Le spectacle vivant jeune public : une - Théâtre
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Le spectacle vivant jeune public : une - Théâtre
Université Paris III – Sorbonne Nouvelle DESC – Europe Mémoire de DEA Politiques nationales et politiques européennes des Etats de l’Union européenne LE SPECTACLE VIVANT JEUNE PUBLIC : UNE CONSTRUCTION EUROPEENNE EN MARGE ? Directrice de recherche : DESC - Europe Elisabeth DU REAU Charlotte LENNUYEUX Directeur de recherche : Professionnel Joël SIMON 2003/2005 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? « Toutes les grandes personnes ont d’abord été des enfants. (Mais peu d’entre elles s’en souviennent.) » Antoine de Saint-Exupéry, Le Petit Prince Mémoire de DEA – Charlotte Lennuyeux 2 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? SOMMAIRE INTRODUCTION ........................................................................................................ 5 1ère Partie : MONOGRAPHIES ................................................................................... 7 I. Le spectacle jeune public en Allemagne .............................................................. 8 1. Les politiques de soutien au spectacle jeune public ........................................ 9 2. L’enfant à la découverte de l’art......................................................................14 3. Les échanges internationaux..........................................................................18 II. Le spectacle jeune public en Belgique ...............................................................20 1. Les politiques de soutien au spectacle jeune public .......................................22 2. L’enfant à la découverte de l’art......................................................................27 3. Les échanges internationaux..........................................................................30 III. Le spectacle jeune public en France.................................................................32 1. Les politiques de soutien au spectacle jeune public .......................................35 2. L’enfant à la découverte de l’art......................................................................40 3. Les échanges internationaux..........................................................................46 2ème Partie : SYNTHESE ...........................................................................................48 I. L’enfance de l’art.................................................................................................49 1. Quels arts vivants pour les jeunes spectateurs ? ...........................................52 2. Quelle médiation de la part des adultes ? ......................................................59 II. Une économie à part..........................................................................................62 1. L’Union européenne, grande absente des politiques de soutien en Europe...63 2. D’une démocratisation de la culture à la démocratisation par la culture : quelle politique de soutien au jeune public ?.................................................................68 3. Mécénat culturel et culture du mécénat : quels financements privés pour le jeune public en Europe ?....................................................................................72 4. L’union fait la force : comment coproduire des spectacles jeune public à l’échelle européenne ? .......................................................................................80 III. La place du spectacle jeune public dans la société européenne ......................86 1. Quelle reconnaissance sociale des métiers du spectacle jeune public ? .......86 2. Quelles organisations professionnelles pour le spectacle jeune public ? .......91 3. Quelle formation professionnelle pour les métiers du spectacle jeune public ? ...........................................................................................................................94 4. Pourquoi s’oriente-t-on vers le spectacle jeune public ?.................................97 CONCLUSION.........................................................................................................100 Mémoire de DEA – Charlotte Lennuyeux 3 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? ANNEXES ...............................................................................................................104 RECAPITULATIF DES PROPOSITIONS.............................................................105 Soutien .............................................................................................................105 Financement.....................................................................................................105 Protection sociale .............................................................................................105 Formation professionnelle ................................................................................106 BIBLIOGRAPHIE .................................................................................................107 SITES INTERNET UTILES ..................................................................................117 Annexes sur l’Allemagne......................................................................................125 Le mécénat culturel ..........................................................................................125 La protection sociale des professionnels du spectacle vivant ..........................126 Annexes sur la Belgique ......................................................................................129 Tableau synthétique des institutions.................................................................129 Répartition des dépenses culturelles................................................................130 Communauté française : budget en faveur du spectacle jeune public en 2004131 Le mécénat culturel ..........................................................................................132 La protection sociale des professionnels du spectacle vivant ..........................133 Annexes sur la France .........................................................................................135 Tableau synthétique de quelques compétences en matière culturelle .............135 Le mécénat culturel ..........................................................................................138 La protection sociale des professionnels du spectacle vivant ..........................139 LISTE DES INTERLOCUTEURS .........................................................................143 Mémoire de DEA – Charlotte Lennuyeux 4 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? INTRODUCTION La construction européenne ne se résume pas aux institutions politiques qu’elle a engendrées. Depuis ses origines, elle est la patiente élaboration d’un « vivre ensemble » à l’échelle d’un continent. Si elle a pu aboutir, en 1992, à la fondation de l’Union européenne, c’est parce que sa dynamique dépasse le cadre des négociations entre Etats membres, et implique également la société civile. Or, le caractère démocratique d’une société s’évalue en partie par l’attention qu’elle porte à ceux qui, en son sein, n’ont pas de pouvoir décisionnel. D’où l’intérêt d’observer la participation des enfants et des jeunes à la vie sociale ; le spectacle vivant jeune public nous en est apparu comme une dimension intéressante. Politique par nature, la représentation publique fut en effet l’un des piliers de la démocratie athénienne. Nous nous proposons donc d’étudier la place du spectacle vivant jeune public dans la construction européenne. Un tel champ de recherche est potentiellement vaste et complexe. D’une part, les intervenants sont nombreux et variés : - enfants et adultes ; - artistes, techniciens, administrateurs professionnels ou amateurs ; - médiateurs culturels habituels (au sein du spectacle vivant) ou occasionnels (venus de la puériculture, de l’enseignement,… ou tout simplement parents). Afin de restreindre le périmètre de ce mémoire, nous nous intéresserons de préférence au secteur professionnel spécialisé, ainsi qu’à la place réservée aux enfants et aux jeunes. D’autre part, l’action publique locale, nationale ou européenne concernant le spectacle jeune public dépend de trois compétences habituellement distinctes : les politiques de la culture, de l’éducation et de la jeunesse. Le secteur jeune public réclame donc une approche pluridisciplinaire. Peu de chercheurs se sont, à ce jour, penchés sur cet objet d’étude, et nous avons donc composé à partir de sources diverses recouvrant des domaines partiels. Outre les publications mentionnées dans la bibliographie, nous avons complété nos Mémoire de DEA – Charlotte Lennuyeux 5 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? recherches par des rencontres et entretiens avec de nombreux interlocuteurs issus du secteur jeune public. Cette démarche s’est révélée fructueuse, permettant de collecter une grande quantité d’informations. Elle a également fait apparaître l’immensité de la tâche d’une analyse exhaustive incluant les 25 Etats membres de l’Union européenne. Nous avons donc fait le choix de n’en retenir que trois : l’Allemagne, la Belgique et la France. Ces pays correspondent à des exemples variés mais relativement florissants, où le secteur du spectacle jeune public est engagé dans des partenariats européens. Nous espérons ainsi que notre approche permettra d’identifier des modèles de fonctionnement du secteur jeune public, et des facteurs de réussite de son développement transnational. En revanche, cette sélection ne couvre que des Etats occidentaux, à l’exclusion notamment de l’Europe centrale et de l’Europe du Nord. Les conclusions de ce mémoire restent donc partielles, et mériteraient un éclairage complémentaire. Nous partirons donc d’un état des lieux du secteur jeune public en Allemagne, en Belgique et en France. Nous utiliserons ces présentations pour dégager, parmi les évolutions en cours, celles qui traduisent l’avancement d’une construction européenne. Enfin, nous tenterons d’exploiter cette analyse pour proposer des pistes de travail pour l’avenir du spectacle jeune public européen. Mémoire de DEA – Charlotte Lennuyeux 6 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? 1ère Partie : MONOGRAPHIES Dans chacun des Etats successivement considérés, nous nous sommes efforcé de présenter nos conclusions selon une démarche homogène, en retenant quelques angles particuliers. Tout d’abord, nous avons étudié la politique des pouvoirs publics à l’égard du spectacle jeune public. Ensuite, il nous a par indispensable d’envisager de manière large l’initiation artistique des enfants et des jeunes auxquels les œuvres s’adressent. Enfin, nous avons abordé l’implication du secteur dans les échanges internationaux, notamment européens. Cette approche essentiellement descriptive est complétée en annexes par des éléments sur le mécénat culturel et la protection sociale, qui permettent de mieux comprendre les différents contextes économiques et sociaux du jeune public. Il ne s’agit nullement, en effet, de mener une comparaison « terme à terme » entre l’Allemagne, la Belgique et la France. Si ces monographies présentent des points de vues intéressant tant le politique, que l’artiste et le médiateur culturel, c’est afin d’offrir une analyse systémique des contextes nationaux. Cette recherche d’une compréhension globale du secteur vise : - d’une part, à ne pas négliger les interactions entre des phénomènes que les sciences humaines et politiques cantonnent fréquemment dans des disciplines distinctes ; - d’autre part, à ne pas se contenter de transpositions simplistes et à proposer, face aux difficultés rencontrées par les professionnels dans leurs échanges européens, des solutions pragmatiques. 7 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? I. Le spectacle jeune public en Allemagne Le paysage allemand des arts de la scène est sans doute l’un des plus denses d’Europe. Chaque année, 5 millions de jeunes spectateurs y assistent aux représentations de 700 nouvelles productions1 . Le secteur du spectacle vivant jeune public s’est fortement développé à partir de 1945, à commencer par l’art dramatique. En Allemagne de l’Est, ce phénomène s’est appuyé sur cinq compagnies d’Etat et une tradition de marionnettistes. En Allemagne fédérale, à partir des années 1950 et surtout après 1968, se sont installés de nombreux « théâtres alternatifs »2 proposant des spectacles pour l’enfance et la jeunesse. Nombre de théâtres institutionnels ont également mis en place, outre le traditionnel spectacle de Noël pour les enfants, un petit ensemble dédié au jeune public produisant durant toute la saison. Un fort courant réaliste de théâtre contemporain visant l’émancipation de l’enfance et de la jeunesse est apparu durant la décennie 1970. L’impulsion en fut donnée par les expériences du « MOKS Theater » de Brême (fondé en 1977), des « GRIPS Theater » (1972), « Rote Grütze » (1972), « Fliegendes Theater » (1978), à Berlin Ouest, etc. Ces théâtres existent toujours, et continuent de proposer leurs productions aux enfants et aux jeunes. Dans les années 1970 et 1980, les artistes allemands ont observé et expérimenté les thèmes abordés à l’étranger. Ils se sont inspirés des spectacles suédois, néerlandais, britanniques… De ce fait, un dialogue artistique s’est mis en place, multipliant les échanges internationaux. Comédiens, musiciens ou régisseurs de toute l’Europe ont ainsi participé à la réalisation de spectacles jeune public en Allemagne à partir de la décennie 1980. Aujourd’hui encore, le pays compte de nombreux professionnels venus de toute l’Europe, et permet de nombreuses créations de spectacles non allemands. Pour appréhender les échanges européens au sein du secteur jeune public, une étude détaillée de la situation allemande est donc incontournable. 1 2 Source : KJTZ, 2004 Lieux de diffusion, par opposition aux théâtres de répertoire institutionnels des villes et des Länder 8 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? 1. Les politiques de soutien au spectacle jeune public L’Allemagne est une fédération, et chacun des Etats qui la compose (les « Länder ») dispose de pouvoirs exécutifs et législatifs étendus. La Constitution allemande (« Grundgesetz », ou Loi Fondamentale) stipule notamment que dans les domaines de l’éducation et de la culture, chaque « Land » jouit d’une « souveraineté culturelle » (« Kulturhoheit »). Les politiques qui concernent tant l’école et la jeunesse, que la culture et le spectacle vivant, sont donc du ressort du Land. L’Etat fédéral (le « Bund ») ne dispose pas d’administration territoriale, et ses interventions sont soumises au principe de subsidiarité. Néanmoins, le Bund peut légiférer dans le domaine des droits d’auteurs, de la fiscalité du mécénat ou de la protection sociale des artistes, et les relations internationales (y compris culturelles) sont de sa compétence exclusive. Le département des Affaires Internationales est à ce titre le ministère de tutelle des instituts Goethe3. Il finance également le département international du « Conseil de la Musique »4. La création d’un Ministère fédéral de la culture est récente, datant seulement de 20015. Il soutient quelques projets culturels par le biais de la fondation fédérale « Kulturstiftung des Bundes », établie en 2002 ; son importance reste néanmoins mineure. Les grandes orientations nationales concernant la culture et l’éducation font d’abord l’objet d’une concertation entre les Länder, puis des Länder avec le Bund. Ce système coopératif entre échelons politiques est favorisé par la participation des Länder à la définition des lois fédérales. En effet, les gouvernements des Länder sont représentés au « Bundesrat », la Chambre haute du parlement fédéral. Ce dialogue entre institutions est structuré à travers plusieurs organisations inter - Länder ou associant Bund et Länder. En particulier, la conférence des ministres de l’éducation et des affaires culturelles des Länder (« Kultusministerkonferenz », ou « KMK »), fondée en 1948, est la principale instance 3 Les Instituts Goethe assure à l’étranger la promotion de la langue allemande et les échanges interculturels avec l’Allemagne. Ils sont régis par l’association « InterNationes », d’un budget annuel de 278 millions d’euros. 4 Créé en 1953, le « Deutscher Musikrat » représente les intérêts du secteur de la musique vis-à-vis du gouvernement fédéral, des Länder (à travers ses sections régionales) et de la société civile. Il regroupe 8 millions de membres. 5 Auparavant, le rôle de représentation européenne du ministère était joué par le secrétaire du KMK. Par contraste, avant la réunification, la RDA était structurée autour du contrôle centralisé de l’Etat sur la culture et l’éducation. 9 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? où s’élaborent ces consensus politiques. Rassemblant les minsitres de l’éducation et de la culture des différents Länder, elle a permis la définition et la mise en place d’un système éducatif harmonisé à l’échelon national par les accords de Düsseldorf (1955), puis de Hambourg (1964, 1971). La Fédération et les Länder coordonnent également leurs politiques éducatives, depuis 1970, au sein de la « Commission pour la planification scolaire et la promotion de la recherche » (« Bund–Länder Kommission für Bildungsplanung und Forschungsförderung »). De ce fait, les différences entre systèmes scolaires sont relativement mineures d’un Land à l’autre. Enfin, la création de la « Fondation culturelle des Länder » (« Kulturstiftung der Länder ») en 1988, à laquelle le Bund participe, a mis en place un travail en commun dans le domaine des soutiens à l’art. Basée à Berlin, son but est surtout la conservation du patrimoine et des œuvres d’art d’importance nationale, mais elle a aussi la possibilité de coopérer à des projets culturels novateurs, suprarégionaux et internationaux. En particulier, elle a lancé en janvier 2004 une initiative « Kinder zum Olymp » finançant des actions innovantes pour les arts et la culture en direction de l’enfance et la jeunesse. A l’échelon local, la vie culturelle étant historiquement polycentrée en Allemagne, il n’y a pas de métropole prépondérante. La Constitution reconnaît un principe d’auto - administration communale (« Kommunale Selbstverwaltung ») ; les communes sont, sauf stipulation contraires, responsables de l’administration publique, et jouent un rôle essentiel dans le financement de la culture. Elles ont en charge la gestion de la plupart des salles de spectacles, et des écoles de musique. Les villes ont joué un rôle de pionnières dans la création de politiques socioculturelles, dès les années 19706. A ce titre, elles financent nombre d’actions en direction de la jeunesse. Généralement, les communes doivent faire appel au Land pour financer des projets culturels ; ce qui lui donne tout de même un « droit de regard » sur la vie culturelle locale. 6 Notamment Francfort sur le Main. 10 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? La répartition des dépenses culturelles publiques fait apparaître nettement la prédominance des échelons institutionnels locaux7 : Répartition des dépenses culturelles publiques en Allemagne Bund Länder Communes En pratique, l’Allemagne présente moins de disparités locales que de convergences, si l’on excepte la démarcation toujours sensible entre l’Ouest et les « nouveaux Länder » issus de la réunification avec l’ex-RDA. Ainsi, la musique et l’éducation musicale bénéficient d’une grande considération et de financements importants de la part de toutes les collectivités. Autre caractéristique commune, villes et Länder financent des théâtres, qui leur sont directement rattachés. Ces lieux pluridisciplinaires accueillent la musique, l’opéra, le théâtre et la danse. Ils constituent des structures « lourdes », comportant orchestre, troupe de théâtre, corps de ballet. Cette permanence des équipes 7 Chiffres 2003. Cf. LACOMBE - Le spectacle vivant en Europe - p. 169 - Bund : 7 % - Länder : 38 % - Communes : 55 % Pour l’ensemble des dépenses publiques, sur la même année, la répartition est nettement moins centrée sur les échelons locaux : - Bund : 40% - Länder : 35% - Communes : 25% Cf. SAEZ ; PONGY, Politiques culturelles et régions en Europe, p. 31 11 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? artistiques leur permet de produire l’ensemble des spectacles de la saison, et de développer leur propre répertoire, à travers des créations ou des reprises d’œuvres choisies. Un grand nombre de ces « théâtres de répertoire » a développé une offre jeune public, avec une compagnie spécifique. Ces institutions culturelles locales représentent l’essentiel des budgets consacrés par les communes et les Länder au spectacle vivant. Réciproquement, le théâtre de répertoire est largement dépendant des fonds publics, qui représentent couramment environ 80 % de son budget. Parallèlement à ces théâtres de répertoire, un tiers environ des représentations jeune public est le fait de théâtres « alternatifs », c’est-à-dire des lieux de diffusion accueillant des compagnies indépendantes. Ces « Kinder und Jugend Theater » reçoivent également des subventions ; ils comptent davantage sur leurs ressources propres. Les ressources tirées de la billetterie dépendent naturellement de la jauge8 et des prix des places, lesquels se situent dans des fourchettes relativement homogènes : - de 3 à 5 € par personne pour les groupes scolaires - de 6 à 8 € par enfant - de 9 à 12 € par adulte Par comparaison, en dehors des établissements les plus prestigieux, les prix des places pour adultes dans le spectacle vivant sont habituellement de l’ordre : - de 9 € à 12 € en tarif réduit - de 11 à 25 € en plein tarif Du fait de ces différences tarifaires, les budgets de production du secteur jeune public sont plus réduits que ceux des spectacles destinés aux adultes. Enfin, les apports privés sont importants dans le financement de la culture en Allemagne ; il s’agit principalement du mécénat culturel d’entreprise, qui représentait 255 millions d’euros en 2002, soit environ 3,5 % des aides publiques9. Il est encouragé par des lois fédérales sur la fiscalité10, et par « Arbeitskreis Kultursponsoring » (AKS). Cette association de grandes entreprises vise à « gagner 8 La jauge d’un spectacle est le nombre de spectateurs attendus pour remplir la salle. Source : CEREC. Mécénat sans contrepartie non compris. 10 Voir annexes sur l’Allemagne. 9 12 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? le soutien de la communauté des affaires à l’idée que le mécénat artistique doit être considéré comme partie intégrante de tout concept moderne de communication »11. Malheureusement, ce mécénat « de communication » des grandes entreprises néglige généralement le jeune public. Ce secteur reste donc centré sur une économie « publique », financée par les collectivités et les usagers. 11 Cf. site d’AKS : http://www.aks-online.org/ (traduction personnelle) 13 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? 2. L’enfant à la découverte de l’art Ce rôle des institutions et des collectivités dans le financement du spectacle jeune public reflète l’importance accordée par la société allemande à l’autonomie des enfants et des jeunes. Celle-ci est à la fois une forme de responsabilisation progressive, afin d’acquérir les bases de la citoyenneté active, et une liberté destinée à favoriser, par les loisirs, le développement de la curiosité et l’ouverture aux autres. De ce fait, les enfants allemands disposent de beaucoup de temps libre. En effet, dans la plupart des Länder, les élèves de l’enseignement primaire et secondaire suivent cinq jours de cours par semaine, uniquement le matin de 7h30 à 13 ou 14 heures12. Pour venir en aide aux parents, des programmes d’extension facultative du temps scolaire par un horaire de garde sont mis en œuvre par les écoles. Les après-midi sont donc consacrés aux loisirs. Parmi ceux-ci, l’éducation artistique est très développée ; pratiquement toute ville allemande finance son école de musique, et le réseau d’écoles de danse, privées pour la plupart, est également dense et diversifié. Les spectacles vivants pour jeunes publics se positionnent comme l’une des offres de loisirs culturels disponibles. En semaine, les théâtres organisent généralement des représentations : - le matin – les enseignants peuvent y amener leurs classes ; - en fin d’après-midi (16 ou 18h), et en début de soirée (19h30 ou 20h), pour les familles ou les groupes extra - scolaires d’enfants ou de jeunes. La notion de « représentation scolaire » n’existe pas en Allemagne ; les séances ne sont jamais réservées à des classes. Par ailleurs, la scolarité laisse une large place aux méthodes de pédagogie actives et à la découverte artistique, y compris à travers des sorties au théâtre ou au concert. Les grandes étapes du parcours éducatif sont : - la crèche (« Kinderkrippen »), jusqu’à 3 ans ; - le jardin d’enfants (« Kindergarten »), jusqu’à 6 ans ; 12 Dans les nouveaux Länder, les enfants de moins de 3 ans restent généralement en crèche toute la journée en semaine. 14 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? - l’école primaire (« Grundschule ») ; - l’éducation générale ou secondaire, professionnalisante, avec de diverses filières dénominations d’éducation variables selon les Länder ; - les études supérieures, le cas échéant. Les crèches et jardins d’enfants ne font pas partie du système scolaire, mais sont de la compétence des services de l’enfance et de la jeunesse (« Jugendämter ») de chaque Land. Le personnel des jardins d’enfants est composé principalement de puériculteurs reconnus par l’Etat (« Erzieher »). La plupart des Länder mènent des politiques d’amélioration de la qualification des personnels des jardins d’enfants ; les dimensions de l’apprentissage linguistique et interculturel sont particulièrement mises en avant. Même s’il ne s’agit pas d’institutions scolaires, la garde des enfants y est orientée selon des concepts pédagogiques. Les jardins d’enfants, publics ou privés (généralement confessionnels), ont une longue tradition en Allemagne ; les premiers datent de 1840, et ont été créés par le mouvement impulsé par Friedrich Fröbel13. Ils ont pour objectif de nourrir le développement des tout-petits à la fois sur le plan intellectuel, émotionnel, créatif et social. Pour cela, les activités des jardins d’enfants se fondent sur les besoins individuels de chaque enfant ; le jeu y occupe une place centrale. Dans certains cas, une approche particulière peut être utilisée, comme les méthodes de Rudolf Steiner14 ou de Maria Montessori15, qui accordent une grande importance à la possibilité de se confronter à la pratique artistique et à la contemplation esthétique. A partir de six ans, tous les enfants entrent obligatoirement à l’école primaire (« Grundschule »). Les leçons se concentrent sur l’apprentissage transverse de la lecture, l’écriture et l’arithmétique. Les disciplines d’enseignement, incluent notamment les arts plastiques et la musique, et toutes les matières ont une valeur équivalente. En outre, l’éducation esthétique (activités créatives et 13 Pédagogue allemand, 1782-1852. Ses méthodes d’éducation s’adressaient tant aux institutrices qu’aux mères de famille, et se fondent sur l’activité libre volontaire de l’enfant. Il a fondé le premier jardin d’enfant en 1836, à Blankenburg (Allemagne). 14 Pédagogue autrichien, 1861-1925. La pédagogie de Steiner laisse une place importante à l’art, car l’enseignement ne s’adresse pas seulement à l’intelligence, mais également aux sentiments et à la volonté. 15 Pédagogue italienne, 1870-1952. L’environnement scolaire est conçu pour aider l’enfant à conquérir sa liberté ; l’ergonomie, mais aussi la beauté y joue un rôle important. 15 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? expériences artistiques) est prise en compte de façon croissante dans les programmes des écoles primaires, de même que l’initiation aux langues. Dès dix ans, l’entrée en premier cycle secondaire est caractérisée par la différenciation entre diverses orientations scolaires, correspondant à des établissements et des certificats différents. Par un accord de la KMK de 1993, tous les établissements de premier cycle secondaire doivent enseigner les matières essentielles suivantes : l’allemand, les mathématiques, une langue étrangère, les sciences naturelles et sociales. La musique, les arts plastiques et le sport, au minimum, doivent être proposés parmi les autres matières obligatoires ou optionnelles. A la fin de la scolarité obligatoire, fixée à 15 ou 16 ans selon les Länder, l’enseignement peut être général ou professionnel, à temps plein ou en alternance. Les enseignements prodigués dépendent largement de la spécialisation de chaque filière, mais l’éducation artistique n’est plus que rarement mise en avant. En Allemagne, les partenariats entre écoles et salles de spectacles ne sont pas développés sous une forme « institutionnelle » ; mais la large place laissée au temps libre, la forte tradition d’éducation musicale, la sensibilisation aux arts à l’école et les sorties scolaires au spectacle (surtout des écoles primaires) facilitent la découverte des arts vivants. Le « Kinder und Jugend-Theater Zentrum » (KJTZ)16, réseau des lieux et compagnies consacrées à l’art dramatique en direction du jeune public, compte plus de 800 troupes membres. Environ 4500 personnes travaillent dans le secteur, toutes professions confondues. Le théâtre de répertoire emploie un important personnel salarié, sur la base de contrats d’environ trois ans, parfois à durée indéterminée ; certains employés peuvent également relever de la fonction publique, ce qui accorde une stabilité appréciable. En revanche, les conditions sociales appliquées dans le circuit indépendant sont nettement plus précaires ; les professionnels sont engagés sur des durées plus courtes, par contrat de travail ou en tant que travailleurs indépendants. 16 Le KJTZ, basé à Francfort, est une organisation membre de l’ASSITEJ, qui rassemble depuis 1989 les théâtre jeune public de toute l’Allemagne. Il est financé par le Ministère fédéral de la jeunesse, la région de Hessen et la ville de Francfort. 16 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? La médiation autour du spectacle est prise très au sérieux par les professionnels allemands, qui privilégient une approche pédagogique. Les théâtres engagent couramment des spécialistes de l’éducation, les « Theaterpädagoge », qui interviennent dans la démarche de production et de médiation culturelle. Ils rédigent et fournissent aux enseignants des cahiers pédagogiques, et ce de longue date ; le GRIPS édite les siens depuis 1973 ! Ils proposent aux enseignants des informations et des pistes d’animations en classe, afin de préparer le spectacle en amont ou au contraire d’en tirer parti a posteriori. L’approche du jeune public en Allemagne est donc fortement marquée par une volonté didactique : il s’agit de faire connaître une œuvre du répertoire aux enfants et aux jeunes, pour partager avec eux cette émotion artistique. Sur le plan des contenus artistiques des spectacles jeunes publics, les programmateurs des théâtres allemands s’adressent à la fois aux enfants et aux jeunes eux-mêmes, ainsi qu’à leur environnement familial. Leurs choix se portent fréquemment sur des adaptations du répertoire tous publics, à une échelle de production plus réduite : on passe généralement de plateaux de 20 à 30 personnes pour les publics d’adultes, à des plateaux de 5 ou 6 personnes pour les jeunes publics. La démarche artistique, à l’instar des productions pour adultes, est fondée sur l’œuvre. Le projet de mise en scène d’un auteur, chorégraphe ou compositeur, en est le point de départ. La recherche artistique des interprètes ne s’appuie donc pas sur une création originale, mais sur une interprétation renouvelée et pertinente. C’est pourquoi la différenciation entre les genres (théâtre, danse, musique…) reste fortement marquée en Allemagne. Le travail de création en direction du jeune public est stimulé par une rencontre de travail annuelle, « Spurensuche », qui rassemble les compagnies indépendantes jeune public en Allemagne depuis une dizaine d’années. Elle propose aux artistes des théâtres indépendants des ateliers de mise en scène, d’écriture, de danse, de musique etc. Par contre, les échanges et coproductions entre théâtre permanents restent rares. 