Les atouts du commerce des centres-villes
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Les atouts du commerce des centres-villes
ESPOIRS ET AMERTUMES DU COMMERCE DES CENTRES-VILLES Alain Metton M ontesquieu disait qu’une ville est agréable et charmante lorsqu’elle est commerçante et qu’à l’inverse les villes qui ne sont pas commerçantes n’ont ni charme, ni agrément. De fait, sous toutes les latitudes, existe une relation intime entre le commerce et la ville, et tout particulièrement dans le centre-ville où l’activité commerciale est la plus dense, qui crée un véritable paysage commercial inséparable du paysage urbain et suscite une intense animation de clients ou de chalands, touristes ou promeneurs qui créent un spectacle urbain permanent. Jusqu’aux années 70, ces affirmations pouvaient paraître un peu banales dans le cadre d’une France qui, plus que d’autres pays, connaissait une organisation urbaine quasi parfaitement hiérarchisée. Elle était calquée sur un cadre administratif datant de la Révolution et de l’Empire, qui de la capitale aux plus grandes villes qui allaient devenir métropoles régionales, aux chefs-lieux de départements, d’arrondissement jusqu’aux petites villes chefs-lieux de canton ou bourgs-centres pour les campagnes avoisinantes, présentaient une activité et une animation commerciales qui, en intensité comme en qualité, étaient parfaitement révélatrices de leur place dans le réseau urbain. La carte des grands magasins correspondait approximativement à celle des préfectures, celles des magasins populaires aux sous-préfectures et celle des marchés aux chefs-lieux de canton. Au niveau intraurbain, la même hiérarchisation entre commerces des îlots, commerce des quartiers s’épanouissait dans la magnificence des centres-villes caractérisée par ses magasins de prestige et l’animation unique qui leur était liée. Même, la prodigieuse croissance démographique et spatiale des banlieues n’avait guère retouché le schéma puisque le petit commerce n’avait pas suivi l’expansion des banlieues-dortoirs dont la clientèle venait encore rehausser l’attractivité du centre-ville à défaut d’autres points de ralliement. L’émergence brutale et le développement très rapide du grand commerce périphérique a correspondu, à partir des années 70, à l’avènement d’une autre logique de pure efficacité commerciale fondée sur la concentration de clientèle obtenue par des déplacements motorisés et le groupement des achats. Cette autre logique commerciale, se substituant progressivement à la logique traditionnelle d’organisation commerciale et urbaine hiérarchisée, a dans un premier temps suscité nombre d’études concernant l’impact sur le petit commerce préexistant voisin. Puis, dans la tourmente, le problème du commerce de proximité, comme celui des petites villes et campagnes voisines est dans l’ensemble passé à la trappe, malgré un récent regain de faveur. L’attention s’est concentrée sur l’essentiel : le « combat des chefs » : la dualité commerce de centre-ville – grand commerce périphérique, représentatifs des logiques anciennes et nouvelles d’organisation de l’espace. On a tout de suite pronostiqué, sans doute pour mieux sensibiliser l’opinion et figer les enjeux, un dépérissement de l’activité commerciale centrale avec, en arrière-plan catastrophique, l’atteinte aux capacités attractives du centre urbain millénaire, à son rôle de ferment dans la reproduction des comportements culturels et sociaux. Par analogie avec ce qu’il y a de plus précieux dans l’organisme humain, on s’est naturellement mis à employer des expressions à forte connotation: les centres-villes sont devenus des «cœurs de ville», on dit qu’ils sont «en péril», qu’il est urgent de les «revitaliser». Sans doute, ces termes mettent-ils bien l’accent sur les difficultés que connaît aujourd’hui le commerce de nos centres-villes engagé dans une lutte concurrentielle sans merci; ils tendent par contre à sous-estimer l’énorme capacité de résistance et de réponse de ce commerce central qui a toujours en main l’atout incontournable de sa centralité pour peu qu’elle soit efficacement utilisée. Alors qu’on connaît tout sur l’évolution du commerce périphérique ausculté depuis sa naissance, on ne dispose que de très peu d’éléments sur le commerce central et son évolution. Aussi, le Conseil Économique et Social nous at-il demandé de faire un bilan de l’évolution du commerce des centres-villes français depuis 1975, de déceler les atouts et handicaps de ce commerce de centre-ville afin de dégager des solutions et remèdes pour une revitalisation commerciale des