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LA MÉMOIRE DES FORÊTS Actes du colloque « Forêt, archéologie et environnement » 14 - 16 décembre 2004 Cet ouvrage est dédié à la mémoire de Jean-Claude Rameau, Professeur à l’Ecole Nationale du Génie Rural des Eaux et des Forêts, co-organisateur du colloque Sylva 2004, décédé le 6 octobre 2005. LA MÉMOIRE DES FORÊTS Actes du colloque « Forêt, archéologie et environnement » 14 - 16 décembre 2004 Textes réunis et présentés par Jean-Luc DUPOUEY, Etienne DAMBRINE, Cécile DARDIGNAC, Murielle GEORGES-LEROY Coédité par l’Office national des forêts, l’Institut national de la recherche agronomique et la Direction régionale des affaires culturelles de Lorraine © Tous droits réservés 2007 ISBN : 978-2-84207-319-0 Cet ouvrage a été imprimé sur papier certifié PEFC Toute reproduction ou représentation, intégrale ou partielle, par quelque procédé que ce soit, de la présente publication, faite sans l’autorisation de l’éditeur est illicite (article L.122-4 du Code de la propriété intellectuelle) et constitue une contrefaçon. L’autorisation d’effectuer des reproductions par reprographie doit être obtenue auprès du Centre Français d’Exploitation du droit de Copie (CFC) - 20, rue des GrandsAugustins -75006 PARIS - Tél. : 01 44 07 47 70 / Fax : 01 46 34 67 19 Illustration de couverture : Antoine Carton Crédits photos des chapitres : p. 19, 173, 261 ONF, p. 97 Laure Laüt Conception et réalisation : imprimerie ONF Table des matières Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9 Quelques évolutions récentes des relations entre archéologie, forêt et environnement Jean-Luc Dupouey, Etienne Dambrine, Cécile Dardignac, Murielle Georges-Leroy . . . . . . . 9 Le géographe et les archéologues des sylvosystèmes Jean-Pierre Husson . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15 1ère partie : Évolution des paysages forestiers et usages anciens . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19 Transmissions et transformations dans les formes parcellaires en France Esquisse d’un schéma général d’interprétation Gérard Chouquer . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21 Pédoanthracologie, dynamiques de végétation et anthropisation dans les Hautes-Vosges (Massif du Rossberg, Haut-Rhin, France) Stéphanie Goepp, Dominique Schwartz, Michel Thinon, Christian Jeunesse . . . . . . . . . . . 35 Impact environnemental des activités paléométallurgiques sur la forêt du Morvan (région du Mont-Beuvray). Résultats croisés des analyses pollinique et géochimique. Isabelle Jouffroy-Bapicot . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 45 La forêt jurassienne au cours des deux derniers millénaires à la lumière de quelques diagrammes polliniques Emilie Gauthier, Hervé Richard . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 57 Analyse pollinique de la mardelle d’Assenoncourt (Moselle, France) : impact des pratiques agricoles sur la biodiversité végétale en milieu forestier Pascale Ruffaldi, Frédéric Ritz, Hervé Richard, Etienne Dambrine et Jean-Luc Dupouey . . . . . . 69 Etude xylologique et typologique des tablettes à écriture antiques en bois à partir des découvertes faites à Saintes (Charente-Maritime) Nima Saedlou, Monique Dupéron . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 79 Eco-histoire de la Forêt de Pinus nigra Arnold ssp. Salzmanni (Dunal) Franco de Saint-Guilhem-le-Désert (Hérault, France) Jean-Louis Vernet, Anaïke Meter, Lamri Zéraïa . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 87 5 2ème partie : Caractérisation des occupations anciennes en forêt . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 97 Caractérisation des sites antiques dans les forêts du Berry et du Bourbonnais Laure Laüt . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 99 La forêt de Brotonne dans l’antiquité Marie-Clotilde Lequoy . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 109 Les parcellaires anciens fossilisés dans les forêts lorraines Murielle Georges-Leroy, Dominique Heckenbenner, Jean-Denis Laffite, Nicolas Meyer, avec la collaboration de Etienne Dambrine et Jean-Luc Dupouey . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 121 Etat actuel des connaissances sur les sites archéologiques forestiers du Châtillonnais : l’exemple des parcellaires Yves Pautrat, Dominique Goguey . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 133 Le bois des Saints-Pères à Cesson (Seine-et-Marne) Alain Senée, Dominique Robert . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 147 Toponymes témoins de l’histoire de la fronde (1648-1652) Alain Senée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 151 Les apports du laser aéroporté à la documentation de parcellaires anciens fossilisés par la forêt : l’exemple des champs bombés de Rastatt en Pays de Bade Benoît Sittler, Karl Hauger . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 155 Biodiversité et archéologie : une étude interdisciplinaire en forêt de Rambouillet (Yvelines, France) Thomas Vigneau . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 163 3ème partie : Impact des occupations anciennes . . . . . . . .173 Impact des anciennes formes d’utilisation sur les sols forestiers dans les Vosges et en Forêt Noire Katrin Bürger . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 175 Impact des usages agricoles antiques sur la végétation en forêt de Saint-Amond : interaction avec le traitement sylvicole actuel Jean-Luc Dupouey, Delphine Sciama, Jean-Denis Laffite, Murielle Georges-Leroy, Etienne Dambrine . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 181 Communautés végétales révélatrices de sites archéologiques dans les forêts du nord de la France Guillaume Decocq . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 191 6 Stations forestières et archéologie aux Sources de la Seine Eric de Laclos, Michel Mangin . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 203 Impacts anthropiques anciens sur les sols forestiers. Quelques études de cas en contexte archéologique et expérimental Anne Gebhardt . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 211 Bioindication végétale des sites archéologiques en Limousin et en Forêt d’Orléans Axel Ghestem . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 219 Impact de l’habitat du Bas Moyen Age du Goënidou et de son parcellaire associé sur l’environnement actuel : approche par une étude de végétation (Berrien, 29) Quentin Lemouland, Gwenhaël Perrin . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 235 Le projet “Saint Martin”. La mémoire du sol : restitution d’un paysage ancien par mesure de l’impact de l’occupation et de pratiques agraires anciennes sur le fonctionnement actuel du milieu biophysique. Jean-Louis Maigrot, Patrice Beck, Gérard Chouquer, Pierre Curmi, Etienne Dambrine, Jean-Luc Dupouey, F. Faucher . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 245 Effets à long terme des pratiques agricoles sur les populations d'arthropodes : inventaire du site de Thuilley-aux-Groseilles (54) Anne Vallet, Michel Loubère, Hervé Jactel, Gilles Jacquemin, Jean-Claude Streito, Luc Plateaux, Thierry Robert, Nicolas Kaminski, André Claude, Etienne Iorio, Jean-Luc Dupouey, Etienne Dambrine . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 255 4ème partie : Gestion des sites archéologiques . . . . . . . . .261 La prise en compte du patrimoine archéologique dans la gestion forestière L’exemple de l’Île-de-France Cécile Dardignac . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 263 Archéologie et espaces forestiers, l’accord complémentaire Stéphanie Jacquemot . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 269 La collaboration archéologique entre le service régional de l’archéologie de Haute-Normandie et l’Office National des Forêts pour la gestion des vestiges archéologiques Thierry Lepert, Jean Meschberger . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 277 Palimpsestes et héritages des polémopaysages dans les massifs du Saillant de Saint-Mihiel Frédéric Steinbach, Jean-Pierre Husson . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 285 7 8 Introduction Quelques évolutions récentes des relations entre archéologie, forêt et environnement Jean-Luc DUPOUEY(1), Etienne DAMBRINE(2),Cécile DARDIGNAC(3), Murielle GEORGES-LEROY(4) (1) (2) (3) (4) UMR-EEF, Equipe Phytoécologie forestière - INRA - 54280 Champenoux - [email protected] Unité Biogéochimie des Ecosystèmes Forestiers - INRA - 54280 Champenoux - [email protected] ONF - Direction technique, département recherche - Boulevard de Constance - 77300 Fontainebleau - [email protected] SRA de Lorraine - 6, pl. de Chambre - 57045 Metz cedex 1 - [email protected] En décembre 2004, plus de 200 participants se sont retrouvés au Campus de l’Office National des Forêts de Velaine-en-Haye, en Meurthe-et-Moselle, pour participer au colloque Sylva2004 « Forêt, Archéologie et Environnement ». Le présent ouvrage rassemble une sélection des communications présentées à cette occasion. On trouvera la liste complète des conférences et posters sur le site Web du colloque (sylva2004). En introduction à ces contributions, nous présentons ici brièvement quelques-unes des évolutions marquantes et récentes des relations entre archéologie, forêt et environnement, qui ont motivé l’organisation du colloque. Parce qu’elle a préexisté à la création des territoires cultivés, nous avons souvent le sentiment trompeur que la forêt est naturelle. Pourtant, comme tout autre territoire, elle est mise en valeur et exploitée pour nos besoins. Quelle est l’histoire de cette mise en valeur ? Depuis quand et, surtout, selon quelles modalités l’homme utilise-t-il les produits et territoires forestiers ? Quand et comment est née la sylviculture, gestion raisonnée de la forêt ? Chasse, cueillette, pâturage, prélèvement de litière, prélèvement de bois pour le feu, pour la tonnellerie ou la construction, loisirs… Comment ces « services » se sont-ils succédés ou entrecroisés au cours des siècles ? La forêt est une composante majeure de notre environnement. Elle intervient dans les cycles de matière et d’énergie et sur la diversité du vivant, parce qu’elle constitue le principal flux de carbone de l’atmosphère vers les écosystèmes terrestres, parce qu’elle modifie les climats, régule l’érosion des sols, abrite une grande variété d’espèces qui lui sont propres, préserve les écosystèmes des impacts directs d’une utilisation agricole ou urbaine. Il importe ainsi de comprendre l’évolution au cours du temps de sa place dans nos paysages et, donc, de son rôle environnemental. De quelles essences était-elle constituée ? Quelle était sa structure ? Quand a-t-elle été défrichée, selon quelles modalités ? Comment s’est-elle fragmentée, comment ont évolué ses lisières qui contrôle ses échanges avec les territoires alentours ? On considère souvent que les forêts ont subi un défrichement continu à partir de la grande sylve primitive, entrecoupé de quelques soubresauts de reconquête lors des périodes de récession, jusqu’aux noyaux de forêts anciennes relictuelles que nous aurait laissé, en France, le XVIIIe siècle. Mais ce schéma, longtemps accepté, est-il vraiment en accord avec les observations récentes de l’écologie et de l’archéologie forestière ? La sylve primitive a probablement été fortement et précocement ouverte par les troupeaux de grands herbivores comme le suggèrent des études récentes (Vera 2000), et pouvait donc présenter la physionomie d’une savane ou d’une steppe plutôt que celle d’une forêt dense. Et surtout, les terroirs agricoles se sont largement déplacés au cours du temps, et pas seulement contractés ou rétractés. Les deux questions précédentes, mode de mise en valeur et place des forêts dans le paysage, sont largement abordées par l’archéologie depuis plusieurs années en France et ont déjà fait l’objet de plusieurs colloques (FSHAPIF 1978, FHLMR 1984, Chevallier 1986, Béal 1995, Bernard et al. 2007). D’autres types de préoccupations sont plus récemment apparus. En détournant les processus naturels à son profit, en utilisant les services écologiques que lui offre la forêt, l’homme modifie les caractéristiques des écosystèmes forestiers. L’impact des activités humaines sur la nature est une des préoccupations majeures des sociétés contemporaines. L’archéologie se doit de nous apporter son éclairage sur ces questions, en les transposant aux sociétés anciennes : quel impact a eu l’homme sur son environnement ? Comment ont évolué les dépôts de polluants au cours des siècles, la diversité biologique et la fertilité des milieux ? Quand et où les prélèvements de bois et autres produits forestiers ont-ils dépassé la capaci- 9 té de production naturelle des peuplements, entraînant des baisses de fertilité ? Quelles espèces, végétales ou animales, ont disparu ou sont apparues dans les forêts sous l’action de l’homme ? Les larges émissions de plomb de l’époque romaine ont-elle laissé des traces dans les sols forestiers ? Ces questions sont encore quasiment sans réponse. On a longtemps distingué deux types de pratique de l’archéologie dans les forêts : l’archéologie forestière proprement dite, qui recouvre les questions précédentes, et dans laquelle la forêt est bien la cible principale des études entreprises, et l’archéologie « en forêt », où l’on s’intéresse aux vestiges archéologiques conservés dans les forêts, sans intérêt particulier pour l’environnement forestier, comme on les étudierait sous d’autres types de couvert. Ce deuxième type d’activité archéologique s’appliquait par exemple aux structures recouvertes par la forêt postérieurement à leur abandon et qui, au départ, n’avaient aucune relation avec le milieu forestier. Nous voudrions montrer ici pourquoi cette distinction est artificielle, et comment des résultats de recherche récents la rendent partiellement caduque. Depuis la première moitié du XIXe siècle, date du minimum de couverture forestière en France (entre 8,9 et 9,5 millions d’hectares, Cinotti 1996), la forêt française s’est fortement étendue, pour atteindre aujourd’hui 15,5 millions d’hectares, en raison de l’abandon d’immenses terroirs agricoles. Au cours de la dernière décennie, la forêt française a ainsi progressé de 75 000 ha par an en moyenne, une surface équivalente à 3 fois celle du massif de Fontainebleau environ. L’ampleur, la durée et la continuité de ce mouvement de recolonisation des terres agricoles sont uniques dans l’histoire des forêts françaises, et constituent une véritable révolution environnementale. Nous sommes entrés dans une phase de « transition forestière » (Mather et al. 1998), observée dans la plupart des pays européens. Cette progression des forêts a, depuis quelques années, amené les écologistes et géographes à distinguer deux types de forêts dans le paysage, les forêts dites récentes, car reconstruites au cours des deux derniers siècles à partir d’abandons culturaux et les forêts dites anciennes, noyaux restés forestiers au travers des vicissitudes de l’agriculture (Arnould 1991 ; Dupouey et al. 2002). Depuis les travaux pionniers de Rackam (1980) et Peterken (1981) en Angleterre, de Hermy en Belgique (1994) et de Koerner et al. en France (1997), les résultats se sont progressivement accumulés, tant en Europe qu’en Amérique du Nord, qui montrent l’importance écologique primordiale de cette dichotomie. Un à deux siècles après leur abandon, et même après plusieurs cycles sylvicoles, les forêts issues de terroirs agricoles gardent une « mémoire » de cet usage ancien, imprimée dans la fertilité des sols, la productivité et l’état de santé des peuplements forestiers, la diversité des espèces végétales ou animales présentes. De plus, on a pu montrer que de nombreuses espèces, dites « de forêt ancienne » sont incapables de recoloniser ces nouvelles forêts qui leur sont offertes (Dupouey et al. 2002). Ces découvertes, importantes pour le gestionnaire forestier, ne semblaient pas a priori concerner l’archéologue, puisque de telles traces étaient supposées s’effacer un jour ou l’autre, après quelques siècles de régime forestier. Mais la question de la durée exacte de cette « mémoire » des écosystèmes forestiers s’est rapidement posée. En Angleterre, où sont considérées comme forêts récentes celles apparues après l’an 1600 (en raison de la disponibilité suffisante de cartes dès cette date et d’une forte augmentation des surfaces forestières dans la deuxième moitié du XVIIème siècle), on observe encore avec la même force les impacts dans la végétation forestière de l’agriculture ancienne, même quatre siècles après abandon. Ces recherches sur la pérennité des impacts de l’agriculture dans les forêts actuelles ont pendant quelque temps buté sur cet horizon temporel de quatre siècles, en raison de la rareté apparente, en forêt, des sites agricoles abandonnés plus anciennement. Une étape importante a été franchie au cours des dernières décennies de recherches archéologiques. Les travaux de cartographie ont fourni progressivement les indices d’une occupation agricole d’ampleur insoupçonnée dans les forêts actuelles. Celles-ci ne sont pas des territoires sanctuaires, vierges de toute activité agricole, mais ont souvent été défrichées et mises en valeur pour l’agriculture et l’élevage dès l’époque antique, voire dès l’Age du Fer, avant d’être abandonnées et recolonisées par la forêt. Sur les plateaux calcaires du Nord-Est de la France, différentes équipes (Georges-Leroy et al. 2003; Pautrat et Goguey, dans ce volume; De Laclos et Mangin, dans ce volume) ont mis au jour des parcellaires qui s’étendent de la Moselle à la Côte-d’Or, sur plusieurs centaines de kilomètres et sont d’une emprise comparable, à titre d’exemple, à celle du cadastre B d’Orange (950 km2). Plus à l’Ouest, la forêt de Tronçais, longtemps considérée comme immémoriale, a révélé la présence de quelques 100 sites de constructions d’époque romaine (Bertrand 1980; Laüt et al. 2007). Les forêts anciennes à l’échelle de quelques siècles ne l’étaient plus à l’échelle de quelques millénaires ! La couverture forestière n’avait pas seulement évolué selon des pulsations, bien identifiées, de déboisement/reboisement autour de massifs « noyaux » pérennes, mais semblait aussi s’être « déplacée » dans le territoire selon des modalités encore mal connues aujourd’hui. 10 Pourquoi ces découvertes récentes, et pourtant de grande ampleur ? La forêt est longtemps restée peu prospectée par les archéologues, très certainement moins que les zones de champs ouverts, pour de multiples raisons : l’absence de labour limite la possibilité de voir remonter en surface les traces des occupations anciennes ; la prospection aérienne y etait, pour la plus grande part des surfaces, inopérante ; le développement de l’archéologie préventive porte rarement sur ce milieu, notre vision biaisée d’un territoire forestier se rétrécissant progressivement depuis les défrichements néolithiques impliquait automatiquement des noyaux forestiers par principe vierges de toute occupation agricole importante ; enfin, et cet obstacle n’est pas des moindres, les mondes culturels et administratifs des forestiers et archéologues sont restés longtemps éloignés. Pourtant, la lenteur du cycle forestier, l’absence de travail du sol et d’érosion, la faible intensité des interventions humaines, le recouvrement progressif des sites par la formation de l’humus permettent une conservation exceptionnelle de structures ailleurs détruites ou ensevelies. Tel mur effondré il y a deux millénaires est toujours là, en surface, recouvert de quelques centimètres d’une couche de terre forestière, à l’abri des outrages de l’agriculture intensive. Il y a là une véritable « fossilisation » des traces de l’organisation rurale ancienne, parfois aussi retrouvées sous la forme plus immatérielle de toponymes. C’est une particularité des territoires forestiers que de pouvoir livrer au prospecteur patient et passionné des kilomètres de chemins tortueux, de terrasses, de clôtures, ce semis de cabanes adossées à des enclos patiemment engraissés. Ou ces parcellaires formatés, murs parallèles et angles droits, expression géométrique d’une planification probable de la production. Une synthèse récente sur la France (Maussion 2003), basée sur l’exploitation de la « Carte archéologique de la Gaule » et des bases de données Dracar et Patriarche du Ministère de la Culture, a permis de dresser une liste de 10 000 mentions de sites archéologiques, de tous types, localisés dans des territoires aujourd’hui forestiers. Par un effet de loupe probable, dû à un état plus avancé des recherches, les régions du Limousin et du NordEst de la France apparaissent les plus riches en découvertes archéologiques forestières. Il reste, de façon évidente, un large potentiel archéologique à explorer dans nos forêts. Le développement de la technique de télédétection par laser (Lidar), qui offre la promesse d’une exploration enfin possible des couverts forestiers, devrait accélérer la découverte et la cartographie des structures archéologiques forestières. Les études écologiques des sites agricoles antiques, qui se multiplient (Dambrine et al. 2007) et dont un certain nombre sont publiées dans cet ouvrage, montrent que l’agriculture d’époque gallo-romaine a laissé des traces indélébiles dans le fonctionnement actuel des écosystèmes forestiers. Leur résilience, c’est-à-dire leur capacité à revenir à l’état antérieur à la perturbation agricole est faible. L’archéologie « en forêt » ne peut ignorer ce fait, puisque les traces d’occupation à rechercher ne sont plus seulement des murs, tuiles, poteries, monnaies, mais deviennent tout autant des taux de phosphore dans le sol, des productivités forestières, des jaunissements d’arbre… Et elle devient de facto une archéologie forestière au sens plein du terme. Ce constat ne se limite pas aux seules forêts françaises ou européennes, mais paraît pouvoir s’appliquer à une large part des forêts tropicales jusque là considérée comme vierge (Willis et al. 2004). Par essence, biologie, écologie d’une part et archéologie et histoire d’autre part sont liées par des intérêts mutuels forts. L’activité humaine modifie la diversité et le fonctionnement des écosystèmes, à tous les niveaux (structures génétiques intra-spécifiques, structure des communautés d’espèces, écosystèmes, paysages). Quelle que soit leur discipline, les biologistes et écologistes ont donc besoin de l’appui des historiens et archéologues pour comprendre les structures et le fonctionnement actuels du vivant. Dans les forêts, peu de mécanismes écologiques échappent à la marque ancienne imprimée par l’homme. A l’inverse, ces traces laissées dans les écosystèmes actuels peuvent servir aux archéologues de bio-indicateurs de la localisation, de l’intensité et des modalités d’exploitation des paysages anciens par l’homme. Pionniers dans ces recherches, J.-M. Desbordes (1973), A. Ghestem (1981), J.-L. Maigrot et J.-C. Rameau (1984) et J.-M. Couderc (1985) avaient déjà émis et appliqué l’idée que ces fonctionnements actuels perturbés, et en particulier la composition en espèces des communautés végétales, pouvaient servir de bio-indicateurs efficaces de la présence de sites, reprenant des observations faites dès le XIXe siècle (de Saint-Venant, 1888). Le constat s’étend aujourd’hui, grâce aux progrès de la biologie, à d’autres marqueurs : fonctionnement biogéochimique et composition des communautés microbiennes du sol, structure moléculaire de la variabilité génétique intra-spécifique (Kremer et Petit 2001), contenu isotopique des sols et des êtres vivants et surtout, à d’autres types d’indications que la seule présence de sites archéologiques. 11 La dernière interaction forte entre archéologie et forêt, et non des moindres, est la façon dont nous protégeons, gérons et valorisons les sites archéologiques forestiers. Une enquête de 2004 sur les attentes des français en matière de gestion forestière (Dobré et al. 2006) montre que l’action qui leur semble la plus prioritaire est de «protéger la forêt pour le bien des générations futures », avant toute considération économique. Aujourd’hui, et plus que par le passé, c’est bien l’intérêt patrimonial qui prime dans notre relation avec la forêt. Les organismes gestionnaires des forêts et de la conservation du patrimoine doivent en tenir compte et explorer de nouvelles formes de relations, sans doute plus étroites que par le passé. La question reste particulièrement mal résolue pour les forêts privées. Si les vestiges que l’on retrouve en forêt ont pu être bien conservés jusqu’à maintenant, le développement accéléré de la mécanisation forestière depuis quelques dizaines d’années peut désormais les mettre en danger. Les besoins qui semblent s’accroître dans le domaine du bois-énergie pourraient conduire à une extension des surfaces consacrées à la ligniculture avec des itinéraires techniques plus agressifs pour les sites archéologiques : plantations, taillis à courte rotation... Il devient urgent de relever et protéger ce qui paraissait immuable, éternel et scellé. Du point de vue de la gestion forestière, il serait profitable d’intégrer l’histoire des forêts en tant qu’élément de réflexion écologique. Des cartes précises d’histoire de l’utilisation du sol incluses dans les documents d’aménagement permettraient, au même titre que les cartes de stations, de mieux raisonner les actions sylvicoles en termes de fertilité des sols et des peuplements, de maintien de la biodiversité ou d’état de santé des arbres. Ces chantiers sont entamés. Nous souhaitons que les communautés de chercheurs et de gestionnaires, issus des mondes forestier, agronomique, archéologique et de l’environnement trouvent de nouvelles occasions de se rencontrer pour les faire avancer. Il y a enfin une dimension onirique à ces recherches, qu’ont voulu faire partager les organisateurs de ce colloque. L’émotion de la découverte, l’imagination qui précède nos interprétations, le sentiment particulier qui nous lie à ces ancêtres lointains et anonymes, nous avons souhaité les mettre en son et en image, les dérouler, et sollicité pour ce faire des artistes. Antoine Carton a griffé des ardoises pour les trois affiches du colloque, et tracé dix dessins d’une craie grasse et fertile. Quand je suis entré dans la forêt, j'avais mis mes yeux à l'envers, c'était plein de brouillard, de lumière, plein d'équilibre et de hasard. En grimpant dans les racines, j'ai retrouvé la mémoire. Jean François Chevallier a étendu d’immenses huiles sur toiles et transformé la salle des conférences en sylve originelle, Un peu après. Cécile Franc Volo a suspendu trois petites vues du papier peint, prises par sa porte entrebâillée à cent vingt kilomètres heure et huit cent mètres d’altitude au dessus de la Lorraine un soir d’été. Entre chaque exposé, Jean Michel Albertucci a livré sur le piano de Gaël le Billan ses désaccords et ses accords, ses sentiments. L’ensemble des enregistrements, réalisés par Jérôme Demaison, se trouve gravé sur le disque joint. Dans les réserves de l’association Aye-Aye, Benoît Pollier et Sylvain Mariette ont sélectionné trois courts métrages illustrant les harmonies et la cacophonie des temps. Enfin, dans les salons de l’Hôtel de Ville gardé par la légion, une belle patricienne, Christiane Casanova a fait dignement défiler ce peuple gallo-romain, des voyageurs, un maître d’école et ses élèves, des esclaves affranchis, un consul de passage…. Remerciements Nous remercions vivement toutes les personnes qui ont aidé au succès de ce colloque, et en particulier Laurence Le Maout, Corinne Weigerding, Patrick Behr, Roger Schipfer, Christian Kieffer, Yves Bernardi et Benoît Pollier à l’INRA, Isabelle Laroque à l’ONF. Nous avons bénéficié du soutien financier de la Région Lorraine et de l’Association Française d’Etude des Sols, que nous remercions pour leur confiance. Nous remercions également l’imprimerie de l’ONF pour le long travail de mise en page de cet ouvrage. 12 Bibliographie ARNOULD P., 1991, Forêt, nouvelles forêts, vieilles forêts, In Corvol A. (ed.), Actes du 113e Congrès National des Sociétés savantes, Strasbourg, avril 1988, "La Forêt", Comité des Travaux Historiques et Scientifiques, Paris, 13-30. 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Contrairement à la période des Trente Glorieuses où les inflexions économiques pouvaient être projetées, planifiées, anticipées ; l’actuelle globalisation, la complexité, la dynamique et l’imprévisibilité des systèmes portent à travailler à toutes les échelles de temps, et plus spécialement sur les temps longs emboîtés où se dessinent des ruptures. Cette recherche permet de trouver des éléments de réponses à des problématiques environnementales désormais partagées par tous (Barrué-Pastor et Bertrand, 2000). Etre en connivence avec l’épaisseur du temps permet d’apporter un supplément de sens au territoire. Cela sert aussi à sérier, évaluer, anticiper les risques. Ainsi évite-t-on d’atteindre des points d’irréversibilité dans des processus évolutifs de dégradation. Ceci représente une somme d’ambitions qui nécessite de croiser toutes les échelles spatiales avec tous les pas de temps, tous les systèmes d’articulations et de cassures des cycles. Tout cela s’inscrit dans des suites de scenarii peu linéaires, le plus souvent bifurqués, comprenant des accélérations, des alternances, des formes de boucles rétroactives. A côté des classiques terrains d’investigations (la mémoire des strates archéologiques urbaines, les parcellaires fossiles agraires, etc.) s’imposent aujourd’hui en archéologie de nouveaux gisements de recherche, plus spécialement les linéaires remodelés par les percées logistiques (tracés des TGV, des autoroutes, etc.). S’ajoutent également les couvertures forestières, immense drapé recouvrant et fossilisant aussi bien les découpages des centuriations romaines que de précoces systèmes protoindustriels ou encore les polémopaysages hérités de la guerre de 1914 - 1918. Sur le temps long, les espaces forestiers qui nous semblent trop souvent statiques par rapport à notre propre espérance de vie sont en fait terriblement dynamiques dès que l’on sort du cadre de la révolution (R) ou d’une durée égale à deux fois R, ce qui nous conduit tout de même à reculer sur six à quinze générations d’hommes. Ce plongeon dans le temps nous amène directement à l’époque des balbutiements cartographiques, avec des documents rares, fragiles mais qui peuvent actuellement être redressés grâce à l’utilisation de SIG adaptés, ce qui autorise de formuler des investigations de recherche inédites. La remontée dans le temps lève le voile sur des connivences passées qui sont inscrites dans la mémoire des sols d’une trilogie ager-saltus-sylva qui fut toujours à géométrie variable en fonction des densités et de la sécurité. Les recherches génétiques menées procurent un supplément de sens et de respectabilité aux territoires prospectés. Elles apportent des réponses à des questionnements scientifiques articulés à toutes les échelles. Cela va du différentiel de fertilité entre deux parcelles d’une même station à la dynamique des massifs et à la fluctuation de leurs lisières. Ces investigations sont pour la plupart très neuves. Elles ont permis d’ouvrir très largement le champ des questions formulées, énoncées, travaillées et ensuite de mesurer l’ampleur des tâches à accomplir en pratiquant d’indispensables croisements à la fois interdisciplinaires et transdisciplinaires. Ces franchissements sont porteurs de métamorphismes, de pollenisations, de rencontres qui imposent une certaine audace fédératrice. Le sylvosystème, entendons par là le résultat du croisement de l’écosystème avec les successions de gestions sylvicoles pratiquées, infléchies voire héritées en terme de résilience, de réussite, d’échec s’avère être un passeur de frontières (Jollivet, 1992). La géographie participe au travail de fond qui vient d’être énoncé. La discipline s’intègre dans une démarche globale d’écohistoire (Beck et Delort, 1993). Cette dernière cherche à éclairer le présent ainsi que les futurs proches, prévisibles en mesurant les apports des réflexions menées sur les temps longs, ce qui s’affirme de plus en plus pertinent pour dresser des convergences de préoccupations écosystémiques. 15 La géographie historique relie l’actuel à des passés plus ou moins lointains inscrits en continuité avec le présent. Elle s’appuie sur un corpus archivistique qui laisse une place importante aux cartes anciennes dressées pour faire la guerre, aménager les territoires (en particulier, les forêts abornées, fossoyées, traitées en taillis sous futaie), asseoir une frontière, étayer un procès. Textes, archives et cartes ne servent pas seulement à nourrir une recherche érudite qui serait déconnectée des questions posées par une société à un moment donné. Ils apportent une contribution à la connaissance des territoires perçus dans la richesse de l’épaisseur du temps qui a nécessité leur sécrétion. J’ai eu cette conviction, il y a déjà plus de vingt ans quand j’ai consulté le dossier dressant l’inventaire des chaumes vosgiennes en 1700. A cette date, le duc Léopold confie à Villemin, gruyer de Bruyères la mission de visiter les chaumes et leurs annexes (les repandises) abandonnées depuis près de soixante ans, suite aux malheurs laissés par la guerre de Trente Ans. Avec ce dossier, je disposais d’un témoignage inédit pour tenter de comprendre la dynamique spatiale des accrus forestiers dans ce secteur particulier balayé par l’effet de crête. Les croquis levés sur le terrain montrent, qu’à l’exception de quelques coulées conservées pour canaliser les flux d’ouest, les anciennes chaumes sont pratiquement toutes reconquises par la forêt qui escalade les sommets. A contrario, les procès-verbaux dressés à la fin du XVIIIe siècle font découvrir une situation inverse. Au cours du siècle, la reconquête opérée par les marcaires a été très forte. Localement, elle peut même dépasser le cadre du Grand Pâtural du XVIIe siècle. Cet exemple est révélateur des empilements que nous avons à gérer et de possibles mises en scène évolutives des territoires que nous pouvons mener. A l’échelle fine de l’exploitation, et plus particulièrement de l’acensement (périmètre de défrichement autorisé et aborné pour implanter une ferme), le même continuum peut être approché en prenant pour point de départ la création du défrichement, l’établissement de sa cartographie utilisée pour attester du droit de propriété, les éventuelles révisions liées à des agrandissements, la confrontation avec le cadastre napoléonien et enfin la visite de terrain. C’est là une des bases d’investigations retenues pour étudier la fertilité comparative des substrats forestiers voisins ayant conservé une mémoire des sols différente. Pris à deux échelles différentes, les deux exemples évoqués montrent que l’objet d’étude du géographe peut être, quand il est relié à d’autres préoccupations porteur d’interrogations fructueuses à propos des cycles sylvigénétiques soumis à forte anthropisation. Ces questions peuvent même être dérangeantes, poser le problème de l’antériorité de tel ou tel type de paysage revendiqué, idéalisé, publicisé. Croiser ses savoirs et ses méthodes avec celles des historiens, archéologues, agronomes, pédologues, phytosociologues, etc. sert à dénouer la complexité des trajectoires des sylvosystèmes et la richesse des mémoires empilées qu’ils fossilisent. Plus en avant dans le temps, la démarche de la géohistoire initiée par Fernand Braudel amène à se dissocier de l’actuel. Dès lors, la reconstitution linéaire demeure ténue, incomplète, avec au mieux des traces enfouies, parfois ressurgies, le plus souvent fossilisées par différentes successions d’occupations passées. Approche audacieuse, la géohistoire apparaît plutôt, à mon sens comme une science auxiliaire au service de l’archéologie et non l’inverse. Le recul dans le temps donne toute leur pertinence aux apports fournis par la palynologie, l’anthracologie, la sédimentologie, la dendrochronologie. La géohistoire renoue avec l’actuel quand on se penche sur le cas très particulier des forêts peu anthropisées. Laissées, abandonnées à leurs propres dynamiques internes, ces dernières sont des objets d’études passionnants. Elles apportent de nouveaux champs d’investigations, nourrissent des opportunités inédites de recherches et de retrouvailles entre les disciplines qui ont été énoncées. Au total, les regards posés sur les architectures forestières et les sylvosystèmes trouvent une nouvelle vitalité dans le croisement des méthodes et des approches menées au sein de groupes pluriels par les origines des chercheurs. L’écoarchéologie me semble être une excellente entrée pour progresser dans la connaissance pluriscalaire et dans l’enchevêtrement des temps longs indispensables à la compréhension des constructions des sylvosystèmes. 16 Bibliographie BARRUE-PASTOR M., BERTRAND G. (dir.), 2000, Les temps de l’environnement, Toulouse, Presses Universitaires du Mirail, 544 p. BECK C., DELORT R. (dir.), 1993, Pour une histoire de l’environnement, Paris, 272 p. Etudes rurales n° 175 - 176, 2006, Nouveaux chapitres et histoire du paysage, Paris, 258 p. GALOCHET M. (dir), 2006, La forêt ressource et patrimoine, Paris, Ellipses, 272 p. JOLLIVET M. (dir.), 1992, Sciences de la nature, sciences de la société : les passeurs de frontières, Paris, Editions du CNRS, 589 p. 17 18 Évolution des paysages forestiers et usages anciens 20 Transmissions et transformations dans les formes parcellaires en France Esquisse d’un schéma général d’interprétation Gérard CHOUQUER CNRS (équipe d’archéologie environnementale, UMR 7041, Nanterre) Rédacteur en chef d’Études Rurales Résumé Cet article fait le point sur la profonde transformation des connaissances quant à la mise en place des planimétries rurales en Europe de l’ouest. Dans une première partie, on démontre que la création des formes agraires est un phénomène qui concerne la protohistoire avec un moment particulièrement fort au second âge du Fer. La comparaison avec ce qui se passe dans les territoires d’Italie centrale conquis par Rome est éclairant. On y retrouve la même émergence et des modalités voisines de planification. Cette lointaine émergence est responsable, dans certains pays ou certaines régions, des formes héritées. Dans le dessin parcellaire par quartier qui se généralise au Moyen Âge, on ne peut plus reconnaître une création spécifique de cette période, mais le résultat d’une évolution par auto-organisation d’une structure plus ancienne. Dès lors l’équilibre habituel du récit historique sur les parcellaires est rompu. S’agissant des initiatives, le curseur se déplace vers l’Antiquité. Mais les époques médiévales et modernes connaissent une pluralité de situations : des créations, des transformations, des transmissions, dont le bilan s’avère également très prometteur. La recherche sur la dynamique de la planimétrie, et notamment de la planimétrie viaire et parcellaire, a connu deux évolutions importantes depuis quelques années. Je me propose ici, en accord avec les organisateurs, de présenter ces éléments, et non pas de traiter du cas particulier des découvertes faites en zone forestière. La première de ces évolutions porte sur la réévaluation du rôle de l’Antiquité pré-romaine et romaine dans la formation des trames viaires et parcellaires. On sait, aujourd’hui, que ce rôle est majeur et cela pose une nouvelle et vraie question, celle de l’équilibre global du récit traditionnellement proposé pour rendre compte de l’histoire des planimétries. Un nouveau balancement s’impose. La seconde évolution est la découverte, par l’archéologie préventive et l’archéogéographie planimétrique, des processus de transmission des formes, qui avaient été pressentis par l’école de morphologie parcellaire des années 70-80. Un nombre important de fouilles et d’analyses de formes témoignent que la dynamique d’un parcellaire est un processus au moins bi-millénaire et que cette dynamique est composée de transformations et de transmissions. 1. - Que se passe-t-il dans l’Antiquité pré-romaine et romaine ? Les enquêtes se sont multipliées depuis vingt ans. Il s’agit d’abord de nouveaux dossiers d’analyses de formes par carto-interprétation, prospection aérienne à basse altitude et photo-interprétation. Ces analyses, qui sont conduites sur des représentations planimétriques plus récentes (plan cadastral napoléonien ou premières cartes topographiques), ont posé l’idée que les orientations antiques avaient considérablement marqué les paysages ruraux et qu’il était donc envisageable de traiter les formes plus récentes afin d’y lire des trames antiques. C’est sur cette base, par exemple, qu’ont été fondés les travaux sur les centuriations romaines en Gaule, en Italie où une tradition de reconnaissance de la centuriation est un fait historiographique majeur (abondante bibliographie, synthèse dans Chouquer (dir), 1996-1997). On sait que le bilan critique de ces travaux est engagé parce que des intrus se sont glissés dans la liste des candidats au titre de centuriation (Favory, 1997 ; Chouquer, 2000). Mais, au-delà de cette nécessaire évaluation du travail accompli, il n’en reste pas moins que des résultats fort appréciables ont été obtenus, dont la solidité est avérée. 21 G. CHOUQUER Ensuite, il s’agit des plans issus des chantiers d’archéologie préventive, de plus en plus nombreux, de plus en plus vastes aussi, qui ont donné des cartographies saisissantes de ces créations viaires et parcellaires originales du passé, surtout antique. Des dossiers majeurs ont été publiés, autour de Nîmes, en vallée du Rhône, dans le bassin parisien, en Normandie, en Bretagne, en Vendée, dans le Nord et le Pas-de-Calais, en Lorraine. Les surfaces soumises à l’enquête archéologique sont de plus en plus vastes : 200 ha à Mondeville, 300 à Arras “Actiparc”, 140 à Dourges et à Villeneuve d’Ascq, 150 à Évreux, etc. (Berger et al.,2003 ; Carpentier et al.,2004 ; Catteddu, 2004 ; Coquidé et Vermeulen, 1999 ; Courbot-Dewerdt, 2003 ; Devals, 2004 ; Europort Vatry, 2005 ; Maréchal, 2003 ; Quérel, 2003 ; Royet, 2004 ; etc.). Ce sont des fenêtres ouvertes sur des ensembles qui s’avèrent complexes en raison de la fréquence des remaniements parcellaires opérés dans un intervalle de quelques siècles. Les parcellaires connaissent le même phénomène que celui qui a été observé dans l’évolution des fermes indigènes, à savoir des remaniements nombreux et tendant vers plus de géométrie, surtout au deuxième Âge du Fer (Buchsenschutz et Méniel (éd), 1994 ; Bayard et Collart (éd), 1996 ; Marion et Blancquaert (éd), 2000). Les prospections aériennes ont joué un rôle considérable dans la connaissance des formes de l’habitat et, accessoirement, du parcellaire de la protohistoire, avec des publications d’atlas, de manuels et de d’inventaires (ex : Agache, 1978 ; Leroux et al.,1999 ; Delétang, 1999 ; Bréart (dir.), 1999). Les chapitres sur l’Âge du Fer et sur les fermes indigènes sont devenus des passages obligés de cette littérature, indice d’un changement profond de la documentation. Il s’agit enfin de prospections en forêts qui ont fait la preuve de leur efficacité en permettant la cartographie d’ensembles étendus, sur le modèle des cartes des parcellaires des sommets vosgiens ou d’Allain, connus depuis longtemps dans la littérature archéologique. Aujourd’hui les repérages de la forêt de Haye (plusieurs milliers d’hectares) et plus généralement dans la région étendue entre Pont-à-Mousson et Neufchâteau (Georges-Leroy et al.,2003), ou ceux de la forêt de Châtillon en Bourgogne et ceux des sources de la seine (Chouquer et Favory, 1991, p. 181 ; Mangin et al.,2000), ou encore les relevés signalés pour la forêt de Loches et exploités par Gaëlle Jacquet dans sa thèse inédite (Jacquet, 2003), constituent des contributions majeures à la connaissance des voies et des parcellaires anciens, pré-romains et romains. 1.1. - Un schéma général émerge de ces enquêtes La genèse du parcellaire est un phénomène qu’on peut qualifier d’ancien, largement pré-médiéval. Toutes les fouilles ou presque attestent la mise en place des premières planimétries dans une période large qui peut remonter à la fin de l’Âge du Bronze ou au début du pre- 22 mier Âge du Fer pour les plus anciennes formes connues, jusqu’au début du haut Moyen Âge pour des exemples tardifs (fouilles de Montours et Louvaquint en Bretagne ; Catteddu (éd), 2001). Les parcellaires de l’Âge du Bronze sont assez bien connus dans les îles Britanniques, et commencent seulement à émerger en France. Deux publications récentes ont attiré l’attention sur ces divisions précoces. L’une concerne les vestiges trouvés sur l’île de Tatihou dans la Manche (Marcigny et Ghesquière, 2003a), l’autre des vestiges du Bronze Ancien mis au jour à Bernières-sur-Mer dans le Calvados (Marcigny et Ghesquière, 2003b). Bien que limitées à l’emprise des fouilles et ne permettant pas de connaître le mode de regroupement des parcelles dans des formes intermédiaires, ces deux fenêtres sont essentielles pour affirmer le début de la parcellisation à l’Âge du Bronze ancien et moyen. Pourquoi parler d’une genèse des planimétries qui va de l’Âge du Bronze au Haut Moyen Âge et réunir le tout en un ensemble ? Dans l’état actuel des connaissances, je crois opportun de considérer que le phénomène d’émergence et de diffusion des formes planimétriques concerne une longue phase qui s’ouvre, en certains endroits, dès l’Âge du Bronze, ailleurs à date plus ou beaucoup plus tardive. Les fouilles de Montours et Louvaquint, localités où a été mis en évidence un parcellaire des VIIIe-Xe s., n’ont, selon moi, rien à voir avec le Haut Moyen Âge chrono-typologique, si l’on entendait par là une phase spécifique de cette période. Elles n’ouvrent pas une phase nouvelle dans la typologie des formes agraires. Elles ne sont que l’effet retardé d’un développement des formes planimétrique initié sur le lieu à l’Âge du Fer avec un enclos, et seulement “continentalisé” près d’un millénaire plus tard, avec le développement du parcellaire à fossés, qui reprend l’orientation et la forme de l’enclos laténien. Ces parcellaires sont bien chronologiquement carolingiens, mais ils participent de la fin d’un processus qui, lui, est antique au sens très large. Cependant, dans cette longue phase d’émergence, une période nettement plus resserrée, le second Âge du Fer et le premier siècle de notre ère, est celle pour laquelle on rencontre l’essentiel de l’information. Ensuite, on ne connaît pas de création viaire et parcellaire à ce niveau. C’est-à-dire que si les évolutions et les transformations locales abondent, pendant le Moyen Âge et l’époque moderne, aucune refonte radicale du parcellaire et de la voirie ne change à ce point les orientations et la forme des terroirs ordinaires (à l’exception des cas avérés de planification agraire). Ce qui se passe lors de cette phase laténienne est un fait majeur. L’occupation du sol se “continentalise”, c’est-àdire que les formes se diffusent dans d’espace. Cette extension prend la forme d’une trame de liens planimétriques suffisamment nombreux pour créer des connexions et un tissu de formes continu ou quasi continu, au moins dans les espaces à l’orographie modérée. G. CHOUQUER Exprimée de façon métaphorique, on peut dire qu’on passe d’une occupation en formes d’îles ou de corridors, à une occupation en forme de continent, par la diffusion de la planimétrie viaire et parcellaire et la création d’habitats. En même temps que se forme ce tissu, on assiste à la création de l’habitat, qui prend, avec la multiplication des fermes indigènes et des villae, une forme dispersée caractéristique et dont l’abondance est nouvelle. Ce passage d’une forme discontinue, en îlots, à une forme plus reliée est un fait exceptionnel : c’est un seuil de percolation dans la mise en place de la planimétrie. Pour un grand nombre de régions c’est l’origine de leur dessin parcellaire, y compris médiéval et moderne, comme on va le voir. Cette phase d’émergence est “brouillonne”, en ce sens qu’elle se traduit par la diversité des orientations et des formes et leur enchevêtrement, ainsi que par leur compétition qui se traduit par des disparitions rapides et des renouvellements tout aussi rapides. Les géographes parlent de logique de front pionnier pour décrire ces formes issues d’une première occupation massive d’un espace. En effet, que ce soit dans les fouilles en milieu rural (parcellaires ou habitats), dans les fouilles des grands oppida urbains (l’exemple de Besançon est démonstratif), ou dans les reconnaissances de centuriations dans le midi de la France, un schéma identique se fait jour. Tout se passe comme si les sociétés laténiennes (indigènes et romaine) projetaient sur le sol des formes et en changeaient rapidement au point que des orientations diverses apparaissent sur les sites en quelques siècles, voire en quelques décennies. Cette effervescence se traduit toujours par une évolution rapide vers une géométrie plus régulière et souvent plus orthogonale. Le plan des fermes indigènes se régularise et on passe de formes curvilignes à des enclos plus réguliers, souvent proches du carré ou du trapèze. Les parcellaires, de même, se diffusent en se régularisant. Dans le cas des centuriations de Gaule méridionale, nous avons eu à établir le même genre de constat. Aux seconds et premiers siècles av. J.-C., les centuriations se développent et, dans un certain nombre de cas bien avérés (Orange, Narbonne, Béziers, Nîmes), se succèdent rapidement, formant le même type d’enchevêtrement. Il se passe donc quelque chose de majeur et de comparable dans l’ensemble des sociétés de la fin de la protohistoire, quelque chose de strictement parallèle en Gaule non romaine, en Bretagne ou en Germanie, comme dans l’Italie et les provinces déjà romanisées. Ce fait majeur, ce n’est pas la conquête romaine dont on pensait, il n’y a pas encore si longtemps, que c’était elle qui créait la rupture en apportant le parcellaire et la voirie. Ce fait, c’est l’émergence, à l’Âge du fer, de la planimétrie “continentalisée”, l’extension de l’occupation du sol, et, enfin, la tendance générale à la régularisation et à la planification des formes. Les aspects que prend ce fait majeur sont divers, selon le degré plus ou moins grand de planification agraire qu’on peut constater. Bien entendu la conquête romaine joue un rôle important dans la mise en œuvre et la diffusion de ce processus historique. 1.2. - Formes non divisées et non planifiées d’occupation du sol Dès qu’on dispose de cartes couvrant des espaces suffisants, on peut apprécier la forme d’ensemble de ces planimétries agraires. Comment distinguer, cependant, ce qui est évolution endogène d’une occupation vers plus de géométrie, d’une authentique planification initiale ? Autrement dit, comment distinguer, dans un processus général d’occupation de terres nouvelles, ce qui ressortit d’une appropriation “sauvage”, laissée à la libre initiative des colons, de ce qui ressortit à une appropriation planifiée et conduite collectivement à partir d’une division par un arpentage à des fins de redistribution de terres (équivalant à ce que les Romains appellent ager divisus et adsignatus, “territoire divisé et assigné”) ? Ce sont évidemment les formes qui permettent de trancher. C’est ici qu’il convient de fixer les notions générales. L’Antiquité préromaine et romaine est la phase de l’appropriation du sol, celle qui connaît cette logique dite de “front pionnier” qui ouvre de nouveaux et nombreux espaces à l’occupation. Comment cela se produit-il et quel rapport doit-on établir entre le phénomène d’appropriation et les formes planimétriques ? Parce que Rome prend très tôt une place remarquable dans ce processus, dès le IVe siècle av. J.-C. en Italie et dès les IIIe-IIe siècles dans les premières provinces conquises par elle, la littérature gromatique, qui renseigne sur cette appropriation, est centrale. Bien entendu, il s’agit de la représentation romaine d’espaces indigènes, et cette représentation ne nous est transmise que par des auteurs qui écrivent sous l’Empire, donc bien après la phase majeure dont ils rendent compte. Malgré ces biais, cette littérature porte témoignage des formes indigènes d’occupation du sol, parce que les arpenteurs romains ont régulièrement rencontrés des espaces agraires déjà occupés, parcellisés, habités, et dont il leur a fallu rendre compte. Les meilleurs exposés sont, de ce point de vue, chez Siculus Flaccus et chez Hygin. La structure principale de leur exposé est la suivante. Ils constatent que l’autorité romaine, après avoir conquis un territoire, ne provoque pas obligatoirement sa division par des limites afin de le distribuer aux colons. Des territoires, bien que conquis par Rome, classés dans l’ager publicus et soumis à toutes sortes d’impôts (tributum soli, vectigal), sont offerts à un régime dit “occupatoire”, c’est-à-dire qu’on laisse chacun s’emparer à sa guise de ce qu’il pense pouvoir mettre en valeur. On le fait souvent après avoir expulsé la population locale. Trois noms désignent ces espaces laissés à la libre appropriation : agri soluti (terres libres, sous entendu 23 G. CHOUQUER de limites ou confins préalables), agri occupatorii (terres occupatoires), agri arcifinales (terres dont on a écarté les occupants). Ces terres ressortissent de ce que le droit romain qualifie de ius occupatorius, “droit occupatoire”, définissant le territoire du même nom, ager occupatorius. Voilà les noms sous lesquels les terres indigènes non divisées par Rome — celles dont les archéologues retrouvent des éléments de la planimétrie — apparaissent dans la documentation antique. Dès lors, la description très détaillée de leurs modes de bornage chez Siculus et Hygin constitue une excellente description des planimétries et des modelés agraires indigènes de l’Âge du Fer. Ils nous apprennent que, dans ces espaces, c’est l’accord entre les propriétaires ou possesseurs voisins qui garantit les limites. Ils nous renseignent sur l’existence de variétés régionales et locales de bornage. Ils dressent des listes détaillées des marques du bornage : des arbres, des buissons, des fossés, des ruisseaux, des talus, des murets de pierre, des tas de pierre (scorofiones), des pierres avec des marques, des chemins. Ils nous renseignent enfin sur le fait que l’arpenteur doit savoir apprécier de telles possessions au moyen de lignes d’arpentage qui vont d’un point de bornage à un autre, pour former le dessin géométrique d’un espace qui n’est pas carroyé. Il n’est pas difficile d’imaginer que, dans de nombreux cas, l’administration romaine a classé dans cette catégorie juridique des territoires agraires eux-mêmes déjà appropriés, occupés et dont la planimétrie était en place, qu’elle soit d’origine planifiée ou non. On doit, enfin, attirer l’attention sur une erreur qui a été quelquefois commise, lorsque pour désigner ces formes indigènes qui ne ressortissent que du régime “occupatoire”, les chercheurs ont utilisé les termes de strigation ou de scamnation qui ne se rapportent pas du tout à cette catégorie d’espaces, et qui désignent au contraire des espaces limités et assignés romains. 1.3. - Une phase majeure de planification, définie dans les recherches britanniques Comment qualifier la morphologie des planifications agraires protohistoriques ? C’est chez les auteurs anglais, en raison de la précocité des repérages archéologiques, qu’on trouve les premières définitions. La particularité principale de cette phase d’émergence est la diffusion d’une forme de planification en bandes (strip system des archéologues britanniques). Les recherches britanniques ont proposé des distinctions typologiques de base qui ont été reprises dans les années 70 et 80 (Bowen, 1961 ; Bowen et Fowler, 1978 ; Bradley et Richards, 1978 ; synthèse dans Favory, 1983). L’apport des travaux et des synthèses des archéologues de l’Europe du nord et du nordouest est considérable parce qu’ils ont offert les premières et nombreuses cartographies de formes parcellaires protohistoriques, représentant un apport équivalent à celui que les antiquisants réalisaient, dans le même temps, avec la 24 cartographie des centuriations du pourtour méditerranéen. S’agissant de la façon dont sont organisés les champs (“fields systems”), les archéologues britanniques ont défini deux unités typologiques. Le cohesive system est un “ensemble cohérent” de formes viaires et parcellaires, dans lequel des champs sont regroupés dans des bandes assez régulières dont la longueur peut atteindre jusqu’à 2,5 km. Ces bandes forment des plages variant de 1 à 5 km2 environ. Le modèle de ce type est l’ensemble des Berkshire Downs, illustré par la figure de détail montrant les cohesive systems situés au sud-ouest de l’oppidum de Segsbury. Leur datation peut être haute, par exemple dès le Néolithique ou l’Âge du Bronze, mais leur durée d’utilisation couvre aussi les Âges du Fer. L’aggregate system (ensemble par accrétion) est un ensemble de parcelles, d’une superficie n’excédant pas 2,75 km2, constitué de parcelles moins régulières, qui semblent s’être constituées par addition, c’est-à-dire qu’on n’y repère pas de mode de groupement préférentiel dicté par une forme intermédiaire répétée. Le cohesive system est donc un mode régulier d’organisation du parcellaire en bandes (strip system), bref une organisation sur un plan préétabli, avec une forme intermédiaire typée; l’aggregate system, un mode cumulatif (estimé spontané) de groupement des parcelles, sans plan préétabli. À cette définition concernant les champs et leur mode de groupement, se sont ajoutées des observations importantes concernant les grands fossés, murets ou banquettes délimitant le territoire et qui sont une des particularités bien connues des observations réalisées dans les îles Britanniques. Ce type de division est nommé ranch boundary (limite de propriété) et joue à une échelle supérieure par rapport aux ensembles de bandes planifiées. Or les fossés (ditches) ou banquettes ou murets (reaves, du nom local donné à ces murets dans le Dartmoor) qui les composent, découpent tout ou partie de l’espace agraire selon une autre hiérarchie que celle des bandes de la planification. Ces éléments linéaires accompagnent généralement les zones de cohesive ou d’aggregate fields. Mais la relation morphologique qu’ils entretiennent n’est pas uniforme. Quelquefois les lignes de division servent directement d’appui aux bandes des ensembles cohésifs, comme les landes du Dartmoor en donnent des illustrations très nettes (Upper Dart, fig. 2 dans Fleming, 1986, p. 163 ; Slaugh Moor, fig. 4.2 dans Bowen et Fowler, 1978, p. 26, d’après John Collis). Mais d’autres cas montrent des intersections et des discordances très nettes, avec des fossés ou des reaves traversant en oblique des ensembles de parcelles. À Danebury, par exemple, la constatation d’une telle discordance suffit, selon les chercheurs, à proposer l’idée que le bloc parcellaire recoupé par un fossé du type Wessex date le parcellaire de l’Âge du Bronze, avant l’installation de ces fossés. Ces délimitations sont hiérarchisées. Par exemple, dans l’étude des environs de l’oppidum de Danebury, les archéologues ont proposé de distinguer deux espèces de fossés (Palmer 1984, p. 10 pour les définitions). Les Wessex linear ditches (fossés linéaires dits de Wessex) sont ceux qui com- G. CHOUQUER posent le système principal de division parcellaire et qui remontent au milieu et à la fin de l’Âge du Bronze. À un degré hiérarchique moindre, on trouve des local linear ditches (fossés linéaires locaux). Ils partent souvent d’un enclos de l’Âge du Fer, ou en relient deux, et traversent quelquefois des ensembles de parcelles. Ils peuvent former les fossés parallèles délimitant une voie. Dans d’autres régions, H. C. Bowen avait effectué les mêmes observations et parlait de “spinal linears” (lignes vertébrales) pour différencier les divisions principales des lignes ou fossés subsidiaires. On comprend qu’il soit possible d’associer les deux éléments, champs et limites linéaires, pour qualifier un espace agraire et passer à un niveau plus global de la forme. C’est ce que fait François Favory, en synthétisant les travaux anglais (1983). Il définit le cohesive system comme étant un ensemble cohérent de voies et parcellaires, dominé par un grand oppidum en position centrale (hillfort), délimité et structuré par un ensemble de longs fossés ou de murets linéaires (linear ditches) qui découpent l’espace en grandes plages de territoire à l’intérieur desquelles on relève les groupes de parcelles, de tumuli et d’habitats. Dès lors le cohesive system devient l’expression par laquelle est nommée à la fois une organisation territoriale (au moyen de ranch boundaries) et une planification agraire selon le modèle typologique banal de la bande. Ces deux niveaux de la réalité agraire ne sont pas toujours en relation de concordance ni planimétrique, ni chronologique. Une des questions sous-jacentes à cette discussion est, entre autres, la suivante. Ce qui est en jeu, c’est la possibilité ou non pour l’archéologue ou l’archéogéographe de parvenir à se faire une idée juste du degré de continentalisation des formes atteint pendant la Protohistoire. Les aggregate systems britanniques sont-ils le signe d’un fonctionnement agraire en îles, c’est-à-dire non encore continentalisé, niveau qui ne serait atteint qu’avec les cohesive systems ? Comme les archéologues classent souvent dans les aggregate systems des traces parcellaires très incomplètement observées, la question est difficile à trancher. Le risque serait qu’on en déduise des notions d’autarcie, ou qu’on interprète en termes de faiblesse de l’organisation planimétrique des situations où il n’y a qu’une observation incomplète de la réalité ancienne. Il me semble préférable de bien discerner deux objectifs distincts et éventuellement en relation : le mode de division territoriale de l’espace agraire selon les communautés qui sont en présence ; le mode d’appropriation et de parcellisation de la terre, laissé à l’occupation libre ou organisé selon une distribution planifiée. L’intérêt d’un relatif découplage sera de permettre de comprendre que la forme en bande dispose d’une ubiquité à la fois spatiale et chronologique qui la rend quelque peu indépendante de la territorialisation des Âges du Bronze et du Fer. Il ne faut pas systématiquement lier la forme en bandes avec les limites territoriales des Âges des métaux, pas plus qu’il ne faut systématiquement lier la centuriation avec les limites des cités ou des pagi d’époque romaine. Le lecteur de langue française trouvera dans la synthèse de François Favory (1983) une recension détaillée et argumentée des travaux anglais et scandinaves qui ont installé le modèle des cohesive systems. Depuis cette date, de nouvelles publications ont diversifié les exemples (Palmer, 1984 ; Whimster, 1989 ; travaux d’archéologie préventive en France, cités ci-dessus). Cependant, on regrette que ce fait planimétrique et agraire essentiel soit encore absent des synthèses, surtout des plus récentes (Audouze et Buchsenschutz, 1989 ; Cunliffe, 2001 ; Malrain et al.,2002). Cette forme est bien connue en Angleterre où elle accompagne la diffusion des enceintes des Âges du Fer, du type hillfort (carte dans Cunliffe, 2001, p. 181). Mais des planifications agraires organisées en bandes sur de grandes surfaces et qui répondent aux critères ci-dessus définis pour les parcellaires cohérents peuvent éventuellement être plus tardives et sans lien avec un grand oppidum de l’Âge du Fer. C’est le cas d’un des plus étonnants ensembles parcellaires planifiés de toute l’Angleterre, celui qui est situé entre Doncaster et Nottingham et qui s’étend sur environ 25 km du nord au sud. Il est de datation beaucoup plus récente que tous les exemples britanniques cités jusqu’ici (Riley, 1980 ; carte dans Chouquer et Favory, 1991, p. 172-173). On doit donc s’attendre à trouver de grandes planifications en bandes à la fin de l’Âge du Fer et au début de l’époque romaine, y compris après l’abandon de grands oppida. Je propose également de classer dans ce type l’immense parcellaire planifié qui occupe les vallées des Tilles et de l’Ouche, le long de la voie Traversaine (nom local donné à une grande voie gauloise qui structure la voirie et le parcellaire antiques), et qui s’étend sur plus de trente kilomètres d’Arc-sur-Tille aux Maillys et sur quelque trente à quarante communes actuelles (Chouquer et Favory, 1991, p. 176-177 ; Chouquer, 1996 ; Delétang (dir), 1999, p. 148-149). Les indices de planification y sont nets avec des bandes parallèles à la voie Traversaine ou aux autres voies principales (par exemple à Genlis ; Les Maillys) ou perpendiculaires (au nord-est de Genlis et à Labergement Foigney). La fouille d’une ferme indigène parfaitement incluse dans ce parcellaire, à Genlis “Clos du Varin”, a fourni un repère chronologique (fin IIe et début Ie siècle av. J.-C.) utile quoique unique (Conche, 1994). La question de la chronologie de mise en place de ces planifications est délicate. Quand des sériations sont proposées, les auteurs rencontrent le problème de l’amplification des datations ponctuelles. À Danebury, par exemple, un phasage général a été proposé, mais avec beaucoup de réserves. On doit aussi constater la précocité de certaines réalisations, comme dans le Dartmoor où une vaste planification par bandes est mise en place entre 1700 et 1600 av. J.-C. (Fleming, 1986, 161). Cependant, je le 25 G. CHOUQUER répète, le plus grand développement de cette morphologie est dû aux Âges du Fer, surtout le second, et les observations britanniques les plus courantes sont désormais complétées par celles effectuées par l’archéologie française ou italienne. 1.4. - Réflexions sur le critère de régularité pour définir la planification Notre objectif, désormais, pourrait donc être de travailler à la qualification du phénomène perceptible à travers ces informations planimétriques abondantes de la protohistoire : caractériser le mode, le processus et le seuil de percolation qui fait qu’on passe d’un état discontinu de l’occupation à une continentalisation ou un début de processus de continentalisation. La planification consciente est une façon collective de le faire, mais des modes plus individuels ou plus locaux sont possibles. Sans prétendre réduire le concept de planification à la seule observation de formes périodiques, le critère de la régularité des formes intermédiaires est néanmoins central, et, ici, c’est la morphologie agraire comparée qui peut nous guider. Or le seul exemple documenté par des textes pour l’Âge du Fer, est l’exemple romain, puisque les auteurs gromatiques romains nous renseignent sur des divisions en bandes de haute époque. En Italie centrale, en effet, on a quelques idées sur la mise en place des premières limitations romaines (Castagnoli, 1953 ; Chouquer et al.,1987 ; synthèse dans Chouquer et Favory, 1991, p. 91-138). Les formes les plus anciennes de division agraire qu’on observe dans les cités du Latium, de Campanie et d’Étrurie — rappelons que ces espaces constituent les premières aires de colonisation et de division romaines, aux portes de Rome — ne semblent pas se différencier fondamentalement de ce qu’on trouve dans d’autres contextes protohistoriques. Les formes sont celles de bandes de terre plus ou moins régulières. À Suessa Aurunca (Campanie septentrionale), la trame des chemins dessine une forme en bandes ondulantes qui paraissent avoir été adaptées à la zone de collines qui entoure la ville antique (Chouquer et al.,1987, fig. 51 p. 171). Si l’identification proposée était avérée — à savoir qu’il puisse s’agir d’une division agraire précoce — on aurait un exemple très proche des parcellaires protohistoriques qu’on trouve dans l’Europe du nord et de l’ouest. Pour la cité antique d’Anagnia, nous avons, de même, suggéré une possible organisation précoce dans un ensemble de chemins et de limites parcellaires respectant souvent des mesures romaines, mais ne dessinant pas une forme stéréotypée et périodique (eid., fig. 17 et 18, p. 114 ; carte dans Chouquer et Favory, 1991, p. 103). C’est aussi le type observé à Venafrum, avec des bandes très nettement dessinées mais d’espacement irrégulier (carte dans Chouquer et Favory, 1991, p. 106-107 et 202). 26 Plus aisées à qualifier et sans doute aussi bien plus vraisemblables, les formes en bandes rectilignes avec périodicités renvoient à des limitations qu’on peut classer dans le type des lacinéations, strigations ou scamnations établies par le tracé de chemins intersécants et par le dessin d’unités intermédiaires. Elles sont attestées aux IVe et au début du IIIe siècles av. J.-C. L’exemple type de cette forme est sans doute la grande limitation d’Alba Fucens, découverte par Castagnoli, et dont nous avons, à sa suite, développé l’analyse et fourni une carte d’ensemble (eid., fig. 27, p. 131 ; carte reprise dans Chouquer et Favory 1991, p. 105). La forme est une lacinéation développée au moyen de longues bandes pouvant aller jusqu’à 16 à 17 km de long, orientées à 62° à l’est du nord géographique, et larges de 12 actus linéaires (soit environ 12 x 35, 48 m = 425,76 m). La bande est matérialisée au sol soit par une limite (muret de pierres sèches ou fossé), soit par un chemin interparcellaire. Par quels termes les arpenteurs romains désignaient-ils ces réalités ? Pour répondre à cette question, la recherche a consisté à comparer la morphologie agraire et le texte des notices conservées du Liber coloniarum, et de le faire pour les cités du Latium et de Campanie du Nord dans lesquelles on repère une division précoce du sol par Rome (Chouquer et al.,1987, 238-239 ; carte générale dans Chouquer et Favory, 1991, p. 97). Ces résultats ont permis de suggérer des rapprochements et de découvrir comment les arpenteurs romains nommaient la morphologie agraire. Dans les réalisations romaines, le nom du chemin est limes intercisivus (chemin intersécant), et on possède des indices suffisants pour dire que tel était le nom de l’axe dans des planifications précoces romaines adoptant la forme en bandes à la fin du IVe ou au début du IIIe s. av. J.-C. (ex. à Interamna Lirenas, 234, 20 La ; Venafrum 239, 9 La ; Alba Fucens 253, 5-14 La). Ce chemin est la matérialisation d’une visée initiale qui produit un alignement appelé rigor interiectivus (littéralement, “l’alignement jeté entre” : PseudoAgennius, 31, 21 Th). Dans son étude, André Déléage avait choisi de traduire limes intercisivus par “chemin interparcellaire” (Déléage, 1934), ce qui ne rend pas suffisamment la notion de “couper par le milieu”, “fendre” qui se trouve dans le verbe intercido d’où vient l’adjectif intercisivus. Voilà pourquoi je propose “intersécant”. Cependant l’expression de chemin intersécant n’est pas exclusivement réservée à la définition des principales formes intermédiaires des divisions romaines, ici la bande, ailleurs la centurie. Son emploi est également attesté pour désigner les chemins de moindre niveau, ceux qui divisent l’espace en lots ou en unités sous-intermédiaires. Ainsi une centurie carrée peut être divisée en plusieurs bandes par des limites intercisivi. Il en va de même dans les divisions en bandes, où les limites intercisivi servent à définir des unités sous-intermédiaires. Le terme de limitatio est donc bien le terme le plus générique qui soit, et il ne désigne pas plus les formes précoces en bandes, que les formes classiques en centuries. Quel est le nom de la bande elle-même entre deux chemins ? Il n’est pas certain qu’elle en ait possédé un. Dans G. CHOUQUER l’état actuel de la réflexion, on peut suggérer la position suivante. Le terme de limitatio désigne le mode de découpage de l’espace agraire au moyen de chemins. Il provient d’une intercisio, c’est-à-dire d’un découpage du territoire en vue de l’assigner par lots. Ensuite des termes comme lacineae, strigae, scamna, praecisurae, qu’on rencontre très souvent dans les notices du Liber coloniarum, renvoient au mode de désignation des lots dans la bande ainsi définie. Le terme lacineae, par exemple, est fréquent en Latium et Campanie, quasi inexistant ailleurs (un seul exemple en Bruttium). Dans les notices latio-campaniennes du Liber coloniarum qui se réfèrent à de telles formes précoces, on trouve le plus souvent 1. le terme lacinea, 2. la mention de limites intercisivi, et 3. trois fois la formule groupée in lacineis limitibus intercisivis qu’on pourrait traduire par “en lacineae au moyen de limites intersécants” (Chouquer et al.,1987, 238-239). Dans ce dernier cas, la lacinea peut être non pas toute la bande située entre deux chemins, mais l’unité de terre subdivisée attribuée au colon. On a divisé le sol par des limites formant de grandes bandes, et on l’assigne par lots au moyen d’unités dites lacineae. Ma proposition est, en effet, que les termes de striga, scamnum, lacinea, praecisura, peuvent être compris comme désignant le mode de lotissement de la bande, et que ce sont, en quelque sorte, des termes de même niveau hiérarchique, “sous-intermédiaire” par rapport à la bande elle-même. La raison d’être de ce niveau sous-intermédiaire est pratique : il faut parvenir à localiser la terre à l’intérieur de la bande, surtout quand celle-ci peut atteindre des dimensions considérables (ex. à Alba Fucens, plus de 15 km). On comprend que l’arpenteur ait besoin de subdiviser encore et de créer des unités numérotées pour désigner ensuite des terres ou des lots à assigner. Il lui faut une unité plus petite, à l’intérieur de cette unité intermédiaire qu’est la bande, trop vaste et seulement désignée par les numéros des axes qui l’encadrent. Cette distinction entre un mode de division et la nécessité de disposer d’unités sous-intermédiaires pour l’assignation avait été très bien vue par Déléage (1934, p. 74). La clé de cette question délicate, en raison du caractère polysémique des termes striga et scamnum, tient probablement au développement d’enquêtes morphologiques et métrologiques détaillées qui permettraient de savoir un peu mieux si l’idée d’unités sous-intermédiaires à l’intérieur des limitationes précoces est valable. La série des exemples connus dans l’aire latio-campanienne renvoie à des datations assez groupées, situées entre le milieu du IVe s. et les premières décennies du IIIe s. av. J.-C. si, du moins, l’interprétation romaine des formes observées est confirmée pour chacun des cas envisagés. En effet, on ne doit pas exclure l’hypothèse que tel ou tel parcellaire en bandes, notamment lorsqu’il ne présente pas de périodicité métrologique romaine, puisse être un parcellaire “indigène”, voire une reprise romaine de formes indigènes. Je conclus cette première partie. Les sociétés de la protohistoire mettent en œuvre de façon précoce l’organisation de la planimétrie des espaces qu’elles occupent. Le phénomène peut commencer très tôt, dès le premier Âge du Bronze. Mais la phase majeure est, partout, celle des Âges du Fer, surtout du second. Le fait que le phénomène soit parallèle dans les espaces protohistoriques et dans ceux qui sont conquis par Rome, montre que la cause majeure de cette émergence de la planimétrie agraire n’est pas la conquête romaine, mais quelque chose de plus général dont la conquête fait partie et qui représente un chapitre plus remarqué que les autres, notamment par les techniques mises en œuvre et par la documentation héritée (textes des gromatici veteres). Les formes de cette organisation planimétrique sont complexes, et tendent, globalement, vers la planification régulière à l’aide de systèmes en bandes, souvent très développés. 2. - Les processus de transmission des formes dans la durée 2.1. - Position du problème Lorsque, dans les années 70 et 80, les photo- et cartointerprètes estimaient pouvoir lire et reconstituer des centuriations sur des cartes et des clichés aériens, ils posaient un implicite qu’ils ne pouvaient guère démontrer : que les formes se soient transmises et que “dans” la forme actuelle on ait la possibilité de chercher des éléments de la forme ancienne, celle-ci étant “cachée” dans la planimétrie comme le vent joufflu l’est dans le ciel nuageux des images enfantines qu’il faut retourner en tous sens pour finir par le trouver. Ce qui leur inspirait confiance dans cette possibilité de lecture, c’est : 1. qu’ils connaissaient le modèle à chercher ; 2. qu’ils disposaient de deux critères stables, l’orientation constante et la périodicité métrologique, susceptibles d’être mis en œuvre de façon scientifique et expérimentale. De même nature étaient les travaux d’Éric Vion sur les réseaux routiers. Ce chercheur a défendu le présupposé d’une importante transmission des formes du passé dans les états planimétriques hérités. Il a défini une méthode cartographique à base de tris, afin de repérer des anomalies de formes (Vion, 1989). Ces principes heurtaient les archéologues et les historiens en raison de la vision stratigraphique qui était la leur et de leur présupposé morpho-historiciste. Comme l’ancien était présumé situé “dessous”, comme les périodes fonctionnaient sur la base de morphologies captives (à chaque période sa forme), la transmission était estimée anecdotique, comme une ruine médiévale ou antique en élévation peut l’être aujourd’hui au milieu d’étables en tôle ondulée et de pavillons vendus sur catalogues… Des cas individuels de transmission étaient acceptés, mais l’idée que la forme d’ensemble puisse être transmise n’était pas 27 G. CHOUQUER recevable. L’argument principal était que cela renvoyait à une vision déterministe et fixiste, “à la Roupnel”, alors que la mobilité et la contingence étaient les horizons des historiens et des archéologues. Il fallait donc changer et on concevait le changement par périodes. Les photo- et carto-interprètes ont eu raison de ne pas baisser les bras malgré les incompréhensions, car la situation intellectuelle et scientifique est bouleversée, au point que cette idée s’impose. L’archéologie préventive a apporté, grâce aux nombreux dossiers cités plus haut, des matériaux considérables pour apprécier la nature et l’ampleur de cette transmission. Un nouveau cadre théorique est donc à mettre en place. 2.2. - Transmission et transformation Le processus est double et paradoxal : il y a transformation et transmission, l’une parce qu’il y a l’autre. L’explication est difficile puisqu’il s’agit d’une relation dans le temps long qui met en jeu le rapport entre le fait local et son amplification planimétrique. La coupe de Pierrelatte “les Malalones” démontre un fait majeur (Berger et Jung, 1996 ; Chouquer, 2000, p. 167 ; Études Rurales 2003, p. 25). Sur deux millénaires environ, la transmission ne cesse d’opérer et le fossé creusé pour la première fois par un agriculteur de l’Antiquité, devient le potentiel sur lequel plusieurs fossés parcellaires se fondent pour leur propre existence, malgré des interruptions qui peuvent durer plusieurs siècles. Que la haie du paysage actuel transmette encore l’orientation antique est un fait majeur. Bien entendu on a compris que cette transmission s’est produite alors que les états de l’occupation du sol changeaient radicalement et que le mode d’exploitation de ce secteur variait tout autant. La transmission s’est donc faite dans un contexte historique de mutation, de transformation. C’est même l’existence de ces transformations de l’occupation du sol qui font qu’il y a eu transmission, car si le site avait été enseveli et que plus jamais il n’ait évolué (forêt ou friche permanente), il n’y aurait pas de connaissance en surface des états anciens enfouis et donc pas de transmission. C’est pour cela que j’ai suggéré de nommer “transformission” (de transformation et transmission) ce phénomène original et paradoxal. Mais si on n’aime pas les néologismes, on peut se passer du mot pour ne retenir que le phénomène. Cependant, cette information ne suffit pas. Il faut replacer cette coupe dans la planimétrie pour mieux comprendre l’intérêt du phénomène. Le premier fossé agraire, à la base de la coupe, est tracé en respectant l’orientation de la centuriation d’Orange. Ensuite, en effet, le maintien du même emplacement (isotopie de la forme) et de la même orientation (isoclinie) pour les fossés ultérieurs ne transmet pas seulement le fossé antique, mais contribue à la transmission de la forme orientée antique toute entière. Quand on apprend 28 de Jean-François Berger et Cécile Jung que ce processus a concerné 70 % des fossés qu’ils ont sondés en moyenne vallée du Rhône, on découvre que c’est un processus paysager original et non pas un cas particulier. L’archéologie préventive démontre donc, en quelque sorte, la réalité du processus de transmission sur lequel on se fondait pour étudier les centuriations dans les années 70 et 80. Ce qui est devant nous est une nouvelle extension du principe : accepter l’idée que ce processus maintenant avéré pour les centuriations romaines, va pouvoir être observé pour tout parcellaire. Autrement dit que “dans” n’importe quel parcellaire actuel, “dans” n’importe quel réseau viaire actuel, lus sur des documents planimétriques modernes ou contemporains, nous devons pouvoir poser l’hypothèse d’une transmission et d’une transformation de formes plus anciennes. Désormais une vérification systématique s’impose : comparer les formes viaires et parcellaires issues des fouilles préventives avec le plan du parcellaire de la région concernée, tel qu’on le voit sur les plans cadastraux, les cartes et les photographies aériennes des XIXe et XXe s. On mesurera alors la part de transmission et la part de changement. Je l’ai fait pour des dizaines d’exemples sur lesquels je travaille. Je peux vous dire que le résultat est massif : la transmission n’est pas une anecdote, mais un fait majeur de l’histoire du parcellaire, un fait globalement méconnu. Mais ce fait ne peut pas être perçu tant qu’on produit des cartes dans lesquelles on ne fait pas le lien entre les formes anciennes et celles plus récentes. Il échappe tant qu’on en reste à une approche archéologique stricto sensu (le vestige archéologique en lui-même) ou une approche topographique (repérer et localiser des objetstypes de l’antiquité ou du Moyen Âge dans un espace auxquels il sont pour l’essentiel étrangers) au lieu de passer à une approche archéogéographique (le vestige trouvant sa place dans une forme et, en plus, dans une forme en mouvement dans la longue durée). Le passage de l’archéologie et de la topographie à une morphologie est l’évolution en cours. 2.3. - Quelle est la place des découvertes faites en forêt dans ce schéma ? Bien entendu, les découvertes faites dans les milieux forestiers n’entrent pas exactement dans ce schéma, puisque l’occupation du sol y a été sérieusement interrompue par la reprise du couvert forestier, et qu’il n’y a pas eu transmission mais plutôt fossilisation de ruines ou éléments relictuels. Ces découvertes apportent néanmoins une double information quant à la dynamique de long terme. La première est que les forêts sont un conservatoire de formes planimétriques anciennes dont la majeure partie est antique (ce que j’ai rappelé plus haut). La seconde est qu’elles G. CHOUQUER prouvent l’importance de la mobilité paysagère, celle-ci pouvant aller jusqu’à l’inversion, puisque ce qui était ouvert est devenu forestier. Les travaux des archéologues, des agronomes et des forestiers qui explorent les forêts vont donc bien dans le même sens global que tous les autres, en affirmant l’ampleur de la création parcellaire précoce, qui emprunte quelquefois les formes de la planification en bandes (exemple de Saint-Amond, fig. 3 p. 178 dans GeorgesLeroy et al.,2003) et, ensuite, celui d’une mobilité de l’occupation du sol. Simplement, ici, la transmission ne joue pas comme elle joue dans des espaces ouverts, occupés en continu. 2.4. - Modalités de formation de la mémoire planimétrique L’équipe d’archéogéographie que j’anime a travaillé sur le phénomène de transmission et de transformation. Deux avancées majeures ont été acquises (Études Rurales, 2003). La première a été de définir le caractère auto-organisé du processus d’évolution de la forme dans la durée, une fois l’occupation (au sens antique du terme) ou la planification initiale établies. Ce processus reste explicatif y compris lorsque des interventions planifiées postérieures, historiquement repérables, ont pu rythmer l’histoire de la voirie, de l’habitat et du parcellaire. Sur ces sujets, les thèses principales sont celles de Claire Marchand (2000) et Sandrine Robert (2003). Ensuite, nous avons travaillé sur la question des modalités de cette transmission. Car il est malgré tout étonnant de constater des transmissions jouant sur plusieurs millénaires, donc de longue et même très longue durée. Sandrine Robert a décrit avec pertinence les modalités de cette transmission (Robert, 2003a), en montrant que son aspect n’est pas seulement matériel, mais aussi lié à l’organisation d’ensemble de la planimétrie. Sur la base d’une subtile distinction entre la trace et la forme, ou encore d’une articulation entre le flux, le tracé, la construction ou forme d’ensemble, il est possible de dire comment s’opère la transmission en dehors d’une continuité matérielle locale entre la trace et la forme. Dans des travaux encore inédits (Traité d’archéogéographie, vol. 1), j’ai décrit les processus, complexes et interagissants, de formation et d’interprétation de la mémoire des formes. J’ai montré comment la forme, dans son traitement morpho-historique, a été le résultat d’un double processus : l’un, dit de “décimation de l’information initiale”, aboutit à la formation, dans la durée des temps historiques, d’une forme auto-organisée qui est le réseau d’habitat ou la trame viaire ou parcellaire sur laquelle nous travaillons. Ce phénomène n’était pas connu et on croyait pouvoir raconter une histoire exactement inverse du processus réel, en fondant le récit sur l’idée que les formes allaient de la perfection initiale à la dégradation historique. Or le schéma est inverse puisqu’on va de la profusion initiale (disparité initia- le de l’Âge du Fer) à la mise en ordre progressive par autoorganisation (apparition d’une forme dite résultante). C’est dans ce cadre auto-organisé que se font les nouvelles interventions (sauf rares cas d’éradication et de planification intégrale) qui construisent, alors, la diversité historique. l’autre, cette fois au niveau des représentations savantes, est un processus dit de “représentation spéculaire”. Il a consisté à projeter sur le passé, cette forme résultante et à la faire fonctionner comme filtre de lecture des formes historiques. Le processus reposait sur la fabrication d’objets nécessaire à la bonne marche d’un récit fondé sur le progrès des lumières et la nécessité des ruptures. Trois objets emblématiques ont ainsi été surdéterminés, la centuriation antique, l’openfield et le bocage médiévaux. Le fait que l’étude ait été partagée entre diverses disciplines assez cloisonnées (histoire, archéologie, géographie), n’a pas aidé à la prise de conscience de ce processus de “modernisation” de l’étude. Aujourd’hui, l’information issue des travaux archéogéographiques et des fouilles préventives bouscule considérablement la donnée. Il faut reconstruire un tout autre schéma. C’est à cet objectif qu’est voué le travail archéogéographique dans les prochaines années. 3. - Le nouvel équilibre du récit historique J’en viens donc à ce qui constitue la préoccupation nouvelle, celle d’un réordonnancement du récit. Je le fais à partir de l’exemple français, en indiquant que des observations très intéressantes pourraient être exploitées dans les pays voisins et que des transferts réciproques sont possibles selon les cas. Comme j’ai consacré environ 150 pages à cette question dans le premier tome du Traité d’archéogéographie, je ne donne ici que quelques aspects importants. 3.1. - Le récit géo-historiciste À l’époque de Marc Bloch, de Roger Dion et de Gaston Roupnel, le récit s’ordonnait sur les bases suivantes. On ne savait strictement rien des périodes pré-féodales. Par conséquent on partait de l’actuel. On faisait le constat géographique des formes, modelés et régimes agraires qui caractérisaient l’ancienne France, et on les classait en trois catégories principales censées se partager l’espace français : les pays de champs ouverts, les pays de champs clos, les pays de champs irréguliers du midi. Derrière ces catégories se profilaient des types originels surdéterminés qu’on allait progressivement faire émerger : l’openfield, le bocage, déjà bien connus des auteurs des années 30 ; la centuriation qui allait s’imposer seulement vers les années 50 en France. 29 G. CHOUQUER À partir de là, on remontait dans le temps à la recherche des origines. Cependant, la thèse de Gaston Roupnel, celle d’une origine de ces régimes qui serait à situer dans la nuit des temps était, dans les années 30, déjà abandonnée par les esprits les plus sérieux. Chez Marc Bloch, qui n’avait rien à dire sur les époques pré-médiévales, le tableau ne commençait de fait qu’avec le Moyen Âge féodal, censé être la phase de mise en place des communautés villageoises et de leur organisation si particulière de l’espace. Le paysage agraire était donc une affaire millénaire et médiévale. Ce qu’il y avait avant n’était pas connu, et, au mieux, s’il devait l’être un jour, le serait, pensait-on, en discordance avec ce qui avait suivi. 3.2. - Révisions transitoires de l’ancien récit Il ne fait pas de doute que la découverte progressive des centuriations — en France dans les années 50-90 — a, dans une phase que je qualifie de transitoire, accusé le schématisme de cette typologie. Puisque l’espace antique se remplissait de quadrillages, on était donc conforté dans l’idée de rapporter préférentiellement au Moyen Âge toutes les formes observées autour des villages. L’openfield et le bocage devinrent alors les objets typologiques essentiels pour qualifier la phase médiévale et moderne, même si on restait évasif sur la date d’apparition de ces phénomènes. On fit alors de l’openfield une planification globale (mais non pas primaire puisqu’il y avait eu autre chose avant), censée donner au Moyen Âge son identité et sa forme emblématique (Zadora Rio, 1991, principalement sur la base de travaux britanniques). On ne prit pas conscience que l’openfield ou le bocage n’existaient pas en tant qu’objets identitaires aux échelles d’espace et de temps où on voulait les faire fonctionner, et qu’il s’agissait alors de représentations très essentialistes de réalités beaucoup plus diverses à la fois dans l’espace et le temps, c’est-à-dire de “représentations spéculaires” (sur l’openfield, voir Lavigne, 2003 ; sur le bocage, au profit de Watteaux, 2005). De même on ne prit pas conscience que la centuriation n’était pas cette forme ubiquiste et déterministe qu’on voulait y voir, — et qui conduisit en effet à en voir partout — mais une forme historique précise et dont la transmission avait sérieusement renforcé les traits dans les planimétries hérités (belle démonstration dans Marchand, 2003). 3.3. - Un autre équilibre Un équilibre différent conditionne désormais le nouveau récit d’histoire de la planimétrie que nous devrons prochainement produire. Si la phase antique, au sens large (protohistoire et antiquité romaine), est celle de la projection de nombreuses formes qui continentalisent l’espace, si la disparité est initiale (profusion des orientations et des géométries par- 30 cellaires) et que la suite de l’histoire est une décimation progressive des formes, malgré des interventions planifiées encore repérables, l’équilibre se déplace au profit de l’Antiquité quant à la “genèse” des formes. Disons-le simplement. L’Âge du Fer vient d’entrer comme un candidat particulièrement sérieux dans le récit global d’histoire des formes planimétriques. Mais il vient de le faire non pas comme une phase importante mais stratigraphiquement close, et donc oubliée de la mémoire des formes. Il vient de le faire comme une phase initiale d’un processus au développement bimillénaire. La genèse des planimétries n’est plus médiévale, pas même exclusivement romaine puisque les centuriations sont un chapitre spécifique dans ce plus vaste mouvement de développement de la planimétrie qui touche toutes les sociétés protohistoriques et romaines. Elle est antique, au sens large, et transmise aux époques ultérieures, avec une gamme complexe et asynchronique de situations locales et une régularité micro-régionle qui nécessite une réflexion d’échelle. Dès lors, et c’est un événement majeur pour l’histoire des formes planimétriques, les époques médiévales et modernes apparaissent différemment. Elles ne sont plus le temps de la genèse de notre planimétrie, après une tabula rasa de plusieurs siècles. Elles sont le temps de la “transformission” de la planimétrie héritée de l’Antiquité pré-romaine et romaine, transformission qui s’opère sur la base d’une auto-organisation. Il faut voir cette autoorganisation comme un phénomène de réenrichissement des formes. La diversité des formes de l’occupation du sol, parce que celles-ci créent des transformations renouvelées, provoque une transmission marquée des orientations et des formes antiques. Les centuriations antiques — la démonstration serait encore plus nette en Italie qu’en France — comme les parcellaires hérités de la protohistoire, sont alors autant des constructions médiévales et modernes que des survivances antiques “miraculeusement préservées”. Les exceptions à ce schéma général existent : ce sont les cas avérés de planifications médiévales (décrites dans Lavigne, 2002 ; travaux en cours sur les planifications en Italie et en Espagne), ainsi que des situations locales discordantes connues ici ou là (intéressants exemples dans Gautier, Naas et Leroux, 1996). Nous comprenons alors un peu mieux que les diagrammes chronologiques des archéologues montrent souvent un “trou” de l’information pour le Moyen Âge (Jung 1999, fig. 84, 106, 113 ; Europort Vatry, 2005, fig. 202, p. 145). L’explication n’est pas uniquement à chercher dans des causes externes de type taphonomique (par exemple un optimum climatique bien pratique pour expliquer qu’il n’y a plus besoin de parcellaires fossoyés, ce qui justifierait qu’on ne voit pas le parcellaire). Elle est à chercher dans la dynamique du parcellaire lui-même. G. CHOUQUER Si l’on doit renoncer à l’idée d’une succession de morphologies agraires (et urbaines) totalement indépendantes, dont chacune aurait été spécifique à une grande période de l’histoire agraire, les conséquences sont importantes. Il faut alors admettre que la dynamique des planimétries n’est pas un décalque de la périodisation dans laquelle les historiens ont défini leurs objets et leurs catégories. Il faut refonder les objets à partir desquels on écrit l’histoire de la formation de la planimétrie. Bibliographie AGACHE R., 1978, La Somme pré-romaine et romaine, d’après les prospections à basse altitude, Société des Antiquaires de Picardie, Amiens, 520 p. AUDOUZE F., BUCHSENSCHUTZ O., 1989, Villes, villages et campagnes de l’Europe celtique, Bibliothèque d’archéologie, Hachette, Paris, 366 p. BAYART D., COLLART J.-L. (éd.), 1996, De la ferme indigène à la villa romaine. La romanisation des campagnes de la Gaule, n° spécial de la Revue Archéologique de Picardie, 11/1996, 338 p. 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Aussi, le but de notre étude est de retracer les phases majeures des changements de végétation et des variations de l’écotone forêt/prairie à l’échelle de l’Holocène, et d’acquérir une meilleure connaissance des facteurs d’évolution des paysages, parmi lesquels le facteur anthropique est prédominant (feux, déforestations, abandons, défrichements…). A ces fins, la méthode pédoanthracologique - étude des charbons de bois des sols - a été testée dans le massif du Rossberg. Les charbons ont été extraits de deux sols bruns acides situés sous prairie, puis déterminés. Dix-huit d’entre eux ont été datés par AMS. Leur âge s’étend de 22000 à 1000 ans BP. S’y ajoute une datation sur une charbonnière. Les résultats montrent : une distribution aléatoire de l’âge des charbons dans les sols. Le processus principal expliquant cette dispersion semble être la bioturbation ; l’existence de possibles phases de feux, à des périodes variées, depuis le Néolithique. Alors que les historiens estiment que la première ouverture de la forêt sommitale date du 8e siècle AD, notre étude montre qu’elle a probablement au moins 2100 ans. Il est évident que l’existence de défrichements précoces a été jusqu’à présent sous-estimée ou inconnue ; une corrélation entre trois phases de feux - Bronze final, 2e Age du Fer, Haut Moyen Age - et les périodes d’anthropisation du milieu, principalement liées à des mouvements migratoires de populations. Mots-clés : Pédoanthracologie, charbons de bois, paléoenvironnements, feux, défrichements, pâturages, écotone forêt/prairie, Hautes-Chaumes, Vosges, France Abstract The history of the “Hautes-Chaumes des Vosges” vegetations are not well known yet. Thus, the purpose of this study is to retrace the most important phases of vegetation changes, and in particular the variations of the forest/grassland ecotone, at the Holocene time scale, and to acquire a better knowledge of the factors which influence the landscape evolution, among which the human factor is predominant (fires, clearings, abandonments…). That is why the pedoanthracological method – soil charcoals study - was tested on the “massif du Rossberg”, covered by grasslands above 1000 m a.s.l. Charcoal were extracted from two acidic brown soils situated under current grasslands, then determined. Eighteen charcoal were 14C AMS dated. Their ages range from 22000 to 1000 years BP. A dating on a charcoal kiln is added to those. The results show : a random distribution of the age of charcoal in the soils. The main process explaining this dispersion seems to be the bioturbation ; the existence of possible fire phases, at varied periods, since the Neolithic. The first opening estimation of the upper forest goes back to the 8th century AD. But it is likely to date from at least 2100 years. It is obvious that the existence of early clearings has been yet underestimated or unknown ; a correlation between three fire phases - final Bronze Age, Second Iron Age, High Middle Age - and the anthropologic periods, notably at the time of human migrations movements. Key words : Pedoanthracology, charcoal, palaeoenvironments, fires, clearings, grasslands, forest/grassland ecotone, Hautes-Chaumes, Vosges, France 35 S. GOEPP, D. SCHWARTZ, M. THINON, C. JEUNESSE 36 T. Adam Les “Hautes-Chaumes” sont des milieux naturels ouverts de type prairial, localisés sur les principaux sommets des Vosges. Afin de mieux protéger ces espaces naturels, une meilleure compréhension de leur origine, histoire et évolution est nécessaire, ainsi qu’une connaissance accrue des modes économiques passés de mise en valeur et d’utilisation des espaces forestiers et pastoraux adjacents. Jusqu’à présent, les chaumes dépassant 1250 à 1300 m d’altitude étaient considérées comme “primaires”, donc naturelles, les autres étant considérées comme “secondaires”, issues de défrichements anthropiques (Carbiener, 1966). Nous cherchons à nuancer cette affirmation, l’évolution de ces espaces pastoraux étant mal connue, en particulier pour les périodes précédant le Moyen-Age, pour lesquelles nous ne bénéficions pas de documents d’archives. Le constat actuel concernant l’évolution paysagère au cours des XIXe et surtout XXe siècles est celui d’une progression rapide de la forêt sur les espaces pastoraux (photos 1 et 2). Cette reprise forestière naturelle considérable souligne le dynamisme forestier et l’importance de l’évolution du paysage sur un temps séculaire, donc relativement court. De façon identique, d’autres périodes du passé ont pu subir les mêmes évolutions. Ainsi, les conséquences de la Guerre de Trente Ans (1618-1648) ont été ressenties longtemps après la fin de cette période troublée, certaines chaumes restant inexploitées jusqu’au début du XVIIIe siècle (Boyé, 1903 ; Garnier, 2004). Autre exemple, celui de défrichements médiévaux liés à l’installation des abbayes dans de nombreuses vallées vosgiennes au cours des VIIe-VIIIe siècles de notre ère. L’installation de populations dans les différentes vallées vosgiennes est avérée dès le Haut Moyen-Age par les archives historiques (Garnier, 2004) ; avant cette période, les écrits concernant les installations humaines dans les vallées vosgiennes deviennent rares, ce qui ne préfigure en rien l’absence de l’Homme dans la région. Aux preuves écrites se substituent alors des traces archéologiques, pour la période antique principalement : voies romaines traversant les Vosges par le col de Bussang et par celui de Saales, rares traces d’habitats ou d’industries protohistoriques, au col du Bonhomme par exemple (Simon, 1992 ; Uhlrich et al.,1988 ; Pétrequin et Jeunesse, 1995). Les traces sont toutefois trop fragmentaires pour donner une image précise de l’évolution des chaumes vosgiennes. Afin de montrer les évolutions “naturelles” de ces paysages pastoraux, à la fois à des échelles temporelles pluriséculaires à plurimillénaires (Holocène) et à des échelles spatiales réduites à quelques centaines d’hectares de chaumes, il est nécessaire de pallier les lacunes temporelles des archives historiques, et celles, spatiales et chronologiques, des sites archéologiques. Actuellement, les charbons de bois des sols sont parmi les seuls marqueurs paléoenvironnementaux à répondre à ces exigences, aux échelles spatiales locales. L’analyse pédoanthracologique présentée ici nous permet de remettre en cause l’origine jusqu’à présent supposée médiévale des chaumes dites “secondaires”. En outre, elle complète et affine celle précédemment effectuée dans un sol du Rossberg (Goepp et al.,sous presse ; Schwartz et al.,2002 , 2005, sous presse). T. Adam 1. - Introduction Photos 1 et 2 : Evolution entre les années 1900 (en haut) et 2002 (en bas) de l’état de la chaume du Gsang, au nord du Rossberg. 2. - Site d’étude Le massif du Rossberg est situé à l’extrémité Sud-Est d’une ligne de crête secondaire orientée Nord-Ouest/SudEst, dans le Sud du massif vosgien (figure1). Cet ensemble de sommets, dont les altitudes ne dépassent pas 1191 m, est respectivement limité au Nord et au Sud par les vallées profondément entaillées de la Thur et de la Doller, rendant les versants de ce massif très pentus. Le soubasssement géologique est constitué par un ensemble complexe de roches volcano-sédimentaires d’origine primaire (grauwackes et schistes du Dévono-Dinantien). Sur cet ensemble se développent des types de sols relativement homogènes : sols bruns ocreux et acides (Boudot, 1974, 1976), ainsi que, localement, des andosols et sols bruns andiques (Aran, 1998). Le climat est de type semi- S. GOEPP, D. SCHWARTZ, M. THINON, C. JEUNESSE continental à caractère océanique marqué : la pluviosité y est très élevée (2000 mm/an environ sur la crête centrale), la température moyenne annuelle fraîche : 5 °C à 1200 m. La ventilation importante des crêtes joue un rôle non négligeable sur la physionomie et le métabolisme des végétaux, notamment sur les ligneux, qui prennent un aspect tortueux et en drapeau. Les forêts culminales font place à des espaces ouverts, dont une partie est actuellement mal entretenue : friches, landes à callunes, à myrtilles, à fougères…, alors qu’une autre partie est constituée de prairies de fauche et de pâturages extensifs encore exploités. La composition floristique est caractérisée par l’abondance des graminées basses (Festuca rubra, Nardus stricta…) et de la présence de dicotylédones non ligneuses (Potentilla erecta, …). La hêtraie et la hêtraiesapinière se partagent l’essentiel du domaine forestier, aux altitudes dépassant 600 m, à l’exclusion de quelques plantations d’épicéas (Picea abies). Le hêtre (Fagus silvatica) et le sapin (Abies alba) sont souvent accompagnés par Acer campestris, Acer pseudoplatanus, Fraxinus excelsior. Aux abords des principaux sommets, généralement audelà de 1000 m, les faciès forestiers de reconquête sont généralement constitués par une hêtraie pure. 3. - Méthodes Deux fosses pédologiques ont été décrites (figures 2 et 3), l’une localisée sur un versant orienté Sud-Ouest (Ross 2), sur une prairie faiblement pâturée, l’autre sur un versant orienté Est-Nord-Est (Ross 4), pour laquelle la pression pastorale est supérieure. Les deux fosses ont fait l’objet de prélèvements systématiques de sols (figures 2 et 3) tous les 10 cm. 10 à 12 kg de sol pour chaque niveau sont nécessaires à l’extraction des charbons. Cette extraction suit un protocole défini par Thinon (1992), repris par Carcaillet et Thinon (1996), Talon et al. (1998). Les échantillons sont séchés, pesés, puis malaxés dans une cuve Massif Vosgien Figure 1 : Localisation du site d’étude et des profils pédologiques. 37 S. GOEPP, D. SCHWARTZ, M. THINON, C. JEUNESSE rotative avec de l’eau, afin de détruire les agrégats. Le surnageant, comprenant matière organique et charbons légers, est versé sur un tamis fin de 0,4 mm, rincé, séché puis trié manuellement sous binoculaire. Le culot de la cuve (sables) est ensuite versé sur une colonne de tamis de 5 mm, 2 mm, 0,8 mm et 0,4 mm, tamisé, mis à défloculer dans une solution défloculante, puis rincé et séché. L’extraction des charbons se fait par élutriation : Les charbons, plus légers que le matériau minéral, sont entraînés par un flux d’eau ascendant et récupérés sur un tamis. Un nettoyage manuel des charbons est nécessaire avant observation et détermination. L’observation de chaque charbon est effectuée sous microscope épiscopique à contraste interférentiel (x200, x500, x1000), et la détermination à l’aide d’une collection de références de charbons, et à partir d’ouvrages de référence (Greguss, 1959 ; Jacquiot, 1955 ; Jacquiot et al.,1973 ; Schweingruber, 1978 ; 1990). Une sélection de fragments individuels de charbons a été datée au 14C par AMS, pour une part au Laboratoire de l’Université d’Utrecht aux Pays-Bas, et au Poznañ Radiocarbon Laboratory en Pologne, pour les autres. Figure 2 : Description du profil Ross 2. 38 4. - Résultats Le tableau I présente les résultats des déterminations et datations par Spectrométrie de Masse Atomique de 18 charbons de bois issus des 2 profils de sols décrits ci-dessus. Il fait apparaître les déterminations, les âges bruts 14C (par AMS) BP (Before Present), les âges calibrés cal BC (Before Christ) et cal AD (Anno Domino) et la période historique ou préhistorique correspondante. Notons la diversité des espèces (9 espèces différentes) et la variabilité temporelle des dates obtenues, s’étendant de 18200 ± 100 à 570 ± 30 BP. Les figures 4 (Ross 2) et 5 (Ross 4) représentent les âges des charbons en fonction de la profondeur dans le sol, ainsi que la droite et le coefficient de corrélation âge/profondeur. Au vu de ce coefficient très faible (R2 de 0,05 et 0,15 respectivement pour Ross 2 et 4), la répartition des âges des charbons semble aléatoire avec la profondeur. La figure 6 présente graphiquement les taux de carbone organique estimés par la méthode Walkley and Black (1934), et la figure 7 présente les Anthracomasses Spécifiques par Niveau (ASN en mg.kg-1) calculées en rapportant la masse totale de charbon d’un niveau (mg) par la masse de l’échantillon prélevé (kg) de ce niveau, après avoir soustrait la masse des éléments grossiers (> 5 mm). Figure 3 : Description du profil Ross 4. S. GOEPP, D. SCHWARTZ, M. THINON, C. JEUNESSE Référence Référence N° N°profil profil profondeur Profondeur (cm) Age non Age 14C 14C non calibré Age calibré cal BC / cal Age calibré AD Période Période Espèce Espèce UtC 11540 Poz 6154 Poz 6147 UtC 11538 UtC 11527 UtC 11531 UtC 11529 UtC 11539 Poz 6150 Poz 6145 Poz 6144 Poz 6149 UtC 11528 Poz 6151 Poz 6143 UtC 11530 Poz 6208 Poz 6153 Poz 6146 Charbonnière Ross 4 Ross 4 Ross 2 Ross 2 Ross 2 Ross 2 Ross 2 Ross 4 Ross 2 Ross 2 Ross 4 Ross 2 Ross 4 Ross 2 Ross 2 Ross 4 Ross 4 Ross 4 5 - 10 20 - 25 70 - 75 100 - 120 20 - 25 100 - 120 70 - 75 20 - 25 50 - 55 50 - 55 70 - 75 70 - 75 50 - 55 20 - 25 100 - 120 70 - 75 50 - 55 20 - 25 90 - 100 129 ± 31 BP 570 ± 30 BP 1280 ± 30 BP 1301 ± 45 BP 1494 ± 30 BP 1930 ± 60 BP 1968 ± 32 BP 2113 ± 35 BP 2125 ± 35 BP 2135 ± 30 BP 2210 ± 30 BP 2930 ± 35 BP 3030 ± 60 BP 3850 ± 35 BP 5580 ± 40 BP 6970 ± 60 BP 9570 ± 50 BP 10170 ± 170 BP 18200 ± 100 BP 1680 - 1949 cal AD 1300 - 1370 cal AD 660 - 810 cal AD 650 - 830 cal AD 530 - 650 cal AD 50 cal BC - 240 cal AD 50 cal BC - 90 cal AD 210 - 40 cal BC 240 - 40 cal BC 240 - 50 cal BC 380 - 180 cal BC 1220 - 1000 cal BC 1430 - 1110 cal BC 2460 - 2200 cal BC 4500 - 4340 cal BC 5930 - 5720 cal BC 9170 - 8740 cal BC 10700 - 9200 cal BC 20400 - 18900 cal BC Epoque moderne Bas Moyen Age Haut Moyen Age Haut Moyen Age Haut Moyen Age Gallo-romain Gallo-romain 2e Age du Fer 2e Age du Fer 2e Age du Fer 2e Age du Fer Bronze final Bronze final Néolithique final Néolithique moyen Néolithique initial Mésolithique ancien Paléolithique final Paléolithique supérieur Fagus sylvatica Acer pseudoplatanus Acer pseudoplatanus Fagus sylvatica Abies pectinata Abies pectinata Populus sp. Juniperus communis Fraxinus excelsior Juniperus communis Juniperus communis Fagus sylvatica Acer pseudoplatanus Coryllus avellana Fagus sylvatica Tilia platyphyllos Pinus sylvestris Pinus sylvestris Abies pectinata cal BC/calAD calibré Tableau I : Déterminations et datations 14C par AMS de 19 charbons de bois des sols -8000 -6000 -4000 -2000 âges calibrés BC/AD 0 2000 -25000 0 -20000 -15000 -10000 -5000 âges calibrés BC/AD 0 5000 0 y = 0,0 04x + 58 ,38 Juniperus communis 2 R = 0,0 501 20 Ab ie s pectin ata Pinus silvestris 20 Coryllus avellana Acer pseudo. 40 Acer p se ud o. Juniperus communis 40 Pinus silvestris 60 Tilia p latyp hyllo s 80 F raxinus excelsior 60 Juniperus communis Fagus silvatica Po pulu s sp . Acer pseudo. 