l`affaire du FROUTVEN MEMOIRE EN REPLIQUE ET

Transcription

l`affaire du FROUTVEN MEMOIRE EN REPLIQUE ET
COUR ADMINISTRATIVE D’APPEL DE NANTES
MEMOIRE EN REPLIQUE ET RECAPITULATIF
EXTRAITS
POUR :
La SARL RUE DE SIAM
Dont le siège est ZAC de Ty Ar Menez
29470 – PLOUGASTEL DAOULAS
Représentée par ses Gérants en exercice,
Monsieur Pierre-Yves HASCOET et Madame Nathalie HASCOET
Domiciliés en cette qualité audit siège
Ayant pour avocat :
Maître Jean-Charles LERICHE-MILLIET
Avocat au Barreau de Paris
4, rue Cambon
75001 – PARIS
CONTRE :
1°) Le jugement n°0904265 rendu par le Tribunal administratif
de RENNES le 16 octobre 2014
2°) La Métropole BREST METROPOLE
Venant aux droits de la Communauté Urbaine BREST
METROPOLE OCEANE (BMO)
Dont le siège est 24, rue Coat-ar-Guéven
29222 – BREST cedex 2
Représentée par son Président en exercice,
Monsieur François CUILLANDRE,
Domicilié en cette qualité audit siège
Ayant pour avocat :
Maître Jean-Paul MARTIN
Avocat au Barreau de Rennes
8, boulevard de la Tour d’Auvergne
35065 – RENNES cedex
-2-
EN PRESENCE :
1°) De la SNC ALTA CRP GUIPAVAS
Dont le siège est 8, avenue Delcassé
75008 – PARIS
Prise en la personne de ses représentants légaux en exercice
2°) De la SAS IKEA DEVELOPPEMENT
Dont le siège est 425, rue Henri Barbusse
78370 – PLAISIR
Prise en la personne de ses représentants légaux en exercice
3°) De la SNC MEUBLES IKEA France
Dont le siège est 425, rue Henri Barbusse
78370 – PLAISIR
Prise en la personne de ses représentants légaux en exercice
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FAITS ET PROCEDURE
Depuis 1994, la Société RUE DE SIAM exploite un commerce de vente au détail de
meubles d’une surface de 2.500 m2 à PLOUGASTEL-DAOULAS (29470).
La Communauté Urbaine BREST METROPOLE OCEANE, qui regroupe huit
communes, dont celles de BREST (29222), PLOUGASTEL-DAOULAS (29470) et
GUIPAVAS (29490), et est de plein droit compétente en matière de développement
et d'aménagement économique de l'espace communautaire (création, aménagement,
entretien et gestion de zones d'activité commerciale, actions de développement
économique) en vertu de l’article L. 5215-20-1° du code général des collectivités
territoriales (cf. P.J. TA n°10), a entrepris de faire du secteur du FROUTVEN à
GUIPAVAS, situé à l’entrée Nord-Est de BREST, une zone privilégiée de
développement de l’agglomération.
Dès le début, dans le cadre de l’aménagement de ce secteur, l’un des objectifs de
BMO a été d’attirer l’enseigne IKEA, dont l’implantation était parallèlement
prévue, dans le même temps, à RENNES.
-3-
Pour satisfaire à cet objectif, BMO a d’abord procédé, en juin 2006, à la révision de
la charte d’urbanisme commercial conclue en 1993 entre la Ville de BREST et la
Chambre de commerce et d’industrie de BREST (cf. P.J. TA n°7).
Il a été inscrit dans la charte que « De par sa situation géographique et afin de
renforcer la dimension métropolitaine de Brest, un ensemble commercial, avec
principalement des enseignes à forte notoriété, capables d’élargir la zone de
chalandise actuelle, pourra être mis en place au Froutven » et que « La thématique
retenue sera celle de l’équipement de la maison, peu concurrente des activités de
centre-ville » (ibidem, page 8).
BMO a par ailleurs inscrit son projet d’aménagement dans le plan local d’urbanisme
(PLU) approuvé par délibération du conseil de communauté en date du 7 juillet
2006, laquelle a toutefois été ultérieurement annulée par le Tribunal administratif de
RENNES (jugement n°s 0603702 et autres du 22 octobre 2009) de même que la
délibération du 11 décembre 2009 intervenue en suite de cette annulation (jugement
n°s 1000493 et autres du 28 décembre 2012).
Le site du FROUVEN a ainsi été identifié comme un « secteur dédié à l’accueil de
grands équipements métropolitains de l’agglomération » au projet d’aménagement
et de développement durable (PADD). En outre, ce secteur a été classé en zone
d’urbanisation future à vocation notamment économique et d’activités.
Pour permettre la réalisation de son projet d’aménagement, BMO a encore pris en
charge les travaux du tramway de l’agglomération brestoise, dont elle a
spécialement modifié le tracé afin d’assurer la desserte de la future zone d’activité
commerciale ainsi qu’il résulte des délibérations n°C 2005-12-174 du 16 décembre
2005 (cf. P.J. TA n°12) et n°B 2006-01-005 du 20 janvier 2006 (cf. P.J. TA n°13).
Sur le plan produit en première instance, il apparaît clairement que le tramway a été
prolongé jusqu’à cet ensemble commercial et même jusqu’au pied du magasin
IKEA, aujourd’hui construit (cf. P.J. TA n°38).
BMO a encore financé les aménagements routiers liés à l’opération, pour un
montant global prévisionnel estimé à l’époque à 1.250.000 euros TTC, comme le
montre la délibération n°B 2007-03-052 du 23 mars 2007 (cf. P.J. TA n°14).
Parallèlement à l’édiction d’un dispositif réglementaire (PLU, charte d’urbanisme
commercial) et à la prise en charge des aménagements des infrastructures (tramway,
travaux routiers) destinés à permettre l’aménagement du secteur du FROUTVEN,
BMO a offert au promoteur du projet (le groupe ALTAREA) d’acquérir une partie
du foncier nécessaire et ce d’ailleurs, en faisant usage de prérogatives de puissance
publique.
-4-
C’est ainsi que plusieurs parcelles ont été déclassées du domaine public pour être
ensuite revendues au groupe ALTAREA au prix de 12 euros / m2. Tel a notamment
été le cas de la portion d’un ancien chemin d’environ 400 m2 (cf. P.J. TA n°15) et
d’un délaissé de terrain d’environ 350 m2 vendu aux mêmes conditions (cf. P.J. TA
n°16).
A noter également que des terrains de sport municipaux ont fait l’objet d’un échange
au profit de la Société SNC ALTA CRP GUIPAVAS, ainsi qu’il résulte d’une
délibération n°2008-06-63 du conseil municipal de GUIPAVAS en date du 27 juin
2008, et ce, « afin de permettre une meilleure implantation d’Ikea sur la zone du
Froutven » (cf. P.J. TA n°39).
Enfin, toujours pour permettre la réalisation de son projet par le groupe ALTAREA
et son exploitation par l’enseigne IKEA, BMO s’est dotée de procédures
spécifiques, et notamment du droit de préemption, dont la seule institution suffit à
démontrer l’existence d’une action ou d’une opération d’aménagement au sens de
l’article L.300-1 du code de l’urbanisme auquel renvoie l’article L.210-1 du même
code.
L’on était d’autant plus fondé à le penser que, dans le même temps, la création
d’une zone commerciale, également destinée à accueillir l’enseigne IKEA, faisait
l’objet, par RENNES METROPOLE, d’une zone d’aménagement concerté (ZAC) et
également d’une convention publique d’aménagement (cf. P.J. TA n°18).
