'est dans les réserves que
l'on rencontre bien souvent les districts ruraux les plus sordides des
Etats-Unis. La misère est générale, avec les conséquences qu'entraîne un bas niveau de vie : mauvais logements, alimentation
insuffisante, conditions sanitaires déplorables, taux de
maladies
effroyablement élevés, notamment pour la tuberculose z.
La politique actuelle du Bureau des affaires indiennes
consiste à assouplir la surveillance qu'il exerce sur la propriété
foncière des Indiens et à apporter une solution aux problèmes
d'occupation de la terre posés par le système de répartition
mis en vigueur par la loi de 1887. Comme l'indique le rapport
annuel du Bureau pour 1952 :
La demande de terre et les prix élevés pratiqués sur le marché
foncier ont abouti à une augmentation continuelle des demandes
formulées par les Indiens désireux de vendre leurs terres ou de faire
lever les restrictions et les clauses de protection... de façon à pouvoir
disposer de leur parcelle. Pendant l'exercice financier 1952, il est
devenu évident que de nombreux Indiens ont améüoré leur situation
économique et qu'ils parviendront à pouvoir acquérir de nouvelles
terres d'appoint ou à acheter toutes les parcelles sur lesquelles ils
détiennent des droits dans des zones où ils ont hérité d'intérêts
déterminés. D'autres essaient de regrouper leurs parcelles en unités
permettant une exploitation rationnelle. En conséquence,
les transferts de terre se poursuivent à un rythme accéléré 3.
Australie
La colonisation européenne a privé l'aborigène australien
non seulement de sa terre, mais des aliments qu'il y trouvait
1
2
J . A. KBTJG : The Navajo, op. cit., p. 14.
Dillon S. MYER, op. cit., p. 2.
3
Annual Report of the Secretary of the Interior, Fiscal Year Ended June 30,
1952 (Washington, 1952), pp. 404-405.
LE PROBLÈME DE LA TEBEE
379
et des caractéristiques totémiques de sa culture. L'introduction
de l'agriculture et de l'élevage a détruit les sources traditionnelles d'où provenaient les aliments principaux des autochtones. L'adaptation forcée à de nouvelles circonstances d u t
se faire à un moment mal choisi et n'eut que peu de succès
dans les régions où la colonisation était le plus développée.
Pour l'aborigène accoutumé à la vie nomade, la superficie
de terre qu'on lui réservait pour son usage était nettement
insuffisante et il ne pouvait y trouver, pour assurer sa subsistance, les éléments qui correspondaient à ses besoins.
La population aborigène commença à vivre aux dépens des
villages, des colonies et des établissements des Blancs dans la
vaste zone orientale qui s'étend entre Rockhampton et Port
Lincoln ainsi que dans la région du sud-ouest de l'Australie,
et de manière générale, supporta les conséquences d'un contact
de cultures auquel elle n'était pas préparée. Dans le centre
et le nord du pays, toutefois, elle put s'adapter avec plus de
facilité aux nouvelles conditions : divers facteurs contribuèrent
en effet à la faire recruter comme main-d'œuvre agricole dans
les exploitations à défaut de travailleurs européens. Avec la
perte des terres tribales, la dépendance envers le colon
blanc ne fit que croître et ce processus fut encore accéléré par
la famine et la soif résultant des grandes périodes de sécheresse.
En conséquence de cette colonisation, les aborigènes restèrent complètement dépourvus de terres après quelques
années. Dans de nombreuses régions, ils ne peuvent actuellement subsister que s'ils gagnent leur vie ou s'ils reçoivent des
rations alimentaires des pouvoirs publics 1 .
Malgré ces circonstances, il semble que les aborigènes qui
vivent dans des réserves ou qui dépendent des missions soient
peu nombreux. Après 170 ans de colonisation européenne, les
groupes aborigènes les plus nombreux — comme nous l'avons
indiqué dans les chapitres précédents — vivent sur les territoires les plus hostiles et les plus désertiques du pays. La soif,
les maladies et la transformation radicale de leur mode de
vie primitif continuent encore maintenant à les décimer.
En Australie occidentale, les terres réservées aux aborigènes représentaient en 1945 plus de 15 millions d'hectares 2.
1
COMMONWEALTH OFFICE OF EDUCATION : Current Affairs
Bulletin,
op. cit.,
pp. 4-5.
2
W E S T E R N AUSTRALIA, DEPARTMENT O F N A T I V E A F F A I R S : Annual
Commissioner
Report of the
of Native Affairs for the Year Ended 30th June 1944, op. cit., p . 11.
380
LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE
Sur les 26.234 métis et aborigènes de race pure recensés en 1947,
à peine 2.600 résidaient dans les réserves et les missions établies
dans cet Etat. Dans le territoire des missions de Pallotine, du
fleuve Drysdale et du fleuve Forrest, qui représentent une
superficie de 500.000 hectares, o'n évaluait à 520 le nombre
des aborigènes qui bénéficiaient de l'action missionnaire dans
des régions isolées et inaccessibles. Dans les diverses réserves
qui dépendent du gouvernement de l'Etat, le travail productif
était chose peu courante, et, en général, les établissements se
transformaient en asiles d'indigents, en établissements de
correction, en dispensaires ou en stations de quarantaine pour
malades contagieux, ou encore en centres de distribution de
rations alimentaires. Telles sont les constatations faites par
M. F . E. A. Bateman, juge résident de l'Etat, dans le rapport
qu'il a adressé au ministre des Affaires indigènes de l'Australie
occidentale sur l'enquête qu'il a effectuée en 1947 et 1948.
Les réserves de l'Etat sont situées dans des zones fort peu
productives. En général, on peut dire que l'élevage du
mouton et l'agriculture ne suffisent pas pour répondre aux
besoins des habitants des réserves, même lorsque — comme
c'est le cas des établissements de Carrolup (1.980 hectares)
et de Cosmo-Newberry (135.758 hectares), administrés par
l'Etat — les conditions sont particulièrement favorables
comparées à celles qui régnent dans les autres réserves de
l'Etat !.
En Nouvelle-Galles du Sud, il existait deux types de
réserves en 1944. Le département du Bien-être des aborigènes
administrait dix-neuf établissements de culture et d'élevage
(aboriginal stations), où travaillaient de 75 à 100 pour cent des
aborigènes physiquement aptes résidant sur le territoire soumis
à sa juridiction ; en plus des tâches qu'exigent normalement
l'agriculture et l'élevage du mouton, les aborigènes étaient
employés à la réparation et à la construction de routes, à la
culture du bananier et de la canne à sucre, à la pêche, à l'horticulture et à la culture des arbres à fruits, à l'exploitation des
bois et à la fabrication de traverses de chemins de fer. Malgré
cela, les chiffres absolus pour l'année 1944 indiquent que, sur
10.616 aborigènes qui habitaient cet Etat, 2.654 résidaient
dans des établissements de l'Etat et, sur ce chiffre, 667 seulement bénéficiaient d'un emploi « protégé ». En revanche, à la
fin de la même année, on ne comptait que 1.674 aborigènes
1
F . E . A. BATEMAN : Report on Survey of Native Affairs,
28-30.
op. cit., p p . 4-15 et
LE PROBLÈME DE LA TEB.EE
381
dans trente-deux des cinquante réserves de l'Etat dont la
surveillance incombait aux polices locales *.
Nouvelle-Zélande
En 1951, la superficie totale de terres appartenant aux
Maoris était d'environ 1.600.000 hectares, dont les trois quarts
se trouvaient dans l'île du Nord. Ce chiffre représente environ
6 pour cent de la superficie totale de la Nouvelle-Zélande et
environ 9 pour cent de la superficie disponible pour l'utilisation par des particuliers. Une grande partie des terres occupées
par les Maoris sont incultes ou de mauvaise qualité. Au cours
des soixante-dix dernières années, le rapport entre l'accroissement de la population maorie et la quantité de terre dont elle
pouvait disposer s'est inversé : en 1891, 44.177 Maoris disposaient d'une superficie de 4.332.000 hectares ; en 1911, 52.723
Maoris étaient établis sur 2.855.000 hectares, et, en 1951, la
population maorie était de 113.777 âmes, alors que la superficie
de terre dont elle disposait n'était plus que de 1.600.000
hectares 2.
Les autorités estiment que, du fait de l'accroissement
démographique continuel, les Maoris éprouveront des difficultés
croissantes à obtenir des emplois sur leur propre terre 3.
Les terres maories sont de deux catégories selon qu'elles sont
placées sous la simple possession de l'occupant ou qu'elles
sont vraiment sa propriété. Les terres du premier type n'ont
jamais fait l'objet de concessions de la part de la Couronne,
et les Maoris les conservent en vertu du droit coutumier, conformément aux usages de la population maorie. Elles continuent
d'appartenir à la Couronne, mais le titre coutumier d'occupation peut être transformé en titre de propriété par le tribunal
des terres maories. Il reste fort peu de terres qui appartiennent
à cette catégorie.
Les terres du deuxième type sont celles auxquelles donne
droit l'acquisition d'un titre de propriété ordinaire qui reste,
1
PARLIAMENT OF NEW SOUTH WALES : Annual Report of the Aborigines Welfare
Board for the Year Ended 30th June 1944, op. cit., pp. 6 et 12. La loi de 1943, qui a
amendé la législation relative à la protection des aborigènes, autorise le département à acquérir des terres et à construire des logements qu'il peut vendre ou louer
aux aborigènes. Signalons, d'autre part, qu'un grand nombre de ceux-ci sont
employés, sur l'ensemble du territoire australien, par 1'Allied Works Council of
National Works.
2
H. C. MCQUEEN : Vocations for Maori Youth, op. cit., p. 6 ; Census of 17th
April 1951 : Interim Returns of Population and Dwellings, op. cit, p. 7.
3
Pour plus de détails sur le problème de la terre chez les Maoris, voir aux
chap. V i l i et XI.
382
LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE
toutefois, soumis à certaines restrictions en matière d'aliénation, non applicables aux autres propriétaires. Quoique les
ayants droit maoris puissent vendre leur part d'une propriété
collective, celle-ci continue à appartenir aux Maoris jusqu'à ce
que tous les propriétaires aient cédé ou transmis leur droit ou
jusqu'à ce que l'acheteur ait morcelé la propriété ainsi acquise.
Les dispositions relatives à l'aliénation des terres maories ne
sont pas applicables aux successions, mais les propriétaires
maoris ne peuvent laisser des terres en héritage à un Européen,
à moins que celui-ci ne soit le conjoint ou l'ascendant direct du
testateur. Quant aux terres possédées en vertu du droit coutumier, elles ne peuvent être aliénées même par héritage ; le
transfert des titres de propriété des terres maories au profit
d'un autre propriétaire maori ne peut se faire sans l'accord du
tribunal des terres compétent. Avant d'autoriser un tel transfert, le tribunal doit s'assurer que l'aliénation ne porte pas
préjudice aux intérêts du Maori qui cède la propriété et que
celui-ci, en conséquence du transfert, ne perd pas l'ensemble
de ses terres \
Depuis 1929, la Commission des affaires maories se préoccupe de la colonisation et de la mise en valeur des terres des
aborigènes. Grâce à son activité, les titres de propriété de
domaines fractionnés ont été groupés, des fonds ont été accordés pour le développement des terres et les services d'un personnel compétent ont été mis à la disposition des agriculteurs
maoris. Pour éviter les délais ou les difficultés suscités par les
caractéristiques légales des titres de propriété maoris, la Commission a été autorisée à inclure une série de terres dans le
champ d'application du programme de développement ; les
propriétaires ne peuvent s'opposer aux travaux de mise en
valeur agricole ou aliéner les terres qui font l'objet de ce programme. En même temps, les terres limitrophes, propriété de la
Couronne, peuvent également être mises en valeur 2 . Les
conseils des terres maories et le Bureau fiduciaire maori se
chargent de fournir des fonds supplémentaires pour financer
ces activités et pour l'administration des terres occupées par les
Maoris. Ces conseils sont en réalité des conseils de district
qui administrent, à titre fiduciaire, de vastes étendues de
terres habitées par des Maoris. Ils disposent de pouvoirs
étendus en matière de vente, de fixation des loyers et d'administration et viennent en aide aux aborigènes dans leurs
1
New Zealand Official Year-Book, 1950, op. cit., pp. 295 et 297.
"Ibid., p. 297.
XIX
Logements modernes après la création d'un poste indigène au Brésil
(Ministerio da Agricultura)
XX
Le travail coopératif sur les routes
chez les Huastèques
Deux générations d'aborigènes
dans l'Etat de Chiapas (Mexique)
(Instituto Nacional Indigenista)
Ecoliers Tzotzil
*
LE PROBLÈME DE LA TEKEE
383
travaux agricoles. Quant au Bureau fiduciaire, il administre
les fonds et les réserves qui lui sont confiés et, pour encourager les Maoris à cultiver et à administrer leurs propres
terres, il leur avance des sommes sous la garantie de leur
propriété, tout en vérifiant les dépenses et en contrôlant
l'administration des exploitations agricoles 1 .
Grâce à l'aide fournie par des commissions constituées à
l'échelon local, l'élevage du mouton s'est développé de façon
satisfaisante, et au cours des dernières années, l'industrie laitière
a pris une grande importance ; ceci implique l'établissement
de colonies agricoles en rapport plus étroit les unes avec les
autres, lesquelles ont pu offrir des possibilités d'emploi plus
grandes. Tous les programmes de mise en valeur prévoient
une instruction destinée à améliorer les méthodes agricoles.
Les buts à atteindre sont notamment l'amélioration des pâturages, les soins au bétail, les méthodes de tonte et de préparation de la laine pour la vente sur les marchés ; de même, une
assistance technique est prévue en matière de production et
d'écoulement des produits de l'horticulture. Cette dernière
activité vise non seulement à fournir un travail rémunéré aux
Maoris, hommes et femmes, mais aussi à développer la production de légumes et de fruits destinés à améliorer leur régime
alimentaire.
