Les enfants du Verseau au pays des terreiros

Transcription

Les enfants du Verseau au pays des terreiros
Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales
Anthropologie Social et Ethnologie
Paris
Les enfants du Verseau
au pays des terreiros
Les cultures thérapeutiques et
spirituelles alternatives au Sud du
Brésil
Sônia Weidner Maluf
- Thèse de Doctorat Sous la Direction de Carmen Bernand
décembre 1996
SOMMAIRE
INTRODUCTION .......................................................................................................
3
CHAP. 1 – L’EMERGENCE D’UNE NOUVELLE CULTURE ............................... 19
CHAP. 2 – UM RÉCIT AUTOBIOGRAPHIQUE ...................................................... 66
CHAP. 3 – QUATRE EXPÉRIENCES THÉRAPEUTIQUES ................................... 91
CHAP. 4 – LE TRAVAIL THÉRAPEUTIQUE-SPIRITUEL ..................................... 135
CHAP. 5 – ITINERAIRES THÉRAPEUTIQUES ET SPIRITUELS .......................... 191
CHAP. 6 - LA PERSONNE ET LA COSMOLOGIA: CREATION DE SOI ET
RECREATION DU MONDE ....................................................................................... 242
CONCLUSION ............................................................................................................. 285
GLOSSAIRE ................................................................................................................. 288
BIBLIOGRAPHIE ...................................................................................................... 297
«Ela está no horizonte - diz Fernando Birri. - Me aproximo
dois passos, ela se afasta dois passos. Caminho dez passos e o
horizonte corre dez passos. Por mais que eu caminhe, jamais a
alcançarei. Para que serve a utopia? Serve para isso: para
caminhar.»
Eduardo Galeano, dans «Janela para a utopia», As palavras
andantes, Porto Alegre, L&PM Editores, 1994, p.310.
«Sans doute mon histoire est-elle aussi contenue dans cet
entrelacement de cartes, passé présent futur, mais pour ma part
je ne sais plus la distinguer des autres. La forêt, le château, les
tarots m’ont conduit à ceci: à perdre mon histoire, à la
confondre dans la poussière des histoires, à m’en libérer. Il ne
reste plus de moi que l’obstination maniaque de compléter, de
former, de faire revenir les récits.»
Italo Calvino, dans Le château des destins croisés, Paris,
Editions du Seuil, 1976, p.53.
INTRODUCTION
«La Conspiration du Verseau travaille aussi à assouvir une autre
faim, une autre soif de signification, de relation, d’achèvement, et chacun
d’entre nous est «tout le projet», le noyau d’une masse critique, un gérant
de la transformation du monde.
En ce siècle, nous sommes descendus au coeur de l’atome. Nous
l’avons transformé, lui et l’histoire, à jamais. Mais nous sommes
descendus aussi au coeur du coeur. Nous connaissons les conditions
nécessaires au changement des esprits. Maintenant que nous saisissons la
profonde pathologie de notre passé, nous pouvons nous ouvrir à de
nouvelles structures, de nouveaux paradigmes. ‘La somme de (tous) nos
jours, n’est que notre début...’».
Marilyn Ferguson, Les Enfants du
Verseau [The Aquarian Conspiracy].
Durant ces dernières années, un nouveau phénomène culturel a pu être observé
dans les principales villes brésiliennes: l’émergence d’un champ d’intersection entre
des nouvelles formes de spiritualité (et de religiosité) des pratiques thérapeutiques
alternatives et le vécu d’expériences éclectiques par les classes moyennes.
L’extension actuelle de ces pratiques et d’un langage propre nous permet de les
définir comme une véritable culture thérapeutique néo-spirituelle ou néo-religieuse.
Ce même phénomène semble se présenter, avec des caractéristiques différentes,
dans d’autres grandes villes du monde occidental et divers auteurs se sont consacrés à
leur description et à leur compréhension1 . Il s’agirait là d’un phénomène du monde
contemporain de cette fin de millénaire.
Nous envisageons, dans cette étude, de montrer l’existence d’une spécificité
brésilienne de cette culture néo-spirituelle, provoquée par la présence de certains
éléments propres à ce pays: une confluence entre le thérapeutique et le religieux; une
1
Nous citerons surtout les études menées en France et aux Etats-Unis. Pour la France, parmi
d’autres, voir les études de Champion et Hervieu-Léger (1990), Champion (1990), Maître
(1987), Boy et Michelat (1993), le numéro 81 des Archives des Sciences sociales des
Religions. Pour les Etats-Unis, voir l’intéressante synthèse de McGuire (1988) et (1987),
l’étude de Barker (1982), Robbins, Anthony et Richards (1978), parmi d’autres que nous
citerons.
tradition d’éclectisme du vécu religieux et une interpénétration entre les différents
univers
religieux;
l’«informalisme»
des
pratiques
thérapeutiques
et
de
la
manipulation de la sphère maladie/guérison et enfin l’existence d’un «pluralisme
thérapeutique»2 . A ces facteurs s’ajoutent d’autres caractéristiques propres aux
classes moyennes brésiliennes.
Il faut d’abord déterminer ces pratiques. La liste des thérapies et des expériences
spirituelles et religieuses qui font partie d’un circuit alternatif est considérable. Elle
comprend l’adaptation de certaines techniques venues des différentes médecines,
gymnastiques et disciplines corporelles orientales (le massage ayurvédique; le shiatsu
et le do-in; le yoga; le tai-chi chuan; etc.,); les médecines douces occidentales
(l’homéopathie3 ; la phytothérapie; la naturopathie; etc.); la création de nouvelles
techniques thérapeutiques et psychothérapeutiques alternatives ou la reprise de
techniques déjà existantes (les fleurs de Bach et les autres essences florales; les
différentes techniques régressives; les psychothérapies junguiennes; les thérapies
dérivées de la bioénergétique et des thérapies reichiennes, les thérapies primales,
comme le processus Fischer-Hoffman et, plus récemment, l’anti-Fischer; etc.); les
différentes formes de méditation (zen; dynamique; kundalini; etc.); la réadaptation et
la recréation des différents arts divinatoires comme instruments d’autoconnaissance
(l’astrologie; l’Yi-King; le tarot; les runes; la numérologie et d’autres oracles);
la
croissance ou la réorganisation de groupes et la réalisation de rituels inspirés par les
différentes traditions ésotériques (la Théosophie 4; les ordres mystico-ésotériques,
comme l’Ordre du Golden Dawn5 , les covens6, etc.); la croissance de certains
mouvements religieux et spirituels, surtout, dans le cas brésilien, le néo-sannyas (des
2
Selon expression de Procópio, 1986, p.IX.
3
Même si elle n’est pas en soi une thérapie alternative, elle est utilisée dans le circuit néospirituel.
4
Ou Société Théosophique, groupe occultiste apparu en 1875, à New York, dont l’une des
figures les plus connues est Helena Petrovna Blavatsky, ou Madame Blavatsky.
5
6
Ordre occultiste anglais, dont l’apogée a été dans la décennie de 1890.
Mot anglais pour désigner réunion ou groupe de mages ou sorciers. Le coven doit
fonctionner avec le mutuel accord de ses membres.
adeptes du maître indien Rajneesh7 , dont l’ashram se trouve en Poona, en Inde), le
Santo Daime et les autres groupes organisés autour de l’ingestion de l’ayahuasca
(breuvage aux propriétés psycho-actives utilisé par certains groupes indigènes de
l’Amazonie); etc.8
Deuxièmement, il faut définir ces pratiques et leur univers symbolique. Chaque
auteur utilise des expressions propres pour désigner et rassembler les différentes
expériences et pour totaliser le phénomène. Nouvelles spiritualités, thérapies
parallèles, alternatives ou holistes, thérapies psycho-mystiques, «ritual healing»9 ,
thérapies post-psychanalytiques, thérapies et spiritualités alternatives ou parallèles,
nébuleuse mystico-ésotérique 10 ou nébuleuse d’hétérodoxies 11 , médecines douces,
thérapies
néo-religieuses
ou
néo-spirituelles,
et
j’en
passe.
Les
différentes
significations données à ces pratiques utilisent des expressions où, très souvent, les
termes indigènes (emic) se confondent avec les formules venues des sciences
sociales, et vice versa.
Le plus souvent, ces différentes désignations tentent, d’un côté, de montrer la
convergence entre l’aspect religieux ou spirituel de ces pratiques et leur aspect
thérapeutique ou de guérison et, de l’autre, l’utilisation d’expressions («nouvelles»,
«alternatives») qui les placent en dehors ou en opposition aux thérapies «officielles»
et aux religions «traditionnelles»12.
7
Guru indien, initiateur du mouvement néo-sannyas, dont les disciples sont très nombreux
dans les pays occidentaux et le Brésil.
8
Vous pouvez trouver, à la fin de la thèse, en annexe, un glossaire des thérapies, religions et
spiritualités alternatives les plus citées dans ce travail.
9
Cf. McGuire, 1988.
10
Cf. Champion, 1990.
11
Cf. Maître, 1987.
12
La définition indigène des religions dites «traditionnelles» est assez flexible. Le plus
souvent le catholicisme officiel (représenté par l’Eglise et sa structure et hiérarchie), le
protestantisme historique et les sectes pentecôtistes sont classifiés comme «traditionnels».
Les religiosités afro-brésiliennes (batuque ou candomblé, umbanda et linha-cruzada ou
quimbanda) et du spiritisme Kardeciste, même s’ils sont identifiés à la «tradition religieuse
brésilienne», sont vus avec plus de flexibilité et quelquefois intégrés au circuit des
spiritualités alternatives.
Cette profusion de formules pour désigner et rassembler ces pratiques vient de la
propre indéfinition du phénomène, qu’il s’agisse de sa place dans les cultures
contemporaines et de la pluralité de ses formes, ou d’une approche anthropologique
ou sociologique. Elle exprime aussi la propre diversité et les spécificités locales des
nouveaux mouvements spirituels et des thérapies alternatives, même s’ils s’agit d’un
phénomène mondial.
Même s’il s’agit d’une culture originale, avec des caractéristiques particulières,
elle reste un produit de différentes influences culturelles, y compris celles qui lui
semblent opposées. Le phénomène est, donc, aussi un produit du croisement et de
l’interpénétration de différentes influences. Il reste difficile, dans certains cas, de
tracer les frontières entre les thérapies alternatives et la médecine et les
psychothérapies
«conventionnelles»
et,
de
même
façon,
entre
les
nouvelles
spiritualités et les formes et cosmologies religieuses déjà structurées appartenant à
une sphère religieuse «traditionnelle».
Cette indéfinition et cet éclectisme conceptuels permettent de ne pas réduire la
complexité et la richesse de cette culture émergente à des modèles académiques
rigides. Nous essayons de respecter cette pluralité (dans ce travail nous citerons les
différentes formes d’appellation de ce phénomène culturel suivant les auteurs qui s’y
sont intéressés), sans toutefois abandonner la prétention de définir la forme
particulière que prend le phénomène dans le cas de notre objet d’étude et dans la
recherche de terrain 13 . En tant que concept global et afin de désigner la totalité du
phénomène dans ses plus divers aspects, nous allons adopter la référence aux
thérapies et spiritualités alternatives (pour utiliser une expression dans son sens et
13
Sans aucune illusion que celle -ci ait pu rendre compte de tous les aspects du phénomène
dans toutes ses plus riches manifestations. L’étude des spiritualités et des thérapies
alternatives au Brésil et leur implication dans un ethos et dans une cosmologie plus large
débute. Il existe, toutefois, une production riche récente qui montre déjà une préoccupation
croissante dans la compréhension de certaines manifestations spécifiques de ces nouvelles
formes religieuses et thérapeutiques. Voir par exemple les travaux sur le Santo Daime et les
autres religions qui emploient l’ayahuasca en dehors du contexte indigène (Groisman, 1991;
MacRae, 1992, etc.); et quelques études ponctuelles: sur une communauté Rajneesh à Brasilia
(Gomes Lyra, 1987); sur l’astrologie à Rio de Janeiro (Vilhena, 1990) sur les thérapeutes
corporels (Russo, 1991); sans parler de nombreux travaux en cours.
dans sa forme internes aux groupes sociaux qui partagent ces pratiques)14 et à la
culture thérapeutique néo-religieuse ou néo-spirituelle (en essayant de reprendre le
sens
commun
donné
par
les
différentes
conceptualisations
sociologiques ou
anthropologiques autour de ce phénomène).
Il faut faire ici une parenthèse autour des concepts spirituel et religieux , utilisés
comme synonymes, même s’ils gardent une signification profonde différente. Le
discours indigène préfère définir ces pratiques comme une forme de spiritualité que
leur donner une connotation religieuse. Celle-ci est identifiée plutôt aux religions
traditionnelles et institutionnalisées et aux pratiques populaires15 . Cette défiance visà-vis des religions est liée également au découpage social des groupes qui partagent
une culture alternative, issus d’une classe moyenne urbaine et intellectualisée, et pour
qui «religieux est le peuple, les classes populaires». Une des expressions
d’autodésignation de ces mouvements alternatifs est celui de l’émergence d’une
«nouvelle conscience religieuse»16 . Du point de vue d’une approche sociologique et
anthropologique, cette dimension religieuse du phénomène peut être mise en valeur
par certains aspects spécifiques (du point de vue de l’intersection des pratiques et des
cosmologies alternatives) et par le croisement des cultures alternatives et de la sphère
religieuse plus traditionnelle au Brésil.
L’émergence de cette nouvelle culture thérapeutique-spirituelle est visiblement
accompagnée par un autre phénomène proche: celui de la croissance, au Brésil,
d’autres pratiques religieuses à l’intérieur des classes moyennes urbaines. Quelques
14
Il faut, toutefois, rester prudent sur deux points: 1) Les nouvelles thérapies et les
spiritualités peuvent compter sur des pratiques (rituelles ou thérapeutiques) qui ne font pas
partie du cercle alternatif; et 2) la culture alternative ne se limite pas aux aspects
thérapeutiques et spirituels, mais connaît d’autres aspects (écologiste, politique, etc.) qui
peuvent se rencontrer.
15
Y compris non seulement le catholicisme et le protestantisme mais aussi les religions afrobrésiliennes et le spiritisme Kardeciste.
16
Expression utilisée aussi par certains chercheurs pour désigner ces mouvements, comme
Soares (1994a).
études ont déjà démontré la croissance récente des religions afro-brésiliennes dans les
grandes villes brésiliennes17 .
Dans cette étude, toutefois, à l’opposé de la plupart des études des religions au
Brésil, nous n’allons étudier ni le spiritisme kardeciste, ni les religions afrobrésiliennes, ni le pentecôtisme, ni le catholicisme populaire. Certains de ces univers
religieux font pourtant quelquefois partie de l’expérience thérapeutique et spirituelle
alternative. Notre but n’est pas non plus de discuter chacune des pratiques ou
cosmologies alternatives, mais plutôt de comprendre quels sont leurs aspects
unificateurs qui rassemblent les différentes expériences dans un même univers
culturel.
Ce nouveau champ alternatif est aussi un produit de l’intersection de différentes
influences culturelles (et, dans un certain sens, politiques), sans représenter leur totale
superposition.
naturisme,
Ainsi,
diverses
l’orientalisme,
le
subcultures
syncrétisme
contemporaines
religieux
(l’écologisme,
brésilien,
les
le
cultures
psychanalytiques, etc.) se rejoignent en certains points pour contribuer à la
constitution d’un univers culturel qui s’accroît, du point de vue de son extension
sociale comme de celui de la pluralité de ses formes. C’est dans les expériences
vécues et dans les itinéraires personnels que les pratiques les plus différentes se
rejoignent et prennent des significations communes.
Les deux caractéristiques de ce champ alternatif sont, d’un côté, la répulsion à la
filiation exclusive et un éclectisme du vécu thérapeutique et religieux et, de l’autre, la
constitution d’une espèce de champ magnétique qui attire à la fois des individus
identifiés à une culture alternative et aux expériences marginales et non officielles
(par exemple les astrologues) et des individus issus d’une pratique officielle et
institutionnalisée (par exemple, des médecins ayant un diplôme d’Etat).
Il faut préciser que l’existence d’une culture alternative dans le sens le plus large,
n’est pas récente au Brésil. Nous pouvons déjà retrouver, dans les mouvements
17
Voir l’étude de Prandi (1991), sur la croissance du candomblé parmi les classes moyennes à
São Paulo.
contre-culturels des années 60 et 70, certaines expériences comme l’astrologie, la
méditation et l’alimentation végétarienne 18 .
Aujourd’hui, dans le nouvel essor des expériences spirituelles et thérapeutiques
alternatives, la préoccupation centrale réside toutefois moins dans le domaine de la
politique que dans l’adoption, sur les plans individuel et collectif, d’un nouveau style
de vie, centré sur le souci de soi-même et la quête de spiritualité.
L’approche
La multiplicité thérapeutique et spirituelle alternative, comme le vécu éclectique
des individus qui partagent cette culture, nous a inspiré une approche qui privilégie
les expériences et les parcours personnels par rapport à l’analyse des institutions et de
chaque cosmologie néo-religieuse ou des techniques thérapeutiques en elles mêmes19 .
Les notions d’expérience vécue et d’itinéraire resteront, donc, centrales pour la
compréhension d’un ethos thérapeutique et spirituel alternatif.
Cette culture renvoie à des techniques, méthodes thérapeutiques et à un univers
symbolique et religieux qui sont extrêmement diversifiés et souvent contradictoires20 .
Chaque pratique thérapeutique et néo-spirituelle ne constitue pas un phénomène
autonome. Elle n’est pas utilisé de façon isolée du réseau concernant d’autres
pratiques liées à une culture alternative. L’enquête de terrain nous a montré qu’il
18
Même dans le cas brésilien, où les mouvements de la contre-culture se sont confondus aux
mouvements politiques contre la dictature militaire qui a gouverné le pays entre 1964 et
1985.
19
Par rapport à la religion parmi les classes populaires au Brésil, Duarte remarque la
«pertinence de se percevoir, dans le plan du vécu de ces religiosités, des continuités plus
importantes que celles que pourraient induire les corps doctrinaires stratifiés comparés entre
eux», cf. Duarte, 1983, p.64.
20
Cette fluidité peut être comparée à celle de la «nébuleuse mystique-ésotérique», dont parle
Champion (1990) pour décrire la variété des groupes et des réseaux d’orientation psychomystique qui se sont constitués à partir du milieu des années 70 en France, et dont les
frontières mutuelles restent floues. Maître (1987), quant à lui, parle d’une «nébuleuse
d’hétérodoxies» pour se référer à l’articulation entre religion et santé dans les processus
hétérodoxes contestant les systèmes officiels de santé et les religions dominantes.
s’avère impossible de séparer une pratique spécifique des autres formes de thérapie et
de travail spirituel appartenant à ce même champ.
Ce sont les individus (thérapeutes, patients, apprentis, et toutes sortes de
personnes qui transitent dans cet univers) qui, dans leurs parcours personnels,
rassemblent, combinent et utilisent des pratiques très différentes.
Notre but est de saisir la façon dont ces thérapies et univers spirituels s’articulent
dans l’expérience singulière, individuelle ou collective, autour du souci de soi, de la
quête de guérison, de la connaissance de soi ou de la croissance personnelle et dans la
formation d’une culture thérapeutique néo-religieuse ou néo-spirituelle.
L’approche de l’expérience et des parcours individuels sont des formes
d’abordage de la dimension sociale et du sens donné à ces pratiques. Le fait de
privilégier une telle approche ne nous fait pas abandonner la perspective holiste dans
l’analyse des phénomènes décrits, ni leur interaction avec les contextes plus al rges où
vivent ces groupes sociaux.
S’il
existe,
toutefois,
une
singularité
brésilienne
qui
légitime
l’intention
anthropologique de ce travail, c’est chez les personnes, dans leurs expériences et leurs
réflexions qu’elle peut être trouvée.
Le retour
L’approche d’un thème urbain et contemporain reprend certains éléments de la
démarche de l’anthropologie urbaine.
Mon départ pour réaliser la recherche de terrain a été en fait, dans le cadre de ce
travail, un retour: l’expérience ethnographique classique qui consiste à sortir de sa
propre culture et à s'introduire dans la culture et la vie sociale d’un autre, a été
inversée ici. L’apprentissage pourrait consister à vivre le paradoxe de l’expérience
ethnographique du dépaysement dans son propre pays.
Il faut se demander si c’est là l’une des dimensions d’une «anthropologie de la
périphérie» 21 .
Les anthropologues brésiliens préoccupés par l’anthropologie urbaine sont
habitués à se confronter à ce que Gilberto Velho (1985) appelle le «familier», y
compris à développer un «metadiscours» sur l’anthropologue et son terrain de
recherche. Roberto Da Matta (1974) avait déjà constaté que l’ethnologie urbaine suit
la démarche inverse à celle de l’ethnologie classique: au lieu de transformer
l’«exotique» en familier, rendre ce qui est familier «exotique»; apprendre à trouver
étrange ce qui est immédiatement proche, mais qui n’est pas nécessairement connu.
La dynamique entre l’implication et l’éloignement est un élément important de la
démarche de l’anthropologie urbaine22 . Toutefois, l’éloignement est une condition
indispensable à n’importe quelle perspective compréhensive ou interprétative.
Le projet de réaliser une anthropologie de sa propre culture et de sa propre
société renforce encore le problème. Le vécu de l’anthropologue classique était celui
du voyageur qui quittait sa société pour se retrouver dans des lieux lointains et
côtoyer l’inconnu, l’entièrement autre.
Pour l’anthropologue urbain (et le chercheur
des sciences sociales en général) de la «périphérie», il s’agit de chercher à
comprendre une société et une culture à l’intérieur desquelles il a déjà vécu une
expérience, dont il possède une mémoire, et sur un territoire qu’il a déjà parcouru non
21
J’utilise cette expression entre guillemets pour rappeler le caractère ambivalent de la notion
de périphérie. D’abord, une partie de la discussion brésilienne et latino-américaine portant sur
la production scientifique et intellectuelle des pays d’Amérique Latine par rapport à celles
des pays «centraux» renvoie à une «anthropologie de la périphérie». Dans ce cas, la
«périphérie» est vue comme une «région culturelle», comme la possibilité d’aborder les
sciences sociales avec des nuances particulières. La polarisation entre le «centre» et la
«périphérie» a comme point d’inflexion l’idée du développement d’une société s’effectuant
par rapport aux paradigmes modernes. Cependant, une perspective critique peut mettre en
question la notion de «périphérie» en fonction de deux dimensions: d’un côté à travers la
critique d’un universalisme à sens unique qui émane d’un «centre» prédéterminé, de l’autre
au vu de l’effet pervers qui amène les intellectuels brésiliens (et même latino-américains) à
penser leur propre société comme «périphérique». Pour cette discussion, voir Morse, 1985;
Schwartzman, 1988 et 1988; Peirano, 1991; Cardoso de Oliveira, 1988. Sur l’Amérique
Latine, voir Bernand (1992) et Bernand et Gruzinski (1992).
22
Pour ne pas dire de toute anthropologie.
pas comme chercheur, mais en tant qu’individu23 . Cette réalité s’impose tout autant à
l’anthropologue qui, même sans être parti, a au moins fait l’effort intérieur
d’éloignement, comme à celui qui, étant parti, revient à son point de départ et fait de
cette situation de rencontre le noeud de son entreprise. La difficulté réside dans cette
ambivalence de sensations, où ce qui était familier réapparaît comme différent. Il faut
rejoindre cet autre sans abandonner la distance, l’éloignement sans lequel il n’y a pas
d’interprétation24.
Dans les deux cas, le retour et la rencontre renvoient, d’ailleurs, l’anthropologue
à la nécessité de repenser sa propre expérience, sa propre mémoire et la médiation
entre son apport théorique préalable et son projet de compréhension de cette société
donnée.
La ville
Retrouver le Brésil pour la recherche de terrain m’a donc renvoyée à cette
contingence relative à la place de l’anthropologue.
La recherche a été menée surtout dans la ville de Porto Alegre, capitale de l’Etat
du Rio Grande do Sul, localisé à l’extrême Sud du Brésil. Porto Alegre compte une
population de 1,4 millions d’habitants et possède certaines caractéristiques qui en font
un cas exemplaire par rapport à d’autres grandes villes brésiliennes. Elle est la
capitale d’un Etat qui est l’un des plus riches du Brésil, très urbanisé, et dont la
production industrielle a une importance centrale25 . Par sa dimension et son
23
Son travail portera donc toujours cette «marque de ‘saleté’ de l’expérience vécue» («marca
‘suja’ da experiência vivenciada»), pour utiliser l’expression poétique de Heloisa Buarque de
Holanda, 1980, p.10.
24
Distance nécessaire à l’interprétation «par la compréhension de l’autre en tant qu’autre».
Cf. Starobinski, 1970, p.160.
25
Selon Oliven (1992), l’industrie du Rio Grande do Sul représente aujourd’hui 7,2% de la
production industrielle du pays. «L’état assure 12% des exportations brésiliennes et 10% du
Produit National Brut. Par ailleurs, le RS a les meille urs indices nationaux en termes de santé
(le plus faible taux de mortalité et la plus forte espérance de vie) et les faibles taux
d’analphabétisme (13,5%)» (p.62). Des données plus récentes de l’Institut Brésilien de
importance, elle est aussi représentative de certains aspects de la modernité urbaine
du pays. Elle compte par ailleurs la présence d’une classe moyenne importante et
visible, tant au niveau quantitatif qu’à celui de l’intensité de sa vie culturelle et
intellectuelle.
Elle connaît aussi un important réseau de thérapies alternatives et de nouvelles
spiritualités qui nous permet de la comparer à d’autres grandes villes du pays, comme
São Paulo et Rio de Janeiro, où le phénomène connaît une non moins forte intensité,
ou encore à des villes ayant une population moindre, mais comptant aussi une culture
alternative26.
Le fait d’avoir choisi une ville du Sud ne diminue pas ailleurs l’importance de ce
phénomène. Tout au contraire, le circuit portoalegrense se montre étroitement lié à ce
qui se passe dans les autres régions et il est impossible de comprendre la dynamique
de ce circuit sans la mettre en rapport avec le caractère dialectique à travers lequel se
sont mis en place le réseau et la culture thérapeutiques néo-religieux au Brésil.
Essayer, d’autre part, de comprendre les cultures thérapeutiques et spirituelles
alternatives au Brésil nous ramènera évidemment à parler d’autres pays.
L’effort ethnographique de l’approche spécifique et singulière ne saurait négliger
en effet la dimension universelle propre aux phénomènes du monde contemporain.
La perspective comparative devient ainsi incontournable pour la compréhension
du phénomène qui nous occupe27.
Elle apparaîtra en deux aspects de ce travail. Premièrement, par rapport aux
autres villes brésiliennes: dans la recherche de terrain, qui, outre celle menée avec
priorité et de façon approfondie à Porto Alegre, a pris en compte d’autres villes des
Géographie et Statistique (IBGE) montrent une réduction de l’analphabétisme au Rio Grande
do Sul à moins de 6%, contre des taux nationaux de 20%.
26
Comme la ville de Florianópolis (350.000 habitants), localisée à 470 km de Porto Alegre et
capitale de l’Etat de Santa Catarina.
27
La comparaison est inévitable non pas en regard de l’application formelle d’une méthode,
mais parce que ce que nous voyons et vivons sur le terrain attise notre imagination créatrice
de chercheur («l’imagination anthropologique», pour utiliser une expression de Gutwirth,
1991), enclenche des associations avec ce qui a été vu, vécu et observé ailleurs.
régions Sud et Sud Est du pays28 ; dans la lecture des études sociologiques et
anthropologiques sur le Brésil. La comparaison interviendra aussi par rapport à
d’autres pays: dans la lecture d’études faites sur des phénomènes semblables surtout
en France et aux Etats-Unis; et à travers quelques brèves incursions ethnographiques
que nous avons réalisées dans l’univers des thérapies et des spiritualités parallèles à
Paris.
La comparaison nous aidera sans doute, en prenant en compte leur dimension
sociale, à répondre à certaines questions sur le sens de ces expériences.
Le parcours ethnographique
La constatation du caractère complexe d’un tel univers, composé par la rencontre
de divers types d’expériences, et de différents degrés de participation, nous a
ramenées à un certain éclectisme méthodologique, employant différentes procédures
à chaque étape de l’investigation et de la recherche de terrain.
Dans le premier moment de l’enquête, commencée en 1990, diverses formes
d’observation ont été utilisées: d’abord, le contact étroit avec les personnes
(thérapeutes et patients) engagées dans les thérapies néo-religieuses. Ce contact a été
opéré à travers des entretiens et des conversations non systématiques avec toutes
sortes de personnes; par l’observation directe et la participation aux cours, aux
ateliers et aux séances de divers types de thérapie (parmi lesquels la thérapie des vies
antérieures, le rebirthing, le massage ayurvédique, la biodanse, le tarot, la
méditation); et aussi à travers la participation à quelques séances thérapeutiques
utilisant ces techniques.
Parallèlement à cette observation et à cette participation plus directes, j’ai lu et
suivi toutes sortes de publications et d’ouvrages spécialisés dans le domaine des
pratiques mystico-religieuses et des thérapies alternatives. J’ai suivi dans les médias
tout ce qu’ils véhiculent sur cet univers, dans les telenovelas, la publicité, les
28
Dont une recherche initiale à Florianópolis.
programmes spécialisés (à la radio et à la télévision).
J’ai également fréquenté les
librairies et les magasins spécialisés dans la vente de publications et d’objets liés à cet
univers.
Pendant mon séjour à Paris j'ai poursuivi mes observations dans le but d'obtenir
un certain nombre de points de comparaison avec le Brésil. J'ai ainsi réalisé en France
des enquêtes sporadiques dans les Festivals de Voyance, dans les conférences
publiques données par le praticien du tarot et cinéaste chilien Jodorowski29 . J'ai aussi
observé l’activité des médias français, à travers quelques émissions télévisées et des
programmes de radio dans le style "voyance en direct". J'ai enfin également fréquenté
les librairies ésotériques, surtout celles des 4ème et 5ème arrondissements, où elles sont
le plus nombreuses, et aussi les rayons d'ésotérisme des grandes librairies.
Dans le deuxième moment de la recherche, centrée cette fois sur le circuit
portoalegrense des thérapies néo-religieuses, nous avons aussi étudié un réseau
étendu de pratiques thérapeutiques-religieuses s’inspirant des traditions et tendances
les plus diverses.
J’ai réalisé des entretiens et des conversations systématiques avec des thérapeutes
de différents courants, des clients et des patients, ainsi qu’avec d’autres personnes
liées à cet univers. Dans ce parcours ethnographique, j’ai essayé de comprendre et de
retracer les différents trajets individuels, la manière de chaque personne combiner les
divers genres de thérapie et d’expérience religieuse et parfois leur «transformation»
en thérapeute. A Porto Alegre, j’ai eu l’opportunité de suivre des cas de traitement
thérapeutique et d’assister à des consultations. Il m’a donc été possible de
comprendre les mécanismes de l’utilisation thérapeutique de certaines techniques, et
la manière dont des connaissances distinctes se combinent dans des pratiques
singulières.30
29
Qui rassemble une fois par semaine un public (issu de la classe moyenne parisienne), venu
l’écouter raconter des anecdotes et en tirer des leçons de vie, toujours à partir des cartes du
tarot comme base d’interprétation.
30
Une grande partie de ces interviews et conversations a été enregistrée, afin d’avoir accès
aux divers genres de récits concernant l’expérience thérapeutique et religieuse: ceux des
thérapeutes, des patients, y compris ceux survenus dans la situation de consultation. Les
Outre l’étude des expériences et des itinéraires personnels, j’ai pu observer des
groupes et des communautés spirituels ou religieux d’orientations et de tradition
diverses. Les deux familles spirituelles qui se sont montrées les plus significatives, du
point de vue de leur visibilité que du nombre d’adeptes et de sympathisants et de leur
influence au sein du circuit des nouvelles religiosités, sont les saniases31 et le Santo
Daime. Par ailleurs, j’ai observé quelques groupes plus restreints, liés à la tradition
occultiste européenne, comme la Société Théosophique.
Il me faut dès à présent souligner que mon intention n’est pas d’étudier ces
groupes et ces traditions. L’intérêt que je leur porte tient en deux points : la diversité
des influences ayant marqué ce type de pratique religieuse qui, du moins à Porto
Alegre, dépasse les influences chrétienne, spirite et afro-brésilienne, et leur
participation aux parcours individuels, que ce soit dans le sens thérapeutique plus
général ou dans le sens d’une initiation religieuse.
A part l’observation sur le terrain, c’est-à-dire parmi les thérapeutes, les patients,
les personnes qui ont suivi un parcours dans cet univers ou font partie de l’un de ces
groupes mystiques ou religieux, j’ai largement et longuement observé la présence de
cette culture au niveau de la vie quotidienne des individus des couches moyennes.
J’ai ainsi relevé l’incorporation d’un langage et d’un vocabulaire liés aux
représentations de cet univers, même chez ceux qui n’ont jamais participé à des
thérapies, des rituels ou des pratiques spécifiques.
Tout au long de la thèse, certains cas singuliers serons décrits plus
particulièrement et de façon plus exhaustive. Le critère de choix de ces cas
particuliers, parmi un support ethnographique très riche, a été, d’un côté, la
enregistrements ont aussi facilité l’approche des récits biographiques, à travers lesquels il est
possible d’analyser le sens de ces pratiques sur le plan individuel.
31
C’est ainsi que sont appelés les adeptes du maître indien Rajneesh (actuellement appelé
Osho), mort en 1990, mais dont les enseignements font sans cesse de nouveaux adeptes. Le
siège des saniases se situe à Poona, en Inde, mais leurs principes et pratiques méditatives sont
largement répandus dans certains centres urbains brésiliens. Nous gardons la graphie
brésilienne (saniase) pour distinguer du samnyâsin ou sannyasi de l’hindouisme: celui qui a
renoncé au monde pour suivre le chemin de l’ascétisme. A propos de la notion de sannyasi,
voir Dumont, 1966 et Vernette, s/d. Sur les saniases au Brésil, voir l’étude de Gomes Lyra
(1987) sur un centre des disciples de Rajneesh de Brasilia.
préoccupation de montrer la pluralité des pratiques et les différentes dimensions de la
culture thérapeutique-spirituelle alternative et, de l’autre, de montrer l’existence
d’aspects communs et caractéristiques de ces pratiques.
Un guide de lecture
Dans le premier chapitre, nous analysons le contexte de l’émergence des
nouvelles cultures spirituelles et thérapeutiques au Brésil. A partir de la notion de
croisement culturel nous décrivons la portée de cette culture, qui s’étend des réseaux
les plus restreints des thérapeutes et leurs patients à des espaces sociaux plus larges.
Dans ce sens, nous décrivons la présence de cette «culture alternative» dans les
médias, la croissance du marché lié à cet univers et les conflits autour de l’utilisation
des techniques alternatives par les psychologues et les médecins.
Dans le chapitre deux, nous développons une discussion théorique sur le récit et
la construction de la personne. Le récit y est traité comme une forme d’accès à la
personne et son expérience. Dans ce chapitre, nous présentons aussi la transcription
d’un récit autobiographique d’une thérapeute alternative, lequel est analysé à partir
d’une lecture anthropologique.
Le chapitre trois a un caractère plus ethnographique. Nous y décrivons quatre
expériences thérapeutiques, qui concernent quatre méthodes distinctes: une thérapie
astrologique avec les fleurs de Bach; un travail avec les cartes du tarot; une séance de
régression aux vies antérieures; et une séance de psychothérapie collective, où il y a
l’ingestion du Santo Daime.
Dans le chapitre quatre, nous analysons le travail thérapeutique-spirituel. Nous y
analysons la notion de travail (trabalho) dans cet univers et ses différentes
significations. Dans ce chapitre, nous présentons aussi des aspects relatifs au
fonctionnement du travail thérapeutique-spirituel: la mise en scène du travail, les
espaces et les procédures rituelles; la relation thérapeutique; les mécanismes
thérapeutiques et les éléments qui opèrent dans le processus de cure: l’existence de
médiateurs symboliques, la construction d’un récit personnel à partir de mythes
collectifs, l’objet du travail thérapeutique et l’interprétation.
Dans le cinquième chapitre nous analysons des itinéraires thérapeutiques et
spirituels: la crise, la première expérience, l’initiation, l’utilisation d’un répertoire
thérapeutique et le devenir thérapeute. Tous ces aspects sont discutés à partir de la
notion de «condition thérapeutique». Celle-ci signifie un état de l’individu, un style et
un projet de vie, où il n’est plus possible de séparer l’expérience thérapeutique du
vécu religieux ou spirituel.
Le dernier chapitre traite de la notion de personne et de la cosmologie néoreligieuse. Nous y analysons la façon dont la configuration mystico-thérapeutique ne
s’inscrit que partiellement dans un cadre semblable à celui de la configuration
psychanalytique et de la «culture psy». Il existe une spécificité de la personne du
chercheur spirituel brésilien. Dans ce même chapitre, nous discutons l’existence
d’une cosmologie originale et cohérente dans ces nouvelles cultures, en opposition à
l’interprétation de certains auteurs qui voient dans ces mouvements une dissolution
de la tradition et la prédominance d’un pragmatisme sur le sens.
CHAP.1: L’EMERGENCE D’UNE NOUVELLE CULTURE
1. Anciens et nouveaux sens dans des anciennes pratiques
Nous allons analyser d’abord trois facteurs qui appartiennent au contexte brésilien
d’émergence d’une culture thérapeutique néo-spirituelle: la diversité et la pluralité
religieuse au Brésil (la discussion sur le «syncrétisme» - qui a occupé une place importante
dans les études sur les religions et sur l’éclectisme de l’expérience religieuse dans les
différentes classes sociales). La rencontre entre le thérapeutique et le religieux et un
«informalisme» par rapport aux pratiques liées à la question de la maladie/guérison. A ces
deux questions s’ajoute un troisième facteur, lié à la façon dont une «culture
psychanalytique» s’est diffusée au sein de certains segments des classes moyennes
brésiliennes.
1.a) Saints et orixás
Les études sur les pratiques religieuses au Brésil, particulièrement les cultes afrobrésiliens32 , le spiritisme Kardeciste33 et les sectes pentecôtistes et néo-pentécôtistes ont
servi, d’une part, à relativiser le catholicisme comme la religion prédominante au Brésil34 ;
32
Théoriquement, par afro-brésilien, la plupart des auteurs considère aujourd’hui trois
courants qui rassemblent divers genres de culte et de rituel (cf. Oro, 1989). Tous trois se
caractérisent comme des religions de possession: le candomblé (aussi appelé xangô, casa de
Minas et, au Rio Grande do Sul, batuque), qui se constitue comme la religion des orixás et
dont les racines africaines se font remarquer le plus; l’umbanda, apparue dans les années 20,
dans les milieux urbains, et qui mélange des éléments issus d’origines différentes, surtout du
candomblé et du spiritisme, et dont les rituels sont pratiqués autour d’entités intermédiaires
(les Caboclos, Pretos Velhos, etc.); la macumba ou quimbanda (linha cruzada au Rio Grande
do Sul), basée sur le culte des Exus et des Pombas Giras. Il faut toutefois prendre ga rde à ces
classifications. Les frontières entre l’une et l’autre ne sont pas en effet toujours faciles à
définir. D’autre part, la distinction entre l’umbanda et la quimbanda reste ambiguë. Comme
l’a montré Montero (1985), d’un côté, aucune maison de culte ne se définit comme «terreiro
de Quimbanda», de l’autre, tout centre d’umbanda «‘travaille’ avec les Exus et PombasGiras» (p.136).
33
Aussi bien que les autres formes de spiritisme.
34
Les données de l’IBGE (Instituto Brasileiro de Geografia e Estatística) révélaient, en 1980,
que les catholiques occupaient une place de 89% dans la population. En 1991, selon une
recherche des Panoramas et Statistiques du Phénomène Religieux au Brésil, promue par
d’autre part ils ont montré la diversité de l’expérience religieuse dans ce pays. Cette
diversité apparaît non seulement dans la cohabitation entre les différentes formes de
religiosité, mais aussi dans leur interpénétration, dans l’incorporation de pratiques
d’origines différentes35 et dans l’éclectisme du vécu religieux des différents segments de la
population.
Pour décrire le «dualisme» de la société brésilienne entre une «civilisation blanche»
et des traditions et coutumes propres à une culture «noire», le concept de «syncrétisme» a
été largement utilisé par les chercheurs de la fin du XIXème siècle jusqu’aux années 30/4036 .
Pereira de Queiroz (1979) montre comment ces deux concepts (le dualisme de la
société et le syncrétisme) ont été d’abord utilisés par Roger Bastide pour analyser ce qui
semblait l’antagonisme entre deux civilisations et le dualisme vécu par le Noir brésilien.
Bastide (1970), dans son analyse du candomblé essaie de montrer les mécanismes qui
permettent la cohabitation de deux civilisations et la description des fondements de ce qu’il
PUC/RJ, cet indice a baissé jusqu’à 85%, tandis que la CNBB (Conferência Nacional dos
Bispos do Brasil) reconnaissait, cette même année, un indice encore mineur de catholiques,
autour de 75%. Les pentecôtistes, qui, selon l’IBGE, occupaient 3,2% de la population en
1980, sont arrivé, en 1991, à 10%, soit environ 16 millions de fidèles. La propre Eglise
Catholique reconnaît une perte annuelle de 600 milles fidèles, soit 1% tous les deux ans. Par
rapport aux religions afro-brésiliennes, Oro (1993:99) parle de 60 millions de pratiquants
brésiliens. Le même auteur cite le chiffre de 450.000 lieux de culte afro-brésiliens, contre
40.000 églises catholiques, en 1989 (Cf. Oro, 1989:133). Il faut, cependant, rester prudent au
sujet des données officielles (obtenues par recensement) et aux décalages existant entre la
confession et la pratique religieuse. Le pourcentage de ceux qui se déclarent catholiques est
supérieur à celui des pratiquants. Il faut également prendre en compte les degrés de
fluctuation de la fréquentation religieuse et la dualité, pour ne pas dire la multiplicité, des
options parmi certains segments de la population. Fonseca (1991:130), dans une recherche
sur la vie quotidienne d’un groupe populaire brésilien, a constaté que «lorsqu’on demande
aux gens de spécifier leur religion, ils disent facilement ‘catholique’, parce que c’est la
dénomination la moins chargée de connotations négatives» par rapport aux cultes afrobrésiliens et aux sectes protestantes.
35
Capacité qui n’est pas l’exclusivité des religions afro-brésiliennes, face au besoin de
s’adapter à une situation de domination et quelquefois de répression de leurs cultes.
36
Selon Pereira de Queiroz, 1979:147: «Le syncrétisme devient le centre de leurs
préoccupations. Ils le voyaient comme un mélange disparate d’éléments d’origine diverse
réunis de façon incohé rente, et reconnaissaient en lui un des principaux obstacles au
développement socio-économique du pays. Une civilisation hétéroclite et irrationnelle, donc,
caractéristique du Brésil, et qui contrastait avec la civilisation homogène, rationnelle,
harmonieuse, de l’Europe». A la base de cette vision, donc, une conception évolutionniste de
la culture.
a appelé la «religion authentique»37 . En approfondissant ses recherches sur le candomblé,
Bastide
redéfinit
le
concept
de
syncrétisme
pour
arriver
enfin
à
la
notion
d’«interpénétration de civilisations». Pour Bastide, le syncrétisme n’est donc pas un
mélange incohérent de traits isolés et ne se limite pas à décrire une pratique ou une
cosmologie religieuse, mais exprime la rencontre de civilisations différentes donnant
naissance à une nouvelle civilisation38 . Parler de syncrétisme est donc parler de la société
brésilienne elle-même.
Même si la plupart des recherches sur les religions aujourd’hui remettent en
question le concept de syncrétisme et tentent de redéfinir sa signification, Bastide a
influencé toute une génération de recherches sur le religieux et surtout sur les religions
afro-brésiliennes au Brésil. Ortiz39 utilise la théorie de Bastide au sujet du syncrétisme
comme «bricolage» visant à remplir les vides de la mémoire d’une tradition culturelle et
religieuse donnée40
et pour décrire l’émergence d’une nouvelle religion originale
(l’umbanda, dans le cas analysé par Ortiz). Il distingue le concept de syncrétisme41 de celui
de synthèse: cette dernière sert à décrire la naissance d’une nouvelle religion, à partir d’une
«rupture épistémologique» qui «sépare le nouveau système de l’ancienne tradition
dominante»42 . L’umbanda ne serait donc plus une forme de religion afro-brésilienne,
produite par un «syncrétisme spontané», mais une véritable religion («la religion nationale
du Brésil»43 , hypothèse qu’il développera de façon approfondie dans un autre travail44 .
37
Concept qui est à la base, par exemple, de sa qualification du candomblé comme «religion»
(authentique) et de l’umbanda, comme «idéologie religieuse». Cf. Bastide, 1970. Pour une
critique de cette conception, voir Monteiro, 1978.
38
Voir Bastide, 1970. Sa vision du syncrétisme est analysé par Queiroz, 1979 et Cuche, 1994.
39
Cf. Ortiz, 1991 [1978] et 1980 [1975].
40
Bastide, 1970.
41
«Le syncrétisme se réalise, donc, quand deux traditions sont mises en contact, quand la
tradition dominante fournit le système de significations, choisit et ordonne les éléments de la
tradition subdominante», cf. Ortiz, 1980 [1975]:103.
42
Idem, p.106.
43
Bastide avait défini, dans un de ces derniers travaux (1974), l’umbanda comme «une
religion nationale du Brésil», Ortiz (1980) parle de «la religion nationale» [c’est moi qui le
souligne], réaffirmant son caractère de «synthèse» et de «brasilité» (p.107).
44
Voir Ortiz, 1991, version brésilienne de sa Thèse de Doctorat, soutenue à Paris en 1975.
Cette quête de l’«authentique» dans la religion semble poursuivre les différentes
recherches au Brésil. Pour Bastide (1960) le candomblé représentait l’«africanité»
fondamentale, la «religion authentique»; pour Ortiz (1991 [1978]), l’umbanda, serait la
«religion nationale du Brésil»; plus récemment, pour Brandão (1986), la «religion
populaire» est celle qui exprime le mieux la culture populaire et des opprimés; pour Prandi
(1991), dans sa recherche sur les candomblés à São Paulo, le candomblé installé à la
métropole serait la «religion a-éthique» propre à une société «post-éthique»45 .46
Sur le concept de syncrétisme, Ortiz n’a pas été le seul à chercher un concept plus
approprié pour décrire l’objet de son étude (la naissance d’une nouvelle religion,
l’umbanda).
Certaines critiques, cependant, ont été plus radicales, comme celle de Maggie Velho
(1975) qui, dans son étude sur un terreiro d’umbanda à Rio de Janeiro47 , critique
l’évolutionnisme des études du «syncrétisme» brésilien du début du siècle et les études qui
ont tenté de définir les traits originaux des religions afro-brésiliennes (comme celles de
Bastide).
Ce doute (pour ne pas dire abandon) vis-à-vis du concept de «syncrétisme» peut être
observé aussi dans les études les plus récentes autour des nouveaux phénomènes religieux.
Groisman (1991), dans son étude du Santo Daime, affirme qu’il faut rester prudent quant à
l’utilisation du syncrétisme pour définir cette religion: ce serait nier l’existence d’une ligne
maîtresse dans la doctrine daimiste48.
La question à laquelle ces différents auteurs cherchent à répondre semble être,
initialement, celle de la description de l’ouverture des différents systèmes religieux et leur
flexibilité dans l’acceptation de la circulation des adeptes - flexibilité qui n’est pas
l’exclusivité des religions afro-brésiliennes. Maués (1990), dans une étude sur plus de trois
45
Cf. Prandi, 1991:153.
46
Mais la quête de l’«authenticité» n’est pas l’apanage de la pensée savante sur ce thème.
Parmi les adeptes des nouvelles spiritualités que nous avons questionnés, la référence au
Santo Daime comme «le chemin spirituel d’aujourd’hui», ou la religion qui exprime le
«mieux une voie spirituelle au Brésil» restait fréquente.
47
Cf. Maggie Velho, 1975.
48
Groisman, 1991, p.231.
siècles d’implantation du catholicisme au Pará49 , a montré comment il «est capable
d’incorporer ou englober, en son sein, une quantité énorme de postures, de pratiques
sociales, de rituels, d’idéologies, etc., en demeurant toujours catholique (c’est-à-dire, en
gardant son identité)»50 . L’auteur a surtout analysé les relations entre la pajelança
cabocla 51 et le catholicisme pratiqué par les populations rurales ou d’origine rurale 52 . Il
s’agit là d’un exemple où le «syncrétisme» échappe donc aux religions «afro-brésiliennes»;
au niveau du système comme au niveau des comportements des individus et des
«verbalisations»53 de leurs croyances.
Le protestantisme (surtout celui pratiqué dans les églises pentecôtistes 54 ), semble
être un des seuls systèmes religieux à ne pas se laisser imprégner par cette circulation
spirituelle. Ses agents religieux exigent l’exclusivité des adeptes et possèdent toute une
stratégie d’accusation et de combat des autres religions, principalement les afrobrésiliennes55 ; justement peut être de façon à échapper à cette mobilité existant dans les
pratiques religieuses populaires au Brésil. La confrontation se fait surtout pendant les
49
Un des Etats brésiliens qui a souffert les Visitations du Saint Office de l’Inquisition.
50
Cf. Maués, 1990, p.9.
51
La pajelança est une forme de culte d’origine indienne, comme le catimbó, mais qui utilise
des éléments des religions afro-brésiliennes.
52
Il a encore identifié des champs d’intersection avec deux autres systèmes, l’umbanda et le
spiritisme Kardeciste.
53
Cf. Maués, 1990, p.5.
54
Une partie importante de ces églises fait partie d’un «pentecôtisme autochtone» (Cf.
Gutwirth, 1992:103). Même si les missionnaires américains ont eu un rôle important dans
l’implantation du pentecôtisme, surtout à partir de 1910-20 (à travers l’Assembléia de Deus),
un pentecôtisme autochtone s’est rapidement développé dans le pays (par exemple, les églises
Deus é amor, l’Igreja Pentecostal Cristã et l’Igreja Universal do Reino de Deus). Voir
l’article de Gutwirth (1992) sur le développement d’un pentecôtisme autochtone au Brésil et
le prosélytisme électronique. Ces églises ont mis en oeuvre toute une stratégie de
prosélytisme à travers la radio et la télévision (la TV Record, à São Paulo, achetée par
l’Igreja Universal do Reino de Deus pour 45 millions de dollars), les temples, disséminés
dans tout le pays et les rassemblements massifs pour réaliser des guérisons et des exorcismes
collectifs (comme les grandes cérémonies réalisées dans les stades de football).
55
Mais le catholicisme populaire est aussi apparu comme une cible de certaines églises
pentecôtistes. Un exemple en est donné par un scandale dans les médias le jour de Nossa
Senhora de Aparecida, la patronne du Brésil. Dans une émission en direct à la chaîne Record,
laquelle appartient à l’Igreja Universal do Reino de Deus, un pasteur a donné de coups de
pieds dans une statue de la Sainte. Ce fait, qui a eu lieu en 1995, a eu des importantes
répercussions dans les médias et dans l’opinion publique.
cultes, à travers l’exorcisme (des orixás et des «entités du démon», perçus comme les
représentants du mal et les responsables des malheurs) 56 . Il faut, cependant, relativiser cette
«pureté» ou ce caractère «non syncrétique» de ces églises, étant donné qu’elles
reconnaissent l’existence d’orixás et d’autres entités de l’imaginaire religieux afro-brésilien
et les invoquent dans les rituels d’exorcisme 57 .
Soares (1993) donne une interprétation assez intéressante de ce phénomène:
l’exorcisme pratiqué par les pentecôtistes, «met à jour une intégration organique avec son
antagoniste»58 . A la place d’un «syncrétisme de médiation», la présence actuelle des églises
pentecôtistes et leur attitude (même agressive), introduit, selon Soares, un élément
égalitaire et moderne dans la culture populaire au Brésil59, celle-ci ne pourrait plus, selon
l’auteur, être définie comme hiérarchique60 .
D’autres auteurs (certains plus récemment) ont essayé de trouver des concepts
alternatifs au «syncrétisme» et à incorporer une autre dimension du phénomène religieux:
celle du vécu, et surtout de l’éclectisme de ce vécu au Brésil et celle de l’identité
religieuse61 .
Les différentes études vont tenter d’analyser la diversité des expériences religieuses
au Brésil, en prenant en compte les groupes populaires (surtout urbains) mais aussi les
différentes couches des classes moyennes urbaines. Ainsi, Brandão (1986), dans l’étude du
56
Le rituel d’exorcisme a lieu en général avec une grande intensité théâtrale et tout une
accusation de l’umbanda et du candomblé à travers les orixás et les autres entités. Voir, par
exemple, la description de Gutwirth (1992) sur un de ces rituels.
57
Les pratiquants des religions afro-brésiliennes les incorporent une dernière fois avant d’être
exorcisés définitivement.
58
Cf. Soares, 1993:204.
59
Le langage différentiateur du pentecôtisme, même si agressif, qui traite ses ennemis comme
des égaux, représente l’opposé du syncrétisme, expression de la lutte pour la «survivance des
traditions africaines dans un contexte de violente domination européenne esclavagiste»; cf.
Soares, 1993:208.
60
Il s’oppose, donc, aux études selon lesquelles prédomine une idéologie hiérarchique (ou
holiste) dans les classes populaires brésiliennes, en opposition à une idéologie individualiste
moderne.
61
Fonseca (1991) décrit ces recherches comme celles qui étudient la «dynamique
d’interaction» des diverses religions et qui «tournent le dos aux connotations péjoratives des
théories de ‘syncrétisme’, en même temps qu’ils renient les interprétations qui voudraient
voir dans les manifestations populaires de simples vestiges... d’un passé traditionnel révolu»,
p.135.
catholicisme populaire brésilien utilise le concept d’«oecuménisme populaire» pour définir
le sentiment de solidarité «horizontale» qui réunie les adeptes de religions différentes parmi
les groupes populaires au Brésil. Oro (1993) parle de la «double identité religieuse» des
segments populaires au Brésil et spécialement au Rio Grande do Sul, entre catholicisme et
religions afro-brésiliennes. Duarte (1983) parle de la «fluctuation interconfessionnelle»62 ,
au sujet de la religion dans les groupes populaires urbains au Brésil. Gomes dos Anjos
(1993) propose le concept de «croisement de lignes» et d’encruzilhada (littéralement:
«carrefour) pour définir les cultes de linha cruzada63 qu’il a étudiés à Porto Alegre
Dans toutes ces études, aussi différentes que soient les approches de la religiosité
des groupes étudiés, nous pouvons percevoir une certaine préoccupation plus liée à la
pratique et au vécu de l’expérience religieuse qu’à l’analyse du système religieux.
A la base du vécu religieux des différentes couches sociales au Brésil, il existe une
sorte d’éclectisme, de pluralité des pratiques et une tradition de circulation à travers les
systèmes religieux.
Cet éclectisme du vécu spirituel se réalise non seulement à travers une mosaïque de
pratiques (individuelles et collectives64), mais se trouve également imbriqué à d’autres
domaines de l’expérience vécue, comme celle de la cure et de la sphère de la subjectivité65 .
1.a.1) Multiethnique et pluriclassiste
Une autre caractéristique des phénomènes religieux contemporains au Brésil est leur
caractère multiethnique et pluriclassiste. L’éclectisme du vécu religieux, la circulation
62
Cf. Duarte, 1983:64.
63
Qui croisent le culte des orixás, nation et exus.
64
Il est commun de trouver, par exemple, parmi les classes populaires urbaines, le baptême
catholique des enfants (quelquefois réalisé à l’Eglise et dans la maison) et la fréquentation
occasionnelle des rituels afro-brésiliens, des centres spirites, ou la consultation de
guérisseurs. Voir Fonseca (1991) et Loyola (1983).
65
Il devient difficile à un moment de définir les frontières du religieux par rapport aux autres
sphères du vécu social. Ce qui nous pousse à relativiser le religieux en tant que spécificité
culturelle séparée des autres dimensions de la vie.
parmi des traditions et des pratiques différentes n’est pas une exclusivité des classes
populaires.
La quête de conseils et de guérison auprès de pères et mères de saints, de
guérisseurs et de médiums populaires par les classes moyennes et par les élites
économiques, intellectuelles et politiques n’est pas un phénomène récent. Déjà au début du
siècle, le journaliste João do Rio (1906), avait constaté, à Rio de Janeiro, la fréquentation
des macumbas, dirigées pas les descendants des esclaves, par des individus appartenant aux
«hautes couches». Le comportement de l’«élite blanche» à ce moment, à Rio de Janeiro
comme à Salvador, était ambiguë, comme l’a bien remarqué Fry (1978): alors que la
bourgeoisie réprimait ces cultes, elle «reconnaissait leur pouvoir rituel»66 et était
responsable de leur «protection politique»67 . Bien que les classes moyennes et hautes
déclaraient «professer la religion catholique, elles fréquentaient clandestinement les
macumbas»68 .
Cette ambiguïté du vécu et de la confession religieuse, concernant les classes
sociales et la question ethnique, n’a pas disparue. Le panorama religieux brésilien a
pourtant bien changé dans ces dernières décennies.
Le spiritisme Kardeciste, au contraire, apparaît comme une religion typiquement de
classe moyenne 69 . Sa doctrine valorise l’individu en tant que porteur du libre arbitre,
toujours limité par un univers plus vaste hiérarchiquement conçu. Son discours renforce le
rationalisme et la conscience des pratiques et des comportements et conteste son
identification avec d’autres systèmes religieux. Selon Cavalcanti, «le spiritisme est une
religion lettrée»70 car le livre et la lecture occupent une place centrale. Cependant, la
question de la spécificité du spiritisme Kardeciste dans sa version brésilienne (selon
certains auteurs, son caractère plus «mystique» ou «magique» que celui des origines71 ),
reste à développer.
66
Cf. Fry, 1978, p.29.
67
Idem, ib.
68
Idem, ib.
69
Voir l’étude de Cavalcanti, 1983.
70
Idem, p.20.
71
Interprétation critiquée par Cavalcanti (1983) pour établir un clivage ethnocentrique entre le
«rationnel» et le «mystique». Il reste, cependant, à analyser ce déplacement d’un discours
Bastide (1970), quant à lui, avait déjà montré la présence des classes moyennes dans
l’organisation de l’umbanda72 . Dans cette même ligne de pensée, pour Ortiz (1991)
l’umbanda est le résultat du «blanchissement» du candomblé et du «noircissement» de
certaines pratiques spirites et Kardecistes. Une façon de l’adapter à l’univers des classes
moyennes urbaines, permettant également l’entrée
d’intellectuels73 . Lors de sa dernière
visite au Brésil, Bastide avait constaté non seulement la fréquentation des candomblés de
São Paulo par des blancs (déjà remarquée par d’autres chercheurs), mais surtout l’existence
de candomblés «organisés et fréquentés exclusivement par de blancs»74 .
L’étude des classes moyennes et des ni tellectuels dans les candomblés de São Paulo,
a été traité de façon approfondie par Prandi (1991). L’auteur montre que le candomblé s’est
développé à São Paulo, au cours des dernières années, à partir d’une recherche de ses
racines les plus africaines et traditionnelles et dans un public appartenant dans la plupart à
la classe moyenne. Cette même classe moyenne intellectualisée de Rio de Janeiro et São
Paulo va chercher, selon Prandi, «la légitimation du candomblé par sa racine»75 . Un
mouvement qui se propagera aux autres couches sociales et aux umbandistes, qui avaient
tenté de faire disparaître l’origine «non blanche» de l’umbanda.
Pour Prandi, ce changement de direction des classes moyennes trouve ses racines
dans l’effervescence culturelle des années 60, qui a valorisé la «culture du peuple». La
classe moyenne «va à Bahia», elle cherche le Brésil, (à travers les voyages au Nord et au
Nord-Est76 . Selon l’auteur, un nouveau «marché religieux» est ouvert, à côté des formes
«les plus originales et hermétiques de l’Orient»77 .
privilégiant, à son origine, la raison, vers une pratique tournée vers la cure et l’intervention
concrète. En quoi la spécificité du vécu religieux des classes moyennes au Brésil aurait-il
interféré dans une version brésilienne du Kardécisme et pour d’autres formes de spiritisme ou
dans la formation d’un «spiritisme autochtone»?
72
Cf. Bastide, 1970.
73
Selon Ortiz (1991:45), l’élite umbandiste et ses dirigeants sont composés de juristes, de
journalistes, de militaires, de médecins, etc.
74
Cf. Pereira de Queiroz, 1979:155.
75
Prandi, 1991:74.
76
Il est intéressant de remarquer que les premiers contacts des jeunes de classe moyenne avec
le Santo Daime (pratiqué à l’intérieur de l’Amazonie depuis les années 30) ont eu lieu dans
les années 70, à travers ces voyages vers le Nord du Pays. Voir, à propos, Groisman, 1991.
77
Prandi, 1991:74.
Si, au début du siècle, les classes moyennes affichaient leur confession catholique et
pratiquaient clandestinement les macumbas, la fréquentation du candomblé aujourd’hui, est
ouverte. D’autres contacts «moins prestigieux» (comme l’umbanda) sont toutefois encore
tenus en secret78 .
1.a.2) Modernité enchantée
Plusieurs auteurs ont souligné qu’au Brésil, l’industrialisation n’a pas renvoyé à une
sécularisation de la vie mais, au contraire, à un renforcement de la religion, sous de
nouvelles formes, adaptées au milieu et à la vie urbaine 79 .
Ce renforcement de la vie religieuse prend des formes différentes: l’augmentation
du nombre de terreiros, lieu de culte des religions afro-brésiliennes, et de leur
fréquentation; la croissance du pentecôtisme et du nombre de ses adeptes; la multiplication
des formes de spiritisme et des «cultes des esprits» en général80; la croissance des pratiques
religieuses jusqu’alors limitées à certaines zones géographiques (comme le Santo Daime et
les autres cultes non indigènes de l’ayahuasca); la réapparition ou la croissance des
mouvements liés à la tradition ésotérique 81 ; la croissance des mouvements religieux
orientaux ou néo-orientaux (le zen, le bouddhisme et les néo-bouddhismes, ou les nouvelles
églises japonaises82 ); etc.
Nous pouvons définir ce cadre comme celui d’une pluralité religieuse et spirituelle
croissante, à partir des différents types de religiosité, du caractère «multiethnique» et
78
Boyer-Araújo (1993) a fait cette remarque au sujet des classes moyennes de Belém, dans
l’Etat du Pará, en concluant que l’image favorable des orixás est en grande partie redevable
«aux travaux d’ethnologues et de sociologues» (p.19).
79
Comme nous le verrons, une critique plus générale de la notion de «sécularisation» du
monde a été aussi formulée au sujet d’autres pays.
80
Que l’on peut observer, par exemple, à Brasília, dans des communautés spirites comme le
«Vale do Amanhecer». Sur le «Vale do Amanhecer», voir Batista, 1991 et Muel-Dreyfus et
Martins- Rodrigues, 1986.
81
Comme les Rosacruciens, la Théosophie et les différents groupes de la renaissance
ésotérique européenne de la fin du XIXe siècle.
82
Comme le Seicho-no-iê, l’Eglise Messianique, etc. Voir, à propos, Carvalho, 1991.
«pluriclassiste» de l’extension du phénomène religieux et, enfin, de l’éclectisme de
l’expérience religieuse vécue.
La dynamique du paysage religieux permet de relativiser certaines catégories
sociologiques utilisées longtemps dans l’étude de cette sphère du social, telles que les
concepts bourdiens de «champ religieux»83 ou de «marché symbolique religieux»84 , très
utilisés dans les études sur la religion en milieu urbain au Brésil. Ils ne suffisent pas,
cependant, à expliquer la complexité et la richesse du phénomène religieux contemporain
au Brésil85 .
Pour certains auteurs, une des caractéristiques de cette pluralité religieuse
brésilienne actuelle reste le pragmatisme du vécu religieux et la dilution des principes et des
valeurs spirituels.
Pour Prandi (1991), par exemple, le «succès» du Candomblé parmi les classes
moyennes de la grande métropole est dû à l’absence d’une éthique et à l’offre de solutions à
des problèmes concrets86 . Le jogo dos búzios - l’oracle de coquillages du candomblé - est
rationalisé, par une réception privée, une prise de rendez-vous, par un paiement
monnayable, etc. La religion est adaptée à la métropole, où l’individu n’est qu’un
83
Pour Bourdieu (1971a:304), construire le fait religieux comme proprement sociologique
serait le concevoir en tant qu’expression qui confirme des positions sociales - le «champ
religieux» en tant que l’«aboutissement du monopole par un corps de spécialistes religieux...
et la dépossession des autres... du capital religieux». Toutefois, à notre avis, cette réduction
du social en institutionnel cache la réalité sous-jacente des individus et des rapports entre
eux. A ce propos, nous rejoignons la critique de O. Velho (1986:50), pour qui la religiosité
doit être comprise non pas comme un «champ» mais en tant qu’une «perspective, à travers
laquelle nous avons quelque chose à dire sur l’ensemble le l’expérience humaine».
84
Duarte, 1983:56, même en considérant juste la désignation de la segmentation et la
multiplication de l’espace religieux comme un «marché», critique la radicalité de la
conception de Bourdieu à ce propos. D’autre part, selon les classes populaires urbaines qu’il
à étudiées au Brésil, il considère que la conversion religieuse se présente plutôt sous la forme
d’une «adhésion» que d’une «option» ou d’un «choix» (idem:60-61).
85
Il nous semble très restrictif d’envisager l’émergence des nouvelles religiosités comme une
augmentation des offres sur le «marché» religieux, en oubliant le sens de ces nouvelles
expériences et leur place dans un cadre de remise en question des paradigmes et de la pensée
occidentale même.
86
«Une religion a-éthique dans une société post-éthique», cf. Prandi, 1991:185.
«bricoleur» de pratiques religieuses. Selon cet auteur, nous assistons au mouvement inverse
de celui décrit par Keith Thomas 87 : de la religion vers la magie.
Cette dernière constatation de Prandi, sur le sens de la religion «adaptée à la
métropole» nous renvoie au caractère des nouveaux mouvements spirituels qui émergent
aujourd’hui: serait-il possible d’identifier dans ces mouvements une cosmologie plus large
et l’analogie à une «tradition» religieuse ou, à l’opposé, ces mouvements seraient-ils limités
à une valorisation de l’expérience spirituelle individuelle et à un pragmatisme du vécu, au
détriment de la doctrine et de la tradition?88
1.b) Guérisons rituelles
Le deuxième facteur dans l’essor actuel des nouvelles spiritualités et thérapies
alternatives au Brésil est lié aux rapports entre le religieux et le thérapeutique et à une
certaine tradition de flexibilité et de «non formalisme» dans la manipulation des processus
maladie/guérison.
Parallèlement au développement d’une pluralité religieuse dans les grandes villes
brésiliennes, nous pouvons observer l’augmentation d’une diversité thérapeutique qui n’est
pas une simple extension de pratiques d’origine rurale ou populaire.
Cet éclectisme thérapeutique au Brésil et ses rapports à la religion ne sont pas
nouveaux. La diversité de thérapies que nous pouvons trouver au Brésil dans les cultures
alternatives a germée sur un terrain fertile et déjà ensemencé. Elles rejoignent une longue
tradition de convergence entre les processus de maladie/guérison et les cultures religieuses.
Une tradition diversifiée enracinée dans les différents segments de la population.
1.b.1) Pratiques populaires
87
Cf. Keith Thomas, 1991.
88
Cette question est analysée, parmi d’autres, par Carvalho (1991) et Hervieu-Léger (1990).
Nous y reviendrons.
Les historiens et
les chercheurs ont l’habitude de définir deux moments distincts pour décrire les relations entre
maladie/guérison et les pratiques thérapeutiques au Brésil: le premier, quand une thérapeutique populaire et une pratique médicale
réalisé
e
par des agents non diplô més prédominai
ent ;
le second
moment,
à partir du XIXe siècle,
quand
la médecine
s
cientifique possédait l’hégémonie. La référence de cette coupure historique est l’installation et l’hégémonie d’une
médecine officielle.
Celle-ci liée, d’un côté, à une connaissance apprise à l’université et dont
l’exercice professionnel est cautionné par un diplôme, de l’autre, à une intervention de
l’Etat, dans le sens de la réglementation de ces pratiques et de l’institution médicale et
d’élaboration de politiques de santé 89 .
Montero (1985) définit le premier moment, de la découverte au début du XIX e
siècle, comme celui où prédominaient les pratiques thérapeutiques non officielles ou
populaires. Ces pratiques étaient une conséquence de la rencontre de trois influences
culturelles qui ont marqué inégalement les différentes régions brésiliennes: les cultures
amérindiennes, les cultures des esclaves africains et la culture européenne et chrétienne 90 .
Dès le début s’installa une dynamique d’échange entre ces différentes cultures, faite
d’emprunts et de croisements des savoirs curatifs comme de l’imaginaire religieux. Cette
dynamique va accompagner les transformations advenues dans les sociétés locales et dans
les populations arrivées le l’Europe ou de l’Afrique 91.
Il est difficile de caractériser en un mot toutes les pratiques et les différentes formes
de l’imaginaire populaire liées au traitement des maladies, de la souffrance et du mal. C’est
avec une certaine réserve que ces pratiques sont rassemblées sous le concept de thérapie,
89
Voir Machado (1978) et Montero (1985), parmi d’autres.
90
La thérapeutique chrétienne était pratiquée, au tout début, surtout par les Jésuites (jusqu’à
leur expulsion, au XVIIIe siècle). Leurs connaissances médicales étaient basées sur la théorie
des humeurs, la thérapeutique consistant à l’application de saignées, de ventouses, de
clystères et de purgations (cf. Montero, 1985:20). On comptait aussi quelques rares médecins
professionnels venus d’Europe, dans leur majorité des juifs et des nouveaux chrétiens qui
échappaient aux tribunaux de l’Inquisition installés au Portugal. Les quelques cirurgiãosbarbeiros (praticiens non diplômés, en général barbiers) étaient recrutés principalement
parmi «la population noire, libre ou esclave, et parmi les mulâtres». Idem, p.16.
91
Si la mission de catéchisation des Jésuites a provoqué la désagrégation de certaines cultures
indigènes, les missionnaires chrétiens ne sont pas sortis indemnes de cette rencontre. Les
Jésuites ont incorporé, dans leurs pratiques thérapeutiques, les connaissances des indiens sur
les herbes et plantes curatives. Ils sont devenus responsables de la préservation d’une partie
de ces connaissances (dans leurs «cahiers manuscrits», les jésuites ont transcrit une partie de
la connaissance thérapeutique des indiens). Cf. Montero, 1985, p.21.
car elles possèdent une signification plus étendue: les maladies, toutes sortes de souffrance,
les malheurs, les peurs et le mal qui peuvent menacer les populations92 .
Les formes populaires de cure, réalisées sous la forme rituelle liée à une
connaissance d’herbes et de prophylaxies artisanales en général, ont prévalu jusqu’au début
du XIXe siècle. Elles pouvaient, d’une part, être pratiquées par les guérisseurs et les
bénisseurs liés au catholicisme populaire ou par les pagés93 dispersés; d’autre part, dans le
cadre des cultes pratiqués par les populations d’origine africaine 94 . La structuration d’une
médecine officielle, l’adoption de politiques de santé et d’hygiène publique par l’Etat
comme l’ouverture des premières Ecoles de Médecine, induisant une réglementation de la
pratique médicale, sont perçus par certains auteurs comme un moment de désagrégation des
thérapeutiques populaires95 .
S’il est vrai que ce moment est aussi celui de l’adoption de normes et de lois
interdisant les médecines populaires et surtout les cultes d’origine africaine, il ne signifie
pas, toutefois, la disparition des thérapies populaires ou de la cure rituelle. Si certaines
formes de guérison populaire, principalement des régions rurales brésiliennes, jouent
aujourd’hui un rôle secondaire96 dans les grandes villes, d’autres pratiques thérapeutiques
plus adaptées au milieu urbain contemporain se sont développées en marge de la médecine
officielle. Le processus de cette adaptation et la forme empruntée par les cures rituelles
aujourd’hui restent une question à développer.
Pour Loyola (1983), si les pratiques thérapeutiques du catholicisme populaire,
«telles qu’elles étaient conçues et développées en milieu rural», tendent à disparaître, l’une
des caractéristiques des thérapies populaires actuelles est qu’«au lieu de se rationaliser,
comme le laisserait présager l’action entreprise par la médecine officielle, elles deviennent
92
A ce propos, Mello e Souza (1986) fait une description détaillée de la vision du malheur,
des pratiques de la sorcellerie et des guérisons populaires au Brésil colonial.
93
Sorte de chaman sorti des groupes indigènes.
94
Même si ces cultes étaient aussi, dès le début du XXe siècle, fréquentés par certains
individus des élites blanches.
95
Voir, par exemple, Montero, 1985.
96
Mais sont encore répandues, non seulement dans les zones rurales dépourvues d’assistance
médicale, mais aussi dans les villages et quartiers populaires des grandes villes, où souvent ce
genre de guérisseur partage avec le médecin local les itinéraires thérapeutiques des habitants
de la région.
de plus en plus une médecine religieuse, c’est à dire une médecine exercée dans le cadre
d’une religion...»97 .
Celle-ci peut être considérée comme l’une des transformations importantes: parmi
les formes de pratique religieuse qui attirent le plus grand nombre d’adeptes, celles qui
pratiquent des cures rituelles (directe ou indirectement) semblent prédominer.
Cependant, dans le cadre des nouvelles formes de spiritualité et de thérapie, les
agents individuels et la cure rituelle réalisée en dehors d’un cadre religieux organisé ont
aussi, comme nous le verrons, un rôle important.
1.b.2) Cure dans la religion
La maladie et la guérison ou, plus généralement, la souffrance (physique et
spirituelle), comme facteur de la conversion des adeptes des diverses religions, sont des
éléments importants qui soulignent le rapprochement entre le thérapeutique et le religieux
comme on le voit dans les études sur les différentes religions au Brésil98 .
Par ailleurs des facteurs présents à l’origine de l’adhésion spirituelle, des différentes
cosmologies religieuses et pratiques rituelles montreront, à des dégrés divers, une
dimension thérapeutique: la définition des causes des maladies et de la souffrance, les
formes de les combattre ou d’apprendre à les supporter.
Loyola (1983), dans son étude réalisée dans un quartier de la banlieue de Rio de
Janeiro, a décrit chacun des «spécialistes de la cure de l’esprit» - les différentes religions
pratiquées par les populations locales et leurs «agents» thérapeutiques et religieux99. D’une
certaine façon, chacun des systèmes religieux présents dans la région présente une vision et
une pratique thérapeutique; y compris le catholicisme officiel et le protestantisme
97
Cf. Loyola, 1983:88.
98
Camargo (1961) l’a montré par rapport au Kardécisme et à l’umbanda; Montero (1985) a
décrit ce processus par rapport à l’umbanda; par rapport au pentecôtisme, Aubré (1984)
montre que la maladie est interprétée par les fidèles comme «le mal nécessaire envoyé par
Dieu pour les mettre sur la bonne voie» (p.75).
99
Elle a décrit aussi leurs rapports aux autres «agents» thérapeutiques de la région: les
«spécialistes de la cure du corps» (les médecins, les pharmaciens et les marchands d’herbes).
historique, même s’ils s’éloignent des autres religions pour se rapprocher d’un discours et
d’une pratique liés à la médecine scientifique et à une explication physiologique des maux
du corps et psychologique des maux spirituels.
Le microcosme étudié par Loyola montre l’importance croissante de la dimension
thérapeutique dans l’expérience religieuse et l’intersection entre les différents discours et
les pratiques de cure (de la médecine officielle à la cure rituelle) dans les thérapeutiques
populaires urbaines au Brésil.
D’autres chercheurs ont décrit la dimension thérapeutique des différentes religions
pratiquées au Brésil 100 . S’il existe des différences de l’interprétation de la maladie et de la
souffrance et des procédures adoptées, leur élément commun reste la prééminence de
l’explication spirituelle du mal et la cure rituelle101.
1.b.3) Processus informels de maladie
et de guérison
A la tradition des croisements culturels dans l’univers religieux s’ajoutent les
processus informels liés aux rapports maladie/santé. Ces procédés informels existent dans
les pratiques médicales ou thérapeutiques populaires et dans la médecine officielle. D’un
côté, les médicaments prescrits par des voisins, les prophylaxies apprises à travers la
circulation orale d’informations ne sont que quelques pratiques populaires ordinaires. De
l’autre côté, la large diffusion, durant les trente dernières années, d’une «culture médicale»
liée au développement du «complexe médico-industriel» est un phénomène qui, au Brésil, a
eu des conséquences différentes de celles observées dans certains pays européens et aux
Etats-Unis, où la médecine, les produits et les services médicaux et paramédicaux, comme
100
Sur les rapports entre le thérapeutique (dans le sens le plus large) et le religieux dans les
classes populaires au Brésil, voir Loyola (1983), Brandão (1987). Sur le même sujet dans
l’umbanda, voir Montero (1985), Magnani (1980), Guedes (1981); dans le candomblé, voir
Goldman (1985); dans le Kardécisme, Warren (1984); dans l’umbanda et le pentecôtisme,
Fry et Howe (1978); pour ne citer que quelques travaux de référence sur ce thème, dont les
approches sont diverses et quelquefois antagoniques.
101
Montero (1985) a montré, par rapport à l’Umbanda, que, même quand il existe un discours
qui distingue les maladies spirituelles des maladies matérielles, il y a une «prééminence de
l’action du spirituel sur le matériel» (p.113).
les publications et toutes sortes d’autres produits liés à la «culture médicale», sont arrivés à
un niveau d’universalisation et de surconsommation.
Au Brésil, la culture de consommation des produits et des services relevant du
système médical officiel s’est développée de façon différente: en dépit des politiques qui
ont
consolidé,
surtout
dans
les
années
70,
une
véritable
industrie
médico-
pharmaceutique102 , le système public de santé est demeuré précaire et n’arrive même pas à
suppléer les nécessités de base de la majorité de la population en matière de santé103.
La diffusion de la «culture médicale» au Brésil a, donc, suivi une voie informelle.
Cette attitude apparaît dans les phénomènes fréquents d’automédication, d’une circulation
de connaissances thérapeutiques populaires ayant incorporé le discours savant, de la
popularisation de la consommation de certains médicaments104 et, surtout, de la large
diffusion d’un langage médical et thérapeutique105.
Par rapport au vécu de cette «culture médicale» par les classes moyennes, deux
phénomènes se distinguent: le premier, est le développement, au cours des dernières
années, d’une «culture psychanalytique»106 qui valorise un langage et un «code des
émotions» emprunté à la psychanalyse, et qui agit sur l’ethos et la vision du monde de ces
segments de la population107 . Le second est la prolifération des «médecines douces» liées à
un ethos écologiste: l'homéopathie, l’alimentation végétarienne ou macrobiotique, etc.108
102
Voir Luz, 1979.
103
Un paradoxe qui semble mondial. Selon des données de l’Organisation Mondiale de la
Santé, sur les 5,5 milliards d’habitants de la planète, 2 milliards sont des malades (surtout des
maladies épidémiques dues au manque de vaccin).
104
Comme la large consommation de tranquillisants et d’antidépresseurs parmi les
populations rurales de certaines régions du pays.
105
Qui n’est, il faut le souligner, un phénomène ni brésilien ni circonscrit au monde
contemporain. Porter (1993), dans un article sur le langage médical dans l’Angleterre
géorgienne, a commenté la réaction de certains médecins de l’époque à la popularisation de
certains termes qui «rentraient dans l’usage commun, dévalués et interprétés de façon erronée
par les gens» (p.379).
106
Expression utilisée par Sérvulo A. Figueira, 1985.
107
Sur laquelle nous discuterons dans le prochain item de ce Chapitre.
108
Dont nous traiterons plus directement dans la description du circuit brésilien des thérapies
et des spiritualités alternatives.
Tous ces facteurs ont contribué à la formation dialectique d’une culture
thérapeutique néo-religieuse dans les grandes villes brésiliennes.
1.c) Classes moyennes et «culture psy»
En général, la façon particulière dont les classes moyennes ont vécu la diffusion
d’une culture médicale et d’une culture thérapeutique rejoint les analyses de Figueira (1988
et 1986) à propos de l’existence d’une «culture psychanalytique» à l’intérieur de certains
segments des classes moyennes au Brésil.
Figueira localise aux Etats-Unis de l’après-guerre une explosion psy qui formerait la
première et plus importante culture psychanalytique. Selon lui, cette large diffusion de la
psychanalyse aux Etats-Unis a seulement été possible grâce à une demande à l’intérieur de
certaines couches de la société nord-américaine109 .
Partant de cette constatation, l’auteur va comparer deux cas qu’il considère
paradoxaux: l’Angleterre et le Brésil. Figueira se demande pourquoi il n’y a pas eu, en
Angleterre, une diffusion de la psychanalyse correspondante au poids de ses institutions et
de ses écoles psychanalytiques au niveau mondial. A l’opposé du Brésil, en Angleterre, être
patient ou être en analyse reste stigmatisant, ce n’est pas légitime et encore moins désirable,
et est en général gardé secret.110
Au Brésil, nous avons le paradoxe inverse: la relation entre le poids des institutions
psychanalytiques et sa diffusion est complètement différente. Dans ce pays, il n’existe pas
d’institutions, de publications, de personnages ou d’«écoles» psychanalytiques importantes
comme en Angleterre. Par contre, la diffusion de la psychanalyse est largement plus
importante que son poids institutionnel. La psychanalyse et les psychanalystes sont
entourés d’une aura de prestige et leurs codes et leur dialecte sont partagés par un public
beaucoup plus large que celui des analystes et leurs patients. Ce contraste entre la diffusion
de la psychanalyse au Brésil et en Angleterre peut être observé aussi au niveau des médias.
Dans ce pays européen il existe une discontinuité dans l’apparition de références à la
109
Cf. Figueira, 1988, p.131.
110
Idem, pp.132-133.
psychanalyse dans les médias, tandis qu’au Brésil nous pouvons retrouver la psychanalyse
«partout»: dans la publicité, dans les telenovelas (feuilletons télévisés), etc.111
Selon Figueira, il existe au Brésil une véritable «conversion» à la psychanalyse: elle
devient une dimension importante dans la vision du monde de ces groupes de classe
moyenne. Cette vision circule à travers un dialecte «psy» connu et utilisé dans de larges
cercles. A l’opposé de l’Angleterre, où la psychanalyse occupe un espace tout à fait privé
de la vie de l’individu, selon Figueira, au Brésil de nombreuses personnes sont toujours
prêtes à «confesser leurs désirs les plus intimes et à interpréter l’inconscient des autres»112.