80 100 Fagus silvatica Ab ies pectinata Fagus silvatica Abies pectinata 100 120 y = -0,0015x + 44,166 R2 = 0,1538 140 120 profonde ur (cm) Figure 4 : Répartition des âges des charbons en fonction de la profondeur (Ross 2) profondeur (cm) Figure 5 : Répartition des âges des charbons en fonction de la profondeur (Ross 4) % car bo ne 0 5 10 15 20 25 30 ASN (mg/kg) 0 0 50 100 150 200 250 300 350 400 450 500 550 600 0 20 20 40 40 60 60 80 80 Ros s 4 100 R os s 2 100 Ros s 2 R os s 4 120 Figure 6 : Répartition du carbone organique en fonction de la profondeur 120 Figure 7 : Répartition des Anthracomasses Spécifiques en fonction de la profondeur 39 S. GOEPP, D. SCHWARTZ, M. THINON, C. JEUNESSE Ces quantités de charbons, importantes sous la surface (2012,7 mg/kg pour Ross 2 et 564,7 mg/kg pour Ross 4), diminuent rapidement avec la profondeur, pour se limiter à quelques mg/kg seulement à partir de 75 cm. 5. - Discussion 5.1. - Interprétation des résultats L’analyse des datations de charbons et de leur détermination préalable (tableau I, figures 4 et 5) nous permet d’élargir notre champ de connaissances des chaumes du Rossberg. Périodes précédant le Néolithique La date isolée d’Abies pectinata vers 20400 – 18900 cal BC, en plein contexte pléniglaciaire, confirme l’absence de glaciers en altitude lors de la dernière glaciation. A cette époque, seuls des glaciers de cirques et de vallées étaient présents dans les Vosges, dont la vallée de la Thur (Flageollet, 2002 ; Andréoli, 2003). La présence de ligneux, sans doute isolés au vu des conditions climatiques, est donc tout à fait possible, même si les espaces déglacés devaient être occupés par des végétations herbacées. Plusieurs hypothèses peuvent être émises sur l’origine, anthropique ou naturelle, de ce charbon, sans qu’il soit actuellement possible d’en exclure aucune. L’origine naturelle semble peu probable du fait du climat froid et sec de cette période ; le rôle de la foudre n’est toutefois pas exclu. Quant à l’hypothèse d’une origine anthropique du feu, elle pourrait par exemple être liée au passage d’un groupe de chasseurs. La présence du pin sylvestre (Pinus silvestris) vers 107009200 et 9170-8740 cal BC signale une colonisation des versants par une végétation ligneuse pionnière, suite au réchauffement climatique post-glaciaire (De Valk, 1981 ; Edelman, 1985). Dans ce cas, la question de l’origine des feux reste là aussi posée. Période néolithique Le Tilleul (Tilia platyphyllos) est daté de l’optimum climatique holocène, vers 5930-5720 cal BC. De plus, il a été trouvé sur l’adret (Ross 2), ce qui correspond à une situation ensoleillée, préférée par cette espèce. Les conditions climatiques de l’époque expliquent qu’on le trouve plus haut qu’actuellement. Fagus silvatica est une espèce actuellement très répandue sur les versants et sommets vosgiens, jusqu’à 1250/1300 m. Un charbon daté de 4500-4340 cal BC apparaît sur Ross 2, vers 1070-1080 m. La comparaison avec plusieurs diagrammes palynologiques (De Valk, 1981 ; Edelman, 1985) souligne qu’à cette époque, Fagus existe dans la composition des forêts, mais pas sous le faciès connu actuellement comme hêtraie-sapinière. Le noisetier (Coryllus avellana), daté de 2460-2200 cal 40 BC, est une espèce héliophile qui se trouve préférentiellement dans des faciès arbustifs de recolonisation (anciens pâturages abandonnés ou friches) ou dans des faciès forestiers très ouverts (forêt naturelle ouverte, ou clairière naturelle). C’est le cas actuellement sur un lambeau de forêt “naturelle” au Rossberg. Il est donc difficile de trancher entre une présence naturelle, liée à l’existence de faciès forestiers relativement ouverts, et une prolifération liée à l’exploitation du milieu dès le Néolithique final. Protohistoire Acer pseudoplatanus et Fagus silvatica sont représentés au Bronze final (respectivement 1430-1110 et 1220-1000 cal BC). Communs à cette époque dans les Vosges, ces deux charbons semblent indiquer une nette présence forestière sur les 2 versants étudiés du Rossberg. 3 charbons de genévrier (Juniperus communis), dont les dates ne sont pas significativement différentes, ont été datés de 380-180 cal BC, 240-50 cal BC et 210-40 cal BC. La présence de cette espèce, caractéristique d’espaces ouverts abandonnés ou sous-pâturés, atteste de l’existence des chaumes depuis au moins le 2e Age du Fer. Elle indique une phase d’abandon, suivie d’une réouverture délibérée par le feu. Il est remarquable de noter que sur l’ensemble de la Protohistoire, seules les périodes du Bronze final et du 2e Age du Fer apparaissent. Période gallo-romaine Les dates de l’époque gallo-romaine sont en relative continuité avec l’époque précédente, et semblent correspondre à une (re)fermeture du milieu après le 2e Age du Fer : Populus sp. (50 cal BC-90 cal AD), bien que non déterminé à l’échelle spécifique, pourrait correspondre à Populus tremula (tremble). En effet, seul P. tremula semble être présent sur les contreforts vosgiens et les sommets (jusqu’à 1330 m), P. nigra et P. alba restant plutôt confinés à la vallée du Rhin et à la plaine d’Alsace (Issler et al.,1965). Or cette espèce est exigeante en lumière, et caractéristique des lisières et clairières. Sa présence correspondrait alors à un abandon des chaumes, sur un versant qui, quelques dizaines d’années auparavant, voire de façon contemporaine, était déjà envahi par du genévrier commun. La phase de feu peut être interprétée comme une tentative de réouverture du milieu. Moyen-Age L’activité pastorale au Haut Moyen-Age s’est développée après une période déconnectée de l’époque gallo-romaine. En effet, une période relativement longue entre la fin de l’Empire gallo-romain et le Haut Moyen-Age apparaît. Abies pectinata, Fagus silvatica et Acer pseudoplatanus, datés respectivement de 530-650, 650-830 et 660-830 cal AD, sont des espèces communes des forêts d’altitude vosgiennes. Une raréfaction des feux semble avoir lieu dès la fin du Moyen-Age, puisque seul 1 charbon est daté S. GOEPP, D. SCHWARTZ, M. THINON, C. JEUNESSE du Bas Moyen-Age (Acer pseudoplatanus, 1300-1370 cal AD), et qu’aucune date n’émaille l’époque moderne. Le Moyen-Age constitue donc la dernière phase au cours de laquelle le feu est employé pour exploiter le milieu. L’absence de passages de feux depuis 650 ans est sans doute liée à la pression agricole et pastorale fortes, et à une évolution des techniques vers d’autres modes de défrichements : charbonnage, surcénage (Reitzer, 1990 ; Garnier, 2004 ; Goepp et al.,sous presse). La présence de nombreuses charbonnières dans le massif du Rossberg, dont certaines sont situées sur les chaumes (Goepp et al.,sous presse) souligne l’apparition d’un nouveau mode d’exploitation du milieu forestier. Une datation de charbon (tableau I) nous permet de rattacher cette technique au développement industriel des vallées de la Thur et de la Doller au XVIIIe siècle. 5.2. - Apports méthodologiques Plusieurs constats majeurs peuvent être faits quant à la répartition des charbons de bois dans les sols. D’une part, les anthracomasses (ASN), tout comme le carbone organique de ces sols, diminuent en fonction de la profondeur (fig. 6 et 7). Cette répartition est donc relativement similaire. D’autre part, les âges des charbons de bois dans ces deux profils de sols (fig. 4 et 5) sont répartis aléatoirement avec la profondeur, si l’on se réfère à la droite de régression (Hopkins et al.,1993 ; Carcaillet et Talon, 1996). Enfin, il existe une distribution aléatoire avec la profondeur de charbons d’une espèce donnée datée d’une période donnée. En effet, dans le profil Ross 2, trois charbons de genévrier se situent à des profondeurs variables : 20-25 cm, horizon A12 ; 50-55 cm et 70-75 cm, horizon B, alors que leurs dates ne sont pas significativement différentes. Les deux charbons de genévrier temporellement les plus proches pourraient provenir d’un seul individu. De façon similaire dans le profil Ross 4, deux charbons de pin sylvestre sont situés l’un dans l’horizon A12 (20-25 cm), l’autre dans l’horizon Sal (50-55 cm) , mais ont des âges relativement voisins, bien que les dates ne se chevauchent pas (10700-9200 cal BC et 9170-8740 cal BC). Ce triple constat - diminution des anthracomasses avec la profondeur, absence de corrélation âge/profondeur, distribution d’une espèce donnée à des profondeurs variables - apporte la preuve irréfutable de l’importance majeure des processus pédogénétiques sur le brassage et la fragmentation des charbons (Carcaillet, 2001). La bioturbation, effectuée notamment par les lombriciens, engendre d’intenses remaniements des charbons au sein de ces sols (Johnson, 1990 ; Thinon, 1992 ; Carcaillet, 2001). Bien que s’effectuant plutôt de la surface vers la profondeur, ils sont possible aussi du bas vers le haut, en particulier par l’activité des taupes. C’est d’ailleurs cette intense activité biologique, à laquelle se mêlent un certain nombre de processus chimiques, qui entraîne une structuration en horizons des sols. Il n’est donc pas étonnant de constater la bonne corrélation entre répartition des anthracomasses (fig. 7) et du carbone organique (fig. 6), cette dernière faisant apparaître un léger palier vers 30 cm, qui provient du passage de l’horizon organique A12 à l’horizon Sal (Ross 2). D’autres processus édaphiques peuvent aussi jouer un rôle sur la répartition des charbons dans les sols, en particulier les chablis lors de tempêtes, qui provoquent d’importants remaniements particulaires au sein des sols (Johnson, 1990 ; Carcaillet, 2001). Le colluvionnement peut entraîner des charbons dans la pente, mais aucune trace de remaniements colluviaux ne sont observables au sein des sols étudiés, malgré des pentes relativement fortes de 25 à 40% environ. De plus, les stations se localisent à peu de distance d’une crête (fig. 1), ce qui réduit les apports de matériaux possibles de l’amont. Quant aux pieds de vaches, souvent liés au piétinement animal domestique, ils ne jouent pas en dessous de 20-25 cm de profondeur. De plus, ils n’ont pas été observés sur les stations étudiées, bien que localement présents sur les versants du massif du Rossberg. 6. - Conclusion L’intensification des feux va de pair avec l’augmentation de la pression anthropique au cours du temps (depuis la Protohistoire surtout, jusqu’au Moyen Age). En effet, 15 dates sur 18 sont postérieures au Mésolithique, réparties sur 7000 ans environ. Les deux tiers des dates se répartissent entre 1430 cal BC et 1370 cal AD, soit sur 2800 ans. L’apparition de phases de feux lors des périodes du Bronze final, du 2e Age du Fer et du Haut Moyen Age souligne l’importance de l’anthropisation du massif du Rossberg. Ces trois périodes ont en commun : l’importance de l’anthropisation de la région liée à des mouvements migratoires de populations de l’Est de l’Europe (influences steppiques), effectuée parfois sous la forme d’invasions. Les phases de feux attestées sur les chaumes sont bien corrélées à ces périodes de migrations. Se pose alors l’hypothèse de l’apport par ces populations allochtones de techniques de défrichements et d’exploitation des espaces pastoraux par le feu ; le mode de gestion des espaces pastoraux : les feux pastoraux des espaces montagnards correspondent à un type d’exploitation du milieu différent des techniques liées à l’agriculture itinérante sur brûlis pratiquée dans les plaines et vallées. Hormis depuis le Bas Moyen-Age, ces feux semblent avoir toujours constitué un élément fondamental du système pastoral (Métailié, 1981). Le feu peut être considéré comme un outil destiné à entretenir et à améliorer facilement les espaces pastoraux, favorisant ainsi la pratique et le maintien de l’élevage en montagne ; 41 S. GOEPP, D. SCHWARTZ, M. THINON, C. JEUNESSE le rôle important de l’élevage dans l’économie, attesté par l’importance des feux. Même si le système agrosylvo-pastoral était fondé sur une exploitation de toutes les ressources naturelles disponibles, l’élevage tenait au sein de la montagne vosgienne une place prépondérante ; le mode de gestion des zones forestières, dès le Néolithique : l’exploitation est extensive, le pâturage peut s’effectuer sous forêt, l’émondage y est pratiqué. BOUDOT J.P., 1974, Etude de quelques associations végétales vosgiennes sur un substrat peu connu et des sols correspondants : Contribution à l’écologie des Grauwackes de la série du Markstein, Bull. Soc. Hist. Nat. Colmar, 55e vol., p. 89-100. Ainsi, les chaumes du massif du Rossberg ont subi, à au moins trois reprises entre le IVe siècle avant J.C. et le Ie siècle après J.C., des mises à feux délibérées succédant à un abandon ou à une sous-exploitation des chaumes, et au début de leur (re)colonisation par des espèces pionnières comme Juniperus communis ou exigeantes en lumière, comme Populus sp. Cette sous-exploitation peut avoir pour origine une charge pastorale insuffisante, la présence de l’homme s’avérant trop ténue ou trop irrégulière. L’occupation des chaumes à cette époque pourrait donc n’avoir été qu’épisodique, fonction notamment de la pression anthropique dans les vallées vosgiennes. Cette étude recule nettement l’âge, jusqu’à présent supposé médiéval, des chaumes dites “secondaires” du Rossberg : les charbons de genévrier datés permettent de repousser leur origine au moins jusqu’à l’Age du Fer. D’autres datations confirmeront ou permettront de reculer encore davantage l’origine de ces espaces pastoraux. BOYÉ P., 1903, Les Hautes-Chaumes des Vosges. Etude de géographie et d’économie historique, Ed. BergerLevrault, Paris-Nancy, 431 p. Remerciements Cette étude a été financée par le Programme National Sols et Erosion (PNSE, Institut National des Sciences de l’Univers) et par le programme ECLIPSE (Environnement et CLImat du Passé : histoire et Evolution, CNRS), ainsi que par le Service Régional d’Archéologie d’Alsace (DRAC Alsace, Ministère de la Culture et de la Communication). Les auteurs tiennent à remercier MM. Yannick Despert et Christian Schwoehrer du Parc Naturel Régional des Ballons des Vosges (Bureau des Espaces Naturels) pour leur soutien et leur collaboration. Bibliographie ANDRÉOLI R., 2003, Le Haut-Bassin de la Fecht du Dernier Glaciaire au Postglaciaire : Bilan des travaux, nouvelles données, et perspectives. Mém. Géo. Physique, DEA ‘Sys. Spat. et Env.’, ULP Strasbourg I, 128 p. ARAN D., 1998, Andosolisation dans les Hautes-Vosges. 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Isabelle JOUFFROY-BAPICOT Laboratoire de Chrono-écologie – UMR 6565 CNRS – Université de Franche-Comté UFR Sciences et Techniques. 16, route de Gray – 25030 Besançon Cedex [email protected] Résumé Les raisons de l’installation et de la prospérité de l’oppidum éduen de Bibracte sur le Mont-Beuvray (Morvan-Bourgogne), dans une région difficile d’accès et au climat rude, posent toujours question. La découverte de grandes tranchées antérieures au développement de l’agglomération, qui pourraient résulter d’exploitations de minerai à ciel ouvert, a conduit à envisager le rôle déterminant de l’activité métallurgique sur l’installation humaine dans cette région. Dans cette optique, nous avons entrepris l’analyse conjointe de palynologie et géochimie du plomb de la tourbière du Port-desLamberts (Glux-en-Glenne – 58), située à environ 5 km du Mont-Beuvray. La confrontation entre diagramme pollinique et courbe de teneur en plomb d’origine anthropique de la tourbe montre de remarquables corrélations. Plusieurs phases d’activités métallurgiques, caractérisées par la présence de plomb anthropique dans la tourbe et contemporaines de défrichements parfois drastiques, ont été mises en évidence, de la Protohistoire à la période contemporaine. Certaines de ces phases peuvent être mises en relation avec les données archéologiques et historiques, comme c’est le cas pour la métallurgie éduenne de la fin de l’âge du Fer (2e - 1er siècles av. notre ère) ou l’exploitation d’époque moderne. D’autres, telle que la première phase paléométallurgique du Bronze final (13e - 8e siècles av. notre ère), sont en revanche tout à fait inédites. Toutes ont donné lieu à des défrichements de plus ou moins grande ampleur qui auront eu un impact durable sur la forêt morvandelle. Abstract The reasons why the Bibracte oppidum, on the Mont-Beuvray (Morvan Mountain-Burgundy), became the largest settlement of the Aeduan Celtic tribe are still surprising. The site isn’t easy to reach, and climate conditions are rugged. Recently, wide trenches have been found, on and around the site, and interpreted as remains of mining excavations. On this basis, archaeologists have assumed that one of the reasons which may have attracted early settlers, are mining and smelting activities. The present study aims to document this hypothesis by means of pollen and geochemical analyses, performed in a peat core collected in the Port-des-Lamberts peat land (Glux-en-Glenne – 58), situated at about 5 km from the Mont-Beuvray. Different periods of mining were recognised from Prehistory to modern times, according to the presence of anthropogenic Pb in peat, related to drastic decrease of trees pollen. Some were already known from archaeological dates or historical archives, especially for Late Iron Age (2nd-1st century BC) and modern periods. But prehistoric ancient mining activities from Late Bronze Age (ca.13e-8e century BC) were also discovered. They all led to modifications in plant cover, probably related to forest clearance. 45 I. JOUFFROY-BAPICOT 1. - Introduction L’étude conjointe de palynologie et de géochimie du plomb du remplissage tourbeux de la tourbière du Port-desLamberts, située dans le haut Morvan, répond en premier lieu à une problématique archéologique. Dans cette zone géographique, un site d’une grande importance pour la seconde partie de l’âge du Fer, l’oppidum de Bibracte, a connu un rayonnement politique et économique considérable jusqu’à la conquête romaine. Il est cité comme l’oppidum maximum du puissant peuple éduen par César, qui y séjourna à plusieurs reprises durant la guerre des Gaules. Le choix de l’implantation de cette grande agglomération, située sur le Mont-Beuvray, à 821 m d’altitude, dans une région relativement difficile d’accès, aux conditions météorologiques caractérisées par une importante pluviométrie (site qualifié de pôle pluviométrique du Morvan… et l’un des pôles de la France septentrionale par J.-P. Chabin (1996)), et aux sols plutôt pauvres, suscite toujours des interrogations. Par ailleurs, ce site fouillé à partir du XIXe siècle, et qui bénéficie d’une structure européenne de recherche archéologique depuis 1984 (Guillaumet, 1996 ; Gruel et Vitali, 1999 ; Guichard et al.,2004), a livré les vestiges d’une activité artisanale métallurgique considérable. De plus, le massif du Morvan, constitué de roches primaires, présente un potentiel métallogénique polymétallique (fig. 1), qui a été exploité jusqu’au milieu du XXe siècle (Marcoux, 1986). Enfin, ces dernières années de grandes tranchées, ne pouvant être expliquées par la géomorphologie, ont été retrouvées sur le site même de Bibracte, comme dans l’ensemble du massif du Morvan. Toutes ces données ont conduit les archéologues à s’interroger sur le rôle déterminant de la métallurgie dans l’installation et la prospérité des Eduens dans le haut Morvan. Afin d’appréhender le phénomène de façon globale, une étude pluridisciplinaire a été engagée pour mesurer l’impact des activités métallurgiques sur l’environnement des sociétés qui les ont pratiquées1. L’analyse pollinique a permis de suivre l’impact des activités métallurgiques sur le couvert végétal. Les différentes phases, extraction, réduction, transformation, sont particulièrement consommatrices de bois et donc à l’origine de défrichements perceptibles dans les enregistrements polliniques (Richard et Eschenlohr, 1998). Par ailleurs, la réduction et la transformation du minerai émettent dans l’atmosphère des micropolluants métalliques qui vont ensuite se redéposer au sol. L’analyse géochimique des sédiments permet de retrouver la trace de ces éléments métalliques, et notamment l’analyse géochimique du plomb. Comme pour le matériel sporopollinique, le milieu tourbeux constitue un excellent récepteur et conservateur de ces retombées atmosphériques (Shotyk, 1996 ; Shotyk et al.,1997b ; Martinez Cortizas et al.,2002b). La confrontation des résultats de ces deux types d’analyses va donc permettre de corréler des phases de défrichements affectant le couvert arboréen avec l’enregistrement de la paléopollution. Ce type d’analyses, déjà éprouvé dans divers pays européens, notamment en Suisse (Shotyk et al.,1997a ; Shotyk 2002), en Espagne (Martinez Cortizas et al.,1997 ; Martinez Cortizas et al.,2002a), en Grande Bretagne (Mighall et Chambers, 1993 ; Mighall et al.,2002a; Mighall et al.,2002b; Mighall et al.,2004) ou encore en Autriche (Küster et Rehfuess, 1997), fait partie des premières expériences réalisées en France (Monna et al.,2004b), avec celles menées au Mont Lozère (Lavoie et al.,2006) et au Pays Basque (Galop et al.,2001; Monna et al.,2004a). Cette démarche pluridisciplinaire était aussi l’occasion d’étudier l’évolution de la végétation dans une région jusqu’à maintenant un peu oubliée des analyses paléoenvironnementales. En effet, le Morvan n’avait alors fait l’objet que de deux séries d’analyses polliniques effectuées par G. Lemée dans les années 50 (Lemée, 1951), et d’un diagramme réalisé par H. Richard au début des années 90 (Richard, 1996). Pour mener à bien cette étude paléoenvironnementale, il était nécessaire de trouver un remplissage tourbeux, en contexte naturel, pas trop éloigné du site de Bibracte et qui couvre au moins les 4 derniers millénaires. Toutes ces conditions étaient remplies par la tourbière du Port-desLamberts, distante de seulement quelques kilomètres du Mont-Beuvray. Figure 1 : Carte géologique du haut Morvan, principales failles et minéralisations, mines modernes. Localisation du Mont-Beuvray et du point de forage. (Conception et cartographie : Ch. Petit). (1) Cette étude a été menée dans le cadre du programme “Paléoenvironnement” du Centre Archéologique Européen du Mont-Beuvray dirigé par V. Guichard (58370 Glux-enGlenne). L’équipe, sous la direction de Ch. Petit (géoarchéologie), est principalement composée de J.-P. Guillaumet (archéologie-manufacture métallique), F. Monna et B. Forel (géochimie), I. Jouffroy-Bapicot et H. Richard (palynologie). 46 I. JOUFFROY-BAPICOT La tourbière du Port-des-Lamberts est située dans le haut Morvan, sur la commune de Glux-en-Glenne, dans le département de la Nièvre. Elle s’est développée sur le versant est et nord-est du Mont Préneley, à une altitude de 700 m environ et sur une surface de presque 6 ha. La tourbière, d’origine soligène, repose sur un substrat géologique majoritairement composé de tufs ryolithes, de quartz et de micas noir, surmonté d’une couche importante d’arène granitique. L’imperméabilité de cette couche, liée à des précipitations importantes et régulières a permis le développement de la formation tourbeuse (Agou, 1997). L’originalité de cette tourbière est de présenter une mosaïque de formations tourbeuses, et donc de formations végétales, des stades pionniers aux stades matures ; cela a justifié son inscription parmi les sites classés de Bourgogne et a motivé un arrêté de biotope. Son environnement proche est typique du paysage du haut Morvan : un hameau de quelques maisons, entouré de pâtures, au sein d’un couvert majoritairement forestier, composé de hêtraies et plantations de résineux. Après avoir testé les profondeurs de l’ensemble de la tourbière, un carottage a été effectué dans la zone qui présentait la plus grande épaisseur de tourbe, à savoir la partie bombée, la plus évoluée. Elle se présente sous la forme d’importantes buttes de sphaignes surmontées par la callune (Calluna vulgaris) et la linaigrette vaginée (Eriophorum vaginatum). Ce sondage effectué au carottier russe de type GYK a permis l’obtention d’une carotte de tourbe relativement homogène de 2 mètres. 2. - Matériels et méthodes Sur la même carotte ont été effectuées : l’analyse pollinique, l’analyse géochimique ainsi que 4 datations radiocarbone par AMS. L’analyse pollinique de la séquence de tourbe a été réalisée avec un pas d’échantillonnage de 4 cm. Les échantillons ont fait l’objet de traitements physicochimiques destinés à extraire les grains de pollen et spores de la matrice organo-minérale (d’après la méthode Frenzel, détaillée dans Feagri et Iversen, 1989). Les grains de pollen et spores ont été identifiés à l’aide de clés de détermination (Moore et al.,1991), de photographies (Reille, 1999) et de la collection de référence du laboratoire de Chrono-écologie. Un minimum de 400 grains de pollen de plante terrestre par lame a été compté, en plus de l’aulne et des cypéracées, taxons dominants et forts pollinisateurs. Le diagramme a été constitué et tracé à l’aide du logiciel Tilia 2.0 et de ses extensions Tilia.graf 2.0 et TGview 1.6.2. (Grimm, 1991-1993). Figure 2 : Taux de sédimentation de la tourbière du Port-des-Lamberts établi sur la base des datations radiocarbone disponibles. L’analyse géochimique concerne la paléopollution au plomb. Nous ne donnerons ici que les grandes lignes de la méthode qui est détaillée par ailleurs, pour ce site (Monna et al.,2004b), et de manière générale (Monna et al.,1998 ; Monna et al.,2000). Tout d’abord, pourquoi le plomb ? Le plomb est présent et relativement abondant dans de nombreuses minéralisations. Ainsi, les exploitations de cuivre, d’or, d’argent, d’étain des premiers métallurgistes ont émis dans l’atmosphère suffisamment de plomb pour être enregistré dans l’environnement. Ici, l’enrichissement en plomb ne sera pas seulement quantifié sur un critère d’abondance, mais la variation de plomb contenu dans le sédiment est pondérée par la combinaison avec un élément terrigène, le scandium. Grâce à ce ratio, il devient alors possible de discriminer les parts naturelles et anthropiques de l’apport en plomb ; un ratio exprimé par la courbe du Pb anthropique. De plus, l’analyse isotopique du plomb permet de différencier un plomb issu de l’érosion du substratum de celui remobilisé lors des activités paléométallurgiques, et cela grâce à sa signature isotopique, issue du rapport de deux isotopes radiogéniques : 206Pb/207Pb (sur les bases de l’analyse isotopique et ses applications, voir aussi Monna, 2001). Cette signature apporte donc une information sur les différences de provenance des paléopollutions. Profondeur (cm) Lab. No. Âge 14C BP Dates calibrées BC-AD (2 sigma) 77-79 LY-10942 1070 ± 50 [888 (984, 905, 965, 1015) 1028] cal. AD 97-99 LY-10943 1460 ± 60 [441 (605, 617, 635, 585, 565) 664] cal. AD 126-128 LY-10944 2480 ± 40 [790 (583, 643, 661, 587, 544) 407] cal. BC 163-165 LY-10945 3117 ± 54 [1515 (1406, 1325, 1425, 1355) 1225] cal. BC Tableau 1 : Dates radiocarbone de la séquence du Port-des-Lamberts. 47 I. JOUFFROY-BAPICOT Quatre datations radiocarbone sur tourbe ont été effectuées au Centre des Sciences de la Terre à l’Université de Lyon. La calibration de ces dates a été réalisée avec le logiciel Calib 4.1.3. (Stuiver et al.,1998). 3. - Commentaire ZPL-PL1 La combinaison des différents spectres ainsi que la datation radiocarbone du niveau 163/165 : 3095 ± 75 BP, permettent d’attribuer le début de la séquence à la transition entre l’Atlantique récent et le début du Subboréal. D’après les spectres polliniques, le couvert végétal semble dominé par la forêt. Durant la zone pollinique locale (ZPL) PL1, la hêtraie-chênaie typique de cette partie du Morvan se met en place, les pourcentages de pollen de chêne (Quercus) et encore plus de hêtre (Fagus) augmentent régulièrement, alors que ceux du tilleul (Tilia), espèce mésothermophile caractéristique de la période Atlantique, diminuent rapidement au cours de la ZPL PL1a. On note la présence discrète mais continue de résineux, notamment le sapin (Abies) et le pin (Pinus), qui vont diminuer et tendre à disparaître par la suite. L’aulne (Alnus) tient une place prépondérante dans la représentation de la pluie pollinique de cette période, avec un taux de plus de 90% des taxons arboréens, lorsqu’il n’est pas retiré de la somme totale des grains de pollen de plantes terrestres. Toutefois, cette représentation est très locale, elle est l’image de l’aulnaie riveraine du cours de l’Yonne et de la zone humide qui l’entoure. La présence de cette aulnaie, dont on ne peut estimer l’étendue spatiale, masque en partie les fluctuations des autres taxons, l’aulne étant de plus un fort producteur pollinique (Janssen, 1959). De ce fait, ses valeurs ont été retirées du calcul de pourcentage total des grains de pollen de plantes terrestres, et sa courbe est exprimée par rapport à ce total. Il en est de même pour les Cypéracées et la callune (Calluna), qui sont liés à la dynamique de végétation de la tourbière. Dans le couvert herbacé, on remarque déjà la présence discrète d’indices polliniques d’anthropisation (IPA) (Behre, 1981), avec les occurrences de grains de pollen de plantes cultivées comme les céréales (Cerealia Typ.), et du pollen de plantes rudérales, c’est à dire de plantes dont la croissance est favorisée par l’activité humaine. Ici, il s’agit du plantain lancéolé (Plantago lanceolata), des Chenopodiacées et surtout des oseilles (Rumex). Ces taxons sont les témoins d’une activité agropastorale proche de la zone de forage qui peut être attribuée à la fin du Néolithique et au début de l’âge du Bronze (l’absence de datation des niveaux les plus profonds ne nous permettant pas d’être plus précis). La zone pollinique 1b enregistre une ouverture du milieu forestier, qui touche le chêne et les résineux : sapin et pin. Parallèlement, la part des Poacées et des taxons de plantes rudérales s’amplifie dans les spectres polliniques. Les assemblages polliniques de la zone suivante, PL1c, 48 évoquent quant à eux une déprise agricole. Le total de pollen d’arbres est en augmentation, largement influencé par la progression rapide de la courbe du hêtre, dont les taux polliniques passent d’un peu moins de 20 % à plus de 50 % du total des grains de pollen de plantes terrestres comptés. Les IPA, s’ils ne disparaissent pas complètement, n’ont qu’une représentation ténue. Le niveau 163-165, qui se situe dans le courant de cette phase, est daté de [1515 (1406, 1325, 1425, 1355) 1225] cal. BC. Cette datation nous permet de proposer une chronologie pour les événements décrits en zone 1b et 1c. Une première période de défrichement à vocation agro-pastorale, touchant le chêne, le pin et dans une moindre mesure le hêtre, peut être attribuée au Bronze ancien (2300-1700 BC) et la période de déprise qui lui fait suite au Bronze moyen (1700-1200 BC). Cette déprise, affectant le Bronze moyen, a récemment été mise en évidence plus à l’est, sur des sites nord-alpins et jurassiens (Richard et Gauthier, sous presse). ZPL-PL2 La ZPL PL2a débute avec la première chute importante du taux de pollen de hêtre. L’ouverture du milieu provoquée par la chute du hêtre profite aux arbres pionniers, tels que le noisetier (Corylus) et le bouleau (Betula), ainsi qu’aux Poacées. De même, les pourcentages de chêne connaissent aussi une augmentation sensible. Celle-ci ne correspond par forcément à une augmentation de la part du chêne dans la forêt environnante, mais il a été démontré que l’éclaircissement de la forêt dû à la diminution de la population de hêtre favorisait la pollinisation des fleurs de chênes (Troels-Smith, 1981). Au cours de cette phase, les indices d’activités agropastorales, même s’ils n’ont pas complètement disparus, puisque que l’on note la présence d’espèces rudérales comme les oseilles et le plantain lancéolé, sont toutefois très discrets et les céréales quasi inexistantes. La combinaison de ces spectres polliniques, qui évoque la diminution massive d’un arbre, le hêtre, sans qu’elle soit accompagnée d’une hausse significative des témoins d’une activité agro-pastorale, correspond au premier signal clair sur la courbe isotopique d’un apport de plomb anthropique. La corrélation de ces deux événements rend très vraisemblable l’hypothèse d’une première activité métallurgique autour du Mont-Beuvray. Cet événement peut être attribué avec grande vraisemblance au Bronze final (1200-700 av. notre ère) grâce aux datations radiocarbone qui l’encadrent : [1515 (1406, 1325, 1425, 1355) 1225] cal. BC en PL1c, et [790 (583, 643, 661, 587, 544) 407] cal. BC en zone 2b. Les données archéologiques pour cette période sont encore lacunaires et consistent surtout en trouvailles isolées dans le Morvan (Chevrier, 2002), hormis le site de Blanot (21), un riche dépôt votif du Bronze final, composé de vaisselle en bronze et de parures en or et en bronze (Thévenot, 1991). r 200 180 160 140 120 100 80 60 40 20 0 1,13 tig ra St ie h ap Back 1,19 1,22 55,00 75,00 env. 1360 BC 3115 ± 55 BP env. 640 BC 2480 ± 40 BP env. 600 AD 1460 ± 60 BP env. 960 AD 1070 ± 50 BP 35,00 20 40 60 20 s lu ry Co 40 Phases de paléopollution 200 160 165 170 175 180 185 190 195 135 140 145 150 155 5 10 15 20 25 30 35 40 45 50 55 60 65 70 75 80 85 90 95 100 105 110 115 120 125 130 la lix tu Sa Be 20 20 s us us in r us ulu rc ax e m p lia ue Q Fr Ac Ul Po Ti 20 us g Fa 40 60 20 s s ie cea nu Ab Pi Pi 100 200 300 400 a us e s in an n rp st gla nus Ca Ca Ju Al 20 40 60 Total arbres 80 100 100 200 ae e ce ra ea pe ac Cy Po ae IPA* 20 20 40 PL1a PL1b PL1c PL2a PL2b PL3a PL3b PL4a PL4b PL5a PL5b PL5c PL5d 60 s lo ca le s es S U B B O R É A L S U B A T L A N T I Q U E Néo ? A. Bronze A. Fer ép. R. haut M-A M-A ép. M. ép. C. u iq og ol hé es i s c n e lli ar u on s riq po oz s de sto on ne rio t hi hr é e Zo C P e qu Analyses polliniques : I. Jouffroy-Bapicot Analyses géochimiques : F. Monna et C. Blanchot 20 ia . ed yp s yp. s /m T u T ée . e or as an v. ce ac yp p. aj hoe cy a nc a i y T a rb T od eae eae go mer r rea num sia he is yrum go l p b il a le o ac ac a v au o i s a na p a a ex en tic bi ant pa nt lyg tem tre llu re nn go ant um ca R Ch Ur Ru Pl Pa Ce Po Ar Au Ca Ce Se Ca Fa Pl ta a ol Figure 3: Diagramme pollinique et courbes géochimique de la tourbière du Port-des-Lamberts (Glux-en-Glenne - 58). Diagramme pollinique simplifié, les taxons herbacés dont la représentation est toujours inférieure à 1% ont été retirés, homis les IPA*: Indices Polliniques d’Anthropisation. Les arbustes, faiblemeny représentés, et qui ne présentent pas de variations significatives, ne sont pas non plus figurés. Courbes du plomb anthropique et ratio des isotopes 206Pb/207Pb 15,00 Plomb anthropique (μg/g) -5,00 Tourbe brune homogène Tourbe brune fibreuse Tourbe peu évoluée 1,16 206Pb/207Pb Arbres I. JOUFFROY-BAPICOT 49 I. JOUFFROY-BAPICOT ZPL Strate arboréenne Strate herbacée La teneur en Pb anthropique est toujours en baisse, mais le rapport isotopique se rapproche régulièrement de 1,14. La courbe de Pb anthropique PL5c Alors que Quercus et Corylus stagnent, Fagus reprend On constate une augmentation du taux de pol- connaît ici un pic spectaculaire. Elle doucement de l’importance. Mais la nouveauté vient sur- len de Cerealia Typ., de Plantago lanceolata et de atteint son maximum avec une tout de la présence plus marquée des résineux : Pinus, Rumex. Le pourcentage de Calluna croît très valeur de 84 μg/g au niveau 24, suivi de Picea et d’Abies en fin de zone. rapidement. avant de diminuer en fin de zone. Après avoir atteint un taux de 20 %, Fagus diminue tout PL5b au long de cette phase, et arrive en dessous des 5 % au Les indices d’anthropisation décroissent progresniveau 34. Les autres espèces de la chênaie mixte ont une sivement tout au long de la période. Au cours de ces deux phases, la présence constante discrète, hormis Quercus qui reprend courbe du Pb anthropique reste de l’importance. stable, dans la continuité de la Fagus et Quercus sont à nouveau les taxons dominants, au zone 4b. Les valeurs isotopiques PL5a détriment de Betula. Les taux de Carpinus, présent spora- Un taux relativement stable de Poaceae oscille forment aussi un groupe très diquement dans les zones précédentes, augmentent pour entre 25 et 30% et le taux cumulé des IPA dépas- homogène autour de 1,17. se stabiliser de façon durable autour de 5 %. La présence se ici les 10 %. Localement, Calluna fait son de pollen de Castanea et Juglans, espèces favorisées par apparition. l’Homme, est aussi plus importante et régulière. Suite à la baisse générale des taxons arboréens qui affecte Le Pb anthropique, à nouveau PL4b la phase précédente, le pourcentage des espèces pion- Le pollen de Cerealia Typ. et de plantes rudérales proche de zéro en fin de zone nières est en augmentation : Betula surtout et Corylus et messicoles, malgré une légère diminution, est précédente, rejoint des valeurs dans une moindre mesure. En fin de zone, le taux de Fagus toujours bien présent. qui resteront durablement entre remonte rapidement. 7 et 11 μg/g PL5d PL4a Le taux de pollen d’arbre poursuit la courbe ascendante amorcée durant la phase précédente. Fagus atteint à nouveau les 20 %, les plantations de résineux sont de plus en plus perceptibles, avec notamment Pinus. La représentation pollinique du couvert herbacé continue de diminuer considérablement, qu’il s’agissent des Poaceae et autres herbacées, ou des plantes liées à l’activité humaine. Après une légère reprise, on observe une nouvelle chute du nombre de grains de pollen d’arbres ; tous sont concernés sans exception. Le taux de représentation du couvert forestier est alors au plus bas, avec à peine plus de 30 %. Les pourcentages des taxons favorisés par l’activité humaine, présents dans le spectre, sont tous en augmentation, particulièrement Rumex. Il en est de même pour Cerealia Typ. Pb anthropique, 206Pb/207Pb La courbe du Pb anthropique connaît une nouvelle progression, toutefois moins importante que la précédente. La courbe décroît de façon régulièL’image pollinique de la hêtraie-chênaie reprend de l’im- Les occurrences de Cerealia Typ. sont maintenant re et spectaculaire tout au long de portance, alors que Betula tend à disparaître. Le taux de constantes, et les premiers grains de pollen de la période pour rejoindre des pollen d’Alnus est lui aussi durablement diminué. Secale font leur apparition. valeurs proches de zéro. La chute des taxons arboréens est accompagnée On note ici une augmentation PL3a Elle est marquée par une baisse drastique des taxons arbo- par une hausse sensible des Poaceae, une diver- rapide et remarquable du Pb d’oriréens, et notamment de Fagus, suivi d’Alnus. Cette zone sification importante des autres herbacées et une gine anthropique, qui culmine marque aussi la disparition quasi-totale de Tilia et d’Abies. présence régulière des IPA. autour de 24 μg/g au niveau 117. La strate herbacée est marquée par la chute PL2b Les taux de pollen d’arbres sont toujours largement domi- spectaculaire du taux de pollen de Cyperaceae, Les valeurs restent stables par rapnants. A côté d’Alnus, Fagus tient une place prépondéranport à la fin de la période précéalors que le taux des autres herbacées restent te, elle aussi plutôt stable. Betula augmente régulièrement. dente. constant. PL3b PL2a PL1c PL1b PL1a Le début de cette phase enregistre une brutale diminution du taux de Fagus, alors que Quercus, Betula et Corylus, après la légère chute en fin de période précédente reprennent de l’importance. Le phénomène s’inverse ensuite. Les taux d’Alnus restent relativement constants. L’ouverture liée à la chute de Fagus coïncide avec une poussée importante des Cyperaceae, alors que les autres herbacées, Poaceae et indices d’anthropisation, restent faiblement représentés. Il n’y a pas de pollen de Cerealia Typ. A partir du niveau 149, les valeurs du Pb anthropique augmentent nettement et durablement et les valeurs isotopiques sont modifiées. La zone est marquée par l’augmentation très nette du taux Le couvert herbacé diminue en pourcentage et de pollen de Fagus, au détriment de Quercus, Corylus et en variété. Quelques indices sporadiques d’activiBetula. té agropastorale subsistent toutefois. Alors que la courbe des Cyperaceae diminue, on Les principaux taxons arboréens, Quercus, Fagus, Pinus et observe une nette augmentation des IPA, princiAlnus diminuent, alors que Corylus, essence pionnière qui palement Cerealia Typ., Plantago lanceolata, était en diminution constante lors de la phase précédente, Rumex et les Rubiaceae, même s’ils restent reprend de l’importance. faibles en proportion. Le début du diagramme pollinique est caractérisé par des taux de pollen d’arbre dominants (autour de 90 %). Fagus et Quercus tiennent une place de plus en plus importante. A l’inverse, Corylus, tout d’abord dominant, ainsi que Tilia, diminuent régulièrement. Alnus est déjà très présent localement. Durant toute cette première phase, les valeurs du Pb anthropique d’origine atmosphérique restent autour de zéro. La signatuLa représentation pollinique du couvert herbacé re isotopique, autour de 1,19, est est très largement dominée par les Cyperaceae. celle du plomb indigène. Toutefois, on note déjà une discrète présence d’indices d’anthropisation, avec la trace de Cerealia Typ. et de plantes rudérales comme Plantago lanceolata, les Urticaceae ou encore les Rubiaceae. Tableau 2 : description du diagramme, Zones Polliniques Locales (ZPL), ratio 206Pb/207Pb et courbe du plomb anthropique (sens de lecture : de bas en haut). 50 I. JOUFFROY-BAPICOT Suite à cette phase, la ZPL 2b montre une stabilisation de la courbe du Pb anthropique. En ce qui concerne les assemblages polliniques, les pourcentages de hêtre, après une augmentation rapide, restent relativement stables. Au niveau de la zone proche du forage une baisse importante et définitive des Cypéracées est concomitante de la prise d’importance du bouleau, ce qui peut évoquer une évolution locale de la zone humide. Cette période correspond très certainement au premier âge du Fer (environ 750-450 avant notre ère), période pour laquelle dans le haut Morvan, à la différence du nord du Morvan, les témoignages archéologiques sont peu fréquents. ZPL PL3 La zone pollinique suivante, PL3a, montre une remarquable corrélation entre une chute drastique du taux de pollen de hêtre et un pic important d’apport en plomb anthropique, qui ne sera dépassé que par la pollution atmosphérique contemporaine. Cette chute est accompagnée d’une diminution tout aussi spectaculaire du taux de bouleau. De même, la représentation pollinique de l’aulnaie locale est elle aussi affectée, et elle ne fera ensuite que stagner durablement. Le couvert forestier en général semble subir un défrichement de grande ampleur : le total des taxons arboréens passe d’environ 90 % au début de la phase à un peu moins de 50 % au niveau -112. Cette zone correspond à une ouverture du milieu plus importante que la précédente, mais aussi à une période où les témoignages d’activités agro-pastorales sont très significatifs. Un changement durable est imprimé au paysage. Les datations par le radiocarbone permettent d’attribuer cette phase au second âge du Fer (IIe-Ier siècles av. notre ère). Cette nouvelle dimension prise par les activités humaines décelées dans le diagramme pollinique, accompagnée d’un apport en plomb anthropique, répond tout à fait à l’importance de l’occupation de Bibracte durant les deux derniers siècles de notre ère, occupation au sein de laquelle l’activité métallurgique tient une part importante (Gruel et Vitali, 1999). Le début de la ZPL 3b voit le couvert forestier reprendre rapidement de l’importance comme le montrent les courbes de hêtre et de noisetier, suivies de celle du chêne dans un second temps. Seule la représentation du bouleau continue à s’amenuiser, la présence locale de la forêt ne permettant certainement pas à cette essence héliophile de retrouver sa place. Le charme (Carpinus), qui ne connaissait alors que quelques occurrences sporadiques commence à être plus présent. Toutefois, au cours de la période, ce couvert forestier ne cesse de décroître et les indices d’activité humaine sont présents de manière discrète mais continue. Le seigle (Secale), fait son apparition dans le courant de cette phase, que l’on peut attribuer à l’époque romaine. La baisse de fréquentation du lieu, qu’évoquent les assemblages polliniques et la baisse du plomb anthropique, est en adéquation avec les données archéologiques et historiques. En effet, après la conquête romaine, l’oppidum de Bibracte est rapidement délaissé à la faveur de la nouvelle cité d’Augustodunum (Autun actuelle), fondation augustéenne à l’est du massif du Morvan, dans la vallée de l’Arroux. La vie économique, sociale, culturelle mais aussi l’artisanat métallurgique (Chardron-Picault et Pernot, 1999) sont transférés dans la nouvelle “capitale” éduenne. ZPL PL4 Au début de la ZPL PL4a, une nouvelle chute du taux de pollen de hêtre est associée à des indices d’activité agropastorale qui n’ont encore jamais été aussi importants. Au même moment, la courbe du plomb anthropique augmente à nouveau, et cet enrichissement en plomb est assorti d’une nouvelle signature isotopique. Ces indices d’activités humaines agropastorales et paléométallurgiques sont ici beaucoup plus surprenants. Deux datations radiocarbone encadrent cette période : [441 (605, 617, 635, 585, 565) 664] cal. AD au niveau 97-99 et [888 (984, 905, 965, 1015) 1028] cal. AD au niveau 77-79. Elles permettent d’attribuer cette phase au haut MoyenAge, période plutôt connue pour le recul de population qui suit l’instabilité de la chute l’Empire romain. Nous pourrions donc être ici en présence d’un habitat local pérenne des époques mérovingienne et/ou carolingienne ; une donnée nouvelle qui reste à vérifier archéologiquement. La zone suivante, PL4b, après une légère phase de reprise forestière, enregistre une nouvelle déforestation drastique. A la différence des défrichements précédents elle semble toucher massivement l’ensemble des essences forestières dominantes, non plus seulement le hêtre, mais aussi le chêne et le noisetier. A l’inverse, les taux de pollen de bouleau forment un pic spectaculaire, profitant probablement de l’ouverture du couvert forestier. Il faut toutefois rester prudent dans l’interprétation, cette forte augmentation pouvant également résulter d’une dynamique propre à la tourbière, qui connaîtrait un assèchement passager ; celui-ci pouvant par ailleurs résulter de l’exploitation intense du milieu forestier de cette époque. Cette phase, qui fait suite à une datation d’autour de l’an mil, correspond à la manifestation locale d’un essor des activités métallurgiques du XIe siècle, à l’échelle européenne. Malheureusement, ici encore, les données archéologiques locales font défaut pour aller plus loin dans l’interprétation. ZPL PL5 Une nouvelle augmentation de la représentation du hêtre, observée en zone PL5a, pourrait correspondre aux débuts de l’exploitation des forêts seigneuriales pour le chauffage de Paris. Dès la fin du XVIe siècle, les forêts du massif du Morvan vont en effet approvisionner Paris en bois de chauffe pour plusieurs siècles. Les possesseurs de 51 I. JOUFFROY-BAPICOT grands massifs forestiers, pour une grande part issus de la noblesse parisienne, mais aussi de l’aristocratie et de la noblesse locales, prennent conscience de l’enrichissement qu’ils peuvent tirer de cette activité. Les défrichements à vocation agro-pastorale sont alors strictement limités. Par ailleurs, le hêtre, excellent bois de chauffe, est favorisé (Vigreux, 1994). La forêt de Glux-en-Glenne, propriété de la famille d’Abboville, a activement participé à ce nouvel essor. La tourbière du Port-des-Lamberts est donc directement concernée par cette activité, dont elle tire son nom. Les “ports”, étaient les lieux où l’on déchargeait et jetait à l’eau les bûches qui partaient pour le flottage. C’est ici le premier port sur l’Yonne, à quelques centaines de mètres de sa source. Un étang est aménagé en contrebas de la tourbière, pour réguler le cours de l’Yonne et effectuer des lâchers d’eau pour le départ du flot. En ce qui concerne les activités agropastorales, les taux de pollen de céréales et de plantes rudérales sont en augmentation. De plus, les taxons de plantes messicoles, c’est-à-dire les mauvaises herbes des cultures, comme le coquelicot (Papaver Rhoeas) ou le bleuet (Centaurea Cyanus), sont plus présents qu’auparavant. Autant d’indices qui vont dans le sens de cultures proches régulières. La présence du pollen de châtaignier (Castanea) et dans une moindre mesure de noyer (Juglans), s’intensifie. Les fruits de ces arbres apportent un complément alimentaire non négligeable aux populations locales. Les témoignages de pollutions atmosphériques restent quant à eux constants, qu’il s’agisse de la courbe du plomb anthropique ou de la signature isotopique de l’enrichissement. Difficile alors dans ces conditions de trancher entre un effet résiduel des exploitations précédentes ou d’une activité métallurgique relativement constante. La chute drastique du taux de hêtre en zone suivante, la ZPL PL5b, semble être le résultat de l’exploitation intense de cette essence comme bois de chauffe. A l’inverse, la représentation du chêne augmente régulièrement. Toutefois, cette impression de disparition quasi-totale du hêtre dans la forêt environnante, avec un taux qui passe de 30% à moins de 5% sur une douzaine de centimètres, doit être pondérée. La forêt est alors exploitée en taillis fureté, un tiers des rejets sur souche étant prélevé tous les dix ans (Vaucoulon et Chiffaut, 2004, Vigreux, 1994). Ce type d’exploitation, qui conduit à un épuisement de la souche, a aussi certainement des répercutions sur la production pollinique de l’arbre. Il faut donc plutôt imaginer une forêt avec une population de hêtres en taillis dont la production pollinique est très faible. Au cours de la ZPL PL5c, l’augmentation progressive du taux de pollen de hêtre, pourrait correspondre, au début du XXe siècle, à l’arrêt complet de la production de bois de chauffe. Durement concurrencé par le charbon de Lorraine, l’activité, qui avait commencé à décliner au milieu du XIXe siècle, s’arrête définitivement dans les années 20. Le comportement d’autres taxons, telle l’augmentation des taux de résineux et notamment du pin, va 52 dans le sens de cette datation. Des archives mentionnent les premières expériences de plantation de résineux dans le Morvan entre le milieu du XIXe siècle et le début du XXe (archives citées dans Seguin, 1988). De même, la reprise de la culture céréalière et l’apparition du sarrasin (Fagopyrum) dans le diagramme pollinique reflètent les cultures traditionnelles morvandelles du début du XXe siècle, avant l’installation quasi exclusive de l’élevage bovin (Crosnier, 1998). Enfin, la pollution atmosphérique, prend ici une ampleur encore inégalée, l’apport anthropique est très important et les signatures isotopiques se dirigent régulièrement vers un ratio plus bas. Ici, plusieurs facteurs sont susceptibles de se combiner. Localement, les archives témoignent d’une reprise de l’exploitation minière dans l’ensemble du Morvan. Toutefois, une pollution plus globale entre maintenant largement en compte, celle de l’ère post industrielle, puis plus spécifiquement la pollution liée aux carburants. Enfin, au cours la zone PL5b, l’augmentation du taux total de pollen d’arbres se poursuit et s’intensifie. Avec presque 80% au niveau 4, il rejoint des valeurs qu’il n’avait plus égalées depuis la zone PL2b, c’est-à-dire le début de l’âge du Fer. Parallèlement, les taux de Poaceae et des autres herbacées diminuent rapidement, et les IPA tendent à disparaître. C’est l’image du paysage actuel, à nouveau de plus en plus forestier, qui se met en place. Toutefois, l’enrésinement du Morvan, replanté d’épicéa et de pin douglas depuis le début des années 60 (Vaucoulon et Chiffaut, 2004), très visible dans le paysage, est ici peu perceptible. Peut-être à cause de la situation de la tourbière sur le bas des pentes du Mont Préneley, site classé et protégé de Bourgogne, où est encore préservée une belle hêtraie typique du haut Morvan. 4. - Conclusion L’étude conjointe de palynologie et de géochimie du plomb, réalisée sur la séquence de tourbe du Port-desLamberts, a donné des résultats très probants dans le cadre de la problématique paléométallurgique, sur le massif du Morvan. Cinq phases d’activités métallurgiques, du Bronze final à la période contemporaine, ont pu être mises en évidence. Toutes ont eu un impact relativement durable sur le couvert forestier, combinées ou non à des phases d’intensification des activités agropastorales. Ainsi, les activités métallurgiques, même précoces, telles ici celles de l’âge du Fer, peuvent-elles avoir un impact majeur sur le couvert forestier. Ce phénomène a déjà été démontré pour d’autres activités préindustrielles fortement consommatrices de bois, comme par exemple l’exploitation du sel dans le Jura (Dufraisse et Gauthier, 2002). Autour du Mont Beuvray, les défrichements semblent avoir principalement touché le hêtre, réputé être un excellent bois de chauffe, mais qui est aussi l’essence dominante de la forêt du haut Morvan. Il est donc difficile de déterminer dans cette préférence la I. JOUFFROY-BAPICOT part des qualités intrinsèques de cette essence et celle de sa disponibilité. Concernant les paléopollutions, environ 20 % du plomb anthropique a été déposé avant notre ère, et 50 % avant le XVIIIe siècle. Ces données paléoenvironnementales montrent l’impact très important des activités préindustrielles de cette région, devenue aujourd’hui l’une des moins industrialisées de France. Un héritage qui doit être pris en compte dans les évaluations de la qualité de l’environnement actuel. Reste encore à l’archéologie à déterminer la nature exacte des activités métallurgiques : extraction, réduction, manufacture métallique. Si la dernière phase est bien connue pour la fin de l’âge du Fer, les preuves d’extraction sont encore à mettre au jour. Dans ce sens, la fouille de minières potentielles est entreprise en 2005, sur le site même de Bibracte. La suite de cette étude s’attache maintenant à la spatialisation des phénomènes révélés : défrichements, pollutions. S’agissant de la pluie pollinique il est maintenant avéré que les petits réceptacles, petits lacs, petites tourbières comme c’est le cas ici, enregistrent un signal local. En est-il de même pour le signal paléopollution ? Pour tenter une histoire au niveau du massif il est donc nécessaire de multiplier ce type d’approche. Ainsi, cette première étude approfondie de l’évolution de la forêt morvandelle, en relation avec les activités humaines locales successives, est-elle poursuivie par l’étude de forages effectués dans l’ensemble du massif. Ces études polliniques et leur confrontation aux autres données paléoenvironnementales et archéologiques devront aboutir à une histoire du couvert végétal du Morvan, non plus déduite de ce que l’on connaît des zones voisines, mais qui s’appuie sur un faisceau d’analyses régionales. CHARDRON-PICAULT P., PERNOT M. (éd.), 1999, Un quartier antique d’artisanant métallurgique à Autun, Paris : Maison des Sciences de l’Homme, 316 p. (DAF ; 76). CHEVRIER S., 2002, L’âge du Bronze dans le département de la Nièvre : état de la recherche et bilan documentaire, Revue archéologique de l’Est, 51 (2001/2002), p.7-43. CROSNIER C., 1998, La cueillette des savoirs. 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Les données polliniques sont comparées aux informations archéologiques et historiques locales. L’essor agricole des deux premiers siècles de notre ère, la déprise de la transition Bas-Empire/haut Moyen-Âge et le modeste essor de l’époque mérovingienne sont visibles dans ces diagrammes. Les grands défrichements médiévaux sont parfois perceptibles dès les VIIIe et IXe siècles, mais il faut attendre les XIe-XIIe siècles pour enregistrer un signal fort du développement des activités agropastorales dans les zones d’altitude. Les données polliniques et historiques témoignent alors nettement du recul de l’espace forestier. Cette emprise ne semble se ralentir que temporairement au cours du XIVe siècle. Les défrichements s’accélèrent aux XVe et XVIe siècles et durant la période moderne. Abstract Beyond the description of the natural evolution of the Holocene vegetation, the pollinic analysis is interested today in the development of the cultural landscape. The Anthropogenic indicators facilitate the reconstruction of agricultural activities in a small-scale area. In order to illustrate the evolution of the human impact on the vegetation in the Jura Range during the last two millennia, four pollinic diagrams were selected. The pollinic data are compared with archaeological and historical informations. The Roman agricultural development, the decrease of human impact connected with the transition Low-Empire-early Middle Age and the little rise in the Merovingian times are visible in these diagrams. The first sign of medieval deforestation sometimes appear in the VIIIe and IXe centuries, but it’s necessary to await XIe-XIIe centuries to perceive a high signal of intensification of land use in the altitude areas. Pollen record and historical data testify then clearly an open landscape. A last decline of anthropogenic indicators appears in the fourteenth century, but fifteenth and sixteenth centuries are characterised by new strong deforestations and substantial human impact, in spite of the climatic deterioration of Little Ice Age. La forêt primaire qui couvrait l’essentiel de l’Europe tempérée s’est lentement transformée au cours de l’Holocène. Des pinèdes aux forêts de feuillus, de la chênaie mixte aux hêtraies-sapinières mêlées d’épicéa en altitude, le climat a d’abord dicté la composition et l’évolution de la végétation. C’est au cœur de cet environnement forestier que s’implantent les premières communautés néolithiques dans les VIe et Ve millénaires avant notre ère. Mais c’est surtout au cours des trois derniers millénaires que l’emprise de l’homme sur la végétation s’accentue. Le processus est pourtant loin d’être linéaire. Le deuxième plateau du Jura forme, par son climat contrasté et sa végétation forestière dense, un milieu longtemps considéré comme difficile, voire “répulsif”, pour les sociétés agricoles anciennes. La rareté des données archéologiques et des sources textuelles antérieures à la période médiévale classique accréditait l’hypothèse d’un peuplement tardif. Pourtant les analyses polliniques ont déjà montré l’ancienneté des impacts anthropiques (Richard, 1995 et 2000), et les communautés agropastorales n’ont certes pas attendu le XIe siècle, ni même la période gallo-romaine, pour essaimer ces massifs forestiers d’altitude. Le massif du Jura est réputé pour le nombre important de lacs, tourbières et marais, autant de zones privilégiées pour la conservation des grains de pollen et des spores. Depuis les travaux de S. Wegmüller (1966), de très nombreux sites ont fait l’objet d’analyses polliniques. Nous 57 E. Gauthier, H. Richard avons sélectionné pour cette étude spécifique quatre analyses effectuées sur les plateaux jurassiens au-dessus de 800 m d’altitude. Ces sites offrent une très bonne lisibilité des deux derniers millénaires et il était intéressant de mesurer au cours de cette période les fluctuations de la pression des sociétés humaines successives sur le couvert forestier de cette région. 1. - Lire la domestication de l’environnement végétal L’étude plus particulière des indices polliniques d’anthropisation (Behre, 1981 et 1988) permet au spécialiste d’appréhender l’évolution des activités agropastorales. Des diagrammes d’anthropisation synthétiques suivent précisément les variations de l’impact des sociétés humaines sur le couvert végétal. Le modèle utilisé est celui de Berglund et Ralska-Jasiewiczowa (1986). Ce type de diagramme comporte trois courbes, représentant respectivement : les anthropochores, c’est-à-dire les plantes cultivées (Cerealia, Secale, Fagopyrum) ; les messicoles, adventices des cultures (Centaurea cyanus, Papaver, Spergula arvensis et Polygonum persicaria), les apophytes (Plantago lanceolata, Plantago major/media, Rumex, Chenopodiaceae, Artemisia et Urticaceae) et les héliophiles pionniers (Juniperus) ; la dernière courbe représente les Poaceae. L’évolution des indices d’activités agropastorales, la chute des taxons arboréens et, au contraire, l’augmentation de certains arbres et arbustes favorisés par les ouvertures et une concurrence plus faible, sont autant de signaux anthropiques. 2. - Suivre les indices polliniques d’anthropisation du couvert végétal Après la très longue période qui couvre les deux premiers tiers du Néolithique où les indices sont très discrets, très localisés et discontinus (Richard, 2000 et 2004), une première phase d’anthropisation est comprise entre la fin du Néolithique et la fin de la Protohistoire (Gauthier, 2001 et 2004). Le signal anthropique est encore fluctuant, avec des périodes d’augmentation et de diminution des taux de pollen de céréales, d’apophytes et de poacées. Ces taxons ne disparaissent jamais totalement au cours des déprises agricoles, même lors de déprises de fortes amplitudes, comme celles correspondant à des dégradations climatiques importantes, au Bronze moyen ou au début du premier âge du Fer par exemple (Magny, 1993a et 1995 ; Richard, 1995 ; van Geel et Magny, 2000 ; Richard et Gauthier, sous presse). À l’intérieur d’un même territoire, les zones agricoles pouvaient changer de place. Afin de minimiser les efforts et en raison d’une densité de population encore relative- 58 ment faible, les défrichements concernaient sans doute des surfaces limitées, situées surtout à des altitudes basses et moyennes où les aléas climatiques sont moins menaçants. Quant aux céréales capables de pousser plus en altitude, elles sont déjà le fruit de sélections opérées depuis les débuts de la néolithisation (Pelt et al.,1999). Les mêmes endroits, abandonnés provisoirement, sont réoccupés, car il est plus facile de nettoyer un lieu enfriché que de défier de nouveau la forêt primaire. C’est finalement le modèle agro-sylvo-pastoral décrit dans la littérature (entre autres : Iversen, 1949 ; Bertrand, 1975 ; Guilaine, 1991) qui souvent s’applique. La forêt était dominante, dense et, pour une grande part, inconnue. Mais elle était aussi, à proximité des zones habitées, le lieu essentiel de chasse, de cueillette et de pâturage. Certaines parties, comme les environs des sources salées (Pétrequin et al.,2001 ; Dufraisse et Gauthier, 2002) et, comme nous le verrons, les zones situées à proximité de proto-industries du fer (Richard et Eschenlohr, 1998 ; Gauthier, 2001) faisaient l’objet d’une fréquentation plus importante. Les défrichements très étendus étaient alors motivés par le besoin en combustible et non la quête d’un espace agricole. C’est le cas aussi dans les régions où les activités paléométallurgiques étaient nombreuses, comme dans le Morvan (Monna et al.,2004a ; Jouffroy-Bapicot I., ce volume) ou le Pays Basque (Monna et al.,2004b). Un palier est souvent franchi à la fin de l’âge du Bronze (entre environ 1000 et 800 avant notre ère) où l’emprise humaine sur la végétation est toujours très forte. A partir de la période gallo-romaine, le signal anthropique offre une meilleure cohérence et une deuxième phase se dessine. L’essor agricole des deux premiers siècles de notre ère, la déprise de la transition BasEmpire - haut Moyen Âge et le modeste essor de l’époque mérovingienne sont visibles dans la plupart des analyses polliniques du Massif jurassien. Les clairières étaient toutefois encore dominantes, mais les zones défrichées semblent occupées de manière permanente. Même si une amorce du phénomène est parfois visible dès les VIIIe et IXe siècles, il faut attendre les XIe-XIIe siècles pour percevoir, grâce à l’amplification des défrichements, un signal net et sans ambiguïté du développement des activités agropastorales dans les zones d’altitude. Les données polliniques et historiques témoignent alors clairement du recul de l’espace forestier. L’un des signes de la régression de la forêt et de l’augmentation des espaces cultivés (outre la chute des taux de pollen d’arbres) est l’apparition dans les diagrammes polliniques des messicoles comme le bleuet et le coquelicot. De larges superficies restaient cependant très forestières et, dans le Jura, aux alentours des certaines tourbières, le couvert forestier ne paraît pas reculer avant le XVe siècle (Gauthier, 2001 et 2002) ; il en est probablement de même sur le Massif vosgien. E. Gauthier, H. Richard Enfin des divers troubles qui ont rythmé la vie des populations locales au cours du dernier millénaire, un seul semble avoir eu des conséquences perceptibles dans les diagrammes polliniques. Il s’agit des effets des épidémies de peste et des guerres du XIVe siècle. Il faut cependant noter que le seul phénomène visible est une baisse des indices polliniques d’anthropisation démontrant un abandon des pratiques agropastorales et un enfrichement des terres. Les effets directs des détériorations climatiques du Petit Âge Glaciaire sont quant à eux difficiles à évaluer par la palynologie. L’essor agricole se met en place aux XVe et XVIe siècles et, durant la période moderne, les défrichements s’accélèrent. Sur les plateaux jurassiens, la polyculture disparaît peu à peu et la vocation pastorale s’affirme au cours des derniers siècles. Le domaine forestier, surexploité, regagne du terrain à partir du XXe siècle, mais cet effort considérable de reboisement ne transparaît encore que très discrètement dans les diagrammes polliniques. ALTITUDES 300-700 m 700-900 m plus de 900 m > 500 m 4 e Lou 2 1 3 3. - Les données archéologiques et historiques Des quatre sites étudiés (fig. 1), seul le secteur de Chaffois, et plus généralement la Chaux d’Arlier, offrent des preuves archéologiques d’un peuplement protohistorique. Une trentaine de tumulus datant de l’âge du Bronze et du premier âge du Fer (Hallstatt) ont été repérés et fouillés dans cette vaste dépression (Bichet et Millotte, 1992). La fondation de Pontarlier (Abiolica) remonte à l’époque gallo-romaine, et la nécropole mérovingienne de la Grande Oye (VIe-VIIe siècles), à Doubs, atteste l’occupation mérovingienne du secteur (Manfredi et al.,1992). La situation géographique de cette microrégion explique l’abondance d’indices archéologiques : la Chaux d’Arlier constitue en effet la seule voie de passage transversale aux plissements du Massif jurassien permettant de rejoindre aisément le Plateau suisse puis l’Italie. Sur le deuxième plateau, les données archéologiques se limitent malheureusement à ce secteur. Censeau, dans le Val de Mièges, est dans le prolongement et au sud-ouest de la Chaux d’Arlier. De rares données archéologiques et textuelles (Rousset, 1853) laissent supposer un peuplement antérieur à l’an Mil. La tourbière des Fourgs est quant à elle au cœur d’un “désert archéologique” et il n’existe pratiquement aucune preuve d’occupation de ce secteur avant les XI-XIIe siècles. C’est précisément durant le XIIe siècle que la commune de Les Fourgs, et plus généralement le plateau environnant, sont colonisés dans le but d’exploiter la sève des résineux pour la fabrication de la poix (Tissot, 1978 ; Bulle, 1988). Le haut-plateau des Franches-Montagnes, au nord du massif dans le canton du Jura suisse, situé entre 800 et Lausanne N 0 10 50 km Figure 1 : Les sites étudiés. 1100 m d’altitude, n’a livré que très peu de vestiges archéologiques. Toutefois, le seul territoire de la commune de Lajoux révèle plus d’une trentaine de ferriers (ateliers de production de fer) datant essentiellement des XIIIe et XIVe siècles (Richard et Eschenlhor, 1998 ; Eschenlohr, 2001). Une telle densité d’ateliers, importants consommateurs de charbon de bois, a dû avoir un impact important sur le couvert forestier local qu’il est intéressant d’analyser. 4. - Les données polliniques 4.1. - L’époque gallo-romaine À l’aube de la conquête romaine, les quatre sites sélectionnés montrent des traces plus ou moins évidentes d’activités agropastorales. Si la Chaux d’Arlier (Gauthier, 2001 et 2002), malgré une image pollinique toujours très forestière, semble faire l’objet d’une mise en valeur régu- 59 E. Gauthier, H. Richard lière depuis l’âge du Bronze, Censeau et Les Fourgs révèlent des occupations plus fluctuantes, sans réelle corrélation chronologique. A proximité de la tourbière de La Beuffarde aux Fourgs, il est possible que la présence de minerai de fer (Rosenthal, 1992), soit à l’origine des défrichements qui affectent régulièrement les lieux dès le deuxième âge du Fer (La Tène). Dans les analyses de la tourbière de Lajoux une présence apparemment constante est démontrée sur la totalité de l’âge du Fer par une augmentation des taxons herbacés (Poaceae, Céréales, Plantago, Rumex). La principale caractéristique de la période gallo-romaine est l’apparition d’un signal anthropique assez homogène. La Chaux d’Arlier (Chaffois) montre une certaine continuité des activités agropastorales depuis la Protohistoire (fig. 2). Les modifications environnementales opérées par l’homme durant cette période sont finalement assez légères et se traduisent d’avantage par une reprise (fig. 4 : Les Fourgs, B1) ou une extension légère (fig. 3 : Censeau, C2) des défrichements. La mise en valeur agricole s’opère essentiellement dans des zones déjà partiellement peuplées et défrichées (Richard, 1995), comme dans d’autres moyennes montagnes, les Pyrénées (Galop, 1998) ou le Massif central (Miras, 2004) par exemple. Dans un contexte économique et politique favorable, il est possible que l’amélioration climatique caractérisant les débuts de l’ère chrétienne (Magny, 1995) ait joué un rôle dynamisant. Les dates radiocarbone, comme l’estimation des âges, semblent indiquer que l’essor agricole gallo-romain est assez court et concerne principalement le Haut Empire. Parfois, dès la fin du IIe siècle, au plus tard vers le IIIe - IVe siècle (fig. 2 : Chaffois, 2ème partie de LB1c), une chute des indices d’activités agropastorales et une recolonisation forestière sont observables ; les phénomènes s’accentuent à la transition avec le haut Moyen Âge. Le diagramme de Lajoux (fig. 5) montre, pour les tous premiers siècles de notre ère, un événement brutal et très net qui affecte pratiquement tous les taxons : très forte régression du sapin (Abies) et de l’épicéa (Picea), en anticoïncidence avec un développement du hêtre (Fagus), du noisetier (Corylus), du bouleau (Betula)… Ceci démontre que les sapins et les épicéas ont été en grande partie éliminés à proximité de la tourbière analysée. Cette ouverture importante profite d’abord au hêtre qui voit disparaître ses concurrents principaux, ce qui stimule entre autre sa pollinisation, et aux essences secondaires profitant de ces éclaircissements, comme le noisetier et le bouleau. Ces événements sont certainement la traduction pollinique des coupes destinées à fournir le combustible nécessaire aux ateliers de production de fer. 4.2. - Le haut Moyen Âge Le recul des activités anthropiques est net au début du haut Moyen Âge. A Censeau (fig. 3 : C3a) et aux Fourgs 60 (fig. 4 : B2) où il est d’ailleurs possible de discerner un niveau où les taxons marqueurs d’anthropisation disparaissent presque complètement ; à Lajoux (fig. 5 : 1ère moitié de E3). Les marqueurs sont fortement en baisse. Les zones abandonnées sont recolonisées, selon les sites, par le hêtre, le sapin et l’épicéa, mais aussi par le charme, l’orme et le frêne. Cette déprise a fait l’objet de plusieurs datations. Lorsqu’on considère les écarts type des data14 tions C effectuées sur les sites de Censeau, des Fourgs et de Lajoux, il apparaît clairement que la déprise commence au plus tôt vers le milieu du IIIe siècle et se termine, au plus tard, au début du VIIe siècle. Ces dates englobent toujours la totalité du Ve siècle et la presque totalité du VIe. Ce synchronisme laisse supposer qu’un événement d’importance a conduit au dépeuplement temporaire de la région. La cause la plus évidente semble être celle des invasions qui frappent précisément l’arc jurassien entre le IIIe et le Ve siècle (Lerat et al.,1981 ; Bouvard, 1997). Cette déprise est aussi attestée sur les quelques sites étudiés dans la plaine jurassienne (Gauthier, 2001 ; Gauthier et Joly, 2003) et dans la majorité des analyses polliniques suisses et allemandes (voir entre autres : Behre, 1988 ; Richoz et Gaillard, 1989 ; Rösh, 1992 ; Richoz et al.,1994 ; Wiethold, 1998) ; c’est la “migration period”. Pourtant, si cette déprise est due aux invasions, il peut paraître étrange que Chaffois (fig. 2 : LB2), le seul site situé sur une voie de passage importante et donc davantage exposé à divers troubles, ne semble affecté que par un ralentissement des activités agropastorales (fin de LB2), et non par une réelle déprise. La plaine de la Chaux d’Arlier était sans doute plus peuplée, comme le montrent les nombreuses données archéologiques déjà citées (Manfredi et al.,1992). Les analyses polliniques de Neublans (Gauthier, 2000 ; Vannière et al.,2000 et 2003), dans la basse vallée du Doubs (Jura), suggèrent également que le peuplement se concentre sans doute dans des secteurs précis durant la fin de l’époque gallo-romaine et le début du haut Moyen Âge, et la Chaux d’Arlier en fait partie. Il est cependant intéressant de remarquer que sur tous les sites, occupés ou non, la recolonisation forestière est effective et les activités agricoles, quand elles persistent, sont développées au sein d’un milieu très boisé. Vers la fin du VIe siècle et le début du VIIe siècle, céréales et apophytes réapparaissent de manière régulière mais les défrichements restent encore très discrets, même à Chaffois. Le pastoralisme, les troupeaux pâturant en forêt, sont certainement à la base de ces activités humaines. À Censeau (fig. 3 : C3b) et à Les Fourgs (fig. 4 : B3), l’occurrence régulière de grains de pollen d’Urticaceae, un taxon nitrophile souvent lié à la présence de bétail, confirme cette hypothèse. Quant à l’impact réel des aléas climatiques sur la répartition du peuplement, il est difficile de le mettre en évidence. A partir de ces analyses, la déprise agricole qui s’étend entre le IIIe et VIe siècle est contemporaine d’une amélio- E. Gauthier, H. Richard 0 5 1302-1448 cal. AD 1044-1261cal. AD 127-381 cal. AD LB6 10 14 18 22 26 30 34 38 42 46 LB5 LB4 BMA MAC LB3 LB2 52 56 60 64 68 HMA LB1c AP/T FAGUS CANNABIS/HUMULUS PICEA ABIES CARPINUS QUERCUS CORYLUS BETULA PINUS PROFONDEUR en cm POACEAE CYPERACEAE AUTRES HERBACEES Cerealia Messicoles et apophytes Poaceae LT/H Figure 2 : diagramme pollinique partiel et simplifié de la tourbière des Barbouillons, commune de Chaffois (25, F) dans la Chaux d’Arlier (d’après Gauthier, 2001 et 2002). datations : BP = Before Present, date radiocarbone non-calibrée exprimée avant 1950 de notre ère ; cal. AD : date exprimée en années solaires (date calibrée par la dendrochronologie), AD = Anno Domini, c’est-à-dire après Jésus-Christ. AP/T : rapport entre les grains de pollen d’arbres et d’arbustes (AP = Arboreal Pollen) et le total (T) des grains de pollen comptés. zonation archéologique estimée : LT/H = La Tène/Hallstatt ; Ép GR = Époque Gallo-Romaine ; HMA = Haut Moyen Âge ; MAC = Moyen Âge Central ; BMA = Bas Moyen Âge ; Ép M&C = Époque Moderne et Contemporaine. ration climatique ; au contraire la modeste reprise amorcée au VIIe siècle s’accorde avec une nouvelle péjoration climatique (Magny, 1993b et 1995). Le développement des campagnes semble alors plus dépendant des facteurs socio-économiques que des changements climatiques. 4.3. - Le Moyen Âge classique L’essor agricole qui débute à l’aube de l’an Mil ne correspond pas vraiment à une amplification immédiate des défrichements et à une soudaine élévation des taux de céréales, d’apophytes et de poacées. L’apparition d’une ouverture du couvert forestier d’ampleur plus ou moins importante est le premier phénomène observable et certains de ces déboisements sont sans doute légèrement antérieurs à l’an Mil. Hêtre, charme, sapin et épicéa sont les essences prioritairement touchées (fig. 2 : Chaffois, LB3 ; fig. 3 : Censeau, C4a ; fig. 4 : Les Fourgs, B3 ; fig. 5 : Lajoux, extrême fin de E3). L’élévation des taux d’indices polliniques d’anthropisation, indiquant la réelle mise en valeur agricole, est légèrement postérieure, elle est datée entre le milieu du XIe siècle et le XIIIe siècle. L’ouverture des massifs forestiers favorise alors, selon les sites, la pollinisation de l’aulne, le bouleau et du noise- tier ; ce phénomène est par exemple particulièrement visible à Chaffois (fig. 2 : LB4). Parmi les céréales, le seigle apparaît de manière très régulière et le chanvre (Cannabis/Humulus) semble faire l’objet d’une culture à proximité des sites étudiés. Les défrichements récurrents observables à la tourbière des Fourgs dès l’âge du Fer sont plus marqués que sur les trois autres sites. La présence de minerai de fer étant attestée, ces déboisements locaux, mais importants, s’expliquent certainement par une exploitation métallurgique accompagnée d’un léger développement des activités agropastorales. Ce phénomène est une nouvelle fois très marqué à Lajoux où la zone E4 (fig. 5) montre les mêmes indices que précédemment : chute brutale du sapin et de l’épicéa, augmentation du hêtre, du bouleau et du noisetier. Ces défrichements ciblés se produisent dans les XIe et XIIe siècles. Malgré les défrichements et l’ampleur de la pression agropastorale qui caractérisent généralement les débuts du XIe siècle, le couvert arboréen est loin de disparaître. Cet espace forestier joue certainement un rôle encore important dans la vie des agriculteurs ; au bas Moyen Âge, il semblait encore inépuisable aux yeux des habitants de cette région (Loew, 1954 ; Gresser et al.,1990). 61 E. Gauthier, H. Richard 0 10 C5 21 1058-1292 cal. AD 1027-1207 cal. AD 410-609 cal. AD 28 32 36 40 44 48 52 56 60 64 68 72 76 80 84 88 92 96 100 104 108 112 116 120 124 128 132 136 140 145 C4d C4c C4b C4a BMA MAC C3c C3b HMA C3a C2 C1 AP/T CANNABIS/HUMULUS CARPINUS PICEA ABIES QUERCUS CORYLUS BETULA PINUS PROFONDEUR en cm FAGUS POACEAE CYPERACEAE AUTRES HERBACEES LT/H Cerealia Messicoles et apophytes Poaceae Figure 3 : diagramme pollinique partiel et simplifié de la tourbière de La Seigne, commune de Censeau (39, F) (d’après Gauthier, 2001). datations : BP = Before Present, date radiocarbone non-calibrée exprimée avant 1950 de notre ère ; cal. AD : date exprimée en années solaires (date calibrée par la dendrochronologie), AD = Anno Domini, c’est-à-dire après Jésus-Christ. AP/T : rapport entre les grains de pollen d’arbres et d’arbustes (AP = Arboreal Pollen) et le total (T) des grains de pollen comptés. zonation archéologique estimée : LT/H = La Tène/Hallstatt ; Ép GR = Époque Gallo-Romaine ; HMA = Haut Moyen Âge ; MAC = Moyen Âge Central ; BMA = Bas Moyen Âge ; Ép M&C = Époque Moderne et Contemporaine. L’amélioration climatique qui se met en place au même moment a probablement favorisé cet essor agricole général, surtout dans ce secteur du deuxième plateau du Jura. Mais le succès de cette expansion agraire a d’abord une origine socio-économique, qui, plus que le climat, a motivé ce peuplement. 4.4. - Le bas Moyen Âge La récession économique, les guerres, les famines, les épidémies (Lerat et al.,1981 ; Gresser, 1989) et peut-être les prémices du Petit Âge Glaciaire (Magny, 1993b et 1995 ; Messerli et al.,2000) ont des répercussions souvent identiques dans la plupart des diagrammes polliniques européens. Le déclin des activités anthropiques, fréquemment accompagné d’une régénération du couvert forestier, est alors visible (Rösh, 1992 ; Galop, 1998 et 2000 ; Dumayne-Peaty, 1999). Sur les plateaux du Jura, la déprise, ou plutôt le recul des activités agropastorales durant le bas Moyen Âge, est perceptible sur les sites présentés. Ces événements sont bien datés : les trois datations obtenues sur le début (fig. 3 : Censeau, début de C4b et fig. 5 : Lajoux, 1ère moitié de E5), le milieu (fig. 2 : Chaffois, LB5), et les prémices de la reprise (fig. 4 : Les Fourgs, B5), permettent de cerner chronologiquement ce 62 phénomène. Le début du ralentissement agricole est daté à Censeau de 1058-1292 cal. AD, ce qui peut paraître précoce. La date situant l’apogée de l’emprise agricole à Les Fourgs (fig. 4 : B4) est en effet presque contemporaine : 1268-1395 cal. AD. Il est évidemment possible d’expliquer cela par un simple décalage chronologique entre les deux sites, Les Fourgs ayant été affecté plus tardivement que Censeau par les troubles divers relatifs à cette période. Les deux dates se recoupent pourtant sur une vingtaine d’années, en fait les deux dernières décennies du XIIIe siècle. Or cette période constitue peut-être un moment charnière durant lequel la déprise agricole a pris place. Certains historiens (entre autres Bouvard, 1997) précisent d’ailleurs que le dépeuplement des zones montagneuses du Jura débute dès la deuxième moitié du XIIIe siècle ; à partir de cette époque la multiplication des chartes de franchise, destinées à retenir ou attirer les gens, souligne les débuts d’une crise économique. Celleci se prolonge durant le XIVe siècle et le début du XVe, comme le confirme la date 14C de Chaffois - entre 1302 et 1448 - effectuée au niveau LB5 où les taux des taxons marqueurs de l’anthropisation sont au plus bas (fig. 2) ; la régénération forestière, se traduisant ici par l’augmentation des taux de hêtre, est particulièrement évidente. E. Gauthier, H. Richard 1685-1955 cal. AD 1429-1631 cal. AD 1268-1395 cal. AD 414-540 cal. AD B1 Figure 4 : diagramme pollinique partiel et simplifié de la tourbière de La Beuffarde, commune de les Fourgs (25, F) (d’après Gauthier, 2001). datations : BP = Before Present, date radiocarbone non-calibrée exprimée avant 1950 de notre ère ; cal. AD : date exprimée en années solaires (date calibrée par la dendrochronologie), AD = Anno Domini, c’est-à-dire après Jésus-Christ. AP/T : rapport entre les grains de pollen d’arbres et d’arbustes (AP = Arboreal Pollen) et le total (T) des grains de pollen comptés. zonation archéologique estimée : LT/H = La Tène/Hallstatt ; Ép GR = Époque Gallo-Romaine ; HMA = Haut Moyen Âge ; MAC = Moyen Âge Central ; BMA = Bas Moyen Âge ; Ép M&C = Époque Moderne et Contemporaine. La reprise des activités anthropiques est plus ou moins précoce, selon les sites (début des zones polliniques locales LB6, C4c B6a, 2ème moitié de E5). Les textes précisent par exemple qu’en mai 1400, Jean de Chalon-Arlay encourage, en accordant divers droits, le repeuplement de Censeau, dévasté par la peste (Rousset, 1853). À la tourbière des Fourgs (fig. 4), le début de cette reprise est plutôt centré sur le milieu du XVe siècle : 1429-1631 cal. AD. Cette déprise du XIVe siècle apparaît même plus franchement que celle des Ve-VIe siècles, et il ne fait aucun doute que les effets conjugués des guerres, des épidémies de peste et du début du Petit Âge Glaciaire aient conduit au dépeuplement de cette partie du Jura. Le refroidissement climatique, effectif jusqu’au XIXe siècle, n’entravera cependant pas le nouvel essor économique des XVe-XVIe siècles. 4.5. - L’époque moderne et contemporaine Après cette crise du XIVe siècle, les quatre diagrammes polliniques font apparaître une extension importante des défrichements et l’essor d’un système agricole dominé par la polyculture et l’élevage. La représentation pollinique du hêtre, du sapin et de l’épicéa chute rapidement, indiquant la réduction, puis l’épuisement rapide du couvert forestier. Les conséquences locales pourtant dévastatrices de la guerre de Dix Ans ne transparaissent pas dans les diagrammes polliniques. Il est vrai que les communes étudiées ne font pas partie de celles directement impliquées dans le conflit et ruinées par les troupes armées (Louis, 1998). Si la crise a été plus violente, mais sans doute plus brève, que celle du XIVe siècle, l’abandon temporaire des terres s’est plutôt traduit par un enfrichement plus que par une régénération d’un couvert forestier déjà fortement dégradé. Les analyses paléoenvironnementales récentes touchant le dernier millénaire ont parfois trop tendance à attribuer le moindre micro-phénomène à l’effet du Petit Âge Glaciaire. Les recherches menées sur des sources textuelles montrent que la péjoration climatique n’était pas homogène (Behringer, 1999 ; Messerli et al.,2000). Si certaines décennies étaient caractérisées par une météorologie très médiocre, les améliorations climatiques demeuraient cependant fréquentes. Et même si des récoltes ont été particulièrement mauvaises certaines années, les innovations technologiques, accompagnant l’augmentation de la pression démographique, soutiennent la poursuite du développement d’un système agropastoral qui 63 E. Gauthier, H. Richard 1269-1439 cal AD 975-1267 cal AD 126-530 cal AD 0 5 10 15 20 25 30 35 40 45 50 55 59 65 70 75 80 85 90 94 E7 E6 620 80 BP E5 E4 925 85 BP E3 1730 70 BP E2 100 105 110 115 120 E1 LT AP/T CARPINUS PICEA ABIES QUERCUS CORYLUS BETULA PINUS PROFONDEUR en cm FAGUS AUTRES HERBACEES POACEAE Cerealia Messicoles et apophytes Poaceae Figure 5 : diagramme pollinique partiel et simplifié de Derrière-les-Embreux, commune de Lajoux (Ju, CH) (d’après Richard et Eschenlohr, 1998). datations : BP = Before Present, date radiocarbone non-calibrée exprimée avant 1950 de notre ère ; cal. AD : date exprimée en années solaires (date calibrée par la dendrochronologie), AD = Anno Domini, c’est-à-dire après Jésus-Christ. AP/T : rapport entre les grains de pollen d’arbres et d’arbustes (AP = Arboreal Pollen) et le total (T) des grains de pollen comptés. zonation archéologique estimée : LT/H = La Tène/Hallstatt ; Ép GR = Époque Gallo-Romaine ; HMA = Haut Moyen Âge ; MAC = Moyen Âge Central ; BMA = Bas Moyen Âge ; Ép M&C = Époque Moderne et Contemporaine. s’adapte le plus souvent aux aléas climatiques de cette période. Les spectres polliniques des derniers niveaux des séquences étudiées montrent généralement un milieu très ouvert. Au cours du XXe siècle, la polyculture a disparu et la vocation pastorale s’est définitivement affirmée. La forêt a regagné du terrain, mais cet effort considérable de reboisement qui fait aujourd’hui du Jura une des principales régions forestières de France, ne transparaît que très discrètement dans les quatre diagrammes présentés. C’est la végétation même des tourbières (bouleau, pin, callune, carex) qui est le plus clairement représentée dans les diagrammes, prouvant une fois de plus l’extrême localité de la pluie pollinique captée dans les sédiments. 5. - Conclusion Ces quatre analyses montrent que l’évolution de l’impact de l’homme sur la végétation dans cette zone de moyenne montagne, depuis la période gallo-romaine, 64 n’a jamais été régulière et linéaire. Les fluctuations mises en évidence se rapprochent de ce qui a déjà été observé dans d’autres milieux montagnards comme les Pyrénées (Galop, 2000), le Massif central (Miras, 2004) et certaines parties des Alpes (Court-Picon, 2003). Dès la fin de La Tène et durant la période gallo-romaine, les défrichements s’étendent très légèrement et une mise en valeur agricole du territoire paraît s’organiser. Une déprise touche la plupart des sites pendant les Ve et VIe siècles de notre ère. Mais sans nier une certaine baisse démographique à cette époque, la persistance des activités agropastorales démontre plus un regroupement de populations dans certaines zones spécifiques qu’un déclin général des activités agricoles. Des analyses palynologiques, les datations radiocarbone associées aux investigations archéologiques en cours dans diverses zones du Massif jurassien permettront sans doute de mieux comprendre cette période charnière et encore peu connue. Faiblement mais régulièrement, le signal anthropique réapparaît sur l’ensemble des sites à l’aube du VIIe siècle. Les activités agropastorales se développent tou- E. Gauthier, H. Richard jours au coeur d’un milieu forestier étendu. L’explosion démographique, le poids des instances monastiques puis laïques des XIe, XIIe et XIIIe siècles favorisent le peuplement, et surtout, le défrichement de l’ensemble du massif. Contrairement aux images véhiculées par certains historiens, de vastes étendues de forêts restent encore en place sur ces moyennes montagnes. Une partie de ces forêts sont exploitées dans un périmètre restreint proche des zones habitées mais de vastes zones sont encore densément arborées. Les conséquences démographiques des guerres et des épidémies du XIVe siècle marquent un recul net de l’agriculture. Il faut donc attendre le XVe siècle pour que le couvert forestier recule réellement. Enfin, la déprise polliniquement mise en évidence dans les niveaux sub-contemporains (XVIIIeXIXe s.) correspond en fait à un bouleversement total de la gestion de l’espace. Dès le milieu du XXe siècle il n’y a plus de polyculture mais, selon les secteurs, une spécialisation des activités (élevage et résineux sur les plateaux, vignobles, polycultures fortement céréalières dans les basses plaines…). Le couvert forestier a regagné du terrain, sa composition est aujourd’hui complètement gérée. L’épaisse forêt qui couvrait le Jura n’a pas entravé l’essor d’activités agricoles et l’exploitation des potentialités du sol et du sous-sol. Si au cours des deux derniers millénaires des périodes de déprises ou de reculs des activités agricoles sont perçues dans les diagrammes polliniques, c’est plus le résultat de processus économiques, politiques et sociaux que la conséquence directe de dégradations climatiques qui devaient pourtant être vivement ressenties dans ces zones de moyenne montagne. L’équilibre qui a longtemps persisté entre espaces agropastoraux et forestiers bascule à l’aube de l’an Mil. Les innovations technologiques, les rendements agricoles plus importants qui en découlent et l’essor démographique aidant, l’homme s’affranchit totalement des contraintes liées à son environnement. Comment aller plus loin maintenant ? Bien qu’ayant fait des progrès très importants ces dernières années, la datation précise des phénomènes décrits est encore à améliorer. Conscient des limites de sa méthode, le palynologue cherche sans cesse à progresser. Les hypothèses formulées ici tiennent compte par exemple des distorsions possibles dues à la taille des récepteurs : une petite tourbière comme celle de La Beuffarde aux Fourgs donne une image plus locale de la végétation alors que la tourbière des Barbouillons à Chaffois, qui fait partie d’une vaste zone humide, restituera une image pollinique beaucoup plus régionale. Mais peuton aller au-delà du schéma qui consiste à suivre la succession des emprises et des déprises agricoles ? La cause de ces phénomènes est d’abord à préciser dans la plupart des cas : phénomènes naturels, fluctuations démographiques, aléas socio-économiques… Il faut pousser encore plus loin la description des groupements végétaux perçus par la palynologie : quels types de forêts, quel était leur degré d’ouverture, quelles cultures, quelles surfaces emblavées, cultivées, pâturées ?... Pourra-t-on aller jusqu’aux pratiques agricoles ? Le recours aux référentiels actuels, très en vogue aujourd’hui, permettra de répondre, peut-être partiellement à ces questions. Bibliographie BEHRE K.-E., 1981, The interpretation of anthropogenic indicators in pollen diagrams, Pollen et spores, 23, p. 225-245. BEHRE K. E., 1988, The rôle of man in European vegetation history, In : B. Huntley et T. Webb (éds.), Vegetation History, Dordrecht, p. 633-672. BEHRINGER W., 1999, Climatic change and witch-hunting: the impact of the Little Ice Age on mentality, Climatic Change, 43, p. 335-351. BERGLUND B.E, RALSKA-JASIEWICZOWA M., 1986, Pollen analysis and pollen diagrams, In : Handbook of Holocene Palaeoecolgy and Palaeohydrology, B.E. Berglund, J.Wiley and Sons (eds.), p. 455-484. BICHET P., MILLOTTE J.-P., 1992, L’Âge du Fer dans le Haut Jura. Les Tumulus de la région de Pontarlier (Doubs), Documents d’Archéologie Française, Paris, 151 p. (DAF 34). 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Analyse pollinique d’une colonne sédimentaire prélevée dans le lac de Neuchâtel (Suisse), Bulletin de la Société Vaudoise de Sciences Naturelles, 79, p. 355-377. 67 68 Analyse pollinique de la mardelle d’Assenoncourt (Moselle, France) : Impact des pratiques agricoles sur la biodiversité végétale en milieu forestier Pascale RUFFALDI (1), Frédéric RITZ (2), Hervé RICHARD (1), Etienne DAMBRINE et Jean-Luc DUPOUEY (4) (1) (2) (3) (4) (3) Laboratoire de Chrono-écologie - UMR 6565 CNRS - 16 route de Gray - 25030 Besançon Cedex – [email protected] Office National des Forêts – [email protected] Unité Cycles Biogéochimiques, INRA, 54280 Seichamps – [email protected] Equipe Phytoécologie, INRA, 54280 Seichamps – [email protected] Résumé Dans les chênaies développées sur les terrains marneux du Plateau lorrain, on trouve de très nombreuses mardelles tourbeuses à sphaignes, riches et originales sur le plan botanique, dont l’origine est discutée. Le carottage et les datations radiocarbone d’une de ces dépressions montrent deux mètres de remplissage argilo-silteux lité, commençant au VIIe siècle et finissant au XIVe siècle, surmonté de deux mètres de tourbe organique. L’analyse palynologique révèle 4 zones successives. La base du diagramme est caractérisée par un couvert de chênaie-charmaie dense avec des taux de pollen arboréens avoisinant les 85 %. Très rapidement, on note une augmentation des indices polliniques d’anthropisation (Plantago lanceolata, Rumex, Artemisia, Urticacées). La présence en pourcentages élevés de plantes aquatiques et hygrophiles (comme Potamogeton, Sparganium) et, d’autre part, de Cannabis montre que la mardelle est en eau et utilisée temporairement comme zone de rouissage. Dès le haut Moyen Age, les valeurs des taxons arboréens chutent brutalement et l’augmentation des valeurs des Céréales atteste une phase d’anthropisation très marquée qui dure jusqu’au XIIIe siècle. Le XIVe siècle voit le retour des grains de pollen d’arbres, interprété comme une phase de déprise agricole. Postérieurement, la mare évolue en tourbière oligotrophe. Si son origine anthropique est probable, son utilisation par l’homme est certaine, dans un contexte non forestier pendant tout le Moyen Age. L’abandon de l’agriculture autour du XIVe siècle pourrait dater le début de l’exploitation de taillis à vocation industrielle par les Salines. Mots clés : pollen, mardelle, histoire de l’utilisation des sols, Lorraine, forêt Abstract In ancient oak forests developed on neutral soils over shales of the Lorrain Plateau, small (<0.1 ha) depressions filled with peat are common. The origin of these depressions is disputed. By coring and radiocarbon dating one of these depressions, from the bottom to the top, we found 2 meters of silty clay sediment dated from the VIIIth to the XIVth century, and two meters of oligotrophic organic peat. Pollen analysis of this core reveals 4 layers: The beginning of the sediment was formed below an oak forest. Very quickly, the percentage of herbaceous pollen increases (Plantago lanceolata, Rumex, Artemisia, Urticaceae). The presence of a significant proportion of aquatic plants (Potamogeton) as well as Cannabis indicates that the depression was a pond. Throughout the Middle Ages, tree pollen decreases while the proportion of cereals shows that the area was cultivated. Tree pollen increases since the XIVth century which indicates that the area went back to forest, probably in relation with the need for fuel-wood by the local salt industry. This investigation suggests that these small depressions in present forests were made by man, or at least used by man in a cultivated context early in the Middle Ages. Keywords: pollen, wet depression, land use history, Lorrain, forest 69 P. RUFFALDI, F. RITZ, H. RICHARD, E. DAMBRINE et J-L. DUPOUEY 1. - Introduction Les analyses paléobotaniques (palynologie, anthracologie, carpologie…) montrent que le couvert forestier s’est lentement transformé au cours des dix derniers millénaires. Des forêts de pins aux groupements singuliers dominés par les noisetiers, de la chênaie mixte aux hêtraies-sapinières mêlées d’épicéas en altitude, l’évolution des paramètres climatiques de l’interglaciaire actuel a longtemps dicté la composition et l’évolution du couvert végétal. Des différences existent bien sûr suivant les régions, dictées surtout par la position latitudinale et l’altitude. Le poids et la précocité de l’impact anthropique sur cette évolution varient également. Mais ce schéma général reste et peut s’appliquer à l’ensemble de l’Europe de l’Ouest. Les analyses polliniques récentes effectuées sur le Plateau lorrain et la vallée de la Moselle (Blouet, 1996 ; Ruffaldi, 1999, 2000 ; Koenig et Ruffaldi, à paraître ; Ruffaldi et Blouet, ACR en cours) permettent de décrire plus précisément la mise en place de la forêt holocène de cette région. Les forêts boréales se sont installées progressivement au cours de l’interstade Bølling-Allerød (environ 12800 à 11000 av. J.-C.), mise en place interrompue par le retour de conditions climatiques plus rudes au Dryas récent (11000- environ 9600). Les pins et les bouleaux du Préboréal (environ 9600-8000) sont remplacés en proportion importante par le noisetier pendant le Boréal (80006900). Durant l’Atlantique ancien (6900-4800), la chênaie mixte (chênes, ormes, tilleuls essentiellement) est le peuplement dominant. Les transformations de l’Atlantique récent (4800-3400) se marquent surtout par une réduction de la chênaie. Les taux importants d’aulne et de hêtre caractérisent le Subboréal (3400-2700). Au Subatlantique (2700 av. J.-C. à nos jours), les chênaiescharmaies dominent le Plateau lorrain. Les déforestations sont surtout marquées à l’époque romaine et au MoyenAge. Dans le présent travail, nous nous intéressons aux évolutions observées au cours des 1500 dernières années et montrons l’impact passé des activités humaines, à partir de l’analyse d’un milieu très particulier, les mardelles intra-forestières. Dans les forêts lorraines, sur les terrains marneux du Keuper, on trouve de très nombreuses mardelles, ou mares tourbeuses. Ces mares occupent une surface de quelques ares ou dizaines d’ares. Elles sont couvertes par une végétation oligotrophe très surprenante de sphaignes et de bouleaux, tandis que les zones qui les entourent sont occupées par des taillis de charme sous futaie de chêne, typiques de sols plus neutres. Ces mardelles comportant un tapis de sphaignes développé sur une épaisseur de tourbe constituent de petites enclaves de la «boulaie pubescente tourbeuse de plaine» au sein de la chênaie-charmaie mésotrophe. Elles présentent un intérêt floristique et abritent parfois des espèces rares 70 comme le trèfle d’eau (Menyanthes trifoliata), la laîche tronquée (Carex curta) ou encore une mousse, Dicranodontium denudatum. Ces deux dernières espèces ont un caractère plutôt montagnard (Letang, 2004). Ces milieux particulièrement propices à la conservation du matériel sporopollinique ont depuis longtemps attiré les palynologues (Müllenders et Haesendonck, 1963 ; Coûteaux, 1969a) qui trouvaient là des sites d’analyse dans des régions où les zones tourbeuses, recherchées par cette discipline, faisaient souvent défaut. Leur origine a souvent été discutée : sont-elles le fruit de phénomènes naturels ou des formes héritées d’activités anthropiques ? Certains espéraient avoir affaire à des pingos de petite taille, résultat de la fonte de lentilles de glace isolées, qui pourraient fournir une sédimentation continue depuis la fin des temps glaciaires. La proximité de ces zones humides et rondes avec des sites archéologiques a souvent fait pencher la balance en faveur d’une origine anthropique. Elles auraient pu servir d’abreuvoir, de fosse à rouir ou de carrière d’argile. D’ailleurs, quelques-unes sont bien d’authentiques « mares » fossiles. Certaines auraient une origine naturelle liée à des soutirages localisés. Il est tentant en effet de lier la densité de ces mardelles aux niveaux géologiques sous-jacents riches en sel (Barth et al.,2001), concentrés dans les niveaux du Keuper (comme c’est le cas ici). Les exploitations de sel par l’homme sont très anciennes, en particulier dans cette région (Olivier, 2001, 2003). Le lien entre exploitation du sel par l’homme, soutirage et création de mardelles reste toutefois encore à établir. Une analyse systématique d’une zone géographique riche en mardelles et en sites archéologiques liés à l’exploitation du sel pourrait résoudre ce problème. Notre travail est une première étape dans cette direction. 2. - Présentation du site La mardelle située en parcelle 82 du bois des Capenottes, à côté d’Assenoncourt (département de la Moselle, fig.1) mesure une quarantaine de mètres dans sa plus grande longueur et l’épaisseur de sédiment noyé est de près de 4 m. Elle fait partie de ces groupements avec présence de sphaignes. Sa composition botanique est indiquée au tableau 1. Elle occupe une superficie de 12,8 ares et présente au centre des touradons de laîches (Carex rostrata, C. elongata) et des tapis de sphaignes (Sphagnum flexuosum, S. palustre, S. squarosum), colonisés par des bouleaux pubescents (Betula pubescens) et des bourdaines (Frangula alnus), entourés d’une ceinture d’eau libre et de saules (Salix cinerea). On note également la présence, à l’ouest, d’une zone à trèfle d’eau (Menyanthes trifoliata). Un transect effectué d’Ouest en Est a permis de mettre en évidence un remplissage variant de 2,80 m à 3,60 m (fig.2). P. RUFFALDI, F. RITZ, H. RICHARD, E. DAMBRINE et J-L. DUPOUEY Figure 1 : Localisation du sondage d’Assenoncourt (Moselle). MARDELLE D'ASSENONCOURT - BOIS DES CAPENOTTES - PARCELLE 82 t ➢ N X SAULE BOULEAU BOURDAINE X X SPHAIGNES ET CAREX X X X u SONDAGE X X A 32 m TRÈFLE D'EAU X X X X PALYNOLOGIQUE X X XX X X X XX X X X X B X p uq Superficie ~ 12,8 ares 40 m profondeur (m) 2 SOL FORESTIER EAU LIBRE SAULES TOURADON SPHAIGNES - BOULEAUX - BOURDAINE - CAREX EAU LIBRE SAULES - CAREX SOL FORESTIER SPHAIGNES 1,3 TRÈFLE D'EAU 1 SONDAGE PALYNOLOGIQUE 0 -1 -2 -3 -4 0 OUEST 4 8 12 16 20 24 28 32 36 40 distance (m) 44 EST Figure 2 : Cartographie des zones de végétation et profil de la mardelle. 71 P. RUFFALDI, F. RITZ, H. RICHARD, E. DAMBRINE et J-L. DUPOUEY La séquence analysée présente un enregistrement de 4 m de profondeur avec des sédiments argilo-silteux de la base jusqu’à 2 m. Ces sédiments se présentent sous la forme d’une succession de lits fins (mm) alternés, argilolimoneux clairs et de lits foncés plus organiques. Une tourbe fibreuse recouvre ces sédiments jusqu’au sommet. Il faut également signaler la présence d’une poche d’eau de 40 cm, entre 1,60 et 2m de profondeur, engendrant ainsi une zone sans pollen. Le sondage a été effectué à l’aide d’une sonde russe manuelle de type GIK. Les échantillons prélevés sont préparés selon la méthode du Laboratoire de Chrono-écologie de Besançon, avec acétolyse et traitement à la soude et au chlorure de zinc. Les sédiments sont riches en matériel sporo-pollinique, une moyenne de 500 grains de pol- Trois datations radiocarbone AMS ont été faites sur les sédiments argileux : à 389 cm : 1490 ± 30 BP (Poz-12605), soit après calibration à 2 σ [534 (598) 642] cal. AD ou [1416 (1352) 1308] cal. BP ; à 286 cm : 955 ± 30 BP (Poz-12604), soit après calibration à 2 σ [1018 (1144) 1161] cal. AD ou [932 (806) 789] cal. BP ; à 210 cm : 660 ± 30 BP (Poz-12603), soit après calibration à 2 σ [1283 (1375) 1394] cal. AD ou [667 (651) 556] cal. BP. Strate muscinale Strate arborée Betula pubescens + Quercus petraea + Quercus robur + Frangula alnus 1 Lonicera periclymenum 1 Viburnum opulus + Strate herbacée Carex rostrata 4 Carex elongata 2 Galium palustre 2 Lysimachia vulgaris 2 Menyanthes trifoliata 2 Iris pseudacorus 1 Dryopteris carthusiana 1 Poa chaixii 1 Carex sylvatica + Molinia caerulea + Anemone nemorosa + Cirsium palustre + Deschampsia caespitosa + Epilobium montanum + Juncus effusus + Luzula multiflora + Rumex conglomeratus + Scrophularia nodosa + Scutellaria galericulata + Solanum dulcamara len par échantillon a donc pu être comptée. Les résultats sont présentés en fréquences relatives (fig.3). Espèces terricoles Sphagnum flexuosum Sphagnum palustre Sphagnum squarosum Callergon cordifolium Calliergonella cuspidata Dicranum scoparium Eurhychium praelongum Eurhynchium striatum Hypnum cupressiforme Lophocolea bidentata Plagiothecium undulatum Mnium hornum Espèces épixyliques et corticoles Dicranella heteromalla Hypnum cupressiforme var. filiformis Lepidozia reptans Plagomnium undulatum Rhizomnium punctatum Ulota crispa Dicranum viride Dicranum flagellare Tetraphis pellucida Coefficients d’abondance-dominance (d’après Braun-Blanquet, 1964) : + < 1% 3 ≥ 25% 1 ≥ 1% 4 ≥ 50% 2 ≥ 5% 5 ≥ 75% Tableau 1 : Composition floristique de la mardelle. 72 5 1 + + 1 + + + + + + + P. RUFFALDI, F. RITZ, H. RICHARD, E. DAMBRINE et J-L. DUPOUEY Figure 3 : Diagramme pollinique de la mardelle d’Assenoncourt - Bois des Capenottes. 73 P. RUFFALDI, F. RITZ, H. RICHARD, E. DAMBRINE et J-L. DUPOUEY La date obtenue à la base de la séquence souligne le caractère récent du remplissage et la dilatation de la séquence (400 cm pour 1500 ans) a permis une approche détaillée de l’impact de l’homme sur le couvert végétal. Les résultats ont été comparés aux références polliniques strictement locales, encore peu nombreuses (Ruffaldi, 1999, 2000 ; Koenig et Ruffaldi, sous presse ; Ruffaldi et Blouet, ACR en cours) et aux analyses extra-régionales faites dans le département des Ardennes (Mullenders, 1960 ; Lefèvre et al.,1993), en Belgique et au Luxembourg (Munaut, 1967 ; Coûteaux 1969 a et b ; Gilot et al.,1969 ; Munaut et Paulissen, 1973 ; Guiot et Coûteaux, 1992), dans le Bassin Parisien (Van Zeist et Van der Spoel-Walvius, 1980 ; Leroyer, 1997), la Bourgogne (Gauthier et al.,2005), les Vosges (Woillard, 1975 ; Janssen, 1996) et le Jura (Wegmüller, 1966 ; de Beaulieu et al.,1994 ; Gauthier, 2001). 3. - Analyse pollinique L’analyse pollinique du sondage nous révèle un enregistrement attribuable en totalité au Subatlantique (2700 BP à nos jours, fig.3). La présence de Carpinus et surtout de Juglans nous permet plus particulièrement de soutenir son attribution aux deux derniers millénaires. Ces faits sont confirmés par la datation radiocarbone effectuée sur les sédiments de la base du remplissage. La base du diagramme est caractérisée par un couvert forestier dense avec des taux de pollen arboréens avoisinant les 85 % ; la forêt est de type chênaie-charmaie mélangée de hêtre, de frêne, d’orme, de tilleul et de noisetier. Le couvert herbacé, et en particulier les plantes liées à la présence de l’homme telles que Plantago lanceolata, Artemisia, Chénopodiacées, Urticacées … (Indices Polliniques d’Anthropisation, IPA ; cf. Behre, 1986), présentent des valeurs faibles. Ces enregistrements signent une image d’un paysage fortement boisé et pourrait correspondre à la fin de la période des Grandes Invasions (début VIIe siècle) qui en engendrant une grande instabilité dans les populations autochtones, a provoqué l’abandon des cultures et des pâturages, recolonisés par la végétation arborescente (Behre, 1988 ; Richoz et al.,1994 ; Rösch, 1992 ; Gauthier, 2001 ; Gauthier et Richard, ce volume). Très rapidement, on note une augmentation dans les valeurs des herbacées, en particulier les Poacées, avec une reprise des IPA (exemple : Plantago lanceolata, Rumex, Artemisia, Urticacées), qui indiquerait la reconquête des espaces forestiers et des terres éventuellement abandonnées à la période précédente. La présence en pourcentages élevés de plantes aquatiques (Potamogeton, Sparganium) et hygrophiles (Nymphea, Typha) montre que la mardelle est en eau, puisque ces plantes sont caractéristiques d’eaux fraîches des étangs neutres ou alcalins. Cette mardelle a d’ailleurs été utilisée temporairement comme zone de 74 rouissage de la fibre textile de Cannabis puisque l’on observe à 387 cm des valeurs polliniques élevées de cette plante (33 %). Les enregistrements polliniques montrent une présence constante de Cannabis jusqu’à 50 cm (pourcentages compris entre 1 % et 10 %) attestant de la culture de la plante au voisinage du site. A partir de 320 cm, les valeurs des taxons arboréens chutent brutalement et l’augmentation des valeurs des Céréales atteste une phase d’anthropisation très marquée. Les datations radiocarbone nous permettent d’attribuer cette première zone (zone 1) au Haut Moyen-Age. Durant cette période, la forêt domine les paysages et, comme le retrace Fourquin (cité par Gauthier, 2001), « La civilisation Mérovingienne reste une civilisation du bois » qui utilise les forêts pour l’élevage, les défrichements sont limités et les pâturages assez rares. A partir de 355 cm, les valeurs des Céréales et en particulier du blé augmentent. Parallèlement, les taux des arbres, comme Carpinus, Fagus et Alnus chutent. Quercus est toujours abondant ; il est peut-être épargné, car ses glands étaient souvent utilisés pour la nourriture des porcs (Heitz-Weniger, 1977), mais il peut s’agir aussi de la traduction d’une production pollinique plus forte des chênes, moins concurrencés à cette époque par d’autres essences. La zone 2 marque une forte phase d’anthropisation caractérisée par des valeurs très élevées de Triticum type, ainsi que de Secale et d’autres Céréales. Les IPA (particulièrement Plantago lanceolata, Chénopodiacées et Rumex) augmentent également. Cet essor agricole coïncide avec une intensification des défrichements (valeurs des pollens arboréens < 30%) et correspond au Bas Moyen-Age. A partir de 210 cm (début de la zone 3), les valeurs des Céréales et des IPA chutent. Ce niveau est daté par le 14C de 660 ± 30 BP, c’est-à-dire après calibration à 2 entre 1283 et 1394 de notre ère. Le XIVe siècle est maintenant souvent décrit par les palynologues comme une phase de déprise agricole (Rösh, 1992 ; Galop, 1998 et 2000 ; Dumayne-Peaty, 1999, 2001 ; Richard et Gauthier, ce volume). La crise économique, les guerres, les épidémies, et peut-être les premiers effets du Petit Âge Glaciaire (Magny, 1993 et 1995 ; Messerli et al.,2000) ont des répercussions souvent identiques dans la plupart des diagrammes polliniques européens. Le déclin des activités anthropiques, fréquemment accompagné d’une régénération du couvert forestier, est alors visible. L’enregistrement pollinique est ensuite interrompu par un trou d’eau correspondant au radeau flottant de la tourbière. A partir de 160 cm, niveau correspondant au début de la tourbification, on observe l’installation sur le site de taxons inféodés aux milieux tourbeux : Betula, Salix, Frangula, Calluna, Ericaceae (Vaccinium) et, dans les herbacées, quelques grains de pollen de Drosera. Parallèlement, les taux de Céréales chutent vers des valeurs inférieures à 5 %. P. RUFFALDI, F. RITZ, H. RICHARD, E. DAMBRINE et J-L. DUPOUEY La mardelle est toujours en eau jusqu’en fin de zone 3, mais on voit apparaître en milieu de zone 2 des grains de pollen de Menyanthes trifoliata, plante que l’on rencontre dans les groupements de tourbières de transition et tremblants, se développant dans les processus d’atterrissement des plans d’eau. On peut noter également des valeurs importantes de pollen de type Potentilla, qui pourrait être Potentilla palustris, caractéristique également de ces groupements. Se développant dans des situations où l’alimentation en eau est à la fois minéralotrophique (par les écoulements latéraux dans le sols) et ombrotrophique (par les pluies), ces groupements de transition préfigurent une évolution vers des tourbières (Manneville et al.,1999). Ensuite, cette végétation évolue vers une acidification du milieu local mise en évidence par l’apparition et le développement d’espèces acidiphiles pionnières telles Drosera, Vaccinium et les Sphaignes. Dans un second temps, des espèces plus acidiphiles s’implantent comme Calluna. En fin de dynamique se met en place un milieu boisé avec Frangula, Betula et Pinus. Cette dynamique est bien visible sur le diagramme à partir du milieu de la zone 2 et dans la zone 3. Le processus d’atterrissement se poursuit jusque dans la zone 4. 