L E S MODALITÉS D'OCCUPATION DU SOL
EN AMÉRIQUE LATINE
A partir de la conquête, la désintégration des communautés
aborigènes a donné naissance à diverses formes de colonage,
de métayage et de peonage.
Dans diverses régions du haut plateau des Andes, cette
évolution se poursuit en conséquence de la subdivision excessive des parcelles individuelles dans les comunidades restantes.
La parcelle de terre devient trop petite pour assurer la subsistance de la famille et le petit propriétaire aborigène cherche
du travail à l'extérieur, obtient une avance sur son salaire
ou s'endette envers un économat ou un usurier. Que les frais
qu'il encourt augmentent, que sa récolte soit mauvaise, qu'il
ait à payer un impôt nouveau, et le petit propriétaire contractera d'autres dettes, qui auront pour conséquence la perte
de ses terres ; et la terre devenant plus rare, il lui sera beaucoup plus difficile de redevenir propriétaire. C'est ainsi que
1
En exécution d'un plan de centralisation, les fonctions des conseils des terres
maories doivent être confiées au Bureau fiduciaire maori.
14
384
LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE
Yhacendado du district arrive à être maître de la main-d'œuvre
aborigène, ou à se faire remettre une partie des produits de
cette main-d'œuvre par le métayage, le colonage ou le fermage.
Ainsi ont pris naissance deux systèmes principaux d'utilisation de la main-d'œuvre aborigène. Selon l'un, le travailleur
reçoit l'usufruit d'une parcelle de la hacienda, qu'il cultive
ou utilise comme pâturage, ce qui constitue une partie de son
salaire. Selon l'autre, le travailleur est tenu de travailler dans
le domaine et acquitte ainsi, en tout ou partie, le loyer de
la parcelle qu'il cultive comme colon ou comme métayer.
Il existe plusieurs formes intermédiaires, qu'il est malaisé de
distinguer l'une de l'autre. Souvent, la maison, la terre et les
prêts qui peuvent être accordés au fermier aborigène ou au
travailleur résidant sont un moyen de l'empêcher de partir.
La législation de quelques pays semble établir une distinction entre, d'une part, le fermier payant effectivement son
loyer ou le métayer (qui généralement reçoit du propriétaire
la parcelle de terre et les semences, la récolte étant divisée
entre les deux en parts égales) et, d'autre part, l'ouvrier agricole dont le salaire est constitué en partie par l'usufruit de
la parcelle de terre qu'il cultive pour son propre compte. En
pratique, cependant, ces deux catégories se confondent fréquemment. En règle générale, il s'agit d'un contrat où la
location de la terre et la location de services sont combinées
en un seul acte, dont les détails diffèrent d'un pays à un autre
et quelquefois d'une région à' une autre dans le même pays,
« selon que le loyer est payé en travail agricole — avec ou sans
salaire complémentaire convenu — ou au moyen d'une partie
des récoltes ou selon les deux systèmes 1 ». Dans certaines
régions du haut plateau des Andes, le système fondé sur le
service est le plus fréquent, avec « un très petit salaire en nature
ou en espèces 1 ». Ailleurs, ce paiement subsidiaire semble
avoir disparu et la rémunération consiste uniquement dans
l'exploitation d'une parcelle de terre 2.
Dans certaines zones de la région des Andes, il existe un
troisième système qui revêt une importance spéciale du point
de vue des conditions sociales et économiques du colon
aborigène. D'après cette méthode, le propriétaire fournit à
1
Cf. Remberto C A P E U E S R I C O et Gastón ARDUZ E G U Î A : El problema social de
Bolivia, op. cit., p . 43.
2
Aníbal BUITRÓN : « Situación económica y social del indio otavaleño », América
Indígena, voi. V I I , n° 1, janv. 1947, p . 57.
LE PROBLÈME DE LA TEBEE
385
l'Indien les semences, les engrais, les outils et une avance en
espèces pour subvenir à ses besoins ; en compensation, l'aborigène lui doit un paiement en nature à un taux fixé par le
propriétaire. L'ouverture de ce «compte en nature» crée pour
l'aborigène une situation de dépendance, car l'accumulation
des dettes le force très souvent à rester indéfiniment au service
du propriétaire.
Généralement, la parcelle de terre dont le colon indigène
reçoit l'usufruit est située sur une partie du domaine que le
propriétaire ne tient pas à cultiver à cause du caractère accidenté du terrain — situé fréquemment sur une pente de montagne rocailleuse et pierreuse — ou à cause de la stérilité du
sol. Souvent, l'aborigène doit défricher toute la parcelle qui
lui est attribuée avant de pouvoir la cultiver.
Bolivie
Sur le haut plateau bolivien, la forme la plus fréquente
d'occupation des terres dans les régions aborigènes est celle
du colonato. La caractéristique essentielle de ce système est
que l'Indien doit rendre certains services au propriétaire du
domaine en échange du droit de vivre sur ce domaine et de
cultiver sa parcelle. La nature et l'étendue de ses droits et
de ses obligations sont régies par la coutume, qui varie souvent d'un lieu à un autre et qui, dans de nombreux cas, ne peut
être distinguée facilement des caprices personnels du propriétaire. Les caractéristiques générales de ce système peuvent
être résumées de la manière suivante :
Le colon reçoit une parcelle de terre (désignée, selon les
pays, par les noms de sayaña, hopina, ou huasipungo) sur
laquelle il peut bâtir sa maison. Il est exceptionnel qu'il trouve
une maison déjà prête. Il risque plutôt de ne trouver que les
murs de la maison de son prédécesseur, lequel aura le plus souvent emporté toute la charpente du toit avec lui. La superficie
et la qualité de la parcelle varient considérablement selon la
région. Là où l'offre de main-d'œuvre est abondante, la parcelle est petite et souvent à peine suffisante pour subvenir
aux besoins de l'aborigène et de sa famille. En revanche, sur
les grands domaines situés à la limite des zones cultivées, où
le problème consiste à attirer de la main-d'œuvre, le colon
peut être libre de cultiver autant de terre qu'il le désire.
Cependant, même dans ce cas, le temps qu'il doit consacrer
à travailler pour le propriétaire et les restrictions apportées
386
LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE
à la vente de ses produits limitent considérablement ses possibilités de tirer un revenu de son travail.
Les conditions dans lesquelles l'aborigène travaille pour
le domaine varient également d'une région à une autre.
Plus ou moins favorables dans les régions où la main-d'œuvre
est rare, elles constituent fréquemment de véritables abus
quand la main-d'œuvre est abondante. Dans la région à faible
population des vallées Yunga, le colon travaille généralement dans le domaine les trois premiers jours de la semaine
et le reste pour lui. Dans d'autres régions, l'habitude est de
travailler pour le propriétaire une semaine sur deux. Dans
d'autres encore, le colon doit travailler dans le domaine sans
aucune pause jusqu'à ce que tout le travail soit terminé, ne
disposant que de la période la moins favorable pour cultiver
sa parcelle. Dans ce cas, l'Indien n'est en fait même plus un
colono, mais plutôt un travailleur jouissant du « privilège »
d'une parcelle et, en dernière analyse, la définition d'un tel
système s'apparente de très près à celle du travail forcé, particulièrement si le colon, en plus des soins au bétail et à l'entretien des pâturages, doit encore rendre des services domestiques et personnels dans la maison de campagne ou de ville
du propriétaire 1 .
Le colon doit apporter ses propres outils et ses animaux
de trait. Généralement, seul le bétail utilisé pour travailler
dans le domaine peut paître gratuitement sur les pâturages
et «un droit de pâturage» doit être payé pour le reste du bétail.
L'employeur n'est soumis à aucune obligation ou restriction
légale en ce qui concerne le paiement d'un salaire minimum, la rémunération de services personnels déterminés, l'observation d'une
durée de travail précise, les périodes de repos obligatoires, la fourniture de denrées alimentaires, le logement, la protection de la
maternité, le travail des femmes et des enfants, la réparation des
accidents du travail, les soins médicaux, etc. En fait, il s'agit d'un
système possédant toutes les caractéristiques du système féodal2.
Le décret gouvernemental n° 318 du 15 mai 1945, après
avoir constaté que, malgré l'interdiction contenue dans
l'article 50 de la Constitution, les colons sont soumis « à des
exactions dans la fourniture de biens en nature et de produits
sans rémunération équitable, suivant des coutumes néfastes
1
Voir plus loin. Souvent, les conditions inhérentes à l'occupation de la terre
sont indissolublement liées à celles qui s'attachent à la prestation obligatoire ou
traditionnelle de certains services. Le présent chapitre traite les deux aspects de
la question, en les séparant dans la mesure du possible.
2
R. CAPEILES RICO et G. AEDUZ EOUÎA, op. cit., pp. 42-43. Voir aussi Rafael
REYEROS : El pongueaje, op. cit., p. 12.
LE PROBLÈME DE LA TEBBE
387
qui ont été imposées depuis la période coloniale », dispose que
le colon doit être le maître absolu de sa récolte, qu'il pourra la
vendre librement sur le marché sans autre restriction que
celles qu'imposent les lois en vigueur, et que le propriétaire ne
pourra pas exiger de lui des dîmes, des vingtièmes, etc. (sous
forme d'agneaux, de laine, de volaille ou d'autres produits) 1 .
Dans quelques districts, l'usage de fournir une parcelle
de terre a complètement disparu et l'Indien est devenu un
ouvrier agricole attaché à la propriété qui, en échange du
logement et de la nourriture, d'une certaine quantité de
produits et d'une somme d'argent payée à la fin de son contrat
de service, effectue le travail pour Vhacienda pendant une
année entière. Ce genre de travailleur est appelé huataruna,
terme qui, dans la langue quichua, signifie « l'homme d'une
année » (de huata, année, et runa, homme).
On loue le huataruna, comme son nom l'indique, pour une année.
Tant que dure son contrat, il est entièrement à la disposition de son
maître... Son salaire passe presque entièrement au paiement des
dettes... qu'il contracte à l'occasion de fêtes ruineuses ou pour
tenter de subvenir à ses besoins élémentaires. Il est astreint à un
labeur continu. N'étant protégé par aucune loi sociale, il ne connaît
ni durée maximum du travail, ni salaire minimum, ni soins médicaux,
ni congés... Une multitude d'occupations diverses remplissent ses
journées et ses nuits. Il est alternativement moyen de transport,
maçon, travailleur agricole, serviteur, cuisinier... messager envoyé
en des randonnées longues et fatigantes... Si les circonstances l'exigent,
il peut même assurer la garde des enfants. Lorsqu'on n'a plus rien
à lui donner à faire dans la maison du maître, il est envoyé
chez un
voisin, loué à la journée, à la semaine ou même au mois 2.
Parmi les Indiens, le salariat agricole constitue une exception et n'existe que lorsqu'une pénurie de main-d'œuvre
(vallées Yunga) oblige le propriétaire du domaine à utiliser
un salaire en espèces pour attirer les travailleurs, ou dans
les régions où le haut rendement des cultures locales (le raisin,
par exemple) et un plus grand morcellement des terres lui font
préférer le système des salaires, afin que sa terre soit mieux
cultivée. Néanmoins, même dans ce cas, qui se produit dans quelques vallées des départements de Cochabamba, La Paz, Potosi
et Sucre, la pratique habituelle est de mettre une parcelle de
terre à la disposition du travailleur agricole indien, et le salaire
ne représente qu'une forme complémentaire de rémunération 3 .
1
M I N I S T E R I O D E T R A B A J O , SALUBRIDAD Y P R E V I S I Ó N SOCIAL : Leyes
sociales
de Bolivia, op. cit., pp. 114-116.
2
Rafael REYEROS, op. cit., pp. 156-158.
3
E n 1949, le salaire d u travailleur agricole était d e 20 bolivianos p a r jour.
Cf. H . G. D I O N , op. cit., p . 3.
388
LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE
Colombie
Dans les régions indiennes du massif occidental des Andes,
particulièrement dans les départements de ìfarino et Cauca, le
terraje est un mode d'usufruit de la terre qui ressemble au
colonato bolivien. Le terrazguero est un aborigène sans terre,
mais à qui le grand propriétaire attribue l'usufruit d'une petite
parcelle désignée par le nom de pegujal, à la condition qu'il
travaille comme ouvrier agricole dans son domaine «s'assurant
ainsi une source de main-d'œuvre sûre et à bon marché pour
les travaux agricoles et l'élevage ». Le terraje lui-même,
c'est-à-dire le nombre de jours pendant lesquels l'Indien doit
travailler dans le domaine, varie suivant la région ou la localité,
et peut être d'un, deux, trois, quatre ou même cinq jours par
semaine ; dans ce dernier cas, le fermier est souvent obligé
« d'utiliser les nuits de clair de lune pour cultiver sa propre
parcelle» 1 . Dans certains districts, l'aborigène doit travailler
un nombre spécifié de jours par mois en contrepartie de
l'exploitation de sa parcelle et quelques jours en plus comme
travailleur agricole, pour lesquels il recevait en 1944 un salaire
journalier de 10 centavos 2. Dans d'autres districts, le salaire
serait payé en maïs cuit à un prix fixé par l'employeur 3 .
D'après une autre source, là où la comunidad aborigène
existe à côté des grands domaines (comme c'est le cas par
exemple dans la région des Indiens Guambiano et Páez) et là
où les produits agricoles trouvent aisément accès au marché,
le système mixte de paiement en espèces et en nature prédomine
alors que dans les parties les moins accessibles des montagnes
(région de Tierradentro), le paiement en espèces est plus
commun, et « les salaires sont calculés en espèces, mais payés
sous forme de nourriture et de vêtement, ou bien quelque
produit spécifié, tel que la feuille de coca, remplace la monnaie
légale et sert d'unité de compte 4 ». Le salaire dit « naturel »
(c'est-à-dire le salaire en nature) coïncide avec l'existence du
système terraje, lequel permet au grand propriétaire « de condamner le travailleur aborigène à l'immobilité, au sens matériel
du terme comme du point de vue du progrès économique 5 ».
