Demain, la Méditerranée. Scénarios et projections à 2030.
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Demain, la Méditerranée. Scénarios et projections à 2030.
C O N S T R U I R E L A M É D I T E R R A N É E Demain, la Méditerranée Scénarios et projections à 2030 croissance ~ emploi ~ migrations ~ énergie ~ agriculture coordonné par cécile jolly et réalisé avec le consortium méditerranée 2030 méditerranée 2030 Une démarche de prospective à l’échelle de la Méditerranée en 2009, ipemed a engagé, en partenariat avec les organismes d’étude euro-méditerranéens (carim, ciheam, femise, ome), un vaste processus de prospective qui a pour but d’associer, au sein du consortium Méditerranée 2030, des instituts de prospective publics et privés du pourtour méditerranéen (Plans marocain, algérien et turc, Centre d’analyse stratégique français, Institut Europeu de la Mediterrània, Centre mauritanien d’analyse des politiques, Observatoire universitaire de la réalité socio-économique du Liban, Centre for Mediterranean, Middle East and Islamic Studies (Université du Peloponese), Albanian Council on foreign relations, ministères des Affaires étrangères croate et mauritanien, etc.) en vue d’élaborer ensemble une vision commune de la Méditerranée en 2030. Ce projet de prospective poursuit deux objectifs : • tout d’abord, une démarche scientifique et économique : élaborer des diagnostics et des projections partagés à l’échelle de la région dans les domaines de l’énergie, de l’agriculture, de l’eau et de l’environnement, de la démographie et des migrations, des investissements directs à l’étranger. Ce travail est réalisé en partenariat avec les organisations euro-méditerranéennes spécialisées, avec la collaboration des centres de prospective des pays riverains de la Méditerranée ; • mais surtout, une démarche politique et pédagogique : faire naître des collaborations sur le long terme entre les responsables en charge de la prospective, diffuser la méthodologie de la prospective au sein de la région méditerranéenne et être un outil d’aide à la décision. Les travaux du consortium sont animés et coordonnés par Cécile Jolly, analyste au Centre d’analyse stratégique et par Macarena Nuño, chef de projet à ipemed. 3 SOMMAIRE SOMMAIRE DES TABLEAUX ET GRAPHIQUES ..................................... 6 synthèse La Méditerranée en 2030 : les voies d’un avenir meilleur .............................................................. 1. Des complémentarités à exploiter pour une vision méditerranéenne .......................................................................... 2. Des défis communs à relever ...................................................... 3. Un avenir méditerranéen menacé par la marginalisation ou la divergence............................................................................ 4. Alors que faire pour favoriser la convergence méditerranéenne ?........................................................................ Scénarios de croissance pour la Méditerranée en 2030 ........................................ 9 11 15 19 33 37 Cécile Jolly 1. Méthodologie et scénarisation de la croissance ......................... 37 2. Trois visions d’un futur possible................................................. 42 Perspectives d’emploi en Méditerranée .................... 51 Frédéric Blanc 1. Un contexte démographique tendu et un faible taux d’activité ........................................................................................ 2. Le contenu en emplois de la croissance et la dualité des marchés du travail ................................................................. 3. La nécessaire adéquation de la formation et des compétences aux besoins de l’économie ............................. 4. Les perspectives d’emploi et les scénarios possibles................. 4 52 56 59 60 prospective Flux migratoires et transition démographique. Évolution et scénarios pour l’avenir ............................ 71 Philippe Fargues, Giambattista Salinari 1. Les grandes tendances démographiques autour de la Méditerranée........................................................................ 72 2. Prévoir les futures migrations méditerranéennes ..................... 88 Perspectives énergétiques en Méditerranée : défis et enjeux à 2030 ........................................................... 115 Dr. Houda Ben Jannet Allal 1. Un défi global au cœur des enjeux de développement ............ 116 2. Énergie, environnement et coopération : un champ de réflexion nouveau et pour la première fois global ................ 117 3. Les perspectives : une demande d’énergie qui s’accroît et une augmentation des risques ................................................120 Sécurité alimentaire et agriculture en Méditerranée. Scénario d’une crise et perspectives en 2030 ....... 127 Vincent Dollé 1. 2. 3. 4. Les points communs des pays du pourtour méditerranéen .....129 Les scénarios possibles pour l’avenir.......................................... 144 Vers une nouvelle Politique agricole commune ........................ 154 La Politique européenne de voisinage : une coopération renforcée pour la convergence de normes sanitaires ................ 156 5. Le scénario du co-développement ............................................... 158 6. Printemps méditerranéen et sécurité alimentaire, de nouvelles opportunités ?.......................................................... 163 5 SOMMAIRE DES TABLEAUX ET GRAPHIQUES TABLEAUX 1 Taux de croissance de la productivité du travail dans les pays de la zone Euromed (1980-2030) 13 Immigrants réguliers et irréguliers dans les pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée 2 Aperçu démographique des marchés de l’emploi en 2007 14 Années où la population âgée de 20-25 ans est maximale 3 Activité en 2007 en Méditerranée, en Europe et dans les Balkans 15 Dynamiques démographiques des marchés du travail de la région Mena et de l’UE (2005-2030) 4 Population de 15 ans et plus dans Euromed et Balkans (2000-2030) 5 Évolution de la population par strate d’âge (2007-2030) 6 Perspectives d’emploi pour les pays méditerranéens (2007-2030) 7 Perspectives d’emploi pour l’UE27 (2007-2030) 8 Perspectives d’emploi pour les Balkans (2007-2030) 9 Scénario des divergences méditerranéennes – emploi 10 Scénario de crise de la Méditerranée – emploi 16 Année où le rapport [personnes âgées/jeunes adultes] dépasse 0,33 17 Désir d’émigrer chez les jeunes tunisiens (1996-2005) 18 Classification géographique de la région euro-méditerranéenne 19 Liste des chocs politiques 20 Analyse de régression : taux nets de migration dans la région euroméditerranéenne (1965-2010) 21 Évolution de la consommation d’énergie par habitant à l’horizon 2030 en Méditerranée 11 Scénario de convergence méditerranéenne – emploi 22 Évolution des émissions de CO2 par habitant à l’horizon 2030 en Méditerranée 12 Les migrants originaires de certains pays de la région Mena par groupes de pays de résidence 23 Intensité énergétique en Méditerranée à l’horizon 2030 24 Intensité carbone à l’horizon 2030 GRAPHIQUES 1 Croissance du PIB en Méditerranée dans les trois scénarios 4 Croissance du PIB dans l’UE-15 dans les trois scénarios 2 Croissance du PIB dans les pays sud et est méditerranéens dans les trois scénarios 5 Scénario de référence, prolongation des tendances passées et des prévisions FMI à 2015. PIB par habitant (2009-2030) 3 Croissance du PIB dans les Balkans et en Europe de l’Est dans les trois scénarios 6 Scénario des divergences méditerra néennes. PIB par habitant (2009-2030) 6 7 Scénario de crise de la Méditerranée. PIB par habitant (2009-2030) prospective 8 Scénario de convergence méditerranéenne. PIB par habitant (2009-2030) 9 Population en âge de travailler dans la région Mena et dans l’UE27 (2000-2030) 10 Nouveaux entrants sur le marché du travail et population totale en âge de travailler 11 Le dividende démographique dans la région Mena 12 Relation entre le taux net de migration et l’enseignement supérieur, la croissance urbaine, le PIB par habitant et la proportion de population urbaine (1950-2010) 13 Relation entre le taux net de migration et le stock passé de migrants, la densité, le taux d’accroissement naturel et l’âge médian (1950-2010) 25 Évolution de la demande d’énergie primaire à l’horizon 2030 dans les Psem 26 Évolution des émissions de CO2 dans les pays méditerranéens selon les trois scénarios 27 Évolution des émissions de CO2 selon le scénario de convergence 28 Villes et agglomérations en Méditerranée (2006) 29 Actifs agricoles en Méditerranée (2004) 30 Population rurale en Méditerranée (2005) 31 Chômage total et rural en Méditerranée 32 L’agriculture dans la formation du PIB dans les pays méditerranéens 33 Terres arables par habitant en Méditerranée (1961-2003) et perte nette de terres arables (1980-2005) 14 Projections du taux net de migration dans l’Europe méditerranéenne (1965-2030) 34 Indice d’exploitation des ressources en eaux naturelles renouvelables en Méditerranée (2005, 2025) 15 Projections du taux net de migration dans les Balkans (1965-2030) 35 Évolution des balances commerciales agricoles des Psem 16 Projections du taux net de migration au Machrek (1965-2030) 36 Les trois types d’alimentation en Méditerranée par rapport au régime crétois (2003) 17 Projections du taux net de migration au Maghreb (1965-2030) 18 Analyse contradictoire pour le Maghreb (1965-2030) 19 Analyse contradictoire pour l’Égypte et le Maroc (1965-2030) 20 Analyse contradictoire pour l’Europe méditerranéenne (1965-2030) 21 Demande d’énergie primaire en Méditerranée par source (2009) 22 Demande d’énergie primaire en Méditerranée par source et par région (2009) 23 Evolution de la demande d’énergie primaire à l’horizon 2030 en Méditerranée 24 Évolution de la demande d’énergie primaire à l’horizon 2030 dans les pays du Nord de la Méditerranée (PNM) 37 Indicateur de qualité alimentaire (1960-2000) 38 Obésité en Méditerranée (2009) 39 Prix du blé sur le marché à terme 40 Prix du pétrole brut 41 Indice FAO des prix des produits alimentaires 42 Indices de prix des denrées alimentaires (2010) 43 Le chemin de la réforme de la Politique agricole commune et ses dépenses 44 Produits de qualité : ACP, IGP et STG dans les pays du Nord (2009) 45 Agriculture biologique et produits de qualité en Méditerranée 7 la méditerranée en 2030 : les voies d’un avenir meilleur le bassin méditerranéen a développé un tissu de relations économiques, institutionnelles et humaines qui lui confère une dimension régionale certaine. L’irruption des révoltes arabes est venue rappeler que cette dynamique pouvait aussi prendre la forme d’une convergence politique. Structurellement néanmoins, l’intégration méditerranéenne reste d’ampleur très variable selon les pays et les sous-régions qui composent cet ensemble. L’Union européenne y occupe une place centrale pour tous les riverains, soit qu’ils en soient membres ou destinés à la rejoindre, soit qu’ils aient noué des accords et des relations économiques privilégiés avec elle. De fait, si l’Europe latine, les pays de l’Adriatique (Balkans occidentaux), le Proche-Orient et le Maghreb se situent dans une continuité géographique, leur hétérogénéité économique, institutionnelle et socio-culturelle est patente. La Méditerranée est en devenir et fait l’objet d’un investissement politique et privé. Les motivations sont variées, économiques, politiques, citoyennes, sociales, écologiques et culturelles, à l’image des pays et des populations qui la compose. Mais ces initiatives tendent toutes à tisser plus solidement ce que l’histoire a fait et défait, à accélérer les dynamiques de revenu de la région, à accroître sa place face aux grands blocs économiques mondiaux. Cet ensemble est soumis à de grandes incertitudes sur son avenir qu’il soit national ou collectif : la crise la plus profonde qu’ait connue l’Europe depuis les années 1930 atteint aujourd’hui non seulement les ressorts de son rebond mais met en question sa propre construction (en particulier la gouvernance économique de la zone euro). Cette crise économique et institutionnelle touche également en retour les pays de l’Adriatique promis à une intégration que les incertitudes communau9 taires et les soubresauts de la crise grecque handicapent. Les révoltes arabes produisent un puissant élan réformateur mais entraînent les pays dans une phase de transition nécessairement longue, qui n’exclut pas les retours en arrière, ou plonge certains États dans une phase de réaction avec des impacts en termes de stabilité et de croissance économique à plus ou moins court terme. Enfin, bien évidemment, l’intégration régionale pâtit elle-même de ces incertitudes. Incertitudes sur le niveau de la croissance du premier partenaire économiques des États de la région – l’Union européenne ; incertitudes sur l’ampleur des réformes économiques et politiques au Nord comme au Sud ; incertitudes sur la volonté des États riverains de la Méditerranée d’avoir un destin commun, l’Europe peinant à conserver sa solidarité ancienne et sa force d’attraction, la solidarité arabe retrouvant une certaine force par la vertu des aspirations démocratiques et redevenant le centre d’une attention non seulement euro-méditerranéenne mais internationale. Alors que les turbulences qui agitent l’Union européenne et la Méditerranée arabe semblent focaliser l’attention sur le court terme, revenir aux tendances structurelles et envisager les ressorts d’une croissance euro-méditerranéenne et d’une intégration régionale sur la longue durée est une manière de réduire les incertitudes. À première vue, le diagnostic n’est pas immédiatement favorable à l’intégration méditerranéenne. La convergence des revenus peine à se réaliser entre les pays du Bassin méditerranéen ; les échanges commerciaux et de capitaux y ont moins progressé qu’avec les autres zones du commerce mondial (pays émergents). La croissance des flux d’investissement en provenance des pays du Golfe a orienté davantage les pays arabes méditerranéens vers le développement de l’immobilier, des télécommunications et, dans une moindre mesure, des services financiers. La diversification des échanges de biens et de capitaux pourrait constituer une opportunité si elle s’accompagnait d’une montée en gamme et de niveau technologique permettant des gains de productivité favorables à la croissance et à l’emploi. Or, force est de constater que la dynamique centrifuge de l’Europe n’a pas conduit à un flux d’investissement majeur (les investissements directs étrangers stagnant autour de 2 %) autorisant des transferts technologiques significatifs ni à une cotraitance industrielle comparable à celle organisée avec les pays d’Europe de l’Est ou au sein de l’Asie émergente. 10 i – prospective – synthèse Si les économies sud et est méditerranéennes ont bénéficié de la dynamique passée de la croissance mondiale tirée par les pays émergents, la croissance des pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée (Psem) reste faible, comparée à celle des zones géographiques les plus dynamiques du monde. L’Europe est également entrée dans une zone d’étiage due à son ralentissement démographique et à la faiblesse de ses gains de productivité. En 2030, l’Inde et la Chine compteront trois milliards d’habitants et 25 % du pib mondial, contre 12 % aujourd’hui et seulement 3 % en 1990. Ce décentrement de l’économie mondiale présente des opportunités inédites de marché, de convergence mondiale des revenus et de sortie de la pauvreté, mais fait aussi courir un risque de marginalisation des régions moins dynamiques. La Méditerranée pourrait ainsi être confrontée à un affaiblissement de sa capacité d’influence sur des régulations internationales qui pèseront sur sa destinée du fait de l’extraversion croissante des économies. Le règlement de la sortie de crise, emmené par le couple Chine-Amérique, témoigne du recul de la multipolarité. Cette domination des États continents et des marchés émergents pourrait imposer à la région méditerranéenne un modèle social plus inégalitaire et moins protecteur dans une course à l’attractivité, maintenant au Sud des conditions de travail dégradées et accentuant au Nord la dualité des marchés du travail et le spectre des délocalisations. Car si la puissance économique des pays émergents sera en 2030 équivalente à celle des pays avancés, leur revenu par habitant n’aura pas connu la même progression : ils seront globalement riches mais individuellement pauvres, prolongeant la mise en concurrence de la main-d’œuvre mondiale. 1. Des complémentarités à exploiter pour une vision méditerranéenne pourtant les complémentarités régionales sont patentes. La Méditerranée est d’abord un espace où les préférences collectives des individus convergent du fait de l’importance des migrations, où la circulation des idées et des hommes va de pair avec une plus grande homogénéité des modes de vie et des aspirations. Cette convergence s’est manifestée dans les vingt dernières années, notamment au Sud et à l’Est de la Méditerranée : par une montée de l’individualisme, qui a modifié le rapport à autrui avec une moindre emprise de la famille 11 élargie et une défiance à l’égard des institutions, victimes de la même désaffiliation qu’en Europe ; par des comportements de fécondité proches de ceux prévalant en Europe ; par des aspirations à la liberté et au bien-être qui se sont d’abord traduites par un désir d’émigrer, singulièrement parmi les jeunes générations. Cette convergence des aspirations s’illustre aujourd’hui dans la revendication issue des révoltes arabes d’une plus grande liberté d’expression et de participation mais aussi d’une distribution plus égalitaire des fruits de la croissance. En ce sens, les révoltes arabes remettent en cause aussi bien l’idée d’un choc des civilisations (S. Huntington) que les formes de clientélisme et de paternalisme qui ont toujours prévalu. L’un des enjeux majeurs de l’avenir réside dans la capacité des régimes réformés, qu’ils soient révolutionnaires ou non, à accroître la participation au système économique et politique et à organiser une circulation des élites par l’établissement d’une compétition politique. Il réside aussi dans la capacité de l’Europe à accompagner ce mouvement en se fondant sur des convergences réelles dans le respect des différences. Car les révolutions arabes témoignent aussi d’une réconciliation des peuples avec leurs aspirations et d’une demande de dignité (ce mot arabe de karama courait sur toutes les lèvres de la Tunisie à l’Égypte en passant par la Libye) qui ne va pas sans une légitime fierté et la revendication d’un traitement plus équitable, y compris par les partenaires européens. Cette transformation majeure impose à l’Europe de renforcer la dimension partenariale de sa politique vis-à-vis de la région mais aussi de respecter davantage les différences culturelles. Comme l’Europe a construit une union des nations, la Méditerranée devrait être celle des cultures, un rendez-vous des civilisations(1). Corrélativement, il existe une complémentarité des forces vives, entre une Europe vieillissante, dont le déclin programmé des actifs affecte la croissance potentielle, et une rive sud et est méditerranéenne où les jeunes entrants sur le marché du travail sont nombreux, de surcroît plus qualifiés que par le passé étant donné l’investissement dans l’éducation (entre 20 et 60 % de la population y détiendra, selon les pays, un niveau secondaire ou supérieur en 2030). En 2030, les actifs potentiels seront situés à 40 % sur les rives sud et est de la Méditerranée contre 60 % en Europe (y compris les Balkans occidentaux), le rapport étant de 30 à 70 % aujourd’hui. Dans le monde de demain, l’unité de compte politiquement viable sera le milliard d’habitants. L’UE27, (1) Le rendez-vous des civilisations, Y. Courbage, E. Todd (2007). 12 i – prospective – synthèse dans ses frontières actuelles, stagnerait autour de 500 millions, l’EuroMéditerranée permettrait de constituer un pôle approchant cette cible. Si les actifs seront au Sud demain plus encore qu’aujourd’hui, la dynamique d’emploi est incertaine. Maintenir le taux de création d’emploi en Europe (1,3 %) aboutirait à un déficit de main-d’œuvre de 40 millions en 2030, même en allongeant la durée d’activité. Symétriquement, le maintien des taux de création d’emploi des pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée (2 %) est insuffisant à 2030 pour réduire substantiellement les taux de chômage et d’inactivité formels très élevés de la région (avec une part importante d’économie de subsistance informelle). Si les suppléments des uns ne viennent pas mécaniquement compenser les carences des autres, tant en raison du cloisonnement des marchés du travail que des politiques migratoires restrictives, deux facteurs plaident en faveur d’une plus grande mobilité au sein de la région, encourageant une division internationale du travail plus équitable : (i) cette mobilité peut pallier la faiblesse de la mobilité intra-européenne, et combler les déficits sectoriels de maind’œuvre (services à la personne, hôtellerie, restauration, btp) ; (ii) elle peut également renforcer l’adaptation des qualifications des travailleurs du Sud et des Balkans aux besoins de l’économie et encourager une migration plus circulaire, au détriment d’une migration d’installation et d’une fuite des cerveaux. Les complémentarités de dotations naturelles plaident également en faveur d’une plus grande intégration régionale. Cette complémentarité est évidemment énergétique non seulement du fait des énergies fossiles, mais peut-être surtout par la disposition naturelle en ressources renouvelables des Psem (pour exemple, le potentiel solaire est considérable; la vitesse du vent s’échelonne sur la rive sud du Bassin entre 6 et 11 m/s). Elle peut aussi être agricole entre une Europe plus céréalière et carnée, aux terres arables et aux ressources en eau relativement abondantes, où l’emploi agricole est devenu marginal, et un Sud où l’activité rurale reste conséquente et dont la production méditerranéenne est menacée par le stress hydrique, l’urbanisation rampante et l’impact du changement climatique. Paradoxalement, si la diète méditerranéenne est valorisée en Europe, la consommation sud et est méditerranéenne est essentiellement céréalière. Ces complémentarités de consommation et de dotations naturelles seront renforcées en 2030, au Sud par l’augmentation de la population et du revenu augmentant la consommation céréalière, au Nord par les exigences accrues en matière diététique (obé13 sité) orientant les préférences alimentaires vers les fruits et légumes. Là encore, les dotations des uns ne viendront pas mécaniquement nourrir les besoins des autres dans un marché mondialisé, où les puissances émergentes alimentent le marché et tentent de se procurer des ressources naturelles raréfiées. La complémentarité ne saurait se limiter à une complémentarité commerciale asymétrique, le Sud étant pourvoyeur de ressources naturelles et de biens primaires à faible valeur ajoutée, le Nord de biens sophistiqués plus chers. Les dotations naturelles sont elles-mêmes non seulement sources de malédiction mais aussi en raréfaction, ce qui renforce certes leur avantage comparatif à court terme mais impose une transition qui en 2030 sera très largement entamée. Quelle que soit la disponibilité ou non de ressources naturelles, très variables selon les pays, la logique d’offre doit céder le pas à une logique de demande efficiente. C’est vrai en matière énergétique et environnementale où la solution à la raréfaction des ressources (eau, énergie) et à la sécurité environnementale réside autant sinon plus dans les économies à réaliser (baisse de l’intensité énergétique, maîtrise de la demande en eau) que dans les progrès technologiques et les alternatives aux énergies fossiles. En matière agricole, la poursuite d’une logique d’offre aboutirait au Sud à la disparition d’une agriculture vivrière posant un redoutable défi rural, social et environnemental ; au Nord, à la poursuite d’une intensification agricole défavorable à l’emploi, au développement rural et à l’équilibre écologique. Passer d’une logique d’offre à une logique de demande signifie surtout favoriser la création de marchés solvables et non de maintenir les économies en rattrapage par rapport à l’Europe dans une sous-traitance appauvrissante, mue par les seuls différentiels de salaire. Il ne s’agit pas seulement dans cette perspective de faire jouer à ces économies le rôle de plateforme low cost à destination du marché communautaire, par ailleurs déjà rempli par la Turquie et la Croatie, dans une moindre mesure par le Maghreb, mais de valoriser l’argument de la proximité comme gage de qualité (en particulier sanitaire ou environnementale) et de réactivité. L’augmentation tendancielle des prix du transport à moyen terme (faible substituabilité au pétrole) et de son impact environnemental, la résurgence chronique d’accidents sanitaires liés à l’importation de produits à bas coût, la variabilité accrue de la demande et la convergence des modes de consommation de part et d’autre de la Méditerranée valident cette hypothèse. Le resserrement sur une base régionale des arbitrages 14 i – prospective – synthèse de localisation pourrait ainsi conduire progressivement à une réduction des différentiels de salaire et des conditions de travail. La plus grande mobilité de la main-d’œuvre constituerait un facteur adjuvant de la résorption tendancielle des inégalités salariales, renforçant l’acceptabilité sociale de l’offshoring et de l’outsourcing méditerranéen. Dans ce contexte, le renouvellement de l’organisation productive régionale passe aussi par les services dont tous les pays sont bien dotés. Il ne s’agit pas seulement de valoriser les avantages comparatifs de chacun, reposant sur une Europe spécialisée dans les services à haute valeur ajoutée et sur des pays de Sud et de l’Est de la Méditerranée spécialisés dans les services supports (tourisme, transport, télécommunications, avec une progression sensible des services médicaux et financiers) mais de prendre en compte une complémentarité accrue entre services et biens qui peut permettre une intégration régionale plus profonde et plus harmonieuse. Il n’est pas de service sans bien, comme en témoigne l’essor concomitant dans la téléphonie mobile de biens physiques et de services associés. De la même manière, à l’agroalimentaire et à l’énergie sont associés les services de transport et de distribution. Ce sont les services qui procurent déjà la plus forte valeur ajoutée aux biens dont la production standardisée est peu chère et considérablement fragmentée au niveau international. Au-delà, les échanges de services encouragent une harmonisation des normes qui, avec la libéralisation commerciale multilatérale, deviennent les premiers obstacles au commerce. Ils imposent une circulation des hommes via la prestation de services ou la liberté d’établissement qui favorisent la convergence des compétences et des rémunérations. Ils permettent, à terme, d’envisager un mode de développement moins axé sur la détention de produits physiques et autorisant une moindre consommation de ressources naturelles. 2. Des défis communs à relever les économies méditerranéennes sont confrontées à une crise politique et sociale d’une ampleur inégalée, sur fond de protestation contre la crise d’austérité imposée aux populations en Europe, et de révolution dans les pays arabes où les populations s’opposent autant à l’autoritarisme politique qu’à la distribution inégalitaire des richesses. La solidarité européenne est mise à mal par l’ampleur de la crise de l’endettement de certains pays, mettant en doute la capacité communautaire à adopter 15 une réponse coordonnée et fissurant le consensus communautaire. L’hypothèse d’un éclatement de la zone euro, désormais évoquée, fait renaître le spectre d’une division et d’une marginalisation de certaines nations mais, dans le même temps, l’interdépendance très forte des économies européennes pourrait, à l’inverse, pousser à un approfondissement d’une intégration européenne restée en panne depuis les derniers élargissements. Sur l’autre rive de la Méditerranée, le monde arabe est en proie à un puissant mouvement de révolte qui atteint même les rivages israéliens. Si la contagion est certaine, impliquant des réformes, y compris dans les pays qui n’ont pas renversé leurs dirigeants, à l’instar du Maroc, l’impact à long terme de ces transitions est incertain. Elles peuvent conduire à une instabilité de moyen terme, soit que les révolutions et les réformes s’accompagnent de soubresauts, soit que la répression comme en Syrie plonge certains pays dans une confrontation interne potentiellement durable. Elles sont également susceptibles de ne modifier qu’à la marge les équilibres politiques et économiques, maintenant les avantages acquis sans véritable circulation des élites. Elles peuvent, au contraire, produire un formidable mouvement de réforme permettant l’émergence d’une nouvelle élite économique et politique, libérant les énergies productives et faisant participer un plus grand nombre à une nouvelle dynamique de croissance, sur le modèle turc. La similarité des slogans de la rue tunisienne à la rue madrilène et israélienne montre qu’une certaine forme de continuum existe entre les peuples de cette aire régionale et que leur destin n’est pas imperméable. Car les pays de la région ont des défis à relever dont la solution est en partie commune et qui gagneraient à être envisagés de manière plus partenariale. En premier lieu, et c’est l’un des ressorts majeurs des révoltes arabes, les économies méditerranéennes ne créent pas assez d’emplois. L’orientation rentière des économies sud et est méditerranéennes où se conjuguent faiblesse de l’entrepreneuriat et de l’innovation, prédominance du secteur public sur le secteur privé, poids du secteur informel (qui pèse entre 20 et 30 % du pib non agricole en Algérie, au Maroc ou en Égypte, selon l’ocde), explique leurs faibles performances en termes d’emploi. En Europe, à la fin du rattrapage du gap technologique avec les États-Unis, est venue s’ajouter la baisse de la population active que l’investissement seul ne saurait compenser. Au total, la dynamique des gains de productivité sera essentielle pour la croissance de demain, au Nord comme au Sud. Ces gains de productivité seront obtenus par trois facteurs fonda16 i – prospective – synthèse mentaux : une amélioration sensible du capital humain (au Sud) et une plus grand facilité de circulation de la main-d’œuvre ; une rationalisation de l’organisation productive ; un accroissement des performances technologiques et de l’innovation. Dans ces trois domaines, les fondements d’une coopération déjà existante mériteraient d’être renforcés, permettant d’accélérer les transferts de technologie et de savoir-faire. Les économies méditerranéennes doivent également s’adapter à une plus grande sobriété énergétique et une préservation des ressources naturelles. Il s’agit pour les économies productrices d’hydrocarbures d’organiser l’après pétrole (en dehors de la Libye, les pics de production pétrolière et gazière devraient être atteints en 2020-25) et pour les pays importateurs de desserrer les contraintes liées au poids important de l’énergie dans leur croissance. Tous ont intérêt à diminuer leur intensité énergétique et à favoriser une économie plus respectueuse de l’environnement. Si rien n’est fait, même en tenant compte des progrès réalisés et des projets en cours pour valoriser les énergies renouvelables, la demande énergétique sera telle au Sud et à l’Est de la Méditerranée qu’elle anéantira les efforts réalisés en Europe pour lutter contre le changement climatique. Si les effets du changement climatique devraient être plus sévères en Méditerranée qu’en moyenne dans le monde, les pays du Maghreb, du Proche-Orient et de l’Adriatique auront moins les moyens de s’en prémunir (effet revenu), alors même qu’ils auront peu contribué au réchauffement de la planète (leurs émissions de gaz à effet de serre, bien qu’en hausse continue, sont bien en deçà des moyennes européennes). Ces effets négatifs viendront s’ajouter à des conditions agro-climatiques déjà difficiles au Sud et à l’Est de la Méditerranée (une pression sur les ressources en eau dépassant les 100 % selon le Plan Bleu ; un taux d’exploitation des terres arables qui atteindrait plus de 80 % en 2030 selon la fao ; une urbanisation qui à cet horizon aura progressé de 60 % selon les Nations unies). Dans ce contexte, un développement plus soutenable impose des transferts technologiques et de compétences aujourd’hui essentiellement européens, pour valoriser les éco-activités et la rationalisation de l’utilisation des ressources naturelles. Les éco-technologies constituent aujourd’hui des opportunités de marché et elles pourraient trouver une application en Méditerranée, en particulier dans des pays où il s’agit de créer de nouvelles installations plutôt que d’en réhabiliter d’anciennes. Leurs coûts, encore souvent supérieurs à ceux des technologies moins sobres, nécessitent néanmoins des incitations publiques dont le poids financier pourrait être 17 partagé dans un cadre régional afin de rétablir une forme d’équité environnementale. Ajoutée à la dégradation prévisible des conditions agro-climatiques en Méditerranée, la crise alimentaire de 2008 a remis au premier plan la question agricole et rurale. Les révoltes arabes, en particulier la révolution tunisienne, sont venues rappeler les inégalités territoriales de développement, qui affectent essentiellement les régions rurales. Dans ce contexte, les États ont à repenser les politiques agricoles et la sécurité alimentaire, à tenter de réguler les échanges et à sécuriser les approvisionnements. L’arrêt en 2015 de la densification rurale au Sud et à l’Est de la Méditerranée et la réforme de la pac européenne d’ici à 2013 peuvent constituer une opportunité à saisir pour des restructurations agricoles dans un cadre euro-méditerranéen, visant à assurer la santé alimentaire des populations, à renforcer des systèmes agricoles produisant emplois et revenus locaux, et à conditionner l’agriculture intensive à une gestion plus respectueuse de l’environnement. La gestion de la qualité pourrait l’emporter sur celle des quantités, avec une labellisation des productions méditerranéennes, dont les services rendus en termes de santé, de qualité nutritionnelle et environnementale, de proximité et de culture, pourraient être collectivement valorisés. Une telle évolution permettrait d’accroître la valeur ajoutée des productions méditerranéennes, d’accélérer les investissements agricoles Nord-Sud, la professionnalisation des filières et la qualification des agriculteurs. Cette orientation plus méditerranéenne de la politique agricole pourrait être compensée par une contribution des productions céréalières à une forme de stabilisation des cours et de garantie des approvisionnements, par la constitution de stocks de sécurité et une contractualisation Nord-Sud. Dernier défi commun, les migrations méditerranéennes sont amenées à se poursuivre à court et moyen terme mais elles s’atténueront à plus long terme (au terme de la projection en 2030). Dans les vingt prochaines années, les facteurs poussant à la migration en provenance des Psem et des Balkans se maintiendront (différentiel démographique et de revenu entre les deux rives ; phase d’émergence économique favorable à la migration des classes moyennes en risque de déclassement ; crises politiques) mais certains fondamentaux, du fait d’une transition démographique précoce (Tunisie, Turquie) ou déjà achevée (Croatie, Serbie), iront dans le sens d’une transition migratoire et d’une atténuation de l’émigration au profit des mobilités. Les facteurs attractifs des migrations au Nord de la Méditerranée persisteront également (ralen18 i – prospective – synthèse tissement démographique et pénurie de main-d’œuvre en Europe ; croissance du revenu et volonté d’attirer la main-d’œuvre très qualifiée) et ils s’accentueront au Sud devenu terre d’immigration en raison de la hausse de son niveau de vie et du ralentissement de la croissance de sa population active. La nature des flux migratoires aura dans le même temps évolué : les migrants méditerranéens seront plus éduqués que par le passé, le passage par la migration n’étant qu’une étape dans un parcours destiné à accroître ses compétences et ses qualifications (expérience, acquisition de diplômes), autorisant des allers-retours. Cette migration qualifiante ne sera néanmoins facilitée que si certains prérequis sont remplis en termes de portabilité des droits et de reconnaissance des qualifications. À cette condition, une politique de mobilité méditerranéenne pourrait valoriser un potentiel migratoire sans dégrader la situation des pays de départ (brain drain). Elle anticiperait une évolution de long terme où les pays du Sud et de l’Est méditerranéens seront moins des apporteurs de main-d’œuvre peu qualifiée que des pays eux-mêmes récipiendaires de migrants venant de leur proximité, comme en a témoigné l’exode libyen en Tunisie. 