4. - Conclusion La dilatation de la sédimentation, la fiabilité du calage chronologique, la qualité du matériel sporo-pollinique conservé et la diversité taxonomique font de cette analyse un outil fiable pour reconstituer l’évolution de la végétation liée directement au bilan hydrique de cette mardelle et, au-delà, le couvert végétal local. A travers cette évolution « naturelle » s’inscrivent parfaitement les changements environnementaux générés par les phénomènes socio-économiques les plus marquants des deux derniers millénaires, comme les déprises des VIe-VIIe et du XIVe siècles. Ces résultats soulignent donc le potentiel exceptionnel de ces milieux particuliers qui permettent une approche très fiable de l’évolution de l’environnement local et régional. Une analyse plus systématique de ces remplissages, liée à un inventaire des sites archéologiques et des données historiques locales, doit maintenant être entreprise. Vis-à-vis des nombreuses hypothèses proposées pour expliquer l’origine des mardelles, la mardelle d’Assenoncourt apparaît comme une forme anthropique probable, puisque l’enregistrement commence au Ve siècle. La seule origine périglaciaire pour cette dépression doit donc être écartée. L’analyse pollinique atteste, dès les premiers niveaux, d’une activité humaine (peu de chêne, dominance du charme, présence de céréales et surtout des IPA). De plus, la mare en eau est utilisée très rapidement comme fosse à rouissage. Il est néanmoins possible qu’elle n’ait pas été creusée par l’homme, mais que l’homme se soit servi d’une dépression qui se serait créée par soutirage vers le Ve siècle. Le litage du sédiment suggère une activité agricole à proximité immédiate, avec une succession, durant tout le Moyen Age, de phases d’érosion (peut-être liées à la culture) et de phases d’accumulation de sédiments organiques, qui pourraient illustrer des abandons temporaires. Le développement conjoint de la forêt alentour et de la tourbe organique dans la mardelle pourraient témoigner de l’orientation vers la production de bois de feu de cette zone géographique, devant les exigences de l’industrie des salines (Degron, 1996). L’analyse de ces mardelles lorraines va être poursuivie, afin de vérifier dans quelle mesure le schéma précédent se répète dans d’autres sites. Outre leur intérêt botanique et hydrologique, ces mardelles apparaissent comme des archives irremplaçables des évènements historiques dans la Lorraine rurale. A tous ces titres, elles méritent une protection. Bibliographie BARTH B., SCHNEIDER C., SCHNEIDER T., DORDA D., EISINGER D., DIDION A., ROYAR H., 2001, Les mardelles en Sarre et en Lorraine, Ed. O.N.F., direction régionale de Lorraine, Nancy, 188 p. 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Elle met aussi en évidence deux techniques d’écriture : dans un cas, une partie centrale évidée reçoit de la cire étalée sur laquelle le texte est gravé à l’aide d’un stylet, dans l’autre cas, une surface plane reçoit des inscriptions à l’encre. Contrairement aux tablettes écrites à l’encre pour lesquelles des essences de proximité (principalement des feuillus) étaient largement employées, les tablettes gravées étaient surtout réalisées dans des bois de résineux : majoritairement sapin (Abies alba) et épicéa (Picea abies). La localisation des sites où ces dernières ont été découvertes dépassant l’aire naturelle de répartition de ces deux essences, des questions sur leur origine et leur importation se posent. Abstract Wooden writing tablets give paleographical but also typological and xylological data. Typology of writing tablets seems to be link to a specific social use like “codex triplex” used for legal documents. It corresponds to different technics for writing : the recessed surface with a wax coating could be incised by a stilus (stylus-tablets) or an the other hand, the plane surface was inscribed in ink (leaf-tablets). Local woods (specially hardwood) were used for leaf-tablets whereas softwoods, specially fir (Abies alba) and spruce (Picea abies) for the stylus-tablets. The area, where the stilus-tablets have been discovered, is wider than the natural area of these two woods, so the question of their origin and importation can be discussed. Les supports d’écriture antiques en bois font partie des objets domestiques retrouvés dans les sites archéologiques. Au-delà de l’information typologique, ils ont surtout intéressé les paléographes pour les écritures laissées à leur surface. Pour notre part, l’étude d’un corpus d’objets en bois découverts à Saintes, Charente-Maritime (Saedlou, 2002) a fourni un certain nombre de tablettes à étudier : ces supports dont les écrits n’ont malheureusement jamais pu être déchiffrés, ont donné lieu à des identifications botaniques. La diversité des essences employées nous a amené à élargir notre vision aux exemples de tablettes répertoriées dans la littérature (fig.1) et à nous y intéresser sous l’angle de la xylologie. A travers cette étude, nous avons cherché à connaître l’implication de la matiè- re première dans la réalisation et la typologie de ces objets. Connu depuis la plus haute antiquité égyptienne, l’usage des tablettes en bois a perduré durant le MoyenAge, mais afin de délimiter un cadre chronologique, seules les tablettes datant des cinq premiers siècles de notre ère ont été considérées. Au sens large, une tablette ou tabella désigne une planchette : tablette de bois, de pierre ou de métal. Selon Lafaye (1877-1919) les tabellae ceratae existaient chez les Grecs depuis la plus haute Antiquité. Ces supports étaient présents dans tous les lieux où l’écriture se pratiquait, c’est-à-dire dans les écoles, les familles, les tribunaux, les commerces et toutes les relations de la vie sociale. Selon leur destination et leur utilité, ces tablettes avaient plusieurs tailles. Celles de petites dimensions pouvaient être 79 N. SAEDLOU, M. DUPÉRON Figure 1 : Localisation des tablettes citées dans le texte 1-Vindolanda (Bardon Hill) ; 2-Carlisle ; 3-Londres ; 4-Vannes (Morbihan) ; 5-Rennes ; 6-Rezé-les-Nantes (LoireAtlantique) ; 7-Le Mans (Sarthe) ; 8-Saintes (Charente-Maritime) ; 9-Toulon ; 10-Région de Tébessa (Algérie) ; 11-Tzum (anciennement Tolsum, Pays-Bas) ; 12- Rottweil (Bad-Würtemberg) ; 13-Untereschenz (Suisse) ; 14-Oberwinterthur (Suisse) ; 15-Pompéi (Italie) transportées avec soi comme un carnet de notes ; d’autres, beaucoup plus grandes servaient à tenir des comptes. Deux sortes de tablettes en bois, révélées par l’archéologie, semblent coexister dans l’Antiquité. 1. - Tablettes à cire gravée avec un stylet Il en existait de différents types. La tablette à un feuillet unique, telle qu’elle a été représentée sur une stèle sculptée de Saintes (Coulon, 1995), semble avoir eu un usage essentiellement scolaire. Un feuillet unique de taille plus réduite pouvait aussi correspondre à une étiquette ; c’est le cas du plus ancien support retrouvé à Saintes (fig.2-7), datant de la fin du premier siècle de notre ère, découvert dans le puits Renaud 80 Rousseau. Cette pièce a une forme générale rectangulaire se rétrécissant d’un côté. Elle a été évidée sur quelques millimètres dans sa partie centrale devant recevoir de la cire finement étalée sur laquelle des inscriptions pouvaient être notées à l’aide d’un stylet. Le trou visible dans l’extrémité rétrécie devait permettre d’accrocher l’étiquette à un support, ce que confirme la marque d’usure entre le trou et l’extrémité la plus étroite, probablement laissée par le fil permettant son accrochage. Cet objet a été réalisé dans du bois de sapin (Abies alba). D’autres types de tablettes étaient formés d’un nombre variable de feuillets constituant le codex : ils étaient assemblés au moins par deux (codex duplex), mais le plus souvent par trois : le codex triplex servant à consigner les actes importants. Des codex à cinq feuillets (quinquiplex) ou plus (multiplex) ont aussi été découverts. Dans le cas du codex triplex, chaque feuillet est constitué de deux pages ayant des fonctions particulières (fig.2-1). N. SAEDLOU, M. DUPÉRON Figure 2 : 1- Schéma des trois feuillets d’un codex triplex ; 2- Exemple de l’orientation de l’écriture sur un codex triplex (Lafaye, 1878) ; 3- Schéma de l’orientation du débit d’un feuillet dans un tronc ; 4- Fragments d’un objet interprété en tant que tablette, puits 2 du site « 10 rue Port-la-Rousselle » (Saintes) ; 5- Fragments d’une tablette en tilleul, puits G des « Ateliers Municipaux » (Saintes) ; 6- Feuillet central d’une tablette en sapin, site des Petites Sœurs des Pauvres (Saintes) ; 7- Etiquette en sapin, puits Renaud Rousseau (Saintes) (dessin D. Charrier) ; 8, 9- Reconstitution d’un codex triplex, puits G du site des « Ateliers Municipaux » (Saintes) (clichés Musée Archéologique de Saintes) ; 10, 11, 12 – Trois feuillets provenant d’un codex triplex, puits G du site des « Ateliers Municipaux » (Saintes) (Cliché G. Vienne) 81 N. SAEDLOU, M. DUPÉRON 82 Le premier feuillet est constitué d’une page de couverture et d’une page évidée ; l’évidement central permettait au scribe d’étaler la cire à l’intérieur du cadre. L’écriture se faisait au moyen d’un stylet métallique muni d’un côté d’une pointe et de l’autre d’une spatule permettant de racler la cire et donc d’effacer le texte. Pour être reliés les uns aux autres, les feuillets appelés cerae de chaque tablette (tabella) portaient de petits trous sur le côté servant à passer un cordon (Vienne, 1992). Le deuxième feuillet se compose de la page 3 où est écrit la fin du texte et de la page 4 à trois parties évidées : une partie recevant le contrat d’achat ou les actes juridiques, l’autre les noms des témoins disposés à gauche et à droite d’une bande creusée dans le bois – celle-ci est destinée à recevoir les sceaux que les témoins apposaient par dessus une ficelle qui permettait aux deux premiers feuillets (1 et 2) d’être scellés. Ce système assurait l’inviolabilité du texte intérieur (scriptura interior) tout en permettant de connaître à tout moment le texte original. En cas de litige, le juge, après avoir vérifié l’intégrité du système, invitait les témoins à reconnaître leur sceau et ouvrait la tablette (Marichal, 1992). Le troisième feuillet est identique au premier feuillet : une page entièrement évidée et l’autre servant de couverture. L’orientation de l’écriture sur la page 5 n’est pas la même selon les différents auteurs : pour Boissevain (1920), cette orientation change, ce qui permettrait de distinguer les feuillets 1 et 3. En revanche la représentation de la tablette tirée de Lafaye (1877-1919) (fig.2-2) montre une orientation du texte similaire dans les feuillets 1 et 3. Dans ce cas, qui semble être celui des codex triplex de Saintes, en absence de texte, les feuillets 1 et 3 peuvent être intervertis. Petites Sœurs des Pauvres mais aucun codex triplex entier n’a pu être reconstitué. Un feuillet (fig.2-6), présente un côté entièrement évidé et l’autre partagé en trois parties ; il constituerait donc le feuillet central d’un codex triplex. Ses dimensions, de 162 mm sur 106 mm, sont plus petites que celles des tablettes du puits G, mais il a également été réalisé dans du bois de sapin (Abies alba). Un ensemble de fragments est composé des restes de quatre tablettes également en sapin (Abies alba). Parmi ces objets, on peut remarquer deux petits feuillets avec 2 encoches de chaque côté : de dimensions nettement inférieures au codex triplex, ils devaient plutôt servir dans des correspondances moins officielles. Deux des tablettes découvertes peuvent aussi être des réemplois de tablettes plus grandes. En déterminant une poche de 26 fragments de tablettes, il est apparu que 8 d’entre eux sont en épicéa (Picea abies) alors que 18 sont en sapin (Abies alba). Sans présager du nombre de tablettes présentes, ceci permet de dire qu’elles étaient au minimum deux, réalisées chacune dans un bois spécifique. Elles devaient appartenir typologiquement au genre codex triplex car sur certains fragments ont été observés les caractéristiques d’un feuillet central. Comblé entre le IIIe et le début du IVe siècle de notre ère, le puits 2 du site de la rue Port-la-Rousselle a livré un reste de tablette. Ce fragment comporte un côté plein et un autre évidé. Bien qu’il ne soit pas entier, la longueur de la page (130 mm), inférieure à toutes celles trouvées par ailleurs, fait penser qu’il peut s’agir de la plus petite des tablettes découvertes à Saintes. Son bois est du sapin (Abies alba). Un nombre relativement important de fragments de tablettes ou de codex triplex entiers ont été retrouvés dans trois sites à Saintes ce qui démontre que ces objets devaient être couramment utilisés. Ces tablettes ayant été découvertes dans le comblement de puits à eau, leur datation a été réalisée archéologiquement grâce à la présence, à proximité, d’objets dont les durées de circulation sont parfaitement connues, telles les monnaies ou les céramiques. Sur le site des Ateliers Municipaux, quatre supports complets de type codex triplex, ont été mis au jour, ce qui en fait un site exceptionnel pour ces découvertes (Rouvreau, 1975) (fig.2-10, 11 et 12). Une des tablettes a ainsi pu être entièrement restaurée et ré-assemblée (fig.2-8 et 9). Les dimensions des feuillets sont comprises entre 190 et 220 mm de longueur, et 130 à 160 mm de largeur. Ces quatre codex triplex ont été fabriqués dans du bois de sapin (Abies alba) et datent de la seconde moitié du IIe siècle. Datant de la même période, d’autres feuillets de tablettes en bois ont été mis au jour dans le puits 9 du site des De comblement plus ancien (dernières décennies du IIe siècle), le second puits de ce site a livré deux fragments (fig.2-4), identifiés comme appartenant à une tablette, posant un problème typologique. En effet, plusieurs observations semblent aller à l’encontre de cette interprétation : d’une part, ces plaquettes, exposées au Musée Archéologique de Saintes, ont une épaisseur supérieure à celle des autres tablettes ; d’autre part, aucun système permettant l’accrochage des plaquettes entre elles (comme dans les codex duplex ou triplex) ou sur un support quelconque (cas des étiquettes) n’est visible. Malheureusement, dans le musée le système de présentation de cet objet, fixé par un fil de nylon sur un support en bois, nous a empêché d’observer l’une des faces ; cependant une photographie, datant de la mise au jour de l’objet nous la montre. Elle ne présente pas de face évidée typique des tablettes à écriture. Ces plaquettes ont, en outre, été fabriquées en chêne (Quercus sp.), un bois qui ne semble pas avoir été utilisé pour la fabrication de tablettes. Une trace, probablement laissée par une scie, peut être observée au centre de l’objet (flèche fig.2-4). N. SAEDLOU, M. DUPÉRON Comme nous venons de le constater, la fabrication des tablettes se faisait généralement en sapin (Abies alba), essence majoritairement identifiée à partir des tablettes de Saintes et de celles retrouvées dans d’autres sites archéologiques ; c’est également l’essence la plus souvent citée pour cet usage dans les textes antiques. Son emploi pour la fabrication des tablettes est attesté dans une aire géographique assez vaste s’étendant à toute l’Europe romaine (Dietrich, 1992) : en Frise (Pays-Bas), près de Tzum, a été mis au jour en 1917 un feuillet d’une tablette rectangulaire. Cette tablette semble, par sa description, en tout point semblable à celles retrouvées à Saintes, bien qu’elle soit de dimension plus réduite : 116 mm sur 136 mm. Chaque face du feuillet est évidée rectangulairement sur 96 mm de largeur et 116 mm de longueur. Datée du début du Ier siècle ap. J.-C., cette tablette devait être, d’après l’auteur (Boissevain, 1920), le panneau central d’un triptyque, à Pompéi, ont été exhumées 153 tablettes contenant des quittances délivrées depuis l’an 15 jusqu’à l’an 62. Ces tablettes ont en moyenne une hauteur de 100 à 150 mm et une largeur inférieure. Les triptyques y sont beaucoup plus nombreux que les diptyques (Marichal, 1992), en Angleterre, le sapin a aussi été signalé pour la majorité des « stylus tablets », entre autres à Carlisle où 21 fragments ont été mis au jour (Collingwood et Wright, 1992), en Allemagne, la ville de Rottweil a livré deux fragments de tablettes de cette même essence datant des deux premiers siècles de notre ère (Laur-Belart, 1955), en Suisse, de nombreuses tablettes en sapin ont été décrites à Oberwinterthur (Hedinger et Urs, 2003), en France, c’est le bois utilisé pour plusieurs tablettes découvertes à l’ouest du pays : à Vannes (Morbihan) sur le site Sainte Catherine (Dietrich, 1992) ; à Rennes sur le site de la place Hoche, pour une tablette datant du IIe siècle de notre ère (Guitton, 2000). Dans les textes antiques, Théophraste1 cite cette essence comme le matériau privilégié des tablettes à écrire. Mais le sapin n’est pas l’unique résineux ayant servi à la fabrication de codex : à Oberwinterthur (Suisse) de nombreuses tablettes en épicéa ont été décrites (Hedinger et Urs, 2003), de même qu’en France où nous avons identifié cette essence sur deux fragments de tablettes provenant du site des « Filles-Dieu » au Mans (Sarthe) (Saedlou, 2003) ; en Angleterre à Vindolanda (nom antique de Chesterholm), deux « stylus tablets » examinées sont en mélèze (Larix) ou en épicéa (Picea), deux bois non indigènes et donc sans doute importés (Bowman et Thomas, 1983). L’épicéa commun (Picea excelsa) est aussi cité par Marichal (1992). Il est à noter que cette essence peut être aisément confondue avec le mélèze (Larix decidua) en raison de caractères anatomiques très voisins. d’autres résineux servant à la fabrication de ces objets ont aussi été identifiés : le cyprès, l’if, le « thuya », et le pin sont cités par Lafaye (1877-1919) ; du pin (Pinus halepensis) a servi à la fabrication de la tablette retrouvée dans le port antique de Toulon (Ramière, 1992) ; la plupart des tablettes de Rezé-lès-Nantes semblent être également en pin (Deschamps et Pirault, 1999), bien qu’aucune observation anatomique puisse confirmer cette identification. Concernant les bois de feuillus, les exemples sont plus rares. Deux tablettes en bois d’érable ont été mentionnées : une d’elles, trouvée à Unterschenz (Suisse), date du Ier siècle de notre ère et a des dimensions inférieures à celles des tablettes traditionnelles (longueur : 7,9 cm ; largeur : 4 cm ; épaisseur : 0,5 cm). Deux trous pour le passage de ficelles sont présents ainsi que l’évidement sur une face (Hedinger et Urs, 2003). L’autre tablette en érable (Acer sp.) est originaire de Carlisle en Angleterre. Quelques tablettes en hêtre (Fagus sylvatica) et une en buis (Buxus sempervirens) ont été découvertes à Londres (Collingwood et Wright, 1992). Pour expliquer le choix de la matière première, il faut prendre en compte les propriétés physiques du bois et donc essayer de comprendre comment l’objet a été façonné. Toutes les tablettes ont dû être fabriquées suivant les mêmes étapes : 1/ fendage 2/ ébauchage et planage au couteau ou au ciseau 3/ traçage de traits délimitant l’évidement 4/ creusement des cavités destinées à recevoir la cire 5/ perçage de trous permettant la réunion des différents feuillets. Le bois pouvait être fendu suivant les rayons, puis les tablettes taillées soit dans le sens de la longueur soit de la largeur de la pièce de bois obtenue (fig.2-3). Le type de taille devait être choisi en fonction du diamètre du tronc disponible : un petit diamètre impliquait de tailler une tablette dans le sens de la longueur (selon le fil du bois) ; pour un diamètre plus grand, la tablette pouvait être fabriquée dans le sens de la largeur. Le choix se portait sûrement sur des essences pouvant fournir des troncs d’un assez gros diamètre et se fendant facilement. A Saintes, les tablettes sont toutes débitées sur quartier, ce qui semble faciliter la réalisation de l’évidement central. Pour tous ces objets, l’amincissement central destiné à recevoir la cire nécessite un bois assez solide pour être ainsi travaillé. (1) Théophraste, trad. 1993 par S. Amigues, Recherches sur les plantes. Tome III Livres V et VI, Les Belles Lettres., Paris, p. 20. 83 N. SAEDLOU, M. DUPÉRON D’après Marichal (1992) les tablettes de pin ou de sapin sont les plus grossières car ces bois ont de grosses fibres se prêtant mal au polissage et à un travail précis ; on constate cependant que le bois de sapin a souvent été employé pour les tablettes bien que leur fabrication soit délicate. 2. - Tablettes à inscriptions à l’encre Un autre type de support à écriture était en usage dans l’Antiquité : les tablettes en « feuille » ou « leaf-tablets » qui recevaient l’écriture tracée à l’encre. Cette seconde typologie, sous évaluée jusqu’au début des années 70, s’est avérée importante grâce à la découverte à Vindolanda (aujourd’hui Chesterholm, nord de la Grande Bretagne) de plusieurs centaines de ces tablettes (Bowman et Thomas, 1983). De même typologie que celles-ci, 14 fragments ont été découverts à Saintes dans le puits G. Une détermination antérieure ayant conclu à du frêne (Fraxinus excelsior) a été démentie par un examen microscopique (Saedlou, 2002) qui a permis d’identifier pour la première fois à Saintes, du tilleul (Tilia sp.). Les 14 fragments étant tous de cette essence, la probabilité qu’ils correspondent à une unique tablette est forte. Malheureusement, son état très fragmentaire ne permet pas de connaître ses dimensions initiales et sa typologie exacte ; pourtant, l’absence d’évidement ainsi que le bois employé laissent penser que cette tablette était plutôt écrite à l’encre. Cette découverte s’avère être très intéressante car elle est comparable à celles faites en Angleterre (Collingwood et Wright, 1992), où ce type de tablettes était très majoritairement réalisé à partir de tilleul comme le mentionne Lafaye (18771919). Du point de vue de ses caractéristiques techniques, le tilleul est par ailleurs cité par Lacombe (1868 rééd. 1986) comme étant le plus propre à la sculpture car il est agréable à travailler ; en revanche, il est trop tendre et ne résiste pas assez dans les détails un peu délicats. A son sujet, Pline L’Ancien2 dit cependant qu’il émousse très vite les herminettes. Son emploi reste privilégié pour la fabrication des cadres ou tout au plus pour les ouvrages à fond levé qui n’ont pas de poids à supporter, ce qui est le cas des tablettes. D’autres feuillus ont également été utilisés : C’est le cas de tablettes provenant d’Algérie. D’après les auteurs (Courtois et al.,1952), l’une est en érable de Montpellier (Acer monspessulanum) ou hybride (Acer monspessulanum X Acer italicum) alors que trois planchettes appartiennent à un bois de la famille des Rosacées, très probablement de l’amandier (Prunus amygdalus). Enfin, un échantillon aurait été réalisé, à partir d’un saule ou d’un peuplier blanc, comme Salix pedicellata ou Populus alba. Le peuplier (Populus sp.) a aussi servi à la réalisation d’une tablette datée du IIe siècle dont un fragment a été retrouvé à Rennes (Guitton, 2000). L’aulne (Alnus glutinosa) et le bouleau (Betula sp.) ont servi de matière première pour des « leaf tablets » (identifiées en Angleterre respectivement à partir de sept et de deux tablettes) : ce sont des tablettes de petite taille et de faible épaisseur, servant essentiellement à la correspondance et sur lesquelles le texte était écrit à l’encre (Collingwood et Wright, 1992). Une seule essence résineuse a été identifiée pour cette typologie. Il s’agit du cèdre de l’Atlas (Cedrus atlantica) utilisé pour trois tablettes d’époque vandale (Ve siècle de notre ère) provenant d’Algérie (Courtois et al.,1952). Le bois de cèdre est caractérisé par l’absence de tout organe sécréteur de résine (sauf probablement des canaux traumatiques, comme le sapin). Par ailleurs, il est léger, tendre, homogène, très facile à travailler ou à polir et ne se déforme pas, à condition d’être débité dans un plan radial. Les avantages de ce bois étaient tels que les artisans n’hésitaient pas à faire rechercher la matière première jusque dans l’Aurès (Algérie), à quelque 150 kilomètres du lieu de l’emploi (Courtois et al.,1952). La contrainte essentielle dans la fabrication des tablettes en feuilles était l’obtention d’une surface la plus plane possible. Cette difficulté était accrue avec certains bois de résineux présentant une différence très marquée entre les bois de printemps et d’été, rendant le bois très hétérogène. Les étapes de fabrication ont pu être reconstituées pour des tablettes d’époque vandale (Courtois et al.,1952) ; la chaîne opératoire utilisée devait être similaire à celles des autres tablettes écrites à l’encre. Les plaquettes de bois ont été obtenues par refente au moyen d’un outil tranchant dans un rondin court préalablement fendu en quartiers. Elles ont été débitées en épaisseurs de 2 à 9 millimètres sur mailles, autrement dit selon le sens radial, ce débit garantissant de moindres déformations ultérieures. Grâce à cette technique, les plaquettes de cèdre, en particulier, sont demeurées parfaitement planes. En cas de tranchage tangentiel ou tranchage sur dosse, les plaquettes se seraient déformées en tirant au cœur, ou en « faisant la tuile ». Un des échantillons, en saule ou en peuplier, préparé de cette manière a d’ailleurs subi cette déformation. Il est à noter que seul le bois de cœur a été retenu, l’aubier, plus fragile, a été écarté. 3. - Conclusion Sans généraliser, il semble au vu des informations recueillies, que l’emploi des essences soit corrélé à une certaine typologie de tablettes. En effet, les supports d’écriture à l’encre, de petite taille, servant pour la prise de notes (2) Pline l’Ancien, trad. 1962 par J. André, Histoire naturelle. Livre XVI, Les Belles Lettres, Paris. 198 p. 84 N. SAEDLOU, M. DUPÉRON ou dans la correspondance personnelle, étaient plutôt réalisés dans un bois indigène du lieu où ils ont été découverts et le plus souvent dans des bois de feuillus. A Saintes, une tablette de cette typologie est en tilleul, essence sans doute indigène de la région à l’époque antique car des restes de fruits appartenant à ce genre ont été retrouvés dans le même puits. Pour les codex, gravés à l’aide d’un stylet, et servant de support à des textes plus officiels, les bois de résineux, tels sapin, épicéa ou pin ont été préférés quel que soit le lieu de la découverte. La répartition des sites où ont été découverts des objets en sapin ou en épicéa est plus vaste que l’aire de répartition naturelle de ces deux essences. A Saintes, les bois de sapin et d’épicéa, largement identifiés à partir de tablettes, ne sont pas indigènes de la région actuellement. Les conditions écologiques ayant peu changé durant deux mille ans, ces bois ne devaient pas être présents dans la végétation naturelle de ce lieu dans l’antiquité. Certainement choisis en fonction de caractéristiques physiques, nous pouvons formuler deux hypothèses quant à leur découverte : un commerce à grande échelle du bois en vue de fabriquer localement ces tablettes. l’existence de centres de production de tablettes à proximité de la matière première nécessaire, impliquant donc un commerce d’objets déjà manufacturés (Dietrich, 1992). Bibliographie Cette seconde hypothèse semble la plus plausible car pour des questions techniques, les artisans travaillaient les bois « verts », c’est-à-dire très peu de temps après abattage de l’arbre. La durée de transport, en séchant le bois, l’aurait rendu plus difficile à façonner. De plus, le volume représenté par des tablettes déjà réalisées est beaucoup moins important que celui du matériau brut ce qui facilite le transport. La grande similitude typologique des codex abonde aussi dans le sens de cette hypothèse car dans le cas de fabrication locale, on peut penser que des typologies régionales se seraient développées. GUITTON V., 2000, Le mobilier xylologique gallo-romain en Bretagne : les bois gorgés d’eau du campus de la place Hoche à Rennes (35), Maîtrise d’Histoire de l’Art et d’Archéologie, Université Rennes 2 de Haute-Bretagne, p.113-114. Des recherches ultérieures ainsi qu’une identification botanique systématique des objets seront nécessaires pour une meilleure connaissance du choix du bois effectué par l’artisan pour la fabrication des tablettes ; elles permettront en outre, de privilégier l’une ou l’autre des hypothèses concernant le mode d’exportation des tablettes dans tout l’empire romain. Remerciements Ce texte est dédié à la mémoire de Guy Vienne. BOISSEVAIN P., 1920, La tablette d’achat de Tolsum (Frise), Revue des études anciennes, tome 21, Bordeaux, p.91-96. BOWMAN A.K., THOMAS J. 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Résumé L’étude des charbons de bois témoins des feux holocènes dans les sols et sédiments permet de mieux comprendre l’évolution du peuplement forestier en moyenne montagne calcaire méditerranéenne. En particulier, une région du sud de la France (monts de St Guilhem) a joué un rôle conservateur pour les anciens écosystèmes présteppiques. La forêt de Pinus nigra ssp. Salzmanni est une création récente sous sa forme actuelle. En effet, c’est au Moyen Age avec l’installation de l’abbaye de Gellone que la forêt initiale de Pinus sylvestris et Pinus nigra ssp. Salzmanni, héritage de la dernière glaciation a commencé à se transformer en la forêt actuelle. Abstract Charcoal, remains of Holocene fires recorded in natural sediments allow us a new approach concerning forest evolution on the mountains of the Mediterranean region. The area of St Guilhem, southern Massif Central (France) played an important role in the preservation of pre-steppic ecosystems up. The present day forest of Pinus nigra ssp. Salzmanni is a recent phenomenon. It is during the Middle Ages, with the setting up of the abbey of Gellone, that the initial forest of Pinus sylvestris and Pinus nigra ssp. Salzmanni, heritage from the last glaciation, started to change in the present forest. 1. - Introduction 2. - Généralités et état de la question 2.1. - Biogéographie et répartition du pin de Salzmann Saint-Guilhem-le-Désert, situé en rive droite des gorges de l’Hérault, à 35 km au nord-ouest de Montpellier, est connu du public pour deux raisons principales : son abbaye fondée au IXe siècle (804) et son boisement remarquable de pins noirs de Salzmann (Pinus nigra Arnold ssp. Salzmanni (Dunal) Franco) s’étendant sur 1000 à 2000 hectares de chaînons montagneux constitués essentiellement de dolomies du Bathonien. A l’occasion du douzième centenaire de la fondation de l’abbaye de Saint-Guilhem-le-Désert, nous avons pu, avec le concours de l’ONF, étudier l’éco-histoire de cette forêt en se basant sur les résidus carbonisés laissés dans le sol par les paléofeux. Les informations susceptibles d’être apportées par le dernier cycle climatique Holocène ont, en effet, un grand intérêt pour comprendre, d’une part, la colonisation forestière des monts de St Guilhem, et d’autre part, les incidences des peuplements humains sur la forêt. Cette étude est une approche anthracologique couplée aux datations 14C. Selon Palamaref (1987), l’espèce collective Pinus nigra Arnold, tire son origine de Pinus laricioides Menzel, fossile connu au Miocène et au Pliocène. Ce dernier avait une vaste aire de répartition dans les régions circum-méditerranéennes. L’aire a été morcelée sous l’effet de différents événements géologiques (crise messinienne, orogenèse alpine etc.) en îlots de superficies inégales. Il existe ainsi de nombreuses populations disjointes de pin noir sur les montagnes du pourtour méditerranéen. Cette complexité taxinomique s’accompagne d’une grande variabilité biochimique, génétique (Arbez et Miller, 1971 ; Bonnet-Masimbert et Bikay-Bikay, 1978 ; Scaltsoyiannes et al.,1994 ; Bojovic, 1995 ; Rafii et al.,1996), et morphologique d’interprétation souvent délicate (Quézel, 1980). Il paraît possible de distinguer un certain nombre de sous-espèces de valeur essentiellement géographique dont la sous-espèce Salzmanni largement présente en Espagne orientale, de l’Andalousie à la 87 J-L. VERNET, A. METER, L. ZÉRAÏA Catalogne et aussi sur le revers méridional pyrénéen. En France, elle ne constitue que quelques peuplements isolés dans les Pyrénées orientales, dans l’Hérault (région de Saint-Guilhem-le-Désert) et dans les Cévennes siliceuses (région de Bessèges-Largentière) occupant des superficies totales ne dépassant pas 3000 ha. 2.2. - Le pin de Salzmann au Pléistocène Le pin de Salzmann avait une aire plus étendue qu’aujourd’hui au Pléistocène, il y a environ 120 000 ans (dernier interglaciaire avant le présent). Il est présent sous forme d’empreintes de cônes dans les tufs de Castelnaubas à l’entrée de Montpellier, datés de 113 700 ans, vers la fin du dernier interglaciaire. Le climat était celui de l’étage supraméditerranéen actuel. La température moyenne annuelle à Montpellier était alors de 4 à 5 °C inférieure à l’actuelle (Farizier, 1980 in Vernet, 1997 ; Ambert et al.,1995). Le pin de Salzmann a laissé des charbons de bois, en compagnie de Pinus sylvestris L., dans les sites Paléolithiques supérieurs du Pont du Gard (Bazile-Robert, 1979) entre 30000 et 14000 ans avant le présent. Pendant les périodes les plus froides du dernier glaciaire, dont la mieux connue se situe il y a 20 000 ans, les températures avaient baissé de 9 °C environ et les végétations étaient caractérisées par les steppes et les forêts présteppiques de pin sylvestre et de bouleau dans l’actuelle région des garrigues. Au cours de brèves phases de réchauffement, des préforêts de pin de Salzmann, de chêne vert et de chênes caducifoliés méditerranéens firent leur réapparition. Puis, avec le réchauffement climatique qui s’installa définitivement à partir de 10 000 ans, le pin de Salzmann fut remplacé rapidement par la forêt primaire méditerranéenne de chênes verts et chênes pubescents. Le pin de Salzmann se réfugia alors dans les niches écologiques que nous lui connaissons aujourd’hui, en particulier sur les calcaires dolomitiques des monts de Saint-Guilhem-leDésert où il se régénère préférentiellement. Pour Quézel et Barbéro (1988), les pinèdes de pins de Salzmann sont sur deux étages de végétation, le supraméditerranéen à chêne pubescent et le mesoméditerranéen à chêne vert dominant. La limite entre ces étages passerait vers 300-400 m. Les précipitations sont toujours élevées, précipitations >1000mm et m (moyenne des températures minimales du mois le plus froid) de –3 à +2 °C. La grande difficulté de cette schématisation est due au substrat : en effet, le chêne pubescent n’aime pas la dolomie au contraire du chêne vert. On note trois formations distinctes : 2.3.1. - Les formations forestières du mésoméditerranéen supérieur sont présentes sur le revers sud du plateau de St Guilhem et la vallée de la Buège. Ce sont des forêts fermées avec des arbres atteignant 15 m. Les sols développés sur dolomie sont évolués, arénacés et plus ou moins rendziniques en surface. Le chêne vert est abondant avec le buis et les compagnes du chêne pubescent comme Piptatherum paradoxum, Helleborus foetidus, Coronilla emerus, Melittis melissophyllum, Acer monspessulanum, Juniperus oxycedrus, Phillyrea angustifolia, Pistacia lentiscus ainsi que Juniperus phoenicea et Erica scoparia ( Piptathero-Quercetum ilicis). 2.3.2. - Les préforêts du mésoméditerranéen supérieur (photo 1) sont représentées par un matorral sous couvert de pins de Salzmann avec Erica multiflora, Rosmarinus officinalis, Fumana ericoides, Staehelina dubia, Lavandula latifolia, Coris monspeliensis, Quercus ilex, Buxus sempervirens, Juniperus phoenicea et Juniperus oxycedrus. Ces préforêts appartiennent aux Pistacio-Rhamnetalia, association nouvelle Pino Salzmanni-Juniperetum phoenicea. 2.3. - Phytosociologie et peuplements de pin de Salzmann à Saint-Guilhem-le-Désert Pour Braun-Blanquet (1952), Pinus nigra ssp. Salzmanni appartient essentiellement à deux groupements : (a) Un groupement de matorral arboré de l’association Rosmarineto-Lithospermetum sous-association dolomiticum. Cette sous-association, spéciale aux affleurements dolomitiques du Bathonien de la bordure cévenole est pauvre en caractéristiques d’association, d’ordre et de classe mais le pin de Salzmann se développe bien dans ce groupe et s’y resème spontanément. (b) Un groupement de type forestier représentant un Querco-Buxetum pinetosum Salzmanni (Braun-Blanquet et Fukarek, 1955). 88 Photo 1 : Préforêt de pins de Salzmann vers Pont d’Agre. J-L. VERNET, A. METER, L. ZÉRAÏA 2.3.3. - Les pinèdes supraméditerranéennes de pins de Salzmann se développent à Saint-Guilhem au-dessus de 400 m d’altitude avec des arbres pouvant atteindre jusqu’à 15 m, au fût bien droit ou bien des arbres plus tortueux avec un couvert plus clair sur sols peu profonds. Les espèces associées sont Acer opulifolium, Polygonatum officinale, Euphorbia dulcis, Helleborus foetidus ainsi que des taxons herbacés du Seslerio-elegantissimae : Thalictrum minus ssp. saxatilis, Phyteuma tenerum, Euphorbia duvalii, Sesleria elegantissima, Senecio gerardi, Euphrasia salisburgensis, Serratula nudicaulis, Campanula speciosa. Ces pinèdes appartiennent à l’association Querco-Buxetum. 2.3.4. - Types de peuplements Gonelle (1999) distingue quatre types de peuplement à Pinus Salzmanni : Les pineraies d’ubac : hauteur moyenne : 9 m, diamètre moyen : 29 cm, diversité floristique : 75 espèces ; caractéristiques : Sesleria caerulea et Coronilla emerus. Les pineraies d’adret : hauteur moyenne : 8 m, diamètre moyen : 23 cm, diversité floristique : 119 espèces ; caractéristiques : Erica multiflora et Rosmarinus officinalis. Les pineraies de combe : hauteur moyenne : 14 m, diamètre moyen : 35 cm, diversité floristique : 53 espèces ; caractéristique : Ilex aquifolium. Les pineraies de crête : hauteur moyenne : 7 m, diamètre moyen : 19 cm, diversité floristique : 67 espèces ; caractéristique : Globularia vulgaris. En définitive, les pinèdes de pins de Salzmann colonisent des secteurs à précipitations élevées sur des sols très contrastés (substrat dolomitique à Saint-Guilhem, schiste en Ardèche méridionale et divers substrats siliceux), bien drainants, sur lesquels chênes verts ou chênes blancs sont de piètres concurrents. Quézel et Barbéro (1988) en font des pseudoclimax. 3. - Matériel et méthode 3.1. - Méthode La méthode utilisée ici1 s’appuie sur des travaux à haute résolution spatiale sur le Causse Méjean (Quilès et al.,2002 ; Vernet, soumis) à partir de résidus de paléofeux : les charbons de bois, qui constituent un matériel de choix dans les sols et les formations superficielles. Les milieux de dépôts pris en compte, comme sites de concentration potentiels, sont les dépressions karstiques telles dolines, ouvalas ou poljés, ou encore des remplissages complexes. Des études sur les feux modernes montrent une corrélation qualitative et quantitative excellente entre les charbons et la végétation dont ils proviennent, en l’absence de tout transport (Scott, 2000) ou de transport sur de courtes distances, généralement hectomé- triques, comme c’est le cas dans les présentes conditions géomorphologiques. Des premiers résultats testés avec la palynologie indiquent qu’il y aurait une corrélation entre la biomasse de charbons et l’intensité du feu (Vernet et al.,1994). 3.2. - Feux et charbons de bois 3.2.1. - Types de feux Les départs des feux de forêt sont dus, généralement, soit à des imprudences, soit à des causes climatiques. La strate herbacée est la première à brûler, parfois le feu ne se propage pas et seules en témoignent des traces noires sur l’écorce des arbres. Les strates arbustives et arborées sont alors épargnées. Toutefois, lorsque le feu est de forte intensité, les arbres déshydratés par un long stress hydrique s’enflamment et l’incendie se propage alors à toutes les strates, aidé éventuellement par le vent et la sécheresse estivale dans la région méditerranéenne. Il a été démontré (Trabaud et Campant, 1991) que l’énergie et la chaleur, dégagées par ce type de feu, pénétrant dans le sol sont si élevées que les semences enterrées sont totalement ou presque totalement tuées. De plus, les graines de pin de Salzmann sont généralement disséminées à la fin du moi de mai (Calas, 1900) avant la saison des incendies. Le feu ne peut donc pas jouer le rôle de disséminateur des graines en provoquant l’ouverture des cônes fermés. Seules peuvent survivre et germer, les semences ayant résistées, dans le sol, à l’incendie, ce qui rend difficile la régénération naturelle de ce pin. 3.2.2. - Transport des charbons de bois Les résidus carbonés se rencontrent dans les sols actuels jusqu’au voisinage de la roche mère. Les charbons peuvent être transportés, et l’on distingue deux types de transport : Le transport sur de courtes distances (quelques mètres) Les eaux concentrent les charbons alors que le vent ne transporte que des petits éléments carbonisés, fleurs, bourgeons etc. (Scott et al.,2000) ou alors de petits charbons (inférieurs à 1mm) qui ne s’incorporeraient pas au sol des zones non brûlées (Blackford, 2000). Les eaux de ruissellement entraînent les charbons de bois. Si la pente est forte et le courant important, les charbons vont se concentrer en chenaux lorsque l’eau se retire. Si la pente est plus douce, l’eau plus ou moins stagnante laissera en se retirant un bourrelet où se concentrent les charbons. Dans les deux cas, les charbons se concentreront et se conserveront alors au sein de milieux de dépôt primaire : talus, doline, bas de pente où il est intéressant de les prélever (photo 2). (1) L’essentiel des résultats est présenté dans une note succinte ( Vernet et al., 2005). 89 J-L. VERNET, A. METER, L. ZÉRAÏA pelle mécanique, atteignant à chaque fois la roche mère. Une coupe de sol est réalisée et selon la stratigraphie nous effectuons un nombre variable de prélèvements, toujours de bas en haut. Chaque prélèvement correspond à un volume de terre de 10l et est étiqueté (année, site, lieu et couche archéologique). Les prélèvements sont transportés jusqu’au laboratoire dans des sacs à gravats. 3.4. - Traitement et identification des charbons de bois 3.4.1. - Préparation Photo 2 : Bourrelet de charbons après le feu (chapelle St-Côme, Causse Méjean, sept 2003). Le transport sur de grandes distances Selon Berger et Thiébault (2002), les dépôts primaires peuvent subir un déstockage sous l’effet de l’eau, se transformant après transport en dépôt secondaire, et ceci jusqu’au nième dépôt. Ainsi, ces charbons ne seront pas exclusivement caractéristiques de la végétation passée du lieu où ils se déposent. C’est pourquoi les charbons doivent être récoltés de préférence dans des dépôts primaires lorsqu’ils sont accessibles. Les charbons de bois sont extraits par tamisage ménagé à l’eau. Le tamis a une maille de 2 mm et seuls les fragments supérieurs à cette maille sont retenus. Les charbons inférieurs à 2 mm ne permettraient pas une identification utile. Des expérimentations montrent, en outre, que les fractions inférieures à 2 mm peuvent être négligées, leur incorporation étant retardée voire nulle (Vernet, soumis) . Les charbons sont pour la plupart compris entre 2 mm et 10 mm. Le matériel retenu par le tamis est ensuite mis à sécher. Un tri est effectué pour séparer les charbons de bois de divers autres éléments retenus après le tamisage et le séchage. Les charbons supérieurs à 2 mm sont facilement visibles et prélevés à la pince sous la loupe. Les charbons sont comptés et pesés. Parmi les pins identifiés certains ont été réservés pour la datation. 3.3. - Echantillonnage des charbons de bois 3.4.2.- Identification L’étude a porté sur 3 sites : la Citerne, la mare du Pont d’Agre et la Combe de la Louet nord 2. Ces 3 sites sont situés dans une pineraie de combe, au sein de formations forestières du supraméditerrannéen, dans des dépressions fermées ou cuvettes dolomitiques. Dans chaque site, une fosse a été creusée à l’aide d’une La détermination demande, au préalable, l’obtention et l’observation de 3 plans de coupe : transversal, longitudinal tangentiel et longitudinal radial, obtenus par fracturation manuelle orientée. L’observation s’effectue au microscope photonique à réflexion fond blanc, fond noir. Les déterminations sont faites à l’aide du guide d’identification des charbons de bois préhistoriques et récents (Vernet et al.,2001), de l’ouvrage d’anatomie des bois européens (Schweingruber, 1990) et de l’anthracothèque du laboratoire. Les coupes sont parfois impossibles à réaliser toutes en raison de la petite taille des charbons. Cela étant, la famille, le genre et parfois l’espèce sont déterminables. 4. - Résultats 4.1. - Identification des charbons de bois Photo 3 : Partie supérieure du profil de sol à Pont d’Agre. Il est important de rappeler que nous travaillons sur du matériel millimétrique ce qui augmente les difficultés d’identification par rapport aux archéo-charbons de taille centimétrique. Nous ne donnerons pas, sauf exception, les critères de détermination, renvoyant aux ouvrages spécialisés (Vernet et al.,2001). (2) La Citerne : 31T0545710 UTM 4846643, alt. 540 m ; Pont d’Agre : 31T0544831 UTM 4846197, alt. 600 m ; Combe de la Louet : 31T0545659 UTM 4847215, alt. 487 m. 90 J-L. VERNET, A. METER, L. ZÉRAÏA Les Feuillus à zone poreuse identifiés sont : Quercus type pubescens Willd., cf. Laburnum anagyroides Medicus., Rosa sp. Les Feuillus à pores diffus sont plus diversifiés : Buxus sempervirens L., Quercus ilex L., Ilex aquifolium L., Prunus mahaleb L. Acer monspessulanum L., A. opalus Miller., Salix/Populus, Phillyrea/Rhamnus, Ruscus aculeatus L. Les Conifères sont représentés par : Juniperus, Pinus. Le genre Pinus présente un bois homoxylé avec des limites de cernes bien visibles, des rayons très étroits, parfois épaissis, des fibres trachéides, des canaux résinifères transversaux et longitudinaux de localisation variable selon les espèces. Les rayons sont hétérogènes avec des trachéides transversales dentées possédant des champs de croisement en fenêtre. Ces caractères sont ceux de la section sylvestris. Dans cette section, cohabitent plusieurs taxons importants : Pinus sylvestris L., le complexe de sous-espèces de Pinus nigra Arnold, Pinus mugo Turra, Pinus pinaster Aiton et Pinus uncinata Miller. Les caractéristiques édaphiques et altitudinales excluent Pinus pinaster qui ne pousse pas sur les substrats de type dolomitique. Pinus uncinata est une espèce subalpine avec un mode de croissance particulier (bois final généralement mince), de même s’exclut Pinus mugo. Il reste deux espèces probables pour la forêt de Saint-Guilhem : Pinus Salzmanni, bien sûr, mais aussi Pinus sylvestris qu’il ne faut pas exclure. La différenciation anatomique entre ces deux espèces est difficile. La plupart des auteurs ne les distinguent pas (Schweingruber, ibid) Cependant, une tentative d’identification a été réalisée il y a quelques années : elle repose sur plusieurs caractères dont le principal est la position des canaux sécréteurs longitudinaux dans les 1 0,9 Pinus sylvestris 0,75 Pinus nigra ssp.Salzmanni BOIS FINAL 0,5 BOIS INITIAL 0 Figure 1 : Schéma anatomique de comparaison de la position des canaux sécréteurs dans les zones d’accroissement entre Pinus sylvestris et Pinus nigra ssp.salzmanni., d’après Bazile-Robert, 1979. zones d’accroissement, prenant comme référence 0 pour le début du bois initial et 1 pour la limite externe de l’accroissement (Bazile-Robert, 1979) (fig.1). Ces mesures ne tiennent pas compte du fait que les canaux soient placés dans le bois initial ou dans le bois final, car le passage de l’un à l’autre est très progressif et des erreurs sont possibles, mais aussi parce que l’importance de l’un par rapport à l’autre est très variable et conditionnée par des agents extérieurs. Certains échantillons en mauvais état ne pourront pas nous fournir d’indications. La Viale est, Causse Méjean Pont d’Agre 1 1 0,9 0,9 PSY PSY 0,8 0,8 0,7 0,7 PSA 0,6 0,6 0,5 0,5 0,4 0,4 0,3 0,3 0,2 0,2 N om bre de 0,1 c harbons 0,1 0 0 0 40 ( e f f e c t if t o t a l 2 9 4 : c h a r b o n s ) 80 0 ( e f fe c tif t o ta l 3 7 5 40 80 c harbons ) Figure 2 : Position des canaux sécréteurs en plan transversal, à gauche Pont d’Agre à Saint-Guilhem comparé à La Viale est sur le Causse Méjean (Vernet, soumis). 91 J-L. VERNET, A. METER, L. ZÉRAÏA 4.2. Datation des charbons de bois La forêt de pins de Salzmann de Saint-Guilhem n’est donc pas une forêt relique pure comme on le pensait jusqu’à présent, mais certainement constituée d’un mélange d’espèces de pins. Les auteurs montrent que cette association entre le pin de Salzmann et le pin sylvestre existe aujourd’hui à l’étage montagnardméditerranéen en quelques points de Méditerranée occidentale (Quézel et Médail, 2003). Notons que dans certains niveaux, la position extrême des canaux sécréteurs du pin sylvestre n’apparaît pas, Les datations ont été réalisées par le Dr Andreas Scharf à l’université de Nuremberg par la méthode AMS (accélérateur couplé à un spectromètre de masse). Nous avons sélectionné pour cela dix niveaux de prélèvements : les six niveaux de la mare du Pont d’Agre car c’est sur ce site que la fosse était la plus profonde, trois niveaux de la Combe de la Louet nord, le plus ancien (CLON1) et deux niveaux intermédiaires (CLON3 et CLON4) ainsi que le niveau le plus ancien du site de la Citerne (LCI1) (Vernet et al.,2005). Figure 3 : Datations C14 des feux à Saint-Guilhem-le-Désert. 92 notamment au niveau PAG6 qui est le niveau historique le plus récent du site de la mare du Pont d’Agre ou en CLON2 et CLON4. Le pin sylvestre se serait-il retiré dans une autre niche récemment ? Y a t-il une exploitation différentielle entre le pin de Salzmann et le pin sylvestre ? Cette seconde hypothèse est appuyée par les particularités anatomiques des deux pins. En effet, le pin de Salzmann est un pin qui n’intéresse que peu les forestiers du fait de sa faible productivité, à l’inverse du pin sylvestre qui est réputé pour son bois de qualité pour la création de charpente par exemple. Dans les trois sites, nous avons réalisé un histogramme de la position des canaux sécréteurs dans les zones d’accroissement du pin afin de voir si les deux espèces sont présentes et en quelles proportions (fig. 2). Les données sont comparées avec celles obtenues sur le Causse Méjean (Vernet, soumis). Il faut noter un grand polymorphisme du point de vue de la position des canaux sécréteurs. Les positions extrêmes des canaux des deux espèces étant représentées, c’est-àdire 1 pour le pin sylvestre et 0,5 pour le pin de Salzmann, on peut dire que les deux espèces sont présentes. Il est difficile de préciser la proportion de chacune d’entre elles car les aires de répartition de leurs canaux sécréteurs se chevauchent. J-L. VERNET, A. METER, L. ZÉRAÏA Les résultats peuvent être présentés de deux façons : Les dates BP qui correspondent aux dates avant le présent avec pour référence la date de 1950 AD ou les dates calendriers AD ou BC calibrées à 1 ou 2 sigma. Nous avons retenu comme dates calendriers la moyenne de l’intervalle de confiance à 2 sigma présentant le maximum de probabilité (fig. 3). Ces dix dates nous ont permis d’élaborer une première chronologie des feux de la forêt de St Guilhem. D’après les travaux de Trabaud et Campant (1991), la forêt de St Guilhem fut récemment et régulièrement victime d’incendies souvent criminels. Depuis l’année 1851, date d’acquisition de la forêt par l’Etat, il a été dénombré 24 incendies. Dans notre étude, trois ont été enregistrés et un seul a été daté par le 14C. La teneur en 13C des échantillons a aussi été mesurée par le Dr Scharf. Le 13C est un isotope stable et plus lourd que le 12C. En période de sécheresse, l’ouverture des stomates des feuilles des pins étant limitée, l’assimilation du 13CO2 est freinée. Les plantes assimilent moins de 13C en période sèche qu’en période humide. Le 13C est ainsi un indicateur d’humidité/sécheresse relative à un moment donné (Vernet et al.,1996). Couplé aux datations 14C, la teneur en 13C est un indicateur indépendant de l’évolution du climat. 4.3. - Dynamique de la forêt d’après l’anthracologie Pour chaque site échantillonné, nous avons réalisé un diagramme anthracologique. 4.3.1. - La Citerne Le diagramme anthracologique de la Citerne enregistre les feux les plus récents, à partir de 48 BP soit 1870 AD. Du point de vue qualitatif, les fréquences de Pinus sont importantes tout au long de la séquence avec des fragments d’écailles de cônes dans les deux premiers niveaux. Buxus sempervirens est présent, en particulier dans le premier niveau. Il tend à disparaître dans le niveau le plus récent (LCI3). Par ailleurs, Ruscus aculeatus (niveau LCI2) confirme par sa présence la fermeture de la forêt. Quantitativement, la masse de charbons augmente considérablement dans le niveau le plus superficiel (LCI3), qui enregistre les feux les plus récents à l’exclusion de celui d’août 1973 qui a épargné ce secteur de la forêt domaniale. 4.3.2 - la Combe de la Louet nord Le diagramme anthracologique de la Combe de la Louet nord enregistre des feux beaucoup plus anciens à partir de 5680 BP. Du point de vue qualitatif, nous notons la présence de Pinus sur toute la séquence avec une contribution sporadique du pin sylvestre. Comme à la Citerne, nous retrouvons la présence localisée (CLON1/4/5) d’écailles de cône de pin. A partir du niveau CLON3, des fréquences non négligeables de Buxus sempervirens sont enregistrées datées à partir de 1486 AD, ce qui semble correspondre avec les dates des deux autres séquences. 4.3.3. - La mare du Pont d’Agre La séquence anthracologique de la mare du Pont d’Agre fournit la date de 6687 BP, ce qui est la plus ancienne, contemporaine de l’extrême début du Néolithique. Du point de vue qualitatif, les résultats sont les plus complets, nous observons plusieurs assemblages de végétations. Tout d’abord, dans le niveau le plus ancien (PAG1), on note principalement la présence de Pinus, Quercus ilex et Acer. Avec PAG2, les données sont assez semblables, mais l’on enregistre la disparition de Quercus ilex, l’apparition de Quercus cf. pubescens ainsi que le début de la courbe continue de Juniperus. Avec PAG3, Ruscus aculeatus et Quercus ilex sont de nouveau présents. A partir de PAG4, nous observons un changement important dans les assemblages de végétation. La fréquence de Pinus décroît mais surtout, nous notons l’apparition de Buxus sempervirens et l’augmentation de sa fréquence dans les niveaux PAG5/6. Il en est de même pour Quercus cf. pubescens dont la fréquence augmente dans les niveaux PAG4/5. Il faut noter que la phase à buis est datée de 1342 AD (PAG5) contre 1870 AD dans la séquence de la Citerne. Du point de vue floristique, on note une forte contribution de Pinus sylvestris dès le niveau PAG1, qui se prolonge dans les niveaux supérieurs pour disparaître complètement dans le niveau récent PAG6. Le pin sylvestre est présent essentiellement dans les niveaux PAG2/3/4 antérieurement à la fondation de l’abbaye de Gellone. Du point de vue quantitatif, nous enregistrons une forte fréquence de charbons précédant l’extension des fréquences de buis. Nous avons également essayé de mettre en évidence les relations qu’il pouvait y avoir entre les feux et l’ouverture du milieu, testées par la vitesse de sédimentation. Deux vitesses sont enregistrées : une vitesse « lente » entre 0,10 mm/an et 0,18 mm/an, une vitesse « rapide » entre 0,39 mm/an et 0,54mm/an. Si les vitesses « lentes » témoignent d’une certaine stabilité dans l’érosion et donc d’un fort couvert végétal, nous pouvons suggérer deux fortes périodes d’érosion. La première entre 4968 et 4464 BP (PAG2/3) et la seconde postérieure à la fondation de l’abbaye de Gellone entre 644 et 158 BP (PAG5/6). Cette seconde période peut être mise en relation avec l’augmentation considérable du buis. 93 J-L. VERNET, A. METER, L. ZÉRAÏA De plus, l’âge croît avec la profondeur, ce qui exclut tout remaniement majeur. Il semblerait, en effet, que notre matériel soit de taille trop importante pour être ingéré par la pédofaune. Selon Carcaillet et Talon (1996), les vers de terre sont capables d’ingérer des particules supérieures à 400 μm et jusqu’à 2mm, ce qui correspond au matériel éliminé pendant la phase de tamisage (maille du tamis de 2mm). Les données du delta 13C fluctuent entre –22 et –24 pour mille (un point atypique à -28 à CLON4), et indiquent que, globalement, les conditions de sécheresse prévalent au cours de ces épisodes de feux. Les résultats du delta 13 C ont été comparés à un référentiel de pinède du Causse Méjean qui donne une marge actuelle comprise entre -26 et -28, donc largement plus « humide » (Vernet, soumis). 5. - Discussion La courbe continue de Juniperus, qui commence à l’Holocène ancien et se continue presque jusqu’au bout pour la mare du Pont d’Agre, témoigne d’une pinède préforestière quasi présente tout le temps. Toutefois, les niveaux extrêmes (PAG1 et PAG6) ne répertorient pas le genévrier. Juniperus occupe actuellement les crêtes bordant la mare du Pont d’Agre alors que Populus se situe au fond du talweg. Ainsi, est-il possible de penser qu’au niveau le plus ancien PAG1, seul le fond de la dépression aurait brûlé comme en témoigne la présence de Populus, épargnant les crêtes et donc les genévriers. Néanmoins, ceci montre la quasi pérennité des formations qualifiées par Quézel et Barbéro (1988) de préforestières du mésoméditerranéen supérieur, correspondant à l’association Pino salzmannii-Juniperetum phoeniceae. La plus ancienne date obtenue est contemporaine de l’Holocène ancien moyen (vers 7000 BP). Les conditions de mise en place de la forêt étaient donc déjà réalisées antérieurement, au sortir du dernier glaciaire. A la fin du dernier glaciaire, les résultats obtenus permettent de suggérer une hypothèse hautement probable de peuplements mixtes de pins sylvestres et de pins de Salzmann formant des forêts pré-steppiques avec plusieurs Juniperus dont J. phoenicea. Avec l’amélioration climatique, ces peuplements ont gagné en altitude et se sont enrichis de composantes supraméditerranéennes. L’extension du peuplement vers les formations mésoméditerranéennes de Quercus ilex paraît davantage être en relation avec l’anthropisation qui a ouvert des espaces dans les boisements thermophiles. Un autre aspect intéressant est la contribution de Pinus sylvestris qui démontre l’hétérogénéité du peuplement ancien. Les seules populations actuelles où le pin sylvestre est un élément important avec le pin de Salzmann sont les populations des gorges du Tarn situées selon Quézel et Barbéro (loc.cit.) au sein de l’étage montagnard-médi- 94 terrannéen. Ces formations cohabitent avec des associations herbacées riches en espèces arcto-alpines dont Gentiana costei. Nos données, éclairent l’authenticité des peuplements des gorges du Tarn d’une part, et d’autre part semblent montrer l’origine complexe des peuplements actuels de pins de Salzmann de la forêt de St Guilhem, l’homogénéité actuelle étant due à la gestion anthropique. La gestion anthropique nous paraît particulièrement évidente dans cette recherche puisque tous les niveaux supérieurs à la fondation de l’abbaye montrent une recrudescence de Buxus sempervirens témoignant d’une ouverture considérable de la forêt mature. En effet, la colonisation d’un site par le buis représente le deuxième stade post-traumatique succédant aux pelouses à graminées. Au sein de la forêt de St Guilhem, les traumatismes possibles ont essentiellement une origine anthropique, ils peuvent être la conséquence de déprises pastorales, d’écobuages, etc. Cette interprétation se voit confirmée par l’accélération de l’érosion, et l’augmentation de la masse de charbons dans ces mêmes périodes. Cependant, il est possible aussi que la forêt ait été stable pendant très longtemps et qu’à une certaine époque elle fut victime de perturbations par des feux d’origine naturelle. Le régime des feux aurait-il changé ? La présence d’écailles de cône de pin, distribuées de façon non aléatoire dans les niveaux historiques de la Citerne et de la Combe de la Louet nord, pourrait résulter de feux très importants, très violents, brûlant et éclatant les cônes présents en hauteur sur les pins, tandis que des feux plus courants d’une moins grande envergure n’affectent que le sous bois ou faiblement les pins. C’est ce qui est essentiellement visible à Saint-Guilhem-le-Désert. Les feux très violents, à la fréquence d’un incendie tous les dix ans, peuvent devenir des agents de destruction de la forêt de pins de Salzmann. L’espèce serait réellement en danger si tout le peuplement brûlait à cause de la difficulté de régénération du pin à la suite de très forts incendies (Trabaud et Campant, 1991). Conclusion Les sondages ont atteint la base des remplissages. Une active sédimentation a commencé dés l’Holocène ancien, à l’optimum climatique. Les trois diagrammes anthracologiques résument l’éco-histoire holocène de la forêt. Une première phase d’incendie témoigne d’une pinède mésoméditerranéenne à Quercus ilex. La deuxième phase est contemporaine du Néolithique récent. L’apparition de Quercus pubescens montre une tendance vers une pineraie supraméditerranéenne. La tendance à la pinède mésophile supraméditerranéenne s’accentue avec la troisième phase contemporaine de la période romaine. La dernière phase qui englobe les niveaux historiques semble marquer une altération importante de la pinède avec des fréquences importantes de Buxus sempervirens. Il faut ajouter à ceci la présence de façon continue de Juniperus qui pourrait témoigner de la présence discrète de préforêts. La forêt de St Guilhem avec ses arbres pouvant atteindre aujourd’hui près de 15 m de haut devait apparaître dès le Moyen Age comme un massif forestier particulièrement intéressant, en particulier pour le bois d’œuvre, surtout par rapport à la chênaie méditerranéenne déjà fortement délabrée. Les fondateurs de l’abbaye ne s’y sont pas trompés. La gestion anthropique y est particulièrement patente. Quant au climat, les données isotopiques convergent toutes vers de forts impacts de la sécheresse. On ne sait si les feux anté-historiques sont naturels ou non, en revanche à partir de la fondation de l’abbaye de Gellone, l’anthropisation ne fait plus de doute, même si la sécheresse est avérée. On ne doit le bon état actuel du peuplement qu’à la convergence de deux phénomènes, la déprise généralisée des activités agro-pastorales et la conservation raisonnée sous l’égide de l’ONF. 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Cela s’explique par des niveaux de visibilité au sol différents selon les types de vestiges, mais également par la répartition actuelle des forêts, qui n’est peut-être pas sans relation avec celle des forêts antiques, comme le suggère la confrontation des cartes pédologiques et archéologiques. A une autre échelle, une attention particulière a été portée sur la forêt de Tronçais (Allier), où des recherches sont menées en collaboration avec l’INRA (centre de Nancy). Cette chênaie de 10 000 hectares abrite 112 sites gallo-romains, dont l’implantation, la taille, et pour certains la chronologie et la fonction ont pu être cernés. Les données polliniques et anthracologiques, mais aussi l’analyse des sols et de la flore actuelle indiquent que la forêt faisait partie du paysage dès l’époque romaine, intégrant des exploitations agricoles de faible envergure, et de petites unités de production de fer ou de tuiles. Abstract The regions of Berry (Cher, Indre) and of Bourbonnais (Allier), formed in the Roman time the territory of Bituriges Cubes. Today, the fifth of this aera is covered with wood and forests, distributed in Sologne, in Brenne, in SouthBoischaut, and in the bocage of Bourbonnais. Within the framework of a collective research project (UMR 8546, CNRS), archaeological data were integrated in a GIS with the aim of studying different aspects of the antique activity in this area. Only 10 % of 3293 identified Gallo-Roman sites were found in forested environment, with a higher proportion of craft structures than settlements and still more graves. It is explained by different levels of visibilities on the ground according to the types of vestiges, but also by the current distribution of forests, which may be in relation with the distribution of the antique forests, as it is suggested by the comparison between the pedological and archaeological maps. A particular attention was paid to the forest of Tronçais (Allier), where researches are made in association with the INRA (Centre of Nancy). 112 of Gallo-Roman sites were found in this 10 000 hectare oak forest. It has been possible to precise the distribution, the size, and sometimes the date and the function of these sites. The analysis of pollens and of charcoals and also, of grounds and of the current flora indicate that the forest was a part of the landscape during the Roman time, with small farms and small production units of iron or tiles. 99 L. LAÜT Forêt de Tronçais limites départementales principales villes actuelles forêts actuelles territoire antique des Bituriges Cubes 0 20 40 Km Sources: PCR-Berry (UMR 8546, CNRS-ENS Paris), cartographie : L. Laüt Figure 1 : Localisation du territoire antique de la cité des Bituriges Cubes. 1. - Le cadre de l’enquête et les questions abordées Le secteur qui va être évoqué ici se situe au cœur de la France. Il comprend le Berry, qui couvre les départements du Cher et de l’Indre, ainsi qu’une partie du Bourbonnais, dans le département de l’Allier (fig.1). A l’époque romaine, ces deux régions sont réunies en une seule et même entité administrative, correspondant au territoire des Bituriges Cubes, dont la capitale était Avaricum (Bourges). Cet espace de 18000 km2 s’étend pour l’essentiel sur les formations sédimentaires du Bassin parisien, et dans sa partie la plus méridionale, sur les premiers contreforts du Massif Central. Deux types de paysages assez contrastés s’y opposent. Au centre du Berry, la Champagne berrichonne est un vaste plateau calcaire assez sec, qui est aujourd’hui un espace d’openfield consacré aux productions céréalières. Autour d’elle s’articule une série de régions naturelles plus vallonnées, plus boisées et plus humides comme le Boischaut, la Sologne, la Brenne, le Sancerrois ou le bocage et la forêt de Tronçais. Les surfaces boisées couvrent près de 4000 km2, soit environ 20% du territoire biturige. Les forêts se composent essentiellement de feuillus, avec localement quelques forêts de conifères et enfin des forêts mélangées, surtout en Sologne1. (1) Pour le Berry, voir notamment Brêthes, 2003 100 Les forêts du Berry et du Bourbonnais sont loin d’avoir été explorées de façon systématique. En dehors de découvertes ponctuelles, faites dans le cadre d’opérations d’archéologie préventive ou de prospections-inventaire, quelques programmes de recherches ont porté spécifiquement sur des massifs forestiers du territoire biturige. C’est le cas de la forêt de Châteauroux, sur laquelle D. Audoux et D. Dubant ont mené une enquête diachronique (Dubant et Audoux, 1999). Dans le secteur de la Sologne, H. Delétang (1984) a effectué une étude sur le parcours d’une voie reliant Bourges à Orléans, qui traverse un territoire à dominante boisée. En forêt d’Allogny, près de Bourges, ce sont les vestiges d’activités métallurgiques qui ont été plus spécialement abordés par J. M. Bordeloup (Landes et Bordeloup, 1985 ; Bordeloup, 1994). Enfin, la forêt domaniale de Tronçais a fait l’objet d’explorations régulières par E. Bertrand, entre 1960 et 1990 (1980 ; 1983 ; Piboule et Bertrand, 1995) et depuis 2000, de nouvelles campagnes de prospection et de fouilles y sont menées, en parallèle des tests sur la flore et les sols entrepris par l’INRA – centre de Nancy (Bourdet, 2000 ; Humbert, 2002 ; 2003 ; Dupouey et al., 2002 ; Dambrine et al., à paraître ; Laüt, 2004 ; Laüt et al., 2004). Cette étude des vestiges antiques en forêt à l’échelle de plusieurs départements a été réalisée grâce à un système d’information géographique utilisé dans le cadre d’un projet L. LAÜT collectif de recherches sur le territoire biturige (laboratoire d’archéologie de l’école normale supérieure à Paris, UMR 8546, CNRS). Ce SIG permet de confronter les données géographiques aux données archéologiques, soit près de 4000 sites protohistoriques et gallo-romains actuellement répertoriés (Batardy et al., 2001 ; Collectif 2005 (CD-rom)). La répartition des vestiges peut ainsi être examinée selon leur cadre de découverte, afin de préciser les types de sites que l’on voit mieux en milieu forestier, les sites que l’on voit moins bien et ceux que l’on ne voit pas du tout... Enfin, nous changerons d’échelle pour aborder le cas particulier du massif forestier de Tronçais, qui a bénéficié d’approches pluridisciplinaires concertées, et dont l’environnement et les formes de l’occupation du sol à l’époque romaine commencent à être relativement bien cernés. 2. - Un état des connaissances, sur l’ensemble du territoire biturige 2.1. - Les types de vestiges observés en milieu forestier Sur 3293 sites gallo-romains répertoriés en territoire biturige, seulement 10 % ont été trouvés en milieu forestier, alors que les surfaces de bois et forêts représentent 20 % de l’espace étudié (fig.2). Globalement, les vestiges antiques sont donc deux fois moins observés en forêt que dans l’ensemble de la zone. Mais la situation diffère d’un type de structure à l’autre, comme le montrent les bilans obtenus sur trois catégories de sites, abordées séparément : les habitats ruraux, les ateliers sidérurgiques et les sépultures. Dans la catégorie des habitats ruraux2, il existe deux types de constructions, qui ne présentent pas la même visibilité en milieu forestier : les constructions en matériaux périssables d’une part et les constructions en dur d’autre part. La première catégorie correspond à des fermes en terre et bois ou à des structures en enclos palissadés, qui peuvent être en usage dans la région jusqu’au IIe siècle de notre ère. Sur les 72 établissements répertoriés, moins de 6% seulement ont été repérés en forêt, ce qui représente un taux particulièrement faible. Cette sous-représentation s’explique par la nature même de ces sites, qui ne laissent aucun relief en surface, mais seulement des structures en négatif, très difficiles à repérer en forêt. Les établissements ruraux construits avec des murs en pierres sèches ou des murs maçonnés au mortier, sont beaucoup plus nombreux à la période romaine. A ce jour, nous en connaissons 1278, dont 8% trouvés en milieu forestier. Cette faible représentation est plus difficile à expliquer que dans le cas des bâtiments en matériaux périssables. En effet, les ruines des constructions en dur laissent souvent des reliefs chargés de matériaux de construction (moellons, tuiles) facilement repérables, comme on a pu le constater dans le massif de Tronçais, où des dizaines de sites ont été repérés en prospection. La situation actuelle est donc à mettre en grande partie sur le compte du manque d’explorations systématiques des forêts, dans le reste du territoire biturige. site gallo-romain découvert en forêt site gallo-romain découvert hors forêt voie importante voie secondaire agglomérations antiques forêts actuelles territoire antique des Bituriges Cubes BOURGES Levroux Drevant Argentomagus Néris-les-Bains Sources: PCR-Berry (UMR 8546, CNRS-ENS Paris), cartographie : L. Laüt Figure 2 : Les sites gallo-romains répertoriés sur le territoire des Bituriges Cubes. (2) Les données sur les habitats sont issues de la récente synthèse de C. Gandini sur le sujet (Gandini 2000). 101 L. LAÜT Dans le domaine des productions artisanales, les activités sidérurgiques représentent une part importante de l’économie régionale à l’époque romaine. Les vestiges de ces ateliers se présentent aujourd’hui sous la forme d’amas de scories (ferriers) qui ont recouvert progressivement les fours de réduction du minerai de fer. 219 ferriers antiques sont actuellement répertoriés (Dieudonné-Glad, 1991 ; Dumasy et al., 1993 ; Dumasy 1994, Bordeloup, 1994 ; Laüt, 1994 ; Dieudonné-Glad et Dumasy, 1995 ; Sarreste, 2003), dont 21% découverts en milieu forestier, ce qui est tout à fait proportionnel aux surfaces boisées du territoire biturige et bien supérieur à la représentation globale des sites en forêt (10%). Ce phénomène s’explique avant tout par la meilleure conservation des ferriers en sous-bois, où leur élévation peut atteindre plusieurs mètres de haut, comme c’est le cas notamment en forêt d’Allogny, près de Bourges. La bonne visibilité des vestiges d’ateliers sidérurgiques en milieu forestier a d’ailleurs été remarquée dans d’autres régions métallurgiques de la Gaule, comme le secteur de la Montagne Noire (Decombeix et al., 2000 p.31). En terrain cultivé en revanche, les labours ont progressivement arasé ces amas de scories, qui forment de grandes taches sombres, dont le relief dépasse rarement une cinquantaine de centimètres. Concernant les sites funéraires, 429 sépultures isolées ou nécropoles sont actuellement répertoriées en territoire biturige. Il s’agit le plus souvent d’incinérations en pleine terre ou dans des coffres en pierre3, les stèles, sarcophages ou monuments de type mausolée étant beaucoup plus rares. A ce jour, la seule sépulture identifiée en forêt dans ce secteur est un cas exceptionnel, celui du monument funéraire de Sauzelles, qui porte des bas-reliefs gravés sur une paroi rocheuse, en bordure de Creuse (Fauduet, 1983). Mais dans leur grande majorité, les vestiges funéraires ne présentent pas ou peu d’élévation et sont souvent découverts en réemploi, hors de leur contexte d’origine. C’est pourquoi les sépultures galloromaines sont beaucoup plus difficiles à repérer en milieu forestier que les tumuli protohistoriques par exemple. Ces différents cas de figure permettent de mesurer les avantages, mais aussi les limites des informations recueillies en forêt, sur l’occupation du sol antique. De ce fait, les données archéologiques récoltées peuvent s’avérer difficilement comparables à celles obtenues en rase campagne. Ainsi, la forêt peut livrer des vestiges en relief (bâtiments maçonnés, chaussées, ferriers) ou en creux (carrières, mardelles), mais relativement peu de matériel en surface. En terrain ouvert en revanche, les structures se révèlent très arasées, voire totalement détruites par les travaux agricoles, avec en contrepartie un matériel de surface plus abondant et des plans de constructions en matériaux périssables ou en dur repérables en vue aérienne. De telles disparités doivent donc être prises en compte lorsque l’on aborde ces différents terrains d’investigation, au sein d’une même région. Le calcul de la densité des différents types de sites, par rapport aux surfaces de bois et forêts couvrant l’ensemble de la zone étudiée, fait apparaître deux groupes assez distincts (fig.3). D’une part, le groupe des sites nettement sous-représentés en forêt rassemble les sépultures, les constructions en matériaux périssables et, dans une moin- Rapport des densités 1,8 1,6 1,4 Sites sur-représentés en forêt 1,2 1 0,8 0,6 0,4 Sites sous-représentés en forêt 0,2 0 Sépultures Bâtiments en Bâtiments en Ateliers terre et bois dur sidérurgiques Figure 3 : Ecart de répartition des sites gallo-romains, entre la forêt actuelle et l’ensemble de la zone étudiée. (3) Concernant les coffres funéraires en particulier, voir Brissaud, 1988 ; 1993. 102 Carrières et mines Autres artisanats L. LAÜT dre mesure, les constructions maçonnées. D’autre part, le groupe des sites normalement représentés ou légèrement sur-représentés en forêt comprend les ateliers sidérurgiques, les carrières et mines et les autres installations artisanales (fours de potiers et de tuiliers). La question de la plus ou moins grande visibilité des vestiges en milieu forestier a déjà été soulignée pour chacune de ces catégories. Mais la répartition fonctionnelle des sites au sein de ces deux groupes mérite également d’être considérée. En effet, les sites les mieux représentés en forêt relèvent exclusivement de la production artisanale. A l’exception des carrières, dont l’implantation en ripisylve est souvent dictée par la géologie, il s’agit d’ateliers de réduction du minerai de fer ou de fabriques de terre cuite. Or, à l’époque romaine, ces artisanats du feu sont traditionnellement pratiqués à proximité de sources d’approvisionnement en bois, pour alimenter les fours. Tout se passe donc comme si la répartition des forêts actuelles livrait un lointain écho de celle des forêts antiques. Pour tester la validité d’une telle hypothèse, différentes analyses spatiales ont donc été menées à partir du SIG, sur l’ensemble du territoire biturige. 2.2. - Carte des sols, métallurgie antique et forêts actuelles Dans le cadre du PCR sur le territoire biturige, une collaboration a été établie avec J. Moulin, de la chambre d’agriculture de l’Indre, pour retraiter les données de la carte pédologique actuelle, en fonction de critères de qualité valables pour l’époque romaine4. La plus ou moins grande valeur agricole des sols a donc été déterminée, sans tenir compte des techniques modernes d’exploitation5. La superposition de cette nouvelle carte avec celle des forêts actuelles montre que les principaux massifs forestiers se cantonnent aux marges des terres considérées comme les plus favorables pour l’époque romaine. Quant aux ateliers sidérurgiques gallo-romains, ils respectent la même logique de répartition, en se concentrant à l’écart des bonnes terres (fig.4). Ces observations confortent donc l’idée d’une relative stabilité dans la répartition globale des forêts du territoire biturige, depuis l’Antiquité. Fr. la ire Lo le Cher l'I nd re la l'A eu Cr lli er se pédologie: terres agricoles les plus favorables terres agricoles les moins favorables sites gallo-romains: agglomérations forêts actuelles ateliers sidérurgiques limites du territoire biturige secteur sans information Sources: PCR-Berry (UMR 8546, CNRS-ENS Paris), cartographie: L. Laüt Figure 4 : Sols, forêts actuelles et ateliers sidérurgiques antiques, sur le territoire biturige. (4) Il s’agit de la version numérisée de 27 cartes des sols au 1/50 000ème, publiées par les pédologues des Chambres d’Agriculture du Cher, de l’Indre, du Loir-et-Cher et du Loiret, en collaboration avec l’INRA d’Orléans et l’IGN. (5) Pour le détail des critères de classement des sols, voir B. Vannière, dans Batardy et al., 2001, p. 44-55 et A. Maussion, dans Maussion et Gandini, 2003. 103 L. LAÜT Duceppe-Lamarre (in Batardy et al., 2001, p.16-19), dans une étude sur la trame forestière ancienne à partir des textes du Haut Moyen-Age, avait d’ailleurs noté la forte pérennité de certains grands massifs bituriges, comme ceux de Bommier-Maron, Châteauroux, Vierzon, ou le sud de Tronçais. Mais bien évidemment, les contours forestiers ont dû subir de nombreuses fluctuations depuis 2000 ans, qui échappent la plupart du temps aux historiens comme aux archéologues. Cependant, des précisions ponctuelles sont parfois apportées à ce sujet, comme ce fut le cas pour le secteur de Bourges où N. Dieudonné-Glad (1992, p.68) a pu confronter les données archéologiques au témoignage de César, décrivant la prise d’Avaricum (Bourges) en 52 av. J.C. L’auteur évoque en effet l’existence de « bois » et de « forêts épaisses » au nord et nord-est de Bourges, non loin de l’actuelle forêt d’Allogny6. Or les ferriers se concentrent précisément dans cette zone, alors que les exploitations agricoles (enclos, villae) se répartissent au sud de Bourges, dans un secteur plus fertile. Au moment de la Conquête, comme sans doute durant la période romaine, ce n’est pas le minerai, présent au nord comme au sud de Bourges, qui a conditionné la répartition des activités agricoles et métallurgiques, mais la qualité des terres et la présence de zones boisées, d’ailleurs toujours présentes aujourd’hui, approximativement dans le même secteur. 3. - Une étude de cas : la forêt domaniale de Tronçais 3.1. - Approches archéologiques et environnementales La forêt domaniale de Tronçais est une futaie de chênes et de hêtres qui couvre 10 600 hectares, dans le sud-est du territoire biturige (fig.1). Les premières recherches archéologiques y ont été menées par E. Bertrand (1980 ; 1983 ; Piboule et Bertrand, 1995) qui, entre 1960 et 1990, a régulièrement prospecté chaque parcelle de cette forêt et découvert, entre autres, une centaine de sites gallo-romains. Sur la base de ces informations, de nouvelles campagnes de prospection et des sondages ont été engagés en 2000 et 2001, pour préciser la caractérisation de ces sites et tenter de compléter encore la carte archéologique. En parallèle de ces interventions archéologiques, J.-L. Dupouey, E. Dambrine et leur équipe (Bourdet, 2000 ; Humbert, 2002 ; 2003 ; Dupouey et al., 2002 ; Dambrine et al., à paraître ; Laüt, 2004 ; Laüt et al., à paraître) ont réalisé des relevés floristiques, ainsi que des sondages pédologiques et anthracologiques autour d’une sélection de 10 sites. Enfin, depuis 2002, une fouille programmée est menée sur le site des Petits Jardins, qui est un sanctuaire du Ie siècle comprenant trois bâtiments dont deux temples de type fanum. Après son abandon, un ate(6) César, De Bello Gallico, VII, 16 et 18 104 lier de tuilier a été aménagé sur les ruines d’un des temples, peut-être dès la fin de l’Antiquité, pour produire des tuiles à rebord jusqu’au VIe/VIIe siècle (Laüt, 2005). L’ensemble des résultats obtenus sera abordé ici, dans la perspective d’une reconstitution du paysage antique. 3.2. - De la forêt actuelle au paysage antique A l’heure actuelle, la carte archéologique de la forêt de Tronçais compte 112 sites gallo-romains, soit un site pour 95 hectares en moyenne (fig.5). Les établissements ont pu être classés selon quatre niveaux hiérarchiques, en fonction de leur superficie, de leurs reliefs et du mobilier trouvé en surface. Dans de nombreux cas, la vocation principale d’une construction ou du moins certaines des activités pratiquées sur place peuvent être déterminées. Ainsi, 48 sites sont associés à des mardelles, dépressions circulaires en partie comblées par des dépôts organiques, qui sont généralement identifiées à des mares. Des analyses polliniques faites par H. Richard (2003) sur deux d’entre-elles à l’occasion de sondages, ont révélé des concentrations importantes de céréales. On peut donc raisonnablement proposer l’hypothèse d’exploitations agricoles pour ces « sites à mardelle ». D’autres types d’établissements ont également pu être identifiés par leur matériel de surface ou le dégagement de leurs structures 21 petits ateliers métallurgiques, 4 ateliers de tuiliers, un sanctuaire attesté et deux autres présumés, auxquels s’ajoutent quelques stations routières probables, sur des parcours de voies romaines. La répartition topographique des constructions révèle des choix d’implantations assez variés. La proximité de l’eau semble toutefois assez déterminante, puisque les deux tiers des sites sont installés à moins de 300 m d’un cours d’eau. Les terres sont ici très peu fertiles en moyenne, mais les établissements ruraux évitent les terrains les plus difficiles à travailler, et notamment les sols hydromorphes (Bourdet, 2000). Un constat analogue a d’ailleurs pu être établi à l’échelle de l’ensemble du territoire biturige par A. Maussion dans le cadre de sa thèse (2003 ; Maussion et Gandini, 2003). Quant aux tests de J.L. Dupouey et E. Dambrine sur la composition des sols et la flore actuelle, autour d’une sélection représentative de 10 sites, ils livrent des indications sur l’extension des terres exploitées autour des sites gallo-romains. La baisse de l’acidité du terrain dans l’environnement des bâtiments peut être liée à la présence, rare au demeurant, de calcaire et de mortier dans les constructions, mais aussi à l’amendement des terres pour l’agriculture. Quant à l’augmentation du phosphore et de l’azote, elle indique des enclos à bétail, ou des champs cultivés ayant reçu un apport de fumier. Cette présence des animaux d’élevage est d’ailleurs suggérée par les nombreuses mardelles voisines des constructions, même L. LAÜT Figure 5 : Caractérisation des sites gallo-romains en forêt de Tronçais si pour l’heure, les sondages et fouilles n’ont livré aucun reste osseux, en raison de l’acidité du terrain. La biodiversité actuelle est également marquée par ces usages antiques, puisque l’on observe une plus forte densité et une plus grande variété d’espèces végétales autour des sites. Mais il est intéressant d’observer que ces différentes perturbations se limitent à un périmètre relativement restreint de 100 m à 200 m autour des bâtiments. Or, les analyses anthracologiques et polliniques révèlent une forte ambiance forestière autour des bâtiments testés. L’hypothèse initialement émise par H. Richard, d’établissements ruraux implantés dans des clairières, se voit donc étayée par ces résultats. 4. - Conclusion A l’issue de ce rapide tour d’horizon du Berry et du Bourbonnais, il apparaît indéniable que les forêts représentent de réels conservatoires du patrimoine, où tout n’est certes pas visible, mais où la couverture végétale assure une excellente protection des vestiges. Au-delà de ce premier bilan du potentiel archéologique des forêts locales, l’analyse spatiale à l’échelle d’un grand territoire a livré un certain nombre de pistes de recherches, sur la répartition des surfaces agricoles et des surfaces boisées à l’époque romaine. Dans cette perspective, la forêt de Tronçais a été un terrain d’expérimentation privilégié où l’enquête, menée conjointement par des archéologues, pédologues, botanistes et palynologues, a fourni un faisceau d’indices révélant un environnement forestier, dès l’époque romaine. Cette forêt antique devait être beaucoup moins compacte que l’imposante chênaie actuelle, pour laisser se développer une agriculture modeste et d’assez nombreuses productions artisanales, à partir d’une centaine d’établissements ruraux. Mais un tel scénario n’est certainement pas valable partout, et seule la multiplication des données de terrain permettra de compléter ces premiers éléments de réponse. Il reste donc à souhaiter la mise en oeuvre d’interventions similaires, sur d’autres massifs forestiers du territoire biturige, pour étoffer progressivement notre connaissance de l’occupation 105 L. LAÜT du sol et de l’espace forestier antique. 5. - Remerciements Nos remerciements vont à tous ceux qui ont apporté leur contribution à cette enquête ou qui ont facilité sa réalisation : O. Buchsenschutz (Paris, UMR 8546 du CNRS) et les autres membres du PCR « Territoire biturige » dont les travaux ont été cités, Elie Bertrand (†) (Cérilly), J.-L. Dupouey et E. Dambrine, (INRA-Nancy), H. Richard (Besançon, UMR 6565, CNRS), Y. Lejean (ONF-Allier), J. Moulin (Chambre d’agriculture de l’Indre), Ph. Vergain, puis F. Letterlé (SRA Auvergne) ainsi que tous les prospecteurs et fouilleurs bénévoles ayant participé aux opérations en forêt de Tronçais. Bibliographie BATARDY C., BUCHSENSCHUTZ O., DUMASY F. (dir.), 2001, Le Berry antique, milieu, hommes, espaces, atlas 2000, 21ème supplément à la revue archéologique du Centre de la France (R.A.C.F.), Tours. BERTRAND E., 1980, Les sites antiques en “Pays de Tronçais”, Inventaire sommaire, Bull. des amis de la forêt de Tronçais, 25, p.21-31. BERTRAND E., 1983, Les sites antiques en “Pays de Tronçais”, Inventaire complémentaire, Bull. des amis de la forêt de Tronçais, 28, p.37-40. 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Les sites d’habitat se répartissent sur les meilleures terres, les limons situés en rebord du plateau, dans la partie sud du massif, et ceux correspondant à un méandre abandonné de la Seine. L’occupation antique a fait l’objet de plusieurs années de recherches alliant prospections, sondages et fouilles étendues, qui ont révélé un terroir assez densément peuplé, occupé par de riches domaines fonciers. En témoignent les dimensions exceptionnelles d’une villa ornée de mosaïques, l’étendue d’une autre villa qui pourrait être l’héritière du domaine d’un aristocrate gaulois, la richesse d’une troisième révélée par un trésor comprenant de nombreux bijoux en or. A côté de ces grands établissements, figurent des habitats plus modestes, un village d’artisans, des lieux de culte. Abstract The national forest of Brotonne occupies approximately 17300 acres in a meander of the low valley of the Seine. It is an old forest, called forest of Arelaune in several texts of the mérovingienne périod. However, many Gallo-Roman archeological sites were discovered inside and their presence lets think that the vegetable cover surrounding these habitats was very different from the forest landscape which developed in the end of antiquity by fossilizing these vestiges. The sites of habitat are distributed on the best grounds, the silts located in edge of the plate, in the southern part of the forest, and those corresponding to an abandoned meander of the Seine. The ancient occupation was the subject of several years of research combining prospections, surveys and extended excavations, which revealed a soil rather populated, occupied by rich landowners. An exceptional large villa was decorated with mosaics, another one succeeded to a gaulish aristocrat’s country house, a treasure including many gold jewels was found in a third one. There were also, near these great establishments, modest houses, a craftsmen village, religious places. La forêt de Brotonne occupe aujourd’hui environ 7000 hectares d’un méandre de la rive gauche de la Seine et s’étend sur le territoire de deux communes, La Maillerayesur-Seine et Vatteville-la-Rue. Ce massif forestier est connu sous le nom de forêt d’Arelaune dans des textes de l’époque mérovingienne où il apparaît à plusieurs reprises. La plus ancienne mention est issue de l’Histoire 1 des Francs de Grégoire de Tours : en 537, Clothaire Ie, poursuivi par Théodebert et Childebert, trouve refuge dans la forêt (in silva Arelauno). Un peu plus tard, saint Condède2, venu d’Irlande, débarque au port d’Arelaune et traverse la forêt du même nom pour se rendre à l’abbaye de Fontenelle (Saint Wandrille-Rançon). En 7153, Dagobert III renouvelle le privilège accordé par Childebert à l’abbé saint Bénigne de Fontenelle, soit la donation du quart de la forêt. Ce dernier texte est particulièrement intéressant car il cite plusieurs toponymes servant de limite à la concession. Malheureusement, la plupart sont très difficiles à identifier. La forêt d’Arelaune ou de Brotonne, attestée comme propriété royale depuis le VIe siècle, semble être l’héritage des empereurs romains, en application du code théodosien de 395 qui donne au fisc les terres vacantes. A la fin du IVe siècle, il semble donc que ce terroir soit dépourvu de toute occupation humaine et que les terres soient à l’état d’abandon ou de landes. Cependant, rien n’indique que la forêt est déjà constituée. Mais à partir de l’époque mérovingienne, la forêt est citée en temps que telle. Néanmoins le terme latin de silva ne recouvre pas tout à fait le terme de forêt dans son accep- (1) Historia francorum , in M.G.H., scriptores rerum merovingicarum, II, 2, p.282, 25. (2) Vita Condedi, éd. Levison, in M.G.H., scriptores rerum merovingicarum, V, 1910, p.644-651. (3) Gesta sanctorum patrum fontanellensis coenobi (gesta abbatum fontanellensium), éd. Lohier (Dom F.) et Laporte (R.P.J.), 1936, p.29-30. 109 M-C. LEQUOY tion moderne. La forêt mérovingienne est constituée tout autant de landes que de taillis et ne ressemble en rien aux belles futaies actuelles. Au XVIe siècle encore, la forêt de Brotonne apparaît comme peuplée essentiellement de taillis4, souvent jeunes, car les besoins massifs en bois de chauffage ne permettent pas à la forêt de se développer durablement. Les limites du massif forestier se fixent dès l’époque moderne car les cartes du XVIIe et du XVIIIe siècle ne montrent guère de modifications par rapport à aujourd’hui. Par contre, on peut s’interroger sur les lisières médiévales de la forêt, notamment lors du grand mouvement de défrichement du XIIe siècle, car de très nombreux toponymes situés le long de la limite sud ainsi que des lambeaux de bois semblent évoquer un essartage d’une bande d’environ 500 m à 1 km, parallèle à la limite actuelle. La plupart de ces terres sont aujourd’hui occupées par des prairies mais elles ont été cultivées anciennement car des survols aériens ont montré des traces de champs en billons très visibles en lumière rasante5, en particulier sur la commune de La Haye-Aubrée. Cependant, bien que la couverture forestière du méandre de Brotonne soit ancienne, la découverte de nombreux vestiges archéologiques gallo-romains implique une occupation du sol très différente à cette époque. L’habitat y est relativement dense et l’activité agricole très présente. Mais en l’absence d’études environnementales, le paysage est difficile à restituer. Les premières découvertes archéologiques sont totalement fortuites et se situent en bordure de forêt. En 1810 (Lequoy, 1976, p.119-121), l’abbé Rever identifie, au hameau du Flacq (commune d’Aizier), un bâtiment chauffé par hypocauste que la Seine a mis à découvert en bord de rive lors d’une tempête. En 1811 est découvert un trésor au Landin, en lisière de forêt6. Mais c’est Léon Fallue (1836) qui réalise le premier travail d’envergure sur la forêt. Il dresse un inventaire détaillé et cartographié de tous les vestiges connus à partir d’enquêtes auprès des habitants et des gardes forestiers. Son travail incorpore aussi bien des vestiges attestés et reconnus par lui sur le terrain que les nombreuses mares, puits et indices de sites qu’il a vus ou qu’on lui signale. Son œuvre présente une grande richesse documentaire et, même si son utilisation en est malaisée, constitue la base de toutes les recherches ultérieures. Quelques années plus tard, un inspecteur des Eaux et Forêts, R. Charlier, effectue des fouilles archéologiques sur une villa gallo-romaine à la suite de la découverte for- tuite d’une mosaïque (Charlier, 1837-1839 et 1844). Puis, bien que les vestiges de la forêt soient régulièrement cités dans les inventaires de sites, leur emplacement tombe peu à peu dans l’oubli. Ce n’est que dans les années 1974-1975 que de nouvelles recherches sont entreprises. Le point de départ en est un travail universitaire (Lequoy, 1976) basé sur un inventaire complet de toutes les découvertes antérieures avec vérification sur le terrain. La prospection en forêt7 limitée à l’origine à la reconnaissance des vestiges signalés par la bibliographie et notamment par L. Fallue, s’étend rapidement aux alentours, dans un rayon de plus en plus éloigné, jusqu’à parcourir des parcelles forestières entières. La prise de croquis est systématisée et des relevés au théodolite sont programmés sur les sites les plus importants. Enfin, la prospection se développe particulièrement dans les années 1984-19878 sur les parcelles devant être mises en labour. Mais devant l’immensité de la tâche (le nombre des parcelles est beaucoup trop important), il est fait le choix de parcourir en priorité les « zones vides » pour vérifier la présence ou non de vestiges ainsi que les endroits susceptibles d’être les plus favorables à une occupation humaine, selon des critères définis par les expériences précédentes : rebord de plateaux, sols favorables à l’agriculture… En effet, la plupart des sols recouverts actuellement par la forêt sont relativement pauvres car ils correspondent à l’emplacement des anciennes terrasses de la Seine. Mais d’autres terres sont plus fertiles. Ce sont d’une part les formations superficielles du rebord du plateau, constituées par des limons qui recouvrent l’argile à silex, et d’autres part les alluvions situées le long du méandre abandonné de la Seine. Le méandre de Brotonne est un territoire un peu à l’écart des grands axes de circulation bien qu’il constitue le dernier point de passage aisé d’une rive à l’autre avant l’embouchure du fleuve. Car plus en aval, des marais rendent difficile la traversée de la Seine et il a fallu attendre ces dernières années pour qu’un pont soit enfin construit. Dans l’antiquité, une voie permettait de relier Brionne (Breviodurum) à Lillebonne (Juliobonna) par une traversée au niveau de Vieux Port ou Aizier. Une branche de cette voie remontait le long de la rive pour trouver un nouveau passage au sommet du méandre en direction de Caudebec-en-Caux (Lotum). Ce denier embranchement, qui n’est pas mentionné dans les itinéraires antiques, est probablement un axe secondaire. Il est néanmoins cité comme via publica dans la donation de Dagobert III en 715. (4) Arpentage de la forêt de Brotonne, 1565-1567 (Archives Nationales, KK 947). Dans ce texte, la forêt est divisée en dix gardes dont les noms subsistent encore. Sur les 13621 arpents que compte alors la forêt, seuls 2200 arpents sont en demi-futaie, le reste est en taillis de qualité diverse. (5) Gauthier N., Prospection aérienne, bilan des deux premières années, juillet 1984-juin 1986, p. 6, pl. II, dans Rapport de l’A.T.P. La basse vallée de la Seine, Service Régional de l’archéologie. (6) Loriot X. et Scheers. S., Corpus des trésors monétaires antiques de la France, IV, Haute-Normandie, p.85-86. (7) La prospection a été réalisée pendant les deux premières années avec l’aide des étudiants du Groupe Universitaire de Recherches Archéologiques de Rouen puis à partir de 1976, pendant plus de 10 ans, par les membres du Groupe Archéologique du Val de Seine sans qui ce travail n’aurait pu se faire. Je remercie tous ceux qui y participé, en particulier E. Cordier, R. Legros, B. Montfort, B. Penna, J.-C. Rabiot, P. Sorel qui ont travaillé avec moi durant de nombreuses années. (8) Dans ces années, a été mis en place un programme de recherches inter-disciplinaire dans le cadre d’une A.T.P. du C.N.R.S. sur la basse-vallée de la Seine (coordination M.-C. Lequoy). 110 M-C. LEQUOY Figure 1 : Forêt domaniale de Brotonne - cellule carte archéologique 111 M-C. LEQUOY Sur la carte archéologique de la forêt (fig.1) apparaissent les 70 sites actuellement répertoriés. Quelques-uns appartiennent à l’époque néolithique et quelques autres à la période médiévale mais le plus grand nombre sont soit des enceintes et des parcellaires d’époque indéterminée, soit des vestiges gallo-romains (habitat, tombes, trésors monétaires, objets isolés) ou encore des puits qui le plus souvent constituent des indices pour localiser un habitat dans les environs. Dans cet article, nous avons choisi de présenter plus spécifiquement les habitats antiques car c’est le domaine sur lequel la recherche est la plus avancée. En outre la forêt de Brotonne offre à cet égard un exemple remarquable de fossilisation de ces sites et de leur environnement. Sont décrits ci-dessous les principales découvertes avec un développement plus important pour celles qui n’ont encore fait l’objet d’aucune publication. armes (trois épées avec leurs fourreaux, 3 ou 4 umbos de bouclier, un manipule, 5 lances), des outils (2 haches, 1 paire de forces), des éléments personnels (5 fibules, 1 rasoir), des éléments de chars (8 bandages de roue, clavette et garniture de stabilisation d’essieu, 3 barres de soutien de caisse, fiches à anneau …), des éléments de harnachement (3 mors à filets et gourmettes, 3 mors de bride, 1 anneau porte-rênes ?), de la vaisselle (urne et coupe en verre, 2 poteries, 1 chaudron et 1 vase en bronze, 1 seau en bois à garniture de bronze). Autour de la tombe, des micro-reliefs sont encore parfaitement visibles sous le couvert forestier. Tout le rebord du plateau a été aménagé en une vaste terrasse qui couvre environ 12 hectares. Près de la pente se trouve une 1. - Sépulture aristocratique de l’âge du Fer et villa de la Grande Houssaye (fig. 1, n°7) Il semble paradoxal de commencer l’inventaire de l’habitat antique par la découverte d’une tombe aristocratique de la fin de l’âge du Fer. Mais celle-ci est sans doute la dernière demeure d’un riche propriétaire terrien du début de la Tène D1 (vers 150-120 av. J.-C.) dont le domaine pourrait s’être perpétué jusqu’à la période gallo-romaine. En effet, la prospection a révélé la présence sur le même emplacement d’une grande villa et d’un aménagement parcellaire dont on ne sait pas, en l’absence de fouilles, à quelle période exacte le rattacher. Le rebord du plateau sur lequel fut trouvée la tombe gauloise est entaillé à l’ouest et à l’est par deux vallons secs qui isolent une plate-forme quadrangulaire d’environ 600 m de long sur 350 m à 500 m de large. Celle-ci présente au nord un pente abrupte qui domine l’ancien méandre abandonné de la Seine9 et est ouverte au sud du côté du plateau. La tombe était constituée d’une simple fosse de 1,60 m de large et 0,60 m de profondeur. Au centre avaient été déposés l’urne cinéraire, en verre, des restes du bûcher, quelques objets métalliques brûlés et de la vaisselle en céramique, verre et bronze. Un chaudron retourné les recouvrait et huit bandages de roues de char, démontés, les encerclaient Autour des bandages de roues et au dessus d’eux avaient été placés des armes, des outils et des éléments liés au repas (fig.2). Le mobilier comprend des éléments liés au foyer (grands chenets ornés de têtes de taureau, trépied, chaîne de crémaillère, chaudron), des Figure 2 : Tombeau de la Grande-Houssaye enceinte quadrangulaire d’environ 80 m de côté. Une tranchée de sondage de 30 m de long, ouverte sur le côté est, a permis de connaître la formation du talus qui l’enclot. Il est constitué à sa base de la terre prélevée dans le fossé qui le borde puis est surélevé par un apport d’argile destiné à caler un muret de silex monté à sec et situé à l’aplomb du fossé. Aucun élément de datation n’a été découvert. Autour de l’enceinte s’ordonnent des talus de parcellaire10. En arrière, sur plus de 400 m de long, s’étendent les vestiges d’une grande villa gallo-romaine. Le bâtiment principal (fig.3) semblerait être celui qui est situé à l’ouest et conserve la plus grande élévation (environ 1 m). Les autres bâtiments se présentent sous forme d’un léger bombement, parfois presque imperceptible11 et se déve- (9) Le méandre de Brotonne est abandonné par la Seine il y a environ 500 000 ans et devient fossile. (10) Certains talus sont bien marqués, d’autres sont très arasés et n’ont pas été vus lors des premiers relevés, publiés en 1993. (11) Cette difficulté à identifier certains bâtiments paraît due à la nature des matériaux de construction utilisés. En effet, la construction en bois et torchis est une pratique courante dans la région et les mico-reliefs laissés par ce type de construction sont nettement moins visibles sur le terrain. Des relevés effectués par J. Bardat montrent néanmoins une acidification notable du milieu sur ces buttes. La présence de bâtiments sur solins de silex est confirmée par la découverte de solins dans le jardin de l’ancienne maison forestière 112 M-C. LEQUOY loppent jusqu’à un ensemble de plusieurs mares et excavations situées à l’est. Les tempêtes de ces dernières années ont fait apparaître à proximité des mares des restes métallurgiques (scories, laitier). Figure 3 : Bâtiment principal de la villa de la Grande-Houssaye coce (fin du Ier siècle av. J.-C.- début du Ier siècle ap. J. C. ?) sur lequel reposent les premières maçonneries en silex, élevées dans le courant du Ier siècle. Dans un troisième état, est aménagée une pièce chauffée ornée d’enduits peints. Puis les murs sont reconstruits en silex avec un chaînage d’angle en pierres calcaires et la pièce, désormais froide, est agrandie par une abside. Enfin, après un incendie, de gros remblais sont rapportés et il semble que la phase finale (IVe siècle ?) soit constituée de bois et torchis. Une prospection attentive des alentours de l’enceinte principale a permis de dresser un plan de la villa (fig.4). Les seuls éléments encore visibles sont ceux situés en forêt. Les labours successifs ont effacé toute trace dans le champ voisin et malgré plusieurs passages, nous n’y avons remarqué que quelques fragments de tuiles dispersés et mis au jour depuis longtemps. Là encore, le couvert forestier a joué un rôle de conservatoire des vestiges. Le plan montre, en effet, non seulement la présence de plusieurs bâtiments formant la partie agricole mais aussi l’emplacement de plusieurs mares, d’un puits, des cheminements le long de la villa et des entrées, l’aménagement de cours annexes (jardin d’ornement, potager ?) de part et d’autre de la partie résidentielle. 2. - Villa du Landin (fig. 1, n°8) Ce site, à la lisière sud-est de la forêt, sur le plateau, est particulièrement bien conservé en élévation. Le bâtiment principal se présente sous la forme d’une butte de terre élevée qu’on appelle « Le Catelier » (Fallue, 1836, p. 19). Effectivement, il subsiste encore un tertre de 40 m sur 25 m et plus de 2 m de haut, entouré d’un talus imposant bordé d’un fossé qui forme un enclos de 90 m sur 80 m (fig.4). Celui-ci présente à l’ouest une entrée en chicane. C’est peut-être pour cette raison que ces vestiges ont attiré très tôt l’attention. Le Marquis de Sainte-Marie, propriétaire des terres voisines et sous-préfet de PontAudemer, entreprend vers 1810 quelques recherches dont nous ne savons presque rien et découvre un trésor12. La composition exacte de celui-ci demeure incertaine car quelques divergences apparaissent entre les différentes mentions de la découverte. Il semble néanmoins se composer de 400 monnaies d’argent et de billons (antoniani) du IIIe siècle (avec un terminus variant de Valérien/Gallien à Claude II soit autour de 268/270), de bijoux dont un remarquable bracelet en or et de trois vases incomplets en bronze. L. Fallue réalise quelques fouilles sur le bâtiment principal dont il publie un plan en 1836. Celui-ci présente deux corps de bâtiments parallèles séparés par une cour ouverte au sud. En 1982, R. Legros13 effectue un sondage destiné à préciser l’état de conservation du site et sa chronologie. Il relève un niveau d’occupation pré- Figure 4 : Plan de la villa du Landin (12) cf note 6. (13) Archéologue bénévole, membre du Groupe Archéologique du Val de Seine (R. Legros, 1982, D.F.S. 400, Service Régional de l’archéologie de Haute-normandie) 113 M-C. LEQUOY 3. - Villa de la mare des Crès (fig. 1, n°2) Cette villa se situe à la lisière actuelle de la forêt, au sudouest, et ses vestiges s’étendent à la fois sous le couvert forestier et dans le champ voisin. Le domaine est implanté sur le rebord du plateau qui domine à l’est une ancienne vallée sèche. Les vestiges sont bien apparents malgré leur faible élévation. Deux tertres rectangulaires de dimensions modestes (20 m x 12 m ; 12 m x 10 m) sont entourés d’un talus et d’un fossé. A 200 m au sud, se trouvent une mare et une autre structure de terre de même orientation. Quelques tuiles gallo-romaines apparaissent à fleur de terre mais aucune fouille ne semble avoir été effectuée sur cet ensemble. Dans le champ contigu, une ancienne prairie récemment mise en culture, subsistent des traces de bâtiments appartenant à la villa : nous avons constaté une très faible pousse du maïs sur certaines zones. Il a été collecté un grand nombre de débris de construction (silex, tuiles) et de tessons de céramique gallo-romaine. Cependant aucune structure n’était suffisamment apparente pour pouvoir être relevée en plan et un survol aérien réalisé plus tard n’a rien apporté. 4. - Villa du Nouveau Monde (fig. 1, n°1) Situés dans un contexte topographique très semblable à celui de la villa de la mare des Crès, les vestiges de cette villa sont constitués de deux ou trois bâtiments (l’un d’entre eux apparaît peu nettement dans la topographie et sa présence mériterait d’être confirmée) qui s’étendent autour de la mare du Glageux. Le site, très proche de la lisière, se poursuit dans les champs voisins où l’on note les traces d’un autre bâtiment ainsi que la prolongation du parcellaire observé en forêt. 5. - Villa de la mare Callentin (fig. 1, n°3) Cinq bâtiments sont implantés autour d’une mare, sur un terrain caillouteux de mauvaise qualité où l’argile à silex est très proche de la surface et favorise la présence d’eaux stagnantes. Des relevés puis une fouille de sauvetage14 ont été réalisés avant le labour de la parcelle. Mais les niveaux archéologiques semblent avoir été fortement érodés lors d’aménagements antérieurs car il ne restait en place que très peu d’élévation (quelques murs sont arasés au niveau des fondations et un seul niveau d’occupation était conservé). Deux bâtiments ont fait l’objet de sondages. Le premier a permis de reconnaître une construction sur poutres sablières enterrées dont trois états ont été observés mais n’ont pu être datés. Le second concerne un bâtiment carré de 15 m de côté, construit en bois et torchis sur solins et murets de silex. La seule occupation conservée est comprise entre la seconde moitié du IIe siècle et le début du IIIe siècle. Le mode de construction de cet ensemble et son mauvais état de conservation n’ont pas permis d’en avoir une bonne image lors des relevés et même au moment de la fouille. Cependant les sondages ont été trop limités en surface. Ces vestiges semblent correspondre à un habitat, probablement de type villa, construit en matériaux périssables (bois et torchis). Un enclos formant une cour subsiste encore à l’est sur toute sa longueur (180 m) ainsi qu’au sud où il est conservé sur au moins 150 m. 6. - Villa de la Mosaïque (fig. 1, n°5) Le site se trouve actuellement dans une parcelle plantée en futaie de hêtres. Les vestiges des différents bâtiments sont encore parfaitement visibles car ils forment des buttes de terre aux formes quadrangulaires dont l’élévation est souvent comprise entre 0,50 m et 1 m de hauteur -1,50 m pour la plus haute. La plupart de ces tertres présentent à l’intérieur des tranchées étroites qui correspondent à l’emplacement de murs récupérés. En effet, R. Charlier, Inspecteur des Eaux et Forêts, qui entreprend les premières fouilles sur la villa signale que « Il y a quelques années, des ouvriers terrassiers chargés de l’empierrement d’une route voisine remarquèrent à la surface du sol quelques silex qu’ils se mirent en mesure d’extraire ; au lieu de cailloux isolés, ils trouvèrent des fondations de muraille dont ils suivirent exactement les directions, en sorte qu’aujourd’hui presque toutes les enceintes sont indiquées par une espèce de petit fossé, mais partout, les intérieurs sont restés intacts ». Ces affirmations ont été confirmées par les sondages réalisés en 1976 et 1987. Rien ne semble avoir changé depuis cette description, à l’exception des emplacements où R. Charlier a réalisé des fouilles. Ces zones correspondent à de grandes excavations qui apparaissent encore sur le terrain et permettent de les identifier15. D’autres éléments sont perceptibles sur le terrain : l’orifice d’un puits, l’emplacement d’une mare pavée (fig.5), appelée mare des Buttes (Fallue, 1836) formée de trois bassins aux formes géométriques communiquant entre eux, des carrières, trois dépressions rectangulaires (enclos à bestiaux ?), l’emplacement probable d’un ancien chemin qui longe la limite sud de la villa sur toute sa longueur. Le site s’est implanté sur le rebord d’une terrasse ancienne de la Seine, dominant un méandre abandonné du fleuve. Le substrat géologique est formé par la craie du Crétacé supérieur, Coniacien et Santonien, craie dure dont les assises supérieures se prêtent bien à la taille et dont quelques bancs affleurent à environ 400 m de la villa. La craie est recouverte par des alluvions anciennes formées de limons argilo-sableux. Sur ces formations superficielles se développent des sols bruns lessivés. (14) La fouille a été dirigée par B. Montfort, archéologue bénévole, membre du Groupe Archéologique du Val de Seine (B. Montfort, 1987 et 1988, D.F.S. 233 et 234, Service Régional de l’archéologie de Haute-Normandie) (15) C’est ainsi que l’on peut encore identifier sur le terrain l’emplacement où a été decouverte une grande mosaïque. 