Concurrences - Microeconomix

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Concurrences - Microeconomix
Concurrences
Revue des droits de la concurrence
Competition Law Journal
Concurrence et distribution :
Le droit de la concurrence permet-il
d’appréhender les comportements
de la grande distribution ?
Droit & Economie l Concurrences N° 2-2012
www.concurrences.com
Anne Perrot
[email protected]
l Professeur, Université Paris I, Panthéon-Sorbonne
l Vice-Présidente, Autorité de la concurrence
Gildas de Muizon
[email protected]
l Économiste, directeur associé de Microeconomix
Joseph Vogel
[email protected]
l Avocat, Vogel & Vogel
Anne Perrot
[email protected]
Professeur, Université Paris I,
Panthéon-Sorbonne
Vice-Présidente, Autorité de la concurrence
Gildas de Muizon
[email protected]
Économiste, directeur associé de Microeconomix
Joseph Vogel
Concurrence et distribution :
Le droit de la concurrence
permet-il d’appréhender
les comportements
de la grande distribution ?
[email protected]
Avocat, Vogel & Vogel
Introduction
Anne Perrot
Professeur, Université Paris I, Panthéon-Sorbonne
Vice-Présidente, Autorité de la concurrence
T
Abstract
his set of three papers is derived from the training
session organized by the Concurrences Review that was
held on 29th March 2012 in Paris. For Gildas de Muizon,
Economist and author of the second contribution, the market
power of supermarkets must be assessed locally. For this it
is necessary to conduct a geographic delineation of relevant
markets in order to be able to calculate local market
shares. It is then possible, by mobilizing the right tools,
to study potential links between the price level and the
degree of concentration. For Joseph Vogel, author of the last
contribution, lawyers are forced to conclude that it is very
difficult to find the tools within the competition rules to deal
with the position of strength held by the major retailers and
the behaviors that result from that position. Competition law
is only of any real effectiveness in that regard in limited cases
or under conditions that themselves give rise to difficulties.
C
e dossier réunit trois contributions sur le sujet :
« Concurrence et distribution : Le droit de la concurrence
permet-il d’appréhender les comportements de la grande
distribution ? » présentées le 29 mars 2012 à Paris, et issues
du cycle de formation Economie et droit de la concurrence
organisé par la revue Concurrences. Pour Gildas de Muizon,
auteur de la deuxième contribution, le pouvoir de marché
de la grande distribution doit être apprécié au niveau local.
Pour cela, il est nécessaire de procéder à une délimitation
géographique des marchés pertinents, afin d’être en mesure de
calculer des parts de marché locales. Il est ensuite possible,
en mobilisant les outils adaptés, d’étudier les liens éventuels
entre le niveau des prix et le degré de concentration. Enfin pour
Joseph Vogel, auteur de la dernière contribution, il est très
difficile de trouver, en droit de la concurrence, des outils
qui permettent d’appréhender la position de force de la
grande distribution et les comportements qui en résultent.
Le droit de la concurrence n’est réellement efficace à cet égard
que dans des cas limités ou dans des conditions qui posent
elles‑mêmes difficulté.
1. Le contrôle de la montée en puissance de la grande distribution est un problème
permanent pour les autorités de concurrence depuis l’émergence et le renforcement
de la grande distribution. En effet, d’une part ce format de distribution des produits
permet la réalisation d’économies de coûts : les consommateurs trouvent dans un
hyper- ou un supermarché la plupart des produits dont ils ont besoin, à des prix
en général inférieurs à ceux du commerce de proximité. La puissance d’achat
dont disposent les grands distributeurs auprès des fournisseurs et l’économie
de coûts logistiques sont la source de gains d’efficience qui sont partagés avec
les consommateurs. En ce sens, la grande distribution participe à l’amélioration
des mécanismes concurrentiels en permettant aux différentes dimensions de la
concurrence (prix, mais aussi variété des produits, qualité, etc.) de se manifester.
2. Mais, d’autre part, les transferts de surplus entre acteurs économiques (fournisseurs,
petits commerçants, consommateurs) que la grande distribution a provoqués ont
aussi suscité des vagues successives de politiques publiques changeantes, poursuivant
au fil du temps des objectifs contradictoires. Ces interventions de nature régulatoire
plus que concurrentielle contraignent, elles aussi, le champ d’action de la politique
de concurrence.
3. Ces deux facteurs ont rendu étroite la voie par laquelle les autorités de concurrence
peuvent intervenir dans ce secteur.
I. Les politiques publiques vis-à-vis
de la grande distribution
4. En prenant le risque d’être un peu schématique, on peut dire que les politiques
publiques à l’égard de la grande distribution ont tour à tour oscillé entre deux
volontés : celle de protéger le petit commerce et celle de protéger les fournisseurs
contre la montée en puissance de la grande distribution. Manquant de compréhension
des mécanismes économiques à l’œuvre, elles ont le plus souvent abouti aux résultats
contraires de ceux attendus, engendrant ainsi des allers-retours entre des régulations
dont chacune tente de corriger les effets pervers de la précédente.
Concurrences N° 2-2012 I Droit & économie 1
A. Perrot, G. de Muizon, J. Vogel, Concurrence et distribution...
Ce document est protégé au titre du droit d'auteur par les conventions internationales en vigueur et le Code de la propriété intellectuelle du 1er juillet 1992. Toute utilisation non autorisée constitue une contrefaçon, délit pénalement sanctionné jusqu'à 3 ans d'emprisonnement et 300 000 € d'amende
(art. L. 335-2 CPI). L’utilisation personnelle est strictement autorisée dans les limites de l’article L. 122 5 CPI et des mesures techniques de protection pouvant accompagner ce document. This document is protected by copyright laws and international copyright treaties. Non-authorised use of this document
constitutes a violation of the publisher's rights and may be punished by up to 3 years imprisonment and up to a € 300 000 fine (Art. L. 335-2 Code de la Propriété Intellectuelle). Personal use of this document is authorised within the limits of Art. L 122-5 Code de la Propriété Intellectuelle and DRM protection.
@ Droit &économie
au contrôle des autorités de concurrence. La croissance
externe, quant à elle, est soumise à un examen qui fait la
part entre les gains d’efficience promis par la fusion et ses
effets anticoncurrentiels potentiels. Dans la plupart des cas,
chaque opération de concentration particulière examinée
par les autorités a fait apparaître des gains l’emportant
sur la réduction de concurrence minime engendrée par
l’opération. Au final d’ailleurs, comme le rappelle l’article de
G. de Muizon ci-après, la concentration qui prévaut sur le
marché français n’est pas très importante, aucun groupe ne
dépassant 30 % de part de marché. Aurait-il fallu abaisser
plus tôt le seuil de notification des concentrations dans
le secteur, comme le fait tardivement la loi 2008 ? Nul ne
peut le dire. L’application de ce seuil abaissé aujourd’hui est
plus une source d’encombrement bureaucratique qu’un filet
de sécurité à l’égard de concentrations dommageables pour
la concurrence.
9. Les leviers de la politique de la concurrence qui
s’appuient sur le contrôle ex post des comportements ne sont
pas tellement plus utiles en la matière : on l’a vu, les positions
nationales dominantes ne caractérisent pas la situation
française. Bien sûr, les positions locales dominantes sont
légion (certaines zones de chalandise ne comportant qu’un
ou deux offreurs), mais leur abus ne peut que rarement être
caractérisé. Se traduirait-il par des prix “excessifs” qu’on
se trouverait là dans l’une des zones d’ombre du droit de
la concurrence, peu enclin à définir des “prix optimaux”.
La voie de l’abus de domination est donc assez fermée,
tout comme celle de l’abus de dépendance économique : les
preuves que le fournisseur se trouve – sans que cela résulte
d’un choix délibéré de sa part –, dans une situation de
dépendance dont le distributeur abuserait, sont tellement
difficiles à rapporter que cette voie est en pratique inexistante
pour un fournisseur qui aimerait, par exemple, dénoncer
les déréférencements dont il fait l’objet. J. Vogel revient en
détail sur cette question. Les cas d’ententes entre enseignes
sont rares : outre son caractère spatial, la concurrence
entre distributeurs est fondamentalement une concurrence
multiproduit, contexte dans lequel un accord sur les prix
est difficile à conclure. Quant aux centrales d’achat, leur
formation et leurs comportements ont été par le passé
examinés par les autorités de concurrence, mais sans que
celles-ci y trouvent à redire : encore une fois, la fédération
des acheteurs, source d’un pouvoir de négociation accru face
aux producteurs (qui ne sont pas tous “petits”) a plutôt été
favorable à l’intensité concurrentielle. Qui plus est, la manière
dont est partagé le surplus entre les différents acteurs d’une
filière verticale n’est pas un problème de concurrence.
6. La présence de l’une ou l’autre de ces régulations
a empêché les mécanismes concurrentiels de jouer pleinement
et a interdit la pleine mise en œuvre des mécanismes du droit
de la concurrence dans le secteur.
II. L’impuissance relative
de la politique de la concurrence
7. La régulation changeante s’appliquant au secteur de la
grande distribution a rendu malaisées les interventions du
droit de la concurrence. Mais d’autres caractéristiques plus
naturelles du secteur ont également concouru à cette relative
impuissance.