L’existence d’une «culture psy» a été inspirée (et a inspiré) de nombreuses études
anthropologiques sur les classes moyennes au Brésil. D’une certaine façon, son analyse
permet de comprendre une partie de la cosmologie et de l’ethos partagé par ces groupes
sociaux.
Il existe, toutefois, deux points que non voudrions mentionner et qui restent encore à
développer.
Le premier point concerne le fait que ni la diffusion d’une «culture psy», d’un côté,
ni l’existence d’une dimension publique (et même médiatique) de l’intimité de l’autre, ne
sont un apanage de la culture brésilienne.
En ce qui concerne une «culture psy» en dehors des Etats-Unis113, d’autres pays,
surtout après la IIe Guerre Mondiale, ont vécu une large consommation de la psychanalyse
et l’émergence d’un discours «psychanalysant» en dehors de la communauté des analystes
et leurs patients. Castle (1981), par exemple, a montré comment les processus de
111
Idem, p.133.
112
Idem, p.134. Figuera, au lieu d’émettre un jugement de valeur sur cette réalité, essaie
d’établir une critique de la façon dont certains psychanalystes répondent à la diffusion d’une
«culture psy». Pour eux, il existe une déviation des véritables essences de la psychanalyse,
qui prévoient la dissolution de la croyance et de toute «illusion». La «culture psy» serait,
selon ces psychanalystes, en dehors de la véritable psychanalyse. (La comparaison avec les
commentaires des médecins anglais du XIXe siècle analysés par Porter (1993) est encore ici
pertinente; voir la note 74 ci-dessus). Nous citons directement la critique de Figueira sur la
distinction entre la «bonne» et la «mauvaise» psychanalyse: «... en tout analyste en en toute
psychanalyse cohabitent, en état de tension permanente, la mystique et la psychanalyse elle même en tant qu’objet de croyance, salut et mystification. Car la psychanalyse a parcouru
conceptuellement le même chemin que la mystique, et parce qu’elle occupe, culturellement,
la place laissée vague par les religions» (idem, p.138).
113
Figueira cite notamment le livre de Hale (1971) sur l’histoire de la psychanalyse aux EtatsUnis.
«diffusion, de réinterprétation et d’institutionnalisation de la psychanalyse dans ‘l’extraanalytique’» sont en rapport avec le fait que l’appareil ‘intra-analytique’ est «lui même
déjà...
un
foyer
de
production
d’idéologie»114;
effet
qu’il
va
appeler
de
«psychanalysme»115.
Par rapport aux dimensions publiques et médiatiques de l’intimité, la multiplication
d’émissions du type «reality shows» que nous avons pu observer les dernières années en
France, montre qu’il ne s’agit pas d’un phénomène exclusivement brésilien.
Le deuxième point (qui nous intéresse particulièrement ici) concerne le fait que
l’émergence d’une «culture psy» s’inscrit dans un univers culturel plus étendu et lié à la
constitution même du sujet moderne dans sa forme contemporaine.
Plusieurs auteurs ont
analysé ce thème et proposé différentes approches116 .
D’une certaine façon, les codes et le langage psy s’inscrivent dans un l’univers plus
vaste des «cultures du soi» et de leurs différentes versions. Guiddens (1991) a
particulièrement développé les processus contemporains de transformation de l’intimité et
le rôle central donné à tout genre de thérapie. Ces processus feraient, selon cet auteur, partie
d’un phénomène plus étendu de construction d’un «projet réflexif» du sujet (du moi) auquel il donne un rôle politique important en tant que forme de résistance et de subversion
des rapports aux institutions, à l’opposé des interprétations qui résument ce «nouveau
sujet» sous la notion de narcissisme117.
2. Les thérapies néo-spirituelles au Brésil
L’apparition des nouvelles formes de spiritualité, associées à des pratiques
thérapeutiques et de souci de soi, a suscité plusieurs travaux dans la dernière décennie et a
114
Castle, 1981, p.8.
115
La notion de «psychanalysme», en tant qu’idéologie psychanalytique, est plus liée aux
rapports de pouvoir, alors que celle de «culture psychanalytique» aurait, à notre avis, une
portée plus large et représenterait une approche plus flexible de ce processus culturel.
116
Dumont (1985a et 1991), Lasch (1979 et 1987), Foucault (1984), Sennet (1979), Elias
(1991), Guiddens (1991), Heller (1989), parmi d’autres.
117
Nous reviendrons à cette discussion dans le chapitre 6, principalement par rapport à une
forme brésilienne du sujet moderne ou post-moderne.
mis en question certains paradigmes des sciences sociales des religions (comme celui de la
sécularisation du monde)118.
Ces différentes études, bien qu’en adoptant des approches et des interprétations
différentes sur l’actuelle fermentation thérapeutique et religieuse et en décrivant des
contextes et des pays différents, montrent cependant que ce phénomène a lieu parallèlement
à l’écroulement des pratiques religieuses institutionnelles (surtout le catholicisme officiel et
le protestantisme historique). S’il existe, d’un côté, une décadence de la religion119, il y a,
de l’autre, une croissance du religieux .
Les différents auteurs reconnaissent aussi le caractère fluide, flottant
cette «nébuleuse»120
et indéfini de
thérapeutique néo-religieuse: une des caractéristiques communes est
sa structuration sous la forme de réseau, où, au contraire d’une filiation exclusive à une
religion, les individus peuvent circuler.
Il faut, toutefois, remarquer que, dans ces réseaux, il est possible de percevoir des
groupes et des systèmes religieux organisés, des structures destinées à la pratique
thérapeutique et à la formation de thérapeutes alternatifs et des formes d’organisation du
réseau lui-même, à travers des entités de regroupement, des Congrès, des Foires, ou des
publications périodiques ou non.
Nous allons tenter de décrire certains traits de ce réseau alternatif au Brésil, à partir
d’une description plus spécifique de la ville de Porto Alegre, où nous avons réalisé notre
travail de terrain.
2.a) Porto Alegre - Parallèle 30
118
Pour une approche critique de quelques unes des interprétations sociologiques des
nouveaux mouvements religieux, voir Champion (1989) et Robbins, Anthony et Richardson
(1978).
119
A l’exception de la remontée des intégrismes de tout genre, il est possible d’observer une
«polarisation de la scène religieuse en deux tendances opposées»: l’extrémisme religieux (et
le «combat apocalyptique» entre le bien et le mal) et «les autres, recombinant des ‘bricolages’
des diverses sources: du christianisme éclaté et d’éléments des traditions orientales sorties de
leur contexte» (Cf. Champion, F. «Compte rendu de Delumeau, J. Le fait religieux, Paris
Fayard, 1993» in Archives des Sciences Sociales de Religion).
120
Expression utilisée par Maître (1984): «nébuleuses d’hétérodoxies» et par Champion (1989
et 1990): «nébuleuse mystique-ésotérique», pour désigner les nouveaux mouvements
thérapeutique -spirituels.
Porto Alegre dénote des singularités qui la démarquent en tant que ville et en font
un territoire intéressant pour les fins de cette étude. Comme capitale de l’état du Rio
Grande do Sul, elle a été le point de confluence des migrants ruraux issus des différents
mouvements de colonisation qui ont peuplé la région.
Outre la présence des groupes
indigènes locaux121 et des colons portugais et açoriens, des espagnols et des esclaves
africains, la région a vécu plusieurs flux migratoires de populations européennes et, à un
moindre degré, orientale. Les plus nombreux ont été les immigrants allemands et italiens,
auxquels sont ajoutés des syriens, des libanais et des juifs venus de différents pays. Ces
dernières années, fruit probablement de la crise économique et du désenchantement à
l’égard des perspectives de vie et de travail dans le pays, on observe une accentuation de la
référence à leurs origines chez les descendants d’immigrants européens (qui forment,
d’ailleurs, une partie importante de la population portoalegrense). Un exemple en est donné
par le fait que, de façon croissante, les petits-enfants et les arrière-petits-enfants de ces
immigrants européens ont commencé à demander aux ambassades respectives leur
passeport allemand, italien, etc.122
L’extrême sud du pays, le Rio Grande do Sul, est par ailleurs profondément marqué
par la culture gaucha, qui déborde les frontières nationales et s’étend à l’Uruguay et à
l’Argentine. D’autre part, la proximité de ces deux pays a fait de plusieurs villes du Rio
Grande do Sul, en différents moments, des haut lieux de la circulation artistique, culturelle
et intellectuelle entre ces pays. En diverses occasions et sous certains aspects, cet échange a
été plus intense qu’avec les autres régions brésiliennes.
Outre les singularités sociales et culturelles de la ville, il faut remarquer
l’importance de son réseau des thérapies et religiosités alternatives par rapport à d’autres
121
122
Aujourd’hui très minoritaires et, pour la plupart, confinés dans quelques réserves.
Il faut noter que ce mouvement en direction aux pays de l’Hémisphère Nord n’est pas
exclusif du sud du Brésil, ni des descendants d’immigrants. Sur un autre plan, les élites
économiques du sud du pays ont toujours été en contact avec les pays du «centre», en
envoyant par exemple leurs enfants faire leurs études en Europe. Aujourd’hui les Etats-Unis
sont devenus à leur tour un pôle d’attraction pour un grand nombre de candidats à
l’émigration, qui y voient la perspective d’une vie exempte de crise économique, d’inflation,
de corruption et de violence.
régions, tant par l’organisation des centres et cliniques qui les exercent que par la diversité
des thérapeutes et des groupes religieux ou spirituels qui s’y rassemblent.123
Mais, au-delà de toutes les observations que l’on peut faire au sujet de ces circuits
parallèles de thérapies et religiosité, les personnes liées à cet univers ont coutume de faire
référence à un fait ayant trait à la localisation de la ville, et qui est perçu comme un signe:
Porto Alegre est située sur le fameux «Parallèle 30» de latitude sud. Cette donnée a inspiré
l’imaginaire mystique et religieux, puisque c’est sur le parallèle symétrique (situé à 30º au
nord de l’Equateur) qu’ont pris place la civilisation et la culture considérées par les
mystiques de tous bords comme ayant été les plus avancées spirituellement et la source
inspiratrice de nombreuses traditions ésotériques: la culture et la civilisation égyptiennes.
Porto Alegre est vue ainsi comme un territoire propice et privilégié pour le
développement des nouvelles spiritualités. C’est sans doute ce qui explique le fait qu’y
siègent des groupes de différentes traditions mystiques et ésotériques qui ne sont pas
organisés dans les autres régions du pays (comme certains groupes liés à la tradition
occultiste européenne 124 ).125
123
Les premières loges théosophiques du Brésil se sont installées à Porto Alegre, Rio de
Janeiro et São Paulo. Il semble que cette importance concerne aussi les autres religiosités.
N’oublions pas que Porto Alegre et Rio de Janeiro sont les premières villes où sont apparus
les premiers centres d’umbanda du pays.
124
Il s’agit des groupes qui se considèrent les héritiers des différents ordres et sociétés
ésotériques apparus en Europe et aux Etats-Unis entre la fin du XIXème siècle et les premières
décennies du XXème siècle. Parmi ces courants occultistes les plus connus au Brésil, se
trouvent la Société Théosophique, l’Ordre du «Golden Dawn», l’Anthroposophie, etc.
125
Il est intéressant de remarquer que le même genre de relation a été faite pour d’autres lieux.
Brasília (la capitale du pays) est vue comme occupant un territoire important du point de vue
du développement de la spiritualité. Toutes sortes de récits sont venus se greffer sur la
construction de la ville: le président qui l’a bâtie - Juscelino Kubitschek - aurait ainsi été
appelé par les mystiques d’Akhénaton - le pharaon qui a construit les pyramides d’Egypte.
Selon des visions plus eschatologiques, le Planalto Central, le plateau où est localisé la ville,
est vu comme l’une des rares régions de la planète devant survivre à «la catastrophe»
(nucléaire, climatique, etc.). Ce n’est donc pas un hasard si Brasília peut être considérée
comme ayant l’un des plus vastes circuits mystiques organisés du pays, qui réunit des
dizaines de groupes se réclamant des traditions et des filiations les plus diverses. Une grande
partie de ces groupes ont bâti leur propre tradition autour de leaders charismatiques, sans
parler du grand nombre de leaders mystiques et religieux, de gurus, de guérisseurs et de
thérapeutes en tout genre. Dioclécio Luz (1986) a réalisé un intéressant travail de référence
sur ce «circuit magique de Brasilia», qui dénombre par le menu ces groupes, guérisseurs et
thérapeutes et apporte une brève explication sur chacun d’eux. D’autres lieux, moins connus
En même temps que Porto Alegre possède certaines singularités qui la démarquent
comme
ville
ayant
une
culture
thérapeutique
néo-religieuse
importante,
elle
est
représentative d’un phénomène qui se déroule dans les autres grandes villes brésiliennes.
Décrire et comprendre ce circuit portoalegrense, c’est une façon de contribuer à une
compréhension de ces phénomènes dans les autres parties du pays.
2.b) Les premières esquisses
Avant que nous puissions affirmer l’existence d’une culture thérapeutiquespirituelle alternative, ayant l’ampleur qu’elle a aujourd’hui, il est possible
d’observer,
dans les décennies antérieures, quelques pratiques et sphères culturelles qui lui sont
proches.
60/70,
Nous mentionnons seulement l’expérience de la contre-culture126, des années
et, plus tard, le développement d’une gauche non stalinienne qui avait fait
l’autocritique de la lutte armée et a été influencée par l’idéologie libertaire du mai 68127.
D’autre part, les cultures alternatives ont été très influencées par un ethos naturiste
et écologiste qui s’est développé à la fin des années 70, particulièrement dans l’Etat du Rio
Grande do Sul. L’AGAPAN, Associação Gaúcha de Proteção ao Ambiente Natural
(Association Gaúcha de Protection de l’Environnement Naturel), a été l’une des premières
organisations écologistes du pays. Dans les années 80, d’autres associations ont été créées
et le mouvement écologiste a mené des combats importants128 . En dépit des défaites qu’il a
mais inspirant de façon semblable l’imaginaire mystique, sont la «Chapada dos Viadeiros»,
vue comme le «chacra du coeur» de la planète et située sur le Parallèle 14 (à la même latitude
que Macchú Picchú, au Pérou), et la «Chapada dos Guimarães», vue comme le nombril de la
planète et située sur le Parallèle 15, qui passe par le «Corredor Bivac», lequel, selon les
prophéties de Don Bosco, abriterait la «civilisation privilégiée» du Troisième Millénaire.
126
L’expérience de la contre-culture au Brésil reste peu analysée et peu systématisée, à
l’exception de quelques études et discussions plus spécifiques, comme celle de Buarque de
Holanda (1980) sur trois mouvements culturels des années 60/70 au Brésil: les CPCs (Centres
Populaires de Culture), le Tropicalismo , et l’art alternatif et marginal des années 70; ou
encore l’article polémique de Schwartz (1978), sur les mouvements culturels des années 60 et
la politique au Brésil; entre autres.
127
Cette culture de gauche est importante à mesure qu’elle apparaît, plus que la contre-culture,
comme une première expérience de rupture dans la histoire de vie d’un grand nombre de mes
informateurs.
128
Contre l’énergie nucléaire (contre les accords entre le Brésil et l’Allemagne pour
l’installation d’une centrale nucléaire à Angra dos Reis, dans l’état de Rio de Janeiro), contre
essuyées, ce mouvement a obtenu des résultats importants au niveau des politiques
environnementales locales et a contribué à renforcer l’ethos écologiste dans la population
de Porto Alegre.129
Jusqu’au début des années 80, les thérapies et religiosités alternatives étaient toutefois,
généralement, encore restreintes à quelques individus et à quelques groupes. Elles n’étaient pas encore
organisées et répandues en un réseau élargi et visible et c’est seulement plus tard qu’elles se
constituèrent en une culture plus vaste.
Cependant, déjà dans les années 70, une publication mystique-ésotérique occupait déjà un espace
important dans le marché éditorial: la revue Planeta, publiée par l’Editora Três. Elle a commencé
comme une édition brésilienne de la revue Planète française, éditée par Louis Powels et Jacques
Berger. Après l’arrêt de la circulation de la Planète française, la Planeta brésilienne a continué à sortir,
jusqu’à aujourd’hui. Son premier article d’auteur brésilien a été sur les cultes afro -brésiliens
(«Candomblé, umbanda e macumba no Brasil»), lequel montre déjà une liaison entre l’univers
ésotérique et alternatif et les religions non chrétiennes. Au-delà de l’ésotérisme et de la religion, la
Planeta brésilienne publie aujourd’hui des articles sur les thérapies parallèles, la culture alternative, les
communautés rurales et urbaines, etc., ainsi que des articles traduits de la revue allemande Esotera.
Comme d’autres grandes villes brésiliennes, Porto Alegre comptait déjà, à la fin des années 70,
des restaurants végétariens ou macrobiotiques, dont quelques-uns étaient liés à des centres de
méditation, des thérapeutes critiques de la médecine officielle (des homéopathes, des acupuncteurs, des
masseurs, etc.), en plus de quelques cercles ésotériques organisés 130 . A cette même époque, la ville
les usines polluant les eaux fluviales qui entourent Porto Alegre (le Rio Guaíba et ses
affluents), contre la grande usine hydroélectrique d’Itaipu, qui se situe à la frontière avec le
Paraguay et l’Argentine, et dont l’implantation exigeait l’inondation des gigantesques
cataractes de «Sete Quedas» (ce que le gouvernement militaire a fini par accomplir), etc.
129
Un événement qui est arrivé il y a quelques années est devenu un symbole local de la lutte
écologiste à cette époque-là: un étudiant était monté dans un arbre d’une rue entourant
l’ancien campus universitaire, pour empêcher les services de la mairie de le couper, suite à un
projet d’élargissement de la voie. Cette protestation isolée et individuelle a eu des
répercussions inattendues, même au niveau international par la presse.
130
Comme la section locale de la Société Théosophique, l’un des groupes ésotériques les plus
anciennement installés dans le Rio Grande do Sul. La loge de la ville de Pelotas, localisée à
250 km de Porto Alegre, a été fondée en 1903 et était liée à la section argentine de la Société
Théosophique; et la loge de Porto Alegre a été fondée en 1909 (avec les loges de São Paulo et
Rio de Janeiro, elle formait la section brésilienne de cette Société). Ces sections sont liées à
la Société de même nom fondée à New York, en 1875, à partir des enseignements de Mme
Blavatsky. Le siège actuel est à Madras, en Inde. Un autre groupe anciennement implanté à
Porto Alegre est le Centre Esotérique Vivekananda, qui ne suivait pas une ligne prédéfinie,
comptait déjà une vraie «école» d’Astrologie et une lignée d’astrologues formés par les enseignements
de Dona Emi131 .
Chacun de ces espaces disposait de différents degrés d’ouverture et de participation. Si, à ce
moment, le nombre des personnes qui fréquentaient un astrologue ou participaient à des séances de
yoga ou de méditation dans les centres organisés était encore réduit, un nombre un peu plus grand
fréquentait déjà les restaurants végétariens. Elles étaient peut-être encore plus nombreuses à aller voir
des médecins homéopathes ou des thérapeutes parallèles exerçant sans diplôme 132 . Si, d’un côté, les
pratiques thérapeutiques et religieuses non officielles ne constituaient pas encore un réseau plus élargi,
de l’autre, on pouvait déjà observer des esquisses de ce qui allait devenir, dans les décennies suivantes,
une véritable culture thérapeutique néo-religieuse.
Le Iº Simpósio das Alternativas no Espaço Psi (Ier Symposium des Alternatives dans le Domaine
Psy), réalisé en octobre 1981 à Porto Alegre, a été une sorte d’annonciateur, une anticipation de
l’explosion des cultures thérapeutiques alternatives qui finira par opérer dans le même champ de la
«culture psy». Ce symposium133 a duré trois jours et a réuni les lignes de pensée, les courants et les
selon un informateur le fréquentant dans les années 40. Les plus anciens adeptes d’une
spiritualité «alternative» ou parallèle de Porto Alegre sont passés par ces deux centres.
131
Il s’agit d’Ema C. Mascheville, une astrologue ayant immigré d’Allemagne et qui a formé
toute une génération d’astrologues dans la ville. Selon quelques informateurs, à Porto Alegre
les astrologues qui n’ont pas été des disciples directs de Dona Emi ont appris l’astrologie
auprès de ses disciples. L’influence de cette femme dans la transmission et la consolidation
de l’Astrologie ne se réduit pas à la ville de Porto Alegre. L’un des astrologues du circuit
alternatif brésilien parmi les plus actuellement connus, un gaucho qui habite à Rio de
Janeiro, a été élève de Dona Emi.
132
En dehors de toute la tradition populaire des guérisseurs et des benzedeiras (femmes
s’apparentant à la fois à la prêtresse et à la guérisseuse, dont les pratiques de guérison sont
étroitement liées au catholicisme populaire), considérablement répandue dans la population
brésilienne, on trouve depuis quelques temps des thérapeutes qui utilisent des techniques
parallèles et se montrent critiques à l’égard de la médecine officielle. Dans les années 60, un
certain radiesthésiste surnommé «l’homme au pendule», qu’il utilisait pour faire ses
diagnostics et prescrivait des remèdes homéopathiques à ses patients, jouissait déjà d’une
grande notoriété dans certains groupes de la population de Porto Alegre.
133
Il a été organisé par le Groupe Embrião, qui réunissait des psychologues et étudiants en
psychologie de gauche, préoccupés par une réflexion critique à l’égard de la santé mentale au
Brésil. En dépit qu’il n’existe pas d’écrit sur l’histoire de la psychanalyse à Porto Alegre, il
est possible d’affirmer que l’ Embrião a eu un rôle important dans l’ouverture d’un espace au
sein de l’hégémonie de la psychiatrie. Quelques-uns des anciens membres de ce groupe font
aujourd’hui partie de l’Association Psychanalytique de Porto Alegre (APPOA), organisme
qui cherche à unifier les différents courants et groupes psychanalytiques jusque-là dispersés
et isolés (je dois à Eduardo E. Mendes Ribeiro quelques précieuses informations sur cette
unification).
tendances les plus diverses en termes de travail thérapeutique dans l’«espace psy»: des psychiatres, des
psychanalystes, des psychologues, des éducateurs, des féministes et des thérapeutes alternatifs, même
d’autres villes brésiliennes, se réclamant de toutes sortes de filiations. Outre les conférences, les tables
rondes et les débats, des ateliers de travail ont été organisés à cette occasion autour des techniques
thérapeutiques. Ceux-ci ont surtout porté sur les vécus de thérapies alternatives: la biodanse, les
techniques de méditation de Rajneesh, les expériences consistant à «libérer la folie», les vécus
corporels, les expériences néo-reichiennes et bouddhistes, les thérapies taoïstes, etc. Dans un même
espace se sont donc réunis toutes sortes de pratiques, de courants et de thérapeutes, qui allaient
composer, plus tard, les univers de la «culture psy» et de la culture thérapeutique néo-religieuse de
Porto Alegre 134.
Au moment où s’esquissait un réseau alternatif à Porto Alegre, il existait déjà, dans les différents
groupes sociaux, une attraction pour les formes non officielles de cure et de travail spirituel; elle
s’ajoutait à une certaine vocation propre à la culture brésilienne à réunir des pratiques de différentes
origines et traditions 135 . Si, à la fin des années 70, cette attraction pour le non officiel, l’informel et les
cultures alternatives constituaient encore deux mouvements distincts, les années 80 furent celles de
leur fusion.
C’est à ce moment que le circuit de Porto Alegre des pratiques alternatives va cesser d’être un
territoire où circulent quelques initiés pour devenir un réseau plus large que le simple cercle des
thérapeutes et de leurs patients, ou des maîtres et de leurs disciples. L’essor des thérapies néoreligieuses ne sera pas seulement quantitatif: le genre de participation et d’expérience que les individus
viennent chercher dans ces espaces va changer, tout comme changera la forme de la présence de ce
réseau et de cette culture dans la ville (et d’autres grandes villes du pays), qui commence à offrir un
éventail de différents types d’expérience à un public de plus en plus large.
Si, avant les années 80, il existait déjà à Porto Alegre des thérapeutes «alternatifs», des centres
ésotériques et spirituels, des espaces de méditation, des restaurants végétariens, etc., cette décennie
inaugure les changements importants dans cet univers.
Premièrement, ces espaces se sont multipliés de façon considérable 136 . Nous pouvons constater la
formation d’un véritable réseau alternatif de thérapies et de pratiques spirituelles qui ne se limite pas à
la ville, mais qui constitue, de plus en plus, un circuit national.
134
Notons la présence, dans ce Symposium, de Prashanto, thérapeute alternatif lié aux
saniases, qui reviendra plusieurs fois à Porto Alegre pour diriger des cours de formation de
nouveaux thérapeutes, des ateliers, etc.
135
Sur cette double «vocation», à laquelle les classes moyennes n’échappent pas, voir la
première partie de ce chapitre.
136
Même s’il n’existent pas des données systématisées, nous pouvons le constater à partir des
témoignages des informateurs.
Deuxièmement, si auparavant les différents courants spirituels ou ésotériques partageaient
l’espace des pratiques alternatives, ce sont surtout deux courants qui, peu à peu, vont occuper cet
espace: les disciples de Rajneesh et le Santo Daime.
Troisièmement, il s’est produit un changement dans le caractère de la relation que
les personnes (dans un spectre social de plus en plus large) ont nouée avec cet univers et la
capacité de composer avec une variété considérable de possibilités. L’expérience
thérapeutique-spirituelle alternative n’est faite ni à travers la filiation ou l’adhésion
exclusive à un groupe particulier, ni à travers la manipulation de différents choix d’un
«marché alternatif». Elle constitue des itinéraires personnels, compose avec l’histoire des
pratiquants, participe à leur quotidien, enfin, se constitue, de plus en plus, dans un style de
vie et dans une vision de monde. Le répertoire de thérapies 137 et travaux spirituels s’articule
internement grâce à l’éclectisme des vécus et à l’intense circulation des personnes par les
différentes pratiques.
Nous allons discuter ce troisième aspect du changement tout au long de la thèse,
nous limitant dans ce chapitre à décrire la dynamique du réseau et les deux systèmes
spirituels qui prédominent dans le circuit.
2.c) La dynamique du réseau
Les pratiques et les circuits thérapeutiques alternatifs revêtent, en termes de leur
circonscription spatiale, des caractéristiques semblables à celles d’autres phénomènes
propres aux sociétés urbaines contemporaines. Ils ne se délimitent pas aux espaces bien
définis et repérables; ils se structurent plutôt sur la forme d’un ou plusieurs réseaux qui
constituent un itinéraire thérapeutique-spirituel dans la ville138 .
Il y a, bien évidemment, des espaces visibles et publics qu’on peut repérer
comme faisant partie du réseau thérapeutique-religieux. Il faut aussi souligner que ces
espaces (et les activités qu’ils abritent) ne sont que l’aspect le plus évident du phénomène.
137
138
Pour une description de chacune des principales thérapies voir l’Annexe.
La ville permet un nouveau type de «réseau thérapeutique» différent de celui des zones
rurales ou des quartiers populaires. Ce réseau n’est pas essentiellement défini par les relations
de voisinage et parentale, mais pour les relations de travail, d’amitié, de local de restauration,
en dehors des informations qui circulent à travers les médias.
L’aspect moins visible concerne les pratiques privées et individuelles, réalisées le plus
souvent «chez soi», et qui n’apparaît que dans les récits sur la façon dont chacun vit cette
expérience.
Dans l’itinéraire thérapeutique et spirituel alternatif de la ville, il faut
d’abord distinguer les lieux où sont réalisés des activités nettement thérapeutiques, comme
les cliniques et cabinets de consultation de tout genre. A Porto Alegre 139 , on en compte des
dizaines, comme le montrent les annonces publiés dans les périodiques alternatifs ou
affichés dans les espaces publiques (les restaurants et les centres de thérapie et de
méditation). Dans ce circuit, on peut trouver des différents types de thérapeutes alternatifs
qui pratiquent une variété infinie de techniques. Ces différentes pratiques se croisent aux
médecines douces et à l’homéopathie, dont l’utilisation est déjà ancienne au Brésil140.
Par ailleurs des cabinets et des cliniques, les travaux thérapeutiques sont réalisés
aussi dans des cours et ateliers collectifs, qui peuvent avoir une durée limitée ou se
constituer dans une activité permanente141 . Certaines thérapies et activités spirituelles se
sont développés surtout sous cette forme: les TVPs (thérapies des vies passées), le FischerHoffman, les méditations, les pratiques de Yoga.
Ces travaux collectifs sont souvent le premier contact des débutants avec les
pratiques alternatives. D’autre part, la formation de thérapeutes et de praticiens est, très
souvent, réalisée dans ces espaces collectifs temporaires. De plus, une partie de ces activités
prend place en dehors de la ville, dans des communautés ou des espaces ruraux, ce qui
apporte aux participants, au-delà de la thérapie, une expérience intense de cohabitation142.
On peut aussi inclure, parmi ces espaces thérapeutiques, les pharmacies «alternatives», qui ont
proliféré à Porto Alegre ces dernières années. Elles sont, elles aussi, très nombreuses et variées, et
travaillent à la préparation des médicaments homéopathiques, phytothérapeutiques, et des fleurs de
Bach - ainsi que d’autres essences florales, telles que les élixirs californiens, mineiros (de la région de
139
Comme dans d’autres villes brésiliennes, comme on peut le constater en consultant le Guia
do Peregrino (Guide du Pèlerin), un vrai guide du circuit alternatif brésilien (même s’il n’est
pas complet), publié par l’Editora Três.
140
Pour une histoire de l’homéopathie au Brésil et la prééminence (du XIXe siècle jusqu’aux
années 70) de son aspect spirituel en détriment de l’aspect scientifique, voir Warren (1986).
141
142
Comme les ateliers de biodanse, par exemple.
C’est aussi une façon de vivre, ne serait-ce que temporairement, l’expérience
communautaire des mouvements contre-culturels des décennies précédentes.
Minas Gerais), et les fleurs du désert. Certaines de ces pharmacies s’aventurent dans l’univers
ésotérique, comme la pharmacie «Quiron», où sont réalisés des conférences sur des thèmes variés liés
aux pratiques mystico-thérapeutiques et où ont lieu aussi des consultations de tarot, d’astrologie, etc.
On trouve ensuite les librairies spécialisées, qui vendent des livres ésotériques, des manuels
d’auto-guérison, des ouvrages sur les différentes thérapies alternatives, et toute une littérature liée à cet
univers, et les boutiques ésotériques, qui, outre de livres, proposent toutes sortes d’objets: instruments
divinatoires, talismans, encens, pierres et cristaux, etc. Ces librairies et ces boutiques sont aussi un
espace où les personnes peuvent se retrouver et échanger des informations, mais où la fréquentation est
moins forte et moins hétérogène que dans les restaurants naturels.
Ces restaurants existent en très grand nombre et accueillent un public plus large que les deux
autres types d’espace alternatif. Il y a moins de quinze ans, le restaurant de l’Association
Macrobiotique de Porto Alegre était encore l’un des rares établissements de ce genre dans la ville.
Dans les années 80, de nombreux autres se sont ouverts, surtout de tendance végétarienne, plus ouverte
et souple que la macrobiotique. La forte fréquentation actuelle de ces restaurants est d’abord liée à
l’élargissement qu’a connu une certaine idéologie naturiste et écologiste au cours de ces dernières
années à Porto Alegre, résultat surtout de l’ampleur prise par le mouvement écologiste local.
Néanmoins, on ne doit pas oublier un autre facteur qui explique la grande fréquentation de ces
restaurants: le fait qu’ils se présentent, dans un moment de crise économique et d’augmentation du
coût de la vie, comme une option bon marché (il ne servent pas de viande) pour ceux qui ne déjeunent
pas chez eux, en particulier pendant la semaine143.
Ces restaurants, qui sont toujours pleins, se concentrent dans les quartiers qui entourent le centre
ville
144
, mais on peut en trouver dans les quartiers plus éloignés. Ils sont aussi un point de rencontre et
de circulation d’informations (concernant les cordonnées des thérapeutes, des annonces sur les cours,
143
A l’inverse des restaurants végétariens à Paris, où les prix d’un repas est en moyenne plus
cher que les bistrots, définissant ainsi un public plus sélectif et moins hétérogène qu’au
Brésil.
144
Surtout le Bonfim, où était placé l’ancien campus universitaire. Ce quartier peut être
considéré le centre culturel de la ville. C’était dans ses bars et cafés que les étudiants et les
intellectuels de gauche se retrouvaient, dans les années 60 et 70, pour discuter sur la
révolution, la lutte contre la dictature, la contre-culture et la libération sexuelle. Aujourd’hui
la population nocturne du Bonfim est très hétérogène, mais on y retrouve des groupes des
jeunes, des punks, et des «tribus» de tout genre, à côté des groupes de jeunes vénus d’autres
quartiers de la ville et très redoutés par la population locale. Le circuit alternatif de Porto
Alegre ne se réduit pas au Bonfim, mais occupe aussi d’autres quartiers qui entourent le
centre ville: la Cidade Baixa, le Menino Deus, le Rio Branco, le Santana, parmi d’autres.
Mais une grande partie des espaces, restaurants et activités liés à ce circuit (y compris les
thérapeutiques et spirituelles) ont lieu dans ce quartier. Le parcourir est retrouver les
personnages et reconstruire une partie de l’itinéraire urbain d’une culture thérapeutique et
spirituelle alternative.
les ateliers, les séances de biodanse, etc.) et un espace ou les personnes échangent leurs expériences
mystiques-thérapeutiques. Dans certains de ces restaurants, ou peut acheter des denrées destinées à la
cuisine végétarienne, de l’encens, de produits de toilette «naturels», et quelquefois même des
vêtements 145.
Le Marché des Agriculteurs Biologiques 146 constitue encore un autre espace dans le circuit des
«alternatifs». Il se tient tous les samedis, et l’on peut y acheter, directement au producteur, des produits
agricoles non traités. En parcourant les stands de ce Marché, on peut se faire une idée de l’extension de
l’ethos écologiste au-delà des limites urbaines. On y trouve en effet des agriculteurs biologiques venus
de diverses régions de l’intérieur du Rio Grande do Sul, dont plusieurs sont organisés en associations
d’agriculteurs écologistes.
D’autres espaces font également partie du circuit des thérapies alternatives, comme les centres de
yoga, de tai-chi Chuan, et d’autres pratiques similaires.
Outre les espaces situés sur le territoire urbain, il faut compter les communautés
néo-rurales, sorte d’extension de la «culture alternative» aux zones non urbanisés. Elles
sont une référence importante pour la culture thérapeutique, représentant la concrétisation
d’un idéal de vie équilibrée et en harmonie avec la nature.
Nous percevons, en parcourant les territoires d’une culture thérapeutique et
spirituelle alternative l’intersection et la superposition de sphères distinctes, comme les
espaces d’un réseau écologiste, d’un réseau «psy» alternatif (surtout les psychologues
junguiens), des médecines douces, des groupes ésotériques et occultistes, des différentes
religiosités, etc. Il convient toutefois de remarquer que cette superposition ne réduit pas un
réseau à l’autre, chacun gardant sa propre dynamique.
Lorsqu’on observe ce genre d’activités, on perçoit la portée nationale et même
internationale du réseau des thérapies et religiosités parallèles. A Porto Alegre, une grande
145
Le restaurant de la Coolméia (Coopérative Ecologique fondé en 1982) est l’un des plus
fréquentés (parmi d’autres comme l’Ocidente). Par ailleurs, il constitue aussi un espace de
vente de produits issus de l’agriculture biologique, ainsi que de livres, d’objets et d’artisanat
ésotériques. Dans cet espace sont aussi réalisés des cours, des débats et des conférences
autour de thèmes qui vont de l’écologie et de l’agriculture alternative à l’astrologie et la
numérologie.
146
Réalisé à l’avenue José Bonifácio, en plein Bonfim et à côté du Parque Farroupilha immense aire verte localisée près du centre ville.
partie des ateliers et des cours sont dirigés par des thérapeutes venus d’autres régions, et
même d’autres pays, surtout ceux organisés par les saniases (qui sont d’ailleurs des grands
organisateurs en la matière et comptent un grand nombre de thérapeutes). Des individus
partent ailleurs pour réaliser leur initiation et leur éventuelle formation en tant que
thérapeute. Au début des années 80 par exemple, plusieurs personnes sont allées à Rio de
Janeiro pour participer aux ateliers de Fischer-Hoffman, étant donné qu’à cette époque il
n’existait pas encore des thérapeutes habilités à Porto Alegre. C’est ainsi aussi qu’un
certain nombre de thérapeutes saniases portoalegrenses ont accompli leur formation en
faisant des stages à Brasilia ou en Inde, dans l’ashram147 de Poona. De même, les adeptes
de la Société Théosophique vont (bien qu’en nombre inférieur à celui des saniases)
effecteur des séjours en Inde, à Madras, où se trouve le siège mondial de la Société. Le
Santo Daime offre aussi cette sorte d’initiation à travers le voyage au sein des
communautés installées dans diverses régions du Brésil: au siège de l’Eglise, le Céu do
Mapiá, dans l’état de l’Amazonas; dans la communauté de Mauá, située dans l’état du Rio
de Janeiro; ou encore dans la communauté qui s’est formée à Florianópolis - bien que
récente, elle est plus ancienne que celle de Porto Alegre et son padrinho (maître spirituel)
est le responsable du Santo Daime dans la région Sud.
2.d) Ayahuasca et Kundalini
On retrouve, au sein de la culture thérapeutique néo-spirituelle, un grand nombre de
groupes et courants spirituels ou ésotériques organisés. Cependant, nous pouvons observer
la prédominance de deux courants ou systèmes spirituels dans ce circuit: un courant
essentiellement brésilienne (le Santo Daime) et l’autre, originaire du bouddhisme indien
mais adapté aux culture occidentales (les disciples du guru indien Rajneesh).
147
L’ashram est la communauté formée par le maître, ses disciples et ses «auditeurs libres»
(Vernette, s/d). C’est dans l’ashram de Rajneesh (Osho), à Poona, que fonctionne l’Osho
Commune International et l’Osho Multiversity Center, où tous les genres de cours, d’ateliers
et d’expériences spirituelles et thérapeutiques sont à la disposition des adeptes. Pour
participer aux activités de la Commune, il faut avoir un certificat de séronégativité, le test
devant être réalisé sur place.
2.d.1) La forêt mythique
Le Santo Daime 148 , apparu dans les années 30, dans l’Amazonie, possède une
pratique rituelle et une doctrine religieuse éclectique. Les rituels collectifs sont réalisés
autour de l’ingestion d’un breuvage au principe psycho-actif puissant (le Santo Daime ou
Ayahuasca 149 , utilisé originellement par certains groupes indigènes de la région.), qui
provoque chez les participants, avec l’aide de la danse et des hinários (chants rituels), la
transe et des visions (mirações). Plusieurs informateurs on fait référence à l’idée que «le
Daime, ça guérit». Cependant, jusqu’à la fin des années 70 environ, il s’est restreint aux
communautés d’origine, situées au Nord du Brésil. A partir des années 70, plusieurs
voyageurs ayant visité ces communautés ont commencé à rapporter vers le Sud du pays des
renseignements sur le Daime, quelques-uns allant jusqu’à réaliser des séances privées de
prise du breuvage. Peu à peu, les premières communautés se sont organisées au Sud, au
début dans l’Etat de Rio de Janeiro et après dans les autres Etats150 , atteignant de plus en
plus un public de classe moyenne. La création d’une Eglise du Santo Daime à Porto Alegre
date du début des années 90.
Les «travaux» et les séances liés au Santo Daime et qui ont lieu dans l’Eglise du Cruzeiro do
151
Sul
148
sont devenus, en très peu d’années, l’un des espaces rituels les plus importants dans le circuit
Voir les études de Groisman (1991) et MacRae (1993).
149
L’ayahuasca, appelée aussi Santo Daime ou Daime, est un breuvage aux principes psychoactifs préparée à partir de la cuisson rituelle de deux plantes (Banisteriopsis Caapi et
Psychotria Viridis); elle est préparée en Amazonie et est distribuée à tous les centres, églises
et pontos daimistes du pays. Sa préparation exige une organisation rituelle rigide, où les
femmes sont responsables de certaines procédures et les hommes d’autres, les activités des
uns étant interdites aux autres; voir, à ce propos, Groisman (1991). Au début des années 90,
le Conselho Nacional de Entorpecentes (Conseil National des Stupéfiants) a autorisé son
utilisation, après deux ans d’enquêtes qui ont abouti à la constatation que le Santo Daime
n’est pas une substance toxique.
150
Le Santo Daime est actuellement une «religion d’exportation», possédant des sections en
divers pays (France, Espagne, Pays-Bas, Etats-Unis et quelques pays de l’Amérique Latine,
parmi d’autres). Alberto Groisman développe en ce moment un projet d’étude sur le Santo
Daime en dehors du Brésil. Un informateur daimiste m’a informé que les rituels du Santo
Daime ont été interdits en Argentine, mais il ne m’a pas été possible de confirmer cette
information.
151
Il s’agit de l’Eglise officielle du Santo Daime de Porto Alegre (Centro Eclético da Fluente
Luz Universal Francisco Corrente), localisée dans l’ancienne ferme du Cantagalo, dans la
des nouvelles religiosités de Porto Alegre152 . Les part icipants de ces séances ou «trabalhos»153 du
Santo Daime soulignent les deux aspects centraux présents dans le rituel et dans l’ingestion du
breuvage qui y est servi: la guérison et le développement spirituel.
Avant que l’Eglise ne s’organise dans la ville, la célébration de rituels d’ingestion du Daime
existait déjà à Porto Alegre, mais ils ne suivaient pas la structure et la discipline rituelle des «travaux»
actuels. L’une des personnes qui a introduit le Santo Daime (le breuvage) à Porto Alegre, un
thérapeute, a réalisé ainsi, dans les années 80, des séances privées et en groupes réduits de
psychothérapie collective basée sur l’ingestion du Daime, dans lesquelles l’absorption était dénuée de
rituel et servait d’auxiliaire au processus thérapeutique. Après l’implantation de l’Eglise, au début des
années 90, avec un padrinho autorisé par la siège du Santo Daime, celui-ci a augmenté son nombre
d’adeptes et de participants à Porto Alegre.
Au Brésil, l’importance donnée au Daime dans le circuit des nouvelles religiosités est due à deux
facteurs. D’abord, au nombre croissant de personnes qui fréquentent les séances154 , qu’il s’agisse
d’initiés (fardados155) ou de non-initiés (não fardados). Pendant la recherche de terrain, j’ai constaté
qu’un grand nombre de personnes avec qui j’ai eu des contacts avaient déjà participé à une séance du
Santo Daime et expérimenté le breuvage au moins une fois. Une grande partie de ces novices est allée
à sa première séance sur l’invitation d’un ami déjà connaisseur des rituels daimistes.
Certains, cependant, ont décidé d’abandonner les rituels, la justification étant le malaise physique
et psychologique provoqué par l’ingestion du Daime, ou, au contraire, le fait de n’avoir ressenti aucune
partie sud de la ville. Elle coordonnait en 1993 (moment où nos avons fini le terrain) trois
autres Centres Eclectiques du Santo Daime du Rio Grande do Sul.
152
Si les rituels réalisés auparavant avaient un caractère plus privé, l’Eglise s’est installée
dans la ville en 1991, grâce au padrinho Paim (ingénieur, ex-fonctionnaire et ex-activiste de
gauche dans le mouvement des étudiants et dans le mouvement écologiste, travaillant
actuellement dans une entreprise d’«ingénierie écologique») et à son épouse (médecin
homéopathe et acupunctrice). Comme il ne nous a pas été possible de parler directement avec
Padrinho Paim, une partie de ces données personnelles ont été retirées d’un article publié
dans le journal Zero Hora daté du 2 janvier 1994.
153
Trabalho (travail) est le mot employé par les «daimistes» de Porto Alegre pour désigner les
rituels de la communauté.
154
Un informateur m’a rapporté que certains «travaux» réalisés dans l’église du Cantagalo
réunissent aux alentours de cent personnes.
155
Le fardado est la personne qui a fait le travail d’initiation propre au Santo Daime, qui a été
intégrée rituellement à la communauté de ses adeptes et qui, pendant les séances, porte l’habit
(la farda) approprié.
altération dans leur «état de conscience», associé à l’indisposition entraînée par la «rigidité» du rituel
(la discipline de la danse collective, le caractère «trop chrétien» des paroles des hinários156 , etc.).
Mais il existe un autre facteur qui explique l’importance accordée au Santo Daime. Il est perçu,
même par ceux qui ne sont pas des adeptes, comme la voie la plus puissante de guérison et d’accès à
une spiritualité nouvelle (c’est la religion qui «vient de la forêt»). Cette explication m’a été donnée par
un grand nombre de personnes évoluant dans l’univers des thérapies alternatives et des expériences
néo-religieuses, même les adeptes d’autres religiosités. La plupart de mes informateurs (thérapeutes,
patients, saniases, et même les plus critiques à l’égard de toute tradition religieuse) partageaient cette
vision du Daime comme «canal» par excellence de la spiritualité «en cette fin de millénaire». La
recherche de terrain a ainsi fait apparaître nettement une image du Santo Daime comme l’expérience
vers laquelle convergent des individus venus de formations et de courants spirituels les plus divers.
Les rituels du Daime fonctionnent par ailleurs souvent en tant que premier contact
pour un grand nombre de personnes n’ayant pas encore vécu d’expérience dans cet univers.
2.d.2) L’Orient mythique
Concernant les disciples de Rajneesh, on s’aperçoit que, au-delà du caractère fortement
thérapeutique de leurs activités, ils constituent aussi un groupe religieux doté d’une doctrine (les écrits
de leur maître, aussi contradictoires que soient leurs enseignements) et d’un principe de
développement spirituel.
La méditation revêt une importance spéciale pour les saniases, la seule exigence de leur guru
étant celle de la pratiquer en permanence. Rajneesh (devenu Osho) a créé et adapté différentes formes
de méditation, plus appropriées aux genres de vie et de culture qui prédominent dans les sociétés
«occidentales» modernes. Les plus citées et utilisées parmi nos informateurs sont la méditation
dynamique (faite en général le matin) et la kundalini (faite le soir).
Les techniques saniases diffèrent généralement de celles mises en oeuvre dans la méditation zen157
ou bouddhiste traditionnelles, qui favorisent la quiétude corporelle. La majorité des types de
156
Les hinários sont les chants entonnés pendant le rituel. Leurs paroles évoquent des saints
catholiques et traduisent une influence chrétienne très marquée.
157
Il existe à Porto Alegre un groupe qui pratique la méditation zazen (littéralement méditer
assis).
méditation proposés par le maître Rajneesh travaillent le mouvement corporel et l’expression des
sentiments et des émotions, et il disait que le plus important n’est pas la technique, mais la capacité
d’entrer dans un «état méditatif» à n’importe quel endroit et dans n’importe quelle activité. D’une
certaine façon, il préconisait l’idée du renonçant dans le monde, c’est-à-dire de l’individu entreprenant
un cheminement de quête spirituelle sans pour autant renoncer à l’«être dans le monde». Un
informateur saniase a synthétisé la pensée de son maître de la façon suivante: «il est facile de méditer
dans les cavernes, mais essayez de méditer sur le marché». Au début des années 80, il était possible
d’identifier les disciples de Rajneesh par leurs vêtements de couleur orange, ou rouge, et par leur port
ostentatoire du mala (collier portant la photo du guru). Si, actuellement, ils n’exhibent plus ces signes
extérieurs, il suffit d’observer le circuit mystique-thérapeutique avec un regard attentif pour constater
que la mort du guru, en 1990, n’a entraîné ni la réductio n du nombre de disciples ni la désorganisation
des saniases. On peut même affirmer que, à Porto Alegre, ils sont actuellement plus structurés que
pendant la décennie de 70-80, où ils étaient plus visibles. Un exemple de cette structuration est donné
par l’Osho Bholi Meditation Center158, un bâtiment moderne de trois étages proche du centre ville, où
travaillent des thérapeutes alternatifs et où ont lieu, tous les jours, des séances de méditation auxquelles
participent des saniases et des non saniases.
En dehors de l’Osho Bholi Center, les saniases de Porto Alegre et de sa Région Métropolitaine159 ,
disposent d’autres espaces à caractère plus nettement thérapeutique ou de formation. Ils sont aussi en
contact très étroit avec les communautés et les groupes saniases d’autres régions du pays, comme les
membres de l’Instituto Ser, qui se trouve à Brasília. C’est d’ailleurs auprès des thérapeutes de cet
Institut que plusieurs thérapeutes de Porto Alegre ont suivi leur formation, à travers des cours de tarot,
de thérapie des vies antérieures, de massage ayurvédique, de rebirthing, etc.
C’est à Porto Alegre qu’est éditée la version brésilienne de l’Osho Times International, le journal
de divulgation des idées et des activités du mouvement sannyas. Outre cela, l’Osho Bholi Center
publiait, en 1993, O Rebelde (Le Rebelle), organe de diffusion de ses activités et d’information sur les
différentes thérapies, travaux spirituels et idées prônés par le maître indien.
Il faut aussi compter, parmi les différentes orientations spirituelles qui influencent la culture
thérapeutique alternative au Brésil, l’Anthroposophie, un mouvement créé par Rudolf Steiner, qui,
outre la doctrine religieuse et la pensée philosophique qu’il développe, a conçu des préceptes destinés
à la médecine, l’éducation, l’agriculture (les principes «biodynamiques» de culture) et même
l’architecture. On trouvera un exemple de la portée de son influence au sud du Brésil à travers la
présence, dans les magasins alternatifs, de livres sur les différentes connaissances anthroposophiques
158
En décembre 1994, après le départ de son coordinateur, le Centre a changé de nom pour
devenir l’Osho Meditation Center et il est géré actuellement par une association d’«amis
d’Osho», qui comptait, à sa création, soixante associés.
159
C’est-à-dire les villes proches de Porto Alegre, qui forment un même complexe urbain.
et des remèdes liés à la médecine anthroposophique et à l’agriculture biodynamique, et aussi d’écoles
qui mettent en pratique les méthodes éducatives de Steiner.
Porto Alegre compte encore d’autres groupes spirituels et religieux organisés. La Société
Théosophique 160 , l’un des groupes les plus anciennement implantés à Porto Alegre, continue à mener
des activités systématiques, et en particulier des débats autour de la pensée de ses maîtres (surtout
Madame Blavastky et Annie Besant) et de thèmes mystiques-ésotériques spécifiques, ainsi que des
études internes restreintes à ses membres.
La revue Bodisatva (de pensée bouddhiste), éditée à Porto Alegre, publie des textes bouddhistes
et donne des informations des différents dojos liés à la tradition du zen et du soto zen (et leurs séances
de pratique de la méditation zazen161 ).
La GFU (Grande Fraternidade Universal) est un autre espace de pratiques mystiques et
ésotériques - l’un des plus anciens et traditionnels à Porto Alegre -, où sont offerts divers genres
d’activités: cours, ateliers, méditation et formation.
Citons également les différents groupes ésotériques liés à la tradition européenne: la Golden
Dawn, qui se dit héritière de l’ancien ordre anglais du même nom162 et un groupe très réduit et semisecret lié à la tradition «alexandrienne-gardnerienne»163 de la magie. Notons encore la présence de
quelques «mages» et «sorcières» isolés, qui ne se disent liés à aucun groupe et pratiquent leurs rituels
en privé. L’un de ces «mages», ex-cadre d’une entreprise de communications et propriétaire d’un
magasin ésotérique à Porto Alegre, est un vrai érudit de l’histoire de la magie, surtout de celle liée à la
tradition égyptienne, objet de ses études depuis des années. Il existe aussi un groupe dénommé
Tradição da Lua, organisé autour d’un leader qui dirige les rituels, donne des cours sur le tarot, les
cristaux, etc., et qui se réclame de différentes traditions164.
160
Elle compte une centaine d’adeptes dans le Rio Grande do Sul et un millier dans tout le
Brésil.
161
Le zen soto est l’école du zen qui met l’accent sur «l’intégration du zen dans la vie
quotidienne», cf. Joko Beck (1990:377). Les pratiquants de la méditation zazen à Porto
Alegre disposent actuellement d’un espace où sont offerts plusieurs séances journalières.
162
La Golden Dawn et un ordre occultiste qui a été fondé en Angleterre à la fin du XIXème
siècle.
163
Ce courant qui suit les idées de Gerard Gardner, l’un des responsables de l’essor du
mouvement moderne de sorcellerie, et d’Alec Sanders, dont les partisans ont organisé des
covens (groupe de sorcières et sorciers) non seulement en Grande -Bretagne, mais aussi en
France, en Allemagne et aux Etats-Unis. Le récent coven de Porto Alegre se veut le seul
groupe alexandrien organisé au Brésil.
164
Le leader de ce groupe est un personnage très controversé dans les milieux ésotériques de
Porto Alegre. Le 16 avril 1995, ses adeptes et lui-même ont été surpris en flagrant délit par la
police lors d’un rituel païen nocturne où, sur une plage située à l’écart de la ville, tous
dansaient nus autour d’un bûcher et buvaient du vin. Ils ont été accusés d’attentat à la pudeur
J’ai pu remarquer, pendant mon enquête, une certaine méfiance des partisans de ces
groupes occultistes les uns à l’égard des autres, qui touche en particulier la légitimité des
leurs sources d’inspiration et au sérieux de leurs travaux et rituels. Parfois, cette méfiance
se transforme en véritable hostilité, comme cela s’est passé dans l’accusation de
charlatanisme du leader de la Tradição da Lua et son exclusion du Congrès des Mages.
2.d.3) L’Afrique mythique et les autres
religiosités
L’une des particularités de la culture des thérapies néo-religieuses ayant cours au Brésil est la
souplesse des conditions dans lesquelles l’individu peut faire ce type d’expérience165 . Celui qui adhère
à une certaine tradition ne rejettera pas pour autant les autres possibilités de développement spirituel et
techniques thérapeutiques. Le répertoire de ces expériences apparaît ainsi comme une alternative
globale, d’un côté, au champ médical officiel, et, de l’autre, au champ des religions traditionnelles ou
institutionnalisées.
Mais cette flexibilité dans la composition et l’interconnexion de lignes de pensée et de traditions
distinctes va plus loin encore, dans la mesure où elle ne circonscrit pas l’expérience néo-religieuse
personnelle au circuit parallèle. Au contraire, l’initiation spirituelle effectuée dans ce champ peut servir
de voie d’accès aux formes «traditionnelles» de religiosité, surtout à leurs manifestations afrobrésiliennes, comme le batuque et l’umbanda, ainsi qu’au spiritisme Kardéciste166. 167
et de détournement de mineurs (parmi les participants se trouvaient quelques adolescents). Ce
même «leader», accusé de charlatanisme, s’est vu interdire la participation au Iº Congresso
Internacional de Mystiquê, qui se tenait durant cette même fin de semaine du 16 avril, et qui
a réuni «des mages, des sorcières et des chamans» venus du Brésil, de l’Argentine, des EtatsUnis et de la France dans la ville de Gramado, à 200 km de Porto Alegre.
165
L’expérience néo-religieuse brésilienne semble se distinguer en cet aspect de celles qui se
pratiquent aux Etats-Unis et en Europe, où l’importance du phénomène des sectes montre le
poids d’une filiation exclusive et de l’isolement de leurs adeptes.
166
Nous donnerons un exemple de cette incorporation du «traditionnel» dans le répertoire des
nouvelles religiosités, Il s’agit d’un enseignant d’un lycée de Porto Alegre, saniase et
«tarologue», ex-militant trotskiste, qui participe aux séances spirites d’un centre kardéciste de
la ville. Il développe par ailleurs dans le domaine des arts plastiques un «travail» consistant à
peindre des images «reçues» d’entités (esprits). Ce phénomène s’apparente à la
psychographie, dans laquelle l’auteur n’est qu’un canal, le médium d’un esprit qui «écrit» son
message à travers lui. La psychographie a été amplement développée par les kardécistes
brésiliens, en particulier à travers les nombreux travaux «psychographés» de Chico Xavier,
qui ont beaucoup contribué à la vaste littérature spirite publiée au Brésil.
167
Cela n’exclut pas totalement le catholicisme officiel et les autres branches religieuses
chrétiennes. Paulo Coelho, l’un des mages les plus connus au Brésil (auteur des best-sellers
Quelques -uns de nos informateurs jugent ainsi que leurs expériences thérapeutiques-spirituelles
leur ont servi de tremplin pour découvrir d’autres religions qu’ils déconsidéraient auparavant. A cet égard,
il convient sans doute de repenser la relation entre les nouvelles religiosités et les religions
«traditionnelles», dans la mesure où celles-là ne sont pas nécessairement une alternative destinée à
remplacer celles-ci. Bien au contraire, les nouvelles formes de religiosité et de spiritualité peuvent servir
de voie (sans pour autant se limiter à ce rôle) pour attirer vers l’univers religieux traditionnel des individus
de certains segments sociaux, et surtout ceux (très nombreux, d’ailleurs) venus d’une formation
matérialiste qui ont participé à des mouvements de la gauche révolutionnaire dans les années 70 et 80.
On peut donc dire que les nouvelles expériences religieuses, loin de les concurrencer, rejoignent
les religions traditionnelles - à travers les expériences éclectiques et syncrétiques d’individus qui ont
«goûté» aux spiritualités contemporaines. Les religions telles que le candomblé, l’umbanda ou le
spiritisme kardéciste s’inscrivent ainsi dans le «répertoire» spirituel qui est mis à la disposition de ceux
qui sont tentés par ce type de syncrétisme.
3. Croisement culturel, médias et conflit
Lorsque nous examinons attentivement le circuit des thérapies et des spiritualités
alternatives, nous constatons différents niveaux d’articulation de ces pratiques et de leurs
univers symboliques respectifs. Nous avons vu ci-dessus que, même dans la constitution du
réseau plus restreint des thérapeutes, leurs patients et des espaces rituels et de la sociabilité
alternative, le phénomène reçoit l’influence d’autres sphères culturelles proches (l’écologie,
les médecines douces, la contre-culture), ou plus éloignées (comme les religiosités afrobrésiliennes) et même de celles qu’à première vue semblent opposées (la religion
catholique, le protestantisme historique et le pentecôtisme, d’un côté; la médecine et les
psychothérapies conventionnelles, de l’autre).
Ce principe de croisement et d’interpénétrabilité de différentes sphères culturelles
peut être perçu dans les différentes dimensions d’articulation de la culture thérapeutiquespirituelle alternative.
ésotériques, comme L’Alchimiste, édité aussi en France,) se définit lui-même comme
catholique.
La première dimension, décrite
ci-dessus, est celle du réseau qui comprend les
thérapeutes alternatifs et leurs patients, les espaces rituels thérapeutiques ou alternatifs en
général, le circuit à travers lequel circulent les informations, etc.
L’autre dimension du phénomène, que nous examinerons tout au long de ce travail,
concerne le vécu et l’adoption d’un style de vie lié aux thérapies alternatives et à une quête
spirituelle. Ce style de vie touche de larges segments des classes moyennes urbaines au
Brésil. Dans un certain sens, nous pourrons affirmer que les cultures alternatives
fonctionnent comme une sorte de “frontière symbolique” vis à vis des autres groupes
sociaux.
L’anthropologue brésilien Gilberto Velho (1985) a souligné que l’une des questions
importantes auxquelles devait s’intéresser l’anthropologie est celle de «l’identification
d’expériences suffisamment significatives pour créer des frontières symboliques»168. Nous
pouvons dire que les cultures thérapeutiques-spirituelles sont aujourd’hui une expérience
significative pour de larges extraits des classes moyennes urbaines au Brésil.
La large diffusion des thérapies néo-religieuses et l’espace qu’elles occupent dans
les médias, les publications, ainsi que commerce croissant de biens et de services liés à cet
univers, nous amènent, toutefois, à réfléchir sur une quatrième dimension du phénomène:
celle de sa médiatisation et de son incorporation par des segments plus larges de la
population brésilienne.
D’autre part, cet essor évident des cultures thérapeutiques-spirituelles ne se produit
pas sans conflits et oppositions, voir même des restrictions.
3.a) Médias et commerce du “bien-être”
Les registres qui, dans les dernières années ont annoncé l’apparition de ces
nouvelles cultures sont divers. L’industrie éditoriale et les moyens de communication
(surtout les telenovelas, la presse et les magasines) sont les registres formels les plus
visibles montrant le débordement du phénomène de ses propres frontières culturelles.
168
Cf. Velho, 1985:16.
La substitution du traditionnel “horoscope” donnant des prévisions pour la journée
par des prévisions astrologiques plus sophistiquées et souvent réalisées par des astrologues
liés au circuit alternatif est un phénomène qui s’est généralisé à travers les moyens de
communication brésiliens. Ceci est aussi vrai autant pour la presse que pour la télévision.
Au niveau national, nous possédons des exemples. Le premier est celui de Claudia
Hollander, astrologue de la
“Folha de São Paulo” (FSP) - l’un des journaux les plus
respectés et de plus grand tirage dans le pays. L’horoscope de C. Hollander, publié tous les
jours à la FSP, en dehors des prévisions journalières pour chaque signe, donne des
informations plus complexes et détaillées sur les positions astrologiques du soleil et de la
lune, les astres régents du jour, les positions des planètes (les degrés et les signes où ils se
trouvent à chaque jour) et une interprétation de tous ces aspects, adressées à un public
connaisseur. Cette astrologue est très respectée dans les cercles des “alternatifs”.
Plus récemment, la FSP publie aussi une colonne journalière de Paulo Coelho, un
des mystiques les plus connus au Brésil, auteur de plusieurs livres best-sellers sur
l’ésotérisme et la quête spirituelle. Dans sa colonne, appelée “Maktub”, Coelho vulgarise
certaines connaissances spirituelles appartenant aux différentes traditions des grands
maîtres zen, du taoïsme, du bouddhisme, etc.
Presque tous les principaux journaux au Brésil publient un horoscope, certains
d’entre eux (comme quelques magasines féminins) ont aussi adopté d’autres oracles,
comme la numérologie.
En dehors de la presse, la télévision possède aussi des émissions dédiées aux
prévisions astrologiques, numérologiques, aux conseils de la médecine naturelle, etc.
L’émission de Monica Buonfiglio, tous les matins à la TV Bandeirantes a été l’une des plus
connues. C’est Buonfiglio (auteur aussi de divers livres ésotériques) qui a diffusé
l’utilisation des runes (oracle nordique).
A Porto Alegre, la TV Guaíba, émetteur local, a crée un espace journalier où divers
praticiens et thérapeutes alternatifs donnent des conseils. Pendant des mois, un praticien du
tarot, disciple de Rajneesh, a répondu en direct aux questions du public. D’autres
spécialistes donnent des conseils basés sur l’utilisation thérapeutique des cristaux,
l’alimentation végétarienne, etc. Il est intéressant de remarquer que cette émission (dédiée à
un public plutôt féminin) est transmise au milieu de l’après-midi, dans un horaire où les
jeunes, les gens qui travaillent à la maison et les domestiques seulement peuvent la suivre.
En dehors des émissions et des publications quotidiennes, les spécialistes des
oracles (astrologues, numérologues, pères et mères de Saint, etc.) sont de plus en plus
demandés pour faire des prévisions au moment de grands événements (le nouvel an, la
coupe du monde de football, les élections, etc.).
L’autre espace médiatique important dans les médias est celui des telenovelas
(feuilletons). Il faut remarquer que les telenovelas sont aujourd’hui au Brésil un phénomène
culturel aussi important, voire plus, que le carnaval et le football. Si, au débuts, elles
rappelaient les feuilletons romantiques et étaient destinées à un public féminin, elles sont
aujourd’hui destinées à un public plus hétérogène (du travailleur rural de l’intérieur du
Brésil, à la femme au foyer citadine, au professionnel libéral de classe moyenne ou, enfin,
aux adolescents et aux enfants)169. Depuis les années 70, les telenovelas ont souffert d’une
véritable révolution dans leurs contenus et leur forme de production. Les scénarios sont
construits autour de thèmes actuels appartenant à la réalité brésilienne170 .
De plus en plus les feuilletons télévisés, à leur façon, incorporent la culture
thérapeutique, soit dans sa version psy, soit dans sa version mystique et néo-religieuse.
Dans un premier temps, l’inclusion de ces thèmes se fait à travers quelques
personnages un peu caricaturaux, représentant les figures du voyant, du sorcier, du
psychanalyste, ou du patient en analyse, etc.171.
Dans les années 90, l’utilisation d’un dialecte psy par les personnages et la
construction de scénarios centrés sur des pouvoirs paranormaux, sur la vie après la mort,
sur la sorcellerie, etc., commencent à caractériser toute une nouvelle génération de
telenovelas.
“Olho no olho”, transmise à la TV Globo en 1993, en est un exemple: il s’agit de
l’histoire d’un prêtre catholique qui abandonne l’habit pour accomplir sa mission de combat
169
Voir Leal, 1986.
170
Voir Kehl, 1986.
171
Même si déjà durant les années 70 nous avons eu quelques exemples de scénarios centrés
sur une histoire d’ésotérisme ou de phénomènes paranormaux. La telenovela “O Astro”, à la
TV Globo (la principale chaîne de télévision au Brésil) en est un exemple, même si le
personnage central représentait un voyant du genre traditionnel.
contre le démon - le mal - lié dans l’histoire au pouvoir, à la politique et même à la science.
Il a eu cette mission alors qu’il était encore un prêtre, par la confession d’un fidèle mourant.
Le bien et le mal s’expriment à travers les pouvoirs paranormaux de deux jeunes issus de la
classe haute et moyenne de la zone sud de Rio de Janeiro - la scène de cette histoire et de la
plupart des autres telenovelas de la TV Globo.
A la même époque, l’autre telenovela transmise par la TV Globo, à 20h30 (destiné à
un public plus âgé, mixte et professionnel) - “Fera Ferida” - racontait elle aussi une histoire
liée à la magie et aux pouvoirs sorciers. Le héros de l’histoire était un initié à la magie et à
l’alchimie. Il possédait, dans sa maison, un lieu de méditation (plein de symboles
ésotériques) et un laboratoire d’alchimie. Dans les années 90, la liste des novelas racontant
des histoires autour de ces thèmes est longue 172 .
Les deux cas cités ne sont que quelques exemples de la façon dont la présence d’une
culture mystique et thérapeutique dans les telenovelas est passée de la caricature de certains
personnages au centre des scénarios réalisés.
L’autre face, plus visible de l’émergence d’une culture thérapeutique néo-spirituelle
est l’explosion commerciale des biens et des services liés à cet univers: de la constitution
d’un nouveau phénomène éditorial à l’ouverture de magasins et de librairies spécialisées, à
la vente de tout genre d’objet mystique ou ésotérique.
Par rapport au phénomène éditorial, il existait déjà au Brésil un vaste champs de
publications religieuses lié surtout au spiritisme kardeciste et, à moindre échelle, à
l’umbanda. La littérature spirite est formée surtout, en dehors des livres d’Allan Kardec, par
les livres psychographés, notamment par le médium Chico Xavier, l’un des plus connus au
Brésil. Toutefois, à partir de la deuxième moitié des années 80, un nouvel événement
éditorial commence à occuper les librairies173 : ce sont les ouvrages littéraires et d’essais
172
“O Pantanal”, à la TV Manchete, «A próxima vítima», à la Rede Globo, pour n’en citer
que quelques unes.
173
Même si d’importantes publications avaient déjà été des succès dans les années 70,
comme les livres de Carlos Castañeda, le livre de Powels et Berger “Le matin des
magiciens”, ou les livres proposant une nouvelle vision de la science et de la nature.
autour des réalités extrasensoriels, de l’occultisme, de la magie, des techniques
thérapeutiques alternatives, ou encore des religions orientales, etc.174
L’un des exemples de cette explosion des publications ésotériques est Paulo Coelho,
qui occupe depuis des années la liste des meilleures ventes, avec ses livres racontant ses
expériences initiatiques dans la magie, ses nouvelles et romans autour d’histoires mysticoésotériques. Dans son premier livre, le “Diário de um mago” (Journal d’un mage), il
raconte son chemin initiatique à travers un pèlerinage à Santiago de Compostela, en
Espagne, pour pouvoir être consacré comme mage de l’ordre espagnol Regnum, Agnus,
Mundi. Son succès est aujourd’hui international: la traduction française de “O alquimista”
(une de ces nouvelles) est restée pendant des mois dans la liste publiée par Le Nouvel
Observateur des livres les plus vendus en France. La trajectoire de Paulo Coelho, qui était
un auteur et compositeur lié à la contre-culture dans les années 60/70
175
, reste assez
typique d’un certain parcours dans les cercles mystiques et néo-spirituels brésiliens.
Mais cet auteur national (d’ailleurs très critiqué par la presse dite «sérieuse”) n’est
qu’un exemple de la montée éditoriale de l’ésotérisme et des thérapies alternatives. La
variété est immense et touche tout les types de public.
L’une des branches les plus fortes de ces publications est constituée par la littérature
dite de self-help (auto-secours), dont l’un des livres de l’américaine Louise Hay (“Você
pode curar sua vida”) est l’un des plus vendus.
Il faut considérer que, dans un pays comme le Brésil, où les indices
d’analphabétisme sont encore élevés176 et où la population en général lit très peu, ce genre
de publication
ne s’est pas simplement développé comme un nouveau secteur éditoriale,
mais il a développé l’univers éditorial comme un tout. Pour de nombreux éditeurs, publier
174
Selon le Catálogo Brasileiro de Publicações, la section d’occultisme a dépassé toutes les
autres sections en termes de croissance entre octobre 1988 et août 1989: elle a augmenté de
16,54% par rapport à la période antérieure.
175
Il était le partenaire de Raul Seixas, l’un des chanteurs de rock brésiliens les plus
importants. A cette époque, ils ont formé ensembles la “Sociedade Alternativa”, basée, entre
autres, sur les idées de l’occultiste Aleister Crowley.
176
L’indice général d’analphabétisme au Brésil, selon l’IBGE (Instituto Brasileiro de
Geografia e Estatística), était en 1991 de 20% (contre 3% en Argentine et en Uruguay). Mais
les taux d’analphabétisme par région son très inégaux: de 0% à 6% dans les régions Sud/SudEst et de 29% à 35% dans le Nord-Est du pays.
des livres d’ésotérisme ou sur les thérapies parallèles reste un moyen de subsister à la crise
économique.
D’autre part, soulignons que, même dans ce genre de publication, la segmentation
du marché reste forte: les livres les plus populaires ne sont pas nécessairement ceux lus et
consommés par le cercle plus restreint du réseau alternatif.
Parallèlement à l’explosion éditoriale, les librairies et magasins ésotériques ont aussi
augmenté en nombre et en importance. L’utilisation d’objets de tout genre (les cristaux, les
oracles, les gnomes, etc.) reste, comme nous avons vu ci-dessus, à la mode dans les années
90.
3.b) La science et les “mysticismes”:
conflit et échange
L’autre face de l’émergence de cette culture nouvelle est la relation contradictoire
établie par rapport à d’autres groupes sociaux se sentant menaces par ce phénomène.
Il est vrai que le caractère dangereux attribué à ces pratiques diffère de celui que
nous avons observé en France, où une association nationale de défense contre les sectes a
été créée.
Au Brésil, le conflit est plus subtil et concerne surtout l’”invasion” des nouveaux
mysticismes dans les pratiques médicales et psychothérapeutiques officielles. Toutefois, les
thérapeutes ont réagit de façon différente à l’utilisation croissante de ces nouvelles
pratiques. D’un côté, nous observons des professionnels (médecins et psychothérapeutes)
qui incorporent dans leur travail certaines techniques alternatives (dont les plus courantes
sont les fleurs de Bach, l’astrologie, les thérapies régressives, les médicaments liés à une
pharmacopée alternative - phytothérapies, etc.). De l’autre, nous constatons la réaction des
institutions qui réglementent la pratique médicale et psychologique et qui critiquent et
prônent la restriction de ce genre de pratique.
La polémique à l’intérieur du Conseil Fédéral des Psychologues (CFP - organe
responsable pour la réglementation de la profession de psychologue au Brésil) nous en
donne un exemple. En mars 1992, le CFP a publié, dans les principaux journaux du pays, le
texte “Alerta à população” (Alerte à la population), où le Conseil affirme que “les pratiques
mystiques et divinatoires (tarot, Yi-King, búzios177, etc...) ne sont pas des techniques de la
Psychologie” et que les “techniques dites thérapeutiques qui proposent des solutions
immédiates aux problèmes psychologiques” n’ont pas la reconnaissance du Conseil Fédéral
des Psychologues.
Le CFP a crée, au même temps, une commission interne de Techniques
Thérapeutiques, dont un des rôles était d’analyser la question des thérapies alternatives.
Deux techniques en particulier attiraient l’attention des psychologues: la thérapie des vies
antérieures et les essences florales de Bach. Certainement parce qu’il s’agit là de deux
thérapies très utilisées au Brésil par les psychologues adeptes des pratiques alternatives.
La publication de l’“Alerte à la population” et la création de la Commission a
suscité un long débat à l’intérieur du CFP. Le journal du Conseil a ouvert ses pages pour
alimenter la polémique, publiant pendant des mois des articles portant les deux points de
vue (opposés et favorables) par rapport à l’utilisation de techniques parallèles dans le
travail du psychologue 178 .
La question centrale posée par le Conseil était la suivante: “le professionnel en
psychologie, en utilisant les pratiques mystiques et divinatoires, exerce-t-il la profession de
psychologue?”179. Trois ans après le début de la polémique, le Conseil a finalement décidé
de ne pas reconnaître l’utilisation de ces techniques.
Le long débat parmi les psychologues brésiliens a été, semble-t-il, la réaction
publique la plus organisé par rapport à l’augmentation de l’utilisation et à l’adhésion des
professionnels de la santé (mentale dans ce cas) aux thérapies alternatives. Il existe encore
des répercussions au sein d’autres organisations180 et des réactions isolées d’intellectuels
opposés à la nouvelle vague mystique-ésotérique, identifiée à un retour des obscurantismes.
177
Notons que les Búzios (l’oracle du candomblé ) étant inclus dans la polémique, la cible du
CFP ne se limite, donc, pas aux pratiques alternatives, mais elle concerne aussi les religiosités
afro-brésiliennes.
178
A Porto Alegre, le Conseil Régional des Psychologues du Rio Grande do Sul a, quant à
lui, réalisé des débats dans son siège, pour discuter chacune des thérapies alternatives.
179
Voir le Jornal do processo constituinte dos Psicólogos, Conselho Federal de Psicologia,
ano VII, fev/mar 1992, p.4-5.
180
L’Association des Psychanalystes de Porto Alegre avait un projet de réalisation d’un
Congrès sur la psychanalyse et les obscurantismes, dont l’un des thèmes aurait été les
pratiques mystique -ésotériques. Le Congrès a été annulé, mais le thème a constitué un
Dans d’autres pays, l’effet n’a pas été différent. Aux Etats-Unis, par exemple,
l’Institut National de Santé (NIH) a créé un organe de recherche, l’Office for the Study on
Unconventional Medical Practices et l’Association Médicale Américaine (AMA) a fondé
un Bureau of Investigation.
Les relations entre les thérapies dites officielles ou scientifiques et les thérapies
alternatives restent complexes. La force des réactions et surtout de la décision du CFP, en
imposant des restrictions aux professionnels de la psychologie quant à l’utilisation de
techniques parallèles, révèlent que le conflit demeure l’une des facettes de cette relation.
L’interdiction a, d’ailleurs, été une réaction à la croissance de l’adhésion à ces techniques
au sein de cette catégorie professionnelle.
Il semble que la dynamique contradictoire de la relation entre les conceptions et les
pratiques officielles et populaires autour des processus de maladie/guérison au Brésil se
répète ici. D’une part, une partie des demandes touchant les thérapies parallèles
comprennent le même public que celui des psychothérapies officielles. Dans ce cas, la
concurrence se fait sur un même terrain.
De l’autre, il est clair qu’une partie de ces rapports se fait à travers les échanges, les
emprunts et une influence mutuelle entre l’un et l’autre de ces champs thérapeutiques.
numéro de la revue de l’Association. Voir le Boletim de l’Associação Psicanalítica de Porto
Alegre, nº 10 (sur «Psicanálise e ilusões contemporâneas»), ano IV, out. 94.
CHAP 2 - UN RECIT AUTOBIOGRAPHIQUE
Ayant tracé le cadre plus général
de l’émergence d’une nouvelle culture
thérapeutique et spirituelle au Brésil, nous allons, dans ce chapitre et dans le prochain,
décrire le vécu thérapeutique-spirituel du point de vue des individus qui éprouvent cette
expérience. Ecouter les récits autobiographiques a été centrale pour la compréhension du
sens donné à ces trajets et à ces vécus.
1. La personne et son récit
Les thérapies, les types de thérapeutes, les espaces de guérison et de croissance
spirituelle, les rituels décrits dans le chapitre précédent ouvrent certaines possibilités de
choix, de répertoires et de chemins alternatifs. Mais c’est l’individu qui trace sa voie et
construit son trajet. Ce parcours individuel va se confondre avec une histoire de vie, la
modifier à son tour et lui donner un nouveau sens (ou, simplement, lui donner un sens).
De chacune des techniques thérapeutiques et de chaque doctrine religieuse ou
spirituelle, il est sans doute possible d’extraire une notion plus ou moins achevée de la
personne et de sa relation au monde. Cette notion de la personne peut d'ailleurs varier d’un
courant thérapeutique ou religieux à l’autre. Cependant, cette image achevée, ce portrait
idéal, tangible, pourvu de qualités physiques et morales absolues, a peu à voir avec la
personne qui chemine à travers ces rites et ces pratiques thérapeutiques. Ce sont l’individu
et la pratique sociale qui réunissent ces visions et leur donnent un sens. Il est alors
inévitable de se poser la question de savoir qui est cette personne qui peut vivre et
rassembler des expériences si diverses dans leur origine et dans leur conception, et qui va,
elle-même, devenir le résultat de son trajet. La formulation de cette question et sa réponse
renferment déjà un choix théorique inspiré par l’objet même de ce travail. Si des pratiques
thérapeutiques et religieuses sont décrites et discutées ici, c’est néanmoins sur la personne
que se porte notre regard, et non pas sur les cosmologies particulières à chacune des
thérapies ou courants religieux envisagés.
En effet, ce n’est pas à travers la description de la technique thérapeutique, de
l’organisation rituelle ou de la doctrine religieuse en soi que nous arriverons au sens de
l’expérience et à la compréhension de la personne. Il faut d’abord prendre en compte
l’expérience singulière (qui se trouve évidemment liée à une dimension collective et
sociale) et, surtout, la signification donnée à cette expérience par des individus singuliers.
Pour paraphraser M. Rosaldo (1980), je dirai qu’on peut mieux comprendre la
participation à un rituel ou à une thérapie à travers le langage émotionnel employé par
l’individu pour raconter sa propre expérience, qu’à travers l’explication de la technique
thérapeutique ou de l’organisation rituelle en soi181 .
La recherche de terrain, d’une certaine façon, a déjà retracé une partie de ce chemin
méthodologique. J’ai beaucoup écouté: des récits d’histoires de vie, d’itinéraires
personnels, d’expériences thérapeutiques, de consultations (racontées aussi bien par des
patients que par des thérapeutes), de rituels. Dans les situations où j’ai pu observer ou
participer directement à ces expériences (consultations individuelles, travaux collectifs,
rituels, etc.), c’est encore la dimension narrative qui prédominait. Devant le thérapeute, le
patient raconte son histoire, expose ses symptômes, formule ses plaintes; et le thérapeute
pose des questions, interprète. Dans les situations thérapeutiques où prédomine le travail
corporel, le corps est lu comme un texte qui relate l’histoire de la personne, et dans les
rituels collectifs, il y a toujours une dimension narrative: les musiques chantées (par
exemple, les hinários du Santo Daime), la voix du maître, les prières, les instructions de
celui qui dirige une séance de méditation, etc.
Dans certains de ces récits, c’est la narration des événements vécus par la personne
qui prédomine sur l’exhibition des sentiments; dans d’autres,
c’est le contraire. Mais ces
deux dimensions sont toujours présentes. Les récits qui mettent en scène une succession
d’événements exprimés grâce à un vocabulaire sentimental aident l’observateur à se
rapprocher de la personne qui narre et des significations de son expérience182. Cette
181
182
Cf. Rosaldo, 1980, p.27.
Dans son article sur Nicolai Leskov, Walter Benjamin parlait déjà de l’«art de raconter»
comme étant «la faculté d’échanger des expériences» (Benjamin, 1985, p.197-198). Certains
anthropologues travaillent du reste sur les récits comme formes rhétoriques de l’expérience:
Frank, 1993; Kleinman, 1988, parmi d’autres.
expérience comprend non seulement sa manière de vivre la pratique thérapeutique ou
rituelle, mais aussi la dimension de la vie quotidienne: par exemple le malaise et la
souffrance qui mènent l’individu à la thérapie.
A travers le récit de leur vécu thérapeutique et religieux, les individus vont mettre
en oeuvre un langage émotionnel visant à représenter leur expérience intérieure et à lui
donner un sens.
1.a) Récits thérapeutiques
Nous avons connu, tout au long de la recherche, divers genres de récits
thérapeutiques, que nous analyserons dans ce travail. Néanmoins, il serait intéressant
d’éclaircir d’abord le sens donné ici à cette notion. Dans le cadre de ce travail, les «récits
thérapeutiques» ont une signification large, qui recouvre tout le flux narratif lié à
l’expérience thérapeutique néo-religieuse. Non seulement leur sens est large, mais leurs
possibilités d’énonciation sont également variées.
Certains auteurs qui se sont penchés sur le thème situent les récits ou les discours
thérapeutiques par rapport à des situations particulières. Labov (1977) a analysé la
conversation thérapeutique en la replaçant avant tout dans le cadre de la séance de thérapie.
A partir de l’objet empirique consistant en un enregistrement de quinze minutes d’une
séance, choisis dans un corpus plus large, il a considéré que cela suffisait pour une analyse
approfondie de l’interaction qui s’établit entre le thérapeute et le patient et à formaliser les
structures qui gouvernent l’usage du langage et la production de formes linguistiques183 .
D’autres études du discours et de la conversation thérapeutique ont utilisé cette procédure
que Labov appelle une microanalyse, comme «The five first minutes», qu’il considère
comme une analyse détaillée et méticuleuse de la «conduite verbale enregistrée»184 .
Arthur Kleinman (1988), qui démontre pour sa part un intérêt plus clinique et
anthropologique que linguistique, a analysé plusieurs cas de ce qu’il nomme des «récits de
183
Cf. Labov, 1977, p.6.
184
Idem.
maladie»185, en s’attachant à la maladie et à sa signification (la façon dont elle est vécue par
l’individu). En utilisant sa propre expérience clinique (de psychiatre), Kleinman a cherché à
mettre en évidence la polysémie, la multivocalité de la maladie, surtout celles de la maladie
chronique et de la condition de malade chronique.
