L`école de l`échec : comment la réformer
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L`école de l`échec : comment la réformer
L’école de l’échec : comment la réformer ? Du pédagogisme à la gouvernance Alain DESTEXHE Vincent VANDENBERGHE Guy VLAEMINCK Table des matières Introduction 1. L’école de l’échec 2. Le financement ne garantit pas la performance ! 3. Gouvernance inadéquate et limite du pédagogisme 4. Education des jeunes, travail des enseignants. 5. Angleterre et pays scandinaves ou comment améliorer les performances ? 6. Le bilinguisme dès la maternelle ? 7. Que faire ? Cinq axes prioritaires Conclusion : qu’est-ce que l’école de la réussite ? Remerciements Annexes L’enquête PISA Le système danois Glossaire 1 Introduction La législation et l’organisation de l’enseignement sont tellement complexes qu’elles découragent le public de s’y intéresser. Les discussions sur l’école se limitent trop souvent à un milieu de professionnels, en général tellement inscrits dans la défense d’un réseau, d’une institution ou d’une corporation qu’ils en occultent parfois les enjeux principaux. En conséquence, le débat politique est trop souvent abordé sous l’angle du (re)financement, trop rarement sous celui des résultats, le seul qui importe in fine pour la communauté. Ce livre s’adresse aux parents et au monde politique. Aux premiers, il cherche à présenter un tableau succinct, le plus objectif possible, de la situation de l’enseignement en Communauté française et de ses enjeux. Au second, il propose un programme réaliste de réformes, notamment pour le prochain gouvernement. Pour mettre un terme à la détérioration et inverser la tendance, il envisage une rupture par rapport à l’approche actuelle qui peut se résumer de la façon suivante : arrêter de gérer le système scolaire par la pédagogie imposée et la circulaire administrative au profit de l’autonomie de gestion des établissements et d’une évaluation externe des résultats, moteur principal de l’amélioration des performances. Ré-insuffler du débat public, proposer une réforme réaliste : tels sont les objectifs de ce court ouvrage. Des choix politiques sont possibles et nécessaires. Ils n’impliquent pas nécessairement de nouveaux moyens financiers, nous le démontrerons au fil des chapitres. Au contraire, l’injection de milliards supplémentaires, sans réformes portant sur la gouvernance et l’évaluation des résultats, risque de ne déboucher sur aucune amélioration. De ce point de vue, il est inquiétant de constater qu’aujourd’hui le débat se focalise pour l’essentiel sur le salaire des enseignants et sur l’affectation du refinancement de la Communauté française. Cette dernière n’a pas à rougir du budget qu’elle consacre à l’enseignement. De plus, pour la première fois depuis longtemps, Bruxelles et la Wallonie vont disposer de moyens financiers supplémentaires très importants : de 200 millions d’euros en 2004 à plus de 800 millions en 2010. Certes, une partie est déjà affectée, il restera néanmoins des marges importantes. Une occasion unique se présente pour réformer l’enseignement. Mais ces montants seront-ils sagement utilisés ? Il sera par exemple tentant pour les syndicats d’enseignants de réclamer et pour une partie du monde politique d’affecter une grande partie de ces moyens pour une revalorisation salariale des enseignants, sans discussion de fond sur l’amélioration de la qualité de l’enseignement. Pour les responsables politiques de l’enseignement, le défi consiste précisément à utiliser ces marges, non pour satisfaire l’une ou l’autre clientèle, mais de les lier au redressement des performances. Enfin, si le refinancement était sans doute nécessaire, il a aussi un coût politique. Chaque décentralisation des moyens affaiblit un peu plus l’Etat belge et son gouvernement fédéral. Ce livre est consacré au primaire et secondaire, nous n’abordons pas l’enseignement supérieur. Celui-ci est pourtant à la veille d’évolutions profondes dont le processus de Bologne, visant à harmoniser les formations et les diplômes en Europe, ne constitue que les prémisses. Concurrence internationale, classement des établissements, privatisation, sélection à l’accès, mobilité des professeurs et des élèves, différentiation des minervals, ne constituent que quelques-unes des tendances à l’œuvre dans le monde. Nous n’échapperons pas à un débat sur ces questions qui menacent les fondements même de notre enseignement supérieur très largement basé sur un accès relativement libre et le financement public : une configuration en nette perte de vitesse sur la planète. La communauté française avec ses dix 2 universités et ses trente hautes écoles est particulièrement mal placée pour relever ce nouveau défi. Les trois auteurs viennent d’horizons professionnel, politique et philosophique différents. Guy Vlaeminck a fait toute sa carrière dans l’enseignement comme professeur, inspecteur ou attaché de cabinet ; Vincent Vandenberghe est un universitaire économiste, spécialisé dans le financement et l’organisation de l’enseignement; Alain Destexhe est sénateur, père d’enfants en âge scolaire : interpellé par les résultats de l’enquête PISA, il s’est depuis plongé dans ce dossier sur lequel, avec l’aide des deux autres auteurs, il a voulu jeté un regard extérieur neuf. Ce livre part d’un constat qui devrait être au centre de toutes les réflexions : les piètres performances de nos élèves. Il analyse ensuite les principaux défis auxquels nos écoles sont confrontées. Il dénonce les excès du pédagogisme et veut mettre au centre de la réflexion et de la réforme les exigences de la gouvernance et de l’évaluation. Enfin, il se conclut par un programme de réformes. 1. L’école de l’échec Le constat est brutal et pourtant guère contestable : au fil du temps la qualité de l’enseignement se détériore ; de tous les pays industrialisés, l’enseignement dans notre communauté est aujourd’hui un des moins performants et le plus inéquitable ! En premier lieu, les performances sont lamentables. En 2000, l’enquête internationale PISA, conduite par l’OCDE a montré l’ampleur du problème. En lecture, nous avons été classés 20ème sur 26 pays membres de l’OCDE, loin derrière la moyenne, juste devant la Grèce et le Portugal et derrière la Pologne et la Hongrie. La même tendance de fond est observée en mathématiques (20ème) et surtout en sciences où les 25% les plus faibles sont « complètement décrochés dans des proportions qui ne s’observent nulle part ailleurs ». 12,3% des élèves sont en décrochage scolaire complet contre 4,1% en Flandre. A l’âge de 15 ans, 54% seulement des jeunes en Communauté française n’ont jamais redoublé. Ce chiffre s’élève à 72% au nord du pays au même âge. Pour être plus précis, 20% des élèves terminent l'enseignement primaire avec retard (contre 8 % de moyenne dans les pays industrialisés), 40 % des élèves n'ont pas pris de retard à la fin du secondaire (60 % en Communauté flamande) et seuls 20 % des étudiants de l'enseignement technique n'ont jamais échoué (et 13 % dans l'enseignement professionnel) ! Ces seules différences expliquent déjà bien des choses car il semble logique que, même mesurée en termes de compétences, une année de retard constitue forcément un handicap important. Cette situation est à rapprocher d’un fait que nous connaissons depuis longtemps : deux jeunes sur trois seulement terminent avec succès le cycle d’études secondaires en Communauté française. Plus de 30% des élèves n’arrivent donc pas à l’aboutissement des études qui correspondent au terme logique de l’obligation scolaire. En second lieu, non seulement la moyenne est mauvaise, mais la dispersion des résultats est considérable. Les écarts entre les meilleurs et les moins bons sont très importants. Malgré un décret missions qui vise à assurer à tous les élèves des chances égales d’émancipation sociale, selon les conclusions de l’enquête, « les catégories vulnérables couraient un risque plus élevé que dans la majorité des autres systèmes éducatifs de figurer parmi les élèves les plus faibles ». Il y a quelques années une autre étude avait montré qu’à quatorze ans, 36% des enfants d’ouvriers avaient déjà redoublé une fois contre seulement 4,1% des enfants 3 d’enseignants. Notre communauté est avec l’Allemagne « le système éducatif où l’hétérogénéité des performances est la plus accentuée » , alors que la Finlande apparaît comme le pays étudié où l’écart entre les meilleurs et les plus faibles est le plus petit. Contrairement à certaines affirmations rassurantes, les très bons élèves ne sont pas plus nombreux qu’ailleurs : 7,5% chez nous, 8,5% en France, 10% en moyenne dans l’OCDE et 15,6% en Flandre. Rappelons que les taux d’échec en première candidature à l’université sont affligeants : de 50 à 88% selon les facultés. En troisième lieu, et cet aspect a été trop peu souligné, la situation se dégrade dans le temps. La Communauté française se classait largement au-dessus de la moyenne en 1970. Récemment, entre les enquêtes de 1995 et 2000, la situation s’est encore détériorée comme le montre aussi la moyenne des attestations A qui est passée de 65 à 61% entre 1997 et 2000. Dominique Lafontaine de l’Université de Liège, qui a conduit l’enquête pour la Communauté française, en conclut légitimement que le fait qu’une même tendance de fond s’observe dans les trois domaines (français, mathématiques, sciences) tend à orienter une partie importante de l’explication vers la structure du système éducatif (redoublement, filières, disparités entre écoles,…). Mais la situation, plus critique pour les sciences et la lecture, moins critique pour les mathématiques, indique que des caractéristiques propres à l’enseignement de certaines compétences disciplinaires ou transversales sont également à prendre en considération. Pour notre part, nous constatons la difficulté pour les acteurs de l’enseignement de tirer les leçons de ces enquêtes internationales. La publication de PISA 2000 a suscité un débat assez vif, qui n’a pourtant débouché sur aucune mesure significative susceptible d’inverser la tendance. Onze éléments de réponse Comment expliquer ce retard et cette détérioration au fil du temps ? Et pourquoi n’observe-ton pas ce phénomène en Flandre, alors que l’enseignement n’a été définitivement scindé qu’en 1989. Les causes qui président à ces situations sont nombreuses et complexes. Elles sont autant d’origine politiques que scolaires, l’école étant très largement influencée par la société dans laquelle elle se développe. C’est dans la mesure où la Communauté française sera capable de relever ces défis que nous pourrons hisser à nouveau notre système scolaire au niveau de celui des autres nations et redonner à l’école le rôle de tremplin social qui répond à sa vocation. 1. Depuis très longtemps, l’apprentissage du français n’est plus au centre de l’enseignement francophone. Une fois passées les années où les bases doivent être enseignées, il n’est plus guère travaillé, ni à travers des dissertations ou des dictées, ni dans les autres matières. Il est même déconseillé aux enseignants d’autres disciplines de noter l’orthographe. En général, l’élève en retard en français à 10 ou 12 ans le restera à 18 ans : l’école ne lui offre pas de possibilités de rattrapage. Les lacunes concernent tant l’expression orale, la lecture que l’écrit. Or, le français constitue le socle de notre culture et le premier instrument de l’accès à la culture et à un métier. Les professeurs de l’enseignement supérieur comme les employeurs ne peuvent que constater les lacunes immenses de la majorité des élèves. Les résultats de l’enquête PISA sur la lecture se vérifient tous les jours de façon empirique sur le marché du 4 travail, dans les universités et les hautes écoles, à tel point que certaines offrent désormais la possibilité de passer des tests ou de suivre des cours de rattrapage ! 2. Le redoublement est très répandu. On l’a vu, la moitié seulement des élèves de quinze ans sont dans le niveau où ils devraient normalement se trouver. Le débat sur ces questions a parfois des allures de dialogues de sourds. La plupart des enseignants considèrent que le redoublement est indispensable parce que l’élève n’a pas acquis les compétences et parce qu’il souhaite avancer avec une classe plus ou moins homogène afin de ne pas pénaliser le plus grand nombre. La politique officielle, partant du point de vue légitime que le redoublement signe souvent le début de la relégation et a un coût budgétaire, a tendance à essayer de le limiter, en l’interdisant, en multipliant les options ou en introduisant la notion de cycle au début du secondaire. Aucune des deux approches n’est satisfaisante et nous verrons que certains pays scandinaves ont assez bien réussi à résoudre ce dilemme, notamment en scindant les groupes d’élèves au cours de la journée en fonction des matières et des niveaux. 3. Conséquence de ce qui précède, l’orientation des élèves se fait de façon trop précoce, parfois dès la fin du cycle primaire. L’enseignement est obligatoire jusque 18 ans avec un maximum de sept ans dans le primaire, ce qui impose des options à partir de 12 ou 14 ans. Le jeune en difficultés est orienté, échec après échec, vers des filières de « relégation » bien connues, même si elles taisent leur nom. A 14 ans, on peut presque toujours prédire quel sera le parcours scolaire de l’élève. Toutefois, quelle que soit la filière, à l’issue de l’enseignement général secondaire, le diplôme est censé être équivalent : c’est évidemment un mythe et la sélection impitoyable en première candidature se charge de le rappeler. 4. La Constitution et le pacte scolaire garantissent la liberté de l’enseignement. La Communauté française édicte des règles sous la forme de critères de subventions, mais la recherche de l’autonomie de chaque pouvoir organisateur reste la règle. Par rapport à d’autres, notre système scolaire se caractérise donc par un grand émiettement des structures. Pris comme un ensemble, il est peu efficace car à cet émiettement structurel, s’ajoutent les redoublements massifs et la multiplicité des options (même si elles ont été limitées). Par ailleurs, règne une extrême ségrégation avec une concentration de populations en difficultés dans certaines écoles. 5. La démotivation de nombreux enseignants, dont témoigne entre autres la pénurie naissante, est évidemment un élément majeur. Les témoignages des jeunes enseignants qui débutent sont édifiants. Ballottés pour quelques heures de cours entre plusieurs écoles souvent distantes, agressés (surtout les jeunes femmes) par des élèves déjà fortement désocialisés dans certaines sections, parfois confrontés à des cancres démotivés qui attendent la fin de l’obligation scolaire, nombreux sont ceux qui jettent l’éponge. Chez les plus anciens dominent une très grande crispation, une méfiance extrême à l’égard du politique, un refus de toute remise en question des acquis sociaux comme la retraite à des conditions avantageuses à 55 ans ou le nombre d’heures prestées. Le métier est souvent difficile, surtout dans certaines écoles, plus dur encore pour les temporaires qui supportent seuls, en fonction des inscriptions fluctuantes, le poids de la flexibilité horaire et géographique. Le manque de dialogue est évident. Un seul exemple : la presse s’est largement fait écho des résultats des enquêtes PISA, mais les professeurs n’en ont pas été informés par le ministère, l’inspection ou les directions. Une étude qui remet aussi radicalement en cause les résultats de l’enseignement, n’aurait-elle pas mérité une information et un dialogue sur ce thème ? Par ailleurs, les parents et la société attendent de plus en plus 5 des enseignants et multiplient les exigences, mais les enseignants se retrouvent souvent seuls pour gérer les nouvelles contraintes : les exigences administratives toujours croissantes, les recours juridiques, la violence, la drogue, le port du voile, etc. Certes, ces problèmes ne se présentent jamais partout de la même manière, mais tout le monde s’accorde à dire que le métier a profondément évolué depuis vingt ou trente ans, dans le sens d’une plus grande complexité. 6. L’enseignement – à l’image de la société ? – n’encourage sans doute plus assez l’effort, le travail, le mérite, l’esprit d’entreprise. La décision du ministre Nollet de supprimer les devoirs est emblématique de ce point de vue d’une conception qui, sous le prétexte louable de privilégier l’égalité, prend le risque de faire reculer le culte de la performance et de l’effort. Nombre d’élèves, peu conscients de ce qui se joue en réalité, choisissent les options les moins exigeantes, un phénomène connu sous le nom de « slalom des options » et comme, en théorie, il existe une équivalence des diplômes, la sélection impitoyable se fait, on l’a dit, à l’université ou sur le marché du travail. Bien sûr, une grande partie des enseignants et certaines écoles cultivent encore ces valeurs, mais on ne peut dire que la société les encourage dans leurs démarches. Et ces mots sont loin de figurer au cœur du décret des missions de l’enseignement. 7. Au début des années septante, le rénové a été adopté dans une grande précipitation. Après quelques brèves expériences pilotes, il a été généralisé en quelques années dans l’enseignement public francophone alors qu’il ne l’était pas en Flandre, notamment parce qu’une plus grande proportion des écoles relève de l’enseignement libre catholique. Avec sa kyrielle d’options plus ou moins faciles et ses nouvelles méthodes pédagogiques centrées sur le « rythme et les capacités de l’élève », sur les compétences à acquérir plutôt que sur les matières ou les savoirs à maîtriser, sur les évaluations subjectives de l’élève plutôt que sur la notation et les examens, ce fut le triomphe d’une forme de pédagogisme, intervenant à la même époque que l’extension maladroite de la méthode globale pour apprendre à lire, une méthode souvent confiée à des enseignants insuffisamment formés. 8. Ce débat connaît pourtant aujourd’hui un prolongement assez préoccupant avec le décret missions de 1997 et celui sur les compétences. Contrairement à la plupart des parents qui liront ce texte, les élèves d’aujourd’hui ne doivent plus avoir acquis des connaissances, des savoirs sur certaines matières mais des compétences dans celles-ci. Concrètement cela se traduit par une remise en cause fondamentale de l’apprentissage de la grammaire ou le fait qu’il est parfaitement possible de suivre un cursus d’histoire ou de géographie sans mémoriser aucune date ou connaître les noms des continents. A partir d’un certain âge, les professeurs de français ne peuvent plus faire de dictée et ceux d’histoire demander une restitution ! En revanche, l’élève doit pouvoir par exemple lire un document d’archive ou une carte. Ces méthodes sont utiles mais à condition d’être combinées à un apprentissage rigoureux de connaissances. Des compétences sans savoirs solides sont des leurres. D’abord, elles risquent de renforcer les inégalités. Les parents éduqués ou cultivés se débrouilleront toujours bien pour choisir les écoles et les filières qui, parfois en violation des textes légaux, adopteront des méthodes d’acquisition plus classiques des savoirs. Ensuite, l’éducation, c’est aussi la transmission d’une mémoire, d’un patrimoine, et d’un ensemble de savoirs déjà constitués. Même si, à l’évidence, des méthodes actives sont utiles, l’apprentissage de la grammaire, du calcul, des principales étapes de la littérature française, des langues étrangères ou de l’histoire ne laisse guère la place à la créativité de l’élève. Enfin, le but de l’école n’est pas seulement 6 l’épanouissement de la personnalité de l’élève, mais aussi de le hisser à la réalisation d’idéaux supérieurs qui lui permette de dépasser sa condition d’enfant et d’adolescent. Il est impossible de s’approprier la plupart des matières du programme sans passer par une certaine discipline et un effort intellectuel. Comme le souligne Luc Ferry, le ministre français de l’éducation nationale, « les méthodes pédagogiques actives ont tendance à privilégier d’autres qualités que les traditionnelles valeurs du mérite, de l’effort et du travail : l’expression de soi plutôt que le souci des héritages transmis, l’esprit critique plutôt que le respect des autorités, la spontanéité plus que la réceptivité, l’innovation plutôt que la tradition ». Nous pensons, bien entendu, qu’il faut privilégier l’un et l’autre, mais l’impression domine que le balancier a été trop loin dans le sens des compétences et du personnalisme au détriment des connaissances. La Flandre n’a pas ou peu connu ces évolutions. Le rénové n’a pas été généralisé, loin de là. Elle n’a pas connu cet engouement pour les pédagogies nouvelles. Dans une région où le libre forme 70% des élèves (contre 50% du côté francophone), l’enseignement est resté plus traditionnel et plus standardisé. 