Force est toutefois de constater que tel n’a pas été le cas à GUIPAVAS où
l’aménagement de projet a été confié dans les faits au groupe ALTAREA sans
qu’aucune procédure de ce type, ni même aucune ZAC, ne soit jamais mise en
œuvre par BMO.
Les Sociétés SNC ALTA CRP GUIPAVAS et SAS IKEA DEVELOPPEMENT –
en qualité de promoteurs et futurs propriétaires – et SNC MEUBLES IKEA – en
qualité de futur exploitant – se sont en effet bornées à déposer un dossier de
demande d’autorisation d’exploitation commerciale en février 2006 auprès de la
Commission Départementale d’Equipement Commercial (CDEC).
C’est dans ces conditions que la zone d’activité commerciale du FROUTVEN,
dénommée « Les Portes de Brest Guipavas », a pu être inaugurée en septembre
2008, en présence des représentants de BMO, l’enseigne IKEA ayant pour sa part
ouvert dès mars 2008 (cf. P.J. TA n°19).
-5-
DISCUSSION
I-
Sur le mal-fondé du jugement
Il apparaît que BMO a commis plusieurs fautes au stade de la définition, de la
création, de la dévolution et même de l’exploitation de la zone d’activité
commerciale du FROUTVEN, de nature à engager sa responsabilité et ce, que ce
soit en édictant des règles d’urbanisme illégales (§1) ou en violant les règles de
publicité et de mise en concurrence (§2), la réglementation relatives aux aides
publiques (§3) et les règles du droit de la concurrence (§4).
1-
Sur l’édiction de règles d’urbanisme illégales
La délibération du conseil de communauté en date du 7 juillet 2006, et donc le
classement du secteur du FROUVEN en zone d’urbanisation future à vocation
notamment économique et d’activités, a cependant été annulée par le Tribunal
administratif de RENNES aux termes d’un jugement rendu le 22 octobre 2009 (n°s
0603702 et autres).
Or, dans sa version antérieure, le plan d’occupation des sols classait ce secteur en
zone à vocation agricole, excluant l’implantation d’activités commerciales.
Le permis de construire octroyé au groupe ALTAREA le 22 décembre 2006 est
donc illégal car il n’aurait pas pu être délivré sous l’empire du précédent document
d’urbanisme ainsi remis en vigueur (cf. CE, Sect., 7 février 2008, Commune de
Courbevoie, AJDA, 2008, page 582, à propos d’un document d’urbanisme déclaré
illégal ; et CE, 16 novembre 2009, SARL Les résidences de Cavalière, précité, à
propos d’un document d’urbanisme annulé).
Dès lors, en édictant un document d’urbanisme illégal, puis en délivrant des permis
de construire eux-mêmes illégaux au profit du promoteur et du futur exploitant du
projet, et en autorisant ce faisant ces derniers à construire et réaliser un vaste
ensemble commercial sur le site du FROUTVEN, BMO a commis une première
faute de nature à engager sa responsabilité car, au cas d’espèce, l’annulation du PLU
intercommunal implique, de par son caractère rétroactif, que ces permis ne
pouvaient pas être légalement délivrés.
-6-
2-
Sur la violation des règles de publicité et de mise en concurrence
Il résulte également du rappel des faits ci-dessus que BMO a confié l’aménagement
de la zone du FROUTVEN au groupe ALTAREA pour permettre son exploitation
par le groupe IKEA.
Certes, cette décision ne s’est pas matérialisée par un acte, et n’a notamment pas
donné lieu à la conclusion d’une convention écrite entre les parties.
L’absence de formalisation par écrit des contrats passés par BMO avec les
promoteurs semble au demeurant ancrée dans la pratique locale si l’on en croit le
rapport de l’Agence Nationale pour l’Information sur le Logement (ANIL) de
février 2010 portant sur la négociation entre élus locaux et promoteurs (cf. P.J. TA
n°40).
Mais l’existence d’une décision (ou d’un contrat) peut se déduire de certains
comportements lorsque, comme en l’espèce, cette décision (ou ce contrat) n’a pas
été formalisée ou matérialisée par un acte (unilatéral ou contractuel).
C’est par exemple de l’exécution de travaux que le Conseil d’Etat a déduit
l’existence d’une décision d’implanter dans la cour d’honneur du Palais-Royal les
fameuses « colonnes de Buren » (cf. CE, 12 mars 1986, Cusenier, AJDA, 1986,
page 258, conclusions J. Massot).
Il convient d’ajouter qu’un marché public peut être verbal (cf. CE, Sect., 20 avril
1956, Bertin, AJDA, 1956, page 221) ou même simplement tacite (cf. CE, 29
décembre 1999, Société FCA Méditerranée, n°188018 : l’existence d’un contrat
peut se déduire « à partir d’un ensemble de faits et de pièces »).
Même une concession d’aménagement peut résulter du comportement du pouvoir
adjudicateur en l’absence de signature d’un contrat écrit (cf. CAA Marseille, 27
février 2008, Commune d’Estagel, n°07MA01727 : « il ressort des pièces du
dossier soumis au juge […] que la Commune […], alors même qu'elle n'aurait pas
signé de contrat de concession, doit être regardée comme ayant choisi l'aménageur
de la future ZAC »).
La circonstance que les relations entre BMO et le groupe ALTAREA n’ont pas été
formalisées par un acte contractuel n’interdit donc pas de rechercher si celles-ci
s’inscrivent dans le cadre d’une convention publique d’aménagement.
Or, il va être démontré ci-après que tel est le cas en l’espèce.
*
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-7-
La définition des concessions publiques d’aménagement est aujourd’hui donnée par
l’article L.300-4 du code de l’urbanisme : « L'Etat et les collectivités territoriales,
ainsi que leurs établissements publics, peuvent concéder la réalisation des
opérations d'aménagement prévues par le présent code à toute personne y ayant
vocation. L'attribution des concessions d'aménagement est soumise par le
concédant à une procédure de publicité permettant la présentation de plusieurs
offres concurrentes […].
Ainsi, même lorsqu’une convention d’aménagement n’est ni une concession ni un
marché public soumis à une procédure formalisée en vertu des directives
communautaires (par exemple en raison de son montant), elle est quand même
soumise à l’obligation de transparence (article R. 300-11-7).
A peine est-il besoin de rappeler, en effet, que les règles fondamentales posées par
le Traité instituant la Communauté européenne (dit « TCE »), devenu le Traité sur le
fonctionnement de l’Union européenne (dit « FUE »), notamment le principe de
non-discrimination en raison de la nationalité, soumettent l'ensemble des contrats
conclus par les pouvoirs adjudicateurs des Etats membres aux obligations minimales
de publicité et de transparence propres à assurer l'égalité d'accès à ces contrats.
Ce dernier décret a en effet eu pour objet de mettre le droit interne en conformité
avec le droit communautaire.
Or, il va être démontré ci-après que :
-
les relations de BMO avec les groupes ALTAREA / IKEA s’inscrivent dans
le cadre d’une convention tacite qui répond à la qualification de marché
public de travaux au sens de la directive n°2004/18/CE du 31 mars 2004,
alors applicable, relative à la coordination des procédures de passation des
marchés publics de travaux, de fournitures et de services, et elles étaient
soumises, comme telles, à une procédure de publicité et de mise en
concurrence (§a) ;
-
ces relations n’étaient en tout état de cause pas exclues du champ
d’application des règles fondamentales posées par le Traité instituant la
Communauté européenne, devenu le Traité FUE, et en particulier du
principe de non-discrimination en raison de la nationalité, qui soumettent
l'ensemble des contrats conclus par les pouvoirs adjudicateurs des Etats
membres aux obligations minimales de publicité et de transparence propres
à assurer l'égalité d'accès à ces contrats (§b) ;
En d’autres termes, même dans le cas d’équipements commercialisés à des fins
uniquement privées, la jurisprudence « Jean Auroux » s’applique car « Si le contrat
-8-
définit la destination et les caractéristiques des ouvrages que l’opération doit
réaliser, et s’il répond à une initiative d’une collectivité publique, il répond
également à une ‘commande publique’ » (cf. A. Vandepoorter, Montages
immobiliers et concurrence [2], La délicate question de la qualification du contrat,
La Gazette, 27 juin 2011, page 50).
