SAINT-ANDRÉ-GOULE-d`OIE

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SAINT-ANDRÉ-GOULE-d`OIE
SAINT-ANDRÉ-GOULE-d'OIE
Il serait bien difficile d'établir l'origine certaine d'un surnom qui a toujours paru exciter le rire et la
plaisanterie, et avec lequel on ne peut se familiariser. Cette paroisse, dès le commencement du XIVe
siècle, est désignée sous le vocable de saint André Sanctus Andreas de Gula Anceris, et quand on
connaît les limites de cette localité, le nom de Goule-d'Oie semble assez naturel: on sait que goule, en
patois vendéen, signifie bouche, gueule; or, cette paroisse, qui présente une longueur peu
proportionnée à sa largeur, s'étend depuis Chavagnes-en-Paillers jusqu'au près du village de l'Oie1, en
se rétrécissant à mesure qu'elle approche de ce dernier endroit, qui semble lui servir d'entrée.
Saint-André était une cure régulière dépendant de l'abbaye de Nieul-sur-l'Autise; l'abbé, chanoine
de l'ordre de Saint-Augustin, devait y nommer un de ses religieux dans les six mois de la vacance. Au
XVIIIe siècle, la nomination à ce bénéfice ecclésiastique était dévolue à l'évêque du diocèse à cause de
l'extinction de l'abbaye de Nieul. On y comptait 1000 communiants.
Dès avant 1317, il existait sur le territoire de cette paroisse une chapelle sous le nom de Fondion et
dédiée à saint Laurent. Mgr de Lescure, évêque de Luçon, ayant nommé à ce bénéfice qui était annexé
à la cure, le sieur Jacques-Philippe Viaud , clerc tonsuré , le curé de Saint-André, alors M. Lemaçon,
intenta procès qui fut jugé à Poitiers — La cure de Saint-André, avec son annexe Saint-Laurent-deFondion, avait un revenu de 8 à 900 livres. Ce dernier bénéfice forme maintenant une métairie qui
porte encore le nom de Fondion, mais la chapelle a disparu.
On trouvait aussi dans la même paroisse la chapelle de Saint-Pierre-de-Lange ou des Moreau, d'un
revenu de 75 livres-avec une messe par semaine.
L'église de Saint-André possède une relique de son patron depuis une quinzaine d'années. Cet
édifice est petit, régulier mais sans bas-côtés et peu en rapport avec la population de la commune. Au
maitre-autel, on voit un tableau représentant l'adoration des Rois mages. Deux petits autels sont
consacrés, l'un à la Sainte-Vierge, et l'autre à saint Pierre. Le presbytère, situé près de l'église, est une
vieille maison bien logeable et fort commode2.
1
Lieu ainsi désigné à cause d'une hôtellerie portant autrefois pour enseigne l'image d'une oie.
Une charmante église ogivale du XIIIe siècle, d'après les plans de M. Clair, a pris la place de l'ancienne devenue en effet
absolument insuffisante. Ce fut une bonne nouvelle pour la paroisse, lorsque M. le Curé annonça du haut de la chaire, le 1er
juin 1873, la prochaine reconstruction de la future église : une première souscription, à laquelle les pauvres eux-mêmes furent
appelés à prendre part, dépassa bientôt le chiffre de 18,000 francs. L'entrepreneur M. Tillaud, de Mortagne, inaugura les
travaux le 1er mars 1875, et le 18 avril suivant, M l'Abbé L. Charpentier, curé-archiprêtre de Luçon, bénissait la Première
pierre, au milieu d'un grand concours de prêtres et de fidèles, après un discours ou devant ses compatriotes et amis, il avait
laissé parler sa piété et son cœur.