9. Les problèmes de gouvernance sont largement sous-estimés : absence d’autonomie de gestion des écoles dans l’enseignement officiel, évaluations inexistantes, appareil statistique déficient, méconnaissance des expériences étrangères,… Malheureusement, la résolution de ces problèmes concrets est souvent négligée – par les décideurs politiques et une administration globalement déficiente, comme plusieurs audits l’ont prouvé – au profit d’approches législatives (le décret ou la circulaire) ou pédagogiques (les méthodes plutôt que l’organisation). Ainsi les directeurs et les professeurs sont inondés de circulaires, mais n’ont même pas la possibilité de dialoguer une fois par an de leurs problèmes avec la hiérarchie administrative. Un autre élément est le mélange détonnant entre la liberté absolue de choix et la rigidité de l’encadrement financier et administratif. Chaque année en septembre, les établissements, attendent, non sans angoisse, de connaître leur nombre d’inscrits qui détermine les moyens disponibles dont le nombre de professeurs, les fameux NTPP, avec parfois des ajustements brutaux supportés entièrement par les jeunes enseignants non titularisés. A cela s’ajoutent les effets plus traditionnels de la politisation des engagements des temporaires, des nominations et des promotions au rang de proviseurs ou de directeurs. Enfin, l’évaluation est inexistante à tous les niveaux. Avant les enquêtes internationales, il était communément admis que « notre enseignement était un des meilleurs d’Europe ». Mais la triste réalité est qu’il n’existe pas d’outil pour comparer les performances des élèves, des professeurs, des écoles, des réseaux ou des méthodes bien que la Constitution proclame leur égalité devant la loi ou le décret. Pire, dans un système bureaucratique sclérosé, cette évaluation, qui n’est jamais qu’un instrument visant à l’amélioration des pratiques, fait peur : aux professeurs et aux fonctionnaires qui y voient un instrument de sanctions ; aux hommes politiques qui détestent les mauvaises nouvelles ; à certains réseaux et écoles qui craignent les comparaisons, leurs interprétations et leurs conséquences sur le recrutement des élèves. 10. L’enseignement professionnel est sinistré et il n’est plus toujours adapté au marché de l’emploi. Les collaborations avec les entreprises, surtout dans le domaine des services, restent trop rares. Les régions, mieux dotées financièrement et parfois aidées par le Fonds social européen, ont développé des filières directement avec les employeurs. Pour l’élève, le professionnel relève rarement d’un choix mais presque toujours d’échecs scolaires successifs. Parfois on n’y enseigne plus le français ou les maths. Souvent les élèves y attendent 7 inutilement la fin de l’obligation scolaire. Nous sommes un des très rares pays à l’avoir portée à 18 ans, alors qu’il serait sans doute plus judicieux d’orienter le jeune en décrochage complet vers l’apprentissage, la formation en alternance, voire le marché du travail plutôt que de le laisser démotiver ses condisciples. Un passage par l’emploi permettrait peut-être à certains de retrouver par la suite le goût d’apprendre, une démarche qui pourrait être stimulée, par un « chèque éducation » pour celui qui abandonne sa scolarité. 11. Enfin, l’instabilité ministérielle est sans doute un facteur sous-estimé. Toute réforme de l’enseignement ne produit ses effets qu’à long terme. Chaque ministre, c’est la règle, veut marquer son passage. La Flandre a connu le même titulaire du poste pendant plus de dix années et une très grande stabilité administrative. Dans la même période, la communauté française a vu défiler de trop nombreux titulaires : Di Rupo, Mahoux, Onkelinx, Lebrun, Ancion,… Et que dire de la situation qui a prévalu de 1999 à 2004 avec quatre ministres responsables, qui ont si souvent publiquement affiché leurs différences ? Quant à l’administration, susceptible de compenser les manquements inhérents aux cabinets, elle se trouve aujourd’hui dans un état de démobilisation avancé. Selon certains, une plus grande proportion d’élèves d’origine immigrée expliquerait les plus grandes difficultés de la Communauté française. L’enquêta PISA invalide largement cet argument. Par rapport à d’autres pays, la Flandre compte aussi une forte proportion d’allochtones. Au Canada ou en Australie, pays de forte immigration, les enfants d’étrangers de la première génération sont soumis aux mêmes risques de succès et d’échecs que les autochtones. Dans l’ensemble, notre enseignement reste donc un puissant instrument de reproduction sociale. Ses faiblesses ne pénalisent pas trop les parents capables de s’orienter dans le système : capables de repérer les bonnes écoles et les bonnes options, capables de financer des cours particuliers pour remédier à un problème ou de stages d’immersion linguistique pour combler les déficiences de l’enseignement des langues, capables d’aller s’ouvrir aux professeurs des problèmes de leur enfant. Les autres sont en général condamnés à subir passivement ses lacunes. Quelles conséquences ? De médiocres performances dans l’enseignement entraînent de mauvaises performances économiques et sociales. Bruxelles, et surtout la Wallonie, risquent d’en subir durablement les conséquences, y compris sur le plan politique. Devons-nous nous attendre dans un avenir proche à une chute relative des compétences moyennes de notre population ce qui, dans le cadre de la société de la connaissance, serait un handicap considérable qui pourrait se traduire par un abaissement général de l’efficacité de notre économie par rapport à nos voisins et donc par une réduction relative de notre niveau de vie ? La première conséquence concerne l’emploi. Les personnes qui ont un niveau de formation élevé sont relativement protégées du chômage et obtiennent en général des salaires supérieurs aux autres. Par rapport à nos voisins une proportion plus grande de jeunes aura un accès difficile au marché du travail, connaîtra les affres du chômage de longue durée et constituera le lot des futurs assistés sociaux désocialisés. 8 La seconde est que l’économie de la Wallonie (davantage que celle de Bruxelles) en sera profondément affectée. Le capital humain joue un rôle majeur non seulement pour l’emploi mais aussi pour la croissance économique. Les pays industrialisés qui connaissent une croissance forte sont ceux qui créent des emplois pour des travailleurs qualifiés. On voit mal comment la Wallonie et Bruxelles peuvent rattraper leur retard économique et réduire durablement l’excès structurel de chômage sans bénéficier d’un enseignement performant. La situation est telle qu’en cas de reprise un peu vigoureuse de la croissance, l’économie connaîtrait rapidement une pénurie de travail qualifié dans de nombreux secteurs. Même aujourd’hui, de nombreux emplois faiblement ou non qualifiés ne sont pas pourvus car l’offre de travailleurs n’est pas disponible. Cette situation coexiste avec des taux records de chômage : 18% en Wallonie et 21% à Bruxelles. Le pays compte 420.000 chômeurs et un million de personnes environ émargent à l’ONEM à l’un ou l’autre titre. La troisième conséquence est plus rarement soulignée. L’écart durable de performances scolaires entre le Nord et le Sud du pays renforce les facteurs centrifuges. Avec une économie flamande dynamique, soutenue notamment par de bonnes performances scolaires, l’écart entre les régions risque de se creuser alimentant un peu plus les tensions communautaires. Celles-ci seraient moins fortes si les trois régions du pays se trouvaient à un niveau économique comparable et que les transferts sociaux restaient stables. Selon Robert Deschamps, la défédéralisation de la sécurité sociale impliquerait une baisse de toutes les prestations sociales de 20 à 25 % pour les francophones. La dernière concerne l’intégration et l’égalité des chances. L’école est de fait un instrument de renforcement de la ségrégation sociale ce qui va à l’encontre des objectifs mêmes de l’institution et de la philosophie de l’instruction obligatoire. Un des enjeux majeurs du pays, et plus particulièrement de sa capitale, est d’arriver à intégrer, notamment en leur donnant un emploi, nos dizaines de milliers de jeunes compatriotes issus de l’immigration. Ils subissent des taux de chômage effrayants bien supérieur aux moyennes régionales. L’enquête PISA a démontré que l’école n’offre malheureusement pas à la grande majorité d’entre eux de véritables chances de s’en sortir. Il y a clairement un décalage entre les principes affichés et les résultats concrets des politiques menées par les gouvernements successifs depuis vingt ans au moins. Peut-on durablement accepter un tel écart entre des textes qui affirment tous, la main sur le cœur, les « chances égales d’émancipation » et la sélection impitoyable qu’opère notre organisation scolaire. Entre l’école de la réussite, celle des décrets, et l’école de l’échec, celle des médiocres performances et de l’inégalité, le fossé est immense. 2. Le financement ne garantit pas la performance ! Le manque de moyens est régulièrement avancé pour expliquer les déficiences de l’Etat en Belgique. Or l’Etat belge accapare un pourcentage plus important des ressources disponibles que la moyenne européenne. Plutôt qu’à un déficit, nous sommes confrontés à une utilisation inadéquate de moyens abondants dont les causes, (le morcellement et la dispersion des moyens, la complexité institutionnelle, l’absence de culture d’évaluation, la mal- 9 gouvernance,…) ont été analysées dans le livre « Démocratie ou particratie ? »1. L’enseignement n’échappe pas à la règle. Toutes les comparaisons internationales portant sur le coût relatif de l’enseignement mettent en évidence que la Communauté française investit dans l’éducation de ses jeunes une part de son propre PIB proportionnellement comparable à celui des pays voisins. Les études du professeur Deschamps ont démontré que le déficit de performance ne provenait pas d’un sousfinancement. Globalement, les moyens réels affectés par élève sont équivalents à ceux de la Flandre et de nos autres voisins. En proportion du PIB, ces moyens sont même plus importants en Wallonie qu’en Flandre, de même que par rapport à la moyenne de l’OCDE. En 1998, en Communauté française, 6,48% du PIB était consacré à l’enseignement, un chiffre au-dessus de la moyenne européenne, qui venait juste après les pays scandinaves. Nos dépenses d’enseignement sont donc comparables, voire supérieures à nos voisins : en fait, elles sont plus ou moins égales dans le primaire, nettement supérieures dans le secondaire, un peu inférieures dans l’universitaire. Et avec le refinancement, les moyens disponibles devraient encore augmenter. La dispersion des réseaux, la culture du redoublement, la gratuité de l’enseignement parascolaire artistique,… entraînent des surcoûts importants. La multiplication des réseaux et surtout des pouvoirs organisateurs est source de gaspillage et de non-efficience. Selon Deschamps, la combinaison de ces cloisonnements et du grand nombre d’options dans le rénové fait que le taux d’encadrement (le nombre de personnes rémunérées par élève) y est de plus de 40% supérieur à celui des pays voisins. Le réseau supérieur en Communauté française est trop morcelé. Nous avons 60 000 étudiants à l’université, ce qui constitue la taille d’une grosse université en Allemagne ou en France et 70 000 dans le non-universitaire. La Belgique compte dix-neuf établissements universitaires pour onze aux Pays Bas, une fois et demi plus peuplé. Ainsi, régionalisme oblige, la faculté de médecine de Mons diplôme une dizaine de candidats médecins par an, à l’issue de trois années d’études et il y a au total trente inscrits chaque année dans les … cinq facultés de philologie classique ! Il faut toutefois noter que les comparaisons ne tiennent généralement pas compte de certaines réalités nationales qui peuvent varier dans de larges proportions. Tous les pays n’ont pas porté la scolarité obligatoire à dix-huit ans. Bien au contraire, la Belgique se singularise dans le paysage international à ce sujet. Par ailleurs, de nombreuses nations voient une part non négligeable du budget de l’éducation supportée par d’autres départements ministériels. La santé publique, les affaires sociales, la culture, la jeunesse et les sports,… prennent fréquemment en charge le coût d’une partie de l’éducation des enfants. L’exemple le plus connu est celui des lycées agricoles en France et qui sont totalement à charge du ministère de l’agriculture. Chez nous, tout au contraire, les centres de recherche et les stations d’essai attachées à des établissements d’enseignement agricole sont entièrement financés par l’éducation et les pouvoirs organisateurs. Tout au plus avons-nous quelques exemples de politiques croisées avec les régions en matière d’enseignement technique et professionnel où, on le sait, l’évolution technologique ne permet plus au seul département de l’éducation de faire face aux dépenses en équipement. 1 Alain Destexhe, Alain Eraly, Eric Gillet, Editions Labor, 2003. 10 D’autres singularités viennent également alourdir la note en Communauté française, telle l’organisation, dans les écoles officielles, des cours dits philosophiques qui permettent le choix entre l’enseignement d’une des religions reconnues et le cours de morale non confessionnelle. Six cours sont ainsi proposés et il est évident que, dans certains cas, le coût de cette organisation par élève peut s’élever à des montants impressionnants qui ont conduit le législateur à décréter une série de consignes dont l’application est particulièrement complexe. Construit sur le principe constitutionnel de la liberté d’enseigner, notre système d’enseignement subvient aux besoins d’une double structure parallèle et concurrente. Le principe de la concurrence est omniprésent. Il s’est infiltré au sein même des réseaux au point de créer un marché de l’enseignement où les écoles se livrent à une permanente course à l’élève. Le jeune devient un consommateur d’école et, conformément à la loi du marché, il en change lorsqu’il n’est pas satisfait du service. Dans un louable souci d’économie, le législateur a, depuis quelques années déjà, étroitement lié l’encadrement des écoles au nombre précis d’élèves régulièrement inscrits, ce qui a eu pour effet de renforcer encore davantage cette tendance. Il suffit pour s’en assurer de prendre conscience des budgets consacrés annuellement aux publicités des écoles, à l’aube d’une nouvelle année scolaire; dépenses en totale opposition avec le manque cruel de moyens matériels que les mêmes écoles déplorent d’ailleurs avec raison. Pour compléter le tableau, rappelons l’existence, au sein de notre communauté, d’une véritable culture du redoublement qui entraîne le gonflement artificiel de la masse totale des élèves. En conséquence, notre enseignement est onéreux au regard des résultats qu’il produit. Plus sans doute qu’ailleurs. Au moment où, en 1989, les communautés ont hérité du secteur de l’éducation, en 1989, la répartition de la dotation fédérale a fait l’objet d’une loi de financement reposant sur des critères objectifs, notamment sur le nombre de jeunes de moins de 18 ans dans chaque communauté. En raison de son surcoût, la Communauté française a traversé, à la suite de ce transfert, une période particulièrement difficile, dont les effets ne sont pas près de s’éteindre, malgré les accords de refinancement qui ont été conclus et qui annoncent enfin une embellie très attendue. Pas de relation mécanique dépense/résultats scolaires Que peut-t-on attendre en termes de résultats d’un surcroît de ressources monétaires investies dans l’enseignement ? A vrai dire pas grand chose en soi. Les travaux des économistes de l’éducation mènent à la conclusion que l’enjeu des politiques scolaires est avant tout organisationnel dans les pays à développement avancé. Certes les ressources budgétaires importent. Il est évident qu’elles doivent permettre le recrutement d’un personnel en nombre et qualité suffisants ; ressources sans lesquelles rien n’est possible dans un secteur grand utilisateur de main d’œuvre qualifiée. Mais la majoration des moyens financiers et humains – au-delà d’un seuil au-dessus duquel se situent la plupart des systèmes d’enseignement des pays de l’OCDE dont le nôtre – ne constitue nullement une condition suffisante de l’amélioration des performances. La relation ressources/résultats, dans l’enseignement plus que dans d’autres secteurs, est fortement influencée par le mode de gouvernance, soit la présence de règles simples et cohérentes, assurant un bon niveau de coordination et d’incitation à réussir dans le chef des établissements, des enseignants et des élèves. Au cours des trente dernières années, les économistes ont réalisé de très nombreuses études statistiques visant à évaluer la relation entre ressources monétaires et performance de 11 l’enseignement. Ces études – dont Hanushek recense les résultats depuis 1986 – montrent que les acquis scolaires en général, mais aussi ceux des élèves d’origine défavorisée, ne sont pas fonction du niveau des ressources budgétaires ; que celles-ci soient mesurées par la dépense moyenne par élève ou par ses deux grands déterminants que sont le niveau des salaires des enseignants et le taux d’encadrement (taille des classes). Les différentiels de dépenses par élève par exemple ne rendent pas compte de manière satisfaisante des écarts d’acquis entre écoles ou classes. Le taux d’encadrement ou l’expérience professionnelle des enseignants n’affectent pas le niveau des acquis. Dans le cas précis de la Communauté française, il apparaît même que, toutes choses égales par ailleurs, de plus petites classes vont de pair avec des résultats moindres. Il n’y a pas non plus d’indication que de plus petites écoles – généralement sources de coûts unitaires plus élevés – génèrent de meilleurs résultats. En conclusion, le refinancement est sans doute le bienvenu, la revalorisation salariale des enseignants est probablement utile, mais leurs effets sur les performances sont loin d’être mécaniques. On ne peut écarter l’hypothèse pessimiste – et dramatique – qu’ils soient sans conséquence. Pour ces raisons, il nous semble indispensable d’intégrer des principes de gestion et de gouvernance qui sont aujourd’hui trop largement ignorés dans l’organisation de l’enseignement. 