17 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? 3. Les échanges internationaux L’organisation du spectacle vivant jeune public en Allemagne ne correspond que partiellement au découpage de l’activité entre création, production et diffusion, dans la mesure où le théâtre de répertoire (le modèle dominant) prend en charge l’ensemble de ces étapes. Cependant, il reste pertinent d’envisager les échanges internationaux selon ces trois dimensions respectives, c’est-à-dire : - la circulation des œuvres ; - la circulation des artistes et techniciens du spectacle ; - la circulation des spectacles. S’agissant de la création, la circulation de textes, de chorégraphies ou de partitions à l’échelle européenne est un phénomène majeur du secteur jeune public en Allemagne. Le répertoire allemand est profondément international ; environ un tiers des pièces produites par les compagnies sont étrangères, avec aujourd’hui une prédilection pour les auteurs suédois, néerlandais et italiens. De nombreux traducteurs recherchent des textes originaux pour les retranscrire en allemand, et un mouvement d’écriture de pièces bilingues, anglais/allemand, est apparu récemment. La démarche des théâtre de répertoire, fondée sur l’œuvre et sa mise en scène, s’accompagne d’une édition de textes de théâtre jeune public relativement forte. Exemple de manifestation de cette position privilégiée en Allemagne, la pièce française Sous la table, d’Agnès Desfosses17, a été publiée initialement en langue allemande18 ! Les nombreux contacts pris avec des professionnels européens se sont traduits en outre par des échanges au niveau de la production ; des artistes, techniciens, programmateurs et administrateurs de structures sont venus des pays proches (notamment la France, les Pays-Bas, la Suède) pour s’installer et travailler en Allemagne. Paradoxalement, le milieu professionnel du spectacle vivant jeune public, quoique fortement internationalisé, monte peu de coproductions internationales. En effet, la présence à l’année d’ensembles dans les théâtres de répertoire restreint les possibilités de coproduction, que ce soit entre compagnies ou institutions 17 18 Artiste plasticienne française, auteur et fondatrice de la compagnie ACTA en 1992. Par l’éditeur « Verlag der Autoren », sous le titre Unter dem Tisch, en 2003. 18 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? allemandes, ou avec des partenaires étrangers. Chaque théâtre de répertoire fonctionne habituellement en autarcie, grâce à ses équipes permanentes. De même, la diffusion reste un phénomène local. Du fait de la sédentarité des ensembles liés à un théâtre permanent, seuls les théâtres alternatifs accueillent régulièrement des spectacles en tournée (que ce soit en provenance de l’étranger ou même d’Allemagne). Fait significatif de ce phénomène : il n’y a qu’une poignée de tourneurs pour le spectacle vivant jeune public dans toute l’Allemagne19. Inversement, si certaines compagnies allemandes participent parfois à des festivals à l’étranger, les tournées européennes restent exceptionnelles. En Allemagne, seuls les festivals réunissent des compagnies jeune public d’horizons divers, et permettent une circulation des spectacles. Ceux-ci sont nombreux, et très ouverts sur l’Europe : - « Augenblick mal », biennale berlinoise fondée en 1991 ; - « Schöne Aussicht », biennale européenne à Stuttgart dont la troisième édition s’est tenue en 2004 ; - « Synergura », festival biennal de marionnettes. Le secteur jeune public allemand s’appuie donc sur des institutions culturelles stables, et des relations de proximité avec les parents et les enseignants. Bien que son modèle d’organisation dominant soit peu adapté à la circulation des spectacles, ses festivals, son édition et ses réseaux professionnels internationaux permettent des échanges importants avec l’Europe. 19 Dont Gert Engel, l’un de nos interlocuteurs. 19 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? II. Le spectacle jeune public en Belgique Le spectacle jeune public belge fait l’objet d’une activité culturelle intense, avec une nette prédominance de l’art dramatique. En effet, grâce au soutien du système scolaire, le théâtre a été historiquement le premier genre à s’intéresser aux enfants et aux jeunes. Après la seconde guerre mondiale, la philosophie de la « démocratisation culturelle » assigne au théâtre pour enfants une mission sociale et éducative. Parmi les pionniers, la troupe du « Petit Théâtre » dès 1947, le « Théâtre de l’Enfance » de José Géal à partir de 195420, ou encore les « Comédiens de l’Enfance ». Ces troupes jouent dans les écoles, sur commande du Ministère de l’Instruction publique. En 1969, fut fondée « l’Association pour la promotion et la diffusion des spectacles pour enfants et adolescents » ; celle-ci s’attache à développer la diffusion de spectacles de qualité en milieu scolaire. Fruit de son lobbying, le « Décret du 25 juin 1973 » prévoit le financement de la diffusion scolaire pour les compagnies agréées. Depuis lors, les compagnies jeune public francophones sont évaluées par un jury lors de « Rencontres – sélections » annuelles à Huy, afin d’obtenir ou de confirmer cet agrément. Ce secteur jeune public en développement dans les années 1970 rejette les formes culturelles infantilisantes, puériles ou moralisatrices. Il s’ouvre sur l’art contemporain et propose des thèmes militants, y compris sur un plan politique. Une majorité de spectacles remettent alors en question certains aspects de la société (autoritarisme, sexisme, pollution…), au risque du manichéisme. A partir de 1979, le budget alloué pour les représentations scolaires devient dérisoire. Dans les années 1980 émerge un courant théâtral mettant l’accent sur les émotions, et abordant des problématiques existentielles. Par son langage symbolique, il touche la sensibilité. Sur le plan artistique, les formes et les démarchent se diversifient. Les spectacles deviennent pluridisciplinaires, mêlant sur scène théâtre, musique, marionnettes, danse et arts circassiens… Les animations et 20 Le « Théâtre de l’Enfance » arrêta son activité en 1972. Michel Van Loo, fondateur en 1971 du Théâtre de la Guimbarde, y fut metteur en scène. 20 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? activités artistiques avec les jeunes spectateurs, en dehors du moment de la représentation, deviennent courantes. A partir de 1991, le « Conseil du Théâtre pour l’Enfance et la Jeunesse » issu du Décret de 1973 est réactivé par la Communauté française. Les subventions attribuées aux séances scolaires augmentent. La même année, la fondation du centre de coordination « BRONKS »21, organisateur d’un festival annuel à Bruxelles, impulse un renouveau du spectacle jeune public en Communauté flamande. La vitalité et la qualité de la scène belge en font aujourd’hui une référence en Europe. Elle exerce une influence esthétique à l’étranger dont attestent les tournées internationales des compagnies, tant francophones que néerlandophones. 21 Ne disposant ni de lieu de représentation fixe, ni d’une compagnie permanente, BRONKS agit par un accompagnement de l’organisation de tournées (notamment sur des « friches »), par la mise en réseau de programmateurs et de compagnies, et par la sensibilisation des enseignants aux arts de la scène. 21 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? 1. Les politiques de soutien au spectacle jeune public L’analyse des politiques en faveur du secteur jeune public est marquée par la dichotomie linguistique belge. A la création du Royaume de Belgique en 1830, l'État était fondé sur le principe de l'unité de législation et de gouvernement. Cette structure politique unitaire a été progressivement remise en cause par deux tendances autonomistes. D’une part, un mouvement flamand revendiqua dès le 19ème siècle la reconnaissance officielle de la langue néerlandaise. D’autre part, un mouvement wallon revendiqua la maîtrise politique et économique de la reconversion industrielle de la Wallonie. Au terme d’une lente évolution constitutionnelle, la Belgique est devenue un État fédéral22, rassemblant des Régions et des Communautés. Ces entités fédérées disposent de compétences exclusives, concernant soit des populations, soit des territoires23. Contrairement à l’Allemagne, le fédéralisme belge est un compromis fragile entre intérêts flamands et wallons. Les trois Communautés24, dotées de prérogatives culturelles et éducatives, rassemblent les citoyens en fonction de leur langue : - la Communauté française (environ 3,3 millions de francophones), - la Communauté flamande (environ 5,9 millions de néerlandophones), - la Communauté germanophone (environ 110 000 locuteurs d’une langue germanique). La frontière linguistique sépare le Nord néerlandophone du Sud francophone. Bruxelles et ses dix-huit communes périphériques sont officiellement reconnues comme zone bilingue, et une zone germanophone est délimitée à l'Est du pays25. Les trois Régions26 disposent de compétences économiques et sociales sur leurs territoires : - la Région flamande (au Nord du pays), qui a fusionné ses institutions avec la Communauté flamande ; 22 Cf. Article 1 de la Constitution Voir tableau des institutions belges en annexe. 24 Cf. Article 2 de la Constitution 25 Cette zone de 9 communes regroupe 71 000 habitants, sur les 110 000 germanophones de Belgique. 26 Cf. Article 3 de la Constitution 23 22 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? - la Région wallonne (au Sud du pays), qui regroupe les zones linguistiques francophone et germanophone ; - la Région de Bruxelles – Capitale (19 communes). L'exercice de certaines compétences est confié à des collectivités locales, les provinces et les communes. Les Provinces correspondent géographiquement aux Régions. Chaque commune est rattachée à l’une des Communautés par le choix de sa langue administrative ; mais certaines communes pluriculturelles sont dites « communes à facilités », et doivent respecter les droits linguistiques et culturels de plusieurs Communautés27. Si l’on étudie le partage des compétences qui concernent le soutien au spectacle jeune public, l’Etat fédéral ne conserve que la protection sociale, la propriété intellectuelle, la fiscalité et les relations internationales. Les principaux domaines, à savoir l’éducation, la jeunesse et la culture, sont tous du ressort de la Communauté. Les politiques en direction du jeune public font donc essentiellement l’objet d’une « partition communautaire ». 27 Fort heureusement, aucune commune n’est répartie sur plusieurs provinces, ni aucune province sur plusieurs régions ! 23 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? Le total des budgets publics alloués à la culture en Belgique était d’environ 2,5 milliards d’euros en 2001. La répartition de ces financements publics entre les différents niveaux institutionnels est la suivante28 : Répartition des dépenses culturelles publiques en Belgique Autres Etat Provinces Communautés Communes Les Communautés étant également en charge des questions éducatives, communes et les Communautés sont les échelons administratifs essentiels de définition et de mise en œuvre d’une politique de soutien au spectacle vivant jeune public. En Communauté flamande, le Gouvernement flamand a confié l’orientation de sa politique culturelle à des organes consultatifs d’experts indépendants : - le Conseil de la Jeunesse pour la Communauté flamande, créé en 1982 ; - Le Conseil des Arts, créé en 1997 (qui comporte une commission des arts de la scène et une commission de la musique) ; - Le Conseil de l'Education populaire et de la Diffusion de la Culture, créé en 1997. 28 Voir tableau détaillé en annexe. 24 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? Sur leurs recommandations, le Gouvernement flamand subventionne de nombreuses compagnies artistiques, des centres culturels, et des centres sociaux de communautés diffusant les spectacles de création flamande. Un réseau d’ambassades culturelles flamandes assure également la promotion de la langue et des artistes flamands à l’étranger. Ce modèle d’action déléguée s’inspire des traditions politiques du Royaume-Uni et des Pays-Bas. L’action culturelle de la Communauté française, pilotée par un Ministère de la Culture, est centralisée. La part des communes et provinces wallonnes dans les financements culturels est d’ailleurs inférieure à celle de la Communauté française. Au sein du Ministère, le Service général des Arts de la Scène (SGAS), a en charge la politique relative au théâtre, aux musiques (classiques ou non), à la danse, au cirque et aux arts de la rue. Il subventionne les Centres culturels agréés, qui forment un maillage d’interlocuteurs privilégiés pour la diffusion. Le budget du SGAS est de 66 millions d’euros en 2004. Plus de 40 % de ce budget est consacré aux grandes institutions artistiques emblématiques, à savoir le Théâtre National, l’Orchestre philharmonique de Liège, l’Opéra royal de Wallonie et le Centre chorégraphique Charleroi/Danses. Concernant le jeune public, le principal axe d’action du SGAS est le financement des spectacles scolaires29, dans le cadre du « Décret du 25 juin 1973 relatif aux conditions d’agréation et d’octroi de subsides aux théâtres de l’enfance et de la jeunesse » déjà mentionné. Ce décret soumet le soutien aux compagnies théâtrales jeune public à l’agrément du « Conseil du Théâtre de l’Enfance et de la Jeunesse »30. Depuis 1989, la chanson jeune public, forte d’un succès croissant, bénéficie également d’une aide à la diffusion pendant le temps scolaire. Les compagnies doivent « par priorité consacrer leurs activités au Théâtre de l’Enfance et de la Jeunesse »31, et monter chaque année au moins une création nouvelle en région Wallonie - Bruxelles. Résultat d’une sélection draconienne32, seule une douzaine de compagnies sont agrées33, et une douzaine conventionnées34. 29 Voir tableau en annexe. Le CTEJ, à ne pas confondre avec la CTEJ (Chambre des Théâtres pour l’Enfance et la Jeunesse). 31 Cf. article 1 du Décret. 32 La sélection a lieu chaque année lors des « Rencontres – Sélection » à Huy ; le jury est composé de professionnels, animateurs et enseignants. Les spectacles sélectionnés bénéficient du soutien financier de la Communauté française et des Provinces pendant deux saisons. 33 Chacune touche entre 25 000 et 50 000 euros de subventions pendant deux ans. 34 La convention dure 4 ans, et apporte entre 55 000 et 320 000 euros. 30 25 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? La petite Communauté germanophone ne dispose que de moyens réduits. Elle compte cependant 7 centres culturels (pour 9 communes), dont le « Kulturzentrum Jünglingshaus » à Eupen. Celui-ci accueille une programmation jeune public, et organise chaque année depuis 2003 un Festival Européen du Théâtre d’Objets, proposant 7 spectacles différents sur 3 jours. La vie culturelle locale est évidemment très liée à l’Allemagne voisine ; ainsi, un marionnettiste d’AixLa-Chapelle co-organise ce festival. La plupart des représentations jeune public sont accueillies par des théâtres et lieux culturels dans le cadre d’une programmation scolaire ou « tout - public ». En effet, le niveau de subventions en Belgique ne permet guère de financer des lieux de diffusion spécialisés jeune public. Citons cependant « Pierre de Lune » et la Montagne magique, à Bruxelles, qui offrent une programmation à l’année. Les compagnies belges sont donc itinérantes, et proposent des « petites formes » afin que la billetterie assure le complément de recette indispensable. En Communauté Française, le Décret de 1973 encadre le prix des représentations des compagnies agrées entre 3 et 4 € par élève seulement. Les prix des places tout – public sont de l’ordre de 5 à 7 € pour les enfants, et de 7 à 9 € pour les adultes accompagnants. Le recours aux financements des entreprises est complexe, et le secteur jeune public n’en bénéficie guère. En Communauté française, la « Fondation Prométhéa », créée en 1985 afin de développer le mécénat culturel d'entreprise, soutient quelques projets de spectacles jeune public, tel le spectacle musical C’était il y a longtemps35. De tels financement restent néanmoins marginaux. La Loterie Nationale finance également des projets culturels. Cette initiative s’inspire de l’exemple du Royaume-Uni, et a permis de dégager environ 10 millions d’euros en 2001. A titre d’exemple, dans le secteur jeune public, la Loterie Nationale participe au financement du programme « L’école en scène ». 35 Mise en scène de trois contes de Claude Clément. 26 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? 2. L’enfant à la découverte de l’art Les enfants disposent de peu de temps libre pour les loisirs. Dans toutes les Communautés, du jardin d’enfants au secondaire, la semaine scolaire est habituellement constituée de 9 demi-journées du lundi au vendredi, le mercredi après-midi étant libre. La journée d’école « standard » s’étend de 8h à 16h environ. En revanche, les écoles organisent un nombre élevé de représentations scolaires de spectacles. En Communauté française, 350 000 enfants de 3 à 15 ans vont au théâtre chaque année, sur environ 650 000 élèves36 ! Les deux grandes Communautés subventionnent également un grand nombre d’écoles d’art37, d’enseignement volontaire et payant à horaire réduit, proposant dans près de 300 communes une éducation artistique volontaire et payante en arts plastiques, musique, arts de la parole et danse. La scolarité est du ressort de chaque Communauté. Seuls la fixation du début et de la fin de l’obligation scolaire, les conditions minimales pour la délivrance des diplômes et le régime des pensions du personnel enseignant demeurent des compétences de l’état fédéral. Le système scolaire est également marqué par une fracture historique entre enseignement public ou « libre » (généralement catholique). Chaque famille dispose d’un libre choix, et les subsides à l'enseignement libre sont généralisés. La liberté d'enseignement est inscrite dans la Constitution, de sorte que l'organisation des établissements ne peut être soumise à aucune mesure restrictive. Toutefois, les écoles qui désirent délivrer des titres reconnus et bénéficier des subsides de la Communauté doivent se conformer à ses règles, et la très grande majorité des établissements scolaires est organisée ou subventionnée par la Communauté. Les activités artistiques représentent environ la moitié du temps éducatif de maternelle en Communauté française. Toutes les écoles primaires de la Communauté ont mis en place un dispositif basé sur une organisation en « cycles » permettant à chaque enfant de parcourir la scolarité d'une manière continue, à son 36 37 Source : la CTEJ, Regards sur le théâtre jeunes publics, p. 55 Il en existe dans près de 300 communes francophones. 27 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? rythme et sans redoublement, de son entrée à la maternelle à la fin de la deuxième primaire38. L’éducation artistique en est un enseignement obligatoire. L’éducation secondaire est marquée par la spécialisation entre « Humanités générales et technologiques » (préparation à l'enseignement supérieur) et « Humanités professionnelles et techniques » (formations qualifiantes). Seuls 30 établissements secondaires en Communauté française proposent des enseignements optionnels artistiques. Cependant, depuis 2000, la Communauté française a lancé un programme de résidences d’artistes du spectacle vivant, « L’école en scène ». Ce programme a rassemblé 25 projets d’établissements, avec un double objectif : - favoriser durablement l'initiation à une pratique artistique active ; - lutter contre l'exclusion socioculturelle en encourageant l'expression artistique des jeunes. La résidence permet de construire dans la durée une collaboration enseignant – artiste, dans laquelle chacun conserve ses propres objectifs. Initialement inspiré par les expériences françaises de Jack Lang, « L’école en scène » est en voie de pérennisation. L’enseignement artistique bénéficie d’une importance remarquable en Communauté flamande. Ainsi, les cinq champs faisant l’objet d’exigences pédagogiques à la fin de l’éducation primaire sont : l’éducation physique, la pratique des arts, le langage, l’étude de l’environnement, et les mathématiques39. Dans l’enseignement secondaire, la définition du tronc commun (« kerncurriculum ») de savoirs et de compétences inclut la participation à la vie sociale, y compris l’accès démocratique au patrimoine culturel. En outre, la Communauté flamande a structuré une filière d’enseignement secondaire artistique (« KSO ») qui offre aux jeunes de 12 à 18 ans une formation générale et multidisciplinaire liée à une pratique active des expressions artistiques. Le KSO permet soit d’exercer, soit de passer à l’enseignement supérieur. En Communauté Germanophone, le jardin d’enfants (appelé « Kindergarten » ou « Vorschule ») est systématiquement intégré à l’école primaire (« Grundschule »). Le « plan d’activités » des enfants doit obligatoirement inclure des activités créatives : 38 39 Parcours scolaire défini par le « Décret Missions » de 1997. Dans le cadre du « Decreet Basisonderwijs » de 1997. 28 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? - éveil esthétique, développement du sens artistique, stimulation de la créativité en jardin d’enfants; - pratique des arts et travaux manuels40 en primaire. Dès le jardin d’enfants, presque toutes les écoles de la Communauté Germanophone proposent une immersion ludique en langue française de 20 à 90 minutes par semaine. A partir de l’enseignement secondaire, l’enseignement artistique ne figure plus au programme du tronc commun41. La médiation est considérée comme partie intégrante de l’activité des compagnies, notamment celles agréées et conventionnée en Communauté française. Cependant, la précarité prévaut dans le secteur jeune public ; les compagnies sont itinérantes. En dehors des résidences, les contrats conclus sont donc généralement de courte durée. Enfin, les contenus artistiques proposés aux jeunes spectateurs sont riches et variés. Les formes théâtrales incluent couramment d’autres disciplines (théâtre d’objets, musique, cirque, voire vidéo). Néanmoins, la danse jeune public reste peu développée ; situation paradoxale dans la mesure où, depuis les années 1980, les chorégraphes flamands ont acquis une réputation internationale42… Au cours des dernières années, une offre de spectacles pour les tout – petits est apparue. En 2001, le Théâtre de la Guimbarde a été chargé par le Ministre de la Communauté française en charge de la petite enfance, Jean-Marc Nollet, de réaliser les premières expériences théâtrales en Belgique pour les bébés de 0 à 3 ans. Duo des Voiles, un spectacle musical, fut conçu comme une caresse, un doudou sensoriel baigné de sons et de couleurs. Depuis 2002, le Théâtre de la Guimbarde et la ville de Charleroi organisent également le festival - rencontre « la culture et les tout-petits », qui permet de découvrir des spectacles belges et étrangers destinés à la petite enfance. Les puéricultrices sont des relais moteurs de la démarche ; en témoignent tant la forte demande de tels spectacles, que des expériences novatrices d’éveil artistique menées dans des crèches de Charleroi43. 40 Cadre défini par le « Dekret über das RegelGrundschulwesen » de 1999. Encadré par le « Grundlagendekret » de 1998. 42 Citons notamment : Jan Fabre, Anne-Teresa De Keersmaeker, Alain Platel , Wim Vandekeybus. 43 Cf. REGINSTER, Gaëtane - « Les puéricultrices, premières spectatrices des bébés-spectateurs » 41 29 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? 3. Les échanges internationaux Le spectacle jeune public a fait l’objet très tôt d’une reconnaissance des autorités politiques, avec le Décret de 1973 en faveur du théâtre à l’école. Si le secteur ne bénéficie que de financements relativement faibles et d’accès très sélectifs, ceux-ci sont assortis d’un réel soutien pluri – annuel. La grande qualité des productions permet aux compagnies belges d’être sollicitées pour des tournées à l’étranger, notamment en Allemagne, France, et PaysBas du fait des liens linguistiques. Cette activité « d’exportation » leur est fréquemment indispensable pour maintenir un niveau minimal de rentabilité des spectacles44. Réciproquement, les lieux de spectacle belges accueillent volontiers en tournées les compagnies françaises, italiennes ou néerlandaises. Mais le véritable défi européen pour le jeune public belge se situe… en Belgique même ! A l’image de l’ensemble du champ culturel, le secteur est marqué par la fracture identitaire entre les deux grandes Communautés, flamande et française. Les artistes belges travaillent aisément dans toute l’Europe, mais circulent plus facilement dans d’autres pays que d’une Communauté à l’autre en Belgique. Les professions du spectacle jeune public sont traversées par cette division entre Communautés. Ainsi, la représentation de la Belgique au sein du réseau international de l’ASSITEJ est-elle bicéphale : la « Chambre des Théâtres pour l’Enfance et la Jeunesse » pour la Belgique francophone45, et la « Kamer Assitej België » pour la Flandre. De part et d’autre de la « frontière linguistique », pourtant, les conditions de l’exercice professionnel diffèrent peu. Les conventions collectives applicables sont d’ailleurs les mêmes46. Cet état de fait est d’autant plus regrettable que la vitalité créatrice du secteur, dans chacune des Communautés, pourrait être un vecteur de dialogue interculturel tant entre artistes qu’entre jeunes spectateurs. La construction européenne, en 44 cf. DEBEFVE ; JOLET : « On estime que pour arriver à l’équilibre financier, un spectacle doit assurer de 30 à 60 % de ses représentations à l’étranger, principalement mais non exclusivement en Europe. » - Regards sur le théâtre jeunes publics, p. 61 45 La CTEJ regroupe 50 compagnies professionnelles francophones. 46 Convention « Musique » et « Podiumkunsten » ; voir annexes sur la protection sociale. 30 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? associant aux Communautés d’autres partenaires, aura-t-elle raison de ce « divorce à l’amiable » entre Communautés belges ? 31 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? III. Le spectacle jeune public en France Le jeune public a une place importante dans le spectacle vivant en France. Chaque année, environ 3 millions d’enfants de moins de 15 ans (soit environ un tiers des spectateurs) fréquentent les théâtres47. Plus de 150 lieux leur proposent une programmation. En 1994, on dénombrait 190 compagnies professionnelles de théâtre jeune public48. Ce secteur a obtenu une reconnaissance artistique croissante tant de la part des institutions que des autres professionnels des arts de la scène. Le théâtre a été le premier genre artistique à se développer spécifiquement en direction du jeune public, et reste le genre prédominant49. L’Association du théâtre pour l’enfance et la jeunesse (ATEJ) a été fondée dès 1957. En 1969, Jean Vilar organise les premières « Journées de théâtre pour les jeunes spectateurs » dans le cadre du festival d’Avignon, principal festival d’art dramatique en France. Etaient présents quelques pionniers de la création contemporaine jeune public : le Théâtre de la Clairière50, le Théâtre des Jeunes Années51 et le Théâtre du Soleil52… Le genre dramatique a bénéficié d’un soutien important de l’Etat dans le cadre de l’Education nationale. En 1977 est créée au sein du Ministère de l’Education une « Mission d’action culturelle en milieu scolaire », interlocuteur des professionnels du spectacle. Les écoles primaires (6 – 12 ans) commandent de nombreuses représentations scolaires. Elles restent aujourd’hui encore un pilier incontournable du spectacle jeune public français, sans lequel la pérennité de ce secteur fragile ne serait pas garantie. En 1978 sont créés les Centre Dramatiques Nationaux pour l’Enfance et la Jeunesse (CDNEJ), financés par le Ministères de la Culture. Ils permettent à plusieurs compagnies de bénéficier de moyens de création, de production et d’animation dans la durée. 47 Source : ATEJ, 1995 Sur environ 900 à 1100 compagnies dramatiques - Source : Livre Blanc de l’ATEJ, p. 67 49 53,4% des représentations pour jeune public en 1997/98, d’après GUIGUEN – La danse contemporaine destinée au jeune public a-t-elle un avenir ? 50 Fondé et animé par Miguel Demuynck. 51 Le TJA est la compagnie de Maurice Yendt. 52 Avec Ariane Mnouchkine. 48 32 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? Les CDNEJ contribuent également à donner au théâtre jeune public une existence et une visibilité en dehors du cadre scolaire : - en organisant des séances familiales « tous publics » ; - en collaborant avec des acteurs et metteurs en scène non spécialistes du jeune public ; - en créant des festivals : la Biennale de Théâtre Jeune Public de Lyon, Vitrine Bleue à Lille, « Odyssée 78 » à Sartrouville. La danse a suivi le même processus de développement que le théâtre jeune public, quoique plus tardivement : le soutien du milieu scolaire a permis ensuite un développement plus large. Dans les années 1970, le milieu de la danse contemporaine fait les premiers pas en direction des enfants. Font figure de pionniers Susanne Buirge53, Alexandre Witzman - Anaya, Josiane Rivoire, Anne Dreyfus… Les professeurs d’écoles et les animateurs se montrent intéressés par la démarche, qu’il s’agisse de pratique ou de spectacles. Un projet « Danse à l’école », initié par la chorégraphe Françoise Dupuy et Marcelle Bonjour, consultante pour la danse au ministère de l’Education nationale, démarre au début des années 1970. En 1985, Françoise Dupuy est chargée de l’éveil de la danse en milieu scolaire, puis inspectrice de la danse au ministère de la Culture en 1987 et forme des professeurs de danse de 1991 à 1998. En 1986, Marcelle Bonjour crée l’association « Danse au cœur », qui accompagne la mise en œuvre du programme « Danse à l’école »54. Une nouvelle génération d’artistes s’intéresse ainsi à la danse jeune public : Bernard Glandier, Jean-François Duroure, José Montalvo, Dominique Hervieu, Claude Brumachon, Josette Baïz, Cathy Cambet… Dans le domaine de la musique, les orchestres permanents prêtent également une attention toute particulière au jeune public, et développent des actions en leur direction55, avec le concours de l’institution scolaire. En 1983, les premiers « centres de formation des musiciens intervenants » sont créés : ils délivrent le DUMI (diplôme universitaire de musicien intervenant), qui donne à des musiciens professionnels accès aux écoles pour mener des animations. 53 Sa création de 1972, Autour d’un arbre, est probablement le premier spectacle de danse jeune public en France. 54 « Danse au cœur » met en relation les enseignants et les professionnels, organise des formations et sert de centre de ressources. 55 Voir notamment : MACIAN ; FANJAS - Prêtez l’oreille ! 33 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? « La décennie 80 voit le mouvement théâtral pour jeunes spectateurs s’amplifier considérablement. Foisonnement tous azimuts qui explore les démarches les plus diverses, les propositions spectaculaires les plus contrastées sur le plan des formes théâtrales et de la qualité artistique. »56 Les frontières entre genres laissent place, de plus en plus souvent, à la transdisciplinarité : théâtre musical, recours à la vidéo, au théâtre d’objets et de marionnettes57, etc. A partir de 1986, l’ONDA organise des rencontres professionnelles jeune public (dénommées « GRAC », groupes régionaux d’action culturelle), ancêtres des actuelles « RIDA » (rencontres inter-régionales de diffusion artistique). En 1987, Dominique Bérody lance la première maison d’édition de théâtre jeune public, « Le Mot de Passe » ; les ouvrages y sont accompagnés d’un matériel pédagogique58. Il collabore aujourd’hui avec Actes Sud à la collection Heyoka Jeunesse. Plusieurs éditeurs dramatiques français commencent à prendre le relais de cette initiative pilote : les éditions La Fontaine, L’Avant - Scène Théâtre, L’Arche, les Editions Théâtrales, L’école des Loisirs… Au début des années 1990 apparaissent des spectacles pour les tout-petits : Anne-Françoise Cabanis, Agnès Desfosses (¡ Mira !, Sous la table, …) sont parmi les premières en France à s’intéresser moins de 3 ans. Des spectacles pour adolescents se font également plus courants (La nuit des temps, La peau dure, La polyphone…). 