Si ces deux auteurs ont focalisé leur analyse du discours thérapeutique et des récits
de maladie sur la situation classique de la séance thérapeutique186 , Kleinman cependant, au
contraire de Labov (qui concentre ses appréciations sur 15 minutes d’une séance), élargit
son univers d’analyse à un nombre plus important de patients et au processus thérapeutique
comme un tout (ce qui inclut l’ensemble des séances réalisées par un même patient). Il
reconnaît que ses patients s’identifient beaucoup plus au rôle de malade (lié aux situations
concernant sa famille, les soins, le traitement, le régime alimentaire, etc.), qu’à celui de
patient en lui-même (restreint à la situation clinique). Cependant, c’est dans les récits qu’ils
font lors des séances thérapeutiques qu’il préfère rechercher la signification de la maladie.
Dans le cas de l’univers étudié ici, l’objet de notre appréciation n’est pas le vécu de
la maladie, mais le vécu thérapeutique lui-même. D’ailleurs, les informateurs ne parlent
presque jamais de maladie, mais de la crise, du malaise, de la souffrance qui les ont amenés
à la thérapie. Mais ces sentiments ne sont pas liés à un état spécifique et précis, comme
dans la maladie. La souffrance est décrite d’une façon vague et indéfinie, et elle
représenterait la condition de n’importe quel être humain qui n’a pas encore emprunté le
chemin de la quête spirituelle.
Notons encore que l’expérience «clinique»187 n’est qu’une des formes du vécu
thérapeutique. Ce dernier ne se limite pas aux séances et aux travaux thérapeutiques, de la
même façon que l’expérience religieuse ne saurait se circonscrire à la participation aux
rituels. Il concerne une culture thérapeutique-spirituelle et un «état de l’être» qui interfèrent
185
En anglais, «illness narratives».
186
Bien que Kleinman (1988) considère aussi comme «illness narratives» des récits recueillis
dans en d’autres contextes: «The illness narrative is a story the patient tells, and significant
others retell, to give coherence to the distinctive events and long-term course of suffering.»
(«Le récit de maladie est une histoire que le patient conte, et que beaucoup d’autres recontent,
pour donner une cohérence aux événements distinctifs et à la longue durée de la souffrance»)
(p.49).
187
C’est-à-dire l’expérience de la situation thérapeutique elle -même.
dans le quotidien, le travail, les rapports familiaux et sociaux, aussi bien que dans les récits
de vie individuels - la façon dont chacun raconte son histoire personnelle et se représente à
soi-même.188
En outre, dans le cadre de cette étude, la place de l’anthropologue est extérieure à la
clinique, au contraire de celle où se situe Kleinman, qui a construit ses analyses à partir de
son expérience préalable comme thérapeute. Bien qu’ayant observé et participé à des
séances thérapeutiques et rituelles, mon expérience ethnographique ne s’est pas limitée à
ces espaces (ce qui, du reste, m’a permis de constater que le vécu thérapeutique et spirituel
s’étendait au-delà de l’expérience clinique ou rituelle).
De même que le vécu de la personne ne se circonscrit pas à la clinique ou au rituel,
les récits qu’elle en fait ne se réduisent pas au discours thérapeutique qui se déroule à
l’intérieur d’un cabinet ou d’un temple. Les récits et les discours thérapeutiques
s’expriment partout189, à l’intérieur et à l’extérieur des espaces prédéfinis.
On peut ainsi distinguer trois types de situations où cette énonciation pourra prendre
190
place . La première est la «situation clinique» ou «rituelle» elle-même. L’aspect discursif
(surtout dans sa dimension narrative) est central dans les deux cas. Le processus discursif
ou narratif comprend ici un large spectre d’énonciations possibles, qui vont des divers types
de récit verbal du patient (ses plaintes, son histoire et les événements qu’il a vécus) aux
diverses formes de lecture du thérapeute: celle du corps pris en tant que texte ( «lecture
corporelle»), celle des cartes du tarot (lues comme un récit du moment de la vie de la
personne), celle de la carte astrale, etc. Le discours du thérapeute peut lui aussi acquérir
diverses formes: description d’un certain profil du patient, formulation d’un diagnostic,
interprétation des symptômes et des éléments d’analyse apparus durant la consultation.
188
D’autant plus qu’il ne pas toujours le patient qui rapporte les récits de maladie et de
guérison les plus significatifs. Pour les couches populaires, par exemple, les récits
thérapeutiques peuvent s’avérer un moment important de transmission orale de la culture et
de la sociabilité féminines. Il est possible que l’une des dimensions d’un «folklore féminin»
passe par les récits qui font les femmes entre elles des maladies qui touchent leur famille.
189
Maines (1993, p.20) se réfère à l’ubiquité du «raconter», qui prend pla ce selon lui dans
toutes les activités humaines.
190
Soulignons que l’ordre dans lequel nous exposerons ces différentes situations
d’énonciation ne correspond à aucune hiérarchie chronologique ou de degré d’importance.
La deuxième situation d’énonciation concerne les espaces sociaux collectifs, où les
individus sont amenés à parler d’eux-mêmes. Les récits personnels qui prennent place dans
un tel espace sont un moment important de la définition d’un ethos de groupe. Parler de soi,
de ses expériences personnelles singulières et privées dans une sphère collective constitue
en effet un aspect essentiel de l’affirmation de soi et de la démarcation symbolique d’une
identité individuelle et collective.
La troisième situation narrative est celle que permet la rencontre ethnographique, à
savoir les récits confiés à l’anthropologue, qui peuvent être sous forme d’autobiographie,
ou de description des expériences thérapeutiques-spirituelles (aussi bien par les patients que
par les thérapeutes).
Dans la réalité, les frontières entre ces trois situations ne sont évidemment pas aussi
rigides que dans la classification présentée. Celle-ci n’a pour nous qu’un sens heuristique:
essayer de comprendre le caractère extensif de l’expérience. Nous pourrions encore parler
d’une
quatrième
situation
narrative,
qui
touche
à
la
construction
de
l’écriture
anthropologique qui décrit et interprète le récit191 . Cependant, notre intention n’est pas de
faire une anthropologie ou une sociologie du récit192 .
Du reste, l’intérêt anthropologique que revêtent ces récits ne saurait se circonscrire
au repérage de la structure du discours ou des formes de communication (et d’interaction)
entre les interlocuteurs. Ce qui intéresse l’anthropologue, c’est, d’une part, l’analyse de la
variété et de la richesse de ce qui a été observé, et, d’autre part, l’examen de la situation
d’énonciation et du récit lui-même dans leur totalité; c’est chercher le sens, les
significations de la situation narrative (interpréter non seulement ce qui a été dit, mais ce
qui a été dit dans cette situation précise), tout en l’insérant dans le contexte plus large des
parcours personnels et collectifs.
Dans le cadre du projet d’interprétation anthropologique de la culture thérapeutique
et néo-religieuse des classes moyennes urbaines brésiliennes, c’est l’objet lui-même qui, au
191
Cette question a déjà été largement discutée ces dix dernières années. Voir en particulier
les études d’anthropologues nord-américains comme Geertz, 1989; Clifford et Marcus, l991,
parmi d’autres.
192
C’est plus récemment que cette préoccupation a atteint le domaine de la sociologie. Voir à
ce propos Maines, 1993.
bout du compte, impose les instruments de cette interprétation. En même temps qu’ils
constituent une rhétorique de l’expérience, les récits apparaissent ici comme un instrument
de rapprochement vis-à-vis de la personne qui vit cette expérience et partage cette culture,
et par conséquent comme un moyen de la comprendre.193
1.b) Autobiographie et récits de vie
Ce sont avant tout les récits de vie qui revêtent le plus fortement une dimension de
dévoilement ou révélation de la personne et donnent un sens à son expérience.
Dans le cas de notre recherche, les entretiens et les descriptions portant sur les vécus
thérapeutico-spirituels menaient toujours à des histoires de vie, parce que l’expérience
s’insère dans une durée - et la modifie. Mieux, le sens d’une expérience n’existe que dans la
durée, dans son incorporation à un itinéraire personnel194 .
Les autobiographies relatant des trajectoires thérapeutiques-spirituelles s’articulent
autour d’un changement personnel. Starobinski (1970) avançait déjà que, pour avoir un
motif suffisant de faire son autobiographie, il faut éprouver une «transformation radicale»:
«conversion, entrée dans une nouvelle vie, irruption de la grâce»195 . Ce besoin de raconter
est fondamentalement un acte interprétatif où l’individu réfléchit sur sa propre histoire et
lui donne un sens 196 .
193
Maines (1993), se réfère à la personne comme organisme autonarratif et autoréflexif qui se
transforme. Ces transformations peuvent être conceptualisées en termes de récits - la
possibilité d’acquérir une biographie et, de cette façon, raconter son histoire de vie. Si, d’un
côté, on peut objecter que Maines se réfère à une notion de personne qui est celle de
l’individu moderne, capable de faire cette autoréflexion, de l’autre, on ne doit pas oublier que
certains auteurs, comme Momigliano (1985), qui a analysé l’importance de la biographie
pour les historiens grecs classiques, font remonter cette capacité de raconter sa propre
biographie à une époque ancienne.
194
Il faut d’ailleurs rappeler qu’il n’y a pas de récit de vie complet. Voir, à ce propos, Bertaux,
1979, p.210.
195
196
Cf. Starobinski, 1970, p.91.
Ou, comme l’a dit Bertaux, 1979, «... le sujet ne récite pas sa vie, il réfléchit sur elle tout
en la racontant», p.210.
La distance (nécessaire à cette interprétation) n’est donc pas seulement temporelle,
mais aussi identitaire. Comme l’écrit Starobinski:
«...C’est parce que le moi révolu est différent du je actuel, que
ce dernier peut vraiment s’affirmer dans toutes ses prérogatives. Il ne
racontera pas seulement ce qui lui est advenu en un autre temps, mais
surtout comment, d’autre qu’il était, il est devenu lui-même.» 197
C’est ce «travail» de transformation qui rassemblera toutes les expériences et
pratiques racontées, qui leur donnera un sens
et placera l’individu qui raconte dans une
position différente de celui qui est l’objet de son récit. Celui qui raconte est aussi le résultat
de cette transformation, l’aboutissement de son histoire. Dans tous les récits de vie qui
retracent un itinéraire thérapeutique et spirituel, il est question de cette transformation. De
plus, la capacité de relater cette histoire personnelle devient elle aussi un signe de la
transformation opérée. Cette capacité d’auto-réflexion n’est-elle pas, d’ailleurs, l’un des
buts du travail thérapeutique?
La lecture et la réflexion anthropologique qui s’attachent à ce récit deviennent donc
l’interprétation d’une interprétation198 . Sauf que, différemment de l’interprétation contenue
dans le récit de vie, où c’est l’histoire individuelle qui est visée, le but de l’interprétation
anthropologique du récit est d’atteindre aux contenus et aux sens sociaux de l’expérience.
Dans cette lecture anthropologique, le regard doit porter dans deux directions
complémentaires. D’abord, il faut penser le récit comme produit d’une multiplicité
d’interférences, dont quelques-unes apparaissent dans le contexte même
de son
énonciation. Ceci nous renvoie à la multivocalité, et donc à une lecture qui sache écouter
les multiples voix qui s’expriment à l’intérieur du récit. En d’autres termes, comme l’a dit
Boltanski (1982), il faut avoir une «perception syncrétique de ce qui est dit»199 .
197
Cf. Starobinski, 1970, p.92.
198
Evoquons encore une fois Starobinski, qui analyse ainsi son propre travail d’interprétation
d’un texte de Rousseau: «...le texte qui m’a paru apporter le scénario exemplaire de
l’interprétation n’a pu devenir si parlant que parce que je l’ai interprété en recourant aux
théories et aux concepts même dont je lui attribue la prémonition» (p.160-161).
199
Cf. Boltanski, 1982, p.23.
Mais ceci ne doit pas compromettre l’autre direction dans laquelle la réflexion doit
porter. Il y a dans tout récit de vie une problématique centrale, un fil qui aide à tisser
l’itinéraire qui est raconté. Trouver ce fil, discerner cette problématique est aussi l’un des
propos de l’entreprise anthropologique. En d’autres termes, l’interprétation anthropologique
doit savoir déceler la «quintessence»200 de l’expérience et de l’auto-réflexion qui font la
narration.
Mais il y a aussi le risque que, dans cette lecture, intervienne ce que Starobinski
(1970) a désigné comme une conséquence de «l’entropie du vocabulaire des sciences
humaines»: le processus par lequel la «scientificité» initiale se dégrade en «flair», en un
«mode confus de la sensibilité»201 qui met en péril la méthode au-delà de ce qu’elle peut
apporter à la perception. En tout état de cause, le moment suivant devra consister en un
effort de systématisation de ce qui a été perçu en un langage capable de rendre compte des
significations sociales de l’expérience.
1.c) La situation narrative
Les conditions de l’énonciation de la plupart des récits ont été celles d’une situation
explicite d’enquête. Dans la plupart des conversations informelles et des entretiens
réalisées, des consultations, des cours ou des rituels observés, j’ai joué, si je peux dire,
«cartes sur table»202 . C’est-à-dire que j’ai toujours essayé de laisser apparaître explicitement
ma position d’enquêtrice, sans pour autant avoir besoin d’annoncer à cor et à cri mon
identité de chercheur chaque fois que j’allais observer un rituel ou que je me trouvais
devant un informateur potentiel. Bien souvent je suis passée inaperçue, surtout dans les
espaces publics ou collectifs tels que restaurants et librairies, mais aussi dans des rituels et
travaux collectifs.
200
Cf. Bertaux, 1979, p. 220.
201
Cf. Starobinski, 1970, p.159.
202
Expression de Bertaux, 1979, p. 207.
C’est avant tout dans les conversations plus approfondies avec mes informateurs
que j’ai exposé clairement l’objet de mon travail. Maintes fois, l'inconfort initial - dû à un
regard trop investigateur ou à une écoute trop attentive de ma part - s’est aggravé par la
présence du magnétophone posé entre moi et mon interlocuteur203 . Mais en fin de compte,
cet inconfort s’est révélé n’être qu’une question de plus à être traité et résoudre dans ce
dialogue «interculturel».
Il est vrai que, dans le cas de certains thèmes spécifiques de recherche, la présence
explicite du chercheur en tant que tel peut limiter l’accès aux informations et à l’univers
enquêté204 . Cependant, cela ne s’est pas produit dans cette recherche. Rappelons que ce sont
la situation de l’enquête et la nature de l’objet de la recherche lui-même qui décident des
procédures à adopter sur le terrain.
Dans cette enquête, ma présence explicite en tant qu’anthropologue a af cilité l’accès
à certaines informations, à des éléments et des récits de situations qui n’auraient pas été
dévoilés autrement.
Mes informateurs se sont toujours montrés disponibles et désireux de parler, de
raconter leurs histoires et de décrire leurs expériences, m’invitant aux rituels et aux travaux
collectifs, me proposant des consultations, me mettant en contact avec d’autres
informateurs. Je me suis du reste toujours interrogée sur les raisons de cette disponibilité.
Certains d’entre eux la justifient par l’éclairage positif que, d’une certaine façon, ce type de
recherche, aussi critique soit-elle, contribuerait à démystifier cet univers des thérapies
alternatives et de la quête de spiritualité, en balayant certaines idées reçues et en amenant
un plus grand nombre de personnes à connaître cette réalité.
203
En dépit des inconvénients de l’utilisation du magnétophone, ces enregistrements ont été
précieux pour le travail postérieur de lecture et d’interprétation de ces récits. Mais les
annotations faites dans mon journal de terrain ont été tout aussi précieuses, surtout
concernant l’observation de rituels ou de travaux thérapeutiques, et pour les nombreuses
conversations qui n’ont pas été enregistrées.
204
Je pense ici à l’étude ethnographique de Hélio R.S. Silva (1993) sur les travestis de Lapa,
un quartier du Rio de Janeiro. Selon lui, certaines informations n’auraient pu être obtenues
dans la première étape de la recherche, où il se présentait à ses interlocuteurs comme
chercheur. C’est seulement dans la deuxième étape de terrain, quand il a décidé de retirer son
habit de chercheur, que l’univers enquêté s’est ouvert à lui «com todo o seu potencial
confessional e informal» (avec tout son potentiel de dévoilement et d’informalité) (p.150).
De plus, le fait d’être choisi comme sujet d’étude signifie pour eux une valorisation
de leur travail. 205 Mais ils montrent aussi qu’ils accordent la valeur au discours savant et
universitaire: en ce sens devenir l’objet de ce discours les valorise. L’image plutôt positive
que revêt l’anthropologie parmi ceux qui évoluent dans l’univers étudié s’est avérée un
facteur déterminant dans l’établissement d’une relation de complicité entre nous. Plusieurs
de mes informateurs parlaient de l’anthropologie avec une certaine familiarité, citant des
livres et des auteurs206. L’anthropologie est d’ailleurs identifiée par une grande partie
d’entre eux comme la discipline qui a réhabilité le «vrai» caractère de la magie et de
l’ésotérisme en général207 .
Cependant, il est évident que ce ne sont pas là les seules motivations qui animent
leur discours. A partir du moment où s’établit un dialogue, d’autres facteurs interviennent.
D’une part, dans cette relation singulière entre deux personnes, le sentiment d’empathie
créé peut pousser le narrateur à raconter son histoire dans le seul but d’être écouté208 .
D’autre part,
il faut souligner l’influence du contexte culturel dans ce groupe social dont
l’ethos encourage l’individu à «parler de soi», à exprimer à l’autre son intimité et ses vécus
personnels. Les récits que recueille ici l’anthropologue s’inscrivent dans un cadre social qui
valorise l’expression publique, ou collective, des expériences intimes et privées des
individus209 . On peut donc dire qu’il existe, au sein des segments sociaux enquêtés, une
posture autobiographique préalablement intériorisée210 .
205
Claudia Fonseca (1992) fait une remarque pertinente à propos de l’enquête de terrain
qu’elle a menée dans un bidonville de Porto Alegre, en comparaison à une «cité de transit»
qu’elle avait enquêtée à Paris. Elle explique qu’en tant que chercheur et «étranger» dans le
faubourg, elle a toujours été vue, dans le bidonville brésilien, comme quelqu’un qui pouvait
aider les personnes (p.51). Il est intéressant de noter que, dans une recherche concernant les
classes moyennes, une relation semblable puisse s’instaurer entre l’enquêteur et les enquêtés.
206
Ce qui est une indication du niveau de formation scolaire et culturelle de ce groupe.
207
Parmi les «anthropologues» cités, figurent Carlo Ginzburg et Elisabeth Murray - cette
dernière est vue comme celle qui a dévoilé pour la première fois le sens «véritable» des rites
de la sorcellerie européenne du Moyen Age.
208
L’anthropologue, grâce à son «don d’écouter», fait partie en quelque sorte de ce que
Walter Benjamin a appelé la «communauté des auditeurs». Cf. Benjamin, 1985, p.205.
209
A ce propos, voir Figueira, 1985 et 1988.
210
«L’on se prend déjà comme objet, on se regarde à distance», Bertaux, 1979, p.216.
Les récits qui nous occupent ne sont pas une simple énumération d’événements
passés, mais une façon, pour le narrateur, de construire et d’exprimer une auto-image et de
reprendre son histoire et son expérience propres. Beaucoup de nos interlocuteurs ont relevé
que nos conversations - le fait d’avoir quelqu’un à qui se raconter - avaient pour eux la
valeur d’un moment d’auto-évaluation et de réflexion sur leur propre histoire au sein de cet
univers. En ce sens, se mettre en situation d’énonciation d’un récit ne relève pas chez eux
d’une stratégie personnelle préétablie.
2. Une histoire singulière
Nous allons transcrire et analyser le récit autobiographique d’une femme qui, après
une crise provoquée par la rupture de son mariage, a entrepris un véritable cheminement
spirituel. Après ses premières expériences de biodanse et de thérapie Fischer-Hoffman, elle
s’est faite disciple de Rajneesh, jusqu’au moment où elle a décidé de devenir elle-même
thérapeute (adepte de l’astrologie et des essences florales de Bach).
Son récit mêle des données autobiographiques, des comptes rendus de ses
expériences thérapeutiques et initiatiques, et la description de son travail de thérapeute. Sa
narration, qui expose largement le vécu émotionnel de ce parcours, constitue un témoignage
exemplaire de l’ensemble des questions qui seront discutées tout au long des autres
chapitres. Dans ce sens, la brève discussion que nous menons à la fin du présent chapitre
reste partielle et ne fait qu’annoncer les points qui seront traités plus tard avec plus de
profondeur, et en comparaison avec d’autres récits et histoires de vie.
Les dix pages qui suivent ne sont que des morceaux choisis d’une conversation plus
longue. Et si leur transcription constitue une narration elle aussi assez longue, elle était
malgré tout nécessaire pour introduire les questions que nous allons développer
ultérieurement. Ce n’est évidemment que l’exposé d’une histoire personnelle, singulière,
mais au-delà de ses spécificités, on peut y trouver, comme dans toute narration
autobiographique, des convergences formant le fil qui aidera à tisser cet autre récit qu’est le
texte anthropologique.
2.a) Kátia et son récit
«Je viens d’une formation très sceptique. Bon, je suis venue à Porto
Alegre, je me suis mariée. (...) J’ai une origine privilégiée, je suis fille de
journaliste, le troisième homme le plus important du ***211 pendant une
vingtaine d’années. Et ça, ça finit par te donner une connotation d’élite, et
d’hypersceptique, n’est ce pas? ... Je me préparais à partir dans un grand
voyage et j’ai fini par rester ici, je suis tombée amoureuse, je me suis
mariée. Pendant ma crise de couple, j’étais comme défigurée, ce truc du
mariage où on confond tout, hein? Je me suis dit: ‘C’est le moment de faire
quelque chose, en termes de thérapie’. De reprendre. Parce que j’avais fait
une psychanalyse de plusieurs années à Rio... J’avais déjà six ou sept ans de
contact. Et j’avais suivi le processus de ma belle-soeur, qui avait fait le
Fischer-Hoffman ici à Porto Alegre. En 85. Il y avait deux thérapeutes qui le
pratiquaient ici: Doro, un chilien qui l’a introduit au Brésil, et Dica, un
autre chilien, qui est mort l’année dernière. Et j’ai vu que c’était incroyable.
Je me suis dit: ‘Ah! Je vais faire ça!’ (...) En même temps, une amie qui
faisait de la biodanse a participé à un Congrès à Rio, où elle a rencontré
plusieurs thérapeutes saniases. Elle les a invités à venir au Sud, pour faire
un workshop de fin de semaine. Et j’ai fait un marathon de biodanse, un
mois de cours, et un marathon de sexualité. Et puis ce type est arrivé et moi,
j’ai pensé: ‘C’est pas possible! Un rajneesh! Quelle folie!’ Parce que j’avais
une tête... ’Mais bon, je vais voir ce que c’est!’ (...) Et comme ça je suis
rentrée dans le groupe. Vendredi soir, samedi et dimanche. C’était un
workshop du processus Fischer-Hoffman. Et j’ai été en contact avec un truc
que je ne connaissais pas: la lecture corporelle. J’avais fait six, sept ans de
psychanalyse, mais je sentais le besoin de quelque chose en plus, pour le
corps... Parce que la question du rationnel... il y a une limite dans la
thérapie [la psychanalyse]. Elle n’a pas le même pouvoir de gérer des
transformations significatives, n’est-ce pas? Et alors, mon Dieu! je suis
arrivée là ce vendredi soir, et ça a été une chose bouleversante. Le
lendemain il m’a fait une lecture corporelle, et ça a été tellement fort que le
mois suivant je commençais le travail, le Fischer (...) Il m’a fait me mettre
toute nue... un groupe de 20 personnes, et on reste au centre... Je n’avais
jamais fait ça, mais bon, il fallait y aller... J’ai enlevé ma chemise et ... il a
fait une lecture de dix minutes: ta, ta, ta. Il a regardé et il a tout compris. Et
il a fait un travail sur moi: ‘Ferme les yeux et dis à ton père tout ce que tu
voudrais lui dire...’ Ça a déclenché une réaction... Lui: ‘Dis ce que tu veux
avoir et que tu n’a pas eu’. Il a tendu sa main et m’a demandé de frapper. Tu
sais? ça a été une chose très forte. Tout le groupe est entré dans l’histoire...
211
Elle se réfère à l’un des grands journaux brésiliens.
Et moi: ‘Ouah! ce type-là ne sait rien de mon histoire, et pourtant... Et ça,
même dix années de psychanalyse n’arrivent pas à ça, tu vois? Je me suis
dit: ‘C’est là-dedans que je dois aller, c’est la personne! (...) Bon, c’était un
rajneesh, mais ça on peut le tolérer. Parce que pour moi, c’était une secte, tu
comprends?... Tout le monde s’habillait en rouge. J’étudiais le journalisme
à la PUC212 , et il y avait toujours quelqu’un habillé en rouge, avec un
collier 213 . (...) Mais j’ai pensé: ‘C’est un bon thérapeute, le reste ne
m’intéresse pas.’ Et comme ça j’y suis allée, un travail d’un mois, intensif.
Un groupe de résidence214 . (...) Un mois de travail et j’y suis revenue, pour le
refaire. Dans le groupe de São Lourenço, à Minas215 , on a fait la proposition
de former une communauté, dont je n’ai jamais participé effectivement. J’ai
passé deux années à faire la navette entre Porto Alegre et Minas.(...) Je
n’avais pas réussi dans le premier cours... J’étais dans un processus que je
méconnaissais, j’avais peur, et ma tête: trop envahissante, toujours en train
de mesurer, d’émettre des jugements. Je n'étais pas arrivée à me libérer.
J’étais quelqu’un d’hyper-mental et avec un émotionnel minuscule... Et il
s’agit d’un processus qui ne valorise pas ça. Au contraire, il faut apaiser ce
côté-là, parce qu’il y a d’autres choses à développer. Donc ça a été très
difficile pour moi.. Je n’arrivais pas à me donner et... C’est-à-dire que je
n'étais pas arrivée à nettoyer la chose [...] J’ai suivi le déroulement du
travail tout le mois et j’ai été la seule à rester fermée. Je ne pouvais même
pas aller en ville. São Lourenço, c’est une ville très petite. Et moi, j’ai
toujours été très cervejeira (buveuse de bière), j’ai jamais mangé ces
machins de riz complet, de shoyu216 ... Rester enfermée pendant un mois, sans
boire une bière, à manger des sauces de miso217 avec du riz, c’était pour moi
quelque chose de très bizarre. (...) Et puis il m’a dit à la fin: ‘Ecoute, il va
falloir que tu reviennes pour faire le prochain [cours]... il faut encore
travailler.’ Et comme ça je suis revenue, vingt jours après. Je suis revenue et
j’ai refait tout le cours. C’est pendant le premier cours qu’on a proposé de
former la communauté, là-bas. Les personnes étaient d’ici [Porto Alegre].
(...) Bon, un jour j’étais en train de faire la kundalini218. Tu bouges, tu
212
Université catholique.
213
Elle se réfère au mode vestimentaire des saniases dans les années 70 et au début des
années 80.
214
Qui cohabite dans une même maison pendant le temps du stage.
215
L’état de Minas Gerais, localisé dans la région Sud-Est du Brésil, à plus de 2.000 km de
Porto Alegre.
216
Sauce de soja très utilisée dans l’alimentation végétarienne.
217
Pâté de soja ou de riz fermentés.
218
L'un des types de méditation proposés par Rajneesh. Elle se fait en quatre étapes de quinze
minutes chacune. A la première étape, on laisse le corps bouger et s’agiter par lui-même (sans
intervention consciente). Dans la deuxième étape, on le laisse danser de lui-même. A la
troisième étape, on ferme les yeux et reste immobile, assis ou debout, tout en assistant à ce
qui se passe à l’intérieur aussi bien qu’à l’extérieur de soi. Finalement, dans la quatrième
danses et après, silence... Je m’étais allongée pour me détendre et mon
corps a commencé à trembler. (...) Tout le monde était déjà sorti pour dîner
et je suis restée seule, tout mon corps frémissait... Aujourd’hui je sais que
c’est bon qu’il frémisse, ça veut dire qu’il a de l’énergie... mais à ce moment
là... je ne savais pas ça. Et, comme si ça ne suffisait pas, j’ai vu le visage du
vieux [elle parle de Rajneesh]. J’ai ouvert les yeux et je continuais à le voir.
Je me contractais pour arrêter de frémir, mais ça ne marchait pas. (Je me
suis dit:) ‘Mon Dieu! ça y est, c’est le lavage cérébral, je suis devenue folle!
Je vais partir d’ici!’... Ça a été un gros choc pour moi (...). Ça a été un
moment complètement fou et très beau aussi. Parce que j’avais très peur.
C’est impossible à décrire, parce qu’on ne s’est pas parlé, mais il y a eu un
échange. J’ai vu son visage... et j’avais très peur, je voulais que cette image
disparaisse: ‘Va-t-en! Va-t-en! J’ouvrais les yeux et il était encore là. Et il
m’a regardé, hum! comme ça, en respectant ma peur. Et je me disais: ‘Pour
l’amour de Dieu!’ (rires)... Bon et le travail a continué. Et puis il s’est passé
des choses très bizarres en termes d’incorporation, une chose à laquelle je
croyais pas... Des choses avec des esprits. A ce point-là toutes mes valeurs
sont tombées par terre, parce que je ne croyais à rien. Des choses très fortes
et irréfutables, parce qu’il avait un gars dans le groupe qui était kardéciste
et il a commencé... Ma mère est déjà décédée, je l’ai perdue à six ans. Et
pendant la première semaine du groupe, le gars, il savait pas que ma mère
était décédée et il l’a incorporée219 (...) Et alors, une des personnes du
groupe, un très gros canal220 ... C’est bizarre parce qu’elle était marxiste
aussi, et matérialiste, figure-toi. Et ça lui est arrivé à elle aussi. En même
temps qu’il a incorporé maman, elle a incorporé une autre figure, d’une
lumière très forte. Une marxiste, qui ne croyait en rien! Nous sommes très
amies. Ça a été difficile pour elle de manier ça. Elle a incorporé un Etre de
beaucoup de lumière qui a apaisé la situation et a décrit ma maison. (...)
Cette amie, après, on s’est parlé et elle a décrit des scènes classiques de la
vie de ma mère... Je n’avais jamais vu une incorporation dans ma vie, hein
Sônia? et je ne croyais à rien de tout ça. (...) Ça a été un choc pour moi,
mais je suis reconnaissante, parce que j’étais quelqu’un qui avait la tête trop
[puissante], à cause de mon origine, et je dois rester reconnaissante toute
ma vie. Parce que c’était la seule manière de découvrir cet autre monde...
Parce que j’étais une sceptique, une verbeuse, pleine de préjugés, à couper
les cheveux en quatre.(...) Cette deuxième fois, ça a été plus beau, parce que
étape, tout en gardant les yeux fermés, on s’allonge et reste immobile encore quinze minutes.
Cette méditation est largement pratiquée par le s saniases, avec la Méditation Dynamique.
Elle est utilisée pour réharmoniser les énergies, mobiliser le potentiel énergétique «non
utilisé» («l’inconscient»). Elle agit aussi sur les «obstacles pelviques-abdominaux» et
«augmente la perception et la conscience de l’espace intérieur des maladies
psychosomatiques». Cf. O Rebelde, publication de l’Osho Bholi Meditation Center, Porto
Alegre, 1ère année, nº2, août 1993, p.10.
219
C’est-à-dire qu’il a «reçu» l’esprit de sa mère.
220
Etre un canal, c’est avoir le don de recevoir des messages et des entités par voie spirituelle.
j’étais plus sûre, je connaissais déjà le travail, sa beauté, sa lumière. (...)
Mais il y a eu aussi un moment où je me suis dit: ‘Je ne supporte plus, je
m’en vais, je n’ai plus de forces.’ (...) J’ai demandé le sânias221en 87, et ce
groupe a fonctionné en 86. Mais ce n’était qu’une formalisation, parce que
j’avais reçu mon premier sânias via astral: j’avais déjà un sânias. Dans ce
premier groupe, j’ai reçu le sânias à travers quelqu’un qui était un très gros
canal. Osho était encore vivant [...] Et j’ai reçu le sânias à travers une
personne qui était son canal... Une année après j’ai demandé la
formalisation. J’ai reçu un autre nom, mais avec la même signification. (...)
La communauté a existé pendant trois années... Et cet Etre de lumière a dit:
‘Kátia va s’en aller et revenir (à la communauté) maintes et maintes fois. Et
c’est bizarre, parce que c’est ça qui est arrivé. Je n’y suis jamais restée,
mais j’ai suivi ce qui s’y passait dès le début. Des personnes sont rentrées,
d’autres sont parties... La communauté s’est déplacée à Floripa (nom
populaire de la ville de Florianópolis)... Je suis restée plusieurs périodes de
deux, trois mois. Je ne me décidais jamais pour savoir si je restais ou pas. Je
me disputais avec le chef... je n’étais pas d’accord avec certaines choses ...
et alors je partais et je revenais...(...) Mon père habitait à Rio. Quand je suis
allée à São Lourenço, au sud de Minas, je suis passée à Rio et j’y ai fait
deux choses. J’ai pris un rendez-vous avec ***, avec qui j'avais fait la
psychanalyse avant. (...) Il est kleinien, très orthodoxe (...) Je lui ai expliqué
la situation (la perspective de faire l’atelier d’un mois à São Lourenço) et il
m’a dit que j’avais la structure pour le faire, mais qu’après il faudrait faire
le ménage, reprendre les choses... Je ne pouvais pas le croire, parce que
c’était quelqu’un de très orthodoxe... Je lui disais: ‘La psychanalyse, c’est
bien, mais elle ne touche qu’un côté des choses, et elle méprise des choses
importantes, comme le corps.’ Mais enfin, il m’a donné son aval, et je suis
partie plus rassurée. C’est bien d’avoir cet aval, de ton propre thérapeute,
quelqu’un de très orthodoxe qui te dit: ‘D’accord, ça va’... Et puis, au même
moment, j’ai rencontré une amie, plus âgée que moi, la femme d’un ami de
mes parents. Je la rencontre et elle me dit: ‘J’ai commencé à travailler sur
l’astrologie.’ Et moi: ‘Mais qu’est -ce que tu racontes?’ ... Encore autre
chose qui pour moi était de la bêtise, n’est-ce pas? Et alors elle a décidé de
faire ma carte astrale... Tout ça avant que je parte à Minas pour mon
processus... Elle a fait ma carte et on était toutes les deux ébahies. J’ai un
ensemble d’énergies qui me montrent comme quelqu’un de très extraverti,
qui communique avec aisance, mais au fond je suis très retenue, avec une
nature intérieure tout à fait différente. (...) Ça, je le savais, mais je pensais
que c’est pas une chose que les gens perçoivent (...) Elle a fait aussi ma
221
L'acceptation d'un nouveau "disciple" de Rajneesh se réalise à Poona, lorsque le
prétendant fait savoir qu'il aspire au sânias (sânnyas), c'est-à-dire quand il demande à être
intégré. Cette demande est faite par lettre manuscrite et accompagnée d'une photo. Quand
Osho était encore vivant, il analysait directement les demandes, avec ses assesseurs les plus
proches. Actuellement, c'est un groupe de quelque dix "maîtres" qui les analyse. Dès lors que
la personne est acceptée, elle est rebaptisée d'un nouveau nom, dont le sens synthétise en
général l'apprentissage que devra réaliser cette personne durant sa vie.
révolution solaire222 de l’année et a identifié tout le processus que j’étais en
train de vivre... une espèce de renaissance. Et c’est ça qui est arrivé
effectivement. (...) Quand le premier groupe a fini son travail, à São
Lourenço, je suis restée encore un temps là-bas. Il y avait trois livres
d’astrologie et j’avais ma carte. Je n’y comprenais rien, mais je suis
curieuse et j’ai commencé à déchiffrer... a étudier. (...) J’ai étudié un temps
toute seule, j’allais dans les librairies... mais je trouvais les livres un peu
caricaturaux. Il y en avait deux que j’ai commencé à étudier (...) Un jour à
Porto Alegre, je rentrais chez moi, je marchais comme ça, un peu distraite,
et j’ai renversé une enseigne. Une de ces enseignes qu’on met sur le trottoir,
tu sais? En la remettant à sa place, j’ai remarqué qu’elle était devant un
petit magasin qui venait d’ouvrir, une librairie d’astrologie... Je me suis dit:
‘C’est pas possible!’ Je suis rentrée et c’est là que j’ai rencontré mon futur
prof d’astrologie!
Il était l’élève de Dona Emi223... J’ai commencé le cours en 86 ou 87,
et ça a duré plus d’un an.(...) Et puis on a formé un groupe d’études, et puis
il est parti. (...) J’ai eu l’opportunité d’aider dans les Fischer (FischerHoffman) en faisant des cartes astrales et en suivant le travail des
personnes... (...) Ce n’est qu’en 88, 89 que j’ai commencé à travailler
professionnellement, et à faire payer. Mais je ne me sentais pas encore en
condition... Je me rappelle que ma première carte a été pour un type de
Novo Hamburgo 224 , que je n’avais jamais vu avant. Je préfère comme ça,
parce qu’on reste plus neutre. (...) Quand je fais la carte de quelqu’un, je le
fais avec les déplacements planétaires225... Parce que la carte natale, c’est
l’être de la personne. Les déplacements, eux, vont parler du moment, du
moment de cet être.(...) J’aime que les gens reviennent avec au moins un
espace d’un mois entre une séance et l’autre. Pour leur donner le temps
d’assimiler, d’élaborer, de revenir en pouvant poser des questions. (...)
J’ai fait une année d’Histoire [à l’université]. Je ne voulais pas faire le
cours de Journalisme, parce que mon père était journaliste et...J’avais fait
une option Oceano [Océanologie]... et j’ai fini par commencer le cours
d’Histoire... Et puis, je suis partie pour faire Journalisme, deux, trois ans,
avec beaucoup d’interruptions. (...) Pendant deux ans j’ai travaillé dans
l’informatique, les prestations de services. Mais, j’en ai eu marre. Les
prestations de service par ordinateur, c’est de la répétition, c’est chiant!
Mais tu vois, Sônia? C’est pas évident pour quelqu’un qui a ma formation
d’assumer ... d’être astrologue... Parce que c’est pas quelque chose
222
Calcul de la situation astrologique au jour du dernier anniversaire, ce qui permet de faire
projections et de comprendre les principales influences astrologiques pendant une année.
223
Dona Emi est l’astrologue allemande dont nous avons déjà parlé, qui a formé tout une
génération d’astrologues à Porto Alegre.
224
Ville qui fait partie de la ceinture industrielle de Porto Alegre, et qui compte une
population largement ouvrière.
225
C’est le calcul de la carte actuelle de la personne.
d’accepté... Quand on n’a pas cet aval, c’est dur, mon père ne comprend
pas. Il sait que je ne suis pas un charlatan, il connaît sa fille. (...) Mais il
pense que c’est de la folie. Ça fait mal de voir les personnes que tu
considères ne te prenant pas au sérieux. D’accord, ce sont eux qui sont
limités, mais ça me donne une immense insécurité d’assumer vraiment la
chose... Pour parler concrètement, c’est comme ça: l’astrologue est un
charlatan. (...)
Ceux qui vivent de l’astrologie sont peu nombreux (...) C’est difficile
de vivre de l’astrologie, parce que tu reçois quelqu’un, et il ne va revenir
que l’année prochaine. Alors, comment garantir un revenu stable? (...) Je
travaille dans le *** 226 (...) Ce n’est pas de la thérapie, c’est la découverte
de l’être, de ton essence, tu comprends? Je crois que la nomenclature et la
connotation de thérapie sont déjà dépassées. (...) Dans cette question des
control mind, de la neurolinguistique227 ... c’est toujours le mental qu’on
valorise. C’est le principe de la pensée positive, c’est le ‘sois prospère’...
C’est du best-seller, tout le monde l’achète... Je crois que c’est un des
grands défis que l’humanité doit affronter, c’est un des trous noirs où
l’homme s’égare et s’éloigne de lui-même. (...) Tu vis dans un monde où il
faut produire, il faut avoir de l’argent, avoir du succès. C’est la grande
déformation. L’Etre, c’est pas ça. L’année dernière j’ai eu envie de revenir à
l’analyse... junguienne. Parce que le cacique des junguiens, c'est une femme
d’ici, de Porto Alegre. Une femme très intéressante: elle écrit, peint, crée.
(...) Mais c’est hors de portée pour mes revenus: 50 dollars l’heure. (...)
Je conseille [à certains clients de faire une psychothérapie]... Je
travaille avec les essences florales... Je travaille avec quelqu’un parce que
je ne me sens pas assez sûre pour travailler toute seule... Alors j’échange
avec un ami psychologue qui travaille depuis deux, trois ans. Je fais les
cartes de ses patients du cabinet... Et lui, je lui explique la situation... et bon,
cette essence-là sert à ça, celle-là à ça, et on s’organise ensemble. (...) Je
veux faire le cours de Médecine... Comme ça je vais vraiment apprendre, je
ne vais pas perdre mon temps. (...) C’est important pour l’être humain, la
question du corps.(...) L’année dernière j’ai décidé d’utiliser davantage mon
nom Kátia [nom de naissance]. Avant j’utilisais davantage mon nom sânias.
C’est un processus personnel... J’ai eu besoin de retrouver les valeurs du
monde, le contact avec le monde. (...) J’ai besoin de faire ce cheminement
dans le monde...
2.b) Une lecture anthropologique du récit
226
Centre de Méditation où reçoivent aussi des tarologues, des astrologues, des masseurs et
autres thérapeutes alternatifs.
227
Elle se réfère aux thérapies basées sur la neurolinguistique.
Ce que présente ici la narratrice au-delà de la séquence des événements vécus,
au moment même de son énonciation, ce sont une auto-représentation et une réflexion
sur son histoire récente, liées à l’itinéraire qu’elle a suivi dans l’univers des thérapies
néo-religieuses et pour devenir astrologue.
D’autre part, le cheminement de Kátia soulève des questions qui concernent le
cadre plus élargi de l’expérience collective, d’autres parcours personnels dans les
cultures thérapeutiques et spirituelles.
Tout au long de son récit et dans la succession qu’il retrace des thérapies, des
cours de formation et des événements qui l’ont amenée à devenir astrologue, on perçoit
un conflit récurrent et qui constitue en quelque sorte le noyau dramatique du récit de son
histoire personnelle. Ce conflit est annoncé dès la première phrase: «Je viens d’une
formation très sceptique». On retrouve des signes de l’influence qu’a eue cette formation
sur son cheminement dans toute son histoire: le père journaliste, la référence au
marxisme, les sept ans de psychanalyse. Son parcours a été une bataille contre ce
«scepticisme», contre une «tête trop envahissante» qui ne peut se garder de tout juger, et
contre un rationalisme exagéré.
D’autres font cette même critique au «rationalisme» (de la science, de la gauche,
de la psychanalyse, etc.), exprimant ainsi une attitude contestataire et une réprobation
vis-à-vis du mode de vie et des valeurs prédominants chez une partie des classes
moyennes brésiliennes et, à une autre échelle, dans la gauche.
Comme pour tous ceux qui ont intégré cet univers, l’itinéraire de Kátia débute
sur une crise. La crise est une notion commune aux différents discours, où elle est vue
comme le moment qui va déclencher le besoin de suivre une thérapie. Les causes de la
crise et la façon dont elle est vécue changent d’une personne à l’autre. Il pourra s’agir
d’un conflit survenu dans la vie conjugale ou amoureuse, d’une remise en question en
tant que militant de gauche, de difficultés dans la profession, ou simplement d’un
moment de malaise psychique et émotionnel vague et indéfinissable. Mais, plus qu’une
explication à la décision d’entreprendre une thérapie, la crise est la signalisation, dans
chaque histoire personnelle, du moment où commence une quête spirituelle.
Le choix d’une thérapie alternative apparaît, dans la narration de Kátia, en même
temps comme le produit du hasard 228 , de l’influence de quelques-uns de ses proches229
qui connaissaient déjà ces thérapies et de sa défiance à l’égard de la psychanalyse.
Cependant, comme cela se passe parfois, c’est le premier contact occasionnel avec un
néo-thérapeute qui va bouleverser sa façon de voir les choses. Elle vivra l’examen (la
«lecture») que fait de son corps ce spécialiste d’un autre genre comme un moment de
révélation. C’est le fait que certaines vérités - qu’elle ne méconnaissait pourtant pas - lui
aient été annoncés par quelqu’un d’autre, qui la voyait par la première fois, qui a donné
aux paroles de celui-ci l’effet d’une révélation. Sa narration signalera par ailleurs
d’autres moments «révélateurs».
Cette première expérience, qui est parfois décrite avec une grande richesse de
détails, s’avère particulièrement importante dans les histoires personnelles, parce qu’elle
apparaît comme le moment où, pour chacun, s’est ouverte une porte sur un nouvel
itinéraire spirituel. Quelquefois, un fait apparemment anodin gagne dans les récits
l’importance d’une illumination. Un saniase raconte ainsi que son premier contact avec
le mouvement néo-sannyas s’est opéré à travers un livre de Rajneesh trouvé sur les
étagères d’une librairie de livres d’occasion de Porto Alegre: c’est le regard du maître de
la photo de couverture qui a attiré son attention, lui a fait acheter le livre et découvrir un
«autre univers». Peu de temps après, il partait pour l’ashram de Poona, en Inde.
Pour Kátia, la première expérience révélatrice se rapporte à elle-même: à la vérité
intérieure et aux sentiments refoulés que lui dévoilera le décrypteur de son corps. Tout
ce qu’elle ne parvenait pas à dire était inscrit sur et dans son corps, et le thérapeute
décèlera en dix minutes ce que la psychanalyse aurait mis des années à découvrir (parce
que centrée sur le discours verbal). Le moment d’après, elle devait exprimer ses
sentiments refoulés: frapper dans la main du thérapeute, fermer les yeux et dire à son
père ce qu’elle avait à lui dire. Nous retrouvons dans d’autres récits cette même image
228
Le «hasard» va d’ailleurs intervenir en d’autres moments de son histoire. Quand, par
exemple, le fait de renverser une enseigne lui permet de rencontrer son futur maître en
Astrologie.
229
Je veux dire du réseau d’amitiés au sein duquel circulent certaines informations, où l’on
commente ses problèmes et où l’on partage les conflits et les souffrances.
de
la
délivrance
et
de
l’épanchement
émotionnel
provoqués
par
le
travail
thérapeutique 230 , qui sont souvent décrits par l’expression por pra fora (faire sortir de
soi, littéralement: «mettre au-dehors»): on crie, on pleure, on agite son corps, on vomit
(dans les séances d’ingestion du Santo Daime).
D’autre part, cette première expérience signifie aussi une rupture: il s’agit d’une
«expérience forte», une sorte d’expérience-limite qui bouleverse son protagoniste. Cette
expérience à caractère initiatique peut être vécue dans le cadre de toutes sortes de
séances ou de rituels: une interprétation de la carte astrale, un hinário du Santo Daime,
une séance de méditation, une lecture du Tarot, etc.
Il est intéressant de noter l’importance qu’a prise le processus Fischer-Hoffman
(et l’anti-Fischer) à Porto Alegre, en tant que première expérience d’initiation d’un
grand nombre de personnes appartenant à une certaine génération. Aujourd’hui, et tout
particulièrement ces trois dernières années, ce premier moment d’initiation se tourne
davantage vers les séances nocturnes du Santo Daime réalisées au Cantagalo.
La force de cette première expérience initiatique semble être d’autant plus
intense que s’accroissent ce que les protagonistes appellent les «résistances» et les
«défenses» de la personne face à la perspective d’abandon des
anciens standards de
comportement et de pensée pour se livrer au processus «de connaissance de soi» et de
«croissance personnelle». Kátia revivra cette rupture en deux autres moments, alors
qu’elle participait à des ateliers de Fischer-Hoffman dans l’état de Minas. Différemment
de sa première expérience, où ce qu’a dévoilé la lecture corporelle concernait son
histoire personnelle et sa vie émotionnelle, les deux expériences suivantes sont plutôt
liées à la sensibilité religieuse ou spirituelle et apparaissent manifestement comme des
moments initiatiques: l’«apparition» du maître Rajneesh, et l’incorporation de l’esprit de
sa mère par l’un de ses collègues d’apprentissage.
Ces deux épreuves, au contraire du diagnostic fait à travers la décryptage du
corps, échappent totalement aux explications scientifiques et se présentent donc comme
des expériences d’empreinte nettement mystique ou religieuse. Elles auraient été pour
elle «la seule manière de découvrir cet autre monde». La vision du Maître est la
230
Voir, à ce propos, Champion et Hervieu-Léger, 1990.
première occasion où elle a éprouvé la dimension religieuse et initiatique de son choix,
le moment ayant ouvert la voie qui l’amènera plus tard à demander le sânias. Cependant,
c’est la deuxième de ces expériences qui va le plus bousculer ses références. La présence
de l’esprit de sa mère, incorporé par l’ un des participants du groupe, qui est kardéciste,
la ramène à son histoire personnelle et au traumatisme qui l’a frappé dans son enfance:
la mort de sa mère quand elle n’était qu’une fillete de six ans. La notion d’incorporation
ne fait pas partie du cadre des expériences spirituelles ou mystiques des saniases: elle
relève de la cosmovision du spiritisme kardeciste et a été empruntée par d’autres
religiosités telles que l’umbanda. Cependant, elle intègre une «doxa» commune aussi
aux nouvelles spiritualités; c’est une notion très connue et utilisée même pour ceux qui
ne participent pas à des séances spirites ou umbandistes. J’ai ainsi rencontré à Porto
Alegre des disciples de Rajneesh qui étaient des kardécistes pratiquants et participaient à
des séances d’incorporation dans les centres spirites de la ville.
Kátia va reconnaître une «raison» de fond à cet événement: seule une expérience
aussi forte que celle de l’incorporation de l’esprit de sa mère, en présence d’autres
témoins susceptibles de confirmer une occurrence débordant le cadre des expériences
saniases, pouvait remettre en question son scepticisme et ses préjugés. La «présence»
d’un esprit, qui plus est attestée par des personnes extérieures, remet effectivement en
cause tous les postulats du discours scientifique sur la vie et sur la mort. Il s’agit là d’une
expérience nettement religieuse, vécue dans le cadre d’un travail thérapeutique.
Mais si ces deux événements vont apparaître dans son récit comme l’annonce de
son entrée dans cet «autre monde» des thérapies et de la quête spirituelle, le conflit du
départ, lui, ne disparaît pas. Son récit, est aussi le dessin d’une trajectoire non linéaire,
pleine de zigzags et de fourvoiements.
Une autre caractéristique commune à la plupart des itinéraires de cet ordre est la
façon dont advient la formation des thérapeutes. Pour Kátia, l’acquisition de son savoir
thérapeutique ne s’est pas limité à celle de connaissances astrologiques. Ses diverses
expériences thérapeutiques, en tant que patiente, l’ont habilitée à devenir peu à peu ellemême thérapeute. Se transformer en thérapeute et demander le sânias sont apparus
comme deux dimensions indissociables de son parcours: son itinéraire thérapeutique se
confond avec sa quête de spiritualité.
La tension entre son scepticisme (et sa formation intellectuelle) et son itinéraire
spirituel va se faire présente dans tous les moments de son parcours. Elle décide de
suivre le cours de São Lourenço en dépit du fait que le thérapeute est un saniase. Avant
d’y aller, elle passe à Rio, où elle consulte son ancien psychanalyste - elle a besoin en
fait de son autorisation pour entrer dans un processus thérapeutique étranger à la
psychanalyse. Elle est ensuite «réprouvée» après la première série de cours231 ; elle est
versatile et inconstante dans sa relation avec la communauté formée à São Lourenço.
Ce même type de conflit apparaîtra par rapport à son travail d’astrologue: elle a
du mal à se professionnaliser, craint les critiques de son père et de son entourage social
d’origine - qui s’inscrit dans une certaine élite intellectuelle du «centre»232 du pays. C’est
elle même qui va identifier sa difficulté à percevoir de l’argent pour son travail comme
l’un des symptômes de sa réticence à s’assumer comme astrologue. C’est là encore un
point récurrent dans les récits de thérapeutes alternatifs. Il y a en général un décalage
entre, d’un côté, le moment de la formation et le début de la pratique thérapeutique, et,
de l’autre, celui où la personne décide de se professionnaliser et recevoir un paiement.
Au début, cette pratique s’adresse parfois aux
amis et parents, ce qui permet de
perfectionner la technique apprise. Et cet échange n’a pas de valeur commerciale, ni
celle d’une prestation de service.
Kátia exprime dans sa relation à l’astrologie une incessante quête de légitimité et
d’affirmation du sérieux de son métier. Ainsi, l’incorporation à son travail d’astrologue
des essences florales et la collaboration qu’elle a établie avec un ami psychologue - un
231
Elle utilise le mot «réprouvée» par allusion à l’enfant qui échoue à l’école. En fait, dans ce
genre de cours à caractère thérapeutique, il n’y a ni approbation ni réprobation. Dire qu’elle a
été réprouvée, c’est dire que son maître ne lui a pas donné son aval pour poursuivre dans
d’autres processus plus avancés, ou même devenir thérapeute, sans refaire le cours. Une
expression utilisée par Kátia pour définir cette défaite est qu’elle n’étais pas arrivée «à
nettoyer la chose», ce qui remet au sens de la purification et de la purgation qui ne sont pas
accomplies.
232
Ce qu’on appelle en général le «centre» du pays n’en est pas le centre géographique du
Brésil, mais la région ayant la plus grande concentration de population et d’industries. Rio de
Janeiro et São Paulo sont les deux pôles de cette région.
échange, donc, avec un professionnel de la psychothérapie, et qui dure depuis trois ans non seulement la rassurent dans l’élaboration de ses pronostics et l’administration
d’essences florales, mais impriment en outre un caractère sérieux à sa pratique. En
échange, elle fournit à cet ami psychologue des orientations astrologiques concernant ses
patients.233 Au moment où nous nous sommes rencontrées, elle projetait de faire le cours
de Médecine et d’obtenir ainsi la légitimation officielle et définitive de son métier de
thérapeute. 234
Ici, encore une fois, nous pouvons identifier une attitude commune à d’autres
thérapeutes alternatifs: l’échange avec des psychologues et des médecins homéopathes,
avec qui ils partagent fréquemment le même cabinet. Dans le cas des astrologues, c’est
là une façon de souligner le caractère thérapeutique de leur travail.
Les différentes dimensions du vécu de Kátia dans cet univers se complètent l’une
l’autre: la reprise d’un processus thérapeutique après sa crise de couple, sa formation en
tant que thérapeute et son entrée dans la communauté des disciples de Rajneesh, qui sera
formalisée par sa demande de sânias à un moment
donné de son parcours. Cette
extension de la situation thérapeutique aux autres dimensions de la vie conduit un
nombre significatif de personnes ayant suivi un parcours semblable à un état de l’être où
faire une (ou des) thérapie(s) devient leur condition et leur raison d’existence. Devenir
thérapeute, c’est l’aboutissement probable et parfois incontournable de ce type de trajet.
Ceci n’est pas qu’une particularité de la communauté saniases, même si elle est la plus
structurée en termes d’offre, à ses adeptes et sympathisants, d’espaces de méditation, de
thérapie et de formation, et en regard de l’adoption d’un nouveau nom pour signaler
l’entrée rituelle dans cet «autre monde» de quête spirituelle. On peut en effet identifier
des
niveaux
différents
de
participation
et
d’engagement
dans
cette
«culture
thérapeutique néo-religieuse». Sa large portée permet de rassembler dans un même
contexte l’individu qui est devenu thérapeute professionnel et qui s’est reconstruit une
233
Dans ce moment elle avait même commandé des cartes de visite portant son nom, sa
profession (astrologue) et les coordonnées du Centre de Méditation où elle donne une partie
de ses consultations (les autres ayant lieu chez elle)
234
Au moment de notre rencontre, elle était d’ailleurs angoissée à l’idée de ne pas avoir étudié
pour ses examens.
identité à partir de cet engagement, et l’individu dont l’expérience se résume, par
exemple, à une seule consultation auprès d’un astrologue, tous deux partageant un
dialecte commun pour «parler de soi».
Le répertoire étendu de ces thérapies permet un grand éclectisme dans les vécus
personnels qui s’y croisent, et la rencontre avec des expériences relevant des univers
religieux et spirituels traditionnels. Les saniases eux-mêmes recherchent des expériences
dans des domaines tels que le spiritisme kardéciste, le Santo Daime ou l’umbanda.. Il est
difficile de trouver quelqu’un qui, durant son parcours au sein de ces thérapies, n’ait pas
expérimenté différentes techniques et écoles thérapeutiques à un moment ou à un autre.
Chaque nouvelle expérience signifie la possibilité d’acquérir une nouvelle technique
pour un futur travail de thérapeute. Cet éclectisme va ensuite se manifester du côté des
thérapeutes, qui combineront différents procédés et lignes de pensée dans leur pratique:
l’astrologie et les essences florales, dans le cas de Kátia.
Pour finir, il importe de noter l’aboutissement des récits. Kátia, qui dit avoir
utilisé pendant quelque temps son nom de sânias pour marquer son fort attachement à un
certain apprentissage spirituel, et l’établissement d’une filiation formelle autre que
paternelle, décidera ainsi par la suite de reprendre son «nom du monde», c’est-à-dire
son nom de naissance, comme forme de retrouvailles avec «les valeurs du monde», de
reprise de contact avec le monde. Reprendre le «chemin du monde» a coïncidé avec sa
décision de professionnaliser son travail d’astrologue et de thérapeute des essences
florales, et de légitimer sa propre pratique thérapeutique.
La plupart des récits et des histoires personnelles que j’ai entendus pendant la
recherche de terrain aboutissent à la référence d’un retour au «chemin du monde».
Comme on le verra, ce retour prend des significations différentes pour chacun. Pour un
autre ex-saniase, qui s’était rendu à Poona à un moment de sa trajectoire et, plus tard,
avait commencé une formation de thérapeute, d’abord dans la méthode anti-Fischer et
ensuite dans la pratique reichienne, la reprise de son «être dans le monde» a signifié une
rupture et l’abandon de son passé saniase, l’achèvement de sa formation universitaire et
le début d’une vie professionnelle en tant qu’enseignant, et enfin la reprise de la
psychanalyse en tant que patient. C’est-à-dire que le récit de son parcours finit sur une
nouvelle rupture (et un nouveau changement), cette fois avec les thérapies alternatives et
sa «quête spirituelle». Il s’agit là d’une histoire singulière parmi d’autres, qui nous
donnera des éléments importants pour penser l’expérience collective en la matière.
CHAP. 3 - QUATRE EXPERIENCES THERAPEUTIQUES
Le choix d’une approche de la personne, de son expérience thérapeutique et
spirituelle et de la signification donnée à cette expérience implique que l’on se pose la
question de savoir comment parvenir à cette personne et à son expérience. Toutes les autres
démarches sont liées à cette perspective. Ainsi, la description de la situation et du travail
thérapeutique et spirituel s’attacheront moins à la technique ou aux mécanismes
thérapeutiques en soi ou aux doctrines particulières qu’à comprendre la façon dont ils sont
vécus par les individus. Notre objectif vise ainsi moins la thérapie ou la doctrine que le
vécu thérapeutique de ceux qui s’y inscrivent, d’autant plus que ce vécu dépasse
l’«expérience clinique», c’est-à-dire la séance thérapeutique. De la même façon que, dans
ce même univers, le vécu religieux va au-delà de l’«expérience rituelle».
Il y a une différence entre l’expérience thérapeutique et religieuse globale vécue par
un individu et les diverses expériences singulières dans ce même domaine. Ces dernières
sont en apparence désordonnées, plurielles et variées, souvent contradictoires. Par contre,
l’expérience prise au singulier sera le résultat ou le produit du sens donné aux différentes
expériences: elle implique une autoréflexion préalable sur celles-ci; elle est le fil qui réunit
et tisse ces vécus pour en faire un récit de vie, et qui constitue l’essence même de ce récit.
Mais elle s’actualise et se modifie aussi à chaque nouvelle expérience thérapeutique et/ou
spirituelle.
Ici, nous allons décrire quelques situations et expériences singulières concernant
différentes thérapies et travaux spirituels.
Les différentes expériences thérapeutiques et spirituelles alternatives peuvent être
classées selon trois moments distincts, qui se combinent de façon particulière dans la
trajectoire de chaque individu: a) les consultations individuelles, où se reproduit en partie la
structure traditionnelle de la médecine ou des psychothérapies, du moins au plan formel de
la rencontre entre le patient et son thérapeute; b) les divers types d’expérience collective de
travail thérapeutique et de croissance spirituelle, et qui prennent généralement place sous la
forme de cours, d’ateliers, de méditations de groupe, etc., mais aussi de rituels religieux; c)
l’expérience qui s’étend sur une longue durée dans l’histoire personnelle.
Ces trois moments du vécu thérapeutique sont inséparables du point de vue de
l’expérience individuelle. Ils font partie d’un développement personnel unique, décrit
comme la quête de dépassement d’une crise et d’un malaise, le besoin d’harmonie, de bienêtre personnel et de contact avec une dimension plus spiritualisée de la vie.
La troisième forme du vécu thérapeutique néo-religieux, qui concerne la condition
thérapeutique et les itinéraires individuels, sera traitée dans le chapitre 5. Elle concerne tout
d’abord le vécu du travail thérapeutique-spirituel en tant qu’état de l’être et style de vie de
certains segments des populations urbaines brésiliennes. Cette expérience touche aussi à
l’incorporation de cette culture thérapeutique néo-religieuse
aux autres sphères de la vie,
au partage d’un langage commun d’expression de soi, au vécu d’un état de l’existence
marqué par l’être en thérapie et par le soin permanent de soi. Cette expérience peut
signifier enfin la participation et l’identification à une communauté spirituelle ou religieuse
définie, ce qui ajoute encore un élément à ce nouveau style de vie: l’«être saniase», l’«être
daimiste», etc.
L’individu donne un sens thérapeutique à toutes les actions et à tous les moments de
sa vie: des choix alimentaires aux vécus affectifs, de l’organisation du quotidien au genre
de travail réalisé. Il y a néanmoins, dans toutes ses activités, une dimension personnelle qui
est directement liée à la réalisation d’un travail thérapeutico-spirituel, à la pratique d’une
technique
particulière.
Celle-ci
serait
l’«expérience
clinique
ou
rituelle»
du
vécu
thérapeutique-spirituel.
Ici nous allons décrire quelques expériences liées aux deux situations de ces
expériences: les consultations individuelles et les séances collectives.
1. Séances et consultations individuelles
Les consultations individuelles faites auprès d’un thérapeute ou spécialiste des
techniques «parallèles» sont un moment important dans les itinéraires personnels. Ces
rencontres, qui réunissent le client ou patient235 et le praticien, peuvent avoir des
dynamiques et des styles très variés d’un thérapeute à l’autre. L’éventail de ces possibilités
est large: il va des techniques informelles jusqu’à des actes d’un grand professionnalisme.
La façon informelle prédomine chez les praticiens qui n’ont pas de cabinet, reçoivent leurs
clients chez eux, n’ont pas de carte de visite et exercent le métier comme activité
secondaire ou pour arrondir leurs revenus. Cette façon
informelle interfère aussi dans la
terminologie qu’ils utilisent pour définir leur travail. Dans de nombreux cas, ils ne
s’identifient pas en tant que thérapeutes et n’emploient même pas ce mot pour désigner leur
activité. Ils préfèrent appeler leurs consultants «clients» plutôt que «patients». De plus, ils
éprouvent des difficultés à établir le prix des consultations, et même à percevoir un
paiement pour leur travail. Quant aux plus professionnels, ils ont en général un cabinet,
vivent de leur travail, se considèrent thérapeutes, ont des «patients», etc.
Dans les histoires de vie, apparaissent des signes subtils de passage de l’informel à
la professionnalisation. L’un de ces signes, très récurrent, est l’utilisation d’une carte de
visite où figure la spécialisation ou l’activité exercée: astrologue, masseur, thérapie florale,
etc. Cet aspect, dans un certain sens, concerne la formation ou l’activité initiale du
thérapeute alternatif. On trouve ainsi, d’une part, ceux qui, ayant déjà une formation
formelle de thérapeute et exerçant
cette profession (les psychologues, les médecins, les
masseurs, etc.), ont commencé à incorporer des techniques et des savoirs marginaux à leur
pratique médicale officielle. J’ai rencontré plusieurs psychologues, de tendance junguienne
surtout, qui s’étaient intéressés à l’astrologie ou aux fleurs de Bach et avaient entrepris de
les intégrer à leur travail. Un autre exemple est celui des médecins généralistes qui, après
avoir adopté l’homéopathie, ont commencé à recourir aux élixirs floraux, aux photos
Kirlian et parfois même à l’astrologie.
235
La terminologie change d’un spécialiste à l’autre. Il y a ceux qui utilisent le mot «client»,
et ceux (qui se définissent eux-mêmes comme thérapeute) qui préfèrent le mot «patient». Ce
choix tient à l’identité du praticien et fait aussi partie de ses stratégies aussi bien
d’identification et d’affirmation professionnelle que de structuration de son identité.
D’autre part, nous avons des thérapeutes sans formation médicale dont l’intérêt s’est
porté dès le début sur les pratiques parallèles, et qui se sont ensuite intéressés aux
techniques thérapeutiques traditionnelles. Beaucoup d’entre eux ont débuté comme patient
avant de devenir thérapeute.
Il est important de prendre en compte cette variété de styles et de formation pour
comprendre la dynamique des consultations et la façon de travailler de chacun. Néanmoins,
certaines caractéristiques communes distinguent ces praticiens alternatifs des thérapeutes
conventionnels, de la même façon que les nouvelles spiritualités s’éloignent des formes
traditionnelles de religiosité.
Pour ce qui concerne les clients, le fait de consulter par la première fois un
thérapeute alternatif représente un moment significatif de leur vie, où sont abordés des
problèmes qui touchent profondément à leur vie, à leur façon d’être, à leur rapport aux
autres, à leur manière de résoudre les difficultés de tout ordre. Le travail thérapeutique ne
saurait d’ailleurs se limiter à une seule séance. L’étalement du travail sur plusieurs séances
et même la périodicité des consultations sont l’un des traits qui rapprochent les thérapies
parallèles des procédures typiques de la médecine et des psychothérapies plus orthodoxes.
La plupart des astrologues, par exemple, font au moins deux séances de lecture de la carte
astrale, la première pour interpréter les questions dites plus «structurales»236, et l’autre pour
lire la «révolution solaire» et les aspects présents et futurs les plus immédiats. L’emploi des
élixirs floraux
nécessite un suivi régulier du client, pour évaluer les effets des remèdes,
modifier ou renouveler l’ordonnance, etc. En revanche, la TVP (Thérapie des Vies
Antérieures) pourra avoir lieu une seule fois, ou s’étaler sur plusieurs séances très
sporadiques.
Bien évidemment, cette dynamique change d’un thérapeute à l’autre. Une certaine
astrologue de Porto Alegre reçoit ainsi ses patients une fois par semaine, et son travail
astrologique
devient
graduellement
un
travail
thérapeutique
s’apparentant
aux
psychothérapies traditionnelles de longue durée. D’autres astrologues se limiteront à
236
C’est-à-dire l’ensemble des influences déjà présentes au moment de la naissance de
l’individu, et des aspects les plus archaïques de sa personnalité.
quelques séances de lecture et d’interprétation de la carte astrale, à l’issue desquelles ils
prescriront des essences florales 237 .
Par ailleurs, les clients créent eux aussi leur propre dynamique personnelle dans
l’utilisation du large répertoire thérapeutique qui est mis à leur disposition. On trouve ainsi
ceux qui fréquentent un seul thérapeute et mènent avec lui un travail systématique et
approfondi, tandis que d’autres (les plus nombreux) expérimentent divers types de
thérapies, même s’ils réalisent un travail plus systématique autour d’une technique
particulière. D’autres encore décident d’approfondir une thérapie pour devenir eux-mêmes
thérapeutes dans cette branche.
Il est clair que dans le cadre exigu de ce travail nous ne pourrons développer
chacune des formules trouvées par les clients pour composer leur propre répertoire. Nous
nous contenterons de décrire plus longuement un cas singulier de travail individuel et de
mentionner d’autres exemples à titre comparatif, afin de construire quelques généralisations
sur le sens de ces expériences.
1.a) Astrologie et fleurs de Bach - Kátia et sa cliente
L’astrologue dont le récit de vie a été partiellement transcrit dans le chapitre
précédent reçoit ses clients sur deux séances: la première pour faire la lecture et
l’interprétation de leur carte astrale et de leur révolution solaire, et l’autre pour enlever
leurs doutes et répondre à leurs questions. Kátia n’est pas d’accord avec le principe
consistant à réaliser des séances systématiques et un travail de longue durée, ceci pouvant
engendrer selon elle une relation de dépendance entre le client et l’astrologue. Sa méfiance
vis-à-vis de tels astrologues exprime même un certain esprit critique à l’égard de
237
L’utilisation des fleurs de Bach comme outil dans le processus thérapeutique semble avoir
gagné de l’importance ces dernières années parmi les différents thérapeutes. Médecins,
psychologues, astrologues, ou simplement spécialistes des essences florales, l’éventail de
ceux qui y recourent est de plus en plus large. La découverte récente de nouvelles essences
(de la Californie, mineiras ou du désert) a permis d’accroître la flexibilité de leur emploi.
Pour l’instant, n’importe qui peut prescrire ces essences, mais certains thérapeutes alternatifs
redoutent le moment où les professionnels de la santé vont revendiquer un droit de regard
exclusif sur les élixirs, comme cela se passe aujourd’hui pour l’homéopathie.
l’astrologie: celle-ci est un instrument parmi d’autres de croissance personnelle, et non pas
la panacée. Néanmoins, depuis qu’elle a commence à prescrire des Fleurs de Bach à ses
patients, elle a été amenée à son tour à les voir plus fréquemment.
En dehors de cette astrologue, j’ai pu avoir une série de conversations avec l’une de
ses clientes, Olívia. C’est d’ailleurs elle qui m’avait mise en contact avec Kátia. Celle-ci
avait fait sa carte astrale et lui avait prescrit quelques élixirs floraux, dans le but de l’aider à
travailler quelques unes de ses difficultés.
Olívia a une grande capacité de s’exprimer à travers des images et des allégories qui
donnent vie à son récit, et qui lui permettent de retracer avec une rare clarté son histoire
personnelle. Militante de gauche au début des années 80, elle abandonnera l’action
politique en 1985. Actuellement elle possède un magasin dans le quartier de Bonfim238, à
Porto Alegre, et s’efforce de finir ses études universitaires. Parallèlement à la tenue de son
magasin, elle exécute de petits travaux liés à ses études. La rencontre avec Kátia s’est
passée le jour où celle-ci, utilisant les services de son magasin, a du remplir un formulaire
avec ses données personnelles. Et c’est la mention «astrologue» inscrite dans l’espace
réservé à la profession qui a éveillé sa curiosité.
Jusqu’à ce jour, Olívia n’avait eu qu’un contact occasionnel avec l’astrologie. L’une
de ses amies, à l’époque où elle militait, lui avait fait sa carte astrale. Mais elle s’était
toujours méfiée de «ce genre de chose», et surtout des «thérapies neurolinguistiques, qui
cherchent des résultats trop immédiats»239 . Elle avait de l’astrologie une vision non moins
critique. Une autre de ses connaissances a refait récemment sa carte astrale. Selon elle, cet
ami avait alors «projeté totalement son impression personnelle dans l’interprétation de la
carte», allant jusqu’à expliquer son refus de céder à ses avances par des aspects la
définissant comme «astrologiquement homosexuelle».
Pour la débarrasser de la mauvaise impression qu’elle gardait de l’astrologie, Kátia
s’est proposée de faire une lecture professionnelle de sa carte astrale, une lecture qui devait
238
Quartier habité par des classes moyennes, proche du centre-ville et accueillant diverses
activités culturelles et alternatives. Voir la note 113 du chapitre 1.
239
Elle parle des thérapies qui utilisent les techniques de la Programmation Neurolinguistique
(PNL).
requérir théoriquement deux séances de deux heures. Elle consacrera la première à
l’interprétation de la carte, et l’autre, qui interviendra quelques semaines plus tard, devait
amener sa cliente à éclaircir tous les doutes et toutes les questions apparus après la première
conversation. Cependant, cette première séance durera près de quatre heures.
1.a.1) Le récit de la patiente
Olívia raconte qu’elle a beaucoup aimé l’atmosphère de la maison de Kátia en
arrivant pour la première consultation. Celle-ci l’a reçu de façon informelle: «Assieds-toi,
fais comme chez toi. On va causer un peu, je vais préparer un chimarrão240 , d’accord?»
Globalement, le bilan que fait Olívia de ce premier rendez-vous est positif. Elle
jugera Kátia «professionnelle» et sa lecture «très sérieuse» - elle fera ce commentaire tout
en soulignant qu’elle est restée une «sceptique innée»241 . Selon elle, la première évidence
de la compétence de l’astrologue est qu’elle a diagnostiqué correctement sa situation
actuelle, en identifiant sa crise et le moment par lequel elle était en train de réévaluer
totalement sa vie.
«Ah! elle calcule aussi les aspects d’aujourd’hui, de la journée,
pour faire une évaluation du moment astrologique, hein? Quand on a
commencé à parler, elle a dit: ‘Ecoute, on va parler de ta carte astrale
après. Pour l’instant, on va parler de cet aspect que tu es en train de
vivre, ce sont des cycles très puissants’. Et alors elle a parlé de cette
vraie merde que je suis en train de vivre...»
La crise apparaît dans la plupart des récits comme un facteur qui ponctue la fin d’un
processus et marque le commencement de quelque chose de nouveau. C’est dans ces
240
Infusion typique des pampas, mais largement consommé aussi dans les zones urbaines du
Rio Grande do Sul. Elle est préparée avec de l’erva mate (Ilex Paraguayensis), que l’on
dispose au fond d’une petite calebasse et sur laquelle on verse de l’eau chaude. On boit
l’infusion à l’aide d’un tuyau de métal.
241
Il semble que cette autodéfinition soit l’un des points communs entre l’astrologue et sa
cliente.
moments critiques que les personnes se décident à aller voir un thérapeute ou à vivre une
expérience thérapeutique. Ce «moment de réévaluation totale» apparaît, dans le cas
d’Olívia, comme le noeud de la conversation qui s’établit avec l’astrologue, le fil qui va
tisser le reste de son histoire et faire émerger les questions plus «structurales» concernant sa
personnalité.
La plupart des astrologues commencent par la lecture de ces aspects dits «de fond»
de la carte astrale, c’est-à-dire ceux qui interfèrent dans la façon d’être, la personnalité,
l’apprentissage de la vie. Ce n’est que dans une étape suivante qu’ils vont analyser le
moment présent de la personne, à travers les progressions et les révolutions solaires. Kátia
fait le chemin inverse, et c’est ce dialogue qu’elle noue entre, d’une part, les points relatifs
au moment actuel et aux problèmes ponctuels (représentés par la révolution solaire) de son
client et, d’autre part, les aspects qui concernent sa personnalité et les influences les plus
archaïques ayant marqué son enfance (représentées par la carte astrale) qui constitue pour
elle le coeur de la consultation.
Olívia relève surtout que cette identification de la crise va permettre dans son cas de
dresser le «cadre général» de sa vie actuelle. Cette crise se traduit particulièrement dans son
besoin de redéfinition professionnelle et de recherche de plus de fermeté dans sa relation à
l’argent. Les deux questions sont liées, puisque ne pas assumer sa profession revient à ne
pas être à même d’exiger le juste prix de son travail. Son astrologue rapportera ces
difficultés à deux aspects de son ciel natal: d’abord à des conjonctions lui donnant une
aptitude dans divers domaines professionnels, ce qui rend le choix d’autant plus difficile (à
30 ans, Olívia n’avait pas encore fini ses études universitaires); ensuite une mauvaise
prédisposition à traiter les question qui ont rapport à l’élément terre, c’est-à-dire les
questions liées à la «vie objective»: l’argent, la maison, le travail, la subsistance matérielle,
etc.
Au plan de sa «façon d’être», Kátia reprendra la question du «féminin» - en
cherchant à répondre à ce qu’avait dit le deuxième astrologue en établissant la carte astrale
d’Olívia. La «compression de Vénus» sera cette fois interprétée comme un «refus des
‘valeurs féminines’»242 , et Kátia distinguera par ailleurs quelques aspects planétaires243
faisant allusion à un «enfant orphelin». Son histoire personnelle confirme du reste que
l’absence de la figure maternelle au plan affectif a été déterminante pour elle.
«Elle m’a dit une chose intéressante, que personne ne m’avait
dite avant. Un aspect 244 Lune-Uranus-Vénus qui est un aspect d’enfant
orphelin - l’absence de la figure maternelle dans mon éducation - qui
est ici en conflit avec Vénus, etc. Et aussi que, à un certain moment, je
me suis identifiée au standard masculin. Ce serait l’aspect du refus de
certaines ‘valeurs féminines’, comme la soumission, le refoulement de
l’agressivité, etc.»
En même temps qu’elle me rapporte la lecture et les conclusions de Kátia, Olívia
déroule son propre récit de son histoire personnelle: l’absence de la mère, l’importance du
père. Bien que voyant moins ce dernier (ses parents étaient divorcés), c’est avec lui que
l’échange affectif était le plus intense, sa mère étant «toujours occupée par les questions de
subsistance».
Olívia ajoute que c’est pendant cette première consultation qu’elle a commencé à se
pencher réellement sur ces questions.
242
La notion de dualité archétypale de l’univers, qui s’exprime, parmi d’autres oppositions,
dans celle entre le féminin et le masculin (Yin/Yang, etc.), est fondamentale pour la
compréhension du monde et de la personne dans les thérapies néo-religieuses. Cependant,
cette dualité n’implique pas toujours la vision d’une division sexuelle entre les êtres humains.
Certaines visions soutiennent que cette dualité s’exprime à l’intérieur de chaque personne.
Dans ce cas, il y aurait une désubstantialisation du genre par rapport au sexe. Mais, dans
d’autres conceptions, la dualité est vue comme substantialisée chez l’homme d’un côté, et
chez la femme de l’autre. Un exemple de cette dernière vision est donné par les rituels du
Santo Daime, où les hommes et les femmes doivent s’habiller de façon distincte, occupent
des espa ces différents et assument des fonctions propres dans la préparation du breuvage.
243
Ce qu’on appelle les «planètes» en astrologie inclut aussi d’autres corps célestes, comme la
Soleil, la Lune, et d’autres satellites.
244
L’«aspect» planétaire est en quelque sorte un rapport, une interférence qui s’établit entre
une planète localisée dans une certaine maison et dans un signe déterminé du zodiaque et
d’autres planètes.
«Je n’avais jamais fait attention à ces questions... Tout ce
qu’elle a dit avait beaucoup à voir. Elle a parlé de choses que je
savais peut-être, mais que je n’avais pas encore élaborées, pas encore
rassemblées.»245
En partant de la crise du moment, la lecture astrologique va remonter à sa
personnalité de base, représentée par une carte astrale sans équilibre: excès d’eau (Olívia a
le Soleil246 et l’ascendant247 dans le signe du Cancer, et la Lune dans le Scorpion) et d’air, et
manque de terre.
Kátia lui prescrit quelques activités susceptibles de l’aider à suppléer ce «manque de
terre»: les tâches domestiques de routine; mieux régler son quotidien, établir des horaires,
etc.; marcher pieds nus, toucher la terre248 ; faire du pain, danser sur de la musique rythmée,
etc. A ces conseils pratiques s’ajouteront les essences florales.
Olívia a trouvé une formule pour définir et l’aider à traverser ce moment de crise:
c’est de l’envisager comme une phase d’apprentissage, qui devra s’achever quand la
planète Saturne sortira du signe du Verseau. Elle se réfère ici au Retour de Saturne, période
où cette planète complète sa révolution autour des douze signes du zodiaque. Etant donné
qu’elle reste entre deux ans et deux ans et demi dans chaque signe, il lui faut environ 28 ans
pour repasser par le point où elle se trouvait au moment de la naissance. Cette phase est vue
comme un moment de crise et de redéfinition totale dans la vie de la personne, mais aussi
d’apprentissage249 . Olívia pense donc qu’il lui faut attendre la fin de ce cycle pour prendre
certaines décisions nécessaires à la résolution de ses problèmes.
245
La thérapie, ne dévoile donc rien de nouveau; elle confirme et donne une forme à ce que la
personne savait déjà, mais de façon inconsciente, refoulée.
246
C’est-à-dire son «signe astrologique» dans le langage ordinaire.
247
L’ascendant est la constellation qui est en train de se lever sur l’horizon à l’instant où la
personne est née. Il représente les aspects de sa relation avec le monde, son «être extérieur»,
tandis que le signe astrologique représente son «être intérieur».
248
Ici l’élément astrologique est transposé directement à l’élément de la nature qui le
correspond. Le contact avec ce dernier aiderait à suppléer le manque du premier.
249
Une grande partie de mes informateurs m’a parlé du «retour de Saturne» comme d’un
moment critique de leur vie, qui a déclenché des crises importantes et la quête de solutions à
travers les travaux thérapeutiques et une vie plus spiritualisée.
«Je ne sais pas si je vais reprendre [son cours universitaire], je
vais décider en janvier250 ».
Dans le récit de cette première consultation astrologique, on perçoit donc qu’Olívia
dresse un bilan plutôt positif des interprétations et des conseils de Kátia.
Nous nous sommes rencontrées plusieurs fois encore, où elle m’a raconté la suite de
son travail avec l’astrologue, et elle nous a mises en contact. La deuxième consultation a
été enregistrée. C’est une longue conversation qui donne des éléments très riches pour
comprendre les mécanismes thérapeutiques de l’interprétation d’une carte astrale et le sens
de ce travail. Elle met aussi en évidence la nature de la relation thérapeutique, les liens de
complicité qui s’y instaurent et la façon dont la cliente utilise l’espace de la consultation
comme un moment de réflexion sur ce que seraient ses problèmes «plus profonds»251.
1.a.2) Une consultation astrologique
La deuxième consultation d’Olívia a duré plus de deux heures et a traité de certains
thèmes liés à son histoire de vie et à son moment actuel. Elle s’apparente à une véritable
séance psychothérapeutique, dont nous n’allons transcrire que quelques extraits du
dialogue.
Cette consultation présente deux moments et deux noeuds autour desquels va
tourner la conversation. La première moitié de la séance a été dédiée à l’évaluation de
l’effet des élixirs floraux, et à l’élaboration de quelques problèmes et difficultés ayant déjà
été traités lors de la première rencontre. La conversation oscillera de l’action de chacune
250
Date de la sortie de Saturne du signe du Verseau et de son entrée dans le signe des
Poissons.
