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 LA POSITION DOMINANTE DE GOOGLE SUR LES SERVICES DE CARTOGRAPHIE ET D’ANNUAIRES EN LIGNE SOMMAIRE Introduction Contexte Services de cartographie en ligne Services d’annuaires en ligne Chevauchements entre les services de cartographie et les services d’annuaire Stratégie anticoncurrentielle de Google -­‐
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3 3 4 7 8 12 Traitement préférentiel & discrimination à l’encontre des services de cartographie en ligne concurrents Prix prédateurs & subventions croisées Violation des conditions de licence Effets du comportement anticoncurrentiel de Google L’avenir des services de cartographie & d’annuaire : la mobilité Conclusion 19 21 25 Document confidentiel, protégé par le secret professionnel et élaboré par un avocat de l’Union européenne La position dominante de Google sur les services de cartographie et d’annuaires en ligne
2 Introduction Au cours des deux années qui ont suivi l’ouverture d’une enquête antitrust par la Commission européenne sur les pratiques abusives de Google dans les domaines de la recherche en ligne et des annonces publicitaires associées, le nombre de plaignants demandant l’intervention des autorités de réglementation et des tribunaux n’a cessé d’augmenter. Ces demandes émanent de nombreux acteurs de l’écosystème en ligne. Parmi elles, des sociétés de cartographie et d’annuaires telles que Hot Maps, Euro-­‐Cities, Streetmap, Bottin Cartographes et Verband freier Telefonbuchverleger (VfT)1. Malgré ces plaintes en cours d’examen, Google poursuit voire renforce sa stratégie anticoncurrentielle pour assurer le succès de ses propres services, en particulier Google Maps et Google+ Local, au détriment des sociétés concurrentes. En mai 2012, la Commission européenne a annoncé qu’elle était prête à ouvrir des discussions pour résoudre certains motifs de plainte. Mais la portée et le périmètre de ces discussions ne sont pas encore clairement définis : viseront-­‐elles exclusivement les ordinateurs de bureau ou engloberont-­‐elles la plate-­‐forme mobile ? Qu’en est-­‐il de l’examen des plaintes liées aux services de cartographie et d’annuaires en ligne ?2 Contexte Si la cartographie a joué un rôle historique dans le domaine militaire et commercial, leur potentiel au sein de l’économie d’Internet est également très important. Le rôle des cartes en ligne a évolué en raison du succès des systèmes de navigation par satellite et de la croissance de l’Internet. En France, par exemple, le nombre de visiteurs uniques des sites de cartographie en ligne a plus que doublé entre 2008 et 2012. C’est pourquoi le comportement de Google en matière de services de cartographie et d’annuaires a d’importantes répercussions sur l’avenir de l’innovation en Europe, sur la croissance et sur les consommateurs. Les cartes et annuaires en ligne ont évolué de façon significative au fil des ans : de simple outil destiné à établir sa position, ils sont devenus un outil de vente3. L’utilisation de l’Internet mobile ne cessant de croître, les sites de cartographie et d’annuaires en ligne revêtent ainsi une utilité croissante pour les personnes en déplacement. Pour reprendre les termes employés par Google : « Les utilisateurs ne cherchent pas des informations 1
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Pour plus d’informations sur la nature de leurs griefs, consulter le document de l’ICOMP (Initiative for a
Competitive Online Marketplace), du 3 juillet 2012, intitulé A Second Look Under the Antitrust
Microscope.
Les points sur lesquels semblent porter les discussions peuvent être synthétisés comme suit : le traitement
préférentiel que Google réserve à ses services de recherche verticale, la copie non autorisée de contenus,
l’exclusivité de fait qu’impose Google aux sites Web quant ses services publicitaires liés aux recherches
et les restrictions quant à la portabilité des campagnes publicitaires sur d’autres plates-formes. Voir le
communiqué de presse http://europa.eu/rapid/pressReleasesAction.do?reference=SPEECH/12/372.
Écouter la bande son du programme Today de BBC Radio 4 du 3 septembre 2012 :
http://news.bbc.co.uk/today/hi/today/newsid_9748000/9748284.stm.
La position dominante de Google sur les services de cartographie et d’annuaires en ligne
3 différentes sur leur téléphone portable, ils les cherchent seulement à des moments différents4. » Près de 50% des recherches sur téléphone mobile portent sur des informations locales5, et une étude publiée par NewMediaTrendWatch révèle que « 95% des utilisateurs de téléphone intelligent ont recherché des informations locales6 ». De plus, selon un rapport publié par la Local Search Association, le nombre de recherches effectuées sur un site d’annuaires Internet et/ou sur un moteur de recherche pour ordinateurs de bureau est en diminution depuis 2010, tandis que les recherches sur téléphones intelligents et tablettes sont en augmentation7. Les outils de cartographie en ligne sont particulièrement bien adaptés à ces évolutions. Services de cartographie en ligne De nombreuses fonctionnalités sont communes à tous les services de cartographie en ligne : images de carte, fonctions de recherche, emplacements repérés par un onglet, élaborations de trajets. Les sites de cartographie en ligne, qui à l’origine constituaient un simple service de géolocalisation (parfois avec possibilités d’orientation) fournissent à présent des informations sur les entreprises et services disponibles dans une zone géographique. Comme le montre la figure 1 ci-­‐dessous, l’affichage typique d’un site de cartographie en ligne comporte : un champ d’interrogation permettant aux utilisateurs de rechercher un lieu, une carte mettant en évidence les lieux d’intérêt (notamment les points de vente intégrés par les entreprises), des annonces publicitaires (génératrices de revenus) et des liens (également générateurs de revenus) à d’autres services, y compris à des sites Web tiers comme booking.com. 4
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Consulter les déclarations de Paul Feng, Group Product Manager Google de la publicité sur l’Internet
mobile, :
http://mashable.com/2011/07/12/mobile-search-trends-google-bing.
Voir : http://www.mobilemarketer.com/cms/news/search/9498.html.
Voir : http://www.newmediatrendwatch.com/markets-by-country/17-usa/855-mobile-devices.
Selon la Local Search Association, 86% de ces recherches ont été réalisées sur un ordinateur portable ou
de bureau, ce qui représente une diminution par rapport à 2010. 19% ont été effectuées sur un téléphone
mobile ou un téléphone intelligent et 4% sur un netbook ou un iPad, tous pourcentages qui sont en
augmentation par rapport à 2010. L’étude a porté sur 13842 recherches Internet effectuées la semaine
précédente sur des sites d’annuaires et des moteurs de recherche. Voir le rapport Local Media Tracking
Study, Research Workshop, Burke and Local Search Association, 24 avril 2012, page 7, disponible à
l’adresse suivante :
http://www.localsearchassociation.org/AM/Template.cfm?Section=Presentations&Template=/CM/Conte
ntDisplay.cfm&ContentID=10496.
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4 Figure 1– Exemple d’écran d’un service de cartographie en ligne (source : www.streetmap.co.uk) Ainsi, tout comme de nombreux autres services en ligne, les sites de cartographie en ligne servent deux groupes différents de clients : les utilisateurs et les entreprises. Les internautes utilisent ces sites à de nombreuses fins : trouver le chemin pour aller de A à B, effectuer une recherche sur un code postal ou rechercher les entreprises, restaurants, boutiques, banques, moyens de transport ou centres médicaux de proximité, vérifier des horaires d’ouverture, planifier leur vacances, rechercher des biens immobiliers, tracer des itinéraires, etc.8 Aux entreprises, les sites de cartographie proposent notamment la géolocalisation de leurs points de vente, accompagnée d’informations utiles comme les horaires d’ouverture et les coordonnées de contact. Les sites de services d’annuaires et de cartographie constituent des outils de promotion très efficaces pour les entreprises de toutes tailles, mais plus particulièrement pour les petites entreprises. Ils accroissent leurs perspectives de chiffre d’affaires en augmentant leurs ventes en ligne et en attirant les clients vers leurs points de vente grâce à leur référencement ou à la publicité en ligne. Pour être en mesure de proposer des cartes en ligne, les entreprises de cartographie doivent acheter des données cartographiques dont l’utilisation est concédée sous licence par des organismes de cartographie qui existent de longue date comme Navteq, TomTom et TeleAtlas, ou des organismes publics comme Ordnance Survey (Service cartographique) au Royaume-­‐Uni ou le Bundesamt für Kartographie und Geodäsie (Office fédéral de 8
Voir le rapport Local Media Tracking Study, Research Workshop, Burke and Local Search Association,
24 avril 2012,
http://www.localsearchassociation.org/AM/Template.cfm?Section=Presentations&Template=/CM/Conte
ntDisplay.cfm&ContentID=10496.
