Demain, la Méditerranée. Scénarios et projections à 2030.

Transcription

Demain, la Méditerranée. Scénarios et projections à 2030.
C O N S T R U I R E
L A
M É D I T E R R A N É E
Demain,
la Méditerranée
Scénarios et projections à 2030
croissance ~ emploi ~ migrations ~ énergie ~ agriculture
coordonné par cécile jolly
et réalisé avec
le consortium méditerranée 2030
méditerranée 2030
Une démarche de prospective à l’échelle
de la Méditerranée
en 2009, ipemed a engagé, en partenariat avec les organismes
d’étude euro-méditerranéens (carim, ciheam, femise, ome), un vaste
processus de prospective qui a pour but d’associer, au sein
du consortium Méditerranée 2030, des instituts de prospective publics
et privés du pourtour méditerranéen (Plans marocain, algérien et turc,
Centre d’analyse stratégique français, Institut Europeu de la Mediterrània, Centre mauritanien d’analyse des politiques, Observatoire
universitaire de la réalité socio-économique du Liban, Centre
for Mediterranean, Middle East and Islamic Studies (Université
du Peloponese), Albanian Council on foreign relations, ministères
des Affaires étrangères croate et mauritanien, etc.) en vue d’élaborer
ensemble une vision commune de la Méditerranée en 2030.
Ce projet de prospective poursuit deux objectifs :
• tout d’abord, une démarche scientifique et économique : élaborer
des diagnostics et des projections partagés à l’échelle de la région
dans les domaines de l’énergie, de l’agriculture, de l’eau
et de l’environnement, de la démographie et des migrations,
des investissements directs à l’étranger. Ce travail est réalisé en
partenariat avec les organisations euro-méditerranéennes spécialisées,
avec la collaboration des centres de prospective des pays riverains
de la Méditerranée ;
• mais surtout, une démarche politique et pédagogique : faire naître
des collaborations sur le long terme entre les responsables en charge
de la prospective, diffuser la méthodologie de la prospective au sein
de la région méditerranéenne et être un outil d’aide à la décision.
Les travaux du consortium sont animés et coordonnés par Cécile
Jolly, analyste au Centre d’analyse stratégique et par Macarena Nuño,
chef de projet à ipemed.
3
SOMMAIRE
SOMMAIRE DES TABLEAUX ET GRAPHIQUES
..................................... 6
synthèse
La Méditerranée en 2030 : les voies
d’un avenir meilleur ..............................................................
1. Des complémentarités à exploiter pour une vision
méditerranéenne ..........................................................................
2. Des défis communs à relever ......................................................
3. Un avenir méditerranéen menacé par la marginalisation
ou la divergence............................................................................
4. Alors que faire pour favoriser la convergence
méditerranéenne ?........................................................................
Scénarios de croissance
pour la Méditerranée en 2030 ........................................
9
11
15
19
33
37
Cécile Jolly
1. Méthodologie et scénarisation de la croissance ......................... 37
2. Trois visions d’un futur possible................................................. 42
Perspectives d’emploi en Méditerranée ....................
51
Frédéric Blanc
1. Un contexte démographique tendu et un faible taux
d’activité ........................................................................................
2. Le contenu en emplois de la croissance et la dualité
des marchés du travail .................................................................
3. La nécessaire adéquation de la formation et
des compétences aux besoins de l’économie .............................
4. Les perspectives d’emploi et les scénarios possibles.................
4
52
56
59
60
prospective
Flux migratoires et transition démographique.
Évolution et scénarios pour l’avenir ............................
71
Philippe Fargues, Giambattista Salinari
1. Les grandes tendances démographiques autour
de la Méditerranée........................................................................ 72
2. Prévoir les futures migrations méditerranéennes ..................... 88
Perspectives énergétiques en Méditerranée :
défis et enjeux à 2030 ........................................................... 115
Dr. Houda Ben Jannet Allal
1. Un défi global au cœur des enjeux de développement ............ 116
2. Énergie, environnement et coopération : un champ
de réflexion nouveau et pour la première fois global ................ 117
3. Les perspectives : une demande d’énergie qui s’accroît
et une augmentation des risques ................................................120
Sécurité alimentaire et agriculture en Méditerranée.
Scénario d’une crise et perspectives en 2030 ....... 127
Vincent Dollé
1.
2.
3.
4.
Les points communs des pays du pourtour méditerranéen .....129
Les scénarios possibles pour l’avenir.......................................... 144
Vers une nouvelle Politique agricole commune ........................ 154
La Politique européenne de voisinage : une coopération
renforcée pour la convergence de normes sanitaires ................ 156
5. Le scénario du co-développement ............................................... 158
6. Printemps méditerranéen et sécurité alimentaire,
de nouvelles opportunités ?.......................................................... 163
5
SOMMAIRE DES TABLEAUX ET GRAPHIQUES
TABLEAUX
1 Taux de croissance de la productivité
du travail dans les pays de la zone
Euromed (1980-2030)
13 Immigrants réguliers et irréguliers
dans les pays du Sud et de l’Est
de la Méditerranée
2 Aperçu démographique des marchés
de l’emploi en 2007
14 Années où la population âgée
de 20-25 ans est maximale
3 Activité en 2007 en Méditerranée,
en Europe et dans les Balkans
15 Dynamiques démographiques
des marchés du travail de la région Mena
et de l’UE (2005-2030)
4 Population de 15 ans et plus dans
Euromed et Balkans (2000-2030)
5 Évolution de la population par strate
d’âge (2007-2030)
6 Perspectives d’emploi pour les pays
méditerranéens (2007-2030)
7 Perspectives d’emploi pour l’UE27
(2007-2030)
8 Perspectives d’emploi pour les Balkans
(2007-2030)
9 Scénario des divergences
méditerranéennes – emploi
10 Scénario de crise de la Méditerranée –
emploi
16 Année où le rapport [personnes
âgées/jeunes adultes] dépasse 0,33
17 Désir d’émigrer chez les jeunes tunisiens
(1996-2005)
18 Classification géographique de la région
euro-méditerranéenne
19 Liste des chocs politiques
20 Analyse de régression : taux nets
de migration dans la région euroméditerranéenne (1965-2010)
21 Évolution de la consommation d’énergie
par habitant à l’horizon 2030
en Méditerranée
11 Scénario de convergence
méditerranéenne – emploi
22 Évolution des émissions de CO2
par habitant à l’horizon 2030
en Méditerranée
12 Les migrants originaires de certains pays
de la région Mena par groupes de pays
de résidence
23 Intensité énergétique en Méditerranée
à l’horizon 2030
24 Intensité carbone à l’horizon 2030
GRAPHIQUES
1 Croissance du PIB en Méditerranée
dans les trois scénarios
4 Croissance du PIB dans l’UE-15
dans les trois scénarios
2 Croissance du PIB dans les pays sud
et est méditerranéens dans les trois
scénarios
5 Scénario de référence, prolongation
des tendances passées et des prévisions
FMI à 2015. PIB par habitant (2009-2030)
3 Croissance du PIB dans les Balkans
et en Europe de l’Est dans les trois
scénarios
6 Scénario des divergences méditerra néennes. PIB par habitant (2009-2030)
6
7 Scénario de crise de la Méditerranée.
PIB par habitant (2009-2030)
prospective
8 Scénario de convergence
méditerranéenne.
PIB par habitant (2009-2030)
9 Population en âge de travailler dans la
région Mena et dans l’UE27 (2000-2030)
10 Nouveaux entrants sur le marché
du travail et population totale en âge
de travailler
11 Le dividende démographique dans
la région Mena
12 Relation entre le taux net de migration
et l’enseignement supérieur, la
croissance urbaine, le PIB par habitant
et la proportion de population urbaine
(1950-2010)
13 Relation entre le taux net de migration
et le stock passé de migrants, la densité,
le taux d’accroissement naturel et l’âge
médian (1950-2010)
25 Évolution de la demande d’énergie
primaire à l’horizon 2030 dans les Psem
26 Évolution des émissions de CO2 dans
les pays méditerranéens selon les trois
scénarios
27 Évolution des émissions de CO2
selon le scénario de convergence
28 Villes et agglomérations en
Méditerranée (2006)
29 Actifs agricoles en Méditerranée (2004)
30 Population rurale en Méditerranée
(2005)
31 Chômage total et rural en Méditerranée
32 L’agriculture dans la formation du PIB
dans les pays méditerranéens
33 Terres arables par habitant en
Méditerranée (1961-2003) et perte nette
de terres arables (1980-2005)
14 Projections du taux net de migration
dans l’Europe méditerranéenne
(1965-2030)
34 Indice d’exploitation des ressources
en eaux naturelles renouvelables
en Méditerranée (2005, 2025)
15 Projections du taux net de migration
dans les Balkans (1965-2030)
35 Évolution des balances commerciales
agricoles des Psem
16 Projections du taux net de migration
au Machrek (1965-2030)
36 Les trois types d’alimentation en
Méditerranée par rapport au régime
crétois (2003)
17 Projections du taux net de migration
au Maghreb (1965-2030)
18 Analyse contradictoire pour le Maghreb
(1965-2030)
19 Analyse contradictoire pour l’Égypte
et le Maroc (1965-2030)
20 Analyse contradictoire pour l’Europe
méditerranéenne (1965-2030)
21 Demande d’énergie primaire en Méditerranée par source (2009)
22 Demande d’énergie primaire en Méditerranée par source et par région (2009)
23 Evolution de la demande d’énergie
primaire à l’horizon 2030 en
Méditerranée
24 Évolution de la demande d’énergie
primaire à l’horizon 2030 dans les pays
du Nord de la Méditerranée (PNM)
37 Indicateur de qualité alimentaire
(1960-2000)
38 Obésité en Méditerranée (2009)
39 Prix du blé sur le marché à terme
40 Prix du pétrole brut
41 Indice FAO des prix des produits
alimentaires
42 Indices de prix des denrées alimentaires
(2010)
43 Le chemin de la réforme de la Politique
agricole commune et ses dépenses
44 Produits de qualité : ACP, IGP et STG
dans les pays du Nord (2009)
45 Agriculture biologique et produits
de qualité en Méditerranée
7
la méditerranée en 2030 :
les voies d’un avenir meilleur
le bassin méditerranéen a développé un tissu de relations économiques, institutionnelles et humaines qui lui confère une dimension
régionale certaine. L’irruption des révoltes arabes est venue rappeler
que cette dynamique pouvait aussi prendre la forme d’une convergence
politique. Structurellement néanmoins, l’intégration méditerranéenne
reste d’ampleur très variable selon les pays et les sous-régions qui composent cet ensemble. L’Union européenne y occupe une place centrale
pour tous les riverains, soit qu’ils en soient membres ou destinés à la
rejoindre, soit qu’ils aient noué des accords et des relations économiques
privilégiés avec elle. De fait, si l’Europe latine, les pays de l’Adriatique
(Balkans occidentaux), le Proche-Orient et le Maghreb se situent dans
une continuité géographique, leur hétérogénéité économique, institutionnelle et socio-culturelle est patente. La Méditerranée est en devenir
et fait l’objet d’un investissement politique et privé. Les motivations sont
variées, économiques, politiques, citoyennes, sociales, écologiques et
culturelles, à l’image des pays et des populations qui la compose. Mais
ces initiatives tendent toutes à tisser plus solidement ce que l’histoire a
fait et défait, à accélérer les dynamiques de revenu de la région, à accroître sa place face aux grands blocs économiques mondiaux.
Cet ensemble est soumis à de grandes incertitudes sur son avenir
qu’il soit national ou collectif : la crise la plus profonde qu’ait connue
l’Europe depuis les années 1930 atteint aujourd’hui non seulement les
ressorts de son rebond mais met en question sa propre construction
(en particulier la gouvernance économique de la zone euro). Cette crise
économique et institutionnelle touche également en retour les pays de
l’Adriatique promis à une intégration que les incertitudes communau9
taires et les soubresauts de la crise grecque handicapent. Les révoltes
arabes produisent un puissant élan réformateur mais entraînent les
pays dans une phase de transition nécessairement longue, qui n’exclut
pas les retours en arrière, ou plonge certains États dans une phase de
réaction avec des impacts en termes de stabilité et de croissance économique à plus ou moins court terme.
Enfin, bien évidemment, l’intégration régionale pâtit elle-même de
ces incertitudes. Incertitudes sur le niveau de la croissance du premier
partenaire économiques des États de la région – l’Union européenne ;
incertitudes sur l’ampleur des réformes économiques et politiques au
Nord comme au Sud ; incertitudes sur la volonté des États riverains de
la Méditerranée d’avoir un destin commun, l’Europe peinant à conserver sa solidarité ancienne et sa force d’attraction, la solidarité arabe
retrouvant une certaine force par la vertu des aspirations démocratiques
et redevenant le centre d’une attention non seulement euro-méditerranéenne mais internationale. Alors que les turbulences qui agitent
l’Union européenne et la Méditerranée arabe semblent focaliser l’attention sur le court terme, revenir aux tendances structurelles et envisager les ressorts d’une croissance euro-méditerranéenne et d’une intégration régionale sur la longue durée est une manière de réduire les
incertitudes.
À première vue, le diagnostic n’est pas immédiatement favorable à
l’intégration méditerranéenne. La convergence des revenus peine à se
réaliser entre les pays du Bassin méditerranéen ; les échanges commerciaux et de capitaux y ont moins progressé qu’avec les autres zones
du commerce mondial (pays émergents). La croissance des flux d’investissement en provenance des pays du Golfe a orienté davantage les
pays arabes méditerranéens vers le développement de l’immobilier, des
télécommunications et, dans une moindre mesure, des services financiers. La diversification des échanges de biens et de capitaux pourrait
constituer une opportunité si elle s’accompagnait d’une montée en
gamme et de niveau technologique permettant des gains de productivité
favorables à la croissance et à l’emploi. Or, force est de constater que la
dynamique centrifuge de l’Europe n’a pas conduit à un flux d’investissement majeur (les investissements directs étrangers stagnant autour de
2 %) autorisant des transferts technologiques significatifs ni à une cotraitance industrielle comparable à celle organisée avec les pays d’Europe
de l’Est ou au sein de l’Asie émergente.
10
i – prospective – synthèse
Si les économies sud et est méditerranéennes ont bénéficié de la
dynamique passée de la croissance mondiale tirée par les pays émergents, la croissance des pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée
(Psem) reste faible, comparée à celle des zones géographiques les plus
dynamiques du monde. L’Europe est également entrée dans une zone
d’étiage due à son ralentissement démographique et à la faiblesse de
ses gains de productivité. En 2030, l’Inde et la Chine compteront trois
milliards d’habitants et 25 % du pib mondial, contre 12 % aujourd’hui
et seulement 3 % en 1990. Ce décentrement de l’économie mondiale
présente des opportunités inédites de marché, de convergence mondiale des revenus et de sortie de la pauvreté, mais fait aussi courir un
risque de marginalisation des régions moins dynamiques. La Méditerranée pourrait ainsi être confrontée à un affaiblissement de sa capacité
d’influence sur des régulations internationales qui pèseront sur sa destinée du fait de l’extraversion croissante des économies. Le règlement de
la sortie de crise, emmené par le couple Chine-Amérique, témoigne du
recul de la multipolarité. Cette domination des États continents et des
marchés émergents pourrait imposer à la région méditerranéenne un
modèle social plus inégalitaire et moins protecteur dans une course à
l’attractivité, maintenant au Sud des conditions de travail dégradées et
accentuant au Nord la dualité des marchés du travail et le spectre des
délocalisations. Car si la puissance économique des pays émergents sera
en 2030 équivalente à celle des pays avancés, leur revenu par habitant
n’aura pas connu la même progression : ils seront globalement riches
mais individuellement pauvres, prolongeant la mise en concurrence de
la main-d’œuvre mondiale.
1. Des complémentarités à exploiter pour une vision
méditerranéenne
pourtant les complémentarités régionales sont patentes. La Méditerranée est d’abord un espace où les préférences collectives des individus convergent du fait de l’importance des migrations, où la circulation des idées et des hommes va de pair avec une plus grande
homogénéité des modes de vie et des aspirations. Cette convergence
s’est manifestée dans les vingt dernières années, notamment au Sud
et à l’Est de la Méditerranée : par une montée de l’individualisme, qui
a modifié le rapport à autrui avec une moindre emprise de la famille
11
élargie et une défiance à l’égard des institutions, victimes de la même
désaffiliation qu’en Europe ; par des comportements de fécondité
proches de ceux prévalant en Europe ; par des aspirations à la liberté
et au bien-être qui se sont d’abord traduites par un désir d’émigrer,
singulièrement parmi les jeunes générations. Cette convergence des
aspirations s’illustre aujourd’hui dans la revendication issue des
révoltes arabes d’une plus grande liberté d’expression et de participation mais aussi d’une distribution plus égalitaire des fruits de la croissance. En ce sens, les révoltes arabes remettent en cause aussi bien
l’idée d’un choc des civilisations (S. Huntington) que les formes de
clientélisme et de paternalisme qui ont toujours prévalu. L’un des
enjeux majeurs de l’avenir réside dans la capacité des régimes réformés, qu’ils soient révolutionnaires ou non, à accroître la participation
au système économique et politique et à organiser une circulation des
élites par l’établissement d’une compétition politique. Il réside aussi
dans la capacité de l’Europe à accompagner ce mouvement en se fondant sur des convergences réelles dans le respect des différences. Car
les révolutions arabes témoignent aussi d’une réconciliation des peuples avec leurs aspirations et d’une demande de dignité (ce mot arabe
de karama courait sur toutes les lèvres de la Tunisie à l’Égypte en passant par la Libye) qui ne va pas sans une légitime fierté et la revendication d’un traitement plus équitable, y compris par les partenaires
européens. Cette transformation majeure impose à l’Europe de renforcer la dimension partenariale de sa politique vis-à-vis de la région
mais aussi de respecter davantage les différences culturelles. Comme
l’Europe a construit une union des nations, la Méditerranée devrait
être celle des cultures, un rendez-vous des civilisations(1).
Corrélativement, il existe une complémentarité des forces vives,
entre une Europe vieillissante, dont le déclin programmé des actifs
affecte la croissance potentielle, et une rive sud et est méditerranéenne
où les jeunes entrants sur le marché du travail sont nombreux, de surcroît plus qualifiés que par le passé étant donné l’investissement dans
l’éducation (entre 20 et 60 % de la population y détiendra, selon les
pays, un niveau secondaire ou supérieur en 2030). En 2030, les actifs
potentiels seront situés à 40 % sur les rives sud et est de la Méditerranée contre 60 % en Europe (y compris les Balkans occidentaux), le rapport étant de 30 à 70 % aujourd’hui. Dans le monde de demain, l’unité
de compte politiquement viable sera le milliard d’habitants. L’UE27,
(1) Le rendez-vous des civilisations, Y. Courbage, E. Todd (2007).
12
i – prospective – synthèse
dans ses frontières actuelles, stagnerait autour de 500 millions, l’EuroMéditerranée permettrait de constituer un pôle approchant cette cible.
Si les actifs seront au Sud demain plus encore qu’aujourd’hui, la
dynamique d’emploi est incertaine. Maintenir le taux de création
d’emploi en Europe (1,3 %) aboutirait à un déficit de main-d’œuvre
de 40 millions en 2030, même en allongeant la durée d’activité. Symétriquement, le maintien des taux de création d’emploi des pays du
Sud et de l’Est de la Méditerranée (2 %) est insuffisant à 2030 pour
réduire substantiellement les taux de chômage et d’inactivité formels
très élevés de la région (avec une part importante d’économie de subsistance informelle). Si les suppléments des uns ne viennent pas mécaniquement compenser les carences des autres, tant en raison du cloisonnement des marchés du travail que des politiques migratoires
restrictives, deux facteurs plaident en faveur d’une plus grande mobilité au sein de la région, encourageant une division internationale du
travail plus équitable : (i) cette mobilité peut pallier la faiblesse de la
mobilité intra-européenne, et combler les déficits sectoriels de maind’œuvre (services à la personne, hôtellerie, restauration, btp) ; (ii) elle
peut également renforcer l’adaptation des qualifications des travailleurs du Sud et des Balkans aux besoins de l’économie et encourager
une migration plus circulaire, au détriment d’une migration d’installation et d’une fuite des cerveaux.
Les complémentarités de dotations naturelles plaident également en
faveur d’une plus grande intégration régionale. Cette complémentarité
est évidemment énergétique non seulement du fait des énergies fossiles, mais peut-être surtout par la disposition naturelle en ressources
renouvelables des Psem (pour exemple, le potentiel solaire est considérable; la vitesse du vent s’échelonne sur la rive sud du Bassin entre 6
et 11 m/s). Elle peut aussi être agricole entre une Europe plus céréalière
et carnée, aux terres arables et aux ressources en eau relativement abondantes, où l’emploi agricole est devenu marginal, et un Sud où l’activité
rurale reste conséquente et dont la production méditerranéenne est
menacée par le stress hydrique, l’urbanisation rampante et l’impact du
changement climatique. Paradoxalement, si la diète méditerranéenne
est valorisée en Europe, la consommation sud et est méditerranéenne
est essentiellement céréalière. Ces complémentarités de consommation
et de dotations naturelles seront renforcées en 2030, au Sud par l’augmentation de la population et du revenu augmentant la consommation
céréalière, au Nord par les exigences accrues en matière diététique (obé13
sité) orientant les préférences alimentaires vers les fruits et légumes.
Là encore, les dotations des uns ne viendront pas mécaniquement nourrir les besoins des autres dans un marché mondialisé, où les puissances
émergentes alimentent le marché et tentent de se procurer des ressources naturelles raréfiées.
La complémentarité ne saurait se limiter à une complémentarité
commerciale asymétrique, le Sud étant pourvoyeur de ressources naturelles et de biens primaires à faible valeur ajoutée, le Nord de biens
sophistiqués plus chers. Les dotations naturelles sont elles-mêmes non
seulement sources de malédiction mais aussi en raréfaction, ce qui renforce certes leur avantage comparatif à court terme mais impose une
transition qui en 2030 sera très largement entamée. Quelle que soit la
disponibilité ou non de ressources naturelles, très variables selon les
pays, la logique d’offre doit céder le pas à une logique de demande efficiente. C’est vrai en matière énergétique et environnementale où la
solution à la raréfaction des ressources (eau, énergie) et à la sécurité
environnementale réside autant sinon plus dans les économies à réaliser (baisse de l’intensité énergétique, maîtrise de la demande en eau)
que dans les progrès technologiques et les alternatives aux énergies
fossiles. En matière agricole, la poursuite d’une logique d’offre aboutirait au Sud à la disparition d’une agriculture vivrière posant un redoutable défi rural, social et environnemental ; au Nord, à la poursuite
d’une intensification agricole défavorable à l’emploi, au développement
rural et à l’équilibre écologique.
Passer d’une logique d’offre à une logique de demande signifie surtout favoriser la création de marchés solvables et non de maintenir les
économies en rattrapage par rapport à l’Europe dans une sous-traitance
appauvrissante, mue par les seuls différentiels de salaire. Il ne s’agit pas
seulement dans cette perspective de faire jouer à ces économies le rôle
de plateforme low cost à destination du marché communautaire, par ailleurs déjà rempli par la Turquie et la Croatie, dans une moindre mesure
par le Maghreb, mais de valoriser l’argument de la proximité comme
gage de qualité (en particulier sanitaire ou environnementale) et de réactivité. L’augmentation tendancielle des prix du transport à moyen terme
(faible substituabilité au pétrole) et de son impact environnemental, la
résurgence chronique d’accidents sanitaires liés à l’importation de produits à bas coût, la variabilité accrue de la demande et la convergence des
modes de consommation de part et d’autre de la Méditerranée valident
cette hypothèse. Le resserrement sur une base régionale des arbitrages
14
i – prospective – synthèse
de localisation pourrait ainsi conduire progressivement à une réduction
des différentiels de salaire et des conditions de travail. La plus grande
mobilité de la main-d’œuvre constituerait un facteur adjuvant de la
résorption tendancielle des inégalités salariales, renforçant l’acceptabilité sociale de l’offshoring et de l’outsourcing méditerranéen.
Dans ce contexte, le renouvellement de l’organisation productive
régionale passe aussi par les services dont tous les pays sont bien dotés.
Il ne s’agit pas seulement de valoriser les avantages comparatifs de chacun, reposant sur une Europe spécialisée dans les services à haute valeur
ajoutée et sur des pays de Sud et de l’Est de la Méditerranée spécialisés
dans les services supports (tourisme, transport, télécommunications,
avec une progression sensible des services médicaux et financiers) mais
de prendre en compte une complémentarité accrue entre services et
biens qui peut permettre une intégration régionale plus profonde et
plus harmonieuse. Il n’est pas de service sans bien, comme en témoigne
l’essor concomitant dans la téléphonie mobile de biens physiques et de
services associés. De la même manière, à l’agroalimentaire et à l’énergie sont associés les services de transport et de distribution. Ce sont les
services qui procurent déjà la plus forte valeur ajoutée aux biens dont la
production standardisée est peu chère et considérablement fragmentée
au niveau international. Au-delà, les échanges de services encouragent
une harmonisation des normes qui, avec la libéralisation commerciale
multilatérale, deviennent les premiers obstacles au commerce. Ils imposent une circulation des hommes via la prestation de services ou la
liberté d’établissement qui favorisent la convergence des compétences
et des rémunérations. Ils permettent, à terme, d’envisager un mode de
développement moins axé sur la détention de produits physiques et
autorisant une moindre consommation de ressources naturelles.
2. Des défis communs à relever
les économies méditerranéennes sont confrontées à une crise politique et sociale d’une ampleur inégalée, sur fond de protestation contre
la crise d’austérité imposée aux populations en Europe, et de révolution
dans les pays arabes où les populations s’opposent autant à l’autoritarisme politique qu’à la distribution inégalitaire des richesses. La solidarité européenne est mise à mal par l’ampleur de la crise de l’endettement
de certains pays, mettant en doute la capacité communautaire à adopter
15
une réponse coordonnée et fissurant le consensus communautaire. L’hypothèse d’un éclatement de la zone euro, désormais évoquée, fait renaître le spectre d’une division et d’une marginalisation de certaines nations
mais, dans le même temps, l’interdépendance très forte des économies
européennes pourrait, à l’inverse, pousser à un approfondissement d’une
intégration européenne restée en panne depuis les derniers élargissements. Sur l’autre rive de la Méditerranée, le monde arabe est en proie à
un puissant mouvement de révolte qui atteint même les rivages israéliens. Si la contagion est certaine, impliquant des réformes, y compris
dans les pays qui n’ont pas renversé leurs dirigeants, à l’instar du Maroc,
l’impact à long terme de ces transitions est incertain. Elles peuvent
conduire à une instabilité de moyen terme, soit que les révolutions et les
réformes s’accompagnent de soubresauts, soit que la répression comme
en Syrie plonge certains pays dans une confrontation interne potentiellement durable. Elles sont également susceptibles de ne modifier qu’à la
marge les équilibres politiques et économiques, maintenant les avantages acquis sans véritable circulation des élites. Elles peuvent, au
contraire, produire un formidable mouvement de réforme permettant
l’émergence d’une nouvelle élite économique et politique, libérant les
énergies productives et faisant participer un plus grand nombre à une
nouvelle dynamique de croissance, sur le modèle turc.
La similarité des slogans de la rue tunisienne à la rue madrilène et
israélienne montre qu’une certaine forme de continuum existe entre
les peuples de cette aire régionale et que leur destin n’est pas imperméable. Car les pays de la région ont des défis à relever dont la solution
est en partie commune et qui gagneraient à être envisagés de manière
plus partenariale.
En premier lieu, et c’est l’un des ressorts majeurs des révoltes arabes,
les économies méditerranéennes ne créent pas assez d’emplois. L’orientation rentière des économies sud et est méditerranéennes où se conjuguent faiblesse de l’entrepreneuriat et de l’innovation, prédominance du
secteur public sur le secteur privé, poids du secteur informel (qui pèse
entre 20 et 30 % du pib non agricole en Algérie, au Maroc ou en Égypte,
selon l’ocde), explique leurs faibles performances en termes d’emploi. En
Europe, à la fin du rattrapage du gap technologique avec les États-Unis,
est venue s’ajouter la baisse de la population active que l’investissement
seul ne saurait compenser. Au total, la dynamique des gains de productivité sera essentielle pour la croissance de demain, au Nord comme au
Sud. Ces gains de productivité seront obtenus par trois facteurs fonda16
i – prospective – synthèse
mentaux : une amélioration sensible du capital humain (au Sud) et une
plus grand facilité de circulation de la main-d’œuvre ; une rationalisation
de l’organisation productive ; un accroissement des performances technologiques et de l’innovation. Dans ces trois domaines, les fondements
d’une coopération déjà existante mériteraient d’être renforcés, permettant
d’accélérer les transferts de technologie et de savoir-faire.
Les économies méditerranéennes doivent également s’adapter à une
plus grande sobriété énergétique et une préservation des ressources
naturelles. Il s’agit pour les économies productrices d’hydrocarbures
d’organiser l’après pétrole (en dehors de la Libye, les pics de production
pétrolière et gazière devraient être atteints en 2020-25) et pour les pays
importateurs de desserrer les contraintes liées au poids important de
l’énergie dans leur croissance. Tous ont intérêt à diminuer leur intensité énergétique et à favoriser une économie plus respectueuse de l’environnement. Si rien n’est fait, même en tenant compte des progrès réalisés et des projets en cours pour valoriser les énergies renouvelables, la
demande énergétique sera telle au Sud et à l’Est de la Méditerranée
qu’elle anéantira les efforts réalisés en Europe pour lutter contre le changement climatique. Si les effets du changement climatique devraient
être plus sévères en Méditerranée qu’en moyenne dans le monde, les
pays du Maghreb, du Proche-Orient et de l’Adriatique auront moins les
moyens de s’en prémunir (effet revenu), alors même qu’ils auront peu
contribué au réchauffement de la planète (leurs émissions de gaz à effet
de serre, bien qu’en hausse continue, sont bien en deçà des moyennes
européennes). Ces effets négatifs viendront s’ajouter à des conditions
agro-climatiques déjà difficiles au Sud et à l’Est de la Méditerranée (une
pression sur les ressources en eau dépassant les 100 % selon le Plan
Bleu ; un taux d’exploitation des terres arables qui atteindrait plus de
80 % en 2030 selon la fao ; une urbanisation qui à cet horizon aura
progressé de 60 % selon les Nations unies). Dans ce contexte, un développement plus soutenable impose des transferts technologiques et de
compétences aujourd’hui essentiellement européens, pour valoriser les
éco-activités et la rationalisation de l’utilisation des ressources naturelles. Les éco-technologies constituent aujourd’hui des opportunités
de marché et elles pourraient trouver une application en Méditerranée,
en particulier dans des pays où il s’agit de créer de nouvelles installations
plutôt que d’en réhabiliter d’anciennes. Leurs coûts, encore souvent
supérieurs à ceux des technologies moins sobres, nécessitent néanmoins des incitations publiques dont le poids financier pourrait être
17
partagé dans un cadre régional afin de rétablir une forme d’équité environnementale.
Ajoutée à la dégradation prévisible des conditions agro-climatiques
en Méditerranée, la crise alimentaire de 2008 a remis au premier plan
la question agricole et rurale. Les révoltes arabes, en particulier la révolution tunisienne, sont venues rappeler les inégalités territoriales de développement, qui affectent essentiellement les régions rurales. Dans ce
contexte, les États ont à repenser les politiques agricoles et la sécurité alimentaire, à tenter de réguler les échanges et à sécuriser les approvisionnements. L’arrêt en 2015 de la densification rurale au Sud et à l’Est de la
Méditerranée et la réforme de la pac européenne d’ici à 2013 peuvent
constituer une opportunité à saisir pour des restructurations agricoles
dans un cadre euro-méditerranéen, visant à assurer la santé alimentaire
des populations, à renforcer des systèmes agricoles produisant emplois
et revenus locaux, et à conditionner l’agriculture intensive à une gestion
plus respectueuse de l’environnement. La gestion de la qualité pourrait
l’emporter sur celle des quantités, avec une labellisation des productions
méditerranéennes, dont les services rendus en termes de santé, de qualité
nutritionnelle et environnementale, de proximité et de culture, pourraient être collectivement valorisés. Une telle évolution permettrait d’accroître la valeur ajoutée des productions méditerranéennes, d’accélérer
les investissements agricoles Nord-Sud, la professionnalisation des
filières et la qualification des agriculteurs. Cette orientation plus méditerranéenne de la politique agricole pourrait être compensée par une
contribution des productions céréalières à une forme de stabilisation des
cours et de garantie des approvisionnements, par la constitution de stocks
de sécurité et une contractualisation Nord-Sud.
Dernier défi commun, les migrations méditerranéennes sont amenées à se poursuivre à court et moyen terme mais elles s’atténueront à
plus long terme (au terme de la projection en 2030). Dans les vingt prochaines années, les facteurs poussant à la migration en provenance des
Psem et des Balkans se maintiendront (différentiel démographique et
de revenu entre les deux rives ; phase d’émergence économique favorable à la migration des classes moyennes en risque de déclassement ;
crises politiques) mais certains fondamentaux, du fait d’une transition
démographique précoce (Tunisie, Turquie) ou déjà achevée (Croatie,
Serbie), iront dans le sens d’une transition migratoire et d’une atténuation de l’émigration au profit des mobilités. Les facteurs attractifs des
migrations au Nord de la Méditerranée persisteront également (ralen18
i – prospective – synthèse
tissement démographique et pénurie de main-d’œuvre en Europe ;
croissance du revenu et volonté d’attirer la main-d’œuvre très qualifiée)
et ils s’accentueront au Sud devenu terre d’immigration en raison de la
hausse de son niveau de vie et du ralentissement de la croissance de sa
population active. La nature des flux migratoires aura dans le même
temps évolué : les migrants méditerranéens seront plus éduqués que
par le passé, le passage par la migration n’étant qu’une étape dans un
parcours destiné à accroître ses compétences et ses qualifications (expérience, acquisition de diplômes), autorisant des allers-retours. Cette
migration qualifiante ne sera néanmoins facilitée que si certains prérequis sont remplis en termes de portabilité des droits et de reconnaissance des qualifications. À cette condition, une politique de mobilité
méditerranéenne pourrait valoriser un potentiel migratoire sans dégrader la situation des pays de départ (brain drain). Elle anticiperait une
évolution de long terme où les pays du Sud et de l’Est méditerranéens
seront moins des apporteurs de main-d’œuvre peu qualifiée que des
pays eux-mêmes récipiendaires de migrants venant de leur proximité,
comme en a témoigné l’exode libyen en Tunisie.
3. Un avenir méditerranéen menacé par la marginalisation
ou la divergence
ces complémentarités et défis de long terme laissent néanmoins
subsister de nombreuses incertitudes, tant sur le rythme des évolutions
anticipées que sur le rôle de l’intégration régionale et du volontarisme
politique pour y faire face. Pour borner ces incertitudes politiques autant
qu’économiques et sociales, trois scénarios ont été élaborés, dont les
impacts sur la croissance, l’emploi, les migrations, l’énergie et l’agriculture ont été analysés et quantifiés. Le premier scénario prolonge les
tendances passées d’insertion disparate des pays de la région dans une
économie mondiale tirée par les émergents, accentuées par des stratégies de déflation compétitive (modération salariale et politiques monétaires restrictives) et par une transition politique réussie dans les pays
déjà en rattrapage avec l’Europe. Le second scénario envisage un approfondissement de la crise économique de l’Europe latine et une transition
heurtée dans la Méditerranée arabe, conduisant à un ralentissement de
l’Europe méditerranéenne et de l’Afrique du Nord et à un blocage des
réponses institutionnelles. Le troisième scénario, très volontariste et
19
GRAPHIQUE I
6%
Taux de croissance
du PIB dans les trois
scénarios
(2010-2030)
5%
UE-27
Psem
Balkans
4%
3%
2%
1%
Crise
Divergence
Convergence
coopératif, simule l’extension d’une partie des mécanismes de solidarité
européenne à l’ensemble de la Méditerranée, autorisant une dynamique
de convergence sans précédent de cette région.
Ces scénarios tentent de tracer des évolutions probables et différenciées, sans pour l’heure tracer un scénario du décrochage total méditerranéen ou de pleine convergence dans la mesure où l’hétérogénéité
des pays de la région tant dans leurs spécialisations productives, leur
contexte démographique, leur évolution politique ou leur ancrage institutionnel semble aller à l’encontre d’une dynamique totalement cohérente. Les écarts de croissance dans les différents scénarios ont été maintenus dans une fourchette raisonnable ( GRAPHIQUE I ).
Le scénario des divergences méditerranéennes : une insertion
disparate dans l’économie mondiale
la poursuite des tendances passées (taux de croissance en Europe
inférieurs à 2 % par an, avoisinant les 3-4 % au Sud et à l’Est de la Méditerranée et dans les Balkans) n’est pas favorable à une convergence méditerranéenne. Le basculement de la dynamique de l’économie mondiale
vers l’Asie pourrait jouer dans le sens d’une accentuation des divergences
avec des gagnants et des perdants au niveau national et régional. Dans
ce scénario, la croissance, tirée par celle des pays émergents, renforce la
compétitivité au détriment du pouvoir d’achat et de la demande intérieure. La concurrence internationale incline les pays à peser à la baisse
sur les coûts internes, par une politique monétaire restrictive et une
modération salariale, pour restaurer leur compétitivité. Les spécialisations industrielles des Balkans et du Sud de la Méditerranée s’approchent
de celles des pays d’Europe de l’Est, ces économies devenant la nouvelle
plateforme low cost de l’Europe communautaire et place avancée de la
pénétration du marché communautaire pour les émergents. Cette dynamique de la croissance mondiale, plus que méditerranéenne, avantage les
économies les plus compétitives qui ont déjà connu un phénomène de
20
i – prospective – synthèse
GRAPHIQUE I I
Scénario des
divergences
méditerranéennes.
PIB par habitant
(2009-2030)
(milliers de dollars, parité
de pouvoir d’achat)
Source : CAS – Ipemed, 2011.
Albanie
Algérie
Bosnie
Croatie
Chypre
Egypte
France
Grèce
Israël
Italie
Jordanie
Liban
Libye
Macédoine
Malte
Mauritanie
Maroc
Portugal
Serbie
Slovénie
Espagne
Syrie
Tunisie
Turquie
2009
2030
10
20
30
40
50
rattrapage : la Croatie, la Serbie et la Turquie, dans une moindre mesure
la Tunisie et les autres pays balkaniques, s’approchent du revenu par
habitant du Portugal et creusent l’écart avec les autres pays du Maghreb
(Algérie, Égypte) et du Proche-Orient (Liban, Jordanie) bénéficiant d’une
moindre dynamique de croissance ( GRAPHIQUE II ). La révolte arabe n’a, dans
cette perspective, entraîné de dynamique positive que dans le premier
pays en révolution, la Tunisie, les dispositions rentières et le maintien
du clientélisme ayant prévalu dans les autres pays de la Méditerranée
arabe. En Europe, le potentiel de croissance de la Grèce et du Portugal est
également affaibli par des difficultés de balance des paiements et les déficits publics, accroissant des divergences non seulement intra-méditerranéennes mais également intra-européennes. Le processus euro-méditerranéen progresse en termes de libéralisation commerciale et agricole,
mais la libéralisation des services se limite à certaines prestations sans
aller jusqu’à la liberté d’établissement, renforçant une sélectivité de la
main-d’œuvre en fonction des niveaux de qualification. Les échanges
21
intra-régionaux progressent à un rythme moins élevé que celui avec le
reste du monde, tandis que le commerce sous-régional (arabe ou maghrébin) reste faible, comparable à ce qu’il est aujourd’hui.
La productivité du travail augmente plus vigoureusement dans les
pays d’Europe fortement touchés par la crise financière (Espagne, Grèce,
Italie, Portugal). Elle se maintient à sa tendance dans le reste de l’Europe,
les pays de l’Adriatique et ceux du Sud et de l’Est de la Méditerranée. Les
taux d’activité et d’emploi s’élèvent mais ils restent faibles du fait de la
course à la compétitivité, la productivité se traduisant par une forte substitution capital/travail. Ils sont surtout très inégalement répartis dans
l’ensemble de la Méditerranée, accentuant la divergence méditerranéenne : les taux de chômage décroissent mais restent élevés au Sud et
à l’Est de la Méditerranée et dans les Balkans occidentaux (entre 9 et
10 %) ( TABLEAU I ). L’Europe parvient à compenser partiellement ses pertes
d’activité par une migration facilitée essentiellement pour les travailleurs qualifiés (carte bleue européenne) et par le biais d’un allongement
sensible de la durée d’activité (réforme des retraites). La dualité des marchés du travail reste forte au Nord comme au Sud, aggravant les inégalités entre une élite mondialisée bien insérée dans les échanges mondiaux et des travailleurs peu qualifiés soumis à une flexibilité accrue au
Nord, à des conditions de travail et de rémunération dégradées au Sud.
Le poids du secteur informel reste en particulier très prégnant au Sud
et à l’Est de la Méditerranée et dans les pays de l’Adriatique, même s’il
régresse un peu en raison de la baisse de l’emploi rural, qui représente
une partie significative des emplois informels, et de la dynamique des
activités tournées vers l’exportation. On observe la même tendance pour
l’emploi informel non agricole dans les Psem (hors Mauritanie) qui passera de 43,5 % de l’emploi total dans les années 2000 selon l’ocde à
40,5 % dans les années 2020, avec des différences notables selon les
pays, l’informalité se réduisant davantage dans les pays ayant connu
une forte croissance de l’emploi informel après les réformes libérales
dans les années 1990 (Égypte, Algérie) et continuant à croître dans ceux
où il a progressé dans les années d’avant crise (Turquie, Maroc).