III. Un secteur qui pose pourtant
problème
8. Le contrôle des concentrations, tout d’abord, n’a pu
empêcher ex ante que se constituent de grands groupes de
distribution : une partie de la croissance de ces groupes
est venue d’une forte croissance interne, échappant donc
1
Pour des analyses économiques des différents effets de ces lois,
v. Ph. Askenazy et K. Weidenfeld, Les soldes de la loi Raffarin, Presses de l’ENS, Paris,
2007, et M.-L. Allain, C. Chambolle et Th. Vergé, La Loi Galland sur les relations
commerciales : jusqu’où les réformer ? Presses de l’ENS, Paris, 2008.
2
V. ainsi l’avis no 07-A-12 du 11 octobre 2007 relatif à la législation relative à l’équipement
commercial.
Concurrences N° 2-2012 I Droit & économie 10.Cette relative impuissance à contenir les excès éventuels
de la grande distribution ne doit pas masquer pour autant
les questions de concurrence soulevées par le secteur.
2
A. Perrot, G. de Muizon, J. Vogel, Concurrence et distribution...
Ce document est protégé au titre du droit d'auteur par les conventions internationales en vigueur et le Code de la propriété intellectuelle du 1er juillet 1992. Toute utilisation non autorisée constitue une contrefaçon, délit pénalement sanctionné jusqu'à 3 ans d'emprisonnement et 300 000 € d'amende
(art. L. 335-2 CPI). L’utilisation personnelle est strictement autorisée dans les limites de l’article L. 122 5 CPI et des mesures techniques de protection pouvant accompagner ce document. This document is protected by copyright laws and international copyright treaties. Non-authorised use of this document
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5. En 1974, la première de ces régulations, la loi Royer,
tente d’enrayer l’expansion de la grande distribution,
qui se fait, pense-t-on, au détriment du petit commerce de
centre‑ville. La loi limite donc les possibilités d’implantation
des grandes surfaces en contraignant considérablement
les autorisations d’ouverture et en mettant l’autorisation
administrative d’ouverture entre les mains de commissions
dépourvues de neutralité et soumises à la pression des
lobbies. En freinant ainsi l’arrivée de nouveaux entrants,
cette loi favorise évidemment les entreprises en place et leur
donne un pouvoir de négociation important, dont on juge
bientôt qu’elles abusent lors de leurs négociations avec les
fournisseurs. En 1996, une nouvelle salve est tirée : la loi
Galland pense redonner du pouvoir aux fournisseurs en
contraignant la négociation commerciale, en particulier par
de nouvelles conditions sur les possibilités de vente à perte.
La loi Raffarin qui l’accompagne vient dans le même temps
renforcer les effets de la loi Royer, en revisitant les conditions
d’ouverture des grandes surfaces devenues envahissantes en
périphérie des villes. Tout cet arsenal de régulations crée de
telles tensions1 et échoue à ce point à atteindre ses objectifs
qu’en 2005 la loi Dutreil revient en arrière en annihilant
les principes de la loi Galland et assouplit à nouveau les
conditions de la négociation commerciale, dans un sens
qui s’avère rapidement favorable aux consommateurs.
Finalement, la loi LME revient en 2008 sur l’urbanisme
commercial, sans aller toutefois jusqu’au bout de cette idée :
si le seuil de l’autorisation administrative pour l’implantation
d’une grande surface est relevé de 300 à 1 000 m2 et si les
commissions qui examinent les demandes ne comprennent
plus de concurrents des demandeurs, la loi ne va pas jusqu’à
limiter l’examen de la demande à des questions d’urbanisme
(en excluant ainsi les questions économiques, que seul le
marché devrait trancher), comme le Conseil et l’Autorité de
la concurrence l’ont à maintes reprises recommandé2.
14.Des questions factuelles ensuite : établir un lien cohérent
et fiable entre parts de marché et niveaux de prix n’est pas aisé
dans un secteur multiproduit où interviennent de nombreux
éléments de différenciation entre enseignes (format, existence
des MDD qui rendent souvent difficilement comparables
les prix des “paniers de biens”).
15.Finalement, une question essentielle découle de ces
considérations pour la politique publique : comment les
autorités de concurrence peuvent-elles intervenir dans ce
secteur complexe sans entrer excessivement dans le champ de
la régulation des comportements ? Si le pouvoir d’injonction
structurelle semble aujourd’hui presque impossible
à mettre en œuvre (puisqu’il faut, pour pouvoir l’actionner,
la manifestation répétée d’un abus de position dominante),
il paraît constituer le seul levier d’action des autorités dans
un secteur où l’entrée est contrainte tout comme la mobilité
des affiliés entre les enseignes. Pour autant, il faut manier
avec prudence un outil qui pourrait aussi, utilisé à mauvais
escient, décourager l’investissement et briser les incitations
à prendre des risques pour les opérateurs.
n
12.Ces comportements semblent, en France, n’exister qu’à
l’état de risques, mais de tels cas se sont réellement produits
aux États-Unis : en 2003, la société US Tobacco s’est vu
infliger une amende de plus d’un milliard de dollars par
les tribunaux américains pour avoir, en tant que capitaine
de catégorie en position dominante sur le marché du tabac
à chiquer, porté atteinte à la visibilité et à la présence en
magasin des produits concurrents de l’entreprise Conwood
par ses interventions en magasin, d’une part, et par des
présentations dénigrantes des performances des produits
concurrents, d’autre part. Il était donc normal que l’Autorité
de la concurrence s’en soucie dans un avis préventif.
13.Au total, l’intervention du droit de la concurrence dans
le secteur de la distribution soulève une série de questions
qui seront analysées en détail dans les articles suivants – par
G. de Muizon du point de vue économique et par J. Vogel
pour l’analyse juridique. Des questions méthodologiques
3Pour des études académiques sur ce sujet, v. par ex. M. Asplund et R. Friberg (1999),
Retail price levels and concentration of wholesalers, retailers and hypermarkets,
Stockholm School of Economics, Working paper series in economics and finance, no 318,
S. H. Lustgarten (1975), The impact of buyer concentration in manufacturing industries,
Review of Economics and Statistics, vol. 57 : 2, p. 125-132, ou encore B. Marion (1998),
Competition in grocery retailing : the impact of a new strategic group on BLS price
increases, Review of Industrial Organisation, vol. 13, p. 381-399. D’autres analyses
plus orientées vers la pratique sont fournies par l’UFC-Que choisir : Concurrence
locale sur les zones de chalandise et prix : quelle relation ?, document téléchargeable sur
http://www.quechoisir.org ; ou encore K. Berger : Quel est l’impact de la concurrence
des surfaces de type discount sur les prix des hypermarchés à dominante alimentaire ?
Revue de la CCRF 11/04.
Concurrences N° 2-2012 I Droit & économie 4V. A. Chapsal et L. Eymard, Remarks on the calculation of local market shares,
Concurrences no 1-2011, p. 37-41
3
A. Perrot, G. de Muizon, J. Vogel, Concurrence et distribution...
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tout d’abord : comment définir avec finesse les zones de
chalandise, les parts de marché et le pouvoir de marché des
opérateurs dans ces secteurs ? Différentes méthodes, plus
ou moins raffinées et plus ou moins gourmandes en temps
et en données, sont disponibles4.
11.Tout d’abord, de nombreuses études3 ou avis attestent
de l’existence de pouvoirs de marché locaux et de leur
incidence néfaste sur le niveau des prix. Ce lien est encore
souligné dans l’avis no 12-A-01 sur la grande distribution
à Paris. De ce fait, s’il existe des zones de chalandise dans
lesquelles une ou deux enseignes au plus sont présentes, la
mobilité des affiliés entre enseignes pourrait être un moyen
d’introduire plus de concurrence, en l’absence de possibilité
d’implanter de nouvelles surfaces de vente. Mais on se heurte
ici à de nombreuses rigidités dues aux clauses présentes
dans les contrats d’affiliation des magasins à leur enseigne :
s’il est normal que ces clauses empêchent les mécanismes
de free‑riding et d’expropriation des investissements (hold
up), il est en revanche excessif que le jeu cumulé de ces
clauses interdise définitivement à un affilié de changer
d’enseigne. Ces points ont été examinés par l’avis no 10‑A‑26.
Enfin, certains comportements soulignent le danger, qui
n’est aujourd’hui que potentiel, de la mise en œuvre de
certains comportements comme le management catégoriel :
cette pratique, dont les contours sont extrêmement opaques
et variables d’une enseigne à l’autre, consiste à confier à un
fournisseur une partie plus ou moins importante de la gestion
d’un rayon dans un magasin. En théorie, il pourrait en
découler des risques de contrôle vertical, par ce fournisseur, de
l’ensemble du positionnement relatif des produits les uns par
rapport aux autres en termes d’agencement dans les rayons,
de choix de l’assortiment, et même de positionnement
tarifaire. Le fournisseur choisi comme capitaine de catégorie
pourrait avoir un accès privilégié à certaines informations
sur ses concurrents qui lui permettraient de distordre la
concurrence à son profit. Sa position lui permettrait aussi
d’organiser une concertation horizontale entre les principaux
concurrents du secteur.
Concurrence et niveau des prix
dans la grande distribution
Gildas de Muizon
Économiste, directeur associé de Microeconomix
1. Cette intervention s’articule autour de deux questions
principales : d’une part, les outils économiques permettant
d’apprécier le pouvoir de marché des enseignes de la grande
distribution ; d’autre part, les moyens d’action sur le niveau
des prix.