56 Roger Deldime, cité par le Livre Blanc de l’ATEJ – p.53 Cette reconnaissance est nouvelle pour ces genres artistiques souvent déconsidérés : « Jusque dans les années 1980, les artistes ont pendant longtemps soufferts, dans ce domaine [la marionnette et le théâtre d’objet], d’être relégués sociologiquement au public enfantin lorsque cette acceptation les renvoyait à des salles mal équipées, des coûts de réalisation restreints, des propos artistiques peu exigeants, tout justes bons pour des représentations, aux périodes festives, à l’intérieur des écoles ou dans les parcs et jardins. » (Bérody ; Lecucq - Jeune Public en France) 58 Le Mot de Passe a fermé en 1997, faute d’assurer un niveau satisfaisant de rentabilité. 57 34 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? 1. Les politiques de soutien au spectacle jeune public La France est un Etat unitaire, de tradition fortement centraliste. Seul le Parlement national dispose d’un pouvoir législatif ; le gouvernement français concentre l’essentiel des prérogatives. L’administration du territoire dépend directement du gouvernement, représenté dans chaque département par un préfet. Ainsi, l’Etat est susceptible d’intervenir dans tous les domaines de l’action publique, seul ou en lien avec les collectivités locales. En particulier, l’éducation est une compétence sous contrôle fort de l’Etat : la plupart des écoles sont publiques, et les professeurs sont fonctionnaires. Les choix politiques en matière éducative sont tranchés par le Ministère de l’Education nationale, qu’il s’agisse des programmes scolaires, de la répartition des moyens, etc. L’action concernant la Culture est confiée à un Ministère de la Culture. Les politiques concernant les arts de la scène sont pilotées par la Direction de la Musique, de la Danse, du Théâtre et des Spectacles (DMDTS). A la DMDTS sont rattachés les grands établissements publics nationaux (Opéra de Paris, Cité de la Musique, Centre National de la Danse59, ONDA – Office National de Diffusion Artistique, …), pour la plupart situés à Paris. Depuis 1977, l’action du Ministère de la Culture est « déconcentrée » ; les « directions régionales des affaires culturelles » (DRAC) représentent le Ministère dans chaque région. Elles ont entre autres pour mission d’aider à l’initiation des publics, notamment en milieu scolaire. Le budget du Ministère de la Culture s’élève à 2,6 milliards d’euros en 2004. Le spectacle vivant en constitue le premier poste budgétaire (741 millions d’euros, hors personnel de l’administration). En particulier, L’Etat cofinance avec les collectivités locales : - les Scènes nationales, centres culturels polyvalents formant un maillage du territoire pour la diffusion du spectacle vivant ; - 27 Centres Dramatiques Nationaux (CDN), 6 Centres Dramatiques Nationaux pour l’Enfance et la Jeunesse (CDNEJ) et 10 de Centres Chorégraphiques 59 Le CND est présent à Pantin et à Lyon. 35 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? Nationaux (CCN) qui ont en charge des missions de création, d’accueil et de diffusion. Depuis 1982, cependant, le pays a connu une évolution administrative décentralisatrice qui a sensiblement accru le rôle des collectivités territoriales. Les régions, créées en 1982, disposent d’une compétence large sur l’intérêt régional ; « promouvoir le développement économique, social et culturel ». Elles sont responsables de la construction et de l'entretien des lycées, et disposent de compétences importantes en matière de formation professionnelle. Cependant, les moyens des régions sont faibles pour répondre à l’ensemble des besoins ; la sélection des actions est donc inévitable. La culture n’étant pas une politique obligatoire, certaines régions s’en sont désintéressées. Les départements disposent également d’une compétence large sur l’intérêt local. Ils jouent un rôle important pour les transports scolaires, l'entretien et la construction des collèges, le soutien aux écoles de musique. Enfin, les communes sont les premiers financeurs publics de la culture, et financent les actions culturelles locales. Elles assurent également la construction, l'entretien et le contrôle administratif des écoles maternelles et élémentaires. La Ville de Nanterre a fait du jeune public l’une de ses grandes priorités de politique culturelle ; en conséquence, l’offre de spectacles jeune public y est d’une richesse exceptionnelle en Europe. 36 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? L’origine des financements culturels publics se répartit comme suit60 : Répartition des dépenses culturelles publiques en France Etat Communes Régions Départements La multiplicité des niveaux d’intervention dans les politiques culturelles induit un renforcement de leurs modes de coopération. Les divers acteurs du spectacle vivant sont ainsi susceptibles d’obtenir des « financements croisés » partagés entre les différents échelons institutionnels61. L’Etat joue cependant un rôle structurant et incontournable dans les politiques culturelles. L’action de l’Etat en faveur du jeune public porte principalement sur le lien entre l’école et les arts. Cette orientation remonte aux débuts du soutien au jeune public, dans les années 1970. 60 Chiffres de 1990 : Etat : 38 % Régions : 2,4 % Départements : 8,6 % Communes : 51 % Sources : PONGY ; SAEZ – Politiques culturelles et régions en Europe – p280. D’ANGELO ; VESPERINI - Politique culturelles en Europe, une approche comparative, p. 33 61 Voir tableau en annexe. 37 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? Auparavant, en dehors de l'école maternelle, l'éveil artistique des enfants était réduit à deux heures obligatoires de musique et de dessin... Les sorties culturelles étaient exceptionnelles, et sans rapport avec les programmes scolaires. C'est en 1968 que l'on a commencé à prendre en compte l'importance de la dimension artistique dans l'éducation générale. En 1969, Marcel Landowsky, responsable de la direction de la musique nouvellement créée au Ministère de la Culture, lance un « Plan de 10 ans » pour l'organisation des structures musicales françaises, avec pour priorités : l’organisation de régions musicales, chacune dotée d'un conservatoire, d'un orchestre, d'un théâtre lyrique, et d'un service d'animation ; et la réforme de l'enseignement de la musique, en collaboration avec le ministère de l'Education nationale. En 1971 est créé le Fonds d'intervention culturelle (FIC), pièce maîtresse de la politique de développement culturel, qui permet de concrétiser la collaboration entre le ministère de l'Education nationale et celui de la Culture, et entre l'Etat et les collectivités locales. Un quart des actions financées par le FIC dans les années 70 concernent l'action culturelle en milieu scolaire. Depuis 1985, des « classes culturelles » permettent des séjours pédagogiques dans tous les domaines de la création et de la culture ; des ateliers de pratique artistique en milieu scolaire se mettent en place. En 1992, se forment les premiers jumelages entre établissements scolaires et structures culturelles. Ainsi, les ateliers de pratique artistique, en collège et en lycée, permettent à des élèves la pratique d’une discipline artistique. A titre de référence, 3 963 ateliers artistiques se sont déroulés tout au long de l'année scolaire 2001-2002 dans les collèges, lycées professionnels et lycées d'enseignement général et technologique, 66 200 élèves volontaires ont bénéficié d'une pratique artistique, à raison de 2 ou 3 heures par semaine tout au long de l'année, et 6 200 professeurs volontaires ont encadré et animé ces ateliers avec la participation de partenaires culturels de domaines variés62. 62 Source des chiffres cités dans ce paragraphe : site educol.education.fr du Ministère de l’Education Nationale, octobre 2004. 38 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? L’Etat s’est également impliqué dans un soutien à la production de spectacles. Depuis 1978, il finance 6 CDNEJ ont une action prioritairement orientée vers le jeune public : - le Théâtre de Sartrouville - le Théâtre Jeune Public, à Strasbourg - le Théâtre Nouvelle Génération, à Lyon63 - Le Grand Bleu, à Lille - le CDN de Montreuil - le Théâtre du Préau, à Caen Outre les théâtres et festivals spécialisés, les autres CDN, les CCN ainsi que la plupart des lieux de diffusion de spectacles en France ont une saison « jeune public ». C’est en particulier une obligation des Scènes Nationales. Cependant, les subventions accordées aux spectacles jeune public sont systématiquement plus faibles que pour les adultes. Par ailleurs, le mécénat culturel fait l’objet d’incitations fiscales de l’Etat. Il est le fait des entreprises davantage que des particuliers. Des clubs d'entreprises mécènes suscitent une forte adhésion, et regroupent grandes entreprises et PME locales autour d’un projet. Cependant, le secteur jeune public ne reçoit qu’exceptionnellement de contributions. Cette difficulté est également rencontrée par la plupart des structures locales du spectacle vivant, qui ne disposent pas d’un capital de prestige pour attirer la générosité des entreprises ; seuls quelques partenariats locaux peuvent alors s’inscrire dans la durée. 63 Fondé en 1980 autour du Théâtre des jeunes Années (TJA) de Maurice Yendt ; à la fin de la saison 2003/2004, l’équipe du TJA a été remplacée par le Théâtre Nouvelle Génération, dans les mêmes murs. 39 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? 2. L’enfant à la découverte de l’art Les enfants n’ont généralement guère de temps libre. L’enseignement est réparti sur 4 journées et demie par semaine (lundi, mardi, jeudi, vendredi et samedi matin) en école maternelle et primaire, et sur 5 journées et demie par semaine (du lundi au samedi matin) en collège et lycée. Les séances tout – public commencent en début de soirée ; la journée en semaine est réservée aux séances scolaires. La scolarité est un des moyens privilégiés d’offrir aux enfants une initiation aux arts de la scène. L'école maternelle française se caractérise d'abord par sa fonction de scolarisation : les moments où les enfants ont l'initiative alternent avec des phases pédagogiques plus directives. L’enseignement inclus des activités artistiques et esthétiques, qui ont pour but de développer la sensibilité, l'écoute et l'observation de l'enfant et de le familiariser avec diverses formes d'art. A l’école primaire, les arts visuels (pratique du dessin, voire de la photographie et de la vidéo) et l’éducation musicale font partie du programme obligatoire. L’enseignement de langues étrangères se généralise au niveau du CM2 (dernière année de l'élémentaire) et concerne plus de 80 % des élèves. Les collèges constituent la structure unique d'accueil de tous les élèves ayant achevé leur scolarité élémentaire. Les enseignements artistiques (arts plastiques, éducation musicale), obligatoires, ne sont que de 2 h à 3 h par semaine. Dans l’enseignement secondaire supérieur, subsiste seulement une filière spécialisée. La prise en compte des arts et de la culture en milieu scolaire a fait l’objet d’un « Plan Arts et Culture » à l’école primaire (décembre 2000) et dans les enseignements supérieures (janvier 2002). Ce plan d’une durée de cinq ans, initié par les ministres de l’Education (Jack Lang) et de la Culture (Catherine Tasca), était doté en 2002 d’un budget de 78 millions d’euros. Il crée une rupture avec la perception des enseignements artistiques et culturels comme « complémentaires » et mineurs au regard des « fondamentaux » : lire, écrire, compter... 40 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? La formation artistique et culturelle des professeurs est prise en compte64, et la volonté de développement des échanges culturels européens et internationaux est affichée. Ce dispositif s’appuie essentiellement sur les ateliers de pratique artistique et les « classes à projet artistique et culturel » (classe à PAC). Dotée d’un crédit de 610 €, chaque classe peut ainsi bénéficier d’interventions extérieures d’artistes, ou assister à des spectacles vivants. En concernant tous les élèves d'une classe, elles permettent au plus grand nombre d'accéder à la création et la culture artistiques. L'objectif est d'offrir à chaque élève, à travers deux classes à PAC à l'école primaire et une classe à PAC dans chaque cycle du second degré, un parcours pédagogique continu. Les crédits alloués au « Plan Arts et Culture » ont été réduits d’environ 20 millions d’euros à partir d’octobre 2002. L’impulsion pour l’éducation artistique et culturelle est aujourd’hui remise en cause par les ministères de l’Education et de la Culture. Les professionnels jeune public sont encore peu organisés collectivement ; aucune structure n’est représentative de leurs intérêts spécifiques. Des réseaux de diffusion existent certes (notamment grâce aux « RIDA » organisées par l’ONDA). Mais l’ATEJ, association historique du théâtre pour l’enfance et la jeunesse, ne compte guère de membres actifs ; en 2004, suite à un conflit interne à l’ATEJ, s’est créée une autre association de professionnels du secteur jeune public, « Scènes d’enfance… et d’ailleurs ». La demande de spectacles jeune public est portée à la fois par les représentations scolaires, et par les spectacles « tous publics », ou familiaux. Dans les deux cas, le prix de vente des billets est fortement limité : - dans le cas des représentations scolaires, par le budget des structures d’enseignement publiques, qui ne peuvent demander de participation importante des familles sans remettre en question le principe même d’égalité devant l’éducation ; - dans le cas des séances « tous publics », par les tarifs préférentiels accordés aux enfants, plafonnement indispensable à l’attractivité des spectacles. 64 Par exemple, l’IUFM d’Aix en Provence a signé une convention avec le Théâtre Massalia. 41 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? Dans ces conditions, les prix d’achats des spectacles offerts par les diffuseurs sont extrêmement faibles. Ainsi, il est « quasiment impossible de vendre un spectacle de danse jeune public plus de 10 000 FF, soit 1525 € »65. La volonté affichée par les programmateurs de financer équitablement les artistes (dans le cadre de Méli-môme, Joël Simon indique qu’il ne négocie pas les prix annoncés) se heurte à de fortes contraintes budgétaires. Par conséquent, les moyens disponibles pour la production sont très réduits. Les spectacles jeune public français sont généralement de « petites formes », qui doivent tourner pour assurer leur rentabilité. A chaque étape, le spectacle est généralement représenté plusieurs fois ; parfois deux fois par jour, en matinée scolaire puis en soirée « tous publics ». Quel que soit le genre artistique, ces contraintes économiques ont un impact sur les aspects artistiques : - un grand nombre de créations tournent, mais peu sont reprises ; - les œuvres doivent pouvoir être représentées par des compagnies d’effectif réduit : opéras de chambre, pièces pour deux ou trois comédiens, chorégraphies pour deux danseurs… - fréquemment, artistes et techniciens portent plusieurs « casquettes » : danseur et chorégraphe, comédien et décorateur, musicien et acrobate, etc. La transdisciplinarité observée est peut-être le résultat non seulement d’une évolution artistique, mais également d’une nécessité : les artistes jeune public doivent savoir « tout faire »… Face à la pénurie de moyens, deux types de coopérations tendent à se généraliser pour mutualiser la prise de risques : les résidences d’artistes, et les « pré - achats »66. Les contenus artistiques du spectacle vivant jeune public sont centrés sur le théâtre ou les spectacles musicaux, mais de plus en plus de festivals présentent un ou plusieurs spectacles de danse. Certains sont même spécialisés en danse jeune public, comme « Les Elancées - festival des arts du geste » à Istres, dont la 6ème édition s’est tenue en février 2004, et qui propose également du cirque. 65 cf. GUIGUEN, op. cité (2001), p.38 Dans le cas d’un « pré-achat », un diffuseur intéressé par un projet artistique passe commande avant l’achèvement de la phase de production, et verse un acompte. Il n’est alors tenu à aucun des engagements d’un coproducteur. 66 42 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? La perception de la valeur artistique des spectacles se modifie peu à peu parmi les protagonistes des arts de la scène. En témoignent des marquent de reconnaissance encore récentes, mais significatives : - le Théâtre National de Chaillot, lieu parisien prestigieux, a accueilli en 2004 la deuxième édition du festival « Mino » de création musicale à destination du jeune public (chanson, danse, musique classique ou traditionnelle…) ; - la Comédie Française a joué pour la première fois une pièce pour enfants : Bouli Miro, de Fabrice Melquiot, entre novembre 2004 et janvier 2005. En matière de médiation culturelle, le secteur jeune public a donné lieu à nombre d’expériences innovantes. Les liens entre éducation et lieux de diffusion se sont notamment traduits par l’éclosion de nombreuses « écoles du spectateur » à l’échelle locale. Ces partenariats entre structures du spectacle et de l’enseignement peuvent être initiée par l’un ou l’autre côté, selon les cas : - des institutions prestigieuses comme l’Opéra de Paris (avec le programme « 10 mois d’école et d’opéra ») ou la Cité de la Musique (« école du spectateur ») ont créé des programmes ambitieux de lien avec l’Education Nationale ; - les Scènes Nationales y sont encouragées par une circulaire du Ministère de la Culture du 30 avril 199767 ; - Les écoles, collèges et lycées peuvent favoriser des « écoles du spectateurs » animées avec la participation des élèves, comme par exemple l’opération « L’école en fête » dans la Sarthe68. Compagnies et/ou structures de diffusion proposent généralement un « dossier pédagogique » en lien avec le spectacle, afin de faciliter la mise en place d’animations avant ou après le spectacle. Ces animations peuvent impliquer la présence des artistes, ou être menées par les éducateurs eux-mêmes. Au Théâtre de la Meurise à Trappes, le travail s’inscrit dans la durée avec les professeurs autour du festival « Banlieues’arts » ; les professeurs choisis par le festival s’engagent sur un travail en commun d’au moins deux ans. Les spectacles ne 67 LARC, au Creusot, a été parmi les premières à créer une école du spectateur, dès 1997. Cf. http://eds71.free.fr/ (page consultée le 20/03/2005) 68 Cf. http://www.educnet.education.fr/theatre/pratiques/nba.htm (page consultée le 04/02/2005) 43 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? sont pas simplement fournis « clef en main », mais s’accompagnent d’une résidence annuelle d’un artiste69. La ville de Narbonne a quant à elle développé un dispositif spécifique pour les représentations scolaires : - dans les lycées et collèges, les élèves ont un élève délégué culturel par classe, qui assure le lien avec la structure ; - Les élèves reçoivent leur billet et le programme à l’avance, de façon à pouvoir garder une trace de leur passage au théâtre. - Les parents sont invités par la Ville à des réunions pour parler du spectacle. Des ateliers d’éveil autour du spectacle, avec accompagnement des parents, peuvent créer des groupes de mamans qui iront ensuite au spectacle. Cela permet de fidéliser le public familial. Tout comme pour la production, la qualité de la médiation repose sur des moyens très précaires. Comme le notait Sylvie Pelletier, programmatrice à Poitiers, en 1994 : « nous ne pouvons pas demander aux enfants et aux écoles un prix élevé, et nous ne recevons pas des subventions à mon sens suffisantes pour aller au-delà d’un travail de diffusion, au-delà d’un partenariat déjà engagé avec les institutions culturelles, avec les enseignants et les créateurs. »70. Le manque de moyens financiers se double de difficultés particulières pour impliquer les artistes, en dehors du domaine de la musique. En effet, le régime des « intermittents du spectacle », dans son acception actuelle, ne s’applique pas aux heures d’intervention des artistes et techniciens. Les intermittents (la majorité des professionnels du spectacle vivant) participant régulièrement à des animations vont donc cotiser et être rémunérés au titre de deux régimes distincts, celui des intermittents du spectacle et celui des intérimaires « de droit commun », sans aucun cumul possible des avantages, notamment concernant les minima d’heures travaillées. Alors qu’un diplôme universitaire particulier définit et encadre le rôle de musicien intervenant (« DUMI »), dans les autres arts, formation des artistes et définition des actions de sensibilisation font défaut. De plus, le DUMI est un diplôme national indispensable à l’exercice d’une activité pédagogique dans les écoles 69 70 Cf. http://www.lamerise.free.fr/ba/ba.html (page consultée le 20/03/2005) Les gestes d’enfance - Enfance Danse, forum 1994 - L’Esplanade Saint-Étienne Jeunes Publics 44 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? primaires, qui n’entre pas à ce jour dans le cadre de l’harmonisation européenne issue des accords de Bologne71. 71 Cette harmonisation est actuellement organisée en France dans le cadre de la réforme « LMD Licence, Master, Doctorat ». 45 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? 3. Les échanges internationaux L’Etat est très présent dans le développement des échanges internationaux du spectacle vivant. Cela vaut également pour le jeune public, quoique dans une moindre mesure. Pour tout ce qui touche aux échanges internationaux, la DDAI (Délégation au Développement et aux Affaires Internationales), nouvellement créée au Ministère de la Culture en 2004, prend notamment en charge les missions : - de développement des publics, - de prise en compte des dimensions européennes et internationales. L’ONDA (Office National de Diffusion Artistique), association créée en 1975 à l'initiative du Ministère de la Culture, a pour mission de favoriser la diffusion en France de spectacles de création contemporaine. En encourageant la circulation des œuvres étrangères, ses actions permettent aux publics de découvrir sur tout le territoire les démarches artistiques qui participent au renouvellement des formes. L'intervention de l'ONDA en faveur des spectacles pour l'enfance et la jeunesse est importante, et obéit à des critères d'exigence artistique : soutenir les formes innovantes et la prise de risque artistique, stimuler la curiosité des diffuseurs, encourager les artistes à aller à la rencontre du jeune public. Ainsi, l’ONDA finance des voyages d'étude à l'étranger afin de faciliter la programmation de productions étrangères en France. Chaque année, l'ONDA organise également deux rencontres nationales (« RIDA jeune public ») qui rassemblent les diffuseurs de ce secteur autour d'une thématique de réflexion et d'un temps consacré aux échanges artistiques. Les programmateurs français y participent largement, ce qui en fait le plus important réseau national autour de la diffusion jeune public. D’autres ministères peuvent également intervenir dans ce champ culturel, en particulier le Ministère des Affaires Etrangères. La promotion de la culture et des arts fait partie intégrante de la diplomatie française ; cette mission est menée par le réseau des Centres Culturels français, émanations du Ministère des Affaires Etrangères, et par l'AFAA (Association française d'action artistique), organisme sous convention avec ce même Ministère, d’un budget d’environ 20 millions d’euros. 46 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? L’AFAA participe notamment au financement de tournées à l’étranger de spectacles français, y compris pour le jeune public. De nombreux festivals dédiés au jeune public sont apparus, dont plusieurs ont acquis une renommée internationale : - « Odyssée 78 », biennale coordonnée par le Théâtre de Sartrouville à l’échelle du département des Yvelines ; - la Biennale du Théâtre Jeunes Publics à Lyon, qui a pris depuis 1993 le relais des Rencontres internationales du théâtre jeunes public72 ; - Méli-môme, à Reims, qui a commencé en 1988 et a accueilli en mars – avril 2004 des spectacles venant d’Allemagne, Belgique, Canada (Québec), Israël, Italie, Pays-Bas, Suède73 ; - Les Giboulées de la marionnette, à Strasbourg, avec au programme de la 16ème année en mars 2005 des compagnies d’Allemagne, Belgique, Grande-Bretagne, Pays-Bas et Pologne74 ; - MOMIX, à Kingersheim, festival européen qui, depuis sa 14ème édition de janvier – février 2005, se tourne plus particulièrement vers l’Allemagne (6 compagnies présentes : Material Theater Stuttgart, Theaterwerkstatt Hannover, Waidspeicher Theater, Theater 1, Theater Handgemenge, Dorftheater Siemitz)75 Les compagnies jeune public tournent plus fréquemment dans les pays européens que les autres compagnies françaises. Leur qualité est généralement reconnue internationalement. Dans le même temps, les structures françaises de diffusion accueillent couramment des compagnies européennes (notamment allemandes, belges, italiennes..). Les aides de l’ONDA et le dialogue entre programmateurs lors des RIDA (qui facilite la mise en place de tournées) en sont un facteur incontournable. 72 Organisée hors – les – murs par le TJA (Maurice Yendt, Michel Dieuaide), la biennale est financée par la Ville de Lyon, le département du Rhône, la région Rhône-Alpes et le Ministère de la Culture. 73 Organisé par l’association Nova Villa (Joël Simon), co-financé par la ville de Reims et la DRAC Champagne-Ardennes, le festival propose désormais une programmation à l’année (« Ribambelle de contes »), des formations d’adultes impliqués, et monte un centre de ressources. 74 Organisées par le TJP. 75 MOMIX est notamment soutenu par la ville de Kingersheim, l’ONDA et le Goethe Institut. 47 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? 2ème Partie : SYNTHESE Nous nous proposons, au cours de ce temps de synthèse d’exploiter monographies détaillant la situation du spectacle jeune public en Allemagne, en Belgique et en France. Notre objectif premier sera d’identifier les convergences et divergences qui traversent ces pays, et plus largement les freins à la construction européenne du secteur jeune public. Nous proposerons également des pistes de réflexion pour un renforcement de cette dynamique. 48 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? I. L’enfance de l’art A travers le spectacle jeune public se pose la question plus large des rapports de la société à l’enfance. Or, la prise en compte de l’enfant se situe dans une tension contradictoire : entre représentation de l’enfant comme être immature et dépendant, et représentation comme individu à part entière porteur de droits. Un long cheminement historique a permis, partant de la première conception, d’esquisser progressivement la seconde. En langue française, le mot enfant vient du latin « infans » qui signifie : « celui qui ne parle pas ». A travers cette définition par le manque, l’enfant est signalé comme un être incomplet, auquel manque le propre de l’homme : la parole… De même, la racine de « Kind » (le mot désignant l’enfant en allemand et en flamand) signifie genre, lignée (ce que l’on retrouve dans le latin « gens ») : l’enfant est ainsi identifié non comme individu, mais comme élément d’une lignée familiale qu’il a vocation à perpétuer. Dans l’antiquité, les pères gaulois avaient droit de vie et de mort sur les enfants, et les romains pouvaient accepter ou refuser un nourrisson à sa naissance. Au Moyen-Âge, l’influence du christianisme apporte un important changement ; la valeur sacrée de la personne humaine et de « l’enfant – Jésus ». La pédagogie intervient dans la formation de l’enfant, auquel l’enseignement doit être adapté. Au 15ème siècle, le protestantisme étend l’éducation aux filles, sous l’influence des frères Moraves, de Jan Hus76 et du piétisme. Les philosophes des Lumières (notamment Jean-Jacques Rousseau) permettent une reconnaissance véritable de l’importance des enfants en tant que personnes, et prônent l’éducation maternelle plutôt que chez une nourrice ou dans une « garderie » à but lucratif, où aucune éducation n’était prodiguée. Avec la Révolution Française et la notion de droits de l'homme et du citoyen, l'enseignement primaire devient obligatoire et gratuit en France dès 1793. Au 19ème siècle, cependant, la Révolution industrielle oblige les classes populaires au travail des enfants, dans des conditions souvent dramatiques. Les 76 Outre la traduction de la Bible en tchèque, Jan Hus écrivit un ouvrage intitulé Ecoute ma fille. 49 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? mouvements politiques du socialisme et du libéralisme inspirent progressivement, partout en Europe, des lois protectrices limitant l’âge légal du travail, sa durée et sa pénibilité, et progressivement accorder à l’enfant une scolarité gratuite et obligatoire. En 1836, Friedrich Fröbel crée le premier « jardin d’enfants » (Kindergarten) à Blankenburg, en Allemagne ; ce système se diffuse à travers toute l’Europe, et influence durablement les institutions d’accueil de la petite enfance. La base philosophique de sa méthode vise à ce que l'enfant se construise « par ses propres forces » et devienne de plus en plus responsables de lui même. Il a aussi donné beaucoup d'importance au jeu qui est le meilleur moyen pour l'enfant de développer ses facultés et permet aussi pour l'adulte d'observer et bien connaître l'enfant, car il s'exprime pleinement à ce moment. En France, les « salles d’asile » deviennent « écoles maternelles » par une loi de 1881 ; les objectifs de développement physique, intellectuel et moral y sont mentionnés. Durant la première moitié du 20ème siècle, Maria Montessori et Célestin Freinet contribuent également, par une observation scientifique de la pédagogie, à développer de nouvelles méthodes d’éducation active. Toutefois, ce n’est qu’après la seconde guerre mondiale que la nécessité d’une protection juridique particulière des enfants s’impose à l’échelle internationale. La Déclaration universelle des droits de l'homme, adoptée par l'Assemblée Générale de l'ONU en 1948, institue des droits fondamentaux applicables dès la naissance (tandis que les droits politiques ne le sont qu’à l’âge de la majorité). En 1959, l’ONU adopte à l’unanimité un texte en dix point : la Charte des droits de l'enfant. Les recherches scientifiques sur le développement cognitif de l’enfant se multiplient : Jean Piaget, puis Françoise Dolto, favorisent une prise en compte des enfants fondée sur leurs besoins réels, plutôt que sur les préjugés des adultes… Parallèlement, les spectacles jeune public, notamment les séances scolaires, se développent dans les pays européens – à l’instar de l’Allemagne, la Belgique ou la France. Enfin le 20 novembre 1989, est signée sous l’égide de l’ONU la Convention internationale des droits de l'enfant, qui proclame les droits dont peuvent se prévaloir tous les enfants. La Convention internationale des droits de l’enfant intègre non 50 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? seulement les acquis en matière d’éducation, mais également l’importance de l’accès à la culture. En son article 31, elle stipule : « 1. Les États parties reconnaissent à l'enfant le droit au repos et aux loisirs, de se livrer au jeu et à des activités récréatives propres à son âge, et de participer librement à la vie culturelle et artistique. 2. Les États parties respectent et favorisent le droit de l'enfant de participer pleinement à la vie culturelle et artistique, et encouragent l'organisation à son intention de moyens appropriés de loisirs et d'activités récréatives, artistiques et culturelles, dans des conditions d'égalité. » Tous les pays de l’Union européenne ont ratifié cette Convention, qui a donc force de loi en Europe. Depuis 2000, le 20 novembre a d’ailleurs été symboliquement consacré « Journée européenne de défense et de promotion des droits de l'enfant ». 51 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? 