centres-villes. Des centres-villes en souffrance commerciale Depuis 1975, le nombre total des commerces agglomérés dans les 25 centres-villes que nous avons étudiés est à peu près resté stable, avec un très léger solde positif Ci-contre : Lyon, Presqu’île, rue Mercière. Les Annales de La Recherche Urbaine n° 78, 0180-930-III-98/78/47/8 © METL É C H A N G E S / S U R FA C E S 47 Espoirs et amertumes du commerce des centres-villes ou négatif suivant les cas : plutôt positif dans les grandes villes, plutôt négatif dans les villes moyennes, plus favorable dans les villes qui ont connu une politique efficace de soutien au commerce central. Les sources documen- Pâtisseries dominicales. taires actuelles ne permettent pas d’étudier l’évolution des surfaces de vente mais il est vraisemblable que dans l’ensemble, elles se sont plutôt accrues, les commerçants récupérant pour la vente ou le stockage des marchandises les logements qu’ils occupaient jadis au-dessus de leurs magasins. Des centres commerciaux se sont installés au cœur des villes avec des surfaces de vente par magasin généralement supérieures à celles du commerce traditionnel, des quartiers commerciaux nouveaux se sont accolés à l’hypercentre. Globalement, le commerce des centres-villes n’a donc pas connu, sauf cas particuliers, de régression angoissante. Par contre, la même période de vingt années a vu le prodigieux essor des grandes surfaces à la périphérie des villes. Plus de 1000 hypermarchés, près de 8 000 supermarchés se sont ouverts depuis 1975 dans les banlieues ou en lointaine périphérie, totalisant près de 15 millions de mètres carrés de vente supplémentaires auxquels il faudrait en ajouter autant pour rendre compte de l’essor des grandes surfaces spécialisées dans le meuble, l’électroménager, le bricolage, la jardinerie… soit au total près de 30 millions de mètres carrés supplémentaires surgis de terre au cours de la période de référence. Il en résulte que si les centres-villes ont su tant bien que mal maintenir, éventuellement développer, leur potentiel de vente, tout le prodigieux essor de la consommation au cours des vingt dernières années a presque intégralement bénéficié au commerce périphérique qui n’existait pratiquement pas en début de période et dont on peut estimer que la puissance de vente est devenue aujourd’hui supérieure à celle du commerce central. Les statistiques officielles ne précisent pas les chiffres d’affaires par type de localisation mais seulement par 48 LES ANNALES DE LA RECHERCHE URBAINE N° 78 nature de magasin. On peut du moins estimer approcher la réalité par des enquêtes, telles que celle menées, en 199596, sur plusieurs grandes villes de province par le cabinet Management Horizon sur la répartition des dépenses en fonction des localisations d’achats. Apparemment, le constat est celui d’une parfaite complémentarité commerce de centre-ville et commerce de périphérie avec une répartition savante des achats, le centre-ville conservant les achats de luxe et d’équipement de la personne, les périphéries accaparant les achats banaux et de produits volumineux (figure 1). En fait, il est bien évident que cette complémentarité quasi harmonieuse et de bon sens ne reflète qu’un état provisoire de la concurrence. Le graphique permet d’observer que les créneaux actuellement les plus porteurs : ceux de l’habillement pour enfants, des sports, et même de la culture et des loisirs commencent à être partagés alors qu’ils étaient jadis des fleurons reconnus du commerce de centre-ville. La photographie est donc celle d’un moment, sans doute aujourd’hui déjà dépassé, qui montre en fait le transfert progressif du commerce de centre-ville au commerce de périphérie de toute une série de créneaux les plus révélateurs des nouveaux postes de consommation. L’hésitation entre spécialisation traditionnelle et banalisation En fait, cette stagnation globale du commerce des centres-villes au cours des vingt dernières années cache des mutations profondes de la nature de l’activité commerciale centrale. Dans l’ensemble, on a assisté à un déclin massif du commerce courant et en premier lieu du commerce alimentaire à l’exception de celui des spécialités ou du commerce ethnique. Les commerces d’équipement de la maison, ceux des combustibles et du transport ont également fortement régressé en dehors de quelques activités très spécialisées. Au contraire, les magasins d’habillement ont vu leur nombre progresser, ceux des loisirs-culture et de la santé se sont assez vigoureusement développés en accord avec la modification de la consommation. Avant tout, les grands gagnants de