3. Un avenir méditerranéen menacé par la marginalisation ou la divergence ces complémentarités et défis de long terme laissent néanmoins subsister de nombreuses incertitudes, tant sur le rythme des évolutions anticipées que sur le rôle de l’intégration régionale et du volontarisme politique pour y faire face. Pour borner ces incertitudes politiques autant qu’économiques et sociales, trois scénarios ont été élaborés, dont les impacts sur la croissance, l’emploi, les migrations, l’énergie et l’agriculture ont été analysés et quantifiés. Le premier scénario prolonge les tendances passées d’insertion disparate des pays de la région dans une économie mondiale tirée par les émergents, accentuées par des stratégies de déflation compétitive (modération salariale et politiques monétaires restrictives) et par une transition politique réussie dans les pays déjà en rattrapage avec l’Europe. Le second scénario envisage un approfondissement de la crise économique de l’Europe latine et une transition heurtée dans la Méditerranée arabe, conduisant à un ralentissement de l’Europe méditerranéenne et de l’Afrique du Nord et à un blocage des réponses institutionnelles. Le troisième scénario, très volontariste et 19 GRAPHIQUE I 6% Taux de croissance du PIB dans les trois scénarios (2010-2030) 5% UE-27 Psem Balkans 4% 3% 2% 1% Crise Divergence Convergence coopératif, simule l’extension d’une partie des mécanismes de solidarité européenne à l’ensemble de la Méditerranée, autorisant une dynamique de convergence sans précédent de cette région. Ces scénarios tentent de tracer des évolutions probables et différenciées, sans pour l’heure tracer un scénario du décrochage total méditerranéen ou de pleine convergence dans la mesure où l’hétérogénéité des pays de la région tant dans leurs spécialisations productives, leur contexte démographique, leur évolution politique ou leur ancrage institutionnel semble aller à l’encontre d’une dynamique totalement cohérente. Les écarts de croissance dans les différents scénarios ont été maintenus dans une fourchette raisonnable ( GRAPHIQUE I ). Le scénario des divergences méditerranéennes : une insertion disparate dans l’économie mondiale la poursuite des tendances passées (taux de croissance en Europe inférieurs à 2 % par an, avoisinant les 3-4 % au Sud et à l’Est de la Méditerranée et dans les Balkans) n’est pas favorable à une convergence méditerranéenne. Le basculement de la dynamique de l’économie mondiale vers l’Asie pourrait jouer dans le sens d’une accentuation des divergences avec des gagnants et des perdants au niveau national et régional. Dans ce scénario, la croissance, tirée par celle des pays émergents, renforce la compétitivité au détriment du pouvoir d’achat et de la demande intérieure. La concurrence internationale incline les pays à peser à la baisse sur les coûts internes, par une politique monétaire restrictive et une modération salariale, pour restaurer leur compétitivité. Les spécialisations industrielles des Balkans et du Sud de la Méditerranée s’approchent de celles des pays d’Europe de l’Est, ces économies devenant la nouvelle plateforme low cost de l’Europe communautaire et place avancée de la pénétration du marché communautaire pour les émergents. Cette dynamique de la croissance mondiale, plus que méditerranéenne, avantage les économies les plus compétitives qui ont déjà connu un phénomène de 20 i – prospective – synthèse GRAPHIQUE I I Scénario des divergences méditerranéennes. PIB par habitant (2009-2030) (milliers de dollars, parité de pouvoir d’achat) Source : CAS – Ipemed, 2011. Albanie Algérie Bosnie Croatie Chypre Egypte France Grèce Israël Italie Jordanie Liban Libye Macédoine Malte Mauritanie Maroc Portugal Serbie Slovénie Espagne Syrie Tunisie Turquie 2009 2030 10 20 30 40 50 rattrapage : la Croatie, la Serbie et la Turquie, dans une moindre mesure la Tunisie et les autres pays balkaniques, s’approchent du revenu par habitant du Portugal et creusent l’écart avec les autres pays du Maghreb (Algérie, Égypte) et du Proche-Orient (Liban, Jordanie) bénéficiant d’une moindre dynamique de croissance ( GRAPHIQUE II ). La révolte arabe n’a, dans cette perspective, entraîné de dynamique positive que dans le premier pays en révolution, la Tunisie, les dispositions rentières et le maintien du clientélisme ayant prévalu dans les autres pays de la Méditerranée arabe. En Europe, le potentiel de croissance de la Grèce et du Portugal est également affaibli par des difficultés de balance des paiements et les déficits publics, accroissant des divergences non seulement intra-méditerranéennes mais également intra-européennes. Le processus euro-méditerranéen progresse en termes de libéralisation commerciale et agricole, mais la libéralisation des services se limite à certaines prestations sans aller jusqu’à la liberté d’établissement, renforçant une sélectivité de la main-d’œuvre en fonction des niveaux de qualification. Les échanges 21 intra-régionaux progressent à un rythme moins élevé que celui avec le reste du monde, tandis que le commerce sous-régional (arabe ou maghrébin) reste faible, comparable à ce qu’il est aujourd’hui. La productivité du travail augmente plus vigoureusement dans les pays d’Europe fortement touchés par la crise financière (Espagne, Grèce, Italie, Portugal). Elle se maintient à sa tendance dans le reste de l’Europe, les pays de l’Adriatique et ceux du Sud et de l’Est de la Méditerranée. Les taux d’activité et d’emploi s’élèvent mais ils restent faibles du fait de la course à la compétitivité, la productivité se traduisant par une forte substitution capital/travail. Ils sont surtout très inégalement répartis dans l’ensemble de la Méditerranée, accentuant la divergence méditerranéenne : les taux de chômage décroissent mais restent élevés au Sud et à l’Est de la Méditerranée et dans les Balkans occidentaux (entre 9 et 10 %) ( TABLEAU I ). L’Europe parvient à compenser partiellement ses pertes d’activité par une migration facilitée essentiellement pour les travailleurs qualifiés (carte bleue européenne) et par le biais d’un allongement sensible de la durée d’activité (réforme des retraites). La dualité des marchés du travail reste forte au Nord comme au Sud, aggravant les inégalités entre une élite mondialisée bien insérée dans les échanges mondiaux et des travailleurs peu qualifiés soumis à une flexibilité accrue au Nord, à des conditions de travail et de rémunération dégradées au Sud. Le poids du secteur informel reste en particulier très prégnant au Sud et à l’Est de la Méditerranée et dans les pays de l’Adriatique, même s’il régresse un peu en raison de la baisse de l’emploi rural, qui représente une partie significative des emplois informels, et de la dynamique des activités tournées vers l’exportation. On observe la même tendance pour l’emploi informel non agricole dans les Psem (hors Mauritanie) qui passera de 43,5 % de l’emploi total dans les années 2000 selon l’ocde à 40,5 % dans les années 2020, avec des différences notables selon les pays, l’informalité se réduisant davantage dans les pays ayant connu une forte croissance de l’emploi informel après les réformes libérales dans les années 1990 (Égypte, Algérie) et continuant à croître dans ceux où il a progressé dans les années d’avant crise (Turquie, Maroc). La pression migratoire est alimentée par les perdants de la modernisation-mondialisation, en particulier les jeunes diplômés. La migration qualifiée est facilitée mais celle des non qualifiés demeure très restrictive et temporaire sous couvert de migration circulaire. La migration est également géographiquement sélective : un flux migratoire s’établit essentiellement entre l’UE et les pays en rattrapage, qui eux-mêmes attirent de 22 i – prospective – synthèse TABLEAU I Scénario des divergences méditerranéennes – emploi (2007-2030) (milliers) Les Psem bénéficient d’une embellie sur les marchés du travail. Ils approchent le niveau 2007 de l’UE Emplois Taux annuel créés Nbre annuel Pop. active Emplois Chômeurs Inactifs 47 098 2,15 % 133 036 121 909 12 113 141 327 2 050 L’EU27 bénéficie d’un apport d’actifs qui limite la baisse des actifs Emplois Taux annuel créés Nbre annuel Pop. active Emplois Chômeurs Inactifs 0,87 % 283 710 267 219 2 100 Les Balkans convergent rapidement 16 490 148 717 48 250 Emplois Taux annuel créés Nbre annuel 2 536 1,4 % 110 Pop. active Emplois Chômeurs Inactifs 11 466 9 360 1 105 9 243 Taux Taux de d’activité chômage* 48,5 % 9,1 % Taux Taux de d’activité chômage* 65,6 % 5,8 % Taux Taux de d’activité chômage* 53,1 % 10,6 % * C’est le nombre de personnes qui ont travaillé dans le secteur formel et qui ne le peuvent plus. Ce taux ne tient pas compte ni du chômage déguisé lié au sous-emploi ni des conditions d’inscription des chômeurs. Il est donc probablement sous-estimé. Source : Femise, 2011 plus en plus de migrants venus des pays voisins (Afrique sub-saharienne, cei, Asie). Les remises de migrants continuent de jouer un rôle stabilisateur essentiel pour les économies de la Méditerranée non européenne. Les politiques migratoires communautaires restent fortement nationales empêchant la circulation des travailleurs migrants et l’acquisition de compétences transférables : la migration qualifiante demeure l’exception. Dans ce contexte, la mer Méditerranée accentue sa place de transit de l’économie-monde, avec des impacts plus aigus en termes de pollution, de perte de biodiversité et d’artificialisation des côtes. Un tel scénario contribue à accroître fortement la dualisation des économies et des territoires (marginalisation des intérieurs, développement du littoral), le développement des filières d’exportation en matière industrielle et agricole se faisant au détriment des productions à destination des marchés intérieurs. La hausse de la demande énergétique et alimentaire et l’urbanisation accentuent les pressions environnementales au Sud et à l’Est de la Méditerranée. La pression sur les ressources en eau devient insoutenable et la contribution au changement climatique préoccupante. La stabilisation des émissions de co2 en Europe est, en effet, plus que compensée par la hausse au Sud, induite par l’augmentation de la population, de son niveau de vie et par la composition sectorielle de la croissance. Si le différentiel de consommation d’énergie par habitant (inférieure de 30 % au Sud) demeure entre les deux rives en 2030, 23 la dépendance aux énergies fossiles du Sud et de l’Est de la Méditerranée, en raison d’une plus faible progression des énergies renouvelables et de l’efficacité énergétique qu’en Europe, implique une croissance très forte de leurs émissions de co2 (de près de 100 %), même rapportées au nombre d’habitants. En matière agricole, les gains de productivité et la pression foncière sur les terres agricoles font disparaître les cultures vivrières. Les zones rurales n’attirent que peu d’activités au bénéfice des zones littorales, aggravant l’exode rural au Sud et la concentration agricole au Nord. La part de l’agriculture dans le pib décroît fortement sauf en Turquie au profit des grandes exploitations destinées à l’export. Le déclin euro-méditerranéen de l’agriculture s’accompagne d’une forte pénétration des fournisseurs du reste du monde (viande, céréales), tandis que les productions strictement méditerranéennes (fruits et légumes, huile d’olive, vin) qui n’ont pas été labellisées sont fortement concurrencées par des provenances lointaines (Chili, Australie, Brésil, Chine). Le scénario de la crise de la Méditerranée : la marginalisation ou une convergence par le bas la crise de 2008 pourrait contribuer à assombrir davantage ce tableau. Les pays de l’Europe du Sud sont aujourd’hui les plus fragilisés par la crise. Ils sont confrontés à une dynamique de la dette publique très défavorable, l’augmentation de l’endettement entraînant une hausse des primes de risque, qui alourdit la charge d’intérêt tout en obérant la croissance. L’assainissement des finances publiques (baisse des transferts publics et alourdissement de la charge fiscale) est susceptible de peser encore davantage sur la croissance de la demande et entraver durablement la reprise, avec une progression du revenu en niveau et en tendance plus faible que par le passé. Dès lors, la crise de l’Europe latine conduit à un retrait des échanges et des investissements chez les voisins des Balkans et du Sud de la Méditerranée. L’Afrique du Nord, fortement handicapée par ce retrait (en raison d’une forte dépendance commerciale avec l’Europe méditerranéenne), souffre de surcroît d’une instabilité durable liée à une transition politique heurtée tandis que le Machrek, la Turquie et les Balkans parviennent à limiter les effets de la crise en raison des transferts de capitaux originaires d’Europe du Nord et des pays émergents qui trouvent à s’investir dans une zone à faible coût et à fort rendement. Une forme de convergence méditerranéenne par le bas s’opère ainsi, l’ensemble des pays en rattrapage avec l’Europe s’ap24 i – prospective – synthèse GRAPHIQUE III Scénario de crise de la Méditerranée. PIB par habitant (2009-2030) (milliers de dollars, parité de pouvoir d’achat) Source : CAS – Ipemed, 2011. Albanie Algérie Bosnie Croatie Chypre Egypte France Grèce Israël Italie Jordanie Liban Libye Macédoine Malte Mauritanie Maroc Portugal Serbie Slovénie Espagne Syrie Tunisie Turquie 2009 2030 10 20 30 40 50 prochant des niveaux de revenu de la Méditerranée européenne (le revenu par habitant de la Turquie et de la Serbie atteignant 80 % de celui du Portugal en 2030), mais au prix d’une divergence européenne forte ( GRAPHIQUE III ). Les effets d’hystérèses de la crise sont concentrés sur l’Europe latine qui connaît un décrochage durable de sa croissance et une faiblesse persistante de ses gains de productivité tandis que le reste de l’Europe reste arrimé à la croissance des émergents. Dans ce scénario, l’Allemagne dépasse la France en revenu par tête, le pib par habitant de la Slovénie est supérieur à celui de l’Espagne. Ce contexte de crise est défavorable à l’intégration institutionnelle euro-méditerranéenne et menace la cohésion européenne. L’Euro-méditerranée ne progresse pas (pas de libéralisations supplémentaires) et les élargissements prévus sont repoussés sine die. L’upm est en mal de projets et la libéralisation des services est entravée par les craintes de dumping social. Le commerce sous-régional souffre de l’instabilité de la 25 TABLEAU II Scénario de crise de la Méditerranée – emploi (2007-2030) (milliers) Les Psem peinent à maintenir l’équilibre du marché du travail pourtant socialement insatisfaisant Emplois Taux annuel créés Nbre annuel Pop. active Emplois Chômeurs Inactifs 28 600 1,42 % 117 322 103 411 13 804 157 040 1 240 L’EU27 peine à exprimer son potentiel et se continentalise Emplois Taux annuel créés Nbre annuel Pop. active Emplois 0,63 % 270 480 1 490 Stabilisation des Balkans 253 261 34 292 Emplois Taux annuel créés Nbre annuel 1 957 1,10 % 80 Chômeurs Inactifs 17 219 161 948 Pop. active Emplois Chômeurs Inactifs 9 947 8 781 1 166 9 762 Taux Taux de d’activité chômage* 42,8 % 11,8 % Taux Taux de d’activité chômage* 62,5 % 6,4 % Taux Taux de d’activité chômage* 50,5 % 11,7 % * C’est le nombre de personnes qui ont travaillé dans le secteur formel et qui ne le peuvent plus. Ce taux ne tient pas compte ni du chômage déguisé lié au sous-emploi ni des conditions d’inscription des chômeurs. Il est donc probablement sous-estimé. Source : Femise, 2011. Méditerranée arabe et sa part dans les échanges, pourtant faible, s’amenuise encore. Les pays du Sud de l’Europe sont victimes d’un effet d’hystérèse de la crise, déqualifiant la main-d’œuvre avec une perte définitive de capital humain qui se traduit par une stagnation voire un recul du taux d’emploi alors qu’ils sont relativement stables pour l’Europe du Nord et de l’Est. Les économies de l’Europe latine créent moins d’emplois qu’au Nord, les taux d’activité y sont plus faibles (53,5 % contre 62,5 % en moyenne), et le taux de chômage plus élevé (7,7 % contre 6,4 %) ( TABLEAU II ). Les pays du Maghreb subissent plus fortement que ceux du Machrek et de l’Adriatique les effets de la crise de la Méditerranée européenne et d’une instabilité qui s’installe. Ils voient leur taux d’emploi progresser plus faiblement qu’en tendance. Au Sud, les taux d’activité restent donc généralement inférieurs à 50 %, reculant en moyenne de quelques points. Le chômage officiel est stabilisé autour des 12 %, mais l’essentiel de l’activité reste informelle. L’emploi informel non agricole se maintient aux niveaux des années 2000, le Maroc atteignant des taux d’informalité proches de ceux d’Amérique latine (plus de 65 %) tandis que l’Algérie et l’Égypte restent aux alentours de 40 %. Avec seulement 1,2 million d’emplois créés en rythme moyen annuel, les indicateurs sociaux, au mieux, stagnent. Les clivages préexistants s’ag26 i – prospective – synthèse gravent et, face à cette dynamique pauvre en emplois, les tensions sociales persistent. Dans ce contexte, la pression migratoire reste forte et est tirée par les conflits et l’instabilité politique qui accompagne des transitions difficiles. En retour, la crise de la Méditerranée européenne incline au maintien de fortes restrictions migratoires (en termes de circulation et de reconnaissance des qualifications). Le solde migratoire des pays européens reste sur sa tendance (scénario médian des Nations unies) : la baisse de la population active est atténuée par la réforme des retraites et la faiblesse de la croissance les rend moins attractifs pour les migrants. Alors que la demande des émergents continue à peser à la hausse sur le cours de l’énergie et des biens alimentaires, cette inflation importée n’est pas le signe d’une surchauffe de l’activité mais vient rogner encore le revenu des ménages dans un contexte économique déprimé (stagflation). L’atonie de la croissance ne suffit pas à limiter les impacts environnementaux négatifs de la consommation énergétique en raison des faibles progrès de l’efficacité énergétique (Méditerranée arabe et Balkans) et de l’absence de développement des énergies renouvelables avec un maintien de la part des énergies fossiles. Si les émissions de co2 baissent de 10 % en vingt ans du fait de la crise en Europe, elles augmentent fortement dans les pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée. En matière agricole, la dualité entre une agriculture intensive destinée à l’exportation et une agriculture vivrière sous équipée persiste en l’absence de gains de productivité. Les conflits d’usage pour la ressource en eau s’intensifient. La dépendance alimentaire et la pauvreté rurale vont de pair et accentuent les déséquilibres sociaux, aboutissant à un cercle vicieux d’instabilité. Un autre destin est possible : le scénario de la convergence méditerranéenne ou une convergence par le haut entre la divergence et la marginalisation, la Méditerranée peut connaître un autre destin, sous réserve d’une action politique volontariste et partagée par l’ensemble de ses riverains dans un contexte de multipolarité dans les régulations internationales. Une croissance globalement plus forte et plus riche en emplois nécessite de valoriser l’intégration des systèmes de production en tirant partie des complémentarités régionales et d’étendre à l’ensemble de la Méditerranée certaines modalités de redistribution et de protection sociale. Dans un système régionalement intégré (établissement au niveau régional des quatre 27 libertés mises en place dans l’Union européenne, accès au marché intérieur européen et harmonisation des normes autorisant un système de préférence régionale), accompagné d’une redistribution géographique de la production et d’un partage de la valeur ajoutée permis par l’ouverture de certaines coopérations renforcées aux pays sud et est méditerranéens, les ressorts internes de la croissance pourraient permettre un accroissement de la productivité et de l’emploi dans tous les pays. Un tel scénario suppose que la transition politique de la Méditerranée arabe non seulement ait libéré les énergies au Sud mais qu’elle ait permis une convergence plus forte avec l’Europe, un rapprochement fondé non pas uniquement sur des intérêts économiques mais sur une communauté politique et de valeurs. Ce scénario profondément coopératif permet à l’ensemble de la zone méditerranéenne de bénéficier de gains de productivité globale des facteurs et de soutenir sa compétitivité à un coût social bien plus faible que dans le scénario des divergences méditerranéennes. Une dynamique de convergence régionale se met alors en place. Le rattrapage de productivité est permis par une diffusion technologique par imitation facilitée par les transferts de savoir-faire et de capitaux. Une croissance plus équitable en termes de redistribution des richesses permet au Sud et à l’Est de la Méditerranée et aux Balkans le développement d’une demande intérieure dont bénéficient l’Europe latine, et avec elle, bien que dans une moindre mesure, l’ensemble de l’Europe. Cette dynamique accroît considérablement le commerce sous-régional, offrant désormais des opportunités de marchés émergents et profonds. Les pays de l’Adriatique, emmenés par la Croatie et la Serbie, tirent la Bosnie, la Macédoine et l’Albanie. Le commerce sous-régional au Proche-Orient et au Maghreb se développe d’autant plus qu’aux relations plus approfondies avec les voisins méditerranéens et européens viennent s’ajouter les échanges croisés avec le Golfe. La Turquie devient une interface indispensable et une plaque tournante du commerce euro-méditerranéen. Tous les pays de la région (à l’exception de la Mauritanie) atteignent alors des revenus par tête supérieurs à 10 000 dollars en 2030. La Slovénie atteint les niveaux de revenu de l’Espagne en 2030, la Croatie frôle ceux du Portugal. L’Égypte et le Maroc triplent leur pib par tête et prennent le train de la convergence. La Turquie et la Serbie dépassent les 25 000 dollars par habitant (GRAPHIQUE IV ). Les taux d’activité des pays sud et est méditerranéens et des Balkans se rapprochent beaucoup de ceux de l’Europe où la migration est venue 28 i – prospective – synthèse GRAPHIQUE IV Scénario de la convergence méditerranéenne. PIB par habitant (2009-2030) (milliers de dollars, parité de pouvoir d’achat) Source : CAS – Ipemed, 2011. Albanie Algérie Bosnie Croatie Chypre Egypte France Grèce Israël Italie Jordanie Liban Libye Macédoine Malte Mauritanie Maroc Portugal Serbie Slovénie Espagne Syrie Tunisie Turquie 2009 2030 10 20 30 40 50 pallier les pénuries de main-d’œuvre et alimenter les marchés de consommation. Au Sud, le marché informel recule fortement (de près de 10 points en moyenne, la Turquie et la Tunisie avoisinant une proportion d’emploi informel dans l’emploi total proche de celle des pays en transition d’Europe de l’Est, soit 22 %), les taux de chômage passent sous la barre des 9 % et plus de 2,6 millions d’emplois sont créés chaque année, favorisant la stabilité sociale (TABLEAU III ). L’Europe se rapproche du plein emploi mais les tensions sur le recrutement sont néanmoins allégées par une immigration plus facile. L’immigration soutient également une forte consommation interne et les cotisations payées par les actifs immigrés permettent de limiter l’allongement de la durée d’activité (recul modéré de l’âge de la retraite). Les perspectives d’emploi offertes dans les pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée et dans les Balkans deviennent suffisantes pour limiter l’exode des cerveaux. Pour les migrants, la question du retour devient pertinente et les formes de migration plus circulaires et plus quali29 TABLEAU III Scénario de la convergence méditerranéenne – emploi (2007-2030) (milliers) Psem Emplois Taux annuel créés Nbre annuel 59 846 Pop. active Emplois Chômeurs Inactifs 2,6 % 145 886 2 600 134 657 11 229 128 477 Pop. active Emplois Chômeurs Inactifs 1,2 % 303 019 2 920 286 057 Taux Taux de d’activité chômage* 53,2 % 7,7 % UE27 Emplois Taux annuel créés Nbre annuel 67 088 16 961 129 409 Taux Taux de d’activité chômage* 70,1 % 5,6 % Balkans Emplois Taux annuel créés Nbre annuel 2 895 1,5 % 130 Pop. active Emplois Chômeurs Inactifs 10 601 9 719 882 9 107 Taux Taux de d’activité chômage* 53,8 % 8,3 % * C’est le nombre de personnes qui ont travaillé dans le secteur formel et qui ne le peuvent plus. Ce taux ne tient pas compte ni du chômage déguisé lié au sous-emploi ni des conditions d’inscription des chômeurs. Il est donc probablement sous-estimé. Source : Femise, 2011. fiantes. Les pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée et ceux de l’Adriatique profitent de ces retours, à l’instar de la Corée des années 60, ce qui insuffle une dynamique économique cumulative. Au-delà, la Croatie, la Serbie, la Turquie, la Tunisie et l’Algérie achèvent leur transition migratoire en 2030 : ils deviennent des pays d’accueil net de migrants et non plus des pays de départ (GRAPHIQUE V ). Le solde migratoire de l’Europe du Sud s’accroît mais en provenance d’autres pays que la Méditerranée. En matière énergétique, le scénario de convergence permet une progression plus importante de l’efficacité énergétique et un développement significatif des énergies renouvelables grâce à une coopération régionale et des transferts de technologie. 16 % de la demande énergétique à l’horizon 2030 provient de ces énergies (24 % dans l’Europe latine, Balkans compris, mais seulement 8 % dans les Psem) contre 12 % dans le scénario de crise et 10 % dans le scénario de divergence. Des mesures d’efficacité énergétique sont mises en place non seulement dans les pays de l’Union européenne mais aussi au Sud : campagne de prévention, création de label efficacité énergétique, efficacité énergétique dans les bâtiments, etc. Le scénario de convergence représente pour la région 14 % de richesse supplémentaire accumulée avec 5 % d’énergie en moins par rapport au scénario de divergence, ce qui est loin d’être négligeable. Il en va de même des émissions de co2. Alors 30 i – prospective – synthèse GRAPHIQUE V 5 Projections du taux net de migration dans le Maghreb (1965-2030) Mauritanie 5 0 0 -5 -5 -10 5 -10 1970 1990 2010 2030 Algérie 5 0 0 -5 -5 -10 1970 1990 2010 2030 -10 Maroc 1970 1990 2010 2030 Tunisie 1970 1990 2010 2030 Source : Giambattista Salinari – Carim, 2010 La ligne bleue fait référence aux séries temporelles originales des Nations unies sur les taux nets de migration. La ligne rouge décrit les valeurs théoriques des taux nets de migration prévus par notre modèle. La ligne verticale en pointillés indique la limite entre les taux nets de migration estimés par les Nations unies et ceux projetés. que le scénario de crise et celui de la divergence sont quasi similaires en termes d’intensité carbone, le scénario de convergence permet de réduire de 20 % cette intensité, avec, rappelons-le, un niveau de richesse plus élevé. Autre effet positif, la dépendance énergétique est atténuée dans ce scénario et l’inflation énergétique partiellement jugulée. En dépit des efforts réalisés, l’impact de la croissance sur le changement climatique reste néanmoins préoccupant : à partir de 2020, les émissions de co2 des Psem dépassent celles des pays du Nord de la Méditerranée (pnm), alors même que la consommation énergétique par habitant y demeure inférieure (GRAPHIQUES VI et VII ). Dans le contexte d’une accélération de l’industrialisation et du développement des Psem et des Balkans, la part de l’agriculture dans le pib décroît fortement. L’exode rural est néanmoins contenu en raison du développement d’activités rurales non agricoles (tourisme, immobilier) et d’une chaîne de transformation agro-alimentaire permettant la création d’emplois industriels et de services (transports, distribution, qualité). L’accès aux moyens d’investissement, la mise en place de capacités de stockage, de mécanismes d’alerte et la mise à disposition de 31 Évolution de la demande d’énergie primaire à l’horizon 2030 GRAPHIQUE VI Dans les pays du Nord GRAPHIQUE VII Dans les Psem (Mtep) de la Méditerranée (Mtep) 800 600 400 200 Crise Divergence Convergence Source : OMEIpemed, 2011. 1970 1980 1990 2000 2010 2020 2030 1970 1980 1990 2000 2010 2020 2030 semences permettent également de moderniser l’agriculture vivrière et de limiter l’impact négatif de la volatilité des prix. La labellisation de productions méditerranéennes assure enfin une compétitivité agricole assise sur la qualité. Une alternative au scénario de convergence tirée, en premier lieu, par la dynamique d’intégration au Sud le scénario de convergence et de rattrapage des niveaux de revenus du Sud et de l’Est de la Méditerranée, dans une moindre mesure des pays de l’Adriatique, pourrait être emmené non pas par une volonté européenne plus marquée mais par une croissance endogène de l’Afrique du Nord et du Proche-Orient. Le vent de réforme qui souffle au Sud et une participation d’un plus grand nombre au processus productif libérerait des dynamiques économiques nationales et autoriserait également une intégration régionale démultipliant les effets d’anticipation, de création de commerce et d’économies d’échelle comme autant d’externalités positives de l’intégration régionale. Une libéralisation commerciale à l’échelle du Great Arab Free Trade Agreement (Gafta) (pays arabes incluant les États du Conseil de coopération du Golfe – ccg) ou amplifiant les accords d’Agadir (impliquant l’Égypte, la Jordanie, le Maroc, la Tunisie et les Territoires palestiniens) pourrait dès lors se coupler à la mise en place de projets communs, en matière agricole, énergétique, touristique ou de santé. Des financements communs d’investissements a minima en Afrique du Nord, a maxima incluant les pays du Golfe, permettraient d’utiliser la manne pétrolière et gazière à 32 i – prospective – synthèse des fins de développement régional. Une institutionnalisation sur une base régionale, sous-régionale (Maghreb, Proche-Orient) ou à géométrie variable rassemblant dans un premier temps un petit nombre d’États, permettrait à la région d’asseoir des positions communes dans les négociations internationales, en particulier celles avec l’Europe. Alors même que la libéralisation commerciale arabe a d’ores et déjà conduit à une hausse du commerce intra-régional de près de 30 %(2), une intégration profonde impliquant une harmonisation des normes et des investissements régionaux aurait un impact encore plus important. Cette dynamique économique au Sud pourrait prendre deux formes en ce qui concerne la relation avec l’Union européenne. Elle pourrait avoir un effet d’entraînement sur les économies des États membres et vraisemblablement encourager leur volontarisme politique à l’égard de la région. L’Union européenne pourrait, ainsi, participer à des projets cofinancés au niveau régional et accélérer le rythme des négociations pour un accès au marché intérieur voire pour l’adhésion dans le cas des pays candidats. Le renforcement de certaines relations bilatérales NordSud irait dans le même sens, renouvelant sans doute les principes des négociations euro-méditerranéennes et les axant davantage sur les investissements. Mais cette dynamique économique au Sud pourrait également provoquer un éloignement relatif entre une rive sud intégrée d’un côté et, de l’autre, l’Union européenne. Ce scénario, peu probable fin 2010, a gagné en probabilité à la faveur des révolutions arabes. Il n’a pas été analysé en détail par le consortium Méditerranée 2030 dans le présent document et pourra faire l’objet d’analyses ultérieures. 4. Alors que faire pour favoriser la convergence méditerranéenne ? atteindre des performances régionales convergentes, plus égalitaires socialement et territorialement, nécessite une intégration des systèmes de production et ne peut pas être obtenu par les seules libéralisations commerciales dont les impacts sont limités dans une économie mondialisée. La libéralisation des services peut constituer un facteur de croissance plus vigoureuse et une alternative à la migration mais elle (2) Selon J. Abidi et N. Péridy. 33 ne saurait renforcer la dynamique d’échanges et d’emploi sans une harmonisation des normes. À défaut, cette libéralisation restera limitée et son potentiel de création de revenu également. Au-delà, dynamiser les ressorts internes de la croissance ne peut faire l’économie d’une réhabilitation des systèmes de protection sociale, garants d’une consommation soutenue, et de soutiens publics pour permettre aux hommes et aux biens d’affronter la concurrence mondiale exacerbée. De ce point de vue, la mise en place d’un écosystème méditerranéen est la condition de son autonomie et de sa croissance. Dès lors, certaines recommandations axées sur les grands défis et les grands facteurs de convergence méditerranéenne peuvent être proposées : 1. Investir dans le capital humain en favorisant la mobilité (autoriser la migration temporaire pour des services contractualisés et des projets co-financés par l’upm) et la qualification des personnes (création d’un socle de base commun ; réseau euro-méditerranéen de formation professionnelle et de reconnaissance-accréditation des compétences et des diplômes, ErasmusMed…). 2. Accélérer les transferts de savoirs, de compétences et de technologies i) en favorisant l’émergence de pôles de compétitivité (clusters) et de recherche euro-méditerranéens sur des secteurs porteurs ou riches en emplois (technologies de l’information et de la communication pour les services, techniques agricoles et d’efficacité énergétique, etc.) ; ii) en resserrant les arbitrages de localisation sur une base régionale : de ce point de vue, la mise en place d’un système de préférences régionales allant au-delà du libre-échange et fondée sur des critères de qualité sociale, sanitaire et environnementale contribuerait à accélérer les transferts de capitaux et de savoir-faire. 3. Créer un espace institutionnel commun accompagné de transferts financiers, un statut avancé bénéficiant de fonds s’inspirant de la philosophe de l’adhésion au marché intérieur (signifiant l’établissement progressif des quatre libertés de circulation des biens, des capitaux, des services et des personnes), et approfondir les discussions sur le processus d’adhésion des pays candidats à l’Union européenne. 4. Engager un processus de certification méditerranéenne couvrant les services et l’agriculture dans un premier temps, avec un label méditerranéen garantissant une qualité sanitaire (mise en place d’une agence sanitaire) et environnementale en matière agricole et un niveau de compétence et de qualité pour les prestations de services. 34 i – prospective – synthèse 5. Sélectionner les projets de l’upm (co-financement) sur leur potentiel de création d’emplois et/ou de sobriété énergétique. 6. Créer un fonds méditerranéen environnemental visant, d’une part, à renforcer la capacité d’adaptation au changement climatique des pays sud et est méditerranéens et des Balkans, d’autre part, à financer les projets d’infrastructures de transport d’énergies renouvelables et de transport collectif alternatif au mode routier, les projets de développement propre réduisant les gaz à effet de serre, les projets de rationalisation de la demande en eau et d’efficacité énergétique en particulier dans le bâtiment. 7. Mettre en place une banque méditerranéenne d’investissement, fondée sur les mêmes principes que la bei, et conçue pour favoriser le financement des pme, acteurs clés en matière de création de richesse et d’emplois. 8. Intensifier les réseaux de transports au Sud de la méditerranée en vue de favoriser la fluidité des échanges commerciaux Sud-Sud, avec une attention particulière au transport multimodal permettant une meilleure optimisation du coût de la logistique. 9. Élaborer une politique commune de sécurité alimentaire (dispositifs mutualisés d’assurance des risques agricoles, constitution de stocks de sécurité et élaboration de mécanismes d’intervention d’urgence) et de développement rural (infrastructures matérielles et immatérielles des filières, formations managériales et technologiques). 35 scénarios de croissance pour la méditerranée en 2030 Cécile Jolly* 1. Méthodologie et scénarisation de la croissance Une comptabilité de la croissance fondée sur la force de travail et la productivité une comptabilité simple de la croissance fait dépendre la production du niveau des ressources disponibles dans l’économie et de l’état de la technologie (Y t= f (P t, L t, K t)). Le niveau de revenu d’un pays à un moment « t » est tributaire de la productivité (P), du niveau d’emploi potentiel (L) défini à partir de la population active tendancielle et du taux de chômage d’équilibre, et du stock de capital (K). Le stock de capital peut être considéré comme endogène à l’évolution macroéconomique (il évolue en fonction de l’activité) tandis que le rendement moyen du capital est constant sur longue période, contrairement à celui du travail. La productivité du travail constitue, dès lors, une approximation du rythme d’accumulation du capital par tête et de la vitesse de la productivité globale des facteurs. Le niveau d’emploi potentiel découle des évolutions de la structure par âge de la population, de la compétitivité des économies et du fonctionnement du marché du travail ; il est appréhendé ici à travers le taux d’emploi (population employée sur la population en âge de travailler ou sur la population totale). Les projections sont centrées sur la force de travail et la productivité dont la progression conjointe induit le taux de croissance. Ce taux de croissance est appliqué au revenu par habitant de chaque pays et évalué en parité de pouvoir d’achat selon les bases de données du fmi (septembre 2010). Les projections ainsi réalisées permettent de répondre à la question cen(*) Analyste au Centre d’analyse stratégique (cas). 37 trale de la convergence des revenus dans la région euro-méditerranéenne et de la problématique emploi/chômage. Les projections de population s’appuient sur le scénario médian des Nations unies (révision 2008) et sont constantes dans tous les scénarios. La force de travail résulte des évolutions du taux d’emploi (nombre de personnes employées divisé par la population totale) qui sont projetées par pays sur la base des évolutions passées(1) et fondées, jusqu’en 2015, sur les prévisions du fmi. La progression du taux d’emploi tient également compte, pour les pays européens, d’un effet de seuil lié au vieillissement de la population limitant les possibilités de progression de la population active. Les projections reposent sur un taux de croissance de la productivité dépendant de l'accumulation du capital humain et de la vitesse de diffusion du progrès technique. L’évolution de la productivité du travail (production par personne employée) est projetée par pays en fonction des évolutions passées(2) et, jusqu’en 2015, en fonction des prévisions du fmi. Elle tient compte pour les pays qui ont connu une forte croissance de la productivité depuis 1995 d’un effet de seuil lié au ralentissement progressif de la dynamique de rattrapage (en particulier pour les nouveaux États membres de l’Union européenne) (TABLEAU 1 ). Cette mesure de la productivité reste très imparfaite dans la mesure où elle ne tient pas compte, dans les pays sud et est méditerranéens, de l’emploi informel qui compte entre 30 % (Turquie) et plus de 65 % (Maroc) de l’emploi non agricole avec des différences de productivité qui peuvent atteindre 30 à 40 %. Néanmoins, l’emploi formel et informel sont complémentaires soit que les entreprises aient une part d’emploi formel et une autre informelle soit que les structures informelles soient les sous-traitantes de structures formelles. De ce fait, les tendances de productivité mesurées sur l’emploi formel affectent l’ensemble de l’économie. Trois scénarios par écart au compte tendanciel à partir d’un scénario de référence, prolongeant à 2030 les évolutions tendancielles et les prévisions du fmi à 2015, trois scénarios ont été élaborés par écart à ces projections : un scénario de divergences méditerranéennes ; un scénario de crise de la Méditerranée et un scénario de convergence régionale méditerranéenne. Dans le scénario de référence, la productivité de l’UE15 demeure faible (inférieure ou égale à 1,5 %) poursuivant les tendances passées (aux (1)(2) Issues de The Conference Board Total Economy Database : Output, Labor and Labor Productivity Country Details, 1950-2009, janvier 2010. 38 ii – prospective – croissance 1 Taux de croissance de la productivité du travail* dans les pays de la zone Euromed (1980-2030) (%) TABLEAU Albanie Algérie Bosnie Croatie Chypre Égypte Espagne France Grèce Israël Italie Jordanie Macédoine Malte Maroc Portugal Serbie Slovénie Syrie Tunisie Turquie 19801989 -1,51 -1,55 – – 5,03 2,75 1,88 2,13 -0,35 1,47 1,84 -2,81 – – 0,86 2,16 – – 1,94 0,78 3,61 19901994 -5,75 -5,32 – – 2,88 -0,15 1,60 1,40 0,10 1,11 1,45 -5,30 – – 0,41 2,18 – – 4,06 1,50 1,77 19951999 7,48 -1,12 – 3,20 3,58 3,23 0,68 1,40 2,32 2,06 1,18 -0,54 1,18 – -0,99 2,24 – 4,14 1,69 2,54 2,29 20002004 8,84 0,61 5,40 3,36 0,76 1,16 0,09 0,99 3,29 0,37 0,03 2,79 2,70 – 3,09 0,67 6,04 3,02 0,26 2,39 4,47 20052009 5,42 -0,10 0,69 1,68 0,86 3,86 0,91 0,37 1,58 0,38 0,95 2,30 - 0,20 0,74 2,97 0,78 3,97 1,45 0,41 2,61 1,79 20102019 2,64 1,52 2,65 1,48 1,86 3,11 1,01 1,02 0,47 1,36 0,45 2,04 1,70 1,05 3,17 0,92 3,70 1,82 2,34 3,02 2,84 20202029 3,04 1,53 3,24 1,70 2,01 3,06 1,01 1,21 1,50 1,32 1,00 2,04 2,03 1,51 3,04 1,50 3,53 1,91 2,04 2,52 3,04 * Ce taux est calculé comme le ratio entre le pourcentage d’évolution du pib par rapport au pourcentage d’évolution de l’emploi sur la même période. Source : The Conference Board Total Economy Database (2010), Output, Labor and Labor Productivity Country Details, 1950-2009, janvier 2010(3). alentours de 1 % de gains de productivité en moyenne sur 1995-2009), tandis que celle des pays en rattrapage, européens (nouveaux adhérents et Balkans) et méditerranéens, progresse plus fortement (de 2 à plus de 3 % de gains de productivité) traduisant la modernisation de l’appareil productif et l’adaptation du capital humain. Une substitution capital/travail s’opère dans les pays en rattrapage qui n’est pas favorable à l’emploi, tandis que la faible productivité des pays européens historiques déprime à long terme la croissance et l’emploi. Par conséquent, les taux d’emploi progressent partout faiblement. (3) The Total Economy Database a été développé par Groningen Growth and Development Centre (Université de Groningen, Pays Bas). 39 Dans le scénario des divergences méditerranéennes, la concurrence internationale incite les pays à peser à la baisse sur les coûts internes, par une politique monétaire restrictive et une modération salariale, pour restaurer leur compétitivité. La productivité augmente plus fortement dans les pays d’Europe très touchés par la crise financière (Grèce, Italie, Portugal, Espagne) et elle se maintient à sa tendance dans le reste de l’Europe, les pays de l’Adriatique et ceux du Sud et de l’Est de la Méditerranée. Si les taux d’emploi progressent, du fait du développement de l’activité au Sud et en raison de l’allongement de la durée d’activité en Europe (réforme des retraites), ils restent faibles du fait de la course à la compétitivité, la productivité se traduisant par une forte substitution capital/travail. Les taux de chômage se maintiennent à un niveau élevé dans la Méditerranée non européenne. En Europe du Sud, le recul (Italie, Espagne) ou la faible progression (France) de la population active ne suffit pas à enrayer les taux de chômage qui restent plus élevés que dans le reste de l’Europe. Dans le scénario de crise de la Méditerranée, les effets de la crise sont durables pour les pays de l’Europe latine. Les gains de productivité et la progression des taux d’emploi sont plus faibles que dans le scénario de référence pour l’ensemble des pays méditerranéens, alors qu’ils sont relativement stables pour l’Europe du Nord et de l’Est. Les pays du Sud de l’Europe sont victimes d’un effet d’hystérèse de la crise, déqualifiant la main-d’œuvre et provoquant une perte définitive de capital humain, qui se traduit par une stagnation, voire un recul, du taux d’emploi. Les pays du Maghreb subissent plus fortement que ceux du Machrek et de l’Adriatique les effets de la crise de la Méditerranée et d’une instabilité qui s’installe. Ils voient leur taux d’emploi progresser plus faiblement qu’en tendance. Dans le scénario de convergence méditerranéenne, la productivité du travail et les taux d’emploi progressent de manière concomitante. Le rattrapage de la productivité est plus prononcé pour les pays méditerranéens dont le revenu par habitant est le plus faible. Cette croissance inégalée de la productivité s’accompagne d’une hausse de l’activité qui se répercute sur une augmentation de l’emploi, dans la mesure où la croissance induite est assise davantage sur la demande intérieure. Au total, dans le scénario des divergences méditerranéennes, le revenu des pays méditerranéens progresse davantage que celui des pays de l’Europe du Nord et de l’Est (GRAPHIQUE 1 à 4 ), alors que la Méditerranée arabe, les Balkans et la Turquie deviennent une plateforme low cost pour l’Eu40 ii – prospective – croissance Croissance du PIB dans les trois scénarios (en %) Source : CAS – Ipemed, 2011. Crise Méditerranée GRAPHIQUE Divergence 1 En Méditerranée Convergence GRAPHIQUE 3 Dans les Balkans et en Europe de l’Est Chypre France Grèce Italie Malte Portugal Espagne Turquie Albanie Bosnie Croatie Macédoine Serbie Slovénie Israël Jordanie Syrie Algérie Égypte Maroc Tunisie Liban Libye Mauritanie Albanie Bosnie Croatie Macédoine Serbie Slovénie Bulgarie Rép. tchèque Estonie Hongrie Lettonie Lituanie Pologne Roumanie Slovaquie 1 GRAPHIQUE 1 2 3 4 5 6 GRAPHIQUE 2 Dans les pays sud et est méditerranéens Turquie Israël Jordanie Syrie Algérie Égypte Maroc Tunisie Liban Libye Mauritanie 1 2 3 4 5 6 2 3 4 5 6 4 5 6 4 Dans l’UE-15 Chypre France Grèce Italie Malte Portugal Espagne Allemagne Autriche Belgique Danemark Finlande Islande Irlande Luxembourg Pays Bas Suède Royaume Uni 1 2 3 41 rope latine qui, à son tour, bénéficie de la proximité géographique et de la densité des échanges commerciaux et humains avec ces pays. De leur coté, les pays d’Europe de l’Est les plus éloignés des rivages méditerranéens souffrent de cette concurrence. Inversement, le scénario de crise de la Méditerranée désavantage considérablement la Méditerranée dans son ensemble. Le scénario de convergence méditerranéenne voit le revenu des pays méditerranéens non adhérents à l’UE progresser plus fortement, l’Europe latine pouvant être avantagée par ce rééquilibrage du centre de gravité de l’Europe à l’égard de son Sud. Mais cette dynamique économique du Sud pourrait également provoquer un éloignement relatif entre une rive sud structurellement plus intégrée, d’un côté, et l’Union européenne, de l’autre. 