1. Quels arts vivants pour les jeunes spectateurs ? « Pour les enfants, seul le meilleur est assez bon. » (Constantin Stanislavsky) La Convention internationale des droits de l’enfant reconnaît que la spécificité des besoins des enfants induit la mise en œuvre de « moyens appropriés » ; ce qui, dans le cas des arts de la scène, se traduit par la notion de « spectacle jeune public ». Cette distinction n’est pas triviale, dans la mesure où le spectacle vivant est habituellement défini non par référence à ses spectateurs, mais par rapport à son genre artistique : opéra, concert de musique classique, pièce de théâtre, ballet, numéro de cirque… Nombre d’interlocuteurs regrettent que le jeune public reste déconsidéré et cantonné dans un ghetto par le milieu des arts de la scène. La plupart reconnaissent néanmoins que cette expression artistique pose bien des problématiques particulières. Ces spécificités touchent toutes les étapes du spectacle, telles que les professionnels les identifient : création, production, diffusion. La principale spécificité du secteur jeune public dans la diffusion de spectacles vivants tient au fait que les enfants ne disposent pas par eux-mêmes de l’autonomie et du pouvoir d’achat permettant de choisir et d’acheter une place de spectacle. Les jeunes spectateurs sont donc soumis à la décision de prescripteurs : les parents ou éducateurs (enseignants, puériculteurs, animateurs socioculturels…). Si les artistes doivent toujours conquérir leur public, quel que soit son âge, cela implique que les diffuseurs quant à eux doivent également séduire ces prescripteurs, qui décideront ou non d’amener les enfants au spectacle. Les modes de communication et de publicité, voire l’offre de spectacles, sont donc adaptés non seulement aux enfants, mais également à ces circuits spécifiques. Associations, écoles, crèches et centres socioculturels peuvent parfois s’organiser eux-mêmes pour la diffusion de spectacles, en dehors du circuit habituel des professionnels du spectacle vivant, même si ce cas de figure s’est raréfié depuis que la plupart des lieux de diffusion ont une programmation jeune public. Les représentations scolaires sont en revanche très liées à des partenariats entre enseignants et programmateurs. Elles constituent un public « captif » 52 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? garantissant au diffuseur d’atteindre la jauge de spectateurs attendus – sauf épidémie de rougeole… Certains théâtres ou centres culturels incluent les spectacles scolaires dans leur plaquette de présentation annuelle, d’autres ne les mentionnent que sur des supports spécifiques. Enfin, les horaires des spectacles pour enfants doivent également être adaptés à leur âge. Les possibilités dépendent notamment du rythme scolaire ; en Allemagne, où les enfants et les jeunes n’ont généralement pas cours l’après-midi, les diffuseurs organisent des représentations en « matinée » (c’est-à-dire en fin d’après-midi). S’agissant de la production, le jeune public impose des spécificités. D’une part, l’âge des spectateurs pose une contrainte sur la durée. Ainsi, le « format » des spectacles pour enfants est-il habituellement d’une demi-heure à trois quarts d’heure ; il est encore réduit pour les tout – petits, dont l’attention ne peut être maintenue pendant tout un opéra… ce qui n’empêche pas, comme la Cité de la Musique en décembre 2004, de programmer un concert d’extraits des opéras de Richard Wagner ! D’autre part, le prix des spectacles doit être limité ; les calculs de rentabilité tiennent compte des jauges, mais aussi des tarifs acceptables – qui sont limités par une politique tarifaire préférentielle pour les enfants, afin de rendre la production accessible aux écoles et aux familles. Lorsque le spectacle est destiné à tourner, se pose également la question de l’adaptation des lieux au spectacle lui-même : lorsqu’un décor doit pouvoir être monté dans une crèche ou une école maternelle, les contraintes ne sont pas les mêmes que lorsque le spectacle se déroule dans un lieu de spectacle professionnel avec régie son et lumière, coulisses, support d’un personnel technique, etc. ! Enfin, pour parler de la création de spectacle jeune public, faut-il supposer que le contenu artistique même soit élaboré selon des formes particulières, adaptées aux jeunes spectateurs ? Cette opinion n’est pas partagée par l’ensemble des créateurs. Les auteurs se répartissent, quant à l’écriture de leurs œuvres à destination du jeune public (qu’elles soient littéraires, musicales ou chorégraphiques), sur une échelle dont les degrés les plus classiques sont : 53 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? une démarche artistique dédiée à une tranche d’âge, dès sa 77 conception ; - une démarche artistique non spécifique, mais laissant place au souci d’une accessibilité aux plus jeunes78 ; - une démarche artistique menée indépendamment de l’âge des spectateurs. Beaucoup d’artistes considèrent qu’un bon spectacle jeune public intéresse aussi les adultes79 ; plus que l’influence de l’âge, peut-être faut-il dès lors mettre en évidence la superposition des intentions : « s’adresser à l’enfant, c’est s’adresser à une personne, dans son identité, son être sensible, c’est toucher à toutes ses intelligences »80. Et cela, en reliant l’enfant dans tous les aspects de sa vie : l’enfant élève, l’enfant citoyen, l’enfant dans sa famille81… Le spectacle vivant se donne ainsi à l’égard du jeune public des exigences supplémentaires, liées à leur qualité d’êtres en devenir. Les artistes et les éducateurs attendent de l’art qu’il contribue, à des degré divers, à : - S’ouvrir à soi ; - S’ouvrir au monde ; - S’ouvrir aux autres. Ces exigences sont indissociables des attentes quant à la réception ; à quelles conditions les enfants ou les jeunes pourront-ils s’approprier l’œuvre qui leur est proposée ? 77 Exemple : Luc Dumont, auteur qui a choisi de se consacrer aux 12/15 ans, Cf. Regards sur le théâtre jeunes publics, pp. 65-70 78 Exemple : Fabrice Melquiot, « je rends certains de mes textes accessibles aux enfants. […] J’écris donc pour la famille », Cf. Les cahiers de l’ORCCA n°19, p14 79 Emile Lansman, éditeur belge de textes de théâtre pour jeune public : « Nier l’existence de spectacles spécifiquement conçus pour enfants et adolescents, surtout en publics homogènes, me semble démagogique. Ce qui ne signifie aucunement qu’un bon spectacle « jeunes publics » ne peut pas apporter plaisir et émotion à des adultes ; et inversement ! », Cf. Regards sur le théâtre jeunes publics, p. 31 80 Emmanuelle Williamson, psychomotricienne, enseignante, programmatrice – intervention lors du colloque « L’enfant et la culture en Europe », 2004 81 Pour Joël Jouanneau, auteur et metteur en scène, « le début du théâtre, c'est la mère ou le père qui racontent une histoire, le soir, et qui font tous les personnages, l'ogre, le loup, la chèvre... L'enfant est très lié à l'oreille paternelle ou maternelle, oreille de fiction à partir de laquelle son imaginaire travaille. C'est pour cela que, quand il va au théâtre, il attend toujours cette sorte d'émerveillement ou d'ouverture de l'imaginaire qu'il a ressentis très petit. » (Entretien au Monde, 03/02/2004) 54 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? Autrement dit, qu’apporte vraiment l’art aux enfants ? Selon le mot de Fako Klugvik82 : « Les adultes croient savoir ce que les enfants veulent voir »… Or, la jeunesse des spectateurs et leur inexpérience des codes artistiques (qu’il s’agisse de théâtre, de danse, de musique…) rend impraticable le recours aux références culturelles partagées par les adultes. Pour Françoise Dolto (dans La cause des enfants), « Nous avons un mythe de progression du foetus, de la naissance à l'âge adulte, qui fait que nous identifions la progression du corps à celle de l'intelligence. Or, l'intelligence symbolique est étale de la conception à la mort ». C’est sans doute pourquoi les spectacles jeune public portent une telle charge émotionnelle : la sensibilité est unanimement relevée comme une caractéristique de l’art à destination de l’enfance, susceptible également de toucher l’enfant que tout adulte porte encore en lui… L’importance de cette faculté à ressentir des émotions prend tout son sens dans le cas des spectacles pour les tout-petits de 6 mois à 3 ans. Les adultes demandent souvent aux enfants s’ils ont « compris » un spectacle. Pourtant, s’agissant de bébés qui ne parlent pas encore, certains spectacles non narratifs ne sont pas toujours compris par les adultes, et provoquent néanmoins des réactions fortes de la part des bébés ou des enfants : gazouillis, cris de joie ou d’étonnement… ! Ces spectacles sont en plein développement dans les pays européens ; ce qui rend compte de l’évolution des crèches et des structures d’accueil pour la petite enfance, où les activités d’éveil et d’apprentissage ludique se sont généralisées. Mais si les puériculteurs sont de plus en plus sensibilisés à cette capacité des bébés à être spectateurs, les politiques pour la petite enfance ne prennent guère en compte cette dimension d’éveil artistique. Les structures prévoyant une ligne budgétaire « spectacles » sont encore rares. Parmi les pionniers européens des spectacles pour les tout-petits, la compagnie ACTA, fondée en 1992. Dans son spectacle musical Sous la table, destiné aux enfants de 1 an ½ à 4 ans, une table représente un navire, un grand tissu symbolise la mer ; les spectateurs sont invités progressivement par une sirène et son compagnon à passer de la surface au monde sous la surface, dans 82 Programmateur et directeur du festival jeune public « 2 Turven Hoog Festival in Almere » (PaysBas). Cf. http://www.theatre-enfants.com/premieres-rencontres/itw_fako.htm 55 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? l’imaginaire… C’est une œuvre d’une grande force émotionnelle, que ressentent et partagent bébés et adultes. Il a été repris en allemand par le « TOI Haus Theater » de Salzbourg, sous le titre Unter dem Tisch. Cette adaptation a été l’occasion de constituer un réseau associant des créateurs pour les tout-petits, concrétisé par l’organisation de « Rencontres européennes » en mars - avril 200483. A travers ses propres sens, les arts vivants donnent aux enfants l’occasion de s’interroger et de s’ouvrir au monde. De l’avis de nombreux professionnels, on ne doit pas demander à l’enfant : « tu as compris ? »84. A son rythme, préservant sa perception esthétique entière, l’enfant s’interroge sur les signes de la représentation. Par cette démarche, le spectacle peut susciter l’envie de la pratique artistique ; le jeune « spect-acteur » découvre, par l’intermédiaire de l’artiste, le champ des possibles en lui-même. Les spectacles pour bébé sont aussi tout particulièrement sources d’un éveil sensoriel. Le spectacle Côte à côte85, de Laurent Dupont, joue sur la correspondance entre des sons et des mouvements de l’acteur en scène, avec des échos, des attentes. Il suggère ainsi un monde étrange et imaginaire ; une découverte de l’écoute active et de la mémoire auditive. Au-delà du plaisir des émotions et des sensations qu’ils procurent, les spectacles jeunes public proposent à leurs spectateurs un espace ludique, où « se réinventer ». Le spectacle jeune public est ainsi un moyen pour l’imagination de se projeter dans l’imaginaire pour mieux comprendre le réel. Le thème de la transformation apparaît souvent dans les spectacles, sous des formes diverses, afin d’aider les enfants à grandir et à parachever leur construction du moi. Le théâtre d’ombres Imago, créé en 2004 par la compagnie la Loupiotte, est représentatif de cet apport de l’art à la vie intérieure. Destiné aux « plus de 5 ans », il met en scène, à l’aide des ombres et des voix des personnages, la recherche de ses semblables par une chenille d’espèce rare, échappée d’un laboratoire. Après bien 83 Cf. http://www.theatre-enfants.com/premieres-rencontres/index.php Voir notamment le texte de Suzanne Lebeau, auteur canadienne de théâtre pour jeune public : « Faut-il toujours tout comprendre ? » : « J’ai toujours envie de leur demander : « compris quoi ? » […] La vraie force du théâtre est bien davantage dans le non-dit, dans les traces que la lumière, les silences, le rythme ont laissé dans l’inconscient de l’enfant qui vont le nourrir pendant des années… » Cf. http://amin.free.fr/comprendre.html 85 Créé dans le cadre du projet « Glitterbird », cofinancé par « Culture 2000 ». 84 56 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? des péripéties et rencontres dans le monde des insectes, la chenille se transforme en un magnifique papillon. Le titre de l’œuvre renvoie d’une part au terme scientifique désignant un papillon adulte, et d’autre part, au terme psychanalytique utilisé par Jung pour désigner la représentation inconsciente qui organise le modèle des relations réelles ou fantasmatiques de l’enfant avec ses parents. Cette représentation, construite à partir des expériences primitives des satisfactions ou des frustrations infantiles, n’est qu’un reflet du réel qu’elle déforme, à l’image du procédé même du théâtre d’ombres… Dans un style plus participatif, la Compagnie L’Artifice a monté un projet tout public intitulé Le Grand Ramassage des peurs. Cette opération consiste à récupérer et recycler des textes sur la peur écrits par un grand nombre d’enfants, sur un support distribué par les enseignants : le « Manuel du Froussard courageux ». L’équipe en garde certains et les « nettoie » : il s’agit d’un simple toilettage respectant ce qui se dit, avec les répétitions et les syntaxes boiteuses. Treize comédiens, en scène, sortent de treize poubelles et lisent les textes. Les écrivains sont dans la salle, spectateurs de leur propre imaginaire. Le spectacle jeune public est traversé par des courants artistiques, des démarches qui font souvent voler en éclats les frontières des genres auxquelles nous sommes habitués entre théâtre, danse, musique... La transdisciplinarité y est la règle. Ainsi, le compositeur français Georges Aperghis s’associe-t-il au vidéaste belge Hans Op de Beeck pour préparer une version modernisée du conte de Perrault, Le petit Poucet…86 Agnès Desfosses, de la compagnie ACTA (Action pour la Création Théâtrale et Audiovisuelle), fut d’abord photographe et déclare sans ambages : « J'embarque des artistes issus de toutes disciplines, écriture, musique, arts plastiques, arts du cirque et de la rue, en fonction des formes artistiques choisies. » Sa dernière exposition, le Jardin des Chimères, joue sur les reflets et les illusions d’optique pour plonger les visiteurs dans un monde baroque et onirique. L’art abstrait trouve sa place dans le spectre des possibles : le théâtre d’objets, inventé par Christian Carrignon et Kathy Deville en 1979, part du réalisme d’ustensiles quotidiens pour plonger les spectateurs dans l’imaginaire. 86 Cf. http://www.ictus.be 57 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? La richesse formelle qui découle de ces expériences est remarquable, et couvre pratiquement tout le champ des possibles : l’art abstrait comme l’art baroque, l’expressionnisme comme l’intimisme. Si l’âge des spectateurs fonde la spécificité de ce secteur, ceux-ci doivent bien être reconnu comme tels : exigeants et sincères, les jeunes publics ont prouvé qu’ils pouvaient apprécier des formes artistiques novatrices. Enfin, à travers parfois des procédés allégoriques, le spectacle jeune public peut traiter de tous les sujets, même graves ou existentiels. Cette force de la création contemporaine est particulièrement perceptible dans les spectacles pour adolescents. Ainsi, Ados-Missile, pièce de Joris Van der Brande produite par BRONKS, traite de la situation d’un souffre-douleur manipulé par les adultes. Sous une forme humoristique et poétique, les marionnettistes de la compagnie Garin Troussebœuf évoquent, dans La nuit des temps, la fin de vie de personnes âgées dans une maison de retraite. Pour Edward Bond87, « Le théâtre en milieu scolaire n'est pas là pour guérir ou punir. Il accomplit le seul acte moral et utile, d'un point de vue pratique, dans un contexte de perte des valeurs et de violence. Il transforme ces problèmes en facteurs de créativité. Il ne se contente pas d'aider les personnes défavorisées à se comprendre, elles et les autres (bien que ce soit là une fonction cruciale). Il leur donne la seule récompense que peut offrir la créativité : la faculté de changer. » En donnant aux enfants et aux jeunes le titre de « public » (dérivé du latin « publicus », le mot désigne ce qui appartient au peuple), les arts de la scène permettent ainsi aux mineurs d’observer et de se confronter à une représentation politique par nature. Loin des discours moralisateurs, ils contribuent à la formation des citoyens de demain. 87 Auteur dramatique britannique. Cité par Le Monde du 21/12/2003. 58 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? 2. Quelle médiation de la part des adultes ? « Tant que nous vivons, nous continuons à avoir les âges par lesquels nous sommes passés » (Augusto Boal) Amenés au théâtre par des adultes (parents, enseignants, etc.), les jeunes spectateurs sont toujours accompagnés. Née d’un manque d’autonomie, cette situation est souvent le point de départ d’une démarche didactique : les adultes doivent-il apprendre aux enfants à devenir spectateurs ? Pour les tout petits, la réussite de la représentation tient indéniablement à la mise en place d’un environnement accueillant et chaleureux, offrant aux enfants des repères de convivialité. Le spectacle est alors un moment partagé entre enfants et adultes, où s’échangent des émotions fortes. Il s’agit moins, dans ce cas, d’apprendre aux bébés les « règles du jeu » de la représentation, que de les rassurer afin qu’ils puissent profiter pleinement du spectacle qui leur est offert. Dans le cadre scolaire, les actions de médiation culturelle se sont multipliées : ateliers, rencontres avec les artistes, utilisation par les enseignants de dossiers pédagogiques, etc. Ces initiatives débordent le seul moment d’accompagnement de la représentation ; elles prennent place avant ou après le spectacle. Cette médiation peut permettre de préparer, enrichir et prolonger la rencontre entre les artistes et leur jeune public. Selon les cas, les objectifs poursuivis diffèrent : - Participer à la réussite de la représentation ; faciliter l’accueil et mettre les enfants en confiance. - Assurer une transmission pédagogique ; expliquer aux enfants le fonctionnement du monde artistique, tirer profit du spectacle pour renforcer un enseignement… - Renforcer les liens sociaux ; améliorer les relations au sein d’un groupe d’élèves par le partage d’un temps fort, favoriser l’expression personnelle autour du spectacle… - Diffuser l’amour de l’art ; donner la possibilité d’un dialogue avec les artistes et les métiers du spectacle, et faire partager le plaisir de la représentation. 59 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? Ces objectifs viennent parfois occulter plutôt qu’éclaircir le message artistique. Expliquer en classe les divers instruments avant un concert, par exemple, peut inscrire l’évènement dans une démarche scolaire rébarbative, et détourner les jeunes spectateurs des émotions musicales. C’est pourquoi certains professionnels considèrent que les œuvres se suffisent-elles à elles-mêmes. Pour Dominique Bérody, « nous poserons autrement la question si on l’envisage sous l’angle des préparatifs qui sont déjà la fête. »88 Les médiateurs peuvent ainsi susciter la curiosité, entretenir une attente qui favorise, le moment venu, la rencontre des jeunes spectateurs et des arts. Lors des représentations scolaires, l’école reprend un instant son sens étymologique de « loisir » (en grec, « schole »). Le spectacle et l’école peuvent ainsi être des partenaires complémentaires, à condition qu’aucun n’instrumentalise l’autre. Ecouter un concert n’est pas suivre un cours de musique ; amener les enfants voir une pièce n’est pas un simple moyen d’accroître l’audience du théâtre… Cependant, artistes et enseignants peuvent contribuer chacun aux objectifs de l’autre, dans l’intérêt des enfants. Dans l’après spectacle, nombres de lieux d’accueil et de festivals travaillent à une verbalisation de ce moment passé. Un accompagnant peut diriger ensuite une causerie avec les enfants. Elle les amène à verbaliser leur expérience, à confronter leurs impressions et à mettre en avant leur perception des codes de l’art. Cette verbalisation peut permettre de mettre des mots sur l’expérience, et engendre une mise en commun. Un débat esthétique peut alors s’engager, afin que l’art soit aussi perçu comme interprétation et rencontre de l’autre. Cependant, la verbalisation ne pourra être fructueuse que si un laps de temps s’est écoulé entre la réception de l’œuvre et son analyse. Des projets plus ambitieux de développement culturel ont été menés : inscrire le spectacle dans le cadre d’une découverte au long cours, mêlant observation, analyse… et pratique. En Suède, un festival international de danse pour enfants, « Salto ! », est organisé pendant tout le mois d’octobre chaque année, dans la région de Malmö, jusque dans les plus petites villes. « Dansstationen », la structure initiatrice du projet, programme également des spectacles de danse jeune public à 88 Propos tenus lors du séminaire « Accompagner l’enfant au spectacle » des 26 et 27 octobre 2004. 60 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? l’année. Ce sont les spectacles de danse qui amènent les enfants à pratiquer cet art. Autrement dit, c’est la danse jeune public qui, amenant l’enfant à la découverte du langage du corps, justifie l’intérêt de la danse à l’école. La notion d’« œuvre » est d’ailleurs très importante dans le cadre de la pratique de la danse au sein des établissements scolaires suédois. Le spectacle jeune public est à l’heure actuelle un champ d’expérimentation pour des démarches nouvelles de médiation culturelle. 61 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? II. Une économie à part Sur le plan économique, le secteur du spectacle vivant jeune public repose partout en Europe sur trois grandes sources de financement : l’autofinancement (essentiellement les recettes de billetterie), les subventions publiques, et le mécénat. L’équilibre financier du secteur jeune public est aujourd’hui fragile. En témoignent les difficultés qui ont mis fin aux parcours de nombreuses compagnies « pionnières » en Belgique ; ou la crise financière qui a touché en 2004 les théâtres pour enfant de Nuremberg, le « Mummpitz » et le « Pfütze »89. D’une part, le prix des places est généralement plafonné, afin d’assurer aux enfants une certaine égalité d’accès à la culture. Leur augmentation est ainsi soumise à des contraintes qui ne tiennent pas compte de l’évolution des coûts (qui sont principalement des coûts en main d’œuvre), ce qui crée une tendance croissante au déficit structurel des représentations : c’est la « loi de Baumol »90. La représentation étant toujours locale, seules les tournées permettent dans une certaine mesure de partager les coûts de production au niveau européen. D’autre part, les diverses politiques de soutien qui se sont mises en place à l’échelle nationale ou au niveau de collectivités locales ne font que rarement de cette action une priorité politique, et l’idée d’une politique européenne en faveur du spectacle vivant jeune public reste largement à construire. Quant aux financeurs privés, ils ne se tournent pas spontanément vers ce secteur, et aucun cadre fiscal harmonisé ne les incite à des actions de mécénat transnational, afin d’accompagner les spectacles dans leur dimension européenne. L’Union européenne joue un rôle politique encore très marginal dans le développement européen du spectacle jeune public. Par conséquent, celui-ci repose aujourd’hui principalement sur les partenariats entre professionnels. A travers des éclairages sur les soutiens publics et privés, ainsi que sur les coopérations entre producteurs européens de spectacles jeune public, nous allons essayer d’identifier des pistes pour donner au jeune public les moyens de son développement à l’échelle européenne. 89 90 Cf. http://theaterkanal.de/news/Kulturpolitik/nuernberger_kindertheater_leiden_unter_finanzkrise Cf. BAUMOL, W.; BOWEN, W. - The Performing Arts: The Economic Dilemma 62 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? 1. L’Union européenne, grande absente des politiques de soutien en Europe Les Etats européens ont des approches contrastées de la question politique du soutien aux arts. Au niveau institutionnel, trois grands modèles peuvent être distingués : - L’Etat culturel centralisé, où prédomine le Ministère de la culture : c’est le cas le plus fréquent, qui concerne notamment la France (où l’administration centrale est néanmoins « déconcentrée » en régions), le Portugal, la Grèce, et les nouveaux adhérents d’Europe centrale et orientale (qui, à partir de l’héritage post-communiste, évoluent vers des modèles plus décentralisés)91. - La délégation des compétences culturelles à des conseils quasi- autonomes : ce modèle, issu de la culture politique britannique où la notion même de « politique culturelle » de l’Etat suscite la défiance, s’est répandu après 1945 en Europe du Nord. Il concerne en particulier le Royaume-Uni, l’Irlande, les Pays-Bas, le Danemark, la Suède92. - La décentralisation culturelle : dans les Etats de type fédéral ou fortement décentralisés, les compétences culturelles sont du ressort de collectivités locales, comme les Länder en Allemagne ou les Communautés en Belgique ; c’est également la situation qui prévaut en Autriche, ou en Espagne. Le soutien à la culture (y compris le spectacle vivant jeune public) repose donc sur des mécanismes différents selon les Etats, en lien avec des traditions historiques et politiques particulières. Notons que les dispositifs spécifiques de soutien au jeune public restent rares. Citons cependant, outre le Décret de 1973 en Communauté française de Belgique, la création au Danemark dès 1969 de BTS (« Børne Teater Sammenslutningen »), agence quasi-autonome spécifique qui accompagne les professionnels. 91 La Communauté française de Belgique, à son échelle intra - nationale, s’inspire également de ce « modèle français ». 92 La Flandre, en Belgique, a également fait le choix de financer un « Conseil des Arts » pour orienter l’action de la Communauté en faveur du spectacle vivant. 63 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? Une véritable harmonisation européenne des politiques culturelles serait complexe à concevoir. Elle serait également périlleuse à mettre en œuvre, tant le spectacle vivant est dépendant des règles spécifiques de son environnement national ; la notion d’« exception culturelle » pointe le danger d’une uniformisation économique de la culture. Telle est la conception, défendue par l’Union européenne au niveau des négociations commerciales mondiales, qui a également exclu la culture du champ d'intervention communautaire. La reconnaissance explicite de la culture comme compétence de l’Union européenne ne date que du Traité de Maastricht, en 199293. La définition de soutiens européens aux arts vivants est donc récente ; le premier programme dédié, Kaléidoscope, ne fut lancé qu’en 1996. Depuis 2000, le programme « Culture 2000 » rassemble les programmes communautaires en faveurs des arts et de l’audiovisuel. De plus, la culture n’est encore définie que comme une compétence « d’appui, de coordination ou de complément » (cet état de fait n’est pas remis en cause par le projet de Traité Constitutionnel, qui ne requiert cependant plus l’unanimité du Conseil pour toute prise de décision). Le Traité de Maastricht (ainsi que le Traité Constitutionnel) mentionne explicitement que toute harmonisation des dispositions législatives et réglementaires des Etats membres dans le domaine culturel est exclue. L’Union européenne est donc un acteur récent et encore faible des politiques culturelles en Europe. Cependant, elle intervient afin de répondre à trois enjeux de la construction européenne : - Lutter contre les inégalités, et favoriser une redistribution interrégionale : L’Union européenne doit prendre en compte la dimension culturelle de façon transverse, dans le cadre des compétences qui lui sont dévolues ; c’est le cas en ce qui concerne les fonds structurels, et notamment INTERREG III, programme dédié à la solidarité interrégionale en Europe. Ce programme a été déjà été utilisé par des professionnels du spectacle jeune public. 93 L’article 128 du traité de Maastricht prévoit notamment que « la Communauté contribue à l’épanouissement des cultures des Etats membres dans le respect de leur diversité nationale et régionale, tout en mettant en évidence l’héritage culturel commun. » 64 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? Nous avons recueilli le témoignage de Marina Zinzius94, qui a monté en 1999/2000 une coproduction transfrontalière entre l’Atelier du Rhin, à Colmar, et le Théâtre Municipal de Fribourg : Lettres à Barbara. Il s’agissait d’une pièce de théâtre pour deux acteurs, en versions française et allemande, créée à partir des lettres d'un « malgré nous » (soldat alsacien enrôlé de force dans l'armée allemande) à sa petite fille pendant la seconde guerre mondiale. Le montage d’un dossier INTERREG III s’est révélé très lourd pour de petites structures comme celles intervenant dans la diffusion du spectacle vivant ; les aides administratives de la région Alsace, du Goethe Institut de Colmar, de l’Institut français de Fribourg se sont révélées utiles pour « boucler » le projet. La mise en place des fonds structurels s’accommode donc mal des réalités économiques du spectacle jeune public, où les moyens sont faibles et où les réalisations « artisanales ». - Favoriser la coopération artistique transnationale en Europe : La Direction Générale Education et Culture de la Commission européenne fournit un soutien direct à certaines organisations promouvant la culture en Europe ; c’est le cas de EUnetART, réseau européen des arts pour l’enfance et la jeunesse. Sa politique en direction de la jeunesse, en revanche, ne s’intéresse guère aux aspects artistiques. Le principal programme proposé pour 2007/2013, « Jeunesse en action » (doté de 915 millions d’euros), qui vise à développer l’identité européenne et la citoyenneté active parmi les jeunes, ne mentionne d’ailleurs pas les arts comme mode d’expression de la citoyenneté ou de l’identité européenne… L’essentiel des financements de cette Direction Générale au secteur du spectacle jeune public est distribué dans le cadre de « Culture 2000 », qui vise à promouvoir un espace culturel commun aux européens en cofinançant la coopération entre les artistes, les acteurs culturels et les institutions culturelles des différents Etats participant au programme. 94 Voir liste des interlocuteurs en annexe. 