La position dominante de Google sur les services de cartographie et d’annuaires en ligne
5 cartographie et de géodésie) en Allemagne. Ces données sont ensuite traitées par des sociétés de cartographie en ligne pour en assurer le rendu ou l’adaptation, puis chargées sur leur site Internet. Pour rentabiliser ces activités, les sociétés de cartographie en ligne associent plusieurs modèles opérationnels : •
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affichage d’annonces publicitaires (à côté d’une carte) ; annonces publicitaires liées aux recherches (qui sont insérées au-­‐dessous de la carte ou dans le champ de recherche) ; listes d’adresses payantes ; affichage payant des points de vente sur la carte ; interfaces de programmation d’applications (Application Programming Interfaces – API) payantes, qui permettent l’affichage de cartes sur le site Web d’une tierce partie, en particulier la recherche de points de vente et de contact sur le site même des entreprises ; diverses autres formes de syndication de contenu et d’utilisation sous licence accordées à des tierces parties. Google Maps a été lancé en février 2005 pour « simplifier les trajets entre A et B ». C’est un service de cartographie Web, gratuit pour les utilisateurs, qui offre des cartes routières et un planificateur d’itinéraire et, dans de nombreux pays, une géolocalisation des entreprises en milieu urbain9. Depuis juin 2005, Google Maps propose le service Google Maps API, qui permet aux entreprises et aux développeurs Web d’intégrer Google Maps à leur propre site Web10. En 2007, Google a lancé son service Street View dans certains pays (service qui a été ultérieurement étendu à l’ensemble de la planète). Google n’a nullement fait œuvre de pionnier dans le domaine de la cartographie en ligne. Le service de cartographie français Mappy et Bottin Cartographes, les sites de cartographie britanniques Streetmap et Multimap et les services de cartographie allemands Euro-­‐Cities et hot.doc (Hot Maps) ont commencé à proposer des cartes Internet à la fin des années 199011. Au début des années 2000, le secteur de la cartographie en ligne était un marché florissant et concurrentiel, qui comportait pléthore d’acteurs nationaux, régionaux et internationaux de toutes sortes et de toutes tailles, y compris des start-­‐ups innovantes et des acteurs de poids comme MapQuest. Initialement, le site de cartographie de Google n’était guère populaire. Début 2007, le taux de visite de MapQuest par les internautes américains était de 429% plus élevé que celui de Google Maps12, et les efforts de Google pour rendre ses services de cartographie plus attrayants n’étaient guère couronnés de succès. Cette situation a perduré jusqu’à ce que Google introduise au printemps 2007 un nouveau modèle de classement et d’affichage des 9
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Voir : http://googleblog.blogspot.com/2005/02/mapping-your-way.html#!/2005/02/mapping-yourway.html.
Voir : http://googleblog.blogspot.com/2005/06/world-is-your-javascript-enabled_29.html.
Voir : http://en.mappy.com/about/us,http://en.wikipedia.org/wiki/Multimap.com et
http://web.archive.org/web/20020604063416/http://www.multimap.com/indexes/aboutindex.htm. Il
convient de noter que Multimap.com a été acquis par Microsoft en 2007 et a été intégré à Bing Maps.
Voir : http://www.experian.com/blogs/hitwise/2008/01/09/google-maps-making-inroads-against-leadermapquest.
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6 résultats de recherche dénommé « Universal Search » (Recherche universelle). Comme il l’a été amplement démontré, Google utilise l’algorithme Universal Search pour classer ses propres services en tête des résultats de recherche, et ainsi orienter le trafic des recherches vers lesdits services au détriment des services concurrents. Google ne cesse de trouver de nouveaux moyens de renforcer ses services de cartographie en ligne. Sa récente demande d’attribution de l’extension de nom de domaine « .map », déposée auprès de l’ICANN (Internet Corporation for Assigned Names and Numbers), est perçue par maints observateurs comme une tentative manifeste de contrôler ce terme générique essentiel, afin d’orienter ultérieurement les utilisateurs vers ses propres produits de cartographie13. Aujourd’hui, Google Maps et les API Google Maps ont des parts de marché très élevées en Europe. Les statistiques relatives aux visiteurs uniques des sites de cartographie pour la France font apparaître que, en mai 2012, Google a recueilli 70% de ces visiteurs, soit trois fois plus qu’en 2008. Environ 50% des utilisateurs d’ordinateurs de bureau et des entreprises utilisent Google Maps et les API Google Maps14. Comme l’explique le professeur Jerry Brotton, spécialiste de cartographie, Google Maps est essentiellement devenu « un dispositif de géolocalisation de la publicité15. Google domine le marché [de la cartographie] et ne cesse de le dominer16. » De fait, Google Maps a été défini comme l’actif déterminant de Google, « le noyau de base de tous les projets d’activités locales de Google, autour duquel s’articuleront la majorité des produits Google, si ce n’est déjà fait17 ». Services d’annuaires en ligne Les services d’annuaires en ligne constituent un service encore plus ciblé que celui des cartes en ligne et sont fondés sur les mêmes principes que les classiques annuaires téléphoniques papier, qui nous étaient familiers avant l’ère d’Internet. L’objectif des annuaires est de recenser de façon exhaustive et de classer par catégories les entreprises et services d’une zone géographique et de fournir leurs coordonnées. L’Autorité de la concurrence française, dans son avis sur la publicité en ligne, a identifié les caractéristiques communes des services d’annuaires tels une tarification forfaitaire couvrant plusieurs mois et un choix restreint de mots clés – d’activités professionnelles, par exemple – au sein d’une zone géographique déterminée18. Ainsi que le montre la figure 2 ci-­‐dessous, la page d’accueil des services d’annuaires présente généralement deux champs de recherche : l'un pour le type d’entreprise (champ « I’m looking for ») et l’autre pour la zone géographique (champ 13
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Voir : http://www.i-comp.org/blog/2012/google%E2%80%99s-domain-name-land-grab-what-it-meansfor-consumers-businesses-and-the-web.
Voir l’enquête réalisée au Royaume-Uni par YouGov.co.uk. Pour ce qui est des entreprises, voir
http://www.webpronews.com/google-maps-still-bleeding-developers-businesses-2012-06.
Voir :http://news.bbc.co.uk/today/hi/today/newsid_9748000/9748284.stm
http://www.english.qmul.ac.uk/staff/brottonj.html.
Programme Today de BBC Radio 4 du 3 septembre 2012.
Voir : http://uk.queryclick.com/seo-news/google-maps-scraping-real-world.
Voir l’Avis 10-A-29 du 14 décembre 2010 sur le fonctionnement concurrentiel de la publicité en ligne,
paragraphes 218 et 219.
La position dominante de Google sur les services de cartographie et d’annuaires en ligne
7 « in »). Les sites d’annuaires peuvent également associer leurs résultats à la présentation d’une carte, comme le montre la figure 2 ci-­‐dessous. Figure 2– Page d’accueil de Yell (source : http://www.yell.com) Chevauchements entre les services de cartographie et les services d’annuaire Il existe des chevauchements croissants entre les services de cartographie et les services d’annuaires en ligne. Les sites de cartographie fournissent de plus en plus fréquemment des informations sur les entreprises locales, et les utilisateurs ont souvent recours à des services de cartographie pour identifier les services de proximité, visualiser leurs coordonnées ou atteindre leur site Web. Les enquêtes et rapports sur le comportement des internautes confirment qu’ils visitent aussi bien les sites d’annuaires que les sites de cartographie pour trouver des entreprises locales19. Dans une enquête approfondie qu’elle a réalisée en 2008 sur la fusion de deux sociétés d’annuaires, tant électroniques que papier, l’Autorité de la concurrence néerlandaise a conclu au vu des enquêtes auprès des utilisateurs que les médias en ligne, et 19
Voir l’article « As Media Habits Evolve, Yellow Pages and Search Engines Firmly Established As Go-To
Sources for Consumers Shopping Locally », Local Search Association, 13 juin 2011, disponible à
l’adresse suivante :
http://www.localsearchassociation.org/AM/Template.cfm?Section=News&TEMPLATE=/CM/ContentDi
splay.cfm&CONTENTID=8553
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8 tout particulièrement Google, constituaient une alternative aux services des sociétés objets de l’examen20. Selon la Local Search Association, 76% des adultes américains ont utilisé un moteur de recherche pour trouver une entreprise locale au cours des 12 mois se terminant en juin 201121. En outre, un autre rapport publié en avril 2012 par la Local Search Association révélait que 71% des internautes utilisaient les moteurs de recherche comme principale source d’information sur les entreprises et services, tandis que l’utilisation des annuaires avait diminué (pour s’établir à 41%)22. Ainsi que l’indique Google sur son site Web : « 97% des consommateurs recherchent les entreprises locales via Internet23. » La société Google a développé ses services de façon significative : elle a débuté en tant que moteur de recherche ne présentant pas de cartes, puis, ultérieurement, a proposé un simple service de cartographie. Depuis lors, elle a diversifié ses services et propose à présent des services de recherche locale, des annuaires, des coordonnées et autres informations sur les entreprises et services. Le service Google Maps, considéré isolément ou en association avec d’autres services Google (tels que Google Maps API, Google Search, Google AdWords et Google+ Local) est devenu un concurrent non seulement des autres services de cartographie, mais aussi un concurrent direct des services d’annuaires. L’Autorité de la concurrence française a estimé en 2010 que l’offre Google Places (précurseur de Google+ Local qui interagissait avec Google Maps) était « comparable [aux] fonctionnalités offertes par Pages Jaunes ou les sites d’annuaires en ligne liés aux opérateurs de renseignements téléphoniques (comme le « 118 000 », le « 118 712 », etc.). Si Google l’enrichissait d’offres payantes de référencement prioritaire ou de mise en valeur des onglets, elle proposerait une offre commerciale directement concurrente de l’offre de référencement des Pages Jaunes. […] À l’avenir, Google sera sans doute susceptible d’exercer une certaine pression concurrentielle sur Pages Jaunes grâce à son offre Google Places intégrée au service Google Maps24. » 20
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Voir la Décision du Conseil de l’Autorité de la concurrence néerlandaise (Board of the Netherlands
Competition Authority) du 28 août 2008 dans l’affaire n° 6245 European Directories-Truvo Nederland,
paragraphes 143 à 147..