Or, force est de constater que tel est bien le cas en l’espèce.
Tout d’abord, et comme il a été indiqué dans le rappel des faits ci-dessus, BMO a
clairement orienté la vocation du pôle commercial vers la thématique « de
l’équipement de la maison » en procédant à la révision en juin 2006, avec ses
partenaires, de la charte d’urbanisme commercial conclue en 1993 (cf. P.J. TA n°7).
Cette révision a notamment consisté à inscrire dans la charte d’urbanisme
commercial que « deux secteurs ont vocation particulièrement à accueillir [le]
développement du commerce métropolitain : prioritairement le centre-ville et
secondairement, le site du FROUTVEN » (ibidem, page 7).
Ensuite, BMO a décidé de faire du secteur du FROUTVEN une « zone majeure de
développement d’activités et d’équipements de loisirs », destinée à rendre plus
attractive la métropole, et, pour « assurer la cohérence d’ensemble de cette zone »,
elle a adapté son PLU et s’est dotée de procédures spécifiques, comme « la mise en
œuvre des moyens de maîtrise foncière publique et notamment le droit de
préemption » (cf. P.J. TA n°17 et pièces adverses TA n°s 16 et 17).
Si l’on en croit BMO, cette dernière n’aurait pas eu besoin d’exercer son droit de
préemption pour permettre aux Sociétés ALTAREA/IKEA d’acquérir le foncier
nécessaire à la réalisation du projet.
Mais la seule institution du droit de préemption dans la zone suffit à démontrer
l’existence d’une action ou d’une opération d’aménagement au sens de l’article
L.300-1 du code de l’urbanisme auquel renvoie l’article L.210-1 du même code.
En outre, même si BMO n’a pas eu à exercer le droit de préemption qu’elle a
institué, il est établi que plusieurs parcelles ont été déclassées du domaine public
pour être ensuite revendues au groupe ALTAREA au prix de 12 euros / m2.
Tel a notamment été le cas de la portion d’un ancien chemin d’environ 400 m2 (cf.
P.J. TA n°15) et d’un délaissé de terrain d’environ 350 m2 vendu aux mêmes
conditions (cf. P.J. TA n°16).
Il faut par ailleurs ajouter que des terrains municipaux ont fait l’objet d’un échange
au profit du groupe ALTAREA « afin de permettre une meilleure implantation
d’Ikea sur la zone du Froutven » (cf. P.J. TA n°39).
Mais ce n’est pas tout : pour permettre la réalisation de son projet d’aménagement,
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BMO a également pris en charge les travaux du tramway de l’agglomération
brestoise, dont elle a spécialement modifié le tracé afin que la future zone d’activité
commerciale puisse être desservie (cf. P.J. TA n°s 12, 13 et 38 ; cf. également
pièce adverse TA n°9).
Ce point n’a au demeurant jamais été contesté par BREST METROPOLE, que ce
soit devant le Tribunal ou devant la Cour.
BMO a encore financé les aménagements routiers liés à l’opération, pour un
montant global prévisionnel estimé à l’époque à 1.250.000 euros TTC (cf. P.J. TA
n°14).
Il ne saurait dès lors être contesté, dans ces conditions, que c’est BMO, et non pas
les Sociétés SNC ALTA CRP GUIPAVAS, SAS IKEA DEVELOPPEMENT et
SNC MEUBLES IKEA, qui a été à l’initiative du projet.
Certes, ce n’est pas BMO, mais la CDEC, qui a autorisé l’exploitation de l’ensemble
commercial.
Mais il résulte des pièces du dossier que l’aménagement de cet ensemble
commercial procède bien d’une commande de BMO, qui s’est clairement immiscée
dans la conception et la réalisation du projet et est allée bien au-delà du simple
« exercice […] de sa compétence en matière d’urbanisme » comme l’a estimé le
Tribunal (cf. P.J. CAA n°1, page 9), et comme le soutient de nouveau BREST
METROPOLE devant la Cour (cf. mémoire adverse, notamment pages 25, 27 et
30).
L’article diffusé par le « groupe socialiste BMO » à l’occasion de l’inauguration des
enseignes des « Portes de Brest-Guipavas » en septembre 2008 confirme au
demeurant cet état de fait (cf. P.J. TA n°20).
L’opération y est en effet décrite en ces termes : « Depuis le début du projet, en
2004, le secteur a connu de profonds aménagements, qui ont permis l’ouverture de
près de 37 000 m² de commerces. Ces aménagements s’inscrivent dans une volonté
de créer un véritable pôle commercial dédié pour l’essentiel à l’équipement de la
maison. Cette nouvelle zone d’activités dote l’agglomération d’une véritable entrée
de ville identifiée, qui viendra considérablement se renforcer, à terme, avec
l’arrivée du tramway ou des projets comme le Zénith ou le Grand Stade. Au-delà
d’un aménagement d’agglomération, il s’agit bien de renforcer l’attractivité de
notre métropole pour en faire la locomotive de la Bretagne occidentale. L’arrivée
d’Ikea, qui attire des clients d’une zone allant de Brest à Guingamp et Lorient, est
révélatrice de cette démarche. […] il s’agit également de respecter la diversité des
commerces et l’équilibre entre le centre et la périphérie, comme le prévoit la charte
d’urbanisme commerciale. Cette charte a été établie en 1993 et révisée en 2006,
dans un partenariat entre la Chambre de Commerce et d’Industrie et Brest
- 10 -
Métropole Océane. Elle prévoit que ‘l’implantation d’enseignes nationales à
vocation régionale’ est un enjeu d’attractivité fort ; mais elle pose également les
principes pour que soient respectés la diversité des formes de distribution, et
l’équilibre entre le centre de Brest et la périphérie. En l’occurrence, le choix a été
fait de consacrer cette zone à l’équipement de la maison, et de maintenir les
commerces d’équipement de la personne en centre ville. Au total, ce sont près de
450 emplois qui sont générés par ce nouveau pôle, dont nombre d’emplois de
qualité, à l’instar des salariés de l’enseigne suédoise dont 79 % sont en C.D.I. et
70 % embauchés à temps plein. C’est donc une nouvelle page qui s’ouvre pour la
zone du Froutven, dont l’agglomération tout entière bénéficiera. Une étape de plus
dans l’aménagement global de cette zone stratégique, à l’Est de notre
agglomération » 1.
On peut également citer, dans le même sens, les déclarations à la presse de
Monsieur Marc LABBEY, à l’époque Vice-Président de BMO chargé de
l’économie, et premier pilote du projet, qui a reconnu, à plusieurs reprises, que le
projet résultait d’une commande de la Collectivité : « Puis c'est Altarea, un gros
aménageur, qui a acheté et essayé de monter une proposition. ‘Je leur ai dit: Si
vous voulez que cela se fasse, trouvez une enseigne qui commence par I et finisse
par A’, se souvient Marc Labbey, à l'époque vice-président de Brest Métropole
Océane chargé de l'économie. L'accord se fit. «Puissance conviée», en quelque
sorte, Ikea est propriétaire de son terrain au Froutven, pas les autres dans le projet
Altarea. Ikea a ouvert en mars 2008 sur 17.650m². En septembre, ont suivi
Décathlon (8.000m²), Boulanger (2.980m²) ainsi qu'une quinzaine de magasins
(équipement de la maison) et une petite dizaine de restaurants. Le tout pour 37.000
m² commerciaux, davantage que les trois hypers brestois réunis » (cf. P.J. TA
n°21).