L'édifice fut construit en deux campagnes ; le chœur et le transept en 1875, la nef et le clocher, au printemps suivant. Au jour
de Pâques 1876, l'œuvre était achevée et toute la population se pressait dans la blanche nef pour saluer d'un joyeux Alleluia la
résurrection du Sauveur et aussi celle de la vieille église sortie de ses ruines rayonnante de jeunesse et de beauté. Grâce à des
dons multipliés, de superbes autels en pierre de Poitiers, de jolies verrières, une Sainte-Table, des bancs, des stalles, le tout
s'harmonisant dans une parfaite unité de style, venaient tour-à-tour compléter la nouvelle église. Elle était bénite, le 19 Août
1877 par Mgr Le Coq, nommé à l'Évêché de Nantes : c'était pour elle comme la cérémonie de son baptême ou de ses
fiançailles. Le 17 juin 1879, ce fut la grande fête de sa Dédicace : Exquise de grâce et de fraicheur, dans une toilette de reine,
la jeune fiancée contractait avec le Dieu de l'Autel une union indissoluble que Mgr Catteau, accomplissant les rites
symboliques de la liturgie, confirmait par de solennelles consécrations. Les demeurants d'un autre âge souriaient d'aise
d'apercevoir, au milieu d'un nombreux clergé, deux de leurs anciens pasteurs, devenus des dignitaires du diocèse, l'un et
l'autre chanoines honoraires, M. Benjamin Viaud, curé-doyen de Saint-Gilles, que Dieu, depuis, hélas ! a rappelé à lui, et M.
Prosper Guibert, curé-doyen de l'Hermenault ; plusieurs prêtres, enfants de Saint-André, s'étaient fait de même un devoir
d'être là. M. le curé de la cathédrale au premier rang, pour honorer la reine de la fête et prendre part, en fils bien nés, aux joies
de leur aimée paroisse. Dans les rangs des fidèles, on remarquait aussi notre peintre éminent, le regretté M. Amaury Duval,
châtelain de Linière, si bienveillant pour l'église et les prêtres de Saint-André.
En ce jour, assurément ni la fabrique ni la paroisse ne regrettaient leurs immenses sacrifices, la lourde somme dépensée, celle
de cent trente mille francs, dont cinquante mille de souscriptions individuelles ! (Notes de M.. l'Abbé Martin, curé de SaintAndré-Goule-d'Oie. — Lettre du 1er décembre 1820).
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ÉTAT NOMINATIF DES PRIEURS ET VICAIRES
DE SAINT-ANDRÉ-GOULE-D'OIE
1603 — 1638. — BAUDRY, prieur.
1618. — Jalleteau.
1622. — Jehan de l'Astre, vicaire.
1622. — Moreau, vicaire.
1627. — Gilles Ganne, vicaire.
1635. — Joineau, vicaire.
1636.
Charles Boutin, vicaire.
1636.
Libaud, vicaire.
1637.
Pierre Desfontaine, vicaire.
1639. Jadet, vicaire.
1640 1668. — Pierre MOREAU, prieur.
1642.
Babinot, vicaire.
1644.
Louis Raoul, vicaire.
1650. Julien Le Comte, vicaire.
1654. Jean Redouin, vicaire.
1656.
Louis Martin, vicaire.
1660. Dutartre, vicaire.
1662. Jean Diguet, vicaire.
1664.
Artur, vicaire.
1665. J.-B. Madeline, vicaire.
1668 1685. — Gentien GUYMONT, prieur.
1679.
Ringault, vicaire.
1685 1692. — PROULTEAU, prieur.
1692 1699. — DEROTROU, prieur.
Juin 1699
Août 1699. DEMENNES, prieur.
Août 1699 Décembre 1699
Etienne GOISCHON, prieur.
1699-1719.
LEMAÇON, prieur.
1700. Le Chapelier, vicaire.
1719 1733. — Nicolas REAUD, prieur.
1719. Le Febvre, vicaire.
1726.
Etienne Gorget, vicaire.
1733 1742. VITET, prieur.
1742 1760. MUSSET, prieur.
1750. D'Archambal de Selleneuve, vicaire.
1750
Chenays, vicaire.
1751
Bouquié, vicaire.
1752 J.-B. Gouin, vicaire.
1755
Le Borgne, vicaire.
1758
Ryan, vicaire.
1758.
Berthon, vicaire.
1760. 1783.
CHEVREUX, prieur, devient chanoine de la Cathédrale.
1783.
1803.