Voir l’article « As Media Habits Evolve, Yellow Pages and Search Engines Firmly Established As Go-To
Sources for Consumers Shopping Locally », Local Search Association, 13 juin 2011
Voir : « Local Media Tracking Study, Research Workshop », Burke and Local Search Association, 24
avril 2012, disponible à l’adresse suivante :
http://www.localsearchassociation.org/AM/Template.cfm?Section=Presentations&Template=/CM/Conte
ntDisplay.cfm&ContentID=10496.
Voir :
https://accounts.google.com/ServiceLogin?service=lbc&continue=https://www.google.com/local/add%3
Fservice%3Dlbc.
Voir l’Avis 10-A-29 du 14 décembre 2010 sur le fonctionnement concurrentiel de la publicité en ligne,
paragraphes 218 et 219. L’Autorité de la concurrence française a qualifié d’« évolution potentielle » cette
possibilité d’exercer une certaine pression concurrentielle.
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9 Figure 3 – « L’expérience Google Maps » (source : http://maps.google.co.uk) L’Autorité de la concurrence française a fait preuve de prescience lorsqu’elle envisageait la possibilité que Google intègre des services d’annuaires à ses cartes : « Le fait que Google ait commencé à proposer des onglets cliquables dans quatre villes américaines pourrait montrer sa volonté de rentrer sur ce marché du référencement local avec des schémas de monétisation plus classiques25. » Il n’est donc pas surprenant que, en 2012, Google Maps ait inséré une fonction de recherche et des onglets cliquables pour signaler les points de vente des professionnels et des entreprises. De plus, en mai 2012, Google a transformé Google Places en Google+ Local, un service qui cible activement les besoins commerciaux des entreprises en faisant la promotion de leurs produits et services. Les entreprises peuvent à présent télécharger des informations sur leurs points de vente (par exemple : adresse, horaires d’ouverture, coordonnées, photographies, etc.) sur Google+ Local. Google+ Local interagit avec Google Maps ainsi qu’avec d’autres services tels que Google Street View, Google Search, Google AdWords, Google+, Google Weekly Ads et Google Favourite Places pour constituer « l’expérience Google Maps ». Cet « effet de portefeuille » permet aux utilisateurs de Google non seulement de visualiser une carte, mais aussi de rechercher des entreprises ou services de proximité, de cliquer sur des annonces publicitaires et de visualiser l’appréciation des consommateurs sur les entreprises. Google a ainsi transformé des services initialement distincts en un outil hybride de cartographie et d’annuaires et a utilisé sa position dominante dans les domaines de la 25
Voir l’Avis 10-A-29 du 14 décembre 2010 sur le fonctionnement concurrentiel de la publicité en ligne,
paragraphe 219.
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10 recherche, de la publicité en ligne et des cartes pour exclure ses rivaux de l’offre de services concurrentiels. De ce fait, certains sites d’annuaires ont conclu des accords avec Google. En juin 2009, GelbeSeiten (l’équivalent allemand des Pages Jaunes) a signé un accord de coopération avec la société Google, qui permettait à cette dernière d’utiliser et d’afficher les informations et les offres de GelbeSeiten dans ses cartes et résultats de recherche et à GelbeSeiten de bénéficier d’annonces gratuites sur la plate-­‐forme de publicité de Google26. Dans un contexte différent, en septembre 2011, lors d’une audience intitulée « The Power of Google: Serving Consumers or Threatening Competition? » (La puissance de Google sert-­‐elle les consommateurs ou est-­‐elle une menace pour la concurrence ?), la société Yelp a révélé au Comité judiciaire du Sénat américain qu’elle s’était sentie obligée de ne pas empêcher Google Local de copier ses contenus par crainte que Google ne supprime son nom des résultats de recherche. Malgré l’attitude « conciliante » de Yelp, il apparaîtrait que les pages Yelp d’avis de consommateurs aient obtenu des rangs peu favorables dans les résultats de recherche Google27. Google a également cherché, par le biais d’acquisitions, à élargir « l’expérience » Google Maps et Google+ Local et à protéger ses services contre la concurrence des offres de recherche locale. Récemment, Google a acquis un certain nombre de sociétés dont les services seront probablement intégrés aux services Google Maps28 : les guides de voyage Frommer’s et le service de notation des restaurants Zagat (pour une intégration à Google+ Local) ; Punchd, un logiciel permettant aux entreprises de gérer leurs programmes de fidélité sur le téléphone intelligent de leurs clients ; Talkbin, une plate-­‐forme pour entreprises permettant aux consommateurs de communiquer leurs avis ; DailyDeal, un site d’annonces des promotions et, plus récemment, Wildfire, un logiciel de gestion d’outils marketing en ligne. Certains de ces services ont déjà été incorporés à Google Maps, comme par exemple les services de Zagat (ainsi que le montre la figure 3 ci-­‐dessus). De plus, Google a l’intention d’intégrer nombre de ces technologies à son nouveau service Google Business Builder afin d’attirer un plus grand nombre de petites entreprises vers ses offres29. Le portefeuille de services de cartographie et d’annuaires Google devient ainsi une plate-­‐forme de publicité visant à accroître le chiffre d’affaires généré par la publicité, qui a atteint 36.531.000.000 USD en 201130. Comme l’observe le professeur Brotton dans son livre A History of the World in Twelve Maps : « Les applications géospatiales sont au cœur de l’économie de Google. Les mots clés permettent aux sociétés de cibler plus efficacement leurs annonces publicitaires, et Google Earth et Google Maps géolocalisent leurs produit à la fois dans l’espace physique et dans l’espace virtuel31. » 26
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Voir : http://www.mlex.com/EU/Content.aspx?ID=166923.
Voir :
http://articles.businessinsider.com/2011-09-21/tech/30183461_1_jeremy-stoppelman-yelp-ceogoogle.
Voir : http://en.wikipedia.org/wiki/List_of_mergers_and_acquisitions_by_Google.
Voir : http://blog.ineedhits.com/search-news/google-business-builder-set-to-launch-for-small-businesses105211562.html.
Voir : http://investor.google.com/financial/tables.html.
Penguin Books, 2012, 1ère édition, page 431.
