S CHELLENBERG W ITTMER

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S CHELLENBERG W ITTMER
NEWSLETTER
Février 2005
SCHELLENBERG WITTMER
A vo ca t s
40 Recommandations du GAFI contre le blanchiment d’argent:
Mise en œuvre en Suisse et dans l’UE
En juin 2004 la Commission Européenne a émis une
proposition de troisième directive sur le blanchiment
d’argent, qui constituera la base des prochaines négociations entre le Conseil de l’Union Européenne et le
Parlement. En décembre 2004, les Ministres des finances
des 25 pays membres se sont déjà prononcés en faveur
d’un texte basé sur cette proposition. L’adoption définitive de cette troisième directive sur le blanchiment
d’argent (« Proposition de directive ») est prévue avant
la fin de l’année 2005. Le 12 janvier 2005, la Suisse a
ouvert une procédure de consultation visant à modifier
sa législation sur la lutte contre le blanchiment d’argent.
Il est dès lors opportun d’examiner et de comparer les
développements respectifs.
La Proposition de directive présentée par la Commission
Européenne tend à améliorer la législation actuelle sur le
blanchiment d’argent, en consolidant la première et la
deuxième directive et en incorporant les 40 recommandations
révisées du Groupe d’action financière sur le blanchiment de
capitaux (« Recommandations GAFI »). La Proposition de
directive aura pour effet d’abroger la première et la deuxième
directive et de proposer un texte autonome. Une fois adoptée,
chaque Etat membre devra encore mettre en œuvre la
Proposition de directive dans sa propre législation, ce qui
devrait avoir lieu rapidement dans la mesure où il s’agit d’une
priorité de l’UE.
La législation suisse actuelle est dans une large mesure déjà
compatible avec les Recommandations GAFI. Cependant,
pour les cas où la législation suisse en diverge, le Conseil
fédéral a ouvert, le 12 janvier 2005, une procédure de
consultation concernant des modifications visant à mettre en
œuvre les Recommandations GAFI en droit suisse (« Projet de
loi fédérale »). Cette procédure de consultation qui durera
jusqu’à mi-avril, contient non seulement des modifications de
la Loi concernant la lutte contre le blanchiment d’argent dans
le secteur financier (« LBA »), mais aussi du Code pénal, du
Code des obligations, de la Loi sur la propriété intellectuelle,
de la Loi sur le droit pénal administratif ainsi que de la Loi sur
l’entraide internationale en matière pénale. Etant donné que
des entretiens informels ont déjà eu lieu en 2004 avec les
secteurs concernés de l’économie suisse, le Projet de loi
fédérale devrait être adopté avec peu de changement.
La présente Newsletter examine la mise en œuvre des
Recommandations GAFI dans la Proposition de directive de la
Commission Européenne ainsi que dans la législation suisse
actuelle, respectivement le Projet de loi fédérale.
1
Les Recommandations GAFI
Les Recommandations GAFI sont entrées en vigueur en 1990
et furent modifiées en 1996. En juin 2003, elles ont été
largement remaniées, afin d’englober le financement du
terrorisme (cf. www.oecd.org/dataoecd/12/26/2789371.pdf).
Les Recommandations GAFI constituent le standard international en matière de lutte contre le blanchiment d’argent et
ont été reprises par plus de 130 pays. Le GAFI contrôle
l’application de ses recommandations par le biais de contrôles
réguliers qui, s’ils sont négatifs, peuvent aboutir à la mise sur
liste noire ainsi qu’à des sanctions économiques. Les institutions financières qui n’adoptent pas les recommandations
risquent également de se voir exclus de transactions
financières avec des institutions qui ont adopté lesdites
recommandations.
Les nouveaux secteurs réglementés
Conformément aux Recommandations GAFI, la Proposition de
directive étend son application à de nouveaux secteurs situés
en dehors du secteur financier traditionnel, notamment les
suivants :
I Les intermédiaires d’assurance vie et d’autres formes
d’assurance liées à des placements;
I Les personnes qui négocient des biens ou fournissent des
services, lorsque le paiement est effectué en espèces pour
un montant de 15’000 euros au moins, que la transaction
soit effectuée en une fois ou sous la forme d’opérations
fractionnées qui apparaissent liées; et
I Les prestataires de services aux sociétés et fiducies/trusts.
La définition de prestataires de services aux sociétés et
fiducies/trusts, qui reprend la définition GAFI, recouvre toute
personne ou établissement qui fournit, à titre professionnel,
des services spécifiques à des tiers. Il s'agit non seulement de
constituer des sociétés ou d’autres personnes morales,
d'occuper la fonction de dirigeant ou de secrétaire d’une
société, d'associé d’une société en commandite, de trustee d’un
trust exprès ou d’un dispositif juridique similaire, de
détenteur fiduciaire d’une action, ou de faire en sorte qu’une
autre personne occupe une telle fonction, mais également de
fournir un siège statutaire, une adresse commerciale ou
administrative ou des locaux à une société, une société en
commandite ou toute autre personne morale ou dispositif
juridique similaire.