251
Cette expression est très utilisée par les informateurs. Les thérapies alternatives sont vues
comme l’instrument permettant d’approcher au plus près cet «être profond» ou «essentiel».
des essences et de leur correspondance astrologique à l’approfondissement de questions
telles que la vie professionnelle d’Olívia, sa subsistance matérielle, la relation avec sa mère,
la question «affective», son amour de soi. La deuxième partie de la consultation a été
dédiée presque entièrement à la description par Olívia de son cadre familial. Elle parlera de
son enfance, de la relation avec son père et sa mère, de chacun de ses frères, de sa soeur et
racontera certaines situations familiales. En utilisant les données de la carte astrale de ses
frères et soeur, Kátia essaiera ensuite d’interpréter les événements, l’histoire et le cadre
familiaux du point de vue astrologique.
Dans le compte rendu de l’action des essences florales, les thèmes les plus
récurrents seront ceux qui avaient déjà été discutés pendant la première séance. Olívia fera
d’abord un rapport complet sur l’effet de chacune des essences, à partir des sentiments et
des standards de comportement sur lesquels elles étaient censées agir. Sa première
observation concerne l’une de ces Fleurs, le Walnut252 , qui aurait provoqué chez elle des
réactions inattendues: elle l’aurait aidée à mettre des limites, dire «non», etc.
A la demande de Kátia, elle parlera de chacune de ses difficultés, de ses problèmes
ou de leurs symptômes et du résultat de l’action des essences sur chacun d’eux: sur sa
relation à l’argent, sa définition en tant que professionnelle, sa vie affective, mais aussi sur
certains symptômes physiques comme le manque de sommeil, les migraines et les malaises
pendant les règles.
Par rapport à son travail, Olívia reconnaît que les essences ont apporté des
changements. Elle a ainsi commencé à valoriser son activité et à demander des prix plus
justes253 - elle se faisait rémunérer auparavant à des taux nettement inférieurs au minimum
de sa catégorie professionnelle. La discussion portera de nouveau sur le retour de Saturne,
qui marque un cycle «extrêmement dur et difficile». L’une des expressions les plus connues
et courantes du jargon astrologique qui est parlé dans le circuit des thérapies parallèles est
252
Comme on l’a vu dans le Chapitre 1, les fleurs de Bach sont composées de 38 essences de
fleurs qui correspondraient aux «états négatifs de l’être». L’essence Walnut (Noyer)
protégerait des influences venues d’autres personnes. Elle aiderait aussi dans les périodes de
changement et de transition, dans la rupture de liens affectifs, les séparations, etc.
253
Elle se réfère au travail réalisé parallèlement à la tenue de son magasin, lié à sa formation
universitaire.
celui de ce fameux Retour de Saturne. Il indique un moment de souffrance et de crise, mais
en même temps d’apprentissage et de croissance. A l’époque de ces consultations, réalisées
entre les mois d’août et de novembre, Olívia était en train de vivre la fin de son cycle
saturnien, la planète devant entrer dans le signe des Poissons au mois de janvier, refermant
ainsi une période de près de deux ans et demi dans le signe du Verseau. Cet aspect, avec les
autres aspects de révolution planétaire, est très présent dans le dialogue.
L’astrologue - Saturne reste deux ans dans chaque signe. Ce qui doit
coïncider avec la période de souffrance... Mais la nature est sage.
Quand elle nous prive de quelque chose, c’est parce qu’il faut
canaliser cette énergie vers un autre apprentissage. Il y a toujours un
apprentissage à en tirer. Il faut le voir et en profiter. Pour toi, pour ta
structure, il faut que tu te laisse briller. Parce qu’il y a quelque chose
de confus dans ta carte astrale. Comme si t’affirmer, être sûre de toimême, voulait dire passer par-dessus les autres. Et ça, c’est pas vrai,
mais ce sentiment est très fort en toi. C’est ça que tu dois changer pour
profiter de cette transition de Saturne, n’est-ce pas? Tu dois savoir que
le fait de briller, de montrer ton éclat, ne signifie pas que tu vas
mépriser ou humilier les autres. C’est quelque chose de très fort que tu
as en toi...
La cliente - Oui, c’est vrai...
L’astrologue - ... ce n’est pas tellement facile de...
La cliente - Oui, c’est vrai. Et aussi cette fausse modestie stupide. Du
genre: ‘Oui, je sais faire telle chose, mais il y en a d’autres qui le font
mieux.
L’astrologue - Voilà! C’est tout à fait ça... C’est ce genre de chose
qu’il faut changer.
Dans son interprétation, l’astrologue établit ici un dialogue permanent entre les
aspects structuraux de la carte et ceux dictés par la «conjoncture planétaire». En général,
une lecture bien réussie signifie la capacité d’articuler tous ces aspects, en mettant
également en oeuvre la sensibilité et l’intuition pour opérer la synthèse: pour tracer un profil
fidèle du client et appréhender son moment présent. Ce sont ces deux facteurs qui,
ensemble, permettent à la conversation thérapeutique de se déclencher et aux questions «de
fond» d’émerger. Si, à certains moments, le ressort de l’interprétation est une question
formulée par le client, qui va entraîner une certaine lecture, par l’astrologue, des aspects
astrologiques qui le concernent, en d’autres moments, c’est un commentaire de ce dernier
sur une conjonction planétaire déterminée qui va déclencher chez le premier un récit
concernant un aspect encore peut élaboré de son vécu passé ou présent.
Un exemple de cette dynamique est la façon dont Olívia et Kátia traitent le
problème de la relation avec la mère. Ce thème était déjà apparu lors de la première
consultation, et il réapparaît à partir d’un point soulevé par Olívia lorsqu’elle identifie la
difficulté du rapport avec sa mère comme une «chose chronique» dans sa vie.
L’astrologue se lancera alors dans toute une description des aspects planétaires qui
marqueraient cette relation et reviendra sur l’essence florale qu’elle avait prescrite pour
«travailler» ces questions: le Chicory254. Elle évoquera le manque d’assurance de sa cliente
quant à l’amour que sa mère lui porte, et de son sentiment d’être rejetée par sa mère. Elle
aurait été un enfant qui n’a «jamais eu aucune assurance par rapport à sa mère, qui s’est
toujours méfié». Ce sentiment de «mépris envers soi-même» se grefferait ainsi sur un
«sentiment de grande responsabilité vis-à-vis de la figure maternelle». Kátia conseillera à
sa cliente de «rompre avec ce standard», d’«apprendre à montrer ses fragilités et à être plus
flexible».
Dans la deuxième partie de la consultation, c’est la figure paternelle qui sera
exhaustivement discutée.
Kátia a donc abordé ce conflit avec la mère du point de vue autant des aspects
structurels de la carte astrale que des aspects astrologiques conjoncturels. Après sa longue
description du genre de relation avec la figure maternelle que traduisait chacun des aspects
planétaires, Olívia a confirmé ce profil, en décrivant elle-même le cadre familial où
s’inscrivait cette relation. Ensuite, l’astrologue a décrit la façon dont ce cadre interférait
dans certains aspects de la personnalité de sa cliente, et la façon dont elle a vécu cette
ambiance affective: en se construisant un standard de résolution autonome de ses conflits et
difficultés, sans compter sur les autres. Elle a ainsi mis en évidence, d’un côté, sa méfiance
envers les autres (renforcée par la position de la Lune dans le Scorpion) et, de l’autre, son
254
Le Chicory (Chicorée) agit sur les situations de dépendance et l’excès de préoccupation
envers les autres.
autosuffisance - résultat du comportement de sa mère et d’un cadre familial peu propice au
sentiment d’assurance. Olívia se définit elle-même comme ayant été un enfant qui a été
élevé en ne comptant que sur lui-même. Mais si elle assume avec un certain orgueil cette
autosuffisance, son astrologue soulignera la nécessité de rompre avec ce standard et
d’apprendre à demander de l’aide, à se montrer plus souple.
Toutefois, les aspects structuraux de la carte astrale ne sauraient être pris comme des
éléments fixes ou inéchangeables par rapport aux choix conscients d’Olívia. Ils ne sont que
des caractéristiques ou des standards de base, qui peuvent être modifiés à travers l’effort et
l’«apprentissage permanent». Les essences florales aident à cet effort de changement et
l’astrologue établit toujours un rapport entre les aspects de la carte astrale et certaines
essences. Par exemple, un facteur important qui interfère dans la façon dont Olívia vit les
«aspects émotionnels de son être» est la position de la Lune dans le Scorpion255 . Cet aspect
planétaire engendrerait une difficulté à manier et à exprimer ses émotions et ses sentiments,
fruit par ailleurs d’une insécurité affective et d’une possessivité par rapport aux autres. Pour
travailler cette difficulté, Kátia avait prescrit le Chicory, une essence qui agit comme
auxiliaire dans la modification de ce standard.
Toute la conversation qui s’instaure entre l’astrologue et son client va passer par
différents médiateurs symboliques, qui vont des images proposées par la carte astrale aux
essences florales. Il y a aussi un moment où ces images se superposent au plan de la réalité,
par exemple quand Kátia analyse certains aspects astrologiques concernant la mère d’Olívia
et définit quelques actions concrètes à entreprendre par rapport à celle-ci. A ce moment, la
figure maternelle (sa représentation intérieure) devient un personnage extérieur dont Kátia
va calculer les progressions astrologiques, à propos duquel elle donnera des conseils, fera
des prescriptions, comme si elle était une deuxième cliente. Cette sorte de matérialisation
des personnages qui habitent le monde intérieur d’Olívia en des personnes «réelles»
prédominera dans toute la partie finale de la consultation. Comme s’il existait un
déplacement du récit astro-thérapeutique d’un objet (la vie intérieure ou l’univers
psychique d’Olívia) à l’autre (la transposition de ces images intérieures dans un monde
extérieur, d’une réalité psychique dans une réalité matérielle extérieure).
255
C’est-à-dire que sur sa carte astrale la Lune est placée dans le signe du Scorpion.
Si l’on compare ce processus avec les travaux thérapeutiques conventionnels, on
comprend mieux son mécanisme. Dans la psychanalyse, par exemple, l’objet des
constructions rhétoriques de l’interprétation est toujours le récit du patient comme
expression de son vécu psychique. Dans la consultation astrologique, en revanche on
cherche toujours un référent au-delà du langage verbal. Les images et les représentations
astrologiques sont conçues comme le signifiant qui exprime le vécu psychique de
l’individu. Ce sont elles qui forment le texte narratif où il faut en rechercher la
signification. On pourrait dire la même chose du tarot, où les cartes découvertes sur la table
(de même que l’absence des autres cartes) forment l’objet de l’interprétation.
Les essences florales se constituent quant à elles une image ou un objet-synthèse
qui, parallèlement, symbolise et agit sur les symptômes et sur les standards émotionnels.
Elles dispensent le discours verbal, étant donnée que c’est sur le plan énergétique qu’elles
agissent. Pour fonctionner l’essence florale n’a d’ailleurs même pas besoin d’être ingérée.
Dans le cas d’une personne incapable de les absorber, le simple contact avec la peau ou les
lèvres est suffisant pour que le principe énergétique lié à l’essence entre en action. Elles
sont des synthétiseurs parce que chacune d’elles correspond à un archétype émotionnel
déterminé. Et comme les planètes, les maisons et les constellations zodiacales, les essences
florales sont liées aux deux plans de compréhension de l’être: les questions de fond,
structurantes de la personne; et le moment conjoncturel.
Voyons comment se fait le travail sur les essences pendant la consultation.
La cliente - Et par rapport aux essences florales, qu’est -ce qui va
arriver?
L’astrologue - Il y en a une qu’on laisse tomber, le Wildout. C’est une
essence de transition, pour la définition des objectifs. Quand on
commence à le prendre, elle fait émerger tout ce qui était invisible. De
la même façon que le Rescue 256 est une essence qui fait monter les
256
Le Rescue Remedy n’est pas une essence florale mais une composition de cinq essences
(Star of Bethlem, Cherry Plum, Clematis, Impatiens et Rock Rose) destinée à agir dans les
moments difficiles, dans les situations où la personne se sent déstabilisée, est sous pression et
où il lui faut garder calme et sérénité. Le Rescue est le remède de Bach le plus connu, et il est
utilisé comme une sorte d’«appel au secours».
choses à la surface. Ce sont deux choses que tu as déjà résolues. Elles
ne sont plus nécessaires.
C’est-à-dire qu’Olívia n’a plus besoin des deux essences qui sont en rapport avec
son moment actuel. Par contre, elle doit continuer à prendre celles touchant à ses problèmes
et difficultés de fond.
L’astrologue - Continue le Walnut, qui est une essence de transition, et
la question de la transition est très importante pour toi en ce moment.
Le Climatis et le Chicory sont des essences qui ont à voir avec ta base
d’énergie, ils font partie de tes essences basiques. Le Blackberry est
une essence qui te rend apte à exécuter des choses. Le Clematis est
associé au Cancer et le Chicory au Scorpion. Tu vois, le Soleil,
l’ascendant et la Lune, c’est le triangle de l’équilibre...
Il est intéressant de relever cette correspondance entre l’essence florale (et le
standard émotionnel sur lequel elle agit) et le signe astrologique (chacune synthétisant un
standard de comportement). Ainsi, le Chicory agira sur la possessivité et l’égocentrisme
que renforce la localisation de la Lune (territoire des émotions) dans le signe du Scorpion,
ce qui amène Olívia à se mettre dans un rôle de martyr.
Les résultats ont été rapidement visibles: Olívia a modifié quelques-uns de ses
standards de comportement, renforçant le caractère transformateur qui est attribué à
certaines révolutions planétaires.
A ce propos, l’analyse des révolutions solaire et planétaires va encore soulever
d’autres questions, liées cette fois à la santé physique.
L’astrologue - Tu as en ce moment les Gémeaux dans la sixième
maison...La maison VI, c’est la santé; les Gémeaux, les problèmes
respiratoires. Il serait intéressant...
Cliente - ...d’arrêter de fumer, n’est -ce pas?
Astrologue - D’arrêter de fumer, d’aller voir un homéopathe, de
traiter l’allergie... Le soleil, c’est la poitrine, le coeur; avec les
Gémeaux, c’est les problèmes respiratoires.
L’astrologue explique ainsi de quelle façon certaines révolutions planétaires peuvent
interférer dans le processus santé-maladie, au plan physique. La corrélation, ici, n’est plus
établie entre les planètes et les standards émotionnels et affectifs, mais entre les planètes et
le corps. Quand elle associe le Soleil à la poitrine et au coeur, elle laisse apparaître une
notion du corps selon laquelle le coeur et la zone respiratoire sont le centre de cet «univers
corporel» représenté par l’individu.
En même temps que l’astrologue identifie une disposition astrologique favorable
aux questions de santé, elle conseille à sa cliente d’aller voir un homéopathe. On voit là un
exemple de la dynamique - et de l’articulation entre des branches distinctes - du réseau
thérapeutique parallèle.
La partie finale de la consultation est dédiée à la discussion des rapports familiaux,
du profil astrologique de chacun de ses frères, de sa soeur et de ses parents, et de la figure
paternelle. Encore une fois, Kátia explique la forte influence de la figure du père sur la
personnalité de sa cliente à travers d’autres aspects planétaires de sa carte astrale, de façon
semblable à ce qu’elle avait fait par rapport à la mère.
Cependant, nous n’allons pas entrer dans les détails de cette partie de la
consultation, les extraits déjà transcrits donnant déjà une idée de sa dynamique et de
quelques-uns de ses mécanismes thérapeutiques. D’une part, il est possible de percevoir la
façon dont la lecture du «texte» astrologique, représenté par la carte astrale, peut construire
un récit sur la personne et, d’autre part, à observer la façon dont l’astrologue cherche ici à
faire la corrélation entre les vécus concrets, les aspects de la carte astrale et l’essence florale
qui pourra aider la personne à surmonter ses difficultés.
Quand nous nous sommes entretenu pour la première fois, Olívia m’avait avoué la
surprise qu’elle avait eue de voir l’astrologue mettre le doigt sur des points de son histoire
de vie sur lesquels elle ne s’était jamais penchée auparavant. Lors de la deuxième
consultation, cette élaboration semble s’être approfondie. Pour Olívia, le travail réalisé
durant les deux premières consultations, l’expérience des essences florales et les rencontres
suivantes qu’elle a eues avec Kátia ont signifié l’ouverture d’un processus de
«connaissance de soi» et de changement. Quand je l’ai revue, un an plus tard, elle n’avait
pas vu son astrologue depuis quelques mois. On ne s’est pas parlé longtemps, mais elle m’a
confié qu’elle devait partir en vacances le lendemain, et je me suis rappelée que l’une de
ses principales plaintes, lors des consultations, tenait au fait qu’elle n’avait jamais de
moments de détente comparables à ceux qu’elle connaissait étant plus jeune.
Dans la lecture et l’interprétation que l’astrologue a faites de sa carte astrale, on peut
voir se dessiner quelques traits essentiels de sa personnalité. Le travail thérapeutique
consisterait en ce sens à reconnaître cette «essence» personnelle et à aider le patient à
modifier certains standards acquis qui le font souffrir. En écoutant à plusieurs reprises
l’enregistrement de la deuxième consultation, je me suis demandé si le poids donné aux
figures maternelle et paternelle n’avait pas un rapport avec l’itinéraire thérapeutique de
l’astrologue: ses sept ans de psychanalyse et, plus tard, la thérapie dite anti-Fischer
(version modifiée du Fischer-Hoffman), qui travaille fondamentalement les images
paternelle et maternelle, ont été en effet, parmi d’autres, des moments marquants de son
parcours.257
2. Expériences collectives
Les
travaux
collectifs
occupent
une
place
centrale
dans
les
expériences
thérapeutiques et spirituelles alternatives et sont une composante importante du circuit des
thérapies néo-religieuses. Et, pour ceux qui participent de façon systématique à ce genre
d’activité, ils prennent une plus grande place que les travaux individuels, étant donné que
ces expériences collectives ont un caractère plus fortement initiatique et rituel.
Les travaux de groupe sont très diversifiés et remplissent un large éventail de
possibilités. Qu’il s’agisse d’expériences plus systématiques ou ponctuelles, de rencontres à
caractère simplement thérapeutique ou plutôt rituel et religieux, de longue ou de courte
durée, ces travaux sont offerts de façon permanente dans le réseau parallèle. On peut le
constater en en fréquentant certains espaces. Dans les restaurants végétariens, il y a toujours
une place réservée aux annonces de cours, d’ateliers, de travaux et de rituels. De même, les
257
Concernant l’itinéraire de Kátia et son «récit de vie», voir le chapitre 2.
publications du circuit disposent de rubriques véhiculant ce genre d’annonces, à côté
d’offres de consultations individuelles auprès d’astrologues, de masseurs, de thérapeutes et
de travaux cliniques de toutes sortes. Sans oublier les nombreux travaux qui sont
divulguées à travers la démarche informelle du bouche à oreille.
Dans un éventail qui va du travail plus directement lié à la formation jusqu’à
l’expérience à caractère initiatique, en passant par les séances ayant un sens thérapeutique
plus évident ces espaces collectifs se distribuent de la manière qui suit.
On trouve d’abord les cours de formation ou d’information qui prennent place sous
forme de conférences, de débats et de séminaires et peuvent durer d’un après-midi à
plusieurs semaines. Par exemple les débats réalisés tous les mardis dans le restaurant d’une
coopérative écologique de Porto Alegre, sur les thèmes les plus variés: astrologie,
numérologie, alimentation végétarienne, auto-massage, etc. Un autre exemple est celui des
cours portant sur les Fleurs de Bach qui réunissent systématiquement, et pendant plusieurs
semaines, des thérapeutes de divers horizons (astrologues, psychologues, médecins et
d’autres professionnels simplement désireux de travailler sur les essences florales). Certains
groupes organisés de tradition ésotérique ont aussi l’habitude d’organiser régulièrement des
rencontres et des cours visant à débattre des thèmes particuliers: les cours de la GFU
(Grande Fraternité Universelle), de la Gnose et de la Nouvelle Acropole, les conférences
qui ont lieu au sein de la Société Théosophique, etc. En dépit du fait que ces Sociétés
n’occupent qu’un espace réduit du circuit thérapeutique alternatif,
quelques-uns de leurs
cours, comme ceux d’astrologie donnés par la GFU dans les années 80, ont eu leur
importance dans la formation de personnes devenues ensuite des thérapeutes alternatifs.
Dans tous ces cours, la connaissance est transmise de façon plus théorique, la forme
prédominante étant l’enseignement magistral où l’instructeur parle et les élèves écoutent et
posent des questions, mais on trouve aussi celle où un groupe de personnes débat autour
d’un thème spécifique.
L’autre type d’espace collectif, qui prend une place beaucoup plus importante dans
les itinéraires thérapeutiques-spirituels de chacun, concerne les cours, ateliers et travaux
d’orientation plus pratique. Ce genre d’activité, en général de durée définie, occupe une
large partie des expériences menées dans cet univers. Cela inclut les cours pour lesquels la
formation repose davantage sur la pratique que sur la transmission orale de la connaissance:
les cours de tarot, où l’apprentissage des cartes et de leur lecture est basé sur des exercices
dans lesquels chaque participant élabore ses propres questions et expose ses propres
difficultés; mais aussi les cours de massage, qui durent un week-end et où les apprentis,
outre qu’ils s’essayent à la technique en se massant les uns les autres, développent des
activités de méditation, de relaxation, d’auto-massage, etc.
En dehors des cours, les ateliers, nommés par l’expression anglaise workshop, sont
eux aussi des espaces de vécu thérapeutique qui ont en même temps un caractère
initiatique.
Ce genre d’espace collectif de pratique, que les participants appellent également
espaces ou groupes «de croissance», est particulièrement significatif dans la trajectoire
saniase. Une grande partie de ces travaux sont offerts au sein même des centres saniases ou
organisés ailleurs par leurs adeptes. Du reste, la plupart des saniases que j’ai interviewés
avaient vécu - et vivent encore régulièrement - ce type d’expérience. Il n’est pas exagéré
de dire qu’il fait partie de l’être saniase. Pour eux participer à ce genre d’activité est une
façon de partir vers d’autres endroits où sont offerts des cours et des ateliers plus
approfondis et de plus longue durée, disposant d’une infrastructure pouvant héberger un
grand nombre de personnes.
Au Brésil, quelques communautés néo-rurales sont dans ce cas (comme celle de
Minas Gerais où est allée Kátia), mais aussi quelques centres urbains. Dans les années 70 et
80, les saniases brésiliens partaient aussi dans l’Oregon, aux Etats-Unis (avant l’expulsion
de leur maître spirituel du pays). Et aujourd’hui, ils se rendent très nombreux à Poona, en
Inde, où se trouve l’Osho Multiversity Center. Pour les adeptes d’Osho, ce voyage en Inde
est un moment important d’initiation et de consolidation de leur identité saniase.
Mais si les activités collectives organisées par les disciples du guru indien au Brésil
ne réunissent que des saniases, la plupart des participants de celles que j’ai eu l’opportunité
d’observer n’étaient pas des saniases.
Certaines activités ne peuvent être réalisées que collectivement, comme la biodanse,
où la libération dans l’interaction avec les autres est centrale, et où intervient un aspect
important de psychothérapie de groupe, à travers les techniques du psychodrame. Dans ces
ateliers, même quand une technique prédomine, elle se combine presque toujours avec
d’autres. C’est ce qui se passe dans l’atelier de thérapie des vies antérieures, qui sera décrit
plus tard, où les expériences de régression dans les vies passées prennent place au milieu
d’autres vécus: de relaxation, de méditation et de rebirthing.
En dehors des cours et ateliers intensifs ayant une durée limitée (d’un week-end à
un mois), on trouve les espaces permanents. Quelques-uns réunissent systématiquement les
mêmes personnes, comme certains groupes de biodanse et d’autres types de thérapie
collective. D’autres, au lieu de réunir toujours les mêmes personnes, offrent des séances
journalières de méditation ouvertes à tous, comme l’Osho Bholi Center de Porto Alegre qui
reproduit la dynamique de celles proposées au siège de la communauté, à Poona. La
méditation
est
liée
à
la
construction
de
l’identité saniase elle-même: la seule
recommandation qu’ait adressé le maître à ses disciples a été en effet de la pratiquer
régulièrement.
Dans les récits d’itinéraire individuel, ces espaces collectifs se révèlent un moment
important de l’expérience. Le parcours de notre astrologue, évoqué dans le chapitre 2, a
débuté par un week-end d’atelier du processus Fischer-Hoffman, et l’approfondissement de
son vécu initiatique s’est réalisé lors d’un autre atelier concernant la même technique et qui
s’est tenu dans une communauté néo-rurale saniase258.
Nous allons décrire dans ce qui suit d’autres expériences collectives, quelques-unes
ayant été observées sur le terrain et les autres m’ayant été racontées par des informateurs.
2.a) Cours de tarot: formation et
«connaissance de soi»
258
Se combinent ici le travail collectif et le déplacement dans une communauté néo-religieuse,
deux expériences importantes pour le vécu spirituel.
Pendant les années 1990 et 1991, j’ai eu l’opportunité, à Florianópolis 259 , d’observer
et de participer à divers cours et workshops de courte durée (en général un week-end). Il
s’agissait de cours donnés par des thérapeutes saniases, liés pour la plupart à une
communauté située près de Brasília - une petite ferme que partagent des saniases et des
thérapeutes et spécialistes utilisant différentes techniques, et où fonctionne un centre de
formation et de vécu des thérapies alternatives et de croissance spirituelle.
Ce centre reçoit des personnes venues de tout le pays. Les thérapeutes qui en font
partie donnent des consultations individuelles et collectives
de massage, de tarot et
d’astrologie, de thérapie des vies antérieures, d’iridologie, de rebirthing, de médecine
alternative, d’orientation alimentaire, de méditation, etc. Plusieurs d’entre eux passent une
partie de l’année à parcourir les principales grandes villes brésiliennes, du Nord-Est à
l’extrême Sud
(y compris Porto Alegre), pour diriger des travaux thérapeutiques et
spirituels. Deux ans après avoir participé à ceux de Florianópolis, j’ai retrouvé plusieurs
thérapeutes qui y avaient participé ou même fait leur formation.
Outre cette observation, j’ai écouté les récits de personnes qui ont participé à des
expériences semblables, de quelques thérapeutes s’étant surtout formés dans ces espaces, et
aussi d’un grand nombre de sujets, thérapeutes ou pas, qui passent une grande partie de leur
temps dans ces espaces collectifs de formation et de thérapie de groupe. Nous verrons
comment fonctionnent quelques uns de ces travaux collectifs.
Dans les activités auxquelles j’ai assisté, il m’a été possible d’identifier deux
dynamiques distinctes. D’un côté les deux cours de Tarot (l’un d’introduction et l’autre
d’approfondissement) et celui de Massage Ayurvédique, qui, bien que basés sur des vécus,
avaient pour but de transmettre une technique spécifique: la lecture des cartes et la pratique
d’un massage; de l’autre, les deux workshops - Pulsation et Thérapie des Vies Antérieures
(TVP) -, qui relevaient nettement de thérapies intensives, plus centrées sur le vécu
personnel. Cependant, en dehors de leur dynamique spécifique, les cours de tarot et de
259
Ville localisée à 470 km de Porto Alegre. La plupart des thérapeutes qui sont allés donner
ces cours et ateliers à Florianópolis ont aussi dirigé les même cours et ateliers à Porto Alegre,
à la même époque.
massage fonctionnent eux aussi comme des espaces thérapeutiques qui vont au-delà du
simple apprentissage de la technique. Certains participants assidus s’y sont référé en tant
que «groupes de croissance», où le poids et l’efficacité de l’expérience reposait sur leur
configuration collective. Chaque rencontre réunissait autour de 25 à 30 personnes et, selon
les organisateurs, un nombre plus important aurait perturbé la possibilité d’intégration et la
familiarité entre les participants. En revanche, un nombre plus réduit aurait fait perdre de sa
force et de son «énergie» au collectif, qui, dans les conditions voulues, est la seule formule
capable d’engendrer certaines expériences extrêmes: rupture avec les anciens standards de
comportement, prise de contact et union avec d’autres dimensions du monde, de la
personne et de la croissance spirituelle.
Ces cours et ateliers ont eu lieu dans le Salon du Musée Historique de Santa
Catarina, ancien Palais du Gouvernement de l’état. Situé au centre de la ville, le Musée
apparaît, à côté de la Cathédrale, comme l’un des rares bâtiments protégés de la
modernisation accélérée qui frappe la petite ville de Florianópolis260 .
Lors du premiers cours (de tarot), les participants se sont étonnés de la somptuosité
du salon, de la hauteur considérable du plafond, des larges colonnes et des nombreuses et
imposantes fenêtres occupant presque toute la longueur des murs. Mais petit à petit, ceux
qui revenaient participer des autres ateliers ont senti cet espace gagner une atmosphère
spéciale, imprégnée par l’air et l’«énergie» des divers collectifs qui y étaient passés. Les
froides colonnes allaient devenir une présence de plus à partager; les fenêtres, gardées
fermées pour préserver les participants du regard curieux des passants, inspiraient de plus
en plus l’accueil et la protection par rapport au «monde extérieur». La hauteur du plafond
semblait être à la mesure exacte des sons qui planaient pendant les méditations et les
exercices collectifs: c’était parfois l’enchevêtrement des murmures, des gémissements et
260
La capitale de l’état de Santa Catarina n’a pas plus de 350.000 habitants, c’est-à-dire
presque cinq fois moins que Porto Alegre. Néanmoins, c’est une ville administrative et le
centre universitaire de l’état. Sa population est composée en grande partie de fonctionnaires
(y compris les enseignants à l’Université), dont beaucoup sont venus d’autres états, surtout du
Rio Grande do Sul et de São Paulo, mais aussi ceux de Rio de Janeiro, Minas Gerais, etc.
Pendant l’été, l’île qui abrite Florianópolis reçoit des milliers de touristes venus d’autres
régions du pays et de l’Argentine.
des cris épars, et d’autres fois comme un vrai mantra emplissant tout l’espace du salon, qui
n’était déjà plus aussi immense et imposant.
Les deux cours de Tarot ont été donnés par un ex-journaliste, âgé de 40 ans environ,
intégrant de la communauté saniase de Brasília et spécialiste en tarot. Son charisme
personnel s’est fait sentir à partir du moment où il a commencé à exposer sa vision du tarot
et de la «quête de connaissance de soi et de croissance personnelle». Ce charisme sera un
facteur important dans le bon déroulement du cours, et il l’amènera en plusieurs moments à
jouer davantage le rôle du thérapeute que celui de l’enseignant. Néanmoins, il fera preuve
d’une certaine identification avec ses élèves, qui sera renforcée par le récit de son histoire
personnelle qu’il faisait de façon informelle pendant les intervalles.
D’une certaine façon, sa trajectoire n’est pas tellement différente de celle des
personnes qui s’inscrivent généralement dans le circuit des thérapies néo-religieuses. Fils
d’intellectuels de gauche, il a exercé pendant plusieurs années la profession de journaliste
comme critique culturel d’un important quotidien brésilien. Son parcours va du côtoiement
de la contre-culture, du rock et des idées de vie alternative pendant l’adolescence, dans les
années 70, à sa conversion à la condition de saniase, où il recevra le nom sous lequel il est
connu actuellement - dont la signification représente son apprentissage de la vie. Son
contact avec le tarot ne s’est produit qu’après sa conversion. Il raconte que tout a
commencé le jour où il a été invité à travailler comme traducteur dans un cours de tarot
donné par une allemande à Brasília, ajoutant qu’à cette époque le tarot n’avait aucun sens
pour lui, et qu’il ne croyait pas que ces «petites cartes pleines de dessins colorés» pussent
dire quoi que ce soit. C’est pourtant ce travail d’interprète qui l’amènera au tarot lui-même.
C’est, cependant, lors d’une crise personnelle qu’il s’est mis à consulter les cartes pour luimême pour la première fois. Et à mesure qu’il découvrait qu’elles lui «disaient des choses»
de plus en plus importantes, le soutenant dans l’examen introspectif de ce moment de crise,
il les a utilisées de plus en plus systématiquement et en a approfondi l’étude. L’achèvement
de cet apprentissage s’effectuera à Poona, en Inde, dans l’Osho Multiversity Center, où
fonctionne l’Ecole des Arts Mystiques.
Il est important de souligner que, dans son récit, c’est cette crise personnelle qui va
expliquer le parcours qui le conduira vers le tarot, tout comme elle représente pour la
plupart des individus la motivation majeure qui les amène à recourir à ce genre de thérapie.
Le premier cours de Tarot, qui s’est étalé sur deux soirées (jeudi et vendredi) et tout
le week-end suivant, a été introduit par une conférence ouverte au public. Assis sur un
coussin disposé sur un tissu indien étendu au sol, le tarologue a exposé sa vision du tarot et
de l’usage des cartes comme forme de connaissance et de croissance personnelle. Le public
comptait 70 personnes environ, une partie étant assise à même le sol et l’autre sur des
chaises disposées en plusieurs demi-cercles tournés vers le conférencier.
Les questions
posées étaient de tous ordres: la signification de telle carte, la vie après la mort, les cultes
afro-brésiliens, le pouvoir mental, etc., et de nombreuses autres questions liées au vaste
univers qui va de l’imaginaire religieux aux phénomènes paranormaux. J’ai eu l’impression
que l’intérêt qui rassemblait ces personnes se situait au-delà de la seule connaissance du
tarot, ce qui s’est ensuite confirmé par le fait qu’une partie de ceux qui avaient suivi le
cours ont fréquenté les activités des mois suivants: la thérapie des vies antérieures, le cours
de massage, etc.
Le lendemain de cette conférence, vendredi soir, le cours commençait, les séances
étant restreintes aux inscrits. Outre le nombre limité de places (entre 25 et 30), le prix a
constitué un deuxième élément de sélection du public. A l’époque, ce cours de quatre jours
coûtait environ 60 dollars (le prix d’une consultation chez ce tarologue)261. Le lieux choisi le Musée Historique décrit au-dessus - reflétait lui aussi le type de public auquel le cours
s’adressait.
Les élèves, autant que les consultants, présentaient une origine sociale assez proche
de celle du tarologue la plupart exerçant des professions libérales et étant pourvus d'une
formation de niveau supérieur262 , et leur âge allait globalement de 30 à 45 ans. D'autre part,
j’ai pu noter que le premier cours (d'introduction) présentait un équilibre entre hommes et
261
Une somme considérable si l’on tient compte du salaire minimum mensuel au Brésil, qui
était de 40 dollars en avril 1992, et de 64 dollars en août 1994.
262
Ajoutons qu'aux deux cours étaient présents des étudiants universitaires, y compris des
élèves de mestrado et de doctorat venus de différentes disciplines.
femmes, tandis que lors du second (d'approfondissement) est apparue une légère
prépondérance des femmes.
Par ailleurs, les participants ont exprimé deux types de motivations. D’un côté, on
trouve ceux qui se disaient désireux d’étudier le tarot soit à des fins professionnelles, c’està-dire d’apprendre à tirer les cartes pour autrui, soit en tant qu’instrument de connaissance
de soi. De l’autre, on trouve ceux qui disaient se trouver dans une phase de crise
personnelle et recherchaient une façon de travailler sur leurs problèmes: un «vide
existentiel», un échec amoureux, le mécontentement professionnel, ou encore l’«absence de
sens» caractérisant leur vie.
Ces deux groupes de motivation ne doivent cependant pas être envisagés de façon
rigide. En fait, si cette classification peut aider à mieux cerner la composition des
participants, il apparaît que ceux du premier groupe voyaient eux aussi dans le cours un
moment d’examen de ces questions et de croissance personnelle. De façon générale, le
week-end passé autour des cartes du tarot a fonctionné comme une psychothérapie de
groupe intensive. La description détaillée des lectures des cartes faites pendant le cours
nous donnera une idée plus précise de ce que nous venons de dire.
2.a.1) La lecture des cartes
L’instructeur avait suggéré que les lectures réalisées pendant les cours fassent l'objet
d'une "interprétation collective". C'est-à-dire que tous ceux qui n'étaient pas dans le rôle du
client devaient contribuer à la lecture et à l'interprétation des cartes. Impensables chez un
«voyant» traditionnel, pour qui la présence d'autres personnes pourrait perturber le
processus divinatoire, ces "lectures collectives" sont bien dans l'esprit des propositions du
praticien du tarot.
L'expérience collective représente pour lui un apprentissage important pour deux
motifs au moins. D'abord en raison de l'opportunité qui est offerte aux participants de se
confronter à plusieurs interprétations différentes et de discuter ce qu'une carte X, dans une
position Y, peut dire du problème posé par le client. C'est un moment où chacun peut
déceler le caractère subjectif de l’interprétation. Deuxièmement, parce que, selon lui, les
cartes retournées lors d’une séance collective sont en rapport avec toutes les personnes
présentes. Elles parlent d'un "inconscient collectif", elles disent des choses et soulèvent des
questions qui concernent tout le groupe263 . Le jeu de l'interprétation collective serait en ce
sens un processus d'apprentissage profitant à tous ceux qui y participent, et pas seulement
au consultant ou au tarologue.
Voilà comment l'une de ces lectures est décrite dans mon carnet de terrain:
"Le praticien a ôté les yeux des cartes, qu'il tenait entre ses
mains. Son regard a parcouru l’étoffe rouge étendue entre lui et
Marta, qui se trouvait assise devant lui, et s'est posé sur elle. Etant un
peu ronde, elle se sentait moins à l'aise que lui, assise ainsi en tailleur
sur le coussin.
- OK, tu peux poser ta question.
Les murs percés d'immenses portes, les fenêtres parcourant
presque tout le pourtour de la salle et les quatre colonnes de fer
dressées au centre rappelaient que l'immeuble avait été jadis le Palais
du Gouvernement.
Les 23 autres personnes, assises en demi-cercle autour d'eux,
ont elles aussi posé leur regard sur la «cliente». A l'extérieur, le
centre-ville respirait le dimanche silencieux et désert. Dans la salle,
tous attendaient que Marta parle.
Elle n'a posé aucune question. Elle a commencé à parler d'ellemême.
- "J'ai toujours été une personne qui aspirait à l'indépendance
et à la liberté personnelle". Elle a ensuite parlé de son mariage, rompu
sept ans plus tôt, de ses enfants déjà adultes et mariés; de la
souffrance des six derniers mois avant la séparation, quand elle a
découvert que son époux avait une maîtresse; de la découverte
soudaine de la solitude. Au lieu de poser une question, elle a ainsi
raconté une partie de sa vie. Le tarologue la regardait fixement,
mélangeant les cartes avec des gestes presque imperceptibles.
- Alors, quelle est ta question?
263
Ici, le processus intersubjectif va au-delà de la relation entre le praticien et son client; il
inclut tout un groupe, qui assiste à la lecture des cartes et participe de l’interprétation.
Elle ne pose toujours aucune question. Mais son récit évoque à
présent la situation qui constitue peut-être le motif principal de sa
présence ici, en ce week -end de la fin août, dans un cours de tarot.
Elle raconte qu'elle entretient depuis quelques années une relation
amoureuse avec un homme marié, qu'ils prévoient, bien qu'il soit
toujours marié, d'habiter ensemble, dans une autre ville, etc. Elle
continue de parler... jusqu'au moment où la scène se clarifie.
Elle - 52 ans, divorcée depuis 7 ans, maîtresse d'un homme
marié habitant la même rue, à un pâté de maisons -, lui et son épouse
se croisaient dans la rue, s'arrêtaient pour se parler. Celle-ci
n'éprouvait aucune méfiance. Au point de demander des séances de
massage à Marta, qui avait fait un cours dans ce domaine. Quand elles
se rencontraient dans la rue, sans lui, l'épouse disait: ‘Si un jour je
découvre qu'il a une autre femme, j'en fais de la chair à saucisse. Je
n'ai pas gaspillé des années à en faire un bon mari pour qu'une autre
en profite!’
- Mais si la pauvre savait ça! ponctue Marta.
Il intervient.
- Oh, la, la! On arrête là. Deux femmes qui se battent? Toi qui
es assez sensible, ouverte à la vie, qui as eu le courage de te séparer
de ton époux et de tout recommencer?
Il parle de l'apprentissage que cette situation pourrait apporter
à Marta.
- C'est le moment d'apprendre à l'aimer aussi. Ce n'est pas par
hasard que vous aimez le même homme. Au lieu de cultiver la haine, la
colère, cultive l'amour. Fais-lui le massage qu'elle demande."
L'interprétation des cartes qu’il a ensuite faite pour elle est allée dans cette même
direction: penser à ce que cette expérience pourrait lui apprendre et s'en servir pour évoluer.
Il y a dans le Tarot de Crowley264 une carte qui synthétise cet "apprentissage des relations
triangulaires": c'est le neuf de Disques. Elle représente l'idée qu'une relation à trois, en
dépit de la souffrance qu'elle apporte, peut devenir pour ceux qui la vivent enrichissante et
positive.
De ce récit, on peut extraire quelques notions significatives des valeurs et des
visions du monde de la cliente, aussi bien que du praticien du tarot. Chez la première, on
264
Il s’agit de l’ensemble de cartes créées par Aleister Crowley, mystique anglais et membre
de l’Ordre du Golden Dawn, et par l’égyptologue et peintre Frida Harris.
constate un discours ambigu ou, plutôt, contradictoire envers le mariage. D'un côté en effet,
elle parle de la rupture de ce premier mariage en tant que moment de croissance
personnelle, de gain d'autonomie et valorise la solitude en tant que facteur d'indépendance.
D'un autre côté, elle boit les promesses de son amant et nourrit l'espérance qu'il quittera son
épouse pour venir vivre chez elle. Cet espoir d'un nouveau mariage apparaît comme la
solution à sa solitude, comme l'événement le plus favorable qui puisse arriver.
On s'aperçoit ici de l'existence d'un conflit entre deux aspirations: d'un coté
l'indépendance personnelle, la quête de soi, l'autonomie; de l'autre, la dépendance, l'attente
de l'autre, les standards traditionnels de la vie en couple. Dans le discours du tarologue, on
peut saisir aussi quelques conceptions révélatrices de sa vision du monde, par exemple celle
de la relation triangulaire en tant qu'apprentissage. C'est une notion post-années 60 liée à
toute une remise en question des valeurs concernant la sexualité et la vie affective, la
méfiance à l'égard du mariage traditionnel, de la monogamie et de la possessivité dans les
relations. On reviendra à toutes ces notions dans la discussion sur les récits tournant autour
de ces expériences thérapeutiques en tant que récits constitutifs d'une certaine notion de
personne chez le groupe social que nous étudions dans ce travail. Nous donnerons
maintenant d'autres exemples de lecture qui ont apporté eux aussi des éléments intéressants
pour l'analyse.
Lors du premier cours, l'une des lectures s'est adressée à une jeune femme de 33
ans, professionnelle de la santé, célibataire et mère d'une fille de six ans, qui avait posé des
questions concernant sa vie professionnelle, surtout par rapport à son insatisfaction dans
son emploi de fonctionnaire dans les services de santé de la mairie, où elle était confrontée
à une ambiance conflictuelle. Par ailleurs, elle tenait un cabinet où elle travaillait à mitemps, et où elle avait toute liberté d’exercer son métier conformément à ses propres
valeurs et principes. Son dilemme était le suivant: abandonner ou garder son travail à la
mairie, où, en dépit de son insatisfaction, elle pouvait mener une activité sociale tournée
vers les gens des couches pauvres n'ayant pas les moyens de payer une consultation privée.
Après avoir écouté son histoire, le tarologue lui propose une combinaison de quatre
cartes appelée "Clarification d'une question ou d'une condition émotionnelle"265 , et
distribuée comme suit:
1
2
3
4
A chaque position correspond une question. La position 1 montre le thème qui
concerne au plus près la personne au moment présent, ce qui est en train de lui arriver. C'est
la question de base. La position 2 indique les choses auxquelles la personne est réceptive et
ouverte; les personnes, les énergies et les événements qu'elle attire actuellement à elle. La
position 3 est ce que la personne exprime, extériorise. Ce sont les effets qu'elle produit sur
les autres et la manière dont elle influence son entourage. La position 4 donne la réponse, la
clé. Elle montre comment résoudre le problème d'une façon active.
Revenons à la séance: la consultante a choisi les quatre cartes et le tarologue
commence à les retourner en les interprétant une à une. D’autres seront ensuite retournées
et presque toutes seront des cartes de Calices (Coupes). Selon les définitions données par ce
tarologue, les cartes de Calices ont à voir avec la vie sentimentale. Plus précisément, la
définition qu’en donne l'auteur auquel il fait le plus référence est la suivante:
"Les Calices, régis par l'élément eau. Ils reflètent notre réalité
émotionnelle intérieure. Ils traitent de l'amour, des sentiments, de
l'échange dans les relations, de l’énergie sexuelle (le yin, ou l'aspect
féminin)."266
265
Il existe une gamme infinie de combinaisons possibles avec les cartes du tarot, de même
qu'il existe une très large gamme de versions des 78 cartes.
266
"Cups, ruled by the element Water. These reflet our inner emotional reality. Their realms
includes love, feelings, interaction in relationships and sexual energy (the ying, or feminine
aspect). Cf. Gerd Ziegler, 1989, p. 12. Voir aussi Ziegler, 1988.
A partir des cartes posées devant lui, le praticien va alors chercher à savoir si le
problème professionnel constitue la vraie question de la jeune femme, ou s'il ne s’agirait
pas plutôt de ses rapports avec autrui et de sa vie amoureuse, arguant qu'il existe un
décalage entre la question posée et ce que montrent les cartes. Il se demandera d'abord, et
demandera aux autres, quel rapport apparaît entre les deux choses. Sa première réponse est
de trouver quelque chose dans le récit de la cliente qui n'a pas été dit. Devant 'linsistance de
celle-ci à répéter que le problème concerne sa profession, et non pas sa vie sentimentale, il
s’efforcera ensuite d’établir chez elle un rapport entre la question du travail et celle des
affects.
Dans cette démarche, les cartes apparaissent comme des pistes d'investigation, qu'il
faut suivre et élucider. Elles occupent la place de l'instance symbolique, à partir de laquelle
le tarologue essaie de dépasser ce qui apparaît comme une réticence de sa consultante à
aborder la question des affects (représentée ici par les cartes de Calices). Il est important de
préciser que le sens de cette démarche n'est pas de "deviner" la chose occulte, ni de montrer
que les cartes révèlent plus la vérité que le discours de la cliente, mais de trouver un
dialogue qui soit consistant, c'est-à-dire qui aille au-delà des contenus conscients qu'elle
apporte. Le tarologue avait déjà souligné que
95% des dilemmes et des problèmes qui
touchent les personnes, même quand cela n'est pas présent dans leur discours, concernent
des questions de la vie affective et émotionnelle, et que si ces dilemmes ne sont pas posés
dans les questions directes, ils finissent par apparaître dans les cartes. Il défend aussi l’idée
que cette centralité de l'affect vaut autant pour les femmes que pour les hommes.
La troisième lecture effectuée durant le cours concernait un ingénieur de 40 ans,
divorcé et ayant deux enfants. Il a posé sa question sous la forme suivante:
"Je n'arrive à tomber vraiment amoureux d'aucune femme.
J’entame une relation, et au début je me sens très concerné, mais
après quelques mois (ou même quelques semaines), quand je sens
qu'une certaine dépendance affective commence à apparaître de la
part de l'autre, je cherche à m'en défaire, de laisser tomber cette
relation. C'est toujours une frustration."
Le praticien suggère ici une nouvelle disposition et, à travers l'interprétation des
cartes, cherche une fois encore à poser la question en d'autres termes. Sa lecture va
s'attacher non pas à la "dépendance des femmes" (à l’égard du client), mais à la façon dont
le consultant vit ses relations, et surtout à sa peur d'établir des liens affectifs.
L'interprétation se tournera ensuite vers ses liens familiaux d’enfance, la relation avec sa
mère et l'intériorisation d'un standard femme-dépendante/ homme-qui-abandonne. Car s’il
se plaint de l’esprit de dépendance des femmes, il apparaît aussi que c'est le modèle qu'il
cherche invariablement à reconstituer à travers ses liens affectifs.
Cet exemple et d'autres encore m'ont montré qu'en général les clients masculins
expriment leur insatisfaction par rapport à leur vie affective et amoureuse tout autant que
les femmes. Ici, le praticien posera encore l'hypothèse qu’intervient un choix, et que nous
choisissons les personnes avec qui nous allons nouer des relations affectives. En
l’occurrence, peut-être le client choisissait-il toujours le type de femme s'ajustant le mieux
à son discours, c'est-à-dire des femmes dépendantes.
Le discours affiché par les «tarologues» ou les «voyants» plus conventionnels
montre cependant des différences quant à l'imaginaire des hommes. A Paris, j'ai pu parler
avec un jeune praticien du tarot d’environ 30 ans, au Festival de la Voyance, qui a lieu dans
L'Hôtel Lutetia. A la question sur les différences entre les clients masculins et féminins il
m’a donné la réponse classique: "C'est évident, les femmes veulent tout savoir sur l'amour.
Les hommes, sur la vie professionnelle, les affaires". Ce sont là les représentations qu'il se
fait lui de l'imaginaire des hommes et des femmes, mais ça ne veut pas dire pour autant
qu'elles correspondent respectivement à leurs vraies préoccupations.
Lors de deux lectures auxquelles j'ai participé au sein d'un groupe d'études sur le
tarot qu’avaient formé quelques-uns des élèves du cours, les deux consultants, qui étaient
des hommes, ont posé des questions relatives à leur mariage et à leur vie sentimentale.
2.b) Atelier Thérapie des Vies Antérieures (TVP)
Cet atelier a réuni, dans la même salle du Musée Historique de Florianópolis, un
groupe d’environ trente personnes, pendant la fin de semaine la plus froide de cet hiver
1991. Le cours était dirigé par Tina ayant vécu quelques années dans la communauté
saniase de Brasília. A Florianópolis, elle avait ouvert, avec d’autres personnes, un cabinet
où elle réalisait des consultations de TVP, de rebirthing et des séances de massage
ayurvédique. Avec l’une de ses collègues de cabinet comme auxiliaire, Tina a commencé
cet atelier de TVP en proposant des exercices de relaxatio n physique et mentale et de
méditation. Après l’un de ces exercices, les participants se sont éparpillés et allongés sur le
plancher du grand salon. Portant des vêtements confortables et légers, pieds nus, chacun
s’est assis sur la couette qu’il avait apportée. Il faisait très froid, et l’ampleur de la pièce ne
permettait pas à la chaleur des corps de la réchauffer. La régression sera faite en deux
étapes, la première consistant en un exercice de rebirthing267, technique régressive qui
s’appuie sur une respiration circulaire, sans pause entre l’inspiration et l’expiration. Cette
respiration provoquerait l’hyperventilation de la partie postérieure du cerveau, où se trouve
le centre de notre «mémoire la plus archaïque». Le but de cette première étape serait, par
ailleurs, d’approfondir la relaxation et de mettre les participants dans un état psychique
favorable à la régression dans les vies passées. La deuxième étape est la régression ellemême.
Quand tous ont été à leur place, assis sur leur couettes, l’instructrice a commencé à
donner la marche à suivre dans le travail, tout en circulant dans la salle. Elle a demandé aux
267
Ici le rebirthing est utilisé comme instrument auxiliaire de la thérapies des vies antérieures.
Mais il est vu, en général, comme une technique qui a une valeur thérapeutique en soi, et il
est pratiqué en séances collectives ou individuelles. Le rebirthing n’est pas connu que dans
les cercles thérapeutiques alternatifs brésiliens. En fréquentant les boutiques et librairies
parisiennes liées à la culture alternative et au «new age», j’ai trouvé de nombreuses annonces
de cours et de thérapeutes proposant des travaux de rebirthing.
participants d’inspirer et d’expirer profondément, sans faire de pause, en laissant le rythme
de cette respiration circulaire s’instaurer naturellement268 .
Elle leur a aussi recommandé de ne pas arrêter cette respiration, indépendamment
des sensations physiques susceptibles de surgir, et celles-ci n’ont pas tardé à se manifester.
La plupart des personnes qui sont passées par une expérience de rebirthing décrivent ces
sensations initiales comme un fourmillement et un recroquevillement involontaire du corps
(qui va souvent jusqu’à prendre la position foetale), suivis d’une sensation d’anesthésie des
extrémités. A ceux qui commençaient à ressentir ces réactions, l’instructrice et son
auxiliaire demandaient de se coucher269 .
Peu à peu, un ensemble confus de sons, de soupirs et de sanglots s’est fait entendre.
Personne ne semblait avoir la maîtrise totale de soi. Cependant, alors qu’une partie des
participants accueillait ces sensations avec un certain calme et de la discrétion, les autres
semblaient avoir perdu toute sérénité. L’une des femmes criait très fort. Les deux
monitrices circulaient dans la salle, allant de l’un à l’autre, cherchant à calmer les plus
agités, donnant des instructions pour prolonger la respiration circulaire et laisser passer les
sentiments et les sensations. Elles sont allées vers la femme qui criait et pleurait. Leurs
deux voix, ajoutées à l’ensemble des sons, gémissements, sanglots, pleurs - réprimés ou
extravertis - et, au milieu du tout, les cris de cette femme, composaient un choeur très
spécial. Très différent, en tout cas, du mantra propre à certains travaux et méditations qui
avaient déjà pris place dans ce même espace, et où les sons s’unissaient en une mélodie
unique, univocale. Sur le fond sonore des inspirations et des expirations, la dissonance des
tons, dont le crescendo les faisait se confondre de plus en plus les uns aux autres, donnait
ici l’impression d’un orchestre composé d’instruments disparates.
Quelques-uns ont semblé entrer dans une sorte de transe, où le seul aspect maîtrisé
était la respiration circulaire et rythmée.
268
La respiration a un rôle important dans les diverses techniques thérapeutiques et
méditatives.
269
L’exercice avait commencé par les personnes assises, parce que, dans cette position, il est
plus facile de réaliser la respiration circulaire et de lui donner un rythme. Une fois atteint ce
but, les personnes peuvent s’allonger et prendre la positio n appropriée.
Tina et son auxiliaire ont continué d’aller de l’un à l’autre, attentives à tout ce qui se
passait dans la salle. De temps en temps, l’une d’elles s’arrêtait près de quelqu’un,
s'inclinait, posait la main sur sa tête et lui disait quelque chose, restait là quelques minutes,
puis reprenait son va-et-vient. L’ensemble de l’expérience a duré entre une et deux heures,
mais il est difficile de le préciser plus exactement.
Elles ont ensuite incité le groupe à calmer et ralentir sa respiration, de la ramener à
la normale et de se détendre, tout en restant allongé. Chacun devait se mettre un coussin
sous les jambes, afin que les pieds soient placés plus haut que le reste du corps. Tina les
encourageait doucement: «Ne pensez à rien, tout ce que vous venez de vivre et de sentir est
passé. Maintenant, vous êtes seuls avec vous-même, en contact avec votre être plus
profond. Avec l’intimité la plus profonde de vous-même. Laissez aller vos pensées, ne vous
fixez sur rien.» Tout en profitant de la sensation de détente provoquée par l’exercice
antérieur, elle les a ainsi guidés vers l’état méditatif, vers un «non-penser».
Si, pendant le rebirthing, les personnes pleurent, ont peur, que leurs muscles se
contractent, quelques-uns vivant une vraie catharsis, le corps se détend et la respiration se
calme à nouveau en fin d’exercice270 . Elles sont alors prêtes à passer à la deuxième étape, la
plus importante dans ce type d’atelier: celle de la régression dans les vies passées.
Tous sont restés allongés au sol, les jambes légèrement surélevées par rapport au
reste du corps. Tina leur a demandé de fermer les yeux tout en gardant une respiration
calme et profonde. Tous devaient alors imaginer un tunnel obscur, qu’ils entraient dans ce
tunnel et commençaient à «s’y enfoncer de plus en plus, sans peur». Sa voix était douce et
sans hâte, mais ferme: «Nous marchons dans ce tunnel, nous traversons ce tunnel, nous
voulons en atteindre le bout. Pensons que nous voulons arriver à la fin de cette marche.
Mais, pour l’instant, ce n’est qu’un tunnel obscur, où nous marchons sans penser à rien, en
sentant seulement ses parois autour de nous, son obscurité, en pénétrant de plus en plus
dans cette obscurité».
270
Un informateur de Porto Alegre m’a ainsi décrit de façon sommaire le rebirthing: «Tu
hyperventiles, tu pleures beaucoup, tu casses tout autour, et après tu dors, tu te détends et t’es
soulagé». Cependant, il ajoutera, «la chose reste là, et au bout du compte, tu te sens pire
qu’avant».
Elle a décrit le tunnel pendant plusieurs minutes, se répétant a propos de l’obscurité
et de la marche en direction à la sortie. Jusqu’au moment où elle a dit: «Vous marchez,
vous marchez, et soudain, vous allez voir une petite lumière et vous allez arriver dans une
espèce de salle. Cette salle a plusieurs portes et chaque porte est différente des autres,
chacune a un style, un âge, une époque, et est faite d’un certain matériau. Vous allez choisir
l’une des portes, et vous allez l’ouvrir». Cette porte est l’entrée vers l’une des vies
antérieures de chacun. Elle ajoutera tout de suite après: «Ce que vous voyez est
probablement votre mort dans cette vie passée, mais l’important est de voir plus loin, avant,
ce que vous avez vécu, qui vous étiez, avec qui vous avez vécu».
Ensuite elle orientera tout le temps les personnes de façon à les amener à voir le
plus grand nombre de choses possible de cette vie antérieure. Elle conclura ainsi:
«Maintenant vous allez revenir, vous aller fermer la porte et retourner au tunnel. Mais
avant, essayez de visualiser une date, une année, un nombre, le premier qui va apparaître...
Maintenant, fermez la porte».
Après, il y a eu une pause. Tout le monde s’est relevé, pour aller aux toilettes, boire
du thé 271 ou de l’eau. Plus tard, tous se sont assis en cercle, très proches les uns des autres et
Tina a dit que le moment était venu pour chacun de parler de son expérience, de la partager
et d’élaborer les choses vues et vécues.
Au fur et à mesure, des différences et des points communs se sont fait jour dans
leurs récits. La plupart avaient eu une expérience surtout visuelle, disant avoir vu comme
un film passer dans leur tête: des images se succédant les unes aux autres. Certains récits
prendront la forme de véritables histoires, de fables dotées de personnages, de drames, avec
description des lieux. D’autres, en revanche, n’ont rien «vu» mais ont eu des sensations
physiques, tactiles. Quelques-uns se sont plaints de maux dans l’une partie ou l’autre du
corps. Tina expliquera que cette douleur était probablement liée à la façon dont la personne
est morte, ou à une blessure importante survenue à cet endroit, dans la vie passée
remémorée. Elle évoquera ensuite des cas de personnes qui, ayant ressenti des douleurs
dans un organe ou une partie du corps, avaient fait tous les examens et investigations
nécessaires sans que soit constaté une quelconque maladie. La douleur persistait, jusqu’au
271
Que quelques-uns avaient apporté, dans des thermos.
jour où, dans une TVP, elles découvraient dans une vie antérieure avoir été gravement ou
mortellement blessées au même endroit. Une fois connue l’origine de la douleur, celle-ci se
dissipait et la personne était guérie.
Dans leurs récits de régression, certains ont dit avoir vu des personnes appartenant à
leur cercle de relations actuel, ou même des participants de l’atelier, mis en scène en tant
que personnages de leur vie antérieure. Dans des interviews ultérieures, d’autres personnes
m’ont raconté avoir vécu une expérience semblable dans leur régression. Quelques
thérapeutes expliquent que ce phénomène montre l’aspect karmique272 de certaines relations
et de certains événements s’inscrivant dans la vie présente.
Aux commentaires et aux questions du type: «Et si une personne voit quelque chose
qu’elle n’est pas encore prête à voir, est-ce que ça ne pourrait pas avoir des conséquences
néfastes pour sa vie actuelle?», Tina répondra que non, que chaque personne possède un
mécanisme inconscient de défense, une espèce de filtre qui ne laisse émerger au plan de la
conscience que ce que la personne peut accepter et élaborer273.
Le lendemain, dimanche, d’autres expériences de régression ont été menées. La
principale recommandation que tous devaient respecter pendant toute la durée du travail
était de ne pas manger de viande (surtout la viande rouge), de ne pas boire d’alcool et, le
soir, de se maintenir dans une ambiance calme et méditative, et enfin de se coucher tôt.274
2.c) Le Santo Daime dans une psychothérapie de groupe
272
L’aspect lié au karma de la personne, le karma étant les influences qu’ont dans cette vie
des actes accomplis dans les vies passées. Ce mot, d’origine sanskrite et qui est l’une des
notions centrales de la cosmologie de l’hindouisme, acquiert cependant dans le circuit des
thérapies et religiosités parallèles un sens particulier: celui de la voie à suivre en quelque
sorte, dans cette vie, pour résoudre des questions qui n’ont pas été résolues dans les vies
antérieures.
273
Cette même réponse m’a été donnée par un adepte du Santo Daime, quand je lui ai
demandé si, après l’ingestion du breuvage, l’individu n’était pas sujet à des visions
(mirações) trop négatives ou trop fortes susceptibles de le faire du mal: «Nous avons tous un
filtre inconscient qui ne laisse apparaître que ce que nous sommes déjà prêts à voir et à
savoir».
274
Ce genre de recommandation est commun à la plupart des activités thérapeutiques ou
rituelles. Pour les rituels du Santo Daime, il est en outre demandé aux participants de
s’abstenir de toute drogue et de relations sexuelles durant les trois jours précédant le rituel.
De nombreuses personnes évoluant dans l’univers thérapeutique néo-religieux,
thérapeutes ou non, ont déjà fait une fois l’expérience des rituels du Santo Daime. Mais
celle que nous allons décrire ci-dessous a été vécue à l’extérieur du cadre officiel des rituels
et de l’Eglise de Porto Alegre. Notre intérêt n’est pas de discuter le Santo Daime, son
organisation, ses rituels et sa doctrine. Plusieurs études récentes l’ont déjà fait, et le Daime
est aussi l’objet d’autres recherches en cours 275 . Mais il importe de souligner que les rituels
du Santo Daime, ainsi que tout l’imaginaire qui gravite autour de sa doctrine et de son
breuvage, occupent une place importante dans les itinéraires personnels propres à cette
culture thérapeutique-spirituelle alternative au Brésil.
Nous avons choisi de transcrire un récit de l’absorption du Daime telle qu’elle a eu
lieu dans le cadre d’une séance de psychothérapie de groupe, pour montrer aussi la façon
dont les différentes dimensions de cet univers se croisent et génèrent de nouvelles
expériences en dehors des limites des organisations (religieuses) et des techniques
(thérapeutiques).
Selon notre informateur, l’«infusion» (le Daime) aurait été introduite à Porto Alegre
à travers deux personnes: P., l’actuel padrinho (maître) de l’Eglise installée dans la ville, et
R.C., psychothérapeute alternatif. Quand il a fondé cette Eglise, P. rentrait d’un séjour de
quelques années dans une communauté néo-rurale du Daime, située dans l’état de Rio de
Janeiro. Son expérience lui avait apporté une bonne connaissance doctrinaire du breuvage.
Ajoutons qu’il est très proche de la ligne daimiste du «Céu do Mapiá»276 , surtout
concernant l’importance de la doctrine, les précautions à prendre et la discipline à observer
dans le rituel277.
275
Voir, parmi d’autres Groisman, 1991 et MacRae, 1993.
276
Communauté du Santo Daime située en pleine Amazonie. Elle est le siège de l’un des
principaux courants axés sur ce breuvage et suit la tradition laissée par Mestre Ireneu,
fondateur de la doctrine, et par le padrinho Sebastião, fondateur de cette même communauté.
277
On peut trouver un exemple de cette discipline rituelle sur un imprimé de divulgation du
calendrier officiel des travaux spirituels menés par l’Eglise de Porto Alegre. On y lit que les
femmes doivent porter une jupe et les hommes un pantalon, que l’usage des couleurs noir et
rouge est proscrit et que sont conseillés les vêtements de couleurs claires. A ces règles
s’ajoutent des interdictions dont nous avons déjà parlé (voir la note 42 de ce chapitre).
R.C., quant à lui, est un psychothérapeute se réclamant de la ligne de pensée de la
biodanse. Il proposerait, selon le même informateur, une autre politique pour le Daime,
contrastant avec la doctrine établie. Il utilisait déjà le breuvage (apporté d’Amazonie)278
dans ses travaux psychothérapeutiques, réunissant les personnes dans une clinique ou une
grande salle où, après avoir bu le Daime, «chacun faisait ce qu’il voulait». Autrement dit, il
n’obéissait à aucun ordre rituel, à aucune procédure collective devant être suivie par le
groupe, contrairement à ce qui se passe dans les rituels officiels du Daime 279.
C’est à travers l’une de ces séances psychothérapeutiques chapeautées par R.C.,
qu’Antonio a fait son initiation, non seulement au Daime mais aux thérapies néoreligieuses. Ce premier contact s’est opéré par le biais de sa soeur, qui avait commencé à
fréquenter les séances de ce thérapeute après une crise conjugale qui, peu à peu, est
devenue secondaire en regard de cette «chose bien plus grande» découverte dans le Daime:
la quête de la connaissance de soi.
Antonio passait alors par un moment «de crise», d’«effondrement des structures»,
comme il le dit lui-même. Il avait laissé tomber l’université et vivait une phase de
dépression, suite à la rupture d’une longue relation amoureuse; ce moment coïncidait
précisément à son Retour de Saturne280 . Il passait ses soirées dans les bars, ou à errer en
ville: «je voulais savoir dans quelle histoire j’étais, aller au fond, j’étais sans référence».
Sur l’invitation de sa soeur, il est donc allé à l’une des séances d’ingestion du Daime
relevant du travail thérapeutique de R.C. Nous l’avons dit, le sens de son travail est plus
psychothérapeutique que religieux ou doctrinaire, et la narration qu’en fait Antonio s’avère
être une description très riche de la manière dont est vu et vécu ce type de thérapie.
Quelques extraits de son récit suffiront:
L’imprimé prévient encore que «le premier contact avec la doctrine du Santo Daime doit se
faire à travers l’Oração (Oraison), rituel sans ingestion du boisson», et que les néophytes
doivent participer obligatoirement à une «séance d’éclaircissements».
278
Le breuvage est préparé dans la communauté d’Amazonie, avec deux plantes originaires de
la forêt environnante. Ce thérapeute avait obtenu l’autorisation du siège pour en apporter et
l’utiliser à Porto Alegre.
279
Dans un rituel du Daime, personne ne doit sortir du cercle de la danse afin d’éviter de
«couper le courant». Il y a toujours quelqu’un pour contrôler la bonne marche du «travail».
280
Voir la note 6 de ce chapitre.
«J’ai eu une expérience très forte. Je l’ai ingéré [le Santo
Daime], et après 40, 50 minutes, l’effet a commencé. Je voyais des
images indescriptibles, parce que c’est pas les mêmes images qu’on
voit avec les yeux. C’est une image où tu vois toutes les dimensions,
tous les côtés des objets. Plus tard j’ai découvert que ça, c’est la vision
astrale, la vision d’un sens beaucoup plus puissant que nous avons,
qui est le sens astral. Tu absorbes les données de la réalité à travers ta
propre conscience en expansion. Les images étaient d’abord colorées,
des choses géométriques, une espèce de kaléidoscope, des figures
aléatoires. C’était une sensation de légèreté et de douceur très intense,
comme si je volais dans l’espace. Ça a duré un certain temps et après
ça s’est atténué. Les autres sont allés boire encore une dose, et j’ai
décidé d’en boire une moi aussi. D’ailleurs, ils m’ont conseillé de le
faire. Quand je l’ai ingérée, j’ai senti que c’était différent, plus
difficile à avaler, plus dégoûtant que la première fois. Le goût était
différent. Après moins de dix minutes j’ai commencé à me sentir mal,
j’avais envie de vomir. J’ai couru aux toilettes et j’ai vomi; j’ai perdu
mes forces et je suis tombé. A ce moment-là, j’étais dans une phase
d’intoxication, parce que j’étais enrhumé, une infection à la gorge, et
je prenais encore des antibiotiques à cette époque. J’étais donc pas
mal intoxiqué, et aujourd’hui je vois que ce processus a été aussi un
nettoyage énergétique. J’avais beaucoup vomi, et ils m’ont assis sur un
coussin, mais je n’arrivais pas à bouger.(...) Je sentais tout ce qui se
passait autour; j’avais parfaitement conscience de tout, mais je
n’arrivais pas à parler... Quand je vomissais, je voyais que je
vomissais des choses, des événements. C’était pas une vision ou un
sentiment, je savais que j’étais en train de vomir une dispute que
j’avais eue: cette dispute sortait, comme ça, tout le poison de la colère
sortait. Et à chaque fois que je vomissais, je sentais que je devenais
plus léger, plus soulagé... Quelques minutes après j’ai senti un
incroyable bien-être. Mais dans mon corps physique, sans agir.
J’avais perdu la conscience de mon corps; le corps astral et le corps
énergétique se retrouvent et la personne sort de son corps. Parce que
le Daime, dans les hinários281, tu gardes une vision et une audition
normales, ordinaires, comme quand tu es réveillé, et tu rentres dans un
processus parallèle de miração (vision). Tu peux, à travers ta propre
volonté, visualiser l’un ou l’autre plan. Et dans l’autre plan, tu peux
voyager autant que tu veux. Bon, il faut apprendre le truc de la
maîtrise du corps, hein? Bon, alors je me suis allongé, j’avais peur,
même si je me sentais bien. Parce que j’avais déjà rêvé que je mourais
tout en restant vivant. Tout le monde me croyait mort, mais j’étais
281
Outre les chants entonnés pendant les rituels, les hinários désignent les rituels eux-mêmes
d’ingestion du Daime.
vivant. J’ai toujours ces cauchemars. Et d’après ce que j’ai lu, c’est
exactement comme ça quand on meurt. Le corps ne bouge plus, mais
on a un autre corps; il est pareil, mais les autres ne le voient pas. (...)
Je crois que ça a été une espèce de mort. Je voulais dire aux gens que
j’étais dans cette situation-là et que je voulais être transporté à
l’hôpital, pour qu’on me fasse ressusciter, et que je voulais voir ma
mère. Mais je n’arrivais pas à communiquer, et mon agonie a
augmenté quand le thérapeute m’a regardé et qu’il a dit: ‘Non, ça va,
il va bien, c’est comme ça’. Et là j’ai pensé: ‘je vais mourir’. Et je me
suis laissé emporter, dissoudre. J’ai recommencé à voir les mêmes
figures qu’avant, mais c’étaient plus des figures mais des scènes...
Toute mon enfance, les grands moments, la morale de chaque histoire
de mon enfance. Des scènes sur ce que j’avais fait de juste et de
mauvais, le sens de chacune des expériences vécues, celles par où on
passe pour apprendre. Pour donner de la valeur à l’essence de la
chose, à ce qui est resté de chaque expérience... Des images de ma
famille, de mes amis, les choses bonnes ou mauvaises que j’avais
faites. Les dualités, qui me montraient... que le truc, c’est l’Etre vrai,
avoir de l’amour pour les gens, être reconnaissant. C’est ça le motclé: reconnaissance. Reconnaître que nous avons le privilège d’être
vivants, que nous devons remercier notre mère de nous avoir mis au
monde, notre père, tous ceux qui nous tolèrent... et Dieu, d’avoir tout
créé. Ça a été un moment de reconnaissance, de dévotion...
Reconnaître que tu es une partie d’un tout, et que tu as une valeur
immense. Non pas la valeur faussée de l’ego mais une valeur
spirituelle. Dans cette expérience, j’ai donc eu une énorme explosion
de conscience... Après ça, pendant des semaines, j’ai vécu des choses
bizarres. Je ne supportais plus la viande, la bière... je sentais une
aversion pour l’alcool. (...) En même temps, un état de paix profonde,
de compréhension: les problèmes n’existaient plus... J’ai commencé à
avoir d’autres préférences... à me couper des amis qui m’emmenaient
vers l’illusion... Et le cercle de mes relations a commencé à se limiter
aux gens du Daime...Avec ceux qui continuent à dormir, ce n’étais plus
possible...»
Ce récit d’une expérience d’ingestion du Daime ayant pris place, rappelons-le, dans
le cadre d’une séance psychothérapeutique présente, d’une certaine façon, une synthèse de
ce en quoi consiste le travail thérapeutique dans cet univers alternatif. Peut être est-ce en
raison de cette capacité qu’il a de concentrer l’expérience de «guérison» en une seule
séance et dès la première rencontre avec le breuvage que la majorité de mes informateurs a
décrit le Daime comme étant aujourd’hui le «canal» le plus puissant vers la spiritualité.
Mais ce qui nous intéresse ici c’est la compréhension de l’expérience racontée ci-dessus en
tant que version condensée du déroulement de ce travail thérapeutique-spirituel, ou du
moins de quelques-unes de ses dimensions.
La première dimension est celle de la purification. Elle apparaît dans le récit de
deux façons. Il y a d’abord la purification du corps physique, évoquée par le narrateur
lorsqu’il mentionne la prise d’antibiotiques et l’intoxication qu’elle lui cause. Et le Daime
va provoquer chez lui un processus de purgation (qui est confirmé ensuite par sa répulsion à
l’égard de la viande et de l’alcool, dans les semaines qui ont suivi l’expérience). D’autre
part, intervient une purification aux niveaux spirituel et affectif. Quand il vomit, Antonio
voit des «choses»: des événements passés, des disputes, des sentiments négatifs qui ont
«empoisonné» sa vie. Cette dimension est elle aussi vécue comme une désintoxication, le
malaise physique et les vomissements incontrôlables282 étant la matérialisation de cette
purification.
Antonio parle aussi de la sensation qu’il a d’être mort. C’est là une autre dimension
du travail thérapeutique-spirituel. La mort représente ici la transformation personnelle, vue
comme un processus d’abandon de ce qui ne sert plus, c’est-à-dire un processus consistant
à laisser mourir les éléments qui empêchent cette transformation283 .
Une dernière dimension apparaît dans son expérience: celle de l’apprentissage et de
la révélation, qu’il va résumer sous le terme «explosion de conscience». Cette conscience
signifie la compréhension des choses vécues dans le passé, la capacité de discerner entre le
bien et le mal et l’acquisition d’une perception religieuse des choses: celle de leur
dimension divine, du «remerciement» à Dieu, etc.
282
Cette réaction physique provoquée par l’ingestion du Daime, à laquelle s’ajoutent
quelquefois des diarrhées incontrôlables, m’a été confirmée par la plupart des personnes que
j’ai rencontrées et qui en ont fait l’expérience.
283
Dans l’interprétation des cartes du Tarot, l’Arcane de la Mort représente la rgement ce
processus. Il existe un dicton soufite cité dans un des manuels qu’utilisent les tarologues du
circuit parallèle à Porto Alegre et qui synthétise ainsi ce processus: «Laissez-vous mourir,
avant que vous ne mouriez» («Die before you die»). Cf. Ziegler, 1989, p.45.
Toute l’expérience (le malaise physique, les vomissements, la sensation de mort,
l’explosion de conscience) est ici vécue comme un processus de mort et de résurrection.
CHAP. 4 - LE TRAVAIL THERAPEUTIQUE-SPIRITUEL
Les quatre exemples de situations thérapeutiques décrites ci-dessus donnent une
idée de la variété des techniques employées, des procédures et des expériences possibles
dans le champ thérapeutique-religieux et des différentes significations données à ces
expériences. Ils ne sont que quelques cas singuliers choisis dans un univers encore plus
varié de travaux thérapeutiques et de croissance spirituelle observés directement ou
racontés par les informateurs.
Chaque individu, patient ou thérapeute utilise le répertoire inépuisable de thérapies
de façon singulière, quelquefois en associant des techniques et des conceptions
apparemment contradictoires. Ces expériences se distribuent dans un éventail qui va des
situations plus purement thérapeutiques à celles ayant un caractère plus fortement spirituel
ou religieux. Dans un pôle, nous retrouvons celles qui adoptent des procédures typiques des
thérapies «conventionnelles», dans l’autre pôle, les pratiques plus proches d’une expérience
rituelle et religieuse, les deux dimensions étant cependant étroitement liées. L’expérience
d’ingestion de l’ayahuasca racontée ci-dessus montre comment le Santo Daime lui-même,
une Eglise organisée au niveau national, ayant une hiérarchie plus ou moins définie, une
doctrine et une discipline rituelle, peut, dans le circuit thérapeutique néo-religieux avoir son
usage, et par conséquent sa signification, modifiés. Il est vrai que, s’il existe une rigidité par
rapport à l’accomplissement d’une certaine discipline rituelle, le Daime est flexible par
rapport à l’incorporation d’éléments venus d’autres univers spirituels et aux changements
du rituel lui-même284 . Quoi qu’il en soit, les rituels réalisés dans le cadre officiel de l’Eglise
font eux aussi partie des stratégies thérapeutiques d’un certains nombre de leurs
participants. C’est le cas de plusieurs saniases, qui, tout en gardant leur filiation à leur
maître indien, participent systématiquement aux travaux thérapeutiques de divers genres et
fréquentent régulièrement les rituels du Daime.
Si, dans le cas du Santo Daime, l’éclectisme est un principe doctrinaire, en ce qui
concerne les autres courants et familles spirituels et celles qui ne font pas partie du réseau
284
L’«éclectisme» étant l’un des principes du Santo Daime dès sa formation. A ce propos voir
Groisman, 1991.
des nouvelles religiosités (comme le spiritisme kardeciste ou les églises pentecôtistes) elles
sont maintes fois intégrées aux stratégies thérapeutiques des individus liés au circuit des
thérapies alternatives et assistent à une redéfiniton du sens de leurs rituels.
De la même façon, les diverses techniques employées sont associées selon les
arrangements les plus variés, même quand les mécanismes thérapeutiques, les formes de
soin et la façon de concevoir l’objet du travail thérapeutique lui-même sont différents.
Néanmoins, les expériences décrites et la diversité même de techniques et de conceptions
qui composent le réseau alternatif nous renvoient à des questions concernant le travail
thérapeutique et spirituel. Nous envisageons, dans ce chapitre, de systématiser ces questions
et ces différentes expériences dans une compréhension commune du travail thérapeutique:
quels sont les «mécanismes thérapeutiques» et le sens commun donné au travail
thérapeutique; quel est l’objet de ce travail?
La double implication entre le thérapeutique et le religieux (ou spirituel) est, dans
des proportions et des poids différents, une caractéristique récurrente dans les différentes
situations observées. La forme elle-même de description de ces expériences exprime ce
double caractère. Comme la dimension religieuse est présente dans les différentes thérapies,
un sens thérapeutique est également donné aux rituels (des expressions comme «le Daime,
c’est la guérison» étant très courantes). La double implication des deux aspects de
l’expérience ne repose pas seulement dans la combinaison de techniques et de procédures
différentes, mais surtout dans le sens donné à cette expérience.
Comme le démontrent les récits des itinéraires personnels, les notions et le cadre
sémantique utilisés pour les décrire, la notion de travail est une des catégories largement
employées pour décrire et synthétiser l’ensemble des activités réalisées dans l’un et l’autre
sens.
1. La notion de travail
Le mot travail est utilisé largement dans cet univers: «travail de croissance»,
«travail du Daime», «travailler un standard émotionnel», «personne travaillée», etc. Il se
réfère indistinctement au thérapeutique et au religieux.
Travail est la notion indigène employée pour décrire les différents moments de la
situation
thérapeutique
et
de
l’expérience
spirituelle.
Elle
peut
revêtir
différentes
significations et son emploi est largement répandu parmi les réseaux thérapeutiques
alternatifs. Cette polysémie de sens (qui est aussi une caractéristique d’autres notions du
vocabulaire courant dans ce circuit, comme celles d’énergie, de nettoyage, etc.) ne veut pas
dire pour autant que cette notion est épuisée dans son contenu ou qu’elle est vidée de toute
signification285 .
Cette notion indique les deux sens de la thérapie et de l’«état thérapeutique»
qu’expérimentent les individus. Il s’agit de deux champs de signification différents mais
complémentaires. Dans le premier, la notion de travail décrit les divers moments de la
situation thérapeutique et religieuse (la consultation, le rituel, les procédures pratiques); le
travail est la thérapie elle-même, est l’expression qui définit les procédures thérapeutiques
et le sens de ces procédures; la notion de travail serait aussi, dans ce cas, la forme indigène
pour désigner le rituel286 . Dans le deuxième champ, travail synthétise la condition
d’existence de la personne en thérapie (le travail sur soi: travail comme souffrance et travail
comme production - et création - de soi). D’une certaine façon, cette notion définit aussi la
condition des individus en thérapie et celle de l’individu qui a déjà vécu plusieurs
expériences thérapeutiques: il s’agit d’une personne travaillée («trabalhada»), c’est-à-dire
une personne en plein processus de transformation et de connaissance de soi.
Selon le premier sens, travail représente la notion utilisée pour décrire la situation
thérapeutique elle-même, qu’il s’agisse d’une consultation individuelle ou d’une situation
285
Dans ce sens, nos observations convergent vers celles de L. Eduardo Soares (1989), quand
il identifie travail et énergie comme deux notions récurrentes dans l’univers des nouvelles
religiosités. Cependant, elles s’éloignent de sa conclusion par l’existence d’une certaine
«inflation sémantique» dans leur usage (étant donné qu’ils s’adaptent à n’importe quelle
situation) qui impliquerait un épuisement de son sens. Une analyse minutieuse peut tenter de
décrire les significations différentes et variées (et non moins précises cependant) de l’usage
de la notion de travail et d’autres notions dans cet univers.
286
Nous avons préféré de garder cette expression pour ne pas perdre ses significations
particulières dans ce contexte.
collective (un cours, un atelier, etc.). Elle décrit aussi le processus et les procédures
thérapeutiques: la combinaison de différents genres de consultation individuelle et
d’activités collectives; la prise systématique d’essences florales; la pratique de la
méditation; la réalisation de certaines taches visant des résultats particuliers; etc.
A partir de ce premier champ de significations, on peut établir un parallèle avec
l’univers religieux.
Dans le cas des nouvelles religiosités, dans le Santo Daime, par
exemple, tout rituel est nommé travail287 , même si certains d’entre eux ont pour principal
but la guérison, l’énergie dégagée pendant le rituel étant canalisée dans ce dessein.
Cependant, la notion de travail est d’usage courant aussi dans d’autres univers
religieux, en dehors du circuit néo-religieux. Dans les cultes afro-brésiliens, par exemple,
travail revêt deux significations. D’une part, celle de travail rituel, c’est-à-dire travail en
tant que situation rituelle elle-même: la séance, le moment de contact avec les orixás et les
autres entités spirituelles. D’autre part, quelques cultes d’origine afro-brésilienne utilisent
travail dans un sens proche de celui d’ensorcellement ou de charme («feitiço»). Faire un
travail («fazer um trabalho») signifie pratiquer la «sorcellerie» contre quelqu’un ou pour
arriver à un but défini288 .
