dissertation musique texte

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dissertation musique texte
Jiolat Jean-théo
Musique et texte : dissertation
Il n’est pas forcément évident de remarquer que tout ce qui touche au texte, à la
littérature, à la poésie, possède des relations multiples et intimes avec la musique. En effet,
celui qui n’a jamais véritablement considéré le sujet aurait tendance à regarder la musique et
le texte comme deux entités monolithiques n’ayant pas beaucoup de rapport entre eux. En
d’autres termes, cela équivaut à adopter une vision plutôt binaire : le texte serait un simple
objet ayant un contenu intellectuel dont le sens et la sémantique ne sont transmis uniquement
par le biais de la lecture intérieure ou de l’écriture, ce qui conduirait à conclure que rien de
musical n’a lieu dans la création et la transmission du texte. De l’autre côté, la musique serait
une discipline artistique autonome qui n’a son intérêt que dans sa mélodie et ses notes, et que
tout chant ne se distinguerait que par son aspect strictement musical (mélodie,
accompagnement instrumental), le texte n’étant qu’un prétexte nécessaire pour le chant. Or,
en réalité, il n’en est pas ainsi et ces relations sont loin d’être passagères et superficielles. Si
on examine avec une vision holistique les différents courants de pensée ayant développé des
réflexions sur ce thème au cours de l’histoire, on remarquera que, de l’antiquité jusqu’à
aujourd’hui, pléthore de liens ont été mis en évidence. En guise d’exemple, Fabius Quintilien
parlait d’ores et déjà d’une analogie frappante entre la voix parlée et la voix chantée, ou
autrement dit qu’ « il y a dans le parler une sorte de chant indéfinissable ». L’opéra italien est
né au XVIIème siècle avec comme principe que la musique devait soutenir l’expression du
chant et de la déclamation du texte. En sus, Louis d’Aragon définit la poésie de façon directe
et claire comme « le chant, ce qui est profondément la poésie ». La profusion d’exemples qui
exacerbe cette interaction entre texte et musique révèle la véracité de cette dernière et sa
présence n’est pas une coïncidence.
Mais alors, si cette connexion entre ces deux disciplines est une réalité et que
les hommes à travers l’histoire s’y sont intéressés, quel est son enjeu ? Pourquoi une telle
relation entre ces deux domaines si forte ? On peut tout à fait imaginer la récitation d’un texte
faite de façon non-musicale, en évitant les phénomènes qui sont propres à la musique (nuance,
phrasé,…). De la même façon, on peut très bien écouter un chant sans prêter attention au
texte, quand bien même il serait dans notre langue maternelle. Donc, au bout du compte,
quelle est la valeur ajoutée, la raison d’être, et quel est le sens de cet attachement musico-
textuel ? Il semble que ce sens réside dans un souci d’expression. C’est-à-dire que le soutien
mutuel entre le texte et la musique a surtout pour finalité d’insuffler de la force à l’expression,
que cela soit celle de l’orateur comme celle du chanteur. En d’autres termes, l’un des sens
fondamentaux de cette relation est celui qui participe au besoin expressif de l’homme. C’est
donc cette assertion que l’étude tentera de mettre en évidence tout le long de la réflexion.
Tout d’abord, l’un des éléments fondamentaux à traiter sur ce sujet est le
domaine des langues, et en particulier l’origine des langues. Dans sa conférence sur cette
origine, Bernard Victorri1 émet des hypothèses pris en considération par les linguistes
aujourd’hui pour tenter de lui donner une explication plausible. La meilleure hypothèse serait
le fait que l’homme a eu le besoin à un moment donné de raconter des histoires. Pour
accomplir cette tâche, il a fallu créer un langage assez sophistiqué, qui dépasse le
protolangage élémentaire, afin d’avoir les capacités et l’efficacité de restituer un récit. Le
linguiste met en avant trois aspects importants des langues : la récursivité, le temps et l’aspect,
et enfin la modalité. Autrement dit, ces fonctions sont des conditions sine qua non à la langue,
c’est-à-dire au moyen expressif de l’homme, afin de raconter une histoire. Ce qui est
remarquable c’est que l’on retrouve la première et la troisième fonction dans le langage
musical. Effectivement, la récursivité des langues est le phénomène selon laquelle les mêmes
sons, mots, groupes de mots et unités de signification refont continuellement leur
manifestation au sein du discours. Or le langage musical aussi fait preuve de cette récursivité.