ALLAIN, prieur, refusa le serment. resté dans le pays, "souffrit tout ce qu'on peut
souffrir, excepté la mort." disent les Mémoires de l'abbé Remaud ; nommé curé-doyen
de Montaigu en 1816.
1803 — AUDEBERT, desservant, ancien prieur de Mallièvre.
1804 — 1816. — ALLAIN, (le même, ne signant plus prieur, mais desservant.)
1817 — D'ORFEUILLE, curé de Saint-Fulgent, dessert la paroisse.
1817 — 1819. TRICHEREAU, curé.
1819 — 1820. — D'ORFEUILLE, de Saint-Fulgent, fait de nouveau l'intérim.
1820 — 1836. — CHALUT, curé.
1836 — 1843. — B. VIAUD, nommé curé-doyen de Saint-Gilles-sur-Vie, où il est mort
démissionnaire, en 1881.
1843 — 1857.
CHAUVIN, curé.
1855. — Rouchy, vicaire.
1857. — Boulanger, vicaire.
1857 — 1861. — Prosper GUIBERT, curé.
1857.
Simonneau, vicaire.
1859. — Sochet, vicaire.
1861 — 1868. — BAUDRY.
1861. — Alexandre Morin, vicaire.
1868 — Isidore MARTIN, curé.
1868. — H. Oliveau, vicaire.
1871. — Anselme Charrier, vicaire.
1881. — Arsêne Laurenceau, vicaire.
1884. — Victor Ferré, vicaire.
1887. — Pierre Chasseriau, vicaire.
(M. l'abbé Chasseriau, vicaire de Saint-André-Goule-d'Oie.)
La levée de 300,000 hommes décrétée par la Convention fut en Vendée l'étincelle qui fit éclater le
baril de poudre, selon un mot célèbre. De nombreux jeunes gens du canton se concertent pour ne pas
tirer leurs numéros et jurent de combattre la République jusqu'à la mort plutôt que de partir.
Malheureusement les jeunes réfractaires, en proie à l'exaltation et à la colère, commencent par se
livrer aux excès les plus répréhensibles:
Le 11 mars 1793, jour de foire de l'Oie, ces conscrits mutinés rencontrent à la planche de la
Mauvionnière le nommé Guesdon, maire de Saint-André-Goule-d'Oie ; ils lui reprochent d'avoir
dressé la liste du tirage, et de s'être rendu, la veille, à Montaigu, pour les livrer à la République. Bien
que Guesdon fut royaliste, une discussion ardente s'élève entre lui et ces hommes exaltés. Des paroles
ils en viennent aux coups, ils finissent par assommer le maire à coups de bâton. Non satisfaits de s'être
vengés par cet acte barbare, ils se rendent au Plessis-le-Thouet, village de Saint-André, où demeure
l'adjoint Marchand royaliste comme Guesdon, mais à leurs yeux aussi coupable que lui pour avoir
approuvé sa conduite. Dans leur fureur, ils l'assomment dans son lit.
"Au premier combat sérieux livré par les Vendéens, le 15 mars 1793, près de Saint-VincentSterlanges, contre une forte colonne de patriotes, la fusillade devient vive et le canon tonne : pareil
bruit qu'ils n'avaient jamais entendu épouvante d'abord les paysans. L'un de leurs chefs, Royrand de la
Brunière, est renversé par un boulet qui le tue ; les paysans déconcertés vont fuir, lorsqu'un autre
boulet couvre de boue les tirailleurs blottis dans un fossé de la route. Darriet, de Saint-André-Gouled'Oie, s'écrie en se précipitant sur la route : En avant les gars, les Bleus n'ont plus d'amounitions, le
tirant avec de la casse. Tous les paysans sautent alors par-dessus les haies, et, tête et pieds nus,
courent à toutes jambes sur l'artillerie ennemie. Au moment où ils voient les artilleurs mettre le feu à
leurs pièces, ils se jettent à terre et laissent passer la mitraille par-dessus leur tête, puis se relevant, ils
tombent comme la foudre sur les canonniers républicains qu'ils tuent à coups de fourche. La terreur est
parmi les patriotes qui reculent en désordre. Darriet, Cougnon, Maindron, Chacun, Girard, Guédon, de
Saint-André-Goule-d'Oie, se distinguent surtout dans ce combat. Dans la poursuite, à travers le bourg
de Saint-Vincent, Darriet découvre un officier caché sous un monceau de paille . Cet officier lui
demande grâce ; pour toute réponse, Darriet lui assène un grand coup de sabre sur la tête, lui fend le
crâne et le fait prisonnier. Mulon (c'était le nom de l'officier) est conduit à Royrand de la Roussière qui
le mit en liberté.
