Elargissement et défense européenne après le 11 septembre

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Elargissement et défense européenne après le 11 septembre
Cahiers de Chaillot
Juin 2002
n° 53
Elargissement et
défense européenne
après le 11 septembre
Jiri Sedivy, Pal Dunay et Jacek Saryusz-Wolski
Sous la direction de Antonio Missiroli
En janvier 2002, l’Institut d’Études de Sécurité (IES) est devenu une agence autonome de l’Union européenne, basée
à Paris. Suite à l’Action commune du 20 juillet 2001, il
fait maintenant partie intégrante des nouvelles structures créées pour soutenir le développement de la
PESC/PESD. L’Institut a pour principale mission de
fournir des analyses et des recommandations utiles à
l’élaboration de la politique européenne. Il joue ainsi
un rôle d’interface entre les experts et les décideurs à
tous les niveaux. L’IESUE succède à l’Institut d’Etudes
de Sécurité de l’UEO, auquel une décision du Conseil
de l’UEO avait donné naissance en 1990 afin de catalyser le débat européen en matière de sécurité.
Les Cahiers de Chaillot sont des monographies traitant
de questions d’actualité et écrites soit par des membres
de l’équipe de l’Institut soit par des auteurs extérieurs
commissionnés par l’Institut. Les projets sont normalement examinés par un séminaire ou un groupe d’experts réuni par l’Institut et sont publiés lorsque celui-ci
estime qu’ils peuvent faire autorité et contribuer au
débat sur la PESC/PESD. En règle générale, la responsabilité des opinions exprimées dans ces publications
incombe aux auteurs concernés. Les Cahiers de Chaillot
peuvent également être consultés sur le site Internet de
l’Institut : www.iss-eu.org
Sommaire
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a
n° 53
juin 2002
Préface Nicole Gnesotto
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Introduction Antonio Missiroli
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Contraintes et opportunités Jiri Sedivy
• Au-delà du 11 septembre : perceptions, polémiques et politique
• La République tchèque et la PESD
• Implications et perspectives
• Vers une nouvelle forme d’Union européenne
• Conclusion
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Presque membre – Dans quel but ? Pal Dunay
• Le paysage politique hongrois et l’élargissement de l’UE
• L’OTAN : crise et élargissement
• Position initiale de la Hongrie sur l’avenir de l’UE
• La dimension régionale
• Conclusion
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Quelles perspectives d’avenir ? Jacek Saryusz-Wolski
• Le processus d’élargissement de l’UE
• Le processus d’élargissement de l’OTAN
• La nécessité d’un leadership européen
• La nécessité d’une approche « transpiliers » intégrée de la sécurité
• L’Union européenne après le prochain élargissement
• Conclusion
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Conclusion Antonio Missiroli
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Annexes
• Les auteurs
• Sigles
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Préface
Nicole Gnesotto
l est des heures de vérité inévitables, pour les institutions comme pour
l’ensemble des grands projets collectifs. Pour l’Union européenne,
s’agissant en particulier de l’approfondissement de sa politique commune de sécurité et de défense, l’élargissement fait partie de ces tournants
historiques : plus ou moins bien géré, il peut conduire aussi bien à une percée
qualitative dans l’affirmation de l’Union sur la scène internationale qu’à
un délitement et une paralysie insurmontables de toute velléité d’influence
extérieure.
Ce dilemme n’a certes rien de nouveau : mais si l’on combine la nouveauté du système international depuis le 11 septembre et l’imminence
réelle de l’élargissement, les conséquences possibles de ce dilemme ont désormais quitté la sphère de l’analyse théorico-institutionnelle pour devenir les
bases de politiques concrètes et d’enjeux de pouvoir non moins puissants que
réels. La Convention sur l’avenir de l’Union se trouve ainsi investie d’une
mission historique : selon la formule d’un célèbre expert italien, si la PESD
élargie signifie simplement que 27 pays ont le droit de décider que 4 ou 5
autres assument seuls tous les risques, elle va droit à l’échec. Si, au contraire,
l’élargissement de la PESD permet à l’Union de combiner l’efficacité opérationnelle des uns, la solidarité des autres et la légitimité de tous, le pari peut
être gagné.
Mais rien n’est joué. Un certain discours politiquement correct a dominé
jusqu’ici les débats sur l’impact de l’élargissement en matière de sécurité et
de défense de l’Union. La même rhétorique rassurante prolifère d’ailleurs
au sein de l’Alliance atlantique, elle aussi forcée de s’adîapter d’urgence à la
conjonction du terrorisme, de l’unilatéralisme américain et de l’élargissement. De façon très compréhensible, les pays candidats n’ont eu de cesse de
mettre en lumière les bénéfices attendus, pour eux comme pour tous, de leur
adhésion prochaine aux politiques communes de l’Union. Mais si les intérêts institutionnels se sont d’ores et déjà affichés comme tels, les vrais débats
n’ont tout simplement pas commencé : quel peut être le rôle légitime de
l’Union dans le monde ? Peut-on construire une politique de défense commune sur la base des acquis politiques et institutionnels de Cologne ? Comment concilier la volonté interventionniste des uns et la volonté abstentionniste des autres ? Comment résoudre la question du burdensharing et du
leadership stratégique au sein de l’Union, sachant que les « gaps » intra-européens en matière de capacités militaires sont des réalités tout aussi contraignantes que le principe d’égalité des Etats membres ? Les évolutions stratégiques américaines confortent-elles la réalité ou la fiction d’une alliance de
I
5
Préface
sécurité euro-américaine ? Faut-il et comment adapter le rôle international
de l’Union à cette nouvelle donne ?
Dans cette période d’effervescence espérée de la réflexion politique européenne, l’Institut a souhaité ouvrir ses Cahiers de Chaillot aux candidats
eux-mêmes. Les trois auteurs de ce volume sont tous des experts reconnus,
dans leur pays et dans l’ensemble de la communauté stratégique européenne. Bien que fort différentes l’une de l’autre, leurs contributions sont
éclairantes à plus d’un titre :
◗ sur l’existence d’un populisme souverainiste qui est d’ores et déjà un mal
commun à l’ensemble des pays européens ;
◗ sur l’impossibilité de séparer désormais, après le 11 septembre, les questions de sécurité intérieure et extérieure ;
◗ sur la relation ambivalente que ces pays entretiennent avec le couple
Alliance-Union : tous partagent une préférence totale pour confier la gestion de la sécurité européenne, voire au-delà, à l’OTAN sous leadership
américain. Mais ce choix délibéré s’accompagne d’une analyse lucide et
sans illusion sur les évolutions américaines. Dans l’hypothèse où Washington changerait fondamentalement sa relation à l’OTAN, la PESD de
l’Union reste ainsi un garde-fou, une institutionnalisation alternative de la
défense évitant à leurs yeux la politique du pire : une renationalisation tous
azimuts des politiques de défense de tous ;
◗ sur le lien entre l’élargissement géographique et l’élargissement de la
conscience stratégique de l’Union. Ces trois pays candidats ont certes une
priorité marquée pour les relations avec l’Est du continent et nul doute
qu’ils tenteront de convaincre leurs partenaires de l’Union de faire évoluer
la PESC en ce sens. Mais l’inclusion de candidats du Sud jouera dans un sens
similaire, élargissant aux marges du Moyen-Orient ou de l’Asie la vision
stratégique et les intérêts de la future Union. S’il sera sans doute difficile de
concilier ces différentes priorités, il sera néanmoins impossible de persister
dans ce qui est actuellement l’un des plus grands problèmes de la PESC, à
savoir l’introversion stratégique de l’Union européenne.
Paris, mai 2002
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Introduction
Elargissement et
défence européenne
après le 11 septembre
Antonio Missiroli
Il est encore difficile de dire dans quelle mesure le 11 septembre a
modifié le concept – sans parler de la perception – de la sécurité. A
plus forte raison pour l’ensemble de la sécurité européenne, dont
les contours sont encore assez flous. Dans l’Union européenne
proprement dite, ces attentats ont déclenché une prompte réaction sur le plan de la sécurité intérieure ; la dimension militaire de la
réaction a été soit canalisée à travers l’OTAN et les Nations unies
soit gérée individuellement (et bilatéralement avec les Etats-Unis)
à la fois par les pays membres et les candidats. Plus indirectement,
le 11 septembre a accru l’urgence de l’élargissement en encourageant une adhésion plus rapide et plus large des candidats actuels
afin de mieux stabiliser le voisinage direct de l’Union : cas typique
d’une politique sécuritaire par d’autres moyens, serait-on tenté de
dire, selon la longue tradition du processus d’intégration européenne. Pour des raisons analogues, l’Alliance atlantique est elle
aussi susceptible de s’élargir plus rapidement et plus largement
qu’elle ne l’envisageait au départ. Les principales décisions à ce
sujet seront prises cette année à Prague (OTAN) et à Copenhague
(UE). Pour l’Union, de toute façon, la dernière manche a déjà commencé. Avec elle, la boucle sera pratiquement bouclée : « de Copenhague à Copenhague », pour ainsi dire, en à peine moins de dix ans.
Ce happy end n’était toutefois pas acquis d’avance. D’une part, le
dernier sondage d’opinion d’Eurobaromètre – effectué en
octobre 2001 et publié en avril 2002 – montre une augmentation
au sein de l’UE du soutien à l’élargissement : 51 % des personnes
interrogées étaient favorables à l’inclusion de nouveaux pays, 30 %
étaient contre. Environ 39 % estimaient que l’élargissement devait
être sélectif, et 24 % seulement étaient favorables à un soutien illimité. Les pays les plus « pro-élargissement » sont la Grèce et les pays
scandinaves, alors que l’Allemagne, l’Autriche et le Royaume-Uni
arrivent se situent sous la moyenne, et que la France est le seul pays
où une majorité claire de personnes interrogées s’oppose à l’ouverture de l’Union à de nouveaux membres. En outre, environ deux
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Contraintes et opportunités
Elargissement et
défence européenne
après le 11 septembre
Jiri Sedivy
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La République tchèque entre cette année dans une période décisive
puisqu’il s’agit pour elle de mettre la dernière main à sa procédure
d’adhésion à l’Union européenne. Prague espère que les négociations avec la Commission aboutiront d’ici la mi-2002. Le gouvernement tchèque s’est fixé le 1er janvier 2003 comme date butoir pour
remplir les conditions économiques et politiques d’adhésion ; la
République tchèque devrait alors être prête à adhérer à l’Union
européenne. Les Tchèques, tout comme les autres candidats, ont
été invités à faire connaître leurs idées et à formuler des suggestions
sur le développement institutionnel ultérieur de l’Union lors de la
Convention qui a débuté en mars 2002. Les candidats s’attendent à
ce que l’Union européenne lance une série d’invitations lors du
sommet de Copenhague de décembre 2002.
Sur le plan national, l’année 2002 sera une période électorale
majeure avec les élections générales à la Chambre basse du Parlement au printemps et les élections sénatoriales et municipales à
l’automne. Puis, début 2003, les Tchèques éliront leur président.
La même année, un référendum leur sera vraisemblablement proposé sur l’adhésion à l’UE. Plus que jamais, les questions relatives
à l’Union européenne vont tenir une place importante dans le programme de campagne des partis et, plus généralement, dans les
débats politiques et publics.
Ce calendrier bien rempli comprend également le sommet de
l’OTAN que la République tchèque accueillera en novembre 2002.
A l’ordre du jour de cette réunion sont inscrits de nombreux
thèmes : élargissement de l’OTAN, relations avec la Russie, défense
antimissile, coopération entre l’Union européenne (PESD) et
l’OTAN, relations euro-américaines et, surtout, missions de
l’OTAN suite aux attaques terroristes du 11 septembre 2001.
Depuis sa naissance en 1993, jamais la République tchèque
n’aura vu sa scène politique prise dans un tel tourbillon d’activités
aussi étroitement liées et convergentes, autrement dit une telle
interaction entre les affaires intérieures et étrangères, les questions
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1
Contraintes et opportunités
nationales et internationales, l’OTAN et l’UE, la politique, l’économie et la sécurité. Depuis le 11 septembre, la sécurité semble être
une référence essentielle commune à tous ces agendas politiques.
Les événements des derniers mois n’ont fait que confirmer les
tendances à plus long terme analysées par les experts en sécurité, du
moins depuis la fin de la guerre froide : démilitarisation de la sécurité, dé-étatisation de la menace, privatisation de la violence armée
et élargissement de l’agenda de sécurité (tant en termes de mondialisation que de localisation). Avec le temps, les frontières classiques
entre guerre, terrorisme et activités criminelles, entre zone de combat et monde civil, entre sécurité intérieure et sécurité extérieure,
entre sphères nationales et étrangères se sont estompées.
Alors que la plupart des guerres et conflits armés des dix dernières années étaient circonscrits à l’intérieur de frontières nationales et localisés, les terroristes et les organisations criminelles
opèrent désormais à l’échelle de la planète. Dans les deux cas, les
principaux acteurs ne sont pas des Etats. L’attaque contre les
Etats-Unis et la riposte qui s’en est suivie contre Al-Qaida et le
régime des Talibans en Afghanistan témoignent de la complexité
du nouvel environnement sécuritaire. Ces faits illustrent l’évolution du rôle des Etats et des acteurs non étatiques aux niveaux
national, international et supranational des conflits ainsi que la
difficulté de trouver des solutions combinant les aspects militaires, sociaux, idéologiques et culturels.
Ce chapitre commence par un tour d’horizon des réactions
provoquées par les attaques terroristes dans le débat politique et
sécuritaire en République tchèque, notamment par rapport à
l’Union européenne et à l’OTAN. L’analyse porte ensuite plus spécifiquement sur l’évolution de l’attitude tchèque vis-à-vis de la
PESD. La troisième partie examine les conséquences à long terme
des événements récents pour la sécurité de l’Europe et la place que
pourrait occuper la République tchèque dans son évolution.
Enfin, l’auteur analyse ce que les candidats pourraient apporter au
débat sur la forme définitive de l’UE.
Au-delà du 11 septembre :
perceptions, polémiques et politique
Comme l’a indiqué Nicole Gnesotto à propos des incidences possibles du nouveau terrorisme sur l’intégration européenne, « toute
menace est fédératrice, et a fortiori la pire des inconnues » 1. Mais la
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1
Jiri Sedivy
réaction inverse pourrait également se développer, qui consisterait
à se retrancher dans la forteresse de l’Etat-nation et à en renforcer
ses mécanismes. Les documents et les mesures concrètes adoptés
par l’UE depuis la réunion extraordinaire du Conseil européen du
21 septembre semblent confirmer la première hypothèse. Certains
éléments appuient cependant la seconde tant dans l’Union européenne, comme en témoignent les réunions séparées de leaders
européens de grands Etats en dehors du cadre formel de l’UE, qu’en
République tchèque.
L’Union européenne a invité les Etats candidats à se joindre à
« la coalition la plus large possible contre le terrorisme », ce qu’ils
ont fait soit à titre individuel soit collectivement. Le gouvernement social-démocrate tchèque2 a apporté son soutien au Plan
d’action de l’UE adopté le 21 septembre, soit le lendemain de son
lancement, et s’est associé aux initiatives et activités de ce plan. Il
semblerait que l’ensemble du monde politique tchèque ait
approuvé les mesures prises jusqu’ici par l’Union européenne sur
le plan interne pour renforcer sa sécurité et les mesures préventives
de lutte contre le terrorisme. Les dispositions de l’UE sont généralement perçues comme des mesures nécessaires et fonctionnelles,
renforçant également la sécurité de la République tchèque. Il n’y a
pas eu, en République tchèque, de crainte que, suite au 11 septembre, l’UE ne décide, pour approfondir ses acquis, d’imposer des
exigences supplémentaires, compliquant ainsi le processus d’adhésion. Le chapitre 24 (coopération dans le domaine de la justice et
des affaires intérieures ; Schengen) a été clos, comme prévu, le
12 septembre 2001. Un ralentissement substantiel, voire un
déraillement, de l’ensemble du processus d’élargissement est donc
assez peu probable3. Le gouvernement est sur le point d’adopter
un plan d’action national inspiré du plan de l’Union européenne,
qui s’accompagnera d’un concept de lutte contre le terrorisme. Le
schéma « inter-piliers » appliqué au Plan d’action de l’UE est suivi
dans la coordination inter-sectoriale de ces activités et d’autres
activités apparentées. L’ensemble de ce processus est coordonné
par le Conseil de sécurité nationale de la République tchèque.
Sur la scène politique intérieure, seul l’ODS, le parti civique
démocratique de droite de Vaclav Klaus, fait exception au consensus général pro-européen. L’euroscepticisme de son leader remonte
à l’époque où il était Premier ministre (1993-1997). Bien que Vaclav
Klaus ne voie pas d’alternative à l’intégration de son pays dans
l’Union européenne, il prône un modèle intergouvernemental
1. Bulletin n. 35, Institut d’Etudes
de Sécurité de l’UEO, Paris, octobre 2001, p. 1.
2. Les élections de 1998 ont
amené cinq partis politiques à la
Chambre des députés du Parlement tchèque : le Parti social-démocrate (CSSD, 37 %), le Parti civique démocratique (ODS,
31,5 %) (Aile droite conservatrice), le parti communiste de Bohême et Moravie(KSCM, 12 %),
l’Union démocrate-chrétienne –
Parti populaire tchèque (KDUCSL, 10 %), au centre droit,
l’Union de liberté (US, 9,5 %) à
tendance libérale.
3. Dans ses commentaires sur le
document de synthèse tchèque et
dans l’attente de nouveaux développements des acquis dans ce
chapitre entre le 1er janvier 2002
et la fin des négociations, l’Union
européenne s’est réservé la possibilité de « revenir sur ce chapitre à
un moment approprié ». « European Union Common Position,
Chapter 24 : Co-operation in the
Fields of Justice and Home
Affairs ». Document non publié.
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Contraintes et opportunités
fondé sur l’Etat-nation et défend le concept d’intérêt national qu’il
décrit en termes réalistes, voire nationalistes. Vaclav Klaus a mis en
garde contre la « récupération des événements tragiques du 11 septembre au profit d’une européanisation rampante de la politique
interne et de la politique de sécurité et de défense ». Lors d’une
réunion organisée dans le cadre de la campagne électorale, il s’est
élevé contre l’introduction d’un mandat d’arrêt européen qui, selon
lui, permettrait à un « policier allemand de traverser la frontière avec
un fusil chargé » pour arrêter un citoyen tchèque. Celui qui pourrait
devenir son ministre des affaires étrangères a posé « la question
urgente de savoir si la construction d’un vaste empire européen
supranational selon un modèle du XIXe siècle, sans frontières
internes, ne serait pas un autre risque pour la sécurité en cette
période de terrorisme moderne et (…) et si ce ne serait pas faire le lit
de la menace terroriste ».
D’autres partis politiques et le président, qui sont, hormis les
communistes, d’ardents pro-européens et même pro-fédéralistes,
contestent ces idées. La position de l’ODS n’est représentative ni
de la classe politique tchèque ni de l’opinion publique. Mais il ne
faut pas sous-estimer son impact potentiel. N’est-ce pas Vaclav
Klaus et son parti qui, au moins jusqu’à présent, ont eu l’initiative
du débat sur l’Europe en République tchèque et qui en définissent
le contenu. Ils ont également été les premiers à intégrer le thème de
l’Union européenne dans la campagne électorale de 2002. Aujourd’hui, si l’on est un tant soit peu pro-Europe et que l’on est tenté de
participer au débat, il faut d’abord se positionner par rapport à
l’ODS, dont l’approche occupe ainsi le centre de la scène politique.
Enfin, et surtout, Vaclav Klaus demeure probablement le seul
acteur capable de lancer un appel « européen » – certes négatif –
mais convaincant aux électeurs tchèques.
Toutes les spéculations sont permises sur l’existence d’une relation de cause à effet entre la présence d’un élément eurosceptique
sur la scène politique tchèque et le soutien de plus en plus faible de
la population à l’entrée de la République tchèque à l’Union européenne. Ce soutien, l’un des plus fragiles parmi tous les pays candidats, est passé de plus de 60 % en 1998 à environ 50 % à la fin de
2001. Or, en cas de référendum sur l’adhésion, environ 20 à 26 %
seulement des participants affirment qu’ils voteraient contre
l’Union européenne, les autres ne se prononcent pas. Ceux qui « ne
savent pas » (environ 30 %) sont beaucoup plus nombreux dans la
République tchèque que dans les autres pays candidats.
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1
Jiri Sedivy
Il n’est pas question, ici, d’échafauder des hypothèses sur les
résultats des élections de 2002 et sur la composition du prochain
gouvernement. Si Vaclav Klaus et son parti reviennent au pouvoir,
ils pourraient bien devoir tempérer leur euroscepticisme sous la
pression de leur calendrier et de leurs responsabilités.
Bien que l’Union européenne ait adopté un certain nombre de
principes et de mesures concrètes depuis le 11 septembre et semble
plus active à cet égard que l’OTAN, l’insistance des médias et
l’orientation des débats politiques donnent l’impression que ce
sont les Etats-Unis et l’Alliance qui, en République tchèque, dominent la scène politique. C’est une chose tout à fait naturelle. Il y a
déjà trois ans que la République tchèque est membre de l’OTAN.
Avec les Polonais et les Hongrois, les Tchèques représentent l’aile
la plus pro-américaine de l’Alliance. Le gouvernement a, du reste,
une approche moins légaliste du traité ABM qu’auparavant. Commentant l’abrogation unilatérale de ce traité par les Etats-Unis, le
ministre des Affaires étrangères, Jan Kavan, a déclaré lors de la
réunion du Conseil national de sécurité du 18 octobre qu’à la
lumière de la nouvelle situation, il devenait nécessaire de modifier
le traité ou de lui substituer un nouveau mécanisme. Enfin, il ne
faut pas oublier que le rappel de l’article 5 du Traité de Washington a eu, sans aucun doute, un impact plus direct et plus émotionnel que les développements conceptuels moins visibles au sein de
l’Union européenne.
Les Tchèques, comme d’autres alliés de l’OTAN, ont apporté leur
soutien à l’ensemble de mesures que les Etats-Unis leur ont demandées au début d’octobre 20014. En décembre, la proposition du gouvernement d’envoyer environ 500 hommes dans le cadre de l’opération « Liberté immuable » (une compagnie de protection
chimique/biologique, une unité des forces spéciales, un hôpital de
campagne et un avion de transport) et, éventuellement, de les
déployer à l’étranger dans des zones de combat a été appuyée par 55 %
des Tchèques. Soixante-quatorze pour cent des personnes interrogées ont répondu qu’elles étaient convaincues que l’OTAN devait
aider les Etats-Unis ; par ailleurs, le soutien, sur le long terme, à l’adhésion à l’OTAN s’est stabilisé autour de 70 %. La compagnie de protection NBC (250 hommes) s’est déployée au Koweït à la mi-mars
2002 et l’hôpital de campagne (150 personnes) est en cours d’installation en Afghanistan.
La nouvelle entente entre l’OTAN et la Russie après le 11 septembre a été une question à propos de laquelle Prague (rejointe par
4. Meilleur partage du renseignement, autorisations de survol par
les appareils américains et
d’autres nations de l’OTAN, amélioration de la sécurité pour les installations américaines sur leur territoire, accès aux ports et aux
aéroports, déploiement de forces
navales permanentes de l’OTAN
dans l’est de la Méditerranée, déploiement des AWACS de l’OTAN
dans l’espace aérien américain.
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1
Contraintes et opportunités
Budapest et Varsovie) s’est, dans un premier temps, écartée du courant majoritaire de l’Alliance. Le rapprochement de la Russie de
l’OTAN, voire son intégration (selon certaines interprétations de
l’initiative Blair), a suscité beaucoup moins d’enthousiasme dans les
capitales des nouveaux Etats membres qu’à Londres, Berlin ou Paris.