3. Gouvernance inadéquate et limites du pédagogisme L’absence de relation mécanique entre résultats et moyens nous force à prendre au sérieux la question de la gouvernance. Que peut-on dire tout d’abord de la situation en Communauté française sur ce plan ? Et quels sont les enjeux par rapport à la question de sa faible performance ? La réponse est que le mode de régulation en vigueur est très insatisfaisant car très hybride. Il repose sur plusieurs conceptions, parfois franchement antagonistes. Chacun des modes présents comporte de grandes faiblesses en lui-même. Il y a surtout que l’articulation qui s’est opérée au fin des ans a été peu réfléchie et mal mise en oeuvre. Libre choix, concurrence ou quasi-marché Il y a tout d’abord la composante quasi-marché dont l’origine remonte aux années 1950. Le financement est public mais les modalités d’octroi de ce financement font apparaître les logiques de marché. Car les parents, les élèves ou étudiants sont libres de choisir leur école. Les établissements – pas les réseaux auxquels ils appartiennent – sont financés en fonction du nombre d’inscrits. La présence de ce quasi-marché est en soi source de problèmes, essentiellement en termes de forte iniquité. Le libre-choix tend généralement à accentuer le degré de ségrégation des publics entre écoles proches, selon le niveau socioéconomique et partant d’augmenter la dispersion des résultats ou leur dépendance à l’origine socioéconomique. En Nouvelle-Zélande, les parents à qui on a récemment offert la liberté de choisir l’école ont très rapidement exploité cette opportunité, mais avec un fort biais social : les milieux les plus aisés affichent une mobilité scolaire nettement plus forte que les autres. En Ecosse, où le libre choix scolaire a été introduit au début des années 80, les écoles en croissance sont celles affichant au départ un profil socio-économique relativement élevé et des résultats scolaires bruts supérieurs à la moyenne. Les conséquences du quasi-marché en termes d’efficacité sont nettement moins claires. On recense bien certaines études menées aux Etats-Unis qui concluent à l'existence d'un effet positif sur le niveau général des résultats. A 12 l'examen cependant aucune ne donne une information précise sur l'impact de la concurrence en tant que telle. Les Etats-Unis n'ont d'ailleurs pas de quasi-marché scolaire fonctionnant à grande échelle. Contrôle bureaucratique Il y a par ailleurs en Communauté française une tradition de contrôle par la hiérarchie. Les réglementations administratives sont nombreuses dans l’enseignement. Et la tendance récente est à l’amplification. Les grilles salariales sont centralisées, le paiement des enseignants est réalisé par l’ordinateur central selon des grilles barémiques uniformes. Les conditions de recrutement, de promotion, de nomination et de mise à la pension sont les domaines dans lesquels la marque de l’administration centrale est très visible. Il en va de même pour l’emploi du temps dans les écoles, les horaires de travail des enseignants et des élèves et, plus récemment, la pédagogie. Or l’évaluation que les économistes font de ce type de régulation est négative. Dans l’enseignement, le contrôle bureaucratique peine à exercer une véritable action régulatrice au sens où il incite peu à mobiliser compétences et énergie aux fins de réaliser un nombre limité d’objectifs (efficacité, équité). Certes, le contrôle bureaucratique influence les conduites et comportements, mais rarement au-delà d’une simple mise en conformité (respect formel des horaires, des réglementations salariales). Les règles administratives et autres injonctions (pédagogiques…) franchissent rarement leur seuil des classes. Et le moindre des paradoxes n’est pas que la multiplication des interventions administratives n’empêche pas l’enseignant de continuer à jouir d’une très large autonomie dans l’exercice de sa tâche. Quasi-marché et bureaucratie, ou l’art de mélanger les contraires Il y a enfin et peut-être surtout les coûts liés à la présence simultanée de ces deux modes de gouvernance. L’hybridation actuelle relève du compromis entre deux conceptions relativement antagonistes de la gouvernance. Le contrôle administratif en place peine à s’ajuster au fonctionnement du quasi-marché. On peut douter du fait qu’il y ait une quelconque action correctrice à son égard. Car il n’y a rien dans la multitude de contraintes administratives en place qui soit de nature à limiter les effets de la ségrégation des publics. L’uniformité des salaires et des modes de gestion des personnels constitue généralement un obstacle à la mise en œuvre de politiques efficaces, adaptées aux circonstances locales. Il est par exemple impossible d’offrir des primes salariales aux enseignants s’occupant d’élèves plus difficiles. Le mode de gestion du personnel est emblématique des contradictions accumulées au fil des ans en termes de gouvernance. La propension des jeunes enseignants débutant à se maintenir dans la profession est en régression très nette depuis la fin des années 80 sans qu’il y ait garantie que les meilleurs candidats soient ceux qui restent. Tout est simplement question d’ancienneté en termes de statuts et cela tend à opposer, de façon mécanique, jeunes et moins jeunes enseignants dans l'accès à l'emploi stable. On observe sur le plan statistique que le risque de sortie durant la première année de carrière est 35 fois plus important que lorsque les individus ont atteint leur vingtième année de métier (point de référence). Ce rapport décroît ensuite pour ne plus se singulariser de façon significative à partir de la huitième année. 13 Les premières années de carrière sont à l'évidence synonymes de forte instabilité. Cette observation fait écho à la politique de gestion du personnel en vigueur consistant à titulariser les enseignants ayant acquis une certaine ancienneté de service. Une telle politique fixe les enseignants plus âgés mais elle accentue le risque de sortie des plus jeunes, car c'est sur eux que se reporte, entre autres, le besoin de flexibilité inhérent à notre système de quasi-marché scolaire. On y accorde une large place à la liberté des acteurs : surtout les parents et les élèves. Ces derniers ont le libre choix de leur établissement et partant de la spécialité qui y est organisée. Ceci implique, entre autres choses, qu’il peut y avoir des changements rapides et imprévisibles dans la ventilation des élèves et donc dans la répartition des emplois. Et l’évidence dont nous disposons est que de tels changements, que l’on associe à un phénomène de « zapping », sont de plus en plus fréquents, y compris au niveau de l’enseignement fondamental. Gérer ces évolutions, notamment dans le secondaire compte tenu du degré élevé de spécialisation du personnel, synonyme d’interchangeabilité limitée, avec en sus un statut très liant en termes d’engagements salariaux, se révèle compliqué et parfois coûteux, notamment pour les jeunes enseignants sans protection statutaire. Ces derniers sont en quelque sorte la soupape à laquelle incombe la lourde et pénible tâche de réconcilier les deux ingrédients antagonistes du système : le marché (le libre choix) et la planification centralisée (la gestion du personnel à travers des statuts rigides). Au-delà, on soulignera que le renforcement actuel du contrôle bureaucratique apparaît atypique lorsque l’on prend la mesure des évolutions récentes. Car ce type de contrôle heurte les aspirations à plus d’autonomie des nouvelles générations d’enseignants. Ainsi la tendance à prescrire les pratiques pédagogiques, à imposer un temps hebdomadaire de concertation, voire peut-être demain un nombre minimal d’heures de formation continue, doit de plus en plus composer avec leur réticence à se voir dicter la marche à suivre au quotidien. « Rendeznous la maîtrise de notre métier » nous disent-ils avec de plus en plus d’insistance. Enfin, et de manière plus fondamentale, l’administration s’est avant tout attachée à imposer une conformité à des règles et procédures dans la manière d’utiliser les ressources (contrôle sur l’usage des inputs), en ignorant ce qui engage directement ou indirectement les résultats des élèves (l’output). Les documents (programmes, manuels...) définissant les contenus à enseigner sont plutôt rares. Les écoles et les enseignants sont plus ou moins libres de déterminer les critères de réussite. La distribution des diplômes et certificats est du ressort des établissements. En pratique, un même diplôme terminal délivré par deux écoles différentes atteste d’acquis forts divergents. Quant aux résultats des élèves à proprement parler, leurs trajectoires scolaires et professionnelles, à peu près rien n’existe pour les mesurer. Les déterminants des inégalités de résultats : ségrégation,... Si la performance de notre enseignement obligatoire est inquiétante par la faiblesse du résultat moyen, elle l’est plus encore sur le plan des inégalités d’acquis à l’âge de 15 ans et celui de la dépendance forte de ces acquis à l’origine socio-économique. Plus que d’autres, notre système reproduit les hiérarchies sociales en place. Reste à comprendre pourquoi. Il existe une relation entre le degré de ségrégation entre établissements ou filières et le degré d’inégalité au sein des systèmes scolaires. Il est dès lors raisonnable de considérer que les déterminants de la ségrégation affectent l’état des inégalités. A ce titre, on peut considérer que le libre-choix de l’établissement (le quasi-marché) par les familles et la possibilité d’orientation précoce vers la première accueil et l’enseignement professionnel (les filières dès 14 le début du secondaire) sont des paramètres structurels qui contribuent à accroître les écarts entre les écoles, les écarts entre les élèves (inégalité des résultats) et la détermination socioculturelle des performances scolaires (inégalité de chances de résultats). Cependant, les phénomènes de ségrégation n’expliquent qu’un tiers des inégalités entre élèves. Il s’agit donc d’identifier d’autres facteurs. Les historiens de l’éducation nous apprennent que tout au long du 19ème siècle et pour une bonne partie du 20ème l’école apparaissait comme une institution peu contestable. Les objectifs d’instruction s’imposaient avec une relative évidence (apprendre à lire, écrire, compter,...), avec pour conséquence une relative homogénéité dans les pratiques pédagogiques, même si des sensibilités philosophiques différentes traversaient les projets de l’enseignement catholique d’une part et de l’enseignement public d’autre part. … et excès du pédagogisme Mais la massification de l’école, la montée en puissance du subjectivisme et du personnalisme, la nécessité et la volonté de prendre en compte les différents types d’élèves de même que la diversité des rapports au savoir ont créé un environnement propice à un souci de diversité et d’adaptation de l’école à la pluralité de ses usagers. C’est certainement dans le domaine pédagogique que cette tendance est la plus manifeste. Les multiples ouvrages parus autour du thème de la pédagogie différenciée sont une expression de cette demande d’adaptation du projet scolaire aux caractéristiques des élèves. Plutôt que de s’appuyer sur des ressources pédagogiques standardisées (le manuel scolaire), le maître est aujourd’hui invité à construire en partie ses propres outils et à s’appuyer sur ce qui fait sens pour ses élèves. On notera que l’appel à la différenciation des pédagogues transcende largement les grands réseaux évoqués ci-dessus, et qu’il vise le niveau le plus micro du système : celui de la relation élève-enseignant. Ce discours pédagogique, aux accents psychologisants, est par ailleurs largement compatible avec la conception moderne de l’individu véhiculée dans le monde occidental. Conviés à participer à la formation d’individus autonomes, les enseignants sont dès lors invités à « mettre l’élève au cœur des apprentissages », à « accorder une attention particulière et adaptée à chacun » ou encore « à veiller à l’épanouissement personnel de chaque élève ». Loin de nous l’intention d’évaluer la pertinence de telles orientations. Nous ne sommes ni suffisamment outillés, ni suffisamment documentés pour le faire. Il nous semble cependant indispensable d’acter cette tendance, sans doute exprimée ici avec trop peu de nuances, et de formuler l’hypothèse qu’elle a pu contribuer à accroître l’intensité des inégalités. Il nous paraît en particulier opportun d’interpeller les pédagogues, à la lumière des travaux des économistes, sur la signification du mot différenciation. La théorie économique enseigne qu’un bien et un service peuvent faire l’objet d’une différenciation soit horizontale soit verticale. Le premier type de différenciation désigne la tendance à produire des biens ou services de qualité ou de valeur égales, mais dont les caractéristiques secondaires peuvent varier, notamment dans le but de satisfaire les préférences d’une clientèle hétérogène. Ainsi deux automobiles de puissance et de qualité de fabrication égales peuvent se distinguer par la couleur, le style de finition, le réglage des suspensions,... La différenciation verticale correspond à la tendance tout aussi répandue des constructeurs automobiles à vendre des véhicules dont les caractéristiques essentielles varient. Ainsi la puissance du moteur, la taille du véhicule, la présence de dispositifs augmentant la sécurité du véhicule (ABS, air bags, 15 système d’antipatinage,...), caractéristiques induisant des variations significatives du niveau de qualité. Depuis une quarantaine d’années les pédagogies nouvelles ainsi que les grandes réformes qu’elles ont inspirées (rénové, école de la réussite,...) poursuivent prioritairement un objectif de différenciation du service éducatif. Certes, dans l’esprit de ses promoteurs, un enseignement adapté à chacun, veillant à moduler contenu et style à la personnalité de chaque élève ne peut rompre avec l’exigence d’égale qualité. Mais de la théorie et du projet à la pratique il y a forcément une marge, si pas plus. Les promoteurs de l’enseignement différencié ont considérablement sous-estimé la possibilité que les pédagogies nouvelles, une fois mises en oeuvre à grande échelle, conduisent à plus de variabilité dans la qualité des apprentissages. Rompre avec un enseignement traditionnel, standardisé et frontal, recourant au manuel scolaire et préféré dans des classes relativement grandes, c’est certes créer l’opportunité d’une plus grande différenciation horizontale. Au passage on notera que cela a un coût budgétaire important car cela requiert la multiplication des options et donc des petites classes. Mais, dans un contexte de gouvernance synonyme d’absence de contrôle des « outputs » (pas d’évaluation externe des résultats, pas de véritable curriculum communautaire,...), c’est aussi ouvrir la porte à l’extrême variabilité dans la qualité des contenus enseignés, des références utilisées par les enseignants (toutes les photocopies ne se valent pas !), des attentes et des exigences vis-à-vis des élèves,... Le discours pédagogique contemporain, en plaidant pour une différenciation du traitement des élèves et un souci accru pour l’épanouissement de chacun, génère certainement plus de diversité, mais sans doute au prix d’un accroissement des inégalités de résultats. Cette conséquence n’avait pas été prévue. Etat-pédagogue, Etat-évaluateur Face à la multiplication des indices de performance médiocres, le gouvernement a souvent été tenté de décréter les pratiques pédagogiques souhaitables (l’évaluation formative et la pédagogie différenciée2 par exemple) ou les formes de coordination à adopter dans les établissements (l’obligation de concertation entre enseignants dans l’enseignement fondamental par exemple). Nous restons sceptiques par rapport à l’impact de telles décisions. D’une part, car la formulation et l’adoption de telles mesures se heurtent au prescrit constitutionnel (la liberté d’enseignement), ce qui rend le plus souvent la mise en oeuvre de telles décisions très aléatoire. D’autre part, et plus fondamentalement, car de tels changements ne se décrètent pas. Au contraire, la définition par des experts des pratiques pédagogiques souhaitables risque in fine d’appauvrir le travail des enseignants, sommés d’exécuter ce que l’autorité a pensé pour eux. Au modèle de l’Etat-pédagogue ou bureaucrate (définissant finement l’usage des moyens reçus, l’organisation quotidienne du travail et du temps, les procédures et les critères de recrutement...), nous préférons donc celui de l’Etat-évaluateur (définissant des objectifs et 2 Démarche qui consiste à varier les méthodes pour tenir compte de l’hétérogénéité des classes et de la diversité des élèves. 16 se dotant des dispositifs et des outils permettant périodiquement d’évaluer l’atteinte des objectifs). Dans ce sens, il est à nos yeux plus judicieux de valoriser pleinement la responsabilité et l’expertise pédagogique des enseignants, mais de soumettre périodiquement leurs élèves à des épreuves externes standardisées, à ne pas totalement confondre avec des épreuves individuelles diplômantes (baccalauréat,...) qui ont avant tout pour objectif de déterminer l’aptitude de l’élève à poursuivre au niveau supérieur. Cette pression par les résultats plutôt que par les moyens à suivre est probablement une source d’homogénéisation de la qualité du travail éducatif beaucoup plus efficace. Les résultats des élèves à de telles épreuves permettraient par ailleurs d’informer les enseignants sur l’efficacité de leur travail et de mettre en place des dispositifs d’accompagnement et de réflexion – mais aussi parfois de pression – sur les établissements peu efficaces et/ou équitables. L’analyse et la suggestion formulées ici mériteraient bien entendu d’être davantage discutées et documentées. En dépit de toutes les limitations de la composante quasi-marché scolaire, et malgré la tendance à la ségrégation des publics qui la caractérise, nous ne croyons pas à son remplacement par un modèle hiérarchique pur avec carte scolaire synonyme d’assignation de l’école en fonction du quartier de résidence. Il y a la question du coût politique d’une telle option. Mais il y a aussi le risque d’une accentuation de la ségrégation résidentielle. L’option de politique scolaire doit plutôt être celle de la régulation du quasi-marché. Mais pas via un renforcement du contrôle hiérarchique de type bureaucratique ou via une énième réforme pédagogique visant à asseoir plus encore le credo différenciateur. Dès lors qu'il y a libre-choix et autonomie juridique de beaucoup d’écoles, dès lors que les études internationales nous informent d’une performance médiocre, particulièrement en termes d’inégalité de résultats, il nous semble opportun que l’administration centrale définisse autrement son action qu’en cherchant à s’imposer comme producteur exclusif des services éducatifs et/ou à multiplier les règles d’usage des ressources (tendance actuelle). Il est plus indiqué d’opter pour un encadrement du quasi-marché par voie de contractualisation. Il s’agirait d’entériner une fois pour toutes le principe d’une dissociation de la fonction de contrôle de l’activité éducative de la fonction de production du service éducatif, fonctions concentrées entre les mains des pouvoirs publics dans le modèle hiérarchique classique. La responsabilité de produire le service éducatif (gérer les écoles, fixer les horaires, engager, payer les enseignants,…) au quotidien pourrait être plus franchement décentralisée vers les écoles et les enseignants. Mais cette décentralisation s'accompagnerait de la montée en puissance d’une évaluation externe, centrée sur la mesure des résultats. Le Ministère délèguerait d'un côté, réduisant l'ampleur des règles encadrant l'usage des ressources ainsi que les pratiques pédagogiques ; mais il développerait dans le même temps des instruments de contrôle à distance, par exemple en organisant à intervalles réguliers des examens auxquels seraient soumis les élèves. Et ce seraient ces résultats qui, dans le chef des hauts responsables de la politique de l’enseignement en Communauté française, serviraient de fondement au triple exercice 1) de diagnostic sur l’état du système, 2) d’évaluation des réformes passées et 3) de formulation des nouvelles politiques. Ces résultats, pondérés pour tenir compte du profil socio-économique des élèves, seraient également largement diffusés auprès des écoles et des enseignants. Et ceci de manière à leur permettre d’évaluer l’efficacité de leur action individuelle et collective. Mais aussi avec l’espoir raisonnable que s’opèrent, spontanément, un certain nombre 17 d’ajustements positifs lorsque, de manière récurrente, les résultats apparaissent inférieurs à la moyenne de ceux obtenus par les établissements semblables. Plusieurs travaux concluent au fait que la gouvernance centrée sur les résultats sont plus efficaces que celles qui procèdent par encadrement rapproché de la conduite des professeurs, notamment dans le domaine de la pédagogie. Autonomie accrue, évaluation externe et meilleurs résultats peuvent aller de pair. Ainsi dans l’enquête OCDE de 1995, la décentralisation au niveau de l'école de la responsabilité d'achat des fournitures et du matériel, et surtout de l'engagement ou de la rémunération des enseignants, tend à améliorer les acquis en mathématiques et en sciences. Mais on note surtout que l'obligation faite aux écoles de participer à des épreuves externes – soit un élément de centralisation – a un effet favorable. La présence de telles épreuves, par contraste à une situation où n'existent que des examens dont le contenu est défini localement, améliore le score des élèves. L'avantage est de 16 points en mathématiques (en référence à une moyenne de 500) et de 10 points en sciences. Pour ces matières, c’est encore la centralisation de la définition du programme et de la liste de manuels de référence qui engendre de meilleurs résultats. Pour l'équité cette fois, nos propres estimations sont compatibles avec l'idée que les systèmes à curriculum centralisé et examens externes sont également relativement plus équitables : le résultat individuel des élèves est relativement moins dépendant de leur origine socioéconomique. Ajoutons sur ce point que le recours à l’évaluation des enseignants et des établissements à travers les résultats de leurs élèves, pour autant qu’elle tienne correctement compte de leur origine socio-économique, présente peu de risques d’incitation à l’écrémage, soit de recrutement prioritaire des élèves les plus prometteurs. En outre, il est relativement simple d’inciter les écoles actuellement privilégiées de par leur public à recruter plus systématiquement (ou à moins écarter) les élèves à profil plus défavorable. Il suffit pour cela de faire dépendre, en partie, le montant par élève attribué à l’établissement du type d’élève qu’il recrute. L’utilisation intelligente de la formule de financement constitue un outil de gouvernance à part entière. souvent plus efficace que celui de la commande et de l’injonction hiérarchique ou légale. 