De plus, la Proposition de directive prévoit que les prestataires
de services aux sociétés et fiducies/trusts ainsi que les agents
de change devront être soit soumis à autorisation soit immatriculés. Le choix de chaque Etat membre entre un système
d’autorisation préalable ou une procédure d’immatriculation
aura bien entendu un impact sur les coûts de diligence. Ces
exigences devraient avoir un impact important sur les pays de
common law de l’UE, en particulier par le renforcement des
dispositions de lutte contre le blanchiment d’argent applicables
au secteur des trusts.
En comparaison, la LBA régit déjà un grand nombre de
secteurs situés en dehors du secteur financier traditionnel,
dont les intermédiaires d’assurance vie et d’autres formes
d’assurance liées à des placements, les prestataires de services
aux fiducies/trusts, les agents de change ainsi que les personnes
qui négocient des biens ou fournissent des services dont le
paiement est effectué en espèces, dans la mesure où ils
acceptent, gardent en dépôt ou aident à placer ou à transférer
des valeurs patrimoniales de tiers à titre professionnel (voir
Schellenberg Wittmer Newsletter d’octobre 2004). En
revanche, la LBA ne s’applique pas aux sociétés qui fournissent
uniquement un siège statutaire, une adresse commerciale ou
des locaux. En comparaison, le Projet de loi fédérale entend
réglementer en outre les marchands d’art, de métaux
précieux, de pierres précieuses et les agents immobiliers. De
plus, à côté du système suisse bien établi des autorisations
pour les banques, les personnes physiques et morales
soumises à la LBA doivent déjà s’enregistrer auprès d’une
autorité de surveillance. Ainsi, le Projet de loi fédérale ne
propose pas de nouveau système d’autorisation.
3
Extension de la liste des activités criminelles
Une modification importante de la Proposition de directive
tient à la définition d’activité criminelle, qui s’entend désormais comme tout type de participation criminelle à une
« infraction grave ». La définition d’« infraction grave »
continuera de dépendre de la législation pénale de chaque
Etat membre. Toutefois, les « infractions graves » préalables au
blanchiment d’argent au sens de la Proposition de directive
doivent au moins inclure le terrorisme, le trafic de stupéfiants,
l’activité des organisations criminelles, la fraude grave et la
corruption.
En Suisse, le Projet de loi fédérale étend également la liste des
activités criminelles préalables au blanchiment d’argent. A
teneur des modifications du Code pénal suisse, les personnes
physiques ou morales qui recyclent des fonds provenant de
délit d’initié, manipulation de cours ou falsification de
marchandises pourront également être poursuivies pour
blanchiment d’argent.
4
L’ayant droit économique
La définition d’ayant droit économique au sens de la Proposition
de directive vise désormais spécifiquement les bénéficiaires
de trusts, de fondations, de sociétés et d’autres personnes
morales. Elle inclut :
I La personne physique qui, en dernier lieu, possède ou
contrôle directement ou indirectement au moins 10 % des
actions ou des droits de vote d’une personne morale ou qui
exerce autrement une influence comparable sur la direction
d'une personne morale, autre qu'une société admise à la
cote officielle d’une bourse de valeurs;
I La personne physique qui, directement ou indirectement,
est le bénéficiaire ultime d'au moins 10 % du patrimoine
d’une fondation, d’une fiducie/trust ou d’un dispositif
juridique similaire ou qui exerce une influence sur une
fraction comparable du patrimoine d'une fondation, d’un
trust ou d'un dispositif juridique similaire, autre qu'une
société admise à la cote officielle d’une bourse de valeurs;
ou
I Toute personne physique au nom de laquelle une transaction
est exécutée ou une activité réalisée.
De plus, à teneur de la nouvelle définition, l’ayant droit
économique d’un trust doit être identifié au moment de la
création du trust plutôt qu’au moment où il en reçoit
effectivement une prestation. Ainsi, il conviendra d’identifier,
outre les bénéficiaires certains, toute personne qui pourrait
« potentiellement » recevoir une prestation, par exemple d’un
trust irrévocable discrétionnaire.