114 M-C. LEQUOY Ils semblent desservis par un aqueduc, dont une partie a été mise en évidence lors des fouilles du XIXe siècle, luimême alimenté par la source de Grainetieu, située à environ 400 m de là, sur une courbe de niveau très légèrement supérieure à celle des bains. Les deux corps de bâti- Figure 5 : Mare de la villa de la Mosaïque Le plan des vestiges visibles au sol a été relevé au théodolite. La villa s’étend sur 550 m de long et 150 m de large, couvrant ainsi une surface d’environ 8 hectares. Dans une première cour fermée par un muret (180 m x 150 m), se trouvent deux corps de bâtiment parallèles reliés entre eux par une galerie (partie résidentielle de la villa), l’un des bâtiments formant séparation entre les deux cours. C’est à l’extrémité sud-est du premier bâtiment qu’a été découverte en 1838 la mosaïque d’Orphée16. Elle ornait probablement le sol d’un triclinium (salle à manger) comme le suggère l’abside adjacente, décorée elle aussi d’une mosaïque à décor géométrique. Cependant l’un des pavements semble plus ancien que l’autre et deux états successifs ont peut-être été amalgamés ensemble à l’époque. Un sondage réalisé en 1987 (Lequoy, 1990, p. 116-117, fig.6) montre quatre phases d’occupation principales : construction au début du Ier siècle d’un édifice en bois et torchis sur des solins de silex ; renouvellement de cet habitat en bois et torchis dans une deuxième phase ; puis, après un incendie, construction d’un bâtiment maçonné avec une galerie en façade (poteaux de bois sur dés de pierre) ; enfin élargissement de la galerie et utilisation de colonnes en pierre, embellissement de la pièce située à l’arrière par un dallage de pierre. La fin de l’occupation est mal cernée en raison de la destruction de ces niveaux par les fouilles du XIXe siècle. Mais on note dans les inventaires anciens une série monétaire qui se prolonge jusqu’à Constantin et une verrerie à décor émaillé, manifestement tardive. On peut donc raisonnablement imaginer un abandon définitif du site dans le courant du IVe siècle. Le deuxième bâtiment semble une adjonction au premier, à une date inconnue. Il comprend une double galerie installée de part et d’autre d’un édifice carré (entrée ?) construit au-dessus d’une cave. A l’extrémité sud, sont installés des thermes privés ornés de plusieurs mosaïques. Figure 6 : Sondage réalisé en 1987 dans la villa de la Mosaïque ments sont reliés par une galerie et délimitent ainsi une petite cour intérieure bordée de portiques17. Autour de cet ensemble, se trouve une vaste cour fermée par un muret de silex, dans laquelle se trouve un puits. Elle paraît avoir été cultivée. En effet, un sondage réalisé perpendiculairement au mur de clôture a révélé une terre limoneuse d’excellente qualité qui a été travaillée régulièrement comme le montre la constitution d’une sorte de semelle de labour à une profondeur voisine d’un fer de bêche18. La qualité du terrain est confirmée par un relevé phytocoenologique réalisé par J. Bardat (1987) qui écrit à ce propos : « il permet de constater que le sol est très humifère et chargé de fragments de craie lui conférant l’aspect d’un sol brun calcique… On peut supposer que cet endroit pouvait avoir fait l’objet d’une antique activité de jardinage (ornemental ou potager) car le sol initial est un limon lessivé dont l’aspect et les caractéristiques texturales permettent de le classer dans le type lessivé acide ». A l’est de la partie résidentielle se développe une seconde cour, la partie agricole de la villa. C’est là que se trouvent une mare, des bâtiments d’exploitation, plusieurs dépressions aux formes régulières (enclos à bestiaux ?). Cette villa, par ses dimensions importantes, son décor (colonnes de pierre, mosaïques), la présence de thermes, (16) Cette mosaïque, déposée au Musée départemental des Antiquités de Rouen, a été étudiée par J. P. Darmon ainsi que celles des thermes dans Recueil général des mosaïques de la Gaule, II, province de Lyonnaise, Xe supplément à Gallia, Paris, 1994, p. 85-88, Pl. LI-LXIII. (17) Ce type de plan, avec des bâtiments entourant un péristyle se retrouve dans les villas les plus importantes : Vieux-Rouen-sur-Bresle, Saint Marguerite-sur-mer (CiezarEpailly L., Agglomérations secondaires et villae, dans Rogeret I., Carte Archéologique de la Gaule, La Seine-Maritime, 1997, p. 85). (18) Cette observation a été confirmée oralement par le Centre de géomorphologie de Caen lors d’une réunion de l’A.T.P. Vallée de Seine. 115 M-C. LEQUOY le plan centré du bâtiment principal autour d’un péristyle, est très probablement la résidence d’un riche propriétaire dont le domaine devait s’étendre sur une grande superficie. Sa présence implique une vaste zone de prairies et de cultures alentours, ce qui pose le problème de la couverture végétale existant à cette période (elle est actuellement en plein cœur de la forêt). Le choix de la position topographique de la villa est assez remarquable. Elle bénéficie de la ligne de sources située à la base du plateau, de la craie qui affleure sur les versants, des meilleures terres du méandre constituées par les limons des alluvions anciennes et enfin d’une situation sur une pente très douce. 7. - La fontaine de Grainetieu gonale à côtés légèrement convexes d’environ 5 hectares. Deux interruptions du talus, l’une au nord-est, l’autre à l’ouest marquent peut-être les entrées. Dans la zone centrale du polygone se trouvent deux sources devant lesquels sont aménagés des bassins (fig.7) ; un système de dérivation relie les deux points d’eau vers un troisième bassin situé près de l’entrée nord. D’après L. Fallue (1836), cette source appelée « la fontaine de Grainetieu » avait été bouchée volontairement par une masse d’argile plaquée sur une armature de bois. Elle fut dégagée en 1835 lors d’une grande sécheresse dans le pays et, à cette occasion, de la céramique gallo-romaine fut découverte. Ces sources constituent un approvisionnement aisé en eau courante à l’intérieur du massif forestier et le choix d’implanter une grande villa possédant des thermes à proximité n’est sûrement pas fortuit. 8. - Site des Trois Pierres (fig. 1, n°6) Les vestiges se trouvent, comme ceux de la villa de la mosaïque, le long du méandre abandonné de la Seine, dans une parcelle occupée, lors des premières prospections, par un taillis naturel dense de charmes. Les vestiges se composent de trois bâtiments de dimensions modestes qui s’étendent d’est en ouest sur 140 m de longueur, le premier et le deuxième étant séparés par deux mares. Le bâtiment situé au centre présente un plan en équerre et à environ 20 m de lui, on remarque l’orifice d’un puits maçonné en silex. Celui-ci, a un diamètre de 1,20 m et s’ouvre au fond d’un creusement en entonnoir d’environ 4 m de diamètre. D’autres micro-reliefs ont été repérés dans la parcelle forestière située au sud mais la densité de la végétation (ronces, fougères) n’a pas permis de les relever. Ce site a été fouillé partiellement en 1845 (Lequoy, 1976, p.73-74, fig.8) mais seul le mobilier est succinctement décrit dans un inventaire. Y figurent notamment de nombreuses figurines en terre cuite, une déesse mère, trois Venus anadyomènes, les fragments d’une trentaine d’autres statuettes et un cheval ainsi qu’une série de monnaies s’échelonnant de Claude (milieu du Ier siècle) à Constantin II (milieu du IVe siècle) et des objets de parure. Figure 7 : La fontaine de Grainetieu A proximité de la villa ci-dessus, au pied du versant abrupt du plateau qui domine le méandre abandonné de la Seine, se situe une ligne de sources. Six points d’eau, qui s’échelonnent sur une distance d’environ 500 m, ont été repérés. Tous présentent un aménagement comparable : un bassin de réception pavé de silex qui se prolonge par des fossés de dérivation. Un ensemble est particulièrement remarquable par l’ampleur des travaux réalisés. Il est entouré d’un talus conservé sur 0,60 m de haut qui forme une enceinte poly- En 1990, à l’occasion d’une coupe d’éclaircie du taillis et de l’aménagement de chemins coupe-feu (l’un des bâtiments s’étant retrouvé au milieu du passage), le site a fait l’objet d’une fouille préventive19. Le bâtiment dégagé (7,50 m x 3,80 m) est construit dans un premier état (IIe siècle) sur des soubassements de silex. Les angles extérieurs sont renforcés par des blocs de grès, les angles intérieurs par des pierre calcaires. Il est constitué de deux pièces aux sols en terre battue mêlée de craie. Après un incendie, les maçonneries sont reprises pour installer une (ou deux ?) pièces chauffées par hypocauste et un (19) B. Montfort, 1990, D.F.S. 399, Service Régional de l’archéologie de Haute-Normandie. 116 M-C. LEQUOY appentis servant de salle de chauffe. Au nord, est accolée une autre pièce (3,20 m x 2,20 m) dont les murs sont bâtis en bois et torchis. A l’intérieur, un petit bassin polygonal se vidangeait par un conduit en terre cuite (tuiles rondes). La présence de conduits de chaleur remontant le long des murs, de nombreux fragments de verre à vitre dans les décombres ainsi que d’enduits peints à décor figuratif illustre le souci d’un certain confort. S’agit-il de bains, constitués d’une ou deux pièce(s) chaude(s) et d’une pièce froide ? Une tranchée ancienne de fouilles a été retrouvée (fouilles de 1845 ?) en travers de cet édifice. La liste du mobilier en bronze (fibules, miroir, bague, monnaies...) et en os (une dizaine d’épingles) recueilli en 1845 est assez caractéristique des bains mais la présence de statuettes aussi nombreuses posent question. On s’attendrait davantage à trouver ce type d’objets dans un sanctuaire. Deux habitats seulement ont été fouillés (fig.9). Le premier, daté du IIe siècle, est une maison de trois pièces (8 m x 6, 80 m) dont la plus grande est chauffée par hypocauste grâce à un fourneau adjacent abrité par un auvent. Les murs sont constitués d’un petit appareil de silex et les angles de la pièce chauffée sont renforcés par un chaînage de briques. La deuxième maison, située à peine à une dizaine de mètres, n’a été fouillée qu’en partie. Dégagée sur 8 m de longueur, elle possède des soubassements en silex (élévation en bois et torchis ?) et un sol en terre battue dans lequel deux foyers ont été aménagés de part et d’autre d’un refend. Elle était ornée d’enduits peints. Entre les deux édifices se trouve une cour dans laquelle s’opérait probablement un travail du fer (présence d’un four, de nombreux déchets). A côté on peut noter la présence d’un puits maçonné et d’une mare asséchée. Deux bas fourneaux ont été mis en évidence à 40 m à l’ouest de la première maison. Figure 8 : Le site des Trois Pierres Le bâtiment fouillé se situe un peu à l’écart des deux autres, dont il est séparé par les mares. Faut-il y voir des bains dépendant d’un habitat ou est-il en relation avec un sanctuaire ? Le plan des vestiges visibles sur le terrain n’est pas caractéristique d’une villa mais il est actuellement incomplet. Il sera nécessaire d’entreprendre d’autres recherches pour répondre à cette question. 9. - La petite agglomération rurale des Landes (fig. 1, n° 4) Elle est implantée sur le rebord de l’ancien méandre abandonné de la Seine, dans une position topographique semblable à celle du site des Trois Pierres et de la villa de la mosaïque. Le nombre d’habitations qui la compose demeure inconnu mais la population vivant dans ce secteur peut être déduite des 431 tombes rassemblées dans la nécropole située à proximité immédiate (environ 150 m au sud), ces sépultures s’étalant du début du Ier siècle au début du IVe siècle20. Figure 9 : Plan du site des Landes Sur la partie haute de l’ancienne terrasse, au nord-est de l’habitat, se trouve un réseau de petits fossés qui se coupent perpendiculairement entre eux. Ils semblent dessiner un parcellaire agraire. Des sondages ont fait apparaître deux niveaux successifs de vallonnements réguliers des couches archéologiques qui s’apparentent à des fonds de sillons. Le niveau inférieur correspondrait à l’antiquité, le niveau supérieur au XIIe siècle (présence d’un prieuré médiéval à proximité). Des analyses palynologiques21 ont mis en évidence pour la période gallo-romaine la présence de prairies, de culture de céréales (sarazin) et de noyer, soit un milieu ouvert et non pas forestier. Au sud de l’habitat se développe une nécropole (429 incinérations, 2 inhumations dont une d’enfant). Les fouilles (20) Ce site a fait l’objet de fouilles programmées par M.-C. Lequoy de 1976 à 1987. (21) Ces analyses ont été réalisées par M.-F. Huault (Université de Haute-Normandie). 117 M-C. LEQUOY ont permis, outre l’étude du rituel funéraire, de mesurer le développement du site et son ouverture vers l’extérieur au cours des trois premiers siècles de notre ère. Les tombes du Ier siècle apparaissent en effet peu nombreuses et les dépôts sont modestes. A partir du milieu du IIe siècle, le mobilier funéraire se diversifie avec l’apparition de céramique sigillée, de verrerie et d’objets en bronze. Au IIIe siècle, les sépultures sont trois fois plus nombreuses qu’au Ier siècle. L’urne funéraire est désormais accompagnée par des objets plus variés et en plus grand nombre (2 à 3 objets en moyenne alors qu’au Ier siècle, l’urne est le plus souvent seule ou accompagnée d’une seule autre céramique. Cet accroissement notable du nombre des tombes et de la richesse du mobilier indique vraisemblablement une augmentation de la population vivant sur place et une ouverture du site aux circuits économiques voisins. Bien qu’abandonné au début du IVe siècle, cet habitat a peut-être survécu dans les mémoires car c’est à cet emplacement que s’installe au XIIe siècle le prieuré Saint Ouen de Brotonne, dépendant de l’abbaye Saint Pierre de Préaux. Ainsi, le territoire de la forêt de Brotonne a connu une occupation importante dans l’antiquité en raison de plusieurs facteurs. Certains sols y sont d’assez bonne qualité. C’est le cas notamment des alluvions anciennes qui se développent le long du méandre abandonné de la Seine et des limons des rebords du plateau (toute la lisière sud de la forêt). Ces derniers reposent sur l’argile à silex mais en bordure de pente, leur épaisseur n’est pas très importante (à l’inverse du plateau où leur épaisseur atteint souvent plusieurs mètres), et ils sont mieux drainés, ce qui en fait des terres moins lourdes à travailler. Les vestiges archéologiques y sont nombreux, comme c’est le cas tout du long de la vallée de la Seine, et sont dans l’ensemble bien conservés sous le couvert forestier. Les sites placés actuellement à la lisière montrent un état de conservation très différent suivant qu’ils se situent en zone boisée ou en terrain cultivé. C’est la présence des micro-reliefs qui a permis d’obtenir des résultats très positifs par la prospection. Celle-ci s’est établie dans la durée et de multiples passages sur les mêmes sites ont permis la plupart du temps d’obtenir des compléments d’information ou de compréhension. Quelques sites ont été relevés en plan, ce qui a permis d’élaborer une réflexion archéologique plus approfondie sur la structuration et l’environnement des vestiges repérés. Ainsi, au moins trois ensembles s’étendent sur plus de 10 hectares. Des sondages et des fouilles ont confirmé l’excellent état de conservation et l’intérêt majeur de ces sites. Même ceux qui ont été fouillés au XIXe siècle ne l’ont été que très superficiellement et ces travaux n’ont pas entamé le fort potentiel archéologique des vestiges. Mais ceux-ci sont fragiles du fait de leur faible profondeur d’enfouissement. Sur le site des Landes, les murs 118 des bâtiments affleuraient à la surface du sol et le dernier niveau d’occupation se trouvait à une profondeur de 10 à 15 cm. Dans la nécropole, la terre noire cendreuse recouvrant les tombes apparaissait sous les feuilles et les sépultures étaient enfouies entre 25 à 70 cm de profondeur. Le niveau supérieur de la riche tombe gauloise de la Grande Houssaye était à environ 20 cm sous le sol actuel. A la mare Callentin, un labour de surface effectué une quinzaine d’années avant la fouille avait détruit presque tous les niveaux d’occupation de l’habitat. La richesse du patrimoine archéologique forestier, qui a été préservée pendant des siècles, risque donc de disparaître à brève échéance si on n’y prend pas garde. De simples débardages mal conduits peuvent avoir un fort impact sur le sol forestier. A titre d’exemple, sur la villa du Landin, des photos prises vers 1975 puis en 1987 lors des débardages après une tempête et enfin récemment en 2006 montrent qu’un site magnifiquement conservé présente actuellement un tassement important du sol qui le transforme en zone humide une bonne partie de l’année. Devant l’évolution des techniques de sylviculture, le patrimoine archéologique en milieu forestier paraît bien fragile. Il est donc particulièrement important de définir une politique en la matière, en concertation entre l’ONF et la DRAC, et on ne peut que saluer les initiatives qui se développent actuellement, tant en Haute-Normandie qu’au niveau national, et souhaiter qu’elles aboutissent à une prise en compte raisonnée du patrimoine archéologique sans être un frein à la nécessaire gestion de la forêt. Bibliographie BARDAT J., 1987, Impact phyto-biologique des vestiges archéologiques sur la végétation forestière. Exemple de la basse vallée de la Seine, rapport de l’A.T.P., Service Régional de l’Archéologie. BRETHES A., 1984, Catalogue des stations forestières du nord de la Haute-Normandie, O.N.F., Paris. CHARLIER R., 1837-1839, Mémoire sur quelques antiquités de la forêt de Brotonne et notamment sur une mosaïque romaine découverte le 13 septembre 1839, Mémoire de la Société des Antiquaires de Normandie, XI, p. 264271. CHARLIER R., 1844, Notice sur les fouilles exécutées en 1843 dans la forêt de Brotonne, Mémoire de la Société des Antiquaires de Normandie, XIV, p. 9-20. FALLUE L., 1836, Mémoire sur les antiquités de la forêt et de la presqu’île de Brotonne et sur la villa de Maulévrier près Caudebec, Mémoire de la Société des Antiquaires de Normandie, X, p. 369-464. M-C. LEQUOY LEQUOY M.-C., 1976, La forêt de Brotonne à l’époque gallo-romaine, Mémoire de maîtrise, 1975, Université de Haute-Normandie, Le Trait. LEQUOY M.-C., 1986a, Structures archéologiques fossilisées par le milieu forestier et carte archéologique : l’exemple de la forêt de Brotonne, Hommes et Terres du Nord, 2-3, p. 149-152. LEQUOY M.-C., 1986b, Pour une méthode d’approche de la vie rurale antique. Etude d’une micro-région : la presqu’île de Brotonne, Mémoire de D.E.A., Université de Haute-Normandie. LEQUOY M.-C., 1990, Notices 60 à 69, Forêt de Brotonne. In Roy N. (dir.), De la Gaule à la Normandie, 2000 ans d’histoire, 30 ans d’archéologie, catalogue d’exposition, Rouen, Musée départemental des Antiquités, p. 113-125. LEQUOY M.-C., 1993, Le dépôt funéraire de La Mailleraye-sur-Seine (Seine-Maritime). In : Les Celtes en Normandie. Les rites funéraires en Gaule (IIIe-Ier siècle avant J.-C.), Actes du 14e colloque de l’Association Française de l’Age du Fer, Evreux, Revue Archéologique de l’Ouest, suppl. n°6, p. 121-133. PENNA B., 1998, Prospection-inventaire en forêt et presqu’île de Brotonne, Service Régional de l’Archéologie de Haute- Normandie. 119 120 Les parcellaires anciens fossilisés dans les forêts lorraines Murielle GEORGES-LEROY (1), Dominique HECKENBENNER(2), Jean-Denis LAFFITE(3), Nicolas MEYER(4) avec la collaboration de Etienne DAMBRINE et Jean-Luc DUPOUEY (1) Conservateur du Patrimoine, SRA de Lorraine – 6, pl. de Chambre – 57045 Metz cedex 1, [email protected] (2) Conservateur, Musée du Pays de Sarrebourg – Rue de la Paix – 57400 Sarrebourg, [email protected] (3) Chargé d’études, INRAP Grand Est Nord, Rue de Méric – CS 80005 – 57063 Metz cedex 2, [email protected] (4) Chargé d’études, INRAP Grand Est Nord, Musée du Pays de Sarrebourg – Rue de la Paix – 57400 Sarrebourg, [email protected] (UMR 7044 Strasbourg) Résumé En Lorraine, deux grandes aires géographiques, étudiées depuis le XIXe s., font à nouveau l’objet depuis une dizaine d’années de recherches sur un type particulier de vestiges qui se présentent essentiellement sous la forme de pierriers : le plateau calcaire des Côtes de Moselle, de Pont-à-Mousson à Neufchâteau et le piémont vosgien au sud-est de Sarrebourg jusqu’au seuil du col de Saverne. Ces pierriers restituent un véritable paysage fossilisé qui peut couvrir des surfaces considérables de plusieurs centaines d’hectares. Ils correspondent à des structures agraires (limites de parcelles, terrasses, tas d’épierrement, etc), mais aussi à des voies, à des bâtiments, des nécropoles, des sanctuaires et des carrières. A ce jour plusieurs milliers d’hectares sont inventoriés dans ces deux secteurs. Deux approches différentes, mais complémentaires sont mises en œuvre pour aborder ce type de structures. Dans le piémont vosgien, des relevés très détaillés au théodolite ont été réalisés sur 80 ha, afin de mieux comprendre leur organisation spatiale et leur environnement (nécropole, sanctuaire, parcellaire). C’est en revanche une approche plus extensive qui a été privilégiée sur le plateau calcaire avec des relevés beaucoup plus schématiques au GPS, mais couvrant d’immenses étendues (8000 ha) et leur intégration à un SIG, en association avec des données environnementales. Une majorité des sites étudiés est attribuable à la période gallo-romaine, mais certains sont toutefois datés de l’époque médiévale. Ils témoignent d’une exploitation assez systématique et organisée de ces secteurs, qui a eu un fort impact environnemental, encore sensible actuellement. Les forêts lorraines recèlent de nombreux sites archéologiques. Dans cette région, la base Patriarche du Ministère de la Culture et de la Communication, support de la carte archéologique nationale, recense 3000 entités archéologiques qui pourraient se situer en forêt, sur un total de 25000 entités (état fin 2004)1. Dans le cadre de ce colloque, nous nous sommes intéressés à un type particulier de sites, qui se présentent essentiellement sous la forme de pierriers (fig. 1). Ceux-ci restituent un véritable paysage fossilisé couvrant des surfaces considérables de plusieurs dizaines voire plusieurs milliers d’hectares. Ils ont été préservés, depuis plus de 1500 à 2000 ans pour certains, par le milieu forestier ; protection dont n’ont pas bénéficié les autres vestiges qui ont été érodés ou détruits par les labours ou les aménagements divers. Ces pierriers, sortes d’éboulis allongés, sont en partie recouverts par la végétation. Pouvant exceptionnellement atteindre 1,50 m, leur hauteur conservée ne dépasse pas en général quelques dizaines de centimètres ; ils peuvent parfois être suivis sur plusieurs centaines de mètres de long. Associés à des terrasses, empierrées ou non, ils délimitent des parcelles de forme plus ou moins régulière, des enclos ou des chemins, souvent matérialisés par une double ligne de pierriers. Mais certains de ces pierriers correspondent aussi à des tas d’épierrements circulaires ou à des bâtiments effondrés. Ce type de vestiges est largement répandu en Lorraine, mais il commence surtout à être connu dans deux aires géographiques (fig. 2). La première zone implantée sur le plateau calcaire des Côtes de Moselle, entre Nancy et Neufchâteau, fait l’objet de (1) Une entité archéologique est une information archéologique localisée, caractérisée par un ensemble cohérent de vestiges présentant une unité chronologique et/ou fonctionnelle sur un espace donné. Le calcul du nombre d’entités recensées en forêt a été fait en croisant la localisation des sites avec la couche des forêts lorraines. Le chiffre obtenu est donc imprécis, car certaines entités archéologiques mal situées sont référencées sur le centroïde de la commune et d’autres sont imprécisément localisées. 121 M. GEORGES-LEROY, D. HECKENBENNER, J-D. LAFFITE, N. MEYER gq Luxembourg l l N l l l l l l l l l l Allemagne l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l Saverne l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l Côte Bajocienne l l Sarrebourg l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l Vestiges du Piémont Vosgien l l l l NANCY l l l l l l l l l l l l l l l l l l l ll l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l de l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l llaire s l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l EPINAL l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l Alsace l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l Par ce l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l Champagne-Ardenne l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l Neufchâteau l l l l la l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l Toul l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l Pont-à-Mousson l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l BAR-LE- DUC l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l METZ l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l Franche-Comté 0 l l l l l l l LEGENDE 50 km Relief de Côte Secteurs de parcellaires fossiles Murielle Georges-Leroy del, août 2005 Figure 2 : Localisation des parcellaires fossiles (pierriers) conservés en forêt en Lorraine. Albert Fuchs et Emile Linckenheld. Elles ont à nouveau été réétudiées dans les années 1970 par Etienne Louis, Michel Loiseau et Philippe Bruant pour le plateau calcaire et par François Pétry et Marcel Lutz pour les Vosges. Figure 1 : Vue d’une terrasse empierrée à Saint-Quirin, Belle-Roche (cliché D. Heckenbenner). travaux depuis 1998 par une équipe composée d’archéologues du Service Régional de l’Archéologie et de l’Institut National de Recherches Archéologiques Préventives (Murielle Georges-Leroy, Jean-Denis Laffite), de chercheurs de l’Institut National de Recherches Agronomiques de Nancy (Etienne Dambrine, Jean-Luc Dupouey) et d’agents de l’Office National des Forêts (Philippe Loué). La seconde zone, dans le piémont vosgien au sud-est de Sarrebourg jusqu’au seuil du col de Saverne, est étudiée depuis 1992 par une équipe d’archéologues de divers statuts (Collectivité, INRAP, bénévoles) travaillant autour du musée du Pays de Sarrebourg (Dominique Heckenbenner, Nicolas Meyer). Ces deux zones sont toutes deux connues des érudits locaux depuis le XIXe siècle : pour le plateau calcaire on peut signaler les travaux de Etienne Olry, François Barthélemy, Gustave Bleicher et Jules Beaupré, dans le dernier tiers du XIXe siècle et pour le piémont vosgien ceux de Alfred Goldenberg, Charles-Gabriel Beaudet de Morlet, Timothée Welter, puis Adam Reusch, 122 Des vestiges semblables sont recensés dans d’autres régions (Normandie, Bourgogne, ChampagneArdenne, Rhénanie et Eifel en Allemagne), mais on signalera seulement à titre de comparaison ceux présentés lors de ce colloque sur le secteur des sources de la Seine (E. de Laclos, M. Mangin) et la forêt de Châtillon en Côte d’Or (Y. Pautrat, D. Goguey) et sur la forêt de Brotonne en Normandie (M.-C. Lequoy). 1. - Le plateau bajocien entre Nancy et Neufchâteau : l’exemple du massif forestier de Haye Principalement située dans le département de la Meurthe-et-Moselle, entre Nancy et le nord de Neufchâteau, la première zone d’étude, de près de 40 km de long sur 10 à 20 km de large, est implantée sur des plateaux, culminant entre 350 et 450 m et limités à l’est par les Côtes de Moselle et leurs buttes témoins (fig. 3). Géologiquement ces terrains sont des terrains calcaires ou marno-calcaires appartenant au Bajocien, qui peuvent être localement recouverts M. GEORGES-LEROY, D. HECKENBENNER, J-D. LAFFITE, N. MEYER N Forêt t M eu rth e ell os e de Toul Haye MOS ELLE M Laneuvevilledevant-Nancy tiges, dont 25 ha relevés). En plus des travaux de cartographie, des sondages archéologiques y ont été réalisés sur plusieurs bâtiments (Laffite, 2001 et 2002), ainsi que des travaux plus spécifiques, dirigés par E. Dambrine et J.-L. Dupouey, sur l’impact des occupations agricoles anciennes sur le plan de la biodiversité forestière (Dupouey et al., 2002). Pour plus de précisions, nous renvoyons à ces publications, ainsi qu’à un premier état de la question présenté en 2000 (GeorgesLeroy et al., 2003). Depuis 2000, ces travaux communs portent sur le massif forestier de Haye. Implanté dans la boucle de la Moselle entre Nancy et Toul, ce massif d’une Forêt superficie de 12000 ha est quasi exclusivement d'Allain constitué de la forêt domaniale de Haye (6500 ha) et de forêts communales. Un très important travail de cartographie systématique y est en cours depuis 2000, et ce malgré les énormes dégâts causés par la tempête de décembre 1999, qui outre un grand nombre de destructions posent des proForêt de Saint-Amond blèmes d’accessibilité et de lisibilité. Principalement réalisé par l’INRA et l’ONF à l’aide Sion de GPS (Patrick Behr et Philippe Loué), il intègre les relevés effectués en 1979 par E. Louis au théodoSoulossesous-Saint-Elophe lite et ceux menés depuis 1995 par Ph. Loué au 0 5 km topofil (ou au pas) et à la boussole. A ce jour, enviAgglomération secondaire LEGENDE Relief de côte Voie romaine Lyon - Trêves gallo-romaine Réseau viaire secondaire ron 6 700 ha répartis dans un quadrilatère de Massif forestier actuel Secteur de parcellaires 12 km sur 13 km sont relevés (fig. 4), mais il reste Figure 3 : Inventaire des secteurs de parcellaires fossiles conservés en forêt entre Nancy et le encore au moins 2000 ha à prospecter, principalenord de Neufchâteau, dans leur contexte gallo-romain. ment dans la partie nord du massif. Il s’agit donc de la plus importante zone de vestiges de parcellaires connue dans la région. de formations superficielles limono-argileuses. De Le choix du GPS pour la cartographie, malgré une précision grands massifs forestiers, principalement des hêtraies, bien moindre qu’un théodolite, surtout en milieu forestier, couvrent presque entièrement ces plateaux. Il s’agit et donc un relevé plus schématique2, a été fait car c’était principalement de forêts communales ou domaniales, ce qui facilite l’accès aux travaux de terrain. alors le seul outil qui nous permettait cette approche extenDans ce secteur, 8000 ha de parcellaires fossiles ont été sive. Nettement plus rapide qu’un levé au théodolite3, inventoriés depuis 1993, ce qui représente 20 % de la même si le temps consacré à ce relevé est tout de même surface forestière du secteur. Les principales zones étuimportant du fait de l’étendue à couvrir (près de 200 km de diées sont tout d’abord la forêt communale de Allain, linéaire relevés à ce jour), la cartographie au GPS permet connue sous le nom de « bois Anciotta » pour laquelle son intégration directe dans un système d’information géonous possédons le relevé le plus ancien, à savoir celui graphique (SIG). Les autres types de relevés nécessitent une de E. Olry de 1870 (Olry, 1875). Un nouveau relevé, de phase de géoréférencement qui, pour un certain nombre 300 ha environ sur les 400 ha identifiés, a été levé dans de raisons techniques, peut parfois se solder par une perte les années 1970 par Ph. Bruant (Peltre et Bruant, 1991). de précision. Ce manque de précision est toutefois à relatiCe dernier, comme son prédécesseur, y a également réaviser par rapport à l’échelle de travail, rarement inférieure lisé quelques sondages, avec la collaboration de E. Louis. au 1/10 000 pour le travail sur les parcellaires. Parallèlement ces données ont donc été intégrées à un SIG Deux autres massifs forestiers ont été explorés en 1998 fonctionnant sous le logiciel ArcView 3.3. Il comprend un par notre équipe pluridisciplinaire, le massif forestier de certain nombre de thèmes archéologiques, avec leurs bases Saint-Amond (450 ha de vestiges relevés) et la forêt de données associées : voies, murées (pierriers linéaires), communale de Thuilley-aux-Groseilles (150 ha de vesterrasses (avec ou sans pierrier), tas de pierres, dépressions, COTES DE Forêt de Thuilleyaux-G. don Ma Murielle Georges-Leroy del août 2005 (2) La précision des GPS utilisés par l’INRA et le SRA (Trimble ProXL et PowerPathfinder) semble être dans des conditions favorables de quelques mètres, au pire 10-15 m. (3) Par exemple, une étude menée en 1997 pour le compte de l’ONF, a montré que l’équivalent de 24 jours de travail pour une personne ont été nécessaires pour des levés au théodolite contre 8 heures de travail au GPS (Piedallu et Gégout, 2002). 123 M. GEORGES-LEROY, D. HECKENBENNER, J-D. LAFFITE, N. MEYER habitats, etc, ainsi que des thèmes écologiques (zones de petites pervenches et de groseilliers à maquereau, qui sont des indicateurs d’occupation humaine, relevés de végétation et de sols). Un certain nombre de fonds cartographiques sont également mobilisés (limites administratives, parcellaire forestier de l’ONF, Scan 25 et Bd Alti de l’IGN, etc). Ce SIG a été utilisé dans un premier temps comme un outil de gestion des données collectées, très utile vues les étendues étudiées. Il permettra dans une phase ultérieure l’analyse spatiale de ces vestiges. Beaucoup de travaux, de prospection notamment, restent à mener sur la forêt de Haye, mais un premier état de la question peut déjà être présenté. Les relevés nous permettent de mieux appréhender les éléments structurants de ce paysage ancien. Ainsi 45 km de voies, que l’on peut répartir en deux catégories, sont en cours d’étude. Au moins deux voies principales traversent la forêt (fig. 3 et 4). La première semble parcourir le massif du nord au sud. Ses deux tronçons, séparés par l’actuelle autoroute A 31 qui coupe le massif forestier en deux, ont été reconnus sur une douzaine de kilomètres. Ils empruntent le sommet du plateau en évitant les profonds vallons qui existent à l’est et à l’ouest et franchissent la cuesta au nord et au sud, par deux vallons qui entaillent le plateau pour descendre jusqu’à la Moselle. La morphologie du tronçon sud commence à être bien connue. Sur les zones planes, la voie se présente soit en butte bordée de fossés latéraux soit bordée de pierriers latéraux. Dans les zones de franchissement de vallons la voie passe en butte en fond de vallon et en creux dans les pentes. Enfin, lorsque la voie est implantée à flanc de pente, elle passe en terrasse. Le niveau de circulation lui-même fait de 6 à 9 m de large, mais la largeur totale du dispositif (avec fossés et/ou pierriers latéraux) varie de 11 à 23 m. Les sondages réalisés en 2000 ont permis d’étudier sa structure interne composée d’un hérisson de pierres reposant sur un remblai et recouvert d’une couche de limons argileux gris compactés (Laffite, 2005) (fig. 5). Outre sa structure, sa datation repose sur le mobilier galloromain recueilli en 2000 (hipposandale et monnaies des Ier et IIe s. trouvées dans l’empierrement), mais aussi sur la présence de plusieurs bâtiments gallo-romains implantés juste en bordure. Cette voie constitue en quelque sorte un tronçon parallèle à la grande voie impériale Lyon – Trêves, qui passe une dizaine de kilomètres à l’ouest, en évitant la boucle de la Moselle (fig. 3). L’autre grande voie, reconnue sur environ 6 km, semble s’embrancher sur la première puis se diriger vers l’ouest, où elle pourrait mener à Toul, le chef-lieu de la cité des Leuques. Elle pourrait franchir la Moselle à Gondreville, où les piles d’un pont probablement gallo-romain ont été reconnues. Ce tronçon, qui disparaît presque totalement par endroits, a une morphologie et des dimensions semblables à la première. Figure 4 : Massif forestier de Haye. Parcellaires fossiles et habitats gallo-romains. Les voies secondaires se matérialisent en général par la présence d’un double pierrier linéaire ménageant un passage d’environ 5-6 m. Les tronçons reconnus sont moins longs, même si certains atteignent 2 km, mais ils semblent fonctionner plus étroitement avec le parcellaire. Ce parcellaire, qui reste totalement à analyser, est également matérialisé par des éléments linéaires qui prennent la forme de pierriers, les murées (près de 100 km relevés) ou de terrasses, marquées en aval par une déclivité plus forte que la pente naturelle (85 km relevés) ; ils témoignent de la mise en valeur agricole de ces plateaux. Les terrasses correspondent à des terrasses de culture, comme l’ont montré les coupes réalisées dans deux d’entre elles en avril 20054. Les murées, associées aux terrasses empierrées et à de nombreux tas de pierres (425 recensés), attestent d’un épierrement assez systématique de ces plateaux et donc également de leur mise en culture. Cette pratique de l’épierrement des champs mais aussi des pâtures de fauche est attestée chez les agronomes latins. Ces murées et ces terrasses matérialisent également pour certains de véritables limites parcellaires (4) Menées avec la collaboration d’Anne Gebhardt, sédimentologue à l’INRAP, les analyses et l’exploitation des données de ces sondages sont encore en cours de traitement. 124 M. GEORGES-LEROY, D. HECKENBENNER, J-D. LAFFITE, N. MEYER OUEST EST RELEVES J-D LAFFITE , DAO J-J BIGOT ETUDE ARCHEOLOGIQUE 2000 INRAP - SRA LORRAINE - INRA - ONF 0 5m Figure 5 : Maron, Forêt domaniale de Haye, parcelle 323. Coupe de la voie gallo-romaine. ; les arpenteurs latins citent en effet parmi les types de limites possibles, les attinae (tas de pierre en forme de mur – Chouquer et Favory, 2001, p. 188). La datation de ces parcellaires est délicate et se fait de manière indirecte, car peu d’éléments de datation sont contenus dans les terrasses ou les pierriers eux-mêmes. Les sondages de 2005 ont toutefois permis de recueillir un morceau de tuile gallo-romaine et un fragment d’amphore de Bétique dans une des terrasses étudiées. Un certain nombre de faits convergents attestent par ailleurs d’une datation gallo-romaine d’une majorité de ces parcellaires, même s’il n’est pas toujours possible de distinguer dans le détail des éléments qui pourraient être d’autres époques. Il en est ainsi de la datation des structures liées à ces parcellaires, comme les bâtiments (cf. infra) ou les voies, mais aussi de celle du mobilier ramassé en surface. Par ailleurs, l’analyse des cartes et textes médiévaux et modernes apporte également un certain nombre de renseignements. Ainsi on sait que dès le XIIe s., l’étendue du massif forestier de Haye est peu différente de celle que nous connaissons aujourd’hui, à l’exception des zones de marges. Toutefois, se mêlent aux vestiges gallo-romains des vestiges plus récents, qui témoignent des usages postérieurs de la forêt (plates-formes de charbonniers, petites carrières, fours à chaux, chemins forestiers, etc). Ces parcellaires sont parsemés de petits habitats isolés, dont une cinquantaine ont été identifiés à ce jour. A l’exception de deux bâtiments qui ont fait l’objet d’un sondage dans les années 1970 (M. Loiseau en 1973 – Notin, 1977 – et fouilles E. Louis en 1979), ces bâtiments ont uniquement été appréhendés par des prospections au sol, complétées assez souvent par l’échantillonnage des chablis de la tempête de 1999. L’identification comme bâtiment d’un tiers d’entre eux reste donc incertaine. Ces habitats se présentent sous la forme de bâtiments isolés, quelquefois par groupe de deux, d’une taille variant entre 40 et 370 m2, mais en grande majorité inférieure à 150 m2. Ils ont en général une pièce observable, mais parfois deux ou plus. Les murs sont construits en pierres sèches ou liées à l’argile et, pour les deux fouillés, plus ou moins bien parementés et pratiquement sans fondation. Des tuiles ont été repérées sur la moitié des bâtiments. Ces petits bâtiments sont comparables par leur construction à ceux repérés dans les autres massifs forestiers étudiés (Allain, Thuilley-aux-Groseilles et massif forestier de SaintAmond – Laffite, 2001 et 2002 ; Peltre et Bruant, 1991). Près de la moitié des habitats sont entourés par un enclos quadrangulaire d’une surface variant de 500 à 3800 m2 environ. Ils sont très liés au réseau parcellaire auquel ils s’appuyent en majorité. Par ailleurs un certain nombre d’entre eux sont installés en bordure de voie : la grande voie nord-sud est ainsi bordée de 6 bâtiments sur les 6 km de son tronçon sud. Trois sites plus étendus se distinguent. Le premier situé à Velaine-en-Haye, dans la parcelle forestière 352 de la forêt domaniale, se compose d’un groupement de 4 enclos, comprenant des bâtiments témoignant d’un mode de construction différent : présence de moellons mieux taillés, usage du mortier, éléments de décor (enduit mural et peut-être de plafond) et architecturaux (colonne). Un deuxième localisé à Maron, parcelle forestière 419, a livré des éléments de construction et du mobilier sur une surface de 5300 m2 et pourrait correspondre à une petite villa. Enfin, à Gondreville, dans les parcelles 14 et 15 de la forêt communale, un ensemble de pierriers et du mobilier archéologique, notamment des déchets de forge (scories, ratés de production, etc) ont été repérés sur une surface de 12000 m 2 le long de la grande voie vers l’est. On peut envisager la présence d’un petit établissement routier à cet endroit. La majorité des habitats datés sont du Haut-Empire, mais plusieurs d’entre eux témoignent toutefois d’une occupation aux IIIe et IVes. 125 M. GEORGES-LEROY, D. HECKENBENNER, J-D. LAFFITE, N. MEYER 2. - Le piémont vosgien et le seuil du col de Saverne hypothèses et interprétations quant à la fonction et à l’origine de ces aménagements (Pétry, 1977, 1989, 1994, 1997). La seconde zone s’étend sur 25 km d’ouest en est et sur une vingtaine de kilomètres du nord au sud, de Sarrebourg vers le Donon et jusqu’au col de Saverne. Située en grande partie en Lorraine, essentiellement dans le département de la Moselle, elle déborde néanmoins sur l’Alsace (département du Bas-Rhin). Les vestiges se rencontrent sur les premiers reliefs gréseux du massif vosgien à des altitudes comprises entre 350 et 500 m. L’appellation « sommets vosgiens » qui leur a été attribuée (on a parlé de « culture » et même de « civilisation des sommets vosgiens » tant ces vestiges étaient considérés comme atypiques des occupations gallo-romaines connues alors) n’est donc pas adaptée. En effet si les points les plus élevés de ce secteur géographique culminent entre 800 et 1000 m, les collines et plateaux occupés par les sites n’ont rien de zones montagneuses inhospitalières. Par ailleurs, il apparaît aujourd’hui que ces occupations sont loin d’être toutes gallo-romaines. Géologiquement, la plupart des sites sont installés sur un substrat constitué de grès bigarrés du Trias inférieur (couches intermédiaires et plus rarement grès à volzia). Aujourd’hui très boisée, cette région est arrosée par plusieurs rivières, la Sarre blanche et la Sarre rouge qui coulent vers le nord, la Zorn jaune et la Zorn blanche qui se jettent dans le Rhin. Depuis 1992, les découvertes de stèles gallo-romaines lors des prospections réalisées sur les communes de SaintQuirin, de Garrebourg et de Walscheid notamment ont donné lieu à des opérations de relevés ponctuelles avant la mise en sécurité de ces sculptures au musée de Sarrebourg. Ces travaux de cartographie ont été complétés par des sondages et des opérations de fouille. Ainsi, afin de comprendre l’organisation d’un hameau galloromain différent du Wasserwald, le site de la CroixGuillaume à Saint-Quirin a fait l’objet d’une fouille programmée (1994-1999). Après la tempête de décembre 1999 qui a durement touché ce secteur, les interventions de relevés topographiques se sont multipliées non seulement sur les sites détruits mais aussi sur les zones susceptibles d’être replantées ou de devenir inaccessibles lors de la repousse de la végétation. 120 parcellaires ou habitats ont été recensés jusqu’à ce jour sur plusieurs milliers d’hectares, dans la plupart des cas en forêt domaniale ; 18 sites ont fait l’objets de relevés planimétriques, dont 12 sont antérieurs à la seconde guerre mondiale. En Moselle, en effet, les premiers relevés sont réalisés par l’architecte H. Ehrhardt pour les Alsaciens A. Goldenberg et G. de Morlet, dès la seconde moitié du XIXe s. Les vestiges alors reconnus sur les communes de Garrebourg et Hultehouse sont cartographiés en totalité (Goldenberg, 1860). Les fouilles ponctuelles et les relevés se multiplient au début du XXe s. à l’initiative de T. Welter qui explore notamment les sites du secteur de Saint-Quirin et de Walscheid (Welter, 1906), de A. Fuchs (Fuchs, 1914) et surtout d’A. Reusch, qui établit des inventaires très complets des vestiges découverts et des traces de parcellaires fossiles (Reusch, 1911 et 19151916). Ces documents constituent encore aujourd’hui une référence. Plus récemment, les importantes fouilles et relevés menés par F. Pétry au Wasserwald (commune de Haegen) dans les années 1970 et 1980, puis les prospections réalisées ces vingt dernières années montrent que ces vestiges couvrent parfois des surfaces de 200 à 250 ha (Heckenbenner et Meyer, 2004) (fig. 6). A partir de la fouille du Wasserwald, F. Pétry a effectué un important travail descriptif des vestiges et proposé de nombreuses 126 Les structures anthropiques objets de nos recherches sont souvent encore bien visibles et apparaissent plus ou moins organisées sous le couvert forestier. Certains tas ou talus résultent d’épierrements réalisés soit dans l’Antiquité soit postérieurement. Les nombreuses terrasses destinées à retenir la terre (fig. 1), qui marquent les paysages des premiers reliefs entre Saverne, Sarrebourg et le Donon, sont traditionnellement interprétées comme des aménagements agricoles. Les murets de parcellaires souvent bien conservés déterminent des espaces plus ou moins réguliers qui correspondent sans doute à une organisation agraire du terroir. C’est le cas en particulier du site de Belle-Roche (commune de SaintQuirin) qui fera l’objet d’une campagne de relevés en automne 2005. Dans la grande majorité des cas, ces structures sont difficiles à dater. Car si les terrasses et les murets de parcellaires sont attestés dès l’époque romaine, ils ont aussi été largement utilisés jusqu’au XIXe s. Des chemins, larges de 3 à 6 m, souvent creux ou bordés de chaque côté de murets en pierres sèches, structurent ces différentes formes d’occupation. En l’absence d’étude précise et de cohérence reconnue avec un site, ils sont impossibles à dater. En revanche, certains murs dont l’élévation peut atteindre 0,8 m appartiennent de toute évidence à des bâtiments effondrés ou délimitent des enclos (habitats, fermes, sanctuaires…) qui grâce au mobilier découvert peuvent être plus facilement datés. Ainsi la fouille du hameau gallo-romain de la Croix-Guillaume à Saint-Quirin a permis de reconnaître plusieurs bâtiments dont les murs étaient constitués dans leur partie basse de blocs de grès assemblés sans mortier (fig. 7). Les élévations étaient en bois et les toitures en matériaux périssables. On peut aussi observer sur certains sites gallo-romains la présence de blocs disposés régulièrement qui sans doute ont servi M. GEORGES-LEROY, D. HECKENBENNER, J-D. LAFFITE, N. MEYER Château de Lutzelbourg Zorn (223 m) bâtiment Gewinnwald nÈcropole (380 m) Zorn (203 m) non relevé Bannwald Langenbust (384 m) non relevé Hultehouse (397 m) bâtiment nécropole fanum nécropole Grosslimmersberg (465 m) non relevé fanum ? Garrebourg bâtiment (393 m) nécropole fanum ? Wasserwald (458 m) d'après Pétry 1977 et 1984 fanum ? nécropole Schladen (387 m) non relevé Limmersberg - Diebsberg (474 m) fanum Wintersberg (440 m) nécropole bâtiment fanum ? nécropole Tiergarten (470 m) bâtiments Kreutzkopf (462 m) Wuestenberg (536 m) Légende : cours d'eau falaises chaos naturel de roches murs pierrier terrasse chemin creux Hultehouse Limmersberg village actuel lieu-dit site non relevé (470 m) altitude NGF 0 1 km DAO N. Meyer Figure 6 : Forêts domaniales de Phalsbourg et Saverne. Parcellaires gallo-romains d’après le plan de H. Ehrhardt (1858), les travaux de F. Pétry et les prospections récentes d’embases de poteaux. Il s’agit généralement de petites unités d’habitations (5 à 6 m de côté), mais qui peuvent être mitoyennes pour former des bâtiments plus importants (Wasserwald, Croix-Guillaume). Ces unités d’habitation se regroupent en hameaux qui se juxtaposent les uns aux autres composant ainsi des groupements plus vastes (Wasserwald, Hultehouse, Garrebourg) (fig. 6). Les constructions médiévales ne diffèrent pas fondamentalement des bâtiments gallo-romains. C’est le mobilier, les éléments d’architecture, l’abondance des moellons qui permettent de les distinguer, comme nous avons pu l’observer sur le site de l’Altdorf à Dabo ou à la Croix du Hengstburg à Walscheid où on distingue clairement les groupements d’habitations. L’une des particularités du Piémont vosgien est l’abondance des blocs taillés et sculptés qui gisent encore fré- quemment dans l’humus. Depuis 1992, de nombreuses figurations de divinités gallo-romaines ont été repérées au centre d’enclos et de constructions effondrées. Les plans relevés ont confirmé l’identification de ces vestiges à des sanctuaires (Ludwigsberg, Walscheid, TroisFontaines, Freiwald). Dans l’humus forestier, les stèles funéraires souvent brisées, ou bien des cercles de pierres ou des enclos marquent encore fréquemment l’emplacement des nécropoles antiques. La fouille partielle ou totale de plusieurs d’entre elles (sites du Bannwald et du Limersberg à Hultehouse, de l’Altdorf à Dabo, du Schantzkopf à Harreberg, de la Croix-Guillaume à SaintQuirin) a montré qu’il s’agissait toujours de nécropoles à incinération datées du Ier au IIIe s. Enfin, des excavations de plus ou moins grande taille, et les tas de déchets attenants, attestent la présence de carrières d’extraction, nombreuses sur ce secteur des Vosges. 127 M. GEORGES-LEROY, D. HECKENBENNER, J-D. LAFFITE, N. MEYER Figure 7 : Vue des maisons de Saint-Quirin, La Croix Guillaume (cliché D. Heckenbenner). Les fronts de taille portent encore les traces d’outils métalliques tels que le pic et les coins. Il n’est pas rare de découvrir des blocs en cours d’extraction ou de taille. La fouille du site de la Croix-Guillaume à SaintQuirin a permis de mettre en évidence les techniques d’extraction utilisées et l’existence d’activités de taille et de sculpture à l’époque gallo-romaine (fig. 8). Néanmoins, l’extraction et le travail de la pierre ne sont pas spécifiques à l’époque romaine. Jusqu’au XIXe s. les techniques n’ont pas évolué. A partir des fronts de taille visibles, sans fouille archéologique, il est souvent impossible de dater ces carrières. D’autres activités ont aussi marqué le paysage forestier : les verreries itinérantes médiévales et modernes et les places de charbonniers. La méthode de relevés choisie pour ce secteur, diffère de celle qui est utilisée dans la forêt de Haye. En effet, la plupart des vestiges étant déjà repérés et des éléments sculptés étant visibles sans fouille, il était primordial de privilégier l’étude de leur organisation spatiale et de leur environnement. C’est pourquoi les relevés, très détaillés, ont été réalisés au tachéomètre. Bien que la mise en œuvre de cette méthode nécessite beaucoup de temps, les résultats sont déjà prometteurs. En effet, à l’échelle d’un hameau antique, comme celui de Harreberg-Schantzkopf, on peut percevoir précisément comment se structure l’espace, comment le parcellaire est implanté par rapport à la topographie, aux chemins, aux habitations et à la nécropole (fig. 9). Ce programme de recherche, qui n’en est qu’à ses débuts, devrait s’enrichir dans les années à venir d’analyse de sols et de végétaux dans ce secteur où leur conservation a été favorisée par le milieu. 128 Figure 8 : Carrière de Saint-Quirin, La Croix Guillaume (cliché D. Heckenbenner). Conclusion Si les deux zones d’études présentées ont connu le même rythme de travaux (XIXe-début XXe s., puis années 1970, et enfin recherches actuelles), elles ont toutefois été peu mises en perspective, alors que de grandes similitudes existent entre elles. La remise à plat de la documentation, les nouveaux travaux de terrain et les deux méthodologies d’étude complémentaires actuellement mises en œuvre devraient pouvoir faire progresser leur connaissance. Les parcellaires actuellement recensés en forêt sont dans leur grande majorité gallo-romains. Toutefois plusieurs d’entre eux sont d’époque médiévale, comme celui lié à l’abbaye de défrichement créée au XIIe s. à Vilcey-sur-Trey près de Pont-à-Mousson (Georges-Leroy et al., 2003, p. 179) ou ceux relevés autour de villages médiévaux disparus dans les Vosges, à Dabo - Altdorf (Meyer et al., 2004) et Walscheid - Croix du Hengstburg (XIIIe-XIVe s. – relevé P. Rohmer). Pour l’époque gallo-romaine, ces implantations ont été longtemps considérées comme des occupations de « marges », mais les travaux récents semblent au contraire témoigner de l’exploitation assez systématique et organisée de ces secteurs dès le Ier s. Mais de nombreuses questions se posent encore : tout d’abord dans quels milieux s’implantent ces parcellaires : milieu déjà ouvert et cultivé par les Gaulois ou milieu plutôt forestier ? Sur la commune de Gondreville, dans la boucle de la Moselle, plusieurs fouilles ont montré la présence de batteries de silos de l’Age du Fer qui témoignent pour cette époque d’une activité agricole importante (Deffressigne et al., 2002). L’occupation de la fin de l’Age du Fer est également bien repérée autour du seuil du col de Saverne (Oppidum du fossé des Pandours à Saverne – Fichtl, M. GEORGES-LEROY, D. HECKENBENNER, J-D. LAFFITE, N. MEYER nécropole 1314 1318 1319 1320 bâtiment 1 Légende : chemin chemin actuel mur de parcellaire moderne bâtiment 2 rocher éboulis pierrier ou muret effondré bâtiment 4 bâtiment 3 terrasse pierre taillée 0 DAO T. Le Saint-Quinio - N. Meyer 100 m Altitude non rattachée en NGF (+ ou - 1 m) Figure 9 : Harreberg, Schantzkopf. Plan général du site. 2004). De même nous avons des interrogations sur la datation et les modalités de la reconquête forestière, même s’il semble que certains de ces parcellaires soient abandonnés dès la fin de l’époque gallo-romaine ou dans le courant du haut Moyen Age. Par ailleurs quelle est la place de la forêt dans l’Antiquité sur ces secteurs ? Si le plateau calcaire a apparemment connu une occupation agricole très importante qui semble avoir laissé peu de place à la forêt, la question se pose différemment pour le piémont vosgien. La Silva Vosagus est certes attestée par les sources antiques (Table de Peutinger) à partir du IIIe s. (fin de l’occupation antique reconnue pour l’ensemble du massif montagneux) mais son importance dans le détail reste inconnue ; couvre-t-elle la totalité du massif vosgien, y compris le piémont ? A côté des activités agricoles probablement prédominantes, d’autres activités plus modestes comme l’exploitation de la pierre sont bien reconnues maintenant. Aucune recherche n’a cependant encore porté sur l’exploitation du bois, activité supposée de longue date. Les prélèvements palynologiques réalisés sur des tourbières proches des sites étudiés dans les Vosges et sur le plateau calcaire pourraient en partie répondre à ces questions. Cette occupation a dans tous les cas eu un fort impact environnemental, encore sensible actuellement comme le montrent les travaux coordonnés par J.-L. Dupouey et E. Dambrine présentés dans ce volume. Remerciements Nous remercions vivement Patrick Behr et Philippe Loué pour leurs travaux, notamment de cartographie, sur la forêt de Haye, ainsi que les bénévoles de l’ARAPS. Ces travaux ont bénéficié du concours financier de la Direction régionale des Affaires culturelles de Lorraine et des Conseils Généraux de Meurthe-et-Moselle et de Moselle. 129 M. GEORGES-LEROY, D. HECKENBENNER, J-D. LAFFITE, N. MEYER Bibliographie CHOUQUER G., FAVORY F., 2001, L’arpentage romain. Histoire des textes. Droit. Techniques, Ed. Errance, Paris, 491 p. DEFFRESSIGNE S., TIKONOFF N., BOULANGER-BOUCHET K., CHAUSSEE CH., TESNIER-HERMETEY C., 2002, Les gisements d’habitat de la fin du premier âge du Fer à Gondreville – Fontenoy-sur-Moselle (54). Le stockage intensif et ses conséquences économiques et sociales, Archaelogia Mosellana, 4-2002, Metz, p. 81-184. 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Les parcellaires ainsi mis en évidence (talus, épaulements, murées, etc.) permettent de distinguer plusieurs modes d’occupation de l’espace. A un parcellaire irrégulier et discontinu, incluant de petits enclos ouverts et des terrasses agricoles ou d’habitat, très dépendant du relief dans les zones de combes et de vallée, s’oppose un découpage orthonormé avec des parcelles fermées de grande taille localisé sur le plateau. Les rares éléments de datation disponibles semblent indiquer une antériorité du premier sur le second. Abstract The systematic field survey and mapping of archaeological landscapes using GPS (Global Positioning System) equipment has been underway in the Châtillonnais forest in the northern part of the Côte d’Or, France for the last several years. Nearly 6000 hectares of woodlands have been prospected in a zone consisting of the Châtillonnais plateau and the limit of the Digeanne valley. The archaeological and topographical features which have been inventoried include embankments, supporting walls, low stone walls, etc., allow us to distinguish at least two different types of spatial organisation. The first is composed of irregular and non-contiguous parcels, including small open enclosures, as well as terraces probably used for agricultural or settlement needs. Local topography seems to have been an important factor in determining the morphology of these features, which are located mainly in an area composed of ridges and valleys. The second and apparently more regularly organised system is composed of larger, closed parcels which are mainly located on the plateau. The rare artefacts which been found in association with these two different types of landscapes imply a relative chronological relationship in which the first class of structures is anterior to the second. 133 Y. PAUTRAT, D. GOGUEY 1. - Introduction ponctuelles. Dans les années cinquante et soixante, la Société Archéologique et Historique du Châtillonnais a réalisé un inventaire des structures archéologiques gallo-romaines de la forêt domaniale de Châtillon-sur-Seine, sous forme de fiches décrivant la trentaine d’habitats repérés. Depuis d’autres informations, toujours dispersées, ont été ajoutées à partir de prospections pédestres ponctuelles, mais aussi de photographies aériennes. Plus récemment, une convention signée en 1997, entre le Service régional de l’archéologie de Bourgogne et l’Office National des Forêts a servi de cadre à une collaboration d’inventaire archéologique. L’objectif principal était patrimonial : permettre à l’ensemble des structures conservées sous le couvert forestier d’être localisées et protégées de toute dégradation due à l’activité forestière future (coupes, débardages, etc.). Un inventaire exhaustif a donc été mis en œuvre, bénéficiant de l’opportunité d’utiliser un système de localisation par satellite (G. P. S.), dont les données sont ensuite traitées dans un Système d’Information Géographique. Deux secteurs ont été privilégiés : la forêt domaniale de Châtillon (Pautrat, 2002) et les forêts communales de la rive droite de la Digeanne (Goguey D. et Bénard, 2002). Leur étude se poursuit encore, tandis que leurs résultats sont intégrés dans le projet collectif de recherche « Vix et son environnement » (responsable C. Mordant) qui s’attache à étudier le MontLassois (oppidum), la plaine de Vix qui inclut la célèbre tombe princière et bien au-delà, le Châtillonnais protohistorique, riche en nécropoles tumulaires. 2.1. - Les vestiges en relief 2. - Vue d’ensemble Ce sont plus de 3600 ha qui ont été inventoriés dans la forêt domaniale de Châtillon et 1600 ha dans les forêts communales de la rive droite de la Digeanne (ainsi que 500 ha sur la commune de Minot) (fig.1). Ces vastes surfaces, géographiquement cohérentes, permettent d’appréhender un terroir archéologique très largement conservé sous le couvert forestier. Un simple coup d’œil sur les photographies aériennes des plateaux calcaires de Côte-d’Or, aux marges du Châtillonnais forestier, montre que les vestiges ténus repérés en forêt ont été depuis longtemps arasés et totalement détruits par les labours hautement mécanisés. Ce terroir archéologique manque toutefois d’éléments de datation ; il juxtapose sur le même plan des vestiges de toutes périodes, sans que l’on puisse trier parmi ceux-ci et proposer une série de plans successifs par périodes. Les vestiges inventoriés se répartissent dans quelques grandes catégories que l’on peut regrouper en deux ensembles, les vestiges en relief et ceux en creux. Tout ce qui se trouve enfoui sans indice hors sol passe inaperçu, sauf à mettre en œuvre la prospection au détecteur de métaux, nécessairement limitée à des vérifications sur des zones 134 Pierriers : Isolés ou intégrés à des enclos, il s’agit d’amas de pierres plus ou moins volumineux de formes variées avec zone déprimée centrale, résultant de l’effondrement de bâtiments sur eux-mêmes. Très rarement, des éléments architecturaux, tambour de colonne, pierres de seuil ou de montant de porte, sont visibles. Terrasses : Ce sont des espaces plans, plus ou moins aménagés selon le pendage du terrain. Ils sont souvent retenus par un soutènement en aval et creusés dans la pente en amont, avant d’être aplanis. La prospection (pédestre ou au détecteur de métaux) fait apparaître du mobilier archéologique évoquant la présence, soit d’habitats (céramiques, monnaies, objets ou outils de la vie quotidienne), soit d’ateliers (scories). Voies : On y trouve des chemins anciens - dont la lecture attentive des documents cartographiques des deux derniers siècles montre qu’ils permettaient, soit de traverser la forêt d’un village à l’autre, soit de la contourner - et des itinéraires larges et rectilignes, complètement indépendants de l’habitat actuel, qui peuvent être assimilés à des voies antiques. Limites parcellaires : Liées aux voies ou complètement indépendantes, elles délimitent des espaces vides (cultures, prairies, jardins, voire même habitats ?), qui se referment parfois sur 3 ou 4 côtés pour former des enclos. Plusieurs types de structures constituent ces limites parcellaires : des murées, formées par l’accumulation de pierres au dessus du sol, avec ou sans parement ; des murs, conservés en légère élévation ou arasés au niveau de leur fondation ; des talus, formés d’un bombement de terre sans pierres ou alors très rares ; des épaulements, matérialisant une différence de niveau entre deux surfaces, de l’ordre de quelques dizaines de centimètres, distincts de tout phénomène géologique (affleurement ou courbe de niveau). Ces limites peuvent être complètement isolées, rectilignes ou courbes. Elles se complètent fréquemment. Tertres : Il s’agit le plus souvent de tas de pierres, ronds ou allongés… Certains, alignés, matérialisent des limites probables, d’autres peuvent être assimilés à d’authentiques tumulus, soit par la trace d’une fouille ancienne en cratère, soit par des structures funéraires évidentes : coffre(s), couronnes périphériques, mais la majorité ne peuvent être mis en relation avec une fonction précise (épierrement ?, stockage ?). Pierres levées : Fréquemment intégrées dans les murées ou marquant leur extrémité, elles peuvent être aussi isolées et s’apparenter à des mégalithes (?) pour les plus grandes ou à des indices de tombes Y. PAUTRAT, D. GOGUEY Figure 1 : Localisation des zones prospectées dans l’ensemble du Châtillonnais et tracé des principales voies antiques attestées (relevés D. Goguey & O.N.F. et Université de Bourgogne ; Carte Y. Pautrat). 135 Y. PAUTRAT, D. GOGUEY plates pour les plus discrètes. 2.2. - Les vestiges en creux Mines : Le Châtillonnais étant riche en fer, les minières sont abondantes dans certaines zones, sous la forme de puits se ramifiant à la base, de tranchées ou de grandes excavations en carrière. Carrières : Elles exploitent le banc calcaire, plus rarement des dépôts de pente (grèses) ou des poches d’argile. On les trouve fréquemment à proximité des routes et pistes forestières, dont elles ont sans doute servi à l’empierrement à partir du XVIIIe siècle. Fossés : Ils sont liés aux limites parcellaires évoquées plus haut, ou aux communications (fossés latéraux de voies). Ils peuvent parfois s’apparenter à des terrassements exploratoires (recherche de minerai de fer ou d’un niveau géologique spécifique), très rarement à du drainage. 3. - Les parcellaires Nous avons souhaité, ici, mettre l’accent sur les limites parcellaires. Par « parcellaire », nous entendons une organisation de l’espace au moyen de vestiges linéaires de types variés (murées, épaulement, talus, fossé, etc.), que les « parcelles » ainsi induites soient régulières ou non, fermées ou non. 3.1. - Les parcellaires de la Digeanne (fig.2) 3.1.1. - Une irrégularité apparente Ce parcellaire apparaît comme sinueux, irrégulier dépourvu de tout caractère orthogonal. L’implantation des structures épouse les contours du rebord de plateau, ou plus exactement de la langue de plateau entaillée par la Digeanne ; la partie médiane du plateau est vide de vestiges. Le parcellaire associe des murées parallèles aux courbes de niveau – des épaulements anthropiques en amont desquels sont établies des terrasses – et des murées qui descendent les pentes. Les épaulements prennent appui sur des ressauts géomorphologiques et les murées de pentes rayonnent à partir des buttes. L’apparente irrégularité de ce parcellaire n’est que le reflet de son extrême dépendance au relief. 3.1.2. - Un parcellaire incomplet A l’exception de deux parcelles, ce système de murées ne délimite pas de parcelles fermées : les plus fermées le sont sur trois côtés, on trouve plusieurs exemples de murées uniques qui coïncident avec la portion de terrain occupée par un groupe de tertres. Le parcellaire est incomplet sans traces apparentes de destruction. Au 136 contraire, des constantes apparaissent : l’extrémité de murées est ponctuée par un tertre, et l’arrêt des murées coïncide avec un changement de relief (fond de vallon, ruisseau, rebord de plateau) ou une particularité géologique (lapiaz). De nombreuses murées s’arrêtent au niveau d’un chemin présumé ancien (par exemple, la voie protohistorique et romaine Beneuvre – Vertault). Ces constantes, répétées dans chaque ensemble de la Digeanne mais aussi visibles sur d’autres rebords de plateau dans le Châtillonnais évoquent un code connu de chacun et mêlant repères naturels et repères culturels. On peut faire un rapprochement avec deux allusions faites par des agronomes romains à propos de pratiques anciennes concernant les terres non arpentées. Frontin énumère ainsi différents éléments de délimitation : « les terres artificinales (non arpentées) sont délimitées selon l’ancienne coutume par des cours d’eau, des fossés, des hauteurs, des voies, des arbres plantés autrefois », et Siculus Flaccus également à propos de terres non cadastrées, ajoute à ces éléments de délimitation des amas de pierres et des murées. Il fait état explicitement d’un recours simultané à différents repères dans un même secteur : « l’extrémité d’un même terrain peut aussi être délimitée de nombreuses manières, d’un côté par des bornes, de l’autre par des arbres, d’un autre par un talus, d’un autre par un ruisseau, ainsi que par tout autre genre de limite observable sur les confins ». Le caractère incomplet et hétérogène du parcellaire nous oriente vers un système de délimitation, un marquage plus symbolique que fonctionnel. En effet même dans les enclos fermés d’habitat les murées semblent insuffisantes pour retenir le bétail, on peut d’ailleurs penser que le parcellaire destiné au bétail était complété par des haies, comme l’évoque Varron. 3.1.3. - Association du parcellaire avec d’autres structures Le parcellaire est régulièrement associé à d’autres structures, identifiées par des fouilles ou des prospections. a) Murées et tumulus Au sud du secteur étudié, au niveau où la Digeanne prend sa source, (commune de Minot) le parcellaire situé sur la rive droite de la Digeanne ou sur les rebords d’un vallon parallèle (vallon de la Groême), est situé à proximité immédiate de nécropoles tumulaires fouillées par H. Corot (Chaume, 2001) : par exemple, aux Crais de Vauchebaux les nécropoles jouxtent un parcellaire constitué d’épaulements appuyés sur un ressaut et de murées qui descendent le versant et s’arrêtent au niveau d’un ruisseau intermittent. A La Moloise, un tumulus est établi sur une terrasse retenue par un puissant soutènement et la portion de terrain où se trouve le tumulus est limitée d’un côté par une murée. Aux Lochères, l’association est plus étroite, puisque un tumulus est situé au départ d’une Y. PAUTRAT, D. GOGUEY Figure 2 : Les parcellaires de la Digeanne ; murées de soutènement parallèles aux courbes de niveau. En haut, secteur d’Essarois. En bas, Bois de Doucharme à Minot (relevés D. Goguey & O.N.F. et Université de Bourgogne ; Carte Y. Pautrat). 137 Y. PAUTRAT, D. GOGUEY murée qui descend la pente. Cette association de tumulus et d’un système irrégulier de murées « qui quadrillent de leur réseau capricieux tant de sites protohistoriques » (Peyre, 1981) se retrouve pour la Côte-d’or à MagnyLambert, à Mavilly-Mandelot (Henry, 1933), à Darcey, etc. La fréquence de l’association tumulus de pierre et système de murées irrégulières, peut être un indice pour envisager la mise en place de ce système dès le premier âge du fer. Les épaulements installés sur le rebord de plateau ou sur les versants retenant à l’amont des terrasses sont nombreux. Les plus longues ont entre 90 et 140 m de longueur, d’autres sont courtes, en moyenne 10 m de long. Les terrasses dans les parcellaires sont souvent considérées comme agricoles, mais différents indices conduisent à envisager pour un certain nombre d’entre elles une fonction d’emplacement aménagé pour supporter un habitat en bois et torchis. b) Parcellaires et enclos d’habitat1 (fig.3) a) Des terrasses agricoles ? Plus au nord, le parcellaire est lié à des habitats en matériaux périssables identifiés dans des enclos qui prennent différentes formes. Des enclos fermés complexes de forme para-géométriques constituent l’équivalent des « fermes indigènes » – les murées tenant lieu de fossés – et ils ont livrés des éléments de datation de la Tène D et du gallo-romain. Ainsi les enclos de Champerrin, qui délimitent des habitats et des cours sont prolongés au sud par des murées. Celles-ci forment des parcelles fermées sur trois côtés, le quatrième côté étant matérialisé par un chemin, probablement ancien. Ces parcelles incomplètes, prenant appui sur l’enclos d’habitat, semblent dévolues à la culture, comme le suggère le soc découvert dans l’enclos, ou au pâturage. Au nord de ce même site, la murée de l’enclos d’habitat est reliée à l’est à un petit enclos interprété comme un sanctuaire privé. L’enclos des Cornouillères est également prolongé par un parcellaire, à l’est et à l’ouest par des épaulements. Les enclos d’habitat ne sont pas les seuls à être liés structurellement au parcellaire : l’enclos fermé trapézoïdal des Grands Carrés est établi sur un terrassement (1 m de dénivelé) surmonté par une murée de 158 m de long. Le côté est de l’enclos se prolonge par une murée qui se raccorde à une très longue murée (700 m) ourlant la limite de la langue calcaire. Cet enclos autour duquel s’organisent des murées, par sa forme et son matériel est interprété comme un enclos cultuel. Dans toute la partie nord du secteur, le parcellaire est lié à une autre forme d’habitat situé dans des petits enclos irréguliers, incomplets qui ont fourni des indices de datation plus anciens que les précédents (Tène B, C, D et gallo-romain). Ces habitats ne semblent pas avoir une fonction principalement agricole, ils ont tous donné des indices de travail du fer, et le parcellaire, établi en rebord de plateau, contre le lapiaz, semble délimiter l’espace habité et occupé plutôt que des parcelles de culture. Sur ces versants calcaires où la profondeur du sol est irrégulière et dépasse rarement 30 cm, la terrasse apparaît comme un moyen de remédier au lessivage et de garder une certaine épaisseur de terre. La fouille d’une de ces terrasses à Minot en 1980 par C. Peyre apporte des informations : il a décelé dans la partie amont de la murée de soutènement « trois couches bien distinctes, la couche de niveau actuel (15 à 20 cm), la couche de surface antique (20 à 25 cm) et une troisième couche intermédiaire (30 à 40 cm) vraisemblablement une couche de terre rapportée » (Peyre, 1981). On ne trouve pas de versant aménagé systématiquement en terrasses, comme en Provence ou en Asie, mais plutôt des groupements de 2 ou 3 par versant. 3.1.4. - La question des terrasses b) Des terrasses d’habitat La dimension, l’aménagement de certaines terrasses, et surtout le matériel recueilli en prospection font de cellesci des emplacements d’habitat ou d’atelier. Des terrasses courtes (10 m de long), curvilignes ou rectilignes, constitueraient un espace bien exigu pour une culture, de plus certaines font l’objet d’aménagement particulier : ainsi les terrasses des Rochottes comme celles du Ru de Vau sont implantées à l’intérieur d’une parcelle délimitée par deux murées qui descendent le versant, le soutènement est puissant (1,50 m de dénivelé), et l’aire terrassée est limitée à l’arrière par un petite murée. L’une et l’autre ont livré des indices d’occupation et de datation (tessons D1-D2 et sigillée à la Combe du Ru de Vau, et coin, clous débris ferreux, petite scie à deux soies et boucle de ceinture Tène B/C aux Rochottes). La terrasse CHA 18, terrasse prolongée de deux murées, a fourni un matériel abondant (coulures, objets ratés ou réparés, fibule Tène C). Certaines terrasses longues ont également accueilli des habitats, ainsi à Banges à 200 m de la nécropole tumulaire, un replat de versant est aménagé par deux soutènements successifs qui supportent deux terrasses étroites. Sur l’une d’elles, on a trouvé un fragment de fourreau et (1) Les plans de détail des enclos réguliers et irréguliers, leur description complète et les planches de matériel ont déjà été publiés : voir Goguey D. et Bénard J. (2002). Une synthèse de la forme et de la fonction de ces enclos est faite dans Goguey D. et Bénard J., « Les enclos » dans « L’organisation de l’espace », dans Les espaces clos dans l’urbanisme et dans l’architecture publique ou privée en Gaule et dans les régions voisines, Caesorodunum, Pulim, à paraître en 2006. 138 Y. PAUTRAT, D. GOGUEY Figure 3 : Les parcellaires de la Digeanne. Localisation des principaux vestiges repérés. Les flèches indiquent les zones d’habitat probables situées dans des enclos ou sur des terrasses ; les cercles, les zones à fonction funéraire ou cultuelle identifiées grâce à la prospection au détecteur de métaux (relevés D. Goguey & O.N.F. et Université de Bourgogne ; Carte Y. Pautrat). En vignette : enclos irréguliers de Trouy 7 et 8 (relevé O.N.F. 1996, complété sur le terrain par D. Goguey ; mise au propre A. Violot). 139 Y. PAUTRAT, D. GOGUEY Photo 1 : Terrasse du Chanoi 06 (cliché D. Goguey). un fragment de rebord de vase de bronze. A Minot également, sur une terrasse sillonnée par d’énormes murées perpendiculaires au rebord de plateau, l’emplacement d’une fosse-dépotoir a été décelé grâce à un petit matériel abondant (15 clous de menuiserie et charpente, 36 tessons Téne D, augustéens et IIe siècle, une fibule Tène D, une fibule Haut-Empire, un style). Un autre exemple est apporté par la terrasse Chanoi 6 à Essarois (photo 1) : cette terrasse située 2 m en retrait du rebord de plateau, lui-même aménagé, a livré une monnaie celtique (IIe -Ier siècle av J .C.), un fragment de fibule Tène C, un fragment de fibule du Haut-Empire et l’extrémité d’une bouterolle gauloise. 3.2. - La forêt domaniale de Châtillon 3.2.1. - Les Ursulines Le quart nord-ouest de la forêt domaniale de Châtillon présente un parcellaire régulier et homogène sur près de trois kilomètres d’est en ouest et un kilomètre et demi du nord au sud (soit environ 450 hectares). Dans ce secteur, dit « des Ursulines », le plateau calcaire tabulaire est coupé par deux combes est-ouest (Combe de Val Thibaut et Combe de l’Homme Mort). 140 Y. PAUTRAT, D. GOGUEY Constitué de longues murées (parfois prolongées ou remplacées par des talus de terre) ce parcellaire s’organise selon les points cardinaux, de part et d’autre d’une voie, elle-même nord-sud. Cette voie se matérialise par deux murées de faible envergure (largeur d’environ 2 à 3 m et hauteur d’environ 0,40 m), séparées de 8 à 12 m. Localement, cette voie s’encaisse progressivement entre deux talus et oblique légèrement vers l’ouest pour emprunter un petit thalweg et descendre dans la combe de Val Thibaut. Elle remonte sur le flanc sud de la combe, en reprenant progressivement son axe d’origine. Plus au sud, on la perd complètement au voisinage d’une unité d’habitation (2 bâtiments dans un enclos). Au nord, on ne retrouve cette voie que par tronçons, séparés par des vides où plus aucun indice n’est visible (arasement total ?) ; elle oblique cependant vers Châtillon-sur-Seine. Cette voie ne présente aucun rapport avec le maillage des chemins en usage au cours des XVIIIe et XIXe siècles qui reliaient les villages périphériques de la forêt, qu’ils soient maintenant disparus (mais signalés sur les documents d’arpentage forestiers de 1856) ou encore partiellement en usage. Elle est typologiquement très proche de celle, est-ouest, sondée au sud du massif en 1991-93, qui relie la vallée de la Seine au fanum du Tremblois, et l’on peut donc, avec prudence, lui attribuer une même origine antique. Les similitudes d’orientation et l’accroche de certains éléments du parcellaire directement sur les murées latérales de la voie permettent d’avancer une probable contemporanéité des deux types de structure. Ce parcellaire dessine de grands enclos irréguliers, rarement fermés, ou de longues limites qui présentent de fréquentes lacunes, en particulier vers le nord. Celles-ci sont dues à des destructions récentes (carrière), mais probablement aussi à des récupérations plus anciennes. Au sud, il s’achève par un grand enclos, de près de 5 ha, fermé par une murée courbe irrégulière. (fig.4) Très peu d’habitats peuvent être mis en relation avec ce parcellaire et uniquement dans sa partie sud. Outre l’unité d’habitation citée ci-dessus, mentionnons un enclos ouvert sur son côté est enfermant un petit pierrier d’effondrement correspondant à un bâtiment de petite taille (abri ?, étable ?), et un autre enclos fermé, d’une superficie légèrement supérieure à un hectare, qui possède lui aussi un petit bâtiment effondré le long de son mur sud. Figure 4 : Nord de la forêt domaniale de Châtillon. Secteur dit « des Ursulines » : parcellaire régulier axé sur une voie antique (relevés Y. Pautrat & O.N.F. ; Carte Y. Pautrat). 141 Y. PAUTRAT, D. GOGUEY En dehors de ce cas, et de celui de la Combe de l’Air que nous détaillerons plus loin, nous avons une structuration de l’espace beaucoup plus lâche et irrégulière, dispersée sur l’ensemble du plateau calcaire. Il s’agit toujours d’éléments parcellaires linéaires de nature variée : rares murs, murées plus ou moins étalées, épaulements de terre (avec ou sans pierres apparentes), talus de terre de faible relief, etc., mais qui ne présentent pas d’organisation cohérente. En de rares endroits et sur de faibles longueurs, ils présentent une organisation en bandes parallèles, qui évoque des champs en lanières. Ailleurs, il s’agit d’enclos ou d’espaces tendant ou non à se refermer, généralement associés à des bâtiments ou d’éléments de parcellaire irrégulier plus ou moins isolés : limites parcellaires variées divergeant dans des directions aléatoires sur des surfaces de 6 à 10 ha. Le plus souvent, il s’agit de tronçons isolés, rectilignes, sinueux ou courbes, que l’on ne peut rapporter à d’autres éléments du paysage, naturel ou anthropique. Dans quelques cas, ces murées ont pour fonction évidente de border des zones de lapiaz (pour empêcher la divagation des animaux ?). Exceptionnellement, on trouve également des chapelets de tertres de pierres, presque jointifs sur plusieurs centaines de mètres, qui évoquent eux aussi une limite parcellaire. Une seule datation 14C a pu être pratiquée sur les charbons de bois d’un sol cultivé, noyé sous un recouvrement limoneux orangé venant buter contre une murée de limite parcellaire, courbe et irrégulière ; son maximum de probabilité se situe entre 785 et 887 après Jésus-Christ, attestant de pratiques culturales au haut Moyen Âge. Quelques sondages, réalisés en 2000, ont montré que les murées de pierres sèches présentent toutes une architecture, même sommaire, défigurée par l’érosion (laves empilées en parements, chaînage interne, boutisses). 3.2.2. - La Combe de l’Air Ce secteur de la forêt domaniale de Châtillon a fait l’objet d’un important défrichement au début des années soixante-dix, suivi d’un enrésinement total ou partiel d’une vingtaine de parcelles (environ 220 ha). René Goguey, archéologue aérien, a pu photographier en 1973 et 1974, un vaste parcellaire constitué de murées dont les pierres avaient été mises à nu par le nettoyage au bulldozer de bandes régulières, séparées par des cordons de défrichement (Goguey R., 1976) (photo 2). En quelques années, la végétation herbacée puis arbustive a fait disparaître toute trace de ce parcellaire qui commence seulement de pouvoir être appréhendé sous les résineux. Le couvert végétal dense, l’alternance dans certaines parcelles de bandes enrésinées et de bandes de feuillus, Photo 2 : Photographie aérienne du secteur de la Combe de l’Air (cliché R. Goguey, 1974). 142 Y. PAUTRAT, D. GOGUEY Limites parcellaires Tertres Extractions Habitat Voie antique carrière Figure 5 : Forêt domaniale de Châtillon. Secteur de la Combe de l’Air (relevés Y. Pautrat & ONF ; Carte Y. Pautrat). la présence des cordons de défrichement, rendent encore la prospection très délicate. Seules les murées ou structures visibles sur les photographies aériennes (ou leur prolongement immédiat) ont été relevées ; les vestiges plus ténus qui peuvent se trouver aux environs resteront encore masqués de nombreuses années. Les limites de parcellaire qui ont pu être cartographiées (fig.5), prennent l’apparence, tantôt d’un petit bourrelet de terre et pierres de 2 à 4 m de large et haut de 0,10 à 0,30 m au grand maximum, tantôt d’un épaulement de terrain à rares pierres superficielles d’un dénivelé de 0,20 à 0,40 m. L’apparence actuelle de ces structures est très largement induite par les travaux forestiers des années soixante-dix : selon que l’on passe d’une bande de feuillus à une bande enrésinée, ou d’un côté à l’autre d’un cordon de défrichement, la limite parcellaire passe d’un type à l’autre. Nous supposons que le passage du bulldozer a plus ou moins arasé des murées édifiées sur un épaulement (ou contre lesquelles la terre s’est accumulée formant cet épaule- ment), les conservant à certains endroits sur une faible épaisseur et les nivelant ailleurs pour ne laisser subsister que l’épaulement (?). Le parcellaire visible sur les photographies aériennes ou cartographié à l’automne 2004 présente une organisation rigoureuse, approximativement orthonormée en direction des points cardinaux, à l’image du secteur cartographié au nord-ouest du massif. Dans le détail, on distingue deux orientations principales : l’une, à l’est, rigoureusement nord-sud-est-ouest ou avec un décalage de quelques degrés vers l’est, l’autre, à l’ouest, nettement décalée de plusieurs degrés vers l’ouest. Dans l’un ou l’autre parcellaire, certaines parcelles sont franchement irrégulières et dérogent au modèle orthonormé global. Les deux parcellaires pivotent autour d’un même point qui se trouve être un pierrier, très arasé, probablement issu d’un bâtiment. Un pierrier plus à l’est, a été testé au détecteur de métaux2. Il a livré une monnaie du IIe siècle après J.-C. et du matériel métallique antique contemporain (fibule de type Ettlinger (2) Autorisation n° 2004-103 du 1er juin 2004. Responsable : D. Goguey. (3) Ancien président de la Société Historique et Archéologique du Châtillonnais, auteur de prospections forestières dans les années soixante à soixante-dix. (4) Laffite (2001-2002) interprète les dimensions du parcellaire de Favières comme des multiples de l’actus : « Les valeurs les plus fréquentes correspondent à trois actus. D’autres mesures correspondent à des modules de 2 – 2,5 – 3,5 – 4,5 – 10 – 16,5 – 20 actus ». 143 Y. PAUTRAT, D. GOGUEY n° 50). Ces divers pierriers avaient été vus et fichés en 1964 par C. de Brotonne3, qui mentionne : « Murs apparents, pierres de taille, pierres sciées, verre, poterie (fragments d’amphore). Villa qui semble importante, peut-être incendiée en partie, dont les divers bâtiments sont adossés aux murs d’un clos de 110 m x 160 m » (fiche n° 30 dite « Villa de la Combe de l’Air »). Une partie du second parcellaire est occultée par une grosse anomalie (tache blanche pierreuse sur les photographies aériennes) qui se présente comme un groupe de dépressions et de buttes pierreuses, que nous interprétons comme une zone de carrière. Les enclos fermés les moins ambigus ont été répertoriés et mesurés, mais les chiffres obtenus sont imprécis (erreurs GPS et imprécision relative des mesures sur SIG) et restent peu significatifs. Il est difficile de dire si ces mesures sont des multiples de l’actus4 mesure romaine d’arpentage (35,4 m). Ils confirment surtout l’irrégularité géométrique du parcellaire, dont la superficie des parcelles varie de 1 à 3 hectares. Une voie antique, reliant probablement les sanctuaires antiques d’Essarois et du Tremblois a été identifiée, au nord de l’enclos de Barlot, sous la forme d’une double murée de gros volume (2 m de haut, voire plus, et plusieurs mètres d’assise) encadrant un espace de circulation de 6 à 8 m de large déconnecté de toute liaison récente entre les villages riverains de la forêt. Au niveau du parcellaire de la Combe de l’Air, nous trouvons deux portions d’itinéraire distinctes. Deux fossés parallèles peu lisibles, séparés par une dizaine de mètres, partent en ligne droite d’un coude de la route forestière de la Combe de l’Air, traversent deux murées du parcellaire et s’interrompent brutalement au contact d’une troisième. Plus au sud, deux parcelles du même parcellaire se raccrochent à un itinéraire matérialisé par deux murées conséquentes (1 à 1,50 m de haut et 2 à 4 m de large) séparées par un espace de 5 à 7 m, se transformant localement en un remblais surélevé de même largeur. Bien que d’envergure moindre, ce « chemin » se rapproche typologiquement de la voie antique Essarois-Tremblois connue près de l’enclos de Barlot. Il est toujours figuré sur la carte I.G.N. bien que totalement abandonné, et figure sur les anciennes cartes forestières sous le nom de « Chemin de SaintGermain ». A partir des récents relevés, on peut avancer l’hypothèse que la frange sud du parcellaire s’appuie sur ce « Chemin de Saint-Germain » qui serait un authentique tronçon de l’itinéraire Essarois-Tremblois. Plus au nord, la relation chronologique du parcellaire avec le double fossé repéré dans les parcelles 821 et 823, auquel il se surimpose, est beaucoup plus délicate à défi- Figure 6 : Forêt domaniale de Châtillon. Enclos de Barlot. H = zones d’habitat. A = zones d’atelier (données issues de la prospection au détecteur de métaux) (relevés Y. Pautrat & O.N.F. ; prospection au détecteur D. Goguey ; carte Y. Pautrat). (5) Celui-ci mentionne les deux fossés parallèles sur son croquis, avec la mention « double fossé (moderne ?) » et l’arrête au même endroit. 144 Y. PAUTRAT, D. GOGUEY nir. Les parcelles les plus à l’est ont pu être cultivées, effaçant toute trace de cette voie, tandis que celle qu’il traverse, d’une autre nature (elle correspond à la « villa » fichée en 1964 par C. de Brotonne5), aurait pu en permettre la conservation ténue. Nous avons là un problème d’antériorité relative qui reste difficile à résoudre, en l’absence de sondages ou d’une analyse plus détaillée appuyée sur un relevé plus élargi. 3.2.3 - Barlot Situé au sud de la forêt domaniale, le parcellaire de Barlot apparaît assez différent. Il est implanté en bordure de lapiaz et comporte quelques parcelles discontinues, incomplètes et un enclos fermé, complexe où se mêlent des murées curvilignes (côtés Nord et Sud de l’enclos) et des murées rectilignes formant des angles droits (côté Ouest). Une prospection au détecteur à métaux a permis de recueillir des éléments de datations et d’appréhender l’organisation de l’espace. (fig.6) Le matériel datant suggère une occupation principalement gallo-romaine : l’indice le plus ancien est un tesson protohistorique (rebord de vase noir, du IIIe au Ier siècle av. J.-C.). De nombreux tessons grossiers à dégraissant calcaire6 ont été trouvés mais étant donné le contexte, ils ont davantage de probabilités d’être du Ier siècle après J.-C. La période augustéenne apparaît à travers des tessons (assiette grise carénée, céramique peinte et rebord de céramique grossière) et le IIe siècle est bien représenté par un rebord de céramique métallescente et 9 monnaies de la période antonine. La localisation et la nature du petit matériel ferreux donne des indices pour distinguer les emplacements d’habitats et d’atelier, et les zones cultivées : des constructions en matériaux périssables sont indiquées par la densité de clous de menuiserie et quelques clous de charpente dans les angles de deux murées et le long de murées. Un matériel d’habitat - vaisselle diversifiée, fragments de verre, clefs de coffre, charnière, peson - provient de ces mêmes endroits. Deux zones d’atelier sont indiquées par la présence de battitures, scories et débris ferreux. A l’extérieur de l’enclos, une parcelle limitée sur trois côtés, le quatrième étant le lapiaz, entourait un habitat avec des éléments de datations du IIe siècle ap. J.-C. Aux emplacements des habitats comme des ateliers la terre est différente, plus sombre et plus légère. Les caractéristiques végétales mises en évidence par Alice Jannet : « flore plus riche et de tendance nitrophile marquée » sont peut-être directement liées à l’habitat plutôt qu’à la culture. Le transect des prélèvements concerne en effet presque exclusivement le secteur où la prospection montre les signes d’habitat. A l’Est et à l’Ouest de cette zone d’occupation, l’enclos est apparemment vide, et deux objets nous incitent à son- ger à des espaces agricoles : une clochette de chèvre et un pique-bœuf. Cet ensemble comporte ainsi plusieurs emplacements d’habitats, les principaux à l’intérieur du grand enclos fermé, concentrés où se trouvent des partitions internes et des pierres dressées intégrées à la murée, un autre étant situé dans une petite parcelle extérieure. Par sa forme, et les éléments de datation, le grand enclos fermé est à rapprocher des enclos fermés sur la rive droite de la Digeanne, mais l’abondance et la variété de céramique évoquent une occupation plus importante. 4. - Conclusion Dans ce cas particulier des parcellaires, nous avons montré deux zones aux caractéristiques très contrastées, traversées par le même itinéraire Beneuvre – Essarois – Tremblois – Vertault. Le parcellaire qui surplombe la vallée de la Digeanne est irrégulier, il apparaît fortement dépendant du relief et malgré sa densité il est discontinu, les zones occupées sont interrompues par des zones « tampon » non mises en valeur où le lapiaz est resté en l’état. Les éléments de datation métalliques s’inscrivent dans la période laténienne (avec une possible antériorité) et au début du gallo-romain. Au contraire, le parcellaire de la Combe de l’Air, implanté sur le plateau, se caractérise par des parcelles fermées, polygonales et liées les unes aux autres. Les habitats testés au détecteur montrent tous une occupation autour du IIe siècle après Jésus-Christ. Dans le premier cas, il est permis de supposer une création progressive, non dictée par d’autres considérations que celles du relief et de la fonction recherchée, mais étant donné les constantes observées et les éléments de datation recueillis, tout se passe comme si les habitants organisaient l’espace selon un code commun et non écrit. Dans le second cas, une volonté manifeste d’organisation de l’espace a encadré la création des parcelles. Faut-il voir là un effet de la romanisation de campagnes reculées ? En l’état actuel de la recherche, le parcellaire de la Combe de l’Air est presque une exception, et le modèle observé sur la Digeanne semble beaucoup plus représenté. Dans les deux cas, il faut souligner la difficulté de distinguer à priori entre parcelles d’habitat et de culture. A la Combe de l’Air, la parcelle ou sont concentrés plusieurs bâtiments probables est semblable aux parcelles voisines, à priori agricoles. Dans le parcellaire de la Digeanne, où les habitats sont en bois et torchis, la difficulté est encore plus nette pour distinguer les enclos qui entourent un habitat de ceux qui entourent des parcelles cultivées, ou les terrasses à habitat des terrasses agricoles, même si la dimension et la forme donnent quelques indices. Ces premières observations nous incitent à étendre les relevés et surtout à tenter de multiplier les possibilités d’obtenir des informations sur la datation et la fonction (6) Des tessons de ce type ont été trouvés en particulier à Blessey. Voir Mangin (2000). 145 Y. PAUTRAT, D. GOGUEY des structures inventoriées. Remerciements Nous remercions, tout particulièrement pour l’identification du mobilier céramique et métallique, Philippe Barral et Lionel Orengo, ainsi que Michelle Hamblin pour le résumé anglais. Bibliographie CHAUME B., 2001, Vix et son territoire à l’âge du Fer. Fouilles du Mont-Lassois et environnement du site princier, Ed. Monique Mergoil, série « Protohistoire européenne », n°6. d’Or, Paris, Les Belles Lettres, Presses Universitaires franccomtoises 699, Série « Environnement, Sociétés, Archéologie », n° 2, p. 155. PAUTRAT Y., 2002, Inventaire Archéologique de la Forêt Domaniale de Châtillon, Bulletin archéologique et historique du Châtillonnais, 6ème série, n° 5, p.21-32. PEYRE C., 1981, Tumulus et enclos funéraires celtiques carrés en Côte d’Or, in : L’Age du Fer en France septentrionale, Actes du colloque de Châlons-sur-Marne 12 – 13 mai 1979, Châlons-sur Marne p.243-262, (2e suppl. aux Mém. de la Société Archéologique Champenoise). SICULUS FLACCUS, De condicionibus agrorum 105, 5759. VARRON, Economie rurale I, 14, 3. FRONTIN, De agrorum qualitate, 2, 8-15. GOGUEY D., BÉNARD J., 2002, Un finage protohistorique et gallo-romain dans le Châtillonnais, Revue Archéologique de l’Est, 51, p.117-214. GOGUEY R., 1976, Recherches d’archéologie aérienne en Bourgogne en 1973 et 1974, Mémoires de la Commission des Antiquités de la Côte-d’Or, Tome XXIX, 1974 – 1975, Dijon, p.79-109. GOGUEY R., 1999, Les éléments du paysage révélés par la photographie aérienne en Bourgogne : camps, voies, parcellaires, Mémoires de la Commission des Antiquités de la Côte-d’Or, Tome XXXVII, Dijon, p.169-196. GOGUEY R., 2000, Photographie aérienne et archéologie autour de Châtillon-sur-Seine, Bulletin Archéologique et Historique du Châtillonnais, sixième série, n° 3, Châtillonsur-Seine. GOGUEY R., 2002, Archéologie aérienne en pays Châtillonnais, Dossier d’archéologie : « Vix, le cinquantenaire d’une découverte », n° 284, p.52-61. HENRY F., 1933, les Tumulus du département de la Côte d’Or, Paris, E. Leroux, 194 p. LAFFITE J.-D., 2001-2002, Le parcellaire gallo-romain de la forêt domaniale de Saint-Amond à Favières (Meurthe et Moselle), Revue Archéologique de l’Est, Tome 51, p.465477. MANGIN M., COURTADON J.-L., FLUZIN P., DE LACLOS E., 2000, Village, forges et parcellaire aux Sources de la Seine. L’agglomération antique de Blessey-Salmaise, Côte 146 Le bois des Saints-Pères à Cesson (Seine-et-Marne) Alain SENÉE(1), Dominique ROBERT(2) (1) 18, rue Jean Moulin – 91 330 YERRES – [email protected] (2) 4, impasse du Vieux Puits – 77 390 COURTOMER – [email protected] Résumé Le bois des Saints-Pères, possession de l’abbaye médiévale des Saints-Pères de Melun, présente de nombreux vestiges d’activités humaines. Il est actuellement menacé par l’extension du centre commercial de Boissénart. Abstract The wood of the « Saints-Pères », possession of the medieval abbey of the « Saints-Pères » of Melun, present many vestiges of human activities. It is currently threatened by the extension of the shopping centre of Boissénart. Le bois, d’une vingtaine hectares, se trouve sur la commune de Cesson en ville nouvelle de Sénart, entre la vallée de l’Yerres au nord et celle de la Seine au sud (fig.1). Il dépend d’un opérateur foncier et aménageur d’Etat dans l’attente, à court terme, d’un retour à la commune de Cesson dont le Plan Local d’Urbanisme inscrit le bois comme espace boisé classé. Jusque dans les années soixante-dix, le bois des SaintsPères appartient à un paysage agricole traditionnel du plateau de la Brie française. La décision d’implanter une ville nouvelle sur dix communes de deux départements limitrophes (Seine-et-Marne et Essonne) bouleverse irrémédiablement la physionomie de cet espace, façonné au fil des siècles et fossilisé par les pratiques agraires. 1. - Données historiques Les prospections pédestres et les sondages menés par les archéologues bénévoles depuis de nombreuses années, les fouilles archéologiques entreprises par les équipes professionnelles ainsi que les recherches en archives permettent de donner une image de l’occupation humaine de ce territoire du paléolithique moyen (Senée, 1988) jusqu’à nos jours. Au Moyen Âge, les seigneuries de Savigny-le-Temple, Vert Saint Denis, Cesson et Pouilly-le-Fort, proches de la ville royale de Melun se composent de lieux possédant une entité propre. Cesson devient une paroisse au XIIe siècle lorsque l’archevêque de Sens donne le prieuré de Saint-Leu à l’abbaye bénédictine des Saints-Pères de Melun (Leroy, 1912). Si les possessions du prieuré de Saint-Leu sont bien renseignées par les archives, il n’en est pas de même concernant le bois des Saints-Pères pour lequel s’ajoute une confusion avec le bois du prieuré dit de Saint-Leu lorsqu’il s’agit des aliénations de la mense conventuelle aux XVIe et XVIIe siècles. Néanmoins, nous disposons de superficies d’après des textes du XVIe siècle : l’abbé commendataire, Charles de Marillac vend 57 arpents de bois taillis du « bois saint-Père » en 1545 (A.D.S.M. H223) alors que le bois contient 80 arpents (près de 40 ha) d’après une déclaration de 1521 (A.D.S.M. H257). Au XVIIe siècle, l’abbaye des Saints-Pères de Melun est affiliée à la Congrégation de Saint-Maur et c’est dans ce contexte que le nombre d’arpents boisés soumis au versement du cens augmente considérablement dans la seconde moitié du siècle (Walraet-Broquaire, 2002). En 1669, le bois contient 67 arpents de bois taillis tenus en fief par le seigneur de Pouilly et ceci jusqu’à la Révolution (A.M. Melun II d.22). Certains toponymes témoignent d’aménagements particuliers en périphérie du bois des Saints-Pères : au nord, Le Plessis Picard fait face au Plessis-le-Roi ; à l’est, Les Closeaux, lieu-dit situé à un croisement majeur ; contiguës à la lisière sud-ouest du bois, deux haies : La justice de la haye st germain suivie de celle de La haye guerin. D’après le plan d’intendance de la paroisse de Cesson levé en 1787 (A.D.S.M. C 50), la voie pavée en grès qui traverse le bois d’est en ouest est l’axe de circulation permettant de joindre Pouilly-le-Fort (sur la commune actuelle de Vert Saint Denis, au nord-est) par l’intersection dite Les Closeaux ; cet axe croise, au niveau d’un pont, le chemin reliant le bois à Cesson et Melun au lieu-dit Le marchais reau, marqué par une croix. Le bois apparaît donc comme un carrefour sur tous les documents, dont les plus anciens datent du XVIIIe siècle, au-delà des différentes phases d’extensions et de rétrécissements qu’il a connues. Le bois des Saints-Pères reste 147 A. Senée, D. Robert Figure 1 : Situation du bois des Saints-Pères. actuellement le seul vestige du temporel de l’abbaye melunaise entre la forêt de Sénart au nord et celles de Rougeau et Bréviande au sud, lambeaux de la Bellus lucus du XIIe siècle d’après l’abbé Fortin (Fortin, 1901). 2. - Peuplement forestier Le bois est un taillis sous futaie de chênes anciens. Les essences d’accompagnement sont le châtaignier et le charme. En sous-étage, les églantiers, les néfliers et les noisetiers (à l’ouest) caractérisent un peuplement vieillissant. Le couvert dense et la taille des cépées du taillis (chêne, châtaignier, charme, érable champêtre) indiquent une ancienneté comprise entre 100 et 200 ans. La dernière coupe de taillis date de 50 ans. 148 Il faut noter une différence de peuplement au nord-est avec la présence de merisiers. Au nord des routoirs, la taille des chênes (diamètre d’environ 1,20 m) atteste un peuplement plus ancien et correspond à de très vieilles réserves du traitement forestier. Le sol est tapissé de jonquilles et d’anémones des bois (A. nemorosa L.) au printemps. Depuis l’été 2004, après le débardage, les robiniers colonisent le sol. Sont visibles également des euphorbes des bois et des ornithogales au pied de chênes typiques d’un traitement de la futaie au XVIIIe siècle. Au sud et au sud-est, la présence de poiriers (Pyrus communis L.) et de pommiers (Palus sylvestris L.), espèces à croissance lente et indicateur d’occupation humaine, renforce le caractère ancien du bois. C’est dans cette partie sud du bois que se trouve le chêne dont la silhouette est comparable aux plus beaux arbres remarquables du départe- A. Senée, D. Robert ment avec une circonférence de 4,60 m à 1,30 m du sol. Au sud-ouest du bois, au-delà d’un profond fossé, la présence d’ormes témoigne d’un usage différent de cette parcelle. Enfin, de nombreux sureaux, indicateurs de sol azoté dû à la fréquentation humaine et animale, prospèrent sur les fossés de la voie pavée. 3. - Structures Le bois présente de nombreuses traces d’occupation, d’utilisation et de destruction (fig.2). La voie pavée en grès est bornée (Anglaret, 1999), large de six mètres et bordée de fossés. Cet axe est la Route d’aqueux qui mène à Savigny-le-Temple, au sud-ouest, en direction de la forêt de Rougeau via la forêt d’Aqueux (A.D.S.M. C 50). Elle permettait donc, à une date encore inconnue, de relier la seigneurie de Pouilly-le-Fort à la vallée de la Seine. Il n’est pas incongru d’envisager par ailleurs le percement de cette voie avec les aménagements cynégétiques entrepris pour le roi Louis XV entre les forêts de Sénart et Rougeau. Des mares sont disséminées dans le bois et l’une, actuellement asséchée, recoupe la voie pavée. Trois autres mares se trouvent dans la partie sud, entre la voie et les routoirs. L’une est asséchée, l’autre a été recreusée en son centre et l’eau y est contenue à l’intérieur d’un talus annulaire, aménagé récemment par les chasseurs pour abreuver la grande faune ; enfin, la dernière, en eau, conserve un aménagement terrassé suivi d’un lit de pierres immergé. Des routoirs (mares de rouissage du lin) ponctuent la lisière sud du bois ; ils sont alignés sur le cours d’un affluent du Ru de Balory. Un fossé profond renforcé par un talus double le ruisseau au sud et se poursuit au-delà des routoirs au nord-ouest. Aux deux extrémités sud de son tracé, le talus a été détruit. Quatre reliefs de forme quadrangulaire, clairement identifiés, sont dispersés au milieu du bois bien que trois d’entre eux soient implantés de part et d’autre de la voie pavée en grès. Rien ne permet d’affirmer une corrélation certaine entre ces structures et les mares, bien que toutes se situent dans le même espace, en partie centrale et méridionale du bois. Ces structures, appelées loges par commodité, ont sensiblement les mêmes dimensions : 4 m x 4 m. L’une est accompagnée d’un puits. Deux de ces reliefs présentent une particularité : l’un est concave ; l’autre, isolé, le plus au sud, montre deux parties convexes, avec en leur milieu un chêne, dont on peut penser qu’il a été utilisé comme support puisque l’écorce porte l’entaille d’un lien sur tout son périmètre à 1,60 m de hauteur. Enfin, en bordure de la voie et à l’est, les vestiges d’une construction en meulière (2 m x 3 m) sont encore visibles sur une hauteur de 0,80 m ; des tuiles à ergot parsèment le sol alentour. Figure 2 : Localisation des vestiges (A : voie pavée ; B : construction en meulière ; S : relief ; M : mare ; R : routoir ; GR : site gallo-romain). 149 A. Senée, D. Robert C’est dans la partie est du bois que se trouvent quelques excavations circulaires qui renvoient à l’exploitation de matériaux tels que le sable et le grès dont le prélèvement est mentionné par l’instituteur de Vert Saint Denis en 1889 (A.D.S.M. 2 Mi 557). C’est également sur cette façade orientale que nous avons repéré en prospection au sol un site gallo-romain, dans la pièce de culture jouxtant la lisière du bois. Le plan de la seigneurie de Pouilly-le-Fort établi au début du XVIIIe siècle montre à cet emplacement des champs en lanières dont une partie a été reconquise par le bois. Toutes ces structures témoignent d’occupations et prélèvements ponctuels en milieu couvert, liés aux ressources du territoire et aux activités séculaires de ses habitants et plus particulièrement au travail de transformation du lin et du chanvre. En effet, l’instituteur de Vert Saint Denis rapporte dans sa monographie l’importante culture du lin avant 1889 ; c’est à cette date du reste que les registres d’état civil font état du décès d’un ouvrier de l’usine de teillage du lin située à Vert Saint Denis (Anglaret, 1999). Beaucoup plus tôt, en 1644, le curé de Cesson établit le compte de la dîme dans lequel est nommée la filasse (A.D.S.M. H281). Les mares dites routoirs ainsi que les loges pourraient être liées à cette activité avant que le XIXe siècle n’interdise le rouissage en cours d’eau, ce qui peut justifier l’implantation artisanale de Vert Saint Denis, un peu plus au sud-est. Enfin, le bois a dû servir à l’approvisionnement de la tuilerie de Cesson : pendant la Révolution, il porte le nom de bois de la tuilerie (Anglaret, 1999). cent sur ses spécificités historiques et écologiques telles que le chêne remarquable au sud-est, les fruitiers anciens et la présence possible du pic noir qui peuvent jouer le rôle d’atouts face à la pression commerciale. Remerciements Claire MABIRE LA CAILLE, maître de conférences, Guy FROISSART et Alain DURAND historiens locaux, pour la communication de leur documentation archivistique, André MARCHAUDON pour les photographies, Renaud TRANGOSI, technicien forestier, pour la détermination forestière. Abréviations A.D.S.M. : Archives départementales de Seine-et-Marne A.M. : Archives municipales Archives A.D.S.M. C 50 : Plans d’intendance des paroisses de Cesson, 1787 et de Savigny-le-Temple, 1787. H223 (1466-1630), H257 (1384-1669), H281 (XVIIe siècle) : Fonds de l’abbaye des Saints-Pères de Melun. 2 Mi 557 : Monographie de Verrière, instituteur de Vert Saint Denis, 1889. A.M. de Melun II d.22, p.3 : Déclaration devant notaire, 1669. 4. - Enjeu actuel Le bois est menacé par la création d’une Zone d’Activités Commerciales, extension du centre actuel de Boissénart, qui s’étend sur près de 200 000 m2, prenant l’espace boisé en tenailles et l’endommageant dans ses parties nord et est. De plus, l’un des deux projets de développement envisage un remodelage paysager irréversible avec des plantations de type urbain servant d’écran au milieu existant dont le tout proche bois des Saints-Pères. Pourtant, le défi « Sénart 2015 » qui s’appuie sur la loi Voynet de 1999 s’est donné cinq objectifs dont le critère environnemental : « préserver le paysage et le cadre de vie des agressions du développement » ; de plus les entreprises doivent s’engager dans une charte qualité environnementale à échelle et financement européens. Face à cette situation, nous avons saisi, entre autres, l’écomusée conservatoire de variétés anciennes de Savigny-leTemple ainsi que le Conseil d’Architecture, de l’Urbanisme et de l’Environnement du département de Seine-et-Marne. Nos démarches consistent donc actuellement à mobiliser les moyens nécessaires à la conservation de ce bois comme témoin du continuum francilien en mettant l’ac150 Bibliographie ANGLARET F., 1999, Histoires de CESSON, Amatteis, 224 p. FORTIN J., 1901, La forêt de Beaulieu, Bulletin de la Société d’Histoire et d’Archéologie du diocèse de Meaux. LEROY G., 1912, Notice historique sur Saint-Leu, hameau de la commune de Cesson, Bulletin de la Société d’Archéologie, Sciences, Lettres et Arts du Département de Seine-et-Marne. SENEE A., 1988, Le gisement paléolithique supérieur de la butte du Luet à Cesson, Pagus Melodunensis, 3. WALRAET-BROQUAIRE S., 2002, L’abbaye de Saint-Père de Melun et son temporel au XVIIe siècle : approche archéologique, Mémoire de maîtrise sous la direction de Mme Mabire La Caille , Université Paris-I-PanthéonSorbonne. Toponymes témoins de l’histoire de la fronde (1648-1652) Alain SENÉE Société d’Art, Histoire et Archéologie de la Vallée de l’Yerres 18, rue Jean Moulin – 91 330 YERRES – [email protected] Résumé Les événements de la Fronde en 1652 sont conservés en Brie sous la forme de toponymes mais également sous celle d’une structure défensive en terre. Le couvert forestier a permis la préservation de ces témoignages. Abstract The events of the Sling in 1652 are preserved in Brie in the forms of toponyms but also under that of a defensive ground structure. Forest cover allowed the safeguarding of these testimonies. 1. - Situation géographique La zone où se sont déroulés plusieurs épisodes importants de la Fronde a pour cadre la partie occidentale de la Brie Française située entre Brie-Comte-Robert (Seine-etMarne) et Villeneuve-Saint-Georges (Val-de-Marne). Cette partie terminale du plateau briard, en surplomb, revêt, pour celui qui l’occupe, une importance stratégique considérable. Sa situation dominante permet d’observer aussi bien le plateau de l’autre versant de la vallée de l’Yerres et la lisière de la forêt de Sénart que la confluence des vallées de la Seine, de l’Orge, de l’Yerres, de la Marne et Paris dans le lointain. Les différents toponymes conservés, dans et aux alentours de la forêt du Bois de la Grange, de cet épisode de notre histoire témoignent de l’âpreté des combats, de la cruauté des hommes qui s’affrontaient et des craintes que la Fronde a longtemps suscitées parmi les habitants de la région. 2. - Historique Durant la Fronde, les armées en présence sont constituées en grande partie de mercenaires : Suisses pour le roi et commandés par Turenne ; Lorrains et Allemands pour l’armée de Condé. Ce dernier fait appel à des « entrepreneurs de guerre » comme les ducs Ulrich de Wurtemberg et Charles IV de Lorraine (Chancelier, 1998). Ces troupes s’implantent et s’affrontent dans toute la région occupant tour à tour les mêmes positions. Charles IV de Lorraine entre en France après la défaite infligée par Turenne à l’armée des princes à Etampes en mai 1652. Il vient prêter main forte aux frondeurs qui conservent néanmoins la ville, encerclée par Turenne. Mais sous la pression de ce dernier, le duc de Lorraine lève le siège après que son armée ait commis les pires exactions dans toute la région comme le pillage des abbayes d’Yerres et de Jarcy ainsi que les manoirs et châteaux de Vaux-la-Reine et Brie-Comte-Robert (Dubois-Corneau, 1932). Ainsi peut s’expliquer l’existence, dans les forêts des alentours, de toponymes liés à ces affrontements et aux principaux protagonistes. 3. - Toponymes et structure Les toponymes relevés sont les suivants : Le Petit Virtemberg (Limeil-Brévannes), Le Grand Virtemberg (Limeil-Brévannes), Le Camp des Lorrains ou Redoute de Virtemberg (Yerres), La Mare Armée (Yerres), Le Chemin des Lorrains (Brunoy et Villecresnes) (fig. 1). Sur les feuilles du cadastre napoléonien de Limeil-Brévannes, les toponymes de Virtemberg, déformation orthographique de Wurtemberg, sont associés à un toponyme d’origine locale. Ils attestent qu’en ces différents lieux, encore boisés, d’autres camps ou retranchements existaient ou existent encore et que le souvenir de cette présence s’est transmis au cours des siècles. 