65 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? Le budget global de « Culture 2000 » est de 236,5 millions d'euros pour la période 2000-2006. Il finance notamment : o « Glitterbird » (2003/2006) ; Projet permettant à 45 artistes de 6 pays (Danemark, Finlande, France, Italie, Norvège, Hongrie) de produire et présenter des spectacles de qualité pour les toutpetits de zéro à 3 ans ; le financement accordé est de 870 000 € sur 3 ans. o « Magic-Net » (2001/2004) ; Réseau de coopération entre théâtres pour la jeunesse visant à développer des coproductions européennes, mettre en œuvre des actions de formations continues pour les professionnels du théâtre jeune public, et favoriser les échanges entre jeunes européens. « Magic-Net » a reçu 900 000 € de Culture 2000, ainsi que le soutien de la Direction Générale Jeunesse de la Commission européenne. o « RESEO » ; Le Réseau Européen des Services Educatifs des Maisons d'Opéra, fondé en 1996, est régulièrement soutenu dans ses projets : « Pourquoi/Comment l’éducation à l’opéra aujourd’hui, en Europe » en 2000/2003, « Artists' Development Project » en 2003/2004… Ce programme a fait l’objet de critiques, tant de la part des professionnels que du Parlement européen, dans un rapport du 23 janvier 2002. Tout d’abord, le budget total de ce programme, de l’ordre de 10 centimes d’euro par citoyen européen et par an, ne permet pas à la Commission européenne de mener une politique culturelle digne de ce nom. Si « Culture 2000 » contribue indéniablement à développer les réseaux de relations entre professionnels européens du spectacle vivants, il ne peut être que le catalyseur d’une construction européenne déjà engagée par les acteurs culturels eux-mêmes. Ensuite, les dossiers de financements sont complexes sur le plan administratif, et les priorités changent chaque année. Ainsi, l’année 2003 fut consacrée au spectacle vivant, et 2004 au patrimoine ; les objectifs ne sont donc pas lisibles, et le suivi dans la durée peut faire défaut. Enfin, « Culture 2000 » exige la participation de structures issues de trois pays pour accorder un financement à un projet, et de cinq pays pour une coopération pluriannuelle. « C’est peut-être l’échelle modeste qui manque le plus à la coopération 66 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? artistique internationale, on n’a pas assez encouragé ce rapport entre deux pays, deux structures, deux compagnies »95. La Commission semble avoir tenu compte des critiques, et prévoit pour la période 2007/2013 un programme remanié : « Culture 2007 », non adopté à ce jour. « Culture 2007 » devrait être doté d’un budget en hausse, de 408 millions d'euros, et s’articuler autour de trois objectifs clairs : - Mobilité transnationale de tous ceux qui travaillent dans le secteur culturel dans l'Union européenne ; - Circulation transnationale des œuvres d'art et des produits culturels et artistiques ; - Dialogue interculturel. « Culture 2007 » pourrait donc se révéler un outil plus efficace de construction de partenariats et de projets entre compagnies et institutions du secteur jeune public. Pour autant, la Commission européenne restera un acteur politique secondaire, tant qu’elle n’impulsera pas de coopérations entre les Etats membres sur les difficultés législatives et règlementaires qui entravent la réalisation des trois objectifs qu’elle se donne. 95 Marina Zinzius, entretien. 67 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? 2. D’une démocratisation de la culture à la démocratisation par la culture : quelle politique de soutien au jeune public ? Nous avons mentionné la diversité des systèmes politiques de soutien au spectacle vivant (jeune public inclus). En dépit de situations nationales contrastées, les arts de la scène ont connu schématiquement au cours des dernières décennies des évolutions historiques comparables en Allemagne, en Belgique et en France. Dans les années 1970, les politiques culturelles mettaient en avant un objectif de « démocratisation de la culture ». Il s’agissait de donner à tous les citoyens accès aux arts vivants ; tandis que ceux-ci se voyaient investis d’une mission sociale, souvent relayée par des mouvements d’éducation populaire. Le spectacle jeune public contemporain, qui émergea véritablement à cette époque, était directement issu de cette volonté de développement des publics ; politiques et professionnels comptaient sur une fréquentation égalitaire et précoce du spectacle vivant, essentiellement grâce à l’école, pour inculquer une habitude culturelle. Dans les années 1980, c’est la définition des arts de la scène qui fut élargie à des formes populaires ; rock, jazz, cirque ou théâtre de rue gagnèrent progressivement une reconnaissance institutionnelle. Le développement de la « chanson jeune public », tout comme l’interdisciplinarité artistique croissante des spectacles pour enfants, sont également des manifestations de ce phénomène. Dans le même temps, forte de cette assise, la « culture populaire » devenait un moyen de développement économique indirect. En raison tant de son effet d’accroissement du tourisme (ce qui se traduisit par une explosion du phénomène festivalier) que de l’attractivité de la vie culturelle sur les entrepreneurs et les actifs, les collectivités locales firent du spectacle vivant une priorité forte96. Dans les années 1990, enfin, les échanges culturels connurent une forte internationalisation ; la prééminence traditionnelle de la diplomatie culturelle et de ses institutions (AFAA et instituts français, Institut Goethe…) fut ainsi contestée par 96 Ce phénomène se trouve retranscrit dans les évolutions budgétaires : quelques exemples en sont fournis par PONGY, Mireille ; SAEZ, Guy - Politiques culturelles et régions en Europe - pp.40-41 pour l’Allemagne, pp. 48-49 pour le Bade-Wurtemberg ; p.230 pour la France, pp. 240-241 pour RhôneAlpes. 68 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? la multiplication d’initiatives entre acteurs locaux et le développement de réseaux professionnels en Europe97. Ces mouvements de fonds, issus de la société civiles et progressivement « transposés » dans le champ politique de chaque Etat selon sa structure propre, montrent que l’essentiel d’une construction européenne n’est peut-être pas à chercher dans une hypothétique uniformisation politique, mais dans l’émergence de revendications citoyennes communes. L’histoire récente du spectacle vivant met également en évidence la permanence de deux constantes qui transcendent les différences entre ces situations nationales : - La prééminence des politiques de l’offre dans le soutien public au spectacle vivant : Etats et collectivités orientent leurs subventions essentiellement selon des objectifs liés à l’équipement culturel (construction de salles, etc.) et à la production (prise en charge des coûts initiaux de création et de production, en amont des problématiques de diffusion). Ce paradigme est aujourd’hui remis en cause par la conjonction de deux tendances : o La persistance ou l’accroissement, au sein des institutions subventionnées, de déficits structurels, généralement expliqués par référence à la « loi de Baumol » : Ainsi, les théâtres de répertoire allemands, qui affichent des taux de ressources propres de l’ordre de 20 %, subissent de plein fouet les baisses des budgets culturels publics. o L’inefficacité des politiques de l’offre à élargir les publics des arts de la scène ; Un accroissement des subventions donne lieu à une fréquentation accrue des « consommateurs culturels » occasionnels ou réguliers, mais ne modifie pas les habitus du « non - public »98. 97 Voir à ce sujet ROCHE, François – La crise des institutions nationales d’échanges culturels en Europe – pp. 59-76 98 cf. LACOMBE, Robert – Le spectacle vivant en Europe – p. 381 69 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? - La relégation du spectacle jeune public au rang de « genre artistique de seconde zone » : petits spectateurs, petits moyens ! Tant les institutions politiques en charge de subventionner le spectacle vivant que les circuits de diffusion traitent différemment publics d’adultes et publics d’enfants. Les budgets par spectateurs, dans le jeune public, sont dérisoires. En France, « dans une même scène nationale des représentations théâtrales peuvent être achetées 100 000 F99 l’unité alors que les spectacles pour enfants ne doivent pas dépasser 10 000 F100 tout compris par représentation, c’est-à-dire le montant de la recette prévisionnelle pour une jauge de 400 spectateurs. »101 En Belgique et en Allemagne également, les petites formes sont la règle dès lors qu’il s’agit de jeune public. Cet état de fait est partiellement lié à la prééminence des politiques de l’offre. En effet, la particularité des modes de diffusion existants dans le spectacle jeune public (associations, crèches, écoles, centres sociaux, structures de diffusion de spectacles…) rend complexe la définition d’une politique cohérente dans ce secteur. Les difficultés rencontrées par les spectacles pour adolescents102 ou pour bébés, pour lesquels les circuits de représentations scolaires en place au début des années 1990 étaient inadaptés, montrent bien que le spectacle jeune public, envisagé sous l’angle de l’offre, constitue « une économie à part ». De plus, une politique de soutien de l’offre est fréquemment associée à une logique de prestige ; elle tend donc à négliger le jeune public, peu porteur de reconnaissance (artistique ou médiatique), alors même que se manifeste en sa faveur une demande sociale forte. A contrario, le secteur jeune public est sans doute le lieu idéal d’expérimentation d’une politique culturelle de la demande. En effet, la demande est partiellement « encadrée » par les crèches, écoles, centres sociaux ; il est d’autant plus facile d’engager une concertation avec ces médiateurs. 99 Soit environ 15 250 €. Soit environ 1 525 €. 101 cf. Théâtre et nouveaux publics – ATEJ , 1995 – p.77 102 A propos du théâtre pour adolescents en Belgique, Luc Dumont écrivait en 1991 : « Sa jeunesse faisant, son réseau de diffusion est, encore aujourd’hui, moins développé que celui concernant les enfants du maternel et du primaire. Ce constat est aussi valable pour le scolaire que pour l’extrascolaire. » (Regards sur le théâtre jeune public, p. 66) 100 70 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? Nous suggérons donc d’étudier la possibilité de développer des actions politiques centrées sur la demande pour le jeune public, à décliner selon les contextes : « chèques spectacle » confiés aux parents, lignes budgétaires dédiée aux spectacles scolaires au niveau de l’éducation, etc. L’analyse de la démographie et de données sociologiques sur le spectacle vivant à l’échelle locale, permettrait d’orienter et d’adapter les actions menées, par un suivi des budgets et des impacts. Il serait également utile d’élaborer des outils d’évaluation de l’accompagnement103. Les retours (des parents, des enseignants, des élus, etc.) tournent généralement autour du choix du spectacle, qui cristallise les jugements sans que les facteurs liés à la diffusion et la médiation soient toujours perçus. Cette perspective de politique de soutien à la demande dépasse le simple enjeu de lutte contre les inégalités pour élargir le public. Laissant le choix de l’utilisation des moyens mis à disposition (voire de leur non – utilisation), elle repose sur une reconnaissance de l’utilité de l’art dans l’éducation des enfants, comme enrichissement pour la société toute entière. Il s’agit de passer d’une démocratisation « de » la culture, à une démocratisation « par » la culture ; nourrir les rêves et l’imaginaire des enfants, c’est semer pour la société future l’esprit critique dans le rapport à l’autre et à soi-même… 103 Des débats au séminaire « Accompagner l’enfant au spectacle » organisé par l’ORCCA et Nova Villa à Reims les 26 et 27 octobre 2004, il ressort que de tels outils n’existent pas à ce jour en France. 71 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? 3. Mécénat culturel et culture du mécénat : quels financements privés pour le jeune public en Europe ? Le mécénat consiste en un don (financier ou en nature) effectué sans contrepartie à une organisation en vue de contribuer à la réalisation de ses objectifs. Le mécénat porte généralement sur des actions humanitaires ou de solidarité, ou sur des actions culturelles. On distingue habituellement le mécénat du sponsoring, auquel est associé une contrepartie significative, et qui est généralement une forme de publicité ; prédominant dans le sport, le sponsoring est plus rare dans le domaine culturel. La place du mécénat dans la culture reste relativement faible : on pouvait estimer en 1999 le montant annuel du mécénat culturel des entreprises à 1,1 milliards d'euros pour 11 pays de l'Union européenne104. Ce chiffre représente environ 4 % du montant du financement public de la culture dans ces mêmes 11 pays, estimé à 30 milliards d'euros à la même époque. Malgré la faiblesse du mécénat en comparaison des financements publics, l’appel aux fonds privés est largement devenu partie intégrante de la démarche des institutions culturelles, à titre de complément des subventions et des recettes propres. Les Etats européens eux-mêmes ont commencé à encourager le mécénat culturel. Dans l’ensemble des pays européens, des dispositions fiscales incitatives spécifiques ont été mises en place : des déductions, réductions ou crédits d’impôts sont ainsi accordés aux particuliers et aux entreprises qui participent au financement d’activités culturelles. Ces incitations diffèrent selon les pays : - réduction de l’assiette imposable, octroi d’un crédit d’impôt, ou remboursement d’une partie de l’impôt payé ; - prime aux dons réguliers ou non ; - avantages variables dans le régime fiscal des organismes à but non lucratif. 104 Source ADMICAL, les 11 pays sont : Allemagne, Autriche, Belgique, Espagne, France, Grèce, Irlande, Italie, Pays-Bas, Royaume-Uni, Suède 72 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? En réalité, les différences entre les dispositifs fiscaux nationaux reflètent essentiellement la diversité des structures des différents systèmes fiscaux nationaux. Notons d’ailleurs que, l’Union européenne n’ayant pas de compétence en matière d’harmonisation fiscale, la portée de son action est restreinte aux principes énoncés par la résolution du Conseil des Ministres du 13 novembre 1986, concernant le mécénat des entreprises dans le domaine culturel, à une politique de soutien aux initiatives. C’est à ce titre que la Commission a aidé à la création du CEREC105, en 1991, pour favoriser la diffusion des « bonnes pratiques ». Il n’existe donc pas à ce jour de cadre politique pour un « euro-mécénat » en faveur de projets transnationaux dans l’Union européenne. Néanmoins, les grandes entreprises multinationales ont commencé à fournir des financements culturels dans plusieurs pays, généralement par le biais de leurs filiales de droit national. Les actions de mécénat sont fort inégalement réparties entre les arts. La musique est fréquemment favorisée par les mécènes, tant en Allemagne, qu’en France et en Belgique. Ainsi, parmi les actions éducatives pour la jeunesse de 24 orchestres français, 18 étaient soutenues par des mécènes en 2002/2003106. Ce soutien privé à la musique pour le jeune public reste cependant fragile, la quasitotalité de ces soutiens (14 sur 18) étant lié à la Caisse des Dépôts et Consignations, notamment dans le cadre de son opération « Campus en musique ». Dans les autres cas, le soutien est le fait de mécènes associés à l’orchestre. Par exemple, le club d’entreprise de l’orchestre Régional de Cannes (ANDANTINO) organise des concerts éducatifs destinés aux enfants des salariés des entreprises membres. Les enfants sont invités à la répétition qui précède ces concerts et assistent à une présentation de l’orchestre, des instruments et de l’œuvre. Toutes disciplines confondues, le secteur du spectacle vivant jeune public bénéficie peu des largesses des mécènes. La difficulté à obtenir des résultats a été relevée par nos interlocuteurs107. Même le TJP de Strasbourg, centre dramatique national reconnu en Europe, n’indique de contribution de mécène que pour un seul spectacle sur les 31 programmés en 2004/2005 : « Fantaisie », ciné - concert 105 Comité Européen pour le Rapprochement de l’Economie et de la Culture Site : http://www.cerec-network.org/ 106 Source : Marie-Pierre MACIAN et Philippe FANJAS dans Prêtez l’oreille ! 107 Notamment Anne-Françoise Cabanis pour le projet Glitterbird, et Joël Simon pour Méli-mômes – en dépit de sa participation à des formations de l’ADMICAL. 73 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? soutenu par les cinémas Gaumont et Pathé, ce qui place ce soutien à la frontière entre mécénat et coproduction … Les raisons pour lesquelles le spectacle jeune public n’attire guère du mécénat méritent d’être analysée. Pour cela, deux types d’explications peuvent être avancées : - des causes liées au secteur jeune public ; - des causes liées au mécénat, et à son mode de fonctionnement. En France et en Belgique, la petite taille des structures de production et de diffusion du spectacle jeune public est indéniablement un facteur de difficulté pour obtenir des financements privés. Les équipes administratives étant réduites à un effectif minimal, il est difficile de consacrer à la recherche et au suivi de mécènes le temps, les ressources et l’attention nécessaire. De ce fait, il est pertinent pour ces acteurs d’envisager des stratégies de mutualisation de la recherche de fonds privés avec d’autres partenaires : réseaux professionnels, liens privilégiés avec des structures du spectacle vivant, clubs d’entreprises locales, etc. En revanche, les théâtres allemands disposent d’effectifs conséquents, et donc de la capacité à mettre en œuvre une politique de mécénat pour le jeune public. Pourtant, les mécènes restent rares. Les causes de la faiblesse des financements privés dans le spectacles jeune public pourraient donc être également externes, et liées à la « culture du mécénat » dans ses différentes formes en Europe. A cet égard, il est essentiel de relever qu’en Europe, à l’exception du Royaume-Uni, le mécénat culturel est très majoritairement le fait d’entreprises et non de particuliers. Les arguments mis en avant par les promoteurs du mécénat d’entreprise (comme les organisations membres du CEREC) insistent sur les gains indirects en termes d’image – que ce soit à l’égard des clients, des salariés ou d’autres partenaires de l’entreprise. Les grandes entreprises considèrent d’ailleurs le mécénat comme une simple composante de leur politique de communication. Les moyens diffèrent entre la publicité et les relations publiques, mais les fins restent essentiellement les mêmes. Même s’il existe de nombreuses stratégies possibles de communication, ce type de 74 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? mécénat privilégie tout naturellement des évènements culturels répondant à des critères : - de notoriété, c’est-à-dire qu’ils attirent un large public, ou que les médias y accordent une place importante ; - de prestige108, afin de contribuer à améliorer l’image de l’entreprise. Or, le spectacle jeune public n’est évidemment pas une cible attractive pour ce « mécénat de communication » : - les jauges jeune public sont faibles : comment comparer une salle de quelques dizaines d’enfants à un festival rock de plusieurs milliers de personnes ; - la visibilité médiatique est presque toujours restreinte à la sphère locale ou à la presse spécialisée ; - la qualité artistique de ce secteur est déconsidérée par les grandes institutions culturelles, trop souvent associé au simple divertissement de « guignol »… Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que les grands mécènes négligent généralement le jeune public. Le seul atout dont le secteur puisse disposer est sa relation particulière aux thèmes de l’enfance et de la famille. Afin de développer un mécénat de communication d’entreprise le spectacle jeune public pourrait envisager de cibler sa recherche de fonds plus spécifiquement en direction des entreprises dont l’activité est particulièrement adressée vers les enfants (ou leurs parents). Par exemple, un club de mécène de l’agro-alimentaire pour bébés s’intéresserait peut-être aux spectacles pour les tout-petits ? Un fabriquant de jouets aux spectacles pour enfants ? A titre d’exemple, le site du « Münchner Theater für Kinder »109 comporte 108 En dehors même du secteur jeune public, cette dépendance du mécénat culturel à l’égard des impératifs de communication est relevée par Gérard Mortier, ex-directeur du festival de Salzbourg, alors qu’il dirigeait le festival de la RuhrTriennale : « Jamais je n’ai été aussi anticapitaliste qu’en ce moment. Je dois faire face à l’opposition farouche des grands capitalistes qui vont à Salzbourg, mais ne veulent pas de l’art sur d’anciens lieux de travail. Le sponsoring local est dérisoire – moins de 5 000 euros. Je comptais sur 2 millions : à force de ténacité, j’ai réussi à trouver 400 000 euros ailleurs ! Heureusement, il y a un public qui a de beaux yeux, ouverts sur la culture. Pas ce public qui entre en levant le nez parce qu’il sait que le cygne va arriver dans Lohengrin et qu’il va repartir ! » interview parue dans Le Monde, 27/09/2003. 109 Site : http://www.kindertheater-muenchen.de/ - page consultée le 16/01/2005 75 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? cinq liens publicitaires (les recettes alimentent le budget du théâtre), dont deux correspondent à des boutiques de mode enfantine. Afin de renforcer le recours à ce type de mécénat par de petites structures, il serait probablement utile de développer une stratégie sectorielle de recherche de mécènes. Une organisation rassemblant des professionnels de la production et de la diffusion de spectacles jeunes publics pourrait ainsi dégager les moyens humaines et matériels d’un travail de sensibilisation des entreprises, en ciblant en priorité celles que peuvent avoir une relation à l’enfance ou à la famille. Une telle perspective se situerait indéniablement à la frontière du parrainage. Or, le sponsor crée un environnement bien à lui pour cadrer la manifestation artistique. Un regard critique des professionnels du jeune public serait indispensable, afin d’éviter que les sponsors ne finissent par modifier la relation qui existe entre le spectacle et son public. Cependant, les budgets de communication des grandes entreprises ne sont pas la seule source de financements privés des arts en Europe. Le contre-exemple le plus marquant en est le Royaume-Uni, où particuliers et fondations jouent un rôle important. Ainsi, la majorité des britanniques donnent chaque année à une œuvre charitable, qu’elle soit culturelle, éducative ou humanitaire. Le montant total annuels des dons peut être estimé à environ 6,1 milliards de livres, plus 1,5 milliards de livres en legs110. Aujourd’hui, la population totale des donneurs tend à stagner ou décliner, mais le montant moyen des dons augmente. Cette prégnance du mécénat des particuliers au Royaume-Uni repose sur des motifs religieux, ou humanistes. La situation britannique se caractérise en effet par une véritable culture du don : la générosité publique, mesurée par les montants donnés, est considérée comme un indicateur important du capital social. Les institutions culturelles britanniques ont donc développé des campagnes variées d’appel à la générosité du public, tant pour lever des dons de montant faible ou moyen que pour attirer les plus généreux donateurs. 110 Source : JAY, Elaine; LEE, Stephen; SARGEANT, Adrian - Major Gift Philanthropy, Individual Giving to the Arts 76 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? Ainsi, la stratégie de recours au mécénat du « Polka Theatre », le seul théâtre permanent exclusivement jeune public en Grande-Bretagne, comporte plusieurs actions : - « Buy a brick » : contre 21 £111, le nom du donneur sera inscrit 3 ans sur une brique du théâtre ; - « Name a seat » : contre 210 £112, un siège sera baptisé 3 ans au nom du donneur ; - « Become a player » : abonnement annuel de 100 £113, avec divers avantages associés ; - « Become an Associate » : contre 250 à 2 500 £114, le nom du donneur est mentionné au foyer du théâtre pendant 3 ans ; - « Become a sponsor » : actions de parrainage concernant les donateurs les plus importants. Parmi les sponsors du lieu en 2004, on trouve 15 fondations (pour la plupart fondées par des particuliers fortunés), contre seulement deux entreprises115. Leur soutien est essentiel à la survie du « Polka Theatre ». Cet exemple montre que le mécénat peut être attiré par le spectacle jeune public, dans un contexte où n’est pas motivé par la politique de communication d’entreprise. Si l’importance du mécénat des particuliers au Royaume-Uni reste une exception en Europe, le mécénat d’entreprise peut également avoir d’autres motivations que la communication, et se fonder sur un « mécénat de proximité ». Ce mécénat repose sur le principe que l'entreprise n'a pas seulement un rôle économique, mais aussi un rôle social, vis-à-vis de la société dans laquelle elle opère. Ce rôle social est plus ou moins pris en compte par les entreprises ellesmêmes : les questions du bien-être des salariés de l'entreprise et de leur famille, ou de l'insertion sociale des populations vivant autour des lieux d'implantation, par exemple, dépassent les strictes obligations légales des entreprises et entrent dans le champ volontaire de la responsabilité sociale de celles-ci. 111 Environ 15 € Environ 150 € 113 Environ 69 € 114 Environ 175 à 1 750 € 115 Cf. site : http://www.polkatheatre.com (page consultée le 31 janvier 2005) 112 77 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? De plus, le mécénat de proximité est un moyen d’intégration de l’entreprise dans son environnement social et culturel. Les relations tissées dans le cadre de cette action de mécénat contribuent également à développer des partenariats utiles à l’entreprise, et à améliorer son image à l’échelle locale. Le Livre Vert publié par la Commission européenne en 2001 sur la responsabilité sociale des entreprises note que « de nombreuses entreprises s’engagent dans la vie locale, en particulier [...] en fournissant à leurs salariés des structures de garde d’enfants, en nouant des partenariats locaux, en parrainant des manifestations sportives ou culturelles locales ou en faisant des dons à des oeuvres charitables. » Par exemple, « Das DA Theater », le théâtre jeune public de la ville d’Aix-la-Chapelle, reçoit le soutien de 12 mécènes, dont 11 sont des entreprises de la ville116. Ce mécénat de proximité est davantage adapté au besoin du spectacle jeune public que le « mécénat de communication », et ce pour plusieurs raisons : - il s’exprime au plus près des besoins, dans le cadre d’une relation suivie avec la structure bénéficiaire ; - il dépend indirectement des préoccupations des salariés et partenaires des entreprises, dont certains sont également des parents soucieux d’offrir à leurs enfants des manifestations culturelles ; - il peut aisément mettre de petits moyens à disposition de petites formes ; - il peut être en lien avec le développement de crèches d’entreprises. A l’image de l’importance de la médiation attentive que développent les professionnels en direction des enfants, le mécénat de proximité correspond à une relation suivie d’accompagnement. Lorsqu’une structure dispose de moyens suffisants, elle peut fonder à cette fin son propre « club d’entreprises », et inviter les entreprises locales à le rejoindre. A défaut, les compagnies ou les lieux plus petits pourront s’associer à d’autres initiatives locales, susceptibles de sensibiliser des partenaires privés à leur action. 116 Cf. site : http://www.dasda.de/sponsoren.php 78 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? Contrairement au parrainage ou au mécénat de communication, le mécénat de proximité ne risque de dégrader la relation entre l’enfant et l’artiste, qu’il maintient dans son environnement social propre. C’est sans doute autour de cet axe stratégique que le spectacle jeune public pourra trouver des moyens supplémentaires de développement, dont il a grand besoin. Dans cette perspective, la question se pose d’articuler un développement européen et des financements privés « de proximité », à l’échelle locale. S’agissant de la diffusion, une simple coordination entre lieux d’accueil de tournées suffit afin de réduire les coûts de déplacements, telle qu’elle existe au niveau des réseaux professionnels existants (qu’il s’agisse des RIDA en France, ou de la CTEJ en Belgique). En revanche, un développement européen de la création et de la production suppose la mise en commun de fonds privés obtenus par divers partenaires, chacun à son échelle locale. Pour que soit pleinement efficace une telle dynamique de coopération, la capacité d’acteurs locaux à monter des coproductions européennes est un enjeu clé. 79 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? 4. L’union fait la force : comment coproduire des spectacles jeune public à l’échelle européenne ? L’un des phénomènes les plus marquants de l’implication de la société civile dans la construction européenne est l’émergence de réseaux internationaux de coopération. Dans le secteur du spectacle jeune public, l’ASSITEJ117 avait très tôt donné l’exemple, et permis aux professionnels du théâtre jeune public de confronter leurs expériences au niveau international. De nombreux réseaux européens se sont organisés autour du spectacle vivant, l’un des plus actif à ce jour étant « IETM »118. Le réseau européen des organisations artistiques pour l’enfance et la jeunesse, « EUnetART », fut fondé en 1991 avec le soutien du Conseil de l’Europe. Il compte plus de 120 organisations membres, et facilite la recherche fonds, la rencontre de partenaires artistiques. EUnetART a également monté plusieurs projets de coopération en Europe comme la « Cité de l’Enfance », un festival annuel à SaintPétersbourg. Nouveau moyen de travail en commun, les réseaux « apprennent à faire relier les cultures, non pas comme but de l’opération, mais incidemment. »119 Dans les années 1990 ont émergé de nombreux festivals jeune public d’envergure européenne. Leur ouverture internationale, bénéficiant des contacts pris au sein des réseaux existants, a également renforcé en retour les partenariats entre créateurs, producteurs et diffuseurs de spectacles jeune public en Europe. Parmi les principaux festivals européens, citons notamment : - « Augenblick mal ! », à Berlin - la Biennale du Théâtre des Jeunes Années, à Lyon - « BRONKS festival », à Bruxelles - les « Giboulées de la Marionnette », à Strasbourg - « Méli – Mômes », à Reims - « Teatralia », à Madrid - « Turbulences », à Namur - « Vetrina Europa », à Parme 117 Emanation de l’UNESCO fondée en 1965, l’ASSITEJ – association internationale du théâtre pour l’enfance et la jeunesse – regroupe 78 organisations nationales membres à travers le monde. 118 « Informal European Theater Meeting » vise à stimuler les arts de la scène par l’échange d’informations et de savoir-faire entre 400 organisations culturelles membres provenant de 45 pays. 119 Neil Wallace, ancien directeur artistique du « Tramway » à Glasgow, cité par SMIERS, Joost – Etat des lieux de la création en Europe – p. 112 80 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? Les réseaux et les contacts noués lors des festivals font naître une envie croissante de construire des partenariats en amont, dès les phases de création et de production. L’ambition des professionnels serait de monter des coproductions européennes, telles que : o des commandes d’œuvre, o des résidences d’artiste, o la mise en commun de moyens de production de plusieurs partenaires. De telles entreprises restent complexes. En effet, le régime légal des coproductions de spectacles est variable selon les pays européens. En Belgique et en France, le contrat de coproduction crée une société entre coproducteurs (« association momentanée » ou « association en participation » en Belgique, « société en participation » en France) facilitant la mise en commun des ressources (pas d’assujettissement à la TVA). La réglementation allemande, en revanche, est peu compatible avec ces mesures ; les théâtres de répertoire publics séparent recettes et dépenses de toute affectation (« Kameralistik »). L’Europe est marquée par la coexistence de deux systèmes : - Les compagnies itinérantes et intermittentes prédominent en Europe du Sud et de l’Ouest (Belgique, France, Italie, Royaume-Uni…120) : Ces compagnies, d’effectif stable ou temporaire, ne sont pas liées à un lieu mais proposent leurs spectacles « clé en main ». Production et diffusion sont nettement séparés, ce qui facilite le montage de tournées ou de budgets de coproductions. Les spectacles circulent facilement ; les décors et matériels sont d’ailleurs soumis à l’exigence de pouvoir tourner pour rentabiliser l’investissement de production ; chaque spectacle jeune public tient à jour une fiche technique des contraintes à destination des programmateurs. Par contre, la reprise des mêmes œuvres par des compagnies différentes crée une concurrence ; dans les faits, on assiste donc à un phénomène de « création permanente », qui rend difficile la constitution d’un répertoire d’œuvres de référence. - Les « théâtres de répertoire » prédominent en Europe du Nord, centrale et orientale (Allemagne, Autriche, Pologne, République tchèque…121) : 120 Il existe cependant quelques exemples de compagnies « à demeure » ; à la Comédie française, dans les maisons d’opéra… 121 Des compagnies indépendantes ont néanmoins trouvé place, notamment en Allemagne, dans des « théâtres alternatifs », c’est-à-dire de diffusion. 