1
Luis DUQUE GÓMEZ : Problemas sociales de algunas parcialidades indígenas del
Occidente de Colombia (Bogota, Instituto Nacional Indigenista, 1944), p . 16.
2
Milciades CHAVES : El -problema indigena en el departamento de Nariño (Bogota,
Instituto Indigenista de Colombia, 1944).
3
4
Luis D U Q U E GÓMEZ, 40p. cit.,
p.
16.
Antonio GARCÍA : « Regímenes indígenas de salariado », América
vol. VIII, n° 4, oct. 1948, p. 270.
5
Ibid., p. 271.
Indigena,
LE PROBLÈME DE LA TERRE
389
Equateur
Dans la Sierra equatoriale, le système du huasipungo est
une institution apparentée au colonato bolivien et au terraje
colombien. Le huasipungo est une petite parcelle de terre que
le propriétaire remet au travailleur indien et sur laquelle ce
dernier a le droit de bâtir une hutte, de cultiver un jardin et
d'élever quelques têtes de bétail. En compensation, l'Indien
doit travailler dans le domaine pour un salaire peu élevé un
certain nombre de jours par semaine 1 . Fréquemment, la
femme du travailleur doit traire les vaches du propriétaire ou
accomplir d'autres tâches agricoles (sarclage ou égrenage du
maïs, préparation de bois pour les clôtures, etc.), pour lesquelles
elle reçoit parfois une certaine quantité de la récolte ou une
petite rémunération en espèces.
Le Code du travail dispose que le nombre de jours pendant
lesquels le Jiuasipunguero doit travailler dans le domaine ne
doit pas dépasser quatre par semaine et que le salaire ne doit
pas être inférieur à la moitié du taux minimum établi pour les
travailleurs agricoles de la localité. Malgré ces mesures de
protection et d'autres dispositions similaires, le système semble
se prêter à un certain nombre d'abus.
Dans une étude de l'Institut national de prévoyance
sociale, publiée en 1947, les renseignements suivants sont
donnés à l'égard du système du huasipungo dans l'une des
principales provinces de la Sierra. Dans la plupart des domaines,
les fermiers travaillent pour le propriétaire du lundi au vendredi
et, dans quelques districts, du lundi au samedi. Le travail
prend la forme d'un certain nombre de « tâches », comprenant
le labourage, le sarclage, la pose de clôtures, etc. L'accomplissement de l'une de ces tâches exige généralement au moins huit
heures de travail par jour. En outre, chaque travailleur doit,
pendant des périodes allant d'un à trois mois prendre son tour
comme berger ou comme serviteur dans la maison de
l'employeur 2. Pendant la période où il remplit les fonctions
de serviteur, l'Indien travaille tous les jours de la semaine,
y compris le dimanche, de 6 heures du matin à 6 heures
du soir, et son salaire pour ce genre de travail est le même
que celui qu'il reçoit comme huasipunguero. Dans quelques
1
« Il faut entendre par huasipunguero une personne qui travaille dans un domaine
pour une rémunération qu'elle reçoit partiellement en espèces, à titre de salaire,
et partiellement sous forme d'un droit d'exploitation d'une parcelle de terre que
l'employeur a mise à sa disposition. » (Article 244 du Code du travail.)
2
Voir, plus loin, la partie du chapitre consacrée aux services personnels.
390
LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE
domaines, ce salaire n'est que symbolique ; dans d'autres, il
s'élève à 10 sucres par mois ; en règle générale, il va de 45
centavos à 3 sucres par journée de travail (souvent de douze
heures)*.
Une étude plus récente, préparée pour le même Institut,
indique qu'en 1949, le salaire journalier des huasipungueros
dans les grands domaines de la région nord-est de la même
province allait de 0,40 à 1,20 sucre 2.
Souvent, le huasipunguero doit attendre des mois avant
de recevoir son salaire. Cela l'oblige à solliciter un suplido, ou
avance en espèces. A la fin de l'année, l'employeur fait le bilan
des avances reçues et du nombre de jours de travail, bilan qui
se traduit généralement par un passif pour le huasipunguero.
Ce système d'accumulation des dettes sert à retenir les Indiens
dans les domaines pendant des périodes indéfinies. « A la mort
du père, le huasipungo passe à la femme ou à l'aîné des fils, si
la famille compte des descendants. Les dettes du père vont avec
la propriété. Or, avant que la famille puisse quitter son huasipungo, elle doit payer ses dettes 3. »
Il ressort d'autres sources encore que des conditions similaires prévalent dans d'autres parties de la Sierra. Ainsi, une
étude publiée en 1944 signale le cas des indios propios qui sont
soumis au système huasipungo et travaillent pour le propriétaire
cinq jours par semaine comme travailleurs agricoles et serviteurs pour un salaire journalier de 0,20 sucre 4. Une autre étude
révèle que dans la province d'Imbabura, en échange de l'exploitation d'une parcelle de terre et d'un salaire journalier,
variant de 30 à 70 centavos, souvent payé en céréales, l'Indien
doit travailler la plupart du temps dans le domaine du propriétaire, à diverses tâches agricoles : entretien des fossés,
soins au bétail, entretien des pâturages, etc., alors que sa
femme trait les vaches et que ses enfants servent de domestiques. Un autre genre de fermier est le cuadrero qui, en contrepartie de l'exploitation d'une parcelle de terre et d'un salaire
de 5 à 12 sucres, cultive et garde la propriété urbaine du
propriétaire (cuadra) et, avec les membres de sa famille,
travaille comme domestique dans la maison du propriétaire.
1
Aníbal BUITRÓN et Bárbara SALISBURY BUITRÓN : Condiciones de vida y trabajo
del campesino de la provincia de Pichincha, op. cit., pp. 66-70, 79-80 et tableau XIX.
2
David G. BASILE et Humberto PAREDES : « Algunos factores económicos y
geográficos que afectan a los campesinos del Noreste de la provincia de Pichincha »
(Quito, 1949). (Manuscrit bienveillamment fourni par les auteurs.)
3
Aníbal BUITRÓN et Bárbara SALISBURY BUITRÓN, op. cit., p. 80.
* Luis MONSALVE POZO : El Indio (Cuenca, 1944).
LE PROBLÈME DE LA TEEEE
391
Lorsque l'employeur le permet, cet Indien est libre de travailler
pour son compte en dehors de la cuadra í.
Le huasipunguero est véritablement un déshérité... En règle
générale, le propriétaire du domaine choisit la terre la moins fertile
et la plus difficile à cultiver de sa propriété pour la morceler et la
distribuer à ses fermiers... Pour cette parcelle et une hutte, le
travailleur indien et sa famille deviennent les serfs de l'hacienda 2.
Dans certaines parties de la Sierra, des systèmes de fermage
proprement dit ou de métayage prévalent au lieu de celui du
huasipungo. Dans le premier cas, le propriétaire fournit à
l'Indien une superficie de terre contre un loyer payé en espèces.
Cependant, cet arrangement est souvent théorique et, en fait,
le loyer est payé en travail. Par exemple, dans le nord-est de
la province de Pichincha, le fermier doit souvent payer son
loyer sous forme de quatre à cinq jours de travail par semaine
dans le domaine du propriétaire. D'après le système du métayage (qui se rencontre plus fréquemment dans certaines
régions des provinces de Cotopaxi, Tungurahua, Carchi, Azuay
et Loja), l'Indien fournit son travail et le fumier, et le propriétaire fournit la terre et les semences. La récolte est partagée
en parts égales entre eux. Dans de nombreux cas, cependant,
l'Indien doit fournir également les semences ou, s'il ne le fait
pas, il ne reçoit que 45 pour cent de la récolte 3 . En outre,
comme il ressort du texte ci-après, les conditions de travail
réelles du métayer ressemblent souvent à celles du huasipunguero.
En règle générale, le contrat de métayage n'est qu'oral, circonstance qui donne naissance à des abus. L'Indien reçoit une parcelle
de terre qu'il cultive, alors que les semences sont fournies soit par
le propriétaire, soit par le métayer, soit par les deux. Lorsque arrive
le temps de la récolte, l'Indien doit donner aux compagnons qui
l'ont aidé à rentrer la récolte une « ration », c'est-à-dire une petite
partie de la récolte. Puis, il faut encore déduire la dîme (diezmos)
pour l'autorité religieuse locale et celle (primicias) que prélève le
propriétaire lui-même. En outre, il reste à payer les prétendus
dommages causés aux domaines voisins. Ce que reçoit finalement
le métayer n'est que ce qui reste du 50 pour cent une fois ces déductions faites. En outre, une coutume très répandue veut que, pendant
la durée du contrat, le partidario apporte certaines améliorations au
sol et rende des services4 personnels pendant un nombre déterminé
de jours au propriétaire .
1
Gonzalo RUBIO ORBE : Nuestros indios, op. cit., pp. 221-222.
Plutarco NARANJO VARGAS : El campesinado ecuatoriano y el seguro social
obligatorio, op. cit., p. 17.
3
G. BASILE et H. PAREDES, op. cit. D'après l'article 266 du Code du travail, «en
aucun cas, le pourcentage du métayer ne doit être inférieur à la moitié de la récolte ».
4
César CISNEROS CISNEROS : Demografia y estadística sobre el indio ecuatoriano,
op. cit., p. 87.
2
14*
392
LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE
Le huasipungo est une institution typique de la région du
plateau. Sur la côte, les systèmes de fermage simple, de métayage et de sembrador prévalent. D'après ce dernier système,
pratiqué spécialement dans les plantations de riz, le fermier
reçoit une parcelle de terre du propriétaire qui, par contrat,
s'engage à acheter la récolte. Dans quelques cas, le fermier
paie l'usufruit de sa terre en travaillant dans la plantation.
Les travailleurs agricoles ordinaires reçoivent parfois aussi
du propriétaire une parcelle de terre dont ils paient l'usufruit
en fournissant une partie de la récolte.
Mentionnons enfin une catégorie particulière de travailleurs
agricoles typique de certaines régions de la Sierra, spécialement dans les provinces de Pichincha et d'Imbabura, les
yanaperos. L'article 246 du Code du travail définit le yanapero
comme un travailleur qui « s'engage à travailler un nombre
fixé de jours par semaine ou par mois dans le domaine, en
compensation de certains avantages qu'il reçoit du propriétaire ». Ces avantages peuvent être des droits de pâturage
dans une parcelle éloignée et élevée du domaine ou le droit
d'utiliser l'eau et le bois de la hacienda pour son usage domestique. En règle générale, le yanapero est un Indien appartenant
à une communauté dont la parcelle est trop petite pour lui
permettre de le faire subsister, lui et sa famille, ou un métayer
dont le contrat ne comprend pas ces avantages. D'après une
autorité équatorienne, l'institution de la yanapa, comme celle
du huasipungo est « un vestige du système néfaste des services
personnels qui a pris naissance pendant la période coloniale * ».
Guatemala
Au Guatemala, le terme colonato est utilisé pour désigner
un certain nombre de régimes d'occupation de la terre qui
comprennent le métayage. D'après les renseignements fournis
par l'Institut national des affaires indigènes, trois systèmes
sont d'application courante. D'après le premier, le fermier
indien cultive une parcelle de terre à condition de donner au
propriétaire la moitié ou le tiers de la récolte, suivant qu'il
fournit seulement son travail, ou son travail, les semences et
les outils. D'après le deuxième système, l'Indien paie pour
sa parcelle un loyer s'élevant parfois jusqu'à une livre de
maïs par mètre carré. D'après le troisième système, l'Indien loue
1
César CISNEROS CISNBKOS : Demografia y estadística sobre el indio ecuatoriano,
op. cit., p. 87.
LE PROBLÈME DE LA TERRE
393
sa terre pour une année ou une campagne annuelle, et paie,
selon l'abondance des récoltes, de 7 à 10 quetzals par manzana.
Cependant, ce dernier système est peu fréquent et ne se rencontre qu'aux abords de la capitale du pays 1. D'après une
autre source, il semble que, dans quelques régions, le système
le plus largement appliqué soit celui du pegujal, selon lequel le
fermier indien travaille dans le domaine du propriétaire une
semaine par mois ou trois mois par an, selon les exigences du
propriétaire, généralement en échange d'un salaire de 0,05 à
0,5 quetzal par jour ou par tâche. Le pegujal est défini comme
« une parcelle de terre que le travailleur agricole permanent a
le droit de cultiver, à la fois pour le fixer dans le domaine et
pour lui permettre de compléter son salaire... il s'agit de la
survivance d'une institution féodale, d'un vestige d'anciennes
formes de servitude 2 ». Les informations de source officielle
attestent que les différentes modalités d'occupation de la terre
coexistent continuellement, ce qui a donné naissance à de
nombreuses combinaisons possibles de fermage, de métayage,
de colonage et de communautés.
Une autre étude signale que dans les départements d'Alta
et de Baja Verapaz, le fermier indien (mozo) paie son loyer avec
la moitié ou les deux tiers de la récolte et s'engage en même
temps à « travailler sans salaire, ou pour quelques centavos
par jour, pendant 150 jours par an 3 ».
On a estimé le revenu individuel du paysan guatémalien à
environ 70 quetzals par année, alors qu'il s'établit à 246
quetzals pour le reste de la population 4. Les salaires ne dépassent pas une moyenne de 0,35 quetzal par jour et sont complétés
en nature (maïs, haricots, riz).
Mexique
A cause du développement du système ejido dans diverses
régions indiennes, l'institution du colonage est moins fréquente
1
Communication adressée au B.I.T., en janvier 1950. D'après une autre source.
dans quelques régions, le taux du fermage peut s'élever à 50 pour cent de la récolte,
Dans d'autres, il représente la moitié du nombre de journées de travail de l'Indien,
indépendamment de la superficie de la parcelle qu'il occupe ; voir Crédito supervisado para Guatemala, op. cit., p. 36.
2
Ibid.
3
Héctor A. GUERRA : El problema de la alfabetización de Guatemala, op. cit.,
pp. 11-12.