La pression migratoire est alimentée par les perdants de la modernisation-mondialisation, en particulier les jeunes diplômés. La migration
qualifiée est facilitée mais celle des non qualifiés demeure très restrictive
et temporaire sous couvert de migration circulaire. La migration est également géographiquement sélective : un flux migratoire s’établit essentiellement entre l’UE et les pays en rattrapage, qui eux-mêmes attirent de
22
i – prospective – synthèse
TABLEAU I
Scénario des divergences méditerranéennes – emploi (2007-2030) (milliers)
Les Psem bénéficient d’une embellie sur les marchés du travail. Ils approchent
le niveau 2007 de l’UE
Emplois Taux annuel
créés Nbre annuel
Pop.
active
Emplois
Chômeurs
Inactifs
47 098
2,15 % 133 036 121 909
12 113 141 327
2 050
L’EU27 bénéficie d’un apport d’actifs qui limite la baisse des actifs
Emplois Taux annuel
créés Nbre annuel
Pop.
active
Emplois
Chômeurs
Inactifs
0,87 % 283 710 267 219
2 100
Les Balkans convergent rapidement
16 490
148 717
48 250
Emplois Taux annuel
créés Nbre annuel
2 536
1,4 %
110
Pop.
active
Emplois
Chômeurs
Inactifs
11 466
9 360
1 105
9 243
Taux Taux de
d’activité chômage*
48,5 %
9,1 %
Taux Taux de
d’activité chômage*
65,6 %
5,8 %
Taux Taux de
d’activité chômage*
53,1 %
10,6 %
* C’est le nombre de personnes qui ont travaillé dans le secteur formel et qui ne le peuvent plus. Ce taux ne tient pas compte ni du
chômage déguisé lié au sous-emploi ni des conditions d’inscription des chômeurs. Il est donc probablement sous-estimé.
Source : Femise, 2011
plus en plus de migrants venus des pays voisins (Afrique sub-saharienne,
cei, Asie). Les remises de migrants continuent de jouer un rôle stabilisateur essentiel pour les économies de la Méditerranée non européenne.
Les politiques migratoires communautaires restent fortement nationales
empêchant la circulation des travailleurs migrants et l’acquisition de compétences transférables : la migration qualifiante demeure l’exception.
Dans ce contexte, la mer Méditerranée accentue sa place de transit
de l’économie-monde, avec des impacts plus aigus en termes de pollution, de perte de biodiversité et d’artificialisation des côtes. Un tel scénario contribue à accroître fortement la dualisation des économies et
des territoires (marginalisation des intérieurs, développement du littoral), le développement des filières d’exportation en matière industrielle
et agricole se faisant au détriment des productions à destination des
marchés intérieurs. La hausse de la demande énergétique et alimentaire et l’urbanisation accentuent les pressions environnementales au
Sud et à l’Est de la Méditerranée. La pression sur les ressources en eau
devient insoutenable et la contribution au changement climatique préoccupante. La stabilisation des émissions de co2 en Europe est, en effet,
plus que compensée par la hausse au Sud, induite par l’augmentation
de la population, de son niveau de vie et par la composition sectorielle
de la croissance. Si le différentiel de consommation d’énergie par habitant (inférieure de 30 % au Sud) demeure entre les deux rives en 2030,
23
la dépendance aux énergies fossiles du Sud et de l’Est de la Méditerranée, en raison d’une plus faible progression des énergies renouvelables
et de l’efficacité énergétique qu’en Europe, implique une croissance très
forte de leurs émissions de co2 (de près de 100 %), même rapportées au
nombre d’habitants.
En matière agricole, les gains de productivité et la pression foncière
sur les terres agricoles font disparaître les cultures vivrières. Les zones
rurales n’attirent que peu d’activités au bénéfice des zones littorales,
aggravant l’exode rural au Sud et la concentration agricole au Nord. La
part de l’agriculture dans le pib décroît fortement sauf en Turquie au
profit des grandes exploitations destinées à l’export. Le déclin euro-méditerranéen de l’agriculture s’accompagne d’une forte pénétration des
fournisseurs du reste du monde (viande, céréales), tandis que les productions strictement méditerranéennes (fruits et légumes, huile d’olive,
vin) qui n’ont pas été labellisées sont fortement concurrencées par des
provenances lointaines (Chili, Australie, Brésil, Chine).
Le scénario de la crise de la Méditerranée : la marginalisation
ou une convergence par le bas
la crise de 2008 pourrait contribuer à assombrir davantage ce
tableau. Les pays de l’Europe du Sud sont aujourd’hui les plus fragilisés
par la crise. Ils sont confrontés à une dynamique de la dette publique
très défavorable, l’augmentation de l’endettement entraînant une hausse
des primes de risque, qui alourdit la charge d’intérêt tout en obérant la
croissance. L’assainissement des finances publiques (baisse des transferts publics et alourdissement de la charge fiscale) est susceptible de
peser encore davantage sur la croissance de la demande et entraver durablement la reprise, avec une progression du revenu en niveau et en tendance plus faible que par le passé. Dès lors, la crise de l’Europe latine
conduit à un retrait des échanges et des investissements chez les voisins
des Balkans et du Sud de la Méditerranée. L’Afrique du Nord, fortement
handicapée par ce retrait (en raison d’une forte dépendance commerciale avec l’Europe méditerranéenne), souffre de surcroît d’une instabilité durable liée à une transition politique heurtée tandis que le Machrek, la Turquie et les Balkans parviennent à limiter les effets de la crise
en raison des transferts de capitaux originaires d’Europe du Nord et des
pays émergents qui trouvent à s’investir dans une zone à faible coût et
à fort rendement. Une forme de convergence méditerranéenne par le
bas s’opère ainsi, l’ensemble des pays en rattrapage avec l’Europe s’ap24
i – prospective – synthèse
GRAPHIQUE III
Scénario
de crise de
la Méditerranée.
PIB par habitant
(2009-2030)
(milliers de dollars,
parité de pouvoir d’achat)
Source : CAS – Ipemed, 2011.
Albanie
Algérie
Bosnie
Croatie
Chypre
Egypte
France
Grèce
Israël
Italie
Jordanie
Liban
Libye
Macédoine
Malte
Mauritanie
Maroc
Portugal
Serbie
Slovénie
Espagne
Syrie
Tunisie
Turquie
2009
2030
10
20
30
40
50
prochant des niveaux de revenu de la Méditerranée européenne (le
revenu par habitant de la Turquie et de la Serbie atteignant 80 % de
celui du Portugal en 2030), mais au prix d’une divergence européenne
forte ( GRAPHIQUE III ). Les effets d’hystérèses de la crise sont concentrés sur
l’Europe latine qui connaît un décrochage durable de sa croissance et
une faiblesse persistante de ses gains de productivité tandis que le reste
de l’Europe reste arrimé à la croissance des émergents. Dans ce scénario, l’Allemagne dépasse la France en revenu par tête, le pib par habitant
de la Slovénie est supérieur à celui de l’Espagne.
Ce contexte de crise est défavorable à l’intégration institutionnelle
euro-méditerranéenne et menace la cohésion européenne. L’Euro-méditerranée ne progresse pas (pas de libéralisations supplémentaires) et les
élargissements prévus sont repoussés sine die. L’upm est en mal de projets et la libéralisation des services est entravée par les craintes de dumping social. Le commerce sous-régional souffre de l’instabilité de la
25
TABLEAU II
Scénario de crise de la Méditerranée – emploi (2007-2030) (milliers)
Les Psem peinent à maintenir l’équilibre du marché du travail pourtant socialement
insatisfaisant
Emplois Taux annuel
créés Nbre annuel
Pop.
active
Emplois
Chômeurs
Inactifs
28 600
1,42 % 117 322 103 411
13 804 157 040
1 240
L’EU27 peine à exprimer son potentiel et se continentalise
Emplois Taux annuel
créés Nbre annuel
Pop.
active
Emplois
0,63 % 270 480
1 490
Stabilisation des Balkans
253 261
34 292
Emplois Taux annuel
créés Nbre annuel
1 957
1,10 %
80
Chômeurs
Inactifs
17 219 161 948
Pop.
active
Emplois
Chômeurs
Inactifs
9 947
8 781
1 166
9 762
Taux Taux de
d’activité chômage*
42,8 %
11,8 %
Taux Taux de
d’activité chômage*
62,5 %
6,4 %
Taux Taux de
d’activité chômage*
50,5 %
11,7 %
* C’est le nombre de personnes qui ont travaillé dans le secteur formel et qui ne le peuvent plus. Ce taux ne tient pas compte ni du
chômage déguisé lié au sous-emploi ni des conditions d’inscription des chômeurs. Il est donc probablement sous-estimé.
Source : Femise, 2011.
Méditerranée arabe et sa part dans les échanges, pourtant faible, s’amenuise encore.
Les pays du Sud de l’Europe sont victimes d’un effet d’hystérèse de
la crise, déqualifiant la main-d’œuvre avec une perte définitive de capital humain qui se traduit par une stagnation voire un recul du taux
d’emploi alors qu’ils sont relativement stables pour l’Europe du Nord
et de l’Est. Les économies de l’Europe latine créent moins d’emplois
qu’au Nord, les taux d’activité y sont plus faibles (53,5 % contre 62,5 %
en moyenne), et le taux de chômage plus élevé (7,7 % contre 6,4 %)
( TABLEAU II ). Les pays du Maghreb subissent plus fortement que ceux du
Machrek et de l’Adriatique les effets de la crise de la Méditerranée européenne et d’une instabilité qui s’installe. Ils voient leur taux d’emploi
progresser plus faiblement qu’en tendance. Au Sud, les taux d’activité
restent donc généralement inférieurs à 50 %, reculant en moyenne de
quelques points. Le chômage officiel est stabilisé autour des 12 %, mais
l’essentiel de l’activité reste informelle. L’emploi informel non agricole
se maintient aux niveaux des années 2000, le Maroc atteignant des
taux d’informalité proches de ceux d’Amérique latine (plus de 65 %)
tandis que l’Algérie et l’Égypte restent aux alentours de 40 %. Avec
seulement 1,2 million d’emplois créés en rythme moyen annuel, les
indicateurs sociaux, au mieux, stagnent. Les clivages préexistants s’ag26
i – prospective – synthèse
gravent et, face à cette dynamique pauvre en emplois, les tensions
sociales persistent.
Dans ce contexte, la pression migratoire reste forte et est tirée par les
conflits et l’instabilité politique qui accompagne des transitions difficiles. En retour, la crise de la Méditerranée européenne incline au maintien de fortes restrictions migratoires (en termes de circulation et de
reconnaissance des qualifications). Le solde migratoire des pays européens reste sur sa tendance (scénario médian des Nations unies) : la
baisse de la population active est atténuée par la réforme des retraites et
la faiblesse de la croissance les rend moins attractifs pour les migrants.
Alors que la demande des émergents continue à peser à la hausse sur
le cours de l’énergie et des biens alimentaires, cette inflation importée
n’est pas le signe d’une surchauffe de l’activité mais vient rogner encore
le revenu des ménages dans un contexte économique déprimé (stagflation). L’atonie de la croissance ne suffit pas à limiter les impacts environnementaux négatifs de la consommation énergétique en raison des
faibles progrès de l’efficacité énergétique (Méditerranée arabe et Balkans) et de l’absence de développement des énergies renouvelables avec
un maintien de la part des énergies fossiles. Si les émissions de co2
baissent de 10 % en vingt ans du fait de la crise en Europe, elles augmentent fortement dans les pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée.
En matière agricole, la dualité entre une agriculture intensive destinée à l’exportation et une agriculture vivrière sous équipée persiste en
l’absence de gains de productivité. Les conflits d’usage pour la ressource
en eau s’intensifient. La dépendance alimentaire et la pauvreté rurale
vont de pair et accentuent les déséquilibres sociaux, aboutissant à un
cercle vicieux d’instabilité.
Un autre destin est possible : le scénario de la convergence
méditerranéenne ou une convergence par le haut
entre la divergence et la marginalisation, la Méditerranée peut
connaître un autre destin, sous réserve d’une action politique volontariste et partagée par l’ensemble de ses riverains dans un contexte de
multipolarité dans les régulations internationales. Une croissance globalement plus forte et plus riche en emplois nécessite de valoriser l’intégration des systèmes de production en tirant partie des complémentarités régionales et d’étendre à l’ensemble de la Méditerranée certaines
modalités de redistribution et de protection sociale. Dans un système
régionalement intégré (établissement au niveau régional des quatre
27
libertés mises en place dans l’Union européenne, accès au marché intérieur européen et harmonisation des normes autorisant un système de
préférence régionale), accompagné d’une redistribution géographique
de la production et d’un partage de la valeur ajoutée permis par l’ouverture de certaines coopérations renforcées aux pays sud et est méditerranéens, les ressorts internes de la croissance pourraient permettre
un accroissement de la productivité et de l’emploi dans tous les pays. Un
tel scénario suppose que la transition politique de la Méditerranée arabe
non seulement ait libéré les énergies au Sud mais qu’elle ait permis une
convergence plus forte avec l’Europe, un rapprochement fondé non pas
uniquement sur des intérêts économiques mais sur une communauté
politique et de valeurs.
Ce scénario profondément coopératif permet à l’ensemble de la zone
méditerranéenne de bénéficier de gains de productivité globale des facteurs et de soutenir sa compétitivité à un coût social bien plus faible que
dans le scénario des divergences méditerranéennes. Une dynamique
de convergence régionale se met alors en place. Le rattrapage de productivité est permis par une diffusion technologique par imitation facilitée par les transferts de savoir-faire et de capitaux. Une croissance plus
équitable en termes de redistribution des richesses permet au Sud et à
l’Est de la Méditerranée et aux Balkans le développement d’une
demande intérieure dont bénéficient l’Europe latine, et avec elle, bien
que dans une moindre mesure, l’ensemble de l’Europe. Cette dynamique accroît considérablement le commerce sous-régional, offrant désormais des opportunités de marchés émergents et profonds. Les pays de
l’Adriatique, emmenés par la Croatie et la Serbie, tirent la Bosnie, la
Macédoine et l’Albanie. Le commerce sous-régional au Proche-Orient et
au Maghreb se développe d’autant plus qu’aux relations plus approfondies avec les voisins méditerranéens et européens viennent s’ajouter les
échanges croisés avec le Golfe. La Turquie devient une interface indispensable et une plaque tournante du commerce euro-méditerranéen.
Tous les pays de la région (à l’exception de la Mauritanie) atteignent
alors des revenus par tête supérieurs à 10 000 dollars en 2030. La Slovénie atteint les niveaux de revenu de l’Espagne en 2030, la Croatie frôle
ceux du Portugal. L’Égypte et le Maroc triplent leur pib par tête et prennent le train de la convergence. La Turquie et la Serbie dépassent les
25 000 dollars par habitant (GRAPHIQUE IV ).
Les taux d’activité des pays sud et est méditerranéens et des Balkans
se rapprochent beaucoup de ceux de l’Europe où la migration est venue
28
i – prospective – synthèse
GRAPHIQUE IV
Scénario de la
convergence
méditerranéenne.
PIB par habitant
(2009-2030)
(milliers de dollars,
parité de pouvoir
d’achat)
Source : CAS – Ipemed, 2011.
Albanie
Algérie
Bosnie
Croatie
Chypre
Egypte
France
Grèce
Israël
Italie
Jordanie
Liban
Libye
Macédoine
Malte
Mauritanie
Maroc
Portugal
Serbie
Slovénie
Espagne
Syrie
Tunisie
Turquie
2009
2030
10
20
30
40
50
pallier les pénuries de main-d’œuvre et alimenter les marchés de
consommation. Au Sud, le marché informel recule fortement (de près
de 10 points en moyenne, la Turquie et la Tunisie avoisinant une proportion d’emploi informel dans l’emploi total proche de celle des pays
en transition d’Europe de l’Est, soit 22 %), les taux de chômage passent
sous la barre des 9 % et plus de 2,6 millions d’emplois sont créés chaque
année, favorisant la stabilité sociale (TABLEAU III ). L’Europe se rapproche du
plein emploi mais les tensions sur le recrutement sont néanmoins allégées par une immigration plus facile. L’immigration soutient également
une forte consommation interne et les cotisations payées par les actifs
immigrés permettent de limiter l’allongement de la durée d’activité
(recul modéré de l’âge de la retraite).
Les perspectives d’emploi offertes dans les pays du Sud et de l’Est de
la Méditerranée et dans les Balkans deviennent suffisantes pour limiter
l’exode des cerveaux. Pour les migrants, la question du retour devient
pertinente et les formes de migration plus circulaires et plus quali29
TABLEAU III
Scénario de la convergence méditerranéenne – emploi (2007-2030)
(milliers)
Psem
Emplois Taux annuel
créés Nbre annuel
59 846
Pop.
active
Emplois
Chômeurs
Inactifs
2,6 % 145 886
2 600
134 657
11 229
128 477
Pop.
active
Emplois
Chômeurs
Inactifs
1,2 % 303 019
2 920
286 057
Taux Taux de
d’activité chômage*
53,2 %
7,7 %
UE27
Emplois Taux annuel
créés Nbre annuel
67 088
16 961 129 409
Taux Taux de
d’activité chômage*
70,1 %
5,6 %
Balkans
Emplois Taux annuel
créés Nbre annuel
2 895
1,5 %
130
Pop.
active
Emplois
Chômeurs
Inactifs
10 601
9 719
882
9 107
Taux Taux de
d’activité chômage*
53,8 %
8,3 %
* C’est le nombre de personnes qui ont travaillé dans le secteur formel et qui ne le peuvent plus. Ce taux ne tient pas compte ni du
chômage déguisé lié au sous-emploi ni des conditions d’inscription des chômeurs. Il est donc probablement sous-estimé.
Source : Femise, 2011.
fiantes. Les pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée et ceux de l’Adriatique profitent de ces retours, à l’instar de la Corée des années 60, ce qui
insuffle une dynamique économique cumulative. Au-delà, la Croatie, la
Serbie, la Turquie, la Tunisie et l’Algérie achèvent leur transition migratoire en 2030 : ils deviennent des pays d’accueil net de migrants et non
plus des pays de départ (GRAPHIQUE V ). Le solde migratoire de l’Europe du
Sud s’accroît mais en provenance d’autres pays que la Méditerranée.
En matière énergétique, le scénario de convergence permet une progression plus importante de l’efficacité énergétique et un développement significatif des énergies renouvelables grâce à une coopération
régionale et des transferts de technologie. 16 % de la demande énergétique à l’horizon 2030 provient de ces énergies (24 % dans l’Europe
latine, Balkans compris, mais seulement 8 % dans les Psem) contre
12 % dans le scénario de crise et 10 % dans le scénario de divergence.
Des mesures d’efficacité énergétique sont mises en place non seulement dans les pays de l’Union européenne mais aussi au Sud : campagne de prévention, création de label efficacité énergétique, efficacité
énergétique dans les bâtiments, etc. Le scénario de convergence représente pour la région 14 % de richesse supplémentaire accumulée avec
5 % d’énergie en moins par rapport au scénario de divergence, ce qui est
loin d’être négligeable. Il en va de même des émissions de co2. Alors
30
i – prospective – synthèse
GRAPHIQUE V
5
Projections du taux net de migration dans le Maghreb (1965-2030)
Mauritanie
5
0
0
-5
-5
-10
5
-10
1970
1990
2010
2030
Algérie
5
0
0
-5
-5
-10
1970
1990
2010
2030
-10
Maroc
1970
1990
2010
2030
Tunisie
1970
1990
2010
2030
Source :
Giambattista
Salinari –
Carim, 2010
La ligne bleue fait référence aux séries temporelles originales des Nations unies sur les taux
nets de migration. La ligne rouge décrit les valeurs théoriques des taux nets de migration
prévus par notre modèle. La ligne verticale en pointillés indique la limite entre les taux nets
de migration estimés par les Nations unies et ceux projetés.
que le scénario de crise et celui de la divergence sont quasi similaires en
termes d’intensité carbone, le scénario de convergence permet de
réduire de 20 % cette intensité, avec, rappelons-le, un niveau de richesse
plus élevé. Autre effet positif, la dépendance énergétique est atténuée
dans ce scénario et l’inflation énergétique partiellement jugulée. En
dépit des efforts réalisés, l’impact de la croissance sur le changement climatique reste néanmoins préoccupant : à partir de 2020, les émissions
de co2 des Psem dépassent celles des pays du Nord de la Méditerranée
(pnm), alors même que la consommation énergétique par habitant y
demeure inférieure (GRAPHIQUES VI et VII ).
Dans le contexte d’une accélération de l’industrialisation et du développement des Psem et des Balkans, la part de l’agriculture dans le pib
décroît fortement. L’exode rural est néanmoins contenu en raison du
développement d’activités rurales non agricoles (tourisme, immobilier)
et d’une chaîne de transformation agro-alimentaire permettant la création d’emplois industriels et de services (transports, distribution, qualité). L’accès aux moyens d’investissement, la mise en place de capacités de stockage, de mécanismes d’alerte et la mise à disposition de
31
Évolution de la demande d’énergie primaire à l’horizon 2030
GRAPHIQUE VI Dans les pays du Nord
GRAPHIQUE VII Dans les Psem
(Mtep)
de la Méditerranée (Mtep)
800
600
400
200
Crise
Divergence
Convergence
Source : OMEIpemed, 2011.
1970 1980 1990 2000 2010 2020 2030 1970 1980 1990 2000 2010 2020 2030
semences permettent également de moderniser l’agriculture vivrière et
de limiter l’impact négatif de la volatilité des prix. La labellisation de
productions méditerranéennes assure enfin une compétitivité agricole
assise sur la qualité.
Une alternative au scénario de convergence tirée, en premier lieu,
par la dynamique d’intégration au Sud
le scénario de convergence et de rattrapage des niveaux de revenus
du Sud et de l’Est de la Méditerranée, dans une moindre mesure des
pays de l’Adriatique, pourrait être emmené non pas par une volonté
européenne plus marquée mais par une croissance endogène de
l’Afrique du Nord et du Proche-Orient. Le vent de réforme qui souffle
au Sud et une participation d’un plus grand nombre au processus productif libérerait des dynamiques économiques nationales et autoriserait également une intégration régionale démultipliant les effets d’anticipation, de création de commerce et d’économies d’échelle comme
autant d’externalités positives de l’intégration régionale. Une libéralisation commerciale à l’échelle du Great Arab Free Trade Agreement
(Gafta) (pays arabes incluant les États du Conseil de coopération du
Golfe – ccg) ou amplifiant les accords d’Agadir (impliquant l’Égypte, la
Jordanie, le Maroc, la Tunisie et les Territoires palestiniens) pourrait dès
lors se coupler à la mise en place de projets communs, en matière agricole, énergétique, touristique ou de santé. Des financements communs
d’investissements a minima en Afrique du Nord, a maxima incluant les
pays du Golfe, permettraient d’utiliser la manne pétrolière et gazière à
32
i – prospective – synthèse
des fins de développement régional. Une institutionnalisation sur une
base régionale, sous-régionale (Maghreb, Proche-Orient) ou à géométrie
variable rassemblant dans un premier temps un petit nombre d’États,
permettrait à la région d’asseoir des positions communes dans les négociations internationales, en particulier celles avec l’Europe. Alors même
que la libéralisation commerciale arabe a d’ores et déjà conduit à une
hausse du commerce intra-régional de près de 30 %(2), une intégration
profonde impliquant une harmonisation des normes et des investissements régionaux aurait un impact encore plus important.
Cette dynamique économique au Sud pourrait prendre deux formes
en ce qui concerne la relation avec l’Union européenne. Elle pourrait
avoir un effet d’entraînement sur les économies des États membres et
vraisemblablement encourager leur volontarisme politique à l’égard de
la région. L’Union européenne pourrait, ainsi, participer à des projets
cofinancés au niveau régional et accélérer le rythme des négociations
pour un accès au marché intérieur voire pour l’adhésion dans le cas des
pays candidats. Le renforcement de certaines relations bilatérales NordSud irait dans le même sens, renouvelant sans doute les principes des
négociations euro-méditerranéennes et les axant davantage sur les investissements. Mais cette dynamique économique au Sud pourrait également provoquer un éloignement relatif entre une rive sud intégrée d’un
côté et, de l’autre, l’Union européenne.
Ce scénario, peu probable fin 2010, a gagné en probabilité à la faveur
des révolutions arabes. Il n’a pas été analysé en détail par le consortium
Méditerranée 2030 dans le présent document et pourra faire l’objet d’analyses ultérieures.
4. Alors que faire pour favoriser la convergence
méditerranéenne ?
atteindre des performances régionales convergentes, plus égalitaires socialement et territorialement, nécessite une intégration des systèmes de production et ne peut pas être obtenu par les seules libéralisations commerciales dont les impacts sont limités dans une économie
mondialisée. La libéralisation des services peut constituer un facteur
de croissance plus vigoureuse et une alternative à la migration mais elle
(2) Selon J. Abidi et N. Péridy.
33
ne saurait renforcer la dynamique d’échanges et d’emploi sans une harmonisation des normes. À défaut, cette libéralisation restera limitée et
son potentiel de création de revenu également. Au-delà, dynamiser les
ressorts internes de la croissance ne peut faire l’économie d’une réhabilitation des systèmes de protection sociale, garants d’une consommation soutenue, et de soutiens publics pour permettre aux hommes et
aux biens d’affronter la concurrence mondiale exacerbée. De ce point de
vue, la mise en place d’un écosystème méditerranéen est la condition de
son autonomie et de sa croissance. Dès lors, certaines recommandations axées sur les grands défis et les grands facteurs de convergence
méditerranéenne peuvent être proposées :
1. Investir dans le capital humain en favorisant la mobilité (autoriser la
migration temporaire pour des services contractualisés et des projets
co-financés par l’upm) et la qualification des personnes (création d’un
socle de base commun ; réseau euro-méditerranéen de formation professionnelle et de reconnaissance-accréditation des compétences et des
diplômes, ErasmusMed…).
2. Accélérer les transferts de savoirs, de compétences et de technologies
i) en favorisant l’émergence de pôles de compétitivité (clusters) et de
recherche euro-méditerranéens sur des secteurs porteurs ou riches en
emplois (technologies de l’information et de la communication pour les
services, techniques agricoles et d’efficacité énergétique, etc.) ; ii) en
resserrant les arbitrages de localisation sur une base régionale : de ce
point de vue, la mise en place d’un système de préférences régionales
allant au-delà du libre-échange et fondée sur des critères de qualité
sociale, sanitaire et environnementale contribuerait à accélérer les transferts de capitaux et de savoir-faire.
3. Créer un espace institutionnel commun accompagné de transferts
financiers, un statut avancé bénéficiant de fonds s’inspirant de la philosophe de l’adhésion au marché intérieur (signifiant l’établissement
progressif des quatre libertés de circulation des biens, des capitaux, des
services et des personnes), et approfondir les discussions sur le processus d’adhésion des pays candidats à l’Union européenne.
4. Engager un processus de certification méditerranéenne couvrant les
services et l’agriculture dans un premier temps, avec un label méditerranéen garantissant une qualité sanitaire (mise en place d’une agence
sanitaire) et environnementale en matière agricole et un niveau de compétence et de qualité pour les prestations de services.
34
i – prospective – synthèse
5. Sélectionner les projets de l’upm (co-financement) sur leur potentiel de création d’emplois et/ou de sobriété énergétique.
6. Créer un fonds méditerranéen environnemental visant, d’une part,
à renforcer la capacité d’adaptation au changement climatique des pays
sud et est méditerranéens et des Balkans, d’autre part, à financer les
projets d’infrastructures de transport d’énergies renouvelables et de
transport collectif alternatif au mode routier, les projets de développement propre réduisant les gaz à effet de serre, les projets de rationalisation de la demande en eau et d’efficacité énergétique en particulier
dans le bâtiment.
7. Mettre en place une banque méditerranéenne d’investissement, fondée sur les mêmes principes que la bei, et conçue pour favoriser le financement des pme, acteurs clés en matière de création de richesse et d’emplois.
8. Intensifier les réseaux de transports au Sud de la méditerranée en
vue de favoriser la fluidité des échanges commerciaux Sud-Sud, avec
une attention particulière au transport multimodal permettant une meilleure optimisation du coût de la logistique.
9. Élaborer une politique commune de sécurité alimentaire (dispositifs mutualisés d’assurance des risques agricoles, constitution de stocks
de sécurité et élaboration de mécanismes d’intervention d’urgence) et
de développement rural (infrastructures matérielles et immatérielles
des filières, formations managériales et technologiques).
35
scénarios de croissance
pour la méditerranée en 2030
Cécile Jolly*
1. Méthodologie et scénarisation de la croissance
Une comptabilité de la croissance fondée sur la force de travail
et la productivité
une comptabilité simple de la croissance fait dépendre la production
du niveau des ressources disponibles dans l’économie et de l’état de la
technologie (Y t= f (P t, L t, K t)). Le niveau de revenu d’un pays à un
moment « t » est tributaire de la productivité (P), du niveau d’emploi
potentiel (L) défini à partir de la population active tendancielle et du taux
de chômage d’équilibre, et du stock de capital (K). Le stock de capital
peut être considéré comme endogène à l’évolution macroéconomique
(il évolue en fonction de l’activité) tandis que le rendement moyen du
capital est constant sur longue période, contrairement à celui du travail.
La productivité du travail constitue, dès lors, une approximation du
rythme d’accumulation du capital par tête et de la vitesse de la productivité globale des facteurs. Le niveau d’emploi potentiel découle des évolutions de la structure par âge de la population, de la compétitivité des
économies et du fonctionnement du marché du travail ; il est appréhendé ici à travers le taux d’emploi (population employée sur la population en âge de travailler ou sur la population totale). Les projections
sont centrées sur la force de travail et la productivité dont la progression conjointe induit le taux de croissance. Ce taux de croissance est
appliqué au revenu par habitant de chaque pays et évalué en parité de
pouvoir d’achat selon les bases de données du fmi (septembre 2010).
Les projections ainsi réalisées permettent de répondre à la question cen(*) Analyste au Centre d’analyse stratégique (cas).
37
trale de la convergence des revenus dans la région euro-méditerranéenne et de la problématique emploi/chômage.
Les projections de population s’appuient sur le scénario médian des
Nations unies (révision 2008) et sont constantes dans tous les scénarios.
La force de travail résulte des évolutions du taux d’emploi (nombre de personnes employées divisé par la population totale) qui sont projetées par
pays sur la base des évolutions passées(1) et fondées, jusqu’en 2015, sur les
prévisions du fmi. La progression du taux d’emploi tient également
compte, pour les pays européens, d’un effet de seuil lié au vieillissement de
la population limitant les possibilités de progression de la population active.
Les projections reposent sur un taux de croissance de la productivité dépendant de l'accumulation du capital humain et de la vitesse de
diffusion du progrès technique. L’évolution de la productivité du travail
(production par personne employée) est projetée par pays en fonction
des évolutions passées(2) et, jusqu’en 2015, en fonction des prévisions du
fmi. Elle tient compte pour les pays qui ont connu une forte croissance
de la productivité depuis 1995 d’un effet de seuil lié au ralentissement
progressif de la dynamique de rattrapage (en particulier pour les nouveaux États membres de l’Union européenne) (TABLEAU 1 ). Cette mesure de
la productivité reste très imparfaite dans la mesure où elle ne tient pas
compte, dans les pays sud et est méditerranéens, de l’emploi informel
qui compte entre 30 % (Turquie) et plus de 65 % (Maroc) de l’emploi
non agricole avec des différences de productivité qui peuvent atteindre
30 à 40 %. Néanmoins, l’emploi formel et informel sont complémentaires soit que les entreprises aient une part d’emploi formel et une autre
informelle soit que les structures informelles soient les sous-traitantes
de structures formelles. De ce fait, les tendances de productivité mesurées sur l’emploi formel affectent l’ensemble de l’économie.
Trois scénarios par écart au compte tendanciel
à partir d’un scénario de référence, prolongeant à 2030 les évolutions tendancielles et les prévisions du fmi à 2015, trois scénarios ont
été élaborés par écart à ces projections : un scénario de divergences
méditerranéennes ; un scénario de crise de la Méditerranée et un scénario de convergence régionale méditerranéenne.
Dans le scénario de référence, la productivité de l’UE15 demeure faible (inférieure ou égale à 1,5 %) poursuivant les tendances passées (aux
(1)(2) Issues de The Conference Board Total Economy Database : Output, Labor and Labor
Productivity Country Details, 1950-2009, janvier 2010.
38
ii – prospective – croissance
1 Taux de croissance de la productivité du travail* dans les pays
de la zone Euromed (1980-2030) (%)
TABLEAU
Albanie
Algérie
Bosnie
Croatie
Chypre
Égypte
Espagne
France
Grèce
Israël
Italie
Jordanie
Macédoine
Malte
Maroc
Portugal
Serbie
Slovénie
Syrie
Tunisie
Turquie
19801989
-1,51
-1,55
–
–
5,03
2,75
1,88
2,13
-0,35
1,47
1,84
-2,81
–
–
0,86
2,16
–
–
1,94
0,78
3,61
19901994
-5,75
-5,32
–
–
2,88
-0,15
1,60
1,40
0,10
1,11
1,45
-5,30
–
–
0,41
2,18
–
–
4,06
1,50
1,77
19951999
7,48
-1,12
–
3,20
3,58
3,23
0,68
1,40
2,32
2,06
1,18
-0,54
1,18
–
-0,99
2,24
–
4,14
1,69
2,54
2,29
20002004
8,84
0,61
5,40
3,36
0,76
1,16
0,09
0,99
3,29
0,37
0,03
2,79
2,70
–
3,09
0,67
6,04
3,02
0,26
2,39
4,47
20052009
5,42
-0,10
0,69
1,68
0,86
3,86
0,91
0,37
1,58
0,38
0,95
2,30
- 0,20
0,74
2,97
0,78
3,97
1,45
0,41
2,61
1,79
20102019
2,64
1,52
2,65
1,48
1,86
3,11
1,01
1,02
0,47
1,36
0,45
2,04
1,70
1,05
3,17
0,92
3,70
1,82
2,34
3,02
2,84
20202029
3,04
1,53
3,24
1,70
2,01
3,06
1,01
1,21
1,50
1,32
1,00
2,04
2,03
1,51
3,04
1,50
3,53
1,91
2,04
2,52
3,04
* Ce taux est calculé comme le ratio entre le pourcentage d’évolution du pib par rapport au pourcentage d’évolution de l’emploi
sur la même période.
Source : The Conference Board Total Economy Database (2010), Output, Labor and Labor Productivity Country Details, 1950-2009,
janvier 2010(3).
alentours de 1 % de gains de productivité en moyenne sur 1995-2009),
tandis que celle des pays en rattrapage, européens (nouveaux adhérents
et Balkans) et méditerranéens, progresse plus fortement (de 2 à plus de
3 % de gains de productivité) traduisant la modernisation de l’appareil
productif et l’adaptation du capital humain. Une substitution capital/travail s’opère dans les pays en rattrapage qui n’est pas favorable à l’emploi,
tandis que la faible productivité des pays européens historiques déprime
à long terme la croissance et l’emploi. Par conséquent, les taux d’emploi
progressent partout faiblement.
(3) The Total Economy Database a été développé par Groningen Growth and Development
Centre (Université de Groningen, Pays Bas).
39
Dans le scénario des divergences méditerranéennes, la concurrence
internationale incite les pays à peser à la baisse sur les coûts internes,
par une politique monétaire restrictive et une modération salariale, pour
restaurer leur compétitivité. La productivité augmente plus fortement
dans les pays d’Europe très touchés par la crise financière (Grèce, Italie,
Portugal, Espagne) et elle se maintient à sa tendance dans le reste de
l’Europe, les pays de l’Adriatique et ceux du Sud et de l’Est de la Méditerranée. Si les taux d’emploi progressent, du fait du développement de
l’activité au Sud et en raison de l’allongement de la durée d’activité en
Europe (réforme des retraites), ils restent faibles du fait de la course à
la compétitivité, la productivité se traduisant par une forte substitution
capital/travail. Les taux de chômage se maintiennent à un niveau élevé
dans la Méditerranée non européenne. En Europe du Sud, le recul (Italie, Espagne) ou la faible progression (France) de la population active
ne suffit pas à enrayer les taux de chômage qui restent plus élevés que
dans le reste de l’Europe.
Dans le scénario de crise de la Méditerranée, les effets de la crise sont
durables pour les pays de l’Europe latine. Les gains de productivité et la
progression des taux d’emploi sont plus faibles que dans le scénario de
référence pour l’ensemble des pays méditerranéens, alors qu’ils sont
relativement stables pour l’Europe du Nord et de l’Est. Les pays du Sud
de l’Europe sont victimes d’un effet d’hystérèse de la crise, déqualifiant
la main-d’œuvre et provoquant une perte définitive de capital humain,
qui se traduit par une stagnation, voire un recul, du taux d’emploi. Les
pays du Maghreb subissent plus fortement que ceux du Machrek et de
l’Adriatique les effets de la crise de la Méditerranée et d’une instabilité
qui s’installe. Ils voient leur taux d’emploi progresser plus faiblement
qu’en tendance.
Dans le scénario de convergence méditerranéenne, la productivité du
travail et les taux d’emploi progressent de manière concomitante. Le
rattrapage de la productivité est plus prononcé pour les pays méditerranéens dont le revenu par habitant est le plus faible. Cette croissance
inégalée de la productivité s’accompagne d’une hausse de l’activité qui
se répercute sur une augmentation de l’emploi, dans la mesure où la
croissance induite est assise davantage sur la demande intérieure.
Au total, dans le scénario des divergences méditerranéennes, le revenu
des pays méditerranéens progresse davantage que celui des pays de l’Europe du Nord et de l’Est (GRAPHIQUE 1 à 4 ), alors que la Méditerranée arabe,
les Balkans et la Turquie deviennent une plateforme low cost pour l’Eu40
ii – prospective – croissance
Croissance du PIB dans les trois scénarios (en %) Source : CAS – Ipemed, 2011.
Crise Méditerranée
GRAPHIQUE
Divergence
1 En Méditerranée
Convergence
GRAPHIQUE 3 Dans les Balkans
et en Europe de l’Est
Chypre
France
Grèce
Italie
Malte
Portugal
Espagne
Turquie
Albanie
Bosnie
Croatie
Macédoine
Serbie
Slovénie
Israël
Jordanie
Syrie
Algérie
Égypte
Maroc
Tunisie
Liban
Libye
Mauritanie
Albanie
Bosnie
Croatie
Macédoine
Serbie
Slovénie
Bulgarie
Rép. tchèque
Estonie
Hongrie
Lettonie
Lituanie
Pologne
Roumanie
Slovaquie
1
GRAPHIQUE
1
2
3
4
5
6
GRAPHIQUE 2 Dans les pays sud
et est méditerranéens
Turquie
Israël
Jordanie
Syrie
Algérie
Égypte
Maroc
Tunisie
Liban
Libye
Mauritanie
1
2
3
4
5
6
2
3
4
5
6
4
5
6
4 Dans l’UE-15
Chypre
France
Grèce
Italie
Malte
Portugal
Espagne
Allemagne
Autriche
Belgique
Danemark
Finlande
Islande
Irlande
Luxembourg
Pays Bas
Suède
Royaume Uni
1
2
3
41
rope latine qui, à son tour, bénéficie de la proximité géographique et de
la densité des échanges commerciaux et humains avec ces pays. De leur
coté, les pays d’Europe de l’Est les plus éloignés des rivages méditerranéens souffrent de cette concurrence. Inversement, le scénario de crise
de la Méditerranée désavantage considérablement la Méditerranée dans
son ensemble. Le scénario de convergence méditerranéenne voit le revenu
des pays méditerranéens non adhérents à l’UE progresser plus fortement, l’Europe latine pouvant être avantagée par ce rééquilibrage du
centre de gravité de l’Europe à l’égard de son Sud. Mais cette dynamique
économique du Sud pourrait également provoquer un éloignement relatif entre une rive sud structurellement plus intégrée, d’un côté, et
l’Union européenne, de l’autre.
2. Trois visions d’un futur possible
La poursuite des tendances passées
la poursuite des tendances passées (taux de croissance en Europe
inférieurs à 2 % par an, avoisinant les 3-4 % au Sud et à l’Est de la Méditerranée et dans les Balkans) n’est pas favorable à une convergence
méditerranéenne. En 2030, elle maintient les écarts de revenu entre
pays, sans rattrapage. La convergence des revenus est limitée aux nouveaux États membres de l’Union qui atteignent des niveaux comparables
à ceux de l’UE15. Les pib par habitant de la Turquie et de la Serbie restent inférieurs de moitié à celui de la France et équivalent aux deux tiers
de celui du Portugal (GRAPHIQUE 5 ). Les spécialisations des pays du Sud et
de l’Est de la Méditerranée restent cantonnées dans des produits de
gamme inférieure, à faible contenu technologique, avec un ralentissement rural qui n’est pas compensé par la création de nouvelles activités.
La poursuite de ces tendances accroît les pressions environnementales
(les émissions de CO2 des pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée
équivalent en 2030 à celles, stabilisées, des pays de l’Europe latine). Elle
ne résout pas la question de l’emploi au Nord, où la limitation des flux
migratoires conjuguée à la baisse de la population active limitent le
potentiel de croissance comme au Sud, où la faible dynamique d’emploi
maintient plus de la moitié de la population dans l’inactivité et des taux
de chômage avoisinant les 10 %, le marché informel jouant le rôle de
variable d’ajustement. Les Balkans sont confrontés aux mêmes difficultés (taux d’inactivité légèrement supérieurs à 50% et taux de chô42
ii – prospective – croissance
GRAPHIQUE
5
Scénario de référence,
prolongation
des tendances
passées et
des prévisions FMI
à 2015.
PIB par habitant
(2009-2030)
(milliers de dollars,
parité de pouvoir d’achat)
Source : CAS – Ipemed, 2011.
Albanie
Algérie
Bosnie
Croatie
Chypre
Egypte
France
Grèce
Israël
Italie
Jordanie
Liban
Libye
Macédoine
Malte
Mauritanie
Maroc
Portugal
Serbie
Slovénie
Espagne
Syrie
Tunisie
Turquie
2009
2030
10
20
30
40
50
mage à peine inférieurs à 10 %), avec l’apparition concomitante de pénuries de main-d’œuvre locales et sectorielles. Dans ce contexte, la pression
migratoire reste forte, alimentée essentiellement par le différentiel de
revenu, tandis que les politiques migratoires restrictives se renforcent,
au Nord comme au Sud, et affectent les travailleurs peu qualifiés mais
aussi qualifiés.
Le scénario des divergences méditerranéennes : une insertion disparate
dans l’économie mondiale
c’est bien la divergence qui menace la Méditerranée. Le basculement de la dynamique de l’économie mondiale peut jouer en ce sens
avec des gagnants et des perdants au niveau national et régional. La croissance, tirée par celle des pays émergents, renforce la compétitivité au
détriment du pouvoir d’achat et de la demande intérieure. Les spécialisations industrielles des Balkans et du Sud de la Méditerranée s’approchent de celles des pays d’Europe de l’Est, faisant en sorte que ces éco43
GRAPHIQUE
6
Scénario
des divergences
méditerranéennes.
