L`actualité de la clause d`indexation dans les baux commerciaux
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L`actualité de la clause d`indexation dans les baux commerciaux
18 BRDA 24 QUESTION Question D’ACTUALITÉ d’actualité L’actualité de la clause d’indexation dans les baux commerciaux Ces derniers temps, les clauses permettant l’indexation du loyer des baux commerciaux ont souvent été à la une de l’actualité législative et jurisprudentielle. Maître Legrix de la Salle dresse le panorama des nouveautés et souligne les conséquences à en tirer en pratique. Depuis longtemps, il est d’usage de prévoir dans les baux commerciaux, en plus de la révision triennale du loyer (C. com. art. L 145-38), son indexation automatique et généralement annuelle, en se référant à un indice choisi par les parties. Ces dernières années, l’actualité tant législative que jurisprudentielle de la clause d’indexation a été abondante. 1 I. Dans le domaine de la loi Création d’indices alternatifs à l’indice du coût de la construction 2 Par deux lois successives, la loi de modernisation de l’économie du 4 août 2008 (dite « LME «) et la loi du 17 mai 2011 de simplification et d’amélioration de la qualité du droit, le législateur a créé deux nouveaux indices d’indexation alternatifs à l’indice du coût de la construction (ICC) dont les variations étaient jugées trop importantes : l’indice des loyers commerciaux (ILC) pour les activités commerciales et artisanales et l’indice des loyers des activités tertiaires (Ilat) pour les activités de bureaux, industrielles, plates-formes logistiques et les professions libérales. Si l’entrée en vigueur de ces indices a été chaotique et si le champ d’application de l’Ilat a donné lieu à discussion, les bailleurs et les locataires ont aujourd’hui majoritairement recours à l’un de ces deux nouveaux indices. Incidence indirecte de la loi Pinel 3 Cette tendance va encore s’accélérer après la loi relative à l’artisanat, au commerce et aux très petites entreprises du 18 juin 2014, dite loi Pinel. En effet, le législateur a supprimé le recours à l’ICC au profit de l’ILC et de l’Ilat pour la révision triennale du loyer et le plafonnement du loyer de renouvellement. Dans les nouveaux baux, il est donc désormais préférable de préciser lequel de ces deux indices s’appliquera pour la révision et le plafonnement du loyer de renouvellement. Et ce, même si les parties peuvent toujours se référer à l’ICC dans les clauses d’indexation, le législateur ne l’ayant pas supprimé dans l’article L 1122 du Code monétaire et financier. Reste qu’en raison de la complexité qu’engendrerait le calcul sur deux indices différents de l’indexation et de la révision du loyer il est vraisemblable que la loi Pinel va conduire à la disparition du recours à l’ICC dans les baux commerciaux. II. Sur le terrain de la jurisprudence Clause d’indexation et révision du loyer La Cour de cassation a décidé que, dans le cadre de la révision du loyer (C. com. art. L 145-38), même en l’absence de motif de déplafonnement, ce dernier doit être fixé à la valeur locative si celle-ci se situe entre le loyer en cours et le plafond résultant de la variation de l’indice de référence (Cass. 3e civ. 6-2-2008 no 06-21.983 : RJDA 5/08 no 494). En l’absence de clause d’indexation, la notion de « loyer en cours » correspond au dernier loyer fixé amiablement ou judiciairement. En présence d’un loyer indexé, le « loyer en cours » est-il le dernier loyer amiable ou judiciaire (hypothèse 1) ou le dernier loyer indexé (hypothèse 2) ? Dans la première hypothèse, cela conduisait, même en l’absence de motif de déplafonnement, à fixer le loyer révisé à la valeur locative pour peu qu’elle se situe entre le loyer en cours et le plafond. En revanche, dans la seconde hypothèse, si les indices d’indexation et de révision sont identiques, cela pouvait aboutir à un alignement du loyer en cours et du plafond, empêchant ainsi, en l’absence de motif de déplafonnement, la fixation du loyer révisé à la valeur locative. 