Les nouveaux membres craignaient surtout que ces nouveaux liens
ne mettent en danger la cohésion et la liberté d’action de l’OTAN, son
élargissement surtout, et que la Russie n’en devienne membre de
manière détournée. A ce sujet, la République tchèque, la Hongrie et la
Pologne ont, en quelque sorte, testé leur degré d’influence sur le
débat politique à l’OTAN. Grâce à leurs efforts concertés, finalement
appuyés par les Etats-Unis, la réunion ministérielle du Conseil de
l’Atlantique Nord tenu en décembre 2001 sur les futures relations
avec la Russie a proposé, dans ses conclusions, un processus évolutif
plutôt qu’une transition rapide vers un mode de coopération radicalement nouveau, comme cela était également suggéré5. Et les procédures opérationnelles du nouveau Conseil OTAN-Russie adoptées
lors du sommet de Rome le 28 mai 2002 fournissent les garanties
nécessaires pour « préserver la prérogative de l’OTAN d’agir indépendamment » tout en donnant à la Russie une marge de manœuvre
suffisante pour étendre sa coopération avec l’Alliance.
De même, les nouveaux membres n’accepteraient pas que l’élargissement de l’OTAN soit ralenti ou limité pour récompenser Vladimir Poutine et la Russie de contribuer à la lutte contre le terrorisme.
La Pologne et la République tchèque sont aujourd’hui les plus
ardents défenseurs d’une ouverture de l’OTAN. Les présidents
Vaclav Havel et Aleksander Kwasniewski se sont du reste officieusement réparti les tâches. Outre leur aide à la Slovaquie, les deux pays
soutiennent également la candidature des Etats baltes. De plus, le
sommet de l’OTAN à Prague sera pour le président Havel sa dernière
grande prestation internationale avant de prendre sa retraite après
douze années de mandat. Il veut entourer ses adieux de panache,
autrement dit les faire coïncider avec un élargissement aussi étendu
que possible de l’Alliance.
Le parallélisme entre l’expansion de l’OTAN et celle de l’UE
joue également en faveur des Etats baltes. L’Etude sur l’élargissement
de l’OTAN (1995) soulignait l’importance d’une complémentarité
des deux processus. Un décalage est néanmoins apparu entre l’Alliance qui accélérait le rythme de son expansion et l’UE qui avait
des difficultés à mettre en œuvre sa réforme interne. Aujourd’hui,
il semblerait que les deux processus puissent de nouveau être en
5. La récente expérience historique avec la Russie/URSS en est
probablement la raison principale. Le fait que les services secrets
russes ont intensifié leurs activités
dans les trois pays qui ont abandonné le communisme lorsqu’ils
ont rejoint les rangs de l’OTAN en
est une autre. De plus, les nouveaux membres n’ont pas oublié la
violente campagne de la Russie
contre leur entrée à l’OTAN, à la limite du chantage. Enfin, il faut
avoir à l’esprit que plus que leurs
alliés occidentaux, ces Etats d’Europe centrale sont exposés au
crime organisé et à d’autres phénomènes socio-pathologiques
nés en Russie.
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Jiri Sedivy
phase, avec même un effet d’entraînement. En décembre 2002, peu
après le sommet de Prague, l’UE se réunira à Copenhague et
devrait, à cette occasion, désigner ses futurs membres. Parmi les
candidats baltes, l’Estonie au moins sera incluse. Sachant que,
dans l’ensemble, les critères d’entrée à l’OTAN et à l’UE sont pratiquement identiques (à l’exception des conditions militaires)6, il
serait difficile pour l’OTAN de défendre une décision qui consisterait à ne pas convier un pays invité à devenir membre de l’UE. Et
même si l’Estonie est le seul pays invité à rejoindre l’UE, et se
retrouve ainsi en excellente position pour devenir membre de
l’OTAN, l’Alliance devrait rester ouverte aux trois Etats baltes,
étant donné l’interdépendance des trois pays en matière de sécurité et leur étroite intégration militaire. En tout état de cause, il
semble souhaitable que l’UE et l’OTAN se consultent et même se
coordonnent pour leurs élargissements respectifs.
Les chances accrues des Etats baltes et le retard relatif des Balkans derrière les autres candidats ne signifient pas nécessairement
que la Bulgarie et la Roumanie ne sont plus dans la course à
l’OTAN. Le retrait progressif des Etats-Unis des Balkans, catalysé
par les événements du 11 septembre, devra être compensé. Il est
inévitable que les alliés européens de l’OTAN soient de plus en
plus présents dans les forces déployées dans les Balkans. La possibilité d’une européanisation et d’un recours à terme aux moyens
militaires de la PESD sous l’autorité de l’UE (qui prendrait alors la
responsabilité d’au moins une partie de la mission actuelle) n’est,
du reste, pas exclue. Parallèlement, les Etats candidats des Balkans
peuvent contribuer à stabiliser la région en devenant une réserve
de « soldats de la paix » mais surtout, un point de départ idéal pour
la projection de puissance et la stabilité dans cette partie du
monde.
6. Conformément aux critères définis par le Conseil européen à Copenhague en 1993, un pays candidat doit se caractériser par (a) des
institutions stables garantes de la
démocratie, de l’Etat de droit, des
droits de l’homme et de la protection des minorités ; (b) une véritable économie de marché et l’aptitude à résister à la concurrence
des forces du marché à l’intérieur
de l’Union ; et (c) l’aptitude à respecter ses obligations en tant que
membre y compris l’adhésion aux
objectifs de l’union politique, économique et monétaire.
La République tchèque et la PESD
Le cadre de base pour la participation à la PESD des Tchèques et des
cinq autres alliés européens non membres de l’UE (AENU)7 a été
défini, à la fois sur le plan institutionnel et des procédures, lors du
sommet de l’UE à Feira (juin 2000) et a été finalisé à Nice
(décembre 2000). Les AENU n’ont compris qu’ensuite qu’ils ne participeraient pas à la nouvelle organisation de défense de l’UE au
même niveau qu’à l’Union de l’Europe occidentale (UEO). Les
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1
Contraintes et opportunités
Tchèques ont conclu qu’il valait mieux agir à l’intérieur du cadre
qui leur était offert s’ils voulaient y avoir une influence pratique
que d’essayer de modifier le cadre lui-même, ce qui était leur objectif à l’origine.
Lors de la Conférence sur l’engagement des capacités de l’UE en
novembre 2000, la République tchèque a affecté au Headline Goal
une partie de ses moyens militaires qu’elle réservait à la Force de
réaction rapide de l’OTAN selon le principe de la « double casquette ». La contribution des Tchèques, à hauteur d’environ 1000
hommes, est semblable à celle d’Etats de l’UE de taille comparable
(Autriche, Belgique, Finlande, Irlande et Suède)8. Un an après, le
gouvernement a proposé d’affecter 100 policiers aux Forces de
police européennes, prêts à être déployés sur des zones en fin de
conflit.
Toutefois, les premières réactions des Tchèques (et d’autres
AENU) à l’initiative de Saint-Malo et, surtout, à l’intention initiale
de fondre l’UEO dans l’UE reflétaient une certaine appréhension.
L’association avec l’UEO revêtait une signification particulière
pour les pays post-communistes. L’UEO fut la première organisation de sécurité de l’Occident à ouvrir ses portes aux nouvelles
démocraties en leur offrant des moyens de participation, tout
d’abord comme partenaires associés en 1994, puis comme
membres associés après leur adhésion à l’OTAN en 1999. Cette
transformation a encouragé la « socialisation » politique et militaire des pays post-communistes en facilitant le transfert de la culture sécuritaire occidentale et en leur permettant de participer aux
débats parlementaires de l’Assemblée de l’UEO.
Les AENU qui envisageaient vraiment d’adhérer rapidement à
l’UE redoutaient surtout que, pendant un certain temps, on leur
refuse toute chance de s’impliquer davantage dans la PESD
durant sa période de formation. En participant à ce processus, les
AENU pouvaient, semblait-il, améliorer leurs capacités d’interopérabilité et d’harmonisation avec l’UE dans le domaine de la
sécurité et de la défense. Notons à ce sujet que les questions relatives à la Politique étrangère et de sécurité commune (PESC)
étaient parmi les moins controversées lors des négociations entre
les candidats à l’UE et l’Union9. Si l’UE développe un nouvel
acquis dans le cadre de la PESC, il faudra probablement rouvrir ce
chapitre lors des dernières étapes des négociations mais il ne
devrait y avoir aucune difficulté. Les Tchèques étaient également
préoccupés par la notion de « capacité autonome » en matière de
7. Hongrie, Islande, Norvège, Pologne et Turquie.
8. Un bataillon mécanisé, une
compagnie de forces spéciales,
une unité d’hélicoptères, un bataillon médical/hôpital de campagne, une compagnie de protection NBC et un centre pour les
opérations humanitaires et de
sauvetage. Pour tout complément
d’information, voir Vladimír
Handl, Radek Khol, « Czech Attitudes towards the CESDP », à paraître prochainement dans Hans
Georg Ehrhard (dir.), Die Europäische Sicherheits- und Verteidigungspolitik - Positionen, Perzeptionen, Probleme und Perspektiven,
Nomos, Baden-Baden, 2002.
9. Le chapitre PESC a été clos le
14 juin 2000. Le document de
principe tchèque ne contient que
600 mots (http://www.euroskop.cz/euroskop/site/cr/vyjedn/pozdoc27en.html), alors
que le document JAI en compte
environ 8 000.
18
1
Jiri Sedivy
sécurité européenne, qui a été soulignée dans la déclaration de
Saint-Malo, puis développée dans divers documents de l’UE. Ils
craignaient que la cohérence de l’OTAN et la relation transatlantique ne soient mises en péril.
A l’origine, la République tchèque, la Hongrie et la Pologne
avaient l’intention de formuler une position commune. Mais elles
ont rapidement constaté que cela était impossible et ont décidé,
plus simplement, de se consulter sur leurs positions nationales.
Les premiers débats, à l’intérieur de ces trois pays ou entre eux, ont
été masqués par des prises de positions extrêmes. Certains cherchaient comment ralentir la fusion prévue de l’UEO dans l’UE,
voire bloquer complètement le processus. Il a même été question
d’interdire à l’UE l’accès aux moyens et aux capacités de l’OTAN au
Conseil de l’Atlantique Nord (CAN) si l’ensemble des acquis de
l’UEO n’était pas transféré à l’UE.
Une autre source de préoccupation était la conviction que la
PESD serait une manière d’exclure les Etats-Unis de l’Europe (le
« complot français »). Une tension était perçue entre les deux identités. D’une part, l’OTAN (et les Etats-Unis en tant que principal
moteur de l’élargissement de l’OTAN) demeure pour la République tchèque la principale référence en matière de sécurité. Le
soutien des Etats-Unis à la participation des AENU (le principe de
non-discrimination de Madeleine Albright) n’a fait que renforcer
l’atlantisme de ces pays. D’autre part, certains craignaient qu’une
position pro-américaine trop forte ne porte préjudice aux chances
de la République tchèque d’adhérer à l’UE même si l’UE n’avait
jamais émis de signaux explicites dans ce sens.
Ce qui était à l’origine un sentiment d’angoisse en République
tchèque, tout comme en Pologne et en Hongrie, a finalement cédé
la place à des vues plus rationnelles et plus constructives. Dans le
débat sur la PESD, ces trois pays sont restés proches de l’extrémité
atlantiste du spectre des opinions. Ils ont souligné l’importance
d’entretenir les liens transatlantiques et la présence américaine en
Europe. Selon les Tchèques, la défense collective devrait demeurer
une responsabilité de l’OTAN et l’élaboration des plans de défense
de l’UE devrait être mêlée aussi intimement que possible à celle des
plans de l’OTAN. Les pays d’Europe centrale soulignent aussi qu’il
faut maintenir une coordination étroite entre les procédures de
développement et de réexamen des capacités militaires de l’UE, à
savoir le Headline Goal et l’Initiative sur les Capacités de Défense
(DCI) de l’OTAN. Le sommet de Nice s’est relativement peu inté19
1
Contraintes et opportunités
ressé à ces préoccupations puisqu’il y aura en fait deux procédures
parallèles et partiellement distinctes pour la préparation des plans
de défense, correspondant à deux séries d’orientations ministérielles et deux ensembles d’objectifs de force.
Les arrangements actuels relatifs à la participation des AENU
prévoient un mécanisme de consultation aussi bien politique que
militaire. Au niveau politique, les Etats de l’UE se réuniront, deux
fois par présidence, pour débattre de la PESD avec les six AENU,
dont une fois au niveau ministériel. Il est également envisagé de
tenir au moins deux autres réunions au niveau des représentants
du Comité militaire et d’organiser des échanges réguliers au
niveau des experts militaires. Si les circonstances l’exigent,
d’autres réunions pourront être organisées. Chaque pays peut
nommer au sein de sa mission auprès de l’UE un représentant civil
chargé de suivre la PESD et d’être son interlocuteur avec le Comité
politique et de sécurité (COPS). Un pays tiers (une dénomination
que les AENU n’aiment pas car elle les place dans le même groupe
que les candidats à l’UE non membres de l’OTAN) a la possibilité
d’établir une liaison militaire permanente avec l’état-major militaire de l’UE. L’officier désigné à cet effet ne fera toutefois pas partie intégrante de l’état-major, comme c’était le cas avec l’UEO.
Au niveau opérationnel, deux grands scénarios se dégagent.
Dans une opération purement UE, l’Union européenne peut
demander aux AENU (mais également à d’autres pays candidats)
d’engager leurs forces. Ils participeront alors à la gestion quotidienne des opérations au sein d’un comité de contributeurs ad hoc
sur la même base que d’autres Etats membres de l’UE impliqués, à
condition que leur contribution soit représentée par une « force
significative ». Dans le cas d’opérations exigeant le recours aux
moyens et aux capacités de l’OTAN, la planification opérationnelle
sera du ressort des organes de planification de l’Alliance. Cela aura
pour effet d’associer les Tchèques et d’autres AENU au processus.
La question de l’implication des AENU (à l’exception de la Turquie) dans la PESD est moins opérationnelle et pratique qu’un
problème politique et symbolique. Au niveau opérationnel, il est
très peu probable que l’UE puisse conduire une opération à grande
échelle sans avoir recours aux moyens OTAN dans un avenir prévisible, c’est-à-dire, certainement pas avant que les AENU de l’Europe centrale entrent dans l’Union. Pour la République tchèque au
moins, il s’agit donc d’un problème à court terme qui sera résolu
par l’adhésion à l’UE.
20
1
Jiri Sedivy
Le discours politique et sécuritaire de la République tchèque
continuera toutefois de se caractériser pendant quelque temps par
la tension non négligeable due à la dialectique OTAN/atlantiste –
PESD/européaniste. Le 27 novembre 2001, cette tension a été
manifeste lors d’une audience publique au sénat sur la politique
étrangère tchèque. A l’exception des sociaux-démocrates au pouvoir, représentés ce jour-là par le ministre des Affaires étrangères
M. Kavan, tous les représentants des partis du centre et de droite
ont dit craindre que la PESD ne provoque un divorce transatlantique. A une autre occasion, le porte-parole de l’ODS pour les
Affaires étrangères a décrit la PESD comme une combinaison
associant « l’anti-américanisme de certains milieux européens et
des signes d’apaisement (…) envers certains régimes dictatoriaux »
et considéré « qu’elle menaçait stratégiquement et affaiblissait la
sécurité et la stabilité de l’Europe ». L’un des slogans de l’ODS
pour les élections actuelles est : « Une OTAN puissante, pas une
armée de Bruxelles ». En revanche, le fait que le projet de la PESD
ait été lancé à Londres et piloté par le Royaume-Uni est perçu
comme un garde-fou contre une remise en cause des relations
transatlantiques.
Contribuer aux missions de l’OTAN sera la première tâche
majeure des forces armées tchèques, comme le prévoit leur plan de
réforme de 2001. Cette révision doctrinale a été provoquée, surtout, par les critiques de l’OTAN concernant la lenteur de l’évolution militaire de la Tchécoslovaquie. En outre, les efforts déployés
au sein de la PESD en vue d’améliorer les capacités de l’Europe ont
été un autre élément important allant dans le sens de cette
réforme. La coopération au sein de la PESD est incluse dans ce
document au titre des tâches « dérivées de l’adhésion à des organisations internationales » comme l’ONU, l’OSCE et l’UE10. On
peut s’attendre à ce que ces asymétries (politiques et militaires)
s’équilibrent progressivement en faveur de l’UE après que la République tchèque sera devenue membre à part entière de l’Union,
sous réserve que l’évolution de la PESC/PESD soit positive. Cet
espoir s’appuie sur le fait que, même si l’OTAN est l’organisation
de référence principale dans le discours sécuritaire de la République tchèque, le public voit en l’UE la plus importante organisation « capable de contribuer au développement souhaitable de la
République tchèque » au sens large11.
10. L’armée tchèque devrait être
entièrement professionnelle après
2006 et ses effectifs seraient ramenés de son niveau actuel de 60 000
hommes à 34 – 36 000, 85 % des
forces étant à la disposition de
l’OTAN au lieu des 72 % actuellement. L’armée tchèque devrait
pouvoir déployer une brigade
(5000 hommes) pour une opération de forte intensité hors zone
(sans rotation) ou de 1000
hommes pour une opération de
maintien de la paix (avec triple rotation), avec un système de commandement et de contrôle à deux
niveaux. Voir Security Strategy of the
Czech Republic, adopté par le gouvernement le 22 janvier 2001,
http://www.mzv.cz/bezp_strategie/ebs1.html ; Reform of The Armed Forces of the Czech Republic
http://www.army.cz/reforma/e
nglish/index.htm.
11. Pour 38 % de l’opinion publique, l’UE serait l’organisation
la plus utile au développement du
pays. Arrivent ensuite l’ONU
(13 %), l’OCDE (11 %), la Banque
mondiale/FMI (8 %), l’OTAN
(4 %) et l’OSCE (3 %). Vingt-trois
pour cent des personnes sont sans
opinion. Mezinarodni postaveni a
bezpecnost CR (Sécurité et position
internationale de la République
tchèque), Gabal, Analysis and
Consulting. Le sondage a été réalisé en novembre-décembre 2001
auprès de 1000 personnes.
www.gc.cz.
21
1
Contraintes et opportunités
Implications et perspectives
Pour traiter l’ensemble complexe des questions de sécurité, il
importe d’utiliser des méthodes adaptées aux défis à relever. Les
événements du 11 septembre et leurs conséquences démontrent la
nécessité de recourir à une approche globale associant tous les
aspects – défense, police, renseignement, protection civile, sécurité
financière, assistance au développement, mesures de contrôle de
l’armement – qui doivent être adoptés aux différents niveaux étroitement liés de la coopération (régional, national, communautaire
et international).
De ce point de vue, la division de l’UE en piliers se révèle
comme de plus en plus gênante pour relever un défi aussi complexe. La distinction entre les piliers et leurs programmes va devenir de plus en plus floue. La répartition des responsabilités en
matière de relations extérieures entre la présidence de l’UE, le
Haut Représentant pour la PESC et le Commissaire aux relations
extérieures complique encore la tâche de l’UE sur la scène internationale. Réformer le système actuel de la présidence tournante
et fusionner les fonctions de « Monsieur PESC » avec celles du
Commissaire aux relations extérieures amélioreraient la rationalité de ce processus ainsi que la continuité de la politique étrangère et de sécurité de l’UE. Les futurs membres pourraient trouver difficile d’avaler notamment la première pilule. Mais, dans
une Union de vingt-cinq Etats, ils n’assureraient, de toute façon,
la présidence qu’une fois tous les douze ans à condition que le
système actuel soit préservé. Ils seront peut-être davantage
ouverts aux réformes, une fois familiarisés avec les mécanismes
de l’UE. La solution pourrait être un système de présidence tournante fondée sur la représentation par des groupes d’Etats régionaux.
Il ne peut y avoir de PESD véritablement « commune » sans
une politique étrangère et de sécurité « commune » et il semblerait que nous en soyons loin. Toutefois, la PESD semble arriver à
un niveau de maturité fonctionnelle plus rapidement que ce n’est
le cas pour la PESC au niveau politique. Si les théories fonctionnalistes de l’intégration se révèlent valables, on devrait assister, à
terme, à un effet de réaction en chaîne du domaine fonctionnel
de la PESD vers l’espace politique de la PESC. Outre les réticences
de plusieurs Etats de l’UE, la philosophie traditionaliste qui
domine le débat sécuritaire (débat centré sur l’Etat et sur la sou22
1
Jiri Sedivy
veraineté mais avec une orientation atlantique) en Tchécoslovaquie (et dans d’autres pays candidats) risque, provisoirement, de
compliquer l’adoption de mesures novatrices telles que le développement de capacités spécialisées, la mise en commun de capacités militaires, les projets d’acquisition communs et l’intégration militaire transfrontière. Il en est de même pour la question
politique de l’approfondissement du deuxième pilier de l’UE
après l’élargissement.
Une solution serait d’utiliser les dispositions de la PESC préconisant une coopération renforcée, autrement dit une certaine
flexibilité. Il faudra donc accepter que les principaux Etats de
l’UE (disons, les grandes puissances) exercent un certain leadership en matière d’affaires européennes de sécurité et d’affaires
militaires. De même, l’intégration par « objectifs » plutôt que par
« directives », c’est-à-dire une définition plus souple des repères
communs à l’UE, laissant aux Etats le choix de la méthode pour
atteindre ces objectifs, sera utile. A cet égard, la PESD devrait
approfondir l’idée des critères de convergence (qu’il s’agisse, en
amont, de la structure des budgets militaires, ou, en aval, de la
structure des forces).
Il existe entre le langage général utilisé pour décrire les missions de Petersberg et les détails pratiques des Headline Goals un
écart qu’il faut combler. Il serait donc souhaitable que l’UE procède à une évaluation approfondie et réellement commune de la
menace. A partir de là, il conviendrait de définir un éventail de
scénarios génériques afin d’identifier des forces appropriées et de
les affecter à ces différents scénarios. Il faut abandonner la
méthode actuelle qui consiste à évaluer les menaces en fonction
des capacités disponibles et faire l’inverse. Les futurs membres
devraient être invités à participer à cet exercice, à la fois pour compenser leur déficit de participation et pour améliorer leur « socialisation » au sein de la PESD. Les intégrer à ce débat aurait un
effet stimulant sur leurs propres échanges de vues, comme c’est le
cas dans le cadre de la Convention et la promesse qui leur a été
faite de participer à la CIG 2004, lors des débats sur la finalité de
l’UE.
Il est probable que l’importance que la plupart des Etats candidats accordent à l’OTAN et leur pro-américanisme influencent leur
position lors des débats sur la possibilité d’élargir le champ d’action géographique et opérationnel de la PESD au-delà du périmètre de l’UE. Ces Etats sont moins enthousiastes que la plupart
23
1
Contraintes et opportunités
des Etats de l’UE à l’idée d’une Europe considérée comme une puissance mondiale. En revanche, comme le montre le cas de la République tchèque, ils seraient prêts à déployer leurs forces bien au-delà
pour une cause clairement définie (lutte contre le terrorisme) et un
leadership sans équivoque (en l’occurrence, les Etats-Unis).
Etant donné les contraintes fiscales de l’UE et le niveau de développement économique de ses futurs membres, on peut difficilement compter sur une augmentation substantielle des dépenses
militaires européennes. La mise en commun des capacités militaires, l’importance de la spécialisation, la complémentarité multinationale des forces ainsi que des projets d’acquisition communs
devraient être les méthodes les plus rentables face à ces restrictions.
La division du travail en fonction des avantages comparatifs des
Etats et les économies d’échelle devraient être les principes directeurs d’une telle rationalisation de la défense. Compte tenu de la
situation économique des candidats et de leur évolution militaire,
des mesures radicales semblent, théoriquement du moins, être pour
eux la meilleure solution12. Ils devraient être encouragés sur cette
voie et un débat sur une revue stratégique européenne pourrait se
révéler un forum approprié à cet effet.
