Musique traditionnelle et institution: quelle place pour les musiques

Transcription

Musique traditionnelle et institution: quelle place pour les musiques
CEFEDEM Br etagne ­ Pays de Loir e Musique tr aditionnelle et institution Quelle place pour les musiques tr aditionnelles en institution ? Clair e MORTIER 2005­2006
1 Sommair e INTRODUCTION p.4 I) Définition du sujet p.5 1) Qu’entend­on par « musiques traditionnelles » ? p.5 a) définition littérale du mot « traditionnel » b) Qu’entend­on par musique traditionnelle ? c) Entre tradition et folklorisme. d) Une définition de « musique traditionnelle ». 2) Quelles musiques traditionnelles vont être étudiées ici ? P.8 a) Bref historique : évolution. b) Description des instruments. 3) Dans quelles structur es ? p.10 a) Ce qui est appelé institution. b) Histoire des musiques traditionnelles en structure. c) Quelles musiques y sont habituellement enseignées ? II) Obser vations et comparaisons p.14 1) Transmission dans le milieu dit « traditionnel ». p.14 2) Transmission au Conservatoire National de Région de Nantes. P.16 3) Transmission à l’association « sonneurs de veuze ». P.17 4) Quelles constantes et différences avec la tradition dans ces deux situations ? P.18
2 III) Pour quoi enseigner les musiques tr aditionnelles en str uctur e aujour d’hui ? p.20 1) Adaptation aux structur es. P.20 a) Qu’apportent les musiques traditionnelles à ces structures ? b) Quels apports pour les élèves « classiques » ? c) Une mission de service public. 2) Apports de l’institution aux musiques traditionnelles. P.23 a) Ouvrir la musique à différents publics. b) Une manière de faire (sur)vivre ces musiques. c) Une façon de la diffuser. 3) Musique traditionnelle et institution, un non sens ? P.25 4) Une mutation de l’institution. P.26 5) Quels sont les risques ? P.26 a) Risque de les faire basculer dans l’écrit. b) Risque de figer. CONCLUSION P.29 Annexes P.31 BIBLIOGRAPHIE P.32
3 INTRODUCTION Il est rare, au cours d’un apprentissage musical au sein d’écoles de musique et conservatoires d’être directement confronté aux musiques traditionnelles, ces structures étant bien souvent spécialisées dans un répertoire orienté vers les musiques savantes. D’autre part, il est étonnant de constater que, bien souvent dans le cadre d’études musicales, le rapport entretenu avec les musiques traditionnelles concerne un patrimoine étranger à notre culture. En effet, les cours d’ethnomusicologie se rapportent la plupart du temps aux musiques extra­européennes. C’est parfois dans ces conditions, en étudiant les musiques traditionnelles d’un autre pays, que nous cherchons à connaître notre propre patrimoine culturel. Or, en observant bien, il est aisé de constater la présence de quelques structures accueillant les musiques traditionnelles bretonnes. Face à ces musiques considérées en dehors de toute institution, nous pouvons alors nous demander en quoi la présence des musiques traditionnelles dans ces structures est légitime. N’est­ce pas un son sens de vouloir institutionnaliser des musiques de tradition orale, de les placer dans un environnement de musiques écrites ? Afin de répondre à ces questions en redéfinissant la nature des musiques traditionnelles et des institutions qui les accueillent, nous pourrons analyser deux exemples de structures où sont présentes les musiques traditionnelles bretonnes dans la région nantaise. Nous pourrons alors réfléchir aux différents apports de cette rencontre entre tradition et structure ainsi qu’aux limites que celle­ci peut engendrer, d’un point de vue purement musical comme d’un point de vue pédagogique.
4 I) Définition du sujet Qu’est ce que la tradition aujourd’hui ? Nous nous attacherons aux changements qui ont pu être opérés durant le siècle dernier, ainsi qu’à la nature des institutions qui les accueillent aujourd’hui. 1) Qu’entend­on par « musiques traditionnelles » ? a) définition littérale du mot « tradition » Doctrine, pratique transmise depuis longtemps. Notion relative au passé, transmise par les générations. Coutume, héritage du passé. 1 b) Qu’entend­on par musique traditionnelle ? On entend souvent, par musique traditionnelle, une musique immuable, dont la transmission est orale et qui ne se sert pas de l’écrit. On en donne aussi une représentation figée, en la décrivant toujours de la même façon, comme si elle n’avait existé qu’à une seule et même époque. On pense aussi très souvent que ces musiques de tradition orale sont surannées, peut­être un peu abîmées par le temps, où ont disparu. Le répertoire parait lui aussi figé : il nous semble avoir été composé il y a bien longtemps par un illustre inconnu à des fins uniquement circonstancielles. Ainsi, on considère souvent comme tradition bretonne, ce qui pouvait émaner de la Bretagne avant les grands bouleversements du début du 20 ème siècle, les deux guerres mondiales, la révolution industrielle. On parle alors d’une société rurale peu alphabétisée, basée principalement sur l’oralité. Dans cette société, la musique est liée au quotidien et accompagne, par le chant, bon nombre de gestes et la transmission y est seulement orale. 1 Dictionnaire de la langue française le Robert Paris 2006
5 c) Entre tradition et folklorisme. Toutes ces explications se rapportent à une idée folkloriste de la tradition. En effet, le folklorisme, discipline née début du 19 ème siècle, cherche à recueillir les traditions, dialectes populaires et patois. Au travers de la vision folkloristes, les traditions représentent un intérêt par leur éloignement dans le temps. « Hissées au rang de vestige d’une antiquité nationale, [les traditions populaires] sont alors regardées à la fois comme dignes du plus grand respect et comme dépourvues d’un sens interne, puisque celui­ci s’est évanoui avec la disparition du système social et religieux dont elles faisaient partie. » 2 Durant tout le 19 ème siècle, la tradition, d’un point de vue folklorique, a gardé une image de patrimoine déchut et non évolutif. Ce n’est qu’au début du 20 ème siècle, avec Arnold Van Gennep que l’on commence à considérer la tradition autrement et à donner une autre définition du folklorisme, en considérant que celle­ci doit garder une fonction dans la culture dont elle fait partie pour exister en tant que telle. d) Une définition de « musique traditionnelle ». Comment réussir à définir ce qui est de l’ordre du traditionnel et ce qui ne l’est pas ? Pour pouvoir répondre à cela, nous allons établir deux constantes principales. La première constante, et celle qui régit toutes les autres, est le changement induit par la transmission orale. Contrairement aux musiques savantes, dont la mémorisation est figée par l’écrit, c’est­à­dire que malgré l’interprétation la base rythmique et mélodique reste la même d’un instrumentiste à l’autre, la musique de tradition orale est en perpétuel mouvement. Le carcan de l’écrit n’étant pas présent, les modifications de la trame de base, c’est­à­dire tout ce qui de l’ordre de l’ornementation, sont intégrées comme faisant partie intégrante du morceau. En effet, le fait même de transmettre un élément peut le modifier de part la subjectivité de l’individu qui l’a transmise. Chacun étant 2 BELMONT Nicole article « Folklore » in Dictionnaire des genres et notions littéraires, Encyclopedia universalis, Albin Michel, Paris
