Implications territoriales de l`éruption du Mont Pinatubo pour la
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Implications territoriales de l`éruption du Mont Pinatubo pour la
Implications territoriales de l’éruption du Mont Pinatubo pour la minorité autochtone aeta Implications territoriales de l’éruption du Mont Pinatubo pour la minorité autochtone aeta Cas des bassins-versants des rivières Pasig et Sacobia (provinces de Pampanga et Tarlac, Philippines) Jean-Christophe GAILLARD Université de Savoie, Département de géographie, Campus scientifique, 73 376 Le Bourget du Lac Cédex Mél : [email protected] Frédéric LEONE Université des Antilles et de la Guyane, Département de géographie, 97 275 Schoelcher, Martinique Mél : [email protected] Résumé : L’éruption du Mont Pinatubo survenue en juin 1991 sur l’île principale de Luzon (Philippines) est considérée comme l’une des plus importantes de ce siècle tant pour l’amplitude du phénomène que pour les pertes subies. A ce titre, la communauté autochtone aeta qui vivait depuis des temps ancestraux sur ses flancs s’est retrouvée subitement privée des richesses naturelles et du cadre de vie paisible que lui procurait ce volcan, au repos depuis près de six siècles. Cet article analyse les conséquences de l’éruption pour cette communauté qui, depuis près d’une décennie, est en quête de nouveaux territoires indispensables à sa survie et à la préservation de son identité. Il apparaît que malgré les échecs relatifs de la politique officielle de relogement et les conflits apparus au contact du reste de la population, cette communauté a démontré, dans l’ensemble, une grande capacité d’adaptation aux nouveaux espaces concédés ou conquis. Cette adaptation s’est traduite en particulier par le développement de nouvelles activités économiques et l’adoption de nouvelles références socio-culturelles davantage occidentales. Ceci témoigne d’un certain refus de la fatalité et d’une trop forte dépendance vis-à-vis du reste de la population et des autorités philippines. Mots clés : Aeta, Mt Pinatubo, Philippines, volcan, eruption, population autochtone, territoire, conflits Abstract : Mt Pinatubo volcano, located on the main island of Luzon (Philippines), erupted in June 1991. This eruption, which is known as one of the largest of this century, caused huge losses among the surrounding communities. The Aeta ethnic minority has been living since ancestral time on the flanks of Mt Pinatubo. Subsequently to its eruption, the indigenous peoples have been deprived of the natural resources provided by their environment. This paper aims at assessing the consequences of the Mt Pinatubo eruption for this community in search of new territories, which are essential to its survival and to preserve its identity. It turns out that, despite the relative failure of the resettlement policy and the conflicts that occurred with the surrounding populations, the Aetas showed a great capacity of adaptation to the new lands that this community conceded or conquered following the eruption. The new livelihood strategies and occidental socio-cultural references adopted by the indigenous peoples are the most representative facts of this flexibility. This community actually refuses to be dependent on the Philippine authorities or on the rest of the population. Key words : Aeta, Mt Pinatubo, Philippines, volcano, eruption, indigenous people, territory, conflicts 1. Présentation Tayag & al., 1998). Contrairement à une idée répandue, leur existence n’est pas menacée. La population autochtone (indigenous people) (Schulte-Tenckhoff, 1997), également répartie sur les versants est (provinces de Pampanga et Tarlac) et ouest (province de Zambales) du Mt Pinatubo, est en effet passée d’environ 800 familles (ou 6 000 individus) en 1900, à plus de 13 000 (ou 50 000 individus) en 1999 (NCIP, 1999a ; Orejas, à paraître ; Reed, 1904). Généralement classés dans la catégorie des tribus de « chasseurs / cueilleurs », les Aetas du Mt Pinatubo tirent leurs ressources de la culture de tubercules et autres légumes, de la chasse et de la pêche, ainsi que de la cueillette de plantes et fruits sauvages qui abondent dans leur environnement immédiat. Leur mode de vie a largement été influencé par la croyance en de nombreux êtres surnaturels appelés L’éruption du volcan Pinatubo (figure 1), survenue en 1991, est considérée comme l’une des plus importantes du 20ème siècle. Le réveil brutal de ce volcan situé à l’apex des provinces de Zambales, Pampanga et Tarlac (Central Luzon, Philippines), après plus de 400 ans de repos, a affecté au total près de 2,5 millions de personnes (Leone & Gaillard, 1999) (figure 2). La minorité ethnique « Aeta », qui vit depuis des temps ancestraux sur les flancs du Mt Pinatubo, a été l’une des communautés les plus durement touchées. Les Aetas sont considérés comme les descendants directs des premières populations pygmées ayant occupé les Philippines. Leur petite taille, leur couleur de peau très foncée et leurs cheveux crépus les distinguent aisément des autres Philippins d’origine malaise (Seitz, 1998 ; 53 Jean-Christophe GAILLARD et Frédéric LEONE Aetas de ce secteur regroupent toutes les caractéristiques socio-économiques présentes sur l’ensemble de la région du Mt Pinatubo (groupes isolés vivant en autosuffisance, villages occidentalisés, etc.). Dans un premier temps, on présentera la redistribution géographique des villages autochtones qui a succédé à l’éruption du Mt Pinatubo, avant d’essayer d’en rechercher les causes. On s’attardera ensuite sur les conflits territoriaux apparus entre Aetas ou « kulots »2 et non Aetas ou « unats »3. Nous terminerons par une évaluation des implications de cette crise volcanique en terme d’identité territoriale. 2. Une décennie de migrations 2.1. Le secteur étudié Les bassins versants des rivières Pasig4 et Sacobia se situent sur le flanc est du Mt Pinatubo (figure 2). A la suite de l’éruption, un vaste « éventail » de dépôts pyroclastiques, baptisé « Sacobia Pyroclastic Flow Field » (SPFF), s’est formé au niveau du village d’Inararo (Porac-Pampanga). Le volume des dépôts pyroclastiques du SPFF est estimé a 1,6 km3. Depuis cet éventail, se sont écoulés, dès juin 1991, différents lahars canalisés par les rivières Pasig, Abacan et Sacobia. Ils ont modifié à plusieurs reprises leurs morphologies à tel point que les sources des rivières Sacobia et Abacan ont aujourd’hui été capturées par la rivière Pasig (Sincioco & al., 1999). La zone d’étude représente une superficie d’environ 200 km2 qui s’étend sur les municipalités de Porac, d’Angeles City, de Mabalacat pour ce qui est de la province de Pampanga et de Bamban pour la province de Tarlac. Elle est délimitée au nord par la rivière Marimla-Bamban, affluent de la Sacobia, et au sud par la rivière Porac qui, si elle s’inscrit dans le bassin versant de la rivière Gumain, accueille désormais des populations issues des rives de la rivière Pasig. Le secteur d’étude comprend en outre la « zone principale » (Main Zone) de l’ex-base militaire américaine de Clark (Clark Air Base – CAB)5, évacuée en juin 1991, ainsi qu’une partie de la « sous-zone » (Sub-Zone)6 de cette même base. Figure 1 : Situation du volcan Pinatubo dans l’archipel des Philippines. «Anitos». Quant à lui, le créateur universel, ou « Apo Namalyari », habiterait au cœur du volcan Pinatubo (Barrato & al., 1978 ; Lubos na Alyansa ng mga Katutubong Ayta ng Sambales, 1991 ; Shimizu, 1989). La plupart des Aetas attribuent d’ailleurs le réveil de ce volcan à la colère d’Apo Namalyari, provoquée par des forages géothermiques de la Philippine National Oil Corporation (PNOC). Les premiers signes de réveil du volcan se sont manifestés au début du mois d’avril 1991. Les Aetas furent les premiers à s’en rendre compte et en avertirent immédiatement le Philippine Institute of Volcanology and Seismology (PHIVOLCS) (Lubos na Alyansa ng mga Katutubong Ayta ng Sambales, 1991 ; Tayag & al., 1996). Le volcan manifesta une activité éruptive croissante jusqu’au mois de juin 1991. Le paroxysme de l’éruption fut atteint entre les 12 et 15 du même mois. Le volcan éjecta alors entre 5 et 7 km3 de matériaux pyroclastiques qui détruisirent de nombreux villages autochtones. Les autres hameaux furent recouverts par une couche de cendres atteignant en certains lieux 50 cm. Dès juin 1991, d’importants lahars1 se déclenchèrent sur les flancs du Mt Pinatubo, affectant de nouveau de nombreux villages d’Aetas (Pinatubo Volcano Observatory Team, 1991 ; Wolfe, 1992). De cette catastrophe ont donc découlé d’importantes conséquences territoriales pour les communautés aetas. Cet article en dresse une analyse pour les communautés présentes sur les bassins versants des rivières Pasig et Sacobia (provinces de Pampanga et Tarlac). Liés par un dialecte commun (l’Ayta Mag-Antsi), les 2 Kulot : appellation que se donnent les Aetas en réference à leurs cheveux crépus (kulot en Tagalog ou Pilipino). 