4. Education des jeunes, travail des enseignants Substituer la gouvernance au pédagogisme apparaît clairement comme une des pistes les plus intéressantes pour l’évolution de notre système éducatif vers plus d’efficacité et d’équité. En effet, valoriser la liberté responsable de l'enseignant et donc le choix des méthodes et des moyens arrêtés par l’ensemble de l’équipe éducative, est un principe qui s’adapte aisément à la revendication d’autonomie des pouvoirs organisateurs fondée sur le principe constitutionnel de la liberté d’enseigner. Vérifier l’efficacité de ces choix au travers de l’évolution des résultats enregistrés ne peut qu’inciter à rechercher sans cesse les solutions les plus pertinentes. Il n’échappera toutefois à personne qu’il convient de fixer préalablement les règles du jeu, notamment de définir avec un maximum de précision les objectifs à atteindre et de tendre vers une unité des droits et des devoirs pour chacun. On ne verra dans cette disposition qu’une application évidente d’un autre principe constitutionnel : l’égalité des établissements devant la loi ou le décret. Pas question, par exemple, de se débarrasser en cours d’année scolaire des élèves difficiles ou lents. 18 Toute évolution de l’école devra impérativement tenir compte d’un certain nombre de caractéristiques qui marquent notre système actuel. L’éducation que nous connaissons est le résultat de 174 années de vie politique belge et son état doit être examiné à la lumière de décisions qui ne furent pas toujours heureuses. Ignorer cette donnée reviendrait à condamner à l’échec toute tentative d’évolution, aussi fondée soit-elle. Les paragraphes qui suivent soulignent quelques-unes de ces caractéristiques. Le moral des enseignants Plus de 85% du budget de l’éducation est, en Communauté française, affecté à la rémunération du personnel. Cela ne laisse plus grand chose pour les autres dépenses. Toujours à la recherche d’économies, les gouvernements successifs ont pris certaines mesures impopulaires auprès des enseignants. C’est ainsi que des augmentations barémiques ont été accordées au Nord du pays alors qu’elles étaient simultanément refusées au Sud. A d’autres moments, les enseignants ont été partiellement rétribués en chèques repas. Une grève mémorable bloqua toute l’institution au début des années 90, mettant en péril l’année scolaire de toute une génération de jeunes francophones. La solution n’apparut que bien plus tard, lorsque 3 000 professeurs du secondaire demandèrent de bénéficier de la préretraite alors qu’on n’attendait que 2 000 réponses. Le phénomène était à la mesure du dépit d’enseignants qui s’étaient sentis méprisés, humiliés, critiqués alors que leurs conditions de travail se détérioraient progressivement face à une jeunesse elle-même profondément perturbée par l’évolution de la société. Il n’est pas étonnant, dès lors, que les exigences syndicales se soient radicalisées et renforcées, multipliant les mesures destinées à protéger l’emploi et laissant parfois l’impression que l’école était devenue principalement le lieu de travail des enseignants, avant d’être le lieu de formation des jeunes. Certaines mesures furent détournées de leurs objectifs premiers, telle la règle de l’ancienneté créée pour ordonner l’embauche et utilisée dès 1990 pour classer les victimes des pertes d’emploi. Les établissements qui perdent des élèves, essentiellement les sections techniques et professionnelles, perdent également leurs plus jeunes professeurs, généralement les plus enthousiastes aussi. Certains directeurs s’arrachent les cheveux face au renouvellement annuel d’une part importante de leur personnel qui empêche tout maintien d’une équipe éducative et compromet toute tentative de continuité dans l’action pédagogique. Il ne fallait pas être sorcier pour prévoir la pénurie d’enseignants que nous connaissons aujourd’hui. Alors que l’éducation des jeunes était jadis une vocation enthousiasmante, elle démobilise actuellement le jeune universitaire qui préfère s’orienter vers des carrières socialement plus valorisantes, souvent synonymes de plus grande sécurité statutaire durant les premières années. Les instituts de formation pédagogiques enregistrent régulièrement l’inscription d’une majorité de candidats pour lesquels l’enseignement est un deuxième choix et dont la formation présente parfois des lacunes d’une profondeur abyssale. L’état d’esprit des jeunes Vivant ensemble au quotidien, le moral des enseignants est fréquemment en phase avec celui des jeunes. Les perspectives d’avenir sont pour beaucoup d’adolescents aussi opaques qu’incertaines. Le discours récurrent sur la nécessité d’un apprentissage tout au long de la vie 19 les étonne et reste pour eux bien souvent totalement incompréhensible. Ceci se vérifie surtout pour la frange d’élèves, trop importante chez nous, qui, découragés par les échecs successifs, sont sur la voie de la déscolarisation. On ne vit pas sans projet ni sans espoir, surtout lorsqu’on est jeune. Ou bien on cherche des substituts. Certains sombrent dans la recherche de satisfactions immédiates. D’autres, à l’exemple de ce que nous apporte l’actualité et nous confirme les médias, en reviennent à la loi du plus fort. Ceux qui sont suivis par les familles se fraient, pas toujours avec succès d’ailleurs, une voie dans le labyrinthe des orientations possibles au sujet desquelles l’information reste souvent déficiente. Une visite au salon de l’étudiant est, à cet égard, édifiante. Celui qui n’y entre pas avec une intention claire et précise risque fort d’en sortir totalement perturbé. Les filières techniques et professionnelles qui étaient jadis des tremplins vers des vies professionnelles réussies et parfois des promotions spectaculaires, ont tendance à devenir le lieu de rassemblement des amers et des déçus. Les familles attentives ont grand soin d’éviter, dans toute la mesure du possible, d’y inscrire leurs enfants. Les appellations consacrées telles que filières de relégation ou encore écoles poubelles en ont totalement terni l’image et en font de véritables repoussoirs. Ce qui paraît plus paradoxal encore, c’est qu’entre-temps, les secteurs professionnels organisent eux-mêmes, souvent avec l’aide des ministres compétents, des formations destinées aux demandeurs d’emploi. Ces structures bénéficient généralement d’équipements modernes que les écoles ne peuvent plus s’offrir. La dispersion des compétences Le système éducatif belge s’est construit autour du principe constitutionnel de la liberté d’enseigner. A partir de cette règle se sont constitués plusieurs centaines de pouvoirs organisateurs très soucieux de leur autonomie. Ils sont réunis aujourd’hui au sein de fédérations parallèles et concurrentes. Forts de cette liberté, des pouvoirs organisateurs se sont spécialisés dans des secteurs particuliers tels le fondamental, le secondaire général, technique, professionnel, artistique, le supérieur ou la promotion sociale. D’autres font tout ou presque tout. Ceci ajoute encore à l’aspect irrationnel qu’offre notre système éducatif. En 1990, le Conseil de l’Education et de la Formation, récemment créé, admit, après de longues négociations, qu’il revenait au pouvoir politique de fixer les objectifs généraux de l’enseignement. Jusqu’à cette époque, les pouvoirs organisateurs étaient seuls responsables de ces choix. Ils les traduisaient, conformément à la loi, en d’innombrables programmes libres, préalablement approuvés par le Ministre et contrôlés par les inspecteurs qui jugeaient du niveau des études. Cette efflorescence de programmes est l’une des raisons majeures pour lesquelles les éditeurs jugent généralement que se lancer dans la production de manuels scolaires est une aventure sans issue. Couplée au credo différenciateur des pédagogies nouvelles évoqué plus haut, elle justifie également l’usage parfois abusif des classeurs et des photocopies. L’avis du Conseil de l’Education et de la Formation trouva son expression légale dans le décret mission de 1997 qui fixe les objectifs généraux de l’enseignement et instaure le système des niveaux de compétences. C’est le Parlement lui-même qui se prononce désormais 20 sur ces références concentrées sur deux moments précis de la scolarité secondaire : la fin de la 2ème année (socle de compétences3) et le terme du secondaire (compétences terminales4). Pour ce qui concerne les filières de qualification, un organe constitué essentiellement de professionnels du secteur arrête des profils professionnels qui sont traduits ensuite par des pédagogues en profils de formation. Ces derniers sont, eux aussi, désormais approuvés par le Parlement et s’imposent donc à chacun. Les freins à ce travail indispensable d’harmonisation sont nombreux. Il convient de rappeler ici que, pour la majorité des pouvoirs organisateurs, ces règles ne sont contraignantes que dans la mesure où elles déterminent le montant des subventions accordées. Or, depuis 1989, l’article 24 de la Constitution comporte une disposition nouvelle qui prévoit l’égalité des établissements d’enseignement devant la loi ou le décret. Il est donc clair que, si le législateur souhaite amplifier encore cette indispensable harmonisation, il conviendra d’en imposer tous les éléments avant l’uniformisation du financement de toutes les écoles. Bien des barrières et des différences existent encore entre réseaux et pouvoirs organisateurs qu’il conviendrait de réduire, voire d’annuler si l’on désire vraiment la cohérence du système : statuts multiples du personnel bien que totalement rétribués par la Communauté française, transparence dans la gestion, contrôle démocratique plus ou moins important, application des règles du droit privé ou du droit public,… Notre système scolaire est, dans ces divers aspects, très hétéroclite, ce qui rend en permanence la généralisation de règles uniques très complexe. A titre d’exemple, rappelons que le système des compétences qui aujourd’hui s’applique de manière identique à tous doit, au terme même de l’avis du Conseil d’Etat, être appliqué de manière souple, dans le respect de la liberté constitutionnelle. Evaluation En l’absence d’épreuves étalonnées, cette évaluation individuelle de l’élève a une désagréable tendance à se distribuer selon une courbe de Gauss où 50% de la classe se trouve automatiquement menacée d’une appréciation négative et dès lors susceptible d’être sanctionnée, plus en Communauté française qu’ailleurs (voir nos taux de redoublement). L’école joue ainsi un rôle de sélection qui revêt sans doute toute son importance lorsqu’il s’agit de reconnaître une qualification professionnelle par exemple, mais qui n’a pas sa place auprès d’élèves plus jeunes sous peine d’être taxée, avec raison, de sélective, d’élitiste et d’inéquitable. Jusqu’à l’adolescence et même au-delà, ce rôle de sélection que joue l’école n’est pas prioritaire. La mission de l’enseignant, à ce niveau, est de faire réussir ses élèves, de porter au plus haut les compétences de chacun, même si l’environnement extrascolaire n’est pas favorable. La discrimination positive est à cet égard totalement justifiée. Diminuer la place de l’arbitraire dans l’évaluation de l’élève, signifie avancer vers des épreuves standardisées. Si l’on en admet le principe, la voie est ouverte pour une évaluation du système scolaire tout entier et la prise en charge de l’amélioration de son efficacité par une instance unique de pilotage. C’est à ce niveau que les réticences sont grandes. Si la nécessité d’une évaluation externe à l’école s’impose de plus en plus aux esprits, la structure même de notre système pousse 3 Les socles de compétences identifient ce qui doit être acquis au cours de l’enseignement fondamental et des deux premières années de l’enseignement secondaire. 4 Les compétences terminales précisent les objectifs à atteindre à l’issue de l’enseignement secondaire de transition. 21 chacun à revendiquer le droit de la mener pour son compte avec ses propres troupes. Dans le contexte concurrentiel dénoncé précédemment, la crainte est grande de voir des résultats comparatifs être diffusés, voire publiés, avec les conséquences que l’on devine. Le danger est réel. Des orientations nombreuses, complexes et précoces Il n’est pas possible d’envisager un cursus scolaire de 6 à 18 ans sans prévoir des orientations permettant des bifurcations vers des études adaptées. Il est évidemment souhaitable que cela se fasse dans l’intérêt du jeune, en tenant compte de ses aptitudes et, de préférence, avec son assentiment. La forte hiérarchisation des sections rend chez nous ces changements pénibles. Quels sont les parents attentifs qui voient aujourd’hui, sans pincement de cœur, leur enfant quitter le général pour le technique ou le professionnel? Quels sont les jeunes chez qui cette orientation ne s’accompagne pas d’un sentiment de frustration, même s’ils en sont généralement les principaux responsables ? Ceux qui posent délibérément ce choix sont malheureusement très rares et mériteraient d’être encouragés. Les Nations du Nord de l’Europe, qui ont de l’obligation scolaire une expérience bien plus ancienne que la nôtre, disposent d’une structure plus simple, d’une école de base pour tous jusqu’à l’âge de 14 ou 16 ans. Les orientations viennent plus tard et se spécialisent alors dans des filières différenciées. Dans cette école de base, l’objectif est clairement de mener chacun, quel que soit son potentiel, le plus loin possible, sans arrêter personne (sauf accident majeur). Certains de ces pays ne connaissent virtuellement plus le redoublement de classe, ce qui ne les empêche pas, pour autant, de se classer fort honorablement dans les comparaisons internationales. Notre système scolaire prévoit actuellement des études primaires de 7 années maximum. Dès l’amorce du secondaire existe, parallèlement au premier degré commun, un degré d’accueil réservé aux élèves en difficulté, notamment ceux qui n’ont pas réussi à obtenir le certificat de base au terme de la 6ème primaire. Ce 1er degré est généralement l’antichambre de l’enseignement professionnel. Il est par ailleurs proportionnellement le plus peuplé dans les écoles à vocation technique et professionnelle exclusive. La première orientation prend donc place à 12 ou 13 ans. Elle se poursuit ultérieurement par le truchement des attestations de réussite avec réserves, ce qui permet de diriger l’élève, dans l’établissement ou en dehors de celui-ci, vers des études mieux adaptées à ses goûts et ses moyens. Cette technique, louable en soi puisqu’elle devrait prendre en compte les acquis du jeune et ses préférences, repose en réalité surtout sur le constat de ses lacunes. De plus, les membres des conseils de classe qui décident en la matière possèdent rarement cette fine connaissance des structures du technique et du professionnel qui leur permettrait de fournir des conseils éclairés. Le jeune et sa famille se retrouvent fréquemment face à une multitude de possibilités parmi lesquelles le choix se fait trop souvent à l’aveuglette. La simplification du répertoire des options qualifiantes réalisée ces dernières années a certes un peu clarifié la situation. Il n’empêche qu’un observatoire fiable, susceptible de fournir des informations actualisées sur les aspects des diverses professions et leurs exigences fait cruellement défaut. A l’exemple des pays scandinaves, les premières orientations devraient être postposées, ce qui entraînerait forcément, chez nous, des difficultés au niveau du premier degré d’accueil et des 2ème degrés techniques et professionnels, fusse au niveau de l’emploi des professeurs dans ces sections. Il convient toutefois de souligner que l’initiation à ces orientations ultérieures doit 22 faire partie du cursus commun de l’école de base, ce qui aurait pour effet de valoriser ces choix et de modifier l’attitude des jeunes à leur égard. Les rythmes d’apprentissage De même qu’il n’existe pas deux êtres physiquement semblables en tous points, il n’y a pas deux intelligences qui fonctionnent exactement de la même manière. De la même manière, il n’y a pas deux apprentissages qui se déroulent au même rythme. Il y a donc une bonne dose d’illusion à penser que l’exposé d’une matière particulière, à un moment donné, est enregistré par l’ensemble d’une classe de manière identique. Certains devront revenir sur le sujet, d’autres sont capables de se l’approprier aisément. Les phénomènes de l’apprentissage nous sont encore mal connus et, s’il est évident qu’interviennent à la fois l’intérêt, la volonté, la maîtrise de certaines notions de base, la clarté du message, le degré d’attention, la maturité, la relation à établir avec ce que l’on sait déjà, la sympathie qu’on éprouve pour l’enseignant, l’envie de savoir, l’état de veille de l’esprit,… personne ne sait dans quelles proportions interviennent ces éléments pour chaque individu en particulier, ni à quel moment. Croire qu’il suffit d’un bon exposé pour que toute une classe puisse maîtriser une notion est illusoire. Il est possible parfois d’apprendre sans effort des techniques particulièrement difficiles comme on peut s’épuiser à tenter vainement de saisir un message simple. Il est des enfants qui, sans aucun apprentissage particulier, au simple contact d’aînés, parviennent seul à maîtriser la délicate technique de la lecture. Les instituteurs qui dirigeaient jadis des classes multiples connaissaient bien ce phénomène qui s’apparente à l’apprentissage spontané et à une saine émulation. L’inverse est tout aussi vérifiable. Dans une classe normalement constituée, on trouve tous les profils dans un joyeux mélange. Il existe donc, pour chaque individu, des moments favorables pour apprendre, et ils ne correspondent pas à la même période pour tous. C’est ce constat qui a mené les pédagogues à recommander, dans toute la mesure du possible, l’individualisation des apprentissages ce que le législateur a traduit en un enseignement par cycles, les résultats scolaires étant évalués et certifiés tous les deux ou trois ans. L’élève dispose ainsi d’une période plus longue pour assimiler les compétences prévues. Ceci n’exclut évidemment pas l’usage de l’évaluation formative destinée à informer le jeune et sa famille sur le rythme individuel de chacun. Ce processus cependant s’installe lentement. Que la première organisation structurée de cette nature se soit déroulée, en Communauté française, au niveau du 1er degré de l’enseignement secondaire n’est sans doute pas un choix heureux. Il aurait vraisemblablement été plus efficace de débuter la scolarité obligatoire par un cycle 5/8 ce qui, par ailleurs, est aujourd’hui recommandé mais sans structure et surtout sans les moyens indispensables, à savoir que le groupe d’élèves doit se trouver physiquement dans les mêmes locaux et que de nombreux temps de concertation doivent être prévus entre enseignants. Constatons qu’une fois de plus l’application d’une méthode qui a cependant montré expérimentalement son efficacité est impossible à généraliser en raison des compartimentages qui caractérisent notre système et de l’immobilisme dans l’affectation des moyens nécessaires pour mener des innovations. Le système très rigide du passage de classe que nous connaissons en Communauté française fait également que nous ne rencontrons virtuellement jamais de jeunes en avance dans leurs études. Contrairement à ce que l’on peut voir dans la majorité des autres nations, nous 23 n’avons jamais de jeunes âgés de 15 ou 16 ans en classe terminale. Il semble cependant que les surdoués soient présents chez nous dans les mêmes proportions qu’ailleurs. Il est évident qu’un régime d’enseignement par cycles, en encourageant la pédagogie différenciée (l’individualisation), devrait permettre à ces jeunes de se distinguer et de gagner une ou plusieurs années au cours de leurs études. Soulignons, une fois encore, que l’on sous-estime généralement la difficulté de mise en œuvre de la pédagogie différenciée sur une large échelle. Les effets en sont potentiellement très inégalitaires et le risque est grand, malgré de louables intentions, d’accentuer les différences entre les élèves. Il est donc d’autant plus important de cadrer l’individualisation de l’enseignement par une référence forte aux résultats obtenus, mesurés de façon objective et standardisée. Un projet d’avenir Ce rapide survol des principaux problèmes de notre système éducatif s’est longuement attardé au niveau du secondaire. Il existe certes bien des difficultés à résoudre tant dans le fondamental que dans le supérieur mais c’est essentiellement dans la tranche d’âges 12/18 ans qu’elles se trouvent concentrées. Une des raisons invoquées en 1959 pour s’entendre sur les termes d’un pacte scolaire était la nécessité de démocratiser les études. Les résultats scolaires enregistrés aujourd’hui montrent que nous n’y sommes toujours pas parvenus. Critiquée de l’extérieur, mal à l’aise à l’intérieur, l’institution a perdu ce consensus social qui en faisait le centre des préoccupations de tous et le vecteur des espoirs de chacun. Dans une large partie de l’opinion publique, l’obligation scolaire a supplanté le droit à l’instruction et les parents, comme les décideurs et les jeunes, considèrent trop souvent l’école avec le même regard que celui que l’on portait jadis sur le service militaire obligatoire. Plutôt que d’accuser l’école des multiples maux de la société, il conviendrait de se poser la question de savoir ce que l’on peut faire pour elle et de s’atteler à le réaliser. Il ne serait nullement inconvenant de voir d’autres secteurs de la vie publique, voire de la vie économique, mettre des moyens à la disposition de l’école pour l’aider à remplir sa mission particulière. Il faudra sans doute qu’elle-même améliore son image. Elle devra d’abord renforcer la cohérence d’un paysage morcelé en pouvoirs organisateurs divers et multiples, aux caractéristiques divergentes. Si l’institution scolaire veut retrouver la considération et les moyens auxquels elle a droit, il faut qu’elle devienne autre chose qu’un ensemble d’organisations autonomes où chacun tente de tirer la couverture à soi. C’est l’institution dans son ensemble qui doit réclamer plus de respect pour sa mission, et non chaque établissement en particulier. En toute humilité, il sera nécessaire de trouver des exemples à l’étranger ou du moins des sources d’inspiration. On l’aura compris elles sont à chercher notamment du côté des pays scandinaves qui semblent obtenir des résultats plus brillants que les nôtres, avec des moyens virtuellement égaux ainsi que de l’Angleterre qui offre un exemple d’un système en déclin qui a su se réformer. 