l’évolution commerciale sont les commerces de service, qu’il s’agisse des services à la personne (coiffure, esthétique, teintureries…), plus encore les cafés et cafés-restaurants et tous les services d’agences immobilières, bancaires… qui tendent à occuper aujourd’hui les meilleures sites : place centrale ou angles de rues passantes. A titre symbolique, on évoquera la fermeture des grands magasins et magasins populaires ou leur transformation en supermarchés qui se poursuivent inéluctablement, à raison d’une quinzaine par an sur l’ensemble de la France alors que l’ou- verture de nouvelles FNAC, la nouvelle enseigne désormais symbolique des centres-villes, continue à un rythme accéléré. Au total, le commerce de centre-ville paraît suivre deux évolutions un peu contradictoires : – d’une part une hyperspécialisation vers un commerce de luxe, de loisirs et de culture au profit d’une clientèle qui est celle de la fraction la plus aisée de la population de l’ensemble de l’agglomération. Cette tendance n’est que le prolongement de la tendance ancestrale du commerce des centres-villes vers « l’affinage » de son éventail commercial au profit des produits qui furent, à chaque époque, les plus adaptés au coût et au prestige du commerce central. – d’autre part une banalisation de l’éventail commercial vers la fourniture de produits (gadgets, fringues…) et de services courants (services rapides à la personne, restaurants libre-service, agences de tous genres…) pour la clientèle qui travaille dans les bureaux du centre-ville ou qui vient se promener sans réelle intention d’acheter. Il en résulte une certaine fragilité de ce commerce central tourné vers les secteurs les plus pointus, les plus changeants, les plus sélectifs de la consommation qui sont d’ailleurs ceux que lui laisse provisoirement le grand commerce, notamment les services très peu présents dans les centres commerciaux. Il en résulte une image de plus en plus difficile à gérer entre commerce de prestige et de rareté et commerce populaire et ludique pour les jeunes, commerce pour la clientèle de bureau, les touristes et promeneurs, tandis que l’offre de biens courants pour la clientèle résidant encore en centre-ville ne cesse de s’amenuiser. La menace de fragmentation de l’activité commerciale centrale ancien et crée ainsi, un peu à l’écart de l’axe commercial principal, un nouveau pôle attractif pour une clientèle différente, surtout composée de jeunes. En 1985, la FNAC, à son tour, s’installe plus au nord et détermine une nouveau point d’attraction plus culturel. En 1988 enfin, un très grand centre commercial avec un hypermarché est inauguré à l’extrémité nord de l’axe commerçant, près de la gare ; il confisque aujourd’hui à son profit une grande partie de l’animation du centre-ville. A ces innovations successives, se sont ajoutées de fréquentes modifications du plan de circulation pour accompagner les nouveaux pôles commerciaux sans compter des déviations en raison de tous les chantiers successifs. Récemment, il était encore question de nouveaux projets pour rééquilibrer le centre-ville. Il en résulte que, certes fortifiée par toutes ces créations successives qui ont été chacune couronnée de succès et ont sans doute permis globalement au centre-ville de mieux résister à la concurrence périphérique, l’image du centreville n’est plus homogène et tend à se fragmenter en une série de centres plus ou moins rivaux, ayant chacun leur clientèle particulière. Dans d’autres cas, comme à Clermont-Ferrand, le dynamisme d’un nouveau centre commercial, implanté aux marges du centre-ville, a entraîné un glissement de l’animation du centre historique, administratif et commercial ancien vers le centre commercial moderne au travers d’une zone piétonnière qui a fonctionné comme chemin de transfert. Sans multiplier les exemples, nos centres-villes évoluent vers une fragmentation de l’activité commerciale en sous-centres spécialisés qui ont sans doute l’avantage de ratisser plus largement la clientèle mais en la ségrégeant spatialement dans des espaces aux qualités et aux caractéristiques commerciales plus conformes à chacun de ses besoins et de ses aspirations. L’hypercentre, conçu comme lieu d’animation commerciale principale, creuset pour Au sein du commerce central, les risques d’éclatement sont manifestes. Ils résultent de cette réorientation de l’activité commerciale des centres-villes, des Part du centre-ville sur les dépenses effectuées pour différents types de produits initiatives parfois contradictoires qui se sont succédé en peu de temps. L’exemple d’Orléans est à cet égard