Les même notes, gammes, motifs, thèmes, et tonalités sont repris et répétés au cours d’une
pièce musicale. A titre d’exemple, n’importe quelle forme sonate fait usage de la répétition
des mêmes groupes thématiques et même zones tonales afin de fixer la cohérence de la forme.
On comprend donc l’importance de cette récursivité dans la musique. La modalité permet à la
langue « d’asserter des choses tout en les prenant plus ou moins en charge »2, c’est-à-dire que
l’on énonce des nuances à propos d’un évènement. Cependant, cela fait penser à l’usage de la
nuance dans le domaine musical. En effet, un thème, qu’on peut considérer comme un
évènement musical, peut être joué sous différentes nuances, et son aspect sera différent si on
1http://www.dailymotion.com/video/x28ydx3_bernard-victorri-l-origine-du-langage_school
2 Ibidem
le joue piano ou forte. Par conséquent, la dimension de la modalité trouve aussi son
application dans le langage musical. En revanche, la deuxième fonction qui a été mis en avant
dans la conférence semble assez délicate à relier à la musique. Comme le temps et l’aspect
permettent de « situer les évènements dans le temps tout en les relatant »3, cette fonction fait
référence à un contenu du langage qui est exosémantique, c’est-à-dire qui est extérieur au
langage. De fait, la référence au temps est un élément extérieur du langage que ce dernier
traite par sa sémantique. Or il n’est pas de contenu sémantique dans la musique qui permette
de situer explicitement des événements dans le temps. Ceci est plutôt un point de distinction
entre le texte et la musique. Car ce n’est pas dans le sens exact du récit ou se trouve la
similarité entre le langage du texte et de celui de la musique, mais dans capacité à pouvoir
l’exprimer. Aussi, la discipline qui permet de mettre en exergue ce pouvoir de l’expression
autant dans le langage parlé que dans la musique est la rhétorique. En fait, pour pouvoir
raconter une histoire et pour la restituer de la plus vivante et expressive des façons, il faut
savoir se conformer à un certain nombre de règles, d’usages, de manières de faire qui sont
dictés par l’art de la rhétorique. En vérité, un orateur ne se contente pas de réciter de manière
monotone son texte devant un public. Pour susciter son attention, il va structurer son discours,
employer des nuances, des phrasés, des tonalités de voix en fonction du sujet et du contexte
d’énonciation. Est-ce que cette pratique orale semble si différente de l’exécution d’une pièce
musicale par un interprète ? Ce dernier ne fait pas moins preuve de phrasés et de nuances lors
de l’interprétation et le discours musical de la pièce est très souvent structuré par une forme.
Par voie de conséquence, l’orateur comme l’interprète exploite la rhétorique pour trouver le
moyen de raconter une histoire avec la plus efficace des expressions possibles, quel que soit le
contenue du récit.
Les modalités de l’expression oratoire autant que celles de l’expression musicale sont
donc plutôt similaires. Cela étant dit, il faut traiter en détail la relation texte-musique dans la
récitation d’un texte. Ce n’est qu’en prenant des études de cas de cette pratique de la récitation
qu’on peut discuter de cette expressivité. Pour entrer en matière, il est intéressant de prendre
en ligne de compte l’interrogation de Marik Froidefond au sujet de la diction parlée : « est-ce
toujours le modèle du « naturel » qui domine ? ». En d’autres termes, lorsque quelqu’un est
dans l’action de réciter un texte, est ce que la diction utilisée est celle du naturel et est-ce que
3 Ibidem
c’est toujours le cas ? Ou alors, est ce que l’orateur exploite un certain artifice dans sa diction
afin de créer des effets sonores particuliers ? Il est possible d’ajouter une autre interrogation à
ceci : est-ce que cette diction dépend du texte, de son contenu, et de son style ? Il s’agit donc
maintenant de discuter de ces points problématiques par des exemples précis.
