Une forme d`inculturation du charisme de charité dans l`Église
Transcription
Une forme d`inculturation du charisme de charité dans l`Église
Huguette Parent, sco Une forme d’inculturation du charisme de charité dans l’Église Élisabeth Bruyère (1818 – 1845 – 1876 – 1980) De la même auteure Le township de Hanmer L’hôpital Saint-Joseph de Sudbury Mes souvenirs Alphonse Raymond 1914-1975 Le couvent de Chelmsford La paroisse Saint-Jérôme de Windsor, un quart de siècle Hanmer, un document pédagogique Pro-F-ont Auteure d’articles dans le Dictionnaire des écrits de l’Ontario Français 1613-1993 Co-auteure de Chelmsford 1983-1993 Dans Paroisse Saint-Pascal-Baylon 1908-2008 Histoire autour du lac, les chapitres : « Les Sœurs de la charité à Saint-Pascal-Baylon », « La famille Parent à SaintPascal-Baylon » Sous sa direction : Mes mémoires. Sœur Jeanne-Emmanuel (Anastasie Trépanier) Au fil des jours. Soeur Marie-Régina (Rose Guénette) Publication d’un bulletin de famille «Entre-Parent» depuis plus de 20 ans Rédaction de plusieurs articles sur Mère Élisabeth Bruyère et nombreux rapports et brochures en plus de signer des préfaces, des critiques et plusieurs articles dans diverses revues religieuses et de patrimoine. Imprimé par l’Université Saint-Paul Ottawa (Canada) 2011 ISBN 978-2-9812599-0-5 Dépôt légal - Bibliothèque et Archives nationales du Québec, 2011 Dépôt légal - Bibliothèque et Archives Canada, 2011 Remerciements Qu’il me soit permis d’offrir une sincère gratitude aux sœurs missionnaires qui ont accepté, si volontiers, de fournir de nombreux renseignements pour la rédaction de ces textes. Sans elles, il aurait été difficile de vérifier certaines données. Ma vive reconnaissance va en particulier à sœur Marie-de-la Charité qui a élaboré le plan du chapitre cinquième et compilé de nombreux éléments. Je veux présenter des remerciements chaleureux au professeur Gaétan Gervais et à la théologienne Élisabeth (Jeannine) Lacelle qui ont pris le temps de lire mon travail et de suggérer des mises au point. Pour l’aide apporté à l’éditique, je dis merci à Mme Angèle AlbertRitchie et Mme Stephanie Pelot de Pentafolio, et pour avoir relu mon travail, merci à Mme Sylvie Jean. Enfin, je dois une profonde gratitude à ma famille qui a toujours su encourager mon travail de recherche. Huguette Parent, sco iii PRÉFACE Sœur Huguette Parent, religieuse des Sœurs de la charité d’Ottawa, autrefois dites Sœurs grises de la croix, publie en 2011, un livre traitant des questions de mission, d’évangélisation, d’assimilation, d’acculturation, d’enculturation et d’inculturation. Ces sujets sont susceptibles d’intéresser autant le sociologue que le philosophe. Dans son travail novateur, Sœur Huguette Parent propose un sujet à la croisée de ces divers domaines. La richesse même de son vocabulaire atteste l’envergure de la matière. L’intérêt de cette approche est évident. On pense avec des mots et des concepts nouveaux. Selon les époques et selon les régions, de nouvelles réalités naissent et disparaissent, au gré des nouveaux besoins sociaux, économiques et autres. Il faut des mots percutants et des concepts nouveaux pour penser ces phénomènes. Dans le cas qui nous intéresse ici, l’auteure explique le rôle et applique ces nouveaux concepts tels que l’inculturation. Ces thèmes importants permettent d’analyser toutes sortes de relations. Ces concepts peuvent aussi s’appliquer à l’Ontario français, terre de mission et de colonisation. Dans la vie d’une personne, l’unité d’action ou de pensée se développe progressivement. Sœur Huguette ne reste jamais à rien faire. L’obtention de trois maîtrises en est la preuve : en histoire, en éducation et en théologie. Sœur Huguette appartient à une grande famille rurale dans les paroisses de l’Est, en plein