Dissertation : Mesures d`Etat d`urgence et conciliation avec les
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Dissertation : Mesures d`Etat d`urgence et conciliation avec les
Moncel Maud TD Libertés Publiques (groupe 10h15) Mercredi 16 Novembre 2004 Dissertation : Mesures d’Etat d’urgence et conciliation avec les Droits de l’Homme. -1- Mercredi 9, minuit, l’Etat d’urgence est instauré en France. Cette décision prise en Conseil des Ministres résulte des récentes « émeutes » qui se sont déroulées 13 jours auparavant dans certaines cités défavorisées, notamment en région parisienne. De par le recours à une telle mesure, le premier ministre affirme la volonté de ramener la France à la « tranquillité publique à laquelle sa population aspire ». A travers ce devoir, il ne s’agit pas de légitimer ni justifier les récents évènements, mais plutôt de les comprendre et de les mesurer avec d’une part les libertés publiques et d’autre part l’ordre public pour avoir une appréciation s’approchant le plus d’une recherche objective. Nous ne traiterons donc pas de la légitimité de l’acte même si l’on peut se demander si l’actuelle application de la loi relative à l’état d’urgence est légitime ou si c’est la solution la plus adéquate. La question est plutôt celle de la confrontation entre ordre public et Libertés publiques : L’Etat d’urgence établi par la Loi du 3 avril 1955 respecte-t-il les liberté publiques ? Est il possible de concilier ces dernières avec des mesures restrictives de libertés au nom de la sauvegarde de l’ordre public ? L’instauration de l’état d’urgence peut elle engendrer des dérives ? Une dérogation aux libertés fondamentales est elle justifiée et la nécessité du maintien de l’ordre public est elle proportionnée aux exigences de respect des libertés fondamentales dans un Etat démocratique ? Ainsi, même si la conciliation entre sauvegarde de l’ordre public et Libertés publiques est nécessaire [I], il semble que la notion d’urgence soit dangereuse pour les libertés publiques [II]. I) conciliation nécessaire entre Libertés publiques et sauvegarde de l’ordre public S’il paraît évident que dans certains cas des mesures spéciales et contextuelles sont nécessaires au maintien de l’ « ordre public » [A], il faut cependant ne pas perdre de vue que ces notions, pour effectuer une conciliation qui devienne possible et reste adaptée et mesurée à la situation pour laquelle elle intervient, doivent sembler et être particulières et proportionnées [B] ; et ce également pour que la restriction aux Libertés publiques soit justifiée. -2- A) Ordre public, Etat d’urgence, restriction des libertés Ce sont les décisions du Conseil Constitutionnel qui nous permettent aujourd’hui de définir la notion d’ « ordre public ». Il apparaît que la définition du Conseil Constitutionnel est proche de celle utilisée en droit administratif. Ainsi, elle recouvre « le bon ordre, la sécurité, la salubrité et la tranquillité publique ». Cependant à la différence de la définition du droit administratif, elle n’englobe pas « la dignité de la personne Humaine » puisque ce principe est rappelé dans le Préambule de la Constitution de 1946. L’ordre public est mentionné dans l’article 11 de la Déclaration de 1789 : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la loi».L'ordre public résulte donc d'une construction jurisprudentielle tendant à assurer la garantie effective de droits et principes constitutionnels. Le Conseil a donné un statut juridique à cette notion traditionnelle d'ordre public en faisant de sa sauvegarde un objectif de valeur constitutionnelle. L’Etat d’urgence a été instauré pour la première fois par la loi du 3 avril 1955 instituant un Etat d’urgence en Algérie. Malgré le changement de constitution et de République, cette loi, d’après une décision du Conseil Constitutionnel est toujours d’actualité : « […] n’a pas pour autant oté au législateur la possibilité de prévoir l’Etat d’urgence pour sauvegarder les Libertés et l’ordre public. Ainsi la constitution de la Véme république n’abroge pas la Loi du 3 avril 1955. » L’article 1 de cette loi prévoit que « L’état d’urgence peut être déclaré sur tout ou partie du territoire métropolitain, soit en cas de péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public, soit en cas d’événements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité publique » (ces notions paraissent vagues et nécessiteraient donc une définition lors de leur mise en œuvre). Elle donne la possibilité dans le cas « d’atteintes graves à l’ordre public » ou « d’évènements présentant le caractère de calamité publique » de prendre des mesures