typique d’une Alimentation TLJ 9,7 évolution qui concerne, à des degrés Alimentation gourmet 19,7 divers, toutes les grandes villes françaises. Restaurant 24 Il y a vingt ans, une grande rue commerHabillement femmes 58,8 çante étalait sur plus d’un kilomètre, depuis le fleuve Loire jusqu’à la gare, ses Habillement hommes 53,6 commerces de qualité et son grand maga44 Habillement enfants sin caractéristiques du commerce central 52,7 Livre, disque, photo d’une petite capitale régionale. Pour 26,4 Sport répondre à la terrible concurrence créée 46,4 Beauté, hygiène par l’ouverture simultanée en 1971 de trois grandes surfaces périphériques, la 15,2 Électroménager Chambre de Commerce inaugure en 1975 8,7 Ameublement un centre commercial près de la Loire ren0,8 Brico-jardin forçant l’attractivité du secteur sud du centre-ville. A partir de 1979, la Municipa0 10 20 30 40 50 60 lité décide de piétonniser le quartier le plus % des dépenses É C H A N G E S / S U R FA C E S 70 49 Espoirs et amertumes du commerce des centres-villes toutes les formes de rencontre sociale et d’identification à un lieu et à une culture, n’est plus qu’un souvenir face à une centralité maintenant parcellisée et d’autant plus fragile vis-à-vis des concurrences spécialisées. Les atouts du commerce des centres-villes Sur le plan de la stricte efficacité commerciale, le commerce des centres-villes a fait des progrès considérables mais il lui reste encore à trouver quelques formules pour coaliser les énergies. celui des commerces qui restent en place et que la permanence de certaines enseignes nous cache les drames commerciaux qui se jouent en permanence dans leur voisinage immédiat : insuffisance de rentabilité, insuffisance de capital pour se remodeler, mise en porte-à-faux par un concurrent, essayistes de toute nature, ne retiennent guère notre attention sauf lorsqu’à la fin du circuit apparaît une grande enseigne bancaire ou internationale, un fast food… qui nous choque et va transformer le paysage et le fonctionnement alentour. La transformation du commerce central réside aussi dans cette irrésistible ascension du commerce de franchise où des grandes enseignes soutenues par une publicité nationale, et le plus souvent internationale, modèlent nos comportements de consommateurs mais aussi le visage du centre-ville qui se met à ressembler à celui des villes voisines autant que lointaines dans un contexte de mondialisation qui chagrine parfois notre attachement au lieu. La « professionnalisation », suivant un terme à la mode, est une réalité aujourd’hui pour le commerce de centre-ville qui est progressivement entré dans des réseaux de distribution qui fonctionnent aussi bien sur les centres-villes que sur les périphéries dans une optique d’efficacité dont nous ne sommes pas encore pleinement conscients. A la recherche d’un mode d’emploi Franchises au centre, banalité autour. Au sein du commerce central, la vigoureuse concurrence a fait le ménage et bien des situations établies de « canards boiteux » tout autant que de monopoles abusifs se sont évanouies pour le bien des consommateurs. Il faut aussi mettre en évidence la prodigieuse capacité d’adaptation du commerce central qui a su remanier ses activités et ses assortiments pour s’adapter aux changements de la consommation et à la concurrence périphérique. Une mutation permanente trie sans merci les commerçants. Il faut savoir qu’en l’espace de cinq années, le nombre de commerçants nouveaux et disparus équivaut à peu près à 50 LES ANNALES DE LA RECHERCHE URBAINE N° 78 Toutefois, le commerce des centres-villes manque encore souvent de « locomotives » analogues à ce que sont les grandes surfaces pour les centres commerciaux. périphériques. Sauf cas particuliers, l’hypermarché est mal venu en centre-ville où il coalise contre lui tous les ressentiments. Les grands magasins et magasins populaires, malgré leur opiniâtreté et leur concentration financière, ne cessent de fermer ou de se reconvertir en supermarchés utiles pour le centre-ville mais incapables de jouer leur rôle ancestral de locomotives de prestige. Certes, les FNAC et autres temples des consommations nouvelles se multiplient tous azimuts et deviennent les nouveaux symboles d’une urbanité commerciale avancée. Néanmoins, sauf en cas de centres commerciaux centraux, rassemblant plusieurs moyennes surfaces de renom, le commerce de centre-ville manque d’entreprises marquantes et la stratégie des principaux groupes commerciaux non alimentaires, misant à la fois sur la périphérie et sur le centre-ville, n’est pas de nature à clarifier la situation. Il reste