6 différent, ayant reçu une éducation, un apprentissage musical différent et s'étant approprié le répertoire, d'un instrumentiste à l'autre, une mélodie est forcément réinterprétée. Lors de la transmission, le musicien ne peut se défaire totalement de son interprétation. Seul le document (une partition ou un enregistrement) est en mesure de redire quelque chose toujours de la même manière. De plus, les différentes sociétés, ethnies, à moins de vivre complètement en autarcie, sont en contact avec l’extérieur qui vient enrichir leur répertoire, apporte de nouveaux instruments, de nouvelles façons de jouer, ce qui empêche la tradition de rester une nouvelle fois sans mouvement. Enfin, l’évolution même de la société provoque des mutations. Il faut s’adapter aux nouveautés, rivaliser avec les nouvelles musiques qui attirent des auditeurs, il faut alors chercher à séduire ces derniers. C'est pourquoi la tradition musicale bretonne s'est parfois vue adopter des instruments nouveaux afin de garder ses auditeurs et ses danseurs. Une autre constante de la musique traditionnelle en général, est d’être régie par un contexte populaire. Autrefois dans notre région, toute la musique traditionnelle était régie par la communauté, les fêtes de pays, les fêtes religieuses. Il y avait alors un aspect rituel. Aujourd’hui, cet aspect rituel n’a pas tout à fait disparu, mais s’est transformé. Il répond aux besoins de la société actuelle. Ces musiques se modifient, ne sont pas des vieilleries sorties du fond des âges et toutes les représentations « folkloriques », c’est­à­dire figées que l’on peut en faire sont présentes pour une sorte de tourisme musical. On remarque que la simple définition du sujet reste litigieuse. En effet, qu’est­ce qu’une tradition ? Ce qui a pu être fait il y a déjà bien longtemps ou bien ce qui est en train de se faire mais qui n’a encore jamais perdu de sa substance première, c’est­à­dire les constantes qu’on peut lui reconnaître ? Nous prendrons ici en compte les éléments de la dernière définition « La musique traditionnelle se définit par un enracinement localisé. Ce n'est pas une copie du passé mais l'expression actuelle, vivante, de traits culturels stylistiques qui ont traversé plusieurs générations, en un lieu donné. »3 3 ETAY Françoise « Dix ans de musique traditionnelle en France » in Trente ans d’enseignement de la musique et de la danse en France, Marsyas, hors série, Cité de la musique, Paris 1997
7 Aujourd’hui et comme depuis longtemps, les mœurs on évoluées, les populations ont changées. Bien qu’imprégnée d’une identité culturelle forte, de tout temps, la tradition s’est adaptée et désormais, c’est autant un public de mélomanes avertis que de musiciens de familles prêts à accompagner quelques fêtes de villages que nous entendons interpréter la musique bretonne. Entraîné par cette évolution, l’apprentissage a subi quelques modifications et il n'est plus seulement présent au sein des familles, mais se propage doucement dans les écoles. 2) Quelles musiques traditionnelles vont être étudiées ici ? a) Bref historique : évolution. Autrefois, toute la tradition était liée à une vie locale. Il existe encore en Bretagne vers 1900 un sentiment d’appartenance à des régions. A cette époque, la Bretagne est divisée en deux grandes parties, elles­mêmes subdivisées en communes, paroisses et villages (cf. annexe 1). Ces différents lieux gardent une identité et une culture propre a laquelle les habitants sont attachés. Ainsi, les langues, instruments, danses, costumes divergent à cette époque selon les circonscriptions. Le chant pouvait accompagner toute sorte de travaux, de fêtes, de rituels. Aujourd’hui, après les deux guerres mondiales, la révolution industrielle, la mondialisation progressive, cette tradition, afin de survivre, a du se réadapter, s’urbaniser un peu plus et trouver une nouvelle place au sein de la population, pour, d’une autre manière accompagner la vie locale. Il y a aujourd’hui, indéniablement une perte relative de la culture locale. A l’heure actuelle, on aune connaissance approximative de ces langues. Ceci peut parfois représenter une barrière avec ces éléments de la culture traditionnelle que peuvent être le chant ou le conte. Le changement de langage est le résultat d’une volonté, au départ, d’ouverture qui voudrait que tous se comprennent en parlant une même langue en ayant un même mode de communication. C’est ainsi que les cultures propres à un peuple disparaissent et laissent place à un mode de fonctionnement plus globalisé. Malgré cela, la culture bretonne n’a pas perdu la
8 totalité de son identité, mais s’est réapproprié les nouveautés imposées au travers de la culture populaire. « Aujourd’hui le paysage musical est des plus colorés. Aux côtés de groupes de jeunes musiciens imprégnés de « rock music » et pratiquant un répertoire original au moyen d’instruments électriques et électroniques, il est possible de rencontrer des témoins de traditions vocales fort anciennes » 4 Les différentes périodes de l’histoire depuis la révolution de 1789 ont manifesté une volonté de garder, voire retrouver, des éléments de la tradition en perdition. Les différents collecteurs ont permis à celle­ci de demeurer et de nombreuses autres inventions telles que les « festoù­noz » dans leur fonctionnement actuel sous forme de scène, « bagadoù », et écoles de musiques traditionnelles, liées à la musique ont pu voir le jour. Tous ces éléments sont nouveaux, car jeunes vis­à­vis de l’âge indéterminable de la tradition, mais pouvant désormais s’y rattacher, puisque pour certains existent déjà depuis une quarantaine d’années. Il ne faut cependant pas considérer que toute pratique traditionnelle apparentée à la culture bretonne même (fêtes anciennes, langue) ait disparue. Certaines personnes gardent cette tradition notamment dans les régions rurales. b) Description des instruments J’ai observé principalement l’enseignement de deux instruments différents : la bombarde au Conservatoire National de Région de Nantes et la veuze au sein de l’Association « Sonneurs de Veuze ». La bombarde est un aérophone à anche double qui a toujours perduré dans la tradition bretonne, qui n’a jamais disparu, contrairement à la veuze qui est un instrument qui a été redécouvert après une disparition de quelques décennies. Aujourd’hui, c’est un des instruments de tradition bretonne le plus répandu. Il est joué en pupitre de bagad, en soliste ou en couple (le célèbre couple biniou­ bombarde). 4 DEFRANCE Yves « Aspect de la musique traditionnelle en Bretagne à la fin du 20 ème siècle » in Poésies chantées de tradition orale en Flandre et en Bretagne, Librairie Honoré Champion, Paris 1991
9 La veuze est une cornemuse (aérophone à anche) du pays nantais. La tradition liée à cet instrument s’est arrêtée après la première guerre mondiale, remplacé par l’accordéon. C’est un des rares instruments à n’avoir pas voyagé au début du 20 ème siècle, restant dans le pays nantais et à avoir refusé le modernisme de cette période ; ce qui lui a certainement valu sa disparition partielle. Les derniers sonneurs de veuze meurent dans les années 1920 ­ 1930 et ne transmettent pas leur savoir­faire. On voit alors une cassure de cinquante ans. Malgré cela, quelques personnes arrivent à rencontrer des sonneurs, vers les années 50 et rejouent sur des veuzes. En revanche à cette période, aucune recherche n’est effectuée sur l’instrument ainsi que le répertoire et la tradition se perd. Ce n’est qu’à la fin du 20ème siècle que, par l’intermédiaire d’associations, notamment « sonneurs de veuze » que des recherches sur l’instrument seront effectuées. 3) Dans quelles structur es ? a) Ce qui est appelé institution. Le terme d’institution pourrait se définir par « cadre ». En effet, la musique traditionnelle bretonne n’est pas à l’origine transmise dans un cadre. Ici, ces deux structures sont différentes de par leur projet final, mais se rejoignent de par leur projet initial. Le conservatoire, influencé par les directives ministérielles, la volonté des établissements responsables des subventions, n’est pas qu’un établissement où l’on vient simplement jouer de la musique afin de se faire plaisir. Il est aussi un lieu où le résultat en terme de performance a son importance. En revanche, le milieu associatif, cherche plus à offrir la possibilité de faire de la musique à un public diversifié et qui n’aurait pas sa place ailleurs. Le projet initial de ces deux formes de structure et là où elles se rejoignent se situe dans leur volonté de sensibiliser et former leurs élèves à la musique et de leur faire acquérir une autonomie dans ce domaine.