PIB par habitant
(2009-2030)
(milliers de dollars,
parité de pouvoir
d’achat)
Source : CAS – Ipemed, 2011.
Albanie
Algérie
Bosnie
Croatie
Chypre
Egypte
France
Grèce
Israël
Italie
Jordanie
Liban
Libye
Macédoine
Malte
Mauritanie
Maroc
Portugal
Serbie
Slovénie
Espagne
Syrie
Tunisie
Turquie
2009
2030
10
20
30
40
50
nomies deviennent la nouvelle plateforme low cost de l’Europe communautaire et place avancée de la pénétration du marché communautaire
pour les émergents. Cette dynamique de la croissance mondiale, plus
que méditerranéenne, avantage les économies les plus compétitives qui
ont déjà connu un phénomène de rattrapage : la Croatie, la Serbie, la Turquie, dans une moindre mesure la Tunisie et les autres pays balkaniques,
s’approchent du revenu par habitant du Portugal et creusent l’écart avec
les autres pays du Maghreb (Algérie,Égypte) et du Proche-Orient (Liban,
Jordanie) bénéficiant d’une moindre dynamique de croissance (GRA PHIQUE 6 ). En Europe, le potentiel de croissance de la Grèce et du Portugal
est également affaibli par des difficultés de balance des paiements et les
déficits publics, accroissant des divergences non seulement intra-méditerranéennes mais également intra-européennes. Le processus euroméditerranéen progresse en termes de libéralisation commerciale et agricole mais n’est pas assorti de contreparties en termes de transferts,
accentuant l’exode rural au Sud et la concentration agricole au Nord. La
44
ii – prospective – croissance
libéralisation des services se limite à certaines prestations de service sans
aller jusqu’à la liberté d’établissement, renforçant dès lors une sélectivité de la main-d’œuvre en fonction des niveaux de qualification.
Dans ce contexte, outre les pressions environnementales liées à la
croissance économique et de revenu, la mer Méditerranée accentue sa
place de transit de l’économie-monde, avec des impacts plus aigus en
termes de pollution, de perte de biodiversité et d’artificialisation des
côtes. Un tel scénario contribue à accroître fortement la dualisation des
économies et des territoires (marginalisation des intérieurs, développement littoral), le développement des filières d’exportation en matière
industrielle et agricole se faisant au détriment des productions à destination des marchés intérieurs. Les taux d’activité et d’emploi s’élèvent,
mais très inégalement dans l’ensemble de la Méditerranée. Les taux de
chômage décroissent, mais restent élevés au Sud et à l’Est de la Méditerranée et dans les Balkans occidentaux (entre 9 et 10 %). L’Europe
parvient à compenser partiellement ses pertes d’activité par une migration facilitée essentiellement pour les travailleurs qualifiés (carte bleue
européenne) et par le biais d’un allongement sensible de la durée d’activité. La dualité des marchés du travail reste importante au Nord comme
au Sud, accroissant les inégalités entre une élite mondialisée bien insérée dans les échanges mondiaux et des travailleurs peu qualifiés soumis à une flexibilité accrue au Nord et à des conditions de travail et de
rémunération dégradées au Sud. En matière énergétique, les progrès
dans l’utilisation des ressources renouvelables sont compensés par une
hausse de la demande, aboutissant à une croissance des émissions de
gaz à effet de serre aussi prononcée globalement que dans le scénario
tendanciel, avec des différences nationales plus marquées. Le déclin
euro-méditerranéen de l’agriculture s’accompagne d’une forte pénétration des fournisseurs du reste du monde (viande, céréales), tandis que
les productions strictement méditerranéennes (fruits et légumes, huile
d’olive, vin) qui n’ont pas été labellisées sont concurrencées par des provenances lointaines (Chili, Australie, Brésil, Chine).
Le scénario de crise de la Méditerranée : marginalisation
et convergence par le bas
la crise de 2008 peut contribuer à assombrir davantage ce tableau.
Les pays de l’Europe du Sud sont aujourd’hui les plus fragilisés par la
crise. Ils sont confrontés à une dynamique de la dette publique très défavorable, l’augmentation de l’endettement entraînant une hausse des
45
GRAPHIQUE
7
Scénario
de crise de
la Méditerranée.
PIB par habitant
(2009-2030)
(milliers de dollars,
parité de pouvoir d’achat)
Source : CAS – Ipemed, 2011.
Albanie
Algérie
Bosnie
Croatie
Chypre
Egypte
France
Grèce
Israël
Italie
Jordanie
Liban
Libye
Macédoine
Malte
Mauritanie
Maroc
Portugal
Serbie
Slovénie
Espagne
Syrie
Tunisie
Turquie
2009
2030
10
20
30
40
50
primes de risque qui alourdit la charge d’intérêt tout en obérant la croissance. L’assainissement des finances publiques (baisse des transferts
publics et alourdissement de la charge fiscale) peut peser encore davantage sur la croissance de la demande et entraver durablement la reprise,
avec une progression du revenu en niveau et en tendance plus faible
que par le passé. Le décrochage de l’Europe du Sud peut induire une
divergence avec le reste de l’Europe, qui reste arrimée à la croissance des
émergents. L’Allemagne dépasse la France en revenu par tête. Le pib
par habitant de la Slovénie est supérieur à celui de l’Espagne (GRAPHIQUE 7 ).
Les pays latins sont également les nations européennes dont les
échanges croisés euro-méditerranéens sont les plus dynamiques, la géographie des échanges restant très marquée par la proximité, de même
que les flux migratoires. Un ralentissement durable de ces économies,
handicapées par les changes fixes et sans solidarité de la zone euro,
aboutirait à un retrait de leurs échanges et de leurs investissements dans
les pays voisins de l’Adriatique et du Sud de la Méditerranée. Dans ce
46
ii – prospective – croissance
contexte, l’intégration institutionnelle euro-méditerranéenne reste limitée et les élargissements prévus repoussés sine die. L’upm, dans ce
cadre, est en mal de projets. La libéralisation des services se trouve entravée par les craintes de dumping social, tandis que les marchés agricoles
continuent d’être gouvernés par les quotas. L’affaiblissement économique de l’Europe latine s’accompagne d’une diminution de son pouvoir politique, entraînant un effet défavorable à un arrimage aux flancs
sud et est méditerranéens. Cette atonie de la croissance du Sud de l’Europe peut aboutir à une marginalisation globale de la région méditerranéenne du fait d’une interdépendance des économies (les Balkans, la
Turquie et le Maghreb commerçant essentiellement avec l’Europe). Plus
vraisemblablement, elle induirait aussi, dans les économies du Sud de
la Méditerranée et des Balkans, des transferts de capitaux originaires
de l’Europe du Nord, du Golfe et des pays émergents (ainsi qu’un
détournement du commerce vers ces pays) qui trouveraient à s’investir
dans une zone à faible coût et à fort rendement.
Une forme de convergence méditerranéenne par le bas s’opérerait
ainsi. L’ensemble des pays en rattrapage avec l’Europe s’approchant des
niveaux de revenu de la Méditerranée européenne (le revenu par habitant
de la Turquie et de la Serbie atteignant 80 % de celui du Portugal en
2030), mais au prix d’une divergence européenne forte. Les effets d’hystérèses de la crise sont concentrés sur l’Europe latine qui connaît un
décrochage durable de sa croissance et une faiblesse persistante de ses
gains de productivité. En revanche, les pays du Nord de la Méditerranée
retrouvent le sentier de croissance antérieur à la crise. Certains pays méditerranéens bénéficient d’un afflux d’investissement et de la délocalisation, mais fondés essentiellement sur un différentiel de coût de maind’œuvre. Le progrès technique et les remontées de filières y restent
faibles. L’activité stagne et l’emploi reste majoritairement informel.
Le scénario de la convergence méditerranéenne : une croissance soutenue
et soutenable appuyée par une action politique volontariste
entre la divergence et la marginalisation, la Méditerranée peut
connaître un autre destin, sous réserve d’une action politique volontariste, partagée par l’ensemble de ses riverains dans un contexte de multipolarité dans les régulations internationales. Une croissance globalement plus forte et plus riche en emplois nécessite de valoriser
l’intégration des systèmes de production en tirant partie des complémentarités régionales, d’étendre à l’ensemble de la Méditerranée cer47
taines modalités de redistribution et de protection sociale. Un tel scénario suppose un cadre institutionnel renforcé où la perspective d’adhésion à l’Union ou au marché intérieur accélère l’harmonisation des
normes, comme l’ont montré les exemples de la Croatie, de la Turquie
ou des nouveaux États membres. Dans un système régionalement intégré (établissement au niveau régional des quatre libertés mises en place
dans l’Union européenne, accès au marché intérieur européen et harmonisation des normes autorisant un système de préférence régionale),
accompagné d’une redistribution géographique de la production et d’un
partage de la valeur ajoutée permis par l’ouverture de certaines coopérations renforcées aux pays sud et est méditerranéens, les ressorts
internes de la croissance pourraient permettre un accroissement de la
productivité et de l’emploi dans tous les pays.
Ce scénario profondément coopératif permet à l’ensemble de la
région méditerranéenne de bénéficier de gains de productivité globale
des facteurs et de soutenir sa compétitivité à un coût social bien plus
faible que dans le scénario des divergences méditerranéennes. Une dynamique de convergence régionale se met alors en place. Les taux d’activité des pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée et des pays adriatiques se rapprochent fortement de ceux de l’Europe, où la migration
est venue pallier les pénuries de main-d’œuvre et alimenter les marchés de consommation. Le rattrapage de productivité est permis par
une diffusion technologique par imitation, facilitée par les transferts de
savoir-faire et de capitaux. Une croissance plus équitable en termes de
redistribution des richesses permet au Sud et à l’Est de la Méditerranée
et aux Balkans le développement d’une demande intérieure dont bénéficient l’Europe latine, et avec elle, bien que dans une moindre mesure,
l’ensemble de l’Europe. Cette dynamique accroît fortement le commerce sous-régional offrant désormais des opportunités de marchés
émergents et profonds. Les pays de l’Adriatique, emmenés par la Croatie et la Serbie, tirent la Bosnie, la Macédoine et l’Albanie. Le commerce
sous-régional au Proche-Orient et au Maghreb se développe d’autant
plus fortement qu’aux relations plus approfondies avec les voisins
méditerranéens et européens viennent s’ajouter les échanges croisés
avec le Golfe. La Turquie devient une interface indispensable et une
plaque tournante du commerce euro-méditerranéen.
Tous les pays de la région (à l’exception de la Mauritanie) atteignent
alors des revenus par tête supérieurs à 10 000 dollars en 2030
(GRAPHIQUE 8 ). Les taux d’activité des pays du Sud et de l’Est de la Médi48
ii – prospective – croissance
GRAPHIQUE
8
Scénario de
convergence
méditerranéenne.
PIB par habitant
(2009-2030)
(milliers de dollars,
parité de pouvoir
d’achat)
Source : CAS – Ipemed, 2011.
Albanie
Algérie
Bosnie
Croatie
Chypre
Egypte
France
Grèce
Israël
Italie
Jordanie
Liban
Libye
Macédoine
Malte
Mauritanie
Maroc
Portugal
Serbie
Slovénie
Espagne
Syrie
Tunisie
Turquie
2009
2030
10
20
30
40
50
terranée et des Balkans se rapprochent considérablement de ceux de
l’Europe, où la migration est venue pallier les pénuries de maind’œuvre et alimenter les marchés de consommation. La Slovénie
atteint les niveaux de revenu de l’Espagne en 2030, la Croatie frôle
ceux du Portugal. L’Égypte et le Maroc triplent leur pib par tête et
prennent le train de la convergence. La Turquie et la Serbie dépassent
les 25 000 dollars par habitant.
49
perspectives d’emploi
en méditerranée
Frédéric Blanc*
l’emploi est un sujet majeur pour l’évolution de la région euroméditerranéenne. Pour les pays du Sud de la Méditerranée (nommés pm
par la suite), il va s’agir dans les prochaines années de créer un nombre
sans précédent d’emplois décents afin d’absorber le nombre croissant
de nouveaux entrants sur les marchés du travail, la forte proportion de
jeunes inactifs et d’accroître sensiblement la participation féminine à
l’activité économique. De son côté, la rive nord sera confrontée à un défi
bien différent et inédit, celui de maintenir sa dynamique économique
et de création d’emplois au moment où le nombre d’actifs va baisser.
Quant aux pays des Balkans, ils sont actuellement dans une situation
mixte, proche par leur activité de celle des pm, mais avec des perspectives
démographiques identiques à celles de l’Europe.
Dans le Sud, la pyramide des âges fait apparaître une proportion de
jeunes bien plus importante que la moyenne. Certes, les taux de croissance de la population ont fléchi et les taux de fertilité sont proches de
ceux du Nord, mais l’impact des taux de fertilité élevés dans le passé se
ressent maintenant, avec une population jeune qui va arriver d’ici à
2030 sur le marché du travail. De plus, les pays du Sud ne peuvent plus
se permettre d’aborder les décennies futures comme ils l’ont fait auparavant : le nombre d’inactifs indique en effet que cela n’a pas été efficace.
Par ailleurs, la pyramide des âges va s’amincir au Nord dans les parties
dites actives. Il reste certes des réserves d’actifs, notamment en développant le travail féminin ou en reculant l’âge de la retraite, mais il n’est
pas envisageable de faire reposer sur ces deux piliers l’ensemble de
l’effort, la réserve n’étant sans doute pas suffisante.
* Délégué général, Femise.
51
Comment ces défis vont-ils pouvoir être relevés et vers quelle situation régionale s’oriente-t-on ? Notre propos est de présenter la nature de
l’emploi et son évolution dans les quarante-trois pays de la région à l’horizon 2030 ainsi que les éléments clés qui vont dessiner les évolutions
possibles et les situations envisageables en 2030.
Le chapitre est organisé en quatre parties.
• La nature de l’emploi à partir d’une présentation de la situation
actuelle et des grandes tendances démographiques qui s’annoncent.
• Le contenu en emplois de la croissance et la dualité des marchés du
travail.
• La nécessité d’une meilleure adéquation de la formation et des compétences face aux besoins économiques de la région.
• Les grands scénarios probables en termes de création d’emplois à
l’horizon 2030 en fonction des évolutions dans les relations euro-méditerranéennes.
1. Un contexte démographique tendu et un faible taux
d’activité
nous présenterons d’abord la démographie de la population active
et l’état des lieux des marchés du travail dans la région qui comprend les
dix pays du partenariat Euromed (Algérie, Égypte, Israël, Jordanie,
Liban, Maroc, Palestine, Syrie, Tunisie et Turquie), les vingt-sept pays de
l’Union européenne et les six pays des Balkans (Albanie, Bosnie-Herzégovine, Croatie, Macédoine, Monténégro et Serbie).
La région Euromed-Balkans forme un ensemble de 790 millions
d’habitants en 2007, dont plus de 160 millions ont moins de 15 ans.
Plus de 620 millions de personnes sont en âge de travailler (plus de
15 ans), seulement 328 millions sont actifs et 300 millions ont un emploi
( TABLEAU 2 ). Mais la répartition est très inégale entre les rives. Les pays
méditerranéens représentent environ un tiers de la population globale
de la zone (34 %), la moitié de la population jeune (49,8 % ont moins de
15 ans) et seulement le quart des employés (25,5 %). À l’inverse, on peut
voir que l’Europe propose aujourd’hui sept emplois sur dix, mais
compte moins de la moitié des moins de 15 ans. Cette concentration des
actifs au Nord, qui s’oppose aux actifs de demain majoritairement au
Sud, est un premier facteur de tension pour l’ensemble de la région,
dans la mesure où ces espaces sont relativement cloisonnés. Symboli52
iii – prospective – emploi
TABLEAU
2 Aperçu démographique des marchés de l’emploi en 2007
Total***
PM (Med) 269 215 108
UE27
494 488 654
Balkans (1)
23 836 823
Total
785 267 185
Dont Part des
moins
moins
de 15 ans
de
15 ans
81 540 022
30,3 %
77 976 021
15,8 %
4 332 617
18,2 %
163 280 900
20,8 %
Population
en âge de
travailler*
(15 ans et +)
187 675 086
416 512 633
19 504 206
621 986 285
Population
active**
[a]
Emplois**
83 463 607
235 777 564
8 475 566
327 716 737
74 810 990
218 968 727
6 824 185
300 603 902
Sources : * UN Pop. Div. quinquennial estimates and projections ; ** ILO, LABORSTA Labour Statistics Database ; *** Banque
mondiale, WDI online ; [a] :la population active est la somme des employés et des chômeurs. (1) Serbie hors Kosovo.
TABLEAU
3 Activité en 2007 en Méditerranée, en Europe et dans les Balkans
Pop. en
Pop.
Non
âge de
active
actifs
travailler*
2007**
[1]
[2] [3]=[1]-[2]
PM
187 675 086 83 463 607 95 904 812
UE27 416 512 633 235 777 564 180 735 069
Balkans(1) 17 798 566 8 475 566 9 323 000
Total
621 986 285 327 716 737 285 962 881
Taux Chômeurs
Taux
Non
d’actide
actifs et
vité
chômage chômeurs
[2]/[1]
[4] [4]/[2]
[3]+[4]
44,47 % 8 652 617 11,57 % 104 557 429
56,61 % 16 808 837
7,68 % 197 543 906
47,62 % 1 651 381 24,20 % 10 974 381
52,69 % 27 112 835
8,27 % 313 075 716
Sources : * (15 ans et +) UN Pop. Div. quinquennial estimates and projections, **ILO, LABORSTA Labour Statistics Database.
(1) Serbie hors Kosovo.
quement, on note que, dès aujourd’hui, la population des moins de
15 ans dans les pm dépasse celle de l’UE.
En observant le TABLEAU 3 qui synthétise les grands agrégats des marchés de l’emploi, on peut identifier d’autres facteurs locaux de tension.
En Méditerranée, on en relève trois :
• le nombre très important de jeunes en dessous de 15 ans qui espèrent avoir un emploi. Ils représentent, en effet, 81,5 millions de personnes pour une population totale de 269 millions : un Méditerranéen
de la rive sud sur trois a moins de 15 ans. Et le nombre de jeunes, ceux
qui chercheront un emploi demain, dépasse le nombre actuel d’emplois
formels ;
• le décalage entre le nombre de personnes qui pourraient vouloir
avoir un emploi et le nombre d’emplois formels offerts (187 millions
de personnes de plus de 15 ans dont 173 millions d’actifs potentiels de
15 à 65 ans comparés aux 74 millions d’emplois actuellement offerts).
De fait, le taux d’activité des 15 ans et plus est inférieur à 50 %. Moins
d’un Méditerranéen du Sud sur deux en âge de travailler est effective53
ment actif. Ainsi, 96 millions de personnes en âge de travailler ne sont
pas sur le marché de l’emploi. Un nombre conséquent reste actif dans
le secteur informel, véritable stratégie de survie, mais se trouve donc de
fait en marge des dispositifs sociaux de protection ;
• le nombre de chômeurs qui dépasse 8,5 millions de personnes, c’està-dire, le nombre de personnes qui ont travaillé dans le secteur formel
et qui ne le peuvent plus. Ce nombre, qui correspond à un taux de chômage officiel de 11,6 %, ne tient compte ni du chômage déguisé lié au
sous-emploi ni des conditions d’inscription des chômeurs. Il est donc
probablement sous-estimé.
côté européen, la situation est moins contrastée, mais on note trois
facteurs de tension également :
• un taux de chômage encore élevé dans de nombreux pays. Même
lorsque les taux restent largement inférieurs à ceux de nombreux pays
en développement, les opinions publiques considèrent encore le chômage comme l’une des plus importantes priorités politiques. L’importation d’actifs est donc encore assez peu concevable pour ces mêmes
opinions publiques ;
• des taux de chômage variant de 3,5 % à 11 % et des taux d’activité
allant de 48,5 à 65 % (hors Luxembourg). Face à de telles disparités, il
est évident qu’il sera difficile d’imaginer des modifications structurelles
valables et acceptées dans l’ensemble de l’Europe. De plus, dans un marché du travail normalement ouvert, de telles variations sont symptomatiques du cloisonnement de facto ;
• un ratio actifs/non actifs qui fait peser les plus grandes menaces sur
les systèmes de retraite et de protection sociale, majoritairement fondés sur les cotisations des travailleurs. Les pays européens ont donc également besoin d’augmenter les taux d’activité, surtout dans les pays où
ils sont bas.
en examinant les TABLEAUX 4 et 5 , basés sur les prévisions du scénario
médian des Nations unies, on peut observer l’ampleur des tensions qui
vont s’accentuer. De 2007 à 2030, la population en âge de travailler (plus
de 15 ans) va augmenter dans l’ensemble de la zone de plus de 100 millions de personnes. Mais, 84 % de ces travailleurs potentiels supplémentaires seront sur les rives sud. De ce fait, le rapport Europe/Méditerranée en termes d’actifs potentiels va, dans les vingt prochaines
années, passer de 70/30 % à 60/40 %. Pour la rive sud, ces 87 millions
54
iii – prospective – emploi
TABLEAU
4 Population de 15 ans et plus dans Euromed et Balkans (2000-2030)
PM
UE27
Balkans(1)
2000
157 652 462
398 814 493
19 039 016
2007
187 675 086
416 512 633
19 504 206
2020
236 451 924
428 570 690
19 878 546
2030
274 362 500
432 427 178
19 708 616
Source : UN Pop. Div. quinquennial estimates and projections (Medium Variant Scenario). (1) Serbie incl. Kosovo
TABLEAU
5 Évolution de la population par strate d’âge (2007-2030) (milliers)
PM
UE27
Balkans(1)
Total
15-65 ans
2007
2030
173 895 242 661
331 958
311 805
16 201
15 094
522 054 569 560
25-65 ans
2007
2030
119 893
185 123
271 023 258 303
12 676
12 490
403 592 455 916
15-80 ans
2007
2030
185 908 269 731
394 753 397 127
18 902
18 719
599 563 685 577
Source : UN Pop. Div. quinquennial estimates and projections (Medium Variant Scenario). (1) Serbie incl. Kosovo.
d’actifs potentiels supplémentaires représentent bien plus que les
emplois formels aujourd’hui offerts.
A contrario, l’Europe va perdre des actifs potentiels, perte pouvant
d’ici à 2030 dépasser les 20 millions, à moins de prolonger l’âge légal
de la retraite jusqu’à 80 ans. On observe en effet que l’UE 27 comptera
20 millions en moins de 15-65 ans, dont 13 millions dans la tranche
25-65 ans. Pour que la population en âge de travailler reste stable, il faudrait l’élargir aux 15-80 ans.
Côté Balkans, la situation globale est entre celle du Sud de la Méditerranée et de l’UE. Si l’Albanie, par la structure de sa population et les
statistiques du marché du travail, est dans un modèle sud, les autres
pays sont plutôt dans une situation identique à celle de l’Europe. En
outre, les tendances démographiques sont clairement à la décroissance,
plaçant la région dans une dynamique identique à celle de l’UE. Dans
toutes les strates d’âges définissant la période possible d’activité, la population d’actifs potentiels sera en baisse.
Partant de situations différentes, l’UE et les pays méditerranéens ont
pourtant un objectif commun pour les vingt prochaines années : accroître les taux d’activité et le nombre d’actifs. Pour les uns, il s’agit de maintenir la dynamique de création d’emplois et de l’économie et, pour les
autres, de permettre à la population jeune de trouver un emploi, de
maintenir un contexte social en équilibre et d’améliorer la dynamique
55
économique et le niveau de vie. Les ressources de l’une des zones sont
celles dont l’autre a besoin, d’où la complémentarité des deux régions :
l’UE possède les débouchés en emplois pour les actifs plus nombreux
du Sud et le Sud les actifs dont l’UE aura besoin.
2. Le contenu en emplois de la croissance et la dualité
des marchés du travail
la capacité des économies à créer des emplois dépend fondamentalement de la nature et du rythme de croissance. La croissance
économique, et donc la création d’emplois, découle de la quantité accumulée des facteurs de production (capital physique et capital humain)
et de la façon dont ils sont combinés ensemble pour obtenir une production donnée. Cette combinaison peut générer une croissance de production à travers la productivité globale des facteurs (pgf). Pour que
toutes les potentialités jouent à plein, les économies doivent être bien
dotées en facteurs et/ou performantes. En ce qui concerne la Méditerranée, la dynamique de l’emploi est amoindrie par le faible apport à la
croissance globale de la pgf et par la taille excessive du secteur informel.
Comment améliorer la relation croissance/emploi et la productivité
des facteurs
côté sud de la Méditerranée, l’observation des statistiques des marchés
de l’emploi indique une relation croissance/emploi qui ne fonctionne
pas de façon satisfaisante. Pourtant, si l’on calcule l’élasticité de l’emploi
à la production (estimation de la croissance de l’emploi correspondant
à chaque point de croissance de pib), les pm sont performants. L’idée
que les pm affichent un taux important de création d’emplois grâce à
leur croissance économique (4-5 % ces dernières années) est une idée
fausse. D’abord, les estimations varient notablement d’un pays à l’autre.
Ensuite, elles sont très instables dans le temps. Au final, sur une période
longue, le contenu en emplois de la croissance est trop faible puisqu’il
est insuffisant pour absorber les nouveaux entrants tout en intégrant
plus d’actifs potentiels sur les marchés formels.
Pourquoi la qualité de la relation croissance/emploi est insuffisante
et instable ? Sans doute parce qu’essentiellement une partie des emplois
n’est pas créée dans des secteurs qui peuvent engendrer les changements structurels nécessaires. Par exemple, la création d’un poste dans
56
iii – prospective – emploi
l’administration n’aura potentiellement pas les mêmes conséquences
que la création d’un poste d’ingénieur-marketing, car moins de postes
et de secteurs profiteront des effets induits dans le premier cas que dans
le second. En clair, ces emplois contribuent peu à la croissance du pib
et les fortes élasticités observées ne reflètent pas une utilisation efficace
de la main-d’œuvre. Il n’est pas question de dire que certains postes ne
sont pas créateurs de valeur par rapport à d’autres, mais plutôt qu’ils
sont moins créateurs d’effets positifs en dehors de leur sphère.
De fait, c’est bien dans la structure des emplois créés, peu porteurs
de dynamiques nouvelles, que réside le problème de la relation croissance/emploi en Méditerranée, dans certains pays des Balkans et en
Europe. Ce que le calcul économique standard appelle la productivité globale des facteurs et qui représente la croissance du produit non imputable à la croissance des facteurs (emploi et capital physique). Schématiquement, si une économie voit sa pgf augmenter substantiellement,
elle bénéficiera d’une croissance de l’activité supérieure à sa tendance
normale. Une part de ce supplément d’activité se convertira à son tour
en termes d’emplois. En ce qui concerne les pm, l’amélioration de la
relation croissance/emploi dans le sens d’une meilleure qualité et durabilité à moyen terme, passe par une amélioration des gains de productivité dans l’économie.
la question de la pgf sera également au cœur de la dynamique européenne, mais pour des raisons différentes. Comme nous l’avons souligné, la pgf est à l’origine de la croissance qui n’est pas due à l’accumulation des facteurs. L’évolution démographique de l’Europe indique
clairement que le facteur travail va se raréfier dans les années à venir.
Dans tous les cas, avec une population vieillissante, les pays européens
ne pourront plus compter sur un baby-boom pour poursuivre leur croissance économique, bien au contraire. Les actifs et les compétences vont
s’amoindrir. L’accumulation du capital physique par l’investissement ne
pourra guère combler les manques. La croissance sera durable grâce aux
gains de productivité et à l’importation d’actifs par les migrations.
La place importante du secteur informel
le secteur informel (30 à 40 % de l’emploi total) est particulièrement développé dans les pm. Et si l’on observe les taux d’activité formels, particulièrement bas dans les Balkans, il ne fait guère de doute que
ces économies possèdent également d’importants secteurs informels. Le
57
développement de l’emploi informel est dû au manque d’opportunités
dans le secteur formel, compte tenu du nombre d’inactifs en âge de travailler. Pour des gens en situation de pauvreté, qui ne peuvent pas ne pas
travailler, ces emplois informels constituent une stratégie de survie. Dans
les pays émergents comme les pm, ils ont des côtés positifs. En permettant de trouver des alternatives à des situations d’extrême pauvreté,
ce secteur devient gage de stabilité sociale. Il est susceptible, en outre,
de jouer un rôle d’incubateur où se développent des compétences et des
entreprises, avant que les individus et les firmes puissent rejoindre le
secteur formel en tirant profit de l’accumulation réussie. Toutefois, ce
rôle positif n’existe qu’à condition qu’il y ait une bonne mobilité entre
le secteur informel et le formel, ce qui n’est souvent pas le cas dans les
pm. Créer les conditions d’une telle mobilité sera une des clés pour
transformer les marchés du travail dans les années à venir.
Il faudra en même temps remédier aux trois plus importants problèmes que crée le secteur informel :
• peu d’emplois décents sont proposés. De plus, en Méditerranée
comme en Europe, les systèmes de protection sociale fondent leurs prestations sur le fait d’avoir des emplois formels, ce qui en exclut une
grande partie de la population. Si les pays européens ont pu mettre en
place des systèmes dont peuvent bénéficier ces populations, cela n’est
le cas ni dans le Sud ni dans les Balkans ;
• les entreprises du secteur informel n’ont qu’un accès limité aux technologies modernes, aux capitaux et à un certain nombre de biens et de
services fournis par les pouvoirs publics. Ce manque les empêche de
croître et ne permet pas de faire jouer à plein les potentiels de productivité qui existent dans ces entreprises. Pour autant, elles concurrencent
également certaines entreprises locales évoluant dans le secteur formel
et cette distorsion de concurrence ne permet pas une allocation efficace
des ressources ;
• pour les gouvernements, les budgets publics sont privés de ressources fiscales susceptibles d’optimiser le fonctionnement global. En
outre, les politiques publiques et les réformes ont moins d’impact dans
la mesure où les activités situées hors du système légal ne sont pas
concernées. Ainsi, dans les Balkans et les pays du Sud, qui ont des taux
d’activité inférieurs à 50 %, la majorité des personnes en âge de travailler ne sont pas concernées par les mesures adoptées concernant les marchés du travail.
58
iii – prospective – emploi
3. La nécessaire adéquation de la formation
et des compétences aux besoins de l’économie
l’une des clés de l’évolution de l’emploi dans la région Euromed est
la formation du capital humain. L’éducation est donc en première ligne
mais elle ne peut, à elle seule, rapidement modifier la situation actuelle,
marquée par un faible retour sur investissement du secteur. Les changements doivent également concerner ceux qui sont déjà sortis du système éducatif de base et ceux qui travaillent déjà, notamment dans le
secteur informel. Au cœur des changements potentiels, il y a également
la formation professionnelle et la formation continue.
En quelques décennies, les pm ont accompli de remarquables progrès sur le plan de l’éducation. Mais ces progrès ne se traduisent guère
sur les marchés du travail. Dans certains pays, un fort pourcentage d’étudiants, qui ont fait des études secondaires, ne parviennent pas à trouver
d’emploi. Le taux de chômage relativement élevé des diplômés indique
non seulement la faiblesse du retour sur investissement dans le capital
humain, mais surtout l’inadaptation de la formation. L’enjeu consistera
donc à améliorer très sensiblement l’adéquation de la formation aux
besoins des économies, non seulement au niveau local, mais également
au niveau de la région euro-méditerranéenne, compte tenu des masses
de populations en jeu.
En observant la situation sous l’angle de l’employabilité, le premier
constat à faire est en relation avec les orientations d’éducation choisies.
En effet, dans les pm, les sciences sociales et les matières littéraires sont
prédominantes par rapport aux matières scientifiques et techniques. En
moyenne, près des deux tiers des diplômes délivrés dans le secondaire
sont des diplômes littéraires ou de sciences humaines. La situation diffère sensiblement des pays d’Asie orientale. Dans le même temps, les
matières scientifiques et les études d’ingénieur attirent moins (plus de dix
points de pourcentage d’écart). On considère pourtant aujourd’hui que
le développement économique repose sur l’innovation technologique,
l’adaptation et sur le rôle moteur de la productivité des facteurs. Ce qui
conduit à privilégier les enseignements scientifiques et techniques.
Pourquoi cette sous-représentation des filières scientifiques et techniques ? On peut considérer qu’elle est la conséquence d’une captation
du recrutement des diplômés par la Fonction publique. Ce qui désavantage le secteur privé au détriment du secteur public et crée un biais
contre-productif avec deux effets importants :
59
• le secteur privé, moins attractif, a du mal à obtenir les compétences
dont il a besoin ;
• les plus hauts diplômés ont intérêt soit à attendre un emploi public
(et rejoignent en attendant la catégorie des chômeurs), soit à migrer
vers d’autres marchés du travail qui peuvent leur offrir des emplois en
rapport avec leur diplôme. Au niveau de l’économie globale, on obtient
donc un niveau plus bas de pgf, avec une faible croissance en vue de
cette pgf, non pas à cause des systèmes d’éducation peu qualifiés, mais
plutôt à cause d’un problème d’allocation des ressources humaines, qui
conduit à ne réaliser qu’une fraction de la pgf potentielle.
L’éducation n’est pas le seul mécanisme de développement du capital humain. L’amélioration de l’adéquation de l’éducation avec les
besoins du marché du travail passe par une revalorisation de la formation professionnelle et de la formation continue. Ceci implique une
modification des systèmes de reconnaissance des capacités, ils ne doivent plus être fondés uniquement sur les diplômes, mais aussi sur les
compétences. L’objectif étant d’entraîner les marchés du travail à allouer
plus efficacement le capital humain. La formation professionnelle continue est un outil déterminant pour permettre aux personnes de progresser et de valoriser leur expérience, ce qui encouragera la mobilité.
Quant à la notion de compétence (capacité à réaliser quelque chose dans
une situation concrète donnée), elle apparaît comme une notion plus
adaptée à une offre de travail qui doit être davantage mobile, dans des
économies possédant une large part d’informel, dans lequel il existe un
vivier non utilisé d’expérience et de savoir-faire.
4. Les perspectives d’emploi et les scénarios possibles
dans cette dernière partie, trois scénarios d’évolution de l’emploi dans les trois zones sont décrits. Des points de repère sont d’abord
établis, en fonction de l’évolution de l’emploi en Europe et dans les pm,
durant la dernière décennie, avant la crise 2009/2010. Ensuite, les
grandes lignes de ces trois évolutions possibles sont présentées.
Pour les pays méditerranéens
entre 2005 et 2007, le nombre d’emplois dans les pm a augmenté
à un rythme annuel de + 2 %, soit environ 1,2 million d’emplois par an.
Ces chiffres tiennent compte de l’évolution très négative observée en
60
iii – prospective – emploi
6 Perspectives d’emploi pour les pays méditerranéens (2007-2030)
(milliers)
TABLEAU
Maintien des ratios
Emplois Taux annuel
créés Nbre annuel
Pop.
active
Emplois
Chômeurs
Inactifs
1,7 % 121 707
1 490
Maintien du rythme 2005-2007
109 047
12 660
152 656
Emplois
Chômeurs
Inactifs
2,7 % 150 836 137 427
2 720
Maintien du nombre de non employés
13 409
123 526
34 236
Emplois Taux annuel
créés Nbre annuel
Pop.
active
62 616
Emplois Taux annuel
créés Nbre annuel
94 994
3,7 %
4 130
Pop.
active
Emplois
Chômeurs
Inactifs
180 171
169 805
10 366
94 191
Taux Taux de
d’activité chômage
44,4 %
10,4 %
Taux Taux de
d’activité chômage
55,0 %
8,9 %
Taux Taux de
d’activité chômage
65,7 %
5,8 %
Source : Femise, 2011.
Turquie (- 600 milliers d’emplois entre 2005 et 2007). Pour les neuf
autres pays, entre 2004-2007, période qui précède la sévère crise
actuelle, le rythme annuel dépasse les 3,5 % par an, soit environ 1,8 million d’emplois créés par an, grâce notamment aux performances de
l’Égypte pendant cette période.
Les pm n’ont pas connu un problème de manque de main-d’œuvre.
Leur défi, au contraire, était d’absorber un afflux de population (dû à la
dynamique démographique de la génération précédente) cherchant un
emploi. Ce n’était plus une question de démographie mais bien d’activité économique.
Dans ce contexte, on rappellera les deux objectifs de création d’emplois à atteindre d’ici à 2030 :
• le nombre d’emplois nécessaires pour que l’actuelle structure du
marché formel de l’emploi puisse être maintenue (taux d’activité et taux
de chômage au même niveau) ;
• le maintien du nombre d’inactifs au niveau de 2007, de façon à assurer un climat de paix sociale ( TABLEAU 6 ).
Le maintien des ratios actuels imposera aux pm de créer 34 millions
d’emplois dans les vingt prochaines années, soit environ 1,5 million
d’emplois par an. C’est un objectif qu’ils ont atteint sur l’ensemble de
la dernière décennie, mais qui aboutirait, en 2030, à plus de 150 millions
de personnes sans activité sur les rives sud. Comme nous l’avons souligné, ils sont même actuellement sur un rythme plus élevé qui, s’il se
61
prolongeait jusqu’à 2030, permettrait la création de 62 millions d’emplois (environ 2,7 millions par an en moyenne). On constaterait alors un
bond de près de 10 points dans le taux d’activité (soit 30 millions d’actifs de plus que dans le scénario précédent). Mais ce ne serait pas suffisant pour que le nombre absolu de non employés n’augmente pas. Pour
réaliser cet objectif, les pm doivent créer 95 millions d’emplois, soit plus
de quatre millions par an.
Pour l’Union européenne à vingt-sept
dans les vingt-sept pays de l’Union européenne, le rythme annuel
de création d’emplois a varié de 1,5 % (2000-2008) à 2 % (2005-2007),
soit 3 à 4 millions d’emplois créés par an. Dans les deux cas l’effet de la
crise n’est pas comptabilisé. Selon Eurostat, elle a conduit à la destruction de plus de quatre millions d’emplois en 2009.
Compte tenu du déclin démographique européen, il est nécessaire
de se donner des hypothèses d’activité maximale en Europe. Nous avons
donc fixé un taux d’activité maximale de 79,5 %. Ce qui voudrait dire
qu’en 2030, toutes les personnes (hommes et femmes) âgées de 25 à 80
ans seraient actives. De même, nous partons sur une hypothèse de taux
de chômage minimum, dit frictionnel, estimé à 5 %.
Munis de ces hypothèses, on peut identifier les problèmes potentiels dus au déclin démographique : l’Europe sera incapable de maintenir le rythme de création d’emplois observé entre 2005 et 2007, ni
même celui de 2000 à 2008 (TABLEAU 7 ).
Dans le premier cas, l’Europe parviendrait à créer 78 millions d’emplois (portant le nombre d’emplois à 297 millions), attendrait un taux
d’activité record de 72,7 % (actuellement aucun pays européen excepté
le Luxembourg ne dépasse les 65 %) et un taux de chômage très bas de
5,4 %. Dix-sept des vingt-sept pays de l’UE seraient concernés par les
plafonds fixés et donc touchés par des problèmes de manque de maind’œuvre (ce qui impliquerait immanquablement un recul très important
de l’âge de la retraite).
Mais, sans le plafonnement par pays et en prenant les taux des
années 2005-2007, le potentiel de création atteindrait 42 millions d’emplois supplémentaires. Une fois les plafonds par pays appliqués, le taux
annuel n’est plus de 1,97 % avec 4 millions d’emplois crées par an, mais
seulement de 1,3 % et 3,4 millions d’emplois par an. Même le trend long
observé pendant la décennie 2000 (2000-2008) ne pourra être reproduit. Dans ce second cas, l’Europe créerait tout de même 62 millions
62
iii – prospective – emploi
TABLEAU
7 Perspectives d’emploi pour l’UE27 (2007-2030) (milliers)
Maintien du rythme 2000-2008
Emplois Taux annuel*
créés Nbre annuel
Pop.
active
Emplois
Chômeurs
Inactifs
1,1 % 297 617
2 690
Maintien du rythme 2005-2007
280 819
16 797
134 810
Pop.
active
Emplois
Chômeurs
Inactifs
314 221
297 274
61 850
Emplois Taux annuel*
créés Nbre annuel
78 305
1,3 %
3 400
16 948 118 206
Taux Taux de
d’activité chômage
68,8 %
5,6 %
Taux Taux de
d’activité chômage
72,7 %
5,4 %
* Plafonnement inclus. Source : Femise, 2011
TABLEAU
8 Perspectives d’emploi pour les Balkans (2007-2030) (milliers)
Chômage à un chiffre et taux d’activité > 50 %
Emplois Taux annuel
créés Nbre annuel
Pop.
active
Emplois
Chômeurs
Inactifs
1,3 %
100
Balkans 2030 = UE 2007
10 119
9 150
969
9 590
Emplois Taux annuel
créés Nbre annuel
Pop.
active
Emplois
Chômeurs
Inactifs
1,8 %
150
Balkans 2030 = UE 2020
11 157
10 300
857
8 552
Emplois Taux annuel
créés Nbre annuel
Pop.
active
Emplois
Chômeurs
Inactifs
12 811
11 978
833
6 898
2 326
3 476
5 154
2,5 %
220
Taux Taux de
d’activité chômage
51,3 %
9,6 %
Taux Taux de
d’activité chômage
56,6 %
7,7 %
Taux Taux de
d’activité chômage
65,0 %
6,5 %
Source : Femise, 2011.
d’emplois, avec un taux d’activité de 69 % et un taux de chômage de
5,6 %. Mais là encore, onze des vingt-sept pays seraient concernés par
les plafonds appliqués et au final 14 millions d’emplois potentiels ne
pourraient être pourvus. Ces deux chiffres permettent de mesurer l’impact de l’effet démographique en termes d’emplois non pourvus.