2. Trois visions d’un futur possible La poursuite des tendances passées la poursuite des tendances passées (taux de croissance en Europe inférieurs à 2 % par an, avoisinant les 3-4 % au Sud et à l’Est de la Méditerranée et dans les Balkans) n’est pas favorable à une convergence méditerranéenne. En 2030, elle maintient les écarts de revenu entre pays, sans rattrapage. La convergence des revenus est limitée aux nouveaux États membres de l’Union qui atteignent des niveaux comparables à ceux de l’UE15. Les pib par habitant de la Turquie et de la Serbie restent inférieurs de moitié à celui de la France et équivalent aux deux tiers de celui du Portugal (GRAPHIQUE 5 ). Les spécialisations des pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée restent cantonnées dans des produits de gamme inférieure, à faible contenu technologique, avec un ralentissement rural qui n’est pas compensé par la création de nouvelles activités. La poursuite de ces tendances accroît les pressions environnementales (les émissions de CO2 des pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée équivalent en 2030 à celles, stabilisées, des pays de l’Europe latine). Elle ne résout pas la question de l’emploi au Nord, où la limitation des flux migratoires conjuguée à la baisse de la population active limitent le potentiel de croissance comme au Sud, où la faible dynamique d’emploi maintient plus de la moitié de la population dans l’inactivité et des taux de chômage avoisinant les 10 %, le marché informel jouant le rôle de variable d’ajustement. Les Balkans sont confrontés aux mêmes difficultés (taux d’inactivité légèrement supérieurs à 50% et taux de chô42 ii – prospective – croissance GRAPHIQUE 5 Scénario de référence, prolongation des tendances passées et des prévisions FMI à 2015. PIB par habitant (2009-2030) (milliers de dollars, parité de pouvoir d’achat) Source : CAS – Ipemed, 2011. Albanie Algérie Bosnie Croatie Chypre Egypte France Grèce Israël Italie Jordanie Liban Libye Macédoine Malte Mauritanie Maroc Portugal Serbie Slovénie Espagne Syrie Tunisie Turquie 2009 2030 10 20 30 40 50 mage à peine inférieurs à 10 %), avec l’apparition concomitante de pénuries de main-d’œuvre locales et sectorielles. Dans ce contexte, la pression migratoire reste forte, alimentée essentiellement par le différentiel de revenu, tandis que les politiques migratoires restrictives se renforcent, au Nord comme au Sud, et affectent les travailleurs peu qualifiés mais aussi qualifiés. Le scénario des divergences méditerranéennes : une insertion disparate dans l’économie mondiale c’est bien la divergence qui menace la Méditerranée. Le basculement de la dynamique de l’économie mondiale peut jouer en ce sens avec des gagnants et des perdants au niveau national et régional. La croissance, tirée par celle des pays émergents, renforce la compétitivité au détriment du pouvoir d’achat et de la demande intérieure. Les spécialisations industrielles des Balkans et du Sud de la Méditerranée s’approchent de celles des pays d’Europe de l’Est, faisant en sorte que ces éco43 GRAPHIQUE 6 Scénario des divergences méditerranéennes. PIB par habitant (2009-2030) (milliers de dollars, parité de pouvoir d’achat) Source : CAS – Ipemed, 2011. Albanie Algérie Bosnie Croatie Chypre Egypte France Grèce Israël Italie Jordanie Liban Libye Macédoine Malte Mauritanie Maroc Portugal Serbie Slovénie Espagne Syrie Tunisie Turquie 2009 2030 10 20 30 40 50 nomies deviennent la nouvelle plateforme low cost de l’Europe communautaire et place avancée de la pénétration du marché communautaire pour les émergents. Cette dynamique de la croissance mondiale, plus que méditerranéenne, avantage les économies les plus compétitives qui ont déjà connu un phénomène de rattrapage : la Croatie, la Serbie, la Turquie, dans une moindre mesure la Tunisie et les autres pays balkaniques, s’approchent du revenu par habitant du Portugal et creusent l’écart avec les autres pays du Maghreb (Algérie,Égypte) et du Proche-Orient (Liban, Jordanie) bénéficiant d’une moindre dynamique de croissance (GRA PHIQUE 6 ). En Europe, le potentiel de croissance de la Grèce et du Portugal est également affaibli par des difficultés de balance des paiements et les déficits publics, accroissant des divergences non seulement intra-méditerranéennes mais également intra-européennes. Le processus euroméditerranéen progresse en termes de libéralisation commerciale et agricole mais n’est pas assorti de contreparties en termes de transferts, accentuant l’exode rural au Sud et la concentration agricole au Nord. La 44 ii – prospective – croissance libéralisation des services se limite à certaines prestations de service sans aller jusqu’à la liberté d’établissement, renforçant dès lors une sélectivité de la main-d’œuvre en fonction des niveaux de qualification. Dans ce contexte, outre les pressions environnementales liées à la croissance économique et de revenu, la mer Méditerranée accentue sa place de transit de l’économie-monde, avec des impacts plus aigus en termes de pollution, de perte de biodiversité et d’artificialisation des côtes. Un tel scénario contribue à accroître fortement la dualisation des économies et des territoires (marginalisation des intérieurs, développement littoral), le développement des filières d’exportation en matière industrielle et agricole se faisant au détriment des productions à destination des marchés intérieurs. Les taux d’activité et d’emploi s’élèvent, mais très inégalement dans l’ensemble de la Méditerranée. Les taux de chômage décroissent, mais restent élevés au Sud et à l’Est de la Méditerranée et dans les Balkans occidentaux (entre 9 et 10 %). L’Europe parvient à compenser partiellement ses pertes d’activité par une migration facilitée essentiellement pour les travailleurs qualifiés (carte bleue européenne) et par le biais d’un allongement sensible de la durée d’activité. La dualité des marchés du travail reste importante au Nord comme au Sud, accroissant les inégalités entre une élite mondialisée bien insérée dans les échanges mondiaux et des travailleurs peu qualifiés soumis à une flexibilité accrue au Nord et à des conditions de travail et de rémunération dégradées au Sud. En matière énergétique, les progrès dans l’utilisation des ressources renouvelables sont compensés par une hausse de la demande, aboutissant à une croissance des émissions de gaz à effet de serre aussi prononcée globalement que dans le scénario tendanciel, avec des différences nationales plus marquées. Le déclin euro-méditerranéen de l’agriculture s’accompagne d’une forte pénétration des fournisseurs du reste du monde (viande, céréales), tandis que les productions strictement méditerranéennes (fruits et légumes, huile d’olive, vin) qui n’ont pas été labellisées sont concurrencées par des provenances lointaines (Chili, Australie, Brésil, Chine). Le scénario de crise de la Méditerranée : marginalisation et convergence par le bas la crise de 2008 peut contribuer à assombrir davantage ce tableau. Les pays de l’Europe du Sud sont aujourd’hui les plus fragilisés par la crise. Ils sont confrontés à une dynamique de la dette publique très défavorable, l’augmentation de l’endettement entraînant une hausse des 45 GRAPHIQUE 7 Scénario de crise de la Méditerranée. PIB par habitant (2009-2030) (milliers de dollars, parité de pouvoir d’achat) Source : CAS – Ipemed, 2011. Albanie Algérie Bosnie Croatie Chypre Egypte France Grèce Israël Italie Jordanie Liban Libye Macédoine Malte Mauritanie Maroc Portugal Serbie Slovénie Espagne Syrie Tunisie Turquie 2009 2030 10 20 30 40 50 primes de risque qui alourdit la charge d’intérêt tout en obérant la croissance. L’assainissement des finances publiques (baisse des transferts publics et alourdissement de la charge fiscale) peut peser encore davantage sur la croissance de la demande et entraver durablement la reprise, avec une progression du revenu en niveau et en tendance plus faible que par le passé. Le décrochage de l’Europe du Sud peut induire une divergence avec le reste de l’Europe, qui reste arrimée à la croissance des émergents. L’Allemagne dépasse la France en revenu par tête. Le pib par habitant de la Slovénie est supérieur à celui de l’Espagne (GRAPHIQUE 7 ). Les pays latins sont également les nations européennes dont les échanges croisés euro-méditerranéens sont les plus dynamiques, la géographie des échanges restant très marquée par la proximité, de même que les flux migratoires. Un ralentissement durable de ces économies, handicapées par les changes fixes et sans solidarité de la zone euro, aboutirait à un retrait de leurs échanges et de leurs investissements dans les pays voisins de l’Adriatique et du Sud de la Méditerranée. Dans ce 46 ii – prospective – croissance contexte, l’intégration institutionnelle euro-méditerranéenne reste limitée et les élargissements prévus repoussés sine die. L’upm, dans ce cadre, est en mal de projets. La libéralisation des services se trouve entravée par les craintes de dumping social, tandis que les marchés agricoles continuent d’être gouvernés par les quotas. L’affaiblissement économique de l’Europe latine s’accompagne d’une diminution de son pouvoir politique, entraînant un effet défavorable à un arrimage aux flancs sud et est méditerranéens. Cette atonie de la croissance du Sud de l’Europe peut aboutir à une marginalisation globale de la région méditerranéenne du fait d’une interdépendance des économies (les Balkans, la Turquie et le Maghreb commerçant essentiellement avec l’Europe). Plus vraisemblablement, elle induirait aussi, dans les économies du Sud de la Méditerranée et des Balkans, des transferts de capitaux originaires de l’Europe du Nord, du Golfe et des pays émergents (ainsi qu’un détournement du commerce vers ces pays) qui trouveraient à s’investir dans une zone à faible coût et à fort rendement. Une forme de convergence méditerranéenne par le bas s’opérerait ainsi. L’ensemble des pays en rattrapage avec l’Europe s’approchant des niveaux de revenu de la Méditerranée européenne (le revenu par habitant de la Turquie et de la Serbie atteignant 80 % de celui du Portugal en 2030), mais au prix d’une divergence européenne forte. Les effets d’hystérèses de la crise sont concentrés sur l’Europe latine qui connaît un décrochage durable de sa croissance et une faiblesse persistante de ses gains de productivité. En revanche, les pays du Nord de la Méditerranée retrouvent le sentier de croissance antérieur à la crise. Certains pays méditerranéens bénéficient d’un afflux d’investissement et de la délocalisation, mais fondés essentiellement sur un différentiel de coût de maind’œuvre. Le progrès technique et les remontées de filières y restent faibles. L’activité stagne et l’emploi reste majoritairement informel. Le scénario de la convergence méditerranéenne : une croissance soutenue et soutenable appuyée par une action politique volontariste entre la divergence et la marginalisation, la Méditerranée peut connaître un autre destin, sous réserve d’une action politique volontariste, partagée par l’ensemble de ses riverains dans un contexte de multipolarité dans les régulations internationales. Une croissance globalement plus forte et plus riche en emplois nécessite de valoriser l’intégration des systèmes de production en tirant partie des complémentarités régionales, d’étendre à l’ensemble de la Méditerranée cer47 taines modalités de redistribution et de protection sociale. Un tel scénario suppose un cadre institutionnel renforcé où la perspective d’adhésion à l’Union ou au marché intérieur accélère l’harmonisation des normes, comme l’ont montré les exemples de la Croatie, de la Turquie ou des nouveaux États membres. Dans un système régionalement intégré (établissement au niveau régional des quatre libertés mises en place dans l’Union européenne, accès au marché intérieur européen et harmonisation des normes autorisant un système de préférence régionale), accompagné d’une redistribution géographique de la production et d’un partage de la valeur ajoutée permis par l’ouverture de certaines coopérations renforcées aux pays sud et est méditerranéens, les ressorts internes de la croissance pourraient permettre un accroissement de la productivité et de l’emploi dans tous les pays. Ce scénario profondément coopératif permet à l’ensemble de la région méditerranéenne de bénéficier de gains de productivité globale des facteurs et de soutenir sa compétitivité à un coût social bien plus faible que dans le scénario des divergences méditerranéennes. Une dynamique de convergence régionale se met alors en place. Les taux d’activité des pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée et des pays adriatiques se rapprochent fortement de ceux de l’Europe, où la migration est venue pallier les pénuries de main-d’œuvre et alimenter les marchés de consommation. Le rattrapage de productivité est permis par une diffusion technologique par imitation, facilitée par les transferts de savoir-faire et de capitaux. Une croissance plus équitable en termes de redistribution des richesses permet au Sud et à l’Est de la Méditerranée et aux Balkans le développement d’une demande intérieure dont bénéficient l’Europe latine, et avec elle, bien que dans une moindre mesure, l’ensemble de l’Europe. Cette dynamique accroît fortement le commerce sous-régional offrant désormais des opportunités de marchés émergents et profonds. Les pays de l’Adriatique, emmenés par la Croatie et la Serbie, tirent la Bosnie, la Macédoine et l’Albanie. Le commerce sous-régional au Proche-Orient et au Maghreb se développe d’autant plus fortement qu’aux relations plus approfondies avec les voisins méditerranéens et européens viennent s’ajouter les échanges croisés avec le Golfe. La Turquie devient une interface indispensable et une plaque tournante du commerce euro-méditerranéen. Tous les pays de la région (à l’exception de la Mauritanie) atteignent alors des revenus par tête supérieurs à 10 000 dollars en 2030 (GRAPHIQUE 8 ). Les taux d’activité des pays du Sud et de l’Est de la Médi48 ii – prospective – croissance GRAPHIQUE 8 Scénario de convergence méditerranéenne. PIB par habitant (2009-2030) (milliers de dollars, parité de pouvoir d’achat) Source : CAS – Ipemed, 2011. Albanie Algérie Bosnie Croatie Chypre Egypte France Grèce Israël Italie Jordanie Liban Libye Macédoine Malte Mauritanie Maroc Portugal Serbie Slovénie Espagne Syrie Tunisie Turquie 2009 2030 10 20 30 40 50 terranée et des Balkans se rapprochent considérablement de ceux de l’Europe, où la migration est venue pallier les pénuries de maind’œuvre et alimenter les marchés de consommation. La Slovénie atteint les niveaux de revenu de l’Espagne en 2030, la Croatie frôle ceux du Portugal. L’Égypte et le Maroc triplent leur pib par tête et prennent le train de la convergence. La Turquie et la Serbie dépassent les 25 000 dollars par habitant. 49 perspectives d’emploi en méditerranée Frédéric Blanc* l’emploi est un sujet majeur pour l’évolution de la région euroméditerranéenne. Pour les pays du Sud de la Méditerranée (nommés pm par la suite), il va s’agir dans les prochaines années de créer un nombre sans précédent d’emplois décents afin d’absorber le nombre croissant de nouveaux entrants sur les marchés du travail, la forte proportion de jeunes inactifs et d’accroître sensiblement la participation féminine à l’activité économique. De son côté, la rive nord sera confrontée à un défi bien différent et inédit, celui de maintenir sa dynamique économique et de création d’emplois au moment où le nombre d’actifs va baisser. Quant aux pays des Balkans, ils sont actuellement dans une situation mixte, proche par leur activité de celle des pm, mais avec des perspectives démographiques identiques à celles de l’Europe. Dans le Sud, la pyramide des âges fait apparaître une proportion de jeunes bien plus importante que la moyenne. Certes, les taux de croissance de la population ont fléchi et les taux de fertilité sont proches de ceux du Nord, mais l’impact des taux de fertilité élevés dans le passé se ressent maintenant, avec une population jeune qui va arriver d’ici à 2030 sur le marché du travail. De plus, les pays du Sud ne peuvent plus se permettre d’aborder les décennies futures comme ils l’ont fait auparavant : le nombre d’inactifs indique en effet que cela n’a pas été efficace. Par ailleurs, la pyramide des âges va s’amincir au Nord dans les parties dites actives. Il reste certes des réserves d’actifs, notamment en développant le travail féminin ou en reculant l’âge de la retraite, mais il n’est pas envisageable de faire reposer sur ces deux piliers l’ensemble de l’effort, la réserve n’étant sans doute pas suffisante. * Délégué général, Femise. 51 Comment ces défis vont-ils pouvoir être relevés et vers quelle situation régionale s’oriente-t-on ? Notre propos est de présenter la nature de l’emploi et son évolution dans les quarante-trois pays de la région à l’horizon 2030 ainsi que les éléments clés qui vont dessiner les évolutions possibles et les situations envisageables en 2030. Le chapitre est organisé en quatre parties. • La nature de l’emploi à partir d’une présentation de la situation actuelle et des grandes tendances démographiques qui s’annoncent. • Le contenu en emplois de la croissance et la dualité des marchés du travail. • La nécessité d’une meilleure adéquation de la formation et des compétences face aux besoins économiques de la région. • Les grands scénarios probables en termes de création d’emplois à l’horizon 2030 en fonction des évolutions dans les relations euro-méditerranéennes. 1. Un contexte démographique tendu et un faible taux d’activité nous présenterons d’abord la démographie de la population active et l’état des lieux des marchés du travail dans la région qui comprend les dix pays du partenariat Euromed (Algérie, Égypte, Israël, Jordanie, Liban, Maroc, Palestine, Syrie, Tunisie et Turquie), les vingt-sept pays de l’Union européenne et les six pays des Balkans (Albanie, Bosnie-Herzégovine, Croatie, Macédoine, Monténégro et Serbie). La région Euromed-Balkans forme un ensemble de 790 millions d’habitants en 2007, dont plus de 160 millions ont moins de 15 ans. Plus de 620 millions de personnes sont en âge de travailler (plus de 15 ans), seulement 328 millions sont actifs et 300 millions ont un emploi ( TABLEAU 2 ). Mais la répartition est très inégale entre les rives. Les pays méditerranéens représentent environ un tiers de la population globale de la zone (34 %), la moitié de la population jeune (49,8 % ont moins de 15 ans) et seulement le quart des employés (25,5 %). À l’inverse, on peut voir que l’Europe propose aujourd’hui sept emplois sur dix, mais compte moins de la moitié des moins de 15 ans. Cette concentration des actifs au Nord, qui s’oppose aux actifs de demain majoritairement au Sud, est un premier facteur de tension pour l’ensemble de la région, dans la mesure où ces espaces sont relativement cloisonnés. Symboli52 iii – prospective – emploi TABLEAU 2 Aperçu démographique des marchés de l’emploi en 2007 Total*** PM (Med) 269 215 108 UE27 494 488 654 Balkans (1) 23 836 823 Total 785 267 185 Dont Part des moins moins de 15 ans de 15 ans 81 540 022 30,3 % 77 976 021 15,8 % 4 332 617 18,2 % 163 280 900 20,8 % Population en âge de travailler* (15 ans et +) 187 675 086 416 512 633 19 504 206 621 986 285 Population active** [a] Emplois** 83 463 607 235 777 564 8 475 566 327 716 737 74 810 990 218 968 727 6 824 185 300 603 902 Sources : * UN Pop. Div. quinquennial estimates and projections ; ** ILO, LABORSTA Labour Statistics Database ; *** Banque mondiale, WDI online ; [a] :la population active est la somme des employés et des chômeurs. (1) Serbie hors Kosovo. TABLEAU 3 Activité en 2007 en Méditerranée, en Europe et dans les Balkans Pop. en Pop. Non âge de active actifs travailler* 2007** [1] [2] [3]=[1]-[2] PM 187 675 086 83 463 607 95 904 812 UE27 416 512 633 235 777 564 180 735 069 Balkans(1) 17 798 566 8 475 566 9 323 000 Total 621 986 285 327 716 737 285 962 881 Taux Chômeurs Taux Non d’actide actifs et vité chômage chômeurs [2]/[1] [4] [4]/[2] [3]+[4] 44,47 % 8 652 617 11,57 % 104 557 429 56,61 % 16 808 837 7,68 % 197 543 906 47,62 % 1 651 381 24,20 % 10 974 381 52,69 % 27 112 835 8,27 % 313 075 716 Sources : * (15 ans et +) UN Pop. Div. quinquennial estimates and projections, **ILO, LABORSTA Labour Statistics Database. (1) Serbie hors Kosovo. quement, on note que, dès aujourd’hui, la population des moins de 15 ans dans les pm dépasse celle de l’UE. En observant le TABLEAU 3 qui synthétise les grands agrégats des marchés de l’emploi, on peut identifier d’autres facteurs locaux de tension. En Méditerranée, on en relève trois : • le nombre très important de jeunes en dessous de 15 ans qui espèrent avoir un emploi. Ils représentent, en effet, 81,5 millions de personnes pour une population totale de 269 millions : un Méditerranéen de la rive sud sur trois a moins de 15 ans. Et le nombre de jeunes, ceux qui chercheront un emploi demain, dépasse le nombre actuel d’emplois formels ; • le décalage entre le nombre de personnes qui pourraient vouloir avoir un emploi et le nombre d’emplois formels offerts (187 millions de personnes de plus de 15 ans dont 173 millions d’actifs potentiels de 15 à 65 ans comparés aux 74 millions d’emplois actuellement offerts). De fait, le taux d’activité des 15 ans et plus est inférieur à 50 %. Moins d’un Méditerranéen du Sud sur deux en âge de travailler est effective53 ment actif. Ainsi, 96 millions de personnes en âge de travailler ne sont pas sur le marché de l’emploi. Un nombre conséquent reste actif dans le secteur informel, véritable stratégie de survie, mais se trouve donc de fait en marge des dispositifs sociaux de protection ; • le nombre de chômeurs qui dépasse 8,5 millions de personnes, c’està-dire, le nombre de personnes qui ont travaillé dans le secteur formel et qui ne le peuvent plus. Ce nombre, qui correspond à un taux de chômage officiel de 11,6 %, ne tient compte ni du chômage déguisé lié au sous-emploi ni des conditions d’inscription des chômeurs. Il est donc probablement sous-estimé. côté européen, la situation est moins contrastée, mais on note trois facteurs de tension également : • un taux de chômage encore élevé dans de nombreux pays. Même lorsque les taux restent largement inférieurs à ceux de nombreux pays en développement, les opinions publiques considèrent encore le chômage comme l’une des plus importantes priorités politiques. L’importation d’actifs est donc encore assez peu concevable pour ces mêmes opinions publiques ; • des taux de chômage variant de 3,5 % à 11 % et des taux d’activité allant de 48,5 à 65 % (hors Luxembourg). Face à de telles disparités, il est évident qu’il sera difficile d’imaginer des modifications structurelles valables et acceptées dans l’ensemble de l’Europe. De plus, dans un marché du travail normalement ouvert, de telles variations sont symptomatiques du cloisonnement de facto ; • un ratio actifs/non actifs qui fait peser les plus grandes menaces sur les systèmes de retraite et de protection sociale, majoritairement fondés sur les cotisations des travailleurs. Les pays européens ont donc également besoin d’augmenter les taux d’activité, surtout dans les pays où ils sont bas. en examinant les TABLEAUX 4 et 5 , basés sur les prévisions du scénario médian des Nations unies, on peut observer l’ampleur des tensions qui vont s’accentuer. De 2007 à 2030, la population en âge de travailler (plus de 15 ans) va augmenter dans l’ensemble de la zone de plus de 100 millions de personnes. Mais, 84 % de ces travailleurs potentiels supplémentaires seront sur les rives sud. De ce fait, le rapport Europe/Méditerranée en termes d’actifs potentiels va, dans les vingt prochaines années, passer de 70/30 % à 60/40 %. Pour la rive sud, ces 87 millions 54 iii – prospective – emploi TABLEAU 4 Population de 15 ans et plus dans Euromed et Balkans (2000-2030) PM UE27 Balkans(1) 2000 157 652 462 398 814 493 19 039 016 2007 187 675 086 416 512 633 19 504 206 2020 236 451 924 428 570 690 19 878 546 2030 274 362 500 432 427 178 19 708 616 Source : UN Pop. Div. quinquennial estimates and projections (Medium Variant Scenario). (1) Serbie incl. Kosovo TABLEAU 5 Évolution de la population par strate d’âge (2007-2030) (milliers) PM UE27 Balkans(1) Total 15-65 ans 2007 2030 173 895 242 661 331 958 311 805 16 201 15 094 522 054 569 560 25-65 ans 2007 2030 119 893 185 123 271 023 258 303 12 676 12 490 403 592 455 916 15-80 ans 2007 2030 185 908 269 731 394 753 397 127 18 902 18 719 599 563 685 577 Source : UN Pop. Div. quinquennial estimates and projections (Medium Variant Scenario). (1) Serbie incl. Kosovo. d’actifs potentiels supplémentaires représentent bien plus que les emplois formels aujourd’hui offerts. A contrario, l’Europe va perdre des actifs potentiels, perte pouvant d’ici à 2030 dépasser les 20 millions, à moins de prolonger l’âge légal de la retraite jusqu’à 80 ans. On observe en effet que l’UE 27 comptera 20 millions en moins de 15-65 ans, dont 13 millions dans la tranche 25-65 ans. Pour que la population en âge de travailler reste stable, il faudrait l’élargir aux 15-80 ans. Côté Balkans, la situation globale est entre celle du Sud de la Méditerranée et de l’UE. Si l’Albanie, par la structure de sa population et les statistiques du marché du travail, est dans un modèle sud, les autres pays sont plutôt dans une situation identique à celle de l’Europe. En outre, les tendances démographiques sont clairement à la décroissance, plaçant la région dans une dynamique identique à celle de l’UE. Dans toutes les strates d’âges définissant la période possible d’activité, la population d’actifs potentiels sera en baisse. Partant de situations différentes, l’UE et les pays méditerranéens ont pourtant un objectif commun pour les vingt prochaines années : accroître les taux d’activité et le nombre d’actifs. Pour les uns, il s’agit de maintenir la dynamique de création d’emplois et de l’économie et, pour les autres, de permettre à la population jeune de trouver un emploi, de maintenir un contexte social en équilibre et d’améliorer la dynamique 55 économique et le niveau de vie. Les ressources de l’une des zones sont celles dont l’autre a besoin, d’où la complémentarité des deux régions : l’UE possède les débouchés en emplois pour les actifs plus nombreux du Sud et le Sud les actifs dont l’UE aura besoin. 2. Le contenu en emplois de la croissance et la dualité des marchés du travail la capacité des économies à créer des emplois dépend fondamentalement de la nature et du rythme de croissance. La croissance économique, et donc la création d’emplois, découle de la quantité accumulée des facteurs de production (capital physique et capital humain) et de la façon dont ils sont combinés ensemble pour obtenir une production donnée. Cette combinaison peut générer une croissance de production à travers la productivité globale des facteurs (pgf). Pour que toutes les potentialités jouent à plein, les économies doivent être bien dotées en facteurs et/ou performantes. En ce qui concerne la Méditerranée, la dynamique de l’emploi est amoindrie par le faible apport à la croissance globale de la pgf et par la taille excessive du secteur informel. Comment améliorer la relation croissance/emploi et la productivité des facteurs côté sud de la Méditerranée, l’observation des statistiques des marchés de l’emploi indique une relation croissance/emploi qui ne fonctionne pas de façon satisfaisante. Pourtant, si l’on calcule l’élasticité de l’emploi à la production (estimation de la croissance de l’emploi correspondant à chaque point de croissance de pib), les pm sont performants. L’idée que les pm affichent un taux important de création d’emplois grâce à leur croissance économique (4-5 % ces dernières années) est une idée fausse. D’abord, les estimations varient notablement d’un pays à l’autre. Ensuite, elles sont très instables dans le temps. Au final, sur une période longue, le contenu en emplois de la croissance est trop faible puisqu’il est insuffisant pour absorber les nouveaux entrants tout en intégrant plus d’actifs potentiels sur les marchés formels. Pourquoi la qualité de la relation croissance/emploi est insuffisante et instable ? Sans doute parce qu’essentiellement une partie des emplois n’est pas créée dans des secteurs qui peuvent engendrer les changements structurels nécessaires. Par exemple, la création d’un poste dans 56 iii – prospective – emploi l’administration n’aura potentiellement pas les mêmes conséquences que la création d’un poste d’ingénieur-marketing, car moins de postes et de secteurs profiteront des effets induits dans le premier cas que dans le second. En clair, ces emplois contribuent peu à la croissance du pib et les fortes élasticités observées ne reflètent pas une utilisation efficace de la main-d’œuvre. Il n’est pas question de dire que certains postes ne sont pas créateurs de valeur par rapport à d’autres, mais plutôt qu’ils sont moins créateurs d’effets positifs en dehors de leur sphère. De fait, c’est bien dans la structure des emplois créés, peu porteurs de dynamiques nouvelles, que réside le problème de la relation croissance/emploi en Méditerranée, dans certains pays des Balkans et en Europe. Ce que le calcul économique standard appelle la productivité globale des facteurs et qui représente la croissance du produit non imputable à la croissance des facteurs (emploi et capital physique). Schématiquement, si une économie voit sa pgf augmenter substantiellement, elle bénéficiera d’une croissance de l’activité supérieure à sa tendance normale. Une part de ce supplément d’activité se convertira à son tour en termes d’emplois. En ce qui concerne les pm, l’amélioration de la relation croissance/emploi dans le sens d’une meilleure qualité et durabilité à moyen terme, passe par une amélioration des gains de productivité dans l’économie. la question de la pgf sera également au cœur de la dynamique européenne, mais pour des raisons différentes. Comme nous l’avons souligné, la pgf est à l’origine de la croissance qui n’est pas due à l’accumulation des facteurs. L’évolution démographique de l’Europe indique clairement que le facteur travail va se raréfier dans les années à venir. Dans tous les cas, avec une population vieillissante, les pays européens ne pourront plus compter sur un baby-boom pour poursuivre leur croissance économique, bien au contraire. Les actifs et les compétences vont s’amoindrir. L’accumulation du capital physique par l’investissement ne pourra guère combler les manques. La croissance sera durable grâce aux gains de productivité et à l’importation d’actifs par les migrations. La place importante du secteur informel le secteur informel (30 à 40 % de l’emploi total) est particulièrement développé dans les pm. Et si l’on observe les taux d’activité formels, particulièrement bas dans les Balkans, il ne fait guère de doute que ces économies possèdent également d’importants secteurs informels. Le 57 développement de l’emploi informel est dû au manque d’opportunités dans le secteur formel, compte tenu du nombre d’inactifs en âge de travailler. Pour des gens en situation de pauvreté, qui ne peuvent pas ne pas travailler, ces emplois informels constituent une stratégie de survie. Dans les pays émergents comme les pm, ils ont des côtés positifs. En permettant de trouver des alternatives à des situations d’extrême pauvreté, ce secteur devient gage de stabilité sociale. Il est susceptible, en outre, de jouer un rôle d’incubateur où se développent des compétences et des entreprises, avant que les individus et les firmes puissent rejoindre le secteur formel en tirant profit de l’accumulation réussie. Toutefois, ce rôle positif n’existe qu’à condition qu’il y ait une bonne mobilité entre le secteur informel et le formel, ce qui n’est souvent pas le cas dans les pm. Créer les conditions d’une telle mobilité sera une des clés pour transformer les marchés du travail dans les années à venir. Il faudra en même temps remédier aux trois plus importants problèmes que crée le secteur informel : • peu d’emplois décents sont proposés. De plus, en Méditerranée comme en Europe, les systèmes de protection sociale fondent leurs prestations sur le fait d’avoir des emplois formels, ce qui en exclut une grande partie de la population. Si les pays européens ont pu mettre en place des systèmes dont peuvent bénéficier ces populations, cela n’est le cas ni dans le Sud ni dans les Balkans ; • les entreprises du secteur informel n’ont qu’un accès limité aux technologies modernes, aux capitaux et à un certain nombre de biens et de services fournis par les pouvoirs publics. Ce manque les empêche de croître et ne permet pas de faire jouer à plein les potentiels de productivité qui existent dans ces entreprises. Pour autant, elles concurrencent également certaines entreprises locales évoluant dans le secteur formel et cette distorsion de concurrence ne permet pas une allocation efficace des ressources ; • pour les gouvernements, les budgets publics sont privés de ressources fiscales susceptibles d’optimiser le fonctionnement global. En outre, les politiques publiques et les réformes ont moins d’impact dans la mesure où les activités situées hors du système légal ne sont pas concernées. Ainsi, dans les Balkans et les pays du Sud, qui ont des taux d’activité inférieurs à 50 %, la majorité des personnes en âge de travailler ne sont pas concernées par les mesures adoptées concernant les marchés du travail. 58 iii – prospective – emploi 3. La nécessaire adéquation de la formation et des compétences aux besoins de l’économie l’une des clés de l’évolution de l’emploi dans la région Euromed est la formation du capital humain. L’éducation est donc en première ligne mais elle ne peut, à elle seule, rapidement modifier la situation actuelle, marquée par un faible retour sur investissement du secteur. Les changements doivent également concerner ceux qui sont déjà sortis du système éducatif de base et ceux qui travaillent déjà, notamment dans le secteur informel. Au cœur des changements potentiels, il y a également la formation professionnelle et la formation continue. En quelques décennies, les pm ont accompli de remarquables progrès sur le plan de l’éducation. Mais ces progrès ne se traduisent guère sur les marchés du travail. Dans certains pays, un fort pourcentage d’étudiants, qui ont fait des études secondaires, ne parviennent pas à trouver d’emploi. Le taux de chômage relativement élevé des diplômés indique non seulement la faiblesse du retour sur investissement dans le capital humain, mais surtout l’inadaptation de la formation. L’enjeu consistera donc à améliorer très sensiblement l’adéquation de la formation aux besoins des économies, non seulement au niveau local, mais également au niveau de la région euro-méditerranéenne, compte tenu des masses de populations en jeu. En observant la situation sous l’angle de l’employabilité, le premier constat à faire est en relation avec les orientations d’éducation choisies. En effet, dans les pm, les sciences sociales et les matières littéraires sont prédominantes par rapport aux matières scientifiques et techniques. En moyenne, près des deux tiers des diplômes délivrés dans le secondaire sont des diplômes littéraires ou de sciences humaines. La situation diffère sensiblement des pays d’Asie orientale. Dans le même temps, les matières scientifiques et les études d’ingénieur attirent moins (plus de dix points de pourcentage d’écart). On considère pourtant aujourd’hui que le développement économique repose sur l’innovation technologique, l’adaptation et sur le rôle moteur de la productivité des facteurs. Ce qui conduit à privilégier les enseignements scientifiques et techniques. Pourquoi cette sous-représentation des filières scientifiques et techniques ? On peut considérer qu’elle est la conséquence d’une captation du recrutement des diplômés par la Fonction publique. Ce qui désavantage le secteur privé au détriment du secteur public et crée un biais contre-productif avec deux effets importants : 59 • le secteur privé, moins attractif, a du mal à obtenir les compétences dont il a besoin ; • les plus hauts diplômés ont intérêt soit à attendre un emploi public (et rejoignent en attendant la catégorie des chômeurs), soit à migrer vers d’autres marchés du travail qui peuvent leur offrir des emplois en rapport avec leur diplôme. Au niveau de l’économie globale, on obtient donc un niveau plus bas de pgf, avec une faible croissance en vue de cette pgf, non pas à cause des systèmes d’éducation peu qualifiés, mais plutôt à cause d’un problème d’allocation des ressources humaines, qui conduit à ne réaliser qu’une fraction de la pgf potentielle. L’éducation n’est pas le seul mécanisme de développement du capital humain. L’amélioration de l’adéquation de l’éducation avec les besoins du marché du travail passe par une revalorisation de la formation professionnelle et de la formation continue. Ceci implique une modification des systèmes de reconnaissance des capacités, ils ne doivent plus être fondés uniquement sur les diplômes, mais aussi sur les compétences. L’objectif étant d’entraîner les marchés du travail à allouer plus efficacement le capital humain. La formation professionnelle continue est un outil déterminant pour permettre aux personnes de progresser et de valoriser leur expérience, ce qui encouragera la mobilité. Quant à la notion de compétence (capacité à réaliser quelque chose dans une situation concrète donnée), elle apparaît comme une notion plus adaptée à une offre de travail qui doit être davantage mobile, dans des économies possédant une large part d’informel, dans lequel il existe un vivier non utilisé d’expérience et de savoir-faire. 4. Les perspectives d’emploi et les scénarios possibles dans cette dernière partie, trois scénarios d’évolution de l’emploi dans les trois zones sont décrits. Des points de repère sont d’abord établis, en fonction de l’évolution de l’emploi en Europe et dans les pm, durant la dernière décennie, avant la crise 2009/2010. Ensuite, les grandes lignes de ces trois évolutions possibles sont présentées. Pour les pays méditerranéens entre 2005 et 2007, le nombre d’emplois dans les pm a augmenté à un rythme annuel de + 2 %, soit environ 1,2 million d’emplois par an. Ces chiffres tiennent compte de l’évolution très négative observée en 60 iii – prospective – emploi 6 Perspectives d’emploi pour les pays méditerranéens (2007-2030) (milliers) TABLEAU Maintien des ratios Emplois Taux annuel créés Nbre annuel Pop. active Emplois Chômeurs Inactifs 1,7 % 121 707 1 490 Maintien du rythme 2005-2007 109 047 12 660 152 656 Emplois Chômeurs Inactifs 2,7 % 150 836 137 427 2 720 Maintien du nombre de non employés 13 409 123 526 34 236 Emplois Taux annuel créés Nbre annuel Pop. active 62 616 Emplois Taux annuel créés Nbre annuel 94 994 3,7 % 4 130 Pop. active Emplois Chômeurs Inactifs 180 171 169 805 10 366 94 191 Taux Taux de d’activité chômage 44,4 % 10,4 % Taux Taux de d’activité chômage 55,0 % 8,9 % Taux Taux de d’activité chômage 65,7 % 5,8 % Source : Femise, 2011. Turquie (- 600 milliers d’emplois entre 2005 et 2007). Pour les neuf autres pays, entre 2004-2007, période qui précède la sévère crise actuelle, le rythme annuel dépasse les 3,5 % par an, soit environ 1,8 million d’emplois créés par an, grâce notamment aux performances de l’Égypte pendant cette période. Les pm n’ont pas connu un problème de manque de main-d’œuvre. Leur défi, au contraire, était d’absorber un afflux de population (dû à la dynamique démographique de la génération précédente) cherchant un emploi. Ce n’était plus une question de démographie mais bien d’activité économique. Dans ce contexte, on rappellera les deux objectifs de création d’emplois à atteindre d’ici à 2030 : • le nombre d’emplois nécessaires pour que l’actuelle structure du marché formel de l’emploi puisse être maintenue (taux d’activité et taux de chômage au même niveau) ; • le maintien du nombre d’inactifs au niveau de 2007, de façon à assurer un climat de paix sociale ( TABLEAU 6 ). Le maintien des ratios actuels imposera aux pm de créer 34 millions d’emplois dans les vingt prochaines années, soit environ 1,5 million d’emplois par an. C’est un objectif qu’ils ont atteint sur l’ensemble de la dernière décennie, mais qui aboutirait, en 2030, à plus de 150 millions de personnes sans activité sur les rives sud. Comme nous l’avons souligné, ils sont même actuellement sur un rythme plus élevé qui, s’il se 61 prolongeait jusqu’à 2030, permettrait la création de 62 millions d’emplois (environ 2,7 millions par an en moyenne). On constaterait alors un bond de près de 10 points dans le taux d’activité (soit 30 millions d’actifs de plus que dans le scénario précédent). Mais ce ne serait pas suffisant pour que le nombre absolu de non employés n’augmente pas. Pour réaliser cet objectif, les pm doivent créer 95 millions d’emplois, soit plus de quatre millions par an. Pour l’Union européenne à vingt-sept dans les vingt-sept pays de l’Union européenne, le rythme annuel de création d’emplois a varié de 1,5 % (2000-2008) à 2 % (2005-2007), soit 3 à 4 millions d’emplois créés par an. Dans les deux cas l’effet de la crise n’est pas comptabilisé. Selon Eurostat, elle a conduit à la destruction de plus de quatre millions d’emplois en 2009. Compte tenu du déclin démographique européen, il est nécessaire de se donner des hypothèses d’activité maximale en Europe. Nous avons donc fixé un taux d’activité maximale de 79,5 %. Ce qui voudrait dire qu’en 2030, toutes les personnes (hommes et femmes) âgées de 25 à 80 ans seraient actives. De même, nous partons sur une hypothèse de taux de chômage minimum, dit frictionnel, estimé à 5 %. Munis de ces hypothèses, on peut identifier les problèmes potentiels dus au déclin démographique : l’Europe sera incapable de maintenir le rythme de création d’emplois observé entre 2005 et 2007, ni même celui de 2000 à 2008 (TABLEAU 7 ). Dans le premier cas, l’Europe parviendrait à créer 78 millions d’emplois (portant le nombre d’emplois à 297 millions), attendrait un taux d’activité record de 72,7 % (actuellement aucun pays européen excepté le Luxembourg ne dépasse les 65 %) et un taux de chômage très bas de 5,4 %. Dix-sept des vingt-sept pays de l’UE seraient concernés par les plafonds fixés et donc touchés par des problèmes de manque de maind’œuvre (ce qui impliquerait immanquablement un recul très important de l’âge de la retraite). Mais, sans le plafonnement par pays et en prenant les taux des années 2005-2007, le potentiel de création atteindrait 42 millions d’emplois supplémentaires. Une fois les plafonds par pays appliqués, le taux annuel n’est plus de 1,97 % avec 4 millions d’emplois crées par an, mais seulement de 1,3 % et 3,4 millions d’emplois par an. Même le trend long observé pendant la décennie 2000 (2000-2008) ne pourra être reproduit. Dans ce second cas, l’Europe créerait tout de même 62 millions 62 iii – prospective – emploi TABLEAU 7 Perspectives d’emploi pour l’UE27 (2007-2030) (milliers) Maintien du rythme 2000-2008 Emplois Taux annuel* créés Nbre annuel Pop. active Emplois Chômeurs Inactifs 1,1 % 297 617 2 690 Maintien du rythme 2005-2007 280 819 16 797 134 810 Pop. active Emplois Chômeurs Inactifs 314 221 297 274 61 850 Emplois Taux annuel* créés Nbre annuel 78 305 1,3 % 3 400 16 948 118 206 Taux Taux de d’activité chômage 68,8 % 5,6 % Taux Taux de d’activité chômage 72,7 % 5,4 % * Plafonnement inclus. Source : Femise, 2011 TABLEAU 8 Perspectives d’emploi pour les Balkans (2007-2030) (milliers) Chômage à un chiffre et taux d’activité > 50 % Emplois Taux annuel créés Nbre annuel Pop. active Emplois Chômeurs Inactifs 1,3 % 100 Balkans 2030 = UE 2007 10 119 9 150 969 9 590 Emplois Taux annuel créés Nbre annuel Pop. active Emplois Chômeurs Inactifs 1,8 % 150 Balkans 2030 = UE 2020 11 157 10 300 857 8 552 Emplois Taux annuel créés Nbre annuel Pop. active Emplois Chômeurs Inactifs 12 811 11 978 833 6 898 2 326 3 476 5 154 2,5 % 220 Taux Taux de d’activité chômage 51,3 % 9,6 % Taux Taux de d’activité chômage 56,6 % 7,7 % Taux Taux de d’activité chômage 65,0 % 6,5 % Source : Femise, 2011. d’emplois, avec un taux d’activité de 69 % et un taux de chômage de 5,6 %. Mais là encore, onze des vingt-sept pays seraient concernés par les plafonds appliqués et au final 14 millions d’emplois potentiels ne pourraient être pourvus. Ces deux chiffres permettent