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ABSTRACT LA RELATION ENTRE LE MOUVEMENT ET L’ECRITURE CHEZ ASSIA DJEBAR VIA CES VOIX QUI M’ASSIEGENT….EN MARGE DE MA FRANCOPHONIE, LOIN DE MÉDINE, L’AMOUR, LA FANTASIA ET VASTE EST LA PRISON by Elham Dehghanipour Djebar has created a relationship between movement and writing in such works as L’amour, la fantasia, Ces voix qui m’assiègent…en marge de ma francophonie, Loin de Médine and Vaste est la prison. She showed that the characters in these novels after a period of silence due to a shock they have endured, have moved to a new place where they have found their voice giving it expression in different forms of writing. She has created resemblance between the movements of her hand caused by voices of the memory, at writing with the whirling dance of Sufi. The voices leads her to rewriting of memory in French language. This results in rewriting of History according to the theory of minoritarian literature of Deleuze and Guattari, and the foundation of a new socio-political system in which Algerian women find their rights already forfeited such as paternal inheritance and the right to write. LA RELATION ENTRE LE MOUVEMENT ET L’ECRITURE CHEZ ASSIA DJEBAR VIA CES VOIX QUI M’ASSIEGENT….EN MARGE DE MA FRANCOPHONIE, LOIN DE MÉDINE, L’AMOUR, LA FANTASIA, VASTE EST LA PRISON A Thesis Submitted to the Faculty of Miami University in partial fulfillment of the requirements for the degree of Master of Arts Department of French and Italian by Elham Dehghanipour Miami University Oxford, Ohio 2015 Advisor : _____________________ Mark McKinney Reader : ______________________ Anna Klosowska Reader : ______________________ Audrey Wasser Table de matières ii Résumé i Introduction 1-3 Chapitre I : Le mouvement et l’écriture 4-16 Le mouvement : La voix 4-8 1.1 le mouvement circulaire: Ecrire 1.2 L’écrivaine 8-12 12-16 Chapitre II : La réécriture de l’histoire 17-31 2.1 La littérature mineure 2.1.1 La déterritorialisation de langue 2.1.2 Le branchement de l’individu sur l’immédiat politique 2.1.3 L’agencement collectif d’énonciation 17-19 19-21 21-22 2.2 La société islamique mal fondée 2.2.1 Le déshéritement des femmes 2.2.2 La polygamie 2.2. 3 L’exclusion de femmes de la parole et de l’écriture 22-26 26-27 27-28 2.3 La réécriture de l’histoire 2.3.1 Du père à la fille 2.3.2 La revendication des droits des femmes 29-30 30- 31 Chapitre III : L’écriture de femmes 32-39 3.1 Forough Farrokhzad 3.1.1 La biographie 3.1.2 Le défi aux critiques 32-34 34-37 3.2 Forough Farrokhzad et Assia Djebar 3.2.1 L’engagement social 3.2.2 L’écriture de femmes 37-38 38-39 Conclusion 40-42 Bibliographie 43 ii Introduction Assia Djebar dans Ces voix qui m’assiègent…en marge de ma francophonie, publiée en 1999, parle de sa carrière littéraire et cinématographique. Même si parfois la forme de cette œuvre qui est en fait une collection de quelques poèmes et de courts essais, ainsi que la langue poétique de Djebar nous rendent perplexes, à travers ses explications on comprend que la littérature pour elle est un mouvement circulaire selon le désir des voix qu’elle entend. Cette définition de la littérature justifiera son choix de la langue française qui se transforme en un engagement sociopolitique. Une comparaison avec la poétesse iranienne, Forugh Farrokhzad pour qui le mouvement est vital soutiendra cette thèse. Je trouve que mon travail sur les thèmes du mouvement et de l’écriture est proche des recherches des érudites comme Miriam Cooke et Nada Elia. Cependant je me concentre sur la définition de la création littéraire dans la langue de l’autre, ce qui rend ma recherche un peu différente des leurs. Par exemple, selon Elia, dans les œuvres des écrivaines algériennes comme Djebar, le voyage du retour est un moyen de guérison mentale. Elle dit que : « The return trip underscores the importance of memory as a healing device – no matter how traumatic the experience one remembers, its unearthing is always beneficial, whereas distancing oneself from it leads to disempowering alienation » (151). L’importance que le voyage du retour vers la mémoire des ancêtres pourrait avoir dans mon analyse des œuvres de Djebar est un peu différente de la guérison mentale même, s'il la comprend aussi. Ma concentration est plutôt sur le mouvement d’aller et de retour entre deux espaces: l’espace de la mémoire où Djebar entend les voix et l’autre, l’espace de la langue française dans laquelle elle n’écrit pas ces voix, mais les réécrit. C’est ce qui m’aidera à définir ce que la littérature signifie pour Djebar. Je démontrerai comme la pratique de l'écriture de Djebar ressemble à la danse des Soufis. Selon Cook, les écrivaines algériennes recherchaient la liberté et les droits, promis par les Algériens pendant la révolution algérienne, pour qu’elles les accompagnent dans les combats, mais jamais accordés, ou bien retirés plus tard. Cependant, c’est dans le même sens de la réécriture des souvenirs dans un mouvement d’aller et de retour que je vais parler de la réécriture 1 historique pour un écrivain d’une communauté mineure. Puisque l’Algérie a une histoire islamique, le choix du livre Loin de Médine, dans laquelle Djebar a réécrit l’histoire des femmes des premières années de l’Islam, m’a paru une nécessité. Dans un premier chapitre on repérera d’abord la relation créée par Djebar entre le mouvement et la voix des personnages dans les livres L’amour, la fantasia, Ces voix qui m’assiègent…en marge de ma francophonie, Loin de Médine et Vaste est la prison. On verra quels sont les motifs du mouvement de ces personnages. Puis on verra la ressemblance établie entre l’acte d’écriture et le mouvement rotatif de la danse de la grand-mère de Djebar. On comparera le mouvement de la voix de la grand-mère et celui de la voix de l’écrivaine, pour enfin comprendre quelle est la relation entre le mouvement de l’écrivaine et la voix de l’écrivaine. Pour retrouver les motifs du mouvement rotatif de la main de l’écrivaine, on se concentrera sur le rôle de l’écrivaine comme elle le décrit dans Ces Voix qui m’assiègent…en marge de ma francophonie. On dira d’abord dans quel espace elle fait sa danse parce qu’elle prétend qu’en écrivant, et en courant, elle se souvient. Ainsi l’analyse de la mémoire de l’écrivaine, pour enfin découvrir la tendance au silence de l’écrivaine, nous conduira à la nécessité de l’écriture dans la langue française pour l’écrivaine. Ceci à cause du désir des voix, montrera le désir passif de l’écrivaine. Dans un retour à l’hypothèse de départ selon laquelle l’acte de l’écriture ressemble à la danse des Soufi, on trouvera nécessaire une explication complémentaire à propos de cette danse dans laquelle on verra que Dieu est la source de la lumière et du mouvement. Tandis que Dieu est la source du mouvement pour le Soufi, les voix sont la source du mouvement de l’écrivaine Dans un deuxième chapitre, nous continuerons notre analyse d’après la conclusion du dernier chapitre à propos du désir du mouvement dans la langue française et ainsi la création dans cette langue. Comme c’est une déterritorialisation langagière, on commencera une lecture politique des œuvres déjà citées, d’après la théorie de la littérature mineure de Deleuze et Guattari. Après avoir expliqué les deux autres caractéristiques de cette littérature, c’est-à-dire « le tranchement de l’individu sur l’immédiat politique et l’agencement collectif d’énonciation » (Deleuze et Guattari 33) on définira d’après ces deux caractéristiques comment la vie personnelle de Djebar et sa relation avec le père et la mère peuvent représenter les lois basiques d’une nouvelle société dont l’écrivaine est la créatrice. Pour montrer les différences entre cette 2 nouvelle société produite par de la réécriture de l’histoire, on donnera des exemples de la société avant et après la mort du Prophète le premier fondateur d’une société islamique. Loin de Médine nous aidera à comprendre les déficiences du gouvernement algérien, ou en d'autres terms, un état religieux fondé sur les lois de l’Islam, décrites dans le Coran. Parmi ces lois, nous évoquerons les droits des femmes, y compris le droit de l’héritage, le droit dans la famille, le droit de l’écriture. On justifiera la mission de Djebar de diriger la nouvelle société de femmes comme le Prophète l'a fait dans la première société islamique. Les droits des femmes seront redéfinis dans cette société d’après une attitude différente du père de Djebar envers sa fille, ce qui permettra des actions déjà interdites aux femmes, comme le métissage linguistique, l’éducation, l’écriture féminine et la langue des femmes. Ainsi dans cette société la langue des hommes n’exclura pas la langue des femmes et ne l’opprimera pas non plus. Dans un troisième chapitre on analysera la vie et le travail de cette écrivaine dans une société patriarcale, d’après l’importance de l’écriture féminine pour Djebar et l’allusion qu’elle fait à la poète iranienne, Forugh Farrokhzad. D’abord une lecture du poème « Il ne restera que la voix/ pourquoi je m’arrêterais » nous montre que cette écrivaine aussi a créé un lien entre le mouvement et la voix ou, en d'autres mots, le mouvement et l’écriture. Grâce au pouvoir que la littérature lui a donné, elle a franchi des obstacles dans la société qui l’empêchait de progresser. On verra qu’elle a réussi à ouvrir un espace pour le discours féminin dans la tradition littéraire patriarcale après plusieurs siècles de domination masculine. Elle s’est exprimée de sorte que sa poésie est devenue exemplaire de la situation des femmes dans l’Iran de cette époque. 3 Chapitre I Le mouvement et l’écriture Djebar crée une relation entre le mouvement et la voix dans des œuvres comme L’amour, la fantasia, Ces voix qui m’assiègent…en marge de ma francophonie, Loin de Médine et Vaste est la prison. Par exemple, dans ces œuvres il y a des personnages qui, à la suite d’une période de silence dans un endroit, se déplacent dans un autre endroit où ils retrouvent la voix. Une autre forme de mouvement est faite d’aller et de retour entre ces deux espaces. Cela est le cas de la grand-mère de l’écrivaine. Pour elle le silence premier cache un souvenir violent, et même si elle l’a apparemment oublié, ses comportements montrent autre chose. L’écrivaine explique que sa grand-mère retrouve sa voix surtout quand elle fait une danse rotative. A vrai dire, c’est une danse mystique du culte du soufisme de la tradition islamique. Le Soufi, grâce à cette danse, expérimente le retour et l’unisson avec Dieu, la source de la vie et du mouvement. Dans Ces voix qui m’assiègent…en marge de ma francophonie, Djebar fait directement allusion à Jalal el-Din el-Rumi, un de grands maîtres du soufisme, pour exprimer sa joie lors de son retour à sa tribu maternelle pour faire un documentaire sur les Algériennes. Ainsi elle se trouve « titubant » « sur le chemin du miracle » et « ne [s]e hasarde qu’à "tourner" dans le silence, aspirant malgré celui-ci, au souvenir de l’extase de Jalal el-Din el-Rûmi…» (184). Comme on voit dans ce passage la joie du retour à la patrie la fait danser. Cependant, l’emploi métaphorique par l’écrivaine de cette danse est encore plus significatif. Cette danse pour elle égale l’écriture. Cette idée est claire surtout dans la ressemblance du mouvement du corps de la grand-mère et de ses voix avec le mouvement du corps et de la main de l’écrivaine lors de l'écriture. On va voir que dans sa pratique littéraire, elle a le rôle d’une danseuse mystique qui tourne et se retourne autour d’elle-même. Elle nous explique que sa danse circulaire est provoquée par des voix qu’elle entend. Elle dit qu’en fait elle est silencieuse et ne fait que porter la parole de femmes dont les voix la font mouvoir. Ces voix sont celles de ses aïeules mortes qui renaissent grâce à l’écrivaine. 