aujourd’hui à trouver qu’est-ce qui peut créer la centralité commerciale de centre-ville au même titre que l’hypermarché fait la centralité commerciale périphérique. Sans repères, le commerce central est aussi bien mal géré. L’attention est attirée aujourd’hui par l’espoir d’une gestion des centres-villes à la manière des centres commerciaux périphériques rivaux ou des centres de villes anglo-saxonnes : ici, un directeur de centre commercial, là un régent de centre-ville coalisent les dynamismes des différents commerçants. Sauf dans les villes moyennes, le centre commerçant de centre-ville est bien plus fort que chacun des centres commerciaux périphériques rivaux mais il lui manque une animation commune pour coordonner les efforts de tous ses commerçants. La conception d’un commerce de centreville, agissant de façon concertée, au-delà des rivalités personnelles, et sachant consentir de réels efforts financiers pour assurer sa promotion, paraît encore un rêve pour la majorité des centres-villes. Au-delà de son rôle strictement commercial, on comprend aussi toute la force de persuasion que pourraient avoir ces représentants du commerce de centre-ville sur la politique des pouvoirs publics locaux tant en matière d’urbanisme commercial que d’aménagement urbain. Sans doute trop tardivement, les pouvoirs publics nationaux, las d’arbitrer, d’en haut, les éternels recours des Commissions départementales d’urbanisme commercial mises en place par la loi Royer pour les autorisations d’ouverture locales, ont-ils mis en place de nouvelles dispositions. Les Observatoires d’Équipement Commercial (ODEC) ont permis à partir de 1994, au moins, un accord sur les statistiques commerciales. La réforme des Commissions d’Équipement Commercial (CDEC), surtout l’incitation actuelle à mettre en place, au niveau local, avant toute demande d’ouverture pré- Les choix d’un urbanisme commercial concerté Depuis l’émergence du grand commerce périphérique, la loi Royer de décembre 1973 a régi les rapports du petit et du grand commerce. Fondée sur le souhait d’un développement commercial harmonieux entre petit et grand commerce sur la base d’ouvertures soumises à autorisation, la loi a été finalement, par la force des choses, une loi régissant en fait l’organisation spatiale du commerce entre centres-villes majoritairement composés Vue aérienne de grande surface et de parking associé, Orléans. de petits commerces et centres commerciaux périphériques composés et menés cise, un Schéma de développement commercial, va dans par des grandes surfaces. Sans doute, est-ce ce transfert de le sens d’une prise de conscience par la communauté signification d’une loi sur la structure du commerce en locale concernée de ses choix de développement comune loi sur l’organisation de l’espace commercial et mercial à l’échelle de l’ensemble d’une agglomération urbain qui fut à la base de toutes les ambiguïtés de son ou d’un bassin de chalandise. Toutefois, ces projets de application et qui le sera encore tant que les Schémas de Schéma d’équipement impliquent une certaine forme développement spatial du commerce, issus d’une large d’intercommunalité où les responsables des communes concertation au niveau des responsables de l’ensemble de de banlieues ne se livrent plus à la chasse aux taxes et l’agglomération, ne seront pas devenus une réalité. différents avantages locaux obtenus par l’installation du Depuis plus de vingt années, l’initiative des transforcommerce périphérique, et que naisse une certaine mations commerciales et, en contrecoup urbaines, relève conscience d’un intérêt commercial et urbain d’agglonon pas du consensus général mais de l’initiative des mération et somme toute, que soit reconnu le droit au commerçants. Or, il est bien évident qu’il est dérisoire de développement du commerce d’une ville-centre protégée mettre en balance les aspirations d’un petit commerçant de la prédation commerciale périphérique. Cette œuvre de centre-ville et la prodigieuse force d’intervention nécessite ainsi un large consensus, non seulement des d’une grande société de promotion ou de distribution responsables politiques et administratifs communaux nationale. Il existe ainsi une inégalité d’aptitude au comsouvent encore rivaux mais aussi une concertation avec bat entre le grand commerce périphérique et les comles intérêts professionnels en jeu. merces de centres-villes, même coalisés et médiatisés par les organismes consulaires représentatifs que sont les Chambres de Commerce et les Chambres de Métiers. Le mariage entre aménagement urbain Depuis longtemps déjà, les espoirs