Quelques mois après l'affaire, de Saint-Vincent, François Cougnon, improvisé naguère capitaine,
au premier rassemblement, à cause de sa bravoure, de son intelligence et de son sang-froid , périssait
par accident. Il présidait à un rassemblement, dans la cour du château de Saint-Fulgent, lorsque le vent
lui emporte son chapeau. Il court après, et pour le saisir il prend son fusil par le petit bout. Le
mouvement qu'il lui imprime fait partir le chien, et le coup le frappe en pleine poitrine. Tous ses
camarades le pleurèrent avec désespoir. Son frère cadet le remplaça, dans son commandement, mais il
n'avait ni l'intelligence ni la bravoure de son aîné.
François Girard, de Saint-André-Goule-d'Oie, fut chargé au Mans, par la Rochejaquelein, de
retourner en Vendée pour porter une lettre à Charette. Quinze jeunes gens de ses amis profitèrent de
l'occasion pour revoir leurs foyers, qu'eux, comme tant d'autres, n'avaient quittés qu'à regret. Rendus
sur les bords de la Loire, ils se font passer en barque par un jeune batelier, moyennant six francs par
tête. Ils marchent ensuite toute la nuit et arrivent à Tiffauges, où ils tombent à l'improviste sur un poste
de gardes-nationaux. Après les avoir mis en déroute, ils s'emparent de leur pain qui leur rend un
immense service ; ils n'avaient pas mangé depuis deux jours ; de Tiffauges, Girard se rendit à
Belleville, où il remit à Charette la lettre de la Rochejaquelein."
(Notes manuscrites de M. Alexis des Nouhes)
François Chacun, de Saint-André-Goule-d'Oie, l'un des insurgés du rassemblement de SaintFulgent, assista au combat de la Guériniére, prit part à cinquante-deux batailles, passa la Loire, se
battit sept fois dans une semaine et s'empara d'une pièce de canon à Montaigu.
Mr Alexis des Nouhes a raconté dans les Échos du Bocage Vendéen, au sujet d'un autre brave de
Saint-André-Goule-d'Oie, un épisode qui fait honneur aux deux partis :
"C'était le soir de la défaite des bleus au bourg de Chauché, le 2 février 1794: un officier
républicain cherchant à regagner le camp de Saint-Fulgent, s'était égaré, la nuit, dans les chemins de
traverse. Il arrive au village de la Brejonnière, paroisse de Saint-André-Goule-d'Oie, tombant de
fatigue, de froid et de faim ; il frappe à la porte de la première maison venue, demandant l'hospitalité.
C'était celle d'un sieur Mandin, qui, lui aussi, revenait de la bataille. La famille était à table. A la vue
de l'uniforme bleu, la femme et les enfants jettent un cri d'effroi ; Mandin saute sur son fusil. Mais
l'officier avait l'air exténué : il supplié de si bonne grâce qu'on le reçoive, qu'on le fait entrer, asseoir
même à la table ; puis on sèche au feu ses vêtements enfondus.
Dans la déroute, il avait traversé la petite Maine, grosse à pleins bords. Il passa une bonne nuit chez
le paysan royaliste qui, le lendemain matin, conduisit son singulier hôte jusqu'auprès de Saint-Fulgent.
Les évènements postérieurs fournirent à Mandin la preuve qu'un bienfait reçoit souvent sa récompense
même dès-ce moment.
La Convention nationale venait de voter l'extermination de la Vendée pour la réduire. Dans les
premiers jours de mars 1794, une colonne dite infernale battait le pays de Chantonnay à Montaigu,
détruisant tout sur son passage, par le fer et par le feu. Arrivé à la hauteur de l'Oie, notre officier est
chargé de travailler le côté gauche de la grand'route. Sa compagnie entre au village de la Brejonnière.