287
Les rituels du Daime réalisés dans son Eglise à Porto Alegre sont nommés travail
(trabalho), comme le montre un imprimé de divulgation du calendrier officiel des activités et
des rituels.
288
Maggie Velho (1975), dans le glossaire de la fin de son étude sur un terreiro d’umbanda à
Rio de Janeiro, fait une description de chacune des utilisations des notions de travail et de
travailler qu’elle a rencontrées au cours de sa recherche. Il serait intéressant de transcrire
quelques unes de ces significations: «Trabalhar - qualquer atuação dos médiuns em
possessão no terreiro ou fora dele (N’importe quelle action des médiums en possession, à
l’intérieur ou à l’extérieur du temple). Trabalhar em todas as linhas - saber realisar
qualquer tipo de ritual de Umbanda (savoir faire tout type de rituel d’Umbanda). Trabalhar
para o mal - utilizar a possessão para praticar o mal de forma consciente. Praticar atos de
feitiçaria. Geralmente usado em sentido acusatório (utiliser la possession pour pratiquer
consciemment le mal. Pratiquer des actes de sorcellerie. En général utilisé dans uns sens
accusatoire). Trabalho feito - Feitiço (ensorcellement). Trabalhos - Qualquer ato praticado
pelos médiuns em estado de possessão. Pode ser usado para definir as sessões propriamente
ditas. (Tous les actes pratiqués par les médiums en état de possession. Peut être utilisé pour
définir les séances elles-mêmes)(p.169). Dantas (1988) par rapport au candomblé nagô
définit trabalho comme «a atividade ritual. O termo é mais usualmente empregado para
definir as atividades privadas» (l’activité rituelle. Le terme est davantage employé pour
définir les activités privées), (glossaire, p.62). Par «activités privées» elle se réfère
certainement aux procédures rituelles visant un but personnel spécifique.
Ces deux sens (le travail comme rituel et le travail comme procédure pratique visant
un objectif précis) sont présents dans la notion de travail et définissent l’expérience
thérapeutique néo-religieuse. Le moment collectif est représenté par les consultations, les
cours, les ateliers, les méditations collectives (tous imprégnés d’un fort sens rituel289). Les
procédures pratiques sont les prescriptions recommandées par le thérapeute ou par le
maître; elles prennent des formes les plus diverses: des conseils pratiques à caractère
prophylactiques (l’orientation donnée par l’astrologue à sa cliente, de «travailler plus la
terre»290 , en marchant pieds nus, en se consacrant aux tâches pratiques quotidiennes); aux
procédures nettement magiques, (comme brûler un encens pour «nettoyer» l’énergie d’un
lieu précis). Ces procédures pratiques s’intègrent dans le travail plus large et de longue
durée auquel la personne s’est consacrée.
La notion de «travail» est également d’usage courant dans un autre champ que celui
du religieux: dans le cadre d’une «culture psychanalytique», cette expression alors qu’elle
emprunte les significations données par le discours psychanalytique savant, se réfère aussi à
l’expérience de l’individu qui se serait mis dans un état d’auto-analyse, (ayant fait ou non
une psychanalyse); une expérience qui se manifeste aussi à travers l’utilisation de tout un
langage emprunté à la psychanalyse savante291 .
Ce sens donné au travail éclaire le deuxième champ des significations de cette
notion: celui lié à une définition de la condition ou de l’état thérapeutique vécu par la
personne. Il n’est pas exclusif par rapport au précédent mais, au contraire, le complète et
s’y superpose comme une couche plus profonde de signification de l’ensemble du travail
thérapeutique. Travail représente donc ici la condition vécue par l’individu en thérapie. Cet
«état thérapeutique» de l’existence possède deux connotations complémentaires.
D’un côté, la notion revêt une connotation de sacrifice et de souffrance, car c’est à
travers «le contact avec ses ombres intérieures» que l’individu peut «se transformer et
289
A titre d’exemple, nous pourrions citer l’ensemble de procédures qui accompagnent une
séance de tarot: musique de fond, encens, pieds nus, courte méditation avant de tirer les
cartes, etc.
290
291
Elle parle de l’un des quatre éléments astrologiques: l’eau, la terre, l’air et le feu.
Voir, par exemple les notions de «travail de deuil» et de «travail du rêve», cf. Freud, 1989
et 1968.
apprendre».
La
souffrance
est
perçue
comme
canal
ou
en
tant
qu’instrument
d’apprentissage et de transformation personnelle.
D’un autre côté, travail signifie la production et la création de soi: l’investissement
(d’énergie, de temps, d’argent, d’affect) dans la production de soi, le Moi étant le résultat
d’une construction consciente et une oeuvre de la volonté292 . La création de soi implique et
est le résultat d’un processus de nettoyage et de purification, dans un mouvement allant de
l’intérieur de la personne vers l’extérieur. L’image du miroir qui doit être toujours poli pour
continuer à refléter est utilisée par certains patients et thérapeutes pour définir la thérapie et
le travail permanents sur soi.
Dans ce deuxième champ de significations, travail décrit l’effort thérapeutique,
c’est-à-dire l’effort fait par le patient (avec ou sans l’aide d’un thérapeute) pour surmonter
ses difficultés, ses peurs, ses standards de comportement, etc. Il s’agit surtout d’un travail
de transformation, de changement, où le «vieux moi» fera place à un nouvel être épanoui.
Le sens de travail se rapproche ici de la signification psychanalytique savante
donnée à la notion, en tant que processus de transformation des sentiments et des affects293 .
L’idée de transformation est très présente dans les pratiques thérapeutiques et spirituelles:
la transformation des sentiments, comme la rage en compassion et en compréhension, dans
la thérapie de Fischer-Hoffman, ou en reconnaissance, dans le Santo Daime; la
transformation des standards acquis en «reconnaissance de soi»; la transformation des
sentiments et des énergies négatives en des affirmations positives; la transformation de soi;
292
La connotation positive donnée à cette notion est propre à la conception moderne de
travail. Si elle est antérieure à Marx, c’est dans ses écrits que cette notion de travail en tant
que possibilité virtuelle d’autocréation va apparaître plus clairement. Obeyesekere (1985) va
reprendre la notion marxiste de travail pour faire un parallèle avec le travail dans la théorie
psychanalytique.
293
Obeyesekere (1985) a repris cette notion pour analyser ce qu’il nomme le «travail de la
culture»: «The work of culture is the process whereby painful motives and affects such as
those occuring in depression are transformed into publicly accepted sets of meanings and
symbols», p.147. («Le travail de la culture est le processus à travers lequel des mobiles et des
affects douloureux, comme ceux qui surviennent lors d’une dépression, sont transformés dans
un réseau de significations et de symboles publiquement acceptés»).
la transformation de sentiments et d’affects vécus en «symboles et significations»294 . Toutes
ces métamorphoses sont le résultat d’un travail.
2. Mise en scène du travail
Les travaux thérapeutiques spirituels (des consultations individuelles aux rituels
collectifs) ne sont pas réalisés sans la production d’un espace et d’une mise en scène qui
visent à mettre les participants dans un état favorable à leur réalisation. Il n’existe pas une
formule, une seule façon d’aménager l’espace, d’utiliser certains objets rituels ou encore de
ritualiser la séance, ces démarches dépendant, une fois de plus, du style de chaque
thérapeute.
L’organisation de toutes ces activités a, toutefois, en commun la préoccupation de
créer un espace symbolisé non ordinaire, d’un coté et, de l’autre, de prescrire des gestes et
des procédures ayant un caractère rituel, même quand ils ne sont pas réalisés dans une
situation rituelle proprement dite295 .
2.a) L’espace
Une grande partie des thérapeutes qui réalisent des consultations individuelles
possède ses locaux de travail dans les centres professionnels 296, à côté des cabinets de
psychanalystes, dentistes, médecins, avocats et d’autres professionnels libéraux.
294
Cf. Obeyesekere, 1985, p. 147.
295
Cette double implication (entre la situation rituelle ayant un sens thérapeutique et les
procédures thérapeutiques ayant un caractère rituel) montre l’interchangeabilité entre le
thérapeutique et le spirituel. Dans nos analyses, la notion de rituel est utilisée plutôt pour
décrire la qualité, le caractère de cet ensemble de procédures et d’expériences que dans sa
signification substantive liée à l’institution proprement dite (religieuse ou non). Cela veut dire
que nous n’envisageons pas d’analyser le rituel en soi, sa structure, son schéma de
fonctionnement, en dehors des vécus individuels et des significations que les individus
donnent à ces expériences.
296
Les centres professionnels sont des bâtiments construits spécialement pour abriter des
cabinets et des bureaux de professionnels libéraux.
Néanmoins, la production de l’espace de la consultation va constituer un aspect
important dans la distinction du thérapeute «alternatif» des thérapeutes conventionnels.
Evidemment, la disposition de l’espace, le décor, les objets, changent de l’un à
l’autre et, dans ces différences d’organisation de l’espace de la consultation, nous allons
retrouver les particularités de chaque thérapeute. Il existera cependant toujours un détail, un
élément, comme marque de distinction qui montrera que le travail réalisé dans cet espace
précis n’est pas le même que dans un cabinet ordinaire: un cristal brut dans un coin de la
salle, un encens qui brûle au moment du rendez-vous, une photo d’Osho (le maître indien)
sur la table, une petite statuette du Bouddha, sont des signes du caractère plus ou moins
religieux ou mystique du travail réalisé dans cet espace. Toutes sortes d’aménagements
peuvent être rencontrées.
Dans le début de la recherche de terrain, à Florianópolis, j’ai connu un cabinet placé
dans un bâtiment commercial très moderne du centre ville, où quelques thérapeutes
donnaient des consultations de régression aux vies antérieures, de rebirthing et de massage
ayurvédique. Dans ce cabinet, le tarologue qui avait donné une série de cours de tarot dans
la ville recevait ses clients pendant ses brèves séjours, lors de ses cours et ses ateliers à
Florianópolis et Porto Alegre.
Une brève description de ce cabinet peut donner une idée de l’atmosphère et de
l’ambiance de ce genre d’espace. Ce cabinet se trouvait dans le même ensemble de
bâtiments où des psychanalystes et des psychologues avaient aussi installé leur cabinet. Il
reproduisait, d’une certaine façon, ce que j’ai fini par retrouver dans les autres espaces
thérapeutiques à Porto Alegre.
Les deux salles du cabinet et la salle d’attente (la seule à posséder des chaises et une
table) étaient revêtues de moquette, ce qui leur conférait une atmosphère à la fois feutrée et
accueillante. Dans la salle de consultation, un large tissu indien recouvrait en partie la
moquette. Des coussins, disposés sur le sol (où étaient réalisées les consultations), une
photo du «maître» (Osho), dans un des angles, sur une étoffe de soie indienne. Autour de la
photo, plusieurs petits cristaux de couleur bleue, verte, rosée et d’autres transparents. On
pouvait noter aussi certaines traces des activités dont le cabinet était le siège: des huiles de
massage, des boîtes de mouchoirs en papier, une pile de cassettes et, dans un coin, une
chaîne hi-fi où, pendant les consultations, on faisait passer de la musique indienne ou
encore «new age»297 . Les grandes fenêtres étaient voilées par un rideau de coton beige
d’aspect moderne. L’ensemble créait une atmosphère à la fois cool, moderne, dégagée et
accueillante. Maintes fois j’ai pu retrouver cette même atmosphère dans les maisons de
quelques informateurs, où la présence de quelques objets, d’un certain genre de décoration
faisaient penser à un style commun aux partisans d’une culture «alternative».
On peut remarquer le souci apporté au choix des objets (plutôt «chauds» que
«froids»), qui cherchent à créer une ambiance propre et confortable et, en même temps,
chaleureuse et décontractée. On voit, à travers le genre d’aménagement de ces cabinets,
l’importance accordée à l’établissement d’une atmosphère de transparence et d’échange
entre le thérapeute et son client, comme à la préoccupation de créer une interface de contact
entre les deux298 .
Plusieurs fois, il a été possible de retrouver dans les salles d’attente de ces cabinets
des affiches, fixées aux murs, invitant aux cours, aux ateliers et à d’autres événements, ou
bien divulguant des livres et d’autres publications. C’est là une des façons informelles de
faire circuler les informations dans le circuit alternatif.
En ce qui concerne les autres thérapeutes que j’ai pu observer, la production de
l’espace de la consultation garde son importance, même quand les signes utilisés sont tout
autres. La consultation n’est pas toujours faite sur le sol, bien qu’il s’agisse d’une pratique
très commune. Souvent, le thérapeute et le patient sont assis sur une chaise, autour d’une
table. Naturellement, cette disposition dépend du genre de thérapie pratiqué. Elle permet
une interprétation de la carte natale ou une lecture des cartes du tarot, mais elle ne peut pas
être adoptée dans le cas d’une thérapie des vies antérieures (ou la personne doit être
allongée), par exemple.
297
Musique née aux Etats-Unis et qui mêle des éléments du jazz, de la musique érudite et des
différents genres de «musique orientale», dans une synthèse très particulière. Elle est
largement utilisée comme un instrument accessoire pendant les consultations individuelles et
dans les travaux collectifs.
298
Au contraire des cabinets médicaux conventionnels où prédomine l’impersonnalité et la
préoccupation de démarquer une certaine distanciation sociale entre le médecin et le patient.
De toute façon, cette même ambiance peut être trouvée dans d’autres espaces de
consultation comme ceux aménagés dans la propre maison du thérapeute. Dans ce cas, si la
maison est suffisamment grande, l’une des pièces est aménagée dans ce but. Quand la
maison ou l’appartement sont trop petits, il faut alors aménager un coin de l’une des pièces,
ou simplement une table, où sont disposés des encens, des pierres, des cristaux, des tissus
de soie et les instruments de travail du thérapeute: les cartes du tarot, le dessin de la carte
astrale qui sera interprétée, etc.
On peut trouver aussi des ambiances plus dégagées des symboles ésotériques, se
rapprochant plutôt de n’importe quel autre cabinet ou bureau. Cependant, même dans ces
cas, il existe toujours un objet rappelant le caractère du travail mené dans cet espace: par
exemple une salle, dans le centre de Porto Alegre, partagée par deux astrologues (l’une
étant sociologue), où tout apparemment laissait entendre qu’il s’agissait plus d’un bureau
de travail de n’importe quel professionnel libéral (apparence renforcée par la présence d’un
ordinateur, utilisé pour les calculs des cartes astrales), que d’un cabinet d’astrologie. Le
seul signe qui pouvait indiquer cette activité était une collection de pierres et de cristaux
qui, lors d’une de mes visites, se trouvaient sur le balcon, au soleil, pour se «reénergiser».
Une autre salle, localisée dans un centre professionnel dans un quartier proche du centre
ville, partagée entre une astrologue et une psychologue, possédait très peu d’objets
indiquant qu’il ne s’agissait pas seulement d’un simple cabinet de psychologie. Seul peutêtre le parfum de l’encens indien qui brûlait pendant toutes mes conversations avec
l’astrologue pouvait révéler le contraire.
Un des praticiens du tarot que j’ai connu à Porto Alegre reçoit ses clients dans son
propre appartement, dans une pièce à moitié vide à l’exception, au centre, d’une table ronde
(où étaient disposés plusieurs ensembles de cartes du tarot, quelques cristaux et des
encens), il y avait également des photos d’Osho, fixées aux murs. En dehors de cette pièce,
rien dans l’appartement ne pouvait indiquer qu’il s’agissait d’un espace de travail d’un
thérapeute saniase.
Il est intéressant de penser à la façon dont ces objets sont significatifs pour indiquer
la filiation spirituelle du thérapeute. Une photo d’Osho ou le mala sur la table laissent
évidente l’identité saniase de l’informateur. Une ambiance absolument cool, presque
dépouillée de signes, peut indiquer une absence de filiation ou une envie de donner une
tonalité plus professionnelle et thérapeutique que mystique au travail.
Il existe encore d’autres ambiances qui, même en étant créées pour les consultations
restent, en priorité, des espaces rituels. Dans ces cas, la façon d’aménager l’espace est donc
toute autre. On retrouve parmi eux les espaces qui servent de temple pour la réalisation de
rituels liés à une tradition, ou de siège d’un groupe mystique ou religieux. J’ai connu au
moins deux de ces espaces ayant ce caractère299 . Un de ces temples est localisé près du
centre ville à Porto Alegre. Dans l’une de ses salles (où étaient réalisées aussi des séances
de tarot), divers objets indiquent le lieu comme un espace rituel: un petit autel disposé sur
une petite table, où étaient disposées une bougie blanche et l’autre noire;
un filet
d’halogène rouge donnant l’impression d’un feu qui brûlait; une cuvette pleine de feuilles
de Datura300 qui seraient utilisées dans l’un des rituels et, caché derrière un rideau, un
temple (ou plutôt une sorte d’autel) dédié à une déesse égyptienne (Isis), où étaient réalisés
des rituels et des cultes liés à l’une des traditions magiques européennes301.
Il existe souvent un mélange de symboles issus de différentes traditions, créant une
sorte de mosaïque d’images et de significations. Probablement le paroxysme de la
multiplication des signes ésotériques et de l’inflation symbolique, dans un espace qui sert
aussi à des consultations, est le siège d’un groupe qui se réclame de différentes traditions
ésotériques européennes à Porto Alegre302 . Il est localisé dans la chambre à coucher de son
leader, dans sa maison où il vit avec sa famille. Dans cette chambre-temple, trois murs sont
299
Malgré avoir contacté d’autres groupes du genre, tous ne m’ont pas autorisée à pénétrer
dans l’espace du temple où se réalisent les rituels. Quelques uns de ces temples sont utilisés
aussi pour des rituels de guérison.
300
Plante aux propriétés psycho-actives, la «hierba del diablo» (Datura inoxia), dont C.
Castañeda (s/d) a décrit l’usage et ses expériences auprès d’un indien Yaqui au Mexique. Les
livres de Castañeda étaient des livres «cultes» dans les années 70, parmi les cercles d’une
culture écologique, alternative au Brésil.
301
Dans ce cas, il s’agit d’un groupe qui se dit partisan de la tradition de l’ordre anglais du
Golden Dawn. Le rideau qui couvre l’autel n’est ouvert que lors des rituels du groupe. Dans
un de ces rituels où j’avais été invitée, une pomme a été sacrifiée à Isis, en respectant la
tradition rituelle de la magie du Golden Dawn.
302
Ce groupe a, d’ailleurs, une action très controversée dans le milieu mystique -ésotérique de
Porto Alegre, accusé de manque de sérieux, de permissivité et d’absence de critères pendant
les rituels, etc.
totalement argentés du haut en bas, le quatrième mur, devant la porte, est tout en noir, avec
divers symboles ésotériques peints ou affichés: la lune dans ces quatre phases, un
pentagramme, des symboles égyptiens dorés, etc. D’un côté de ce mur, une sculpture
argentée représente Géia, la terre et, de l’autre, la sculpture d’une autre divinité féminine.
Des objets rituels sont éparpillés partout: une épée, des bougies et des cristaux, une cape
violette et noire accrochée derrière la porte. Ces objets se mêlent aux objets ordinaires: un
appareil hi-fi et une dizaine de cassettes et, au milieu de la pièce, un aspirateur branché prêt
à être utilisé.
L’exemple inverse est probablement celui de l’astrologue dont nous avons transcrit
le récit de vie au chapitre 2. Elle reçoit ses patients chez elle ou dans le Centre de
Méditation saniase. Quand elle reçoit chez elle, la consultation a lieu sur un matelas,
disposé dans la salle de son appartement, ou autour de la table de la cuisine, tout en buvant
du chimarrão, l’astrologue dialogue de façon informelle avec son client. Il n’existe
pratiquement aucun signe pour sacraliser cet espace et cette situation.
Même quand ces espaces sont aménagés dans des lieux destinés normalement à une
autre utilisation, la disposition d’un certain nombre d’objets rituels et la réalisation de
quelques gestes (se donner les mains, enlever les chaussures, garder les yeux fermés, faire
une méditation, etc.) transforment ces lieux en des espaces rituels ou thérapeutiques303 .
Ainsi, le salon du Musée Historique de Santa Catarina est transformé en espace
d’activités rituelles et thérapeutiques pendant certains
week-ends. Gardien des objets
représentatifs d’un passé figé dans ses murs, le Musée devient provisoirement la scène ou
défileront les images d’une autre «histoire»: celle des «vies passées» de chacun des
participants, des images aussi éphémères que les trois ou quatre jours de durée de l’atelier.
La salle de la maison d’une tarologue devient provisoirement un espace de consultation; il
suffit de mettre un encens à brûler et de passer une cassette d’Andréas Vollenweider304 dans
l’appareil hi-fi.
303
Conformément à la notion de de Certeau (1980, p.208) de l’espace en tant que «lieu
pratiqué».
304
Musicien du «nouvel âge».
Un facteur important dans l’aménagement de l’espace reste l’utilisation d’objets
ayant des propriétés particulières qui seront étendues à l’espace et aux personnes qui
l’occuperont. Ainsi, les cristaux ont le pouvoir d’équilibrer les énergies et d’éloigner les
mauvais fluides; l’encens peut créer une ambiance de sérénité et un espace purifié;
certaines pierres ont des pouvoirs spécifiques (l’«oeil de tigre» éloigne le mauvais oeil,
l’améthyste développe la spiritualité, etc.).
2.b) Temps rituel et temps thérapeutique
Comme avec l’espace, le temps est l’autre vecteur fondateur de l’expérience
thérapeutique-spirituelle. Quand l’espace aménagé à partir d’un lieu ordinaire est utilisé
pour un travail thérapeutique ou rituel, on y retrouve aussi une autre dimension de cette
métamorphose - celle du temps ordinaire, continu et rationnel qui devient un autre temps: le
temps suspendu, un temps qu’on pourrait dire «sacré», au fur et à mesure qu’il sépare
l’expérience de la vie ordinaire. Le temps d’une consultation suspend (pendant une ou deux
heures) l’écoulement normal du temps ordinaire établissant une autre dimension de
temporalité305 . La durée d’une consultation ou d’un travail représente ces deux aspects:
d’un côté, le bouleversement de l’ordre chronologique des événements (transitant des
expériences du passé à celles du futur) et la concentration de l’expérience vécue.
En deux heures de régression dans une TVP (thérapie des vies antérieures), l’ordre
du temps est complètement éclaté: les individus rejoignent un temps impossible, un temps
du non-être qui n’existe ni dans la vie ordinaire ni dans les dimensions limitées de la vie
humaine sur terre, mais qui cependant n’est pas extérieur à l’individu. Au contraire, c’est
un temps qui émerge d’une dimension intérieure de la personne et il n’émerge que parce
qu’elle se met dans un état d’ouverture et de contact avec son «être le plus profond».
305
Turner a défini la célébration du rituel comme ce «moment dans et hors du temps» (pour
utiliser une expression de T.S. Eliot). Cf. Turner, 1972, p.16.
Le temps d’un travail thérapeutique-spirituel représente aussi une concentration de
l’expérience vécue. Un commentaire courant après une séance de lecture du tarot ou de
régression aux vies passées: «ça vaut six mois de psychanalyse». En deux heures de lecture
d’une carte astrale on a l’impression de repasser toute sa vie, dans tous ses aspects.
L’autre dimension du temps est celle qui déborde les limites d’une séance ou d’un
travail ponctuel. Au fur et à mesure que l’individu commence à adopter un comportement
thérapeutique au quotidien, l’espace thérapeutique, celui que nous avons décrit comme
étant occupé par des activités thérapeutiques ou rituelles, commence à occuper d’autres
«lieux», liés au plan de la vie ordinaire. Nous avons, dans ce cas, une redéfinition du temps:
si, dans les premiers travaux réalisés, le temps des activités accomplies est délimité et
ponctuel, avec une durée définie, au fur et à mesure que l’«être en thérapie» commence à
occuper une place centrale dans la vie du sujet, il devient difficile de définir le temps de
l’activité thérapeutique et celui employé en d’autres activités. Car tous les moments et les
dimensions de la vie de ce sujet sont imprégnés d’un sens thérapeutique. Cette autre
dimension du temps qui court parallèlement à l’itinéraire personnel est alors indéfinissable:
l’état de l’être en thérapie et en quête spirituelle est la condition de toute une vie.
Cette deuxième dimension du temps, qui étend le «temps sacré» du travail
thérapeutique-spirituel à tous les autres domaines de la vie et aux temps «profanes», est
fondatrice de l’expérience thérapeutique dans les cultures néo-religieuses.
2.c) Procédures rituelles
La production et l’aménagement de l’espace et des objets ne sont que l’un des
éléments qui aident à créer une atmosphère favorable à tout genre de travail thérapeutiquespirituel. Il y a encore d’autres facteurs qui composent la mise en scène d’une consultation
ou d’une activité collective qui sont fondamentaux pour la réalisation de ce travail.
Dans le cas d’une consultation, en dehors de la composition de l’espace et de
l’ambiance, les procédures adoptées représentent l’autre facteur qui aide à mettre le patient
et le thérapeute dans un état de réceptivité mutuelle et à créer une atmosphère favorable à
l’établissement d’une relation thérapeutique et/ou spirituelle. Il faut souligner que maintes
fois les gestes liés à une ritualisation de la séance se confondent aux procédures techniques
propres à la thérapie réalisée. La justification de l’efficacité pratique d’un certain type de
gestualité, de respiration ou de mouvement corporel est fréquemment faite à travers toute
une explication au sujet de la façon dont opère la thérapie et sa technique. Ces procédures
varient aussi d’un thérapeute à l’autre. Quelques uns se limitent à allumer un encens au
début de la séance, d’autres préfèrent faire un bref rituel en utilisant une technique de
relaxation ou de méditation. Le sens de ces procédures serait, selon les informateurs, de
mettre la personne dans un «état méditatif», de lui faire oublier pour un instant les
problèmes quotidiens qui l’empêchent d’être «en contact avec soi-même».
J’ai eu l’opportunité d’observer différentes consultations et travaux thérapeutiques,
comme «cliente» (ce qui m’a donné une perception plus sensible de toute la mise en scène
et du mécanisme thérapeutique lui-même) et comme observatrice extérieure (ce qui donnait
une autre perspective à la perception de ce mécanisme). Les procédures changent d’un
thérapeute à l’autre, mais elles ont un sens commun. D’abord, séparer l’ambiance de la
consultation du «monde extérieur» et retirer le client des préoccupations de la «vie
quotidienne». L’aménagement de l’espace est un des moyens pour y arriver. Les autres sont
les
quelques
actes
pratiques
comme
enlever
les chaussures, méditer, respirer
profondément, brûler un encens, passer une musique douce et appropriée, etc.
Le rituel du début d’une consultation - enlever les chaussures, s'asseoir sur le sol,
adopter une position de détente, respirer profondément avant de parler, mélanger les cartes
lentement (dans le cas d’une séance de tarot par exemple) en laissant passer toutes les
pensées - fonctionne pratiquement comme un "toucher de relaxation"306 , établissant une
double interface de contact: 1) entre les pensées conscientes du client et son psychisme plus
profond, faisant céder ses résistances; 2) entre le client et le thérapeute, à partir de la
répétition des mêmes gestes et du partage d'une même expérience.
La ritualisation d’une séance recèle ici ce que Turner (1972) dénommait le
«caractère intentionnel» des rituels, celui d’influencer la conduite des participants307 .
306
Même s’il n’y a pas de contact. Voir Nathan, 1988, p.95.
307
Cf. Turner, 1972, p.16.
Dans les travaux collectifs, ces procédures rituelles sont encore plus renforcées,
même quand leur sens change d’une situation à l’autre.
Si l’on compare par exemple un rituel officiel du Santo Daime et une séance de
biodanse, les différences sont évidentes308 . Dans la biodanse, le sens donné au travail est de
«libérer l’individu des répressions et de toutes les contraintes»,
de l’aider à «libérer ses
émotions» et à «établir un contact» (aussi sur le plan physique) avec les autres. Pendant une
séance de biodanse (ainsi que dans l’étape de relaxation de certains ateliers d’apprentissage
d’une technique particulière), les personnes se touchent beaucoup, se prennent dans leurs
bras et chacune des pratiques est liée à l’interaction avec les autres. Il y a, selon les dires
d’un informateur, une «affectivité exacerbée» 309 . Par exemple, dans le final des séances de
biodanse, les personnes se prennent dans leurs bras pendant plusieurs minutes, pour
«échanger l’énergie».
Par contre, dans les travaux du Santo Daime, toute l’organisation rituelle empêche
ce genre de contact. Les hommes et les femmes, les mariés et les célibataires, chacune de
ces catégories a sa place définie dans le rituel et doit la respecter. Cette absence de contact
sur le plan physique (au moins avec le poids qu’il a dans d’autres travaux collectifs) est
expliqué par les daimistes: quand une personne ingère le Daime, elle devient très sensible et
ouverte, accessible à toutes sortes d’énergie et d’influences extérieures. Pendant les rituels,
la fiscalisation 310 reste vive pour empêcher les personnes d’atuar (jouer). C’est-à-dire
d’entrer en interaction avec d’autres entités ou intelligences non incarnées qui essaient
d’«agir» (atuar) sur la matière en utilisant la personne.
Un des objectifs de la discipline
rituelle serait de protéger les personnes de ces influences.
Même dans les autres situations qui ne sont pas nécessairement rituelles ou
thérapeutiques, il existe toujours des procédures rituelles. Par exemple, dans les
308
Sans oublier le fait que la biodanse est considérée davantage en tant que thérapie qu’en tant
que pratique religieuse, à l’opposée du Santo Daime.
309
Il me revient en mémoire, à ce propos, la réflexion de Champion et Hervieu-Léger (1990)
sur la «dimension émotionnelle des nouveaux mouvements religieux» (p.8), surtout à ces
débuts, dans la renaissance religieuse des années 70, où s’affirmait «le primat des relations
personne à personne et celui du sentiment sur la raison» (p.7).
310
La fiscalisation est formée par les personnes déjà initiées qui contrôlent le fonctionnement
et l’accomplissement des règles rituelles dans le Santo Daime.
conférences et les discours, avant que l’orateur commence son exposé, se réalise une brève
séance de méditation collective ou simplement de relaxation. Des pratiques qui visent à
mettre chacun des participants dans un état de réceptivité aux questions considérées comme
plus «élevées» et traitées dans la conférence. Ce genre de procédures tend également à
laisser de côté les problèmes de la vie ordinaire, à créer un lien, une communion avec les
autres, à mettre chacun des participants en relation avec la collectivité. Elles sont
communes à n’importe quelle rencontre dans les cadres d’une culture thérapeutique néoreligieuse, au Brésil ou dans d’autres pays, comme j’ai pu le constater à partir de quelques
observations que j’ai faites dans cet univers en France.
A Paris, par exemple, tous les mercredis, le cinéaste chilien Jodorowski réalise des
conférences sur le tarot et la vie spirituelle, rassemblant un public de classe moyenne. A
chaque début de ces conférences, il existe un moment de relaxation et de méditation,
pendant lequel tous les participants se donnent le petit doigt, ferment les yeux et après
quelques secondes de silence, prononcent l’AUM (un des mantras bouddhistes). Selon
Jodorowski, c’est un moment où toutes les personnes dans la salle ont une chose en
commun. Les personnes pratiquent ce geste deux fois, la première en pensant en quelqu’un
à qui elles veulent «faire le bien sans le dire», l’autre fois en pensant à elles-mêmes.
Pourtant, se donner les mains dans une conférence sur le tarot à Paris, ou boire du
chimarrão dans une consultation astrologique à Porto Alegre, sont deux chemins différents
pour arriver à ce qui parait relativement doté d’un même sens dans le discours et les récits
des informateurs: se mettre dans un état d’esprit favorable à la «connaissance de soi», à la
liaison «avec soi-même», au contact avec d’autres plans («plus élevés») de la vie et de
l’être. En dépit des différences dans les rituels et dans les chemins choisis, quelquefois
contradictoires, on aperçoit au fond ce sens commun donné à l’expérience.
Les thérapies alternatives ont ainsi en commun cette importance donnée à l’usage
d’un langage rituel et
à l’aménagement et à la symbolisation d’un espace destiné à leurs
activités. McGuire (1988) parle de l’usage extensif du rituel comme l’un des traits
comparables des groupes de cure qu’elle a étudiés. Elle observe que la ritualisation est une
forme de mise en oeuvre de ce qu’elle nomme les deux «facteurs-clés» de ce genre de cure:
le contact avec les sources de pouvoir personnel et la production d’un sens d’ordre311 .
Quoi qu’il en soit, le sens de ces différentes formes de mise en scène du travail
thérapeutique et spirituel est lié au sens donné à ce travail lui-même.
3. La relation thérapeutique et spirituelle
Tout travail thérapeutique relève d’un processus intersubjectif, par le simple fait
qu’il implique la participation d’au moins deux personnes, dans le cas des consultations
individuelles, ou de plusieurs, dans le cas des travaux collectifs et des rituels. La relation
établie entre les participants d’un travail concerne divers plans d’interaction: l’utilisation
d’un
langage
commun,
l’expérimentation
d’une
même
expérience
spirituelle
ou
émotionnelle, le partage d’un même système de valeurs et de principes. La relation
thérapeutique constitue aussi elle-même un des mécanismes thérapeutiques.
Deux questions se posent d’abord au sujet de la relation thérapeutique dans les
thérapies parallèles néo-religieuses: est-ce qu’il y a une spécificité dans cette relation par
rapport aux autres formes thérapeutiques; est-ce que cette spécificité est commune à tous
les types de thérapie pratiqués dans ce circuit?
Il faut d’abord reprendre la question sur ce qu’est la «relation thérapeutique» dans
ces pratiques. Si, dans les thérapies conventionnelles on peut la décrire comme la relation
entre le thérapeute et son patient, cette assertion n’est pas toujours vraie pour les thérapies
parallèles.
Le thérapeute n’est pas toujours un personnage défini en tant que tel. Alors qu’il
existe une interchangeabilité entre les rôles de patient et celui de thérapeute, dans un
nombre important de cas ce dernier n’est un thérapeute que pendant le temps défini d’une
séance; il ne construit pas son identité autour de ce rôle.
311
Cf. McGuire, 1988, p.213.
Nous avons donc ces deux dynamiques touchant l’image du thérapeute dans ces
thérapies: d’un côté, la recherche d’une légitimité en tant que thérapeute, à travers
l’incorporation d’un comportement, de gestes et de symboles qui renforcent sont identité;
de l’autre, la fluidité du rôle de thérapeute, l’interchangeabilité avec le rôle de patient312 .
Cette fluidité occasionnelle rattachée à la figure du thérapeute est liée au sens même
donné au travail thérapeutique et au rétablissement du bien-être comme un résultat de
l’effort de l’individu et de lui seul313 .
Un exemple de cette conception de la thérapie comme un processus d’auto-soin a
été donné dans un travail présenté dans le «Colloque International sur le Tarot», où un des
conférenciers a proposé que chaque individu doive non seulement savoir tirer les cartes du
tarot pour lui-même, dispensant la figure du tarologue, mais que l’idéal serait que chaque
personne crée ses propres cartes de tarot, en utilisant les images et les symboles les plus
particuliers et les plus liés à son histoire personnelle314.
Ceci dit, nous allons essayer de comprendre certains aspects de la relation
thérapeutique qui a lieu au moment de la réalisation d’un travail à caractère thérapeutique,
que ce soit une séance entre le thérapeute et son patient ou un travail mené dans un cadre de
thérapie ou de rituel collectifs.
312
Par rapport à cette deuxième forme sous laquelle apparaît le personnage du thérapeute, est
opportune l’observation de McGuire, selon laquelle «the very notion of a ‘healer’ is
dramatically different in most of these groups: it is only occasionally a specialized role.
Rather, healing tends to be a fonction all member theoretically can do», p.237 (la notion de
‘guérisseur’ est dramatiquement différente dans beaucoup de ces groupes: c’est seulement
occasionnellement un rôle spécialisé. Plutôt, la guérison tend à être une fonction que
théoriquement tous les membres peuvent accomplir).
313
McGuire définit cette emphase donnée à la participation de l’individu dans sa propre cure
comme «cure endogène», selon lui un des traits des groupes de guérisseurs qu’elle a étudiés.
D’autre part, selon encore McGuire, l’auto-traitement est prévalent dans les sociétés urbaines
contemporaines: 67 à 80% des adultes nord-américains s’auto-médiquent.
314
Voir Wanless, 1989.
3.a) Un langage commun
Pour qu’une situation thérapeutique (individuelle ou collective) s’installe, il faut que
s’établisse un langage commun, entre le client et le thérapeute ou entre l’ensemble des
personnes qui participent à une séance collective 315 . Les informations liées à l’univers des
thérapies parallèles circulent dans un réseau plus étendu que celui des thérapeutes et leurs
patients. Elles touchent un nombre plus large de personnes qui partagent un ethos et une
vision du monde communs, ce qui permet un certain consensus sémantique, tout en gardant
une flexibilité de sens.
Ce langage prend des formes différentes conformément au genre de thérapie
réalisée. Dans les consultations centrées sur la conversation entre le thérapeute et son
patient, même quand il y a la médiation d’images visuelles ou d’un langage mythique (le
tarot, l’astrologie, etc.), il faut un accord implicite sur le «système communicatif» utilisé:
un vocabulaire, une façon de raconter et un système de valeurs communs. Sans ce langage,
verbal ou non verbal, il n’y a ni l’écoute ni la conversation, ni le contact (conscient ou
inconscient) entre les participants ni la possibilité d’interprétation, et il n’y a pas, donc, de
situation thérapeutique.
Il arrive parfois un phénomène semblable dans le cas des rituels et des travaux
collectifs où prédomine un langage non verbal, les participants devant partager une
communauté gestuelle, corporelle ou musicale: les hinários chantés et le bailado (la danse)
dans le Santo Daime; les mouvements corporels dans la méditation dynamique; la position
allongée et la respiration circulaire dans le rebirthing, etc.
Cependant, le partage d’un langage (verbal ou non verbal) a comme mobile
l’empreinte d’un sens commun au travail thérapeutique. Pour «parler la même langue» les
participants doivent partager un même sens donné à leurs activités.
315
Il faut éclaircir que par langage nous comprenons ici tout genre de symbole partagé qui, en
reprenant Turner à propos de sa définition du rituel, pour être appréhendé «n’a pas besoin
d’être expliqué verbalement; sa signification est souvent saisie à un niveau préconscient,
voire inconscient». Cf. Turner, 1972, p.18.
Néanmoins, ce n’est pas toujours que ce consensus s’opère et quelquefois
thérapeute et patient donnent un sens différent pour ne pas dire opposé au travail.
Fréquemment, les expectatives par rapport au travail thérapeutique ou religieux sont
différentes entre le patient et le thérapeute. Un exemple de ce décalage est le cas spécifique
des astrologues et tarologues qui nient le caractère donné traditionnellement à ces
instruments (celui de voyance ou de divination). Souvent, ils sont contactés par des clients
désirant connaître leur futur, des questions qui concernent un usage des cartes détourné de
la quête de la «connaissance de soi». Ces différences d’expectatives sont un obstacle à la
communication et quelquefois à la réalisation du travail.
En général, les thérapeutes expliquent ce décalage d’attentes par rapport au sens de
leur travail comme la conséquence de deux facteurs: d’un côté, la déformation causée par
les médias, qui renforceraient une «croyance populaire» qui affirme que les astrologues et
les tarologues ont le pouvoir de deviner le futur ou qu’ils sont des sortes de sorciers
capables de donner des réponses à toutes les questions posées par le client; d’autre part, la
différence de sens donné à la thérapie, perçue par le thérapeute comme une conception de la
thérapie détournée par le patient, et interprétée par le thérapeute comme un refus du client
d’assumer ses problèmes et leur résolution comme étant de son entière responsabilité. Au
lieu d’utiliser ces instruments comme faisant partie d’un processus de quête de la
connaissance et la transformation de soi, le client n’aurait que l’intérêt ponctuel de résoudre
un problème immédiat.
Patients et thérapeutes cherchent ce langage commun et il existe une sorte de
négociation autour de l’échange et du genre de situation interpersonnelle qu’ils vont
partager. Comme dans d’autres formes thérapeutiques, il est important que le thérapeute
comprenne le système interpersonnel de communication du patient. Cependant, il semble
qu’ici il y ait une inversion: c’est le patient qui doit s’adapter au système de
communication, au langage et au vocabulaire du thérapeute316 . Il doit s’insérer dans la
culture thérapeutique ou au moins être disposé à le faire.
316
Dans un procédé inversé par rapport à celui de la psychothérapie ou de la médecine
scientifique, où, en général, c’est le thérapeute qui doit s’adapter au langage du patient.
Mais quand les attentes du client sont trop éloignées du but visé par le thérapeute,
quand il se refuse à «parler la langue du thérapeute», la négociation elle-même n’arrive pas
à un consensus sur la direction donnée à la séance ou au travail thérapeutique.
Chaque thérapeute a une réponse particulière à ce conflit. Cependant, en général,
l’effort pour «travailler» cette résistance ou modifier l’expectative du patient se limite à la
recherche d’un ajustement du langage. Mais, si cela n’arrive pas au début de la séance, la
consultation peut même ne pas se réaliser (le client ne deviendra pas le patient d’un travail
thérapeutique, comme les liens de clientèle se déferont).
J’ai écouté des nombreuses plaintes de thérapeutes qui, ayant tenté de mener à terme
une consultation avec un patient insistant sur son futur ou sur une troisième personne, ont
jugé l’effort équivalent à une «perte de temps». En contrepartie, il reste le mécontentement
du client, qui n’a pas obtenu de réponses à ses questions.
Le cas raconté par un instituteur dans une école à Porto Alegre illustre ce conflit.
Saniase, ayant une formation d’astrologie à Poona et tarologue, il a participé, pendant
plusieurs mois à une émission de télé de l’un des émetteurs locaux. Dans cette émission il
réalisait des consultations télévisées du tarot, répondait aux questions des spectateurs et
faisait des lectures des cartes pour répondre en direct aux lettres reçues par la production de
l’émission. La procédure n’est pas tellement différente de celle d’un astrologue ou d’un
voyant traditionnel, donnant des consultations par radio ou par télé. Il s’agit d’activités très
communes sur les chaînes ou radios populaires, au Brésil ou en France. Le contenu de la
lecture faite par ce personnage et son sens étaient cependant tout autres: il ne proposait pas
de faire un travail divinatoire traditionnel (en dépit d’accepter que les cartes puissent avoir
«le pouvoir de synthétiser les énergies qui prédisposent à certains événements», selon ses
mots). Le sens de son travail était entièrement tourné vers ses engagements spirituels: la
quête de la «connaissance de soi» et de l’«évolution spirituelle». Il croyait que chaque
personne était responsable d’elle-même et de la résolution de ses problèmes sans se
remettre aux décisions d’autrui. Il utilisait ce principe autant pour les lectures du tarot faites
dans l’espace public de la télévision que lors des séances individuelles avec ses clients.
Quand il participait de cette émission de télé, c’est au sujet du sens donné à la lecture des
cartes qu’il est entré en conflit avec une cliente. Souvent, les spectateurs appelaient la
rédaction pour prendre rendez-vous pour une séance individuelle. Son orientation était de
prévenir les clients sur le genre de travail qu’il réalisait, tout en les informant sur la
différence par rapport à la façon traditionnelle de lire les cartes. Cette explication préalable
ne fonctionnait pas toujours cependant. Lors d’une des consultations, il y eu un tel décalage
au niveau des perspectives que la séance fut arrêtée. Il raconte cette rencontre:
«Alors, une personne est arrivée avec exactement cet état d’esprit
que je t’ai décrit. Elle s’est assise devant moi... J’ai parlé de choses, je suis
allé faire le feed-back... Et elle: ‘ah, je ne sais pas, c’est toi qui dois me le
dire’. Elle avait cette attitude de: ‘je veux tout savoir’, ou en d’autres
termes, ‘je veux que tu me dises quand est-ce que je vais rencontrer
l’amour’. Alors, j’ai interrompu la séance et... ‘bon, c’est pas comme ça, il y
a eu un malentendu’. C’est pour ça qu’il est très important, quand tu prends
un rendez-vous pour la séance, de laisser très claire la ligne de conduite de
ton travail.»
Dans ce cas, la cliente s’attendait à une lecture traditionnelle des cartes, où le
praticien parle au sujet de ce qu’il «voit» et sur ce qu’il prévoit à travers les cartes. Dans
l’usage du tarot comme «un instrument de connaissance de soi», comme le proposait ce
tarologue, la démarche est toute autre: l’individu doit utiliser l’espace de la séance pour
faire l’examen de lui-même et des questions que le tarot aide à mettre en lumière. Dans le
cas décrit, l’absence d’un langage commun et d’une entente sur l’usage et sur le sens du
tarot a empêché, dès le début, l’installation d’une situation de consultation. Quand le
thérapeute dénonce l’attitude de son client au sujet de son futur, il reconnaît, d’un côté, la
différence de leur «système communicatif», et de l’autre, il critique le client pour son
manque de compréhension du sens du travail thérapeutique. L’utilisation d’un langage
commun apporte, d’une certaine façon, un sens commun à la thérapie.
Il est évident que ce «dialogue dans un même langage» ne s’établit pas toujours
immédiatement; surtout quand un client commence son parcours thérapeutique et n’a pas
encore incorporé le dialecte propre à cet univers. Dans ce cas, une certaine négociation pour
établir les termes du dialogue et du sens de la consultation reste nécessaire. Grâce au
langage commun et à la possibilité d’une relation intersubjective et de dialogue entre le
patient et le thérapeute, le travail pourra se faire.
Cette négociation, qui fait partie de l’expérience transactionnelle entre le thérapeute
et le patient inclut divers niveaux d’échange. Le travail du thérapeute sur ce qu’il appelle
les «résistances» du patient, fait déjà partie du travail thérapeutique lui-même, c’est une
première étape.
Une thérapeute, astrologue qui réalise aussi un travail avec les essences florales,
raconte la résistance d’une ce ses patientes face à ses prescriptions. Cette résistance de la
cliente se manifestait dans son refus de prendre une certaine essence florale. Elle se
prescrivait, sans consulter sa thérapeute, elle-même une autre essence. Cette patiente
ignorait également les orientations alimentaires de sa thérapeute: par exemple, ne pas
manger d’aliments sucrés pendant la période où elle souffrait de diarrhées continues. Cette
résistance, qui est apparu à d’autres moments de la thérapie, a été débattue et travaillée
pendant plusieurs séances, ce qui a permis la continuité du travail.
Un autre exemple, a été donné par l’astrologue mentionnée dans le chapitre 2.
D’après son récit, dès le début de son travail comme patiente, elle a elle-même opposé des
résistances, ce qui l’a conduite à répéter le premier atelier de Fischer-Hoffman.
Les différentes «résistances» du patient et tout obstacle opposé au déroulement d’un
travail sur soi apparaissent toujours dans les différentes thérapies, même quand les barrières
initiales ont déjà été surmontées.
D’une
certaine
façon,
un
des
sens
du
travail
thérapeutique est de travailler ces dites résistances, les examiner plutôt que tout simplement
les nier ou les considérer comme un obstacle pour le travail.
Cette réalité est acceptable dans les travaux collectifs et pour les rituels. A Porto
Alegre, pour participer à un travail du Santo Daime pour la première fois, il faut d’abord
participer
à
l’Oração
(rituel
sans
l’usage
du
breuvage)
et
à
une
«réunion
d’éclaircissements». Lors de ces premières rencontres, le débutant entre en contact avec le
sens du rituel et l’ingestion du breuvage. Néanmoins, pendant le rituel où il ingère le
Daime, il doit surtout respecter le «langage daimiste», la forme d’expression rituelle. Les
personnes doivent suivre la discipline rituelle, qui est, selon la description des informateurs,
extrêmement rigide pour ceux qui y participent317 . Le participant doit respecter sa place
317
Même si certaines procédures rituelles peuvent être transformées d’une Eglise à l’autre. Cf.
Groisman, 1991.
pendant le bailado, sortir de cette place signifiant la rupture de la corrente318 - ce qui
diminue la «force» du travail (Groisman, 1991). C’est l’union de la corrente qui donne
«force» spirituelle au rituel et à la guérison. Pour maintenir cette discipline rituelle, c’est-àdire assurer que les participants s’expriment dans un même langage, les «surveillants»
contrôlent la bonne marche de la danse. Celui qui, ayant un malaise après l’ingestion du
breuvage, essaie de sortir du salon ou du cercle de danse est immédiatement reconduit par
les «surveillants» à sa position initiale.
L’idée que sortir du cercle signifie rompre la corrente d’énergie, et peut donc
compromettre tout le rituel, donne une notion de l’importance du partage d’un même
langage rituel dans les travaux collectifs. La méditation réalisée par le praticien du tarot
chilien, Jodorowski, dans ses conférences à Paris est un autre exemple. Si un des
participants se refuse à donner la main à la personne à côté, l’objectif de la méditation (pour
que les personnes aient quelque chose en commun) ne sera pas entièrement réalisé.
L’utilisation d’un même langage ou d’un même «système communicatif» ne se
réduit pas seulement à une forme d’expression commune des patients et des thérapeutes,
mais surtout au partage du même sens donné à ces pratiques. Ce sens concerne aussi bien
des principes et un système de valeurs, que l’expérience sensible vécue et partagée par les
individus.
3.b) Communion spirituelle et partage de valeurs
Si en général l’expérience religieuse dans le thérapies et spiritualités parallèles
commence par un vécu émotionnel, une «expérience fondatrice» qui constitue, selon
Hervieu-Léger (1990), la «source de toute religiosité»319, c’est le partage d’un langage
commun qui permet le vécu de cette expérience. Le vécu émotionnel et la communion
spirituelle sont donc inséparables d’un partage de formes d’expression de soi et de son
318
Ce mot, en portugais, signifie autant chaîne, que courant (d’eau, par exemple). Il semble
que ces deux significations sont présents dans la corrente daimiste.
319
Cf. Hervieu-Léger, 1990, p.220.
expérience. Ceci est également vrai pour les thérapies basées sur le vécu d’une explosion
émotionnelle intense (le cri primal, la bioénergie, la biodanse. etc.) qui s’exprime à travers
un langage non verbal.
Ceci n’implique pas l’inversion de l’ordre chronologique des différentes étapes de
l’expérience religieuse, dont la forme classique commence par le vécu émotionnel pour
s’institutionnaliser (et se rationaliser) par la suite320 . Si, dans l’expérience traditionnelle de
la religiosité, le langage fonctionne comme un moyen de contrôle du vécu religieux, c’est
lui qui permet ici ce vécu - parce qu’il signifie surtout l’identification à un ensemble
d’images (visuelles, verbales, narratives, oniriques, mentales...) - l’identification à une
forme de communication.
Ces formes d’expression et d’interaction permettent une communauté d’esprit et
portent un système de valeurs lié au genre de travail réalisé, à l’histoire de vie du thérapeute
et aux parcours personnels des participants.
L’apprentissage d’un langage peut se faire au cours du rituel ou de la consultation.
On imite certains gestes, on suit les explications données par le thérapeute ou l’instructeur
qui prescrit dans certains cas toute une gestuelle très détaillée.
La «communion spirituelle» serait ainsi l’expérience sensible décrite par les
informateurs, non pensée mais ressentie: la peur ou l’état d’euphorie pendant un rebirthing;
le malaise physique et puis la «sérénité profonde» après l’ingestion du Santo Daime; les
«insights» dans une consultation du tarot, les rapports interpersonnels subjectifs et affectifs
établies dans une séance.
Le partage de valeurs concerne une autre dimension de l’expérience, celle de la
compréhension et de l’explication du rituel et de la thérapie soit dans un système
doctrinaire, soit dans la description technique du mécanisme thérapeutique.
Ces trois dimensions (langage, communion spirituelle et partage d’un système de
valeurs) ne sont pas nécessairement liées au niveau de l’expérience personnelle, mais un
travail rituel ou thérapeutique aura une continuité difficile si, en plus du langage, les
320
Idem, p.222.
participants ne partagent pas soit des valeurs semblables soit une expérience spirituelle
commune.
Plusieurs personnes qui ont fait une thérapie des vies antérieures m’ont raconté leur
expérience et ont commenté le fait d’avoir vu pendant leur régression des scènes, des
images,
une
histoire
possédant
une
certaine
logique.
Pourtant,
elles
n’ont
pas
nécessairement cru qu’il s’agissaient de scènes d’une vie antérieure. Ces personnes
s’engageront difficilement de façon systématique dans ce genre de thérapie si elles ne
croient pas dans le présupposé de base de cette thérapie: la croyance dans la réincarnation
et dans la possibilité pour chaque individu de connaître ses vies passées.
Il en va de même pour les autres thérapies, rituels et pratiques divinatoires. Dans le
rebirthing, certaines personnes ont du mal a apprendre la technique respiratoire nécessaire à
la régression. Pour d’autres qui maîtrisent la respiration et éprouvent un vécu émotionnel
fort, mais qui ne croient pas dans la possibilité de revivre la naissance, le rebirthing n’aura
pas la même signification que pour quelqu’un qui en est convaincu et qui s’engage à faire
systématiquement cette thérapie. Un informateur m’a raconté qu’il avait décrit son
expérience
de rebirthing à une amie psychanalyste et qu’elle lui avait répondu qu’il était
impossible de revenir au moment de l’enfance avant l’apprentissage du langage: «c’est
impossible, ton enfance est irrémédiablement perdue. Tu ne peux pas y revenir, laisse
tomber!» Ce commentaire l’a fait réfléchir sur sa propre expérience dans la thérapie de
régression.
Un autre exemple est le cas d’une personne qui apprend les mouvements du bailado
effectués pendant les rituels du Santo Daime, mais qui, par manque d’expérience sensible
significative, va difficilement revenir pour les autres travaux. Si au contraire, elle ressent
cette expérience, elle pourra revenir même sans une connaissance de la doctrine et du
système de valeurs daimistes. Pour qu’elle se décide, cependant, à intégrer la communauté
et mettre la farda (faire l’initiation), elle devra accepter le système doctrinaire. Quelques
récits montrent de quelle façon ces trois dimensions sont imbriquées: la personne a
participé à une séance, a appris la technique corporelle du rituel, mais elle a eu du mal à
rester dans le cercle de la danse, car elle se sentait gênée par les paroles (considérées
comme «trop chrétiennes») des hinários. D’autres encore ont vécu le rituel comme une
expérience forte et significative, où le vécu personnel, les visions, la remémoration de
scènes du passé semblaient plus importants que la dimension collective du rituel.
L’importance d’un partage de conceptions communes autour des processus
maladie/guérison ou autour de la souffrance et sa résolution ne se borne pas à l’univers des
thérapies alternatives. Elle peut également expliquer certains échecs dans le champ médical
officiel. La différence de langage et de sens donné au travail peut aider à comprendre
certains comportements thérapeutiques qui choisissent d’autres chemins de guérison,
abandonnant les thérapeutiques proposées par la médecine conventionnelle. Ainsi en est le
cas de certaines personnes seropositives commençant à fréquenter un temple pentecôtiste
récemment ouvert au centre ville de Florianópolis, et qui abandonnent le traitement médical
et l’AZT. Ce choix est généralement attribué au fait que certaines maladies, comme le
SIDA et le cancer, n’ont pas d’espoir de guérison et sont propices à une quête de confort ou
d’une guérison miraculeuse à travers une religion. Cette explication, pourtant, n’est pas
suffisante pour la compréhension du phénomène. Peut-être s’agit-il là de la question de la
définition et du sens donné à la maladie et au travail thérapeutique lui-même.
On pourrait dire que l’«expérience de conversion» dans cet univers passe par ces
trois étapes du vécu thérapeutique-spirituel: le partage d’un même langage, le vécu d’une
expérience émotionnelle, le partage d’un même système de valeurs.
4. Mécanismes thérapeutiques
La compréhension des mécanismes qui opèrent lors d’un travail thérapeutique, qu’il
s’agisse d’une séance individuelle entre le thérapeute et son patient ou d’un rituel réalisé
dans le cadre d’une collectivité religieuse ne peut être envisagée qu’à travers l’expérience
et les parcours personnels. L’analyse isolée de la technique employée, dissociée de son
contexte, de l’expérience vécue par le thérapeute et son patient, ne suffit pas à elle seule à
expliquer comment le même individu peut associer, dans un même itinéraire thérapeutique
et spirituel, des pratiques distinctes et quelquefois opposées selon leur système de valeurs.
Néanmoins, dans les récits de ces expériences et dans les situations thérapeutiques
observées, il est possible de déceler quelques éléments communs de procédure
thérapeutique, certains dispositifs qui opèrent dans un même sens, même s’ils sont
différents dans la forme. Notre but dans cette description du travail et des mécanismes
thérapeutiques (souvent portant un caractère fortement rituel) n’est pas d’exposer un
système achevé de croyances, de pratiques de cure, d’étiologie de maladies, etc., mais celui
de comprendre certaines significations comparables données à ces travaux.
Tous les points traités dans ce chapitre, y compris la relation thérapeutique, d’une
certaine
façon
traitent
de
ces
mécanismes.
L’approche
la
plus
conventionnelle
commencerait par décrire l’objet du travail thérapeutique-spirituel. Nous développerons
cette question à la fin de ce chapitre, car ce n’est ni le malaise ni la «maladie» qui
représentent le centre des récits, mais l’expérience thérapeutique elle-même. La discussion
sur l’objet de la thérapie touche principalement la notion du sens donné à ces expériences;
en effet, la thérapie consiste non seulement dans les moyens utilisés pour guérir la maladie
ou le mal, mais également dans le fait de leur donner un sens et une forme culturelle 321 . La
discussion sur l’objet de la thérapie nous renvoie directement aux questions traitées dans le
prochain chapitre au sujet des itinéraires personnels 322 .
Les expériences décrites dans le chapitre précèdent suggèrent diverses questions
concernant le travail thérapeutique et spirituel. Nous envisageons ici de systématiser ces
différentes situations dans une compréhension commune de ce travail.
321
322
Voir à ce propos McGuire, 1988. p.235.
En effet, on ne peut pas comprendre le sens de l’expérience thérapeutique sans l’observer
aussi en dehors de la «clinique», c’est-à-dire au-delà de la situation spécifique du travail
thérapeutique.
4.a) Une performance323 narrative
Dans une séance thérapeutique du circuit parallèle opèrent plusieurs niveaux
narratifs324 , dont la configuration est différente d’une situation à l’autre. Certaines
techniques privilégient le dialogue et l’échange verbal entre le patient et le thérapeute.
D’autres sont basées sur d’autres formes d’expression, telles que l’expression corporelle
dans la biodanse, ou le vécu de sensations physiques et visuelles dans les thérapies
régressives. Dans ce cas, le langage (et sa dimension narrative) prend d’autres formes que
celle simplement verbale.
Trois dimensions des énoncés narratifs 325 sont toujours présentes: le récit du patient,
qui prend différentes formes en plus du discours verbal (le corps, la gestualité, etc.); le
discours du thérapeute qui essaie de mettre en oeuvre des interprétations amenant son
patient à une réflexion sur soi et à la (re)construction d’un récit de soi326 . Il existe encore un
troisième élément, extérieur, qui fonctionne comme une sorte de médiateur symbolique
dans le travail de guérison spirituelle.
Le dialogue entre patient et thérapeute emprunte des dynamiques différentes selon
le genre de thérapie. Ces pratiques ont, toutefois, en commun l’importance donnée à
l’expression du patient ou à celui qui participe au travail. La performance du thérapeute
323
J'utilise ici performance dans le sens que l'anthropologie a emprunté à la sémiotique; cf.
Turner, 1986a. Cette appropriation n'est pas en désaccord avec la définition que donnent
Greimas et Courtés, 1979: "Considérée comme production d'énoncés 'dans les conditions
réelles de la communication', c'est-à-dire comme l'ensemble des réalisations occurrentielles,
la performance ne se laisse pas formuler en modèles linguistiques: bien au contraire, elle
exige l'introduction de facteurs et de paramètres de nature extralinguistique, d'ordre
psychologique et sociologique." p.271.
324
Narratif est utilisé ici dans le sens le plus élargi, non pas comme un genre du discours
verbal, mais surtout comme enchaînement de sens appréhendé au niveau conscient ou
inconscient.
325
326
Sur les récits thérapeutiques, voir aussi le chapitre 2.
Cette logique d’une (re)construction narrative définit aussi le travail psychanalytique.
L’étude de Miriam Chnaiderman (1989b) est intéressante à ce propos. Elle essaie d’utiliser
les fonctions de Propp (1984) dans le travail psychanalytique, à partir de l’idée qu’il existe
une logique de la fable qui régit le processus analytique.
consiste, d’une certaine façon, à engager son patient dans une conversation327. Après
plusieurs séances d’une même thérapie, ou le passage par différentes expériences, le patient
a déjà acquis un certain dégrée de connaissance de soi et une capacité d’auto-analyse. Son
discours est alors plus articulé et ordonné et il a déjà incorporé tout un repertoire spécialisé
pour parler de ses maux et de lui-même328. Pendant les consultations face à face entre
patient et thérapeute, où l’élaboration verbale des matériaux qui apparaissent pendant la
séance est plus importante que les autres formes d’expression (perçues surtout dans les
travaux collectifs), on peut constater deux moyens d’argumentation: à travers des
affirmations générales et à travers des exemples concrets d’événements passés racontés
sous forme de récits. Au fur et à mesure que le patient a acquis une expérience
thérapeutique et incorporé un langage propre à ce réseau culturel, il commence également à
élaborer des raisonnements à propos du processus de thérapie lui-même.
Le troisième type d’énoncé narratif, les médiateurs symboliques, se présentent sous
différentes formes: 1) comme un instrument ou objet utilisé pendant la séance (les cartes du
tarot, la carte astrale, le breuvage bu dans un rituel, les photos de l’aura des mains); 2)
comme une technique qui permet l’émergence des matériaux internes inconscients (la
respirations circulaire du rebirthing, l’induction dans la thérapie des vies passées, les
techniques méditatives, etc.); 3) sous la forme d’images, de visions (dans les thérapies
régressives), des mirações (visions pendant le rituel du Santo Daime), etc. Nous
reviendrons plus tard sur les médiateurs symboliques, qui, d’ailleurs, ne sont
pas absents
des thérapies traditionnelles.
Le langage employé prend aussi bien la forme verbale que non verbale et ces deux
dimensions s’associent dans pratiquement toutes les thérapies.
Il faut relever l’importance de l’expression verbal dans le travail thérapeutique.
Certaines pratiques utilisées comme thérapies (le tarot, l’astrologie, etc.), même si elles
reposent sur un instrument discursif non verbal, peuvent être définies en tant que formes
327
Souvent cette incitation à l’expression du patient passe par une sorte d’anamnèse, où celuici est encouragé à raconter de son histoire.
328
Comme certains patients qui, après avoir fréquenté leur médecin pendant une certaine
période ou après avoir consulté différents spécialistes, commencent à décrire leurs
symptômes dans le «langage médical» utilisé par leurs thérapeutes.
d’élaboration verbale de l’expérience du sujet et de ces vécus. Les techniques et les
pratiques rituelles qui privilégient des formes expressives corporelles, consacrent aussi un
moment pour l’expression et l’élaboration verbale de ce qui a été vu et vécu. Dans les
thérapies des vies passées par exemple, il y a, d’un côté, le récit du thérapeute qui donne
des instructions et décrit minutieusement le chemin que doit parcourir le patient jusqu’à une
des ses vies antérieures. De l’autre, le patient va raconter ce qu’il est en train de voir et de
vivre. Dans le cas d’une consultation individ uelle, où le thérapeute accompagne le patient
le temps de la séance, ce récit suit simultanément la régression, dans le cas d’un travail
collectif, ce récit sera fait à la fin, par tous les participants.
Dans le cadre d’une séance de biodanse (technique basée sur l’expression corporelle
et gestuelle et sur la théâtralisation de situations et de vécus émotionnels), on peut retrouver
un autre exemple d’expression verbale. Il y a, en général, un moment où les participants
doivent parler les uns aux autres, exprimer à travers des mots leurs sentiments, leurs affects
ou leurs pensées.
Dans le cas d’autres thérapies qui utilisent par exemple le tarot, l’astrologie, les
essences florales et même dans le Fischer-Hoffman, dans sa version originelle, le discours
verbal est un moment central du travail thérapeutique et devient, lui-même, un des
mécanismes thérapeutiques.
Les formes symboliques non verbales sont aussi des plus variées et occupent, dans
le travail thérapeutique, une place aussi importante que celle du discours verbal. McGuire a
classifié ces formes non verbales en deux types: les «objets concrets représentatifs» et les
«images mentales d’objets symboliques»329 . En plus de la notion d’objet, elles comportent
tout ce qui peut être pris et interprété comme un signe: le corps; les images proposées par
l’instrument divinatoire utilisé (les hexagrammes de l’Yi King, les cartes du Tarot, la carte
du ciel, etc.); les sons; les mots rituels et les mantras; les images perçues pendant une
régression ou une ingestion du Santo Daime; les objets concrets (des cristaux, des encens,
des petites reproductions de gnomes et de sorcières, des amulettes, etc.); enfin des
événements qui, par leurs circonstances, peuvent être interprétés comme des signes (des
faits qui se répètent, une rencontre inattendue, des «coïncidences» - vus comme des
329
Cf. McGuire, 1988, pp.220 et 223.
événements synchroniques). Chacun de ces éléments porte une dimension narrative donnée
non pas par son existence en elle-même mais par la façon dont ils sont vécus et interprétés
dans le contexte particulier du trajet des individus concernés.
Une autre question apparaît à propos de la dimension narrative du travail
thérapeutique alternatif, celle de l’installation d’un genre de discours typique, c’est-à-dire
d’une rhétorique propre à la relation entre ce patient et ce thérapeute particulier. La logique
de la répétition (en général liée à une «scène primordiale» de l’installation de la situation
analytique) est une des caractéristiques de la relation psychanalytique. Le temps réduit, la
durée passagère d’une consultation avec un thérapeute alternatif, dans sa continuité,
permet-il l’établissement de ce genre de logique? Si une consultation est une situation
délimitée et passagère, l’expérience thérapeutique, quant à elle, possède une durée et une
continuité dans le parcours individuel.
Quoi qu’il en soit, si nous prenons le discours narratif dans sa signification la plus
large, comprenant aussi les formes d’expression non verbale, nous nous trouvons
confrontés à différentes formes de récit qui s’entrecroisent dans le cadre d’une situation
thérapeutique-spirituelle,
mais
qui
se
construisent
autour
d’un
noyau
narratif
(ou
dramatique) dessiné au cours du travail.
Au début d’une séance thérapeutique ou rituelle, une situation de performance à
plusieurs plans narratifs s'établit; un événement discursif se met en place. Les divers récits,
celui du patient, du thérapeute et celui construit autour de l’instrument médiateur utilisé se
superposent et s'intercalent; leur ensemble forme une histoire qui se déroule tout au long de
la séance.
L’ordre et l’importance de chacun des ces plans narratifs changent d’une situation à
l’autre. On peut essayer, cependant, de comprendre certaines lignes générales de ces
mécanismes et de la dimension narrative du travail thérapeutique.
A partir des quatre exemples donnés dans le chapitre 3, on peut déceler et
systématiser différentes situations de performance narrative, retrouvant certains traits
communs du mécanisme thérapeutique qui opère lors d’une séance.
Nous allons systématiser quelques situations particulières, toutefois cette analyse
permet aussi de décrire d’autres situations où sont utilisées des techniques similaires. La
plupart des séances d’astrologie et de tarot prennent une dynamique analogue à celle
décrite. La séance thérapeutique à travers l’ingestion du Daime est l’exception. Elle ne
rapporte pas en effet la façon dont le breuvage est utilisé dans les rituels de l’Eglise et de la
doctrine daimiste, mais elle indique que la signification donnée par le patient à l’expérience
se rapproche d’autres récits sur le Santo Daime.
4.a.1) Les deux consultations astrologiques
Dans les deux consultations avec l’astrologue et durant la lecture des cartes du tarot,
il existe un ordre narratif qui, en dépit de quelques nuances, reste semblable. La relation
entre chacun des plans narratifs est, cependant, différente.
Dans le cas d’une première séance, c’est l’astrologue qui commence à faire la
lecture de la carte zodiacale calculée préalablement. S’il s’agit de al deuxième consultation,
elle commence par donner la parole à sa cliente qui va raconter l’effet des essences florales,
exprimer ses doutes par rapport à la première séance et expliquer les modifications
ressenties après cette première interprétation de la carte astrale.
A l’opposé d’une consultation de tarot, où les cartes sont choisies pendant la séance
par le client lui-même330 , la carte astrale est le résultat d’un calcul réalisé, à partir des
données de naissance du client (la date et l’heure exacte de naissance et le lieu), avant la
consultation. Les dispositions astrales, des planètes, des signes et des maisons astrologiques
ne sont pas le produit d’un «choix», mais d’une configuration astrologique donnée au
moment de la naissance de la personne 331.
330
Ce n’est pas le cas d’une consultation de tarot menée de façon «traditionnelle», en dehors
du circuit des thérapies alternatives. Au Brésil ce genre de voyance traditionnelle, de lecture
divinatoire des cartes n’est pas aussi répandu qu’en France. Pendant l’étude sur le terrain faite
à Paris, j’ai participé à deux lectures du tarot dans des Festivals de Voyance. Dans ces deux
lectures ce sont les tarologues qui ont choisi les cartes et qui ont parlé toute la séance. Le rôle
du client consistait à confirmer la lecture faite.
331
Néanmoins quelques mystiques considèrent que c’est l’esprit qui décide quand et où il va
«naître», qui seront ses parents, etc. Il s’agit dans ce cas d’une conception qui élargit l’idée de
libre arbitre au-delà de la vie humaine.
D’autre part, le récit composé de ces dispositions astrales est lu comme un portrait
de la personne, de sa vie, de sa façon d’être, de ses difficultés, de sa façon de surmonter les
difficultés, etc.
Pendant que l’astrologue interprète la carte astrale, elle cherche la confirmation de
sa lecture par sa cliente - qui se reconnaît elle-même dans le portrait tracé. Dans la lecture
faite par son ami astrologue (avant les consultations avec Kátia), Olívia ne s’était pas
reconnue dans le portrait tracé. Cela implique que la carte astrale, par elle-même, ne peut
pas peindre la personne. Elle demande une lecture, une interprétation qui ira rejoindre (ou
ne pas rejoindre) l’identification du client; c’est aussi cette lecture qui fera de la carte
astrale un récit.
Une grande partie de la conversation va tourner autour de l’histoire personnelle du
client. Cette histoire est racontée dans un double sens: l’astrologue identifie certains aspects
de la carte natale liés à l’enfance du client. Celui-ci confirme ces aspects en racontant des
événements passés; en parlant de sa famille; de la relation avec son père et sa mère.
L’exploration du passé sert ici de support dans la compréhension de la situation présente.
La carte astrale sera utilisée comme un ensemble d’images qui vont représenter et
faire émerger les matériaux internes du client. Cette dernière est le médiateur du dialogue
entre l’astrologue et son client - dont le but est de travailler et de donner un sens aux
contenus qui ont émergé.
4.a.2) Les lectures du tarot
La séance commence au moment où le praticien du tarot demande à son client
quelle est la question qui est à l’origine de la consultation. Dans une lecture du tarot, ce
moment est important car c’est à partir de cet exposé initial du client que sera défini le type
de lecture et de dispositions des cartes332 . D’autre part, la séance de lecture des cartes du
tarot semble davantage ritualisée que celle d’astrologie.
332
Il y a une gamme immense de combinaisons possibles des cartes du Tarot, de même qu'il
existe une très large gamme de versions des 78 cartes.
Le récit du client, au début de la séance, peut assumer différentes formes: il peut se
centrer sur une question plus concrète - ponctuelle, focalisée; suivre une trame retraçant une
situation amoureuse ou professionnelle.
Après le récit du client, c'est le praticien qui parle. Il donne des instructions sur la
manipulation des cartes, et il les lui tend. Le client doit mélanger les cartes, les distribuer
sur le tissu et en choisir, avec la main gauche333 , un nombre indiqué préalablement (ce
nombre change selon le type de lecture). Il donne les cartes ainsi choisies au praticien, qui
les répartit symétriquement sur l'étoffe, face cachée.
Le tarologue commence à retourner les cartes, une à une, il commente la
signification de chacune d’elles et ce qu'elles expriment par rapport aux questions du client.
Il jouerait ainsi un rôle d'intermédiaire entre le client et les cartes. A chaque interprétation,
il demande si le client est d'accord et s'il a quelque chose à ajouter. Eventuellement il
l'invite à tirer d'autres cartes - quand l'une des cartes déjà découvertes "demande" une
réponse.
Après avoir analysé chacune des cartes, le praticien fait une lecture générale du
dessin ou du "texte" formé par les cartes sur l'étoffe. Pour construire son interprétation, il va
recourir plusieurs fois au client, pour qu'il confirme ou infirme cette vision des choses, et
pour qu'il fasse aussi sa propre interprétation.
4.a.3) La thérapies des vies passées
Ici aussi, nous nous retrouvons encore une fois devant une série d’énonciations
narratives qui prennent des formes différentes, liées à un dispositif thérapeutique
particulier. Dans la thérapie des vies antérieures il existe certaines différences entre les
séances collectives et individuelles et selon la technique régressive utilisée334 . Dans la
333
Les cartes doive nt être choisies avec la main gauche, commandée par l'hémisphère droit du
cerveau - celui de l'intuition et des émotions.
334
L’induction régressive peut être faite par exemple en utilisant les cartes du tarot en tant que
récit parallèle aux visualisations du patient. Une expérience de ce type m’a été racontée par
un tarologue et il m’a fait lui-même une démonstration de cette technique.
séance collective décrite, après une série d’exercices de relaxation, le travail régressif
commence avec les instructions dictées par la thérapeute qui conduit la séance.
Premièrement ces instructions concernent le travail de rebirthing préparatoire à la
régression. A ce moment, la directive occupe tout le temps de l’activité. Les instructions à
propos de la respiration, de la détente, etc. ne cessent à aucun moment. Les participants
respirent, vivent des sensations corporelles et s’expriment à travers des pleurs, des
gémissements, des sanglots ou même des cris. D’un côté, une expression d’ordre, de
discipline corporelle et respiratoire; de l’autre, la manifestation «chaotique» de la perte de
la maîtrise de soi, le désordre de l’explosion émotionnelle des participants.
Dans la deuxième partie du travail, la thérapeute continue à donner ses instructions,
sa voix conduisant les participants par le chemin régressif - le «tunnel du temps». Au-delà
des instructions, la thérapeute, pendant qu’elle oriente ses patients dans le processus
régressif, décrit minutieusement ce qui s’y passe pas à pas. Son récit aide les participants à
ouvrir le chemin, à rompre les barrières qui les empêchaient de connaître leur passé et
l’expérience la plus archaïque de leur «être»: celle de leurs vies antérieures.
Dans le cas décrit, le travail régressif a été fait lors d’une séance collective, ce qui
modifie le moment et la forme d’échange entre le client et le thérapeute. Dans une séance
individuelle le patient peut exprimer ses émotions durant la régression. Dans le travail
collectif, ce récit est fait après la régression, quand tous les participants sont assis dans le
grand cercle. Il s’agit d’une différence importante entre l’expérience régressive individuelle
et celle vécue collectivement.
Dans le travail individuel, les trois plans narratifs se produisent simultanément: le
thérapeute donne les instructions et décrit le chemin que le patient doit parcourir; celui-ci
voit des images et des scènes qui se succèdent dans sa tête, spectateur passif d’une histoire
dont il est l’acteur et en est également le narrateur 335 .
Le récit du patient et l’élaboration verbale de son expérience est un moment
important. Il s’agit d’un «récit de vie», d’une autre vie déjà «passée» qui a laissé ses
335
Dans les images vues pendant la régression, le patient se regarde en tant que personnage
des scènes passées, qu’il voit comme «un film qui passe dans sa tête», pour utiliser une
expression d’un informateur.
marques et influence la vie présente. Les images, les scènes «revécues» sont el s matériaux à
travers lesquels l’individu va essayer de comprendre ses souffrances actuelles: une douleur
physique, une difficulté affective ou amoureuse et toutes sortes de malaises et de problèmes
considérés comme ayant une origine karmique.
4.a.4) La séance thérapeutique d’ingestion du Daime
La quatrième situation décrite au chapitre 3 est celle de l’usage du Daime dans une
séance psychothérapeutique. L’expérience vécue par le patient dans cette séance se passe
presque entièrement autour des sensations et des visions occasionnées par l’ingestion du
Daime. L’interférence du thérapeute, même si elle est ponctuelle, reste importante comme
dans les autres travaux. Il fournit le Daime à ses patients, et c’est lui qui les rassure après
l’ingestion. Lors d’une séance rituelle du Daime dans le cadre de la doctrine et de l’Eglise,
les participants ont la référence d’un ordre rituel et d’un plan narratif extérieur - celui des
hinários chantés pendant toute la nuit. Dans cette séance privée, au contraire, l’individu est
livré à ses propres visions, avec une contrepartie extérieure minimale. Après l’ingestion, il
revit des scènes de son passé. Sa compréhension de ce vécu s’exprime à travers le
«vomissement» des images et des scènes de son passé. L’élimination prend ici deux sens,
retrouvés dans les autres thérapies: celui de mettre en lumière et de comprendre ses
standards de comportement, ses souffrances à travers ce qui a été vécu dans le passé;
deuxièmement celui de purification et de désintoxication. Ce dernier point concerne aussi
les antibiotiques ou certains sentiments comme la rage, des «poisons» qui sont éliminés
pendant la séance. Le breuvage permet l’émergence des contenus intérieurs de l’individu.
Pendant toute la séance, l’individu se voit devant ces scènes et ces images, et le malaise
physique qu’il ressent engendre parfois sa peur de mourir.
Ce récit n’est pas tellement différent, au moins du point de vue des sensations
vécues, de ceux du Santo Daime réalisés dans le cadre de la doctrine. Ces rituels sont vécus
aussi comme un moment de guérison, à travers les procédures rituelles et l’ingestion du
Daime qui permettent la visualisation et la «conscience de soi-même».
Il existe cependant une différence fondamentale (peut-être la frontière entre le
thérapeutique et le religieux): dans le cas de cette séance thérapeutique, le sens de
l’expérience provient de l’effort individuel; dans le cas d’une séance à caractère rituel du
Santo Daime, par contre, ce sont les actes réalisés par le collectif, comme le chant des
hinários et la danse dans la corrente, qui donnent un sens à l’expérience et à la souffrance.
Dans toutes ces différentes situations thérapeutiques, il existe un boucle dans le
processus narratif, formé par la transposition d'un langage à l'autre. C’est là une des
opérations du travail thérapeutique. Les plaintes ou les interrogations formulées par le
patient au début d’une séance de tarot sont ainsi recomposées et représentées dans les
images des cartes découvertes pendant la lecture. Ces images seront interprétées par le
tarologue qui réorganise les éléments du récit du client et les images des cartes attribuant
aux événements narrés une nouvelle logique. Le client, quant à lui, reprendra ce discours
dans une nouvelle configuration narrative de son histoire et de ses vécus personnels 336 .
336
Il est encore opportun de comparer ce processus au travail psychanalytique, où
l’interprétation s’étaie sur ce genre de transformation. Par exemple, le récit d’un rêve est
décomposé en images fragmentées (où chaque fragment possède ses propres déterminations),
seule façon de permettre des associations et la reconfiguration de ces images dans un
nouveau récit. Voir Freud, 1989.
4.b) Médiateurs symboliques
Le médiateur symbolique qui opère dans les thérapies neo-religieuses peut revêtir
différentes formes. Premièrement, les images, les instruments, les objets utilisés dans les
procédures thérapeutiques comme les cartes du tarot, la carte astrale, l’Yi-King, les Runes,
les breuvages. La deuxième forme des médiateurs symboliques sont les techniques utilisées
pour «mettre l’individu en contact avec ses vécus intérieurs» (la respiration, la gestuelle, les
techniques corporelles, etc.). La troisième forme est représentée par les contenus intérieurs
qui apparaissent eux-mêmes sous la forme d’images, de symboles, de scènes (les
visualisations dans une thérapie de vies passées ou dans une séance du Santo Daime, les
scènes revécues dans un rebirthing, etc.).
Ces médiateurs symboliques possèdent un sens spéculaire et établissent une double
médiation. Premièrement ils fonctionnent comme un canal de communication entre
l’individu et ses vécus intérieurs, inconscients, passés, etc. La conscience et la
reconnaissance de ce qui serait la «partie oubliée» ou méconnue de soi-même sont en ellesmêmes une forme de guérison. Les médiateurs seraient des clés, permettant à l’individu
d’accéder à son univers intérieur et à l’origine de ses souffrances. Les images proposées par
la carte astrologique, ou par les cartes du tarot, par exemple, représentent, selon les
protagonistes, des «archétypes intérieurs» (individuels ou collectifs)337 . Une carte du tarot
porte une image dont la signification peut éveiller certains matériaux internes et certains
aspects du vécu inconscient de l’individu. Les cartes renferment une valeur symbolique et
métaphorique qui peut avoir un sens propre à l’expérience intérieure de l’individu. Le
processus est l’inverse des usages traditionnels du tarot, où les cartes se réfèrent à des faits
et à des personnes extérieures: un exemple consiste en la signification donnée à la carte de
la Mort - l’Arcane XIII. Dans le circuit des thérapeutes alternatifs, cette carte représente la
337
Dans le sens où l’entend C. G. Jung, d’ailleurs beaucoup cité et utilisé par les thérapeutes
alternatifs.
transformation, le changement, tandis que dans les lectures traditionnelles du tarot elle
représente la mort physique d’une personne 338 .
D’autre part, ces médiateurs opèrent aussi dans l’établissement d’une relation entre
le patient et le thérapeute. Les images servent alors à médiatiser la relation qui se met en
place lors de la consultation, comme dans les pratiques chamaniques qui utilisent des
éléments réels en tant que médiateurs du processus transférentiel (l'épine ou le ver
ensanglanté que le chaman "extirpe" du corps du patient)339 .
Les symboles et les images que portent l’instrument utilisé n'ont pas de valeur en
soi, mais ils existent en tant que contexte donnant un nouveau sens au récit du consultant.
Ils prendront à leur tour un nouveau sens grâce à l'interprétation du thérapeute. Ce
processus opère à partir d'une négociation du sens, nécessaire car les symboles n'ont pas de
signification préétablie. Dans cette convention, ils ne constituent pas une grille ou une clé
de lecture ayant un sens défini a priori, mais ils présentent un caractère de multivocalité.
Les symboles et les images représentent une possibilité de mise en relation340 entre le
patient et le thérapeute et entre le patient et lui-même (son double).
On pourrait se demander alors si la «relation thérapeutique» dans les thérapies néoreligieuses ne se définit pas par l’utilisation de ce genre de médiateurs341 .
