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DOSSIER PÉDAGOGIQUE VÉNUS, il était une fois signifie maintenant HISTOIRE DE SARAH BAARTMAN Naissance et origine Saartjie Baartman de son vrai nom Sawtche, surnommée la « Vénus Hottentote », serait née aux alentours de 1789 dans l’actuelle Afrique du Sud (1789 est aussi l’année de la Déclaration des Droits de l’Homme...). Elle meurt à Paris le 29 décembre 1815. Elle n’avait pas 30 ans. Son histoire est révélatrice et souvent prise en exemple de la manière dont les Européens considéraient à l’époque ce qu’ils désignaient par les « races inférieures » et leurs représentants. Elle symbolise également la nouvelle attitude revendicative des peuples autochtones quant à la récupération des biens culturels et symboliques ainsi que des restes humains qui figurent dans les musées du monde entier. Elle est originaire du peuple Khoï khoï, les Khoïsans qui sont les plus anciens habitants de la région sud de l’Afrique. Khoi-Khoi est le nom que se donnaient eux-mêmes les tribus du Cap de Bonne Espérance vivant de la chasse. Alors que les colons hollandais les appelaient « Hottentot » (du néerlandais « tot-en-tot » : bégayer, bafouiller) et les colons anglais Bushmen (littéralement, hommes de la brousse). Aujourd’hui, pasteurs bochimans et chasseurs Khoi-Khoi sont regroupés dans une ethnie baptisée « Khoisan ». Le nom de Khoi-Khoi (qui signifie « homme de l’homme ») est représentatif de ces langues sud-africaines, dites « langues à clics ». Les sons n’y sont pas formés en expulsant l’air à travers la gorge, mais en l’aspirant sous la langue. C’est un phénomène linguistique d’autant plus précieux qu’il est unique au monde. Contrairement à ce que croyaient les blancs de l’époque, ces langues ne sont pas un dialecte rudimentaire formé de borborygmes à peine articulés, mais sont des langues d’une incroyable complexité. Malheureusement, elles sont en voie d’extinction rapide... Un peuple qui fascinait par ses particularités physiques La « Vénus hottentote » est un type de femme boschimane stéatopyge, c’est-à-dire une femme dont les fesses sont particulièrement développées. Il est à remarquer d’ailleurs que la « Vénus hottentote » a fait l’objet d’un mémoire paru en 1817 dans les Mémoires du museum. STÉATOPYGIE n. f. Anthropobio. Présence d’un matelas adipeux épais dans la région du sacrum et des fesses, reposant sur une ensellure lombo-sacrée très prononcée. – ENCYCL. La stéatopygie présente une fréquence particulièrement élevée dans les populations khoisans (Bochimans et Hottentots) d’Afrique australe. Elle est beaucoup plus marquée chez la femme que chez l’homme. On lui a attribué une fonction de réserve de graisse qui permettrait aux Khoisans de mieux faire face aux fluctuations de l’alimentation dans le milieu aride où ils vivent, mais un tel rôle spécifique n’a pas été prouvé. L’hypothèse a été émise que ce caractère aurait acquis une fréquence élevée chez les Khoisans par suite d’une sélection sexuelle, la stéatopygie féminine étant perçue comme sexuellement attirante. © Librairie Larousse, 1985. STÉATOPYGIE n. f. Anthropol. Développement énorme du tissus adipeux sous-cutané dans la région sacro-fessière. – ENCYCL. La stéatopygie est un caractère racial (et non pathologique) particulier aux Hottentots et aux Bochimans d’Afrique du Sud (race Khoisan) ; il est beaucoup plus marqué chez les femmes que chez les hommes et entraîne une exagération compensatrice de la courbure lombaire de la colonne vertébrale. Cette masse graisseuse n’est pas utilisée par l’organisme en cas de maladie cachectisante. Le tablier hottentote Particularité génitale se manifestant par une élongation des petites lèvres dépassant la vulve. On l’appelait jupon, ou tablier ou crête de coq. On attribuait le tablier à des pratiques vicieuses des hottentotes. Il fascinait littéralement les naturalistes et voyageurs Européens. Vie de Sarah Sarah est née en 1789 en Afrique du Sud, après l’extermination de sa famille elle se rend dans la ville du Cap où elle est l’esclave d’un riche fermier Afrikaner. La jeune femme attire le regard d’un chirurgien de la Royal Navy. Elle fut emmenée à Londres par ce britannique en 1810 