Le chef reconnaît la maison hospitalière où il avait été reçu, et place une sentinelle à la porte. Le
village fut entièrement pillé et incendié : seule la maison de Mandin demeura intacte.
Cet épisode consolant prouve que, même au milieu des guerres civiles, il se trouve, de part et
d'autre, de nobles cœurs, chez lesquels les sentiments naturels d'humanité et de reconnaissance
triomphent des odieuses passions de la politique3."
Mandin fit toute la grande guerre ; il échappa au désastre de Savenay et repassa la Loire sous le
feu des chaloupes canonnières.
Le château de Linière près du bourg, mais sur le territoire de Chauché, fût bâti à grands frais, il y a
quelques années, par le comte Marcel de Brayer, maire de Saint-André-Goule-d'Oie, qui le légua à son
grand'oncle, le peintre Amaury Duval. Celui-ci s'est plu à le terminer et à l'embellir de ses mains.
"Cette princière demeure, dont les allures — autant que mes souvenirs sont fidèles — rappellent
l'architecture du XIIIe siècle, s'élève au sommet d'un très pittoresque coteau, coquettement travesti en
jardin anglais. Au fond de la vallée, une pièce d'eau dessinée avec goût est alimentée par un affluent de
la gracieuse Maine, tandis que l'horizon est fermé par un rideau de grands chênes. Le paysage est
parfait.
Le château, que précède une cour d'honneur, a un rez-de-chaussée et deux étages supérieurs ; le
tout est couronné par une toiture à la Mansard. De larges baies, encadrées de sculptures, y laissent
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ECHOS DU BOCAGE VENDÉEN.
pénétrer les rayons du soleil. On y arrive par un superbe escalier en fer à cheval à double volée, fait
d'immenses dalles de Charente.
Le visiteur pénètre alors dans un vestibule à grandioses proportions, dont le plafond, d'une hauteur
de 18 à 20 pieds, s'appuie sur une série de majestueuses colonnes qui alternent avec de monumentales
caisses d'orangers.
Quatre très vastes pièces occupent le rez-de-chaussée. Trois d'entre elles sont couvertes demagnifiques peintures à fresques dues au pinceau de M. Amaury Duval.
Dans le salon d'honneur, ce sont des paysages du lieu :: la petite église paroissiale de Saint-AndréGoule-d'Oie et son modeste clocher, le château de Linière, avec son parterre à la Le Nôtre, ses
corbeilles de fleurs, ses eaux-vives, sa volière et ses groupes de Carpeaux ; ça et là, jetés un peu
partout, en causeurs ou en pêcheurs à la ligne, le peintre s'est plu à reproduire, sous des traits fort
ressemblants, les hôtes habituels de Linière.
Des allégories des quatre saisons couvrent les murs de la salle à manger ; elle, la salle du billard,
sous la forme d'académies, offre aux yeux étonnés du visiteur la collection des jeux romains.
Un escalier, non moins somptueux que celui du dehors, conduit au premier étage. C'est là que se
trouve la maîtresse pièce du logis : la bibliothèque. Figurez-vous une immense salle carrée
complètement tapissée de boiseries massives et admirablement fouillées ; une cheminée de toute
beauté dont le merveilleux mobilier a été apporté de Constantinople ; un plafond richement caissonné,
à pendentifs de chêne ; et sur les rayons des vitrines, d'innombrables volumes magnifiquement reliés,
qui décèlent un amoureux du livre.
Il en est des appartements de Linière comme des jours de la vie : ils se suivent sans se ressembler.
Dans le boudoir on entre en plein Céleste empire : ce ne sont de toutes parts que chinoiseries et
bibelots en laques. Rien également de plus frais que les quatre charmants panneaux qui décorent les
murs de la salle de bain.
A la place de ce charmant castel construit, il y a vingt ans à peine, par le pauvre jeune comte de
Brayer, s'élevait jadis un vieux bâtiment sans architecture couvert en tuiles plates et percé de fenêtres à
meneaux du XVIe siècle — ruines délabrées de l'antique manoir d'un Sicoteau, qui fut conseiller à la
cour de Bretagne.