Même la CDEC a reconnu, dans sa décision du 6 octobre 2006, « que le projet a été
conçu en concertation avec les élus ».
Enfin, une étude réalisée sur le projet par des étudiants de l’Institut de GéoArchitecture à BREST, intitulée « Le Froudwenn : une nouvelle zone commerciale
pour Brest, résultat d’un choix ou contrainte ? » (cf. P.J. TA n°22), mérite d’être
citée car elle corrobore elle aussi l’existence d’une commande de la part de BMO :
« 3. Le processus de maturation du projet du Froudwenn
« Lors de notre rencontre avec Monsieur ROUDAUT de la CCI, celui-ci nous a
parlé de ce projet comme un « Kergaradec Bis » ce qui a donc motivé le refus de la
CCI. Pour BMO, le projet était incompatible avec la Charte d’urbanisme
commercial élaborée en partenariat avec la CCI qui prévoyait […] l’implantation
de commerce métropolitain, donc des enseignes à dimensions régionales ou
nationales, au Froudwenn.
1
Souligné par l’exposante.
- 11 -
« Il est alors demandé à ALTAREA de revenir avec un projet composé d’une
locomotive commerciale ‘ayant un nom commençant par un I et terminant par un A’
(G. Kübler, chargé de projet à BMO, le 7 février 2008).
« 4. Les tractations
« Conscient de ne pas avoir eu toutes les informations concernant les dessous du
sujet, notamment parce qu’il nous a été impossible de rencontrer deux des
principaux acteurs que sont IKEA et ALTAREA, nous tenterons de comprendre les
tractations qui ont eu lieu.
« Lors des tractations et des discussions autour du projet, la Collectivité et la CCI
ont réussi à obtenir certaines choses de la part du promoteur commercial comme la
baisse de 4000m2 des surfaces de vente. Cependant, la CCI reste critique envers le
projet de Retail Park mais approuve totalement la venue d’IKEA […].
« En 2004, BMO avait exigé de la part de l’aménageur privé un projet composé
d’IKEA. ALTAREA a donc dû, afin de s’implanter sur le site, céder au groupe
suédois la surface que désirait l’enseigne pour s’installer ; la politique du géant de
l’équipement de la maison étant d’être propriétaire de ses locaux et terrains.
« D’après Monsieur ROUDAUT de la CCI, le promoteur financier aurait vendu
moins cher ses terrains a IKEA que ce que n’aurait rapporté les rentes de locations.
Cependant, le projet ne pouvait voir le jour qu’avec IKEA et cette locomotive
commerciale permet au financier qu’est ALTAREA de louer plus facilement ses
emplacements commerciaux. IKEA, conscient de sa notoriété et du symbole que
représente l’entreprise, bénéficie d’un avantage sur ses partenaires lors de
l’élaboration de ses projets d’implantation.
« Pour exister au Froudwenn, ALTAREA a besoin d’IKEA mais Brest veut plus que
tout IKEA sur son territoire. C’est la collectivité qui a demandé au promoteur
d’insérer le géant suédois dans son projet, ne l’oublions pas. En tant que
demandeur, Brest est donc ici dans une position où il est difficile de rejeter les
exigences de l’enseigne de prestige que représente le groupe suédois. Ainsi,
lorsqu’elle a exigé un prolongement du Tramway jusqu’au Froudwenn, la
collectivité a accepté » ;
D’une part, il est établi que BMO a utilisé des fonds publics pour permettre
l’aménagement du secteur et, partant, la réalisation du projet confié au promoteur
ALTAREA et au groupe IKEA, en qualité d’exploitant.
On a vu en effet ci-dessus que BMO reconnaît avoir financé les travaux du tramway
de l’agglomération brestoise et également avoir spécialement modifié son tracé pour
assurer la desserte de la future zone d’activité commerciale (cf. P.J. TA n°s 12 et
13).
- 12 -
Le montant total de ces travaux s’est élevé à 383.000.000 euros HT pour 14,3 km
(cf. P.J. TA n°36). En retenant un coût au km de 26.783.216 euros HT, le seul
tronçon PONTANEZEN / LES PORTES DE GUIPAVAS (2 km) aura ainsi coûté
plus de 53.500.000 euros HT !
On a également vu ci-dessus que l’intimée reconnaît avoir financé les
aménagements routiers liés à l’opération, pour un montant global prévisionnel
estimé à l’époque à 1.250.000 euros TTC (cf. P.J. TA n°14).
Le financement sur fonds publics de ces équipements a donc permis aux Sociétés
ALTAREA / IKEA de réaliser une économie substantielle, sans que BREST
METROPOLE puisse utilement invoquer le fait que ces opérateurs ont dû
s’acquitter de la taxe locale d’équipement (TLE), le versement d’une telle taxe étant
en effet obligatoire pour toute opération de construction immobilière depuis la loi
d’orientation foncière n°67-1253 du 30 décembre 1967.
Ainsi, que ce soit en finançant les équipements liés à l’opération (tramway, voirie)
ou en rétrocédant une partie du foncier nécessaire à sa réalisation à un prix
nettement inférieur à celui du marché, BMO a clairement renoncé à percevoir une
somme d’argent en contrepartie de l’obligation pour le promoteur de construire des
ouvrages ou de réaliser des travaux présentant pour elle un « intérêt économique
direct ».
Au total, toutes les conditions sont réunies pour qualifier un marché public de
travaux au sens du a) et du b) du paragraphe 2 de l’article 1er de la directive
n°2004/18/CE du 31 mars 2004, dont les dispositions étaient applicables à la date
des faits.
Les relations de BMO et des groupes ALTAREA / IKEA entrent donc bien dans le
champ d’application de la directive2.
BMO ne pouvait, par suite, confier l’aménagement du projet de zone d’activité
commerciale aux groupes ALTAREA et IKEA en dehors des procédures de
publicité et de mise en concurrence prévues par la directive en matière de
marchés publics de travaux (articles 4 à 55).
Or, il est constant qu’aucune procédure de publicité et de mise en concurrence n’a
jamais été mise en œuvre ; BMO l’a même explicitement reconnu dans son courrier
du 10 juillet 2009 (cf. P.J. TA n°1).
Dès lors, en ne respectant pas les procédures et de mise en concurrence prévues par
la directive en matière de marchés publics, BMO a commis une deuxième faute de
nature à engager sa responsabilité.
2
Si la Cour de céans avait encore un doute à ce sujet, elle pourrait naturellement poser une
question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne
- 13 -
b-
Sur les règles fondamentales du Traité FUE
Comme il a été rappelé ci-dessus (cf. supra, §a), les règles fondamentales posées par
le Traité instituant la Communauté européenne, devenu le Traité FUE, et en
particulier le principe de non-discrimination en raison de la nationalité, soumettent
l'ensemble des contrats conclus par les pouvoirs adjudicateurs des Etats membres
aux obligations minimales de publicité et de transparence propres à assurer l'égalité
d'accès à ces contrats.