Pour les Balkans
les performances économiques des Balkans ont été instables
durant la dernière décennie. Si l’on se réfère à la période la plus récente
(2006-2008), on peut estimer le rythme annuel de création à 2,7 %, soit
environ 180 000 emplois par an. Comme le montre le TABLEAU 8 , si le
rythme moyen se maintient, les Balkans pourront très sensiblement
63
réduire leur chômage sous les 10 %, tout en accroissant leur taux d’activité au-delà des 50 %. Cela nécessiterait la création de 2,3 millions
d’emplois dans les vingt prochaines années, soit environ 100 000 par
an. La tendance actuelle serait même compatible avec la création des
3,4 millions d’emplois nécessaires pour que les Balkans, en 2030, affichent les mêmes statistiques d’activité et de chômage que l’UE27 en
2007. Il faudra toutefois accélérer le mouvement et dépasser les
220 000 emplois par an pour réduire encore l’écart avec l’UE.
Sur la base de ces grands repères, on peut décliner trois scénarios,
selon la façon dont les trois zones de la région peuvent converger vers
des objectifs communs induisant différentes dynamiques économiques.
Pour le marché du travail, l’élément majeur d’inflexion sera un certain
décloisonnement de ces marchés, autant Nord-Sud que Sud-Sud, ce qui
permettrait (ou non) une accélération de la compétitivité et de la productivité globale des facteurs avec un effet d’entraînement sur le taux
d’emploi. Ces trois grands scénarios ont déjà été décrits et plus ou moins
détaillés par ailleurs, on se bornera ci-après à dresser les évolutions possibles qu’ils entraîneraient sur les marchés formels du travail.
scénario des divergences méditerranéennes. Le processus Euromed et
l’upm progressent sur certains dossiers sensibles : les services, l’agriculture et les conditions de mobilité qui sont facilitées mais qui restent
encore limitées. Une partie du gap européen est allégée par des actifs des
pm et des Balkans, ce qui engendre des effets dynamiques de croissance.
Mais cela ne suffit pas à intégrer la zone où les pays jouent une concurrence locale pour progresser dans un contexte mondial qui n’est guère,
lui non plus, marqué par la coopération. Certains pm et certains pays
européens en profitent, mais d’autres pays stagnent.
• En Méditerranée, les taux d’activité augmentent plus franchement et
le nombre d’emplois créés annuellement atteint un des niveaux parmi
les plus hauts des années 2000, mais seulement dans certains pays. Au
niveau régional, un peu plus de deux millions d’emplois par an sont
créés. Mais ces progrès ne touchent pas l’ensemble des pays, d’où le
contexte socialement très instable dans certains endroits. De fait, cela
amoindrit également le potentiel des pays les plus dynamiques. Globalement, le chômage baisse encore à des niveaux proches de ceux de l’Europe du Sud aujourd’hui et les taux d’activité progressent, bien qu’en
moyenne le taux moyen reste sous les 50 % ( TABLEAU 9 ). De fait, le nombre absolu des sans emplois (non actifs et chômeurs) augmente pour
64
iii – prospective – emploi
9 Scénario des divergences méditerranéennes – emploi (2007-2030)
(milliers)
TABLEAU
Les PM bénéficient d’une embellie sur les marchés du travail. Ils approchent
le niveau 2007 de l’UE
Emplois Taux annuel
créés Nbre annuel
Pop.
active
Emplois
Chômeurs
Inactifs
47 098
2,15 % 133 036 121 909
12 113 141 327
2 050
L’Europe bénéficie d’un apport d’actifs qui limite la baisse des actifs
Emplois Taux annuel
créés Nbre annuel
Pop.
active
Emplois
Chômeurs
Inactifs
0,87 % 283 710 267 219
2 100
Les Balkans convergent rapidement
16 490
148 717
48 250
Emplois Taux annuel
créés Nbre annuel
2 536
1,4 %
110
Pop.
active
Emplois
Chômeurs
Inactifs
11 466
9 360
1 105
9 243
Taux Taux de
d’activité chômage
48,5 %
9,1 %
Taux Taux de
d’activité chômage
65,6 %
5,8 %
Taux Taux de
d’activité chômage
53,1 %
10,6 %
Source : Femise, 2011
dépasser les 150 millions, ce qui est incompatible avec une situation
sociale stable. Dans les pays les plus dynamiques, on constate des flux
de migration avec l’UE et le retour de ces migrants profite au tissu économique local. Mais face à un nombre conséquent d’inactifs, le potentiel est bridé par un contexte sécuritaire persistant sur le plan de la circulation des hommes et des compétences dans l’Euromed.
• En Europe, la migration circulaire et temporaire avec les pm permet
de combler partiellement les déficits démographiques. L’Europe s’est
ouverte aux produits agricoles, en contrepartie d’une meilleure ouverture des pm aux services. D’où de nouvelles perspectives de marché,
même si le niveau de vie au Sud de la Méditerranée ne s’accélère pas à
une vitesse entraînant une réelle convergence. Dans les deux blocs de
l’Europe (continental et latin), plusieurs pays profitent de cette course à
la productivité. Par effet de croissance, l’emploi global progresse plus
vite, malgré la logique de substitution capital/travail. Le taux annuel
moyen atteint quasiment les 0,9 % (soit 2,1 millions d’emplois créés
par an), entraînant le taux d’activité au-dessus des 65 % et le taux de
chômage sous les 6 %. Ces taux reflètent la tension sur les marchés de
travail européens et des soucis de mains-d’œuvre : cinq pays ont des
taux d’activité excédant les 75 % (deux sont même plafonnés), huit
autres ont des taux d’activité au-dessus de 70 %. Côté Europe latine, le
65
taux annuel atteint les 0,7 % ce qui représente + 608 000 emplois créés
par an. Le taux d’activité monte à 58,3 % et le chômage baisse à 6,3 %.
• Les Balkans profitent également de ce processus et y participent.
Grâce à une meilleure dynamique économique, ils comblent leur retard
sur les marchés du travail par rapport à leur voisin européen. Les taux
d’activité sont, en 2030, au même niveau que ceux des pays du Sud de
l’UE (Grèce ou Italie) actuellement. Mais le taux de chômage reste sensiblement élevé.
scénario de crise de la Méditerranée. Le partenariat Euromed ne progresse plus et se réduit à une zone de libre-échange essentiellement
pour les produits industriels, sans avancée dans le domaine des services
ou de l’agriculture. Aucune stratégie n’est mise en place pour utiliser les
complémentarités afin de résoudre les difficultés structurelles. Le
rythme de productivité globale varierait peu et les taux d’emploi resteraient faibles.
• En Méditerranée, on observe peu de progression dans l’intégration
Sud-Sud et l’absence de progrès importants en termes de productivité.
Les pays restent spécialisés dans les produits de gamme inférieure. Le
taux d’emploi (pourcentage d’emploi sur la population totale) augmente
peu, suivant les rythmes les plus faibles enregistrés ces dernières décennies. Les taux d’activité restent généralement inférieurs à 50 % (TABLEAU 10),
reculant en moyenne de quelques points. Le chômage officiel est stabilisé autour des 12 %, mais l’essentiel de l’activité reste informel. Avec
seulement 1,2 million d’emplois créés en rythme moyen annuel, les
indicateurs sociaux, au mieux, stagnent. Les clivages préexistants en
termes de dynamique s’aggravent encore et, face à cette dynamique pauvre en emplois, les tensions sociales persistent.
• En Europe, la dynamique économique se heurte aux problèmes
démographiques. Les politiques migratoires continuent à être axées sur
la minimisation des flux. La gestion du déclin démographique ne se fait
que par les réserves d’activité, essentiellement le recul de l’âge de la
retraite : là, à moins de pousser la retraite à 80 ans, le potentiel de croissance se heurte au manque de main-d’œuvre. On observe sur les marchés européens de l’emploi, une hausse générale des taux d’activité et
une baisse des taux de chômage, qui se rapprochent chacun des plafonds
physiques. Malgré tout, des manques de main-d’œuvre apparaissent dans
certaines régions, ce qui limite le potentiel de croissance. Un scénario
de recul de l’Euromed désavantage surtout l’Europe latine. La répartition
66
iii – prospective – emploi
TABLEAU
10 Scénario de crise de la Méditerranée – emploi (2007-2030) (milliers)
Les PM peinent à maintenir l’équilibre du marché du travail pourtant socialement
insatisfaisant
Emplois Taux annuel
créés Nbre annuel
Pop.
active
Emplois
Chômeurs
Inactifs
28 600
1,42 % 117 322 103 411
13 804 157 040
1 240
L’Europe peine à exprimer son potentiel et se continentalise
Emplois Taux annuel
créés Nbre annuel
Pop.
active
Emplois
0,63 % 270 480
1 490
Stabilisation des Balkans
253 261
34 292
Emplois Taux annuel
créés Nbre annuel
1 957
1,10 %
80
Chômeurs
Inactifs
17 219 161 948
Pop.
active
Emplois
Chômeurs
Inactifs
9 947
8 781
1 166
9 762
Taux Taux de
d’activité chômage
42,8 %
11,8 %
Taux Taux de
d’activité chômage
62,5 %
6,4 %
Taux Taux de
d’activité chômage
50,5 %
11,7 %
Source : Femise, 2011.
de l’emploi varie au profit de l’Europe du Nord et de l’Est et au détriment
de l’Europe du Sud. Si, globalement, le rythme reste à 0,63 %, soit
1,49 million d’emplois créés par an, l’Europe latine souffre davantage
avec un rythme annuel de 0,3 % seulement, soit + 220 000 emplois par
an. Les taux d’activité y sont plus faibles qu’au Nord (53,5 % contre 62,8 %
en moyenne) et le taux de chômage plus élevé (7,7 % contre 6,4 %).
• Dans les Balkans, la situation se normalise. Certains pays se rapprochent de l’Europe, mais commencent aussi à connaître les mêmes
difficultés structurelles, notamment le manque de main-d’œuvre dans
certains secteurs. Néanmoins, l’activité dépasse légèrement les 50% et
les taux de chômage sont réduits de moitié.
scénario de convergence méditerranéenne. En établissant au niveau
régional Euromed les quatre libertés (liberté de circulation des biens, des
capitaux, des personnes et liberté d’établissement) mises en place dans
l’Union européenne, les trois zones arrivent à créer cet espace de paix
et de prospérité recherchée dès 1995. Des actions de formation sont
menées à l’échelle Euromed (création d’un socle de base commun,
réseaux Euromed de formation professionnelle et de reconnaissance et
accréditation des compétences, Erasmus Med…). Elles font converger
les indicateurs de marchés de l’emploi, avec un effet moteur permettant, pour chaque partenaire, des taux de création d’emplois calés sur les
67
meilleures performances. Ce scénario coopératif favorise des gains de
productivité globale des facteurs, ce qui permet aux trois zones de soutenir leur compétitivité à un coût social bien plus faible. L’effet est renforcé par une convergence plus rapide des niveaux de vie. L’Europe
latine peut donc profiter des marchés de consommation émergents.
L’intégration se réalisant également dans le sens transversal Sud-Sud,
les partenaires méditerranéens profitent de ces marchés qui, source
d’économies d’échelle importantes, permettent à leur tour des gains de
productivité qui ne s’appuient pas sur un bridage des emplois.
• Dans les pm, les taux d’activité et les taux de chômage sont équivalents à ceux de l’Europe latine d’aujourd’hui. Il y a, à ce moment-là, plus
d’actifs formels que d’inactifs et les taux de chômage sous les 8 %
(TABLEAU 11 ) sont la règle. Avec plus de 2,6 millions d’emplois créés chaque
année, socialement la différence est grande : les perspectives offertes
localement deviennent suffisantes pour limiter l’exode des cerveaux.
Pour les migrants, la question du retour devient pertinente, ce qui transforme les formes de migration qui deviennent plus circulaires. Les pm
profitent de ces retours comme la Corée des années 60, ce qui insuffle
une dynamique économique cumulative. Les niveaux de vie sont plus
hauts, transformant les marchés locaux en marchés économiquement
intéressants. Les progrès de l’intégration Sud-Sud font d’ailleurs que
cette progression profite également aux pm. Avec une convergence des
niveaux de vie, que les populations perçoivent et apprécient, le contexte
social est bien plus stable.
• En Europe, entre dynamique économique et immigration, les marchés de l’emploi sont proches du plein emploi. Les manques de maind’œuvre peuvent être sectoriels, mais rarement importants puisque les
compétences sont disponibles sur les rives sud. L’immigration soutient
également une forte consommation interne et les cotisations payées par
les actifs immigrés permettent de réduire le recul de l’âge de la retraite.
Le potentiel de croissance reste à ces plus hauts niveaux des années
2000. L’effet marché s’ajoute à l’effet productivité, lequel, en misant
sur l’économie de la connaissance, modère l’effet substitution. Pour
l’Europe, la période est faste et l’on retrouve un taux de création d’emplois proche de ceux de la décennie 2000 sur longue période : 1,2 % par
an, soit + 2,9 millions d’emplois créés par an. La contrepartie est une
tension certaine sur le marché du travail : le taux d’activité dépasse en
moyenne les 70 %. En fait, dix-huit des vingt-sept pays ont franchi les
70 %. Le taux de chômage s’approche d’un seuil frictionnel à 5,6 %. Il
68
iii – prospective – emploi
11 Scénario de convergence méditerranéenne – emploi (2007-2030)
(milliers)
TABLEAU
PM
Emplois Taux annuel
créés Nbre annuel
59 846
Pop.
active
Emplois
Chômeurs
Inactifs
2,6 % 145 886
2 600
134 657
11 229
128 477
Pop.
active
Emplois
Chômeurs
Inactifs
1,2 % 303 019
2 920
286 057
Taux Taux de
d’activité chômage
53,2 %
7,7 %
Europe
Emplois Taux annuel
créés Nbre annuel
67 088
16 961 129 409
Taux Taux de
d’activité chômage
70,1 %
5,6 %
Balkans
Emplois Taux annuel
créés Nbre annuel
2 895
1,5 %
130
Pop.
active
Emplois
Chômeurs
Inactifs
10 601
9 719
882
9 107
Taux Taux de
d’activité chômage
53,8 %
8,3 %
Source : Femise, 2011.
est clair que sans un apport migratoire, les tensions pèseraient sur la
compétitivité via le manque de compétences et la pression sur les hauts
salaires. L’Europe latine profite bien entendu de cette tendance et le taux
de création d’emplois est équivalent à celui de la moyenne européenne
(1,3 %), ce qui représente + 1,2 million d’emplois créés an, portant le
taux d’activité à 66,1 % et le taux de chômage à 6,0 %.
• Les Balkans ont encore accéléré leur convergence avec l’Europe et
leurs indicateurs (activité et chômage) comme leur performance sont
au même niveau que ceux de l’Europe latine aujourd’hui.
69
flux migratoires
et transition démographique
Évolution et scénarios pour l’avenir
Philippe Fargues*, Giambattista Salinari**
réaliser des projections sur les migrations est un exercice très différent à celui de réaliser une projection de population. Contrairement
aux autres facteurs démographiques comme la mortalité et la fécondité,
il est impossible de décomposer les facteurs à l’origine de la migration
en déterminants (proches ou lointains) ayant une durée suffisante pour
se prêter à une prévision. Les tendances et structures de la population,
notamment celle en âge de travailler, peuvent être projetées avec une certaine exactitude d’aujourd’hui à 2030. Les déséquilibres entre groupes
d’âges et les tensions correspondantes peuvent également être déduits,
mais la migration qui peut en résulter dépendra de circonstances économiques, politiques et sociales qu’aucune science sociale ne saurait prévoir. L’attaque terroriste du 11 septembre 2001 aux États-Unis a déclenché l’intervention militaire en Irak en 2003 qui a, elle-même, déclenché
la fuite de réfugiés iraquiens vers la Jordanie, la Syrie, l’Égypte et le Liban
entre autres. Qui aurait pu prévoir cette migration de population ?
Cependant, les mouvements migratoires connaissent certaines régularités, et c’est sur celles-ci que nous allons nous attarder.
Les flux migratoires se manifestent généralement par vagues. Durant
la période contemporaine, la région euro-méditerranéenne a connu plusieurs vagues importantes de migration. La première a débuté au cours
de la seconde moitié du xixe siècle et s’est achevée avec la Seconde Guerre
* Directeur du Migration policy centre au Robert Schuman Centre for Advanced Studies,
Institut universitaire européen, Florence (Italie).
** Assistant de recherche au Robert Schuman Centre for Advanced Studies, Institut
universitaire européen, Florence (Italie).
71
mondiale. Il s’agissait d’un mouvement Nord-Sud lié à l’expansion coloniale de l’Europe en Afrique, partant tout d’abord de France, puis d’Espagne, d’Italie et de Malte, pour arriver au Maghreb. Une autre vague
migratoire prenait source au même moment en Europe méditerranéenne
(en particulier l’Espagne, le Portugal, l’Italie et la Grèce) vers l’Europe du
Nord-Ouest. La troisième vague, toujours d’actualité, a débuté aux alentours des années 70. Elle trouve son origine au Moyen-Orient et en
Afrique du Nord (région Mena, Middle-East and North Africa), en partie
dans les Balkans et en Europe de l’Est, pour aboutir en Europe de l’Ouest,
notamment en Europe méditerranéenne depuis les années 90.
Plusieurs auteurs de diverses disciplines (1) ont souligné la coïncidence entre la chronologie générale des vagues migratoires et celle de
la transition démographique. C’est ce lien entre les tendances de long
terme des flux migratoires et le développement de la transition démographique qui constitue la pierre angulaire de cet essai de projection
des migrations à venir.
Cet article se décompose en deux grandes parties. Dans la première
partie, nous analyserons les forces démographiques qui auront un
impact sur la migration internationale dans la région Mena dans les
deux prochaines décennies. Dans la seconde, nous nous pencherons
sur l’évolution possible des taux net de migration dans la région méditerranéenne sur cette même période (2).
1. Les grandes tendances démographiques autour
de la Méditerranée
Les pays d’émigration deviennent aussi terre d’accueil
pendant près de trois décennies, de 1960 à 1990, la région Mena
a été divisée en deux : les pays d’accueil et les pays d’émigration, ou les
pays riches en capital versus les pays riches en main-d’œuvre, en fonction de leur dotation ou non en pétrole. Les pays du Golfe et la Libye se
situaient dans la première catégorie, et tous les autres pays dans la
seconde (3). Cette distinction n’est plus valide aujourd’hui. Si tous les pays
(1) Gozzini 2005 ; Hatton et Williamson 1998 ; Chesnais 1993 ; Livi Bacci 1992 ; Easterlin 1961.
(2) La première partie s’appuie sur les publications de Fargues 2009.
(3) L’Algérie, l’Irak et l’Iran étaient en même temps exportateurs de pétrole et de maind’œuvre.
72
iv – prospective – migrations
TABLEAU 12 Les migrants originaires de certains pays de la région Mena
par groupes de pays de résidence*
Pays d’origine
Europe
991 796
26 000
2 718 711
779 200
286 000
157 030
150 000
Algérie 1995
Mauritanie 2004
Maroc 2005
Tunisie 2005
Égypte 2000
Liban 2001
Irak
Syrie
non disponible
Yémen 1999
non disponible
Iran
non disponible
Palestine 2004** non disponible
Total
5 108 737
Pays de résidence
Région Mena
66 398
31 000
213 034
128 900
1 912 729
123 966
2 000 000
non disponible
810 000
non disponible
4 435 273
9 721 300
Autre
14 052
193 000
253 641
25 800
538 000
325 816
150 000
non disponible
non disponible
non disponible
non disponible
1 500 309
Total
1 072 246
250 000
3 185 386
933 900
2 736 729
606 812
2 300 000
2 906 812
1 000 000
750-1 500 000
4 983 354
21 100 239
* Première génération de migrants. Aucune estimation reposant sur des archives solides n’a pu être trouvée pour
la Jordanie, le Soudan et la Syrie.
** Réfugiés palestiniens: la plupart ne sont pas des migrants de première mais de seconde ou de troisième génération.
d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient sont devenus producteurs de
pétrole (4), cette richesse n’a pas créé suffisamment d’emplois pour les
ressortissants de ces pays. Les plus grands producteurs sont désormais
confrontés au chômage et y répondent par des mesures de restriction de
l’immigration. Les autres pays de la région sont devenus, malgré eux,
terre d’accueil de migrants, tout en restant des pays d’émigration, situation à laquelle ils réagissent également par des mesures restrictives en
matière d’immigration. Cette étude se limite, cependant, à l’émigration
en provenance d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient ; elle n’abordera
l’immigration d’installation et de transit vers ces pays que dans la mesure
où elle exerce une influence sur les flux de départ. Elle n’évoquera les
pays du Golfe et la Libye que pour les comparer aux pays occidentaux.
On compte aujourd’hui environ 20 millions de migrants de première génération en provenance des pays arabes, de Turquie et d’Iran
( TABLEAU 12 ), représentant 5 % de la population totale de la région, c’est-àdire, beaucoup plus que la moyenne mondiale (2,9 %). Quatre pays
comptent chacun plus de deux millions d’émigrants de première génération : la Turquie, le Maroc, l’Irak et l’Égypte. Viennent ensuite l’Iran,
(4) À l’exception du Maroc, de la Jordanie, du Liban et de la Palestine.
73
l’Algérie, le Yémen et le Soudan, avec un à deux millions, suivis par la
Tunisie et le Liban, avec d’un demi à un million d’émigrants.
Les migrants en provenance du Maghreb et de Turquie résident principalement en Europe, tandis que ceux originaires du Machrek et d’Iran
sont généralement installés dans d’autres pays d’Afrique du Nord et du
Moyen-Orient (où ils sont aujourd’hui rejoints par de nombreux
migrants asiatiques) ou en Amérique du Nord. Dans une certaine
mesure, les pays du Golfe et l’Occident sont en concurrence pour l’accueil des migrants en provenance du Proche-Orient (5). Dans les pays du
Machrek, la terminologie populaire et administrative classe les mouvements migratoires vers les pays du Golfe et la Libye comme temporaires,
tandis que l’émigration vers l’Occident est considérée comme permanente. Cependant, aucune preuve empirique ne confirme une telle division. En effet, les États producteurs de pétrole, exactement comme les
pays occidentaux, accueillent des migrants de court ou long séjour et
des migrants de seconde génération.
Après un ralentissement dans les années 1990, l’émigration en provenance des pays arabes s’est accélérée dans les années 2000. De 1993
à 2005, le nombre de Marocains inscrits dans leur consulat a doublé,
passant de 1,545 million à 3,185 millions. Le nombre de migrants marocains a augmenté de 6 % par an, soit quatre fois plus que la hausse de
la population résidente du Maroc (1,4 % par an). Ces dernières années,
la hausse de l’émigration marocaine (jusqu’au ralentissement économique mondial amorcé en 2008) s’est traduite par le nombre d’inscrits
dans les consulats : + 92 195 par an entre 1993 et 1997 (soit un taux de
croissance annuel de 5,4 %), + 132 804 par an entre 1997 et 2002
(+ 5,9 % par an) et + 201 107 par an entre 2002 et 2005 (+ 7 % par an).
D’autres pays arabes, notamment le Liban, l’Égypte, la Tunisie et
l’Algérie, ont enregistré une forte augmentation de l’émigration durant
la dernière décennie. En Espagne, le nombre de ressortissants arabes a
été multiplié par 4,6 entre 1998 et 2006, ce qui représente un taux de
croissance annuel de 21,9 %. À l’inverse, l’émigration en provenance
de Turquie et d’Iran n’a cessé de baisser.
Tous les pays d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient accueillent désormais des migrants internationaux. Certains sont des travailleurs
migrants attirés par les marchés locaux du travail, indépendamment du
fait qu’ils soient embauchés de façon légale ou non. D’autres sont des
(5) Ainsi que pour l’accueil des migrants turcs, dont la destination de choix est désormais
la région du Golfe et la Russie.
74
iv – prospective – migrations
réfugiés et des migrants en transit, non désirés par les gouvernements
locaux et retenus dans la région contre leur gré. Chaque catégorie suit
sa propre logique. Les travailleurs migrants réagissent aux écarts économiques de plus en plus flagrants entre les pays d’Afrique du Nord et
du Moyen-Orient et leurs voisins moins développés d’Afrique subsaharienne et d’Asie. Les réfugiés ont fui l’insécurité croissante de plusieurs pays arabes, de leurs voisins africains ou asiatiques, tandis que les
migrants en transit ont été refoulés dans leur périple vers l’Occident ou
les pays du Golfe, à défaut de visa.
Les pays situés près de l’Europe, c’est-à-dire les pays du Sud et de l’Est
de la Méditerranée, accueillent pas moins de 5,6 millions d’immigrants :
4 millions sont des travailleurs migrants (à peu près autant de réguliers
que d’irréguliers) ; 1,5 million sont des réfugiés non palestiniens (la plupart sans permis de séjour) ; 100 000 sont des migrants de transit tentant pour la plupart de rejoindre l’Europe (TABLEAU 13 ). Ces estimations,
toutes minimalistes, attestent d’une immigration désormais significative dans l’ensemble de la région sud et est méditerranéenne, avec une
migration irrégulière deux fois plus élevée que la migration régulière. Il
faut bien noter que la migration irrégulière n’est pas systématiquement
une infraction délibérée à la loi. Dans de nombreux cas, c’est la loi qui a
changé faisant ainsi des migrants réguliers des personnes en situation
irrégulière. Le TABLEAU 13 nous indique que très peu de migrants ont élu
l’Europe comme destination finale. La plupart d’entre eux sont des travailleurs attirés par les marchés du travail des pays du Sud et de l’Est de
la Méditerranée et des réfugiés qui attendent une issue pacifique pour
retourner dans leur pays d’origine. En ce sens, la région n’est pas une
salle d’attente pour un passage irrégulier en Europe, mais plutôt un nouvel importateur de main-d’œuvre non déclarée.
Même si leurs motivations sont variées, les travailleurs migrants
irréguliers, les réfugiés et les migrants de transit partagent un destin
commun dans les Psem: ils n’ont pas officiellement accès au travail et
ne peuvent bénéficier ni de protection ni de prestations sociales. Par
conséquent, ils survivent plutôt qu’ils ne prospèrent. Ils ne résident pas
dans ces pays parce que les gouvernements leur ont ouvert les portes,
mais plutôt parce qu’elles n’ont pas été fermées. Face à cette migration
irrégulière de masse, les gouvernements réagissent par des mesures et
des lois qui conduisent souvent à l’exclusion des immigrants et rarement à leur intégration. Nulle part les migrants ne bénéficient de droits
et de devoirs leur permettant de devenir des acteurs à part entière de
75
TABLEAU 13 Immigrants réguliers et irréguliers dans les pays du Sud
et de l’Est de la Méditerranée (début des années 2000)
Immigrants irréguliers (7)
Immigrants
réguliers (6)
Algérie (9)
80 238
Égypte
115 589
Israël
189 000
Jordanie
392 273
Liban
302 315
Libye
449 065
Mauritanie 48 000
Maroc
62 348
Palestine
Syrie
55 000
Tunisie
35 192
Turquie
272 943
Total SEM 2001963
MainRéfugiés (8)
d’œuvre
Dizaines
95 121
de milliers
Dizaines
104 390
à centaines
de milliers
100 000
1 700
100 000
519 477
ou plus
400 22 743
500 000
1,0 4 754
1,2 millions
Quelques
861
milliers
Milliers
1 878
à dizaines
de milliers
422 000
0
Milliers
707 422
à dizaines
de milliers
Milliers
161
à dizaines
de milliers
Centaines
8 852
de milliers
2-3 millions 1 467 359
Transit
Total
minimum
Dizaines
10 000
de milliers
Non 100 000
disponible
Rapport
irréguliers
/régulier
(minimum)
0,1
0,9
Non 100 000
disponible
Non 600 000
disponible
Non 400 000
disponible
Dizaines 1 000 000
de milliers
Dizaines
10 000
de milliers
Dizaines
10 000
de milliers
Non
disponible
Non
disponible
1,5
1,3
2,2
0,2
0,2
700 000
Non
disponible
12,7
10 000
0,3
Dizaines 300000
de milliers
≥ 100 000 3662000
1,1
Non
disponible
422 000
0,5
1,8
Source : Fargues, Philippe, « Work, refuge, transit: An emerging pattern of irregular immigration South and East of the
Mediterranean ». Article en cours de relecture au moment de la rédaction.
(6) Non-citoyens ou résidents nés à l’étranger selon les archives officielles les plus
récentes (recensement, enquête ou statistiques de résidence) Voir Fargues, Ph. (éd.)
Mediteranean Report 2006-2007, tableau en annexe 7, www.carim.org
(7) Différentes sources pour les travailleurs migrants et l’unhcr pour les réfugiés.
(8) Les réfugiés palestiniens de l’unrwa ne sont pas inclus puisque la plupart d’entre eux
ne sont pas des migrants.
(9) En Algérie, les réfugiés Sahraouis sont inclus dans la population résidente ; la plupart
d’entre eux ne sont pas des migrants.
76
iv – prospective – migrations
ces sociétés. Ils constituent donc une force de travail sous-employée,
bénéficiant de peu de protection, mais souvent surqualifiée. Leur disponibilité contribue à maintenir le coût de la main-d’œuvre à un faible
niveau. L’immigration irrégulière est ainsi devenue un régulateur des
marchés du travail dans la région Sud et Est méditerranéenne. Tant que
de grands secteurs de l’économie de ces pays échapperont au contrôle
de l’État, l’immigration irrégulière continuera de prospérer.
La migration irrégulière à destination du Sud et de l’Est de la Méditerranée va-t-elle exercer une pression croissante sur l’Union européenne ? Pour répondre à cette question, quelques rappels sont nécessaires. À l’heure actuelle, la majorité des migrants irréguliers dans les
Psem n’envisagent pas de traverser la Méditerranée. La plupart des
migrants irréguliers dans l’UE sont entrés légalement dans un des pays
membres, en général par avion, directement de leur pays d’origine sans
transiter par un pays arabe, puis sont restés au-delà de la limite de validité de leur visa. Ceux qui sont entrés dans l’UE irrégulièrement après
avoir transité par la région sud et est méditerranéenne ne sont pas plus
nombreux mais trouvent de nouveaux passages pour contourner les
patrouilles, les contrôles militaires et traverser la Méditerranée.
Le boom de la population active dans la région Mena
pendant des décennies, leaders et intellectuels arabes ont considéré
la population comme un problème, à tout le moins comme un défi. La
nature du problème a néanmoins changé, ce dont on n’a pas nécessairement conscience. Il y a peu de temps encore, la population augmentait rapidement, cette hausse s’expliquant par des taux de fécondité élevés. La solution préconisée était le contrôle des naissances. L’un après
l’autre, tous les gouvernements arabes ont adopté des programmes de
planning familial (à l’exception des pays du Golfe qui considèrent que
leur population nationale n’est pas assez élevée, comparée aux besoins
en main-d’œuvre).
Le planning familial a permis de stabiliser, voire de diminuer, le
nombre annuel de naissances. Selon les lieux, le nombre maximal de
naissances a été enregistré dans les années 1980 ou 1990. Les générations les plus nombreuses ne sont plus des nouveau-nés mais de jeunes
gens en âge de travailler. Le problème s’est donc déplacé. Ce sont désormais de jeunes adultes de 20 à 30 ans le groupe d’âge le plus délicat
d’un point de vue démographique. Le taux de croissance de cette population est plus élevé que celui de la population totale et que le taux de
77
TABLEAU
2005
2010
2015
2020
2025
2030 +
14 Années où la population âgée de 20-25 ans est maximale
Pays d’émigration principalement
Maroc
Algérie, Iran, Tunisie
Liban
Jordanie, Turquie
Égypte
Irak, Mauritanie, Palestine, Soudan,
Syrie, Yémen
Pays d’accueil principalement
–
–
Bahreïn
–
–
Koweït, Libye, Oman, Qatar,
Arabie Saoudite, Émirats arabes unis
Source : Base de données de la population des Nations unies.
croissance des ressources disponibles pour les jeunes adultes. Le terme
ressources désigne ici tout ce qui rend la vie possible, ou du moins agréable, notamment la possibilité de prendre des décisions. Avoir un revenu
et accès au travail sont dès lors primordiales.
La baisse des taux de natalité devrait atténuer la pression sur les marchés du travail de la région Mena après vingt à vingt-cinq ans. En effet,
la tranche des 20-25 ans culmine entre 2005 et 2030, selon la date où
la fécondité a entamé sa chute ( TABLEAU 14 ).
Malgré la stabilisation, voire la baisse prochaine, du nombre de nouveaux actifs, les populations actives totales de la région Mena vont continuer à augmenter fortement pendant les deux prochaines décennies.
Car les générations qui entrent dans la vie active seront encore bien plus
nombreuses que celles qui arrivent à l’âge de la retraite. L’Europe des 27
(UE27) va connaître la tendance inverse : la population active totale va
commencer à diminuer en 2010 et le nombre de nouveaux entrants sur
le marché du travail va baisser continuellement lors des deux prochaines
décennies (TABLEAU 15 , GRAPHIQUES 9 et 10 ).
La migration de la population active de la région Mena vers l’UE27
pourrait-elle équilibrer ces deux tendances (excédent dans un cas et
pénurie dans l’autre) ? A priori, les deux phénomènes n’ont pas la même
ampleur : de 2005 à 2030, la population active totale devrait augmenter
de 156,318 millions dans la région Mena et diminuer de seulement
23,666 millions dans l’UE. Toutefois, si l’on considère uniquement les
nouveaux arrivants sur le marché du travail (10), qui sont aussi les potentiels migrants, l’excédent et la pénurie sont beaucoup plus proches : de
2005 à 2030, le nombre d’individus dans leur 25e année augmentera
de 321 000 par an dans la région Mena et diminuera de 233 000 dans
(10) Dans le tableau 15 et le graphique 9, ils correspondent à la population âgée de 25 ans.
78
iv – prospective – migrations
TABLEAU 15 Dynamiques démographiques des marchés du travail
de la région Mena et de l’UE (2005-2030)
Mena
UE27
Nombre Changement (t, t+5)
Nombre Changement (t, t+5)
Population totale en âge de travailler (POP 15-64 en milliers)
2005
286 836
+ 35 587
330 137
+ 2 227
2010
322 423
+ 32 029
332 364
- 3 934
2015
354 452
+ 30 196
328 430
- 5 598
2020
384 648
+ 30 048
322 832
- 7 032
2025
414 696
+ 28 458
315 800
- 9 329
2030
443 154
–
306 471
–
Total 2005-30
–
+ 156 318
–
- 23 666
Nombre annuel de nouveaux entrants (POP25 en milliers)
2005
8 744
+ 818
6 533
2010
9 562
+ 293
6 348
2015
9 855
- 85
6 022
2020
9 770
+ 51
5 605
2025
9 821
+ 530
5 389
2030
10 351
–
5 364
Moyenne 2005-30 9 684
+ 321
5 877
- 185
- 326
- 417
- 216
- 25
–
- 234
Source : Nations unies, World Population Prospects, Révision de 2006, données en ligne http://esa.un.org/unpp/index.asp.
l’UE27. Si l’on s’en tient aux chiffres, la migration pourrait contribuer
à la réduction des déséquilibres futurs. Il est important de noter que si
la Turquie était admise dans l’UE, sa population, plus jeune et en croissance plus rapide, réduirait la baisse de la population active jeune de
l’ensemble de l’UE mais n’aurait aucun impact sur la démographie de
chaque Etat membre. On constate donc que l’élargissement ne peut se
substituer à la migration.
Ces générations plus nombreuses et nouvelles ne sont qu’un aspect
des modifications que le marché du travail va subir dans la région Mena
dans les deux prochaines décennies. Les taux de natalité, élevés dans le
passé, ont certes produit la génération la plus nombreuse qui n’ait
jamais vu le jour et qui est actuellement en recherche de travail. Mais le
déclin récent des taux de natalité est associé à d’autres tendances qui
accentuent la concurrence pour l’emploi. Ainsi, le contrôle des naissances a, au moins, deux corollaires qui tendent à accroître la pression
sur l’emploi plutôt qu’à l’alléger : la modification du rôle des femmes et
le développement de l’éducation scolaire.
79
9 Population en âge de travailler dans la région Mena* et dans l’UE27
(2000-2030) (millions)
GRAPHIQUE
400
Population 15-64
100
Mena (émigration)
Population 20-29
Mena (émigration)
90
350
* Pays
d’émigration
majoritairement :
tous les pays de
la région Mena
exceptés les pays
du CCG et la Libye.
Source : Base de
données en ligne
de la population
des Nations unies
80
300
EU27
70
250
200
EU27
60
2000
2010
2020
2030
50
2000
2010
2020
2030
10 Nouveaux entrants sur le marché du travail et population totale
en âge de travailler – Changement relatif 2000-2030
GRAPHIQUE
Population 100
totale
en âge de
travailler 50
[POP15-64]
États
de l’UE27
États de
la région
Mena
0
- 50
- 25
0
25
50
75
100
Source :
Giambattista
Salinari –
Carim, 2010
Nouveaux entrants sur le marché du travail [POP25]
La transition démographique a, en effet, modifié fondamentalement
le rôle des femmes au sein de la famille et de la société. Dans le passé,
une fécondité élevée était associée à un mariage précoce et à une faible
participation des femmes aux activités économiques, notamment à l’extérieur du foyer. Avec des taux de natalité plus bas, les mariages sont
plus tardifs et les femmes participent davantage à la vie active. Elles sont
plus nombreuses à rechercher un travail et la demande d’emploi augmente donc plus vite que la population active.
Non seulement la génération la plus nombreuse à avoir vu le jour
arrive sur les marchés arabes du travail et est composée des deux sexes,
mais elle est de plus en plus qualifiée. Le développement de l’éducation
scolaire a joué un rôle majeur dans la réduction de la fécondité. Le capital humain est désormais en plein essor. L’évolution démographique a
80
iv – prospective – migrations
induit des changements au niveau de la quantité de travail nécessaire et
de la qualité de ce travail. Les jeunes adultes qui entrent dans la vie active
ont bénéficié d’une éducation plus poussée que les personnes âgées qui
la quittent (retraite ou décès). Les emplois créés ont donc un tout autre
profil que les emplois laissés vacants. Dans son rapport 2008 sur le développement dans la région Mena, la Banque mondiale met l’accent sur
les efforts insuffisants des Psem pour l’éducation des jeunes (niveaux
quantitatif et qualitatif). Cependant, le marché du travail compte plus de
personnes éduquées que ces pays ne peuvent en accueillir.
En résumé, le marché du travail de la région Mena affiche actuellement des taux de croissance sans précédent (+ 3 % par an), beaucoup
plus élevés que la hausse de la population totale (+ 1,7 %). Mais la
demande de main-d’œuvre s’accroît, elle, de 4 à 5 % (avec de plus en
plus de femmes concernées). Enfin, l’augmentation du capital humain –
c’est-à-dire la différence entre les années passées à l’école par les entrants
sur le marché du travail et celles passées par les sortants – atteint 6 à 8 %.
Allègement des contraintes familiales et émergence de l’individu
cet afflux démographique majeur sur le marché du travail de la
région Mena est-il une chance ou un poids ? Deux interprétations sont
possibles. La première, plutôt optimiste, est celle de plusieurs agences
internationales. Selon cette interprétation, le changement démographique est un atout car il offre de nombreuses opportunités de développement économique endogène(11). Corrélativement à la chute récente
mais brutale des taux de natalité, le rapport de dépendance(12) est au plus
bas. Mais c’est un état temporaire car cette chute va bientôt entraîner un
vieillissement de la population et, à la dépendance des enfants, encore
courante, succèdera la dépendance des aînés (TABLEAU 16 ). En d’autres
termes, la proportion de la population potentiellement active sur la
population inactive est exceptionnellement élevée.
Les jeunes adultes qui entrent dans la vie active ne consacrent plus
les bénéfices de leur travail à la prise en charge d’enfants (comme c’était
le cas encore récemment) ou de personnes âgées (comme ce sera le cas
bientôt). Cette situation encourage l’épargne et l’investissement. L’investissement peut, dès lors, être davantage économique que démogra(11) Bloom 2003, Banque mondiale 2007, Assaad et Roudi-Fahimi 2007
(12) Il se définit comme le rapport de la somme de la population âgée de zéro à quatorze
ans et de celle âgée de soixante-cinq ans et plus, sur la population âgée de quinze à
soixante-quatre ans.
81
TABLEAU
16 Année où le rapport [personnes âgées/jeunes adultes] dépasse 0,33
1950 ou avant
1965
1975
1980
1985
1990
1995
2000
Pays d’émigration principalement
Liban
Turquie
Égypte, Tunisie
Maroc
Algérie, Iran
Mauritanie, Irak, Jordanie
Soudan
Palestine, Yémen
Pays d’accueil principalement
Israël
–
Bahreïn, Émirats arabes unis
Koweït, Qatar
Libye
Arabie saoudite
Oman
–
Source : Giambattista Salinari à partir de la base de données de la population des Nations unies
phique : il est susceptible de servir à améliorer la qualité de vie des générations futures plutôt qu’à répondre à l’effet de la demande de l’explosion démographique. La région Mena se trouve ainsi dans une phase
privilégiée où elle bénéficie d’un dividende démographique, illustré dans
le GRAPHIQUE 11 , qui montre l’évolution de trois agrégats démographiques
pour la population de l’ensemble de la région Mena :
• la ligne verte (concurrence intra-générationnelle) correspond à la taille
de la génération née vingt-cinq ans plus tôt (approximativement le nombre annuel de nouveaux actifs potentiels). Elle grimpe régulièrement
jusqu’en 2010, se stabilise pendant environ quinze ans, puis reprend
son ascension, mais plus lentement ;
• la ligne bleue (charge intergénérationnelle envers les enfants) affiche la
fécondité totale de la génération décrite au-dessous. Elle n’a cessé de
décliner jusqu’à aujourd’hui(13) et cette baisse devrait se poursuivre (projection des taux de fécondité totaux) ;
• la ligne rouge (charge intergénérationnelle envers les personnes âgées)
affiche le nombre moyen de parents vivants par enfant dans une
famille (14). Elle est stable jusqu’en 2005 (génération née en 1975) puis
augmente fortement et régulièrement jusqu’en 2025.
Les générations nées entre 1975 et 1995, c’est-à-dire, les jeunes
adultes d’aujourd’hui, devraient bénéficier d’un bonus démographique
temporaire qui peut profiter à l’ensemble de la population.
(13) Dernières données chiffrées : 2005.
(14) Il se calcule en faisant le produit du nombre de parents à la naissance (deux) par la
probabilité de survie vingt-cinq ans plus tard (probabilité de survie de 30 à 55 si l’âge
moyen de maternité est de trente ans), divisé par le nombre de frères et sœurs vivant
encore à 25 ans : 2 [l(55,g-30)/l(30,g-30)] / ISF(g) l(25,g).