1.1 Le mouvement : La voix 4 Une attention particulière au motif du changement spatial des personnages dans certains romans de Djebar nous fait découvrir qu’il y a une relation entre le mouvement et la voix. Dans Vaste est la prison, elle nous révèle que Zoraïdé, la musulmane dans le roman Don Quichotte de Cervantès qui a libéré un captif chrétien et s’est enfuie ensuite avec lui, pourrait être la première écrivaine de sa généalogie. Pour Djebar, sa mère aussi a marché dans la même voie. Elle s’est mariée avec un enseignant du français et s’est éloignée des montagnes de la tribu maternelle pour aller vivre en ville. Là, après avoir appris à parler français, elle est entrée en communication avec des voisines françaises. Mais encore plus, elle a voyagé en France pour rendre visite à son fils incarcéré. Djebar ajoute que même sa grand-mère, avec ses trois mariages et ses allées et venues entre la ville et les montagnes, avait une motivation pour ce nomadisme. Selon elle, Zoraïdé « [l]ibérant l’esclave-héros des bagnes d’Alger, elle se libère ellemême du père qui lui a tout donné, sauf la liberté…» (Vaste est la prison 168). Ses successeures aussi ont eu le même choix, chacune pour se libérer de ce qui l'avait capturée. Par exemple, à l’âge de six ans, la mère de Djebar a soudainement perdu Shérifa, sa sœur aimée, à cause d'une maladie. Sous ce choc, elle est restée muette une année entière. Il semblait qu’elle ne voulait pas oublier sa sœur. Elle a retrouvé la voix par la magie. Pour Djebar c’est grâce à cette année de mutisme sans mémoire que sa mère avait la force du mouvement et osait s'exprimer en français: « Perte de voix d’autrefois : dans cette brisure, dans cette durée sans mémoire, presque sans trace (sinon l’écho de ma quête ramenée par hasard), s’inscrit en fait la mobilité victorieuse de ma mère. Sa renaissance. Car elle désira sans doute ardemment persister à longer le royaume des ombres » (Ces voix qui m’assiègent 146). Sa grand-mère aussi, après la mort soudaine de sa mère, quelques jours après le mariage de son père avec une autre femme, s’est réfugiée dans le silence et l’oubli : « Elle, la grand-mère, à cette occasion s’est durcie, s’est armée d’énergie virile, mais aussi de silence vorace et de la boue de l’oubli » (Ces voix qui m’assiègent 141). En effet le père de la grand-mère s'est marié avec la fille d’un vieil homme à qui il donnait sa propre fille en échange : « Le père Ferhani, en donnant ainsi sa fille, demandait, et obtenait, du vieux Soliman la fille de ce dernier, la plus chérie, Amna,… » (Vaste est la prison 207). La grand-mère a plusieurs fois déménagé et changé de statut social, selon son propre désir, allant des montagnes en ville, ou l’inverse. Après la mort de ses deux premiers maris, elle s’est encore 5 remariée mais a divorcé un peu plus tard. Djebar décrit ainsi les trois mariages et le retour définitif de sa grand-mère en ville : Vingt ans après, Fatima, fille du mokkadem du saint Ahmed ou Abdallah, redescend en ville, cette fois définitivement. Au cours de ces deux décennies, s’est tissé son destin d’épouse de trois maris successifs (le troisème, mon grand-père, dont, en cette année 1920, elle se sépare d’autorité, en demandant au cadi, selon le droit musulman, autonomie pour gérer, seule, ses biens) ; également son sort de mère, car elle revient à Césarée (dans un premier temps, acceuillie chez sa marâtre Amna, veuve depuis une dizaine d’années, et amie immuable), accompagnée de presque tous ses enfants : sauf Khadija, la première, qui a été mariée, dès seize ans, dans un hameau voisin (Ibid. 225). D’ailleurs Djebar ajoute que même si sa grand-mère semblait la plus forte et silencieuse des femmes, elle se déchargeait par des danses où elle faisait des cris et des « plaintes quasi animales » (L’amour, la fantasia 165). La danse rotative de la grand-mère montre bien la force du silence derrière elle et ses cris sont des voix retrouvées à la suite du mouvement. Ainsi il y avait toujours une force derrière le mouvement de ces parentes, quelque chose comme un défi au silence et à l'occultation de la mémoire. L’exemple de la mère de Djebar nous clarifie cette idée. Pendant cette année où elle n’arrivait pas à oublier sa sœur, elle n’avait pas de voix. Cependant, après l’avoir oubliée, elle a non seulement retrouvé sa voix, mais a eu la force de se mouvoir et plus tard a voyagé en France. A vrai dire, ce qui causait la silence de la mère de Djebar était son emprisonnement dans la mémoire. Quand elle s’est libérée, elle a eu sa voix et son mouvement spatial. C'est le cas des autres Algériennes avec un peu de différence. On pourrait dire que ce qui causait la perte de voix de ces parentes, et les empêchait de se mouvoir était leur emprisonnement dans la mémoire. C'est-à-dire qu’il y avait toujours le risque du logement permanent dans la mémoire et donc du silence fatal. Si elles n’arrivaient pas à parler, elles restaient prisonnières des mémoires qui les capturaient. Ainsi pour se liberer de la mémoire, elles n’avaient qu’à se mouvoir dans l’espace réel et entrer dans un espace dans lequel elles pouvaient parler et se liberer de leur mémoires. En effet, chez Djebar on a l’emprisonnement symbolique dans la mémoire mais le mouvement réel dans l’espace. En d'autres termes, les 6 Algériennes qui n’arrivaient pas à oublier n’avaient qu’à se taire et rester dans la prison de la mémoire qui les empêchaient de bouger dans l’espace. Non seulement les femmes de cette généalogie, la mère et les aïeules de Djebar, mais aussi presque toutes les filles de son pays ont confronté ce même dilemme : Tant d’autre fillettes, je l’ai dit, je le redis, aujourd’hui dans mon pays ont à braver le même vertige : laisser leur voix (ou leur cœur, ou leur mémoire) accompagner les sacrifices si proches, s’ensevelir de silences jusqu’à risquer soi-même de ne pas revenir…. Muettes si nombreuses dont l’avenir dira, un jour, de quelle force inattendue elles se trouveront investies. Réarmées mais pourquoi, sinon pour la trace, pour la voix scellée, fixée sur la feuille, sur la pierre, dans le vent, en somme, pour l’écriture, pour la peinture ou la sculpture, pour la musique. Oui, en effet, pour toute forme d’écriture (Ibid. 146). Ainsi on voit que dans cette partie c’est à la suite d’un silence imposé que les filles et les femmes de ce pays retrouvent la force de se mouvoir et de s’exprimer dans de différentes formes d’écriture. L’écriture devient une question de vie ou de mort pour elles. Sans l'écriture elles s'engloutiraient dans le silence, et pour écrire il leur faut s’éloigner dans l'espace. A vrai dire par la lecture de Loin de Médine, on se rend compte que pour Djebar la nécessité du mouvement et de l’écriture (sous ses différentes formes), prend forme au début de l'Islam dans la première société après la mort du Prophète. La fille de ce dernier est morte à cause des injustices qu'elle avait subies. La fille aimée du Prophète, qui provoquait les croyants par ses paroles à la soutenir dans la recherche de son héritage, est devenue silencieuse pour toujours, six mois après la mort de son père. Dorénavant, Habiba,« la deuxième rawiya1 » (Loin de Médine 98) dans ce roman, attristée à cause de tous ces évènements, exprimait fréquemment son désir de s’éloigner de Médine. Habiba, était impatiente et ne se calmait pas dans un endroit, elle allait d’une maison à l’autre, on aurait dit une vagabonde. Enfin elle se calme dans la maison d’une des femmes du Prophète avec qui elle raconte les souvenirs du temps de la vie du 1 La narratrice des souvenirs du temps du Prophète 7 Prophète. Ainsi elle s’est logée dans une maison où elle a retrouvé la force de la parole en racontant ses souvenirs du bons temps passé. On a parlé du silence, du mouvement et de l’écriture comme d'une redécouverte de la voix. A cette étape on pourrait se demander si le travail de l’écrivaine obéit à cette structure. C’est-à-dire que pour l’écrivaine, en tant que membre d'une société dans laquelle elle situe ces personnages, l’écriture est faite d’un mouvement qui fonctionne comme un défi au silence et aux mauvais souvenirs et une redécouverte de la voix. En fait parmi ces personnages, la grand-mère est différente des autres, car son mouvement n’est pas seulement un éloignement. Comme on a vu, elle a fait des allers et retours entre la ville et les montagnes. Ces sortes d’allers et de retours sont aussi discernables dans la danse de la grand-mère. L’écriture est aussi une sorte d'aller et de retour pour l’écrivaine dans la mesure où sa création littéraire prend forme suite à ses allers et retours entre deux espaces. En se plaçant dans le rôle d’une danseuse dans Ces voix qui m’assiègent …en marge de ma francophonie, elle trace la direction de ses mouvements. Cependant, c’est dans L’Amour, la fantasia que, pour la première fois, cette danse symbolise l’écriture pour elle. C'est dans ce même livre qu'elle fait une description détaillée de la danse de sa grand-mère. 1.2. Le mouvement circulaire : Ecrire La grand-mère a une importance primordiale dans l’œuvre de Djebar. Bien qu’elle se présente comme forte, elle cache des souvenirs douloureux, comme celui de la mort de sa mère. Même si elle ne parle jamais de sa vie privée et de ses problèmes et il semble qu’elle ait tout oublié, ses intervalles de silence, de mouvement et de parole disent autre chose : « Régulièrement, tous les deux ou trois mois environ » (L’amour,la fantasia 163), elle invite des musiciennes à jouer pour elle et entre dans une danse mystique. Il semble qu’en dansant et en criant, elle se décharge des douleurs dont elle souffre. En fait c’est cette danse qui définit la direction du mouvement de l’écrivaine dans l’écriture. Un souvenir d’enfance de l’écrivaine nous révèle que comment elle a la première fois conçu la forme de l'écriture : « La voix et le corps de la matrone hautaine m’ont fait entrevoir la source de toute douleur: comme un arasement de signes que nous tentons de déchiffrer, pour le restant de notre vie» (Ibid. 165). Déjà petite, la danse de la grand-mère, sa voix et son corps lui ont semblé comme une forme d’écriture, un groupe de signes. Ce sont apparemment des signes énigmatiques qu’elle doit déchiffrer. C’est 8 par un déchiffrement fortuit comme un arasement qu’elle a découvert la source de toute douleur. C'est-à-dire que l’écriture pour elle a ressemblé à une danse qui incarne une douleur. Cette danse est faite d’un mouvement d’oscillation du corps et des voix qui ressemble beaucoup à l’expérience de Djebar lors de l'écriture. Djebar décrit la danse de la grand-mère comme suit: « Une heure, deux heures durant, le corps osseux de l’aïeule tanguait, tandis que ses cheveux se dénouaient, que sa voix, par instants, faisait entendre un halètement rauque» (Ibid.164). Le mot « tanguer », qui exprime un mouvement en avant et en arrière, est employé à plusieurs reprises dans "Entre la voix et le corps," le poème liminaire de Ces voix qui m’assiègent…en marge de ma francophonie. La première fois elle l’utilise pour le « tangage des langages » (11 :1) et plus tard le tangage de son propre corps. Elle confirme que cet exercice est comme la danse des derviches soufis : «Dès l’âge de cinq ans, tracer de ma main portant le roseau ou la plume, de gauche à droite comme de droite à gauche, dans l’une ou l’autre de ces langues conquises, mais quel est donc cet exercice sinon écrire dans le risque du déséquilibre sinon aller et venir tout le long du vertige sinon se donner l’air de fuir désirer tout quitter les lieux de morts et les lieux de naissance d’enfance serait-ce comme au tourniquet un jeu de rires et de sanglots Tanguer pencher d’un côté de l’autre comme les gens savants disent : 9 " Entre deux mondes Entre deux cultures " Tourner, le mot derviche n’a pas de féminin en français, Tourner sans se retourner eh bien quoi danser sans renoncer à l’une des ces langues de ce corps tressautant…. (Ibid. 14–15 : 95-116) Dans le premier vers, l’écrivaine dit que depuis son enfance lors de l'écriture, sa main a eu un mouvement de gauche à droite et puis de droite à gauche, et