Fiche de lecture Le choc des générations – Dettes

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Fiche de lecture Le choc des générations – Dettes
Fiche de lecture
Le choc des générations – Dettes, retraites, dépendances
Regards croisés sur l'économie n°7, La Découverte, 248 pages
L’Etat providence né dans l’après guerre reposait sur le postulat d’un enrichissement continu des
générations, qui a, depuis, été soumis à rude épreuve, au point qu’on s’inquiète aujourd’hui de
l’émergence une « génération sacrifiée ».
• Partie 1 : Peut-on éclaircir de façon objective, statistique et précise, cette inquiétude ? En quoi
la crise accroît-elle cette tendance ? Faut-il avoir peur du déclassement ?
• Partie 2 : en quoi les politiques de transferts traditionnelles sont-elle remises en cause par
l’augmentation des inégalités entre les générations ? Comment ces politiques peuvent-elles
mieux assurer l’équité entre celles-ci ?
Partie 3 : Qu’entend on par « Justice intergénérationnelle » ? Dans quelle mesure peut-elle constituer
un objectif des politiques publiques ?
Introduction : Trois paradigmes pour penser les rapports entre générations, par André
Masson
Trois paradigmes structurent aujourd'hui le discours sur le social et orientent les voies de réforme
possibles des politiques publiques.
Pour répartir le bien être entre âges et générations, satisfaire les besoins spécifiques et couvrir les
risques des deux périodes de dépendance, l'enfance et la vieillesse, la société peut :
-
faire appel à la responsabilité individuelle des personnes : paradigme du libre agent de Locke
se reposer sur la famille et les solidarités : paradigme multi-solidaire de Hobbes
faire confiance aux politiques publiques : paradigme de l'égalité citoyenne de Rousseau
Cette typologie présente des affinités avec la typologie idéale du sociologue Danois Esping-Andersen
qui distingue 3 modèles d'Etat-Providence dans les PID : le régime "libéral" privilégiant le marché, le
régime "conservateur" s'appuyant sur la famille et le régime "social-démocrate" qui s'en remet l'Etat.
1- Un état des lieux du cas français
Trois constats :
- Instabilité et fragilité croissante des familles
- Dégradation relative du sort des jeunes adultes en phase d'insertion, qui a alimenté le
débat sur la fin de l'équité intergénérationnelle
- L'Etat consacre ses dépenses les plus importantes pour les plus âgés
2- La question clivante de l'opportunité des retours familiaux
Au lieu que l'Etat redistribue directement aux jeunes, pourquoi ne verserait-il pas davantage aux
générations âgées, en leur laissant le soin de recycler le trop perçu vers les générations suivantes ?
-
Les tenants de la pensée multi-solidaire privilégient ces retours familiaux.
Les tenants de l'égalité citoyenne souhaitent supprimer ces retours, qu'ils considèrent comme
inégalitaires.
Pour les partisans du libre agent, le droit de propriété est intangible et les ainés sont libres de
disposer comme ils l'entendent de leurs biens. L'argent devrait donc retourner à la société
sous forme de dons à des fondations.
3- Trois pensées antagonistes du social
-
-
Pour la pensée multi-solidaire, la famille fonctionne comme métaphore des solidarités.
Cette pensée prône une division des rôles entre l'Etat qui s'occupe d'abord des plus âgés
et la famille qui se consacre d'abord aux plus jeunes.
La pensée de l'égalité citoyenne veut instaurer une dépendance mutuelle directe entre la
société nationale et chaque individu : une "citoyenneté sociale universelle". C'est le
modèle de l'Etat Providence qui est privilégié. Les transferts monétaires doivent être
limités au profit de services collectifs à la personne.
La pensée du libre agent fait confiance au marché et prône la liberté. Elle fait appel à la
responsabilité de chacun. L'action publique doit être minimale et orientée vers les plus
jeunes.
4- Politiques générales à mettre en œuvre : des oppositions irréconciliables
• Comment augmenter les transferts entre vieux riches et jeunes pauvres ?
- La pensée du libre agent promeut l'initiative privée et le mécénat
- La pensée de l'égalité citoyenne préfère une augmentation des prélèvements qui
touchent mes plus âgés.
- La pensée multi-solidaire souhaite intéresser les plus vieux par des mécanismes
incitatifs, en indexant par exemple les retraites élevées sur l'évolution du taux de
salaire à l'embauche des jeunes ou du taux de chômage.
• Quel avenir pour la retraite par répartition (à la française ?)
La retraite française fonctionne comme un système neo-Bismarckien à prestations définies,
mêlant assurance pure et redistribution. Son fonctionnement relève de la solidarité entre
générations.
-
La pensée du libre agent ne prise guère un tel mécanisme. Cette pensée préfère
promouvoir l'épargne retraire au sein des fonds de pension.
