Article Matin 021010
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Témoignage: «J'étais réduite en esclavage» http://www.lematin.ch/print/node/179942 Published on LeMatin.ch (http://www.lematin.ch) Accueil > Actu > > Suisse > Contenu Témoignage: «J'étais réduite en esclavage» By ehelms Created 10/18/2009 - 20:44 Suisse prostitution Ces derniers mois, plusieurs élus suisses se sont émus de la présence de centaines de prostituées hongroises dans leurs villes. La présence de ces filles, souvent «réduites en esclavage», selon les confidences faites au «Matin» par l'une d'elles, est un phénomène nouveau. Jusqu'à présent, les travailleuses du sexe étrangères étaient certes nombreuses, mais elles ne venaient pas de Hongrie. Ces politiciens se demandent ce qui a poussé ces jeunes femmes à venir faire le tapin si loin de chez elles. C'est naturellement l'attrait du franc suisse et la relative facilité pour ces «professionnelles» d'exercer leur métier dans ce pays, selon les travailleurs sociaux helvétiques contactés, dont le FIZ - Centre d'assistance aux migrantes et aux victimes de la traite des femmes. Rolf Vieli, responsable du projet Langstrasse Plus (un programme de revalorisation du quartier chaud de Zurich), n'a cessé de répéter à la presse ces derniers temps que les accords avec l'Union européenne ne sont pas la seule explication de la progression de la prostitution dans les grandes villes suisses. La situation économique qui règne à l'étranger contribue également à rendre le marché du sexe helvétique attrayant, observe-t-il. Tabassée et exploitée Ce n'est de toute façon pas de gaîté de coeur que ces étrangères ont débarqué sur les trottoirs helvétiques. Une de ces femmes, que «Le Matin» a pu rencontrer, jure avoir été forcée par des proxénètes à pratiquer ce «métier». «Cela fait cinq ans que je me fais tabasser, menacer et exploiter», nous raconte Margit, 26 ans, mère de deux enfants. Beaucoup de ces prostituées venues de Hongrie sont lourdement encadrées par des groupes mafieux, selon le FIZ. «La majorité des filles que j'ai côtoyées ont été piégées, comme moi. Mais certaines ont été simplement kidnappées dans la rue», nous explique Margit, qui a refusé de se faire photographier de peur que la bande qui l'avait «achetée» ne cherche à se venger sur sa famille en Hongrie pour avoir accepté de parler à la presse. «Bien sûr, il existe des filles qui ont décidé elles-mêmes de se prostituer et qui pensaient garder leur indépendance. Elles étaient naïves. Elles rêvaient de faire fortune, mais en fait elles ont été réduites en esclavage, comme les 1 of 4 19/10/2009 17:30 Témoignage: «J'étais réduite en esclavage» http://www.lematin.ch/print/node/179942 autres. Les maquereaux faisaient de nous ce qu'ils voulaient. Nous subissions les pires sévices.» Revendue à d'autres «Ma descente en enfer a commencé il y a environ cinq ans. J'étais mariée et j'avais déjà un enfant, que j'ai fait à 16 ans. J'avais quand même réussi à passer mon baccalauréat et à trouver un emploi. Mon mari travaillait aussi. Nos salaires étaient très modestes et nous nous sommes endettés auprès d'un usurier tzigane. Puis mon époux m'a quittée», explique Margit. «Comme il n'arrivait pas à rembourser l'usurier, ce dernier s'est mis à me harceler.» Un silence s'ensuit, comme si la jeune femme préférait ne pas avoir à raconter la suite. Puis les mots reviennent. Margit change de ton, comme s'il s'agissait d'une conversation banale, comme si cette affaire ne la concernait pas, comme si elle racontait la vie de quelqu'un d'autre. «Comme je ne pouvais pas non plus payer, il m'a fait enlever par ses acolytes. Je me suis fait violer, puis j'ai été forcée à me prostituer. D'abord en Hongrie, puis on m'a vendue comme une vulgaire marchandise à d'autres proxénètes, qui m'ont revendue encore à d'autres. C'est ainsi que je me suis retrouvée dans des bars à putains en Allemagne, des vitrines aux Pays-Bas ou dans des maisons de passe ailleurs. En Suisse? La première fois que j'y suis venue c'était il y a plus de quatre ans. Comme les autres filles, je ne restais que trois mois à la fois, conformément à la loi helvétique. Puis on m'envoyait ailleurs. Les proxénètes voulaient le moins de problèmes possible avec les autorités étrangères.» Pas de filles mineures Une nouvelle pause. La jeune Hongroise reprend son souffle et laisse parler la représentante de l'association qui l'a prise en charge depuis qu'elle a décidé de fuir ses tortionnaires. Cette dernière explique que la Hongrie est membre de l'Union européenne et que ses ressortissants n'ont pas besoin de visa pour venir en Suisse. Bref, ces filles peuvent travailler trois mois avec une simple autorisation de travail, nous avait ensuite expliqué le FIZ. «C'est notre avantage sur les Albanaises, les Ukrainiennes ou d'autres filles, intervient Margit. Les mafieux évitent aussi d'envoyer des mineures. Celles qui se retrouvent dans leurs filets en Hongrie doivent y faire le trottoir jusqu'à ce qu'elles atteignent l'âge de 18 ans et ce n'est qu'après qu'elles sont envoyées à l'étranger. Elles