spéciales liées au caractère des évènements propre à « troubler l’ordre public » afin de « rétablir l’ordre public ». Ainsi, le Premier Ministre Français a déclaré la veille de l’instauration de l’Etat d’urgence, que cette mesure était nécessaire « pour permettre le retour au calme et assurer la protection de habitants. » Il a ajouté « C’est notre première responsabilité, c’est notre premier devoir». Après 13 jours de violence urbaine, un couvre feu a donc été institué, démontrant ainsi que le gouvernement français a estimé l’atteinte assez grave pour restreindre les libertés publiques. -3- Certes dans certaines circonstances, l’Etat d’urgence est nécessaire et justifié afin de pouvoir réinstaurer une certaine tranquillité publique et donc de « maintenir l’ordre public ». On peut cependant se demander si de telles mesures sont appropriées alors même que la décrue des violences était enregistrée le jour de l’instauration de l’Etat d’urgence. Cela ne risque-t-il pas d’aggraver les choses et d’augmenter la stigmatisation des populations de cités plus que d’instaurer le retour à l’ordre public ? Pour que l’Etat d’urgence soit respectueux des Libertés publiques et donc que la conciliation entre les deux principes et valeurs soit possible, encore faut-il que les mesures prises soient proportionnées et particulières par rapport à l’atteinte à l’ordre public subie. B) Particularité et proportionnalité L'ordre public est nécessaire à l'exercice des libertés. La limitation des libertés peut donc être légitimée par la sauvegarde de l'ordre public. Dans ce cas, la nécessité de conciliation revient au législateur comme l’a rappelé une décision du Conseil Constitutionnel de mars 2003 : « il appartient au législateur d’assurer la conciliation entre d’une part la prévention des atteintes à l’ordre public et la recherche des auteurs de l’infraction, toutes deux nécessaires à la sauvegarde de droits et de principes de valeur constitutionnelle, et d’autre part l’exercice des libertés constitutionnelles garanties, au nombre desquelles figurent le respect à la vie privée, la liberté d’aller et venir, la liberté individuelle . Les mesures de police administratives dans ce cas, puisqu’elles sont susceptibles d’affecter l’exercice de libertés, doivent être justifiées par une menace réelle pour l’ordre public, menace devant reposer sur des circonstances particulières caractérisant le risque de trouble à l’ordre public dans chaque espèce. Au regard des décisions jurisprudentielles du Conseil Constitutionnel et de l’article 1er de la loi du 3 avril 1955, il apparaît donc que la conciliation, pour être opérée dans le respect des Libertés Publiques doit être effectuée selon un principe de proportionnalité entre la mesure prise et la gravité de l’acte ayant entraîné la mise en œuvre de la mesure. A ce titre, le 13 mars 2003, lors de l’examen de la « loi pour la sécurité intérieure », le Conseil constitutionnel a eu l’occasion de rappeler la nécessaire conciliation entre Liberté personnelle et ordre public. Il est donc établi par cette affaire que le Conseil constitutionnel effectue un contrôle de proportionnalité, même s’il ne lui appartient pas de se substituer au législateur. -4- Lorsqu’on prend du recul sur l’application de l’Etat d’urgence, il paraît vraisemblable que cette application doit rester proportionnée par rapports aux événement l’ayant engendrée, et donc doit pouvoir s’adapter à chaque situation particulière, afin de tendre vers la solution la plus adéquate. Or, dans l’application actuelle qui semble en être faite, il est flagrant que les règles posées par la loi sont peux soucieuses des cas particuliers, de l’environnement, du contexte dabs lequel l’atteinte se déroule. Cela pourrait conduire à une protection de l’ordre public dans l’irrespect des situations particulières et donc à des condamnations et sanctions disproportionnées par rapport à l’atteinte effectivement portée à l’ordre public. Il paraît également essentiel que l’application de la mesure d’Etat d’urgence ne soit pas automatique et demeure donc légitime. Cependant, il semble qu’aucun contrôle ne soit porté à la décision d’application de l’Etat d’urgence. Quant à la légitimité de l’application, il semble qu’elle soit laissée à l’appréciation, subjective, du premier ministre français. Ainsi la subjectivité de cette appréciation révèle les problèmes de l’application de l’Etat d’urgence, qui risque de ne pas être une solution adaptée au problème posé. Il est donc évident que par les modalités de son application, l’Etat d’urgence peut être dangereux pour les libertés publiques. Mais dans son contenu même, la