de mesurer l’impact de l’effet démographique en termes d’emplois non pourvus. Pour les Balkans les performances économiques des Balkans ont été instables durant la dernière décennie. Si l’on se réfère à la période la plus récente (2006-2008), on peut estimer le rythme annuel de création à 2,7 %, soit environ 180 000 emplois par an. Comme le montre le TABLEAU 8 , si le rythme moyen se maintient, les Balkans pourront très sensiblement 63 réduire leur chômage sous les 10 %, tout en accroissant leur taux d’activité au-delà des 50 %. Cela nécessiterait la création de 2,3 millions d’emplois dans les vingt prochaines années, soit environ 100 000 par an. La tendance actuelle serait même compatible avec la création des 3,4 millions d’emplois nécessaires pour que les Balkans, en 2030, affichent les mêmes statistiques d’activité et de chômage que l’UE27 en 2007. Il faudra toutefois accélérer le mouvement et dépasser les 220 000 emplois par an pour réduire encore l’écart avec l’UE. Sur la base de ces grands repères, on peut décliner trois scénarios, selon la façon dont les trois zones de la région peuvent converger vers des objectifs communs induisant différentes dynamiques économiques. Pour le marché du travail, l’élément majeur d’inflexion sera un certain décloisonnement de ces marchés, autant Nord-Sud que Sud-Sud, ce qui permettrait (ou non) une accélération de la compétitivité et de la productivité globale des facteurs avec un effet d’entraînement sur le taux d’emploi. Ces trois grands scénarios ont déjà été décrits et plus ou moins détaillés par ailleurs, on se bornera ci-après à dresser les évolutions possibles qu’ils entraîneraient sur les marchés formels du travail. scénario des divergences méditerranéennes. Le processus Euromed et l’upm progressent sur certains dossiers sensibles : les services, l’agriculture et les conditions de mobilité qui sont facilitées mais qui restent encore limitées. Une partie du gap européen est allégée par des actifs des pm et des Balkans, ce qui engendre des effets dynamiques de croissance. Mais cela ne suffit pas à intégrer la zone où les pays jouent une concurrence locale pour progresser dans un contexte mondial qui n’est guère, lui non plus, marqué par la coopération. Certains pm et certains pays européens en profitent, mais d’autres pays stagnent. • En Méditerranée, les taux d’activité augmentent plus franchement et le nombre d’emplois créés annuellement atteint un des niveaux parmi les plus hauts des années 2000, mais seulement dans certains pays. Au niveau régional, un peu plus de deux millions d’emplois par an sont créés. Mais ces progrès ne touchent pas l’ensemble des pays, d’où le contexte socialement très instable dans certains endroits. De fait, cela amoindrit également le potentiel des pays les plus dynamiques. Globalement, le chômage baisse encore à des niveaux proches de ceux de l’Europe du Sud aujourd’hui et les taux d’activité progressent, bien qu’en moyenne le taux moyen reste sous les 50 % ( TABLEAU 9 ). De fait, le nombre absolu des sans emplois (non actifs et chômeurs) augmente pour 64 iii – prospective – emploi 9 Scénario des divergences méditerranéennes – emploi (2007-2030) (milliers) TABLEAU Les PM bénéficient d’une embellie sur les marchés du travail. Ils approchent le niveau 2007 de l’UE Emplois Taux annuel créés Nbre annuel Pop. active Emplois Chômeurs Inactifs 47 098 2,15 % 133 036 121 909 12 113 141 327 2 050 L’Europe bénéficie d’un apport d’actifs qui limite la baisse des actifs Emplois Taux annuel créés Nbre annuel Pop. active Emplois Chômeurs Inactifs 0,87 % 283 710 267 219 2 100 Les Balkans convergent rapidement 16 490 148 717 48 250 Emplois Taux annuel créés Nbre annuel 2 536 1,4 % 110 Pop. active Emplois Chômeurs Inactifs 11 466 9 360 1 105 9 243 Taux Taux de d’activité chômage 48,5 % 9,1 % Taux Taux de d’activité chômage 65,6 % 5,8 % Taux Taux de d’activité chômage 53,1 % 10,6 % Source : Femise, 2011 dépasser les 150 millions, ce qui est incompatible avec une situation sociale stable. Dans les pays les plus dynamiques, on constate des flux de migration avec l’UE et le retour de ces migrants profite au tissu économique local. Mais face à un nombre conséquent d’inactifs, le potentiel est bridé par un contexte sécuritaire persistant sur le plan de la circulation des hommes et des compétences dans l’Euromed. • En Europe, la migration circulaire et temporaire avec les pm permet de combler partiellement les déficits démographiques. L’Europe s’est ouverte aux produits agricoles, en contrepartie d’une meilleure ouverture des pm aux services. D’où de nouvelles perspectives de marché, même si le niveau de vie au Sud de la Méditerranée ne s’accélère pas à une vitesse entraînant une réelle convergence. Dans les deux blocs de l’Europe (continental et latin), plusieurs pays profitent de cette course à la productivité. Par effet de croissance, l’emploi global progresse plus vite, malgré la logique de substitution capital/travail. Le taux annuel moyen atteint quasiment les 0,9 % (soit 2,1 millions d’emplois créés par an), entraînant le taux d’activité au-dessus des 65 % et le taux de chômage sous les 6 %. Ces taux reflètent la tension sur les marchés de travail européens et des soucis de mains-d’œuvre : cinq pays ont des taux d’activité excédant les 75 % (deux sont même plafonnés), huit autres ont des taux d’activité au-dessus de 70 %. Côté Europe latine, le 65 taux annuel atteint les 0,7 % ce qui représente + 608 000 emplois créés par an. Le taux d’activité monte à 58,3 % et le chômage baisse à 6,3 %. • Les Balkans profitent également de ce processus et y participent. Grâce à une meilleure dynamique économique, ils comblent leur retard sur les marchés du travail par rapport à leur voisin européen. Les taux d’activité sont, en 2030, au même niveau que ceux des pays du Sud de l’UE (Grèce ou Italie) actuellement. Mais le taux de chômage reste sensiblement élevé. scénario de crise de la Méditerranée. Le partenariat Euromed ne progresse plus et se réduit à une zone de libre-échange essentiellement pour les produits industriels, sans avancée dans le domaine des services ou de l’agriculture. Aucune stratégie n’est mise en place pour utiliser les complémentarités afin de résoudre les difficultés structurelles. Le rythme de productivité globale varierait peu et les taux d’emploi resteraient faibles. • En Méditerranée, on observe peu de progression dans l’intégration Sud-Sud et l’absence de progrès importants en termes de productivité. Les pays restent spécialisés dans les produits de gamme inférieure. Le taux d’emploi (pourcentage d’emploi sur la population totale) augmente peu, suivant les rythmes les plus faibles enregistrés ces dernières décennies. Les taux d’activité restent généralement inférieurs à 50 % (TABLEAU 10), reculant en moyenne de quelques points. Le chômage officiel est stabilisé autour des 12 %, mais l’essentiel de l’activité reste informel. Avec seulement 1,2 million d’emplois créés en rythme moyen annuel, les indicateurs sociaux, au mieux, stagnent. Les clivages préexistants en termes de dynamique s’aggravent encore et, face à cette dynamique pauvre en emplois, les tensions sociales persistent. • En Europe, la dynamique économique se heurte aux problèmes démographiques. Les politiques migratoires continuent à être axées sur la minimisation des flux. La gestion du déclin démographique ne se fait que par les réserves d’activité, essentiellement le recul de l’âge de la retraite : là, à moins de pousser la retraite à 80 ans, le potentiel de croissance se heurte au manque de main-d’œuvre. On observe sur les marchés européens de l’emploi, une hausse générale des taux d’activité et une baisse des taux de chômage, qui se rapprochent chacun des plafonds physiques. Malgré tout, des manques de main-d’œuvre apparaissent dans certaines régions, ce qui limite le potentiel de croissance. Un scénario de recul de l’Euromed désavantage surtout l’Europe latine. La répartition 66 iii – prospective – emploi TABLEAU 10 Scénario de crise de la Méditerranée – emploi (2007-2030) (milliers) Les PM peinent à maintenir l’équilibre du marché du travail pourtant socialement insatisfaisant Emplois Taux annuel créés Nbre annuel Pop. active Emplois Chômeurs Inactifs 28 600 1,42 % 117 322 103 411 13 804 157 040 1 240 L’Europe peine à exprimer son potentiel et se continentalise Emplois Taux annuel créés Nbre annuel Pop. active Emplois 0,63 % 270 480 1 490 Stabilisation des Balkans 253 261 34 292 Emplois Taux annuel créés Nbre annuel 1 957 1,10 % 80 Chômeurs Inactifs 17 219 161 948 Pop. active Emplois Chômeurs Inactifs 9 947 8 781 1 166 9 762 Taux Taux de d’activité chômage 42,8 % 11,8 % Taux Taux de d’activité chômage 62,5 % 6,4 % Taux Taux de d’activité chômage 50,5 % 11,7 % Source : Femise, 2011. de l’emploi varie au profit de l’Europe du Nord et de l’Est et au détriment de l’Europe du Sud. Si, globalement, le rythme reste à 0,63 %, soit 1,49 million d’emplois créés par an, l’Europe latine souffre davantage avec un rythme annuel de 0,3 % seulement, soit + 220 000 emplois par an. Les taux d’activité y sont plus faibles qu’au Nord (53,5 % contre 62,8 % en moyenne) et le taux de chômage plus élevé (7,7 % contre 6,4 %). • Dans les Balkans, la situation se normalise. Certains pays se rapprochent de l’Europe, mais commencent aussi à connaître les mêmes difficultés structurelles, notamment le manque de main-d’œuvre dans certains secteurs. Néanmoins, l’activité dépasse légèrement les 50% et les taux de chômage sont réduits de moitié. scénario de convergence méditerranéenne. En établissant au niveau régional Euromed les quatre libertés (liberté de circulation des biens, des capitaux, des personnes et liberté d’établissement) mises en place dans l’Union européenne, les trois zones arrivent à créer cet espace de paix et de prospérité recherchée dès 1995. Des actions de formation sont menées à l’échelle Euromed (création d’un socle de base commun, réseaux Euromed de formation professionnelle et de reconnaissance et accréditation des compétences, Erasmus Med…). Elles font converger les indicateurs de marchés de l’emploi, avec un effet moteur permettant, pour chaque partenaire, des taux de création d’emplois calés sur les 67 meilleures performances. Ce scénario coopératif favorise des gains de productivité globale des facteurs, ce qui permet aux trois zones de soutenir leur compétitivité à un coût social bien plus faible. L’effet est renforcé par une convergence plus rapide des niveaux de vie. L’Europe latine peut donc profiter des marchés de consommation émergents. L’intégration se réalisant également dans le sens transversal Sud-Sud, les partenaires méditerranéens profitent de ces marchés qui, source d’économies d’échelle importantes, permettent à leur tour des gains de productivité qui ne s’appuient pas sur un bridage des emplois. • Dans les pm, les taux d’activité et les taux de chômage sont équivalents à ceux de l’Europe latine d’aujourd’hui. Il y a, à ce moment-là, plus d’actifs formels que d’inactifs et les taux de chômage sous les 8 % (TABLEAU 11 ) sont la règle. Avec plus de 2,6 millions d’emplois créés chaque année, socialement la différence est grande : les perspectives offertes localement deviennent suffisantes pour limiter l’exode des cerveaux. Pour les migrants, la question du retour devient pertinente, ce qui transforme les formes de migration qui deviennent plus circulaires. Les pm profitent de ces retours comme la Corée des années 60, ce qui insuffle une dynamique économique cumulative. Les niveaux de vie sont plus hauts, transformant les marchés locaux en marchés économiquement intéressants. Les progrès de l’intégration Sud-Sud font d’ailleurs que cette progression profite également aux pm. Avec une convergence des niveaux de vie, que les populations perçoivent et apprécient, le contexte social est bien plus stable. • En Europe, entre dynamique économique et immigration, les marchés de l’emploi sont proches du plein emploi. Les manques de maind’œuvre peuvent être sectoriels, mais rarement importants puisque les compétences sont disponibles sur les rives sud. L’immigration soutient également une forte consommation interne et les cotisations payées par les actifs immigrés permettent de réduire le recul de l’âge de la retraite. Le potentiel de croissance reste à ces plus hauts niveaux des années 2000. L’effet marché s’ajoute à l’effet productivité, lequel, en misant sur l’économie de la connaissance, modère l’effet substitution. Pour l’Europe, la période est faste et l’on retrouve un taux de création d’emplois proche de ceux de la décennie 2000 sur longue période : 1,2 % par an, soit + 2,9 millions d’emplois créés par an. La contrepartie est une tension certaine sur le marché du travail : le taux d’activité dépasse en moyenne les 70 %. En fait, dix-huit des vingt-sept pays ont franchi les 70 %. Le taux de chômage s’approche d’un seuil frictionnel à 5,6 %. Il 68 iii – prospective – emploi 11 Scénario de convergence méditerranéenne – emploi (2007-2030) (milliers) TABLEAU PM Emplois Taux annuel créés Nbre annuel 59 846 Pop. active Emplois Chômeurs Inactifs 2,6 % 145 886 2 600 134 657 11 229 128 477 Pop. active Emplois Chômeurs Inactifs 1,2 % 303 019 2 920 286 057 Taux Taux de d’activité chômage 53,2 % 7,7 % Europe Emplois Taux annuel créés Nbre annuel 67 088 16 961 129 409 Taux Taux de d’activité chômage 70,1 % 5,6 % Balkans Emplois Taux annuel créés Nbre annuel 2 895 1,5 % 130 Pop. active Emplois Chômeurs Inactifs 10 601 9 719 882 9 107 Taux Taux de d’activité chômage 53,8 % 8,3 % Source : Femise, 2011. est clair que sans un apport migratoire, les tensions pèseraient sur la compétitivité via le manque de compétences et la pression sur les hauts salaires. L’Europe latine profite bien entendu de cette tendance et le taux de création d’emplois est équivalent à celui de la moyenne européenne (1,3 %), ce qui représente + 1,2 million d’emplois créés an, portant le taux d’activité à 66,1 % et le taux de chômage à 6,0 %. • Les Balkans ont encore accéléré leur convergence avec l’Europe et leurs indicateurs (activité et chômage) comme leur performance sont au même niveau que ceux de l’Europe latine aujourd’hui. 69 flux migratoires et transition démographique Évolution et scénarios pour l’avenir Philippe Fargues*, Giambattista Salinari** réaliser des projections sur les migrations est un exercice très différent à celui de réaliser une projection de population. Contrairement aux autres facteurs démographiques comme la mortalité et la fécondité, il est impossible de décomposer les facteurs à l’origine de la migration en déterminants (proches ou lointains) ayant une durée suffisante pour se prêter à une prévision. Les tendances et structures de la population, notamment celle en âge de travailler, peuvent être projetées avec une certaine exactitude d’aujourd’hui à 2030. Les déséquilibres entre groupes d’âges et les tensions correspondantes peuvent également être déduits, mais la migration qui peut en résulter dépendra de circonstances économiques, politiques et sociales qu’aucune science sociale ne saurait prévoir. L’attaque terroriste du 11 septembre 2001 aux États-Unis a déclenché l’intervention militaire en Irak en 2003 qui a, elle-même, déclenché la fuite de réfugiés iraquiens vers la Jordanie, la Syrie, l’Égypte et le Liban entre autres. Qui aurait pu prévoir cette migration de population ? Cependant, les mouvements migratoires connaissent certaines régularités, et c’est sur celles-ci que nous allons nous attarder. Les flux migratoires se manifestent généralement par vagues. Durant la période contemporaine, la région euro-méditerranéenne a connu plusieurs vagues importantes de migration. La première a débuté au cours de la seconde moitié du xixe siècle et s’est achevée avec la Seconde Guerre * Directeur du Migration policy centre au Robert Schuman Centre for Advanced Studies, Institut universitaire européen, Florence (Italie). ** Assistant de recherche au Robert Schuman Centre for Advanced Studies, Institut universitaire européen, Florence (Italie). 71 mondiale. Il s’agissait d’un mouvement Nord-Sud lié à l’expansion coloniale de l’Europe en Afrique, partant tout d’abord de France, puis d’Espagne, d’Italie et de Malte, pour arriver au Maghreb. Une autre vague migratoire prenait source au même moment en Europe méditerranéenne (en particulier l’Espagne, le Portugal, l’Italie et la Grèce) vers l’Europe du Nord-Ouest. La troisième vague, toujours d’actualité, a débuté aux alentours des années 70. Elle trouve son origine au Moyen-Orient et en Afrique du Nord (région Mena, Middle-East and North Africa), en partie dans les Balkans et en Europe de l’Est, pour aboutir en Europe de l’Ouest, notamment en Europe méditerranéenne depuis les années 90. Plusieurs auteurs de diverses disciplines (1) ont souligné la coïncidence entre la chronologie générale des vagues migratoires et celle de la transition démographique. C’est ce lien entre les tendances de long terme des flux migratoires et le développement de la transition démographique qui constitue la pierre angulaire de cet essai de projection des migrations à venir. Cet article se décompose en deux grandes parties. Dans la première partie, nous analyserons les forces démographiques qui auront un impact sur la migration internationale dans la région Mena dans les deux prochaines décennies. Dans la seconde, nous nous pencherons sur l’évolution possible des taux net de migration dans la région méditerranéenne sur cette même période (2). 1. Les grandes tendances démographiques autour de la Méditerranée Les pays d’émigration deviennent aussi terre d’accueil pendant près de trois décennies, de 1960 à 1990, la région Mena a été divisée en deux : les pays d’accueil et les pays d’émigration, ou les pays riches en capital versus les pays riches en main-d’œuvre, en fonction de leur dotation ou non en pétrole. Les pays du Golfe et la Libye se situaient dans la première catégorie, et tous les autres pays dans la seconde (3). Cette distinction n’est plus valide aujourd’hui. Si tous les pays (1) Gozzini 2005 ; Hatton et Williamson 1998 ; Chesnais 1993 ; Livi Bacci 1992 ; Easterlin 1961. (2) La première partie s’appuie sur les publications de Fargues 2009. (3) L’Algérie, l’Irak et l’Iran étaient en même temps exportateurs de pétrole et de maind’œuvre. 72 iv – prospective – migrations TABLEAU 12 Les migrants originaires de certains pays de la région Mena par groupes de pays de résidence* Pays d’origine Europe 991 796 26 000 2 718 711 779 200 286 000 157 030 150 000 Algérie 1995 Mauritanie 2004 Maroc 2005 Tunisie 2005 Égypte 2000 Liban 2001 Irak Syrie non disponible Yémen 1999 non disponible Iran non disponible Palestine 2004** non disponible Total 5 108 737 Pays de résidence Région Mena 66 398 31 000 213 034 128 900 1 912 729 123 966 2 000 000 non disponible 810 000 non disponible 4 435 273 9 721 300 Autre 14 052 193 000 253 641 25 800 538 000 325 816 150 000 non disponible non disponible non disponible non disponible 1 500 309 Total 1 072 246 250 000 3 185 386 933 900 2 736 729 606 812 2 300 000 2 906 812 1 000 000 750-1 500 000 4 983 354 21 100 239 * Première génération de migrants. Aucune estimation reposant sur des archives solides n’a pu être trouvée pour la Jordanie, le Soudan et la Syrie. ** Réfugiés palestiniens: la plupart ne sont pas des migrants de première mais de seconde ou de troisième génération. d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient sont devenus producteurs de pétrole (4), cette richesse n’a pas créé suffisamment d’emplois pour les ressortissants de ces pays. Les plus grands producteurs sont désormais confrontés au chômage et y répondent par des mesures de restriction de l’immigration. Les autres pays de la région sont devenus, malgré eux, terre d’accueil de migrants, tout en restant des pays d’émigration, situation à laquelle ils réagissent également par des mesures restrictives en matière d’immigration. Cette étude se limite, cependant, à l’émigration en provenance d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient ; elle n’abordera l’immigration d’installation et de transit vers ces pays que dans la mesure où elle exerce une influence sur les flux de départ. Elle n’évoquera les pays du Golfe et la Libye que pour les comparer aux pays occidentaux. On compte aujourd’hui environ 20 millions de migrants de première génération en provenance des pays arabes, de Turquie et d’Iran ( TABLEAU 12 ), représentant 5 % de la population totale de la région, c’est-àdire, beaucoup plus que la moyenne mondiale (2,9 %). Quatre pays comptent chacun plus de deux millions d’émigrants de première génération : la Turquie, le Maroc, l’Irak et l’Égypte. Viennent ensuite l’Iran, (4) À l’exception du Maroc, de la Jordanie, du Liban et de la Palestine. 73 l’Algérie, le Yémen et le Soudan, avec un à deux millions, suivis par la Tunisie et le Liban, avec d’un demi à un million d’émigrants. Les migrants en provenance du Maghreb et de Turquie résident principalement en Europe, tandis que ceux originaires du Machrek et d’Iran sont généralement installés dans d’autres pays d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient (où ils sont aujourd’hui rejoints par de nombreux migrants asiatiques) ou en Amérique du Nord. Dans une certaine mesure, les pays du Golfe et l’Occident sont en concurrence pour l’accueil des migrants en provenance du Proche-Orient (5). Dans les pays du Machrek, la terminologie populaire et administrative classe les mouvements migratoires vers les pays du Golfe et la Libye comme temporaires, tandis que l’émigration vers l’Occident est considérée comme permanente. Cependant, aucune preuve empirique ne confirme une telle division. En effet, les États producteurs de pétrole, exactement comme les pays occidentaux, accueillent des migrants de court ou long séjour et des migrants de seconde génération. Après un ralentissement dans les années 1990, l’émigration en provenance des pays arabes s’est accélérée dans les années 2000. De 1993 à 2005, le nombre de Marocains inscrits dans leur consulat a doublé, passant de 1,545 million à 3,185 millions. Le nombre de migrants marocains a augmenté de 6 % par an, soit quatre fois plus que la hausse de la population résidente du Maroc (1,4 % par an). Ces dernières années, la hausse de l’émigration marocaine (jusqu’au ralentissement économique mondial amorcé en 2008) s’est traduite par le nombre d’inscrits dans les consulats : + 92 195 par an entre 1993 et 1997 (soit un taux de croissance annuel de 5,4 %), + 132 804 par an entre 1997 et 2002 (+ 5,9 % par an) et + 201 107 par an entre 2002 et 2005 (+ 7 % par an). D’autres pays arabes, notamment le Liban, l’Égypte, la Tunisie et l’Algérie, ont enregistré une forte augmentation de l’émigration durant la dernière décennie. En Espagne, le nombre de ressortissants arabes a été multiplié par 4,6 entre 1998 et 2006, ce qui représente un taux de croissance annuel de 21,9 %. À l’inverse, l’émigration en provenance de Turquie et d’Iran n’a cessé de baisser. Tous les pays d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient accueillent désormais des migrants internationaux. Certains sont des travailleurs migrants attirés par les marchés locaux du travail, indépendamment du fait qu’ils soient embauchés de façon légale ou non. D’autres sont des (5) Ainsi que pour l’accueil des migrants turcs, dont la destination de choix est désormais la région du Golfe et la Russie. 74 iv – prospective – migrations réfugiés et des migrants en transit, non désirés par les gouvernements locaux et retenus dans la région contre leur gré. Chaque catégorie suit sa propre logique. Les travailleurs migrants réagissent aux écarts économiques de plus en plus flagrants entre les pays d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient et leurs voisins moins développés d’Afrique subsaharienne et d’Asie. Les réfugiés ont fui l’insécurité croissante de plusieurs pays arabes, de leurs voisins africains ou asiatiques, tandis que les migrants en transit ont été refoulés dans leur périple vers l’Occident ou les pays du Golfe, à défaut de visa. Les pays situés près de l’Europe, c’est-à-dire les pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée, accueillent pas moins de 5,6 millions d’immigrants : 4 millions sont des travailleurs migrants (à peu près autant de réguliers que d’irréguliers) ; 1,5 million sont des réfugiés non palestiniens (la plupart sans permis de séjour) ; 100 000 sont des migrants de transit tentant pour la plupart de rejoindre l’Europe (TABLEAU 13 ). Ces estimations, toutes minimalistes, attestent d’une immigration désormais significative dans l’ensemble de la région sud et est méditerranéenne, avec une migration irrégulière deux fois plus élevée que la migration régulière. Il faut bien noter que la migration irrégulière n’est pas systématiquement une infraction délibérée à la loi. Dans de nombreux cas, c’est la loi qui a changé faisant ainsi des migrants réguliers des personnes en situation irrégulière. Le TABLEAU 13 nous indique que très peu de migrants ont élu l’Europe comme destination finale. La plupart d’entre eux sont des travailleurs attirés par les marchés du travail des pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée et des réfugiés qui attendent une issue pacifique pour retourner dans leur pays d’origine. En ce sens, la région n’est pas une salle d’attente pour un passage irrégulier en Europe, mais plutôt un nouvel importateur de main-d’œuvre non déclarée. Même si leurs motivations sont variées, les travailleurs migrants irréguliers, les réfugiés et les migrants de transit partagent un destin commun dans les Psem: ils n’ont pas officiellement accès au travail et ne peuvent bénéficier ni de protection ni de prestations sociales. Par conséquent, ils survivent plutôt qu’ils ne prospèrent. Ils ne résident pas dans ces pays parce que les gouvernements leur ont ouvert les portes, mais plutôt parce qu’elles n’ont pas été fermées. Face à cette migration irrégulière de masse, les gouvernements réagissent par des mesures et des lois qui conduisent souvent à l’exclusion des immigrants et rarement à leur intégration. Nulle part les migrants ne bénéficient de droits et de devoirs leur permettant de devenir des acteurs à part entière de 75 TABLEAU 13 Immigrants réguliers et irréguliers dans les pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée (début des années 2000) Immigrants irréguliers (7) Immigrants réguliers (6) Algérie (9) 80 238 Égypte 115 589 Israël 189 000 Jordanie 392 273 Liban 302 315 Libye 449 065 Mauritanie 48 000 Maroc 62 348 Palestine Syrie 55 000 Tunisie 35 192 Turquie 272 943 Total SEM 2001963 MainRéfugiés (8) d’œuvre Dizaines 95 121 de milliers Dizaines 104 390 à centaines de milliers 100 000 1 700 100 000 519 477 ou plus 400 22 743 500 000 1,0 4 754 1,2 millions Quelques 861 milliers Milliers 1 878 à dizaines de milliers 422 000 0 Milliers 707 422 à dizaines de milliers Milliers 161 à dizaines de milliers Centaines 8 852 de milliers 2-3 millions 1 467 359 Transit Total minimum Dizaines 10 000 de milliers Non 100 000 disponible Rapport irréguliers /régulier (minimum) 0,1 0,9 Non 100 000 disponible Non 600 000 disponible Non 400 000 disponible Dizaines 1 000 000 de milliers Dizaines 10 000 de milliers Dizaines 10 000 de milliers Non disponible Non disponible 1,5 1,3 2,2 0,2 0,2 700 000 Non disponible 12,7 10 000 0,3 Dizaines 300000 de milliers ≥ 100 000 3662000 1,1 Non disponible 422 000 0,5 1,8 Source : Fargues, Philippe, « Work, refuge, transit: An emerging pattern of irregular immigration South and East of the Mediterranean ». Article en cours de relecture au moment de la rédaction. (6) Non-citoyens ou résidents nés à l’étranger selon les archives officielles les plus récentes (recensement, enquête ou statistiques de résidence) Voir Fargues, Ph. (éd.) Mediteranean Report 2006-2007, tableau en annexe 7, www.carim.org (7) Différentes sources pour les travailleurs migrants et l’unhcr pour les réfugiés. (8) Les réfugiés palestiniens de l’unrwa ne sont pas inclus puisque la plupart d’entre eux ne sont pas des migrants. (9) En Algérie, les réfugiés Sahraouis sont inclus dans la population résidente ; la plupart d’entre eux ne sont pas des migrants. 76 iv – prospective – migrations ces sociétés. Ils constituent donc une force de travail sous-employée, bénéficiant de peu de protection, mais souvent surqualifiée. Leur disponibilité contribue à maintenir le coût de la main-d’œuvre à un faible niveau. L’immigration irrégulière est ainsi devenue un régulateur des marchés du travail dans la région Sud et Est méditerranéenne. Tant que de grands secteurs de l’économie de ces pays échapperont au contrôle de l’État, l’immigration irrégulière continuera de prospérer. La migration irrégulière à destination du Sud et de l’Est de la Méditerranée va-t-elle exercer une pression croissante sur l’Union européenne ? Pour répondre à cette question, quelques rappels sont nécessaires. À l’heure actuelle, la majorité des migrants irréguliers dans les Psem n’envisagent pas de traverser la Méditerranée. La plupart des migrants irréguliers dans l’UE sont entrés légalement dans un des pays membres, en général par avion, directement de leur pays d’origine sans transiter par un pays arabe, puis sont restés au-delà de la limite de validité de leur visa. Ceux qui sont entrés dans l’UE irrégulièrement après avoir transité par la région sud et est méditerranéenne ne sont pas plus nombreux mais trouvent de nouveaux passages pour contourner les patrouilles, les contrôles militaires et traverser la Méditerranée. Le boom de la population active dans la région Mena pendant des décennies, leaders et intellectuels arabes ont considéré la population comme un problème, à tout le moins comme un défi. La nature du problème a néanmoins changé, ce dont on n’a pas nécessairement conscience. Il y a peu de temps encore, la population augmentait rapidement, cette hausse s’expliquant par des taux de fécondité élevés. La solution préconisée était le contrôle des naissances. L’un après l’autre, tous les gouvernements arabes ont adopté des programmes de planning familial (à l’exception des pays du Golfe qui considèrent que leur population nationale n’est pas assez élevée, comparée aux besoins en main-d’œuvre). Le planning familial a permis de stabiliser, voire de diminuer, le nombre annuel de naissances. Selon les lieux, le nombre maximal de naissances a été enregistré dans les années 1980 ou 1990. Les générations les plus nombreuses ne sont plus des nouveau-nés mais de jeunes gens en âge de travailler. Le problème s’est donc déplacé. Ce sont désormais de jeunes adultes de 20 à 30 ans le groupe d’âge le plus délicat d’un point de vue démographique. Le taux de croissance de cette population est plus élevé que celui de la population totale et que le taux de 77 TABLEAU 2005 2010 2015 2020 2025 2030 + 14 Années où la population âgée de 20-25 ans est maximale Pays d’émigration principalement Maroc Algérie, Iran, Tunisie Liban Jordanie, Turquie Égypte Irak, Mauritanie, Palestine, Soudan, Syrie, Yémen Pays d’accueil principalement – – Bahreïn – – Koweït, Libye, Oman, Qatar, Arabie Saoudite, Émirats arabes unis Source : Base de données de la population des Nations unies. croissance des ressources disponibles pour les jeunes adultes. Le terme ressources désigne ici tout ce qui rend la vie possible, ou du moins agréable, notamment la possibilité de prendre des décisions. Avoir un revenu et accès au travail sont dès lors primordiales. La baisse des taux de natalité devrait atténuer la pression sur les marchés du travail de la région Mena après vingt à vingt-cinq ans. En effet, la tranche des 20-25 ans culmine entre 2005 et 2030, selon la date où la fécondité a entamé sa chute ( TABLEAU 14 ). Malgré la stabilisation, voire la baisse prochaine, du nombre de nouveaux actifs, les populations actives totales de la région Mena vont continuer à augmenter fortement pendant les deux prochaines décennies. Car les générations qui entrent dans la vie active seront encore bien plus nombreuses que celles qui arrivent à l’âge de la retraite. L’Europe des 27 (UE27) va connaître la tendance inverse : la population active totale va commencer à diminuer en 2010 et le nombre de nouveaux entrants sur le marché du travail va baisser continuellement lors des deux prochaines décennies (TABLEAU 15 , GRAPHIQUES 9 et 10 ). La migration de la population active de la région Mena vers l’UE27 pourrait-elle équilibrer ces deux tendances (excédent dans un cas et pénurie dans l’autre) ? A priori, les deux phénomènes n’ont pas la même ampleur : de 2005 à 2030, la population active totale devrait augmenter de 156,318 millions dans la région Mena et diminuer de seulement 23,666 millions dans l’UE. Toutefois, si l’on considère uniquement les nouveaux arrivants sur le marché du travail (10), qui sont aussi les potentiels migrants, l’excédent et la pénurie sont beaucoup plus proches : de 2005 à 2030, le nombre d’individus dans leur 25e année augmentera de 321 000 par an dans la région Mena et diminuera de 233 000 dans (10) Dans le tableau 15 et le graphique 9, ils correspondent à la population âgée de 25 ans. 78 iv – prospective – migrations TABLEAU 15 Dynamiques démographiques des marchés du travail de la région Mena et de l’UE (2005-2030) Mena UE27 Nombre Changement (t, t+5) Nombre Changement (t, t+5) Population totale en âge de travailler (POP 15-64 en milliers) 2005 286 836 + 35 587 330 137 + 2 227 2010 322 423 + 32 029 332 364 - 3 934 2015 354 452 + 30 196 328 430 - 5 598 2020 384 648 + 30 048 322 832 - 7 032 2025 414 696 + 28 458 315 800 - 9 329 2030 443 154 – 306 471 – Total 2005-30 – + 156 318 – - 23 666 Nombre annuel de nouveaux entrants (POP25 en milliers) 2005 8 744 + 818 6 533 2010 9 562 + 293 6 348 2015 9 855 - 85 6 022 2020 9 770 + 51 5 605 2025 9 821 + 530 5 389 2030 10 351 – 5 364 Moyenne 2005-30 9 684 + 321 5 877 - 185 - 326 - 417 - 216 - 25 – - 234 Source : Nations unies, World Population Prospects, Révision de 2006, données en ligne http://esa.un.org/unpp/index.asp. l’UE27. Si l’on s’en tient aux chiffres, la migration pourrait contribuer à la réduction des déséquilibres futurs. Il est important de noter que si la Turquie était admise dans l’UE, sa population, plus jeune et en croissance plus rapide, réduirait la baisse de la population active jeune de l’ensemble de l’UE mais n’aurait aucun impact sur la démographie de chaque Etat membre. On constate donc que l’élargissement ne peut se substituer à la migration. Ces générations plus nombreuses et nouvelles ne sont qu’un aspect des modifications que le marché du travail va subir dans la région Mena dans les deux prochaines décennies. Les taux de natalité, élevés dans le passé, ont certes produit la génération la plus nombreuse qui n’ait jamais vu le jour et qui est actuellement en recherche de travail. Mais le déclin récent des taux de natalité est associé à d’autres tendances qui accentuent la concurrence pour l’emploi. Ainsi, le contrôle des naissances a, au moins, deux corollaires qui tendent à accroître la pression sur l’emploi plutôt qu’à l’alléger : la modification du rôle des femmes et le développement de l’éducation scolaire. 79 9 Population en âge de travailler dans la région Mena* et dans l’UE27 (2000-2030) (millions) GRAPHIQUE 400 Population 15-64 100 Mena (émigration) Population 20-29 Mena (émigration) 90 350 * Pays d’émigration majoritairement : tous les pays de la région Mena exceptés les pays du CCG et la Libye. Source : Base de données en ligne de la population des Nations unies 80 300 EU27 70 250 200 EU27 60 2000 2010 2020 2030 50 2000 2010 2020 2030 10 Nouveaux entrants sur le marché du travail et population totale en âge de travailler – Changement relatif 2000-2030 GRAPHIQUE Population 100 totale en âge de travailler 50 [POP15-64] États de l’UE27 États de la région Mena 0 - 50 - 25 0 25 50 75 100 Source : Giambattista Salinari – Carim, 2010 Nouveaux entrants sur le marché du travail [POP25] La transition démographique a, en effet, modifié fondamentalement le rôle des femmes au sein de la famille et de la société. Dans le passé, une fécondité élevée était associée à un mariage précoce et à une faible participation des femmes aux activités économiques, notamment à l’extérieur du foyer. Avec des taux de natalité plus bas, les mariages sont plus tardifs et les femmes participent davantage à la vie active. Elles sont plus nombreuses à rechercher un travail et la demande d’emploi augmente donc plus vite que la population active. Non seulement la génération la plus nombreuse à avoir vu le jour arrive sur les marchés arabes du travail et est composée des deux sexes, mais elle est de plus en plus qualifiée. Le développement de l’éducation scolaire a joué un rôle majeur dans la réduction de la fécondité. Le capital humain est désormais en plein essor. L’évolution démographique a 80 iv – prospective – migrations induit des changements au niveau de la quantité de travail nécessaire et de la qualité de ce travail. Les jeunes adultes qui entrent dans la vie active ont bénéficié d’une éducation plus poussée que les personnes âgées qui la quittent (retraite ou décès). Les emplois créés ont donc un tout autre profil que les emplois laissés vacants. Dans son rapport 2008 sur le développement dans la région Mena, la Banque mondiale met l’accent sur les efforts insuffisants des Psem pour l’éducation des jeunes (niveaux quantitatif et qualitatif). Cependant, le marché du travail compte plus de personnes éduquées que ces pays ne peuvent en accueillir. En résumé, le marché du travail de la région Mena affiche actuellement des taux de croissance sans précédent (+ 3 % par an), beaucoup plus élevés que la hausse de la population totale (+ 1,7 %). Mais la demande de main-d’œuvre s’accroît, elle, de 4 à 5 % (avec de plus en plus de femmes concernées). Enfin, l’augmentation du capital humain – c’est-à-dire la différence entre les années passées à l’école par les entrants sur le marché du travail et celles passées par les sortants – atteint 6 à 8 %. Allègement des contraintes familiales et émergence de l’individu cet afflux démographique majeur sur le marché du travail de la région Mena est-il une chance ou un poids ? Deux interprétations sont possibles. La première, plutôt optimiste, est celle de plusieurs agences internationales. Selon cette interprétation, le changement démographique est un atout car il offre de nombreuses opportunités de développement économique endogène(11). Corrélativement à la chute récente mais brutale des taux de natalité, le rapport de dépendance(12) est au plus bas. Mais c’est un état temporaire car cette chute va bientôt entraîner un vieillissement de la population et, à la dépendance des enfants, encore courante, succèdera la dépendance des aînés (TABLEAU 16 ). En d’autres termes, la proportion de la population potentiellement active sur la population inactive est exceptionnellement élevée. Les jeunes adultes qui entrent dans la vie active ne consacrent plus les bénéfices de leur travail à la prise en charge d’enfants (comme c’était le cas encore récemment) ou de personnes âgées (comme ce sera le cas bientôt). Cette situation encourage l’épargne et l’investissement. L’investissement peut, dès lors, être davantage économique que démogra(11) Bloom 2003, Banque mondiale 2007, Assaad et Roudi-Fahimi 2007 (12) Il se définit comme le rapport de la somme de la population âgée de zéro à quatorze ans et de celle âgée de soixante-cinq ans et plus, sur la population âgée de quinze à soixante-quatre ans. 81 TABLEAU 16 Année où le rapport [personnes âgées/jeunes adultes] dépasse 0,33 1950 ou avant 1965 1975 1980 1985 1990 1995 2000 Pays d’émigration principalement Liban Turquie Égypte, Tunisie Maroc Algérie, Iran Mauritanie, Irak, Jordanie Soudan Palestine, Yémen Pays d’accueil principalement Israël – Bahreïn, Émirats arabes unis Koweït, Qatar Libye Arabie saoudite Oman – Source : Giambattista Salinari à partir de la base de données de la population des Nations unies phique : il est susceptible de servir à améliorer la qualité de vie des générations futures plutôt qu’à répondre à l’effet de la demande de l’explosion démographique. La région Mena se trouve ainsi dans une phase privilégiée où elle bénéficie d’un dividende démographique, illustré dans le GRAPHIQUE 11 , qui montre l’évolution de trois agrégats démographiques pour la population de l’ensemble de la région Mena : • la ligne verte (concurrence intra-générationnelle) correspond à la taille de la génération née vingt-cinq ans plus tôt (approximativement le nombre annuel de nouveaux actifs potentiels). Elle grimpe régulièrement jusqu’en 2010, se stabilise pendant environ quinze ans, puis reprend son ascension, mais plus lentement ; • la ligne bleue (charge intergénérationnelle envers les enfants) affiche la fécondité totale de la génération décrite au-dessous. Elle n’a cessé de décliner jusqu’à aujourd’hui(13) et cette baisse devrait se poursuivre (projection des taux de fécondité totaux) ; • la ligne rouge (charge intergénérationnelle envers les personnes âgées) affiche le nombre moyen de parents vivants par enfant dans une famille (14). Elle est stable jusqu’en 2005 (génération née en 1975) puis augmente fortement et régulièrement jusqu’en 2025. Les générations nées entre 1975 et 1995, c’est-à-dire, les jeunes adultes d’aujourd’hui, devraient bénéficier d’un bonus démographique temporaire qui peut profiter à l’ensemble de la population. (13) Dernières données chiffrées : 2005. (14) Il se calcule en faisant le produit du nombre de parents à la naissance (deux) par la probabilité de survie vingt-cinq ans plus tard (probabilité de survie de 30 à 55 si l’âge moyen de maternité est de trente ans), divisé par le nombre de frères et sœurs vivant encore à 25 ans : 2 [l(55,g-30)/l(30,g-30)] / ISF(g) l(25,g). 