Les candidats eux-mêmes doivent faire preuve d’imagination. Au
niveau politique, au sein de l’OTAN, les trois AENU d’Europe centrale devraient être les instigateurs d’échanges de vues entre l’Alliance
et l’UE sur la possibilité de coordonner, voire de compléter et/ou de
synchroniser les deux processus d’élargissement de ces organisations. Au niveau militaire, ils devraient favoriser les arrangements
militaires multinationaux, par exemple, en offrant des
ensembles/modules de forces conjointes fondés sur une division
importante du travail, sur une complémentarité des services et sur
une rotation multinationale, comme contributions aux forces du
Headline Goal de l’UE. La mise sur pied d’une unité de maintien de la
paix tchéco-slovaque pour la KFOR et le projet de constitution d’une
brigade regroupant des forces tchèques, polonaises et slovaques en
tant qu’expression militaire de la coopération subrégionale du
Groupe de Visegrad (V-4) pourraient être de bons exemples d’une
telle approche. Une fois la brigade opérationnelle en 2004, on pourrait envisager de mettre sur pied un quartier général déployable.
Le développement de capacités spécialisées offrant une plus
forte valeur ajoutée est une autre façon de rationaliser les dépenses
militaires. Dans le cas de la République tchèque, le développement
d’une capacité de protection chimique/biologique inclut un pro-
12. Le niveau relatif des dépenses
de défense de la République
tchèque (2,2 % du PNB) est suffisant. Le problème principal réside
dans les faibles investissements en
recherche et développement et en
productivité. Seulement quelque
2 % des forces armées tchèques
sont déployables à l’étranger où
elles pourraient être maintenues
pendant plus d’une rotation.
24
1
Jiri Sedivy
gramme plus large de recherche et développement dans le
domaine de la protection chimique et biologique. Les forces
armées tchèques construisent actuellement un « biocentre »,
regroupant des laboratoires de recherche et un hôpital équipé des
technologies les plus récentes, qui leur permettraient de traiter les
conséquences d’une attaque biologique13.
L’auteur du présent chapitre est convaincu – mais son opinion
est loin de faire l’unanimité en République tchèque – que si l’Europe s’est fixé pour objectif de se doter d’une véritable capacité
militaire, une sorte d’armée européenne, quel que soit son nom,
devra être créée au moment voulu. Les doubles emplois, le manque
de réelle intégration en matière de défense et l’ambiguïté doctrinale parmi les membres de l’Union sont les principaux obstacles
sur la voie d’une « capacité autonome d’action, appuyée sur des
forces militaires crédibles » qui devrait permettre à l’Europe de
« jouer tout son rôle sur la scène internationale », comme le stipulait la déclaration de Saint-Malo. Le besoin d’autonomie est d’autant plus urgent à la lumière des événements récents. L’Europe
doit être prête à agir et capable de le faire si les Etats-Unis sont
engagés ailleurs. A cet égard, il ne faut pas craindre une duplication
constructive, c’est-à-dire développée en étroite coordination avec
l’OTAN et les Etats-Unis.
Dans le domaine de l’industrie et du marché de l’armement, la
République tchèque a perdu sa place de grand exportateur
d’armes d’avant 1989. Pour résister, les fabricants qui ont survécu
doivent coopérer avec les grands fabricants d’armement européens. Les tentatives de coordination, au sein du Groupe V-4, de la
production ou de la modernisation des matériels militaires de
type soviétique ont jusqu’à présent échoué. De même, l’occasion
n’a pas été saisie d’adopter une approche commune pour de
grands projets d’acquisition, comme celle de chasseurs supersoniques, un projet qui aurait pourtant intéressé la République
tchèque, la Hongrie, la Pologne et l’Autriche. Il serait logique de
soutenir la création d’une brigade composée de forces tchèques,
polonaises et slovaques en achetant conjointement des avions de
transport tels que l’Airbus A-400M.
Vers une nouvelle forme d’Union européenne
13. Cette installation est unique
en Europe centrale et il existe très
peu de centres comparables dans
les autres pays de l’Union européenne et de l’OTAN (RoyaumeUni et Etats-Unis).
Malgré le caractère d’urgence que le 11 septembre a insufflé aux
débats sur la sécurité européenne, les discussions en République
25
1
Contraintes et opportunités
tchèque ont été dominées par le processus d’adhésion et, plus
récemment, par l’élaboration d’une position nationale sur la
Convention de l’UE. C’est le clivage classique intergouvernemental/supranational qui oriente et différencie le débat national sur
la finalité de l’Union. A l’exception de l’ODS, la majorité des
acteurs politiques, y compris les syndicats, sont favorables à cette
dernière.
D’une manière générale, tous les partis représentés au Parlement (voir note 1) soutiennent l’intégration de la République
tchèque dans l’UE. Leurs positions dans le débat sur la finalité
sont résumées ici en référence aux dispositions de l’article 23 du
Traité de Nice.
◗ Parti social-démocrate tchèque (CSSD) : davantage d’intégration, renforcement de la Commission, renforcement du vote à la
majorité qualifiée au Conseil, économie de marché solidaire et
sociale, séparation claire entre les pouvoirs, charte des droits qui
devrait devenir un document de base de l’UE (avec, éventuellement, le statut de constitution), pouvoir accru du Parlement européen et plus grande coopération entre le Parlement européen et les
parlements nationaux.
◗ Parti civique démocratique (ODS) : pas de renforcement du
supranational, pas d’extension du vote à la majorité qualifiée,
maintien du droit de veto, oui à un document quasi-constitutionnel ayant un caractère contraignant (un catalogue des compétences et la division des pouvoirs entre l’UE et les Etats devraient
empêcher toute intégration latente), le Conseil est l’organe le plus
légitime, l’Etat-nation l’élément fondamental.
◗ Coalition Union chrétienne démocrate-Parti tchèque du peuple
et Union de la liberté (KDU-CSL et US) : responsabilité accrue de
la Commission, fédéralisation progressive, démocratisation, solidarité, consensus populaire, charte des droits faisant partie d’une
constitution, catalogue précis des compétences, pouvoirs accrus
du Parlement européen, responsabilité de la Commission devant
le Parlement européen.
◗ Parti communiste de Bohême et Moravie (KSCM) : égalité de
traitement et de protection des petits Etats, solidarité sociale et
Etat-Providence, aucune autre préférence jusqu’ici.
◗ Président : structure fédérale, participation de la société civile à
divers niveaux de la gouvernance, solidarité, charte des droits
ayant un caractère contraignant sur le plan légal, simple document constitutionnel, renforcement de la Commission avec un
26
1
Jiri Sedivy
président élu directement, une seconde chambre du Parlement
européen nommée par les parlements nationaux.
A ce jour, il n’y a pas encore de consensus national. Le plus petit
dénominateur commun du débat est la protection des intérêts des
Etats les moins importants de l’UE. Pour l’ODS, il faut surtout
préserver l’Etat souverain comme principal acteur européen et
point de rencontre de l’identité nationale et de la légitimité politique. Le partenariat avec le Royaume-Uni et les relations avec les
Etats-Unis sont considérés comme des moyens qui permettraient
de tempérer la dynamique de l’intégration et de contrebalancer ce
qui apparaît comme une ambition hégémonique de Bruxelles.
D’autres acteurs politiques de la scène tchèque, soutiennent le
processus d’intégration d’une façon plus ou moins homogène. Les
voix pro-européennes en République tchèque et les débats sur la
finalité dans d’autres pays candidats se rejoignent sur plusieurs
grands points communs.
Premièrement, la solidarité présente dans le projet d’intégration suscite un grand intérêt. La raison principale en est la différence de niveau de vie entre les Etats de l’Union européenne et les
candidats. Mais il ne peut y avoir de solidarité sans réciprocité,
c’est-à-dire, sans une identité européenne. Cela présuppose que la
légitimité des institutions de l’UE soit conditionnée par leur responsabilité, leur transparence et leurs résultats concrets. Les Etats
candidats estiment donc qu’il serait souhaitable de disposer d’un
catalogue des compétences, quel qu’en soit le titre, qui respecterait
le principe de solidarité.
Deuxièmement, il ne semble pas justifié de craindre que l’expérience passée des Etats candidats, intégrés de force dans le bloc
soviétique, et qui viennent juste de retrouver leur souveraineté et
leur identité, les fassent hésiter à accepter une intégration plus
profonde et une mise en commun des souverainetés dans l’UE. En
réalité, le supranationalisme, vu comme un moyen de protection
des petits Etats contre la domination des plus grands, bénéficie
d’un soutien significatif dans les pays candidats. De même, leurs
citoyens sont très ouverts à la notion d’identité européenne, qui les
aide à se démarquer de leur passé communiste et de leur impression d’être les outsiders de l’Europe.
Troisièmement, alors que, dans le débat sur la finalité, les
futurs membres sont favorables au renforcement des institutions
et des éléments supranationaux de l’UE, ils demeurent, en matière
de sécurité et de défense, plus conservateurs que la plupart des
27
1
Contraintes et opportunités
pays de l’UE et voient d’un meilleur œil l’approche intergouvernementale.
Quatrièmement, des idées intéressantes dépassant l’axe classique intergouvernemental/supranational ont vu le jour (bien que
marginalement) dans les débats menés au sein des pays candidats
sur la forme future de l’Europe. Certaines variations sur la notion
sur un système post-westphalien (à travers divers concepts comme
celui d’un gouvernement à niveaux multiples, d’une gouvernance
sans gouvernement ou d’une Europe réseau) apparaissent, par
exemple, dans le discours du président tchèque Vaclav Havel ou de
celui du ministre estonien des Affaires étrangères, Thomas Hendrik Ilves. Le président tchèque a insisté sur la nécessité de fidéliser
une société civile européenne qui servirait de point d’ancrage à
tout développement ultérieur de la construction supranationale
et de base à une nouvelle identité et solidarité européennes. Sa
conception de la société civile prévoit de très nombreux acteurs
(ONG, régions autonomes) qui devraient être habilités à revendiquer des compétences aux dépens du niveau national et du niveau
européen. Il est également le seul acteur sur la scène tchèque à
avoir introduit la question d’une gouvernance à niveaux multiples.
Reste à voir quelle sera la position définitive de l’équipe nationale représentant la République tchèque lors de la Convention
(deux membres du Parlement et un du gouvernement). Les travaux préparatoires sur la scène tchèque viennent juste de commencer et on peut s’attendre à de vifs débats sur la formulation
d’un consensus acceptable à la fois par les eurosceptiques et par les
européanistes siégeant au parlement. Le résultat des élections
générales du printemps 2002 pourrait avoir une influence sur ce
processus.
Conclusion
La dernière grande crise internationale qui, avant le 11 septembre,
avait impliqué la République tchèque (membre de l’OTAN depuis
peu) a été celle du Kosovo en 1999. Avec toute la prudence nécessaire lorsque l’on compare ces deux situations (le Kosovo et les
suites du 11 septembre), on pourrait conclure que la société et la
classe politique tchèques ont depuis atteint un certain niveau de
maturité en ce qui concerne les problèmes de sécurité et les ques28
1
Jiri Sedivy
tions internationales en général. Contrairement à l’année 1999, un
leadership politique direct a été exercé par l’élite politique depuis
les attaques terroristes. La réaction de l’exécutif a été rapide et assez
efficace. L’opinion publique a semblé mieux accepter de partager la
responsabilité de ce qui se passe dans le monde, chose exceptionnelle pour une société traditionnellement introvertie, qui vient
tout juste de sortir de cinquante années d’isolement.
On peut supposer qu’à l’avenir, les nouveaux membres seront
vraisemblablement plus intégrationistes et plus réformistes dans
le débat institutionnel de l’UE, mais qu’ils seront plus conservateurs en ce qui concerne la sécurité et la défense. Il faut néanmoins
s’attendre à un rééquilibrage progressif de la tendance actuelle
pro-atlantique après leur intégration totale dans l’UE. Plus on
promouvra la transparence et la participation entre l’Union et ses
futurs membres avant leurs adhésions, plus douce sera la transition après les adhésions.
29
Presque membre Dans quel but ?
Elargissement et
défence européenne
après le 11 septembre
2
Pal Dunay
Si le 11 septembre 2001 s’impose comme un élément formateur de
l’histoire des relations internationales, c’est parce qu’il a marqué la
fin de la période de l’après-guerre froide. Notre conception de la
sécurité internationale et les doutes que nous partagions depuis la
fin des années 1980 ont changé du jour au lendemain. Le système
de l’après-guerre froide a été frappé en plein cœur, de manière asymétrique, par un acteur non étatique. Depuis la fin de la guerre
froide, les Etats-Unis jouaient, en tant qu’acteur mondial, voire
comme le seul acteur, un rôle unique dans le système de sécurité
internationale. Il était inévitable que leur changement de position
ait des conséquences sur la planète entière.
L’attaque du 11 septembre a eu un impact considérable sur plusieurs domaines. Elle a, avant tout, clarifié le débat dominant les
années 1990 sur les menaces anciennes et nouvelles provenant
d’Etats et d’organisations non étatiques, et sur le risque de réussite
d’une attaque asymétrique contre des démocraties très développées, bien organisées et industrialisées. Elle a également mis un
terme au dilemme entre une réponse proportionnelle aux capacités existantes et une réponse adaptée à la menace. Après dix ans de
pause, nous avons été de nouveau confrontés à une menace clairement identifiée.
La réaction de l’Amérique à ces attentats a mis en lumière ses
forces et ses faiblesses. Une de ses forces a été de rassembler en peu
de temps une coalition de pays partageant ses convictions. A cet
égard, l’expérience acquise par l’équipe de M. Bush lors de la mise
sur pied d’une coalition pour libérer le Koweit de l’invasion de
l’Irak en 1990-91 s’est certainement révélée très utile. Après les
attaques terroristes, les Etats-Unis ont donné l’impression qu’ils
étaient prêts à compter avec les organisations internationales,
tout au moins sur le plan politique. Même s’ils n’ont pas pris euxmêmes l’initiative d’invoquer l’article 5 du Traité de l’Atlantique
Nord pour la première fois dans l’histoire de l’OTAN, les EtatsUnis ont joué le jeu et fait de la réaction politique aux attentats une
réaction multilatérale1. Dans leur guerre contre l’Afghanistan, les
1. Il faut noter que les Etats-Unis
se trouvaient dans une position relativement facile. De nombreux
pays leur ont fait savoir qu’ils les
soutenaient totalement, en raison
de l’immense influence des EtatsUnis sur le système international,
d’une communauté de valeurs ou
encore pour relever des défis tels
que celui du terrorisme, par
exemple.
2. William Drozdiak, « Bush Has
NATO Allies Worried : Limits on
U.S. Role Are Seen as Threat to
Collective Security », International
Herald Tribune, 24 octobre 2000,
pp. 1 et 6.
30
2
Pal Dunay
Américains ont adopté une stratégie militaire appropriée. Ils ne se
sont pas engagés directement sur le terrain au plus fort de l’opération et ont « gagné » la guerre avec très peu de pertes humaines. En
revanche, une de leurs faiblesses a été que, peu de temps après avoir
décidé des représailles contre l’Afghanistan, les Etats-Unis ont fait
clairement savoir qu’ils n’avaient pas trouvé auprès de leurs alliés
le soutien militaire nécessaire pendant la phase la plus intense de
l’opération, rappelant aux Européens une idée déjà évoquée pendant la campagne électorale de M. Bush. La division du travail suggérée à l’époque était désormais mise en pratique : les Etats-Unis
se chargeraient des opérations de forte intensité, autrement dit de
la gestion des guerres, et les Européens des missions de faible
intensité, c’est-à-dire des opérations de soutien à la paix2 . Ce mode
d’organisation, mis en œuvre pour la première fois lors de la guerre
contre l’Afghanistan, signifie que le volet militaire de la coalition
de l’OTAN s’est retrouvé très affaibli, en termes opérationnels du
moins. Il a en outre été inquiétant de voir à quel point les EtatsUnis se préoccupaient peu de consulter leurs alliés et de tenir
compte de leur avis sur le long terme. Lorsque, plus tard, l’Europe
a proposé de s’attaquer aux racines du terrorisme en réglant les
problèmes socio-économiques, l’establishment américain a parlé
de combattre « l’axe du mal » et d’assurer une « sécurité totale » aux
Américains. Enfin, leur traitement des prisonniers talibans, au
mépris du droit international, a vivement opposé les Etats-Unis à
l’Europe occidentale. La réaction aux attentats du 11 septembre a
donc montré, comme jamais au cours de la dernière décennie, que
si les parties ne sont pas prêtes à s’attaquer aux racines de leurs
divergences de principe, politiques et militaires, les relations
transatlantiques vont se restructurer dans un cadre sans cohésion3.
La réaction du gouvernement hongrois aux attentats du
11 septembre était tout à fait appropriée et conforme à la taille du
pays et à son statut d’allié. Le gouvernement a exprimé son sentiment de solidarité avec les Etats-Unis. L’ensemble du spectre politique, à l’exception du Parti de la Justice et de la Vie hongroise
(MIEP), représenté au Parlement, a fermement condamné les
attentats terroristes. Le président du MIEP, parti à tendance nationaliste et fasciste4, a déclaré à la télévision hongroise que la politique du gouvernement américain était en partie responsable des
événements du 11 septembre. La protection des biens américains a
été renforcée et la Hongrie a proposé d’envoyer du sang et des
3. Le soutien manifesté par une
bonne partie de l’opinion publique américaine au « besoin des
Etats-Unis de coopérer avec leurs
alliés et de les écouter » ne suffira
peut-être pas à contrecarrer la
forte tendance unilatéraliste du
gouvernement américain. Voir
« America’s new internationalist
point of view », the Pew Research
Center and the Council on Foreign
Relations, New York, 24 octobre
2001, cité dans l’ouvrage de Steven Everts, « A New Phase in USEuropean Relations », Europe after
September 11th, Center for European Reform, Londres, 2001,
p. 25.
4. Avant les élections d’avril 2002,
le MIEP détenait 12 sièges sur les
386 de l’unique chambre législative de la Hongrie. Lors des élections du 7 avril, ce parti n’a pas atteint le seuil de 5 % des votes et n’a
donc pas pu être représenté au
sein du nouveau parlement hongrois.
31
2
Presque membre - Dans quel but ?
équipes de secours sur place, une offre que les autorités américaines ont déclinée. Le gouvernement a renforcé le contrôle aux
frontières. Lors de sa première session après les attentats, le parlement a approuvé la participation du pays à l’opération Justice infinie. Le gouvernement a accéléré l’élaboration de nouveaux textes
sur la lutte contre le blanchiment de capitaux. Il n’y a qu’un seul
domaine où la Hongrie s’est moins engagée que de nombreux
autres (futurs) membres de l’OTAN : elle n’a pas proposé de participer à l’opération de soutien à la paix après la guerre en Afghanistan, si ce n’est par l’envoi d’une petite équipe médicale, une participation comparable à celle qu’elle avait faite à l’opération Tempête
du désert il y a dix ans. Loin de traduire un manque de volonté de
participer à l’effort de paix, il s’explique plutôt par le fort engagement de la Hongrie dans d’autres opérations de paix, auxquelles
participent plus de 700 soldats hongrois, dans le cadre notamment de la SFOR, de la KFOR et de l’UNFICYP (Force des Nations
unies chargée du maintien de la paix à Chypre). La Hongrie ne dispose pas de contingent capable de travailler dans les conditions
qui règnent en Afghanistan. Enfin, depuis plus d’une décennie,
l’armée hongroise doit faire face à de sévères contraintes budgétaires.
Après les attentats perpétrés contre les Etats-Unis, la Hongrie
savait bien qu’elle n’était pas la cible d’une menace terroriste
directe. Etant donné que, comme de nombreux pays d’Europe
occidentale, elle n’avait jamais subi de menace terroriste, elle était
réticente à l’idée de faire de la surenchère dans la lutte contre le terrorisme. Alors que Budapest s’était rallié à la position générale
contre le terrorisme, c’est à peu près à ce moment-là que ses relations avec Washington se sont refroidies. Si son manque d’enthousiasme pour cette cause a été un des facteurs à l’origine de
cette détérioration temporaire et relativement mineure des relations, il n’en a certainement pas été la raison principale. Le refroidissement s’explique surtout, entre autres, par des déclarations
« antisémites et xénophobes » et par la décision de la Hongrie de
louer 14 avions Gripen plutôt que d’opter pour des F16 américains. Dans une allocution publique, le nouvel ambassadeur des
Etats-Unis à Budapest a remercié la Hongrie pour sa participation
à la lutte contre le terrorisme, tout en ajoutant de manière quelque
peu énigmatique qu’il était temps pour le gouvernement hongrois
de montrer à quel point il avait évolué au cours de la dernière
décennie5.
5. Gabor Horvath, « Nyilt antiszemitizmust lat az uj amerikai nagykovet » (Le nouvel ambassadeur
des Etats-Unis constate un antisémitisme déclaré), Nepszabadsag,
20 novembre 2001 et « Orban :
kulongeppel Bostonba », (Orban :
A Boston par avion spécial), Nepszabadsag, 8 février 2002.
32
2
Pal Dunay
Le paysage politique hongrois et l’élargissement de l’UE
La Hongrie, tout comme la République tchèque et la Pologne, est
parmi les pays les mieux placés pour l’intégration à l’Occident. Elle
fut le premier Etat de la région à entrer au Conseil de l’Europe en
1990, et l’un des trois premiers pays à signer un accord européen
avec les Communautés européennes en décembre 1991. Elle fut
également le deuxième pays de la région à devenir membre de
l’OCDE et l’un des trois premiers à intégrer l’OTAN en 1999.
Depuis l’Agenda 2000, elle a toujours fait partie des pays affichant
les meilleures performances au regard de l’Union européenne.
L’intégration au premier pilier de l’UE
A l’instar de la République tchèque et de la Pologne, la Hongrie
appartient à ce qu’on appelle le « groupe de Luxembourg », groupe
de pays dont les perspectives d’adhésion à terme sont encourageantes déjà depuis 1997. Contrairement à ses deux voisins, toutefois, son économie n’a pas subi de ralentissements imprévus. L’intégration micro-économique, les flux d’investissements directs
étrangers et, depuis 1997, une forte croissance économique se sont
poursuivis sans relâche. Même l’introduction d’un train de
mesures de stabilisation macro-économique en 1995 n’a pas
ralenti le processus. La Hongrie a toujours été fière de ses réussites,
même si les trois gouvernements qui se sont succédé pendant
l’après-guerre froide ont réagi différemment au succès de l’effort
d’intégration.
Les bonnes performances économiques de la Hongrie ne signifient pas que le pays n’a rencontré aucune difficulté pour s’intégrer à l’Occident. Ses problèmes ont été aussi bien temporaires –
hausse de l’inflation en 2000 par exemple – que chroniques,
comme le (mauvais) traitement de la population rom, la corruption et l’utilisation de l’aide financière de l’UE. Il est intéressant de
constater que les problèmes politiques se sont multipliés sous le
gouvernement Orban, en fonction depuis l’été 1998 et, après les
élections d’avril 2002, alors que l’intégration économique s’est
pourtant poursuivie avec succès. Le gouvernement a montré qu’il
avait également fait des efforts dans les domaines constamment
critiqués par la Commission européenne : programme d’action à
moyen terme à l’égard des Roms, maintien de la « priorité politique » à la lutte contre la corruption, qui « demeure néanmoins
33
2
Presque membre - Dans quel but ?
problématique », et dialogue social qui « continue de se caractériser par un manque de confiance »6.
