Synthèse publique CP - ANIMA Investment Network
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Impact de la crise sur les pays MED Bénédict de Saint-Laurent, ANIMA Novembre 2010 Une analyse de l'impact de la crise sur les pays sud-méditerranéens a été réalisée par ANIMA mi- 2010 1. Bien que relativement protégés au départ, en particulier parce que leur système financier est peu internationalisé, les 10 pays "MED" (Algérie, Egypte, Israël, Jordanie, Liban, Maroc, Palestine, Syrie, Tunisie, Turquie) ont fini par être touchés par des effets de second tour -typiquement, diminution des revenus en Europe ou dans le monde, provoquant une baisse des recettes de tourisme ou des transferts de migrants. Mais, globalement, un certain amortissement de la crise a pu être observé -également pour des raisons indirectes : par exemple, la région MED a pu devenir plus attractive qu'une Europe affaiblie, par exemple pour les investissements étrangers de "near-shoring". Une perte globale de 100 milliards de dollars en 2009 Les revenus externes de la région, représentés pour 5 catégories de flux (IDE, tourisme, migrants, aide au développement, exportations) dans le graphique ci-dessous, ont baissé d'environ 100 milliards de dollars US entre 2008 et 2009. Figure 1. Evolution des revenus externes des 10 pays MED sur les 5 dernières années En millions de dollars US. Sources: IDE: UNCTAD, estimations UN/ANIMA pour 2009; Tourisme: OMT, ANIMA; Transferts: World Bank; APD: OCDD (estim. ANIMA pour 2009); Exports: UN ComTrade (CIA WFB pour 2009) Investissement direct étranger Revenus touristiques Transferts des migrants Aide publique au développement Exportations 60 000 59 169 59 675 55 051 56 708 360 287 50 000 42 743 42 085 40 000 30 045 30 000 10 000 0 8 685 34 864 28 730 9 524 12 431 30 772 11 200 300 000 250 000 200 000 150 000 100 000 50 000 5 633 2005 1 282 622 31 728 243 656 26 472 18 133 350 000 288 921 207 517 20 000 50 675 52 562 400 000 0 2006 2007 2008 2009 Papier de Bénédict de Saint-Laurent pour l'Institut des Affaires Internationales, Italie, téléchargeable sur : http://www.animaweb.org/uploads/bases/document/Inv-IIA_MED-CrisisImpact_En_21-5-2010.pdf ANIMA Impact de la crise sur MED Analyse résumée - 17/11/2010 Investment Network 2 Mais cette base de comparaison est discutable, car certains flux avaient fortement cru dans la période récente (IDE, exportations, transferts des migrants, recettes du tourisme). En comparant 2009 à 2006, c'est au contraire une hausse des revenus externes (+33 milliards de dollars US) que l'on observe (Figure 2). Figure 2. Evolution des revenus externes des pays MED sur 2 périodes (Mêmes sources) 2009/2008 2009/2006 IDE (données ANIMA) -4,7 Mds $ -14% -49,9 Mds $ -64% Revenus du tourisme -3,0 Mds $ -5% +14,0 Mds $ +35% Transferts des migrants -3,1 Mds $ -9% +5,3 Mds $ +20% Exportations Total revenus externes -77,7 Mds $ -106,8 Mds $ -22% -21% +39,0 Mds $ +33,0 Mds $ +16% +9% Pour situer l'impact de ces évolutions, il est possible de donner deux éléments de comparaison : le PIB de la région MED est de 1 388 milliards de dollars en 2009 (Banque Mondiale), donc la perte de revenu externe subie en 2009 représente 7,7% du PIB, ce qui est loin d'être négligeable; en termes d'accumulation de capital productif ou financier, la perte de revenu subie en 2009 représente environ 21,5 milliards de dollars (100% des IDE, 25% des recettes de tourisme, 5% des transferts, 20% des exportations), soit de l'ordre de 7% de la FBCF (formation brute de capital fixe, qui s'élève à 315 Mds de dollars US en 2008) des pays MED. Des pays inégalement touchés Au niveau des pays, ce sont les nations les plus mondialisées qui ont perdu le plus en 2009 : Israël et Turquie (IDE, tourisme), pays