10 Conservatoire J’ai pu faire quelques observations au Conservatoire National de Région de Nantes, dans la classe de Damien Mattheyses, responsable de la section musiques traditionnelles. J’ai assisté à plusieurs types de cours dans ce cadre. Des cours de bombarde, d’autre à l’intention d’élèves en cursus classique et quelques cours destinés à des élèves en cursus à horaires aménagés. Ces cours sont hebdomadaires et se déroulent sur une heure lorsqu’il s’agit de cours collectifs. Je me suis surtout attachée à deux de ces cours : les cours de bombarde même et les cours donnés à des musiciens en cursus classique. Dans le premier cas, les élèves sont deux jeunes filles d’environs vingt ans, étudiantes. Elles viennent ici apprendre la bombarde et le répertoire qui s’y rattache. Dans le second, il s’agit de deux enfants d’une douzaine d’années jouant de la harpe et du hautbois. Ceux­ci ne viennent pas apprendre un instrument à ce cours, mais apprennent à jouer de la musique bretonne avec leur propre instrument. Association « Sonneurs de Veuze » Cette association a été créée pour l'instrument en question dans les années soixante dix. C'est une période où on redécouvre les musiques bretonnes et les instruments issus de cette tradition. On se souvient alors d'une sorte de petite cornemuse du pays nantais. L'association tente de faire revivre l'instrument en retrouvant son histoire, par la collecte, l'édition de livres sur le sujet. On tente, par un travail musicologique, de retrouver comment jouer de cet instrument et comment le fabriquer. L'association cherche alors à diffuser l'instrument par l'organisation de stages, d'une fête de la veuze notamment et d'enregistrement de disques. J’ai essentiellement observé des cours de veuze de François Robin dans cette association. Notamment deux cours : un cours « collectif » à deux, et un cours individuel. Le premier s’étende sur une heure et le second sur une demie heure. Dans ces deux cas il s’agit d’adultes ayant une profession non musicale et jouant en groupe.
11 b) Histoire des musiques traditionnelles en structure. Dans les années soixante dix, la redécouverte des musiques traditionnelles donne envie aux intéressés d'apprendre ses instruments. En parallèle, des collectes de répertoire sont effectuées par des musicologues ou des bénévoles dans les associations. Tout cet engouement pousse alors les protagonistes à organiser des stages. En 1981, Maurice Fleuret est nommé à la direction de la musique et Bernard Lortat­Jacob est chargé, pour la première fois, des musiques traditionnelles au ministère de la culture. C'est ce dernier qui va prendre pour tâche d'intégrer les musiques traditionnelles au sein de l'enseignement institutionnel. Un Certificat d’Aptitude est alors créé pour les futurs enseignants. Ces derniers, pour obtenir le concours, doivent posséder des compétences musicales, musicologiques, ethnomusicologiques et être spécialistes d'une aire culturelle précise. Deux ans plus tard est mis en place le Diplôme d’Etat. On se demande à ce moment si apporter les musiques traditionnelles en structure ne pose pas un problème. En effet, solfège, examens, élitisme, qui se rapportent à l'enseignement de conservatoire ne paraissent pas convenir pour ces musiques de tradition orale. Bien souvent les musiciens traditionnels considèrent que l’écriture est un frein à leur musique. De même, dans les conservatoires, on se pose la question inverse: ces musiques ont sont­elles pas prétentieuses de vouloir entrer dans ces établissements d'élites avec leurs instrument de fortune? C'est en 1987 que s'ouvre le premier département de musiques traditionnelles, à Limoges. Il est important de défendre le projet et il faut alors démontrer l’importance de cette pratique en montrant l’impacte de ces cours sur la vie musicale locale. Il faut donc fidéliser le public et permettre aux élèves de trouver rapidement une autonomie afin de jouer en public. La Bretagne est un cas particulier. En effet, l’identité culturelle y est fortement représentée par les ensembles tels que les cercles ou les « bagadoù ». On compte aujourd’hui beaucoup de musiciens dans la région pratiquant ces musiques. C’est pourquoi il paraissait important de créer des structures pouvant répondre à une demande d’apprentissage et ainsi des centres de formation afin de former les futurs professeurs.