Depuis qu’elle est devenue membre de l’OTAN, la Hongrie n’a
pas d’autre priorité sur le plan international que d’adhérer à
l’Union européenne. A l’instar des autres pays candidats, elle a
beaucoup insisté sur la date d’adhésion. Le programme du gouvernement annonçait sa volonté de conclure les négociations d’adhésion « afin que la Hongrie devienne membre de l’Union européenne en 2002 ». Cette échéance ne doit pas être sous-estimée car
elle remplit de nombreuses fonctions. Tout d’abord, fixer une date
hypothétique donne au gouvernement une limite dans le temps
pour que le pays devienne compatible avec l’UE en adoptant et en
appliquant les acquis communautaires. Cette adhésion ne revêt
pas uniquement une importance symbolique en concrétisant l’intégration du pays à l’Occident. Elle est aussi cruciale parce qu’elle
entraîne une augmentation substantielle de l’aide de l’UE. L’importance accordée à la date d’adhésion a également permis de
maintenir l’attention du public pendant la longue phase des négociations techniques d’adhésion. Au niveau international, le gouvernement Orban a adopté sur cette question la même approche
sélective que ses prédécesseurs. Parmi toutes les hypothèses formulées à ce sujet par les responsables politiques occidentaux, les
hauts fonctionnaires et les fonctionnaires internationaux, les dirigeants hongrois n’ont écouté que celles qui étaient positives,
même après le 11 septembre. En Hongrie comme dans les autres
pays candidats, les conséquences potentiellement négatives du
11 septembre sur l’élargissement ont été ignorées par la classe politique.
Le gouvernement Orban a fait deux autres modifications à la
stratégie d’adhésion du pays à l’UE. Se faisant le champion des
intérêts nationaux, il a décidé d’être un partenaire « intraitable » à
la table des négociations. Cette référence aux intérêts nationaux
est la bienvenue puisque la coalition libérale-socialiste du gouvernement précédent (1994-98) ne l’avait jamais faite, laissant ainsi
un grand vide dans le vocabulaire politique. En fait, la phase
importante des négociations d’adhésion ayant débuté après l’investiture de M. Orban, on ne disposait pas vraiment d’élément de
comparaison entre les stratégies des deux gouvernements et il était
difficile de dire si le gouvernement actuel était plus intraitable que
son prédécesseur. Si l’on regarde de plus près les compromis
consentis pendant cette période, on peut en conclure que le gou-
6. Commission des Communautés européennes, « Rapport
régulier 2001 sur les progrès réalisés par la Hongrie sur la voie
de l’adhésion », Bruxelles, novembre 2001, pp. 23, 24 et 60.
34
2
Pal Dunay
vernement Orban a mené les négociations comme tout gouvernement responsable l’aurait fait. Les changements promis sont donc
restés lettre morte. La dernière différence, la plus importante pour
cette étude, fut l’annonce par le gouvernement qu’après l’intégration du pays à l’OTAN, les négociations d’adhésion à l’UE se
concentreraient sur les questions économiques. Pour les deux
gouvernements précédents, l’intégration à l’Occident impliquait
une réorientation socio-économique et politique totale du pays.
M. Orban et ses proches ont limité l’adhésion à l’UE à la question
de l’intégration économique. Cela peut sembler logique, d’un
côté, dans la mesure où les critères politiques d’adhésion au
Conseil de l’Europe et à l’OTAN et les critères politiques de Copenhague se recoupent largement. Mais ce choix est, de l’autre, erroné
lorsque l’on sait qu’une fois formé, le gouvernement Orban souhaitait envoyer un signal très fort selon lequel la Hongrie avait
définitivement rempli les critères politiques d’adhésion à l’UE. Or
gagner une légitimité politique internationale n’est pas une tâche
que l’on peut accomplir une fois pour toutes. A une occasion seulement, le gouvernement Orban a vu dans l’adhésion à l’UE autre
chose qu’une intégration au premier pilier de l’UE. Etant donné la
présence d’une importante communauté hongroise chez plusieurs voisins, notamment des pays qui deviendront très probablement membres de l’UE après la Hongrie – comme la Roumanie, la
Serbie et l’Ukraine –, Budapest s’est intéressé à la libre circulation
de ces Hongrois après son adhésion à l’UE. La Hongrie a manifesté
si peu d’intérêt au cours des années précédentes pour la PESC que,
même si des changements cruciaux ont lieu dans ce domaine, ils
n’auront pas de répercussions sur elle.
Les raisons évoquées plus haut devraient suffire à montrer
pourquoi la classe politique hongroise est convaincue que la
future adhésion à l’UE est une question surtout d’intégration économique, moyennement de justice et d’affaires intérieures et très
peu de quoi que ce soit d’autre. On comprend dès lors que les discussions en Hongrie après le 11 septembre ne se soient pas concentrées sur la PESC et la PESD. Les débats portaient sur deux questions beaucoup plus d’actualité : l’élargissement « big bang » et les
propositions de mesures financières faites aux pays candidats.
Depuis au moins quatre ans, et de manière tacite depuis plus
longtemps encore, la Hongrie se considère comme le candidat le
mieux placé à l’UE. Ainsi, différents scénarios d’élargissement ont
circulé dans les hautes sphères de l’Etat. En privé, deux approches
35
2
Presque membre - Dans quel but ?
se sont opposées. Pour certains, la solution la plus réaliste était
une première vague d’élargissement à l’Est réduite à trois ou
quatre pays, comprenant la Hongrie mais pas la Pologne. Selon
d’autres, au contraire, pour des raisons politiques, la première
vague d’adhésion ne pouvait se faire sans la Pologne et comprendrait même tous les pays du groupe de Luxembourg, voire Malte.
Ce qui s’est produit fin 2001 était totalement inconcevable pour
Budapest. En novembre, puis à nouveau au sommet de Laeken en
décembre 2001, il a été question d’un élargissement en bloc, au
grand dam des dirigeants hongrois. Convaincu que ses excellentes
performances seraient reconnues par une adhésion précoce à l’UE,
le pays acceptait mal que l’Union ne partage pas son leitmotiv :
une approche différenciée fondée sur l’auto-différenciation7.
Cette déconvenue provoqua un débat à deux niveaux : les économistes analysaient les avantages et les inconvénients d’un « big
bang », tandis que les partis politiques formulaient leurs propres
positions dans l’optique des prochaines élections.
Le gouvernement hongrois a régulièrement exprimé ses
réserves au sujet du « big bang » et demandé un traitement particulier au vu des excellentes performances du pays. Ce dont l’Union
européenne a pris ombrage, surtout après avoir annoncé cet élargissement en bloc. D’autres candidats s’en sont également irrités :
bien que n’ayant pas officiellement exprimé leurs réticences
lorsque le gouvernement hongrois commit ses erreurs de politique étrangère, même les plus proches partenaires de la Hongrie,
les « Etats de Visegrad », se sont cabrés. Au parlement, l’opposition
a profité de l’occasion pour critiquer le gouvernement, estimant
qu’avec le « big bang », le pays risquait « de perdre son avantage ».
Le problème n’était pas un grand élargissement en soi, mais plutôt
que l’adhésion de la Hongrie puisse prendre plusieurs années de
retard s’il fallait attendre que les candidats les moins avancés
soient enfin prêts. L’ensemble du spectre politique, gouvernement
et opposition confondus, n’a apparemment pas réussi à surmonter le choc causé par l’annonce de ce grand élargissement. Une raison en est peut-être l’atmosphère surchauffée de la campagne électorale. Mais ce qui compte probablement le plus, c’est que, depuis
très longtemps, depuis quatre ans surtout, le pays nourrit l’illusion d’avoir les meilleures performances et d’être le candidat
favori, avec lequel les autres ne peuvent rivaliser.
7. Dès le début des négociations
d’adhésion fin mars 1998, il y eut
entre le ministre des Affaires
étrangères de l’époque Laszlo Kovacs et son homologue polonais,
Bronislaw Geremek, une discussion mémorable devant des représentants d’autres pays candidats
et des hauts fonctionnaires de
l’UE. M. Kovacs déclara en effet
que la Hongrie ne voulait pas devoir attendre quiconque dans le
processus d’élargissement et
qu’elle ne voulait pas non plus que
les autres pays soient obligés de
l’attendre. Cette déclaration sarcastique s’adressait sans aucun
doute à la Pologne, le plus grand
pays candidat que beaucoup
considéraient comme un membre
« indispensable » de la première
vague d’élargissement à l’Est.
36
2
Pal Dunay
Statu quo : le désintérêt de la Hongrie
pour le second pilier de l’UE
L’Alliance atlantique a été considérée par l’Europe centrale et orientale, y compris la Hongrie, comme l’institution de sécurité la plus
importante et le principal pourvoyeur de sécurité. C’est pourquoi
les conseils de l’OTAN, où les Etats-Unis sont très impliqués, ont
été écoutés très attentivement. Aucune autre institution internationale se semble capable de contribuer de manière notoire à la
sécurité des pays d’Europe centrale et orientale. De nombreux pays
candidats continuent en effet d’avoir des problèmes qui nécessitent un système de défense (individuelle et) collective. La Hongrie
n’est pas un cas unique. Bien qu’elle ait, à raison, modéré sa perception des menaces pesant sur elle, ces menaces existent bel et bien.
Une chose la différencie néanmoins des deux autres pays d’Europe
centrale et orientale membres de l’OTAN : le conflit entre les Slaves
du sud est la menace qui préoccupe le plus l’opinion publique.
Jamais depuis le début de l’après-guerre froide, la menace perçue en
Hongrie ne fut aussi faible que juste avant et pendant la chute du
régime de Milosevic.
Cela ne signifie pas que les pays d’Europe centrale et orientale
refusent de comprendre l’importance des capacités de projection
de puissance et font semblant de s’intéresser à la gestion de
conflits. Ces pays ont plutôt une perception de la sécurité n’impliquant pas la même combinaison de projection de puissance et de
défense individuelle et collective que de nombreux membres de
l’UE. C’est pourquoi seule une institution telle que l’OTAN peut
être crédible pour assurer la sécurité de la Hongrie (et d’autres pays
de la région) et offrir toute la gamme de capacités militaires allant
des opérations de maintien de la paix (faible intensité) à la défense
collective (forte intensité). Ainsi, l’UE, qui a récemment commencé à revendiquer son rôle en matière de sécurité, y compris au
sens militaire du terme, a un certain nombre de défis à relever. Elle
est non seulement une institution nouvelle dans le domaine de la
sécurité, mais elle doit également faire face à un inconvénient temporaire : l’OTAN a achevé, avant elle, sa première vague d’élargissement à l’Est et apparaît donc comme une institution d’autant
plus crédible qu’elle a tenu ses promesses d’élargissement. L’UE
doit encore définir clairement son rôle potentiel en matière de
sécurité. Sa définition actuelle, qui se limite aux missions de
Petersberg, ne pose pas de problème aux pays candidats. Pour être
37
2
Presque membre - Dans quel but ?
franc, cette contribution à la sécurité de la Hongrie pêche plutôt
par son insuffisance. Pour la Hongrie, la question n’est pas de
coopérer à la PESD ou non, mais plutôt de s’assurer que la PESD
puisse répondre de manière satisfaisante à ses besoins de sécurité.
Il faut en outre analyser l’impact de l’évolution de la PESD sur
l’OTAN, considérée comme le principal pourvoyeur de sécurité.
Bien qu’ayant renforcé son rôle sécuritaire dans le Traité de
Maastricht, il a fallu près de dix ans pour que l’UE ne se limite plus
à des discours rassurants et exprime sa volonté de créer une capacité militaire opérationnelle afin de mettre en œuvre les missions
de Petersberg. Même si l’action potentielle de l’UE se limite à ces
missions, la question est très controversée. Pour certains, elles
représentent le premier pas vers une capacité européenne de
défense collective, pour d’autres, c’est le maximum acceptable.
Le projet de l’Europe de renforcer son rôle dans le domaine de
la sécurité représente un grand défi pour les pays d’Europe centrale et orientale qui souhaiteraient devenir membres à la fois de
l’OTAN et de l’UE, ou font déjà partie de l’Alliance atlantique. Le
problème est qu’aucun d’entre eux ne veut compromettre ses intérêts avec l’une ou l’autre organisation. De plus, ils sont tous très
attachés à la présence américaine en Europe et ne soutiendraient
aucun projet risquant de conduire à un désengagement des EtatsUnis du Vieux Continent. En ce sens, la position de la Hongrie (et
sans doute de nombreux autres pays candidats) est la réplique de
l’ancienne position soviétique selon laquelle l’absence de l’Amérique en Europe confère une plus grande marge de manœuvre à la
Russie. Les pays d’Europe centrale et orientale sont intimement
convaincus que la présence américaine rend l’Europe plus sûre et
la plupart des Etats membres de l’UE partagent probablement cet
avis. Un analyste a exprimé ce sentiment de manière un peu différente : « Pour l’efficacité de la politique européenne, la question
qui se pose est de savoir dans quelle mesure l’institutionnalisation
de la relation entre l’OTAN et l’UE sera stable et fonctionnelle »6.
Déjà, au tout début de la PESD, la Hongrie avait donné son avis.
Une position un peu énigmatique, qui lui est restée depuis pour les
raisons mentionnées plus haut. Selon un document interne du
ministère des Affaires étrangères, « un engagement durable à
l’égard d’une relation transatlantique solide et d’une coopération
stratégique entre l’OTAN et l’Union européenne sont la condition
préalable à une prévention efficace des crises en Europe ». Après le
sommet de Helsinki et la publication des Headline Goals, les quatre
8. Laszlo J. Kiss, « Ungarn und die
Europäische Sicherheits- und
Verteidigungspolitik », dans HansGeorg Ehrhart (dir.), Die Europäische Sicherheits-und Verteidgungspolitik : Positionen, Perzeptionen,
Probleme, Perspektiven, Nomos,
Baden-Baden, 2002, p. 136.
38
2
Pal Dunay
pays de Visegrad ont déclaré que les missions de Petersberg « renforcent la sécurité euro-atlantique dont l’Alliance nord-atlantique
est la pierre angulaire »9. Peu après, dans une lettre décrivant la
position de son pays sur différents aspects de l’avenir de l’Union
européenne, le ministre hongrois des Affaires étrangères a à peine
mentionné la PESD : « La Hongrie est pleinement consciente de
l’importance de la politique européenne commune de sécurité et
de défense et elle soutient son évolution ». Cette déclaration laconique sur le sujet dénotait d’un manque d’enthousiasme certain.
Les nouveaux membres de l’OTAN ont montré la différence
fondamentale qui existe entre un pays de facto non aligné et un
membre de l’Alliance atlantique. Le Premier ministre hongrois a
affirmé au sujet du conflit au Kosovo : « Grâce à notre adhésion
rapide à l’OTAN, nous nous retrouverons, à la veille d’un conflit
qui pourrait se transformer en guerre, non pas sans défense et isolés, mais membre, comme les autres, de la plus puissante alliance
militaire »10. Il est évident que les nouveaux membres considèrent
que leur adhésion à l’OTAN est un tournant symbolique qui s’inscrit dans leur volonté de devenir membres à part entière de la communauté de sécurité occidentale.
Malgré leur fort engagement envers l’OTAN, les trois premiers
pays d’Europe centrale et orientale devenus membres et les candidats à l’Alliance atlantique n’ont pas voulu remettre en cause
ouvertement la PESD pour plusieurs raisons. La principale est
peut-être qu’il n’aurait pas été sage de se distancier d’une organisation dont le pays souhaite devenir membre. Par ailleurs, personne ne sait à ce jour si la PESD sera une réussite ou un échec. Il
est impossible de prévoir si, suite à une diminution de l’engagement américain en Europe, la PESD gagnera en importance ou
non. Les signaux contradictoires envoyés par Washington pendant les deux années qui ont précédé le 11 septembre n’ont certainement pas encouragé les pays candidats à accroître leurs efforts
vis-à-vis de la PESD.
Répondant aux attentes, les candidats ont fait des offres de
contribution à la Conférence d’engagement des capacités européennes organisée en novembre 2000. La plupart d’entre eux, et
surtout la Hongrie avec un bataillon de 350 hommes, ont proposé
des contributions plus ou moins importantes. On ne sait pas
quelle proportion de cette force a déjà été engagée au niveau international pour l’OTAN ou des opérations de soutien à la paix.
Outre l’importance stratégique que revêt une offre de contribu-
9. « Joint Declaration of the Chairmen of the Foreign Affairs, European Integration and Defence
Committees of the Visegrad Four
Countries », adoptée lors de leur
5e réunion, à Bratislava, du 26 au
28 janvier 2000, p. 1. http://visegrad.org/events.php?kdy=2628
april2000.
10. Parlamenti vitanap : a miniszterelnok expozeja (Débat au parlement : exposé du Premier ministre), 29 avril 1999, p. 1.
http://www.meh.hu/Kormany/K
ormanyfo/1999/04/990429.htm
39
2
Presque membre - Dans quel but ?
tion, la Hongrie défend son droit à participer à la prise de décisions
avant le lancement d’une opération. Elle a ainsi donné sa préférence à la coopération entre les Etats membres de l’UE et les
membres européens de l’OTAN ne faisant pas partie de l’UE
(15 + 6) plutôt qu’à un cadre qui inclurait tous les pays candidats à
l’UE ainsi que la Norvège et l’Islande (15 + 15).
Il est trop tôt pour se prononcer sur l’évolution de la PESD au
cours des années à venir. L’accent mis au départ sur l’aspect militaire de la prévention et de la gestion des conflits ne lui permettait
pas nécessairement de trouver un créneau tant que l’Alliance
atlantique, surtout avec les Etats-Unis, restait un acteur de sécurité crédible. Le manque de compétences et de ressources se faiit
d’ailleurs sentir beaucoup plus cruellement dans le domaine du
maintien de l’ordre international et dans certaines formes de gestion non militaire des conflits. Les pays d’Europe centrale et orientale verraient sans doute d’un bon œil une réorientation du projet
dans ce sens en vue de mieux contribuer à la sécurité européenne et
d’éviter de faire inutilement double emploi avec l’OTAN. Un choix
difficile entre une allégeance transatlantique ou européenne leur
serait ainsi épargné. Il est évident que, dans cette phase initiale du
projet, l’adaptation est de toute façon difficile. Le processus est
d’autant plus compliqué que le projet est de nature volatile,
chaque pays privilégiant un aspect différent lorsqu’il prend la présidence de l’UE. Comme la PESD n’a pas une orientation claire,
même les meilleurs « élèves » parmi les pays candidats, comme la
Hongrie, auront du mal à s’adapter.
Suite aux événements du 11 septembre, la situation pourrait
évoluer. La Hongrie a suivi de près cette évolution. Son enthousiasme pour la PESD pourrait augmenter à mesure que le projet
deviendra plus clair et prendra forme. Etant un pays relativement
petit, la Hongrie n’ira pas à contre-courant des grandes évolutions
internationales et européennes. Mais elle n’a pas non plus l’intention de se fourvoyer en s’engageant dans un programme qui finalement ne portera pas ses fruits. Lorsqu’on analyse la position du
pays sur la PESD, il faut faire la distinction entre la prudence des
déclarations officielles et les analyses plus progressistes. Le
ministre des Affaires étrangères a tiré la conclusion suivante : « On
a insisté sur ce qui était clair depuis le départ, à savoir que la Politique européenne de Sécurité et de Défense n’est ni en contradiction ni en concurrence avec l’OTAN. Dans le cadre de l’OTAN et
conformément au rôle essentiel de celle-ci en matière sécurité, elle
40
2
Pal Dunay
a une mission spécifique de prévention et de gestion des crises et
contribue ainsi au renforcement du volet politique étrangère et
sécurité de l’intégration européenne. La tragédie du 11 septembre
a, entre autres, montré que la cohésion de la famille atlantique est
bien plus importante que les nombreux différends entre l’Europe
et les Etats-Unis »11. Il est intéressant de constater que, pendant
toute une journée de débats au parlement hongrois en
novembre 2001, la PESD n’a été mentionnée qu’une seule fois,
lorsqu’un député a dressé la liste des missions de Petersberg et a
insisté sur le caractère non exclusif de la PESD, qui englobe aussi
les pays candidats. Cela a montré une fois de plus le peu d’intérêt
des dirigeants politiques hongrois et de la société en général pour
la dimension sécuritaire de l’UE.
Justice et affaires intérieures : un espoir de changement ?
Comme nous l’avons fait observer, la Hongrie a adopté une position modérée dans le droit fil de la campagne lancée contre le terrorisme. Au-delà de l’alliance symbolique avec les forces majeures de
la civilisation occidentale, il y avait un certain nombre de questions
concrètes à traiter. Mais il n’est pas très difficile dans ce cas de faire
la distinction entre les mesures prises en réponse aux événements
du 11 septembre et celles qui auraient vu le jour de toute façon.
Constatant que l’engagement de la Hongrie contre le terrorisme souffrait de lacunes, le gouvernement a montré sa volonté
de les combler. L’une de ses priorités a été le renforcement du cadre
juridique. En novembre 2001, la Hongrie a ratifié la Convention
internationale pour la répression des attentats terroristes à l’explosif et signé la Convention pour la répression du financement
du terrorisme. Il s’agit de la seule convention sur le terrorisme qui
ne soit pas encore entrée en vigueur en Hongrie. La Hongrie est
donc aujourd’hui presque totalement impliquée dans le réseau de
conventions contre le terrorisme : elle est à présent partie à onze
traités universels ainsi qu’à un traité régional et signataire d’une
convention universelle.
Avec les attentats contre le World Trade Center et le Pentagone,
la question du blanchiment de capitaux a fait l’objet d’une attention accrue, bien supérieure à celle que l’on accorde d’ordinaire à ce
type de criminalité organisée. La communauté internationale a
souhaité mettre en place un système infaillible qui empêche le
financement d’activités à caractère terroriste. En dehors du fait
11. Janos Martonyi, « Az aldozat
ertelme » (La signification du sacrifice), Nepszabadsag, 24 octobre
2001.
41
2
Presque membre - Dans quel but ?
qu’elle adhère à l’objectif même de la lutte contre le terrorisme,
Budapest avait plusieurs raisons de coopérer à ce processus. La
Hongrie est le seul pays membre de l’OCDE considéré comme non
coopératif par le Groupe d’Action Financière (GAFI) parce qu’elle
n’empêche pas certaines activités rendant le blanchiment de capitaux possible. Sur cette liste figurent aussi des pays comme Nauru,
le Nigéria, la Russie et l’Ukraine12. Lorsque le projet de loi contre le
blanchiment d’agent a été présenté devant le parlement, deux facteurs ont été mis en avant : (1) il était urgent d’adopter ce texte de
loi pour que la Hongrie ne figure plus sur la liste du GAFI lors de la
réunion de janvier 2002. Les perspectives d’adhésion de la Hongrie
à l’UE risquaient, sinon, d’être mises en cause ; (2) après les attentats terroristes de septembre 2001, cette nouvelle législation devait
rapidement voir le jour compte tenu de l’initiative du Conseil de
sécurité des Nations unies. Ainsi, les réflexions liées à l’élargissement de l’UE s’associaient aux considérations liées au terrorisme.
Les textes comprenaient des mesures telles que l’interdiction des
comptes bancaires anonymes et l’application des lois anti-blanchiment aux intermédiaires comme les agents immobiliers, les
marchands d’objets d’art ou de métaux précieux, les cabinets
d’avocats, les notaires et les comptables. Des restrictions furent
également mises en place pour l’octroi d’autorisations concernant
l’ouverture de bureaux de change.
La Hongrie s’intéresse à la coopération et y participe dans le
cadre du troisième pilier depuis bien avant septembre 2001. L’influence de la corruption sur l’application des lois en Hongrie a,
dans le passé, suscité des inquiétudes. Alors que l’adhésion de la
Hongrie à l’UE se rapprochait et que ces préoccupations s’atténuaient, un accord de coopération a été signé entre Europol et
Budapest. En mars 2001, le Conseil de l’Union européenne a
conclu que rien ne s’opposait à l’échange d’informations « sensibles » avec la Hongrie. L’objectif de l’accord signé en
octobre 2001 et entré en vigueur en novembre était d’élargir la portée de la coopération dans la lutte contre les formes les plus
extrêmes de criminalité internationale, surtout par le biais de
l’échange de renseignements stratégiques et opérationnels. L’accord ne prévoit aucun accès direct au système d’information d’Europol : le contact n’est possible que par l’intermédiaire d’officiers
de liaison13.