Nous allons examiner la récitation du poème Les planches courbes par
son auteur Yves Bonnefoy4. Le texte fait le récit de la rencontre entre un passeur de haute
corpulence, de la dimension d’un géant, et d’un enfant errant sans famille et sans foyer. En
général, l’écoute et la compréhension de ce texte sont assez aisées, dépourvues de toute
complexité et d’ornementation superflue. La compréhension du texte est d’ailleurs si simple
qu’on pourrait penser à un conte pour enfant. Avant de lancer le propos sur l’analyse de la
voix et de sa diction, il semble avant tout important de mettre en perspective le sens global du
poème. Le géant pose des questions à l’enfant sur ses origines sans que l’enfant puisse
répondre, soit par ce qu’il n’a pas la réponse à la question ou par ce qu’il ne comprend pas la
question, comme celle de savoir ce qu’est un père. Puis dans la deuxième partie de l’extrait,
l’enfant paye le passeur pour pouvoir traverser le fleuve. A la proposition de l’enfant, le géant
refuse de devenir son père ou de l’adopter, car leur poids réunis devient trop lourd pour que la
barque puisse les supporter. Donc, les différentes dimensions présentes dans ce texte, à savoir
celle du manque d’origine, de la solitude, et du renoncement, portent l’ambiance de ce texte
vers la tristesse et la mélancolie. En tout cas, le contenu du texte nous mène à penser cela.
Qu’en est-il maintenant de la voix de l’auteur ? Cette dernière semble posée, plutôt centrée
dans le grave avec un grain de voix assez serré et langoureux. De plus, le débit de la diction
est généralement lent et ne varie que très peu tout au long de la déclamation. Ce coloris de la
voix, sa gravité, et son inertie quant à son débit à l’air de bien se calquer à la langueur
générale de cette histoire. Un autre point remarquable qui est à noter dans cet exemple est la
distinction nette entre le discours direct et le discours indirect. Le premier élément qui forge
cette séparation entre les deux types de discours est le phrasé. Prenons un exemple de cet
extrait, entre (1:57) et (2:17), en décrivant ce phrasé par les courbes d’intonation. Au début de
l’échantillon, on est au discours indirect « Sa voix vient de moins loin, dans la nuit ». Ici, le
phrasé a une forme d’arche, qui part de la première courbe d’intonation pour aller vers le
fondamental usuel de niveau 2 pour ensuite revenir au niveau d’intonation initial, en guise
4 http://www.youtube.com/watch?v=4NT40J-iQpo
d’incise. Il est donc borné entre les deux premiers niveaux afin de marquer la finalité. Or le
phrasé du discours direct qui suit est manifestement différent « Un père, et bien, celui qui te
prend sur ces genoux quand tu pleures ». Dans ce cas, la phrase est beaucoup plus sectionnée
et saccadée. La voix s’arrête sur certains mots de la phrase avec une intonation qui exprime
plus l’exclamation que l’incise « père ; prend ; genoux, pleures ». La forme du phrasé devient
donc presque l’inverse du discours indirect précédent, car le taux de variation de la hauteur de
la voix par rapport au temps lors de la récitation de ces mots est ici positif et assez élevé,
donnant une forme plutôt exponentielle à cette variation. D’autre part, le rythme met en place
aussi cette distinction. Dans la phrase au discours indirect, le rythme est continu et n’est pas
très marqué. En revanche, celui du discours direct à tendance à se rapprocher du rythme de
l’anapeste, ce qui est l’une des causes de l’aspect morcelé de la phrase. Et puis, en général, la
voix est globalement plus aigüe au discours direct qu’au discours indirect. Toutes ces
composantes de la vocalité permettent cette dichotomie entre ces deux types de discours. On
constate donc un sens dans l’usage de ces paramètres musicaux : celui d’exprimer deux types
d’énonciation différente. Est-ce que cet effet semble naturel ? Il semble que cela le soit en
effet, car il est du sens commun de considérer la prononciation du récit différemment de celle
du dialogue. Néanmoins, il y a d’autres éléments dans la diction de ce texte qui semble sortir
du naturel. Lors de l’instant (4:08), la voix entrave la continuité de la phrase « la voix brisée
par les larmes ». Effectivement, une césure fait sa manifestation après le mot « brisée ». En
sus, la dernière syllabe de ce mot est allongée avec un accroissement de la tonalité de la voix.