12 c) La musique des conservatoires. Pour ce qui est du conservatoire, les musiques qui étaient au départ enseignées étaient principalement la musique dite « classique » qu’on peut aussi répertorier sous le terme de « musique savante ». En réalité, aujourd’hui on s’aperçoit que, fidèlement à son nom, cet établissement est destiné à conserver les musiques, c’est­à­dire à faire en sorte qu’elles ne disparaissent pas. Faire perdurer une musique ne consiste pas à la mettre sous verre, mais plutôt à la faire jouer. C’est pourquoi aujourd’hui, les musiques traditionnelles, au même titre que toutes les autres musiques, comme le jazz ou les musiques actuelles amplifiée, ont leur place au sein de ces structures dites conservatrices. Cependant, il est vrai qu’il n’est pas coutume de les trouver représentées dans tous les conservatoires. Le terme même de « traditionnel » pose d’emblé un souci. En effet, la tradition est­elle ce qui a existé et n’existe plus, ou est­ce ce qui vit et existe toujours, imprégné du passé et fort d’une identité restante ? Si l’on considère la deuxième solution, on ne peut alors pas avancer que les musiques traditionnelles bretonnes sont uniquement celles qui étaient jouées il y a déjà un siècle. A cet instant, il faudrait alors considérer qu’elles ont définitivement disparu. Il faut alors se demander en quoi les structures telles que les associations, les écoles de musiques et conservatoires ont légitimité à accueillir ces musiques.
13 II) Obser vations et compar aisons Au travers de l’observation de deux structures où sont enseignées les musiques traditionnelles bretonnes, nous comparerons les méthodes de transmissions actuelles avec celles utilisées dans les sociétés traditionnelles rurales non institutionnalisés. 1) Transmission dans le milieu dit « traditionnel » Dans la société rurale traditionnelle jusqu’au début du 20 ème siècle, la musique est omniprésente et on chante beaucoup. « Chez les paysans, on chantait (et dansait), aux piétinements de place ou d’aire, aux veillées, aux fileries (veillées où l’on repiquait les matelats), aux abattages, aux vendanges, aux feux de la Saint­Jean, aux foires, aux assemblées, aux pélerinages, aux quêtes de la Saint Sylvestre, des Rameaux, de Pâques, du premier mai. » 5 Ainsi cela peut prédisposer les futurs musiciens. Les enfants sont facilement à proximité des instrumentistes qui jouent à l’occasion de nombreux évènements et notamment pour les noces. Ils s’imprègnent alors auditivement et visuellement du jeu instrumental des sonneurs. C’est en tâtonnant, en imitant, en se fabriquant des instruments de fortune pour mimer les gestes de leurs modèles que les enfants commencent leur apprentissage depuis leur plus jeune âge. Il y a plusieurs manières d’apprendre en milieu traditionnel. Le plus souvent, et comme on a pu le préciser ultérieurement, on apprend en regardant les bons musiciens, parfois même en se cachant, afin que ceux­ci ne le remarque pas, ayant peur d’être concurrencé par la jeune génération. Elle peut également être transmise par un maître. Elle est alors enseignée de manière tout à fait orale, sans rapport à quelque notion théorique qui soit, les 5 GUERIFF Fernand « La chanson, écho de traditions lointaines : l’occasion de chanter. » in Le trésor des chansons populaires folkloriques recueillies au pays de Guérande, Pour le compte de l’auteur, Le Pouliguen 1983
14 maîtres, pour la plupart ne lisant pas eux­mêmes la musique. Très souvent aussi, il existe de longues filiations de sonneurs dont les fils apprennent au contact de leur père. Une autre manière, plus rare est de travailler avec un maître extérieur, d’aller sonner à ses côtés pour prendre son indépendance plus tard. Parfois même, c’est ce maître lui­même qui demande un élève précis, en l’appelant à lui, d’apprendre à ces côtés. Dans la société rurale traditionnelle, l’apprentissage de la musique est souvent lié à un but, bien que certains musiciens ne jouent exclusivement que pour se faire plaisir. L’un des buts est de gagner sa vie, puisque la musique en est un bon moyen, afin d’accompagner les rituels liés à la vie, cérémonies et fêtes principalement. Celui qui transmet son savoir, quand il est présent, ne transmet pas une technique instrumentale, mais plutôt un répertoire, une tradition. Il n’enseigne pas pour fabriquer des virtuoses. Ainsi, il n’est pas question de s’attarder sur la technique, mais plutôt sur la façon de jouer le morceau, toujours en ayant conscience du danseur qui va faire les pas sur la musique ou de la vitesse de la procession qui peut avoir lieu. Dans un premier temps, on copie ce que fait le maître, puis avec le travail et l’expérience on peu jouer un peu plus à sa façon. En ce qui concerne le mode d’enseignement du maître, il n’est pas ici question de pédagogie, mais seulement de faire en sorte que la musique soit bien restituée, qu’elle permette, dans le cas de la danse, aux danseurs de pouvoir exécuter les pas. Aujourd’hui, la tradition existe toujours et ainsi la transmission se perpétue. Il existe encore des musiciens de pères en fils qui apprennent en famille. Mais la tradition a quelque peu changé et son apprentissage s’en ressent. A l’heure actuelle, de plus en plus d’établissements proposent un enseignement des musiques traditionnelles, notamment en Bretagne où l’identité culturelle bretonne perdure.
15 2) Transmission au conservatoire. Les élèves sont en majorité des enfants et adolescents, mais on peut aussi y rencontrer de jeunes adultes. Le public reste donc celui d’un conservatoire, où les places sont en premier lieu réservées aux plus jeunes. Ici, la majorité a une connaissance théorique de la musique. Les cours se déroulent de manière très orale, c’est­à­dire que l’écrit ne vient que lorsque qu’on rencontre une barrière ou afin de faire travailler la retranscription aux élèves. Ces barrières peuvent être de type linguistique par exemple, les élèves ne connaissant pas forcément le breton et beaucoup de chansons étant dans cette langue. De même, dans un milieu traditionnel, il arrive bien souvent qu’on utilise, même pour les chants en français l’écrit afin de retenir plus aisément le texte. Il faut savoir les chanter pour reproduire les mélodies à l’instrument et il est donc souvent nécessaire de connaître les paroles ainsi que ce qu’elles signifient. L’apprentissage d’un morceau commence forcément par une écoute, comme il n’y a pas de partition. La plupart du temps, c’est un enregistrement que les élèves mémorisent et doivent répéter. En général, commencent par chanter de mémoire ce qu’ils vont jouer ultérieurement. La suite se déroule en tâtonnant. On cherche les doigtés. Pour certains, des noms de notes viennent avec ces derniers. Puis la pièce est jouée, « traditionnellement » avec ses réponses, son meneur. Ainsi, quand, par exemple, la pièce possède une structure de question­réponse, la tradition devient un mode pédagogique. C’est l’enseignant qui, bien souvent joue le rôle du meneur auquel les élèves répondent. Ensuite, chacun leur tour ils vont jouer ce rôle, ce qui oblige à tenir la mélodie puisqu’ils sont alors seuls à jouer, et de même induit une responsabilité musicale. Un des buts est alors de ne pas s’arrêter de jouer, même si on ne se souvient plus de la suite ou si l’on a pu se tromper dans la mélodie. Sans arrêt, les élèves sont replacés en situation de jeu à l’extérieur. Le but ultime de ces cours parait être le jeu sur scène, la réalisation artistique. Ici, on apprend à jouer de l’instrument, mais pas dans la seule finalité d’en connaître la technique, mais plutôt dans le but de savoir s’en servir, de savoir jouer. Quand une difficulté approche, elle résolue par l’écoute, mais aussi beaucoup par le regard. Le professeur, par exemple, redit le passage compliqué et