82 iv – prospective – migrations 11 Le dividende démographique dans la région Mena – Concurrence démographique et fardeau à 25 ans GRAPHIQUE Génération Génération née en 1975 née en 2025 Indice 2 standardisé [x - moyenne 1 (x)] / écart type (x) Fardeau intergénérationnel – I : en personnes âgées 0 -1 Source : Giambattista Salinari – Carim, 2010. -2 1975 Concurrence intragénérationnelle 1985 1995 2005 2015 2025 Fardeau intergénérationnel – II : en enfants Quel est l’impact de ce bonus démographique sur la migration ? La littérature scientifique est rare sur le sujet, mais on peut supposer que le développement, facilité par des taux de dépendance exceptionnellement bas, réduira bien vite les racines économiques de l’émigration conduisant à un ralentissement de la migration internationale. Cette interprétation reste sujette à caution : pour que le bonus démographique conduise au développement les jeunes adultes doivent disposer d’un travail et d’un revenu suffisant pour pouvoir épargner, ce qui n’est pas si simple dans des pays confrontés à un taux de chômage élevé, au sousemploi, à de bas salaires et à un faible retour sur l’investissement dans l’éducation. En moyenne, un jeune met deux à trois ans pour trouver un premier emploi après avoir achevé ses études, puis économise pendant encore deux à trois ans pour se marier. La transition vers l’âge adulte se fait au prix d’une longue période d’attente et d’exclusion(15). En Algérie, pays où la richesse pétrolière ne s’est jamais traduite par des opportunités d’emploi pour tous, 31 % des jeunes adultes entre 20 et 24 ans et 26 % des jeunes adultes entre 25 et 29 ans (ons 2005) sont au chômage. Au Maroc, le chômage touche surtout les jeunes (33 % des 15-24 ans et 26 % des 25-34 ans dans les zones urbaines) et les personnes hautement qualifiées (24 % des personnes possédant un diplôme sont au chômage, contre 9 % chez les non diplômés). Entre 1999 et 2004, le chômage a baissé pour toutes les catégories sauf pour les détenteurs d’un diplôme universitaire ; plus le diplôme est élevé, (15) Dyer et Yousef, 2008. 83 plus le risque de chômage est important. Le chômage débute dès les études achevées et plus longues sont les études, plus longue sera la période de chômage. Sur trois personnes en première recherche d’emploi dotées d’un diplôme universitaire, deux seront au chômage pendant une période d’un à trois ans (Cered 2005). De ce point de vue, le Maroc et l’Algérie ne font pas exception à la règle de la région Mena et se situent dans la moyenne. Dans son rapport 2004 sur le développement des pays d’Afrique du Nord et du MoyenOrient, la Banque mondiale souligne certes que « le fardeau démographique peut devenir un atout […], la croissance de la population active étant amenée à excéder, plus fortement que partout ailleurs, celle de la population économiquement dépendante». Mais elle observe aussitôt que «la dynamique démographique a déjà occasionné une pression sur les marchés du travail parmi les plus fortes observées depuis les lendemains de la Première Guerre mondiale. […] Le chômage touche plus durement les catégories de niveau éducatif intermédiaire ou supérieur». Concernant les personnes diplômées au chômage, le 2008 Mena Development Report de la Banque mondiale stipule que «l’impact sur le développement des progrès éducatifs réalisés dans la région est bien plus limité qu’espéré». Si les jeunes adultes ne sont pas récompensés de leur éducation par une offre de travail, le bonus démographique pourrait n’être qu’un simple mirage. Une autre interprétation du changement démographique offre une vision plus réaliste. Elle reconnait une autre facette dans la baisse dans les taux de fertilité : l’allégement des contraintes familiales pour les nouvelles générations. En raison de leur faible fertilité (prévue), elles n’ont plus de nombreux enfants à charge. En raison de la fécondité élevée de leurs mères, elles ont encore de nombreux frères et sœurs avec qui partager la charge des personnes âgées. Les jeunes adultes supportent donc peu de contraintes familiales. D’un point de vue démographique on assiste, actuellement, au Moyen-Orient à la naissance de l’individu. Pour la première fois, il existe une liberté d’action individuelle. C’est sur cette toile de fond démographique que de jeunes adultes, souvent éduqués, entrent, dégagés des contraintes familiales, sur le marché du travail. La liberté d’action acquise grâce au changement démographique implique toutefois une certaine propension à prendre des risques personnels(16). (16) Cette interprétation va à l’encontre de la « nouvelle économie de migration de maind’œuvre », qui estime que la migration individuelle est un choix opéré par l’ensemble de la famille pour l’un de ses membres, comme assurance contre le risque (Stark, …). 84 iv – prospective – migrations Un afflux plus important de capital humain sur le marché du travail accroît le niveau général de compétences, mais génère aussi plus d’attentes. Le capital humain est capable de progrès mais aussi de protestation. Si les attentes sont déçues, la réponse peut aller de la prise de parole à la fuite. La prise de parole, illustrée par la révolution arabe, intervient alors que la demande de responsabilisation politique et sociale croît au sein de la génération de jeunes adultes, plus éduquée que jamais. Une analyse statistique de la violence politique en Égypte, au début des années 1990, a souligné la forte corrélation entre le développement de l’éducation, la rapidité du déclin de la natalité, la croissance urbaine et l’augmentation d’un extrémisme violent (17). La réponse par la fuite peut prendre la forme de l’émigration. Selon certaines enquêtes, de 25 % à 75 % des jeunes du Moyen-Orient (variable selon les pays) souhaitent ou ont l’intention d’émigrer. Dans la seconde moitié des années 1990, une enquête Eurostat avait déjà relevé cette proportion élevée : 14 % en Égypte, 27 % en Turquie et 20 % au Maroc. Des études plus récentes montrent une amplification du phénomène. La Tunisie, qui affichait avant la révolution une économie florissante mais un processus de démocratisation en panne, constitue un très bon exemple ( TABLEAU 17 ) : en 2006, 76 % (contre 22 % en 1996 et 45 % en 2000) des 15-29 ans déclaraient leur intention d’émigrer. La plupart ne concrétiseront peut-être pas ce rêve, mais il en dit long sur le malaise de la jeunesse de la région Mena. Les schémas futurs de migration ne ressembleront pas à ceux du passé ni même à ceux que l’on connaît actuellement. Les profils familiaux des jeunes migrants de la région Mena se modifient radicalement. Auparavant, les migrants laissaient derrière eux une famille et le fait d’émigrer leur permettait de la nourrir et de l’éduquer. L’envoi d’argent était la principale raison de quitter le pays et le retour au pays faisait souvent partie du projet de migration. Dans l’avenir, les jeunes émigrants n’auront généralement ni femme ni enfant et leur objectif sera plutôt l’accomplissement personnel. les conflits et les guerres vont-ils entraîner une augmentation du nombre de migrants dans les décennies à venir ? Ce fut continuellement le cas au cours des soixante dernières années comme le rappelle la liste non exhaustive ci-dessous (18). (17) Fargues, 1994. (18) Fargues, 2002. 85 TABLEAU 17 Désir d’émigrer chez les jeunes tunisiens (1996-2005) – Pourcentage de jeunes qui déclarent souhaiter émigrer Échantillon national représentatif. Taille : 20 000 en 1996 ; 10 000 en 2000 ; 10 000 en 2005 Sexe Âge Instruction Activité Total Masculin Féminin 15-19 ans 20-24 ans 25-29 ans Illettré Primaire Secondaire Université Employé Sans emploi Étudiant 1996 29 % 14 % 21 % 24 % 23 % 6% 19 % 26 % 24 % 25 % 31 % 26 % 22 % 2000 54 % 37 % 44 % 47 % 45 % 3% 45 % 49 % 46 % 48 % 54 % 48 % 45 % 2005 84 % 66 % 76 % 77 % 74 % 66 % 77 % 77 % 73 % 77 % 85 % 75 % 76 % Source : Fourati, Habib 2008. Consultations de la jeunesse et désir d’émigrer chez les jeunes en Tunisie 1996-2005, Carim. • Le conflit israélo-palestinien (guerres ouvertes de 1948-1949 et de 1967 et guerres de basse intensité au début des années 2000) a provoqué un nombre important de migrations. Directement et localement, ces guerres ont été à l’origine de l’exode palestinien et ont eu un impact indirect sur tout le Moyen-Orient arabe. Le conflit prolongé a servi de prétexte aux régimes arabes autoritaires pour rester au pouvoir. La solidarité revendiquée avec le peuple palestinien et l’état de belligérance avec Israël leur ont offert une ressource stratégique pour légitimer la violence d’État, avec deux conséquences opposées sur la migration : d’un côté, les États ont instauré des obstacles administratifs à l’émigration de leurs citoyens (pendant la période de la Guerre froide) ; de l’autre, la répression politique associée à une mauvaise performance économique a encouragé l’émigration. • La guerre d’octobre 1973, opposant Israël à l’Égypte, a indirectement déclenché une vague massive de migration égyptienne vers la région du Golfe, grâce à l’alliance stratégique entre l’Égypte et l’Arabie saoudite : d’une part, le pétrole est devenu une nouvelle arme de guerre et la forte hausse de son prix a provoqué une augmentation tout aussi forte de la demande de main-d’œuvre importée dans la région du Golfe ; d’autre part, la politique de la porte ouverte du président Sadate a rendu possible l’offre de main-d’œuvre égyptienne. 86 iv – prospective – migrations • La guerre du Golfe de 1990-1991 a provoqué la fuite de trois millions d’immigrants légaux, chassés de leur pays d’accueil. La plupart étaient des citoyens arabes, suspectés de déloyauté du jour au lendemain puisqu’ils détenaient la mauvaise nationalité (en Irak, les migrants égyptiens originaires d’un pays désormais en guerre avec l’Irak ; les Yéménites en Arabie saoudite et les Palestiniens au Koweït, venant tous de pays soutenant l’Irak), mais des centaines de milliers d’entre eux étaient des travailleurs migrants asiatiques fuyant les champs de bataille. • L’invasion américaine en Irak en 2003 a rapidement occasionné le plus grand flux de réfugiés au Moyen-Orient depuis 1948. • D’autres conflits ont également eu un impact sur la migration : la guerre Iran-Irak de 1979-1988 et une myriade de conflits civils, comme au Yémen dans les années 60, au Liban dans les années 70-80, en Algérie dans les années 90 et au Soudan dans les années 90 et 2000. • Plus récemment, les révoltes arabes ont occasionné des flux de réfugiés venus non seulement des pays en transition (Tunisie, Égypte) mais aussi et surtout de Libye du fait de l’intervention de l’Otan et de Syrie en raison de la répression. sans s’aventurer dans une prospective des conflits dans la région Mena, certaines situations périlleuses pourraient provoquer de larges mouvements d’émigration : le conflit israélo-palestinien non résolu ; l’Irak sous occupation étrangère ; les conflits ethniques au Soudan ; les tensions religieuses entre Musulmans et Chrétiens au Soudan, au Liban, en Irak et potentiellement en Égypte ; les tensions religieuses entre Musulmans chiites et sunnites en Irak et au Liban ; les travailleurs migrants exposés aux changements de législation sur l’entrée, le séjour et le travail dans les pays du Conseil de coopération du Golfe et en Libye. La pénurie d’eau potable pourrait devenir une source de graves tensions dans la région Mena, même si personne ne peut prédire que les nations entreront en guerre pour s’approprier l’eau (19) ou que ce type de conflit engendrera une migration. Les eaux du Nil, partagées par dix pays avec des populations en forte croissance, y compris le Soudan (pays riche en pétrole depuis la fin des années 90, avec des plans d’irrigation ambitieux), pourraient bientôt devenir l’objet d’intenses rivalités entre ces pays. Il existe d’autres conflits potentiels ou actuels à propos de l’eau entre la Syrie et la Turquie (fleuve Euphrate), entre Israël et la Jordanie (fleuve Jourdain), entre le Liban et la Syrie (fleuve Oronte). (19) Goldstone 2001. 87 2. Prévoir les futures migrations méditerranéennes Le cadre théorique plusieurs auteurs (20) ont insisté sur le lien entre la transition démographique et la migration massive en provenance des pays de la région Mena, lien également souligné précédemment dans ce chapitre. Notre exercice de prévision consistera donc, d’abord, à clarifier, grâce à une analyse de séries temporelles groupées, le rôle exact des covariables démographiques dans ces flux grandissants de migration massive. La prévision qui va suivre repose sur la possibilité de lier le développement à long terme des migrations avec certaines covariables démographiques. Car si ce lien existe et si, quelques années après, la transition démographique est suivie de migrations massives, ce lien peut être utilisé pour prévoir le développement des futures migrations. La cadre théorique présenté dans les pages suivantes s’écarte, à certains égards, de la conceptualisation traditionnelle des processus de migration. La différence la plus pertinente est l’importance que nous accordons aux chocs démographiques/politiques comme déclencheurs de migration, plutôt qu’aux différentiels de revenu. Tel que nous le comprenons, le différentiel de revenu joue un rôle fondamental dans l’orientation des flux migratoires mais, seul, il ne peut pas être considéré comme une condition suffisante pour l’émigration. D’après notre modèle, on peut plutôt considérer que les processus migratoires se subdivisent en quatre phases différentes : L’origine des flux migratoires. À l’origine de la plupart des cas de migration massive (du moins dans la région euro-méditerranéenne au cours de la période 1950-2010), il existe un choc qui peut être de nature très différente selon les pays : il peut s’agir d’un choc économique, comme dans le cas de la migration en provenance de l’Albanie après la Crise des Pyramides (1997) ; d’un choc causé par la guerre comme les diasporas palestiniennes (1948 et 1967), les guerres de Yougoslavie (1991-1995), la guerre d’Octobre 1973 dont les répercussions politiques ont engendré une émigration massive de l’Égypte, la guerre Iran-Irak (1980-88), la guerre du Golfe de 1990 et la guerre d’Irak de 2003, etc. ; d’un choc politico-institutionnel, tel que le processus de décolonisation (années (20) De Haas, 2007, 2005 ; Fargues 2002 et 2009, 2000, 1986 ; Rashad 2000 ; Courbage 1999. 88 iv – prospective – migrations 50-70), ou la chute du Mur de Berlin (1989). Ces chocs sont faciles à identifier et il y a une relation causale directe avec la montée des flux migratoires. Dans d’autres cas, cependant, les chocs sont moins évidents et il en est de même pour le processus de transition démographique (21). La baisse rapide du taux de mortalité engendre de multiples conséquences qui ne sont pas toujours faciles à identifier, notamment à cause de leur effet à retardement. Dans une économie rurale, la transition démographique va d’abord changer le rapport entre la taille de la population et les terres agricoles disponibles. Ce changement deviendra visible quelques années après le début du déclin de la mortalité, lorsque le nombre plus important de survivants exercera à la fois une pression sur le système traditionnel de transfert de la richesse d’une génération à l’autre (hérédité et dot) et sur le processus de formation d’une famille. À ce stade, deux formes de processus de migration ont généralement lieu : l’urbanisation d’abord et ensuite la migration internationale (22). La plupart des informations nécessaires pour étudier ces processus ne sont pas disponibles. On peut néanmoins essayer d’utiliser une petite série d’indicateurs démographiques afin de tester d’abord l’association à long terme entre la migration et la transition démographique. Pour cette analyse, nous avons sélectionné les indicateurs suivants : densité de population(23), proportion de la population urbaine, taux d’accroissement naturel, croissance urbaine et âge médian. L’orientation des flux migratoires. Une fois que le choc démographique/politique initial a provoqué les conditions de la migration, différents facteurs entrent en jeu, orientant les flux migratoires vers leur destination. Parmi ces facteurs, certaines variables économiques, comme les différentiels de revenu, le taux de chômage, le niveau d’éducation (comme indicateur du capital humain) jouent un rôle fondamental. Cependant, les variables économiques ne sont pas les seuls facteurs en (21) Zelinsky, 1971. (22) Cuberes 2009 ; Dyson 2001. (23) La densité de la population peut être calculée comme le rapport de la population totale sur le territoire national, ou seulement sur une fraction habitable ou arable de ce territoire. Les deux indices varient considérablement sur la côte sud de la Méditerranée où les terres désertiques occupent une large proportion et dans certains cas, la plupart du territoire national. Alors que dans les économies majoritairement rurales ou pastorales c’est la densité des terres habitables qui reflètent la pression de la population, dans les économies modernes diversifiées de la région Mena, la disponibilité de l’espace national a également de l’importance. 89 jeu dans ce processus : d’autres variables sont importantes, par exemple la proximité géographique et culturelle, la présence de liens coloniaux préexistants, ou de communautés de migrants préexistantes dans les régions d’accueil, etc. Selon la théorie économique (24), le taux net de migration est positivement associé au pib par habitant et à un niveau supérieur d’éducation, et négativement associé au chômage. L’auto-renforcement des flux migratoires. Un aspect fondamental des premières communautés de migrants est qu’elles sont souvent capables de s’auto-alimenter par le mécanisme de migration en chaîne (25). Ce phénomène se manifeste généralement en deux étapes : dans une première phase, le stock de migrants existant, essentiellement des jeunes hommes, attirera depuis les régions d’émigration une population ayant les mêmes caractéristiques démographiques. Néanmoins, au fur et à mesure que le temps passe, la capacité d’attraction commence à diminuer et une seconde phase du processus se déroule, pendant laquelle les migrations sont principalement motivées par le regroupement familial. Les caractéristiques démographiques des flux migratoires sont donc plus équilibrées, en ce qui concerne le genre des migrants, pendant cette seconde phase. On peut ainsi théoriser une association négative entre le stock de migrants précédent et le taux net de migration actuel. Le problème est que nous ne disposons d’aucune information concernant les stocks d’émigrants dans le passé. Pour intégrer ce processus dans notre modèle, nous avons donc utilisé comme variable de substitution le rapport entre la population masculine et féminine dans la tranche d’âge 20-49 ans. Fin de l’émigration et transition migratoire. Au fur et à mesure que le temps passe et que la population trouve un nouvel équilibre les flux migratoires commencent à diminuer. Dans les pays où le choc initial a été produit par la transition démographique, la population vieillit et ce vieillissement est dû essentiellement à la baisse de la fécondité. Ce processus de vieillissement a des conséquences sur la migration. La volonté de donner aux enfants plus de chances de promotion sociale (par exemple, en leur permettant d’accéder à des niveaux d’éducation plus élevés) est un facteur déterminant de la baisse de la fécondité. Ce processus de (24) Massey & al. 1993 ; Jennissen 2003 ; Bijak 2006 ; Boeri 2001 ; Venturini 2004. (25) Massey 1993 : 449. 90 iv – prospective – migrations mobilité sociale(26) engendre un manque dans les secteurs inférieurs du marché du travail et donc un pré-requis pour l’attraction de nouveaux immigrants. Les pays passent ainsi de pays d’émigration à pays d’accueil. Premier examen des données la plus grande partie de nos données repose sur la révision 2008 du rapport World Population Prospects publié par la Division de la population des Nations unies (27). Ces données s’étendent sur une période d’un siècle, de 1950 à 2050, et concernent principalement des ensembles nationaux. Pour la sous-période qui va de 1950 à 2010, la Division de la population des Nations unies fournit des estimations sur les principaux indicateurs démographiques concernant le stock et le flux de population avec une périodicité de cinq ans (12 intervalles de temps). Selon la Division de la population des Nations unies, trois procédures différentes ont généralement été suivies pour établir les estimations : • pour les pays développés, les estimations reposent uniquement sur des statistiques officielles produites par les instituts nationaux de statistiques ; • pour les régions moins développées, les estimations se basent fréquemment sur une estimation indirecte et sur des modèles ; • dans certains cas rares, lorsqu’aucune donnée n’est disponible, les estimations sont faites en observant l’évolution démographique de pays qui ont un profil socio-économique similaire. La première stratégie s’applique à tous les pays de la côte nord-méditerranéenne. À l’inverse, la seconde stratégie s’applique à de nombreux pays de la côte sud-méditerranéenne. Au Maghreb et au Machrek, les registres civils existent depuis longtemps (28). Depuis les années 60, la qualité des données collectées s’est beaucoup améliorée et les Nations unies estiment qu’en 2001 le registre de l’état civil de l’Algérie, de l’Égypte, de la Libye et de la Tunisie couvre plus de 90 % de la mortalité totale (29). De plus, la majorité des pays du Maghreb et de la région du Machrek ont effectué entre quatre et six recensements à partir des années 60, avec une périodicité d’environ 10(26) Billari et Dalla Zuanna 2008 : 24. (27) Perspectives de la population mondiale, ndtr. www.un.org/esa/population. (28) Depuis 1840 en Égypte, depuis 1882 en Algérie, depuis 1908 en Tunisie, depuis 1923 en Syrie et depuis 1925 au Maroc (Tabutin et Schooumaker 2005:618). (29) Tabutin et Schooumaker 2005:618. 91 12 ans. Seule la Mauritanie a effectué trois recensements(30), alors que le seul recensement du Liban remonte à 1932. Depuis, le pays n’a réalisé qu’une seule enquête démographique nationale par sondage en 1970. Outre ces données, il existe de nombreuses études sur la fécondité et la santé : à cet égard, le Maroc, l’Égypte et la Jordanie semblent être bien couverts, avec respectivement huit, huit et six enquêtes réalisées depuis les années 70. En résumé, on peut affirmer que depuis les années 60 (à l’exception de la Syrie, du Liban et de la Mauritanie), les estimations des Nations unies sur la région euro-méditerranéenne s’appuient sur des sources de données différentes et fiables. Le rapport World Population Prospects des Nations unies n’indique que le taux net de migration. Cette information a généralement été estimée à partir de la différence entre la croissance totale de la population et son accroissement naturel. Le taux net de migration a été lourdement critiqué au cours des années précédentes (31) mais, malgré cela, il est toujours utilisé pour des travaux de recherche empiriques (32). De notre point de vue, l’utilisation du taux net de migration comme variable dépendante dans une analyse de régression offre trois avantages par rapport à d’autres indicateurs possibles. Premier avantage, cet indice a été estimé à partir d’informations démographiques basiques : la population totale, le nombre de naissances et le nombre de décès. Ces variables de base sont beaucoup moins affectées par les biais systématiques que celles concernant les taux d’émigration, notamment pour la période qui débute à partir des années 70. En effet, toute erreur de mesure commise dans l’estimation de ces trois variables de base affecte l’estimation du taux net de migration, mais ce n’est pas un problème réel dans la mesure où les erreurs de mesure sont indépendantes les unes des autres. Deuxième avantage : le taux net de migration étant estimé par des informations très basiques, des séries temporelles plus longues sont disponibles. Le taux net de migration a enfin un troisième avantage par rapport au stock de migrants puisque lui seul est sensible aux changements à court terme de la migration. Les chocs politiques, comme nous le verrons, peuvent en effet fortement influencer l’analyse de régression et dissimuler des processus fondamentaux en jeu. Les analyses de régression intersectorielles des stocks de migrants ne permettent généralement pas de mesurer les (30) Tabutin et Schooumaker 2004:588 (31) Rogers 1990. (32) Jennissen 2003. 92 iv – prospective – migrations TABLEAU 18 Classification géographique de la région euro-méditerranéenne Sud de l’Europe Balkans Maghreb Machrek Italie, France, Portugal, Espagne Grèce, Albanie Croatie, Serbie Algérie, Mauritanie, Maroc, Tunisie Égypte, Israël, Turquie, République arabe syrienne Source : Giambattista Salinari - Carim effets des crises politiques (les informations sur les stocks et l’occurrence des crises politiques ne sont généralement pas contemporaines et, à un moment donné, les stocks de migrants peuvent résulter de l’effet cumulé de plusieurs crises politiques précédentes). À l’inverse, le taux net de migration permet de mesurer les chocs politiques. Outre les indicateurs démographiques estimés, la Division de la population fournit huit variantes différentes d’indicateurs projetés couvrant la période de 2010 à 2050, toujours avec une périodicité de cinq ans. Les projections de population ont été obtenues à partir de différentes hypothèses sur les tendances possibles de mortalité, fécondité et migration. Parmi ces huit variantes, nous avons choisi celle baptisée variante moyenne que la Division de la population définit comme la plus probable. Pour obtenir des informations sur les variables économiques couvrant la période de 1950 à 2010, nous avons utilisé deux sources différentes : les séries temporelles du pib par habitant tirées de L’Économie Mondiale : Statistiques Historiques (33) de Maddison, alors que l’information concernant la diffusion de l’éducation supérieure est tirée de Barro et Lee (2010) (34). Dans le cas de la Bosnie, de la Croatie et de la Serbie, il manque les données sur le pib par habitant pour la période de 19501985 ; elles ont donc été calculées, en supposant que le taux de croissance dans ces régions était le même que celui de la Yougoslavie pendant la période 1950-1985. Pour notre analyse, nous avons sélectionné les pays les plus pertinents de la zone euro-méditerranéenne dont les données sont disponibles. Les seize principaux pays formant cette zone ont été divisés en quatre régions principales qui ont un timing similaire dans leur processus de transition démographique. Le TABLEAU 18 présente la liste détaillée des macro-régions et des pays. À partir de notre ensemble de pays, nous avons exclu les territoires palestiniens occupés et la Slovénie puisque les (33) www.ggdc.net/maddison. (34) www.cid.harvard.edu/ciddata/ciddata.html. 93 12 Relation entre le taux net de migration (en ordonnées) et l’enseignement supérieur, la croissance urbaine, le PIB par habitant et la proportion de population urbaine (en abscisses) (1950-2010) GRAPHIQUE Les lignes pleines représentent la régression des taux nets de migration sur la variable indépendante. Les lignes en pointillés représentent la régression linéaire des taux nets de migration sur la variable indépendante, excepté la Mauritanie. Les cercles représentent la Mauritanie. Source : Division de la population des Nations unies (2008). données sur le pib par habitant et le niveau d’instruction n’étaient pas disponibles. Nous avons également exclu le Liban à cause, d’une part des chocs politiques et de ses effets sur la migration au cours de la période 1950-2010 et, d’autre part, du manque d’information démographique. Les GRAPHIQUES 12 et 13 présentent une simple analyse bivariable pour la période 1950-2010, utilisant seulement des indicateurs simples. Dans le GRAPHIQUE 12 , nous recherchons une association statistique générale entre le taux net de migration et l’éducation supérieure, la croissance urbaine, le pib par habitant et la proportion de la population urbaine. On observe la forte dispersion des points autour de la tendance : comme le prévoit la théorie économique, le pib par habitant et l’éducation supérieure révèlent une association linéaire positive avec le taux net de migration ; néanmoins, le nuage de points est relativement dispersé autour des valeurs prédites. La proportion de la population urbaine et la crois94 iv – prospective – migrations 13 Relation entre le taux net de migration (en ordonnées) et le stock passé de migrants, la densité, le taux d’accroissement naturel et l’âge médian (en abscisses) (1950-2010) GRAPHIQUE La ligne noire représente la régression des taux nets de migration sur la variable indépendante. Les cercles orange définissent un ensemble d’événements perturbateurs produisant une valeur d’immigration anormale. Les cercles bleus représentent un ensemble d’événements produisant un niveau anormalement bas des taux nets de migration. Source : Division de la population des Nations unies (2008) sance urbaine décrivent une trajectoire complexe. Les graphiques indiquent une relation linéaire claire dans la direction attendue (positive pour la proportion de la population urbaine et négative pour la croissance urbaine) avec seulement un pays, la Mauritanie, qui est clairement en dehors de cette trajectoire linéaire. La Mauritanie affiche les plus faibles proportions de population urbaine et les plus forts taux de croissance urbaine ; ces deux conditions étant associées à des niveaux d’émigration bas. De tous les pays étudiés, la Mauritanie est de loin le pays le plus en retard dans le processus de transition démographique et il est possible que, dans les premières phases d’un tel processus, tous les effets de la transition démographique sur l’émigration soient absorbés par la croissance urbaine. Dans ce cas, la relation entre la population 95 urbaine et la croissance urbaine et l’émigration pourrait ne pas être linéaire. Dans le second volet des graphiques (GRAPHIQUE 13 ), nous recherchons une association statistique entre le taux net de migration et le stock passé de migrants, l’âge médian, le taux d’accroissement naturel et la densité de la population. Toutes les relations entre ce second groupe de variables et les taux nets de migration ont le signe attendu. Néanmoins, un ensemble de différents événements politiques semble masquer en partie la force réelle de ces relations. D’un côté, on a un ensemble d’événements perturbateurs qui produit une valeur d’immigration anormale (cercles oranges) : les vagues de migrants dirigées vers Israël, les réfugiés des guerres d’Irak dirigés vers la Syrie et la régularisation des migrants au Portugal, en Espagne et en Italie. De l’autre côté, on a un ensemble différent d’événements qui produit un niveau anormalement bas du taux net de migration (c’est-à-dire, un taux d’émigration élevé : cercles bleus) : processus de décolonisation en Algérie et en Tunisie, perte des colonies par le Portugal, guerre de Yougoslavie et chute du régime communiste en Albanie. Ces chocs politiques difficultent la détection des effets du processus de transition démographique sur la migration internationale. Trois faits majeurs émergent donc à la fin de ce premier examen des données historiques des Nations unies sur la migration dans la région euro-méditerranéenne : • L’importance des crises politiques comme déclencheur de flux migratoires internationaux. • L’effet opposé des crises sur les pays directement affectés et sur leurs voisins. • La nécessité d’identifier les chocs politiques et économiques pour définir la relation à long terme entre la transition démographique et les flux de migration massive. Construire le modèle nous présentons ici une analyse plus détaillée du rôle joué par les chocs politiques, la transition démographique, les chaines migratoires et les variables économiques dans la montée de vagues de migration de masse dans la région méditerranéenne au cours de la période 19652019. Nous nous appuierons sur des analyses de séries temporelles groupées en tant qu’outil analytique pour distinguer les effets de ces différents processus sur la migration. Après avoir distingué les compo96 iv – prospective – migrations TABLEAU 19 Liste des chocs politiques Choc économique/politique Choc pétrolier Mur de Berlin Guerre de Yougoslavie Anarchie en Albanie Guerre du Golfe 1 Guerre du Golfe 2 Décolonisation Régularisation 1 Régularisation 2 Période 1970-1979 1990-1999 1990-1994 1995-1999 1990-1994 2000-2009 1965-1969 1995-1999 2000-2004 Régions impliquées Machrek, Sud de l’Europe Balkans, Sud de l’Europe, Israël Balkans ; Sud de l’Europe Balkans ; Sud de l’Europe Machrek ; Maghreb Machrek ; Maghreb Sud de l’Europe, Machrek ; Maghreb Sud de l’Europe Sud de l’Europe Source : Giambattista Salinari – Carim, 2010. santes des processus migratoires, les coefficients de régression estimés seront appliqués aux séries projetées de nos variables afin d’estimer les taux nets de migration pour la région méditerranéenne au cours de la période 2010-2030. La partie la plus sensible de l’analyse a consisté à identifier les événements politiques ayant un effet sur les taux nets de migration. Dans le TABLEAU 19 , on trouve la liste des chocs politiques dont nous avons tenu compte dans notre analyse, avec la zone pouvant être concernée par leurs effets directs ou indirects. Pour identifier les pays influencés significativement par les effets des dits événements politiques, nous avons élaboré, de façon préliminaire, deux ensembles de variables indicatrices (dummy) : un pour chacun des seize pays et les quatre macro-régions cités dans le TABLEAU 18 et un pour chacun des neuf chocs politiques principaux présentés dans le TABLEAU 19 . L’interaction entre ces deux ensembles nous permet de mesurer l’impact exercé par une crise politique sur un pays donné (ou sur une macro-région). Pour vérifier la signification statistique des chocs politiques sur le taux net de migration d’un pays donné, nous avons ensuite effectué une régression pas à pas (qui n’est pas montrée ici). La régression pas à pas a sélectionné dix-sept configurations historiques (pays + choc) dans lesquelles un choc politique a exercé un effet statistiquement important sur la migration. La liste de ces configurations historiques peut être consultée dans la section des variables indicatrices du TABLEAU 20 . Après avoir identifié les chocs politiques les plus importants au cours de la période 1965-2010, nous avons établi quatre analyses différentes 97 TABLEAU 20 Analyse de régression : taux nets de migration dans la région euro-méditerranéenne (1965-2010) Modèle 1 Pas de chocs Modèle 2 Avec chocs Variables Valeur Pr(>|t|) Valeur Pr(>|t|) Valeur Pr(>|t|) Valeur Pr(>|t|) (Intercept) 34,20 0,43 48,03 0,02 48,91 0,03 46,92 0,03 Croissance urbaine -60,05 (Croissance urbaine)2 25,52 PIB par habitant 0,00 Éducation supérieure 0,21 Stock d’émigrants -1,29 Densité -0,02 Âge médian -0,04 0,42 0,41 0,00 0,01 0,88 0,06 0,53 -63,43 26,17 0,00 -0,04 -14,00 -0,02 0,15 0,07 0,07 0,02 0,47 0,00 0,00 0,00 -65,48 27,03 0,00 -0,03 -13,72 -0,02 0,15 0,07 0,08 0,04 0,56 0,00 0,00 0,00 -61,32 25,33 0,00 -0,04 -13,95 -0,02 0,14 0,09 0,09 0,05 0,53 0,00 0,00 0,06 – – – – – – – – – – – – – – – – – – 6,04 -14,75 -5,76 10,76 -2,33 7,20 6,52 1,83 9,17 4,10 3,23 21,54 -16,53 14,55 -6,97 9,14 4,52 6,65 0,00 0,00 0,00 0,00 0,08 0,00 0,00 0,38 0,00 0,04 0,10 0,00 0,00 0,00 0,00 0,00 0,02 0,00 6,08 -14,72 -5,63 11,12 -2,30 6,55 6,37 1,14 9,35 4,23 3,32 21,15 -16,16 14,05 -7,26 8,86 4,25 6,79 0,00 0,00 0,00 0,00 0,10 0,00 0,00 0,58 0,00 0,03 0,09 0,00 0,00 0,00 0,00 0,00 0,04 0,00 5,81 -14,91 -5,61 10,73 -2,34 7,28 6,46 1,97 9,22 4,06 3,20 21,52 -16,47 14,48 -6,83 9,16 4,50 6,54 0,00 0,00 0,00 0,00 0,08 0,00 0,00 0,37 0,00 0,04 0,10 0,00 0,00 0,00 0,00 0,00 0,03 0,00 Israël Albanie : Mur de Berlin Balkans : Mur de Berlin Croatie : Guerre de Yougos. Égypte : choc pétrolier Grèce : Guerre de Yougos. Israël : Mur de Berlin Israël : Diasp Palest.2 Israël : Guerre du Golfe 1 Italie : Régul. 1 Italie : Régul. 2 Portugal : choc pétrolier Portugal : guerre froide Serbie : Guerre de Yougos. Serbie : Régul. 1 Espagne : Régul. 1 Espagne : Régul. 2 Syrie : Guerre du Golfe 2 AR(1) R2 ajusté Stat. Durbin Watson – – – – – – – – – – – – – – – – – – – 0,27 1,44 Source : Giambattista Salinari – Carim, 2010 98 – 0,85 1,82 Modèle 3 Modèle 4 Chocs et Variable inscorrection AR(1) trumentale e0 0,12 – 2,01 – – 2,00 iv – prospective – migrations de séries temporelles groupées. Comme analyse préliminaire, nous avons réalisé une analyse de régression ordinaire sans prendre en compte les effets des chocs politiques. Le résultat a donné un mauvais ajustement du modèle (R 2 ajusté = 0,27). Les seules variables significatives sont le pib par habitant, la proportion de la population avec l’éducation supérieure et la densité de la population. On a ensuite réalisé une seconde régression, mesurant aussi les crises politiques. Cette fois-ci, l’ajustement du modèle s’améliore grandement (R 2 ajusté = 0,85), et tout notre ensemble de variables économiques et démographiques devient statistiquement important à la seule exception de l’éducation supérieure. Néanmoins, le test de Durbin Watson identifie une importante autocorrélation dans ce modèle. Nous avons ensuite réalisé notre troisième modèle mesurant cette fois les effets des chocs politiques et la présence d’autocorrélation. Le résultat de cette opération confirme largement les résultats obtenus avec le second modèle. Enfin, puisqu’il pourrait exister une relation de causalité inverse entre le taux net de migration et l’âge médian, nous avons introduit une variable instrumentale dans notre modèle de base (modèle 2). Nous avons choisi l’espérance de vie à la naissance (e0) comme instrument pour notre estimation par les moindres carrés en deux étapes, supposant que l’effet de cette variable sur la migration nette est entièrement capturé par l’âge médian et que e0 n’est pas influencée par le taux net de migration. Le coefficient estimé pour l’âge médian dans la régression en deux étapes (modèle 4) est plus petit que celui estimé lors d’une régression linéaire ordinaire (modèle 2), mais la différence entre les deux coefficients n’est pas importante statistiquement. Cela signifie qu’une relation de causalité inverse a un effet léger et probablement insignifiant sur l’âge médian. L’exclusion de l’éducation supérieure de l’ensemble des déterminants majeurs de la migration est probablement un des résultats les plus frappants de notre analyse. Mais ce fait peut en partie être justifié. La théorie économique affirme que le niveau d’éducation est un indicateur du capital humain et prévoit une association positive de cette variable avec le taux net de migration(35). Néanmoins, les niveaux supérieurs d’éducation sont connus pour être associés négativement avec le taux net de migration dans plusieurs pays (au Maroc ou en Tunisie par exemple), où les gouvernements ont beaucoup investi dernière(35) Jennissen 2004 : 174. 99 ment dans l’éducation secondaire et supérieure. Ces investissements ont augmenté le nombre de jeunes gens qui ont un haut niveau d’éducation sans pour autant transformer la structure économique et le régime politique de ces pays. On tend donc à associer les jeunes ayant un haut niveau d’éducation à des taux élevés de chômage et d’émigration (36). Il est possible que ces deux formes opposées de connexion entre l’éducation et le taux net de migration (la plus générale prévue par la théorie économique et la plus locale rencontrée dans des pays comme le Maroc et la Tunisie) soient toutes les deux en jeu dans nos données. Ces deux tendances opposées pourraient se combiner pour produire ce manque d’association statistique entre l’éducation et la migration. Afin de décrire la relation non linéaire entre la croissance urbaine et la migration internationale, nous avons utilisé une équation polynomiale de second ordre dont les coefficients sont tous les deux significatifs à un seuil de 10 %. Ce fait semble confirmer notre discussion précédente au sujet de la Mauritanie. La migration internationale ne semble pas très répandue en cas de niveau très élevé de croissance urbaine et dans le contexte du début du processus de transition. Le stock de migrants dans le passé et l’âge médian révèlent une association négative significative avec le taux net de migration. Comme nous l’avons expliqué dans la partie théorique de ce rapport, l’âge médian est l’une des variables les plus influencées par la transition démographique car il résulte de l’effet combiné de l’évolution passée des taux de fécondité et de mortalité. Enfin, la densité de population présente une association négative significative avec le taux net de migration. Il faut noter que la densité de population n’a pas, en général, de relation directe avec la pression démographique sur la terre – et donc avec la pression migratoire – comme on pourrait le penser intuitivement. En effet, la proportion de terrain habitable varie grandement entre les pays et est exceptionnellement basse dans la plupart des pays de la côte sud de la Méditerranée, où une grande partie du territoire est désertique. L’Égypte, par exemple, a une densité de population de 74 habitants par kilomètre carré de territoire national en 2005, mais étant donné que 95 % de son territoire est constitué par le Sahara et donc inhabitable, la densité réelle de la population est de 1 748 habitants par kilomètre carré de terrain non désertique, c’est-àdire, une des plus fortes pressions démographiques du monde sur les (36) Fargues 2009 : 14. 100 iv – prospective – migrations terres habitables. La densité de population utilisée dans le modèle reflète donc la disponibilité de l’espace national par habitant qui peut grandement différer de la disponibilité de l’espace économiquement utile. Le fait que la densité de population présente une association négative significative avec le taux net de migration implique néanmoins que, toute chose égale par ailleurs, plus la densité est élevée, plus le taux net de migration est bas (et donc plus les flux d’émigration sont élevés). Il est donc important de remarquer que le lien entre la densité et le taux net de migration a désormais le signe opposé si on le compare avec le type d’association montré dans la précédente analyse bivariable (GRAPHIQUE 13 ). C’est probablement une conséquence du fait que, dans cette analyse, nous mesurons d’autres covariables comme l’âge médian, le pib par habitant, le taux de croissance urbaine, etc. Grâce à ce fait, nous sommes maintenant capables d’analyser la relation entre la densité et la migration nette au sein de chacun des deux groupes de population de transition et post transition (côte nord/sud). Les résultats obtenus dans le cadre de l’analyse de régression peuvent donc être simplifiés et nous font dire qu’une population de transition, caractérisée par une plus forte densité, présente un taux d’émigration plus élevé qu’une population de transition caractérisée par une densité plus faible. En d’autres termes, la présente analyse de régression permet de mesurer, du moins partiellement, les différentes proportions de terrain habitable caractérisant les côtes nord et sud de la Méditerranée. Au contraire, l’analyse bivariable s’est concentrée sur les différentes caractéristiques existant entre la population de transition de la côte sud de la Méditerranée (avec des densités de population qui augmentent mais demeurent faibles, de larges zones de terres arides et une migration nette négative) et la population post transition au Nord (avec un niveau de densité de population stationnaire mais élevé et une migration nette positive). La densité de population dans le présent modèle n’est pas très importante : si on omet cette variable, il n’en résulte qu’une faible baisse de la variance totale expliquée (de 85 à 84 %). Si l’on remplace la densité de population par le rapport entre la population et les terres arables, il en résulte une perte de signification du coefficient (ces calculs ne sont pas montrés ici). Nous pouvons donc affirmer que le lien entre le taux net de migration d’un côté, et la croissance urbaine, l’âge médian et la densité de population de l’autre, confirme le rôle majeur de la transition démographique en tant que déclencheur de flux migratoires internationaux. 