24 5. Angleterre et pays scandinaves ou comment améliorer les performances ? Il est affirmé avec force dans ce texte que les performances de l’enseignement obligatoire en Communauté française sont insatisfaisantes tant du point de vue de l’efficacité que de celui de l’équité. Une bonne partie de notre propos est par ailleurs de préconiser des réformes visant à corriger cet état de faits. Les observateurs critiques, voire cyniques, ne manqueront cependant pas d’objecter – et à juste titre – qu’il n’est pas du tout évident de réformer un système d’enseignement, et encore moins de garantir que les réformes proposées se traduisent par de meilleurs résultats. Peut-on vraiment réformer un système d’enseignement ? Peut-on infléchir, dans le bon sens, l’action concrète de milliers d’élèves, de directions d’école ou d’enseignants dont nous savons par ailleurs qu’ils restent seuls véritables maîtres face à la classe ? L’exemple interpellant de l’Angleterre Nous voudrions tout d’abord attirer l’attention du lecteur sur le cas de l’Angleterre. Voilà un système d’enseignement dont les performances étaient jugées insuffisantes, car légèrement en déclin, tout au long des années 1960, 1970 et 1980, mais qui se sont améliorées durant la décennie 1990. Les examens standardisés font apparaître une amélioration constante, surtout durant la 2ème moitié des années 1990, et de façon plus marquée dans le primaire. En outre, cette amélioration intervient dans un contexte où la dépense par élève stagne5. Elle s’observe aussi auprès des écoles concentrant les élèves désavantagés. C’est même dans ces écoles que les progrès les plus importants ont été enregistrés. Ce constat fournit une indication de ce que les performances d’un système d’enseignement peuvent s’améliorer au fil du temps tant sur le plan de l’efficacité que celui de l’équité. Se pose immédiatement la question du pourquoi ou du comment. Est-ce le fruit du hasard ou de la chance ? Les certitudes absolues en ces matières n’existent pas. Nous naviguons plutôt dans le registre des corrélations et des hypothèses raisonnées. Mais nombreuses sont les raisons de penser que les améliorations anglaises sont liées aux réformes profondes initiées par les gouvernements conservateurs et accentuées par les travaillistes. Ces réformes6 sont pour partie relativement anciennes, puisque les premiers jalons ont été posés en 1988. En matière d’éducation, réformer est une entreprise de longue haleine. Le premier ingrédient de ces réformes a été la reprise en mains de la définition du curriculum par les autorités centrales. Alors que les contenus à enseigner et la manière d’en évaluer la maîtrise par les élèves étaient traditionnellement une compétence quasi-exclusive de l’enseignant individuel (très décentralisée donc), le début des années 1990 marque un grand tournant synonyme de centralisation et de standardisation. On parle d’ailleurs de Curriculum National. La deuxième facette de ces réformes a été la décentralisation de la gestion des ressources publiques mises à la disposition des établissements. Anciennement fortement contrôlées par des administrations scolaires locales (Local Educational Authorities, LEA) – notamment en matière de recrutement des enseignants – les écoles, leur directeur (headteacher) ou leur 5 Pour le détail des chiffres, voir la contribution de Glennerster, H. (2002), United Kingdom Education 1997-2001, Oxford Review of Economic Policy, 18(2), pp. 120-136. 6 Le lecteur intéressés par une présentation détaillée consultera : Le Grand J. & Bartlett W. (eds), (1993), Quasi-markets and Social Policy, MacMillan, London. 25 comité de direction (boards) ont progressivement hérité de la faculté de se soustraire à ce contrôle et de déterminer plus librement de la marche à suivre au quotidien. C’est ce que l’on nomme « la dévolution du management » aux écoles. Un troisième aspect interpellant a été l’introduction du libre choix des écoles par les élèves et leurs familles, et la liaison des moyens financiers publics attribués aux écoles au nombre d’élèves recrutés. C’est, au fond, l’introduction de la composante quasi-marché présente de longue date en Communauté française. Cela dit, le libre choix en Angleterre est conçu avant tout comme un moyen de mettre en concurrence des écoles. C’est, pense-t-on parmi les auteurs de la réforme, une façon de les inciter à améliorer la qualité du service offrir au public ; service dont les caractéristiques sont définies très précisément par le Curriculum National Il s’agissait en somme, dans le cadre d’un enseignement qui reste un monopole public pour ce qui est du financement, d’importer l’ingrédient de la concurrence. Mais en veillant au préalable à rendre les écoles plus autonomes (la dévolution du management) et à mieux leur indiquer la nature des résultats attendus (le Curriculum National). L’apport le plus récent (1995) à ce schéma, propre aux gouvernements travaillistes, a été la systématisation des tests standardisés, calqués sur le Curriculum National. Ces épreuves étalonnées interviennent à quatre moments de la scolarité des élèves (7, 11, 14 et 16 ans). Les résultats sont largement diffusés notamment auprès des parents et élèves. D’un point de vue économique, l’argument mis en avant pour justifier cette diffusion est que les acteurs de terrain ont besoin d’une information sur la qualité du service produit pour opérer les ajustements adéquats. Pour les enseignants et les directions d’écoles il doit s’agir de prendre la mesure des effets (positifs ou négatifs) des choix qu’ils posent. Dans le chef des familles et des élèves, il s’agit d’accéder à l’information susceptible d’éclairer le choix de l’école. Les modèles scandinaves L’intérêt pour les systèmes éducatifs de ces pays est justifié par les forts bons résultats obtenus dans les enquêtes comparatives internationales parallèlement à des avancées spectaculaires au niveau des structures, notamment dans le domaine du redoublement de classe. Ces nations connaissent l’obligation scolaire depuis bien plus longtemps que nous, parfois depuis la moitié du XIXème siècle. Jamais elles n’ont porté la limite de cette obligation audelà de l’âge de 16 ans. Le début de la scolarité obligatoire est fixé à 7 ans. Elle couvre donc 9 années. Une 10ème année est souvent organisée sur le mode volontaire et destinée aux élèves qui envisagent de suivre la filière de transition vers l’enseignement supérieur. Une partie importante de la population poursuit toutefois des formations au-delà de cette limite (90 à 95%) jusqu’à 18 ou 19 ans ou au-delà. Rappelons qu’en Belgique l’obligation scolaire est née juste avant le conflit de 1914 et qu’elle a été portée à 18 ans en 1982. Une constante de ces systèmes réside dans la forte concentration de l’obligation scolaire au sein d’institutions publiques organisées par les municipalités et donc un taux relativement faible d’écoles libres et privées qui sont cependant subventionnées au même titre que les établissements officiels. Cette situation est vraisemblablement due au fait de l’existence d’une 26 religion d’Etat et donc d’un cours généralisé de religion appelé parfois religion/éthique. Le financement des écoles est supporté, à la fois, par l’Etat et par les municipalités. L’Etat définit, au travers de la loi, les objectifs à atteindre, parfois avec une méticulosité étonnante et un souci du détail pouvant aller jusqu’à déterminer le nombre de leçons/année à accorder à chaque discipline, les thèmes à aborder par leçon, et parfois le syllabus du cours. La répartition de ces matières dans le temps relève de l’autonomie municipale. L’école détermine, avec l’autorité administrative locale, les méthodes et les moyens. Une tendance se manifeste pour assouplir le système et permettre aux écoles de s’adapter aux spécificités locales et suivre davantage l’évolution de chaque élève en particulier en s’écartant légèrement des injonctions légales. Le corps inspectoral a généralement disparu au profit de conseillers pédagogiques attachés à la municipalité et d’évaluateurs externes. Les normes par classe sont rarement fixées, les municipalités distribuant les moyens disponibles en fonction des besoins particuliers. Le regroupement de classe par cycles de plusieurs années est encouragé et largement appliqué. Des groupes plus homogènes d’élèves se constituent alors en fonction du niveau de chacun. Là où cette organisation existe, les contacts entre enseignants sont quotidiens et permettent un suivi très serré de l’évolution de chacun. Le travail en équipes est fortement développé l’objectif étant de hisser chaque élève à son niveau le plus élevé. Le choix de l’école est libre mais, en cas de manque de place, priorité est accordée aux jeunes du quartier. Les municipalités organisent généralement un centre d’information pédagogique appelé à répondre aux interrogations des enseignants. Les services d’orientation sont tout aussi nombreux. Au terme de la scolarité obligatoire, le jeune a la faculté d’entrer dans un cycle secondaire supérieur de transition ou dans une filière « vocationnelle » (technique ou professionnelle). Il peut également s’inscrire dans une filière d’apprentissage. Les inscriptions dans les écoles post obligatoires s’effectuent sur présentation d’un dossier reprenant les résultats obtenus ainsi que l’avis des professeurs. L’admission dans les écoles « vocationnelles » se déroule sur des bases identiques et fait intervenir, de plus, l’existence d’expériences en entreprises (stages volontaires) et les épreuves d’aptitude. Cette procédure donne à cet enseignement un lustre et un attrait qu’il ne connaît pas chez nous L’évaluation du travail de l’élève se déroule de manière permanente. Les parents sont régulièrement informés des progrès réalisés. L’examen de fin d’année est parfois le complément du système destiné aux élèves qui n’ont pas réussi au travers de l’évaluation permanente en cours d’année et qui disposent ainsi d’une chance supplémentaire de rattraper une insuffisance. Une épreuve nationale couronne généralement les études obligatoires. Certains pays tels la Suède octroient des certificats incomplets dans le cas de résultats insuffisants dans une branche, le jeune dispose alors de la faculté de poursuivre volontairement sa préparation en vue de compléter son attestation de fin d’études. La volonté de mener la quasi-totalité des élèves à un bon niveau scolaire à l’âge de 14-15 ans, une certaine rigidité des programmes définis de façon centralisée couplée à une grande souplesse dans la mise en œuvre par les municipalités mais évaluée de façon indépendante, un enseignement qui ne devient vraiment sélectif qu’après la phase obligatoire et des filières techniques et professionnelles appréciées des élèves et de la société : tels sont quelques uns 27 des ingrédients qui fondent le succès des systèmes scandinaves. A cela, s’ajoute l’apprentissage précoce des langues : rares sont les jeunes Suédois ou Finlandais qui ne sont pas bilingues à l’adolescence. 6. Le bilinguisme dès la maternelle ? Près de dix mille enfants dont au moins un des parents est francophone étudient dans les écoles flamandes de Bruxelles. Dans les écoles maternelles et primaires de ce réseau, la grande majorité des enfants est francophone. En revanche, au niveau de l’enseignement universitaire, il y a davantage de flamands qui étudient dans l’enseignement francophone que l’inverse. Pour les parents francophones, le choix de la langue de l’école primaire reste un dilemme : mettre l’enfant en français risque de le priver des avantages de l’apprentissage précoce des langues ; l’inscrire en néerlandais comporte toujours la crainte légitime que la langue maternelle ne soit pas correctement maîtrisée à l’écrit. Jusqu’il y a une vingtaine d’années, des écoles bruxelloises offraient la possibilité de suivre un enseignement bilingue, mais ce n’est plus le cas. A Bruxelles, la seconde langue n’est introduite qu’en troisième primaire à raison d’une heure par semaine et avec des professeurs qui ne sont pas des native speakers. En Wallonie, une quarantaine d’écoles seulement pratiquent l’immersion et on peut encore faire tout son parcours scolaire sans apprendre le néerlandais – qui n’est pas obligatoire – et sans que qui que ce soit attire l’attention de l’élève sur son importance dans la vie économique et politique de la Belgique ! La connaissance du français et du néerlandais est un atout majeur lorsque l’on travaille en Belgique, plus particulièrement dans la région bruxelloise. La connaissance de ces deux langues nationales, de même que celle de l’anglais, est requise pour de nombreux emplois, tant dans le secteur privé que public et elle est un facteur d’intégration et de compréhension entre les communautés. Force est de constater que, malgré un enseignement du néerlandais obligatoire depuis la troisième primaire à Bruxelles, peu de jeunes sont bilingues à la fin de leurs humanités. Cela doit nous amener à nous interroger sur la qualité de l’enseignement des langues dans notre pays et en Communauté française en particulier. Apprendre une seconde langue avant 9 ans. C’est dès l’enfance que s’effectue le mieux l’apprentissage des langues. La connaissance très jeune d’une seconde langue facilite l’apprentissage ensuite d’autres langues. Le linguiste et professeur au Collège de France Claude Hagege préconise dans son livre « L’enfant aux deux langues7 » l’apprentissage d’une seconde langue dès l’âge de 5 ans. Pourquoi ? Parce que dès l’âge de neuf ans, les capacités d’apprentissage d’une autre langue sont fortement diminuées. L’enfant, à partir de cet âge, commence à percevoir les langues étrangères à travers le filtre de sa langue maternelle. C’est à l’âge de cinq ans que les fonctions réceptives des enfants sont les plus développées. Notamment au niveau de l’ouverture des sons et des structures syntaxiques. 7 Publié chez Odile Jacob. 28 L’apprentissage précoce oblige les pédagogues à respecter le rythme naturel d’apprentissage d’une langue vivante et à apprendre à comprendre et à parler avant d’apprendre à lire, à écrire et à maîtriser la grammaire. L’apprentissage plus tardif pousse les enseignants à suivre le rythme d’apprentissage d’une langue morte et à apprendre d’abord la grammaire, l’écriture, le vocabulaire avant d’apprendre à lire, à comprendre et à parler. Idéalement l’enseignement d’une seconde langue devrait débuter en troisième maternelle et être donné par des enseignants dont c’est la langue maternelle. L’enseignement n’est obligatoire en Communauté française qu’à partir de la première primaire. Un premier pas important pour un meilleur enseignement de la seconde langue est dès lors que celui-ci débute à raison de deux heures par semaine dès la première primaire. Des accords de coopération doivent intervenir entre la Communauté française et la Communauté flamande et permettre notamment la création d’une réserve de professeurs pouvant enseigner dans leur langue maternelle dans les écoles de l’autre rôle linguistique. Ces enseignants pourraient être encouragés par l’octroi d’une prime. Un enseignement basé sur l’immersion. Dans d’autres pays où cohabitent des cultures différentes, l’enseignement se fait en plusieurs langues. C’est par exemple le cas au Canada, au Grand-Duché du Luxembourg ou au Liban. Dans ces pays une partie des cours d’histoire, de géographie, de mathématiques, de littérature, … sont donnés dans une autre langue que la langue maternelle. En Belgique, cette forme d’enseignement est pratiquée dans les écoles européennes. Ces écoles ne sont toutefois accessibles qu’aux enfants d’eurocrates et à un nombre très limité de belges … à un coût financier fort élevé pour les parents de ces jeunes. L’enseignement des langues sur base du principe de l’immersion se fonde sur l’hypothèse que l’apprentissage d’une langue étrangère peut s’appuyer sur des mécanismes similaires à ceux qui sous-tendent l’acquisition de la langue maternelle. L’apprentissage de la seconde langue se fait dans un contexte réel de communication (l’enseignement de diverses matières non linguistiques). Un tel enseignement est recommandé par le Livre Blanc de la Commission européenne sur l’éducation (1995). En Belgique le décret de la Communauté française du 13 juillet 1998 portant organisation de l’enseignement maternel et primaire autorise l’enseignement par immersion et défend celui-ci comme une « procédure pédagogique visant à favoriser l’apprentissage d’une langue moderne en assurant une partie des cours de la grille horaire dans cette langue ». En application de ce décret, une quarantaine d’expériences d’enseignement par immersion sont en cours en Wallonie et une à Bruxelles, à Woluwe-Saint-Lambert. A noter que l’enseignement néerlandophone à Bruxelles est également conscient de la nécessité d’un enseignement multilingue. Le Groupe Scolaire de la Communauté flamande à Bruxelles a commencé depuis le premier septembre 2002 une expérience d’enseignement bilingue par immersion dans deux écoles primaires (et deux écoles secondaires). 