Ce genre de médiateur ne manque pas aux thérapies conventionnelles, les
instruments et les techniques utilisées étant des exemples de médiation symbolique. Ils ont,
dans ce cas, l’aura de la scientificité. Le caractère «non scientifique» des instruments
338
Ceci à été observé parmi les tarologues du circuit «traditionnel» de Paris. Surtout parmi
ceux qui fréquentent les Festivals de Voyance. Ce genre de voyant occupe un espace différent
de celui occupé par les tarologues ou astrologues du circuit des thérapies parallèles.
339
Nathan (1988) discute ces médiateurs symboliques à travers l’analyse des matériaux de son
travail clinique en ethnopsychiatrie.
340
Voir à ce propos Augé (1988): "...tout langage est symbolique, non point simplement
parce qu'il nomme des choses, mais parce qu'il établit une relation entre les mots.
Symbolique aussi parce qu'il unit tous ceux qui l'utilisent", p. 34-35.
341
Sans oublier le fait que toute relation thérapeutique implique la présence d’un type de
médiation. Dans le terme «Médecine - relation malade-médecin» de l’Encyclopédie
Universalis, l’acte médical est défini comme impliquant toujours de «porter la main sur le
corps d’un autre», geste qui a d’ailleurs une valeur symbolique représentant un certain type
de relation. Dans la psychanalyse, ce genre de médiateur peut être perçu dans la propre
relation transférentielle établie entre le patient et son psychanalyste.
utilisés par les thérapeutes parallèles est un des motifs qui provoque les critiques des
milieux médicaux et psychothérapeutiques officiels. Les discussions menées à l’intérieur du
Conselho Federal de Psicologia (le conseil national des psychologues au Brésil) et
exprimées pendant des mois dans son journal de circulation national en sont un exemple. Il
en existe aussi au sein du conseil des psychologues du Rio Grande do Sul, où plusieurs
débats ont été réalisés autour de techniques thérapeutiques non officielles. Le but était
d’enquêter sur le caractère scientifique et l’efficacité de chacune des techniques et des
instruments discutés342.
4.c) Des «mythes collectifs» au récit personnel
Dans un texte fondamental sur le travail de cure chamanique, Lévi-Strauss (1974a) a
comparé l'activité du chaman et celle du psychanalyste343. Il a conclu que tous deux
officiaient à travers la cure de la parole. Grâce au langage, le chaman et le psychanalyste
cherchent à "lever les résistances"; il s'agit dans un cas des résistances "organiques", dans
l'autre des résistances psychiques. La différence tient dans la direction donnée au processus
discursif. Dans le premier cas, c'est le chaman qui construit un récit (un mythe collectif)
pour réordonner une situation de chaos ou de désordre - pour désobstruer en l’occurrence
les forces qui empêchent l'enfant de sortir. Dans une situation de psychanalyse, s'élabore
également un récit ayant pour but de réordonner une situation chaotique, mais cette fois
c'est le récit du patient qui importe344.
Les voyants et les guérisseurs traditionnels se rapprochent plus du chaman que du
psychanalyste, car la thérapeutique est basée sur le pouvoir du guérisseur. Dans les séances
de voyance que j’ai eu l’occasion d’observer parmi les voyants parisiens, toute la séance se
déroulait en effet autour du récit construit par le voyant lui-même, selon une logique
342
Voir, a ce propos, le chapitre 1.
343
Cf. Lévi-Strauss, 1974a.
344
Les deux opèrent à travers un pouvoir de médiation qui permet le rétablissement de l’ordre.
selon McGuire (1988, p.235), cet investissement de pouvoir est à la racine du processus de
cure.
déterminée, le client se contentant de ponctuer ce récit en exprimant son accord ou son
désaccord.
Dans le cas des thérapies étudiées ici, on relève cependant une toute autre
dynamique: le client a un rôle central dans l’élaboration du récit de l’histoire personnelle
(son «mythe individuel», pour utiliser l’expression de Lévi-Strauss). Comme on l’a vu,
dans chaque thérapie ce récit est construit d’une façon particulière en utilisant des formes
différentes de langage et occupant des places différentes dans la séance. Les différentes
situations thérapeutiques gardent commun cette démarche de donner une position centrale
au client et à son récit.
Sur la façon dont opèrent ces différentes dimensions discursives, il est intéressant de
reprendre la comparaison de Lévi-Strauss entre la cure chamanique et la cure
psychanalytique:
"...toutes deux visent à provoquer une expérience; et toutes
deux y parviennent en reconstituant un mythe que le malade doit vivre,
ou revivre. Mais dans un cas, c'est un mythe individuel [c'est moi qui
remarque] que le malade construit à l'aide d'éléments tirés de son
passé; dans l'autre, c'est un mythe social [idem] que le malade reçoit
de l'extérieur...".345
Dans les thérapies parallèles, je pense qu’il y a fusion de ces deux dynamiques.
Chaque technique offre des éléments qui opèrent comme des mythes collectifs qui
construisent un «mythe» individuel - le récit personnel élaboré tout au long du travail ou
après celui-ci.
Nous nous intéressons ici à l’aspect narratif du mythe plus qu’à sa structure et à son
cadre formel. Le «mythe collectif» (suggéré par les images et les symboles des instruments
et des techniques utilisées) comme sa ressignification (dans ce que Lévi-Strauss a dénommé
un «mythe individuel») prennent la forme d’un récit qui se transforme tout au long de son
345
Lévi-Strauss, 1974a, p.220.
déroulement. En plus du décodage grammatical, l’analyse de ces récits tiendra compte de
leurs «contenus sémantiques» et de leur contexte culturel346 .
Tous les éléments (la carte astrologique 347 , les cartes du tarot, les hinários chantés
dans une séance du Santo Daime, les hexagrammes de l’Yi-King ou les significations liées
à chaque essence florale) fonctionnent comme des mythes collectifs dans la mesure où, audelà d’une structure ordonnée, ils condensent des archétypes et des symboles qui renvoient
à des significations et à des associations. Pendant le travail, c’est l’histoire personnelle et la
façon dont chaque individu se l’approprie qui restent à l’origine du nouveau sens des
images.
Quelquefois un travail fait intervenir des dimensions de récits collectifs et
personnels. Des images appartenant à des mythes d’origines différentes servent alors à
construire un même récit personnel. Un exemple m’a été donné par le récit d’un tarologue
sur une de ses régressions aux vies antérieures. La technique utilisé était basée sur les cartes
du tarot, qui servaient comme l’image inductrice de la régression. Au fur et à mesure qu’il
découvrait chacune des cartes, les yeux fermés, son thérapeute le guidait dans son chemin
vers une de ses vies passées. Il s’est donc vu en pleine Galilée, en tant qu’un berger en train
de témoigner la crucifiement de Jésus Christ. En plus de la lecture du tarot, s’ajoute un
autre récit collectif, chrétien, les deux discours permettant la construction du récit
personnel.
Il existe d’autres situations où les mythes collectifs et l’expérience
individuelle s’associent et cohabitent de façon conflictuelle: lors des rituels du Santo
Daime, cette tension apparaît quand le vécu et les visions de chaque individu s’opposent
aux mythes collectifs (les hinários) et à la discipline collective.
Le travail d’interprétation consiste à réunir, dans une même configuration, les
éléments dispersés du récit du sujet. Les images synthétisent cette configuration. Les cartes
346
A propos de ces différents aspects d’une approche narrative des mythes, voir Vernant,
1974.
347
Bernard Sellato (1991) dit à propos de l'astrologie: "...l'astrologie décrypte une carte du
ciel particulière, la traduit en récit et en dégage une mythologie dans laquelle l'homme qui
naquit à cet instant peut se reconnaître", p.115, à propos du livre de Didier BETOURNE &
Zoé FACHAN, Traité d'astrologie contemporaine. Langage du Zodiaque fondamental,Paris,
PUF, 1990.
astrologiques ou celles du tarot, par exemple, sont lues comme un texte348 . Ce texte,
construit à partir de ces images et des scènes revécues par le patient, est interprété comme
une synthèse heuristique du récit du consultant.
C'est à travers cette synthèse que le thérapeute construira une interprétation
aboutissant à un nouveau récit (qui doit prendre en compte les contenus sous-jacents du
discours du consultant). Les mythes collectifs aideraient, ainsi, à travailler les conflits, les
contradictions et les souffrances vécus par le patient.
4.d) La rhétorique du thérapeute
La rhétorique du thérapeute alternatif possède, d’un côté, des caractéristiques
propres à la «rhétorique médicale» et, de l’autre, celles du langage caché de la tradition
ésotérique et des sociétés secrètes.
Pour Pigeaud (1992), l’écriture et le style médical mentionnés par Hippocrate
peuvent être définis par l’autonomie de la description (la méthode) par rapport à la doctrine.
La première étant conçue à partir de la métaphore et de l’analogie 349. Le travail
d’interprétation dans les thérapies parallèles est lui aussi essentiellement descriptif et basé
sur l’utilisation de métaphores, d’analogies et d’associations.
Il réside, en effet, dans la
transcription d’un langage à l’autre, d’une image à l’autre ou d’une métaphore et d’une
analogie à l’autre.
La rhétorique du thérapeute alternatif manifeste également quelquefois une dimension de
secret. Si elle rappelle l’écriture chiffrée utilisée par les médecins, elle ressemble plutôt au
langage caché des sociétés secrètes et ésotériques350.
348
Jodorowsky, qui donne ces conférences sur le Tarot à Paris, appelle les cartes découvertes
sur la table de phrase.
349
«Le style d’Hippocrate est bref et concis, écrit Galien, parce qu’il décrit la chose manifeste
par elle-même, dans son évidence, débarrassée de tout arrangement...», cf. Pigeaud, 1992, p.
317. Pour Pigeaud, on a déjà là la naissance d’un certain type d’écriture médical occidentale.
350
Le secret est un des traits fondamentaux de la tradition occultiste. Par exemple, la
distinction entre les manuels de magie, destinés à un large public, et les grimoires des mages,
D’un côté, il existe un effort pour établir un langage commun et une relation
interpersonnelle entre patient et thérapeute. De l’autre, cette dimension cachée, ce langage
chiffré du thérapeute s’opposent à la compréhension totale du patient; à moins qu’il ne
devienne à son tour un thérapeute.
En général, le thérapeute occulte une partie de son discours moins dans le but de
garder un secret (comme est le cas des sociétés occultistes), que pour el succès du travail
thérapeutique. Dans une consultation, il y aura toujours des nombreux aspects non dits.
Dans ce cas, les deux dimensions de la rhétorique du thérapeute alternatif s’associent: d’un
côté, une description nette et concise de la situation, où on ne parle que de ce qui est
essentiel dans les images apparues; de l’autre, l’occultation de certains aspects de ces
images.
L’autre dimension du «secret», dans les travaux thérapeutiques concerne le discours
du patient: les choses qu’il a révélé à son thérapeute, dans une espèce de dialogue
confessionnel; également, les questions qu’il lui dissimule, et que le thérapeute doit
découvrir. Enfin, les aspects du vécu du patient qu’il ignore encore, et que le thérapeute
mettra en lumière.
4.e) Travail au quotidien
Comme nous l’avons vu, les expériences et les parcours thérapeutique-spirituels
suivent des voies parfois erratiques et discontinues. A l’opposé d’un travail thérapeutique
classique (caractérisé par les rencontres systématiques, la longue durée et la répétition
d’une même structure de relation et d’une démarche narrative), les travaux alternatifs se
déroulent selon des formes et des schémas divers.
Ces derniers peuvent intercaler des situations de très courte durée (un week-end, par
exemple) qui prennent place dans un parcours plus long. Ces travaux peuvent aussi
qui ne peuvent être lus que par ceux qui y ont été autorisés. Dans les manuels, la
connaissance magique n’est expliquée que partiellement, il existe des manques et même des
informations truquées. Les grimoires, par contre, contiennent la description minutieuse des
connaissances magiques acquises et décrites par chaque mage.
comprendre les démarches les plus diverses, comme les consultations systématiques avec
un thérapeute (dans une dynamique similaire aux psychothérapies traditionnelles) ou les
rituels collectifs occasionnels, d’orientation spirituelle ou religieuse.
Au fur et à mesure que les thérapies acquièrent un espace plus important dans la vie
de l’individu, les démarches thérapeutiques et spirituelles peuvent avoir lieu en dehors de la
clinique ou de l’espace rituel. Une conduite thérapeutique imprègne l’ensemble des
activités
de
l’individu.
Certaines
pratiques
prophylactiques
ou
rituelles
sont
ainsi
incorporées dans ses activités quotidiennes et adaptées aux évolutions de la situation.
Un des premiers signes de modification du comportement est l’adoption d’une
nouvelle attitude alimentaire: l’élimination de certains aliments (surtout les aliments
industrialisés et la viande rouge, jusqu’à, parfois, l’élimination totale des protéines
animales); la conversion à la cuisine végétarienne ou plus radicalement macrobiotique;
l’apprentissage culinaire (c’est au moment de la conversion à la cuisine végétarienne que
plusieurs informateurs m’ont avoué avoir appris à cuisiner); la consommation d’aliments,
de produits et d’éléments liés à ce genre de cuisine; la fréquentation de restaurants
végétariens et des espaces alternatifs.
Un autre signe de transformation est l’adoption d’une hygiène de vie qui modifie
certains standards de comportement: éviter ou éliminer totalement les boissons alcoolisées;
arrêter de fumer du tabac (par contre la consommation de cannabis est encore une pratique
courante dans certains groupes); adopter certaines règles au quotidien, comme des horaires
plus rigides de coucher et de réveil; enfin, la pratique d’exercices et d’une discipline
corporelle (comme le Yoga, le tai-chi chuan et diverses méditations).
Cette nouvelle hygiène de vie signifie souvent un changement au sein du cercle
d’amis: les choix des nouvelles relations sont dictés par le partage d’expériences similaires
ou de nouveaux standards de comportement. Nous pouvons observer le même phénomène
par rapport aux alliances amoureuses dans ces groupes.
Il est possible de constater aussi une nouvelle attitude et une ressignification de
l’«être chez soi». La maison est réaménagée pour être un lieu de détente, de paix et
méditation. Une ambiance parfois proche de celle trouvée dans les cabinets des thérapeutes
alternatifs: une atmosphère accueillante et feutrée, des coussins par terre, une odeur
d’encens, des petits autels dans un coin de la salle, des bougies et d’autres signes mysticoalternatifs, enfin, la demande aux invités d’enlever leurs chaussures à l’entrée, induite par
une double signification: celle de la saleté des rues d’une grande ville et celle de la
pollution énergétique et symbolique rapportée des espaces impurs de la rue.
Dans cet aménagement du «chez soi», on retrouve l’opposition du pur et de l’impur,
représenté par la maison (l’espace privé) et la rue (l’espace publique, le monde).
L’adoption d’un comportement «thérapeutique» ou «spiritualisé» interfère aussi
dans d’autres choix, comme celui de son médecin (préférence pour les médecines douces et
la homéopathie); dans le choix des remèdes (préférence des remèdes naturels et
homéopathiques aux allopathiques), ou encore de l’école des enfants (choix d’écoles
alternatives, pratiquant un type d’éducation plus lié aux nouvelles valeurs spirituelles des
parents351).
L’autre dimension de cette conversion du travail thérapeutique et spirituel à la
sphère de la vie ordinaire est la privatisation et l’individualisation du rituel. Au fur et à
mesure que l’individu s’intègre dans les cultures thérapeutiques neo-religieuses, il
commence à adopter un comportement rituel qui va s’intégrer, de plus en plus, dans son
quotidien et dans ses relations. Ce comportement rituel individualisé induit l’une des
significations culturelles de ces pratiques, celle du renforcement d’un moi
autonome et
autosuffisant.
5. Le sens du travail
Pour McGuire (1988), il y a trois traits spécifiques de la cure dans les groupes de
guérison rituelle parmi les classes moyennes suburbaines des Etats-Unis: le caractère
endogène de la cure, c’est-à-dire la participation de l’individu à sa propre cure; el rôle du
thérapeute
comme
étant
seulement
occasionnellement
spécialisé
et
le
caractère
idiosyncratique et individualiste du symbolisme utilisé. Tous ces facteurs induisent ce qui
351
Par exemple, les écoles d’orientation anthroposophique.
est, pour elle, le sens de ce genre de thérapie: réordonner une situation de chaos et
(re)investir l’individu de pouvoir 352 .
Ces trois facteurs ne sont pas absents des processus thérapeutiques et spirituels que
nous avons étudiés, mais nous ajouterons d’autres éléments qui montrent le sens de ces
pratiques. D’abord, le caractère initialement fragmenté de l’objet de ces thérapies et, tout
au long du travail spirituel, le déplacement des problèmes initiaux vers une compréhension
globale de l’individu, de son histoire personnelle et de son «être dans le monde».
Deuxièmement, l’interprétation construite par le thérapeute et par le patient lui-même,
n’envisage pas de diagnostiquer le mal à l’intérieur d’une nosologie préalablement établie,
mais de tracer un profil de l’individu, trouver le fond spirituel de son malaise353 .
Troisièmement, le travail, en plus d’un réinvestissement de pouvoir pour le sujet, signifie
une redéfinition du sens de la vie et de l’«être dans le monde» - le processus de purification
(aspect religieux de ces pratiques) est d’ailleurs une des perspective qui définissent le
travail thérapeutique-spirituel. En ce sens, l’expérience thérapeutique-spirituelle est, dans
un premier temps, une expérience déstructurante pour l’individu, car elle implique
l’abandon des anciennes références et modèles de comportement, une ruptur e de l’Ego,
processus réalisé en général dans le contexte d’une extrême souffrance. Finalement, tout
travail réalisé met en oeuvre l’opposition conflictuelle entre un ordre cosmique qui renvoie
à une organisation «divine» des événements et la volonté de l’individu et son pouvoir de
choisir son destin. Nous allons essayer de mettre en perspective ces différents aspects qui
donnent un sens au travail thérapeutique et spirituel dans les réseaux alternatifs étudiés.
5.a) L’objet du travail
Réfléchir sur le sens du travail thérapeutique-spirituel nous renvoie à l’étude de
l’objet de ce travail, le mal que l’on envisage de guérir ou d’éliminer. Le mal et la maladie
352
353
Cf. McGuire, 1988, p.237.
C’est dans ce sens qu’un grand nombre de thérapeutes définit son travail comme holiste,
c’est-à-dire la prise en compte du tout: toute la personne, le corps et l’esprit et pas seulement
l’organe ou la fonction malade, comme le fait, selon eux, la médecine occidentale.
seraient le début logique de toute réflexion menée dans les différents champs
anthropologiques concernés: celui d’une anthropologie de la maladie et celui d’une
anthropologie médicale par exemple. Retrouver «le sens du mal», de la maladie et de
l’expérience morbide en général, serait le but de démarches différentes et quelquefois
opposées.
Dans ce travail, même si un mal est identifié comme point de départ d’un
cheminement spirituel, c’est sur l’expérience thérapeutique-spirituelle elle-même que
reposent les récits. L’expérience morbide et celle de la souffrance feront partie des
itinéraires thérapeutique-spirituels. Ces deux dimensions, celle de l’objet du travail
thérapeutique et celle du parcours personnel, sont étroitement liés.
Tout récit sur les parcours thérapeutiques commence par un malaise, une crise, une
souffrance décrits soit comme une sensation diffuse, ineffable, soit provoqués par un
événement précis et ponctuel.
Les notions utilisées pour décrire ce malaise sont très variées, mais celles qui font
allusion directement à la maladie sont rares354 . Dans les récits sur les premières expériences,
ces conceptions du malaise sont enrichies par la description du processus de cure: «jeter»
(por pra fora), rééquilibrer, se centrer, vaincre les obstacles, désintoxiquer ou faire circuler
(l’énergie).
L’ensemble des plaintes exprimées lors du début d’un travail thérapeutique peut
s’inscrire dans le cadre de ce que Kleinman (1986) a nommé de «cultural bound
complaints»355: le système culturel fournit un réseau de mythes et un script préétabli de
comportement rituel qui transforme une affliction individuelle dans une forme symbolique
sanctionné par le groupe. Au fur et à mesure que l’individu s’approfondit dans le travail
thérapeutique, le langage utilisé pour décrire son malaise commence à se spécialiser et à
utiliser un vocabulaire propre à ce réseau.
354
Les personnes parlent de crise, de malaise, d’absence de références, de déséquilibre,
d’intoxication, de désordre, de dépression (cette dernière ayant, selon Sontag, 1984, surmonté
la notion romantique de mélancolie).
355
Cf. Kleinman, 1988, p.24.
Dans ce «langage de la plainte», les termes sont variés et les causes du déséquilibre
sont engendrées par différents facteurs: une alimentation déséquilibrée (conséquence d’une
«manque de conscience de ce qu’on mange»); un déséquilibre des différents aspects de
l’être, avec une suractivité du plan mental en détriment des émotions et de l’intuition; des
mauvaises habitudes (le tabac, l’alcool, la vie sédentaire); la vie urbaine (impure, polluée,
névrotique, peu favorable à la méditation, stimulant la compétition et les conflits), la ville
étant vue comme source de pathos, comme source du mal; et, surtout, des standards
négatifs incorporés dès l’enfance, d’abord dans le milieu familiale, puis à l’école, au travail,
en société; etc.
La question initiale concerne la nature de ce malaise. D’abord, dans les termes
utilisés par le patient et sa description de la crise initiale, se référant à des facteurs
extérieurs: un mariage raté, une vie professionnelle insatisfaisante,
une perte importante.
Pendant que le travail thérapeutique-spirituel se déroule, c’est le «sujet psychologique»356
qui apparaît peu à peu: «une personne privée, avec ses particularités biographiques, son
stock de traumas et de conflits intrapsychiques»357. On observe, dans la compréhension du
malaise, le déplacement d’un «mal extérieur» à un «mal intérieur»: l’individu ne se sent pas
bien avec lui-même. L’ensemble des plaintes, des crises et des problèmes à l’origine de la
thérapie finissent pour céder leur place au sujet. Il devient le centre de la thérapie.
Les étiologies des thérapies parallèles ressemblent à celles de la médecine
psychosomatique, où est recherché un rapport entre les émotions et la maladie358 . Les
maladies (physiques) sont vues comme le résultat de certains standards émotionnels et
malaises psychiques.
356
Pour utiliser une expression de Favret-Saada, 1990.
357
Idem, p.21.
358
A propos des maladies psychosomatiques voir Starobinski, 1986, p.233-234; et Zweig,
1982.
Dans la littérature de self-help, diffusée ces dernières années, on retrouve cette
«explication psychologique» des maladies359 . Le rôle de la volonté (inconsciente) de
l’individu est impératif autant pour tomber malade que pour guérir.360
S’il est vrai, comme l’a proposé Kleinman (1986), qu’il faut comprendre le mal et la
maladie dans son aspect polysémique et multivocal, toutes les notions utilisées pour décrire
le malaise, par contre, semblent désigner un trouble qui est, apparemment, le même. Au
fond, c’est la personne, son expérience intérieure et son rapport au monde qui est en jeu. Si,
d’un côté, la souffrance montre la fragilité de l’individu, elle peut aussi être perçue comme
un bien quand elle se transforme en apprentissage 361 .
5.b) L’interprétation - rendre visible l’invisible
Le travail d’interprétation réside, comme dans d’autres genres de thérapie, dans la
recherche du sens caché, occulte et inconnu, le «passage de l’inexprimé à l’expression»362 ;
c’est également un travail de déchiffrement.
La particularité de l’interprétation dans les thérapies parallèles réside dans le type de
texte et de signe interprété, dans le type de contenu échangé et le sens recherché, dans le
langage ou système communicatif employé et dans le rôle du patient et du thérapeute dans
l’interprétation.
Il n’existe pas de préoccupation de diagnostique défini à partir d’une nosologie
préalablement donnée. C’est le fond spirituel du malaise, de la souffrance ou quelquefois de
la maladie elle-même qui est recherché. Dans les lectures des signes (une lecture corporelle,
par exemple), le thérapeute ne recherche pas les signes d’une maladie, mais les signes des
359
Un des livres de self -help le plus divulgués au Brésil est celui de Louise Hay «Você pode
curar sua vida», où elle fait tout une liaison entre les maladies et les standards émotionnels
correspondants.
360
Sontag (1984, p.72-73) fait une dure critique à ces «théories psychologiques de la
maladie»; elles seraient «un moyen puissant de culpabiliser le patient».
361
Voir Starobinski, 1986, p. 236, par rapport à la maladie comme le «moindre mal».
362
Idem, p.236.
troubles et des déséquilibres de son patient. Comme le regard dans la clinique363 , la lecture
corporelle rappelle un regard anatomique sur le corps. Ici, cependant, on ne cherche pas une
topographie physiologique mais une sorte de géographie caractérielle 364 . Le thérapeute ne
veut pas trouver la maladie, mais la personne.
La personnalité individuelle est synthétisée à partir d’images-types dépendant de
l’instrument utilisé par le thérapeute et par son «regard clinique»: le corps nu, les planètes,
les signes et les conjonctions planétaires, les essences florales, etc.
Ce diagnostique de fond, la définition du profil de l’individu dévient, à la fois, l’un
des instruments et l’un des objectifs du travail thérapeutique. Un instrument qui aide à
identifier le fond des problèmes et à établir des prescriptions, selon une vision holiste365 de
la personne, du corps et de la maladie.
Ce profil tracé pendant le travail thérapeutique est aussi un de ses buts dans la
mesure où il apporte des éléments pour la quête de la connaissance de soi.
Ces images-types montrent les obstacles, les difficultés et les conflits vécus par
l’individu366. Le diagnostique établi, la suite du processus est donc de travailler ce
problème367 .
363
Voir Foucault, 1963.
364
Le thérapeute essaie de lire et d’interpréter les signes qui montrent qui est le patient. A
travers ces signes, il va tenter d’ébaucher un diagnostique et un profil de celui-ci. Le corps
d’un patient, nu devant le thérapeute dans une séance de Fischer-Hoffman, servira de base à
l’élaboration du diagnostique et de son profil par le thérapeute. L’astrologue va tracer le
profil de son client, à travers la lecture d’un autre texte: les configurations astrologiques de sa
carte astrale.
365
Terme utilisé par certains thérapeutes. La conception holiste voit dans la maladie d’un
organe ou dans un problème dans un secteur spécifique de la vie du patient, un rapport avec
la personne en tant que tout, du point de vue physique autant que spirituel ou psychique.
D’après cette vision, si un organe est malade, c’est l’organisme comme un tout qui doit être
traité, c’est l’énergie comme un ensemble qui doit être travaillée.
366
Quand une thérapeute des essences florales défini l’une de ses patientes comme Heather
(essence florale utilisée dans le cas d’une personne trop centrée sur soi, qui n’a pas d’écoute)
c’est qu’elle est en train d’utiliser l’image d’une essence florale pour définir la personnalité
basique de sa cliente. Cela signifie que l’un des facteurs prépondérants de sa personnalité est
le manque d’écoute, la nécessité de parler trop d’elle -même.
367
Quand l’astrologue interprète la carte astrale de sa patiente et conclue qu’il y a trop d’eau
et peu de terre, elle la définit comme quelqu’un qui agit surtout dans le plan «émotionnel»
Les images utilisées selon chaque instrument employé sont peu à peu incorporées
par les patients et utilisées dans leurs autoreprésentations. Dans un dialogue entre deux
personnes qui ont un rapport avec les thérapies parallèles, la recherche d’une connaissance
mutuelle et la curiosité finissent par se canaliser vers des questions et des commentaires
autour de ces images-types: le signe astrologique, et d’autres aspects astrologiques
révélateurs de la personne, les essences florales utilisées, etc.
La référence au signe astrologique est sans doute la plus commune dans ce genre de
conversation. Tout le monde sait à quel signe zodiacal il appartient. Un nombre croissant de
personnes connaît déjà les autres aspects astrologiques, considérés comme aussi
importants368 .
Souvent cette analogie entre une image et la personnalité du patient est représentée
par un remède, comme dans le cas des fleurs de Bach ou dans l’homéopathie369 . Dans les
livres qui décrivent la symptomatologie à la base de la préparation homéopathique, on
retrouve de véritables descriptions du caractère et de la personnalité qui caractérisent
chaque individu370 .
(représenté par l’élément eau), qui ne sait pas se mettre en rapport avec les choses matérielles
(représentées par l’élément terre). L’apprentissage suivante est de «travailler la terre», c’està-dire d’apprendre à s'occuper des questions relatives ou régies par cet élément: la survie
matérielle, la profession, l’argent, la santé, ce qu’on nomme aussi le «côté objectif de la vie».
L’astrologue prescrit alors quelques activités concrètes pour développer ce côté: marcher
pieds nus sur la terre, balayer la maison, se rendre aux tâches du quotidien, etc. (des activités
qui ont une relation avec l’idée de retour à la «simplicité» existentielle, de retour à la nature
ou de la valorisation d’un style de vie écologique).
368
En dehors du signe astrologique, c’est-à-dire la position du soleil dans la carte natale, il
existe un intérêt au sujet du signe ascendant (le signe qui était en train de «naître» au moment
de la naissance de la personne) - qui représente la personnalité extérieure de la personne - et
de la position lunaire - qui représente sa vie émotionnelle et spirituelle, etc.
369
Surtout celle qui travaille avec des dilutions korsakoviennes. L’homéopathie
korsakovienne est basée sur la conception que chaque individu a son remède de fond, celui le
plus adapté à sa personnalité et à sa façon d’être, travaillant sur des très hautes dilutions.
L’homéopathie pluraliste, au contraire, prévoit un remède homéopathique différent pour
traiter chacun des maux, maladies, malaises de l’individu, celui-ci pouvant utiliser plusieurs
remèdes homéopathiques en même temps.
370
Sur l’homéopathie comme une médecine douce faisant partie du répertoire alternatif, voir
le chapitre 1.
La définition d’un diagnostique qui constitue un véritable profil personnel est une
conséquence des significations données à
la perturbation et à la notion de thérapie en
relation au travail thérapeutique comme production de soi. Tracer un profil, évidement
flexible et changeable, aide à identifier l’origine des principaux problèmes et difficultés et à
expliquer certaines réactions et comportements. Il permet à l’individu de s’auto-accepter.
De tous ces instruments la carte astrale fournit l’une des fresques la plus complète
de l’individu. Chacune des «maisons astrologiques» aide à connaître un aspect différent: la
relation avec la famille, les amis, le travail, la santé et l’argent, les maladies et la mort, les
enfants, les aspects masculins et féminins, etc.
D’autres techniques tracent des profils plus spécifiques, soit un aspect déterminé de
l’être, soit un moment précis de sa vie.371
Les essences florales, qui touchent aussi les deux aspects des questions plus
structurales et celles plus conjecturales de la vie de la personne, sont aussi très synthétiques.
Au fur et à mesure que l’individu parcours un chemin de travail thérapeutique et de
quête spirituelle, les problèmes qui étaient apparus comme la cause de ses souffrances sont
remplacés par une préoccupation de son être comme un tout. Plus que diagnostiquer un
malaise spécifique, les travaux thérapeutique-spirituels l’aideront à mieux se connaître.
La référence à des images et des symboles pour définir un profil de la personne fait
de ces images des figures mythiques, leur assignant, comme l’a dit Starobinski (1986), une
«fonction signifiante seconde», comme dans le mythe d’Oedipe372.
L’observation est faite à travers différents moyens: non seulement le regard (le
corps, les images du tarot, la carte astrale, etc.), mais aussi à travers ’lécoute (le récit et le
discours du patient), le toucher (les différentes formes de massage), etc. Le «matériel»
observé/ écouté/ touché est, après, échangé avec le patient.
371
Les cartes du tarot, par exemple, se montrent utiles pour la compréhension d’un événement
ou d’une situation spécifique ou pour tracer un fresque du moment précis de la lecture (la
«qualité du moment»), à travers la disposition de cartes appelée de «Croix Celtique» (douze
cartes, chacune répondant à une question spécifique sur le moment de la personne).
372
Voir Starobinski, 1986, p.162.
CHAP. 5 - ITINERAIRES THERAPEUTIQUES
ET SPIRITUELS
Les récits des différents parcours personnels à travers les thérapies et les
expériences néo-religieuses nous offrent une nouvelle approche des phénomènes décrits,
différente de celle de l’analyse de la doctrine et de l’institution religieuse ou encore de la
technique thérapeutique employée.
L’analyse restreinte au «système thérapeutique» (avec son étiologie, ses nosologies
et ses correspondances entre un certain type de malaise et une thérapie en particulier) ou du
«système religieux» (sa doctrine, ses organisations rituelles et institutionnelles) est assez
limitée pour décrire et comprendre le phénomène dans sa dimension sociale et ses
significations culturelles. Comme l’a dit Augé (1984) au sujet de la maladie, en dehors d’un
système
de
représentations
fondé
sur
une
logique déterminée (la «logique des
différences»373 ), il faut comprendre ses significations sociales, à travers une approche qui
prenne en compte la dimension sociale de la maladie. Nous ne serions pas alors devant un
«système clos»374 , mais face à une dynamique qui change selon les acteurs sociaux et les
transformations historiques et sociales.
Le vécu de ces expériences et le sens donné au travail spirituel sont des dimensions
plus représentatives du phénomène des thérapies néo-religieuses qu’une description
purement formelle des technique ou des doctrines. Chaque nouvelle expérience s’insère
dans un itinéraire personnel qui est continuellement parcouru par l’expérience, et qui, en
même temps, lui donne un sens. Toutefois, ces itinéraires ne se bornent pas à la somme des
expériences accumulées, mais ils se construisent vers un sens - et vers une recherche de
sens.
L’itinéraire thérapeutique n’est pas seulement le parcours emprunté pour traiter le
mal et le guérir, mais il devient un itinéraire de vie, l’emprunt d’une voie spirituelle qui
concerne d’autres aspects de la personne. Le récit de ce genre d’itinéraire est le tableau
373
374
Cf. Augé, 1984, p.57
Cf. Augé et Herzlich, 1984, p.13.
d’une errance à travers des chemins contradictoires, car il ne s’agit pas de trajets
linéaires375 .
La valorisation de l’expérience individuelle ou, comme l’a défini Hervieu-Léger, de
la «singularité absolue du parcours de chacun»376 , est constamment réaffirmée dans le
discours des informateurs.
Si, toutefois, les itinéraires personnels sont uniques, ils ne parlent pas que de
l’individu, ils montrent aussi la dimension collective de l’expérience, c’est-à-dire le vécu
commun d’un groupe social déterminé 377 . L’individu dans son itinéraire singulier est le
sujet de ce partage commun.
A cet égard, nous nous retrouvons en face de l’une des questions anthropologiques
qu’inspire le thème de cette étude: mettre en relation le matériel intime d’une personne avec
la configuration sociale plus élargie du groupe ou de cette «personne collective». Notre but
n’est cependant pas de tracer l’ébauche d’un personnage idéal, ou de ce qui serait le pèlerin
mystique-alternatif378 typique.
Nous essayerons dans ce chapitre de décrire et de comprendre l’existence d’un
certain «fond commun» dans ces différents trajets .
1. Crise et inventaire des maux
Tout récit sur les parcours thérapeutiques et/ou spirituels décrit deux situations
significatives vécues lors du début de ces trajets: à l’origine de la première expérience,
l’identification d’une crise où se manifeste le malaise existentiel dans lequel l’individu se
trouvait submergé; et le vécu d’un moment de révélation, d’une expérience initiatique
représentant l’entrée dans un chemin spirituel, que nous décrirons plus tard dans ce
375
Même si l’image de l’archer zen qui se jette avec sa flèche en direction de sa cible est
souvent utilisée pour représenter cet itinéraire.
376
Cf. Hervieu-Léger, 1990, p.244.
377
On peut faire ici un parallèle avec la constatation de Boltanski (1982, p.7), à propos des
récits de vie de cadres qu’il a étudiés, «les biographies des cadres que je recueillais me
renvoyaient à une autre biographie: celle de la personne collective».
378
Cf. Soares, 1994a.
chapitre. La crise est souvent perçue comme la possibilité d’une telle révélation, de la
manifestation du sens divin de ce vécu.
Elle représente le moment où l’individu «perd ses références», «ne sait plus
comment répondre» aux conflits et aux contraintes de la vie quotidienne, se sent
«insatisfait» de sa vie actuelle, ne se sent plus «bien dans sa peau». Ce moment peut être
décrit soit en tant qu’événement significatif ou traumatique pour l’individu (une maladie,
une séparation, une perte importante, une défaite professionnelle, etc.), soit en tant que
malaise vague et indéfini qui, peu à peu, présente des aspects plus spécifiques.
La crise est donc décrite et interprétée dans les récits comme une sorte
d’épiphanie379 , dans un double sens: un sens plus spirituel (comme une situation qui permet
la «manifestation de la divinité», «du caractère divin de la vie et de toutes les choses»); et
un sens plus psychologique (la possibilité de la manifestation d’une «essence» personnelle
propre à chacun). La crise serait perçue comme un «appel» et comme une porte qui
s’ouvrirait vers la «compréhension».
Ce caractère révélateur de la crise sera en général attribué à la souffrance, soit dans
sa forme biophysique (la maladie), soit en tant que douleur et malaise psychiques.
Comme on peut l’observer dans les différents trajets individuels, chaque personne
était déjà en contact avec les codes et la culture thérapeutique-spirituelle avant sa «crise».
Celle-ci apparaît donc dans les récits comme un moment révélateur et comme la motivation
du choix d’un chemin spirituel. Dans les histoires personnelles elle ponctuerait plus ce
moment de rupture qu’elle ne représenterait une situation spécifique de conversion380.
Quoi qu’il en soit, presque tous les récits sur les itinéraires thérapeutiques et
spirituels se réfèrent à ce moment premier de crise, de malaise, de perturbation, de
souffrance, de maladie, d’épreuve, de malheur, de conflit, d’affliction, de douleur, de
blessure ou d’angoisse. Les notions et les expressions utilisées comme les motivations et
les explications sur l’origine du mal sont les plus diverses. Nous allons décrire quelques
unes des motivations de la crise les plus fréquentes dans ces récits.
379
Pour utiliser la même analogie que fait Frank (1993) par rapport à la maladie.
Situation constatée aussi par Maggie Velho (1975, p.118) dans son étude sur un terreiro
de umbanda, et pour Cavalcanti (1983, p.94) dans son étude sur un Centre Spirite
d’orientation Kardeciste.
380
1.a) Le malaise des militants: la gauche
et la contre -culture
Premièrement, dans les groupes étudiés, beaucoup de personnes (patients et
thérapeutes) sont sorties d’un militantisme politique de gauche pour rentrer dans l’univers
des thérapies et spiritualités alternatives. Le poids des individus issus de la gauche est non
seulement quantitatif mais surtout qualitatif: premièrement par les positions que les anciens
«cadres» militants occupent dans le réseau alternatif et, deuxièmement, parce que
l’expérience contestataire apparaît comme un facteur de définition de la «subculture»
propre à ces segments sociaux.
De nombreux thérapeutes étaient des militants de gauche. L’ex-directeur d’un centre
saniase à Porto Alegre était militant de l’Ação Popular381 dans les années 60; l’actuel
padrinho du Santo Daime à Porto Alegre a eu lui aussi une activité de gauche dans le
mouvement des étudiants et, plus tard, dans le mouvement écologiste; un des thérapeutes
alternatifs le plus cité pendant l’enquête a été aussi un activiste, d’abord à l’université puis
dans le Partido dos Trabalhadores, dont il a été le candidat pour la vice-prefecture d’une
ville proche de Porto Alegre; enfin, l’astrologue dont le récit a été transcrit au Chapitre 2
s’est définie elle aussi comme ex-marxiste. Le cas le plus connu est celui d’Alex Pollari de
Alverga, ex-militant de gauche incarcéré pendant la dictature militaire, converti au Santo
Daime et qui reste aujourd’hui l’une de ses figures les plus connues.
Il est intéressant de remarquer que, si l’on essaie de tracer la carte des organisations
et des activités politiques d’où sont sortis ces futurs patients et thérapeutes alternatifs, le
cadre reste celui de la gauche non-stalinienne. Nous avons ainsi des trotskistes de différents
lignes, des autonomistes, des féministes, des écologistes, des militants liés à l’avant-garde
culturelle, etc. C’est-à-dire des personnes issues d’une gauche qui, pendant la fin des
années 70 et les années 80 se montrait moins dogmatique et moins orthodoxe, plus ouverte
381
Organisation marxiste chrétienne, dont certaines fractions, après le coup d’état militaire
en 1964, ont choisi la lutte armée.
aux mouvements contre-culturels que les organisations comme le Partido Comunista
Brasileiro ou le Partido Comunista do Brasil ou d’autres organisations proches.
Cet élément implique que, s’il y a une rupture dans la vie de ces individus au
moment où ils laissent tomber l’activisme politique pour prendre une voie spirituelle, il
existe également une sorte de continuité dans l’idéal contestataire et libertaire non partagé
par la gauche plus orthodoxe, fermée aux expériences de la contre-culture.
Déjà dans les années 70, plusieurs jeunes militants associaient leurs activités
politiques (dans leurs organisations ou dans le mouvement) à des pratiques contreculturelles ou alternatives, comme la vie dans les communautés urbaines382 , la valorisation
de la nature383, les voyages en auto-stop384 ou encore la consommation de cannabis.
Certains militants ont fait calculer leurs cartes astrales et connaissaient l’Yi-King déjà à
cette époque.
Selon les informateurs, quand le militantisme et la gauche elle-même «entrent en
crise», surtout au milieu des années 80, ce sont plutôt les expériences contre-culturelles, qui
apparaissent comme l’une des alternatives pour ces militants «désenchantés» par le
matérialisme politique et philosophique, par l’«excès de rationalisme» de la gauche et par la
politique en général.
Plus qu’une crise, la gauche brésilienne passe par une redéfinition liée au nouveau
moment de la vie politique du pays: premièrement, par l’organisation d’un grand parti de
gauche,
issu
du
mouvement
ouvrier
et
rassemblant
les
différentes
organisations
révolutionnaires clandestines; deuxièmement, par un processus d’«ouverture politique»
maîtrisée par le gouvernement militaire installé au pays depuis 1964, et le choix, par le
382
L’argot baia était très répandu à Porto Alegre dans les années 70 pour désigner autant la
maison où on habitait avec la famille que (et surtout) la maison partagée avec plusieurs
amis. On cohabitait dans une structure de communauté urbaine, dans une atmosphère de
partage du travail domestique, de participation proportionnelle au salaire et, surtout, de
libération sexuelle. Ces communautés ne doivent pas être confondues aux «républiques
d’étudiants» - maisons partagées par des étudiants, vénus surtout de l’intérieur de l’état, et
qui n’avaient aucun projet contre-culturel. Sur ces communautés à Porto Alegre, voir
l’étude de Bozon, Alexis, Malucos, dissertation de Mestrado en Anthropologie Sociale,
Universidade Federal do Rio Grande do Sul, 1986.
383
Qui s’exprimait dans la pratique très courante des campings réalisés dans les zones
sylvestres du Rio Grande du Sul ou dans les plages de Santa Catarina, état voisin.
384
A travers l’Amérique Latine, surtout aux ruines incas du Pérou, et au nord-est du Brésil.
Congrès National d’un Président de la République civil (en 1985); enfin, par la croissance
de la gauche qui commence à vivre la perspective concrète d’exercice du pouvoir 385, ce qui
entraîne un changement du caractère et du militantisme politique. Comme a dit un exsaniase (ex-militant d’une organisation trotskiste) et actuellement enseignant à l’université:
«Bon, la dictature était terminée, tu sais, aux environs de 84. Et moi,
j’ai senti: ‘bon, à partir d’ici soit je rentre dans cette histoire et je deviens
un politique..., avec un compromis plus important...’. Bon, à cette époque là
je ne pensais pas toutes ces choses, j’étais trop jeune, j’avais 22 ans. Mais
c’était exactement comme ça: se professionnaliser [dans la politique],
comme beaucoup d’autres l’ont fait. Peut-être pas autant que ceux qui sont
sortis, mais beaucoup l’ont fait . C’était ça ou laisser tomber et aller faire
quelque chose d’autre.»
Il exprime le changement provoqué par le nouveau cadre politique du pays et de la
gauche brésilienne: soit les militants devaient professionnaliser leurs activités et leur
militantisme, soit «laisser tomber» et redéfinir leur projet personnel. Nombreux ont été
ceux qui ont choisi de partir et de refaire leur projet personnel.
La critique de l’activité politique en général et de la gauche en particulier va encore
plus loin et montre qu’il ne s’agissait pas simplement de faire son choix: plusieurs militants
ont vécu ce moment comme une phase de crise et de perte de références. Ce même
informateur cité au-dessus décrit ses sentiments à ce moment.
«J’avais perçu qu’il y avait beaucoup de discours extérieurs, n’est-ce
pas? Mais combien de fois ce discours cachait en vérité d’autres choses...
Comme ces discussions ennuyeuses du mouvement des étudiants, ou les
385
En dehors de l’élection de représentants du PT (Partido dos Trabalhadores) au parlement,
le parti conquis la mairie de plusieurs préfectures, dont quelques capitales des Etats, comme
São Paulo et Porto Alegre. Dans cette dernière, le PT accomplit déjà son deuxième mandat
à la Préfecture. Durant les deux dernières élections présidentielles au Brésil, le candidat du
PT, Luis Inácio da Silva, a entamé une bataille très serrée contre le candidat de la droite,
Fernando Collor de Mello, en 1989 et contre le candidat de centre (en alliance avec la
droite), Fernando Henrique Cardoso, en 1994.
disputes internes de chaque courant, tu comprend? Deux caudilhos (chefs)
voulant s’atteindre. En vérité ça se passait comme ça. Mon organisation
s’était aussi démolie à cette époque. C’était la ***. (...) Tout de suite après
avoir laissé tomber le militantisme, je me suis retrouvé dans une crise
d’anxiété très forte. Je suis allé chercher *** [une psychanalyste liée aussi à
la gauche], parce que je croyais que j’allais devenir fou.».
Cet informateur ou les autres personnes au passé militant ne disent jamais qu’ils ont
cessé d’être «de gauche». Selon ses mots, il est passé d’une «politique de l’extérieur»,
(changer les autres, la société, les institutions) à une «politique de l’intérieur», où la
transformation du monde est perçue comme une conséquence de la transformation des
consciences individuelles. L’idée exprimée à ses élèves par un tarologue pendant un cours
de tarot: «si chacun portait lui-même sa propre valise, l’humanité irait beaucoup mieux»
constitue un exemple de cette transformation à partir de «l’intérieur» ou de l’individu luimême.
Quelques uns considèrent l’abandon de l’activisme politique et la rentrée dans un
«chemin spirituel» comme une continuité, un approfondissement du processus de
transformation. Un autre ex-militant trotskiste (appartenant à une organisation différente),
actuellement enseignant dans un lycée, tarologue et saniase, perçoit sa trajectoire de la
façon suivante:
«Je suis arrivé à être membre du PT et à part iciper à la ***
[organisation trotskiste]. ... Le mouvement le plus fort à l’époque était pour
les diretas já! [il se réfère au mouvement pour les élections directes pour le
Président de la République en 1985]... J’y ai participé dans une mauvaise
phase. Mais j’étais plus lié au PT... C’était une phase courte, un an et demi,
deux ans... Après j’ai commencé à étudier les thèmes liés à l’ésotérisme.
Après le marxisme, j’ai vécu un vide... Tout le mouvement a été donc une
porte vers les autres choses. En regardant tout ce qu’on faisait, les résultats
qu’on voulait atteindre... L’entrée dans l’ésotérisme a été presque
automatique. J’ai commencé à étudier, j’ai fait la gnose, j’ai étudié
l’alimentation. Je faisais un peu de macrobiotique; quelques petites folies
dans l’alimentation aussi...»
Le fait d’avoir été de gauche est donc un élément qui marque une partie de l’ethos
alternatif et du circuit des thérapies néo-religieuses à Porto Alegre.
Il est évident que
tous les itinéraires n’ont pas à l’origine le militantisme. Mais, comme dans les années 70 et
80, nous pouvons constater encore aujourd’hui un rapprochement entre une partie de la
gauche révolutionnaire et l’univers contre-culturel. Les pratiques alternatives et les activités
de la gauche retrouvent de temps en temps quelques points de contact: du point de vue du
développement de certaines politiques pour la ville 386 ou dans certaines activités politicoculturelles qui finissent par réunir les actuels militants et les personnes qui font aujourd’hui
partie du réseau thérapeutique-religieux alternatif de la ville (sans parler de ceux, très
nombreux, qui transitent entre les deux champs).
1.b) Maux d’amour
Dans son récit (transcrit au chapitre deux), Kátia raconte le début de son itinéraire
dans les thérapies parallèles et sa quête spirituelle.
«Je me préparais à partir dans un grand voyage et j’ai fini par rester
ici, je suis tombée amoureuse, je me suis mariée. Pendant ma crise de
couple, j’étais comme défigurée, ce truc du mariage où l’on confond tout,
hein? Je me suis dit: ‘C’est le moment de faire quelque chose, en termes de
thérapie’.
Antonio, qui a fait son initiation dans le Santo Daime et a vêtu la farda (l’habit des
initiés), raconte son malaise, à l’origine de l’abandon de ses études d’ingénieur: le manque
de références et sa douleur après la rupture d’un long rapport amoureux. Sa soeur avait
386
Politiques liées par exemple à l’écologie, à l’ouverture des espaces culturels alternatifs,
etc. Si elles demeurent encore limitées à un nombre réduit de personnes, elles sont toutefois
plus nombreuses que celles que pratiquaient les gouvernements municipaux antérieurs.
aussi commencé à participer à des séances d’ingestion du Daime pendant une crise
conjugale.
Les maux d’amour, la perte d’une relation importante, le vécu d’une situation
d’abandon, bref, toutes les souffrances liées à la vie amoureuse et affective ont une place
importante dans les discours thérapeutiques et parmi les motivations qui conduisent les
individus vers une thérapie alternative. Cela apparaît autant dans les récits sur les itinéraires
personnels que dans les récits sur les travaux thérapeutiques ou lors des consultations.
Alors que les souffrances amoureuses occupent une place centrale parmi les
motivations à l’origine des parcours thérapeutiques, au fur et à mesure que l’expérience
avance, ces mêmes discours montrent que ces problèmes sont relégués au second plan,
derrière les questions de la quête spirituelle considérées comme plus «importantes».
Le glissement d’un état d’âme déterminé par la souffrance à une condition de
«conscience de soi» et de «éveil spirituel», est la métaphore la plus utilisée pour montrer le
processus de transformation personnelle. Le «vieux moi» - préoccupé et souffrant avec les
questions mondaines - est remplacé par un «nouveau moi» - préoccupé avec la recherche de
sa «vérité intérieure».
Les problèmes qui avaient amené l’individu à faire une thérapie, à participer à un
rituel, à faire faire sa carte astrologique deviennent dérisoires devant ces nouvelles
découvertes.
On peut observer ici la superposition de deux genres de discours et de valeurs.
D’une part, un discours qui valorise les affects, les rapports amoureux et la vie conjugale un des thèmes prépondérants en tant qu’origine des crises et des souffrances qui motivent la
recherche d’une thérapie. Cette valorisation des affects, de la vie amoureuse et de
l’expression publique de ces expériences dans ce domaine (aussi bien que le vécu d’une
haute circularité matrimoniale) est une des caractéristiques qui marquent l’ethos des
groupes sociaux concernés par une culture thérapeutique alternative et à une «culture
psy»387 . Un genre de discours, centré sur la subjectivité et la vie affective, vu
traditionnellement comme typiquement féminin, est maintenant partagé par des hommes et
des femmes, révélant un réaménagement des rapports et des identités de genre dans ces
387
Sur la valorisation des affects et de la vie amoureuse voir Velho (1985), Figueira (1985),
etc.
segments sociaux. Les hommes, autant que les femmes, sont détenteurs d’un discours qui
privilégie, dans l’inventaire de leurs souffrances, la «question affective» (la questão afetiva,
dans les mots des informateurs)388 .
D’autre part, quand les informateurs se réfèrent au moment postérieur à la crise,
quand ils se sont déjà laissés immerger dans l’expérience thérapeutique et spirituelle, les
rapports amoureux et la vie affective n’occupent plus le centre du discours. La vie affective,
qui apparaît dans le discours «psy» comme ayant une raison en soi, devient une question
subordonnée à celle du rapport de l’individu au monde et à lui-même. L’accent est mis
alors sur des questions que les informateurs considèrent comme «plus élevées» concernant
leur vie et leur «être dans le monde». Le changement qui permet cette redéfinition prend la
forme d’un itinéraire ou d’une trajectoire morale, où la quête d’un chemin spirituel se
substitue à la recherche de la résolution immédiate des problèmes de la vie ordinaire.
On peut parler de deux dimensions de cette «trajectoire morale»: d’un côté, celle qui
concerne l’individu en plein processus de «souci de soi»389 et de reconstruction de son
histoire personnelle. De l’autre, celle de la «personne collective», c’est-à-dire la
transformation des aspirations et de la vision du monde qui délimitent la singularité de ce
groupe social. Sur ce dernier aspect, on pourrait dire que le groupe oscille entre la
confirmation d’un ethos de classe moyenne urbaine occupant une place déterminée dans la
société brésilienne390 , et un discours privilégiant un certain idéal moral que les individus
appartenant à cette couche sociale doivent atteindre. D’un côté, prédomine un discours
individualiste, qui privilégie l’individu et ses expériences particulières et privées; de l’autre,
un discours centré sur des valeurs morales qui se rapprochent d’une vision hiérarchique du
monde, soumettant l’individu à un «ordre cosmique» majeur391 .
Cette ambiguïté apparaît clairement dans le deux conceptions de la rencontre
amoureuse qui s’expriment dans le discours des informateurs: celle de deux individus qui
388
Sur la «féminisation» du discours masculin, et l’existence d’un modèle d’«homme
sensible» parmi quelques segments des classes moyennes au Brésil, voir le travail de
Buffon, 1992.
389
Champion (1990) fait aussi cette remarque à propos de la culture mystique-ésotérique en
France.
390
Une place déterminée, mais ni statique ni exempte de contradictions et d’ambiguïtés.
391
Conformément à la discussion proposée par Louis Dumont autour de l’opposition entre
une l’idéologie individualiste moderne et les valeurs hiérarchiques ou holistes. V. Dumont
(1966, 1985a et 1991).
se retrouvent et se choisissent selon leur propre volonté; celle d’une rencontre régie par un
ordre cosmique supérieur, selon laquelle toutes les relations amoureuses auraient un aspect
karmique.
1.c) Vie professionnelle
La
vie
professionnelle
et
le
travail
apparaissent
comme
des
dimensions
fondamentales dans la vie des individus qui recourent aux thérapies alternatives. Souvent
les récits montrent que la perturbation et le malaise sont en rapport avec les pressions d’une
vie professionnelle insatisfaisante ou indéfinie. Cette dernière situation concerne surtout les
personnes entre 30 et 40 ans, qui ont atteint la maturité dans un choix professionnel au sein
d’un cadre social de crise économique, d’inflation et de chômage croissants. Pour les
couches moyennes brésiliennes, l’obtention d’un diplôme universitaire n’est plus ni un
canal d’ascension sociale ni de garantie de reproduction de son statut social.
Au même temps, pour beaucoup de jeunes qui ont vécu une expérience de
militantisme politique de gauche, à la fin des années 70 et le début des années 80, et pour
ceux qui avaient un projet de vie lié à la contre-culture, le choix d’une profession et la
conclusion de leurs cours universitaires ont été laissés de côté devant la priorité du travail
politique.
Comme nous l’avons constaté au sujet de la vie affective et amoureuse, la question
de la vie professionnelle nous montre certains aspects sur les rapports de genre au sein de
ces groupes. Pour les femmes, le besoin d’une définition professionnelle satisfaisante a une
importance aussi grande, sinon plus grande, que pour les hommes. Dans de nombreux récits
féminins, le travail et la profession apparaissent comme des questions centrales élaborées
dans les travaux thérapeutiques collectifs et pendant les consultations392 .
D’autre part, à l’opposé de ce que Duarte (1986) a observé pour les femmes des
classes ouvrières au Brésil, dans les classes moyennes, le travail féminin est valorisé en tant
392
Au contraire du discours des voyants «traditionnels» (surtout ceux observés à Paris), qui
associent les motivations et les demandes des clients masculins aux questions d’argent,
d’affaires et de travail, et les préoccupations des femmes aux problèmes liés à la famille, à
la santé et à la vie amoureuse.
que source de libération et d’autonomie pour la femme. Dans le cas où une perturbation est
associée au travail, celle-ci se focalise dans l’absence d’une définition professionnelle plus
claire et satisfaisante et non dans le caractère négatif du travail réalisé. Ce dernier, perçu
par Duarte dans le discours des femmes ouvrières, est associé aux représentations de la
condition féminine dans les classes subalternes. Surtout aux périodes considérées comme
des moments de «faiblesse» de la femme (la grossesse, le moment puerpéral, etc.), et dans
l’accomplissement de tâches jugées incompatibles et trop lourdes pour les femmes. Dans le
discours des classes ouvrières, ce travail apparaît alors comme une des sources de maladies
nerveuses des femmes.393
Si dans le discours des classes moyennes, le travail féminin prend d’autres
significations, il existe cependant une valorisation de tout ce qui est de l’ordre du
«féminin».
1.d) Les maux et les mots du corps
Au-delà des maux «de l’esprit», les maux du corps occupent aussi un rôle en tant
que motivation pour la recherche d’un thérapeute alternatif et en tant qu’objet de travail
thérapeutique et spirituel. Un simple malaise physique, une indisposition qui n’a pas été
résolue par un médecin conventionnel ou une maladie chronique plus grave, comme le
cancer ou le SIDA, sont d’autres motivations qui conduisent l’individu vers ce genre de
thérapies. Cette démarche qui recherche la cure ou au moins le soulagement suivra, au
cours du travail, deux chemins complémentaires.
D’une part, le mal apparent (la maladie)
est vu comme la manifestation d’un «mal d’esprit» de fond, plus important. La maladie
recèle ici son plein aspect métaphorique: elle est la représentation ou l’inscription sur le
corps des problèmes d’ordre subjectif, de la personnalité de l’individu ou de sa façon d’être
et de voir le monde. Le corps «parle», il est signe, et en tant que tel il peut être lu, regardé,
entendu, interprété. Pour utiliser une expression de Frank, la maladie (et le corps) sont pris
393
Pour Duarte, tous ces facteurs «renforcent seulement l’illégitimité radicale qui entoure le
travail féminin hors de la maison» («reforçam apenas a ilegitimidade radical de que se
cerca o trabalho feminino fora de casa»), 1986, p.237.
comme «producteurs de vérité»394 . La maladie exprime et elle est la symptômatisation
d’une personnalité individuelle - et, d’une certaine façon, l’individu lui-même est le
responsable de son mal. Pour guérir, c’est l’être tout entier qui doit changer (la maladie est,
d’ailleurs l’occasion pour ce changement). Dans cette conception de la maladie, la
médecine scientifique est critiquée parce qu’elle ne considère que la maladie ou l’organe
malade, elle n’est ni intéressée par la personne en tant que telle, ni par les causes
spirituelles et subjectives du mal.
D’autre part, si les maux du corps sont perçus comme l’expression d’un état
subjectif de l’être, ils ne sont toutefois pas négligés par les thérapies parallèles. Une des
critiques,
d’ailleurs,
dirigée
contre
les
psychanalystes
et
les
psychothérapeutes
conventionnels est leur déconsidération du corps. Selon la vision des thérapeutes alternatifs,
nommée par certains d’entre eux de conception «holiste» de la personne, pour que
l’individu soit bien avec lui-même, il faut que son corps soit également équilibré et
harmonisé, pour permettre la «circulation de l’énergie»395 . L’action sur le corps provoque
des changements au niveau spirituel ou mental. Ainsi, lorsqu’Antonio vomit, après
l’ingestion du Santo Daime, la réaction de son corps représente et signale, d’une part,
l’effet du breuvage sur son esprit et elle va provoquer un processus de désintoxication et de
purification plus profond: il «vomit» des scènes du passé, des sentiments et des émotions.
En ce qui concerne les maladies plus graves ou chroniques, le sens donné au «mal»
ne sera pas tellement différent des autres affectations physiques, mais il sera pourtant lié à
une dimension plus spirituelle de la vie. Quand il s’agit de ce genre de maladie, ce n’est pas
toujours la perspective de guérison qui donne un sens au travail. Les procédures adoptées
peuvent tenter d’aider la personne à vivre avec sa maladie, à soulager la souffrance, voire,
quand tous les espoirs de guérison sont mis en doute, à se préparer à une «bonne mort».
(Les daimistes parlent de «préparer un bon passage», la mort physique représentant le
passage de l’être - de son esprit ou de son âme - à une autre sphère de l’univers ou du
394
Cf. Frank, 1993, p.48.
La notion d’énergie (et de ses formes de circulation ou de congestion) est centrale dans
cette identification des maux corporels aux maux spirituels.
395
cosmos). Le corps reprend ici sa fonction de simple véhicule d’une autre dimension de
l’esprit et de la conscience (le corps est l’appareil - o aparelho396 - où ils se manifesteront).
Indépendamment de l’existence d’une maladie, la recherche d’un équilibre entre le
corps et l’esprit va se poursuivre pendant tout le parcours spirituel de l’individu397 .
L’importance donnée à l’alimentation (beaucoup d’entre eux se sont convertis à la cuisine
végétarienne ou, dans un moindre degré, à la macrobiotique) est l’un des indices de cette
recherche. D’autre part, même si l’individu n’est pas malade, le travail sur le corps est
permanent. Ces travaux comprennent des activités plus expressives et théâtrales (comme les
activités liées à la danse et à l’expression corporelle) ou certaines plus physiques et
techniques (comme les différentes formes de massage).
En ce qui concerne le sens donné à l’expérience de la maladie et de la souffrance,
les conceptions qui valorisent l’auto-guérison et l’effort individuel dans la cure sont
fortement répandues dans cet univers398 . La volonté individuelle est investie du pouvoir de
créer des maladies et c’est donc aussi l’effort du désir personnel de cure qui peut combattre
la maladie399 . Cette responsabilité de l’individu par rapport à sa maladie et sa santé apparaît
clairement dans la littérature de self-help, largement répandue et lue au Brésil ces dernières
années. Certains livres sont aussi utilisés dans les cercles alternatifs des classes
moyennes400 .
2. Conversion et expérience initiatique
396
Expression des religions afro-brésiliennes (pour designer le médium qui reçoit une entité
spirituelle) reprise par les daimistes et utilisée quelquefois aussi par certains thérapeutes
alternatifs et par certains saniases.
397
On peut faire ici une analogie à ce que S. Zweig (1982) a dénommé «médecine
romantique», celle qui, «se rattachant au mouvement poétique et philosophique de cette
époque, aspire à une union supérieure de l’âme et du corps», p. 17.
398
Selon Zweig (1982), cette démarche de renforcer la volonté de guérison présente dans
chaque individu (chacun porte en soi un «médecin intérieur», p.18) est aussi l’un des
aspects centraux de la «médecine romantique».
399
Conception proche de celle répandue après les années 70 sur le causes du cancer et ses
possibilités de guérison. Voir, à ce propos, Sontag, 1984.
400
Comme le livre de Louise Hay, déjà cité.
L’engagement et l’adhésion de l’individu dans un travail thérapeutique alternatif et
dans un parcours spirituel est décrit comme une conversion, parce qu’il représente un
processus de métamorphose personnelle. Cette métamorphose comprend non seulement
l’adoption d’un ensemble de nouvelles pratiques, rituelles ou thérapeutiques, mais concerne
aussi tous les autres aspects de la vie.
La forme de cette transformation change d’un individu à l’autre: elle peut être lente
et graduelle exprimant la continuité d’un processus, ou radicale et soudaine, impliquant une
rupture dans son itinéraire de vie. Mais, quoi qu’il en soit, le sens de la conversion est le
même: celui de faire émerger de l’individu en question un «nouvel être», où, comme l’a
défini Eliade (1987) à propos de l’initiation, le novice devient «autre»401 .
Les expériences initiatiques vécues dans un cadre collectif sont décrites comme un
rituel d’initiation où tout ordre et organisation sont tournés vers le vécu de l’individu.
Dans le cas des nouvelles religiosités, la conversion, phénomène présent dans
pratiquement toutes les religions, est exprimée par la possibilité de rupture de l’individu
avec son «vieux moi» et l’incorporation d’un «nouveau moi». Elle doit toutefois être
constamment mise à jour pendant que l’individu poursuit son parcours. Il n’existe donc pas
de formule générale pour décrire ce processus, puisqu’il s’insère dans un itinéraire
particulier.
A propos des nouvelles expériences religieuses au Brésil, Soares (1994a) parle de
deux situations de conversion: la première possède un caractère provisoire et l’engagement
de la personne dans un univers de croyances et de pratiques n’est qu’une phase de transition
vers une adhésion d’autre qualité. L’auteur cite, comme forme transitoire, un transit d’une
adhésion postérieure aux nouvelles religiosités, l’exemple de la participation dans
l’umbanda. La deuxième forme de conversion, sera vécue non plus comme temporaire mais
comme permanente et «définitive»402 . Cet auteur rappelle que le facteur qui permet cet
engagement plus définitif reste la flexibilité inhérente aux nouvelles pratiques religieuses.
Nous avons observé que, même à l’intérieur de ces groupes et pratiques qui font
partie des «nouvelles religiosités», il existe toute une dynamique de conversions et de
reconversions (et aussi de déconversions) extrêmement mouvante. Cette mutabilité est
401
402
Cf. Eliade, 1987, p.225.
Cf. Soares, 1994a, pp. 208-209.
induite, d’un côté, par la singularité des itinéraires personnels et la «ressignification»
permanente des choix de chaque individu (de telle thérapie ou telle filiation spirituel) et, de
l’autre, par la flexibilité de cet univers, où de nouvelles expériences, de nouveaux groupes
et de nouvelles possibilités d’aménagement sont proposés de façon permanente.
Parmi les différentes motivations de conversion recensées, nous avons observé que
les patients font toujours référence, au début, à une crise et à une situation d’érosion
culturelle, sociale et subjective.
La dynamique de cette conversion comprend évidemment d’autres facteurs, liés aux
choix personnels ou à l’interférence des réseaux sociaux auxquels appartient l’individu. Il
faut inclure parmi ces facteurs de conversion la question du prosélytisme néo-religieux, qui
joue un rôle non négligeable même si au Brésil il n’a pas la même importance qu’en
France403. Les différents groupes et traditions spirituels comme les thérapeutes alternatifs
ont chacun leur stratégie pour attirer plus d’adeptes ou de clients. Les saniases, par
exemple, ont des publications, des cours de formation, des contacts et des invitations
personnelles pour «demander le sanyas»404 . Même les groupes liés à la tradition des
sociétés secrètes européennes ont leur façon de rapprocher des nouveaux adeptes, à travers
la réalisation de quelques rituels ouverts, ou encore le contact personnel. Le Santo Daime,
même si un grand nombre de ses adeptes contestent le prosélytisme religieux405, possède sa
propre forme de divulgation de ses activités et d’invitation de nouveaux participants dans
les rituels. En ce qui concerne les thérapeutes et leurs cabinets, nous avons déjà décrit les
formes de divulgation.
Le
début
d’un
cheminement
thérapeutique-spirituel
comporte
deux
genres
d’expériences qui se complètent de façon singulière dans chaque itinéraire personnel: le
choix de la thérapie et l’expérience initiatique elle-même.
2.a) Le choix
403
Dans ce pays, les sectes sont vues comme une menace, surtout envers les jeunes et une
association nationale de défense contre les sectes a été fondée.
404
C’est-à-dire demander d’être accepté comme disciple de Rajneesh et de faire partie de sa
communauté d’adeptes.
405
Pour la doctrine daimiste, ce n’est pas l’individu qui choisit le Daime mais c’est le Daime
qui l’appelle.
Les possibilités de choix, de la thérapie comme de l’expérience spirituelle, reposent
sur un répertoire varié et flexible dans ses possibilités de combinaison de pratiques de
différentes origines406 .
Les discours des informateurs sur les motivations du choix du thérapeute présentent
deux types de motivations: le choix comme résultat d’un ordre cosmique supérieur
(exprimé, paradoxalement, par la notion de hasard et quelquefois de destin); et le choix
comme produit de la volonté de l’individu. Cette tension est inhérente à tous discours sur
les thérapies alternatives et les nouvelles spiritualités.
Le «hasard» apparaît dans une grande partie des récits: une rencontre inattendue,
une affiche perçue dans le coin du restaurant végétarien fréquenté, un bouquin du futur
«maître» trouvé dans la librairie des événements qui viennent en général combler une
situation de crise.
Les informateurs interprètent ces coïncidences comme des signes: rien n’arrive «par
hasard» dans ce monde, tous les événements ont un sens qu’il faut comprendre. Quelquesuns citent Jung pour parler de la «synchronicité», de l’ordre cosmique qui interfère dans
toutes les situations et tous les événements. Quand ils se réfèrent à leurs parcours spirituels,
ils donnent souvent un ton fataliste
à leurs expériences: «ça allait arriver tôt ou tard»,
«c’était prévu dans ma carte astrale», «je suis quelqu’un de très sensible, je savais»... Les
événements sont ainsi vus comme l’accomplissement d’un destin, la soumission à un ordre
des choses qui ne dépend pas de la condition humaine, mais qui suit des «lois cosmiques».
Pour être en harmonie avec cet ordre cosmique supérieur, l’individu doit savoir lire
les signes qui lui montrent le chemin à suivre.
Dans ces mêmes récits, la volonté de l’individu dans le choix d’un chemin spirituel
et surtout dans la continuité de l’expérience joue un rôle central: «je suis allé au Daime
parce que c’est le canal de la spiritualité aujourd’hui»; «j’ai choisi le Fischer-Hoffman,
parce que c’est très fort»; «je me suis dit, c’est lui la personne».
L’observation
des
différents parcours thérapeutiques et spirituels indique un troisième facteur qui pèse sur les
choix, qui n’est ni de l’ordre du hasard ni de la volonté individuelle mais qui leur donne un
406
A cette flexibilité du répertoire offert, s’oppose la valorisation d’un certain idéal
ascétique de la personne et d’une discip line et hygiène de vie (prescriptions alimentaires,
interdictions, certains standards de moralité, etc.).
sens: il s’agit de la dimension sociale, celle qui concerne les configurations sociales,
culturelles
et
symboliques.
Cette
dimension
sociale
du
choix
concerne
surtout
l’appartenance de l’individu à un réseau social qui lui inspire certaines problématiques, des
préférences et des décisions 407 .
Les itinéraires thérapeutique-spirituels suivent un chemin en étroite liaison avec le
réseau social où sont offertes les possibilités de choix408 .
Dans son étude sur l’«Espiritualismo» au Mexique, Finkler (1987) constate que la
route plus généralement empruntée par les individus pour arriver à cette religion est celle
du «réseau de la maladie» (the illness network), composé par des amis, des parents, ou des
voisins qui racontent au malade la thérapie «espiritualista»409 . La plupart des premier
contacts se produiraient après l’échec d’un traitement biomédical. On peut parler, par
rapport à l’adhésion aux nouvelles thérapies et spiritualités à Porto Alegre, de l’importance
du réseau social auquel appartient l’individu. Dans les récits sur la première participation
dans une séance du Santo Daime, ou sur la première consultation avec un thérapeute
alternatif, c’est souvent un parent ou un collègue de travail qui avait communiqué son
expérience.
Le vécu de cette nouvelle expérience provoque aussi une modification du réseau
social: de nouveaux amis, un sens plus fort de communauté, le remplacement des «relations
non favorables» par d’autres410 . Le récit d’Antonio sur l’impossibilité après son expérience
avec le Daime de garder ses anciennes relations amicales est un exemple de ce changement
du réseau social.
Parmi les facteurs de cette dimension sociale, l’identité collective et la réponse à
une expectative sociale déterminée sont des motivations importantes dans le cheminement à
travers ces expériences. S’il existe, parmi les classes moyennes brésiliennes (d’où sort une
407
Ce qui diffère de la conclusion de Boltanski (1968) à propos des différences entre le
choix médical fait par les «classes supérieures» et celui des «classes populaires». Selon lui,
les premières choisiraient leur médecin de façon délibérée et selon des critères «objectifs»
de «compétence», choisissant les spécialistes «qui occupent le centre du champ médical»
(p.38,39). Les membres des «classes populaires», par contre, choisiraient «au hasard» leur
médecin, «en fonction de critères indépendants de celui qui choisit et dont le plus important
est sans doute la distance géographique» (p.39).
408
Voir, à ce propos, Perez, 1992.
409
Cf. Finkler, 1987, p.384.
410
Idem, p.385.
grande partie des individus engagés dans une «nouvelle conscience religieuse»), un
discours qui privilégie les choix et la volonté individuelle, ces groupes ne sont pas exempts
des déterminations sociales de leurs choix.
Il existe un autre composant qui pèse dans les choix et dans les trajets
thérapeutiques, celui-ci outrepasse la correspondance à un réseau social et culturel
préalablement établi: le croisement de différentes influences culturelles dans le choix.
Quelquefois, parmi ces choix, les individus recourent aussi aux médecins,
psychologues et psychothérapeutes traditionnels, les incluant dans leurs stratégies de
guérison et de quête du bien-être.
Quand on discute par exemple la manière dont certaines institutions religieuses ou
spirituelles rentrent dans les stratégies thérapeutiques, il n’est pas difficile de comprendre
quand ceci se réfère au mouvement sânias411 ou au Santo Daime, par exemple. Les
individus fréquentent les rituels du Daime de façon ouverte et flexible, plaçant cette
expérience dans un lieu précis de leur trajectoire individuelle412 . La composition sociale des
adeptes du Daime comprend une large participation des individus provenants des classes
moyennes urbaines, avec une large participation d’intellectuels, de professionnels libéraux,
d’artistes, etc.
Il existe cependant des situations où ces itinéraires passent par des expériences qui
n’appartiennent pas nécessairement au circuit parallèle, comme c’est le cas des religiosités
afro-brésiliennes, du spiritisme kardeciste, ou même des religions comme le catholicisme
où les sectes pentecôtistes.
Un exemple très clair qui associe la quête de guérison à la participation religieuse en
dehors du réseau alternatif est celui, constaté à Florianópolis, de certains séropositifs ou
malades du SIDA qui ont commencé à fréquenter un temple pentecôtiste de la «Igreja
Universal do Reino de Deus»413 . Certains de ces malades ont abandonné, d’ailleurs, le
traitement médical en arrêtant l’AZT et tous les soins et accompagnements conventionnels.
Les facteurs qui interfèrent dans ce genre de choix sont plus complexes que la
recherche d’une cure miraculeuse ou d’un confort spirituel que la médecine officielle n’est
411
C’est-à-dire à la communauté des disciples de Rajneesh.
Même si, dans le rituel, elles doivent se soumettre au collectif et aux règles rigides.
413
Récemment ouvert dans le centre de la ville, installé dans une ancienne salle de cinéma.
Sur cette Eglise, voir le chapitre 1.
412
pas capable d’offrir. Il faut prendre en compte d’autres facteurs comme celui de la quête
d’un sens à l’expérience morbide et le besoin d’incorporer l’idée de la «mort» comme
faisant partie du chemin de chacun.
2.b) Expériences initiatiques
En essayant de décrire la vie mystique, de Certeau (s/d) parle des situations initiales,
des expériences qui l’inaugurent ou la changent414 .
Ce moment inaugural, où s’opère une rupture avec une situation antérieure, apparaît
fortement dans les récits, avec une description minutieuse de la scène, des objets et surtout
des sensations et des émotions ressenties au moment de l’expérience415 .
Dans le récit transcrit dans le chapitre 2, Kátia, l’astrologue, décrit trois situations
qu’elle vit comme des “expériences décisives”416 . Des vécus extrêmes, en général au début
d’un
processus
thérapeutique,
qui,
en
marquant
une
rupture
avec
la
situation
immédiatement antérieure, ritualisent son entrée dans le “chemin de quête spirituelle”.
Deux de ces situations décrites par Kátia - la lecture corporelle faite par son thérapeute et
l’incorporation de sa mère par un des participants de l’atelier de Fischer-Hoffman - sont des
expériences partagées collectivement. La troisième situation - l’apparition du maître
Rajneesh - est vécue solitairement. D’autres récits racontent des situations similaires.
Les expériences initiatiques vécues dans un cadre collectif sont décrites comme un
rituel d’initiation où tout ordre et organisation sont tournés vers le vécu de l’individu. A
l’opposé des cérémonies d’initiation traditionnelles qui suivent un ordre et quelques fois
une hiérarchie préalablement établie, dans la description des rituels faite par les
informateurs, c’est l’intensité du vécu individuel et de sa signification qui compte.
Les rituels du Santo Daime, où l’organisation et la discipline rituelle sont très
importantes, puisque chaque participant doit s’y soumettre, sont eux aussi vus comme des
espaces où la vraie expérience initiatique et transcendante est vécue par l’individu. C’est
sur les scènes et les situations de son passé ou de sa vie actuelle que la lumière d’une
414
”Des expériences décisives, indissociables d’un endroit, d’une rencontre, d’une lecture,
mais non pas réductibles à ce qui a été le lieu de passage: le chant d’oiseau qui découvre au
chaman sa vocation; la parole qui perce le coeur; la vision qui retourne la vie...”. Cf. de
Certeau, s/d, p.1033.
415
Encore comme l’a dit de Certeau (s/d) par rapport à ce moment initiatique vécu par le
mystique, “il garde gravées en sa mémoire les moindres circonstances de cet instant”,
p.1033.
416
Idem. Cet auteur compare cette expérience à celle de l’“expérience hyperbolique” décrite
par Derrida. Loyola (1983) et Soares (1994) parlent respectivement d’«expériences
extrêmes» et de «situations limites».
expérience mystique va se projeter. La dimension collective, la présence des autres vont
aider l’individu dans cette révélation.
L’expérience initiatique est aussi un moment d’énonciation performative parce
qu’elle concentre le vécu d’une situation dramatique, où le discours verbal est souvent
remplacé par d’autres formes de langage. Dans le bouquin retrouvé dans une librairie; dans
l’apparition du maître pendant un travail quelconque; dans une “miração” pendant un rituel
du Santo Daime, etc., l’individu vit une expérience extrême où il s’éloigne de la vie
ordinaire.
Pour Champion (1990), dans ce caractère non ordinaire de l’expérience initiatique,
le réel apparaît comme le “produit du désir” et de “l’inconscient”417 . Pour cet auteur,
l’expérience des “réalités non ordinaires”, si elle est aussi vécue dans les Eglises plus
traditionnelles, reste “d’autant plus forte dans la nébuleuse mystique-ésotérique que
l’expérience personnelle y est souveraine et hors de tout contrôle, puisqu’il n’y a aucune
instance reconnue de censure ou de discernement”418. Par rapport à cette absence d’une
instance de contrôle, il faut, à notre avis, relativiser cette affirmation. Car on doit prendre
en compte la dimension sociale de ces phénomènes et le fait qu’il y a des déterminants
sociaux qui agissent aussi dans le plan des expériences qu’on nomme émotionnelles et qui
ne sont pas nécessairement symbolisées dans un discours verbal419 . Il y a, d’ailleurs, dans
les activités collectives (thérapeutiques ou rituelles) un ordre et des «instances de contrôle»
préalablement définies: l’organisation de l’espace, les interdictions de tout ordre avant et
après l’activité, la hiérarchie à respecter, des gestes et des procédures corporelles que
chacun doit suivre, etc.
Cette première expérience, de conversion ou d’initiation, doit se reproduire
continuellement dans le cadre d’un itinéraire personnel. Chaque moment d’une thérapie qui
implique une probation, un défi et une rupture, est aussi un moment où se dramatisent
certaines capacités acquises dans son processus de “croissance”. Ces situations initiatiques
dramatisent un changement de la personnalité sociale, ils marquent aussi, à chaque
417
Cf. Champion, 1990, p.51.
Idem, p.52.
419
Mais qui opèrent aussi selon des codes sociaux d’expression.
418
moment, la mise à jour de ces changements et les nouvelles capacités acquises par
l’individu420.
2.b.1) Le voyage initiatique
Dans les récits sur les expériences de conversion et d’initiation, les voyages ont un
rôle très important et quelquefois sont assimilés à une étape du processus d’initiation. Pour
les saniases, par exemple, le voyage à Poona, en Inde, dans l’ashram de Rajneesh, possède,
en général deux significations: d’un côté, il s’agit du moment d’intégration à la
communauté des disciples du maître indien et du vécu collectif de l’expérience de l’être
saniase; de l’autre, c’est aussi le moment d’apprendre une technique thérapeutique, pour
pouvoir l’exercer comme thérapeute dès le retour au Brésil. L’ashram est non seulement un
espace de méditation et de partage d’une expérience spirituelle collective, mais il est aussi
un centre de formation de thérapeutes dans les techniques les plus différentes, apprises dans
l’Osho Multiversity Center: massage ayurvédique, tarot, astrologie, différentes techniques
de méditation, etc. Les saniases plus âgés, ceux qui ont eu un contact avec la communauté
dans les années 70 et au début des années 80, ont fait ce voyage à l’ancien ashram de
Rajneesh dans l’état de l’Oregon, aux Etats-Unis, d’où il a été expulsé à la fin des années
80. Un informateur, ex-militant de gauche durant les années 60 et organisateur d’un centre
saniase à Porto Alegre, raconte que son premier contact important avec une voie spirituelle
a été un voyage réalisé dans l’Oregon, où il a participé, pendant quelques mois, aux
activités des saniases. C’est après son deuxième voyage à Poona que sa demande de sânias
a été acceptée et qu’il a été autorisé à organiser un centre de méditation.
Les récits des voyages à Poona sont détaillés et décrivent cette communauté comme
une sorte d’“espace-culte” parmi les cercles mystiques de Porto Alegre.
D’autres voyages ont un rôle semblable: ceux réalisés dans les communautés
spirituelles urbaines ou néo-rurales au Brésil. Pour les adeptes du Santo Daime, les voyages
et les séjours dans les communautés daimistes néo-rurales ou au Céu do Mapiá, siège de la
420
Voir, à ce propos, Fortes, 1973, p.287.
communauté localisé dans la forêt amazonienne, sont aussi un moment initiatique
important.
L’individu qui part, revient en tant qu’un «autre», il change et sa nouvelle
appartenance spirituelle représente aussi l’avènement d’une nouvelle personne. Beaucoup
de personnes, après leur retour, ont changé de vie, de cercle d’amis, de travail, de style de
vie.
Même les voyages qui n’ont pas un caractère de quête spirituelle si évident peuvent
aussi avoir un sens initiatique pour l’individu: ce sont les pèlerinages profanes, ceux qui
mènent l’individu à une sorte d’exil de sa vie ordinaire et d’où il revient métamorphosé
dans un “nouvel être”.