151 A. SENÉE aujourd’hui sous la forme d’une faible dépression correspondant au fossé presque comblé, large de 4 m, qui entourait la structure. Une légère levée de terre en délimite les contours actuels. Elle a la forme d’une étoile à quatre branches régulières et très évasées correspondant aux critères des retranchements bastionnés que l’on édifiait à cette époque. Sa superficie intérieure est d’environ 2500 m2 pour une longueur de 54 m (fig. 2). D’après une estampe anonyme contemporaine des événements (1652), elle était intégrée dans un vaste réseau de fortifications constitué de plusieurs lignes de redoutes érigées autour des points stratégiques. Elle reste, à ce jour, la seule structure défensive en terre connue. Bibliographie BAILLY P., 1991, Mary-sur-Marne, Notre Département : La Seine-et- Marne, 17, Mars-Avril 1991, p.19-22. DUBOIS-CORNEAU R., 1932, La Fronde, Bulletin de la Société Historique et Archéologique de BrieComte-Robert, 1-2, p. 9-40. CHANCELIER M., 1998, Villeneuve-Saint-Georges au fil d’un tableau, Catalogue d’exposition de la Société d’Art, Histoire et Archéologie de la Vallée de l’Yerres, Brunoy, p.13-29. Figure 1 : Forêt du Bois de la Grange (Essonne et Val-de-Marne) : emplacement des différents toponymes liés à La Fronde. Ces toponymes ne se limitent pas à cette seule zone d’étude. En partant de Brunoy, Le chemin des Lorrains, permet de quitter cette commune en direction de l’est. En suivant cette « ligne de fuite », ils apparaissent sur le territoire de plusieurs communes de la partie orientale de la Seine-et-Marne : La Montagne des Lorrains à Marysur-Marne où, selon la tradition, en 1652, les habitants du lieu auraient vaincu les mercenaires du duc de Lorraine, soldats ne faisant tout que pour le ventre, tuant, violant, profanant les églises. Ils étaient dénommés « Les Boyaux Rouges ». Le Bois Lorrain à Saint-Pathus, Le Pré Lorrain à Beautheil, La Butte des Lorrains à Chaumes-en-Brie témoignent encore de ces craintes. (Bailly, 1991). La redoute étoilée du Camp des Lorrains se situe au sud du château de la Grange-du-Milieu, et non loin du château de Grosbois qui furent les points névralgiques de toutes ces escarmouches et intrigues. Elle apparaît 152 A. SENÉE Figure 2 : Plan du Camp des Lorrains ou Redoute de Virtemberg (Yerres - Essonne). 153 154 Les apports du laser aéroporté à la documentation de parcellaires anciens fossilisés par la forêt : L’exemple des champs bombés de Rastatt en Pays de Bade Benoît SITTLER(1), Karl HAUGER(2) (1) Institut für Landespflege – Universität – D-79085 FREIBURG [email protected] (2) Stadionstraße 28 D- 76437 RASTATT Résumé La documentation de vestiges archéologiques butte souvent sur des difficultés particulières dès lors qu’ils ont été fossilisés sous couvert forestier. Ce cas s’applique aussi aux champs bombés comme formes du modelé agraire traditionnel ayant généré une succession de crêtes et de creux, avec des dénivelés de 30 à 60 cm et dont la trame permet de reconstituer l’anatomie de parcellaires anciens. La technique du laser aéroporté développée pour des mesures altimétriques de haute résolution a été testée dans le cadre d’un projet visant une cartographie fine d’un important complexe de champs bombés fossilisés sous forêt près de Rastatt en Pays de Bade. Les objectifs de cette étude étaient de développer un modèle numérique de terrain en 3 dimensions de ces champs conservés en forêt. Les données ont été acquises lors de missions laser aéroportées commissionnées par le Land Bade Wurtemberg pour la mise à jour des données altimétriques du cadastre. Basée sur la mesure des distances parcourues par des impulsions laser émises depuis un émetteur-récepteur, cette technologie s’appuie sur un traitement préalable des données brutes incluant aussi la sélection des points laser ou échos effectivement réfléchis au niveau du sol. Les coordonnées de ces derniers couplées à l’utilisation d’un SIG servent alors à la réalisation du modèle numérique de terrain. Ce dernier révèle avec un étonnant degré de vraisemblance et à grande échelle le modelé de ces champs fossilisés, témoignant ainsi des capacités insoupçonnées de cette technique à détecter et visualiser en 3-D des structures en relief qui en milieu forestier échappent à l’observateur. Abstract The documentation of relics of ancient cultivation practices is a special issue to landscape and heritage preservation agencies. In sites where such legacy of medieval agriculture survived under woodlands, assessing the characteristics of the pattern of furlong and strips is often difficult due to methodological constraints imposed by the obscuring vegetation that prevents systematic observations. As a new technology for obtaining high resolution measurements of surface elevations, airborne laser scanning has been tested on fossilized ridge and furrow that survived in woodlands near Rastatt in South West Germany. The purpose was to generate 3-D models of these corrugated fields displaying altimetric differences between 30 and 60 cm. Data for this pilot study were obtained from flight missions carried out by the Land survey agency of Baden Wurttemberg for the purpose of updating comprehensive altimetric data base. Filtering and processing of row data with subsequent use of GIS enabled to generate realistic 3D terrain models representing the earth's surface void of any forest or vegetation structure. The resolution of this data that creates true-to-life renderings of these corrugated patterns of medieval fields compares favorably with terrestrial mappings, allowing large areas of landscape to be captured as three-dimensional surface data. This technology promises to open historic structures and archaeological sites to more visually detailed, accurate and efficient examination 155 B. SITTLER, K. HAUGER 1. - Introduction La documentation de vestiges archéologiques fossilisés en relief sous le couvert forestier butte souvent sur des difficultés non seulement liées à la révélation de leur existence dès lors que la végétation les a colonisés depuis des générations, mais aussi à l’exécution de relevés planimétriques. Cela s’applique tout particulièrement pour des structures s’étendant sur de grandes surfaces et présentant des différences altimétriques guère perceptibles. Ce cas de figure concerne entre autres l’archéologie agraire avec ses formes héritées de pratiques agricoles anciennes et que le retour de la forêt a figé. Si en terrain découvert la prospection aérienne s’est souvent révélée d’une grande efficacité pour mettre en évidence les trames de terroirs médiévaux et des vestiges ruraux qui y étaient associés (Beresford et Saint-Joseph, 1979 ; Braasch, 1996), la télédétection traditionnelle prisée pour sa capacité à fournir des vues synoptiques se heurte ici à son incapacité à voir au travers du voile de la canopée. La technique du laser aéroporté dont l’application dans le domaine civil est récente, a été testée dans le cadre d’un projet visant une cartographie fine d’un important complexe de champs bombés fossilisés sous forêt près de Rastatt en Pays de Bade. Une prospection terrestre avait laissé entrevoir le caractère exceptionnel du site (Hauger et al., 2001) sans toutefois parvenir à en appréhender précisément les mensurations géométriques ainsi que le périmètre réel de ces anciens champs fossilisés. 2. - Problématique Les champs bombés encore perceptibles dans nos paysages sont des preuves archéologiques attestant d’une ancienne occupation agricole et à ce titre leur documentation permet de jeter un regard sur l’utilisation des paysages à des époques révolues, surtout lorsque des sources narratives scripturales ou iconographiques font défaut. Ce cas s’applique tout particulièrement aux parcellaires romains ou médiévaux. Le modelé même de ces champs bombés se traduisant par une succession de creux et de crêtes espacés de 5 à 20 mètres a été généré par la pratique de labours en ados liée à l’utilisation de charrues à versoir fixe (Ewald, 1969 ; Callot, 1980). L’abandon de ces pratiques qui est allée de pair avec la modernisation de l’agriculture au XIXe siècle s’est accompagnée d’un nivellement de ces parcelles. Ces modelés n’ont été conservés que dans les situations où ces parcelles furent converties en prairies comme ce fut souvent le cas en Angleterre ou alors lorsque pour des raisons diverses la forêt y a repris ses droits après l’abandon des labours. La documentation de ces sites par les archéologues agraires s’est souvent limitée à des prospections terrestres 156 lorsque ces structures étaient facilement lisibles (Ewald, 1969) ou aériennes (Beresford et Saint-Joseph, 1979) mais rares ont été les cas de champs bombés conservés en milieu forestier. C’est aussi la raison pour laquelle de nombreux sites sont restés ignorés. Ce cas s’applique aussi au Fossé Rhénan où ces champs bombés avaient pourtant marqué de leur empreinte la physionomie des paysages passés (Schwerz, 1816 ; Callot, 1980). Il en est ainsi d’un important complexe de champs bombés dans les Forêts du Bruch de l’Andlau au Sud de Strasbourg. Pour le site au sud de Rastatt en Pays de Bade (Hauger et al., 2000), les difficultés rencontrées lors d’une cartographie terrestre d’une zone s’étendant sur plus de 1000 hectares et aussi de l’application de méthodes tachéométriques comme autre procédé pénalisé par l’encombrement végétal du milieu forestier ont été à l’origine d’une recherche d’autres techniques susceptibles de supplanter ces approches traditionnelles. A cet effet, les missions de laser aéroporté mises en place par les Services du Cadastre (Landesvermessungsamt Bade-Wurttemberg) allaient offrir une possibilité de tester l’applicabilité de cette technique pour la restitution du microrelief des champs bombés. 3. - Méthodes Présentation du site : La zone concernée se situe dans la plaine du Rhin au sud de Rastatt. Elle occupe une ancienne terrasse qualifiée de Stollhofener Platte et dont le rebord domine à l’ouest de 6 à 8 mètres le lit majeur du Rhin. Cette partie exhaussée s’étend sur environ 5 km de longueur et une largeur de 2 à 3 km. Vers l’Est, elle est délimitée par la zone déprimée et marécageuse de la Kinzig Murg Rinne. Ses substrats caillouteux et sableux et l’absence de contact direct avec la nappe phréatique (profondeur du toit de la nappe d’environ 3 à 4 mètres) confèrent à ce site une certaine aridité et pauvreté. Hormis les abords immédiats des villages de Hugelsheim et Iffezheim encore voués à l’agriculture, ce site est essentiellement boisé, avec des peuplements mixtes dominés par les pins, épicéas et hêtres. La grande tempête « Lothar » de 1999 y a localement créé des trouées et des chablis dégagés entre temps, alors que d’autres secteurs ont conservé leur couvert beaucoup plus dense. Une prospection préliminaire de ce parcellaire à champs bombés avait donné lieu a une première cartographie encore provisoire de tous les champs dont l’observation directe avait clairement fait apparaître l’alternance des creux et des bombements. Cette première délimitation porte sur une surface minimum d’environ 350 hectares (Hauger et al., 2001). B. SITTLER, K. HAUGER Une première étude historique attribue à ce parcellaire une origine médiévale, son abandon étant consécutif à la Guerre de Trente Ans, avec retour à une couverture forestière se faisant par le biais d’une friche boisée. 3.1. - La technique du Laser aéroporté Cette technique qualifiée de LIDAR (Light Detection and Ranging) et déjà appliquée dans divers autres domaines (Ackermann, 1999 ; Pfeifer et al., 1999 ; Von Hansen et Vögtle, 1999 ; Maas, 2002 ; Persson et al., 2002) a pour principe la mesure des distances parcourues par des impulsions laser émises depuis un émetteur-récepteur monté à bord d’un avion et dont le positionnement est assuré par la combinaison d’un récepteur GPS et d’une plate-forme inertielle. Ces systèmes combinent deux entités : un télémètre laser couplé à un procédé d’orientation du faisceau laser pour mesurer la distance le séparant de la surface survolée et des capteurs pour déterminer la position et l’altitude de la plate-forme (fig.1). En zone boisée ou bâtie, les impulsions laser subissent plusieurs réflexions avant d’atteindre le sol. On parle alors d’échos multiples enregistrés par l’impulsion émise. Le premier écho correspond au premier contact avec l’objet en sursol, soit en forêt la canopée, le dernier écho étant celui qui atteint le sol pour s’y réfléchir (fig. 2). Pour séparer les points du sursol de ceux correspondant effectivement à la surface du sol, il faut donc appliquer des algorithmes de filtrage pour lesquels divers logiciels sont disponibles. First pulse Last pulse Figure 2 : Impulsions laser en présence d’un couvert forestier (First pulse = premier écho et Last pulse = dernier écho). Les données brutes livrées sous la forme d’un nuage de points 3D géo-référencé par le prestataire font ensuite encore l’objet d’un traitement ultérieur requis pour la réalisation de modèles numériques de terrain. Ces opérations incluent des calculs de trajectographie et de nuages de points, des classifications semi-automatiques ainsi que des corrections interactives sur stations de photogrammétrie numérique. Les performances de la mesure altimétrique doivent tenir compte de diverses sources d’erreurs qui jalonnent la chaîne d’acquisition et qui peuvent se traduire par une incohérence des données. C’est ainsi qu’outre des erreurs liées au fonctionnement même du système laser, diverses autres imprécisions peuvent affecter la qualité des données (atmosphère, nature des surfaces etc.). Figure 1 : Le principe de la télédétection par laser aéroporté. La référence à une station GPS au sol permet d’améliorer la précision géographique du capteur. Le calcul de ces distances repose sur la mesure du temps de propagation de l’impulsion laser. Le balayage des surfaces est opéré à de très hautes fréquences selon des bandes d’une largeur pouvant aller de 300 à 700 mètres, pour des altitudes de vol de l’ordre de 1000 mètres. La densité des points est évidemment fonction de divers paramètres ; selon les systèmes et les applications, elle varie généralement entre 0,1 point et 5 points par m2. Les coefficients de pénétration varient évidemment en fonction de la densité des couverts et de la saison. En période hivernale, il peut ainsi atteindre 60 % dans des peuplements de feuillus, alors qu’il peut descendre jusqu’à 20 % dans des zones de conifères très denses. Les coordonnées de l’ensemble des points au sol permettent de générer un modèle numérique de terrain (MNT), mais il est aussi possible de n’utiliser que les premiers échos pour restituer un modèle numérique de la surface de la canopée, la différence entre les deux permettant même de déduire le volume de la couche végétale. 157 B. SITTLER, K. HAUGER 3.2. - Les missions de laser aéroporté du Land Bade Wurtemberg Dans le cadre d’un programme de grande envergure ayant pour ambition de disposer de données altimétriques de haute précision (un point pour moins de 5 m2) pour tout le territoire du Land Bade Wurtemberg (35 000 km2), les services du cadastre (Landesvermessungsamt) ont opté pour le laser aéroporté (Hoss, 1997 ; Gütlinger et al., 2001). Les missions étalées sur 5 ans (2000 – 2005) ont été assurées par la Compagnie Topscan. Les survols qui requièrent un paramétrage préalable (angle et fréquence de balayage, fréquence des impulsions et intervalles de distance) ont eu lieu en période hivernale. Pour la présente approche, les responsables de ces services (Mrs. Scheyer et Gütlinger) ont gracieusement accepté de procéder à un traitement pour une zone test d’un kilomètre sur un kilomètre au sein du site à champs bombés. Cette démarche a comporté le géoréférencement en coordonnées ETRS89/UTM, les différents points étant discriminés selon qu’ils correspondent à des points au sol (MNT) ou en sursol (MNS). Des extraits de ces données ont ensuite été traités avec le logiciel Erdas Imagine avec contrôle préalable avec Erdas. Ces extraits ont été exportés depuis Erdas Imagine vers des quadrats Arc View en préalable à la création de profils de surface. lations propres aux champs bombés avec le profil encaissé du fossé (Hardtgraben) profond d’environ 1,5 m et qui en cet endroit coupe les champs bombés. Ces fichiers une fois visualisés sous forme de profils, rendent perceptibles la dimension verticale de façon très intuitive dans des milieux où le couvert forestier rend l’observation directe très aléatoire comme l’ont illustré les relevés terrestres et tachéométriques. 4. - Résultats Figure 3.a 4.1. - Visualisation de la microtopographie à partir des derniers échos Pour illustrer les performances de cette approche, on a confronté les résultats obtenus en ne retenant que les données laser émanant des premiers « échos » avec celles résultant des derniers « échos » correspondant aux rayons ayant effectivement touché le sol. Cette comparaison est très instructive, comme en témoigne la mise en parallèle des images numériques obtenues (fig. 3a et 3b). Si 3a rappelle par bien des détails une photo aérienne d’un massif forestier avec ici aussi les différences de densités du couvert résultant des chablis de la tempête « Lothar », c’est un tout autre « pattern » que restitue le modèle numérique de terrain. Ce dernier laisse apparaître de manière incontestable la trame du finage que la forêt a fossilisé, un examen plus approfondi permettant ainsi de procéder à une analyse détaillée de ce modelé agraire. Une visualisation en 3D du modèle numérique de terrain dérivé du semis de points de dernier écho au sol est illustrée par ces images « en relief » d’extraits de parcelles forestières (fig. 4). Le modelé où se succèdent des crêtes et des creux y est parfaitement lisible, ce type de représentation rendant perceptible la dimension verticale. Dans cet extrait, il est intéressant de comparer aussi les ondu- 158 Figure 3.b Figure 3 : Modèles numérique de surface (3a) et de terrain (3b) pour ces quadrats de 1km sur 1km. B. SITTLER, K. HAUGER La longueur est déterminée en mesurant la distance au travers d’un champ bombé et la largeur moyenne d’un champ bombé en divisant par sa surface planimétrique avec sa longueur correspondante. Pour déterminer les amplitudes des ondulations, on a tracé un profil en travers des champs bombés (fig. 6) en utilisant le logiciel adapté. Alors qu’Arc View fournit des profils en lignes, Erdas Imagine fournit des profils spatiaux. Les profils obtenus reproduits dans le graphe rendent facilement compte des différences de niveau. Les distances figurent en abscisse et les élévations en ordonnée. Alors que dans le cas présent la délimitation des champs bombés (polygones) a été opérée par digitalisation manuelle sur écran, des algorithmes sont envisageables ultérieurement pour procéder à ces recherches de manière automatique. Un tel programme a été mis au point pour la détection de tumuli en Hollande à partir des semis de points laser (De Boer, 2005). Figure 4 : Extraits du site visualisé en 3D. 4.2. - Les mesures altimétriques et planimétriques des champs bombés Dans la perspective d’une analyse plus fine des formes planimétriques et du parcellaire dans son ensemble, on a procédé à des tests visant à appréhender les caractéristiques géométriques des champs dont les limites ont été révélées par le modèle numérique de terrain. Ces tests ont été opérés sur des surfaces échantillons et ont porté sur les dimensions géométriques (longueur et largeur) ainsi qu’altimétriques. A cette fin, il a été fait appel à l’extension 3D analyste du logiciel Arc View 3.8, son application ayant porté sur une délimitation manuelle préalable des champs bombés (fig. 5). Grâce à ce programme, il est possible de déterminer des surfaces ainsi que des “volumes de surfaces”. Ces dernières sont appréhendées en tenant compte des différences de niveau. Ce paramètre diffère de l’extension planimétrique en 2D de chaque modèle. La surface planimétrique en 2D est une surface carrée dès lors qu’on observe la surface depuis l’espace. La surface est en revanche la surface réelle et rend compte d’informations pertinentes se rapportant à la rugosité et l’ondulation. Plus la différence entre les deux surfaces est grande, d’autant plus grande sera la rugosité de la surface. Figure 5 : Délimitation manuelle du périmètre des champs bombés. 5. - Discussion La manière dont cette approche révèle à l’observateur les trames géométriques de ces levées de terre parallèles séparées par des raies dissimulées sous couvert végétal en font une nouvelle voie d’accès aux possibilités encore insoupçonnées à la connaissance du paysage. Avec une résolution altimétrique de l’ordre de 15 cm dont la précision reste cependant encore à appréhender en fonction des caractéristiques techniques des missions et de la nature des couverts, bien des structures sont désormais accessibles pour des prospections, et ce cas ne concerne pas seulement celles dont la répétitivité des formes saute immédiatement aux yeux. 159 B. SITTLER, K. HAUGER Hoehe (m) 123 122 0 2 4 6 8 10 12 14 16 18 20 22 24 26 28 30 32 34 36 38 40 42 44 46 48 50 52 54 56 58 60 62 64 66 68 70 72 74 76 78 80 82 84 86 88 90 92 Distance (meters) Figure 6 : Exemple de profil en travers. Comme un examen encore très sommaire l’a révélé, bien d’autres éléments ont pu être détectés, un des avantages étant aussi de pouvoir indirectement dater – dans le relatif – certaines structures en fonction de leur disposition. C’est ainsi qu’il apparaît que les fossés viennent couper les champs bombés. Leur creusement est donc postérieur à ces champs. Dans le cas du long fossé rectiligne du Hardtgraben, sa mention dans les archives du XVe siècle permet de déduire que ces champs bombés étaient déjà en place au Moyen Age. En revanche, les champs bombés viennent butter sur un ancienne voie attribuée aux Romains (Römerweg), sans correspondance géométrique avec les champs d’en face, suggérant que cette voie était déjà en place lors de la mise sous labour de ce site. Si les coûts entraînés par des missions de laser aéroportés restent dissuasifs pour bien des initiatives, le cas du Land Bade Wurtemberg démontre que si l’investissement initial est certes impressionnant, la multiplicité des utilisateurs potentiels peut justifier dans le moyen et long terme la préférence donnée à cette technologie. Du forestier souhaitant appréhender les structures de la canopée jusqu’aux hydrologues intéressés par des modèles numériques de terrain requis pour évaluer les risques d’inondation en passant par les archéologues et urbanistes, les besoins de données aussi précises doivent encourager à s’associer pour engager de telles initiatives. Remerciements Nous tenons à remercier tous ceux qui ont bien voulu apporter leur concours à l’élaboration de cet article. Nous sommes tout particulièrement reconnaissants envers le Landesvermessungsamt Baden-Württemberg pour la gracieuse mise à disposition des données laser ainsi qu’à 160 René Siwe (Télédétection/ Univ. de Freiburg) pour son aide lors du traitement de ces données. Nos remerciements vont également au Landratsamt Rastatt (Mr. von Rueden et Mr. Schenkel) pour les diverses contributions au projet. 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SCHWERZ J.N., 1816, Beschreiburg der Landwirtschaft im Nierderelsaß, 450 p. 161 162 Biodiversité et archéologie : une étude interdisciplinaire en forêt de Rambouillet (Yvelines, France) Thomas VIGNEAU Muséum National d’Histoire Naturelle – Unité Scientifique 306 Réseaux trophiques du sol : fonctionnement et gestion de l’écosystème forestier Doctorant, Université Paris X – Nanterre, UMR 7041 Archéologie et sciences de l’Antiquité. 7bis, passage de Bonneval – 28000 Chartres – [email protected] Résumé L’étude présentée dans cet article s’inscrit dans le cadre d’une thèse de doctorat consacrée à la dynamique de l’occupation du sol dans le sud des Yvelines depuis l’Antiquité. Le sujet intéresse principalement la forêt de Rambouillet dont la plus ancienne mention écrite remonte au début du VIIe siècle (vers 615), et qui est volontiers considérée comme les vestiges d’une vaste forêt « primitive ». La fréquence des occupations gallo-romaines au sein de ce massif forestier remet en cause cette hypothèse, et soulève la question des modes de mise en valeur dont les territoires couverts par l’actuelle forêt de Rambouillet ont fait l’objet pendant la période gallo-romaine. Afin de contribuer à l’étude des fonctions des établissements antiques du massif forestier de Rambouillet, des relevés floristiques systématiques sont effectués en complément de la réalisation de campagnes de prospection et de sondages archéologiques. Il s’agit, au travers de cette approche interdisciplinaire, d’évaluer les rapports entre les caractéristiques écologiques de la végétation forestière et les structures archéologiques, et d’appréhender l’organisation spatiale des occupations antiques. Les premiers résultats obtenus sur un site d’habitat rural, probablement occupé au cours des IIe et IIIe siècles après J.-C., et pour lequel l’hypothèse d’un antécédent agricole est proposée, sont brièvement présentés. Abstract The study laid out in this article takes place within the framework of a thesis dealing with the evolutions of land use in the south of the Yvelines region since Antiquity. The subject mainly relates to the forest of Rambouillet (20000 ha) of which oldest mention dates back to the beginning of the seventh century AD (towards 615), and which is readily regarded as the relics of a vast « primitive » forest. The frequency of roman occupations within this forest calls into question this hypothesis, and raises the question of the land use modalities during the roman period. In order to contribute to the investigation of the functions of antique settlements located within the forest of Rambouillet, systematic floristic recordings, in addition to prospection campaigns and archaeological surveys, are carried out within several roman sites. Through this interdisciplinary approach, it is a question of assessing the relationships between the ecological characteristics of forest vegetation and the archaeological remains, and to investigate the spatial structure of antique occupations. The first results obtained on a rural settlement, probably occupied during the second and the third century AD, and for which the hypothesis of a former agricultural land use is assumed, are briefly presented. 163 T. VIGNEAU 1. - La zone d’étude : contexte topographique, formations géologiques et types de sols Le massif forestier de Rambouillet est situé dans le sud du département des Yvelines. Fragmenté en plusieurs ensembles, il s’étend sur environ 20000 ha et comprend 14550 ha de forêt domaniale (fig. 1). Les espaces forestiers actuels occupent principalement une zone de plateaux dont le soubassement est formé par des argiles à meulières. Celles-ci reposent sur un important dépôt de sables stampiens dont l’érosion a modelé des versants plus ou moins pentus. Argiles à meulières et sables stampiens, localement surmontés par des sables argileux, sont irrégulièrement recouverts par des loess et des sables Figure 1 : Le massif forestier de Rambouillet – carte de localisation 164 soufflés. Sous couvert forestier, les dépôts limoneux sont peu étendus, assez superficiels et souvent très sableux, alors que les secteurs de plateaux occupés par les cultures présentent des dépôts éoliens plus importants, plus épais, et dont la fraction sableuse est plus réduite. Les colluvions, généralement sableuses ou sablo-limoneuses, occupent les fonds de vallons sur les plateaux, les bas de versants dans les vallées, et constituent de larges étendues sur les pentes développées dans les sables. Dans les fonds de vallées, les alluvions récentes sont le plus fréquemment constituées de matériaux fins, et présentent localement des faciès tourbeux (Crahet, 1981). Les formations géologiques conditionnent en grande partie les modes actuels de l’occupation du sol. Les cultures occupent significativement les espaces recouverts par les limons. Ce type de substrat détermine des sols bruns T. VIGNEAU offrant de bonnes conditions de drainage ainsi que de bonnes réserves en eau et en minéraux. Les espaces forestiers occupent principalement des secteurs où les argiles à meulières et les sables stampiens jouent un rôle prépondérant dans les processus pédogénétiques. On y retrouve des sols plus ou moins podzolisés et affectés à des degrés divers par l’hydromorphie. Les facteurs topographiques et édaphiques introduisent de forts contrastes sur le plan des conditions de drainage : fréquemment engorgés sur le plateau et en bas de pente, les sols sont au contraire soumis à un drainage important sur les versants, notamment sur les pentes creusées dans les sables purs. Les colluvions sablo-limoneuses déterminent des sols aux potentialités souvent limitées et présentant une hydromorphie parfois marquée. Dans ce contexte, la végétation forestière, à l’exception de quelques stations modérément acides, regroupe des formations plus ou moins acidiphiles. En dehors des stations au sol inondé ou engorgé en permanence, où se développent aulnaies et tourbières, la végétation se rattache principalement à différents types de chênaies (Bournérias, 1972). La chênaie-charmaie mésotrophe se développe sur les sols limoneux, et occupe des surfaces restreintes par comparaison aux formations oligotrophes (chênaie sessiliflore à bouleau verruqueux, chênaie pédonculée à molinie). La forêt présente d’autre part des faciès landicoles (landes à Genêt, à Fougère aigle ou à Bruyère). 2. - Du mythe historiographique au renouvellement de la problématique La première mention écrite de la forêt de Rambouillet apparaît au début du VIIe siècle (vers 615) sous le vocable Silva aequilina (forêt d’Yveline). Les sources écrites postérieures révèlent que ce territoire constitue à la fin du VIIIe siècle un vaste domaine rattaché au fisc carolingien, dont la plus grande partie est cédée en 768 à l’abbaye de Saint-Denis par Pépin le Bref (Bourgeois, 1995). La charte de donation indique que la forêt d’Yveline n’était pas intégralement occupée par des espaces boisés et des terres incultes, et révèle que celle-ci renfermait des terres cultivées, des vignes, des prairies ainsi que des lieux habités. Mais, faute de données précises, il est difficile d’évaluer l’emprise des espaces occupés alors par la végétation forestière. L’hypothèse « classique » de la forêt primitive Pour de nombreux historiens, l’actuel massif forestier de Rambouillet correspond aux vestiges d’une vaste « forêtfrontière », qui constituait à l’époque gauloise une marche forestière située aux confins des cités des Carnutes et des Parisii (Granger, 1927 ; Higounet, 1990). De multiples travaux semblent tirer argument des faibles potentialités agricoles des plateaux occupés aujourd’hui par le massif de Rambouillet pour avancer l’hypothèse d’une relative stabilité des espaces forestiers depuis des temps immémoriaux. Jugés impropres aux cultures, les sols de plateaux auraient constitué un facteur limitant à l’extension des cultures permanentes (Higounet, 1966). Par ailleurs, l’idée d’une déforestation cumulative, effectuée à partir du haut Moyen Âge, fait l’objet d’un large consensus dans l’historiographie (Roblin, 1951 ; Higounet, 1990). Ces défrichements, qui s’intensifient aux XIIe et XIIIe siècles, auraient abouti au démantèlement partiel de l’antique forêt d’Yveline, les marges forestières résiduelles se retrouvant confinées aux terres les moins fertiles. L’apport des données palynologiques et archéologiques Les documentations archéologique et paléo-environnementale remettent en question ces propositions. Des analyses palynologiques réalisées sur trois tourbières du massif forestier témoignent de l’alternance d’épisodes de déforestation et de phases de reprise forestière depuis le Néolithique (Jalut, 1966, 1967 ; Barthélémy, 1983). Illustrées par plusieurs phases de déboisement successives, les influences anthropiques sur la végétation deviennent sensibles à partir de la seconde moitié de l’Atlantique : les analyses indiquent un recul de la chênaie au profit des landes à callune, et suggèrent le développement de pratiques agro- ou sylvo-pastorales. Pour le Subatlantique, les séquences polliniques témoignent de manière convergente de l’apparition des céréales (seigle), de Plantago lanceolata, des rudérales, des graminées et des cypéracées, suggérant ainsi la présence d’habitats à proximité des sites étudiés et le développement de systèmes agraires associant mise en valeur intensive et extensive des terroirs. Toutefois, l’absence de calage chronologique des phases récentes des séquences étudiées rend difficile la confrontation de ces analyses avec une documentation archéologique plus particulièrement abondante pour l’Antiquité. Les multiples prospections réalisées en forêt de Rambouillet depuis le milieu du XIXe siècle (Moutié, 1868 ; Toussaint, 1951 ; Zuber, 1969), complétées par quelques recherches plus récentes (Bénaily et al., 2003 ; Vigneau, 2005), illustrent la fréquence des occupations antiques. Un nombre restreint d’établissements, classiquement interprétés comme des villae, se distinguent des autres sites antiques par le caractère sensiblement plus étendu des indices d’occupation (mobilier archéologique et matériaux de construction en surface, micro-reliefs indiquant des fondations sous-jacentes). Ces sites se caractérisent également par des indices écologiques témoignant d’une élévation notable des niveaux trophiques. Ce phénomène est illustré par la présence d’humus actifs sur le plan biologique (notamment des mulls 165 T. VIGNEAU eutrophes) et par le développement d’espèces végétales atypiques compte tenu des potentialités du milieu : il s’agit en particulier d’espèces nitroclines et nitrophiles dont la présence peut vraisemblablement être inférée aux modifications des propriétés physiques et chimiques des sols introduites par l’occupation des structures d’habitat et par l’amendement des sols. En effet, le maintien de niveaux trophiques élevés sur des périmètres relativement éloignés des structures d’habitat et dépourvus d’indices de substructions conduit à émettre l’hypothèse de la vocation agricole d’une partie des terroirs environnants. Ce type de sites, que l’on peut situer à un niveau hiérarchique plus élevé que les autres établissements de la forêt de Rambouillet, offre par ailleurs des conditions de prospection relativement favorables au ramassage de surface, la discontinuité de la litière, liée au recyclage rapide de la matière organique, facilitant le repérage du matériel archéologique épandu à la surface du sol. De ce fait, ces établissements livrent davantage de mobilier archéologique que la plupart des autres sites. Ils semblent aussi occupés plus longuement, le matériel collecté suggérant des périodes d’occupation entre la Tène finale et le IVe siècle après J.-C. Hormis ces quelques sites relativement bien documentés, des formes plus modestes d’habitat sont attestées : elles sont caractérisées par leur plus faible superficie, et se rapportent à des périodes d’occupation probablement plus limitées (du Ier au IIIe siècle). De petites villae, comme celle de la Millière, fouillée de 1964 à 1974 (Zuber, 1974), peuvent se rattacher à cette catégorie de sites. On peut y rajouter une série d’établissements livrant un mobilier archéologique relativement abondant (tuiles et céramique commune) mais dont les structures et l’organisation spatiale, à l’exception du site du Bois de Vilpert (cf. infra), ne sont pas aisément perceptibles en prospection de surface. Le trait le plus original de la documentation archéologique de la forêt de Rambouillet tient à la présence de nombreux enclos quadrangulaires (plus d’une trentaine au total) fréquemment désignés sous l’appellation de Camp Romain par la toponymie. Constitués par un talus bordé par un fossé extérieur, ces enclos adoptent un plan rectangulaire ou trapézoïdal, et présentent une surface comprise entre 7500 m2 et 1,5 ha (Zuber, 1969, 1978). Étant donné la rareté du matériel archéologique collecté, leur chronologie reste mal connue, la majorité des enclos n’ayant d’ailleurs livré aucun élément de datation. On sait néanmoins que quelques enclos sont occupés au cours de la Tène finale et pendant le Ier siècle après J.-C. Pour la plupart, ces enclos sont dépourvus de vestiges de fondations, et semblent correspondre à des occupations sporadiques et de courte durée. Toutefois, ils renferment peutêtre des structures légères en matériaux périssables, dont la mise en évidence n’est possible qu’à la fouille. 166 Successivement interprétés comme des fortifications militaires (Rabourdin, 1936), puis comme des enceintes à caractère cultuel édifiées à la fin du second Âge du Fer (Buchsenschutz, 1978), ces sites peuvent correspondre à des habitats ruraux, ainsi que le suggère la fouille de deux enclos en forêt de Saint-Arnoult-en-Yvelines (Baray, 1989). Cette hypothèse peut en particulier être envisagée sur un site où des substructions en meulière sont attestées et où un parcellaire fossoyé semble organisé autour de l’enclos. En tout cas, même en admettant l’hypothèse d’un arasement des structures depuis l’abandon définitif des enclos, la hauteur du talus (1,50 m au maximum) conduit à écarter l’hypothèse de systèmes fortifiés. D’autre part, l’hypothèse cultuelle reste discutable, dans la mesure où, faute de données archéologiques, celle-ci se fonde uniquement sur des critères morphologiques. Questions et hypothèses de travail La fréquence des structures antiques au sein du massif forestier de Rambouillet contredit la thèse historiographique classique de la sylve « primitive ». La documentation archéologique conduit à penser que, entre la fin du second Âge du Fer et le début du Bas-Empire, les espaces forestiers du sud des Yvelines étaient plus morcelés qu’aujourd’hui. On peut notamment poser l’hypothèse d’une relative ouverture du paysage sur les secteurs de limons où le réseau des occupations antiques apparaît bien développé. La recherche de sols susceptibles d’être mis en culture sans investissement excessif et la nécessité d’accéder aux ressources en eau sans contraintes majeures ont vraisemblablement constitué des facteurs déterminants dans l’implantation des établissements. Les secteurs de sables stampiens ont probablement été peu privilégiés, ainsi que le suggère la documentation archéologique. Au cours de l’Antiquité, les zones de plateaux regroupaient probablement des terroirs cultivés et des zones plus ou moins boisées mises en valeur de façon plus extensive. La présence fréquente de ferriers et de charbonnières à proximité des sites d’habitat présumés suggère à cet égard l’existence d’un réseau de petits ateliers de réduction associés à des zones de taillis destinées à pourvoir en combustible. Toutefois, en l’état actuel des recherches, aucun élément de datation ne vient étayer cette hypothèse. Pour la zone étudiée, la période du Haut-Empire semble constituer une phase d’expansion des occupations humaines par comparaison aux périodes postérieures. Les données archéologiques suggèrent l’hypothèse d’une désaffection relative des plateaux à partir du IVe siècle après J.-C., voire dès le IIIe siècle, et semblent témoigner d’un redéploiement des habitats vers les fonds de vallées. A l’appui de cette hypothèse, la répartition des villages et des hameaux principaux cités avant le Xe siècle, dont certains sont associés à des cimetières à l’époque mérovingienne, confirme le rôle exercé par T. VIGNEAU les cours d’eau dans le regroupement des habitats au début du Moyen Âge (Bourgeois, 1995, 1997). La disparition apparente de nombreux points de peuplement sur les zones de plateaux pourrait indiquer l’abandon des terroirs offrant les potentialités agricoles les plus limitées au profit de secteurs plus favorables aux cultures intensives. De ce point de vue, la période de transition entre l’Antiquité et le Haut Moyen Âge a pu conduire à une certaine spécialisation fonctionnelle des espaces agraires, opposant des terroirs de polyculture assez intensive privilégiant vallées et plaines alluviales, et des marges de plateaux exploitées de manière plus extensive (Bourgeois, 1997). Les conditions de préservation dont les structures archéologiques ont bénéficié en milieu forestier semblent par ailleurs indiquer que de nombreux sites occupés au cours du Haut-Empire n’ont pas fait l’objet d’une affectation agricole après leur abandon définitif. Ces arguments confortent ainsi l’hypothèse d’une progression des terres incultes au cours de l’Antiquité Tardive, sinon pendant le Haut Moyen Âge, et fournissent une explication possible de la constitution du massif forestier de Rambouillet. Ces hypothèses restent toutefois fragiles en raison des difficultés soulevées par l’interprétation de données archéologiques dont la portée est généralement limitée et dont la représentativité est sujette à caution. Contrairement à d’autres secteurs de la région Île-deFrance, où la multiplication des opérations archéologiques préventives depuis une dizaine d’années a permis de préciser les évolutions affectant les structures d’habitat et la trame du peuplement entre le HautEmpire et le haut Moyen Âge (Daveau, 1997 ; Ouzoulias et Van Ossel, 2001), le sud des Yvelines reste assez mal documenté. On peut déplorer une vision très partielle de la chronologie et de la hiérarchie des établissements antiques, et craindre une appréhension biaisée de l’évolution des modalités de l’occupation du territoire. Il est en effet probable que les lacunes accusées par la documentation archéologique pour le BasEmpire et le Haut Moyen Âge soient en partie l’illustration d’un « effet de source » lié au fait que l’essentiel des données archéologiques provient de prospections pédestres. Dans ce contexte, il apparaît important de procéder à l’acquisition de données complémentaires, et notamment à la mise en œuvre de fouilles stratigraphiques. Outre la détermination des périodes d’occupation des sites archéologiques, l’étude de leurs fonctions constitue en enjeu important, et appelle le développement de recherches intéressant spécifiquement le milieu forestier. Dans cette perspective, l’utilisation des outils de bio-indication peut utilement compléter les approches habituellement développées dans le cadre de recherches archéologiques, et apporter une contribution décisive à l’analyse fonctionnelle des sites (Dupouey et al., 2002 ; Georges-Leroy et al., 2003). 3. - Outils de bio-indication et analyse spatiale : un site archéologique en cours d’étude Parmi les études actuellement développées en forêt de Rambouillet, des relevés phytosociologiques sont conduits sur plusieurs sites antiques dans le but d’appréhender et d’étudier de manière comparative leur « signature » écologique. L’originalité de la démarche réside dans l’adoption d’un maillage systématique pour le positionnement des relevés et dans la mise en œuvre d’analyses spatiales appliquées à l’étude de la structuration de la végétation. Les premiers résultats obtenus sur un site du Haut-Empire sont présentés ici. Le site étudié, sur lequel une campagne de relevés microtopographiques a été engagée (fig. 2), est localisé sur un secteur de plateau présentant une légère pente orientée au Nord. Vraisemblablement boisé depuis la fin du XVIIIe siècle au plus tard, le secteur comprend deux types sols d’après la carte pédologique au 100 000e : au nord, des sols bruns lessivés développés à partir de colluvions sablo-limoneuses reposant sur des sables plus ou moins argileux ; au sud, des sols podzoliques hydromorphes développés à partir d’un matériau sablo-limoneux reposant sur des argiles à meulières (Crahet, 1981). Interprété comme une villa lors de sa découverte, le site, probablement occupé aux IIe et IIIe siècles après J.C., suggère davantage l’hypothèse d’un établissement rural plus modeste. Il comprend les vestiges d’un bâtiment principal d’environ 25 sur 15 m dont les murs présentent un parement utilisant des matériaux variés (meulière, grès et calcaire). La prospection a d’autre part mis en évidence les vestiges d’un enclos à talus et fossé extérieur à l’ouest du bâtiment. La collecte de scories de coulée et de fragments de laitier au niveau de l’angle de l’enclos suggère la présence d’au moins un bas-fourneau sur le site. Par ailleurs, la présence de plusieurs charbonnières sur la zone étudiée semble confirmer l’hypothèse de fonctions métallurgiques. Toutefois, en l’absence de tout élément de datation, la contemporanéité de ces charbonnières avec l’occupation antique du site n’est pas avérée. 3.1. - Matériel et méthodes Une série de 178 relevés phytosociologiques réalisés sur des placettes de 100 m2 a été effectuée en mai 2004 sur 167 T. VIGNEAU Figure 2 : Bois de Vilpert – carte de localisation et plan des structures. une zone de 500 m de côté centrée sur les vestiges archéologiques. Les placettes ont été réparties selon un quadrillage systématique de la zone d’étude, le centre du dispositif ayant fait l’objet d’un maillage plus serré (25 m) que la périphérie (50 m). Les placettes correspondant à des situations atypiques (trouées, travaux d’exploitation) n’ont pas été étudiées. Chaque placette a fait d’objet d’un relevé phytosociologique selon la méthode sigmatiste élaborée par Braun-Blanquet (1951). La flore bryophytique n’a pas été étudiée et fera l’objet de relevés ultérieurs. La matrice des données collectées a fait l’objet d’une analyse factorielle des correspondances et d’une classification ascendante hiérarchique. L’impact du site en termes de gradients écologiques a d’autre part été évalué au moyen du système des valeurs indicatrices d’Ellenberg (Ellenberg et al., 1991) pour la lumière (L), l’humidité du sol (F), l’acidité (R) et la disponibilité du sol en Azote (N). Pour chaque placette, une moyenne pondérée pour L, F, R et N a été calculée après transformation des coefficients d’abondance-dominance par des valeurs numériques, selon la méthode proposée par Van der Maarel (1979). Les données calculées ont fait l’objet d’une analyse en 168 composantes principales et d’une classification ascendante hiérarchique, puis ont donné lieu à une analyse spatiale au moyen d’une interpolation par kriegeage. 3.2. - Résultats et discussion L’analyse des relevés phytosociologiques fait apparaître 4 groupes principaux de placettes (fig. 3). On notera que 3 espèces (le Chèvrefeuille, la Ronce et la Fougère mâle), présentes dans plus de 50 % des relevés, constituent le « bruit de fond » de la zone étudiée. Un premier ensemble (groupe 1) regroupe 67 relevés majoritairement situés à la périphérie du dispositif, et en particulier au sud de la zone d’étude. Ce groupe correspond à une formation de type chênaie acidiphile relativement ouverte. Il s’agit des milieux les plus acides et les plus humides rencontrés sur la zone étudiée. La strate herbacée est nettement dominée par Molinia caerulea, Deschampsia flexuosa et Holcus mollis. Le cortège acidiphile (avec notamment Melampyrum pratense, T. VIGNEAU Figure 3 : Bois de Vilpert – distribution spatiale des groupes de placettes. Hypericum pulchrum, Pteridium aquilinum) est associé à quelques acidiclines (en particulier Dryopteris carthusiana) et à quelques neutroclines (dont Poa nemoralis et Potentilla reptans). La Fougère mâle (Dryopteris filix-mas), présente sur un peu plus du tiers des relevés, apparaît sous représentée par comparaison aux 3 autres groupes. Ces derniers se distinguent de l’ensemble précédent sur le plan du type de formation végétale (ils s’inscrivent dans un contexte de chênaie-charmaie). Le milieu est par ailleurs plus fermé, notamment en ce qui concerne les groupes 3 et 4. Au sein de cet ensemble de 111 placettes, un premier groupe de 82 relevés (groupe 2), encore assez acide, se distingue du groupe 1 par la moindre fréquence et le caractère moins abondant des acidiphiles, à l’exception de Pteridium aquilinum et de Holcus mollis. La strate herbacée est marquée par la fréquence plus importante des acidiclines de mull mésotrophe (Millium effusum, Hyacinthoides non-scripta) et de quelques neutroclines (dont Hedera helix et Stellaria holostea). Le groupe 3, constitué par 24 relevés, correspond à un milieu relativement plus fermé que précédemment : en témoignent la diminution globale du nombre d’espèces et la plus forte proportion des espèces sciaphiles ou de demi-ombre. Cet ensemble se différencie du précédent par la disparition des acidiphiles de moder (Deschampsia flexuosa, Melampyrum pratense, Hypericum pulchrum). Au niveau de la strate arborescente, l’Érable champêtre (Acer campestre), témoignant de sols riches en bases et en azote, apparaît dans 5 relevés. La strate herbacée est par ailleurs marquée par la présence de Melica uniflora et de Lamiastrum galeobdolon, deux neutroclines relativement exigeantes sur le plan trophique et qui sont absentes des groupes précédents. Le groupe 4 constitue un ensemble restreint de 5 placettes situées à moins de 30 m des structures archéologiques visibles (2 placettes au niveau du bâtiment principal, 2 le long du talus de l’enclos, la dernière au niveau de l’angle de ce dernier). Ce groupe se caractérise par la disparition du cortège acidiphile à l’exception du Chèvrefeuille. L’Érable champêtre domine le Charme au niveau de la strate arborescente sur 4 relevés. La strate herbacée est d’autre part marquée par l’apparition des neutronitroclines (Arum maculatum, Geranium robertianum, Ranunculus ficaria) de Ranunculus auricomus (neutronitrophile) et de Primula veris subsp. veris 169 T. VIGNEAU Figure 4 : Bois de Vilpert – variabilité spatiale des valeurs indicatrices d’Ellenberg pour la richesse du sol en azote (N). (neutrocalcicole). Les analyses réalisées sur les valeurs indicatrices d’Ellenberg montrent que le centre de la zone étudiée (en particulier les secteurs situés à proximité du bâtiment et de l’enclos) se distingue de la périphérie du dispositif par une végétation plus sciaphile, moins hygrophile, moins acidiphile et correspondant à des niveaux trophiques plus élevés. Les disparités constatées pour les valeurs relatives au facteur lumière (L) traduisent des différences sur le plan de la structure des peuplements : elles n’ont pas nécessairement de signification archéologique, et tirent probablement leur origine de traitements sylvicoles différenciés. Le gradient constaté pour les valeurs de F met d’une part en évidence le caractère plus hydromorphe du sud de la zone étudiée, c’est-à-dire sur les secteurs situés plus en amont sur le versant : ceci peut s’expliquer par la présence des argiles à meulières à plus faible profondeur que sur les zones situées plus en aval, du fait d’un recouvrement moins épais de colluvions sablo-limoneuses. Par ailleurs, les secteurs situés dans un rayon de 100 m autour 170 du bâtiment et de l’enclos hébergent une végétation caractérisant des milieux relativement bien drainés, alors qu’une tendance hygrocline s’exprime au-delà de ce périmètre. La présence d’éléments grossiers en surface, comme à proximité immédiate du bâtiment principal et le long du talus de l’enclos, peut expliquer le caractère plus filtrant des horizons superficiels du sol. On peut d’autre part envisager l’hypothèse selon laquelle les meilleures conditions de drainage attestées sur la partie centrale de la zone étudiée traduisent des modifications de texture des sols introduites par leur ancienne utilisation agricole. L’impact du site apparaît très nettement au travers de la variabilité spatiale des valeurs théoriques pour l’acidité et la richesse du sol en azote (R et N), ces deux indicateurs constituant les facteurs contribuant le plus à la différenciation des relevés. Les abords du bâtiment et les secteurs situés le long du talus de l’enclos correspondent aux valeurs les plus élevées pour R et N (fig. 4). Par ailleurs, on peut constater que des zones situées à l’est et au nord-est du bâtiment principal, qui sont dépourvues de vestiges apparents, se distinguent de la T. VIGNEAU périphérie de la zone étudiée par des valeurs significativement plus élevées pour R et N, indiquant ainsi une acidité plus faible et des niveaux trophiques plus élevés. A proximité du bâtiment rectangulaire, le caractère marginal des espèces acidiphiles et le développement des calciclines et des calcicoles peuvent être inférés à la charge relativement importante en carbonates du sol, liée à l’emploi de blocs de calcaire dans les fondations. A cet égard, la présence ponctuelle de l’Érable le long du talus de l’enclos, ainsi qu’à l’intérieur de l’emprise présumée de ce dernier, permet d’envisager l’existence de substructions sous-jacentes : cette hypothèse est d’ailleurs suggérée par la présence de blocs de calcaire à la surface du sol et par des indices topographiques. L’élévation notable des niveaux trophiques au niveau du bâtiment principal et de l’angle de l’enclos, qui traduit vraisemblablement une disponibilité supérieure en azote des horizons superficiels des sols, semble constituer un bon marqueur des secteurs les plus intensément occupés du site. Dans le même temps, le maintien de niveaux trophiques relativement élevés au delà des abords immédiats du bâtiment suggère l’hypothèse de pratiques de fertilisation des sols, et conforte l’hypothèse d’un antécédent agricole en rapport avec l’occupation antique du site. Toutefois, il est possible que ce phénomène soit lié à l’existence éventuelle d’autres structures d’habitat exclusivement construites en matériaux périssables et dont la mise en évidence échappe à la prospection de surface. 4. - Conclusion Les premières études conduites sur le site du Bois de Vilpert mettent nettement en évidence le rôle joué par l’occupation antique sur la structuration de la végétation. L’adoption d’une démarche résolument spatiale apporte en particulier des éléments d’appréciation de l’emprise du site et de son organisation spatiale. Elle fournit d’autre part un faisceau d’informations permettant la programmation de fouilles dont la mise en œuvre apparaît nécessaire pour évaluer les hypothèses issues de l’étude de la flore vasculaire. Dans le même temps, il apparaît opportun de compléter les recherches en cours par l’étude des bryophytes terricoles et humo-terricoles et par la réalisation d’analyses biogéochimiques au niveau des horizons organo-minéraux. Des études portant sur la méso-faune du sol sont également envisagées afin de mieux cerner l’impact du site sur l’écosystème. L’application de ces différentes approches à d’autres sites et la mise en œuvre d’une analyse comparative ouvrent ainsi d’intéressantes perspectives de recherches concernant l’étude de la hiérarchie des établissements gallo-romains du massif fores- tier de Rambouillet. On peut en attendre, pour le sud des Yvelines, un renouvellement des connaissances au sujet des formes d’habitat antiques ainsi qu’une appréhension plus précise des modalités de l’occupation du sol au cours du Haut-Empire. Bibliographie BARAY L., 1989, Deux enclos quadrangulaires de la fin de l’indépendance gauloise en forêt de Saint-Arnoult (Yvelines), in : Les Viereckschanzen et les enceintes quadrilatérales en Europe celtique, Paris : Errance, p.81-95. BARTHÉLÉMY L., 1983, First researches in the « Etang d’Angennes » (forest of Rambouillet, Yvelines, France), Quaternary studies in Poland, 4, p.217-222. BÉNAILY G., DARDIGNAC C., VIGNEAU T., 2003, Forêt domaniale de Rambouillet (Yvelines) : rapport de prospection - 2002, Fontainebleau : Office National des Forêts, Direction Territoriale Île-de-France - Nord-Ouest, 122 p. 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ROBLIN M., 1951, Le terroir de Paris aux époques galloromaine et franque : peuplement et défrichement dans la « civitas » des « Parisii », Paris : Picard, 387 p. 172 Impact des occupations anciennes 174 Impact des anciennes formes d’utilisation sur les sols forestiers dans les Vosges et en Forêt Noire Katrin BÜRGER Institut für Physische Geographie - Werderring 4 - D-79085 Freiburg [email protected] Résumé L’ancienne utilisation des écosystèmes forestiers a modifié les propriétés des sols et peut se manifester encore plus de cent ans après cette utilisation. Dans le passé les forêts ont été déboisées pour être converties en surfaces agricoles (pâturages, prés, champs). Le projet de recherche démontre que l’état des sols forestiers se distingue encore aujourd’hui à cause de cette ancienne utilisation ; comme le prouvent les résultats du rapport C/N, de la saturation des bases et de ␦15N. Il montre clairement que l’ancien usage a encore des conséquences sur le cycle des sols forestiers. L’historique de l’utilisation de terre mérite plus d’attention dans le cadre de recherches écologiques et pour la compréhension des processus biochimiques et la dynamique des forêts. L’histoire de l’occupation des sols doit être traitée comme un aspect fondamental des études écologiques et une composante critique pour un développement forestier durable. Abstract Past land use in forest ecosystems can change the properties of soils and be reflected more than a hundred years after usage. In the past, forests are cleared to product arable land (pasture, meadow, cropland). The study already shows that the present condition of forest soils differs according to previous land use; be confirmed by the results of C/N, exchangeable bases and ␦15N. The widespread and long-lasting impact of human activity on natural ecosystems indicates that land use history must be treated as an integral aspect of ecological study and a critical component of conservation planning for a better understanding of biogeochemical processes and the dynamics of forest landscapes. 1. - Contexte et objectif de l’étude Les forêts actuelles sont le produit des nombreuses actions anthropiques du passé. A la fin du Moyen Age, les forêts des moyennes montagnes européennes étaient fortement défrichées et utilisées en partie comme champs, pâturages ou prés. De la fin du XVIIIe au début du XIXe siècle la dégradation des forêts a pris des proportions de plus en plus grandes. L’histoire de l’utilisation des sols des Vosges et de la Forêt Noire se ressemble fortement. Leurs forêts et leurs sols forestiers étaient soumis à de forts changements suite aux défrichements et à la transformation des sites en terrains agricoles. Au cours du XIXe siècle la pression sur les forêts s’est atténuée et le reboisement a été amorcé surtout sous forme de plantations d’épicéas. L’impact de l’ancienne utilisation sur l’état actuel des écosystèmes forestiers se manifeste entre autre par des changements des conditions édaphiques. Une comparaison des sites boisés comportant des forêts secondaires (utilisées pour d’autres vocations par le passé) avec des sites forestiers d’origine, met en évidence ce changement. Les effets de l’utilisation agricole sur l’écologie des forêts actuelles n’ont été que rarement étudiés. Depuis le siècle dernier les écologues de plusieurs pays européens découvrent l’importance des activités anthropiques du passé sur l’écologie forestière et les sols forestiers. L’impact persistant et très répandu ainsi que l’effet des anciens modes d’utilisation du sol sur les écosystèmes forestiers montrent que l’histoire de l’occupation des sols doit être traitée comme un aspect fondamental des études écologiques et une composante critique pour un développement forestier durable. La persistance des différences entre les sites résultant d’utilisations diverses, ayant perduré encore plusieurs siècles après l’abandon de l’agriculture et le reboisement, doivent retenir l’attention des sylviculteurs. Le projet de recherche mis en place dans le cadre du Graduiertenkolleg «Gegenwartsbezogene Landschaftsgenese » (DFG) associe des informations écologiques et historiques pour développer de nouveaux 175 K. BÜRGER moyens pour l’interprétation de l’état des sites forestiers et pour la sylviculture. L’objectif de l’étude est d’appréhender l’impact du passé agricole qui est à l’origine des modifications profondes sur la fertilité des nouveaux sols redevenus forestiers. Cette approche se base sur des recherches comparatives sur plusieurs parcelles dans les Vosges et en Forêt Noire. 2. - Choix des sites et méthodes Pour cette étude, des prélèvements ont été effectués sur 31 parcelles réparties sur cinq sites ayant fait l’objet d’utilisations agricoles différentes et reboisés à ce jour. Les sites de « la forêt de protection Flüh », de « la forêt de protection Im Zweribach », de Blasiwald et de Menzenschwand se situent dans le sud de la Forêt Noire (fig.1). La forêt du Miellin au sud des Vosges fait déjà l’objet de recherches dans le cadre du projet « Héritage bioculturel forestier », un programme européen LifeEnvironnement sous la direction de l’ONF - Division Lure. Des analyses comparatives de l’écosystème, particulièrement des relevés floristiques et édaphiques, sont effectuées en étroite coopération avec ce projet « Life ». La géologie de tous les sites est d’origine cristalline, ce qui garanti une certaine homogénéité des conditions géologiques et édaphiques. Ces sites comportent surtout des sols bruns avec l’humus mull-moder (Ah-Bv-C) sous des peuplements de hêtres, sapins et épicéas. Figure 1 : Les sites de recherche 176 Pour chaque site on a procédé à une recherche historique en analysant des cartes et des cadastres anciens ainsi que d’autres documents. Cette recherche permet de mettre en évidence les données concernant les anciennes pratiques agricoles datant d’une période de 100 à 160 ans. Quatre catégories d’anciennes pratiques ont ainsi été retenues : les forêts anciennes (servant de référence), les pâturages, les prés, les champs. Pour chaque site, plusieurs parcelles ont été sélectionnées en fonction de leur utilisation agricole différente. D’autres indices témoignant d’utilisations anciennes telles des terrasses, des murets ou des horizons d’incendie contribuent également à documenter d’anciens usages du sol (fig.2). Sur chacune des parcelles, au moins deux fosses pédologiques ont été creusées. À l’aide de ces profils pédologiques on a décrit les paramètres physiques de sol (par exemple la texture, la couleur). Par ailleurs on a prélevé des échantillons au sein de chaque horizon. En plus, des descriptions des conditions édaphiques ont été effectuées à l’aide d’une tarière pour assurer une bonne représentativité des résultats. Enfin, sur chacune des parcelles on a collecté plusieurs échantillons de l’horizon superficiel du sol. Les matériaux édaphiques ont été séchés et tamisés à <2mm. Ils ont été analysés par des méthodes pédologiques standard pour comprendre l’impact des anciennes utilisations agricoles sur les paramètres du sol. Ces K. BÜRGER Figure 2 : Un horizon d’incendie sous pâturage ancien (Zweribach) et des anciennes terrasses de champ (Miellin) méthodes comportaient les analyses physiques et chimiques suivantes : le pH, la saturation en bases, le teneur en azote, la teneur en carbone, le rapport carbone sur azote (C/N), le teneur en ␦15N. 3. - Résultats et discussion Les résultats des analyses de sol démontrent que les anciennes utilisations agricoles ont modifié l’état actuel des sols forestiers. Les différences des sols en fonction des anciennes pratiques se manifestent surtout au niveau des horizons superficiels. Les analyses ont mis en évidence l’augmentation en éléments nutritifs selon l’ordre suivant : forêts anciennes - pâturages anciens - anciens prés - anciens champs. Morphologiquement, les sols forestiers ont subi des modifications résultant de l’utilisation ancienne. Les différences nettes entre les profils permettent généralement de déterminer s’il s’agit d’un ancien sol cultural ou d’un sol de forêt ancienne. Pour les anciennes terres agricoles le premier horizon (appelé Ap) est plus épais et sa limite le séparant de l’horizon B est nette (fig.3). Le labour a homogénéisé le sol jusqu’à 15-30 cm de profondeur. La matière organique transférée en profondeur s’est mélangée avec le sol minéral. Dans les forêts anciennes, le premier horizon (appelé Ah) est moins épais (3-12 cm), sa limite est ondulée et diffuse. Les analyses chimiques démontrent des différences nettes des propriétés et de la fertilité des sols forestiers. Ces différences peuvent être expliquées par un transfert des substances nutritives entre les systèmes agricoles. Le transfert a été effectué par le prélèvement de la biomasse (la litière, les déjections animales) opéré surtout entre les pâturages ou bien les forêts et les champs. Les prés et les champs ont été enrichis avec du fumier ou par l’irrigation des prés. Le rapport carbone sur azote (C/N) est un indicateur pour l’activité biologique au sol et de la vitesse de la décompo- sition potentielle du stock de matière organique. Une augmentation de la teneur en azote accentue l’intensité de la décomposition. Un rapport C/N entre 10 et 20 indique une activité biologique favorable. La figure 4 montre que le rapport C/N dans le premier horizon diminue à cause de l’intensité de l’utilisation du sol. Les sites enrichis avec des substances nutritives, tels sur les anciens prés et les anciens champs, se distinguent par des rapports C/N plus favorables que les forêts anciennes et les pâturages anciens. Les parcelles anciennement utilisées comme forêt ou comme pâturage affichent des rapports C/N entre 15 et 20. En revanche, les utilisations agricoles comme prés ou champs se traduisent par des rapports C/N entre 11 et 15, soit inférieures aux valeurs des forêts anciennes et des pâturages anciens ce qui résulte de leur teneur en carbone organique plus faible. Les forêts produisent plus de la litière décomposable et la surface du sol n’est pas sous labour. La teneur en carbone plus élevée sous les pâturages provient de la décomposition du lacis des racines. En plus, la collecte du fumier des pâturages s’est traduite par des pertes en azote. C’est pourquoi le rapport C/N ne diffère guère de la teneur relevée sous les forêts anciennes. Le rapport C/N sous les champs et les prés est plus étroit à cause de la teneur en carbone plus faible comparativement à la teneur en azote plus élevée (résultant d’engrais) qui améliore la décomposition de la matière organique. Le meilleur ensoleillement et l’aération des sols sous les champs accélèrent aussi la décomposition. Koerner (1999) a aussi observé que les rapports C/N varient en fonction des anciennes utilisations du sol. La saturation en bases représente la part au pourcentage de la somme des cations basiques échangeables calcium (Ca2+), magnésium (Mg2+), sodium (Na+) et potassium (K+) par rapport à la capacité d’échange cationique. La saturation en bases des parcelles sous d’anciens prés ou d’anciens champs a une teneur plus élevée que les parcelles des forêts anciennes ou pâtu177 K. BÜRGER Figure 3 : Sol brun avec horizon agricole (Ap) sous ancien champ et sol brun sous forêt ancienne (Blasiwald) C/N 25 20 Ancienne utilisation forêt 15 pâ tur a ge prés cha m p 10 5 0 Z1 Z2 Z4 Z7 Z3 Z6 Z8 Z9 Z5 Z10 F1 F6 F2 F3 F4 F5 M4 M2 M3 M1 Sites Figure 4 : Rapport C/N pour trois échantillons isolés et un échantillon mélangé du premier horizon (F=Flüh, M=Miellin, Z=Zweribach) rages anciens (fig.5). Le prélèvement de la biomasse dans les forêts et pâturages contribue à l’appauvrissement, tandis que les prés et les champs sont enrichis par l’approvisionnement d’engrais. Les forêts actuelles utilisées autrefois comme pâturages ont une saturation en bases plus basse à cause du déversement de la biomasse. Les champs et les prés ont absorbé surtout du K+ introduit sous forme de fumier et du Ca2+ et du Mg2+ émanant des engrais minéraux (fig.6). En France et en Belgique l’effet perdurant de l’utilisation historique des forêts a aussi été observé (Goovearts et al., 178 1990; Koerner et al., 1999). Aujourd’hui, plusieurs siècles après la mise en culture on peut trouver une saturation en bases plus élevée et des rapports C/N plus faibles à la surface des sols forestiers. Le rapport entre les isotopes d’azote 15N et 14N (exprimé comme ␦15N) est utilisé pour retracer les anciennes pratiques agricoles en forêt. Une augmentation de la teneur en ␦15N peut être observée sous les parcelles anciennement cultivées par rapport aux anciennes forêts. Le ␦15N des sols forestiers décroît selon l’ordre suivant : forêts anciennes < pâturages anciens < anciens champs K. BÜRGER BS ( %) 100 80 Ancienne utilisation 60 forêt 40 pâ tur a ge prés cha m p 20 0 Z1 Z2 Z4 Z7 Z3 Z6 Z8 Z9 Z5 Z10 F1 F6 F2 F3 F4 F5 M4 M2 M3 M1 Sites Figure 5 : La saturation en bases pour trois échantillons isolés et un échantillon mélangé du premier horizon (F=Flüh, M=Miellin, Z=Zweribach) 8 δ 15 N ( ‰) 6 4 Ancienne utilisation forêt pâturage prés champ 2 0 -2 -4 Z1 Z2 Z4 Z3 Z6 Z5 F1 F2 F3 F4 M2 M3 M1 Sites Figure 6 : Le ␦15N pour trois échantillons isolés et un échantillon mélangé du premier horizon (F=Flüh, M=Miellin, Z=Zweribach) < anciens prés (fig. 6). Pour les sols qui seront encore cultivés actuellement le ␦15N est un bon marqueur pour retracer l’utilisation historique des forêts. Les teneurs en ␦15N des sols minéraux reflètent les anciens modes d’utilisation des sols. Ils sont plus élevés sous des sols forestiers cultivés autrefois par rapport aux sols des forêts anciennes. L’augmentation des isotopes d’azote est corrélée avec l’intensité de l’ancienne utilisation agricoles (champs, prés). Les teneurs en ␦15N plus faibles sous les forêts anciennes sont corrélées avec les pertes modestes de l’azote dans les écosystèmes forestiers. A l’opposé, sous les forêts ayant été cultivées par le passé, l’absorption de l’azote par la nitrification, la dénitrification ou la volatilisation d’ammonium sont responsables de l’enrichissement en ␦15N dans le substrat et par conséquent pour les teneurs en ␦15N plus élevées (Johannisson et Hoegberg, 1994). Les teneurs en ␦15N plus élevées résultent aussi de l’ancien input du fumier enrichis en 15N ainsi que des processus de 179 K. BÜRGER la nitrification, lesquels conduisent à l’exportation de l’azote appauvri en 15N sur les terrains amendés autrefois. La perte d’azote est corrélée avec l’enrichissement en 15N (Hoegberg et Johannisson, 1993). L’addition d’urée comme c’est le cas dans les pâturages s’accompagne de la volatilisation d’ammonium et de la nitrification. Huettl et Schaaf (1995) constatent qu’après le défrichement on assiste à une perte d’azote très élevée par lessivage du nitrate qui induit une augmentation des teneurs en ␦15N. ␦15N n’est pas un paramètre de la fertilité du sol mais pourrait servir comme traceur d’un apport d’azote et de l’intensité des processus chimiques et microbiologiques. La constance des teneurs d’azote restant élevées encore plusieurs siècles après le reboisement, observée en forêts cultivées autrefois par rapport aux forêts anciennes, démontre l’impact persistant de l’utilisation agricole historique sur le cycle d’azote des sols forestiers. Les différences des sites peuvent être interprétées en relation avec le transfert des substances nutritives des forêts et des pâturages sur les prés et les champs. 4. - Conclusion L’étude montre que l’état actuel des écosystèmes forestiers - les sols en particulier - diffère en fonction des anciennes pratiques agricoles. Les analyses des sols mettent en evidence un gradient de fertilité selon l’ordre suivant : forêts anciennes < pâturages anciens < anciens champs < anciens prés. Ces différences peuvent être expliquées par un transfert de fertilité, qui a été effectué par le prélèvement de la biomasse (les récoltes) et les déjections animales et ayant lieu entre les forêts ou les pâturages et les champs ou les prés. Les résultats présentés ci-dessus mettent en évidence l’impact des anciennes formes d’utilisation sur les sols des écosystèmes forestiers. Les différences entre les sites et les impacts sur le cycle des sols forestiers sont clairement visibles plusieurs décennies après l’abandon de l’agriculture et le reboisement. Les recherches écologiques des forêts doivent toujours prendre en compte l’histoire de l’ancienne utilisation du sol. Les traitements sylvicoles pourraient également profiter de la connaissance de l’histoire ancienne des parcelles. Bibliographie GOOVAERTS P., FRANKART R., GÉRARD G., 1990, Effet de la succession de différentes affectations sur les propriétés chimiques de pédons en Fagne de Chimay (Belgique), Pédologie, 40, p.179-194. HOEGBERG P., JOHANNISSON C., 1993, 15N abundance of forests is correlated with losses of nitrogen, Plant and 180 soil, 157, p.147-150. HUETTL R.F., SCHAAF W., 1995, Nutrient supply of forest soils in relation to management and site history, Plant and soil, 168-169, p.31-41. JOHANNISSON C., HOEGBERG P., 1994, 15N abundance of soils and plants along an experimentally induced forest nitrogen supply gradient, Oecologia, 97, p.322-325. KOERNER W., BENOÎT M., DUPOUEY E., DAMBRINE E., 1999, d15N of forest soil and understorey vegetation reflect the former agricultural land use, Oecologia, 12, p.1421-425. KOERNER W., BENOÎT M., DAMBRINE E., DUPOUEY J.-L., 1999, Influence des anciennes pratiques agricoles sur la végétation et les sols des forêts reboisées dans le massif vosgien, Revue forestière française, 1999, p. 231-238. RIGA A., VAN PRAAG H.J., BRIGODE N., 1971, Rapport isotopique naturel de l’azote dans quelques sols forestiers et agricoles de Belgique soumis à divers traitements culturaux, Geoderma, 6, p.213-222. Impact des usages agricoles antiques sur la végétation en forêt de Saint-Amond : interaction avec le traitement sylvicole actuel Jean-Luc DUPOUEY(1), Delphine SCIAMA(1), Jean-Denis LAFFITE(2), Murielle GEORGES-LEROY(3), Etienne DAMBRINE(4) (1) (2) (3) (4) UMR-EEF, Equipe Phytoécologie forestière – INRA – 54280 Champenoux – [email protected] INRAP Grand Est Nord – Rue de Méric – CS 80005 – 57063 Metz cedex 2 – [email protected] SRA de Lorraine – 6, pl. de Chambre – 57045 Metz cedex 1 – [email protected] Unité Cycles Biogéochimiques – INRA – 54280 Champenoux – [email protected] Résumé L’impact important des usages agricoles antiques du sol sur la composition des communautés végétales dans les forêts actuelles a déjà été observé dans quelques études ponctuelles. Nous étudions ici cet impact sur une plus large échelle, le massif forestier de Saint-Amond sur les plateaux calcaires de Lorraine, dans lequel des situations répétées de zones perturbées par une occupation ancienne, de la fin du Ier siècle avant JC au IIe siècle après JC (32 relevés de végétation) et non ou peu perturbées (57 relevés) sont échantillonnées et comparées, en conditions géomorphologiques et topographiques homogènes. De plus, nous testons ici l’impact de la conversion des anciens taillis sous futaie en futaie sur la conservation du signal historique. Les résultats indiquent un fort impact de l’utilisation ancienne du sol sur la végétation actuelle. Les sites anciennement perturbés sont plus riches en espèces (37 contre 32 en moyenne par relevé) et présentent des diversités β et γ plus élevées. Une liste de 26 espèces plus fréquentes sur les sites anciennement perturbés est mise en évidence. Ces espèces caractéristiques des parcellaires anciens ont tendance à être des espèces nitrophiles. Seules 2 espèces apparaissent liées aux sites non ou peu perturbés. Mais l’aspect le plus nouveau de ces résultats est que la conversion en futaie ne gomme pas l’impact des perturbations anciennes sur la végétation, mais semble au contraire l’amplifier. Finalement, ces observations étendent nos résultats antérieurs obtenus sur le seul site de Thuilley-aux-Groseilles. Ils confirment le rôle majeur et jusque là mal pris en compte de l’histoire de l’occupation antique des sols sur les variations actuelles de la biodiversité. Les différences de végétation mises en évidence peuvent servir d’indicateurs en prospection archéologique. Mots-clefs : végétation herbacée ; biodiversité ; utilisation ancienne du sol ; archéologie ; époque gallo-romaine ; traitement sylvicole ; futaie ; taillis sous futaie Abstract The important impact of ancient Roman land-use on community composition in present day forests has already been observed in a few local studies. Here, we study this impact on a larger scale, the Saint-Amond forest on calcareous plateaus of Lorrain. In this forest, we sampled 32 plots disturbed by ancient Roman occupation (from the Ist Century BC to the IInd Century AD) and 57 plots in undisturbed or slightly disturbed areas, in homogeneous geomorphological and topographical conditions. In addition, we tested the role of the progressive conversion from coppice with standards to high forest on the maintainance of the ancient land use signal. For this purpose, we subdivided the two previous sampling strata, disturbed or undisturbed, into two subgroups, coppice with standards and high forest. Results showed a strong impact of ancient Roman land-use on present day vegetation. Species richness was higher in disturbed plots (37 species on average per plot against 32 in undisturbed areas), and disturbed areas displayed higher β and γ diversities. A list of 26 species more frequent in disturbed sites is presented. These species were generally more nitrogen demanding. Only two species appeared more frequently in undisturbed areas. A new result is that conversion to high forest did not erase the impact of ancient land-use on vegetation and even enhanced it. Finally, these results extend previous observations obtained on the sole site of Thuilley-aux-Groseilles. They confirm the major role of land-use history on present day biodiversity patterns, role still often understimated in many forest studies. These vegetation differences observed between disturbed or undisturbed areas can be used as tools during archaeological surveys. Keywords: vegetation community; biodiversity; past land-use; archaeology; Roman period; sylviculture; high forest; coppice with standards 181 J.-L. DUPOUEY, D. SCIAMA, J.-D. LAFFITE, M. GEORGES-LEROY, E. DAMBRINE 1. - Introduction La végétation forestière est fortement influencée par l’histoire de l’utilisation du sol. Dans les pays d’Europe tempérée ou méditerranéenne, ou dans l’Est du continent Nordaméricain, qui sont passés par un maximum des surfaces défrichées au cours du XIXe ou au début du XXe siècle (Mather et al. 1998, Bellemare et al. 2002), on distingue maintenant classiquement deux types de forêts : les forêts récentes, issues du reboisement de terres agricoles abandonnées depuis ce maximum de défrichement, et les forêts anciennes, qui étaient déjà boisées à cette époque (Dupouey et al. 2002b). Cette distinction correspond à des différences de contenu chimique des sols (Koerner et al. 1997) et, surtout, à des différences marquées de composition des communautés végétales (Peterken et Game 1984, Hermy et al. 1999). On a ainsi progressivement élaboré le concept d’espèces de forêt récente et de forêt ancienne, pour les espèces présentant une fréquence de présence plus élevée dans l’un ou l’autre type de forêt. Les écosystèmes forestiers présentent différents mécanismes de “mémoire” de l’utilisation ancienne du sol. La portée de cette mémoire est mal connue. Elle atteint plus de 400 ans en Angleterre, où les forêts anciennes sont définies comme celles qui existaient déjà en 1600. Dès 1984, Peterken et Game allaient même jusqu’à poser la question de la réversibilité à long terme de ces modifications de l’environnement dues à la mise en culture. Nos travaux ont récemment mis en évidence des effets possibles de l’agriculture gallo-romaine sur la diversité végétale dans une forêt du Nord-Est de la France (bois de Thuilleyaux-Groseilles, Dupouey et al. 2002a). Environ 1700 ans après l’abandon d’une petite ferme gallo-romaine, nous avons observé une structuration spatiale de la végétation actuelle liée à l’organisation ancienne de l’espace agricole, sur un substrat par ailleurs homogène. Cependant, ces résultats préliminaires n’avaient été observés que dans un seul site de cette région. Depuis, des prospections de surface nous ont permis de découvrir de nombreux autres sites d’habitats de la même époque, caractérisés par la présence de bâtiments reliés à des murets, couvrant des milliers d’hectares dans la même petite région naturelle (Laffite et al. 2002, Georges-Leroy et al. 2003). Ces découvertes ont rendu possible le test de l’hypothèse d’un impact de l’agriculture gallo-romaine sur la biodiversité par des observations répétées dans des zones anciennement occupées ou non perturbées. La sylviculture, en modifiant la structure des peuplements, et donc le microclimat et le cycle des éléments minéraux, peut jouer de façon significative sur la composition des communautés végétales herbacées (Gosselin et Laroussinie 2004). En Lorraine, comme dans de nombreuses autres régions de France, la sylviculture traditionnelle a été celle du taillis sous futaie (TSF) pendant de 182 nombreux siècles. Depuis le XVIIIe siècle, on assiste à la conversion progressive de ces forêts au régime de la futaie régulière. Becker (1979) a montré que cette conversion entraînait une évolution importante de la végétation, impact confirmé ensuite par les travaux de Decocq et al. (2004). Comment perdurent les traces des occupations anciennes au travers de ces changements de sylviculture ? Les modifications induites par la sylviculture sont-elles suffisantes pour les faire disparaître ? La réponse à ces questions peut avoir une portée appliquée, puisqu’elle permettrait de juger quel système sylvicole conserve le mieux les traces biologiques des occupations très anciennes. Nos objectifs étaient donc : de tester, sur un échantillon de plusieurs dizaines d’habitats gallo-romain, l’hypothèse d’un impact à très long terme de l’agriculture sur les communautés végétales des forêts actuelles, d’étudier le rôle d’un changement de sylviculture sur la composition de ces communautés végétales et, surtout, sur le maintien des différences liées à l’agriculture ancienne, en comparant l’amplitude des variations de végétation induites par les usages anciens avec celle des variations dues à la sylviculture. Nous avons pour cela travaillé dans un grand massif des plateaux calcaires de Lorraine (Nord-Est de la France). 2. - Site et méthodes Le massif de Saint-Amond est situé entre Nancy et Langres. D’une surface de 10 000 ha environ, il repose sur les calcaires oolithiques durs du Bajocien supérieur, Bathonien et du Callovien. C’est un vaste plateau de basse altitude (350 à 475 m), entaillé de petites vallées aux flancs abrupts. Les sols vont des rendzines superficielles, développées sur une fine couche d’argile de décarbonatation (20 cm en moyenne) à des sols bruns plus ou moins épais sur dépôts limoneux. Le climat est semi-continental, humide et froid. En 1998 ont été repérées, cartographiées puis fouillées des structures archéologiques de surface : terrasses, enclos, habitats et chemins creux marqués par la présence d’un réseau dense de pierriers (Laffite et al. 2002). Ces pierriers, larges de 2 à 4 m pour une hauteur de 0,5 à 1 m, délimitent un parcellaire constitué de grandes planches relativement parallèles entre-elles, avec un écartement approchant les 3 actus (100 m environ). L’emprise totale de ce système agraire, constitué de 3 ensembles disjoints, est de plus de 700 ha. Trois sondages ont permis de dater l’occupation du site : les tuiles, poteries et monnaies trouvées indiquent toutes une occupation de la fin du Ier siècle avant JC au IIe siècle après JC (Laffitte et al. J.-L. DUPOUEY, D. SCIAMA, J.-D. LAFFITE, M. GEORGES-LEROY, E. DAMBRINE Zones perturbées Zones peu ou pas perturbées Densité de traces d’occupation Taillis sous futaie Futaie Total Enclos 2 4 6 Terrasses proches 13 13 26 Total 15 17 32 Terrasses lointaines 7 10 17 Absence de traces 19 21 40 Total 26 31 57 41 48 89 Total Tableau I : Distribution des échantillons par catégorie d’utilisation ancienne du sol et type de régime sylvicole actuel. 2002). Aucun indice d’une quelconque occupation ultérieure, médiévale ou moderne n’a été trouvé, à l’exception de quelques charbonnières d’époque récente et d’un ermitage reporté sur la carte des Naudin (1736), sans défrichement signalé. La forêt a ainsi permis une excellente conservation de ce parcellaire antique, figé dans son état d’abandon. L’épierrement pratiqué à grande échelle dans la zone étudiée indique une volonté de mise en valeur agricole de ces sols pierreux. Cette forêt était anciennement traitée en taillis sous futaie à la révolution de 30 ans. Depuis 1838, les peuplements sont progressivement convertis en futaie régulière. Le hêtre (Fagus sylvatica) est l’essence dominante de la strate supérieure, accompagné des chênes pédonculé (Quercus robur) et sessile (Quercus petraea) et du frêne (Fraxinus excelsior). Le charme (Carpinus betulus) domine dans le sous-bois. A partir de la carte des murs et des sondages archéologiques, nous avons installé 89 placettes dans l’ensemble de la zone en essayant d’échantillonner des niveaux variés d’intensité ancienne d’utilisation du sol (tableau I). Nous avons distingué 4 niveaux croissants d’intensité, en nous basant sur la distance aux bâtiments repérés sur le terrain et à la densité des murets de pierres : les zones non perturbées, en l’absence de toute trace, les terrasses lointaines, où la densité des murets est faible et qui sont éloignées des bâtiments, les terrasses proches, de densité d’occupation du sol plus élevée et plus rapprochées des bâtiments et les enclos, qui entourent les bâtiments. Les enclos, de petite surface et en petit nombre, sont de facto peu représentés dans notre échantillon. Par contre, nous avons installé plus de placettes dans les zones exemptes de toute perturbation, afin d’améliorer la caractérisation de la variabilité des milieux dans l’ensemble du massif. Dans chacun des 4 niveaux d’occupation du sol précédemment définis, nous avons essayé d’équilibrer le nombre de placettes en fonction du régime sylvicole, taillis sous futaie ou futaie régulière. Lors de certaines analyses ultérieures, nous avons regroupé ces 4 niveaux en deux types d’utilisation ancienne : les zones perturbées d’une part (terrasses proches et enclos), et les zones peu ou pas perturbées d’autre part (terrasses lointaines et zones sans perturbation ancienne visible). En effet, l’étude antérieure menée en forêt de Thuilley-aux-Groseilles (Dupouey et al. 2002a) nous avait montré que les terrasses lointaines se comportent, d’un point de vue écologique et floristique, comme les zones où aucune perturbation n’est visible et que les terrasses proches et les enclos sont très similaires. En chaque point a été établi un relevé phytosociologique classique sur une surface fixe de 400 m2. On a distingué trois strates : arbres, arbustes et strate herbacée. Dans chacune des strates a été relevée l’abondance-dominance de toutes les espèces observées, selon une échelle ordinale classique à 6 niveaux (+, 1 à 5). Pour les analyses suivantes, les strates herbacée et arbustive ont été fusionnées, et la strate arborescente n’a pas été prise en compte, sauf mention contraire. En effet, celle-ci dépend fortement de la sylviculture. Dans un premier temps, on a analysé la diversité spécifique des relevés, en décomposant celle-ci en ses trois composantes classiques : diversité α (dans chaque relevé), β (entre sites) et γ (totale). Si les diversités α et γ ne sont que des nombres d’espèces, la diversité β peut être estimée de diverses façons. Nous l’avons mesurée ici comme étant la valeur moyenne de similarité entre toutes les paires de relevés possibles, en utilisant le coefficient de similarité de Jaccard : 183 J.-L. DUPOUEY, D. SCIAMA, J.-D. LAFFITE, M. GEORGES-LEROY, E. DAMBRINE 2 Diversité β = et Jij = Σ Jij i=1,N j=1,Nj<i N(N-1) a a+b+c où N est le nombre de relevés, a le nombre d’espèces en commun dans les relevés i et j, b le nombre d’espèces propres à i et c le nombre d’espèces propres à j. Les résultats obtenus avec d’autres coefficients de similarité classiques (Sorensen par exemple), que nous avons calculés, sont identiques. Nous avons ensuite analysé les variations, entre usages anciens ou selon le traitement sylvicole, de la composition en espèces des communautés en se basant sur une analyse multivariable de l’ensemble du tableau relevés x espèces. Seule la présence-absence des espèces a été prise en compte. Nous avons utilisé une méthode d’ordination non métrique (positionnement multidimensionnel), basée sur l’analyse du tableau des similarités de Jaccard entre relevés, calculées précédemment. Bien que reconnues de façon répétée comme plus adéquates que les méthodes d’ordination plus classiques, les méthodes de positionnement non métrique ne sont finalement que peu utilisées en écologie végétale, principalement en raison des temps de calculs qui étaient, encore récemment, prohibitifs. Les différences éventuelles entre types d’utilisation ancienne des sols ou régimes sylvicoles ont ensuite été testées par analyse de variance de chacun des 5 premiers axes factoriels obtenus : Axeijk = Cste + Utii + Sylvij + Utii*Sylvij + εijk (modèle 1) avec : Axeijk : position du relevé k du type d’utilisation ancienne i et du type de sylviculture j sur l’axe factoriel Cste : terme constant Utii : type d’utilisation ancienne du sol, en deux classes (zone peu ou pas perturbée / zone perturbée). Les quatre classes d’utilisations anciennes établies a priori ont été regroupées selon les deux classes précentes. Sylvij : type de sylviculture en deux classes (futaie / taillis sous futaie) Utii*Sylvij : terme d’interaction entre les deux facteurs précédents εijk : erreur Finalement, un modèle logistique de la présence/absence en fonction du traitement sylvicole, de l’utilisation du sol et de leur interaction a été établi pour chaque espèce prise individuellement. On présente ici la fréquence de présence des espèces pour lesquelles un de ces deux effets principaux au moins est significatif au seuil de 184 10 %. En effet, à ce stade d’étude encore très préliminaire des effets à long terme des usages anciens, et en raison du nombre de relevés disponibles encore modeste, il nous semble intéressant de s’intéresser à des espèces dès l’instant où elles montrent des différences de fréquence significatives à ce seuil de 10 %. Des comparaisons de fréquence de chaque espèce dans les deux classes d’utilisation du sol, ou dans les deux classes de traitement sylvicole, par un simple test exact de Fisher donnent des résultats quasiment identiques à ceux obtenus par le modèle logistique. 3. - Résultats La richesse en espèce par site est la même dans les deux traitements sylvicoles (33,6 en moyenne). Par contre, elle diffère fortement et significativement entre usages anciens : 36,9 espèces en moyenne dans les sites anciennement occupés, et 31,7 dans les sites non ou peu perturbés, soit 5 espèces de plus. La diversité β est légèrement supérieure dans les sites anciennement perturbés, pour un nombre de relevés pourtant inférieur (32 contre 57). Le coefficient de similarité de Jaccard moyen entre toutes les paires de relevés possibles est de 0,421 en zone non ou peu perturbée, et de 0,415 en zone perturbée (0,402 entre relevés de ces deux sous-ensembles). La diversité β est supérieure en futaie par rapport au TSF (similarité moyenne de 0,414 contre 0,429), mais le nombre de relevés est lui aussi supérieur en futaie (48 contre 41). La diversité γ, ou nombre d’espèces total rencontrées dans chaque type de relevé, est nettement supérieure dans les zones anciennement perturbées : 113 espèces contre 106, pour un nombre de relevés inférieur. Ainsi, alors que la conversion n’a pas induit de différences nettes de diversité, l’agriculture ancienne est liée à un nombre plus élevé d’espèces par relevé, à une variabilité entre sites plus forte et, en conséquence, à un cortège global d’espèces plus riche. Axe F F F R2 global Utilisation Sylviculture Interaction ancienne 1 0,23 24,6*** 0,1ns 0,2ns 2 0,50 0,2ns 84,2*** 6,6* 1 (futaie) 0,35 25,1*** - - 1 (taillis sous futaie) 0,14 6,6* - - Tableau II : Analyse de variance des effets traitement sylvicole et utilisation ancienne sur les deux premiers axes du positionnement multidimensionnel selon le modèle 1 (deux premières lignes) et analyse de l’effet utilisation ancienne sur l’axe 1 du positionnement multidimensionnel pour chaque traitement sylvicole pris séparément (deux dernières lignes). J.-L. DUPOUEY, D. SCIAMA, J.-D. LAFFITE, M. GEORGES-LEROY, E. DAMBRINE 0,5 0,4 0,3 Dimension 2 0,2 0,1 0,0 - 0,1 - 0,2 - 0,3 - 0,4 - 0,5 - 0,4 - 0,3 - 0,2 - 0,1 0,1 0,0 0,2 0,3 0,4 0,5 0,4 0,5 Dimension 1 TSF Traitement sylvicole Futaie 0,5 0,4 0,3 Dimension 2 0,2 0,1 0,0 - 0,1 - 0,2 - 0,3 - 0,4 - 0,5 - 0,4 - 0,3 - 0,2 - 0,1 0,0 0,1 0,2 0,3 Dimension 1 Utilisation ancienne du sol hors parcellaire intra-parcellaire Figure 1 : Position des relevés sur les deux premiers axes d’une analyse multidimensionnelle. En haut : traitement sylvicole (ronds noirs : futaie, carrés blancs : taillis sous futaie). En bas : type d’utilisation ancienne (ronds noirs : relevés situés dans le parcellaire gallo-romain, carrés blancs : relevés en dehors du parcellaire). 185 J.-L. DUPOUEY, D. SCIAMA, J.-D. LAFFITE, M. GEORGES-LEROY, E. DAMBRINE L’analyse multidimensionnelle de l’ensemble du tableau de relevés permet d’identifier les deux premiers axes factoriels comme étant liés aux deux facteurs échantillonnés, qui ont donc bien un effet significatif sur la composition des communautés végétales (fig.1 et tableau II). L’axe de variance maximale (axe 1) est lié à l’utilisation ancienne et l’axe 2 au traitement sylvicole. Les positions moyennes des relevés de chacune des quatre catégories d’utilisation du sol définies au tableau I s’ordonnent par ordre de perturbation décroissante au long de l’axe 1, sans différence entre les terrasses lointaines et les zones non perturbées : enclos (-0,17), terrasses proches (-0,12), terrasses lointaines et zones non perturbées (0,07). Ceci confirme a posteriori la validité du regroupement des deux dernières classes de perturbation. L’analyse de variance confirme ces effets de l’utilisation ancienne, avec une coupure plus fortement marquée entre traitements sylvicoles qu’entre utilisations anciennes. Il n’apparaît pas d’effets significatifs sur les 3 axes suivants. Une interaction faible entre les effets du traitement sylvicole et de l’utilisation ancienne est visible sur l’axe 2 (tableau II). Les tests multivariables prenant en compte conjointement les axes 1 et 2 donnent des résultats identiques. On constate que les différences entre sites anciennement cultivés ou non sont plus nettes en futaie qu’en taillis sous futaie. Quelles sont les espèces caractéristiques de chaque type de forêt échantillonné ? 28 espèces apparaissent liées au type d’utilisation ancienne du sol (tableau III). Conformément à ce qui a été observé pour la richesse spécifique, ces espèces sont toutes (sauf 2) plus fréquentes sur les anciens parcellaires gallo-romains qu’à l’extérieur. 51 espèces sont liées au traitement sylvicole, confirmant que cette coupure est plus nette que celle liée aux usages anciens. Il y a quasiment autant d’espèces caractéristiques du taillis sous futaie que de la futaie. Les espèces caractéristiques des parcellaires anciens ont tendance à être des espèces nitrophiles. On retrouve des espèces classiques déjà mises en évidence dans les études antérieures (Vinca minor, Ribes uva-crispa…). Nous retrouvons, entre TSF et futaie, les mêmes différences que celles observées par Becker (1979). Les espèces de futaie sont un peu plus nitrophiles, hygrophiles, acidiphiles et sciaphiles que celles du taillis sous futaie. Les mousses sont plus abondantes en TSF, ainsi que les espèces du taillis (noisetier, charme, érable champêtre…). 4. - Discussion Ce travail permet, comme celui mené en parallèle en forêt de Tronçais (Dambrine et al. 2007), d’étendre à plusieurs sites les observations précédentes faites sur le seul site de Thuilley-aux-Groseilles. Nous retrouvons, en échantillonnant un nombre plus élevé de situations, les 186 mêmes résultats que ceux obtenus initialement : augmentation de la diversité phanérogamique liée à l’agriculture ancienne, avec une augmentation de la fréquence des espèces nitrophiles. Nous confirmons donc, pour une surface beaucoup plus vaste, les résultats précédents obtenus sur un petit système agraire. L’utilisation agricole ancienne, en enrichissant les sols dans les enclos et les terrasses proches par des apports probables de fumure organique et de cendres, a durablement modifié la répartition des espèces végétales. Les zones non ou peu perturbées (terrasses lointaines) correspondraient dans ce schéma à des situations d’exportation d’éléments minéraux : exploitation forestière dans les zones non perturbées et pâturage dans les terrasses lointaines. Les sites étudiés ont connu une occupation apparente de durée limitée, trois siècles tout au plus. La date d’abandon des habitats est relativement bien identifiée grâce à la datation précise des monnaies et poteries trouvées dans les sondages archéologiques. On retrouve une même date d’abandon (fin du IIe siècle AC ou début du IIIe siècle AC) pour tous les sites agricoles de même type dans plusieurs régions de France, ce qui laisse supposer une origine commune (troubles militaires, variation climatique, épidémies, évolution sociale ou technique conduisant à l’abandon de ces terres ingrates, érosion...). On ne peut exclure cependant que l’exploitation des terres et le maintien de zones ouvertes aient perduré un certain temps, à partir d’un centre d’habitat plus éloigné, sous la forme de pâturages par exemple. La période médiévale a d’ailleurs vu souvent, en France, le pâturage continuer à se mêler aux activités purement forestières. Les documents écrits les plus anciens dont nous disposons (carte de 1736, actes de justice du XVIIe siècle) indiquent une utilisation uniquement forestière de nos sites. Les bans agraires des communes environnantes les plus proches sont aujourd’hui à 2,5 km. Il faut noter que le pâturage, lorsqu’il n’est pas accompagné d’une fumure ce qui est le cas des zones les plus périphériques des finages, tout comme l’exportation de bois hors des forêts, conduisent à une baisse de la fertilité des sols. Cela renforce notre hypothèse d’un impact à très long terme de la période agricole antérieure au IIIe siècle, puisque les activités ultérieures, pâturage ou exploitation forestière, n’ont probablement contribué qu’à en gommer les traces. Par contre, il est plus difficile de dater avec sûreté le début de la période agricole. On ne peut exclure un défrichement et un habitat antérieurs à la période gallo-romaine et qui auraient échappé aux investigations archéologiques. En parallèle nous retrouvons aussi les différences déjà observées entre taillis sous futaie et futaie, avec un cortège d’espèces caractéristiques de chacun de ces traitements. En taillis sous futaie, les espèces qui rejettent de souche sont favorisées par les coupes successives de taillis. Les chênes, plus héliophiles, sont plus fréquents en J.-L. DUPOUEY, D. SCIAMA, J.-D. LAFFITE, M. GEORGES-LEROY, E. DAMBRINE Espèce Fréquence zones Fréquence zones Effet Utilisation non ou peu perperturbées ancienne du sol turbées Fréquence TSF Fréquence futaie Effet traitement Interaction sylvicole Paris quadrifolia 31,3 1,8 *** 2,4 20,8 *** *** Geranium robertianum 31,3 1,8 *** 4,9 18,8 ** * Milium effusum 68,8 33,3 *** 36,6 54,2 * ns Glechoma hederacea 34,4 10,5 ** 4,9 31,3 *** ns Ribes uva-crispa 31,3 10,5 ** 2,4 31,3 *** (*) Rhytidiadelphus triquetrus 53,1 28,1 ** 61,0 16,7 *** ns Euonymus europaeus 28,1 8,8 ** 26,8 6,3 ** ns Asarum europaeum 62,5 31,6 ** 36,6 47,9 ns ns Mercurialis perennis 71,9 42,1 ** 48,8 56,3 ns ns Vinca minor 59,4 26,3 ** 34,1 41,7 ns ns Poa nemoralis 34,4 10,5 ** 19,5 18,8 ns * Ornithogalum pyrenaicum 28,1 12,3 * 24,4 12,5 * *** Galium aparine 9,4 0,0 * 0,0 6,3 * * Carex sylvatica 62,5 84,2 * 65,9 85,4 * ns Scrophularia nodosa 0,0 12,3 * 0,0 14,6 * * Torilis japonica 18,8 5,3 * 4,9 14,6 * ns Hypericum hirsutum 40,6 17,5 * 19,5 31,3 ns ns Acer platanoides 93,8 78,9 * 78,0 89,6 ns ns Crataegus monogyna 59,4 36,8 * 46,3 43,8 ns ** Abies alba 9,4 0,0 * 4,9 2,1 ns ns Bromus ramosus subsp. benekenii 40,6 24,6 (*) 48,8 14,6 *** ns Cardamine pratensis 68,8 52,6 (*) 68,3 50,0 * * Aquilegia vulgaris 6,3 0,0 (*) 0,0 4,2 (*) (*) Pulmonaria obscura 40,6 24,6 (*) 22,0 37,5 ns ns Geum urbanum 37,5 19,3 (*) 22,0 29,2 ns ns Helleborus foetidus 18,8 7,0 (*) 14,6 8,3 ns ns Primula elatior 40,6 22,8 (*) 24,4 33,3 ns ns Fragaria vesca 28,1 14,0 (*) 19,5 18,8 ns ns Quercus robur 37,5 29,8 ns 51,2 16,7 *** ns Oxalis acetosella 15,6 12,3 ns 0,0 25,0 *** ns Arum maculatum 53,1 68,4 ns 43,9 79,2 *** ns Circaea lutetiana 12,5 21,1 ns 2,4 31,3 *** ns Rubus idaeus 15,6 7,0 ns 0,0 18,8 *** ns Corylus avellana 71,9 84,2 ns 92,7 68,8 *** ns Stachys officinalis 18,8 31,6 ns 7,3 43,8 *** ns Ulmus glabra 40,6 54,4 ns 19,5 75,0 *** ns Dryopteris filix-mas 28,1 19,3 ns 2,4 39,6 *** ns Carex muricata 40,6 38,6 ns 61,0 20,8 *** (*) Sorbus aria 31,3 19,3 ns 39,0 10,4 ** ns 187 J.-L. DUPOUEY, D. SCIAMA, J.-D. LAFFITE, M. GEORGES-LEROY, E. DAMBRINE Espèce Plagiomnium undulatum Eurynchium striatum Rosa arvensis Thuidium tamariscinum Anemone nemorosa Fagus sylvatica Viburnum lantana Ligustrum vulgare Acer campestre Rubus fruticosus Lonicera xylosteum Cornus sanguinea Carpinus betulus Epipactis helleborine Viola mirabilis Euphorbia cyparissias Neottia nidus-avis Euphorbia amygdaloides Lathyrus vernus Galeopsis tetrahit Sorbus torminalis Convallaria maialis Stellaria holostea Carex flacca Carex digitata Fréquence zones perturbées 25,0 56,3 59,4 21,9 12,5 90,6 31,3 15,6 75,0 46,9 25,0 28,1 93,8 3,1 6,3 6,3 9,4 46,9 6,3 6,3 15,6 25,0 25,0 3,1 9,4 Fréquence zones Effet Utilisation non ou peu ancienne du sol perturbées 31,6 61,4 57,9 26,3 5,3 96,5 22,8 12,3 68,4 64,9 15,8 28,1 91,2 7,0 1,8 3,5 8,8 50,9 7,0 1,8 17,5 17,5 12,3 3,5 5,3 ns ns ns ns ns ns ns ns ns ns ns ns ns ns ns ns ns ns ns ns ns ns ns ns ns Fréquence TSF Fréquence futaie Effet traitement sylvicole 43,9 73,2 73,2 39,0 0,0 87,8 39,0 22,0 82,9 65,9 29,3 39,0 100,0 12,2 7,3 0,0 14,6 36,6 12,2 0,0 24,4 29,3 12,2 7,3 12,2 16,7 47,9 45,8 12,5 14,6 100,0 14,6 6,3 60,4 52,1 10,4 18,8 85,4 0,0 0,0 8,3 4,2 60,4 2,1 6,3 10,4 12,5 20,8 0,0 2,1 ** ** ** ** ** ** ** ** * * * * * * * * * * * (*) (*) (*) (*) (*) (*) Interaction ns * (*) ns ns ns ns (*) ns *** ns ns ns ns ns ns ns ns ns ns ns * ns ns Tableau III : Espèces caractéristiques de l’intensité de la perturbation ancienne (zones perturbées / non ou peu perturbées) et des types de régime sylvicole (futaie / taillis sous- futaie). Pour chaque espèce sont indiqués : sa fréquence dans chacune des classes de perturbation ancienne ou de régime sylvicole, en pourcentage, et le seuil de significativité du test de l’effet de l’occupation ancienne et du régime sylvicole dans un modèle logistique prenant en compte ces deux facteurs et leur interaction, selon l’échelle suivante : *** P<0,001, ** P<0,01, * P<0,05, (*) P<0,10, ns Px0,10. En gras sont notées les classes de perturbation ou de régime sylvicole dont chaque espèce est caractéristique. 188 TSF et le hêtre, plus sciaphile, en futaie. Les mousses sont probablement favorisées par les niveaux de lumière plus bas et une humidité atmosphérique plus élevée entretenue dans le sous-bois par le taillis, et l’alternance de ces milieux très fermés avec une ambiance très sèche lors des coupes de taillis. lié à l’agriculture ancienne se retrouve avec la même intensité après la conversion du taillis sous futaie à la futaie. Il apparaît même, dans notre échantillon, amplifié. Cette amplification pourrait être due à des différences d’environnement, de sol en particulier, entre taillis sous futaie et futaie. Mais le résultat important de ce travail est que la sylviculture n’interagit que peu avec l’utilisation ancienne du sol : la conversion ne semble en rien avoir gommé les différences de végétation entre usages antiques. D’une part, il a été relativement aisé de trouver, lors de la phase d’échantillonnage, des taillis sous futaie ou des futaies sur les deux types d’utilisation ancienne définis a priori (intraparcellaire gallo-romain, d’une part, et non ou peu perturbé par l’agriculture ancienne, d’autre part). Il ne semble donc pas y avoir de lien important, dans ces forêts, entre les sites choisis pour l’agriculture et ceux choisis pour la conversion, 17 siècles après. D’autre part, le signal En perspective, il serait intéressant de compléter ces analyses purement floristiques par des analyses de sol, qui permettraient de mieux contrôler l’existence éventuelle de biais d’échantillonnage (liaisons type de sylviculture / utilisation ancienne / type de sol). En particulier, en l’absence de contrôle sur le type de substrat, nous ne pouvons pas complètement écarter l’hypothèse selon laquelle les implantations gallo-romaines se seraient faites préférentiellement sur les sols les plus riches, expliquant à la fois pourquoi ces différences floristiques perdurent sur d’aussi longues périodes et pourquoi elles sont indépendantes des changements de sylviculture. J.-L. DUPOUEY, D. SCIAMA, J.-D. LAFFITE, M. GEORGES-LEROY, E. DAMBRINE En décembre 1999, la tempête a ravagé le massif de Saint-Amond. L’exploitation des chablis et la mise des souches en andains, fortement mécanisées, ont provoqué d’importants dégâts sur les sites et effacé les microreliefs. Les traces archéologiques disparaissent. Qu’en estil des traces écologiques ? Remerciements Nous remercions Vincent Badeau, Patrick Behr, Serge Didier, Philippe Jet, Johan Lasouche, Yves Lefèvre, JeanLuc Martin, Concha Moares, Benoît Pollier, Anne Poszwa et Frédéric Steinbach pour leur participation aux travaux de cartographie et de fouille des sites. Ce programme de recherche a bénéficié de l’appui financier décisif du GIPECOFOR (programme « Biodiversité et gestion forestière »). Bibliographie BECKER M., 1979, Influence du traitement sylvicole sur la flore forestière : cas de la futaie et du taillis sous futaie, Vegetatio, 40 (3), p.155-161. BELLEMARE J., MOTZKIN G., FOSTER D.R., 2002, Legacies of the agricultural past in the forested present: an assessment of historical land-use effects on rich mesic forests, Journal of Biogeography, 29, p.1401-1420. DAMBRINE E., DUPOUEY J.L., LAÜT L., HUMBERT L., THINON M., BEAUFILS T., RICHARD H., 2007, Present forest biodiversity patterns in France related to former Roman agriculture, 88 (6), 1430-1439 DECOCQ G., AUBERT M., DUPONT F., ALARD D., SAGUEZ R., WATTEZ-FRANGER A., DE FOUCAULT B., DELELIS-DUSOLLIER A., BARDAT J., 2004, Plant diversity in a managed temperate deciduous forest : understorey response to two silvicultural systems, Journal of Applied Ecology, 41, p.1065–1079. « Actualité de la recherche en histoire et archéologie agraires », Presses Universitaires Franc-Comtoises, Annales Littéraires de l’Université de Franche-Comté, volume 764, Série «Environnement, Sociétés et Archéologie», 5, p.173-180. GOSSELIN M., LAROUSSINIE O., 2004, Biodiversité et gestion forestière : connaître pour préserver, Revue bibliographique, Coll. Études du Cemagref, série Gestion des territoires n° 20, 320 p. 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Etat de la question, In 189 190 Communautés végétales révélatrices de sites archéologiques dans les forêts du nord de la France Guillaume DECOCQ Université de Picardie Jules Verne – Département de Botanique 1, rue des Louvels – F-80037 Amiens Cedex [email protected] Résumé Le caractère original de la végétation s’observant au niveau de sites archéologiques est connu depuis longtemps et a parfois été mis à profit en prospection au sol, sans pour autant que des méthodes d’étude aient été formalisées. Nous présentons ici quelques résultats de recherches menées dans ce domaine, ayant pour cadre théorique la phytosociologie. On part du principe qu’une communauté végétale se constitue spontanément à partir d’un réservoir régional d’espèces, sur lequel vont agir des contraintes liées à la structure du paysage, à la synécologie de l’habitat et aux interactions interspécifiques. Par ses activités, l’homme va interférer avec l’un et/ou l’autre de ces niveaux et laisser ainsi son empreinte dans la végétation. Trois approches sont présentées, correspondant à trois échelles spatiales différentes : l’analyse socioécologique et biogéographico-historique d’espèces cryptogéniques, à l’échelle de la population ; l’analyse phytosociologique comparative, à l’échelle de la phytocœnose ; et l’analyse phytocœnologique de l’hétérogénéité paysagère, à l’échelle du paysage. Plusieurs exemples sont exposés pour les forêts du nord de la France. Bien que des recherches complémentaires soient encore nécessaires, en particulier pour l’échelle paysagère, un certain nombre d’indicateurs botaniques ont d’ores et déjà pu être dégagés et peuvent aider l’archéologue dans ses prospections au sol. Abstract Plant communities indicating archaeological sites in the forests of northern France. The vegetation established on archaeological sites has long been recognized as original and sometimes used as an aid during field investigations. However robust methods for this are still lacking. Within this framework, we present some results from our own research. The theoretical background is provided by phytosociology, considering that a plant community is assembling from a regional species pool under the constraints of landscape structure, habitat quality and assembly rules. Human activities may impact one or more of these levels and thus durably alter vegetation. Three approaches are presented, addressing three spatial scales: socio-ecological and historico-biogeographical analysis of cryptogenic species, at the population scale; comparative phytosociological analysis, at the phytocoenosis scale; and phytocœnological analysis of the landscape heterogeneity, at the landscape scale. Several examples are given for forests of northern France. Further researches are needed, especially at the landscape scale. A number of botanical indicators has been provided already and may guide archaeologists for field investigations. 