En creusant la fondation du château moderne, on mit à découvert une espèce de crypte souterraine,
de construction grossière, renfermant une chapelle et un autel. C'étaient, sans doute, les dernières
traces de quelque souterrain refuge, creusé à l'époque des guerres religieuses — alors que Tanneguy
du Bouchet, le fameux seigneur huguenot de Puygreffier, tenait tout ce pays sous sa férule.
Mais le temps a marché et a fait son œuvre. Tanneguy, encore recouvert de son armure, est allé
reposer sous les froides dalles de la vieille église de Saint-Fulgent ; et voilà que le dernier châtelain de
Linière est également rappelé à Dieu.
Depuis tantôt douze ans, Mr Amaury Duval venait régulièrement passer l'été dans ce riant château
de Linière, que le jeune et sympathique comte de Brayer, son petit-neveu, lui avait légué en mourant4.
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"Eugène-Emmanuel-Amaury Duval, né à Montrouge, le 16 avril 1818, était fils d'Amaury Duval, diplomate et archéologue
et neveu du littérateur Alexandre Duval. Il y avait de l'un et de l'autre chez ce grand beau vieillard au port majestueux, à
l'esprit distingué, aux belles manières et à l'urbanité exquise, à la fois décorateur-imagier des édifices religieux de la capitale
et auteur de pages appréciées sur l'Atelier de M. Ingres. C'est à cet atelier du peintre du vœu de Louis XIII qu'il avait, en effet,
puisé les notions premières d'un art qu'il devait pratiquer d'une aussi magistrale façon. Amaury Duval débuta au salon de
1833 par trois toiles qui le classèrent immédiatement parmi les meilleurs pinceaux : son Portrait, celui de Marc Hurt-Binet et
les Enfants de Nourrit. Les salons des années qui suivirent reçurent également de lui divers médaillons, notamment celui
d'Alphonse Karr, de nombreuses études de types et de costumes, une représentation de la Tragédie sous les traits de Mlle
Rachel et une Naissance de Vénus. Enfin, en dehors des salons, il exécuta avec non moins de bonheur la décoration à
fresques de l'église de Saint-Germain-en-Laye, de la chapelle de la Vierge à Saint-Germain-l'Auxerrois et la peinture à l'huile
de la chapelle Sainte-Philomène à Saint-Merry."
Le 28 Décembre 1885, au cimetière de Montmartre, M. Émile Augier prononçait sur la tombe de son ami de chaudes paroles
d'adieux : Ceux qui ont connu M. Amaury Duval nous sauront gré de les reproduire ici parce que l'homme et l'artiste, ses
qualités et ses œuvres, y sont justement appréciés.
"Malgré la modestie de l'artiste éminent qui nous quitte, malgré son goût pour le silence, il m'est impossible de ne pas
prendre la parole pour adresser un suprême adieu à l'ami que nous pleurons.
Amaury Duval fut un des plus brillants élèves de cet atelier d'Ingres dont il a tracé une image si vivante dans un livre
charmant, car la plume lui obéissait aussi bien que le pinceau. Maître lui-même à son tour, il professa toute sa vie pour son
maitre vénéré une admiration sans bornes, qui ne le fit pourtant pas tomber dans l'imitation servile, Il sut acquérir et garder un
accent personnel, témoins trois de ses toiles célèbres, témoins aussi tant de portraits à l'huile ou au fusain, dont beaucoup sont
C'était alors, entre Paris et la Vendée, une procession ininterrompue d'artistes et d'acteurs en
rupture de pinceaux ou de rampes... Tout le grand monde du théâtre et des ateliers défila à la Linière...
Amaury Duval, qui n'avait pas toujours été aussi fortuné, qui longtemps avait vécu de son pinceau,
et partant connu les angoisses de la faim, y tenait généreusement table et bourse ouvertes ! Que de
détresses ainsi conjurées ! que de misères allégées ! Que de talents méconnus relevés !