82
iv – prospective – migrations
11 Le dividende démographique dans la région Mena –
Concurrence démographique et fardeau à 25 ans
GRAPHIQUE
Génération Génération
née en 1975 née en 2025
Indice 2
standardisé
[x - moyenne 1
(x)] / écart
type (x)
Fardeau
intergénérationnel – I :
en personnes
âgées
0
-1
Source :
Giambattista
Salinari –
Carim, 2010.
-2
1975
Concurrence intragénérationnelle
1985
1995
2005
2015
2025
Fardeau
intergénérationnel – II :
en enfants
Quel est l’impact de ce bonus démographique sur la migration ? La
littérature scientifique est rare sur le sujet, mais on peut supposer que
le développement, facilité par des taux de dépendance exceptionnellement bas, réduira bien vite les racines économiques de l’émigration
conduisant à un ralentissement de la migration internationale. Cette
interprétation reste sujette à caution : pour que le bonus démographique
conduise au développement les jeunes adultes doivent disposer d’un
travail et d’un revenu suffisant pour pouvoir épargner, ce qui n’est pas
si simple dans des pays confrontés à un taux de chômage élevé, au sousemploi, à de bas salaires et à un faible retour sur l’investissement dans
l’éducation. En moyenne, un jeune met deux à trois ans pour trouver un
premier emploi après avoir achevé ses études, puis économise pendant
encore deux à trois ans pour se marier. La transition vers l’âge adulte se
fait au prix d’une longue période d’attente et d’exclusion(15).
En Algérie, pays où la richesse pétrolière ne s’est jamais traduite par
des opportunités d’emploi pour tous, 31 % des jeunes adultes entre 20
et 24 ans et 26 % des jeunes adultes entre 25 et 29 ans (ons 2005) sont
au chômage. Au Maroc, le chômage touche surtout les jeunes (33 % des
15-24 ans et 26 % des 25-34 ans dans les zones urbaines) et les personnes hautement qualifiées (24 % des personnes possédant un
diplôme sont au chômage, contre 9 % chez les non diplômés). Entre
1999 et 2004, le chômage a baissé pour toutes les catégories sauf pour
les détenteurs d’un diplôme universitaire ; plus le diplôme est élevé,
(15) Dyer et Yousef, 2008.
83
plus le risque de chômage est important. Le chômage débute dès les
études achevées et plus longues sont les études, plus longue sera la
période de chômage. Sur trois personnes en première recherche d’emploi dotées d’un diplôme universitaire, deux seront au chômage pendant une période d’un à trois ans (Cered 2005).
De ce point de vue, le Maroc et l’Algérie ne font pas exception à la
règle de la région Mena et se situent dans la moyenne. Dans son rapport
2004 sur le développement des pays d’Afrique du Nord et du MoyenOrient, la Banque mondiale souligne certes que « le fardeau démographique peut devenir un atout […], la croissance de la population active étant
amenée à excéder, plus fortement que partout ailleurs, celle de la population
économiquement dépendante». Mais elle observe aussitôt que «la dynamique démographique a déjà occasionné une pression sur les marchés du travail parmi les plus fortes observées depuis les lendemains de la Première
Guerre mondiale. […] Le chômage touche plus durement les catégories de
niveau éducatif intermédiaire ou supérieur». Concernant les personnes
diplômées au chômage, le 2008 Mena Development Report de la Banque
mondiale stipule que «l’impact sur le développement des progrès éducatifs
réalisés dans la région est bien plus limité qu’espéré». Si les jeunes adultes
ne sont pas récompensés de leur éducation par une offre de travail, le
bonus démographique pourrait n’être qu’un simple mirage.
Une autre interprétation du changement démographique offre une
vision plus réaliste. Elle reconnait une autre facette dans la baisse dans
les taux de fertilité : l’allégement des contraintes familiales pour les nouvelles générations. En raison de leur faible fertilité (prévue), elles n’ont
plus de nombreux enfants à charge. En raison de la fécondité élevée de
leurs mères, elles ont encore de nombreux frères et sœurs avec qui partager la charge des personnes âgées. Les jeunes adultes supportent donc
peu de contraintes familiales. D’un point de vue démographique on
assiste, actuellement, au Moyen-Orient à la naissance de l’individu. Pour
la première fois, il existe une liberté d’action individuelle. C’est sur cette
toile de fond démographique que de jeunes adultes, souvent éduqués,
entrent, dégagés des contraintes familiales, sur le marché du travail. La
liberté d’action acquise grâce au changement démographique implique
toutefois une certaine propension à prendre des risques personnels(16).
(16) Cette interprétation va à l’encontre de la « nouvelle économie de migration de maind’œuvre », qui estime que la migration individuelle est un choix opéré par l’ensemble de la
famille pour l’un de ses membres, comme assurance contre le risque (Stark, …).
84
iv – prospective – migrations
Un afflux plus important de capital humain sur le marché du travail
accroît le niveau général de compétences, mais génère aussi plus d’attentes. Le capital humain est capable de progrès mais aussi de protestation. Si les attentes sont déçues, la réponse peut aller de la prise de
parole à la fuite. La prise de parole, illustrée par la révolution arabe,
intervient alors que la demande de responsabilisation politique et sociale
croît au sein de la génération de jeunes adultes, plus éduquée que
jamais. Une analyse statistique de la violence politique en Égypte, au
début des années 1990, a souligné la forte corrélation entre le développement de l’éducation, la rapidité du déclin de la natalité, la croissance
urbaine et l’augmentation d’un extrémisme violent (17).
La réponse par la fuite peut prendre la forme de l’émigration. Selon
certaines enquêtes, de 25 % à 75 % des jeunes du Moyen-Orient (variable selon les pays) souhaitent ou ont l’intention d’émigrer. Dans la
seconde moitié des années 1990, une enquête Eurostat avait déjà relevé
cette proportion élevée : 14 % en Égypte, 27 % en Turquie et 20 % au
Maroc. Des études plus récentes montrent une amplification du phénomène. La Tunisie, qui affichait avant la révolution une économie florissante mais un processus de démocratisation en panne, constitue un
très bon exemple ( TABLEAU 17 ) : en 2006, 76 % (contre 22 % en 1996 et
45 % en 2000) des 15-29 ans déclaraient leur intention d’émigrer. La
plupart ne concrétiseront peut-être pas ce rêve, mais il en dit long sur
le malaise de la jeunesse de la région Mena.
Les schémas futurs de migration ne ressembleront pas à ceux du
passé ni même à ceux que l’on connaît actuellement. Les profils familiaux des jeunes migrants de la région Mena se modifient radicalement.
Auparavant, les migrants laissaient derrière eux une famille et le fait
d’émigrer leur permettait de la nourrir et de l’éduquer. L’envoi d’argent
était la principale raison de quitter le pays et le retour au pays faisait
souvent partie du projet de migration. Dans l’avenir, les jeunes émigrants n’auront généralement ni femme ni enfant et leur objectif sera
plutôt l’accomplissement personnel.
les conflits et les guerres vont-ils entraîner une augmentation du
nombre de migrants dans les décennies à venir ? Ce fut continuellement le cas au cours des soixante dernières années comme le rappelle
la liste non exhaustive ci-dessous (18).
(17) Fargues, 1994.
(18) Fargues, 2002.
85
TABLEAU 17 Désir d’émigrer chez les jeunes tunisiens (1996-2005) –
Pourcentage de jeunes qui déclarent souhaiter émigrer
Échantillon national représentatif. Taille : 20 000 en 1996 ; 10 000 en 2000 ; 10 000 en 2005
Sexe
Âge
Instruction
Activité
Total
Masculin
Féminin
15-19 ans
20-24 ans
25-29 ans
Illettré
Primaire
Secondaire
Université
Employé
Sans emploi
Étudiant
1996
29 %
14 %
21 %
24 %
23 %
6%
19 %
26 %
24 %
25 %
31 %
26 %
22 %
2000
54 %
37 %
44 %
47 %
45 %
3%
45 %
49 %
46 %
48 %
54 %
48 %
45 %
2005
84 %
66 %
76 %
77 %
74 %
66 %
77 %
77 %
73 %
77 %
85 %
75 %
76 %
Source : Fourati, Habib 2008. Consultations de la jeunesse et désir d’émigrer chez les jeunes en Tunisie 1996-2005, Carim.
• Le conflit israélo-palestinien (guerres ouvertes de 1948-1949 et de
1967 et guerres de basse intensité au début des années 2000) a provoqué un nombre important de migrations. Directement et localement,
ces guerres ont été à l’origine de l’exode palestinien et ont eu un impact
indirect sur tout le Moyen-Orient arabe. Le conflit prolongé a servi de
prétexte aux régimes arabes autoritaires pour rester au pouvoir. La solidarité revendiquée avec le peuple palestinien et l’état de belligérance
avec Israël leur ont offert une ressource stratégique pour légitimer la
violence d’État, avec deux conséquences opposées sur la migration : d’un
côté, les États ont instauré des obstacles administratifs à l’émigration de
leurs citoyens (pendant la période de la Guerre froide) ; de l’autre, la
répression politique associée à une mauvaise performance économique
a encouragé l’émigration.
• La guerre d’octobre 1973, opposant Israël à l’Égypte, a indirectement
déclenché une vague massive de migration égyptienne vers la région
du Golfe, grâce à l’alliance stratégique entre l’Égypte et l’Arabie saoudite : d’une part, le pétrole est devenu une nouvelle arme de guerre et la
forte hausse de son prix a provoqué une augmentation tout aussi forte
de la demande de main-d’œuvre importée dans la région du Golfe ; d’autre part, la politique de la porte ouverte du président Sadate a rendu possible l’offre de main-d’œuvre égyptienne.
86
iv – prospective – migrations
• La guerre du Golfe de 1990-1991 a provoqué la fuite de trois millions d’immigrants légaux, chassés de leur pays d’accueil. La plupart
étaient des citoyens arabes, suspectés de déloyauté du jour au lendemain puisqu’ils détenaient la mauvaise nationalité (en Irak, les migrants
égyptiens originaires d’un pays désormais en guerre avec l’Irak ; les
Yéménites en Arabie saoudite et les Palestiniens au Koweït, venant tous
de pays soutenant l’Irak), mais des centaines de milliers d’entre eux
étaient des travailleurs migrants asiatiques fuyant les champs de bataille.
• L’invasion américaine en Irak en 2003 a rapidement occasionné le
plus grand flux de réfugiés au Moyen-Orient depuis 1948.
• D’autres conflits ont également eu un impact sur la migration : la
guerre Iran-Irak de 1979-1988 et une myriade de conflits civils, comme
au Yémen dans les années 60, au Liban dans les années 70-80, en Algérie dans les années 90 et au Soudan dans les années 90 et 2000.
• Plus récemment, les révoltes arabes ont occasionné des flux de réfugiés venus non seulement des pays en transition (Tunisie, Égypte) mais
aussi et surtout de Libye du fait de l’intervention de l’Otan et de Syrie
en raison de la répression.
sans s’aventurer dans une prospective des conflits dans la région
Mena, certaines situations périlleuses pourraient provoquer de larges
mouvements d’émigration : le conflit israélo-palestinien non résolu ; l’Irak
sous occupation étrangère ; les conflits ethniques au Soudan ; les tensions
religieuses entre Musulmans et Chrétiens au Soudan, au Liban, en Irak
et potentiellement en Égypte ; les tensions religieuses entre Musulmans
chiites et sunnites en Irak et au Liban ; les travailleurs migrants exposés
aux changements de législation sur l’entrée, le séjour et le travail dans les
pays du Conseil de coopération du Golfe et en Libye.
La pénurie d’eau potable pourrait devenir une source de graves tensions dans la région Mena, même si personne ne peut prédire que les
nations entreront en guerre pour s’approprier l’eau (19) ou que ce type
de conflit engendrera une migration. Les eaux du Nil, partagées par dix
pays avec des populations en forte croissance, y compris le Soudan (pays
riche en pétrole depuis la fin des années 90, avec des plans d’irrigation
ambitieux), pourraient bientôt devenir l’objet d’intenses rivalités entre
ces pays. Il existe d’autres conflits potentiels ou actuels à propos de l’eau
entre la Syrie et la Turquie (fleuve Euphrate), entre Israël et la Jordanie
(fleuve Jourdain), entre le Liban et la Syrie (fleuve Oronte).
(19) Goldstone 2001.
87
2. Prévoir les futures migrations méditerranéennes
Le cadre théorique
plusieurs auteurs (20) ont insisté sur le lien entre la transition démographique et la migration massive en provenance des pays de la région
Mena, lien également souligné précédemment dans ce chapitre. Notre
exercice de prévision consistera donc, d’abord, à clarifier, grâce à une
analyse de séries temporelles groupées, le rôle exact des covariables
démographiques dans ces flux grandissants de migration massive.
La prévision qui va suivre repose sur la possibilité de lier le développement à long terme des migrations avec certaines covariables démographiques. Car si ce lien existe et si, quelques années après, la transition démographique est suivie de migrations massives, ce lien peut être
utilisé pour prévoir le développement des futures migrations.
La cadre théorique présenté dans les pages suivantes s’écarte, à certains égards, de la conceptualisation traditionnelle des processus de
migration. La différence la plus pertinente est l’importance que nous
accordons aux chocs démographiques/politiques comme déclencheurs
de migration, plutôt qu’aux différentiels de revenu. Tel que nous le comprenons, le différentiel de revenu joue un rôle fondamental dans l’orientation des flux migratoires mais, seul, il ne peut pas être considéré
comme une condition suffisante pour l’émigration. D’après notre
modèle, on peut plutôt considérer que les processus migratoires se subdivisent en quatre phases différentes :
L’origine des flux migratoires. À l’origine de la plupart des cas de migration massive (du moins dans la région euro-méditerranéenne au cours
de la période 1950-2010), il existe un choc qui peut être de nature très
différente selon les pays : il peut s’agir d’un choc économique, comme
dans le cas de la migration en provenance de l’Albanie après la Crise des
Pyramides (1997) ; d’un choc causé par la guerre comme les diasporas
palestiniennes (1948 et 1967), les guerres de Yougoslavie (1991-1995),
la guerre d’Octobre 1973 dont les répercussions politiques ont engendré
une émigration massive de l’Égypte, la guerre Iran-Irak (1980-88), la
guerre du Golfe de 1990 et la guerre d’Irak de 2003, etc. ; d’un choc
politico-institutionnel, tel que le processus de décolonisation (années
(20) De Haas, 2007, 2005 ; Fargues 2002 et 2009, 2000, 1986 ; Rashad 2000 ;
Courbage 1999.
88
iv – prospective – migrations
50-70), ou la chute du Mur de Berlin (1989). Ces chocs sont faciles à
identifier et il y a une relation causale directe avec la montée des flux
migratoires.
Dans d’autres cas, cependant, les chocs sont moins évidents et il en
est de même pour le processus de transition démographique (21). La
baisse rapide du taux de mortalité engendre de multiples conséquences
qui ne sont pas toujours faciles à identifier, notamment à cause de leur
effet à retardement. Dans une économie rurale, la transition démographique va d’abord changer le rapport entre la taille de la population et
les terres agricoles disponibles. Ce changement deviendra visible
quelques années après le début du déclin de la mortalité, lorsque le
nombre plus important de survivants exercera à la fois une pression sur
le système traditionnel de transfert de la richesse d’une génération à
l’autre (hérédité et dot) et sur le processus de formation d’une famille.
À ce stade, deux formes de processus de migration ont généralement
lieu : l’urbanisation d’abord et ensuite la migration internationale (22).
La plupart des informations nécessaires pour étudier ces processus
ne sont pas disponibles. On peut néanmoins essayer d’utiliser une petite
série d’indicateurs démographiques afin de tester d’abord l’association
à long terme entre la migration et la transition démographique. Pour
cette analyse, nous avons sélectionné les indicateurs suivants : densité
de population(23), proportion de la population urbaine, taux d’accroissement naturel, croissance urbaine et âge médian.
L’orientation des flux migratoires. Une fois que le choc démographique/politique initial a provoqué les conditions de la migration, différents facteurs entrent en jeu, orientant les flux migratoires vers leur destination. Parmi ces facteurs, certaines variables économiques, comme
les différentiels de revenu, le taux de chômage, le niveau d’éducation
(comme indicateur du capital humain) jouent un rôle fondamental.
Cependant, les variables économiques ne sont pas les seuls facteurs en
(21) Zelinsky, 1971.
(22) Cuberes 2009 ; Dyson 2001.
(23) La densité de la population peut être calculée comme le rapport de la population totale
sur le territoire national, ou seulement sur une fraction habitable ou arable de
ce territoire. Les deux indices varient considérablement sur la côte sud de la Méditerranée
où les terres désertiques occupent une large proportion et dans certains cas, la plupart
du territoire national. Alors que dans les économies majoritairement rurales ou pastorales
c’est la densité des terres habitables qui reflètent la pression de la population, dans
les économies modernes diversifiées de la région Mena, la disponibilité de l’espace
national a également de l’importance.
89
jeu dans ce processus : d’autres variables sont importantes, par exemple
la proximité géographique et culturelle, la présence de liens coloniaux
préexistants, ou de communautés de migrants préexistantes dans les
régions d’accueil, etc.
Selon la théorie économique (24), le taux net de migration est positivement associé au pib par habitant et à un niveau supérieur d’éducation,
et négativement associé au chômage.
L’auto-renforcement des flux migratoires. Un aspect fondamental des
premières communautés de migrants est qu’elles sont souvent capables
de s’auto-alimenter par le mécanisme de migration en chaîne (25). Ce phénomène se manifeste généralement en deux étapes : dans une première
phase, le stock de migrants existant, essentiellement des jeunes
hommes, attirera depuis les régions d’émigration une population ayant
les mêmes caractéristiques démographiques. Néanmoins, au fur et à
mesure que le temps passe, la capacité d’attraction commence à diminuer et une seconde phase du processus se déroule, pendant laquelle les
migrations sont principalement motivées par le regroupement familial.
Les caractéristiques démographiques des flux migratoires sont donc
plus équilibrées, en ce qui concerne le genre des migrants, pendant
cette seconde phase. On peut ainsi théoriser une association négative
entre le stock de migrants précédent et le taux net de migration actuel.
Le problème est que nous ne disposons d’aucune information concernant les stocks d’émigrants dans le passé. Pour intégrer ce processus
dans notre modèle, nous avons donc utilisé comme variable de substitution le rapport entre la population masculine et féminine dans la
tranche d’âge 20-49 ans.
Fin de l’émigration et transition migratoire. Au fur et à mesure que le
temps passe et que la population trouve un nouvel équilibre les flux
migratoires commencent à diminuer. Dans les pays où le choc initial a
été produit par la transition démographique, la population vieillit et ce
vieillissement est dû essentiellement à la baisse de la fécondité. Ce processus de vieillissement a des conséquences sur la migration. La volonté
de donner aux enfants plus de chances de promotion sociale (par exemple, en leur permettant d’accéder à des niveaux d’éducation plus élevés)
est un facteur déterminant de la baisse de la fécondité. Ce processus de
(24) Massey & al. 1993 ; Jennissen 2003 ; Bijak 2006 ; Boeri 2001 ; Venturini 2004.
(25) Massey 1993 : 449.
90
iv – prospective – migrations
mobilité sociale(26) engendre un manque dans les secteurs inférieurs du
marché du travail et donc un pré-requis pour l’attraction de nouveaux
immigrants. Les pays passent ainsi de pays d’émigration à pays d’accueil.
Premier examen des données
la plus grande partie de nos données repose sur la révision 2008
du rapport World Population Prospects publié par la Division de la population des Nations unies (27). Ces données s’étendent sur une période
d’un siècle, de 1950 à 2050, et concernent principalement des ensembles nationaux. Pour la sous-période qui va de 1950 à 2010, la Division
de la population des Nations unies fournit des estimations sur les principaux indicateurs démographiques concernant le stock et le flux de
population avec une périodicité de cinq ans (12 intervalles de temps).
Selon la Division de la population des Nations unies, trois procédures différentes ont généralement été suivies pour établir les estimations :
• pour les pays développés, les estimations reposent uniquement sur
des statistiques officielles produites par les instituts nationaux de statistiques ;
• pour les régions moins développées, les estimations se basent fréquemment sur une estimation indirecte et sur des modèles ;
• dans certains cas rares, lorsqu’aucune donnée n’est disponible, les
estimations sont faites en observant l’évolution démographique de pays
qui ont un profil socio-économique similaire.
La première stratégie s’applique à tous les pays de la côte nord-méditerranéenne. À l’inverse, la seconde stratégie s’applique à de nombreux
pays de la côte sud-méditerranéenne.
Au Maghreb et au Machrek, les registres civils existent depuis longtemps (28). Depuis les années 60, la qualité des données collectées s’est
beaucoup améliorée et les Nations unies estiment qu’en 2001 le registre de l’état civil de l’Algérie, de l’Égypte, de la Libye et de la Tunisie couvre plus de 90 % de la mortalité totale (29). De plus, la majorité des pays
du Maghreb et de la région du Machrek ont effectué entre quatre et six
recensements à partir des années 60, avec une périodicité d’environ 10(26) Billari et Dalla Zuanna 2008 : 24.
(27) Perspectives de la population mondiale, ndtr. www.un.org/esa/population.
(28) Depuis 1840 en Égypte, depuis 1882 en Algérie, depuis 1908 en Tunisie, depuis 1923
en Syrie et depuis 1925 au Maroc (Tabutin et Schooumaker 2005:618).
(29) Tabutin et Schooumaker 2005:618.
91
12 ans. Seule la Mauritanie a effectué trois recensements(30), alors que
le seul recensement du Liban remonte à 1932. Depuis, le pays n’a réalisé qu’une seule enquête démographique nationale par sondage en
1970. Outre ces données, il existe de nombreuses études sur la fécondité et la santé : à cet égard, le Maroc, l’Égypte et la Jordanie semblent
être bien couverts, avec respectivement huit, huit et six enquêtes réalisées depuis les années 70. En résumé, on peut affirmer que depuis les
années 60 (à l’exception de la Syrie, du Liban et de la Mauritanie), les
estimations des Nations unies sur la région euro-méditerranéenne
s’appuient sur des sources de données différentes et fiables.
Le rapport World Population Prospects des Nations unies n’indique
que le taux net de migration. Cette information a généralement été estimée à partir de la différence entre la croissance totale de la population
et son accroissement naturel. Le taux net de migration a été lourdement
critiqué au cours des années précédentes (31) mais, malgré cela, il est toujours utilisé pour des travaux de recherche empiriques (32). De notre point
de vue, l’utilisation du taux net de migration comme variable dépendante dans une analyse de régression offre trois avantages par rapport
à d’autres indicateurs possibles.
Premier avantage, cet indice a été estimé à partir d’informations
démographiques basiques : la population totale, le nombre de naissances et le nombre de décès. Ces variables de base sont beaucoup
moins affectées par les biais systématiques que celles concernant les
taux d’émigration, notamment pour la période qui débute à partir des
années 70. En effet, toute erreur de mesure commise dans l’estimation
de ces trois variables de base affecte l’estimation du taux net de migration, mais ce n’est pas un problème réel dans la mesure où les erreurs
de mesure sont indépendantes les unes des autres. Deuxième avantage :
le taux net de migration étant estimé par des informations très basiques,
des séries temporelles plus longues sont disponibles. Le taux net de
migration a enfin un troisième avantage par rapport au stock de migrants
puisque lui seul est sensible aux changements à court terme de la migration. Les chocs politiques, comme nous le verrons, peuvent en effet fortement influencer l’analyse de régression et dissimuler des processus
fondamentaux en jeu. Les analyses de régression intersectorielles des
stocks de migrants ne permettent généralement pas de mesurer les
(30) Tabutin et Schooumaker 2004:588
(31) Rogers 1990.
(32) Jennissen 2003.
92
iv – prospective – migrations
TABLEAU
18 Classification géographique de la région euro-méditerranéenne
Sud de l’Europe
Balkans
Maghreb
Machrek
Italie, France, Portugal, Espagne
Grèce, Albanie Croatie, Serbie
Algérie, Mauritanie, Maroc, Tunisie
Égypte, Israël, Turquie, République arabe syrienne
Source : Giambattista Salinari - Carim
effets des crises politiques (les informations sur les stocks et l’occurrence des crises politiques ne sont généralement pas contemporaines et,
à un moment donné, les stocks de migrants peuvent résulter de l’effet
cumulé de plusieurs crises politiques précédentes). À l’inverse, le taux
net de migration permet de mesurer les chocs politiques.
Outre les indicateurs démographiques estimés, la Division de la
population fournit huit variantes différentes d’indicateurs projetés couvrant la période de 2010 à 2050, toujours avec une périodicité de cinq
ans. Les projections de population ont été obtenues à partir de différentes hypothèses sur les tendances possibles de mortalité, fécondité et
migration. Parmi ces huit variantes, nous avons choisi celle baptisée
variante moyenne que la Division de la population définit comme la plus
probable.
Pour obtenir des informations sur les variables économiques couvrant la période de 1950 à 2010, nous avons utilisé deux sources différentes : les séries temporelles du pib par habitant tirées de L’Économie
Mondiale : Statistiques Historiques (33) de Maddison, alors que l’information concernant la diffusion de l’éducation supérieure est tirée de Barro
et Lee (2010) (34). Dans le cas de la Bosnie, de la Croatie et de la Serbie,
il manque les données sur le pib par habitant pour la période de 19501985 ; elles ont donc été calculées, en supposant que le taux de croissance dans ces régions était le même que celui de la Yougoslavie pendant la période 1950-1985.
Pour notre analyse, nous avons sélectionné les pays les plus pertinents de la zone euro-méditerranéenne dont les données sont disponibles. Les seize principaux pays formant cette zone ont été divisés en quatre régions principales qui ont un timing similaire dans leur processus
de transition démographique. Le TABLEAU 18 présente la liste détaillée des
macro-régions et des pays. À partir de notre ensemble de pays, nous
avons exclu les territoires palestiniens occupés et la Slovénie puisque les
(33) www.ggdc.net/maddison.
(34) www.cid.harvard.edu/ciddata/ciddata.html.
93
12 Relation entre le taux net de migration (en ordonnées)
et l’enseignement supérieur, la croissance urbaine, le PIB par habitant
et la proportion de population urbaine (en abscisses) (1950-2010)
GRAPHIQUE
Les lignes pleines représentent la régression des taux nets de migration sur la variable
indépendante. Les lignes en pointillés représentent la régression linéaire des taux nets de migration
sur la variable indépendante, excepté la Mauritanie. Les cercles représentent la Mauritanie.
Source : Division de la population des Nations unies (2008).
données sur le pib par habitant et le niveau d’instruction n’étaient pas disponibles. Nous avons également exclu le Liban à cause, d’une part des
chocs politiques et de ses effets sur la migration au cours de la période
1950-2010 et, d’autre part, du manque d’information démographique.
Les GRAPHIQUES 12 et 13 présentent une simple analyse bivariable pour
la période 1950-2010, utilisant seulement des indicateurs simples. Dans
le GRAPHIQUE 12 , nous recherchons une association statistique générale
entre le taux net de migration et l’éducation supérieure, la croissance
urbaine, le pib par habitant et la proportion de la population urbaine. On
observe la forte dispersion des points autour de la tendance : comme le
prévoit la théorie économique, le pib par habitant et l’éducation supérieure révèlent une association linéaire positive avec le taux net de migration ; néanmoins, le nuage de points est relativement dispersé autour
des valeurs prédites. La proportion de la population urbaine et la crois94
iv – prospective – migrations
13 Relation entre le taux net de migration (en ordonnées)
et le stock passé de migrants, la densité, le taux d’accroissement naturel
et l’âge médian (en abscisses) (1950-2010)
GRAPHIQUE
La ligne noire représente la régression des taux nets de migration sur la variable indépendante.
Les cercles orange définissent un ensemble d’événements perturbateurs produisant une valeur
d’immigration anormale. Les cercles bleus représentent un ensemble d’événements produisant
un niveau anormalement bas des taux nets de migration.
Source : Division de la population des Nations unies (2008)
sance urbaine décrivent une trajectoire complexe. Les graphiques indiquent une relation linéaire claire dans la direction attendue (positive
pour la proportion de la population urbaine et négative pour la croissance urbaine) avec seulement un pays, la Mauritanie, qui est clairement en dehors de cette trajectoire linéaire. La Mauritanie affiche les
plus faibles proportions de population urbaine et les plus forts taux de
croissance urbaine ; ces deux conditions étant associées à des niveaux
d’émigration bas. De tous les pays étudiés, la Mauritanie est de loin le
pays le plus en retard dans le processus de transition démographique et
il est possible que, dans les premières phases d’un tel processus, tous
les effets de la transition démographique sur l’émigration soient absorbés par la croissance urbaine. Dans ce cas, la relation entre la population
95
urbaine et la croissance urbaine et l’émigration pourrait ne pas être
linéaire.
Dans le second volet des graphiques (GRAPHIQUE 13 ), nous recherchons
une association statistique entre le taux net de migration et le stock passé
de migrants, l’âge médian, le taux d’accroissement naturel et la densité
de la population. Toutes les relations entre ce second groupe de variables
et les taux nets de migration ont le signe attendu. Néanmoins, un
ensemble de différents événements politiques semble masquer en partie la force réelle de ces relations. D’un côté, on a un ensemble d’événements perturbateurs qui produit une valeur d’immigration anormale
(cercles oranges) : les vagues de migrants dirigées vers Israël, les réfugiés des guerres d’Irak dirigés vers la Syrie et la régularisation des
migrants au Portugal, en Espagne et en Italie. De l’autre côté, on a un
ensemble différent d’événements qui produit un niveau anormalement
bas du taux net de migration (c’est-à-dire, un taux d’émigration élevé :
cercles bleus) : processus de décolonisation en Algérie et en Tunisie,
perte des colonies par le Portugal, guerre de Yougoslavie et chute du
régime communiste en Albanie. Ces chocs politiques difficultent la
détection des effets du processus de transition démographique sur la
migration internationale.
Trois faits majeurs émergent donc à la fin de ce premier examen des
données historiques des Nations unies sur la migration dans la région
euro-méditerranéenne :
• L’importance des crises politiques comme déclencheur de flux
migratoires internationaux.
• L’effet opposé des crises sur les pays directement affectés et sur leurs
voisins.
• La nécessité d’identifier les chocs politiques et économiques pour
définir la relation à long terme entre la transition démographique et les
flux de migration massive.
Construire le modèle
nous présentons ici une analyse plus détaillée du rôle joué par les
chocs politiques, la transition démographique, les chaines migratoires
et les variables économiques dans la montée de vagues de migration de
masse dans la région méditerranéenne au cours de la période 19652019. Nous nous appuierons sur des analyses de séries temporelles
groupées en tant qu’outil analytique pour distinguer les effets de ces
différents processus sur la migration. Après avoir distingué les compo96
iv – prospective – migrations
TABLEAU
19 Liste des chocs politiques
Choc économique/politique
Choc pétrolier
Mur de Berlin
Guerre de Yougoslavie
Anarchie en Albanie
Guerre du Golfe 1
Guerre du Golfe 2
Décolonisation
Régularisation 1
Régularisation 2
Période
1970-1979
1990-1999
1990-1994
1995-1999
1990-1994
2000-2009
1965-1969
1995-1999
2000-2004
Régions impliquées
Machrek, Sud de l’Europe
Balkans, Sud de l’Europe, Israël
Balkans ; Sud de l’Europe
Balkans ; Sud de l’Europe
Machrek ; Maghreb
Machrek ; Maghreb
Sud de l’Europe, Machrek ; Maghreb
Sud de l’Europe
Sud de l’Europe
Source : Giambattista Salinari – Carim, 2010.
santes des processus migratoires, les coefficients de régression estimés
seront appliqués aux séries projetées de nos variables afin d’estimer les
taux nets de migration pour la région méditerranéenne au cours de la
période 2010-2030.
La partie la plus sensible de l’analyse a consisté à identifier les événements politiques ayant un effet sur les taux nets de migration. Dans
le TABLEAU 19 , on trouve la liste des chocs politiques dont nous avons tenu
compte dans notre analyse, avec la zone pouvant être concernée par
leurs effets directs ou indirects.
Pour identifier les pays influencés significativement par les effets
des dits événements politiques, nous avons élaboré, de façon préliminaire, deux ensembles de variables indicatrices (dummy) : un pour chacun des seize pays et les quatre macro-régions cités dans le TABLEAU 18 et
un pour chacun des neuf chocs politiques principaux présentés dans le
TABLEAU 19 . L’interaction entre ces deux ensembles nous permet de mesurer l’impact exercé par une crise politique sur un pays donné (ou sur
une macro-région). Pour vérifier la signification statistique des chocs
politiques sur le taux net de migration d’un pays donné, nous avons
ensuite effectué une régression pas à pas (qui n’est pas montrée ici). La
régression pas à pas a sélectionné dix-sept configurations historiques
(pays + choc) dans lesquelles un choc politique a exercé un effet statistiquement important sur la migration. La liste de ces configurations historiques peut être consultée dans la section des variables indicatrices
du TABLEAU 20 .
Après avoir identifié les chocs politiques les plus importants au cours
de la période 1965-2010, nous avons établi quatre analyses différentes
97
TABLEAU 20 Analyse de régression : taux nets de migration dans la région
euro-méditerranéenne (1965-2010)
Modèle 1
Pas de chocs
Modèle 2
Avec chocs
Variables
Valeur Pr(>|t|)
Valeur Pr(>|t|)
Valeur Pr(>|t|)
Valeur Pr(>|t|)
(Intercept)
34,20
0,43
48,03
0,02
48,91
0,03
46,92
0,03
Croissance urbaine
-60,05
(Croissance urbaine)2 25,52
PIB par habitant
0,00
Éducation supérieure
0,21
Stock d’émigrants
-1,29
Densité
-0,02
Âge médian
-0,04
0,42
0,41
0,00
0,01
0,88
0,06
0,53
-63,43
26,17
0,00
-0,04
-14,00
-0,02
0,15
0,07
0,07
0,02
0,47
0,00
0,00
0,00
-65,48
27,03
0,00
-0,03
-13,72
-0,02
0,15
0,07
0,08
0,04
0,56
0,00
0,00
0,00
-61,32
25,33
0,00
-0,04
-13,95
-0,02
0,14
0,09
0,09
0,05
0,53
0,00
0,00
0,06
–
–
–
–
–
–
–
–
–
–
–
–
–
–
–
–
–
–
6,04
-14,75
-5,76
10,76
-2,33
7,20
6,52
1,83
9,17
4,10
3,23
21,54
-16,53
14,55
-6,97
9,14
4,52
6,65
0,00
0,00
0,00
0,00
0,08
0,00
0,00
0,38
0,00
0,04
0,10
0,00
0,00
0,00
0,00
0,00
0,02
0,00
6,08
-14,72
-5,63
11,12
-2,30
6,55
6,37
1,14
9,35
4,23
3,32
21,15
-16,16
14,05
-7,26
8,86
4,25
6,79
0,00
0,00
0,00
0,00
0,10
0,00
0,00
0,58
0,00
0,03
0,09
0,00
0,00
0,00
0,00
0,00
0,04
0,00
5,81
-14,91
-5,61
10,73
-2,34
7,28
6,46
1,97
9,22
4,06
3,20
21,52
-16,47
14,48
-6,83
9,16
4,50
6,54
0,00
0,00
0,00
0,00
0,08
0,00
0,00
0,37
0,00
0,04
0,10
0,00
0,00
0,00
0,00
0,00
0,03
0,00
Israël
Albanie : Mur de Berlin
Balkans : Mur de Berlin
Croatie : Guerre de Yougos.
Égypte : choc pétrolier
Grèce : Guerre de Yougos.
Israël : Mur de Berlin
Israël : Diasp Palest.2
Israël : Guerre du Golfe 1
Italie : Régul. 1
Italie : Régul. 2
Portugal : choc pétrolier
Portugal : guerre froide
Serbie : Guerre de Yougos.
Serbie : Régul. 1
Espagne : Régul. 1
Espagne : Régul. 2
Syrie : Guerre du Golfe 2
AR(1)
R2 ajusté
Stat. Durbin Watson
–
–
–
–
–
–
–
–
–
–
–
–
–
–
–
–
–
–
–
0,27
1,44
Source : Giambattista Salinari – Carim, 2010
98
–
0,85
1,82
Modèle 3
Modèle 4
Chocs et
Variable inscorrection AR(1) trumentale e0
0,12
–
2,01
–
–
2,00
iv – prospective – migrations
de séries temporelles groupées. Comme analyse préliminaire, nous
avons réalisé une analyse de régression ordinaire sans prendre en
compte les effets des chocs politiques. Le résultat a donné un mauvais
ajustement du modèle (R 2 ajusté = 0,27). Les seules variables significatives sont le pib par habitant, la proportion de la population avec l’éducation supérieure et la densité de la population.
On a ensuite réalisé une seconde régression, mesurant aussi les
crises politiques. Cette fois-ci, l’ajustement du modèle s’améliore grandement (R 2 ajusté = 0,85), et tout notre ensemble de variables économiques et démographiques devient statistiquement important à la seule
exception de l’éducation supérieure. Néanmoins, le test de Durbin Watson identifie une importante autocorrélation dans ce modèle. Nous
avons ensuite réalisé notre troisième modèle mesurant cette fois les
effets des chocs politiques et la présence d’autocorrélation. Le résultat
de cette opération confirme largement les résultats obtenus avec le
second modèle.
Enfin, puisqu’il pourrait exister une relation de causalité inverse
entre le taux net de migration et l’âge médian, nous avons introduit une
variable instrumentale dans notre modèle de base (modèle 2). Nous
avons choisi l’espérance de vie à la naissance (e0) comme instrument
pour notre estimation par les moindres carrés en deux étapes, supposant
que l’effet de cette variable sur la migration nette est entièrement capturé par l’âge médian et que e0 n’est pas influencée par le taux net de
migration. Le coefficient estimé pour l’âge médian dans la régression en
deux étapes (modèle 4) est plus petit que celui estimé lors d’une régression linéaire ordinaire (modèle 2), mais la différence entre les deux coefficients n’est pas importante statistiquement. Cela signifie qu’une relation de causalité inverse a un effet léger et probablement insignifiant sur
l’âge médian. L’exclusion de l’éducation supérieure de l’ensemble des
déterminants majeurs de la migration est probablement un des résultats les plus frappants de notre analyse. Mais ce fait peut en partie être
justifié. La théorie économique affirme que le niveau d’éducation est
un indicateur du capital humain et prévoit une association positive de
cette variable avec le taux net de migration(35). Néanmoins, les niveaux
supérieurs d’éducation sont connus pour être associés négativement
avec le taux net de migration dans plusieurs pays (au Maroc ou en Tunisie par exemple), où les gouvernements ont beaucoup investi dernière(35) Jennissen 2004 : 174.
99
ment dans l’éducation secondaire et supérieure. Ces investissements
ont augmenté le nombre de jeunes gens qui ont un haut niveau d’éducation sans pour autant transformer la structure économique et le
régime politique de ces pays. On tend donc à associer les jeunes ayant
un haut niveau d’éducation à des taux élevés de chômage et d’émigration (36). Il est possible que ces deux formes opposées de connexion entre
l’éducation et le taux net de migration (la plus générale prévue par la
théorie économique et la plus locale rencontrée dans des pays comme
le Maroc et la Tunisie) soient toutes les deux en jeu dans nos données.
Ces deux tendances opposées pourraient se combiner pour produire ce
manque d’association statistique entre l’éducation et la migration.
Afin de décrire la relation non linéaire entre la croissance urbaine et
la migration internationale, nous avons utilisé une équation polynomiale de second ordre dont les coefficients sont tous les deux significatifs à un seuil de 10 %. Ce fait semble confirmer notre discussion précédente au sujet de la Mauritanie. La migration internationale ne semble
pas très répandue en cas de niveau très élevé de croissance urbaine et
dans le contexte du début du processus de transition.
Le stock de migrants dans le passé et l’âge médian révèlent une association négative significative avec le taux net de migration. Comme nous
l’avons expliqué dans la partie théorique de ce rapport, l’âge médian est
l’une des variables les plus influencées par la transition démographique
car il résulte de l’effet combiné de l’évolution passée des taux de fécondité et de mortalité.
Enfin, la densité de population présente une association négative
significative avec le taux net de migration. Il faut noter que la densité de
population n’a pas, en général, de relation directe avec la pression démographique sur la terre – et donc avec la pression migratoire – comme on
pourrait le penser intuitivement. En effet, la proportion de terrain habitable varie grandement entre les pays et est exceptionnellement basse
dans la plupart des pays de la côte sud de la Méditerranée, où une grande
partie du territoire est désertique. L’Égypte, par exemple, a une densité
de population de 74 habitants par kilomètre carré de territoire national
en 2005, mais étant donné que 95 % de son territoire est constitué par
le Sahara et donc inhabitable, la densité réelle de la population est de
1 748 habitants par kilomètre carré de terrain non désertique, c’est-àdire, une des plus fortes pressions démographiques du monde sur les
(36) Fargues 2009 : 14.
100
iv – prospective – migrations
terres habitables. La densité de population utilisée dans le modèle reflète
donc la disponibilité de l’espace national par habitant qui peut grandement différer de la disponibilité de l’espace économiquement utile. Le
fait que la densité de population présente une association négative significative avec le taux net de migration implique néanmoins que, toute
chose égale par ailleurs, plus la densité est élevée, plus le taux net de
migration est bas (et donc plus les flux d’émigration sont élevés). Il est
donc important de remarquer que le lien entre la densité et le taux net
de migration a désormais le signe opposé si on le compare avec le type
d’association montré dans la précédente analyse bivariable (GRAPHIQUE 13 ).
C’est probablement une conséquence du fait que, dans cette analyse,
nous mesurons d’autres covariables comme l’âge médian, le pib par
habitant, le taux de croissance urbaine, etc.
Grâce à ce fait, nous sommes maintenant capables d’analyser la relation entre la densité et la migration nette au sein de chacun des deux
groupes de population de transition et post transition (côte nord/sud).