Il se trouve qu’en 2001, le chapitre relatif à la coopération en
matière de justice et d’affaires intérieures était à l’ordre du jour des
12. Stefan Wagstyl, « Budapest to
Act after Money-Laundering Criticism », Financial Times, 2 novembre
2001.
13. Voir projet de loi T/5458 sur la
promulgation de l’accord de coopération entre la République de
Hongrie et Europol signé à Budapest le 4 octobre 2001. Disponible
sur http://www.mkogy.hu.
42
2
Pal Dunay
négociations d’adhésion. La Hongrie n’ayant pas demandé de
dérogation, deux questions ont dominé les débats : (1) avait-elle
pris les mesures nécessaires pour harmoniser son système juridique ? (2) après son adhésion, serait-elle en mesure d’appliquer
les normes en vigueur dans l’UE, surtout celles découlant de
Schengen ? A la clôture de ces négociations en décembre 2001,
l’UE a accepté que la Hongrie aligne progressivement sa politique
de visa sur les exigences de l’Union européenne.
Les discussions se concentrent à présent sur la capacité de la
Hongrie à mettre en œuvre le régime de Schengen après son adhésion. Un élargissement « big bang » lui rendrait les choses plus
faciles. Sur les sept voisins de la Hongrie, l’Autriche est membre de
l’UE depuis 1995 et il est fort probable que deux autres Etats, la
Slovaquie et la Slovénie, adhèrent à l’UE en même temps qu’elle. La
Hongrie deviendrait donc la frontière extérieure de l’Union avec
quatre Etats (Croatie, Roumanie, Ukraine et République fédérale
de Yougoslavie). Alors que la mise en place des modalités techniques est en cours, la Hongrie semble confiante en sa capacité à
appliquer les accords de Schengen une fois membre de l’UE. Malgré tout, il lui faudra au moins deux ans après son adhésion pour
adhérer au régime de Schengen. Une inspection approfondie de la
frontière hongroise aura lieu avant celle de l’UE. Sans aucun
doute, le pays accepterait volontiers des aides financières supplémentaires pour mettre en place puis moderniser le système de
contrôle aux frontières, surtout si les Etats membres participaient
financièrement aux frais.
La Hongrie n’a rencontré aucune difficulté dans les autres
domaines. Elle ne s’est pas prononcée sur certaines évolutions
récentes telles que le mandat d’arrêt européen, car celles-ci feront
partie des acquis communautaires et il n’y a pas lieu de débattre de
quelque chose qu’il faudra accepter de toute façon.
En somme, la Hongrie a réalisé que les questions relatives au
troisième pilier au sens large du terme ont gagné en importance
depuis le 11 septembre. On pourrait même dire que l’écart entre le
premier pilier très chargé de l’UE et le troisième pilier moins dense
commence à se réduire. Il est trop tôt pour se prononcer sur la
question de savoir si les méthodes appliquées au troisième pilier
seront « communautarisées ». Alors que la Hongrie fait des efforts
pour combattre la criminalité organisée et contrôler ses frontières,
les efforts accrus de l’UE dans ce but sont les bienvenus.
43
2
Presque membre - Dans quel but ?
L’OTAN : crise et élargissement
L’OTAN est la seule alliance défensive de la zone euro-atlantique,
raison pour laquelle la priorité des pays de la région est d’adhérer à
l’Alliance atlantique. En 1997, la première fois que les anciens pays
membres du Pacte de Varsovie ont été invités à négocier leur adhésion future, la principale question était de savoir comment limiter
le nombre de nouveaux membres. A présent, la principale considération semble être de trouver le maximum de nouveaux membres.
L’Alliance atlantique, ou du moins l’un de ses membres, semble
bien décidée à opter pour un élargissement « big bang » de l’OTAN.
Etant donné le caractère exceptionnel du contexte actuel, il est
absolument impossible de tirer des conclusions du premier élargissement de l’après-guerre froide pour les élargissements à venir.
Sauf qu’il est peut-être plus facile d’influencer les membres potentiels avant leur adhésion que les pays récemment devenus
membres.
Après le 11 septembre, alors que les Etats-Unis ne voulaient pas
compter sur leurs alliés et coopérer avec eux au plus fort de la
guerre en Afghanistan, la conclusion a été que l’Alliance ne revêtait
plus la même importance militaire. Indépendamment des contrearguments avancés par le Secrétaire général de l’OTAN dans différents discours et articles, il est évident à présent qu’il sera de plus
en plus difficile pour les Alliés de faire la guerre ensemble. Les
Etats-Unis appartiennent à une classe à part dans ce domaine et
même les membres européens de l’Alliance les plus puissants ont
beaucoup de difficultés à rivaliser avec eux. Les plus petits pays
d’Europe sont si loin de ce niveau d’avancement technologique
qu’il est inutile pour eux d’essayer de rattraper leur retard. Sachant
que tous les pays d’Europe centrale et orientale sont généralement
de petite taille (rarement de taille moyenne), cela pourrait avoir des
répercussions considérables. Cependant, on n’a pas encore tiré
toutes les conclusions de la nouvelle situation et certaines questions demeurent encore sans réponse. Si le profil de l’OTAN
devient plus politique et moins militaire, sera-t-il toujours aussi
important qu’auparavant de consentir de tels efforts pour investir
dans la défense ? Certains membres actuels et futurs de petite
taille résisteront-ils davantage aux pressions exercées sur eux pour
qu’ils augmentent leurs dépenses en matière de défense, sachant
que leur contribution potentielle à l’effort collectif sera de toute
façon insignifiante ? Les Etats-Unis, l’état-major international et
44
2
Pal Dunay
le Secrétaire général de l’OTAN exerceront-ils moins de pressions
sur les Etats membres et les pays candidats pour qu’ils modernisent leur défense ?
Bien évidemment, les trois anciens membres du Pacte de Varsovie qui ont rejoint l’OTAN les premiers ont remarqué que leurs
performances ne donnaient pas satisfaction. Il serait simpliste
d’en conclure qu’ils n’ont pas progressé du tout depuis leur adhésion à l’Alliance. Mais ils ont compensé la déception de plusieurs
façons.
◗ Ils ont tous été des membres loyaux de l’Alliance, conscients de
leur poids par rapport aux grandes puissances de l’OTAN. Leur
loyauté s’est illustrée par le fait qu’ils ne sont pas intervenus de
manière notoire dans le processus de prise de décision de l’OTAN.
Cette discrétion a pu être observée lors de l’opération de l’OTAN
au Kosovo, pendant laquelle il fut aussi facile de prendre des décisions à 19 membres qu’auparavant à 16. Ils ont également montré
leur fidélité en participant, à l’instar de la plupart des pays candidats, aux deux principales opérations de soutien à la paix
conduites par l’OTAN, la SFOR et la KFOR.
◗ Ils ont également, de par leur situation géographique, contribué
aux missions de l’OTAN. L’Alliance a pu utiliser leur espace
aérien, leurs terrains d’aviation ainsi que d’autres installations
militaires le cas échéant. La Hongrie, pays voisin des trois Etats
succédant à l’ex-Yougoslavie, notamment de la Serbie, a ainsi participé de manière particulièrement active à l’opération menée au
Kosovo.
◗ Du fait de leur situation géostratégique et de leurs connaissances de certains de leurs voisins stratégiquement importants,
les nouveaux membres ont contribué à renforcer le savoir commun de l’Alliance. Ils ont également participé activement à une
coopération dans le domaine du renseignement.
◗ Enfin et surtout, les nouveaux membres ont compensé leurs
mauvaises performances à bien des égards en faisant des promesses. S’ils sont devenus maîtres dans cet art, ils les respectent
rarement. Et lorsqu’ils le font, c’est en retard et sous la pression de
différentes forces de l’Alliance. D’où une insatisfaction permanente par rapport aux performances de tous les trois Etats. Les
Etats-Unis et l’état-major international en ont beaucoup parlé. Si
l’OTAN devient une alliance plus politique, et donc moins une
alliance traditionnelle de défense collective, il se peut qu’on soit
moins exigeant envers les nouveaux membres. Et bien entendu,
45
2
Presque membre - Dans quel but ?
l’attention sera répartie sur sept et non plus trois pays comme lors
du dernier élargissement.
Depuis que l’idée d’un élargissement à l’Est a été acceptée,
l’OTAN n’a cessé de rappeler aux pays d’Europe centrale et orientale que ce n’était pas à « l’ancienne OTAN » qu’ils allaient adhérer,
c’est-à-dire à une alliance militaire traditionnelle contre un adversaire identifiable et puissant. Ils allaient devenir membres d’une
« nouvelle alliance », qui avait contribué à la stabilisation de l’Europe et de sa périphérie et dont les missions de gestion des conflits
constituaient l’activité principale. Tel était l’objectif premier. En
conséquence, les Alliés devraient disposer de capacités de projection de puissance adéquates. Leurs armées devraient correspondre
à certaines capacités et non pas à des menaces perçues ou réelles.
La défense du territoire national joue un rôle résiduel et non plus
décisif. Régulièrement, à la demande de l’un ou l’autre Etat
membre, la question de l’importance de la défense collective a été
réitérée dans des documents du Conseil de l’OTAN. L’article 5 du
Traité de Washington n’ayant jamais été invoqué en cinquante
ans, sa valeur n’a pas été éprouvée. Plus précisément, elle a été testée pendant la guerre froide, alors que la défense collective de l’Alliance et le lien entre la sécurité américaine et européenne jouaient
un rôle de dissuasion d’une efficacité indéniable. Toutefois, le rôle
de l’article 5 depuis le début des années 90 est devenu moins clair.
L’impression de l’auteur est que l’importance moindre accordée à la défense du territoire national a, de facto, fait perdre leur
légitimité aux efforts fournis par les Etats membres pour améliorer les capacités de défense de leur territoire, que ce soit individuellement ou collectivement. Les pays d’Europe centrale et orientale
ont compris que l’Alliance à laquelle ils s’efforçaient d’adhérer ne
considère pas la défense du territoire comme prioritaire. Leur participation à des opérations de soutien à la paix et leur contribution
à la projection de puissance des alliés le montrent bien. Ce n’est pas
par manque de compréhension qu’ils refusent d’accepter que la
projection de puissance soit quasiment le seul centre d’intérêt.
C’est leur intérêt national, fondé sur leur perception de la sécurité
internationale, qui explique qu’ils croient à un équilibre entre la
défense territoriale et la projection de puissance, ainsi qu’à un
juste équilibre entre des forces armées correspondant à la menace
et des forces adaptées aux capacités disponibles. D’autres pays
d’Europe centrale et orientale désireux de devenir un jour
membres de l’Alliance partagent sans aucun doute ce point de vue.
46
2
Pal Dunay
Ainsi, si le nombre d’Etats membres de la région augmente, l’attention accordée à la fonction traditionnelle de défense collective
de l’Alliance va également s’accroître.
En septembre 2001, suite aux attentats terroristes perpétrés
contre les Etats-Unis, l’OTAN a invoqué l’article 5 pour la première fois de son histoire. Puis, les Alliés européens ont fourni une
assistance militaire aux Etats-Unis. Ils les ont surtout aidés à libérer certaines de leurs troupes d’autres fonctions pour les concentrer sur leur opération en Afghanistan. Les Alliés ont, entre autres,
remplacé les troupes américaines stationnées dans les Balkans et
ils ont participé à la surveillance de l’espace aérien américain. Très
rapidement, les Etats-Unis ont renforcé leur défense nationale et
ils ont redéfini leurs priorités en matière de sécurité. Il convient
d’attirer l’attention sur deux aspects :
◗ La grande importance accordée à la défense du territoire national
du membre le plus puissant de l’Alliance donne de bonnes raisons
aux pays d’Europe centrale et orientale de demander davantage de
défense individuelle et collective.
◗ Pour ces pays, le recours à l’article 5, même en des circonstances
très particulières, vient confirmer la viabilité de cet article. La réaction des Etats-Unis et de l’OTAN aux attaques terroristes n’allait
certainement pas à l’encontre des intérêts des membres de l’OTAN
d’Europe centrale et orientale et des pays candidats.
Cependant, il se pourrait que l’après-11 septembre marque un
tournant dans l’évolution de l’OTAN, surtout pour ce qui est de
son rôle dans la lutte contre le terrorisme. Si cela aboutit à une
réduction des capacités opérationnelles de l’Alliance, l’importance de l’OTAN risque de diminuer. Reste à savoir si sa baisse
d’influence militaire sera compensée par une autre organisation,
en particulier l’UE. Pour les petits pays d’Europe centrale et orientale, il serait inquiétant de voir l’Europe demeurer sans cadre institutionnel crédible qui lui permette de faire face aux questions de
défense, notamment en termes de capacités opérationnelles.
Etant donné que les pays de la région sont avant tout des Etats
« consommateurs de politique », ils verraient d’un mauvais œil un
retour à la nationalisation de la défense. Ils seraient encore plus
réticents à une réduction des capacités institutionnelles d’une
organisation qui ne serait pas compensée par le processus inverse
dans une autre. Ainsi, si l’OTAN devient moins importante en
tant qu’institution de défense collective, les pays d’Europe centrale et orientale qui mènent deux combats de front, en cherchant
47
2
Presque membre - Dans quel but ?
à devenir membres à la fois de l’OTAN et de l’UE, pourraient privilégier la PESD et évaluer ses perspectives de manière plus positive. Leur évaluation et leurs déclarations reposeraient sur l’évolution du processus défini par les acteurs principaux du système
international.
Position initiale de la Hongrie sur l’avenir de l’UE
La dernière fois qu’un débat a eu lieu sur l’avenir de l’Union européenne, il a porté sur l’adoption du Traité de Maastricht, début
1992. Comme l’a affirmé le président de la Hongrie : « L’avenir de
l’intégration européenne, qui a toujours été une question d’actualité, a, tout au long de ce demi-siècle d’intégration, fait l’objet de discussions plus ou moins houleuses. Cette réflexion commune a
connu un nouvel élan au cours des derniers mois »14.
C’est le ministre allemand des Affaires étrangères, Joschka
Fischer, qui a lancé en mai 2000 le débat à l’université de Humboldt. Après avoir rappelé les deux réalisations majeures de l’UE des
années 1990 – mise en place de l’union [économique et] monétaire
et accord sur l’objectif d’une Politique européenne de Sécurité et de
Défense –, il a souligné les pressions croissantes de l’élargissement,
d’où le besoin pour l’Union d’une réforme institutionnelle. Or ce
débat pose deux questions cruciales :
◗ Peut-on raisonnablement penser qu’il influencera la politique
européenne ?
◗ Quel lien existe-t-il entre le débat et les prochaines réformes des
institutions et des procédures décidées par la Convention et la
Conférence intergouvernementale qui suivra ? Autrement dit, le
débat est-il pertinent du point de vue politique ou seulement stimulant sur le plan intellectuel ?
Si l’on part du principe que la Convention et la CIG auront effectivement un impact sur l’avenir de l’Union européenne, il est essentiel
que les pays candidats, notamment la Hongrie, y participent. Le Premier ministre a souligné que « la Hongrie ne souhaite plus assister en
tant qu’observateur extérieur à la conférence sur l’avenir de l’UE prévue pour 2004 à Nice, mais sur un pied d’égalité avec les autres, afin de
définir les futurs objectifs et les grandes étapes de l’intégration »15.
Cette question jette une ombre sur la position de la Hongrie et de
nombreux autres pays candidats. Aucune décision «nous concernant
ne devrait être prise sans nous ». Il ne s’agit plus simplement de participer, mais de devenir membre le plus rapidement possible.
14. Discours du président de la
République, Ferenc Madl, lors de
la Conférence sur l’avenir commun de la Hongrie et de l’UE,
au Parlement, le 5 juin 2001, p. 1.
http://www.kum.hu/euint/future3.html.
15. Contribution de Viktor
Orban, Premier ministre de la
Hongrie, au débat sur l’avenir
de l’Europe, 5 juin 2001, p. 1.
http://www.kum.
hu/euint/
future1.html.
48
2
Pal Dunay
Si l’on regarde de plus près la demi-douzaine de déclarations
officielles et articles de hauts responsables politiques sur ces questions, un consensus se dégage sur la nécessité de construire une
« Europe commune à taille humaine, notre propre Europe. Une
Europe que chaque citoyen considère comme sienne, une Europe
que les citoyens approuvent et dont ils modèlent les objectifs, une
Europe dont les citoyens comprennent et soutiennent le système
législatif et le fonctionnement institutionnel », comme l’a réaffirmé M. Orban. Selon le ministre des Affaires étrangères, Janos
Martonyi, « le renouveau intellectuel et institutionnel du cours de
l’intégration est une condition préalable pour aller de l’avant :
créer une Union plus simple, plus transparente et plus efficace,
plus facile à comprendre »16.
On comprend aisément que la Hongrie, en tant que pays candidat, appelle de ses vœux une Union plus transparente capable de
combler le déficit démocratique et ce, pour trois raisons.
◗ Une telle Union est dans l’intérêt de tout acteur ou partenaire de
l’UE.
◗ Elle ne suscite pas de controverse entre les Etats membres, du
moins pas dans sa définition de base.
◗ Elle est dans l’intérêt de tout pays candidat désireux d’adhérer
prochainement à l’Union, mais ne souhaitant pas que sa population éprouve un sentiment d’aliénation et de désillusion peu de
temps après cette adhésion.
Pour ce qui est des changements institutionnels, M. Orban est
favorable à « un partage des tâches clairement défini et à une attribution démocratique des compétences ». Il n’entre pas dans les
détails et il a bien raison. M. Martonyi répète les arguments qui
nourrissent les débats institutionnels de l’Union depuis de nombreuses années. Les pouvoirs législatifs du Parlement européen
devraient être étendus. Ce serait le moyen le plus efficace de lutter
contre « le désintérêt des citoyens pour les élections au Parlement
européen ». M. Martonyi a un avis assez clair sur au moins une des
questions très débattue, à savoir la future structure législative de
l’Union : « Le système institutionnel devrait renforcer la relation et
la coopération entre le Parlement européen et les parlements
nationaux, ce qui permettrait à ces derniers de jouer un rôle plus
actif dans les affaires européennes. Il serait peut-être utile de considérer la mise en place éventuelle d’une seconde chambre qui servirait de cadre pour cette coopération renforcée entre les parlements. Je ne pense pas, pour ma part, que l’autre idée avancée –
16. Discours du ministre Janos
Martonyi sur l’avenir de l’Europe,
lors de la réunion informelle
des ministres des Affaires étrangères de l’Union européenne,
Genval, 8 septembre 2001, p. 1.
http://www.europa.eu.int/futurum/documents/other/sp08090
1_en. htm.
49
2
Presque membre - Dans quel but ?
transformer le Conseil en Sénat – soit la voie à suivre ».
Le Conseil devrait continuer de fonctionner comme forum de
coopération intergouvernementale : « [il] devrait servir de forum
rassemblant les intérêts nationaux et les Etats membres ». Enfin, il
est très important que la Commission européenne demeure « – à
travers le droit d’initiative – le moteur du processus d’intégration,
tout en veillant à l’application des obligations fixées par les Traités, des politiques et des réglementations communes ».
M. Martonyi prend également position sur une autre question
quelque peu controversée : « L’élection [du] Président [de la Commission] au suffrage direct marquerait une avancée vers un véritable exécutif européen (…) Je suis convaincu que, si l’Europe est
incarnée par un dirigeant charismatique aux yeux des citoyens et
identifiée à lui, elle se rapprochera des Européens, ce qui est
aujourd’hui un élément incontournable du processus d’intégration ». Le ministre des Affaires étrangères s’est ainsi prononcé avec
prudence et sans provocation sur certaines questions institutionnelles. Il avait auparavant insisté sur l’importance pour la Commission de comprendre un Commissaire de chaque Etat membre,
tout en laissant là aussi la porte ouverte à une autre stratégie si les
circonstances venaient à changer : « en l’état actuel de l’évolution
de l’Union, chaque Etat membre devrait être représenté par un
Commissaire »17. Quant à savoir dans quelle mesure son avis
influence la position du gouvernement sur le long terme et jusqu’où la Hongrie pourra aller si les Etats membres ne la soutiennent pas, ce sont là d’autres questions.
Néanmoins, M. Martonyi incarne bien les changements
majeurs qui se sont opérés récemment sur la scène internationale.
Après les attentats du 11 septembre, il a senti qu’il fallait continuer
à réformer les institutions et aller au-delà des idées proposées
auparavant. Il a suggéré qu’il « serait possible de réfléchir à un
remaniement des trois piliers et de simplifier le fonctionnement
des institutions »18. M. Martonyi a remarqué, à juste titre, qu’au vu
de la nouvelle situation, il convient de réexaminer la séparation
entre le deuxième et le troisième pilier, afin de reconnaître le lien
étroit qui doit être établi entre sécurité intérieure et extérieure.
Le chef du gouverment et le chef de la diplomatie soulignent
tous deux que le débat actuel sur l’avenir de l’Europe s’inscrit dans
le contexte de la mondialisation. Il est intéressant de constater
qu’ils associent la nécessité de construire une Europe compétitive
à la perspective de l’élargissement et non pas à la compétitivité de
17. Lettre du ministre hongrois
des Affaires étrangères, Janos
Martonyi, à son homologue portugais, Jaime Gama, 8 février
2000.
18. Audition de M. Janos Martonyi, ministre hongrois des Affaires
étrangères, dans le cadre des
« Mardis de l’Europe », Assemblée
nationale, Délégation pour
l’Union européenne, réunion du
mardi 6 novembre 2001, p. 2.
50
2
Pal Dunay
l’Europe en général. Suite aux événements du 11 septembre,
M. Martonyi a également attiré l’attention sur l’urgence de cette
question : « il ne nous reste plus beaucoup de temps pour créer une
Europe véritablement unie et élargie. Non seulement les défis globaux rendent ce processus inévitable, mais ils lui confèrent aussi
un caractère d’urgence »19.
Reste à savoir si les responsables politiques hongrois ont le
même point de vue sur l’avenir de l’Europe. L’impression dominante est que le ministre des Affaires étrangères soutient plutôt
l’idée d’une Europe fédérale représentée et défendue par Joschka
Fischer, alors que d’autres, le Premier ministre surtout, sont plus
favorables à une Europe d’Etats-nations. Dans les faits, toutefois,
M. Martonyi n’a jamais contredit, même tacitement, M. Orban,
que ce soit sur des questions concrètes importantes sur le plan
politique, ou sur des questions plus théoriques et stratégiques
comme celle qui nous intéresse. Etant donné la politique de « tolérance zéro » appliquée par M. Orban au sein de son cabinet, c’est la
meilleure attitude à adopter pour un membre du gouvernement.
Quant à savoir si l’influence de M. Martonyi est due à un mélange
de loyauté, d’intelligence et de grande expérience professionnelle,
c’est un autre débat. Il n’est donc pas étonnant que M. Martonyi
évite de prendre position sur la question très controversée de l’avenir de l’Europe : « C’est faire fausse route que de choisir entre un
modèle purement intergouvernemental ou entièrement supranational. Il serait plus avantageux, voire peut-être plus aisé, d’appliquer les deux méthodes de manière à ce qu’elles se renforcent
mutuellement. Bien entendu, ce n’est pas une idée nouvelle – l’essence de l’Union européenne réside précisément dans la coexistence et l’interaction d’éléments intergouvernementaux d’une
part, et communautaires ou supranationaux de l’autre ».
M. Orban partage plus ou moins l’avis de M. Martonyi : « il est
impératif qu’il y ait un amalgame d’éléments fédéraux et intergouvernementaux ».