cela entre ces langues conquises. Etant donnée la direction de l’écriture arabe à partir de la droite de la page contre la direction de l’écriture française à partir de la gauche de la page, l’écrivaine nous fait comprendre qu’elle a eu un mouvement oscillatoire entre ces deux langues. Ces deux langues représentent pour elle deux espaces, de l’un où on écrit arabe, d’où elle désire fuir – comme sa mère et Zoraïdé – et même a l’air de fuir vers le deuxième espace, là où on écrit le français. Cependant elle ne s’enfuit pas et, comme elle dit, tangue plutôt entre ces deux espaces, ce qui conduit à un tangage culturel. Encore plus, ce tangage se transforme petit à petit en un mouvement tourbillonnaire qui ressemble à la danse de derviches, celle que sa grand-mère pratiquait. Ainsi la position que prend l'’écrivaine, celle qui ne renonce à aucune de ces deux langues, ressemble à une danse circulaire. Incapable de décider de la direction de son mouvement, elle nous en explique la raison. La grand-mère, d’habitude silencieuse, s’exprimait dans sa danse, durant laquelle, se donnant au rythme de la musique, elle criait. Pour Djebar c'étaient des voix du passé qui sortaient loin d’elle, comme si elles l’avaient occupée : Un tambour scandant la crise, les cris arrivaient : du fond du ventre, peut-être même des jambes, ils montaient, ils déchiraient la poitrine creuse, sortaient enfin en gerbes d’arêtes hors de la gorge de la vieille…. Obéissant au martèlement du tambour de l’aveugle, la 10 vieille ne luttait plus: toutes les voix du passé bondissaient loin d’elle, expulsées hors de la prison de ses jours (L’amour, la fantasia 164-165). Les cris de la grand-mère sont en mouvement et en interaction: « Les cris se bousculaient d’abord, se chevauchaient, à demi étouffés, puis ils s’exhalaient gonflés en volutes enchevêtrées, en courbes tressées, en aiguilles » (Ibid. 165). On dirait qu’il y une relation entre le mouvement du corps et celui des voix. Notamment l’écrivaine a la même expérience lors de l'écriture. Le mouvement de sa main ou de son corps est provoqué par des voix qui l’occupent: ma voix multiple qui soulève ce corps le porte haut l’envahit, le bouscule, le tire l’emplit….(Ces voix qui m’assiègent 13 :57-61) Une relecture de son poème nous révèle quelle est la source de ces voix et de ce mouvement : Ce corps s’en va sur le chemin par les sentiers du hasard et c’est alors la voix La voix de ce corps naviguant muet jusque-là, yeux élargis la voix des ombres sororales aussi feuille au vent cette voix double qui chuchote qui murmure qui roucoule et coule 11 ………………………… un flux sans nulle source de moi des autres des femmes mortes de ma cadette tout près voix de ma fille vacillante Ou si forte… » (Ibid.12-13 : 33-56) Dans ces vers l’écrivaine décrit le mouvement premier de son corps vers le dehors quand elle décide d'écrire, et le flux de la voix qui le rattrape pour ensuite le faire tanguer et tourner. Ces voix sont surtout celles des femmes, du passé ou d’aujourd’hui. C'est-à-dire que le mouvement du corps de l’écrivaine est contrôlé par les voix des femmes qu’elle entend lors de l'écriture. 1.3 L’écrivaine Après avoir parlé du mouvement circulaire de l’écrivaine lors de l'écriture, un peu plus d’informations à propos du soufisme nous aiderait à mieux comprendre le trajet de l’écrivaine et son rôle. Selon Schimmel: « The constant movement of the whirling dance indicates the movement of life, losing itself in union and returning to separation. As long as he is lost to himself, the whirling dervish participates in the Divine Life, the source of every movement » (222). Selon les principes de cette danse, le danseur commence sa danse à l’écoute de la musique, et petit à petit il entre dans une sphère où il n’entend plus la musique mais les voix divines qui le font danser de joie. Pour entendre les voix, le Soufi ne fait qu’écouter, il ne parle pas et reste silencieux. L’âme, qui se trouve prisonnière du corps, le fait danser par ses élans vers Dieu. Le corps et des désirs corporels séparent l’homme de Dieu. Par conséquent, pour s’unir avec la source de la lumière, l'homme doit oublier son désir et accepter le désir divin qui le fait mouvoir selon son propre mouvement. Cette étape est connue comme l’annihilation dans la force divine, ou source de la lumière. L’union du Soufi avec Dieu, qui montre son détachement de ce monde matériel, symbolise aussi le retour à l’Eternel. Ces étapes sont bien discernables chez Djebar en tant qu'écrivaine-danseuse. 12 Même si Djebar est contre le silence des femmes, elle dit que l’écriture pour elle est un long silence à écouter. Elle nous explique qu’en réalité c’est à la suite de ses silences qu’elle entend des voix, par exemple, dans Ces voix qui m’assiègent…en marge de ma francophonie elle déclare que « [j]’écris à force de me taire » et explique que d’habitude « [e]ntre deux livres publiés, je me tais, je m’entête à me taire, et presque à m’enterrer vocalement. Alors justement, mon écriture sort, surgit, coule soudain ou par moments explose » (Ibid. 25). C'est-à-dire que ce qu’elle dit n’est que ce qu’elle entend. C’est pour cela qu’elle refuse d’avoir « une voix » à ellemême. Cependant, comme on a expliqué, ce silence est différent de celui des personnages de ses romans, comme sa grand-mère. Ce sont ces voix qu’elle entend qui la font danser lors de l'écriture A la différence de la grand-mère qui par son silence et son attitude virile déniait le souvenir de la mère morte, Djebar voulait le rappeler. Pour elle l’oubli de la mort violente de la première mère a causé l’inversion du rôle de la grand-mère. Au lieu de parler de souvenirs de femmes et surtout de sa mère, elle garde le silence sur ces événements. Elle est devenue gardienne des mémoires des « combats masculins » (Ibid. 141). C'est ce que Djebar appelle « [i]nversion, alors, de cette mémoire » (Ibid. 141). Elle décrit la vie de sa grand-mère après la mort de sa mère : Elle tournera le dos à la mémoire – avec ses crêtes, ses aspérités, son désert aussi et sa stérilité. Elle se présentera à moi, pour finir, en aïeule virile. Sans vouloir nous communiquer le prix qu’il lui fallut payer : d’un coup, puis chaque jour silencieusement. Elle, installant en somme un gouffre dans son dos, inversant désormais son rôle sexuel, elle se voudra pourtant pour moi – la fillette des veillées d’autrefois devant la braise – la transmetteuse, la parolière des hauts faits et gestes. (Ibid. 141) Djebar ajoute que la grand-mère – qui avait pourtant dénié le souvenir de la mort de sa mère – devenait parolière pour l’écrivaine en racontant l’histoire de la gloire de la tribu. Djebar ignorait donc la mort des femmes dissimulée dans « l’arrière- écran » (Ibid. 141) de ces souvenirs glorieux. C’était même par hasard et de la bouche d’une autre parente que Djebar a appris l’histoire de la mort de la mère de la grand-mère. Pour Djebar, ce refus et ce silence sont une trahison par rapport à la première femme morte à cause de son mari. C’est ainsi qu’elle va à la recherche de ces souvenirs dissimulés dans l’abîme de la mémoire créé par l’oubli et la perte de la voix des femmes. Elle décrit ce fait comme : 13 Une course immobile, voyage intérieur, ou déambulation sans arrêt, sans délai, ni halte, ni répit (« les amis tombent là-bas, ô pauvre cœur ! » ma voix du sommeil fredonne ainsi en pleine nuit, je me réveille…). Une avancée lente ou de précipitation selon le cas, mais toujours en avant. Ainsi à peine ai-je voulu, en développant ce thème de l’anamnèse, établir un bilan, que déjà le contraire du projet se présente et s’impose (Ibid. 139). Djebar explique que faire un bilan de souvenirs lui a paru impossible, parce que derrière chaque souvenir ignoré et chaque silence il y avait d’autres souvenirs et silences qui ont créé « des trous de mémoire » (Ibid. 140). Elle ajoute que : « Par eux, maintenant s’engouffre soudain un vent, une tornade ou un simple déplacement d’air subtil, minime… » (Ibid. 141). C’est en écrivant et se souvenant qu’elle fait sa course dans ces trous de mémoire, et comme elle nous précise, le but de ce voyage est : «l’avant-mémoire, de l’avant avant la première aube, avant la nuit des nuits, avant » (Ibid.138). Comme elle dit, cette course intérieure est vers la source de la lumière ou, on pourrait dire, vers l’avant-Histoire, vers l’Eternité . Elle dépasse la durée de la mémoire qui contient le passé, qui est faite des nuits, pour enfin retrouver le soleil, la source de la lumière et de mouvement chez les Soufis, d’où elle obtient l’énergie du mouvement. Ce qui procure l’énergie du mouvement pour Djebar, ce sont les voix qu’elle entend. Nous avons montré que Djebar entend les voix de la mémoire. L’écrivaine explique aussi qu’elle est passive par rapport à ce mouvement, elle est plutôt portée pas les voix de la mémoire. Comme nous avons expliqué, les voix qui incitent le tangage de la main de l'écrivaine, produisant ainsi une écriture, sont des produits de la réminiscence. La direction du mouvement de la main de l’écrivaine, et donc l'écriture, est causée par des voix, de sorte que l’écrivaine n’a qu’un rôle passif. Elle est passive dans le mouvement mais active à l’écoute. Le déni de la volonté de l’écrivaine dans l’acte d'écrire nous fait questionner le désir des voix, ce que Djebar précise explicitement. Après s’être posé une question – « Est-ce que, à mon tour, devant vous, parce que j’écris et que je parle en la langue des autres – certes langue du père intercesseur–, je ne compromets pas, de près ou de loin, dans une alliance objective avec les meurtriers de la première mère ? »(Ibid.148) – elle continue et répond que : Malgré donc cette langue devenue « paternelle », le mouvement de mes personnages – eux, les êtres de ma généalogie et leurs femmes qui, en un sens, me regardent, me 14 défient, attendent aussi de moi que je les tire, que je les fasse entrer, malgré moi, malgré elles, dans la maison de cette langue étrangère –, ce mouvement devient mon seul maître, qui me procure élan. (Ibid.150) Ainsi ces voix de femmes font écrire l’écrivaine dans la langue française, parce qu’elles désirent sortir de « l’emmurement de la mémoire » (Ibid.144) et se mouvoir librement dans la langue française. Ce mouvement retrouvé dans la langue de l’autre est comme une renaissance pour elles. En effet, ce qui est régénératrice de la vie des femmes est la réécriture de leurs souvenirs. Comme on voit dans Loin de Médine, Aïcha, la femme du Prophète, a retrouvé sa voix à l’âge de quarante ans en racontant sa vie à côté du Prophète : Elle évoque. Elle revit. Elle se souvient. D’abord pour elle, et pour son public d’enfants : ses nièces également qui s’assoient. Ce faisant, elle trouve les mots : les mots qui n’emmaillotent pas les jours d’hier, non, qui les dénudent. Les phrases qui ne se durcissent pas en formules ; qui restent poésie. Elle se cherche une forme. Doucement, devant les enfants, filles et garçons sous le charme, elle raconte. Elle conte. Elle n’invente jamais : elle recrée. (300). Le récit des souvenirs par Aïcha n’était pas une sorte de chronologie des événements, mais une poésie avec des mots choisis par elle, une réécriture de souvenirs. Elle dépasse même la poésie et atteint la recréation. Cette vérité, que l’invocation ou la réécriture des voix des femmes est devenue une nécessité pour satisfaire le besoin du mouvement des voix que l’écrivaine entend, pourrait être analysée selon la théorie de la littérature mineure de Deleuze et Guattari. Pour ces deux théoriciens, l’écriture d’un écrivain d’un groupe mineure dans une langue majeure est productrice d’un nouveau système socio-politique. Etant donnée cette théorie, Djebar, qui s’occupe fréquemment de la réécriture de souvenirs de ses aïeules, voudrait recréer un système socio-politique dans lequel ces femmes mènent une vie différente de ce qu’elles ont déjà eu. Dans ce même sens on pourrait évaluer Loin de Médine, qui est une réécriture des voix des 15 femmes du début de l’Islam, comme une réécriture de l’Histoire, dans laquelle, selon Djebar, les voix des femmes ont été ignorées par les chroniqueurs masculins. 