loi relative à l’Etat d’urgence peut également constituer un danger pour les libertés publiques. II) L’urgence une notion dangereuse pour les liberté publiques Puisque l’Etat d’urgence a pour conséquence d’instaurer des mesures restrictives de libertés, il peut donc caractériser des atteintes aux libertés publiques[A] voir même de nombreuses dérives, par l’extension ou le détournement de la loi par exemple [B]. A) Atteintes aux libertés publiques Dans le but de maintenir ou rétablir l’ordre public, il est tout d’abord porté atteinte au principe d’égalité selon lequel les libertés doivent être reconnues à tous, sans distinction aucune. Or la loi ne fait qu’établir des distinctions entre les personnes, selon qu’elle se trouve dans une ville dans laquelle le couvre-feu a été imposé ou non. Si la personne se trouve dans le cas de la restriction apportée par l’Etat d’urgence, elle verra ses droits réduits tandis que la personne qui ne serait pas sous ce régime conserverait elle tous ses droits. La restriction est donc apportée de manière géographique. De plus dans leurs dispositions même d’application, les mesures liées à l’Etat d’urgence sont différentes selon les villes : par exemple -5- alors que dans une ville toute sortie d’enfants âgés de moins de 16 ans à partir de 22h (ce qui suppose donc que les autorités locales pensent que les émeutes ne sont effectuées que par des mineurs de 16 ans ; ce qui en outre contribue à la stigmatisation de ces jeunes), une autre ville interdit toute sortie d’adultes ou de mineurs à partir de minuit. Toujours dans le même but, la liberté d’aller et venir est également réduite, bien qu’il s’agisse d’un principe de valeur constitutionnelle (Conseil constitutionnel 12 juillet 1979). Ce principe est rattaché sans ambiguïté à la liberté individuelle. Des circonstances particulières telles qu’elles doivent l’être lors de l’application de l’Etat d’urgence sont synonymes d’atteintes à la liberté d’aller et venir. Mais d’après une décision du Conseil d’Etat (ordonnance du président de la section du contentieux, 29 juillet 97), dès lors que sont respectées les contraintes liées à l’autorité municipale, la légalité de tels arrêtés a été admise compte tenu du danger que la délinquance dans certains quartiers fait courir aux mineurs. Le maire ne peut cependant intervenir que s’il existe des circonstances locales particulières et doit faire la démonstration que les mesures prises sont justifiées par l’existence de risques particuliers dans les secteurs pour lesquelles elles sont édictées ET adaptées par leur contenu à l’objectif de protection pris en compte. Il a également été jugé, en 1981, que la liberté individuelle et celle d'aller et venir doivent être conciliées avec « ce qui est nécessaire pour la sauvegarde des fins d'intérêt général ayant valeur constitutionnelle » comme le maintien de l'ordre public. (Conseil d’Etat, décision des 19 et 20 janvier 1981 sur la loi sécurité et liberté). Il est donc porté atteinte à la liberté d’aller et venir de manière large et directe pour la protection de l’ordre public puisque l’article 5 de la loi du 3 avril 1955 dispose : « La déclaration de l’état d’urgence donne pouvoir au préfet dont le département se trouve en tout ou partie compris dans une circonscription prévue à l’article 2 :1° D’interdire la circulation des personnes ou des véhicules dans les lieux et aux heures fixés par arrêté /2° D’instituer, par arrêté, des zones de protection ou de sécurité où le séjour des personnes est réglementé /3° D’interdire le séjour dans tout ou partie du département à toute personne cherchant à entraver, de quelque manière que ce soit, l’action des pouvoirs publics ». Quant à la liberté de réunion, elle est très souvent redoutée des gouvernements par référence aux banquets républicains fatals à la monarchie de Juillet et la crainte aux débordements menaçant l’ordre public compte tenu de la disproportion entre forces de police mises à disposition et personnes réunies. Cela explique que la liberté de réunion soit la première visée par les mesures d’urgence puisque les autorités semblent considérer que les récentes émeutes sont résultent de l’effet de groupe, et même de la concertation. -6- Ainsi, «afin de prévenir les troubles à l'ordre public et à la sécurité des personnes et des biens », le préfet de police de Paris, en se fondant sur des mails et SMS( le mail n’étant plus un message privé depuis l’année dernière) a déclaré l’application du couvre feu samedi 12 dès 10h et dimanche 13 novembre dès 8h, ce qui vise à interdire toutes réunions de personnes de nature à provoquer ou entretenir le désordre