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11 Stratégie anticoncurrentielle de Google Traitement préférentiel & discrimination à l’encontre des services de cartographie en ligne concurrents La fonction Universal Search (Recherche universelle) est depuis longtemps considérée comme le principal outil d’abus de position dominante de Google et était la première des quatre préoccupations citées par la Commission européenne en mai 2012 quant à la violation du droit de la concurrence. Elle a été introduite au printemps 2007 et est utilisée depuis lors par Google pour privilégier ses propres services au détriment de ceux de ses concurrents, y compris de ceux des sociétés de cartographie en ligne concurrentes. Google a reconnu ouvertement le traitement préférentiel qu’elle réservait à ses propres services de cartographie lors du lancement de Google Finance : « Ainsi, nous obtenions la liste des cinq premiers sites d’informations financières, classés par ordre de popularité. Comme nous lançons Google Finance, nous avons placé le lien Google en premier. Cela n’est que justice, non ? C’est nous qui accomplissons tout le travail de compilation des résultats et bien d’autres tâches encore, aussi plaçons-­‐nous notre site en premier… C’est en fait la politique que nous mettons en œuvre pour d’autres services depuis le lancement de Finance. Ainsi Google Maps est le premier lien présenté32. » (Mise en gras des membres de phrase effectuée par l’auteur du présent document) Marissa Mayer, Google Ancienne Vice-­‐présidente Search Products & User Experience Seattle Conference on Scalability, 23 juin 2007 Plus récemment, le président-­‐directeur général de Google, Larry Page, a expliqué comment Google avait utilisé la fonction Universal Search pour dominer les services de cartographie en ligne et écarter les tierces parties de ce marché (y compris son plus important concurrent MapQuest) : « Nous avons commencé à nous intéresser aux cartes il y a sept ans, c’est-­‐à-­‐dire avant l’apparition des téléphones intelligents […]. Souvenez-­‐vous. On nous a alors adressé le même type de critique [à propos de notre entrée dans des secteurs déjà desservis par des tierces parties]: “Ah, il y a déjà MapQuest !”, Est-­‐ce que quelqu’un en a entendu parler ? Je veux dire que plus personne n’a recours à leurs services, c’est mon sentiment. […] Nous souhaitons que les gens puissent utiliser les cartes. […] Lorsqu’une entreprise contrôle la distribution, ce n’est généralement pas un bon marché pour Google. Nous voulons que les gens aient accès à nos produits et qu’ils disposent des produits que nous aimons produire. C’est pour cela que nous 32
Voir :http://www.youtube.com/watch?v=LT1UFZSbcxE#t=44m50s.
La position dominante de Google sur les services de cartographie et d’annuaires en ligne
12 continuons à effectuer des évaluations. En règle générale, nous aimons que les gens utilisent nos produits, mais c’est quelque chose que nous ne pouvons contrôler entièrement sur chacune des plates-­‐formes de la planète33. » (Mise en gras des membres de phrase effectuée par l’auteur du présent document) Google Larry Page, président-­‐directeur général de Session Questions-­‐Réponse Zeitgeist Americas Partner & Customer Conference, 16 octobre 2012 Par le biais de son offre Universal Search, Google exploite sa position dominante dans la recherche des services de cartographie en ligne en privilégiant ses propres services de cartographie et en attribuant des rangs peu favorables à ses concurrents sur les pages de résultats de recherche. De ce fait, les concurrents attirent moins de visiteurs. Leur chiffre d’affaires diminue donc, et leurs capacités d’investissement dans de nouvelles fonctions de recherche ou dans l’expansion de leur entreprise s’en trouvent réduites. En bref, la manipulation des résultats de recherche par Google est une entrave à leurs possibilités de concurrence puisqu’elle les prive d’un trafic important et de l’incitation à investir et à innover34. Comme l’explique Streetmap : « Personne ne peut imaginer le tsunami financier que Google est capable de déclencher sur votre activité : un mois après la mise en œuvre de la fonction Universal Search, notre chiffre d’affaires mensuel a chuté de 40%, à périmètre comparable. » Google, qui dispose de 90% du marché de la recherche en ligne en Europe, utilise Universal Search pour orienter un trafic significatif vers ses services de cartographie en ligne, qui sont présentés en premier dans les résultats de recherche. Les plaignants – tels que Streetmap, Hot Maps et VfT – ont tous souligné que la fonction Universal Search était la principale tactique employée par Google pour les empêcher de jouir de conditions de concurrence équitables. À titre d’exemple, la requête « maps » sur le moteur de recherche de Google produit une page de résultats sur laquelle Google Maps et ses services connexes sont listés en premier. Même les recherches non accompagnées de critères géographiques – une recherche sur un nom de supermarché, par exemple – produit un résultat Google Maps fondé sur l’emplacement géographique de l’utilisateur. En outre, comme l’a indiqué Streemap dans sa plainte auprès de la Commission européenne, la saisie d’un code postal du Royaume-­‐Uni sur Google Search non seulement place Google Maps en premier sur la liste des résultats, mais produit aussi un affichage attrayant, comme une image en surbrillance, des cartes intégrées et des liens vers d’autres services Google (voir l’exemple de la figure 4 ci-­‐dessous)35. En 33
34
35
Voir : http://www.youtube.com/watch?feature=player_embedded&v=4Mzlp6mIaC4. Pour une description détaillée de la fonction Universal Search (Recherche universelle), consulter le
document de l’ICOMP intitulé Google under the Antitrust Microscope et, en particulier, les pages 5 et 11.
C’est également vrai dans le cas d’une recherche sur Google à partir d’une adresse IP hors Royaume-Uni
et d’un site non situé au Royaume-Uni tel que google.be. Pour une description des codes postaux au
Royaume-Uni, consulter l’adresse suivante :
La position dominante de Google sur les services de cartographie et d’annuaires en ligne
13 revanche, au moment où elle a déposé sa plainte (mars 2012), la société Streetmap apparaissait au neuvième rang des résultats lors d’une recherche sur code postal britannique effectuée sur google.co.uk et au seizième rang des résultats pour la même recherche effectuée sur google.be, alors que, à cette époque, aucun autre service de cartographie en ligne (autre que celui de Google) n’apparaissait avant Streetmap. Figure 4 – Google Search classe Google Maps au sommet de la liste des résultats lors d’une recherche sur code postal du Royaume-­‐Uni (source: http://www.google.be) Le traitement préférentiel que Google applique à ses propres services accroit très efficacement le succès de ses offres au détriment de ses concurrents et des consommateurs. Il est vital pour les sociétés en ligne d’être bien placées dans la liste des résultats pour attirer du trafic et être visibles pour les utilisateurs. Une étude réalisée en 2011 sur dix millions de pages de résultats générées par les recherches des consommateurs a mis en évidence que : « en matière de clics sur les résultats organiques, 53% d’internautes choisissent le premier résultat. Le deuxième résultat est cliqué dans 15% des cas, le troisième, dans 9% des cas, le quatrième, dans 6% des cas et le cinquième, pour compléter la liste des cinq premiers choix, seulement dans 4% des cas36. » (Voir la figure 5 ci-­‐dessous). 36
http://www.postcodeaddressfile.co.uk/products/postcodes/postcodes_explained_page2.htm.
Voir : http://searchenginewatch.com/article/2215868/53-of-Organic-Search-Clicks-Go-to-First-LinkStudy. L’étude porte sur le troisième trimestre 2011.
La position dominante de Google sur les services de cartographie et d’annuaires en ligne
14 Figure 5 – Le premier lien présenté enregistre 53% des clics sur résultats de recherche organiques 37
(source: http://searchenginewatch.com ) Les études ont mis en évidence que l’attention d’environ 70% des utilisateurs est centrée sur les deux premiers résultats de recherche Google si bien que les sites apparaissant au sommet de la liste des résultats attirent presque la totalité du trafic généré par les recherches38. Cet état de fait crée un cercle anticoncurrentiel vicieux pour les rivaux de Google : l’absence de visibilité des concurrents (et donc de clics) réduit leur chiffre d’affaires, ce qui induit un fléchissement de leurs investissements dans les services existants et les nouveaux services et une déperdition éventuelle en matière d’innovation. Le classement des résultats de Google Search est également trompeur, car il ne présente pas aux consommateurs les résultats de recherche qui seraient objectivement les plus pertinents. La manipulation du classement des résultats opérée par Google dénie aux consommateurs leur droit de choisir en écartant le trafic des sociétés concurrentes et en privant celles-­‐ci du chiffre d’affaires dont elles ont besoin pour être en mesure de proposer des offres alternatives aux services de Google. Comme nous l’avons précédemment indiqué, certaines sociétés d’annuaires ont essayé de neutraliser l’impact discriminatoire et dommageable de la fonction Universal Search en concluant des accords séparés avec Google. Toutefois, malgré de tels accords, la société Google continue à placer au sommet des résultats de recherche ses propres services tout en 37
38
http://searchenginewatch.com/article/2215868/53-of-Organic-Search-Clicks-Go-to-First-Link-Study
Consulter le document intitulé Eye-tracking analysis of user behaviour in WWW search, de Laura A.