où on la baptisa du nom de Saartjie Baartman avec l’autorisation spéciale de l’évêque de Chester. Vendue, elle devient bête de foire où sa morphologie (hypertrophie des hanches et des fesses, organes génitaux protubérants) fit succès. « La Vénus hottentote est exposée au public, rue Neuve -Des-Petits Champs n°15 depuis onze heures du matin jusqu’à neuf heures du soir. Prix 3 francs » journal de Paris dimanche 18 septembre 1814 « Les foules se pressent en masse pour admirer dix heures par jour cette négresse fabuleuse, recouverte d’un justaucorps de toile de la même couleur que sa peau. Certains ne se gênent pas pour pincer ou piquer les fesses proéminentes de la curiosité de foire... » « Une scène est dressée à trois pieds du sol. L’hottentote s’y tient en cage montrée comme une bête sauvage Son gardien lui ordonne d’aller et venir comme un ours enchaîné » Elle sera exposée en Angleterre, en Hollande et ensuite en France. Sawtche devient rapidement un objet de curiosité, mais aussi de convoitise, à une époque où les exhibitions d’êtres humains hors normes ou de sauvages exotiques sont à la mode. Avant d’être acheminée vers Paris, où elle devient un objet d’exposition des music-halls et des salons de la haute bourgeoisie. Son succès est instantané. On lui dédie vaudevilles, poèmes, caricatures, pièces de théâtre, produits dérivés… Elle deviendra par la suite objet sexuel (prostitution, soirées privées). En mars 1815, le professeur de zoologie et administrateur du Muséum national d’histoire naturelle de France, Étienne Geoffroy Saint-Hilaire, demande à pouvoir examiner « les caractères distinctifs de cette race curieuse ». Après le public des foires, c’est devant les yeux de scientifiques et de peintres qu’elle est exposée nue, transformée en objet d’étude. Peu de temps plus tard, le rapport qui en résultera compare son visage à celui d’un orang-outang. Et ses fesses à celles des femelles des singes mandrills. Sawtche termine sa vie dans les bordels et la misère le 29 décembre 1815. Georges Cuvier, zoologue et chirurgien, estime que Saartjie est la preuve de l’infériorité de certaines races. Peu après la mort de Sarah, il entreprend de la disséquer au nom du progrès des connaissances humaines. Il réalise un moulage complet du corps et prélève le squelette ainsi que le cerveau et les organes génitaux qu’il place dans des bocaux de formol. En 1817, il expose le résultat de son travail devant l’Académie de médecine, témoignage des théories racistes et des préjugés des scientifiques de l’époque : « Les races à crâne déprimé et comprimé sont condamnées à une éternelle infériorité ». Le moulage de plâtre et le squelette seront exposés au Musée de l’Homme à Paris assortis des commentaires « scientifiques » de Cuvier. Ce n’est qu’en 1974, qu’ils furent retirés des vitrines et relégués dans les réserves du musée. Jean Léopold Frédéric Cuvier, dit Georges étudia Sarah Baartman et la disséqua au muséeum d’histoire naturelle de Paris Cuvier, né à Montbéliard le 23 août 1769 et mort à Paris le 13 mai 1832, inhumé au cimetière du Père-Lachaise (division 8), est un biologiste français, promoteur de l’anatomie comparée et de paléontologie. Il est l’un des plus titré des scientifiques Français. Natif d’une famille protestante de Montbéliard, c’est la lecture de Buffon qui orientera sa vie. Après avoir étudié au collège de Montbéliard, il s’inscrit à l’Académie Caroline de Stuttgart en Allemagne, où il est l’élève du botaniste Johann Simon von Kerner. C’est là qu’il acquiert la connaissance de la langue et de la littérature allemandes. Il est ensuite chargé d’éducation en Normandie. Comme naturaliste, Cuvier a rendu de grands services. Il a commencé à donner à la zoologie un début de classification. Il a fait faire à l’anatomie comparée un pas immense en reconnaissant qu’il existe entre tous les organes d’un même animal une subordination telle que de la connaissance d’un seul organe, on peut déduire celle de tous les autres : c’est ce qu’il appelait la Loi de corrélation des formes. À la faveur de cette loi, il a pu créer pour ainsi dire un monde nouveau : ayant établi par de nombreuses observations qu’il a dû exister à la surface du globe