4 Associé au sein du Cabinet DS Avocats depuis 2014, S. Legrix de la Salle est inscrit au barreau de Paris. Titulaire d’un DESS droit des affaires SÉBASTIEN et fiscalité LEGRIX DE LA SALLE et d’un DESS Avocat associé gestion comptable DS Avocats et financière, il intervient en matière immobilière, tant en conseil qu’en contentieux, et traite plus particulièrement des dossiers relatifs aux baux, fonds de commerce et acquisitions immobilières. 5 Dans un arrêt de 2015, la Cour de cassation a opté pour la seconde hypothèse (Cass. 3e civ. 20-5-2015 no 13-27.367 : RJDA 10/15 no 635). Ainsi, en présence d’une clause d’indexation, les possibilités de révision du loyer, en l’absence de motif de déplafonnement, se trouvent considérablement réduites. Consécration de la validité des clauses d’indexation avec un indice de base fixe 6 En pratique, de nombreuses clauses d’indexation se référaient à un indice de base immuable, seul l’indice d’indexation changeant en fonction de l’année concernée : Année 1 : Indice de base 3e trimestre 2010 et indice d’indexation 3e trimestre 2011 Année 2 : Indice de base 3e trimestre 2010 et indice d’indexation 3e trimestre 2012 Année 3 : Indice de base 3e trimestre 2010 et indice d’indexation 3e trimestre 2013 Année 4 : Indice de base 3e trimestre 2010 et indice d’indexation 3e trimestre 2014 etc. En 2010, le tribunal de grande instance de Paris a, dans un premier temps (TGI Paris BRDA 23/15 • © Editions Francis Lefebvre BRDA232015_a19a4a01-ca6c-40ce-8190-59149684b37e.indd 18 14/12/2015 16:13:20 Question d’actualité 5-1-2010 no 08/13645 et TGI Paris 27-52010 no 09/09345 : BRDA 21/12 inf. 25), réputé non écrites de telles clauses qui avaient pour effet d’apprécier la variation de l’indice sur un an la première année, sur deux ans la seconde et ainsi de suite. Et ce, en violation de l’article L 112-1, al. 2 du Code monétaire et financier qui prévoit qu’ « est réputée non écrite toute clause d’un contrat à exécution successive, et notamment des baux et locations de toute nature, prévoyant la prise en compte d’une période de variation de l’indice supérieure à la durée s’écoulant entre chaque révision ». 7 Ces décisions ont été fortement critiquées par la doctrine lorsque le résultat arithmétique de l’indexation était identique selon que l’on prenne ou pas un indice de base fixe. Depuis, les juges sont revenus à une interprétation plus raisonnable de l’article : le même tribunal (TGI Paris 13-1-2011 no 09/11087 : BRDA 21/12 inf. 25 ; TGI Paris 8-11-2011 no 09/03794 ; TGI Paris 1-12-2011 no 10/09206 : Gaz. Pal. 2012 p. 435 note J. -D. Barbier), la cour d’appel de Paris (CA Paris 4-4-2012 no 10/23391 et no 10/13623 : BRDA 21/12 inf. 25 ; CA Paris 11-4-2012 no 2009/24676 : JCP E 2012 no 1503 obs. S. Legrix de la Salle ; CA 10-6-2015 no 13/13418) puis la Cour de cassation (Cass. 3e civ. 16-10-2013 no 1216.335 : RJDA 1/14 no 12 ; Cass. 3e civ. 1112-2013 no 12-22.616 : RJDA 3/14 no 204 ; Cass. 3e civ. 3-12-2014 no 13-25.034 : RJDA 1/15 no 15 ; Cass. 3e civ. 27-1-2015 no 13-25.576 : D. 2015 pan. p. 1619 obs. Dumont-Lefrand) ont considéré qu’une clause comportant un indice de base fixe était valable dès lors que son application n’avait pas pour effet de faire subir au loyer une variation de l’indice supérieure à la durée s’écoulant entre chaque révision. 