Végétaux brise-cœur
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Végétaux brise-cœur
Végétaux brise-cœur Infolettre – Jardinage Volume 1, numéro 1 - septembre 2015 L’histoire est classique. Vous remarquez une plante, un spécimen d’une rare beauté probablement en pleine floraison. Ça peut frapper à tout moment – dans un salon horticole, une pépinière ou même la cour d’un ami. Le charme opère instantanément et vous ressentez tous les symptômes du coup de foudre. La plante vous obsède et une quête effrénée commence pour vous procurer le nouvel objet de votre dévotion. Lorsque vos recherches aboutissent enfin, c’est emporté d’un enthousiasme débordant et rempli d’espoir que vous accueillez l’objet de votre affection dans votre jardin. Vous êtes prêt à lui prodiguer les meilleurs soins. Mais peu de temps après, le malheur s’abat sur vous. La plante bien-aimée vous plaque. Cette créature ingrate ne partage pas vos sentiments. Elle rejette votre amour, puis elle meurt. Et comme si cela ne suffisait pas, elle refuse même de revenir à la vie malgré toutes vos attentions et vos gestes désespérés. Dans ces cas d’amours à sens unique, la sagesse suggère de passer à autre chose et de cultiver une nouvelle passion. Toutefois, lorsque c’est le cœur qui parle, bien peu d’entre nous agissent rationnellement. Comme bien des jardiniers, j’ai ma liste noire. Le pavot bleu de l’Himalaya (Meconopsis betonicifolia), l’anémone hépatique (Hepatica nobilis), l’euphorbe polychrome (Euphorbia polychroma), de même que les végétaux ligneux comme la bruyère arborescente ‘Spring Smile’ (Erica arborea ‘Spring Smile’) et le noisetier commun ‘Contorta’ (Corylus avellana ‘Contorta’) comptent au nombre de mes brise-cœurs personnels. Le pavot bleu de l’Himalaya, avec son bleu pur et profond, est une véritable merveille dans un jardin. 1/6 www.leevalley.com Végétaux brise-cœur Infolettre – Jardinage Volume 1, numéro 1 - septembre 2015 Pavot bleu de l’Himalaya Peu de plantes sont aussi envoûtantes que le pavot bleu de l’Himalaya. Ses grandes fleurs bleu ciel sont carrément hypnotiques. J’avais déjà vu cette plante célèbre en photo, mais jusqu’à ma première visite au Butchart Gardens, près de Victoria en Colombie-Britannique, je ne l’avais jamais vue en vrai. Ce printemps, le jardin le plus visité présentait un vaste massif peuplé de ces beautés bleues. En tant qu’horticultrice expérimentée, je connaissais la réputation de plante imprévisible et capricieuse qu’a le pavot bleu. Cela ne m’a pas empêchée de tenter ma chance. Dès que j’ai mis la main sur un spécimen en pot, de toute évidence en pleine période de floraison, je l’ai acheté. Une fois planté dans mon jardin, le pavot a fleuri allègrement pendant encore un mois. Au milieu de l’été, sa mine a commencé à changer, puis ses feuilles ont jauni graduellement et la plante a fini par mourir. Cette triste fin m’a brisé le cœur. Comme je l’ai appris plus tard, le problème avec le pavot bleu de l’Himalaya, c’est que la plupart des gens cherchent à le cultiver dans des conditions normales, sans faire aucun ajustement pour reproduire son habitat naturel. Originaire des régions montagneuses et luxuriantes du sud-est du Tibet, la plante croît dans un environnement frais et abrité. En outre, elle doit être plantée dans un endroit partiellement ombragé afin de la protéger contre la chaleur du soleil à son zénith. Le sol doit être creusé profondément et il faut y ajouter une bonne dose de compost. Il est également primordial d’éviter de placer le pavot à un endroit où il devra rivaliser avec des racines d’arbres ou d’arbustes. Voilà une règle d’or que j’ai omis de respecter. J’avais en effet choisi un coin ombragé pour ma merveille bleue, près d’une épinevinette envahissante. Au début du printemps, l’hépatique donne de l’éclat au jardin. Les fleurs s’épanouissent d’abord au sommet de tiges sans feuilles, puis le magnifique feuillage fait son apparition. Un peu d’ensoleillement est nécessaire pour que ces fleurs légèrement parfumées puissent s’ouvrir. 