3 Unat : appellation que donnent les Aetas aux non Aetas en référence a leurs cheveux raides (unat en Tagalog). 4 En aval de Porac, la rivière Pasig devient la rivière PasigPotrero dont les lahars ont été parmi les plus catastrophiques. 5 Clark Air Base était la plus importante base aérienne de tout le Pacifique ouest. Elle a notamment joué un rôle stratégique durant la guerre froide (poste avancé, centre d’espionnage et de communication, centre d’entraînement), les guerres de Corée et du Vietnam, et plus récemment durant la guerre du Golfe persique (Simbulan, 1983 ; United States Information Service, 1987). 6 En 1979, la Sub-Zone, qui était auparavant partie intégrante de la base américaine, fut rendu à l’état philippin. L’US Air Force maintint d’importantes installations dans ce secteur montagneux et forestier qui ne pouvait être légalement exploité à des fins économiques par le gouvernement de Manille (Simbulan, 1988). 1 Lahar : terme d’origine indonésienne qui désigne un mélange de débris et d’eau s’écoulant à vitesse rapide sur un volcan et son piémont. 54 Implications territoriales de l’éruption du Mont Pinatubo pour la minorité autochtone aeta survie dans la jungle ou bien encore entretien de la base12. Certains Aetas tiraient également d’importants revenus de la récupération et de la vente des déchets américains (Gaabucayan, 1978 ; Simbulan, 1983). D’autres se chargeaient de ramasser, non sans danger, et de revendre les munitions usagées (balles, obus, bombes) utilisées par les américains lors de leurs exercices d’entraînement13. Au contraire des unats, les kulots des villages limitrophes de Clark (Marcos Village, Pulang Lupa, Sitio Babo, Bliss, Target plus Inararo) bénéficiaient de privilèges au sein de la base (gratuité des soins médicaux, de l’enseignement...) ainsi que de la générosité des militaires américains qui leurs distribuaient souvent vêtements ou nourriture (Stars & Stripes, 1968). Si ces communautés étaient largement dépendantes de l’US Air Force, l’agriculture restait toutefois une ressource majeure et indispensable. En rive gauche de la rivière Sacobia, au nord de Clark, les communautés autochtones situées en aval de la limite d’autosuffisance faisaient partie intégrante d’un projet expérimental de développement rural initié par Imelda Marcos en 1979. Les villages de Calumpang, 2.2. La situation avant l’éruption En 1990, soit un an avant l’éruption du Mt Pinatubo, environ 1 200 à 1 300 familles autochtones (approximativement 7 000 individus) vivaient dans les bassins versants des rivières Pasig et Sacobia (National Statistic Office, 1990 ; Office of Muslim Affairs and Cultural Communities, 1985 ; Tadem, 1993)7. Jusqu’à la date de l’éruption (juin 1991), il était possible de définir une limite d’auto-suffisance découpant la zone d’étude en deux secteurs distincts (figure 3). En amont de cette limite, environ 500 familles vivaient exclusivement de la culture de tubercules divers (patates douces ou « kamoteng gapang », manioc ou « kamoteng kahoy », ignames ou « gabi », « ube », « ubeng basul », etc.) et de légumes (fèves, coeurs de bananiers, courges…), de la chasse (cochons sauvages, divers oiseaux…), de la pêche (« tilapias »8) et de la cueillette de fruits tropicaux plus ou moins sauvages (bananes, papayes, ananas, goyaves, mangues….). Une seule exception se présentait avec le village d’Inararo où l’armée américaine (l’US Air Force) avait installé un camp d’entraînement à la survie dans la jungle. Une vingtaine d’Aetas servaient alors d’instructeurs pour les militaires américains (Orejas, à paraître ; Simbulan, 1983 ; Tolosa, 1966). Ces communautés étaient sédentaires et regroupées au sein de villages composés de huttes faites de bambous et de « nipa »9. Les principaux hameaux s’appelaient Inararo, Camatsilis (barangay10 Inararo– municipalité de Porac), Pamatayan et Kaging (Santo Nino – municipalité de Bamban). En aval de cette limite d’auto-suffisance, les autochtones se rendaient hebdomadairement aux marchés de Porac, Angeles City ou Mabalacat, afin de vendre ou échanger les produits de leurs récoltes contre du riz, du café ou du sucre. Les plus fortes concentrations de populations autochtones se trouvaient à proximité de l’ex-base militaire américaine de Clark où les Aetas cohabitaient avec une importante population unat « kapampangan »11, notamment à Sitio Babo, Bliss (Sapang Bato – municipalité d’Angeles City), Marcos Village et Pulang Lupa (municipalité de Mabalacat). Une partie des kulots de ces villages était employée par l’US Air Force pour différentes tâches : surveillance, commerces, instruction à la Figure 2 : Extension des différents agents destructeurs associés à l’éruption du volcan Pinatubo et situation du secteur étudié (1 : dépôts des écoulements pyroclastiques de juin 1991 ; 2 : dépôts des lahars de juin 1991 à juin 1993 ; 3 : chenaux de lahars actifs ; 4 : isopaques (en cm) des retombées de cendres ; 5 : limites provinciales ; 6 : principales agglomérations ; d’après données du PHIVOLCS). 7 Tous les chiffres concernant la population des villages aetas sont soumis à d’importantes réserves compte tenu des difficultés d’accès à de nombreux villages autocthones et de la forte mobilité de ces populations. 8 Poisson de rivière très répandu dans la région. 9 Arbre national philippin. 10 Le barangay est la plus petite entité administrative philippine. Il correspond généralement au village (NSO, 1990). 11 Habitants de la province de Pampanga et des villes de Tarlac City, Capas, Bamban, Conception (province de Tarlac) et Dinalupihan (province de Bataan) qui parlent également le dialecte kapampangan. 12 En 1977, 62% des Aetas de Marcos par l’US Air Force : dont 35% comme tien de la base (Gaabucayan, 1978). 13 La valeur d’un kilo de métal variait environ 300 pesos pour une bombe (6 lent à environ 1 FF). 55 Village étaient employés vigiles et 25% à l’entreentre 5 et 30 pesos, soit pesos philippins équiva- Jean-Christophe GAILLARD et Frédéric LEONE Sacobia, San Martin, Mataba, Santa Ines, Santa Rosa, Burug et Baguingan bénéficiaient alors de programmes d’aide gouvernementaux (agriculture, éducation, services...) ainsi que d’emplois au sein de la Sacobia Development Authority (SDA) chargée de la gestion du projet (Sacobia Development Authority, 1985 ; Tadem, 1993). Dans ces villages, la dépendance vis-à-vis des unats était moins marquée que dans le cas précédent vis-à-vis de la base militaire de Clark. Plus au sud, des terrains sablonneux, impropres à l’agriculture, séparaient les villages autochtones de Sapang Uwak, Villa Maria et Diaz de la base américaine. Ce troisième ensemble communautaire, exclusivement aeta et beaucoup moins occidentalisé que les deux précédents, subsistait grâce aux produits de l’agriculture traditionnelle vendus sur le marché de Porac, et aussi de la chasse, de la pêche, de la cueillette de plantes sauvages. Parmi les communautés situées les plus en aval, certains enfants étaient employés à l’entretien de maisons unats de Porac (Mendoza, 1982). Porac…). Mais devant l’afflux des victimes lors du paroxysme de l’éruption atteint le 15 juin 1991, les autorités furent amenées à déplacer de nouveau de nombreuses familles d’Aetas vers des