4
John H. ADLER, Eugene R. SCHLESINGER et Ernest C. OLSON (en collaboration
avec le département de recherche de la Banque du Guatemala) : Public Finance
and Economie Development in Guatemala (Stanford, Californie, Stanford University
Press, 1952), p. 25.
394
LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE
au Mexique que dans d'autres pays de l'Amérique latine.
Cependant, le système consistant à fixer (acasillar) le travailleur dans un village du domaine semble offrir une certaine
similitude avec celui du colonato dans d'autres pays.
Les habitants des villages compris dans les haciendas ne possèdent
pas de terre, et dépendent par conséquent entièrement, pour leurs
moyens de subsistance, du domaine auquel ils sont attachés, qu'ils
soient salariés ou métayers de catégories
diverses ou que leur situation combine les systèmes à la fois 1.
Il n'a pas été possible de se procurer des détails sur les
caractéristiques de ce système ni sur les régions dans lesquelles
il est appliqué.
Pérou
Au Pérou, les deux genres principaux de fermage indien
sont ceux du colonato et du yanaconaje 2. Le premier est très
semblable à celui qui a été décrit pour la Bolivie. M. Francisco
Ponce de León, membre péruvien de la Commission d'experts
pour le travail des aborigènes, a décrit les différences entre ce
système et celui du fermage de la manière suivante 3 : Dans le
cas du fermage, le contrat est signé pour une période précise et
découle d'un accord entre deux parties traitant sur un pied
d'égalité. Dans le cas du colonato, le contrat est valable pour
une période indéfinie et résulte très fréquemment d'une
situation de fait dans laquelle un accord préalable n'a joué
aucun rôle. L'Indien est né dans le domaine et il est obligé
d'accepter les conditions établies dans le passé par la coutume
et la tradition. Parmi ces conditions, figure l'obligation pour
le colon :
... de travailler un certain nombre de jours par mois dans le
domaine, d'ensemencer une superficie donnée avec ses propres
semences et de rentrer la récolte du propriétaire ; de remettre à
celui-ci une quantité donnée de sa propre récolte ; de rendre des
services personnels dans la maison du propriétaire, que ce soit dans
le domaine ou en ville ; et d'autres encore qu'il serait trop long
d'énumérer. L'Indien doit remplir ces obligations avec résignation,
parce qu'une dure expérience lui a appris que le propriétaire dispose
de moyens rapides pour le forcer à effectuer ces travaux en cas de
résistance ou de négligence 4.
1
Eyler N . SIMPSON : The Ejido, Mexico's Way Out, op. cit., p . 35.
Le premier prédomine dans la région montagneuse, le second dans la région
côtière.
3
Francisco PONCE D E L E Ó N : Al servicio de los aborigénes peruanos, op. cit.,
pp. 69-71.
4
Ibid., p. 69.
2
LE PROBLÈME DE LA TEERE
395
Le m ê m e a u t e u r décrit en ces termes la différence entre le
fermage et le colonato :
Le fermage avec loyer est un simple contrat par lequel l'une des
parties cède l'exploitation de la terre pour un prix fixé à l'autre
partie, alors que le colonato est un double contrat de location par
lequel le fermier est locataire de la terre et, en même temps, bailleur
de ses propres services.
E n règle générale, à cause de la précaire situation économique e t sociale de l'Indien, a u c u n litige entre celui-ci et le
propriétaire ne risque de s'élever :
Pratiquement, le colono reste en dehors de la protection de la loi,
dont les dispositions, bien que visant à le protéger, restent lettre
morte. Tout litige ou désaccord entre les deux parties est réglé
par la volonté de l'une des deux : le propriétaire 1 .
Le système d u yanaconaje 2, combinaison d u m é t a y a g e e t
du colonato, présente aussi quelques caractéristiques d u
fermage simple. Dans u n e communication a u B.I.T. d u mois d e
mai 1950, M. Manuel Sánchez Palacios, ancien m e m b r e péruvien de la Commission d'experts pour le travail des aborigènes,
décrit ce système de la manière suivante :
Le yanacona est un travailleur qui accomplit deux contrats en
même temps : l'un par lequel il travaille dans le domaine comme
travailleur fixe, l'autre par lequel il reçoit une parcelle de terre à
cultiver pour son propre compte, ce qui donne à l'arrangement son
caractère de stabilité. Si le second est un contrat de fermage, le loyer
peut être payé en espèces, mais généralement il est payé en produits
spécifiés et en quantités fixées par l'employeur. Lorsque le second
contrat est un contrat de métayage, le travailleur s'appelle, suivant
les différentes régions du pays : partidario, socio, compañero, etc. 3.
D a n s u n article spécialement consacré à ce sujet, le m ê m e
a u t e u r précise la différence qui existe entre le m é t a y a g e et le
yanaconaje : les deux systèmes o n t ceci de c o m m u n que le
propriétaire fournit la terre, les semences et les outils et l'Indien
seulement son propre travail, mais dans le premier, si la récolte
est mauvaise, le propriétaire et le fermier subissent u n e p e r t e
égale, alors que dans le dernier, le seul p e r d a n t est l'Indien,
puisque le propriétaire reçoit u n loyer fixe qui n e dépend p a s
des vicissitudes de la production. Le m ê m e a u t e u r ajoute que
le yanaconaje diffère d u fermage en ce que, selon ce dernier
système, l'Indien n'assume pas envers le propriétaire d ' a u t r e
1
Francisco PONCE DE L E Ó N : Al servicio de los aborígenes peruanos, op. cit.
pp. 70-71.
2
Ce terme date de la période coloniale. U n yanacón ou yanacona était un Indien
appartenant à une communauté et qui, ayant perdu sa terre, devenait serf dans un
grand domaine, travaillant contre une rémunération en espèces ou en nature, ou
contre le droit d'exploiter une parcelle de terre.
3
Communication de M. Manuel SÁNCHEZ PALACIOS, mai 1950.
396
LB TBAVAILLEUB, ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE
obligation que celle de payer son loyer en espèces aux époques
convenues, alors que s'il est yanacona, il doit souvent payer
pour pouvoir exploiter sa terre et pour la fourniture de semences
et d'outils en donnant une partie de sa récolte ou en travaillant
dans le domaine du propriétaire 1.
En pratique, la différence entre yanaconaje et colonato reste
très vague dans quelques régions. D'après une définition
donnée récemment par Ponce de León, dans la région de Cuzco,
« le yanacona est un travailleur agricole qui paie le loyer de sa
parcelle de terre en accomplissant un travail agricole un certain
nombre de jours par semaine dans la hacienda 2 ».
A part le fermage proprement dit, rarement pratiqué dans
les régions indiennes, il semble exister, dans différentes parties
de la Sierra, plusieurs autres régimes d'occupation de la terre
parmi lesquels on peut citer les suivants : a) loyer payé en
travail ; b) loyer payé en produits, et pouvant représenter
jusqu'à 50 pour cent de la récolte ; c) le fermage mixte. Dans
le premier cas, le loyer peut être payé sous la forme d'un nombre
spécifié de jours de travail non rémunéré, ou sous la forme
d'une quantité spécifiée de travail rémunéré à un taux annuel
fondé soit sur le salaire journalier courant, soit sur un chiffre
convenu à l'avance. Dans le deuxième cas, la proportion de la
récolte qui constitue le loyer n'est pas convenue à l'avance,
mais dépend de la valeur de la production 3 . Dans les deux cas,
cependant, le fermier doit souvent rendre des services personnels dans le domaine ou dans la maison du propriétaire pour
un salaire peu élevé, voire sans aucune rémunération 4.
Pour illustrer le «fermage mixte» (espèces, travail et nature),
on peut citer le système appliqué dans quelques régions :
chaque fermier occupe une parcelle de terre (mañay) dont il
paye le loyer : a) en fournissant une certaine quantité de bois
à brûler au propriétaire, b) en livrant une certaine quantité de
laine, c) en payant une certaine somme en espèces, d) en
cultivant des pommes de terre pour le propriétaire, et e) en
faisant office de berger et de serviteur pendant un nombre
fixé de semaines par année 5.
1
Manuel SÁNCHEZ PALACIOS : « Desaparición legal del yanaconaje en el Perú »,
Revista de Derecho y Ciencias Politicas (Lima, 1948), XII m e année, n° 1, pp. 45-52.
2
Francisco PONCE DE LEÓN : « Bosquejo del problema de la propiedad de la
tierra en el Perú », op. cit., p. 166.
3
IDEM : Al servicio de los aborígenes peruanos, op. cit., pp. 31-44 ; voir aussi
Atilio SrvmiCHi : Derecho indígena peruano, op. cit., pp. 273-282.
4
Francisco PONCE DE LEÓN : Al servicio de los aborígenes peruanos, op. cit., p. 40.
5
Ibid., p. 43.
LE PROBLÈME DE LA TERRE
397
D'après des renseignements donnés dans le rapport de la
Commission d'étude des Nations Unies sur la feuille de coca,
dans diverses régions du haut plateau des Andes, lorsque le
loyer se paie en travail, le fermier doit réserver de 8 à 12 jours
de travail par mois au propriétaire. En règle générale, chaque
journée de travail est censée représenter cinq sols, dont 4
à 4,50 sont considérés comme destinés au paiement du loyer.
Si le fermier ne peut se présenter au travail, il doit envoyer
à sa place et à son compte un remplaçant (allegado). Fréquemment, le fermier doit, à titre d'obligation contractuelle, fournir
au propriétaire le nombre d'ouvriers dont celui-ci a besoin
pour son entreprise 1 .
L ' É V O L U T I O N ÉCONOMIQUE D E S COMMUNAUTÉS
E T L E R É G I M E AGRAIRE E N
ABORIGÈNES
GÉNÉRAL
Il est évident que dans la plupart des pays intéressés,
et surtout dans ceux de l'Amérique latine, les ressources de
terre disponibles pour la population aborigène ne suffisent pas
à lui fournir un niveau de vie qui puisse être comparé à celui
dont jouissent d'autres groupes de la population dans le même
pays. Comme la plus grande partie des communautés aborigènes pratiquent une économie de subsistance ou produisent
pour un marché local plutôt que pour le marché national ou
international, il y a peu de chances dans les conditions actuelles
qu'elles participent au commerce mondial qui lui permettrait
d'augmenter le montant ou la mobilité de leurs capitaux.
S'il se produit un excédent de capital, la communauté ne
se préoccupe guère, en général, de le consacrer à l'achat des
instruments de travail grâce auxquels elle pourrait accroître
sa productivité. De toute évidence, pour qu'une collectivité
épargne, il faut qu'elle ait confiance dans son avenir. Elle doit
se débarrasser du fardeau de l'endettement passé, conséquence
de la pauvreté et de l'exploitation. Elle doit vouloir et pouvoir
offrir des garanties pour les prêts et faire de ceux-ci un usage
productif ; ceci implique l'existence d'un marché qui puisse
absorber les biens ou services que les membres peuvent fournir,
et la possibilité d'avoir recours à des organismes qui puissent,
par leurs conseils techniques, indiquer comment les ressources
devraient être utilisées et quels biens et services devraient être
produits.
1
Rapport de la Commission d'étude sur la feuille de coca, op. cit., p . 81.
398
LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE
Dans certaines régions, une redistribution des terres peut
donc être une condition préalable à toute restauration véritable des communautés aborigènes. Il faut cependant reconnaître que, dans certains districts surpeuplés (particulièrement
sur le haut plateau des Andes), une telle redistribution ne
semble pas possible et qu'il faut chercher la solution de ce problème dans l'installation de la population aborigène excédentaire dans d'autres régions où la densité est plus basse. Il
semble douteux qu'on puisse réaliser ce transfert dans un avenir
proche sans une aide technique et financière internationale 1 .
Les obstacles importants qui s'opposent à un programme de ce
genre sont notamment l'insalubrité des régions disponibles
et l'insuffisance — sinon l'absence complète — des moyens
de transport indispensables, qui permettraient en outre, après
le transfert, de maintenir les marchés locaux. De plus, la
connaissance restreinte qu'ont les aborigènes des techniques
agricoles modernes limite beaucoup les possibilités de rétablissement, même lorsque les obstacles mentionnés ci-dessus
n'existent pas. Tout plan de ce genre exige des mesures pour
assurer la formation professionnelle des travailleurs et l'équipement technique qui permettrait de tirer tout le parti possible
d'un sol, d'une végétation et d'un climat nouveaux, ces conditions physiques pouvant elles aussi, si on ne les modifie pas,
constituer un obstacle sérieux au développement économique.
Il faut souligner également que le succès de tout programme de développement agricole dépendra de l'appui et de
l'enthousiasme qu'il suscitera parmi la population aborigène
elle-même, laquelle, dans la plupart des cas, témoigne d'un
attachement culturel et religieux profond pour ses habitats
traditionnels. Dans le cas des comunidades dans lesquelles
l'exploitation collective des ressources matérielles et humaines
a été conservée, cet appui sera plus facilement acquis si la colonisation, au lieu d'être laissée à l'initiative individuelle, respecte
l'organisation des aborigènes en unités sociales de travail.
Malgré les mesures constitutionnelles et les diverses dispositions administratives et législatives adoptées par les gouvernements pour protéger et renforcer le système des comunidades
1
II faut aussi se garder de perdre de vue l'aspect culturel de toute tentative
visant à ré-établir les aborigènes ou à les amener à modifier leur mode de vie, fût-ce
même en vue d'agir sur leurs activités productives. L'aide aux populations indigènes,
leur incorporation effective à l'économie nationale doivent rester subordonnées à
leur culture et à leurs besoins et non pas uniquement être conditionnées par des
questions de main-d'œuvre ou par le désir de trouver des débouchés pour les produits aborigènes dans des conditions qui, à la longue, peuvent être préjudiciables
à ceux-là mêmes auxquels il s'agit de venir en aide.