des animaux et des végétaux qui ont disparu aujourd’hui, il est parvenu à reconstruire ces êtres dont il reste à peine quelques débris informes et à les classer méthodiquement. Son œuvre ne lui permit cependant pas de comprendre l’intérêt du transformisme de Lamarck, contre lequel il s’insurgea, et de deviner les perspectives de la théorie de l’évolution. Cuvier représentait la pensée scientifique dominante en France, en accord avec l’esprit religieux catholique, et son influence était grande. Il a estimé que Saartjie Baartman est la preuve de l’infériorité de certaines races humaines. Enfin, il a donné à la géologie de nouvelles bases, en fournissant les moyens de déterminer l’ancienneté des couches terrestres par la nature des débris qu’elles renferment. C’est lui, notamment, qui baptisa la période du jurassique de l’ère secondaire (ou mésozoïque) en référence aux couches sédimentaires dans le massif du Jura, qu’il connaissait bien. Il pratiquait l’Actualisme ou l’Uniformitarisme (terme employé par William Whewell en 1832 : « Les chocs actuels sont les mêmes que ceux du passé. »), et il était en accord avec les idées catastrophistes et fixistes. Dans son ouvrage Les Révolutions de la surface du Globe (1825), Cuvier constate les disparitions et les apparitions de plusieurs espèces en même temps et admet des crises locales. Certain verront en lui le fondateur d’un paradigme nouveau des sciences sociales, conduisant en droite ligne au positivisme d’Auguste Comte et à la sociologie classique. Destinée posthume de Sarah En 1994, quelque temps après la fin de l’apartheid en Afrique du Sud, les Khoï khoï font appel à Nelson Mandela pour demander la restitution des restes de Saartjie afin de pouvoir lui offrir une sépulture et lui rendre sa dignité . Cette demande se heurte à un refus des autorités et du monde scientifique français au nom du patrimoine inaliénable du muséum et de la science. « Nous avons la tâche de sauvegarder les richesses conservées dans nos musées, rendre la Vénus créerait un dangereux précédent, si nous cédons il faudra bientôt rendre l’Obélisque de la Concorde » Lorsque Nicolas About, sénateur des Yvelines, évoque le retour de la Vénus hottentote en Afrique du Sud, le 6 novembre 2001, il lui est répondu que les « biens du domaine public » étant inaliénables, une loi est nécessaire. Une proposition est donc faite le 4 décembre. Entre temps, le ministre de la Recherche Roger-Gérard Schwartzenberg, rappelle que selon la loi sur la bioéthique de 1994, les restes humains ne peuvent pas être propriété de l’État, et qu’aucune loi n’est donc nécessaire pour le retour des restes de la Vénus sud-africaine (des restes dont il a fallu rappeler que l’origine de l’intérêt qui leur était porté était dû à des considérations plus racistes que scientifiques) Ce n’est qu’en 2002, après le vote du Loi spéciale que la France restitua la dépouille à l’Afrique du Sud. Le 9 mai 2002, en présence du président Thabo Mbeki, de plusieurs ministres et des chefs de la communauté Khoikhoï, la dépouille après avoir été purifiée, fut placée sur un lit d’herbes sèches auquel on mit le feu selon les rites de son peuple. Enterrement de Sarah Baartman dans le petit village de Hankey dans l’Eastern Cape, non loin de la rivière Gamtoos en Afrique du Sud « Deux cent ans, c’est long. Notre regard actuel est certes choqué par une telle démonstration d’étroitesse d’esprit. Il est vrai qu’il est plus aisé aujourd’hui, avec le recul, de juger ces pratiques inacceptables. Il en était alors tout autrement, les préjugés racistes étaient dans l’air du temps. Il se murmurait que, dans ces lointaines contrées, l’Occidental, de par sa supériorité naturelle, avait une mission civilisatrice et d’éducation, les Droits de l’Homme n’étant que vaines théories (les droits de la femme étant eux encore plus abstraits). Ce ne fut sans doute pas la seule raison de l’engouement provoqué par l’exposition du corps de Saartjie Baartman aux yeux du public Elle était femme, noire, ancienne esclave, dotée d’organes sexuels démesurés, exhibée dans toute l’impudeur de sa nudité. Un mélange de mystère et d’obscénité. Il est fort probable qu’elle suscita des pulsions de toutes