16 Chapitre II La réécriture de l’histoire Le désir de l’écriture dans la langue de l’autre pourrait être analysé d'un point de vue politique. Les trois caractéristiques d’une littérature politique selon la définition de Deleuze et Guattari sont : « La déterritorialisation de la langue, le branchement de l’individuel sur l’immédiat-politique, l’agencement collectif d’énonciation » (Kafka: Pour une littérature mineure 33). Elle nous aideront à faire une analyse plus vaste de la littérature de Djebar. Cela change son statut de simple romancière ou de critique sociale en la fondatrice d’une nouvelle société pour l’expression libre des femmes. 2.1 La littérature mineure 2.1.1 La déterritorialisation de la langue Comme nous avons expliqué dans le premier chapitre, la littérature de Djebar est un médium de la satisfaction du désir du mouvement et de la parole chez les femmes. Puisque cette littérature est dans une autre langue, elle pourrait être considérée comme une littérature mineure selon la définition de Deleuze et Guattari. C’est-à-dire qu’elle est productrice d’un nouveau système socio-politique dans la langue française. En effet, pour Deleuze et Guattari, « [u]ne littérature mineure n’est pas celle d’une langue mineure, plutôt celle qu’une minorité fait dans une langue majeure » (Ibid.29). Etant donnée la situation inégale des Algériennes par rapport aux Algériens, on pourrait prendre celles-là pour une communauté mineure. D'après Djebar, les Algériennes parlent un arabe dans lequel « par instants,. . . la langue berbère. . . réapparaît spontanément aux forts moments d'émotioni, pour ainsi dire presque comme une langue du refoulé » (ibid. 36–37). Selon Djebar, le berbère « ne s’écrit pas, se chante seulement » dans la tribu algérienne dont elle parle (Ibid .122). Cette façon de parler l'arabe est, selon elle, différente de l’arabe de la société extérieure, « celui de la communauté (pour ne pas dire la "langue des hommes") » (ibid. 36). Pour Djebar, cette division linguistique est une sorte de « diglossie horizontale » qui est due à « la ségrégation sexuelle du quotidien » entre les hommes et les femmes. Djebar appelle cette pratique linguistique orale des Algériennes « une "langue des femmes" » (ibid. 36). Elle explique aussi qu'elle traduit le son de cette langue en français de sorte que son écriture devient une franco-graphie. Djebar désire ou les voix qu’elle entend désirent se déterritorialiser dans la langue française, dans laquelle elle peut, ou elles peuvent, s’exprimer 17 librement. La francographie des sons de la langue maternelle est devenue possible grâce à ses expériences cinématographiques dans sa tribu maternelle parmi les femmes qui parlaient « la langue maternelle » (Ibid. 38) : C’est par ce long détour, ces retours en cercles, ce labyrinthe de la voix, que mon écriture en langue française est devenue une francophonie où graphie et oralité se répondent comme deux versants face à face. Comme si la (ou parfois les) langue maternelle perdue à l’écrit, dans un premier temps, revenait par un écho plus vibrant, multiplié, intensifié du fait de ce travail au son direct dans le début de mon expérience de cinéma : confrontation sur la durée avec des femmes de ma terre d’enfance, femmes de tous âges (ancêtres, jeunes femmes, ou même fillettes) me lançant continuellement leur parole de véhémence, leurs éclats de voix, leurs rires, leurs souffles, leurs soupirs avalés, en un mot leur langue en mouvement, la vie même et les pulsations de leur seule liberté : à chacune, sa parole (Ibid. 38) Djebar non seulement réécrit les voix des femmes de sa tribu, les femmes qui parlent sa langue maternelle, une langue de mouvement, à l’aide de la langue française, elle réécrit les voix des femmes du début de l’Histoire islamique. Djebar dit qu’elle a choisi le français au lieu de l’arabe, parce que le français est une langue neutre qui ne contrarie pas les mouvements des femmes, alors que l’arabe, parce qu’il est la langue de la religion et de la culture islamiques, impose des limites aux mouvements de femmes. En d'autres mots, comme la culture islamique restreint les femmes dans leurs mouvements, la langue de cette religion les restreint aussi. Ainsi il faut une langue qui, offre la possibilité du mouvement dans son espace aux voix des femmes. La langue française a cette capacité selon Djebar, qui affirme que : Il est évident que, pour Loin de Médine, j’ai pu mettre en mouvement des femmes vivant à l’aube même de la mémoire islamique (que le côté révérencieux de celle-ci a par la suite gelées), que donc ces femmes de l’Histoire ont pu s’inscrire corps et voix dans mon texte, justement parce que la langue – langue hors islam pour l’instant, langue neutre – leur a donné sa dynamique, sa liberté, le moyen de la roue fictionnelle tournant ainsi incessamment en moi ; parce que la langue française donc, moulant sa pâte en moi pour faire surgir ces héroïnes musulmanes, inscrit son espace hors de la componction de la tradition religieuse, celle-ci enserrée encore dans mon arabe. (Ibid. 52) 18 C’est encore grâce à la langue française que Djebar réussit à redonner la vie aux mémoires des femmes du début de l’Islam. Elle explique que : Ecouter le son, le rythme, le chatoiement des images de l’autre langue, celle des chroniques de Ibn Saâd et de Tabari, puis tirer, je dirais grâce aux « trous » du récit premier (surgis autant des difficultés que me présentait cette langue, qu’également de l’ambiguïté, par moments, du texte d’origine), tirer donc cette mémoire féminine, lambeau après lambeau, muscle après muscle, peut-être aussi souffrance après souffrance, en tout cas lien après lien à devoir dérouler, pour ainsi donner vie…en langue française ! (Ibid. 53) Djebar, qui caractérise la langue des Algériennes comme la langue maternelle, a réécrit l’histoire de sa vie familiale sous une forme littéraire, qui pourrait être représentive d’une plus vaste communauté de femmes. 2.1.2 Le branchement de l’individu sur l’immédiat politique Beaucoup d’épisodes des romans de Djebar, par exemple dans L’amour, la fantasia ou Vaste est la prison, sont basés sur des expériences familiales (par exemple, la vie de sa mère ou de sa grand-mère) ou sur son autobiographie. Dans une littérature mineure, les relations familiales perdent leur statut personnel et deviennent publiques, d'après Deleuze et Guattari : « L’affaire individuelle devient donc d’autant plus nécessaire, indispensable, grossie au microscope, qu’une toute autre histoire s’agite en elle, c’est en ce sens que le triangle familiale se connecte aux autres triangles commerciaux, économiques, bureaucratiques, juridiques, qui en déterminent les valeurs » (Kafka : Pour une littérature mineure 30). Ainsi la relation que Djebar a avec son père et sa mère aide à définir le cadre de son idéologie socio-politique. Elle a hérité de la langue française de son père, ce qui a changé sa vie. Elle est sortie ainsi d’un espace clos dans lequel elle risquait de rester prisonnière comme beaucoup d’autres femmes de sa génération. La porte lui a été ouverte par cette langue « vers le dehors, vers les autres, vers le monde entier » (Ces voix qui m’assiègent 74). Sa mère aussi, pour sa part, a profité de l’apprentissage du français. Elle s’est éloignée de la tribu, à l’exemple de Zoraïdé, une de ses ancêtres imaginéees, à la recherche de la liberté par un mariage avec un instituteur qui enseignait 19 le français, la langue de l’autre. Cette langue est devenue pour elle comme un moyen de mouvement, de sorte qu’elle pouvait même voyager seule en France pour rendre visite à son fils prisonnier. La « fugitive » imaginée dans le Don Quichotte de Cervantès pourrait être la première Algérienne qui écrit : or elle devient celle qui fuit et fait fuir l’esclave chrétien,[...]. « Fugitive et ne le sachant pas. » J’ai, quand à moi, mis en avant la silhouette de cette Zoraïdé de Cervantès pour, dans ce sillage, oser esquisser dans mon roman Vaste est la prison la trajectoire passée de ma mère : vivant en citadine traditionnelle jusqu’à près de quarante ans, elle trouvera force pour, transformé en apparente Occidentale, traverser à son tour la Méditerranée et sillonner seule la France, rendre visite, de prison en prison, peu avant et peu après 1960, à son fils unique, jeune détenu politique…. (Ibid. 91) Djebar explique aussi que la relation entre sa mère et son père était intime et sa mère n’a pas été endommagée comme ses ancêtres par cet instituteur qui enseignait le français. La mère de Djebar a donc eu un sort différent de celui de sa mère et de sa grand-mère. Celle-ci est morte à l’occasion du remariage de son mari avec une jeune veuve. Celle-là s’est mariée très jeune à un vieil homme, et après la mort de cet homme, elle s’est mariée avec un autre, celui-ci mort, son troisième mariage aussi a conduit au divorce. (Vaste est la prison 225) Elle semblait très forte et discrète, mais en vérité elle refoulait ses souvenirs amers. La grand-mère, la mère, et Djebar ellemême sont des représentantes d’une société de femmes sur trois générations. C’est pourquoi elle généralise l’expérience de ses proches pour parler de toutes les vieilles ou jeunes femmes de sa tribu : Ces vieillardes à la peau tannée, aux pommettes tatouées, à la coiffe multicolore, au parler ancien bariolé de formules religieuses telles des plaques de cuivre étincelant sur une cuirasse, les aïeules avait tu leur première voix, avaient avalé dès le début le son de leur espoir juvénile. Ou lorsque c’était leur fille – comme ma mère – qui, vulnérable, s’était dressée stupéfiée, alors vite les matrones avaient fait appel à la magie, à la poésie, aux transes : vite, vite, que la voix revienne ! (Ces voix qui m’assiègent 145) 20 Dans cette citation Djebar extrapole à partir de l’expérience de sa mère et de sa grand-mère pour parler de toutes les matrones et les filles de son pays. Après avoir expliqué que sa mère, qui avait perdu la voix à cause de la mort de sa sœur aimée, a retrouvé sa voix par une magicienne, elle dit que beaucoup d’autres filles ont retrouvé la voix grâce « à la magie, à la poésie ou aux transes ». Les mères de ces filles, comme la grand-mère de Djebar, avaient déjà perdu la voix pour toujours pendant leur adolescence. Ainsi la vie familiale de Djebar représente toute la société à laquelle elle appartient. C'est une société de laquelle sa mère et puis elle-même sont sorties en souhaitant en faire sortir les autres et leur donner les mêmes possibilités dont la mère et la fille avaient profitées. C'est une société dans laquelle son père, professeur de français, « avait assumé un premier métissage dont » sa fille serait « bénéficiaire » (L’amour, la fantasia 11). 