cœur de l’Ontario français. Il n’est pas inutile de rappeler, en quelques mots, l’origine de ses pérégrinations. À cette époque de la Grande Dépression, il manquait partout d’enseignantes. Ces lacunes pouvaient compromettent le succès de la colonisation. On encourage alors la formation académique en v tentant de convaincre les diplômées de se rendre dans le Nord et dans le Sud. Sœur Huguette a enseigné dans les trois régions. Cette phase d’éducation et son engagement lui ont permis un accès privilégié à l’histoire de l’Ontario français. Dans la salle de classe et dans les organismes, ses qualités et son esprit vif lui ont permis de réaliser de nombreux projets à la promotion du patrimoine et de l’histoire franco-ontarienne. Huguette Parent, dans ses écrits et ses activités, prolonge les valeurs de son milieu d’origine, et manifeste son grand attachement aux valeurs religieuses de ses parents. Sa propre expérience de Franco-Ontarienne commence à Saint-PascalBaylon où se trouvent des populations en majorité de langues françaises et nous aide à comprendre le phénomène de l’inculturation. Huguette comme Franco-Ontarienne, auteure de la présente étude sur l’inculturation non seulement au Canada mais aussi en Afrique, situe l’histoire religieuse du pays et les nombreuses questions qui occupent depuis toujours une place importante dans l’histoire. Contrairement aux travaux généralement de nature biographique, communautaire, missionnaire, hiérarchique et religieuse au Canada, le développement que sœur Huguette présente sur Une forme d’Inculturation du charisme de charité dans l’Église Elisabeth Bruyère 1818-1845-1876-1980 permet d’analyser une situation concrète de la société du milieu du XIXe siècle. Les écrits de Sœur Huguette s’insèrent dans un ensemble qu’il convient de décrire dans une perspective actuelle mais aussi comme source d’inspirations à l’avenir. Ses travaux comme on le voit ont un grand éventail. Sœur Huguette Parent est une femme de détermination et d’action qui mène ses projets avec enthousiasme. Elle est aussi très engagée dans son milieu religieux et communautaire. Mentionnons que dans ce petit village, trois « enfants de la paroisse » ont obtenu une certaine renommée ! Un député provincial, un entraîneur de hockey et cette théologienne en sont les vedettes ! Je n’ai aucune autorité pour commenter ou critiquer les textes de cet ouvrage. L’objet de ces quelques mots vise à situer sœur Parent vi dans le développement de la communauté franco-ontarienne. Mes meilleurs vœux l’accompagnent. Gaétan Gervais Créateur du drapeau franco-ontarien Le vert et le blanc symbolisent l’été et l’hiver de l’Ontario. La fleur du trille blanc à la droite (Trillium grandiflorum) est la fleur emblème officielle de la province de l’Ontario. La fleur de lys à la gauche est le rappel de l’appartenance au peuple Canadien français. Les deux créateurs du drapeau sont : Gaétan Gervais, professeur d’histoire à l’Université Laurentienne et Michel Dupuis, étudiant en sciences politiques de première année à la même université. Le drapeau franco-ontarien a été déployé officiellement pour la première fois le 25 septembre 1975 à l’Université de Sudbury Le 29 juin 2001, le drapeau franco-ontarien reçoit le statut de symbole officiel de la province par l’assemblée législative de l’Ontario. C’est le député Jean-Marc Lalonde, ce petit gars de Saint-Pascal-Baylon, qui se dit « particulièrement fier de l’avoir présenté et fait adopter ». vii SIGLES et ABRÉVIATIONS N.B. : Tous les sigles attachés aux noms des congrégations religieuses sont écrits sans mettre de point. Selon le Guide du rédacteur, Bureau de Traduction, Travaux publics et Services gouvernementaux, révisé en 1996, le mot sœur prend une minuscule lorsqu’il précède le nom d’une