natures et notamment érotiques chez les visiteurs venus la contempler, qui la considéraient comme un être inférieur pour mieux se prouver à eux-mêmes la supériorité de leur « race », mais certainement aussi pour se rassurer sur la bonne santé d’une libido dont ils devaient passer les effets sous silence. Saartjie Baartman servit bel et bien d’alibi à la mise sous chape de nombreuses frustrations. » Marielle Lefébure « L’histoire de Sarah Baartman est l’histoire de tout le peuple africain de ce pays, c’est l’histoire de notre réduction au statut d’objets que l’on peut s’approprier, utiliser et dont on peut disposer » a déclaré Thabo Mbeki (président de l’Afrique du Sud) « La Vénus hottentote conquit donc sa renommée en tant qu’objet sexuel, et la combinaison de sa bestialité supposée et de la fascination lascive qu’elle exerçait sur les hommes retenait toute leur attention ; ils avaient du plaisir à regarder Saartjie mais ils pouvaient également se rassurer avec suffisance : ils étaient supérieurs. » (Stephen Jay Gould, Le Sourire du flamant rose, Seuil/Points Sciences, 2000) ZOOS HUMAINS Un zoo est un endroit où des animaux sont exposés aux regards des humains dans un environnement semblable à celui de leur milieu naturel. Dans un zoo humain, les animaux sont remplacés par les hommes et des femmes dans le meilleur des cas ou mis ensemble, chacun dans sa cage comme l’histoire nous en fournit de nombreux exemples. En France, cette histoire des zoos humains est revenue par deux fois dans l’actualité récente. Quand il s’est s’agi de rendre les « restes » du corps de Saartjie Baartman à l’Afrique du Sud au cours de l’été 2002 et, quatre ans plus tôt, lorsque Christian Karembeu a refusé lors de la Coupe du monde de football de chanter La Marseillaise, en souvenir de son ancêtre exhibé en 1931 au bois de Boulogne à l’occasion de l’Exposition coloniale. Grâce aux travaux fondateurs de Joël Dauphiné, au roman de Didier Daeninckx, Cannibale (Verdier, 1998), puis à l’ouvrage collectif Zoos humains (La Découverte, 2002) et au film qui a suivi pour Arte, l’opinion française a alors pris conscience du phénomène et de son ampleur. Le révisionnisme de quelques-uns n’était plus possible. COMMENT L’OCCIDENT A COLONISÉ L’IMAGE DE L’AUTRE ? Ces zoos humains, expositions ethnologiques ou villages nègres restent des sujets complexes à aborder pour des pays qui mettent en exergue l’égalité de tous les êtres humains, et en tout premier lieu, la France républicaine, « pays des droits de l’Homme ». De fait, ces zoos, où des individus exotiques mêlés à des bêtes sauvages étaient montrés en spectacle derrière des grilles ou des enclos à un public avide de distraction, constituent la preuve évidente du décalage entre discours et pratique au temps de l’édification des empires coloniaux. Déjà, à la fin du XIXe siècle, quelques récits très minoritaires parlent d’effroi devant de tels spectacles mais l’attitude dominante du public est révélatrice : nombre de visiteurs jettent nourriture ou babioles aux groupes exposés, commentent les physionomies en les comparant aux primates ou rient franchement à la vision d’une Africaine malade et tremblante devant sa case... Telle fut la réalité de ces zoos humains au tournant du siècle. Ces exhibitions de l’exotique (futur « indigène ») constituent, pendant près de 60 ans, le passage progressif en Occident d’un racisme « scientifique » vers un racisme colonial et « populaire » qui touchera des millions de « spectateurs » de Paris à Hambourg, de Londres à New-York, de Moscou à Barcelone... Comment cela a-t-il été possible ? Les Européens sont-ils capables de prendre la mesure de ce que révèlent les zoos humains de leur culture, leur mentalité, leur inconscient collectif ? Questions essentielles, alors qu’un Musée des « Arts premiers » ouvre ses portes à Paris. PEUT-ON AUJOURD’HUI CONSIDÉRER CE TEMPS COMME RÉVOLU ? Sans doute pas, puisque la reconstitution d’un village Massaï vient d’ouvrir ses portes en Belgique et qu’en Bretagne un village africain fut l’attraction majeure d’un Safari Parc dans les années 1990. Quelle filiation avec les images actuelles de l’Afrique ou des banlieues peuplées de « sauvageons » peut-on voir avec les milliers d’images issues de ses spectacles et largement diffusées pendant un siècle ? Notre regard, avide d¹exotisme, est-il très différent devant la TV réalité et les divers Loft Story qui semblent consacrer une nouvelle ère de l’image en Occident ? Voyeurisme, sensationnalisme, rapport à la « différence » ou à la « normalité », chaque siècle semble avoir les zoos humains qu¹il mérite ! POURQUOI LES ZOOS HUMAINS ? Les zoos humains ne révèlent évidemment rien sur les « populations exotiques » ou sur les populations colonisées. En revanche, ils sont un extraordinaire instrument d’analyse des mentalités de l’Occident de la fin du XIXe siècle jusqu’aux années 30. Car ces zoos, expositions et jardins avaient pour vocation de montrer le rare, le curieux, l’étrange, toutes les expressions du non-habituel et du différent, et non de provoquer une rencontre entre individus ou cultures. Dans cette « animalisation » des peuples « exotiques » par l’Occident, la mise en scène de transgressions des valeurs et des normes de ce qui constitue, pour l’Europe, la civilisation, est un élément moteur. Leur nature d’homme achevé est niée, ils sont donc colonisables, il faut les apprivoiser, les dresser, pour les conduire, peut-être à l’état d’homme civilisé. Ces expositions sont l’illustration du discours légitimant l’action coloniale de l’Occident. Le plus frappant, dans cette brutale « naturalisation » de l’Autre, est la réaction des élites européennes : fort peu de journalistes, d’hommes politiques ou de savants s’émeuvent des conditions sanitaires et de parcage - souvent catastrophiques - des « indigènes » ; sans même parler des nombreux décès de personnes peu habituées au climat (comme lors de la présence des Indiens kaliña, en 1892 à Paris). C’est à ce niveau que l’on mesure la pénétration profonde d’un racisme populaire en Occident et que l’on comprend comment, en à peine 30 ans, la grande majorité des Européens a accepté, validé et soutenu l’entreprise coloniale. Dès lors leur devenir paraît tout tracé, puisqu’ils n’étaient que des « sauvages » : l’Occident se devait de les amener à la lumière, de les sortir du zoo... où il les avait lui-même fait entrer ! Un article « Ces zoos humains de la République coloniale » a été publié par le Monde Diplomatique et réédité dans le n° spécial de Manière de voir - été 2001. Montage numérique de Manuel Van Thienen d’après une photographie du moulage de Sarah ZOOS HUMAINS Un film de Pascal BLANCHARD & Éric DEROO VOUS AVEZ DIT SAUVAGE ? Les zoos humains, symboles inavouables de l’époque coloniale et du passage du XIXe au XXe siècle, ont été totalement refoulés de notre histoire et de la mémoire collective. Ils ont pourtant existé, et c’est par dizaines de millions (400 millions selon les estimations les plus basses) que les Européens et les Américains sont venus découvrir, pour la première fois, le « sauvage »... dans des zoos, des foires, des expositions officielles, des exhibitions ethnographiques et coloniales ou sur la scène des cabarets. Revenir sur cette page essentielle, tel est l’enjeu de ce film ZOOS HUMAINS. À partir de documents d’archives, films et photographiques inédits, datés des toutes premières années du cinéma à partir de 1896, c’est une sorte de voyage sur les traces encore présentes de ces zoos humains : du zoo Hagenbeck de Hambourg au musée de Tervuren à Bruxelles, du stade de Wembley à Londres au Jardin d’Acclimatation de Paris, du Jardin tropical de Nogent à l’esplanade du Quai Branly (futur musée des arts premiers) où furent exhibés quatre cents spécimens africains en 1896. Autant de traces qui prouvent l’énorme impact de ces exhibitions en Occident, et comment le Sauvage est devenu une réalité pour des millions de visiteurs. Ce film, issu de trois ans de recherches internationales et pluridisciplinaires, est aussi le fruit d’un travail scientifique et de documentation important. Commencé avec les équipes de l’ACHAC et du GDR CNRS 2322 en janvier 1999, synthétisé lors du colloque international de Marseille en juin 2001 avec les 50 meilleurs spécialistes internationaux, diffusé lors du cycle de conférences d’octobre à décembre 2001 à l’Institut du Monde