La Cour de Justice a ainsi précisé que ces règles fondamentales s’appliquent aux
marchés ou aux concessions qui n’entrent pas dans le champ d’application des
directives, et qu’elles impliquent « notamment, une obligation de transparence
[permettant] au pouvoir adjudicateur de s’assurer que [le principe de nondiscrimination] est respecté [consistant] à garantir en faveur de tout
soumissionnaire potentiel, un degré de publicité adéquat permettant une ouverture
du marché des services à la concurrence ainsi que le contrôle de l’impartialité des
procédures d’adjudication » (cf. CJCE, 7 décembre 2000, Telaustria Verlags Gmbh,
précité, P.J. TA n°5 ; CJCE, ord., 3 décembre 2001, Bent Mousten Vestergaard,
également précité).
Or, il résulte de ce qui précède que les relations de BMO avec le promoteur
ALTAREA et l’exploitant IKEA sont susceptibles d’être qualifiées de marché
public de travaux au sens du droit communautaire.
Dès lors, à supposer même que lesdites relations n’entraient pas dans le champ
d’application de la directive du 31 mars 2004 alors applicable, sa conclusion était
quand même soumise aux obligations minimales de publicité et de transparence (cf.,
en ce sens, CAA Bordeaux, 9 novembre 2004, Sogedis, AJDA, 7 février 2005, page
257, P.J. TA n°4 ; CAA Versailles, 12 mars 2009, Commune de Clichy-la-Garenne,
n°07VE02221 ; CE, 18 novembre 2011, SNC Eiffage Aménagement, précité)3.
A défaut pour BMO de s’être conformée à de telles obligations, les relations
contestées ont ainsi été conclues dans des conditions manifestement irrégulières.
La SARL RUE DE SIAM est donc en tout état de cause fondée à soutenir que BMO
a commis une faute de nature à engager sa responsabilité.
*
*
*
Là encore, si la Cour de céans avait le moindre doute sur ce point, l’exposante ne verrait
aucun inconvénient à ce qu’elle interroge le Juge communautaire dans le cadre d’une question
préjudicielle.
3
- 14 -
Au-delà, toutes les conditions sont réunies en l’espèce pour qualifier une convention
publique d’aménagement car il s’agit bien d’un contrat ayant pour objet la
réalisation d’une opération d’aménagement, c’est-à-dire :
-
-
d’une opération qui traduit et met en œuvre une volonté d’aménagement par
un « effort d’organisation des activités et d’ordonnancement de
l’urbanisation » (cf. conclusions Lasvignes sur CE, Sect., 28 juillet 1993,
Commune de Chamonix-Mont-Blanc, page 2541, citées par F. Llorens et P.
Soler-Couteaux, in Le périmètre des concessions d’aménagement, Etudes
foncières, n°147, septembre-octobre 2010, page 30, cf. P.J. TA n°37),
et qui poursuit l’une des finalités énumérées par l’article L. 300-1 du code
de l’urbanisme, en l’occurrence la mise en œuvre d’un projet urbain,
l’accueil et l’extension d’activités économiques et la favorisation du
développement des loisirs et du tourisme commercial.
Même BREST METROPOLE reconnaît que le projet des « Portes de GUIPAVAS »
constitue une opération d’aménagement puisqu’elle fait état, dans son propre
mémoire, de « la réalisation de l’opération d’aménagement ‘Les Portes de
GUIPAVAS’ » (cf. mémoire adverse, page 29)4.
En outre, si, dans son mémoire en défense, BREST METROPOLE cherche à
relativiser la valeur juridique de l’analyse des étudiants de l’Institut de GéoArchitecture (cf. P.J. TA n°22), dont elle souligne toutefois « la qualité
universitaire » (cf. mémoire adverse, page 13), force est de constater qu’elle ne
conteste pas les déclarations réitérées de son ancien Vice-Président selon
lesquelles BMO est bien à l’initiative du projet (cf. P.J. TA n°21).
Et de fait, c’est bien BMO qui a bloqué l’aménagement du secteur du FROUTVEN
pendant des années, puis défini l’activité économique, choisi l’aménageur et enfin
l’enseigne leader de la zone.
Or, comme le rappelle elle-même BREST METROPOLE dans ses écritures (cf.
page 30) :
4
Souligné par l’exposante.
- 15 -
Ainsi, dès lors qu’elle a décidé de confier à un tiers (ALTAREA / IKEA), dans un
cadre réglementaire préalablement et spécialement défini pour assurer sa réalisation
(cf. pièce adverse TA n°8), la responsabilité d’une opération, dont il est établi
qu’elle a pris l’initiative selon les déclarations de ses propres représentants (cf. P.J.
TA n°21), BMO était tenue d’utiliser la concession d’aménagement comme mode
contractuel de réalisation de cette opération (sauf à réaliser cette opération en régie,
choix que n’a pas fait BMO) car c’est ce qui résulte de l’article L.300-4 du code de
l’urbanisme.
Comme l’expliquent les Professeurs LLORENS et SOLER-COUTEAUX (cf. P.J.
TA n°37), dont on regrette qu’ils n’aient pas pris d’écritures dans le cadre de
l’instance alors qu’ils s’étaient constitués, devant le Tribunal, dans l’intérêt de la
SNC ALTA-CRP GUIPAVAS :
« Si la concession d’aménagement a bien l’objet spécifique que nous venons
d’indiquer, la question qui se pose à présent est de savoir si cet objet – en
l’occurrence la réalisation d’une opération d’aménagement au sens du Code de
l’urbanisme – peut être réalisé dans un autre cadre.
« La réponse est certainement affirmative si l’on entend par là que la collectivité est
libre de réaliser l’opération en régie directe sous sa propre maîtrise d’ouvrage, en
passant elle-même les marchés nécessaires. Outre que cette solution est conforme
au principe de la liberté de choix par les collectivités publiques du mode de gestion
de leurs services ou d’exercice de leurs activités, aucune disposition du Code de
l’urbanisme ne la condamne. Bien au contraire, il résulte de son article L 300-4
qu’elles « peuvent concéder » la réalisation des opérations d’aménagement, ce qui
signifie que le recours à la concession constitue pour elles une simple faculté et non
une obligation.
« Il est a priori plus délicat de savoir si, dès lors qu’elle décide de confier à un tiers
la responsabilité de l’opération, la collectivité publique est en droit d’utiliser un
autre mode contractuel que la concession d’aménagement, soumis à ses règles
propres notamment en ce qui concerne la procédure de passation du contrat. En
fait, la question est plus simple qu’il n’y parait. Elle appelle sans doute une réponse
négative (A) et les collectivités publiques ont d’autant plus intérêt à se tenir à cette
réponse que l’on perçoit mal l’avantage qu’elles pourraient retirer du choix – au
demeurant fort limité – d’un autre cadre contractuel (B).
« A. L’obligation de recourir à la concession d’aménagement
« Que les collectivités publiques ne puissent utiliser que la concession
d’aménagement comme mode contractuel de réalisation des opérations
d’aménagement, c’est ce qui résulte de l’article L 300-4 du Code de l’urbanisme
lui-même.
- 16 -
« Après avoir admis, dans son alinéa 1er, qu’elles peuvent concéder ce type
d’opérations, l’article en question dispose, en effet, que « l’attribution des
concessions d’aménagement est soumise par le concédant à une procédure de
publicité permettant la présentation de plusieurs offres concurrentes, dans des
conditions prévues par décret en Conseil d’Etat ».
« C’est dire clairement – quoiqu’en des termes différents – que lorsqu’une personne
publique décide de recourir à la concession, elle doit respecter les règles fixées par
décret en Conseil d’Etat qui sont relatives aux concessions d’aménagement et se
trouvent codifiées aux articles R 300-4 et suivants du Code de l’urbanisme.