personne dont on parle (3.3.12). ASCO Archives des Sœurs de la charité d’Ottawa DC Documentation catholique Ibid. Dans le même ouvrage Loc. cit. Lieu cité MA Missionnaires d’Afrique M Monseigneur no, nos numéro, numéros omi Oblats de Marie-Immaculée op Ordre des Frères prêcheurs, Dominicains EN Evangelii Nuntiandi (L’évangélisation dans le monde moderne), exhortation apostolique, Paul VI, 1975 EP Evangelii Praecones (les développements des Missions) catholiques, Pie XII Pb Pères blancs, aujourd’hui Missionnaires d’Afrique SA Slavorum Apostoli, Apôtre des Slaves, Jean-Paul II, 1985 sco Sœurs de la charité d’Ottawa sgm Sœurs grises de Montréal sj Société de Jésus, jésuite UNESCO Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture Vatican II Concile de l’Église catholique 1962–1965 gr viii AA Apostolatu laicorum Apostolicam actuositatem (Décret sur l’apostolat des laïcs) promulgué le 18 novembre 1965 GS Gaudium et Spes (Constitution pastorale de l’Église dans le monde de ce temps) promulguée le 7 décembre 1985 LG Lumen Gentium (Constitution dogmatique de l’Église) promulguée le 21 novembre 1964 () Éléments modifiés, adaptés ou corrigés [] Mots ajoutés ix Les Sœurs de la charité d’Ottawa dans le monde Source : www.quid.fr/qm/cartes/planisphère.gif ASCO, pays où il y a des couvents : Canada, États-Unis, Lésotho, République de l’Afrique du Sud, Malawi, Zambie, Japon, Brésil, Haïti. x INTRODUCTION « Si Élisabeth Bruyère 1818-1876 appartient en premier lieu à l’histoire de l’Église d’Ottawa, elle se range en même temps parmi les grandes fondatrices de communautés religieuses du pays » écrit Émilien Lamirande dans l’avant-propos de la biographie d’Élisabeth Bruyère 1. « Son appartenance » à l’Église d’Ottawa 2 comme « fille de l’Église 3 » en communion avec l’Église universelle, situe Élisabeth Bruyère au cœur même de cette Église. Sa vie et celle de la congrégation des Sœurs de la charité d’Ottawa 4 (Sœurs grises de la croix 5) présentent une forme d’inculturation du charisme de charité de sainte Marguerite d’Youville 6, tel que vécu par Élisabeth Bruyère dans une institution nouvelle qui s’enracine en terre ontarienne. Son charisme de charité sans frontière a transformé le visage de la charité vécue dans l’Église d’Ottawa au milieu du XIXe siècle. « Mère Bruyère 1 Émilien Lamirande, Élisabeth Bruyère Fondatrice des Sœurs de la Charité d’Ottawa, Montréal, Bellarmin, 1983, p. [7]. Il est l’auteur de nombreux travaux sur l’Église du XIXe et du XXe siècles en France et au Canada. 2 Ottawa est le nom donné à Bytown d’après le nom du lieutenant colonel By de 1827 à 1854, et désigné en 1857, par la reine Victoria, capitale du Canada-Uni. 3 Béatrice, Cloutier, sco, Mère Bruyère, fille de l’Église, Ottawa, 1967, 100 p. Jeanne Leber, sco, Mère Bruyère, Femme de Dieu, Fille de l’Église, Ottawa, Maison mère, 1976, 41 p. 4ASCO, Chroniques, 2 février 1861, p. 198, L’acte d’incorporation civile nomme la Congrégation the Community General Hospital, Alms-House, Seminary of Learning of the Sisters of Charity at Ottawa. M. Larocque propose de faire ajouter un autre titre celui de Seminary of Learning afin d’être exemptées de payer les taxes, ce que nous croyons aussi devoir nous être avantageux, car tous les ans, on nous importune et nous charge de payer une taxe dont nous devrions être exemptes par les œuvres de charité que nous faisons et par le pensionnat que nous tenons, mais parce que certains mots qualificatifs ne se trouvent pas dans notre acte d’incorporation l’on ne veut pas nous reconnaître exemptes 5 Selon la tradition dans la communauté, ce nom aurait été donné aux premières femmes qui ont accompagné sainte Marguerite d’Youville lors de la restauration de l’Hôpital des frères Charron. Au moment du feu, 18 mai 1765, les