4. Une fois la zone de chalandise définie, le calcul de la
part de marché du supermarché étudié est très simple :
il suffit d’identifier tous les autres supermarchés présents
dans la zone de chalandise et de rapporter le chiffre
d’affaires du supermarché étudié au chiffre d’affaires total
des supermarchés de la zone de chalandise.
I. Marché pertinent et calcul
des parts de marché locales
5. Le problème de cette approche est qu’elle repose sur
l’hypothèse – intenable – selon laquelle les frontières de
la zone de chalandise définie seraient infranchissables.
Cela conduit à un raisonnement binaire : les concurrents
situés dans la zone de chalandise sont supposés exercer une
pression concurrentielle parfaite sur le supermarché étudié,
tandis que ceux qui se trouvent en dehors de la zone de
chalandise sont supposés n’en exercer aucune. Or, certains
consommateurs de la zone de chalandise peuvent très bien
mettre en concurrence une enseigne située en dehors de
la zone de chalandise du supermarché étudié (figure 2).
2. Pour calculer des parts de marché, il est nécessaire de
définir au préalable le marché pertinent. Or, la concurrence
entre grandes et moyennes surfaces se joue à un niveau
local. Les parts de marché nationales des grandes enseignes
ne permettent pas d’apprécier la diversité des conditions
locales de concurrence, car les points de vente sont des biens
différenciés dans l’espace géographique et les enseignes
présentent des degrés divers d’implantation selon les régions.
Figure 2. Chevauchement des zones de chalandise
3. Il convient donc de délimiter des marchés pertinents
locaux afin d’estimer des parts de marché locales. Le premier
réflexe est de définir la zone de chalandise. Il s’agit grosso
modo de tracer un cercle dont le centre est le supermarché
étudié et dont le rayon correspond à un temps de trajet jugé
compatible avec les habitudes effectives des consommateurs
(figure 1). La zone de chalandise dépend ainsi des caractéristiques
précises du point de vente considéré. Par exemple, l’Autorité
de la concurrence5 a retenu un temps de trajet en voiture de
30 minutes pour les hypermarchés et de 15 minutes pour
les supermarchés. À Paris, où les consommateurs font
généralement leurs courses à pied, la zone de chalandise retenue
correspond à un temps de trajet de 5 à 10 minutes à pied.
Figure 1. Zone de chalandise
6. Comment tenir compte de la pression concurrentielle
exercée par les enseignes situées autour de la zone de
chalandise retenue ? Cette problématique s’est par exemple
récemment posée dans l’analyse du marché parisien menée
par l’Autorité de la concurrence6. Deux solutions peuvent
être mises en œuvre pour mieux apprécier la situation
concurrentielle locale.
7. La première possibilité consiste à généraliser l’approche
par les zones de chalandise en intégrant dans le calcul des
parts de marché tous les supermarchés dont la zone de
chalandise chevauche la zone de chalandise du supermarché
étudié. On pondère ensuite les supermarchés identifiés
en fonction de la taille de la surface de chevauchement :
6V. l’avis no 12-A-01 du 11 janvier 2012 relatif à la situation concurrentielle dans le secteur
de la distribution alimentaire à Paris.
5V. par ex. l’avis no 00-A-06 du 3 mai 2000 relatif à l’acquisition par la société Carrefour
de la société Promodès.
Concurrences N° 2-2012 I Droit & économie 4
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Concurrence et distribution :
Le droit de la concurrence permet-il d’appréhender
les comportements de la grande distribution ?
concurrence en chaîne8. Dans ces conditions, le marché
pertinent peut s’étendre bien au‑delà de la zone locale.
Le concept de concurrence en chaîne a notamment été
mobilisé lors de l’examen d’une fusion entre casinos9 et entre
stations‑services10. Étonnamment, il ne semble pas avoir été
discuté dans le cadre de l’avis sur la situation concurrentielle
dans le secteur de la distribution alimentaire à Paris,
alors qu’il l’avait été dans l’enquête menée par l’autorité
anglaise en 200811.
Figure 3. Pondération par la taille du chevauchement
des zones de chalandise
II. Lien entre le niveau des prix
et le degré de concurrence
10.Une fois que les parts de marché locales ont été
correctement estimées, on cherche à étudier le lien éventuel
entre la concentration du marché et le niveau des prix. Ce lien
n’a rien d’évident. Le niveau des prix est en effet lié au pouvoir
de marché12 des entreprises et ce pouvoir de marché ne se
reflète pas forcément dans la part de marché détenue. Ce n’est
le cas que pour certains modèles de concurrence (par ex.,
modèle de concurrence en quantité avec bien homogène).
Dès que les biens sont différenciés, le lien entre pouvoir
de marché et part de marché ne tient plus. Or, les enseignes
de la grande distribution sont précisément différenciées par
la localisation géographique de leurs supermarchés.
8. La seconde possibilité consiste à renverser la logique de
la zone de chalandise. Au lieu de partir du supermarché et
de définir sa zone de chalandise, on part du consommateur
et on identifie les magasins qui lui sont accessibles (figure 4).
Par exemple, un consommateur situé dans un quartier
où il existerait deux magasins à moins de 500 mètres sera
supposé partager ses achats entre les deux. On fait ensuite
la somme des “parts de marché” calculées au niveau de
chaque consommateur pour obtenir la part de marché locale
d’un supermarché donné.
11.La littérature économique a élaboré plusieurs modèles
de concurrence spatiale. Le plus connu est celui du cercle
de Salop (1979)13. Il modélise une situation imaginaire dans
laquelle des magasins et des consommateurs sont répartis
sur un cercle. Chaque consommateur supporte un coût de
transport pour se rendre dans un magasin. Le prix d’équilibre
concurrentiel s’établit à un niveau supérieur au coût marginal
(prix de concurrence parfaite). Plus précisément, il est égal
au coût marginal augmenté d’un mark-up d’autant plus élevé
que le coût de transport des consommateurs est élevé ou que
les magasins sont éloignés les uns des autres. Autrement dit,
le modèle met en évidence que la différenciation spatiale des
magasins leur confère un certain pouvoir de marché d’autant
plus élevé que les consommateurs sont peu enclins à se
déplacer.
Figure 4. Pondération par les alternatives offertes
aux consommateurs
12.Pour limiter le pouvoir de marché des magasins existants,
il faudrait agir sur les déterminants du mark-up. A priori,
on ne peut pas agir significativement sur les coûts de transport
9. En pratique, on pourra se contenter de la première
approche, à condition que la densité de population de la zone
étudiée soit suffisamment homogène. La seconde méthode
exige de connaître la répartition effective des consommateurs
sur le territoire. On peut par exemple utiliser les données
de l’INSEE sur la densité de population, à condition que
les données disponibles soient fines – sinon, la seconde
méthode rejoint en fait la première. Il est également
envisageable d’appliquer la méthode sur une répartition
hypothétique des consommateurs, à l’instar de l’Autorité
de la concurrence sur le marché parisien7.Soulignons enfin
que l’on pourrait envisager des délimitations de marché plus
larges que le niveau local, notamment lorsque les zones de
chalandise se chevauchent significativement et créent une
8V. par ex. N. Daley (2010), Zones de chalandise et concurrence en chaîne, quelles
conséquences sur la délimitation géographique des marchés ?, Economic Focus.
9Lettre du ministre de l’Économie en date du 28 juillet 2004, aux conseils des sociétés Accor
et Colony et de la famille Barrière-Desseigne, relative à une concentration dans le secteur
des casinos (C 2004-117). Microeconomix est intervenu pour les parties notifiantes.
10Comm. CE, déc. du 9 février 2000, TotalFina/Elf, COMP/M.1628.
11Competition Commission (2008), “The supply of groceries in the UK market
investigation”, v. not. p. 74 : “Tesco also submitted that if markets were, contrary to its
view, local, there were chains of substitution between local geographic markets that widened
these markets to at least 30 minutes. […] Morrisons also argued that there were likely to
be chains of substitution between local markets. These were most likely to occur in heavily
built-up areas of the UK in which there are no discontinuities in catchment areas”.
12 Le pouvoir de marché est défini comme la capacité d’une entreprise à élever ses prix au-delà
de ses coûts marginaux. Il est mesuré par l’indice de Lerner.
7
13 S.C. Salop (1979), Monopolistic competition with outside goods, The Bell Journal
of Economics, vol. 10, p. 141-156.
V. l’avis no 12-A-01, § 122.
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constitutes a violation of the publisher's rights and may be punished by up to 3 years imprisonment and up to a € 300 000 fine (Art. L. 335-2 Code de la Propriété Intellectuelle). Personal use of this document is authorised within the limits of Art. L 122-5 Code de la Propriété Intellectuelle and DRM protection.
deux supermarchés très proches ont des zones de chalandise
qui se chevauchent beaucoup, tandis que deux supermarchés
assez éloignés n’auront en commun qu’une faible intersection
de leurs zones de chalandise respectives (figure 3).