La pensée de l'égalité citoyenne est en faveur d'un filet de sécurité d'une taille plus
importante et prône le développement d'équipements collectifs.
La pensée multi-solidaire entend conserver un système néo-Bismarckien fondée sur
le taux de remplacement en écartant toute forme d'épargne; elle pourrait même
proposer un renforcement des solidarités entre générations.
I) Première partie : un accroissement des inégalités entre générations ?
A la fin des années 1990 le thème des inégalités intergénérationnelles a fait irruption dans le débat
public français.
Dans le Destin des générations (1998), Louis Chauvel revient, 12 ans après la parution de son
ouvrage, sur les méthodes qui permettent de formuler le constat qu’il existe des « générations
sacrifiées ». Que ce soit l’évolution du revenu disponible médian par classe d’âge, le taux de chômage
après la sortie des études, ou encore l’évolution de la courbe des taux de suicide, tous les indicateurs
montrent qu’une véritable « fracture intergénérationnelle » s’est creusée. Elle sépare les générations
pour lesquelles l’entrée dans la vie adulte s’est faite dans des conditions favorables voire
exceptionnelles (les baby-boomers) de celles pour qui la première recherche d’emploi a eu lieu dans
un contexte de crise économique.
Dans le second article, Carole Bonnet prolonge les séries construites à la fin des années 1990 afin
d’étudier si la tendance à la dégradation relative du niveau de vie des jeunes générations s’est
poursuivie au cours des dernières années. Si le constat général apparaît globalement similaire, il
semble néanmoins que les générations récentes aient légèrement plus profité que les autres de la
reprise de la croissance à la fin des années 1990. La dégradation de leur niveau de vie relatif aurait
cessé… Du moins jusqu’à 2007.3 La crise économique et financière, en effet, pourrait bien avoir mis
fin à cette embellie.
Patrick Artus montre que la crise frappe plus durement les jeunes générations que leurs aînées.
L’explosion de la dette publique, la dégradation sévère de l’emploi des jeunes salariés, le
ralentissement du crédit et les politiques monétaires de relance ultra-expansionnistes – qui
commencent déjà à faire repartir certains prix d’actifs à la hausse – constituent autant de mécanismes
qui pénalisent les jeunes davantage que les vieux.
4 Malgré le nombre croissant d’études consacré à ces nouvelles inégalités, le constat de
différences objectives de situations entre générations ne semble pas alimenter de formes particulières
de mobilisation sociale en France. Léa Lima montre ainsi qu’aucun mouvement de jeunes ne s’est
structuré autour de la question des injustices intergénérationnelles [p. 72]. Celles-ci, à la différence
d’autres pays, restent avant tout un sujet d’experts, avec un écho modeste dans l’opinion publique.
5 C’est d’autant plus frappant qu’à l’inverse, la crainte du déclassement intergénérationnel –
autrement dit la peur d’avoir un niveau de vie inférieur à celui de ses parents – est particulièrement
répandue en France. Julien Damon souligne que la France apparaît, dans les différentes enquêtes
européennes, comme l’un des pays où cette peur est la plus forte.
6 Comment expliquer ce paradoxe ? Pour Éric Maurin, il se comprend parfaitement à la lumière de
la distinction entre déclassement et peur du déclassement. Le premier n’est pas un facteur de
mobilisation, car il demeure somme toute encore limité (il reste de la mobilité sociale ascendante), et
plus fondamentalement parce que les individus ne se déterminent pas essentiellement par rapport au
passé – la situation de leurs parents – mais bien davantage par rapport à leur présent et à leur futur. À
cet égard, la peur du déclassement est bien plus mobilisatrice : elle se manifeste clairement, au
moment des récessions, à travers par exemple les choix d’emplois faits par les jeunes diplômés.
Que faire pour répondre à cette angoisse ? Pour certains économistes, la solution consiste à réduire
les différences statutaires entre les emplois que l’on peut occuper tout au long de sa vie, notamment
entre les emplois très protégés des insiders et ceux beaucoup plus précaires des outsiders. On
réduirait ainsi considérablement la peur de « déchoir », réglant ainsi tout l’aspect psychologique du
problème.
Florence Lefresne s’inscrit en porte-à-faux contre cette vision : selon elle, rien n’indique que la
flexisécurité aurait tous les effets bénéfiques que beaucoup en attendent, notamment en matière de
chômage. Par ailleurs, comme le note Éric Maurin, il est loin d’être certain que ce modèle, en vigueur
dans les pays scandinaves, puisse être importé avec succès en France, tant il exige de remettre en
cause des convictions profondément enracinées, notamment sur le rôle de l’école.
Partie 2 : Quelles politiques de transferts ?
Actuellement, aucune politique de transfert ne vise principalement à égaliser les niveaux de vie et les
opportunités des différentes générations. A l'inverse, un grand nombre de politiques publiques ont un
effet sur l'équité intergénérationnelle, mais ce paramètre ne constitue qu'un critère parmi d'autres des
programmes de l'Etat.