Puis l’orateur effectue une incise à la fin de la phrase. Cette instance sur ce mot ne semble pas
naturelle. Pourtant, elle n’est pas dénuée de sens, car l’allongement de la syllabe est un effet
qui fait ressortir la charge émotionnelle du mot.
Cette idée de l’incise est en effet intéressante, car soit il met en évidence un
mot en particulier ou alors il peut aussi être utilisé à des fins de clarification du discours.
Entre autre, l’expression nécessaire à la clarification d’un texte ou d’une argumentation
semble d’autant plus renforcée qu’il fait bon usage des pauses et des silences. En guise
d’exemple, on peut constater que Jean-Paul Sartre utilise souvent ces pauses dans le but d’une
transmission efficace de son message. Quand il explique, lors d’une interview à RadioCanada5, ses positions vis-à-vis de la guerre du Vietnam, on peut dénoter d’abord le trajet de
son phrasé qui est assez varié, mais surtout on peut remarquer le côté fracturé de sa diction. Si
5 https://www.youtube.com/watch?v=2j87vUSadHg
on prend l’instant (17:16) de la vidéo, on entend la phrase suivante : « Tous les citoyens ont le
droit/de juger/d’un point de vue/juridique et légal /la politique/d’un gouvernement et ce
qu’elle les concerne ». Non seulement ces divisions sont frappantes, mais en plus, Sartre tire
l’avantage de ces fractions afin de jouer sur le ton de sa voix et son débit. Remarquons les
premiers mots sur lesquels l’intellectuel insiste : « Tout ; Droit ; juger ». Soit dit en passant,
cette première phrase est dite sous une nuance plutôt forte. Puis, au milieu de la phrase,
l’accentuation devient moins forte, et l’intensité de la voix a diminué. Aussi, on remarque une
sorte de sforzando sur « La politique », qui n’est pas la manière commune de prononcer, mais
qui néanmoins relance un certain dynamisme. Le dernier bout de phrase est le plus long en
matière de quantité de syllabes. Il n’en reste pas moins que Sartre traite cette dernière incise
en strette en augmentant le débit de sa voix et accentue dans le grave la dernière syllabe
« concerne ». On a donc observé le fait que la présence de césure dans la phrase permettait à
l’orateur d’exercer des jeux sonores avec plus d’aisance, car c’est effectivement cette pause
qui crée la focalisation de l’oreille sur ces effets de diction. C’est la même conclusion qu’on a
tiré dans Les Planches courbes. Il est évident que ce modèle de diction n’est pas naturel, ce
n’est pas pour autant que ce dernier détériore l’efficacité de l’expression. Bien au contraire,
c’est cette habilité de la pause qui est ici le moyen pour transmettre facilement le message aux
auditeurs. En outre, c’est ce qui rend les assertions et l’argumentation de Sartre plutôt
captivante et convaincante lors de leur écoute.