2.1.3 L’agencement collectif d’énonciation La troisième caractéristique de la littérature mineure « [c]’est que tout prend une valeur collective… ce que l’écrivain tout seul dit ou fait constitue déjà une action commune, et ce qu’il dit ou fait est nécessairement politique, même si les autres ne sont pas d’accord » (Deleuze et Guattari, Kafka: Pour une littérature mineure 31). Ainsi ce n’est pas par hasard qu’elle parle de ses expériences personnelles, ou dans une œuvre comme Ces voix qui m’assiègent, elle décrit son parcours littéraire et les raisons de son écriture française. Ce qu’elle y exprime n’est pas seulement la justification d’un choix personnel mais d'un choix qui pourrait être celui d'un groupe plus large. Ainsi ce qu’elle y précise pourrait définir les codes civils d’une nouvelle société à laquelle elle aspire. Etant donnée la situation des femmes dans la société algérienne contemporaine basée sur les lois islamiques, une œuvre comme Loin de Médine nous aidera à comprendre les déficiences du régime dominant et la société que Djebar désire créer, une nouvelle société par la réécriture de l’histoire. Pour le moment on évalue la différence entre deux sociétés, dans des affaires comme le droit des femmes à l’héritage, le droit des femmes dans la famille et le droit des femmes à l’écriture. Le choix de cette œuvre est justifié surtout parce que dans l’avant-propos du livre Djebar dit que « Au cours de la période évoquée ici, qui commence avec la mort de Mohammed, de multiples destinées de femmes se sont imposées à moi : j’ai cherché à les ressusciter…Femme en mouvement « loin de Médine », c'est-à-dire en dehors, géographiquement ou symboliquement, d’un lieu de pouvoir temporel qui s’écarte irréversiblement de sa lumière originale » (Ibid. 5) 21 Djebar dit précisement que les femmes dont elle parle dans ce livre sont en mouvement pour s’éloigner de Médine, une ville qui, comme on va voir après la mort du Prophète, a témoigné des injustices et des oppressions. Médine était la ville à laquelle les Musulmans premiers ont émigré pour s'installer et fonder une nouvelle société libre et conforme aux lois divines. Cependent, Djebar nous parle de femmes qui sont en mouvement loin de Médine ou qui désirent s’éloigner de cette ville. Parmi ces femmes, il y avait la fille du Prophète, qui quitte les Médinois par la mort, et Aïsha qui renaît et recrée en racontant des souvenirs, c'est-à-dire qui ouvre sa voie hors de Médine par cette forme d’écriture. Il y a des guerrières, des poétesses, même des prophétesses dont Djbar réécrit l’histoire. Selon elle, les chroniqueurs ont ignoré le rôle de femmes des années premières de l’Islam, et cela parce qu’ils étaient des « transmetteurs certes scrupuleux, naturellement portés, par habitude déjà, à occulter toute présence féminine » (Loin de Médine 5). Les actions de ces femmes dont Djebar raconte la vie ont été passées sous le silence dans l’histoire dominée par le discours masculin. Elles sont parmi les mortes dont Djebar entend la voix par le souvenir. Comme elle déclare : « Dès lors la fiction, comblant les béances de la mémoire collective, s’est révélée nécessaire pour la mise en espace qu’ « elle a » tentée là, pour rétablir la durée de ces jours qu’ « elle a » désiré habiter… » (Ibid. 5). Donc, l’évaluation des événements racontés dans ce livre par Djebar nous révèle la nécessité de sa réécriture de l’histoire. Quand elle écrit l’histoire des femmes musulmanes ou non musulmanes, en fait elle montre la distance que la société islamique médinoise a prise de ses valeurs fondamentales basées sur le Coran ou la parole du Prophète. Il est nécessaire de donner des passages des Sourates du Coran en même temps que des citations de l’œuvre de Djebar pour mieux démontrer l’écartement de Médine en tant que lieu de pouvoir, de « sa lumière originelle ». 2.2 La société islamique mal fondée 2.2.1 Le déshéritement des femmes Par la lecture des œuvres de Djebar on peut voir deux buts d’une histoire islamique. Loin de Médine raconte le début de l’histoire, c’est-à-dire presque quinze siècles avant, avec la famille 22 du prophète. Vaste est la prison, L’Amour, la fantasia ou même Ces Voix qui m’assiègent…en marge de ma francophonie racontent la vie d’une tribu pendant un siècle de domination coloniale française. C’est par la description de la relation du Prophète avec ses femmes et sa fille dans Loin de Médine qu’on gagne des informations à propos de la situation des femmes en Islam. Les femmes ont eu des rôles importants dans la vie et la mission du Prophète. Par exemple, Khadija, la première femme du prophète, était celle qui l’a financièrement protégé et l’a cru quand il a reçu l’appel divin transmis par Gabriel dans la grotte. En fait, elle était la première musulmane, et après elle, Ali était le premier musulman. Quand Mohammed a reçu l’appel divin qui lui demandait de lire au nom de Dieu, il est rentré chez lui et a tout raconté à Khadija. Il n’était pas sure, mais Khadija l’a rassuré. Pendant la vie de Khadija, le Prophète était monogame. Comme les Musulmans du début de l'Islam étaient torturés par le régime de l'époque, selon l’ordre de Dieu ils ont émigré à Médine. C’est à Médine que la société islamique de Mohammed ordonnée par Dieu a été formée. Après la mort de sa femme, il s’est avec marié avec d’autres femmes pour nouer des liens avec les autres tribus arabes et ainsi élargir la société islamique. Parmi ces femmes il y avait celles dont les maris avaient été tués dans les guerres. Le Prophète avait le même respect pour chacune d’elles, chacune avait son espace à elle, et un temps précis qu’il passait avec elle. La fille du prophète, Fatima, était déjà mariée avec Ali, son neveu, et ne vivait pas loin de la maison paternelle. Le Prophète avait le plus de respect pour elle et disait: « Ma fille est une partie de moi-même. Ce qui lui fait mal me fait mal ! Ce qui la bouleverse me bouleverse ! » (Loin de Médine 74). Cette société était celle que le Prophète avait fondée selon l’ordre divin. Pour les Musulmans, le Coran est le livre de référence. Ils doivent considérer les lois coraniques en tant que la constitution d’une société islamique. Ou en tant que les vrai Croyants comme la base d’une société islamique. Ainsi même après la mort du Prophète, il leur fallait respecter les règles de ce Livre. Cependant ce qui s’est passé après la mort de Mohammed a été tout à fait différent. Dans Loin de Médine Djebar nous décrit une partie de la vie d’après la mort de Mohammed. Elle raconte ce qui a été fait à Fatima, la fille du prophète, par des amis proches de celui-ci, surtout à propos de l’héritage paternel. Voici un verset du Coran qui fait bien comprendre le statut de l’Islam concernant l’héritage des femmes « Il revient aux héritiers mâles une part dans l’héritage laissé par leurs ascendants ou leurs proches ; de même qu’ il revient aux 23 femmes une part dans l’héritage laissé par leur ascendants ou leurs proches. Et quel que soit l’importance de la succession, cette quotité est une obligation » (« Sourate des Femmes » 7). Ainsi la même phrase est répétée dans le même verset pour le droit à l’héritage des hommes et des femmes. C'est-à-dire que les femmes comme les hommes ont un droit à l’héritage ou, en d'autres mots, tout le monde à un droit à l’héritage de ses proches. Tous les Musulmans qui connaissent ce verset devraient donc se demander pourquoi la fille du Prophète a été déshéritée. Djebar raconte la querelle entre elle et les successeurs de son père, qui ne lui ont pas donné le droit d'hériter des biens de son père.. Fatima, qui a demandé au calife successeur de son père au moins sa part des biens de son père, reprend la parole dans l’œuvre de Djebar et exprime ses idées, qui sont dénonciatrices à propos de la position du nouveau régime par rapport aux droits des femmes. Après la querelle entre Fatima et le calife, Fatima donne cette réponse, selon Djebar : Non, accuse Fatima, vous prétendez me refuser mon droit de fille ! Elle pourrait aller plus loin encore, elle pourrait dire: La révolution de l’Islam, pour les filles, pour les femmes, a été d’abord de les faire hériter, de leur donner la part qui leur revient de leur père ! Cela a été instauré pour la première fois dans l’histoire des Arabes par l’intermédiaire de Mohammed ! Or, Mohammed est-il à peine mort, que vous osez déshériter d’abord sa propre fille, la seule fille vivante du Prophète lui-même ! (Loin de Médine 79) Ce qui est important dans cette citation est que le droit à l’héritage pour les femmes a été pour la première fois exprimé dans le Coran, dans l’histoire des Arabes. C’est-à-dire qu’après la mort du Prophète, ils sont retournés à leur vie d’avant lui. C'était surtout vrai quand il s’agissait d'accepter la direction de la société par la fille du défunt. Selon Djebar, Fatima a deux fois dit « Non », la première fois parce qu’on avait choisi le calife sans lui demander son idée, mais elle n’a pas continué cette querelle pour longtemps, ou plutôt, elle a préféré la continuer en disant le deuxième "non" sur son déshéritement. Cette deuxième fois, « la fille aimée, elle va le vivre longuement, elle va le porter en écharde… ». Elle confirme que : « Fatima, la dépouillée de ses droits, la première en tête de toute une interminable procession de filles dont la déshérence de fait, souvent appliquée par les frères, les oncles, les fils eux-mêmes, tentera de s’instaurer pour 24 endiguer peu à peu l’insupportable révolution féministe de l’Islam en ce VIIe siècle chrétien ! »(Ibid.79) Ainsi, selon Djebar le premier débat féministe de l’Islam a été sur l’héritage des femmes. En fait le Coran soutient clairement le droit des femmes à hériter. Cependant, les successeurs du Prophète ont déshérité sa fille alors qu’ « [e]lle vivante, elle seule héritière par le sang et par la personnalité de l’homme Mohammed, elle incarne l’interrogation constamment ouverte sur le bien-fondé de cette succession ! »(Ibid.85). Par conséquent, on dirait que le régime islamique après Mohamed a été mal fondé. Comme on lit dans Loin de Médine, ni Ali son fils adopté,– le mari et le cousin de Fatima – , ni Fatima sa fille, la plus aimée du prophète, n’ont hérité du père. Presque six mois après la mort du Prophète, Fatima est morte des douleurs qu’elle avait supportées. Ali est devenu le souverain des Musulmans plus tard pour cinq ans avant d'être tué. Cependant, dans Ces Voix qui m’assiègent…en marge de ma francophonie, Djebar suppose que le déshéritement de Fatima a influencé la vie de ses enfants, surtout ses deux fils, qui ont été martyrisés pour avoir demandé l’héritage maternelle. Non seulement le déshéritement a influencé la vie des successeurs du Prophète et de Fatima, mais les musulmanes d’aujourd’hui, par exemple, les Algériennes, souffrent encore de cette privation. Djebar dit que : En pleine Algérie "socialiste", le code de la famille (1984) rend légale l’exclusion des femmes. Le choix alors : ou se poser en victimes, ou en revendicatrices, en protestataires – en émules de Fatima, avec le prix qu’elle a eu à payer : par sa mort précoce– son dégoût du pouvoir temporel – puis par le meurtre de son fils devenu homme, se voulant héritier, de sa mère d’abord, quelle erreur ! (Ces voix qui m’assiègent 260) Ces femmes dont Djebar parle sont celles à qui leurs pères n’ont pas donné d’héritage, ou s’ils l'ont donné, les frères et les oncles l’ont pris pour eux-mêmes. Elle explique aussi les conséquences pénibles de ce déshéritement dans la vie de ces femmes. Ainsi, si on examine le régime islamique après Mohammed, la dépossession de sa fille, et enfin sa mort à la suite de son opposition, on peut dire que le régime auquel nous pouvons logiquement refuser toute légitimité a continué à gouverner jusqu’à aujourd’hui, après des siècles. Le régime qui, comme Djebar dit, est fondé sur « une interprétation littérale d’un propos de Mohammed tenu devant Abou Bekr », c’est-à-dire « [n]ous, les prophètes, aurait dit Mohammed un jour, on n’hérite pas de nous ! Ce qui nous est donné nous est donné en don ! » (Loin de Médine 79) est alors illégitime. Donc 25 selon ces exemples, le régime algérien islamique fondé sur la dépossession des femmes est illégitime, puisqu’il ne considère ni les paroles de Dieu dans le Coran, ni celles de son Messager. Dénoncer d’autres déficiences de cette société par rapport à la parole du Coran nous rend sure que l’oppression des femmes dans la société algérienne d’aujourd’hui est illégitime, selon Djebar. 