101 Trois scénarios de migration nette en 2030 notre exercice de projection repose sur l’idée qu’il y a un lien à long terme entre la transition démographique et la migration. Étant donnée notre faible compréhension de la migration, aucune prévision à un horizon de vingt ans ne serait possible sans ce lien à long terme, puisque les autres processus qui influencent la migration sont trop instables. Les variables démographiques présentent deux avantages majeurs qui peuvent être exploités pour établir nos prévisions. Tout d’abord, les phénomènes démographiques (particulièrement la structure par âge) évoluent plus lentement que les autres variables qui sont plus liées à des dynamiques cycliques. Ensuite, de nombreuses caractéristiques des populations méditerranéennes en 2030 dépendront strictement de celles des populations méditerranéennes actuelles. Pour ces raisons, nous avons décidé d’exploiter les perspectives de la population des Nations unies comme point de départ pour notre exercice de projection. Nous fondons donc notre prévision sur deux hypothèses solides : • le lien identifié entre la transition démographique et la migration durera pendant les vingt prochaines années ; • les perspectives de la population des Nations unies parviennent à saisir les principales caractéristiques de la future démographie de la région méditerranéenne. Il est important de noter qu’établir l’évolution de la population d’un pays dans une phase précoce de transition démographique est bien plus risqué que de projeter l’évolution future d’une population qui a déjà atteint les dernières phases de ce processus. Pour cette raison, nous pouvons affirmer que les résultats concernant le Nord de la Méditerranée sont probablement plus fiables que ceux concernant la côte sud. Afin de tenir également compte des effets des variables économiques (pib par habitant et niveaux d’éducation), nous avons intégré les projections des Nations unies avec deux ensembles d’informations. En ce qui concerne le capital humain, nous avons utilisé les projections jusqu’à 2030 réalisées par KC & al. (2010) (37). Pour établir les futures séries de pib par habitant, nous avons dû, au contraire, élaborer différents scénarios avec l’aide d’une simple extrapolation des séries temporelles de Maddison. Nous avons d’abord supposé que l’effet de la crise économique actuelle a réduit le pib par habitant en 2010 au même (37) Les données sont disponibles sur www.iiasa.ac.at/Research/POP/edu07/index.html. 102 iv – prospective – migrations niveau que celui enregistré en 2005 dans tous les pays méditerranéens. De 2010 à 2030, nous avons ensuite supposé trois trajectoires de croissance différentes : • une trajectoire moyenne dans laquelle la croissance suit exactement le taux de croissance moyen enregistré au long de la période 1965-2010 ; • une trajectoire basse dans laquelle la croissance moyenne est réduite à la moitié de celle enregistrée au long de la période 1965-2010 ; • une trajectoire haute pendant laquelle la croissance est supposée être une fois et demi supérieure à celle de la période 1965-2010. les résultats sont présentés dans les GRAPHIQUES 14 à 17 . Dans chacun de ces graphiques, la ligne bleue représente les séries temporelles initiales des Nations unies pour les taux nets de migration. À l’inverse, la ligne rouge décrit les valeurs théoriques des taux nets de migration prédites par notre modèle 2 (voir le TABLEAU 20 ). La ligne verticale, en pointillés dans les graphiques, indique la limite entre les taux nets de migration estimés par les Nations unies et ceux projetés. Ainsi, il est possible de comparer notre prévision avec les scénarios que les Nations unies supposent les plus probables pour les futurs taux nets de migration. Il nous semble que, dans de nombreux cas, les scénarios des Nations unies ont été élaborés en prolongeant dans le futur les dernières valeurs connues des séries. Cette stratégie semble avoir été adoptée dans huit pays sur seize. Dans les huit autres cas, la stratégie a consisté à prolonger non pas les toutes dernières valeurs des séries, mais certaines valeurs antérieures. Cette seconde stratégie semble intervenir lorsque certains événements politiques majeurs perturbent les dernières valeurs des séries. Par conséquent, notre échantillon comporte un seul cas, celui de la Syrie, où le taux net de migration passe d’une valeur positive à une valeur négative, alors qu’on ne rencontre aucun cas de transition d’une valeur négative à une valeur positive. Il semble donc que les experts des Nations unies n’aient pas pris en compte le phénomène de transition migratoire dans l’élaboration de leurs scénarios pour la région méditerranéenne. D’après notre modèle, au contraire, cinq pays (la Croatie, la Serbie, la Turquie, la Tunisie et l’Algérie) se transformeront, pendant la transition démographique, de pays d’émigration en pays d’accueil au cours de la période 2010-2030. Ces pays afficheront une valeur moyenne du taux net de migration autour de + 2,5 ‰ en 2030. Les différentes hypothèses présentées sur l’évolution du pib par habitant ne semblent pas affecter 103 14 Projections du taux net de migration (en ordonnées) en Europe méditerranéenne (1965-2030) GRAPHIQUE 15 Italie 15 10 10 5 5 0 0 -5 1970 1990 2010 2030 Portugal -5 15 10 1970 1990 2010 2030 France 10 0 5 - 10 0 -20 Espagne -5 1970 1990 2010 2030 1970 1990 2010 2030 Source : Giambattista Salinari – Carim, 2010 15 Projections du taux net de migration (en ordonnées) dans les Balkans (1965-2030) GRAPHIQUE 10 Albanie 10 0 5 - 10 0 - 20 -5 - 30 10 1970 1990 2010 2030 Serbie - 10 10 5 5 0 0 -5 -5 - 10 1970 1990 2010 2030 - 10 Croatie 1970 1990 2010 2030 Grèce Source : Giambattista Salinari – Carim, 2010 1970 1990 2010 2030 La ligne bleue représente les séries temporelles initiales des Nations unies pour les taux nets de migration. La ligne rouge décrit les valeurs théoriques des taux nets de migration prédites par notre modèle 2 (TABLEAU 20). La ligne verticale en pointillés, indique la limite entre les taux nets de migration estimés par les Nations unies et ceux projetés. 104 iv – prospective – migrations GRAPHIQUE 16 Projections du taux net de migration (en ordonnées) au Machrek (1965-2030) 10 Égypte 10 5 5 0 0 -5 20 1970 1990 2010 2030 Israël -5 10 10 5 0 0 - 10 -5 1970 GRAPHIQUE 1990 2010 2030 Syrie 1970 1990 2010 2030 Turquie 1970 1990 2010 2030 Source : Giambattista Salinari – Carim, 2010 17 Projections du taux net de migration (en ordonnées) au Maghreb (1965-2030) 5 Mauritanie 5 0 0 -5 -5 -10 5 -10 1970 1990 2010 2030 Algérie 5 0 0 -5 -5 -10 1970 1990 2010 2030 -10 Maroc 1970 1990 2010 2030 Tunisie Source : Giambattista Salinari – Carim, 2010 1970 1990 2010 2030 La ligne bleue représente les séries temporelles initiales des Nations unies pour les taux nets de migration. La ligne rouge décrit les valeurs théoriques des taux nets de migration prédites par notre modèle 2 (TABLEAU 20). La ligne verticale en pointillés, indique la limite entre les taux nets de migration estimés par les Nations unies et ceux projetés. 105 fortement le moment de la transition migratoire dans ces pays. Ce fait confirme que le modèle est plus sensible (du moins dans les premières phases de la transition migratoire) aux changements survenant dans le groupe des variables démographiques qu’à ceux de l’ensemble des variables économiques. La Tunisie, pour laquelle notre modèle prévoit la transition migratoire la plus spectaculaire, est aussi, parmi les pays d’Afrique du Nord, celui qui se trouve dans la phase la plus avancée de transition démographique (en 2005, le taux net de reproduction était de 0,87, d’après les estimations des Nations unies). Au Maghreb, les deux autres pays (l’Algérie et la Tunisie) subissant la transition migratoire (d’après le modèle) sont ceux qui associent la plus forte proportion de population urbaine, l’âge moyen le plus élevé et le taux net de reproduction le plus bas. De plus, en 2005, l’Égypte, le Maroc et l’Algérie ont presque le même pib par habitant (respectivement 3 200, 3 103, 3 374 1990gk$ (38) en 2005). Mais seule l’Algérie est supposée subir une transition migratoire. Le pib par habitant de la Syrie est plus élevé (environ 7 767 1990gk$) que celui de l’Algérie et de la Tunisie mais notre modèle prévoit une migration nette légèrement négative pour la période 2010-2030. Pour identifier le rôle de l’âge médian (et donc celui de la transition démographique) dans le processus de transition migratoire, nous avons eu recours à une analyse contradictoire. Dans ce contexte, nous avons supposé que, pour la période 2010-2030, l’âge médian de tout le Maghreb se maintient à l’âge médian du Maroc en 2005 (24 ans). Les résultats de cette simulation sont présentés dans le GRAPHIQUE 18 . La transition migratoire de l’Algérie et de la Tunisie disparaît simplement de nos séries. Le modèle interprète donc l’âge médian comme le déterminant fondamental de la transition migratoire. D’après le modèle, deux pays nord-africains importants, le Maroc et l’Égypte, ne subiront pas de transition migratoire au cours de la période 2010-2030. Les tendances des séries de migration nette de ces deux pays sont néanmoins assez différentes. Dans le cas du Maroc, la tendance des taux nets de migration est positive et montre une orientation vers des valeurs moins négatives. Dans le cas de l’Égypte, on ne discerne aucune tendance positive de la sorte et on prévoit que les taux nets de migration vont demeurer négatifs pendant la période 20102030. Pour étudier les causes de l’absence de transition migratoire dans (38) Les données sont tirées de Maddison (2010) et son exprimées en dollars GearyKhamis de 1990. 106 iv – prospective – migrations GRAPHIQUE 18 Analyse contradictoire pour le Maghreb (1965-2030) Taux net de migration en ordonnées 5 Mauritanie 5 0 0 -5 -5 -10 5 1970 1990 2010 2030 Algérie -10 5 0 0 -5 -5 -10 1970 1990 2010 2030 -10 Maroc 1970 1990 2010 2030 Tunisie 1970 1990 2010 2030 Source : Giambattista Salinari – Carim, 2010 La ligne bleue fait référence aux séries chronologiques originales des Nations Unies sur les taux nets de migration. La ligne rouge décrit les valeurs théoriques des taux nets de migration prédites selon le modèle 2, dans l’hypothèse où l’âge médian du Maroc en 2005 (24 ans) se maintient dans tout le Maghreb au cours de la période 2010-2030. ces deux pays, nous avons effectué une nouvelle analyse contradictoire et nous avons trouvé diverses causes empêchant la transition migratoire au Maroc et en Égypte. En Égypte, l’absence de transition migratoire se justifie presque entièrement, d’après le modèle, par les faibles niveaux d’urbanisation. Dans notre analyse contradictoire, nous avons en fait supposé que l’Égypte subit la même croissance urbaine que la Tunisie (qui selon notre modèle subit une transition migratoire au cours de la période 2010-2030). Ce seul changement (voir le GRAPHIQUE 19 ) produit une bosse spectaculaire dans la série de taux nets de migration prévue. Dans le cas du Maroc, les raisons qui expliquent l’absence de transition migratoire sont plus complexes. En fait, dans notre analyse contradictoire, aucune des variables du modèle prise à part ne peut entièrement justifier l’absence de transition migratoire. Pour vérifier ce fait, nous avons procédé par une substitution systématique des différentes séries de la Tunisie (pib par habitant, croissance urbaine, densité, etc.) dans l’ensemble de données du Maroc. Les variables ayant produit les plus grands effets sur les taux nets de migration du Maroc sont nos 107 19 Analyse contradictoire pour l’Égypte et le Maroc (1965-2030) Taux net de migration en ordonnées GRAPHIQUE Égypte Maroc 5 0 0 -5 -5 Source : Giambattista Salinari – Carim, 2010 - 10 1970 1990 2010 2030 1970 1990 2010 2030 La ligne bleue fait référence aux séries chronologiques originales des Nations Unies sur les taux nets de migration. Dans le cas de l’Égypte, la ligne rouge décrit les valeurs théoriques des taux nets de migration prédites selon le modèle 2, dans l’hypothèse où l’évolution urbaine en Égypte est la même qu’en Tunisie. Dans le cas du Maroc, la ligne rouge décrit les valeurs théoriques des taux nets de migration prédites, dans l’hypothèse où le Maroc a la même structure d’âge et le même stock de migrants que la Tunisie. variables de substitution pour les stocks passés de migrants et l’âge médian. Mais aucune de ces deux variables prise à part n’a produit une transition des taux nets de migration négatifs à des taux positifs. À l’inverse, si on suppose que l’évolution de l’âge médian et le stock total de migrants au Maroc sont tous deux égaux à ceux de la Tunisie, la transition migratoire apparaît subitement (voir le GRAPHIQUE 19 ). L’importante expérience migratoire du Maroc dans le passé nous semble être l’élément fondamental qui entrave le processus de transition migratoire, même si une augmentation plus lente de l’âge médian et potentiellement du pib par habitant, respectivement à ceux de la Tunisie, semble aussi jouer un rôle dans le processus. Pour la côte nord de la région méditerranéenne, la prévision du modèle est relativement différente de la projection de la Division de la population des Nations unies. Dans ce scénario, on s’attend à des taux nets de migration autour de + 2,5 ‰ en Grèce, en Italie, en France et en Espagne. Notre prévision pour 2030 prévoit plutôt une valeur généralement supérieure à 5 ‰. De plus, dans le scénario élaboré par la Division de la population, l’évolution du taux net de migration présente une tendance stationnaire, alors que notre prévision montre une tendance positive avec des taux nets de migration de plus en plus importants au fur et à mesure que le temps passe. Pour expliquer pourquoi le modèle prévoit une croissance continue des taux nets de migration dans le cas des pays européens du bassin méditerranéen, nous avons eu de nouveau recours à une analyse contradictoire. Nous avons supposé que, pour la 108 iv – prospective – migrations 20 Analyse contradictoire pour l’Europe méditerranéenne (1965-2030) Taux net de migration en ordonnées GRAPHIQUE 15 Italie 15 10 10 5 5 0 0 -5 10 1970 1990 2010 2030 Portugal -5 15 Espagne 1970 1990 2010 2030 France 10 0 5 - 10 - 20 Source : Giambattista Salinari – Carim, 2010 0 1970 1990 2010 2030 -5 1970 1990 2010 2030 La ligne bleue fait référence aux séries chronologiques originales des Nations Unies sur les taux nets de migration. La ligne rouge décrit les valeurs théoriques des taux nets de migration prédites selon le modèle 2, dans l’hypothèse où le Sud de l’Europe maintient le même PIB par habitant et le même âge médian au cours de la période 2010-2030 que l’Espagne en 2005. période 2010-2030, tous les pays européens méditerranéens ont le même pib par habitant et le même âge médian que l’Espagne en 2005. Le résultat obtenu est qu’aucune de ces deux variables prise à part n’est capable d’expliquer entièrement la croissance des taux nets de migration. À l’inverse, la croissance des taux nets de migration prévue par le modèle disparaît lorsque le pib par habitant et l’âge médian sont maintenus simultanément aux mêmes niveaux qu’en 2005 (voir le GRAPHIQUE 20 ). D’après le modèle, la dynamique des taux nets de migration dans les pays européens méditerranéens est déterminée par une combinaison de facteurs économiques et démographiques. On peut également confirmer ce fait en observant le plus grand impact exercé par nos différentes hypothèses concernant le futur taux de croissance économique sur le taux net de migration futur. 109 Conclusion nous avons essayé d’identifier certains liens à long terme entre la transition démographique et les vagues de migration, et d’utiliser ces liens pour élaborer des scénarios à propos de l’évolution future de la migration dans la région méditerranéenne jusqu’à 2030. Les variables que nous avons utilisées pour tester le lien entre la dynamique de la population et la migration sont inévitablement trop simples pour représenter l’ensemble des interactions entre ces processus. Néanmoins, toutes les variables que nous pensions liées à ce processus (urbanisation, âge médian et densité de population) ont effectivement donné des résultats associés à la migration, même après avoir corrigé nos résultats pour le biais introduit par l’autocorrélation et le caractère endogène. Puisque notre analyse a confirmé l’existence d’une association à long terme entre la transition démographique et la migration, nous sommes passés à l’élaboration de notre prévision. La photographie générale dessinée par notre modèle a montré que plusieurs pays de la côte sud subissent une transition migratoire, à l’exception de l’Égypte et du Maroc. Sur la côte nord, notre modèle prévoit, tout au long de la période 2010-2030, une tendance positive des taux nets de migration en réponse au vieillissement de la population et à la croissance économique. Les conclusions que nous pouvons tirer de notre exercice prospectif sont qu’à de rares mais importantes exceptions, la région méditerranéenne va assister au cours des vingt prochaines années à une persistance, mais aussi à une réduction, de l’asymétrie migratoire entre les côtes nord et sud. Une question majeure demeure cependant sans réponse. Si l’immigration doit se poursuivre dans le Nord (Europe), d’où va-t-elle provenir ? Et si l’émigration doit se poursuivre dans le Sud (région Mena), vers quels pays ira-t-elle ? Y aura-t-il un schéma dominant de migration du Sud vers le Nord à travers la Méditerranée ou bien l’Europe d’un côté, et la région Mena de l’autre, seront-elles liées à différentes parties du monde par la migration ? Prévoir la migration à l’échelle d’un pays ne permet pas d’obtenir des informations sur les dynamiques régionales et ce que sera la migration en Méditerranée dépend aussi, et peutêtre surtout, des développements politiques à l’échelle méditerranéenne dont on ne tient pas compte dans la projection. 110 iv – prospective – migrations RÉFÉRENCES CITÉES Assaad, R. and Farazneh R.-F. (2007). Youth in the Middle East and North Africa: Demographic opportunity or challenge? Population Reference Bureau, www.prb.org/pdf07/YouthinMena.pdf Barro J. R. and Lee J.-W. (2010). A New data set of educational attainment in the world, 1950-2010. National Bureau of Economic Research n. 15910. 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Ce chapitre est organisé en trois parties : • la nature de la question énergétique : un défi global au cœur des enjeux de développement de la Méditerrané ; • la situation actuelle du secteur. Énergie, environnement et coopération : un champ de réflexion nouveau et pour la première fois global ; • les perspectives énergétiques à l’horizon 2030 en fonction d’évolutions clés dans les relations euro-méditerranéennes telles que définies dans le cadre des trois scénarios du présent rapport Med2030. Les données énergétiques ci-après ont été fournies par l’Observatoire Méditerranéen de l’Énergie (ome) sur la base des données préliminaires de son MEP2011 et autres publications internes(1). De même, les données 2030 sont le résultat de l’application des scénarios Med2030 au modèle prospectif de l’ome. * Directrice Stratégie à l’ome. (1) Mediterranean Energy Perspectives (mep). mep 2011 avec les scénarios de l’ome. Pour plus d’informations sur le modèle et le mep (www.ome.org). 115 1. Un défi global au cœur des enjeux de développement l’énergie se situe au centre des grandes problématiques politiques de la région : la sécurité des approvisionnements, la compétitivité économique, la performance environnementale. Elle exerce également une influence en matière de justice redistributive, via notamment la question de la rente et de sa distribution. Par ailleurs, de tous les secteurs économiques, c’est celui où la question des investissements se pose avec le plus d’urgence. À cause de sa structure technologique demandant des coûts fixes importants, ce secteur est lourdement capitalistique par nature. Si on ajoute à cela une demande croissante et un accès aux ressources toujours plus difficile, on arrive à des montants colossaux. L’enjeu est donc de taille. Si les investissements nécessaires ne sont pas réalisés, la sécurité des approvisionnements, la croissance de l’économie régionale et l’intégrité environnementale sont en jeu. La récession économique et la crise conjoncturelle qui menacent sérieusement de limiter la croissance ne changent rien à ce constat. Notre modèle de croissance du xxe siècle, celui d’une croissance infinie, incompatible avec la quantité de ressources disponibles en sol, en eau, en énergie est donc parti en vrille. Les rapports du Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) sont de plus en plus alarmistes et le dernier rapport de l’Agence internationale de l’énergie montre très clairement que l’objectif de limiter à 2,5°C l’augmentation de la température à la fin du xxie siècle est, de fait, impossible à atteindre. Nous sommes partis sur une hausse de 5°C, voire 6°C si nous ne changeons rien ! La crise écologique, mesurée notamment par l’empreinte écologique, établit très clairement que l’humanité vit au-dessus de ses moyens naturels. Sur le long terme, la question des réserves des hydrocarbures (même si elle est reléguée aujourd’hui au second plan du fait de la crise économique), celle des matières premières et le manque d’eau traduisent un modèle insupportable sur la durée. Cette caractéristique non soutenable est aggravée par la croissance des inégalités. On est dans une crise systémique. Le mythe de la main invisible et de l’allocation optimale des ressources par le marché dérégulé s’est effondré. La Méditerranée est tout à fait concernée par l’ensemble de ces préoccupations et défis majeurs. 116 v – prospective – énergie 2. Énergie, environnement et coopération : un champ de réflexion nouveau et pour la première fois global la méditerranée apparaît aujourd’hui comme un espace mal partagé entre les pays européens et les autres, déchiré entre les chances d’une intégration régionale et le risque latent de fractures économiques et culturelles préjudiciables à ses riverains. Elle est un miroir des inégalités Nord-Sud où la maîtrise des ressources naturelles, en particulier l’eau, l’énergie et la protection de l’environnement, sont devenues un enjeu vital et une source latente de conflits. Parler de la Méditerranée est dans l’air du temps et la question énergétique est devenue urgente. Le sommet de Paris du 13 juillet 2008, organisé dans le cadre du Processus de Barcelone : Union pour la Méditerranée, a imprimé une nouvelle dynamique politique aux relations euro-méditerranéennes. Ce premier sommet constitue une avancée importante pour le partenariat dans la région, à un moment où les économies, mondiale en général et régionale en particulier, se trouvent confrontées à de graves préoccupations. Dans le domaine de l’énergie, l’espace méditerranéen est caractérisé par deux inégalités évidentes et majeures : inégalités entre les pays du Nord, plus riches et plus consommateurs d’énergie que ceux du Sud, et inégalités dans les dotations en ressources énergétiques très fortement concentrées sur trois pays : l’Algérie, la Libye et l’Égypte (4,6 % des réserves mondiales de gaz naturel et 4,7 % des réserves de pétrole). Le montant de ces réserves est probablement sous-estimé. L’Algérie, l’Égypte, la Syrie et la Libye fournissent 22 % des importations de pétrole et 35 % des importations de gaz de l’ensemble du Bassin méditerranéen et le potentiel d’échanges en matière de pétrole, et surtout de gaz, est extrêmement prometteur. Le renforcement des interconnections électriques Nord-Sud et EstOuest est aussi un objectif qui peut avoir de multiples effets bénéfiques dans la région. La Méditerranée est également dotée de ressources exceptionnelles en énergies renouvelables, surtout le solaire et l’éolien, notamment au Sud et à l’Est. Le prix Nobel de physique, Carlo Rubbia, aime rappeler que dans le Sahara, il pleut chaque année l’équivalent d’un baril de pétrole par mètre carré, sous forme de rayonnement solaire. Du côté de la demande, les énergies fossiles (pétrole, gaz, charbon) dominent toujours le mix énergétique et totalisent 80 % de l’approvisionnement énergétique des pays (95 % pour les Psem, 70 % pour les pnm) (GRAPHIQUES 21 et 22 ). Pourtant, comme mentionné précédemment, il 117 GRAPHIQUES 21 et 22 Demande d’énergie primaire en Méditerranée (2009) Par source (907 Mtep) Par source et par région (Mtep) 600 8% 10 % Énergies renouvelables 13 % 500 400 Nucléaire 300 28 % 41 % Gaz Pétrole Source : OME, 2011. 200 100 Charbon PNM Psem existe un potentiel très important d’énergies renouvelables mais aussi d’efficacité énergétique non encore exploité. Plusieurs contraintes empêchent en effet une exploitation judicieuse de ces ressources, dont les avantages sont multiples et largement reconnus, notamment pour desserrer les contraintes de dépendance énergétique mais aussi celles liées à l’environnement, pour être davantage en phase avec le développement durable recherché par l’ensemble des pays. Les inégalités entre le Nord et le Sud en termes de consommation d’énergie par habitant persistent. En 2009, un habitant des pnm a consommé 2,7 tep en moyenne contre 1,2 tep pour un habitant des Psem, soit plus du double. La consommation moyenne d’énergie par habitant en Méditerranée s’est alors élevée à 1,8 tep. Dans ce contexte, la crise financière et maintenant économique et sociale, la crise énergétique, les préoccupations de sécurité des approvisionnements et la nécessaire transition vers des économies à faible teneur en carbone, afin de s’adapter à un contexte climatique changeant, ne font qu’accentuer la nécessité et l’intérêt du changement d’échelle dans la mise en œuvre des politiques complémentaires d’efficacité et de sobriété énergétique dans la région, autant au Nord qu’au Sud. Cette complémentarité pourrait se transformer en coopération approfondie pour tout ce qui concerne les économies d’énergie, les énergies renouvelables, les infrastructures et les questions de politique énergétique commune. 118 v – prospective – énergie L’accès à l’énergie, la sécurité énergétique et les contraintes environnementales constituent donc un défi considérable pour le développement économique et social en Méditerranée. Ce développement ne peut être que freiné, voire rendu impossible, par l’insécurité énergétique, la dégradation de l’environnement local et global. Ce défi ne peut être relevé que par une coopération euro-méditerranéenne articulée autour d’un nouveau modèle de systèmes énergétiques compatibles avec le développement durable, afin de « répondre aux besoins du présent sans compromettre la possibilité pour les générations futures d’accéder à leurs propres besoins». Il n’y a donc pas d’alternative à un système énergétique renouvelé en Méditerranée, un système durable fondé sur l’accessibilité élargie au Sud et sur la sobriété, dans ses composantes en matière d’efficacité énergétique et de développement des énergies renouvelables, dans les pays du Nord, mais également dans les pays du Sud et de l’Est du Bassin méditerranéen. Or, force est de constater que le système énergétique actuel demeure fondé sur des modes de consommation dont la charge en carbone et de pollution est déjà préoccupante, ce qui n’est pas compatible avec le développement durable recherché par l’ensemble des pays de la région. Le nouveau paradigme énergétique souhaité consiste, alors, à concevoir le système énergétique comme englobant non seulement le secteur énergétique (offre) mais également la consommation d’énergie (demande) et à assurer son développement de façon à obtenir un service énergétique dans les conditions optimales en termes de ressources, de coûts économiques et sociaux et de protection de l’environnement local et global. La satisfaction de créer un service énergétique à la place d’une fourniture d’énergie place des acteurs nouveaux au premier rang : entreprises, collectivités, ménages, professionnels du bâtiment, des transports, de la production industrielle ou agricole et du secteur tertiaire. Les villes et les collectivités territoriales deviennent alors des animateurs et des promoteurs essentiels de ces nouvelles politiques. La coopération régionale a également un rôle capital à jouer. 119 3. Les perspectives : une demande d’énergie qui s’accroît et une augmentation des risques dans cette dernière partie, nous présentons les perspectives énergétiques dans la région à l’horizon 2030, déclinées en trois scénarios, définis dans le cadre de cette étude, en fonction d’évolutions clés dans les relations euro-méditerranéennes : un scénario de crise de la Méditerranée, un scénario de divergences méditerrannéennes et un scénario de convergence. Comme nous l’avons souligné au début de ce chapitre, les données 2030 qui suivent sont le résultat de l’application par l’ome de son modèle prospectif pour les trois scénarios listés ci-dessus. Selon les scénarios, la demande énergétique régionale devra s’accroître de plus de 30 % à plus de 60 % au cours de la période 20092030 (GRAPHIQUE 23). Cette croissance est essentiellement tirée par les Psem dont la demande va plus que doubler au cours de la même période. À l’horizon 2030, la demande d’énergie primaire pourrait être multipliée par 1,3 à 1,6 en Méditerranée, les pays du Sud et de l’Est connaissant des taux de croissance de leur demande énergétique plus de cinq fois plus élevés que les pays du Nord. Ils représenteraient alors de 47 à 50 % de la demande d’énergie totale du Bassin méditerranéen, contre 36 % en 2009. Selon les estimations de l’Observatoire Méditerranéen de l’Énergie, la Turquie pourrait devenir le second consommateur du Bassin. Ainsi, à l’horizon 2030 et en volume, les Psem rattrapent le niveau de consommation des pnm, mais les inégalités persistent lorsqu’il est rapporté en termes de consommation par habitant (TABLEAU 21 ). En effet, l’écart de consommation d’énergie par habitant entre le Nord et le Sud demeure significatif (facteur 1,7), bien que moins important par rapport à celui de 2009. De manière générale, les trois scénarios annoncent une croissance des risques et des impacts et pourraient conduire à une impasse du développement : • les émissions de co2 issues de la consommation d’énergies fossiles devraient se stabiliser dans les pnm entre 2009 et 2030, voire diminuer de 10 % en cas de crise et de 7 % en cas de convergence, mais pourraient augmenter de près de 100 % dans les Psem ( GRAPHIQUES 26 et 27 ). Rapportées par habitant, ces émissions sont aujourd’hui plus élevées au Nord qu’au Sud, comparables en 2020 et nettement plus élevées au Sud à l’horizon 2030, quelque soit le scénario (TABLEAU 22 ) ; 120 v – prospective – énergie Évolution de la demande d’énergie primaire à l’horizon 2030 (Mtep) GRAPHIQUE 23 En Méditerranée 1 600 1 200 800 Crise Divergence Convergence 400 1970 1980 1990 2000 2010 2020 2030 GRAPHIQUE 24 Dans les PNM GRAPHIQUE 25 Dans les Psem 800 600 Crise Divergence Convergence 400 200 Source : OME, 2011. 1970 1980 1990 2000 2010 2020 2030 1970 1980 1990 2000 2010 2020 2030 21 Évolution de la consommation d’énergie par habitant à l’horizon 2030 en Méditerranée (tep/habitant) TABLEAU 2009 Scénario Méditerranée PNM Psem 1,8 2,7 1,2 2020 Crise Divergence Convergence 2,0 2,2 2,1 2,9 3,1 3,0 1,4 1,6 1,5 2030 Crise Divergence Convergence 2,2 2,5 2,4 2,8 3,2 3,3 1,7 2,1 1,9 Source : OME, 2011. 22 Évolution des émissions de CO2 par habitant à l’horizon 2030 en Méditerranée (tCO2/habitant) TABLEAU 2009 Scénario Méditerranée PNM Psem 3,3 3,6 3,0 2020 Crise Divergence Convergence 3,5 3,9 3,5 3,5 3,8 3,5 3,5 3,9 3,5 2030 Crise Divergence Convergence 3,7 4,5 3,9 3,0 3,5 2,2 4,1 5,0 4,3 Source : OME, 2011. 121 Évolution des émissions de CO 2 dans la région méditerranéenne GRAPHIQUE 26 Selon les trois scénarios GRAPHIQUE 27 Selon le scénario (MtCO2) de convergence (MtCO2) 3 000 Crise Divergence Convergence 2 000 2 000 1 000 Psem 1 000 PNM 1970 1980 1990 2000 2010 2020 2030 1970 1980 1990 2000 2010 2020 2030 Source : OME, 2011. • la dépendance énergétique pourrait s’accroître sensiblement, tant pour les Psem importateurs (88 % en 2030) que pour les pnm (73 % sur la même période). À cause de la croissance de la demande et de l’affaiblissement des réserves conventionnelles, la Méditerranée pourrait avoir besoin d’importer plus de 40 % de son pétrole, près de 30 % de son gaz et plus de 70 % de son charbon dans les années 2030. L’aspiration au développement économique et social est légitime et, pour cela, l’énergie est indispensable. Les scénarios de crise et de divergence montrent bien que continuer à se développer en suivant le modèle énergétique actuel des pays industrialisés (que les pays en développement prennent comme un objectif à atteindre) est difficile, coûteux et risqué. Du seul fait de l’énergie, le développement économique et social serait radicalement compromis et pas seulement pour les pays les plus vulnérables. De plus, cette voie aggraverait inexorablement les risques de changement climatique. Pourtant, comme nous l’avons mentionné précédemment, le potentiel d’économies d’énergie et de carbone en Méditerranée est considérable. Il dépend des technologies à promouvoir et des comportements nouveaux à encourager. Plusieurs estimations fiables montrent que, sur les vingt prochaines années, un potentiel de réduction d’environ 20 % de la consommation est réalisable (davantage si les prix de l’énergie continuent d’augmenter). La Méditerranée est, en effet, très vulnérable aux problèmes de changement climatique. Plusieurs études, en particulier celles du Giec, le confirment. Une étude relativement récente de l’Institut du développement durable et des relations internationales sur le changement clima122 v – prospective – énergie tique et ses impacts en Méditerranée confirme également la vulnérabilité de la région et appelle à la mise en place d’actions de toute urgence et dans la durée. Une des conclusions de cette étude est que «la multitude des impacts envisageables du changement climatique fait de ce problème l’un des plus préoccupants pour l’avenir de la Méditerranée à moyen et long termes […] il y a de moins en moins de doutes sur l’irréversibilité des changements déjà engagés». L’enjeu est donc de réduire les émissions de gaz à effet de serre, mais également de s’adapter aux changements en cours et à venir, afin de réduire la vulnérabilité des sociétés qui pourraient être profondément bouleversées dans les prochaines années. Or les trois scénarios illustrent un dérapage en termes d’accroissement des émissions de co2, notamment dans le Sud. De manière générale, les trois scénarios présentent des défis importants, pour le secteur de l’énergie en particulier et pour le développement durable de la région en général. Ceci étant, du point de vue du couple énergie-environnement et développement, il va sans dire que le scénario de convergence est le scénario le plus souhaitable. En effet, ce scénario facilite une progression plus importante de l’efficacité énergétique et un développement significatif des énergies renouvelables dans la région, grâce à une coopération euro-méditerranéenne et des transferts de technologie. En effet, 16 % de la demande énergétique à l’horizon 2030 proviendrait de ces énergies (24 % dans les pnm mais seulement 8 % dans les Psem) contre 12 % pour le scénario de crise et 10 % pour le scénario de divergence. Grâce à la stratégie de convergence et de coopération accrue, la Méditerranée tire davantage de bénéfices de son fort potentiel en énergies renouvelables et d’efficacité énergétique, mais de meilleurs résultats peuvent être réalisés surtout au Sud et à l’Est. Dans le scénario de convergence, on ressent les effets des mesures d’efficacité énergétique mises en place ou en cours d’élaboration dans les pays de l’UE mais aussi dans les pays du Sud méditerranéen: campagne de prévention, création de label efficacité énergétique, efficacité énergétique dans les bâtiments, etc. Par exemple, la nouvelle réglementation énergétique, adoptée en Tunisie dans les bâtiments en construction, est l’une des plus importantes en matière d’efficacité énergétique dans ce secteur. Cette mesure devrait favoriser une réduction de la consommation énergétique de 40 % en 2020. Une législation plus ou mois similaire est mise en œuvre ou en cours dans la plupart des Psem (Algérie, Égypte, Jordanie, Liban, Palestine, Syrie et Turquie). De même, la récente création de labels et de standards certifiant l’efficacité 123 énergétique au Maroc, Tunisie, et Égypte (réfrigérateurs, air conditionné, laves linges) est aussi un grand pas en faveur du changement du marché et des comportements des consommateurs. Par ailleurs, s’il est vrai que la demande d’énergie globale, et donc les émissions de co2, sont plus faibles à l’horizon 2030 dans le cadre du scénario de crise, la situation n’est pas optimale du fait de la non-exploitation des énergies renouvelables et du potentiel d’efficacité énergétique disponible. En témoignent les intensités énergétique et carbone des trois scénarios (voir TABLEAUX 23 et 24 ). Le scénario de crise n’est donc ni le plus efficace ni le plus sobre en énergie. Le scénario de divergence, quant à lui, est le plus énergétiquement inefficace puisqu’il est plus énergivore que le scénario de convergence, pour un niveau de développement nettement plus faible. En effet, le scénario de convergence représente pour la région plus de richesse (+ 14 %) réalisée avec moins d’énergie (- 5 %) par rapport au scénario de divergence, ce qui est loin d’être négligeable. Il en est de même pour l’impact sur les émissions de co2. Alors que le scénario de crise et celui de divergence sont quasi similaires en termes d’intensité carbone, le scénario de convergence permet de réduire de 20 % cette intensité, avec, rappelons le, un niveau de richesse plus élevé. On note également le déséquilibre entre le Nord et le Sud en termes d’intensité énergétique et d’intensité carbone. L’intensité énergétique est 2,5 fois plus élevée au Sud qu’au Nord dans les scénarios de crise et de divergence et 2 fois plus élevée dans le scénario de convergence. L’intensité carbone est de 5,4 fois plus élevée au Sud qu’au Nord dans les scénarios de crise et de divergence et 5 fois plus élevée dans le scénario de convergence. Ces écarts sont très importants et appellent à une coopération soutenue en vue de converger, tous ensemble, vers une région sobre et plus respectueuse de l’environnement. Il y a là un vaste chantier de coopération à mettre en place. Pour conclure, le défi de la gouvernance, la mobilisation et la capacité des acteurs (pouvoirs publics, autorités locales, secteur privé et société civile), le renforcement de la coopération régionale, dans le cadre d’un système énergétique qui respecte une conception éthique partagée de la durabilité, sont indispensables. La vision éthique commune ne serait pas complète toutefois sans le partage et la solidarité qui permettent à tous de bénéficier du développement. Dans ce cas, il s’agit de traiter sur le même pied les actions sur la demande (moins de consommation d’énergie pour le même service rendu) et celles sur l’offre 124 v – prospective – énergie 23 Intensité énergétique en Méditerranée à l’horizon 2030 (tep/1000 dollars prix constants) TABLEAU Scénario Région méditerranéenne PNM Psem Crise 0,10 0,07 0,18 Divergence 0,10 0,07 0,17 Convergence 0,08 0,06 0,13 Source : OME, 2011. TABLEAU 24 Intensité carbone à l’horizon 2030 (tCO2/1000 dollars prix constants) Scénario Région méditerranéenne PNM Psem Crise 0,17 0,08 0,42 Divergence 0,17 0,08 0,41 Convergence 0,14 0,06 0,30 Source : OME, 2011. (production et livraison des produits énergétiques pour satisfaire le besoin de consommation). Cela suppose des investissements publics et européens massifs – et des réorientations budgétaires conséquentes – dans les secteurs clés de la transition : le transport, le bâtiment, l’efficacité énergétique et les énergies renouvelables, mais aussi l’éducation, la recherche, la formation et la culture. La réappropriation de la question énergétique par les citoyens est certainement une dimension très intéressante et porteuse d’avenir de ce nouveau paradigme énergétique. Cela ne veut pas dire que la solution soit simple ; mais cela signifie que le développement durable en Méditerranée est un fâcheux problème qui imposera le respect de contraintes dures, mais indispensables. Mais nous voyons apparaître des perspectives qui auparavant n’existaient pas et qui justifient la nécessité de changer de paradigme. Ce que Prigogine et Schrödinger nous font redécouvrir, c’est la possibilité et la responsabilité de l’homme comme acteur de l’histoire et gestionnaire de cette planète. Cela dit, les pays méditerranéens ont tout intérêt à se développer en convergeant avec leurs voisins, plutôt que chacun pour soi, du moins pour un impact optimal sur le secteur énergétique et le développement durable. 125 sécurité alimentaire et agriculture en méditerranée Scénario d’une crise et perspectives en 2030 Vincent Dollé * 7,5 milliards d’habitants sur la planète en 2020, 8 milliards en 2030, la croissance démographique depuis 1990 est due pour 45 % à celle de l’Inde et de la Chine. Mais la Méditerranée y contribue également. Dans vingt ans, la région comptera 100 millions d’habitants de plus qui résideront, pour leur grande majorité, en ville ou en zone périurbaine. L’augmentation du niveau de vie et l’évolution des habitudes alimentaires des nouveaux urbains vont engendrer de grandes évolutions dans les pratiques de consommation. Globalement, la consommation alimentaire individuelle de produits végétaux va continuer de baisser au profit de celle des produits carnés, laitiers et de ceux transformés à partir de produits animaux. Ce report de demande du végétal vers l’animal s’accompagne d’une croissance de la demande de produits végétaux pour l’alimentation animale mais également pour la production d’agrocarburants. Cette concurrence sur la biomasse, dans un cadre de changement climatique prononcé, puis de hausse (*) Directeur de l’Institut agronomique méditerranéen de Montpellier du Centre international des Hautes études agronomiques méditerranéennes (ciheam/iamm). Cette communication s’appuie sur les travaux des enseignants chercheurs de l’iamm et de leurs partenaires en réseau conduits à l’occasion d’études d’expertise et de travaux de recherche en Méditerranée depuis plusieurs années. La publication Mediterra (édit. ciheam et Presses de Science Po.) reprend depuis 2007 les résultats de ces travaux sous forme de synthèses thématiques annuelles. 