Granka, Geri Gay et Thorsten Joachims, disponible à l’adresse suivante :
http://www.cs.cornell.edu/People/tj/publications/granka_etal_04a.pdf. Voir également le rapport
commandé par Hot Maps : Attention and Selection Behavior on Universal Search Results Page,
disponible à l’adresse suivante : http://www.hot-map.com/corporate/Bericht_final_ENG.pdf : « du fait
que 77,7 à 80% des clics liés aux recherches ont été effectués sur les cartes miniaturisées Google et sur
les liens Google Maps, le nombre de clics sur les liens de rang inférieur a été très faible. »
La position dominante de Google sur les services de cartographie et d’annuaires en ligne
15 bénéficiant des avantages qu’elle a négociés à leur occasion pour ses propres services de cartographie. En fait, Universal Search n’est pas le seul moyen employé par Google pour agir de façon discriminatoire à l’égard de ses concurrents, pour les priver d’un trafic important, réduire leur chiffre d’affaires et anéantir toute raison d’innover. Dans sa plainte, la société Streetmap a détaillé comment Google avait agi de façon discriminatoire à son égard en n’explorant que partiellement le plan de son site (alors que son score de pertinence Google était de 7) : en février 2012, seuls 5% de son site Web avait été indexé : à un tel rythme, il faudrait 20 ans à Google pour indexer tout le contenu du site Streemap. Streetmap estime que, compte tenu du fait que les Consignes aux webmasters ne donnent aucune explication à ce propos, la seule explication raisonnable est que l’algorithme de Google exerce une discrimination à l’encontre des concurrents effectifs ou potentiels. Prix prédateurs & subventions croisées La visite et l’utilisation de la plupart des services de cartographie en ligne sont gratuites pour les consommateurs, ce qui est une pratique de marché acceptée. Ces sites sont normalement financés par la publicité et par les redevances que versent les tierces parties pour le droit d’intégrer à leur site Web une carte présentant, par exemple, l’emplacement de leurs bureaux ou un réseau de transport public. Le modèle économique de Google Maps repose sur la gratuité pour les utilisateurs, les coûts internes et externes (comme le coût d’achat des données cartographiques) étant financés par les bénéfices d’autres secteurs (activité dominante des annonces publicitaires liées aux recherches en ligne, par exemple). C’est à propos de cet aspect du modèle que les sociétés Streetmap, Hot Maps et Eurocities ont déposé une plainte auprès de la Commission européenne et que le jugement du tribunal de Commerce de Paris est intervenu dans l’affaire qui opposait Bottin Cartographes à Google. Les concurrents de Google se plaignent du fait que la gratuité des licences Google Maps et du service Google Maps API les a exclus du marché. Il est significatif que lorsque la société Google a acquis une position dominante en matière de cartographie en ligne, elle a transformé Google Maps API en un service payant : le parfait exemple d’école d’une récupération des pertes après une période de prédation. Entre 2005 et 2009, Google fournissait gratuitement son service d’API (sans contrepartie publicitaire, contrairement à ce que prévoyait leur CGV.) Par ailleurs, Google Maps ne comprenait aucune annonce publicitaire. Il est raisonnable de penser que la société Google était en mesure de fonder ces activités sur un tel modèle économique et de prolonger leur statut de services fournis à perte et activement gérés grâce à leur subventionnement croisé par les bénéfices enregistrés sur les marchés où elle occupe depuis longtemps une position dominante, comme, par exemple, celui de la publicité en ligne. En revanche, les concurrents de Google dans le domaine de la cartographie n’avaient pas d’autre choix que de rentabiliser leurs services soit par la publicité en ligne soit par la facturation aux entreprises de l’utilisation de leurs services d’API équivalents. La position dominante de Google sur les services de cartographie et d’annuaires en ligne
16 Grâce à l’offre d’un service sans annonces publicitaires pour les utilisateurs et gratuit sans contrepartie publicitaire pour les entreprises, Google a exponentiellement renforcé sa base d’utilisateurs et d’entreprises clientes, ses services apparaissant comme plus attrayants que ceux des offres concurrentielles. Toutefois, dès 2008, Google a intégré des publicités aux cartes de Google Maps, ainsi que l’ont noté certains observateurs39 et, en juillet 2011, Google a introduit AdWords Express, un outil de publicité en ligne associé à Google Maps, qui est destiné aux entreprises40. En octobre 2011, Google a commencé à facturer à certaines entreprises l’utilisation de son service d’API, précédemment gratuit, en introduisant des plafonds d’utilisation et des redevances afin de, pour reprendre les termes de Google, « garantir la viabilité du service41. » Les plafonds d’utilisation ont été initialement fixés, pour les cartes classiques, à 25.000 chargements de carte par jour en 90 jours et pour les cartes personnalisées à 2.500 chargements par jour sur cette même durée. Les développeurs qui dépassaient ces seuils devaient verser à Google entre 4USD et 10 USD par 1.000 chargements, tarification qui était perçue par le secteur de la cartographie comme conforme aux prix du marché pour l’utilisation d’API42. La stratégie initiale de Google a donc été double : tout d’abord Google Maps et son service d’API ont été fournis gratuitement, ce qui a permis à Google d’élargir sa base d’utilisateurs et d’entreprises clientes, son positionnement favorable dans les résultats de recherche étant assuré par la fonction Universal Search ; dans un deuxième temps, après avoir fortement réduit la concurrence, Google a recouvré ses coûts en introduisant des annonces publicitaires dans certains pays et en facturant son service d’API lorsque son utilisation dépassait certains seuils. Ces conclusions sont corroborées par le jugement du Tribunal de commerce de Paris dans l’affaire opposant Bottin Cartographes à Google dont les attendus déclarent qu’en fournissant gratuitement les API Google Maps sans contre partie publicitaire, Google ne pouvait pas couvrir le coût de revient nécessairement exposé pour l’offre de ses services, y compris, notamment, pour l’élaboration et la distribution des produits et l’acquisition des droits d’utilisation des données géographiques. Selon le tribunal de Commerce français ce « comportement […] aboutit à l’éviction de tout concurrent […] mais en outre s’inscrit à l’évidence dans le cadre d’une stratégie générale d’élimination43. » Depuis le jugement Bottin Cartographes (dont Google a interjeté appel), Google a encore modifié ses plafonds d’utilisation des API et ses redevances, en fixant des tarifs inférieurs aux coûts de revient dans le but d’exclure des concurrents du marché. Depuis juin 2012, 39
40
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42
43
Les auteurs de blog ont signalé que Google avait commencé à insérer des publicités sur son service de
cartographie dès 2008 aux États-Unis et dès 2010 en Australie.
http://techcrunch.com/2008/10/09/google-turns-on-text-ads-in-google-maps/ et
http://www.smh.com.au/technology/google-charts-new-territory-with-ads-in-maps-20100317-qect.html.
Voir : http://adwords.blogspot.com/2011/07/making-local-online-advertising-easy.html
Il convient de noter que dans son contrat de licence d’API Google Maps, Google se réserve le droit
d’insérer des annonces publicitaires sur les sites Web qui utilisent ses cartes. Voir : A History of the
World in Twelve Maps, page 432.
Voir : http://googlegeodevelopers.blogspot.com/2011/10/introduction-of-usage-limits-to-maps.html.
Voir : http://www.clubic.com/internet/univers-google/google-maps/actualite-498182-google-mapsbaisse-prix-api-support-conitnue-ios.html.
Jugement de la 15e chambre du tribunal de Commerce de Paris du 31 janvier 2012 sur l’affaire Bottin
Cartographe contre Google, Section IV, 3. Une synthèse du jugement est disponible en langue anglaise à
l’adresse suivante :http://www.i-comp.org/en_us/resources/resources/download/1341.