29 L’organisation de cours d’immersion linguistique doit être favorisée, comme le propose le Ministre Pierre Hazette, par une équivalence des titres pédagogiques entre le réseau francophone et le réseau néerlandophone et par la seule exigence d’une connaissance fonctionnelle et non approfondie du français par les enseignants donnant cours en néerlandais dans l’enseignement francophone. L’expérience de Woluwe-Saint-Lambert La langue maternelle est acquise et non apprise. Le principe de l’immersion est de reproduire cet état : on n’apprend pas langue, on apprend dans la langue. A l’école communale Van Meyel à Woluwe-Saint-Lambert, une classe d’immersion fonctionne dès la 3ème maternelle. En 1ère et 2ème primaire les cours sont dispensés en néerlandais à raison de 18 h/semaine et assurés par une institutrice dont le néerlandais est la langue maternelle. Les cours en français sont donnés à raison de 6 h/semaine. Le projet, élaboré par le conseil pédagogique de l’école, prévoit d’inverser la proportion des cours en français et en néerlandais au fil des primaires (12 heures de cours en français et 12 heures en néerlandais en 3ème et en 4ème primaire, 18 heures de cours en français et 6 heures en néerlandais en 5ème et 6ème primaire). Ce projet est développé en collaboration étroite avec le PMS et un comité scientifique composé d’experts universitaires en linguistique et didactique des langues. Tant de l’avis des enseignants que des parents, le développement des enfants à tout point de vue est optimal. L’enseignement rencontre un vif succès. Les classes sont complètes et les listes d’attente fort longues. L’intérêt d’un tel programme est que l’enfant reste dans un milieu socioculturel francophone, ce qui facilite la poursuite de l’apprentissage de sa langue maternelle. Les observations des programmes d’immersion – déjà anciens – de la Ville de Liège et de la commune de Frasnes-lez-Anvaing montrent que l’immersion précoce n’hypothèque pas le développement de la langue maternelle. Investir dans le bilinguisme. Les expériences d’un enseignement bilingue, basé sur le principe de l’immersion, doivent être multipliées en Communauté Française et ouverts à tous ceux qui souhaitent suivre un tel enseignement. Une partie des moyens qui seront progressivement disponibles dans le cadre de refinancement de la Communauté française doivent être investis pour améliorer l’enseignement des langues et en particulier du néerlandais. Ce refinancement est une chance unique. Un enseignement bilingue organisé à l’initiative de la Communauté française freinerait aussi le mouvement d’inscription d’enfants francophones dans l’enseignement néerlandophone, le nombre d’inscrits déterminant encore aujourd’hui les moyens disponibles. L’apprentissage très jeune d’une seconde langue est un exercice cérébral favorable au développement des facultés d’écoute de l’enfant. Et la diversité linguistique en Belgique est une richesse. Nous proposons un enseignement de la seconde langue, d’abord à Bruxelles, puis très rapidement en Wallonie, dès la première primaire, voire lorsque c’est possible dès la maternelle. De même, il faut offrir à ceux qui le souhaitent la possibilité de suivre un enseignement bilingue tout au long de leur scolarité comme dans les écoles européennes. Cette formule correspond aux vœux d’un nombre très important de parents. 30 Nous ne sous-estimons ni les difficultés pratiques, ni les objections légitimes à l’apprentissage précoce d’autres langues (complexité du français, problème spécifique des immigrés, etc.). Elles sont à mesurer à l’aune des avantages du plurilinguisme, non seulement sur le plan économique, mais aussi culturel. Car notre pays doit aussi songer à mettre en valeur ses différences linguistiques et à les utiliser comme des atouts. La Belgique n’est-elle pas un modèle en réduction de l’Europe en devenir ? Si le laboratoire belge échoue dans la coexistence de communautés, comment espérer que l’Europe soit davantage qu’un grand marché, mais aussi l’union fraternelle de plusieurs peuples ? Peu avant sa mort, le cinéaste André Delvaux confiait au journal Le Monde « à quel point est heureuse l’idée des cultures mélangées, et riche le métissage des valeurs qui firent un jour l’unité de ma Cité ». La réalisation de cette idée passe aussi par la connaissance des langues. 7. Que faire ? cinq axes prioritaires Les propositions qui suivent ne prétendent pas à l’exhaustivité. Elles visent à ouvrir des pistes en fonction de cinq priorités qui correspondent à des finalités différentes. Améliorer les performances doit être la principale préoccupation et la priorité des décideurs politiques : l’enseignement est conçu pour les élèves, pas pour les professeurs, mais, comme l’affirmait le général de Gaulle, on ne réforme pas contre la volonté de ceux qui font le système. Pour le réformer, nous proposons de décréter un stop pédagogique et d’introduire les méthodes de gouvernance et de gestion qui ont fait leurs preuves ailleurs. De même que hier les sociétés privées, aujourd’hui les entreprises publiques et demain les administrations s’adaptent en regardant ce qui se fait ailleurs (principe du benchmarking), l’enseignement francophone doit sortir de son relatif isolement et regarder vers la Flandre, les pays scandinaves, le Royaume-Uni, l’Irlande et les pays asiatiques, qui ont d’excellentes performances en mathématiques et en sciences, deux domaines clés pour la compétitivité des entreprises. Cinq objectifs Nous définissons cinq objectifs : 1. Améliorer les performances des élèves par l’évaluation des résultats ; 2. Appliquer des principes de gouvernance basés sur l’autonomie ; 3. (Re) motiver les professeurs en leur proposant un contrat d’objectifs ; 4. Diminuer l’inégalité des chances par un plan spécifique ; 5. Se donner les moyens de revaloriser l’enseignement qualifiant. Objectif 1 : Améliorer les performances des élèves 1) Nous proposons d’abord d’effectuer des évaluations externes au niveau de l’ensemble de la Communauté française à quatre reprises au cours de la scolarité obligatoire : au milieu et à la fin du primaire, après la 3ème secondaire et en fin de secondaire. 31 Cette évaluation prendrait la forme d’un test de niveau de compétences obligatoire dans toute la communauté française. Le test fournirait aux élèves, aux parents, aux professeurs, aux directeurs d’école et aux décideurs une indication permettant de prendre des mesures de corrections éventuelles. Des tests similaires, facultatifs, pourraient être proposés aux élèves, à la fin de chaque année ou de chaque cycle. On développerait ainsi une culture de l’évaluation et de l’amélioration de la performance tout en détectant plus facilement et plus objectivement les problèmes de certains élèves et les moyens d’y remédier. La qualité mais aussi l’équité de l’enseignement en seraient probablement améliorées. La pression par les résultats plutôt que par les moyens est sans doute une source d’homogénéisation de la qualité du travail éducatif plus efficace. On disposerait ainsi d’un dispositif d’accompagnement, de réflexion et de pression sur les établissements moins efficaces ou moins équitables. Pour chaque classe et chaque école, ce qui importe surtout n’est pas la performance absolue, mais son niveau relatif par rapport à d’autres similaires et son évolution dans le temps. Nous décrirons plus loin dans ce chapitre une méthode d’évaluation « intelligente », qui pourrait aussi servir de base au « contrat d’objectifs » que nous proposons aux enseignants. 2) L’apprentissage de la langue maternelle, le français, devrait être poursuivi tout au long de la scolarité, dans le primaire, le secondaire et l’universitaire. Comme on constate de graves lacunes dans ce domaine, la cotation de tout travail dans toutes les matières devrait aussi prendre en compte l’orthographe et la grammaire. Des instruments pédagogiques sont développés (cours à options, livres, site Internet) afin de permettre aux élèves et étudiants de rattraper leur retard. Ainsi en France, les « cahiers de vacances » sont très répandus. Disponibles dans le commerce, ils permettent de revoir le programme de l’année et de combler des lacunes. Des efforts seraient faits pour informer les parents des élèves en difficulté de l’utilité de ces manuels. 3) Il est souhaitable de maintenir les enfants le plus longtemps possible dans des filières communes et d’éviter – autrement que par voie d’autorité – le redoublement de classe. L’expérience des pays qui obtiennent des bons résultats montre qu’ils limitent fortement les options et maintiennent des filières communes jusque l’âge de 16 ans. Nous proposons de limiter radicalement les options et d’éviter autant que possible les classes poubelles. Paradoxalement, les options sont plus utiles pour les bons élèves que pour les moins bons. Pour ces derniers, il est indispensable de maintenir le plus longtemps possible l’apprentissage des matières de base sans en brader la qualité ou le contenu. Comme dans certains pays scandinaves, il faudrait tenter, d’abord dans quelques écoles pilotes, de faire évoluer le concept traditionnel de classe pour essayer de mettre, selon les heures de la journée, les élèves par niveau homogène selon les matières. Par exemple, un élève peut être « largué » en français mais pas en maths. Aujourd’hui, il redouble et perd aussi son niveau en maths. Si on peut le maintenir dans son niveau en mathématiques et le mettre dans un niveau inférieur en français ou mieux encore organiser un rattrapage, c’est évidemment beaucoup mieux. Nous sommes conscients que cette formule implique un plus grand dialogue entre professeurs et une autre organisation de l’école. Mais la façon dont le débat est abordé aujourd’hui entre les partisans du redoublement (qui mène souvent, on le sait, à la relégation) et ceux qui veulent l’interdire (en abaissant ainsi le niveau général) n’est pas satisfaisante. 32 Le redoublement peut parfois s’avérer salutaire et redresser une situation momentanément menacée. Il est bien plus généralement, on le sait, l’antichambre du décrochage scolaire. On doit évidemment s’interroger sur la pertinence d’une technique qui débite définitivement le cursus scolaire en 12 tranches séparées, chacune d’une durée d’un an. Peu importe que l’élève ait réussi à satisfaire aux exigences dans un certain nombre de disciplines, que sa faiblesse soit lourde ou légère, momentanée ou définitive : tout est à recommencer en bloc. 4) L’enseignement primaire doit surtout se concentrer sur les matières de base (les « fondamentaux ») : la langue maternelle, le calcul, une 2ème langue et l’initiation aux sciences. Il faut être attentif à une dérive qui consiste à déresponsabiliser les parents et à demander à l’école de tout apprendre : la sécurité routière, l’art, l’éducation sexuelle, l’initiation à de multiples sports. Tant mieux si l’école peut aborder ces questions, mais pas au détriment de l’essentiel. Or c’est très souvent ce qui se passe. 5) Dans le secondaire, sans remettre en cause le décret sur les compétences, nous pensons qu’une plus grande place doit être faite à l’apprentissage des connaissances ou des savoirs. Les programmes scolaires, les manuels pourraient faire une plus large place aux connaissances par rapport aux compétences. Nous sommes édifiés de voir que l’on peut terminer le secondaire sans avoir aucune notion, par exemple, en français, des grands courants de la littérature française et en histoire, de grands repères chronologiques de l’humanité, etc. L’idée d’un « manuel unique », jadis lancée en France par le ministre Luc Ferry, destiné autant aux élèves qu’aux parents pourrait être approfondie. Il s’agirait de regrouper dans un seul document l’ensemble des connaissances que l’on peut attendre qu’un jeune de 18 ans maîtrise à l’issue du secondaire dans chacune des grandes disciplines. Cette perspective n’est envisageable que dans le cadre d’objectifs précis s’imposant à tous. 6) Dans notre pays multilingue, il est possible de permettre progressivement un enseignement d’une langue étrangère, une heure par jour dès la première primaire, de favoriser des expériences d’immersion dès les maternelles et d’offrir à ceux qui le souhaitent la possibilité de suivre une scolarité bilingue. Une partie des moyens du refinancement de la communauté française serait affectée à l’apprentissage des langues étrangères. Un accord de coopération devrait être conclu avec la communauté flamande pour l’échange de professeurs. Objectif 2 : Introduire les principes de gouvernance et d’autonomie L’organisation de l’enseignement de la Communauté française est trop centralisée et laisse trop peu de liberté et de responsabilité aux enseignants et aux directeurs. Celle de l’enseignement subventionné comprend trop de petits pouvoirs organisateurs qui n’ont pas la taille critique pour être efficient. 1) Convaincre plutôt qu’interdire : à l’approche autoritaire, substituons le choix volontaire. Confrontés à des performances globales médiocres, influencés par les résultats d’études démontrant tantôt l’inefficacité ou l’iniquité de certaines pratiques comme le redoublement, certaines formes de devoirs, tantôt les vertus d’autres pratiques comme la concertation entre professeurs, la formation continuée... les responsables de l’enseignement sont souvent tentés par la manière autoritaire. Ils interdisent les devoirs ou le redoublement. 33 Ils imposent un temps de concertation entre professeurs, l’écriture d’un projet d’établissement ou un temps de formation continue. Sans nier l’intérêt intrinsèque de ces pratiques, la stratégie de dissémination utilisée actuellement nous paraît vouée à l’échec. Elle heurte de front le sens professionnel des enseignants et leur attachement fort à leur autonomie. D’ailleurs, l’évaluation de la capacité de ces réformes imposées d’en haut à créer le changement est plutôt négative. Le vrai changement doit, selon nous, s’appuyer sur le choix volontaire d’enseignants qui, confrontés aux résultats insatisfaisants de leur action, viennent chercher les outils pédagogiques ou organisationnels susceptibles de les aider. Il importe donc, en amont, de mieux informer les enseignants des résultats de leur travail et, en aval, de mettre à leur disposition des ressources leur permettant de réagir ; principalement en leur garantissant l’accès à des équipes de professionnels offrant leurs conseils, dispensant de la formation continue ou réalisant des audits d’établissement. On peut éventuellement s’accorder sur le fait que certains devoirs sont mal conçus et sans intérêt pour les élèves. Commençons par montrer aux enseignants qui les imposent à leurs élèves que les résultats ne sont pas au rendez-vous. Indiquons-leur ensuite qu’il existe des formations accessibles gratuitement sur la manière de concevoir intelligemment des devoirs. Il en va de même pour le redoublement. Démontrons aux enseignants que les élèves qu’ils font doubler réussissent moins bien en final. Indiquons-leur les équipes externes qui peuvent les aider à organiser des classes de remédiation en cours d’année. 2) Nous proposons que le niveau secondaire (dans un premier temps) soit organisé sur la base d’une très large autonomie de gestion des établissements scolaires. Cette autonomie porterait, selon le modèle des hautes écoles, dans le cadre d’une enveloppe financière déterminée : - sur l’engagement des professeurs, - la pédagogie, - la gestion des moyens mis à leur disposition Pour les écoles de l’enseignement officiel secondaire qui dépendent pour la plupart de la Communauté française, nous proposons de leur donner la possibilité de s’organiser de façon vraiment autonome avec un conseil d’administration composé de représentants du pouvoir organisateur et de la direction, des professeurs et des parents. Pour toutes les écoles, tous réseaux confondus, devrait exister une comptabilité, détaillant l’origine et l’affectation de l’ensemble des ressources (pas seulement celles reçues de la Communauté française). Ces comptes devraient faire l’objet d’une plus grande publicité et être authentifiés par des comptables agréés ou des commissaires-réviseurs pour les plus grandes. L’égalité des établissements d’enseignement prévue par la Constitution pourrait ainsi s’approcher de la réalité, chacun étant placé devant des droits et des devoirs identiques. 3) Par ailleurs, on le dit depuis longtemps, une réduction – même faible – des cloisonnements entre pouvoirs organisateurs améliorerait l’efficience. Mais la résistance au changement est forte, comme le montre l’échec du plan Di Rupo – Busquin de 1993 qui visait à regrouper et à spécialiser les trois réseaux de la Communauté, des provinces et des communes. Les appels répétés de la fédération de l’enseignement catholique à une 34 rationalisation interne se heurtent à l’autonomie forte des multiples pouvoirs organisateurs qui la composent. En l’absence d’une évolution claire des établissements confessionnels vers la neutralité propre au service public, toute collaboration entre écoles de caractères différents semble bien relever de l’utopie. Supprimer toutes les classes et options regroupant moins de dix élèves serait envisageable à condition de préserver certaines orientations réclamées par le marché du travail. Rappelons aussi la possibilité – déjà utilisée par le passé par les responsables politiques – de tendre à plus d’efficience et de cohérence de l’offre d’établissements, de filières ou d’options (tous réseaux confondus), en relevant les seuils (nombre minimal d’élèves) ouvrant l’accès au financement public. A défaut de parvenir à une réorganisation du paysage scolaire sur base de rapprochements volontaires, entre pouvoirs organisateurs ou réseaux, le relèvement des seuils constitue la voie de la rationalisation en dernier ressort. Notre petite communauté a-t-elle encore les moyens de se payer de multiples réseaux concurrents, et surtout un très grand nombre de pouvoirs organisateurs qui, parfois dans les mêmes communes, veulent disposer d’infrastructures complètes (sportives, informatiques, artistiques, etc..) ? Il faudrait éviter les options à quelques élèves mais aussi les classes de plus de trente. Le chiffre officiel – contesté – est de 8 à 10 élèves pour un professeur rémunéré dans le secondaire : un taux d’encadrement suffisant, semblable à celui de la plupart des pays développés. Il faut aussi avoir le courage de remettre en cause certains droits accordés lors des trente glorieuses, comme le droit à l’organisation d’un enseignement religieux, par exemple pour une poignée d’élève d’une confession dans une école. Répétons-le, l’émiettement extrême de notre enseignement nuit directement à sa qualité. Nous n’avons plus les moyens financiers de payer simultanément le morcellement et la qualité. 4) A l’image de la Flandre, le ministre de l’enseignement ne devrait plus être le pouvoir organisateur de l’enseignement de la communauté française. Celui-ci devrait être confié à une administration autonome ou à une agence publique. Cette proposition renvoie, entre autres, à notre recommandation d’une fonction ministérielle (ministre, administration centrale) recentrée sur l’activité d’évaluation externe de la performance des écoles. Or, idéalement, qui est juge ne peut être partie. Le ministère ne devrait donc pas avoir à gérer les écoles qu’il lui reviendrait par ailleurs d’évaluer. Objectif 3 : (Re)motiver les professeurs Dans l’ensemble, le corps enseignant apparaît particulièrement démotivé. En cause, une impression de manque de considération de la société et du monde politique, une charge administrative croissante, de plus en plus d’injonctions pédagogiques, le manque de possibilités de reconversion en cours de carrière, une faible progression salariale, les revendications ou les pressions de certains parents, l’arbitraire administratif, l’ébauche d’une judiciarisation de l’enseignement, etc,… Le monde politique ne peut ni ignorer cet état d’esprit ni simplement céder aux revendications des syndicats (10% d’augmentation en 5 ans) qui absorberaient l’essentiel des marges budgétaires prévues par le refinancement. 