2.2.2 La polygamie Encore une sourate du Coran nous éclaircit à propos du comportement qu’un Musulman doit avoir avec ses femmes, s’il est polygame. Le Coran dit : « Vous ne parviendrez jamais à traiter toutes vos femmes sur le même pied d’égalité, quel que soit le soin que vous apportiez. Ne soyez donc pas trop partiaux au point de laisser l’une d’entre elles dans la fausse situation. Si vous établissez la concorde dans vos foyers, si vous fuyez toute inquiétude, sachez que Dieu est Clément et Misécordieux » ((« Sourate des Femmes » 129). Ainsi le Coran avertit les Croyants que s’ils épousent plus d’une femme, ils ne peuvent jamais avoir la même considération pour elles toutes. Donc s’ils ont plus d’une femme, leur trop d’attention à l’une ne doit pas endommager l’autre. Dans Loin de Médine, un des autres événements pendant la vie du Prophète qui concernait Fatima, était à propos de la relation de celle-ci avec Ali son mari. Ali, qui désirait avoir une deuxième femme, avait désigné une fille. Quand on a mis le Prophète au courant de cette décision, il a refusé et a dit que si Ali désirait se marier, il devait d’abord divorcer d’avec Fatima. Il a soutenu sa fille et a dit « non ». Djebar suppose que « [l]e père en lui, vibrant jusquelà de douceur et d’espoir, se tourne vers le Messager habité, pour oser dire tout haut son désarroi de simple mortel : " Je crains que Fatima ne se sente troublée dans sa foi !"... » (Loin de Médine 75). Djebar relate que Mohammed disait toujours : « " Ce qui bouleverse Fatima me bouleverse ! " » (Ibid.75). D’ailleurs, le Prophète lui-même traitait toutes ses femmes presque de la même manière par en leur accordant un temps et un espace égaux. Cependant, ni les paroles divines, ni les comportements ou les déclarations du prophète n’ont été observés juste après sa mort et par les générations suivantes. Il y a des Musulmans qui, sans considérer les sentiments ou les besoins des femmes, causent leur mort. Parmi ces femmes il y a eu l’arrière-grand-mère de Djebar, qui est morte après la cérémonie du remariage de son mari : 26 La mère de ma grand-mère est morte dans un accès de douleur : son mari non seulement prenait seconde épouse, mais lui demandait à elle de s’occuper de la noce !...Elle vit de ses yeux l’époux entrer en jeune marié dans “leur” chambre conjugale. Elle avait veillé à tout : aux invités, au protocole, au festin. Tout se déroula selon la règle. Ensuite…ensuite, elle est tombée ; malade et muette deux jours, le troisième, on fit pour elle la prière des morts. (Ces voix qui m’assiègent 140) Des siècles après le silence de Fatima, celui des Algériennes comme l'arrière-grand-mère et,la grand-mère de Djebar – dont nous avons parlé dans le premier chapitre – trouve sa racine dans le premier gouvernement islamique après Mohammed. 2.2.3 L’exclusion des femmes de la parole et de l’écriture Comme on voit dans Loin de Médine, après la mort de son père, Fatima a parlé, crié, chanté et pleuré nuit et jour pour dénoncer les successeurs de son père. Elle leur répondait logiquement et gravement de sorte qu’elle leur faisait peur. Ainsi ils l’ont étouffée. Ils ont compris que la voix d’une femme était très dangereuse pour eux, c’est pourquoi ils ont fondé leur état sur le corps immolé et la voix étouffée de cette femme. Incapable de convaincre Fatima sur leur trahison envers elle et son père, ils ont préféré conclure ce débat avec son mari, le gendre du Prophète. Selon Djebar, de cette façon on a exclu cette première femme du discours : « Et les arguties se prolongent. Abou Bekr réplique…Pour finir, comme pour exclure Fatima encore là, encore vivante, il se tourne vers Ali : « Cela, ô Abou Hassan, est entre toi et moi ! » Comme si tout était affaire d’hommes. Tout, y compris le droit d’héritage des filles » (Loin de Médine 86) Ainsi ils ont décidé parmi eux d’exclure l’héritière du Prophète, et ils ont créé deux discours, l’un féminin et l’autre masculin, de sorte que celui-ci domine celui-là. Quand le discours masculin domine tout concernant les femmes et leurs droits, le discours féminin est un « non » silencieux et la mort, à l’imitation de Fatima. Djebar explique que même si Fatima s'était apparemment résignée, sa mort quelques mois après cet événement a montré qu’elle avait incessamment dit non : « Elle a hâte de mourir. Et elle meurt, de ce " non " incessant, inlassable à la loi de Médine » (Ibid.86). Dorénavant, la parole et même les pleurs des femmes pour les femmes, étaient interdits quand il s’agissait de revendiquer leurs droits. Par conséquent, il semble que le désir de la mort remplace celui de la vie par beaucoup de femmes opprimées. Même en 27 Algérie aujourd’hui les femmes ne parlent pas directement de leurs malheurs et souffrances. Comme on le voit, selon Djebar c’est la même situation pour les Algériennes d’aujourd’hui, qui cachent leurs voix de protestation contre leur sort et ne pleurent publiquement que lors de la mort d’un frère ou d’un autre martyre. Djebar explique que l’exclusion des femmes de l’écriture est aussi pour étouffer leurs voix qui requêtent leurs droits et ainsi les garder dans dépendance aux hommes : Oui la femme est exilée le plus souvent de l’écriture : pour ne pas s’en servir, elle, comme individu, pour ne pas connaître ses droits dans la cité, pour ne pas être cause de fitna (querelle) parmi les mâles qui palabrent… Le danger gît là : la femme qui peut écrire (on écrit d’abord pour soi, car l’écriture amène le dialogue avec soi), cette femme risque d’expérimenter un pouvoir étrange, le pouvoir d’être femme autrement que par l’enfantement maternel (Ces voix qui m’assiègent 76) Pour cette raison quand il s’agit pour les femmes de vivre, grâce à l’écriture, comme un être libre, indépendamment des hommes, dès le début de l’Islam, on les en a privées, parce qu’avec Fatima ils avaient déjà expérimenté le danger d’une voix féminine. Donc les femmes qui sont devenues les rivales des hommes ont occupé l’arrière-scène du « théâtre » islamique, et la société a été remplie de rôles masculins. L’Histoire est restée silencieuse sur le rôle des femmes et ne les a nommées qu’en tant de dépendante d’un mâle. C’est ce que Djebar a découvert même pour Fatima, qui est plutôt entrée dans l’histoire en tant que la fille du Prophète ou la mère d’Hassan et d’Hossein le martyre. On a même créé deux espaces, l’un clos pour les femmes, l’autre ouvert pour les hommes, de sorte que la clé du premier était dans la main des hommes. Ainsi on pourrait dire que les Musulmanes sont depuis longtemps les prisonnières des Musulmans et il leur faut quelqu’un pour ouvrir la porte et les libérer. Donc, comme on a montré dans le premier chapitre par la réécriture de l’histoire selon le désir des femmes, Djebar les a ranimées. Cela montre que la voix des femmes ne meurt pas. Même si on les tue ou cloître, cette voix reste toujours vivante. Après avoir montré que l’emprisonnement des femmes, ainsi que leur exclusion sociale, déshéritement et privation de l’écriture, sont contre l’ordre divin, Djebar voudrait créer une nouvelle société, dans laquelle les femmes se comportent librement, égales aux hommes. 28 2.3 La réécriture de l’histoire 2.3.1 Du père à la fille Des siècles après la mort de Mohammed et Fatima, il faut quelqu’un qui peut recevoir l’appel divin pour conduire les femmes de la société dans un nouveau territoire où elles peuvent fonder une société dans laquelle ils seront libres. Nous avons expliqué que puisque la littérature de Djebar est mineure, la relation de l’écrivaine avec son père et sa mère définit la structure basique de son idéologie socio-politique. On peut voir comment la société de Djebar est similaire ou différente par rapport à la première société islamique. Nous avons expliqué que le Prophète chérissait beaucoup sa fille. Cependant, après la mort du Prophète sa fille a été privée de l’héritage paternel. Elle n’a pas accepté cette décision et a mis la légitimité des successeurs de son père en cause. A l’entente de sa voix, on l’a étouffée. Elle est morte six mois après la mort de son père, et son fils, qui recherchait l’héritage maternel, a été martyrisé. Ce silence imposé à Fatima a influencé le sort de beaucoup de femmes après elle. Cependant c’est avec Djebar que l’histoire change. Le père de Djebar a interrompu ce courant, comme elle décrit : « Le père m’avait tendu la main pour me conduire à l’école : il ne serait jamais le future geôlier ; il devenait l’intercesseur. Le changement profond commençait là : parce qu’il était instituteur de langue française, Il avait assumé un premier métissage dont je serais bénéficiaire » (Ibid.46). Par l’évocation de ce souvenir, Djebar nous révèle son idéologie. D’abord le père incarne le libérateur, l’intercesseur et puis le fondateur d’une société métissée. L’héritière et la bénéficiaire de cette société est sa fille. C’est-à-dire qu’après avoir pris sa fille par la main, il l’a traitée comme quelqu’un de son rang, l’a même guidée et ne l’a pas laissée sans héritage. Elle reçoit le français, la nouvelle langue révélatrice, en héritage de son père. Ainsi la successeure du père reçoit l’appel divin. Elle entend Gabriel parler et cette fois le français est sa langue et pas l’arabe. Elle a été choisie comme la Messagère : J’écris français J’écris un français qui va vite, qui va droit 29 qui s’envole on dirait Gabriel devant la grotte (Ces voix qui m’assiègent 258 :114-117). Comme le Prophète qui, après avoir reçu l’appel divin, a transféré les musulmans dans un espace sure où ils pouvaient pratiquer librement leur nouvelle religion, Djebar, en tant que prophétesse du nouveau temps, souhaite déplacer les femmes dans la langue française, un espace libre pour les femmes. C’est pourquoi elle dit : « Le désert arabe est donc là, en l’an 7 et en l’an 8 de l’hégire (629 et 630 de l’ère chrétienne) : or voici que cet espace géographique précis inscrit sa matérialité, pour la première fois, en langue française, territoire neutre par excellence, et qu’il libère à nouveau les femmes » (Ibid. 53) Après avoir immigré dans la langue française avec les autres femmes, elle définit les valeurs de cette nouvelle société. 2.3.2 La revendication des droits des femmes En tant qu’un des principes de la nouvelle société métissée, le multilinguisme devient essentiel. Par conséquent Djebar refuse le monolinguisme qui a causé la destruction de l’Algérie: Par phobie de la deuxième langue, de la troisième, par déni d’un multilinguisme inscrit dans notre culture depuis l’Antiquité (culture populaire et culture savante), par crainte donc du multiple à l’infini des formes, mon pays, sous véritable dictature culturelle, a été harcelé par un monolinguisme pseudo-identitaire : une seule langue revendiquée comme une armure, une carapace, un mur ! (Ibid. 32-33) De cette façon, dans cette même société dont le métissage est une valeur, imposer une seule langue pour ainsi définir une identité homogène n’est pas accepté. Il faut observer toutes les cultures et les langues présentes qui ont été produites par le métissage, de même que les producteurs du métissage, surtout dans un pays qui a déjà eu cette expérience. Parmi ces langues qu’il faut libérer, il y la langue de la mère. La deuxième valeur de cette nouvelle société, c’est l’éducation des femmes, parce que comme l’écrivaine qui, en allant à l’école, a appris à écrire, l’écriture devient une force par laquelle elles peuvent se libérer des cloîtres. Comme elle raconte au début du roman L’amour, la fantasia, les voisins du quartier, en la voyant sortir avec son père pour aller à l’école, se chuchotaient entre eux du souci qu’elle allait causer à sa famille. Pour eux, la fille qui sait écrire 30 peut passer tous les murs autour d’elle et faire entendre sa voix. Ces gens pensaient que : « Le geôlier d’un corps sans mots – et les mots écrits sont mobiles – peut finir, lui par dormir tranquille… Si la jouvencelle écrit ? Sa voix en dépit du silence, circule » (11–12). C’est ainsi que l’écrivaine qui protège l’idée du métissage linguistique et de l’écriture de la femme, proteste contre l’idée d’une « société orale » (Ces voix qui m’assiègent 75). Notamment pour elle, il faut reconnaitre les langues mineures toujours vivantes parmi les femmes, par exemple la langue de sa tribu maternelle : « …au Maghreb, il y a une des plus anciennes cultures écrites, avec les femmes comme les détentrices privilégiées de l’écriture, l’alphabet " tifinagh " des Touaregs »(Ibid.75). Cette langue berbère, qui représente la place de la langue de la mère dans la société, pourrait être ranimée et ouvrir son espace dans la langue du père, c’est-à-dire le français. Même si, comme on a expliqué, selon Djebar cette langue a une pratique plutôt orale qu’écrite, on peut la remettre à l’écrit, surtout que son alphabet existe toujours. Quand les femmes retrouvent la langue de l’écriture, elles peuvent s’exprimer et ouvrir une voie devant elles. Pour bien comprendre l’importance que l’écriture des femmes a pour Djebar, nous analyserons la vie et l’ouvrage de la poétesse iranienne, Forough Farrokhzad, que Djebar trouve exemplaire, du fait de son courage pour poursuivre son désir de progrès et de la liberté dans une société patriarcale. 