centres d’évacuation parfois beaucoup plus éloignés (provinces de Bulacan, NuevaEcija...). La plupart des Aetas provenant des villages situés en amont de la limite d’auto-suffisance prirent pour la première fois contact avec le monde moderne à l’intérieur d’écoles, de gymnases, d’églises ou de camps de tentes surpeuplés. Des problèmes de malnutrition et de nombreuses épidémies (rougeole, pneumonies...) causèrent la mort de nombreux enfants (Magpantay, nd ; Magpantay & al., 1992). Les Aetas furent aussi confrontés à des difficultés de cohabitation et à des discriminations de la part des unats qui bénéficiaient en premier de l’attention des autorités (Orejas, à paraître). Pour ces raisons, de nombreuses familles furent déplacées à de multiples reprises. Certains centres d’évacuation ont ensuite été transformés en structures destinées à héberger à moyen terme les Aetas en attente d’une réelle solution de relogement (notamment à Planas - Porac). Certaines communautés (Burug, San Martin) ont aussi bénéficié de programmes de relogement dans d’autres régions des Philippines, souvent à proximité d’autres tribus autochtones (provinces de Palawan, Isabela, Quirino). Certaines familles de Marcos Village, retournées vivre dans leurs maisons qui furent par la suite détruites par les lahars de la rivière 2.3. Le marathon des évacuations Dès les premiers signes du réveil du Mt Pinatubo en avril 1991, l’ensemble des communautés autochtones aetas fut évacué. Dans un premier temps les sinistrés furent relogés dans les principales villes de la région (Tarlac City, Capas, Bamban, Mabalacat, Angeles City, Tableau 1 : Reconstitution des schémas d’évacuation de trois familles aetas suite à l’éruption du volcan Mt Pinatubo (d’après des données d’enquêtes sur le terrain). 56 Implications territoriales de l’éruption du Mont Pinatubo pour la minorité autochtone aeta Figure 3 : Redistribution spatiale des villages aetas dans les bassins versants des rivières Pasig et Sacobia suite à l’éruption du Mt Pinatubo Sacobia, ont été transférées dans des bunkhouses14 situés sur les flancs du Mont Arayat à Magalang (Pampanga). La plupart des familles sont restées plusieurs mois, voire plusieurs années, dans ces structures provisoires. Elles y subsistaient principalement grâce à l’aide d’urgence apportée par le Department of Social Welfare and Development (DSWD) et de nombreuses organisations non gouvernementales. Le tableau 1 montrent à quel point la période qui a suivi l’éruption du Mt Pinatubo a été tourmentée. Certaines familles ont fréquenté jusqu’à six centres d’évacuation différents, aux conditions de vie parfois très difficiles (épidémies, surpeuplement…) et parfois situés à plus de 300 km des villages d’origine. Ces séjours n’ont souvent duré que quelques mois chacun. Les communautés relogées aux frais d’un bienfaiteur allemand sur l’île de Palawan, à l’ouest de l’archipel des Philippines, ont quant à elles été confrontées à un contexte environnemental et socio-économique totalement différent de celui de la région du Mt Pinatubo. Une épidémie de malaria a finalement contraint le gouvernement philippin à organiser le rapatriement de la plupart de ces Aetas vers d’autres sites plus favorables. Outre les difficultés inhérentes aux déménagements et à la nécessaire réadaptation aux nouveaux milieux, ces multiples déplacements « démembrèrent » de nombreuses familles et communautés autochtones. 2.4. Etat actuel du problème du relogement permanent Déjà dispersées dans divers centres d’évacuation, les communautés aetas se sont vues une nouvelle fois décomposées lorsque s’est posée la question de leur relogement permanent. En effet, une large partie des autochtones a pu bénéficier du programme de relogement mis en place par les autorités. Dès le deuxième semestre 1991, la Task Force Mt Pinatubo, remplacée en 1992 par la Mount Pinatubo Commission (MPC), structure interministérielle placée sous l’autorité du Président de la République, a développé onze centres de relogement situés sur des terrains montagneux, et en premier lieux destinés au relogement des familles d’Aetas (Task Force Mount Pinatubo, 1991). Les kulots du bassin versant des rivières Pasig et Sacobia ont été ainsi dispersés sur quatre sites (Maynang15, 15 Bien que développé sur des terrains et avec un budget négociés par la MPC, le centre de relogement de Maynang est géré par le gouvernement provincial de Tarlac et n’est donc pas intégré dans les listes de la MPC. 14 Les bunkhouses sont des baraquements en bois pouvant accueillir jusqu’à une dizaine de familles réparties dans dix pièces souvent trop exiguës. Dans la plupart des cas, des sanitaires et un puits sont communs à deux bunkhouses. 57 Jean-Christophe GAILLARD et Frédéric LEONE Dueg, Kalangitan et Villa Maria) dont le plus éloigné, Dueg, se situe à près de 100 km des villages d’origine. 150 m² et un kit de matériel de construction traditionnelle (bambou, nipa...) ont été alloués à chaque famille. En 1995, cet équipement a été complété par des matériaux de construction plus résistants (tôles en particulier) (Mount Pinatubo Commission, 1995 ; Provincial Government of Tarlac, 1996 ; Tariman, 1999). Les Aetas de Marcos Village, Pulang Lupa et Calumpang, situés à proximité de Clark, ont, de leur coté, été relogés sur un site de plaine, Madapdap, en compagnie de 7 000 familles unats victimes des lahars des rivières Pasig-Potrero et Sacobia. Ceux-ci se sont vus attribuer 94 m2 de terrain et une maison en béton équipée de sanitaires (Mount Pinatubo Commission, 1995 ; Tariman, 1999). Une partie des Aetas de Marcos Village a aussi bénéficié d’un programme de relogement du Rotary Club d’Angeles à l’emplacement de l’ancien hameau d’Haduan. Certaines familles sont arrivées par ce biais à cumuler deux logements : l’un à Madapdap, l’autre à Haduan. Deux centres de relogement (Pinaltakan et Doña Josefa) ont par ailleurs été mis en place par d’autres ONG à Palayan City (province de Nueva Ecija) 16 où les Aetas du Pinatubo côtoient d’autres populations autochtones (Dumagats et Bago) de la Sierra Madre. 1990 Inararo 154 135 Camatsilis Env. 100** Sapang Uwak 53 Villa Maria Env. 30** Target Env. 50** Sitio Babo Env. 250** Marcos Village Env. 100** Calapi Env. 200** San Martin Env. 70** Burug * Nouveau village, ** Estimations tallés en dehors des centres de relogement ont été rejoints par un certain nombre de familles, toujours croissant à l’heure actuelle, ayant déserté les sites officiels faute de moyens de subsistance suffisants (tableau 1). Enfin, quelques familles résident toujours, 10 ans après l’éruption, dans les centres d’évacuation prévus pour ne durer qu’un certain temps. A Planas, les tentes ont laissé place à des huttes de bambous ou à des structures plus élaborées. Aujourd’hui, l’ensemble des villages situés en amont de la limite d’auto-suffisance a disparu (figure 3). Cette frontière n’existe donc plus. Désormais, les centres de relogement forment les plus importants villages. L’accroissement naturel explique en grande partie la croissance démographique des villages de Target, Sitio Babo, Bliss, Calumpang et Sacobia, où pratiquement l’ensemble des familles évacuées a repris place. Seul Sapang Uwak, qui bénéficie de certains programmes de développement établis par la MPC à Villa Maria, a vu sa population croître avec l’arrivée de familles venues de villages situés a proximité du cratère du Mt Pinatubo (Inararo, Camatsilis, Mabulilat...) (tableau 2). Il est à noter que parmi tous ces villages, seul Marcos Village est toujours menacé par des phénomènes de lahars (rivière Sacobia). 