« Il en va ainsi dans tous les cas, que le contrat qu’elles envisagent de passer ait, au
regard du droit communautaire, le caractère d’un marché ou celui d’une
concession de travaux publics. […]
« Quelles que soient les modalités – financières notamment – du contrat, celui-ci
doit donc être passé sous la forme d’une concession d’aménagement soumise aux
règles de passation définies par les dispositions précitées. La conception large de la
concession d’aménagement et l’exhaustivité de régime qui lui est applicable
renforcent ainsi son exclusivité comme mode contractuel de réalisation des
opérations d’aménagement.
« B. L’absence d’intérêt du recours à d’autres contrats
« Pour autant qu’elles soient tentées de se soustraire à cette obligation, on ne voit
pas l’intérêt que les personnes publiques pourraient trouver à y échapper. […]
« Même si les évolutions récentes du contentieux contractuel sont de nature à
atténuer les risques ou la gravité des sanctions en cas de méconnaissance des règles
de passation propres à un contrat déterminé, on ne voit donc pas l’intérêt que les
personnes publiques pourraient avoir à s’exposer à de tels risques – fussent-ils
résiduels – en ne recourant pas à la concession d’aménagement lorsque celle-ci
s’impose »5.
D’où que l’on se place, BMO était donc tenue de recourir à une convention publique
d’aménagement et, à ce titre, de respecter les procédures de dévolution qui
s’attachent à ce type de conventions et ce, finalement quelle que soit la qualification
des relations entre les parties (marché ou concession).
En décidant la dévolution de gré à gré de l’opération aux groupes ALTAREA et
IKEA, BMO a donc engagé sa responsabilité à l’égard des concurrents potentiels
évincés, au premier rang desquels figure la SARL RUE DE SIAM.
5
Souligné par l’exposante.
- 17 -
*
*
*
La méconnaissance des règles de publicité et de mise en concurrence commise au
stade de la dévolution du projet au seul bénéfice des groupes ALTAREA et IKEA se
double, en outre, d’une méconnaissance des mêmes règles au stade de la dévolution
d’une partie du foncier nécessaire à sa réalisation au profit de la même entité.
La doctrine considère toutefois que cette dispense de publicité et de mise en
concurrence ne concerne que les contrats dont l’objet est exclusivement de céder un
bien du domaine privé (en ce sens : F. Dieu, conclusions sur CAA Marseille, 25
février 2010, Commune de Rognes, AJDA, 2010, page 1203 ; A. Vandepoorter,
Montages immobiliers et concurrence [3], Les « principes généraux de la
commande publique », La Gazette, 4 juillet 2011, page 50).
Ainsi, lorsque, dans un contrat de vente à objet mixte (vente + travaux), la cession
des terrains est assortie de l’obligation, pour l’acquéreur privé, d’exécuter des
travaux répondant à un intérêt local, il s’agit d’une « cession avec charges » (cf. P.
Bejjaji et W. Salamand, « Des alternatives à la concession d’aménagement », La
Lettre du cadre territorial, n°419, 1er avril 2011, page 52) car la collectivité se
conduit comme demandeur sur le marché et conclut un contrat de commande.
En l’espèce, il résulte de ce qui précède que plusieurs parcelles ont été rétrocédées
par BMO au groupe ALTAREA après avoir été spécialement déclassées du domaine
public en vue de permettre l’implantation de l’enseigne IKEA.
Ces rétrocessions sont de surcroît intervenues à un prix ne correspondant
manifestement pas à la valeur réelle des terrains, ni même pour un d’entre eux à
l’estimation des domaines (cf. supra), et qui s’analyse, dans les circonstances de
l’espèce, comme la contrepartie de l’obligation pour le groupe ALTAREA de
réaliser les aménagements imposés par BMO pour répondre à un besoin d'intérêt
général défini par elle dans le cadre du projet de la zone commerciale du
FROUVEN.
Force est pourtant de constater que, même pour la cession de ces terrains, BMO n’a
procédé à l’organisation d’aucune publicité formalisée permettant de mettre en
concurrence les opérateurs fonciers potentiels, ni procédé à leur consultation.
La SARL RUE DE SIAM est donc là encore fondée à soutenir qu’en agissant ainsi,
BMO a commis une faute de nature à engager sa responsabilité.
En conclusion, il résulte de tout ce qui précède que c’est à tort, et au prix d’une
double erreur de droit et de fait, que le Tribunal a estimé que « Brest Métropole
Océane et Altaréa n’étant liés par aucune convention publique d’aménagement
- 18 -
[…], aucune procédure de publicité et de mise en concurrence n’avait à être mise
en œuvre ni en vertu des exigences découlant des principes généraux du droit
communautaire de non-discrimination et d’égalité de traitement qu’en application
des règles applicables à la conclusion des concessions de travaux au sens du droit
de l’Union européenne ou sur le fondement des principes généraux du droit de la
commande publique » (cf. P.J. CAA n°1, considérant 5, page 9).
BREST METROPOLE a beau le redouter, l’annulation du jugement est donc
inéluctable sur ce point encore.
3-
Sur la violation de la réglementation relative aux aides publiques
Selon l’article 87 du Traité instituant la Communauté européenne, devenu l’article
107 du Traité FUE : « 1. Sauf dérogations prévues par le présent traité, sont
incompatibles avec le marché commun, dans la mesure où elles affectent les
échanges entre Etats membres, les aides accordées par les Etats ou au moyen de
ressources d’Etat sous quelque forme que ce soit qui faussent ou qui menacent de
fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines
productions ».
Il ressort de ces stipulations que constituent des aides d’Etat les mesures qui
entraînent un transfert de ressources publiques conférant aux seules entreprises qui
en sont destinataires un avantage économique et qui ont un effet potentiel sur la
concurrence et les échanges entre Etats membres.
Or, en ce qui concerne la revente des terrains, la Commission a adopté une
communication concernant les éléments d’aides d’Etat contenus dans des ventes de
terrains et de bâtiments par les pouvoirs publics.
Il ressort de cette communication, dont l’intimée cherche vainement à minimiser la
portée juridique, qu’une vente de terrains ou de bâtiments par les pouvoirs publics
ne contient pas des éléments d’aide si la vente a été conclue dans le cadre d’une
procédure d’offre ouverte et inconditionnelle ayant fait l’objet d’une publicité
suffisante et prévoyant la vente de l’actif au plus offrant ou à l’unique offrant, ou si
la vente s’est effectuée à la valeur du marché, telle que déterminée par des experts
indépendants.
A contrario, si une telle vente n’a pas été conclue dans le respect de ces conditions
ou selon ces modalités, elle est regardée comme contenant des éléments d’aide.
Or, en l’espèce, il n’apparaît pas que BMO aurait eu recours à une procédure d’offre
publique préalablement à la revente des terrains après déclassement du domaine
- 19 -
publique.
En revanche, il a été démontré ci-dessus que le prix de revente desdits terrains était
très inférieur à la valeur du marché, et même pour l’un d’entre eux, à l’estimation de
FRANCE DOMAINE (cf. supra, §I-2-a), ce que ne peut continuer à nier BREST
METROPOLE.
D’autre part, en ce qui concerne la mise à disposition d’infrastructures, il est
admis que les conditions dans lesquelles intervient une telle mise à disposition au
profit d’une entreprise peuvent être sources d’avantages assimilables à des aides
d’Etat.