du commerce central et commerce ne se trouvent pas seulement en lui-même mais tout autant, dans un meilleur équilibre, encore à trouver, pour Dès l’origine, l’implantation du grand commerce en une légitime et franche concurrence centre-périphérie périphérie avait pour but d’éviter les contraintes pesant dans le cadre d’un aménagement urbain consensuel. sur l’exercice commercial en centre-ville, en particulier É C H A N G E S / S U R FA C E S 51 Espoirs et amertumes du commerce des centres-villes le manque de place limitant les possibilités d’extension des magasins, la préservation des sites historiques et, plus que tout, le prix élevé du terrain et les difficultés d’accès en voiture… Toutes ces conditions vitales pour l’exercice commercial correspondent en fait à des problèmes d’aménagement urbain qui sont le plus souvent réalisés sans véritable participation des commerçants concernés et modifient cependant considérablement leurs conditions d’exercice. Sans négliger les autres problèmes, en particulier ceux inhérents au coût du foncier, nous prendrons pour exemple celui de l’aménagement des accès et du stationnement en centre-ville, cheval de bataille du commerce central face aux larges facilités dont jouit le commerce périphérique. D’une part, en dépit des efforts consentis par les pouvoirs publics, l’établissement de plans de circulation n’a que partiellement résolu l’engorgement du centre-ville mais a souvent déstabilisé l’exercice commercial antérieur accroissant les mutations d’activités. Le développement des politiques de transport en commun a amené une nouvelle clientèle en centre-ville mais elle n’était pas celle du commerce antérieur et a précipité l’évolution vers la banalisation du commerce central. L’aménagement d’aires de stationnement souterrain ne s’est pas accompagné de leur gratuité et on est toujours à la recherche de la solution qui pourrait discriminer le client du commerce central du simple usager du centre-ville. Dans l’ensemble, la puissance publique n’a jamais pris vraiment conscience de la nécessité de préserver l’égalité des chances d’accès au commerce central autant qu’au commerce périphérique qui a pu bénéficier sans contrainte de tous les améliorations de la circulation. D’autre part, en dépit de ces handicaps liés à l’interférence des préoccupations de développement commercial et d’aménagement urbain en zone centrale, le centre-ville apparaît un lieu propice à toutes les innovations car il leur fournit l’immense privilège de cette situation centrale qu’il est possible de valoriser de façon infinie. En témoignent deux expériences, parfaitement réussies, apportant pourtant des solutions contraires aux problèmes d’accessibilité aux commerces. D’une part, le développement généralisé des zones ou secteurs piétons dans les centres-villes français s’est le plus souvent réalisé dans une perspective d’aménagement urbain plus que commercial et avec l’hostilité déclarée des commerçants inquiets de se voir priver de leur clientèle motorisée. Or, les zones piétonnes constituent sans doute aujourd’hui une des grandes réussites urbanistiques de notre époque ramenant en centre-ville une population jeune qui l’avait abandonnée et devenant souvent emblématiques d’un centre-ville rendu à l’usage du citadin. Or, sur le plan commercial, ce type d’aménagement s’est traduit par une mutation rapide de l’activité commerciale au profit d’un nouveau commerce adapté aux nouvelles clientèles amenées en centre-ville, le développement à la place du commerce ancien d’un nouveau commerce davantage orienté vers 52 LES ANNALES DE LA RECHERCHE URBAINE N° 78 les services, les loisirs et tous les achats d’impulsion. Ce qui a été pour une fraction du monde commerçant préexistant une entrave apportée à son exercice commercial traditionnel, reposant sur une clientèle motorisée, a été pour une autre partie du monde commerçant l’occasion de profiter pleinement d’une centralité dotée d’un nouveau type d’accessibilité, aménagée et vécue autrement. Dans une optique inverse, la multiplication des opérations de rénovation urbaine centrale ou péricentrale, couplée avec des centres commerciaux (exemples : La Part-Dieu à Lyon, Mériadeck à Bordeaux…) illustre un autre type d’interrelations complexes entre aménagement urbain et développement commercial reposant sur l’amélioration de l’accessibilité motorisée grâce à des parcs de stationnement souterrains. Ces « centres bis », aujourd’hui répandus dans toutes les villes françaises apportent en centre-ville nombre d’avantages du commerce périphérique (y compris les facilités d’accès et de