gens les ont accusées d’être ivres parce que les flammes étaient bleues. En effet, le mari de Marguerite Dufrost de la Jemmerais, François You, avait fait le trafic de l’eau de vie et Marguerite subissait encore les humiliations causées par son mari. 6 Marguerite d’Youville (Marie-Marguerite Dufrost de Lajemmerais, veuve d’Youville) 17011771, fondatrice des Sœurs grises de Montréal, canonisée par le pape Jean-Paul II le 9 décembre 1990. Introduction — 1 fut l’une de ces femmes modestes, courageuses, toutes remises à Dieu, qui font avec rien des institutions fécondes 7 », écrit le cardinal Rodrigue Villeneuve en préfaçant le livre de sœur Paul-Émile : Élisabeth Bruyère et son œuvre. Les Sœurs grises de la croix. À la veille de sa mort, la fondatrice Élisabeth Bruyère réfléchit : La charité et la simplicité étant les deux vertus qui doivent caractériser d’une manière toute particulière les Sœurs de notre Institut, je désire rappeler votre attention sur quelques points qui se rattachent à ces vertus. 8 Élisabeth Bruyère est consciente de la nouveauté de son œuvre en terre ontarienne dont les racines se trouvent dans l’œuvre des Sœurs grises de Montréal. Sa congrégation en sera une re-création vivante et adaptée aux besoins de l’Église d’Ottawa. Nous pouvons donc voir une forme d’inculturation dans la fondation d’Élisabeth Bruyère qui vient tout simplement planter et cultiver un sarment de la vigne youvillienne en terre ontarienne. Elle grave son charisme de charité évangélique dans les armoiries 9 de sa congrégation : « J’étais malade et vous m’avez visité » (Mt 25, 36 10) et « Je suis l’appui du faible ». Cette recherche veut démontrer que l’œuvre d’Élisabeth Bruyère a été une forme d’inculturation du charisme de charité évangélique dans l’Église d’Ottawa de son temps et expliquer comment sa charité particulière se prolonge dans l’Église de notre temps par les membres de sa congrégation les Sœurs de la charité d’Ottawa dites 7 Paul-Émile, sco, [Louise Guay] Élisabeth Bruyère et son œuvre Les Sœurs Grises de la Croix, Mouvement général 1845-1876, tome I, préface de son Éminence le Cardinal Rodrigue Villeneuve, Ottawa, Maison mère des Sœurs Grises de la Croix, 1945, p. [7]. 8 ASCO, Lettre circulaire d’Élisabeth Bruyère à « ses chères et bien-aimées Filles », le 24 décembre 1875. ASCO, Chroniques, Fondation de Bytown, pp. 4-5,8. 9 Le blason a été adopté par le XVe Chapitre général en 1923. Règle de vie des Sœurs de la charité d’Ottawa, Ottawa, Maison mère, 1980. 10 Tous les textes de la Bible cités sont tirés de la TOB, édition intégrale, Paris, Cerf, 1972/1977. 2 — Introduction Sœurs grises 11 de la croix 12. En élargissant la perspective à une vision missionnaire, nous tenterons de vérifier, si en se transportant et en s’inculturant pour répondre aux besoins d’une culture différente — soit ici africaine —, l’esprit de charité qu’Élisabeth a insufflé à son Institut garde toujours son identité : une charité évangélique compatissante. La fondatrice fait appel au sens d’adaptation d’une vision évangélique — ce qui est une caractéristique de l’inculturation — pour répondre aux besoins du peuple de Dieu vivant à Bytown. Après avoir intériorisé et assimilé le charisme de charité de Marguerite d’Youville, quel cheminement Élisabeth a-t-elle suivi pour s’ajuster aux nouvelles réalités du Bytown de 1845 ? « La transplantation d’Élisabeth Bruyère, du Québec français et catholique dans l’Ontario anglo-protestant, ouvre une expérience humaine complètement neuve 13 ». C’est dans ce contexte que le sens donné à la forme d’inculturation de son charisme de charité sera scruté. Sœur Jeanne d’Arc Lortie le dit bien : [...] les Lettres font voir comment, en ces débuts de Fondation, la grâce et la charité guidant sa courageuse ingéniosité, Élisabeth concrétisa doucement mais fermement sa vision personnelle pour répondre à la nouveauté du milieu, des besoins et des ressources; à tel point que déjà en ces années, on perçoit des traits essentiels différenciant sa Communauté de celle de Montréal 14. 