La position dominante de Google sur les services de cartographie et d’annuaires en ligne
17 Google facture les 1.000 chargements entre 50 centimes et 1 USD, c’est-­‐à-­‐dire jusqu’à 8 fois moins que précédemment44. Ces prix sont très inférieurs aux prix moyens du marché. La Commission européenne a attentivement étudié ces pratiques dans des secteurs similaires et s’est tout particulièrement intéressée au comportement prédateur des monopoles qui ont recours au subventionnement croisé d’activités dans des marchés voisins45. Dans le document définissant ses orientations quant à l’application de l’article 102, la Commission européenne indique : « S'il n'est pas nécessaire que l'entreprise dominante adopte un comportement prédateur afin de préserver sa position dominante sur le marché protégé par ce monopole légal, elle peut utiliser les bénéfices réalisés sur le marché monopolistique en vue d'un subventionnement croisé des activités qu'elle mène sur un autre marché et, partant, menacer d'éliminer toute concurrence effective sur cet autre marché46. » La stratégie de tarification des API Google constitue un exemple d’exploitation de la technique du « portefeuille bien rempli » pour s’assurer un avantage déloyal sur ses concurrents. Elle ne constitue nullement un exemple unique. Ainsi que le décrit le récent document de l’ICOMP Google’s Monopolisation of Mobile, Google a financé son système d’exploitation Android et le service Google Analytics de façon similaire et a obtenu des résultats comparables. Violation des conditions de licence Les données cartographiques sont un élément clé de la création et de la mise au point de cartes en ligne. En Europe, elles ont été historiquement élaborées par des organismes dépendants de l’État, et leur utilisation fait normalement l’objet de licences accordées par lesdits organismes puisqu’elles sont protégées par des droits d’auteur47. De telles licences sont soumises aux règles de l’Union européenne relatives à la réutilisation des informations du secteur public, qui fait obligation aux organismes de ne pas limiter indûment les possibilités de réutilisation et de ne pas « restreindre la concurrence48 ». Compte tenu de ces obligations, les organismes de service public et les sociétés de cartographie de l’État doivent normalement exiger de leurs licenciés qu’ils accordent des licences supplémentaires sur la base de la licence initiale49. 44
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48
49
À la suite de ces révisions de prix, Google n’établit plus de distinction entre les cartes classiques et les
cartes
personnalisées. Voir : http://www.clubic.com/internet/univers-google/google-maps/actualite498182-google-maps-baisse-prix-api-support-conitnue-ios.html.
Certains de ces cas portent sur des monopoles légaux, mais il n’y aucune raison pour que la même
analyse ne soit pas appliquée à des sociétés qui bénéficient d’un monopole économique durable.
Voir : http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=CELEX:52009XC0224(01):EN:NOT.
Voir : http://www.google.com/intl/en-US/help/legalnotices_maps.html.
Directive 2003/98/CE du Parlement européen et du Conseil du 17 novembre 2003 concernant la
réutilisation des informations du secteur public, Journal officiel n° L 345 du 31/12/2003, p. 90-96,
articles 8 et 10. Voir également le considérant 22.
Voir, par exemple, les clauses 5.4.1(a) et 5.7 du Framework Contract (Partners) [contrat cadre
(partenaires)] du service Ordnance Survey, disponible à l’adresse suivante :
http://www.ordnancesurvey.co.uk/docs/licences/framework-contract-partners.pdf
La position dominante de Google sur les services de cartographie et d’annuaires en ligne
18 Un certain nombre de sociétés de cartographie en ligne estiment que Google ne respecte pas les conditions de licence (qui doivent être équitables, proportionnées et non discriminatoires) et bénéficie d’un avantage concurrentiel déloyal par rapport aux sociétés qui respectent de telles conditions. Il est difficile de savoir si Google a violé les conditions des contrats de licence qui lui ont été accordés ou si des organismes du secteur public ont offert au géant de l’Internet des conditions plus favorables qu’à ses concurrents50. Mais ce qui est manifeste, du point de vue des sites de cartographie concurrents, c’est que la société Google a exploité son pouvoir de marché pour imposer les conditions dans lesquelles elle accorde des licences d’utilisation de données du service public et utilise lesdites données. Certains des concurrents de Google en Allemagne sont convaincus que Google Maps a obtenu du Bundesamt für Kartographie und Geodäsie (Office fédéral de cartographie et de géodésie) une licence d’utilisation de données photographiques aériennes à un prix très bas51. La société Euro-­‐Cities de Berlin a été informée par l’Office fédéral de cartographie qu’elle devrait payer une redevance de licence de 15.552 EUR pour chaque site Web tiers qui afficherait une carte Euro-­‐Cities. Selon un article publié dans Wirtschaftswoche, 50.000 sites Web en Allemagne présentent des données Google Maps ; si l’on retient la tarification proposée à Eurocities, Google devrait payer chaque année à l’État allemand une redevance d’environ 800 millions EUR. Or, les informations disponibles permettent de penser que la redevance totale effectivement payée par Google s’élève à 30.000 EUR par an52. Il apparaît donc, selon un concurrent de Google, que l’Office fédéral de cartographie a accordé à Google des droits d’utilisation de données du service public dont ses concurrents ne bénéficient pas. Peu de temps avant la signature de son contrat avec Google en septembre 2011, l’Office fédéral de cartographie avait interdit à la société norvégienne de données spatiales Blom de transmettre des données via une API. Selon un cadre dirigeant de Blom : « L’accord que l’Office fédéral a négocié avec Google à propos des tierces parties n’est apparemment pas identique à celui qui a été conclu avec nous53. » Effets du comportement anticoncurrentiel de Google Ainsi qu’il l’est décrit ci-­‐dessus, Google a adopté diverses pratiques d’éviction et d’exploitation dont la conjugaison lui ont permis d’accroître de façon exponentielle la base 50
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52
53
On pourrait établir une analogie entre les allégations de conduite abusive de Google à propos des contrats
de licence d’utilisation de données du service public et l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne dans
l’affaire T-321/05 AstraZeneca/Commission. Le Tribunal a estimé que la société de produits
pharmaceutiques AstraZeneca avait violé l’article 102 en recourant à des pratiques abusives en matière de
brevets, par exemple, en faisant un emploi abusif des règles et procédures des agences nationales de
sécurité du médicament et en produisant des déclarations trompeuses aux offices de brevets nationaux,
qui ont eu pour effet de retarder ou de bloquer l’accès au marché des médicaments génériques.
Voir : http://www.gibsondunn.com/publications/pages/EuropeanGeneralCourtDecisionAstraZeneca.aspx.
Voir :http://www.wiwo.de/unternehmen/it/google-behoerde-verschleudert-bundesdaten-angoogle/6668126.html.
Ibid.
Ibid. Traduction non officielle : « Mit Google hat das Bundesamt offensichtlich nicht solch einen
Drittlizenznehmer –Vertrag wie mit uns ausgehandelt. »
La position dominante de Google sur les services de cartographie et d’annuaires en ligne
19 d’utilisateurs et d’entreprises clientes de ses services de cartographie et d’annuaires en ligne, au détriment des entreprises concurrentes. Les avantages d’échelle inhérents aux plates-­‐formes de recherche et d’annonces publicitaires liées aux recherches s’appliquent dans une certaine mesure aux services de cartographie en ligne54. L’expérience de cartographie Google est une plate-­‐forme à deux composantes distinctes : les entreprises et les utilisateurs. De ce fait, lorsque le nombre de clients de l’un des groupes augmente, la plate-­‐forme devient encore plus attrayante pour l’autre groupe de clients. Ainsi, l’augmentation du nombre d’entreprises référencées sur les cartes Google Maps attire un plus grand nombre d’utilisateurs et inversement. En fait, grâce à l’augmentation du nombre d’utilisateurs, et particulièrement d’utilisateurs de téléphones intelligents, Google est en mesure d’obtenir des données cartographiques importantes et d’améliorer ses services (voir la section ci-­‐après L’avenir des services de cartographie & d’annuaires : la mobilité). Google dispose d’une position dominante effective dans le domaine de la recherche et de la publicité en ligne (particulièrement en Europe) et a exploité cette position dans le secteur de la cartographie pour accroître rapidement sa part de marché. Grâce à l’avantage décisif acquis illégalement dans ces domaines clés, Google intègre à sa clientèle des entreprises locales dont le ciblage avait été initié dès 200855. Comme l’indiquait le Wall Street Journal en juin 2012 : « La société Google se prépare à partir à l’assaut du marché le plus important de son histoire, celui de la publicité des entreprises locales, qui représente environ 20 milliards de dollars56. » Aujourd’hui, Google offre Google+ Local et Google Business Builder (un service qui associe plusieurs services Google, dont Google Maps et Google AdWords, ainsi qu’une aide marketing) pour permettre aux entreprises d’optimiser leur présence sur Google57. Comme il l’a été précédemment expliqué, les entreprises disposent ainsi d’un ensemble de produits et services Google, dont certains ont été acquis par Google afin d’accroître le développement de la composante « entreprises » de Google Maps (par exemple, Punchd, TalkBin et Wildfire). Google a été en mesure de financer ces acquisitions grâce à ses profits monopolistiques sur la publicité liée aux recherches. 54
55
56
57
Pour une description des avantages d’échelle liés à la recherche et à la publicité en ligne, voir la section 5
du document de l’ICOMP intitulé Google under the Antitrust Microscope -The Economics of Google’s
Online Ecosystem.