Arabe et regroupé dans le livre Zoos humains. De la vénus Hottentote aux realités shows en 2002*, il vient clôturer un cycle qui se situe clairement entre sciences et diffusion du savoir. Avec la participation et les interventions de spécialistes internationaux anglais, allemands, américains, belges, français, dont André Langanay, Sylvie Chalaye, Gilles Boetsch, Hilke Thode-Arora, Nicolas Bancel, Robert Rydell, John MacKenzie, Gérard Lévy, Claus Hagenbeck, Boris Wastiau, Jean-Pierre Jacquemin * Livre zoos humains, aux éditions La Découverte, édité en mars 2002 : exemplaire disponible auprès de Pascale ILTIS au 01 44 08 84 21 Une histoire inavouable ? Le documentaire se présente comme un voyage, comme une enquête autour des derniers vestiges d’une histoire que l’on a préféré oublier. Comme si, en rendant le corps, les restes de la Vénus Hottentote à l’Afrique du Sud en 2002, la France avait tourné définitivement cette page honteuse. Les pressions, interdictions de tournage et autres événements tout au long de la réalisation du film montrent bien la difficulté à regarder en face cette histoire. COMBIEN RESTE-T-IL DE CORPS DE CES SPÉCIMENS EXHIBÉS DANS NOS MUSÉES AUJOURD’HUI ? Qui sait qu’au jardin colonial de Nogent les vestiges, les bâtiments, les chemins sont là pour nous rappeler cette exhibition nationale et officielle de 1907 ? Qui se souvient qu’aux pieds de la Tour Eiffel, 50 millions de badauds sont venus, en 1900, découvrir les milliers de spécimens rares et exotiques ? Qui se rappelle, en visitant le dimanche le zoo Hagenbeck à Hambourg ou le Jardin d’Acclimatation à Paris, dans les mêmes enclos qu’aujourd’hui, qu’il y a 70 ans des sauvages s’offraient aux regards de millions de visiteurs ? Qui aurait pu imaginer qu’en choisissant le Quai Branly pour construire le musée dédié aux milliers d’objets pillés par les puissances coloniales, la France avait choisi un des lieux majeurs des exhibitions raciales du XIXe siècle ? L’Occident a inventé le sauvage. Beaucoup plus, l’Europe et l’Amérique l’ont exhibé, l’ont montré, dans des zoos, des expositions ou des scènes de music-hall pour convaincre les populations blanches de leur évidente et définitive supériorité sur le monde. Telle est l’histoire des zoos Humains. Loft Story aujourd’hui n’est pas autre chose. Et, le succès est au rendez-vous. Sachant jouer de cette demande voyeuriste, les impresarios d’hier et les producteurs d’aujourd’hui livrent en pâture des corps. Hier pour fabriquer de la race, aujourd’hui des modèles. Mais, ces zoos humains, expositions ethnologiques ou villages nègres restent des sujets complexes à aborder pour des pays qui mettent en exergue l’égalité de tous les êtres humains. Les difficultés de tournage, la recherche des documents enfouis, comme l’accès aux réserves où sont conservés les restes humains, ont été un long chemin pavé d’embûches. Quoi de plus normal lorsque l’on voit ce qu’ont produit les zoos humains ? De fait, ces lieux, où des individus exotiques mêlés à des bêtes sauvages étaient montrés en spectacle derrière des grilles ou des enclos à un public avide de distraction, constituent la preuve évidente du décalage entre discours et pratique au temps de l’édification des empires coloniaux. LE RACISME POPULAIRE S’EST CONSTITUÉ AVEC LES ZOOS HUMAINS De façon ludique, à travers l’univers du spectacle et du divertissement des grandes expositions universelles, des foires et des cirques. Presque inconsciemment, l’Occident invente le sauvage. Un siècle plus tard, il faut constater, qu’il est toujours enfermé, derrière d’autres barreaux, derrière d’autres stéréotypes. Ces exhibitions de l’exotique (futur « indigène ») constituent donc, pendant plus de 60 ans (de 1870 à 1930), le passage progressif en Occident d’un racisme « scientifique » vers un racisme colonial et « populaire » qui touchera des millions de « spectateurs » de Paris à Hambourg, de Londres à New York, de Moscou à Barcelone... Dans certaines expositions, comme à Saint Louis, à Bruxelles, à Barcelone, à Paris ou à Chicago ce sera par centaines que l’on comptera les spécimens morts en scène. Aujourd’hui au service de la science leurs dépouilles sont conservées dans les plus