11 « Quand Mgr Joseph-Thomas Duhamel sollicita l’examen des Règles en vue de l’approbation du Saint-Siège, on lui fit savoir que la nouvelle Congrégation détachée de celle de Montréal devait s’identifier par un nom différent. Mgr suggéra l’appellation de « Sœurs de la charité, dites communément Sœurs grises de la croix ». (Règle de vie des Sœurs de la Charité d’Ottawa, Maison mère, Ottawa, 1982, p. 21. Voir E. Mitchell, sgm, op. cit., p. 176 et Jeanne d’Arc Lortie, sco, Lettres…, volume 1, p. 66. 12 E. Mitchell, sgm, Elle a beaucoup aimé. Vie de la Bienheureuse Marguerite d’Youville, fondatrice des Sœurs de la Charité, « Sœurs grises ». 1701-1771, Montréal, Fides, 1957, p. 192. « Garder le nom de Sœurs Grises nous rappellera les insultes des débuts et nous tiendra dans l’humilité », disait, Mère d’Youville. 13 Jeanne d’Arc Lortie, sco, Lettres d’Élisabeth Bruyère, volume I, Canada, Paulines, 1989, à la quatrième couverture. 14Loc. cit., à la quatrième couverture. Introduction — 3 Dans la foulée du charisme de charité évangélique tel que vécu par Marguerite d’Youville, celle qui « a beaucoup aimé Jésus-Christ et les pauvres 15 », Élisabeth Bruyère devient, dans l’Église de Bytown, la messagère de la charité pour le peuple 16 de Dieu à Ottawa. À la suite de Jésus, à l’exemple de Marguerite d’Youville, elle se laisse interpeller par la Parole de Dieu : L’Esprit du Seigneur est sur moi parce qu’il m’a conféré l’onction pour annoncer la bonne nouvelle aux pauvres. Il m’a envoyé proclamer aux captifs la libération et aux aveugles le retour à la vue, renvoyer les opprimés en liberté, proclamer une année d’accueil par le Seigneur. (Lc 4,18) Élisabeth Bruyère, cette femme audacieuse, présente dans l’Église un exemple de personne qui a manifesté au cours de sa vie une charité sans frontière. On peut dire que sa charité était audacieuse pour une femme qui a vécu au milieu du XIXe siècle, dans l’Église de Bytown. Son adaptation au milieu anglais et protestant constitue une forme d’inculturation. Cette femme intervient dans le service des pauvres sans distinction de religion, de langue et de race. D’origine canadienne-française et devenue religieuse à Montréal dans la lignée de Marguerite d’Youville, elle se voit transplantée dans un milieu étranger, anglais. Son action caritative s’insère dans l’Église de Bytown. L’évolution de sa congrégation se fait en symbiose avec l’Église locale. Sa présence et celle de sa congrégation dans l’Église façonnent en quelque sorte le visage d’une charité évangélique compatissante envers les pauvres dans cette Église. L’état de la recherche actuelle sur le charisme d’Élisabeth Bruyère, fondatrice des Sœurs de la charité d’Ottawa, comporte des publications sur les grandes étapes des œuvres de la congré15 MITCHELL, E., Elle a beaucoup aimé. Vie de la Bienheureuse Marguerite d’Youville, fondatrice des Sœurs de la Charité, Sœurs Grises 1701-1771, Montréal, Fides, 1957, 335 p. 16 E. Lamirande, Élisabeth Bruyère …, op. cit., quatrième couverture […] sur les relations entre les Canadiens d’origines diverses, entre les hommes et les femmes d’action, entre les autorités civiles et religieuses. Un livre où l’érudition se fait accessible et même aimable. 4 — Introduction gation dont la plus importantes : Paul-Émile, sco, Mère Élisabeth Bruyère et son œuvre, Tome 1, Mouvement général de l’Institut 18451876, Les Sœurs Grises de la Croix d’Ottawa, Mouvement général de l’Institut 1876-1967, Mère d’Youville chez ses filles d’Ottawa, les Sœurs Grises de la Croix, Émilien Lamirande, Élisabeth Bruyère Fondatrice des Sœurs de la Charité d’Ottawa — une biographie, « Un livre éclairant sur l’Église et la société du siècle dernier [...] 