191 G. DECOCQ 1. - Introduction : végétation et archéologie La valeur indicatrice de la végétation en matière de prospection archéologique est connue depuis longtemps. En 1932 déjà, Roupnel expliquait comment il avait pu reconstituer l’évolution des paysages de la campagne bourguignonne depuis le Néolithique, en déchiffrant les traces conservées par la végétation (Roupnel, 1932). Quelques décennies plus tard, Desbordes (1975) énonçait, pour la première fois, les principes d’une prospection archéologique au sol reposant, entre autres indices, sur la nature du tapis végétal. Suivront un certain nombre de travaux s’inspirant de ceux de Desbordes, qui s’attacheront surtout à décrire la végétation de sites archéologiques (Ghestem et Vilks, 1979 ; Ghestem, 2002 ; Ghestem et al., 1994, 1995, 1996, 1997, 1999, 2003 ; Boyer, 1984 ; Crozat, 1999). La démarche inverse, qui consiste à repérer des « anomalies » du tapis végétal préalablement à la typologie archéologique reste plus ponctuelle (Couderc, 1985, 1993). Dans tous les cas, ces travaux sont restés très descriptifs et, souvent, limités à l’échelle locale (e.g. villa galloromaine, voie romaine, motte castrale). Aucune synthèse n’a été réalisée à ce jour et, par conséquent, aucune formalisation des approches méthodologiques. De plus, les échelles spatiales connexes n’ont quasiment pas été explorées. L’échelle de la population d’une plante est importante pour comprendre l’origine d’une espèce dans une communauté végétale. Citons à ce sujet les travaux de Duvigneaud qui a introduit la notion de « plante castrale » pour désigner des taxons allochtones (néophytes) introduits volontairement par l’homme dans des parcs de château, où ils se sont secondairement naturalisés (Duvigneaud, 1991 ; Duvigneaud et Saintenoy-Simon, 1993). Lorsque ledit château a disparu et que la plante castrale est demeurée, celle-ci est une bonne indicatrice d’un site archéologique. L’échelle du paysage végétal n’a pas été explorée sous l’angle de l’archéologie, en dehors des travaux fondateurs de Roupnel (1932), ou, tout au moins, nombre de travaux concernent l’archéologie des milieux forestiers mais pas ou peu l’archéologie comme facteur façonnant le paysage forestier. Ainsi trouve-t-on des études de biogéographie historique des forêts, reposant principalement sur des méthodes d’analyse régressive du paysage (Dubois, 1980, 1996), qui visent à reconstituer l’histoire des paysages régionaux et la dynamique des surfaces boisées au sein de ces paysages. Nombreuses également sont les études de paléo- ou d’archéo-écologie, qui s’efforcent de reconstituer la dynamique écologique d’un paysage végétal en utilisant des techniques comme la palynologie, la carpologie, l’anthracologie et d’autres (Materne, 2004). Enfin, plusieurs études ont analysé les différences floristiques entre forêts anciennes et forêts récentes (e.g. Peterken et Game, 1984 ; Hermy et al., 1999 ; Donohue et al., 2000) et 192 avancent un certain nombre de mécanismes explicatifs reposant sur la qualité des habitats forestiers (Honnay et al., 1999) et la capacité de dispersion des espèces (Honnay et al., 1998), rappelant au passage l’importance de prendre en compte les échelles paysagère et populationnelle lorsque l’on étudie les communautés végétales. Mais à notre connaissance, aucune étude n’a porté sur l’analyse des mosaïques paysagères en forêt, dans un but de reconstitution des activités humaines du passé et de l’aménagement ancien du territoire. Une récente étude s’est cependant efforcée de mettre en relation la végétation, les propriétés physico-chimiques du sol et l’intensité de la pression humaine à l’échelle d’un site archéologique (une villa gallo-romaine) et de ses dépendances (Dupouey et al., 2002). Pour la première fois, une mosaïque de communautés végétales, sorte de « micro-paysage », a été superposée à un schéma local d’aménagement de l’espace par l’homme près de 2000 ans plus tôt. Depuis plusieurs années, les travaux de recherche menés au sein du Département de Botanique de l’Université de Picardie Jules Verne s’efforcent de formaliser un certain nombre d’approches visant à étudier les relations entre communautés végétales et activités humaines du passé. En particulier, il s’agit de dégager des communautés végétales « indicatrices » de sites archéologiques, utilisables en prospection archéologique, mais aussi utiles pour comprendre l’histoire écologique des forêts. Dans cette contribution, nous allons donner un aperçu sur ces différentes voies de recherche et sur quelques résultats significatifs, après en avoir exposé les fondements théoriques. 2. - Fondements théoriques L’une des théories les plus influentes en écologie est celle du climax (Clements, 1916). Selon celle-ci, qui a largement été amendée au cours du XXe siècle, en l’absence d’intervention humaine et dans un secteur géographique donné, la végétation doit être homogène et en « équilibre » avec les conditions climatiques et géomorphologiques : c’est la végétation naturelle potentielle ou climax. En phytosociologie -la science qui étudie les communautés végétales-, on utilise le terme de « tésela » pour désigner un territoire suffisamment homogène écologiquement et dynamiquement pour ne porter qu’un seul climax (Géhu et Rivas-Martinez, 1981). Les concepts de climax et de tésela sont donc intimement liés. En pratique, en dehors de quelques situations exceptionnelles (e.g. végétations des hautes altitudes ; forêts « vierges » ?), la végétation est loin d’être homogène sur de tels secteurs géographiques, même s’ils sont uniformes d’un point de vue abiotique. On observe, au contraire, une véritable mosaïque paysagère, composée de différents types de phytocœnoses (e.g. forêts, prairies, champs, étangs), dont le déterminisme est anthropique : en aménageant l’espace, l’homme crée une diversité G. DECOCQ d’écosystèmes à usage défini ; autrement dit, il rend la tésela hétérogène en induisant des successions secondaires et en entretenant des communautés végétales non climaciques (Decocq, 2006). La phytosociologie repose sur un paradigme qui considère une relation binaire entre un habitat et une communauté végétale (Géhu et Rivas-Martinez, 1981 ; Gillet et al., 1991). Pour qu’une espèce colonise un habitat donné et participe à la communauté végétale que ce dernier héberge, au moins 3 conditions sont requises : l’autoécologie de l’espèce doit être compatible avec la synécologie de l’habitat (une espèce calcicole ne peut pas coloniser un sol sableux acide !) ; l’espèce doit être présente à proximité de l’habitat ; autrement dit, elle doit faire partie du réservoir régional d’espèces (‘regional species pool’ ; Zobel, 1997) et être capable de s’y disperser (Primack et Miao, 1992) ; l’espèce doit être suffisamment compétitive pour s’incorporer à la communauté végétale en place en « déplaçant » une ou plusieurs espèces déjà installée(s), ou être capable d’occuper une niche jusque là vacante (dans le cas de communautés végétales non encore saturées cœnologiquement) ; ce processus est soumis aux règles d’assemblage des espèces en communautés (‘assembly rules’ ; Wilson, 1999). On peut représenter schématiquement ce processus par une superposition de « filtres » que devraient franchir successivement les espèces du réservoir régional pour réussir à s’implanter dans un habitat (fig.1). D’abord, un filtre « paysager » symboliserait l’influence de la structure du paysage sur la dispersion des diaspores végétales ; puis un filtre « écologique » représenterait la nécessaire adaptation des espèces dont les diaspores parviennent à l’habitat à la qualité de celui-ci (e.g. besoins en ressources : eau, sels minéraux, lumière…) ; enfin, un filtre « fonctionnel » signifierait que l’incorporation d’une espèce à une communauté est soumise aux règles d’assemblage. Évidemment, ces filtres ne doivent pas être vus comme des entités fixes, mais comme des structures dynamiques dans le temps et interagissant en permanence. La dynamique temporelle des filtres et du réservoir régional d’espèces détermine la succession se déroulant au niveau de l’habitat. Ce qui nous intéresse ici, c’est l’influence de l’homme sur ce processus de colonisation d’un habitat par les plantes. En fait, l’homme peut intervenir à l’un et/ou l’autre des 3 filtres et/ou du réservoir régional d’espèces : il peut modifier directement le réservoir régional d’espèces en introduisant, dans la région concernée, des espèces en provenance d’autres régions, connexes (cas de l’extension artificielle de l’aire de répartition de certaines espèces indigènes) ou lointaines (cas des xénophytes, dont certaines seront capables de se naturaliser pour s’incorporer durablement, sinon définitivement, dans le réservoir régional d’espèces ; les espèces allochtones invasives en sont un cas particulier). A l’op- posé, l’homme peut éliminer certaines espèces du réservoir régional, soit volontairement (cas, par exemple, de nombreuses espèces adventices des cultures ou encore, à une époque plus ancienne, des arbustes sempervirents comme l’if ou le houx dans certaines forêts françaises ; Maury, 1867), soit involontairement (cas d’espèces spécialisées dont l’habitat a été détruit ou altéré) ; il peut altérer le filtre paysager en favorisant la connectivité des tâches d’un habitat, par exemple par la mise en place de corridors biologiques, ou, beaucoup plus fréquemment, en réduisant cette connectivité par fragmentation des habitats en tâches de plus en plus petites et de plus en plus éloignées les unes des autres. Dans ce dernier cas, les processus métapopulationnels s’en trouvent fortement altérés et le risque d’extinction augmente pour de nombreuses espèces (Hanski, 1999). À l’échelle d’un habitat donné, les chances de ce dernier d’être colonisé par des espèces adaptées sont réduites ; il peut modifier le filtre écologique, c’est-à-dire les propriétés physico-chimiques et biotiques d’un habitat, et rendre cet habitat impropre aux espèces qui l’avaient colonisées jusqu’ici. Ces modifications entraînent donc de profondes modifications de la communauté végétale résidente, d’abord quantitatives, puis qualitatives. C’est le cas, par exemple, lorsqu’un milieu humide est drainé : les espèces hygrophiles régressent au profit des espèces mésophiles ; ou encore lorsqu’un milieu ouvert est boisé : les espèces héliophiles seront remplacées par des espèces sciaphiles ; il peut enfin altérer le filtre fonctionnel en affectant directement la communauté végétale en place et en modifiant artificiellement les règles d’assemblage des espèces. C’est le cas lorsqu’il exerce une prédation sélective, c’est-à-dire lorsqu’il récolte ou tente d’éradiquer certaines espèces d’une communauté végétale (e.g. espèces toxiques d’une prairie, espèces comestibles d’une lisière, espèces médicinales d’une forêt). À l’opposé, il peut forcer une espèce à « rentrer » dans une communauté végétale en la plantant (e.g. enrichissement d’une forêt en essences à haute valeur ajoutée, plantation d’espèces ornementales dans une pelouse, cas particulier des espaces cultivés). Enfin, certaines pratiques agissent indirectement sur le filtre fonctionnel, comme, par exemple, le fauchage, qui favorise les espèces à fort pouvoir de régénération (en particulier les Graminées) au détriment des autres. Notons d’ailleurs que de nombreuses pratiques modifient simultanément le filtre fonctionnel et le filtre écologique. C’est le cas, par exemple, du pâturage, qui a des effets à la fois sur la communauté végétale en place (e.g. prédation sélective des espèces) et sur les propriétés de l’habitat (e.g. tassement du sol, enrichissement en matières organiques), ces dernières rétroagissant sur la végétation, d’où des effets globaux extrêmement complexes. 193 G. DECOCQ Réservoir régional régionald’espèces d'espèces Réservoir Homme Filtre paysager Filtre écologique Filtre fonctionnel Communauté végétale Figure 1 : Représentation schématique du processus de colonisation d’un habitat par la végétation. Ce processus peut être simplement représenté par une superposition de « filtres » que les espèces appartenant au réservoir régional doivent successivement franchir pour parvenir à s’implanter dans l’habitat et participer à la communauté végétale résidente. Aucune de ces entités n’est définitivement figée dans le temps ; au contraire, chacune est dynamique et subit des modifications permanentes. Par ses activités, l’homme contribue à cette dynamique en interférant à l’un et/ou l’autre de ces niveaux. Pour revenir à la phytosociologie, nous dirons qu’elle offre un cadre conceptuel particulièrement intéressant pour aborder les relations historiques entre l’homme et les communautés végétales. En tant que science issue de la phytogéographie, elle prend naturellement en compte la répartition géographique des espèces, c’est-à-dire la nature des réservoirs régionaux d’espèces. De plus, elle se focalise sur la relation entre conditions écologiques d’un habitat (i.e. synécologie) et composition spécifique d’une communauté végétale (i.e. synfloristique), c’est-à-dire sur ce que nous avons appelé « filtre écologique » et « filtre fonctionnel ». En revanche, il faut reconnaître la faible considération des structures paysagères par la phytosociologie, même si l’avènement de la phytosociologie « intégrée » (Gillet et al., 1991 ; Gillet et Gallandat, 1996) a permis de progresser sur ce point. En phytosociologie, la végétation est considérée comme le détecteur physique de l’ensemble intégré des facteurs du milieu (de Foucault, 1986). L’étude de la végétation est donc un moyen indirect d’analyser ces facteurs. De ces relations sont issues deux lois phytosociologiques (de Foucault, 1997) : la loi synchorologique qui dit que chaque communauté végétale possède une aire de répartition donnée ; la loi physique, qui considère qu’à chaque communauté végétale correspond une combinaison de facteurs écologiques du milieu et une seule. Dans une synthèse méthodologique antérieure (Decocq, 2005), nous avons introduit la notion d’ « anomalie phytosociologique » pour qualifier une communauté végétale observable dans la nature qui, tout au moins en apparence, transgresse l’une des deux lois précédentes. En pratique, la grande majorité des anomalies phytosociologiques sont en fait des anomalies synécologiques, qui contreviennent à la loi physique de la phytosociologie. Dans la mesure où ces anomalies ont presque toujours une explication historique, elles deviennent particulièrement intéressantes en matière d’archéologie ; c’est ce que nous allons développer dans la suite de cette synthèse. Dans ce qui suit, nous n’entrerons dans aucune considération méthodologique dans la mesure où une récente synthèse vient d’être publiée sur le sujet ; nous y renvoyons le lecteur intéressé (Decocq, 2005). 3. - Analyse socio-écologique et biogéographico-historique d’espèces cryptogéniques 3.1. - Principe Cette première approche est centrée sur une espèce cryptogénique (sensu Carlton, 1996, i.e. une espèce dont les origines dans un secteur géographique donné sont méconnues et pour laquelle on est incapable de dire avec certitude s’il s’agit d’une espèce indigène ou d’une archéophyte). Cette espèce est prise comme une composante d’une communauté végétale dont on recherche, dans un premier temps, si son profil socioécologique est compatible avec celui d’une végétation anthropogène. Dans un second temps, en croisant ces critères socio-écologiques avec des données géographiques et historiques, on cherche à dégager un faisceau d’arguments en faveur du caractère archéophytique de l’espèce cryptogénique. Si celui-ci se confirme, on teste, dans un troisième temps, la valeur indicatrice de cette espèce, dans un contexte socio-écologique déterminé, en recherchant systématiquement un site archéologique au niveau ou à proximité de ses stations répertoriées. 3.2. - Exemple du buis (Buxus sempervirens1) Cette approche a d’abord été appliquée au buis dans le nord de la France, où son statut d’indigénat est controversé (Decocq et al., 2004). Nous avons pu montrer que le buis se rencontrait dans trois types de communautés végétales : une communauté à Taxus baccata - Buxus sempervirens, caractérisée par un grand nombre de xénophytes (1) La nomenclature des noms scientifiques suit Lambinon J., De Langhe J.E., Delvosalle L., Duvigneaud J., 1992. Nouvelle flore de la Belgique, du Grand Duché du Luxembourg, du nord de la France et des régions voisines. Quatrième édition. Meise, Editions du Patrimoine du Jardin botanique national de Belgique, 1092 p. 194 G. DECOCQ reconnues : Mahonia aquifolium, Prunus laurocerasus, Aesculus hippocastanum, Evonymus latifolius, Staphylea pinnata, Physocarpus opulifolius, Symphoricarpos albus et Robinia pseudaccacia. À ces espèces s’en ajoutent d’autres, indigènes en France, mais pas dans les régions concernées : Taxus baccata, Picea excelsa, Lonicera xylosteum et Prunus padus. Cette communauté était toujours établie sur des sols profonds, plus ou moins calcaires, en situation de plateau. Systématiquement, un château de construction postérieure à la Renaissance était trouvé à proximité directe des stations ; une communauté à Fraxinus excelsior - Mercurialis perennis, caractérisée par un groupe d’espèces sans cohérence socio-écologique (c’est-à-dire ne cohabitant habituellement pas), dont Ulmus glabra, Sambucus racemosa, Mespilus germanica, Lamium galeobdolon, Campanula trachelium, Hyacinthoides non-scripta, Paris quadrifolia, Galium odoratum, Symphytum officinale, Teucrium scorodonia, etc. Cette communauté s’observait systématiquement sur des pentes fortes occupées par des éboulis crayeux, souvent d’exposition sud. Les ruines ou simplement l’emplacement ancien d’un château médiéval ont été retrouvés à chaque fois dans l’environnement immédiat ; une communauté à Quercus pubescens - Buxus sempervirens, limitée à un seul site sur un éperon crayeux, à proximité duquel se trouvait un château de la Renaissance. En commun à ces trois communautés, on trouvait un grand nombre d’espèces qui étaient soit calcicoles (e.g. Mercurialis perennis, Ligustrum vulgare, Viburnum lantana, Brachypodium sylvaticum), soit nitrophiles (e.g. Urtica dioica, Geranium robertianum, Sambucus nigra, Galium aparine, Glechoma hederacea, Geum urbanum, Alliaira petiolata), soit notoirement castrales (e.g. Vinca minor, Vincetoxicum officinale), et qui ne sont pas des compagnes habituelles du buis dans son aire d’indigénat. En conclusion, le buis pouvait être considéré, dans le nord de la France, comme une archéophyte et une plante castrale (Decocq et al., 2004). Dès lors, dans cette région et en situation intraforestière, le buis et la communauté végétale à laquelle il appartient peuvent être de bons révélateurs d’un site archéologique (fig.2a). 3.3. - Exemple de la nivéole (Leucojum vernum) La même approche a été appliquée à la nivéole printanière, mais cette fois en choisissant une aire d’étude qui inclut à la fois des stations d’indigénat incontestable (vers l’est) et d’autres d’origine anthropique avérée (vers l’ouest). Ces résultats n’ont encore été publiés que très partiellement (Decocq, 2005). Sans entrer dans le détail, nous avons pu reconnaître quatre types de communautés Figure 2 : Deux espèces cryptogéniques pouvant révéler la présence de sites archéologiques dans les forêts du nord de la France : (a) le buis, Buxus sempervirens L. et (b) la nivéole (Leucojum vernum L.). (Clichés photographiques : G. Decocq). végétales auxquelles participait Leucojum vernum dans le nord de la France : l’une au caractère franchement hygrophile, limitée aux stations les plus orientales (Ardennes), toutes localisées en situation alluviale (aulnaies-frênaies eutrophiques) et loin de tout contexte archéologique. C’est la socio-écologie habituelle de la nivéole dans son aire continue d’indigénat, si bien que l’on peut interpréter ces stations comme spontanées et naturelles ; une seconde, moins hygrophile, liée à des sols frais mais rarement inondés, en fond de vallon sur alluvions anciennes ou colluvions argilo-calcaires (frênaies colluviales). Aucun site archéologique n’a pu être mis en évidence à proximité de ces stations. En revanche, la connection des vallons avec l’ancien réseau hydrographique d’avant le glaciation du Riss laisse penser que toutes ces stations correspondent aux irradiations les plus occidentales de l’espèce et, donc, à des stations naturelles relictuelles ; toutes sont situées dans le nord de l’Aisne (Thiérache) ; une troisième, franchement mésophile et caractérisée par un ensemble d’espèces n’ayant aucune cohérence 195 G. DECOCQ socio-écologique, véritable « anomalie phytosociologique » (e.g. Vinca minor, Mercurialis perennis, Milium effusum, Ribes uva-crispa, Helleborus viridis, Galanthus nivalis). Cette communauté a été rencontrée dans l’ensemble de la dition, dans des situations extrêmement contrastées : pentes crayeuses xériques, pentes argileuses humides, fonds de vallée sèche, plateaux crayeux, etc. Dans la végétation ligneuse, la présence d’authentiques xénophytes était quasi systématique (e.g. Prunus insititia, Prunus padus à l’ouest, Buxus sempervirens). Enfin, presque à chaque fois, on pouvait retrouver la notion d’un site archéologique à proximité, à type de château ou d’abbaye ; une quatrième, sans localisation géographique ni écologie préférentielle, caractérisée, d’une part par l’absence du cortège d’espèces nitrophiles qui accompagnait la nivéole dans les trois communautés précédentes, et, d’autre part, par le très faible recouvrement de la population de nivéole, réduite à quelques individus. Ces caractéristiques étaient compatibles avec l’hypothèse d’une introduction récente de l’espèce, d’autant plus qu’une route était systématiquement présente à proximité (les bords de route et les carrefours accueillant fréquemment les déchets de jardin) et que la plupart de ces stations n’étaient pas répertoriées par les botanistes du XIXe siècle. En conclusion, la nivéole est une espèce indigène dans la partie orientale de l’aire d’étude, mais dont l’aire « naturelle » a été élargie par l’homme. Sa « signature socioécologique » permet de différencier les stations indigènes des stations artificielles ; dans ce dernier cas, la nivéole et la communauté qui l’héberge sont des anomalies botaniques potentiellement révélatrices d’un site archéologique de type castral ou prioral (fig.2b). 4.-Analyse phytosociologique comparative 4.1. - Principe Cette seconde approche n’est plus ciblée sur une espèce en particulier, mais sur la communauté végétale établie sur un type donné de site archéologique (e.g. une motte castrale, une villa gallo-romaine), dont on va analyser la végétation comparativement à celle d’un site témoin apparié. Ce dernier est choisi dans le même massif forestier, le moins éloigné possible, dans les mêmes conditions topographiques, édaphiques et biotiques actuelles, et en dehors de tout contexte archéologique (ce qui n’exclut pas que le site ait été ou soit influencé par l’homme, par exemple via la gestion forestière). D’autres mesures comme, par exemple, des analyses physico-chimiques du sol, peuvent être menées simultanément à l’étude de la végétation. On cherche alors à mettre en évidence des groupes socio-écologiques différentiels par analyse statistique des deux séries appariées de relevés floristiques (sites archéologiques versus sites témoins). 196 4.2. - Exemples Cette démarche a d’abord été appliquée à une série de mottes castrales picardes (Decocq et al., 2002), puis à une série de villae gallo-romaines dans la forêt de Compiègne (Renaux, 2003 ; Doyen et al., 2004 ; Plue, 2005). Nous renvoyons aux publications princeps pour de plus amples informations sur la méthodologie et l’intégralité des résultats et conclusions. Dans les deux cas, les résultats convergent et permettent de dégager plusieurs groupes socio-écologiques indicateurs : un groupe neutro-calcicole composé d’espèces inféodées aux sols de réaction neutre à basique et/ou riche en CaCO3 (e.g. Mercurialis perennis, Brachypodium sylvaticum, Galium odoratum, Melica uniflora, Vicia sepium, Euphorbia amygdaloides, Evonymus europaeus, Ligustrum vulgare). Ce groupe est souvent le révélateur de la présence de remblais calcaires, enfouis plus ou moins profondément dans le sol, ou de ruines de constructions anciennes ensevelies. Ce premier groupe n’est en fait utilisable que sur des sols forestiers non calcaires (e.g. sols bruns plus ou moins lessivés, sols lessivés, sols podzoliques) ; un groupe eutrophique, composé d’espèces affectionnant les sols riches en nitrates et/ou en phosphates (e.g. Urtica dioica, Geranium robertianum, Aegopodium podagraria, Alliaria petiolata, Geum urbanum, Galium aparine, Sambucus nigra, Glechoma hederacea, Poa trivialis). C’est un excellent indicateur d’une présence humaine prolongée puisque l’enrichissement d’un sol en azote et en phosphore est proportionnel au degré de pression anthropique (Craddock, 1982 ; Goodale et Aber, 2001). Il est utilisable sur quasiment tous les types de sol forestier, en dehors de ceux naturellement riches en nitrates (e.g. sols alluviaux régulièrement amendés par les crues) ; un groupe d’espèces des forêts anciennes (sensu Hermy et al., 1999) qui, au contraire des deux précédents, différencie négativement les sites archéologiques (c’est-à-dire que c’est leur absence ponctuelle qui révèle la présence du site). Ces espèces (e.g. Anemone nemorosa, Hyacinthoides non-scripta, Viola reichenbacchiana, Carex pilulifera, Deschampsia flexuosa) ont la particularité de mettre très longtemps à recoloniser un habitat duquel elles ont été éliminées. Cette propriété serait principalement due à leur faible capacité de dispersion (la plupart sont myrmécochores, c’est-à-dire que leurs graines sont dispersées par les fourmis) et à leur faible pouvoir concurrentiel, en particulier vis-à-vis des espèces eutrophiques (Hermy et al., 1999 ; Honnay et al., 1998, 1999 ; Graae et al., 2004). La vitesse de recolonisation étant spécifique de chaque espèce de ce groupe, la composition de celui-ci sur un site donné pourrait indiquer, au moins approximativement, l’âge du boisement d’un site archéologique. Par exemple, en comparant les résultats obtenus pour les mottes castrales (Xe-XIe siècles) à ceux obtenus G. DECOCQ Figure 3 : Anomalies phytosociologiques en forêt de Compiègne (Oise). Sur ces sols podzoliques, la phytosociologie prédit une communauté végétale herbacée pauvre, correspondant à celle se trouvant dans l’angle inférieur droit des deux clichés ci-dessus, notamment caractérisée par des espèces de forêts anciennes. Deux îlots de végétation luxuriante s’observent pourtant (dans la partie supérieure gauche des deux clichés), en dehors de toute différence significative de la luminosité au sol ; les espèces eutrophiques et neutro-calcicoles dominent et côtoient des espèces cryptogéniques. La prospection archéologique révèlera la présence de deux anciens habitats gallo-romains. (Clichés photographiques : G. Decocq). pour les villae gallo-romaines (Ier-IVe siècles), on se rend compte que certaines espèces, comme la jacinthe des bois, présente partout autour du site en vastes populations, a eu le temps de recoloniser les seconds, mais pas les premiers, suggérant un délai de plus de dix siècles pour que les plus « mobiles » des espèces de forêts anciennes puissent recoloniser un site archéologique. L’anémone des bois était, elle, absente sur les deux types de site, bien qu’abondante partout autour. Aux côtés de ces trois groupes socio-écologiques, on pourrait en citer un quatrième, beaucoup plus hétérogène et sans cohérence socio-écologique. Il regrouperait des espèces « utilitaires » pour l’homme (i.e. plantes médicinales, plantes alimentaires, plantes ornementales, etc.), qui sont régulièrement retrouvées, mais pas systématiquement, sur des sites archéologiques. La plupart sont d’ailleurs des espèces cryptogéniques et/ou d’authentiques plantes castrales (e.g. Taxus baccata, Lonicera xylosteum, Iris foetidissima, Viola odorata, Vinca minor, Galanthus nivalis, Prunus padus, Vincetoxicum hirundinaria, Helleborus foetidus). En conclusion, cette seconde approche permet de dégager des groupes d’espèces caractéristiques des « anomalies phytosociologiques » qui, une fois circonscrits pour une région donnée, sont utilisables en prospection archéologique (Decocq, 2005). C’est la combinaison de ces différents groupes qui permet, le plus souvent, de reconnaître le caractère anormal d’une communauté végétale, dans la mesure où, les conditions stationnelles étant connues, elle n’est pas prédite par la loi physique de la phytosociologie (fig.3). 5. - Analyse phytocœnologique de l’hétérogénéité paysagère Après les échelles de la population et de la phytocœnose, c’est l’échelle paysagère que cette troisième approche permet d’appréhender, en analysant la diversité phytocœnotique intra-téselaire (i.e. à l’intérieur des limites d’une tésela), c’est-à-dire l’hétérogénéité du paysage végétal en termes de communautés végétales. Les aspects théoriques et méthodologiques de cette 197 G. DECOCQ Figure 4 : Comparaison du paysage végétal théorique (a) au paysage végétal réel (b) de la forêt de Compiègne (Oise). En (a), la carte représente les téselas prédites par la loi physique de la phytosociologie. En la comparant à la carte (b) qui correspond à la végétation actuelle de la forêt de Compiègne, on voit que l’hétérogénéité paysagère réelle est beaucoup plus importante. La diversité intra-téselaire peut être interprétée à partir des données sur l’aménagement ancien du territoire (depuis l’Antiquité) et sur la diversité des pratiques humaines et des usages anciens. (D’après Decocq, 2003). démarche ont été publiés par ailleurs (Decocq, 2003). Ce type d’étude est grandement facilité par l’outil informatique, en particulier les systèmes d’information géographique (SIG). Le principe est simple. A l’échelle d’un paysage forestier, on commence par délimiter des territoires suffisamment homogènes écologiquement et dynamiquement pour ne porter qu’un seul climax : autrement dit, on cartographie les téselas d’un paysage. Selon la théorie phytosociologique, la loi physique prédit que l’on devrait observer autant de communautés végétales climaciques que de types de tésela. Dans un second temps, on réalise une cartographie fine des phytocœnoses réellement observées sur le terrain, que l’on va ensuite superposer à la carte de la végétation potentielle (fig.4). La seconde carte montre une hétérogénéité paysagère (facilement quantifiable à l’aide d’indices type indice de Shannon-Wiener H’) beaucoup plus importante que celle prédite. Nous considérons que cette hétérogénéité est due à l’influence des activités humaines sur le complexe sol-végétation. Par conséquent, la diversité intra-téselaire est une mesure du nombre de trajectoires distinctes de la succession secondaire théorique à un instant t, ce nombre étant lui-même déterminé par le régime des perturbations subies par la tésela et les capacités de résistance/résilience des écosystèmes. A l’échelle d’un paysage forestier, le ratio richesse phytocœnotique théorique (égale à 1 à l’intérieur d’une tésela) : richesse phytocœnotique réelle pourrait être un bon indicateur paysager de l’anthropisation historique d’un paysage (Decocq, 2003, 2005). Plus 198 la valeur de ce ratio tendra vers 1, plus le paysage pourra être considéré comme « naturel » ; au contraire, plus il tendra vers 0, plus il pourra être considéré comme « artificiel » ou anthropisé. Pour interpréter un paysage anthropisé, toutes les sources d’information sont utiles. Une première étape consiste à superposer la carte de la végétation observée avec la carte des usages actuels de la forêt (incluant essence dominante, type de sylviculture, phase du cycle sylvicultural, etc.) ; une partie du décalage entre végétation théorique et végétation exprimée sera expliquée par ces usages actuels. Une seconde étape peut consister à superposer à la carte de la végétation actuelle, une carte de distribution des sites archéologiques repérés lors de campagnes de prospection au sol (Doyen et al., 2004). Là encore, une part du décalage mis en évidence pourra être expliquée, en reliant les anomalies phytosociologiques avec les usages anciens du sol. Par exemple, en forêt de Compiègne, entre les zones d’habitat identifiées à l’aide des groupes indicateurs précédemment cités, on peut mettre en évidence des zones de pâturage d’âge gallo-romain (communautés de landes secondaires à Calluna vulgaris) ou médiéval (communautés à Holcus mollis) ou des zones anciennement cultivées (communautés à Rubus fruticosus coll. souvent envahies par l’espèce invasive Prunus serotina). Evidemment ces reconstitutions sont probabilistes et leur qualité étroitement dépendante de la qualité des sources historiques disponibles pour le paysage étudié. C’est en une véritable reconstitution de la dynamique de l’aménagement du territoire par l’homme depuis l’Antiquité à nos jours que consiste cette démarche, dont les résultats comportent inévitablement des zones d’ombre. G. DECOCQ 6. - Conclusion : vers une approche ethnologique de l’écologie historique des forêts ? En fournissant un cadre théorique robuste et en formalisant un certain nombre d’approches et de méthodes, nos travaux ont permis de mettre en évidence la réelle valeur heuristique du concept d’anomalie phytosociologique en tant que conséquence d’un fait archéologique. Une approche multiscalaire intégrant les échelles populationnelle, phytocœnotique et paysagère est nécessaire à la compréhension des interactions entre activités humaines et processus d’assemblage des espèces en communautés végétales ; elle est le fondement même d’une véritable écologie historique des écosystèmes et des ethnopaysages qu’ils composent. L’écologie historique des forêts est probablement un champ disciplinaire - ou plutôt, transdisciplinaire - d’avenir. En Europe occidentale, comme dans de nombreuses autres régions du globe, les écosystèmes et les paysages sont un héritage des activités humaines du passé ; le premier facteur de leur déterminisme est bien souvent l’homme. A l’heure où une priorité est de conserver la biodiversité, il est indispensable de prendre cette dimension en considération (Swetnam et al., 1999). Toutefois, de nombreuses recherches sont encore nécessaires pour mieux comprendre les mécanismes selon lesquels des activités humaines qui se sont parfois déroulées des millénaires plus tôt ont encore des répercussions sur les communautés végétales actuelles. La valeur indicatrice des communautés végétales dans le domaine de l’archéologie extensive réclame des investigations complémentaires pour améliorer les outils déjà disponibles. Enfin, parce que les modifications anthropiques des écosystèmes sont dirigées et dictées par des facteurs socio-économiques et/ou politiques de l’époque à laquelle elles se produisent, il nous paraît indispensable d’introduire la subjectivité et l’anthropocentrisme dans les analyses des relations homme-végétation, quitte à aller à l’encontre du « politiquement correct » en écologie, où l’objectivité mathématique, l’échantillonnage aléatoire et les statistiques sont ordinairement du règle. C’est ce pour quoi nous avons plaidé récemment : introduire les approches de l’ethnologie et, plus particulièrement, de l’ethnophytosociologie (i.e. la science qui étudie les relations entre l’homme et les communautés végétales ; de Foucault, 1990) dans le domaine de l’écologie historique (Decocq, 2006). Remerciements L’auteur remercie l’ensemble des collaborateurs qui ont participé aux travaux de terrain et de laboratoire qui ont été synthétisés ici : Dorothée Bordier, Stéphanie Renaux, Robert Saguez, Patrice Thuillier, Valérie Vieille. Ces travaux ont été réalisés en collaboration avec le Laboratoire d’Archéologie de l’Université de Picardie Jules Verne (UPRESS-EA 3912) dirigé par Philippe Racinet. Bibliographie BOYER J.F., 1984, Végétation et structures archéologiques : contribution à l’analyse de la flore sur des sites du Haut-Limousin, Thèse Pharmacie (dir. Ghestem A.), Université de Limoges, Limoges. CARLTON J.T., 1996, Biological invasions and cryptogenic species, Ecology, 77, p.1653-1655. CLEMENTS F.E., 1916, Plant succession. An analysis of the development of vegetation, Carnegie Institution of Washington, Washington. COUDERC J.M., 1985, Les végétations anthropogènes et nitrophiles et la prospection archéologique, in : Géhu J.M. 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Elle a permis de distinguer une partie des aménagements antiques qui auraient pu passer pour être l’œuvre de la nature, de reconnaître des espèces végétales probablement liées à l’occupation ancienne du site et d’interpréter les vocations agronomiques des parcelles de l’époque à partir de leurs facteurs favorables et limitants. Par ailleurs, l’implantation précise du village, outre les raisons politiques et religieuses, résulte bien d’une connaissance intime du territoire et de ses ressources naturelles. Abstract Near the sanctuary of the "Sources of the Seine", in the department of Côte-d’Or, a romano-gaulish village formed by about forty houses has been studied together with all its agricultural lots. They have been preserved by the forest, which covered these places without interruption since the abandonment of the site at the end of the III cent. AD. The whole of the lots circumscribed by walls (total length 20 km) covers a surface of more than 140 hectares. The area between the "Sources of the Seine" and the area of the lots, bordered by a 2600 m long wall, is occupied by another group of lots covering a surface of about 50 hectares without any connected settlement. A phytoecological study has been undertaken to understand and interpret the organization of the two groups of juxtaposed lots. This study started with a definition and positioning of forest observatories on a surface of more than 200 hectares. Thanks to this study it was possible to establish the natural or artificial nature of some of the features and to identify two plants, Buxus sempervirens and Senecio ovatus, whose appearance is possibly connected to ancient activities. Overlapping the stations’ map with that of the romano-gaulish lots allows us to formulate some interpretations about the lots usage and to demonstrate that the birth of the village and its surroundings are connected not only to its position in close proximity to the Sources of the Seine, along the road to Haut-Auxois and Alesia, but also to the exploitation of the available natural resources (climatic zone, water, stones, soil fertility…). 1. - D’Alésia aux Sources de la Seine La découverte du parcellaire rural gallo-romain lié au sanctuaire antique des Sources de la Seine et l’étude à la fois archéologique et phytoécologique dont il a fait l’objet, sont la conséquence inattendue d’un programme couvrant un espace beaucoup plus vaste : l’étude des campagnes de la ville gallo-romaine d’Alésia (sur le MontAuxois, commune d’Alise-Sainte-Reine, Côte-d’Or). Les deux recherches furent conduites parallèlement dans la décennie quatre-vingt-dix, mais avec des caractères spécifiques du fait de la différence d’échelle. L’étude de l’environnement rural d’Alésia a porté sur 500 km2 (le Haut-Auxois et les vallées qui l’encadrent), avec 120 habitats et une quarantaine de forges, en majorité établies sur un dense réseau de voies (Mangin et al., 2000a) (fig. 1). Le programme de prospection dans les forêts des communes de Blessey, Salmaise et Saint-Germain-SourceSeine sur les marges méridionales du plateau du Châtillonnais, n’a concerné que les 200 hectares où demeuraient les vestiges d’occupation antique : habitats et parcellaire rural (Mangin et al., 2000b ; Mangin, Laclos, Courtadon, à paraître). Ces 200 hectares d’occupation comportent deux parties nettement séparées par une longue murée nordsud : d’une part, le village antique de Blessey-Le Chalonge et son parcellaire et, d’autre part, le parcellaire qui relie Le Chalonge au sanctuaire des Sources de la Seine (fig. 2 et 3). 203 E. DE LACLOS, M. MANGIN Figure 1 : Blessey-Salmaise. Carte de situation entre le Haut-Auxois et La Montagne (éch. 1 : 250 000), (J.-L. Courtadon) A l’ouest, en limite du versant du plateau et sur celui-ci s’étend un vaste parcellaire de 140 hectares. Les parcelles, de forme géométrique et adaptées aux contraintes physiques, sont délimitées par des murées de divers types dont la longueur cumulée dépasse les vingt kilomètres. Une quarantaine d’habitats sont alignés sur un axe directeur nord-sud (un « village » d’une douzaine de maisons dans leurs enclos et de petits groupements de quelques habitats) ; deux grandes « fermes » sont isolées dans le parcellaire. Un relais avec sa forge ouvre le village sur le 204 Chemin Rouge, axe ancien reliant les Sources de la Seine au Haut-Auxois (fig. 3). Ce groupement a été implanté au début de notre ère et organisé dans le cadre d’un plan global à partir du milieu du Ier siècle. Position et fonctions peuvent-elles expliquer la création, l’organisation et le développement de ce village ? Sa position à proximité des Sources de la Seine et sur l’axe les reliant au Haut-Auxois et à Alésia n’est pas anodine ; les cinq forges qui y ont été identifiées sont établies, l’une sur le Chemin Rouge, les autres dans le village et les E. DE LACLOS, M. MANGIN Figure 2 : Superposition des stations forestières et du parcellaire antique - zone sud. 205 E. DE LACLOS, M. MANGIN Blessey-Salmaise - zone Nord Figure 3 : Superposition des stations forestières et du parcellaire antique - zone nord. hameaux ; elles sont à mettre en rapport tant avec la circulation qu’avec les besoins des travaux ruraux, car l’importance du parcellaire agricole atteste d’une activité rurale notable. A l’est, l’espace de 800 m qui sépare ce parcellaire du sanctuaire des Sources de la Seine est lui aussi aménagé sur une cinquantaine d’hectares. Le système de parcelles est organisé d’une façon analogue à celui du Chalonge et délimité aussi par des murées dont certaines soutiennent des terrasses étagées dans le versant. Mais, à la différence du parcellaire du Chalonge, il est totalement dépourvu d’habitat (fig. 3). Comprendre l’organisation du parcellaire agricole de ces deux espaces et interpréter ses utilisations possibles exigeaient une recherche spécifique. Ce sont les principaux acquis de ce travail qui font l’objet de la présente communication. L’étude phytoécologique constitue, en effet, l’un des trois volets — et non le moindre — de l’ensemble des recherches pluridisciplinaires conduites pour caractériser ce site. Elle s’inscrit aux côtés, d’une part, de l’étude sur le terrain du parcellaire et de l’habitat par l’équipe de M. Mangin (avec la fouille de deux constructions et les relevés détaillés de l’ensemble du parcellaire par J.-L. Courtadon) et, de l’autre, de l’étude des forges du site tant sur le terrain, avec la fouille de la forge du relais par A. Faivre, qu’en laboratoire, avec l’exploitation du mobilier (métal et déchets de travail) à l’UMR5060, CNRS « Métallurgies et Cultures » de Sévenans-Belfort sous la direction de P. Fluzin. 206 2. - L’étude phytoécologique Passant de l’échelle du paysage des campagnes d’Alésia à celle du terroir correspondant au finage d’un village galloromain, l’étude phytoécologique − programmée dans le contexte bien particulier de la forêt ayant recouvert le site − répond à d’autres objectifs et emploie des méthodes très différentes qui ne pourraient pas s’appliquer à l’ensemble du Haut-Auxois. Le village antique de Blessey-Le Chalonge est relativement bien daté par le mobilier découvert lors de prospections de surface ou lors des quelques fouilles citées plus haut ; les premiers témoignages d’occupation remontent au milieu du premier siècle et les derniers ne vont guère audelà de la fin du troisième siècle. L’on ne peut rien dire encore de l’occupation qui a très probablement précédé l’implantation du village à l’époque augustéenne ; mais certains vestiges insérés plus ou moins dans l’organisation du parcellaire antique et sans rapport avec une acculturation gallo-romaine pourraient avoir été déjà présents sur le site quand le village a été implanté. En revanche, pendant les siècles qui ont suivi le départ des habitants et l’abandon des parcelles du terroir, cet espace n’a probablement pas été oublié : retourné à la forêt qui n’avait d’ailleurs jamais dû être loin, il est devenu le point de rencontre de plusieurs domaines, avec toutes les différences de gestion que cette diversité implique et que l’on retrouve jusqu’à aujourd’hui. L’étude phytoécologique couvre donc un espace défriché et en partie cultivé pendant deux siècles et demi et dont E. DE LACLOS, M. MANGIN tout porte à croire que la forêt est venu le recouvrir sans interruption depuis 1700 ans. Par conséquent, les différentes unités de végétation qui caractérisent les variations géologique, topographique et pédologique se sont mises en place depuis un temps suffisamment long pour permettre la définition d’une typologie précise des stations forestières. Sous forêt, la végétation est intimement liée aux variations de la couverture pédologique. Les plantes, par leur répartition spatiale, révèlent tantôt la richesse chimique du sol, tantôt sa capacité à retenir l’eau, tantôt sa teneur en azote. Par ailleurs, les arbres agissent sur le sol par leur système racinaire et par la matière organique qu’ils apportent. L’approche phytoécologique d’un territoire consiste à mettre en évidence la relation qui existe entre les plantes et leur support dans un contexte climatique donné. Cette relation est décrite et synthétisée dans des catalogues dits « de stations forestières » qui proposent des listes descriptives d’unités écologiques homogènes auxquelles est associé un cortège floristique particulier. Le territoire de Blessey-Le Chalonge n’étant couvert par aucun catalogue de stations, une typologie spécifique y a été élaborée. Elle doit permettre de croiser les indications qu’elle fournit avec le parcellaire mis en évidence par l’étude archéologique et, in fine, de fournir une interprétation de la valeur agronomique des terres dans le contexte de leur utilisation antique. 11 stations ont été définies, seules seront envisagées ici les 5 stations qui caractérisent la variabilité de la couverture pédologique du plateau. En effet, c’est dans cette situation que le parcellaire agricole est très majoritairement implanté. 3. - Les différentes stations forestières du plateau (fig. 2 et 3). Le site de Blessey-Le Chalonge est à l’articulation entre la dépression de l’Auxois à l’ouest et les plateaux calcaires (Châtillonnais, Montagne), à l’est et au nord : deux régions différentes par leurs terrains, leur morphologie, leur hydrologie. L’entablement du plateau date du Bathonien et présente deux faciès principaux : des calcaires compacts, durs, parfois irrégulièrement dolomitisés et cariés par la dissolution météorique ; des calcaires oolitiques, blancs et tendres. Des limons peu épais forment des lentilles discontinues qui viennent masquer par endroit ces faciès de roche et les sols à qui ils ont donné naissance. Ces roches et formation superficielle, qui ont parfois été bouleversées par les phénomènes périglaciaires, sont à l’origine des sols des stations qui suivent. S1 : station carbonatée et humifère. Elle apparaît généralement au niveau des calcaires oolitiques tendres qui, sous l’effet du gel, du dégel et des dissolutions, s’altèrent et alimentent continuellement la terre fine en carbonate de calcium. Parfois, les phénomènes périglaciaires (cryoturbation, solifluxion) ont mêlé de l’argile de décarbonatation avec des graviers de calcaire tendre. Enfin, plus rarement, cette station correspond à des accumulations de graviers de calcaire dur, appelées grèze, localement. Des plantes calcaricoles comme Daphne mezereum, Carex alba, Viburnum lantana permettent de cerner facilement ses limites. Au total, ces terrains sont peu propices aux cultures de l’époque antique en raison des contraintes chimiques qu’induisent les sols carbonatés ; de plus, les réserves en eau sont globalement assez faibles. Cependant, il n’existe pas de contraintes physiques au labour. S2 : station calcicole et mésoxérophile. La surface qu’elle recouvre est très faible. Les sols, issus de calcaires durs, correspondent à une couche d’argiles de décarbonatation inférieure à 30 cm. Les réserves en eau sont très limitées ; un éventuel labour nécessite un épierrement très important. S3 : Station décarbonatée, argileuse, sur plateau C’est la station la plus recouvrante du site archéologique. Typiquement, c’est un sol développé à partir d’argiles de décarbonatation, reposant sur des calcaires durs, décarbonaté sauf en contact immédiat avec les éléments grossiers (pellicule calcaire), calcique, et dont la « couche utile » est supérieure à 30 cm. Les réserves en eau sont assez bonnes dans le contexte local. La quantité d’éléments grossiers peut être assez variable et, dans certains secteurs, cette station n’est labourable qu’au prix d’épierrements importants, qui ne viendront d’ailleurs jamais à bout des plus grosses roches. S4 : Station sur limons. Cette station occupe une surface relativement importante toujours insérée dans l’espace couvert par la station précédente. La définition de cette station repose sur la présence de limons d’épaisseur assez conséquente dans le contexte local, les réserves en eau élevées favorisent l’agriculture. Parallèlement, les horizons supérieurs sont généralement appauvris en bases échangeables, si bien qu’une flore acidicline (Atrichum undulatum) tend à s’installer. Cette station forme un croissant discontinu reliant les zones d’habitats de Blessey-Le Chalonge au sanctuaire des Sources de la Seine. S5 : Station d’affleurements rocheux (zones hachurées pour partie sur les figures 2 et 3). Elle forme, souvent en contact avec les deux stations précédentes, de petits lapiaz ⎯ voire des « champs de 207 E. DE LACLOS, M. MANGIN pierres » ⎯ où s’installent entre les blocs et dans les fissures une flore hygrosciaphile (Asplenium scolopendrium, Cardamine heptaphylla). Elle est, en théorie, impropre à toute utilisation agricole. Ces espaces sont souvent nettement délimités par des murées résultant de l’épierrement des parcelles alentours. 4. - Les apports de l’étude de terrain Les multiples sondages pédologiques et l’examen attentif de la flore qu’exigent la réalisation de la carte des stations ont permis de découvrir certains éléments qui ont concouru à mieux comprendre le site archéologique. Parmi eux, le plus manifeste est le système de cultures en terrasses qui domine le versant est du vallon des Sources de la Seine, appelé Combe des Arnauts (fig. 3). A l’origine, seules quelques murées discontinues avaient été relevées par l’équipe archéologique. Actuellement, c’est une douzaine de terrasses parallèles qui ont pu être mises en évidence avec précision. En effet, ces terrasses résultent d’un aménagement sommaire du plateau qui est ici légèrement incliné vers le vallon. Sur le terrain, elles sont marquées tantôt par des alignements de blocs calcaires, tantôt par un léger décrochement topographique, masqué bien souvent par la végétation en place. Les sondages pédologiques ont permis de constater que l’épaisseur de la couche utile ⎯ l’horizon labourable dans le cas présent ⎯ variait régulièrement au rythme de ces banquettes dont le caractère artificiel n’apparaissait pas au départ. Or ces variations d’épaisseur sont très probablement dues à des labours qui, rejetant régulièrement la terre vers l’aval, ont ainsi atténué la pente tout en dégageant parfois des éléments grossiers qui ont permis d’étayer la terrasse (fig. 4). La quantité de blocs calcaires visibles en surface est très variable, pratiquement nulle sur la station S4, Avant aménagement Figure 4 : Aménagement en terrasses. 208 ce qui ne facilite pas le repérage des terrasses, et très hétérogène sur la station S3. Par ailleurs, deux plantes paraissent en décalage avec leur aire de distribution naturelle : le buis (Buxus sempervirens) qui, en Côte-d’Or, et à cette latitude, se cantonne aux versants et corniches les mieux exposés. A Blessey-Le Chalonge, sa présence sur le plateau correspond exactement à l’emplacement du village antique et il n’est guère douteux qu’il ait été introduit durant l’Antiquité et se soit maintenu jusqu’à nos jours. Le séneçon de Fuchs (Senecio ovatus) est particulièrement abondant dans le Massif central et le Morvan. Dans le département de la Côte-d’Or, outre la périphérie proche du Morvan, il présente une curieuse population isolée et correspondant à peu près au Haut-Auxois. Hasard ou raisons historiques ? il est bien difficile de trancher, d’autant plus que les exigences écologiques de la plante sont assez larges et que sa relation éventuelle avec les activités antiques demeure obscure pour le moment ; toujours est-il que cette belle astéracées fleurit ça et là le site archéologique. Cette population est la plus éloignée de l’aire morvandelle, en outre, une lacune importante existe avec les autres populations du nord-est et que l’on retrouve dans le département de la Haute-Marne. 5. - Les relations entre le parcellaire agricole et les stations forestières La superposition de la carte des stations avec celle du parcellaire antique (fig. 2 et 3) est assez riche d’enseignements. Après aménagement E. DE LACLOS, M. MANGIN Une longue murée de 2 600 mètres limite, à l’est, le parcellaire du village de Blessey-Le Chalonge ; elle coïncide très exactement sur sa partie méridionale avec la limite des stations S1 et S3 (fig. 2 sud). Cette limite naturelle entre deux types de stations bien différenciés correspond également à la limite entre les communes de Salmaise et de Bligny-le-Sec. L’espace situé à l’est de la murée (station S1) semble n’avoir jamais été aménagé. Par contre, la partie septentrionale de la murée ne correspond à aucune limite naturelle et son implantation relève d’une autre logique. En regardant l’ensemble du parcellaire antique, on constate que les habitats et les murées d’épierrement sont disposés le long d’un arc constitué pour l’essentiel par les stations S3 et S4 et qui relie les « fermes » du sud de la zone aux Sources de la Seine. Il apparaît, au niveau du parcellaire, que la station S1 a été évitée par les paysans de l’époque qui ont principalement recherché les sols limoneux ainsi que ceux qui étaient recouverts par des argiles de décarbonatation. Il semble que la charge en éléments grossiers de la station S3, voire de S2, n’ait pas été vraiment un facteur limitant. Le volume épierré permet d’affirmer que ces terres ont été effectivement labourées ; il n’est pas possible de mettre en rapport la quantité de murées et tas de pierre qui se situent sur S3 avec un simple ramassage de surface sans travail de la terre. Il est difficile d’imaginer que ces pierres aient été apportées de plus loin (depuis la station S5 par exemple) afin de constituer des limites de parcelles : quelques sondages ont permis de constater que le faciès (débit et nature de la roche) des éléments grossiers constituant le parcellaire est toujours en rapport avec les sols sur lesquels ils reposent. On retrouve, plus au nord, la station S1 vers les Champs froids, et là encore, elle semble marquer l’interruption du parcellaire. Cette station a cependant pu être utilisée pour des pacages extensifs, son enherbement rapide et sa strate herbacée fournie en hiver (Sesleria caerulea, Carex flacca, Carex alba…) la rendent tout à fait apte à jouer ce rôle. Par contre, au nord-ouest, les vestiges d’habitats et d’utilisation antique du sol se prolongent au-delà des relevés cartographiques qui sont ici présentés ; ce secteur, à l’ouest de l’actuelle route menant au village moderne de Blessey, aujourd’hui cultivé et sur lequel se prolonge la station S3 (et sans doute S4), est assez riche en témoignages d’occupation gallo-romaine. Il semble donc que les stations S3 et S4 aient justifié en partie l’implantation du village et le choix des terres cultivées. La proximité de S4, station la plus fertile et de S5, station la plus riche en éléments grossiers de calcaire dur, ayant peut-être été même recherchée. Ce cas de figure est peu fréquent dans la région et offre finale- ment un éventail de possibilités intéressantes à l’époque : pierre mureuse abondante propre à la construction d’enclos, habitats et murées de parcellaire en contact avec une terre profonde, facile à travailler et possédant de bonnes réserves en eau. Outre ces aspects propres à satisfaire les besoins de l’existence matérielle, la roche aride qui « perce » le limon fertile a pu également frapper l’imaginaire d’une population vivant en contact étroit avec son terroir et induire ainsi des repères − tels que des surfaces circulaires épierrées avec blocs dressés − dont la fonction nous échappe aujourd’hui. Contre le village proprement dit, et au nord-est, 10 parcelles d’un à deux hectares, parallèles et contiguës, semblent être une sorte de « lotissement horticole », rappelant les « chenevières » des villages modernes alentours dans lesquelles presque chaque habitant d’une commune vient cultiver les légumes que ne peuvent contenir le jardin clos attenant au domicile. Au Chalonge, il repose sur des sols labourables à réserve en eau correcte (station S3) les plus proches du village. 6. - Le village dans son environnement naturel Le site d’implantation du village de Blessey-Le Chalonge n’a pas été choisi au hasard ; même si la proximité du sanctuaire des Sources de la Seine reste sans nul doute la motivation principale qui a justifié son existence, la volonté de tirer le meilleur parti des ressources naturelles locales a probablement justifié le choix précis de l’actuel canton de Chalonge. En effet, ce lieu réunit plusieurs atouts qui ont permis à une petite population de gallo-romains de s’implanter et de prospérer pendant deux siècles et demi : une exposition topographique sud-ouest favorable au bien-être de ses habitants et aux cultures de type jardins et vergers ; des terres labourables à proximité dont les caractéristiques correspondaient bien aux nécessités de l’époque ; deux niveaux aquifères indépendants et peu éloignés des habitations permettant l’alimentation en eau ; de la pierre facile à extraire et en quantité suffisante utilisable pour la construction des habitats et des enclos attenants. La conjonction de ces quatre facteurs est rarissime à la périphérie du sanctuaire des Sources de la Seine ; les prospections spécifiquement réalisées ne l’ont décelée que sur un autre site, au nord du village moderne de Salmaise, dont l’espace était déjà occupé par quatre fermes de la même époque et qui n’était, par conséquent, pas disponible. Il faut donc 209 E. DE LACLOS, M. MANGIN souligner que les deux secteurs les plus favorables au regard des quatre facteurs énumérés ci-dessus sont également ceux qui révèlent l’occupation la plus dense à l’époque. L’implantation précise du village de Blessey-Le Chalonge résulte donc bien d’un choix réfléchi en fonction d’une connaissance intime du territoire et de ses ressources naturelles. Conclusion L’étude phytoécologique du site de Blessey-Le Chalonge, pour apporter pleinement sa contribution, a bénéficié de la qualité exceptionnelle des reports cartographiques des vestiges archéologiques. En effet, sur deux cents hectares, chaque murée, chaque tas de pierre, l’ensemble des bornes et pierres naturelles levées, toutes les structures énigmatiques dont la fonction est douteuse ou échappe aujourd’hui aux archéologues, ont été localisés avec une précision de l’ordre de quelques décimètres. C’est grâce à ce fond cartographique remarquable qu’une interprétation de l’utilisation du parcellaire a été rendue possible et a pu pleinement remplir son rôle. Il faut rappeler également le rôle conservatoire joué par la forêt : les perturbations engendrées par les activités forestières telles l’exploitation des bois, la fabrication de charbon de bois ou même la production de chaux, étant sans commune mesure avec celles que l’agriculture développe. Une question demeure cependant en suspens : la végétation qui s’est installée depuis l’abandon du site à la fin du IIIe siècle a-t-elle été durablement modifiée par les pratiques agraires de l’Antiquité ? Pour répondre à cette question, il faudrait disposer de relevés de référence, pour chacune des stations, dans un secteur proche de Blessey-Le Chalonge, et dont on puisse être certain qu’il n’ait jamais été labouré au cours des âges. Il sera bien difficile de trouver un tel secteur, compte tenu de l’importance des vestiges d’activités agricoles qu’il est commun d’observer dans les forêts de la région proche. En outre, il paraît hasardeux de se référer à des listes dépassant l’échelle de la région naturelle tant les réponses de la végétation varient en fonction de l’environnement, qu’il soit d’ordre climatique, pédologique ou historique. Il reste que, à l’heure des spécialisations étroites, les ponts jetés entre différentes disciplines scientifiques sont plus nécessaires et féconds que jamais. La collaboration qui vient d’être présentée ici en est un bon exemple. Remerciements Les auteurs remercient chaleureusement Jean-Louis Courtadon pour avoir fourni gracieusement et rapidement les supports cartographiques nécessaires ainsi que Jean Chrétien pour son amicale collaboration tout au long de ce travail. 210 Bibliographie BUGNON F. et al., 1998, Nouvelle flore de Bourgogne : Atlas de répartition, Bull. Scie. Bourg. T. III, éd. hors série, 489 p. MANGIN M., FLUZIN P., COURTADON J.-L., FONTAINE M.-J. et Coll., 2000a, Forgerons et Paysans des Campagnes d’Alésia : la terre, le fer, la route en pays mandubien (HautAuxois, Côte-d’Or), (Ier s. av. J.-C. - VIIIe s. ap. J.-C.), Monographies du CRA 22, Valbonne, CNRS Editions, 512 p. MANGIN M., COURTADON J.-L., FLUZIN P., DE LACLOS E., et Coll., 2000b, Village, forges et parcellaire aux Sources de la Seine. L’agglomération antique de Blessey-Salmaise, Côted’Or, Paris, Les Belles Lettres, (Presses Universitaires franccomtoises 700, Série “Environnement, Sociétés, Archéologie”, n° 2), 520 p. MANGIN M., DE LACLOS E., COURTADON J.-L., 2002-2004 à paraître, L’environnement rural des Sources de la Seine : du village antique de Chalonge, à la Combe des Arnauts, Mémoires de la Commission des Antiquités de la Côte d’Or, t. XC. RAMEAU J.C., MANSION D., DUMÉ G., 1989, Flore Forestière Française, T. 1, plaines et collines, I.D.F., 1785 p. Impacts anthropiques anciens sur les sols forestiers. Quelques études de cas en contexte archéologique et expérimental Anne GEBHARDT INRAP-GEN, UMR6566 - Université de Rennes1. [email protected] Résumé Marquées par de nombreuses traces d’occupations humaines anciennes, nos forêts actuelles n’apparaissent finalement pas si naturelles à qui sait les regarder de près. Depuis l’origine, leur histoire est ponctuée de phases de défrichements et d’implantations humaines, générant un remaniement important du sol depuis sa structure intime jusqu’à la forme locale du micro-relief. A la suite d’un retour de la forêt, ces traces sont conservées jusqu’à nos jours dans un milieu boisé protecteur. Souvent considéré comme stable, il n’en est pas moins fragile. En effet, le passage intensif de bétail pour le vain pâturage ou les travaux forestiers comme le charbonnage et l’exploitation du bois ont pu occasionner une érosion localisée, mais bien réelle, dont il faut tenir compte dans l’histoire des paysages boisés et de leur évolution. Mots-clefs : archéologie, forêt, pédologie, micromorphologie des sols, France. Abstract Imprinted with numerous traces of historic anthropogenic occupation, our modern forests are in fact not so natural if we take time to look at them closely. Over time, the history of these forests has been punctuated by phases of deforestation and reafforestation which has caused significant changes in the substrate at different scales from the soil microstructure up to the local landform scale. Once forest is re-established, and where a protective forest cover is retained, evidence of these earlier changes is preserved up to the present day. Although forested environments are often considered stable, they are still fragile. A range of forest and activities (eg, cattle grazing, charcoal making, and timber getting) will result in localized, but very real, erosion that we need to take into account in reconstructing the history of forest and woodland landscapes and their evolution. Keywords : archaeology, forest, pedology, soil micromorphology, France. 1. - Introduction Marquées par de nombreuses traces d’occupations humaines anciennes, nos forêts actuelles n’apparaissent finalement pas si naturelles à qui sait les regarder de près. Outre un grand nombre de structures d’habitats anciens (Pétry, 1977 ; Georges-Leroy et al, 2003 ; Meyer, 2003) attestant de l’ouverture passée du milieu, on peut y observer de nombreuses traces d’exploitation forestière ancienne. Plus qu’un travail exhaustif, cet article propose quelques pistes de réflexion, à travers l’étude de perturbations d’origine anthropique en milieu forestier, rencontrées au cours d’une quinzaine d’années de recherches sur l’évolution des paysages anciens en Europe Occidentale (Gebhardt, 1993 ; Gebhardt, 1995). Les recherches en archive montrent à quel point l’histoire de la forêt vosgienne (Garnier, 2004a), comme sans doute la plupart de nos forêts, est marquée par des phases de défrichement et de reprise sylvicole, suivant la démographie et la politique du moment. Comme en milieu ouvert, les implantations agricoles vont y engendrer un remaniement important du micro-relief local (habitat, terrasses, talus, chemins, …), et des modifications intimes de la structure du sol qui pourront rester longtemps visibles au microscope (Langohr, 1981). Les travaux présentés ici montrent également que le milieu forestier, souvent considéré comme stable, n’en est pas moins sujet à l’érosion (Kwaad, 1977) surtout dans des secteurs perturbés par l’homme (Langohr, 1986). En effet, une fois débarrassé de l’humus protecteur à l’occa211 A. GEBHARDT sion de travaux forestiers comme le charbonnage, l’exploitation du bois, ou du passage intensif de bétail pour le vain pâturage, un sol forestier en pente peut localement être très érodé. Cette érosion qui suit des axes privilégiés, participe à l’approfondissement des chemins creux orientés dans le sens de la pente. Ces derniers, pouvant temporairement, à l’instar d’un réseau bocager (Marguerie et al, 2003), servir de réseau de drainage. Hambacher Forst Lann Gouh Mandray Grand Hachn Wasserwald Ecomusée de Haute Alsace 2. - Méthodologie Les exemples présentés ici font partie d’une série de travaux de recherche, effectués dans le Nord-Ouest de la France depuis une quinzaine d’années, sur l’impact de l’homme sur la microstructure du sol et les modifications du paysage qui en découlent. Figure 1 : localisation des sites. (DAO, A. Gebhardt) Introduite en archéologie métropolitaine à la fin des années 80 (Courty et al, 1989), la micromorphologie des sols permet l’observation microscopique des sols à partir de lames minces issues de sédiments meubles préalablement consolidés en laboratoire (Murphy, 1986). Combinée à une solide connaissance du terrain c’est un des outils pédo-sédimentaires les plus performants permettant la reconnaissance des héritages sédimentaires et des transformations pédologiques (Courty et Fédoroff, 2002). Elle peut donc livrer une chronologie des évènements liés ou non à l’activité anthropique ancienne (Gebhardt, 2000), et permettre ainsi d’appréhender le degré et le mode d’anthropisation d’un paysage. Parallèlement à l’étude de sols et sédiments anthropisés rencontrés lors du suivi de travaux archéologiques en contexte préventif ou non (Gebhardt, 1993, 2000, 2005a), un référentiel micromorphologique en structures anthropiques agraires anciennes et expérimentales est collecté dans le but d’obtenir une collection de lames minces de référence. Ces dernières servant à mieux comprendre les formations pédo-sédimentaires associées aux sites archéologiques (Gebhardt, 1995, 2003a). Les 7 sites présentés sont localisés dans le Nord-Ouest de l’Europe pour des raisons d’homogénéité pédo-climatique et faciliter la comparaison avec des sites archéologiques de la même zone (Gebhardt, 1992). A travers ces sites quatre thématiques ont pu être abordées : le rôle du débardage (Grand Hachu, Mandray), l’impact du charbonnage (Ecomusée de Haute Alsace) et les modifications occasionnées par le labour (Hambacher Forst, Wasserwald) ainsi que le pacage animal (Lann Gouh) sur la structure de divers sols forestiers. 212 3. - Présentation géomorphologique des sites Dans cet article seront détaillés les travaux encore non publiés effectués sur les sites du Grand Hachu/Mandray et du Wasserwald. Les résultats issus des autres sites seront simplement évoqués pour mémoire car déjà publiés par ailleurs (Gebhardt 1991, 1995, 1999, 2003b, 2005b). A Hambacher Forst (Cologne, Allemagne), un labour expérimental à l’aide d’un araire à traction humaine (Meurers-Balke, 1985 ; Gebhardt, 1995) a été mené sur un sol actuellement sous forêt de type brun lessivé (Duchaufour, 1983) et développé sur sédiment limonolœssique. Le Wasserwald (Haegen, Bas-Rhin) est une agglomération secondaire gallo-romaine du Ier/IIIe siècle ap. J.-C. (Pétry, 1977, 1994), localisée sur le versant ouest des Vosges septentrionales gréseuses à une dizaine de kilomètres de Saverne (Bas-Rhin). Ce petit village semi-dispersé s’étend sur un sol actuel peu épais de type brun acide (Duchaufour, 1983) au sommet d’un replat fortement diaclasé des Grès à Voltzia du Bundsandstein. Il n’y subsiste plus qu’un chemin principal bordé de murs en pierres sèches sur lesquels viennent s’appuyer des enclos, divers bâtiments et deux nécropoles. Si la contemporanéité des structures est loin d’être évidente (Meyer, 2003), l’agriculture y est attestée par la présence de tas d’épierrement, de traces de soc de charrue sur les grès affleurant et d’un parcellaire complexe. Par ailleurs, la confrontation des résultats de fouilles avec d’autres sites analogues mieux conservés laisse soupçonner la pratique ancienne de l’élevage (Pétry, 1977) sur se site actuellement sous forêt. A. GEBHARDT Des démonstrations de charbonnage à l’ancienne menées à l’automne 1985 par l’Ecomusée de Haute Alsace (HautRhin) nous ont permis de suivre l’évolution du sol sous les charbonnières (Gebhardt, 2003b, 2005b). Le site est localisé dans une zone jamais cultivée de mémoire d’homme de la forêt de l’Ill, sur un sol de type alluvial (Duchaufour, 1983). 4. - Impact anthropique sur les sols forestiers, quelques résultats La voie romaine bien conservée du Grand Hachu (Contrexeville, Vosges), est installée sur les pentes d’une cuesta où affleurent les marnes irisées (Keuper). Le caractère imperméable de ce substrat a favorisé l’exploitation forestière sur un sol de type hydromorphe (pseudogley, Duchaufour, 1983). De part et d’autre de cette voie, une série de structures linéaires en creux mal expliquées (Gebhardt in Bouchet, 2005), courent parallèles à la pente en s’approfondissant vers le bas du versant. Ils ont été interprétés comme des chemins de vidange plus récents, utilisés pour l’exploitation du bois comme ceux de Mandray (Vosges). Ces derniers entaillent des formations de pentes gélifluées formées au détriment du substrat gneissique (à grenats et cordiérites) où se développent des sols de type brun acide (Duchaufour, 1983). Recoupée transversalement par un chemin forestier moderne, la double « courue » de la parcelle Launou révèle un remplissage meuble et instable où se développe un sol jeune à horizon humique de type AC. Ce dernier à fait l’objet d’une observation approfondie au microscope, afin de préciser la structure du sédiment liée aux activités de débardage. A Lann gouh (Melrand, Morbihan ; Chalavoux et al, 1990 ; Chalavoux, 1993) deux « porcs de Bayeux » ont été parqués dans une parcelle en pente fraîchement débarrassée de sa végétation de taillis clairsemés, sur un sol de type brun acide (Duchaufour, 1983) développé sur des dépôts de pente granitiques arénisés. Après une quinzaine de jours de pacage, des observations pédosédimentaires ont permis de pointer le degré de dégradation du sol causé par le pâturage porcin intensif (Gebhardt, 1995). Les formations linéaires au profil en large V observées au Grand Hachu présentent un remplissage basal argileux homogène et humifère (brun noir) (fig.2a,b), sans aucune trace d’écoulement d’eau vive et où se développent une végétation hygrophile de types joncs. Elles prennent naissance en haut du relief et leur profondeur augmente nettement en bas de pentes (1,5m à 2m). Il semble que le site ait été peu affecté par l’érosion, car la voie romaine, qui du reste est antérieure à ces structures mal datées, reste bien conservée, sur toute la pente (sauf au sommet). Leur grand nombre sur une petite surface, leur distribution et leur orientation systématiquement parallèle à la pente exclu la mise en relation de ces chemins forestiers fossoyés avec la vaine pâture et l’obligation au troupeau d’emprunter un chemin désigné, souvent fossoyé, pour éviter la divagation des animaux (Husson, 1991) et nous oriente plutôt vers un usage d’exploitation de matériaux (bois, pierres). Au Grand Hachu, l’absence de carrières fait plutôt pencher en faveur de l’hypothèse de chemins d’exploitation forestière de type débardage. Des recherches bibliographiques et des observations complémentaires faites dans le secteur boisé de Mandray ont permis d’appuyer cette hypothèse. De plus, il existe un certain nombre de similarités entre ces structures et les voies de débardages modernes liées au nettoyage de la forêt après la tempête dévastatrice de 1999 (orientation parallèle à la pente, rigole d’érosion au fond des ornières (Gebhardt, in Bouchet, 2005). Enfin, en posant la question à d’anciens paysans forestiers, il semble que ces structures linéaires en creux, appelées « courues » en Déodatie, soit effectivement liées au débardage. Figure 2 : traces de voies de vidange au Grand Hachu (Contrexeville, Vosges ; b), avec rigole d’érosion au fond (b). Le passage doit être préparé afin que le schlitteur puisse enfoncer ses pieds pour freiner la schlitte (c). (Clichés A. Gebhardt (a et b) et anonyme in Keiflin, 1998 (c)). 4. 1. - Impact du débardage sur le milieu forestier : le cas des voies de vidange Si la bibliographie forestière historique et ethnographique mentionne souvent le débardage à traction animale ou le schlittage (Michiel et Schuler, 1857 ; Fournier, 1891 ; Mechin et Claudel, 1984), peu de références sont faites à l’impact de ce type d’exploitation sur le sol et aux dégâts associés. Outre le labour occasionné par le passage des grumes, quelques rares auteurs font référence à la longue préparation du “chemin de bouc” et de schlittage (Boithias et Brignon, 1985 ; Garnier, 2004) : suppression des cailloux, racines, transport de terre là où elle manque. La terre doit être meuble pour que le schlitteur puisse enfoncer ses talons (fig.2c) ou pour éviter que la “tronce”ne s’emballe. Il faut donc régulièrement piocher la terre pour la ramollir. Ce n’est que dans les cas extrêmes de pentes trop faibles ou de passages rocailleux que sont installés les “raftons”, ces quartiers de bois 213 A. GEBHARDT écorcés et suiffés. Boithias et Brignon (1985) citent un rapport de 1845 qui décrit très bien le caractère de plus en plus ramifié vers l’amont de ces voies de vidange. Au vu du travail d’entretien nécessaire, il paraît donc évident que leur aménagement ne pouvait se faire que dans le cadre d’une exploitation officielle, à grande échelle et que les mêmes voies de vidange étaient réutilisées pendant de nombreuses années (Jéhin, 1993). D’un point de vue pédo-sédimentaire on retiendra donc trois 3 étapes fondamentales dans l’évolution de ces voies : l’ablation de la végétation protectrice et des horizons humiques lors de l’aménagement de la voie ou du passage des grumes ou des schlittes, un entretien constant et une utilisation régulière en période humide qui favorise également le creusement rapide de ces voies par les eaux de ruissellement. L’observation du fond de la double « courue » de Mandray (fig.3) montre le passage brutal de 2 cm d’humus actif noir et grumeleux à environ 7 cm de sédiment plus minéral, jaune et un peu plus compact légèrement perturbé bioturbé. La limite avec un sédiment inférieur compact, plus sombre et toujours localement grumeleux, est nette. Au microscope, la structure grumeleuse très ouverte, très organique et fortement bioturbée est confirmée au sommet (fig.3d) alors que le niveau inférieur jaune est plus compact et nettement moins organique (fig.3e). L’alternance du compactage par les passages de schlitte et du travail du sol préalable tend à finement homogénéiser les horizons organiques et organo-minéraux, tout en favorisant une érosion fine mais continue qui génère un dépôt sans formation de litages ou laminations comme celui décrit par Bertran et Texier (1999) sur des pentes compactées et modifiées par l’homme. Le sédiment basal enfin, est plutôt compact et bien structuré mais avec des zones plus grumeleuses liées à la bio- turbation actuelle (3f,g) ; sa couleur plus sombre semble liée à une augmentation de la matière organique. La netteté des limites entre des horizons bien distincts révèle une faible homogénéisation par une bioturbation peu active dans un sol acide. En milieu forestier l’érosion semble surtout activée par l’ouverture de pistes d’exploitation (Rey et al, 2004). A Mandray, le recouvrement de l’horizon humique naturel par un apport de sédiment organo-minéral érodé en amont confirme l’importance de ces chemins creux dans le processus d’érosion par ruissellement sous couvert forestier. L’absence de rigole d’érosion, telles celles observées au fond des pistes d’exploitation modernes (fig.2a), et au Grand Hachu peut s’expliquer par une exploitation forestière plus douce des massifs forestiers, qui proscrit la mise à nue du sol liée à une coupe à blanc au profit d’une coupe sélective des arbres dans un massif boisé en permanence. 4. 2. - Le charbonnage Le travail de recherche effectué sur l’impact de l’activité de charbonnage sur le sol qui ne sera pas détaillé dans cet article (voir Gebhardt, 2003b ; 2005b), montre que là encore, la préparation du sol est essentielle pour la réussite de la carbonisation. La surface doit être débarrassée des feuilles, les racines extraites à l’aide d’une bêche ou d’un motoculteur, ce qui modifie profondément la structure du sol. De même, après récupération du charbon de bois et tamisage du sédiment fin très charbonneux pour sa réutilisation dans la construction de la nouvelle meule, la place est nettoyée pour une prochaine utilisation. Lors d’une cuisson réussie, la température ne doit pas augmenter sous la meule et le sol ne montre aucune trace de rubéfaction. Les fragments brûlés observés viennent probablement du sédiment local tamisé et micro-fragmenté qui, pénétrant au cœur de la meule par les interstices du bois, participent au ralentissement d’une combustion Figure 3 : anciens chemins de vidange ou courrue à Mandray (Vosges ; a, b, c). Double courrue entaillée par un chemin forestier moderne (c). La même vue de l’amont (b). Sédiment de remplissage du fond de cette dernière vue au microscope optique en lumière naturelle. De haut en bas : horizon organique supérieur actuel (d), horizon organo-minéral colluvionné (e), horizon minéral très compacté (f) avec localement des zones plus ouvertes et organiques (g). (Clichés A. Gebhardt) 214 A. GEBHARDT réductrice. Les modifications de la structure du sol sont nettement reconnaissables au microscope sous la forme de revêtements argilo-poussiéreux, et d’une homogénéisation des horizons organiques et minéraux superficiels. Comme pour les chemins de vidange, la préparation de la surface de travail correspond donc à un véritable labour qui se reconnaît jusque dans la structure intime du sol. Au vu de la charge de travail nécessaire à cette préparation, qui par ailleurs ralenti la re-colonisation de la végétation, on comprendra aisément l’importance de la réutilisation des anciennes aires de fauldes lors des rotations d’exploitation. 4. 3. - Le labour A Hambacher Forst, la microstructure du sol forestier limono-lœssique a été clairement modifiée après huit séries de quatre labours croisés à l’araire (fig.4a). Les horizons supérieurs ont été largement remaniés (fig.4b) isolant des agrégats arrondis (Gebhardt, 1995, 1999). A la limite inférieure de l’horizon remanié, un début de semelle de labour, liée au compactage par le passage de l’outil a été observé (fig.4c). Les revêtements argileux et poussiéreux (fig.4d) observés également dans les profils de référence sont liés à une mise à nue du sol sans doute dès l’époque romaine. Au Wasserwald, sous le parement du mur bordant le chemin principal, le profil d’une cinquantaine de centimètres révèle un sédiment sableux grossier sur lequel s’est développée une pédogenèse de type brun acide au profil très homogène et dont l’horizon supérieur est plus riche en matières organiques (fig.5, fig.6b). La fouille a toutefois révélé de nombreux artéfacts anthropiques (objets métalliques et céramiques fragmentés) dans les vingt premiers centimètres du profil. Au microscope, la matière organique, qui donne au fond matriciel son aspect fortement empoussiéré, présente un aspect très dégradé et bien stabilisé. Les phytolithes et résidus charbonneux sont également bien présents. Mises à part quelques intrusions racinaires, l’activité biologique est absente, préservant une structure fortement compactée par les murs qui les fossilisent. Outre quelques revêtements en « barbes et coiffes » sans doute reliques d’une influence du gel/dégel en période périglaciaire, on distingue des revêtements argileux peu épais limpides (fig.6e : RL) et d’abondants revêtements argileux poussiéreux plus ou moins épais (fig.6c,d,e : RP1, RP2, RP3). Si les premiers sont liés au lessivage d’argiles du sol brun forestier, les seconds sont associés à une déstabilisation de la surface du sol, suite à sa mise à nu. Au vue des autres indices présents sur le site (tas d’épierrement, traces de soc de charrue, parcellaire), un labour ancien peut être à l’origine de ces traits microscopiques particulièrement caractéristiques de la mise en culture d’une parcelle. Figure 4 : expérience de labour à l’araire à Hambacher Forst (Cologne, Allemagne ; a). Au microscope optique, en lumière naturelle, on observe dans l’horizon de labour à l’araire des agrégats arrondis (b) et un tassement lié a l’outil (c). Les revêtements poussiéreux (d) également observés dans le profil de référence sans doute liés à une mise en culture ancienne. (Clichés A. Gebhardt) 215 A. GEBHARDT pH Prof 1 -4/-14 -14/-24 -24/-34 4.45 4.50 4.45 A 7 7 6 G r anulométrie % LF L G SF SG 8 7 29 47 9 6 31 46 10 6 31 47 C ‰ 6,75 0.75 1.65 MO ‰ 11.7 1.3 2.85 C a ++ 0.5 0.4 0.5 M g++ 0.3 0.4 / C apacité d'échange N a+ K+ S 0.07 0.08 0.95 0.07 0.1 0.97 0.07 0.08 0.65 T -S 2.95 2.70 2.17 T 3.90 3.67 2.82 Figure 5 : résultat des analyses pédo-sédimentaires du profil P1 enfoui sous le mur bordant le chemin principal du Wasserwald. A : argiles, LF : limons fins, LG : limons grossiers, SF : sables fins, SG : sables grossiers, C : dosage du carbone, MO : dosage de la matière organique, mé/100g 4. 4. - Le pacage animal L’expérience de Lann Gouh a permis de pointer les dégâts causés par le parcage de cochons en milieu boisé. Le jeune taillis couvrant la parcelle légèrement en pente a été éclairci. Le passage intense des animaux a détruit l’humus, déstabilisant rapidement l’horizon organique supérieur du sol. Tombant sur le sol nu, la pluie peut libérer des particules de terre et entraîner les colloïdes argileux en aval sur la pente (Ellison, 1948 ; Poesen, 1986 ; Langohr, 1990). Ainsi, à Lann Gouh, après deux semaines de pacage, les racines sont à nu (fig.7a,b). De plus, le tassement et le colmatage de la porosité du sol peut mener à une réduction de l’infiltration qui augmente le ruissellement d’un rapport de 1 à 12 en comparaison avec des terrains similaires non pâturés (Rey et al, 2004). Figure 6 : le Wasserwald (Haegen, Bas-Rhin), vue générale du site (a) et profil étudié fossilisé sous un mur (b). Vue au microscope optique en lumière naturelle des principaux traits micromorphologiques (c, d, e) ; barre = 1 mm pour (c) et (d) et 0.25mm pour (e). (Clichés : A. Gebhardt) Figure 7 : Lann Gouh (Melrand, Morbihan). (Clichés et dessins A. Gebhardt) 216 Un horizon colluvionné d’une quinzaine de centimètres d’épaisseur apparaît en aval de la parcelle. En lame mince, on repère très bien cet apport de sédiment légèrement compacté, et à la limite nette, par-dessus la séquence pédologique naturelle (fig.7c,d). Il s’agit d’un mélange d’horizons organiques et d’horizons minéraux plus compacts (Gebhardt, 1995). A. GEBHARDT 5. - Conclusion Considéré comme protecteur et peu anthropisé, comparé aux zones d’urbanisme ou d’agriculture intensive, le milieu forestier n’en est pas moins fragile. Sa régulière fréquentation (chemins, pacage), son exploitation (bois, charbon, matériaux divers…), voire sa mise en culture temporaire ont conduit à une déstabilisation localisée des sols. La modification de ces derniers peut encore être ponctuellement détectée à différentes échelles, depuis le terrain (terrasses, chemins creux, aménagements divers, …) jusqu’au microscope (agrégats dus au labour, indices de mise à nu du sol ou d’érosion, artéfacts anthropiques,…). Par ailleurs, la mise à nu des sols forestiers, volontaire dans le cas de la préparation d’une aire de faulde ou d’un chemin de vidange, et involontaire à l’occasion de pâturages intensifs ou de déboisements a généré une érosion non négligeable surtout si le terrain est en pente. Là encore, outre le repérage d’accumulations colluvionnées en zones boisées, une observation pédo-sédimentaire minutieuse du sol peut apporter des informations sur le mode d’exploitation des parcelles amont. Le sol forestier est, lui aussi, riche en informations sur le mode d’occupation anthropique d’un lieu donné. Son étude est incontournable pour approfondir la connaissance des premières influences de l’homme sur le milieu. A l’instar des micro-reliefs anciens construits par l’homme et des artéfacts archéologiques, il reste vulnérable face aux modes d’exploitation forestier modernes. Ne l’oublions pas ! Bibliographie BERTRAN P. ET TEXIER J.-P., 1999, Facies and microfacies of slope deposits, Catena, 35, p.99-121. BOITHIAS J.-L. ET BRIGNON M., 1985, Les scieries et les anciens sagards des Vosges. Bûcherons, schlitteurs, voituriers et voileurs. Métier : Technique et artisans. BOUCHET K., 2005, Contrexéville, Liaison Vittel-A31 : Le Grand Hachu - Remivaux, document final de synthèse de la fouille archéologique préventive 2002, Inrap Grand-Est Nord, Metz, 2005. CHALAVOUX J., 1993, Structures agraires médiévales : La ferme archéologique de Melrand. Archéologie du paysage, Actes du colloque de Melrand 28-29 mai 1991, organisé par l’IRPa, Penn ar Bed n°148/149, p 67-69. 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De la même manière, est conduite une analyse pédochimique comparative des substrats permettant de justifier la présence d’espèces végétales en de tels sites. Par ailleurs, l’impact d’un tracé de voie romaine (Orléans à Sens) sur la végétation de la Forêt d’Orléans est attesté et démontré par l’analyse de la végétation et du substrat sur site et hors site. La flore des sites archéologiques présente, on le sait, une remarquable originalité. Aussi, divers auteurs n’ont pas manqué de qualifier la présence tout à fait particulière de certaines plantes en ces lieux, d’anomalies botaniques. Les premières recherches régionales en Limousin concernant les corrélations entre végétation et sites archéologiques ont commencé il y a une vingtaine d’années à l’initiative de J. M. Desbordes à l’époque où celui-ci était Directeur Régional des Antiquités Historiques. Les travaux initiaux effectués par A. Vilks et nous-même ont été publiés dans la Revue Archéologique du Centre (1981). Par la suite, J.F. Boyer (1984) et B. Desbordes (1996) ont sous notre direction effectué l’étude botanique et pédochimique de différents sites d’époques gallo-romaine et médiévale. Les résultats de ces recherches ont fait l’objet de leur mémoire de thèse de doctorat en Pharmacie et l’essentiel de leurs observations a été publié dans les Travaux d’Archéologie Limousine (J.F. Boyer, 1984 et A. Ghestem et al., 1996 à 2000) ou encore dans les Mémoires de la Société des Sciences Naturelles et Archéologiques de la Creuse (Ghestem et al., 1998). Enfin, depuis, plusieurs autres sites ont fait l’objet de tels inventaires approfondis de la part de notre équipe de recherche ce qui porte actuellement à environ 35 le nombre de sites où l’originalité de la flore a été vérifiée et analysée avec pour objectif la mise en évidence d’espèces indicatrices (A. Ghestem, 2002). Nous nous proposons ici de présenter quelques exemples que nous avons expressément choisi de prendre parmi les sites archéologiques gallo-romains ou médiévaux situés dans un contexte plutôt forestier. Les sites gallo-romains qui ont été choisis sont : le site de Bussière Etable, Commune de Châteauponsac (Haute-Vienne) ; l’agglomération gallo-romaine du Bois de la Tourette, Commune de Blond (Haute-Vienne) ; les vestiges de la villa gallo-romaine (les Couvents), Commune de la Chapelle Montbrandeix (HauteVienne) ; les vestiges gallo-romains de la « Ville d’Antone », Commune de Pierre Buffière (Haute-Vienne) ; le site de la Grange, Commune de Saint Fréjoux (Corrèze). Les sites médiévaux retenus sont : la motte féodale végétalisée de Drouille, Commune de Saint Eloi (Creuse) ; le site de Châtelus, Commune de Saint Sulpice le Dunois (Creuse) ; les ruines du Château de Ventenat, Commune de Châteauponsac (Haute-Vienne) ; les ruines du Château de Ventadour, Commune de Moustier Ventadour (Corrèze). 1. - Présentation des sites 1.1. - Sites d’époque gallo-romaine Villa de Bussière-Etable (87) Le toponyme qui désigne le village voisin (à 250 m environ) évoque à la fois la présence d’une buxaie (Bussière) et d’un gîte d’étape (du latin stabulum) : en effet, un très ancien cheminement est tracé à environ 500 m au nord des ruines. Le site boisé est localisé entre Châteauponsac et Bessines. Il 219 A. GHESTEM occupe le rebord du plateau qui domine la vallée de la Gartempe. Le site correspond aux restes d’une villa dont on remarque les vestiges représentés, d’une part, par les murets et, d’autre part, par des affleurements pierreux en sous-bois. Le muret le plus important subsiste sur une hauteur d’environ 1 m et est situé en limite nord du bois. Agglomération gallo-romaine du Bois de la Tourette, Commune de Blond (87) Il s’agissait très probablement d’un centre minier et artisanal où l’on exploitait et travaillait l’étain. Aux abords immédiats des vestiges, la topographie totalement bouleversée correspond aux tranchées d’exploitation d’un filon de quartz stannifère. Les vestiges se présentent sous la forme d’amas pierreux. Sur les ruines antiques croit un très vieux taillis de charmes mêlé de tilleuls, chênes pédonculés et érables champêtres. Dans la strate arbustive domine le buis qui a colonisé préférentiellement les éboulis. La tempête de 1999 a provoqué des chablis qui nuisent actuellement à la lisibilité de l’aspect original du site. Villa gallo-romaine des Couvents, Commune de La Chapelle Montbrandeix (87) Ce site n’est connu que par la fouille qui y a eu lieu. Les éléments archéologiques ont montré une zone artisanale (avec moyen fourneau et four de potier) sur laquelle prendront place ensuite des bâtiments d’habitation. Les vestiges ne sont actuellement que très peu apparents et quelques indicateurs végétaux les signalent heureusement le long de la route départementale n°64. Vestiges gallo-romains de la « Ville d’Antone », Commune de Pierre-Buffière (87) Les vestiges occupent le sommet d’une colline à l’extrémité d’une ligne d’interfluve. Les parcelles qui les renferment sont dénommées « les Boissières », toponyme dérivé de Buxus. Les buis sont présents dans les fourrés sous futaie qui recouvrent des mamelons de terrains et des affleurements de murs ou même encore dans des haies. Il semble désormais établi qu’il s’agit non pas d’une villa rurale mais d’une véritable agglomération en raison de la situation et de l’importance des structures. Le site de la Grange, Commune de Saint Fréjoux (19) Il s’agit de deux bosquets de hêtres établis sur des monticules et apparaissant sur les cartes sous la forme de croissant ou de demi-lune. Ces buttes boisées sont situées près de SaintDezery au nord-est d’Ussel (19) sur la commune de SaintFréjoux entre le village de La Grange et l’ancienne abbaye de Bonnaygue. La carte archéologique de la Corrèze (Lintz, 1992) signale à cet endroit l’existence de « substructions couvrant plusieurs hectares ». Il s’agit de structures galloromaines partiellement affleurantes qui seraient celles d’une grande villa où résidait le maître du domaine. Des matériaux de nature volcanique (trachyte et basalte), donc étrangers à la région, ont été retrouvés par les archéologues dans ce site et semblent provenir de l’Auvergne voisine. 220 1. 2 - Sites d’époque médiévale La motte de Drouille, Commune de Saint Eloi (23) Le site est localisé à l’ouest de Sardent sur la Commune de Saint Eloi près de la RD 940. Le site a un aspect classique de motte féodale ; au pied de celle-ci coule le ruisseau de Drouille. Parmi les mottes étudiées dans la région, celle de Drouille est apparue comme l’une des mottes les plus typiques et les plus importantes. La base de la motte est renforcée par un muret de pierres qui cerne l’ouvrage et qui est plus particulièrement visible sur les parties ouest et sud. L’ensemble de la motte est végétalisé et occupé par un petit bois. Le toponyme « Drouille » est formé sur le nom gaulois du chêne, drull. Les mottes de Châtelus, Commune de Saint Sulpice le Dunois (23) A 4 Km environ de la Celle-Dunois, un éperon de confluence dominant vers le nord un gué sur la rivière Creuse avait été fortifié : l’aménagement incluait deux mottes constituées de pierres accumulées séparées par un fossé décaissé dans le rocher vif ; au sud de cet ensemble, un second fossé large et profond isolait ce réduit fortifié du plateau de Châtelus. Sur les deux côtés, les pentes sont très abruptes, il y a une différence d’altitude d’environ 30 m entre le sol à la base des mottes et le niveau des rivières (la Creuse et un de ses affluents). Les versants de l’éperon et les mottes elles-mêmes sont recouverts de bois de chênes et de charmes. Les ruines du Château de Ventenat, Commune de Châteauponsac (87) Situé près du bourg de Châteauponsac, ce petit château, édifié au XVe siècle et détruit en 1793, contrôlait un gué sur la Gartempe depuis l’escarpement dominant la rive gauche de cette rivière. Son plan était rectangulaire avec quatre tours aux angles. Les ruines du château se trouvent à la limite entre les bois qui occupent le fond de la vallée et les cultures du plateau. L’une des tours subsistantes à l’angle nord-est, éventrée, est associée à un mur d’enceinte assez bien conservé. Une végétation forestière s’étend en contrebas de la muraille jusqu’aux rives de la Gartempe. Le mur est partiellement couvert par les frondaisons d’arbres qui ont pris racine dans ses fondations. Les ruines du château de Ventadour, Commune de Moustier-Ventadour (19) Les ruines qui subsistent aujourd’hui s’échelonnent entre le XIVe siècle (donjon circulaire et courtine septentrionale) et le XVIe siècle (vestiges de la chapelle). Le site occupe un éperon rocheux (l’étymologie du toponyme Ventadour, d’origine gauloise signifie « hauteur en forme d’éperon ») au confluent du ruisseau de la « Vigne » et du ruisseau « La Soudayette ». Les ruines sont à découvert mais environnées de bois. Les vestiges sont encore très importants. Parmi les sites médiévaux que nous avons étudiés, c’est celui qui présente l’ensemble de ruines le plus considérable et dont l’état est le moins dégradé. Une grande partie du mur d’enceinte A. GHESTEM subsiste, flanqué de tours. L’entrée du château était protégée grâce à la présence d’un fossé dissuadant l’envahisseur. L’ensemble bénéficie actuellement d’une consolidation. L’espace délimité par l’enceinte est plat. Sur l’extrémité sudest de l’éperon rocheux, les ruines se prolongent par une terrasse avec des restes d’éléments structurés encore visibles. 2. - Analyse de la végétation Deux tableaux de végétation présentent la flore particulière des stations correspondant aux sites gallo-romains (tableau I) et aux sites médiévaux (tableau II) comparée à celle de stations témoins environnantes. Les espèces y sont classées selon leur appartenance aux divers groupes écologiques mentionnés dans la Flore Forestière Française (J.C. Rameau et al., 1989). Citons : ceux des xérophiles, des neutrocalcicoles et des calciclines ; ceux des neutrophiles et des neutroclines ; ceux des nitroclines et des nitrophiles ; celui des espèces de large amplitude ; et, enfin, ceux des acidiclines et des acidiphiles. 1 1 1 1 1 1 i i Dans deux autres tableaux (tableaux III et IV) apparaissent, pour chacun des sites, le nombre d’espèces ainsi que le nombre total correspondant aux principaux groupes écologiques. Enfin, les valeurs moyennes calculées pour les deux types de sites apparaissent dans les tableaux V et VI. On peut ainsi apprécier la comparaison entre sites et témoins correspondants et remarquer les éléments significatifs suivants : le nombre total des espèces (c’est-à-dire la biodiversité végétale) est en général, bien supérieur dans les divers sites ; le groupe des xérophiles, neutrocalcicoles et calciclines et celui des nitrophiles et nitroclines sont bien représentés dans les différents sites, respectivement 11 à 12 % pour les premiers et 20 à 25 % pour les autres ; le taux de présence des neutrophiles et des neutroclines apparaît souvent assez voisin entre sites et stations témoins mais, quand même, de temps à autre, supérieur dans les sites ; par contre, et très logiquement, les acidiphiles et acidiclines ont un taux de présence bien supérieur dans les stations témoins (38 à 50 %). Stations du site 1 2 3 4 4 4 5 5 5 5 22 22 +2 +2 55 +2 55 + + 1 Hors site 2 3 4 5 Xérophiles Buxus sempervirens Neutrocalcicoles Campanula trachelium Rosa gr. canina Tamus communis Calciclines Acer campestre Brachypodium sylvaticum Cornus sanguinea Euonymus europaeus Ligustrum vulgare Neutrophiles et Neutroclines Anemone nemorosa Carpinus betulus Conopodium majus Corylus avellana Crataegus monogyna Dryopteris filix-mas Euphorbia amygdaloides Eurhynchium striatum Galium odoratum Hedera helix Lamiastrum galeobdolon Melica uniflora Poa nemoralis Polygonatum multiflorum Potentilla sterilis Prunus avium Prunus spinosa Pulmonaria affinis Stellaria holostea Vicia sepium Vinca minor 22 55 12 i + i + i +2 +2 + + + +2 + + +2 22 11 11 + + +2 +2 +2 + +2 + +2 + +2 +2 +2 +2 +2 11 + +2 21 13 45 +2 +2 + +2 + + 21 + 21 + 33 +2 22 44 33 +2 + i i + i 12 + + 11 + + +2 + + +2 +2 23 +2 +2 + 21 12 12 22 45 22 44 12 44 34 12 + 21 +2 44 +2 22 +2 21 +2 23 11 +2 +2 12 +2 +2 +2 +2 +2 +2 +2 + + +2 + i i + + +2 +2 i + 32 11 +2 +2 + 12 +2 +2 +2 +2 +2 + i 11 +2 +2 +2 + +2 23 + +2 +2 +2 12 23 21 + + 12 21 +2 +2 44 i +2 + + + + + 44 + +2 +2 + +2 + +2 + + Tableau I : Composition floristique des sites gallo-romains. Seules les espèces présentes deux fois au moins sont présentées. Sites : 1 - Bussière Etable, 2 - Bois de la Tourette, 3 - les Couvents, 4 - Ville d’Antone, 5 - la Grange. 221 A. GHESTEM Neutronitroclines Arum maculatum Fraxinus excelsior Geranium robertianum Geum urbanum Listera ovata Myosotis sylvatica Ranunculus ficaria Veronica chamaedrys Veronica hederifolia Neutronitrophiles Alliaria petiolata Bryonia dioica Galium aparine Glechoma hederacea Rumex acetosa Sambucus nigra Urtica dioica Large amplitude Betula pendula Fagus sylvatica Hyacinthoides non-scripta Ilex aquifolium Populus tremula Quercus robur Ranunculus repens Acidiclines Circaea lutetiana Epilobium montanum Galeopsis tetrahit Lapsana communis Lonicera periclymenum Luzula pilosa Milium effusum Moehringia trinervia Rubus sp. Scrophularia nodosa Tilia cordata Acidiphiles Carex pilulifera Castanea sativa Cytisus scoparius Deschampsia flexuosa Hieracium sabaudum Holcus mollis Polytrichum formosum Pteridium aquilinum Teucrium scorodonia Viola riviniana Nombre d'espèces 1 1 1 1 1 12 i + i +2 i i 1 Stations du site 1 2 3 4 4 +2 +2 + 22 i i i +2 12 4 5 + 11 22 + +2 +2 +2 i i +2 +2 +2 5 5 5 + + + + + + 1 Hors site 2 3 4 5 i + +2 +2 + + + + +2 11 +2 11 i i 11 + 11 + +2 +2 +2 11 + 11 + +2 + 11 + +2 + +2 21 + +2 + +2 +2 + +2 +2 + + + + + +2 +2 55 11 i 44 +2 +2 33 44 12 + +2 + +2 i + +2 +2 + 12 33 + 33 +2 + 11 + i +2 + + + +2 + + + +2 +2 12 11 + +2 +2 +2 +2 22 +2 11 + 11 12 +2 + 11 i +2 + + + +2 +2 +2 + 22 + + + + 22 + + + 11 12 + + + 32 13 11 44 + + i +2 +2 +2 + 27 i 34 +2 33 +2 +2 +2 21 + 12 11 12 +2 + 11 +2 44 +2 + 22 44 +2 +2 + +2 + 12 i +2 + 45 33 +2 + +2 i 55 +2 15 19 9 +2 24 38 19 35 28 + 28 + 31 19 + 19 +2 + + 34 +2 17 19 16 + +2 15 7 Tableau I suite : Composition floristique des sites gallo-romains. Seules les espèces présentes deux fois au moins sont présentées. Sites : 1 - Bussière Etable, 2 - Bois de la Tourette, 3 - les Couvents, 4 - Ville d’Antone, 5 - la Grange. 222 A. GHESTEM 6 6 6 6 7 7 Stations du site 8 8 8 8 9 9 9 9 9 9 9 6 Hors site 7 8 9 Xérophiles Buxus sempervirens Silene nutans Sorbus aria Neutrocalcicoles Berberis vulgaris Clinopodium vulgare Echium vulgare Inula conyza Origanum vulgare Ribes alpinum Rosa gr. canina Viola hirta Calciclines Clematis vitalba Euonymus europaeus Neutrophiles et Neutroclines Acer pseudoplatanus Arrhenaterum elatius Brachypodium pinnatum Briza media Carpinus betulus Corylus avellana Crataegus monogyna Dactylis glomerata Dryopteris filix-mas Eurhynchium stockesii Eurhynchium striatum Hedera helix Homalothecium sericeum Poa nemoralis Polygonatum multiflorum Potentilla sterilis Prunus avium Prunus spinosa Rubus gr. discolor Ruscus aculeatus Stellaria holostea Neutronitroclines Achillea millefolium Cruciata laevipes Fraxinus excelsior Geranium robertianum Silene dioica Verbascum div sp Veronica chamaedrys Neutronitrophiles Adoxa moschatellina Chelidonium majus Galium aparine Urtica dioica 33 33 23 32 22 22 +2 i +2 33 +2 +2 +2 +2 i 11 + + + +2 + +2 + +2 21 +2 +2 i i +2 12 12 12 2 +2 + + + i + i +2 +2 + i 23 +2 11 + +2 + i i 13 +2 +2 22 55 i 21 44 33 12 + 12 55 32 12 33 + + 12 +2 +2 + +2 +2 +2 12 11 +2 +2 + +2 i 12 i +2 + + +2 + +2 + + + +2 +2 +2 12 +2 11 22 +2 +2 22 12 12 12 12 +2 +2 22 31 22 +2 +2 +2 11 +2 21 + 12 + i +2 + + + + + + +2 +2 21 12 22 +2 +2 +2 +2 +2 12 +2 12 +2 +2 +2 +2 + i +2 + 22 12 +2 +2 +2 11 +2 i 12 22 12 +2 12 + +2 i +2 i +2 +2 12 +2 +2 12 +2 +2 + + +2 +2 + +2 + + i +2 + +2 Tableau II : Composition floristique des sites médiévaux. Seules les espèces présentes deux fois au moins sont présentées. Sites : 6 - Drouille, 7 - Châtelus, 8 - Château de Ventenat, 9 - Château de Ventadour. 223 A. GHESTEM 6 Large amplitude Asplenium trichomanes Betula pendula Campanula rotundifolia Fagus sylvatica Hieracium gr. murorum Hyacinthoides non-scripta Hypnum cupressiforme Ilex aquifolium Quercus robur Rhytidiadelphus triquetrus Scleropodium purum Thuidium tamariscinum Acidiclines Epilobium montanum Galeopsis tetrahit Lapsana communis Lonicera periclymenum Moehringia trinervia Oxalis acetosella Poa pratensis Rubus sp. Scrophularia nodosa Acidiphiles Agrostis capillaris Anthoxantum odoratum Asplenium adiantum-nigrum Castanea sativa Cytisus scoparius Deschampsia flexuosa Digitalis purpurea Holcus mollis Polypodium vulgare Pteridium aquilinum Teucrium scorodonia Viola riviniana Nombre d'espèces Tableau II : (suite) 224 6 6 6 7 7 Stations du site 8 8 8 8 9 +2 +2 +2 + 9 9 9 9 9 6 + i +2 55 +2 +2 + +2 i +2 + +2 33 33 + +2 +2 32 + 12 12 +2 +2 i +2 + + + +2 11 +2 33 +2 12 11 +2 21 i 33 55 22 +2 +2 i +2 12 22 + +2 i + +2 + 11 +2 32 33 12 11 +2 i +2 +2 + 11 + + +2 +2 +2 +2 i +2 23 + 12 11 +2 22 12 + +2 + +2 + +2 +2 +2 + +2 +2 +2 + 12 22 +2 + + 23 43 + +2 + + i + +2 11 33 11 Hors site 7 8 9 i i 33 + 9 + +2 44 +2 +2 i + 33 +2 + +2 +2 +2 +2 +2 + +2 18 18 16 26 16 23 11 14 19 18 18 18 24 25 18 20 31 13 + +2 34 i + + + 9 17 11 A. GHESTEM Bussière Etable Site Témoin Xérophiles 1 0 Neutrocalcicoles 3 0 Calciclines 2 0 Neutrophiles et Neutroclines 17 5 Neutro-nitroclines 10 0 Neutro-nitrophiles 10 0 Large amplitude 6 3 Acidiclines 6 4 Acidiphiles 4 5 17 TOTAL 59 Bois de la Tourette Site Témoin 1 0 0 0 1 1 10 4 1 0 1 0 3 7 6 3 2 4 25 19 Les Couvents Site Témoin 1 0 2 0 2 0 10 2 3 0 4 0 5 2 5 2 6 10 38 16 Antone Site Témoin 1 0 3 1 5 0 18 8 8 1 7 0 2 0 6 1 0 3 50 14 Saint Fréjoux Site Témoin 1 0 1 0 2 0 20 1 8 0 6 0 8 2 9 0 6 4 61 7 Tableau III : représentation des groupes écologiques d’espèces dans les sites gallo-romains étudiés. Drouille Châtelus Ventenat Ventadour Site Témoin Site Témoin Site Témoin Site Témoin Xérophiles 1 0 1 0 0 0 3 0 Neutrocalcicoles 1 0 0 0 1 0 13 0 Calciclines 1 0 1 0 1 0 2 0 Neutrophiles et Neutroclines 9 4 12 4 10 2 19 2 Neutronitroclines 5 1 2 0 5 1 13 0 Neutronitrophiles 6 1 1 0 2 1 6 0 Large amplitude 5 4 6 2 6 5 9 4 Acidiclines 7 3 2 1 5 2 9 2 Acidiphiles 11 0 7 2 8 6 8 3 TOTAL 46 13 32 9 38 17 82 11 Tableau IV : Représentation des groupes écologiques d’espèces dans les sites médiévaux étudiés. 225 A. GHESTEM Sites Témoins Groupes écologiques n n % n n % Xérophiles 1 5,2 11,2 0 0,4 2,7 Neutrocalcicoles 1,8 0,2 Calciclines 2,4 0,2 Neutrophiles et Neutroclines 15 15 32,2 4 4 27,4 Neutronitroclines 6 11,6 24,9 0,2 0,2 1,4 Neutronitrophiles 5,6 Large amplitude 4,8 4,8 10,3 2,8 2,8 19,2 Acidiclines 6,4 10 21,5 2 7,2 49,3 Acidiphiles 3,6 5,2 Nombre total 46,6 14,6 0 Tableau V : nombre moyen d’espèces (n) et pourcentage (%) appartenant aux différents groupes écologiques (sites gallo-romains). Sites Groupes écologiques Témoins n n % n n % Xérophiles 1,25 6,25 12,6 0 0 0,0 Neutrocalcicoles 3,75 0 Calciclines 1,25 0 Neutrophiles et Neutroclines 12,5 12,5 25,3 3 Neutronitroclines 3 Neutronitrophiles 6,25 0,5 Large amplitude 6,5 4,8 10,3 2,8 2,8 19,2 Acidiclines 5,75 10 21,5 2 7,2 49,3 Acidiphiles 8,5 5,2 Nombre total 49,5 14,6 Tableau VI : nombre moyen d’espèces (n) et pourcentage (%) appartenant aux différents groupes écologiques (sites médiévaux). 226 24,0 A. GHESTEM 3. - Analyses pédochimiques Ces analyses ont concerné la mesure du pH ainsi que celle du taux de cations échangeables (Ca++, Mg++, K+) et du taux de saturation du complexe absorbant. A une exception près (site de Chatelus), toutes ces valeurs sont nettement supérieures dans les sites étudiés par rapport aux témoins. Les tableaux qui vont suivre (tableaux VII à X) rassemblent les résultats comparatifs des analyses pédochimiques, ainsi que les valeurs moyennes, pratiquées dans les sites gallo-romains et médiévaux et dans les stations hors sites. Bussière Etable Bois de la Tourette pH Les Couvents Antone Saint Fréjoux Site Témoin Site Témoin Site Témoin Site Témoin Site Témoin 5,05 4,8 5,3 4,9 6,4 6,1 6,7 4,5 4,85 4,3 Cations échangeables CaO (ppm) 2720 337 2607 582 2730 2378 6998 338 2888 277 MgO (ppm) 340 74 504 158 416 430 293,3 96 413 60 K2O (ppm) 552 162 418 168 363 608 359 134 536,5 215 Taux de saturation 59 10,7 57,9 26,6 73,1 75,3 119,5 15,6 55,5 7,5 Tableau VII : Caractères pédochimiques des sites gallo-romains étudiés. Caractères pédochimiques Sites Témoins 5,66 4,92 CaO (ppm) 3588,6 782,4 MgO (ppm) 392,26 163,6 K2O (ppm) 445,7 257,4 73 27,14 MOYENNE pH Cations échangeables Taux de saturation Tableau VIII : Valeurs moyennes (sites gallo-romains étudiés). Drouille Châtelus Ventenat Ventadour Site Témoin Site Témoin Site Témoin Site Témoin 5,3 4,8 4,5 5,3 5,85 4,6 8,2 4,5 CaO (ppm) 1072 399 276,5 445 2590 670 12428 247 MgO (ppm) 192,5 87 213 369 156,5 145 547 47 K2O (ppm) 344,5 197 189,5 84 187,5 261 1825 117 Taux de saturation 36 15,2 14,6 30,7 101 23,6 229,6 11,4 pH Cations échangeables Tableau IX : Caractères pédochimiques des sites médiévaux étudiés. 227 A. GHESTEM Caractères pédochimiques Sites Témoins 5,96 4,8 CaO (ppm) 4091,62 440,25 MgO (ppm) 277,25 162 K2O (ppm) 632,62 214 95,3 20,22 pH MOYENNE Cations échangeables Taux de saturation Tableau X : Valeurs moyennes (sites médiévaux étudiés). A travers ces exemples, mais aussi de bien d’autres, nous avons pu montrer en Limousin que l’originalité de la flore de certains sites résultait d’anciennes occupations aux époques gallo-romaine ou médiévale (Ghestem, 2002). 4. - Archéologie et végétation en forêt d’Orléans De telles observations ont pu être faites également dans la région Centre au sein de la forêt d’Orléans (Ghestem et al., 2003). Ainsi, par exemple, on reconnaît assez facilement le tracé de l’ancienne voie romaine allant d’Orléans à Sens à la présence d’une flore tout à faite particulière et très fortement diversifiée. Nous avons retrouvé le tracé précis de cette voie dans une publication de J. Soyer (1936). Par ailleurs, cette voie figure sur les cartes au 1/25000 de la forêt. Déjà, dans son histoire de la forêt d’Orléans parue en 1892, P. Domet, ancien conservateur des forêts, signalait que J. de Saint-Venant, membre de la Commission de révision de l’aménagement de la forêt, avait au cours de ses missions, remarqué sur une bande parfaitement droite et d’une très faible largeur l’existence d’un fouillis de végétaux calcicoles qui font absolument défaut au sein de la végétation naturelle de la forêt. J. de Saint-Venant a rendu compte dans le Bulletin de la Société Archéologique et Historique de l’Orléanais (1889) des fouilles qu’il exécuta en plusieurs points sur le tracé reconnu, au sein de cette bande de végétation (fig. 1). Partout, il rencontra, protégé par une couche d’humus de 20 à 65 cm, attestant que la route est abandonnée depuis fort longtemps, un lit (et parfois plusieurs) de pierres disposées en radier, provenant du calcaire de Beauce dont on ne trouve des affleurements qu’à 10 km au moins de là, aux environs de Fay-aux-Loges. Ces pierres plates, généralement posées de chant plus ou moins obliquement et calées par de plus petites, sont parfois consolidées, affirme cet auteur, par un mortier de chaux et de sable fin. L’épaisseur de chaque lit varie de 16 à 25 cm. Certes, dit-il, la chaussée avait complètement disparu sous d’épais dépôts de terre végétale mais les pierres calcaires enfouies ont influencé à la longue la végétation superficielle en provoquant la venue de plantes spéciales typiques qui font absolument défaut dans le pays. En effet, confirme-t-il, partout ailleurs le terrain formé de sables et d’argiles de la Sologne, de l’étage tertiaire miocène supérieur, est complètement privé de l’élément calcaire. La largeur de cette bande de végétation particulière correspond à la partie influencée par le voisinage calcaire d’apport et par le recensement des végétaux qui ont cru spontanément. Elle peut atteindre jusqu’à 50 m par endroit. En revanche, la voie proprement dite, même élar- Figure 1 : Forêt d’Orléans, tracé et coupe de la voie romaine d’Orléans à Sens entre Ingrannes et Chambon (d’après J. de SAINT VENANT). 