2000 51* 21* 155 247 98 96 Env. 150** 54* 87* 50* 3. La recherche d’espaces cultivables comme moteur de mobilité spatiale Cette redistribution et cette mobilité spatiale consécutive à l’éruption du Mt Pinatubo s’explique en grande partie par la recherche de nouveaux espaces cultivables. La terre constitue en effet la seule ressource durable pour les Aetas qui pratiquent de manière ancestrale une agriculture itinérante sur brûlis, appelée « kaingin » ou « gahak » (Gaabucayan, 1978 ; Shimizu, 1989). Les principales espèces cultivées (tubercules, légumes et fruits) représentent la base de leur alimentation et de leurs transactions commerciales (vente et échange). Certaines variétés, financièrement très rentables mais dommageables pour des sols qui ne peuvent supporter plusieurs ensemencements consécutifs, nécessitent de vastes espaces. L’exemple du gabi est à ce titre représentatif. Un sac17 de ce tubercule18 est vendu en moyenne 2 000 pesos contre 150 pesos19 seulement pour un sac de kamote. Une seule récolte de gabi n’étant possible que dans un laps de temps de plusieurs années sur un même terrain, les Aetas défrichent sans cesse de nouveaux espaces vierges pour la culture de ce tubercule. Si les terrains Tableau 2 : Evolution de la population (en nombre d’habitants) des principaux villages aetas des bassins versants des rivières Pasig et Sacobia entre 1990 et 2000 (d’après données NSO (1990), NCIP (1999a) et enquêtes de terrain) - Attention, les chiffres concernant la population des villages aetas varient souvent du simple au triple selon les différents recensements disponibles ; les données recueillies lors des enquêtes de terrain ont été préférées aux recensements officiels en cas de forte variation. Un certain nombre d’autochtones ont, quant à eux, décidé de retourner vivre à l’emplacement de leurs villages d’origine, pour la plupart recouverts par une épaisse couche de cendres. Ces derniers ont reçu l’appui de familles provenant de hameaux proches du cratère du Mt Pinatubo, là où les dépôts pyroclastiques ne permettaient plus le développement de l’agriculture. D’autres kulots ont tenté de reformer leur village dans des sites plus favorables (Calapi, San Martin, Burug) ou à proximité des centres de relogement (Inararo). Ces Aetas ins16 17 Un sac correspond à environ 80 kg. Ce chiffre varie cependant selon les tubercules entre 60 et 100 kg. 18 Selon les Aetas, ce tubercule est surtout destiné à l’industrie (dentifrice, savon, shampoing, bougie...) ; utilisation cependant non confirmée par les spécialistes du Department of Agriculture (DA) et du Department of Environment and Natural Resources (DENR). 19 Ces valeurs fluctuent fortement selon l’offre et la demande. Ces centres ont été en partie financés par la MPC. 58 Implications territoriales de l’éruption du Mont Pinatubo pour la minorité autochtone aeta Tableau 3 : Principales caractéristiques des centres de relogement accueillant des communautés autochtones aetas en provenance des bassins des rivières Pasig et Sacobia, au 15/3/2000 (d’après données Mount Pinatubo Commission, National Commission on Indigenous Peoples Region III & Nueva Ecija, National Economic and Development Authority Region III, Provincial Government of Tarlac). délaissés sont parfois réutilisés pour d’autres légumes, ils restent la plupart du temps abandonnés. La culture de papayes, intéressante financièrement, nécessite elle aussi de vastes espaces cultivables. centres de relogement de Villa Maria, considéré comme un site pilote par la MPC (investissement total de 8 millions de pesos), et Dueg où les Aetas cultivent du gingembre qui, à l’instar du gabi, nécessite des terrains reposés. Autour de ces sites, les autochtones cultivent impunément des terrains appartenant à l’Etat 20. Le Department of Environment and Natural Resources (DENR) semble fermer les yeux sur ces pratiques. Ce système est cependant impossible à Kalangitan, situé à l’intérieur de la Sub-Zone de Clark, ainsi qu’à Maynang et Palayan City (Doña Josefa et Pinaltakan), entourés respectivement d’espaces privés appartenant à des unats et de terrains militaires (Fort Magsaysay). A Palayan City, les autochtones ont tenté d’adapter leur existence aux nouveaux contextes dépourvus d’espaces cultivables. Certains Aetas n’hésitèrent d’ailleurs pas à aller vendre des souvenirs dans les quartiers touristiques de Manille. La pénurie d’espaces cultivables a progressivement conduit de nombreuses familles aetas à retourner vivre dans leurs villages d’origine afin de cultiver leurs anciennes terres21 (Orejas, à paraître ; Seitz, 1998). A l’ex- Ni les centres d’évacuation, ni les centres de relogement ne peuvent offrir aux Aetas cet espace de production. En effet, les terrains cultivables situés autour des centres de relogement restent limités (tableau 3), même si, en plus des 150 m2 habitables, chaque famille relogée à Villa Maria, Dueg, Kalangitan et Maynang s’est vu attribué un hectare de terrain cultivable par la MPC (Mount Pinatubo Commission, 1995 ; Provincial Government of Tarlac, 1993). A cela s’ajoutent des terres communes exploitées en coopérative par l’ensemble des sinistrés (263 ha à Dueg, 110 ha à Kalangitan) (Provincial Government of Tarlac, 1996 & 1998). Cet espace s’avère nettement insuffisant pour cultiver les espèces précédemment citées. Malgré les projets mis en place dès 1992 par le Department of Agriculture (DA) et le Department Of Science and Technology (DOST) autour des sites officiels (achat de matériel, fourniture de graines, arbres fruitiers, bétail...) (Department of Agriculture, 1992 ; Tariman, 1999), de nombreuses familles restent dépendantes de l’aide d’autres organisations gouvernementales ou non. Citons, à ce titre, les programmes « Cash » et « Food for work » mis en place par le DSWD. Ceux-ci consistent en des travaux d’intérêt commun (entretien du centre de relogement notamment) rémunérés en espèces ou en nature. Seules exceptions à ce constat, les 20 Aux Philippines, les terrains de montagne dont la pente excède 18% sont propriété du Department of Environment and Natural Resources (DENR). 21 Entre 1995 et 1999, sur l’ensemble des centres de relogement de la MPC destinés aux Aetas (dans les provinces de Zambales, Pampanga et Tarlac), 645 familles ont abandonné, définitivement ou temporairement, leur domicile pour retourner vivre dans leur village d’origine (National Commission on Indigenous People Region III, 1995 et 1999a). 59 Jean-Christophe GAILLARD et Frédéric LEONE ception de Villa Maria, la population des autres centres de relogement, notamment à Maynang et Palayan City, a fortement régressé depuis 1995 (tableau 3). Ces deux dernières années, le village de San Martin a été l’un des principaux bénéficiaires de ce phénomène22. D’autres autochtones ont conservé leur maison dans les centres de relogement mais exploitent quotidiennement les terrains situés à proximité de leurs villages d’origine. Ces pratiques connues à Villa Maria, pour les raisons évoquées plus haut, Maynang et Planas, créent des navettes quotidiennes ou hebdomadaires. La raison majeure invoquée par les Aetas pour expliquer le maintien du domicile principal au sein des centres de relogement est la scolarisation des enfants23. sérieux problèmes de nourriture et d’épidémies. Le manque d’infrastructures adaptées à la vie dans les centres de relogement est aussi une source de difficultés. A l’exception de Villa Maria et Maynang, les communautés aetas ayant bénéficié des programmes gouvernementaux de relogement en montagne ne disposent ni de l’électricité, ni de points d’eau potable suffisants. Les accès aux centres de relogement situés sur les pentes du Mt Pinatubo sont également problématiques puisque seuls Maynang et prochainement Villa Maria bénéficient de routes entièrement asphaltées. Les autres sites souffrent par ailleurs de l’éloignement depuis les villages et communautés d’origine. C’est notamment le cas de Dueg et Palayan City qui se situent à près de 100 kilomètres des villages d’où proviennent leurs populations (figure 3). A Madapdap, les Aetas de Marcos Village, pourtant les plus occidentalisés avant l’éruption, ont dû faire face à un nouvel environnement, totalement urbain, et cohabiter avec une population unat largement dominante. Mais au contraire des communautés précédentes, les familles qui y résident bénéficient d’infrastructures complètes (électricité, eau courante, écoles, hôpital, routes goudronnées, transports en commun, espaces de loisirs, etc.). 