2/6 www.leevalley.com Végétaux brise-cœur Infolettre – Jardinage Volume 1, numéro 1 - septembre 2015 Hépatique Mon premier contact avec la délicate hépatique s’est produit durant une démonstration à l’un des clubs de jardinage mensuels auxquels je participe. Exquise, la vedette du jour présentait de nombreuses fleurs d’un bleu violacé éblouissant. Je n’ai pas mis de temps à découvrir qu’il existe également une variété aux fleurs blanc clair. Ma chasse au trésor m’a menée dans une pépinière qui offrait des hépatiques à fleurs blanches et j’ai acheté tout ce qu’il y avait : sept plantes au total. Avec elles, je voulais réaliser une bordure de plantes au feuillage persistant dans ma plate-bande d’ombre. Les petites hépatiques s’adaptent à leur environnement et peuvent pousser dans diverses conditions. Elles survivent aussi bien dans une zone très ombragée ou en plein soleil; dans un sol sablonneux ou argileux. Elles sont réputées pour fleurir dans les zones abritées, sous des arbres à feuilles caduques matures qui créent le parfait microclimat. Visiblement, les conditions créées par ma haie de cèdres matures – au feuillage persistant – étaient loin d’être parfaites, car ma bordure d’hépatiques rétrécissait chaque année. J’ai pleuré chaque perte. J’ai fini par me résoudre à abandonner mes ambitions de bordures fleuries et j’ai transplanté les survivantes dans un endroit un peu plus ensoleillé. L’euphorbe polychrome ajoute une touche de couleur vive et du volume à un jardin au printemps. Les fleurs jaunes s’agencent bien avec toutes les teintes de bleu. 3/6 www.leevalley.com Végétaux brise-cœur Infolettre – Jardinage Volume 1, numéro 1 - septembre 2015 Euphorbe polychrome L’euphorbe polychrome faisait la fierté et le bonheur de mes voisins. Tôt, chaque printemps, ils m’invitaient à admirer le spectaculaire tableau créé par ces fleurs d’un vif jaune doré, qui surplombent une belle touffe arrondie de feuilles vert tendre. Malgré des demandes répétées, ils refusaient de diviser leurs plantes favorites et de m’en faire profiter. Finalement, à la fin d’un printemps, alors qu’un plant avait atteint une taille qui imposait sa division, ils m’en ont donné une petite partie. Dans mon jardin, la nouvelle venue s’est transformée en une plante convenable durant l’été et elle arbora un feuillage rouge vif à l’automne. Puis, l’hiver a fait son chemin. Le printemps suivant, au lieu d’une floraison ensoleillée, je me suis trouvée face à de tristes tiges sans feuilles. Une investigation botanique poussée a révélé des racines noires et pourries. La source du problème était le sol. Plus précisément, le sol argileux réputé difficile à drainer. En effet, lorsqu’il devient saturé par la pluie ou par la fonte des neiges, il retient la moisissure entre ses fines particules tout en empêchant l’oxygénation. De telles conditions risquent de noyer certaines plantes, en particulier si elles n’aiment pas « avoir les pieds dans l’eau ». Malheureusement, l’euphorbe polychrome fait partie de cette catégorie. La bruyère arborescente produit une abondance surprenante de fleurs en forme de clochette. Elles couvrent les branches et font presque disparaître le feuillage persistant. 