31 Chapitre III L’écriture des femmes Dans les deux derniers chapitres, nous avons parlé de l’importance de la voix féminine pour Djebar. Dans un passage de Ces voix qui m’assiègent…en marge de ma francophonie, Djebar cite un vers d’une poétesse iranienne et exprime le souhait que les femmes de son pays aient repris le chant de cette femme : C’est seulement la voix qui reste, pourquoi je m’arrêterais ? soupire encore une poétesse des années soixante, dans Téhéran. Elles auraient pu, ces paysannes et citadines d’un autre âge, ces Berbères et ces Arabisées pieuses de mon Maghreb, si éloignées de Forough Farrokhzad, elles auraient pu reprendre pourtant le chant raffiné de cette jeune femme blessée à mort… (145) Une analyse de la vie et du poème de cette poétesse nous révèle dans quel sens le chant de Farrokhzad aurait pu être un exemple pour les autres femmes. 3.1 Forough Farrokhzad 3.1.1 La biographie Farzaneh Milani dans son œuvre Words, Not Swords: Iranian Women Writers and the Freedom of Movement qui est à propos des poètes iraniennes et leur situation dans une société patriarcale, donne une autobiographie détaillée de Farrokhzad. Farrokhzad est née en 1935 à Téhéran; son père, le colonel Farrokhzad, était un homme strict. Pour sortir de cette ambiance familiale, elle s’est mariée à seize ans avec un homme quinze ans plus âgé qu’elle. Même si ce mariage était un mariage d’amour pour elle, les contrôles de son mari pour observer leur statut social dans l’Iran traditionnel ont fait de la maison conjugale un enfer à tel point que Farrokhzad l’a décrite comme « Une prison »2, et son mari comme « Un gardien de prison » (Le mur) dans ses poèmes de cette époque. A la suite d’un scandale causé par l'un de ses poèmes (« Le péché »), dans lequel elle avait parlé de son amour adultère pour un poète et de la réponse de celui-ci, la stabilité de sa vie familiale n’a pas duré, et peu après elle a divorcé. Selon la loi 2 . Toutes les traduction persanes/françaises des titres sont les miennes 32 familiale, la garde de son enfant de deux ans revenait à son mari, dont la famille lui a interdit de voir son enfant durant toute sa vie. Pour s’éloigner de ce scandale, oublier la douleur de la séparation de son mari et surtout de son enfant, elle a voyagé en Europe chez son frère, une expérience qui, selon Farzaneh Milani, lui a ouvert les yeux sur l'étendue de la liberté qu’une femme peut y avoir. Après son retour, elle a encore une fois fait scandale en imprimant son itinéraire et ses expériences de l’Europe sous le nom Elsewhere dans une revue littéraire. Pour Milani : Ironicly, Elsewhere is scarcely a page turner. Readers seeking descriptions of romantic advantures or sexual encounters would have been disappointed. It offers a series of personal reflexions rather than a display of illicit actions of a « sinful » woman. Claiming that geographic distance is a catalyst for change, providing a physical space for further exploration of the self and the discovery of new inner landscapes, it chronicles the development of the mind exposed to new places and new people. (142) Plus tard, après sa rencontre avec Ebrahim Golestan, l’écrivain et le cinéaste à succès de l'époque, Farrokhzad a collaboré avec lui en 1962 pour faire un film sur la vie des lépreux qui s’appelait La maison est noire. Sa collaboration avec Ebrahim Golestan et ses nouveaux succès littéraires ont provoqué de nouvelles critiques. Tout cela ne l’a pas empêchée de continuer son travail d’écriture. Le peu d’importance que tous ces événements ont eu pour Farrokhzad est évident quand dans l'un de ses entretiens dans le programme de la Voix du poète à la Radio Iran, elle déclare que « Parler de l’autobiographie, est un fait ennuyant et inutile » et explique que c'est parce qu’en tant qu’être on a tous les mêmes expériences d’enfance, d’adolescence et ainsi de suite. Cependant elle ajoute : « Si ce que vous voulez dire par l’autobiographie c’est d’expliquer ce qui concerne mon travail, pour moi la poésie, je dois dire que ce n’est pas encore le moment, parce que moi il y a peu de temps que j’ai sérieusement commencé le travail de poésie ». Elle a fait cet entretien trois ans avant sa mort en 1967, d’un accident de voiture. Même si par elle-même, elle met sa longue vie poétique en cause, l’espace qu’elle a ouvert par la poésie pour les voix féminines dès ses premiers poèmes dans la tradition poétique de l’Iran dominé toujours par les critères masculins est sans pareil dans l’histoire littéraire persane. . Farzaneh Milani explique que : « Uncovering her personal life, opening herself to the world, refusing to be commandeered by strings like a marionette, Farrokhzad launched a new space 33 where readers – especially women readers – could give voice to their body and body to their voice » (145). A vrai dire, elle est la seule poétesse iranienne après six siècles de silence féminin. Parvin Etesami, la poétesse qui l'avait précédée six siècles auparavant, s’était adaptée aux idéologies d’une société patriarcale et n'avait jamais parlé si franchement des sentiments, des désirs ou même des problèmes des femmes. Farrokhzad a été la première à parler ouvertement du désir d’une femme pour l’amour, pour la liberté, pour le progrès. Himmann explique les differences que les intelectuels iraniens trouvaient entre la poésie de Farrokhzad et celle de Parvin Etesami: What Parham and some other Iranian male intellectuals have found to prise in E’tesami’s verse was her circumspectness, modesty, and the use of personae no different in many cases from masculine personae in traditional Persian lyric and didactic verse. In other words, E’tesami did not speak as a woman first and foremost – she did not display in public her feminine voice, often considered by traditional Islamic culture as part of a woman’s ‘owrat [pudenda], – even when her poetic subject was the condition of Iranian women. (86) Hilmann continue avec la réponse de Farrokhzad à ces sortes de comparaison: Whereas in the afterword to the very volume Parham was reviewing, Farrokhzad argues matter-of-factly that women perceive and experience life differently from men and that she has no choice as a woman poet but to describe her perceptions and experiences accordingly. She adds, however, that only in a jaundiced reading could a critic judge her verse as being exclusively “sexual” or othervise narrow in thematic imagery.(ibid.86) Farrokhzad a franchement répondu à ces sortes de critiques non seulement à travers la prose mais aussi par sa poésie. 1.2 Le défi aux critiques Le défi que Farrokhzad a lancé à tous les hommes ou même aux femmes conformistes, qui avaient des idées traditionelles à propos du rôle des femmes à l’époque où elle vivait, est reconnaissable dans le poème que Djebar a cité. Ce poème est du recueil Croyons au début de 34 la saison froide. Dans ce poème, elle compare le mouvement de ces sortes de gens aux « moulins à vent, le frémissement des vers dans le vide de la viande » et leur voix au « long hurlement de sauvagerie ». Par ces métaphores elle décrit le niveau intellectuel de ces gens qui fait que leur vie ressemble au « marécage » en tant que « le lieu de pondaison des insectes de pourriture » ou « la morgue » dont « les pensée sont écrites par les cadavres gonflés ». Le niveau intellectuel de ces gens est comme celui d’un « rongeur de journal »3 qui ne peut pas imaginer « l’étendue » du « jour » ou « des lilliputiens » dont « Les repères de la mesure d’un voyage ne quittent pas l’orbite du zéro ». Elle compare son propre mouvement à celui « des oiseaux » et de « la fontaine » vers le haut. Elle se compare à l’arbre que « l’air stagnant » ennuie. Elle dit enfin que son engagement par rapport à la vie ressemble à l’engagement « des fleurs » à la vie. Elle désire atteindre le soleil où toutes les forces se rejoignent et tout se transforme en lumière. Ainsi c’est selon le degré du mouvement qu’elle catégorise les gens. Un groupe est fait de ceux dont le mouvement est lent et imperceptible comme celui de vers ou d’insectes. Ils sont plutôt des parasites comme le ver qui se nourrit de la viande pourrie. Ils sont comme des marais sans aucun mouvement qui peu à peu perdent la fraîcheur et deviennent un endroit pour la vie des insectes qui les remplissent et pourrissent. Ils ressemblent à la morgue et sont remplies d'idées mortes. C’est ainsi que leur production, leurs voix ressemblent aux hurlements de sauvagerie. Parce qu’en fait ils ne peuvent pas s’éloigner d’une première idée de la sexualité sur laquelle ils fondent tous leurs idéologies et jugements. C’est ainsi que restés dans leurs pensées primitives, ils n’évoluent pas et gardent leurs tailles primitives aussi petits que les lilliputiens. Les critères d’évaluation utilisés par ces sortes de gens est le manque du mouvement qui égale le zéro. C’est-à-dire qu’ils ne connaissent pas du tout le changement et le mouvement. Ainsi ils sont incapables d’évaluer la portée du mouvement de la poétesse. Parce que celle-ci est allée aussi haut que les oiseaux, elle est en contact avec le ciel, les étoiles, la lune, le soleil. Contrairement à ce groupe qui pourrit dans leur inertie, la poétesse est en mouvement, ce qui la garde vivante comme les plantes. Ce mouvement qui ressemble à la force de la vie pour les plantes est incité par l’amour du soleil. 3 Un étroit d’esprit 35 Quand la poétesse dans le premier vers dit qu’elle désire mouvoir parce que seulement la voix reste, elle crée une relation entre ces deux notions qui deviennent claires dans les vers suivants : La voix, la voix, seulement la voix reste La voix du désir de l’eau de couler La voie de l’écoulement de la lumière d’étoiles sur la féminité de la terre La voix de la formation d’un embryon de sens Et l’expression de la mémoire commune de l’amour La voix, la voix, la voix, il n’y a que la voix qui reste. (41-46) Ainsi la voix est celle du mouvement. Comme on a vu le mouvement est la force de la vie. Par conséquent la voix est celle de la vie, ou comme elle a dit celle du désir pour la formation du sens et l’expression de l’amour. Le Je utilisé par Farrokhzad qui parle de son mouvement et le lexique employé pour exprimer la voix du désir du mouvement pourrait dire que la voix dont parle la poétesse est celle du désir du mouvement, de l’expression ou de la création littéraire fondée dans la mémoire commune de l’amour. C’est-à-dire que le mouvement de la poétesse est dans la direction du mouvement de son désir, autrement dit son élan poétique. Cela dans un échange mutuel, de sorte que la poésie égale sa vie, égale son mouvement, la poésie est la direction et la route de son mouvement, est vitale pour elle comme du sang et de l’air. Ainsi ce qui définit les règles de la vie de la poétesse, c’est la Nature; c’est pourquoi elle est au delà des lois sociales faites par les hommes qu’elle trouve aveugles puisqu’ils ne sont pas éclairés par la lumière du soleil. Elle dit : J’obéis aux quatre éléments de la Nature Rédiger les lois de mon cœur n’est pas l’affaire du gouvernement d’aveugles locaux ……………………………….. C’est la lignée du sang des fleurs qui m’a engagé à vivre La race du sang des fleurs, savez-vous ? (50-57) L’accent que la poétesse met sur son appartenance à la Nature et son amour pour le soleil, ressemble à l’idée des Soufis, à propos du retour vers Dieu, source de la lumière. Ainsi la voix de Farrokhzad est comme celles des femmes que Djebar entend. C’est pourquoi d’après Djebar, Farrokhzad aurait pu devenir un exemple pour les Algériennes. C’est-à-dire que quand 36 on voulait éteindre sa voix parce que son mouvement était contre les lois de la société dans laquelle la parole et le mouvement d’une femme doivent être contrôlés, elle a tout mis en question et les a condamnés. Comme on a déjà dit, dans l’Iran des années soixante les femmes avaient peu de liberté d’expression; la liberté d’une femme était tout d’abord une menace pour sa famille qui avait peur du scandale. La femme libre était considérée comme une femme publique et n'était pas respectée. Cependant Farrokhzad leur a montré qu’elle se mouvait selon le désir de la Nature, pas selon le désir des hommes. 