81 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? Les compagnies travaillent à demeure dans un lieu permanent ; production et diffusion ne sont donc pas des fonctions séparées. Dans ce cadre, l’accueil de spectacles et la mise en œuvre de coproductions sont rares, en dehors des festivals. La mobilité des artistes et techniciens se fait individuellement, sur la base d’engagements relativement stables. Les spectacles circulent donc peu ; en revanche, les œuvres circulent, puisque deux productions dans des villes différentes ne se font pas concurrence… Les objectifs de mobilité transnationale des professionnels et de circulation transnationale des œuvres, mis en avant par la Commission européenne pour le programme « Culture 2007 », se posent donc en des termes très différents selon les pays. Ces différences entre systèmes nationaux de coproduction ne facilitent pas la circulation de spectacles vivants au sein de l’Union Européenne ; pour toute coproduction entre structures de natures hétérogènes, elles induisent des difficultés non négligeables. Au niveau administratif, à titre d’exemple, pour établir les budgets de production de la création franco-allemande des Lettres à Barbara « il a fallu que l’administrateur allemand fasse un peu de la gymnastique intellectuelle pour sortir des prorata à la fois de temps de répétition et de diffusion pour l’acteur, ce qu’avait représenté la production du décor par rapport à tant de productions de décors par an dans le théâtre ; ça a été un exercice un peu complexe. »122 Enfin, aucun cadre juridique européen harmonisé n’existe concernant les contrats de coproduction, les contrats de cession, ou les contrats de travail des professionnels engagés. Cela génère également des difficultés administratives, notamment concernant les règlementations sur les exonérations de TVA, la propriété intellectuelle ou le droit applicable en cas de litiges... Dans un secteur « d’artisanat d’art » comme le jeune public, où les structures sont généralement de petite taille, ces obstacles peuvent être rédhibitoires. Afin de mutualiser les coûts et les risques, sans recourir à un contrat de coproduction, les producteurs d’un spectacle forment généralement de simples partenariats de cofinancements : - 122 participation de partenaires financiers à l’avance de fonds, Marina Zinzius, entretien 82 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? - préfinancements (ou préachats) du spectacle par des diffuseurs. En outre, le langage peut être un élément constitutif du spectacle limitant sa circulation internationale (cela dépend du genre : musique, mime, théâtre d’objet peuvent réunir les enfants par-delà la barrière de la langue…). Adaptations et traductions de textes sont alors les étapes nécessaires de production avant toute extension de la diffusion à des publics de langue différente de celle de la création originale. Dans le quotidien de travail, indépendamment des différences linguistiques, les modes de fonctionnement différents selon les pays sont également difficiles à concilier : « Il est inenvisageable d’avoir un mois ou un mois et demi de comédien allemand à Colmar pour suivre le même travail de création d’une production qu’on a en France actuellement. »123 Dans la pratique, les projets internationaux impliquent souvent des phases de création et d’exploitation dans plusieurs pays. Chaque partenaire prend alors directement en charge les frais générés dans son pays. Les co-diffusions, en incluant éventuellement des frais non mutualisés de création et de production pour chaque pays, sont donc plus répandue que les véritables coproductions européennes, qui restent rares. Il serait donc utile que soit défini un cadre juridique des coproductions du spectacle vivant en Europe. L’établissement de règles juridiques claires pour les coproductions européennes de spectacles vivants favoriserait leur développement, étape essentielle de la collaboration artistique. Le rapport du Parlement européen sur l'importance et le dynamisme du théâtre et des arts du spectacle dans l'Europe élargie du 15 juillet 2002 note que « l'absence de coordination au niveau communautaire entre les différents statuts des artistes, les régimes de protection sociale, les politiques fiscales d'une part, et l'hétérogénéité des accords bilatéraux entre pays d'autre part, aggravent la vulnérabilité socio-économique des artistes et professionnels et entravent singulièrement leur mobilité. » 123 Marina Zinzius, entretien 83 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? Des concertations ont eu lieu dans le secteur de l’audiovisuel, aboutissant à la Convention sur la télévision transfrontière du Conseil de l’Europe, et à la directive « Télévision sans frontières » de l’Union européenne. En attendant l’aboutissement d’une démarche similaire pour le spectacle vivant, il est regrettable que ne soit pas mises à disposition des professionnels d’informations comparatives claires sur les systèmes nationaux régissant : - le droit des contrats de coproduction et de cession ; - les droits d’auteurs ; - les taxes ; - le droit du travail. Cela permettrait peut-être de trouver, entre les différences de dispositifs juridiques nationaux et les contraintes des deux grands modèles des compagnies « indépendantes » ou « de répertoire », des passerelles créatives. Le secteur jeune public européen tirerait également bénéfice d’un soutien particulier aux résidences d’artistes. Cette forme de coproduction, qui peut aisément être menée à l’échelle internationale, pose en effet moins de difficultés juridiques dans la mesure où la période de résidence permet l’application du droit national d’accueil. Elles sont également adaptables aux contraintes des compagnies indépendantes comme des théâtres de répertoire. Une compagnie indépendante en résidence peut néanmoins prendre le temps d’une tournée ; tandis que la durée de l’accueil en théâtre de répertoire ouvre la possibilité d’une immersion dans l’effectif de la structure, à l’image d’un engagement à durée déterminée. A titre d’exemple, RESEO avait lancé en 2003/2004 une opération « Artists' Development Project », avec le soutien de Culture 2000124. Elle a permis à des artistes européens d’apprendre les uns des autres par le biais de résidences, en participant aux projets éducatifs proposés par trois maisons d’opéra (Scottish Opera, Finnish National Opera et Théâtre du Châtelet). Or, les résidences sont une forme de production particulièrement adaptée au secteur jeune public ; elles donnent l’opportunité d’actions éducatives des artistes dans les écoles locales, de mise en place d’animations et ateliers périphériques au travail de création, d’organisation de tournées locales en zone rurale, etc. Les 124 A hauteur de 122 866 € sur un an 84 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? résidences constituent un moyen privilégié d’interaction dans la durée entre les compagnies et leurs publics, et sont par conséquent de nature à favoriser le dialogue interculturel. Ce type d’action est également à la portée d’acteurs locaux ou peu institutionnalisés. Nous proposons donc que les résidences de professionnels du spectacle jeune public en Europe fassent l’objet d’une priorité de financement. 85 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? III. La place du spectacle jeune public dans la société européenne 1. Quelle reconnaissance sociale des métiers du spectacle jeune public ? L’évaluation de la « valeur » des métiers du spectacle jeune public pose en Europe des questions sociales délicates, tant la division du travail dans ce secteur apparaît à la fois complexe et instable. Si le « talent » existe indéniablement en ce domaine, il renvoie rarement à son sens ancien de monnaie... Le « rapport Vincent »125, qui fournit un état des lieux complet à l’égard de la protection sociale dans les pays d’Europe occidentale (à l’exception du Luxembourg), insiste sur le « sentiment général d’insécurité et de vulnérabilité de ces professions qui domine, sauf dans les pays où la loi leur apporte une protection spécifique renforcée, et/ou dans les pays où des syndicats très représentatifs peuvent obtenir une telle protection par le biais d’accords collectifs ». Seules les employés de la fonction publique, dans les structures dépendants de l’Etat ou de collectivités, et les troupes et orchestres permanents, prédominants en Allemagne mais rares dans de nombreux pays, bénéficient globalement d’un statut social stable. Si l’on examine tout d’abord la « valeur » rétribuée, force est de constater que les modes de rémunérations des professionnels ne correspondent pas à la taxinomie habituelle de l’économie, distinguant : - les revenus du capital, dont les droits liés à la propriété intellectuelle font partie en tant que moyen de « production » (tant au sens usuel que selon l’usage dans le spectacle vivant) ; 125 VINCENT, Jean – Les régimes de protection sociale des travailleurs du spectacle et de l’audiovisuel dans les pays de l’Union européenne p.10 86 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? - les revenus du travail (salaires, « cachets »), variables selon le temps et l’aptitude requise ; - les résultats d’exploitation, bénéfices dégagés par une activité commerciale, auxquels sont assimilés les revenus des indépendants. En effet, ces distinctions se révèlent inopérantes dans le monde du spectacle vivant, y compris à destination du jeune public. Un artiste ou technicien de la scène pourra exercer la même activité comme salarié, au titre d’un contrat de travail, ou comme indépendant, sous couvert d’un contrat de prestation de service, parfois à quelques jours d’intervalle. De plus, l’importance de la création artistique, à tous les niveaux de la production, introduit des rémunérations de droits d’auteurs ou des droits voisins (interprètes) dont la prise en compte ne relève pas du même régime que l’activité de production proprement dite. Ce trait marquant est encore renforcé par deux évolutions contemporaines : - l’intégration croissante de la technologie dans les spectacles, donnant un rôle de créateur à des techniciens comme l’ingénieur du son ou le « scénographe de lumière » ; - la transdisciplinarité entre les arts et le format de « petites formes » créées par des équipes réduites et soudées favorisent, tout particulièrement dans le spectacle jeune public, la mise en œuvre de créations collectives. Des situations inhabituelles dans d’autres secteurs sont possibles, voire courantes. Pour monter un spectacle de danse, un chorégraphe salarié pourrait ainsi régler lui-même, au titre de ses frais professionnels, la facture de l’intervention d’un technicien indépendant, tout en percevant pour la scénographie qu’il a créée des droits de cession correspondant à une fraction des recettes... Par conséquent, la traditionnelle opposition « salarié » contre « travailleur indépendant » n’est pas totalement pertinente. La prise en compte de ces spécificités nécessite des statuts adaptés sur le plan social, que ce soit par voie légale ou conventionnelle. Chaque pays a donc élaboré une réponse particulière au problème. Ainsi en Belgique, un non salarié peut être assimilé de par la loi à un salarié dans tel ou tel domaine de la protection sociale parce qu’il est artiste du spectacle. En Allemagne, la 87 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? création de catégories intermédiaire entre le salarié et l’indépendant (« quasiemployés ») offre une relative protection à certains artistes et techniciens du spectacle jeune public. Enfin, la France a élaboré un système de sécurité sociale pour les salariés intermittents du spectacle, remis en question par l’exécutif français depuis 2003. La résolution adoptée par le Parlement Européen en mars 1999 fait référence à la nécessité d’améliorer le statut social des artistes en s’inspirant de la législation nationale la plus protectrice. A ce titre, les solutions adoptées en Belgique et en France pour favoriser l’application du statut de salarié aux artistes du spectacle méritent d’être étudiées au niveau européen ; de même que la réforme administrative française dite du « guichet unique » adoptée en France. Cette volonté d’harmonisation de la protection sociale ne s’est malheureusement pas encore traduite dans les faits. Pourtant, il serait bénéfique pour la circulation des spectacles en Europe, que les artistes et techniciens en tournée puissent a minima bénéficier de leurs cotisations sociales dans leur régime d’origine. Aujourd’hui, à titre d’exemple, un artiste résidant habituellement en Allemagne se produisant en France est dispensé du paiement des cotisations au titre du régime des intermittents du spectacle126, mais ne peut pour autant pas accumuler de cotisations (donc de droits afférents) au titre de sa protection sociale habituelle, ne serait-ce que pour cumuler des revenus justifiant qu’il n’exerce pas un « emploi minime »... Cet objectif de conservation de l’affiliation à un régime de protection sociale quel que soit le lieu de la représentation en Europe paraît pouvoir être atteint sans attendre une hypothétique unification européenne des dispositifs de protection sociale existants. Cela suppose néanmoins un soutien de l’Union européenne à la 126 Ce point fait suite à l’arrêt Barry Banks du 30 mars 2000 de la Cour de Justice des Communautés Européennes : une circulaire a dispensé d’assujettissement à la sécurité sociale française les artistes et travailleurs considérés comme non-salariés dans le pays où ils exercent normalement leur activité professionnelle. Le Code du travail français impose le statut de salarié pour les « artistes du spectacle », c’est-à-dire principalement les artistes - interprètes et les metteurs en scène (théâtre) ou les réalisateurs (œuvres audiovisuelles), sauf quand ils exercent leur activité comme des entrepreneurs inscrits au registre du commerce. Cette disposition a été attaquée par la Commission Européenne (DG Marché Intérieur) qui considère qu’elle constitue un obstacle non justifié à la libre « circulation des services » en Europe, quand un artiste ayant un statut de « travailleur indépendant » dans un autre Etat de l’UE doit être assujetti au statut de « salarié » en France. La Cour de Justice des communautés européennes lui a donné raison. 88 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? mise en place d’accords de réciprocités entre organismes nationaux chargés de la protection sociale des professionnels du spectacle vivant ; l’effort d’analyse des cas particuliers nationaux afin de définir les règles d’équivalence ne doit pas être négligé. Or, la définition des cadres spécifiques de protection sociale repose fréquemment sur des classifications de métiers, ce qui pose des difficultés tant théoriques que pratiques. D’une part, il est difficile de fournir une analyse figée de la division professionnelle, alors que ces métiers du spectacle sont en évolution constante à la fois sur le plan technique, et sur le plan artistique. Des différences nationales existent d’ailleurs, tel le rôle du dramaturge (« Dramaturg ») dans les théâtres allemand, sans équivalent en France ou en Belgique ; ou l’importance des « tourneurs » et « programmateurs » dans le système français et belge, que l’on retrouve peu partout où prédomine le théâtre de répertoire. La revendication des monteurs, en Allemagne, de bénéficier de droits voisins à l’instar des artistes interprètes, révèle également les inévitables insuffisances de toute définition du secteur par une liste de métiers. D’autre part, certains de ces métiers peuvent être exercés dans d’autres contextes économiques, qui ne poseront pas les mêmes contraintes sociales. Ainsi, un rôle d’électricien ou de secrétaire comptable, exercé au profit d’une compagnie théâtrale, n’est-il pas nécessairement différent de fonctions salariées observables dans d’autres secteurs. Mais la nature même de l’activité de l’employeur créera néanmoins une précarité de l’emploi supérieure. L’identification des particularités et la hiérarchisation des métiers au regard des régimes sociaux, tel est précisément l’exercice délicat auquel s’essaie pour la France le « rapport Charpillon »127. Le but avoué de ce rapport est de « livrer une liste de métiers à retirer du bénéfice des annexes VIII et X »128, c’est-à-dire du régime des intermittents ». Ses conclusions préconisent à une distinction radicale entre les métiers de la production (considérés comme des bénéficiaires légitimes du dispositif) et ceux de la diffusion ou de l’action culturelle, qui ne devraient plus offrir la même couverture sociale. Cette proposition, déjà contestable pour le spectacle vivant en 127 Cf. CHARPILLON, Jacques – Propositions de nouvelle définition du champ des annexes VIII et X pour l’indemnisation du chômage des intermittents du spectacle – Paris : La Documentation Française, 28 juillet 2004 – projet de note au Ministre de la Culture et de la Communication téléchargeable en ligne : http://www.ladocfrancaise.gouv.fr/brp/notices/054000033.shtml 128 CHARPILLON, Jacques – op. cité, p19. 89 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? général, est particulièrement inadaptée au secteur jeune public, dans lequel presque tous les artistes interprètes partagent leur temps entre ces trois activités… Sur le plan social, l’approche analytique du spectacle vivant, et du secteur jeune public en particulier, ne nous paraît donc pas fondée. Au contraire, nous proposons de qualifier l’appartenance professionnelle à ce secteur sur la base de l’activité principale de l’employeur (le travailleur lui-même dans le cas d’un indépendant)129. Cette définition favoriserait la prééminence de la négociation d’accords collectifs entre les syndicats d’employeurs et de salariés, à l’instar des autres secteurs économiques. 129 En France, cela reviendrait à rassembler sous le vocable « spectacle vivant » toutes les entreprises de code NAF 923 ; la qualification professionnelle des salariés eux-mêmes est indifférente quant à cette définition. Bernard Latarjet propose également une révision du régime des intermittents sur la base d’une nomenclature des employeurs. 90 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? 2. Quelles organisations professionnelles pour le spectacle jeune public ? Dans cette perspective, il est important de souligner que les conditions de ce dialogue social ne sont pas toujours faciles. En effet, les syndicats de travailleurs cherchent par le dialogue social à « responsabiliser les employeurs » ; notamment en Suède, où les syndicats sont fortement représentatifs. Malheureusement, les employeurs sont généralement très nombreux et souvent occasionnels, donc peu aptes à une organisation sectorielle adaptée ; ce constat, qui vaut pour le spectacle vivant en général, est incontournable dans le cas du jeune public où interviennent partout en Europe nombre d’écoles, d’associations, etc. La représentativité des organisations patronales est donc sujette à caution, et leur capacité à encadrer le secteur limitée. En Allemagne, même si « ASSITEJ e.V. Bundesrepublik Deutschland » rassemble la plupart des théâtres pour le jeune public, son rôle de réseau informel ne lui permet pas de représenter les employeurs vis-à-vis de l’Etat fédéral ou des salariés. En Belgique, la CTEJ (Chambre des Théâtres pour l’Enfance et la jeunesse) rassemble de nombreux employeurs du secteur pour la Communauté française. Cependant, elle n’est pas représentée au sein du CTEJ (Conseil du Théâtre pour l’Enfance et la Jeunesse), l’instance de cogestion avec le gouvernement communautaire née du Décret de 1973. La CTEJ n’est donc pas reconnue comme un partenaire de négociation. Enfin, aucune organisation française à ce jour ne paraît pouvoir jouer le rôle de représentation auprès des pouvoirs publics ou des salariés. En tout état de cause, l’imbrication du spectacle jeune public dans les structures du spectacle vivant milite pour ce cadre de négociation large, plutôt que pour la création d’organisations représentatives (tant des employés que des employeurs) qui n’existent guère à ce jour dans les trois pays étudiés. Cela n’exclut pas des initiatives intéressantes, comme l’agence « BørneTeaterSammmenslutningen » (BTS) qui rassemble 56 théâtres jeune public danois ; elle leur fournit des informations sur la réglementation, joue un rôle de 91 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? « veille » à l’égard des pouvoirs publics, et peut coordonner des campagnes de lobbying si nécessaire. Dans les autres pays européens, il serait sans doute souhaitable que, parallèlement aux réseaux informels existants comme l’ASSITEJ, des organisations professionnelles prennent en charge la défense des intérêts du secteur jeune public. La question la plus importante à ce jour, pour le secteur jeune public, est probablement la reconnaissance dont peuvent bénéficier les actions d’éducation ou de sensibilisation artistiques. Au cours des dernières années, le monde du spectacle vivant européen dans son ensemble a connu un développement des médiations autour des représentations : ateliers, « master class », répétitions publiques, conférences sur les œuvres présentées… Mais c’est bien évidemment le secteur jeune public qui est le plus directement concerné par ce type d’activités. Un nombre croissant d’artistes encadre l’apprentissage d’une pratique. En particulier, les écoles, en associant des artistes à un projet pédagogique, sont fréquemment demandeuses de prestations à la fois scéniques et éducatives. En Communauté française de Belgique, le cadre du Décret de 1973 avait constitué un modèle précurseur intéressant, puisqu’il reconnaît la prise en charge : - des animateurs, au même degré que les artistes interprètes130 ; - des séances d’animations, sur la même base que les représentations131. Cette reconnaissance de l’animation permet d’envisager globalement l’environnement du jeune public, pour qui la médiation est essentielle. Malheureusement, la réduction drastique des budgets disponibles au titre de ce Décret en a sérieusement limité la portée. En France, le rapport de Bernard Latarjet note que « l’application stricte des textes actuels conduit à couper le lien artiste/société, qui est en train de s’établir au bénéfice de tous. La législation n’a pas suivi l’évolution des pratiques professionnelles »132. De fait, les particularismes du régime des intermittents ne permettent pas d’intégrer les séances d’animation dans le cumul des cotisations sociales ; les professionnels de l’animation et de l’éducation, quant à eux, ne sont 130 Article 7, §3 Article 8, §3 132 Cf. LATARJET, Bernard – Pour un débat national sur l’avenir du spectacle vivant, p. 84 131 92 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? pas soumis à un régime d’intermittence, et leurs métiers (qui débordent largement le cadre de la sensibilisation artistique) seraient sans doute fragilisés par la possibilité de flexibilité particulière au spectacle vivant… Le spectacle jeune public ne peut se limiter à une « représentation » ; il est aussi une rencontre entre l’artiste et le public, auxquels il donne matière à dialoguer. Mais tout dialogue prend du temps, et les codes complexes de l’art doivent aussi être décryptés. C’est pourquoi il est essentiel que la dimension artistique des animations qui préparent ou prolongent le spectacle jeune public soient reconnus pour ce qu’ils sont : un métier, qui mérite le soutien de structures professionnelles et sociales adaptées. La proposition, déjà formulée, de définir ce secteur par référence à l’activité principale de l’employeur, apparaît comme une réponse pertinente possible à cette problématique, dans la mesure où les activité d’animation artistiques se déroulent généralement dans le même cadre de travail que le spectacle lui-même. 93 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? 3. Quelle formation professionnelle pour les métiers du spectacle jeune public ? Le manque d’organisations patronales dans le secteur affaiblit également l’investissement dans la formation professionnelle. S’agissant toujours de la mise en place d’animations et d’actions culturelles connexes aux spectacles, l’exigence de qualité ne saurait se satisfaire de simples interventions d’artistes non préparés à cet exercice si particulier. Or, la formation des artistes – intervenants reste inorganisée. En pratique, la profession recrute à la fois dans les milieux de l’animation et des arts de la scène ; ce qui permet un regroupement de compétences opérationnelles, sans qu’une véritable formation continue soit toujours mise en place. En France, neuf centres de formation, créés conjointement par les ministères de l’Education nationale et de la Culture en 1984, préparent en deux ou trois ans des instrumentistes ou chanteurs confirmés au D.U.M.I. (Diplôme d’Université de Musicien Intervenant). Ceux-ci exercent ensuite le métier de musicien intervenant à l’école maternelle et élémentaire. Le musicien intervenant travaille en collaboration et en interaction avec l’enseignant à la conception et la mise en œuvre de l’éducation musicale de l’enfant, en inscrivant son action dans la vie et le projet de la classe. Cette formation a permis aux orchestres français une intensification de leurs actions éducatives. Il serait donc souhaitable que des liens entre l’éducation artistique et le spectacle jeune public favorisent les synergies professionnelles : - insertion de modules de formation à l’intervention et à la pédagogie dans les formations artistiques ; - partenariats entre réseaux d’éducation artistiques (écoles de musique, de danse, etc.) et réseaux de diffusion du spectacle, afin de prendre en compte certaines activités de médiation ; favoriser harmonisation des diplômes artistiques en Europe, afin de leur reconnaissance internationale et la circulation des professionnels. 94 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? Les accords de Bologne peuvent jouer un rôle de catalyseur de cette évolution de l’enseignement artistique et de la formation professionnelle ; leur mise en application dans ce domaine présente cependant des difficultés, que le réseau ELIA cherche à aplanir pour les arts visuels. Dans le domaine des arts de la scène, on constate aujourd’hui une prise en compte de ce besoin de formations des intervenants à travers la création de centres de ressources, susceptible d’apporter l’aide et les informations pertinentes. Le doyen, « Kinder- und Jugendtheaterzentrum in der Bundesrepublik Deutschland » à Francfort, est associé aux archives internationales de l’ASSITEJ (ouvertes en 1965). En France, le Théâtre Massalia monte un « Centre Européen de Productions Artistiques Interdisciplinaires Jeune Public » à Marseille, et vient de signer une convention avec l’IUFM d’Aix-en-Provence. Dans le cadre de son centre de ressources, l’association Nova Villa (organisatrice de Méli-Môme) commence à organiser des formations à destination des professionnels de la petite enfance, des parents… La Belgique n’est pas restée à l’écart de ce mouvement pour l’action en direction du jeune public. Ainsi, le Centre dramatique Jeune Public « Pierre de Lune », actif depuis 25 ans dans la programmation de spectacles «Jeune public» à Bruxelles propose des ateliers de danse dans les écoles donnés par des animateurs, mais aussi des ateliers de formation continue pour les enseignants. Toujours à Bruxelles, le Théâtre de La Montagne magique est un centre permanent de diffusion, d’animation, de formation et de documentation des Arts de la scène pour l’Enfance et la Jeunesse ; il propose des formations à destination des enseignants, et un accompagnement à ceux qui veulent travailler sur un projet. La dynamique des centres de ressources, impulsée par des initiatives issues du milieu professionnel, mériterait d’être soutenue à l’échelle européenne. En effet, le besoin de médiateurs culturels est d’autant plus grand dans le cas de la circulation européenne des œuvres et des artistes ; l’obstacle de la langue entre les artistes et leur public rendant difficile la mise en place d’ateliers pédagogiques ou d’éveil. L’insertion des formations de ces centres de ressources, et plus largement des écoles de formation aux arts de la scène, dans le cadre des accords de Bologne, est une opportunité de construction européenne du secteur. C’est pourquoi il paraît 95 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? judicieux que l’Union européenne joue un rôle de soutien appuyé en ce domaine. « Dans le domaine de la formation professionnelle, la coopération et les échanges entre pays de l’UE pourraient permettre de mieux connaître les besoins de ces professions, et peut-être de faire évoluer à long terme les régimes d’emploi et de protection sociale. »133 133 VINCENT, Jean - op. cité, p.10 96 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? 4. Pourquoi s’oriente-t-on vers le spectacle jeune public ? « La joie, jouer dans la joie, il n’y a pas d’autre secret. » (Jacques Copeau) Ce tour d’horizon de l’exercice professionnel du spectacle vivant jeune public dresse un constat social bien sombre ; - mal payé, - en emploi précaire, - presque dépourvu d’organismes de formation professionnelle, - déconsidéré au sein même du monde du spectacle… Au vu de ces difficultés, on peut légitimement se demander ce qui pousse des artistes, des techniciens ou des administrateurs à choisir cette voie. Il ressort des entretiens que nous avons eus avec ces professionnels un véritable « engagement » personnel pour leur métier, d’autant plus frappant que les parcours sont variés. Les raisons pour lesquelles les uns et les autres se sont orientés vers ce secteur sont variables, parfois presque le fait du hasard. Ainsi, Anneliese Simon, participant bénévolement à l’accueil du Théâtre de la Guimbarde en 1988, en conçut un véritable coup de foudre (« Je n’en revenait pas de ces enfants qui comprenaient tout et plus encore… […] Je prenais doucement conscience de l’importance de la fonction que je m’étais donnée… »134), avant de se voir proposer le poste d’administratrice de la compagnie ! Ancien instituteur, Joël Jouanneau est auteur et metteur en scène au Théâtre de Sartrouville, où il travaille tant pour les enfants que pour les adultes. Pour lui, « c’est une chose qu’on n’oublie jamais, ce qu’on éveille chez un enfant »135. Venus de l’animation, de l’éducation, des arts de la scène « pour adultes », ou du monde associatif, les protagonistes témoignent d’un attachement profond à ce secteur. Ces témoignages, parmi bien d’autres, mettent en relief la dissymétrie entre les analyses fonctionnalistes internes et externes du spectacle vivant jeune public. Du point de vue de la société, et notamment de sa représentation politique, la démarche de financement du spectacle jeune public s’accompagne de l’assignation parfois explicite d’un rôle : mission éducative ou sociale, etc. 134 135 Théâtre de la Guimbarde – Les vingt premières années – p19 JOUANNEAU, Joël – « Exigence réciproque » - Cassandre, n°57 – p.20/21 97 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? En revanche, les professionnels concernés placent spontanément l’enfant au cœur de leur métier. Si le spectacle doit servir, ce n’est pas tant à quelque chose qu’à quelqu’un : son public ! Au fond, c’est la capacité d’émerveillement de l’enfant qui suscite le spectacle, autant que la volonté des artistes. « Ce n’est pas une question de pédagogie mais une question d’émotion qui se pose. »136 Le contact direct avec les jeunes spectateurs, à travers des résidences, des ateliers comme par le biais de la représentation elle-même, est d’ailleurs le dénominateur commun de toutes les démarches observées. Edward Bond déclarait que « seul le travail avec les jeunes me permet de poser des questions radicales sur l’existence »137. Cette place créatrice du spectateur est d’autant plus paradoxale que le jeune spectateur est souvent captif du choix des adultes, et dénué d’autonomie économique : fréquemment, il ne choisit pas le spectacle auquel il assiste (conduit par sa famille ou ses enseignants). Dans certains cas, cette dimension d’enrichissement de l’artiste au contact des enfants peut aller jusqu’à inverser le sens de la transmission : la chorégraphe Josette Baïz, directrice de la compagnie française Grenade, reconnaît que « nos danseurs professionnels ont pris un cours de flamenco avec une fille de sept ans ! »138 Par leur réception et leur compréhension de l’œuvre, les jeunes spectateurs suscitent (ou découragent) la motivation des artistes. La dimension sociale de ce secteur ne peut donc se comprendre sans intégrer l’apport de l’enfant à la vie artistique de la société. En dépit de contraintes sociales et économiques fortes, le spectacle jeune public a ainsi ouvert un espace de liberté pour la création. « Ce secteur-là correspond un peu pour les programmateurs à un secteur riche de friandises, c'est-àdire de spectacles petits formats, un secteur de liberté de programmation privilégié parce qu’on sait bien qu’on aura le public à la clé, qu’on aura les 100 % de jauge remplie en tous cas pour les scolaires. Et c’est quelque part un secteur de programmation où vous n’êtes jamais ennuyé ni par vos élus, ni par quelque représentant que ce soit d’institutions qui vous subventionnent. C’est un secteur de 136 Laurent Dupont, Les cahiers de l’ORCCA, n°19, p.18 Entretien cité par Cassandre, n°57, p.5 138 HAHN, Thomas – « 3 G(nérations) » - Cassandre, n°57 – p.8 137 98 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? liberté et d’exploration formelle et artistique suffisamment riche pour qu’on y trouve des petites perles. »139 Cette liberté se double tout naturellement d’un sentiment de responsabilité, à l’égard des enfants. Leur participation et leur spontanéité donnent aux artistes les conditions d’un véritable laboratoire expérimental, où l’erreur est à la fois socialement permise (en termes de financements, etc.) et artistiquement exclue (parce qu’immédiatement sanctionnée par le désintérêt des jeunes). C’est ce paradoxe même que note Fabrice Melquiot140 : « Ce qui m'intéresse, c'est que le théâtre pour la jeunesse est aujourd'hui le lieu de l'imprudence. » L’orientation professionnelle voulue par ses membres se heurte à une sélection professionnelle sans concessions, du fait de la faiblesse des régimes de protection sociale applicables. Défini par une activité dont la cohérence ne se réduit pas à un catalogue de métiers, ce secteur mérite, de la part des sociétés européennes, une reconnaissance à la hauteur de sa « valeur » au sens premier du mot : la vaillance et le courage. 