stationnement) en y ajoutant l’attrait des grandes enseignes culturelles et sportives. Ces centres commerciaux « centraux » connaissent un grand succès et jouent de plus en plus le rôle de locomotives des centres-villes, les musclant vis-à-vis de la concurrence périphérique. Cependant là encore, ils ont bouleversé le paysage commercial traditionnel central, accéléré la mobilité commerciale et accru parfois l’isolement du centre historique voisin piétonnisé et confiné à des fonctions touristiques ou ludiques. Là encore, une fraction du monde commerçant a pu largement bénéficier de ce regain de vitalité du centre-ville en s’installant dans le nouveau centre commercial ou à proximité tandis qu’une autre partie du monde commerçant central s’est trouvé marginalisée par cette redistribution des cartes réservant l’accès motorisé à certains sites plutôt qu’à d’autres. En tout état de cause, devant une certaine saturation actuelle du développement commercial périphérique, la centralité bénéficie d’un regain de faveur qui se mesure à l’ampleur et à la diversité des projets d’aménagement urbain couplés à des opérations commerciales : rénovation des quartiers de gares et développement de leur potentiel commercial avec des problèmes d’accessibilité déclinés encore d’une autre manière comme à Lille (Euralille), à Paris et bientôt dans nombre de villes de province, reconquête de sites industriels déchus ou de centres-villes dégradés avec de nouvelles solutions comme à Roubaix (magasins d’usines) ou à Dunkerque (multiplexe). Dans l’ensemble, quelles que soient finalement les solutions apportées aux problèmes d’accessibilité, la centralité, malgré ses contraintes, se révèle redevenir un atout commercial dans le cadre de grandes opérations d’aménagement urbain, à condition pour le commerce de savoir s’adapter à la mutation des centresvilles, à la conception d’une clientèle centrale qui n’est plus immuable mais évolue au gré des transformations de la ville. La complexité des interrelations entre développement commercial et aménagement urbain central nécessiterait sans doute une concertation plus poussée, et souvent une meilleure compréhension, entre aménageurs et commerçants comprenant souvent trop tard le bénéfice qu’ils peuvent retirer des transformations du centreville qui leur sont imposées. Une certaine façon de penser et de vivre la ville L’évolution commerciale des centres-villes ne peut pas non plus être dissociée de celle du fonctionnement et de la pratique urbaine. Dans un certain sens, la stagnation commerciale des centres-villes est à rapprocher de leur déclin démographique et de leur évolution vers un déséquilibre au profit de couches démographiques ou sociales contrastées ne représentant pas la population moyenne. Le commerce de centre-ville devrait ainsi s’adapter à des clientèles résidentielles aux profils de consommateurs contraires : jeunes célibataires et personnes âgées, revenus très modestes ou classes aisées avec le retour des cadres en centre-ville. Il va de soi que le commerce tend naturellement, à l’exception de certaines spécialités : services de luxe, commerce ethnique… à abandonner ces créneaux de clientèle inconciliables au profit des clientèles extérieures. Le centre-ville préfère capter la clientèle plus homogène et numériquement plus importante des employés travaillant dans les bureaux, fréquentant les magasins et cafés-restaurants à l’heure de la pause ou de la sortie du travail. Le centreville profite également de la clientèle provenant de toute l’agglomération en fin de semaine à la recherche du produit rare qu’on ne trouve pas dans les grandes surfaces ou du promeneur en visite au centre-ville et séduit par l’achat d’impulsion. Il est donc bien évident que pour donner une assise plus solide au commerce central, il faudrait retrouver une clientèle résidente plus nombreuse et surtout plus équilibrée qui permettrait de compenser les coûts de fonctionnement élevé des commerces quotidiens en zone centrale. En tout état de cause, une politique pour le commerce central passe par une ambition plus large de revitalisation démographique et de diversification sociale des centres-villes. Face au fréquent échec social constaté dans les banlieues, cette préoccupation prend aujourd’hui de plus en plus corps auprès des responsables urbains désireux, parfois non sans nostalgie, de préserver en leur centreville la paix qu’il leur a toujours réservé tandis que d’autres cultivent l’espoir de faire du centre-ville une vitrine du creuset social où les magasins tout autant que les équipements culturels et administratifs ont