LE PROBLÈME DE LA TEERE
399
aborigènes, nombre de celles-ci semblent incapables d'échapper
au danger d'un affaiblissement progressif de leur structure,
pour ne pas dire d'une désintégration totale. D'après différents
auteurs, ce danger est dû à un certain nombre de facteurs,
parmi lesquels on peut mentionner les suivants : a) l'augmentation naturelle de la population des comunidades et le morcellement des petites parcelles individuelles qui obligent de
nombreux Indiens à chercher d'autres moyens de subsistance
dans les plantations, les mines, les travaux publics, etc. ;
b) la pénurie d'eau, le manque de crédit, de ressources techniques, de marchés, de moyens de communication, etc. ;
c) une tendance, chez les autorités municipales des pays où
les comunidades sont exemptes d'impôt rural sur la propriété,
à demander la permission au gouvernement de morceler les
terres collectives afin d'augmenter le revenu des impôts ;
d) la pratique répandue chez les membres des comunidades
de certaines régions, bien qu'interdite par la loi, qui consiste
à vendre leur parcelle individuelle à des personnes n'appartenant pas à la communauté, ces ventes étant plus tard légalisées ;
e) dans quelques régions, l'apparition, dans la comunidad
elle-même, de l'esprit de propriété individuelle, qui aboutit au
morcellement de la terre collective ou à l'acquisition d'une
forte proportion de celle-ci par un petit nombre de membres
qui deviennent ainsi à leur tour de petits propriétaires.
Depuis une vingtaine d'années, la thèse selon laquelle le
meilleur moyen d'aider à la restauration économique des
communautés aborigènes est d'en faire des unités coopératives
modernes jouit d'une faveur croissante. Tel a été le point de
vue adopté en 1940 par le premier Congrès interaméricain
des questions indigènes, qui a voté une résolution recommandant aux Etats américains intéressés « d'élaborer la législation
nécessaire pour organiser les comunidades en coopératives
d'agriculture ou d'élevage, ou en sociétés agricoles qui, sous
le contrôle technique de l'Etat, s'intégreraient dans l'économie
générale du pays x ». Comme on le verra au chapitre XII, cette
opinion a également reçu l'appui de la mission commune
d'assistance technique aux populations aborigènes qui, en 1952,
s'est rendue sur le haut plateau des Andes, afin d'élaborer
avec les gouvernements de Bolivie, de l'Equateur et du Pérou
un programme d'action pour ces populations.
1
Final Act of the First Inter-American Indian Congress... Patzcuaro, Mexico
(Washington, Panamerican Union, 1941).
400
LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE
Auparavant, la même idée avait déjà inspiré le statut légal
des communautés rurales promulgué par le gouvernement
de l'Equateur, dont une des dispositions prévoit que « les autorités publiques prendront les mesures nécessaires pour transformer les comunidades en coopératives de production 1 ». Il
faut remarquer cependant qu'à de rares exceptions près 2,
et malgré les efforts accomplis en ce sens, l'organisation de
coopératives n'a pas encore fait beaucoup de progrès dans les
comunidades aborigènes de l'Amérique latine. Par exemple,
sur les soixante coopératives qui existaient en Equateur
en 1947, aucune n'était composée d'Indiens à proprement
parler.
Il semble bien que la raison principale de cet état de choses,
quelque peu paradoxal, réside dans le fait que la plupart du
temps, lors des essais qui ont été tentés, les pouvoirs publics
n'ont pas accordé suffisamment d'attention à la nécessité
d'adapter les méthodes coopératives modernes aux conditions
économiques et culturelles particulières des organisations
collectives indiennes.
Déterminer quelles catégories de communautés aborigènes
seront plus aptes à améliorer les revenus de leurs membres
par des méthodes coopératives de production pose un problème
délicat qui mérite un examen approfondi. Dans une certaine
mesure, la solution pourrait en être trouvée dans la nature
de la production agricole telle qu'elle est déterminée par la
qualité et la quantité des terres disponibles. En règle générale,
les communautés de pasteurs semblent mieux se prêter à
l'adoption des méthodes coopératives d'utilisation de la terre
et de la main-d'œuvre que les communautés disposant de terres
arables de bonne qualité.
L'expérience semble montrer que le développement d'une
communauté aborigène se fait plus rapidement là où des
forces extérieures au groupe obligent ses membres à s'intégrer
dans une économie de marché. Parmi ces forces, on peut citer les
suivantes, qui sont importantes : le relèvement du niveau de la
production nationale, le développement des moyens de formation professionnelle agricole, l'amélioration des conditions
d'hygiène, et l'accroissement de la demande de main-d'œuvre.
1
Código del Trabajo, sus reformas y jurisprudencia, op. cit., p. 306; voir également
UNIÓN PANAMERICANA, División de Asuntos Sociales y de Trabajo : El cooperativismo y el problema indigena. Ensayos sobre el Ecuador y Perú (Washington, 1951).
2
L'une de celles-ci étant constituée par l'organisation de coopératives d'élevage
du mouton dans quelques régions du haut plateau par le gouvernement péruvien.
MÉTHODES DE CULTURE ET CRÉDIT
401
A cet égard, le problème des terres aborigènes n'est qu'un aspect
du problème plus vaste du développement économique de
chacun des pays. Il faut souligner cependant qu'une condition
fondamentale du succès de ce développement plus vaste est
l'élimination de certaines formes semi-féodales d'occupation des
terres et d'affermage qui, dans la plupart des régions habitées
par les aborigènes, constituent l'obstacle principal au progrès
économique et social.
Méthodes de culture et crédit
TECHNIQUES AGRICOLES
Il est généralement difficile et souvent vain de discuter
des techniques agricoles. Les techniques sont liées dans chaque
propriété à la superficie des terres disponibles, à leur répartition
en parcelles, aux précipitations et à l'irrigation, au capital et
à la main-d'œuvre utilisés, aux prix, aux coûts de la production et à l'étendue du marché, pour ne mentionner que quelques
facteurs. Il reste vrai néanmoins qu'il existe une relation
particulièrement étroite entre les techniques agricoles et les
ressources de terres disponibles pour la culture et que, d'une
manière générale, les techniques agricoles utilisées dans une
communauté rurale sont inséparables de certaines phases bien
déterminées du développement économique.
Ce rapport entre les terres disponibles et les techniques —
de même que les effets de l'évolution d'un de ces éléments sur
l'autre — est loin d'être simple. Par exemple, dans différentes
régions d'Amérique latine, l'épuisement des terres a fait de
certaines tribus sédentaires des nomades. Dans d'autres, particulièrement dans la région du haut plateau des Andes, ce même
phénomène a profondément bouleversé un système compliqué
d'irrigation. Par contre, chez les Maoris de Nouvelle-Zélande,
l'épuisement du sol n'a pas empêché l'adoption progressive de
techniques agricoles modernes. Sur le haut plateau de l'Amérique du Sud, il existe des zones utilisées pour la culture qui,
ailleurs, parce qu'elles sont très en pente, que leur sol est pierreux et qu'elles sont exposées au vent et à la gelée, seraient probablement utilisées uniquement comme pâturages ou même
laissées en friche. Le soin et le travail consacrés à bâtir des
terrasses sur ces surfaces rocailleuses attestent non seulement
la survivance de techniques primitives, mais également l'in-
402
LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE
fluence d'une main-d'œuvre à bon marché et du manque de
capitaux à investir dans l'application de techniques agricoles.
D'autres considérations entrent en ligne de compte dans
le perfectionnement de l'agriculture. Dans les régions élevées
de l'Amérique latine, particulièrement sur le haut plateau des
Andes, le système d'occupation de la terre décrit plus haut a
empêché la mécanisation de l'agriculture dans les grands
domaines. Pour l'Equateur, par exemple, on a pu dire que,
selon toute probabilité :
... la principale raison pour laquelle les machines ne sont pas
utilisées est que les haciendas sont organisées en fonction d'une
main-d'œuvre à bon marché et relativement stable. Pouvant faire
paître ses bœufs toute l'année à peu de frais et disposant de bouviers
qu'il peut payer un sucre par jour, l'exploitant moyen n'est guère
tenté de mécaniser ses méthodes de culture1.
De même, au Guatemala, on a noté que, dans les grands
domaines agricoles, les machines sont « une curiosité » à cause
« de la main-d'œuvre à bon marché provenant de la tierra
fría » (terre froide), et que, sans cette main-d'œuvre, « l'économie agricole commerciale actuelle du pays s'effondrerait 2 ».
On a fait remarquer que dans la région de Cobán (département
d'Alta Verapaz), les plantations de caféiers peuvent soutenir
la concurrence de celles de la côte du Pacifique grâce à la maind'œuvre indienne à bon marché, et pourtant la moins grande
fertilité du sol et le prix plus élevé des transports exigent
environ deux à trois fois plus de journées-homme pour produire
et distribuer le café 3.
En ce qui concerne les comunidades aborigènes, dans la
plupart des cas, les techniques agricoles restent aussi primitives
qu'elles l'étaient à l'époque coloniale. Dans un certain nombre
d'entre elles, l'utilisation de la roue est encore inconnue.
En Bolivie, la culture se fait à la main ou avec une charrue
de bois à pointe de métal tirée par des bœufs de petite taille.
Cet outil ne pénètre pas profondément dans le sol et n'arrache
même pas toutes les herbes. L'introduction de la charrue de
métal se heurte à une certaine opposition parce qu'elle est trop
lourde à tirer pour les animaux utilisés.
Les petites céréales sont moissonnées à la faucille, battues par
des bœufs qui foulent le grain, et vannées au van. Les pommes
1
Indiana of the High Andes, op. cit., p . 182 ; cf. aussi : Aníbal BUITRÓN : « Vida y
pasión del campesino ecuatoriano », op. cit., p. 116.
2
E . C. H I O B E B : « The Principal Agricultural Regions of Guatemala », The
Geographical Review, avril 1947, p. 181.
3
D'après une étude publiée en 1949, le salaire dans quelques domaines n'était quo
de 0,10 quetzal par jour. (Cf. Leo A. SUSLOW, op. cit., p. 66.)
MÉTHODES D E CULTURE ET CRÉDIT
403
de terre sont plantées et récoltées à l'aide d'une houe courte, à pointe
de métal et au manche d'environ 50 cm. de1 long. Ces opérations
exigent une grande quantité de main-d'œuvre .
Les Indiens aymarás de la région du lac Titicaca utilisent
encore pour la culture des pommes de terre la UuTcana, « morceau de bois recourbé en angle aigu dont le bras le plus court
porte, attaché à la façon d'une bêche, une lame plate », Vuisu,
sorte de bêche consistant en un morceau de bois dur aiguisé
et durci au feu « avec d'un côté un poussoir pour le pied,
attaché à la hampe par une lanière de peau », et la taMa,
charrue de bois dont la lame est fréquemment garnie d'une
dent de fer ou de métal comme celle de la Hulearía. L'Aymara
ignore pratiquement tout du labourage suivant les courbes
de niveau, de sorte que le sol finit par être entraîné par les
eaux de ruissellement. Il laboure ses sillons du haut en bas
des collines les plus raides, ce qui « appauvrit encore plus le
sol déjà stérile et pierreux du haut plateau » 2 .
Fréquemment, les semences utilisées sont dégénérées et ne
conviennent pas au milieu, en sorte que les maladies agricoles
détruisent une forte proportion de la récolte. En règle générale, le paysan aborigène ignore tout de l'irrigation. L'utilisation des engrais modernes lui est totalement inconnue.
Très souvent, le sol n'est traité qu'avec du fumier de lama ou
de cheval 3 , et encore l'utilisation de fumier animal est-elle
restreinte : la rareté du bois sur l'Altipiano oblige l'Indien à
utiliser tous les combustibles de remplacement pour faire la
cuisine.
Dans la Sierra de l'Equateur, un outillage primitif, la
rotation peu fréquente des cultures et le manque de moyens
d'irrigation font que le rendement du sol est beaucoup plus bas
dans les communautés indiennes que sur la côte. Dans quelques
provinces, le problème de l'érosion aurait pris des proportions
alarmantes 4 .
Dans les hautes terres centrales du Guatemala, les outils
sont rudimentaires, les semences de mauvaise qualité et l'utilisation des fertilisants et des insecticides pratiquement inconnue.
Le feu est presque le seul moyen utilisé par les Indiens pour
arracher les arbres et les buissons, pour détruire les insectes et les
1
H. G. DION : Agriculture in the Altiplano of Bolivia, op. cit., p. 28.
Weston LA BARBE : The Aymara Indians of the Lake Titicaca Plateau, Bolivia,
op. cit., pp. 80-81. Pour une description exacte de la takla, cf. aussi Rafael REYEROS :
Gaquiaviri (La Paz, 1946), pp. 227-228.
3
Weston LA BARRE, op. cit., pp. 85-86.
2
4
David G. BASILE et Humberto PAREDES, loe. cit.
404
LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE
mauvaises herbes. Le sol est alors ameubli et cultivé avec des houes,
des machettes et des bâtons pointus. Il est d'ailleurs facilement
entraîné par de fortes chutes de pluie... La région est très sérieusement déboisée et érodée et la terre fertile y devient assez rare 1.
D'après une étude déjà citée de l'Institut national des
affaires indigènes, sur trente-sept municipalités rurales étudiées,
dix n'utilisaient pas la charrue et dans dix-neuf autres elle
n'était utilisée que par une minorité de paysans 2.
Au Mexique, sauf dans les ejidos où a été introduite la
culture mécanisée, les outils utilisés par les Indiens sont aussi
très primitifs. Ainsi, d'après une étude récente sur la condition
des paysans aborigènes du Plateau tarasque, « la préparation
et la culture de la terre sont presque toujours effectuées au
moyen de l'ancienne charrue de bois (tareJcua) 3 ».