16.Il faut être particulièrement soigneux dans le traitement
des données et dans l’identification des variables pertinentes
à documenter et à inclure. Imaginons par exemple que l’on
cherche à estimer l’impact de la distance du concurrent le
plus proche sur le niveau des prix. On fait tourner le modèle
économétrique et on obtient un résultat significatif, mais qui
indique que le niveau des prix diminue lorsque les concurrents
sont plus éloignés. Le résultat est contre-intuitif et semble
peu réaliste. On intègre maintenant également des données
sur la densité de population. Le résultat obtenu est modifié :
on trouve maintenant un impact significatif et positif de la
distance du concurrent le plus proche sur le niveau des prix.
Comment expliquer cette divergence de résultats ? En fait,
la première estimation était biaisée par une variable non
prise en compte et affectant à la fois le niveau des prix et la
densité d’implantation des magasins. On peut imaginer par
exemple que, dans les zones denses, la demande est plus forte,
ce qui incite les enseignes à ouvrir davantage de magasins.
La distance entre deux magasins est donc généralement plus
faible dans les zones denses. On peut en outre imaginer que
les consommateurs des zones denses sont globalement plus
riches que les consommateurs des zones peu peuplées. Le lien
apparent mis en évidence dans le premier modèle provenait
en fait de la variable cachée “densité de population”.
13.Puisque l’importance de la part de marché locale n’est pas
forcément une bonne approximation du pouvoir de marché
des magasins, on peut chercher à apprécier directement le lien
éventuel entre la part de marché et le niveau des prix. Dans le
cadre de l’instruction menée par l’Autorité de la concurrence
sur le marché parisien, le groupe Casino a produit une
étude qui mettait en évidence l’absence de corrélation entre
le niveau des prix et la part de marché détenue par l’enseigne
dans un arrondissement. L’Autorité de la concurrence
a estimé que cette étude était biaisée, car elle s’appuyait sur
des parts de marché estimées au niveau des arrondissements.
En modifiant cette hypothèse et en retenant des parts de
marché mesurées au niveau de chaque quartier, la corrélation
devenait significative, même si l’Autorité a reconnu que l’effet
mis en évidence était de faible ampleur. Ce résultat n’est pas
très étonnant, car le choix des consommateurs est davantage
guidé par la minimisation de leurs coûts de transport.
III. Comment agir sur le niveau
des prix ?
14.En outre, la comparaison des prix est un exercice compliqué.
Il faut d’abord définir un panier de biens suffisamment
homogènes, disponibles dans l’ensemble des magasins et
représentatifs du panier moyen des consommateurs. Or les
produits distribués couvrent des gammes très larges, avec de
multiples facteurs de différenciation entre enseignes (diversité
des produits disponibles, formats, etc.). En outre, les MDD
représentent des volumes significatifs et ne sont par définition
disponibles que dans une enseigne donnée, même s’il est
possible d’identifier des produits sensiblement similaires.
Une fois le panier de produits défini, il faut relever les prix,
ce qui n’est pas évident, car ils peuvent varier significativement
dans le temps, au gré des opérations promotionnelles.
17.Considérons maintenant avoir mis en évidence des
situations locales de forte concentration et avoir démontré
qu’elles étaient à l’origine de prix élevés. Comment agir si ces
prix sont jugés excessifs ? Le droit de la concurrence permet
en théorie de sanctionner la pratique d’un prix excessif en
tant qu’abus d’une position dominante. Cependant, les cas
sont rares en pratique, probablement parce qu’on ne dispose
pas de test économique permettant de caractériser ce que
serait un prix excessif14.
18.En outre, l’économiste est très réticent à intervenir
directement sur le niveau des prix. Le prix n’est en effet qu’un
signal résultant du fonctionnement concurrentiel du marché.
Agir sur le signal ne sert à rien et il est plus pertinent de
chercher à comprendre l’origine du prix qu’on juge excessif.
S’il résulte d’une pratique anticoncurrentielle, alors c’est cette
pratique qu’il faut sanctionner. S’il résulte d’une innovation,
il ne faut surtout pas intervenir. Si c’est un monopole qui
pratique des prix trop élevés, alors il faut le réguler, mais
sans passer par le droit de la concurrence. Les conditions qui
justifieraient que le droit de la concurrence soit mobilisé sont
en fait très restrictives : (i) l’existence de barrières à l’entrée très
élevées et durables ; (ii) l’acquisition d’une position dominante
ne résultant pas d’une concurrence par les mérites ;
et (iii) l’absence de régulateur (M. Motta et A. de Streel, 2007).
15.La seconde étape consiste à identifier l’impact spécifique
du degré de concurrence sur les prix. Or, les prix d’un magasin
peuvent être influencés par de multiples facteurs autres que
le degré de concurrence : par exemple, les coûts supportés
par l’enseigne, le niveau de la demande, la sensibilité des
consommateurs au prix, les services offerts par l’enseigne,
etc. Il convient donc de mobiliser l’économétrie, qui utilise
les mathématiques et les statistiques pour analyser de
grandes quantités de données afin de mettre en évidence
des liens de causalité. En pratique, on cherche à expliquer
le niveau des prix observé en intégrant dans le modèle
économétrique toutes les variables observables susceptibles
d’influencer les prix, afin d’estimer l’impact spécifique du
degré de concurrence sur les prix, toutes choses égales par
ailleurs. Cette analyse nécessite l’exploitation des données
sur les prix, mais également sur les coûts, la demande locale,
Concurrences N° 2-2012 I Droit & économie 14V. par ex. H. Calvet et G. de Muizon (2011), Prix excessif, faut-il intervenir ou laisser
faire ?, RLC no 29, p. 92-93.
6
A. Perrot, G. de Muizon, J. Vogel, Concurrence et distribution...
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etc. Une fois que les données sont collectées, l’estimation du
modèle économétrique permet d’identifier les variables ayant
un impact significatif sur le prix et de quantifier l’effet qui
leur est spécifiquement attribuable.
des consommateurs. En revanche, on peut envisager des
mesures favorisant l’entrée de magasins concurrents. Notons
que le modèle permet aussi de prédire le nombre de magasins
à l’équilibre. Il est d’autant plus élevé que les consommateurs
supportent un coût de transport élevé. L’intuition est
la suivante : lorsque les consommateurs se déplacent peu,
la concurrence entre magasins est moins intense, ce qui incite
les enseignes à accroître le nombre de magasins. En outre,
le nombre de magasins à l’équilibre diminue avec l’ampleur
des coûts fixes supportés pour ouvrir et exploiter un point
de vente. Toutes choses égales par ailleurs, on s’attend donc
à observer une moindre densité de supermarchés dans les
zones où le foncier est cher.
à la marque, des coûts associés au changement d’enseigne
(négociation d’un nouveau contrat, coût d’adaptation de leurs
systèmes informatiques, gestion des stocks, etc.) et du risque
encouru (impact potentiel sur les clients, etc.).
20.Par exemple, faciliter l’entrée de nouveaux concurrents est
susceptible de conduire à une baisse des prix. Or, bien souvent,
il existe des contraintes réglementaires qui empêchent la libre
entrée des concurrents potentiels et, ce faisant, protègent les
opérateurs en place et leur permettent de pratiquer des prix
élevés. Un premier moyen d’agir consiste donc à alléger, voire
supprimer, les contraintes réglementaires restreignant l’entrée
des concurrents potentiels. C’est dans cette optique que
l’Autorité de la concurrence recommande15 la suppression
des autorisations administratives d’implantation pour
les magasins de plus de 1 000 m2, ainsi qu’un meilleur
allotissement des zones d’aménagement commercial.
24.Un moyen d’agir consisterait à modifier directement
la structure du marché en forçant l’entité en position
dominante à céder des magasins. Si on a mis en évidence
une forte concentration locale d’une enseigne et un lien avec
le niveau des prix, forcer la cession de certains magasins au
profit des concurrents peut se traduire par un effet bénéfique
pour les consommateurs. Mais une telle “expropriation”
emporte également des risques d’effets négatifs pour les
consommateurs : anticipant qu’elle pourra être expropriée,
une enseigne sera moins incitée à ouvrir des magasins.
25.Afin d’apprécier correctement l’effet d’une telle décision,
il est important de réfléchir au scénario contrefactuel,
c’est‑à‑dire de réponse à la question suivante : que se serait-il
passé si l’enseigne, anticipant qu’elle était exposée au risque
d’être forcée à céder des magasins, n’avait pas ouvert autant
de magasins dans la zone locale ?
21. On peut également chercher à agir sur la mobilité
inter‑enseignes. Les magasins sont souvent exploités par des
franchisés qui signent un contrat avec une enseigne donnée.
Or, certaines clauses d’affiliation de magasins indépendants
peuvent avoir des effets restrictifs sur la concurrence
(exclusivité d’approvisionnement, durée d’engagement,
clause de non-réaffiliation, etc.). En agissant sur ces clauses
et en limitant leurs effets restrictifs, on améliore la mobilité
des franchisés, ce qui, à terme, peut remettre en cause la
position détenue par une enseigne donnée dans une zone
donnée. L’Autorité de la concurrence recommande16 ainsi
l’assouplissement des contrats de franchise avec les magasins
franchisés indépendants.
26.L’exemple de Casino à Paris est particulièrement éclairant.
L’Autorité de la concurrence reconnaît que la concentration
observée est la conséquence (i) des investissements effectués
par Casino sur le marché parisien et (ii) du relatif désintérêt
longtemps manifesté par les enseignes concurrentes. On peut
donc penser que, si Casino n’avait pas ouvert autant de
magasins, les enseignes concurrentes ne l’auraient a priori
pas fait non plus. Doit-on punir une enseigne qui a choisi
d’investir en prenant un risque ? Ce serait potentiellement très
dommageable pour les incitations à investir des entreprises.