4/6 www.leevalley.com Végétaux brise-cœur Infolettre – Jardinage Volume 1, numéro 1 - septembre 2015 Bruyère arborescente ‘Spring Smile’ J’ai découvert la bruyère arborescente lors de la visite d’un stupéfiant jardin sauvage. C’était au printemps et la bruyère arborescente, en pleine période de floraison, était couverte de nombreuses petites fleurs blanches en forme de clochette. Mais c’est d’abord la forte odeur enivrante de miel qui m’a signalé la présence de cette plante bien avant que je ne l’aperçoive. Son parfum était vraiment fabuleux et je m’en suis éprise immédiatement. Le jour même, je me suis rendue dans une pépinière qui proposait des bruyères arborescentes. Il n’y avait qu’un seul cultivar, dont le nom semblait prometteur : ‘Spring Smile’ – sourire printanier. J’ai fait des recherches sur les préférences de la bruyère et je l’ai installée dans un endroit aéré et ensoleillé de mon jardin au sol acide. J’ignorais toutefois que parmi les cultivars qui figurent sur la liste des plantes de zone de rusticité 7, celui-ci est particulièrement fragile. En effet, le feuillage est mort dès le premier petit gel de l’automne et toutes les feuilles en forme d’aiguilles sont tombées. Tous mes espoirs de voir de nouvelles pousses apparaître au printemps ont été vains. Ce petit détail qui m’a échappé, quant à la rusticité de ce cultivar en particulier, a eu des conséquences tragiques Les tiges, les branches et même les feuilles du noisetier commun sont sinueuses et tirebouchonnées. En prime, les branches nues s’ornent de chatons mâles retombants de couleur jaune illustrés ici. 5/6 www.leevalley.com Végétaux brise-cœur Infolettre – Jardinage Volume 1, numéro 1 - septembre 2015 Noisetier commun ‘Contorta’ La plupart des plantes apparaissent dans toute leur splendeur durant la saison de croissance, alors qu’elles fleurissent, qu’elles portent leurs fruits ou qu’elles revêtent leur feuillage d’automne. Au contraire, celui qu’on appelle aussi noisetier tortueux est magnifique durant la saison froide. À la fin de l’hiver, ses branches entrelacées sont ornées de doux chatons retombants jaune vif. Je suis tombée sous le charme dès le premier regard porté sur un de ces arbustes matures en fleurs. J’ai mis la main sur un noisetier commun en pot, assez gros et en pleine période de floraison. Il est immédiatement devenu un élément central de mon jardin, fleurissant durant toute la saison. Un jour, au terme du printemps, j’ai remarqué que les nouvelles feuilles mourraient. Le diagnostic a été dévastateur : mon bien-aimé souffrait de la brûlure orientale du noisetier, une maladie incurable et presque toujours fatale. Apparemment, la plante était déjà malade lorsque je l’ai adoptée. Je ne voulais pas assister à la lente agonie de mon noisetier. Par conséquent, malgré tout mon chagrin, la seule solution était d’éliminer l’arbuste. Deux trous ont subsisté : un dans mon jardin d’hiver et un dans mon cœur. Les végétaux brise-cœur captent d’abord notre attention pour ensuite nous laisser tomber sans pitié. Cependant, il arrive parfois que nous contribuions à la disparition de nos précieuses plantes, même si cela est bien involontaire de notre part. Essayez de tirer une leçon de chaque perte. Après tout, les échecs ont une plus grande valeur éducative que les réussites. Texte et photos : Gina Dobrodzicka Gina Dobrodzicka est rédactrice indépendante et horticultrice de formation. Pendant cinq ans, elle a œuvré bénévolement auprès de l’association Master Gardeners d’OttawaCarleton. Actuellement, elle est bénévole à la section régionale de Vancouver de cette association ainsi qu’au South Surrey Garden Club et à la Darts Hill Garden Society. Vous pouvez consulter son site Web à l’adresse suivante : www.gdgardendesign.com (en anglais). 6/6 www.leevalley.com