Sur les hauts plateaux du Pérou, d'après un rapport de la
Direction générale de la statistique, les techniques agricoles
sont « presque identiques à celles qu'utilisent les Indiens depuis
des temps immémoriaux i ». Le sol dur est préparé au moyen
du chauqui-tacla, charrue primitive tirée à la main et enfoncée
avec le pied et qui ne pénètre que de 15 à 20 cm dans le sol ;
pour sarcler, le racuana, hoyau à manche court et à petite
lame, est utilisé, et pour couper les branches, la faucille ordinaire est d'usage courant. La machette, la pioche et la pelle
sont aussi souvent utilisées 5 .
Certes, on peut citer un certain nombre d'exemples encourageants de l'introduction de techniques agricoles modernes
chez les aborigènes. Toutefois, il est admis en général qu'il
n'est pas suffisant de préparer l'aborigène à ces méthodes sans
lui fournir également les moyens économiques de les utiliser ;
ceci implique qu'il recevra non seulement l'équipement nécessaire, mais aussi une instruction appropriée. Par exemple,
en conséquence des migrations périodiques de travailleurs
agricoles du Plateau tarasque vers la région du sud-ouest des
Etats-Unis, l'Indien se montre plus favorable à l'adoption de
1
The Economie Development of Guatemala, op. cit., p. 25. Cf. également « La
economía regional de los indígenas de Guatemala », Boletín del Instituto Indigenista
Nacional (Guatemala), vol. II, juin-sept. 1947, p. 180.
2
Crédito supervisado para Guatemala, op. cit., p. 70.
3
Gonzalo AGTJTRRE BELTBÁN : Problemas de la población indígena de la cuenca del
Tepalcatepec, op. cit., p. 13.
1
« Población indígena económicamente activa según el censo de población y
ocupación del año 1940 », Boletín de Estadística Peruana (Dirección Nacional de
Estadística, Lima), neuvième année, n° 4, oct.-déc. 1948, p. 87.
5
Moisés SÁENZ : Sobre el indio peruano y su incorporación al medio nacional,
op. cit., pp. 120-121.
MÉTHODES DE CULTURE ET CRÉDIT
405
la charrue métallique, mais dans la grande majorité des cas,
les frais d'acquisition de cet outil moderne dépassent ses
moyens 1.
Dans les tribus sylvicoles qui pratiquent l'agriculture
nomade sur brûlis, les techniques sont encore naturellement
beaucoup plus primitives 2. Si l'on veut fixer ces nomades, il
faut non seulement vaincre la jungle elle-même, mais aussi
venir à bout des parasites et des maladies qu'ils transmettent
et trouver le moyen de sauvegarder la fertilité du sol tropical
une fois éliminée la végétation protectrice. A cet égard, aussi
bien qu'en ce qui concerne l'introduction d'outillage agricole
moderne, les résultats intéressants atteints par le Service de
la protection des Indiens du Brésil revêtent une grande importance 3.
CRÉDIT AGRICOLE
En économie agricole, on distingue d'ordinaire différents
genres de crédit : crédit à long terme pour l'achat de terres et
le financement de l'amélioration permanente des terres,
crédit à terme moyen pour l'achat d'équipement et de bétail,
etc., et crédit à court terme permettant de faire face aux dépenses courantes, jusqu'à ce que l'on puisse disposer de la
nouvelle récolte.
En règle générale, dans les régions habitées par les groupes
aborigènes, le crédit accordé est à court terme. La principale
raison semble être l'absence, dans ces régions, d'un marché
développé de biens fonciers. La terre possédée par les communautés aborigènes, morcelée en petites parcelles et grevée par
les litiges concernant les titres de propriété, a peu de valeur
en tant que garantie pour des prêts à long terme. Lorsque des
spéculateurs avancent de l'argent sur ces terres, c'est trop
souvent dans l'espoir de les saisir ou de placer le propriétaire
dans un état d'endettement permanent. En outre, dans les
communautés fondées sur l'agriculture de subsistance, il y a
peu de possibilités d'accumuler des fonds en vue du développement. D'autre part, dans une économie où le niveau de
production par tête et la longévité sont bas, les taux d'intérêt
sont élevés, autre facteur défavorable au crédit. Enfin, l'aborigène peut d'autant moins disposer de crédits utilisables qu'il
1
2
Gonzalo AGUIRRE BEI/TRAN, op. cit., p.
Voir chap. IX.
3
Voir chap, XI.
155.
406
LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE
participe plus activement à la vie de sa communauté, surtout
à cause de la générosité — on pourrait même dire de la prodigalité — dont il témoigne à l'occasion des fêtes et cérémonies
religieuses. Il ne fait pas de doute que les nécessités de la vie
sociale qui donnent son caractère à la communauté indigène
peuvent être une cause d'endettement.
Les types les plus courants de crédit à court terme dans les
communautés aborigènes sont l'ouverture d'un compte en
nature à l'économat, ou l'avance sur les salaires. Il faut y
ajouter la mise en gage des produits auprès de marchands
ou de bailleurs de fonds qui souvent s'adonnent exclusivement à ce genre d'activité. En fait, il s'agit là de contracter
une dette plutôt que d'obtenir du crédit. Le bailleur de
fonds songe rarement à être remboursé ou à accorder un prêt
viable.
Rares sont les pays pour lesquels des renseignements précis
soient disponibles en ce qui concerne les prêts accordés aux
paysans aborigènes.
Au Chili, l'Indien araucan doit souvent avoir recours aux
prêteurs, afin d'obtenir les avances en espèces ou en semences
dont il a besoin pour l'exploitation de sa parcelle. La récolte
est engagée en remboursement du prêt et «les taux d'intérêt
sont très élevés 1 ».
Le Tribunal des Indiens de Temuco a pris des dispositions
pour que la Caisse de crédit agricole ouvre ses portes aux petits
fermiers araucans et a entrepris lui-même de tenir un registre
spécial des crédits attribués. En 1940, le Congrès national
araucan a demandé au gouvernement d'établir une société
de développement qui permette de donner aux Indiens des
crédits agricoles à long terme à des taux d'intérêt peu élevés ;
il a également demandé qu'un représentant du Front uni
araucan fasse partie du conseil d'administration de la caisse
agricole en qualité de conseiller. La loi sur les coopératives
de petits exploitants agricoles est applicable aux Indiens des
« réductions », mais jusqu'à maintenant aucune coopérative
comprenant des Indiens de cette catégorie n'a encore été
constituée.
Au Guatemala, d'après un récent rapport de la Banque
internationale pour la reconstruction et le développement,
il n'existe pratiquement pas « de crédit agricole pour l'Indien ;
1
Alicia ELORRIETA FERRARI : El problema indigena en Chile, thèse soutenue
pour obtenir le grade de licencié de la faculté des sciences juridiques et sociales de
l'Université du Chili (Santiago du Chili, 1941), pp. 92-93.
MÉTHODES DE CULTORE ET CRÉDIT
407
lorsqu'il emprunte de l'argent, c'est pour des besoins de
consommation et sous forme d'une avance consentie par
l'agent recruteur de Vhacienda sur les sommes qu'il gagnera
pendant la cueillette du café 1 ».
En 1951, l'Institut de développement de la production a
publié les résultats d'une étude sur le crédit rural dans trentesept communes, faite avec l'aide de l'Institut national des
affaires indigènes 2.
Il ressort de cette étude que le crédit est la plupart du temps
donné simplement sous forme de petites avances pour des
périodes relativement courtes, et le bailleur de fonds demande
souvent un intérêt de 10 pour cent par mois 3. Dans quelques
districts, des prêts individuels beaucoup plus importants sont
alloués par les banques moyennant des garanties valables
à des taux modérés d'intérêt (de 4 à 6 pour cent par an).
La plus grande partie du crédit prend la forme d'avances
sur les salaires ou sur les récoltes. Dans le premier cas, le remboursement se fait en travail, conformément aux clauses du
contrat de travail ; dans le deuxième, il se fait, en espèces, en
livrant la récolte aux courtiers spécialisés ; l'intérêt demandé
peut alors atteindre 100 pour cent par mois 4.
La plupart des emprunteurs sont des salariés, de petits
propriétaires, des fermiers et des métayers. Dans le cas du
premier de ces groupes, les emprunts sont le plus fréquemment
faits auprès des agents de recrutement des domaines. On
signale que lorsque l'emprunteur est un travailleur migrant,
environ 30 pour cent du prêt est souvent affecté au paiement
du transport.
Dans de nombreuses communautés aborigènes, l'entraide
est traditionnelle entre petits propriétaires et colons, qui
s'accordent des prêts peu importants sans demander aucun
intérêt 5 .
Le tableau ci-après donne un aperçu de la situation telle
qu'elle se présente dans les communautés passées en revue
dans l'étude.
1
The Economie Development of Guatemala, op. cit., p. 26.
2
INSTITUTO INDIGENISTA NACIONAL : « Datos para el estudio de las modalidades
del crédito rural en Guatemala » (Guatemala, 1951) (non publié). Résumé dans
Crédito supervisado para Guatemala, op. cit., pp. 87-96.
3
Ceci est confirmé par un rapport communiqué au B.I.T. par l'Institut national
des affaires indigènes et relatif aux modalités du crédit dans diverses communautés
aborigènes dans les cinq départements de Momostenango, Solóla, Quetzaltenango,
Alta Verapaz et Chiquimula (1951).
4
Crédito supervisado para Guatemala, op. cit, p. 94.
5
Ibid., p. 93.
408
LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE
T A B L E A U X L I X . — GUATEMALA : S Y S T È M E S D E C R É D I T AGRICOLE
UTILISÉS DANS TRENTE-SEPT
Sources de crédit
Organisations collectives ou
familiales
Services de recrutement des
exploitations 1
Propriétaires
« Spéculateurs » 2
Bailleurs de fonds 3 . . . .
Magasins
Banques
Département de développement des coopératives .
Institut de développement
de la production . . . .
Négociants
en
produits
agricoles 4
Sous-entrepreneurs •* . . .
Total . . .
COMMUNES
Montant
moyen
des
prêts
RURALES
Intérêts
usuels
Durée
usuelle
du prêt
(en
jours)
Aucun
39
Nombre
d'emprunteurs
Montant
total des
prêts
5.504
48.820
9.522
2.929
1.940
2.078
115
8
47.2296
16.432e
29.217
79.539
3.996
5.400
3,68
2,55
7,76
14,30
13,35
675,00
Aucun
Aucun
46,31
8,2-10 > par mois
300
45.750
100,00
0,5 par mois
365
2
1.400
700,00
4 par an
303
57
680
2.066
33.150
17,00
37,50
12,7 par mois
60
25
23.135
412.999
(En quetzals)
2,50
24,4 J
6
par an
20
12
69
66
18
751
—
Source : INSTITUTO DE FOMENTO DE LA PRODUCCIÓN : Crédito agrícola supervisado para Guatemala, op. cit., pp. 90-95.
1
Engagent des travailleurs salariés et font des avances sur les travaux à accomplir.— 1 Acheteurs de produits agricoles pour leur propre compte ; avancent de l'argent, en échange
duquel
l'emprunteur livre sa récolte à des conditions convenues (remboursement en nature).— 8 Bailleurs
de fonds des5 villages ; demandent parfois des gages. — * Achètent les récoltes pour de tierces
personnes.— Avancent de l'argent sur des travaux à accomplir à la tâche.— " Avances remboursables sous forme de prestations de services.
Au Mexique, le problème du crédit a été résolu au moyen
de l'organisation des communautés du type ejido. Des dispositions ont été prises pour l'établissement, dans chaque ejido,
d'un « fonds commun », alimenté par les bénéfices provenant
de l'exploitation des ressources collectives (forêts et pâturages,
par exemple), par des cotisations individuelles perçues par
les autorités de Vejido en vue de travaux d'utilité publique, et
par des contrats de concession conclus avec des tiers pour
l'exploitation des ressources qui ne sont ni agricoles, ni pastorales, ni forestières. Le fonds est destiné à financer la mise en
valeur des terres, les travaux d'irrigation, la construction
d'écoles et de services d'utilité publique, l'acquisition de
machines agricoles, d'outils, de bétail et de semences. En
outre, la Banque nationale de crédit des ejidos fournit de l'argent
liquide pour aider à la production et à l'écoulement des produits, ainsi que des crédits à moyen terme pour l'achat de
machines agricoles et pour le financement des cultures permanentes. De plus, elle donne des conseils techniques aux ejidos
MÉTHODES DE CULTURE ET CRÉDIT
409
pour la sélection des semences, les méthodes de culture,
l'organisation coopérative et la mécanisation. De 1936 à 1947,
la banque a accordé des prêts s'élevant à 1.052 millions de
pesos. Au 31 décembre 1947, le montant total des prêts avait
atteint 929 millions de pesos, dont 783 millions avaient déjà
été remboursés 1 . Les sociétés locales de crédit des ejidos assument
ensemble la garantie des crédits obtenus. E n 1947, le nombre
de ces sociétés était de 6.359 et comptaient au total 480.661
membres.
En 1950, les opérations de la banque ont été effectuées
par l'intermédiaire de 35 agences, 212 bureaux locaux, 57 unions
de sociétés, 45 sociétés d'intérêt collectif agricole et 6.814
sociétés locales de crédit des ejidos, avec un effectif de 511.120
membres associés ; une population de 2.600.000 paysans a
bénéficié de ce réseau. Les prêts se sont élevés à 303.516.000
pesos, dont 228.628.000 ont été affectés aux cultures, 3.875.000
au défrichement, 21.968.000 aux travaux d'irrigation, 19.954.000
aux machines agricoles et 13.718.000 aux industries et à divers
autres usages, le reste allant aux frais d'administration 2.
Il faut remarquer cependant que dans diverses régions du
pays, les avantages de ce système de crédit n'ont pas encore
atteint un secteur important de la population agricole. Ainsi,
une étude récente effectuée par l'Institut national mexicain
des affaires indigènes révèle que dans un certain nombre de
districts du Plateau tarasque, l'absence de crédit officiel
place les petits propriétaires aborigènes à la merci des marchands locaux, dont les boutiques jouent le rôle « de petites
institutions bancaires ». Les prêts revêtent généralement la
forme de denrées alimentaires ou de fonds destinés aux'fiestas;
l'Indien engage à l'avance sa récolte ou le produit de ses forêts
à un prix bien inférieur à ce qu'il pourrait en obtenir à la saison
des moissons ou de la coupe du bois. Dans un.certain nombre
de districts, ces conditions ont provoqué la monopolisation
du commerce des céréales et du bois par quelques négociants 3.