22.Il convient cependant d’être prudent car, comme de
nombreuses restrictions verticales, les clauses contractuelles
peuvent également être à l’origine d’effets proconcurrentiels17.
Par exemple, un engagement d’approvisionnement exclusif
du franchisé auprès de la centrale d’achat de l’enseigne peut
être la contrepartie des efforts consentis par l’enseigne pour
aider le franchisé à développer la clientèle de son magasin.
En l’absence de telles clauses contractuelles, l’enseigne est
exposée au risque de free-riding18 de la part d’enseignes
concurrentes : une fois que la première enseigne a supporté
les coûts de développement du magasin, une enseigne
concurrente peut venir proposer un contrat de franchise
plus intéressant au franchisé, car elle bénéficie des efforts
de la première enseigne sans en avoir supporté les coûts.
Anticipant cette forme de parasitisme, la première enseigne
n’est guère incitée à aider son franchisé si elle n’est pas en
mesure de s’assurer que les fruits de ses efforts ne seront pas
accaparés par une enseigne concurrente.
27.L’exemple du Royaume-Uni est souvent avancé pour
justifier les injonctions structurelles. Ainsi, les autorités
britanniques de la concurrence19 ont forcé l’exploitant d’un
certain nombre d’aéroports situés notamment autour de
Londres (BAA) à en céder deux. Il est cependant important
de souligner que les barrières à l’entrée pour construire un
nouvel aéroport sont bien supérieures à celles pour ouvrir
une nouvelle supérette. En outre, la position monopolistique
de BAA était la conséquence du choix du gouvernement lors
de la privatisation en 2000.
28.En ce qui concerne la distribution alimentaire, les autorités
britanniques20 ont mené en 2008 une grande enquête mettant
en évidence que Tesco occupait une position très dominante,
voire monopolistique, dans certaines zones locales. Pourtant,
il n’a pas été jugé opportun de forcer Tesco à céder des
magasins. Les autorités britanniques ont en revanche proposé
un nouveau test visant à interdire à une enseigne d’ouvrir de
nouveaux magasins dans les zones locales où elle occupait
déjà une position dominante. Mais cette décision a été cassée
en appel21.
23.Par ailleurs, même si on imaginait un monde permettant
une mobilité sans limites des franchisés en enseigne, il n’est
pas du tout évident que les franchisés aient envie de changer
d’enseigne, par exemple en raison de leur attachement potentiel
15V. l’avis no 12-A-01, § 171 à 178.
16V. l’avis no 12-A-01, § 179 à 184.
19Competition Commission (2009), “BAA airports market investigation. A report on the
supply of airport services by BAA in the UK”.
17V. par ex. V. Selinsky et O. Sautel (2011), Les clauses restrictives dans les contrats
d’affiliation de magasins indépendants, RLC no 28, p. 84-85.
20 Competition Commission (2008), “The supply of groceries in the UK market
investigation”.
18V. la théorie dite “des services additionnels” développée par L. G. Telser (1960), Why
Should Manufacturers Want Fair Trade? Journal of Law and Economics, vol. 3, p. 86-105.
21 Competition Appeal Tribunal, Case No 1104/6/8/08, TESCO PLC vs. Competition
Commission.
Concurrences N° 2-2012 I Droit & économie 7
A. Perrot, G. de Muizon, J. Vogel, Concurrence et distribution...
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19.Si l’on ne peut pas agir directement sur le niveau des prix,
il est en revanche intéressant d’agir sur les caractéristiques
structurelles susceptibles d’expliquer en partie le niveau
des prix.
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29.En conclusion, il convient d’approfondir la réflexion sur
les moyens d’agir et d’améliorer les situations concurrentielles
locales dans la distribution alimentaire, en prenant garde
à ne pas mettre en œuvre de nouveaux outils sans avoir au
préalable été en mesure d’évaluer finement leurs potentiels
effets bénéfiques et/ou négatifs.
n
8
A. Perrot, G. de Muizon, J. Vogel, Concurrence et distribution...
Analyse de l’efficacité pratique
des actions juridiques
Joseph Vogel
Avocat, Vogel & Vogel
1. Pour un juriste, et tout particulièrement pour un avocat
ou un directeur juridique en charge de la stratégie juridique et
judiciaire d’une entreprise, l’appréhension des comportements
de la grande distribution par le droit de la concurrence se
pose de façon très concrète et pragmatique. Il s’agira de
chercher à appréhender de la façon la plus large en fonction
de la mission qui lui a été confiée tous les comportements des
grandes enseignes : comportements vis‑à‑vis de leurs clients,
c’est-à-dire des consommateurs, mais aussi comportements
vis-à-vis des clients intermédiaires que sont les affiliés
dans les réseaux des enseignes et comportements vis-à-vis
des fournisseurs.
pendant quatorze ans23. Une enquête est en cours concernant
les fabricants de yaourts qui se seraient entendus pour
avoir coordonné leur politique de prix à l’égard des MDD.
Dans l’affaire des endives, l’Autorité a insisté sur la modération
des amendes prononcées, qui se limitent effectivement à un
montant de 3,6 millions d’euros. L’Autorité indique avoir tenu
compte de l’impact limité de l’entente sur les prix en raison
du contre-pouvoir de la grande distribution. Mais l’amende
représente, pour la plupart des entreprises mises en cause,
environ 3,5 % de leur chiffre d’affaires.
5. Les fournisseurs sont avertis : l’Autorité restera ferme en
présence de cartels caractérisés même si les pratiques sont
liées ou peuvent être liées à une volonté de faire contrepoids
face à la puissance d’achat de la grande distribution. Alors le
droit de la concurrence peut-il être une arme de défense pour
les fournisseurs ?
2. C’est cette dernière catégorie qui pose le plus de
problèmes en pratique. Les négociations entre les enseignes et
leurs distributeurs sont chaque année plus difficiles dans un
contexte de volatilité des prix et de tensions inflationnistes.
Les fournisseurs sont mal armés pour lutter contre les
demandes des enseignes : encadrement strict des hausses
de prix versus baisse automatique en cas de baisse du coût des
matières premières, refus de toute coopération commerciale,
demandes d’inconditionnalité des CGV ou de garantie
de marge, demande d’engagement de défense du contrat et de
reconnaissance de son caractère équilibré comme condition
préalable au référencement, etc.
6. Le juriste doit faire ce constat : il est très difficile
de trouver, en droit de la concurrence, des outils qui
permettent d’appréhender la position de force de la grande
distribution et les comportements qui en résultent (I.).
Le droit de la concurrence n’est efficace que dans des cas
paroxystiques ou dans des conditions qui posent elles-mêmes
difficulté (II).
3. La raison en est simple : un fournisseur ne peut
généralement se passer d’aucun de ses clients grands
distributeurs, car chacun d’entre eux peut représenter jusqu’à
10, 15 ou 20 % de ses débouchés. Inversement, chaque
fournisseur ne représente généralement qu’un pourcentage
marginal ou relativement faible des approvisionnements
du distributeur. Le déséquilibre du rapport des forces
est manifeste : 36 000 fournisseurs font face à 7 grandes
enseignes qui sont à la fois leurs clients et leurs concurrents,
via les marques de distributeurs.
I. La difficulté d’appliquer
le droit de la concurrence pour
appréhender les comportements
de la grande distribution
7. La difficulté d’appliquer le droit de la concurrence
aux comportements de la grande distribution se rencontre
pour les trois grandes catégories de comportements qu’il
vise : abus de position dominante (1.), entente (2.) et abus
de dépendance (3.).
4. Mais, paradoxalement, ce ne sont pas les enseignes qui
sont sous le feu de l’actualité du droit de la concurrence,
mais leurs fournisseurs. L’Autorité de la concurrence vient
de condamner à hauteur de 146,9 millions d’euros d’amende
les meuniers français qui avaient créé deux entreprises
communes pour vendre leurs produits à la grande et
moyenne distribution et au hard-discount22. Elle a sanctionné
les producteurs d’endives et plusieurs de leurs organisations
professionnelles pour avoir maintenu des prix minima
1. Abus de position dominante
8. Je serai bref en ce qui concerne l’abus de position
dominante, car, du point de vue juridique, c’est la qualification
pour laquelle les éléments constitutifs sont le moins à même
d’être réunis.
22Déc. no 12-D-09 du 13 mars 2012 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur
des farines alimentaires.
Concurrences N° 2-2012 I Droit & économie 23Déc. no 12-D-08 du 6 mars 2012 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur
de la production et de la commercialisation des endives.
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A. Perrot, G. de Muizon, J. Vogel, Concurrence et distribution...
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Concurrence et distribution :
Le droit de la concurrence permet-il d’appréhender
les comportements de la grande distribution ?
14.L’entente suppose un accord de volontés ayant pour
objet ou pour effet de fausser la concurrence. Souvent, l’on
est en présence de comportements unilatéraux de la grande
distribution, aucun accord ne pouvant être caractérisé.