C’est ainsi que la Commission, dans sa communication C 61/98 concernant les aides
accordées à Lenzing Lyocell GmbH & Co KG, a admis que pouvaient constituer des
aides les investissements d’infrastructure réalisés par un Land à une entreprise qui
avait décidé de s’installer dans un parc d’entreprises.
Il ressort des pièces du dossier que ces promoteur et exploitant ont bénéficié de
l’aménagement routier et également du passage du tramway, dont le tracé a été
spécialement modifié pour assurer la desserte du futur ensemble commercial, alors
qu’il avait initialement vocation à desservir l’aéroport (cf. P.J. TA n°s 12 à 14).
Ainsi, que ce soit la revente des terrains ou la mise à disposition des infrastructures
routières et de transport public liées à l’opération au profit de l’aménageur, ces
mesures ont entraîné un transfert de ressources publiques conférant aux groupes
ALTAREA et IKEA, qui exercent une activité économique et sont présents sur des
marchés où il existe des échanges entre Etats membres, un avantage économique et
ayant un effet potentiel sur la concurrence et les échanges entre Etats membres.
De telles mesures sont donc assimilables à des aides publiques au regard du droit
communautaire.
Par suite, en accordant des aides illégales aux groupes ALTAREA et IKEA, BMO
a de nouveau commis une faute de nature à engager sa responsabilité.
- 20 -
4-
Sur la violation des règles du droit de la concurrence
Il est aujourd’hui acquis que les règles du droit de la concurrence s’appliquent aux
personnes publiques et que le Juge administratif est seul compétent pour se
prononcer sur la validité d’un contrat administratif au regard de ces règles. C’est
précisément pour cette raison qu’en l’espèce, le Conseil de la concurrence, que la
SARL RUE DE SIAM avait saisi en mars 2008 (cf. P.J. CAA n°2), a invité cette
dernière à mieux se pourvoir, les pratiques anticoncurrentielles mises en œuvre à
l’occasion du projet d’aménagement du FROUTVEN étant surtout à rechercher du
côté des pouvoirs publics.
En particulier, la jurisprudence considère qu’un contrat administratif est illégal s’il
permet à une entreprise d’établir ou de renforcer une position dominante dont elle
abuse : l’autorité publique ne peut placer une entreprise en situation d’abuser d’une
position dominante sans violer elle-même indirectement les règles du droit de la
concurrence (cf. CE, 3 novembre 1997, Société Million et Marais, page 393, concl.
Stahl).
Une telle pratique anticoncurrentielle peut notamment résulter du refus d’une
entreprise en position dominante ou en situation de monopole de donner accès à une
infrastructure ou à une ressource essentielle, laquelle ne peut être reproduite selon
des moyens raisonnables.
Il a par exemple été jugé par le Conseil de la concurrence que le titulaire d’une
autorisation exclusive doit être sanctionné pour exploitation abusive de position
dominante s’il profite de son monopole pour fermer l’accès à la « facilité
essentielle » qu’il a eu la possibilité de mettre en place (cf. Cons. concurrence, 3
septembre 1996, Hélinter Assistance, BOCC, 8 janvier 1997, page 3 ; confirmé par
CA Paris, 9 septembre 1997, BOCC, 7 octobre 1997, page 692).
Or, en l’espèce, il apparaît que BMO a placé le promoteur ALTAREA et
l’exploitant IKEA en situation d’abuser d’une position dominante.
Force est en effet de constater que les conditions de l’abus de position dominante,
posées par l’Autorité de la concurrence dans son avis précité du 22 mai 2002, sont
toutes réunies :
-
en premier lieu, et comme il a été précédemment démontré, le duo
ALTAREA / IKEA s’est vu attribuer par BMO une concession
d’aménagement pour la réalisation de la zone commerciale du
FROUTVEN.
Dès lors qu’il est l’unique promoteur du site, le groupe ALTAREA a la
- 21 -
pleine maîtrise de son organisation, sa seule contrainte ayant été de
respecter les spécifications imposées par BMO au stade de son
aménagement (cf. supra, §I-2-a).
Le groupe ALTAREA dispose donc de facto d’un monopole pour
l’exploitation et la gestion de l’infrastructure du FROUTVEN dont il a
notamment le pouvoir d’établir de manière autonome les conditions d’accès.
Ainsi, l’infrastructure est-elle bien possédée par une entreprise que
l’autorité administrative a placée – en l’occurrence à dessein, en dehors de
toute procédure de publicité et de mise en concurrence, et à grand renfort
d’aides publiques illégales – en situation de monopole et à tout le moins
de position dominante ;
-
en deuxième lieu, le FROUTVEN constitue la première zone commerciale
de la région BRETAGNE et s’affiche comme la vitrine finistérienne de
l’équipement et de l’aménagement de la maison et des loisirs.
A l’échelle du département du FINISTERE NORD, la zone commerciale du
FROUTVEN constitue la référence absolue dans le domaine de
l’ameublement et son caractère unique en fait par conséquent un point de
passage obligé pour la SARL RUE DE SIAM, qui exploite son activité de
commerce de détails de meubles hors et à proximité immédiate de la facilité
essentielle.
Il s’agit donc bien d’une infrastructure strictement nécessaire à la SARL
RUE DE SIAM dont la survie à long terme ne peut être assurée que si elle
a accès à cette infrastructure dans des conditions non discriminatoires.
Elle n’est malheureusement pas la seule : les effets sont désastreux tant sur
les magasins existants que sur les projets de développement depuis l’arrivée
de l’enseigne IKEA.
Que l’on en juge : LA MEUBLERAIE Plougastel, enseigne pourtant
emblématique localement, est fermée (cf. P.J. TA n°41), FLORICANNE
(meubles et décoration de jardin, décoration d’intérieur, salles de bain…) et
KERBRAT (salles de bain et aménagement) sont en liquidation, les meubles
MICHEL ROIGNANT sont en cessation d’activité, etc.
Depuis l’ouverture du magasin IKEA, plus aucun projet ne voit le jour, la
zone est devenue une friche, comme en témoignent encore la mise en
liquidation de la SARL ARTLIGNE (cf. P.J. TA n°42), qui exploitait un
commerce de détail de meubles sis 27 rue de Siam…
- 22 -
Même le groupe FLY, première enseigne française de mobilier jeune
habitat, a dû fermer son magasin de BREST en 2015, après avoir vainement
tenté de s’installer au FROUTVEN : « Fly ferme […]. Le franchisé
indépendant brestois a souffert de la concurrence, notamment depuis
l'arrivée d'Ikea au Froutven. Deux ans et demi seulement après son
installation rue Romain-Desfossés, l'enseigne Fly fermera ses portes à la fin
du mois » (P.J. CAA n°4).
C’est dire les conséquences pour la concurrence qu’a eu la mainmise du
géant suédois sur l’infrastructure du FROUTVEN !
-
en troisième lieu, il n’existe aucun substitut réel à l’installation litigieuse.
En effet, la zone du FROUTVEN ne connaît pas d’équivalent dans le
secteur de l’équipement et de l’aménagement de la maison et des loisirs, que
ce soit à l’échelle du département du FINISTERE NORD ou même à
l’échelle de la région BRETAGNE.
D’une part, la présence d’obstacles techniques, règlementaires et
économiques sont de nature à rendre impossible, pour toute entreprise qui
entend opérer sur le marché, de créer, éventuellement en collaboration avec
d’autres opérateurs, une infrastructure alternative.
D’autre part, cette facilité essentielle ne peut être dupliquée tant pour des
raisons de politique d’urbanisme que pour des raisons purement
économiques puisque la constitution de ce centre commercial d’envergure a
pour effet une sur-saturation des équipements commerciaux.