sur la voie et dans les lieux publics. L’article 8 de la loi de 1955 porte donc atteinte aux libertés publiques puisqu’elle dispose que « Peuvent être également interdites, à titre général ou particulier, les réunions de nature à provoquer ou à entretenir le désordre ». Finalement il est également porté atteinte à la liberté de la presse et même d’information puisque l’article 11 dans son deuxièmement dispose qu’il est possible d’ « Habiliter les mêmes autorités à prendre toutes mesures pour assurer le contrôle de la presse et des publications de toute nature ainsi que celui des émissions radiophoniques, des projections cinématographiques et des représentations théâtrales. » Il s’agit là d’une censure quelque peu surprenante des médias qui peut avoir pour effet de restreindre les sources des citoyens quant aux actes qui se déroulent dans leur pays, et de restreindre par la même leur souveraineté, leur appréciation des faits et ainsi d’engendrer une sorte de « contrôle de l’ordre de la propagande » de l’information ne permettant pas aux citoyens de se rendre compte de ce qu’il se passe. Cette censure est elle légitime, plus précisément est elle nécessaire pour le maintien de l’ordre public ? La question est d’autant plus importante que des déformations sont déjà opérées dans les médias du monde entier : ainsi en est il pour Fox News qui qualifie les événements d’ « émeutes musulmanes ». Outre les restrictions qui sont autant d’atteintes aux libertés publiques, cette loi et son application peuvent également mener à des dérives de par les pouvoirs qu’elle confère. B) dérives possibles La proportionnalité des actes de répression par rapport aux troubles effectivement apportés à l’ordre public demeure dans le cadre des dérives possibles le seul critère de contrôle de la légitimité de l’acte répréhensif. Or, de par l’actuel application des mesures d’Etat d’urgences, la question de la proportionnalité reste en suspend, ce qui a pour conséquence la possible atteinte aux Libertés Publiques si ces mesures sont appliquées. -7- Tout d’abord, l’article 11 dans son premièrement de la loi du 3 avril 1955 dispose qu’est « Confér[é] aux autorités administratives visées à l’article 8 le pouvoir d’ordonner des perquisitions à domicile de jour et de nuit ». Cela est attentatoire aux libertés en ce sens que rien à l’heure actuelle, dans le cas des émeutes en France, ne justifie des perquisitions dans un sens préventif ou répressif puisqu’il est impossible pour les autorités de déterminer autrement que par des critères discriminatoires dénués de fondement et colportés par les médias qui aura été auteur de dégradations et qui ne l’aura pas été. L’octroi d’un tel pouvoir de perquisition, qu’il soit de jour comme de nuit dans le contexte actuel des émeutes est définitivement une violation des droits de l’Homme. Finalement la possibilité d’une autre dérive se dessine. Le ministre de l’intérieur français a ainsi déclaré à l’Assemblée nationale que « la multiplicité de la France est une chance, mais notre devoir c’est de dire à cette France multiple que si elle a des droits, et peut-être que nous n’avons pas été assez généreux, elle a aussi des devoirs et sans doute que nous n’avons pas été assez fermes pour rappeler à tous ces devoirs ». Il a également demandé aux préfets d’expulser sans délai les étrangers condamnés dans le cadre des violences urbaines des dernières nuits, « y compris ceux qui ont un titre de séjour ». Cette mesure est hors du cadre de la loi de 1955 et vise au prononcé par une autorité administrative du départ forcé des étrangers dont la présence sur le territoire constitue une menace pour l’ordre public, même pour ceux disposant d’un titre de séjour valable. (Cette procédure ne vise pas les mineurs). Ainsi la procédure française d’expulsion en urgence absolue méconnaît l’article 1 du 7ème protocole en ce qu’elle autorise une dérogation définitive à l’obligation de la contradiction. Cette mesure est donc une atteinte aux libertés fondamentales. En outre, par une lecture a contrario d’une décision rendue par le Conseil d’Etat le 11 octobre 91, on peut se demander comment les émeutes peuvent présenter un caractère de gravité suffisant si le danger pour l’ordre public que représentait les contacts du requérant avec des milieux liés au terrorisme ne présente pas lui de caractère suffisant ? Ainsi, la loi du 3 avril 1955 constitue bien un danger pour les libertés publiques, même si son application a pour vocation d’être provisoire, autant par le fond même de la loi que par les applications qui peuvent en résulter, et donc des dérives qu’elles peuvent constituer. -8-