16 l’élève tente par la suite de le reproduire après avoir réécouté et dans certains cas rechanté (s’il s’agit d’un problème de mémorisation) et aussi avoir observé les doigts du professeur sur l’instrument. Il en est de même dans l’apprentissage des ornements : l‘élève regarde et fait le lien avec ce qu’il peut entendre. Il s’agit là d’un cercle établit et complet : regard – écoute – geste. Les rapports à la théorie sont moindre mais présents et viennent parfois éclairer certaines explications, lorsque les élèves sont en mesure de comprendre ce qui est dit. En aucun cas, ces apports théoriques ne précèdent l’apprentissage oral. Les noms des notes sont facilement évoqués, ainsi que les intervalles et parfois, des notions harmoniques. Dans le cas précis du conservatoire, les élèves, passants d’abord par l’apprentissage oral, mettent ensuite quelques notions théoriques sur des éléments musicaux pratiques. Ceci est certainement un moyen de leur faire comprendre la musique écrite au travers de cette musique orale. Le professeur donne quelques détails techniques, indique comment se servir de l’instrument et insiste sur la position, la respiration du musicien. En revanche, il est rare d’entendre les élèves pratiquer énormément d’exercices avant de commencer à jouer du répertoire. Bien entendu, comme tout instrumentiste, ceux­ci chauffent l’instrument avant tout jeu. Dans ces circonstances, le professeur est présent en tant que tel. C’est un pédagogue à part entière et pas seulement un musicien désireux de perpétuer une tradition. 3) Transmission à l’association « sonneurs de veuze ». Comme au conservatoire, la musique est transmise de façon orale. Cet enseignement repose de même sur le mode de la mémorisation et de l’observation : le professeur montre et l’élève essaie de reproduire. Les élèves sont en majorité adultes, ou jeunes adultes. Il y a plusieurs raisons à la venue des élèves dans ce type de structure : pour la plupart, ils viennent ici soit pour apprendre l’instrument en lui même soit pour apprendre le répertoire. Certains s’intéressent à cet instrument peu connu car ils ont envie, à l’origine, d’apprendre la cornemuse, la veuze paraissant être instrument plus simple et plus abordable. En effet, ils pensent que la cornemuse nécessite de connaître la musique, de savoir la lire, alors que la veuze semble
17 d’avantage liée à une tradition orale qui leur parait alors plus évidente. Ils viennent tous pour apprendre la musique sans passer par une théorisation et souvent parce qu’ils veulent être en mesure de jouer sur scène, notamment dans des groupes folkloriques. Ici, comme au conservatoire, le répertoire n’est pas coupé de sa source et les élèves connaissent le contexte ainsi que la plupart des danses qu’ils peuvent interpréter. De plus, les professeurs encouragent ces élèves à jouer à l’extérieurs et à participer à la vie musicale bretonne, afin qu’ils ne soient pas coupés de la source de la musique qu’ils interprètent et ainsi de la tradition même. Ces deux établissements ne sont qu’une représentation de l’enseignement des musiques traditionnelles et ne représentent pas un exemple absolu. Dans ces deux structures demeurent des projets visant à faire jouer les élèves en dehors de l’école, ce qui n’est pas forcément le cas dans toutes les structures. 4) Quelles constantes et différences avec la tradition dans ces deux situations ? Ces deux structures, entre elles, ne présentent pas d’énormes différences d’enseignement. C’est leurs statuts qui les différencient, en accueillant notamment des publics distincts, de part leurs connaissances musicales et surtout leur âge. En effet, les résultats demandés ne sont pas tout à fait les mêmes. Le conservatoire a une mission de service public que l’association n’a pas. C’est en ce qui concerne la pédagogie que le lien reste à faire. En effet, une des constantes de la tradition orale que l’on a pu définir préalablement est « respectée » dans ces deux cas, c’est­à­dire que tout ce qui va être appris va l’être préalablement de manière tout à fait orale. Malgré cela on trouve quand même quelques différences. Ces rapports à la théorie, par exemple ne sont pas présents dans un enseignement traditionnel. L’autre différence remarquable et base de notre sujet est leur cadre. Ici on est justement très cadré par l’institution, que ce soit le conservatoire ou cette association. Il faut donc se poser la question du « pourquoi ces différences ? ». Il y a un élément fondamental qui s’impose : le temps et son évolution, ce qui constitue la deuxième constante de la tradition, définie en première partie. Ces musiques, comme on a pu le constater précédemment, ne sont pas figées, et
18 comme tout autre musique, évoluent, c’est pourquoi un ne peut pas forcément les enseigner comme autrefois, comme il est certain que depuis un siècle, les enseignants de conservatoire ne parlent plus de la même chose avec leur élèves et que le « griot » de Côte d’ivoire n’enseigne pas sa musique à son fils comme le lui avait enseignée son père, tout simplement parce que les temps changent et que n’importe qui doit s’adapter. Il n’y a pas la même notion de l’imprégnation qu’en milieu traditionnel si l’on considère les origines des élèves. En effet, ils n’ont pas forcément tous baigné dans un milieu où la musique bretonne est exprimée tous les jours. Les prédispositions des élèves induisent un enseignement très spécifique. C’est­à­dire que ceux­ci, connaissant préalablement la musique notamment de façon théorique, n’ont pas les mêmes facultés d’apprentissage qu’un adulte qui n’a jamais appris la musique. On peut aussi se demander où se situe la tradition aujourd’hui. N’est­elle pas située dans la transmission des disciplines classiques ? N’est­elle pas dans les conservatoires dans le cadre de la transmission les musiques traditionnelles ? Il est nécessaire de se questionner encore une fois sur la nature des musiques traditionnelles. Il est remarquable, dès le départ, qu’il est difficile de considérer et définir la tradition elle­même. En rapport avec les constantes qui ont pu être définies, les deux structures observées ne paraissent pas en désaccord avec la « tradition ». Celle­ci a énormément changé depuis le début du 20 ème siècle. On peut alors se demander où en est la transmission ? Ne s’est­elle pas également modifiée ?