Voir le rapport annuel 2007 de Google, page iii : « La publicité locale représente un domaine qu’il est
important pour nous de développer tant en termes de chiffre d’affaires que de pertinence des résultats
présentés. », disponible à l’adresse suivante :
http://investor.google.com/pdf/2007_google_annual_report.pdf.
Voir :
http://online.wsj.com/article/SB10001424052702304821304577443371490403652.html#articleTabs=vid
eo.
Voir : http://searchengineland.com/google-places-is-over-company-makes-google-the-center-of-gravityfor-local-search-122770.
La position dominante de Google sur les services de cartographie et d’annuaires en ligne
20 Figure 6 – Les ambitieux plans de Google pour conquérir le marché de la publicité locale (source : http://www.oracledigital.com.au/google-­‐introduces-­‐new-­‐local-­‐ad-­‐service-­‐business-­‐builder) Le diagramme ci-­‐dessus illustre comment Google déploie son offre à l’intention des entreprises locales. Étant donné que Google recueille 90% du trafic européen des moteurs de recherche, les petites entreprises sont conscientes du fait qu’il leur faut améliorer leur visibilité sur la plate-­‐forme Google et, en particulier, sur Google Maps et Google+ Local. Google tire ainsi parti de sa taille pour devenir un partenaire incontournable pour les entreprises désireuses de renforcer leur visibilité en ligne et hors ligne. Son chiffre d’affaires s’en trouve accru car, comme le formule Google, « ces nouveaux formats [d’annonces publicitaires] ont accru le taux de clics [et les enchères] de 100%58 ». L’avenir des services de cartographie & d’annuaire : la mobilité La stratégie commerciale de Google, présentée à la figure 6 ci-­‐dessus, ne porte pas seulement sur les ordinateurs de bureau. Google a explicitement reconnu l’importance des recherches locales sur téléphones mobiles. Ainsi que l’affirme Ed Parsons, spécialiste Google des technologies géospatiales, « les informations qui sont proches de nous vont devenir plus importantes que les informations qui sont plus éloignées » du fait de la mobilité croissante des individus et de leur accès aux applications géospatiales, telles que les téléphones mobiles59. La diffusion des téléphones mobiles augmente rapidement, et il est manifeste que la société Google adoptera une stratégie anticoncurrentielle similaire, qu’elle exploitera sa position dominante dans le domaine de la recherche et de la cartographie en ligne sur ordinateurs de bureau pour conquérir une position similaire sur les téléphones mobiles. L’association du comportement anticoncurrentiel de Google et de la position dominante de son système d’exploitation pour téléphones mobiles, Android, donne à Google la possibilité d’exercer une discrimination positive en faveur de ses services mobiles au détriment de ceux de ses concurrents. Comme le déclare Noah Elkin, analyste principal chez eMarketer : « Google a 58
59
Voir : http://adwords.blogspot.com/2012/06/with-new-search-ads-in-google-maps-for.html.
Les efforts de conquête du marché de la recherche locale ont été décrits par le Wall Street Journal.
Voir : Brotton, Jerry, “A History of the World in Twelve Maps, p. 429. Il convient de noter que Ed
Parsons a été précédemment employé par Ordnance Survey. Voir http://www.edparsons.com/about-me à
ce propos.
La position dominante de Google sur les services de cartographie et d’annuaires en ligne
21 rapidement transformé sa position dominante dans le domaine des annonces publicitaires liées à des recherches en une position dominante sur le marché de la publicité sur téléphones mobiles60. » Du fait de la mobilité d’un nombre croissant d’utilisateurs, les sites de cartographie et d’annuaires présentent une plus grande utilité pour les utilisateurs de téléphones intelligents et de tablettes. Au cours du trimestre se terminant en mai 2012, 48,8 p. 100 des utilisateurs de téléphones mobiles de France, d’Allemagne, d’Italie, d’Espagne et du Royaume-­‐Uni ont utilisé un téléphone intelligent61. En juin 2012, plus de 20 millions de personnes en France se sont connectées au moins une fois à l’Internet mobile (soit plus d’un Français sur trois), et, en juin 2011, les sites de cartographie ont enregistré 24.049.000 visiteurs uniques de ce même pays62. Dans cinq pays européens (Royaume-­‐Uni, Allemagne, Espagne, France et Italie) l’utilisation des sites de cartographie par les mobinautes a augmenté de 68% entre février 2009 et février 201163. Compte tenu de la progression rapide des utilisateurs de téléphones intelligents, le potentiel de croissance des services de cartographie et d’annuaires mobiles s’est révélé important : on estime que les publicités associées aux cartes ou lieux sur l’Internet mobile représenteront environ 25% des 2,5 milliards USD de dépenses publicitaires attendues en 2012 aux États-­‐Unis sur les dispositifs mobiles64. Selon les estimations, Google a réussi à recueillir environ 90% du chiffre d’affaires 2011 de la publicité sur téléphones mobiles65. Ce n’est guère surprenant compte tenu du monopole effectif dont bénéficie Google en matière de recherche sur l’Internet mobile : en 2011, 97% des recherches sur téléphones mobiles ont été effectuées via Google66. En outre, il est probable que ce pourcentage demeurera extrêmement élevé au cours des prochaines années, car Google est le moteur de recherche par défaut d’un grand nombre de téléphones67. Ses services de cartographie en ligne apparaissent en tête des résultats de recherche, et son application Google Maps est souvent intégrée par défaut aux téléphones sous système d’exploitation Android68. Le comportement de Google à la suite de l’accord conclu avec Apple est révélateur de la stratégie anticoncurrentielle de Google sur l’Internet mobile. En 2006, Google et Apple ont 60
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64
65
66
67
68
Voir : http://www.emarketer.com/mobile/article.aspx?R=1008798.
Voir :
http://www.comscore.com/Press_Events/Press_Releases/2012/7/1_in_8_European_Smartphone_Owners
_Conducted_a_Retail_Transaction_on_their_Device?utm_source=feedburner&utm_medium=feed&utm_
campaign=Feed%3A+comscore+%28comScore+News%29&utm_content=Netvibes.
Voir : http://www.newmediatrendwatch.com/markets-by-country/10-europe/52-france?start=6.
Voir : Nick Lane, analyste principal de stratégie chez Adfonic, Mobile geo-location advertising will be a
big number in 2015, page 6.
Voir : http://online.wsj.com/article/SB10001424052702304543904577398502695522974.html.
Ibid.
Voir : http://insights.chitika.com/2010/smx-east-presentation-google-controls-97-of-mobile-search.
Voir la section « Entering into exclusive deals » du document de l’ICOMP intitulé Google’s
Monopolisation of Mobile. Google a conclu des accords avec des sociétés telles que Vodafone, Apple
Inc., France Telecom, Orange ou Deutsche Telekom pour que Google Search soit leur moteur de
recherche par défaut.
Tel est notamment le cas du téléphone Samsung Galaxy S 3. Voir : http://www.samsung.com/us/galaxys-3-smartphone.
La position dominante de Google sur les services de cartographie et d’annuaires en ligne
22 conclu un accord « novateur » portant sur le préchargement automatique de l’application Google Maps sur les iPhones 2007. L’accord prévoyait que, chaque fois que l’utilisateur d’un iPhone ouvrirait Google Maps, Apple enverrait à Google des données sur la position géographique de cet iPhone. Google a, semble-­‐t-­‐il, exploité cet accord de façon agressive pour recueillir des données via Google Maps, peut-­‐être même en violation de la législation sur la protection des données personnelles69. La société Google est depuis longtemps consciente de la valeur des informations de géolocalisation, et sa collecte d’informations sur les réseaux sans fil non sécurisés, qui a fait l’objet de nombreuses critiques, témoigne de sa quête incessante de données. Outre les collectes de données utilisateurs réalisées dans le monde entier – en violation de la législation sur le respect de la vie privée (le scandale « Spy-­‐Fi »)70 – par les « Google cars » de l’application Street View, il existe au moins un autre exemple qui démontre les efforts déployés par Google pour acquérir des données de géolocalisation Wi-­‐Fi. La société Skyhook Wireless Inc., un prestataire d’une technologie de géolocalisation des téléphones intelligents dénommée XPS, a accusé Google de l’avoir évincée du marché de la technologie du positionnement local en perturbant ses relations commerciales avec les fabricants de téléphones Samsung et Motorola. Cette affaire est décrite de façon plus détaillée dans le document de l’ICOMP intitulé Google under the Antitrust Microscope. Les courriers électroniques internes de Google qui ont été publiés à l’occasion du déboutement de Google, l’année dernière, par la Cour supérieure du Massachusetts de sa demande de rejet de l’affaire Skyhook sont instructifs. Certains d’entre eux démontrent que la principale préoccupation de Google quant à l’adoption de Skyhook par les fabricants de téléphone portait sur la perte de données de géolocalisation71. Le jour où Skyhook a annoncé son accord avec Motorola à propos des futurs systèmes sous Android, Zhengrong Ji a expédié un e-­‐mail indiquant : « il est triste de voir tout d’abord Apple et, maintenant, Motorola, s’éloigner de nous, car cela signifie une collecte [de données] moins abondante » pour Google. Dans l’échange de courriers électroniques à ce propos, Steeve Lee de chez Google qualifiait l’adoption du dispositif de Skyhook par les fabricants de téléphone « d’épouvantable, car elle réduira notre capacité à continuer de collecter des données » pour la base de données de géolocalisation Wi-­‐Fi. Dans un e-­‐mail de réponse à Larry Page, Steve Lee réaffirmait les problèmes engendrés par l’arrêt de « la collecte de données Wi-­‐Fi nécessaires à la tenue à jour et à l’amélioration de notre service de géolocalisation Wi-­‐Fi (et particulièrement [par] l’interruption de la collecte des données Wi-­‐Fi par Street View)72 ». 69
70
71
72
Voir : http://online.wsj.com/article/SB10001424052702304543904577398502695522974.html.