2007 : Identité et qualité des produits alimentaires méditerranéens. 2008 : Les futurs agricoles et alimentaires en Méditerranée. 2009 : Repenser le développement rural en Méditerranée. 2010 : Atlas Mediterra. Agriculture, alimentation, pêche et mondes ruraux en Méditerranée. Les illustrations présentées sont en grande partie reprises à partir de ces documents. ciheam/iamm 3191, route de Mende, 34093 Montpellier Cedex 5. France. www.iamm.fr 127 des coûts de l’énergie et des transports, entraîne une augmentation durable des prix agricoles également plus instables et plus volatiles. La crise alimentaire de 2008 et ses prolongements en 2009 et 2010 reflètent cette instabilité qui s’est manifestée, d’abord, par une hausse brutale et démesurée des prix, puis par une plus forte volatilité à très court terme. Le cours du boisseau de blé à trois mois à Chicago passe de 5 dollars en mai 2007 à 12,80 dollars en février 2008(1) pour retomber brutalement à 4,4 dollars en octobre 2009… puis s’envole de nouveau au printemps 2010 et à la fin de l’été 2010, après notamment une récolte en forte baisse en Russie et en Ukraine due à une sécheresse prolongée et à des incendies de récolte. Plus récemment, les inondations en Australie, début 2011, et la sécheresse persistante en Argentine ne semblent pas pouvoir être compensées par des excédents de récolte stockables et exportables en provenance d’Afrique du Sud, du Sahara ou d’Asie(2). Cette instabilité, répercutée sur les marchés de la consommation, pèse fortement sur la consommation alimentaire, particulièrement sur celle des ménages les plus pauvres. L’instabilité des cours du blé induit donc un effet important à court terme sur la sécurité alimentaire, mais aussi à moyen et long terme à cause de l’abandon des cultures céréalières dont le prix est devenu trop faible ou aléatoire et pour lesquelles les investissements sont peu rentables dans la durée. Après une période de consommation supérieure à la production entre 2000 et 2008, les stocks remontent en 2009, pour de nouveaux se dégonfler en 2010 et entraîner une tension nouvelle sur les marchés ainsi qu’une augmentation des coûts de l’alimentation du bétail. En 2008, les pays en développement sont confrontés à un renchérissement d’au moins 25 % de leurs importations alimentaires, rendant de fait plus difficile la sécurisation de l’alimentation. Les conditions sont de nouveau réunies pour que de nouvelles crises se manifestent avec une situation potentiellement plus dangereuse dans la mesure où les produits agricoles sont devenus des actifs financiers sur lesquels la spéculation est plus active. De nouveaux acteurs spéculateurs non traditionnels du secteur des matières premières agricoles apparaissent. Cette situation de tension potentielle est bien réelle dans de nombreux pays méditerranéens dont les dynamiques agricoles et agroalimentaires évoluent avec (1) Global Economic Prospects 2009. Commodities at the crossroads. Banque mondiale. (2) Données Réseau de système d’alertes précoces contre la famine. Sahel et Afrique de l’Ouest. Perspectives sur la sécurité alimentaire ; octobre 2010-mars 2011. Bulletin janvier 2011. 128 vi – prospective – agriculture des caractéristiques communes. Nous en résumerons les traits marquants et les grandes tendances évolutives. Dans ce contexte et à partir des tendances observées depuis plusieurs années sur l’évolution du secteur agricole, agroalimentaire et rural en Méditerranée et renforcées par les crises récentes, couplées aux impacts prévisibles du changement climatique, plusieurs scénarios sont envisageables, allant du pire, scenario de la crise de la Méditerranée, marqué par des ruptures et dissymétries croissantes (S1) vers un scénario souhaitable, celui de la convergence méditerranéenne (S3), en passant éventuellement par des divergences de rythmes d’insertion dans une économie mondialisée, le scénario des divergences méditerranéennes (S2). Nous proposerons plusieurs pistes d’intervention concertée entre opérateurs des secteurs publics et privés pour établir les bases d’un scénario offensif de convergence pour la sécurité alimentaire en Méditerranée. 1. Les points communs des pays du pourtour méditerranéen Une croissance démographique forte et une urbanisation du littoral qui pénalise le secteur agricole cette urbanisation concentrée sur les côtes maritimes aggrave la fracture entre l’intérieur des pays méditerranéens et le littoral. La carte où l’on voit la répartition des villes et agglomérations en Méditerranée(3) (GRAPHIQUE 28 ) montre bien la concentration des populations dans les grandes villes du littoral qui ne fera que s’amplifier avec les 100 millions d’habitants en plus que comptera la Méditerranée d’ici trente ans. Cette tendance, ancienne pour les pays de la rive nord, est plus récente pour les pays du Sud et de l’Est avec deux exceptions : les pays des Balkans et la Turquie où l’on trouve encore une population conséquente en milieu rural à l’intérieur des pays. L’urbanisation du littoral, qui se développe davantage dans les plaines alluviales et les estuaires les plus fertiles, va accentuer la concurrence sur les ressources en eau et en sol pour les besoins industriels et urbains au détriment de l’activité et de la production agricole, souvent intensive dans les zones périurbaines. (3) Mediterra 2010, données 2006. 129 GRAPHIQUE 28 Villes et agglomérations en Méditerranée (2006) Source : Nations unies, Demographic Yearbook 2006 (http://unstats.un.org/unsd/demographic/), CIHEAM Atlas Mediterra. Une population rurale qui reste importante dans les pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée, une part importante de la population active est agricole (GRAPHIQUE 29 ). En effet, 25 % à 45 % de la population de ces pays tire l’essentiel de ses revenus des activités agricoles, en tant qu’exploitant ou salarié. Selon différentes projections démographiques, la population rurale se stabilisera vers 2020 pour l’ensemble de la Méditerranée (GRAPHIQUE 30 ). C’est le résultat de deux dynamiques opposées : une baisse continue au Nord conjuguée à une croissance au Sud et à l’Est qui ne se stabiliserait qu’au-delà de 2020. Dans une Méditerranée en transition, la question agricole et alimentaire reste donc centrale compte tenu de l’importance économique et sociale du secteur agricole qui persiste. L’agriculture est le deuxième pourvoyeur d’emplois en Méditerranée et dans le monde, après celui des services. Mais les revenus tirés de ces emplois sont souvent plus faibles que ceux des autres activités économiques en milieu rural. Dans le secteur rural méditerranéen, le travail informel conserve toujours une place importante. En Afrique du Nord, les emplois agricoles représentent 80 % des activités rurales : 35 % en Tunisie, en Algérie et en Égypte (4). En Turquie, 65 % de l’emploi en zone rurale vient de l’agriculture et la population active agricole turque (4) Repenser le développement rural en Méditerranée. Quelle place pour l’agriculture en milieu rural ? Mediterra 2009. 130 vi – prospective – agriculture GRAPHIQUE 29 Actifs agricoles en Méditerranée (2004) Sources : Faostat, 2006. CIHEAM Atlas Mediterra. GRAPHIQUE 30 Population rurale en Méditerranée (2005) (millions) Source : Nos calculs, à partir des Nations unies division population. World Population Prospects 2004 (hypothèse moyenne). CIHEAM Atlas Mediterra. Total méditerranéen 160 140 120 100 80 60 40 20 Rive sud 1990 2000 2010 2020 1990 2000 2010 2020 continue de croître. La diversification reste encore limitée dans les pays du Sud de la Méditerranée, le milieu rural n’attirant pas les activités industrielles et les services qui pourraient s’y développer. La sortie continue d’actifs du secteur agricole, liée aux tentatives de modernisation, est difficilement absorbée par les autres secteurs qui induisent sousemploi, chômage et migration. L’emploi rural en Méditerranée du Sud et de l’Est, y compris l’emploi agricole, est marqué par de nombreuses spécificités qui caractérisent souvent sa fragilité : • une forte présence de la petite agriculture familiale et des petits métiers secondaires de services associés aux transformations primaires de produits agricoles induit une proportion importante d’auto-emplois et d’emplois indépendants ; 131 • l’emploi rural des femmes et d’aides familiaux, généralement non rémunérés, est très rarement pris en compte dans les statistiques nationales. Pourtant, c’est un volume d’emploi important ; • l’activité rurale en Méditerranée reste marquée par une production agricole saisonnière entraînant, hors saison, un sous-emploi de la force de travail disponible ; • le salariat est précaire et intermittent. L’absence de législation du travail ou son non-respect aggrave ce phénomène ; • la formation professionnelle est peu développée et les niveaux de compétence et de capital humain sont plus faibles en milieu rural qu’urbain ; • la faiblesse du tissu économique est souvent liée à un déficit d’infrastructures qui rend l’espace rural peu attractif pour un redéploiement éventuel des nouvelles activités ; • le sous-emploi lié à l’activité saisonnière pourrait cependant devenir un atout pour une pluriactivité agricole, sous réserve de s’affranchir de nombreuses contraintes. Dans les pays du Sud et de l’Est, de nombreux jeunes ruraux à la recherche d’emploi migrent vers les zones urbaines où le taux de chômage est souvent assez élevé(5) ( GRAPHIQUE 31 ). Maintenir l’emploi et les revenus en milieu rural, créer des alternatives hors secteur agricole par une économie rurale non agricole devient, pour l’ensemble des Psem, une priorité si l’agriculture ne peut plus fournir les emplois pour faire face à la croissance démographique. L’exemple de l’Algérie illustre ce phénomène. Le chômage rural, qui dépasse 40 %, pousse à la migration en zone urbaine où le taux de chômage est déjà élevé, avec des effets induits sur la demande de logement. Cette situation est constante dans les pays de la rive sud avec, certes, des amplitudes différentes selon les pays. Créer des emplois et des revenus en milieu rural devient une priorité à prendre en compte dans les plans de développement des zones rurales au Sud. Au Nord de la Méditerranée, plus particulièrement dans les pays de l’UE27, les zones rurales représentent plus de 90 % du territoire et encore 50 % de l’emploi. Il y a cependant un fort déclin de l’emploi agricole. Le taux de chômage y est plus élevé qu’en zone urbaine, touchant notamment les populations jeunes. (5) Radwan. S. Rual youth nunemployment and coping strategies in the north east and north africa region, Rome. Ifad. 2007. 132 vi – prospective – agriculture GRAPHIQUE 31 Chômage total et rural en Méditerranée (% des populations actives totale et rurale) Algérie Jordanie Chômage rural Tunisie Égypte Syrie Turquie Source : Radwan (2007), d’après enquêtes nationales. Chômage total Maroc 10 % 20 % 30 % 40 % Pendant les vingt dernières années, sous l’impulsion de l’Union européenne, les initiatives pour développer l’économie rurale agricole et non agricole dans les pays du Nord ont été largement soutenues par la pac. Elles ont apporté quelques pistes de solution au Nord qui ne sont pas transférables dans les Psem. La force de travail en milieu rural dans le Nord de la Méditerranée est de plus en plus vieille et peu formée. L’agriculture perd actuellement 2 à 3 % d’actifs par an, mais cette baisse de la population active est cependant socialement acceptable car souvent accompagnée de politiques de compensation qui font encore défaut au Sud de la Méditerranée. Les politiques de l’emploi mises en œuvre dans l’Union européenne, et plus particulièrement à travers les actions de la pac, sont au cœur d’initiatives structurantes. La priorité est donnée à la revitalisation rurale et à la cohésion territoriale pour réduire l’écart de développement des zones rurales défavorisées et la promotion de projets territoriaux. Dans les pays du Nord, les politiques combinent différents types d’instruments dont les plus importants s’organisent autour de la formation professionnelle. D’autres la complètent sous forme d’appui aux territoires ruraux et d’instruments financiers diversifiés qui améliorent l’efficacité de ces politiques. L’ensemble favorise une agriculture variée et un entreprenariat pour des activités non agricoles : vente de produits agricoles et transformés à travers des circuits courts, tourisme, loisirs, activités délocalisées en milieu rural et création de biens et de services associés à ces biens. Les différentes générations de projets leader en Europe méditerranéenne ont facilité la création d’entreprises rurales plus autonomes et durables bien au-delà du secteur agricole, par exemple dans les secteurs des services de l’environnement et du patrimoine. Quels éléments de ces dynamiques sont-ils reproductibles au Sud et à l’Est ? 133 GRAPHIQUE 32 L’agriculture dans la formation du PIB dans les pays méditerranéens Source : Banque mondiale (www.worldbank.org). CIHEAM Atlas Mediterra. Italie France Jordanie Portugal Espagne Grèce Liban Algérie Turquie Tunisie Égypte Maroc Syrie 2 2 3 3 3 4 6,3 8 10 10,7 14,3 15,3 18,7 Moyenne triennale 2005-2007 En % du PIB total Psem Nord Le poids économique et social du secteur agricole décroît dans un contexte sociodémographique marqué par une croissance de la demande alimentaire urbaine, les sociétés méditerranéennes des Psem restent encore sous l’influence du secteur rural, dont la production agricole brute compte beaucoup dans la fabrication des produits intérieurs bruts (GRAPHIQUE 32 ). Mais son poids économique diminue plus rapidement au Sud qu’au Nord. En 2005, l’agriculture syrienne ou albanaise contribue au quart de la valeur ajoutée totale nationale, soit 10 fois plus en part relative que celle de la France ou de l’Italie. En 2007, avec une croissance annuelle de 2,1 %, l’agriculture albanaise participe encore à plus de 23 % du pib national (32 % en 2001). Sur une autre dynamique, la croissance de la production agricole marocaine, en taux moyen annuel de croissance, passe de 10,6 % pour la période 1985-1991(6) à 0,25 % de 1991 à 2004. En Grèce, le pib agricole passe de 11 % du pib total en 1995 à 4,5 % en 2007. Enfin, c’est en Turquie que la baisse est la plus rapide en part relative, le pib agricole perdant 18 % entre 2001 et 2005. Cette part encore importante du pib agricole dans le pib global est souvent croissante les années à forte pluviosité et décroissante les années de sécheresse. La part importante, mais fluctuante, de l’économie agricole dans l’économie globale des Psem est due aussi à une absence de croissance des autres secteurs économiques. L’asymétrie de la situation des Psem par rapport aux pays méditerranéens de l’Union européenne n’est pas marquée uniquement par l’importance relative (6) World Development Report. Agriculture for development, Washington (D.C.). Banque mondiale 2008. 134 vi – prospective – agriculture 33 GRAPHIQUE Terres arables par habitant en Méditerranée (1961-2003) (à gauche) et perte nette de terres arables (entre 1980 et 2005) (à droite) En % Égypte Maroc Algérie France Libye Terr. palestiniens Albanie Israël Chypre Turquie Syrie Grèce Espagne Tunisie Italie Bosnie-Herz. Liban Malte Serbie-Monténégro Portugal Croatie Jordanie Slovénie Hectares 0,5 Psem 0,4 0,3 0,2 PNM 0,1 1965 1975 1985 1995 2005 À partir de 1992, introduction des données de Bosnie-Herzégovine, Croatie, Serbie-Monténégro et Slovénie. Source : Plan Bleu, d’après FAO. CIHEAM Atlas Mediterra. - 40 - 30 - 20 - 10 0 10 20 30 de l’économie agricole. La capacité du secteur agricole des pays de la rive nord à contribuer au développement des industries agroalimentaires à haute valeur ajoutée aggrave cette asymétrie. Démographie et changement climatique accentuent les pressions sur les ressources disponibles l’aridité qui caractérise de nombreux pays méditerranéens limite naturellement les possibilités de pratiques agricoles. Le pourcentage des terres arables passe de 30 % et plus pour la France à 5 % pour l’Égypte, l’Algérie, la Jordanie et la Libye. Les bonifications de terre et l’irrigation de nouvelles zones foncières permettent à la Syrie et à l’Égypte d’accroître légèrement les surfaces en terres arables. Mais globalement, aussi bien pour les Psem que pour les pays du Nord de la Méditerranée, l’accroissement de la population entraîne une diminution des terres arables par habitant ( GRAPHIQUE 33 ), ce qui nécessite une augmentation de la productivité par hectare disponible pour compenser cette pression accrue sur le foncier agricole disponible. 135 Les pertes de terres arables, par éviction foncière et phénomènes naturels liés à l’aridité (vents, fortes pluies, etc.), sont aggravées par des pratiques culturales et pastorales inadéquates responsables d’érosion. La salinisation par irrigation, avec des eaux souterraines chargées en sels minéraux ou des eaux de retenues où l’évaporation intense concentre les eaux en sel, conjuguée à la pollution, l’emploi de pesticides ou d’engrais, engendre une perte des sols devenus improductifs. Des ressources en eau de plus en plus rares et une inadéquation entre offre et demande la pression sur les ressources en eau (en Méditerranée, 80 % de la demande en eau est agricole) et en terres (de 0,55 ha par habitant en 1960 à 0,30 ha en 2005) combinée aux effets négatifs du changement climatique sur la production agricole rend plus difficile la résolution de l’équation de la sécurité alimentaire en Méditerranée : nourrir plus d’habitants avec moins de ressources en eau et en sol, avec des écarts de productivité croissants entre Nord, Sud et Est. L’agriculture maintient difficilement des performances irrégulières rythmées par les aléas climatiques. Les surfaces irriguées ont été multipliées par deux entre 1965 et 2005, où elles atteignent une surface totale de 24 millions d’hectares (7). Des grands programmes d’hydrauliques agricoles ont été lancés dans la majorité des pays méditerranéens avec en tête des augmentations de surface : la Turquie (+3 millions d’ha), la France (+2), l’Espagne (+1,5) et au Maghreb (+1,5 dont 0,6 au Maroc et 0,3 en Algérie). Les pratiques d’irrigation gravitaire restent dominantes en Méditerranée(8). Les systèmes d’irrigation localisés ou par aspersion, moins consommateurs d’eau, se développent mais, globalement, l’efficience physique totale de l’eau d’irrigation qui mesure les pertes d’eau dans les systèmes d’irrigation est de 52 % pour les pnm et de 44 % pour les Psem (9). L’analyse des indices d’exploitation des ressources en eau naturelles renouvelables (GRAPHIQUE 34 ), qui permet de mesurer le rapport entre les volumes prélevés et les volumes disponibles, et de leur évolution entre (7) 13 millions Psem et 11 millions pnm. (8) L’Égypte compte 100% des terres cultivées sous irrigation. Situation unique en Méditerranée. (9) Efficience physique totale : efficience du transport x efficience de l’irrigation. Pour un même pays, la Syrie, l’efficience de l’irrigation passe de 50 % en irrigation gravitaire traditionnelle à 78 % par aspersion pour atteindre 88 % en goutte à goutte localisé. Données iamz 2007. Abed Rabboh. 136 vi – prospective – agriculture GRAPHIQUE 34 Indice d’exploitation des ressources en eaux naturelles renouvelables en Méditerranée (2005, 2025) Source : Les perspectives du Plan Bleu sur le développement durable en Méditerranée, Sophia Antipolis, Plan Bleu 2008. Atelier de cartographie de Sciences Po, 2009. CIHEAM, Atlas Mediterra 2005 et 2025 par pays aboutit à un constat de pénurie annoncée(10) pour la majorité des Psem. Une analyse régionale plus fine montre que ce constat deviendrait alors réalité dans de nombreuses régions littorales des pays du Nord. Les États de la rive nord doivent également faire face à des situations de stress hydrique dans des systèmes économiques basés sur le tourisme et l’urbanisation ainsi qu’à une agriculture intensive, grande utilisatrice d’eau mais sans en payer le prix réel. L’offre en eau en Méditerranée, dans les pays du Nord comme dans ceux du Sud, ne pourra indéfiniment s’adapter à une demande illimitée dans un contexte d’irrégularité pluviométrique aggravé selon les différents scénarios (10) Voir données pam et Plan Bleu dans Mediterra 2008. 137 d’évolution climatique pour la Méditerranée. L’exemple catalan(11) illustre cette situation de tension risquant de priver Barcelone (siège du secrétariat de l’upm) d’eau et entraînant des conflits potentiels entre communautés autonomes. L’évolution de la demande en eau pour l’agriculture en Méditerranée n’est pas compatible avec l’évolution des ressources disponibles. La pénurie croissante, liée à des taux d’exploitation en augmentation régulière, et les effets négatifs du changement climatique vont obliger à revoir les politiques de gestion de l’eau par secteur d’utilisation. L’agriculture irriguée en Méditerranée, consommatrice principale d’eau, devient donc le secteur à potentiel d’économie d’eau le plus important. La révision des stratégies hydrauliques s’impose. Echecs ou succès engendreront des schémas de crise ou de développement possible. Des agros-systèmes fragiles et une sécurité alimentaire de plus en plus dépendante les performances des systèmes productifs agricoles et les résultats commerciaux suivent des dynamiques inverses au Nord et au Sud de la Méditerranée depuis le début des années 1960, et notamment pendant la période 1964-2004 (12). Les vingt-sept pays de l’UE ont stabilisé leur part d’importations agricoles mondiales autour de 25 à 40 %. Ils ont, en revanche, doublé leur part d’exportations mondiales de 22 à 45 %(13). Les pays du Sud et de l’Est ont connu, pendant la même période, une dynamique inverse. Ils sont devenus, depuis les années 70, structurellement importateurs bruts de denrées agricoles et agroalimentaires. Les déficits de leur balance commerciale agricole s’inscrivent dans la durée (plus de 8 milliards de dollars pour les Psem en 2001) avec des chiffres contrastés, liés aux capacités variables d’importations de produits venant d’Europe mais, de plus en plus, d’autres régions (60 % des importations agricoles et agroalimentaires hors Europe en 2005). Ces pays sont devenus chroniquement dépendants pour leur sécurité alimentaire. En 2004, le solde commercial négatif des Psem dans les échanges agricoles mondiaux s’élevait à 9 milliards de dollars. La Turquie fait figure d’exception en affichant un solde agro-commercial positif en 2004 de 1,3 milliard de dollars en fournissant près de la moitié des (11) Voir la guéguerre de l’eau en Catalogne. J.P. Nicol. Le courrier de l’environnement de l’Inra. N° 57. Juillet 2009. (12) Données fao stat 2006. (13) Dans cette évolution, la France joue un rôle majeur en gardant la place de deuxième exportateur agricole mondial. 138 vi – prospective – agriculture GRAPHIQUE 35 Évolution des balances commerciales agricoles des Psem (millions de dollars) Source : Faostat 2006. CIHEAM Atlas Mediterra. 223 0 - 5 645 - 6 532 - 7 537 - 8 557 - 9 116 1962 1970 1980 1991 2001 2003 2004 exportations agricoles des Psem et en important 22 % des importations totales des Psem (14). Le commerce agricole euro-méditerranéen reste donc fortement asymétrique. Alors que seulement 2 % des importations et exportations agricoles de l’Europe sont destinées aux Psem, l’UE absorbe plus de 50 % des exportations agricoles des ces pays et 30 % de leurs importations agricoles. Si la Turquie est devenue progressivement une puissance agricole et agroalimentaire, le Maroc et la Tunisie parviennent, les bonnes années agricoles (donc à forte pluviosité), à équilibrer leurs balances commerciales avec l’UE tandis que l’Égypte et l’Algérie sont un poids important dans le déficit global des Psem (GRAPHIQUE 35 ). Des échanges privilégiés se développent entre pays. Les échanges euro-méditerranéens sont souvent ciblés. Cinq pays de l’UE couvrent à eux seuls 75 % des exportations agricoles de l’UE vers les Psem (15). Les quatre grands exportateurs des pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée sont la Turquie (47 %), le Maroc (22 %), Israël (14 %) et la Tunisie (12 %). Les principaux importateurs à partir de l’Europe sont l’Algérie (25 %), la Turquie (14 %)(16) et l’Égypte (13 %). Des échanges bilatéraux privilégiés se développent entre quelques pays : Allemagne-Turquie, FranceMaroc et France-Algérie. On observe également des échanges euro-méditerranéens spécialisés selon les spécificités agricoles des deux rives. Les importations de l’UE (14) Données issues de Mediterra 2008. Contexte géoéconomique. S. Abis, P. Blanc, J. Ould Aoudia. (15) Parts des cinq pays : France 30 %, Pays-Bas 15 %, Allemagne 12 %, Espagne 9 %, Italie 5 %. (16) Une partie des importations céréalières de la Turquie sont transformées en Turquie et exportées (biscuits, pâtes) vers le Maghreb. 139 sont à plus de 50 % des fruits et des légumes, puis de l’huile d’olive (10 %) et des produits de la mer (10 %). Les Psem importent de l’UE en priorité des céréales (16 %) puis des produits laitiers (15 %) et du sucre (8 %). La dépendance céréalière persiste la question céréalière reste stratégique pour les Psem qui accaparent presque 15 % des importations mondiales de céréales, alors qu’ils ne représentent que 4 % de la population mondiale. Ce déficit structurel s’accroît en période de forte crise (l’Algérie, le Maroc, la Tunisie et l’Égypte captent 18 % du marché à eux seuls au moment de la crise, au printemps 2008). Les volumes d’importation augmentent(17) et les projections pour les années à venir indiquent une hausse des importations de céréales pour l’alimentation humaine et animale. Dans la région Afrique du Nord (18), la consommation de blé augmente de nouveau fortement. En six ans, elle passe de 32 millions de tonnes (2004-2005) à 40 millions de tonnes (2010-2011). Cette augmentation de 25 % est deux fois et demie plus importante de celle observée à l’échelle mondiale. Cette hausse continue correspond au double de la production et ne peut être satisfaite que par des importations dont la facture va continuer à augmenter. Comment garantir l’accès au pain des populations les plus pauvres en Méditerranée va devenir une question stratégique à résoudre pour la majorité des pays du Sud. Dans les négociations commerciales entre l’Europe et la Méditerranée depuis 1995, la question agricole reste un sujet délicat. Elle n’est pas traitée dans les relations de coopération UE-Psem jusqu’en 2002. La zone de libre-échange se prépare pour l’industrie, mais elle n’est pas évoquée pour l’agriculture pour des raisons de compétitivité entre des filières développées au Nord comme au Sud (fruits et légumes, huile d’olive). Avec la première conférence euro-méditerranéenne de Venise en 2003 le sujet est enfin abordé et, en 2005, la relance du partenariat euro-méditerranéen figure bien dans le dossier. Depuis cette date, des négociations bilatérales (UE-pays) progressent avec la Tunisie et le Maroc et d’autres pays mais elles aboutiront, souvent, à la mise en place de barrières non tarifaires sous couvert de qualité et de sécurité sanitaire des produits importés des Psem. (17) Entre 1965 et 2005, l’Algérie et le Maroc ont multiplié par 20 leurs importations céréalières nettes. La Tunisie par 13 et l’Égypte par 4. Source fao Stat 2006. (18) Maroc, Algérie, Tunisie, Libye et Égypte. Données usda. 140 vi – prospective – agriculture Les scénarios pour l’avenir des échanges euro-méditerranéen dépendent des résultats de plusieurs négociations en cours(19). L’ouverture agricole des Psem, envisagée dans le cadre de négociations avec l’Organisation mondiale de commerce (omc), devrait garantir des objectifs compatibles avec ceux d’autres négociations en cours. Comment conserver les préférences commerciales d’accès au marché européen tout en sauvegardant le commerce des produits pour lesquels les Psem ne sont pas compétitifs ? Les négociations en cours pour une nouvelle pac en Europe à partir de 2013 pourraient influencer considérablement le développement des productions agricoles des Psem si, par exemple, la perspective de l’ouverture et de la libéralisation des échanges se poursuivait avec la mise en place de réformes sur les organisations communes de marché (par exemple le vin, les fruits et les légumes). Ces éléments importants du contexte régional euro-méditerranéen vont peser sur l’enchaînement des différents scénarios d’avenir des Psem. Des habitudes alimentaires qui s’éloignent du modèle crétois depuis longtemps, le modèle alimentaire crétois présente de nombreux avantages nutritionnels. Ceux-ci ont une forte incidence sur la santé des consommateurs qui associent à la diète crétoise une activité physique régulière. La variété alimentaire de la diète méditerranéenne, couplée à de nombreuses techniques de conservation et de cuisson des éléments, caractérise également un mode de vie méditerranéen, associant à l’origine frugalité des repas, convivialité et tradition culturelle. La répartition des composants de la ration alimentaire de base (céréales, sucres, fruits et légumes, lait, viande, poisson, etc.) permet de définir en Méditerranée trois types d’alimentation par rapport au régime crétois (GRAPHIQUE 36 ). En se basant sur des recommandations faites sur la consommation de nutriments, un indice synthétique de qualité alimentaire (iqa) est calculé à partir de score de consommation(20). En quarante ans, plusieurs pays ont vu leur indicateur de qualité alimentaire se dégrader (GRAPHIQUE 37) : l’Espagne, le Portugal, l’Italie, la Grèce, la Turquie… Pour d’autres, il s’est (19) Notes d’analyses du ciheam. Mai 2006. La question céréalière : un enjeu stratégique en Méditerranée. B. Hervieu, R. Capone, S. Abis, juin 2006. L’état des lieux des échanges agricoles euro-méditerranéens. F. Jacquet, Ch. Emlinger, F. Lerin. (20) Le score évolue de 0 à 2 pour chaque variable : ex de consommation d’huile d’olive en g/jour : du moins satisfaisant : < 5 g = 0, de 5 à 15 g = 1, au plus satisfaisant > 15 g/jour = 2. 141 36 Les trois types d’alimentation en Méditerranée par rapport au régime crétois (2003) GRAPHIQUE Source : Nos calculs, à partir de Faostat. CIHEAM, Atlas Mediterra. s’amélioré : la France et la Tunisie, tandis que l’iqa du Maroc et de l’Algérie s’est stabilisé. Ces données globales à l’échelle d’un pays, obtenues par enquêtes nutritionnelles, cachent mal les disparités de consommation liées au pouvoir d’achat des populations qui consacrent 60 à 80 % du budget à l’alimentation, comme c’est le cas dans les pays du Maghreb. L’évolution des comportements alimentaires en Méditerranée (21), liée à l’urbanisation, à la féminisation de l’activité économique, à une plus grande mobilité, entraîne la perte de transmission de savoir-faire traditionnels. La traçabilité culinaire et l’augmentation du nombre de repas pris au foyer, comme l’augmentation de l’alimentation de rue et la consommation de boissons sucrées, sont des pratiques qui affectent la santé des populations méditerranéennes et particulièrement celle des plus démunies. Obésité (GRAPHIQUE 38 ), surpoids, diabète, maladies cardiovasculaires apparaissent rapidement en Égypte, Turquie, Maroc, Slovénie et Albanie, chez les hommes mais aussi chez les femmes. Ces maladies sont couplées à la sous-alimentation et à des carences nutritionnelles fortes… De futures politiques de santé publique volontaristes articulées sur des actions d’information et de prévention en matière de nutrition devraient permettre de modifier les comportements alimentaires à l’origine de ces nouvelles maladies chroniques, non transmissibles, et se rapprocher à nouveau du régime crétois encore lointain des pratiques actuelles. (21) Comportement et sécurité alimentaire en Méditerranée. Padilla M. Futuribles, janvier 2009. 142 vi – prospective – agriculture GRAPHIQUE 37 2000 France Albanie Malte Algérie Maroc Liban Espagne Portugal Turquie Italie Grèce Égypte Tunisie Indicateur de qualité alimentaire (1960-2000) Source : Calculs du CIHEAM. CIHEAM, Atlas Mediterra. 1960 4 GRAPHIQUES 38 Obésité en Méditerranée (2009) Femmes Obésité Source : OMS. CIHEAM, Atlas Mediterra. Surpoids 60 % 40 % 20 % Grèce Malte Égypte Croatie Portugal Albanie Bosnie-H. Slovénie Espagne Italie Libye Syrie Turquie France Tunisie Algérie Maroc 8 12 16 Hommes 20 % 40 % 60 % 143 2. Les scénarios possibles pour l’avenir à partir de ce diagnostic synthétique qui met en évidence la fragilité du secteur productif agricole ainsi que l’insécurité alimentaire qui s’installe durablement, plusieurs scénarios sont envisagés. Le premier scénario (S1), de la crise de la Méditerranée, confronte les asymétries Nord-Sud et confirme la dépendance alimentaire de la rive sud avec l’émergence de crises corrélées à la montée des prix alimentaires et à la marginalisation des zones rurales des pays méditerranéens. C’est le scénario à éviter, qui se produira (22) si les tendances décrites continuent ou s’accélèrent. Les crises alimentaires débouchent sur des crises sociales économiques. Les sorties de crises et les transitions démocratiques peuvent alors ouvrir la voie à d’autres scénarios. Le deuxième scénario (S2), des divergences méditerranéennes, est celui de l’émergence et de l’insertion différenciée de quelques pays du Sud et de l’Est (Maroc, Tunisie, Turquie) à l’économie mondiale, rattrapant ceux du Nord de la Méditerranée qui sont en décrochage par rapport aux critères européens (Grèce, Portugal, Italie…). L’agriculture méditerranéenne du Nord et du Sud se replie progressivement, concurrencée par des produits importés d’Amérique latine et d’Asie. Les filières de qualité, mal protégées, sont également concurrencées par des filières labellisées d’Amérique du Nord, d’Amérique latine ou d’Australie. La sécurité alimentaire est assurée temporairement pour quelques pays du Sud s’ils arrivent à contenir la hausse de la demande céréalière et à gérer la demande en eau pour l’agriculture. Le troisième scénario (S3) est celui de la convergence méditerranéenne qui s’appuie sur une volonté de changement des acteurs méditerranéens avec la mise en place de politiques concertées d’investissement en milieu rural pour relancer les productions agricoles méditerranéennes. Cette relance doit s’accompagner de politiques agricoles pour maîtriser les fluctuations des prix agricoles. Une meilleure couverture de la sécurité alimentaire est alors assurée sur les marchés intérieurs par des produits de qualité et de services qui soutiendront la production et l’économie en zone rurale. C’est le scénario d’un pacte euro-méditerranéen pour la sécurité alimentaire. Ces différents scénarios seront rapidement évoqués à la lumière des points essentiels du diagnostic sur l’agriculture et les systèmes agroalimentaires méditerranéens. Le scénario de la convergence pour une (22) Mise à jour : s’est produit en Tunisie le 14 janvier 2011, en Égypte le 11 février 2011. 144 vi – prospective – agriculture meilleure maîtrise de la sécurité alimentaire implique de nombreux prérequis qui seront présentés pour dégager des pistes de mise en œuvre et des leviers d’action. Les grandes tendances quelques approches chiffrées sont nécessaires pour mieux cerner les évolutions possibles des grandes variables retenues pour la sécurité alimentaire, en distinguant pour l’analyse : sécurité alimentaire quantitative, liée au contenu énergétique de la ration quotidienne, et sécurité alimentaire qualitative, corrélée aux aspects de sécurité sanitaire et qualité nutritionnelle(23) et énergétiques des produits mis sur le marché. L’évolution des disponibilités énergétiques alimentaires (dea) par pays utilisée pour l’approche quantitative n’est pas disponible pour l’ensemble des pays méditerranéens. L’analyse de la dea, quand c’est possible (par exemple pour la Tunisie), montre l’impact des programmes d’aide alimentaire et de lutte contre la pauvreté (24) qui fait passer en quarante ans, de 1960 à 2000, le dea de 2 000 à un peu plus de 3 000 Kcal par habitant et par jour (25). Les données disponibles et mises à jour concernent la quantification des ressources alimentaires pour la région Afrique du Nord et Moyen-Orient(26), calculée à partir de la somme des calories végétales, animales et aquatiques(27) disponibles. Le calcul de calories végétales disponibles couple des hypothèses de rendements caloriques par habitant et de surfaces cultivées à des fins de productions alimentaires. Les calories animales disponibles sont calculées, d’une part, à partir des protéines produites par la production fourragère et donc de l’évolution des surfaces fourragères et d’autre part, de la production de protéines à partir de l’alimentation du bétail (sensible à l’évolution du prix des céréales en général importées pour les Psem). Pour les calories aquatiques, (23) Voir point 8 sur indicateur de qualité alimentaire. (24) Pour une meilleure prise en compte de la sécurité alimentaire dans : Actualisation concertée de la politique agricole, ministère de l’Agriculture-afd Tunisie-cirad-gret-iram, nov. 2010. (25) Les quantités ingérées sont inférieures aux quantités disponibles. Les besoins énergétiques individuels varient entre 2 000 et 3 000 Kcal/j selon le sexe, la taille, le poids, l’intensité physique de l’activité exercée… (26) Région du Millenium Ecosystem Assessment – mea – 2005 qui propose différents scénarios pour l’avenir en fonction du poids des enjeux mondialisation vers régionalisation et de la capacité d’en prendre les aspects environnementaux liés au développement. (27) Agrimonde – Agricultures et alimentation du monde en 2050. Scénarios et défis pour un développement durable. inra-cirad, 2e édition, sept. 2009. 145 l’hypothèse retenue est que les ressources issues de la production régionale couvrent les besoins régionaux. L’évolution de ces différentes variables, qui interagissent tout en rendant difficile la construction de scénarios détaillés à partir de la quantification des ressources alimentaires, permet cependant d’esquisser l’évolution de grandes tendances à partir des chiffrages sur la population, les surfaces disponibles, les rendements alimentaires régionaux, etc. En ce qui concerne l’évolution de la population, il est fait référence aux scénarios prospectifs spécialisés détaillés ailleurs. Le chiffre global retenu est de 500 millions d’habitants en Méditerranée en 2030. L’hypothèse moyenne retenue est que le niveau de consommation alimentaire atteint serait de 3 000/3 300 Kcal/j/hab. avec des spécificités par pays (cf. point 8) selon le régime alimentaire. La croissance économique, selon les différents scénarios, tire la consommation alimentaire(28). Cette disponibilité moyenne globale ne prend pas en compte à ce niveau les grandes disparités intra-régionales comme celle liée à l’origine animale ou végétale des aliments qui composeront la ration alimentaire. Pour quantifier l’évolution de la demande alimentaire, nous retiendrons l’évolution de la demande en céréales et plus particulièrement la demande en blé dont il a été souligné l’importance, compte tenu du déficit structurel des Psem (hors Turquie). Il devient pertinent d’approfondir les travaux sur la demande alimentaire en céréales pour la consommation humaine et animale. Entre 2000 et 2030, cette demande augmenterait de 85 millions de tonnes à plus de 140 millions de tonnes(29). Les facteurs limitant l’accroissement de surfaces cultivées du fait du faible potentiel des terres cultivables, du stress hydrique probablement en hausse suite aux changements climatiques, et la perte de surfaces déjà cultivées, conséquence de l’urbanisation, réduisent les capacités de mise en culture de terres nouvelles. L’augmentation maximale de la surface cultivée est estimée à + 10 % pour les surfaces en culture (alimentaires et non alimentaires) dans la zone Afrique du Nord et Moyen-Orient. La hausse de la production agricole issue de l’intensification se traduira par l’augmentation de calories alimentaires par secteur cultivé. Cette production, qui a suivi un taux d’accroissement annuel de 2,5 % entre 1961 et 2000, ne croîtrait entre 2000 et 2050 que de 0,25 à 1 %(30). (28) Quantité disponible (production +/- stocks + importations - exportations). (29) Renforcer la sécurité alimentaire dans les pays arabes. Étude fao-bm, 2009. (30) Rendements alimentaires et taux d’accroissement annuels dans le scénario de la prospective agricole. Cf note 28. 146 vi – prospective – agriculture Selon ces hypothèses de croissance démographique, d’évolution des consommations animales et végétales, des surfaces cultivées et de rendement, les bilans font apparaître un déficit(31) alimentaire constant. Si la production régionale progresse en tendance régulière de 40 à 70 mt, la région Mena devrait alors importer en 2030 plus de 50 % de sa consommation, soit plus de 70 millions de tonnes de céréales pour satisfaire des besoins croissants liés à une forte augmentation de viande (+104 %) et de lait (82 %). Face à ce déficit constant, la région des Psem devra importer pour nourrir sa population. Compte tenu du volume de production en eau renouvelable (en m3 par habitant et par an) au Maghreb, Machrek et Afrique du Nord et couplé aux projections de croissance démographique pour la période 20002030, l’hypothèse moyenne retenue pour la même période avec une augmentation de la population de 70 %, insuffisamment compensée par une production agricole n’augmentant que de 20 %, aboutit à un déficit alimentaire de 1 150 % (cf. note 25). Ce résultat global agrège des résultats très différents avec des déficits de balance commerciale variable selon les pays. La Tunisie occuperait une place plus favorable (32) avec seulement 27 % de demande supplémentaire de céréales dans les dix ans à venir et 34 % pour les huiles. Pour la région Maghreb (Algérie, Maroc, Tunisie, Libye), une augmentation globale des importations de 50 % pour les huiles et de 75 % pour les céréales est retenue. Pour l’évolution des prix alimentaires, la tendance observée est celle des prix du blé et du pétrole sur le marché à terme(33), matières premières stratégiques pour la sécurité alimentaire (alimentation, énergie). La fluctuation rapide à la hausse de leur prix ( GRAPHIQUES 39 et 40 ) est un des principaux déclencheurs des émeutes de la faim qui se répètent en Méditerranée depuis le début des années 2005. La tendance retenue pour l’évolution du prix du blé est une augmentation régulière sur la longue période, avec de fortes variations liées à la volatilité durable des prix, en l’absence de stocks de régulation efficaces(34). (31) Le calcul de ce déficit est la différence entre la production locale et la consommation (alimentaire humaine + animale + semences + autres usages de la biomasse alimentaire). (32) Min. Agri. Ress. hydrauliques et Pêche, Tunisie. Vers une nouvelle stratégie pour le développement du secteur agricole 2008. Cité par note 25. (33) Données citées par Nicolas Bricas, umr Moisa-cirad. Janvier 2011. (34) Le prix de la tonne de blé stocké en Ile-de-France passe pour un produit identique (même lieu de stockage et même qualité) de 130 euros en juillet 2010 à 270 euros en février 2011. 