8 Néanmoins, nous recommandons toujours d’éviter d’avoir recours à un indice de base fixe et de préférer une rédaction similaire à la suivante : « Les parties conviennent expressément que le loyer sera indexé de plein droit et sans formalité ni notification préalable, chaque année, à la date anniversaire de la prise d’effet du bail, sur la base de l’indice [ILC ou Ilat] publié trimestriellement par l’Insee. Pour la première indexation, l’indice de base sera celui du dernier indice publié à la date de prise d’effet du bail et l’indice de comparaison celui du même trimestre de l’année suivante. Pour les indexations suivantes, l’indice de base sera le précédent indice de comparaison et l’indice de comparaison, le dernier indice publié au jour de l’indexation concernée. » Validité des clauses d’indexation ne jouant qu’à la hausse 9 Face à la baisse des indices ces dernières années, les bailleurs ont eu la tentation de stipuler dans les baux des clauses d’indexation ne jouant qu’à la hausse. La doctrine s’est depuis longtemps interrogée sur la validité de telles clauses tant sur le fondement du statut des baux commerciaux (C. com. art. L 145-39 : réciprocité de la variation) que sur celui du Code monétaire et financier (art. L 1121 : distorsion entre la période d’indexation et les indices d’indexation). Ces derniers mois, les juges se sont prononcés sur le sujet à plusieurs reprises, sans que toutefois une solution claire se dégage. Si certaines juridictions ont retenu la validité de telles clauses (CA Douai 21-12010 no 08/08568 : RJDA 10/10 no 919 ; CA Colmar 4-7-2012 no 11/02844 : Loyers et copr. 2013 comm. no 52 note Ph.-H. Brault ; CA Aix-en-Provence 15-3-2013 no 2013/150), d’autres au contraire ont considéré, principalement sur le fondement de l’article L 112-1 du Code monétaire et financier, qu’elles devaient être réputées non écrites (CA Paris 12-6-2013 no 11/12178 ; CA Paris 2-7-2014 no 12/14759 ; CA Versailles 103-2015 no 13/08116 : RJDA 10/15 no 636 ; BRDA 19 TGI Grasse 5-4-2011 no 09/01658 ; TGI Paris 13-2-2014 : Loyers et copr. 2014 comm. no 149). La réponse est d’autant plus incertaine qu’au sein d’une même juridiction des décisions contradictoires ont pu être rendues à quelques jours d’intervalle (CA Paris 3-4-2013 no 11/14299 ; CA Paris 12-6-2013 no 11/12178). En l’état, il nous semble prudent d’éviter de recourir à des clauses d’indexation ne jouant qu’à la hausse. Notons qu’aujourd’hui de telles clauses sont de moins en moins souvent insérées dans les baux commerciaux. 10 S’agissant de la sanction d’une clause d’indexation non valable qui peut être demandée à tout moment, c’est toute la clause, pour certaines juridictions, qui doit être réputée non écrite (CA Paris 2-7-2015 no 12/14759) alors que, pour d’autres, seule la stipulation empêchant la variation à la baisse doit l’être (CA Versailles 10-3-2015 no 13/08116 : RJDA 10/15 no 636), ce qui n’est pas sans incidence sur le montant que le bailleur devra restituer au locataire. Enfin, la question qui se pose et qui, à notre connaissance, n’a pas encore été tranchée par les juges est de savoir si les clauses encadrant à la hausse et à la baisse l’indexation du loyer ou empêchant une baisse en deçà du loyer initial sont passibles de la même sanction. 11 En conclusion, nous invitons les parties à un bail commercial à être extrêmement pointilleuses dans la rédaction des clauses d’indexation. Ceci d’autant plus que, depuis la loi Pinel, les clauses contraires à l’article L 145-39 du Code de commerce, comme cela était déjà le cas pour celles contraires à l’article L 112-1 du Code monétaire et financier, sont réputées non écrites et donc contestables à tout moment sans prescription possible. © Editions Francis Lefebvre • BRDA 23/15 BRDA232015_a19a4a01-ca6c-40ce-8190-59149684b37e.indd 19 14/12/2015 16:13:20