A la lumière de ces exemples, le modèle du naturel ne domine pas tout le
temps en matière de diction. Il est utilisé ou substitué par un autre mode d’expression selon ce
qu’on veut mettre en avant, comme on a pu le voir avec les types de discours et le
soulignement de certains mots. Ceci est vrai surtout quand on travaille sur le langage. L’étude
du langage n’a pas toujours pour but de maîtriser la diction naturelle, mais très souvent elle
essaye de la dépasser pour créer de nouvelles formes d’expression qui soient plus recherchées
et parfois plus profondes. En particulier, il est vrai que le domaine du théâtre est
potentiellement un laboratoire du langage. Quand Pascal Rambert6 énonce le fait qu’il
travaille plus sur la langue que sur les situations, on a ici l’idée que la situation théâtrale est
beaucoup plus un prétexte pour pouvoir rentrer en détail sur la complexité des paroles ou des
6 http://www.dailymotion.com/video/x2cmngj_pascal-rambert-j-ecris-plus-sur-le-langage-que-sur-lessituations_news
dialogues, bien entendu par rapport à leur sens mais surtout par rapport à leur sonorité. On
retrouve quelque chose de similaire dans l’opéra mozartien pour la composition musicale. De
fait, à la fin de l’acte 2 du Mariage de Figaro, où petit à petit les différents chanteurs
rejoignent tous la scène, Da Ponte construit un texte et un comique de situation qui laisse la
possibilité à Mozart de développer la composition et la complexité de son ensemble vocal. Par
conséquent, la situation comme prétexte est un moyen pour le théâtre de travailler autant sur
la musique que sur le texte. A fortiori, le théâtre permet d’approfondir les relations textemusique. Cela est surtout exacerbé dans le drame wagnérien. Car, d’après les propos du livre
Oper und Drama (1850) de Wagner, la musique et la poésie partagent une responsabilité dans
la réalisation de l’expression dramatique, et qu’il faut que les deux soient à égalité pour mener
cette expression à son aboutissement. Ayant établi ce principe, Wagner va développer tout un
système et des techniques pour la composition de ses opéras. L’une de ses techniques est celle
de la Stabrein (la rime-tige), autrement dit celle qui fait suivre les même allitérations dans un
même vers. D’ailleurs, l’allitération était pris au sérieux par Wagner et la considérait
supérieure à la rime car en effet, elle vise à insister le premier son consonantique du mot et
non pas sa syllabe finale, et que c’est insistance sur ce son au début du mot représente la
recherche de son son originel. D’ores et déjà, on a ici un traitement du texte dans son aspect
sonore. Mais ce n’est pas tout, car la musique orchestrale illustre ces allitérations par des
changements harmoniques frappants et des changements de couleur instrumentale
contrastants. Aussi, c’est le sens du texte qui est mis en avant par ces procédés. Si on prend
l’exemple suivant : « Die Liebe bringt Lust und Leid », l’allitération crée le lien entre
l’amour, le plaisir et la souffrance, et l’orchestre par ses divers coloris harmoniques et
instrumentaux souligne cet aspect antinomique que le texte met en exergue. En sus, Wagner
développe l’idée selon laquelle l’expression et la révélation de la vérité ne peut se faire que
par l’interaction entre le texte et la musique. En bref, si le texte est énonciateur de mensonges,
la musique intervient pour indiquer le mensonge énoncé. Ce principe est perpétuellement
appliqué dans l’opéra Tristan et Isolde (1859). Lorsque Isolde, dans l’acte 1, demande à
Tristan de boire la boisson afin de célébrer leur réconciliation, elle fait preuve de mensonge
car ce qu’elle veut véritablement, c’est tuer Tristan par le biais du philtre de la mort. Or
l’orchestre indique le mensonge d’Isolde en interprétant le leitmotiv de la mort, annonçant à
l’auditeur la vérité du drame. En somme, le contenu du texte devient un des éléments
fondamentaux de la raison d’être du lien entre la poésie et la musique.