Le débat sur les retraites illustre ce défi.
François Charpentier nous rappelle la donnée fondamentale du problème des retraites du point de
vue générationnel : en raison du vieillissement de la population, les jeunes versent une part croissante
de leurs salaires pour financer les pensions des seniors, sans être sûrs que la pareille leur sera
rendue au moment où eux-mêmes partiront à la retraite. Il existe plusieurs réponses possibles à ce
défi (augmentation des durées de cotisation, système contributif reposant sur les entreprises ou les
ménages…). Comment trancher ?
Comme le rappelle Antoine Bozio, il est difficile de trancher dans la mesure où l'équité
intergénérationnelle n'est pas le seul objectif que cherche à atteindre les systèmes de retraite. Ceux-ci
remplissent une fonction d'assurance : ils visent à transférer des ressources dans le temps et à
financer ces transferts, mais aussi à financer de la redistribution entre les générations. La multiplicité
des objectifs risquant d'obscurcir le débat, il faut opter pour un système le plus transparent possible.
Même si l'équité intergénérationnelle constituait l'objectif principal du système des retraites, on ne
pourrait pas trancher de façon univoque pour une piste ou une autre. L'équité intergénérationnelle se
révèle être un critère multiforme. Il n'existe pas d'acception unique de ce en quoi elle consiste. Passer
les réformes au crible des différentes conceptions ne suffit pas à caractériser la bonne politique de
retraites.
Les inquiétudes sur l'avenir vont de pair avec les craintes relatives à l'augmentation du nombre de
personnes âgées dépendantes. Florence Weber nous montre en quoi la dépendance transforme nos
sociétés, en reconfigurant les liens familiaux. Pour y faire face, l'idée de créer une cinquième branche
de la sécurité sociale, ou d'isoler un cinquième risque, fait son chemin. Mais dès lors, comment
organiser l'assurance dépendance ? Doit-elle être obligatoire ? Publique ? Pierre-Yves Geoffard nous
donne toutes les clés du débat.
En matière de politiques de transferts, Luc Arrondel et André Masson plaident dans ce numéro en
faveur de l'alourdissement et de l'augmentation de la progressivité des droits de succession. En
rendant plus avantageuse les transmissions entre vifs, cette politique diminuerait l'âge auquel les
adultes reçoivent de l'argent de leurs aînés.
Partie 3 : Penser la justice intergénérationnelle
La crainte d'un traitement inégal des différentes générations a contribué au succès de la notion de
justice intergénérationnelle. Comment peut-on définir cette notion ? quels sont les défis qu'elle
soulève ?
Axel Gosseries a recourt à une métaphore montagnarde : celle du bivouac des randonneurs. Les
règles d'usage des abris de montagne ("Veillez à laisser le bivouac aussi propre que vous auriez
souhaité le trouver…") peuvent s'interpréter, par analogie, comme autant de critère de la justice
intergénérationnelle.
Christian Gollier (p. 218) complète cette approche par une approche économique : comment
déterminer la nature et l'ampleur des investissements que devraient entreprendre les générations
actuelles au profit des générations futures ? Selon l'analyse économique classique, il faut
entreprendre tous les investissements dont la rentabilité est supérieure à un certain taux, le taux
d'actualisation. Tout se complique lorsqu'il s'agit de mettre un chiffre exact sur ce taux, ou d'en
déterminer les modalités de calcul. Doit-il se baser sur la rentabilité du capital quand nous cherchons
à évaluer la valeur sociale de ces investissements ?
Xavier Timbeau, p. 225, fournit une seconde illustration de la notion de justice intergénérationnelle,
celle de la dette publique. On assiste dans la plupart des pays développés à une explosion des
déficits de la dette. Comment penser la manière dont ceux-ci affectent l'égalité de traitement entre les
générations actuelles et les générations futures ? La réponse est difficile à trouver dans la mesure ou
la redistribution exacte réalisée par l'opération d'endettement n'est connue qu'ex post, au moment où
le prêt est remboursé par le débiteur.
Pour surmonter cette difficulté, les économistes ont cherché à donner une représentation synthétique
et chiffrée de la redistribution à opérer par la puissance publique entre les générations actuelles et
futures : c'est la comptabilité générationnelle. Mais cet outil, nous explique Pierre Pestiau p. 235, est
un outil bancal car sensible aux hypothèses faites par ceux qui l'utilisent.
Les analyses en termes d'équité entre les générations buttent souvent sur la prise en compte de
l'hétérogénéité au sein des générations. Bernard Lahire, p.203, nous rappelle le poids de l'héritage et
des injustices qui l'accompagnent. Cet héritage n'est pas seulement économique mais il est
également culturel.
La justice intergénérationnelle ne doit donc pas servir de paravent à une justice intra-générationnelle.