pétroliers et Turquie (export), Turquie, Syrie et Egypte (transferts des migrants). Les autres pays se maintiennent, surtout si l'on compare 2009 à 2006, et sauf pour l'investissement étranger, en net retrait après la déconfiture de certaines économies du Golfe (typiquement, les investissements émiratis de 2007-2007). Figure 3. Evolution des revenus externes par pays MED (2009 comparé à 2006 -mêmes sources) Foreign direct investment Tourism revenues Exports Remittances by migrants +367% 120% 70% 20% -30% -80% Algeria Egypt Israel Jordan Lebanon Morocco Palestine Syria Tunisia Turkey Quelques pays apparaissent gagnants pour certaines catégories de revenus : Liban (heureusement sorti de la guerre) pour les IDE et le tourisme, Syrie pour le tourisme. Quelques pays ont limité l'impact négatif de la crise (Egypte, sauf transferts, ou Tunisie ANIMA Impact de la crise sur MED Analyse résumée - 17/11/2010 Investment Network 3 jusque dans la période récente). La crise n'est en effet pas nécessairement terminée et le Maghreb en particulier pourrait souffrir longtemps du marasme européen. Le Machreck, lui, a été touché par la crise du Golfe, qui a en particulier conduit au rapatriement de millions de travailleurs, mais une partie de cette sous-région bénéficie du dynamisme exceptionnel de la Turquie, qui rejaillit sur les pays proches (Syrie en particulier, qui expérimente en outre une vraie ouverture économique, avec d'inévitables obstacles). A un degré moindre que la Turquie, Israël semble en mesure de sortir rapidement de la crise. Autre poids lourd, l'Egypte a continué de toucher les dividendes d'une stratégie de réforme assez affirmée et reconnue. Enfin, même sensible, la crise a été largement amortie d'une part par l'involontaire vertu des pays MED (peu de produits financiers sophistiqués, peu d'exposition aux risques externes, place limitée dans les échanges mondiaux) et d'autre part par une forte résilience liée aux ressources propres des pays (Algérie, par exemple, pour l'énergie) et à l'importance de leurs besoins internes (jeunes, attentes de la classe moyenne, retard d'équipement etc.). Comme le montrent des travaux du FEMISE, à présent associé à ANIMA dans le cadre de l'OCEMO, la croissance a baissé de 1,5 à 2% sur la moyenne des pays MED en 2009, contre 4% de chute en Europe. Un retour assez rapide à une croissance robuste est ainsi pronostiqué par la Bnauqe Mondiale (tableau ci-dessous). De même, les flux d'investissement vers MED ont diminué de 14 % en 2009, contre -35% au niveau mondial. Figure 4. Croissance du PIB dans quelques pays MED (en %. Source: World Bank) Pays Algérie Egypte Jordanie Liban Maroc Syrie Tunisie 1996-2005 4,0 4,4 4,7 3,3 4,5 3,3 5,0 2006 2,0 6,8 8,0 0,6 7,8 5,1 5,7 2007 3,0 7,1 8,9 7,5 2,7 4,2 6,3 2008 3,0 7,2 7,9 8,5 5,6 5,2 4,5 2009 2,1 4,7 3,2 7,0 5,0 3,0 3,3 2010 3,9 5,2 3,9 7,0 3,0 4,0 3,8 2011 4,0 6,0 4,5 7,0 4,4 5,5 5,0 Quelles réponses à la crise? Sans que ces stratégies soient nécessairement liées à la crise, plusieurs pays MED ont utilisé depuis 2008 l'intervention publique comme un recours majeur. Faisant face à une demande externe décroissante, la plupart des pays ont soutenu leur demande domestique (pesant sur l'augmentation des déficits publics) et développé des stratégies structurelles s'appuyant sur les acteurs publics. Une étude d'ANIMA publiée en 2010 ("La carte des investissements en Méditerranée" 2) illustre les nombreux programmes apparus au niveau national pour consolider les infrastructures, encourager les PME, développer l'innovation, alléger la pauvreté etc. (par exemple au Maghreb, projets tels que Tanger-Méditerranée, le train à grande vitesse Tanger-Rabat, l'initiative de développement humain du Maroc, l'autoroute