Ces voyages (les spirituels et les profanes) ont aussi un caractère thérapeutique,
quand ils sont associés
à l’idée de cure (cure d’une crise, d’une souffrance, ou d’une
maladie). L’association du voyage à la cure dans la littérature a été analysée à travers la
tuberculose par Sontag (1984). Pour guérir, l’individu malade devait s’éloigner de sa
routine, la maladie apparaissant elle-même comme un vécu initiatique où l’individu passait
par un profond processus de transformation personnelle421 .
Le mot «voyage» est utilisé aussi comme métaphore d’un déplacement d’un autre
genre: quand l’individu ne part pas physiquement, mais réalise un mouvement intérieur
d’éloignement des instances ordinaires de la vie. Une séance thérapeutique peut être vécue
comme un voyage, de la même façon que les visions pendant une séance d’ingestion du
Daime ou dans une régression aux vies antérieures peuvent aussi être décrites comme des
voyages. Viajar («voyager») est un mot utilisé aussi, depuis les années 70, pour décrire
l’état modifié de conscience de ceux qui ont consommé des substances psycho-actives422 .
2.c) Filiation collective et parcours individuel
Il y a un moment du parcours où l’individu est, d’une façon ou de l’autre, confronté
à la question de l’identification à un groupe, à une communauté ou à une filiation spirituelle
421
422
Un exemple dans la littérature très discuté est celui de L’immoraliste, d’André Gide.
Voir encore, à ce propos, Sontag, 1984.
ou religieuse. Dans ces différentes situations le conflit émerge entre une voie spirituelle
personnelle, faite d’expérimentations, de détours et d’incursions dans les différentes
pratiques thérapeutiques et univers spirituels, et la filiation à une «tradition» spirituelle ou
religieuse.
Une des dimensions de cette tension est le rapport entre l’individu et ses choix
personnels et l’existence d’une hiérarchie du groupe plus ou moins formalisée et plus ou
moins rigide423 .
Une sorte de hiérarchie se reproduit aussi dans les activités organisées par les
saniases, comme les cours, les ateliers, les méditations, les travaux thérapeutiques et
spirituels ouverts à ceux qui ne sont pas saniases. Quand une des participantes d’un cours
de massage ayurvédique commente qu’elle ne participe aux groupes qu’avec des personnes
qui cherchent l’«illumination», il y a une hiérarchie implicite dans son discours. L’échelle
qui va du moins illuminé au plus illuminé (dans ce cas, le maître indien, Osho), suivrait à
peu prés cette séquence: les hommes ordinaires, ce qui n’ont pas encore découvert une voie
spirituelle; les chercheurs spirituels, non saniases, liés à des différentes filiations; les
saniases; les thérapeutes, les praticiens et les enseignants saniases; les maîtres saniases de
ces thérapeutes... l’échelle monte jusqu’à la hiérarchie saniase, à Poona, et jusqu’au maître
Osho, déjà décédé.
Le conflit entre l’individu et le groupe apparaît aussi dans les rituels du Santo
Daime. D’abord, l’individu doit suivre une stricte organisation rituelle, ne pas sortir du
cercle de danse, accompagner le rythme du bailado, boire les portions du breuvage qui lui
sont destinées, ne pas rompre le courant. Il y a aussi toute une hiérarchie dans
l’organisation et l’occupation de l’espace et une séparation des participants en différentes
catégories: les hommes et les femmes, les mariés et les célibataires, les fardados et les non
fardados, la fiscalisation («surveillance» - qui contrôle la bonne marche de la séance).
Quoi qu’il en soit, l’individualisation du processus de cure spirituelle et
l’intensification des liens avec une filiation spirituelle particulière sont deux facettes
423
Un ex-saniase raconte que le groupe de saniases auquel il appartenait tournait autour
d’un couple de thérapeutes, lui, ex-activiste du mouvement des étudiants et du Partido dos
Trabalhadores, elle, thérapeute. Cet ex-saniase décrit les rapports à l’intérieur du groupe
comme ceux entre les petits enfants et leurs parents servant de modèle, donnant des
conseils, autour desquels le groupe se maintenait, même si cette relation n’était pas
formalisée.
complémentaires dans les parcours thérapeutiques spirituels. S’il y a un conflit, ces deux
dimensions sont importantes dans la quête spirituelle, mais la filiation à un groupe, à une
tradition, ou à une communauté ne doit jamais effacer la responsabilité de l’individu vis à
vis de son propre chemin et de la singularité de son parcours.
3. De patient à novice (une «voie spirituelle»)
3.a) La place de la souffrance
Penser quelle est la place de la souffrance424 dans ces itinéraires thérapeutiques et
spirituels particuliers est aussi une façon de réfléchir sur le sens donné à ces itinéraires. S’il
est vrai que les récits commencent par parler d’un malaise, au fur et à mesure que le chemin
spirituel est tracé, des nouvelles significations sont données à la souffrance. Le centre de
ces discours est déplacé de la souffrance vers la thérapie et le travail spirituel,
l’identification du mal est alors vue comme une forme d’autoconnaissance et de
transformation personnelle.
Dans les discours de patients et de thérapeutes, la souffrance apparaît d’ailleurs
comme un passage nécessaire à l’apprentissage. Un problème, un conflit, une maladie,
deviennent des expériences incontournables dans chaque itinéraire personnel. Quand cet
apprentissage prend la dimension de toute une vie, il est représenté par la notion de karma,
un autre mot d’origine hindoue, repris par le spiritisme Kardeciste, plus tard par l’umbanda,
et également employé dans les cercles de la culture néo-religieuse.
Les significations données au mal sont vastes, de la sphère du “physico-biologique”
au “sens moral”425. Mais à mesure qu’un nouveau sens est donné à la crise et à la
souffrance, c’est surtout le sens moral et sa dimension psychique qui gagneront une place
centrale dans les récits. La souffrance apparaît alors comme la métaphore d’une trajectoire
424
Pour une approche anthropologique et sociologique de la souffrance, voir Bourdieu
(1993), le Breton (1995) et Boltanski (1993).
425
Cf. Augé et Herzlich, 1984, p.9.
morale, il est le motif qui conduit à l’action, à un changement, à une nouvelle vie ou à une
«nouvelle personne»426 .
Les études qui prennent en compte les itinéraires thérapeutiques, tracent les
parcours personnels à partir de l’expérience de la maladie et de la quête de guérison. Dans
les «illness narratives» analysés par Kleinman (1988), par exemple, le thème central reste
les parcours d’individus souffrant d’une maladie chronique et la façon dont ils vivent cette
expérience, et dont ils incorporent dans leur vie quotidienne cet état de «malade
chronique». Dans les travaux menés autour d’une «anthropologie de la maladie», ce sont
justement les différentes significations de celle-ci (le «sens du mal») qui sont prises en
compte427.
En
dehors
des
études
sociologiques
ou
anthropologiques
sur
les
trajets
thérapeutiques, la littérature moderne a fourni d’abondantes informations sur la présence de
la maladie en tant que facteur d’un sens et d’une densité à la vie des personnages. Sontag
(1984) et Laplantine (1986) ont analysé, chacun à leur façon, le sens de la maladie dans la
vie des personnages littéraires.
Dans les cas qui nous analysons dans cette étude, les parcours thérapeutiques
prennent un autre sens, ne pouvant pas être limités à de simples itinéraires morbides: si la
souffrance (et quelquefois la maladie) apparaît dans les récits comme le motif initial qui
conduit l’individu à une expérience thérapeutique ou spirituelle, peu à peu, elle est le
mobile d’un parcours rempli de significations morales. L’expérience est alors moins centrée
sur le mal que sur le vécu thérapeutique et spirituel. Les «personnages» des trajets décrits
ici se rapprochent des personnages malades de la littérature, dont le sens existentiel a été
donné par leurs maladies respectives428.
426
Un thérapeute alternatif cite le Livre Tibétain des Morts afin expliquer les rapports entre
la souffrance et la transformation: de la même façon que “le lotus naît de la boue la
‘nouvelle personne’ est produite par la crise, elle vient du ‘vieux moi’.
427
Voir Augé et Herzlich, 1984, et Augé, 1986.
428
Et où la maladie prend un sens positif, dans la mesure où elle est valorisée en tant que
forme supérieure de l’existence, une porte vers la découverte de la «vérité intérieure». Ces
significations de la maladie marquent surtout la littérature moderne du début du siècle. Voir
à propos Sontag, 1984 et Laplantine, 1986.
Mais il existe un moment de ces trajets où tous les maux (physiques et morales) ont un
même sens, celui d’aider et de mettre à l’épreuve l’individu dans sa quête spirituelle plus
large. Dans ce cas, «guérir» ou «se guérir» peuvent être conjugués comme des verbes
intransitifs, sans objet défini ou sans objet du tout, ou comme un état d’âme plutôt qu’un
événement ponctuel et délimité dans le temps.
Il en va de même pour l’identité de l’individu, qui n’est pas celle du malade
chronique, mais celle de l’”être en thérapie”, éternellement patient mais non pas malade429 .
Dans les cas décrits ici, cet individu peut cependant être aussi un patient sans thérapeute, sa
condition étant plutôt définie par un état d’existence, par une forme et un style de vie que
par une relation socialement établie. Ce style de vie peut être défini comme un état
thérapeutique de l’existence, où toutes sortes de malaises, y compris les maladies
biophysiques, deviennent des étapes nécessaires de l’itinéraire spirituel de l’individu.
3.b) Métamorphoses
Tout
récit
d’itinéraire
thérapeutique-spirituel
renferme
une
«rhétorique
du
changement personnel»430 . Comme la souffrance et la maladie apparaissent liées aux autres
aspects de l’être, la résolution du problème implique toujours la transformation de la
personne comme un tout; c’est ce qui est en question dans le processus de cure et dans le
travail spirituel. Comprendre la souffrance dans son sens le plus large renvoie au besoin de
changement et de renouvellement. A travers les récits de vie, il est possible aussi de
comprendre
l’itinéraire
suivi
par
chacun
et
de
saisir
les
«différents
types
de
431
déplacement» .
Nous sommes ici devant une conception dynamique de ce qui est un état de santé. Si
en général la maladie et la souffrance sont le résultat d’un manque d’équilibre et de contact
avec soi-même, l’état de santé est la quête d’un changement personnel visant cet équilibre
et ce contact. Dans son étude sur les différents groupes et formes de cure alternative aux
429
Au contraire des cas analysés par Kleinman (1988), où les personnes dépensent plus de
temps dans le rôle de malade que de celui de patient.
430
«A rhetoric of self-change», pour utiliser une expression de Frank (1993), à propos des
récits de maladie.
431
Expression utilisée par Bertaux, 1979, p.212.
Etats-Unis, McGuire constate que, dans tous les groupes analysés, la notion de santé est
définie comme un «développement graduel progressif» de l’individu432 .
Quoi qu’il en soit, la notion de transformation ou de changement personnel reste
centrale dans les récits. Le changement, perçu comme la quête d’un état d’équilibre et
d’épanouissement de l’être, devient alors le but de tout travail thérapeutique-spirituel. Il
s’agit néanmoins d’une notion qui prend des significations différentes à chaque moment du
parcours: l’idée de transformation peut aussi bien représenter une rupture radicale, qui se
produit dans un moment défini comme le «point de mutation»433 dans la trajectoire du sujet;
comme représenter aussi une continuité, un changement graduel dans ce même parcours.
Dans chaque histoire personnelle, le sens de ce processus de transformation oscille
entre la découverte d’une «essence personnelle»434 (que l’individu avait oubliée ou perdue
pendant son processus de socialisation et d’acculturation, d’abord en famille, puis à l’école
et dans la société) et la quête d’une transcendance et d’un être tout à fait nouveau435 .
3.c) Voie intérieure et l’être dans le monde
«N’importe quel guru, n’importe quel maître oriental peut
donner le sânias à ses disciples. Sânias c’est l’initiation. Osho, lui, donne un
néo-sânias, c’est-à-dire un nouveau sânias. Qu’est-ce que cela veut dire? Il
n’y a pas de renoncement: ‘...et de mes disciples, je veux plus...; méditer
dans les cavernes, ça c’est très facile. Le défi c’est d’être un méditateur dans
le marché...’. Ça c’est le nouveau sânias: tu ne nies rien..., tu n’exclues pas
le monde, tu restes dans le monde sans être le monde. Ça c’est le sens:
arriver à rester au milieu de ce chaos, sans en faire partie; avoir la
conscience de tout ce qui est, et accepter... la réalité de mes semblables, la
réalité où l’on vit, cohabiter, sans s’identifier...». Kátia, astrologue saniase.
Dans ce témoignage, l’astrologue synthétise l’essence de la cosmovision des
saniases et de leur maître sur le sens actuel d’une voie spirituelle. Osho étudiait les
432
Cf. McGuire, 1988, p.250.
Pour utiliser une expression d’un auteur beaucoup lu et cité dans les cercles alternatifs:
Fritjof Capra.
434
Une connexion avec soi-même et avec celui «que j’ai toujours été», (cf. Frank, 1993,
p.42).
435
Une connexion avec l’ordre cosmique plus large et avec celui «que je peux devenir»,
(idem, p.44).
433
spiritualités et les religions et, avant de devenir un maître, il enseigna l’histoire des
religions en Inde. Les dizaines de livres édités à partir des conférences qu’il a données par
la suite à ses disciples essaient de synthétiser tout ce qui est intéressant dans chacune des
spiritualités qu’il a étudiées pour l’évolution spirituelle des individus. A la fin de sa vie, il
est retourné à celle qui, pour lui, était la source de toute spiritualité - le zen.
Il est vrai que la question de la relation entre les expériences extraordinaires du vécu
religieux et la vie ordinaire (la voie spirituelle et la vie mondaine) est présente dans toute
cosmologie religieuse. Pour Hervieu-Léger (1990), elle exprime le conflit entre la
manifestation la plus pure d’une «émotion des profondeurs» - «source de toutes expériences
religieuses»436
-
mouvements
religieux
et
l’institutionnalisation
de
exprimeraient,
d’une
la
religion
certaine
elle-même.
façon,
une
Les
nouveaux
réponse
au
désenchantement exacerbé du religieux et la réintroduction dans la modernité d’une sphère
de symbolisation qu’elle a perdue. On pourrait s’interroger ici sur le sens de cette «émotion
des profondeurs» et à quel point il est possible de concevoir une expérience purement
«émotionnelle», qui ne soit pas aussi une expression des influences culturelles et sociales
de celui qui la vit.
La voie d’une spiritualité «intramondaine», comme l’a définie Champion, est l’une
des caractéristiques du «mystique-ésotérique contemporain»437.
L’individu qui emprunte une voie spirituelle, en principe ne renoncera pas à son
«être dans le monde»: au contraire, la quête spirituelle va l’aider à vivre dans ce monde, à
surmonter les conflits et les souffrances de la vie contemporaine, à conquérir le bonheur
«ici et maintenant».
Si cette voie «intramondaine» de la spiritualité est, certes, une valeur qui apparaît
clairement comme un véritable projet de vie dans le discours des «chercheurs spirituels»
contemporains, elle n’est pourtant pas suivie sans contradictions.
Il faut relativiser premièrement ce qui est défini comme «le monde» ou «la vie
ordinaire» dans ces discours. A mesure que l’individu s’intègre à une culture néo-religieuse
(adhérant à des pratiques particulières, à un langage partagé collectivement, à une façon de
s’autoreprésenter en tant que sujet ou enfin à une cosmologie spirituelle singulière) sa «vie
436
437
Cf. Hervieu-Léger, 1990, p.228.
Cf. Champion, 1990, p.28.
ordinaire» n’est plus la même. Il incorpore tout un «état de l’être», une façon d’exister
profondément liés au chemin qu’il a choisi438 .
Le chemin du pèlerin spirituel oscille donc entre cette quête d’une réalisation
spirituelle dans ce monde, et l’investissement dans une vie spirituelle intérieure.
Une autre contradiction apparaît entre la force de la volonté personnelle (le libre
arbitre) et le pouvoir d’une force extérieure à l’individu. Ce conflit apparaît dans
l’importance apporté à chacun de ces facteurs dans les différentes thérapies et expériences
religieuses. L’individu qui est passé par la psychanalyse et par la méditation bouddhiste a
vécu les deux extrêmes de ce paradoxe: d’un côté, la voie de la volonté, représentée par
l’exhortation du volontarisme individuel; de l’autre, celle d’accepter un «ordre cosmique»
supérieur, une «organisation divine» des choses et de la vie. Ce conflit est une expression
du vécu collectif de ce groupe social.
3.d) Un style de vie
Le paradoxe induit par le deux sens qui guident les itinéraires personnels (celui
d’une voie spirituelle intérieure et celui d’une spiritualité «dans le monde») pourrait être
résolu par la réflexion sur l’état existentiel ou le style de vie expérimenté par les individus
engagés dans un parcours thérapeutique-spirituel.
A un moment donné de chaque itinéraire personnel le travail thérapeutique et le
développement de la spiritualité deviennent un projet de vie. L’individu se convertit à un
état thérapeutique de vie, où les moindres détails de son quotidien et de ses choix
est
imprégné d’un sens de cure, de purification et de quête spirituelle. En général, ce moment
de conversion est décrit comme une sorte de situation initiatique. Si au début de son
itinéraire, il était possible de définir un objet du travail thérapeutique (une souffrance, une
crise, un malaise quelconque), ce travail incorpore ensuite une dimension spirituelle. C’est
au moment où s’opère cette transformation, que le sens de toutes les situations de la vie se
révèle comme un apprentissage, une transformation et une évolution personnelle - ceci
devient alors un projet de vie. De patient, la personne devient novice.
C’est à ce moment que l’accent qui était mis sur la souffrance et l’expérience
morbide est déplacé vers la cure et le travail permanent sur soi. Si, avant, la souffrance
438
Nous verrons ceci en détail dans la partie qui suit.
s’inscrivait dans le corps, quand l’individu commence à vivre le travail thérapeutique et
spirituel en tant que projet, c’est cet état de cure qui s’inscrit dans son corps et, plus
généralement, dans son style de vie. Le collier de cristaux, les bagues ou le mala; la
réalisation quotidienne de rituels, certains tabous et interdictions, une certaine façon de
s’habiller, des choix alimentaires, l’organisation de l’espace et de l’ambiance de la demeure
et enfin même les choix affectifs et amoureux, tout prend un sens thérapeutique.
Dans le cas des itinéraires décrits ici, la présence d’un ethos et d’une culture
thérapeutique influente incite à une thérapeutisation de certains comportements culturels
des individus439.
Plus qu’un état de l’être, ce comportement thérapeutique est une façon de rentrer en
rapport avec les autres et avec le monde.
Dans certains discours, la notion de cure comme une quête permanente comprenant
tous les aspects de la vie s’étend au-delà des individus: c’est toute la planète qu’il faut
guérir, le mal de chacun ne reflétant qu’un mal plus large, celui de toute la civilisation.
Chez les informateurs, la question liant les différentes expériences, les pratiques et
les vécus spirituels et thérapeutiques reste celle de la recherche de l’autoconnaissance, de la
transformation et de la «croissance intérieure» - l’acquisition d’un nouveau langage, soit
verbal (de nouveaux récits personnels), soit corporel (une nouvelle expression de soi à tous
les niveaux). Cet état de travail sur soi permanent peut être conçu dans le cadre de ce
qu’Anthony Guiddens appelle un projet réflexif de soi440 . Selon Guiddens, ce projet serait
un processus de réélaboration du passé personnel, visant à la reconstruction d’un nouveau
projet de soi. Les récits des différents parcours spirituels et les notions employées pour
définir chaque moment de ce parcours peuvent aider à comprendre quelle est la direction de
ces itinéraires441 et quelles sont les frontières symboliques des groupes sociaux que nous
examinons dans ce travail.
439
Nous pouvons faire une analogie à ce qu’a constaté Obeyesekere (1985) au Sri Lanka, où
le pouvoir d’influence de la médecine officielle incite les personnes à identifier certains
comportements culturels comme une maladie (la dépression dans ce cas), a morbidiser
certains comportements culturels.
440
Cf. Guiddens (1991).
441
Les notions de récit et d’itinéraire me semblent moins «fermées» que celle de projet (qui
implique davantage une dimension de stratégie d’action que de reconstitution de l’univers
symbolique).
4. Devenir thérapeute
«Quando eu vou na alma de alguém, o que eu encontro lá sou eu.
Esse é o prazer de jogar tarot. Eu poderia fazer tarot de graça, 24 horas por
dia.»442
Calixto, praticien du tarot, saniase.
La figure du thérapeute s’est montrée sous trois angles différents pendant la
recherche: dans le récit du patient, en tant qu’un personnage qui l’a aidé dans la guérison, le
soulagement de la souffrance et la quête de l’autoconnaissance; en tant que personnage
central dans les récits des thérapeutes eux-mêmes et leurs descriptions des manières de
travailler ou des conflits et obstacles dans l’exercice du métier, etc.; enfin, d’une façon plus
large, pendant tous les moments de la recherche, dans l’observation directe.
En raison de la large variété d’expériences et des parcours, le profil d’un thérapeute
alternatif443 reste très variable et difficilement précis. La formation, les chemins qui ont
conduit à l’exercice de cette activité, la façon de vivre son travail sont très différents d’un
individu à l’autre.
Il est difficile de trouver ce que serait le parcours typique d’un thérapeute alternatif,
toutefois la plupart des récits montrent un enchaînement commun des expériences.
Quand la dimension spirituelle ne se limite plus à quelques situations vécues
pendant les travaux ou les séances rituelles, mais qu’elle devient le sens même d’un
cheminement personnel, l’individu est alors un initié, ou, dans le langage des informateurs,
une personne «travaillée» (trabalhada), «de lumière» (de luz), «qui cherche» (que está na
busca). Il existe différents degrés et nuances dans le profil de ce «chercheur spirituel» et on
trouvera difficilement un critère pour le définir.
442
«Quand j’entre dans l’âme de quelqu’un, ce qui ce trouve là c’est moi. C’est là le plaisir
de tirer le tarot. Je pourrais pratiquer le tarot gratuitement 24 heures par jour».
443
Nom générique que désigne toutes sorte de spécialiste dans les techniques et
connaissances thérapeutiques du circuit parallèle: des astrologues, des tarologues, des
masseurs, des thérapeutes des essences florales, des numérologiste, certains
psychothérapeutes, des thérapeutes de TVP, de rebirthing, de Fischer-Hoffman, des
spécialistes en cristaux, etc.
Ce cheminement peut se faire selon deux pôles opposés: soit celui de l’identification
avec un collectif ou avec une tradition religieuse ou spirituelle et l’entrée rituelle dans une
communauté spirituelle du circuit («recevoir le sânias, pour les disciples d’Osho; «revêtir
la farda», pour les adeptes du Santo Daime; être accepté comme membre et faire l’initiation
rituelle dans n’importe quelle organisation secrète occultiste); soit comme une voie
totalement personnelle, avec des rituels privés, une organisation et une pratique individuelle
du vécu spirituel.
Cependant, le profil fréquent est celui d’une personne qui se décrit comme ayant
une attitude de «quête d’autoconnaissance» et de «transformation personnelle», d’ouverture
à «tous les apprentissages que la vie propose» et à la «dimension divine» des choses (de
soi-même: son «Etre supérieur»; et du monde: le cosmos). Cette dernière est la qualité qui
distingue ces parcours d’autres projets de connaissance de soi et de changement personnel
(celui de la psychanalyse, ou de divers genres de psychothérapie). Cette marque distinctive
va apparaître surtout dans l’intégration au réseau alternatif et le partage d’un langage
commun d’expression de soi et de ses expériences.
Dans la plupart des récits, c’est seulement après l’incorporation d’un langage, d’un
code d’expression, d’un style de vie et d’un projet lié à une quête spirituelle, que la
perspective de devenir un thérapeute alternatif apparaît plus clairement. Celle ici est, donc,
le quatrième aspect de l’expérience thérapeutique-spirituelle qui apparaît dans les récits.
L’apprentissage d’une technique, mais surtout avoir été soi-même patient, autorise
l’utilisation de ce savoir et de cette expérience dans un travail avec les autres - c’est une
perspective qui devient alors la matérialisation la plus tangible d’un projet de vie forgé
pendant ce parcours.
4.a) De patient à thérapeute
Les quatre dimensions de l’expérience thérapeutique et spirituelle ne sont pas
nécessairement vécues dans l’ordre où elles ont été décrites ci-dessus. Néanmoins, dans
l’intersection du thérapeutique et du spirituel, il y a une logique dans ce continuum: celui,
débutant comme patient, et qui devient novice; celui qui, déjà initié, devient un thérapeute
ou une sorte de maître ou de conseiller spirituel. Les deux rôles se confondent, même si
l’on reconnaît que dans ce continuum, les limites entre l’une et l’autre des expériences
restent incertaines. Tout patient
est reconnu comme un thérapeute potentiel. En principe,
devenir thérapeute resterait l’avenir commun à tous les patients.
Cette métamorphose possible du patient/malade en thérapeute/guérisseur a déjà été
observée, décrite et analysée dans d’autres contextes et à propos d’autres situations. Un des
textes fondamentaux de Lévi-Strauss sur le chamanisme décrit cette relation:
«Un malade soigné avec succès par un chaman est particulièrement
bien placé pour devenir chaman à son tour, comme on le voit, aujourd’hui
encore, en psychanalyse.» 444
Dans
la
cosmologie
thérapeutique
néo-religieuse,
c’est
principalement
dans
l’expérience de la souffrance, et dans le vécu de la guérison, que repose l’habilité virtuelle à
devenir thérapeute plutôt que sur l’acquisition d’un savoir technique ou encore la
possession d’instruments utiles au travail thérapeutique445 . Kleinman identifie ce «devenir
un thérapeute» comme un avenir pour n’importe quel patient, où la frontière entre
l’«homme, le souffrant» et l’«homme, le guérisseur» s’efface446 .
C’est également le vécu d’une expérience spirituelle significative et de situations
initiatiques intenses qui donne la dimension spirituelle au travail de ces thérapeutes,
quelques-uns d’entre eux devenant des «conseillers» ou des «guides spirituel».
Toutefois, même si la conversion du «patient/novice» en «thérapeute/conseiller»
spirituel est le trajet naturel de toute personne engagée dans ce circuit, ce n’est pas toujours
un continuum sans rupture: comme le chaman, le patient deviendra un thérapeute après des
dures épreuves.
Le choix du travail thérapeutique comme un projet professionnel apparaît dans les
différents récits comme animé par d’autres motivations: d’un côté, la vocation; de l’autre,
celle d’un choix pris consciemment, motivé souvent par le facteur économique.
444
Cf. Lévi-Strauss, 1974b, p.206.
Ces dernières qualités ne sont qu’un complément de l’expérience de souffrant, patient et
guéri.
446
Cf. Kleinman, 1981, p.373 et ss.
445
4.a.1) Thérapie comme vocation
Bien que contradictoire à la notion de «libre arbitre» présentée dans le discours des
informateurs, la vocation est fréquemment
utilisée comme source du choix d’une
profession liée à la thérapie alternative. Cette vocation s’exprimerait à travers une certaine
sensibilité et une intuition plus accentuée, ou encore à certains pouvoirs innés, comme celui
de la médiumnité.
Dora, tarologue et thérapeute qui travaille dans la ligne de la bioénergétique,
explique son parcours spirituel et surtout le type de travail qu’elle réalise. Elle définit sont
travail comme plus centré sur l’intuition que sur l’application d’une technique447 .
«C’est dans la pratique que j’ai commencé à observer... J’ai le don
de prémonition, parce que je devine les choses, je perçois au-delà, parce que
je sais, tout d’un coup, la réaction de la personne. Avec la bioénergétique,
j’ai commencé à m’intéresser au tarot. Quand j’ai découvert que j’étais
médium, j’utilisais déjà le tarot... Je tirais les cartes et je disais plus de
choses qu’il y en avait dans le livre. On me demandait: ‘mais d’où tires-tu
ça?’ Je ne sais pas, je sentais, l’intuition est venue.»
Cette découverte qui va définir pour la suite sa façon de travailler:
«Je fais la séance de tarot soit incorporée soit en contact avec des
entités. Même moi je ne sais pas ce que je dis, quand je te regarde, je ne sais
pas ce que j’ai voulu dire, moi. Quelquefois, je parle par mon intuition,
mais une partie du sujet de conversation a trait aux entités.»
Toute personne peut développer sa médiumnité, certains cependant ont un don inné
ou acquis très tôt dans leur enfance. Ils sont décrits, ou se décrivent à eux-mêmes comme
des êtres «plus intuitifs», «plus sensibles», des «personne-canal» (pessoa-canal). Ces
personnes sont capables d’utiliser plus leur intuition que l’analyse rationnelle dans une
lecture du tarot ou dans une interprétation de carte astrale. Elles peuvent incorporer des
esprits et d’autres entités ou recevoir des messages de l’«au-delà».
447
A partir de sa médiumnité, qu’elle a découverte après avoir commencé à travailler avec le
tarot.
Souvent, les informateurs identifient la souffrance à un don spéciale, à une
sensibilité ou à une intuition plus développées qu’ils possèdent, mais qu’ils n’ont pas
encore canalisés vers un travail spirituel ou de cure448 .
Un ex-géologue, astrologue, du signe de Poisson, fournit un exemple de cette
identification de la difficulté de s’intégrer à la vie ordinaire et d’avoir un projet de vie
défini au fait de détenir une sensibilité plus aiguë que la moyenne.
«Le Poisson est le dernier signe [du zodiaque], il est lié au spirituel
et souvent les poissons [les personnes qui sont de ce signe] se sentent un peu
détachés d’ici-bas. Ils doivent faire attention à ne pas échapper à la réalité à
travers les drogues... C’est un signe qui représente la médiumnité à fleur de
peau, mais il faut savoir comment travailler cela...»
Il identifie la sensibilité qui le faisait échapper à la réalité et consommer des drogues
à une médiumnité non travaillée. Devenir astrologue et thérapeute était alors une façon de
canaliser cette sensibilité.
Lévi-Strauss (1974b) avait fait un rapprochement entre le «sorcier et le
psychopathe» parce que le deux disposent «d’expériences non intégrables autrement»449 ,
c’est-à-dire du point de vue de la relation entre eux et la société. Cette analyse est
mentionnée aussi dans son commentaire sur l’identification faite par Mauss entre le
«magicien» et le «névrosé». Dans ce commentaire, l’auteur parle surtout de la situation du
chaman «en transe» ou celle du «protagoniste d’une scène de possession».
«Ou les conduites décrites sous le nom de «transe» et de
«possession» n’ont rien à voir avec celles que, dans notre propre société,
nous appelons psycho-pathologiques; ou on peut les considérer comme étant
du même type, et c’est alors la connexion avec des états pathologiques qui
doit être considérée comme contingente et comme résultant d’une condition
particulière à la société où nous vivons.»450
Dans les cas décrits ici, c’est surtout l’état du thérapeute avant sa «conversion» qui
est assimilé à celui d’un «névrosé», d’un «psychopathe» ou, dans le langage des
448
Le même processus est vécu par certains médiums kardécistes et umbandistes.
Cf, Lévi-Strauss, 1974b, p.209.
450
Lévi-Strauss, 1995[1950], pp.XVIII-XIX.
449
informateurs, d’un individu «plus sensible» que les autres. Le manque d’adaptation et
d’intégration sociale est expliqué par cette capacité et ce «pouvoir non développé». Devenir
thérapeute, dans ces cas, devient un trajet incontournable, à l’opposé d’un choix personnel.
4.a.2) Un choix pragmatique
Il y a un moment, comme nous l’avons vu, où devenir thérapeute se présente
comme une alternative à l’absence d’une définition professionnelle. Quelquefois ce «travail
avec les autres» est déjà réalisé de façon non systématique et bénévole. Cette situation peut
être modifiée par une nécessité extérieure, telle que la rémunération de l’activité.
Un ex-saniase, actuellement enseignant à l’Université et patient d’un psychanalyste
lacanien, raconte qu’à un moment donné, le groupe de saniases auquel il appartenait avait
vécu une crise de stagnation et de manque de perspectives451 .
«Etre prêt voulait dire se sentir bien avec soi-même, mener sa vie
sans les hauts et les bas où on est triste sans identifier le motif..., libre de la
névrose. En fait, personne n’était prêt. Le groupe était de plus en plus étroit,
on répétait les mêmes choses... méditer, méditer, méditer et... la vie objective
n’évoluait pas, ni la vie subjective. Les choses stagnaient. J’ai eu six mois de
stagnation, comme ça; je sentais que la chose ne marchait plus. ***452 a
proposé quelque chose de nouveau: faire un cours et se former en tant que
thérapeute... D’abord, j’étais très stimulé car la chose plus nette que je
ressentais c’est que le côté objectif de la vie était le moins résolu... Je
dépendais encore de mes parents; je n’arrivais pas à achever mes études à
l’Université; je ne savais pas où aller dans la vie; je ne savais même pas
utiliser un chéquier... Alors j’ai senti que c’était le moment d’arrêter tout ça:
‘merde, je suis de plus en plus fragile; si je sors du groupe, je n’ai aucune
identité, je ne suis rien au milieu du monde... je suis quelqu’un seulement
dans le groupe. Celui que je suis ici ne me satisfait pas; c’est quelque chose
triste, petite... Les gens écoutent Raul Seixas et je les vois tristes...»
Le projet de devenir thérapeute vient à combler deux problèmes à la fois: d’un côté,
le manque d’un projet de vie défini; de l’autre, le manque de définition du côté «objectif»
451
Tous les participants avaient déjà participé aux divers types de travaux thérapeutiques et
spirituels, ils avaient déjà reçu le sânias, «le sommet du raffinement spirituel», selon ses
mots, et ils s’étaient déjà beaucoup «développé», mais ils étaient arrivés à une situation
d’inertie et marasme.
452
Le thérapeute autour duquel le groupe se rassemblait.
de la vie: le travail et l’argent. Il est cependant vrai que le projet de devenir thérapeute, était
lié à un style de vie imprégné de la culture spirituelle-alternative. Il est également vrai que
quand cet informateur a quitté le groupe saniase, son projet de devenir thérapeute a été très
tôt abandonné.
Pour d’autres thérapeutes, ce choix apparaît plus comme une solution à la question
de la survivance matérielle: devant l’absence d’une situation professionnelle définie, pour
beaucoup d’entre eux devenir un thérapeute reste une alternative 453 .
4.a.3) De thérapeute à thérapeute alternatif
Tout thérapeute alternatif ne commence pas son parcours comme patient. Il en
existe
un
nombre
significatif
qui
étaient
des
thérapeutes
«conventionnels»:
des
psychothérapeutes, des médecins, des chirurgiens dentistes, des professionnels du milieu
médicale et paramédicale. Ils ont orienté de nouveau leur travail pour incorporer des
savoirs, des pratiques et des principes de thérapies dites alternatives.
La formation d’origine implique une vision particulière de ce changement. Chaque
type de spécialiste choisi une thérapie différente. Les médecins, par exemple, avant
d’utiliser des pratiques parallèles, appliquaient déjà, en général, l’homéopathie ou
l’acupuncture et étaient déjà critiques vis-à-vis la médecine officielle et de sa pratique.
L’influence d’une culture thérapeutique-spirituelle sur ces professionnels ne se fait pas
seulement à travers l’incorporation de certaines techniques, mais principalement par une
nouvelle compréhension de la maladie et de la personne. Le terme le plus utilisé pour
définir cette nouvelle vision est celui de holisme ou de médecine holiste, selon laquelle le
corps et l’esprit forment une unité; le plus important n’étant pas de traiter l’organe malade
mais le malade comme un tout. Toutes les procédures, dans une consultation, sont alors
liées à cette conception: le genre d’entretien médical change, les questions posées au patient
453
Le cas d’une astrologue très jeune illustre cette situation. Elle étudiait l’astrologie et
interprétait des cartes astrales depuis un certain temps; après le licenciement de son père et
la très mauvaise situation financière de sa famille elle décida de professionnaliser son
travail: organiser un agenda de consultations et de clients, fixer un prix pour l’interprétation
des cartes astrales, etc.
ne se limitant pas au malaise physique, elles prennent aussi en compte le vécu émotionnel
du patient454 .
Les fleurs de Bach, la phytothérapie, certains types de massages, des régimes
alimentaires spéciaux (réduisant les viandes rouges, par exemple) sont parmi les techniques
et les procédures thérapeutiques employées selon la médecine holiste.
Un médecin généraliste orthomoléculaire connu à Porto Alegre pour ses traitements
d’amincissement utilise, pour faire ses diagnostiques, la Photo Kirlian: des photos de la
main qui révèlent l’aura. A travers l’interprétation de l’aura, il serait, selon lui, possible de
connaître les déséquilibres des énergies yin et yang, ses parasites spirituels, sa
prédisposition à la dépression ou à l’anxiété, etc. Dans les traitements donnés à ses patients
il prescrit, entre autres, des remèdes phytothérapeutiques et des fleurs de Bach.
Les psychothérapeutes et les psychologues sont aussi touchés par une culture
thérapeutique-spirituelle,
principalement
ceux
qui
suivent
une
orientation
junguienne.
L’influence des thérapies-spirituelles dans le champ psychothérapeutique est mise en
évidence par le débat au sein du Conseil Fédéral des Psychologues du Brésil, autour de la
légitimité ou non de telles pratiques (dont nous avons parlé dans le chapitre 1).
Ana, une psychologue d’orientation junguienne, utilise beaucoup l’astrologie dans
son travail. Elle ne fait pas le calcul ou l’interprétation de cartes astrales, mais elle utilise
les cartes et les données astrologiques apportées par ses patients pour interpréter et
expliquer certains contenus inconscients apparus pendant les séances. Elle les identifie à
certaines configurations astrales. Les planètes sont interprétées comme des archétypes qui
interfèrent dans la façon d’être et de se percevoir. Les données astrologiques sont traitées
comme un élément de plus pour comprendre le patient et sa situation. En plus de travailler
avec les données astrologiques, cette psychologue a commencé à étudier les fleurs de Bach,
qu’elle envisage d’incorporer, peu à peu, dans son travail.
Plus que l’utilisation de ces autres techniques (l’astrologie et les fleurs de Bach),
c’est sa critique du cartésianisme de la psychologie «orthodoxe» qui montre sa liaison
particulière avec le circuit des thérapies spirituelles: selon elle la psychologie traditionnelle
454
La plupart de ces médecins sont des généralistes, mais il y a aussi des pédiatres, parmi
d’autres.
nie la dimension spirituelle et divine de l’homme, aspect pour lequel la psychologie
junguienne se montrerait plus ouverte.
4.b) La formation
4.b.1) Une relation affective
Quand les thérapeutes alternatifs parlent de leur formation, un des aspects les plus
marqué reste celui d’une relation intense et affective avec son instrument ou sa technique
de travail.
Kátia a raconté, avec beaucoup de détails, la façon et les «coïncidences» qui ont
provoqué sa «rencontre» avec l’astrologie (retrouver une ancienne amie qui est devenue
astrologue; renverser une pancarte devant la librairie ésotérique où elle allait connaître son
enseignant d’astrologie). Mais c’est surtout d’avoir plongé dans l’étude astrologique dès le
premier contact à travers sa propre carte astrale.
Le tarologue qui a donné de nombreux cours de Tarot à Porto Alegre et à
Florianópolis a raconté qu’avant de commencer à tirer les cartes professionnellement, il
avait eu tout un processus personnel avec le tarot. Son premier contact a, d’ailleurs, été
provoqué aussi par un «hasard», quand il a été invité à travailler comme traducteur d’un
cours donné par une thérapeute allemande qui parlait en anglais. C’est dans un moment de
crise qu’il a commencé à tirer le tarot pour lui-même presque quotidiennement et à se
familiariser avec les cartes. C’est après cette expérience personnelle intense avec le tarot
qu’il est devenu un tarologue.
Un autre praticien avait participé à différentes formations à Poona; parmi elles un
cours d’astrologie thérapeutique. Il a cependant choisi de travailler professionnellement
avec le tarot parce que, selon lui, c’est l’instrument le plus approprié à sa personnalité.
«... moi, je suis Lion et Bélier455 , j’ai la Lune en Lion; je suis très
feu456 , et le tarot a un langage plus direct: tu ouvres la carte et, pan!»
455
C’est-à-dire qu’il a le Soleil en Lion et l’Ascendant en Bélier.
Les douze signes du zodiaque se partagent en quatre éléments astrologiques: le feu, la
terre, l’air et l’eau. Les signes de Lion et de Bélier appartiennent à l’élément «feu».
456
En dehors de cette liaison astrologique avec le tarot, c’est cet oracle qu’il utilise le
plus souvent pour lui-même457 , bien qu’il connaisse d’autres arts divinatoires, telles que les
runes ou l’Yi-King.
Ce principe qui valorise l’expérience personnelle du thérapeute avec l’instrument
choisi fonctionne également pour l’apprentissage formel, les cours, les ateliers, etc. Il faut
pratiquer beaucoup la technique pour soi-même pour pouvoir travailler avec les autres. Les
cours et les ateliers de formation sont donc presque entièrement centrés sur la pratique
personnelle458 .
4.b.2) Bricolage d’expériences
La nécessité d’avoir une expérience variée, d’avoir vécu divers types de thérapies et
«tout expérimenté» ou encore, selon un informateur, «d’avoir fait tout le répertoire des
thérapies disponibles», reste aussi un principe de formation.
La biographie de chaque thérapeute montre clairement ce principe: presque tous, à
différents degrés, ont connu des thérapies différentes de celle qu’ils pratiquent. Cette
pluralité de l’expérience est d’ailleurs perçue comme une nécessité permanente dans le
parcours d’un thérapeute459.
Les centres saniases (à l’image du ashram à Poona) offrent de façon permanente
tout une variété de cours, d’ateliers, de séjours intensifs autour d’une technique. Ils
comprennent les thérapies les plus différentes; les arts divinatoires, les massages, les
méditations, etc. Passer par chacun de ces cours fait partie de la formation d’un thérapeute
saniase. Ces cours ne forment pas que les disciples du maître indien; ils sont un espace
457
«Je tire les cartes pour moi-même pratiquement tous les jours. Je peux faire trois Croix
Celtiques en un jour, par anxiété. Et je peux rester une semaine sans tirer les cartes.»
458
Un des cours de formation de thérapeute dans la technique de rebirthing consistait à
quinze jours intensifs de pratique. Chaque jour les participants réalisaient plusieurs séances
régressives, sous l’assistance des thérapeutes déjà formés et des instructeurs.
459
Comme m’a expliqué un ex-saniase en parlant du processus de formation d’un thérapeute
pour les disciples de Rajneesh:
«Il y a avait un vrai répertoire de techniques, qui était
le répertoire du thérapeute. A la rigueur, le système était le suivant: tu commences à faire
la bioénergétique. Quand la chose s’approfondissait, tu faisais l’anti-Fishcer, qu’ils
appellent de ‘travail du père-et-mère’, c’est un Fischer-Hoffman super-intensif.»
d’apprentissages et de pratiques pour ceux qui veulent aussi apprendre et pratiquer une
technique et n’ont pas d’autres alternatives.
La formation comme thérapeute et l’apprentissage d’une technique sont des
investissements qui demandent du temps et de l’argent. Les cours et les ateliers sont très
chers. Un cours de week-end coûtait, en 1991, autour de 60 dollars. Un atelier de quinze
jours, séjour en régime de pension complète, coûtait autour de 800 dollars460 . Les cours
offerts dans l’ashram, l’Osho Multiversity Center, à Poona, sont aussi assez chers. Un
informateur avait fait les méditations, avait participé à quelques groupes de thérapie au
ashram, mais n’avait fait aucun des cours de formation offerts, parce qu’ils étaient trop
chers pour lui.
Passer par une expérience variée sert aussi à la «formation spirituelle» du
thérapeute: il faut essayer différentes pratiques de croissance spirituelle, connaître les
rituels et les pratiques des différents courants spirituels, même si l’individu est lié à une
famille spirituelle plus particulièrement461 . Toute expérience et tout travail d’évolution
spirituelle, dès qu’ils sont dirigés vers la «lumière» et les «énergies positives», sont
valorisé, même si leurs orientations sont différentes462 .
La pluralité de l’expérience et de la formation d’un thérapeute, nous rappelle la
remarque de Soares (1994a) sur le «bricolage» en tant que l’un des modèles de la culture
alternative. Il faut cependant relativiser le caractère d’improvisation dans les itinéraires de
formation d’un thérapeute. S’il existe une libéralité dans le choix du type de thérapie qui
sera pratiquée ou des techniques expérimentées, il y a certains principes à suivre dans ces
parcours et certaines limitations objectives: le prix des cours, leur durée, leur lieu. Il
déterminent déjà le profil des participants.
460
Rappelons que le salaire minimum au Brésil était de 64 dollars en 1992 et de 100 dollars
en 1995, et que une consultation avec un astrologue ou un tarologue coûtait autour de 50 a
60 dollars.
461
C’est le cas, par exemple de quelques saniases qui participent régulièrement, ou ont déjà
participé aux séances du Santo Daime à Porto Alegre.
462
Un tarologue saniase, par exemple, a participé à plus de cinquante rituels d’ingestion du
Santo Daime et participe régulièrement à des séances dans un Centre Spirite de Porto
Alegre. Cette pluralité de l’expérience spirituelle est, selon lui, valorisé par le maître, Osho,
pour qui toutes les religions ont des choses positives à apporter dans le «chemin
d’évolution spirituelle».
4.c) Le travail et la légitimation du thérapeute
Deux astrologues que j’ai rencontrées indiquent les deux façons de travailler et de
concevoir la professionnalisation d’un thérapeute alternatif.
L’une est Kátia, l’astrologue 463 , qui a raconté sur ses difficultés à s’assumer et à
concrétiser son avenir d’astrologue et de thérapeute des essences florales. Principalement à
cause du stigma de l’astrologue, perçu comme un charlatan et de l’astrologie, assimilée à
une pratique irrationnelle, non scientifique, identifiée par le discours intellectuel aux
superstitions populaires. Devant cette difficulté, le travail de Kátia se déroule dans un cadre
d’informalité: elle reçoit ses clients soit chez elle, soit dans un des centres saniases de Porto
Alegre; les consultations chez elle sont réalisées sur le sol, dans la salle ou sur la table de la
cuisine; elle n’a pas d’agenda ou de numéro de téléphone; elle n’a pas de fichiers des
clients (elles les appelle ainsi). Elle n’aime pas recevoir systématiquement le même client,
réduisant à trois le nombre de séances d’interprétation de la carte astrale. Elle ne se dit pas
thérapeute, mais astrologue. Elle considère que l’astrologie n’est pas plus qu’un instrument
d’autoconnaissance qui aide à la quête spirituelle. Il apparaît toutefois dans son récit sa
volonté de légitimer et de formaliser son projet de s’établir comme thérapeute: elle partage
son travail avec un psychologue, donnant des orientations astrologiques au sujet de ses
patients et recevant, à son tour, des orientations psychologiques sur ses clients. Elle
envisage de faire les études de Médecine à l’Université; elle étudie les rapports entre
l’astrologie et les maladies mentales; enfin, elle a fait faire récemment une carte de visite en
tant qu’astrologue.
L’autre, Gina, reçoit dans un cabinet dans un Centre Professionnel qu’elle partage
avec une psychologue. Ce cabinet est formel: il comporte une salle d’attente et, dans la
salle où elle reçoit les patients, une table et deux chaises. Elle possède un agenda pour fixer
les consultations. La semaine est presque remplie de patients (elle les appelle ainsi). Elle
écrit des rapports très détaillés sur chacun de ses patients et de chaque consultation, y
compris des donnés physiques. Elle reçoit systématiquement le même patient, dans une
dynamique semblable à celle d’un traitement psychothérapeutique conventionnel. Elle se
463
Voir le chapitre 2.
considère comme une thérapeute et son travail comme thérapeutique. Enfin, elle aussi
envisage de faire des études de Médecine.
Ces deux exemples montrent, d’un côté, la façon informelle dans laquelle peut se
développer un travail thérapeutique alternatif: il peut se réduire, à la simple relation entre le
spécialiste et son client, sans apparat institutionnel ou formel pour le légitimer. A la limite,
il s’agit d’une dilution de la figure du thérapeute. De l’autre côté, on trouve la recherche de
la formalisation du travail, de l’affirmation du caractère thérapeutique des consultations,
l’assurance d’une certaine hiérarchie entre le patient et le thérapeute et la légitimation
sociale et institutionnelle de ce travail (par exemple à travers l’obtention d’un diplôme
universitaire).
Entre ces deux pôles, j’ai retrouvé toutes sortes d’arrangements et d’organisation du
travail du thérapeute alternatif. Plus que la représentation de deux types de thérapeutes, ces
deux exemples expriment une contradiction vécue par chacune de ces personnes: la
contradiction entre, d’une part, garder une autonomie et une distinction par rapport aux
thérapies traditionnelles et, d’autre part, la recherche de sa légitimation en tant que
thérapeute - entreprise difficile à réaliser sans tomber dans les critères de légitimation du
champ thérapeutique officiel.
Si ce n’est pas l’apprentissage formel d’une technique qui forme un thérapeute, ce
n’est pas simplement la volonté personnelle et l’accomplissement d’un ensemble de
prédispositions pratiques qui va également légitimer son travail. La reconnaissance
extérieure, l’intégration dans le réseau thérapeutique-alternatif464 et aussi le crédit apporté
par ses patients potentiels sont des facteurs fondamentaux dans la légitimation de l’identité
en tant que thérapeute.
Devenir thérapeute comporte une valeur positive dans les parcours personnels.
L’identité de ce qu’est un thérapeute alternatif oscille pourtant à l’intérieur de cette
contradiction.
464
Phénomène comparable à l’acceptatio n du futur psychanalyste par une communauté de
psychanalystes, sauf que celle-ci est structurée en tant qu’organisation formelle, tandis que
la communauté des thérapeutes alternatifs ne s’organise pas dans une structure formelle,
mais forme un réseau plus ou moins flou. Les thérapeutes, les groupes, les organisations
liés aux thérapies parallèles et aux nouvelles spiritualités ne se rassemblent que dans des
situations particulières de durée limitée: par exemple pour organiser un congrès, fêter un
événement, etc.
Si une grande partie des thérapeutes alternatifs vivent cette contradiction, les critères
de reconnaissance d’un thérapeute ne sont pas fixes ou prédéfinis: d’un côté, on peut
facilement reconnaître parmi beaucoup d’entre eux un effort de formalisation de leur
travail; de l’autre, il existe un discours valorisant leur autonomie, le sens spirituel de leurs
activités, etc.
La question du paiement concentre, d’une certaine façon, toute cette contradiction.
Une grande partie des thérapeutes a (ou a eu au début) une difficulté à établir un prix et
recevoir une rémunération pour son travail. Les explications varient d’une certaine
méfiance par rapport à leur propre travail, au fait que, recevoir un paiement est profaner le
caractère divin de l’instrument utilisé et du travail réalisé. Pour la majorité des thérapeutes,
au début de leur activité, les consultations, les lectures de tarot, les interprétations des cartes
astrales, la prescription des essences florales, la mise en pratique de massages étaient
bénévoles.
Dès qu’ils décident pourtant de se professionnaliser et de recevoir un paiement, les
prix sont alors bien établis et, en général, assez élevés.
Nous pourrions essayer de comprendre ces prix élevés à partir de la relatio n de
clientélisme qui s’installe entre thérapeute et patient465 .
Vidal (1993) montre la relation de clientélisme existante à la base de certaines
formes de négociation où est en jeu l’intégrité physique ou morale du client. L’auteur
donne les exemples du sacrifice dans le brahmanisme, des ex-voto et des promesses faites
aux saints chrétiens, et enfin la relation entre patients et les médecins privés et ceux des
hôpitaux. Ce qui est en jeu, selon Vidal, dans les prix et les paiements pratiqués dans toutes
ces situations est une négociation de confiance: le prix payé est le «prix de la confiance».
«...la rémunération n’est pas seulement la contrepartie d’un
service, considéré de manière abstraite; elle est d’abord le prix que
négociera à titre personnel celui qui dépendra d’un autre pour y gagner le
sentiment qu’il pourra faire confiance à ce dernier.»466
465
En dehors d’autres explications liées à de facteurs comme le coût de la formation du
thérapeute, le besoin de distinction par rapport aux thérapeutes populaires, etc.
466
Cf. Vidal, 1993, pp.29-30.
Dans la comparaison, l’intérêt de l’auteur consiste à rediscuter certains
critères classiques de définition du clientélisme. Ce qui est intéressant dans cette discussion
c’est que certaines formes de rémunération peuvent servir d’explication des rapports entre
thérapeute, patient et les prix. Le patient ne paie pas un service rendu, mais sa confiance en
son thérapeute. Plus on paie, plus on donne de valeur à son bien-être et à soi-même467.
La rémunération fait partie du traitement ou du rituel d’investissement en soi468 .
467
Idée que les informateurs confirment quand ils considèrent les dépenses en thérapie
comme un investissement pour eux-mêmes.
468
Vidal montre comment les honoraires payés font partie du rite brahmanique. On peut
faire la même comparaison par rapport à la psychanalyse, surtout quand le paiement doit
être fait en espèce et directement à l’analyste: le moment du paiement, le prix payé, font
partie du «processus d’analyse».
4.d) La fin du thérapeute
Selon la cosmologie alternative, chaque personne a, à l’intérieur d’elle-même, un
«guérisseur» potentiel et le sens de chaque travail est de réveiller ce «guérisseur». On peut
imaginer alors l’effacement de la figure du thérapeute car, si l’individu a «travaillé»
suffisamment, s’est développé et a évolué, il peut alors devenir lui-même son propre
thérapeute.
La proposition faite par un professeur et praticien du tarot, le créateur du «Tarot du
Voyager», James Wanless, pendant le «First International Newcastle Tarot Symposium»
(1988), illustre cette tendance. Ce Symposium a réuni, à Los Angeles, des praticiens qui
conçoivent le tarot comme un «instrument-pour-la-croissance-personnelle»469 .
Pour Wanless470 , il existe quatre niveaux de pratique du tarot: le premier, niveau
primaire, est une demande de lecture faite au praticien; le deuxième, consiste à une lecture
du tarot pour soi-même, avec une recherche des significations dans le livre; le troisième,
considéré déjà comme un haut niveau, est une lecture pour soi-même, sans recours au livre;
le quatrième niveau, encore plus élevé, consiste en la création de ses propres cartes, avec
ses propres symboles. Cette quatrième possibilité est appelée «tarot sinergétique»471 : une
façon de créer sa propre voie (et sa vie) à travers des éléments et les archétypes intérieurs,
en dessinant des images de soi-même, chacun des arcanes correspondant à chacun des
«Mois intérieurs». Il s’agit, selon Wanless, d’un processus d’individuation du sujet, au sens
junguien.
Au coeur de cette proposition, il y a ce qu’il considère comme l’un des axiomes du
tarot: si tu as un problème sur le plan extérieur, regarde ton intérieur, parce que c’est là
qu’est la source du problème472 . Chaque arcane (majeur ou mineur) dessiné est le résultat
d’un travail sur l’une des facettes du Moi.
469
«Tarot-as-tools-for-personnal-growth», cf. Greer and Pollack, 1989.
Cf. Wanless, 1989.
471
Idem, p.166.
472
Idem, p.169.
470
Alors qu’il propose une mise à jour de la pratique, des symboles et de la façon de
communiquer le tarot qui soient plus adaptés au monde contemporain, il faut que les tarots
personnels soient aussi mis à jour et redessinés, pour que les cartes reflètent la maturation
de l’individu. Le tarot n’est pas alors une chose préfixée et préétablie, mais un processus,
un processus de cure. Wanless propose, d’ailleurs, que la pratique du tarot soit définie
plutôt par un verbe que par un substantif: «taroter» (taroting473).
On peut transposer cette conception aux autres instruments de travail et de cure
spirituels. Chaque individu, en approfondissant les pratiques, va créer ses propres outils de
cure spirituelle et de croissance personnelle et laisser émerger son «guérisseur» intérieur.
5. Conclusion
Les itinéraires spirituels prennent difficilement la forme d’une trajectoire linéaire.
On peut revenir sur la question de Soares à propos du «bricolage»474 comme modèle de la
culture alternative. Il existe effectivement beaucoup de tâtonnements, d’improvisation et
conditions dans le choix des thérapies et des travaux spirituels de chacun.
On observe pourtant quelques caractéristiques communes: l’une d’entre elles est la
croisement et la symbiose entre l’aspect thérapeutique et l’aspect spirituel des pratiques,
jusqu’au moment ou la différence entre l’un et l’autre s’efface. C’est le moment où le
thérapeute est aussi un guide spirituel, une sorte de conseiller et de modèle de parcours
spirituel. Quand l’individu a aussi incorporé les pratiques et une habitude de travail spirituel
à tel point qu’il va vivre au quotidien cet «état thérapeutique».
Une autre caractéristique fréquente dans ces itinéraires est que le «bricolage» de
pratiques thérapeutiques et spirituelles implique souvent des incursions dans d’autres
territoires religieux et thérapeutiques, plus «conventionnels». On observe alors nettement
473
474
Cf. Wanless, 1989, p.159.
Cf. Soares, 1994a, p.207.
un croisement et une interpénétrabilité des différents niveaux
culturels475 : entre les
thérapies et les spiritualités alternatives et «conventionnelles», entre les pratiques des
classes moyennes intellectualisées et les pratiques «populaires», entre une «culture psy» et
une «culture néo-religieuse». Un croisement qu’on peut observer dans toute sa richesse
seulement dans les parcours et les pratiques individuelles.
475
Nous préférons, d’ailleurs, cette forme de définir le phénomène qu’à celle de
«bricolage».
CHAP. 6 - LA PERSONNE ET LA COSMOLOGIE: CREATION DE
SOI ET RECREATION DU MONDE
1. Introduction: une approche de la Personne
La notion de Personne 476 apparaît sous deux angles complémentaires dans cette
étude. D’abord, comme, une catégorie abstraite de l’anthropologie, la figure
conceptuelle qui a guidé l’enquête de terrain (dont nous avons abordé surtout les
itinéraires thérapeutiques-spirituels), également comme une notion centrale dans
l’interprétation
anthropologique
des
cultures
thérapeutiques
et
spirituelles.
Deuxièmement, la personne est une notion qui occupe une place centrale dans le
discours indigène, constituant le fil que tisse tout récit personnel; dans ce cas, elle
apparaît sous la forme d’expressions propres à cet univers culturel (parmi lesquelles
celle de l’être est l’une des plus récurrentes). Notre approche est, donc, d’une certaine
façon, inspirée par le propre objet de la recherche 477 .
L’autre axe théorique et méthodologique de notre approche, étant donné le
contexte culturel et social où s’insèrent les groupes sociaux concernés reste celui de
la notion représentant la «forme moderne de la Personne» - l’Individu. Par ailleurs
Mauss (1995[1938]), qui a été l’un des premiers à établir cette connexion et la
476
En majuscule quand il s’agit de la catégorie anthropologique et du concept abstrait, et en
minuscule quand il s’agit du sujet empirique. Evidemment il ne sera pas facile parfois de
distinguer les deux significations de ce mot, étant donné la propre complexité de la relation
entre la formulation d’un modèle abstrait et les sujets et les configurations sociales qui
inspirent ce modèle.
477
Même s’agissant d’un autre objet, cette démarche va à la rencontre de la préoccupation
exprimé par Seeger, Viveiros de Castro et Da Matta (1979) à propos de la nécessité, dans les
études sur les sociétés indigènes de l’Amérique du Sud, de s’élaborer des concepts pour les
comprendre «dans leurs propres termes» (p.9). Selon ces auteurs, à la place «de la définition
de groupes et de la transmission de biens» (des questions centrales dans l’étude des sociétés
africaines), les sociétés indigènes sud-américaines se structurent dans les termes «d’idiomes
symboliques» qui concernent «la construction de la Personne et à la fabrication de corps»
(p.10). Personne et, dans un deuxième plan, corporalité étant, donc, des catégories centrales
pour comprendre ces sociétés. Aborder la Personne éviterait la fragmentation et «les coupures
ethnocentriques dans des domaines ou des instances sociales, comme ‘la parenté’,
‘l’économie’, ‘la religion’», cf. idem, p.16.
spécificité de la modalité moderne de la Personne, divers auteurs478 ont réfléchi sur
l’émergence et les transformations de ce sujet moderne, même s’ils ne sont pas tous
d’accord sur le moment et la forme de son apparition479 .480
Il faut toutefois remarquer que, plus qu’une notion achevée de la Personne, nos
interprétations concernent un sujet en mouvement; plus qu’une «substance», et qu’un
modèle défini de la Personne, nous essayons de comprendre la façon dont cette notion
est reconstruite et redéfinie en permanence481 .
Cette dynamique implique différents aspects qu’il nous faudra développer.
Premièrement, dans les expériences singulières et dans les différentes cosmologies
qui constituent une culture néo-spirituelle, la Personne est un devenir. Il est
impossible de formuler une définition substantialiste si l’un des points essentiels de sa
compréhension est que cette totalité singulière, que renferme la notion de Personne,
est un être en formation et en transformation permanente. Celle-ci donne un sens
commun à la variété des pratiques religieuses et thérapeutiques qui composent les
cultures néo-spirituelles au Brésil.
Le deuxième aspect de cette dynamique est celui concernant la variété doctrinaire
et cosmologique et l’éclectisme de l’expérience vécue par les individus qui adhèrent
au circuit néo-spirituel. Du point de vue des récits personnels et des différentes
cosmologies, la définition de la Personne se fait souvent selon des paramètres et des
qualités variables, contradictoires et même paradoxales. Toutefois, cette dynamique à
la fois syncrétique (au niveau des pratiques rituelles et perceptions doctrinaires) et
éclectique (au niveau de l’expérience des sujets sociaux) n’enlève à ces cultures ni
leur logique ni leur cohérence.
478
Voir Durkheim (1970a et 1970b) et Simmel (1989).
479
Voir Dumont (1985a , 1985b, 1991), Foucault (1976,1984), Sennett (1979), Elias (1991),
Lasch (1987), parmi d’autres.
480
Tout au long de nos analyses, nous empruntons une perspective comparative où la notion
de la Personne dans d’autres sociétés et celle d’Individu, dans les sociétés modernes
occidentales, nous servent de modèles heuristiques.
481
Pour une conception de la Personne comme notion reconstruite et se redéfinissant de façon
permanente, voir Fortes (1973), Augé (1984), Viveiros de Castro (1986), entre autres.
Finalement, nous prenons comme axe théorique la notion d’individu moderne482 ,
centrale dans les études anthropologiques sur les classes moyennes au Brésil. En
considérant cette référence théorique et les études brésiliennes, nous remarquons,
toutefois, le caractère relatif et spécifique de ce sujet moderne (ou post-moderne selon
certains auteurs) dans le cas de la société brésilienne, en général, et des segments
sociaux touchés par cette étude, en particulier.
2. La personne: totalité singulière en mouvement
Pour les cultures thérapeutiques néo-religieuses, la personne est une création
permanente; elle est un devenir. Cette conception apparaît déjà dans la vision du
travail spirituel, de connaissance et de croissance personnelle, comme quelque chose
permanent, où le sujet doit toujours s’investir. En tenant compte des différences
évidentes, la notion de la Personne Araweté, décrite par Viveiros de Castro (1986)
nous donne des éléments pour réfléchir à cette conception: plus qu’un être, la
personne est un devenir, «elle n’existe pas à l’extérieur du mouvement»483 .
Cependant, si la personne Araweté se réalise dans l’extériorité, son devenir étant un
autre484 , il s’agit, dans le cas que nous étudions ici, de la quête d’une intériorité (qui
cependant ne se réalisera pleinement qu’en relation à une dimension extérieure au
sujet): de (re)devenir «soi-même». Ce devenir signifie la rencontre d’une «essence
primaire étouffée et déformée» par l’éducation et la socialisation dans la famille,
l’école et la société485 .
Dans les pistes qui émergent des récits, des expériences et des parcours spirituels
nous percevons certaines qualités et certains points qui président son organisation
482
Voir, à ce propos, Dumont, 1985a et l’ensemble de ces travaux.
483
Cf. Viveiros de Castro, 1986, p.22.
484
«Et voilà, donc, que son ‘centre’ est dehors, sont identité ailleurs, et son Autre n’est pas un
miroir pour l’homme, mais un destin». Cf. Viveiros de Castro, 1986, p.26.
485
On voit déjà, exprimée dans cette conception de la personne, une critique à la société et du
«monde extérieur».
interne, sa relation avec le cosmos et le monde extérieur et qui dépendent de ce
principe d’ordre socio-temporel: la personne est un projet; être, c’est devenir (se
connaître et se transformer). Ces qualités s’organisent encore selon d’autres principes
qui, s’ils ne sont ni rigides ni immuables, montrent une logique dans la dynamique de
conception de cette Personne.
Le premier principe est celui de la logique de transformations qui régit chacune
des qualités et des aspects de la personne et leur rapport. Il nous révèle une
conception plutôt dynamique que substantialiste de la Personne.
Le deuxième principe est celui d’une logique des dualités qui organisent la
personne et sa relation avec le monde extérieur et les autres. Plus qu’une structure
fixe et prédéterminée d’opposition, ces dualités expriment la dynamique de la relation
entre les qualités et les transformations qui s’opèrent dans la personne, les processus
changeants de création de soi. S’il y a une composition duale de la personne et du
monde qui l’entoure, ces dualités ne
sont que le support d’un mouvement, d’une
circulation, d’une transformation permanente.
Les dualités qui, dans les différents discours, décrivent la personne et le cosmos
(intérieur/ extérieur, corps/ esprit, unité/ pluralité du moi, pureté/ pollution, conscient/
inconscient, masculin/féminin, yin/yang, etc.), s’organisent dans un mouvement
complexe qui ne suit pas l’ordre mécanique des schémas métonymiques et
métaphoriques486: si l’on peut fréquemment identifier une relation syntagmatique
entre l’un et l’autre de leurs pôles, il n’y a pas nécessairement une correspondance
métaphorique entre les pôles de dualités différentes (l’esprit ne représente pas
toujours la dimension intérieure et pure de la personne, tandis que le corps
représenterait ce qui est extérieur et pollué). La relation entre l’un et l’autre terme,
entre l’une et l’autre série de dualités est beaucoup plus complexe, impliquant un
mouvement entre
hiérarchie-harmonie, continuité-rupture, concentration-dispersion,
équilibre-opposition, etc.
486
Viveiros de Castro (1986) a identifié une dynamique semblable par rapport à la Personne et
à la cosmologie Araweté.
Le troisième
principe est celui d’une configuration spatiale de la personne, à
travers l’identification de ses différentes couches internes, même s’il s’agit là d’une
cartographie flexible et variable.
Ces principes remarquent le caractère mutable du sujet qui adhère aux thérapies
et spiritualités alternatives, tout en relativisant les qualités et la logique qui président
un modèle classique de l’Individu moderne. A partir de ces principes, nous pourrons
alors discuter les qualités et les thèmes principaux de la configuration de la Personne
dans ces cultures.
2.a) Vie intérieure, transcendance et le «monde extérieur»
Dans les différentes études qui ont décrit la configuration moderne de la
Personne, les notions de centre et d’intériorité apparaissent comme des qualités
centrales pour une compréhension intrinsèque de la Personne, c’est-à-dire celle qui
prend en compte la personne en soi (même si l’on reconnaît l’aspect relatif et abstrait
de cet en soi, par son caractère essentiellement relationnel) 487.
Ces deux caractéristiques sont aussi centrales pour définir la Personne dans les
circuits alternatifs, le sens du travail spirituel étant lui même défini par ces notions:
«la transformation vient de l’intérieur».
Le dedans se confond avec la personne elle-même, il est la dimension qui lui
donne le statut de personne: le fait d’avoir un espace intérieur qui lui est propre et
unique est représenté par la notion de «vie intérieure». La transformation vient de
l’intérieur parce que c’est là que se trouve la vérité de l’individu, son centre et son
essence.
L’existence d’une dimension intérieure ne peut toutefois pas être conçue
sans la référence à un plan externe à la personne, représenté par le «monde extérieur»
(la société où nous vivons) et par un ordre cosmique supérieur et transcendant.
487
La question d’un «centre personnel» et d’une «vie intérieure» comme des caractéristiques
de la Personne moderne est thématisée par Foucault (1976 et 1984), Sennett (1979) et Elias
(1991), entre autres.
2.a.1) Transformation à partir de l’intérieur
La construction de la personne en tant qu’un sujet autonome et conscient est
perçue fondamentalement comme un processus de connaissance de soi et de
transformation personnelle. A travers un travail spirituel, l’individu réalisera un
processus de purification (spirituelle et corporelle) dont le but est de retrouver son
essence personnelle et son «centre»488 .
La transformation qui va s’opérer dans le sujet est le résultat d’un processus qui
associe deux plans de l’existence personnelle: celui d’une vie intérieure, représentée
par une négociation permanente entre ses différents lieux d’une topographie interne
(les mois, le corps et l’esprit, le côté gauche et droit du cerveau, etc.); et celui d’un
échange toujours en correspondance avec le monde extérieur, les autres personnes et
la dimension «divine», «transcendante», «spirituelle» de l’existence. Un des modèles
qui peut représenter ce topos interne et sa relation à l’extérieur est le suivant:
l’Astral (le cosmos)
|
|
l’énergie
|
(positive et négative)
Personne <----------------------------> monde extérieur
(le corps
le cerveau (droit e gauche)
l’esprit)
moi supérieur ---- moi inférieur
(le centre
(l’Ego, les
l’essence, etc.)
standards mentaux, etc.)
488
Dans certains cas, retrouver son essence est décrit comme retrouver «son enfant intérieur»;
ceci renforce le caractère originellement pur de la personne.
sentiments positifs
X
(amour, compassion, etc.)
sentiments négatifs
(égoïsme, haine, etc.)
Dans ce schéma, la Personne est représentée à travers différentes couches (le
cerveau, l’esprit489 , et le corps), et des dualités et dichotomies qui gèrent sa
dynamique intérieure. Dans le plan relationnel, cette Personne établit un échange avec
le monde extérieur et avec le plan «le plus élevé», l’Astral (qui correspond au cosmos
et à la dimension divine).
La dichotomie représentée par l’opposition entre un «Moi supérieur» et un «moi
inférieur», entre l’Ego 490 et l’essence personnelle, est la contrepartie interne de la
dualité
de
l’être
«authentique»,
«essentiel»,
«pur»
et
spiritualisé,
et
celui
«programmé», «dépendent», «égoïste» et non spiritualisé.
Mais la relation entre l’un et l’autre terme de ces dualités ni ternes de la personne
ne se limite pas à une simple opposition de contraires. Il s’agit de dualités
dynamiques où l’un des termes doit être transformé dans l’autre à travers un travail,
le terme positif de l’opposition étant, d’une certaine façon, l’avenir de son négatif491.
Nous pourrions faire ici un parallèle avec l’opposition entre la nature et la
culture, sous une autre forme: celle d’une dispute, à l’intérieur de la personne, entre
des
standards
négatifs
construits
culturellement
et
une
«nature
humaine»
492
essentiellement pure et bonne . Cette opposition est dynamique, car ce retour à l’être
489
L’esprit n’est qu’un des mots employés pour désigner l’aspect le plus intérieur et essentiel
de la personne, il est comparé quelquefois à la notion d’inconscient, propre au discours
psychologique.
490
Considéré comme la partie la plus polluée, la source de toutes souffrances et de l’égoïsme,
un obstacle à la croissance et aux changements personnels.
491
A travers le Fischer-Hoffman, par exemple, la haine qui émerge dans les premières
séances, doit être travaillée et transformée en amour et compassion; à travers la méditation,
l’égoïsme devient compassion et l’Ego se dissout, il perd son pouvoir et est remplacé par
l’être spiritualisé.
492
La problématique d’une «nature humaine» apparaît aussi dans la conception moderne
d’individu; le sujet moderne, libre, vu comme la quintessence de cette «nature», contre les
authentique, à l’essence personnelle est le produit d’un travail, d’une volonté
consciemment dirigée: un travail qui est, lui aussi, culturel.
Le retour à cette nature de l’être (son authenticité), comporte aussi un net
caractère surnaturel (une autre forme de la nature qui la transcende, même si elle lui
est profondément liée). Dans le langage indigène, il s’agit du cosmos ou, plus
fréquemment, de l’astral. L’astral est la dimension supérieure de l’univers, d’où
émanent les énergies de la vie, les sentiments d’amour universel; c’est l’ordre
cosmique d’où tous les êtres sont venus et vers lesquels ils repartiront.
L’autre aspect de cette vision interne de la personne concerne les différents
principes qui la constituent. Chaque cosmologie spirituelle a sa propre façon de
décrire cette géographie de la personne. Nous pouvons, toutefois, relever certains
aspects communs de leurs discours. Le discours autour de la dyade corps/esprit 493 , qui
deviendra la triade cerveau/ corps/ esprit(âme)494 , est une perspective intéressante
pour comprendre certains angles de cette cosmologie.
Dans le discours des informateurs, le cerveau (le mental) est vu comme le lieu où
s’installent les modèles négatifs de comportement, les mauvais sentiments, l’Ego
étant essentiellement mental. La «tête» (cabeça) est considérée comme l’un des
obstacles principaux à la croissance, source des pensées et des sentiments négatifs,
origine des maladies. La critique de la psychanalyse et de certaines psychothérapies
qui donneraient une valeur excessive au cerveau (la cabeça) par rapport au travail du
corps en est un exemple.
La nature même du cerveau est conçue comme duale: il comporte un côté droit et
un côté gauche. Le côté droit, responsable de l’émotivité, de la pensée intuitive, est
contraintes du «social» (la culture). Voir, à ce propos, Duarte, 1983, surtout les pages 19 et
20.
493
Le mot esprit possède un large éventail de significations. Dans les cosmologies néospirituelles, il représente quelquefois tout ce qui s’oppose au corps (la sensibilité et la
pensée), il est aussi quelquefois représenté par la dualité cerveau/âme. Il faut souligner qu’en
français, plus qu’en portugais et en anglais, par exemple, il signifie aussi tout ce qui concerne
les activités mentales (mente, en portugais; mind, en anglais). L’autre signification de l’esprit
(ou des esprits) est celle des entités qui habitent le plan cosmique.
494
Ou, conformément aux expressions indigènes, le mental/ le corporel/ le spirituel.
perçu comme «le cerveau du coeur» et considéré, dans le discours néo-spirituel,
comme sous développé et réprimé par le style de vie occidental. Le côté gauche, par
contre, est l’intellect, responsable de la pensée rationnelle, discursive, logique, «hyper
valorisé» et «hyper développé». 495
Selon la cosmologie néo-spirituel, le déséquilibre entre les deux côtés du cerveau
se traduit, dans la culture occidentale, par une valorisation de l’intellect et de la
pensée logique, au détriment de l’émotion, (le coeur) et de la pensée intuitive. Dans
cette culture, le Je est assimilé au cerveau gauche, c’est-à-dire l’intellect.
Une grande partie des thérapies alternatives travaille dans le sens du réveil du
cerveau droit, dont les capacités (comme la pensée intuitive et la vision «gestaltiste» «holiste»496 - de la réalité) ont été atrophiées dans notre culture. Dans certaines
lectures corporelles, la différence d’expression et de posture des deux côtés du visage
et du corps est considérée comme un résultat de ce déséquilibre. D’autre part, le
cerveau droit est également perçu comme la source d’un savoir de qualité différente:
la connaissance de soi obtenue à travers cet hémisphère cérébral est plus profonde et
plus authentique que celle de l’hémisphère gauche497 .
Le corps d’un côté, l’esprit de l’autre; l’esprit logique et rationnel d’un côté,
l’intuitif et l’émotionnel de l’autre: les dyades deviennent une triade de l’instant où
l’âme est conçue comme un produit de cette dualité. L’équilibre de l’âme est le
résultat d’une harmonie de ces différentes dimensions de l’être.
Il n’existe pas une définition unique et précise de l’âme, mais en général elle
désigne (avec d’autres expressions, comme l’esprit, le centre, l’essence personnelle)
495
Il est intéressant de comparer cette vision du cerveau et du mental avec celle des classes
ouvrières étudiées par Duarte (1986), qui valorisent le cerveau comme source de certaines
capacités de la personne, mais le craignent comme source de folie (de ceux qui «ont trop
d’idées dans la tête»). Cf. Duarte, 1986, p.156.
496
Expression utilisée par les informateurs pour désigner une conception du monde et de la
personne opposée à la fragmentation et à la segmentation de la pensée scientifique dominante
(par exemple, dans la médecine). Sur la vision holiste du corps et de la thérapie, voir le
Chapitre 4.
497
Dans une lecture du tarot, par exemple, les cartes doivent être choisies de main gauche
(dirigée par le hémisphère droit), qui se laissera guider plus par l’intuition que par la pensée
rationnelle.
l’«être le plus profond». Dans la cure spirituelle, même si la maladie, la crise ou la
souffrance apparaissent sous des formes singulières, c’est l’âme qui, dans le fond, est
malade et doit être guérie. L’âme représente, donc, la personne elle-même498 .
Nous pourrions représenter les différentes couches qui forment la personne par
l’image d’une spirale qui aboutira à ce lieu qualifié «le plus profond de soi»,
l’«essence personnelle», c’est-à-dire la dimension la plus intérieure, singulière et
unitaire de la personne, son centre. La «vraie» guérison représente l’émergence de ce
«vrai» moi, un programme de toute une vie de quête spirituelle et de travail
permanent sur soi. Le développement d’une vie spirituelle est basé sur la notion de la
guérison de l’âme et de la rencontre du «centre» personnel - représentant l’intériorité
radicale de la personne.
Cette vie intérieure ne peut toutefois pas se réaliser à son terme sans une
connexion avec une dimension extérieure de l’existence: celle du monde (la société )
et celle d’un ordre cosmique supérieur. Connexion qui met en évidence un double
aspect de la personne dans les cultures néo-spirituelles: son caractère à la fois
immanent (tourné vers soi-même et vers une vie intérieure et subjective) et
transcendant (lié à la notion de la personne en tant qu’un «être dans le monde» et
faisant partie d’une réalité cosmique supérieure). 499
498
Mais elle est aussi, comme nous le verrons, l’instance qui fait la connexion entre la
personne et une dimension de l’extériorité: celle de l’Astral ou cosmos, la dimension
extérieure la plus élevée.
499
Que l’on pourrait appeler son caractère transimmanent. Certains auteurs identifient, au
contraire, un caractère plutôt immanentiste dans ces mouvements. Pour Stone (1978), il existe
une «intense expérience d’immanence dans les nouveaux mouvements religieux» aux EtatsUnis. Champion (1990) identifie aussi, dans les cosmologies mystico-ésotériques de la
France, une conception du monde surtout immanentiste: «Lorsque, chez le mystiqueésotérique, l’idée du pouvoir de l’homme et la tendance à la toute-puissance de la pensée
s’exacerbent et se renforcent mutuellement, il peut aisément y avoir glissement vers des
pratiques magiques, puisque le mystique-ésotérique a justement une conception du monde
immanentiste, ne différenciant pas forces psychiques et forces surnaturelles... En effet, les
conditions d’efficacité de ces pratiques sont essentiellement d’ordre psychologique, attachées
à un vécu intérieur...», p. 44. Or, justement ce qui distingue les thérapies spirituelles des
psychothérapies traditionnelles et de la psychanalyse (au moins au niveau de leurs
conceptions de monde) est le fait que pour les premières, ce «vécu intérieur» ne trouve un
sens que s’il est mis en rapport avec ce qui dans le discours indigène, constitue une
«dimension cosmique» et transcendante de l’existence.
Cette notion de l’existence d’un centre personnel qui revient, donc, à une
conception de la personne en tant qu’unité, n’écarte pas une autre qualité qui est aussi
propre à la personne dans ces cultures: celle de sa pluralité de son expérience et de
son identité500.
Alors que la personne est unique, elle est aussi plurielle: elle joue différents rôles
(y compris au niveau des identités de genre) et elle a des désirs différents501. La
flexibilité est valorisée en tant que qualité positive: elle représente l’épanouissement
du sujet dans toutes ses potentialités. Dans ses différentes expériences et ses
différents rôles, l’individu essaie d’échapper, d’ailleurs,
à une vie totalement centrée
dans un seul moi, rigide et inflexible.
Les deux dimensions qui représentent le degré le plus élevé d’une «vie
intérieure» ne trouveront un sens que dans la possibilité de transcendance, c’est-à-dire
dans la relation à une sphère cosmique «supérieure»: l’Astral502 .
500
Salem (1989 et 1991), dans ses études sur un segment des classes moyennes urbaines au
Brésil a défini cet aspect comme propre à l’individu pluriel - le sujet qui valorise des
expériences variées et qui essaie d’aller au-delà des classifications sociales (1991, p.71).
501
Un exemple de cette pluralité et de la flexibilité du moi est la façon dont les saniases
manipulent leurs deux nom - le nom de naissance et le nom saniase: ils ont une autonomie
pour décider quand utiliser un des noms, dans quel collectif ou situation sociale, etc.
502
Ferguson (1981, p.61) définit la propre découverte de ce centre (l’âme) comme une forme
de transcendance.
2.a.2) Un être relationnel
La reconnaissance d’une «vie intérieure» et d’un centre comme des qualités
fondamentales de la Personne n’enlève pas son caractère essentiellement relationnel,
que l’on peut fixer ainsi:
l’Astral (cosmos)
|
|
|
La nature ------------ | (Transcendance)
|
|
l’Individu <-----> le «monde extérieur»
|
|
| (Immanence)
|
|
|
son centre
On peut identifier deux plans relationnels de la Personne: un plan horizontal, qui
représente une sorte de déplacement spatial entre la Personne et le monde extérieur et
la nature; et un plan vertical, qui représente un déplacement entre la Personne et
l’ordre cosmique supérieur - l’Astral.
L’énergie est la notion fondamentale pour comprendre ce caractère relationnel de
la Personne: elle est l’élément qui circule entre celle-ci et les autres dimensions du
monde extérieur. C’est la qualité de l’énergie qui circule qui va définir la qualité de
ces liens.
Les notions
d’intériorité et d’extériorité sont liées à une cosmologie plus large,
selon laquelle l’individu en équilibre est celui qui a aussi une bonne relation avec
l’Astral, la nature et les autres personnes. L’énergie qui circule entre l’un et l’autre
plan est une des notions articulatoires de la personne aux différentes instances du
monde extérieur.
2.a.3) La personne et le «monde extérieur»
Ce que les informateurs appellent «le monde» dans leurs récits (dans des
expressions comme celle de «reprendre le chemin du monde») concerne les différents
aspects du rapport aux autres et à la société: l’ensemble des rapports sociaux (la
famille, les amis, le travail) où se trouve inséré l’individu, la société en général et,
d’une façon plus élargie, la culture urbaine-industrielle moderne 503.
Par rapport au «monde», l’attitude de celui qui fait son cheminement spirituel est
ambiguë. La dichotomie entre une vie intérieure et une dimension sociale, entre
l’individu et le monde, est conçue à travers un jeu dynamique d’échanges et de
transformations.