17 » et la publication par Jeanne d’Arc Lortie, sco, de son abondante correspondance dont les archives possèdent 1 608 lettres 18. En 1978, un texte du postulateur de la cause de béatification de Mère Bruyère, Angelo Mitri, omi, insiste sur la mission ecclésiale de la servante de Dieu, fondatrice et supérieure générale des Sœurs de la charité d’Ottawa. 19 Ces voyages ne s’attardent pas, il nous semble, à l’étude de l’inculturation d’où le grand intérêt pour une recherche plus approfondie de son « appartenance » à l’Église d’Ottawa sous cet angle. Élisabeth Bruyère est « fille de l’Église » de l’Église d’Ottawa, en communion avec l’Église universelle. Son charisme de charité s’inculture dans une Église naissante où tous les besoins tant spirituels que temporels, trouvaient chez elle un cœur grand ouvert. Depuis plus de 160 ans, les Sœurs de la charité d’Ottawa sont étroitement associées à toute la vie de l’Église partout où elles sont appelées. Il faut d’abord clarifier le concept « inculturation » et justifier cette approche du charisme d’Élisabeth Bruyère. Il faut aussi préciser ce que nous entendons par charisme de charité et chercher la pertinence d’un tel concept au milieu du XIXe siècle. Après avoir cerné l’inculturation du charisme d’Élisabeth Bruyère dans l’Église d’Ottawa, nous aborderons l’aspect historique de la fondation du diocèse de Bytown et des premières paroisses où 17 É. Lamirande, Élisabeth Bruyère…, op., cit., quatrième couverture. Quelques brochures sont parues durant l’année 1976 sous les titres suivants, sans auteur précis mais parfois signés : « Mère Bruyère, femme de Dieu Fille de l’Église », « Mère Bruyère, femme de foi », Mère Bruyère, femme d’espérance » et « Mère Bruyère, femme de charité », « Élisabeth Bruyère hier et aujourd’hui ». 18 Trois volumes sont déjà publiés. 19 ASCO, Les archives générales de la Maison mère possèdent la plupart de ses lettres. Voir É. Lamirande, bibliographie, p. 775. Introduction — 5 s’insère la charité des filles de Mère Bruyère. Il faudra ensuite, examiner le rôle qu’Élisabeth a joué dans cette jeune Église implantée en milieu protestant et anglais. Une brève description des étapes de la vie d’Élisabeth Bruyère permettra de découvrir la profondeur de son charisme de charité pendant ses trente et un ans à Bytown qui lui a valu une renommée de sainteté dans la population. Pour décrire le charisme d’Élisabeth Bruyère, la recherche est facilitée par l’accès aux archives de la Maison mère des Sœurs de la charité d’Ottawa qui conservent les textes originaux et permettent de bien établir le contexte. Plusieurs références données entre 1839 et 1856 sont citées d’après les publications de Jeanne d’Arc L ortie, sco : Lettres d’Élisabeth Bruyère, volume I (1839-1849), volume II (18501862), volume III (1857-1862). Ces textes en cours de publication font partie de sources manuscrites des 1 608 lettres conservées aux archives de la Maison mère. Les autres citations sont tirées des textes originaux ou des copies autographiées de l’original conservé aux archives. Plus de 3 000 lettres ont été adressées à Mère Bruyère et donnent accès aux communications qu’elle entretenait avec son milieu social et religieux, ecclésiastique et politique. Les réponses à son abondante correspondance se trouvent dans les archives de la Maison mère d’Ottawa ou des Sœurs grises de Montréal, aux Archives nationales du Canada et dans les journaux locaux de son temps. En plus des chroniques 20, il y a les procès verbaux des délibérations du conseil d’administration et tous les documents connexes. À ces documents, peut s’ajouter la bibliographie exhaustive donnée par Émilien Lamirande 21. 