algérienne EstOuest, les technopoles tunisiennes etc.). La plupart de ces politiques de soutien avaient été définies dans la période 2000-2005, mais ont été accélérées en 2008-2009. Bien qu'utiles et positifs, tous ces plans nationaux n'abordent cependant pas la question de l''intégration régionale, dans un espace balkanisé où tant le commerce que les 2 Téléchargeable : http://www.animaweb.org/uploads/bases/document/Inv_CarteInvestMed-Final_FR_Light_13-1-2010.pdf ANIMA Impact de la crise sur MED Analyse résumée - 17/11/2010 Investment Network 4 investissements intra-MED (respectivement 6 à 7% du commerce et 5% des IDE globaux de la région) sont clairement au-dessous du potentiel souhaitable. En dépit du coût plus élevé des importations (hydrocarbures et agro-alimentaire en particulier, pour la plupart des pays de la région), les excédents de pré-crise ont permis la mise en place de réponses budgétaires relativement raisonnables. Cependant, en 2010, la plupart des pays subissent davantage de pression -chômage plus élevé, revenus inférieurs, service de la dette moins confortable. Les pays à taux des change flottant (Egypte, Maghreb) disposent de davantage de marges de manœuvre que ceux dont la monnaie est liée aux devises fortes (Jordanie, Liban, Syrie). L'utilité des stratégies et commandes publiques ne signifie pas que le rôle du secteur privé soit secondaire. Naturellement, la majeure partie des travaux, de la création de valeur et de la richesse viendra des entreprises (voir illustration ci-dessous montrant la complémentarité de ces efforts). Dans le champ économique, les gouvernements devraient limiter leur rôle à mettre en place un environnement satisfaisant des affaires (infrastructures, cadre légal, normalisation, fiscalité et incitations, contrôle des pratiques des opérateurs etc.) et à amorcer des projets pilotes ou des initiatives susceptibles de mobiliser ou organiser les forces du marché. Tanger-Méditerranée représente une telle success story, lancée par l'Etat mais mise en œuvre par une organisation privée (agence spéciale). Figure 5. La pyramide du développement économique et de la création d'emplois (estimations ANIMA) PLUS DE CAPITAL, MOINS D’EMPLOIS Amélioration du cadre des affaires, facilitation, entraînement 200 à 500 000 emplois/an? Pourraient créer 1 million d’emplois /an? Stratégiques : JV, transferts de technologie, représentation, distribution IDE Projets de multinationales IDE: 100 000 emplois directs / an & 300 000 indirects Grands projets publics (Tanger-Med, autoroutes algériennes, investment map) Projets de PME existantes capables de monter en gamme Partenariats Pourraient créer 0,5 à 1 million d’emplois/an? Continuera à jouer un rôle majeur (1 million d’emplois +?) Projets de start-ups et TPE Secteur informel PLUS D’EMPLOIS MOINS DE CAPITAL Une plus grande attention aux besoins des opérateurs économiques peut également être observée dans la plupart des pays depuis 2008 : soutien aux PME, financement de l'activité économique, soutien à l'innovation, technoparcs, programmes d'accession sectorielle aux outils (par exemple informatisation des petites entreprises), encouragement de filières etc. ANIMA y prend largement part et a infléchi ses priorités dans ce sens. ANIMA Investment Network Impact de la crise sur MED Analyse résumée - 17/11/2010 5 Trois scénarios de long terme... Sur un plan plus politique, la réflexion d'ANIMA évoque 3 scénarios à plus long terme pour le futur économique de cette "région globale" qu'est l'Euromed: Le scénario du pire, ou scénario Atlantide. La région entière, sur les deux rives, a des atouts patrimoniaux forts (civilisations, culture, sites, climat, ressources naturelles, etc.), mais une capacité à entreprendre faible, au