3.2 Forough Farrokhzad et Assia Djebar 3.2.1 L’engagement social On a vu que Djebar et Farrokhzad entendent toutes les deux les voix de la Nature. Avec son style poétique unique, la voix de Farrokhzad est en réalité la première voix féminine iranienne depuis des siècles. Cependant elle a un engagement plus littéraire que féministe. Elle n’appartenait à aucune idéologie et sa seule idéologie était la connaissance de soi à travers et par la poésie. Selon Hillmann: Among her fellow poets, only Forough Farrokhzad seemed uniformly communicative of new poems and new insights, for two reasons. First she was never categorical in her commitment to social issues: she could allow her poems to reach their own, rather than preconceived, ideological conclusions. Second, she was the true modernist among them, whit her frank, autobiographical, individual ‘I’. Even with only fellow poets and intellectuals as readers, Farrokhzad changed the course of lyric expression in Persian, singlehandedly ridding it of the patriarchal ‘I’, ever a mask for anonymity, even when masterfully employed such poet as Hafez. (160) Cette idée d’une littérature plus personnelle qu’idéologique a aussi été confirmée par Farrokhzad dans l'un de ses entretiens. Comme on lit dans la revue Le noir et le blanc en 1967, elle dit que: « La poésie est une affaire sérieuse pour moi. C’est une responsabilité que je sens vis-à-vis mon propre être. C’est une sorte de réponse que je me sens obligée de donner à mon propre être….Je ne cherche rien, dans mes poèmes, je découvre plutôt moi-même ». L’importance pour Farrokhzad de la création d'une relation personnelle avec la littérature devient 37 claire aussi à la lecture de ses poèmes. En effet, elle a mis toute sa vie dans la poésie. Ces poèmes sont lyriques et décrivent son état mental qu’elle dénude facilement devant les lecteurs. Elle s'exprime ouvertement dans la poésie de sorte qu’on peut suivre les étapes de sa vie et ses progrès personnels au cours de ses poèmes. La femme qui expérimente avec toutes les formes de l’amour, de la liberté, des obstacles sociaux. Cependant, tout cela fait que sa vie personnelle a trouvé un statut plus large en tant que représentante de la situation des femmes dans l’Iran contemporain. Toutes les bonnes ou mauvaises expériences de Farrokhzad sont en fait celles auxquelles chaque femme qui refuse de vivre selon les normes de la société patriarcale est confrontée : De plus, même si Farrokhzad a écrit dans sa langue maternelle, étant donné le discours dominant de son époque, masculin et patriarcal, le discours féminin et le statut des femmes par rapport aux hommes qui les rend un groupe mineur, on pourrait dire que la poésie de Farrokhzad est une littérature mineure. A vrai dire Farrokhzad a réussi à ouvrir un espace pour le discours féminin dans la littérature persane dominée par le discours masculin. Il faut ajouter qu’à la différence de Djebar qui déterritorialise dans un espace langagier déjà libre et protégé, le désir du mouvement de Farrokhzad et l’espace qu’il produit pour la déterritorialisation et la production poétique sont exprimés dans une langue et une culture qui l’interdisait d’y entrer. Ces poèmes et le ton sérieux de sa poésie critique du groupe opposé à son mouvement montre que non seulement Farrokhzad était engagée dans la poésie, mais aussi que celle-ci est devenue un outil du pouvoir de l’expression pour elle. Farrokhzad elle-même a dit dans un de ses entretiens que sa dépendance à la poésie l’a libérée de toute dépendance aux gens. Farrokhzad a dépassé toutes les frontières de genre définies par la société patriarcale et a défini de nouveaux sens et espace et a fait de sa vie une forme pour fabriquer une nouvelle forme et nouvelle image. Elle a réussi non seulement à mener une vie libre en tant que femme, mais aussi à créer son propre style et à repousser les traditions littéraires. Une vie différente, une poésie différente, une voix qui reste toujours. 3.2.2 L’écriture de femmes Pour bien comprendre dans quel sens le mouvement et la voix de Farrokhzad confirment l’idée de l’importance de l’écriture pour les femmes, on n’a qu’définir deux statuts pour elle, l’un en tant que créatrice littéraire et l’autre en tant que femme. En tant que femme 38 il faut considérer sa vie privée, cependant en tant que poétesse il faut écouter ses voix intérieures. En opposition avec les gens qui voulaient critiquer sa vie privée en tant que femme selon les valeurs d’une société traditionnelle, elle leur répond incontestablement. En tant que femme ou poétesse, elle est l’incarnation du désir de la Nature. Même si elle est mère ou épouse, sa responsabilité par rapport à son être doit être évaluée indépendamment de sa responsabilité vis à vis de mari ou de sonenfant. Pour Djebar, l’écriture est un moyen de confirmation de soi pour les femmes indépendamment des relations familiales. Comme nous avons vu dans le deuxième chapitre, selon elle, on a expulsé les femmes de l’écriture parce que quand elles écrivent, elles veulent vivre pour elles-mêmes au lieu de vivre pour les enfants ou l’époux. Ainsi l’écriture (sous toutes ses formes) devient vitale pour les femmes désirant vivre une vie heureuse et épanouie. 39 La conclusion Après avoir analysé la place du mouvement et de l’écriture pour Djebar dans trois chapitres, nous pouvons conclure sur l’importance de ces deux notions chez elle. Comme on a vu dans ces livres qu’on vient d’analyser, tout d’abord les personnages trouvent la force de se déplacer d’un espace à l’autre, après une période de silence. Ce silence, la plupart du temps causé par le choc d’un mauvais événement, a duré jusqu’à ce qu'ils trouvent la possibilité de s'exprimer dans un autre espace. Selon Djebar cela est devenu une façon de vivre pour la plupart des femmes de sa société algérienne. Elles sont silencieusement emprisonnées dans des souvenirs et seulement par le déplacement spatial, elle retrouve le pourvoir de la parole et se libèrent des souvenirs qui les capturent. Après avoir repéré la relation créée par Djebar entre le mouvement et l’écriture pour ses personnages féminins, l’analyse de son impression de la danse de sa grand-mère nous a conduites à comprendre la définition de l’acte d’écriture pour Djebar en tant qu’écrivaine. La danse de la grand-mère qui était une danse rotative essemblait aux mouvements de la main de l’écrivain lors d’écriture. La description de la danse du corps ou de la main de l’écrivaine dans Ces voix qui m’assiègent… en marge de ma francophonie, a confirmé la ressemblance entre le corps de l’écrivaine lors de l'écriture avec celui de la grand-mère lors de sa danse mystique. On a aussi expliqué que le mouvement de la main de l’écrivaine est le produit du mouvement des voix qui l’assiègent. C’est-à-dire qu’elle a un rôle passif par rapport au désir des voix. Comme pour eux, le mouvement de leur corps incarnait le mouvement du désir divin, et étant donnée notre explication précédente à propos du désir passif de l’écrivaine, et surtout que ces voix qu’elle entend sont celles de la mémoire, la création littéraire de Djebar devient une réécriture et ranimation des souvenirs, des femmes surtout. Puisque la création littéraire de Djebar est de langue française, selon le désir du mouvement des voix qu’elle entend, et puisque ce sont des voix féminines, on a trouvé nécessaire d’évaluer la littérature de Djebar d’un point de vue politique. Cela parce que d’après la théorie de Deleuze et Guattari, la création littéraire d’un groupe mineur dans une langue majeure rend cette littérature politique. Compte tenu de la situation des Algériennes, leurs droits, 40 leurs langues, elles créent un groupe mineur par rapport au groupe majeur des Algériens, dont la liberté est plus grande que celle du groupe mineur de femmes. Pour cette raison, on a analysé politiquement la littérature de cette minorité dans le français, la langue majeure. Tout d’abord, on a expliqué que selon les caractéristiques d’une littérature mineure, les voix qui s’expriment en français ont en effet été déterritorialisées dans cette langue pour y créer un espace dans lequel elles sont libres. Cet espace qui pouvait être une nouvelle société, a comme structure de base la relation de l’écrivaine avec ses parents. Dans le même sens, les paroles et les actes de l’écrivaine étaient collectifs, c’est-à-dire qu’ils représentaient l’idéal de la nouvelle société. Ainsi on a trouvé nécessaire d'examiner d’abord les raisons d’une réécriture historique du premier gouvernement islamique d’après Mohammed. On a montré que ce gouvernement a été mal fondé sur une mauvaise interprétation de la parole du Prophète. Cette société a été fondée sur le déshéritement de la fille du Prophète et son exclusion du discours dominant. Djebar a montré comment les problèmes des Algériennes d‘aujourd’hui, comme le déshéritement par les membres mâles de la famille, causant ainsi la dépendance des femmes vis à vis des hommes qui les cloitrent et les oppriment, ressemblent au sort de la première femme, Fatima. Cependant après une longue période d’oppression contre les femmes, le père de Djebar, professeur de français, initie sa fille à la langue divine, cette fois le français, qui comme Gabriel qui avait appelé le Prophète devant sa grotte, lui fait lire l’ordre divin, pour Djebar les voix des femmes. Après avoir eu la révélation divine, Djebar et ces voix qui l’assiégeaient ont immigré – comme les premiers musulmans à Médine – cette fois dans l’espace sûr de la langue française. La fondatrice d'une nouvelle société métissée, Djebar, qui a hérité de son père, a interrompu le processus itératif du déshéritement des femmes et a ranimé le féminisme étouffé avec la mort de Fatima. Une des valeurs de cette société est le métissage linguistique, qui permet ainsi à la langue maternelle d’avoir son espace dans la langue paternelle. Cette langue maternelle est douée d’un alphabet dont les femmes de la tribu sont détentrices. Donc elles pouvaient écrire dans cette langue et ne pas permettre de nouvelle oppression par les hommes. L’importance de l’écriture des femmes a été expliquée par l’analyse d’un poème de Forough Farrokhzad, une poétesse iranienne. Farrokhzad, en écoutant son désir de mouvement, non seulement a pris le pouvoir de la mise en question des lois de la société patriarcale, mais a aussi ouvert un espace pour le discours féminin dans une tradition littéraire dominée depuis des siècles par les hommes. Farrokhzad dans son poème, « Il ne reste que la voix, pourquoi je 41 m’arrêterais », a expliqué que son besoin de mouvement en tant que femme est selon le désir du mouvement de la Nature et non pas selon les idées superstitieuses des hommes. 42 La bibliographie Cooke, Miriam. Women Claim Islam. New York: Routledge, 2001. Deleuze, Gilles, and Félix Guattari. L’anti-Œdipe. Paris : Edition de minuit. 1973. ---. Kafka : Pour une littérature mineure. Paris: Les Editions de minuit, 1975. Djebar, Assia. 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