Cependant, dans le même discours, le Premier ministre
explique clairement qu’il n’est pas favorable à trop de centralisation et de « fédéralisation ». Il espère que la structure à venir « permettra à l’Union à la fois de fonctionner de manière efficace, de
renforcer son rôle dans le monde, de tenir compte du principe de
subsidiarité et de l’appliquer de manière cohérente. Ne devraient
être délégués à l’UE que les fonctions et les pouvoirs qui, dans l’intérêt des citoyens, peuvent être exécutés et réalisés plus efficace-
19. Op. cit. dans note 11.
51
2
Presque membre - Dans quel but ?
ment par l’Union ». Toutefois, les intérêts nationaux l’emportent
sur la rationalisation du fonctionnement de l’UE. Dans son intervention de février 2000, M. Martonyi a du reste affirmé : « pour
l’instant, il n’est pas nécessaire de débattre de la coopération renforcée. Si, suite à l’élargissement, des différences philosophiques
ou pratiques devaient voir le jour parmi les Etats membres, nous
rechercherions volontiers avec nos partenaires des moyens de renforcer et d’approfondir la coopération ». Même si cet aspect de la
position hongroise a, par la suite, disparu des documents officiels,
il est clair que le pays s’opposera, d’une manière ou d’une autre, à
sa mise à l’écart, par le biais d’une coopération renforcée, des questions le concernant.
Pour quiconque a étudié la politique étrangère de la Hongrie, le
message du Premier ministre est clair. La Hongrie pourrait accepter le niveau actuel d’intégration européenne, mais pas davantage
de limites à sa souveraineté20. Bien que d’un avis différent, M. Martonyi a exprimé ses réserves avec retenue. Il a évoqué une Europe
« où la notion de territorialité absolue perdrait de son importance
et aurait moins de sens en étant remplacée en partie par des entités
situées en amont ou en aval de l’Etat, comme les régions ou les
communautés locales et les organisations autonomes. (…) Le tissu
qu’elles forment transformerait l’Europe en une Europe des Communautés, une Communauté des Communautés permettant l’affirmation et la promotion de l’identité culturelle et linguistique,
de l’identité historique et culturelle des minorités et des majorités,
faisant de la diversité et de la culture européennes l’un des principaux piliers de son unité »21 . Il est difficile de dire s’il s’agit là d’un
rejet tacite des positions de ceux qui n’ont en tête que la souveraineté de l’Etat.
Les conclusions de M. Martonyi sont proches de celles du
ministre allemand des Affaires étrangères. M. Martonyi a une
approche plus pragmatique et plus ouverte, moins centrée sur la
finalité. C’est la raison pour laquelle il ne veut pas que les réalisations de l’intégration européenne – méthode communautaire,
équilibre institutionnel et compétences communautaires – soient
remises en cause22. Ce pragmatisme a certainement un rapport
avec la situation dans laquelle se trouve la Hongrie avant que ne
soient prises les décisions directement liées à l’avenir de l’Union.
20. Il est intéressant de noter que
le FIDESZ, le parti de M. Orban,
avait fondé son concept de politique étrangère pour la campagne
électorale de 1994 sur l’idée de
« souveraineté limitée ». Après
être passé d’une tendance libérale
à une tendance conservatrice et de
l’opposition au gouvernement, le
FIDESZ voulait jouir de la souveraineté la plus totale.
21. « Discours du ministre Janos
Martonyi sur l’avenir de
l’Europe », p. 3.
22. Janos Martonyi, « A jovo Europaja – a kozossegek kozossege »
(L’Europe de l’avenir – la communauté des communautés), Magyar
Nemzet, 10 novembre 2001.
52
2
Pal Dunay
La dimension régionale
Il est de plus en plus probable qu’un grand nombre de pays candidats adhéreront simultanément à l’Union européenne. Cela contribuera certainement à mettre fin aux divisions au sein de la région,
même si certaines s’en trouvent exacerbées. Depuis la fin de facto de
la coopération artificielle et forcée entre les PECO en 1989, plusieurs cadres de coopération se sont mis en place dans les différents
pays. Si l’on essaie de créer des catégories pour mieux comprendre
cette mosaïque, on en arrive aux conclusions suivantes. La plupart
des cadres de coopération se sont concentrés sur les aspects pratiques de la coopération et ont intentionnellement gardé un profil
bas. Le groupe bien connu de Visegrad a été une exception. Dans la
grande majorité des cas, des groupes se sont formés grâce au soutien de l’Occident. Aucun d’eux n’a été institutionalisé. L’ensemble
de ces facteurs nous incite à conclure que les cadres régionaux de
coopération ne représentent pas une forte identité régionale. L’absence d’institutions régionales fortes a également créé une situation où la coopération peut disparaître et réapparaître rapidement,
ce qui semble être à la fois un avantage et un inconvénient.
La coordination de la position des PECO vis-à-vis de l’Occident
a eu un impact considérable sur la création d’institutions régionales, dont le fonctionnement a parfois été régi davantage par des
intérêts communs que par des valeurs communes. Il n’y a aucune
raison de penser que cela changera à l’avenir : la coopération sporadique reposera sur des intérêts communs. Ceux-ci pourraient se
cristalliser autour de la fin du rôle périphérique de ces Etats dans
l’Union en général ou encore autour de questions économiques
concrètes, telles que l’accès aux fonds structurels et aux subventions agricoles. Comme les pays de la région ont relativement peu
de choses en commun, en dehors des questions mentionnées plus
haut, il est peu probable qu’ils forment des coalitions plus
durables. Leur volonté de se battre pour défendre les « intérêts
communs » des petits Etats membres, par exemple, est un mythe.
Il suffit d’avoir à l’esprit la pondération des voix approuvée à Nice
pour en être convaincu. Comme la plupart, voire la totalité des
PECO qui adhéreront à l’UE seront aussi membres de l’OTAN d’ici
là, il est probable qu’ils deviennent les baromètres de la relation
euro-atlantique. Leur position fluctuera vraisemblablement en
fonction des relations de pouvoir entre les deux organisations et
ces pays suivront sans prendre l’initiative. Ils souhaiteraient sans
53
2
Presque membre - Dans quel but ?
doute éviter le déclin du rôle de l’Alliance atlantique si une capacité de défense européenne crédible ne vient pas le compenser.
C’est pourquoi, ils feront tout ce qui est en leur pouvoir pour éviter une renationalisation de la défense en Europe et encourager
l’institutionalisation de la sécurité européenne.
Il est évident que la coopération régionale ne s’est pas suffisamment stabilisée (à travers l’institutionalisation, l’intensification des relations et le resserrement des liens entre les dirigeants)
pour jouer plus qu’un rôle de complément des relations internationales. C’est pourquoi certains sceptiques sont assez forts pour
affaiblir considérablement le réseau régional. Les incidents politiques provoqués au sujet des décrets Benes de 1945 par le Premier
ministre tchèque, Vaclav Klaus, au milieu des années 1990 et, plus
récemment, par son homologue hongrois, Viktor Orban, début
2002, l’ont amplement démontré. Dans ce type de situation, on ne
peut guère parler d’une identité régionale enrichissant significativement la coopération européenne.
Conclusion
Selon les chefs d’Etat, les hauts fonctionnaires internationaux et
les analystes, les attentats du 11 septembre marquent le début
d’une nouvelle étape dans les relations internationales. Je ne partage pas ce point de vue et j’ai au contraire l’impression que la structure sous-jacente des affaires internationales n’a pas changé depuis
la fin de la guerre froide. Le système était unipolaire et il le reste,
avec les Etats-Unis au centre. L’unilatéralisme américain, toujours
présent, est devenu plus visible au lendemain du 11 septembre. La
relation entre les Etats-Unis et les autres grands acteurs n’a pas
changé de manière notoire et durable. Malgré une diminution de la
coopération militaire au sein de l’Alliance atlantique, l’Amérique et
ses alliés européens partagent toujours la plupart des valeurs fondamentales. Les relations politiques entre les deux parties n’ont pas
non plus changé radicalement. Pour les raisons citées plus haut, il
se pourrait que la nouvelle relation chaleureuse entre les Etats-Unis
et la Russie ne dure pas très longtemps. A terme, ce processus pourrait mener à un déclin visible de l’importance militaire de l’OTAN.
Dans ce cas, l’Europe n’aurait plus de cadre institutionnel pour
régler les affaires de défense, notamment de défense collective. La
question de savoir si cela donnera un nouvel élan à l’UE dans ce
domaine et dynamisera ainsi la PESD reste ouverte. Actuellement,
54
2
Pal Dunay
il semble que la sécurité et la défense ne sont pas les domaines de
prédilection de l’UE en tant qu’institution. Il faudra donc du temps
avant qu’elle ne développe des capacités permettant d’aller plus
loin que la mise en œuvre des missions de Petersberg.
Si on en conclut que le système international, notamment l’UE,
n’a pas subi de changement révolutionnaire suite au 11 septembre, alors on pourrait parler d’un changement de cap. L’UE a
modifié sa trajectoire et son évolution pourrait suivre une orientation différente.
Contrairement à ce qui a été dit par certains, les changements
qui se sont produits n’ont pas ébranlé les perspectives d’élargissement. Le choix d’un élargissement en bloc est plus le reflet de l’incertitude stratégique de l’UE face aux pays d’Europe centrale et
orientale qu’une conséquence du 11 septembre. C’est pourquoi la
Hongrie, en tant que pays candidat, n’a pas le sentiment que les
perspectives d’élargissement de l’UE ont été directement touchées
par ces événements. En tant que petit pays, la Hongrie pourrait
devenir plus pro-européenne et moins pro-atlantique si les rapports de forces changent durablement, si les Etats-Unis continuent à réduire leur engagement en Europe et que, par conséquent, l’Union européenne élargit son champ d’action dans le
cadre du deuxième pilier. Si c’est le cas, on pourra dire que la Hongrie sera devenue plus pro-européenne dans le domaine de la
défense non pas par choix mais par défaut.
Comme nous l’avons vu, la transition économique de la Hongrie est remarquable et n’a pas encore rencontré de grandes difficultés. On a pourtant pu observer, au cours de ces dernières années
sous la direction d’une coalition conservatrice, quelques signes
inquiétants. La plupart d’entre eux (corruption, ingérence du gouvernement dans l’économie, atteinte à certains droits démocratiques, démocratie non libérale, étatisme, etc.) sont des problèmes
qui ne deviennent visibles qu’après un certain temps. Ce n’est que
début 2002 que l’Occident a tiré la sonnette d’alarme. Ignorant
systématiquement ces mises en gardes, Budapest a poursuivi sa
politique populiste. Certains de ses actes étaient en contradiction
totale avec son statut de candidat à l’UE. Le Premier ministre
Orban parla de « patriotisme économique » tandis que la presse
faisait état des discriminations exercées par le gouvernement hongrois à l’encontre des entreprises et capitaux étrangers. Plus tard,
lors de sa visite à Budapest, le Commissaire chargé du marché intérieur, Frits Bolkenstein, estima qu’il était nécessaire d’exprimer
55
2
Presque membre - Dans quel but ?
clairement sa préoccupation au sujet de la politique économique
du gouvernement hongrois, car celle-ci remettait en cause les perspectives d’adhésion du pays. Lorsque l’on sait qu’avec ses décisions
populistes et ses promesses, le gouvernement conservateur a
potentiellement mis en danger l’équilibre économique du pays et
écarté les investisseurs étrangers, les perspectives économiques
semblent encore plus sombres que ne le montrent les chiffres.
L’horizon politique n’est pas plus encourageant. Depuis son
arrivée au gouvernement en 1998, la politique du parti de
M. Orban a visé à faire disparaître le « centre » et à diviser la société
entre la droite et la gauche. La droite, réunie sous son parti incarnerait les forces progressistes, tandis que la « gauche », unifiée par
le parti socialiste, ne devait représenter rien d’autre que la nostalgie du gouvernement Kadar. Le projet a en partie abouti : le centre
du spectre politique s’est réduit comme peau de chagrin. Cependant, M. Orban n’a pas vraiment réussi à associer le parti socialiste
au passé et les électeurs se sont ralliés massivement à la gauche.
Lors des élections du 7 avril 2002, le parti socialiste a recueilli
42,03 % des voix et les conservateurs 41,11 %.
La division de la société posera certainement un problème très
sérieux au gouvernement. Il est dans l’intérêt de la nouvelle coalition libérale-socialiste de construire des passerelles pour supprimer cette fracture, sinon le pays deviendra ingouvernable. L’expérience passée du gouvernement de coalition nationale-socialiste
(1994-1998) montre bien que l’attention se portera sur les attentes
de l’ensemble de la planète. Pour des raisons compréhensibles,
notamment parce que 70 % des exportations de la Hongrie sont
produites par des entreprises multinationales situées à l’intérieur
du pays, le Premier ministre a l’intention de donner un coup de
fouet à l’investissement étranger. Certains désaccords sont prévisibles pendant la dernière phase des négociations d’adhésion à
l’UE – sur la durée de la période de transition au terme de laquelle
les étrangers pourront devenir propriétaires fonciers, les producteurs agricoles recevront des paiements directs, l’accès aux fonds
structurels sera possible, etc. On peut être néanmoins certain que
le monde n’aura pas à entendre de déclarations populistes irresponsables de la part de ce gouvernement. L’approche concernant
l’UE ne changera pas, au sens où la priorité restera le premier pilier.
La PESD occupera une place encore plus importante dans le programme du gouvernement si elle se consolide, notamment si
l’OTAN perd progressivement sa crédibilité comme fournisseur
56
2
Pal Dunay
de sécurité. S’agissant de sécurité, la PESD revêt toutefois, aux
yeux de la Hongrie, une importance inversement proportionnelle
à celle de l’OTAN ; autrement dit, si la première diminue, la
seconde verra automatiquement son rôle s’accroître. Il est temps,
une fois de plus, qu’un gouvernement composé de responsables
politiques honnêtes et réalistes non seulement soit capable de
remettre la Hongrie sur les rails, mais aussi ait la détermination et
le temps de l’y maintenir.
57
Quelles perspectives
d’avenir ?
Elargissement et
défence européenne
après le 11 septembre
1
3
Jacek Saryusz-Wolski
Après l’attaque terroriste lancée contre les Etats-Unis (et en réalité
contre la civilisation occidentale tout entière), la position officielle
de la Pologne n’a pas fondamentalement changé, qu’il s’agisse de
l’avenir de l’Union européenne ou de la mise en place de la PESD. Le
processus d’adhésion n’a pas non plus été remis en cause. Ces événements ont néanmoins alimenté une certaine réflexion et pourraient faire évoluer lentement le point de vue de la Pologne sur la
sécurité européenne. Il faut surtout espérer qu’ils provoqueront
une révision des concepts dominants en Pologne.
S’ils ambitionnent, comme le pense l’auteur, de jouer un rôle
constructif au sein d’une Union élargie, la Pologne et les autres
pays candidats doivent avoir leur propre vision de l’avenir de l’intégration européenne. Ils ne pourront la formuler que dans un
débat national approfondi sur cette question aussi difficile que
fascinante.
1. L’intention n’est pas ici de faire
une présentation cohérente de la
position polonaise sur l’avenir de
l’UE ou sur le développement
d’une Politique européenne de Sécurité et de Défense. Plutôt que de
tenter une telle analyse ou de décrire le débat au sein de l’establishment polonais, il a été décidé
de donner un point de vue beaucoup plus personnel sur le panorama de l’après-11 septembre.
C’est là, bien entendu, l’évaluation d’un ressortissant d’un pays
candidat. L’auteur est toutefois
convaincu que de nombreux responsables de l’UE adhèrent non
seulement à l’analyse de l’impact
de la tragédie du 11 septembre sur
la sécurité européenne et sur le
processus d’élargissement, mais
aussi aux hypothèses concernant
la future architecture institutionnelle de l’Union européenne.
Dans ce chapitre, l’auteur s’est
également mis dans la peau d’un
Européen de l’Ouest pour présenter quelques observations sur la
nature de la sécurité européenne,
le besoin de leadership et la voie
que devrait prendre une nouvelle
approche européenne intégrée de
la sécurité. texte note
Le processus d’élargissement de l’UE
La tragédie qui a frappé New York le 11 septembre aura sans nul
doute une incidence considérable sur notre idée de la sécurité, mais
elle pourrait aussi influencer indirectement le processus d’élargissement de l’UE. Cette attaque terroriste a rappelé à l’Union européenne la nécessité de répondre aux menaces qui pèsent sur elle.
Son impact sur l’adhésion de nouveaux membres peut toutefois
avoir des effets diamétralement opposés.
◗ Ces événements pourraient inciter l’UE à prendre conscience de la
nécessité de mener une politique étrangère plus énergique, laquelle
favoriserait une approche plus intégrée de la sécurité impliquant
notamment un élargissement rapide. La sécurité de l’UE serait
ainsi renforcée par des moyens géopolitiques (principe selon lequel
plus vos voisins immédiats sont en sécurité et plus ils sont forts,
plus vous l’êtes vous-mêmes).
◗ Mais la menace terroriste peut avoir l’effet exactement inverse.
58
3
Jacek Saryusz-Wolski
L’élargissement de l’UE peut perdre encore de son intérêt aux yeux
de l’opinion publique européenne, cessant ainsi d’être la priorité de
l’élite politique.
◗ Le troisième scénario serait un retour pur et simple au statu quo –
après le choc initial, l’UE poursuivrait son élargissement comme si
de rien n’était.
Certains analystes estiment plus probable que les événements
de New York auront des conséquences négatives sur l’élargissement. Timothy Garton Ash, qui s’en est entretenu avec Hubert
Védrine, alors ministre français des Affaires étrangères, prévoit un
ralentissement possible de ce processus suite aux attaques terroristes. Selon lui, l’Union européenne, déjà très préoccupée par ses
problèmes de sécurité intérieure, se contentera d’allonger la liste
déjà bien remplie des conditions difficiles que doivent remplir les
pays canditats lors de leur adhésion2. L’étanchéité de la future
frontière orientale de l’UE sera considérée comme la priorité absolue. Si l’Union, non contente d’exiger la reprise de l’ensemble des
acquis de Schengen, dresse toute une liste d’autres critères relatifs
à la police des frontières (rémunération des douaniers, par
exemple), afin de s’en servir ensuite comme prétexte pour retarder
l’élargissement, les négociations d’adhésion avec les pays candidats pourraient en souffrir.
Les adeptes de cette thèse sur le ralentissement des négociations font observer que les attaques terroristes pourraient modifier les priorités de l’Union, faisant passer l’élargissement au
second plan. Plutôt que d’adopter une vision globale et de s’efforcer de gérer activement la crise, l’UE risque de se replier sur ellemême. Il pourrait en outre se révéler de plus en plus difficile de
convaincre l’opinion publique européenne que l’élargissement
peut avoir une influence bénéfique sur la sécurité du continent. La
grande majorité des citoyens de l’UE ont peur de l’étranger et le terrorisme risque d’aggraver encore ces craintes.
La plupart des décideurs d’Europe centrale et orientale pensent
toutefois que ce scénario pessimiste ne se réalisera pas. Il est possible que l’« effet New York », tout comme l’« effet Kosovo » contribua au renforcement de la PESC, ait lui aussi une incidence positive sur le processus d’élargissement. L’UE devrait comprendre
que l’élargissement est une garantie pour sa sécurité. Une coopération plus étroite avec les pays candidats facilitera la lutte contre
les menaces qui se profilent à l’horizon mais elle ne suffira pas.
Seule leur pleine participation à la politique européenne peut per-
2. Timothy Garton Ash, « Afghanistan and the Map of Europe »,
Gazeta Wyborcza, 10 octobre 2001
(article également paru dans le
New York Times).
59
3
Quelles perspectives d’avenir ?
mettre d’atteindre cet objectif.
Les effets stabilisateurs de l’élargissement sont déjà tangibles.
C’est justement la perspective de l’adhésion à l’UE qui a contribué
à pacifier l’ex-Yougoslavie. La Croatie, le Monténégro et même la
Serbie ont entrepris les réformes économiques nécessaires pour
remplir les critères de Copenhague. Prenons quelques exemples.
Les tensions entre la Hongrie et la Roumanie n’ont-elles pas été
apaisées principalement grâce à la perspective d’une adhésion
imminente ? Les problèmes liés aux minorités russes vivant dans
les pays baltes n’ont-ils pas été atténués parce que les critères européens ont été respectés ? La perspective de l’élargissement stabilise
les régions à risque du continent. Si l’Union rendait cette possibilité plus hypothétique, nous en supporterions tous le coût, y compris les actuels pays membres.
Malheureusement, le troisième scénario ne saurait être totalement écarté. Après le choc initial, le dossier de l’élargissement
pourrait être traité comme s’il ne s’était rien passé. Il faut reconnaître que le sommet européen de Laeken a donné une impulsion
au processus d’élargissement à la fois en désignant les dix candidats les plus avancés sur la voie de l’adhésion et en confirmant tout
particulièrement le calendrier de Nice/Göteborg3. Reste à voir
cependant si ces déclarations politiques se traduiront dans les
faits. Il est fort probable que l’impact du 11 septembre deviendra
un peu plus tangible lorsque les négociations aborderont la question des frontières extérieures de l’UE et les domaines de la justice
et des affaires intérieures.
Le processus d’élargissement de l’OTAN
En ce qui concerne l’OTAN, les répercussions des attentats de New
York et de Washington sur le processus d’élargissement sont
variables. Des raisons sécuritaires objectives (nécessité d’étendre la
zone de sécurité pour lutter plus efficacement contre la menace terroriste) pourraient inciter les membres de l’Alliance atlantique à
préférer un scénario d’élargissement ambitieux. Mais le 11 septembre a provoqué un réchauffement et un resserrement des relations entre l’Occident et la Russie, qui pourraient avoir l’effet
inverse.
L’interaction entre les deux processus d’élargissement n’est pas
facile à analyser. Mais des liens existent, que l’on peut mettre en
lumière. Par exemple, le comportement des nouveaux membres de
3. Selon lequel les pays candidats
les plus avancés devraient entrer à
l’Union avant les prochaines élections au Parlement européen (en
2004).
60
3
Jacek Saryusz-Wolski
l’OTAN (notamment leur aptitude à remplir leurs obligations de
membre et à se conduire de façon constructive) est parfois un
argument dans les débats sur leur adhésion à l’UE. L’interaction
entre les deux processus est toutefois particulièrement visible
dans la thèse, très répandue à la fois en Europe occidentale et en
Europe centrale et orientale, selon laquelle – au nom de la stabilité
– les pays d’Europe centrale, orientale et méridionale devraient se
voir offrir au minimum une perspective d’adhésion à l’OTAN ou à
l’UE. Par conséquent, dans la mesure où les responsables de la politique américaine envisagent, semble-t-il, de redéfinir le rôle de l’Alliance atlantique, la PESD devient une priorité d’autant plus
urgente pour les pays candidats.
S’agissant des trois pays analysés dans ce Cahier (République
tchèque, Hongrie et Pologne), leur entrée à l’OTAN a non seulement largement éliminé le sentiment d’insécurité dans leur population mais a eu également une incidence positive sur la stabilité de
la région. Le fait qu’ils appartiennent tous trois à l’OTAN a permis
à l’UE de centrer le débat concernant leur adhésion sur les aspects
économiques. De nombreux analystes et responsables politiques
soutiennent donc qu’il faudrait tout d’abord, au nom de la stabilité, proposer aux retardataires dans le processus d’adhésion à l’UE
une entrée rapide à l’OTAN. Mais malheureusement, de l’avis
général, les pays qui ne sont pas en mesure d’adhérer prochainement à l’UE ne sont pas non plus à même de remplir les obligations
imposées aux membres de l’Alliance.
La nécessité d’un leadership européen
Quelle que soit l’incidence des événements du 11 septembre sur
l’élargissement de l’UE et de l’OTAN, on ne peut nier que ce qui fait
le plus défaut à l’UE élargie, c’est un leadership. La remarquable
réussite de l’intégration européenne a produit une sorte de paradoxe, qualifié par Joseph Weiler de « paradoxe du succès »4. A ses
débuts, l’intégration européenne était perçue comme une obligation morale découlant de l’héritage du passé. Une fois cet objectif
atteint, la guerre étant devenue non seulement « impensable politiquement mais également irréalisable économiquement », les Européens, qui avaient le sentiment de vivre en sécurité, furent tentés de
se replier sur eux-mêmes.