Ces comportements peuvent certes déboucher sur un accord,
mais celui-ci n’est pas pour autant nécessairement constitutif
d’une entente. Dès 199828, la Cour de cassation a censuré
l’arrêt de la cour d’appel qui avait retenu cette qualification
pour la demande d’une enseigne de meilleures conditions
tarifaires liée à l’augmentation de sa puissance d’achat
à la suite d’une opération de concentration – demande
acceptée par ses fournisseurs menacés de déréférencement.
Cette pratique, dite “de corbeille de la mariée”, n’était pas,
selon la Cour de cassation, une entente, “faute pour les
producteurs d’y avoir librement consenti en vue de limiter
l’accès au marché ou à la libre concurrence”. D’une part,
le consentement à l’entente n’est pas établi ; d’autre part,
l’atteinte à la concurrence ne l’est pas nécessairement.
10.On peut certes imaginer une position dominante sur des
marchés locaux. Relevons cependant que, depuis l’adoption
de seuils spécifiques pour le commerce de détail, seules trois
décisions de concentration ont été rendues sous condition
dans le secteur de la distribution, dont deux concernent
les DOM/TOM et la dernière le secteur du bricolage25,
alors que, sur la seule période mars 2009-décembre 2010,
101 décisions ont été rendues dans le secteur du commerce
de détail26. La plupart des opérations sont autorisées sans
réserve et même le plus souvent sous forme de décision
simplifiée.
15.Ici se situe sans doute le principal obstacle. Le Conseil de
la concurrence l’avait affirmé dès 2004, il “n’est pas compétent
pour intervenir dans le partage du surplus entre producteurs et
distributeurs, ni pour protéger les intérêts particuliers d’une
entreprise qui se trouverait en difficulté dans ses négociations
commerciales”29. En effet, pour l’Autorité de la concurrence,
la puissance d’achat n’est pas, dans la plupart des cas, une
menace pour le fonctionnement concurrentiel des marchés :
ses effets sont soit neutres pour le consommateur,
soit proconcurrentiels, lorsqu’elle permet de répercuter
des baisses de prix sur le consommateur30.
11.À supposer même une position dominante locale
établie, les pratiques de la grande distribution seraient-elles
jugées abusives ? Si l’on examine les pratiques à l’égard
du consommateur, Gildas de Muizon l’a souligné, un prix
élevé n’est qu’un signal créé par le marché, résultat d’une
situation concurrentielle. Ce n’est pas nécessairement un
abus de position dominante. L’Autorité a dû en convenir
dans son avis sur la situation de la concurrence à Paris :
“La préoccupation de concurrence identifiée au terme de
cet avis se fonde donc sur la structure du marché parisien de
la distribution à dominante alimentaire, et non sur la mise
en œuvre d’éventuels comportements anticoncurrentiels27.”
16.L’entrée en vigueur des règlements restrictions verticales
parachève cette évolution puisque les pratiques en cause
seront a priori couvertes par l’exemption par catégorie.
Pour les cas où elles ne le seraient pas, notamment parce
que les fournisseurs dépasseraient le seuil de 30 % de parts
de marché, la jurisprudence antérieure continuera à faire
obstacle à la sanction.
12.Si l’on examine les pratiques à l’égard des fournisseurs,
on se heurte d’emblée à un obstacle : l’Autorité exige pour
sanctionner un abus, un lien de causalité entre la position
dominante et l’abus. A priori, ce lien fera défaut.
17.À l’égard des clients de la grande distribution que sont les
affiliés, la question de l’application du droit des ententes est plus
récente. Mais, ici aussi, cet outil se révèle inadéquat. L’Autorité
de la concurrence l’a souligné dans son avis sur les contrats
d’affiliation des magasins indépendants31, aucun des groupes
de distribution, considérés comme fournisseurs de produits
via leurs centrales d’achat, ne représente plus de 30 % des
ventes réalisées sur le marché. De même, aucun des magasins
ne représente plus de 30 % des achats. L’exemption par
catégorie s’applique donc aux contrats conclus par la grande
distribution avec les magasins indépendants et notamment aux
pratiques identifiées par l’avis comme constituant un frein à la
mobilité des enseignes (durée des engagements, multiplicité
des contrats et des échéances, droit d’entrée à paiement
différé, etc.). Ces pratiques sont hors d’atteinte pour le droit
2. L’interdiction des ententes
13.Le droit des ententes offre-t-il un instrument plus efficace ?
En ce qui concerne les relations entre grande distribution
et fournisseurs, la question s’est posée très rapidement, et très
rapidement, une réponse négative a dû y être apportée.
24V. E. Pfister, Concentration et concurrence dans la distribution alimentaire, Concurrences
no 4-2011.
25V. déc. no 10-DCC-25 relative à la prise de contrôle exclusif d’actifs du groupe
Louis Delhaize par la société H Distribution (groupe Hoio) ; déc. no 11-DCC-134
du 2 septembre 2001 relative à la prise de contrôle exclusif d’actifs du groupe Louis
Delhaize par la société H Distribution Groupe Bernard Hayot ; déc. no 10-DCC-01
relative à la prise de contrôle exclusif par Mr. Bricolage de la société Passerelle.
29Avis no 04-A-18 du 18 octobre 2004 relatif à une demande d’avis présentée par l’Union
Fédérale des Consommateurs (UFC-Que Choisir) relative aux conditions de la concurrence
dans le secteur de la grande distribution non spécialisée.
26Rapport annuel 2010 de l’Autorité de la concurrence, “Étude thématique : concurrence
et distribution”, p. 87.
30Rapport annuel 2010 de l’Autorité de la concurrence, “Étude thématique : concurrence
et distribution”.
27 Avis no 12-A-01 du 11 janvier 2012 relatif à la situation concurrentielle dans le secteur
de la distribution alimentaire à Paris.
31Avis no 10-A-26 relatif aux contrats d’affiliation de magasins indépendants et les modalités
d’acquisition du foncier commercial dans le secteur de la distribution alimentaire.
Concurrences N° 2-2012 I Droit & économie 28Déc. no 96-13.735 du 7 avril 1998.
10
A. Perrot, G. de Muizon, J. Vogel, Concurrence et distribution...
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9. Peut-on caractériser une position dominante dans le
cadre de la grande distribution et quand ? Anne Perrot et
Gildas de Muizon l’ont rappelé, le secteur de la grande
distribution est peu concentré. Les chiffres français étant dans
la moyenne des données européennes. M. Pfister l’a souligné
lors d’un colloque récent : “La somme des parts de marché
des quatre premiers opérateurs est ainsi de 65 % mais des
ratios de concentration similaires ou supérieurs peuvent être
constatés au Royaume-Uni (68 %), en Allemagne (67 %),
en Autriche (70 %), au Danemark (66 %), et en Islande et
en Finlande (90 %)24.” Sur le marché national, et quelle que
soit, semble‑t-il, la manière de délimiter le marché, aucun
acteur ne dépasse les 30 % de parts de marché.
d’un fournisseur, il faut tenir compte de plusieurs critères :
l’importance de la part du chiffre d’affaires réalisé par ce
fournisseur avec le distributeur, l’importance du distributeur
dans la commercialisation des produits concernés, les facteurs
ayant conduit à la concentration des ventes du fournisseur
auprès du distributeur (choix stratégique ou nécessité
technique), l’existence et la diversité éventuelle de solutions
alternatives pour le fournisseur33. Même si la loi NRE
a supprimé la référence à la notion de “solution équivalente”,
les autorités de concurrence françaises continuent à exiger,
pour retenir l’existence d’une situation de dépendance, que
soit démontré que l’entreprise ne dispose pas “d’une solution
techniquement et économiquement équivalente aux relations
contractuelles qu’elle a nouées”34.
18.Il est vrai que les règlements d’exemption ne couvrent
pas toutes les clauses des contrats, de sorte qu’un champ
d’application résiduel demeure pour l’application du droit
des ententes. L’article 5, paragraphe 1, point b, du règlement
restrictions verticales n’exempte aucune clause de
non‑concurrence postcontractuelle. Par exception, l’article 5,
paragraphe 2, exempte ces clauses lorsque quatre conditions
sont réunies : 1) l’obligation concerne des biens ou des services
en concurrence avec les biens ou services contractuels ;
2) elle est limitée aux locaux et aux terrains à partir desquels
l’acheteur a exercé ses activités pendant la durée du contrat ;
3) elle est indispensable à la protection d’un savoir-faire
transféré par le fournisseur à l’acheteur ; 4) elle est limitée à
un an à compter de l’expiration de l’accord. Sans doute pour
contourner ces dispositions, et bénéficier de l’exemption
sans condition de durée ou sans être soumise aux conditions
strictes prévues à l’article 5, paragraphe 2, du règlement,
la grande distribution recourt désormais aux clauses de
non‑réaffiliation plutôt qu’aux clauses de non-concurrence.
Dans un arrêt du 28 septembre 201032, la Cour de cassation
a censuré l’arrêt d’appel qui avait prononcé l’annulation
d’une clause de non-réaffiliation en la soumettant aux mêmes
conditions de validité qu’une clause de non-concurrence
postcontractuelle. La haute juridiction a souligné que la
clause de non-concurrence a pour objet de limiter l’exercice,
par le franchisé, d’une activité similaire ou analogue à celle du
réseau qu’il quitte, tandis que la clause de non-réaffiliation se
borne à restreindre sa liberté d’affiliation à un autre réseau.