228 A. GHESTEM gie fort souvent par l’éboulement des matériaux de la chaussée, n’occupe qu’une faible partie centrale de cette bande. Il n’en reste le plus souvent qu’un lit de pierres large de 4,20 m à 4,50 m. 5. - Impact de la voie romaine sur la végétation forestière 5.1. - Végétation Sept stations (sites) réparties sur le tracé de la voie romaine de Trainou à Ingrannes puis d’Ingrannes à Chambon, ont fait l’objet d’une étude approfondie de la végétation. L’analyse de la flore a été comparée à celle de la végétation forestière témoin, qualifiée de hors sites (A, B, C, D, E), et dont les caractéristiques sont celles des forêts thermoacidiphiles étudiées de 1970 à 1974 par A. Delelis et J.M. Géhu (1975). Du point de vue phytosociologique, ces auteurs avaient classé cette forêt thermoacidiphile de chêne et d’alisier sous la dénomination de Peucedano-Quercetum roboris Br. Bl. 1967, tout en regrettant que le nom de l’alisier (Sorbus torminalis, différentielle thermophile) n’ait pu être utilisé pour forger le nom de l’association qui aurait mérité le nom de SorboQuercetum ou Torminali-Quercetum. Les relevés de végétation ont été rassemblés dans le tableau XI. Les espèces sont classées en fonction de leurs affinités écologiques, selon les groupes établis par la Flore Forestière Française (J.C. Rameau, D. Mansion et G. Dume, 1989). On remarquera très facilement à la lecture de ce tableau que les relevés de végétation effectués sur le tracé de la voie romaine (sites) montrent une biodiversité végétale plus grande. Par ailleurs, si les groupes écologiques de large amplitude, acidiphiles et acidiclines, ne montrent pas de grandes distinctions quant à la présence de leurs espèces caractéristiques dans les sites et hors sites, on constate des différences importantes à l’avantage des sites au niveau des autres groupes neutrophiles et neutroclines et surtout calcicoles-calciclines et nitrophiles-nitroclines. Parmi les neutrophiles et neutroclines les mieux représentées, citons : la mélique (Melica uniflora), le brachypode des bois (Brachypodium sylvaticum), la violette des bois (Viola reichenbachiana), la rose des champs (Rosa arvensis), le sceau de Salomon (Polygonatum multiflorum), la lamier jaune (Lamiastrum galeobdolon), l’euphorbe des bois (Euphorbia amygdaloïdes), le fraisier sauvage (Fragaria vesca), le pâturin des bois (Poa nemoralis), la potentille stérile (Potentilla sterilis). De plus, remarquons la présence significative, grâce à son fort coefficient d’abondance-dominance, de la petite pervenche (Vinca minor) qui, dans sa station, forme un tapis spectaculaire (relevé n°5). Les calcicoles et calciclines indicatrices des sites sur la voie romaine et ses abords sont l’érable champêtre (Acer campestre), le fusain d’Europe (Evonymus europaeus), le troène (Ligustrum vulgare), le cornouiller sanguin (Cornus sanguinea), la primevère officinale (Primula veris), le calament officinal (Calamintha sylvatica). Enfin, les plus fréquentes nitrophiles, ou plutôt nitroclines, sont l’arum tacheté (Arum maculatum) et l’euphorbe douce (Euphorbia dulcis). Le tableau XII permet une analyse plus fine car il présente le nombre (n) et le pourcentage (%) d’espèces appartenant aux différents groupes écologiques. La biodiversité végétale est très grande dans les sites, comprise entre 26 et 40 espèces (en moyenne 34,1) et seulement 14,2 en moyenne pour les hors sites. Les espèces acidiphiles et acidiclines sont très naturellement mieux représentées dans la végétation forestière environnant les sites (41,6 %) que dans les sites (15,5 %). On comprend que les pierres calcaires de la voie romaine évoquées par J. de Saint-Venant ont dû modifier le pH du sol forestier, constitué de sables très acides. Cet effet semble se vérifier en ce qui concerne le groupe écologique suivant des neutrophiles et neutroclines. Le nombre d’espèces de ce groupe correspond à près de la moitié des plantes relevées dans les sites alors qu’il ne représente qu’un tiers dans la flore des hors sites. En ce qui concerne le groupe des calcicoles et calciclines, la différence entre sites et hors sites est beaucoup plus nette : 16,9 % par rapport à l’ensemble des espèces relevées dans les sites et seulement 1,2 % hors sites. Enfin, il est remarquable de constater l’absence totale des nitrophiles et nitroclines dans la végétation hors site et une proportion moyenne de 10,3 % de ces espèces (ce sont des nitroclines) par rapport à la flore totale relevée dans les sites. 5.2. - Pédochimie des substrats Les sols des sept stations (sites) réparties sur le tracé de la voie romaine ont été analysés, de même que les sols des milieux forestiers environnants (hors sites). Ont été déterminés : le pH eau et le pH KCl, le rapport carbone sur azote, le calcaire total en %, le taux de calcium échangeable (CaO en ppm) et le taux de saturation du complexe absorbant. Les résultats de ces analyses pédochimiques figurent dans le tableau XIII. L’analyse comparative de ces résultats fait apparaître les éléments suivants : le pH (eau) varie dans les sites de 5,8 à 8,2, il est en moyenne voisin de 6,98 (donc voisin de la neutralité) alors que, hors sites, il est beaucoup plus bas, variant de 4,4 à 4,9 (avec une valeur moyenne de 4,68) ; le rapport carbone sur azote, qui est un bon test de la capacité minéralisatrice des sols (azote) est en moyenne de 15,7 dans les sites. La moyenne est beaucoup plus élevée hors des sites (20,5) ; 229 A. GHESTEM Relevés n° Large amplitude Quercus robur Quercus petraea A a1 +a2 Quercus pl Fagus sylvatica A a + pl Ilex aquifolium a + pl Solidago virgaurea Stachys officinalis Linaria repens Monotropa hypopitys Rhytidiadelphus triquetrus Pseudoscleropodium purum Thuidium tamariscinum Acidiphiles et Acidiclines Sorbus torminalis A + a Sorbus torminalis pl Pinus sylvestris Cytisus scoparius a + pl Populus tremula A + a + pl Frangula alnus Mespilus germanica Betula pendula A + a Rubus sp. Deschampsia flexuosa Melampyrum pratense Carex pilulifera Lonicera periclymenum Pteridium aquilinum Veronica officinalis Polytrichum formosum Milium effusum Luzula multiflora Moehringia trinervia Deschampsia cespitosa Hypericum pulchrum Teucrium scorodonia Calluna vulgaris Erica cinerea Potentilla erecta Neutroclines et Neutrophiles Carpinus betulus A a1+a2 Carpinus betulus pl Corylus avellana a2 + pl Hedera helix A + a1 Crataegus laevigata a2 + pl C. monogyna a2 Prunus spinosa a + pl Hedera helix Carex sylvatica Festuca heterophylla Ruscus aculeatus Melica uniflora Neottia nidus-avis Convallaria maialis Hyacyntoïdes non-scripta Stellaria holostea Brachypodium sylvaticum Viola reichenbachiana Rosa arvensis Polygonatum multiflorum Lamiastrum galeobdolon Vinca minor Fragaria vesca Hypericum perforatum Poa nemoralis Potentilla sterilis Euphorbia amygdaloïdes Vicia sepium Tamus communis Prunus avium pl 1 2 3 33 11 11 + + + + + + 4 5 6 7 A B C D E + 33 33 33 33 44 33 33 44 + 11 11 11 11 11 + + + + + 11 11 + + 11 + + + 33 + 33 + 22 + 11 + + + + + + + + + + 11 + + + + + + + 44 + + + + + + + + + 11 + + 11 + + + + + 11 + + + 11 + 11 + + 11 + 22 + + + + 11 + 11 33 + 11 11 + + + .+2 + + 11 12 + + 12 + + + + + + + + + + + + 22 22 + 44 + + 11 + + 22 33 + + 11 + + + 11 + + + .+2 + + + + + + + 44 + 44 + + + + 11 + 11 + 33 + + + 21 11 11 + + 22 33 11 44 21 33 + 44 11 + 11 + 11 11 11 44 + + + 22 11 22 11 23 22 11 22 + + + 22 + + + 33 11 + + + .+2 + + + 11 + +2 22 44 11 + + 44 11 + 11 + + + + + + + + 11 + + + 11 + + + + 44 + 11 + + 22 + + + + + + 22 + 11 44 + i Tableau XI : impact de la voie romaine sur la végétation forestière. 230 + + .+2 + + 21 + + + + A. GHESTEM Calcicoles et calciclines Acer campestre A a1 + a2 '+ pl Euonymus europaeus a + pl Ligustrum vulgare a + pl Cornus sanguinea a + pl Clematis vitalba Viburnum lantana pl Carex flacca Primula veris Calamintha sylvatica Euphorbia cyparissias Aquilegia vulgaris Melittis melissophyllum Campanula trachelium Viola hirta Nitrophiles et Nitroclines Fraxinus excelsior A +a1+pl Ulmus minor a + pl Ribes uva-crispa Geum urbanum Arum maculatum Euphorbia dulcis Ajuga reptans Sanicula europaea Pulmonaria officinalis Torilis japonica Geranium robertianum Diverses Calamagrostis epigeios Orobanche hederae Prunus gr. domestica pl + 11 11 11 + i 11 + + + + 11 11 + + + + + + + + + 11 + + + + + + 11 22 + 11 + + + + + + + + + + + + 11 i + + + + + + + + + + + 11 + 11 + + + + + + + 11 i + Tableau XI suite : impact de la voie romaine sur la végétation forestière (suite). Sites (voie romaine) Hors sites N° relevés 1 2 3 4 5 6 7 moy A B C D E moy Nbre d’esp. 26 42 40 35 30 26 40 34,1 15 11 9 19 17 14,2 n 3 3 5 6 4 6 2 4,1 3 3 3 3 4 3,2 % 11,5 7,1 23 5 12,8 20 n 2 7 14 3 2 5 6 5,6 8 % 7,7 16,6 35 8,6 6,7 19,2 15 15,5 53,3 45,4 33,3 47,4 29,4 41,6 n 14 16 13 17,1 16 9 15 14,3 I II III IV V VI % 12,5 17,1 13,3 5 3 3 3 9 7 5 8 24 6 5 53,8 38,1 32,5 48,6 53,3 34,6 37,5 42,6 26,7 27,3 33,3 36,8 47,1 34,2 n 4 8 4 6 6 % 15,4 19 10 17,1 20 n 3 7 2 3 2 1 8 5 8,6 6,7 3,8 % 4 27,3 33,3 15,8 23,5 11,5 16,7 4 9 5,9 0 0 0 0 1 0,2 15,4 22,5 16,9 0 0 0 0 5,9 1,2 3,7 0 0 0 0 0 0 20 10,3 0 0 0 0 0 0 n 0 1 2 0 0 1 0 0,6 0 0 0 0 0 0 % 0 2,4 5 0 0 3,8 0 1,6 0 0 0 0 0 0 Tableau XII : nombre (n) et pourcentage (%) d’espèces appartenant aux différents groupes écologiques (I Large amplitude, II Acidiphiles et acidiclines, III Neutrophiles et neutroclines, IV Calciclines et calcicoles, V Nitrophiles et nitroclines, VI Diverses). 231 A. GHESTEM Sites voie romaine Moy. Relevés n° 1 2 3 4 5 6 7 pH eau 7,1 6,8 5,8 7,9 7,2 8,2 5,9 pH KCl 6,4 6,2 4,9 7,5 7,1 7,6 5 C/N 16,1 16,9 17,4 13,5 15,5 14,5 Ca O Hors sites Moy A B C D E 6,985 4,4 4,6 4,8 4,9 4,7 4,68 6,385 3,4 3,6 3,8 3,9 3,4 3,62 15,8 15,671 25 19,9 19,1 16,7 21,8 20,5 5877 2071 1190 10354 7043 5066 1143 4677,7 820 279 423 387 766 534,4 23,7 24,3 29,8 28,6 27,3 26,74 Co3Ca 0,7 % Sat 100 34,1 76,8 5,2 1,7 10,425 56,9 169,2 351,3 215,9 54,7 146,4 Tableau XIII : Analyses chimiques des substrats. la teneur en calcium échangeable CaO (en ppm) est près de dix fois supérieure dans les sols prélevés sur le tracé de la voie romaine (moyenne de 4677,7). Dans quatre stations, la présence de calcaire total (réactivité avec HCl) a même été mise en évidence ! Enfin, le taux de saturation du complexe absorbant du sol est impressionnant dans les sols des sites : moyenne de près de 150 %. Au contraire, les sols environnant les sites, qui sont les sols naturels de la forêt d’Orléans apparaissent fortement désaturés avec un taux moyen de 26,74 % seulement; Ainsi, l’analyse comparative de la végétation et des substrats, dans les sites et hors sites, nous apporte ici aussi l’explication de l’impact de la voie romaine sur la végétation de la forêt d’Orléans. Les pierres calcaires amenées de Beauce pour construire cette voie ont contribué à modifier les caractéristiques des sols : élévation du pH, amélioration du C/N, augmentation du taux de saturation. L’élévation du pH a permis l’installation d’espèces neutrophiles, cependant que l’amélioration des possibilités de minéralisation de l’azote a favorisé les nitroclines. Enfin, l’augmentation des teneurs en calcium échangeable a rendu possible l’établissement d’espèces calcicoles ou calciphiles qui étaient étrangères à la forêt. Les sites explorés le long de la voie romaine ont ainsi montré : une biodiversité végétale plus importante que dans les stations témoins de référence (milieux boisés environnants) ; une plus forte proportion d’espèces appartenant au groupe écologique des xérophiles calcicoles et calciclines et à celui des neutrophiles et neutroclines ; la présence tout à fait particulière des espèces nitroclines ; 232 des caractères pédochimiques prononcés (pH élevé, teneur prononcée en calcium échangeable et nette saturation du complexe absorbant). Nous nous félicitons donc d’avoir pu confirmer, à travers ces investigations en forêt d’Orléans, les résultats obtenus en Limousin dans l’analyse de la flore des vestiges archéologiques et particulièrement gallo-romains. Bibliographie BOYER J.F., 1984, Végétation et structures archéologiques : contribution à l’analyse de la flore sur des sites du Haut-Limousin, Thèse pour l’obtention du Diplôme d’Etat de Docteur en Pharmacie, Université de Limoges, 137 p. 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Archéologique et historique de l’Orléanais, t. 9, fasc 138, p. 370-375 (1 plan et 3 coupes). SOYER J., 1936, Les voies antiques de l’Orléanais : la voie d’Orléans à Sens (Civitas Aurelianorum), Mémoires de la 233 234 Impact de l’habitat du Bas Moyen Age du Goënidou et de son parcellaire associé sur l’environnement actuel : approche par une étude de végétation (Berrien, 29) Quentin LEMOULAND(1), Gwenhaël PERRIN(2) (1) Laboratoire C2A – Université de Rennes 1 – 35000 RENNES – [email protected] (2) 11, rue François Broussais – 35000 RENNES – [email protected] Résumé Le site du Goënidou est un hameau déserté au XIVe siècle situé sur la commune de Berrien dans les Monts d’Arrée (29). Il est actuellement couvert par une lande de type ptéridaie. L’étude s’est portée sur une zone test de 50m sur 50m. Elle porte en son sein 2 bâtiments et 2 talus visibles en microtopographie. Des relevés de végétation et de sol y ont été effectués en maillage (maille de 7m). Il a été montré que la plupart des espèces végétales actuelles ont une répartition liée aux vestiges (en terme de présence comme de recouvrement). Des différences de végétation ont été observées : entre les zones de vestiges et les zones vierges de vestiges, entre différentes classes de distances aux vestiges, entre des vestiges de natures différentes (talus Vs bâtiments, parcelles différentes). En utilisant certains caractères indicateurs de ces espèces (indices d’Ellenberg), il semble que les occupations anciennes aient modifié l’environnement que se soit en terme de richesse en nutriments, d’humidité, d’acidité du sol, qu’en terme de fermeture du milieu. Au niveau des vestiges, la végétation est ainsi caractérisée par des espèces de milieux riches, peu acides, peu exigeantes en eau et en lumière. Abstract The site of Goënidou is a deserted settlement abandoned by the late XIVth century. This site is located in the commune of Berrien in Brittany (France, 29). The site is now covered by heathland dominated by Bracken Fern. The study took place on an area of 50 metres by 50. In this area, microtopography reveals 2 abandoned buildings and 2 fieldbanks. A vegetation sampling of 46 two-square-metres quadrats was realised. Most of current vascular plant species have a distribution linked to archaeological features (in terms of presence as well as cover). Some differences were observed between: disturbed and undisturbed areas, different classes of distance to archeological features, features of different types as well as differences of land use. By using the ecological behaviour of plants (Ellenberg’s indicators), it appears that past land use has modified the environment in term of nutrient supply, soil moisture, soil acidity and light strategies. So, on archeological features, vegetation is characterized by species from low acid, relatively dry soil with a high nutrient concentration and by species from closed environment. 235 Q. LEMOULAND, G.PERRIN 1. - Introduction Les vestiges archéologiques modifient les propriétés physico-chimiques des sols. Les altérations de minéraux et de porosité ont depuis longtemps été mises en évidence via la susceptibilité magnétique. Concernant la chimie des sols, la variation anthropique des concentrations en phosphates a été largement prouvée (Bethell et Mãte, 1989 ; Craddock et al., 1985). Il a été montré que ces changements s’appliquent aussi au calcium et au magnésium (Konrad et al., 1983) et à de nombreux oligoéléments (Bethell et Smith, 1989 ; Linderholm et Lundberg, 1994). Or les propriétés physico-chimiques du sol conditionnent le développement de la végétation. Pour des parcelles dont l’occupation du sol est connue au XIXe s., l’étude de la végétation forestière actuelle a montré que celle-ci témoigne d’un enrichissement en azote selon l’ancien usage du sol suivant un gradient forêt/prairie/culture/jardin (Koerner et al., 1997). Pour des périodes plus anciennes, l’apport de matériaux exogènes révélé par une végétation « aberrante » (espèces calcicoles sur des terrains acides) est connu depuis le XIXe s. (Saint-Venant, 1888). Couderc (1983) a proposé d’élargir l’étude de ces anomalies botaniques à d’autres groupes écologiques et particulièrement aux rudérales. Des travaux sur des habitats gallo-romains en forêt ont permis de mettre en évidence des différences écologiques liées à la distance aux vestiges (Humbert, 2002 ; Lemouland, 2002). L’inefficacité de la prospection aérienne en forêt a motivé la recherche dans ces milieux (Vigneau et Dardignac, 2001). Ce travail se propose d’intégrer les milieux ouverts dans ces problématiques. La présente étude a été effectuée sur deux bâtiments désertés à l’époque médiévale et leur parcellaire associé (Berrien, 29). La zone d’étude est actuellement recouverte par une lande. L’avantage d’une telle zone est que : comme en milieu forestier, le site n’a pas été perturbé par les labours récents ; contrairement au milieu forestier, l’échelle de travail est plus fine du fait d’un meilleur recouvrement herbacé (comparé aux sous-bois). Ce milieu permet ainsi d’aborder de nouvelles questions liées à l’échelle d’étude. Nous montrerons tout d’abord qu’à cette échelle les vestiges ont aussi un impact sur le milieu via l’analyse écologique des espèces et leurs variations de recouvrement. Nous tenterons ensuite de mettre en évidence, via l’autécologie des espèces, des gradients écologiques en fonction de la distance aux vestiges. Nous verrons enfin dans quelles mesures la typologie des vestiges et la différence d’utilisation des parcelles peuvent modifier la végétation. Figure 1 : Localisation de la zone d’étude au sein de l’habitat déserté du Goënidou. 236 Q. LEMOULAND, G.PERRIN 2. - Localisation et description du site d’étude Le site du Goënidou est situé sur la commune de Berrien (29) dans les Monts d’Arrée (entité archéologique Patriarche N°29 007 0040). Sa désertion remonterait à la fin du XIVe siècle. Il est constitué de petits îlots de bâtiments associés à un parcellaire. Etabli sur le versant Sud d’une vallée, à environ 270 m d’altitude, le site a été implanté sur un substrat géologique diversifié : des granites au niveau des crêtes, aux quartzites et aux schistes en descendant vers la vallée. La zone retenue pour cette étude (fig.1) est la parcelle n°110 section A1 du cadastre. Deux bâtiments distants d’environ 15 m et bordés d’un talus commun y sont observés au sud. Un second talus orienté NNO– SSE délimite deux anciennes parcelles. La végétation actuelle de la parcelle est représentée par une lande de type ptéridaie, bordée d’une lande à Ajonc et Bruyère évoluant vers des groupements de lande haute à Ajonc et de fourrés au Nord. La partie Sud de la parcelle présente un effet écotone lié à la proximité d’une friche à caractère prairial cultivée jusqu’à peu en céréales. La parcelle montre un gradient hydrique traduit par des groupements végétaux mésoxérophiles à mésophiles. 3. - Relevés de végétation et de sol Comme pour toute analyse de végétation, la première nécessité sur le terrain a été de déterminer l’aire minimale des relevés. Des quadrats de 2 m2 ont été choisis afin de maximiser le nombre d’espèces dans les relevés tout en minimisant le risque de rencontrer plusieurs milieux dans cette surface. Afin de couvrir l’ensemble de la parcelle, les relevés ont été disposés en damier. Chaque relevé se retrouve ainsi à 7 mètres du relevé le plus proche (fig. 2). 4,5 % de la zone d’étude ont ainsi été échantillonnés. Le protocole utilisé pour les relevés sur le terrain a été le suivant : inventaire des espèces présentes dans chaque relevé, évaluation du recouvrement de chaque espèce (en %), comptage du nombre de frondes de Fougère Aigle et évaluation de sa hauteur moyenne. Figure 2 : Interprétation archéologique des relevés microtopographiques et emplacement des relevés de végétation. 237 Q. LEMOULAND, G.PERRIN 4. - Interprétation archéologique des données microtopographiques Une analyse microtopographique de la parcelle a été menée (Batt, 2003) mettant en évidence différents types de vestiges archéologiques interprétables comme étant des bâtiments et des structures parcellaires (fig.1). Après calage du plan des vestiges sur celui des relevés, seuls les vestiges clairement visibles sur le terrain que sont les bâtiments, leurs murets effondrés et les talus ont été pris en compte. Ces vestiges linéaires ont permis de différencier quatre surfaces d’occupation ancienne du sol sur la parcelle étudiée (fig. 2). 5. - Prise en compte de l’écologie des espèces Chaque espèce possède des caractéristiques écologiques propres pour les différents facteurs du milieu. L’autécologie des différentes espèces a pu être quantifiée par les indices d’Ellenberg (Ellenberg et al., 1992). Les 4 indices utilisés ici sont : Nitrophilie N : de 1 à 9, les espèces nitrophiles ayant les valeurs les plus élevées Basicité R : de 1 à 9, les espèces acidiphiles ayant les valeurs les plus basses Humidité F : de 1 à 12, les espèces xérophiles ayant les valeurs les plus basses Luminosité L : de 1 à 9, les espèces sciaphiles ayant les valeurs les plus basses Le tableau de présence/absence des espèces par relevé a été croisé avec le tableau des indices d’Ellenberg de chaque espèce. Pour chaque relevé, il a ainsi été possible d’établir un indice d’Ellenberg moyen pour chaque facteur en fonction de sa composition floristique. 6. - Prise en compte de l’environnement archéologique des relevés En terme de distance au vestige le plus proche Pour chaque relevé, la distance minimale aux vestiges a été calculée. 3 classes de distance des relevés aux vestiges ont ainsi été attribuées : de 0 à 2 m des vestiges (15 relevés), de 2 à 5,5 m des vestiges (15 relevés), de 5,5 à 16,5 m des vestiges (16 relevés). 238 En terme d’occupation du sol Les usages étant souvent confinés de manière non-exclusive au bâti ou à un talus (éboulis…), il a été décidé d’inclure autour de ces structures une zone tampon de 2,5 mètres. Tout relevé compris tout ou partie dans la zone tampon a été considéré comme étant dans la zone des vestiges. Les deux classes de relevés ainsi créées sont : zone de vestiges (23 relevés). Zone divisée en deux nouvelles classes : - bâtis (les 5 relevés leur appartenant strictement) - talus (les 5 relevés leur appartenant strictement) zone vierge de vestiges (23 relevés). Zone divisée en deux nouvelles classes : - parcelle 1 (les 10 relevés lui appartenant strictement) - parcelle 2 (les 10 relevés lui appartenant strictement) 7. - Analyse statistique Aucune analyse de sol n’ayant encore été effectuée, l’analyse statistique s’est limitée à montrer s’il existait des différences significatives de végétation en fonction des classes établies pour chaque facteur archéologique. Il a ainsi pu être possible de comparer par un test U de Mann et Whitney, entre les différents états d’une variable d’environnement archéologique : les indices moyens d’Ellenberg des relevés la hauteur moyenne et le nombre de frondes de Fougère les recouvrements des espèces 8. - Résultats Impact anthropique des vestiges : Les indices moyens d’ELLENBERG calculés sur la composition floristique des relevés montrent des différences écologiques liées aux vestiges (tab.1). Ainsi, les vestiges semblent avoir un impact sur le milieu en terme de nitrophilie, d’humidité et de fermeture du milieu. Les zones de vestiges sont caractérisées par une végétation de sols plus riches, plus secs et de milieux plus fermés. La Fougère aigle, espèce dominante, répond très bien à cet impact des structures archéologiques sur le milieu (tab.2). Cet impact se traduit par une augmentation de sa hauteur (p<0.001) et de nombre de frondes (p=0.002). Les variations de composition floristique observées précédemment sont dues à des variations de recouvrement de certaines espèces. La présence de structures affecte ces recouvrements, soit de manière positive (Fougère, Houlque molle, Flouve…), soit de manière négative (Molinie, Bruyère cendrée, Callune…) (tab.2). Q. LEMOULAND, G.PERRIN Indice d’Ellenberg moyen Sur zone de vestiges Sur zone vierge de probabilité d’égalité (23 relevés) vestiges (23 relevés) de moyenne N(Nitrophilie) 3.17±0.07 2.62±0.11 <0.001 F(Humidité) 5.13±0.06 5.46±0.06 <0.001 L(Luminosité) 6.42±0.06 6.6±0.06 0.031 Tableau 1 : nature de la végétation au niveau des vestiges Recouvrement moyen (%) Sur zone de vestiges Sur zone vierge de vesprobabilité d’égalité (23 relevés) tiges (23 relevés) de moyenne Espèces ayant un recouvrement plus fort au niveau des vestiges Pteridium aquilinum 87.6±2.3 69.8±3.6 <0,001 Holcus mollis 33.4±7.9 12.4±6.1 0,003 Anthoxanthum odoratum 8.4±3.9 1.0±0.5 0,007 Rubus fruticosus 1.5±0.5 0.7±0.4 0,016 Cytisus scoparius 1.4±0.4 0.6±0.2 0,022 Hedera helix 1.0±0.5 0.2±0.2 0,025 Hyacinthoides non-scripta 2.3±0.5 1.7±0.6 0,048 Espèces ayant un recouvrement plus faible au niveau des vestiges Molinia caerulea 2.6±2.4 24.5±7.7 <0,001 Erica cinerea 0.2±0.1 5.2±2.4 <0,001 Calluna vulgaris 0.0±0.0 0.4±0.3 0,009 Ulex sp. 1.8±0.8 7.1±3.2 0,010 Cirsium filipendulum 0.1±0.1 1.2±0.6 0,029 Erica ciliaris 0.0±0.0 1.2±0.7 0,036 Potentilla erecta 0.8±0.4 1.0±0.3 0,045 Tableau 2 : espèces à recouvrement vestige-dépendant. Effet distance Le traitement en classes de distances confirme l’impact des vestiges en terme d’enrichissement, d’assèchement et de fermeture du milieu (fig.3). Les indices N et F montrent des différences significatives entre chaque classe. La comparaison des indices moyens prouve qu’il existe un gradient croissant de nitrophilie et décroissant d’humidité en fonction de la proximité des structures. Si des gradients existent pour les indices N et F, la fermeture du milieu à proximité des vestiges est moins prononcée. Ce type de traitement permet en outre de mettre en évidence des différences d’acidité au sein de la parcelle (fig.3). En effet, les relevés situés au-delà de 5,5 m sont caractérisés par une végétation plus acidiphile. 239 Q. LEMOULAND, G.PERRIN Figure 3 : gradients écologiques liés à la distance aux vestiges. Exemple d’une différence d’impact en fonction de la typologie des vestiges : comparaison talus / bâti Le faible nombre de relevés ne permet pas d’affirmer qu’il existe des différences floristiques majeures liées à la typologie des vestiges. Cependant, il est à noter que les bâtiments semblent plus secs que les talus (p=0.021). Par ailleurs, le Genêt se développe préférentiellement sur les talus (p=0.033). Exemple d’une différence d’impact en fonction de l’occupation ancienne du sol : comparaison parcelle 1 / parcelle 2 La parcelle 1 est caractérisée par un nombre plus important de frondes de Fougère (p=0.003) et de hauteur réduite (p=0.016). La plupart des espèces communes aux deux parcelle y ont un recouvrement supérieur (tab.3). De plus, elle présente de nombreuses espèces lui étant propres (Carex sp., Hedera helix, Holcus lanatus, Polygala serpyllifolia, Prunus spinosa, Salix aurita, Scorzonera humilis, Solidago virgaurea). 240 Seule Molinia caerulea s’exprime préférentiellement dans la parcelle 2. 9. - Discussion Modification des propriétés physiques du milieu Les vestiges comme les talus, fossés, murets modifient la topographie locale. Ces artéfacts topographiques impliquent différentes situations de pendage et de dévers et, en conséquence, des variations de drainage et d’ensoleillement. Leur occupation a altéré la porosité du sol à la suite d’un piétinement intense sur des zones privilégiées de fréquentation (intérieur des bâtiments). Les effets physiques attribués au piétinement sont : la réduction de l’atmosphère du sol (Grable et Siemer, 1968 ; Liddle, 1975) et une altération de ses propriétés de drainage. D’autre part, l’abandon du site a entraîné des modifications dans la composition granulométrique du sol du fait de l’effondrement Q. LEMOULAND, G.PERRIN Sur parcelle 1 Sur parcelle 2 Probabilité d’égalité de moyenne Espèces ayant un recouvrement plus fort au niveau de la parcelle 1 Agrostis curtisii 35.3±6.7 9.0±3.9 0.005 Cirsium filipendulum 2.8±1.2 0.1±0.1 0.005 Potentilla erecta 1.4±0.4 0.3±0.1 0.005 Teucrium scorodonia 6.5±0.7 2.0±1.0 0.005 Hypericum pulchrum 0.7±0.2 0.1±0.1 0.006 Galium saxatile 20.7±7.3 2.3±1.5 0.013 Polygala serpyllifolia 0.7±0.3 0.0±0.0 0.03 Hyacinthoides non-scripta 1.7±0.7 0.5±0.3 0.035 Viola canina subsp. canina 1.1±0.4 0.2±0.1 0.044 53.3±13.0 0.004 Espèces ayant un recouvrement plus fort au niveau de la parcelle 2 Molinia caerulea 3.0±1.0 Tableau 3 : espèces ayant un recouvrement différent entre les deux parcelles anciennes des structures (augmentation de la concentration en matériaux pierreux). Toutes ces transformations entraînent des changements d’humidité du sol. Ainsi, les zones de vestiges sont plus sèches (tab.1). L’effondrement des murets plus ou moins large, voire diffus, peut être à l’origine du gradient hydrique observé en fonction de l’éloignement aux structures (fig.3). Le bâti montre une végétation plus xérophile que les talus. Ces différences d’humidité observées peuvent être expliquées par : la présence de fossés le long des talus à l’origine d’une certaine rétention en eau des sols, l’utilisation de matériaux de construction plus ou moins drainants (talus de terre et bâti en pierre). L’évolution des propriétés hydriques du substrat induites par la présence de structures archéologiques a modifié la dynamique du sol, et ainsi, ses propriétés chimiques. Modification des propriétés chimiques du sol L’humidité d’un sol est en partie à l’origine de son acidité. En effet, l’eau présente dans les sols acidifie le milieu en fixant le CO2 atmosphérique. Ainsi, les zones éloignées de plus de 5,5 mètres sont les plus acides (fig.3). Même si la différence entre les deux premières classes de distance n’est pas significative, il est à noter que la végétation de la classe 0-2 mètres est plus acide que celle de la classe 25,5 mètres. Cette classe étant entre autre représentée par des relevés situés à l’intérieur des bâtiments, le piétinement passé a peut-être joué en ce sens. Cette hypothèse pourrait être critiquable au sens où le temps écoulé aurait favorisé le remaniement de ces sols par la pédofaune. Cependant, le facteur acidité, reconnu comme inhibiteur de la recolonisation lombricienne, aurait eu un rôle dans le ralentissement de la décompaction du sol. Cette hypothétique variation du pH, quoique peu marquée dans la végétation, peut être à l’origine d’une variation de la dynamique des humus. Un pH acide tend en effet à baisser le S/T et à augmenter le C/N et ceci par le ralentissement de la minéralisation des litières. Les litières sont alors plus épaisses, ce qui a pu être observé sur le terrain. Les modifications de drainage dues au pendage et à la granulométrie seraient la cause d’un lessivage plus important au niveau des structures, entraînant de ce fait certains minéraux utiles à la croissance des plantes. Les nitrates fortement solubles pourraient ainsi être moins présents sur les structures. La végétation nous révèle toutefois le contraire (tab.1 et fig.3). Enregistrant des différences de nitrophilie relativement fortes sur un secteur à végétation de caractère oligotrophe, il faut envisager une cause anthropique dans l’enrichissement du sol sur les structures. L’apport en éléments nutritifs proviendrait soit de l’accumulation de résidus liés à l’occupation du site (dépotoirs, latrines, cendres, fumure…), soit de la dégradation des matériaux organiques ayant servis à la construction de l’habitat (bois, chaume…). En dépit de cette hypothèse, le caractère nitrophile des talus ne diffère pas de celui du bâti. La fonction précise des fossés à l’époque considérée reste inconnue en l’absence de fouilles. Il est possible qu’ils aient servi de dépotoir ou qu’ils aient collectés les lessivats provenant des bâtiments. L’effet observé de dépendance à la distance peut être la conséquence d’un lessivage lié à la topographie des structures. Par ailleurs, aucun résultat ne permet de conclure sur l’usage de différences de gestion agropastorale entre les deux parcelles. Cet enrichissement du milieu tend donc à un développement d’espèces nitrophiles. Sur les vestiges, la disponibilité du milieu en nutriments ne représente plus un facteur limitant. Le recouvrement des espèces augmente alors et les espèces entrent en compétition vis-à-vis d’autres facteurs comme la lumière par exemple (tab.1 et fig.3). 241 Q. LEMOULAND, G.PERRIN Afin de définir cette compétition, l’étude de la réponse de la Fougère aux vestiges semble nécessaire, cette dernière étant l’espèce dominante. Comportement de la Fougère Aigle Vis-à-vis des vestiges La Fougère répond de manière positive à la présence de vestiges, que ce soit en terme de recouvrement (tab. 2), de hauteur ou de nombre de frondes. La hauteur se trouve être un bon indicateur de distance aux structures. Le nombre réduit de frondes dans la parcelle 2 peut être lié à la présence d’autres espèces arbustives (Molinie, Ajonc) susceptibles d’opposer une compétition à la Fougère. La parcelle 2 montre une lande plus évoluée que dans la parcelle 1, avec des chamaephytes et des graminées cespiteuses plus développées qui empêchent probablement la pleine expression de la Fougère. Un gyrobroyage moins poussé dans le bas du champ lors des opérations de relevé topographique en 2001 pourrait en être la cause. Sur cette surface, la Fougère compenserait la diminution de son développement spatial par l’émission de frondes plus hautes afin de mieux capter la lumière. La Fougère aigle semble être une bonne indicatrice de vestiges, d’un point de vue statistique, et ceci tient au fait que : elle est présente sur tous les relevés, son expansion est favorisée par son mode de reproduction végétative (rhizome) et n’est pas gênée par les espèces herbacées. En revanche, au vu de ses données autécologiques, il n’est pas possible à ce stade de mettre en évidence l’influence d’un ou plusieurs facteurs dans l’hétérogénéité spatiale de cette espèce. Vis-à-vis des autres espèces La Fougère est caractérisée entre autre par : une forte productivité, un recouvrement souvent très important et un fort pouvoir de colonisation. Elle est en outre capable d’aller puiser les éléments (N,P,K) en profondeur grâce à ses rhizomes (présents jusqu’à des profondeurs dépassant le mètre) et participe ainsi à leur Turn-Over. Elle est par ce fait une grande compétitrice. Sa litière épaisse limite le développement des autres espèces alors que ses frondes peuvent percer. Elle produit en outre des phytotoxines (Grelen et Hughes, 1984). Pendant la période de végétation, de part son abondance, la Fougère ne permet l’accès que d’une faible quantité de lumière au sol. Ainsi, les zones où elle a un fort pouvoir de recouvrement sont caractérisées par une végétation de demi-ombre. Ne restent ainsi comme espèces du tapis herbacé que les espèces les moins exigeantes en lumière (tab.1 et fig.3). Ces espèces lumière-dépendantes ont ainsi un recouvrement indirectement lié à la répartition des vestiges. 242 Comportement des espèces accompagnatrices Ces comportements de compétition des espèces vis-à-vis de la lumière montrent que la présence comme l’absence d’une espèce peuvent être indicatrices de vestiges. Les tests statistiques (tab.2) ont permis de mettre en évidence des espèces indiquant la présence de vestiges : Par un recouvrement anormalement faible : La fermeture du milieu et son assèchement au niveau des vestiges peut être à l’origine de la disparition locale de certaines espèces plus exigeantes en lumière et en eau ou moins compétitives pour ces facteurs. Ces espèces sont par ailleurs bien adaptées à l’acidité élevée des zones vierges de vestiges. Par un recouvrement anormalement élevé : Certaines espèces ne s’expriment pleinement que sur les zones de vestiges où les nutriments sont suffisants pour les satisfaire. La présence de vestiges induit aussi un assèchement et une fermeture du milieu. Les espèces les moins exigeantes en eau et en lumière y sont favorisées. Elles sont plus compétitives ou mieux adaptées à l’égard de ces facteurs. Complexité de l’histoire de la parcelle La parcelle est marquée par de multiples évènements de différentes natures, antérieurs, contemporains et postérieurs à la période considérée. Chacun peut avoir un impact sur le milieu à chaque fois à une échelle différente. Ces évènements ont induit une certaine hétérogénéité des facteurs du milieu. L’appréhension de cette hétérogénéité ne peut passer que par la fouille et l’analyse physico-chimique d’échantillons de sol. 10. - Conclusion Il est indéniable que les occupations anciennes ont un impact sur l’humidité, l’acidité, la fertilité et la fermeture du milieu. Cependant, on ne peut pas encore réellement parler d’espèces indicatrices en l’absence d’analyses physico-chimiques de sol. C’est pourquoi, à l’heure actuelle, l’étude de la végétation est difficilement adaptable à la prospection archéologique. Seule une intervention en phase de pré-diagnostic sur des chantiers d’archéologie programmée ou préventive en milieu semi-naturels peut permettre d’aborder les usages anciens et la typologie des structures. L’analyse des variations anthropiques de la physico-chimie des sols semble nécessaire à ce stade. Seule une étude conjointe de ces données avec celles de végétation et de fouille permettra de comprendre l’impact des usages anciens sur la végétation actuelle. Il conviendrait à l’avenir d’étudier préférentiellement une entité paysagère (tache de végétation homogène) et d’en éliminer les marges afin d’éliminer tout effet écotone. Q. LEMOULAND, G.PERRIN Les milieux ouverts seront aussi privilégiés afin de réduire les risques de compétition vis-à-vis de la lumière. La complexité des phénomènes impliqués nécessite ainsi de jongler entre différentes disciplines comme l’Archéologie, la Pédologie et l’Ecologie. Remerciements Nous remercions tout d’abord Julien PETILLON et Loïc VALERY du laboratoire d’ECOBIO (UMR 6553) pour leur aide en statistiques. Merci aussi à Michael BATT du SRA Bretagne pour toute la partie archéologie et microtopographie de l’étude. Nos remerciements reviennent enfin à Dominique MARGUERIE du Laboratoire d’Archéosciences qui nous a soutenus dans notre travail depuis le début. Bibliographie BATT M., 2003, Berrien (Finistère), le Goënidou, l’impact d’un habitat médiéval sur le paysage et l’environnement, Rapport de Prospection Thématique, SRA Bretagne/Université de Bristol BETHELL P., MÃTE I., 1989, The use of soil phosphate analysis in archaeology : A critique, in Scientific Analysis in Archaeology and its interpretation, J. Henderson editor, Oxford University Committee for Archaeology and UCLA Institute for Archaeology, Los Angeles, CA, p. 1-29. 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La mémoire du sol : Restitution d’un paysage ancien par mesure de l’impact de l’occupation et de pratiques agraires anciennes sur le fonctionnement actuel du milieu biophysique. Jean-Louis MAIGROT (1), Patrice BECK(2), Gérard CHOUQUER(3), Pierre CURMI(1), Etienne DAMBRINE(4), Jean-Luc DUPOUEY(5), F. FAUCHER(6) (1) (2) (3) (4) (5) (6) Etablissement National d’Enseignement Supérieur Agronomique de Dijon – BD 87999 – 21079 Dijon Cedex – [email protected] Université de Paris I – LAMOP – 15 rue Fournerat – 21000 Dijon – [email protected] Directeur de recherche au CNRS, équipe d’archéologie environnementale, UMR 7041, Nanterre Unité Cycles Biogéochimiques – INRA – 54280 Champenoux – [email protected] UMR-EEF, Equipe Phytoécologie forestière – INRA – 54280 Champenoux – [email protected] Service régional de l’Archéologie de Bourgogne – Hôtel Chartraire de Montigny – 39 rue Vannerie – 21000 Dijon Résumé Le projet “La mémoire du sol” trouve son origine dans le séminaire “géographie des pratiques agricoles : temps long, pratiques agricoles et territoire” qui s’est tenu en mars 2003 dans le cadre des séminaires “Géographie des pratiques agricoles” organisés par le LISTO-SAD Dijon1. La question principale posée était relative à la prise en compte de l’histoire, de la longue durée, voire très longue durée dans des raisonnements disciplinaires spécifiques des Sciences du sol et de la vie, de la Géographie et de l’Agronomie : comment prendre en compte l’histoire pour comprendre la structuration, l’organisation et le fonctionnement d’un territoire rural. De là, a émergé un ensemble de questions autour d’une problématique centrée sur la “mémoire” du milieu environnant, après prises et déprises anthropiques. 1. - Le Site A l’occasion d’un affouage réalisé en 2001 dans les bois de Cestres, sur la commune de Saint-Martin-du-Mont limitrophe à l’Est de celle de Saint-Seine-l’Abbaye, ont été redécouverts l’existence et l’intérêt scientifique de vestiges connus et inventoriés depuis au moins 1941 par les membres de la Commission Archéologique de la Côte d’Or2 (fig.1). Le long du « Chemin des Vaches » et à proximité immédiate du « puits Gaillard », des ruines de bâtiments signalaient l’existence d’un habitat disparu. Des travaux érudits entrepris alors par Pierre Gounand, historien résident à Bordes-Bricard, permettaient en première analyse de rattacher cet établissement au domaine de l’abbaye bénédictine de Saint-Seine et d’en situer la désertion au début du XVe siècle. Un relevé des structures visibles au sol et un sondage archéologique réalisé en 2003 confirmaient l’existence d’au moins trois ensembles de bâtiments entourés de vastes enclos, attestaient la bonne conservation des vestiges, la fonction agro-pastorale de l’ensemble et la désertion au cours du XVe siècle après une durée d’occupation difficile à évaluer mais toute médiévale (fig.2). Localisé en milieu forestier et inscrit dans un espace limité par de puissants talwegs paraissant dessiner son territoire (la « Combe Rat » à l’Ouest, la « Combe d’Eté » à l’Est et le Val Suzon au Sud), il ne pouvait qu’attirer l’attention à la fois des historiens-archéologues et des géographesagronomes spécialistes de la dynamique des paysages agraires et des sols : le gisement offrait la possibilité de recueillir et d’analyser les indices à la fois anthropiques, morphologiques, pédologiques et biologiques nécessaires à l’étude des modalités de formation, de développement et de transformation d’un territoire rural du Moyen Âge à nos jours ; il pouvait donner la possibilité de produire un (1) Maigrot JL. , Soulard C. Laboratoire de recherche sur les innovations en agriculture Dijon (LISTO-D), département Systèmes Agraires et Développement (SAD) INRA. (2) Mémoire de la Commission Archéologique de la Côte d’Or (CACO), 1938 et 39, Tome XXI,. Fascicule III et IV, page 269-270. 245 J.-L. MAIGROT, P. BECK, G. CHOUQUER, P. CURMI, E. DAMBRINE, J.-L. DUPOUEY, F. FAUCHER 0 250 500 m Figure 1 : Commune de Saint-Martin du Mont - Bois de Cestres. Localisation de l’habitat déserté, (“G1”). Carte IGN 3022-ouest Saint-Seine-l’Abbaye 1/25000 et Extrait de la mission aérienne Semur-St Seine 1953 (Cliché 099). modèle d’occupation et d’usage du sol tenant compte des dynamiques spatiales et temporelles à l’œuvre dans la longue durée. Dans le prolongement des résultats obtenus en 2003, une équipe pluridisciplinaire a été constituée : elle s’est attachée en 2004 à poursuivre l’exploration diagnostic du gisement en réalisant une enquête approfondie des sources archivistiques et cartographiques, en opérant aussi sur le terrain, tant sur l’habitat que sur l’ensemble de son environnement forestier, des prospections, pédestres et géophysiques, des sondages archéologiques et des analyses pédologiques systématiques (fig.3). 2. - Contexte Archéo-Géographique Trois faits singularisent le finage de Saint-Martin-duMont. Sa taille est exceptionnellement grande (3701 hectares au cadastre et les communes de cette superficie ne se rencontrent dans la région qu’en situation forestière ou en zone d’habitat dispersé3). C’est le cas ici car le couvert boisé y est fort vaste et l’habitat dispersé sur 5 hameaux et demi4 et sur 3 écarts, parfois de taille supérieure au village-centre. En sus des habitats existants, sont localisés deux sites abandonnés qui ne participent plus de l’organisation générale actuelle du finage mais dont les traces restent fort visibles dans les bois de Cestres dominant au nord le Val-Suzon. Les dénombrements des feux réalisés à partir de la fin du XIVe siècle5 mentionnent avec les hameaux toujours présents des habitats disparus aujourd’hui : les Bordes Gaudot présentes de 1371 à Figure 2 : Relevé GPS de l’habitat déserté au Bois de Cestres (J.-L. Maigrot, 2003.) (3) Par exemple, la commune de Saint Martin de la Mer aux marges du Morvan, compte une vingtaine de hameaux pour 2000 hectares. (4) Autre bizarrerie héritée de l’histoire, le hameau de Fromenteau est partagé en son milieu entre les communes de Saint-Martin et de Trouhaut (5) Archives départementales de la Côte d’Or, Série B. 246 J.-L. MAIGROT, P. BECK, G. CHOUQUER, P. CURMI, E. DAMBRINE, J.-L. DUPOUEY, F. FAUCHER Partant de l’observation, sur la carte topographique 1:250006, d’une structuration du territoire de forme circulaire, parfaitement nette autour de la Borde Pillot, on a alors appliqué une modélisation s’appuyant sur une analyse gravitaire7. On s’aperçoit ainsi qu’il y a effectivement de la place sur le territoire actuel de Saint -Martin-du-Mont, mais sous forêt, pour les finages des deux habitats certes abandonnés, mais participant bien à une organisation générale du territoire montrant un ensemble d’habitats régulièrement situés sur le plateau limitant au Nord la haute vallée du Suzon (Bordes Pillot ; G1 ; G2 ; Plain d’Ahuy). Figure 3 : vue du site (janvier 2005) en direction du Sud. Reste d’une structure dégagée partiellement en 2003/2004 et correspondant probablement à une habitation. 1423, Les Bordes Cuylles, La Borde Guenier et Les Bordes d’Esquilles respectivement attestées plus ponctuellement en 1371, 1350 et 1381 ; La grange Germaine et La Nouvelle France n’apparaissant qu’au XVIIe siècle. La localisation de ces habitats désertés reste à préciser mais deux d’entre eux doivent bien correspondre aux deux sites désertés localisés sur le terrain et identifiés, en attente, sous les sigles “G1”, et “G2” (fig. 4). Cette configuration est en tout cas l’héritage de l’histoire démographique et du mode d’exploitation, puis du partage « républicain » du domaine foncier de la puissante abbaye de Saint-Seine, située dans l’actuelle commune limitrophe de Saint-Seine-l’Abbaye. Les habitats désertés du bois de Cestres font référence au mode généralisé de l’exploitation des grands domaines dans le milieu monastique : la création des « granges » ou « bordes », ces grosses fermes isolées mettant en valeur des terres qui peuvent être fort éloignées du centre de la seigneurie. C’est évidemment le cas pour le domaine de l’Abbaye de Saint-Seine. A l’instar de la Grange du Mont (Beck, 1989), ils peuvent de surcroît témoigner de l’évolution générale des structures de peuplement de la fin du Moyen Âge : nés de la nécessité économique d’exploiter toujours plus de terres pour répondre à la pression démographique des XIIe-XIIIe siècles, ils sont installés aux marges des finages constitués, sur des terres ingrates vouées jusqu’alors à l’exploitation extensive du saltus ou de la silva ; ils sont les premiers et finalement les seuls à disparaître au moment de la déprise démographique et donc agricole du temps de la Peste Noire. La consolidation de ces constatations et la validation de ces hypothèses nécessite une analyse géographique du finage sur un espace plus vaste et sans barrière chronologique. Aussi, une contribution archéogéographique s’impose pour rendre compréhensible l’organisation actuelle du territoire et donner un sens à la localisation des sites G1 et G2. Le travail d’archéogéographie en cours (Chouquer, 2004) présente la spécificité suivante. Il s’agit de travailler sur les formes des paysages telles que les documents planimétriques les enregistrent depuis deux siècles et demi environ avec une abondance et une précision grandissantes au fur et à mesure qu’avancent la cartographie et l’imagerie contemporaines. Jusqu’à présent on considérait l’agencement de ces formes comme « actuel », « synchrone », et on en confiait l’étude au géographe, spécialiste des états planimétriques actuels. S’il pouvait y avoir de l’ancien, c’était soit du relictuel (rarissime, sauf dans quelques milieux particuliers), soit du “miraculeusement conservé”. La démarche proposée est toute autre. L’actuel est vu comme une somme assez invraisemblable de passés de toutes sortes et de tous âges, formant une structure auto-organisée complexe, dans laquelle il est vain et dangereux de vouloir périodiser a priori. Ceci exclut, sauf cas exceptionnel lié à l’existence d’une documentation explicite, de pouvoir répondre aisément à la question de la confection de la carte du paysage à l’époque de… Non pas que cette question soit illégitime, bien au contraire. Mais les réponses ne vont plus de soi et le fait même de s’attacher uniquement à ce genre de question signe, de ce point de vue, un risque de lecture morpho-historique assez gênant, c’est-à-dire un risque de combler par de la rhétorique les vides de la connaissance. A Saint-Martin-du-Mont, il s’agira donc d’étudier une forme produite par les dynamiques de plus ou moins long terme, et d’envisager les questions suivantes : (6) Carte IGN 1 : 25 000e 3022 Ouest et Est (7) L’analyse spatiale met en évidence des structures et des formes d’organisation spatiale récurrentes, que résument par exemple les modèles centre-périphérie, les champs d’interaction de type gravitaire, les trames urbaines hiérarchisées, les divers types de réseaux ou de territoires, etc. 247 J.-L. MAIGROT, P. BECK, G. CHOUQUER, P. CURMI, E. DAMBRINE, J.-L. DUPOUEY, F. FAUCHER des séries de cartes envisageant l’espace concerné à différentes échelles et dessinant des formes précises. Cette enquête ne se fixera pas comme objectif premier (même si, encore une fois, la question est légitime) de faire l’histoire périodisée de cette zone, mais plutôt de dire quels sont les objets pertinents qui se dégagent de la cartographie des formes, et selon quelles voies on peut les interpréter. Elle fournira par conséquent des matériaux pour la connaissance et la prise en compte des héritages dans l’actuel, pour leur évaluation à des fins d’aménagement, pour la connaissance des dynamiques à l’œuvre dans cet espace particulier. 3. - Ce que nous apprennent les sciences du sol et l’étude de la végétation Figure 4 : Emprise théorique des habitats du finage de Saint-Martin-du-Mont. Les habitats de Saint-Martin-du-Mont : SM-Ce, l’ensemble Saint-Martin, Cestres, Froideville, Lc, La Casquette, BBr, Bordes Bricard, Fr, Fromenteau, BP, Bordes Pillot; G1 ; le site d’étude, G2, un site similaire à G1 ; et PAh, Plain d’Ahuy seul habitat à ne pas relever du finage de Saint-Martin, mais qui participe au mode d’organisation des finages le long de la vallée du Haut Suzon. La partie centrale n’est pas attribuée à un habitat mais, sur le terrain, on y observe une configuration parcellaire très particulière et divers meurgers qui suggèrent l’existence possible d’un autre centre d’habitat. Le réseau de l’habitat est-il responsable de la forme de la trame viaire et parcellaire ou bien y a-t-il indépendance entre les deux ? La forme de la trame viaire et parcellaire présente-t-elle des régularités ? Si oui, lesquelles ? Et ces régularités doivent-elles être mises sur le compte d’interventions sociales volontaires ou, au contraire, de processus autoorganisés ? Les aménagements des sociétés produisent des formes et des modelés hybrides : entre hydrographie, végétation, modelé agraire, communication, habitat. Peuventils être cartographiés pour ce qu’ils sont ? Les territoires historiques repérables (paroisse, commune, canton...) ont-ils été ou non, et en quelle proportion, déterminés par les autres éléments de la planimétrie, trames et réseaux ? L’enquête archéogéographique produira essentiellement 248 Les pratiques culturales modifient souvent et profondément la structure et le cycle des matières organiques du sol. Les cycles majeurs du carbone et de l’azote présentent alors des perturbations qui s’observent principalement par des variations importantes des stocks de matières organiques et l’augmentation globale de la capacité de minéralisation des sols. En France, en raison d’un passé cultural ancien, un faisceau d’observations récentes tend à montrer que ces modifications sont durables. En effet, depuis la fin du XIXe siècle, dans les espaces forestiers ayant reconquis un paysage agricole, l’utilisation ancienne des sols est discernée. Pour les sols vosgiens, Koerner et al. (1999), Jussy et al. (2001) montrent que le potentiel de nitrification et la composition isotopique 15N, de l’azote du sol sont différents selon l’ancien mode d’utilisation des sols : pâture, champ, pré et jardin. Parallèlement et parfois sur les mêmes sites, l’étude des populations végétales montre encore que les modifications des propriétés des sols de ces forêts récentes se traduisent par la conservation d’espèces végétales nitrophiles ou phosphorophiles aux dépens des espèces végétales de la forêt naturelle (Dupouey et al., 2002 et 2003). Les modifications des propriétés du sol se traduisent probablement ellesmêmes par des modifications pérennes de la structure des communautés microbiennes et de la microflore présente. Cette perspective de recherche nous semble également prometteuse pour notre site d’étude de SaintMartin-du-Mont (fig.5). Quels sont les principaux changements observés par les équipes INRA de Nancy (Phytoécologie forestière et Cycles biogéochimiques) dans les sols forestiers présentant un passé agricole ? sur la structure des sols : le labour et l’épierrement modifient le régime hydrique (augmentation de la réserve en eau) et la structure (désagrégation des agrégats grossiers, compactage). J.-L. MAIGROT, P. BECK, G. CHOUQUER, P. CURMI, E. DAMBRINE, J.-L. DUPOUEY, F. FAUCHER pour les nutriments du sol : les fertilisations organiques et minérales augmentent généralement les stocks de nutriments disponibles (CEC, phosphore assimilable, azote-nitrate) et le pH des sols. concernant les cycles du carbone et de l’azote : les pratiques culturales, en particulier la fertilisation organique, tendent dans leur ensemble à augmenter les capacités de minéralisation des sols. Ainsi, le potentiel de nitrification nette est généralement plus élevé et les rapports C/N systématiquement plus bas dans les sols forestiers ayant eu un passé agricole. Les abondances naturelles des isotopes de l’azote sont également différentes dans ces anciens sols agricoles. Cela se traduit par la mesure de rapports isotopiques 15 N, systématiquement plus élevés dans les sols enrichis par les déjections animales (fumier) et dans les plantes qui poussent sur ces sols (fougère, Dryopteris carthusiana). Comme le résume Jussy et al. (2001) : «… l’influence des anciennes utilisations agricoles peut être expliquée par des transferts de fertilité… le rapport restitutions/prélèvements croît généralement dans l’ordre forêtpâture < champ-pré < jardin. … ». Ces récents travaux soulèvent immédiatement une question d’ordre général : les différents types de sols conservent-ils durablement l’empreinte d’un passé agricole ? ainsi qu’une question d’ordre méthodologique : le traceur isotopique 15N, est-il un indicateur générique de l’usage agricole des sols ? Pour ces deux questions, l’étude du site médiéval de St Martin-du-Mont peut être une réponse supplémentaire. Sur ce site archéologique en cours d’étude, la démarche méthodologique sera la suivante : des fractions de sols et des sols totaux seront prélevés à différentes profondeurs : la description en fosses pédologiques, la cartographie des sols et les analyses physico-chimiques élémentaires (pH, carbone organique, calcaire total) nous permettront de choisir différentes profondeurs de sols pour les mesures géochimiques et isotopiques. Les analyses géochimiques spécifiques (C/N, formes de l’azote et du phosphore) et les analyses isotopiques 15N seront effectuées sur une sélection de sols totaux pour lesquels deux fractions granulométriques fines du sol total seront également extraites et analysées. sur une espèce végétale, ubiquiste sur le site d’étude et associée à un point de prélèvement de sol, des échantillons ayant un aspect général similaire seront sélectionnés et différents organes de la plante seront prélevés et analysés pour leur composition isotopique 15N : tige, feuille, racines, graines. Ces relevés et observations donneront lieu à : la cartographie et les analyses physico-chimiques élémentaires des sols sur le territoire communal : description des formations pédologiques du secteur d’étude. Figure 5 : Un exemple de variabilité spatiale des sols en parcelle 15. A proximité d’une construction dont on voit le parement mis à jour par la fouille, on observe un sol peu épais (10 à 20 cm) sombre, sur le substrat rocheux callovien, compact difficilement pénétrable. A quelques mètres de distance, à l’intérieur d’une structure interprétée comme un enclos cultural, on observe un sol plus profond (60 à 80 cm), plus clair. La différence de niveau entre les deux surfaces calcaires et la présence de fragments de poterie jusqu’au contact avec la table rocheuse, suggèrent que le sol observé dans l’enclos a dû être rapporté après creusement. 249 J.-L. MAIGROT, P. BECK, G. CHOUQUER, P. CURMI, E. DAMBRINE, J.-L. DUPOUEY, F. FAUCHER la synthèse des données pédologiques, phytoécologiques et archéologiques : identification de situationstypes. des analyses géochimiques de différents horizons de sols à proximité et dans les habitats, les bâtisses et les enclos identifiés ainsi que sur les transects à l’échelle de la zone d’influence de l’habitat : utilisation des outils géochimiques et isotopiques pour caractériser et confirmer les situations-types. 4. - La prospection pédestre L’objectif principal de la recherche est de permettre la caractérisation d’un éventuel terroir en lien avec l’habitat déserté situé dans l’actuelle parcelle forestière n°15 (fig. 1) qui fait l’objet de fouilles archéologiques. La zone d’étude semble en effet pouvoir correspondre au finage (ou à une partie du finage) de cette probable dépendance de l’abbaye de Saint-Seine, tardivement intercalée aux marges des terroirs déjà constitués et précocement abandonnée. Peut-être s’agit-il de cette “Borde Gaudot” que les dénombrements médiévaux mentionnent jusqu’en 1423. Il convenait donc d’appréhender d’un point de vue historique ce micro territoire comme un lieu soumis aux activités humaines et tenter par une approche archéologique fine de définir celles-ci, de les comprendre pour proposer des hypothèses d’organisation et d’exploitation du terroir. Dans le cadre de la prospection à vue, il s’agissait de prendre en compte toutes les anomalies anthropiques visibles au sol (structures en creux et/ou en élévation). Un accent particulier a été donné à l’analyse du réseau des chemins. La prospection doit en effet permettre de caractériser une éventuelle fossilisation des chemins anciens. Ces derniers peuvent être considérés comme des marqueurs importants de la structuration de l’espace même si rien ne permet de proposer une date de création et de restituer les phases d’activation. Un relevé précis des creusements, dont certains sont liés de façon incontestable à des extractions de matériaux, des murets (limite Nord du bois), des tertres, des charbonnières et de toutes les autres anomalies pédologiques et micro-topographiques rencontrées, a également été dressé. Quant au ramassage systématique des mobiliers de surface, il s’est révélé du fait du contexte forestier, largement improductif. Un repérage à vue a d’abord été effectué, avec un relevé manuel réalisé en fonction des distances (en pas par rapport au parcellaire de l’ONF). Les parcelles ont été explorées les unes après les autres en portant sur une carte au 1/25000e à la fois le tracé des chemins et la position des anomalies. Pour les chemins, une première tentative de chronologie relative a été réalisée : ont été distingués comme critères discriminants la présence d’arbres ou d’arbustes à l’intérieur même du chemin, la visibilité ou non des ornières et, surtout, le cas échéant, les croisements qui permettent, par l’analyse de l’intersection d’établir au moins une chronologie relative du dernier usage (fig.6). Une fois terminé, le repérage général a permis de dresser un premier état de la recherche sur la totalité des parcelles. Le positionnement précis (Lambert II étendu) est en cours de réalisation à l’aide d’un GPS (Trimble Géo Explorer XT) : il alimentera une base de données sous ArcMap. Il reste à mener l’étude fine des informations recueillies qui seule peut permettre, dans une certaine mesure, de distinguer plusieurs réseaux viaires successifs. Les chemins reconnus sont en effet d’importances et, sans doute, de datations et de durées de vie forts diverses. Certains chemins sont toujours actifs et d’autres sont visiblement abandonnés (présence d’arbres), totalement ou seulement partiellement : mais depuis quand ? Tous n’ont pas fonctionné en même temps et toute l’interrogation porte sur l’individualisation des différentes strates de mise en place et d’activité de ces cheminements. Les chemins existant à la fin de l’époque médiévale ont-ils été abandonnés et/ou ceux qui sont encore actifs aujourd’hui sont-ils l’héritage de ceux présents au bas Moyen Age. En l’état, seules quelques constatations générales peuvent être énoncées à partir de cette carte générale des cheminements reconnus, mais elles ne sont pas négligeables : 5. - Méthodologie Pour cette recherche, nous avons profité des expériences réalisées en forêt de Châtillon (Pautrat, 2001 et 2002). Une méthode identique a été employée avec cependant une adaptation liée aux spécificités du bois de Cestres, notamment pour le relevé et la caractérisation des très nombreux chemins. 250 Figure 6 : Un chemin dans le bois de Cestres, le bas du “chemin des Vaches” vers la “Combe d’Eté). Ce chemin qui n’est plus utilisé reliait Froideville-St martin au Val Suzon, à travers l’actuel “Bois de Cestres”, longeant le site “G1”, qu’il devait desservir. Il fait partie de ces grands itinéraires qui structurent le territoire. J.-L. MAIGROT, P. BECK, G. CHOUQUER, P. CURMI, E. DAMBRINE, J.-L. DUPOUEY, F. FAUCHER Les cartes IGN actuelles, les plans cadastraux des XIXe et XXe siècles comme les plans seigneuriaux des bois de Saint-Seine levés au XVIIIe siècle, sont muets sur ces bois de Cestres, y montrent de larges espaces opaques. La prospection y révèle au contraire un dense et foisonnant réseau de cheminements. Les uns sont traversants, comme le “Chemin des Vaches”, et relient les agglomérations du plateau au Val-Suzon ; les autres, prenant sur les premiers, ne sortent pas des bois, en constituent les voies de circulation, les axes d’exploitation. Le «Bois de Cestres» a bien fourni des noeuds de chemins : dans les parcelles ONF 5, 6, 16, 29 et 38. Ils amorcent des formes radio-concentriques qui, selon les schémas classiques d’analyse des formes historiques du paysage, notamment pour l’époque médiévale, suggèrent fortement la présence d’habitats. Il faudra y être attentif même si, à première vue, rien dans la topographie et la pédologie de ces lieux n’a retenu l’attention. Ce qui est remarquable c’est que l’habitat déserté de la parcelle 15 n’a généré apparemment aucun réseau de ce type. Sa présence ne perturbe pas l’orientation générale Nord-Ouest / Sud-Est des chemins donnée par le « chemin des vaches » qui, passant à quelques dizaines de mètres au sud de l’habitat, paraît être un chemin structurant très fort. Il rejoint l’ensemble Cestres-Froideville puis l’abbaye de Saint-Seine au Nord, descend dans la combe d’Eté pour atteindre le Val Suzon au Sud. Certains chemins, notamment sur les limites Nord et Ouest du massif forestier, débouchent ou traversent des « chaumes » en train de se fermer ; d’autres, sous couvert forestier, aboutissent à ce qui semble bien être des « enclos culturaux », aménagés en épierrant des espaces correspondant à la présence de formations superficielles du type « limons de plateaux ». Ces « clairières », actives ou reconquises par la végétation, qu’il conviendra de renseigner davantage en établissant leur signalement pédologique et phytosociologique, sont situées essentiellement dans les parcelles forestières actuelles 6 et 7, 20, 21 et 31. Elles sont bien loin de l’habitat de la parcelle 15 et ne sont pas datées. Si elles témoignent de mises en culture ponctuelles du massif boisé, rien n’indique qu’elles soient contemporaines de l’habitat. D’autres structures anthropiques ont été ici et là repérées. Des mares dont certaines doivent être contemporaines, servent encore aujourd’hui à l’entretien du gibier. De nombreux creusements se signalent dans les parcelle 16 et 26, à proximité de l’habitat déserté : des zones d’extraction sans doute mais de quoi et de quand? Deux tertres circulaires situés dans les parcelles 29 et 39, semblent correspondre à des aménagements humains sans doute anciens mais rien aujourd’hui ne permet ni de préciser la chronologie ni d’évoquer une interprétation fiable. Les charbonnières se concentrent dans le secteur Sud du bois à proximité du Val Suzon et des deux combes (d’été et Rat) : leur présence est liée à la forge du Val Suzon encore en activité jusqu’au milieu du XX e siècle (fig.7). Ce travail de prospection au sol doit être complété fin 2006 par des levées laser aéroportées qui permettent la réalisation d’un Modèle Numérique de Terrain avec une résolution spatiale inférieure au mètre y compris sous forêt (Sittler, 2004). Figure 7 : Résultat des prospections au sol : cheminements, clairières, charbonnières, creusements et amas pierreux. 6. - La fouille de l’habitat Après un relevé de la topographie et des anomalies pédologiques de surface des zones concernées, quatre sondages archéologiques ont été ouverts dans quatre secteurs différents de l’habitat déserté, afin d’en évaluer aussi largement que possible la configuration et la richesse : l’exploration des profondeurs et des agencements stratigraphiques, des orientations et de la nature 251 J.-L. MAIGROT, P. BECK, G. CHOUQUER, P. CURMI, E. DAMBRINE, J.-L. DUPOUEY, F. FAUCHER des structures construites, des fonctions des espaces et des datations des occupations a été ainsi menée sur un peu plus de 30 m2 de superficie. Les fouilles actuellement en cours (2006) confirment l’importance du site qui se révèle être un petit hameau avec son parcellaire associé. Les développements ultérieurs permettront, par l’analyse de l’organisation spatiale de l’habitat et des mobiliers associés, de préciser les orientations des activités de production du groupe résidant, et donc, de définir des pistes de recherche pour restituer l’organisation du finage (fig.8). modifications des structures paysagères, des flux de matières, d’évolution de la diversité biologique et de transformations des peuplements et des écosystèmes. Un usage long et particulier du milieu peut entraîner une transformation importante du milieu physique modifiant les flux et les bilans de matière, les cycles bio-géochimiques, allant jusqu’à dépasser les capacités d’adaptation des écosystèmes aux changements imposés. Le ou les systèmes en cause étant ouverts, en interaction constante avec l’environnement global tant naturel (climatique en particulier) qu’humain (crise économique, sociale et politique), ils peuvent être soumis à de fortes perturbations exogènes. Au total, l’histoire, (endogène et exogène) d’un écosystème anthropisé (un anthroposystème) conduit alors à sa transformation en d’autres systèmes adaptés différemment aux nouvelles conditions avec des réajustements autour de nouveaux équilibres dynamiques. Collaborations scientifiques Figure 8 : Mandibule de bovin sur sol d’utilisation du bâtiment H2. 7. - Le projet Saint Martin Comment en ce lieu les hommes ont-ils pu tirer parti du milieu pour en vivre ? Quels aménagements ont-ils dû réaliser pour cela ? Comment ont-ils organisé leur parcellaire ? Voici quelques questions que l’on peut se poser à propos du site “G1” en “Bois de Cestres” sur le finage de la commune de Saint-Martin-du-Mont. Il s’agit alors d’envisager une agronomie historique des pratiques, lesquelles étant des manières concrètes d’agir, ont produit des formes aujourd’hui archéologiques, des perturbations qui ont été enregistrées par le milieu. Il faut donc mettre en relation des formes archéologiques avec des pratiques disparues, ce qui demande une connaissance historique des techniques : la question est celle de la mesure des arrières effets sur le fonctionnement biogéochimique actuel du milieu. Répondre à ces questions demande de produire un modèle d’occupation et d’usage du terrain dans une perspective dynamique de quelques siècles. Les réponses des milieux biophysiques à la mise en œuvre des modes d’occupation et d’usage du milieu se font à différentes échelles de temps et d’espace, en terme de 252 Ecole doctorale LIS 202. UMR Archéologie, cultures et sciences 5594. UFR Sciences de la terre. Dijon. (Mordant Cl., Petit C.). Equipe GéoSol/Géochimie des interfaces Sol-Eau. Centre des Sciences de la terre. Dijon. (Levêque J.). UMR Ecologie et Ecophysiologie forestière. Equipe Phytoécologie forestière. INRA-Champenoux. (Dupouey J.L. Royer J.M.). Cycles biogéochimiques Unité Biogéochimie des écosystèmes Forestiers. INRA Nancy-Champenoux. (Dambrine E.). Laboratoire de ChronoEcologie. UMR 6565. Université de Franche Comté. (Richard H.). GdR 2137 “TESORA” CNRS. Maison de l’Archéologie et de l’Ethnologie. Nanterre (Chouquer G.). Unité Milieu Physique et Environnement. Département agronomie et Environnement. ENESAD Dijon. (Curmi P. Maigrot J.L.). Service Régional de l’Archéologie-Bourgogne. (Faucher F. ) Laboratoire de Médiévistique Occidentale de Paris. Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne. (Beck P. ) Autres partenaires Association des Amis de l’Histoire du Pays de Saint Seine. (Gounand P., Canat C.). Commune de Saint-Martin-du-Mont. Comité de commune du Pays de Saint Seine. J.-L. MAIGROT, P. BECK, G. CHOUQUER, P. CURMI, E. DAMBRINE, J.-L. DUPOUEY, F. FAUCHER Bibliographie BECK P., 1989, Une ferme seigneuriale au XIVe siècle, La grange du mont (Charny, Côte d’Or), Document d’Archéologie Française, n°20, Paris. CHOUQUER G. (dir.), 2004, Objets en crise, objets recomposés. Transmissions et transformations des espaces historiques. Enjeux et contours de l’archéogéographie, Etudes Rurales, E.H.E.S.S., 167-168 DUPOUEY J.L., DAMBRINE E., LAFITTE J.D., MOARES C., 2002, Irreversible impact of past land use on forest soils and biodiversity, Ecology, 83 (11), p. 2978-2984. DUPOUEY J.L., SCIAMA D., KOERNER W., DAMBRINE E., RAMEAU J.-C., 2002, La végétation des forêts anciennes, Revue forestière française, LIV, p.521-532. KOERNER W., DAMBRINE E., DUPOUEY J.L., BENOÎT M., 1999, 15N of forest soil and understory vegetation reflect the former agricultural land use, Oecologia, 121, p. 421425. JUSSY J.H., KOERNER W., MOARES C., DAMBRINE E., DUPOUEY J.L., ZELLER B., BENOÎT M., 2001, Influence de l’usage ancien des sols sur le cycle de l’azote dans les forêts vosgiennes, Etude et Gestion des Sols, 8, p. 215226. MAIGROT JL., 2006, Formes, fonctions, techniques, pratiques et outils dans le territoire rural, GEOPOINT 2004. Groupe DUPONT ; UMR Espace; Université d’Avignon. 12 juin 2004. p.207-214 PAUTRAT Y., 2001, Archéologie et forêt : l’expérience bourguignonne, Nouvelles de l’archéologie, 86, p. 24-29. PAUTRAT Y., 2002, Inventaire archéologique de la forêt domaniale de Châtillon, Bulletin de la Société Archéologique et Historique du Châtillonnais, 6ème série, n° 5-2002, p. 21-32. SITTLER B., 2004, Revealing historical landscapes by using airborne laser scanning. A 3-D model of ridge and furrow in forest near Rastatt (Germany), in International Society of Photogrammetrie and Remote Sensing. Laser-Scanners for Forest and Landscape Asserssement. Thies M., Koch B., Spiecker H., Weinacker H. Editors. Volume XXXVI. Part 8/W2. October, 3-6 2004. Freiburg. 253 254 Effets à long terme des pratiques agricoles sur les populations d'arthropodes : inventaire du site de Thuilley-aux-Groseilles (54) Anne VALLET(1), Michel LOUBÈRE(2), Hervé JACTEL(3), Gilles JACQUEMIN(4), Jean-Claude STREITO(4), Luc PLATEAUX(4), Thierry ROBERT(4), Nicolas KAMINSKI(4), André CLAUDE(4), Etienne IORIO(4), Jean-Luc DUPOUEY(5) et Etienne DAMBRINE(6) (1) (2) (3) (4) (5) (6) ENTOMO-LOGIC, 14 rue Bailly, 54000 Nancy, [email protected] MALACHIUS, 19, Rue Braconnot, 54000 Nancy, [email protected] INRA, UMR Biodiversité, Gènes et Ecosystèmes, INRA-Bordeaux, 33612 Cestas, [email protected] Société Lorraine d'Entomologie, Muséum-Aquarium de Nancy, 34 rue sainte Catherine, 54000 Nancy UMR Ecologie et Ecophysiologie forestières, INRA-Nancy, 54280 Champenoux, [email protected] Unité Cycles Biogéochimiques, INRA-Nancy, 54280 Champenoux, [email protected] Résumé On étudie l’impact de l’utilisation gallo-romaine ancienne sur la diversité des espèces d’arthropodes dans la forêt de Thuilley-aux-Groseilles. Dans 6 sites (3 proches des habitats gallo-romains et 3 en zone non perturbée), les arthropodes ont été piégés dans 4 types de piège pendant une saison de végétation. Sur les 8914 individus identifiés, 433 espèces ont été déterminées. La diversité de Shannon moyenne par site est élevée (5,5 binons). Il n’apparaît pas de différences importantes entre types d’utilisation ancienne pour les paramètres classiques de diversité (richesse spécifique, diversité de Shannon, nombre total d’individus observés). Par contre, les cortèges d’espèces présents sur les sites perturbés ou non perturbés par l’agriculture ancienne se séparent très nettement sur l’axe 1 de l’analyse factorielle des correspondances du tableau espèces x sites, indiquant la présence fréquente d’espèces liées de façon préférentielle à l’un ou l’autre des types d’utilisation ancienne. Parmi les individus présents sur les sites perturbés dominent les espèces vivant au dépens des animaux (coprophages, hématophages, parasitoïdes). A contrario, les populations de la forêt non touchée par l'occupation humaine ancienne sont dominées par les espèces vivant au dépens de la végétation sous toutes ses formes (phytophages, xylophages, saproxylophages). Ces premiers résultats mériteraient d’être étendus à d’autres sites, afin en particulier d’écarter le risque de confusion de facteur entre utilisation ancienne et d’autres paramètres environnementaux. Abstract We studied the impact of Roman land-use on species diversity of arthropods in the forest of Thuilley-aux-Groseilles. At 6 sites (3 close to the ancient Roman settlement and 3 in surrounding undisturbed areas), arthropods were captured in 4 different types of traps, during one season of vegetation. Among the 8914 individuals identified, 433 species were determined. Average Shannon diversity per site was high (5.5 binons). There was no important difference between types of ancient land use for the classical diversity indicators (species richness, Shannon index, total number of individuals counted). But, the sets of species found in disturbed and undisturbed sites were clearly separated along the first axis of a factorial correspondence analysis of the species x sites table. Thus, a significant proportion of species preferred one or the other ancient land-use type. In sites close to the settlement, species feeding upon animals in a broad sense (coprophagous, hematophagous, parasitoids) dominated. In remote, undisturbed, sites, species feeding on plants dominated (phytophagous, xylophagous, saproxylophagous). These first results indicate that very ancient land-use probably not only impact soil fertility and plant diversity, but also arthropods community composition. They should be extended to other situations, in order to discard any confusion between the role of ancient land-use and other confounding factors. 255 A. VALLET, M. LOUBÈRE, H. JACTEL, G. JACQUEMIN, J.-C. STREITO, L. PLATEAUX, T. ROBERT, N. KAMINSKI, A. CLAUDE, E. IORIO, J.-L. DUPOUEY, E. DAMBRINE 1. - Introduction Les changements d’utilisation du sol sont l’un des facteurs majeurs d’évolution de la biodiversité. Leur impact a pour l’instant été principalement étudié sur les végétaux supérieurs. Nous nous proposons ici de caractériser l’effet de la mise en culture ancienne sur les populations d'arthropodes. Ce travail fait suite à un précédent projet intitulé “Incidence des pratiques agricoles passées sur la biodiversité végétale en milieu forestier”, au cours duquel il a été montré que l’usage ancien des sols forestiers à des fins agricoles engendrait des variations de la composition de la végétation herbacée, qui pouvaient perdurer pendant de très longues périodes, voire être irréversibles à l’échelle historique (Dambrine et Dupouey 2000, Dupouey et al. 2002). Nous avons travaillé en forêt de Thuilley-aux-Groseilles (54), dans la région des plateaux calcaires de Lorraine. Ces plateaux ont été largement occupés au cours de la période gallo-romaine. Les prospections en cours tendent à montrer qu’à cette époque la forêt n’occupait qu’une partie restreinte des surfaces actuellement forestières. Depuis la fin de l’époque romaine et jusqu’à nos jours, ces terrains ont été occupés par la forêt et l’agriculture s’est perpétuée dans le fond des vallées, sur des sols plus profonds. Par contre, la végétation forestière actuelle garde la marque de l’occupation agricole ancienne des sols (Dupouey et al. 2002). Figure 1 : Carte des structures gallo-romaines et emplacement des relevés effectués. 256 Dans l’écosystème forestier, l’entomofaune est un compartiment important. Les arthropodes interviennent dans de nombreux processus écologiques ou réseaux trophiques et contribuent de façon majeure à la biodiversité. De plus, les caractéristiques de nombreuses espèces à pouvoir de dispersion faible et exigences écologiques plus ou moins strictes en font de bons indicateurs des changements du milieu à une échelle spatiale fine. Le but du travail dont nous présentons ici les premiers résultats est d’évaluer l’impact à long terme des perturbations d’origine galloromaine sur les assemblages d’espèces d’insectes. 2. - Méthodologie Nous avons échantillonné 6 sites différents situés dans la forêt communale de Thuilley-aux-Groseilles (figure 1) : 3 sites placés à proximité d’anciennes habitations galloromaines (sites n°1, 2 et 3, nommés ci-après « sites perturbés ») et 3 sites éloignés des vestiges (sites n°4, 5 et 6, appelés « sites non perturbés »). Sur ces sites, nous avons effectué un piégeage continu d’avril à septembre 2004 des insectes par différentes méthodes (pièges Malaise, pièges à fosse, pièges vitre, battage et fauchage de la végétation). L’utilisation de plusieurs méthodes est indispensable pour inventorier des espèces aux traits d’histoire de vie les plus variés possible. L’aspirateur (D-Vac) a été testé à une date, mais abandonné par la suite en raison de son poids qui le rend difficile à manier pour une personne seule. A. VALLET, M. LOUBÈRE, H. JACTEL, G. JACQUEMIN, J.-C. STREITO, L. PLATEAUX, T. ROBERT, N. KAMINSKI, A. CLAUDE, E. IORIO, J.-L. DUPOUEY, E. DAMBRINE Taxons Nom commun Coleoptera Coléoptères Dictyoptera, Mecoptera, Odonata, Raphidioptera Diptera Heteroptera Hymenoptera Formicidae Hymenoptera Ichneumonidae Hymenoptera Vespidae Lepidoptera Opiliones Blattes,Mouches-scorpion, Libellules,Raphidies Diptères Punaises Fourmis Ichneumons Guêpes Papillons Faucheux Tableau I : Liste des taxons étudiés. Parmi les arthropodes récoltés nous avons trié et déterminé les taxons indiqués au tableau I, soit les deux tiers environ du volume récolté. Les tiques (Ixodidae), fréquentes au battage et au fauchage, ont été comptabilisées sans faire l'objet d'une détermination à l'espèce. Les Ichneumonidae ont fait l'objet de détermination à l'espèce pour un seul prélèvement sur les 6 sites, daté du 28/09/04. En effet, la détermination de tous les individus ramassés aurait pris trop de temps vu leur nombre et la difficulté de détermination dans ce groupe. Parmi les espèces trouvées, une serait nouvelle pour la France : Lissonota (Lissonota) clypealis Thomson, 1877. Cette espèce est connue du Royaume-Uni, d'Allemagne, de Suisse et d’Italie mais ne semble pas avoir été mentionnée en France. Un seul hôte lui est connu : Tineola bisselliella (Lépidoptères) mais celui-ci n'a pas été capturé dans nos pièges. 3. - Résultats Au total, 8914 arthropodes ont été déterminés. La plupart proviennent des pièges Malaise (67%) et Barber (24%). Malgré le petit nombre d’individus collectés (3% du total), les pièges vitre contiennent 13% des espèces observées dans l’ensemble des pièges (figure 2). Le nombre d’espèces de Cerambycidae identifiées dans ce type de piège par exemple est élevé (11), mais avec très peu d’individus (14 au total). Le battage a permis la récolte de plus d’individus (340) et d’espèces (30) que le fauchage (218 individus et 19 espèces). Les individus collectés appartiennent à 433 espèces différentes, appartenant à 70 familles. Les familles les plus riches en espèces rencontrées sont les Heteroptera, Syrphidae, Tortricidae et Geometridae (tableau II). En nombre d’individus, les familles les mieux représentées sont les Syrphidae, Carabidae, Ichneumonidae, Formicidae et Silphidae. On a trouvé plus d'individus au total sur les sites non perturbés comparativement aux sites proches des habitats galloromains (4606 contre 4114, tableau III), mais les nombres Figure 2 : Nombre d’individus (à gauche) et d’espèces (à droite) identifiés dans les différents types de pièges. Nombre d’individus (et d’espèces) Famille sites perturbés Syrphidae 1013 (44) Carabidae 427 (16) Ichneumonide 394 (11) Formicidae 267 (20) Silphidae 328 (6) Tortricidae 168 (19) Geometridae 282 (21) Hepialidae 129 (1) Pyralidae 37 (7) Heteroptera 139 (38) Scarabaeidae 196 (3) Chrysomelidae 103 (5) Noctuidae 95 (16) Ixodidae 87 (1) Vespidae 64 (4) Scolytidae 40 (5) sites non perturbés 1052 (42) 321 (15) 316 (11) 426 (8) 313 (5) 322 (28) 190 (21) 254 (1) 343 (9) 192 (39) 110 (3) 188 (7) 83 (14) 56 (1) 64 (3) 62 (9) total 2259 (58) 748 (20) 710 (17) 693 (20) 641 (6) 490 (32) 472 (30) 383 (1) 380 (11) 331 (59) 306 (3) 291 (7) 178 (23) 143 (1) 128 (4) 102 (9) Tableau II : Familles les plus représentées. Seules les familles présentant plus de 100 individus sont indiquées. Dans chaque colonne, le premier chiffre indique le nombre d’individus identifiés, le second le nombre d’espèces auxquelles ils appartiennent. d’espèces étaient comparables (307 contre 304). La richesse en espèces moyenne par site était aussi un peu plus élevée dans les zones éloignées des habitats (180 contre 177). Malgré cette richesse en espèces plus élevée, les sites non perturbés présentaient une diversité de Shannon un peu plus faible (5,43 binons) que les sites proches des habitats (5,58 binons), indiquant la présence plus fréquente d’espèces dominantes dans les sites non perturbés, et donc une équitabilité légèrement plus faible. L’histogramme de répartition des fréquences de présence (figure 3) montre une forme en J inversé classique. 208 espèces n’ont été rencontrées que dans un seul des 6 sites étudiés, ce qui indique une forte diversité β des communautés d’arthropodes. 52 espèces étaient présentes dans les 6 sites inventoriés. L'analyse factorielle des correspondances (figure 4) du tableau de présence/absence des 6 sites x 171 espèces restantes (présentes dans deux à cinq sites) montre que le caractère perturbé ou non du site structure fortement les communautés d’espèces d’arthropodes présentes puisqu’on observe sur l’axe 1 de l’analyse une séparation nette entre les sites proches des habitats gallo-romains (n° 1, 2 et 3) et les sites non perturbés (n°4, 5 et 6). Ce premier axe, 257 A. VALLET, M. LOUBÈRE, H. JACTEL, G. JACQUEMIN, J.-C. STREITO, L. PLATEAUX, T. ROBERT, N. KAMINSKI, A. CLAUDE, E. IORIO, J.-L. DUPOUEY, E. DAMBRINE sites perturbés sites non perturbés nombre d’individus (et d’espèces) diversité de Shannon équitabilité de Shannon site 1 1237 (139) 5,19 1,05 site 2 1455 (195) 5,54 1,05 site 3 1321 (198) 6,02 1,13 moyenne 1338 (177) 5,58 1,08 cumul 4114 (304) site 4 2065 (205) 5,70 1,07 site 5 1130 (159) 5,54 1,09 site 6 1411 (176) 5,05 0,98 moyenne 1535 (180) 5,43 1,05 cumul 4606 (307) 5,51 1,06 (1) moyenne générale 1437 (179) cumul général 8914 (433) (2) Tableau III : Diversité taxonomique en arthropodes des 6 sites de Thuilley-aux-Groseilles. (1) 101 individus provenaient de sites perturbés, mais leur site d’origine n’a pas pu être retrouvé. (2) pour 194 individus, ni le site d’origine ni le type d’occupation ancienne n’ont pu être retrouvés. AXE 2 0,8 GALLO1 250 Nombre d'espèces 0,6 FORÊT6 0,4 200 0,2 150 0,0 FORÊT4 -0,2 100 GALLO3 GALLO2 -0,4 FORÊT5 50 -0,6 0,8 0 1 2 3 4 Nombre de sites 5 6 -1,0 -1,2 -1,0 -0,8 -0,6 -0,4 -0,2 -0,0 0,2 0,4 0,6 0,8 1,0 AXE 1 258 Figure 3 : Histogramme des fréquences de présence des espèces : chaque barre indique le nombre d’espèces rencontrées dans un seul, deux, trois… ou six sites. Figure 4 : Analyse factorielle des correspondances des 6 sites étudiés en fonction de la présence/absence de 171 espèces d’arthropodes identifiées dans plus d’un site et moins de 6 sites. Position des 6 sites dans le plan des deux premiers axes. sur les 5 qui peuvent être calculés, explique 31% de la variance totale du tableau analysé. Cinq espèces ont été trouvées sur les 3 sites perturbés, et dans aucun des sites non perturbés : Acompsia cinerella (Gelechiidae), Colostygia pectinataria (Geometridae), Criorhina berberina (Syrphidae), Cybosia mesomella (Arctiidae) et Ponera coarctata (Pyralidae). A l’inverse, quatre taxons sont présents dans les 3 sites non perturbés et dans aucun site perturbés : Angerona prunaria (Geometridae), Closterotomus fulvomaculatus (Heteroptera), cf. Phteochroa inopiana (Tortricidae) et Scoparia pyralella (Pyralidae). Afin de tenter d’expliquer la répartition des espèces trouvées sur chaque site, nous avons étudié l'exigence trophique des espèces présentes. Nous avons donc recensé les différents types de régimes alimentaires des espèces lorsque celui-ci était connu. Sachant que les exigences alimentaires sont parfois différentes chez la larve et l’adulte, notre choix s'est porté sur le stade le plus pertinent. Par exemple, pour les Diptères syrphidés, nous avons retenu le régime alimentaire des larves car il est plus diversifié (saproxylophages, phytophages, prédateurs...) que celui des adultes qui sont pratiquement tous floricoles. Le régime alimentaire des larves permet donc de mieux expliquer la répartition des espèces. A. VALLET, M. LOUBÈRE, H. JACTEL, G. JACQUEMIN, J.-C. STREITO, L. PLATEAUX, T. ROBERT, N. KAMINSKI, A. CLAUDE, E. IORIO, J.-L. DUPOUEY, E. DAMBRINE nombre d’individus (et d’espèces) site perturbé site non perturbé différence (%) coprophages/détritiphages 207 (6) 115 (7) +57 hématophages 87 (1) 56 (1) +43 parasitoïdes 394 (11) 316 (11) +22 nécrophages 347 (12) 329 (11) +5 prédateurs 1703 (70) 1771 (53) -4 omnivores 7 (1) 8 (2) -13 xylophages 46 (10) 68 (13) -39 phytophages 1003 (117) 1548 (127) -43 saproxylophages 46 (13) 115 (19) -86 Total (exigence trophique connue) 3840 (241) 4326 (244) -12 Total individus comptés 4114 (304) 4606 (307) -11 Tableau IV : Répartition des nombres d’individus et d’espèces (entre parenthèses) en fonction de leur régime alimentaire sur les sites gallo-romain et le reste de la forêt. La colonne « différence » donne, en pourcentage, le ratio : 100 x (nombre d’individus en zone perturbée – nombre d’individus en zone non perturbée) / moyenne des nombres d’individus dans les deux zones. Le tableau IV donne les nombres d'individus et d’espèces trouvés en fonction des grandes catégories de régime alimentaire sur chaque type de site. Les espèces ayant des régimes alimentaires basés sur la végétation au sens large (phytophages, mais aussi xylophages et saproxylophages) sont dominantes, aussi bien en nombre d’individus qu’en nombre d’espèces, sur les sites non perturbés. Par contre, les espèces ayant des régimes basés sur les animaux au sens large (coprophages, hématophages, parasitoïdes) sont mieux représentées, en nombre d’individus, sur les sites proches des habitats gallo-romains. Si on reprend chaque type de régime alimentaire, quelques faits marquants ressortent : Les hématophages sont composés uniquement de tiques (Ixodidae), qui sont majoritaires sur les sites galloromains. Les parasitoïdes sont représentés par les Hyménoptères ichneumonidés. Dans ce groupe, une espèce domine largement : Pimpla comtemplator (658 individus). C'est un parasite de Lépidoptères. Les coprophages sont dominés par la présence d'une espèce de Scarabeidae : Onthophagus coenobita (216 individus). Le groupe des phytophages ne montre pas d'espèce dominant largement les autres. Il faut dire que c'est dans ce groupe que se trouve la majorité des espèces (174 espèces pour 2551 individus). Les prédateurs sont les plus abondants en nombre d'individus mais pas en nombre d'espèces (79 espèces pour 3474 individus). Ceci s'explique par la présence d'une espèce très abondante : Episyrphus balteatus (Diptères syrphidés) dont les larves se nourrissent de pucerons (1409 individus ramassés). Les pucerons n'ont pas été pris en compte dans cette étude mais on peut penser qu'ils étaient particulièrement abondants sur tous les sites. Les saproxylophages se trouvent préférentiellement au niveau de la forêt non perturbée. Il n'y a pas vraiment d'espèce dominante dans ce groupe représenté par 23 espèces. Les xylophages sont dominés par la présence d'un scolyte : Anisandrus dispar (71 individus). Les nécrophages sont dominés par une espèce appartenant à la famille des Silphidae : Oeceoptoma thoracicum (395 individus). Conclusion Les populations d'arthropodes diffèrent fortement en fonction de l'usage ancien des sols. Les populations trouvées sur les sites ayant été occupés pendant la période gallo-romaine sont relativement homogènes et y dominent les espèces vivant aux dépens des animaux (coprophages, hématophages, parasitoïdes). A contrario, les populations vivant au niveau de la forêt peu affectée par 259 A. VALLET, M. LOUBÈRE, H. JACTEL, G. JACQUEMIN, J.-C. STREITO, L. PLATEAUX, T. ROBERT, N. KAMINSKI, A. CLAUDE, E. IORIO, J.-L. DUPOUEY, E. DAMBRINE l'occupation humaine ancienne sont dominées par les espèces vivant aux dépens de la végétation sous toutes ses formes (phytophages, xylophages, saproxylophages). Les nécrophages, prédateurs et omnivores se répartissent indifféremment sur tous les sites. Le régime alimentaire ne suffit certainement pas à expliquer cette répartition des populations d'arthropodes. Pourtant, il est remarquable de constater que l'usage ancien des sols touche non seulement la diversité végétale mais également la diversité animale, et pas seulement les espèces liées à la végétation. Tous les niveaux trophiques de la chaîne alimentaire sont modifiés par la présence de vestiges gallo-romains datant pourtant de plus de 2000 ans. De nombreuses causes peuvent expliquer cet impact. On a montré que l’agriculture ancienne modifie la structure et la chimie des sols, ainsi que la composition en espèces des communautés végétales (Dupouey et al., 2002). Or, les arthropodes dépendent fortement de ces facteurs. Mais ces résultats ne portent que sur un seul site d’occupation humaine ancienne. Il y a donc un risque de confusion entre l’effet de l’agriculture et d’autres facteurs qui pourraient varier de façon concomitante, malgré le soin apporté au choix de nos sites, très homogènes en termes de topographie et de substrat géologique. Il faudrait, afin de confirmer pleinement le rôle déterminant de l’agriculture ancienne sur les communautés d’arthropodes, pouvoir répéter ces observations sur de nouveaux sites galloromains en forêt. Remerciements Nous remercions Patrick Behr et Benoît Pollier qui ont réalisé les cartes des structures gallo-romaines. Ce travail a été soutenu financièrement par le GIP-Ecofor et le Ministère de l’Ecologie et du Développement Durable, que nous remercions, dans le cadre du programme « Biodiversité et Gestion forestière ». Bibliographie DAMBRINE E., DUPOUEY J.L., 2000, Incidence des pratiques agricoles passées sur la biodiversité floristique en milieu forestier dans l’Est de la France, Rapport final GIP Ecofor, 9 p. + ann. DUPOUEY J.L., DAMBRINE E., LAFFITE J.D., MOARES C., 2002, Irreversible impact of past land use on forest soils and biodiversity, Ecology, 83, 2978-2984. 260 Gestion des sites archéologiques 262 La prise en compte du patrimoine archéologique dans la gestion forestière L’exemple de l’Île-de-France Cécile DARDIGNAC Office National des Forêts – Direction technique, département recherche Boulevard de Constance – 77300 Fontainebleau [email protected] Résumé La forêt est un milieu riche en vestiges archéologiques. Ceux-ci ne sont pas forcément bien connus mais sont par contre bien préservés malgré leur sensibilité aux travaux liés à la gestion sylvicole. Depuis plusieurs années, l’Office national des forêts (ONF) s’intéresse à l’archéologie et à sa prise en compte dans la gestion des espaces boisés. De nombreuses actions de partenariats entre forestiers et archéologues ont été menées dans différentes régions. En Île-de-France, cette collaboration s’est concrétisée par la création d’une structure de trois archéologues au sein de l’établissement. Pendant cinq ans, cette « Mission Archéologie » a mené des opérations d’inventaire, de protection et de prise en compte du patrimoine dans les aménagements forestiers, d’étude de certains sites, de valorisation du patrimoine auprès du public et de sensibilisation des forestiers à l’archéologie. Abstract The forest is generally rich in archaeological sites. These are not always well-known but are well preserved in spite of their sensitivity related to forestry management. For several years, the French Forest Board (ONF) has been interested in archaeology and is taking it into account in management of wooded spaces. Many partnerships between foresters and archaeologists were created out in various regions. In the Île-de-France region, this collaboration lead to the creation of a team of three archaeologists within ONF. During five years, this “Mission Archéologie” carried out inventories, protected and took into account archaeological heritage in forest management, made studies of certain sites, gave added value to the inheritance for the public and heightened foresters awareness of archaeology. Dans la plupart des forêts françaises, la présence de nombreux sites archéologiques a pu être constatée. Ces vestiges peuvent être liés à l’histoire et à l’exploitation de la forêt ou des milieux environnants, mais peuvent également être les témoins d’occupations humaines antérieures à la forêt actuelle. Effectivement, et contrairement aux idées reçues, la forêt française n’est pas un « milieu naturel » mais a été marquée depuis des siècles par une forte anthropisation. De nombreuses études archéologiques, historiques et paléoenvironnementales montrent dans plusieurs régions une alternance de phases de défrichements suivies de reprises sylvicoles. Par ailleurs, depuis le XIXe siècle, la surface forestière a énormément augmenté. Il n’est donc pas étonnant d’y retrouver des vestiges. Néanmoins, la forêt est un milieu relativement sous-documenté en matière d’archéologie et il est fréquent que la Carte archéologique nationale présente des étendues « vierges » à l’emplacement des espaces boisés. Plusieurs raisons peuvent expliquer ce fait. La principale est qu’à l’exception des grands tracés, l’archéologie préventive n’intervient pas en forêt. Or elle représente depuis plusieurs années la principale source d’informations archéologiques. Par ailleurs, pendant longtemps les programmes de recherche ne se sont pas beaucoup intéressés à ce milieu considéré comme marginal. C’est pourquoi dans bien des régions, la plupart de nos connaissances a été acquise par les prospections des associations qui n’ont pas toujours eu les moyens financiers ou un appui scientifique et technique pour les aider. Enfin, rappelons que la prospection aérienne qui a permis de repérer beaucoup de sites en milieu rural est inopérante en forêt et que la végétation forestière entraîne également de fortes contraintes pour la prospection pédestre habituellement utilisée en milieu boisé. 263 C. DARDIGNAC Malgré tout cela, la forêt présente un gros avantage : celui de bien préserver les vestiges. Effectivement, grâce au couvert végétal, on est dans un milieu où les sols ont été beaucoup moins érodés et remaniés qu’en milieu agricole. De nombreuses structures de différentes époques sont donc susceptibles d’être retrouvées bien conservées, parfois même en relief (levées de terre, fossés, murs, terrasses…), alors qu’elles ont souvent été arasées ailleurs. La forêt peut donc être considérée comme un véritable « conservatoire » des vestiges archéologiques. Paradoxalement à ce qui vient d’être écrit, les sites archéologiques sont sensibles aux travaux liés à la gestion forestière. En effet, si la forêt est un milieu qui les préserve bien, le développement de la mécanisation depuis une cinquantaine d’années peut nuire à leur conservation. Ainsi les engins lourds utilisés pour l’exploitation du bois (débardeuses, grumiers) peuvent entraîner des problèmes de tassement du sol et creuser des ornières, parfois profondes lorsque les travaux sont pratiqués sur sols meubles ou mouilleux (Rendez-vous techniques 8). De même, les travaux de plantation ou de dessouchage portent atteinte au sous-sol, même sur une faible profondeur, et sont susceptibles de détruire les vestiges conservés en surface. D’autres opérations comme le brûlage des rémanents ou la construction d’infrastructure (routes forestières, parkings) peuvent également provoquer des dégâts sur les sites. Au regard de la richesse, de l’état de conservation et de la sensibilité du patrimoine archéologique forestier, l’importance de le connaître, de l’étudier et de le sauvegarder apparaît donc comme une évidence dans le cadre d’une gestion durable. Enfin, de nombreuses études récentes montrent que l’histoire de la forêt et de l’occupation des sols a des conséquences directes sur la végétation, la biodiversité actuelle et la productivité (Dupouey et al. 2002a et 2002b). Une meilleure connaissance du patrimoine archéologique peut donc apporter des éléments de compréhension sur la dynamique des peuplements forestiers sur le long terme. 1. - Un intérêt croissant pour le patrimoine archéologique à l’Office national des forêts Depuis une quinzaine d’années, l’ONF est sensible au patrimoine historique et archéologique présent dans les forêts qu’il gère (Lecomte, 1997) et des contacts, voire des liens étroits entre forestiers et archéologues ont été noués dans une grande partie des régions de France (Alléhaux et al., 1998). Dans la plupart des cas, ces contacts ont été établis avec les Directions régionales des affaires culturelles / Service régionaux d’archéologie (DRAC/SRA) mais parfois aussi avec d’autres interlocu- 264 teurs comme des universitaires, chercheurs, collectivités territoriales ou associations d’archéologie. Ces coopérations ont pu être ponctuelles (fouille d’un site, consultation en vue de travaux, valorisation de vestiges…) ou suivies sur plusieurs années (échanges de données, protection et prise en compte des vestiges dans la gestion forestière, programmes d’inventaires ou d’études, actions de communication…). Au cours du temps, certaines d’entre elles ont été formalisées par la signature de conventions. Par exemple, un protocole d’accord a été signé en 1997 entre l’ONF et la DRAC de Bourgogne (Pautrat, 2001). Il vise à définir des objectifs généraux de collaboration entre ces deux organismes afin, entre autres, de favoriser l’inventaire, l’étude et la préservation des sites archéologiques. Une autre convention a été signée en 1997 entre l’ONF et l’association Pyrene pour la fouille d’un site archéologique en Ariège. Plusieurs autres exemples pourraient ainsi être cités. Par ailleurs, des actions de formation du personnel de l’ONF au patrimoine archéologique existent depuis plusieurs années. Ces formations ont pour objectifs de sensibiliser les agents à l’archéologie, les informer sur les aspects juridiques, leur donner des clefs pour apprendre à identifier des vestiges sur le terrain puis à les prendre en compte dans la gestion forestière. Un stage de 4 jours à l’échelle nationale a été mis en place chaque année entre 1994 et 2001 au Centre national de formation forestière de Velaine-en-Haye, et ce avec la collaboration du service régional d’archéologie de Lorraine (Lecomte, 1997). D’autres formations d’une durée de 1 à 4 jours construites sur un modèle assez proche ont vu le jour dans différentes régions comme l’Alsace, la Bourgogne, la Normandie, la Franche-Comté, le Limousin… Généralement, elles sont réalisées en partenariat avec les services régionaux d’archéologie. Le développement de cette sensibilité à l’archéologie qui est observée depuis plusieurs années à l’ONF peut également être attribué au fait qu’une méconnaissance de la présence de vestiges entraîne de gros problèmes. Ainsi en Alsace, en 1995, la création d’une tranchée de débardage à travers une enceinte protohistorique inconnue du forestier a suscité de la part des archéologues et du public de nombreuses attaques dans la presse locale (Lecomte, 1997). L’erreur a pu être « réparée » et a donné naissance en 1997 à la signature d’une convention d’échange des données entre l’ONF et la DRAC/SRA d’Alsace afin d’éviter que de telles situations ne se reproduisent. En 1999, l’intérêt croissant de l’ONF pour le patrimoine s’est concrétisé par le recrutement de quatre archéologues, pour une période de cinq ans, au sein même de l’établissement : l’un d’entre eux étant rattaché à la Direction régionale de Lorraine et les trois autres, formant une structure, à celle de l’Île-de-France. Jusqu’à cette date, les forestiers de la région Île-de-France n’avaient eu que quelques contacts ponctuels avec les archéologues et le Service régional de l’archéologie. La création d’un C. DARDIGNAC « service » archéologique dans cette région s’explique non seulement par la richesse du patrimoine mais également par l’importance des enjeux patrimoniaux et d’accueil du public dans des forêts très fréquentées (Vigneau et al., 2001). 2. - La Mission Archéologie de l’ONF en Île-de-France Dès le départ, la création de cette structure s’est faite en partenariat avec la DRAC/SRA et très rapidement deux conventions ont été signées. La première, une convention cadre, définit les objectifs communs des deux organismes. La deuxième, une convention d’échange des données, fixe leurs modalités d’échange et d’utilisation. Par la suite, la Mission Archéologie a également signé des conventions de partenariats et/ou d’échange de données avec certaines collectivités territoriales (Service archéologique départemental des Yvelines, Service départemental d’archéologie du Val d’Oise) et une association (Société d’art, d’histoire et d’archéologie de la vallée de l’Yerres). Ces différents partenariats, ainsi que d’autres n’ayant pas été formalisés, ont permis de créer ou renforcer des liens entre forestiers et archéologues et ont surtout contribué à ce que la Mission Archéologie puisse répondre aux objectifs qui lui étaient demandés : dresser l’inventaire des sites archéologiques dans les espaces gérés par l’ONF en Île-de-France, favoriser la protection et la prise en compte de ces vestiges dans la gestion forestière, mener des études sur certains sites, valoriser auprès du public une partie de ce patrimoine et enfin sensibiliser les agents de l’ONF à l’archéologie et à sa prise en compte dans la gestion sylvicole (Bénaily et al., 2000). 2.1. - Inventorier le patrimoine archéologique forestier La réalisation d’inventaires archéologiques en milieu forestier implique tout d’abord un rassemblement des données existantes mais souvent dispersées. Consulter le SRA, les collectivités territoriales (l’Île-de-France est une région où presque tous les départements sont dotés d’un service archéologique), les associations ayant prospecté en forêt et bien sûr les forestiers eux-mêmes est la première étape. Lorsque cela est possible, il est bien souvent enrichissant de compléter ce corpus de données par des informations issues de recherches en archives. Textes, cartes et plans anciens peuvent fournir des renseignements sur certains sites voire permettre d’en découvrir de nouveaux (présence d’anomalies parcellaires ou topographiques, microtoponymes, mentions de bâtiments à telle date…). Comme il ne peut être question, faute de temps et de moyens, de prospecter systématiquement l’ensemble d’une forêt, seules les informations acquises de la manière précédemment décrite sont ensuite vérifiées sur le terrain. Une prospection fine est donc organisée autour de chaque site ou indice de site. Elle permet de préciser sa localisation (des relevés GPS sont effectués systématiquement), de vérifier la nature, la répartition et l’étendue des structures conservées et visibles en surface ainsi que leur état de conservation. Parfois, la découverte de mobilier archéologique affleurant ou présent dans les chablis permet d’attribuer le site à une période chronologique. L’ensemble de ces informations est ensuite traité sur une base de données couplée à un SIG. Elles sont alors communiquées au SRA qui définit des degrés de protection pour chaque site. Des mesures de conservation peuvent également être préconisées, souvent en concertation avec les agents forestiers. Cependant, la protection des sites fait généralement l’objet d’actions bien spécifiques (cf. § suivant). A la fin de l’étude, l’inventaire est bien entendu retransmis à tous les gestionnaires de la forêt. La réalisation d’un inventaire archéologique est une opération qui prend du temps. La Mission Archéologie ne pouvant les réaliser rapidement sur toutes les forêts de la région, ils ont été effectués en fonction des demandes ou priorités de l’ONF (forêts présentant un patrimoine particulièrement riche, aménagements en cours de révision…). Par contre, suite à la tempête de 1999, des « pré-inventaires » comprenant uniquement les données issues de la Carte archéologique du SRA, non vérifiées sur le terrain, donc pouvant contenir des erreurs ou imprécisions, ont été communiqués aux gestionnaires pour la plus grande partie des forêts franciliennes. L’objectif était de pouvoir tenir compte rapidement de la présence des sites archéologiques dans les nombreux travaux d’exploitation qui devaient suivre. 2.2. - Protéger et gérer ces sites Réaliser un inventaire archéologique sur une forêt n’est pas forcément suffisant pour que les sites soient pris en compte dans la gestion forestière. Le forestier ne pensera pas toujours à consulter cette étude à chaque fois que des travaux sont réalisés dans une parcelle. De plus, nous avons constaté que des études archéologiques sont parfois « retrouvées » après quelques mois ou années d’oubli involontaire… La prise en compte des vestiges peut, dans ce cas, arriver un peu tardivement. Il est donc nécessaire d’entreprendre des actions spécifiques et systématiques concernant la protection et la prise en compte des vestiges dans la gestion sylvicole. Plusieurs solutions, complémentaires, sont envisageables. La première est d’intégrer les informations archéologiques dans le sommier de la forêt. Le sommier est un document tenu à jour par parcelle, pour chaque forêt relevant du régime forestier, et dans lequel sont inscrites toutes les interventions réalisées et les évolutions du patrimoine. Il s’agit en quelque sorte de la « mémoire écrite de la forêt ». Or il existe pour les sommiers des fiches « vestige(s) et élément(s) culturel(s) remarquable(s) » 265 C. DARDIGNAC (fiches A50r/c) dans lesquelles le patrimoine archéologique peut tout à fait s’inscrire. Elles présentent l’avantage de pouvoir signaler chaque site avec un certain nombre de remarques et de détails, notamment en ce qui concerne les actions et travaux menés. Malheureusement, force est de constater que les sommiers ne sont pas toujours consultés, remplis et mis à jour comme ils devraient l’être pour chaque forêt. Cette action pour la prise en compte des vestiges ne doit donc pas être menée seule. La deuxième solution consiste à insérer les données archéologiques dans les aménagements forestiers lors de leur révision. Il s’agit, pour chaque forêt soumise au régime forestier, d’un document de gestion qui planifie les fonctions économiques, écologiques et sociales pour une durée moyenne de 10 à 20 ans. Ce document est incontournable et sera forcément consulté par le forestier. Cela ne veut pas dire qu’il faut alourdir ce document déjà complexe en intégrant toutes les informations relatives à chaque site archéologique. L’objectif est de ne mentionner que les éléments nécessaires, et ce dans certaines parties bien spécifiques. Pour plus de détails, le forestier devra ensuite consulter le sommier de la forêt. La Mission Archéologie a collaboré à différentes révisions d’aménagements forestiers et a établi un « modèle », non figé, servant de base pour l’intégration des données archéologiques (Dardignac et al., 2003 ; Dardignac et Dunoyer, 2006). S’il est facilement reproductible, il implique néanmoins la contribution du Service régional de l’archéologie. Les données archéologiques doivent être insérées dans plusieurs parties de l’aménagement. La première correspond à l’Analyse des besoins économiques et sociaux – Richesses culturelles (chapitre 1.2.8.). Cette partie doit présenter succinctement la liste (et la localisation par parcelle) des différents sites historiques et archéologiques ainsi que ceux protégés au titre des Monuments historiques. Elle peut être accompagnée d’une carte de localisation présentant les degrés de protection définis pas le SRA. Ces degrés (faible, moyen ou fort) sont établis en fonction de différents critères comme l’intérêt scientifique du site, son degré de conservation, le remaniement ou déplacement éventuel des structures… Cette carte peut présenter également des zones à sensibilité archéologique. Ces zones correspondent aux sites pouvant s’étendre au-delà de l’emprise repérée sur le terrain lors de la prospection. Elles ne requièrent aucune protection mais méritent une attention particulière à l’occasion des travaux forestiers puisque de nouvelles structures peuvent être découvertes. Notons que l’aménagement forestier est un document public. Dans un soucis de confidentialité des données, et pour éviter les risques de pillage et de fouilles clandestines fréquents en forêt, cette carte doit faire partie des cartes non divulguées, au même titre que les cartes de relevés des espèces végétales et animales remarquables (espèces protégées et menacées). Enfin, cette première partie doit rappeler que d’autres sites archéologiques sont très probablement présents dans la 266 forêt et que toute découverte fortuite, notamment au cours de travaux, doit être signalée au SRA. La deuxième partie de l’aménagement dans laquelle les données archéologiques doivent être insérées correspond au Programme d’action – Protection des sites d’intérêt culturel (chapitre 5.2.8.). Elle présente les mesures de protection et de gestion conservatoire qui doivent être appliquées sur les sites. Il est préférable que ces mesures soient définies conjointement par les archéologues du SRA et les forestiers (agent patrimonial, aménagiste). L’objectif est effectivement de définir des mesures simples, qui soient adaptées aux sites et qui soient peu contraignantes pour la gestion sylvicole. Ces mesures peuvent concerner la gestion forestière en elle-même (ex : éviter de laisser se développer les arbres de gros diamètres sur les structures archéologiques), mais également l’exploitation (ex : proscrire le passage d’engins mécanisés sur le site et dans un périmètre de 10 mètres autour des structures) ou les conditions de débardages (ex : débarder uniquement sur sol sec ou gelé, ou prévoir des couloirs de débardage spécifiques entre les structures ou encore débardage à cheval conseillé). Dans l’ensemble on se rend compte qu’à l’exception de certains sites nécessitant des mesures de gestion conservatoires bien spécifiques, la plupart des sites peuvent être facilement pris en compte avec les mesures simples comme les deux premières citées en exemple. Enfin, pour certaines forêts, des informations peuvent être ajoutées dans une troisième partie de l’aménagement, celle qui concerne le Programme d’action – Mesures concernant l’accueil du public (chapitre 5.2.6.). Il s’agit uniquement des sites qui sont mis en valeur pour le public. Cette partie présente donc les équipements à réaliser (panneaux de valorisation, sentier de découverte…), l’entretien que ces opérations impliquent (débroussaillage des sites, consolidation des structures…) ainsi que les partenaires scientifiques et financiers potentiels pouvant participer à ces projets. 