Raymond Aron considérait en 1976 que, après avoir évité de
justesse dans le passé de périr par la folie des empires et des idéolo-
4. Joseph H.H. Weiler, « To Be a
European Citizen : Eros and Civilisation », dans J.H.H. Weiler (dir.)
The Constitution of Europe, Cambridge University Press, Cambridge, 1999, p. 329.
5. Raymond Aron, « The Crisis of
European Idea », Government and
Opposition, vol. 11, n. 1, 1976,
p. 19.
6. Samuel Huntington, « The US
Decline or Renewal », Foreign Affairs, vol. 68, n. 4, 1989.
61
3
Quelles perspectives d’avenir ?
gies déchaînées, l’Europe pourrait périr demain par abdication de
son rôle historique5. Bien des intellectuels ont eu eux aussi cette
impression. En 1989, Samuel Huntington prédisait que le
XXIe siècle serait marqué par la primauté de la fédération européenne6. Mais les Européens ne semblent pas encore prêts à assumer d’aussi hautes responsabilités. De nombreux auteurs qui ont
entrepris d’analyser la dynamique du XXIe siècle s’accordent à penser que la mondialisation forcera les Européens à prendre davantage de responsabilités politiques – car l’Union européenne n’a
d’autre choix que d’aller de l’avant et d’étendre son influence sur la
scène mondiale7. Cependant, l’Europe a toujours eu du mal à
renoncer à la tentation du repli sur soi. Même au début des années
1990, il est apparu très clairement que si l’Europe ne rejetait pas
cette tentation, si elle était absente de la scène internationale et
négligeait les menaces potentielles, elle pourrait y devenir vulnérable.
Rien ne garantit qu’une contribution plus poussée de l’Europe
à la sécurité régionale facilitera la lutte contre les activités des
réseaux terroristes et criminels internationaux, qui constituent
peut-être la menace physique la plus directe et la plus immédiate.
Mais si l’UE continue à ignorer les crises qui éclatent à sa périphérie, elle court le risque d’importer chez elle les conséquences de ces
crises. Le meilleur moyen de parer à ce danger, c’est de procéder
sans délai à un véritable élargissement, qui contribuera à exporter
la stabilité et la sécurité vers la périphérie.
Il peut sembler exagéré aujourd’hui de reprocher à l’Europe la
faiblesse de son leadership et sa tendance à l’introspection. Depuis
le milieu des années 1990, auquel remontent la plupart de ces critiques, l’UE a fait des progrès louables en matière de sécurité. Le
Traité d’Amsterdam représente toutefois son dernier effort pour
remédier à la faiblesse structurelle des liens entre les différents
piliers. On ne saurait sous-estimer l’importance du transfert au
premier pilier de toutes les questions concernant l’immigration, le
droit d’asile et les frontières extérieures et de l’introduction des
acquis de Schengen dans le cadre de l’UE. Depuis lors, l’Union s’est
concentrée sur le renforcement de ses capacités militaires (principalement à Cologne et à Helsinki) et sur le développement de la
coopération en matière de justice et d’affaires intérieures (Tampere). Ce faisant, elle a néanmoins séparé les deux dossiers. Les
décideurs européens n’ont pas suffisamment pris en compte le fait
que la sécurité du continent était une et indivisible.
7. Paul Kennedy, Preparing for the
XXI Century (édition polonaise),
p. 327.
62
3
Jacek Saryusz-Wolski
Malgré ses efforts pour accroître sa sécurité, l’Europe semble
n’avoir pas pris suffisamment de responsabilités vis-à-vis de son
environnement proche et avoir parfois cédé à une certaine frilosité
(comme le montre la lenteur de sa réaction lors de la crise des Balkans). Trop souvent, l’UE a privilégié ses priorités internes à court
terme, perdant de vue ses objectifs stratégiques. Trop souvent, au
lieu de rationaliser et de renforcer sa politique, elle s’est bornée, sur
le plan institutionnel ou politique, à éviter toute mesure susceptible de provoquer trop d’inconvénients.
La nécessité d’une approche « transpiliers »
intégrée de la sécurité
Les tragiques événements de septembre ont eu une telle influence
sur l’image générale de la sécurité que celle-ci doit être complètement redéfinie. Les principaux acteurs de la scène internationale
ont une nouvelle fois reçu une leçon : on ne peut plus considérer
qu’il y a une sécurité intérieure et une sécurité extérieure. En théorie, ce postulat n’est pas une nouveauté ; toutefois les prolongements de la tragédie de New York montrent enfin clairement non
seulement que cette affirmation est juste mais aussi qu’il est indispensable d’agir. La distinction entre les différentes sortes de sécurité – nationale et régionale, militaire et économique, intérieure et
extérieure – s’estompe depuis déjà longtemps, mais il se pourrait
bien à l’avenir que cette évolution se reflète aussi dans le fonctionnement de l’Union européenne.
Il semble également que les événements de septembre pourraient avoir un certain impact sur la manière dont la PESD est perçue dans les pays candidats. La Pologne a absolument intérêt à
soutenir le renforcement des structures de sécurité européennes –
tant qu’elles n’amoindrissent pas le rôle stratégique de l’Alliance
atlantique. La menace terroriste a fait comprendre à chacun que
toute initiative tendant à renforcer la sécurité et la stabilité dans
l’environnement immédiat de l’Europe devait être la bienvenue.
En outre, les récents développements semblent indiquer que l’administration américaine va pour longtemps détourner son attention de l’Europe. L’effet New York pourrait donc contribuer à éliminer toute trace d’ambivalence à l’égard de la PESD, qui était
reprochée à certains pays candidats, notamment si l’UE adopte
une approche globale, non compartimentée de la sécurité.
Le désaccord entre l’UE et les Etats-Unis pourrait en réalité
63
3
Quelles perspectives d’avenir ?
peser sur la politique des nouveaux membres de l’OTAN. Ils comprendront qu’il sera dans leur intérêt de prendre des positions
encore plus pro-européennes. L’évolution récente de la situation –
en particulier la tentation américaine d’adopter un point de vue
unilatéral sur la sécurité – donne sérieusement à réfléchir. Des
pays tels que la Pologne, la Hongrie et la République tchèque partagent largement l’opinion, dominante en Europe, que l’importance de l’OTAN vient du fait qu’elle a été fondée et perpétuée en
tant que garante de la sécurité du continent. Les signes montrant
que les Etats-Unis pourraient être tentés de contourner l’OTAN
dans leur politique étrangère préoccupent autant Varsovie que
Berlin ou Londres.
L’Union européenne doit revenir d’urgence à la géopolitique.
L’élargissement futur amènera les changements les plus radicaux
que l’Europe ait jamais connus dans son histoire et entraînera une
modification radicale de la plupart de ses politiques. Le moment
est donc venu de se remettre à penser en termes géopolitiques, une
réflexion que l’élargissement de l’Union rendra sans nul doute
encore plus urgente. Comme nous l’avons vu, l’UE a eu tendance à
séparer, en matière de sécurité, sa politique intérieure de sa politique étrangère. Il lui faut désormais élaborer une vision cohérente, globale, associant les considérations de sécurité intérieure et
extérieure dans un seul ensemble rationnel. C’est justement du
processus d’élargissement que viendra cette évolution.
L’effet New York prouve largement que la sécurité doit être traitée comme une entité à part entière. Il n’est désormais plus possible de se limiter à une approche spécifique de la sécurité ou à un
seul de ses aspects8. Dès 1963, Alistair Buchanan formulait une
des définitions les plus célèbres de la sécurité internationale. Il la
décrivait comme une situation « dans laquelle les interdictions et
les facteurs dissuasifs l’emportent sur les incitations à faire la
guerre », alors que « les solutions des conflits par d’autres moyens
que la force, qu’ils soient politiques, diplomatiques ou juridiques,
sont nombreuses et aussi respectueuses de la fierté nationale que
l’esprit humain est inventif »9. Cette définition, aussi convaincante soit-elle intellectuellement, ne suffit plus. Les guerres ont
largement cessé d’être les seules manifestations de conflit.
D’autres menaces, telles que la criminalité organisée ou le terrorisme, ont pris une importance encore plus grande. La mondialisation a une incidence sur les marchés mais elle exerce également
une influence indéniable sur la sécurité. Les dangers et les sources
8. « Preface » et « Acknowledgements », dans Carl Cavanagh
Hodge (dir.), Redefining European
Security, Garland Publishing, New
York, 1999, p. ix.
9. Cité dans op. cit. page x, d’après
John Garnett (dir.), Theories of
Peace and Security : A Reader in
Contemporary Strategic Thought,
MacMillan, Londres, 1970, p. 34.
64
3
Jacek Saryusz-Wolski
d’instabilité se sont eux aussi mondialisés. La seule manière de
répondre à la situation consiste à « mondialiser » la riposte – c’està-dire à traiter la sécurité comme une et indivisible.
En étudiant le problème des menaces transnationales pesant
sur la sécurité européenne, certains analystes ont émis l’hypothèse
que le terrorisme constituerait le péril le plus grave pour la sécurité
nationale et internationale au XXIe siècle. Ils en ont plus précisément repéré trois nouvelles dimensions, capitales à leurs yeux :
◗ le caractère beaucoup plus diversifié et imprévisible des groupes
terroristes, avec au moins une conséquence cruciale – les possibilités de calcul rationnel et d’autoretenue risquent de diminuer considérablement ;
◗ la probabilité que les terroristes recourent à des armes de destruction massive ;
◗ l’apparition du cyber-terrorisme qui représente un sérieux danger
pour la vie économique et sociale en Europe.
Pour qui tente d’évaluer la portée de telles prévisions, une
conclusion s’impose d’emblée : l’élimination des prévisions
rationnelles et la diminution de l’autodiscipline stratégique revêtent une importance fondamentale pour la sécurité européenne.
Afin de lutter efficacement contre le terrorisme et tous les autres
fléaux qui menacent sa sécurité interne, l’Europe doit s’efforcer de
combiner toutes les mesures dont elle dispose pour améliorer cette
sécurité. Aux mesures de sécurité militaires et à l’activité diplomatique intense doit s’ajouter un renforcement de la coopération en
matière de justice et d’affaires intérieures et de tous les mécanismes
de coercition qu’offre le premier pilier (c’est-à-dire les sanctions).
Dès lors que tous ces domaines seront complètement intégrés,
l’Union européenne pourra vraiment assurer sa propre sécurité10.
Si l’on envisage sérieusement d’adopter une approche globale
de la sécurité, il conviendrait tout d’abord de s’attacher à éliminer
les incohérences entre les différents piliers. Ensuite, les responsables européens devraient utiliser le potentiel existant dans les
piliers intergouvernementaux (PESC et JAI) pour consolider ces
politiques. Les idées ne manquent pas – et l’effet New York fera,
souhaitons-le, naître la volonté politique nécessaire à leur réalisation. Cette évolution a eu des signes avant-coureurs : lors du sommet informel de Gand, qui a confirmé toutes les mesures arrêtées
par le Conseil en vue de combattre le terrorisme international, et
avec la décision de traiter à la prochaine CIG les dispositions visant
une réforme interne du Conseil.
10. L’inefficacité d’une approche
compartimentée de la sécurité, et
de la PESC, a été récemment (septembre 2001) démontrée par
l’échec d’une mission de la troïka
au Proche-Orient, où il s’est avéré
que l’UE n’est pas suffisamment
bien équipée pour jouer le rôle de
médiateur dans le conflit israéloarabe, et en Afghanistan, où elle
n’est pas parvenue à agir comme
une force unie, sauf dans le domaine humanitaire.
65
3
Quelles perspectives d’avenir ?
Récemment, les deux piliers intergouvernementaux ont considérablement évolué : les structures de la PESD ont commencé à
fonctionner, certains autres aspects institutionnels de la PESD et
de la PESC font l’objet d’un examen approfondi, et la force de réaction rapide va devenir opérationnelle. L’introduction du mandat
d’arrêt international s’inspire des conclusions du sommet de
Tampere, qui préconisait l’abolition des lourdes procédures d’extradition (remontant, par exemple, en France à 1927). Cette
mesure, que beaucoup ont jugée jusqu’ici inconcevable, sera sans
précédent puisqu’elle concerne l’une des plus anciennes traditions
judiciaires touchant au cœur même de la souveraineté nationale.
La volonté d’abolir le principe de la double peine pour toute une
série d’actes est également une initiative de grande portée politique. Avec la définition commune des actes terroristes, le premier
pas a été franchi vers une reconnaissance mutuelle des jugements
prononcés, qui constituerait sans aucun doute un tournant dans
la coopération judiciaire. La Pologne se félicite de ces dispositions,
car elles accroissent notre sécurité à tous ; cependant, leurs prolongements vont très loin et pourraient être contestés par les
eurosceptiques polonais qui redoutent une trop grande perte de
souveraineté. Il faut rappeler à ce propos que les pays candidats
viennent de recouvrer cette souveraineté et que son abandon pourrait poser de sérieux problèmes à certaines forces politiques.
Nombre d’autres mesures, telles que le renforcement des capacités opérationnelles d’Europol, sont également importantes
mais n’ont rien de nouveau – elles ne font que mettre en œuvre ou
développer les acquis existants. Le résultat le plus significatif des
événements de New York est toutefois l’adoption progressive
d’une approche de la sécurité englobant les différents piliers. Bien
des mesures qui vont être mises en place relèvent de plusieurs
piliers. Nous constatons une tendance générale à associer les
actions économiques et policières pour combattre le terrorisme –
les dispositions visant à geler les avoirs des terroristes et à lutter
contre le blanchiment d’argent ainsi que l’approbation donnée à
la proposition de la Commission sur la sécurité des transports
aériens font directement usage des instruments du premier pilier.
Par ailleurs, l’extension de la coopération judiciaire et policière
avec les pays tiers et l’initiative destinée à améliorer la coopération
en matière de renseignement et les échanges d’informations sur les
actes terroristes établissent un lien direct entre le deuxième et le
troisième pilier.
66
3
Jacek Saryusz-Wolski
L’Europe doit lutter efficacement contre les dangers qui la
menacent, en particulier pour que ses citoyens se sentent concernés. Afin de comprendre pourquoi l’efficacité est d’une importance aussi cruciale pour l’UE, penchons-nous un instant sur la
question de sa légitimité. Certains spécialistes du droit constitutionnel, dont Neil Walker, font observer que c’est précisément
parce que l’UE est privée des attributs complets de l’autorité et de
l’identité que sa légitimité dépend autant de son efficacité. La légitimité découlant directement de l’efficacité dans les actes est beaucoup plus importante dans le cas de l’Union que dans celui d’un
Etat quelconque dont l’existence est avant tout fondée sur son
régime et sa légitimité constitutionnelle11. Si l’Union cessait d’être
efficace aux yeux de ses citoyens, l’un des aspects les plus importants de son intégrité en serait affaibli. C’est seulement si elle
accroît son efficacité en élaborant une approche englobant les différents piliers, y compris en ce qui concerne l’élargissement, qu’elle
sera capable de relever les défis naissants.
Il ne fait absolument aucun doute que les futurs Etats
membres souhaiteront disposer d’une Politique étrangère et de
Sécurité commune forte et efficace. Plus elle sera intégrée, plus elle
offrira aux nouveaux pays membres une véritable chance d’influencer son évolution. La Pologne nourrit des aspirations au
sujet de la PESC – comme nous l’avons déjà indiqué, elle veut promouvoir activement sa dimension à l’Est. Elle devrait donc être
prête, semble-t-il, à soutenir toute initiative favorisant la communautarisation de la politique étrangère, notamment la pratique
plus fréquente du vote à la majorité qualifiée. La plupart des pays
candidats comprennent l’intérêt de la flexibilité au sein de la politique étrangère, mais l’abstention éventuelle doit rester une
option. Aussi n’est-il pas étonnant que toutes les idées tendant à la
création d’un directoire pour la politique étrangère ne soient pas
très chaleureusement accueillies à Varsovie. La rationalisation du
travail du Conseil, la réforme de la présidence tournante et même
la fusion des postes de « M. PESC » et de Commissaire aux relations extérieures peuvent être envisagées en toute confiance. Mais
la création d’un super-Conseil ou d’un nouveau Comité directeur
– ou toute autre mesure destinée à renforcer le caractère intergouvernemental de la PESC – ne seront pas vues d’un très bon œil par
les pays candidats.
11. Neil Walker, « The White Paper in Constitutional Context »,
Jean Monnet Working Paper, 10 janvier 2001.
67
3
Quelles perspectives d’avenir ?
L’Union européenne après le prochain élargissement
Le compromis obtenu à Nice sur l’architecture institutionnelle de
l’UE, bien que loin d’être parfait, avait toutefois un grand mérite : il
permettait enfin aux futurs pays membres de réfléchir à l’avenir de
la construction européenne sur un pied d’égalité avec les membres
actuels. La réussite majeure de Nice est d’avoir commencé à mettre
fin à la séparation entres « nous », c’est-à-dire les pays candidats, et
« eux », c’est-à-dire les Quinze, dans les discussions sur l’avenir institutionnel et constitutionnel de l’Union.
Pour poursuivre sur cette lancée, les questions constitutionnelles figurant à l’ordre du jour de la CIG de 2004 devront être
résolues avec la pleine participation des futurs pays membres12. Si
l’Union devait se passer d’eux, leur mise à l’écart pourrait avoir des
conséquences négatives, car elle créerait des divisions durables au
sein de la future UE. Les nouveaux pays membres de l’Union doivent être en mesure de s’identifier à son projet. Si l’on veut que
leurs populations considèrent l’Union comme légitime, leurs
représentants doivent être totalement impliqués dans la phase
préparatoire. Il existe une différence qualitative considérable entre
décider la répartition des voix sans la participation des futurs pays
membres et jeter les bases constitutionnelles de l’entreprise commune sans les consulter. Après Nice, le coût politique d’une telle
exclusion serait insupportable. En outre, si les futurs pays
membres étaient exclus de ces discussions, ils seraient tentés, après
leur entrée à l’UE, de travailler avant tout à atténuer les conséquences néfastes de l’élargissement au lieu de s’efforcer de contribuer efficacement à la construction européenne.
Pour savoir comment l’Union européenne doit s’y prendre
après l’adhésion des candidats les mieux préparés, le plus facile est
probablement d’énumérer les caractéristiques qu’elle devrait posséder, si elle souhaite éviter de se retrouver paralysée, de décevoir
l’opinion publique ou de voir sa légitimité mise en cause. L’intérêt
de la Pologne est qu’après l’élargissement, l’Union soit :
◗ fondée sur un juste équilibre
Pendant des décennies, les Communautés ont favorisé un équilibre
délicat entre les approches communautaires et intergouvernementales qui a eu une influence bénéfique sur le développement de l’intégration européenne. La balance a récemment penché en faveur de
l’approche intergouvernementale. L’UE devrait à son tour chercher
à rétablir l’équilibre. Après l’élargissement, au sein d’une institu-
12. Les décisions prises à Laeken à
ce sujet n’augurent rien de bon,
car les pays candidats se sont vu
offrir le statut d’observateur sans
la possibilité de voter sur la forme
finale de la Convention. Une telle
solution n’est pas idéale. Une solution prenant en compte les positions des pays candidats n’aurait
qu’une signification symbolique,
comme les décisions finales doivent de toute façon être prises à la
CIG.
68
3
Jacek Saryusz-Wolski
tion où les intérêts sont si divergents, seule l’approche communautaire peut faciliter l’avènement d’une Union forte et équilibrée,
attachée à défendre également les intérêts de tous ses membres,
anciens ou nouveaux, riches ou pauvres, petits ou grands. La position officielle de la Pologne, partagée par le gouvernement actuel et
par le précédent, est entièrement acquise à l’approche communautaire car, comme l’a déclaré dans un discours l’ancien Premier
ministre, Jerzy Buzek, c’est elle qui garantit la continuité et la dynamique de l’intégration13.
◗ représentative
Les citoyens de l’Union, actuelle ou élargie, ont surtout besoin
qu’elle soit représentative. C’est pourquoi il est essentiel de développer les liens entre les parlements nationaux et le processus
d’intégration. La création d’une troisième instance parlementaire dans l’Union (après le Parlement européen et le Conseil)
n’est pas la meilleure solution, car elle créerait des problèmes de
double emploi, de transparence et de clarté. A quel stade de la
prise de décision, par exemple, la troisième chambre devrait-elle
intervenir ? La Convention préparatoire à la CIG de 2004 devrait
étudier toutes les initiatives ayant pour but d’accroître la représentativité, entre autres, en renforçant le Parlement européen ou
les moyens institutionnels de coopération avec les parlements
nationaux14. L’Union devrait aussi s’efforcer de clarifier et de
mettre davantage en pratique le principe de subsidiarité.
◗ transparente et proche des citoyens
Ce slogan a cours depuis des années à l’Union européenne. Pour
réussir, l’intégration européenne ne doit pas concerner uniquement l’élite, elle doit être compréhensible pour le citoyen ordinaire et aussi proche de lui que possible. La simplification des
Traités va dans cette direction. Cette opération ne changera rien
aux règles juridiques communautaire mais pourrait rapprocher
l’UE des citoyens en leur proposant un texte accessible qui exposerait tous les objectifs et les ambitions de l’intégration en termes
clairs et précis. La préparation de la Charte des droits fondamentaux a par ailleurs montré combien il importait de donner à
l’Union un visage humain, afin que les citoyens puissent se reconnaître en elle. Cela vaut particulièrement pour les pays candidats
dont les ressortissants n’ont pas encore l’habitude de s’identifier
au niveau supranational.
◗ dotée à la fois de souplesse et de cohésion
Après l’élargissement, l’Union européenne devra faire preuve de
13. Discours de l’ancien Premier
ministre Jerzy Buzek au Royal Institute of International Affairs,
Bruxelles, 26 juin 2001.
14. Par exemple, à travers la représentation des parlements nationaux dans les délégations gouvernementales au Conseil – comme
l’a proposé Michel Barnier.
15. Certains Etats membres de
l’UE devraient résister à la tentation de créer de nouvelles institutions telles qu’un secrétariat ou un
super-Conseil, et se concentrer plutôt sur le renforcement des structures existantes.
69
3
Quelles perspectives d’avenir ?
souplesse. Les pays membres ne sont pas tous capables ni même
désireux de s’y intégrer au même rythme. Mais la flexibilité ne
devrait pas nuire à la cohésion de l’ensemble15. L’Union européenne doit avoir un seul cadre institutionnel. Il faut surtout éviter de créer deux catégories de membres, et le ministère des
affaires étrangères polonais a toujours insisté sur cette nécessité
dans ses prises de position officielles. La coopération fondée sur
les clauses de « coopération renforcée » figurant dans le Traité
doit être ouverte à tous (l’inclusiveness est là encore le maître
mot). Au cas où la participation exigerait que soient remplis certains critères fonctionnels, l’Union devrait aider tous les pays qui
souhaiteraient participer à la « coopération renforcée » sans être
en mesure de le faire. Les futurs membres ne doivent pas craindre
ce type de coopération s’ils ambitionnent, comme le pense l’auteur de ces lignes, de ne pas rester à la traîne de l’intégration européenne. Les candidats ont toujours fait valoir que l’Union élargie
devait reposer sur le principe de l’égalité de traitement en ce qui
concerne à la fois ses institutions et ses politiques : ces dernières
devraient s’inspirer de deux principes qui ne s’excluent nullement : rationalité et solidarité.
◗ rationnelle
L’élargissement est en soi une évolution rationnelle puisqu’il consolidera l’UE et la dotera de tous les attributs nécessaires. De plus, il stimulera directement le processus de réforme des politiques de
l’Union, dont certaines mériteraient d’être plus cohérentes.
◗ solidaire
L’Union européenne a été fondée dès sa conception sur le principe
de solidarité. Une solidarité au sens à la fois économique et politique, qui permette de surmonter les divisions en créant un sentiment d’appartenance à la communauté et en renforçant la cohésion de celle-ci. L’élite polonaise a toujours pensé que pour
atténuer les divisions au sein de l’UE, la solidarité devait rester la
pierre angulaire de la construction européenne.