Les résultats obtenus dans le cadre de l’analyse de régression peuvent
donc être simplifiés et nous font dire qu’une population de transition,
caractérisée par une plus forte densité, présente un taux d’émigration
plus élevé qu’une population de transition caractérisée par une densité
plus faible. En d’autres termes, la présente analyse de régression permet
de mesurer, du moins partiellement, les différentes proportions de terrain habitable caractérisant les côtes nord et sud de la Méditerranée. Au
contraire, l’analyse bivariable s’est concentrée sur les différentes caractéristiques existant entre la population de transition de la côte sud de la
Méditerranée (avec des densités de population qui augmentent mais
demeurent faibles, de larges zones de terres arides et une migration
nette négative) et la population post transition au Nord (avec un niveau
de densité de population stationnaire mais élevé et une migration nette
positive). La densité de population dans le présent modèle n’est pas très
importante : si on omet cette variable, il n’en résulte qu’une faible baisse
de la variance totale expliquée (de 85 à 84 %). Si l’on remplace la densité de population par le rapport entre la population et les terres arables,
il en résulte une perte de signification du coefficient (ces calculs ne sont
pas montrés ici).
Nous pouvons donc affirmer que le lien entre le taux net de migration d’un côté, et la croissance urbaine, l’âge médian et la densité de
population de l’autre, confirme le rôle majeur de la transition démographique en tant que déclencheur de flux migratoires internationaux.
101
Trois scénarios de migration nette en 2030
notre exercice de projection repose sur l’idée qu’il y a un lien à long
terme entre la transition démographique et la migration. Étant donnée
notre faible compréhension de la migration, aucune prévision à un horizon de vingt ans ne serait possible sans ce lien à long terme, puisque les
autres processus qui influencent la migration sont trop instables. Les
variables démographiques présentent deux avantages majeurs qui peuvent être exploités pour établir nos prévisions. Tout d’abord, les phénomènes démographiques (particulièrement la structure par âge) évoluent
plus lentement que les autres variables qui sont plus liées à des dynamiques cycliques. Ensuite, de nombreuses caractéristiques des populations méditerranéennes en 2030 dépendront strictement de celles des
populations méditerranéennes actuelles.
Pour ces raisons, nous avons décidé d’exploiter les perspectives de la
population des Nations unies comme point de départ pour notre exercice de projection. Nous fondons donc notre prévision sur deux hypothèses solides :
• le lien identifié entre la transition démographique et la migration
durera pendant les vingt prochaines années ;
• les perspectives de la population des Nations unies parviennent à
saisir les principales caractéristiques de la future démographie de la
région méditerranéenne. Il est important de noter qu’établir l’évolution
de la population d’un pays dans une phase précoce de transition démographique est bien plus risqué que de projeter l’évolution future d’une
population qui a déjà atteint les dernières phases de ce processus. Pour
cette raison, nous pouvons affirmer que les résultats concernant le Nord
de la Méditerranée sont probablement plus fiables que ceux concernant
la côte sud.
Afin de tenir également compte des effets des variables économiques
(pib par habitant et niveaux d’éducation), nous avons intégré les projections des Nations unies avec deux ensembles d’informations. En ce
qui concerne le capital humain, nous avons utilisé les projections
jusqu’à 2030 réalisées par KC & al. (2010) (37). Pour établir les futures
séries de pib par habitant, nous avons dû, au contraire, élaborer différents scénarios avec l’aide d’une simple extrapolation des séries temporelles de Maddison. Nous avons d’abord supposé que l’effet de la crise
économique actuelle a réduit le pib par habitant en 2010 au même
(37) Les données sont disponibles sur www.iiasa.ac.at/Research/POP/edu07/index.html.
102
iv – prospective – migrations
niveau que celui enregistré en 2005 dans tous les pays méditerranéens.
De 2010 à 2030, nous avons ensuite supposé trois trajectoires de croissance différentes :
• une trajectoire moyenne dans laquelle la croissance suit exactement
le taux de croissance moyen enregistré au long de la période 1965-2010 ;
• une trajectoire basse dans laquelle la croissance moyenne est réduite
à la moitié de celle enregistrée au long de la période 1965-2010 ;
• une trajectoire haute pendant laquelle la croissance est supposée être
une fois et demi supérieure à celle de la période 1965-2010.
les résultats sont présentés dans les GRAPHIQUES 14 à 17 . Dans chacun de
ces graphiques, la ligne bleue représente les séries temporelles initiales
des Nations unies pour les taux nets de migration. À l’inverse, la ligne
rouge décrit les valeurs théoriques des taux nets de migration prédites
par notre modèle 2 (voir le TABLEAU 20 ). La ligne verticale, en pointillés dans
les graphiques, indique la limite entre les taux nets de migration estimés
par les Nations unies et ceux projetés. Ainsi, il est possible de comparer notre prévision avec les scénarios que les Nations unies supposent
les plus probables pour les futurs taux nets de migration.
Il nous semble que, dans de nombreux cas, les scénarios des Nations
unies ont été élaborés en prolongeant dans le futur les dernières valeurs
connues des séries. Cette stratégie semble avoir été adoptée dans huit
pays sur seize. Dans les huit autres cas, la stratégie a consisté à prolonger non pas les toutes dernières valeurs des séries, mais certaines
valeurs antérieures. Cette seconde stratégie semble intervenir lorsque
certains événements politiques majeurs perturbent les dernières valeurs
des séries. Par conséquent, notre échantillon comporte un seul cas, celui
de la Syrie, où le taux net de migration passe d’une valeur positive à une
valeur négative, alors qu’on ne rencontre aucun cas de transition d’une
valeur négative à une valeur positive. Il semble donc que les experts des
Nations unies n’aient pas pris en compte le phénomène de transition
migratoire dans l’élaboration de leurs scénarios pour la région méditerranéenne.
D’après notre modèle, au contraire, cinq pays (la Croatie, la Serbie,
la Turquie, la Tunisie et l’Algérie) se transformeront, pendant la transition démographique, de pays d’émigration en pays d’accueil au cours de
la période 2010-2030. Ces pays afficheront une valeur moyenne du taux
net de migration autour de + 2,5 ‰ en 2030. Les différentes hypothèses
présentées sur l’évolution du pib par habitant ne semblent pas affecter
103
14 Projections du taux net de migration (en ordonnées)
en Europe méditerranéenne (1965-2030)
GRAPHIQUE
15
Italie
15
10
10
5
5
0
0
-5
1970
1990
2010
2030
Portugal
-5
15
10
1970
1990
2010
2030
France
10
0
5
- 10
0
-20
Espagne
-5
1970
1990
2010
2030
1970
1990
2010
2030
Source :
Giambattista
Salinari –
Carim, 2010
15 Projections du taux net de migration (en ordonnées)
dans les Balkans (1965-2030)
GRAPHIQUE
10
Albanie
10
0
5
- 10
0
- 20
-5
- 30
10
1970
1990
2010
2030
Serbie
- 10
10
5
5
0
0
-5
-5
- 10
1970
1990
2010
2030
- 10
Croatie
1970
1990
2010
2030
Grèce
Source :
Giambattista
Salinari –
Carim, 2010
1970
1990
2010
2030
La ligne bleue représente les séries temporelles initiales des Nations unies pour les taux
nets de migration. La ligne rouge décrit les valeurs théoriques des taux nets de migration
prédites par notre modèle 2 (TABLEAU 20). La ligne verticale en pointillés, indique la limite
entre les taux nets de migration estimés par les Nations unies et ceux projetés.
104
iv – prospective – migrations
GRAPHIQUE
16 Projections du taux net de migration (en ordonnées) au Machrek
(1965-2030)
10
Égypte
10
5
5
0
0
-5
20
1970
1990
2010
2030
Israël
-5
10
10
5
0
0
- 10
-5
1970
GRAPHIQUE
1990
2010
2030
Syrie
1970
1990
2010
2030
Turquie
1970
1990
2010
2030
Source :
Giambattista
Salinari –
Carim, 2010
17 Projections du taux net de migration (en ordonnées) au Maghreb
(1965-2030)
5
Mauritanie
5
0
0
-5
-5
-10
5
-10
1970
1990
2010
2030
Algérie
5
0
0
-5
-5
-10
1970
1990
2010
2030
-10
Maroc
1970
1990
2010
2030
Tunisie
Source :
Giambattista
Salinari –
Carim, 2010
1970
1990
2010
2030
La ligne bleue représente les séries temporelles initiales des Nations unies pour les taux
nets de migration. La ligne rouge décrit les valeurs théoriques des taux nets de migration
prédites par notre modèle 2 (TABLEAU 20). La ligne verticale en pointillés, indique la limite
entre les taux nets de migration estimés par les Nations unies et ceux projetés.
105
fortement le moment de la transition migratoire dans ces pays. Ce fait
confirme que le modèle est plus sensible (du moins dans les premières
phases de la transition migratoire) aux changements survenant dans le
groupe des variables démographiques qu’à ceux de l’ensemble des variables économiques. La Tunisie, pour laquelle notre modèle prévoit la
transition migratoire la plus spectaculaire, est aussi, parmi les pays
d’Afrique du Nord, celui qui se trouve dans la phase la plus avancée de
transition démographique (en 2005, le taux net de reproduction était
de 0,87, d’après les estimations des Nations unies). Au Maghreb, les
deux autres pays (l’Algérie et la Tunisie) subissant la transition migratoire (d’après le modèle) sont ceux qui associent la plus forte proportion de population urbaine, l’âge moyen le plus élevé et le taux net de
reproduction le plus bas. De plus, en 2005, l’Égypte, le Maroc et l’Algérie
ont presque le même pib par habitant (respectivement 3 200, 3 103,
3 374 1990gk$ (38) en 2005). Mais seule l’Algérie est supposée subir une
transition migratoire. Le pib par habitant de la Syrie est plus élevé (environ 7 767 1990gk$) que celui de l’Algérie et de la Tunisie mais notre
modèle prévoit une migration nette légèrement négative pour la période
2010-2030.
Pour identifier le rôle de l’âge médian (et donc celui de la transition
démographique) dans le processus de transition migratoire, nous avons
eu recours à une analyse contradictoire. Dans ce contexte, nous avons
supposé que, pour la période 2010-2030, l’âge médian de tout le
Maghreb se maintient à l’âge médian du Maroc en 2005 (24 ans). Les
résultats de cette simulation sont présentés dans le GRAPHIQUE 18 . La transition migratoire de l’Algérie et de la Tunisie disparaît simplement de
nos séries. Le modèle interprète donc l’âge médian comme le déterminant fondamental de la transition migratoire.
D’après le modèle, deux pays nord-africains importants, le Maroc et
l’Égypte, ne subiront pas de transition migratoire au cours de la période
2010-2030. Les tendances des séries de migration nette de ces deux
pays sont néanmoins assez différentes. Dans le cas du Maroc, la tendance des taux nets de migration est positive et montre une orientation
vers des valeurs moins négatives. Dans le cas de l’Égypte, on ne discerne aucune tendance positive de la sorte et on prévoit que les taux
nets de migration vont demeurer négatifs pendant la période 20102030. Pour étudier les causes de l’absence de transition migratoire dans
(38) Les données sont tirées de Maddison (2010) et son exprimées en dollars GearyKhamis de 1990.
106
iv – prospective – migrations
GRAPHIQUE 18 Analyse contradictoire pour le Maghreb (1965-2030)
Taux net de migration en ordonnées
5
Mauritanie
5
0
0
-5
-5
-10
5
1970
1990
2010
2030
Algérie
-10
5
0
0
-5
-5
-10
1970
1990
2010
2030
-10
Maroc
1970
1990
2010
2030
Tunisie
1970
1990
2010
2030
Source :
Giambattista
Salinari –
Carim, 2010
La ligne bleue fait référence aux séries chronologiques originales des Nations Unies sur
les taux nets de migration. La ligne rouge décrit les valeurs théoriques des taux nets de
migration prédites selon le modèle 2, dans l’hypothèse où l’âge médian du Maroc en
2005 (24 ans) se maintient dans tout le Maghreb au cours de la période 2010-2030.
ces deux pays, nous avons effectué une nouvelle analyse contradictoire
et nous avons trouvé diverses causes empêchant la transition migratoire au Maroc et en Égypte.
En Égypte, l’absence de transition migratoire se justifie presque
entièrement, d’après le modèle, par les faibles niveaux d’urbanisation.
Dans notre analyse contradictoire, nous avons en fait supposé que
l’Égypte subit la même croissance urbaine que la Tunisie (qui selon
notre modèle subit une transition migratoire au cours de la période
2010-2030). Ce seul changement (voir le GRAPHIQUE 19 ) produit une bosse
spectaculaire dans la série de taux nets de migration prévue.
Dans le cas du Maroc, les raisons qui expliquent l’absence de transition migratoire sont plus complexes. En fait, dans notre analyse contradictoire, aucune des variables du modèle prise à part ne peut entièrement justifier l’absence de transition migratoire. Pour vérifier ce fait,
nous avons procédé par une substitution systématique des différentes
séries de la Tunisie (pib par habitant, croissance urbaine, densité, etc.)
dans l’ensemble de données du Maroc. Les variables ayant produit les
plus grands effets sur les taux nets de migration du Maroc sont nos
107
19 Analyse contradictoire pour l’Égypte et le Maroc (1965-2030)
Taux net de migration en ordonnées
GRAPHIQUE
Égypte
Maroc
5
0
0
-5
-5
Source :
Giambattista
Salinari –
Carim, 2010
- 10
1970
1990
2010
2030
1970
1990
2010
2030
La ligne bleue fait référence aux séries chronologiques originales des Nations Unies sur les taux
nets de migration. Dans le cas de l’Égypte, la ligne rouge décrit les valeurs théoriques des taux
nets de migration prédites selon le modèle 2, dans l’hypothèse où l’évolution urbaine en Égypte
est la même qu’en Tunisie. Dans le cas du Maroc, la ligne rouge décrit les valeurs théoriques
des taux nets de migration prédites, dans l’hypothèse où le Maroc a la même structure d’âge et
le même stock de migrants que la Tunisie.
variables de substitution pour les stocks passés de migrants et l’âge
médian. Mais aucune de ces deux variables prise à part n’a produit une
transition des taux nets de migration négatifs à des taux positifs. À l’inverse, si on suppose que l’évolution de l’âge médian et le stock total de
migrants au Maroc sont tous deux égaux à ceux de la Tunisie, la transition migratoire apparaît subitement (voir le GRAPHIQUE 19 ). L’importante
expérience migratoire du Maroc dans le passé nous semble être l’élément fondamental qui entrave le processus de transition migratoire,
même si une augmentation plus lente de l’âge médian et potentiellement du pib par habitant, respectivement à ceux de la Tunisie, semble
aussi jouer un rôle dans le processus.
Pour la côte nord de la région méditerranéenne, la prévision du
modèle est relativement différente de la projection de la Division de la
population des Nations unies. Dans ce scénario, on s’attend à des taux
nets de migration autour de + 2,5 ‰ en Grèce, en Italie, en France et
en Espagne. Notre prévision pour 2030 prévoit plutôt une valeur généralement supérieure à 5 ‰. De plus, dans le scénario élaboré par la Division de la population, l’évolution du taux net de migration présente une
tendance stationnaire, alors que notre prévision montre une tendance
positive avec des taux nets de migration de plus en plus importants au
fur et à mesure que le temps passe. Pour expliquer pourquoi le modèle
prévoit une croissance continue des taux nets de migration dans le cas
des pays européens du bassin méditerranéen, nous avons eu de nouveau
recours à une analyse contradictoire. Nous avons supposé que, pour la
108
iv – prospective – migrations
20 Analyse contradictoire pour l’Europe méditerranéenne (1965-2030)
Taux net de migration en ordonnées
GRAPHIQUE
15
Italie
15
10
10
5
5
0
0
-5
10
1970
1990
2010
2030
Portugal
-5
15
Espagne
1970
1990
2010
2030
France
10
0
5
- 10
- 20
Source :
Giambattista
Salinari –
Carim, 2010
0
1970
1990
2010
2030
-5
1970
1990
2010
2030
La ligne bleue fait référence aux séries chronologiques originales des Nations Unies sur les taux
nets de migration. La ligne rouge décrit les valeurs théoriques des taux nets de migration
prédites selon le modèle 2, dans l’hypothèse où le Sud de l’Europe maintient le même PIB par
habitant et le même âge médian au cours de la période 2010-2030 que l’Espagne en 2005.
période 2010-2030, tous les pays européens méditerranéens ont le
même pib par habitant et le même âge médian que l’Espagne en 2005.
Le résultat obtenu est qu’aucune de ces deux variables prise à part n’est
capable d’expliquer entièrement la croissance des taux nets de migration. À l’inverse, la croissance des taux nets de migration prévue par le
modèle disparaît lorsque le pib par habitant et l’âge médian sont maintenus simultanément aux mêmes niveaux qu’en 2005 (voir le
GRAPHIQUE 20 ). D’après le modèle, la dynamique des taux nets de migration
dans les pays européens méditerranéens est déterminée par une combinaison de facteurs économiques et démographiques. On peut également confirmer ce fait en observant le plus grand impact exercé par nos
différentes hypothèses concernant le futur taux de croissance économique sur le taux net de migration futur.
109
Conclusion
nous avons essayé d’identifier certains liens à long terme entre la
transition démographique et les vagues de migration, et d’utiliser ces
liens pour élaborer des scénarios à propos de l’évolution future de la
migration dans la région méditerranéenne jusqu’à 2030. Les variables
que nous avons utilisées pour tester le lien entre la dynamique de la
population et la migration sont inévitablement trop simples pour représenter l’ensemble des interactions entre ces processus. Néanmoins,
toutes les variables que nous pensions liées à ce processus (urbanisation,
âge médian et densité de population) ont effectivement donné des résultats associés à la migration, même après avoir corrigé nos résultats pour
le biais introduit par l’autocorrélation et le caractère endogène.
Puisque notre analyse a confirmé l’existence d’une association à long
terme entre la transition démographique et la migration, nous sommes
passés à l’élaboration de notre prévision. La photographie générale dessinée par notre modèle a montré que plusieurs pays de la côte sud subissent une transition migratoire, à l’exception de l’Égypte et du Maroc. Sur
la côte nord, notre modèle prévoit, tout au long de la période 2010-2030,
une tendance positive des taux nets de migration en réponse au vieillissement de la population et à la croissance économique. Les conclusions
que nous pouvons tirer de notre exercice prospectif sont qu’à de rares
mais importantes exceptions, la région méditerranéenne va assister au
cours des vingt prochaines années à une persistance, mais aussi à une
réduction, de l’asymétrie migratoire entre les côtes nord et sud.
Une question majeure demeure cependant sans réponse. Si l’immigration doit se poursuivre dans le Nord (Europe), d’où va-t-elle provenir ? Et si l’émigration doit se poursuivre dans le Sud (région Mena),
vers quels pays ira-t-elle ? Y aura-t-il un schéma dominant de migration
du Sud vers le Nord à travers la Méditerranée ou bien l’Europe d’un
côté, et la région Mena de l’autre, seront-elles liées à différentes parties
du monde par la migration ? Prévoir la migration à l’échelle d’un pays
ne permet pas d’obtenir des informations sur les dynamiques régionales et ce que sera la migration en Méditerranée dépend aussi, et peutêtre surtout, des développements politiques à l’échelle méditerranéenne
dont on ne tient pas compte dans la projection.
110
iv – prospective – migrations
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113
perspectives énergétiques
en méditerranée
Défis et enjeux à 2030
Dr. Houda Ben Jannet Allal*
ce chapitre est consacré à un sujet majeur et sensible pour le
développement de la région : la situation et les perspectives énergétiques.
Le caractère essentiel et stratégique de l’énergie pour le développement
économique et social mais également pour le développement durable de
tout pays est largement reconnu. Il est d’autant plus sensible en Méditerranée, que la région est caractérisée par une interdépendance énergétique entre le Nord et le Sud et par une inégale répartition des ressources, alors même que les besoins s’accroissent partout, surtout au
Sud et à l’Est de la Méditerranée.
Ce chapitre est organisé en trois parties :
• la nature de la question énergétique : un défi global au cœur des
enjeux de développement de la Méditerrané ;
• la situation actuelle du secteur. Énergie, environnement et coopération : un champ de réflexion nouveau et pour la première fois global ;
• les perspectives énergétiques à l’horizon 2030 en fonction d’évolutions clés dans les relations euro-méditerranéennes telles que définies
dans le cadre des trois scénarios du présent rapport Med2030.
Les données énergétiques ci-après ont été fournies par l’Observatoire Méditerranéen de l’Énergie (ome) sur la base des données préliminaires de son MEP2011 et autres publications internes(1). De même,
les données 2030 sont le résultat de l’application des scénarios Med2030
au modèle prospectif de l’ome.
* Directrice Stratégie à l’ome.
(1) Mediterranean Energy Perspectives (mep). mep 2011 avec les scénarios de l’ome.
Pour plus d’informations sur le modèle et le mep (www.ome.org).
115
1. Un défi global au cœur des enjeux de développement
l’énergie se situe au centre des grandes problématiques politiques
de la région : la sécurité des approvisionnements, la compétitivité économique, la performance environnementale. Elle exerce également une
influence en matière de justice redistributive, via notamment la question de la rente et de sa distribution. Par ailleurs, de tous les secteurs économiques, c’est celui où la question des investissements se pose avec le
plus d’urgence. À cause de sa structure technologique demandant des
coûts fixes importants, ce secteur est lourdement capitalistique par
nature. Si on ajoute à cela une demande croissante et un accès aux ressources toujours plus difficile, on arrive à des montants colossaux. L’enjeu est donc de taille. Si les investissements nécessaires ne sont pas réalisés, la sécurité des approvisionnements, la croissance de l’économie
régionale et l’intégrité environnementale sont en jeu. La récession économique et la crise conjoncturelle qui menacent sérieusement de limiter la croissance ne changent rien à ce constat.
Notre modèle de croissance du xxe siècle, celui d’une croissance
infinie, incompatible avec la quantité de ressources disponibles en sol,
en eau, en énergie est donc parti en vrille. Les rapports du Giec (Groupe
d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) sont de plus en
plus alarmistes et le dernier rapport de l’Agence internationale de l’énergie montre très clairement que l’objectif de limiter à 2,5°C l’augmentation de la température à la fin du xxie siècle est, de fait, impossible à
atteindre. Nous sommes partis sur une hausse de 5°C, voire 6°C si nous
ne changeons rien ! La crise écologique, mesurée notamment par l’empreinte écologique, établit très clairement que l’humanité vit au-dessus
de ses moyens naturels. Sur le long terme, la question des réserves des
hydrocarbures (même si elle est reléguée aujourd’hui au second plan du
fait de la crise économique), celle des matières premières et le manque
d’eau traduisent un modèle insupportable sur la durée. Cette caractéristique non soutenable est aggravée par la croissance des inégalités.
On est dans une crise systémique. Le mythe de la main invisible et de
l’allocation optimale des ressources par le marché dérégulé s’est effondré. La Méditerranée est tout à fait concernée par l’ensemble de ces
préoccupations et défis majeurs.
116
v – prospective – énergie
2. Énergie, environnement et coopération : un champ
de réflexion nouveau et pour la première fois global
la méditerranée apparaît aujourd’hui comme un espace mal partagé
entre les pays européens et les autres, déchiré entre les chances d’une
intégration régionale et le risque latent de fractures économiques et culturelles préjudiciables à ses riverains. Elle est un miroir des inégalités
Nord-Sud où la maîtrise des ressources naturelles, en particulier l’eau,
l’énergie et la protection de l’environnement, sont devenues un enjeu
vital et une source latente de conflits. Parler de la Méditerranée est dans
l’air du temps et la question énergétique est devenue urgente. Le sommet de Paris du 13 juillet 2008, organisé dans le cadre du Processus de
Barcelone : Union pour la Méditerranée, a imprimé une nouvelle dynamique politique aux relations euro-méditerranéennes. Ce premier sommet constitue une avancée importante pour le partenariat dans la région,
à un moment où les économies, mondiale en général et régionale en
particulier, se trouvent confrontées à de graves préoccupations.
Dans le domaine de l’énergie, l’espace méditerranéen est caractérisé
par deux inégalités évidentes et majeures : inégalités entre les pays du
Nord, plus riches et plus consommateurs d’énergie que ceux du Sud, et
inégalités dans les dotations en ressources énergétiques très fortement
concentrées sur trois pays : l’Algérie, la Libye et l’Égypte (4,6 % des
réserves mondiales de gaz naturel et 4,7 % des réserves de pétrole). Le
montant de ces réserves est probablement sous-estimé. L’Algérie,
l’Égypte, la Syrie et la Libye fournissent 22 % des importations de pétrole
et 35 % des importations de gaz de l’ensemble du Bassin méditerranéen
et le potentiel d’échanges en matière de pétrole, et surtout de gaz, est
extrêmement prometteur.
Le renforcement des interconnections électriques Nord-Sud et EstOuest est aussi un objectif qui peut avoir de multiples effets bénéfiques
dans la région. La Méditerranée est également dotée de ressources exceptionnelles en énergies renouvelables, surtout le solaire et l’éolien, notamment au Sud et à l’Est. Le prix Nobel de physique, Carlo Rubbia, aime rappeler que dans le Sahara, il pleut chaque année l’équivalent d’un baril de
pétrole par mètre carré, sous forme de rayonnement solaire.
Du côté de la demande, les énergies fossiles (pétrole, gaz, charbon)
dominent toujours le mix énergétique et totalisent 80 % de l’approvisionnement énergétique des pays (95 % pour les Psem, 70 % pour les
pnm) (GRAPHIQUES 21 et 22 ). Pourtant, comme mentionné précédemment, il
117
GRAPHIQUES
21 et 22 Demande d’énergie primaire en Méditerranée (2009)
Par source (907 Mtep)
Par source et par région (Mtep)
600
8%
10 %
Énergies
renouvelables
13 %
500
400
Nucléaire
300
28 %
41 %
Gaz
Pétrole
Source : OME, 2011.
200
100
Charbon
PNM
Psem
existe un potentiel très important d’énergies renouvelables mais aussi
d’efficacité énergétique non encore exploité. Plusieurs contraintes empêchent en effet une exploitation judicieuse de ces ressources, dont les
avantages sont multiples et largement reconnus, notamment pour desserrer les contraintes de dépendance énergétique mais aussi celles liées
à l’environnement, pour être davantage en phase avec le développement
durable recherché par l’ensemble des pays.
Les inégalités entre le Nord et le Sud en termes de consommation
d’énergie par habitant persistent. En 2009, un habitant des pnm a
consommé 2,7 tep en moyenne contre 1,2 tep pour un habitant des
Psem, soit plus du double. La consommation moyenne d’énergie par
habitant en Méditerranée s’est alors élevée à 1,8 tep.
Dans ce contexte, la crise financière et maintenant économique et
sociale, la crise énergétique, les préoccupations de sécurité des approvisionnements et la nécessaire transition vers des économies à faible
teneur en carbone, afin de s’adapter à un contexte climatique changeant,
ne font qu’accentuer la nécessité et l’intérêt du changement d’échelle
dans la mise en œuvre des politiques complémentaires d’efficacité et
de sobriété énergétique dans la région, autant au Nord qu’au Sud. Cette
complémentarité pourrait se transformer en coopération approfondie
pour tout ce qui concerne les économies d’énergie, les énergies renouvelables, les infrastructures et les questions de politique énergétique
commune.
118
v – prospective – énergie
L’accès à l’énergie, la sécurité énergétique et les contraintes environnementales constituent donc un défi considérable pour le développement économique et social en Méditerranée. Ce développement ne
peut être que freiné, voire rendu impossible, par l’insécurité énergétique, la dégradation de l’environnement local et global. Ce défi ne peut
être relevé que par une coopération euro-méditerranéenne articulée
autour d’un nouveau modèle de systèmes énergétiques compatibles
avec le développement durable, afin de « répondre aux besoins du présent
sans compromettre la possibilité pour les générations futures d’accéder à leurs
propres besoins». Il n’y a donc pas d’alternative à un système énergétique
renouvelé en Méditerranée, un système durable fondé sur l’accessibilité
élargie au Sud et sur la sobriété, dans ses composantes en matière
d’efficacité énergétique et de développement des énergies renouvelables, dans les pays du Nord, mais également dans les pays du Sud et de
l’Est du Bassin méditerranéen. Or, force est de constater que le système
énergétique actuel demeure fondé sur des modes de consommation
dont la charge en carbone et de pollution est déjà préoccupante, ce qui
n’est pas compatible avec le développement durable recherché par l’ensemble des pays de la région.
Le nouveau paradigme énergétique souhaité consiste, alors, à concevoir le système énergétique comme englobant non seulement le secteur
énergétique (offre) mais également la consommation d’énergie (demande)
et à assurer son développement de façon à obtenir un service énergétique dans les conditions optimales en termes de ressources, de coûts
économiques et sociaux et de protection de l’environnement local et global. La satisfaction de créer un service énergétique à la place d’une fourniture d’énergie place des acteurs nouveaux au premier rang : entreprises,
collectivités, ménages, professionnels du bâtiment, des transports, de la
production industrielle ou agricole et du secteur tertiaire. Les villes et les
collectivités territoriales deviennent alors des animateurs et des promoteurs essentiels de ces nouvelles politiques. La coopération régionale
a également un rôle capital à jouer.
119
3. Les perspectives : une demande d’énergie qui s’accroît
et une augmentation des risques
dans cette dernière partie, nous présentons les perspectives énergétiques dans la région à l’horizon 2030, déclinées en trois scénarios,
définis dans le cadre de cette étude, en fonction d’évolutions clés dans les
relations euro-méditerranéennes : un scénario de crise de la Méditerranée, un scénario de divergences méditerrannéennes et un scénario de
convergence. Comme nous l’avons souligné au début de ce chapitre, les
données 2030 qui suivent sont le résultat de l’application par l’ome de
son modèle prospectif pour les trois scénarios listés ci-dessus.
Selon les scénarios, la demande énergétique régionale devra s’accroître de plus de 30 % à plus de 60 % au cours de la période 20092030 (GRAPHIQUE 23). Cette croissance est essentiellement tirée par les Psem
dont la demande va plus que doubler au cours de la même période.
À l’horizon 2030, la demande d’énergie primaire pourrait être multipliée par 1,3 à 1,6 en Méditerranée, les pays du Sud et de l’Est connaissant des taux de croissance de leur demande énergétique plus de cinq
fois plus élevés que les pays du Nord. Ils représenteraient alors de 47 à
50 % de la demande d’énergie totale du Bassin méditerranéen, contre
36 % en 2009. Selon les estimations de l’Observatoire Méditerranéen
de l’Énergie, la Turquie pourrait devenir le second consommateur du
Bassin.
Ainsi, à l’horizon 2030 et en volume, les Psem rattrapent le niveau
de consommation des pnm, mais les inégalités persistent lorsqu’il est
rapporté en termes de consommation par habitant (TABLEAU 21 ). En effet,
l’écart de consommation d’énergie par habitant entre le Nord et le Sud
demeure significatif (facteur 1,7), bien que moins important par rapport à celui de 2009.
De manière générale, les trois scénarios annoncent une croissance
des risques et des impacts et pourraient conduire à une impasse du
développement :
• les émissions de co2 issues de la consommation d’énergies fossiles
devraient se stabiliser dans les pnm entre 2009 et 2030, voire diminuer
de 10 % en cas de crise et de 7 % en cas de convergence, mais pourraient augmenter de près de 100 % dans les Psem ( GRAPHIQUES 26 et 27 ).
Rapportées par habitant, ces émissions sont aujourd’hui plus élevées
au Nord qu’au Sud, comparables en 2020 et nettement plus élevées au
Sud à l’horizon 2030, quelque soit le scénario (TABLEAU 22 ) ;
120
v – prospective – énergie
Évolution de la demande d’énergie primaire à l’horizon 2030 (Mtep)
GRAPHIQUE
23 En Méditerranée
1 600
1 200
800
Crise
Divergence
Convergence
400
1970 1980 1990 2000 2010 2020 2030
GRAPHIQUE
24 Dans les PNM
GRAPHIQUE
25 Dans les Psem
800
600
Crise
Divergence
Convergence
400
200
Source :
OME, 2011.
1970 1980 1990 2000 2010 2020 2030 1970 1980 1990 2000 2010 2020 2030
21 Évolution de la consommation d’énergie par habitant à l’horizon
2030 en Méditerranée (tep/habitant)
TABLEAU
2009
Scénario
Méditerranée
PNM
Psem
1,8
2,7
1,2
2020
Crise Divergence Convergence
2,0
2,2
2,1
2,9
3,1
3,0
1,4
1,6
1,5
2030
Crise Divergence Convergence
2,2
2,5
2,4
2,8
3,2
3,3
1,7
2,1
1,9
Source : OME, 2011.
22 Évolution des émissions de CO2 par habitant à l’horizon 2030
en Méditerranée (tCO2/habitant)
TABLEAU
2009
Scénario
Méditerranée
PNM
Psem
3,3
3,6
3,0
2020
Crise Divergence Convergence
3,5
3,9
3,5
3,5
3,8
3,5
3,5
3,9
3,5
2030
Crise Divergence Convergence
3,7
4,5
3,9
3,0
3,5
2,2
4,1
5,0
4,3
Source : OME, 2011.
121
Évolution des émissions de CO 2 dans la région méditerranéenne
GRAPHIQUE 26 Selon les trois scénarios
GRAPHIQUE 27 Selon le scénario
(MtCO2)
de convergence (MtCO2)
3 000
Crise
Divergence
Convergence
2 000
2 000
1 000
Psem
1 000
PNM
1970 1980 1990 2000 2010 2020 2030
1970 1980 1990 2000 2010 2020 2030
Source : OME, 2011.
• la dépendance énergétique pourrait s’accroître sensiblement, tant
pour les Psem importateurs (88 % en 2030) que pour les pnm (73 %
sur la même période). À cause de la croissance de la demande et de l’affaiblissement des réserves conventionnelles, la Méditerranée pourrait
avoir besoin d’importer plus de 40 % de son pétrole, près de 30 % de son
gaz et plus de 70 % de son charbon dans les années 2030.
L’aspiration au développement économique et social est légitime et,
pour cela, l’énergie est indispensable. Les scénarios de crise et de divergence montrent bien que continuer à se développer en suivant le modèle
énergétique actuel des pays industrialisés (que les pays en développement prennent comme un objectif à atteindre) est difficile, coûteux et
risqué. Du seul fait de l’énergie, le développement économique et social
serait radicalement compromis et pas seulement pour les pays les plus
vulnérables. De plus, cette voie aggraverait inexorablement les risques
de changement climatique. Pourtant, comme nous l’avons mentionné
précédemment, le potentiel d’économies d’énergie et de carbone en
Méditerranée est considérable. Il dépend des technologies à promouvoir et des comportements nouveaux à encourager. Plusieurs estimations fiables montrent que, sur les vingt prochaines années, un potentiel de réduction d’environ 20 % de la consommation est réalisable
(davantage si les prix de l’énergie continuent d’augmenter).
La Méditerranée est, en effet, très vulnérable aux problèmes de changement climatique. Plusieurs études, en particulier celles du Giec, le
confirment. Une étude relativement récente de l’Institut du développement durable et des relations internationales sur le changement clima122
v – prospective – énergie
tique et ses impacts en Méditerranée confirme également la vulnérabilité de la région et appelle à la mise en place d’actions de toute urgence
et dans la durée. Une des conclusions de cette étude est que «la multitude des impacts envisageables du changement climatique fait de ce problème
l’un des plus préoccupants pour l’avenir de la Méditerranée à moyen et long
termes […] il y a de moins en moins de doutes sur l’irréversibilité des changements déjà engagés». L’enjeu est donc de réduire les émissions de gaz à
effet de serre, mais également de s’adapter aux changements en cours
et à venir, afin de réduire la vulnérabilité des sociétés qui pourraient être
profondément bouleversées dans les prochaines années. Or les trois
scénarios illustrent un dérapage en termes d’accroissement des émissions de co2, notamment dans le Sud.
De manière générale, les trois scénarios présentent des défis importants, pour le secteur de l’énergie en particulier et pour le développement durable de la région en général. Ceci étant, du point de vue du
couple énergie-environnement et développement, il va sans dire que le
scénario de convergence est le scénario le plus souhaitable. En effet, ce
scénario facilite une progression plus importante de l’efficacité énergétique et un développement significatif des énergies renouvelables dans
la région, grâce à une coopération euro-méditerranéenne et des transferts de technologie. En effet, 16 % de la demande énergétique à l’horizon 2030 proviendrait de ces énergies (24 % dans les pnm mais seulement 8 % dans les Psem) contre 12 % pour le scénario de crise et 10 %
pour le scénario de divergence. Grâce à la stratégie de convergence et de
coopération accrue, la Méditerranée tire davantage de bénéfices de son
fort potentiel en énergies renouvelables et d’efficacité énergétique, mais
de meilleurs résultats peuvent être réalisés surtout au Sud et à l’Est.
Dans le scénario de convergence, on ressent les effets des mesures
d’efficacité énergétique mises en place ou en cours d’élaboration dans
les pays de l’UE mais aussi dans les pays du Sud méditerranéen: campagne de prévention, création de label efficacité énergétique, efficacité
énergétique dans les bâtiments, etc. Par exemple, la nouvelle réglementation énergétique, adoptée en Tunisie dans les bâtiments en
construction, est l’une des plus importantes en matière d’efficacité énergétique dans ce secteur. Cette mesure devrait favoriser une réduction
de la consommation énergétique de 40 % en 2020. Une législation plus
ou mois similaire est mise en œuvre ou en cours dans la plupart des
Psem (Algérie, Égypte, Jordanie, Liban, Palestine, Syrie et Turquie). De
même, la récente création de labels et de standards certifiant l’efficacité
123
énergétique au Maroc, Tunisie, et Égypte (réfrigérateurs, air conditionné,
laves linges) est aussi un grand pas en faveur du changement du marché et des comportements des consommateurs.
Par ailleurs, s’il est vrai que la demande d’énergie globale, et donc les
émissions de co2, sont plus faibles à l’horizon 2030 dans le cadre du scénario de crise, la situation n’est pas optimale du fait de la non-exploitation des énergies renouvelables et du potentiel d’efficacité énergétique
disponible. En témoignent les intensités énergétique et carbone des
trois scénarios (voir TABLEAUX 23 et 24 ). Le scénario de crise n’est donc ni le
plus efficace ni le plus sobre en énergie. Le scénario de divergence,
quant à lui, est le plus énergétiquement inefficace puisqu’il est plus
énergivore que le scénario de convergence, pour un niveau de développement nettement plus faible. En effet, le scénario de convergence
représente pour la région plus de richesse (+ 14 %) réalisée avec moins
d’énergie (- 5 %) par rapport au scénario de divergence, ce qui est loin
d’être négligeable. Il en est de même pour l’impact sur les émissions de
co2. Alors que le scénario de crise et celui de divergence sont quasi similaires en termes d’intensité carbone, le scénario de convergence permet
de réduire de 20 % cette intensité, avec, rappelons le, un niveau de
richesse plus élevé.
On note également le déséquilibre entre le Nord et le Sud en termes
d’intensité énergétique et d’intensité carbone. L’intensité énergétique est
2,5 fois plus élevée au Sud qu’au Nord dans les scénarios de crise et de
divergence et 2 fois plus élevée dans le scénario de convergence. L’intensité carbone est de 5,4 fois plus élevée au Sud qu’au Nord dans les
scénarios de crise et de divergence et 5 fois plus élevée dans le scénario
de convergence. Ces écarts sont très importants et appellent à une coopération soutenue en vue de converger, tous ensemble, vers une région
sobre et plus respectueuse de l’environnement. Il y a là un vaste chantier de coopération à mettre en place.
Pour conclure, le défi de la gouvernance, la mobilisation et la capacité des acteurs (pouvoirs publics, autorités locales, secteur privé et
société civile), le renforcement de la coopération régionale, dans le cadre
d’un système énergétique qui respecte une conception éthique partagée de la durabilité, sont indispensables. La vision éthique commune ne
serait pas complète toutefois sans le partage et la solidarité qui permettent à tous de bénéficier du développement. Dans ce cas, il s’agit de traiter sur le même pied les actions sur la demande (moins de consommation d’énergie pour le même service rendu) et celles sur l’offre
124
v – prospective – énergie
23 Intensité énergétique en Méditerranée à l’horizon 2030
(tep/1000 dollars prix constants)
TABLEAU
Scénario
Région méditerranéenne
PNM
Psem
Crise
0,10
0,07
0,18
Divergence
0,10
0,07
0,17
Convergence
0,08
0,06
0,13
Source : OME, 2011.
TABLEAU
24 Intensité carbone à l’horizon 2030 (tCO2/1000 dollars prix constants)
Scénario
Région méditerranéenne
PNM
Psem
Crise
0,17
0,08
0,42
Divergence
0,17
0,08
0,41
Convergence
0,14
0,06
0,30
Source : OME, 2011.
(production et livraison des produits énergétiques pour satisfaire le
besoin de consommation). Cela suppose des investissements publics et
européens massifs – et des réorientations budgétaires conséquentes –
dans les secteurs clés de la transition : le transport, le bâtiment, l’efficacité énergétique et les énergies renouvelables, mais aussi l’éducation, la
recherche, la formation et la culture.
La réappropriation de la question énergétique par les citoyens est
certainement une dimension très intéressante et porteuse d’avenir de ce
nouveau paradigme énergétique. Cela ne veut pas dire que la solution
soit simple ; mais cela signifie que le développement durable en Méditerranée est un fâcheux problème qui imposera le respect de contraintes
dures, mais indispensables. Mais nous voyons apparaître des perspectives qui auparavant n’existaient pas et qui justifient la nécessité de changer de paradigme. Ce que Prigogine et Schrödinger nous font redécouvrir, c’est la possibilité et la responsabilité de l’homme comme acteur de
l’histoire et gestionnaire de cette planète. Cela dit, les pays méditerranéens ont tout intérêt à se développer en convergeant avec leurs voisins, plutôt que chacun pour soi, du moins pour un impact optimal sur
le secteur énergétique et le développement durable.