Elle refuse ainsi que les deux types de clauses soient assimilés.
L’Autorité de la concurrence n’est pas de cet avis : soulignant
que, dans le secteur de la distribution alimentaire, l’affiliation
est un élément indispensable à l’exercice de l’activité, elle
considère que les clauses de non-réaffiliation devraient être
assimilées à des clauses de non-concurrence. L’analyse de
l’Autorité est conforme à l’approche pragmatique qui prévaut
en droit de la concurrence. Un revirement de jurisprudence
n’est pas à exclure si les juges du fond motivent mieux les
éléments qui militent pour cette assimilation.
21.Compte tenu de la concentration modérée en aval, selon
l’Autorité de la concurrence, “un distributeur particulier
est rarement un débouché indispensable à un fournisseur”.
Les enseignes y veillent d’ailleurs en pratique : elles développent
des stratégies pour surveiller le taux de dépendance de leurs
fournisseurs, passant par une information obligatoire ; si le
taux devient trop important, elles les invitent à diversifier
leurs ventes ou rompent les relations. De fait, aucun cas de
condamnation fondée sur l’abus de dépendance économique
n’a concerné la grande distribution.
22.En mars 201035, l’Autorité de la concurrence a ainsi rendu
une décision de non-lieu, à la suite d’une saisine du Syndicat
de l’épicerie française et de l’alimentation générale d’un certain
nombre de pratiques mises en œuvre par Carrefour, dont celles
qui ont donné lieu quelques mois après à l’avis relatif aux
contrats d’affiliation36. L’Autorité a considéré qu’avec des parts
de marché nationales comprises entre 12 et 24 %, l’enseigne
ne disposait pas d’une position susceptible d’en faire un
partenaire commercial obligé pour tout candidat à l’ouverture
d’un magasin de proximité. Elle a rejeté l’existence d’un état
de situation de dépendance économique en ce qui concerne
les candidats à l’ouverture d’un commerce alimentaire de
proximité. Le raisonnement pourrait être transposé à la
situation des fournisseurs de la grande distribution.
23.Le recours à d’autres critères permettrait-il de démontrer
plus facilement l’existence d’une situation de dépendance ?
Dans sa décision Carrefour de 2010, l’Autorité a indiqué que,
dans les relations entre tête de réseau et membres du réseau, la
mise en évidence d’une situation de dépendance économique
pouvait résulter du jeu cumulé de clauses contractuelles.
Encore faut-il cependant démontrer que ces clauses ont
pour finalité de limiter la possibilité des franchisés de quitter
le réseau. Les clauses relatives à la durée des contrats,
comportant des obligations de non-concurrence ou de
non-réaffiliation, pourraient être concernées. Dans l’affaire
Carrefour de 2010, l’hétérogénéité des contrats proposés par
l’enseigne n’a cependant pas permis à l’Autorité de conclure.
3. La prohibition de l’abus
de dépendance économique
19.L’article L. 420-2, alinéa 2, du code de commerce, qui
sanctionne l’exploitation abusive d’un état de dépendance
économique, créé ad hoc pour appréhender les pratiques de
la grande distribution, offre-t-il une meilleure voie ? A priori,
non, car son application se heurte à plusieurs obstacles.
33Cons. conc., déc. no 93-D-21 du 8 juin 1993 relative à des pratiques mises en œuvre lors
de l’acquisition de la société européenne des supermarchés (SES) par la société Grands
Magasins B (GMB) du groupe Cora.
20.Le premier tient à la difficulté de caractériser l’existence
d’une situation de dépendance. On le sait, pour apprécier
l’existence d’une situation de dépendance économique
34Cons. conc., déc. no 01-D-49 du 31 août 2001 relative à une saisine et demande de mesures
conservatoires présentées par la société Concurrence concernant la société Sony.
35Déc. no 10-D-08 du 3 mars 2010 relative à des pratiques mises en œuvre par Carrefour dans
le secteur du commerce d’alimentation générale de proximité.
36Avis no 10-A-26, préc..
32Cass. com., 28 septembre 2010, no 09-13888.
Concurrences N° 2-2012 I Droit & économie 11
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de la concurrence, sauf hypothèse du retrait de l’exemption,
notamment pour cause d’effet cumulatif. Mais l’hypothèse
paraît peu probable, l’avis soulignant la lourdeur, les délais
et l’insécurité juridique induits par cette approche à laquelle
l’Autorité préfère substituer une intervention législative, qui
a le mérite, si ce n’est de la sécurité juridique – tout aussi
malmenée –, à tout le moins de la rapidité.
savoir si celles-ci ne l’avaient pas volontairement surévalué
– par exemple en transformant en coopération commerciale
des prestations relevant de l’opération d’achat/vente –
considérant que cette opération avait précisément pour objet
de permettre le respect des prix minimums.
29.Mais la grille d’analyse utilisée par le Conseil – au moins
dans l’affaire des jouets, qui marque sans doute de ce point de
vue un fléchissement par rapport aux décisions antérieures –
n’en demeure pas moins classique. Les fournisseurs qui
recouraient à un SRP jugé surévalué par le Conseil, mais qui
ne recouraient pas à une police des prix, ont été mis hors de
cause. Au contraire, ceux des fournisseurs et des distributeurs
qui y participaient ont été sanctionnés. Dans ce secteur
comme dans d’autres, la question du faisceau d’indices utilisé
par le Conseil et aujourd’hui par l’Autorité pour démontrer
l’entente sur les prix n’est pas sans poser difficulté.
25.En tout état de cause, l’application du texte exige
la démonstration d’une atteinte à la concurrence, difficile à
établir pour les fournisseurs, au regard des principes exposés.
II. L’efficacité résiduelle
du droit de la concurrence
30.D’un côté, la Cour de cassation vient non seulement
d’affirmer la licéité des relevés de prix effectués par les
concurrents, mais, au-delà, de consacrer un véritable droit
à effectuer de tels relevés, droit fondé sur les principes du
droit de la concurrence. Dans un arrêt du 4 octobre 201140,
elle vient d’indiquer que “la fixation des prix par le libre jeu
de la concurrence commande que les concurrents puissent
comparer leurs prix et en conséquence en faire pratiquer des
relevés par leurs salariés dans leurs magasins respectifs”.
Cette affaire avait pour origine un litige privé entre enseignes,
l’une d’entre elles voulant refuser l’accès à ses magasins
aux employés de son concurrent.
26.Le droit de la concurrence conserve néanmoins un rôle
résiduel. En présence de comportements paroxystiques, qui
peuvent exister dans la grande distribution, mais aussi dans
d’autres secteurs, c’est un instrument efficace (1.). La question
de l’extension des instruments est donc posée (2.).
1. Un instrument efficace pour
appréhender des pratiques qui ne sont
pas propres à la grande distribution
31.De l’autre, le fait de réaliser des relevés de prix chez les
concurrents est souvent utilisé, par l’Autorité, comme un
indice de participation des distributeurs à la police des prix
du fournisseur. Dans l’affaire des jouets, l’Autorité avait
mis en cause un distributeur qui, selon elle, surveillait les
prix pratiqués par les concurrents avec la participation des
consommateurs par le biais d’une opération “différence
remboursée” mais qui, semble-t-il, se plaignait aussi ensuite
aux fournisseurs des remboursements pratiqués compte
tenu des prix appliqués par d’autres. On peut se demander
quelle analyse elle retiendrait en l’absence de telles plaintes,
et malgré la décision de la Cour de cassation, tant les indices
retenus par l’Autorité au titre de la police des prix sont
parfois ténus.
27.La grande distribution n’est pas à l’abri de l’application
du droit de la concurrence. Les comportements qui y
sont classiquement interdits le sont aussi dans ce secteur.
La jurisprudence interne et internationale en fournit plusieurs
illustrations.
1.1. Premier exemple :
Les ententes verticales de prix
28.Les affaires des calculettes scolaires37, des cassettes
Disney38 et des jouets39 sont des exemples assez classiques
d’ententes verticales de prix imposés. La grille d’analyse
utilisée pour ce type de pratique par le Conseil a certes été
mise en œuvre dans un contexte législatif particulier. On le
sait, cette grille repose sur un triple test : évocation des prix
souhaités, application significative des prix et police des prix.
À l’époque où ces affaires sont intervenues, la législation sur
la revente à perte issue de la loi Galland interdisait la revente
à un prix inférieur au prix figurant sur facture, les marges
arrière ne venant pas en déduction du SRP. Distributeurs et
fournisseurs ont cherché à démontrer que cette législation
conduisait à un alignement des prix au niveau du SRP,
incompatible avec l’existence de l’entente. Le Conseil ne
s’est pas arrêté à l’argument : il a analysé les conditions
dans lesquelles le SRP avait été fixé par les parties pour
1.2. Second exemple :
Les pratiques horizontales
32.Il n’y a pas en France d’affaires de cartel entre grandes
enseignes qui aient donné lieu à sanction. Mais aucun élément
intellectuel ou juridique ne ferait obstacle à l’application du
droit des ententes si des comportements de ce type devaient
être caractérisés. Les exemples étrangers montrent que les
grandes enseignes sont confrontées, dans leurs rapports, à des
problématiques identiques à celles qui existent dans d’autres
secteurs, et notamment celles des échanges d’informations.
37Déc. no 03-D-45 du 29 septembre 2003.