19 III) Pour quoi enseigner les musiques tr aditionnelles en str uctur e aujour d’hui ? La tradition, ses coutumes, costumes et langages tels qu’ils ont pu être décrits au début du 20 ème siècle ont presque disparus du paysage breton. Cette tradition s’est adaptée peu à peu à sa population. Qu’en est­il aujourd’hui de son enseignement ? Ressemble t’il toujours à celui que l’on pouvait décrire au début du siècle ? Correspond­il toujours aux constantes des musiques traditionnelles ? Cet enseignement a­t­il enfin sa légitimité en école ? Institutionnaliser un élément traditionnel n’est­il pas un non­sens si l’on reprend la définition des constantes des musiques traditionnelles ? 1) Adaptation aux structur es. a) Qu’apportent les musiques traditionnelles à ces structures ? Si l’on évoque tout d’abord des établissements de type conservatoire, on peut dire que les musiques traditionnelles ouvrent le champ musical de ces structures. En effet, celles­ci font partie intégrante du paysage sonore, et font partie aussi de l’identité musicale existante, surtout dans les régions Bretagne et proche bretagne. Plus qu’un apport de répertoire, ces musiques et ce qu’elles véhicule possèdent un apport pédagogique important pour les autres répertoires et plus précisément les répertoires écrits. A commencer par approcher les œuvres par leur écriture, la vision de celles­ci peut apparaître très complexe. Comme nous avons pu le voir précédemment au sein de l’association « sonneurs de veuze », les élèves viennent à cette structure car l’enseignement qui y est dispensé, par l’absence de partitions, parait plus aisé et plus proche, directement, d’une exécution musicale. On peut mettre ces apports sous deux notions principales : geste et mémoire. L’oralité favorise en effet le travail de la mémoire et de l’oreille
20 chez les élèves, c’est­à­dire ce qu’il est important de développer chez tout musicien dès son plus jeune âge. b) Quels apports pour les élèves « classiques » ? L’approche orale décomplexe tout d’abord la première approche pour ensuite inculquer des bases importantes : la mémoire en est le premier exemple significatif. Tous musicien saura reconnaître que la meilleure des interprétations se fera en dehors de la partition. Cette dernière, comme l’enregistrement, n’étant qu’un support de mémoire. Toutefois, notre société reste celle de l’écriture et la musique savante en est dépendante et fonctionne sur ce système depuis le Moyen­ âge. Il est n’est donc pas question ici de vouloir lui enlever son fondement, mais plutôt de savoir regarder autour de soi afin de faire évoluer son enseignement. L’écrit étant fondamental, comment ne pas voir que l’oralité est le premier élément de cette écriture. En effet, le meilleur moyen de pouvoir réécrire une partition de ce qu’on vient d’entendre n’est pas la rapidité d’écriture, mais surtout la capacité à se souvenir de ce que l’on a pu entendre. Dans ces musiques, nous avons pu remarquer que, bien souvent, les pièces jouées étaient des musiques accompagnant la danse ou les processions. Le rapport se fait tout de suite entre ce qu’on joue et ce pourquoi on le joue dans un premier temps. Dans un second temps, les pas de danse permettent un ressentit du phrasé de la musique. La dimension corporelle est bien trop souvent occultée lorsqu’on parle de musique. On considère énormément le seul rôle de notre ouïe, alors que tout le reste du corps se met en marche dès qu’il s’agit de jouer d’un instrument ou de chanter. Ainsi, ces pratiques liées à l’oralité et la prise en compte d’un contexte permettent à n’importe quel interprète de n’importe que style de musique de progresser et de faire fonctionner son oreille. De même, on a pu remarquer dans les deux structures, que les enseignants ne mettaient pas tout apport théorique de côté et étaient en mesure de faire des liens avec la théorie. Particulièrement lorsqu’il s’agit d’apporter quelque chose au élèves, soit, des références à ce qu’ils connaissent déjà, afin qu’ils en comprennent les tenants et les aboutissants, pour
21 ceux qui ont reçu un apprentissage écrit ; ou pour tout autre élève, afin qu’il ouvre son champ de compréhension musicale. D’un point de vue technique, et notamment si l’on observe les élèves qui viennent en cours de musique traditionnelle avec leur instrument classique, il est remarquable, d’un coup, que le rapport à l’instrument n’est plus tout à fait le même et que le fait d’interpréter des mélodies parfois moins compliquées et de les avoir retenues par cœur permet de se libérer un instant de la technique pure. En effet, dans le cursus classique, une difficulté des élèves à apprivoiser leur instrument est identifiable. Ceci est souvent du à la nature du répertoire exigeant qui nécessite un soin du son particulier qui mène les élèves à rechercher le « beau son ». En musique traditionnelle, le phrasé étant bien souvent plus important que la relative beauté du son, les élèves se laissent plus facilement aller à faire sonner l’instrument comme ils le veulent au départ, et ainsi permet plus de souplesse pendant un instant. De plus, les professeurs qui enseignent les musiques traditionnelles replacent, de façon assez logique une partie de notre patrimoine. Ainsi ils réintègrent dans le quotidien des pratiques qui autrefois faisaient déjà partie de la vie courante. D’un point de vue purement sociologique, ils redonnent aussi une idée de lien identitaire au sein d’un établissement. La musique dite classique représentait un premier lien culturel à grande échelle, mais il est remarquable que les musiques traditionnelles, et ici plus spécifiquement les musiques bretonnes, resserrent cet aspect identitaire qui relie cette fois la musique à un sentiment d’appartenance à une communauté culturelle et/ou géographique. c) Une mission de service public. Le Conservatoire a une mission de service public. En effet, il dispense un enseignement spécialisé et se doit de répondre à la demande du public. La place des musiques traditionnelles en conservatoire n’est pas anodine. Comme le précise La charte de l’enseignement artistique spécialisé en danse, musique et théâtre, « …Cette mission de sensibilisation ne peut se concevoir sans articulation avec la vie artistique contemporaine. Les établissements dispensent des
22 enseignements riches et diversifiés, proposant, sur un territoire donné, l’ensemble des expressions artistiques d’aujourd’hui. » Par cela, elle entend bien sûr, la musique contemporaine, qui, elle non plus ne se trouve pas toujours représentée à sa juste valeur dans les établissements. Mais, l’expression « vie artistique contemporaine » rend compte de même des musiques traditionnelles, puisque ces dernières sont encore bien vivantes et, en Bretagne et font partie intégrante du paysage musical local. De plus, il est mentionné plus loin : « Une attention et une place constante sont accordées tant à la création contemporaine et aux cultures émergeantes, qu’aux patrimoines artistiques, témoignant à la fois de l’histoire, de la vitalité et du renouvellement de chaque discipline. » 6 Il est alors indéniable que ce patrimoine, et les musiques traditionnelles représentent bien un patrimoine, se doit d’être enseigné et ainsi conservé, auprès des structures spécialisées. Remarquons aussi que la musique savante peut aussi être définie dans une même catégorie « traditionnelle ». Dans les deux cas, il s’agit bien de patrimoine, de même qu’il s’agit de répertoire ancien à conserver, faisant état des mouvements de la société. Ici, leur différence réside une fois de plus dans leur mode de conservation : l’une est conservée de manière orale et l’autre de manière écrite. 2) Apports de l’institution aux musiques traditionnelles. a) Ouvrir la musique à différents publics. On a pu remarquer en observant les cours de Fançois Robin, que la musique traditionnelle, du point de vue de l’oralité, permet à un public d’accéder à la musique. Nous parlons du public adulte à qui l’écriture, la théorisation peut faire peur, qui a bien souvent besoin d’un cadre pour apprendre. En effet, il est assez difficile, quand on n’a jamais appris la musique de commencer à l’age adulte. Ces adultes vont vers un apprentissage adapté. Lorsqu’on ne circule pas 6 Charte de l’enseignement artistique spécialisé, Ministère de la culture.