Aux Etats-Unis, le gouvernement a activé la réalisation
du programme visant à fournir aux Indiens des réserves les
moyens financiers d'améliorer leur situation économique.
Les difficultés principales que suscite l'octroi de crédits par
1
Informe del Banco Nacional de Crédito Ejidal (Mexico, 8 déc. 1948).
2
Voir CONFERENCIA INTERAMERICANA D E SEGURIDAD SOCIAL, cuarta reunión :
« La extensión del seguro social al agro mexicano », op. cit., p p . 127-128.
3
Gonzalo AOUIRRE BELTRÁN : Problemas de la población indigena de la ctienca
del Tepalcatepec, op. cit., p . 228.
410
LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE
des organismes privés ou des personnes étrangères au Bureau
des Affaires indiennes proviennent de la condition économique
précaire des Indiens, du manque de garanties bancaires, de
l'ignorance dont les Indiens font preuve à l'égard des opérations
commerciales et d'un manque d'expérience de la part des
bailleurs de fonds privés dans leur relations avec les aborigènes.
Pour que les Indiens puissent avoir recours aux organismes
d'assistance aux anciens combattants et aux exploitants
agricoles sur un pied d'égalité avec les autres citoyens, la
législation qui les empêchait d'hypothéquer les terres qu'ils
occupaient en fidéicommis ou sous certaines conditions spéciales, a été révisée en 1951. Le Bureau des affaires indiennes
peut maintenant autoriser l'hypothèque lorsque le prêt accordé
par une entité habilitée à cet effet vise à financer une entreprise
productive du bénéficiaire, à fournir à celui-ci un logement
ou à lui permettre l'achat ou la mise en place d'installations
et d'équipement améliorés. L'hypothèque est interdite lorsqu'il
s'agit de bois en exploitation ou de pâturages, car la perte
complète de terres de ce genre en cas de saisie peut porter
préjudice à l'utilisation rationnelle des terres disponibles.
Le 30 juin 1952, le fonds de roulement de la Caisse officielle
d'avances remboursables aux Indiens était de 11.523.400
dollars, somme avec laquelle, en raison du caractère spécial
de cette caisse, des prêts représentant une valeur d'environ
21.585.000 dollars avaient été consentis. Outre les opérations
de crédit autorisées par la caisse susmentionnée, les Indiens
complètent les prêts qu'ils obtiennent au moyen de fonds
provenant des biens tribaux qui leur sont confiés. Le 30 juin
1952, ils avaient obtenu 8.537.444 dollars de prêts provenant
de ces sources. A la même date, des crédits s'élevant à environ
41 millions de dollars avaient été affectés au développement
des activités commerciales et industrielles chez les Indiens \
Dans certaines régions de l'Inde, les taux d'intérêt demandés
par les propriétaires et les prêteurs aux fermiers et aux métayers pour des avances en céréales et en semences sont d'environ 25 pour cent de la récolte et, en cas de défaut de paiement,
peuvent atteindre 50 pour cent. Dans certains districts des
provinces centrales, les « colons occupants » aborigènes ont
un droit inaliénable sur leur terre. Cependant, les taux d'intérêt
élevés demandés par les bailleurs de fonds les placent souvent
dans une situation d'« endettement perpétuel », en sorte qu'ils
1
Animal Report of the Secretary of the Interior... 1952, op. cit., pp. 414-416.
SERVICES PERSONNELS TRADITIONNELS
411
doivent remettre le produit de leur parcelle et devenir de
simples salariés. En 1936, les besoins des fermiers étaient si
importants qu'à l'occasion de l'enquête du Conseil de conciliation en matière de dettes « des centaines de débiteurs envoyèrent
des pétitions au Conseil, lui demandant de ne pas intervenir
dans leurs transactions, sinon ils ne pourraient plus obtenir
de crédit 1 ».
Ces dernières années, les gouvernements de différents Etats
ont tenté de mettre un terme à cette exploitation en créant
des institutions de crédit (golas) auprès desquelles les fermiers
aborigènes peuvent obtenir des prêts à des taux d'intérêt peu
élevés. Des crédits analogues sont également accordés pour
l'achat de bœufs ou pour l'amendement du sol ; ils peuvent être
remboursés par petits versements échelonnés.
En Nouvelle-Zélande, les fonds pour la mise en valeur
des terres maories sont fournis par le ministre des Terres, qui
administre un crédit spécial à cette fin. Le Bureau fiduciaire
maori peut fournir des fonds supplémentaires et avancer de
l'argent aux agriculteurs aborigènes, en prenant leurs terres
comme garantie ; il exerce une surveillance sur l'affectation
des fonds avancés et sur les méthodes de culture. Cet organisme
sert également d'agent fiduciaire pour environ 10.000 Maoris.
En 1948, le chiffre d'affaires du Bureau s'élevait à 2.300.000
livres, et les placements (dépôts, hypothèques et sommes
destinées aux bénéficiaires maoris) totalisaient plus de 3 millions de livres.
Les services personnels traditionnels
De nos jours encore, les aborigènes de diverses régions
d'Amérique latine et de l'Inde sont astreints à fournir des
services personnels. Certes, dans de nombreux cas, il ne s'agit
là que de la survivance d'usages et de coutumes qui datent
de temps immémoriaux ou de la déformation d'institutions
sociales indigènes comme celle du travail coopératif ; mais ces
services n'en sont pas moins très souvent imposés, que ce soit
par les autorités publiques et religieuses, par les propriétaires,
par les recruteurs et les sous-entrepreneurs ou encore par les
créanciers. Aussi, les travaux effectués à ce titre sont-ils
1
K. G. SrvASWAMY : « Serf Labour Among the Aboriginals », Indian Journal of
Social Work (Bombay, The Faculty of the Tata Institute of Social Sciences),
vol. VIII, n° 4, mars 1948, pp. 310-319. On verra plus loin comment le système de
crédit crée des conditions propices à la prestation obligatoire de services.
412
LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE
considérés par divers auteurs comme des formes de servitude ;
ils correspondent pour l'Indien à une condition d'infériorité
générale, imputable la plupart du temps à la résignation avec
laquelle il accepte son sort et aux trop longs délais qu'on a
laissé s'écouler avant de résoudre le problème de la terre et
d'établir une égalité économique et sociale réelle entre les
aborigènes et les autres citoyens.
AMÉRIQUE LATINE
Le terme générique « services personnels » sert à désigner
toute une série de tâches diverses, qui se rattachent ou non
au travail agricole et que, dans différentes régions de l'Amérique latine, le travailleur aborigène, indépendant ou non,
est appelé à accomplir au profit du propriétaire ou des autorités
locales, tant civiles que religieuses. Cette institution est un
héritage de l'époque coloniale 1, et, en dépit de la législation
prohibitive en vigueur 2, elle continue à subsister comme un
des éléments caractéristiques du régime semi-féodal de la terre.
Il n'a pas été possible de vérifier quels sont, parmi les services
personnels mentionnés ci-après, ceux qui étaient exigés à la date
de parution du présent rapport. Il ressort des sources d'information utilisées que, pour la plupart, ils sont encore de pratique courante, même si la législation les interdit et si les noms
qui les désignent sont tombés en désuétude.
Travaux accomplis au profit des autorités
publiques et religieuses
Nous mentionnerons en premier lieu les services que l'aborigène propriétaire de terres collectives doit fournir aux autorités
administratives, municipales ou judiciaires, ou au clergé des
localités de province. Ces prestations comportent divers travaux qui ont un double caractère administratif ou personnel.
Bolivie.
Rafael Eeyeros, ancien fonctionnaire supérieur des affaires
indigènes, qui s'est livré à une enquête sur les hauts plateaux
boliviens, a pu constater que :
1
Cf. J u a n COMAS : La realidad del trato dado a los indígenas de America entre los
siglos XV y XX (Mexico, Instituto Indigenista Interamericano, oct. 1951) ; D . J . D E
BARROSA Y MUÑOZ DB BUSTILLO : La colonización española en América. Estudio
histórico legal del servicio personal de los indios de las colonias españolas de América
durante los siglos XV al XIX (Madrid, 1925).
2
Voir chap. X I .
SERVICES PEESONNELS TRADITIONNELS
413
... les aborigènes des communautés sont tenus de se mettre à la
disposition des préfets, des prêtres et des juges, c'est-à-dire des
représentants du pouvoir politique, ecclésiastique et judiciaire du
district ou de la province. Ils doivent non seulement aider à l'accomplissement de tâches officielles afférentes à l'administration gouvernementale, à la pratique du culte et à l'administration de la justice,
mais aussi prêter aux représentants des autorités des services de
caractère personnel ; ils peuvent être chargés de transmettre les
ordres du pouvoir central, d'aller chercher des vivres, du bois et du
fumier, de balayer les églises, de sonner les cloches, d'aider à la
célébration de la messe en qualité de sacristain ou de chantre. Ils
peuvent aussi bien notifier un décret, exécuter des saisies et appréhender des délinquants que préparer le repas du juge, réparer la
toiture ou crépir les murs de son habitation,1 cultiver ses terres,
prendre soin de son bétail et de sa basse-cour .
D'après Beyeros, les administrateurs cantonaux (corregidores) et les sous-préfet sont coutume de désigner un ou plusieurs alcaldes indigènes qui remplissent certaines fonctions
policières et qui accomplissent également toutes sortes de
tâches domestiques exigées par les autorités. Il n'est pas rare
que l'épouse de Valcalde doive également s'occuper du ménage
du représentant de l'autorité. Le corregidor dispose souvent
d'un islero, qui, notamment, remplit les fonctions de portier
et cultive sa terre ; parfois, il dispose d'un cuisinier (pajsijaque), qui travaille pour lui pendant un mois, et d'un alguacil
qui doit s'occuper de la prison locale. Les autorités judiciaires
ont à leur service des regidores indigènes pour les travaux
domestiques. Le clergé local ne bénéficie pas moins de services
de ce genre : Virasiri est un administrateur temporel de l'église
locale, qui prête ses services pendant un mois, cependant que
le majordome assure les mêmes services pendant une année ; le
fuellero (souffleur) est tout particulièrement chargé de faire
fonctionner l'harmonium de l'église ; le tolero doit fournir le
combustible pour la cuisine paroissiale, tandis que la mitani
s'occupe de la cuisine ; Valférez joue le rôle d'amphitryon lors
de la fête religieuse annuelle, privilège qui n'exclut pas l'obligation de fournir de nombreux présents et de rendre des
services personnels. D'ailleurs, d'une manière générale, toutes
les charges mentionnées ci-dessus impliquent pour l'aborigène
qui doit s'en acquitter l'obligation de contribuer par des dons
en espèces et en nature au ménage des bénéficiaires.
Eeyeros donne la définition suivante de quelques-unes de
ces prestations. ISislero « est chargé des fonctions de concierge
de l'habitation... il soigne les volailles, leur fournit le grain et
1
Rafael REYEKOS : El pongueaje. La servidumbre personal de los indios bolivianos, op. cit., p . 118.
414
LE TRAVAILLEUR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE
l'eau, les conduit à la rivière, prépare leurs nids ». Le pajsijaque (de pajsi, mois, et jaque homme) « est le cuisinier du
corregidor ; il emmagasine le combustible et s'acquitte de
toutes les tâches qui incombent au pongo ou péon des grandes
propriétés agricoles 1 ». hHrasiri « reste en général un mois
au service du prêtre ou du corregidor et effectue divers travaux
domestiques ; il nettoie le logement et la basse-cour, fait
la cuisine, cultive les terres, s'occupe du ménage, parcourt
cinq, six ou vingt lieues pour porter une lettre ou acheter une
livre de sucre ; il est gardien, policier, alguazil ; il cultive les
terres du prêtre, répare le presbytère, etc. 2 . Le mayordomo
« est le dépositaire des clefs de l'église et fait l'inventaire
général des biens ecclésiastiques... il prend soin des nappesd'autel, des précieux joyaux des statues ; il doit aussi confectionner les hosties et conserver le vin de messe 3 ». L'álférez
« doit, les veilles de fêtes, porter au presbytère, du combustible,
des volailles et des agneaux pour le repas paroissial 4 ».
Weston La Barre voit dans Valferezado un système de services non rémunérés que l'Indien Aymara «est obligé de rendre
aux prêtres, aux maires, aux corregidores, aux voyageurs,
etc. ; ces services comportent toutes sortes de tâches, qui vont
du tissage aux travaux de cuisine effectués pour les Blancs 5 ».
Il faut ranger dans la même catégorie le postillonaje, qui
consistait, à l'origine, en l'obligation d'assurer le transport de
marchandises et du courrier et de guider les voyageurs. Selon
une étude déjà citée, « le système du postillonaje subsiste
encore dans les régions privées de chemin de fer ou de moyens
de transport motorisé 6 ». Le tableau des chemins et distances
de la Direction générale des postes faisait encore état, en 1951,
pour la région des hauts plateaux d'Oruro, d'un parcours
annuel de 104.728 kilomètres effectué par des courriers indigènes. Une loi du 30 novembre 1904 exemptait de ce service
les aborigènes propriétaires de terres indiennes d'origine,
c'est-à-dire ceux qui payaient l'impôt foncier rural. Depuis
1920, le postillonaje est devenu facultatif et doit être accompli
moyennant une rémunération fixe. Il a été supprimé par une
loi de 1936, mais, dans la pratique, de nombreuses administrations cantonales continuent de l'utiliser en raison de la pénurie,
1
Rafael R E Y E R O S : El pongueaje, op. cit., p p . 262 et 124.
2
I D E M : Caquiaviri, op. cit., p . 73.
IDEM : El pongueaje, op. cit., p. 121.