35 Le monde enseignant ne peut pas, comme il en donne malheureusement parfois l’impression à travers ses porte-paroles syndicaux, affirmer que la seule question qui compte est celle des moyens financiers et que les résultats scolaires des élèves ne les concernent pas. Comparés aux autres pays européens, une fois nommés, les enseignants belges disposent d’un haut niveau de protection de l’emploi et prestent un nombre d’heures (en moyenne 23/24 dans le secondaire et 28 dans le primaire) qui est dans la moyenne des pays de l’UE qui définissent les obligations en fonction du temps d’enseignement. Pour les professeurs dans le secondaire, nombre de pays imposent des obligations beaucoup plus lourdes que chez nous : 35 heures de prestations en Suède (comme dans nos hautes écoles); 32,5 au Royaume Uni ; 30 heures en Espagne et en Grèce. De telles dispositions exigent évidemment l’aménagement des bâtiments scolaires de manière à permettre aux enseignants d’y effectuer des tâches qu’ils réalisent actuellement à leur domicile. Les salaires sont plus élevés dans plusieurs pays, mais le critère de comparaison le plus pertinent c’est le salaire par rapport à la création de richesses dans un pays, chez nous en Wallonie et à Bruxelles. De ce point de vue, les salaires de la Communauté française font bonne figure. Il est vrai que chez nous les jeunes temporaires supportent seuls le poids des ajustements brutaux qui interviennent à chaque rentrée dans le contexte du libre-choix et de la liaison de l’emploi aux inscriptions. Ils ont des horaires incomplets, dans plusieurs écoles, parfois très éloignées. Jusqu’à récemment, ils accumulaient les périodes de chômage et perdaient ainsi de l’ancienneté. La nomination, souvent après de longues années, avec la protection et la stabilité qui en résultent est considérée, non sans raisons, comme une juste récompense par rapport aux années de « galères » comme temporaires. Les enseignants comme les fonctionnaires font partie de ces catégories qui s’estiment parfois – à tort – dévalorisées ou déconsidérées mais qui bénéficient également d’une grande protection et qui n’ont guère de comptes à rendre. Nous n’avons évidemment pas de remède miracle à proposer, mais voici quelques pistes. Du côté du pouvoir politique, la suppression de certaines formalités administratives est certainement possible. Du côté des écoles, il faut progressivement passer d’un mode de gestion administratif vertical à un mode participatif où le directeur est davantage l’animateur d’une équipe plutôt qu’un chef de bureau. Sur le plan pédagogique, on l’a dit, il convient de valoriser pleinement la responsabilité et l’expertise pédagogique des enseignants et limiter les injonctions externes. De leur côté, les professeurs doivent prendre pleinement conscience des médiocres performances de notre système scolaire et ne pas considérer que ce n’est pas aussi leur problème. La grande majorité des professeurs craignent aujourd’hui tout système d’évaluation dans lequel ils voient une sanction. Ils ont tort : une évaluation bien conduite n’est pas une sanction, mais une possibilité d’améliorer son travail. Même si elle est très impopulaire auprès des enseignants, on ne pourra pas éviter d’aborder un jour l’évaluation des enseignants et la rigidité extrême du statut, notamment l’absence quasi totale de mobilité, une fois la nomination acquise. L’évaluation est la règle dans les entreprises privées et tend à se généraliser dans la fonction publique de la plupart de pays 36 européens8. Dans notre enseignement, elle pourrait se faire dans un premier temps, soit par les performances des élèves pondérées pour tenir compte du profil socio-économique des élèves (voir plus loin), soit par les collègues de travail (système du peer review), à l’image de ce qui se fait depuis longtemps dans l’enseignement supérieur. La question de la sanction en cas d’évaluation négative répétée ne pourra être éternellement évacuée. De ce point de vue, le nouveau statut du directeur s’apparente une fois de plus à un jeu de dupes. Dans les négociations finales, la possibilité évoquée qu’un directeur soit renvoyé à son poste d’enseignant (quelle punition !) a été écartée. La seule sanction possible d’une évaluation négative sera … l’obligation de suivre une formation ! Une directeur en pleine dérive personnelle ou professionnelle pourra impunément terrorisé une équipe pédagogique et gâcher le vie de centaines d’élèves. Quant à la sélection, les syndicats y assisteront comme observateur (à quel titre ?) ! Le secteur public démontre une fois de plus son incapacité à aborder sereinement la question de l’évaluation, à en définir les modalités et à en préciser les conséquences. De plus, quelles seront l’autorité et la marge de manœuvre du directeur par rapport à l’équipe des professeurs ? Comment lui demander des résultats sans lui donner les moyens de les obtenir ? Pourtant si la réforme du statut du directeur est ratée, c’est une nouvelle hypothèque irréversible qui pèsera lourd au cours des quinze prochaines années sur la qualité de l’enseignement. Concrètement, nous proposons : 1) de restaurer l’autorité des professeurs, par exemple en supprimant toute obligation de justifier systématiquement leurs décisions d’évaluation par écrit. 2) de réduire les formalités administratives qui pèsent actuellement sur les directions. Par exemple, la collecte d’information sur le nombre d’élèves ou l’affectation des moyens d’encadrement pourraient être entièrement informatisées (fini les formulaires à rallonge) et s’opérer en une ou deux saisies. 3) de doter les écoles du droit de ne pas appliquer des directives transmises tardivement et dans la précipitation. Le Parlement pourrait adopter un décret protégeant les directions des injonctions tardives du ministère. 4) de décréter un stop pédagogique : laisser aux professeurs et aux établissements une autonomie totale sur le plan pédagogique. L’activisme pédagogique doit être confiné à l’animation de centres de ressources, à la disposition d’enseignants qui – sur base strictement volontaire –viennent y chercher de l’aide à l’amélioration de leurs résultats. 5) La question de la pénurie doit être abordée avec une grande souplesse. Il existe peutêtre un vivier de personnes qui souhaitent reprendre des études ou se reconvertir. Après avoir élevé un, deux ou trois enfants, après avoir « fait le tour » d’un métier qui apparaît un peu routinier, des hommes et des femmes se demandent légitimement s’ils ne pourraient pas consacrer une partie de leur temps à transmettre des connaissances aux jeunes générations. Des fonctionnaires d’autres administrations pourraient aussi au cours de leur carrière enseigner, éventuellement à temps partiel. On pourrait créer des formules d’embauche spécifique avec des contrats à durée déterminée dans un premier temps. Faire appel à des 8 Voir le chapitre « une administration performante : dépasser les incantations », Démocratie ou particratie ? Editions Labor, 2003. 37 personnes ayant une expérience extérieure de l’école peut constituer un apport intéressant pour les autres professeurs et les élèves ainsi qu’une ouverture sur la société. Il faut réfléchir à des formations spécifiques de qualité pour former des gens ayant une expérience professionnelle et qui ont envie de travailler dans l’enseignement. 6) A l’image de ce qui se fait dans d’autres pays comme les USA, il est imaginable de multiplier les possibilités de promotion à l’intérieur de l’enseignement. Aujourd’hui la seule promotion possible est de devenir directeur ou inspecteur. Le nombre d’élus potentiels est trop faible pour avoir un effet motivant à large échelle. Il est cependant possible d’élargir ce nombre en créant, au mérite, des postes d’enseignant senior en charge de la coordination et de la supervision le travail d’une vingtaine de collègues. 7) La proposition de Pierre Hazette (aussitôt rejetée par les syndicats), visant à rémunérer davantage ceux qui acceptent de travailler, même à temps partiel, dans des conditions difficiles, nous semble aussi aller dans le bon sens, celui d’une flexibilité accrue. Pourquoi ne pas inciter les professeurs des écoles plus favorisées à donner une partie de leurs heures dans des établissements à discrimination positive ? 8) Il faut, aussi, donner la possibilité aux professeurs qui le souhaitent de changer de carrière, par exemple en leur offrant un poste dans l’administration. 9) de proposer aux professeurs (et aux directeurs) un contrat d’objectifs, basé sur le couple moyens et autonomie contre amélioration des résultats : il faut faire évoluer la rémunération de la carrière vers plus de flexibilité. Les augmentations salariales futures9 seraient liées, par établissement, à la progression des résultats des élèves, évalués, comme nous l’avons vu dans le premier objectif, de façon externe et standardisée. Les règles du jeu seraient claires et transparentes. Dans ces conditions seulement, une hausse de 10% en termes réels sur quelques années pourrait constituer un excellent investissement pour notre communauté. 10) Pour disposer d’une évaluation fiable, améliorer la gouvernance et servir de base au « contrat d’objectifs », l’administration doit développer un outil statistique d’évaluation intelligente, basé sur les performances relatives et leur évolution dans le temps. On l’aura compris : nous plaidons à plusieurs reprises dans ce texte pour une gouvernance des établissements fondées sur la mesure des résultats plutôt que sur l’injonction pédagogique ou administrative. Nous ajoutons aussitôt que l’évaluation externe par les résultats doit être réalisée de manière intelligente, notamment en tenant compte du profil socio-économique des élèves fréquentant l’établissement. D’aucuns diront que l’opération est difficile à réaliser. Nous entendons démontrer le contraire et ce en réutilisant les résultats de l’enquête PISA en lecture tels qu’ils figurent dans le graphique ci-dessous. Chaque point représente la situation d’un établissement en terme de profil socio-économique moyen (axe horizontal) et de score moyen (axe vertical). On visualise immédiatement à quel point le score moyen est fonction du type de public fréquentant l’établissement. La droite en trait continu rend compte de cette relation : plus le public d’un établissement a un profil favorable, plus le score attendu est 9 Nous visons ici le % d’augmentation générale qui s’applique à tous les enseignants au terme de la négociation syndicats/employeur. 38 élevé. Mais le même graphique permet de produire un classement simple est équitable de la performance de chacun des établissements. Ainsi tous les établissements se situant nettement au-dessus de la droite continue peuvent être considérés comme de « bons » établissements. Selon un même ordre d’idées, les établissements se situant nettement en-dessous de la droite continue sont à considérer comme sous-performants. Le cas représenté dans le graphique ci-dessous correspond en fait à un classement à trois catégories. La catégorie médiane correspondant à la zone entourant la droite centrale comprend les établissements ayant, à l’erreur statistique près, le score attendu compte tenu de leur public. Les deux autres zones identifient les établissements sur ou sousperformants. Il est crucial de réaliser que cette méthode ne comporte aucun biais systématique en faveur des établissements à public favorisé et inversement. Certains établissements à public favorisé sous-performant, tandis que des établissements à public défavorisé surperformant. Ajoutons enfin que l’information sur le profil socio-économique des élèves des établissements est actuellement disponible et utilisée dans le cadre des politiques de différenciation des moyens. Elle ne demande donc qu’à être croisée avec une mesure de résultats pour fournir l’outil d’évaluation « intelligent » décrit ici. 11) L’usage minimal qui devrait être fait de cette évaluation est celui de la diffusion 39 large du classement qu’elle produit. Ce « passage devant le miroir », devrait conduire dans la plupart des cas problématiques, à une correction spontanée, pour autant que l’on augmente l’autonomie des établissements. La mise en exergue d’un mauvais classement répété devrait en tant que tel, susciter une remobilisation, un changement de stratégie voire un changement de l’équipe dirigeante. Dans un contexte de libre choix et de liaison des moyens de l’établissement au nombre d’inscrits, la pression peut venir également du public, mieux informé sur la qualité relative des établissements. Dans un scénario extrême on peut aussi imaginer que le classement conditionne l’accès à certains bonus financiers pour les établissements. Il est enfin crucial de rassembler les conditions pour que cette évaluation externe soit perçue comme crédible par les enseignants et les directions d’école. La crédibilité repose sur la pertinence, la qualité et la justesse des mesures de résultats ou de profil socioéconomique des élèves. Elle dépend aussi au plus haut point de la capacité des responsables ministériels à préciser d’emblée l’usage qu’ils feront ou ne feront pas des résultats et à se tenir, dans la durée, au respect des règles édictées. La mise en oeuvre de l’évaluation externe ne pourrait, en aucun cas, être du ressort des cabinets ministériels. Le minimum serait de la confier à l’Administration. A la condition toutefois que cette dernière démontre un plus grand professionnalisme dans la gestion de l’information et de la statistique. A condition également qu’elle s’affranchisse, au moins dans ce domaine, de toute forme d’interférence politique partisane. L’idéal, à vrai dire, serait de confier la conception et la mise en oeuvre des premières évaluations à des équipes étrangères, dûment mandatées par les plus hautes instances (parlement, ministre...), à l’image du consortium qui a réalisé PISA pour le compte de l’OCDE. Outre un surcroît de crédibilité, ces équipes nous apporteraient le bénéfice de leur expérience, ne serait-ce qu’au niveau de la confection et de l’analyse d’épreuves étalonnées. Objectif 4 : Lutter contre l’inégalité scolaire Notre enseignement figure non seulement parmi les moins performants d’Europe, mais également parmi les plus inégalitaires. Nous refusons toute approche qui viserait à faire de l’égalité un objectif plus important que l’amélioration globale des performances scolaires. Nous croyons qu’il faut encourager l’excellence, récompenser le mérite, l’effort et reconnaître les talents. Toutefois la société doit aussi encourager l’égalité des chances et lutter activement contre les discriminations. Les récentes mesures proposées par le ministre Nollet vont dans le bon sens. Elles rassemblent les conditions nécessaires à une plus grande égalité de résultats et contiennent un incitant financier à la déségrégation. Mais la concrétisation de l’objectif d’égalité implique sans doute d’autres mesures, notamment que l’on prenne au sérieux l’idée de gouvernance par les résultats. Les expériences étrangères montrent que ce sont alors les écoles ayant historiquement les résultats plus faibles qui connaissent les progrès les plus importants. Un problème particulier dans les villes est l’intégration des populations d’origine étrangère. La maîtrise correcte du français est plus difficile chez les enfants issus de l’immigration. Idéalement, il faudrait affecter des moyens budgétaires plus importants pour permettre l’intégration par le système scolaire des enfants issus de l’immigration ainsi que de leurs parents 40 1) Une partie significative des moyens du refinancement doit bien entendu être affectée aux écoles dans les quartiers difficiles. Peut-être faut-il faire un effort particulier en matière d’organisation des cours de français. Se pose aussi la question de la différenciation en fonction du type de public, non seulement des budgets de fonctionnement (situation actuelle), mais aussi des salaires. Ceci permettrait peut-être aussi d’attirer des professeurs vers ces écoles. 2) Les écoles de devoirs, le soir et le week-end, doivent être encouragées non seulement par les pouvoirs publics, mais aussi en recherchant des financements privés, le concours de citoyens bénévoles et la mobilisation des communautés et des quartiers, en vue notamment de réussir à maîtriser le français. 3) Dans la même lignée, il devrait être possible d’ouvrir pendant les vacances d’été les écoles dans certains quartiers défavorisés et d’organiser des cours de rattrapage avec des professeurs volontaires et des citoyens bénévoles, notamment des professeurs retraités, le soutien du privé, etc. Certes, les difficultés sont nombreuses : certains sont en vacances à l’étranger et d’autres ne sont pas intéressés, mais il s’agit d’un bon moyen pour compenser une déficience scolaire et pour améliorer le niveau de français. 4) On peut obtenir des universités et hautes écoles – formant le segment le plus prestigieux du système – qu’elles entreprennent des démarches en vue de recruter et d’encadrer efficacement un plus grand nombre de jeunes issus de l’immigration ou résidant dans les zones sinistrées sur le plan économique. Les universités pourraient nouer des relations privilégiées avec certaines de ces écoles pour tenter de repérer des élèves à haut potentiel qui ont parfois tendance à sous-estimer leurs chances de réussite dans le supérieur. Objectif 5 : Se donner les moyens de revaloriser l’enseignement qualifiant Une stratégie de lutte contre l’exclusion de larges couches de jeunes peu diplômés et formés impose d’augmenter la performance de l’enseignement en général. Elle nécessite en particulier que l’on se donne les moyens d’améliorer les performances des filières qualifiante, technique et professionnelle, dont les effectifs restent importants. Si tout le monde s’accorde sur cet objectif, les propositions concrètes sont plutôt rares. Le mot « revalorisation » est dans toutes les bouches mais sa traduction en résultats concrets tarde à se manifester, ce qui entraîne désespoir ou fatalisme. Saluons les efforts récents visant à restaurer la dimension qualifiante de ces filières en permettant l’accès à du matériel récent et performant. Louons également les travaux de la commission communautaire des compétences et des qualifications (la CCPQ) qui a produit des référentiels d’apprentissage plus en phase avec la réalité du monde économique. Nous pensons toutefois que de telles réformes ne sont pas à la hauteur des deux principaux défis auxquels l’enseignement qualifiant fait face. Le premier est celui de l’enseignement dispensé, qui est devenu excessivement académique depuis les années 1970. Les profs qui partagent leur temps entre le monde professionnel et celui de l’école sont devenus l’exception. La signification même du mot « qualifiant » est donc implicitement remise en question. 41 1) Il devient urgent de réécrire le statut du personnel de ces filières et cesser de l’aligner aveuglément sur celui des enseignants de l’enseignement général, dans le seul but est de créer de l’uniformité ou de renforcer les leviers de l’action syndicale. Le minimum serait de gommer les dispositions actuelles qui pénalisent trop systématiquement le cumul du métier de prof avec une activité en dehors de l’enseignement. Cessons de penser le phénomène du cumul en prenant pour référence les pratiques, souvent opportunistes, de certains mandataires publics. Une certaine forme de cumul, correctement définie et balisée, devrait au contraire être encouragée afin de (ré)attirer dans l’enseignement qualifiant des professionnels de l’entreprise. L’objectif à moyen terme devrait être d’avoir au moins 1/3 des profs dans ces filières avec le double ancrage professionnel. Le deuxième gros problème des filières qualifiantes tient à la trop grande proportion d’élèves en échec. Rien ne nous condamne à imposer à un type d’enseignement plutôt qu’à un autre le monopole de la prise en charge des élèves difficiles. 2) Attirer un minimum de « bons » élèves dans le qualifiant est la condition sine qua non pour que le terme « revalorisation » devienne réalité et que les nombreux efforts déployés par ailleurs portent leurs fruits. Il faut oser « tirer le qualifiant vers le haut », en lui conférant ses lettres de noblesse aux échelons les plus élevés. Et le préalable consisterait à veiller à ce que ces échelons existent. On ne rappellera jamais assez à quel point le projet d’instauration d’un enseignement en alternance (mi-temps à l’école, mi-temps en entreprise) au début des années 1980 s’est d’emblée condamné à l’échec : le projet initial excluait la possibilité pour les élèves de décrocher le diplôme secondaire. Son recrutement ne pouvait être que problématique, sa crédibilité aux yeux des entreprises faible. 3) Certains segments de l’enseignement qualifiant devraient être ouvertement reconnus « d’élite ». L’accès devrait être conditionnel à la réussite et non à l’échec. Le mode de progression et d’évaluation dans cet enseignement devrait être celui des « unités capitalisables ». A un système incitatif fondé sur la menace du redoublement et valorisant le franchissement d'un nombre restreint de seuils de scolarité (les diplômes terminaux), on substituerait un système d'unités capitalisables. En veillant bien à ce que les individus les plus motivés et compétents puissent en accumuler un grand nombre, afin de leur permettre de se hisser à des niveaux comparables à ceux qu’atteignent les meilleurs élèves de la filière générale. Mobiliser la société pour l’école, éventuellement par une consultation populaire. La population doit prendre conscience de la gravité de la situation et le monde politique doit définir une stratégie claire et compréhensible de rattrapage. Nous proposons que le prochain gouvernement élabore un plan d’action sur cinq ans, dont le seul objectif serait de situer les performances de nos élèves et l’équité de notre système au niveau de la moyenne européenne Un seul ministre doit, évidemment, être en charge de l’enseignement, deux au maximum. Il faut définir l’ensemble des réformes en début de législature et concentrer l’action politique sur leur réalisation à l’exclusion de tout autre objectif. Plutôt qu’une déclaration gouvernementale qui constitue un simple catalogue d’intentions, il conviendrait d’établir un plan détaillé avec un budget et un échéancier contraignant. 