23 dans le milieu traditionnel, il n’est pas évident de trouver un professeur d’instrument. Les structures paraissent être un moyen accessible et sûr de pouvoir apprendre la musique. b) Une manière de faire (sur)vivre ces musiques ? On a pu remarquer, depuis le début du 20 ème siècle, et avec tous les bouleversements que ce dernier a pu connaître, que la musique bretonne a du se battre pour survivre. En effet, les différentes modes ont apporté de nouveaux répertoires, de nouveaux instruments compromettant parfois la survie des anciens. Mais ses défenseurs de l’époque, et à travers tout ce siècle ne se sont pas laissés submerger. Ils ont trouvé, peu à peu le moyen de pallier les manques et ainsi sont nés les « bagadoù », « festoù­noz », concours en tout genre ainsi qu’une volonté de recherche et de collectage afin de redonner un élan de jeunesse à la tradition. Paradoxalement, la nouveauté est dans la tradition et l’apprentissage bénéficie de cette volonté d’avancer afin que ces musiques perdurent. Le conservatoire, comme son nom l'indique et comme le précise Pierre Gallier dans l'entretient que j'ai eu avec lui, est un établissement de conservation. Celui­ci est présent afin de préserver les musiques. Comme la musique « classique », la musique traditionnelle doit être conservée, non pas cloîtrée, mais libre de continuer d'exister. Conserver n'est pas ici chercher à reconstruire ce qui a été fait selon une tradition du fond des âges, mais plutôt trouver un moyen de faire vivre une musique toujours existante et de l'enseigner. Enfin, le déclin des sociétés rurales (que fuient les jeunes générations) a pu provoquer la dégradation de l’enseignement de tradition. Les musiques traditionnelles se sont urbanisées et l’enseignement a du en faire de même. En effet, ces musiques ne sont pas entièrement sorties du paysage rural, mais se sont simplement propagées en ville et y ont pris leurs marques. Les structures demeurent partie intégrante du paysage urbain, et l’enseignement s’établit en majorité de cette façon. Il est alors tout à fait naturel que les musiques traditionnelles y trouvent leur place.
24 c) Une façon de la diffuser. De même, former des élèves à ce type de musique permet de la faire jouer, notamment lors d'audition, mais aussi de former les élèves à l'autonomie. Ceci est très présent dans l'association "sonneurs de veuze" et au conservatoire, où les élèves viennent en majorité pour apprendre afin de s'intégrer à un groupe de musique, ainsi qu’au conservatoires ou d’autres font partie de « bagadoù ». 3) Musique traditionnelle et institution, un non sens ? Par essence, la musique traditionnelle n’évolue que dans un milieu dit « traditionnel ». Celui­ci est lui­même défini par le lien identitaire qui uni les composants de la communauté et par l’affirmation des valeurs de cette communauté. Aujourd’hui, cette dernière a évolué, mais se retrouve toujours liée à cette identité qui passe notamment par la musique. On peut alors considérer que ces musiques doivent être, de la même manière, enseignées en milieu traditionnel uniquement. Or, et comme on a pu le constater à de multiples reprises, ces musiques sont en perpétuelle évolution. Leurs instruments, leur public, n’ont pas cessé de se modifier, et surtout depuis la révolution industrielle. Tout évolue et l’enseignement fait partie de cette évolution. De plus, les institutions, qu’elles soient publiques ou sous forme d’association ne sont­elles pas présentes afin de préserver ce qui existe déjà ? On a pu percevoir, au travers des observations dans l’association « sonneurs de veuze » que cette structure avait tenu un rôle fondamental dans la préservation de l’instrument dont il est question. Il en est de même en conservatoire qui, pour rappeler à juste titre sa dénomination est un endroit ou l’on conserve les musiques. Et les musiques traditionnelles sont à conserver aujourd’hui. Ainsi cet établissement rempli sa mission de service public en formant des élèves qui joueront une musique du patrimoine de la région. De plus, et comme on a pu le constater précédemment, les musiques traditionnelles font partie d’un patrimoine au même titre que la musique savante.
25 4) Une mutation de l’institution. Peu à peu l’institution, elle aussi liée au mouvement naturel d’évolution change et s’ouvre à ce qui entoure les musiques savantes. On assiste peut­être depuis quelques années à une acceptation de ce qui aurait du l’être depuis bien longtemps. On parle ici de mutation de l’institution, mais ne devrait­on pas parler par la même occasion de mutation de l’enseignement ? L’entrée de ces musiques au sein d’institutions comme les conservatoires font réfléchir les professeurs en place, et le rapprochement de ces mondes pourtant traitant du même objet, la musique, permet au élève de bénéficier d’un enseignement peut être plus large et plus ouvert, leur permet d’apprendre la théorie au travers de la pratique, et au instrumentistes traditionnels de pouvoir considérer cette théorie. Nous n’affirmons pas ici que ces enseignants ne sont pas des pédagogues accomplis, mais certainement celle que l’on ne peut pas forcément avoir la connaissance absolue de tous les domaines musicaux. Dans ce cas, le mélange de compétences plurielles permet de diversifier une pédagogie générale dans un établissement. 5) Quels sont les risques ? a) Risque de les faire basculer dans l’écrit. Il pourrait y avoir un risque à ce mouvement. Ces musiques traditionnelles, orales par essence pourraient bien se trouver modifiées par la présence de l’écrit (en considérant les conservatoires). En effet, les cours de formation musicale, par exemple, souvent axé sur l’écriture de la musique pourraient faire des élèves des lecteurs accrochés à leur partition. Or, si l’on prend l’exemple de la classe de bombarde de D. Matheyses, il y a une conscience de ce qui peut être fait lors des cours de formation musicale. Ne serait­il pas plus utile de réfléchir à l’avantage de la présence de l’écrit et de l’oral dans un même établissement? Il est certain, à la base, que l’écriture n’est utile en rien aux musiciens traditionnels. Mais si l’on regarde de plus près leur position, il peuvent parfois être confrontés à l’écriture de leur musique même, et ceci toujours dans un souci de conservation de la tradition. En