125
sécurité alimentaire et
agriculture en méditerranée
Scénario d’une crise et perspectives en 2030
Vincent Dollé *
7,5 milliards d’habitants sur la planète en 2020, 8 milliards en
2030, la croissance démographique depuis 1990 est due pour 45 % à
celle de l’Inde et de la Chine. Mais la Méditerranée y contribue également. Dans vingt ans, la région comptera 100 millions d’habitants de
plus qui résideront, pour leur grande majorité, en ville ou en zone
périurbaine. L’augmentation du niveau de vie et l’évolution des habitudes alimentaires des nouveaux urbains vont engendrer de grandes
évolutions dans les pratiques de consommation. Globalement, la
consommation alimentaire individuelle de produits végétaux va continuer de baisser au profit de celle des produits carnés, laitiers et de ceux
transformés à partir de produits animaux. Ce report de demande du
végétal vers l’animal s’accompagne d’une croissance de la demande de
produits végétaux pour l’alimentation animale mais également pour
la production d’agrocarburants. Cette concurrence sur la biomasse,
dans un cadre de changement climatique prononcé, puis de hausse
(*) Directeur de l’Institut agronomique méditerranéen de Montpellier du Centre
international des Hautes études agronomiques méditerranéennes (ciheam/iamm). Cette
communication s’appuie sur les travaux des enseignants chercheurs de l’iamm et de leurs
partenaires en réseau conduits à l’occasion d’études d’expertise et de travaux de recherche
en Méditerranée depuis plusieurs années. La publication Mediterra (édit. ciheam
et Presses de Science Po.) reprend depuis 2007 les résultats de ces travaux sous forme
de synthèses thématiques annuelles.
2007 : Identité et qualité des produits alimentaires méditerranéens. 2008 : Les futurs agricoles
et alimentaires en Méditerranée. 2009 : Repenser le développement rural en Méditerranée.
2010 : Atlas Mediterra. Agriculture, alimentation, pêche et mondes ruraux en Méditerranée.
Les illustrations présentées sont en grande partie reprises à partir de ces documents.
ciheam/iamm 3191, route de Mende, 34093 Montpellier Cedex 5. France. www.iamm.fr
127
des coûts de l’énergie et des transports, entraîne une augmentation
durable des prix agricoles également plus instables et plus volatiles.
La crise alimentaire de 2008 et ses prolongements en 2009 et 2010
reflètent cette instabilité qui s’est manifestée, d’abord, par une hausse
brutale et démesurée des prix, puis par une plus forte volatilité à très
court terme. Le cours du boisseau de blé à trois mois à Chicago passe
de 5 dollars en mai 2007 à 12,80 dollars en février 2008(1) pour retomber brutalement à 4,4 dollars en octobre 2009… puis s’envole de nouveau au printemps 2010 et à la fin de l’été 2010, après notamment une
récolte en forte baisse en Russie et en Ukraine due à une sécheresse
prolongée et à des incendies de récolte. Plus récemment, les inondations en Australie, début 2011, et la sécheresse persistante en Argentine
ne semblent pas pouvoir être compensées par des excédents de récolte
stockables et exportables en provenance d’Afrique du Sud, du Sahara
ou d’Asie(2). Cette instabilité, répercutée sur les marchés de la consommation, pèse fortement sur la consommation alimentaire, particulièrement sur celle des ménages les plus pauvres. L’instabilité des cours du
blé induit donc un effet important à court terme sur la sécurité alimentaire, mais aussi à moyen et long terme à cause de l’abandon des
cultures céréalières dont le prix est devenu trop faible ou aléatoire et
pour lesquelles les investissements sont peu rentables dans la durée.
Après une période de consommation supérieure à la production
entre 2000 et 2008, les stocks remontent en 2009, pour de nouveaux
se dégonfler en 2010 et entraîner une tension nouvelle sur les marchés
ainsi qu’une augmentation des coûts de l’alimentation du bétail. En
2008, les pays en développement sont confrontés à un renchérissement
d’au moins 25 % de leurs importations alimentaires, rendant de fait plus
difficile la sécurisation de l’alimentation. Les conditions sont de nouveau réunies pour que de nouvelles crises se manifestent avec une situation potentiellement plus dangereuse dans la mesure où les produits
agricoles sont devenus des actifs financiers sur lesquels la spéculation
est plus active. De nouveaux acteurs spéculateurs non traditionnels du
secteur des matières premières agricoles apparaissent. Cette situation de
tension potentielle est bien réelle dans de nombreux pays méditerranéens dont les dynamiques agricoles et agroalimentaires évoluent avec
(1) Global Economic Prospects 2009. Commodities at the crossroads. Banque mondiale.
(2) Données Réseau de système d’alertes précoces contre la famine. Sahel et Afrique
de l’Ouest. Perspectives sur la sécurité alimentaire ; octobre 2010-mars 2011. Bulletin janvier
2011.
128
vi – prospective – agriculture
des caractéristiques communes. Nous en résumerons les traits marquants et les grandes tendances évolutives.
Dans ce contexte et à partir des tendances observées depuis plusieurs
années sur l’évolution du secteur agricole, agroalimentaire et rural en
Méditerranée et renforcées par les crises récentes, couplées aux impacts
prévisibles du changement climatique, plusieurs scénarios sont envisageables, allant du pire, scenario de la crise de la Méditerranée, marqué par
des ruptures et dissymétries croissantes (S1) vers un scénario souhaitable, celui de la convergence méditerranéenne (S3), en passant éventuellement par des divergences de rythmes d’insertion dans une économie
mondialisée, le scénario des divergences méditerranéennes (S2). Nous proposerons plusieurs pistes d’intervention concertée entre opérateurs des
secteurs publics et privés pour établir les bases d’un scénario offensif de
convergence pour la sécurité alimentaire en Méditerranée.
1. Les points communs des pays du pourtour
méditerranéen
Une croissance démographique forte et une urbanisation du littoral
qui pénalise le secteur agricole
cette urbanisation concentrée sur les côtes maritimes aggrave la
fracture entre l’intérieur des pays méditerranéens et le littoral. La carte
où l’on voit la répartition des villes et agglomérations en Méditerranée(3)
(GRAPHIQUE 28 ) montre bien la concentration des populations dans les
grandes villes du littoral qui ne fera que s’amplifier avec les 100 millions d’habitants en plus que comptera la Méditerranée d’ici trente ans.
Cette tendance, ancienne pour les pays de la rive nord, est plus récente
pour les pays du Sud et de l’Est avec deux exceptions : les pays des Balkans et la Turquie où l’on trouve encore une population conséquente
en milieu rural à l’intérieur des pays.
L’urbanisation du littoral, qui se développe davantage dans les
plaines alluviales et les estuaires les plus fertiles, va accentuer la concurrence sur les ressources en eau et en sol pour les besoins industriels et
urbains au détriment de l’activité et de la production agricole, souvent
intensive dans les zones périurbaines.
(3) Mediterra 2010, données 2006.
129
GRAPHIQUE
28 Villes et agglomérations en Méditerranée (2006)
Source : Nations unies, Demographic Yearbook 2006 (http://unstats.un.org/unsd/demographic/), CIHEAM Atlas Mediterra.
Une population rurale qui reste importante
dans les pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée, une part importante de la population active est agricole (GRAPHIQUE 29 ). En effet, 25 % à
45 % de la population de ces pays tire l’essentiel de ses revenus des activités agricoles, en tant qu’exploitant ou salarié. Selon différentes projections démographiques, la population rurale se stabilisera vers 2020
pour l’ensemble de la Méditerranée (GRAPHIQUE 30 ). C’est le résultat de deux
dynamiques opposées : une baisse continue au Nord conjuguée à une
croissance au Sud et à l’Est qui ne se stabiliserait qu’au-delà de 2020.
Dans une Méditerranée en transition, la question agricole et alimentaire reste donc centrale compte tenu de l’importance économique
et sociale du secteur agricole qui persiste.
L’agriculture est le deuxième pourvoyeur d’emplois en Méditerranée et dans le monde, après celui des services. Mais les revenus tirés de
ces emplois sont souvent plus faibles que ceux des autres activités économiques en milieu rural. Dans le secteur rural méditerranéen, le travail informel conserve toujours une place importante. En Afrique du
Nord, les emplois agricoles représentent 80 % des activités rurales : 35 %
en Tunisie, en Algérie et en Égypte (4). En Turquie, 65 % de l’emploi en
zone rurale vient de l’agriculture et la population active agricole turque
(4) Repenser le développement rural en Méditerranée. Quelle place pour l’agriculture en
milieu rural ? Mediterra 2009.
130
vi – prospective – agriculture
GRAPHIQUE
29
Actifs agricoles
en Méditerranée
(2004)
Sources : Faostat, 2006.
CIHEAM Atlas Mediterra.
GRAPHIQUE
30
Population rurale
en Méditerranée
(2005)
(millions)
Source : Nos calculs, à partir
des Nations unies division
population. World Population
Prospects 2004 (hypothèse
moyenne).
CIHEAM Atlas Mediterra.
Total méditerranéen
160
140
120
100
80
60
40
20
Rive sud
1990 2000 2010 2020
1990 2000 2010 2020
continue de croître. La diversification reste encore limitée dans les pays
du Sud de la Méditerranée, le milieu rural n’attirant pas les activités
industrielles et les services qui pourraient s’y développer. La sortie continue d’actifs du secteur agricole, liée aux tentatives de modernisation,
est difficilement absorbée par les autres secteurs qui induisent sousemploi, chômage et migration.
L’emploi rural en Méditerranée du Sud et de l’Est, y compris l’emploi agricole, est marqué par de nombreuses spécificités qui caractérisent souvent sa fragilité :
• une forte présence de la petite agriculture familiale et des petits
métiers secondaires de services associés aux transformations primaires
de produits agricoles induit une proportion importante d’auto-emplois
et d’emplois indépendants ;
131
• l’emploi rural des femmes et d’aides familiaux, généralement non
rémunérés, est très rarement pris en compte dans les statistiques nationales. Pourtant, c’est un volume d’emploi important ;
• l’activité rurale en Méditerranée reste marquée par une production
agricole saisonnière entraînant, hors saison, un sous-emploi de la force
de travail disponible ;
• le salariat est précaire et intermittent. L’absence de législation du
travail ou son non-respect aggrave ce phénomène ;
• la formation professionnelle est peu développée et les niveaux de
compétence et de capital humain sont plus faibles en milieu rural qu’urbain ;
• la faiblesse du tissu économique est souvent liée à un déficit d’infrastructures qui rend l’espace rural peu attractif pour un redéploiement
éventuel des nouvelles activités ;
• le sous-emploi lié à l’activité saisonnière pourrait cependant devenir un atout pour une pluriactivité agricole, sous réserve de s’affranchir
de nombreuses contraintes.
Dans les pays du Sud et de l’Est, de nombreux jeunes ruraux à la
recherche d’emploi migrent vers les zones urbaines où le taux de chômage est souvent assez élevé(5) ( GRAPHIQUE 31 ). Maintenir l’emploi et les
revenus en milieu rural, créer des alternatives hors secteur agricole par
une économie rurale non agricole devient, pour l’ensemble des Psem,
une priorité si l’agriculture ne peut plus fournir les emplois pour faire
face à la croissance démographique.
L’exemple de l’Algérie illustre ce phénomène. Le chômage rural, qui
dépasse 40 %, pousse à la migration en zone urbaine où le taux de chômage est déjà élevé, avec des effets induits sur la demande de logement.
Cette situation est constante dans les pays de la rive sud avec, certes,
des amplitudes différentes selon les pays. Créer des emplois et des revenus en milieu rural devient une priorité à prendre en compte dans les
plans de développement des zones rurales au Sud.
Au Nord de la Méditerranée, plus particulièrement dans les pays de
l’UE27, les zones rurales représentent plus de 90 % du territoire et
encore 50 % de l’emploi. Il y a cependant un fort déclin de l’emploi agricole. Le taux de chômage y est plus élevé qu’en zone urbaine, touchant
notamment les populations jeunes.
(5) Radwan. S. Rual youth nunemployment and coping strategies in the north east and north
africa region, Rome. Ifad. 2007.
132
vi – prospective – agriculture
GRAPHIQUE
31
Chômage total
et rural en
Méditerranée
(% des populations
actives totale et rurale)
Algérie
Jordanie
Chômage rural
Tunisie
Égypte
Syrie
Turquie
Source : Radwan (2007),
d’après enquêtes
nationales.
Chômage total
Maroc
10 %
20 %
30 %
40 %
Pendant les vingt dernières années, sous l’impulsion de l’Union
européenne, les initiatives pour développer l’économie rurale agricole et
non agricole dans les pays du Nord ont été largement soutenues par la
pac. Elles ont apporté quelques pistes de solution au Nord qui ne sont
pas transférables dans les Psem.
La force de travail en milieu rural dans le Nord de la Méditerranée
est de plus en plus vieille et peu formée. L’agriculture perd actuellement
2 à 3 % d’actifs par an, mais cette baisse de la population active est cependant socialement acceptable car souvent accompagnée de politiques de
compensation qui font encore défaut au Sud de la Méditerranée. Les
politiques de l’emploi mises en œuvre dans l’Union européenne, et plus
particulièrement à travers les actions de la pac, sont au cœur d’initiatives
structurantes. La priorité est donnée à la revitalisation rurale et à la cohésion territoriale pour réduire l’écart de développement des zones rurales
défavorisées et la promotion de projets territoriaux. Dans les pays du
Nord, les politiques combinent différents types d’instruments dont les
plus importants s’organisent autour de la formation professionnelle.
D’autres la complètent sous forme d’appui aux territoires ruraux et
d’instruments financiers diversifiés qui améliorent l’efficacité de ces
politiques. L’ensemble favorise une agriculture variée et un entreprenariat pour des activités non agricoles : vente de produits agricoles et
transformés à travers des circuits courts, tourisme, loisirs, activités délocalisées en milieu rural et création de biens et de services associés à ces
biens. Les différentes générations de projets leader en Europe méditerranéenne ont facilité la création d’entreprises rurales plus autonomes
et durables bien au-delà du secteur agricole, par exemple dans les secteurs des services de l’environnement et du patrimoine. Quels éléments
de ces dynamiques sont-ils reproductibles au Sud et à l’Est ?
133
GRAPHIQUE
32
L’agriculture
dans la formation
du PIB
dans les pays
méditerranéens
Source : Banque mondiale
(www.worldbank.org).
CIHEAM Atlas Mediterra.
Italie
France
Jordanie
Portugal
Espagne
Grèce
Liban
Algérie
Turquie
Tunisie
Égypte
Maroc
Syrie
2
2
3
3
3
4
6,3
8
10
10,7
14,3
15,3
18,7
Moyenne triennale
2005-2007
En % du PIB total
Psem
Nord
Le poids économique et social du secteur agricole décroît
dans un contexte sociodémographique marqué par une croissance
de la demande alimentaire urbaine, les sociétés méditerranéennes des
Psem restent encore sous l’influence du secteur rural, dont la production agricole brute compte beaucoup dans la fabrication des produits
intérieurs bruts (GRAPHIQUE 32 ). Mais son poids économique diminue plus
rapidement au Sud qu’au Nord. En 2005, l’agriculture syrienne ou albanaise contribue au quart de la valeur ajoutée totale nationale, soit 10 fois
plus en part relative que celle de la France ou de l’Italie. En 2007, avec une
croissance annuelle de 2,1 %, l’agriculture albanaise participe encore à
plus de 23 % du pib national (32 % en 2001). Sur une autre dynamique,
la croissance de la production agricole marocaine, en taux moyen annuel
de croissance, passe de 10,6 % pour la période 1985-1991(6) à 0,25 % de
1991 à 2004. En Grèce, le pib agricole passe de 11 % du pib total en 1995
à 4,5 % en 2007. Enfin, c’est en Turquie que la baisse est la plus rapide
en part relative, le pib agricole perdant 18 % entre 2001 et 2005.
Cette part encore importante du pib agricole dans le pib global est
souvent croissante les années à forte pluviosité et décroissante les
années de sécheresse. La part importante, mais fluctuante, de l’économie agricole dans l’économie globale des Psem est due aussi à une
absence de croissance des autres secteurs économiques. L’asymétrie de
la situation des Psem par rapport aux pays méditerranéens de l’Union
européenne n’est pas marquée uniquement par l’importance relative
(6) World Development Report. Agriculture for development, Washington (D.C.). Banque
mondiale 2008.
134
vi – prospective – agriculture
33
GRAPHIQUE
Terres arables par habitant
en Méditerranée (1961-2003)
(à gauche)
et perte nette de terres arables
(entre 1980 et 2005)
(à droite)
En %
Égypte
Maroc
Algérie
France
Libye
Terr. palestiniens
Albanie
Israël
Chypre
Turquie
Syrie
Grèce
Espagne
Tunisie
Italie
Bosnie-Herz.
Liban
Malte
Serbie-Monténégro
Portugal
Croatie
Jordanie
Slovénie
Hectares
0,5
Psem
0,4
0,3
0,2
PNM
0,1
1965 1975 1985 1995 2005
À partir de 1992, introduction des
données de Bosnie-Herzégovine,
Croatie, Serbie-Monténégro et
Slovénie.
Source : Plan Bleu, d’après FAO. CIHEAM Atlas Mediterra.
- 40 - 30 - 20 - 10
0
10
20
30
de l’économie agricole. La capacité du secteur agricole des pays de la
rive nord à contribuer au développement des industries agroalimentaires à haute valeur ajoutée aggrave cette asymétrie.
Démographie et changement climatique accentuent les pressions
sur les ressources disponibles
l’aridité qui caractérise de nombreux pays méditerranéens limite
naturellement les possibilités de pratiques agricoles. Le pourcentage
des terres arables passe de 30 % et plus pour la France à 5 % pour
l’Égypte, l’Algérie, la Jordanie et la Libye. Les bonifications de terre et l’irrigation de nouvelles zones foncières permettent à la Syrie et à l’Égypte
d’accroître légèrement les surfaces en terres arables. Mais globalement,
aussi bien pour les Psem que pour les pays du Nord de la Méditerranée,
l’accroissement de la population entraîne une diminution des terres arables par habitant ( GRAPHIQUE 33 ), ce qui nécessite une augmentation de la
productivité par hectare disponible pour compenser cette pression
accrue sur le foncier agricole disponible.
135
Les pertes de terres arables, par éviction foncière et phénomènes
naturels liés à l’aridité (vents, fortes pluies, etc.), sont aggravées par des
pratiques culturales et pastorales inadéquates responsables d’érosion. La
salinisation par irrigation, avec des eaux souterraines chargées en sels
minéraux ou des eaux de retenues où l’évaporation intense concentre les
eaux en sel, conjuguée à la pollution, l’emploi de pesticides ou d’engrais, engendre une perte des sols devenus improductifs.
Des ressources en eau de plus en plus rares et une inadéquation
entre offre et demande
la pression sur les ressources en eau (en Méditerranée, 80 % de la
demande en eau est agricole) et en terres (de 0,55 ha par habitant en
1960 à 0,30 ha en 2005) combinée aux effets négatifs du changement
climatique sur la production agricole rend plus difficile la résolution de
l’équation de la sécurité alimentaire en Méditerranée : nourrir plus d’habitants avec moins de ressources en eau et en sol, avec des écarts de
productivité croissants entre Nord, Sud et Est. L’agriculture maintient
difficilement des performances irrégulières rythmées par les aléas climatiques.
Les surfaces irriguées ont été multipliées par deux entre 1965 et
2005, où elles atteignent une surface totale de 24 millions d’hectares (7).
Des grands programmes d’hydrauliques agricoles ont été lancés dans la
majorité des pays méditerranéens avec en tête des augmentations de
surface : la Turquie (+3 millions d’ha), la France (+2), l’Espagne (+1,5) et
au Maghreb (+1,5 dont 0,6 au Maroc et 0,3 en Algérie). Les pratiques
d’irrigation gravitaire restent dominantes en Méditerranée(8). Les systèmes d’irrigation localisés ou par aspersion, moins consommateurs
d’eau, se développent mais, globalement, l’efficience physique totale de
l’eau d’irrigation qui mesure les pertes d’eau dans les systèmes d’irrigation est de 52 % pour les pnm et de 44 % pour les Psem (9).
L’analyse des indices d’exploitation des ressources en eau naturelles
renouvelables (GRAPHIQUE 34 ), qui permet de mesurer le rapport entre les
volumes prélevés et les volumes disponibles, et de leur évolution entre
(7) 13 millions Psem et 11 millions pnm.
(8) L’Égypte compte 100% des terres cultivées sous irrigation. Situation unique en
Méditerranée.
(9) Efficience physique totale : efficience du transport x efficience de l’irrigation.
Pour un même pays, la Syrie, l’efficience de l’irrigation passe de 50 % en irrigation
gravitaire traditionnelle à 78 % par aspersion pour atteindre 88 % en goutte à goutte
localisé. Données iamz 2007. Abed Rabboh.
136
vi – prospective – agriculture
GRAPHIQUE 34 Indice d’exploitation des ressources en eaux naturelles
renouvelables en Méditerranée (2005, 2025)
Source : Les perspectives du Plan Bleu sur le développement durable en Méditerranée, Sophia Antipolis, Plan Bleu 2008.
Atelier de cartographie de Sciences Po, 2009. CIHEAM, Atlas Mediterra
2005 et 2025 par pays aboutit à un constat de pénurie annoncée(10) pour
la majorité des Psem. Une analyse régionale plus fine montre que ce
constat deviendrait alors réalité dans de nombreuses régions littorales
des pays du Nord.
Les États de la rive nord doivent également faire face à des situations
de stress hydrique dans des systèmes économiques basés sur le tourisme et l’urbanisation ainsi qu’à une agriculture intensive, grande utilisatrice d’eau mais sans en payer le prix réel. L’offre en eau en Méditerranée, dans les pays du Nord comme dans ceux du Sud, ne pourra
indéfiniment s’adapter à une demande illimitée dans un contexte
d’irrégularité pluviométrique aggravé selon les différents scénarios
(10) Voir données pam et Plan Bleu dans Mediterra 2008.
137
d’évolution climatique pour la Méditerranée. L’exemple catalan(11) illustre cette situation de tension risquant de priver Barcelone (siège du
secrétariat de l’upm) d’eau et entraînant des conflits potentiels entre
communautés autonomes. L’évolution de la demande en eau pour
l’agriculture en Méditerranée n’est pas compatible avec l’évolution
des ressources disponibles. La pénurie croissante, liée à des taux d’exploitation en augmentation régulière, et les effets négatifs du changement climatique vont obliger à revoir les politiques de gestion de l’eau
par secteur d’utilisation. L’agriculture irriguée en Méditerranée,
consommatrice principale d’eau, devient donc le secteur à potentiel
d’économie d’eau le plus important. La révision des stratégies hydrauliques s’impose. Echecs ou succès engendreront des schémas de crise
ou de développement possible.
Des agros-systèmes fragiles et une sécurité alimentaire
de plus en plus dépendante
les performances des systèmes productifs agricoles et les résultats
commerciaux suivent des dynamiques inverses au Nord et au Sud de la
Méditerranée depuis le début des années 1960, et notamment pendant
la période 1964-2004 (12). Les vingt-sept pays de l’UE ont stabilisé leur
part d’importations agricoles mondiales autour de 25 à 40 %. Ils ont,
en revanche, doublé leur part d’exportations mondiales de 22 à 45 %(13).
Les pays du Sud et de l’Est ont connu, pendant la même période,
une dynamique inverse. Ils sont devenus, depuis les années 70, structurellement importateurs bruts de denrées agricoles et agroalimentaires.
Les déficits de leur balance commerciale agricole s’inscrivent dans la
durée (plus de 8 milliards de dollars pour les Psem en 2001) avec des
chiffres contrastés, liés aux capacités variables d’importations de produits venant d’Europe mais, de plus en plus, d’autres régions (60 % des
importations agricoles et agroalimentaires hors Europe en 2005). Ces
pays sont devenus chroniquement dépendants pour leur sécurité alimentaire. En 2004, le solde commercial négatif des Psem dans les
échanges agricoles mondiaux s’élevait à 9 milliards de dollars. La Turquie fait figure d’exception en affichant un solde agro-commercial positif en 2004 de 1,3 milliard de dollars en fournissant près de la moitié des
(11) Voir la guéguerre de l’eau en Catalogne. J.P. Nicol. Le courrier de l’environnement
de l’Inra. N° 57. Juillet 2009.
(12) Données fao stat 2006.
(13) Dans cette évolution, la France joue un rôle majeur en gardant la place de deuxième
exportateur agricole mondial.
138
vi – prospective – agriculture
GRAPHIQUE
35
Évolution
des balances
commerciales
agricoles
des Psem
(millions de dollars)
Source : Faostat 2006.
CIHEAM Atlas Mediterra.
223
0
- 5 645
- 6 532
- 7 537
- 8 557
- 9 116
1962
1970
1980
1991
2001
2003
2004
exportations agricoles des Psem et en important 22 % des importations
totales des Psem (14).
Le commerce agricole euro-méditerranéen reste donc fortement asymétrique. Alors que seulement 2 % des importations et exportations
agricoles de l’Europe sont destinées aux Psem, l’UE absorbe plus de
50 % des exportations agricoles des ces pays et 30 % de leurs importations agricoles. Si la Turquie est devenue progressivement une puissance agricole et agroalimentaire, le Maroc et la Tunisie parviennent,
les bonnes années agricoles (donc à forte pluviosité), à équilibrer leurs
balances commerciales avec l’UE tandis que l’Égypte et l’Algérie sont un
poids important dans le déficit global des Psem (GRAPHIQUE 35 ). Des
échanges privilégiés se développent entre pays. Les échanges euro-méditerranéens sont souvent ciblés. Cinq pays de l’UE couvrent à eux seuls
75 % des exportations agricoles de l’UE vers les Psem (15). Les quatre
grands exportateurs des pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée
sont la Turquie (47 %), le Maroc (22 %), Israël (14 %) et la Tunisie (12 %).
Les principaux importateurs à partir de l’Europe sont l’Algérie (25 %),
la Turquie (14 %)(16) et l’Égypte (13 %). Des échanges bilatéraux privilégiés se développent entre quelques pays : Allemagne-Turquie, FranceMaroc et France-Algérie.
On observe également des échanges euro-méditerranéens spécialisés
selon les spécificités agricoles des deux rives. Les importations de l’UE
(14) Données issues de Mediterra 2008. Contexte géoéconomique. S. Abis, P. Blanc,
J. Ould Aoudia.
(15) Parts des cinq pays : France 30 %, Pays-Bas 15 %, Allemagne 12 %, Espagne 9 %,
Italie 5 %.
(16) Une partie des importations céréalières de la Turquie sont transformées en Turquie et
exportées (biscuits, pâtes) vers le Maghreb.
139
sont à plus de 50 % des fruits et des légumes, puis de l’huile d’olive (10 %)
et des produits de la mer (10 %). Les Psem importent de l’UE en priorité
des céréales (16 %) puis des produits laitiers (15 %) et du sucre (8 %).
La dépendance céréalière persiste
la question céréalière reste stratégique pour les Psem qui accaparent presque 15 % des importations mondiales de céréales, alors qu’ils
ne représentent que 4 % de la population mondiale. Ce déficit structurel s’accroît en période de forte crise (l’Algérie, le Maroc, la Tunisie et
l’Égypte captent 18 % du marché à eux seuls au moment de la crise, au
printemps 2008). Les volumes d’importation augmentent(17) et les projections pour les années à venir indiquent une hausse des importations
de céréales pour l’alimentation humaine et animale. Dans la région
Afrique du Nord (18), la consommation de blé augmente de nouveau fortement. En six ans, elle passe de 32 millions de tonnes (2004-2005) à
40 millions de tonnes (2010-2011). Cette augmentation de 25 % est deux
fois et demie plus importante de celle observée à l’échelle mondiale.
Cette hausse continue correspond au double de la production et ne peut
être satisfaite que par des importations dont la facture va continuer à
augmenter. Comment garantir l’accès au pain des populations les plus
pauvres en Méditerranée va devenir une question stratégique à résoudre pour la majorité des pays du Sud.
Dans les négociations commerciales entre l’Europe et la Méditerranée depuis 1995, la question agricole reste un sujet délicat. Elle n’est
pas traitée dans les relations de coopération UE-Psem jusqu’en 2002.
La zone de libre-échange se prépare pour l’industrie, mais elle n’est pas
évoquée pour l’agriculture pour des raisons de compétitivité entre des
filières développées au Nord comme au Sud (fruits et légumes, huile
d’olive). Avec la première conférence euro-méditerranéenne de Venise
en 2003 le sujet est enfin abordé et, en 2005, la relance du partenariat
euro-méditerranéen figure bien dans le dossier. Depuis cette date, des
négociations bilatérales (UE-pays) progressent avec la Tunisie et le
Maroc et d’autres pays mais elles aboutiront, souvent, à la mise en place
de barrières non tarifaires sous couvert de qualité et de sécurité sanitaire des produits importés des Psem.
(17) Entre 1965 et 2005, l’Algérie et le Maroc ont multiplié par 20 leurs importations
céréalières nettes. La Tunisie par 13 et l’Égypte par 4. Source fao Stat 2006.
(18) Maroc, Algérie, Tunisie, Libye et Égypte. Données usda.
140
vi – prospective – agriculture
Les scénarios pour l’avenir des échanges euro-méditerranéen
dépendent des résultats de plusieurs négociations en cours(19). L’ouverture agricole des Psem, envisagée dans le cadre de négociations avec
l’Organisation mondiale de commerce (omc), devrait garantir des
objectifs compatibles avec ceux d’autres négociations en cours. Comment conserver les préférences commerciales d’accès au marché européen tout en sauvegardant le commerce des produits pour lesquels les
Psem ne sont pas compétitifs ? Les négociations en cours pour une
nouvelle pac en Europe à partir de 2013 pourraient influencer considérablement le développement des productions agricoles des Psem si,
par exemple, la perspective de l’ouverture et de la libéralisation des
échanges se poursuivait avec la mise en place de réformes sur les organisations communes de marché (par exemple le vin, les fruits et les
légumes).
Ces éléments importants du contexte régional euro-méditerranéen
vont peser sur l’enchaînement des différents scénarios d’avenir des
Psem.
Des habitudes alimentaires qui s’éloignent du modèle crétois
depuis longtemps, le modèle alimentaire crétois présente de nombreux avantages nutritionnels. Ceux-ci ont une forte incidence sur la
santé des consommateurs qui associent à la diète crétoise une activité
physique régulière. La variété alimentaire de la diète méditerranéenne,
couplée à de nombreuses techniques de conservation et de cuisson des
éléments, caractérise également un mode de vie méditerranéen, associant à l’origine frugalité des repas, convivialité et tradition culturelle. La
répartition des composants de la ration alimentaire de base (céréales,
sucres, fruits et légumes, lait, viande, poisson, etc.) permet de définir en
Méditerranée trois types d’alimentation par rapport au régime crétois
(GRAPHIQUE 36 ).
En se basant sur des recommandations faites sur la consommation
de nutriments, un indice synthétique de qualité alimentaire (iqa) est calculé à partir de score de consommation(20). En quarante ans, plusieurs
pays ont vu leur indicateur de qualité alimentaire se dégrader (GRAPHIQUE 37) :
l’Espagne, le Portugal, l’Italie, la Grèce, la Turquie… Pour d’autres, il s’est
(19) Notes d’analyses du ciheam. Mai 2006. La question céréalière : un enjeu stratégique en
Méditerranée. B. Hervieu, R. Capone, S. Abis, juin 2006. L’état des lieux des échanges
agricoles euro-méditerranéens. F. Jacquet, Ch. Emlinger, F. Lerin.
(20) Le score évolue de 0 à 2 pour chaque variable : ex de consommation d’huile d’olive en
g/jour : du moins satisfaisant : < 5 g = 0, de 5 à 15 g = 1, au plus satisfaisant > 15 g/jour = 2.
141
36 Les trois types d’alimentation en Méditerranée par rapport
au régime crétois (2003)
GRAPHIQUE
Source : Nos calculs, à partir de Faostat. CIHEAM, Atlas Mediterra.
s’amélioré : la France et la Tunisie, tandis que l’iqa du Maroc et de l’Algérie s’est stabilisé. Ces données globales à l’échelle d’un pays, obtenues
par enquêtes nutritionnelles, cachent mal les disparités de consommation liées au pouvoir d’achat des populations qui consacrent 60 à 80 %
du budget à l’alimentation, comme c’est le cas dans les pays du Maghreb.
L’évolution des comportements alimentaires en Méditerranée (21), liée
à l’urbanisation, à la féminisation de l’activité économique, à une plus
grande mobilité, entraîne la perte de transmission de savoir-faire traditionnels. La traçabilité culinaire et l’augmentation du nombre de repas
pris au foyer, comme l’augmentation de l’alimentation de rue et la
consommation de boissons sucrées, sont des pratiques qui affectent la
santé des populations méditerranéennes et particulièrement celle des
plus démunies. Obésité (GRAPHIQUE 38 ), surpoids, diabète, maladies cardiovasculaires apparaissent rapidement en Égypte, Turquie, Maroc, Slovénie et Albanie, chez les hommes mais aussi chez les femmes.
Ces maladies sont couplées à la sous-alimentation et à des carences
nutritionnelles fortes… De futures politiques de santé publique volontaristes articulées sur des actions d’information et de prévention en
matière de nutrition devraient permettre de modifier les comportements
alimentaires à l’origine de ces nouvelles maladies chroniques, non transmissibles, et se rapprocher à nouveau du régime crétois encore lointain
des pratiques actuelles.
(21) Comportement et sécurité alimentaire en Méditerranée. Padilla M. Futuribles, janvier
2009.
142
vi – prospective – agriculture
GRAPHIQUE
37
2000
France
Albanie
Malte
Algérie
Maroc
Liban
Espagne
Portugal
Turquie
Italie
Grèce
Égypte
Tunisie
Indicateur de qualité
alimentaire
(1960-2000)
Source : Calculs du CIHEAM.
CIHEAM, Atlas Mediterra.
1960
4
GRAPHIQUES
38
Obésité en
Méditerranée
(2009)
Femmes
Obésité
Source : OMS.
CIHEAM, Atlas
Mediterra.
Surpoids
60 % 40 % 20 %
Grèce
Malte
Égypte
Croatie
Portugal
Albanie
Bosnie-H.
Slovénie
Espagne
Italie
Libye
Syrie
Turquie
France
Tunisie
Algérie
Maroc
8
12
16
Hommes
20 % 40 % 60 %
143
2. Les scénarios possibles pour l’avenir
à partir de ce diagnostic synthétique qui met en évidence la fragilité du secteur productif agricole ainsi que l’insécurité alimentaire qui
s’installe durablement, plusieurs scénarios sont envisagés. Le premier
scénario (S1), de la crise de la Méditerranée, confronte les asymétries
Nord-Sud et confirme la dépendance alimentaire de la rive sud avec
l’émergence de crises corrélées à la montée des prix alimentaires et à la
marginalisation des zones rurales des pays méditerranéens. C’est le scénario à éviter, qui se produira (22) si les tendances décrites continuent ou
s’accélèrent. Les crises alimentaires débouchent sur des crises sociales
économiques. Les sorties de crises et les transitions démocratiques peuvent alors ouvrir la voie à d’autres scénarios.
Le deuxième scénario (S2), des divergences méditerranéennes, est celui
de l’émergence et de l’insertion différenciée de quelques pays du Sud et
de l’Est (Maroc, Tunisie, Turquie) à l’économie mondiale, rattrapant
ceux du Nord de la Méditerranée qui sont en décrochage par rapport
aux critères européens (Grèce, Portugal, Italie…). L’agriculture méditerranéenne du Nord et du Sud se replie progressivement, concurrencée par des produits importés d’Amérique latine et d’Asie. Les filières
de qualité, mal protégées, sont également concurrencées par des filières
labellisées d’Amérique du Nord, d’Amérique latine ou d’Australie. La
sécurité alimentaire est assurée temporairement pour quelques pays du
Sud s’ils arrivent à contenir la hausse de la demande céréalière et à gérer
la demande en eau pour l’agriculture.
Le troisième scénario (S3) est celui de la convergence méditerranéenne
qui s’appuie sur une volonté de changement des acteurs méditerranéens
avec la mise en place de politiques concertées d’investissement en
milieu rural pour relancer les productions agricoles méditerranéennes.
Cette relance doit s’accompagner de politiques agricoles pour maîtriser
les fluctuations des prix agricoles. Une meilleure couverture de la sécurité alimentaire est alors assurée sur les marchés intérieurs par des produits de qualité et de services qui soutiendront la production et l’économie en zone rurale. C’est le scénario d’un pacte euro-méditerranéen
pour la sécurité alimentaire.
Ces différents scénarios seront rapidement évoqués à la lumière des
points essentiels du diagnostic sur l’agriculture et les systèmes agroalimentaires méditerranéens. Le scénario de la convergence pour une
(22) Mise à jour : s’est produit en Tunisie le 14 janvier 2011, en Égypte le 11 février 2011.
144
vi – prospective – agriculture
meilleure maîtrise de la sécurité alimentaire implique de nombreux prérequis qui seront présentés pour dégager des pistes de mise en œuvre
et des leviers d’action.
Les grandes tendances
quelques approches chiffrées sont nécessaires pour mieux cerner
les évolutions possibles des grandes variables retenues pour la sécurité
alimentaire, en distinguant pour l’analyse : sécurité alimentaire quantitative, liée au contenu énergétique de la ration quotidienne, et sécurité
alimentaire qualitative, corrélée aux aspects de sécurité sanitaire et qualité nutritionnelle(23) et énergétiques des produits mis sur le marché.
L’évolution des disponibilités énergétiques alimentaires (dea) par
pays utilisée pour l’approche quantitative n’est pas disponible pour l’ensemble des pays méditerranéens. L’analyse de la dea, quand c’est possible (par exemple pour la Tunisie), montre l’impact des programmes
d’aide alimentaire et de lutte contre la pauvreté (24) qui fait passer en quarante ans, de 1960 à 2000, le dea de 2 000 à un peu plus de 3 000 Kcal
par habitant et par jour (25).
Les données disponibles et mises à jour concernent la quantification des ressources alimentaires pour la région Afrique du Nord et
Moyen-Orient(26), calculée à partir de la somme des calories végétales,
animales et aquatiques(27) disponibles. Le calcul de calories végétales
disponibles couple des hypothèses de rendements caloriques par habitant et de surfaces cultivées à des fins de productions alimentaires. Les
calories animales disponibles sont calculées, d’une part, à partir des protéines produites par la production fourragère et donc de l’évolution des
surfaces fourragères et d’autre part, de la production de protéines à partir de l’alimentation du bétail (sensible à l’évolution du prix des céréales
en général importées pour les Psem). Pour les calories aquatiques,
(23) Voir point 8 sur indicateur de qualité alimentaire.
(24) Pour une meilleure prise en compte de la sécurité alimentaire dans : Actualisation
concertée de la politique agricole, ministère de l’Agriculture-afd Tunisie-cirad-gret-iram,
nov. 2010.
(25) Les quantités ingérées sont inférieures aux quantités disponibles. Les besoins
énergétiques individuels varient entre 2 000 et 3 000 Kcal/j selon le sexe, la taille, le
poids, l’intensité physique de l’activité exercée…
(26) Région du Millenium Ecosystem Assessment – mea – 2005 qui propose différents
scénarios pour l’avenir en fonction du poids des enjeux mondialisation vers régionalisation et de la capacité d’en prendre les aspects environnementaux liés au développement.
(27) Agrimonde – Agricultures et alimentation du monde en 2050. Scénarios et défis pour
un développement durable. inra-cirad, 2e édition, sept. 2009.
145
l’hypothèse retenue est que les ressources issues de la production régionale couvrent les besoins régionaux.
L’évolution de ces différentes variables, qui interagissent tout en rendant difficile la construction de scénarios détaillés à partir de la quantification des ressources alimentaires, permet cependant d’esquisser l’évolution de grandes tendances à partir des chiffrages sur la population, les
surfaces disponibles, les rendements alimentaires régionaux, etc.
En ce qui concerne l’évolution de la population, il est fait référence aux
scénarios prospectifs spécialisés détaillés ailleurs. Le chiffre global retenu
est de 500 millions d’habitants en Méditerranée en 2030. L’hypothèse
moyenne retenue est que le niveau de consommation alimentaire atteint
serait de 3 000/3 300 Kcal/j/hab. avec des spécificités par pays (cf.
point 8) selon le régime alimentaire. La croissance économique, selon les
différents scénarios, tire la consommation alimentaire(28). Cette disponibilité moyenne globale ne prend pas en compte à ce niveau les grandes
disparités intra-régionales comme celle liée à l’origine animale ou végétale des aliments qui composeront la ration alimentaire.
Pour quantifier l’évolution de la demande alimentaire, nous retiendrons l’évolution de la demande en céréales et plus particulièrement la
demande en blé dont il a été souligné l’importance, compte tenu du déficit structurel des Psem (hors Turquie). Il devient pertinent d’approfondir
les travaux sur la demande alimentaire en céréales pour la consommation humaine et animale. Entre 2000 et 2030, cette demande augmenterait de 85 millions de tonnes à plus de 140 millions de tonnes(29).
Les facteurs limitant l’accroissement de surfaces cultivées du fait du
faible potentiel des terres cultivables, du stress hydrique probablement en
hausse suite aux changements climatiques, et la perte de surfaces déjà
cultivées, conséquence de l’urbanisation, réduisent les capacités de mise
en culture de terres nouvelles. L’augmentation maximale de la surface
cultivée est estimée à + 10 % pour les surfaces en culture (alimentaires
et non alimentaires) dans la zone Afrique du Nord et Moyen-Orient.
La hausse de la production agricole issue de l’intensification se traduira par l’augmentation de calories alimentaires par secteur cultivé.
Cette production, qui a suivi un taux d’accroissement annuel de 2,5 %
entre 1961 et 2000, ne croîtrait entre 2000 et 2050 que de 0,25 à 1 %(30).
(28) Quantité disponible (production +/- stocks + importations - exportations).
(29) Renforcer la sécurité alimentaire dans les pays arabes. Étude fao-bm, 2009.
(30) Rendements alimentaires et taux d’accroissement annuels dans le scénario
de la prospective agricole. Cf note 28.
146
vi – prospective – agriculture
Selon ces hypothèses de croissance démographique, d’évolution des
consommations animales et végétales, des surfaces cultivées et de rendement, les bilans font apparaître un déficit(31) alimentaire constant.
Si la production régionale progresse en tendance régulière de 40 à
70 mt, la région Mena devrait alors importer en 2030 plus de 50 % de
sa consommation, soit plus de 70 millions de tonnes de céréales pour
satisfaire des besoins croissants liés à une forte augmentation de viande
(+104 %) et de lait (82 %). Face à ce déficit constant, la région des Psem
devra importer pour nourrir sa population.