S’il est correctement mené, l’élargissement offre à l’Union européenne une chance historique d’être tout d’abord plus sûre (sans
pour autant pratiquer l’exclusion), plus forte, plus dynamique et
compétitive tout en préservant ses ambitions actuelles. Ce qui
répond, semble-t-il, aux vœux les plus chers des pays candidats, en
particulier de la Pologne.
◗ plus sûre
L’élargissement accroîtra la stabilité et la sécurité à la fois à l’inté70
3
Jacek Saryusz-Wolski
rieur et à l’extérieur du continent. Les nouveaux venus devraient
contribuer activement à consolider la PESD, ce qui développera
les moyens de l’Europe dans ce domaine sans nuire à la cohésion
de l’Alliance atlantique. Les futurs pays membres ont tout intérêt
à jouer un rôle actif dans le renforcement de la coopération en
matière de justice et d’affaires intérieures pour permettre à l’Europe de lutter plus efficacement contre des dangers aussi graves
que la criminalité organisée, le terrorisme ou le trafic de drogue.
Compte tenu des problèmes auxquels l’Europe est actuellement
confrontée, la sécurité doit s’étendre aussi au secteur alimentaire.
Les futurs membres, dont l’agriculture, plus extensive, utilise
moins de pesticides et d’engrais chimiques, peuvent aider l’Europe à rétablir l’équilibre du marché agro-alimentaire et la protection du consommateur.
◗ plus active et plus ouverte
L’Union européenne ne doit pas renoncer à sa responsabilité sur
la scène internationale mais investir dans les moyens lui permettant de mener une politique étrangère dynamique. Elle doit pardessus tout éviter d’être une forteresse. Elle ne doit pas non plus
diviser davantage le continent mais se consacrer uniquement à
son bien-être et à sa sécurité. Il lui incombe de rester ouverte à son
voisinage immédiat et de développer des relations d’amitié et de
partenariat avec ses voisins. Elle doit assortir sa politique méditerranéenne d’une politique énergique à l’Est. Celle-ci ne saurait
être axée sur des mesures restrictives ; la frontière commune doit
contribuer à rassembler, non à diviser. L’UE doit non seulement
soutenir les efforts de réforme entrepris dans les pays de l’exUnion soviétique, mais également développer concrètement la
coopération dans tous les domaines possibles. Une fois membres,
les nouveaux venus, dont la Pologne, se proposent d’être les principaux défenseurs d’une politique orientale dynamique.
◗ ambitieuse, plus forte et plus efficace
L’intérêt vital de tous les membres de l’UE, récents ou anciens,
commande que l’Union élargie soit forte et efficace. Ceux qui
craignent que les nouveaux membres appuient toute initiative
tendant à affaiblir l’intégration et un retour à une simple zone de
libre-échange ne saisissent pas les besoins et les aspirations des
pays candidats. Seule une Europe véritablement intégrée, dont
l’ambition ne se contente pas d’égaler celle d’aujourd’hui mais la
dépasse, sera en mesure d’affronter les défis que représente l’élargissement imminent.
71
3
Quelles perspectives d’avenir ?
◗ plus dynamique
Il faut que l’Union européenne évolue de façon dynamique et se
débarrasse de son attitude hésitante. L’élargissement insufflera à
l’Europe le dynamisme indispensable à la fois dans le secteur économique grâce à son vaste marché en expansion et dans le
domaine intellectuel – lui rendant ainsi son enthousiasme à
l’égard de l’intégration.
◗ moderne et compétitive
L’élargissement accroîtra la compétitivité de l’Union. Tous ses
membres ont un objectif commun : moderniser l’UE, la rendre
compétitive et capable de relever les défis de la concurrence internationale. Pour réussir, il nous faut investir dans les nouvelles technologies et introduire plus de flexibilité dans le marché du travail,
en accord avec les conclusions du sommet de Lisbonne de
mars 2000.
Conclusion
L’Union européenne a besoin d’une réflexion novatrice – on ne saurait la concevoir de façon simpliste, sous l’angle des Etats seulement. Elle doit être perçue comme une entité post-moderne, ou
selon certains, " néo-médiévale " – comportant des zones frontalières mouvantes, une multitude d’identités culturelles, d’institutions qui se chevauchent, et dont la souveraineté se partage selon
des lignes fonctionnelles et territoriales différentes16. C’est précisément parce que cette entité se caractérise par une dissociation des
instances de décision, des compétences fonctionnelles et des légitimités territoriales qu’elle doit adopter une approche globale de la
sécurité, si elle veut maîtriser son destin.
Outre une nouvelle définition éventuelle de la sécurité, l’effet
New York pourrait paradoxalement avoir un autre résultat bénéfique en rappelant aux Européens que l’élargissement, au-delà des
intérêts économiques, concerne avant tout la sécurité et la stabilité. C’est pourquoi il est impératif de tirer parti de cette dynamique et de faire prendre conscience aux citoyens européens des
bénéfices sécuritaires offerts par l’élargissement. Il est difficile de
recueillir le soutien de l’homme de la rue à l’égard d’un grand dessein s’il ne s’y reconnaît pas. Le moment est venu d’utiliser de façon
convaincante les arguments à la fois les plus simples et les plus évidents.
16. Jan Zielonka, « How New Enlarged Borders will Reshape the
European Union », Journal of
Common Market Studies, vol. 39,
n. 3, 2001.
72
3
Jacek Saryusz-Wolski
L’élargissement devrait constituer un stimulant important
pour l’élaboration d’une théorie et d’une pratique globales et non
exclusives de la sécurité. L’élargissement est lui-même une entreprise associant sans les opposer les dimensions intérieures et extérieures de la sécurité. C’est surtout un processus susceptible de
donner à l’intégration européenne une nouvelle raison d’être. Les
futurs pays membres pourront apporter à l’Union un enthousiasme dont elle a grand besoin. Les membres actuels ont déjà réalisé bon nombre de leurs aspirations. Leurs sociétés semblent
oublier tout ce qu’elles doivent à la réussite du projet d’intégration. L’élargissement offre une occasion idéale de le rappeler à
chaque Européen.
73
Conclusion
Elargissement et
défence européenne
après le 11 septembre
Antonio Missiroli
Il est pratiquement certain que la Pologne, la Hongrie, la République tchèque entreront à l’Union européenne lors de la prochaine
vague d’adhésions. Le 11 septembre l’a confirmé une fois pour
toutes. Ce dont on est moins sûr, c’est quel sera le nombre total –
probablement assez élevé – de candidats admis. Cela étant, les trois
candidats d’Europe centrale sont passés par un processus d’évolution (et d’apprentissage) à l’égard du développement de la PESD :
au départ, sceptiques et inquiets – qu’une telle politique puisse porter atteinte à l’OTAN – ils l’acceptent et s’y engagement plus directement.
Cette évolution peut s’expliquer par les deux processus parallèles que les auteurs de ce Cahier de Chaillot définissent très clairement. D’une part, la perspective de devenir membre plein de
l’OTAN – pour lequel les trois candidats ont accru leur interopérabilité et leur engagement dans les opérations multilatérales de
paix – les a, dans le passé, grandement incités à élargir leur champ
d’action en matière de politique étrangère, alors que la guerre au
Kosovo les a convaincus du rôle crucial de l’Amérique en tant
qu’acteur militaire et leader de coalition. D’autre part, le processus
d’adhésion à l’UE leur a fait comprendre que les Quinze pouvaient
envisager de s’engager de plus en plus directement dans la sécurité
européenne, et que la présence américaine ne serait plus nécessairement considérée comme acquise. Etant donné qu’entrer rapidement à l’Union demeure, que ce soit sur le plan national ou international, une priorité politique pour ces trois pays – comme le
montrent très bien les réactions de la Hongrie à la récente politique globale de négociations d’adhésion – ils ont décidé (aussi
sceptiques aient-ils été vis-à-vis de la PESD et aussi véhémente ait
été la Pologne) de mettre un bémol à leurs réserves « atlantistes »
afin de ne pas prendre de risques dans les négociations. Autrement
dit, la crainte d’obstacles potentiellement de plus en plus difficiles
à surmonter – avec, pour couronner le tout, les Headline Goals de
Helsinki et de Feira – a encouragé une attitude plus constructive de
75
Conclusion
leur part, même s’ils restent assez partagés sur les incidences possibles et la finalité politique de la PESD1.
Le seul aspect de la nouvelle politique que les trois candidats
d’Europe centrale n’ont eu de cesse de critiquer a été leur inclusion
initiale dans la catégorie générique des pays « tiers », avec d’autres
candidats non alliés et même des « non-candidats » comme
l’Ukraine et la Russie2. Depuis 1999, ils demandent à être reconnus officiellement en tant qu’alliés européens et à jouer un rôle
spécifique dans la gestion militaire des crises. Cette quête a été
reconnue par les Quinze, du moins en partie, avec le format
« 15 + 6 » envisagé depuis Nice. Cette confirmation de leur situation de « pays tiers » a entretenu le mécontentement même si elle
est de nature surtout politique et symbolique : les responsables
polonais, hongrois et tchèques sont en fait bien conscients que
l’UE a peu de chances de s’engager de manière autonome dans
d’importantes opérations militaires avant leur adhésion. Le
11 septembre leur a également fait davantage prendre conscience
du besoin d’une approche plus globale de la sécurité, comprenant
également la justice et les affaires intérieures (Budapest et Prague
ont déjà « clôturé » le chapitre 24 correspondant dans les négociations) ainsi que la future politique commune à l’égard des nouveaux voisins de l’Est : les trois pays préféreraient en fait adopter
une approche flexible combinant des frontières plus faciles à utiliser avec des contrôles de police plus stricts3.
S’agissant de l’impact national de l’élargissement, il semble
exister en même temps un consensus sur les avantages économiques et politiques de l’adhésion mais aussi certaines inquiétudes sur ses éventuels coûts sociaux. C’est là également le principal résultat du premier sondage d’opinion effectué par
Eurobaromètre dans les pays candidats en octobre 2001 et partiellement publié en décembre suivant. Selon ce sondage, près de 60 %
des personnes interrogées pensaient qu’une adhésion à l’UE serait
une « bonne chose » pour leur pays, avec un soutien allant de 33 %
en Estonie et en Lettonie à 80 % en Roumanie : en Hongrie, elles
sont à peu près la moitié, en Pologne un peu moins, en République
tchèque environ 46 %. De plus, les deux tiers des personnes interrogées à l’âge de voter ont déclaré qu’elles soutiendraient l’adhésion de leur pays à l’UE si un référendum était organisé sur cette
question : une fois encore, les Hongrois ont été les plus enthousiastes des Centres-Européens (70 % d’avis favorables), alors que
54 % des Polonais et des Tchèques approuveraient une adhésion à
1. Ils voulaient probablement
aussi marquer la différence vis-àvis de la Turquie, le seul autre Etat
candidat à l’UE (même s’il n’est
pas encore engagé dans des négociations d’adhésion) se retrouvant
dans une position comparable ;
voir Antonio Missiroli, « EUNATO Cooperation in Crisis Management : No Turkish Delight for
ESDP », Security Dialogue, XXXIII,
n. 1, 2002, pp.9-26.
2. Voir Mark Webber, Third-Party
Inclusion in European Security and Defence Policy : A case Study of Russia,
« European Foreign Affairs Review », VI, n. 4, 2001, pp. 407-426.
3. Pour une vision générale, voir
Iris Kempe (dir.), Beyond EU Enlargement, vol. 1, The Agenda of Direct Neighbourhood for Eastern Europe, Bertelsmann Foundation,
Gütersloh, 2001.
76
Antonio Missiroli
l’UE. D’autres sondages offrent toutefois un tableau moins optimiste4. Des voix s’élèvent également contre certains aspects du
processus d’intégration, notamment en République tchèque avec
l’euroscepticisme de fond de l’ODS, ainsi qu’en Hongrie et en
Pologne où cette opposition pourrait prendre un tour légèrement
plus dangereux. La récente controverse sur les « décrets Benes » de
l’immédiat après-guerre n’ont certainement contribué ni aux relations bilatérales (surtout entre les Tchèques et les Hongrois) ni aux
relations avec l’Autriche voisine et surtout avec l’Allemagne5.
Quoi qu’il en soit, beaucoup dépendra du résultat des nombreuses
élections parlementaires qui auront lieu entre 2001 et 20026 et de
l’impact produit sur la position de négociation des pays au stade
final du processus d’adhésion.
Enfin, le débat interne de l’UE sur l’avenir de l’Europe a, dans
un premier temps, soulevé un intérêt véritable parmi les élites les
plus éclairées d’Europe centrale : il suffit ici de mentionner les
interventions précoces du président tchèque Vaclav Havel et de
l’ancien ministre polonais des affaires étrangères Bronislaw Geremek (avec son collège estonien Tomas Hendrik Ilves). Toutefois,
l’avertissement adressé à l’UE par le Premier ministre hongrois
d’alors, Viktor Orban, de ne pas prendre de décision « sur nous
sans nous » a attiré l’attention sur le rôle et le statut des candidats
dans le processus7. Pour sa part, la Convention présidée par Valérie Giscard d’Estaing s’est efforcée spécifiquement d’impliquer les
gouvernements et les parlements des treize candidats, en désignant un treizième membre du Présidium – l’ancien Premier
ministre slovène Alojz Peterle – comme leur représentant virtuel.
Les premiers stades du débat ont toutefois révélé des tensions
(probablement compréhensibles) au sein de leurs délégations
entre, d’une part, une approche plus communautaire mettant
l’accent sur l’« identité » européenne commune et les intérêts communs, et, de l’autre, un réflexe plus intergouvernemental ayant
pour but d’exercer un maximum d’influence sur la politique et les
institutions.
Ces tensions sont également tangibles entre les chapitres de ce
Cahier et à l’intérieur des trois analyses.
4. Sur Eurobaromètre, voir Nicolas Bourcier, « Les Européens de
l’Est sont attachés à l’élargissement », Le Monde, 20 mars 2002.
Voir également John Reed, « Polish Campaign against Joining EU
is in Full Swing », Financial Times,
16 avril 2002.
5. Voir Martin Pliage et Henri de
Bresson, « Le contentieux des Sudètes empoisonne l’Europe Centrale », Le Monde, 27 mars 2002 ;
Stefan Wagstyl, « Holding Back »,
Financial Times, 3 avril 2002 ;
« Stoiber Attacks Prague Expulsion Decrees », Financial Times,
20 mai 2002.
6. La Pologne a voté à l’automne
2001, la Hongrie au printemps
2002. La République tchèque se
rendra aux urnes en juin, la Slovaquie en septembre 2002.
7. Voir le document de Petr Drulak, A Look at the EU Future from
Candidate Countries, manuscrit non
publié, Czech Institute of International Relations, Prague, 2001
(www.iir.cz) et celui publié par le
Villa Faber Group sur l’avenir de
l’UE, Thinking Enlarged – The Accession Countries and the Future of the European Union. A Strategy for Reform,
Bertelsmann Foundation & Center for Applied Policy Research,
Gütersloh, 2001.
77
annexes
a11
Les auteurs
Pal Dunay est, depuis 1996, directeur du programme de formation internationale dans le domaine de la sécurité au Centre de politique de sécurité de Genève ;
il était auparavant directeur adjoint de l’Institut hongrois des Affaires internationales. Il a un diplôme de droit international public de l’université Eotvos de
Budapest et un Ph.D. de relations internationales de l’université d’économie de
Budapest. Pal Dunay a mené des recherches dans plusieurs instituts des deux
côtés de l’Atlantique, y compris à l’Institut d’Etudes de Sécurité de l’UEO en
1993. Il a beaucoup publié en anglais et en allemand ; il est rédacteur en chef de
OSZE-Jahrbuch depuis 1995 et directeur associé de la revue trimestrielle Security
Dialogue.
Jiri Sedivy est actuellement directeur de l’Institut de Relations internationales de
Prague. Il a un MA d’études de guerre du King’s College de Londres et un Ph.D. de
sciences politiques de la Charles University de Prague, où il donne également des
cours sur la politique et la sécurité internationales. Il est l’auteur de nombreuses
publications sur la sécurité internationale ainsi que la politique étrangère et de
sécurité tchèque. Il est, entre autres, vice-président de la Fondation tchèque
d’étude des relations internationales, président du comité de rédaction de Mezinarodni vztahy (revue trimestrielle sur les relations internationales de la République tchèque) et membre du Conseil scientifique du ministère tchèque des
Affaires étrangères.
Jacek Saryusz-Wolski est président du Centre européen de Natolin et membre
de la Commission polonaise sur l’intégration européenne. Il a été sous-secrétaire
d’Etat à l’intégration européenne de 1991 à 1996. De 1999 à 2001, il a été principal conseiller du Premier ministre polonais pour les questions d’intégration et
secrétaire d’Etat à l’intégration européenne. Il a un MA d’économie et un Ph.D. de
l’université de Lodz, où il a enseigné en tant que professeur associé à la faculté
d’économie et de sociologie ; au début des années 1980, il a été porte-parole
adjoint du mouvement Solidarnosc dans la région. Il a également étudié à Paris,
Lyon, Grenoble et Oxford. Il a été Jean Monnet Fellow à l’Institut européen universitaire de Florence, en 1989-90.
78
a2
Sigles
ABM
AENU
AWACS
CAN
CEFTA
CIG
COPS
CSL
CSSD
DCI
FIDESZ
GAFI
FMI
JAI
KDU
KFOR
KSCM
MAE
MIEP
NBC
OCDE
ODS
ONG
ONU
OSCE
OTAN
PECO
PESC
PESD
SFOR
UE
UEO
UNFICYP
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Défense antimissile balistique
Alliés européens non membres de l’UE
Système aéroporté d’alerte et de surveillance
Conseil de l’Atlantique Nord
Central European Free Trade Area
(Accord de libre-échange d’Europe centrale)
Conférence intergouvernementale
Comité politique et de Sécurité
Parti tchèque du peuple
Parti social démocrate tchèque
Initiative sur les capacités de défense
Fédération des jeunes démocrates
Groupe d’action financière
Fonds monétaire international
Justice et Affaires intérieures
Coalition union chrétienne démocrate
Force de sécurité internationale au Kosovo
Parti communiste de Bohème et Moravie
Ministère des affaires étrangères
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Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe
Organisation du Traité de l’Atlantique Nord
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Politique étrangère et de Sécurité commune
Politique européenne de Sécurité et de Défense
Force de stabilisation
Union européenne
Union de l’Europe occidentale
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Union des républiques socialistes soviétiques
Union de la liberté
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Cahiers de Chaillot
Tous les Cahiers de Chaillot
peuvent être consultés sur internet :
www.iss-eu.org
n°52
Les termes de l’engagement : le paradoxe de la puissance américaine
et le dilemme transatlantique après le 11 septembre
mai 2002
Julian Lindley-French
n°51
De Nice à Laeken : Les textes fondamentaux
de la défense européenne
avril 2002
réunis par Maartje Rutten, Volume II
n°50
Quel statut pour le Kosovo ?
octobre 2001
Dana Allin, Franz-Lothar Altmann, Marta Dassu, Tim Judah, Jacques Rupnik et
Thanos Veremis ; sous la direction de Dimitrios Triantaphyllou
n°49
Elargissement : une nouvelle OTAN
octobre 2001
William Hopkinson
n°48
Nucléaire : le retour d'un Grand Débat
juillet 2001
Thérèse Delpech, Shen Dingli, Lawrence Freedman, Camille Grand, Robert A. Manning,
Harald Müller, Brad Roberts et Dmitri Trenin ; sous la direction de Burkard Schmitt
n°47
De Saint-Malo à Nice : les textes fondateurs de la défense européenne mai 2001
Réunis par Maartje Rutten
n°46
Le Sud des Balkans : vues de la région
avril 2001
Ismail Kadare, Predrag Simic, Ljubomir Frckoski and Hylber Hysa ;
sous la direction de Dimitrios Triantaphyllou
n°45
L'intervention militaire et l'Union européenne
mars 2001
Martin Ortega
n°44
Entre coopération et concurrence :
le marché transatlantique de défense
janvier 2001
Gordon Adams, Christophe Cornu et Andrew D. James ;
sous la direction de Burkard Schmitt
n°43
L'intégration européenne et la défense : l'ultime défi ?
novembre 2001
Jolyon Howorth
n°42
Défense européenne : la mise en œuvre
septembre 2001
Nicole Gnesotto, Charles Grant, Karl Kaiser, Andrzej Karkoszka, Tomas Ries,
Maartje Rutten, Stefano Silvestri, Alvaro Vasconcelos et Rob de Wijk ;
sous la direction de François Heisbourg
n°41
L'Europe et ses boat people :
la coopération maritime en Méditerranée
juillet 2000
Michael Pugh
n°40
De la coopération à l'intégration :
les industries aéronautique et de défense en Europe
juillet 2000
Burkard Schmitt
n°39
Les Etats-Unis et la défense Européenne
avril 2000
Stanley R. Sloan
n°38
PESC, défense et flexibilité
Antonio Missiroli
février 2000
Les trois candidats d’Europe centrale sont passés par un processus
d’évolution (et d’apprentissage) à l’égard du développement de la
PESD : au départ, sceptiques et inquiets – qu’une telle politique puisse porter atteinte à l’OTAN – ils l’acceptent et s’y engagement plus
directement.
Cette évolution peut s’expliquer par les deux processus parallèles
que les auteurs de ce Cahier de Chaillot définissent très clairement.
D’une part, la perspective de devenir membres pleins de l’OTAN –
pour laquelle les trois candidats ont accru leur interopérabilité et leur
engagement dans les opérations multilatérales de paix – a élargi leur
champ d’action en matière de politique étrangère, alors que la guerre
au Kosovo les a convaincus du rôle crucial de l’Amérique en tant
qu’acteur militaire et leader de coalition. D’autre part, le processus
d’adhésion à l’UE leur a fait comprendre que les Quinze pouvaient
envisager de s’engager de plus en plus directement dans la sécurité
européenne, et que la présence américaine ne serait plus nécessairement considérée comme acquise. Entrer le plus rapidement possible à
l’Union demeurant pour ces trois pays une priorité politique que ce
soit sur le plan national ou international, ils ont décidé de mettre un
bémol à leurs réserves « atlantistes » afin de ne pas prendre de risques
dans les négociations. Mais ils n’en restent pas moins partagés sur les
incidences possibles et la finalité politique de la PESD.
Le seul aspect que les trois candidats d’Europe centrale n’ont eu de
cesse de critiquer a été leur inclusion initiale dans la catégorie générique des pays « tiers », avec d’autres candidats non alliés et même des
« non-candidats » comme l’Ukraine et la Russie. Leur constante quête
de reconnaissance officielle en tant qu’alliés européens a été partiellement reconnue par les Quinze, mais ils sont mécontents de demeurer
plus que jamais des « pays tiers ». Le 11 septembre leur a également
fait davantage prendre conscience du besoin d’une approche plus globale de la sécurité, comprenant également la justice et les affaires intérieures ainsi que la politique à l’égard des nouveaux voisins de l’Est :
les trois pays préféreraient adopter une approche flexible combinant
des frontières plus faciles à utiliser avec des contrôles de police plus
stricts.
Enfin, le débat interne de l’UE sur l’avenir de l’Europe a, dans un
premier temps, soulevé un réel intérêt parmi les élites d’Europe centrale et la Convention européenne a tenté spécifiquement d’impliquer
les gouvernements et les parlements de tous les candidats. Les premiers stades du débat ont révélé des tensions au sein de leurs délégations entre, d’une part, une approche plus communautaire mettant
l’accent sur l’« identité » européenne commune et les intérêts communs, et, de l’autre, un réflexe plus intergouvernemental ayant pour
but d’exercer un maximum d’influence sur la politique et les institutions. Ces tensions sont également tangibles entre les chapitres de ce
Cahier et à l’intérieur des trois analyses.
publié par l’Institut
d’Etudes de Sécurité
de l’Union européenne
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