26 effet, les collectes sont réalisées sur enregistrement, mais aussi, sur partition. Il parait alors intéressant pour un musicien traditionnel de pouvoir rejouer ce qui est du domaine de la tradition, et il serait dommage qu’une simple partition devienne une barrière. Le risque de l’écriture dans les musiques traditionnelles est que celle­ci prenne une place prépondérante et brise la transmission orale. Cependant, nous pouvons voir qu’elle ne représente ni danger imminent ni domaine à exclure. b) Risque de figer. Le risque de figer ces musiques réside en plusieurs points. Tout d’abord l’écriture. Celle­ci, tout comme l’enregistrement, représente un danger si l’interprète qui a sous les yeux une partition, n’est pas en mesure de l’interpréter. Or, dans leur enseignement, les professeurs que j’ai pu observer attachent une attention particulière au travail de variation, à celui de l’interprétation. De plus, le cadre même des structures peut représenter une sorte de carcan, et les exigences demandées par l’institution, c’est­à­dire les résultats en terme de performance (et les examens) peuvent représenter un frein à la spontanéité qui caractérise ces musiques. En revanche, les établissements sont en mesure de graduer et d’adapter leurs exigences en fonction des disciplines. D’autre part, bien que la musique soit un plaisir, qu’on se situe en conservatoire ou en milieu rural traditionnel, la musique demande un travail et une exigence. De même l’on peut considérer que les élèves sont dans ces structures en tant qu’apprenants, et tout apprenant en structure peut être évalué sur les acquis techniques et musicaux. Dans cette situation, il n’a pas forcément le statut seul de musicien et les examens représentent une forme de repère dans leur évolution en tant qu’élèves. Il paraît, en premier lieu, contradictoire de vouloir faire entrer les musiques traditionnelles en structure. En effet, ces musiques sont à l’origine libre d’enseignement dans un espace de traditions. Mais lorsque celles­ci sont menacées par le manque de transmission spontanée, lorsqu’on se rend compte
27 que bien des habitants de cette Bretagne n’ont pas conscience de leur patrimoine, pourquoi ne pas trouver un moyen de plus de faire évoluer, perdurer ces musiques ?
28 CONCLUSION Où en est la tradition bretonne aujourd’hui, qu’est­elle devenue ? Cette question est à la base du sujet et il est cependant difficile d’y répondre. En effet, la subjectivité de chacun viendra y trouver une réponse. Ce que l’on considère aujourd’hui comme relevant de la tradition sont des éléments assez lointains (plus d’un siècle) mais ayant déjà subit de nombreuses modifications, ayant déjà rencontré l’écriture, étant passé par d’autres régions avant de revenir en Bretagne. Cette tradition, si elle a pu perdre quelques une de ses composantes au cours de l’histoire n’a pas pour autant disparu et la musique en est un élément encore bien vivant. Où en est la transmission de cette tradition musicale ? Elle aussi a évolué et en s’urbanisant a pris ses marques au sein de la société qu’elle peut représenter aujourd’hui. La rencontre entre les diverses musiques, expression même de la société, se retrouve aujourd’hui sur scène, mais aussi dans les lieux d’enseignement et ces musiques s’y entretiennent mutuellement en tirant profit les unes des autres. Les écoles de musique ou conservatoires proposent une forme de synthèse de la musique, car, que ce soit musique traditionnelle, classique, actuelle amplifiée ou tout autre nom que l’on ait pu trouver, c’est bien de musique que nous voulons parler et c’est bien de la musique que les élèves cherchent à apprendre à jouer. Certes, les questions ethnomusicologiques sont importantes : « faut­il considérer que les musiques traditionnelles, par essence mues par la tradition orale et la transmission en lieu rural, ont leur place dans un cadre institutionnalisé ? Cela ne représente t’il pas un non sens ? » Cette question idéologique a sa place mais perd toute légitimité dès lors qu’on évoque les possibilités actuelles de transmission et l’évolution de ces musiques, dès que l’on évoque l’idée principale qui régit toute musique traditionnelle ; c’est­à­dire le mouvement, l’évolution. De plus, pourquoi priver nos élèves de cet aspect musical ? Ne sommes­nous pas présents afin de leur ouvrir la porte vers la musique ? Pourquoi « la » musique serait elle d’un seul type ? Pourquoi des
29 enfants qui ont la chance d’avoir près d’eux un patrimoine musical riche ne pourraient pas avoir la possibilité de goûter à tout cela ? Il ne s’agit pas de vouloir trop enseigner, de dresser un panorama exhaustif des musiques, mais seulement de prendre en compte celle qui est juste à côté et qui représente un matériel foisonnant pour les pédagogues que nous sommes.
30 Annexes Annexe 1
31 BIBLIOGRAPHIE Ouvrages Musique bretonne Histoire des sonneurs de tradition, ouvrage collectif, Le Chasse marée/Ar Men Douarnenez 1996 BECKER Roland – LE GURUN Laure La musique bretonne, Coop breizh, Spezet 1996 BELMONT Nicole Article « Folklore » pp. 312­331 in Dictionnaire des genres et notions littéraires, Encyclopedia universalis, Albin Michel DEFRANCE Yves « Aspect de la musique traditionnelle en Bretagne à la fin du 20 ème siècle » in Poésies chantées de tradition orale en Flandre et en Bretagne, Librairie Honoré Champion, Paris 1991 ETAY Françoise « Dix ans d’enseignement de la musique en France » in 1967­1997. Trente ans d’enseignement de la musique et de la danse en France, Marsyas, hors série, Cité de la musique, Paris 1997 GUERIFF Fernand « La chanson, écho de traditions lointaines : l’occasion de chanter. » in Le trésor des chansons populaires folkloriques recueillies au pays de Guérande, Pour le compte de l’auteur, Le Pouliguen 1983 Ministère de la culture Charte de l’enseignement artistique spécialisé, 2002 Sites Internet LEBRETON Michel « Le guide et le passeur » article publié sur le site http://mu.trad.club.fr/AEMT/Lebreton.html 2000
32 MERCIER Gilles « L’école diwan » article publié sur le site http://perso.wanadoo.fr/echanges/diwan.html 2003 Périodiques MALRIEU Patrick « La tradition a de l’avenir ! » revue musique bretonne n°149, Mae/Merzhzven Mai/Juin 1998 MICHENAUD Jacques « y a­t­il un biniou après la veuze ? » revue musique bretonne n°149, Mae/Merzhzven Mai/Juin 1998 BOIDRON Jean­Jacques – VASSALLO Marthe « Enseigner la musique traditionnelle en Bretagne » revue musique bretonne n°145, Mae/Merzhzven Septembre/Octobre 1997 Mémoires BOISARD Philippe Deux siècles de tradition et musique traditionnelle 2005 DANIGO Luc La transmission de la musique traditionnelle, de la société rurale aux écoles de musique 2005
33