Si l'artiste se reconnaît au mérite du ciseau ou à la richesse de la palette, il ne se révèle pas moins
par la générosité du cœur. Par ce côté comme par tous autres, Amaury Duval était profondément
artiste... S'il se plaisait à accorder chaque année, à ses amis parisiens des lettres et des arts une
affectueuse hospitalité, les pauvres de sa petite paroisse vendéenne pouvaient avec une égale confiance
soulever le marteau de sa porte.
Un souvenir de sa délicate charité : chaque fois qu'un plat nouveau ou meilleur paraissait sur sa
table, une large part en était réservée pour son fermier Rambaud, vieillard infirme et souffreteux."
(M. René VALLETTE, Les Chroniques du Bas-Poitou, année 1885.)
M. Amaury Duval est mort subitement à Paris, le 26 décembre 1885. Sa splendide maison de
campagne est possédée aujourd'hui par sa parente et héritière, Madame veuve de Marcilly.
de purs chefs-d'œuvre; sans parler de ses peintures religieuses, dont l'incontestable valeur est moins originale, peut-être parce
que l'austérité des sujets a gêné l'expansion de ses facultés natives qui étaient la grâce sans afféterie, la noblesse dans la
familiarité.
Mais il n'a donné la mesure complète de ces qualités que dans la partie la moins connue et pourtant la plus considérable de
son œuvre, je veux dire dans la décoration de son château de Linières. Décoration est bien le mot, car ce sont plutôt des
peintures décoratives que des tableaux; mais quelle maestria dans la composition générale !. Quelle élégance dans les
détails ! quelle vérité et quelle poésie dans ce que j'appellerai "l'action" du tableau ! et quel dommage enfin que l'éloignement
du château dont ces belles pages font partie les condamne à n'être vues que d'un petit nombre de privilégiés !
Amaury avait pressenti leur sort, et, pour les y dérober en partie, il en avait exécuté quelques belles copies avec l'aide de son
fidèle élève, de son compagnon dévoué, Victor Cesson; il en avait fait une courte exposition dans son atelier, et pour ses amis
seulement; puis il les avait confiées à ma garde comme un dépôt de sa mémoire, en quelque sorte, aussi bien que comme un
gage de la vive-amitié dont il m'honorait.
Notre liaison n'était pourtant pas ancienne; elle ne datait que de quinze ans. Mais il y a des hommes avec qui l'amitié vieillit
vite par l'intimité, et Amaury était de ceux-là. Sa nature tendre et fine exerçait une attraction irrésistible sur tous ceux qui
l'approchaient; son caractère avait les qualités de son talent, le naturel et la grâce. L'élégance de sa personne et de ses
manières n'était pour ainsi dire que la clarté de la lampe intérieure. Il possédait ces séductions multiples des hommes pétris
par des fortunes diverses. N'avait-il pas, en effet, commencé par la gêne, sinon par la pauvreté ? Le-travail lui avait procuré
l'aisance dorée du poète ; enfin la grande richesse était entrée chez lui avec et par le malheur. La mort de son neveu bienaimé, de ce Marcel à qui s'applique si bien le vers de Virgile :
Si qua fata aspera rumpas….
Cette mort, dis-je, fut pour lui la ligne de démarcation, la ligne noire entre les heures brillantes de la virilité et les heures
sombres de la vieillesse. Étant donnée la modestie de ses goûts, l'héritage-de ce fils d'adoption ne lui apportait que des
charges et des devoirs, auxquels d'ailleurs il ne faillit pas un instant. Il allégeait le poids de sa fortune par le noble usage qu'il
en faisait, répandant les bienfaits autour de lui sans rien changer pour lui-même à la simplicité de son existence. Un mot de
lui le peint tout entier. Quand il devint, le maître du château qu'il décorait, il voulut garder sa chambre, au second étage,
disant : "Tant que je suis là-haut, je peux encore me croire chez Marcel."
Et aujourd'hui voilà que ce n'est plus une illusion: il est chez Marcel. Heureux qui se sont aimés sur la terre ; ils se retrouvent
ailleurs.
Adieu, cher Amaury, nous nous retrouverons !"