4. L’échec relatif de la politique officielle de relogement Dès 1991, le gouvernement philippin a défini les services de base (éducation, santé...) comme une priorité destinée à accompagner la politique de relogement (Mount Pinatubo Commission, 1994 ; Tariman, 1999). Si cet objectif a été atteint avec un certain succès, cela l’a été au détriment de la mise à disposition de nouveaux espaces cultivables, pourtant prioritaire pour les autochtones. D’ailleurs, la résiliation précoce du bureau spécialement destiné aux Aetas au sein de la MPC24 reflète bien cette incompréhension. L’état philippin a également investi de très grosses sommes d’argent dans la construction d’équipements publics, notamment des sanitaires et des robinets d’eau communs, qui n’ont jamais fonctionné du fait de l’absence d’eau courante. Ces installations sont aujourd’hui délabrées. Si les Aetas admettent généralement que l’accès aux services publics est nécessaire, notamment pour la jeune génération, ils blâment sans cesse le gouvernement pour les conditions de vie parfois très difficiles à l’intérieur des centres de relogement. Pour la quasi totalité des kulots interrogés, la qualité de vie était largement meilleure avant l’éruption du Mt Pinatubo. Du fait de cette absence de terres cultivables, de nombreuses familles des centres de relogement souffrent aujourd’hui de pénuries alimentaires, phénomène inconnu avant 1991. La situation s’aggrave lors de la saison des pluies (de juin à octobre) qui rend l’accès à la plupart des sites officiels de montagne très difficile. Lors des graves inondations qui ont affecté Central Luzon au mois d’août 1999, de nombreux Aetas ont ainsi dû faire face à de Malgré les menaces de la MPC, il est à noter que les Aetas ayant quitté les centres de relogement ont, pour la plupart, revendu leur maison - obtenue gratuitement - et les terrains qui ne leur appartenaient pourtant pas25. Ils s’exposent de ce fait à des poursuites judiciaires puisque la MPC a porté l’affaire devant la justice. 5. L’aggravations des conflits territoriaux entre les Aetas et le reste de la population Les conflits territoriaux entre Aetas et non Aetas des bassins versants des rivières Pasig et Sacobia sont ancrés dans les relations Philippines - Etats-Unis. La présence de l’armée américaine dans la région remonte à 1902 avec l’installation, entre les villages de Dau (Mabalacat) et Sapang Bato (Angeles City), de Fort Stotsenburg. En 1918, l’armée américaine décida de transformer ce camp destiné a l’US Cavalry, en base aérienne. Elle annexa pour cela une première fois des territoires autochtones situés à l’Est du fort initial. De nombreuses communautés Aetas furent alors déplacées. Au cours de l’expansion de Clark Air Base, les conflits territoriaux prirent de l’ampleur. Macapagal Village puis Marcos Village furent crées par les autorités militaires américaines et le gouvernement philippin pour accueillir des familles aetas de Sapang Bato devenues gênantes pour l’US Air Force. Les Aetas étaient alors considérés offi- 22 Depuis deux ans, San Martin a vu sa population croître très rapidement (87 foyers en février 2000 contre une trentaine seulement début 1998) grâce à l’arrivée de victimes provenant des hameaux situés plus en amont (Mataba, Baguingan…) et aux retours de familles relogées à Palayan City, Dueg, Kalangitan et Maynang. Ces familles sont attirées par la relative accessibilité de San Martin depuis Bamban et Mabalacat. 23 Il est à noter que dans tous les centres de relogement l’éducation est gratuite. 24 Créé en 1994, le Aeta Affairs Unit a été dissout dès 1996. Un transfert des compétences s’est opéré vers les « managers » des centres de relogement. 25 La politique gouvernementale de relogement consiste en effet à « offrir » aux victimes de l’éruption du Mt Pinatubo une maison dont le paiement doit s’étaler sur 25 ans. Le terrain reste cependant propriété de l’Etat. 60 Implications territoriales de l’éruption du Mont Pinatubo pour la minorité autochtone aeta ments était estimé à plus de 84 milliards de pesos dans les cinq ans suivant le lancement du projet. La création de 46 500 emplois était par ailleurs programmée dans les mêmes délais (David, 1998). Un pont d’un kilomètre de long et d’une valeur de plus de 700 millions de pesos, devenu inutile depuis la proclamation du domaine ancestral, a d’ores et déjà été construit afin de relier le secteur de Sacobia à la zone principale de Clark. Afin de reprendre le contrôle de Sacobia, la CDC remet en cause la taille du domaine ancestral qui, selon elle, est largement supérieure à l’espace réellement utilisé par les Aetas. Selon Romeo S. David (1998a), ex-président de la corporation, les nouvelles directives sont par ailleurs en inadéquation avec les législations existantes ayant placé le secteur de Sacobia sous l’autorité de la CDC29. Celle-ci remet également en cause la manière dont a été effectuée l’enquête de terrain ayant conduit à la délimitation du domaine ancestral. La corporation exploite enfin une erreur du DENR qui a attribué ce domaine ancestral à la communauté « Abelling »30 et non à la communauté Aeta de dialecte Mag-Antsi. Profitant de cette faiblesse, la CDC a tenté de retourner la communauté de dialecte MagAntsi contre le DENR. Convaincus par la CDC, certains leaders aetas de Sacobia ont par la suite fait connaître leur intention d’annuler le domaine ancestral (David, 1998b). Face aux réactions virulentes des défenseurs des autochtones, un groupe d’étude intergouvernemental a été crée. Celui-ci a confirmé les limites du domaine ancestral et les droits des autochtones. Afin de poursuivre ses projets de développement, la CDC a été incitée à établir un plan de développement pour le secteur en question. Selon le groupe d’étude, les Aetas doivent être les premiers décideurs à être impliqués dans ces projets (Joint Action Team, 1998). Mécontents de cette décision, les officiels de Clark ont, par la suite, porté l’affaire devant la présidence de la république qui va désormais trancher entre les 5 515 hectares revendiqués par les Kulots et les 1 600 hectares désirés par la CDC31 (figure 4). Quoi qu’il advienne de la décision de Manille, les nouvelles directives de l’actuel président Estrada concernant le développement de Clark, tendent à privilégier de nouveaux projets agraires, plutôt que touristiques et résidentiels, pour lesquels la CDC pourrait louer les terrains aux Aetas qui bénéficieraient de ce fait d’une contrepartie financière. Ces projets nécessiteront cependant des infrastructures, notamment routières, pour lesquelles la CDC doit obtenir l’approbation préalable des Aetas. Dans cette optique, la corporation modère quelque peu sa position et tend actuellement à reconnaître les droits ciellement comme des « squatteurs », bien qu’ils fussent sur leurs propres terres26. Dans les années 50, de nombreux unats, privés de terrains agricoles dans les plaines, prirent aussi la direction des montagnes de Sacobia, poussant une fois de plus de nombreuses familles autochtones à se déplacer (Gaabucayan, 1978 ; Sacobia Development Authority, 1985 ; Tadem, 1993 ; Yepez, nd). L’éruption du Mt Pinatubo modifia le contexte politico-économique. Le non renouvellement de l’accord américano-philippin sur les bases militaires conduisit l’US Air Force à se retirer de Clark Air Base le 21 novembre 1991 (Philippine Flyer, 1991). Les autorités philippines créèrent alors la Clark Development Corporation (CDC) chargée de la reconversion de l’ensemble de l’ex-base aérienne rebaptisée Clark Special Economic Zone (CSEZ). Sous la présidence de Fidel V. Ramos, de nombreux projets de développement furent envisagés dans la Sub-Zone, sur les territoires aetas (zones résidentielles de luxe, golfs, zoo...). Les premiers conflits territoriaux entre la CDC et les Aetas éclatèrent en 1997 lorsque la corporation menaça de déplacer par la force 42 familles autochtones dont le village (Gate 14) se trouvait à l’emplacement d’un futur golf. Face à la polémique déclenchée par cette décision, la CDC modifia finalement ses plans. A l’heure actuelle, les familles aetas attendent toujours la construction, promise par la société désireuse d’implanter