2.3. - Etudier et valoriser ce patrimoine Si l’étude de sites archéologiques ne faisait pas partie des objectifs principaux de la Mission Archéologie, celle-ci a tout de même participé ou lancé certaines opérations destinées à acquérir des informations supplémentaires sur des sites peu connus. Sans vouloir décrire toutes les opérations dans le détail, on peut mentionner la réalisation de plusieurs sondages archéologiques sur différents sites, notamment après la tempête de 1999 qui les avait perturbés. Si ces opérations, très ponctuelles, n’ont pas toujours permis de définir la fonction des sites, elles ont servi à mieux cerner leur chronologie d’occupation et à connaître le degré de conservation des structures. Par ailleurs, dans le cadre d’un programme européen, plusieurs opérations ont été lancées. Une microtopographie, financée par le SRA, a été réalisée sur une motte médiévale et a C. DARDIGNAC permis de mettre en évidence l’emplacement du donjon et d’autres structures. Des prospections géophysiques (électriques et magnétiques) ont aussi été menées sur un site gallo-romain. Ce type de prospection, généralement pas ou peu pratiqué en milieu forestier a ainsi été testé dans ce contexte. Elles ont mis en évidence de nouvelles structures et ont permis de mieux évaluer l’étendue du site. Enfin, des analyses palynologiques couplées à des datations 14C ont été entreprises dans une tourbière pour avoir un aperçu de l’évolution de la végétation et du couvert forestier dans ses alentours. La densité de sites archéologiques, notamment de l’époque gallo-romaine, remettant en cause l’ancienneté de la forêt, les résultats de ces analyses ont permis d’avoir de nouvelles données sur la dynamique d’occupation des sols par l’homme au cours des deux derniers millénaires. Concernant la mise en valeur du patrimoine auprès du public, certaines formes peuvent poser des problèmes en forêt. Effectivement, il existe de multiples moyens pour présenter nos connaissances, mais il faut tenir compte du fait que les sites localisés en forêt ne sont pas forcément très bien connus et ont rarement fait l’objet de fouilles archéologiques. La valorisation in situ avec la pose de panneaux d’explications n’est donc pas forcément la meilleure solution. Elle risque en plus, dans beaucoup de cas, d’entraîner des piétinements ou d’inciter des fouilleurs clandestins à faire des sondages, ce qui nuirait à la préservation des vestiges. Néanmoins, la Mission Archéologie a participé à plusieurs projets de valorisation. Certains ont eu lieu à l’occasion des journées du patrimoine (panneau d’information et visite guidée de sites), d’autres sont permanents : réalisation d’un film documentaire visible par le public dans un centre d’accueil, création d’un panneau présentant l’ensemble du patrimoine d’une forêt, participation à la réfection d’un panneau sur un monument historique… 2.4. - Sensibiliser les forestier au patrimoine archéologique La sensibilisation des forestiers au patrimoine archéologique est un point incontournable si l’on veut que celuici soit pris en compte dans la gestion. Il est effectivement essentiel que les agents aient un certain nombre de connaissances et de réflexes, tant sur les sites archéologiques qu’ils connaissent déjà que sur de nouvelles structures pouvant attirer leur attention. Nous venons de voir que les formations destinées au personnel de l’ONF se sont développées depuis une dizaine d’années à l’échelle nationale et régionale, et qu’elles sont en général très demandées. Jusqu’en 1999, rien n’avait été organisé au niveau de l’Île-de-France. La Mission Archéologie a commencé à organiser des journées ou demi-journées de sensibilisation pour les forestiers, en fonction des études en cours sur les différentes forêts. Les agents étaient alors conviés sur le terrain pour repérer les différents sites et voir les moyens de protection envisagés. Parallèlement à cela, une plaquette présentant la structure de la Mission Archéologie, ses objectifs et ses actions a été largement diffusée auprès de tout le personnel de la région. Ces premiers contacts ont ainsi permis les débuts d’une étroite collaboration entre forestiers et archéologues. En 2001, un stage régional construit sur un modèle proche de la formation nationale a été mis en place avec la participation du SRA. D’une durée de deux jours, il proposait des exposés en salle sur l’archéologie et sa législation, la Carte archéologique, le repérage de sites en forêt ainsi que plusieurs visites de sites. Cette formation, très appréciée, a été suivie d’un grand nombre de demandes : inventaires archéologiques sur certaines forêts, visites de sites et de structures non identifiées, conseils de gestion… Ce stage n’a pu être reconduit les deux années suivantes pour des problèmes de restructuration de l’établissement mais a été remis en place à partir de 2004. Il touche désormais sur l’ensemble de la Direction territoriale Île-de-France – Nord-Ouest et est réalisé avec la collaboration des SRA de Haute-Normandie et de Picardie. L’expérience menée par la Mission Archéologie au niveau de la Direction territoriale Île-de-France – Nord-Ouest a été particulièrement concluante. Le fait d’avoir trois archéologues travaillant à plein temps sur les forêts de la région a permis à l’ONF de développer des actions qui n’auraient pu avoir lieu ailleurs, qu’il s’agisse du nombre d’inventaires et de prospections menées en forêts, du travail de prise en compte dans la gestion ou des études engagées sur certains sites. Par contre, la création d’une structure spécifique présente un inconvénient : dans les autres régions les forestiers ont créé leurs propres relations avec les SRA ; en Île-de-France la Mission Archéologie a servi d’intermédiaire. Les forestiers ont alors acquis la démarche de se renseigner auprès d’eux et non auprès du SRA. 3. - Vers une prise en compte de l’archéologie à l’échelle nationale Si l’ONF est sensibilisé à l’archéologie et à l’importance de sa prise en compte dans la gestion forestière depuis une quinzaine d’années, il semble que cet intérêt aille en s’accroissant. Au terme de ses cinq ans d’existence, la Mission Archéologie n’a pas été reconduite en temps que structure mais un poste a été ouvert au niveau de la Direction territoriale pour l’une des trois personnes. De son côté, la Direction territoriale Lorraine a également ouvert un poste pour son archéologue même si ses missions se sont diversifiées et qu’il ne travaille plus à plein temps en archéologie. Enfin, un poste a été créé au niveau national au sein de la Direction technique – département 267 C. DARDIGNAC recherche pour l’une des trois personnes de la Mission Archéologie. Après de nombreuses expériences menées dans différentes régions, il apparaît donc que l’ONF souhaite poursuivre la prise en compte des données archéologiques et la développer à l’échelle nationale. La création de ce poste et la reprise dès 2005 de la formation nationale qui avait été suspendue suite à la réorganisation de l’établissement en sont les principaux témoignages. Le travail que cela implique est cependant très important. Dans un premier temps, il conviendrait non seulement de poursuivre les actions déjà entreprises mais également de les harmoniser. Jusqu’à présent les différentes régions ont construit chacune leur propre modèle (souvent proches) pour l’inventaire et surtout la prise en compte du patrimoine archéologique dans la gestion forestière. On observe donc une certaine disparité. Une harmonisation est donc nécessaire, surtout dans l’objectif de pouvoir développer cela dans les régions où aucune ou peu d’actions ont été menées jusqu’à présent. Pour l’instant différents projets sont en cours de réalisation. Des contacts ont été établis avec le Ministère de la culture et de la communication / Sous-direction de l’archéologie, de l’ethnologie, de l’inventaire et du système d’information (SDARCHETIS) en vue d’un partenariat. Par ailleurs, des réflexions sont menées pour généraliser la prise en compte de l’archéologie dans les aménagements forestiers. Bibliographie Rendez-vous techniques, 8, 2005, dossier « Tassements du sol dus à l’exploitation forestière », Office national des forêts, p. 23-51. ALLÉHAUX F., BRONDEAU A., GOZAL M., 1998, Patrimoine archéologique en forêt : pistes pour un programme d’action, [rapport de TGE, ENGREF], 57 p. BÉNAILY G., DARDIGNAC C., VIGNEAU T, 2000, Archéologie et forêt en Île-de-France : exemple d’un service archéologique à l’Office National des Forêts, in : Archéologie 2000, Actes des journées archéologiques d’Île-de-France, 9 et 10 décembre 2000, p. 88-92. DARDIGNAC C., BÉNAILY G., VIGNEAU T., 2003, Forêt et archéologie : inventorier, gérer et protéger le patrimoine de nos forêts, Rendez-vous techniques, 2, p. 4-8. DARDIGNAC C., DUNOYER J.L., 2006, Prise en compte de l’archéologie dans la gestion forestière, Rendez-vous techniques 14, p. 28-31. 268 DUPOUEY J.-L., DAMBRINE E., LAFITTE J.-D., MORAES C., 2002a, Irreversible impact of past land use on forest soils and biodiversity, Ecology 83, 11, p. 2978-2984. DUPOUEY J.-L., SCIAMA D., KOERNER W., DAMBRINE E., RAMEAU J.-C., 2002b, La végétation des forêts anciennes, Revue forestière française, 54 (6), p. 521-532. LECOMTE F. (dir.), 1997, dossier « Forêt et archéologie », Arborescence, 71, p. 2-41. PAUTRAT Y., 2001, Archéologie et forêt : l’expérience bourguignonne, Les Nouvelles de l’archéologie, 86, p. 24-27. VIGNEAU T., DARDIGNAC C., 2001, Quelles perspectives pour l’archéologie du milieu forestier ?, Les Nouvelles de l’archéologie, 86, p. 22-23. Archéologie et espaces forestiers, l’accord complémentaire Stéphanie JACQUEMOT Ingénieur d’étude – Service régional de l’archéologie de Lorraine Direction régionale des affaires culturelles – 6 place de chambre – 57000 Metz [email protected] Résumé Les espaces forestiers sont des lieux de recherche très prisés des archéologues. Depuis qu’elle existe, la forêt protége les vestiges et la chance nous est donnée d’étudier des ensembles parfaitement conservés. Il en résulte que ces dernières années, archéologues et forestiers ont noué des relations privilégiées, tant pour assurer l’étude et l’inventaire du patrimoine archéologique, que pour mettre en œuvre les mesures de protection et de prévention désormais souhaitées par tous. Depuis plusieurs années le Service régional de l’archéologie de Lorraine a engagé une politique de sensibilisation des agents pour une meilleure prise en compte de ce patrimoine dans le cadre des aménagements forestiers. Abstract The forest is a very good field of research for archaeologists. It is protecting the archeological sites, and it is bringing us the opportunity to study very well preserved settlements. As a result, today, archaeologists and foresters are working together, to study and to survey the heritage, and to protect it too. Over the last years, the Archaeological Service of Lorraine has been making the foresters aware of that topic, for a better preservation of the heritage within the context of woodcutting. 1. - L’espace forestier En France l’espace forestier occupe 26% du territoire national. Cette donnée justifie, à elle seule, l’intérêt que peuvent porter les archéologues à ce milieu particulier, à première vue immuable et pourtant sans cesse en mutation. La forêt lorraine occupe le quart du territoire régional, ce qui lui vaut d’être deuxième à l’échelle nationale pour sa production de bois. Les peuplements se répartissent sur trois grands ensembles naturels que sont les plateaux calcaires, les montagnes vosgiennes et les plaines lorraines. La diversité et l’étendue des espaces offrent à qui veut s’y intéresser un vaste champ d’étude. La propriété foncière y est majoritairement publique. Elle bénéficie d’une gestion raisonnée, dictée par les orientations nationales mises en œuvre par l’Office national des forêts. Avant la tempête, les principaux objectifs concernent la conversion des taillis sous futaies, le rajeunissement des sapinières vieillies et la purge de la mitraille dans les forêts de guerre. Les 220 000 hectares de forêts domaniales appartenant à l’Etat, bénéficient d’un régime de gestion propre, destiné à maintenir ou à améliorer les différentes fonctions écologique, économique et sociale de la forêt, préservant ainsi toutes ses potentialités. La gestion des 350 000 hectares de forêts appartenant aux collectivités publiques est plus orientée. Elle tendra à satisfaire les intérêts des propriétaires, dans le respect toutefois des conditions définies par le Code forestier. La gestion forestière est ainsi définie au sein de programmes d’aménagements concertés. Ces outils de gestion durable impliquent une bonne connaissance du milieu et la prise en compte des éléments spécifiques à chaque forêt, dont le patrimoine constitue la part prédominante de sa fonction culturelle. C’est sur ce terrain d’intérêts communs qu’archéologues et forestiers vont naturellement se rencontrer. 2. - La forêt conservatoire Tout comme la prairie, la forêt joue un rôle protecteur particulièrement efficace contre l’érosion des sols. Elle permet la conservation de certaines constructions en terre et fossilise les vestiges en élévation. Ces espaces très conservateurs sont paradoxalement peu étudiés. La prospection en milieu forestier est restée longtemps réservée à la seule recherche de sites remarquables, telles les importantes nécropoles tumulaires prisées des archéo- 269 S. JACQUEMOT logues au XIXe siècle. Aujourd’hui encore, l’absence de mobilier en surface dissuade toujours le prospecteur habitué à repérer les épandages d’artefacts sur sols labourés. Pourtant les indices qui trahissent les occupations anciennes sont nombreux sous couvert végétal. Leur repérage demande une approche plus « environnementale », où l’observation du milieu naturel devient objet d’étude : ici un micro relief qui géomorphologiquement n’a pas sa raison d’être, là une plante calcicole sur un sol acide. Le regard cherchera les anomalies topographiques et phytographiques qui marquent le paysage. Le champ d’étude s’en trouve élargi : là où sur sol nu quelques vestiges éventrés par les labours témoignent ponctuellement d’une occupation, ici la forêt permet la reconnaissance de grands ensembles structurés. Outre les éléments matériels, le contexte végétal livrera des informations propres aux modes de vie : la présence de plantes rélictuelles anciennement introduites ou encore la disposition ordonnée de certains arbres ou arbustes sont des témoins vivants qui trahissent des pratiques parfois très anciennes. L’absence de mobilier datant pourrait, a priori, constituer une gêne pour l’interprétation archéologique. Toutefois l’état de conservation des vestiges autorise le plus souvent une bonne lecture de structures repérées et une identification fonctionnelle généralement aisée. Ainsi les forêts lorraines sont de vastes conservatoires, derniers milieux où il est encore permis d’observer des ensembles parfaitement conservés. Cette dimension patrimoniale conduira les gestionnaires du patrimoine à plus d’exigence et d’attention face aux risques qui mèneraient à la perte irrémédiable de ces témoins culturels. Photo 1 : Les espaces forestiers : derniers conservatoires des nécropoles protohistoriques. 3. - L’Office national des forêts Etablissement public à caractère industriel et commercial, l’ONF est une entreprise au service du public. L’office est responsable de la gestion et de l’équipement du domaine forestier de l’Etat, ainsi que de la mise en valeur du patri- 270 moine forestier des collectivités locales, en étroite collaboration avec celles-ci. Il est investi de missions de protection, surveillance, aménagement et gestion. L’effectif lorrain compte environ 2000 fonctionnaires et plus de 200 entreprises d’exploitation. Après la tempête de l’hiver 1999, le contrat qui lie l’Etat à l’établissement public définit clairement les objectifs assignés à l’office. La reconstitution des forêts détruites nécessite la révision des plans d’aménagement et l’amélioration de la productivité impose un changement de méthodes de travail et la réorganisation des services. Désormais les aménagistes devront adapter la gestion forestière aux exigences du rendement économique. La mécanisation pour l’exploitation de la forêt est la règle et l’impact sur le patrimoine archéologique devient une réelle préoccupation pour les forestiers. Pourtant les sommiers des forêts sont pauvres en informations patrimoniales. Quelques fois un forestier passionné y aura signalé quelques anciennes bornes repérées lors d’un martelage, ou mentionné la présence d’un tumulus retrouvé dans les archives forestières. Désormais le recensement des contraintes historiques et archéologiques devient un préalable à la rédaction des nouveaux plans et nécessite d’enquêter auprès des services. 4. - Le Service régional de l’archéologie L’archéologie vise à étudier les traces matérielles laissées par les sociétés passées. Service déconcentré du ministère de la Culture et de la Communication, le service régional de l’archéologie compte une dizaine d’agents. Il a pour mission de recenser, étudier, protéger et faire connaître le patrimoine archéologique de sa région en collaboration avec les archéologues des autres institutions. Dans ce cadre il veille à l’application de la législation archéologique rassemblée dans le Code du Patrimoine, dont les dispositions réglementent en particulier la recherche programmée et les activités d’archéologie préventive. Bien culturel de l’humanité, le patrimoine archéologique bénéficie des mesures de protection ou de sauvegarde arrêtées par le préfet sur proposition du conservateur de l’archéologie. Les mesures conservatoires visent à préserver un potentiel d’étude pour les générations futures. Elles conduisent parfois à la protection au titre des Monuments Historiques des sites d’intérêt majeur, bien souvent en raison de leur caractère monumental. Les mesures de sauvegarde, quant à elles, sont pour l’essentiel dictées par les projets d’aménagement. Elles sont mises en application lorsque les vestiges sont menacés et se traduisent le plus souvent par la prescription d’étude préventive préalable à leur destruction. Toutefois ce « droit du patrimoine » n’a de réelle existence que si l’archéologue veille à la conciliation respective de l’intérêt scientifique et du développement économique. La « Carte Archéologique » sera son outil d’aide à la décision. Cet inventaire qui recense les données archéolo- S. JACQUEMOT giques connues sur le territoire régional, doit lui donner une connaissance aussi complète que possible des lieux d’implantation humaine, et ce pour toutes les périodes de l’humanité. Cette banque de données ne s’alimente pourtant qu’au gré de l’actualité des découvertes et ne donne qu’une vision très partielle du potentiel archéologique d’un territoire. La majorité des vestiges reste enfouie et difficilement détectable. Malgré le recul et l’expérience il est toujours difficile à l’archéologue d’établir a priori des « zones à potentiel », y compris dans les espaces forestiers qui paraissent à première vue plus faciles à identifier. C’est donc au regard des risques encourus qu’il évaluera ses prescriptions archéologiques. concertation, les travaux sylvicoles peuvent s’adapter à la préservation des vestiges. Ces mesures conservatoires ne sont pourtant pas sans conséquences pratiques et financières sur la gestion forestière, c’est pourquoi elles ne peuvent raisonnablement s’appliquer à tous les sites. Ainsi, l’archéologue devra nécessairement opérer ses choix au regard de l’intérêt scientifique ou patrimonial 5. - L’impact des travaux forestiers Au regard des projets d’infrastructures ou d’urbanisme, l’impact des travaux sylvicoles sur la conservation des vestiges archéologiques paraît à première vue négligeable. C’est sans doute pour cette raison que les fouilles préventives ou de sauvetage en forêt sont quasi-absentes des bilans nationaux. Pourtant la filière bois ne s’est jamais si bien portée et la gestion des forêts françaises induit chaque année des travaux mécanisés aussi destructeurs que le seul programme routier. Les communes rurales tirent un profit non négligeable de la vente de leur bois, pour certaines c’est leur principale ressource. Aussi on comprendra que rares sont les exemples où il est possible de geler l’exploitation forestière pour simple raison archéologique. Généralement le compromis sert l’intérêt de l’économie touristique, où la forêt ludique devient plus-value et le patrimoine objet de toutes les attentions. Les orientations régionales forestières dictent les modes de traitement sylvicoles et s’accompagnent de mesures techniques et financières aptes à favoriser l’émergence d’entreprises compétentes, performantes et fortement mécanisées. Il en ressort qu’aujourd’hui, l’ensemble des travaux manuels est supplanté à l’emploi généralisé d’engins, y compris pour les simples travaux d’entretien. Désormais, ce ne sont plus les coupes ni les labours qui portent préjudice aux vestiges, mais bien le nivellement du sol permettant l’accès au peuplement. Pratiqués à l’aide d’engins selon un maillage d’axes espacés, pouvant aller de 5 à 10 mètres, ces travaux s’avèrent totalement destructeurs pour les vestiges en micro relief. En outre la généralisation de cette pratique conduit nécessairement à la création de nouvelles pistes, parkings, aires de retournement, adaptés à la circulation des tracteurs, débardeurs, débusqueuses, porters et autres nouveaux engins… La réalisation de ces travaux de génie civil est pourtant bien souvent compatible avec la préservation du patrimoine. Contrairement aux zones urbanisées, la quasi absence de contrainte foncière en forêt autorise plus facilement le déplacement des ouvrages sur les secteurs moins fragiles. Et pour peu qu’ils aient été définis en Photo 2 : Difficile exploitation des bois sur les fortifications en terre de l’oppidum gaulois de Boviolles (55). des vestiges concernés. 6. - Des intérêts partagés Héritiers d’un patrimoine à transmettre, archéologues et forestiers sont investis des mêmes missions. Leur sujet d’étude s’inscrit dans le temps. C’est donc naturellement qu’ils mettront en commun leur compétence au service d’une politique raisonnée où patrimoine archéologique et forestier peuvent mutuellement s’enrichir de leur lien naturel et culturel. Les forestiers ont toujours eu un souci patrimonial. Au fil des siècles, ils ont adapté la gestion forestière aux besoins des hommes. Actuellement nos sociétés prennent conscience de la nécessité de préserver le patrimoine et les milieux naturels pour y permettre un développement équilibré. Les forestiers sont des « généralistes » garants de la bonne « santé » de ce capital. Ils ont une grande expérience du terrain et leur capacité d’observation du milieu en fait des informateurs privilégiés pour les scientifiques qui doivent coopérer avec eux pour appréhender au mieux la complexité de ce milieu. Il y a une dizaine d’années, archéologues et forestiers se rencontraient dans les forêts lorraines. La curiosité d’abord, l’intérêt professionnel ensuite, longtemps ils ont noué des relations d’échanges où la compétence des uns servait le travail des autres. De cette collaboration est né le stage de formation intitulé “repérage et protection des sites archéologiques” organisé depuis 1994 au Centre National de Formation Forestière à Velaine-en-Haye (54). Chaque année, ce stage accueille 25 techniciens et ingé- 271 S. JACQUEMOT nieurs venus de toute la France. Sur les bases d’une information théorique (administrative, juridique, méthodologique, scientifique), le programme concentre les sorties de terrain en vu de sensibiliser les forestiers à la reconnaissance des différents vestiges et à leur problématique en matière de gestion forestière. Cette rencontre annuelle entre professionnels s’enrichie des expériences de chacun et permet d’identifier de nouveaux modes de gestion conservatoire, souvent simples et adaptées aux situations les plus complexes. De retour sur leur triage, bon nombre de forestiers mettront à profit leurs connaissances, tant pour alimenter le fichier régional de la carte archéologique que pour enrichir le sommier des forêts. De cette dynamique, un peu partout en France, se multiplieront les formations locales, certains services se rapprocheront pour convenir de conventions d’entre aide. A cette époque, on salue également les initiatives de recrutement d’archéologues au sein de quelques directions régionales de l’office. Rien, jusqu’à l’avènement des réformes, ne nécessitera de formaliser cette collaboration plus philanthropique que contractuelle. La tempête de 1999, qui sites ont été sélectionnés et seuls 160 ont pu être expertisés, certaines forêts étant inaccessibles. Le bilan plus ou moins lourd selon les secteurs, fait état d’une moindre proportion de sites détruits, ou partiellement détruits par les chablis (75), que de sites menacés à court terme par les travaux d’exploitation ou à long terme par les travaux de repeuplement. Concernant les mesures de sauvetage, seuls les sites majeurs protégés au titre des Monuments Historiques ont bénéficié de l’aide financière exceptionnelle du ministère de la culture pour leur remise en état. Au vu des dommages, cette aide fut surtout utilisée pour compenser les surcoûts ou pertes d’exploitation liés à la contrainte archéologique (débardages non destructifs). Concernant les sites non protégés, les mesures d’urgence se limitèrent (quand c’était possible) à l’échantillonnage et au relevé des vestiges mis au jour. En somme cette tempête n’aura pas d’effets plus destructeurs que les différents travaux d’urbanisme ignorés chaque année du service. Paradoxalement, ces visites « imposées » furent l’occasion d’identifier de nouveaux indices dans des forêts jusqu’alors peu prospectées… En effet le bilan ne s’évalue pas sur les dégâts immédiats, mais plutôt sur les effets induits par les programmes de reconversion des forêts détruites, pour lesquelles, aujourd’hui encore, il est difficile de maîtriser la totalité des travaux. Le post tempête fut toutefois l’occasion de généraliser le contact avec les forestiers à l’échelle de la région et d’affirmer le principe d’une consultation systématique du service. Mais sans conteste, cette catastrophe naturelle sera surtout dommageable à l’économie forestière puisqu’elle conduira à la restructuration de l’Office national des forêts. 8. - ...viennent les réformes Photo 3 : Mise au jour lors de travaux sylvicoles du système défensif d’un site de hauteur protohistorique. mena à la réorganisation de l’ONF, associée à la nouvelle législation archéologique en 2001 fut le départ des nouvelles relations. 7. - Après la tempête... Au lendemain de la tempête du 26 décembre 1999, qui a fortement touché la région Lorraine, il a fallut organiser le recensement des dégâts occasionnés au patrimoine archéologique et mettre en œuvre dans l’urgence les mesures de sauvetage et de prévention. 56 bénévoles ont été mobilisés pour expertiser les 1600 sites conservés sous forêts. La priorité fut donnée aux sites qualifiés de « vulnérables », tels que les nécropoles de tumulus, les sites de hauteur fortifiés et les mottes féodales. En l’absence d’information concernant les zones détruites, 300 (1) Institut national de recherche archéologique préventive. 272 Alors que s’opère progressivement la réorganisation de l’Office, une nouvelle législation archéologique se met en place. Des caractéristiques communes aux deux réformes, on retiendra la création « d’agences opérationnelles », venant renforcer l’action des services, et une révision des textes législatifs et réglementaires. Depuis la loi du 17 janvier 2001, « relative aux procédures administratives et financières en matière d’archéologie préventive », l’agence locale de l’INRAP1 se voit confier la mise en œuvre des opérations archéologiques prescrites par le service régional de l’archéologie. Désormais tout projet d’aménagement, inscrit dans un zonage de consultation arrêté par le Préfet de région, pourra faire l’objet de prescriptions archéologiques préventives si les travaux sont de nature à porter atteinte à la conservation des vestiges. L’activité forestière, qui jusqu’alors échappait au régime déclaratif, entre désormais dans le champ d’application du décret 2002-89 qui stipule en son article R442-3-1 que « sont soumis à déclaration préalable du Préfet de région … les travaux d’affouillement, de nivellement ou S. JACQUEMOT d’exhaussement de sol liés à des opérations d’aménagement d’une superficie supérieure à 10 000 m2 et affectant le sol sur une profondeur de 0,50 m … ainsi que les travaux de préparation du sol ou de plantations d’arbre ». En somme, l’ensemble des travaux sylvicoles est concerné par cette mesure. Plus d’une année fut nécessaire au service régional de l’archéologie pour élaborer les zonages de consultation des 2337 communes lorraines et pour assurer la diffusion des arrêtés auprès des différents services instructeurs. Aujourd’hui il est trop tôt pour mesurer le réel impact de cette nouvelle procédure en faveur du patrimoine. On en découvre en revanche les premières difficultés. Seuls quelques zonages ont été arrêtés sur des sites majeurs en forêt et déjà le service est dans l’incapacité de gérer de manière satisfaisante les premières déclarations de travaux. En outre, le caractère administratif des nouvelles relations tend à limiter le contact direct avec les agents et rend plus difficile le suivi des opérations sur le terrain. Parallèlement, les dix agences forestières de l’ONF se voient confier de nouvelles charges pour la reconstitution des forêts détruites. Les objectifs de rendement occasionnent aux agents plus de travail administratif et moins de temps passé sur leur triage. D’évidence, l’application stricte des règles d’archéologie préventive en accompagnement des travaux sylvicoles est illusoire. La centaine d’archéologues de l’INRAP, déjà fortement mobilisée sur les chantiers d’urbanisme, n’est pas d’une grande aide. En outre, l’exonération des travaux forestiers à la redevance fiscale pour le financement de l’archéologie préventive, rend quasi impossible l’organisation de chantiers de fouilles de sauvetage en forêt. C’est donc par la prévention que sera désormais admis le principe d’une prise compte du patrimoine dans la gestion forestière. Ainsi dans le cadre d’une convention d’échanges, la direction régionale de l’ONF en Lorraine s’engage à fournir le parcellaire numérisé des forêts en cours de révision d’aménagement. En retour le SRA lui communique la localisation des sites qu’il juge utile de préserver, accompagnés des recommandations de gestion ou de prescriptions conservatoires. Ces mesures particulières appliquées à la gestion des travaux sylvicoles n’exonèrent cependant pas les forestiers du régime réglementant les découvertes fortuites. 9. - Prise en compte du patrimoine dans l’aménagement des forêts La nouvelle la loi d’orientation sur la forêt du 9 juillet 2001 offre ainsi un compromis équitable pour satisfaire aux intérêts respectifs du patrimoine et de la forêt. Le Code forestier modifié, prévoit, pour les forêts soumises à des régimes de classement ou de protection, une simplification des procédures par l’approbation des autorités compétentes du plan de gestion (document d’aménagement pour les forêts publiques). Une fois le plan de ges- tion déclaré conforme aux réglementations, toutes les interventions prévues sont exemptées de demande d’autorisation. En clair, mieux vaut prévenir que guérir. On notera que ces procédures, qui exonèrent du régime déclaratif les travaux visés au document d’aménagement, ne peuvent cependant être mises en œuvre que pour les sites bénéficiant d’un régime de protection au titre des Monuments historiques ou au titre du Code de l’environnement. Toutefois l’interprétation de l’article 414-4 du code de l’environnement (visé par la nouvelle loi d’orientation forestière) semble autoriser plus largement la prise en compte du patrimoine dans les règles d’aménagement. Ce dernier précise que « chaque année, le représentant de l’Etat dans sa région, porte à la connaissance de l’Office national des forêts… la liste des sites ou secteurs protégés dans les espaces boisés…ainsi que ceux concernés par toute autre législation de protection ». Ainsi, en application du Code du Patrimoine, les zonages archéologiques ont lieu d’être annexés au document d’aménagement. On l’a déjà vu, cette mesure vient en aide aux gestionnaires du patrimoine à plusieurs titres. Elle épargne les lourdes procédures d’instruction et minimise les interventions dans l’urgence. Au regard de l’intérêt archéologique, les modalités de gestion sont établies en concertation avec le service et permettent l’adaptation des travaux sylvicoles à la conservation des vestiges. Enfin, les prescriptions émises sont opposables et durables pour les quinze années d’aménagement, garantissant ainsi la pérennité d’application des modalités prévues. C’est dans le cadre de la révision de l’aménagement de la forêt domaniale de Verdun, qu’archéologues et forestiers ont étudié les solutions adaptées à l’exploitation forestière des 10 000 hectares du célèbre champ de bataille de 1916. Pour ceux qui en douteraient, les vestiges de la grande guerre sont des biens culturels appartenant à la mémoire collective et relèvent pleinement de la législation archéologique. On les recense sur environ un tiers des forêts lorraines et leur prise en compte dans la gestion forestière est une problématique constante. La réflexion menée sur la forêt domaniale de Verdun fut l’occasion de d’identifier les modalités de gestion les mieux adaptées aux forêts de guerre. 10. - Devoir de mémoire et gestion forestière Après les évènements tragiques de 1916 (plus de 300 000 morts, 60 millions d’obus tirés), les terrains bouleversés portent les plaies ouvertes du champ de bataille. Les lois de 1919 et 1923 permettent à l’Etat de racheter les terrains qui les confie à l’administration des Eaux et forêts pour boisement. De 1927 à 1934 plus de 6000 hectares seront plantés en résineux en vu de reconstituer les sols et recouvrir d’un vert « linceul », le champ des horreurs… Dans ce vaste jardin d’épicéas subsistent les 273 S. JACQUEMOT reliques d’anciens bois communaux dont la régénération sera laissée à la nature. Des dizaines d’années plus tard, les résineux peu adaptés aux conditions locales, imposent une reconversion de la forêt au profit d’un peuplement de feuillus, naturellement présents sur les côtes de Meuse. Ainsi depuis trente ans s’opère la transformation de la forêt de Verdun. Chaque année, environ une centaine d’hectares fait l’objet de plantations, installées à l’abri des résineux. La multiplication des cloisonnements d’exploitation et les charrières conduisent au nivellement du sol sur plus de 40% des surfaces forestières. Plus ou moins denses selon les secteurs, ces bandes gomment irrémédiablement les cicatrices de la bataille. Pourtant, au cœur de ce sanctuaire, 850 hectares de site sont classés depuis 1967. On y rencontre les principaux monuments historiques (forts de Vaux, de Douaumont, tranchées des baïonnettes, Ossuaire de Douaumont, Nécropole nationale, Monument aux morts des israélites…) fréquentés par 200 à 300 000 visiteurs chaque année. Ce lieu de recueillement, soigneusement entretenu pour le souvenir, ne saurait faire oublier les nombreux témoins historiques présents sur la totalité de l’espace boisé. Aucun inventaire ne recense les milliers de tombes, abris et autres constructions peu spectaculaires autour des villages détruits. Les innombrables sapes, réseaux de tranchées, boyaux de communication sont difficilement lisibles sur ces hectares de terrain bouleversés par les trous d’obus. On comprend donc la difficulté à entretenir la forêt sans porter dommages à ces vestiges. Pourtant l’enjeu sylvicole ne peut faire oublier la mémoire. Pour des raisons inconnues, jusqu’en 2004, les interventions forestières sur le site classé se sont faites hors du cadre réglementaire. C’est à l’occasion de la révision de l’aménagement 2006-2020 que des modalités de gestion ont été arrêtées en étroite concertation des services (ONF, DIREN2, SDAP3, SRA) et en association avec les acteurs impliqués dans le devoir de mémoire4. L’intérêt du plan réside dans l’adaptation des contraintes à la situation actuelle du site. Ainsi les secteurs, considérés comme déjà fortement nivelés ont été laissées à la production forestière sans prescriptions particulières. En revanche, sur certaines parcelles conservant un potentiel archéologique intéressant, les travaux sylvicoles ont été réglementés. Outre la préservation de tous les vestiges bâtis (recensés ou non), ces mesures ont permis de mettre en réserve foncière une sélection de tranchées peu spectaculaires mais significatives de l’histoire du front. Leur tracé linéaire sur plusieurs kilomètres rendant difficile l’adaptation des cloisonnements, un nivellement pour le passage des engins y fut ponctuellement toléré. Le plan réglemente également les modalités d’associa- (2) Direction régionale de l’environnement. (3) Service départemental de l’architecture et du patrimoine. (4) Associations des anciens combattants et du Souvenir Français. 274 tion du service aux opérations de martelage dans les secteurs mal documentés, où des prospections complémentaires doivent être menées. Ainsi trois années furent nécessaires à la concertation pour aboutir à un juste compromis permettant à la fois le respect historique des lieux (y compris hors du site classé) et une gestion forestière productive et moderne. Sans préjuger de l’intérêt à multiplier cette démarche sur tous les espaces boisés, on retiendra surtout le bénéfice de la concertation au profit d’une gestion patrimoniale et forestière durable. En effet, nul ne sait de quoi sera fait demain et l’incertitude du devenir des services dans un contexte économique et politique renouvellé incite, autant que possible, à mettre en œuvre les mesures conservatoires qui garantiront le potentiel d’étude des générations futures. 11. - Sylva salvatrice Hier nourricière, aujourd’hui productrice, tant qu’elle servira l’intérêt des hommes, la forêt sera l’objet de toutes les attentions. Assurée d’intérêt collectif, la forêt de demain n’en reste pas moins une ressource non renouvelable, toujours aussi fragile. Ainsi il en va de la volonté des pouvoirs publics de s’adapter à l’évolution des pratiques pour assurer sa pérénité. Ainsi, la dernière loi d’orientation forestière s’appuie sur une volonté de dialogue renouvelé entre tous les acteurs et partenaires. Les recommandations du rapport J.L. BIANCO : « la forêt, une chance pour la France » (1998), portent au plan international la gestion durable des forêts françaises, notamment dans le cadre des conférences ministérielles du processus paneuropéen d’Helsinki sur la protection et la valorisation des forêts en Europe. La vocation d’une forêt multifonctionnelle est réaffirmée et trouve sa place au sein de nouveaux outils intégrant toutes les dispositions législatives concourant à la protection de la biodiversité et des paysages. Les chartes forestières de territoires associent très largement l’ensemble des partenaires institutionnels, associatifs ou privés et définissent désormais les enjeux de la forêt sur les bases d’une stratégie forestière négociée. Ainsi, plus que jamais le patrimoine est l’affaire de tous. Désormais, archéologues, propriétaires, élus locaux, gestionnaires de la forêt, peuvent veiller à ce que le patrimoine de l’humanité soit protégé, étudié et valorisé dans le respect des intérêts de la collectivité. L’objectif est louable, la tâche est longue… espérons que les bonnes volontés ne baisseront pas les bras face aux difficultés S. JACQUEMOT récemment rencontrées à l’occasion des imprévisibles tempêtes, feux de forêts…. mais aussi celles imputables aux simples réalités de la vie souvent décourageantes pour les plus motivés. Remerciements Mes remerciements s’adressent en premier lieu aux nombreux forestiers lorrains, qui depuis de longues années investissent de leur temps et de leur passion au service du patrimoine. Le fruit de cette collaboration revient pour beaucoup à Christian Daynac, formateur à l’école forestière de Velaine, qui a impulsé le principe d’une rencontre annuelle entre professionnels. Un remerciement particulier est adressé à Olivier Marcet, Ingénieur aménagement à l’agence forestière de Verdun, pour avoir concrétisé cette collaboration et pour avoir fait la démonstration qu’un programme d’aménagement forestier peut être à la fois respectueux de la mémoire et garant d’une gestion forestière moderne. Crédits photographiques Philippe FRIGERIO Stéphanie JACQUEMOT Orientations bibliographiques Ministère de l’Agriculture et de la Forêt - Directives de gestion de la forêt domaniale et orientations nationales pour l’aménagement des forêts appartenants aux collectivités publiques et aux autres personnes morales bénéficiant du régime forestier Fontainebleau 1990. AMAT J.P., 1999, La forêt entre guerres et paix, étude de biogéographie historique sur l’Arc meusien de l’Argonne à la Woevre, Thèse de doctorat es lettres et sciences humaines mention géographie, Université de Lille I. AMAT J.P., 1987, Guerres et milieux naturels : les forêts meurtries de l’Est de la France, 70 ans après Verdun, Espace géographique, 3. ALLEHAUX F., BRONDEAU A., GOZAL M, 1998, Patrimoine archéologique en forêt : pistes pour un programme d’actions [Rapport de TEG, Ecole Nationale de Génie Rural des Eaux et Forêts], 57 p. CARDEW M., 2002, La forêt et le paysage après la tempête Lothar, Direction régionale de l’agriculture et de la forêt, Nancy. Conseil Général du Val de Marne, 2003, Charte forestière de territoire de l’Arc boisé. Diagnostics, orientation et propositions d’actions 2004-2008, Créteil. 275 276 La collaboration archéologique entre le service régional de l’archéologie de Haute-Normandie et l’Office National des Forêts pour la gestion des vestiges archéologiques Thierry LEPERT(1), Jean MESCHBERGER(2) (1) ingénieur d’études, Mission de la Recherche et de la Technologie du ministère de la Culture, Service Régional de l’Archéologie de Haute-Normandie, UMR 7041-archéologie et sciences de l’antiquité – [email protected] (2) technicien, Office National des Forêts, Direction Territoriale Ile-de-France – Nord-Ouest, Agence Régionale de Haute-Normandie – [email protected] Résumé Comme dans la plupart des Régions, les massifs forestiers de Haute-Normandie sont riches de vestiges archéologiques appartenant à des sites souvent particulièrement bien conservés. Cette réalité de mieux en mieux connue et reconnue, reste majoritairement à l’écart des pratiques de l’archéologie contemporaine. Les fouilles programmées ou les prospections de natures diverses sous couvert boisé ne sont certes pas exceptionnelles. Leurs apports en termes de résultats scientifiques, de sensibilisation du public et des forestiers, n’est pas contestable. Ces investissements multiples ne résolvent cependant pas la question de la prise en compte du patrimoine archéologique dans les pratiques sylvicoles. Si le cadre législatif et réglementaire en vigueur en France accorde une protection juridique à l’ensemble des vestiges, répertoriés ou non, son application au quotidien demeure problématique. La récente loi sur l’archéologie préventive (2001) n’apporte pas d’amélioration notable à ce contexte. Il convient donc de trouver des voies parallèles qui, tout en respectant l’esprit des textes, relègue leur application à la lettre aux situations d’exceptions. L’état des travaux communs de l’Office National des Forêts et du Service Régional de l’Archéologie est le fruit de cette approche mesurée dont l’objectif est la gestion cohérente de l’ensemble du patrimoine archéologique au sein des forêts domaniales. Abstract Like in most regions, the forest areas in the Haute-Normandie region are full of archeological vestiges that belong to usually particularly well-preserved sites. This reality -that more and more people are aware of and acknowledge- is usually kept away from contemporary archeological works. Sure enough, it is not exceptional to program excavations or to prospect forests in different ways. What these actions bring in terms of scientific results, sensitization of the greater public and foresters, can not be questionned. However, these numerous investments do not solve the issue of taking into account the archeological heritage in forest management strategies. Although the applicable legislative and regulatory framework in France grants legal protection to all vestiges, be they registered or not, its daily implementation remains a problem. The recent law about preventive archeology (2001) does not bring any notable improvement to this framework. For this reason, parallel paths have to be found, which respect the spirit of the laws but relegates their strict application to exeptional situations. The state of the common works between the Office National des Forêts (National Office of Forestry) and the Service Régional de l’Archéologie (Regional Archeological Department) is the result of this temperate approach, the goal of which is a coherent management of the entire archeological heritage within state-owned forests. 277 T. LEPERT, J. MESCHBERGER 1. - Introduction Petite région de deux départements (Eure et SeineMaritime) encadrant la basse vallée de la Seine en aval de la région parisienne, le coeur historique de la Normandie est aujourd’hui relativement boisé (20 % du territoire régional). La moitié de cette couverture forestière est constituée de forêts domaniales du ressort de l’Office National des Forêts. La constitution des grands massifs forestiers actuels appartient à l’histoire récente de l’occupation du territoire régional. Ces vastes espaces boisés, publics ou privés sont l’aboutissement de processus économiques, sociaux et politiques complexes. Leurs amorces seraient, selon l’état des travaux (Lequoy, 1975), à rechercher dans le courant du premier millénaire après J.-C. (Bas Empire romain et haut Moyen Age…). L’existence de lambeaux de la forêt primaire holocène tient plus du mythe que d’une quelconque réalité. Depuis les prémices de l’agriculture, dans le courant du cinquième millénaire avant J.-C. pour notre région, la très grande majorité des parcelles forestières, a changé d’affectation à plusieurs reprises. Cette longue histoire explique aisément la conservation de nombreux vestiges archéologiques sous couvert forestier. Une situation connue de longue date, mais très irrégulièrement perçue localement selon la répartition des érudits au cours des périodes Moderne et Contemporaine. Les premières recherches structurées, en forêts domaniales, ne sont pas antérieures à la première moitié du XIXe siècle, à l’exemple de la fouille de la villa de Maulévrier dans les années 1830 (Penna, 2000). L’état des connaissances et la prise en compte des vestiges archéologiques dans les pratiques sylvicoles reposait principalement sur l’investissement individuel des chercheurs et de quelques forestiers. Leurs efforts sont toujours remarquables mais restent trop souvent sans lendemain, après leur disparition ou leur changement de résidence personnelle ou professionnelle. Après la structuration des Directions Régionales des Affaires Culturelles du ministère de la Culture dans les années 1970, les contacts se sont multipliés avec l’ONF sans pour autant parvenir à une prise en charge commune, cohérente et homogène, du patrimoine archéologique. Une telle situation est en partie imputable à une méconnaissance mutuelle des impératifs réciproques. Mais elle incombe principalement à un défaut de localisation fiable et suffisamment précise des vestiges archéologiques déjà inventoriés. Une fois de plus le fruit de nos travaux est issu d’une rencontre entre archéologues et forestiers. Les contacts noués auraient pu ne conduire qu’à une simple amélioration des connaissances et de la prise en compte des données archéologiques en forêt domaniale de Lyons-la-Forêt 278 (Eure). Nous avons été tentés par la perspective de développer des actions de gestions et de recherche sur un territoire où les volontés étaient présentes. Ces études de cas sont des plus justifiées et nécessaires mais le risque est qu’elles ne deviennent de fait des vitrines masquant une absence de gestion cohérente du patrimoine archéologique en milieu forestier géré par l’ONF. Si la question est régulièrement évoquée par les agents de l’Office et des Services Régionaux de l’Archéologie, elle est loin d’être résolue. Le cœur du débat est bien évidemment la conciliation des impératifs économiques de la gestion et de l’exploitation sylvicole avec les souhaits de préservation des legs anthropiques. Nous nous sommes lancés dans cette voie avec un double objectif : gérer les vestiges identifiés, préserver au mieux les potentiels non reconnus, sources de renouvellement des thématiques de recherche et vivier de données indispensables à toute analyse diachronique et spatiale. 2. - Une expérience en forêt domaniale de Lyons-la-Forêt En novembre 1993 un agent de l’ONF, exerçant ses fonctions au sein de la division de Lyons, entre en contact avec le Service Régional de l’Archéologie à l’issue d’un parcours d’obstacles révélateur du manque de lisibilité extérieur des services de la DRAC. C’est « l’entrée » en archéologie de Jean Meschberger. Les relations, d’emblée fructueuses, sont rapidement officialisées avec les responsables de la division, puis avec la direction régionale de l’ONF. Dans un premier temps, en partant de la documentation existante, les sites répertoriés par la carte archéologique ou par d’autres sources, sont localisés et vérifiés sur le terrain. Il s’agit essentiellement de sites gallo-romains. Rapidement, J. Meschberger acquiert une compétence toutes périodes confondues. A ce jour les sites archéologiques détectés sont, depuis de nombreuses années, des sites inédits couvrant toutes les plages chronologiques depuis le Paléolithique moyen. Les données récoltées concernent tous les triages de la forêt de Lyons (une forêt de 11 000 hectares réputée peu occupée, Dollfus, 1926), ainsi que quelques sites extérieurs au domaine forestier. Outre les découvertes personnelles de l’agent et les informations transmises par ses collègues, le travail accompli draine régulièrement des données auprès de la population locale et des inévitables et indispensables amateurs de toute nature. Les indices réunis sont vérifiés conjointement à l’occasion de deux à trois tournées annuelles. Les données nouvelles sont intégrées à la carte archéologique du ministère de la Culture et les sites inédits déclarés au nom de leur inventeur. T. LEPERT, J. MESCHBERGER Figure 1 : fiche A 50 r/c pour les parcelles 835-838. 279 T. LEPERT, J. MESCHBERGER Figure 1 bis : croquis annexé à la fiche A 50 r/c pour les parcelles 835-838. Depuis 1997, toutes les informations sont transcrites sur les fiches ONF A 50 r/c, relatives aux vestige(s) et élément(s) culturel(s) remarquable(s) (fig.1) et intégrées au sommier de chaque parcelle ONF. Une copie du document est jointe à la déclaration rédigée par le SRA pour nourrir le fichier informatique de la carte archéologique. Les documents papiers sont ensuite versés au fichier communal du SRA. L’information est donc pérennisée au sein des deux services et les interlocuteurs ont la certitude de parler des mêmes sites archéologiques et de disposer de données exploitables par chacun, selon ses missions et son domaine de compétence. 280 La fiche A 50 r/c devient l’archive papier source de toute dématérialisation (fichiers informatisés, SIG) des données archéologiques vérifiées et localisées au sein d’une parcelle ONF. Il garantit la validité de l’information utilisée tant à des fins de gestion patrimoniale et sylvicole qu’à des fins de recherches. Cette fonction peut être remplie par n’importe quel autre document de nature similaire. Il se doit d’être la mémoire validant les informations et recensant les interventions communes sur le site. Il est complété autant que de besoin (fig.1 bis). T. LEPERT, J. MESCHBERGER Figure 2 : les symboles carrés localisent les sites détectés par J. Meschberger depuis 1993. Cette collaboration, au départ informelle, a fait la preuve de ses méthodes et de ses résultats (chiffres sur Lyons : 89 sites inédits et environ autant d’indices de sites et d’informations complémentaires concernant des vestiges déjà répertoriés (fig.2). Il a rapidement paru judicieux de la faire connaître pour susciter de nouvelles initiatives, sans cependant prôner un investissement professionnel et surtout personnel à la hauteur de celui de J. Meschberger. Cette initiative s’est traduite par la mise en place d’une formation professionnelle. 3. - Une formation professionnelle interrégionale En 1995, Jean Meschberger participe à la deuxième session du stage intitulé « archéologie : repérage, protection et mise en valeur des sites en forêt ». Cette formation, organisée à Nancy par le Centre National de Formation Forestière (CNFF) et le Service Régional de l’Archéologie de la DRAC de Lorraine, montre combien la prise de conscience de la nécessité d’une intervention commune, des forestiers et des archéologues, se généralise. Le dossier « Forêt et archéologie » publié dans le numéro 71 de la revue Arborescences (Lecomte, 1997) dessine un état de la question à travers la présentation de nombreuses expériences locales. Cependant une formation nationale ne peut ni rendre compte des grandes diversités régionales et, par conséquent, proposer les adaptations nécessaires, ni toucher un nombre satisfaisant de stagiaires. Pour tenter de pallier ces carences, une formation déconcentrée est organisée à partir de 1999 grâce au chargé de mission inter-régional de formation professionnelle (Monsieur Gérard Esprit) ONF pour les Régions Haute et Basse Normandie, Bretagne et Pays de la Loire. Outre une sensibilisation de base à la détection des vestiges archéologiques et à leur prise en compte dans les pratiques sylvicoles quotidiennes, l’objectif affiché est de toucher suffisamment d’agents de l’Office pour couvrir progressivement l’ensemble des divisions et des groupes techniques. Le résultat des premières sessions (1999 à 2002) est relativement satisfaisant en terme de dispersion géographique des stagiaires. Leur intérêt pour le patrimoine culturel, en général, est indéniable. Il explique sans doute en grande partie leur inscription à un stage dont la finalité est a priori bien éloignée des principales préoccupations 281 T. LEPERT, J. MESCHBERGER Figure 3 : Jean Meschberger lors de la préparation de la formation « archéo » 2004, en forêt de Lyons. Figure 4 : cliché du sondage ouvert en 2000 sur la commune de Rosay-sur-Lieure (27). 1 m 60 de stratigraphie gallo-romaine incluant à sa base un paléosol sur loess (sol brun lessivé). de gestion et d’exploitation sylvicole. A l’issue de cette journée les participants ont rejoint leur triage avec une conception et une approche nouvelle du patrimoine historique, et archéologique en particulier. Au cours de la formation, l’accent est mis sur les conditions préférentielles de conservation des vestiges en milieu forestier. Dans la mesure du possible, la session de formation est précédée de l’ouverture d’un sondage (fig.3) qui permet une visualisation sur le terrain des potentiels stratigraphiques (fig.4 et 5) récurrents des sites « forestiers », potentiels généralement réduits à néant en milieu agricole ouvert. Les premiers retours d’informations indiquent que l’investissement des stagiaires et des formateurs s’avère payant. Mais, si la pertinence de la formation est bonne, seuls des investissements personnels exceptionnels permettraient d’apurer le passif concernant les vestiges archéologiques découverts antérieurement (vérification et localisation parcellaire, intégration des informations nécessaires dans les dossiers correspondants afin de permettre leur prise en compte tant par l’ONF que par les services de la DRAC). En outre, la réorganisation récente de l’Office National des Forêts et les gains de productivités qu’elle demande font que le temps disponible pour des actions non directement productives est limité. En d’autres termes, il s’avère nécessaire d’accompagner cet effort de formation professionnelle par une remise à niveau pro- 282 Figure 5 : cliché du sondage ouvert en 2004 sur le micro-relief 1 de la figure 1bis, commune de Touffreville (27). 1 m 40 de stratigraphie gallo-romaine incluant à sa base un paléosol sur argile sableuse (podzol?). gressive de l’état de la documentation antérieure. 4. - Résorber le passif Il ne saurait être question d’aller aussi loin qu’à Lyons-laForêt. La prise en compte du patrimoine archéologique ne figure pas parmi les missions premières de l’Office National des Forêts, qui respecte par ailleurs ses obligations légales en la matière. Toutefois, l’établissement public dispose désormais au sein de quelques directions territoriales et de sa direction nationale de compétences certaines en matière d’inventaire archéologique en milieu forestier. D’un commun accord, nous avons utilisé ces compétences pour assainir la situation de l’ensemble des forêts domaniales de Haute-Normandie. Cette action ne pouvait se concevoir, dans un esprit de saine gestion, sans assurer à l’ONF un soutien financier. Les financements sont à rechercher auprès des DRAC ou des collectivités territoriales selon le statut des massifs concernés. Ils peuvent prendre la forme de contrats d’études ou de subventions. Dans notre cas, il s’agissait presque exclusivement de forêts domaniales. Cette initiative, prise en 2003, a donc été financée par les deux partenaires DRAC-ONF sur un ratio de 80%-20% pour atteindre les objectifs suivants : sur la base des données de la carte archéologique et T. LEPERT, J. MESCHBERGER des connaissances des agents des unités territoriales, localiser et vérifier les sites, rédiger les fiches A 50 r/c, les intégrer au sommier de chaque parcelle, les transmettre au SRA pour insertion dans les dossiers communaux et enregistrement dans la carte archéologique nationale, sensibilisation des agents et recherche d’un volontaire chargé de suivre la question archéologique avec la DRAC au sein de chaque unité territoriale, en plein accord avec l’Agence Régionale ONF de Haute Normandie. Les deux premiers points ont été pleinement réalisés en 2004 et 2005, nécessitant six mois à plein temps pour une personne. Pour le troisième, seule l’identification d’un correspondant archéologie au sein de chaque unité territoriale est encore incomplète à ce jour. De plus le correspondant archéologie pour l’ensemble de l’Agence Régionale de Haute-Normandie, qui devait devenir l’interlocuteur unique du SRA a, depuis notre colloque de Velaine-en-Haye, quitté la Région. Cette évolution des parcours professionnels, des plus normales, nous conforte dans la nécessité de constituer une ressource documentaire de base, certes minimaliste mais vérifiée et disponible des deux côtés, même si les documents sont « perdus » dans un dossier communal ou dans un sommier plus ou moins bien suivi. 5. - Bilan La très grande majorité des sites archéologiques antérieurement répertoriés en forêt domaniale est désormais localisée sans ambiguïté au sein du parcellaire forestier. Leur structuration apparente et leur état de conservation sont mieux estimés. Il nous est donc possible d’élaborer une politique de gestion des vestiges identifiés qui tienne compte de leur intérêt scientifique potentiel, de leur présence plus ou moins marquée au sein des massifs et des contingences techniques et économiques des pratiques sylvicoles contemporaines. La prochaine étape consistera à reprendre ces données pour en assurer l’intégration et la prise en compte dans les différents aménagements forestiers après définition de normes de gestion en concertation avec l’Agence Régionale et le responsable « patrimoine » à la direction nationale de l’ONF. Les choix à opérer s’avéreront souvent douloureux, d’autant plus que nous n’oublions pas que nous ne raisonnerons que sur une connaissance très partielle du patrimoine archéologique « forestier ». La préservation des potentiels non reconnus à ce jour, évoqués dans l’introduction du présent article, n’a pas été oubliée. Les directives locales d’aménagements ONF (actuelles directives régionales d’aménagements) pour la Haute-Normandie ont été révisées en 1999. Des mesures prophylactiques ont été définies : limiter les curages de mares, respecter les fossés et talus, ne pas niveler les micro-reliefs... Ces prescriptions de base sont depuis reprises lors des révisions des aménagements forestiers. A partir de 2004, la formation professionnelle interrégionale, a été repensée à la lumière des expériences antérieures, en concertation avec nos collègues chargés de ces questions au niveau national (Direction Technique, Département recherche). Ce long travail d’harmonisation des connaissances est un préalable favorable à une saine gestion des vestiges. Il n’est pas pour autant incontournable comme l’indiquent les expériences différentes conduites dans quelques régions. Cette voie correspondait à notre sensibilité. Par contre, cet acquis assure un socle documentaire et relationnel serein propice à l’accueil et au développement de programmes de recherches spécifiques qui n’auront pas vocation à être systématisés. Gestion et recherche archéologiques doivent être distinguées tout en restant en étroite relation. En ce sens notre contribution au thème « gestion des sites archéologiques en forêt » est largement complémentaire des problématiques abordées et des résultats exposés lors des deux journées du colloque. 6. - Conclusion Notre ambition est d’assurer une prise en compte minimale mais homogène des vestiges archéologiques au sein des forêts domaniales. Une telle démarche se conçoit sur les moyen et long termes. Elle n’est en rien spectaculaire et reste donc difficile à valoriser. C’est pourquoi il nous semble fondamental de miser sur les intervenants en place, tant du côté des forestiers que des archéologues. Les moyens à mobiliser sont minimes une fois le passif résorbé. Il s’agit plus d’une attention quotidienne, d’une sensibilisation de base permettant au forestier de réagir sereinement lorsqu’il se trouve confronté au patrimoine archéologique, patrimoine qui reste très majoritairement à découvrir. Le travail de sensibilisation a donc visé les agents de terrain mais aussi la direction régionale de l’ONF pour valider les engagements individuels. L’objectif premier affiché est de vérifier et de pérenniser l’information archéologique dans les fichiers du SRA et dans le sommier des parcelles concernées. Des mesures spéci- 283 T. LEPERT, J. MESCHBERGER bles que parce que nous nous trouvons face à une structure publique d’envergure. Souhaitons qu’il en soit encore ainsi pour longtemps. Bibliographie DOLLFUS M.-A., 1926, Etude archéologique du canton de Lyons-la-Forêt (Eure) et fouilles pratiquées au Quartier du Bout-de-Bas de Lyons-la-Forêt, Bulletin de la Société Normande d’Etudes Préhistoriques, Tome XXV, années 1922-1924, p.125-148. LECOMTE F. (dir.), 1997, Forêts et archéologie, Arborescences,71, p.2-41. Figure 6 : forêt de Retz, sondage ouvert en 2005, maçonneries gallo-romaines en élévation sur 80 cm. fiques n’ont été à ce jour qu’exceptionnellement préconisées, partant du postulat que la meilleure protection est la connaissance du potentiel. Dans ce climat favorable, nos relations se resserrent d’une année sur l’autre. Elles n’ont pas été affectées par la restructuration profonde de l’ONF au cours de ces dernières années. Seule la formation mise en place en 1999 ne s’est pas déroulée en 2003, pour faciliter la restructuration du service de formation inter-régional. Après un retour en forêt de Lyons en 2004, la session 2005 s’est tenue en Picardie (forêt domaniale de Retz, Aisne). A partir de 2006, elle se déroulera sur deux jours pour mieux répondre à la demande des stagiaires. Le caractère inter-régional des formations professionnelles de l’ONF nous a offert l’occasion d’élargir l’expérience. Notre meilleure récompense est que, désormais, la demande de mesures spécifiques plus poussées en faveur du patrimoine archéologique émane des agents et des services gestionnaires de l’ONF. Si certaines prescriptions sont évidentes pour les sites à caractère exceptionnel, des préconisations plus systématiques sont à élaborer avec prudence, en concertation avec la direction nationale de l’Office, compte tenu de leurs conséquences économiques possibles. Enfin, pour terminer, un regret... La prise en compte du patrimoine archéologique au sein des forêts privées reste largement impossible en raison de la multiplication des interlocuteurs. Ce qui revient à constater que les travaux engagés avec l’ONF dans de nombreuses régions et au niveau national ne sont possi- 284 LEQUOY M.-C., 1975, La Forêt de Brotonne à l’époque gallo-romaine, Groupe Archéologique du Val de Seine. PENNA B., 2000, Les fouilles de la villa de Maulévrier (1837-1832), Les manuscrits de Louis-François Le Sage (1762-1851) sur Caudebec-en-Caux et ses environs, p.171-201. Palimpsestes et héritages des polémopaysages dans les massifs du Saillant de Saint-Mihiel Frédéric STEINBACH(1), Jean-Pierre HUSSON(2) (1) Office National des Forêts – Agence de Neufchâteau – 22 chemin de Gréty – 88300 Neufchateau – [email protected] (2) Professeur, Département de Géographie – Nancy 2 – Boulevard Albert 1er – 54000 NANCY – [email protected] Résumé Après la guerre, le classement en Zone Rouge du Saillant de Saint-Mihiel fige les polémopaysages sous des forêts résineuses mêlées à des essences feuillues, ce qui traduit la capacité à cicatriser des régénérations. En décembre 1999, alors que le retour progressif aux peuplements initiaux s’effectue, le passage de Lothar provoque d’importants chablis. Il recrée des paysages proches de ceux de 1918 et sort de leur position fossilisée les vestiges de guerre. L’exploitation, la vidange des bois, les travaux à entreprendre amènent, de façon inédite, à reconsidérer ce territoire placé entre mémorialisation, suivi archéologique et reconstitution sylvicole. Abstract After the First World War, the Saillant de Saint-Mihiel was classified Zone Rouge this heavily fought over ground was progressilevy covered by resinous forest, interspersed by decidious species, this demonstresting a naturel heating capacity. However, in December 1999, while the woods were returning to their pre-war condition, the Lothar storm uprooted many trees, almost recreating the1918 style landscape and unearthing many remains of the war. In a imprecedented situation, the cleanry of the grounds, the tasks to be undertaken, have led this territory to be considered as a memorial, as an archaeological dig and as a site for reforestation. 1914-1918 sont des dates inscrites en lettres de sang dans l’histoire de l’humanité. Elles sont synonymes d’effroyables boucheries, de lots quotidiens de souffrance et de morts, de meurtrissures des corps et des âmes, de mutilations (Puyot, 2004). L’Histoire a surtout retenu de ce conflit les dates des offensives, le nom des commandants, les pertes infligées aux différents belligérants. Avec le recul qui crée de la résilience, voire de l’oubli, d’autres approches de ces heures tragiques de notre histoire sont désormais possibles. Le devoir de mémoire et de souvenir des sacrifices payés relève aussi d’une approche archéo-géographique liée à travers le prisme de paysages qui « sentent » encore la guerre, l’impact des combats qui sont ancrés dans la matrice du sol. C’est le palimpseste, avec ses armatures, ses maillages, ses réseaux. Près d’un siècle après les faits, la forêt a enseveli et fossilisé les lignes de front en réinvestissant le territoire devenu pour les archéologues un objet de recherche et une source confrontable avec une foule d’autres matériaux (photographies aériennes prises entre 1914 et aujourd’hui, carnets de guerre, etc). L’espace concerné appréhendable en fonction des diverses échelles emboîtables (du trou d’obus au massif forestier) est soumis à une dynamique drapante forestière qui fut salvatrice chaque fois que la topographie heurtée née des combats fut conservée. Cet exposé est placé à la croisée de l’histoire et de la mémoire des lieux, de l’évolution sylvicole sur des types stationnels inédits et enfin de l’archéologie des polémopaysages. Il part d’une genèse explicative des massifs, nous éclaire ensuite sur les processus de préservation générés par les reboisements et enfin amène à s’interroger sur la gestion post-tempête à arrêter. 1. - La genèse des massifs 1.1. - L’état du sol après la guerre : des topographies à l’aspect laniéré, des substrats martyrisés Le succès de l’offensive franco-américaine du 12 septembre 1918 sur le secteur du Saillant de Saint-Mihiel est très rapidement commenté par la presse locale et nationale. Les populations exilées n’ont alors qu’une envie : revenir et retrouver leurs biens. 285 F.STEINBACH, J-P. HUSSON La ligne de front n’ayant quasiment pas évolué du 25 septembre 1914 au 12 septembre 1918, et le secteur ayant à plusieurs reprises fait l’objet d’intenses combats, les sols et les habitats ont énormément souffert. Durant 48 mois, des hommes et leurs machines de destruction se sont fait face dans des affrontements d’une violence inouïe, laminant les sols, rayant de la carte des villages, déchiquetant les forêts dont les lisières ont été militairement occupées comme point d’ancrage. Du village de Flirey, une seule maison reste habitable, les villages de Remenauville, Régniéville et Fey-en-Haye, qui étaient à un moment ou un autre situés en première ligne, sont totalement rasés. Dès leur libération, certains ont même servi de carrières pour la remise en état du réseau routier lors de l’offensive libératrice. Avant la guerre, les finages de ces villages lorrains ne différaient pas d’ailleurs. Le blé, l’orge, le seigle et l’avoine étaient cultivés sur un parcellaire organisé en fines lanières souvent réduites à 10 ou 20 ares. Les prairies étaient rares et la plupart artificielles, les agriculteurs introduisant des plantes fourragères dans la partie de l’assolement mise en jachère. Ainsi, ces plantes enrichissaient le sol en azote tout en fournissant de la nourriture au bétail. Les forêts, quant à elles, étaient en majorité des propriétés communales reléguées à l’extrémité du finage. La plupart étaient gérées en taillis-sous-futaie et composées d’essences feuillues. L’impact de la guerre bouleverse totalement ces terroirs. Les sols sont remués par les tranchées prolongées par des boyaux et par les impacts des bombardements parfois diluviens, qui mettent le sol en souffrance (photo 1). Avec l’apparition de la guerre de position et des destructions qui l’accompagnent, les fantassins s’enterrent en pleine campagne. Va alors se développer, notamment sur le front de Flirey, une technique de combat ancestrale mais modernisée, la guerre de mines. Cette technique consiste à creuser sous les lignes adverses, à bourrer une chambre d’explosif puis à la faire sauter pour détruire les défenses ennemies. A Flirey, 130 de ces actions se déroulent sur un linéaire réduit de 1200 mètres de front, y créant des entonnoirs dont les plus imposants ont un diamètre avoisinant les trente mètres et une profondeur de huit à dix mètres. L’openfield est ainsi transformé en une succession de cratères. Les forêts sont également défigurées. Initialement elles servent de camouflage aux troupes. Lors de la contreoffensive française menée sur le plateau de Haye le 25 septembre 1914, les troupes allemandes battent en retraite pour se positionner sur les lignes de crêtes et à la lisière des forêts. Sous cette protection naturelle se développent les zones de cantonnements. On y installe des dépôts pour abriter les troupes et les matériels des observations terrestres et aériennes. Les forêts alimentent la ligne de front en ressources naturelles : des planches et 286 des madriers pour construire les abris et étançonner les sapes, des gaulis pour le gabionnage des tranchées, des moyens et gros bois pour obtenir du charbon de bois et du bois de feu. Les forêts de la ligne de front sont en partie déchiquetées par les obus envoyés sur les retranchements qu’elles abritent. Celles de l’arrière sont épuisées par les prélèvements sauvages effectués par les troupes en campagne ou au repos. Au retour des civils, le paysage est méconnaissable. Ce n’est que ruines sur l’ensemble de la ligne de front. Il faut en priorité se loger alors même que de nombreux villages sont rayés des cartes. Avant même d’espérer la remise en état des terrains, il convient de retrouver les limites de propriétés puisque l’essentiel des bornes ont disparu. Les habitants, qui pour la plupart ont tout perdu, sont encore confrontés aux soucis administratifs inhérents aux règlements des indemnisations ou encore au rachat par l’Etat des biens jugés irrécupérables, pour créer la Zone Rouge. Les dédommagements de guerre accordés aux habitants qui ont perdu leurs habitats, terrains et outils de travail, s’effectuent sur ce secteur, au cours de l’année 1923. L’Etat rachète la quasi-totalité des terrains agricoles et des habitats ruinés situés dans la zone de combats. Les forêts domaniales ou des collectivités territoriales n’y sont pas incluses, mais elles vont, elles aussi, bénéficier d’aides spécifiques à leur reconstitution. Photo 1 : Photo allemande de la ligne de front située au nord-ouest de Flirey prise le 22 août 1917. Elle témoigne des bouleversements du sol occasionnés par les combats. Le parcellaire est celui de la future forêt domaniale des Hauts-de-Mad. (Source : collection particulière) F.STEINBACH, J-P. HUSSON 1.2. - La création des Zones Rouges La question de la reconstruction des zones de combats est abordée assez tôt. Les violents combats de septembre 1914 sur la Marne ont occasionné de nombreuses destructions, amenant très tôt des politiciens à s’interroger sur la manière dont il faudrait reconstruire le pays. Le vote de la loi du 26 décembre 1914 fait de la restauration des régions dévastées et de la remise en état du sol une tâche prioritaire pour le gouvernement. Dès novembre 1914, la fixation du front et son corollaire, la guerre de position, accroissent l’ampleur des destructions. L’État décide alors de mener une véritable réflexion sur le devenir des champs de bataille. Les décisions ainsi prises peuvent être appliquées dans les secteurs où se sont opérés des retraits de troupes allemandes. Dès le début de l’année 1918, le ministère des Régions Libérées peut ainsi commencer ses enquêtes de terrain sur l’évaluation des destructions. De son côté, le législateur développe des outils juridiques pour définir le cadre d’intervention de l’État. Les circulaires du 17 janvier 1918 et du 1er février 1919 précèdent la loi sur la Réparation des dommages causés par les faits de guerre, qui est votée le 17 avril 1919. Convaincus que l’Allemagne paiera l’intégralité des dommages de guerre, les parlementaires français adoptent au printemps 1919 le principe d’un dédommagement individuel et intégral des propriétaires sinistrés. L’Etat s’engage à prendre en charge les travaux de remise en état des terres, mais impose aux communes l’élaboration de plans d’urbanisme au travers de la Loi Cornudet. Il encourage également les sinistrés à se regrouper au sein de coopératives. Les travaux de remise en état commencent sur une partie du territoire, mais faute d’une définition juridique précise, les terres fortement bouleversées sont gelées et aucun travail n’y est réalisé. Il faut attendre la circulaire 134 du 13 mars 1920 qui précise la notion de terres incultivables pour définir une nouvelle politique. Sont dites incultivables « les terres pour lesquelles on juge inadmissible soit les frais, soit les délais de remise en état de productivité comparable à l’état d’avant-guerre » (Amat, 2000). Dans les faits, sur le territoire qui nous intéresse, il ne semble pas que la notion de délais de remise en état de productivité ait été prise en compte. D’après la délimitation de la Zone Rouge, autrement dit le liseré coloré en rouge qui englobe ces terres, c’est plutôt l’aspect économique qui a été retenu. Entre Flirey et Fey-en-Haye l’espace classé en Zone Rouge correspond au tracé de la ligne de front. Ce classement concerne principalement les habitats et les terres agricoles. La reconstitution forestière n’exige pas expressément un sol plane, nettoyé de toutes les traces laissées par les combats (tranchées, abris, munitions …). Elle peut continuer à se développer ou renaître à partir d’une topographie heurtée. Malgré cette latitude, sur le territoire de Flirey, l’Etat va racheter des forêts privées cédées par actes du 31.12.1925 et 21.09.1926. Ces achats sont réalisés en vue de la reconstitution forestière, mais sans intégrer les parcelles concernées à la Zone Rouge. Les habitants sont dédommagés de la perte de leurs biens, suivant des critères de rachat que nous ne connaissons pas. Il semble que les remboursements aient pris en compte la surface, le type d’occupation du sol, et peutêtre le rendement. Les terres désormais dénommées “Zones Rouges” sont classées en trois catégories : Les terrains susceptibles d’être remis en état de culture plus ou moins complète et destinés, en principe, à être rétrocédés à des particuliers, tous travaux de désobusage, destruction des projectiles et enlèvement des réseaux de fils de fer préalablement exécutés par l’Etat. Les terrains non susceptibles d’être remis en culture et destinés à être boisés en vue de la formation ou de la reconstitution des forêts domaniales. Les terrains destinés à être classés comme vestiges de guerre ou transformés en camps d’instruction militaire. Pour les deux premières catégories citées, « le classement est prononcé par le ministère des Régions Libérées sur présentation du Préfet, après avis des maires des communes concernées ». Un lotissement par commune des terrains rachetés par l’Etat et destinés à être vendus sera effectué par l’Administration. Les lots de 1 à 25 hectares sont mis en vente dans la forme normale et sur mise à prix à l’hectare fixée par l’Administration. A égalité d’offres, la priorité est donnée aux sinistrés, propriétaires de terrains rachetés par l’Etat, puis aux autres habitants de la commune, et enfin aux habitants des communes limitrophes. Le critère de délimitation de la “Zone Rouge” peut faire l’objet de critiques puisqu’il est essentiellement critérié sur des paramètres économiques et non sur l’aspect sécuritaire. Nous constatons que la Zone Rouge englobe davantage les positions allemandes que alliées. Cette observation s’explique par le fait que les troupes allemandes se sont très rapidement retranchées dans des abris profonds, comportant des ouvrages bétonnés. Les substrats concernés sont presque toujours irrécupérables et donc intégrés au classement en Zone Rouge. Les forestiers sont associés au tracé des délimitations des terrains destinés à créer les futures forêts domaniales de Front de Haye et des Hauts de Mad. En 1925, ces espaces sont remis à l’administration des Eaux et Forêts en vue d’être boisés. 1.3. - La politique de reconstitution forestière L’acte de naissance des forêts domaniales de Front de Haye (650 ha) et des Hauts de Mad (290 ha) date de 1925. Plus qu’une naissance, cette date est celle d’une 287 F.STEINBACH, J-P. HUSSON renaissance, d’une volonté de réattribution d’une forêt nouvelle à un territoire meurtri. En forêt de Front de Haye, les travaux débutent immédiatement par la plantation de plusieurs milliers de feuillus, notamment des chênes, des hêtres et des frênes. L’année suivante 3000 épicéas sont introduits dans la même parcelle. En 1927, les forestiers poursuivent la plantation de feuillus mais repiquent surtout des pins noirs d’Autriche et des épicéas communs. Si la plantation de frênes semble être abandonnée, de nombreux plants d’érables sycomores sont introduits. Sur le massif des « Hauts de Mad », les premiers travaux de plantation débutent en 1927. Le processus est inversé de celui que nous venons de présenter, à savoir, l’introduction d’érables sycomores en quantité supérieure aux plants de pins noirs d’Autriche, de douglas et d’épicéas communs. Nous ne connaissons pas les raisons qui ont amené les forestiers à inverser la dominance de plants entre les feuillus et les résineux. Cette inversion n’est pas liée à l’ancienne occupation du sol, puisque dans les deux cas, nous sommes en présence d’espaces anciennement cultivés. Si l’on s’en réfère à la note définissant les travaux de reboisement à entreprendre en fonction de l’ancienne occupation du sol, il est préconisé de reboiser en « peuplements mélangés avec introduction d’essences exotiques appropriées à la région, notamment le Douglas »1. Dans les faits, la plantation en peuplements mélangés est respectée avec l’introduction de quatre à six essences comprenant des feuillus et des résineux, même si nous observons des inégalités au niveau du nombre de plants par essence. Par le terme « essences exotiques », le rédacteur a certainement voulu désigner toutes les essences forestières non présentes à l’état naturel dans les forêts avoisinantes, soit toutes les essences résineuses, comme le douglas, le sapin de Vancouver, le mélèze d’Europe, le pin noir d’Autriche et l’épicéa commun. Ce sont ces deux dernières essences qui sont le plus couramment utilisées pour le secteur concerné, mis à nu, décapé où il fallait en préalable à toute action à long terme recréer une ambiance forestière2. Entre 1928 et 1934, les replants feuillus introduits périssent faute d’avoir été installés sur un substrat un peu rétabli (le découpage avait laissé des substrats minéralisés mêlés à du « militaria » (Amat, 2000). De nombreux matériaux avaient été arrachés à la roche mère parfois pulvérisée par la violence des déflagrations dues au pilonnage et aux actions de mine, recouvrant la terre arable et la faisant disparaître. Les essences feuillues n’ayant plus d’horizon humique pour se développer n’ont pas arrivé à s’implanter ni à survivre sur ces horizons bouleversés. Malgré les difficultés énoncées, dès la fin de l’année 1933, le Front de Haye est presque entièrement parcouru en première plantation. A peine un quart des parcelles, soit 144,68 hectares, reste livré au pâturage3. Dès 1934 commencent les opérations de regarnis. A la même date, la plantation des Hauts de Mad est achevée. Plusieurs dizaines de milliers de plants sont utilisés pour effectuer les regarnis. Ce chiffre paraît important. Un courrier du brigadier des Eaux et Forêts Billaudel d’Essey-Maizerais en date du 19 décembre 1937 nous éclaire à propos des échecs sylvicoles initiaux. Cette lettre destinée à son supérieur précise que dans certaines parcelles « la réussite des premières plantations est pour ainsi dire nulle ». Beaucoup de jeunes plants dénués d’abri ont séché ou on souffert du froid. La seconde Guerre Mondiale bouleverse le processus de reconstitution de ces terrains. Le repiquage de plants s’interrompt. Les 137,68 hectares de la forêt de Front de Haye « non parcourus » et donc restés à l’état de prairies sont incorporés dans des Ostland prévus par l’administration allemande d’occupation afin d’être mis en culture. Au lendemain de la guerre, les travaux de reforestation reprennent par des regarnis ponctuels dans les parcelles. Là encore, plusieurs centaines de milliers de plants résineux sont introduits en regarni. Ces travaux entrepris entre 1950 et 1958 sont subventionnés par le Fonds Forestier National. A cette date, les travaux de plantation cessent puisque des projets d’implantation de dépôts d’hydrocarbures pour le compte du ministère des Armées sont envisagés4 (photo 2). L’administration forestière ne souhaite plus engager de nouveaux frais dans les plantations sans connaître la zone concernée par ces implantations. Après avoir défini les périmètres choisis (SaintBaussant, Vilcey-sur-Trey, Thiaucourt-Régniéville) pour bâtir ses dépôts, l’Armée mobilise l’essentiel du potentiel de main d’œuvre locale disponible. Elle offre des salaires attrayants contre lesquels l’administration forestière n’a pas la possibilité de rivaliser5. Le rythme des travaux sylvicoles entrepris s’en ressent alors qu’il faut progressivement organiser la phase de (1) Note du directeur général des Eaux et Forêts à destination du conservateur de Nancy, en date du 1er décembre 1925. Carton « Reboisement Front de Haye » Agence O.N.F de Meurthe-et-Moselle Nord, Nancy. (2) Brouillon d’un courrier titré « Instructions sur la Zone Rouge », ni signé ni daté, carton « Reboisements Front de Haye », Agence O.N.F. Meurthe-et-Moselle Nord, Nancy qui signale que « Le pin noir semble être avec l’épicéa, mais surtout le premier, les essences qui conviennent le mieux à la région ». (3) Courrier du brigadier des Eaux et Forêts Billaudel d’Essey-Maizerais à Monsieur le garde général des Eaux et Forêts à Briey en date du 19 décembre 1937, carton « Reboisements Front de Haye », Agence O.N.F. Meurthe-et-Moselle Nord. (4) Dossier « aliénation de 58ha 44a 55ca créant le dépôt U.S de Metz A, carton « F.D. Hauts de Mad », Agence O.N.F. Meurthe-et-Moselle Nord, Nancy. (5) Note du 24 janvier 1957 de Monsieur Pigne en sa qualité d’Ingénieur Principal des Travaux des Eaux et Forêts, faisant le point sur les sommes allouées dans le cadre des contrats du Fond Forestier National et les travaux à réaliser pour les travaux de reboisement de la forêt domaniale de Front de Haye, dossier exercice 1958, carton « Reboisement Front de Haye », Agence O.N.F. Meurthe-et-Moselle Nord, Nancy. 288 F.STEINBACH, J-P. HUSSON Photo 2 : Vue aérienne de 1958 de la forêt domaniale des Hauts-de-Mad présentant les travaux de boisements et l’implantation du dépôt d’hydrocarbures de SaintBaussant. L’enrésinement donne un coloris foncé à ces forêts, par rapport à la régénération naturelle réalisée dans les forêts communales alentours (Source : collection particulière). transition amenant la réintroduction sous couvert des pins noirs alors en position dominante et des épicéas. Ces résineux constituent le peuplement de transition et atteignent un âge d’exploitabilité. De ce fait ils présentent un état sanitaire moyen et de nombreux cas de dépérissement ont pu être observés. Pour lutter contre ce problème sanitaire, le besoin de régénération est prématurément entamé. Il débute dans les années quatre-vingts mais accuse vite du retard par rapport aux objectifs initialement prévus. Aujourd’hui, il y a urgence à faire aboutir la phase de transformation le plus rapidement possible, tant que nous pouvons encore compter sur ce qui reste du peuplement de transition malmené par la tempête du 26 décembre 1999, de plus en plus menacé par son état sanitaire. La forêt domaniale du Bois-le-Prêtre relève d’un cas de figure différent de celui des deux massifs précédemment étudiés. Cette forêt dite « ancienne » existait avant la première Guerre Mondiale. Sa superficie actuelle (347,74 ha) est très proche de celle de 1914 (309,12 ha). Pendant quatre années, les combattants français et allemands se sont affrontés en son sein au cours d’effroyables attaques faisant près de 14000 victimes. Malgré ces terribles événements, cette forêt n’est pas intégrée à la Zone Rouge alors que son sol et ses peuplements sont effroyablement meurtris par les combats. Avant la guerre, cette forêt était en conversion, étant progressivement préparée à passer du taillis sous futaie à la futaie feuillue. Cette opération était déjà réalisée sur un quart de la forêt. Au lendemain des combats, les forestiers établissent le bilan des dégâts subis dans les peuplements : 177,19 hectares sont totalement détruits, 83,27 hectares sont fortement endommagés et 86,39 hectares sont subsistants. Les parcelles déclarées totalement détruites se situent de part et d’autre de la ligne de front (fig.1). L’évaluation des dégâts étant faite, les forestiers s’attachent à retrouver les limites et exploiter les arbres mitraillés et les quilles qui ne peuvent plus servir de semenciers. Ensuite, ils entament la reconstitution des peuplements endommagés. Cette question a été abordée à plusieurs reprises durant le conflit. Le souci est exprimé par des hommes politiques, en particulier Louis Marin ou encore par des forestiers engagés dans le conflit, témoins des souffrances faites aux bois. Après 1918, les actes concrets succèdent aux réflexions préliminaires menées. Dans les archives forestières, nous n’avons trouvé que peu de traces sur la reconstitution forestière à engager dans les forêts touchées par les combats. Seul un courrier du Directeur Général des Eaux et Forêts adressé à Monsieur le Conservateur de Nancy, en date du 1er décembre 1925, stipule qu’en règle générale, dans les anciens massifs forestiers où l’état boisé n’a pas entièrement disparu, qu’il convient de : 289 F.STEINBACH, J-P. HUSSON En 1959, les 347,74 hectares de la forêt domaniale de Bois-le-Prêtre se répartissent ainsi : 309,60 hectares possèdent une couverture feuillue naturelle, 36,62 hectares sont issus de la politique de reboisement (photo 3). Cette forêt est composée d’essences mélangées et intègre des zones de taillis pauvres héritées des événements passés. En 1974, ces zones sont plantées en résineux après avoir été nivelées. Avec le recul, cette pratique peut être jugée malheureuse. Le nivellement est une opération coûteuse. Elle gomme les traces du passé et surtout bouleverse des sols qui étaient en cours de lente reconstitution. Devant l’insuccès de la reprise des plants, le recours à la régénération artificielle est définitivement abandonné au profit de la régénération naturelle. ! "# # $% "$# & #$ ' $ " ' $ () 0 1 Km Figure 1 : Cartographie des dégâts occasionnés par les combats au Bois-le-Prêtre. (Source : collection particulière) procéder au plus tôt à l’exploitation des bois mitraillés susceptibles d’être vendus, dégager les semis d’essences précieuses, reboiser les vides. Ce courrier mentionne la présence potentielle de semis. L’observation des cartes postales et photos de la ligne de front confirme cela. Malgré les forts bouleversements du sol, la vie a repris, les semis sont abondants. Le rédacteur qui a retranscrit l’état de destruction des peuplements mentionne la présence de nombreux semis de hêtres, de chênes et de charmes. Les recommandations sont alors faites de planter dans les vides de l’érable sycomore, du frêne et du chêne. En 1926 commencent les premiers travaux de plantations et de dégagement de semis. Jusqu’en 1931, 61 850 plants sont introduits. Ces travaux contrairement à ce que nous pouvons penser, ne sont pas localisés dans les parcelles les plus détruites. Le nombre de plants reste faible en comparaison avec la superficie de cette forêt, ce qui laisse sous-entendre que de nombreux semis sont présents. Cette hypothèse est confirmée par les relevés de déclarations de travaux mentionnant de nombreux dégagements de semis échelonnés entre 1927 et 1936. Les photographies prises sur les anciens champs de bataille démontrent cette réalité. Le 10 juin 1931 est signé le document d’aménagement provisoire, établi pour une durée de 12 ans. Il préconise la plantation de pins noirs d’Autriche là où la futaie a été complètement détruite. 5000 plants sont alors introduits. Comme dans le cas précédent, le déclenchement de la Seconde Guerre Mondiale, engendre l’arrêt de la politique de reconstitution des massifs forestiers. 290 En 1990, l’aménagiste décrit cette forêt comme étant une hêtraie âgée de 60 à 70 ans sur 94 % de sa superficie, les 6 % restant étant classés en taillis pauvre et ruiné, soit environ 21 hectares. 1.4. - La tempête Lothar Le 26 décembre 1999, l’ouragan Lothar traverse d’Ouest en Est le pays et détruit d’immenses espaces forestiers. Les forêts domaniales du Front-de-Haye, des Hauts-deMad et du Bois-le-Prêtre dont une partie importante des bois sont sur le retour ou prématurément vieillis sont sévèrement touchées par cet événement. Les hautes futaies résineuses en âge d’exploitabilité mais qui ne l’étaient pas puisque la transformation était seulement en cours de réalisation, sont hachées par la force du vent. De nombreux résineux sont cassés à mi-hauteur par le vent qui s’est engouffré dans leurs ramures. Suite à la catastrophe, 12 000 m3 sont exploités sur la forêt des Hautsde-Mad, 50 000 m3 en forêt de Front-de-Haye. Les régénérations naturelles et artificielles de hêtres entreprises depuis moins d’une vingtaine d’années, n’ont pas été touchées par ces événements du fait de leur faible hauteur. La commercialisation des chablis s’avère très aléatoire étant donné la faible qualité des bois. Ils sont donc destinés à la trituration pour être transformés en panneaux de particules. Dans la hêtraie du Bois-le-Prêtre, les sols superficiels installés sur la dalle calcaire ne permettent pas aux systèmes racinaires de s’ancrer en profondeur. Les sols ont été détrempés par les pluies abondantes qui ont précédé le passage de Lothar. Cette situation génère de nombreux chablis, 15 000 m3 y sont commercialisés. Il s’agit essentiellement de hêtres. Là aussi, faute de mieux et dans l’urgence qui s’impose, la grande majorité de ces bois est destinée à la trituration voire au chauffage pour les plus gros bois suspectés de la présence de mitraille. Une partie de ceux ayant un diamètre compris entre trente-cinq et soixante centimètres est destinée au marché du tranchage. F.STEINBACH, J-P. HUSSON saisons et les forestiers vont attendre qu’ils soient en âge d’exploitabilité pour entamer les travaux de transformation. Durant toute cette période, les vestiges ont ainsi pu bénéficier de la protection du couvert forestier. Cette dernière n’affecte pas les vestiges situés sur les terres agricoles exclues du classement en Zone Rouge. Au fur et à mesure de la remise en état de culture de ces parcelles, les reliefs ont été nivelés. En dehors de quelques abris bétonnés difficiles à gommer du paysage, il ne reste guère de vestiges visibles en milieu ouvert. 2.2. - Les vestiges menacés par l’exploitation forestière Photo 3 : Vue aérienne de la forêt du Bois-le-Prêtre en 1958, les peuplements foncés correspondent aux enrésinements. (Source : collection particulière) Des quilles parsemant les parcelles, des sols bouleversés par les galettes, voici à quoi ressemblent les forêts dévastées par la tempête. Cette vision est semblable à celle apocalyptique des forêts touchées par les combats au lendemain de la Première Guerre Mondiale. 2. - Les héritages historiques 2.1. - La forêt protectrice Au début des années vingt, lors des discussions menées sur le devenir possible des zones de combats, la polémique grandit à propos du boisement de la Zone Rouge. Pour beaucoup d’anciens combattants, cette technique était synonyme de destruction des vestiges. A l’inverse, pour l’Etat, cette politique était le moyen idéal de cacher le plus rapidement possible, et à moindre coût, les meurtrissures inscrites sur les polémopaysages tout en les conservant par la fossilisation. Lors de la création de ces forêts, les seuls travaux de sols qui ont été entrepris relèvent de l’organisation du parcellaire. Les plantations ont peu endommagé la topographie heurtée du champ de bataille, puisqu’elles étaient réalisées manuellement. Les plants disposés en quinconce, à 1,50 mètre les uns des autres, représentaient l’introduction de 4 444 plants à l’hectare, ce qui correspond à une densité élevée. Pendant près de 60 ans, ces tiges plantées lors des premières campagnes de boisement croissent au rythme des Au milieu des années quatre-vingts, les peuplements résineux créés arrivent en âge d’exploitabilité, le sol forestier étant reconstitué par soixante années de boisements. Les personnels de l’Office National des Forêts décident de s’engager dans un processus de transformation, qui a pour objectif, de retrouver une forêt stationnelle. Localement les hêtraies croissent sur substrat calcaire. Les peuplements sur pied sont exploités, ce qui nécessite la pénétration d’engins dans les parcelles. Les tranchées fossilisées constituent un obstacle physique à la mobilisation des bois, ce qui engendre des frais supplémentaires d’exploitation. La transformation attendue, autrement dit le passage à la hêtraie s’effectue par plantation par coupe rase sous bande d’abri. Des bandes sont ouvertes sur une largeur de six à dix mètres dans le peuplement existant qui va jouer un rôle d’abri pour les jeunes plants de hêtres. Lors de cette ouverture, les bandes préparées sont généralement nivelées. Cette opération est traumatisante pour les peuplements installés sur des sols brutalement remodelés, et s’intègre mal dans le paysage. Lorsque les plants de hêtres atteignent une hauteur de douze mètres, les bandes d’abris mitoyennes sont à leur tour exploitées. Ces travaux peuvent intervenir plus tôt dans le temps si l’état sanitaire des peuplements l’exige. Afin de réaliser d e s travaux dans les bandes d’abris ou dans les bandes de plantation, il est nécessaire de maintenir un cloisonnement d’exploitation entre elles. La surface du sol est nivelée sur cette emprise. Ces travaux de sols permettent une pénétration plus facile des engins pour assurer les travaux ultérieurs ainsi que des ouvriers amenés à entretenir régulièrement ces peuplements. Au final, par les procédés choisis, les exploitations réalisées depuis une vingtaine d’années effacent les traces du passé. L’orientation des cloisonnements est établie en fonction de l’ensoleillement et du sens du vent, sans tenir compte du positionnement des vestiges. Il serait pourtant relativement aisé de prendre en compte l’ensemble de ces paramètres de manière à concilier préservation et exploitation. Il suffirait d’établir des cloisonnements positionnés en priorité parallèlement aux tranchées les plus importantes. Ces dernières allant dans diverses directions, il conviendrait d’atténuer légère- 291 F.STEINBACH, J-P. HUSSON ment les reliefs aux endroits coupés par les cloisonnements de manière à conserver la mémoire du sol. De même, les cloisonnements pourraient être tracés de part et d’autre des vestiges les plus marqués. L’utilisation de telles pratiques nécessiterait de déroger aux règles de sylviculture qui préconisent la réalisation de cloisonnements à intervalles réguliers. Cette pratique dérogatoire faciliterait la conservation des vestiges qui pour l’instant ne font pas l’objet de protections particulières et de ce fait ne sont guère pris en considération dans les aménagements forestiers. 2.3. - Les mesures de protection A ce jour, les mesures de protection concernant les vestiges militaires de cette période sont quasi inexistantes. Ces traces ne semblent pas assez vielles pour être considérées comme des vestiges archéologiques. C’est mal interpréter le contenu de la loi de 1941 relative à la réglementation sur les fouilles archéologiques. Cette dernière stipule que « nul ne peut effectuer sur un terrain lui appartenant ou appartenant à autrui des fouilles ou des sondages à l’effet de recherches de monuments ou d’objets pouvant intéresser la préhistoire, l’histoire, l’art ou l’archéologie, sans en avoir au préalable obtenu l’autorisation ». La Grande Guerre constitue bien un événement majeur de l’histoire de France et de l’histoire de l’humanité. A ce titre, elle a généré des vestiges qui doivent être préservés. A ce jour, seul vingt-neuf sites et monuments historiques sont classés au titre de la loi de 1913 et quatre le sont ou sont en cours au titre de la loi de 1930. La surabondance des vestiges encore visibles sur les champs de batailles qui correspondent aux trois massifs évoqués laisse indifférents la plupart des citoyens. Cette situation pénalise toute velléité de conservation et il est impossible de tout conserver. L’érosion du souvenir et du devoir de mémoire amène à faire peu de cas des zones chargées d’histoire dramatique que nous évoquions. L’Etat a fait en sorte de valoriser et protéger un certain nombre de sites reconnus, laissant les autres tomber dans l’oubli. Sur le secteur qui nous concerne ici, il n’existe pas pour l’instant de sites protégés. Pourtant, dès le lendemain de la guerre, des forestiers ont fait en sorte de préserver certaines zones qu’ils considéraient comme des sanctuaires. Ainsi, les trois villages détruits de Remenauville, Régniéville et Fey-en-Haye ont été englobés dans la forêt de Front-de-Haye. Dans les aménagements forestiers, ces ruines sont classées « hors aménagement », ce qui sousentend que l’on n’y réalise aucun travail. Trois hectares situés autour de l’emplacement de la Croix des Carmes, en forêt domaniale du Bois-le-Prêtre furent ainsi classés par les forestiers, dès 1918, ce qui permit de conserver le sol en l’état. Sur ce haut lieu des combats, Français et Allemands perdirent autour de 7000 combattants de part et d’autre. En décembre 1995, le Préfet de Meurthe-et-Moselle a 292 commandé à la DIREN une étude préalable au classement du site du Bois-le-Prêtre. Le résultat a été présenté en juin 1997. Il préconisait de mettre en place une mesure de classement au titre de la loi de 1930 sur la protection des sites. Actuellement, le périmètre d’étude est en phase de finalisation et l’enquête publique va alors pouvoir commencer. Pour prendre en compte la préservation des vestiges subsistants, il va falloir dans un premier temps réaliser la cartographie de l’existant en croisant les données cartographiques indiquées sur les canevas de tir avec les informations qui concernent les travaux de sols réalisés jusqu’à présent. Il faudra ensuite définir les zones de préservation des vestiges subsistants et en dresser un état des lieux. Enfin, il conviendra de rédiger le plan de gestion forestière décrivant les modes d’intervention dans ces secteurs. 3. - Les nouvelles interrogations 3.1. - Quelle gestion forestière post-tempête ? Au lendemain de la tempête, tout comme au lendemain de la guerre, les démarches à effectuer ont été similaires. Les forestiers ont pratiquement dû appliquer les mêmes modes d’intervention, en évaluant dans un premier temps les dégâts, puis en commercialisant les bois avant de songer à la reconstitution. Les travaux de débardage créent d’innombrables détériorations des infrastructures existantes. Les polémopaysages à nouveau renversés par la violence des vents méritaient une réflexion particulière, un traitement hors norme de leurs vidanges. L’ONF a ponctuellement mis en place plusieurs modes d’exploitation spécifiques dans un souci de préserver certains sites sensibles. Aussi, sur les trois hectares du Bois-le-Prêtre, il a été décidé de ne pas commercialiser les chablis afin d’éviter la pénétration de lourds engins sur cette zone relique, ce qui serait néfaste à la conservation en l’état du lieu. Les nombreuses ferrailles encore présentes sur ce secteur auraient certainement constitué un frein à la vidange des chablis. Il était nécessaire d’enlever prudemment ces bois pour garder une bonne lisibilité des vestiges. L’agent ONF en charge de cette forêt a proposé à un affouagiste consciencieux de réaliser ce travail en lui spécifiant les contraintes à respecter. Les bois débités ont alors été sortis à l’aide d’une brouette et d’un petit tracteur, lors de périodes climatiques particulières, permettant de ne pas endommager les sols avec des ornières difficiles à cicatriser. Sur les villages détruits de Fey-en-Haye, de Remenauville ainsi que sur le site des entonnoirs de mines de Flirey, sites valorisés ou en passe de l’être, c’est à l’aide de la traction animale que les bois ont été exploités. Les grumes résineuses moins denses que les grumes feuillues ont été débardées à cheval et amenées au bord des routes, prêtes F.STEINBACH, J-P. HUSSON à être chargées par les grumiers. Cette technique n’a pas occasionné de dégâts au niveau des sols. Les chevaux opérant avec une grande maniabilité, il n’a pas été nécessaire de leur aménager des couloirs d’exploitation. Le recours à cette technique est très intéressant, sous réserve de veiller à ce qu’il ne subsiste pas de ferrailles au sol afin d’éviter de blesser les chevaux. Ces méthodes douces adoptées sur des sites bien précis ont contribué à leur préservation. Ce préalable précède la question de la reconstitution des forêts. 3.2. - Quelle reconstitution forestière ? Ayant déjà eu à gérer par le passé d’importantes chutes de chablis, l’ONF a décidé de ne pas travailler dans la précipitation. Un temps de réflexion était nécessaire pour aborder la question de la reconstitution forestière. L’ampleur des dégâts, le manque d’ouvriers forestiers et d’engins de débardage et de transport, conduisaient à la prudence avec en préalable le classement des priorités à opérer. Les forêts du secteur qui nous concerne ont mauvaise réputation auprès des acheteurs. Des bois y sont encore mitraillés et d’importantes surfaces posent des problèmes d’exploitabilité liés aux bouleversements du sol. Dans les forêts de la Zone Rouge, les grands chablis occasionnés par le passage de Lothar ont pour conséquence immédiate de précipiter le processus engagé de la transformation. Devant les surfaces énormes à reconstituer, les professionnels de la filière bois doivent favoriser le recours à la régénération naturelle. Les 70 années d’enrésinement ont heureusement permis la reconstitution d’un sol forestier favorable à l’apparition de semis feuillus. Dès 2001, de nombreuses parcelles sont concernées par la présence de semis de hêtres. C’est à leur préservation que les forestiers s’attachent à travailler afin qu’ils constituent les peuplements de demain. Pour ce faire, les parcelles sont cloisonnées tous les douze mètres afin de permettre l’entretien futur de la régénération. Au niveau des semis, il est décidé de ne pas pratiquer de sélection et ainsi d’obtenir une biodiversité accrue, et profiter des apports de certaines essences. Ainsi, la grande quantité des semis de frêne sert à former un couvert très vigoureux en début de cycle du gaulis. Faute de trouver la ressource en eau nécessaire, cette essence finit par dépérir. La transition ménagée a eu l’avantage d’apporter l’ombre nécessaire au développement sous abri des semis de hêtres. 3.3. - Quels héritages naturels pour demain ? Les polémopaysages drapés par les forêts ont à la fois enseveli des vestiges militaires et un héritage naturel à relier à l’ancienne occupation des finages avant 1914. Ces legs relèvent de trois types de catégorie d’objets. Les champs de bataille conservent des plantes obsidionales, marqueuses d’une activité humaine passée. Ainsi sur les villages détruits, et principalement sur celui de Feyen-Haye, le promeneur averti peut, au fil des saisons, découvrir une dizaine de plantes introduites par l’Homme à diverses époques d’avant-guerre. Ces plantes sont soit relictuelles, soit nourricières, soit ornementales ou encore médicinales. Il s’agit de groseillers rouges, de perce-neige, de jonquilles cultivar, de seringa, de doronic orientale, de lilas rose, de houblon …. Pour cette dernière espèce, nous savons qu’elle a été introduite sur le secteur par les familles mosellanes ayant opté pour l’exil au lendemain de la guerre de 1870. En 1914, il subsistait encore sept houblonnières, localisées dans les meix, sur le plan de l’ancien village de Fey-en-Haye. L’héritage légué est fragile. Le moindre bouleversement du milieu naturel sur lequel ces plantes se trouvent risque d’entraîner leur disparition. Le milieu étudié abrite encore quelques arbres relictuels qui ont été témoins de la guerre. Dans les anciennes forêts proches de la ligne de front, il subsiste des arbres porteurs des stigmates des combats. Au lendemain de la guerre, il avait été demandé aux forestiers d’exploiter les quilles. Certaines furent préservées, même profondément meurtries. Elles correspondent à des arbres qui conservaient leur rôle de semencier, nécessaire à la reconstitution des forêts endommagées. Ainsi, des sujets meurtris sont parvenus jusqu’à nous. Certains comportent de nombreux impacts de balles, de fragments d’obus ou de grenades, d’autres sont encore équipés d’isolateurs électriques fixés sur leur tronc ou d’échelons permettant d’accéder à la fourche transformée en poste d’observation. L’essentiel de ces individus sont en fin de vie. De derniers témoins vivants, ils deviennent pour quelques-uns des reliques. C’est le cas de la quille de chêne mitraillé présente à la Croix des Carmes. Ce témoin des combats est très poignant pour ceux qui le découvrent. L’ONF est depuis quelques années interrogé par les communes environnantes, sur la manière de conserver cette bille de bois, aujourd’hui soumise à un état de dégradation avancé. La solution la plus raisonnable est de la sortir du site, de la sécher puis de traiter le bois avant de lui donner une destination muséographique. La plupart de ces reliques vont finir leur vie en bois de chauffage. Plus globalement, les reboisements effectués pour recréer de l’ambiance forestière sont aujourd’hui les derniers témoins végétaux des combats de la Grande Guerre. Ces boisements de la Zone Rouge définis par l’introduction de résineux ont très fortement marqué le paysage. Aujourd’hui, ces peuplements résineux se font de plus en plus rares et l’on peut se demander s’ils méritent d’être partiellement préservés comme témoin d’une époque. Est-il pertinent d’opérer cette préservation qui, pour témoigner, figerait ponctuellement un sylvosystème par définition dynamique, cyclique ? Si le changement d’essences n’interpelle pas un néophyte des questions forestières ou paysagères, il doit en revanche amener les spécialistes de ces questions à s’interroger sur la présence 293 F.STEINBACH, J-P. HUSSON pérenne de cette bande enrésinée étendue tout du long du Saillant et même au-delà. C’est vu du ciel que le constat est le plus flagrant. En effet, du Nord de Verdun à Pont-à-Mousson, il est possible de suivre l’ancienne ligne de front en suivant ces enrésinements. Or, la transformation qui est entreprise depuis maintenant une vingtaine d’années fait, peu à peu, disparaître ce traceur. D’ici quelques décennies, ces forêts dites « nouvelles » mais qui renouent avec l’ancienne logique stationnelle des lieux vont alors avoir le même faciès que les forêts « anciennes ». Les feuillus, et notamment les semis de hêtres, s’installent peu à peu sous les peuplements résineux, ils colonisent ces espaces forestiers aux sols humiques reconstitués sur lesquels ils sont en station contribuant par là même à gommer une partie de l’empreinte paysagère héritée de la Grande Guerre. En ouvrant brutalement les peuplements, la tempête Lothar crée d’innombrables clairières. Ces dernières favorisent l’implantation des semis, engendrant ainsi l’accélération de ce processus de gommage des boisements heurtés des polémopaysages meurtris. En conclusion, les préoccupations historiques ici exprimées en terme de palympseste enfouis (le front et les réseaux de tranchées) rencontrent les processus de dynamiques forestières brutalement perturbés par les grands chablis occasionnés par le passage de Lothar. Cette confrontation montre la complexité des phénomènes à identifier, analyser, gérer et faire évoluer. Une réflexion globale, pleinement pluridisciplinaire, ouverte, audacieuse et dialoguée doit permettre d’accompagner les changements opérés sur le matériau forestier vivant et de soigner les représentations à attendre de ces massifs placés entre production et préservation mémoriale. Bibliographie AMAT J.-P., 2000, Nettoyer, restaurer, réaffecter le champ de bataille : la zone rouge, in Finir la guerre, Actes du Colloque “Histoire de Péronne”, Les cahiers de la paix, Nancy, Presses Universitaires de Nancy, n°7, p. 103-132. 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