139 Entretien avec Marina ZINZIUS, programmatrice A l’occasion de sa mise en scène de son texte, Bouli Miro, à la Comédie Française ; cf. « Le grand théâtre se penche sur les petits » - Le Monde, 21/12/2003 140 99 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? CONCLUSION Qu’il est difficile de se faire entendre quand on est petit ! Si les enfants s’en aperçoivent au quotidien, cette remarque vaut aussi pour le spectacle jeune public. Né dans les années 1970 de l’action socioculturelle, en marge des grandes institutions culturelles, il a longtemps été ignoré ou déconsidéré par le milieu des arts de la scène. Progressivement, la spécificité et la qualité de cette démarche artistique ont acquis une reconnaissance. Selon des cheminements différents dans chaque pays, le secteur jeune public a été davantage intégré dans les circuits de production et de diffusion du spectacle vivant. En Allemagne, prenant le relais des théâtres alternatifs, les théâtres de répertoire ont accueilli à demeure des compagnies. En Belgique, les représentations scolaires ont quitté l’école pour les théâtres et les salles de concert. En France, des séances familiales ont fait leur apparition dans la programmation des Scènes Nationales, avant que la Comédie – Française ne joue en 2004 sa première pièce jeune public. Cette évolution atteste d’un changement plus vaste des sociétés, touchant le rapport à l’enfance. Une attention croissante est portée à la sensibilité des plus jeunes. Cette transformation se manifeste notamment par le développement de l’éducation artistique, scolaire et extra – scolaire, des recherches sur le développement cognitif des tout – petits (dont la réceptivité des bébés aux spectacles démontre la pertinence), ou encore la ratification de la Convention internationale des Droits de l’Enfant. En phase avec la société civile, les professionnels du spectacle jeune public ont mis en place, dès les années 1980, des réseaux européens informels ou structurés (entre organisations membres de l’ASSITEJ, ou au sein d’EUnetART). Cette dynamique s’est renforcée grâce à l’ouverture internationale des principaux festivals, où compagnies et diffuseurs se rencontrent. Cette première étape d’une construction européenne du secteur jeune public permet tout d’abord le partage des informations et des œuvres. Elle a également permis, dans une certaine mesure, 100 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? l’organisation régulière de tournées européennes ; particulièrement le cas entre la France et la Belgique. La seconde étape, qui commence pour quelques partenaires, consistera à faire davantage circuler les artistes et les spectacles ; et surtout, à concrétiser de projets de créations communes par des coproductions européennes, encore rares à ce jour. Cependant, cet approfondissement de la coopération européenne se heurte aujourd’hui à des obstacles clairement identifiés. La première difficulté est liée aux écarts entre systèmes nationaux de protection sociale. Les spécificités économiques du spectacle vivant ont fait l’objet, dans chaque pays, d’adaptations particulières de la sécurité sociale et du droit du travail. Ces dispositifs ad hoc sont difficilement transposables, et fréquemment incompatibles. De ce fait, la circulation des artistes et techniciens du spectacle en Europe est entravée. Si l’arrêt Barry Banks de la Cour européenne a pointé ce dysfonctionnement des échanges européens, les conséquences n’en ont pas été tirées au niveau communautaire. La seconde difficulté tient à la reconnaissance des compétences pédagogiques des artistes, dans la conduite d’ateliers ou d’activités d’éveil. Il s’agit là d’un enjeu crucial du secteur jeune public ; or le processus de Bologne, destiné à faciliter la mobilité européenne par une harmonisation des diplômes, peine à s’appliquer à l’enseignement artistique. La troisième difficulté découle de la coexistence de deux grands modèles de fonctionnement du secteur en Europe : - Les compagnies itinérantes et intermittentes, accueillies par des lieux de diffusion, qui prédominent en Europe du Sud et de l’Ouest ; - Les théâtres de répertoire, hébergeant des compagnies à demeure, qui représentent la norme en Europe du Nord et de l’Est. Ces modes d’organisation diffèrent radicalement, tant en ce qui concerne la gestion budgétaire, que la production ou la diffusion de spectacles. Cette hétérogénéité est certes génératrice de diversité et de richesse artistique. Par sa complexité, elle accroît également les coûts des coproductions communes dans des proportions difficilement supportables pour la fragile économie du jeune public. Or, le fonctionnement des financement européens censés faciliter les coopérations transfrontalières (Interreg III) ou multilatérales (Culture 2000) se révèle 101 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? d’une grande lourdeur administrative. Le secteur jeune public, ne disposant généralement que de faibles moyens disséminés entre structures de petite taille, n’a donc pu en tirer pleinement parti. Cette inadéquation des solutions communautaires aux problèmes concrets du spectacle jeune public est symptomatique de sa marginalité à l’échelle européenne. Situé à l’intersection de multiples champs de l’action publique, ce secteur a développé, dans chaque Etat, des solutions propres afin de concilier les particularismes. Au niveau européen, en revanche, les « effets de bord » entre les politiques de la culture, de l’éducation ou de la jeunesse prévalent. Le secteur jeune public se retrouve ainsi exclu d’outils communautaires inadaptés, car conçus pour d’autres contextes… Pourtant, aucun des obstacles identifiés n’est insurmontable. Un effort de coordination, piloté par l’Union européenne, permettrait d’y remédier. Nous avons formulé, au cours de ce mémoire, plusieurs propositions susceptibles de sortir la construction européenne du spectacle vivant jeune public de sa marginalité141. Il nous parait d’autant plus regrettable que l’Union européenne néglige cette dimension, que celle-ci peut contribuer à relever trois défis essentiels pour la citoyenneté des jeunes générations. Le premier enjeu relève de la solidarité entre générations et entre régions d’Europe. Il s’agit de permettre aux enfants et aux jeunes de participer à la vie culturelle et artistique européenne. Or, l’Union européenne ne peut ignorer que la situation de l’enfance est à cet égard très inégale entre les Etats membres. Faute d’amélioration de l’utilisation des fonds structurels pour le spectacle jeune public, le risque que certaines régions d’Europe restent « culturellement défavorisées » est réel. Le deuxième enjeu relève de la construction d’une économie européenne de la connaissance, souhaitée par les « objectifs de Lisbonne ». Nourrir les rêves des enfants, c’est semer pour l’avenir… En favorisant l’éveil artistique des jeunes européens, le spectacle jeune public peut contribuer au développement d’une société de la connaissance à l’imagination créative. 141 Ces propositions sont récapitulées en annexe. 102 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? Le troisième enjeu est de favoriser dès le plus jeune âge l’esprit d’ouverture des citoyens européens. Parce qu’elle confronte à l’altérité et incite à la découverte de l’autre, la représentation scénique est un moyen privilégié de construire une Europe interculturelle, respectueuse de « l’unité dans la diversité ». La construction européenne du spectacle vivant jeune public a avancé à pas de géant au cours des quinze dernières années. L’extension des réseaux professionnels et la multiplication des festivals ont déclenché une dynamique d’échanges entre interlocuteurs de cultures différentes. Néanmoins, cette construction reste fragile, et largement ignorée des institutions de l’Union européenne. La richesse artistique de ce secteur mérite leur attention, et peut contribuer en retour à approfondir les fondements de la citoyenneté européenne naissante. 103 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? ANNEXES RECAPITULATIF DES PROPOSITIONS BIBLIOGRAPHIE SITES INTERNET UTILES LISTE DES INTERLOCUTEURS 104 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? RECAPITULATIF DES PROPOSITIONS Soutien 1. Créer une agence européenne dédiée au développement du spectacle jeune public, en relation avec les professionnels. 2. Définir un cadre juridique européen des coproductions du spectacle vivant dans l’Union européenne. 3. Soutenir la recherche en sciences sociales appliquées afin d’analyser l’offre et la demande de spectacle jeune public ; en particulier, mettre en place une bases de données européenne sur le spectacle vivant. Financement 4. Soutenir en priorité le développement des résidences d’artistes en Europe. 5. Développer et coordonner des actions politiques centrées sur la demande, par l’attribution de financements directs (« chèques spectacle » accordés aux familles) et / ou indirects (lignes budgétaires des écoles, crèches, centres sociaux…). 6. Favoriser le développement du « mécénat de proximité », dans le cadre de la responsabilité sociale des entreprises. Protection sociale 7. Définir à l’échelle européenne le secteur du spectacle vivant, en fonction de l’activité principale de l’employeur (ou de l’indépendant, considéré comme son propre employeur). 8. Retenir le principe de conservation de l’affiliation au régime de protection sociale du pays de résidence habituelle pour les professionnels du spectacle vivant au sein de l’Union européenne. 9. Mettre en place des mécanismes de transfert des cotisations sociales perçues au titre du régime de protection sociale du lieu de travail, afin que les travailleurs affiliés à un autre régime européen puissent en bénéficier. 105 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? Formation professionnelle 10. Définir les formations professionnelles aux arts de la scène à l’échelle européenne, dans le cadre des accords de Bologne. 11. Valoriser dans le cadre des formations professionnelles artistiques le développement des activités d’animation ou de pédagogie artistique. 12. Soutenir le développement de centres de ressources concernant le spectacle jeune public, afin notamment de développer la formation culturelle des médiateurs (puéricultrices, enseignants, éducateurs sociaux…). 106 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? BIBLIOGRAPHIE • Sur les politiques culturelles en Europe : ROLLAND, Sonia – « Accords de Bologne : une chance pour les enseignements artistiques ? » - Culture Europe, n°42, août - septembre 2004 – pp. 22-23 FOURREAU, Eric – « Financements publics de la culture en Europe : les collectivités locales en première ligne » - La Scène, juin 2003 – pp. 14-16 REGOURD, Serge – « Les pays voisins financent essentiellement le secteur institutionnel de la culture » - La Scène, juin 2003 – p. 16 L’encouragement du mécénat culturel - Les documents de travail du Sénat, n° LC 120 – Paris : Sénat, 2003 – téléchargeable en ligne : http://www.senat.fr/lc/lc120/lc120.html (page consultée le 10 janvier 2005) Résolution du Parlement européen contenant des recommandations à la Commission sur la mise en œuvre du programme "Culture 2000" - Bruxelles : Parlement européen, 2002 JAY, Elaine; LEE, Stephen; SARGEANT, Adrian - Major Gift Philanthropy, Individual Giving to the Arts - Londres : Arts & Business, 2002 – téléchargeable en ligne : http://www.aandb.org.uk/Asp/uploadedFiles/file/Philanthropy.pdf (page consultée le 15 janvier 2005) RELAIS CULTURE EUROPE ; MINISTERE DE LA CULTURE – Les financements culturels européens – Paris : La Documentation Française, 2001 – 404 p. – disponible en ligne sur http://www.relais-culture-europe.org (page consultée le 10 février 2005) Commission Européenne - Promouvoir un cadre européen pour la responsabilité sociale des entreprises : Livre vert – Bruxelles, 2001 – téléchargeable 107 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? en ligne : http://www.europa.eu.int/comm/employment_social/soc- dial/csr/greenpaper_fr.pdf (page consultée le 16 janvier 2005) D’ANGELO, Mario - Politiques culturelles en Europe. La problématique locale – Strasbourg : Éditions du Conseil de l'Europe, 2000 – (Coll : Série Formation) BLIN, Maurice – L’Europe et la culture, rapport d’information 213 – Paris : Sénat, 2000 - téléchargeable en ligne : http://www.senat.fr/rap/r00-213/r00-213.html (page consultée le 28 janvier 2004) AUTISSIER, Anne-Marie – L’Europe culturelle en pratique – Paris : AFAA, 1999 – 147 p. D’ANGELO, Mario ; VESPERINI, Paul - Politiques culturelles en Europe. Une approche comparative – Strasbourg : Éditions du Conseil de l'Europe, 1998 – (Coll : Série Formation) - 236 p. ROCHE, François – La crise des institutions nationales d’échanges culturels en Europe – Paris : L’Harmattan, 1998 – 126 p. SAUVANET, Nathalie - Le mécénat culturel en Europe - Paris : ADMICAL, 1998 Les financements culturels européens – Paris : La Documentation française, 1997 – (Ministère de la Culture) Les sources statistiques culturelles en Europe – Bruxelles : EUROP, 1996 ERIES ; DAFSA – Statistiques de la culture en Europe, premiers éléments – Paris : La Documentation Française, 1996 Le Vadémécum des aides culturelles en Europe – IETM & Arts Council, 1995 PONGY, Mireille ; SAEZ, Guy – Politiques culturelles et régions en Europe – Paris : L’Harmattan, 1994 – 324 p. BAUMOL, W.; BOWEN, W. - The Performing Arts: The Economic Dilemma – New York : Twentieth Century Fund, 1966 108 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? • Sur les politiques culturelles jeune public en France : « Les politiques culturelles pour l’enfance et la jeunesse » - La Scène, supplément au n°21, juin 2001 – 26 p. – (actes du c olloque de Reims, 5-5 avril 2001) FOURREAU, Eric - « Chèque Culture : pari gagné ! » - La Scène, mars 1998 – p. 83 Théâtre et nouveaux publics : livre blanc pour une politique de l’enfant spectateur – Paris : ATEJ, 1995 – 110 p. • Sur le spectacle vivant en Europe : LACOMBE, Robert – Le spectacle vivant en Europe – Paris : La Documentation Française, 2004 – 414 p. 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SMIERS, Joost – Etat des lieux de la création en Europe, le tissu culturel déchiré – Paris : L’Harmattan, 1998 – 222 p. • Sur le spectacle vivant en Allemagne : AUTISSIER, Anne-Marie – L’administration de la culture en Allemagne – Saint-Denis : Université Paris VIII, 2002 AUTISSIER, Anne-Marie – « Allemagne : Théâtre en chantier » - Culture Europe, n°27, juillet-août, 1999 – pp. 8-9 • Sur le spectacle vivant en Belgique : AUTISSIER, Anne-Marie – L’administration de la culture en Belgique – SaintDenis : Université Paris VIII, 2002 « Chantier : Belgique » - Cassandre, n°36/37, septembre - octobre 2000 • Sur le spectacle vivant en France : LATARJET, Bernard – Pour un débat national sur l’avenir du spectacle vivant – Paris : La Documentation Française, avril 2004 – compte-rendu de mission au Ministère de la Culture – téléchargeable en ligne sur : http://www.ladocfrancaise.gouv.fr/brp/notices/044000197.shtml (page consultée le 23 janvier 2005) « Dossier : la vidéo et le spectacle vivant » - Les Cahiers de l’ORCCA, n°20, 2004 – 48 p. BOUCHEZ, Emmanuelle – « Dossier : trop d’artistes ? », Télérama n°2803, octobre 2003, pp. 14-26 AUDUBERT, Philippe ; DANIEL, Luc – Profession entrepreneur de spectacles – Paris : IRMA, 2001 • Sur l’art et l’enfance : SOUCCAR-LECOURVOISIER, Léa ; LENNUYEUX, Charlotte – « L’enfant et la culture en Europe » - compte-rendu du colloque organisé par l’ONDA les 19 et 20 110 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? novembre 2004 – téléchargeable en ligne : http://www.theatre- enfants.com/pages/rencontres/cr_forum_europe.doc (page consultée le 30 janvier 2005) GOLSE, Anne – L’enfant dans la société contemporaine – ONDA – novembre 2004 – téléchargeable en ligne : http://www.ondainternational.com/fichiers/dossiers/dossier_65_fr.pdf (page consultée le 23 janvier 2005) « Chantier : où tout commence » - Cassandre, n°57, 2004 Le petit spectateur, manuel illustré à l’usage des enfants qui aimeraient bien aller au théâtre… - Strasbourg : TJP, décembre 2003 REVERT, Sabine – Le théâtre en direction des jeunes publics : des enjeux éducatifs et artistiques – mémoire de maîtrise conception et mise en œuvre de projets culturels, Université Paris III, 2002-2003 DRAKE, Carolyn ; ROCHEZ, Carine - Développement et Apprentissage des Activités et Perceptions Musicales - Paris : CNRS, 2002 – disponible en ligne : http://www.tematice.org/fichiers/t_article/130/article_doc_fr_Drake.rtf (page consultée le 14 février 2005) VALLA, Christine – Ouvrir les yeux : le spectacle vivant en direction des jeunes publics, une réponse artistique à la question de l’enfance – ARSEC/Université Lyon II, 2002 – mémoire de DESS - téléchargeable en ligne : http://socio.univlyon2.fr/IMG/pdf/doc-477.pdf (page consultée le 30/01/2005) CLOP, Sandrine – Qu’est-ce qu’un bon spectacle pour enfants ? – Université de Dijon, 2001 - mémoire de maîtrise IUP Partie de cache-cache, Enfant, Art et Citoyenneté – Paris : Actes Sud, 2001 – actes du colloque « rencontres européennes et interdisciplinaires sur l'Art et l'Enfant » à La Bourboule, en octobre 2000 - disponible en ligne : http://www.partiede-cache-cache.com (page consultée le 04/02/2005) Devenir spectateur – Limoges : CRPD, 2000 – 130 p. 111 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? GROSLEZIAT, Chantal – Les bébés et la musique, premières sensations et créations sonores – Erès, coll. Mille et un bébés, 1998 BUSTARRET, Anne – L’oreille tendre – L’Atelier, 1998 Guide d'accompagnement des pratiques d'éveil culturel et artistique dans les lieux d'accueil de la petite enfance - Enfance et Musique, 1995 BEAULIEU, Denyse – L’enfant vers l’art – Paris : Autrement, 1995 DELORME, Danièle - L'éveil artistique des jeunes en France et en Europe – Paris : Conseil économique et social, 1991 YENDT, Maurice – Le ravisseur d’enfants. Du théâtre et des jeunes spectateurs – Paris : Actes Sud, 1989 DOLTO, Françoise – La cause des enfants - Robert Laffont, 1985 • Sur le spectacle vivant pour jeune public en Europe : BAILLY, Olivier – « Programmer du théâtre jeune public italien » - La Scène, septembre 2003 – p. 70 CREAC’H, Marielle – Les enjeux du théâtre et ses rapports avec les publics, Rencontres européennes de la Biennale du théâtre jeune public, Lyon : Centre Régional de Documentation Pédagogique de l’académie de Lyon, 1993, 133 p. 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PRESENCE ET ACTION CULTURELLE - Regards sur le théâtre jeunes publics – Carnières : éditions Lansman, 1991 – 131 p. • Sur le spectacle vivant pour jeune public en France : « Dossier : la création jeune public » - Cahiers de l’ORCCA n°19, 2004 – pp. 11-28 DAVID, Gwénola - « Ni mignardises, ni enfantillages : l’enfance de l’art » – Cahiers de l’ONDA, n°30 – novembre 2004 – téléchargeable en ligne : http://www.onda-international.com/fichiers/dossiers/dossier_49_fr.pdf (page consultée le 23 janvier 2005) RICHARD, Camille – La place de la médiation culturelle dans les Scènes nationales – Lyon : ARSEC, 2004 – mémoire de DESS – disponible en ligne : http://socio.univ-lyon2.fr/IMG/pdf/doc-564.pdf (page consultée le 14/02/2005) BAILLY, Olivier – « Théâtre jeune public à Paris : enfin un état des lieux ! » La Scène, septembre 2003 – p. 25 MACIAN, Marie-Pierre ; FANJAS, Philippe - Prêtez l’oreille ! Le livre blanc des actions éducatives des orchestres – Paris : Association Française des Orchestres, mai 2003 ROULAND, Joëlle - « Donnons-leur du lait et du beau » - Les cahiers de l’éveil n°1, 2003 - Enfance et Musique BEDEL, Carole - « Dix Mois d’Ecole et d’Opéra », l’apprentissage de la citoyenneté par l’appropriation de l’Opéra National de Paris - Dijon : IUP, Université de Bourgogne, 2003 - rapport de stage – téléchargeable en ligne : http://www.cortex- 113 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? culturemploi.com/france/memoires/fichiers/bedel.doc (page consultée le 29 janvier 2005) « Spectacles petite enfance : projet de société ou effet de mode » - RegardS n°2, novembre 2002 – Reims : NOVA VILLA BAILLY, Olivier ; SIMON, Joël – « Dossier :Jeune public, artistes, programmateurs, publics, institutions… les problématiques et les enjeux du secteur » - La Scène, septembre 2002 – pp. 37-51 PLANSON, Cyrille – « Programmer pour la petite enfance » - La Scène, juin 2002 – pp. 64-65 MASSE, Anne – « L’art à l’école deviendrait-il enfin une réalité ? » - La Scène, n°24, mars 2002 – p. 86 CABANIS, Anne-Françoise – « La qualité de l’accueil de l’enfant » - La Scène, n°24, mars 2002 PLANSON, Cyrille – « Les « publics » du jeune public : un travail en profondeur » - La Scène, n°24, mars 2002 MASSE, Anne – « Tourner avec les Jeunesses Musicales de France » - La Scène, n°24, mars 2002 – p. 90 « Dossier : la nouvelle jeunesse du théâtre pour l’enfance » - Policultures n°63, janvier 2002 – pp. 5-9 KAYAS, Lucie – Musique et jeune public : écouter, interpréter, inventer – Paris, 2002 « Accompagner l’enfant au spectacle » - RegardS n°1, décembre 2001 – Reims : NOVA VILLA GUIGUEN, Kristell - La danse contemporaine destinée au jeune public a-t-elle un avenir ? - Institut Universitaire Professionnalisé de Dijon, décembre 2001 Mémoire de Maîtrise de Gestion des Entreprises Culturelles 114 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? BAILLY, Olivier – « Programmer de la danse jeune public » - La Scène, septembre 2001 – pp. 62-63 FOURREAU, Eric – « Tout pour le jeune public ! » - La Scène, septembre 2001 – pp. 56-57 QUENTIN, Anne – « Programmer de la marionnette » - La Scène, n°21, juin 2001 – pp. 68-70 Jean-Marc Adolphe – « Danse pour les enfants : les chorégraphes s’en mêlent » – Itinéraire, n° 183 - Sartrouville : CDN, janvier-mars 2001, p.17 à 20 ATEJ ; COLLECTIF NATIONAL JEUNE PUBLIC – « Les publics d’enfants existent, nous les avons rencontrés ! » - La Scène, décembre 2000 – p. 6 « Les spectacles jeune public et la chanson » - La Scène, hors série, mai 2000 – pp. 20-24 – (actes des journées Chorus Hauts-de-Seine 2000) FOURREAU, Eric – « Création jeune public : pourquoi il faut combattre les préjugés » - La Scène, mars 2000 – pp. 12-14 FOURREAU, Eric – « Une économie à part » - La Scène, mars 2000 – p. 13 MARC, Nicolas – « Programmer du conte » - La Scène, mars 2000 – pp. 9091 Virginie Bedotti : Activités des Scènes nationales, saisons 1997/1998, partie 1 et partie 2 (tableaux) ; Paris : ministère de la Culture et de la Communication, 2000 DARZAC, Dominique – L’abécédaire des 10 ans d’Heyoka 1989-1999, Sartrouville : Editions Théâtre de Sartrouville, 1999, 82 p. BERODY, Dominique ; LECUCQ, Evelyne - Jeune public en France : théâtre, marionnettes, danse, théâtre musical. – Paris : AFAA, 1998 - 159 p. - ISBN : 286545-173-9 Enfance Danse (forum) - Le corps dansant, une pensée en mouvement L’Esplanade Saint-Étienne Jeunes Publics, 1998 115 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? COUGOULE, Odile – « Les spectacles de danse pour enfants et adolescents : ça passe ou ça casse » - Danser n°171, novembre 1998, p.44 à 46 SELLEM, Annie - Le spectacle vivant en France face au jeune public : état des lieux - Lyon : ARSEC, sept. 1998 « Table ronde avec Maurice Yendt autour du théâtre jeune public : « Le piège est de tout englober sous le terme de jeune public » » - La Scène, septembre 1998 – pp. 64-66 100 aventures culturelles pour les jeunes – Paris : Ministère de la Culture, 1997 « Dossier spécial : Le jeune public » - La Scène, septembre 1997 – pp. 9-25 SERY, Macha – « Théâtre et jeunes publics : la fin des préjugés » - Le Monde de l’Education n°205, juillet-août 1997 – pp. 58-68 CLAUDE, Olivier - « Dominique Bérody et Très Tôt théâtre : des auteurs pour le jeune public » - Cassandre n°7, septembre 1996, p. 7 GOATER, Delphine - « Réservé au moins de 15 ans… » - Les saisons de la danse n°280, mai 1996 ENFANCE DANSE - « Sous la danse, une histoire » - Saint-Étienne : L’Esplanade Jeunes Publics - forum 1995 ENFANCE DANSE - « Les gestes d’enfance » - Saint-Étienne : L’Esplanade Jeunes Publics - forum 1994 DARZACQ, Dominique – « Tricher n’est pas jouer » - supplément à la revue Itinéraires n°145 – Sartrouville : Heyoka et Thécif, 1991-1992 , 48 p. 116 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? SITES INTERNET UTILES • Allemagne : Arbeitskreis Kultursponsoring http://www.aks-online.org Association des marionnettistes (Verband Deutsche Puppentheater e.V) http://www.vdp-ev.de/ Augenblick mal (Berlin) http://www.augenblickmal.de Cultural Contact Point Germany http://www.kulturrat.de/ccp Deutscher Bühnenverein http://www.buehnenverein.de Fliegendes Kindertheater http://www.fliegendes-theater.de Goethe Institut http://www.goethe.de/ GEMA http://www.gema.de GRIPS Theater (Berlin) http://www.grips-theater.de GVL http://www.gvl.de KJTZ http://www.kjtz.de http://www.jugendtheater.net 117 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? Kulturstiftung der Länder http://www.kulturstiftung.de http://www.kinderzumolymp.de MOKS Theater (Brême) http://www.bremertheater.com/wwwdispatcher.jsp?cmdShowKat=moks Rote Grütze http://www.theater-rotegruetze.de Schauburg (Munich) http://www.schauburg.net Schöne Aussicht / JES (Stuttgart) www.jes-stuttgart.de Theaterkanal (ZDF) http://theaterkanal.de VG WORT http://www.vgwort.de • Belgique : ARTEMA www.artema.be BRONKS (Bruxelles) http://www.bronks.be Centre Dramatique de Wallonie pour l'Enfance et la Jeunesse (Strepy Bracquegnies) http://www.cdwej.be (en construction) Communauté flamande, politique culturelle http://www.wvc.vlaanderen.be/cultuur 118 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? Contredanse http://www.contredanse.org Chambre des Théâtres pour l’Enfance et la Jeunesse (la CTEJ) http://www.ctej.be Deutsche Gemeinschaft (Communauté germanophone) http://www.dglive.be Festival européen de théâtre d’objets (Figurentheater) http://www.sunergia.be/docs/Figurentheater/aktuell_frz.htm Fondation Prométhéa http://www.promethea.be Idéarts http://www.idearts.com L’école en scène http://www.ecoleenscene.be Pierre de Lune – Centre dramatique jeunes publics de Bruxelles http://www.pierredelune.be Promotion Théâtre http://www.promotion-theatre.org SACD (Belgique) http://www.sacd.be Scène + (concours d’écriture théâtrale pour adolescents) http://www.leaweb.org Théâtre de la Guimbarde http://www.laguimbarde.be Théâtre de Namur http://www.theatredenamur.be 119 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? Théâtre La Montagne Magique (Bruxelles) http://www.theatremontagnemagique.be • France : ACTA http://www.compagnieacta.org AFAA http://www.afaa.asso.fr ANRAT http://www.anrat.asso.fr ATEJ http://www.atej.net Biennale TJA http://www.biennale-tja.fr CDN de Montreuil http://www.cdn-montreuil.com DMDTS : http://www.culture.gouv.fr/culture/dmdts/index-dmdts.htm Educart : http://www.educart.culture.gouv.fr Educnet - Technologies de l'Information et de la Communication pour l'Éducation http://www.educnet.education.fr Le Grand Bleu (Lille) http://www.legrandbleu.com 120 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? MOMIX http://www.momix.org ONDA http://www.onda-international.com Relais Culture Europe http://www.relais-culture-europe.org SACD (France) http://www.sacd.fr SACEM http://www.sacem.fr SCEREN http://www.cndp.fr Sine qua non http://www.agence-sinequanon.com « Théâtre-Enfants.com » http://www.educart.culture.gouv.fr Théâtre Massalia http://www.theatremassalia.org TJP (Strasbourg) http://www.theatre-jeune-public.com • International : Ars Baltica : http://ars-baltica.net ASSITEJ http://www.assitej.org 121 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? Association Européenne des Festivals http://www.efa-aef.org Børne Teater Sammenslutningen (BTS) http://www.btsam.dk (en danois) Centre des Arts pour l’Enfance Annatalo (Helsinki) http://kulttuuri.hel.fi/annantalo/index_en.html http://www.kultus.fi/ (en suédois et finlandais) Commission européenne / Direction Générale de l’Education et de la Culture http://europa.eu.int/comm/dgs/education_culture Compendium sur les politiques culturelles http://www.culturalpolicies.net Conseil européen de la musique http://www.emc-imc.org Conseil européen des artistes http://www.eca.dk Creative Europe / Fondation ERICarts http://www.creativeeurope.info Danse Bassin Méditerranéen http://www.dbmed.org ELIA (Ligue européenne des instituts d’art) http://www.elia-artschools.org EUnetART http://www.eunetart.org Eurybase http://www.eurydice.org/Eurybase/frameset_Eurybase.html 122 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? Informal European Theatre Meeting (IETM) http://www.ietm.org http://www.on-the-move.org Fondation Boekman http://www.recap.nl Fondation européenne de la culture http://www.eurocult.org Glitterbird http://www.hio.no/content/view/full/19704 Infojeunesse http://www.infoyouth.org Magic-Net http://www.magic-net.org Polka Theatre (Londres) http://www.polkatheatre.com Rencontres européennes et interdisciplinaires sur l’art et l’enfant http://www.partie-de-cache-cache.com Rencontres européennes en Val d’Oise « petite enfance, éveil artistique et spectacle vivant » http://www.theatre-enfants.com/premieres-rencontres/index.php Res Artis http://www.resartis.org RESEO http://www.reseo.org Ricochet, centre international d’études en littérature de jeunesse http://www.ricochet-jeunes.org 123 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? « Silapédagogie… m’était contée » http://www.silapedagogie.com Sources d’Europe http://www.info-europe.fr Teatralia (Madrid) http://www.teatralia.org Theorem http://www.asso-theorem.com TOI Haus Theater (Salzbourg) http://www.toihaus.at Trans Europe Halles http://www.teh.net UNESCO http://www.unesco.org/culture UNIMA http://perso.wanadoo.fr/unima/ Union des Théâtres de l’Europe http://www.ute-net.org Vetrina Europa (Parme) http://www.briciole.it 124 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? Annexes sur l’Allemagne Le mécénat culturel Le code fiscal définit le mécénat comme un don à des œuvres d’intérêt général, c’est-à-dire des organisations dont l’activité ne profite pas à un groupe restreint, mais à la collectivité. Il précise les conditions générales que les bénéficiaires des dons doivent remplir pour que ces différentes mesures soient applicables ; ce qui inclut notamment les organisations à vocation culturelle et artistique, quelle que soit la nature de leur activité et quel que soit leur statut juridique. Les dons des entreprises permettent de réduire l’assiette de l’impôt sur les sociétés et de la taxe professionnelle. Les lois applicables à ces deux impôts accordent une déduction des dons à hauteur de 10 % du bénéfice imposable ou de 2‰ du chiffre d’affaires augmenté des salaires versés au cours de l’année. La loi accorde la possibilité d’un étalement des déductions sur sept ans, et des avantages supplémentaires lorsque le bénéficiaire est une fondation. 