38Déc. no 05-D-70 du 19 décembre 2005.
40 No 10-21.862. Voir M. Malaurie-Vignal, Licéité de la pratique de relevés de prix par
un distributeur chez son concurrent, Contrats, conc., consom no 1, janvier 2012, comm. 7.
39Déc. no 07-D-50 du 20 décembre 2007.
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24.On peut se demander, du strict point de vue juridique, si le
raisonnement dégagé par l’Autorité pourrait vraiment aboutir
à une sanction : un même élément – la clause empêchant la
sortie du réseau – servirait à démontrer deux éléments de
l’infraction : l’état de dépendance et l’abus. Pourrait-il être
appliqué dans les relations grande distribution-fournisseurs ?
Les clauses contestées par les fournisseurs n’ont pas pour
objet de les empêcher de cesser les relations, et généralement,
aucune exclusivité de fourniture n’est exigée. A fortiori, on voit
mal comment le raisonnement pourrait être transposé.
37.Sur le fond, la demande de l’Autorité pose une
question de principe : peut-on admettre une injonction de
déconcentration en l’absence de toute infraction aux règles de
concurrence ? L’avis de l’Autorité le souligne, la forte position
du groupe Casino à Paris est issue d’une concurrence par
les mérites et de l’effort d’investissement et d’innovation du
groupe. Cette extension des pouvoirs de l’Autorité se heurte à
des objections de trois ordres : elle porte atteinte à la sécurité
juridique, en touchant au droit de propriété. On ne peut
remettre en cause une situation légalement acquise et détenue
sans abus ; elle lèse les intérêts patrimoniaux des entreprises,
les cessions ordonnées risquant de se faire dans de mauvaises
conditions financières ; elle décourage les acteurs à investir.
38.Le droit de la concurrence n’est pas un instrument
très efficace pour appréhender les pratiques de la grande
distribution, mais l’augmentation de cette efficacité serait
elle-même problématique. Faut-il se résigner ?
39.Dans les négociations, l’argument concurrence, utilisé
en parallèle de l’arsenal offert par le droit des pratiques
restrictives, peut fonctionner dans certains cas, car les
enseignes de la grande distribution témoignent d’une
hypersensibilité au risque juridique. Le droit est aussi une
arme stratégique qu’il ne faut pas renoncer à utiliser.
2. La question de l’extension
des pouvoirs de l’Autorité
de la concurrence
40.En témoigne une décision rendue en décembre 2011
par l’Autorité de la concurrence, où celle-ci a obtenu
des engagements de Carrefour relatifs à ses relations
contractuelles avec trois distributeurs parisiens qui l’avaient
saisie d’une plainte42. Les préoccupations de concurrence
exprimées l’ont été sur le fondement de l’abus de dépendance
économique. On peut s’interroger sur la solidité de ce
fondement en général et dans un dossier concernant Paris en
particulier puisque Carrefour n’y est pas dominant, tant s’en
faut. Reste que l’Autorité a réussi à obtenir, par le biais de
la procédure d’engagements, des modifications allant dans
le sens de l’avis sur les contrats d’affiliation rendu quelques
mois auparavant.
n
34.Si, hormis ces pratiques, le droit de la concurrence est
peu efficace et le contrôle des opérations de concentration
inapte à remettre en cause des situations acquises par le
passé, faut-il étendre le champ d’application du droit de
la concurrence et le rôle de l’Autorité de la concurrence ?
C’est la solution pour laquelle elle a milité dans son avis sur
la situation de la concurrence à Paris, sans d’ailleurs limiter
sa demande au marché parisien ou même au secteur de la
grande distribution41.
35.L’Autorité de la concurrence dispose d’outils qu’elle
pourrait utiliser si elle juge la concurrence trop limitée dans
le secteur : l’article L. 752-26 du code de commerce lui permet
de procéder à des injonctions de cession à l’égard de groupes
exploitant des commerces de détail. Mais l’application de cet
article suppose, d’une part, l’existence d’un abus de position
dominante ou de dépendance économique et, d’autre part,
la persistance de cet abus.
36.C’est pourquoi l’Autorité de la concurrence suggère
d’être habilitée, lorsque la situation de la concurrence le
rend nécessaire et après débat contradictoire, à enjoindre
aux entreprises de revendre des actifs à des concurrents.
Elle prend l’exemple du Royaume-Uni et de la Grèce, où de
telles procédures existent. Que faut-il en penser ? L’argument
de droit comparé ne convainc pas : au Royaume‑Uni,
le contrôle des concentrations n’est pas obligatoire ; en France,
au contraire, ce contrôle existe et l’avis de l’Autorité rappelle
qu’entre 1998 et 2000 le groupe Casino a été autorisé par les
autorités de concurrence à racheter les réseaux Franprix et
Leader Price, très présents à Paris, et à acquérir le contrôle
conjoint de Monoprix.
42Déc. no 11-D-20 du 16 décembre 2011 relative à des pratiques mises en œuvre par
Carrefour dans le secteur de la distribution alimentaire, faisant suite à la décision
no 11‑D-04 du 23 février 2011 relative à des pratiques mises en œuvre par Carrefour dans
le secteur de la distribution alimentaire, où l’Autorité avait rejeté la demande de mesures
conservatoires présentée par les distributeurs, mais ordonné le renvoi à l’instruction sur
le fond.
41Avis no 12-A-01 du 11 janvier 2012 relatif à la situation concurrentielle dans le secteur
de la distribution alimentaire à Paris.
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33.Les entreprises considèrent souvent que le fait de passer
par un tiers pour collecter des données rend le procédé
licite. L’autorité de la concurrence finlandaise a cependant
jugé anticoncurrentiel en 2007 un mécanisme de collecte
d’informations sur les prix et les volumes vendus, rendu
possible par un système informatisé géré par AC Nielsen.
Dans son rapport annuel pour l’année 2009, l’Autorité de
la concurrence avait souligné qu’il pouvait y avoir échange
anticoncurrentiel lorsque : “les informations utilisées pour
constituer les bases de données ne sont pas collectées au moyen
de relevés réalisés dans les points de vente, mais grâce à des
systèmes informatisés – tels que le lecteur de codes-barres)
mis en place avec l’accord de l’entreprise”. La conciliation
de cette solution avec la règle consacrant le droit de réaliser
des relevés de prix, qui s’effectue en pratique avec un lecteur
de codes-barres, pourrait ici aussi être problématique,
l’enseigne étant de facto contrainte d’accepter les relevés
effectués par des concurrents. En définitive, pour les cartels et
ententes verticales les plus graves, l’application du droit de la
concurrence au secteur de la grande distribution, si elle suscite
des problématiques spécifiques, peut se faire avec efficacité.
Concurrences
Concurrences est une revue trimestrielle couvrant l’ensemble des questions de droits de
l’Union européenne et interne de la concurrence. Les analyses de fond sont effectuées sous
forme d’articles doctrinaux, de notes de synthèse ou de tableaux jurisprudentiels. L’actualité
jurisprudentielle et législative est couverte par onze chroniques thématiques.
Editorial
Jacques Attali, Elie Cohen,
Laurent Cohen‑Tanugi,
Claus‑Dieter Ehlermann, Ian Forrester,
Thierry Fossier, Eleanor Fox, Laurence Idot,
Frédéric Jenny, Jean‑Pierre Jouyet,
Hubert Legal, Claude Lucas de Leyssac,
Mario Monti, Christine Varney, Bo
Vesterdorf, Louis Vogel, Denis Waelbroeck...
Interview
Sir Christopher Bellamy, Dr. Ulf Böge,
Nadia Calvino, Thierry Dahan,
John Fingleton, Frédéric Jenny,
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Gramont, Damien Géradin,
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Pierre Moscovici, Jorge Padilla, Emil Paulis,
Joëlle Simon, Richard Whish...
Doctrines
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Thierry Dahan, Luc Gyselen,
Daniel Fasquelle, Barry Hawk,
Laurence Idot, Frédéric Jenny,
Bruno Lasserre, Anne Perrot, Nicolas Petit,
Catherine Prieto, Patrick Rey,
Didier Théophile, Joseph Vogel...
Pratiques
Tableaux jurisprudentiels : Bilan de la
pratique des engagements, Droit pénal et
concurrence, Legal privilege, Cartel Profiles
in the EU...
Horizons
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Hong‑Kong, India, Japon, Luxembourg,
Suisse, Sweden, USA...
Droit et économie
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Laurent Flochel, Frédéric Jenny,
François Lévêque Penelope Papandropoulos,
Anne Perrot, Etienne Pfister,
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Chroniques
EntEntEs
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Nathalie Jalabert‑Doury
Cyril Sarrazin
PratiquEs unilatéralEs
Frédéric Marty
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PratiquEs rEstrictivEs
Et concurrEncE déloyalE
Muriel Chagny, Mireille Dany
Jean‑Louis Fourgoux, Rodolphe Mesa
Marie‑Claude Mitchell, Laurent Roberval
distribution
Nicolas Ereseo, Dominique Ferré
Didier Ferrié
concEntrations
Dominique Berlin, Jean‑Mathieu Cot,
Jacques Gunther David Hull, David Tayar
aidEs d’état
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Jacques Derenne
Bruno Stromsky
ProcédurEs
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Alexandre Lacresse
Christophe Lemaire
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Francesco Martucci
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