Tout d'abord, pour les différentes cosmologies néo-spirituelles, l’être humain naît
pur et ce n’est que la vie en société (ses institutions, comme la famille, l’école, le
travail), la culture et le style de vie occidental et urbain, etc. qui lui imposeront des
sentiments et des modèles de comportement «négatifs».
(Karma)
|
|
Personne <----------------------------- monde extérieur
503
Le «marché», comme l’a dit une informante saniase.
(originellement
pure)
(standards
programmations
pollution)
(les parents,
l’école,
la société, etc.)
Ce modèle qui représente la matrice originelle de la relation entre la personne et
le monde extérieur peut être synthétisé, à la première vue, par l’opposition suivante:
Intérieur(personne)/pur X Extérieur (monde)/impur
Pour certaines cosmologies une grande partie des problèmes vécus par l’individu
sont, toutefois, d’origine karmique, c’est-à-dire qu’ils ont hérités des événements
vécus et des actes accomplis dans les vies antérieures. Ceci introduit déjà une
dimension cosmique et transcendante de l’existence504 .
S’il existe, une «pureté originelle» à l’intérieur de toute personne, et si la source
du mal est le monde, c’est en se retournant sur soi-même et en réalisant un travail de
guérison intérieure que l’individu se libérera des sentiments, des pensées et des
modèles de comportements qui ont corrompu sa «pureté originale». Tout travail
thérapeutique est, donc, conçu comme un processus de nettoyage, de purification,
d’élimination de tout ce qui est pollué, programmé, négatif, à l’intérieur de chacun.
Dans le discours néo-spirituel, l’être est l’être dans le monde, c’est-à-dire que
c’est dans le monde qu’il doit faire son chemin et se transformer. Quand Rajneesh dit:
«il faut méditer dans le marché», il a non seulement synthétisé le sens fondamentale
de la cosmologie saniase, mais aussi celui de la voie néo-spirituelle en général: celle
d’une spiritualité mondaine. Le monde, origine de souffrance, peut être aussi perçu
comme un foyer d’épanouissement personnel, de vie communautaire, naturelle et
équilibrée. L’échange entre l’individu et le monde extérieur n’a pas un sens unique:
pendant que le sujet élimine tout obstacle à la connaissance de soi et à la
transformation, il va apprendre à sélectionner les choses et les énergies qu’il
504
Un praticien et enseignant du tarot disait dans ses cours que 95% des relations amoureuses
(et des problèmes vécus dans ces relations) ont une origine karmique.
échangera (donnera et recevra) avec le monde505 . Nous pouvons décrire la dynamique
de cet échange sous la forme d’un cercle où, dans les deux sens (de l’individu vers la
société, et de celle-là à l’individu), l’énergie négative est recyclée en énergie positive,
purifiée, etc.506 .
L’extérieur est, donc, source permanente d’énergies positives et négatives que
l’individu apprendra à filtrer et à transformer. Au fur et à mesure qu’il se transforme,
sa relation avec le monde extérieur change aussi: il commence à repenser ses liens
d’amitié507 , ses rapports avec sa famille 508 , sa vie professionnel509, des dimensions de
sa vie qui deviennent, elles aussi, l’objet du travail spirituel.
Un des principaux aspects de la relation entre la personne et le monde est la quête
d’un équilibre, et l’adaptation de ce contexte extérieur à la nouvelle situation
personnelle. Tous les aspects de la vie de l’individu sont concernés par sa quête et,
s’il faut «être dans le monde», il doit à la fois chercher un contexte équilibré,
harmonieux, favorable à son cheminement spirituel et établir également un échange
505
L’être, dans les cosmologies néo-spirituelles est l’être dans le monde, c’est-à-dire que c’est
dans le monde qu’il doit faire son chemin et se transformer (c’est le sens d’une spiritualité
mondaine).
506
La notion d’énergie positive ou négative est, d’ailleurs beaucoup utilisée pour qualifier un
espace où même une autre personne: «celui-là, il n’a pas une bonne énergie»; «cette maison a
une bonne énergie», etc. On peut comparer ici la notion d’énergie négative à celle des fluides
négatifs qui, dans les autres religiosités au Brésil, sont aussi source de mal: encosto, mauolhado (mauvais oeil), trabalho, macumba, feitiço (sorcellerie).
507
Une reconstruction du réseau social s’opère: daimistes, saniases, thérapeutes alternatifs
vont remodeler leur cercle d’amitiés, choisissant des rapports avec ceux avec qui ils peuvent
partager et parler de leur expérience.
508
En général, par rapport à la famille, la tendance est, de reprendre un lien et un projet
familial, ou de redéfinir leurs liens en fonction d’une vie «spiritualisée». Il est courant, dans
les trajectoires daimistes, que la personne emmène un de ses parents, un frère ou une soeur,
ou un ami proche dans une séance pour commencer un travail de guérison ou simplement
pour prendre contact avec le Santo Daime. Quelques fois la reprise d’une vie familiale est
pensée en fonction d’une vie en communauté. D’une façon générale, dans les circuits néospirituels, la vie familiale est valorisée.
509
La «nouvelle personne» qui émerge d’une quête spirituelle commence par s’interroger sur
le sens du travail qu’elle réalisait avant. Beaucoup vont recommencer un nouveau trajet
professionnel, lié cette fois à leur cheminement spirituel. Ce choix est fait quand l’adhésion à
une culture «alternative» dépasse la participation ponctuelle aux travaux thérapeutiques et
spirituels, et qu’elle devient un style et un projet de vie. La «cohérence» et l’«harmonie» de
l’être sont recherchés dans tous les domaines de la vie.
positif d’énergie avec les autres. La qualité de l’énergie qui circule est l’un des
facteurs d’évaluation de la qualité de ces liens.
La vie dans les communautés rurales est la forme la plus évidente de cette
«reconstruction»
du
monde
en
fonction
d’une
vie
spirituelle.
Comme
les
coopératives, etc., il s’agit de remodeler l’organisation sociale et économique en
fonction d’une culture spirituelle510 .
510
Voir, à ce propos, Ferguson, 1981, pp.251-253. Léger (1984) et Champion (1990) ont
décrit la forme française des solutions communautaires alternatives.
2.a.4) Culture du «naturel»
Plus qu’un espace, une instance ou une référence du monde extérieur, la nature,
dans le discours néo-spirituel, reste une valeur.
Etre «naturel» est un critère fondamental pour qualifier toutes les sphères de la
vie: le comportement personnel, les aliments consommés, l’espace et la maison, les
matériaux utilisés dans la confection des objets dont on se sert et la façon de les
fabriquer, etc. Enfin, c’est un critère de qualité et une valeur positive qui contraste
avec tout ce qui «n’est pas naturel»: les produits d’origine industrielle, synthétiques,
un comportement «intéressé», etc.
Le «naturel», opposé au non naturel (qui prend des différentes formes) s’articule
avec d’autres qualités différentielles dont nous avons déjà parlé comme le pur et le
pollué, l’authentique et le superficiel, le rustique et l’urbain, le végétarien et le
«mangeur de viande», le guéri et le malade.
Mais la conception de la nature est aussi un trait commun et un facteur de
démarcation des nouvelles formes de spiritualité ou au moins d’une partie d’entre
elles. Si, dans les mouvements contre-culturels et alternatifs des années 70 la nature
était un objet de culte, durant les années 90, pour au moins une partie de la culture
néo-spirituelle, elle représente la spiritualité elle-même. Ce n’est pas par hasard que
le Santo Daime est considéré aujourd’hui, dans les circuits alternatifs, comme le canal
le plus avancé de la spiritualité: c’est la religion qui vient de la forêt511 , et dont la
guérison et tout l’enseignement spirituel viennent des «plantes enseignantes»512 ,
recueillies dans l’Amazonie.
Si l’énergie qui vient du monde social est, en général, négative et source de
souffrance, de conflits et de maladies, l’énergie qui vient de la nature est toujours
511
Voir Groisman, 1991, sur l’origine du Santo Daime et la conviction de ses adeptes que «la
‘Nouvelle Jérusalem’ se localise dans la Forêt Amazonienne» (p.234), où se place la
communauté daimiste du «Céu do Mapiá».
512
Les «plantas professoras», cf. MacRae, 1992, p.128; ou «plantas mestres», cf. Groisman,
1991, p.57.
bonne, saine, positive et source de guérison. L’échange d’énergie avec la nature est, à
la fois, une forme de guérison et de spiritualisation et de connexion à un ordre
cosmique, dont la nature est la plus visible de ses dimensions.
Cet échange n’implique pas de vivre dans la forêt ou à la campagne. Il existe
d’autres formes de garder le contact permanent avec la nature: manger des aliments
bio, naturels ou végétariens, utiliser des produits biodégradables et recyclables,
fabriquer son propre pain, observer les étoiles et les cycles lunaires, chercher les
endroits où l’on peut respirer l’air pur, etc.
2.a.5) L’Astral
L’Astral est l’une des expressions indigènes pour désigner l’ordre cosmique
supérieur, le cosmos. La connexion et l’harmonie avec cet ordre sont le dessein de
tout travail spirituel: pour être bien et connecté avec soi même, il faut être en contact
avec ce plan supérieur et divin de l’existence. Il faut remarquer que le mot divin est
aussi beaucoup utilisé, même si la référence à Dieu n’est pas aussi systématique. Le
fait de reconnaître un ordre cosmique, avec sa propre logique, antérieur et postérieur à
l’existence de l’individu et de la vie sociale ne fait pas nécessairement référence à une
croyance en Dieu.
L’Astral est aussi la demeure des êtres qui ont déjà «quitté» ce monde. Quand ils
parlent de leur maître, les saniases expliquent qu’«Osho est maintenant dans
l’Astral», avec d’autres êtres de lumière. Il est intéressant de remarquer ici que le mot
être est aussi bien utilisé pour la personne vivante que pour celle qui est morte - ce
qui inspire l’idée d’une continuité de la personne après sa mort physique 513 .
L’Astral ou le cosmos (aussi bien que la nature), même avec leur propre logique
et leur ordre, garderont toujours une dimension ni sondable, occulte; ils représentent la
permanence du mystère que la vie moderne aurait enlevé de l’existence personnelle.
513
Nous revendrions à cette question plus tard.
La connexion avec l’Astral et le dévoilement de ses mystères est donc une dimension
importante du travail spirituel.
Il est possible de distinguer trois formes du contact de la personne avec ellemême (son essence personnelle) et avec la dimension divine de l’existence (le
cosmos).
La première est à travers le développement d’une sensibilité à d’autres formes de
conscience, de perception et de connaissance. La pensée intuitive est l’une des formes
de connaissance issue de l’Astral, comme les états modifiés de conscience, provoqués
par des techniques respiratoires, méditatives, par certains mouvements corporels ou
par l’ingestion de substances psycho-actives (comme le cannabis ou la ayahuasca). A
travers cette autre forme de conscience, l’individu peut avoir des visions, sentir et
comprendre certaines situations et certaines réalités.
La deuxième forme concerne la connaissance spécifique de nos vies antérieures et, donc, des questions d’ordre karmique à résoudre. A travers la connaissance des
vies passées, l’individu cherche un mystère personnel qui ne sera compris que
connecté à une autre dimension, extérieure514 .
Dans cette expérience, qui le met face à la mort (ses morts passées), l’individu
retrouve une autre dimension de lui que l’on pourrait associer à la notion du double.
Quand il devient son spectateur, il est devant ce que Vernant (1965) appelait «une
réalité extérieure au sujet mais qui, dans sa propre apparence, s’oppose par son
caractère insolite... à la scène ordinaire de la vie»515 . Dans chaque vie antérieure,
l’individu peut voir un de ces multiples doubles - qui ne sont que des dédoublements
de son être.
La troisième forme passe à travers le contact avec les êtres qui sont dans l’Astral,
comme parmi les saniases qui ont un contact avec leur maître. Ceux qui également
peuvent recevoir des entités (des êtres): appelés «personne-canal» (pessoa-canal), qui
514
Sans cette dimension extérieure, nous serions devant quelque chose semblable au concept
psychanalytique de l’inconscient.
515
Cf. Vernant, 1965. Ou encore, selon Fortes (1973, p.301): «une sorte d’existence dans son
propre droit...», même si elle fait toujours partie de la personne vivante.
possède une connexion directe avec les êtres qui habitent l’Astral - les esprits et les
entités
spirituelles,
dans
le
langage
du
spiritisme.
Les
«personnes-canal»
correspondent au médium spirite. Fréquemment, celles qui découvrent ce pouvoir ou
cette sensibilité travaillent pour développer leur médiumnité516 .
2.a.6) L’énergie
La circulation et l’échange d’énergie sont le facteur de base pour définir ce que
les informateurs appellent le contact véritable de la personne avec elle-même et avec
l’univers qui l’entoure. Comme l’a déjà décrit Soares (1994a), il y a un «sens
dynamique» dans l’énergie517: elle circule dans le corps et dans l’esprit de la personne
et dans son contexte extérieur (la nature, les autres, les objets, le cosmos, les lieux,)
établissant le contact.
L’énergie est le principe fondamental de la vie et du sens relationnel de la
Personne. D’une certaine façon, tous les événements, les sentiments, les expériences
se transmuteront en énergie - positive ou négative.
On peut établir un parallèle entre cette conception de l’énergie et certains
concepts semblables appartenant à d’autres cosmologies religieuses extérieures aux
circuits alternatifs.
La notion de «fluide», dans le spiritisme, s’apparente à une sorte d’énergie selon Cavalcanti (1983) les fluides sont un élément de l’«ordre du physique, des
516
Sur la médiumnité dans le spiritisme, voir Cavalcanti (1983).
517
Cf. Soares, 1994a, p.193.
émetteurs de vibrations qui finissent, toutefois, par avoir un contenu essentiellement
moral»518 .
Dans l’umbanda, cet élément qui imprègne les personnes, les objets et les lieux et
qui circule entre les personnes et les entités cosmiques est désigné, selon son
caractère, de différentes façons. Les expressions les plus communes sont celles de
«force» ou «force spirituelle»519 ou, comme dans le spiritisme, de fluides520. Dans le
candomblé, l’axé521 est une espèce d’énergie, une force spirituelle essentielle présente
dans la nature, dans les personnes et dans les lieux et les objets522.
La notion d’énergie est centrale dans les cosmologies néo-spirituelles; elle est,
pour utiliser une expression de Soares (1994a) «la monnaie culturelle du monde
alternatif»523.
2.b) Le corps: «miroir de l’âme»
Pour Vernant (1974), chez les grecs «la découverte de l’intériorité» va de pair
avec l’affirmation du dualisme somatopsychologique (l’âme et le corps)524 . Ce ne sera
plus tard que le corps sera «intégré» au moi «pour fonder la personne à la foi dans sa
singularité concrète et comme expression de l’homme tout entier»525 . Dans la
conception de la personne énoncée dans les récits d’itinéraires thérapeutiques518
Cf. Cavalcanti, 1983, p. 103. Le passe spirite (sorte de bénédiction donnée par les
médiums) est un «échange fluidique» (Idem, p.102).
519
Voir Maggie Velho, 1975.
520
Comme l’énergie, les fluides peuvent être bons ou mauvais et l’un des buts du passe
umbandista est d’expurger les mauvais fluides, cf. Ortiz, 1991.
521
On prononce «achè».
522
Voir Dantas, 1988 et Prandi, 1991.
523
Cf. Soares, 1994a, p.197.
524
«L’âme se définit comme le contraire du corps; elle est enchaînée ainsi qu’en une prison,
ensevelie comme en un tombeau. Le corps se trouve donc au départ exclu de la personne,
sans lien avec l’individualité du sujet.» Cf. Vernant, 1974, p.36.
525
Idem, p.36, note 3.
spirituels, si une dualité est reconnue entre le corps et l’esprit, ils ne font pourtant
qu’un. Le corps, même s’il représente l’esprit, est perçu comme la médiation,
l’instrument nécessaire pour le guérir. La lecture corporelle est une façon d’identifier
les signes révélant la personnalité individuelle et les symptômes des déséquilibres et
des problèmes d’ordre spirituel et affectif.
Dans ce sens, le corps n’est pas un ensemble de parties et d’organes; il n’est pas
non plus seulement de la matière. Le corps est représentation, texte, forme
symbolique, territoire où s’inscrit la personne, son histoire et ses souffrances («il faut
savoir écouter son corps», dit un thérapeute)526. La conception symbolique et
psychologique du corps prévaut sur une conception physiologique: le corps ne se
réduit pas à la matérialité du corps physique.
Si, d’un côté, la dualité corps-esprit apparaît sous la forme d’une relation
hiérarchique, tout ce qui vient de l’esprit ayant une valeur plus élevée, de l’autre, le
discours des informateurs se concentre sur le corps pour distinguer les thérapies
alternatives des psychothérapies conventionnelles (la psychanalyse, par exemple).
Le corps exprime, représente et révèle non seulement les «maladies de l’âme»,
mais il est le moyen, l’instrument de leur guérison. Presque toutes les techniques
thérapeutiques alternatives donnent une importance au corps. 527 .
S’il faut trouver un sens au corps, il ne sera pas celui de l’opposition à l’esprit,
mais celui de sa représentation. Tout ce qui se passe avec l’esprit, s’exprime dans le
corps; tout ce qui se passe avec le corps aura des conséquences pour l’esprit. C’est
ainsi qu’est expliquée l’origine de certaines maladies, (explication d’ailleurs très
proche des conceptions de la médecine psychosomatique); c’est ainsi que les
nouvelles spiritualités expliquent comment ce qu’Elias (1978) a dénommé un
526
Ou, comme l’a écrit Ferguson, 1981, p.190: «Avec les années, notre corps devient une
autobiographie ambulante, racontant aux amis auta nt qu’aux étrangers les épreuves mineures
et majeures de notre vie».
527
Il me revient, à ce propos, le kusen d’un moine zen, pendant une séance de zazen à Paris,
mais qui illustre bien cette vison du corps dans les cures alternatives: «le problème de la
psychanalyse et des psychothérapies, c’est qu’elles veulent guérir l’esprit par l’esprit, et il
faut guérir l’esprit par le corps».
«processus civilisateur»528 du corps, de contrôle et de programmation des émotions, a
fini par discipliner aussi l’esprit.
A l’opposé de la vision occidentale et chrétienne
abordant le corps comme un objet à maîtriser et controler à travers la force de
volonté, les thérapies alternatives prennent en compte les raisons du corps. Une partie
des thérapies corporelles est basée sur la libération des contraintes imposées au corps,
discipliné quotidiennement pour être un instrument de production et de reproduction
des rôles sociaux déterminés (y compris les rôles liés aux identités de genre).
L’incorporation d’un comportement thérapeutique et d’une pratique spirituelle au
niveau de la vie quotidienne concerne donc également un nouveau rapport à son
corps, à des formes particulières d’hygiène personnelle et parfois à certains interdits
et prescriptions (alimentaires et autres). Dans ce processus de transformation
personnelle, le corps change et il exhibe les signes de cette transformation.
2.b.1) Le corps symbolique
Deux genres de signification s’inscrivent sur le corps: les significations
personnelles (celles qui parlent du sujet et de sa singularité) et les significations
collectives (celles qui concernent ses liens et filiations spirituelles).
Les significations personnelles sont liées à cette fonction du corps comme forme
symbolique de la personne. Dans la lecture corporelle établie par le thérapeute, le
corps raconte l’histoire personnelle, il est un texte, local d’inscriptions. Il n’existe pas
une vision unique ou une «topographie» fixe ou préétablie du corps: il est un texte
ouvert, en transformation, un «miroir de l’âme». La transparence du corps va dévoiler
l’opacité de l’âme. Sontag (1984) avait parlé d’une autre transparence:
«La tuberculose fait le corps devenir transparent. Les rayons
X, qui constituent l’outil pour le diagnostic standard, permettent,
528
Elias (1978), cité aussi par McGuire, 1988, p.252.
fréquemment par la première fois, à la personne de voir sont intérieur,
qu’elle devienne transparente pour elle-même».529
Aujourd’hui cette «transparence du corps» est beaucoup plus vaste grâce à des
échographies, des scanners, des endoscopies, des tomographies; tout l’intérieur du
corps humain a été pratiquement dévoilé. Les thérapies spirituelles530 cherchent une
autre transparence, celle de l’âme (de l’esprit): tout doit être dit, exprimé, «mis
dehors».
Si le corps est une sorte d’expression de l’esprit et de la «dimension intérieure»
de la personne, il est aussi une espèce de médiation avec le corpus social et le
«monde». L’autre sens est, donc, celui des significations sociales imprimées au corps,
surtout celles qui relèvent d’une filiation ou d’une sympathie religieuse ou spirituelle.
Le mala, collier avec la photo du maître Rajneesh et les vêtements de couleurs
rouge portés par les saniases dans les années 70 et 80 est un exemple de cette
inscription sur le corps d’une filiation collective. Quelquefois, cette symbolique
collective n’est exhibée que pendant les rituels du groupe: dans les séances du Santo
Daime, l’habit des initiés et les vêtements autorisés pour les non fardados.
Il existe des symboles plus subtils et moins définis, mais qui montrent l’adhésion
plus ou moins importante à une voie spirituelle: des bagues, des colliers portant des
cristaux ou encore des signes ésotériques. Parfois, un objet porté par un individu,
même s’il ne contient aucun symbole en particulier, peut avoir une signification
spirituelle personnelle.
Il existe aussi une symbolique corporelle moins évidente: ce sont des signes
moins évidents et plus obscurs pour ceux qui ne partagent pas les codes du groupe.
Par exemple, le regard de celui qui a participé à un rituel ou à un travail spirituel, ou
de celui qui a déjà parcouru un chemin spirituel. Après un week-end de travail
spirituel ou après une séance de méditation, il est commun d’entendre des
commentaires sur le regard des personnes. Les yeux sont décrits comme légèrement
529
Cf. Sontag, 1984, p.18.
530
Comme le faisaient déjà la psychanalyse et les ps ychothérapies.
gonflés et bridés, les pupilles dilatées et rayonnantes531 . Quand une personne a
participé à plusieurs travaux et est considérée comme
développée sur le plan
spirituel, on la reconnaît par ses yeux: c’est le «regard lumineux et serein» des
personnes qui ont accompli leur cheminement spirituel. Ces qualités du regard
peuvent être attribuées à l’expression générale, la façon de parler, de marcher, etc.
2.b.2) Respiration et autres pratiques corporelles
Les «techniques du corps»532 sont un aspect important dans presque toutes les
thérapies et les rituels du répertoire néo-spirituel.
Les techniques de travail sur le corps sont des plus variées, englobant les divers
types de massage, de techniques respiratoires, de posture méditative, de mouvements
corporels, d’exercices de reconditionnement corporel (et spirituel) à travers des
techniques spécifiques, l’utilisation de techniques «orientales» comme certains arts
martiaux et certaines gymnastiques «physique-spirituelles». Le sens commun attribué
à ces différents travaux sur le corps a été bien exprimé par Ferguson: «modifie(r) le
courant énergétique à travers le corps, le libérant des vieilles ‘idées’ ou structures et
augmentant la gamme de ses mouvements»533 .
Mais ces pratiques ont aussi un fondement éthique commun, basé sur la critique
du corps fabriqué par la civilisation urbaine de l’occident moderne: «rationalisé» et
discipliné pour être un «instrument de production».
Parmi les techniques les plus fréquentes et considérées comme plus importantes,
on trouve les différentes techniques respiratoires. L’acte de respirer porte un sens de
liaison avec la vie et avec soi-même: si l’on respire, on sent; si on ne respire pas, on
531
L’image utilisée souvent pour décrire ce regard est celle des yeux de quelqu’un qui a fumé
du cannabis.
532
Dans le sens où l’entendait Mauss, 1995c, c’est-à-dire ne se limitant pas à l’utilisation d’un
instrument visant à un but pratique spécifique, mais concernant différents «modes d’agir»,
p.371.
533
Cf. Ferguson, 1981, p.190.
ne sent pas534 . Respirer est une manière de se relier aux émotions, dont chaque
individu s’est éloigné à cause du style de vie moderne.
Chaque technique respiratoire valorise un aspect différent de cet acte. Dans la
pratique de zazen535, par exemple, la respiration peut être assimilée à une critique
éthique de l’occident et de la vie moderne. A l’opposé de l’occident, qui valorise
l’acte d’inspirer, l’expiration est considérée comme plus importante que l’inspiration:
expirer, c’est donner. Cette même différentiation apparaît aussi dans les mouvements
du Tai-chi chuan: inspirer, c’est se rapprocher du corps; expirer, c’est s’éloigner.
Dans toute la série de techniques méditatives crées par le maître indien Rajneesh,
la respiration a une importance centrale. Dans sa description, il donne, à l’opposé du
zazen, une importance à l’inspiration. Toutefois, il critique aussi la façon de respirer
courante dans la plupart des régions du monde: à l’exception du Japon, on pratique
surtout la respiration à partir la poitrine (rétrécir le ventre et élargir la poitrine). Au
Japon, au contraire, on a choisi la forme correcte et naturelle de respirer: étendre le
ventre536. Rajneesh a proposé d’autres méditations basées sur la respiration, comme
celle d’observer l’intervalle entre l’inspiration et l’expiration et vice versa 537 .
En dehors des méditations, certaines thérapies sont aussi basées sur des
techniques respiratoires, comme celle du rebirthing, réalisée à travers la répétition
d’une respiration ronde, sans intervalle entre l’inspiration et l’expiration.
Les autres pratiques et techniques corporelles ont un but et une signification
semblables à celles de la respiration: rééquilibrer le corps et l’esprit, c’est-à-dire la
personne
intérieurement,
et
rééquilibrer
l’échange
d’énergie
avec
l’ambiance
environnante. Bref, établir un échange équilibré et harmonieux d’énergie 538 .
534
Dans un Manuel de Tarot très utilisé dans le circuit alternatif, l’indication d’une des cartes,
le neuf de coupes, conseille: «breathe and fell!» (respire et sens!). Cf. Ziegler, 1989, p.99.
535
Zazen est la pratique de la méditation (zen) en posture assise.
536
C’est pour ça, selon lui, que le Bouddha japonais a un gros ventre, parce qu’il respire à
partir du ventre.
537
538
Basée sur le Yoga Prâna: Prânayana, la voie de la respiration.
Le bailado (la danse) du Santo Daime, réalisé pendant les rituels d’ingestion du breuvage,
est un exemple d’un mouvement réalisé collectivement visant à établir un lien (qu’ils
2.b.3) Végétarien par culture
La conversion au végétarisme, ou au moins l’élimination des viandes rouges est
l’exemple le plus évident du changement des rapports au corps provoqué par
l’adhésion aux thérapies néo-spirituelles.
Les aliments sont classés du pur à l’impur (les viandes rouges, les aliments
industrialisés et comportant de produits chimiques - le sucre, l’alcool se plaçant dans
ce dernier pôle - sont considérés comme des «aliments dangereux»).
En dehors du pur, l’idéologie alimentaire alternative valorise aussi l’«équilibré».
Chacun traduit ces deux conceptions à travers des recettes et des prescriptions
alimentaires très particulières, liées plutôt à des logiques personnelles, qu’à des
cosmologies spécifiques.
Un iridologue français qui travaille au Brésil, lié à un centre saniase, après le
diagnostique à travers la lecture de l’iris du patient et de l’application de shiatsu
quelques minutes, prescrit un régime alimentaire, comportant la proportion et
l’organisation des aliments les uns par rapport aux autres.
Il dresse une liste des «ennemis» alimentaires: du lait et tous les laitages (avec
quelques exceptions); la viande rouge (le poisson et la volaille étant permis deux fois
par semaine) et les oeufs (sauf dans les gâteaux ou les pâtes); les sucres blancs
(raffinés); le café. En règle générale il recommande l’ingestion de peu de liquides et
peu de sel. Etant français, il critique très durement les «très mauvaises habitudes et
combinaisons alimentaires des français»: il considère le vin et les fromages
comme
de vrais poisons pour le corps.
D’autres thérapeutes ou pratiquants de l’alimentation végétarienne ou semivegétarienne ne sont pas d’accord avec cette proposition alimentaire. Il pratiquent,
appellent courant) dans le groupe qui y participe et entre le groupe et l’Astral (à travers les
mirações). Le bailado doit être suivi par tous les participants, soit à travers le mouvement, le
rythme, soit à travers la position occupée par chacun dans le cercle de danse.
d’ailleurs, une grande consommation de laitages (surtout du yaourt et de fromages)
pour compenser le manque de protéine animale.
Il existe différentes visions sur les aliments qui doivent être consommés et ceux
interdits. Des interprétations différentes sont données aux notion du «pur» et de
l’«équilibré».
D’autres principes de base définissent une hiérarchie alimentaire: celui de la
logique de la circulation de substances, de qualités et d’énergie à travers les aliments.
Dans ce sens, l’opposition entre le yin et le yang539 est très utilisée. La thérapeutique
alimentaire de est prescrite aussi selon cette dualité: dans le cas d’une personne
enrhumée,
par
exemple,
il
faut
éviter
les
aliments
trop
yin
et
manger
préférentiellement des aliments yang. De la même façon, une personne qui se trouve
dans un état trop yin ou qui est plutôt yin (passive, sans énergie, réceptive, etc.) doit
manger des aliments yang, tandis que celle qui est trop yang (nerveuse, irritable,
agressive, active, etc.) elle doit chercher l’équilibre en mangeant des aliments Yin, et
en pratiquant la méditation et la relaxation. Quelquefois ce principe se traduit dans
l’identification de l’individu à l’aliment ingéré. Le paroxysme de cette conception est
l’exemple donné par un thérapeute qui disait que ceux qui mangent du boeuf
régulièrement finissent par acquérir une «personnalité bovine».
La viande rouge représente le grand «ennemi» alimentaire. D’abord parce qu’elle
est la source de différents dangers: manger la viande de boeuf, c’est consommer les
hormones et tous les autres produits chimiques utilisés dans l’élevage, c’est
consommer l’adrénaline produite par l’animal au moment de sa mort et absorber toute
l’énergie agressive et la peur libérées au moment de l’abattage.
Le profil alimentaire typique du «chercheur spirituel» est celui du végétarien,
toutefois, être végétarien n’est pas une règle. Pour un très grand nombre d’entre eux
c’est un modèle idéal de comportement qui sera atteint à travers un changement
539
Le yin et le yang sont les pôles opposés qui forment la base de toute la philosophie taoïste:
«le souffle primordial divisé en yin et yang, féminin et masculin, Terre et Ciel», cf. Eliade et
Coliano, 1990, p.288.
graduel des habitudes. Il représente un style de vie qui concerne également, comme
on l’a vu, différents aspects de la personne.
L’ingestion d’aliments est très souvent utilisée comme métaphore de la relation
entre la personne et le monde extérieur, au type d’énergie qu’elle va recevoir, aux
échanges qu’elle va établir avec les autres et à sa façon d’«être dans le monde».
2.c) Symbolique de la mort
La Personne dans les cultures néo-religieuses est donc un être en transformation,
un devenir. La façon dont apparaît la mort et ses différentes significations peuvent
nous aider à comprendre cette Personne. D’abord, parce que la mort est le devenir
commun de tous les êtres. Deuxièmement, parce que les différentes significations
métaphoriques liées à la mort sont utilisées pour expliquer certains processus
particuliers vécus par le sujet: plus que la référence à la mort physique de l’individu,
les différents discours et cosmologies parlent de la mort en tant qu’événement
symbolique. La mort est utilisée comme métaphore, une espèce de recours
stylistique540, pour décrire différentes situations et processus vécus par la personne.
2.c.1) Mort, transformation et connaissance de soi
La plus évidente de ces significations est celle de la mort assimilée à la
transformation: mort et renaissance; fin d’une période dans la vie de l’individu;
changement. La plupart des images de la mort, dans les différentes symboliques
spirituelles ou ésotériques, renvoient à cette signification: l’arcane XIII du tarot - la
Mort - signifie changement, pertes, abandon des anciens standards et de tout ce qui
est passé. Un des manuels de lecture des cartes, à la fin de l’explication de cette carte,
540
Voir, à ce propos, Viveiros de Castro, 1986, p.483.
énonce un dicton soufite: «Die before you die!»541. D’une certaine façon, accepter et
vivre les petites morts (les changements) qui accompagnent chacun dans son
cheminement est une façon de contempler la vie, d’être vivant.
C’est ainsi que les différentes situations de transition et de changement sont
décrites comme des morts symboliques, où le «vieux moi» meurt pour céder sa place
à une personne nouvelle, transformée. Pour utiliser une image de Viveiros de Castro à
propos du sens de la mort chez les Araweté, on pourrait dire que, dans le chemin néospirituel, on meurt plusieurs fois dans la vie542 . Pour ce groupe indigène du Brésil
central, la mort concerne «tout état de perte de conscience», ou de «transition
corporelle violente qui laisse la personne fora de si (hors de soi)»543 , tandis qu’ici la
mort est utilisée aussi comme métaphore de la quête de connaissance, surtout
recherchée à l’intérieur de soi.
Si chaque moment de transition, chaque épreuve, chaque événement important
sont vécus comme un processus de mort et de renaissance (ce que l’on peut observer
nettement dans les récits sur le commencement de chaque itinéraire spirituel), c’est
parfois une situation rituelle ou une expérience spirituelle intense qui peut le
provoquer. Certains récits des participants des séances du Santo Daime décrivent leur
expérience comme un processus de mort et de redécouverte d’un moi jusqu’alors
méconnu. Dans le récit du chapitre 3, par exemple, il y a un moment où Antonio,
après avoir ingéré la deuxième dose du Santo Daime, pense qu’il est en train de
mourir, ressentant les sensations physiques du corps immobile et l’impossibilité de
communiquer avec les autres.
La thérapie du rebirthing elle-même (renaissance: naître de nouveau) implique
logiquement une espèce de mort, à partir de laquelle l’individu renaît un autre544 .
541
Cf. Ziegler, 1989, p.45.
542
Pour les Araweté, «on meurt plusieurs fois dans la vie (et quelques autres dans la mort)»,
cf. Viveiros de Castro, 1986, p.481.
543
544
Cf. Viveiros de Castro, 1986, p.482.
Nous pourrions déduire que l’individu se retrouve, dans le vécu de ces morts symboliques,
de nouveau devant son double. Ceci apparaît clairement dans la thérapie des vies passées, qui
commence par la vision de sa propre mort et où le sujet se dédouble.
Etant donné que tout changement implique des pertes et des séparations, la mort
en tant que transformation est liée à une autre expérience du sujet: celle de la
souffrance. Sallie Nichols, dans son interprétation junguienne du Tarot, se réfère à la
mortificatio comme le moment du trajet vers la connaissance de soi où l’individu vit
un «deuil noir»: «entre la taille du vieux et la maturation du neuf»545 .
Ceci nous renvoie à l’autre signification symbolique de la mort proposée par les
différentes thérapies alternatives: celle d’établir une relation avec les «zones
obscures» de la personne, ses «ombres».
L’image et la signification de la carte de la Lune - l’arcane XVIII du tarot - peut
aider à comprendre ce sens. Parmi les cartes, la Lune représente, celle de la plongée
la plus profonde dans l’inconscient et la dualité de ce vécu: le danger de la mort ou de
la folie, la possibilité de retrouver «la clé précieuse de la connaissance profonde de
soi». Submergé au fond de soi, le héros, absent de la carte, vit un état de dépression, il
souffre, mais la souffrance est le seul chemin pour se connaître et se transformer546 .
Ce processus est présent dans la plupart des thérapies et des expériences spirituelles
alternatives que nous avons observées. Il existe toujours un moment qui représente
cette «plongée profonde à l’intérieur de soi», un moment décrit comme un processus
de mort et de renaissance. L’inconscient, les ombres, les zones obscures sont les
expressions qui désignent cet intérieur personnel identifié à la mort547 .
2.c.3) Un devenir commun: la mort comme passage
545
Cf. Nichols, 1993, p.228.
546
Un des Manuels de Tarot interprète cet Arcane de la forme suivante: «The threshold to
Death is also the treshold to a new life. This is the entry way into a higher consciousness» [Le
seuil vers la Mort est aussi le seuil vers une nouvelle vie. C’est le chemin d’entrée dans une
conscience plus élevée]. Cf. Ziegler, 1989, p. 53.
547
Une autre image intéressante de cette vision est celle de l’interprétation junguienne du
Tarot faite par Nichols, qui décrit le squelette, représenté dans l’Arcane XIII - la Mort - dans
pratiquement toutes les versions du Tarot, comme l’essence la plus «pure» de l’homme, ou au
moins de son corps, ce qu’il a d’essentiel: «comme l’inconscient profond, ils [nos os] sont
notre plus véritable moi», cf. Nichols, 1993, p.229.
La mort est surtout métaphore, représentation symbolique de certains états
intérieurs de la personne et de son processus
majeur de transformation. Les
références à la mort physique sont, d’une certaine façon, une expression de ce sens
métaphorique
plus
général:
il
s’agit
encore
d’une
transformation,
d’une
métamorphose de l’être, celle la plus profonde et la plus importante.
Si les changements vécus pendant la vie sont représentés par l’idée de mort, le
grand changement provoqué par la mort physique est désigné, très souvent, par
d’autres termes, celui de «passage» (passagem ) étant l’un des plus utilisés. L’autre
expression est celle de ir para o astral («partir dans l’Astral»).
Dans le cas de certaines maladies graves, comme le cancer ou le SIDA, le travail
thérapeutique et spirituel peut avoir deux sens: celui de guérir et, quand la guérison
n’est plus espérée, celui de préparer un «bon passage» - préparer psychique et
spirituellement l’individu pour sa propre mort.
Dans la littérature concernant les thérapies alternatives et la cure spirituelle, la
référence à la guérison de maladies considérées comme incurables reste importante.
Elles montrent le pouvoir et l’efficacité des thérapies alternatives par rapport à la
médecine et aux traitements conventionnels. Dans les exemples donnés par les
informateurs, sont mentionnées les guérisons provoquées par la méditation, par un
changement de l’alimentation et du style de vie, par différents traitements des
«questions de fond» responsables de la maladie. Toutes ont en commun l’origine
psychique de la cure, produit d’une pensée positive et du désir profond de guérir 548 .
Les informateurs se réfèrent aussi à des guérisons spirituelles qui ne font pas partie du
circuit alternatif, comme les chirurgies spirites, la prière, etc.
Dans cette conception de la mort, un changement du rapport aux deux
dimensions espace et temps apparaît: l’espace se rapporte plutôt au changement qui
s’opère dans la personne au niveau extérieur: l’esprit ou l’âme quittent le corps pour
rejoindre le cosmos (l’Astral); le temps, est lié à la métamorphose intérieure: l’être
548
Par rapport aux maladies qui peuvent avoir une issue fatale, la mort apparaît alors comme
un «phénomène psy» dont l’individu lui même est le responsable(cf. Sontag, 1984, p.72).
n’est plus attaché au temps chronologique de la vie matérielle, il passe à une autre
temporalité.
Cette vision de la mort physique nous ramène à une autre caractéristique de la
Personne dans la cosmologie néo-spirituelle: celle de sa continuité et de la
permanence. La personne ne finit pas avec la décrépitude ou la disparition de son
corps: la mort reste encore une étape de plus dans son évolution spirituelle.
3.Un nouvel individualisme?
Les différentes interprétations anthropologiques et sociologiques des «cultures de
soi» et, plus particulièrement, des nouveaux mouvements religieux» et du type de
sujet qui émerge de ces cultures n’ont pas trouvé un chemin unique. Leur éventail est
vaste et complexe, même s’il reste possible d’identifier deux pôles distincts
d’analyse: d’un côté, celui qui réduit ces cultures à la simple reproduction de certains
aspects déjà présents dans l’individu moderne, soit au développement d’une culture
du narcissisme549 ou d’un hédonisme post-moderne, en tant que formes d’effacement
même du sujet; et, de l’autre côté, celui qui voit dans ces mouvements un rôle positif,
d’émergence d’un «nouveau sujet», détenteur d’un rôle politique de résistance et de
subversion des institutions 550 . Un pôle qui interprète ses nouveaux phénomènes
culturels comme des formes de reproduction des institutions et de la continuité par
rapport aux idéologies dominantes. L’autre pôle qui les interprète comme des formes
de discontinuité ou même de rupture par rapport aux institutions de la société
contemporaine.
549
550
Pour utiliser une expression de Lasch, 1979.
Guiddens (1991), analysant plus généralement les «cultures du soi» (dont les cultures
thérapeutiques et néo-religieuses seraient une espèce de sous-produit) se place dans ce pôle .
Champion (1989), dans un article où sont analysées les différentes interprétations
sociologiques
des
nouveaux
mouvements
religieux,
montre
une
dichotomie
semblable: d’un côté, les interprétations qui supposent une relation de continuité entre
la tradition religieuse et les nouveaux mouvements (c’est-à-dire qui essaient de
comprendre les nouvelles religiosités dans l’ancienne grille de la sociologie
religieuse551); de l’autre côté, celles qui privilégient la «nouveauté» des groupes néoreligieux, liés au cadre plus large de la post-modernité.
Pour cet auteur, c’est justement sur la discontinuité qu’il faut mettre l’accent552 ,
discontinuité non seulement par rapport au cadre théorique de leur interprétation mais
aussi, comme il est clair dans l’article, par rapport au sens même de ces mouvements
et au type d’individualisme qu’ils engendrent.
Robbins, Anthony et Richardson (1978), ont posé la question en termes
différents, touchant toutefois l’essentiel de la question de Champion, même s’ils ont
choisi de ne pas donner une réponse: «ces thérapies et ces ‘cultes’ sont-ils en train de
promouvoir l’égoïsme, l’auto-absortion et l’irresponsabilité sociale ou existe-t-il des
valeurs altruistes et égalitaires» 553 dans ces mouvements?
Même si l’interrogation semble juste, la plupart des études récentes considèrent,
comme Champion, que la conception d’individu qui émerge de ces mouvements néoreligieux et de ces thérapies alternatives est originale et représente une rupture par
rapport à l’individualisme rationalisé ou «utilitaire»554 .
Pour Champion, ce nouvel individualisme est en connexion avec les valeurs postmodernes et est fondé sur «la valeur de la singularité et des affects,
et soutient le
refus d’un individualisme-repli-sur-soi, égoïsme»555. L’auteur reconnaît, toutefois,
que les adeptes des groupes mystiques et ésotériques sont encore imprégnés de
551
Dont Weber et Troeltsch sont les références principales.
552
Cf. Champion, 1989:163.
553
Cf. Robbins, Anthony et Richardson, 1978:163.
554
Expression utilisée par Bellah, 1970.
555
Cf. Champion, 1989:167.
certaines valeurs propres à la société contemporaine: «l'efficacité, la valorisation du
privé, l’individualisme, l’épanouissement personnel»556 .
D’autres auteurs ont essayé de préciser le sens de ces transformations. En
décrivant les différentes formes de guérison rituelle alternative aux Etats-Unis
(surtout parmi les classes moyennes), McGuire (1988) propose la thèse de
l’apparition d’une nouvelle forme d’individualisme à travers ces pratiques. Ces
guérisons rituelles seraient une réponse à la «rationalisation du corps et des émotions
dans la société contemporaine»557 .
Le sens de ces guérisons alternatives est de (re)donner du pouvoir aux individus
en état de souffrance (physique ou psychique). Le nouveau mode d’individualisme
qui émerge de ces cultures possède, selon l’auteur, deux trais communs: une vision
alternative du monde, basée sur une conception holiste de l’intégration de corps-esprit
et de «tous les aspects du cosmos»558; et la conception de santé en tant qu’id éalisation
d’un type de personne (self), et de la «cure comme le processus de développement
pour atteindre cet idéal» 559 .
En général, la plupart de ces études reconnaissent la formation, à l’intérieur de
ces mouvements, d’une nouvelle conception de la personne ou de l’individu. Ils ne
perçoivent qu’un rôle limité de contestation, n’arrivant pas à représenter un défi aux
structures sociales, politiques et économiques de la société.
3.a) Le cadre brésilien
Comme nous l’avons vu ci-dessus, cet individu qui parcourt un itinéraire spirituel
nous montre, selon des plans différents, des aspects communs à ceux décrits comme
556
Idem:164.
557
Cf. McGuire, 1988:240.
558
Idem, p.244.
559
Idem, ib.
propres au sujet moderne: le poids donné à une «vie intérieure», la dimension
psychologique de sa constitution, l’importance donnée au bien-être personnel, etc. 560 .
D’autre part, les groupes sociaux touchés le plus directement par ces cultures
alternatives partagent entre eux ce que quelques études anthropologiques brésiliennes,
inspirées de l’oeuvre de Louis Dumont, ont défini comme l’idéologie individualiste
moderne561 .
Dans le premier chapitre, nous avons décrit que l’une des dimensions
d’articulation de la culture néo-spirituelle, du moins de ses réseaux plus restreints,
fonctionne comme une sorte de démarcation symbolique pour les classes moyennes
urbaines brésiliennes, croisée avec d’autres aspects culturels propres à ces groupes.
Les thérapies néo-spirituelles, dans un certain sens, occuperaient un espace social
semblable, ou commun, à celui d’une «culture psychanalytique», répondant à des
demandes propres à cette culture, auxquelles celle-ci n’arrive pas à répondre dans le
cadre brésilien.
Avant de discuter spécifiquement sur cet individu qui partage les cultures
étudiées ici, il faut faire toutefois quelques remarques à propos de certains aspects
particuliers des classes moyennes brésiliennes et d’un individualisme brésilien.
Premièrement, les auteurs qui ont fait des études anthropologiques sur les classes
moyennes au Brésil ont remarqué que l’incorporation d’une idéologie individualiste,
à l’intérieur de ces groupes, ne se fait pas sans contradictions et sans côtoyer des
aspects importants, propres à d’autres configurations culturelles plus liées à une
culture holiste ou hiérarchique 562 . Cette dynamique d’emprunts entre l’idéologie
moderne individualiste et les cultures holistes a été, d’ailleurs, conçue
par Dumont
comme l’une des caractéristiques de la façon même dont se diffuse l’idéologie563 .564
560
Même si la cosmologie néo-spirituelle présente des aspects qui montrent des contradictions
avec ces éléments propres à l’individualisme moderne.
561
Voir Velho (1985 et 1986), Salem (1991), Figueira (1986), Duarte (1983), parmi d’autres.
562
Certaines études ont montré, par exemple, l’importance des réseaux liés à la parenté, aux
alliances de tout genre, etc., quelquefois au-dessus des intérêts individuels. Voir Velho, 1983.
563
Cf. Dumont, 1986.
Dumont avait prévu qu’il n’existe pas un seul individualisme, et que celui ci
prend des formes différentes selon les différents contextes sociaux, politiques et
historiques565 .
En deuxième lieu, par rapport aux cultures alternatives, nous avons vu qu’elles
possèdent des particularités et s’étendent au-delà du cadre limité d’une configuration
idéologique psychologisante (décrite comme propre à ces groupes des classes
moyennes au Brésil). Cette perspective plus ouverte se manifeste, par exemple, par
les croisements avec d’autres sphères culturelles, surtout les autres formes de
religiosité et de thérapie (officielles et non officielles).
Il faut encore rappeler que, comme nous l’avons déjà souligné, le champ où
opère la culture thérapeutique néo-spirituelle est plus vaste que celui des groupes qui
appartiennent au réseau plus restreint des thérapeutes et de leurs patients ou des
espaces rituels. Il touche aussi de larges segments de la population, principalement à
travers la diffusion dans les médias, de publications et par son influence dans
l’univers religieux populaire.
Tous ces facteurs donnent une certaine spécificité à la façon dont une nouvelle
conception d’individu peut être perçue dans les cultures thérapeutiques néoreligieuses au Brésil. Alors que même les formes d’individualisme, qu’il était
possible de percevoir avant au sein de la société brésilienne, ne représentent pas une
continuité claire et linéaire par rapport à l’individualisme de la tradition moderne
occidentale 566.
Les deux aspects, de rupture et de continuité, sont présents de façon dialectique
dans l’émergence des cultures thérapeutiques néo-religieuses au Brésil. Ces deux
aspects nous informent au sujet de la constitution de la personne du chercheur
spirituel.
564
Mouvement d’échanges qui n’a pas un sens unique, étant donné que cette dynamique
contradictoire de différentes influences culturelles peut aussi être perçue à l’intérieur des
classes populaires brésiliennes.
565
566
Voir, surtout, Dumont 1985a et 1991.
Pour une vision de la continuité de la notion de la personne dans l’occident chrétien, voir
Duarte et Giumbelli, 1995.
Nous avons vu, dans le premier chapitre, les différents facteurs présents dans
l’apparition d’une nouvelle culture spirituelle et thérapeutique au Brésil: l’influence
d’autres formes de religiosité, surtout celles marginales au catholicisme officiel et au
protestantisme historique; une certaine tradition d’informalité dans la manipulation
des processus de maladie/guérison, non seulement parmi les classes populaires, mais
aussi dans les classes moyennes.
Le troisième facteur, que nous avons identifié dans l’apparition de la culture néospirituelle est plus lié à l’aspect de rupture qu’à celui de la continuité: l’identification
à d’autres mouvements culturels et politiques précédents, auxquels les thérapies néospirituelles se croisent en plusieurs aspects (les mouvements de la contre-culture, le
féminisme, les mouvements écologistes, la gauche non stalinienne, etc.). C’est par
rapport à cette dernière influence que nous pouvons percevoir
plus clairement la
liaison à un ethos individualiste moderne, plutôt à un genre d’individualisme
«libertaire et psychologisant»567 , qu’à un individualisme rationalisé.
L’aspect de rupture est représenté surtout par cette perspective critique, présente
dans ces mouvements alternatifs ou libertaires, et repris à sa façon par les cultures
néo-spirituelles: critique à la société en général et à la culture et au mode de vie
urbain, à la répression imposée par la société aux «vrais» besoins et désirs des
individus; critique à une culture masculine, qui valorise la sphère publique et
l’éloignement de l’individu de lui-même; critique aux «religions traditionnelles» et
aux institutions religieuses, pour se détourner de la «vraie spiritualité» en échange du
pouvoir, de l’influence et de l’argent; critique de la médecine et aux psychothérapies
conventionnelles (y compris la psychanalyse).
L’un des aspects de cette rupture encore à développer est celui qui concerne les
rapports et la culture de genre. Nous pouvons décrire quelques éléments de ce
changement. D’une part, une féminisation du sujet, manifestée par une revalorisation
du domaine privé et domestique568, d’un langage subjectif et d’expression des
567
Pour reprendre une expression utilisée par Salem (1991) pour définir l’individu qui émerge
de l’imaginaire social et des mouvements des années 60/70.
568
Sur la rapport des hommes de classe moyenne à cette sphère, voir Buffon, 1992 et Salem,
1991.
émotions, de la vie affective et amoureuse, de l’adoption, par les hommes, d’un
comportement d’auto-soin, typiquement lié à l’univers féminin dans les cultures
occidentales (observer son corps, apprendre à se soigner, etc.).
D’autre part, les différentes cosmologies spirituelles convergent dans le sens
d’une théorie du genre fondé sur une compréhension plutôt symbolique que
biologique des différences. Les pôles masculin et féminin sont perçus comme
constitutifs de chaque être humain (à travers la dualité taoïste du yin et du yang, par
exemple). Pour Champion (1990), les cosmologies mystiques-ésotériques voient
l’être humain comme «fondamentalement androgyne»569. Il faut, toutefois, remarquer
que, pour le cas brésilien, le Santo Daime semble une exception dans ces nouvelles
perceptions du genre. Autant au niveau de la discipline rituelle que des interdictions
dans la préparation du breuvage, la séparation entre les hommes et les femmes est
renforcée, montrant une conception où le genre est identifié au sexe biologique.
Derrière cette critique globale de la société moderne, nous retrouvons
évidemment une conception alternative de l’individu et de la personne.
Toutefois, nous ne pouvons pas nier, que ce nouveau sujet est également la
synthèse de ce double mouvement, de contestation et de dialogue avec la conception
d’individualisme dominante dans la société contemporaine. L’itinéraire de ce
«nouveau sujet» est fait aussi d’emprunts et de croisements, sans pourtant perdre en
sens et en cohérence.
L’autre aspect de la rupture concerne donc la relativisation (voire refus) de
certains aspects structurants de la conception moderne de la personne.
Nous avons vu quelques éléments de ce dialogue critique de la tradition
occidentale, comme la dualité entre la valorisation d’une intériorité, qui ne se réalise
pourtant pas sans le rapport à une dimension transcendante de l’existence570 . Cette
569
570
Cf. Champion, 1990:38.
C’est pour ça que nous avons préféré plutôt caractériser ces mouvements comme
«transimmanentistes» qu’immanentistes, à l’opposé de la plupart des auteurs.
extériorité se manifeste aussi par le fait que l’itinéraire spirituel doit être parcouru
dans le monde571.
Un autre aspect (très lié au premier) reste celui du paradoxe d’un discours qui
valorise à la fois l’exercice de la volonté et de l’autodétermination individuelles et la
soumission à un ordre cosmique supérieur.
Cette tension entre la volonté de l’individu et celle du cosmos est inhérente, a des
degrés différents, à tout discours néo-spirituel. L’inclusion d’une dimension de
transcendance dans la cosmologie néo-religieuse (dont la conception de la continuité
de la personne après la mort physique est l’exemple le plus évident) représente, à la
fois, un point de rupture avec cet aspect de la conception moderne de l’individu en
tant que maître de soi et de sa volonté572.
3.b) Une réponse à l’affliction ou une
cosmologie originale?
Même si les études les plus récentes reconnaissent une discontinuité dans les
nouvelles religiosités et une dimension de rupture par rapport aux institutions et aux
idéologies dominantes dans l’occident, la plupart de ces études limitent ces
mouvements à une réponse à certains aspects du monde contemporain.
571
Cette voie mystique intramondaine apparaît explicitement dans certaines cosmologies
spirituelles, comme entre les saniases, que nous avons cités, mais aussi en d’autres
expériences, comme la méditation zen liée à la tradition soto , par exemple. Au niveau de la
pratique, presque toutes les techniques thérapeutiques et rituelles sont basées sur le
perfectionnement de l’existence de l’individu dans le monde.
572
L’article cité de Duarte et Giumbelli (1995) essaie de faire une synthèse de la trajectoir e de
la personne dans la modernité. Les auteurs partent du principe d’une continuité de la notion
de la personne dans la tradition occidentale, basée sur la «triade structurante de la vérité,
intériorité et volonté» (p.79). Les formes modernes seraient une façon de résoudre cette
tension, même les formes plus contemporaines, comme celles liées au «religions du moi» ou
aux courants «d’auto-secours», où, selon les auteurs, prédomine la subordination de la vérité
(intérieure) à une «volonté irrelativisée» (p.107). La proximité avec une compréhension plus
ethnographique (des différentes formes qui peuvent assumer ces «religions du moi» dans le
monde contemporain), montre cependant le contraire: la présence d’une dimension
transcendante que relativise l’impératif de la volonté.
Deux questions restent donc à travailler: celle de l’existence d’une cosmologie
néo-spirituelle cohérente et porteuse d’une vision de monde originale; et celle de la
présence d’une dimension utopique dans le discours et l’expérience néo-spirituelle.
La réponse à ces deux questions peut montrer que ces nouvelles cultures ne sont pas
seulement une «réponse à l’affliction» de la vie contemporaine 573 .
La plupart des études sur les cultures néo-religieuses contemporaines n’ont pas
donné de réponses définitives à ces questions. Néanmoins, la reconnaissance de
certains traits communs, comme la fragmentation des pratiques, l’ écart des
techniques par rapport aux doctrines spirituelles, ou enfin l’individualisation de
l’expérience, renvoie certains auteurs à la question de l’éclatement d’un discours,
d’un langage religieux et de la «tradition» elle-même.
Ainsi, Hervieu-Léger (1990) considère que le «renouveau émotionnel» qui
caractérise
ces
mouvements
est
marqué
par
une
désintellectualisation
de
l’expérience574 , par une «perte du langage religieux qui puisse être entendu
socialement» et même par leur «adaptation - sous une forme désutoppisée - aux
donnés culturels de la modernité»575 .
Soulignant encore plus fortement la question de la fragmentation, Carvalho
(1991) reprend une expression de Walter Benjamin 576 pour parler de la «barbarie
religieuse»: «une perte de la tradition, du narrateur et de l’expérience de
profondeur»577 . Il se réfère alors à deux formes du religieux: celle de la tradition
(Erfahrung) et celle du simple vécu (Erlebnis), où prédominent la technique rituelle
et
les
croyances
dont
on
573
«méconnaît
leurs
implications
symboliques,
leurs
Selon Velho (1985:173), le recours à la psychanalyse par les individus de classe moyenne
au Brésil est une forme de réponse à l’affliction vécue par ces groupes autour de la
contradiction entre la vie publique et la vie privée et son besoin de résoudre le problème
d’avoir affaire au domaine public (du calcul, de la manipulation, de la rationalité).
574
Cf. Hervieu-Léger, 1990:243.
575
Idem: 247.
576
La «barbarie artistique».
577
Cf. Carvalho, 1991:26.
articulations cosmologiques, leurs mythes, leur sens interne plus transcendant,
etc.»578 .
Cette dernière forme est, selon l’auteur, celle qui prédomine dans les religiosités
contemporaines, où la croissance de la demande et l’utilisation de techniques hors de
leur contexte originel579 ne sont pas accompagnées «d’un processus de formation de
nouveaux maîtres spirituels»580 . Le pragmatisme des nouveaux mouvements religieux
amènerait donc nécessairement à une perte de la «tradition».
Les questions soulevées par Carvalho (quant à l’utilisation de techniques hors
contexte, la lenteur de la formation de nouveaux maîtres et même sur le manque de
crédit de la plupart des maîtres contemporains) sont tout à fait pertinentes. Cependant,
il ne se pose pas la question sur le fait que ces aspects peuvent faire déjà partie non
seulement d’une nouvelle cosmologie, mais surtout d’une nouvelle forme de
concevoir le religieux et le spirituel.
Soares (1994a), utilise la notion de «bricolage» comme le mode même de
réalisation de la culture alternative 581 . Mais il perçoit, dans ce qu’il appelle
«mysticisme écologique», la double référence à, d’un côté, une cosmologie structurée
et,
de
l’autre,
une
«errance»,
un
«arrangement
singulier
des
paradigmes
582
cosmologiques» . La cosmologie-source est la grille qui sert toujours de référence à
cette «errance».
Les compréhensions spécifiques du contexte ethnographique que nous avons
travaillé nous font converger vers cette dernière interprétation: celle de l’existence
d’un mouvement complémentaire entre une individualisation de l’expérience néospirituelle et l’articulation de cette expérience dans une cosmologie plus large - cette
578
Idem: 27.
579
Que l’auteur appelle «matérialisme spir ituel», en utilisant une formule de Chogyam
Trungpa (1986). Cf. Carvalho, 1991, p.25.
580
Idem, p.26.
581
Cf. Soares, 1994a, p.207.
582
Idem.
dernière n’est pas nécessairement fidèle à une tradition ou à la tradition, mais qui
donne un sens et une cohérence à cette expérience.
Chaque itinéraire singulier va croiser des techniques issues de traditions
différentes. Cependant, plus qu’un pragmatisme immédiatiste, nous avons perçu que
le choix de chacune de ces expériences, l’adoption d’une pratique spiritualisée
comme un style de vie et la voie spirituelle comme un projet de vie, montrent que ces
itinéraires ne sont pas que simples «errance»583 .
Nous avons vu qu’ils ne se bornent pas à la somme des expériences, mais qu’ils
se construisent vers un sens et vers une recherche de sens 584.
L’une des dimensions de la cosmologie néo-religieuse, révélant aussi un sens à
ces itinéraires et «le partage d’une identité commune»585 , est celle d’une utopie. Elle
apparaît dans la conception du sujet spiritualisé en tant qu’un être en transformation
et en croissance permanente586 , (transformation de soi comme condition principale
d’une transformation des autres et du monde).
583
Comme l’a aussi perçu Soares.
584
Sans nier l’existence d’un «marché» de biens et de services spirituels, qui doit, cependant,
être vu comme un sous-produit d’un phénomène culturel beaucoup plus vaste, et non pas
comme son expression la plus importante.
585
586
Cf. Augé, 1995.
Toutefois, différemment de McGuire, il ne s’agit pas de l’idéalisation d’un «moi» ou d’une
notion de personne, mais il s’agit de l’idéalisation du processus de transformation et
perfectionnement permanente de ce «moi».
CONCLUSION - UNE SPIRITUALITE AU-DELA DU
TEMPLE ET DU TEXTE
Les chemins néo-spirituels au Brésil parcourent de multiples lieux: des cabinets
psycho-mystiques dans la ville, aux temples bâtis au milieu de la forêt, tout en passant
par les communautés rurales, les ashram lointains, les restaurants végétariens, les
magasins ésotériques, également les terreiros et les centres de la tradition afrobrésilienne ainsi que tout genre de «culte aux esprits».
Ces lieux forment un itinéraire dans la ville (et ailleurs) et sont une représentation
de la diversité de l’expérience néo-religieuse brésilienne, caractérisée par la cohabitation
de différentes formes de religiosité, par l’interpénétration, le croisement des différents
univers religieux et spirituels ainsi que par l’éclectisme des vécus.
Leur diversité montre aussi la pluralité des influences qui composent l’univers
des cultures thérapeutiques néo-religieuses: de la contre-culture à l’occultisme européen,
de l’écologisme et du féminisme aux religions afro-brésiliennes, enfin, des spiritualités
orientales aux éclectismes de tout genre.
Nous avons vu que l’émergence de cette nouvelle culture rencontre un sol déjà
fertilisé par une pluralité religieuse et une façon informelle de manipuler les processus
de maladie et de guérison. Un paysage qui donne une spécificité brésilienne aux
nouvelles cultures spirituelles587.
Mais ces lieux de la pratique néo-spirituelle au Brésil ne sont que la partie la plus
visible d’un autre itinéraire, celui des individus.
587
Le même paysage qui a permis, d’ailleurs, la formation des versions autochtones du
pentecôtisme et du spiritisme (à travers les types les plus divers de «culte aux esprits», cf.
Carvalho, 1991). Néanmoins, le mouvement le plus récent, suit le sens opposé: une sorte
d’exportation de la spiritualité, dont la réalisation de rituels du Santo Daime et son
organisation dans d’autres pays en est un exemple.
Pour comprendre ces nouvelles formes du phénomène religieux dans la
contemporanéité brésilienne, nous avons préféré analyser des itinéraires personnels et les
récits des expériences - et de l’expérience - néo-spirituelles, tout en prenant ces récits
comme des formes d’interprétation du propre vécu.
A travers les singularités des parcours individuels, nous avons pu comprendre
certains sens du travail thérapeutique et spirituel588 . Une vision restreinte aux institutions
ou aux doctrines religieuses n’aurait pas pu en rendre compte.
A travers ces itinéraires singuliers, nous avons compris que l’expérience néospirituelle se fait surtout «hors du temple» (une spiritualité intramondaine, incorporée
dans la vie quotidienne et dans l’«être dans le monde») et «hors du texte» (c’est-à-dire
du texte d’une tradition définie).
L’extension du «temps sacré» (du travail thérapeutique et spirituel) aux temps
profanes de la vie est, ainsi, une des dimensions fondatrices de l’expérience néoreligieuse.
De même, l’«errance» spirituelle montre l’un des principes de sa cosmologie: le
refus d’une filiation exclusive et la valorisation de la pluralité de l’expérience.
Derrière un apparent «pragmatisme» (et de l’absence conséquente d’une
éthique), le travail spirituel et les itinéraires montrent qu’au début de tout trajet, il existe
une demande de sens. La «conversion», profondément liée à l’expérience de la
souffrance, est racontée comme le début d’une trajectoire morale de l’individu, pour qui
l’adoption d’une voie spirituelle intramondaine devient un réel projet de vie.
Tous ces aspects nous ont amenées à des conclusions distinctes de celles de la
plupart des études qui, même si elles reconnaissent une certaine vocation critique dans
ces mouvements, les perçoivent soit comme une réponse apolitique aux conflits et
afflictions de la société contemporaine, soit comme l’exacerbation d’un individualisme
588
Même si très souvent il comporte des expériences qui semblent antagoniques.
irrelativisé - dont l’«hédonisme post-moderne» et le narcissisme sont les formules les
plus connues dans la description des dites «religions du moi». Ces interprétations
essaient peut-être encore d’appliquer sur ces mouvements les anciennes grilles d’une
sociologie religieuse préoccupée plutôt par les institutions, les systèmes rituels et les
«textes» religieux que par le vécu: tournées davantage vers la religion que vers le
religieux (qualificatif qui élargit son univers et ouvre la possibilité d’associations avec
d’autres aspects de l’expérience).
Les individus qui errent dans les thérapies et les spiritualités alternatives
perçoivent une direction dans leur parcours: non celle d’une notion achevée d’un moi
idéalisé, mais celle d’une façon de vivre. La plupart essaie de la définir comme un
travail permanent de connaissance de soi et d’autoconstruction: la quête de
l’autodétermination. Pour eux, la dimension politique de leur mouvement est semblable
à celle des mouvements de la contre-culture: changer le monde en se transformant soimême (ou, comme disait le refrain: le personnel est politique).
La différence est que,
pour les mystiques d’aujourd’hui, il n’y a pas de «vérité intérieure» sans la connexion
avec une dimension divine et transcendante de la vie, celle qui récupère le mystère que
les sociétés modernes croyaient perdu. Toutefois, dans le cas de la société brésilienne, ce
mystère était encore présent dans tous les lieux d’une religiosité de multiples temples et,
aujourd’hui, au-delà du temple.
GLOSSAIRE
Anthroposophie - Mouvement philosophique et spirituel créé par Rudolf Steiner
(1861-1925). En dehors d’une doctrine spirituel, l’anthroposophie (la «sagesse de
l’homme») a conçu des préceptes pour les différents domaines (la médecine,
l’éducation, l’agriculture, l’architecture, etc.).
Ashram - Dans l’hindouisme, c’est la communauté formée par le maître et ses
disciples. Pour les saniases, c’est la communauté des disciples de Rajneesh à Poona,
en Inde, où fonctionne l’Osho Commune International et l’Osho Multiversity Center,
lieu de formation d’un grand nombre de thérapeutes dans les plus divers genres de
techniques.
Astrologie - Très répandue aujourd’hui, l’astrologie a perdu un peu de son aspect
divinatoire
et
ésotérique,
étant
utilisée
plutôt
comme
un
instrument
d’autoconnaissance dans les cercles alternatifs 589.
La plupart des astrologues observés combinent, dans leur travail, l’astrologie
avec d’autres méthodes thérapeutique, principalement avec celle des essences florales
(les fleurs de Bach, les élixirs de Californie, du Désert, etc.). Dans ce cas,
l’établissement de la carte astrale et de celle de la révolution solaire, leur
interprétation et le dialogue qui se noue entre l’astrologue et son client vont permettre
de dresser un «diagnostic» et de définir les essences florales que ce dernier devra
utiliser. Ces essences aideraient à surmonter les problèmes, el s conflits, les angoisses
vécus par le client et qui apparaissent lors de la lecture astrologique comme dans les
conversations qui accompagnent le travail thérapeutique. Quant aux astrologues qui
ne travaillent pas encore avec les essences florales (avec ou sans la supervision d’un
thérapeute), ils ont commencé à les étudier dans le but de les utiliser. Cela devrait
leur permettre de devenir des thérapeutes «complets», et de conquérir ainsi une
589
A travers la carte astrale, tracée à partir de la position des planètes et des constellations
zodiacales à l’heure exacte de la naissance; c’est la carte de la révolution solaire annuelle et
les calculs de progressions qui déterminent les influences astrologiques à des périodes
déterminées de la vie.
légitimité que l’astrologie seule ne donne pas. Parmi ceux qui composaient le champ
de notre recherche, les astrologues qui limitaient leur travail à la lecture et à
l’interprétation des cartes astrales restent peu nombreux.
Ayahuasca - Breuvage au principes psycho-actifs fabriqué à partir de deux plantes
(Banisteriopsis Caapi et Psychotria Viridis), utilisé par certains groupes indigènes de
la forêt amazonienne et dans les rituels du Santo Daime.
Biodanse - Technique crée par le chilien Rolando Toro et très répandue dans le
circuit alternatif. Elle est toujours pratiquée à l’intérieur d’un groupe et ses principes
sont le vécu de l’instant, la libération des émotions et le contact avec les autres. La
biodanse est un ensemble de pratiques corporelles autour de la musique et de la danse
et de l’interaction émotionnelle et affective avec les autres participants.
Chacras - Mot sanscrit pour désigner les points ou organes énergétiques, à travers
desquels se font les échanges énergétiques de la personne avec le monde extérieur.
Sept chacras, localisés tout au long de la colonne vertébral, représentent les centres
principaux par où doit circuler l’énergie.
Coven - Mot anglais pour désigner réunion de sorcier ou de sorcières. L’admission
d’un nouveau adhérent dans le coven dépend toujours de la sympathie de tous les
autres participants.
Dojo - Lieu où est pratiquée la méditation zen.
Fischer-Hoffman et l’anti-Fischer - font partie des thérapies dites «primales», dont
le but est de faire
«travailler» l’individu et élaborer ses différentes «couches
émotionnelles»: la colère, le sentiment de souffrance et la compassion. Ce travail se
fonde sur le souvenir et le vécu de scènes qui ont contribué à la construction des
sentiments négatifs de colère et de culpabilité, principalement par rapport au père et à
la mère (perçus comme l’origine de toutes les difficultés qu’éprouve la personne à
s’accepter et à connaître ses propres sentiments). Cette thérapie utilise ainsi des
moyens d’affirmation de soi et de reprogrammation verbale à travers l’expression
orale et écrite. Ce «revécu» inclut des moments de dramatisation et d’explosion
émotionnelle autour de situations déterminées, provoquées par des techniques
précises: frapper sur un pneu, par exemple, avec un morceau de bois, est une façon de
dramatiser l’expression de la colère par rapport au père.
L’anti-Fischer, ou thérapie du «père-et-mère», est une adaptation du FischerHoffman qui en réduit la durée et donne moins d’importance au travail verbal et plus
de poids aux exercices corporels et d’expression émotionnelle.
Ces deux thérapies sont pratiquées en général dans des ateliers collectifs intensifs
de courte ou moyenne durée.
Fleurs de Bach et les autres élixirs floraux - sont des essences de fleurs qui agissent
sur l’état émotionnel de la personne590.
Dans les dernières années, ces essences se sont étendus très rapidement au Brésil.
Elles sont actuellement utilisées non seulement dans le circuit des thérapies
parallèles, mais par plusieurs psychologues et quelques médecins généralistes. Le
grand nombre de pharmacies qui sont habilitées à les produire et à les
commercialiser, y compris les pharmacies non homéopathiques591, montre cette large
utilisation des essences florales à Porto Alegre et à Florianópolis. Reste à savoir si le
même phénomène se produit dans les autres grandes villes brésiliennes. Selon le
magazine Planeta, il aurait atteint une échelle nationale, les années 90 ayant connu
une explosion des Fleurs de Bach au Brésil592.
590
Originellement, les essences florales de Bach sont composées de 38 élixirs, extraits de 38
fleurs différentes ayant été conçus par le médecin anglais Edward Bach dans les années 30.
Ces 38 essences correspondent aux 38 états mentaux négatifs présents dans l’humanité. Il
existe un 39ème élixir, composé par cinq des 38 essences: le Rescue Remedy590 , un remède de
secours à utiliser dans toutes les situations difficiles, les cas d’urgence, les traumatismes, etc.
591
Ce qui n’est pas du tout le cas à Paris. En dépit de l’importance et de la large utilisation de
l’homéopathie en France (dont les remèdes sont remboursés par la Sécurité Sociale), les
fleurs de Bach, qui pourraient bien agir dans le même registre, sont très peu connues. On ne
peut les trouver que dans quelques magasins spécialisés dans les produits naturels, et rares
sont les pharmacies qui les vendent.
592
Cf. la revue Planeta, éd. 240, Ano 20, nº8, p.54.
Comme pour d’autres méthodes thérapeutiques, la formation d’un thérapeute
spécialiste des essences florales peut suivre des chemins différents: l’étude et la
lecture de livres sur le sujet593, l’expérience personnelle des essences, ou enfin la
participation à des cours de formation. Quelques-uns de ces cours indiquent
l’existence d’un circuit de formation plus institutionnel. Les cours de longue durée, et
surtout ceux organisés par des institutions reconnues (bénéficiant d’une supervision
postérieure du travail par un thérapeute plus expérimenté), sont considérés comme
plus sérieux. Deux institutions ont été citées par nos informateurs comme ayant un
rôle important dans l’enseignement de la thérapie des essences florales: le Bach
Center du Brésil, dont le siège se trouve à Campinas, dans l’état de São Paulo; et
l’Escuela, école argentine des essences florales, qui réalise régulièrement des cours
de formation à Porto Alegre.
Plus récemment, de nouvelles versions des essences florales sont apparues: les
Fleurs de Californie, les Fleurs du Désert594, les Fleurs Mineiras, etc.
Iridologie - Technique visant à établir un diagnostique de l’état de santé à travers
l’examen de l’iris.
Karma - Mot sanscrit pour désigner les actes accomplis et leurs conséquences.
Relation de cause et effet déterminant la «qualité de l’avenir» de chacun595 . Selon
certains auteurs, la vulgarisation de l’utilisation de cette notion dans l’occident l’a
détourné de sa signification originale («la responsabilité de ses actes et de leurs
résultats»596), en donnant accent aux notions de destin et de fatalité.
593
On peut trouver aujourd’hui une abondante littérature sur les essences florales dans les
librairies du Brésil. Outre les traductions, quelques ouvrages d’auteurs brésiliens existent déjà
sur le sujet.
594
Les fleurs du Désert sont considérées par certains thérapeutes comme efficaces pour traiter
les perturbations émotionnelles typiques de l’atmosphère aride et solitaire des grandes villes
et des grands centres urbains.
595
Cf. Joko Beck, 1990, p.369.
596
Idem.
Kirlian - Photos de l’aura des mains utilisées par certains thérapeutes pour analyser
l’équilibre énergétique des patients.
Kundalini - L’énergie intérieure, représentée sous la forme d’un serpent enroulé dont
l’éveil est le résultat d’un long processus de pratiques corporelles spécifiques.
Kundalini est aussi le nom donné à l’une des méditations les plus pratiquées par les
disciples de Rajneesh.
Méditation - Technique de repos et de quête d’équilibre spirituel. La posture
traditionnelle est celle où le pratiquant reste assis en position de lotus (en tailleur). Il
existe des différents types de méditation: zen (et zazen), dynamique, kundalini, yoga,
transcendantale, etc.
Rebirthing ou Renaissance - est là encore une thérapie qui fait intervenir une forme
de régression consciente. Cette régr ession est le résultat d’une technique respiratoire
d'hyperventilation de la partie postérieure du cerveau, ce qui active la «mémoire
archaïque». Le but du rebirthing 597 n’est pas de revivre les vies antérieures, mais des
scènes passées de la vie actuelle, surtout celle du moment de la naissance.
La séance de rebirthing commence par l’obtention d’une respiration circulaire
(sans pause entre l’inspiration et l’expiration), la personne doit la soutenir jusqu’à la
fin de la régression. Ceux qui ont du mal à maintenir cette respiration commencent le
rebirthing assis par terre, et doivent s’allonger dès qu’ils obtiennent le rythme
respiratoire adéquat. La plupart des personnes ressentent très vite un fourmillement
puis un endormissement des extrémités (mains et pieds surtout). Ces sensations
s’accompagnent en général d’une sorte d’explosion émotionnelle. La séance finit par
la reprise de la respiration normale et quelques minutes de relaxation.
597
Encore une fois, les informateurs emploient davantage le mot anglais que le mot portugais
«renascimento».
Runes - sont un oracle d’origine nordique, composé d’un ensemble de 21 pièces (en
général en pierre) dont chacune porte l’inscription d’un caractère de l’alphabet
runique et revêt une signification divinatoire.
L’un des responsables de sa divulgation au Brésil est Monica Buonfiglio, qui a
présenté dans les années 80 une émission télévisée, où elle répondait aux lettres des
téléspectateurs à travers la consultation des runes598 .
Saniases - Disciples du maître indien Osho Rajneesh (décédé en 1990), créateur du
mouvement néo-sânias, répandu dans divers pays du monde occidental, parmi
lesquels le Brésil. Le siège du mouvement néo-sânias est placé à Poona, en Inde où
fonctionne l’Ecole des Arts Mystiques, lieu où sont formés des nombreux thérapeutes
alternatifs brésiliens. Nous gardons la graphie en portugais pour distinguer les
disciples brésiliens de Rajneesh du sannyasi de l’hindouisme (celui qui a renoncé au
monde pour suivre le chemin de l’ascétisme).
Santo Daime - Pratique rituelle et doctrine religieuse éclectique apparue aux années
30 dans la forêt amazonienne. Ses rituels sont basés sur l’ingestion de l’ayahuasca
(breuvage au principe psycho-actif), utilisé originellement par certains groupes
indigènes de la région. Ce breuvage provoque, avec l’aide de la danse et des hinários
(chants rituels), la transe et des visions (mirações). Santo Daime est le nom donné
aussi à ce breuvage.
Tarot - est composé de 78 cartes - 22 arcanes majeurs, 16 cartes de la cour et 40
arcanes mineurs. Traditionnellement connu et utilisé comme oracle et forme
divinatoire, le Tarot est devenu avant tout, dans le circuit mystique-thérapeutique, un
«instrument de connaissance de soi». Dans ce sens, le travail d’élaboration verbale
598
Les runes, comme les autres oracles cités ici et les dizaines de versions du Tarot, peuvent
être trouvées, dans plusieurs formats, dans toute librairie ou magasin ésotérique des grandes
villes brésiliennes. A Porto Alegre, à la Foire Artisanale et le Marché aux Puces du Bonfim surnommés Brique da Redenção -, certains stands vendent des amulettes, mais aussi des
bijoux - colliers, boucles d’oreille et bagues - portant aussi bien des signes astrologiques et
des idéogrammes du Yi-King, que des symboles runiques.
qui s’établit entre celui qui interprète les cartes et son client constitue un moment
fondamental de la lecture.
En dépit du grand nombre de versions figuratives du Tarot, l’une des plus en
vogue dans le circuit alternatif portoalegrense est celle du tarot d’Aleister Crowley
(1875-1947). D’autres versions circulent également, comme celles du Reader Tarot,
du Tarot Mythologique ou du Tarot du Voyageur. Ce curieux succès du tarot de
Crowley à Porto Alegre est certainement lié aux cours, aux ateliers et aux
consultations que proposent certains membres de la communauté saniase.
Les cartes servent aussi en dehors des consultations formelles. Nombreux sont
ceux qui, n’étant ni tarologue ni consultant, ont acheté un Tarot pour se livrer à des
lectures personnelles ou tirer les cartes pour des amis.
En dehors du Tarot, d’autres genres d’art divinatoire, comme l’Yi-King, sont
répandus dans le réseau, quelques uns utilisées surtout dans la sphère privée et ne
dépendant pas de l’interprétation d’un praticien extérieur, et les Runes.
Théosophie - mouvement occultiste (Société Théosophique) créé en 1875, par
Madame Blavatsky, entre autres, sous l’influence de différentes traditions mystiques.
La Théosophie a eu un rôle central dans la renaissance mystique-ésotérique de la fin
du XIXème siècle.
Thérapies des vies antérieures (Les TVP 599) - sont une forme de thérapie
régressive, dont le but est de revivre des scènes qui se sont déroulées dans d’autres
vies, en particulier les situations traumatiques, dont les conséquences continuent
d’agir. A travers la régression dans leurs vies antérieures, il leur sera possible de
comprendre le pourquoi de certains choix.
La TVP fonctionne à travers une sorte de suggestion. La personne, après une
série d’exercices de relaxation respiratoire, corporelle et mentale, est engagée par le
thérapeute à suivre un chemin imaginaire qui mène à l’une de ses vies passées. La
forme de cette réminiscence est différente d’une personne à l’autre. Pour quelquesuns, elle intervient sous la forme d’images; pour d’autres, c’est la mémoire auditive
599
Les initiales TVP sont la forme courante de référence aux Terapias das Vidas Passadas.
ou tactile qui est mise en oeuvre; pour d’autres encore, ce ne sont que de vagues
impressions. Si ce type de thérapie est moins connu et moins pratiqué que
l’astrologie, la thérapie florale ou le tarot, divers thérapeutes et d’autres personnes
engagées dans les pratiques mystico-thérapeutiques sont passées par cette expérience
durant leur trajectoire thérapeutique. En tout état de cause, cette forme de thérapie est
en ascension dans le circuit alternatif.
Yi-King - Un oracle chinois ancestral. Il est utilisé différemment des autres oracles et
techniques thérapeutiques de divination. L’Yi-King a cours surtout dans la sphère
privée et ne dépend pas de l’interprétation d’un professionnel extérieur. Comme cela
est fréquent pour le Tarot, chaque «adepte» du Yi-King possède son propre livre et le
consulte pour lui-même ou pour des amis. Le fait qu’il se situe un peu en marge du
marché des thérapies alternatives ne fait pas du Yi-King une technique moins
importante que les autres. Conformément à ce qu’a révélé la recherche de terrain, il
est aujourd’hui largement diffusé au Brésil, surtout dans la version de Richard
Wilhelm, préfacée par C. J. Jung.
Yin et Yang - Selon le Taoïsme (courant spirituel chinois, dont le principe central est
la suprématie du néant et du vide et l’obtention de l’immortalité), ce sont les deux
principes fondamentaux de l’univers, source de tous les autres: féminin et masculin,
Terre et Ciel, etc.
Yoga - Ensemble de techniques corporelles cherchant à équilibrer et canaliser
l’énergie à travers les sept chacras. Les effets thérapeutiques du yoga sont liés à une
action bénéfique sur le plan physique et corporel que sur le plan émotionnel et
mental.
Zazen - C’est la pratique du zen. Méditation pratiquée dans la posture assise en
gardant les jambes croisées.
Zen - Mot japonais correspondant au ch’an, chinois. Forme de méditation et
concentration pour aller au-delà de la pensée et pour la prise de la conscience
intuitive de l’instant. Selon le maître japonais Taisen Deshimaru (1978), c’est «le
retour à l’esprit originel et pur de l’être humain» (p.310).
Cet inventaire réduit ne saurait rendre compte de toutes les techniques et les
possibilités thérapeutiques disponibles dans le circuit des thérapies parallèles et néoreligieuses de Porto Alegre. D’autres pratiques comme la bioénergie, la méthode
Gurdjieff, les différents
types
de
massages
(ayurvédique,
shiatsu,
etc.),
la
numérologie, la chromothérapie, la thérapie des cristaux, etc., prennent aussi une part
importante dans ce répertoire. Le but n’est pas d’établir une classification ou une
typologie des thérapies existantes. Il s’agit plutôt d’apporter quelques renseignements
pour aider à comprendre l’extension et la variété du répertoire thérapeutique
disponible.
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