42 Le plan du gouvernement pourrait faire l’objet d’une consultation populaire à l’échelle de la communauté française afin de mieux informer et de mobiliser l’ensemble de la population. Il ne s’agirait pas d’une consultation gadget mais d’utiliser cet instrument pour contourner d’éventuels blocages persistants. On l’a dit, toute réforme de l’enseignement relève de la mission impossible, comme l’a encore démontré le statut du directeur, progressivement vidé de sa substance à chaque nouvelle étape de la négociation avec un des multiples interlocuteurs. Rappelons aussi qu’à la Communauté française, comme dans les autres administrations, il n’y a pas d’élections sociales. En violation des règles du Bureau International du Travail (BIT) sur les libertés fondamentales, les organisations syndicales sont réputées représentatives sans passer par le suffrage universel. Il serait donc pleinement légitime de demander aux professeurs, par un vote par correspondance à bulletins secrets, leur opinion sur les réformes proposées. Evaluation, autonomie, contrat d’objectifs : le trio gagnant La mesure qui nous paraît de loin la plus importante est l’évaluation externe des résultats des élèves. En fait, à elle seule, elle peut entraîner une révolution copernicienne dans le monde de l’enseignement. Elle ne coûte presque rien, elle est immédiatement applicable. Et pourtant elle suscite encore de telles résistances idéologiques ! A contrario, sans évaluation, la portée des autres mesures nous semble insuffisante pour relever le terrible défi de l’enseignement. La seconde est le contrat d’objectifs que nous proposons aux enseignants : moins de contraintes administratives ou pédagogiques et une individualisation des carrières et des salaires. Une partie des moyens de fonctionnement pour les établissements pourraient aussi être conditionnés à l’amélioration des performances. Enfin, la gestion décentralisée des écoles implique non seulement une plus grande autonomie, mais aussi une véritable responsabilisation des enseignants, de la direction et des parents qui seraient ainsi plus directement associés aux enjeux de l’école que sous la forme actuelle du Conseil de participation. Dans le cadre de cette autonomie, l’épineuse question du redoublement serait abordée de façon neuve, puisque l’incitation et la pression sur les résultats reposeraient directement sur les enseignants et les directions, sans aucun prescrit légal. Conclusion : qu’est-ce qu’une école de la réussite ? Quelle devrait être le but de l’enseignement obligatoire ? D'une part, détenir une culture générale suffisante pour comprendre le monde et lire, par exemple, un journal en étant capable de décoder les principales rubriques : économie, politique nationale et internationale, culture, etc. D'autre part, avoir une spécialisation dans un domaine de compétence qui permet d'accéder à des études supérieures ou à l'entrée dans 1a vie professionnelle. Hélas, avec le rénové, l’école de la réussite, la pédagogie différenciée,… les élèves ont été largement invités à être les auteurs de leur propre formation : ils ont été incités à se former en s'appuyant sur leurs convictions, leurs désirs, pour construire du sens et du savoir. Cette pédagogie de la spontanéité, s’est avérée néfaste pour les plus socialement défavorisés et elle a fini par constituer un véritable déni de démocratie. Les jeunes bien entourés par leurs parents peuvent s’en sortir : l'environnement familial compense. Mais ceux qui avaient des assises économiques ou culturelles plus fragiles n'ont pas tiré leur épingle du jeu d'un enseignement. 43 L’école de la réussite ne se décrète pas ! Des objectifs trop ambitieux comme … « l’école de la réussite », « des chances égales d’émancipation sociale » ou « tous bilingues en …2003 », des objectifs qu’on ne peut jamais tenir, sauf au prix d’une détérioration insidieuse des résultats et de la qualité, n’aident ni à comprendre la situation, ni à l’améliorer. L’école de la réussite n’est pas non plus l'affirmation d'une énième utopie. C’est plus modestement l’idée qu’il est à la fois souhaitable et possible d’en améliorer le degré d’efficacité et d’équité, ne serait-ce que pour le ramener dans la moyenne européenne. La véritable contrainte, à laquelle tous les pays font face, tient au fait que rien n’est mécanique dans le domaine de la « production » scolaire. Les ressources financières sont nécessaires au bon fonctionnement des systèmes. Mais les différences de dépense par élève rendent peu compte des écarts de performance importants qui s’observent entre pays et régions. L’enjeu des politiques scolaires apparaît dès lors avant tout être celui de la gouvernance. Certes les ressources budgétaires importent. Et l’on peut s’entendre pour dire qu’elles doivent augmenter régulièrement. Mais les véritables différences de résultats viennent d’ailleurs. Elles dépendent pour une bonne part de la capacité des responsables de l’enseignement à imaginer des institutions scolaires, des règles de fonctionnement simples et cohérentes, assurant un bon niveau de coordination et de motivation des établissements, des enseignants et des élèves. Les fameux décrets missions et compétences étaient sans doute utiles, les buts de l’enseignement n’ayant jamais été définis auparavant, mais ils n’échappent pas au verbiage technicisant, à l’énoncé d’affirmations généreuses mais irréalistes et irréalisables, à une sorte de vertige pédagogique, qui, concrètement, n’aident pas les professeurs. Pour les autorités, faute d’un vrai débat de fond sur la gouvernance et confrontée à une relative impuissance face aux inerties administratives, aux syndicats, aux pouvoirs organisateurs, aux difficiles compromis politiques,… grande est la tentation de gérer les établissements à coup d’effets d’annonces, de circulaires ou d’interdits comme ceux des devoirs ou du redoublement, dont l’efficacité est loin d’être prouvée. Assurer plus de réussite pour tous, c’est cesser de croire que l’on peut impunément mélanger les principes de gouvernance antagonistes : celui de la mise en concurrence des écoles et celui de la planification centralisée avec son cortège de statuts, directives et autres décisions à motiver sur le plan administratif. Tous les compromis ne sont pas bons. A défaut de pouvoir opter pour un modèle scolaire à la française, l’option qui s’impose est celle de l’encadrement intelligent de l’action décentralisée et autonome des établissements, des enseignants et des nombreux Pouvoirs Organisateurs que l’histoire scolaire nous a légués. Confrontés à des performances insatisfaisantes, instruits par un florilège d’études démontrant tantôt l’inefficacité ou l’iniquité de pratiques fort répandues comme le redoublement, les (trop) nombreux responsables de l’enseignement sont souvent tentés par la manière autoritaire. A des degrés divers, ils enfilent un jour ou l’autre le costume du Léviathan. Mus par les meilleures intentions du monde, certains interdisent et imposent à coup de décret, d’arrêté ou de directive. Cette pratique de la gouvernance nous paraît aujourd’hui condamnée à l’échec. Elle heurte de front le sens professionnel des enseignants et leur attachement fort et croissant à leur autonomie. Nombre de décideurs surestiment le pouvoir ordonnateur de l’action étatique traditionnelle. Ceux qui la promeuvent font l’impasse sur les faiblesses dont elle fait montre depuis longtemps dans le contexte belge: faiblesse de l’administration par 44 rapport aux cabinets, tolérance forte par rapport aux conflits d’intérêt, politisation excessive,… Le vrai changement ne peut provenir que l’infléchissement graduel et en grande partie autonome de la conduite des professionnels de terrain. Et la plupart sont a priori disposés à faire plus et mieux dans l’intérêt des élèves. La gouvernance intelligente est celle qui conçoit la politique scolaire sur le mode de l’aide et du cadrage de leur action. Au réflexe de la commande et de l’injonction administrative ou pédagogique, il faut substituer celui de la relation contractuelle, où moyens financiers et humains et autonomie d’usage sont la contrepartie de l’adhésion à nombre limité d’objectifs, précisément formulés et vérifiables. Pour nous la réussite, c’est une école qui augmente chaque année un peu ses performances (mesurées) et réduit un peu sa choquante inégalité. C’est un pouvoir politique qui affronte la réalité décrite par l’enquête PISA, cesse de produire de l’inflation législative ou administrative, met de côté l’option du « tout au pédagogique » et centre son analyse et son action sur les résultats et la gouvernance. Ce sont des professeurs qu’on laisse tranquilles, autonomes et responsables, à condition qu’ils acceptent une double évaluation : l’une évaluation externe et collégiale, à l’échelle de leur établissement, des résultats des élèves, l’autre au mérite apprécié notamment par les pairs, comme modalité d’accès aux échelons supérieur d’une carrière délinéarisée et revalorisée. Et avec des augmentations barémiques négociées en partie conditionnées à l’amélioration du niveau général des résultats des élèves en Communauté française. Ce sont, enfin, des parents qui, dans un mouvement de participation citoyenne, se verraient proposer la possibilité de participer plus directement à l’éducation de leurs enfants, notamment en élisant des représentants ou ne se faisant élire directement dans le conseil d’administration de leur école. Ce n’est même pas un rêve, une simple question de volonté politique. C’est aussi une urgence pour faire face à une catastrophe humaine insidieuse, lourde de conséquences pour l’avenir de Bruxelles et de la Wallonie. Remerciements Alain Destexhe tient à remercier les personnes suivantes qui, d’une façon ou d’une autre ont contribué, à la réalisation de cet ouvrage : Pierre Hazette, Robert Deschamps, Corinne Bailleux, Donatienne Bourdeaux, Florence Delmarcelle, Alain Eraly, Frédéric Mascetti, Isabelle Nyankiye et Alain Simon. Annexes 1. L’enquête PISA-OCDE (2000) Tableau 1 – Niveau moyen des résultats en lecture PAYS-REGION Score moyen Indice 45 FINLANDE PAYS-BAS BELGIQUE NEERLANDOPHONE IRLANDE NOUVELLE ZELANDE JAPON ROYAUME-UNI COREE DU SUD SUEDE FRANCE AUTRICHE ALLEMAGNE DANEMARK TCHECOSLOVAQUIE ETATS-UNIS SUISSE ESPAGNE ITALIE HONGRIE BELGIQUE FRANCOPHONE PORTUGAL GRECE POLOGNE LUXEMBOURG MEXIQUE BRESIL Source: PISA (2000) 548,89 544,32 541,39 530,42 530,15 527,56 526,07 523,65 519,45 507,06 502,41 502,36 502,15 501,26 500,33 500,23 498,27 493,67 486,43 484,98 482,62 478,07 473,35 454,09 433,68 394,63 109,78 108,86 108,28 106,08 106,03 105,51 105,21 104,73 103,89 101,41 100,48 100,47 100,43 100,25 100,07 100,05 99,65 98,73 97,29 97,00 96,52 95,61 94,67 90,82 86,74 78,93 Ce tableau renseigne le niveau moyen des scores obtenus par les élèves de 15 ans au test de lecture. La première colonne renseigne, par ordre décroissant, le score moyen du pays sur une échelle centrée sur 500. La deuxième colonne donne en indice les écarts de chaque pays à la moyenne internationale. On y lit que la Communauté française obtient un résultat inférieur significativement inférieur à la moyenne international et qu’elle occupe la 20ème place sur 26. A l’opposé, la Communauté flamande se distingue par un résultat largement supérieur à la moyenne internationale et occupe la 3ème place du classement. 46 Tableau 2 – Inégalité de résultats. Rapport entre le 9ème et le 1er décile. PAYS-REGION Math Lecture Sciences Moyenne FRANCOPHONE 1,83 1,88 1,89 1,87 GRECE 1,96 1,71 1,69 1,79 ALLEMAGNE 1,79 1,81 1,75 1,78 LUXEMBOURG 1,74 1,87 1,69 1,77 PORTUGAL 1,68 1,71 1,67 1,69 SUISSE 1,64 1,73 1,66 1,67 IRLANDE DU NORD 1,64 1,70 1,68 1,67 ITALIE 1,71 1,62 1,69 1,67 DANEMARK 1,55 1,65 1,71 1,64 ESPAGNE 1,72 1,57 1,62 1,64 NORVEGE 1,59 1,69 1,61 1,63 FRANCE 1,57 1,62 1,65 1,61 ANGLETERRE 1,59 1,64 1,60 1,61 SUEDE 1,62 1,61 1,59 1,60 NEERLANDOPHONE 1,58 1,61 1,60 1,60 AUTRICHE 1,59 1,60 1,59 1,59 ISLANDE 1,55 1,60 1,57 1,57 IRLANDE 1,51 1,61 1,59 1,57 ECOSSE 1,51 1,62 1,58 1,57 PAYS-BAS 1,51 1,56 1,58 1,55 FINLANDE 1,49 1,52 1,53 1,51 BELGIQUE BELGIQUE Source: PISA (2000) Ce tableau se rapporte à la mesure d’égalité de résultats. Elle est fondée sur le rapport entre les 9ème et 1er décile de la distribution des résultats (soit entre les 10% les plus forts et les 10% les plus faibles). On peut y voir que l’inégalité de résultats est singulièrement forte en Communauté française de Belgique tandis que la Finlande apparaît comme le pays étudié où l’écart entre les meilleurs et les plus faibles élèves est le plus petit. Les données sont présentées pour les trois disciplines évaluées dans PISA. On lit également que l’inégalité des résultats est nettement plus faible en Communauté flamande qu’en Communauté française. 47 Tableau 3 – Inégalité comme inégalité de chances. Différence entre les scores des jeunes dont la mère a un faible niveau d'éducation (primaire ou secondaire) et ceux dont la mère a un diplôme de l'enseignement supérieur (moyenne internationale=500, écart-type=100). PAYS-REGION math lecture sciences Moyenne ALLEMAGNE -75,94 -94,59 -67,94 -79,49 FRANCOPHONE -81,73 -74,30 -74,24 -76,76 DANEMARK -50,86 -71,64 -67,04 -63,18 SUISSE -57,05 -64,68 -63,08 -61,60 ANGLETERRE -53,45 -58,28 -55,78 -55,84 NEERLANDOPHONE -56,15 -59,77 -50,70 -55,54 IRLANDE DU NORD -48,68 -56,95 -53,42 -53,02 FRANCE -43,15 -46,44 -50,18 -46,59 ESPAGNE -41,98 -47,33 -48,38 -45,89 GRECE -51,67 -47,56 -36,30 -45,18 LUXEMBOURG -41,24 -46,30 -43,77 -43,77 PORTUGAL -35,27 -42,21 -36,56 -38,01 PAYS-BAS -33,85 -35,71 -43,02 -37,53 AUTRICHE -36,87 -43,07 -31,44 -37,13 NORVEGE -29,31 -39,50 -38,44 -35,75 ITALIE -30,35 -38,26 -38,09 -35,57 SUEDE -33,71 -40,67 -25,63 -33,34 ISLANDE -32,09 -36,54 -28,93 -32,52 ECOSSE -22,88 -38,73 -33,36 -31,66 IRLANDE -28,10 -29,73 -32,49 -30,11 FINLANDE -21,48 -25,64 -19,45 -22,19 BELGIQUE BELGIQUE Source: PISA (2000) Ce présente tableau mesure la tendance des systèmes d’enseignement à simplement reproduire les hiérarchies sociales et économiques existantes et donc à violer l’équité comprise comme égalité des chances de réussite scolaires. Il mesure de dépendance des acquis des jeunes au niveau du diplôme de leur mère. On observe globalement que, comme l’avait montré Bourdieu, le capital culturel reste un facteur-clé dans la détermination des performances scolaires. En effet, les enfants dont la mère a un niveau de diplôme élevé (enseignement supérieur) réussissent toujours mieux que ceux dont la mère est diplômée du primaire ou du secondaire, mais les variations entre pays et régions sont tout simplement énormes. Et une fois encore la Communauté française se distingue par un classement défavorable, juste derrière l’Allemagne. 2. Exemple : Le système danois Structure générale 36% de la population de 15 à 34 ans se trouve en formation, et 82,5% de la population de 15 à 19 ans. 48 87,9% des enfants en âge d’obligation scolaire fréquentent un établissement public et 12 % un établissement privé. L ‘enseignement est financé à 85% par l’Etat. A côté du ministère de l’éducation, le ministère des affaires sociales prend en charge certains secteurs de l’éducation pré-scolaire et le ministère des affaires culturelles est responsable pour certains secteurs de l’enseignement artistique. La législation définit les axes et structures de l’enseignement, les modalités de financement et, dans certains cas, les curricula, examens et modes de gestion. Le ministère de l’éducation supervise la dernière année d’éducation pré-scolaire (6 ans) ainsi que les écoles populaires (scolarité obligatoire), en partage avec les municipalités. L’inspection nationale a disparu mais un corps national de conseillers a été créé. L’inspection reste du ressort des municipalités et des provinces qui gèrent également des centres de soutien à l’enseignement. L’éducation pré-scolaire est suivie par 52% de la population entre 0 et 2 ans, par 92% de 3 à 5 ans et 98% d’enfants de 6 ans. Enseignement obligatoire. Il se déroule dans les écoles populaires entre 7 et 16/17 ans. La majorité des écoles organisent la dernière année de l’enseignement pré-scolaire (6 ans) L’année scolaire compte 200 jours à raison de 5 jours par semaine et 20 à 28 leçons hebdomadaires suivant l’âge des enfants. La durée de la leçon est de 45 minutes. Le nombre d’heures par année est de 600 à 700 à l’âge de 7 ans, 720 à 10 ans et de 700 à 1.200 dans les années supérieures. Le nombre recommandé d’élèves par classe est de 28. La loi définit les axes généraux des curricula et les lignes directrices des options. Les cours obligatoires des deux premières années comprennent le danois, les mathématiques, l’éducation physique, la religion, les sciences, les arts créatifs et la musique. Plus tard apparaît l’enseignement de l’anglais (à partir de 11 ans). Des options sont ouvertes dès 13 ans. Les enseignants sont tenus de rencontrer les besoins de chacun individuellement au sein de groupes hétérogènes. Cet objectif est poursuivi grâce à l’enseignement différencié. Les élèves ont le devoir de présenter des examens au terme de la scolarité obligatoire. L’élève choisit, à cet effet, 10 des disciplines enseignées. Les épreuves écrites sont organisées par le ministère, les épreuves orales sont organisées par les enseignants. L’évaluation est continue et le passage de classe automatique. Les progrès réalisés dans chaque discipline sont portés, sous forme d’avis, à la connaissance des parents deux fois l’an dès la 7ème année. Dès la 8ème année, des points sont attribués dans les disciplines soumises à examen. Tous les élèves obtiennent un certificat de fin d’études obligatoires reprenant les disciplines présentées ainsi que les points obtenus dans l’année et à l’examen. Une 10 ème année est organisée sans être obligatoire. Enseignement post obligatoire (de 16 à 19 ans) La filière de transition comporte 2 années après la 10ème. Les filières techniques et professionnelles comportent 3 années après la 9ème. 49 L’admission dans la filière générale dépend des résultats obtenus au certificat ainsi que de la recommandation formulée par l’équipe des enseignants de l’école obligatoire. L’enseignement est gratuit. Les curricula sont définis par le ministère. Les enseignants décident des méthodes et des manuels. Deux orientations sont offertes dans les filières générales : mathématiques et langues. Au terme de l’enseignement secondaire supérieur général, les examens sont présentés dans 10 des disciplines suivies. Les épreuves écrites sont organisées par le ministère et corrigées en dehors de l’établissement. A ce niveau, les étudiants peuvent redoubler une année. 3. Glossaire Structure de l’enseignement secondaire en Communauté française. Les 6 années d’études sont réparties en 3 degrés de 2 ans. Le 1er degré est commun à tous. Il existe, en réalité, un 1er degré parallèle appelé « degré d’accueil » et destiné aux élèves en difficulté, essentiellement ceux qui n’ont pas obtenu le certificat de base à l’issue du primaire. Ils ont la possibilité de rejoindre le degré commun au terme d’une 1ère année B mais une grande partie de ces élèves se retrouvent ensuite en 2ème professionnelle. A partir du 2ème degré, des orientations sont possibles vers le général, l’artistique, le technique de transition, le technique de qualification ou le professionnel. L’admission en 3ème professionnelle peut s’effectuer sur simple condition d’âge (15 ans). Attestations d’orientation : au terme de chaque année (ou du 1er degré du secondaire), l’élève se voit attribuer une attestation A (passage de classe), B (passage sous conditions) ou C (redoublement) éventuellement dans une autre section. Enseignement par cycles : le 1er degré de l’enseignement secondaire (degré commun) est structuré en cycle, c’est-à-dire que le certificat n’est prévu qu’au terme de 2 années. Au fil du temps, ce système a été amendé. Il est autorisé aujourd’hui d’effectuer ce cycle en un maximum de 3 années, soit en suivant une année intermédiaire entre la 1ère et la 2ème, soit par une année complémentaire au terme du cycle. Les premières expériences d’enseignement par cycle ont été entreprises dans notre pays il y a une vingtaine d’années. Elles consistaient à réunir des groupes d’enfants de 5 à 8 ans. Actuellement le principe du 5/8 est recommandé mais appliqué de manière très souple. Compétences : capacité d’utiliser plusieurs savoirs dans une situation totalement ou partiellement neuve. Socles de compétence : les socles de compétences identifient ce qui doit être acquis au cours de l’enseignement fondamental et des deux premières années de l’enseignement secondaire. Compétences terminales : les compétences terminales précisent les objectifs à atteindre à l’issue de l’enseignement secondaire de transition. Evaluation formative : évaluation destinée uniquement à permettre à l’élève de situer ses lacunes et points faibles. 50 Evaluation certificative : évaluation destinée à certifier un certain nombre de compétences correspondant à un niveau d’études. Conseils de participation : conseils créés par décret regroupant des représentants de toutes les composantes de la communauté éducative, y compris les parents et les grands élèves. Le rôle du conseil est notamment de rédiger le projet d’école et de veiller à son application. 51