La définition suisse d’« ayant droit économique » n’est pas
aussi détaillée que la Proposition de directive. En comparaison,
la Suisse a adopté une approche plus pragmatique. Ainsi, en
ce qui concerne les trusts discrétionnaires, la Convention de
diligence 2003 de l’Association suisse des banquiers oblige
les banques à identifier le settlor effectif, le cercle des
personnes pouvant entrer en ligne de compte comme
bénéficiaires, le protector ainsi que toute personne habilitée à
donner des instructions. Aucun changement n’est attendu
dans ce domaine.
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SCHELLENBERG WITTMER NEWSLETTER FÉVRIER 2005
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SCHELLENBERG WITTMER NEWSLETTER FÉVRIER 2005
Néanmoins, le Projet de loi fédérale entend augmenter la
transparence à l’intérieur des sociétés, en imposant
l’obligation de déclarer la détention d’actions au porteur. A
teneur de cette proposition, tout titulaire d’actions au porteur
qui souhaite participer à l’assemblée générale, soit en
personne soit par procuration, et qui contrôle directement ou
indirectement 10% de tous les droits de vote, devra communiquer par écrit à la société son identité, son adresse ainsi que
le total de ses droits de vote.
5
Devoir de diligence à l’égard de la clientèle (« DDC »)
Les dispositions de la Proposition de directive concernant le
DDC reprennent pour l’essentiel les Recommandations GAFI.
Les personnes et institutions visées devront procéder à des
procédures de DDC dans les cas suivants :
I Lorsqu’elles nouent une relation d’affaires;
I Lorsqu’elles concluent, à titre occasionnel, une transaction
d’un montant de 15’000 euros au moins (que la transaction
soit effectuée en une fois ou sous la forme d’opérations
fractionnées qui apparaissent liées);
I Lorsqu’il y a suspicion de blanchiment de capitaux; et
I Lorsqu’il existe des doutes concernant la véracité ou la
pertinence des données précédemment obtenues aux fins
de l’identification d’un client.
I Soumettre la relation d’affaires à une diligence constante,
notamment en exerçant un contrôle sur les transactions
effectuées et, si nécessaire, sur l’origine des fonds, de
manière à vérifier qu’elles sont conformes à la connaissance du client, de ses activités commerciales et de son
profil de risque.
Conformément à une appréciation basée sur le risque,
l’étendue des mesures de DDC requises dépendra des
caractéristiques du client ainsi que du produit/service en
question. Ainsi, en ce qui concerne les sociétés ou autres
personnes morales (et non physiques), cela implique de mettre
en œuvre des « mesures raisonnables pour déterminer la
propriété et la structure de contrôle ». Les avantages d’une
appréciation basée sur le risque sont la proportionnalité, le
coût et l'allocation efficace des ressources disponibles. Une
telle approche permet aux entreprises de concentrer leur
devoir de diligence et leurs ressources sur les situations où les
risques de blanchiment d’argent sont perçus comme plus
élevés et permet aussi d’éviter l’établissement d’un standard
minimum inflexible qui serait inapproprié à tous les secteurs
d’activité. En revanche, le désavantage tient au fait qu’il n’y
aura pas de procédure uniforme de DDC pour tous les clients.
Quant à la Suisse, le secteur bancaire applique depuis juillet
2003 une appréciation basée sur le risque, appréciation qui
sera étendue à d’autres secteurs, tels que les avocats, dans un
futur proche.
7
Devoir accru de diligence
De plus, la Proposition de directive interdira de nouer des
relations d’affaires avec des banques fictives, de leur octroyer
des autorisations ainsi que de maintenir des comptes anonymes.
Conformément aux exigences suisses, la Proposition de
directive prévoit une liste non exhaustive de situations à haut
risque, qui nécessitent des mesures de DDC accrues:
La LBA se conforme déjà aux exigences citées ci-dessus, à
l’exception du deuxième point (absence de montant
prédéfini). Néanmoins, une consultation sur ce point est déjà
en cours, mais avec une approche quelque peu différente. En
effet, le Projet de loi fédérale entend soumettre toutes les
transactions au DDC, mais permettra d’exclure les « transactions de faible valeur patrimoniale qui sont manifestement
légales » - laissant ainsi à chaque autorité de surveillance le
soin de définir ce montant minimal, au-delà duquel les DDC
devront être respectés, dans chaque secteur déterminé.
I Lorsque le client n'était pas physiquement présent au
moment de l'identification;
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Appréciation basée sur le risque
En ce qui concerne les obligations de diligence en tant que
telles, les personnes et institutions visées par la Proposition de
directive devront:
I Identifier le client et vérifier son identité;
I Identifier l’ayant droit économique et prendre des mesures
raisonnables pour vérifier cette identité en fonction d’une
appréciation basée sur le risque. Pour les personnes morales
et les dispositifs juridiques similaires, cela implique de
prendre des mesures raisonnables pour comprendre la
structure de propriété et de contrôle du client;
I Obtenir des informations sur l’objet et la nature envisagée
de la relation d'affaires; et
I En cas de relation transfrontalière entre correspondants
bancaires; et
I Les relations avec des personnes politiquement exposées
(« PEP »).