prestigieux musées. A regarder les images de l’enterrement de la Venus Hottentote en Afrique du Sud qui viennent conclure ce film, on se demande comment nous avons pu oublier cette tragédie ? PEUT-ON AUJOURD’HUI CONSIDÉRER CE TEMPS COMME RÉVOLU ? Sans doute pas, puisqu’un village Massaï reconstitué a ouvert ses portes en Belgique en 2001, qu’un autre village de Pygmées a suivi en 2002 et qu’en Bretagne un village africain fut l’attraction majeure d’un Safari Parc au milieu des années 90. Quelle filiation avec les clichés actuels de l’Afrique, du tourisme ethnique ou des banlieues peuplées de « sauvageons » peut-on voir avec les milliers d’images issues de ces spectacles et largement diffusées pendant un siècle ? Notre regard, avide d’exotisme, est-il très différent devant la TV réalité et les divers Loft Story qui semblent consacrer une nouvelle ère de la représentation en Occident ? Voyeurisme, sensationnalisme, rapport à la « différence » ou à la « normalité », sont invariablement inscrits au cœur de notre regard. Les zoos humains ne révèlent évidemment rien sur les « populations exotiques » ou sur les populations colonisées. En revanche, ils sont un extraordinaire instrument d’analyse des mentalités de l’Occident de la fin du XIXe siècle jusqu’aux années 30. Car ces zoos, expositions et jardins avaient pour vocation de montrer le rare, le curieux, l’anormal, toutes les expressions de l’étrange et du différent, et non de provoquer une rencontre entre individus ou cultures. Dans cette « animalisation » des peuples « exotiques » par l’Occident, la mise en scène de transgressions des valeurs et des normes de ce qui constitue, pour l’Europe, la civilisation, est un élément moteur. Leur nature d’homme achevé est niée, ils sont donc colonisables, il faut les apprivoiser, les dresser, pour les conduire, à l’état d’homme civilisé. Le plus frappant, dans cette brutale « naturalisation » de l’Autre, est la réaction des élites européennes : fort peu de journalistes, d’hommes politiques ou de savants s’émeuvent des conditions sanitaires et de parcage - souvent catastrophiques - des « indigènes ». C’est à ce niveau que l’on mesure la pénétration profonde d’un racisme populaire en Occident et que l’on comprend comment, en à peine 60 ans, la grande majorité des Européens a accepté, validé et soutenu l’entreprise coloniale. Dès lors, leur devenir paraît tout tracé, puisqu’ils n’étaient que des « sauvages » l’Occident se devait de les amener à la lumière, de les sortir du zoo... où il les avait lui-même fait entrer. DOSSIER PÉDAGOGIQUE « VÉNUS » Création 2008 du centre Dramatique de l’Océan Indien Théâtre du Grand Marché Voyage d’études en Afrique du Sud de l’auteur Si nous disposons de documents d’anthropologues et de chercheurs sur la période Européenne de Sarah, nous savons très peu de choses sur les origines de la Vénus, nulle écriture chez les khoisans, nulle trace des naissances, des vies, des morts, que dans la mémoire des hommes. Si l’on veut reconstituer son histoire, il faut se rapporter à l’histoire collective de son peuple. En revanche en Afrique du Sud, et notamment au Cap, des écrivains, des plasticiens, des poètes célèbres ont été marqués par cette histoire que l’on retrouve dans leurs œuvres. J’ai souhaité les rencontrer et avoir accès aux musées où l’histoire du peuple khoisans est racontée. Il me fallait m’imprégner de cette histoire d’un autre endroit, par un autre regard que celui des européens. Mon voyage m’amena aussi au lieu où elle est enterrée et à la recherche des dernières tribus de khoisans. Il me semblait important qu’au-delà de la pièce de théâtre, cette histoire soit partagée avec des lycéens, des écoliers, qu’il y ait des rencontres, des débats, tout un travail autour de la pièce, un dossier pédagogique. Un documentaire, comme un carnet de voyage, écrit et filmé. Cette étape a été nécessaire à la poursuite de mon écriture. Au cours de ce voyage j’ai été accompagnée d’un vidéaste : Babou B ‘Jalah Nous restons persuadés que ce voyage a été un enrichissement pour l’écriture, le projet, les individus et les publics que nous souhaitons toucher à la Réunion.
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