leur partition à jouer. Or, n’est-il point étonnant de constater aujourd’hui qu’une animation commerciale lorsqu’elle a lieu dans les centres-villes n’a que très rarement le soutien effectif des pouvoirs locaux et qu’à l’inverse presque jamais les commerçants ne s’associent à une opération culturelle municipale. Sans aucun doute, un Paris, rue Montorgueil. partenariat bien compris entre tous ceux qui souhaitent la promotion du centre-ville serait de nature à améliorer la situation. Édiles et commerçants ne sont pas seuls en cause; les clients sont rois, suivant l’expression consacrée, et nombre d’entre eux votent avec leurs caddies au profit d’un commerce qui n’est pas central. Le problème du comportement du client est complexe : il agit évidemment en fonction de ses intérêts économiques privilégiant le rapport à peu près rationnel (quoique souvent mal compris) qualité-prix et en fonction d’une foule d’impulsions subjectives tenant à ses choix profonds, souvent à demi- conscients, renvoyant à sa personnalité et à ses projets. Par là même, il n’est plus seulement client mais aussi citadin : agent comme un autre de l’harmonie du fonctionnement urbain et aussi citoyen caractérisé par ses choix de culture et de société. Sans doute est-ce de ce côté que se focalisent les plus grands enjeux pour le commerce de centre-ville et le fonctionnement urbain. Il faut que le citadin ait le goût de la ville et pour cela qu’on le lui donne. Il faut faire aimer la ville et les discours sont insuffisants : c’est toute une gamme d’actions concrètes qui doivent être mises en place pour que le citoyen, non plus seulement l’adulte déjà modelé, mais les jeunes trouvent de l’attrait au centre-ville. C’est un nouveau défi qui ne se posait pas encore il y a quelque temps lorsque É C H A N G E S / S U R FA C E S 53 Espoirs et amertumes du commerce des centres-villes la périphérie n’avait à proposer que des centres d’achats, dénués de tout autre intérêt que celui de faire de bonnes affaires. La question se pose aujourd’hui : les centres d’achat périphériques sont devenus, parfois à leur insu, de véritables centres de vie et de rencontre pour des jeunes qui n’ont pas d’autres points de ralliement et ne fréquentent quasi plus les centres-villes, parfois pour de simples questions de prix du transport mais le plus souvent parce qu’ils n’y trouvent plus un cadre qui leur ressemble et répond à leurs aspirations. N’est-il point étonnant que dans la plupart des enquêtes que nous menons auprès des jeunes de banlieues populaires, les réponses à nos questions sur la fréquentation du centre-ville concernent spontanément les centres commerciaux voisins ? Le centre-ville n’est plus seulement à revitaliser, il est à faire connaître pour une large fraction de la population en devenir. Une centralité à vivre de concert L’avenir commercial des centres-villes, malgré des difficultés actuelles certaines, reste relativement et provisoirement serein. D’une part, parce que le centre- ville a toujours su au long des siècles répondre à l’innovation et aux turbulences venues de l’extérieur. Il fait preuve aujourd’hui, face à la concurrence du grand commerce, de ses vertus séculaires d’adaptation et même d’un certain regain de vitalité devant la saturation périphérique. D’autre part, parce que la centralité, malgré ses handicaps et ses contraintes, reste un prodigieux atout qui peut être valorisé de multiples façons et paraît tout autant susciter l’innovation que les périphéries urbaines. Enfin parce qu’on observe, de façon de plus en plus manifeste, une prise de conscience, à la fois des responsables locaux et des citadins, de toute l’importance culturelle que revêt la bonne santé commerciale du centre-ville pour la qualité de la vie urbaine en général. Le tableau ne serait cependant rassurant que si un effort important de concertation s’attachait à la préservation et à la mise en valeur de ce patrimoine face à la montée de nouvelles sensibilités pour lesquelles centre de vie ne rime plus avec centralité urbaine et commerciale. Alain Metton > Alain Metton est professeur de géographie à l’Université de Paris XII-Val de Marne, membre de l’Institut Universitaire de France. Il dirige le Groupe de Recherche sur le Commerce du CNRS et préside la Commission Internationale sur la mondialisation du commerce de l’Union Géographique Internationale. Il dirige la collection Commerce et Société, UGI-CNRS dont les derniers ouvrages parus en 1997 et 1998 sont Commerce et lien social, et Les acteurs du commerce et leurs stratégies spatiales. 54 LES ANNALES DE LA RECHERCHE URBAINE N° 78