Il est un autre élément important à tenir compte lorsqu’il s’agit de l’expressivité : le
problème de la métrique dans la mise en musique d’un texte. Plusieurs approches peuvent être
adoptées : soit on compose le texte d’abord et donc on écrit à partir du texte la musique ; ou
alors on peut faire le contraire, écrire la musique puis soumettre le texte à cette musique. En
général, le deuxième cas est moins préconisé que le premier, pour des raisons qui sont tout
d’abord pratiques. Du point de vue de l’acoustique, on sait aujourd’hui que toutes les syllabes
ne peuvent pas être prononcées à la même hauteur. Certaines syllabes demandent à être
prononcées dans une gamme fréquentielle soit dans le grave ou dans l’aigu selon leur
propriété acoustique. Par conséquent, un bon compositeur de musique lyrique doit être
familiarisé et avoir de l’expérience avec le son des mots de la langue afin de pouvoir apposer
une musique qui respecte les caractéristiques sonores du texte. Mais pourquoi est-il plus
difficile de partir d’une mélodie pour ensuite y construire un texte ? Il semble qu’avec cette
approche, il est plus compliqué à la fois de construire un texte qui aie du sens et dont la
mélodique est en adéquation avec la sonorité du livret ou du poème. Or un des enjeux les plus
importants de la mélodie et du chant qu’on retrouve à travers l’histoire de la musique est cette
nécessité que la musique soutient la prosodie de la langue afin que l’effet et le sens du texte
soit renforcé. Encore une fois, ce souci du lien texte-musique nous renvoie à la force de
l’expression. On peut illustrer ce propos dans un lied de Schumann comme Widmung dans
l’opus 25. Les premiers vers de ce lied présentent des mises en avant très évidentes de certains
mots par la dimension rythmique et mélodique. Tout d’abord, le début répète la même
structure de phrase (ce sont des anaphores) : « Du meine Seele, du mein Herz, du meine
Wonn’, o du mein Schmerz, ». Les mots qui ressortent sont surtout : « Seele ; Herz ; Wonn’ ;
Schmerz ». Ceci est effectué en premiers lieux par le contraste rythmique entre les croche du
« meine » et la valeur longue sur « Seele » ou sur « Wonn’ ». Aussi, en ajout de ce contraste
rythmique, cette séparation se manifeste par le saut d’intervalle de la voix, d’abord une tierce
sur « Seele » puis une sixte sur « Wonn’ ». Notons aussi que la continuité mélodique du « du
mein Herz » avec une valeur sur la dernière syllabe, comme pour « o du mein Schmerz », en
opposition avec les sauts mélodiques précédents. La ligne conjointe mélodique du « du mein
Herz » est ascendante alors que celle du « o du mein Schmerz » est descendante. Donc le
phrasé mélodique change aussi, et crée de la vivacité à la récitation du texte. Somme toute, les
mots les plus importants du poème sont mis au premier plan, mais le phrasé utilisé pour
déclamer ce texte alimente la dynamique du discours. La musique permet alors cette
réconciliation entre le sens du texte et sa dynamique, ce qui est d’ailleurs l’un des objectifs de
la rhétorique discuté précédemment.
Au final, on a pu observer tout au long de cette étude que dans l’ensemble des
domaines invoquant la dimension de la musique et du texte, c’est-à-dire l’analogie entre le
fonctionnement d’une langue et du langage musical, l’analyse d’une récitation d’un texte ou
d’un discours improvisé en considérant la question du modèle naturel de la récitation, puis
l’opportunité du théâtre pour travailler sur le langage et donc sur le rapport texte-musique, et
enfin la mise en musique d’un texte, montre sans équivoque la présence symptomatique de ce
travail du lien entre le texte et la musique. Mais surtout, l’étude a tenté de mettre en lumière
que ce rapprochement des deux disciplines semblent être constamment indispensable pour
parachever et satisfaire le besoin d’expression. Tout orateur ou chanteur, pour des raisons
pratiques, ou de clarté, ou de mise en valeur du sens, nécessite cette pratique de l’interaction
entre la matière verbale et la matière sonore.