147 GRAPHIQUE 39 Prix du blé sur le marché à terme GRAPHIQUE 40 Prix du pétrole brut Source : FT. 28/01/2011 d’après N. Bricas. Pour réaliser les différents scénarios envisagés, les agricultures méditerranéennes devront faire face aux défis essentiels du secteur agroalimentaire. À savoir : Améliorer la production des ressources alimentaires. Cela dépendra : • du développement agricole et rural dû à une intensification dépassant les contraintes de croissance de terres cultivables et de concurrence sur les ressources foncières et en eau ; • de la capacité à innover, à complexifier les systèmes de production, à gérer la demande en intrants, à garantir l’accès aux ressources et aux services d’appui à la production. Adapter la demande alimentaire aux ressources. Cela dépendra : • de l’évolution des comportements alimentaires, des politiques institutionnelles mises en place, de la capacité à maîtriser la consommation de calories d’origine animale(35) et de la réduction des pertes dans les filières production, transformation et distribution alimentaire ; • de la mise en place de dispositifs nouveaux de gouvernance, nationaux et interrégionaux, pour sécuriser les approvisionnements et réguler les marchés et les prix. (35) Baisse importante pour les pays de la rive nord. 148 vi – prospective – agriculture Pour le scénario de référence et l’adéquation entre ressources et demandes alimentaires, nous retenons, à l’horizon 2030, les principales données chiffrées suivantes : • surfaces cultivées : + 10 % au maximum ; • surfaces pastorales : maintenues ou en régression de 5 % ; • surfaces forestières : en diminution de 30 % ; • déficit de pluviosité : + 10 % à + 20 % ; • taux d’accroissement des rendements alimentaires/ha : de +0,25 à + 1 % par an ; • production agricole : + 20% au maximum ; • consommation alimentaire humaine : 3 000 kcal/hab/j dont 2 500 d’origine végétale et 500 d’origine animale ; • rendements alimentaires en kcal/ha/j : 14 500 ; • déficit alimentaire global : plus de 100 % (doublement). Le scénario de crise de la Méditerranée : convergence par le bas et rupture (S1) dans ce scénario les tendances observées précédemment se confirment et s’accélèrent. Les crises se succèdent, avec une montée des prix des produits agricoles de base et des produits alimentaires qui s’installe dans la durée. Ce renchérissement s’accompagnera de fortes variations, liées à une spéculation active et à l’absence de stocks alimentaires pour une régulation minimum des prix et des stocks de sécurité alimentaire. La première partie de ce scénario se joue actuellement, selon l’indice fao sur l’évolution des prix des produits alimentaires (36) (GRAPHIQUE 41 ). Début 2011, cet indice, qui a augmenté tous les mois depuis sept mois, est en hausse de 3,4 en janvier 2011 et atteint 231 points, son plus haut niveau depuis 1990, date de création de l’indice. Les prix des denrées alimentaires flambent en un mois (sucre : + 5,4 %, huile et matières grasses : + 5,6 %, céréales : + 3 %) (GRAPHIQUE 42 ). Si le prix de la viande au niveau mondial reste stable, cela est dû à une baisse des prix en Europe (37). Les crises alimentaires s’installent alors durablement et les États réagissent individuellement face à la crise tunisienne. Début janvier 2011, l’Algérie achète un million de tonnes sur le (36) www.fao.org/worldfoodsituation/foodpricesindex. (37) Baisse des prix suite à la crise de confiance, en décembre 2010 et janvier 2011, des consommateurs liés à la consommation de l’alimentation du bétail (Allemagne) compensée par une hausse des prix à l’exportation par les États-Unis et le Brésil. 149 41 Indice FAO des prix des produits alimentaires GRAPHIQUE 240 2002-2004 = 100 2011 42 Indices des prix des denrées alimentaires (2010) GRAPHIQUE 425 2002-2004 = 100 Sucre 210 180 2008 350 2010 2007 150 Huiles et matières grasses 275 2009 200 Produits laitiers Céréales Viande 120 J F M A M J J A S O N D 125 J F M A M J J A S O N D J marché international(38). Le Maroc lance, le 12 janvier 2011, un appel d’offre pour 150 000 tonnes de blé et 100 000 tonnes d’orge ; la Libye, 100 000 tonnes de blé. Les tensions s’accélèrent sur les marchés du fait également de politiques nationales non coordonnées. Avec cette insécurité alimentaire, les États deviennent vulnérables. Les crises alimentaires et les émeutes de la faim déclanchent d’autres crises. Les prix mondiaux des matières agricoles au niveau mondial augmentent. Mais, en Méditerranée, l’effet d’entraînement sur les revenus agricoles est faible pour les exploitations familiales. Celles-ci sont majoritaires, en nombre d’exploitations et d’actifs travaillant dans ou pour des exploitations essentiellement tournées vers la production d’agriculture vivrière de subsistance combinée à l’élevage et à l’arboriculture en sec. Dans les zones d’aléas climatiques trop marquées, les cultures céréalières sont abandonnées avec, à terme, l’effondrement des agricultures pluviales (non irriguées) sur la rive sud et au Moyen-Orient et une accélération des échanges Nord-Sud, dans un marché ouvert et non régulé. Les agricultures des Psem, exception faite de quelques filières d’exportation vers la rive nord du Maghreb, d’Israël et de la Turquie, ne sont plus compétitives sur les marchés extérieurs et intérieurs. Dans ce scénario de convergence par le bas et d’accélération des tendances retenues pour le scénario de référence, l’accès à la ressource en eau entraîne des conflits. La demande croissante en eau agricole n’est (38) Commande du 6 janvier 2011 après 5 jours d’émeutes de la vie chère en Algérie, suivie d’achats de 600 000 t. de blé meunier et de 50 000 t. de blé dur, mi-janvier 2011. 150 vi – prospective – agriculture plus satisfaite que par une offre limitée, sans possibilité d’augmentation ou d’amélioration de l’efficience de l’irrigation (pertes de charges, irrigation gravitaire restant majoritaire sans développement sensible de l’irrigation localisée). Le manque d’organisations professionnelles, d’associations ou de syndicats d’exploitants agricoles ne permet pas d’organiser l’accès aux services d’appui à l’agriculture et au marché. Les petites exploitations agricoles, sous-encadrées techniquement, vivent de revenus de transfert et de pluriactivités qui assurent leur survie. Le secteur agricole d’entreprise, de plus en plus dominé par des exploitants non agricoles, concentre la propriété foncière des terres collectives puis des domaines de l’État (39) et peut poursuivre sa modernisation en améliorant ses rendements et sa production globale. Dans le même temps, la petite agriculture voit sa population augmenter, l’exode et l’émigration n’absorbant plus le surcroît de population. Ces petites exploitations décapitalisent leurs ressources foncières matérielles et financières, la pression sur les ressources naturelles augmente… On assiste alors à l’extension de la pauvreté, des inégalités sociales et territoriales. Le scénario de la rupture se trouve alors amplifié par les migrations forcées, les flux migratoires non maîtrisés, l’asymétrie et le déséquilibre. La rive nord qui tente de se sortir de la crise économique et financière (plus marquée dans les pays méditerranéens d’Europe que dans les pays de la zone nord) ne peut plus investir dans des politiques qui atténuent ces asymétries… En Méditerranée, la chute des investissements directs étrangers, observée en 2008 et 2009, se confirme. Les transferts de travailleurs expatriés ralentissent et les flux touristiques diminuent. La baisse des exportations (40) s’accompagne d’une hausse du taux de chômage et de l’inflation. Les déficits budgétaires se creusent. Les taux de croissance annuels du pib ralentissent et passent de plus de 5 % pour les pays du Maghreb à moins de 3 %. Le projet d’un espace économique euro-méditerranéen disparaît alors pour une longue période. (39) Mediterra 2008 : au Maghreb 1,5 % du total des exploitations sont de taille supérieure à 50 ha et regroupent 20 % de la surface cultivée. Deux exploitations sur trois ont moins de 5 ha. (40) Baisse des exportations en Tunisie de 21 % en 2008, puis de 18 % en 2009. Source : O. Bessaoud. ciheam/iamm. Séminaire gtz/inra/ird Tunis. Nov. 2010. 151 Le scénario des divergences méditerranéennes : une insertion disparate dans l’économie mondiale (S2) dans ce scénario, le processus euro-méditerranéen subsiste dans une économie libérale ouverte sur le monde. Les accords de libre-échange, que chaque pays négocie individuellement avec l’Europe, se développent mais de façon asymétrique avec plus de bénéfices pour la rive nord que pour la rive sud. Ces accords excluent toujours l’agriculture et empêchent le développement des exportations des pays du Sud et de l’Est vers l’Europe. Cette asymétrie, favorable au Nord, se renforce dans la mesure où l’intégration régionale Sud-Sud ou Sud-Est ne voit toujours pas le jour, les pouvoirs en place préférant la négociation isolée et le statu quo à une entente régionale. L’impact négatif du blocage des frontières (41), avec des coûts de transaction entre les pays du Maghreb supérieurs aux coûts de transaction avec l’Europe, ne favorise pas l’intégration régionale. Cette absence d’approche commune est préjudiciable aux pays du Maghreb. Par exemple, dans leurs négociations d’achat de céréales sur le marché mondial, compte tenu du poids des importations, les importations totales de blé cumulées pour l’Algérie, le Maroc, la Tunisie et l’Égypte représentent, au plus fort de la crise de 2008, 20 % à 25 % des importations mondiales de céréales. Dans ce contexte, les échanges commerciaux entre les Psem et l’UE diminuent. Le Brésil devient partenaire des pays méditerranéens. Le Mercosur renforce ses alliances et négocie des accords avec l’Égypte, le Maroc et la Turquie. Les exportations agroalimentaires du Brésil vers l’Égypte et l’Algérie augmentent rapidement. L’Égypte importe presque toute la viande et le sucre importé du Brésil (42). Seuls quelques pays méditerranéens, au premier rang desquels la Turquie, maintiennent des taux de croissance de pib total et de pib agricole proches de 5 % par an, mais essentiellement au profit d’une agriculture d’entreprise mécanisée. Pour la majorité des Psem, l’agriculture familiale régresse, se marginalise, tandis que l’agriculture intensifiée et mécanisée se développe. La population rurale, non solvable, a de plus en plus de mal à accéder aux ressources, aux biens et aux services. En revanche, une partie de la population urbaine solvable maintient son accès au marché globalisé, aux grandes surfaces de distribution, aux services, à l’éducation et à la santé. L’urbanisation s’accélère et le fossé se creuse entre le littoral et les zones rurales de l’intérieur. Le (41) Pour une sécurité durable au Maghreb, une chance pour la région, un engagement pour l’Union européenne. Institut Thomas More. Avril 2010. (42) Voir Confluences méditerranéennes, la Méditerranée sans l’Europe. N°74. Été 2010. 152 vi – prospective – agriculture Sud de la Méditerranée, pour assurer sa sécurité alimentaire, se tourne alors progressivement vers d’autres partenaires émergeants, le Brésil, la Chine et l’Inde, dont les productions agricoles et agroalimentaires finissent par concurrencer celles de la rive nord. Le scénario de la convergence méditerranéenne : convergence par le haut avec un ensemble de politiques agricoles et multisectorielles concertées (S3) c’est un scénario qui change la donne, avec une convergence progressive pour un pacte de co-développement qui améliore la sécurité alimentaire régionale. Ce scénario se construit avec des pays du pourtour méditerranéen qui prennent en charge collectivement leur sécurité alimentaire grâce à des politiques agricoles régionales concertées et complémentaires. L’évolution vers ce scénario implique le partage d’objectifs communs de sécurité alimentaire, la mise en place de politiques agricoles européennes et méditerranéennes convergeant sur quelques points clés (maîtrise des prix agricoles, régulation des marchés, constitutions de stocks de sécurité pour la sécurité alimentaire). Un investissement public et privé massif est réalisé dans le secteur agricole, indispensable pour garantir une augmentation régulière du pib agricole de 3 à 5 % par an. Les investissements consacrés au secteur agricole doivent progresser au même rythme que la croissance du pib agricole dans les secteurs de la mobilisation de la ressource en eau, du transport et de la distribution localisée de l’eau d’irrigation, mais également dans les dispositifs de renforcement de l’agriculture pluviale et d’économie de la ressource en eau dans les systèmes agraires valorisant les surfaces pastorales et les zones d’irrigation de complément (43). Les investissements publics agricoles devront s’appuyer sur des capacités humaines accrues qui devront assurer le suivi des politiques mises en place et favoriseront l’accès au marché d’exploitations agricoles fragilisées par de longues années de politiques d’ajustement structurel et de politiques de libéralisation des marchés. Pour créer des emplois et des revenus en milieu rural méditerranéen, condition indispensable pour une sécurité alimentaire renforcée, il faudra mettre les politiques agricoles en cohérence avec les autres politiques publiques sectorielles et intersectorielles (régulation des importations, droits de douanes, contingents tarifaires et mesures de sauvegarde, etc.) (43) Il peut s’agir des dispositifs d’épandage de crues, de défense et restauration des sols, micro ouvrages, lacs collinaires pour irrigations de complément, etc. 153 Dans chaque pays méditerranéen (44), la valorisation des investissements publics et privés dans le secteur productif suppose une politique industrielle qui valorise les produits locaux et met aux normes et standards internationaux des produits et des entreprises de transformation. La mise en place du scénario de la convergence, avec une croissance annuelle de pib agricole supérieur à 3 %, nécessitera également, dans les pays de la rive sud, de coupler à une politique incitative de production, des éléments de politique économique générale facilitant les crédits à l’agriculture, la mise en place d’assurances et de mesures fiscales portant, par exemple, sur les aides au stockage et à la production de semences de qualité. L’accès aux moyens d’investissements et d’équipements implique, par ailleurs, des crédits spécifiques à l’agriculture à des taux bonifiés, gérés par des services financiers professionnels. L’élaboration de politiques publiques dans le secteur agricole et agroalimentaire nécessite la présence d’un secteur professionnel organisé, véritable interlocuteur des pouvoirs publics, et qui contribue à la réhabilitation de l’action publique. Des politiques d’enregistrement foncier sont indispensables pour stimuler l’investissement dans la durée et les financements de l’activité agricole. Des politiques environnementales complémentaires de gestion rationnelle des ressources en eau et en sols, des politiques d’infrastructures, de transport et d’aménagement du territoire devront également accompagner les politiques d’investissement dans le secteur productif. 3. Vers une nouvelle politique agricole commune ces dispositifs d’intégration nécessitent la mobilisation de moyens financiers importants dans la durée. Les pays du Nord de la Méditerranée, pour réussir leur politique d’intégration, ont bénéficié de politiques publiques stables installées dans la durée et de soutiens financiers massifs (45 milliards d’euros par an pour l’UE27 jusqu’en 2012). Il ne semble pas envisageable que ce dispositif puisse s’étendre progressivement aux pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée, compte tenu de la faible capacité de ces pays à collecter impôts et taxes pour alimenter un système d’accompagnement et d’aide au développement rural. Les modes de gouvernance, l’absence de législation adaptée, de dispositifs de rattrapage et de mise à niveau rendent peu envisageable la mise en place de tels dispositifs à court terme. Ce contexte n’est pas (44) Voir une analyse récente sur la Tunisie. Cf. note 25. 154 vi – prospective – agriculture 43 Le chemin de la réforme de la Politique agricole commune et ses dépenses GRAPHIQUE Milliards d’euros 70 UE-10 UE-12 % du PIB 0,7 % UE-15 UE-25 UE-27 60 0,6 % 50 0,5 % 40 0,4 % 30 0,3 % 20 0,2 % 10 0,1 % 1980 1985 1990 1995 2000 Aides à l’exportation Mesures de soutien au marché Découplage des aides directes Développement rural 2005 Aides directes % du PIB de l’UE Source : The CAP – moving with the times, Zagreb, 12 June 2009. celui des pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée. Cependant, les crises alimentaires récentes ont mis en évidence que la doctrine bien établie de gestion des risques sans toucher aux prix agricoles devait être remise en cause. Il y a peut-être alors un espace pour l’élaboration de nouvelles politiques agricoles et agroalimentaires concertées au Nord et au Sud de la Méditerranée, avec des aides conséquentes accordées au secteur du développement rural. Ces moyens accordés aux actions de type 2e pilier, qui représentent encore pour l’UE une partie minoritaire des moyens alloués par la pac actuelle, pourraient évoluer lors de la prochaine pac à partir de 2013 ( GRAPHIQUE 43 ). Une dynamique de ce type pourrait être mise en place en concertation entre les pays méditerranéens et l’UE. L’expérience du plan Maroc Vert doit être suivie avec attention avec une mesure des impacts des actions 2e pilier pour relancer l’agriculture familiale et créer des emplois et des revenus en milieu rural. La communication de la Commission au Parlement européen de novembre 2010(45), qui fait suite à de nombreux échanges et consultations internes et externes(46) et à des débats publics, (45) Voir communication – com (2010) 672 final. (46) Conférence de Bruxelles sur la future pac 2013 du 16 juillet 2010. 155 propose des choix stratégiques pour l’avenir à long terme des zones agricoles et rurales européennes. Le projet de nouvelle pac 2013, dans son stade d’élaboration actuel, acte le maintien de deux piliers pour structurer une pac devant rester une politique commune forte de l’Europe organisée pour répondre à trois objectifs stratégiques : • Assurer la sécurité alimentaire à long terme de l’Europe, tout en contribuant à la demande alimentaire mondiale en croissance continue. La préservation du potentiel de production alimentaire doit s’effectuer dans un contexte de changement climatique et de pression accrue sur les ressources foncières et en eau. • Soutenir la production de denrées alimentaires variées, de qualité, à valeur ajoutée, produite en approche respectueuse du développement territorial. • Préserver la viabilité des collectivités rurales qui créent des emplois locaux. Ces éléments de positionnement général soulignent l’importance de l’agriculture pour l’économie et la société européenne avec des options de réorientation budgétaire de la pac 2013. L’existence de deux piliers complémentaires est confirmée ; le premier pilier offrant des mesures de marché et des paiements directs mais plus axés sur l’écologie et plus équitables qu’actuellement. Le second pilier propose des mesures pluriannuelles de développement rural mais davantage orientées vers la compétitivité, l’innovation et l’environnement, dans un contexte de changement climatique. Ces orientations sont compatibles avec les priorités de développement des agricultures méditerranéennes, bien que les travaux d’élaboration sur la future pac ne comprennent pas de mesures d’impact sur les échanges des produits méditerranéens entre les zones Nord, Sud et Est de la Méditerranée. 4. La politique européenne de voisinage : une coopération renforcée pour la convergence de normes sanitaires la politique européenne de voisinage (pev) vise à proposer une plus grande intégration économique entre l’Union européenne et ses voisins, dont les pays partenaires méditerranéens (ppm), membres du Processus de Barcelone. Cette politique, différente d’une politique d’élargissement, cherche à établir une coopération renforcée sans perspective d’adhésion. Elle propose donc un statut moins exigeant que celui de l’adhésion, mais 156 vi – prospective – agriculture plus que celui de l’association, aux pays qui s’engageraient dans une série de réformes politiques et institutionnelles, en priorité tournées vers la promotion de produits agricoles méditerranéens pour les marchés d’exportation, mais également pour les marchés intérieurs. Pour les ppm, la convergence de normes sanitaires avec celles de l’UE devient alors incontournable pour tous les produits qu’ils exportent vers l’UE, notamment pour les fruits et légumes frais qui représentent 56 % des exportations des pays méditerranéens à destination de l’UE (25) en 2005-2006. La faible capacité actuelle des entreprises des ppm à maîtriser la qualité sanitaire de leurs produits est souvent un argument utilisé pour s’opposer à la libéralisation des échanges de produits agricoles et agroalimentaires. Des réformes prévoyant la création d’agences sanitaires sont indispensables pour lever ces nouvelles barrières non tarifaires. Elles impliquent la mise en conformité des législations nationales avec les engagements internationaux, mais aussi la responsabilisation des acteurs privés par l’autocontrôle, la promotion de la qualité et de la traçabilité des produits, garantissant une meilleure compétitivité des produits sur les marchés intérieurs. Dans ce cadre, il devient indispensable de mettre en place de façon concertée entre le Nord, le Sud et l’Est, un dispositif de promotion de la qualité des produits s’appuyant par exemple sur un réseau de laboratoires d’analyse pour caractériser, valider et certifier la qualité sanitaire de produits agricoles et agroalimentaires méditerranéens destinés au marché interne comme à l’exportation. Les réglementations sanitaires sont au centre des dispositifs de la sécurité sanitaire des aliments en Europe pour les négociateurs publics ou privés, essentiellement issus du secteur de la grande distribution. L’Autorité européenne de sécurité des aliments (efsa) a été créée en 2002 pour évaluer les risques existants ou émergents dans le domaine de l’alimentation. Ses travaux scientifiques, les résultats et les conseils qu’elle publie doivent aider les décideurs pour l’adoption de la législation européenne sur la sécurité sanitaire des produits animaux et végétaux. La création d’un espace commun d’échanges de produits agricoles et agroalimentaires entre l’Europe et la Méditerranée rend nécessaire la mise en place de législations rapprochées, favorisant une circulation avec moins de distorsions qu’actuellement. Ce mouvement de convergence des normes alimentaires entre ppm et l’UE peut permettre d’accélérer la modernisation des filières des ppm et contribuer à la création progressive d’un espace économique euro-méditerranéen. Cela impliquera la mobilisation de moyens spécifiques pour des mises en confor157 mité, pour la consolidation de capacités financières et le renforcement de compétences techniques. Il faudra aussi dépasser des contraintes institutionnelles, relatives à la qualité sanitaire des produits échangés et d’organisation des filières dans les ppm. 5. Le scénario du co-développement Construire un pacte de co-développement rural un facteur majeur de la sécurité alimentaire réside dans l’instabilité des prix agricoles qui est souvent la conséquence de pratiques spéculatives et d’incapacité d’anticipation des acteurs des mondes agricoles et ruraux. Le recours à différents instruments pour gérer cette instabilité devient indispensable(47), soit par la stabilisation des prix, soit par une meilleure maîtrise des risques liés au marché, à l’aide d’instruments couplant régulation des marchés et interventions publiques. Des politiques publiques de stabilisation des prix alimentaires ne peuvent être conçues qu’à moyen et long termes. Ces politiques publiques combinent arbitrage, couverture contre les risques, dispositif d’assurance de transfert et mesures d’accompagnement. Des contrôles temporaires de la production, par régulation des importations et des exportations, doivent être conçus avec la mise en place de quotas d’importation et d’exportation. Moderniser les systèmes de production, les adapter au changement climatique, investir dans le secteur productif, notamment dans celui de la transformation et la mise en marché, implique de maîtriser la stabilité des prix à différents niveaux. La modernisation des structures de production, l’intensification respectueuse de l’environnement est une première forme de stabilisation. Des interventions publiques complémentaires renforceront la maîtrise du processus de spéculation par des recours aux marchés internationaux ou par la gestion de stocks de sécurité. Le contrôle des exportations en période de crise peut également contribuer à l’amélioration de la gestion des stocks physiques. Des mécanismes associés de taxes variables sur les produits importés peuvent aussi aider à compenser les variations trop fortes de prix. C’est un ensemble de mesures qu’il faut mettre en (47) Se reporter à Volatilité des prix internationaux agricoles et alimentaires et libéralisation en Afrique du Nord. François Lerin, Sylvaine Lemeilleur, Michel Petit, dans Perspectives des politiques agricoles en Afrique du Nord. ciheam/afd. Options méditerranéennes. N° 64. 2009. 158 vi – prospective – agriculture place pour une intervention stabilisatrice, pour réduire les risques et anticiper les interventions futures. Elles articulent contrôle des prix et des marchés, incitations à la production pour le marché intérieur, renforcement de la professionnalisation des filières et des organisations de producteurs. Tous ces éléments de politiques agricoles et agroalimentaires, mis en place de façon concertée entre le Nord, le Sud et l’Est de la Méditerranée, peuvent constituer un pacte de co-développement rural à bénéfices mutuels. Il serait alors possible d’accepter une certaine forme de protectionnisme, sur une période transitoire, pour permettre de consolider les revenus des agriculteurs ayant accès aux marchés locaux à des prix rémunérateurs. Des dispositifs de contrôle élaborés au Nord comme au Sud permettraient de réguler les marchés et d’assurer la promotion d’une production agricole de qualité garantissant emplois et revenus dans les milieux ruraux des intérieurs des pays du Sud et de l’Est méditerranéen. Dans ce cadre, la mise en place de stocks de céréales euro-méditerranéens pourrait être organisée pour rendre les interventions d’urgence plus efficaces. La politique de stockage, y compris dans les ports méditerranéens, pourrait être relancée, en concertation entre les pays riverains. Cet accord de partenariat sur les céréales aurait pour vocation de garantir les prix aux producteurs, comme aux consommateurs, en limitant l’impact de la spéculation. Les filières céréalières de la rive nord pourraient établir un partenariat avec les pays du Sud et de l’Est sur la base d’un accord global garantissant, pour les pays du Nord, un débouché. En contrepartie, les pays du Nord garantiraient une sécurité alimentaire dans un dispositif de gestion des stocks en commun. Cet accord régional pourrait être conclu directement entre les opérateurs des filières céréalières tout en bénéficiant de garanties fournies par les États. Les pays du Sud, par ailleurs exportateurs d’intrants agricoles (phosphates naturels et fertilisants issus de la pétrochimie), pourraient inclure ces éléments dans les termes de l’accord à négocier qui pourraient comprendre éventuellement une indexation des cours des céréales sur les cours de l’énergie. Un tel projet, qui s’inscrirait dans la durée (cinq à dix ans), aurait du sens au niveau géostratégique dans la mesure où, d’ici à vingt, vingt-cinq ans, il faudra nourrir cent millions d’habitants sur le pourtour méditerranéen. Cela impliquerait, notamment pour l’Europe, de s’engager dans la construction d’un partenariat pour soutenir la réforme des agricultures des pays en développement au Sud de la Méditerranée, en effectuant des transferts de moyens à l’image de ce qui a été fait pour les pays de l’Est de l’Europe. Il s’agirait, donc, 159 pour le secteur de l’agriculture, de l’agroalimentaire et du développement rural, non pas de l’extension de la pac dans une nouvelle formule au Sud et à l’Est mais d’élaborer une politique régionale de développement, articulée autour de la politique européenne de voisinage, permettant la construction progressive d’un véritable pacte de co-développement rural pour la Méditerranée. Organiser les filières prioritaires le secteur des fruits et légumes reste le secteur majeur d’échanges potentiels entre le Nord, le Sud et l’Est de la Méditerranée, dans la mesure où le secteur céréalier reste structurellement un secteur d’importation des Suds à partir des Nords diversifiés. L’élaboration d’une dynamique de co-développement euro-méditerranéen permettrait de construire une organisation de la production et des échanges méditerranéens de fruits et légumes pouvant être étendue ensuite à d’autres filières. Les objectifs de cette organisation pourraient être les suivants : • créer emplois et valeur ajoutée par le commerce national et international, la promotion de la qualité, de l’origine méditerranéenne et la consolidation de partenariats euro-méditerranéens d’entreprise ; • relancer la consommation de fruits et légumes méditerranéens en proposant des produits de qualité issus de procédures de certification à des prix acceptables et mettre en valeur leurs bienfaits nutritionnels ; • maîtriser les effets négatifs sur l’environnement en développant des productions intégrées et biologiques, issues d’intensifications écologiques et valorisant les savoir-faire et les innovations ; • diminuer les émissions de gaz à effet de serre et de particules à empreinte environnementale forte en réduisant les transports routiers Sud-Nord et Nord-Sud et en intégrant des éléments d’éco-conditionalités dans les échanges. Dans un espace euro-méditerranéen, avec un minimum de règles en commun pour la qualité des produits échangés, les filières de produits de qualité (dont l’impact économique est croissant au Nord) représentent un potentiel non négligeable de développement, d’emplois et de revenus en milieu rural ( GRAPHIQUES 44 et 45 ). Mieux maîtriser les risques de la sécurité alimentaire en Méditerranée ce scénario de la convergence et du co-développement méditerranéen doit renforcer, sur quatre axes, la maîtrise des risques grâce à laquelle se construit la sécurité alimentaire : 160 vi – prospective – agriculture GRAPHIQUE 44 Italie Produits de qualité : AOP, IGP et STG dans les pays du Nord (2009) (nombres) STG : Spécialité traditionnelle garantie IGP : Indication géographique protégée AOP : Appellation d’origine protégée Source : CIHEAM, Atlas Mediterra. GRAPHIQUE France Espagne Portugal Grèce Turquie STG IGP AOP 1 61 112 0 84 76 3 51 66 0 56 58 0 23 63 0 19 34 174 160 120 114 86 Part des pays méditerranéens de l’UE dans le total UE 53 20 % 82 % 91 % 45 Agriculture biologique et produits de qualité en Méditerranée (milliers d’hectares, 2006) Source : CIHEAM, Atlas Mediterra. • assurer la disponibilité en produits alimentaires de base en combinant production intérieure et capacité d’importation ; • garantir tout au long de l’année et sur la durée la régularité du disponible ; • maintenir l’accès à l’alimentation en préservant le pouvoir d’achat, les infrastructures de transport et de stockage, ainsi que les capacités de négociations équilibrées entre les acteurs des filières, de la production à la consommation ; • garantir la qualité nutritionnelle des aliments. pour assurer cette sécurité alimentaire à long terme, la démarche de coopération euro-méditerranéenne, renforcée dans le secteur de la sécurité alimentaire, pourrait focaliser les efforts pour les marchés agroalimentaires et les entreprises, pour les systèmes de production et dispositifs d’exploitation et pour les exploitations agricoles sur dix priorités : 161 1. Encourager l’intégration entre les filières locales et les filières d’exportation. Les entreprises exportatrices, disposant de compétences dans le domaine d’application des normes de qualité, pourraient être incitées à diffuser leurs acquis vers le marché intérieur. Développer des circuits pour la construction de systèmes alimentaires de proximité (48) favorisant les circuits de distribution courts, les transformations agroalimentaires sous régionales, créatrices d’emplois et de revenus en milieu rural. 2. Favoriser le transfert de savoir-faire dans le domaine des systèmes de production raisonnés et d’expertise de la normalisation par la création de co-entreprises produisant au Nord et au Sud pour garantir l’approvisionnement continu des mêmes distributeurs. 3. Élaborer un programme d’appui à la qualité et à la normalisation sanitaire, ciblé pour des producteurs identifiés, adapté aux conditions de production et aux valeurs socioculturelles des ppm, leur garantissant une contribution active à l’élaboration de ces normes. Lancer des programmes de certification d’origine des produits et faire reconnaître ces labels entre pays adhérant à ces dispositifs. Encourager les partenariats Nord-Sud et la création de co-entreprises, capables d’organiser les complémentarités de calendrier de production et des gammes diversifiées de produits. 4. Développer la recherche, la formation, l’enseignement supérieur et le transfert de technologie pour les changements climatiques : systèmes d’irrigation des cultures pour renforcer les systèmes de production, lutte intégrée contre les ravageurs, préservation de l’agriculture. Promouvoir les produits locaux à faible impact environnemental et utilisant la biodiversité. 5. Investir massivement pour créer et soutenir des innovations et des compétences techniques et managériales dans les filières d’exportation comme les filières traditionnelles dont les produits sont destinés aux marchés domestiques. Ces dispositifs, construits sur la diversité des agricultures méditerranéennes, valoriseraient la qualité de leurs produits en s’appuyant sur le potentiel important de développement des marchés intérieurs. 6. Mieux maîtriser la volatilité des prix par des mécanismes de contrôle des marchés resserrés en période de spéculation grâce à l’aide de fonds dédiés aux produits d’alimentation de base. (48) Voir : Prospective du système alimentaire mondial : modèle agro-industriel ou modèle de proximité ?, dans : Le système alimentaire mondial. Concepts et méthodes, analyses et dynamiques. Jean-Louis Rastoin, Gérard Ghersi. Quæ 2010. 162 vi – prospective – agriculture 7. Éduquer les consommateurs pour une meilleure nutrition. Élaborer des programmes nutritionnels qui contribuent à améliorer le développement économique et social et à réduire la pauvreté. 8. Bâtir des systèmes pour s’adapter aux impacts des changements climatiques, construits sur des dispositifs mutualisés d’assurance. Maîtriser les risques liés à l’aridité en construisant des systèmes de production adaptés, économes en ressources en eau et valorisant la main-d’œuvre et les savoir-faire locaux. 9. Relancer une agriculture méditerranéenne de conservation préservant les sols, la biodiversité et moins émettrice en ges(49), grâce à des mesures de politique agricole incitatives et pouvant bénéficier de paiements pour services environnementaux (pse)(50). 10. Renforcer l’élaboration de connaissances et données utiles au développement pour la constitution de réseaux euro-méditerranéens d’enseignement, de recherche et de coopération. Connecter les universités et les systèmes de recherche sur les sciences du vivant, créer des pôles de compétences avec une répartition régionale des équipes (Maghreb, Europe du Sud, Machrek, Balkans…), prenant en charge des programmes finalisés sur des priorités définies en commun, confiés aux enseignantschercheurs euro-méditerranéens qualifiés et pouvant se déplacer plus librement entre les rives nord, sud et est de la Méditerranée. 6. Printemps méditerranéen et sécurité alimentaire, de nouvelles opportunités ? l’incertitude climatique incite toujours en Méditerranée à quelques prudences sur la durabilité des évolutions positives, les printemps pluvieux et verts étant parfois suivis d’étés secs, ne confirmant pas les promesses du printemps. Les révolutions engagées en Méditerranée restent des processus longs à stabiliser. Mais, pour garantir la sécurité alimentaire, de nouvelles ouvertures sont possibles pour promouvoir une coopération régionale Sud-Sud et Sud-Est efficace, préalable indispensable au renforcement de l’espace euro-méditerranéen. (49) ges : gaz à effet de serre, voir : L’agriculture peut-elle accéder aux marchés du carbone ? Étude farm. Décembre 2010. (50) Voir : La rémunération des services environnementaux rendus par l’agriculture. Document de travail prospective et évaluation. N° 2, mars 2009. maap : Service de la statistique et de la prospective. 163 Les échanges quasi inexistants entre les pays de la rive sud pourraient dynamiser les productions locales, les marchés régionaux, les emplois et les revenus en milieu rural. Les gains de pib issus de la réduction de la corruption, et donc des coûts de transaction, investis pour réduire l’insécurité alimentaire pourraient accompagner de nouvelles dynamiques régionales de gestion des ressources (51) afin de développer la production agricole. Un dispositif régional de financement pour le développement local permettrait d’accompagner le développement rural et les économies non agricoles implantées en milieu rural méditerranéen. Dans ce contexte d’ouverture et de renforcement possible de la coopération, l’Union pour la Méditerranée, actuellement en panne, pourrait être relancée en plaçant la sécurité alimentaire et le droit à l’alimentation parmi ses priorités, au risque d’observer le rôle d’autres acteurs non européens, ayant perçu l’enjeu d’un partenariat actif avec une Méditerranée redevenant un élément important sur la scène mondiale. (51) À l’image des institutions internationales de la gestion de la ressource en eaux fossiles de l’Est du Maghreb ou du Moyen-Orient. 164 ipemed ~ Institut de prospective économique du monde méditerranéen Association reconnue d’intérêt général, dont la mission est de rapprocher, par l’économie, les pays des deux rives de la Méditerranée, IPEMED œuvre à la prise de conscience d’un avenir commun et d’une convergence d’intérêts entre les pays du Nord et du Sud de la Méditerranée. Essentiellement financé par des fonds privés, il a pour règles l’indépendance politique, la parité Nord-Sud dans sa gouvernance comme dans l’organisation de ses travaux. Il donne la priorité à l’économie, privilégie une approche opérationnelle des projets et travaille dans la durée. IPEMED est présidé par Radhi Meddeb et dirigé par Jean-Louis Guigou. ~ Construire la Méditerranée La collection Construire la Méditerranée a été créée en 2009 par IPEMED. Les experts d’IPEMED, originaires des deux rives de la Méditerranée, y croisent leurs réflexions pour contribuer au débat sur les grandes problématiques méditerranéennes, féconder une nouvelle approche des relations Nord-Sud et formuler des propositions utiles aux populations des pays du Bassin méditerranéen. Les ouvrages sont disponibles sur le site Internet d’IPEMED. ‹ www.ipemed.coop déjà parus Région méditerranéenne et changement climatique, Stéphane Hallegatte, Samuel Somot et Hypahie Nassopoulos, 2009 Eau et assainissement des villes et pays riverains de la Méditerranée, sous la direction de Claude Martinand, 2009 Méditerranée 2030. Panorama et enjeux géostratégiques, humains et économiques, Guillaume Alméras et Cécile Jolly, 2010 Convergence en Méditerranée. Les entreprises de la Méditerranée s’engagent dans un plus fort transfert de valeur ajoutée entre ses rives, vecteur capital pour une intégration économique régionale, Maurizio Cascioli et Guillaume Mortelier, 2010 Méditerranée : passer des migrations aux mobilités Pierre Beckouche et Hervé Le Bras, 2011 Régulations régionales de la mondialisation. Quelles recommandations pour la Méditerranée ?, coordonné par Pierre Beckouche Réalisation coordonnée par Macarena Nuño, avec Patricia Jezequel, Alain de Pommereau. Achevé d’imprimé en novembre 2011 par France Quercy sur papier certifié fsc. prospective “ Méditerranée 2030 ” La Méditerranée est soumise à des grandes incertitudes sur son avenir. Pourtant, un riche tissu des relations économiques, institutionnelles et humaines continue de se développer, nous invitant à nous interroger sur son avenir. Face aux complémentarités évidentes et aux défis auxquels les pays individuellement ne peuvent pas répondre, plusieurs scénarios peuvent être dessinés. C’est ce que le consortium Méditerranée 2030 a réalisé dans cet ouvrage. Une insertion disparate des pays dans l’économie mondiale, ou un scénario davantage assombri par la crise de 2008, amenant une convergence par le bas et une marginalisation des pays méditerranéens sont vraisemblables et défavorables à une intégration régionale. Mais un autre destin est possible. Sous réserve d’une action politique volontariste et partagée par tous, une convergence méditerranéenne peut-être envisagée, basée sur la valorisation des complémentarités, une plus grande redistribution des richesses et un renforcement de la compétitivité dans un système régionalement intégré, jouissant des quatre libertés mises en place par l’UE. Pour y parvenir, neuf recommandations pour un écosystème méditerranéen ont été déclinées. cécile jolly Analyste, Centre d’analyse stratégique (cas) frédéric blanc Délégué général, Femise philippe fargues Directeur, Migration Policy Centre au Robert Schuman Centre for Advanced Studies, Institut universitaire européen giambattista salinari Assistant de recherche, Robert Schuman Centre for Advanced Studies, Institut universitaire européen dr. houda ben jannet allal Directrice Stratégie, Observatoire Méditerranéen de l’Énergie (ome) vincent dollé Directeur de l’Institut agronomique méditerranéen de Montpellier du Centre international des hautes études agronomiques méditerranéennes (ciheam/iamm)