La définition des PEP comprend toute personne politiquement
exposée quelle que soit son origine. Cette définition reprend
celle du GAFI et fut notamment inspirée de la législation
suisse actuelle.
La Proposition de directive exige également des personnes et
institutions soumises d’examiner avec une attention particulière les activités qui, de par leur nature, sont particulièrement
susceptibles d’être liées au blanchiment d’argent et, en
particulier, celles qui impliquent des transactions complexes,
d’un montant inhabituellement élevé ou qui n’ont pas d’objet
économique ou licite apparent.
La Suisse connaît déjà des dispositions similaires (relation par
correspondance, PEP, etc.), en particulier dans le secteur
bancaire. En outre, la LBA exige une diligence accrue lorsque
la transaction ou la relation d’affaires paraît inhabituelle ou
lorsque des indices laissent supposer que les valeurs patrimoniales proviennent d’un crime.
3
Délégation à des tiers
Les institutions et personnes soumises à la Proposition de
directive ont le droit de déléguer à des tiers l’identification du
client, de l’ayant droit économique, de la structure de
contrôle ainsi que du type d’activité. Ces tiers doivent être
des personnes ou des institutions « équivalentes » à celles
soumises à la Proposition de directive et doivent donc remplir
les conditions suivantes:
I Ils sont tenus à une obligation d’enregistrement professionnel
(p.ex. banques, avocats);
I Ils appliquent des mesures de DDC et de conservation de
documents équivalentes à celles prévues par la Proposition
de directive; et
I Des autorités compétentes surveillent leur respect des
exigences de la Proposition de directive.
De plus, les personnes et institutions qui délèguent resteront
pleinement responsables, malgré la délégation à un tiers.
De manière générale, la LBA permet déjà la délégation à des
tiers. Toutefois, cette délégation est plus complexe dans la
mesure où les exigences particulières varient en fonction de
chaque autorité de surveillance dans chaque secteur d’activité;
dans certains cas, ces exigences sont même plus strictes
(p.ex. accord écrit indispensable, sous-délégation interdite).
Néanmoins, de manière similaire, la personne ou institution
qui délègue reste pleinement responsable de ses obligations
de diligence.
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Obligations de communication
La Proposition de directive exige des institutions et personnes
visées de faire une communication à la cellule de renseignement financier de leurs pays, lorsqu'elles soupçonnent ou ont
des raisons suffisantes de soupçonner qu’une opération ou
une tentative de blanchiment de capitaux est en cours.
11 Conclusion
Même si la Suisse peut se féliciter du fait que la plupart des
nouvelles règles applicables aux institutions financières de
l’UE s’appliquent déjà en grande partie aux institutions
suisses, le Projet de loi fédérale va malgré tout encore
introduire des changements perceptibles pour les acteurs dans
ce domaine. Cela étant, la Suisse verra sans doute d’un bon
œil la finalisation de la Proposition de directive, dans la
mesure où elle ne peut que contribuer à uniformiser les
exigences des Etats Membres, en uniformisant les lois et en
améliorant l’efficacité générale de la lutte internationale
contre le blanchiment d’argent.
Contacts
Le contenu de cette Newsletter ne peut pas être assimilé à un
avis ou conseil juridique. Si vous désirez obtenir un avis sur
votre situation particulière, veuillez en informer votre
personne de contact auprès de Schellenberg Wittmer ou l’une
des personnes suivantes :
I A Genève:
BERNARD VISCHER
[email protected]
DAVID WILSON
[email protected]
I A Zurich:
MARC-OLIVER BAUMGARTEN
[email protected]
CHRISTINE BEUSCH-LIGGENSTORFER
[email protected]
Dans ce domaine, la Suisse prévoit déjà des obligations
similaires de communication, qui se basent sur la notion de
soupçons fondés, ainsi qu’une procédure de blocage des
fonds. A cet égard, le Projet de loi fédérale ne contient pas
développement majeur.
10 Mesures équivalentes de pays tiers
La Proposition de directive permet une extension extraterritoriale de la directive, dans la mesure où elle exige des
institutions de l’UE de s’assurer que leurs succursales et filiales
majoritaires situées dans des pays tiers appliquent des mesures
« au moins équivalentes » à celles prévues par la Proposition
de directive en matière de DDC et de conservation de
documents.
La LBA connaît déjà une réglementation équivalente en la
matière dans le secteur bancaire, qui applique un appréciation
basée sur le risque pour déterminer ses obligations de
diligence.
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