IDEM : Caquiaviri, op. cit., p . 78.
Weston L A B A R R E , op. cit., p . 38.
3
4
5
6
Rafael REYEROS : El pongueaje, op. cit., p . 115.
XXI
lèti
ir
De la hutte au logement moderne,
grâce aux Communautés pour
l'amélioration de la condition des
aborigènes au Mexique
(Dirección General de Asuntos Indígenas!
XXII
Un centre d'action
Les services sociaux dans les tribus d'Haïderabad
(Social Service Department, Hyderabad Government)
Formation professionnelle
SERVICES PERSONNELS TRADITIONNELS
415
voire de l'absence complète, de moyens modernes de communication.
Dans certaines régions du district de Potosí, le courrier est transporté à dos d'homme, comme au temps de Toledo 1. Dans ce même
district, les courriers font de nos jours divers trajets de plus de
90 kilomètres avec des bagages sui' les épaules entre le fameux bassin
minier de Uncia et Lagunillas, Morochata, Pocoata, Colquechaca,
et parcourent 50 kilomètres entre Uncia et la station historique de
Chayanta et Panacachi... ils vont généralement à pied, à la course
ou au trot, mais rarement au pas. On les reconnaît aisément en dehors
de leurs heures2 de service, à ce qu'ils ont les mollets très développés
et le dos voûté .
Il arrive parfois que, déjà astreint à des services de caractère administratif et domestique pour les autorités locales,
l'aborigène soit en outre appelé à travailler sans rémunération
à la création et à l'entretien des chemins et des routes
ou à la construction d'édifices publics ou religieux.
Dans le cadre des obligations qui leur incombent envers l'Etat,
[les aborigènes] doivent fournir cinq jours de travail par an pour les
travaux routiers, qui sont imposés à tous les hommes, à l'exception
des infirmes... Tous les travaux publics, tels que la construction des
routes, des ponts, etc., sont effectués au moyen du travail obligatoire
et non rémunéré des Indiens du voisinage *.
En réponse à un questionnaire envoyé par le Comité spécial
de l'esclavage des Nations Unies, le gouvernement de la Bolivie
a déclaré notamment en 1950 :
Les seuls services personnels dus en vertu de la loi sont le service
militaire et une prestation en nature pour l'entretien des chemins ;
cette prestation, qui consiste en trois jours de travail, peut être remplacée par le paiement d'une contribution de 40 pesos boliviens, montant inférieur au salaire moyen des travailleurs de l'industrie et des
mines 4.
Bien que la conscription s'applique en principe à tout le
monde, sans exception, il convient cependant de ne pas perdre
de vue que le caractère obligatoire du travail est en réalité
subordonné aux ressources matérielles de chaque individu.
Dans ces conditions, les indigènes constituent la réserve la
plus importante de main-d'œuvre gratuite pour ces travaux.
« Le Blanc et le métis s'acquittent de la contribution routière
en monnaie courante ; seul l'Indien la paie par son travail
personnel 5 ».
1
Allusion à Francisco de Toledo, vice-roi et organisateur de l'administration
espagnole du Haut-Pérou (1559-1581).
2
Rafael REYEROS : El pongueaje, op. cit., pp. 114-115.
3
Ibid., p. 148.
4
NATIONS UNIES, Conseil économique et social : Questionnaire sur l'esclavage
et la servitude, doc. E/AC.33/10/Add. 22, 8 sept. 1950, pp. 1-2.
5
Rafael REYEROS : Caquiaviri, op. cit., p. 226.
15
416
LE TBAVAILLETJR ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE
Colombie.
Dans diverses zones de la région du massif occidental, il
semble que l'aborigène soit tenu de rendre des services gratuits
au cabildo (conseil municipal indien) et à l'église. Ainsi, par
exemple, le directeur de l'Institut national des affaires indigènes constate :
Dans les resguardos de Pancitará, Ríoblanco, San Juan, etc. (Cauca),
la prestation non rémunérée de journées de travail à l'église et au
cabildo et la célébration des jours de fêtes absorbent environ 40 pour
cent des 276 jours ouvrables dont dispose tout citoyen colombien
pour assurer ses moyens d'existence. A cette importante perte de
travail, il faut ajouter la « contribution décimale », payée par l'Indien
au commerçant qui a acquis le droit de percevoir la dîme, et
les frais
qu'entraînent les jours de fêtes et les obligations religieuses 1.
J u a n Friede, quant à lui, estime que :
Aujourd'hui, comme il y a cent ans, les travaux effectués pour le
cabildo, c'est-à-dire les « corvées », ne sont pas rémunérés et sont
uniquement payés en coca...
A l'époque coloniale, le cabildo était chargé de verser les redevances royales et de les payer à Y encomendero 2 et au corregidor.
Depuis la Eépublique, le cabildo est élu au suffrage populaire pour
une durée d'un an par la masse des Indiens, et impose la « corvée ».
On appelle « corvée » (obligación) les jours de travail non rémunéré
que le cabildo impose chaque année aux Indiens de la réserve au
bénéfice de la collectivité... La corvée imposée par le cabildo varie
entre 15 et 25 jours par an, ce qui réduit encore les 256 jours de travail...
L'Eglise également bénéficie de la corvée. Elle peut ainsi faire construire et crépir le presbytère, faire réparer le sanctuaire, veiller à
l'entretien du moulin, faire semer et récolter le blé, nettoyer les
étables et assurer les soins
aux animaux avec lesquels les prêtres vont
collecter les aumônes a .
Equateur.
Dans la région de la Sierra, « les autorités locales contraignent souvent de nombreux Indiens à travailler sans
rémunération » 4 . Dans certains centres urbains de la Sierra
persiste la coutume d'exiger des aborigènes, sans rémunération,
qu'ils nettoient les rues et les places publiques quand ils
viennent au marché apporter leurs produits. De plus, on utilise
les services de l'aborigène pour la réparation des routes, des
églises, etc. s . Il est apparemment assez fréquent que des
1
Antonio GARCÍA : « Regímenes indígenas de salariado », op. cit., p p . 273-274.
li'encomendero était le détenteur d'une encomienda, privilège p a r lequel le roi
d'Espagne confiait à des Espagnols d'Amérique la protection d'un certain nombre
d'Indiens. Voir, plus haut, le passage sur le régime foncier au Pérou.
8
J u a n F R I E D E : El indio en lucha por la tierra, op. cit., p p . 19, 168, 171, 178.
4
Leónidas RODRÍGUEZ SANDOVAL : Vida económicosocial del indio libre de la
Sierra ecuatoriana, op. cit., p . 85.
2
5
Cf. Elsie CLEWS PARSONS : Peguche, op. cit., p p . H-12.
SERVICES PERSONNELS TRADITIONNELS
417
agents de la police municipale g u e t t e n t les Indiens p e n d a n t les
premières heures de la matinée et leur enlèvent u n e pièce
d'habillement afin de les obliger à effectuer ces t r a v a u x en
échange de la restitution d u « gage » 1 .
Dans les localités à forte population paysanne, et surtout aborigène, les autorités civiles qui, en raison de leurs fonctions, se trouvent
en contact direct et étroit avec elle, font d'excellentes affaires à ses
dépens et commettent des abus si grands et incroyables que l'on est
amené fatalement à penser que le Frère Bartholomé de las Casas
n'a en rien travesti la vérité lorsqu'il a écrit sa « Destruction des
Indes ».
Nous avons pu, quant à nous, être témoin des abus commis par
les chefs politiques, les commissaires et les policiers. Nous avons vu
comment un chef politique, qui avait besoin de main-d'œuvre pour
sa propriété, envoyait un agent de pouce « semer l'argent », c'est-àdire porter dans autant de maisons qu'il lui fallait d'Indiens à
employer comme péons, un salaire qu'il était certainement le seul à
considérer comme suffisant, en indiquant aux intéressés le jour auquel
ils devaient se présenter à la hacienda. En pareil cas, les protestations
des Indiens sont absolument sans effet ; ils se trouvent en face de la
première autorité du canton et aucune raison ne peut prévaloir
contre ses intérêts personnels. Parfois même les intermédiaires auxquels les Indiens ont dû apporter des cadeaux ne se montrent d'aucune utilité.
Si l'Indien ne se présente pas à la hacienda, on le met en prison
ou on lui prend en gages des objets qu'il ne peut récupérer qu'une
fois le travail accompli.
Nous avons pu voir également comment toutes ces autorités
donnent l'ordre aux alcaldes des communautés aborigènes de leur
apporter des volailles, des œufs, des cochons d'Inde à des prix fixés
arbitrairement, des prix qui représentent la moitié de ceux qui sont
pratiqués sur le marché. Nous avons pu voir comment ces mêmes
autorités — et même n'importe quelle personne de race blanche, à
condition qu'elle soit couverte par elle — se saisissent des Indiens
qui arrivent dans les villages pour des raisons personnelles et les
obligent à balayer les rues et les places, à travailler dans les jardins,
à transporter des charges, à poser des clôtures et à jeter dans un ravin
le chien mort que personne, parmi les villageois non indiens,
n'a été capable de retirer du passage. On n'en finirait point s'il fallait
établir la liste lamentable de toutes les formes d'exploitation et d'abus
dont sont victimes les aborigènes 2.
Q u a n t à la « corvée de r o u t e », à la suite d'une pétition des
organisations ouvrières, le Congrès national a abrogé, en
octobre 1951, la loi qui prescrivait le travail obligatoire de
1
Gonzalo RUBIO ORBB rapporte à ce sujet que « les agents de police parcourent
les places au moment des foires en enlevant les « gages » ; ou bien ils vont dans
les réserves opérer ces prélèvements, obligeant ainsi les Indiens à venir effectuer
un travail forcé, généralement non rémunéré. C'est un spectacle pénible que de
voir dans les rues, ces jours de fête, le défilé des Indiens qui se couvrent la tête d'un
coin de leur manteau parce qu'on leur a pris leur chapeau, ou qui marchent
derrière les policiers, implorant qu'on leur rende leur bien ou offrant de l'argent
pour recouvrer leur liberté ». Voir Nuestros indios, op. cit., p. 293.
2
Aníbal BUITRÓN : « Vida y pasión del campesino ecuatoriano », op. cit.,
pp. 126-127.
418
LE TBAVAILLBUB ABORIGÈNE DANS L'ÉCONOMIE
quatre jours (ou le paiement des sommes correspondant au
salaire) en vue de la construction et de l'entretien des chemins
et des routes. Il va de soi que la main-d'œuvre employée à ces
travaux était composée, dans sa majorité, d'aborigènes 1.
Guatemala2.
Jusqu'à la fin du siècle dernier, l'Indien guatémalien
était tenu de travailler pour l'autorité locale quand il en recevait l'ordre pour un salaire minime ou un échange de sa nourriture seulement. Par décret n° 471, du 23 octobre 1893, le gouvernement a aboli la réquisition de travailleurs et a déclaré que
le travail était libre sur tout le territoire de la Eépublique.
Il paraîtrait, cependant, que la pratique des services personnels
est toujours en vigueur dans certaines régions du pays. Ainsi,
le premier Congrès régional de l'économie, de caractère tripartite, qui s'est tenu à Escuintla, de mars à juin 1945, a adopté
une résolution dans laquelle il demandait «que fussent supprimées les corvées non rémunérées des aborigènes au profit
de l'administration, parce que l'agriculture manquait de maind'œuvre et parce que tout travail devait être rémunéré 3 ».
Mexique.
Selon diverses informations, la prestation de services non
rémunérés pour des travaux d'intérêt public subsiste dans
certaines régions du pays. Ainsi, un spécialiste mexicain des
questions indigènes a déclaré que de nombreuses municipalités
des Etats de Mexico, Hidalgo, Guerrero, Puebla, Oaxaca,
Chiapas et Yucatan imposent à leurs habitants :
... le système traditionnel, mais anticonstitutionnel, du tequio
(corvée), c'est-à-dire du travail non rémunéré et obligatoire pour la
construction de routes, d'installations télégraphiques ou téléphoniques, la réparation des édifices publics, la construction des écoles,
etc. Dans de nombreuses localités, ce service occupe jusqu'à soixante
jours de travail par an, qui, au taux du salaire minimum, représente
une contribution de 60 pesos, somme qui constitue, par rapport au
revenu, un impôt que ne paie aucune des autres classes sociales du
Mexique 4.
Un autre auteur mexicain définit le tequio comme un
système par lequel les indigènes « effectuent des travaux
d'intérêt public, presque toujours sous la direction des autorités
1
Communication du correspondant du B.I.T. en Equateur, octobre 1951.
Voir également chap. XI.
3
El triángulo de Escuintla (Guatemala, 1946), pp. 365-366.
4
Miguel 0. DE MENDIZÁBAIÍ : « Los problemas indígenas y su más urgente
tratamiento », Cuadernos Americanos (Mexico), juill.-août 1945, pp. 53-54.
2
SERVICES PERSONNELS TRADITIONNELS
419
civiles de l'endroit, sans recevoir aucun salaire ». Ces travaux
comprennent :
... la construction et la réparation d'édifices publics (mairies,
églises, écoles), de rues et de chemins, le percement de puits, la pose
de canalisations d'eau, et certains autres travaux analogues... Le
travail est obligatoire pour tous les hommes d'une localité qui appartiennent à un groupe d'âge déterminé et d'une certaine condition...
dans de nombreux cas, la « collaboration » est évidemment forcée ;
... certaines minorités fournissent moins de travail ou versent une
certaine somme au lieu de travail... En revanche, les travaux pénibles sont effectués surtout par les paysans... et, en général, par ceux
qui n'ont pas les moyens de payer une somme équivalente au travail
requis ou par ceux dont le temps est moins précieux que celui des
autres *.
Dans certaines régions, l'aborigène est tenu d'accomplir
une série de tâches de caractère civil ou religieux au profit
de la collectivité, « en commençant par les plus humbles pour
terminer, théoriquement, par les plus élevées ». Ainsi, par
exemple, l'Indien commence pa