Voir : http://latimesblogs.latimes.com/technology/2010/05/legislators-grill-google-eric-schmidt-on-spyfiprivacy-issue.html.
Pour une description détaillée sur la façon dont Google a recueilli des données d’utilisateurs sur les
réseaux Wi-Fi, consulter le document de l’ICOMP intitulé Google’s Monopolisation of Mobile.
Voir : http://www.scribd.com/doc/55535812/Skyhook-Google-5.
Voir : http://www.theverge.com/2011/05/12/google-android-skyhook-lawsuit-motorola-samsung/#2.
La position dominante de Google sur les services de cartographie et d’annuaires en ligne
23 L’affaire Skyhook est un exemple révélateur de la façon dont Google a exploité la domination de sa plate-­‐forme Android pour accroître sa part de marché sur les cartes de l’Internet mobile en utilisant l’« argument de la compatibilité pour que les [fabricants] agissent comme nous le souhaitons73. » Ainsi que le décrit le récent document de l’ICOMP, Google’s Monopolisation of Mobile, Google n’a cessé depuis 2007 de renforcer la position dominante d’Android pour empêcher les entreprises d’utiliser des services concurrents. De fait, la position dominante de son système d’exploitation Android a permis à Google d’exploiter l’application Google Maps et d’exclure les applications de cartographie concurrentes. Android est à présent le système d’exploitation installé par défaut sur 50 à 60% des téléphones intelligents vendus dans les États membres de l’Union européenne74, et Google Maps est presque toujours préchargé automatiquement sur les téléphones sous système d’exploitation Android75. En 2011, Google Maps pour dispositif mobiles a franchi la barre des 200 millions d’installation, et 40% de l’utilisation de Google Maps intervient sur des téléphones mobiles76. Il devient donc de plus en plus difficile pour les autres services de cartographie en ligne de concurrencer Google sur les dispositifs mobiles, car (à la différence de Google) ils ne disposent pas des informations et ressources de données nécessaires pour élaborer une proposition de cartographie en ligne qui puisse constituer une alternative viable à Google Maps. Par exemple, en août 2012, Apple a lancé son application Apple Maps pour sa mise à jour iOS 6 et abandonné l’application Google Maps présente sur la dernière version de son iPhone jusqu’en Décembre 2012. Cette initiative, dont les raisons n’ont pas été rendues publiques, démontre au moins deux choses : le rôle stratégique que jouent les services de cartographie sur les dispositifs mobiles et combien il est difficile pour toute entreprise de concurrencer la société Google sur les marchés qu’elle a décidé de conquérir, fût-­‐elle une entreprise techniquement sophistiquée et disposant d’importantes ressources comme Apple. Comme l’indique Molly McHugh de Digital Trends : « Parler de la mort de Google Maps et de l’avènement de nouvelles options peut être divertissant. Mais ce n’est sûrement pas réaliste77. » 73
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Voir : http://www.theverge.com/2011/05/12/google-android-skyhook-lawsuit-motorola-samsung.
Voir : http://rootzwiki.com/news/_/articles/google-increases-android%E2%80%99s-market-share-ineurope-and-australia-r969.
Voir : http://gigaom.com/apple/apples-already-started-the-process-of-replacing-google-maps.
Voir : http://uk.queryclick.com/seo-news/google-maps-scraping-real-world.
Voir : http://www.digitaltrends.com/opinion/a-google-maps-reveal-is-in-our-midst-but-dont-call-it-acomeback.
La position dominante de Google sur les services de cartographie et d’annuaires en ligne
24 Conclusion Tout au long de l’Histoire, les cartes ont constitué une représentation culturelle de notre monde en un point donné du temps78. Les cartes en ligne ont une nouvelle signification : elles sont devenues une plate-­‐forme d’application utilisée d’une part par les entreprises pour négocier la mise à disposition d’informations exploitables, d’autre part par les consommateurs pour s’orienter et accéder à des informations locales79. Compte tenu de la croissance de l’Internet mobile et de l’importance grandissante de la recherche locale, les sites de cartographie et d’annuaires en ligne peuvent potentiellement offrir des perspectives intéressantes tant aux entreprises européennes et, en particulier, aux petites entreprises, qu’aux consommateurs européens. De tels sites offrent aux entrepreneurs un moyen nouveau et efficace d’être visibles et d’entrer en contact avec les utilisateurs d’Internet. C’est pourquoi il convient de ne pas méconnaître leur apport potentiel à l’économie européenne. Ainsi que l’affirme le président de la Commission européenne José Manuel Barroso : « Il nous faut […] [créer] un environnement qui stimule l’esprit d’entreprise et épaule les petites entreprises80 ». C’est pourquoi les autorités de réglementation européenne devraient faire tout ce qui est en leur pouvoir pour que Google n’empêche pas les sites de cartographie et d’annuaires en ligne de déployer leur capacité de croissance. La stratégie anticoncurrentielle de Google élimine la concurrence, est un frein à l’innovation et un déni du droit des consommateurs à choisir. Comme l’indique Michael Weber de la société Hot Maps : « La fonction Universal Search nous a rendu invisibles aux consommateurs, et la tarification inférieure au coût de revient pratiquée par Google nous a fait perdre notre clientèle d’entreprises. » Il est essentiel que les autorités de réglementation interviennent rapidement pour rétablir la pluralité sur le marché de la cartographie en ligne, et pour éviter la disparition progressive des concurrents de Google. La société Google doit être contrainte à mettre en œuvre un modèle d’activité équitable. L’une des solutions envisageables consisterait à placer les sites de cartographie et d’annuaires en ligne concurrents sur un pied d’égalité avec Google, en leur donnant accès aux données de géolocalisation essentielles dans des conditions qui ne soient pas moins favorables que celles accordées à Google. Une telle solution ne serait toutefois que partielle et inadéquate, si elle n’était pas associée à des mesures destinées à combattre la discrimination dans l’ordre de classement des résultats et les pratiques de subventionnement croisé. En l’absence d’intervention des autorités de réglementation, la position dominante de Google Maps ne sera pas concurrencée, Google continuera à exploiter ses monopoles de la recherche et des annonces publicitaires associées, et les consommateurs européens n’auront pas d’autre possibilité que de choisir Google Maps. Ainsi que le formule éloquemment le professeur Brotton : 78
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Voir : Brotton, Jerry, A History of the World in Twelve Maps, page 409.
Conférence de Michael T. Jones intitulée The New Meaning of Maps.
Voir : http://ec.europa.eu/enterprise/magazine/articles/smes-entrepreneurship/article_10581_en.htm.
Selon DG Enterprise & Industry, les 20,7 millions de PME de l’Union européenne représentent 99,8%
des entreprises européennes et « sont un moteur essentiel de la croissance économique et de l’emploi ».
La position dominante de Google sur les services de cartographie et d’annuaires en ligne
25 « Nous sommes… peut-­‐être la dernière génération à savoir ce que signifie la génération de cartes par des individus, des États et organisations. Nous sommes à l’aube d’une nouvelle géographie qui risque, toutefois, d’être conditionnée, comme ce ne fut jamais le cas, par un unique impératif : l’accumulation de profits financiers par le biais de la monopolisation d’informations quantifiables. » A History of the World in Twelve Maps La position dominante de Google sur les services de cartographie et d’annuaires en ligne
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