125 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? La protection sociale des professionnels du spectacle vivant Les auteurs peuvent cumulé ce statut avec celui d’employé, d’indépendant ou de fonctionnaire. En effet, les dispositions de la loi sur les droits d’auteurs et droits voisins prévoient qu’un contrat de travail ou de louage de services ne prive pas des droits de propriété intellectuelle sur la création. Par exemple, pour les artistes – interprètes salariés, l’employeur ne devient titulaire des droits d’utilisation de la prestation que si les modalités du contrat le stipulent ; les entreprises de production musicale octroient généralement en sus des contrats d’exclusivité de cinq ans. La défense des droits des artistes, et en particulier la perception des redevances, est assurée par plusieurs sociétés selon la discipline considérée : « GEMA » pour la musique et l’opéra, « VG Wort » pour le théâtre et la littérature, « GVL » pour les interprètes (droits voisins). Les catégories professionnelles protégées par les droits de propriété intellectuelle sont les suivantes : auteurs, compositeurs, réalisateurs, scénaristes, dramaturges, traducteurs, décorateurs, costumiers, directeurs de la photographie, artistes - interprètes (musiciens, acteurs, danseurs, chanteurs etc.) et artistes plasticiens. La protection des monteurs fait actuellement l’objet d’un débat. Les employés sont engagés sous contrat de travail, lequel doit respecter la convention collective applicable. Il en existe plus de quinze dans les secteurs du spectacle et de l’audiovisuel, qui fixent les éléments essentiels du contrat (congé, salaires et rémunération pour heures supplémentaires, etc.). Ainsi, il n’existe pas de législation qui définisse un salaire minimum, mais les conventions du spectacle définissent des salaires minima pour certaines catégories d’emplois142. S’agissant du temps de travail, la loi ne contient aucune disposition sur la rémunération des heures supplémentaires. La majoration habituellement fixée par les conventions applicables est de 25 %, ce qui est une faible compensation. Qu’ils soient engagés pour une durée déterminée ou indéterminée, à temps plein ou partiel, tous les employés du secteur bénéficient de congés payés en accord avec le régime général. La référence est le contrat à plein temps à durée indéterminée, qui accorde au minimum 24 jours de congés payés par an. 142 Les salaires réels y sont cependant généralement supérieurs. 126 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? Par ailleurs, les employés sont obligatoirement affiliés à la sécurité sociale, le régime d’assurance maladie et de retraite. Les employés artistiques des théâtres de répertoire et des orchestres permanents (« Kulturorchester ») sont obligatoirement affiliés à une caisse complémentaire couvrant notamment l’invalidité, la retraite, le veuvage et les orphelins143. La protection des salariés en matière de santé et de sécurité au travail est donc relativement satisfaisante pour les employés du spectacle jeune public disposant d’un contrat stable. En cas d’arrêt-maladie, par exemple, l’indemnité est versée, en règle générale, à partir du premier jour d’arrêt de travail, et s’élève à 80 % de la rémunération brute (jusqu’à concurrence du montant du salaire net) pour une durée maximale de 78 semaines. Cependant, la sécurité de l’emploi est moindre que dans la plupart des secteurs économiques, du fait d’un recours fréquent aux contrats à durée déterminée. La loi requiert normalement un motif valable, et limite leurs renouvellements à une durée cumulée maximale de 24 mois. Mais les employés des professions artistiques dans les théâtres et orchestres ne bénéficient pas de cette protection, car la Cour du travail a décidé à plusieurs reprises que la nature de cette activité justifie l’usage des contrats à durée déterminée. De plus, pour les artistes et techniciens en tournée, dans le circuit indépendant, les contrats de travail à durée déterminée d’une durée inférieure à sept jours relèvent d’un statut de « non permanent ». Cette disposition légale a pour conséquence l’exclusion de toute protection sociale, notamment l’assurance chômage ! L’expression « Freier Mitarbeiter » peut être à la fois attribuée à un employé et à un indépendant ; en effet, une activité indépendante peut être exercée en vertu d’un contrat de service (« Dienstvertrag »), qui qualifie le travailleur d’employé, ou d’un contrat de commande (« Werkvertrag »), qui le qualifie d’indépendant. En effet, les autorités financières ont élaboré un catalogue visant à identifier les professions indépendantes qui inclut quasiment toutes les professions artistiques du spectacle. Dans le domaine de la musique, les activités des artistes - interprètes sont considérées comme indépendantes s’ils sont engagés comme solistes, forment 143 L’âge de la retraite est normalement de 65 ans. Dans le régime général de sécurité sociale allemande, seul l’assuré lui-même a droit à la pension de vieillesse à la retraite. 127 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? une troupe de théâtre indépendante (composée d’indépendants uniquement), ou sont engagés pour une tournée. En réalité, les professionnels acceptent souvent un statut d’indépendant sous la pression des employeurs, perdant ainsi le bénéfice de leurs droits de salariés. Cela permet aux employeurs de payer moins de cotisations sociales, sans augmentation équivalente de la rémunération brute versée au travailleur. Le résultat est que les indépendants doivent assumer seuls la charge financière de leur protection sociale, réduite aux assurances obligatoires. Ils ne bénéficient pas de congés payés, et leur protection reste est inexistante face au chômage. Ils ne sont pas non plus protégés contre les accidents du travail ; ils peuvent souscrire une assurance accidents à titre personnel, mais le coût en est généralement élevé au regard des rémunérations pratiquées dans ce secteur. Pour Jean Vincent144, « l’Etat est d’une certaine manière complice de ce type de pratique, en acceptant des statuts de non salariés qui ne correspondent pas à la réalité du lien de subordination ». Enfin, un statut jouant un certain rôle dans les secteurs du spectacle est de celui de « quasi - employé » (« arbeitnehmerähnliche Personen »). Ce statut est attribué aux professionnels qui répondent aux conditions du statut d’indépendant mais qui sont toutefois dépendants d’un seul contractant ou d’un groupe de contractants. Cette dépendance est définie par référence au revenu du travailleur, dont au moins la moitié doit venir d’un seul contractant. Un quasi – employé est mieux protégé qu’un indépendant : la loi les protège comme des employés à l’égard de la maladie et des accidents du travail. Ils peuvent être également protégés par des conventions collectives dont la qualité de protection varie, et bénéficient de congés payés ; mais à titre d’exemple, la loi fixant la durée normale du travail quotidien à 8 heures ne s’appliquent qu’aux employés. Les professions artistiques ou techniques du spectacle en Allemagne connaissent donc des situations sociales contrastées selon qu’elles sont exercées sous contrat de travail dans un théâtre de répertoire, dont le cadre est relativement protecteur, ou dans une compagnie indépendante ; dans ce dernier cas, la précarité reste la règle. 144 VINCENT, Jean - Les régimes de protection sociale des travailleurs du spectacle et de l’audiovisuel dans les pays de l’Union européenne p.6 128 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? Annexes sur la Belgique Tableau synthétique des institutions TERRITOIRE État Fédéral Belgique Communauté Communauté flamande Région COMPETENCES ORGANES LEGISLATIFS Unité institutionnelle, Chambre économique, financière et représentants sociale ; Sécurité et Sénat publique ; Justice ; etc. NORMES des Lois Culture, emploi des Parlement flamand langues, enseignement, jeunesse, matières personnalisables, etc. Décret ORGANES EXECUTIFS Gouvernement fédéral Gouvernement flamand Communauté française Conseil de la Communauté française Gouvernement de la Communauté française Communauté germanophone Conseil de Communauté germanophone Parlement flamand Gouvernement de la Communauté germanophone Région flamande Région wallonne Aménagements, transports, fixations des compétences des Conseil de provinces et des wallonne communes, matières liées au territoire, etc. Bruxelles-Capitale la la Décret Région Décret Gouvernement flamand Gouvernement de la Région wallonne Conseil de la Région de Décret Bruxelles-Capitale Ordonnance et Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale et Députation permanente Province 10 provinces Intérêt provincial Conseil provincial Commune 589 communes Intérêt communal Conseil communal Règlement Ordonnance Règlement Ordonnance et Collège des Bourgmestres et Échevins 129 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? Répartition des dépenses culturelles Institution Part du total Etat fédéral 3% Loterie nationale 0,4 % Région de Bruxelles – Capitale 0,6 % Commission de la communauté flamande de Bruxelles 0,5 % Commission de la communauté française de Bruxelles 0,3 % Les 19 communes de Bruxelles Communauté flamande Provinces flamandes 3% 25 % 3% Communes flamandes 32 % Communauté française 18 % Provinces wallonnes 2% Communes wallonnes 10 % Communauté germanophone 0,4 % Source : Ministère de la Communauté française, 2001 130 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? Communauté française : budget en faveur du spectacle jeune public en 2004 Ligne budgétaire Montant (en milliers d’euros) Subventions aux compagnies et théâtres pour l’enfance et la jeunesse conventionnées 2 979 Subventions à la diffusion et à la décentralisation des Arts de la Scène : cadre scolaire 537 Subventions aux compagnies et théâtres pour l’Enfance et la Jeunesse agréés 374 Subventions aux projets de création et de diffusion des compagnies de théâtre pour l’Enfance et la Jeunesse TOTAL 62 3 952 131 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? Le mécénat culturel La répartition des pouvoirs entre l’Etat fédéral et les trois Communautés ne facilite d’ailleurs pas la mise en place de règles claires d’incitation fiscale pour l'investissement privé dans la culture. D’une part, le Ministre fédéral des Finances a défini des incitations fiscales pour le mécénat des entreprises. Les sommes investies dans le mécénat sont déductibles jusqu’à un plafond de 5 % du bénéfice net, ou 500 000 €. Contrairement à l’Allemagne et à la France, les dons en nature des entreprises dans le spectacle vivant n’ouvrent pas droit à des avantages fiscaux. De plus, cet avantage ne s’applique pas lorsque les activités du bénéficiaire s’apparentent à une activité économique, ce qui exclut le parrainage. D’autre part, le Gouvernement flamand a décidé en 2000 de promouvoir l’introduction des parrainages privés en Flandre. En 2002, le mécénat culturel des entreprises en Flandre a représenté de 44,4 à 54,3 millions d’euros145, en priorité en faveur de la musique. 145 d’après le CEREC. Aucune donnée comparable n’est disponible pour la Wallonie – Bruxelles. 132 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? La protection sociale des professionnels du spectacle vivant Les auteurs adhèrent habituellement à la SACD de Belgique, quelle que soit leur Communauté. Ils lui délèguent la perception des sommes dues au titre de la propriété intellectuelle. Peuvent prétendre aux droits voisins, les « artiste interprètes » ou « exécutants ». En revanche, la loi exclut toute propriété intellectuelle pour ceux qui sont considérés par les usages de la profession comme des « artistes de complément ». Le statut d’auteur peut être cumulé avec celui d’indépendant ou de salarié. Un règlement de 2001 est interprété par l’Office National de l’emploi (ONEM) comme incluant les revenus des droits d’auteur dans le calcul du « salaire ». En outre, les auteurs ou les artistes interprètes conservent leurs droits d’auteurs ou droits voisins même si leur création était l’exécution d’un contrat de travail ; la cession des droits doit être expressément prévue. Les employés peuvent bénéficier des conventions collectives nationales conclues pour le spectacle vivant dites « musique » et « podiumkunsten » (arts de la scène). La convention « musique » est obligatoire dans toute la Belgique, mais ne s’applique qu’aux institutions subventionnées. Toutes deux couvrent à la fois les artistes interprètes et les techniciens (et le metteur en scène dans le cas de la convention collective « podiumkunsten »). Ces conventions collectives définissent des salaires minimums146 pour chaque catégorie d’activité et par ancienneté. Cependant, le critère de l’ancienneté n’est pas appliqué dans le spectacle vivant en Communauté française. Les organisations commerciales établies dans la communauté flamande souscrivent à un fonds de garantie des salaires. Mais les associations à but non lucratif, importantes dans le secteur jeune public, n’y participent pas ; et ce fonds n’existe pas en Wallonie. Tous les employés bénéficient de congés payés. Un contrat à durée indéterminée à temps plein accorde au minimum 24 jours de congés payés par an. La durée maximale de travail est fixée à 9 heures par jour et 45 heures par semaine. 146 Dans le régime général, un salaire minimum a été fixé par convention collective intersectorielle conclue lors du Conseil national du travail du 2 mai 1988. 133 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? Toutefois, on peut constater que dans le spectacle vivant, une durée de travail journalière de 12 heures est facilement atteinte. Les heures supplémentaires sont compensées à un taux d’au moins 150 %, en rémunération ou en congés supplémentaires. Concernant l’assurance chômage des artistes interprètes, une disposition particulière a été incluse dans le régime de sécurité sociale des salariés afin de tenir compte du caractère intermittent du travail. Pour bénéficier des allocations chômage, le travailleur à temps partiel doit satisfaire aux conditions suivantes : avoir été employé à temps partiel au moins 12 heures par semaine ou un tiers au moins du nombre des heures de travail hebdomadaire effectuées en moyenne par le travailleur de référence. Les indépendants sont engagés sur la base d’un contrat de service ou « sur facture ». Afin de fournir une protection sociale aux artistes indépendants, la loi147 sur la sécurité sociale les assimile à des salariés. Les artistes du spectacle sont donc obligatoirement affiliés au régime de sécurité sociale des salariés, qui couvre les risques de maladie, d’invalidité et de maternité. Ils cotisent auprès d’une caisse de retraite spécifique. Cependant, la situation des travailleurs indépendants peut être jugée moins favorable que celle des employés en raison de cotisations aux assurances sociales très élevées, sans obligation de contribution des contractants. La fiscalité des indépendants ne présente pas d’avantage particulier. Les travailleurs indépendants ne sont ni couverts par la loi, ni par les conventions collectives. Ils n’ont pas droit aux congés payés, et ne sont pas protégés en cas d’accident du travail. Néanmoins, ils bénéficient d’une surveillance médicale spécialisée adaptée à leurs risques professionnels. Une initiative originale et intéressante est la création d’« agences sociales pour artistes » qui, agissant à l’image d’agences d’intérim, remplissent les obligations d’employeur pour des artistes « indépendants » travaillant avec une multitude d’entreprises. Elles assurent ainsi le versement des cotisations, et les déclarations sociales. 147 Arrêté royal du 28 novembre 1969. 134 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? Annexes sur la France Tableau synthétique de quelques compétences en matière culturelle Fonctions Etat Communes Relations culturelles internationales Contrats ville - enfants avec les communes et le ministère Jeunesse et Sports Contrats ville - enfants Conventions Culture - Éducation nationale Loi sur les enseignements artistiques Contrats locaux d’éducation artistique avec les communes Formation des enseignants en IUFM Formation des intervenants musicaux (CFMIE) Ateliers de création artistique, classes à projet culturel Contrats locaux d’éducation artistique Rôle des ministères des Affaires étrangères et de la Coopération Rôle du département des Affaires internationales (DAI) et des directions du ministère de la Culture Intervention possible des communes Promotion des savoir-faire français à l’étranger et des productions culturelles et artistiques Rôle du département des affaires internationales et des directions du ministère de la Culture Jeunesse, petite enfance Éducation artistique Intervention possible des communes Départements Régions - Intervention possible des régions Intervention possible des départements Intervention possible des régions Intervention possible des départements Intervention possible des régions Intervention possible des départements Intervention possible des régions 135 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? Fonctions Etat Communes Départements Régions Enseignement de la musique et de la danse Établissements publics d’État (Cité de la musique de La Villette, Conservatoires nationaux supérieurs de Paris et Lyon) Aides des DRAC aux écoles de musique agréées Établissements municipaux (conservatoires nationaux de région, écoles nationales de musique, écoles agréées) Écoles municipales ou intercommunales Écoles départementales de musique - Aide à la création musicale IRCAM Aide de l’État aux organismes de création musicale Aide à la recherche Commande publique d’oeuvres Organismes municipaux de création musicale Intervention possible des départements Intervention possible des régions Diffusion musicale et chorégraphique, animation, pratiques amateur Opéras nationaux Centres chorégraphiques nationaux Ensembles missionnés Cogestion avec les départements et les régions des ADDM et ARDM Maisons d’opéra municipales Orchestres Auditoriums Soutien aux festivals ADDM Soutien aux festivals Orchestres régionaux ARDM Soutien aux festivals Aides aux lieux de diffusion Scènes de musique actuelle (SMAC, centres de musique traditionnelle) Intervention possible des départements Intervention possible des régions Musiques actuelles, musiques traditionnelles 136 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? Fonctions Etat Communes Départements Régions Création et diffusion du théâtre et des spectacles Théâtres nationaux (Comédie Française, Odéon, Colline, Chaillot, Théâtre national de Strasbourg) Centres dramatiques nationaux Scènes nationales (cogérées avec les collectivités locales) Rôle de l’ONDA Théâtres municipaux, scènes nationales (cogérées avec l’État) Aides aux lieux de création - diffusion Aides aux lieux de création - diffusion Aide aux compagnies Aide des DRAC aux compagnies professionnelles Aide aux compagnies professionnelles Aide à l’écriture de théâtre Aide de la DMDTS aux écritures contemporaines Intervention possible des communes Pratiques amateur, éducation théâtrale Classes théâtres dans les lycées Conservatoires et écoles de musique Associations Aide aux Aide aux compagnies compagnies professionnelles professionnelles Intervention Intervention possible possible des des départements régions Écoles de musique Intervention possible des régions 137 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? Le mécénat culturel Longtemps considéré comme publicité déguisée, générant la méfiance des pouvoirs publics et la suspicion des milieux culturels et artistiques, ce mécénat a acquis droit de cité dans un cadre réglementaire récent : la première loi sur le mécénat d’entreprise date de 1987. La législation fiscale française distingue clairement le mécénat du parrainage : - Le sponsoring (également appelé parrainage ou patronage), appréhendé fiscalement comme une simple opération de publicité au profit du financeur. - Le mécénat, qui diffère par l'absence de contrepartie au versement par le mécène. Les entreprises bénéficient d’une réduction d’impôts à hauteur de 60 % du montant des dons, dans la limite de 5 ‰ du chiffre d’affaires. En cas de dépassement du plafond, le solde est reportable sur les 5 exercices suivants le versement (notamment en cas d’exercice déficitaire). Les sommes données ne sont pas soumises à la TVA. En vingt ans, le mécénat culturel d’entreprise a pris racine en France et s’est professionnalisé. Il a désormais ses acteurs (près de 2 000 entreprises au total), ses règles, ses techniques et son éthique. Il représente un budget global d’environ 183 millions d’euros148, est en forte progression. L’association ADMICAL accompagne ce développement. Le mécénat international s'est également développé. Les mécènes accompagnent de plus en plus volontiers leurs activités commerciales à l’étranger d’une action culturelle. Ils suivent par exemple les voyages d’expositions itinérantes ou les tournées des spectacles qu'ils soutiennent en France, ou impliquent leurs filiales à l'étranger quand ils n'interviennent pas directement hors de France. Les contributions concernent l’ensemble des arts, avec une préférence pour la musique et des arts plastiques. 148 Source : CEREC, 2002 138 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? La protection sociale des professionnels du spectacle vivant Le travailleur peut être rémunéré sous l’un des quatre statuts professionnels suivants : « salarié », « indépendant », « auteur » ou « employé de la fonction publique ». Cependant, un « auteur » (par exemple un metteur en scène, un photographe, etc.) peut cumuler son statut d’auteur avec celui de « salarié », ou avec celui d’« employé de la fonction publique ». L’auteur ne bénéficie de la protection apportée par le Code du Travail et par le Code de la Sécurité Sociale aux salariés que si son contrat est qualifié de « contrat de travail ». Un auteur bénéficie toujours de la protection apportée par le Code de la Propriété Intellectuelle (notamment en ce qui concerne son contrat, la cession de ses droits d’auteur, sa rémunération, l’exploitation de son œuvre, etc.), même quand il est salarié. Un contrat de cession (des droits d’auteurs) doit être signé avant toute représentation de l’œuvre protégée. La perception des droits est généralement confiée : - à la SACEM pour la musique ; - à la SACD pour le théâtre, la danse et l’opéra ; - à la SPEDIDAM pour les artistes – interprètes bénéficiaires de droits voisins du droit d’auteur. Depuis 1977, les auteurs bénéficient du régime général de la Sécurité Sociale. Si le contrat de l’auteur n’est pas qualifié de contrat de travail, l’auteur est seulement rémunéré sous forme de « redevances » de droit d’auteur, et il bénéficie d’une partie seulement des régimes de Sécurité Sociale, selon des conditions spécifiques souvent très défavorables au travailleur. Les producteurs ou les diffuseurs versent une contribution, la plupart des cotisations restant à la charge de l’auteur. Les auteurs non salariés ne sont pas protégés par la législation sur les accidents du travail, et ne bénéficient d’aucune assurance chômage. Il n’existe aucune rémunération minimum des auteurs, et la notion de « rémunération décente » semble être inconnue de leurs employeurs ! Un conflit existe depuis 1988 entre les organisations de musiciens soutenues par la SPEDIDAM (organisme de gestion des droits des artistes - interprètes) et les producteurs de phonogrammes (principalement représentés par IFPI France), car les 139 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? producteurs, malgré de multiples condamnations judiciaires, refusent de respecter les droits exclusifs reconnus aux musiciens par la loi du 3 juillet 1985. Les représentants des producteurs ont dénoncé l’accord collectif de 1969, qui a pris fin en 1994. Aujourd'hui, le litige porte sur les modalités de gestion et le taux des rémunérations complémentaires à verser aux musiciens. En matière de fiscalité, les auteurs peuvent bénéficier de la déduction de l’ensemble de leurs frais professionnels. La TVA s’applique sur les droits d’auteur et les droits voisins, à partir d’un seuil de revenus élevés. Le salarié, c’est-à-dire le travailleur employé sous contrat de travail, est protégé par l’ensemble du Code du Travail (dont le contenu est très développé en France du fait d’un fort interventionnisme de l’Etat). Les contrats de travail à durée déterminée et les contrats de travail à temps partiel doivent obligatoirement être écrits. A défaut, l’emploi est considéré comme un emploi à temps complet pour une durée indéterminée. Le Code du Travail prévoit également une « présomption de salariat » dans le cadre du spectacle vivant. Les professionnels sont systématiquement salariés, sauf s’ils s’inscrivent au registre du commerce comme entrepreneurs, et concluent un contrat de fourniture de services. Tous les salariés bénéficient de l’ensemble des régimes généraux de la Sécurité Sociale : assurance maladie, invalidité, veuvage, maternité, retraite, accidents de travail, chômage, et accès à la formation professionnelle. Le recours à des contrats à durée déterminée renouvelables n’est pas limité dans le secteur du spectacle vivant, contrairement à la plupart des autres activités. En contrepartie, l’artiste du spectacle bénéficie d’un régime spécifique de protection sociale, dit « des intermittents du spectacle ». Il concerne les cotisations à la Sécurité Sociale, les droits à la retraite, l’assurance maladie invalidité et à l’assurance chômage. Les techniciens intermittents bénéficient de l’assurance chômage selon un mécanisme similaire à celui dont bénéficient les artistes du spectacle. La Caisse des Congés Spectacles collecte les cotisations versées par les entreprises de spectacle au titre des congés payés, et verse les indemnités annuellement au travailleur intermittent (sans qu’il soit obligé de prendre des vacances). 140 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? Ce régime des intermittents du spectacle prévoit deux grands types d’adaptations au regard du régime général : - les cotisations et les seuils d’ouverture de droits sont calculés en fonction des cachets, rémunération forfaitaires dont la base n’est pas le travail effectif. La conversion du cachet en heures de travail équivalents permet de prendre en compte les rythmes particuliers de ce secteur (répétitions, représentations…). - Les périodes de chômage sont considérées comme une composante indissociable de cet exercice professionnel, et indemnisées dans des conditions plus favorables que le régime général des salariés. Ce régime dit « des intermittents du spectacle » a été remis en cause par des révisions des conditions d’accès et des prestations offertes. De ce fait, un conflit social est en cours depuis 2003, opposant directement les intermittents et leurs syndicats à l’Etat, qui réglemente ce dispositif. Une réforme administrative très importante intervenue en 1999 est celle dite du « guichet unique », qui simplifie totalement la gestion des emplois de travailleurs du spectacle par les employeurs dits « occasionnels » (ceux qui n’organisent pas plus de 6 spectacles par an). L’employeur peut accomplir désormais une seule formalité administrative, avec une assistance téléphonique, et il ne fait qu’un seul paiement au titre de la protection sociale. Ce service est gratuit. Il connaît un succès important et a déjà entraîné une forte diminution du travail dissimulé. Il pourrait être étendu à l’ensemble des cafés, hôtels et restaurants. Depuis 1999, l’octroi ou le maintien de la « licence de spectacle », dont les entrepreneurs de spectacle (exploitants de lieu de spectacle, producteurs de spectacle, diffuseurs de spectacles et entrepreneurs de tournées) doivent être obligatoirement titulaires, est soumis très strictement au respect des lois sociales. Des inspections du travail spécialisées dans le domaine du spectacle ont été créées, avec une formation spécifique, et des horaires de travail leur permettant de procéder à des contrôles le soir. L’employé de la fonction publique bénéficie d’un régime d’emploi et de protection sociale spécifique, qui va varier selon qu’il est simple « contractuel » (donc avec un emploi précaire) ou « titulaire » (donc avec un emploi permanent), et aussi 141 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? selon qu’il est employé au niveau national ou au niveau régional. En général, le régime d’emploi des contractuels est défavorable par rapport à celui des salariés, et le régime d’emploi des titulaires est plutôt plus favorable que celui des salariés, sauf en ce qui concerne les rémunérations. Les régimes de Sécurité Sociale applicables aux employées de la Fonction Publique sont proches de ceux des salariés, sous réserve des régimes de retraite et d’assurance chômage. Le travailleur indépendant n’est pas protégé par le Code du travail. Conséquence du cadre légal général du spectacle vivant et notamment la présomption de salariat, la grande majorité des professionnels sont considérés comme des salariés. Le statut d’indépendant reste exceptionnel. Prestataire de services « clé en main », il doit gérer sa protection sociale en tant qu’entrepreneur. Il finance seul les prestations de Sécurité Sociale, selon des régimes spécifiques souvent très défavorables. 142 Le spectacle vivant jeune public : une construction européenne en marge ? LISTE DES INTERLOCUTEURS Nom et prénom ABBAL Tahar AUTISSIER Anne-Marie BERODY Dominique BUI Mylinh CABANIS Anne-Françoise CAILLARD Marc CAILLIES Grégoire CAMPBELL Chris CHAFFAUT Brigitte CUNEY Liliane DESFOSSES Agnès DIMITRIADOU Myrta DJAOUI Nathalie DUBARLE-BOSSY Philippe DUCHANGE Christian ENGEL Gert FANGAUF Henning FOULQUIER Philippe FRANCK Maryse GRAUERHOLZ Ute KERCKHOVEN Veerle KLUGVIK Fako LAREDO Carlos LEDIG Eve MELQUIOT Fabrice MITTELSTÄDT Eckhardt NEGRE Stéphane PAREJA Jean-Claude PARIS Pascal POHER Catherine SALOMÉ Marie SCHLIENGER Philippe SCHUMACHER Klaus SIMON Joël VEGIS Graziella VICTORINO Madalena WEINICH Jean-Luc YENDT Maurice ZINZIUS Marina Structure Hôpital Avicennes - Bobigny IEE - Saint Denis CDN - Sartrouville Theatre-enfants.com - Paris Giboulées de la marionnette - Strasbourg Enfance et Musique - Pantin TJP - Strasbourg National Theater - Londres ONDA - Paris Goethe Institut - Nancy Cie ACTA TOI Haus Theater - Salzburg Ville de Nanterre Conseiller artistique - Neuilly Plaisance Cie l'Artifice - Dijon Anthea - Berlin Kinder- und Jugendtheaterzentrum - Francfort Théâtre Massalia - Marseille Cité de la musique - Paris Goethe Institut - Nancy Bronks - Bruxelles Festival d'Almere Teatralia - Madrid Cie le Fil rouge - Strasbourg Auteur - Reims ASSITEJ - Francfort AFAA - Paris Très tôt théâtre - Quimper Scène nationale - Narbonne Teater Rio Rose - Svendborg Relais Culture Europe CREA - Kingersheim MOKS Theater - Brême Nova Villa - REIMS Théâtre Massalia - Marseille Centro Cultural de Belem - Lisbonne Banlieuses'arts - Trappes Biennale TJA - Lyon Direction dévept culturel - Argenteuil Pays France France France France France France France Royaume-Uni France France France Autriche France France France Allemagne Allemagne France France France Belgique Pays-Bas Espagne France France Allemagne France France France Danemark France France Allemagne France France Portugal France France France 143