moins si l'on compare aux 2 autres blocs principaux de l'Amérique (ALENA + Comasur) et de l'Asie (Chine + ASEAN + Inde). Si une alliance euro-méditerranéenne ou euro-africaine forte n'émerge dans la décennie à venir, cette région du monde ne disparaîtra certes pas comme un continent perdu (l'Atlantide…), mais pourrait se trouver largement marginalisée et dominée dans le système mondial. Le manque de leadership, les divergences stratégiques et le vieillissement du modèle de l'UE d'une part, le manque d'intégration, les conflits actuels ou latents, et les défis difficiles des pays MED d'autre part limitent la compétitivité de l'Euromed. Dans ce scénario, les synergies potentielles entre les deux rives sont gaspillées et les fractures existantes (économique, religieuse, politique…) aggravées. C'est, d'une certaine manière, un scénario "ne rien faire" – Europe incapable d'adopter une vision proactive du rapport avec son sud, gouvernements MED davantage intéressés à maintenir leur pouvoir qu'à développer leur pays, élites et capitaux en fuite, manque de décideurs courageux et prophétiques s'appliquant à mettre fin à des conflits interminables, sociétés démissionnant face à l'extrémisme ou au populisme. Le scénario de la continuité. Le dialogue Euromed continue, non sans arrêts et avatars. Le processus politique entraîne quelques avancées pour le business. Les entreprises coopèrent, mais ne sont pas entièrement libérées de certains obstacles (visas, déséquilibres des accords commerciaux, bureaucratie, mise en place fastidieuse de normes communes etc.). Quelques engagements émergent de crises périodique, mais il manque une détermination à long terme– d'où d'inévitables retards, comme la zone de libre échange prévue pour 2010, le démarrage laborieux de l'UpM, ou les fonds insuffisants (le ratio bien connu de 1 à 40 entre fonds structurels destinés respectivement à MED et aux PECO). Dans ce scénario, le territoire MED mélange plusieurs modèles : quelques espaces d'excellence (métropoles, pôles industriels ou logistiques, technoparcs) capables de fixer le meilleur des activités et des citoyens de MED ; nombreuses enclaves touristiques; vastes banlieues urbaines sous- équipées etc. A peu d'exceptions près (compagnies pétrolières), l'industrie dépendra de multinationales OCDE ou émergentes (les Tata, Mittal, CNPC, Bunge, Emaar etc.). MED et Europe vivront un déclin relatif vis à vis de l'Asie et de l'Amérique. Le scénario idéal. Tous les conflits sont résolus (peut-être parce qu'ils apparaissent comme secondaires, comparés aux défis de la planète…). L'organisation MED-15, associée à part entière de l'UE-35, est créée dès 2015, et ces 50 Etats sont tous partie d'une Union prospère pour la Méditerranée. La complémentarité Euro-Med est encouragée en termes de mouvement des biens et des personnes. Une banque de développement accompagne la multiplication des projets et des partenariats d'affaires. Un Traité est signé, faisant de la Méditerranée un laboratoire mondial pour des approches industrielles basées sur l'innovation, la responsabilité sociale, le souci environnemental etc. Un accès large à l'Internet facilite la mise en place d'une véritable économie de la connaissance sur tout le bassin. Évidemment constitué de millions de décisions individuelles, ce scénario implique surtout un ensemble de choix collectifs basés sur la rationalité à long terme : préférence systématique pour des projets durables, développement de la subsidiarité et de la responsabilité locale, engagement en faveur d'une coopération régionale approfondie, priorité à l'éducation et à la formation, vraies chances économiques données aux entrepreneurs, en particulier aux jeunes, femmes et diasporas. A nous tous de choisir !