le golf, de maisons destinées à les reloger en dehors du secteur touristique. Parallèlement, en 1997, a été voté au niveau national, le Republic Act 8371 sur les droits des autochtones27. Celui-ci prévoit la création de «domaines ancestraux»28 qui ne peuvent être exploités sans l’accord préalable et unanime de la communauté autochtone (exception faite des Aetas eux-mêmes) (Department of Environment and Natural Resources, 1997a). Forte de ce droit nouvellement acquis, la communauté aeta du bassin de la rivière Sacobia a revendiqué un domaine ancestral de 5 515 hectares qui s’étend des villages de Calumpang et Baguingan au centre de relogement de Maynang (ce qui suit approximativement les limites de l’ex Sacobia Development Authority d’Imelda Marcos). Celui-ci leur fut accordé par le DENR en décembre 1997 (Department of Environment and Natural Resources, 1997b). Faisant partie intégrante de la Sub-Zone de Clark Special Economic Zone, ce domaine ancestral réduit fortement la marge d’action de la Clark Development Corporation. Celle-ci projetait en effet d’y créer une «cité du jeu» pressentie comme l’équivalent asiatique de Las Vegas (hôtels de plusieurs milliers de chambres, casinos, golfs, parc d’attraction…). Le montant total des investisse- 29 Notamment la proclamation No 805 (President of the Philippines, 1996a) et l’Executive Order No 344 (President of the Philippines, 1996b). 30 Les Abellings sont une autre minorité ethnique habitant la province de Tarlac, notamment les municipalités de Capas, Camiling et Mayantoc. Il est à noter que suite à cette maladresse du DENR, certaines familles abellings évacuées à Palayan City ont profité de la situation pour venir s’installer à Calumpang. 31 Il est important de noter que, dans la culture aeta, la résolution des problèmes territoriaux se traduit généralement par le déplacement d’une des deux parties en conflit (Anloague, 2000). 26 Il est à noter que dans la culture autochtone, le droit d’utilisation du sol est basé sur le principe du «premier arrivé - premier servi» (Anloague, 2000 ; Jocano, 1998) . 27 Indigenous Peoples Right Act ou IPRA. 28 « Fait référence aux terres et aux ressources naturelles occupées ou exploitées par des communautés culturelles autochtones (…) en accord avec leurs traditions et coutumes, depuis des temps immémoriaux » (Anloague, 2000 ; Department of Environment and Natural Resources, 1997a). 61 Jean-Christophe GAILLARD et Frédéric LEONE Figure 4 : Enjeux territoriaux du secteur de Sacobia suite à l’éruption du Mt Pinatubo et à la reconversion de Clark Air Base (Clark Special Economic Zone) (d’après données CDC et DENR). des autochtones. En effet, elle propose enfin d’intégrer le problème des Aetas dans le plan de développement de Clark, à l’image de ce qui a été réalisé pour les communautés autochtones situées à proximité de l’ex-base navale américaine de Subic (province de Zambales) (Subic Bay Metropolitan Authority, 1999). La CDC projette par ailleurs de créer une vaste décharge à proximité du centre de relogement de Kalangitan, sur la municipalité de Capas (province de Tarlac). Celleci est destinée à accueillir les déchets de Clark mais aussi d’Angeles City, puis dans un avenir plus lointain ceux de l’ensemble de Central Luzon, voire de la région métropolitaine de Manille. Mais face à l’absence de consensus, la CDC risque de voir son projet avorter. Compte tenu des enjeux et de l’absence de réelles solutions de rechange, on peut imaginer que la CDC tente de faire pression sur les Aetas pour obtenir un accord unilatéral. Outre les Aetas et la CDC, une troisième communauté, regroupée sous le nom de Hermogenez Rodriguez Estate, revendique également des droits sur le secteur de Sacobia. Elle s’appuie pour cela sur un titre de propriété remontant à 1891, alors que les Philippines étaient en- core sous tutelle espagnole32. Ce titre aurait été, selon Rodriguez Estate, confirmé par un décret du président Marcos datant de 197733. Ce dossier est actuellement devant la Cour Suprême, plus haute instance judiciaire philippine. Une décision en faveur des héritiers de Don Hermogenes Rodriguez pourrait compliquer une nouvelle fois la situation. Les conflits territoriaux dans les bassins versants des rivières Pasig et Sacobia ne se limitent toutefois pas à une lutte CDC - Aetas. Privés de terres cultivables dans les plaines, de nombreux kapampangans unats cherchent aussi à s’approprier les terrains des autochtones. L’éruption du Mt Pinatubo ayant à court terme fortement réduit 32 Titulo de Propriedad de Terrenos - Royal Decree 01-4 Protocol 1891. Grâce à ce titre de propriété, Rodriguez Estate revendique de vastes terrains situés dans la région métropolitaine de Manille et à Central Luzon. 33 Des poursuites judiciaires lancées par la MPC suite à des conflits équivalents à l’intérieur du centre de relogement d’O’Donnel (Capas) ont montré que le décret présidentiel 1143, cité par Rodriguez Estate, était en fait destiné à standardiser les salaires des procureurs de la république. 62 Implications territoriales de l’éruption du Mont Pinatubo pour la minorité autochtone aeta la fertilité des sols, la lutte pour les meilleurs terrains est encore plus vive depuis 1991. De nombreux unats n’hésitent pas à abuser de la naïveté et du manque d’expérience commerciale des Aetas pour obtenir des terrains à des prix dérisoires. Citons l’exemple de ce kulot de Porac auquel un kapampangan aurait acheté 200 manguiers34 pour la modique somme de 6 000 pesos. D’autres préfèrent les voies de l’amour à celles du commerce. En se mariant à de jeunes autochtones, ils obtiennent le droit d’exploiter les terrains de leur épouse. D’autres transactions plus obscures (systèmes de bail) (Orejas, à paraître) autorisent aussi certains kapampangans à exploiter des terrains Aetas. Sacobia est aujourd’hui adepte d’une religion catholique ou protestante (Roman Catholic, Jehovah’s Witnesses, Born Again Christians, United Pentecostal Church, Church of the Christ, United Methodist Church,...). Rares sont les Aetas pratiquant encore les «manganitos» ou les rituels religieux destinés à satisfaire Apo Namalyari au moyen d’offrandes diverses. Ce dernier est dorénavant considéré comme le représentant de Dieu sur terre ou l’équivalent de Jésus Christ. Les anitos sont quant à eux assimilés aux Esprits Saints. Cette superposition des deux cultures (animiste et unat) se retrouve dans les références sociales des Aetas. Le chef de village diffère désormais sensiblement de l’ancien chef de clan ou « Apo »35 qui était choisi en fonction de son âge (Jocano, 1998). De nos jours, si le chef de clan conserve une influence morale sur la communauté (notamment à Porac), le captain ou tribal chieftain, choisi en fonction de sa prestance, incarne la nouvelle autorité aux yeux de la plupart des Aetas36. Le gouvernement provincial de Tarlac a même institué un système politique consultatif parallèle. Celui-ci comprend un Tribal Chieftain au niveau du village, un Tribal Mayor au niveau municipal et un Tribal Governor au niveau provincial. Il est possible que cette évolution soit influencée par la nécessité de traiter de plus en plus souvent avec les unats, dans tous les domaines de la vie (commerce, politique...). Ces nouvelles références administratives conduisent aujourd’hui les Aetas à revendiquer leurs propres unités territoriales (barangays), administrées exclusivement par des autochtones. Le dialecte kapampangan, connu mais peu employé jusqu’en 1991, est dorénavant parlé quotidiennement par de nombreux enfants et adolescents appartenant à la communauté aeta Mag-Antsi. Les jeunes semblent, en effet, pratiquer le dialecte kapampangan à des fins d’intégration au sein de la communauté unat, notamment durant leur scolarité. La culture occidentale, notamment nord-américaine, a également pénétré les communautés considérées autrefois comme les plus imperméables de par leur éloignement géographique. Il est devenu ainsi très rare de rencontrer un homme portant le string traditionnel (lubay), délaissé au profit de shorts griffés par les plus grandes marques internationales. La consommation d’alcool fort (gin, rhum...) a également atteint beaucoup d’Aetas, notamment à Porac37. Certaines communautés aetas sont également en conflit entre elles au sujet d’espaces cultivables. La communauté originaire de San Martin actuellement relogée à Maynang, ne peut ainsi retourner sur ses terres d’origine faute d’entente avec les nouvelles autorités locales. Si ces conflits territoriaux ne sont pas nés de l’éruption du Mt Pinatubo, la situation semble avoir empiré depuis 1991. La superposition de juridictions différentes sur un même secteur (Clark Development Corporation, domaine ancestral autochtone et titres coloniaux espagnols) complique fortement la situation. Par ailleurs, l’absence d’antécédents juridiques sur ces questions ne permet pas d’envisager de dénouement simple dans le cas où la justice serait saisie pour un différent territorial dans la région. 