Compte tenu du volume de production en eau renouvelable (en m3
par habitant et par an) au Maghreb, Machrek et Afrique du Nord et couplé aux projections de croissance démographique pour la période 20002030, l’hypothèse moyenne retenue pour la même période avec une
augmentation de la population de 70 %, insuffisamment compensée
par une production agricole n’augmentant que de 20 %, aboutit à un
déficit alimentaire de 1 150 % (cf. note 25). Ce résultat global agrège des
résultats très différents avec des déficits de balance commerciale variable selon les pays. La Tunisie occuperait une place plus favorable (32) avec
seulement 27 % de demande supplémentaire de céréales dans les dix
ans à venir et 34 % pour les huiles. Pour la région Maghreb (Algérie,
Maroc, Tunisie, Libye), une augmentation globale des importations de
50 % pour les huiles et de 75 % pour les céréales est retenue.
Pour l’évolution des prix alimentaires, la tendance observée est celle
des prix du blé et du pétrole sur le marché à terme(33), matières premières stratégiques pour la sécurité alimentaire (alimentation, énergie).
La fluctuation rapide à la hausse de leur prix ( GRAPHIQUES 39 et 40 ) est un des
principaux déclencheurs des émeutes de la faim qui se répètent en
Méditerranée depuis le début des années 2005.
La tendance retenue pour l’évolution du prix du blé est une augmentation régulière sur la longue période, avec de fortes variations liées à la
volatilité durable des prix, en l’absence de stocks de régulation efficaces(34).
(31) Le calcul de ce déficit est la différence entre la production locale et la consommation
(alimentaire humaine + animale + semences + autres usages de la biomasse alimentaire).
(32) Min. Agri. Ress. hydrauliques et Pêche, Tunisie. Vers une nouvelle stratégie pour le
développement du secteur agricole 2008. Cité par note 25.
(33) Données citées par Nicolas Bricas, umr Moisa-cirad. Janvier 2011.
(34) Le prix de la tonne de blé stocké en Ile-de-France passe pour un produit identique
(même lieu de stockage et même qualité) de 130 euros en juillet 2010 à 270 euros en
février 2011.
147
GRAPHIQUE
39
Prix du blé sur
le marché à terme
GRAPHIQUE
40
Prix du pétrole
brut
Source :
FT. 28/01/2011
d’après N. Bricas.
Pour réaliser les différents scénarios envisagés, les agricultures méditerranéennes devront faire face aux défis essentiels du secteur agroalimentaire. À savoir :
Améliorer la production des ressources alimentaires. Cela dépendra :
• du développement agricole et rural dû à une intensification dépassant les contraintes de croissance de terres cultivables et de concurrence
sur les ressources foncières et en eau ;
• de la capacité à innover, à complexifier les systèmes de production,
à gérer la demande en intrants, à garantir l’accès aux ressources et aux
services d’appui à la production.
Adapter la demande alimentaire aux ressources. Cela dépendra :
• de l’évolution des comportements alimentaires, des politiques institutionnelles mises en place, de la capacité à maîtriser la consommation
de calories d’origine animale(35) et de la réduction des pertes dans les
filières production, transformation et distribution alimentaire ;
• de la mise en place de dispositifs nouveaux de gouvernance, nationaux et interrégionaux, pour sécuriser les approvisionnements et réguler les marchés et les prix.
(35) Baisse importante pour les pays de la rive nord.
148
vi – prospective – agriculture
Pour le scénario de référence et l’adéquation entre ressources et
demandes alimentaires, nous retenons, à l’horizon 2030, les principales
données chiffrées suivantes :
• surfaces cultivées : + 10 % au maximum ;
• surfaces pastorales : maintenues ou en régression de 5 % ;
• surfaces forestières : en diminution de 30 % ;
• déficit de pluviosité : + 10 % à + 20 % ;
• taux d’accroissement des rendements alimentaires/ha : de +0,25 à
+ 1 % par an ;
• production agricole : + 20% au maximum ;
• consommation alimentaire humaine : 3 000 kcal/hab/j dont 2 500
d’origine végétale et 500 d’origine animale ;
• rendements alimentaires en kcal/ha/j : 14 500 ;
• déficit alimentaire global : plus de 100 % (doublement).
Le scénario de crise de la Méditerranée : convergence par le bas
et rupture (S1)
dans ce scénario les tendances observées précédemment se confirment et s’accélèrent. Les crises se succèdent, avec une montée des prix
des produits agricoles de base et des produits alimentaires qui s’installe
dans la durée. Ce renchérissement s’accompagnera de fortes variations,
liées à une spéculation active et à l’absence de stocks alimentaires pour
une régulation minimum des prix et des stocks de sécurité alimentaire. La première partie de ce scénario se joue actuellement, selon
l’indice fao sur l’évolution des prix des produits alimentaires (36)
(GRAPHIQUE 41 ). Début 2011, cet indice, qui a augmenté tous les mois
depuis sept mois, est en hausse de 3,4 en janvier 2011 et atteint
231 points, son plus haut niveau depuis 1990, date de création de
l’indice.
Les prix des denrées alimentaires flambent en un mois (sucre :
+ 5,4 %, huile et matières grasses : + 5,6 %, céréales : + 3 %) (GRAPHIQUE 42 ).
Si le prix de la viande au niveau mondial reste stable, cela est dû à une
baisse des prix en Europe (37). Les crises alimentaires s’installent alors
durablement et les États réagissent individuellement face à la crise tunisienne. Début janvier 2011, l’Algérie achète un million de tonnes sur le
(36) www.fao.org/worldfoodsituation/foodpricesindex.
(37) Baisse des prix suite à la crise de confiance, en décembre 2010 et janvier 2011,
des consommateurs liés à la consommation de l’alimentation du bétail (Allemagne)
compensée par une hausse des prix à l’exportation par les États-Unis et le Brésil.
149
41 Indice FAO des prix
des produits alimentaires
GRAPHIQUE
240
2002-2004 = 100
2011
42 Indices des prix
des denrées alimentaires (2010)
GRAPHIQUE
425
2002-2004 = 100
Sucre
210
180
2008
350
2010
2007
150
Huiles
et matières
grasses
275
2009
200
Produits
laitiers
Céréales
Viande
120
J F M A M J J A S O N D
125
J F M A M J J A S O N D J
marché international(38). Le Maroc lance, le 12 janvier 2011, un appel
d’offre pour 150 000 tonnes de blé et 100 000 tonnes d’orge ; la Libye,
100 000 tonnes de blé. Les tensions s’accélèrent sur les marchés du fait
également de politiques nationales non coordonnées. Avec cette insécurité alimentaire, les États deviennent vulnérables. Les crises alimentaires et les émeutes de la faim déclanchent d’autres crises.
Les prix mondiaux des matières agricoles au niveau mondial augmentent. Mais, en Méditerranée, l’effet d’entraînement sur les revenus
agricoles est faible pour les exploitations familiales. Celles-ci sont majoritaires, en nombre d’exploitations et d’actifs travaillant dans ou pour des
exploitations essentiellement tournées vers la production d’agriculture
vivrière de subsistance combinée à l’élevage et à l’arboriculture en sec.
Dans les zones d’aléas climatiques trop marquées, les cultures céréalières sont abandonnées avec, à terme, l’effondrement des agricultures
pluviales (non irriguées) sur la rive sud et au Moyen-Orient et une accélération des échanges Nord-Sud, dans un marché ouvert et non régulé.
Les agricultures des Psem, exception faite de quelques filières d’exportation vers la rive nord du Maghreb, d’Israël et de la Turquie, ne sont
plus compétitives sur les marchés extérieurs et intérieurs.
Dans ce scénario de convergence par le bas et d’accélération des tendances retenues pour le scénario de référence, l’accès à la ressource en
eau entraîne des conflits. La demande croissante en eau agricole n’est
(38) Commande du 6 janvier 2011 après 5 jours d’émeutes de la vie chère en Algérie, suivie
d’achats de 600 000 t. de blé meunier et de 50 000 t. de blé dur, mi-janvier 2011.
150
vi – prospective – agriculture
plus satisfaite que par une offre limitée, sans possibilité d’augmentation ou d’amélioration de l’efficience de l’irrigation (pertes de charges,
irrigation gravitaire restant majoritaire sans développement sensible de
l’irrigation localisée).
Le manque d’organisations professionnelles, d’associations ou de
syndicats d’exploitants agricoles ne permet pas d’organiser l’accès aux
services d’appui à l’agriculture et au marché. Les petites exploitations
agricoles, sous-encadrées techniquement, vivent de revenus de transfert et de pluriactivités qui assurent leur survie. Le secteur agricole d’entreprise, de plus en plus dominé par des exploitants non agricoles,
concentre la propriété foncière des terres collectives puis des domaines
de l’État (39) et peut poursuivre sa modernisation en améliorant ses rendements et sa production globale. Dans le même temps, la petite agriculture voit sa population augmenter, l’exode et l’émigration n’absorbant
plus le surcroît de population. Ces petites exploitations décapitalisent
leurs ressources foncières matérielles et financières, la pression sur les
ressources naturelles augmente… On assiste alors à l’extension de la
pauvreté, des inégalités sociales et territoriales. Le scénario de la rupture
se trouve alors amplifié par les migrations forcées, les flux migratoires
non maîtrisés, l’asymétrie et le déséquilibre. La rive nord qui tente de se
sortir de la crise économique et financière (plus marquée dans les pays
méditerranéens d’Europe que dans les pays de la zone nord) ne peut
plus investir dans des politiques qui atténuent ces asymétries… En Méditerranée, la chute des investissements directs étrangers, observée en
2008 et 2009, se confirme. Les transferts de travailleurs expatriés ralentissent et les flux touristiques diminuent.
La baisse des exportations (40) s’accompagne d’une hausse du taux de
chômage et de l’inflation. Les déficits budgétaires se creusent. Les taux
de croissance annuels du pib ralentissent et passent de plus de 5 % pour
les pays du Maghreb à moins de 3 %. Le projet d’un espace économique
euro-méditerranéen disparaît alors pour une longue période.
(39) Mediterra 2008 : au Maghreb 1,5 % du total des exploitations sont de taille supérieure
à 50 ha et regroupent 20 % de la surface cultivée. Deux exploitations sur trois ont moins
de 5 ha.
(40) Baisse des exportations en Tunisie de 21 % en 2008, puis de 18 % en 2009.
Source : O. Bessaoud. ciheam/iamm. Séminaire gtz/inra/ird Tunis. Nov. 2010.
151
Le scénario des divergences méditerranéennes : une insertion disparate
dans l’économie mondiale (S2)
dans ce scénario, le processus euro-méditerranéen subsiste dans une
économie libérale ouverte sur le monde. Les accords de libre-échange,
que chaque pays négocie individuellement avec l’Europe, se développent
mais de façon asymétrique avec plus de bénéfices pour la rive nord que
pour la rive sud. Ces accords excluent toujours l’agriculture et empêchent
le développement des exportations des pays du Sud et de l’Est vers l’Europe. Cette asymétrie, favorable au Nord, se renforce dans la mesure où
l’intégration régionale Sud-Sud ou Sud-Est ne voit toujours pas le jour, les
pouvoirs en place préférant la négociation isolée et le statu quo à une
entente régionale. L’impact négatif du blocage des frontières (41), avec des
coûts de transaction entre les pays du Maghreb supérieurs aux coûts de
transaction avec l’Europe, ne favorise pas l’intégration régionale. Cette
absence d’approche commune est préjudiciable aux pays du Maghreb.
Par exemple, dans leurs négociations d’achat de céréales sur le marché
mondial, compte tenu du poids des importations, les importations totales
de blé cumulées pour l’Algérie, le Maroc, la Tunisie et l’Égypte représentent, au plus fort de la crise de 2008, 20 % à 25 % des importations
mondiales de céréales. Dans ce contexte, les échanges commerciaux entre
les Psem et l’UE diminuent. Le Brésil devient partenaire des pays méditerranéens. Le Mercosur renforce ses alliances et négocie des accords
avec l’Égypte, le Maroc et la Turquie. Les exportations agroalimentaires
du Brésil vers l’Égypte et l’Algérie augmentent rapidement. L’Égypte
importe presque toute la viande et le sucre importé du Brésil (42).
Seuls quelques pays méditerranéens, au premier rang desquels la
Turquie, maintiennent des taux de croissance de pib total et de pib agricole proches de 5 % par an, mais essentiellement au profit d’une agriculture d’entreprise mécanisée. Pour la majorité des Psem, l’agriculture familiale régresse, se marginalise, tandis que l’agriculture
intensifiée et mécanisée se développe. La population rurale, non solvable, a de plus en plus de mal à accéder aux ressources, aux biens et aux
services. En revanche, une partie de la population urbaine solvable maintient son accès au marché globalisé, aux grandes surfaces de distribution, aux services, à l’éducation et à la santé. L’urbanisation s’accélère et
le fossé se creuse entre le littoral et les zones rurales de l’intérieur. Le
(41) Pour une sécurité durable au Maghreb, une chance pour la région, un engagement
pour l’Union européenne. Institut Thomas More. Avril 2010.
(42) Voir Confluences méditerranéennes, la Méditerranée sans l’Europe. N°74. Été 2010.
152
vi – prospective – agriculture
Sud de la Méditerranée, pour assurer sa sécurité alimentaire, se tourne
alors progressivement vers d’autres partenaires émergeants, le Brésil, la
Chine et l’Inde, dont les productions agricoles et agroalimentaires finissent par concurrencer celles de la rive nord.
Le scénario de la convergence méditerranéenne :
convergence par le haut avec un ensemble de politiques agricoles
et multisectorielles concertées (S3)
c’est un scénario qui change la donne, avec une convergence progressive pour un pacte de co-développement qui améliore la sécurité
alimentaire régionale. Ce scénario se construit avec des pays du pourtour méditerranéen qui prennent en charge collectivement leur sécurité alimentaire grâce à des politiques agricoles régionales concertées
et complémentaires. L’évolution vers ce scénario implique le partage
d’objectifs communs de sécurité alimentaire, la mise en place de politiques agricoles européennes et méditerranéennes convergeant sur
quelques points clés (maîtrise des prix agricoles, régulation des marchés, constitutions de stocks de sécurité pour la sécurité alimentaire).
Un investissement public et privé massif est réalisé dans le secteur
agricole, indispensable pour garantir une augmentation régulière du
pib agricole de 3 à 5 % par an. Les investissements consacrés au secteur agricole doivent progresser au même rythme que la croissance du
pib agricole dans les secteurs de la mobilisation de la ressource en eau,
du transport et de la distribution localisée de l’eau d’irrigation, mais
également dans les dispositifs de renforcement de l’agriculture pluviale
et d’économie de la ressource en eau dans les systèmes agraires valorisant les surfaces pastorales et les zones d’irrigation de complément (43).
Les investissements publics agricoles devront s’appuyer sur des capacités humaines accrues qui devront assurer le suivi des politiques mises
en place et favoriseront l’accès au marché d’exploitations agricoles fragilisées par de longues années de politiques d’ajustement structurel et
de politiques de libéralisation des marchés.
Pour créer des emplois et des revenus en milieu rural méditerranéen,
condition indispensable pour une sécurité alimentaire renforcée, il faudra mettre les politiques agricoles en cohérence avec les autres politiques
publiques sectorielles et intersectorielles (régulation des importations,
droits de douanes, contingents tarifaires et mesures de sauvegarde, etc.)
(43) Il peut s’agir des dispositifs d’épandage de crues, de défense et restauration des sols,
micro ouvrages, lacs collinaires pour irrigations de complément, etc.
153
Dans chaque pays méditerranéen (44), la valorisation des investissements publics et privés dans le secteur productif suppose une politique
industrielle qui valorise les produits locaux et met aux normes et standards internationaux des produits et des entreprises de transformation. La
mise en place du scénario de la convergence, avec une croissance annuelle
de pib agricole supérieur à 3 %, nécessitera également, dans les pays de la
rive sud, de coupler à une politique incitative de production, des éléments
de politique économique générale facilitant les crédits à l’agriculture, la
mise en place d’assurances et de mesures fiscales portant, par exemple, sur
les aides au stockage et à la production de semences de qualité. L’accès aux
moyens d’investissements et d’équipements implique, par ailleurs, des
crédits spécifiques à l’agriculture à des taux bonifiés, gérés par des services financiers professionnels. L’élaboration de politiques publiques dans
le secteur agricole et agroalimentaire nécessite la présence d’un secteur
professionnel organisé, véritable interlocuteur des pouvoirs publics, et qui
contribue à la réhabilitation de l’action publique.
Des politiques d’enregistrement foncier sont indispensables pour stimuler l’investissement dans la durée et les financements de l’activité
agricole. Des politiques environnementales complémentaires de gestion
rationnelle des ressources en eau et en sols, des politiques d’infrastructures, de transport et d’aménagement du territoire devront également
accompagner les politiques d’investissement dans le secteur productif.
3. Vers une nouvelle politique agricole commune
ces dispositifs d’intégration nécessitent la mobilisation de moyens
financiers importants dans la durée. Les pays du Nord de la Méditerranée, pour réussir leur politique d’intégration, ont bénéficié de politiques
publiques stables installées dans la durée et de soutiens financiers massifs (45 milliards d’euros par an pour l’UE27 jusqu’en 2012). Il ne semble pas envisageable que ce dispositif puisse s’étendre progressivement
aux pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée, compte tenu de la faible
capacité de ces pays à collecter impôts et taxes pour alimenter un système d’accompagnement et d’aide au développement rural.
Les modes de gouvernance, l’absence de législation adaptée, de dispositifs de rattrapage et de mise à niveau rendent peu envisageable la
mise en place de tels dispositifs à court terme. Ce contexte n’est pas
(44) Voir une analyse récente sur la Tunisie. Cf. note 25.
154
vi – prospective – agriculture
43 Le chemin de la réforme de la Politique agricole commune
et ses dépenses
GRAPHIQUE
Milliards d’euros
70
UE-10
UE-12
% du PIB
0,7 %
UE-15
UE-25
UE-27
60
0,6 %
50
0,5 %
40
0,4 %
30
0,3 %
20
0,2 %
10
0,1 %
1980
1985
1990
1995
2000
Aides à l’exportation
Mesures de soutien au marché
Découplage des aides directes
Développement rural
2005
Aides directes
% du PIB de l’UE
Source : The CAP – moving with the times, Zagreb, 12 June 2009.
celui des pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée. Cependant, les
crises alimentaires récentes ont mis en évidence que la doctrine bien établie de gestion des risques sans toucher aux prix agricoles devait être
remise en cause. Il y a peut-être alors un espace pour l’élaboration de
nouvelles politiques agricoles et agroalimentaires concertées au Nord
et au Sud de la Méditerranée, avec des aides conséquentes accordées au
secteur du développement rural. Ces moyens accordés aux actions de
type 2e pilier, qui représentent encore pour l’UE une partie minoritaire
des moyens alloués par la pac actuelle, pourraient évoluer lors de la prochaine pac à partir de 2013 ( GRAPHIQUE 43 ).
Une dynamique de ce type pourrait être mise en place en concertation entre les pays méditerranéens et l’UE. L’expérience du plan Maroc
Vert doit être suivie avec attention avec une mesure des impacts des
actions 2e pilier pour relancer l’agriculture familiale et créer des emplois
et des revenus en milieu rural. La communication de la Commission au
Parlement européen de novembre 2010(45), qui fait suite à de nombreux
échanges et consultations internes et externes(46) et à des débats publics,
(45) Voir communication – com (2010) 672 final.
(46) Conférence de Bruxelles sur la future pac 2013 du 16 juillet 2010.
155
propose des choix stratégiques pour l’avenir à long terme des zones agricoles et rurales européennes. Le projet de nouvelle pac 2013, dans son
stade d’élaboration actuel, acte le maintien de deux piliers pour structurer une pac devant rester une politique commune forte de l’Europe
organisée pour répondre à trois objectifs stratégiques :
• Assurer la sécurité alimentaire à long terme de l’Europe, tout en
contribuant à la demande alimentaire mondiale en croissance continue.
La préservation du potentiel de production alimentaire doit s’effectuer
dans un contexte de changement climatique et de pression accrue sur
les ressources foncières et en eau.
• Soutenir la production de denrées alimentaires variées, de qualité, à
valeur ajoutée, produite en approche respectueuse du développement
territorial.
• Préserver la viabilité des collectivités rurales qui créent des emplois
locaux.
Ces éléments de positionnement général soulignent l’importance
de l’agriculture pour l’économie et la société européenne avec des
options de réorientation budgétaire de la pac 2013. L’existence de deux
piliers complémentaires est confirmée ; le premier pilier offrant des
mesures de marché et des paiements directs mais plus axés sur l’écologie et plus équitables qu’actuellement. Le second pilier propose des
mesures pluriannuelles de développement rural mais davantage orientées vers la compétitivité, l’innovation et l’environnement, dans un
contexte de changement climatique. Ces orientations sont compatibles
avec les priorités de développement des agricultures méditerranéennes,
bien que les travaux d’élaboration sur la future pac ne comprennent pas
de mesures d’impact sur les échanges des produits méditerranéens
entre les zones Nord, Sud et Est de la Méditerranée.
4. La politique européenne de voisinage : une coopération
renforcée pour la convergence de normes sanitaires
la politique européenne de voisinage (pev) vise à proposer une plus
grande intégration économique entre l’Union européenne et ses voisins,
dont les pays partenaires méditerranéens (ppm), membres du Processus
de Barcelone. Cette politique, différente d’une politique d’élargissement,
cherche à établir une coopération renforcée sans perspective d’adhésion.
Elle propose donc un statut moins exigeant que celui de l’adhésion, mais
156
vi – prospective – agriculture
plus que celui de l’association, aux pays qui s’engageraient dans une série
de réformes politiques et institutionnelles, en priorité tournées vers la promotion de produits agricoles méditerranéens pour les marchés d’exportation, mais également pour les marchés intérieurs.
Pour les ppm, la convergence de normes sanitaires avec celles de l’UE
devient alors incontournable pour tous les produits qu’ils exportent vers
l’UE, notamment pour les fruits et légumes frais qui représentent 56 %
des exportations des pays méditerranéens à destination de l’UE (25) en
2005-2006. La faible capacité actuelle des entreprises des ppm à maîtriser la qualité sanitaire de leurs produits est souvent un argument utilisé
pour s’opposer à la libéralisation des échanges de produits agricoles et
agroalimentaires. Des réformes prévoyant la création d’agences sanitaires sont indispensables pour lever ces nouvelles barrières non tarifaires. Elles impliquent la mise en conformité des législations nationales
avec les engagements internationaux, mais aussi la responsabilisation
des acteurs privés par l’autocontrôle, la promotion de la qualité et de la
traçabilité des produits, garantissant une meilleure compétitivité des produits sur les marchés intérieurs. Dans ce cadre, il devient indispensable
de mettre en place de façon concertée entre le Nord, le Sud et l’Est, un dispositif de promotion de la qualité des produits s’appuyant par exemple
sur un réseau de laboratoires d’analyse pour caractériser, valider et certifier la qualité sanitaire de produits agricoles et agroalimentaires méditerranéens destinés au marché interne comme à l’exportation. Les réglementations sanitaires sont au centre des dispositifs de la sécurité sanitaire
des aliments en Europe pour les négociateurs publics ou privés, essentiellement issus du secteur de la grande distribution.
L’Autorité européenne de sécurité des aliments (efsa) a été créée en
2002 pour évaluer les risques existants ou émergents dans le domaine
de l’alimentation. Ses travaux scientifiques, les résultats et les conseils
qu’elle publie doivent aider les décideurs pour l’adoption de la législation européenne sur la sécurité sanitaire des produits animaux et végétaux. La création d’un espace commun d’échanges de produits agricoles
et agroalimentaires entre l’Europe et la Méditerranée rend nécessaire la
mise en place de législations rapprochées, favorisant une circulation
avec moins de distorsions qu’actuellement. Ce mouvement de convergence des normes alimentaires entre ppm et l’UE peut permettre d’accélérer la modernisation des filières des ppm et contribuer à la création
progressive d’un espace économique euro-méditerranéen. Cela impliquera la mobilisation de moyens spécifiques pour des mises en confor157
mité, pour la consolidation de capacités financières et le renforcement
de compétences techniques. Il faudra aussi dépasser des contraintes
institutionnelles, relatives à la qualité sanitaire des produits échangés et
d’organisation des filières dans les ppm.
5. Le scénario du co-développement
Construire un pacte de co-développement rural
un facteur majeur de la sécurité alimentaire réside dans l’instabilité des prix agricoles qui est souvent la conséquence de pratiques spéculatives et d’incapacité d’anticipation des acteurs des mondes agricoles
et ruraux. Le recours à différents instruments pour gérer cette instabilité devient indispensable(47), soit par la stabilisation des prix, soit par
une meilleure maîtrise des risques liés au marché, à l’aide d’instruments couplant régulation des marchés et interventions publiques. Des
politiques publiques de stabilisation des prix alimentaires ne peuvent
être conçues qu’à moyen et long termes. Ces politiques publiques combinent arbitrage, couverture contre les risques, dispositif d’assurance
de transfert et mesures d’accompagnement. Des contrôles temporaires
de la production, par régulation des importations et des exportations,
doivent être conçus avec la mise en place de quotas d’importation et
d’exportation. Moderniser les systèmes de production, les adapter au
changement climatique, investir dans le secteur productif, notamment
dans celui de la transformation et la mise en marché, implique de maîtriser la stabilité des prix à différents niveaux. La modernisation des
structures de production, l’intensification respectueuse de l’environnement est une première forme de stabilisation.
Des interventions publiques complémentaires renforceront la maîtrise du processus de spéculation par des recours aux marchés internationaux ou par la gestion de stocks de sécurité. Le contrôle des exportations
en période de crise peut également contribuer à l’amélioration de la gestion des stocks physiques. Des mécanismes associés de taxes variables
sur les produits importés peuvent aussi aider à compenser les variations
trop fortes de prix. C’est un ensemble de mesures qu’il faut mettre en
(47) Se reporter à Volatilité des prix internationaux agricoles et alimentaires et libéralisation
en Afrique du Nord. François Lerin, Sylvaine Lemeilleur, Michel Petit, dans Perspectives des
politiques agricoles en Afrique du Nord. ciheam/afd. Options méditerranéennes. N° 64. 2009.
158
vi – prospective – agriculture
place pour une intervention stabilisatrice, pour réduire les risques et anticiper les interventions futures. Elles articulent contrôle des prix et des
marchés, incitations à la production pour le marché intérieur, renforcement de la professionnalisation des filières et des organisations de producteurs. Tous ces éléments de politiques agricoles et agroalimentaires,
mis en place de façon concertée entre le Nord, le Sud et l’Est de la Méditerranée, peuvent constituer un pacte de co-développement rural à bénéfices mutuels. Il serait alors possible d’accepter une certaine forme de protectionnisme, sur une période transitoire, pour permettre de consolider les
revenus des agriculteurs ayant accès aux marchés locaux à des prix rémunérateurs. Des dispositifs de contrôle élaborés au Nord comme au Sud
permettraient de réguler les marchés et d’assurer la promotion d’une production agricole de qualité garantissant emplois et revenus dans les
milieux ruraux des intérieurs des pays du Sud et de l’Est méditerranéen.
Dans ce cadre, la mise en place de stocks de céréales euro-méditerranéens pourrait être organisée pour rendre les interventions d’urgence
plus efficaces. La politique de stockage, y compris dans les ports méditerranéens, pourrait être relancée, en concertation entre les pays riverains. Cet accord de partenariat sur les céréales aurait pour vocation de
garantir les prix aux producteurs, comme aux consommateurs, en limitant l’impact de la spéculation. Les filières céréalières de la rive nord
pourraient établir un partenariat avec les pays du Sud et de l’Est sur la
base d’un accord global garantissant, pour les pays du Nord, un débouché. En contrepartie, les pays du Nord garantiraient une sécurité alimentaire dans un dispositif de gestion des stocks en commun. Cet
accord régional pourrait être conclu directement entre les opérateurs
des filières céréalières tout en bénéficiant de garanties fournies par les
États. Les pays du Sud, par ailleurs exportateurs d’intrants agricoles
(phosphates naturels et fertilisants issus de la pétrochimie), pourraient
inclure ces éléments dans les termes de l’accord à négocier qui pourraient comprendre éventuellement une indexation des cours des
céréales sur les cours de l’énergie. Un tel projet, qui s’inscrirait dans la
durée (cinq à dix ans), aurait du sens au niveau géostratégique dans la
mesure où, d’ici à vingt, vingt-cinq ans, il faudra nourrir cent millions
d’habitants sur le pourtour méditerranéen. Cela impliquerait, notamment pour l’Europe, de s’engager dans la construction d’un partenariat
pour soutenir la réforme des agricultures des pays en développement au
Sud de la Méditerranée, en effectuant des transferts de moyens à l’image
de ce qui a été fait pour les pays de l’Est de l’Europe. Il s’agirait, donc,
159
pour le secteur de l’agriculture, de l’agroalimentaire et du développement rural, non pas de l’extension de la pac dans une nouvelle formule
au Sud et à l’Est mais d’élaborer une politique régionale de développement, articulée autour de la politique européenne de voisinage, permettant la construction progressive d’un véritable pacte de co-développement rural pour la Méditerranée.
Organiser les filières prioritaires
le secteur des fruits et légumes reste le secteur majeur d’échanges
potentiels entre le Nord, le Sud et l’Est de la Méditerranée, dans la
mesure où le secteur céréalier reste structurellement un secteur d’importation des Suds à partir des Nords diversifiés. L’élaboration d’une
dynamique de co-développement euro-méditerranéen permettrait de
construire une organisation de la production et des échanges méditerranéens de fruits et légumes pouvant être étendue ensuite à d’autres
filières. Les objectifs de cette organisation pourraient être les suivants :
• créer emplois et valeur ajoutée par le commerce national et international, la promotion de la qualité, de l’origine méditerranéenne et la
consolidation de partenariats euro-méditerranéens d’entreprise ;
• relancer la consommation de fruits et légumes méditerranéens en
proposant des produits de qualité issus de procédures de certification à
des prix acceptables et mettre en valeur leurs bienfaits nutritionnels ;
• maîtriser les effets négatifs sur l’environnement en développant des
productions intégrées et biologiques, issues d’intensifications écologiques et valorisant les savoir-faire et les innovations ;
• diminuer les émissions de gaz à effet de serre et de particules à
empreinte environnementale forte en réduisant les transports routiers
Sud-Nord et Nord-Sud et en intégrant des éléments d’éco-conditionalités dans les échanges.
Dans un espace euro-méditerranéen, avec un minimum de règles en
commun pour la qualité des produits échangés, les filières de produits
de qualité (dont l’impact économique est croissant au Nord) représentent un potentiel non négligeable de développement, d’emplois et de
revenus en milieu rural ( GRAPHIQUES 44 et 45 ).
Mieux maîtriser les risques de la sécurité alimentaire en Méditerranée
ce scénario de la convergence et du co-développement méditerranéen doit renforcer, sur quatre axes, la maîtrise des risques grâce à
laquelle se construit la sécurité alimentaire :
160
vi – prospective – agriculture
GRAPHIQUE
44
Italie
Produits de qualité :
AOP, IGP et STG
dans les pays du Nord
(2009) (nombres)
STG : Spécialité traditionnelle garantie
IGP : Indication géographique protégée
AOP : Appellation d’origine protégée
Source : CIHEAM,
Atlas Mediterra.
GRAPHIQUE
France
Espagne
Portugal
Grèce
Turquie
STG
IGP
AOP
1
61
112
0
84
76
3
51
66
0
56
58
0
23
63
0
19
34
174 160 120 114 86
Part des pays méditerranéens de l’UE dans le total UE
53
20 %
82 %
91 %
45
Agriculture
biologique
et produits
de qualité en
Méditerranée
(milliers d’hectares,
2006)
Source : CIHEAM,
Atlas Mediterra.
• assurer la disponibilité en produits alimentaires de base en combinant production intérieure et capacité d’importation ;
• garantir tout au long de l’année et sur la durée la régularité du disponible ;
• maintenir l’accès à l’alimentation en préservant le pouvoir d’achat,
les infrastructures de transport et de stockage, ainsi que les capacités
de négociations équilibrées entre les acteurs des filières, de la production à la consommation ;
• garantir la qualité nutritionnelle des aliments.
pour assurer cette sécurité alimentaire à long terme, la démarche de
coopération euro-méditerranéenne, renforcée dans le secteur de la sécurité alimentaire, pourrait focaliser les efforts pour les marchés agroalimentaires et les entreprises, pour les systèmes de production et dispositifs d’exploitation et pour les exploitations agricoles sur dix priorités :
161
1. Encourager l’intégration entre les filières locales et les filières d’exportation. Les entreprises exportatrices, disposant de compétences dans
le domaine d’application des normes de qualité, pourraient être incitées
à diffuser leurs acquis vers le marché intérieur. Développer des circuits
pour la construction de systèmes alimentaires de proximité (48) favorisant
les circuits de distribution courts, les transformations agroalimentaires
sous régionales, créatrices d’emplois et de revenus en milieu rural.
2. Favoriser le transfert de savoir-faire dans le domaine des systèmes de
production raisonnés et d’expertise de la normalisation par la création
de co-entreprises produisant au Nord et au Sud pour garantir l’approvisionnement continu des mêmes distributeurs.
3. Élaborer un programme d’appui à la qualité et à la normalisation sanitaire, ciblé pour des producteurs identifiés, adapté aux conditions de production et aux valeurs socioculturelles des ppm, leur garantissant une
contribution active à l’élaboration de ces normes. Lancer des programmes
de certification d’origine des produits et faire reconnaître ces labels entre
pays adhérant à ces dispositifs. Encourager les partenariats Nord-Sud et
la création de co-entreprises, capables d’organiser les complémentarités
de calendrier de production et des gammes diversifiées de produits.
4. Développer la recherche, la formation, l’enseignement supérieur et
le transfert de technologie pour les changements climatiques : systèmes
d’irrigation des cultures pour renforcer les systèmes de production, lutte
intégrée contre les ravageurs, préservation de l’agriculture. Promouvoir
les produits locaux à faible impact environnemental et utilisant la biodiversité.
5. Investir massivement pour créer et soutenir des innovations et des
compétences techniques et managériales dans les filières d’exportation
comme les filières traditionnelles dont les produits sont destinés aux
marchés domestiques. Ces dispositifs, construits sur la diversité des
agricultures méditerranéennes, valoriseraient la qualité de leurs produits en s’appuyant sur le potentiel important de développement des
marchés intérieurs.
6. Mieux maîtriser la volatilité des prix par des mécanismes de contrôle
des marchés resserrés en période de spéculation grâce à l’aide de fonds
dédiés aux produits d’alimentation de base.
(48) Voir : Prospective du système alimentaire mondial : modèle agro-industriel ou modèle de
proximité ?, dans : Le système alimentaire mondial. Concepts et méthodes, analyses et
dynamiques. Jean-Louis Rastoin, Gérard Ghersi. Quæ 2010.
162
vi – prospective – agriculture
7. Éduquer les consommateurs pour une meilleure nutrition. Élaborer des programmes nutritionnels qui contribuent à améliorer le développement économique et social et à réduire la pauvreté.
8. Bâtir des systèmes pour s’adapter aux impacts des changements climatiques, construits sur des dispositifs mutualisés d’assurance. Maîtriser les risques liés à l’aridité en construisant des systèmes de production
adaptés, économes en ressources en eau et valorisant la main-d’œuvre et
les savoir-faire locaux.
9. Relancer une agriculture méditerranéenne de conservation préservant les sols, la biodiversité et moins émettrice en ges(49), grâce à des
mesures de politique agricole incitatives et pouvant bénéficier de paiements pour services environnementaux (pse)(50).
10. Renforcer l’élaboration de connaissances et données utiles au développement pour la constitution de réseaux euro-méditerranéens d’enseignement, de recherche et de coopération. Connecter les universités
et les systèmes de recherche sur les sciences du vivant, créer des pôles de
compétences avec une répartition régionale des équipes (Maghreb,
Europe du Sud, Machrek, Balkans…), prenant en charge des programmes
finalisés sur des priorités définies en commun, confiés aux enseignantschercheurs euro-méditerranéens qualifiés et pouvant se déplacer plus
librement entre les rives nord, sud et est de la Méditerranée.
6. Printemps méditerranéen et sécurité alimentaire,
de nouvelles opportunités ?
l’incertitude climatique incite toujours en Méditerranée à
quelques prudences sur la durabilité des évolutions positives, les printemps pluvieux et verts étant parfois suivis d’étés secs, ne confirmant pas
les promesses du printemps. Les révolutions engagées en Méditerranée restent des processus longs à stabiliser. Mais, pour garantir la sécurité alimentaire, de nouvelles ouvertures sont possibles pour promouvoir une coopération régionale Sud-Sud et Sud-Est efficace, préalable
indispensable au renforcement de l’espace euro-méditerranéen.
(49) ges : gaz à effet de serre, voir : L’agriculture peut-elle accéder aux marchés du carbone ?
Étude farm. Décembre 2010.
(50) Voir : La rémunération des services environnementaux rendus par l’agriculture. Document
de travail prospective et évaluation. N° 2, mars 2009. maap : Service de la statistique et de
la prospective.
163
Les échanges quasi inexistants entre les pays de la rive sud pourraient dynamiser les productions locales, les marchés régionaux, les
emplois et les revenus en milieu rural. Les gains de pib issus de la
réduction de la corruption, et donc des coûts de transaction, investis
pour réduire l’insécurité alimentaire pourraient accompagner de nouvelles dynamiques régionales de gestion des ressources (51) afin de développer la production agricole. Un dispositif régional de financement
pour le développement local permettrait d’accompagner le développement rural et les économies non agricoles implantées en milieu rural
méditerranéen.
Dans ce contexte d’ouverture et de renforcement possible de la coopération, l’Union pour la Méditerranée, actuellement en panne, pourrait
être relancée en plaçant la sécurité alimentaire et le droit à l’alimentation parmi ses priorités, au risque d’observer le rôle d’autres acteurs non
européens, ayant perçu l’enjeu d’un partenariat actif avec une Méditerranée redevenant un élément important sur la scène mondiale.
(51) À l’image des institutions internationales de la gestion de la ressource en eaux fossiles
de l’Est du Maghreb ou du Moyen-Orient.
164
ipemed ~ Institut de prospective économique du monde
méditerranéen
Association reconnue d’intérêt général, dont la mission est
de rapprocher, par l’économie, les pays des deux rives de
la Méditerranée, IPEMED œuvre à la prise de conscience d’un avenir
commun et d’une convergence d’intérêts entre les pays du Nord
et du Sud de la Méditerranée. Essentiellement financé par des fonds
privés, il a pour règles l’indépendance politique, la parité Nord-Sud
dans sa gouvernance comme dans l’organisation de ses travaux.
Il donne la priorité à l’économie, privilégie une approche
opérationnelle des projets et travaille dans la durée. IPEMED
est présidé par Radhi Meddeb et dirigé par Jean-Louis Guigou.
~
Construire la Méditerranée
La collection Construire la Méditerranée a été créée en 2009
par IPEMED. Les experts d’IPEMED, originaires des deux rives
de la Méditerranée, y croisent leurs réflexions pour contribuer
au débat sur les grandes problématiques méditerranéennes, féconder
une nouvelle approche des relations Nord-Sud et formuler des
propositions utiles aux populations des pays du Bassin méditerranéen.
Les ouvrages sont disponibles sur le site Internet d’IPEMED.
‹ www.ipemed.coop
déjà parus
Région méditerranéenne et changement climatique,
Stéphane Hallegatte, Samuel Somot et Hypahie Nassopoulos, 2009
Eau et assainissement des villes et pays riverains de la Méditerranée,
sous la direction de Claude Martinand, 2009
Méditerranée 2030. Panorama et enjeux géostratégiques,
humains et économiques,
Guillaume Alméras et Cécile Jolly, 2010
Convergence en Méditerranée.
Les entreprises de la Méditerranée s’engagent dans un plus fort
transfert de valeur ajoutée entre ses rives, vecteur capital
pour une intégration économique régionale,
Maurizio Cascioli et Guillaume Mortelier, 2010
Méditerranée : passer des migrations aux mobilités
Pierre Beckouche et Hervé Le Bras, 2011
Régulations régionales de la mondialisation.
Quelles recommandations pour la Méditerranée ?,
coordonné par Pierre Beckouche
Réalisation coordonnée
par Macarena Nuño,
avec Patricia Jezequel,
Alain de Pommereau.
Achevé d’imprimé en novembre 2011
par France Quercy
sur papier certifié fsc.
prospective
“ Méditerranée 2030 ”
La Méditerranée est soumise à des grandes incertitudes sur son
avenir. Pourtant, un riche tissu des relations économiques, institutionnelles et humaines continue de se développer, nous invitant à nous interroger sur son avenir. Face aux complémentarités
évidentes et aux défis auxquels les pays individuellement ne peuvent pas répondre, plusieurs scénarios peuvent être dessinés.
C’est ce que le consortium Méditerranée 2030 a réalisé dans cet
ouvrage. Une insertion disparate des pays dans l’économie mondiale, ou un scénario davantage assombri par la crise de 2008,
amenant une convergence par le bas et une marginalisation des
pays méditerranéens sont vraisemblables et défavorables à une
intégration régionale. Mais un autre destin est possible. Sous
réserve d’une action politique volontariste et partagée par tous,
une convergence méditerranéenne peut-être envisagée, basée
sur la valorisation des complémentarités, une plus grande redistribution des richesses et un renforcement de la compétitivité
dans un système régionalement intégré, jouissant des quatre
libertés mises en place par l’UE. Pour y parvenir, neuf recommandations pour un écosystème méditerranéen ont été déclinées.
cécile jolly
Analyste, Centre d’analyse stratégique (cas)
frédéric blanc
Délégué général, Femise
philippe fargues
Directeur, Migration Policy Centre au Robert Schuman Centre for Advanced
Studies, Institut universitaire européen
giambattista salinari
Assistant de recherche, Robert Schuman Centre for Advanced Studies,
Institut universitaire européen
dr. houda ben jannet allal
Directrice Stratégie, Observatoire Méditerranéen de l’Énergie (ome)
vincent dollé
Directeur de l’Institut agronomique méditerranéen de Montpellier du Centre
international des hautes études agronomiques méditerranéennes (ciheam/iamm)