Le Directeur de la Concurrence de la Consommation et de la
Répression des Fraudes avait d’ailleurs relevé en ce sens dans son avis
défavorable du 15 septembre 2006 : « Ce projet va accentuer des surdensités déjà constatées sur la zone de chalandise. Avec ce projet, la
densité des GMS spécialisées dans l’équipement et l’aménagement de la
maison sera supérieure de 25% à la moyenne départementale, de 18 %
par rapport à la Bretagne et 55% par rapport à la moyenne nationale. […]
Au regard de ces densités futures, il paraît évident que ce projet va
bouleverser les équilibres commerciaux constatés dans la zone de
chalandise et plus particulièrement dans le Nord Finistère. […] La création
de 13 GMS spécialisées ne répond pas à un réel besoin. […] Cette création
de 29 053 m2 (IKEA + 13 GMS) de surface de vente en une seule fois va
déstabiliser les commerces locaux. Elle va remettre en cause le tissu
commercial réparti sur l’ensemble du nord Finistère. Elle risque d’affaiblir
l’offre de proximité actuellement appréciée par le consommateur » (cf. P.J.
TA n°8).
- 23 -
Il est ainsi démontré que l’infrastructure ne peut pas être reproduite
dans des conditions économiques raisonnables par les concurrents du
groupe ALTAREA qui la gère (pour un précédent en ce sens : cf. Cons.
Concurrence, 26 juin 1990, n°90-D-22, à propos de la situation de la
concurrence dans le secteur des carburants).
-
en quatrième lieu, l’accès à l’infrastructure a été refusé à la SARL RUE
DE SIAM dans des conditions restrictives injustifiées.
Dans sa décision « Hélinter Assistance » précitée, le Conseil de la
concurrence a imposé deux contraintes pour le titulaire d’une infrastructure
essentielle : d’une part, l’entreprise dominante ou en situation de monopole
doit « offrir un accès à ses concurrents, à l’amont ou à l’aval, à
l’infrastructure qu’il détient, ou qu’il contrôle, et il n’a pas la liberté de
refuser de contracter » ; d’autre part, elle doit « offrir cet accès dans des
conditions équitables et non discriminatoires, ce qui l’expose à voir
contester les conditions qu’il offre à ses concurrents ».
En l’espèce, l’exposante a tenté d’acquérir auprès du promoteur, la SNC
ALTA CRP GUIPAVAS, des parcelles sur la zone commerciale du
FROUTVEN et ce, notamment afin de pouvoir mener à bien son projet de
développement d’une nouvelle enseigne (« Limited Déco ») de meubles
contemporains moyen et bas de gamme édités en séries limitées.
Mais la seule « offre » qui lui a été faite était la location d’un bâtiment brut
sur une base annuelle hors taxes non négociable de 163 euros / m2 (cf. P.J.
TA n°25).
Ce montant de loyer étant totalement exorbitant, la SARL RUE DE SIAM
n’a évidemment pas pu y donner suite.
L’« offre » était d’autant plus discriminatoire que la SNC ALTA CRP
GUIPAVAS a cédé au groupe IKEA la propriété de plusieurs des parcelles
nécessaires à la réalisation du projet pour un prix de l’ordre de 75 euros / m2
(cf. P.J. TA n°26), soit à un prix artificiellement bas puisqu’inférieur au
prix d’acquisition de ces mêmes parcelles par la SNC ALTA CRP
GUIPAVAS (de l’ordre de 80 euros / m2) et en tout état de cause très
inférieur au prix du marché (de l’ordre de 160 euros / m2 ; cf. supra, §I-2-a).
Bien plus, et comme si cela ne suffisait pas, l’acte de vente montre que les
groupes ALTAREA et IKEA ont cherché à éliminer la concurrence,
notamment de commerçants comme la SARL RUE DE SIAM, intervenants
sur le segment des meubles contemporains moyen et bas de gamme.
- 24 -
Il est ainsi précisé à l’acte que « l’acquéreur s’oblige à maintenir l’enseigne
IKEA […] pendant une durée de 10 ans à compter de l’ouverture du
magasin » (cf. P.J. TA n°26, point 17.5, page 13).
Mais le plus choquant est sans aucun doute que « le vendeur s’interdit et
interdit à ses ayants-droits, sauf accord express de l’acquéreur, de louer
ou de vendre, dans l’Ensemble Immobilier Commercial, à une enseigne
de type ‘Jeune Habitat’ (par exemple ALINEA ou FLY), une surface de
vente égale ou supérieure à 2.000 mètres carrés, pour une durée expirant
six ans après l’ouverture de l’Ensemble Immobilier Commercial »6 (ibidem,
point 19, page 14).
Ces deux clauses prouvent que le projet contrevient aux règles d’une
concurrence claire et loyale, en empêchant la concurrence de s’installer sur
le site.
Il est par conséquent avéré que la SNC ALTA CRP GUIPAVAS a profité
de sa position dominante pour pratiquer, à l’égard des commerçants locaux,
et notamment de la SARL RUE DE SIAM, des conditions commerciales
inéquitables, de nature à empêcher cette dernière à accéder à l’infrastructure
essentielle du FROUTVEN.
Or, il convient de rappeler que l’article L.420-2 du code de commerce inclut
expressément dans sa liste des exemples d’abus de position dominante le
fait de pratiquer des « conditions de vente discriminatoires ».
-
enfin, en cinquième lieu, lorsque la SARL RUE DE SIAM a formulé ses
demandes auprès du promoteur immobilier, l’accès à l’infrastructure était
bel et bien possible puisque les parcelles restantes n’ont été attribuées que
tardivement et en l’occurrence bien après les demandes de la requérante.
La SNC ALTA CRP GUIPAVAS n’a d’ailleurs pas invoqué de motif tenant
à la saturation technique de l’infrastructure essentielle pour rejeter la
demande de la SARL RUE DE SIAM.
En définitive, toutes les conditions de l’abus de position dominante sont donc
réunies en l’espèce.
Bien plus, il apparaît que le groupe ALTAREA a abusé de la position dominante
dans laquelle il a été placé par BMO pour refuser à la SARL RUE DE SIAM le droit
d’accéder à la zone commerciale du FROUTVEN dans des conditions équitables et
non discriminatoires.
6
Souligné par l’exposante.
- 25 -
Les récentes affaires mises au jour, qu’il s’agisse des pratiques d’espionnage
par IKEA de ses salariés et clients – et pourquoi pas de ses concurrents ou
même des élus ? – (cf. P.J. TA n°43) ou des recours abusifs contre des projets
immobiliers à l’initiative d’un ancien directeur du groupe ALTAREA (cf. P.J.
TA n°44), confirment, s’il était besoin, le caractère éminemment contestable
des méthodes utilisées par certains des représentants de ces opérateurs
économiques à des fins abusives et anticoncurrentielles.
*
*
*
Dès lors, en permettant au groupe ALTAREA d’établir ou de renforcer une position
dominante dont il a effectivement abusé en faveur de l’enseigne IKEA et au
détriment de la SARL RUE DE SIAM, BMO a elle-même enfreint les règles du
droit de la concurrence, ce qui constitue une faute supplémentaire de nature à
engager sa responsabilité.
En conclusion, que ce soit en édictant des règles d’urbanisme illégales (§1), en
violant les règles de publicité et de mise en concurrence (§2), la réglementation
relatives aux aides publiques (§3) ou en méconnaissant les règles du droit de la
concurrence (§4), BMO a commis une succession de faute, au stade de la définition,
de la création, de la dévolution et même de l’exploitation de la zone d’activité
commerciale du FROUTVEN, de nature à engager sa responsabilité.