6. Les implications en terme d’identité territoriale Si l’éruption du Mt Pinatubo a aggravé les conflits territoriaux entre Aetas et non Aetas, elle a aussi marqué une accentuation du retrait de la culture animiste au profit de nouvelles références sociales. 6.1. L’adoption de nouvelles références socio-culturelles Le démembrement des communautés est la première des conséquences directes de l’éruption. Il est fréquent de voir la population d’un même village dispersée sur 4 ou même 5 sites différents. Les trajets entre ceux-ci nécessitent dans certains cas (Dueg, Palayan City) plus d’une demi-journée de transports en commun dont le coût peut atteindre 250 pesos. La disparition de la limite d’auto-suffisance a conduit la plupart des Aetas qui vivaient en autarcie jusqu’en 1991, à des contacts fréquents avec la civilisation unat. Les kulots sont de ce fait devenus des proies faciles pour les multiples organisations religieuses, parfois sectaires, présentes aux Philippines. La quasi totalité des autochtones des bassins versants des rivières Pasig et 35 Etant donné l’absence d’institution politique et de réelle hiérarchie dans la culture aeta, le chef de clan exerçait surtout un rôle moral sur la communauté (conseils, règlement des conflits...). Aux yeux de son entourage, l’Apo etait nanti de talents supérieurs et de la connaissance des traditions indigènes (Dale, 1985 ; Jocano, 1998). 36 Celui-ci a un nouveau rôle administratif. Il est en effet le représentant de l’Etat au sein du village, et de ce fait, en contact avec les différentes autorités locales (maire, gouverneur, député...) et les principales institutions. 37 Cette pratique représente un réel danger pour les Aetas dont la tolérance corporelle à l’alcool est souvent très faible. 34 Un kilo de mangues coûte environ 40 pesos philippins, soit 7 FF, sur les marchés de Pampanga. 63 Jean-Christophe GAILLARD et Frédéric LEONE Figure 5 : Systèmes économiques des villages aetas des bassins versants des rivières Pasig et Sacobia en 1990 (A) et 2000 (B). 64 Implications territoriales de l’éruption du Mont Pinatubo pour la minorité autochtone aeta l’ex-base militaire. Si les Aetas d’Inararo se sont exclusivement tournés vers l’agriculture du fait de leur relogement éloigné de Clark, les villages situés à proximité de l’ancienne base aérienne ont décidé d’orienter leurs productions vers celle-ci. Reconvertie par la CDC en vaste complexe industriel, touristique et commercial, la Clark Special Economic Zone compte près de 30 Duty Free Shops fréquentés par une clientèle issue des classes les plus aisées de Pampanga et de Manille. Cette clientèle représente un intéressant marché pour les Aetas qui ont décidé de vendre des fruits (bananes, papayes...), des légumes (coeurs de bananiers...), des tubercules (gabis, kamotes...) et surtout des souvenirs à la sortie des Duty Free Shops. Entre 1998 et 1999, le parc d’attraction de renommée nationale « Expo Pilipino »38, situé à proximité de Marcos Village, était également une destination majeure pour les Aetas. Le commerce de souvenirs autochtones (flûtes, arbalètes, sarbacanes...), déjà présent au temps des américains (Gaabucayan, 1978), s’est considérablement développé ces dernières années. L’offre est cependant très largement supérieure à la demande et de nombreux Aetas rentrent chez eux sans avoir vendu le moindre souvenir mais seulement quelques fruits. Ceci conduit beaucoup d’autochtones ayant travaillé pour l’US Air Force à regretter aujourd’hui le départ des américains. A Sapang Bato (Sitio Babo, Bliss et Target), le tourisme est devenu une activité très lucrative. En effet, de nombreux touristes39, principalement européens, qui séjournent à Angeles City, mettent la conquête du Mt Pinatubo à leur programme. De nombreux Aetas servent alors de guides pour des excursions vers le cratère ou seulement vers les canyons formés par les lahars de la rivière Abacan. L’aire d’influence de Clark s’est largement élargie depuis 1991. Autrefois limitée aux villages limitrophes, celleci s’étend désormais à la quasi totalité du bassin de la rivière Sacobia et au centre de relogement de Madapdap. La présence des Duty Free Shops laisse en effet croire, souvent à tort, à de nombreux Aetas, que les débouchés commerciaux sont plus importants à Clark qu’au marché de Mabalacat. Les Aetas du centre de relogement de Madapdap ne possèdent pas de terrains à cultiver. Une partie d’entre eux bénéficie d’emplois à Clark grâce à des programmes mis en place par la MPC en collaboration avec la CDC. Le manque de qualification reste cependant un problème majeur contre lequel la MPC tente de lutter à travers divers programmes de formation (artisanat, agriculture, vente...). D’autres Aetas se sont reconvertis dans la fabrication de souvenirs destinés à la grande distribution de Manille et à l’exportation, notamment vers Hong Kong. Une coopérative, Aeta Tribal Community Cooperative, Dans les années qui ont immédiatement suivi l’éruption du Mt Pinatubo, de nombreuses espèces végétales ont disparu (Madulid, 1992). Parmi les 500 plantes utilisées par les Aetas, la payiyit jouait le rôle de contraceptif naturel (Fox, 1952 ; Orejas, à paraître). Sa disparition provisoire en 1991 a été, semble-t-il, responsable d’une légère augmentation de la natalité chez les autochtones (tableau 4). L’occidentalisation des communautés a cependant eu pour effet d’accroître nettement le taux d’alphabétisation (tableau 4). Aujourd’hui, la plupart des jeunes autochtones sont scolarisés jusqu’en High School. De plus, des programmes d’alphabétisation pour les plus anciens sont développés par la National Commission on Indigenous Peoples (NCIP) et différentes ONG, notamment dans les centres de relogement (National Commission on Indigenous Peoples Region III, 1999b). Il en est de même sur le plan médical où les traitements modernes remplacent de plus en plus souvent la médication naturelle. Le rapprochement géographique des populations autrefois les plus éloignées, rend aussi les soins accessibles au plus grand nombre, en partie grâce aux missions médicales menées par les autorités gouvernementales et certaines ONG (Ignacio & al., 1994 ; National Commission on Indigenous Peoples Region III, 1999b). Nombre moyen d'enfants par femme Taux d'alphabétisation 1990 4 2000 4à5 5% 30% Tableau 4 : Evolution de deux indicateurs socio-démographiques pour la communauté autochtone aeta avant et après l’éruption du Mt Pinatubo (d’après données National Commission on Indigenous Peoples Region III). 