n'ont d'ailleurs pas le choix, car en Europe occidentale elles rapportent plus en un jour qu'en une semaine dans notre pays.» Selon la police de Budapest, les mafieux locaux se sont rendu compte de l'avantage du passeport hongrois dès la suppression des visas de tourisme pour la Suisse, mais il leur a fallu du temps pour organiser leurs «affaires». Trouver des logements pour la durée des séjours des filles et se mettre d'accord avec les bandes qui sévissaient déjà dans la Confédération. Non, Margit ne sait rien de l'organisation mafieuse en Hongrie. Son degré de sophistication lui est inconnu. Les gangsters ont-ils des fichiers sur les filles qu'on peut enlever et séquestrer impunément? Elle l'ignore. Organisation mafieuse 2 of 4 19/10/2009 17:30 Témoignage: «J'étais réduite en esclavage» http://www.lematin.ch/print/node/179942 Elle ne sait pas non plus comment ils s'informent sur les filles en cavale. Elle-même a tenté de s'échapper de ce milieu plusieurs fois. Elle voulait revoir ses enfants restés chez sa mère en Hongrie. Les proxénètes l'ont retrouvée, l'ont battue avec un bâton. Une autre fois, elle a pris ses enfants et s'est réfugiée dans une ville à l'autre bout du pays. «Ils m'ont à chaque fois repérée... et j'ai dû donc me soumettre, pour la sauvegarde de mes enfants. Ils ont d'ailleurs tenté d'écraser avec une voiture mon aîné.» Puis Margit est tombée enceinte. Le mafieux responsable d'elle - un malfrat hongrois qui travaille pour le compte d'un boss resté en Hongrie - s'en fiche, la bat à nouveau et la renvoie sur le trottoir. Et là elle est prise d'un malaise. Des travailleurs sociaux qui sont en permanence dans un bus parqué la nuit dans le quartier chaud de Zurich pour accueillir les prostituées, surtout celles qui se droguent, la prennent en charge. La police est avertie et une enquêtrice la convainc de déposer une plainte. Depuis, son nouveau bébé est né et ils vivent dans un logement mis à la disposition par une association, à l'abri des regards des proxénètes. L'espoir de Margit est de trouver un emploi en Suisse, quel qu'il soit. Retourner en Hongrie étant exclu. Elle est certaine, et la police aussi, que les proxénètes ne manqueraient pas de la tuer pour faire un exemple... Trafic de milliards En Europe La prostitution rapporte 45 milliards de francs par an aux proxénètes, selon la Fondation Scelles, reconnue d'utilité publique en France. Selon une étude de l'ONU, le trafic de prostituées de l'Europe de l'Est rapporte entre 5 et 10 milliards de francs aux proxénètes. En Hongrie Les documents mis en ligne par le site de l'ONG hongroise Prostitucio.hu, qui lutte contre la prostitution, rappellent que ce commerce a pris un nouvel essor en Hongrie depuis les années 1990. La presse européenne avait même considéré ce pays comme une destination pour le tourisme sexuel. Le pays est également une place forte de la production de films pornographiques. Les services sociaux et les associations d'aide aux prostituées estiment à 40 000 leur nombre au minimum. La police hongroise a dénoncé au «Matin» la présence de plusieurs organisations criminelles étrangères actives dans le pays. En Suisse L'Office fédéral de la police (FedPol) a estimé à 14 000 le nombre de prostituées en Suisse. Les étrangères représentent 75% d'entre elles. La prostitution de rue est importante, mais FedPol a estimé à environ 700 le nombre de «salons de massage» servant de lieux de prostitution dans les grandes villes (Zurich, Berne, Bâle et Genève). Le nombre de clients allant voir des prostituées en moyenne une fois par mois est évalué entre 200 000 et 280 000. Ce qui représente 10 à 15% des hommes âgés entre 20 et 65 ans. A Zurich Le nombre de prostituées est de 4100 personnes, selon la police cantonale, qui a signalé en outre au «Matin» qu'environ 160 Hongroises se prostituaient fin août sur les trottoirs de la ville et 70 dans les différents saunas ou autres maisons closes. 3 of 4 19/10/2009 17:30 Témoignage: «J'étais réduite en esclavage» http://www.lematin.ch/print/node/179942 Les prix Ils sont en chute libre sur le marché du sexe en Suisse. Cela pour une raison simple: l'offre est nettement supérieure à la demande. Du coup, le client n'hésite pas à négocier les prestations... «Le marché est sursaturé», selon Michel Venturelli, criminologue tessinois. A Zurich, les prix dans la rue sont passés de 200 à moins de 50 fr. en moins de deux ans. La concurrence Les travailleuses du sexe sans papiers, qui représentent 50% de l'offre, tirent les prix vers le bas, selon FedPol, de même que l'augmentation des détentrices d'un permis dans le cadre des bilatérales. Depuis 2004, le nombre de prostituées officielles dans le canton de Genève est passé de 800 à 2500, nous a révélé hier la police genevoise. Les nouvelles venues sont essentiellement des Françaises, des Espagnoles et des Portugaises, selon un rapport. Mais la police de ce canton, comme celle de Vaud, n'a pas constaté une arrivée massive de Hongroises. Source URL: http://www.lematin.ch/actu/suisse/temoignage-reduite-esclavage-179942 4 of 4 19/10/2009 17:30