6.2. Une nécessaire adaptation des activités économiques Outre le fait d’avoir accentué le retrait de la culture animiste, l’éruption du Mt Pinatubo a engendré un nouveau contexte économique. Les Aetas ont dû adapter leurs moyens de subsistance (figure 5). La première des conséquences est, comme on l’a précédemment signalé, la disparition de la limite d’autosuffisance. Sur un plan pratique, de nombreuses familles autochtones ont, de ce fait, dû apprendre à vendre le produit de leur récolte sur les marchés de la région sans être abusées par les unats. Des coopératives destinées à écouler les productions ont été crées, notamment à Target. Celles-ci garantissent un salaire plus ou moins fixe à de nombreuses familles autochtones. Les villages aetas les plus accessibles (San Martin, Sta Rosa, Villa Maria) voient aussi un nombre important de détaillants et de restaurateurs s’approvisionner directement auprès des autochtones. Les communautés qui étaient en partie dépendantes de la présence américaine à Clark Air Base ont dû faire face au retrait de l’US Air Force et à la reconversion de 38 Vaste projet de l’ancien président Ramos, Expo Pilipino a été inauguré en juin 1998 pour la commémoration du centenaire des Philippines. La faible fréquentation a contraint les autorités à en fermer les portes dès l’année suivante. 39 Durant le seul mois de janvier 2000 près de 300 touristes ont ainsi payé un guide aeta au tarif de 500 pesos par jour. 65 Jean-Christophe GAILLARD et Frédéric LEONE a même été créée afin de supporter ces projets novateurs. Cette coopérative vise également le développement de l’agriculture autour des villages d’origine, notamment à Haduan et Calapi. Les communautés autochtones de Porac bénéficient des programmes de soutien et de développement mis en place par la MPC autour du centre de relogement de Villa Maria. Ceux-ci sont orientés vers l’agriculture et la production de tubercules, de fruits et légumes vendus sur les marchés de Porac et Angeles City. Un projet de développement touristique du Mt Pinatubo impliquant la communauté aeta locale est également programmé durant l’année 2000. L’agriculture reste aussi la ressource principale des communautés situées les plus en amont du bassin de la rivière Sacobia et dans le centre de relogement de Kalangitan. Les marchés des villes les plus proches (Bamban et Capas) en sont les principaux débouchés. L’absence totale de terres libres autour des centres de relogement de Maynang, Palayan City (Doña Josefa et Pinaltakan) ainsi qu’à Planas conduit la plupart des Aetas à se mettre au service « agricole » des unats, propriétaires des principaux terrains du secteur. D’autres continuent de cultiver leurs champs situés à San Martin, à 2 heures de marche de Maynang ou à Inararo, à plusieurs heures de Planas. A Dueg, outre la culture de gabi et de kamote, l’exploitation de gingembre, appuyée par le Department of Agriculture, ouvre d’importants marchés aux Aetas qui vendent leur production jusqu’à Urdaneta (province de Pangasinan) et la province de La Union. Ils bénéficient pour cela de leurs propres moyens de communication. Face à l’absence de ressources et pour rembourser de fortes dettes, quelques familles autochtones des bassins des rivières Pasig et Sacobia sont contraintes à la mendicité, notamment durant la période de fin d’année. Il est ainsi courant, à Noël, de voir des familles d’Aetas mendier dans les rues de Porac, d’Angeles City, de San Fernando mais aussi sur les boulevards de Manille. Les autorités de la capitale luttent contre ce phénomène et nombre d’Aetas ont été renvoyés sur les flancs du Mt Pinatubo à bord de bus spécialement affrétés pour l’occasion. Cette pratique qui n’existait pas avant l’éruption est une autre conséquence du réveil du Mt Pinatubo (Orejas, à paraître). Suite à l’éruption de ce volcan, les activités des Aetas, ainsi que les débouchés commerciaux se sont donc diversifiés. Mais ceci ne suffit toutefois pas à compenser le manque de terre qui reste un frein important au développement économique de la communauté autochtone dans son ensemble. (Bennagen, 1996) avancent que le gouvernement philippin a profité de la phase de réhabilitation, qui a succedé à la catastrophe, pour tenter de « civiliser » la communauté aeta, notamment à travers la politique de relogement et les programmes d’accompagnement (éducation, santé…). Les ONG ont, quant à elles, souvent exploité la situation de crise et les autochtones afin de se mettre en valeur (publicité « humanitaire », recherche de financements…) (Ignacio & al., 1994 ; Lubos na Alyansa ng mga Katutubong Ayta ng Sambales, 1991). Les retours aux villages d’origine démontrent toutefois un refus flagrant de la fatalité et de la dépendance vis à vis des unats. Il apparaît clairement que les Aetas tendent à subvenir à leurs propres besoins sans l’aide du gouvernement ou d’ONG (Bennagen, 1996 ; Estacio Jr, 1996 ; Seitz, 1998). Dans les bassins-versants des rivières Pasig et Sacobia, le réveil de ce volcan a accéléré le processus d’occidentalisation qui concerne désormais l’ensemble des autochtones et non plus seulement ceux présents en aval de l’ancienne limite d’autosuffisance. Il est toutefois intéressant de noter que ce phénomène ne concerne pas la totalité des secteurs habités par les Aetas du Mt Pinatubo. Sur le versant ouest du volcan, à Botolan (province de Zambales) qui jouait jusqu’en 1991 le rôle de capital politique et économique pour les autochtones, la situation diffère sensiblement. En effet, la plupart des villages de ce secteur, notamment Poonbato et Villar, ont totalement disparus suite aux lahars des rivières Balin-Baquero et Bucao. Ces villages bénéficiaient, en 1991, d’équipements et d’infrastructures (routes asphaltées, équipements publics, système d’irrigation artisanal…) qui différenciaient ces communautés aetas de celles situées sur le flanc est du Mt Pinatubo. Contrairement à ce que nous avons signalé plus haut concernant les bassins-versants des rivières Pasig et Sacobia, on observe aujourd’hui à Botolan une dégradation du contexte commercial et économique. Les Aetas de cette localité qualifient eux-mêmes la situation actuelle de « retour à zéro ». L’éruption du Mt Pinatubo a aussi mis en relief les facultés d’adaptation de la minorité aeta aux nouveaux contextes environnementaux et socio-économiques. Seitz (1998) attribue cette flexibilité socio-économique au mode de vie originel des Aetas de type chasseur / cueilleur. Selon lui, la consommation immédiate des ressources alimentaires, caractéristique de ce type de communauté, aurait à court terme aidé les autochtones à sécuriser leur existence. L’absence de forts liens communautaires au sein de la société primitive (Barrato, 1978 ; Shimizu, 1989) a, pour sa part, permis aux Aetas de surmonter le difficile épisode des multiples évacuations. Leur relation à l’espace a également joué un rôle important dans la mobilité spatiale engendrée par le réveil du Mt Pinatubo. Selon Gaabucayan (1978), le domicile aeta n’est pas seulement une maison mais plutôt un espace naturel plus vaste d’où les Aetas tirent leurs ressources (forêts, champs, 7. Conclusion L’éruption du Mt Pinatubo a dévoilé au grand jour la communauté autochtone Aeta, jusque là plus ou moins délaissée par la société philippine. Certains auteurs 66 Implications territoriales de l’éruption du Mont Pinatubo pour la minorité autochtone aeta rivières…). Les mouvements à l’intérieur de ce territoire peuvent être comparés aux déplacements d’une pièce à une autre dans une maison. Pour beaucoup d’Aetas, et notamment ceux provenant de villages situés en amont de la limite d’autosuffisance, ce territoire correspond au Mt Pinatubo qui joue toujours, dans ce cadre, son rôle rassembleur et spirituel (Seitz, 1998). Le volcan demeure en effet la principale référence géographique pour la plupart des autochtones. Auprès du Mt Pinatubo, ceux-ci recherchent les terres nécessaires à leur subsistance. Près de 10 ans après l’éruption, la pénurie d’espaces cultivables revêt de ce fait un enjeu majeur pour la communauté aeta. AGHAMTAO : Journal of Ugnayang Pang-Aghamtao, Inc. (UGAT), Anthropological Assoc. of the Philippines, Vol. 8, pp. 65-75. FOX R.B., 1952, The Pinatubo Negritos : Their Useful Plants and Material Culture, in The Philippine Journal of Science, 81 (3-4), pp. 173-414. GAABUCAYAN S.P., 1978, A Socio-economic Study of the Pinatubo Negritos of the Pampanga - Tarlac Area, Ph.D. Dissertation, University of the Philippines Diliman, Quezon City, 282p. IGNACIO L.L., PERLAS A.P., 1994, From Victims to Survivors : Psychological Intervention in Disaster Management, University of the Philippines-IPPAO : Quezon City, 278p. 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