20 Les chroniques sont un genre de diarium rédigées par Élisabeth Bruyère selon les usages de la communauté entre 1849 à 1866 et poursuivies par les chroniqueuses sont des documents fiables de première main. Dans chaque maison, une religieuse est nommée chroniqueuse dont la fonction est de rédiger un journal quotidien relatant les événements dans lesquels les sœurs sont impliquées. On trouve aussi, pour compléter les chroniques, le spicilège qui réunit dans un même cahier tous les articles parus dans les journaux locaux et donne un aperçu global de l’insertion des sœurs dans la société. De plus, il y a le registre des délibérations du conseil d’administration et tous les documents connexes. 21 Voir Introduction p. 1, note de bas de page 1. 6 — Introduction Au Canada, les œuvres de charité seront développées par secteur d’apostolat. Ainsi, il y a le domaine de l’éducation qui comprend les écoles primaires, secondaires, universitaires, les pensionnats, puis l’aspect du soin des malades dans les hôpitaux. Nous y trouverons aussi de nombreuses expériences apostoliques développées selon le charisme de charité évangélique compatissante. À propos de l’inculturation, l’internet facilite la recherche du thème sous ces implications actuelles. La documentation accumulée jusqu’à présent cerne un peu mieux la signification à donner à ce phénomène complexe de l’inculturation évangélique en Église. C’est dans cette perspective, qu’à son arrivée, à Bytown, Élisabeth Bruyère entre graduellement en communion avec cette culture parce que son âme était ouverte à la charité évangélique. Elle savait écouter la culture de son temps, et en quelque sorte, apprendre à re-naître et à grandir en terre étrangère sans perdre son identité propre. Son message de charité évangélique s’insère à l’intérieur d’une culture étrangère à la sienne. Elle s’inscrit aussi dans une autre Église particulière ou locale qui lui permet de développer son âme de femme d’Église. L’Église locale ne se réduit pas au territoire géographique, elle considère les critères culturels énumérés plus haut, comme lieu de rencontre, et non seulement comme une implantation du charisme mais une semence vivante qui peut prendre racine dans le milieu culturel où elle est semée. Le sens spécifique du paradigme d’inculturation utilisé dans cette réflexion sera limité au processus d’implantation par Élisabeth Bruyère du charisme de charité de sainte Marguerite d’Youville en terre ontarienne, dans le Bytown du milieu du XIXe siècle. Les sens théologique et anthropologique seront parfois repris pour expliciter certains aspects de l’identité culturelle. Pour parler d’enculturation, nous décrirons brièvement le processus d’assimilation, d’intégration, d’intériorisation par Élisabeth Bruyère du charisme de charité de sainte Marguerite d’Youville, celle qui a fait « l’expérience du pauvre ». Dans un deuxième temps, nous observerons quelques événements sur les premières années de vie Introduction — 7 religieuse d’Élisabeth Bruyère dans la communauté des Sœurs de la charité de Montréal, dites Sœurs grises pour découvrir la profondeur de son attachement au charisme de charité de Marguerite d’Youville, celle qu’elle appelle toujours, « notre sainte mère ». L’acculturation sera décrite au moment de l’enracinement du charisme dans la nouvelle culture à Bytown. Le processus d’adaptation, de partage des richesses culturelles et spirituelles, de don et d’accueil, d’imitation et de créativité, tout ce processus donne à la fondation son caractère propre, son identité communautaire. La nouvelle communauté surgit du mélange assimilé du projet de charité évangélique vécu à Montréal et transplanté à Bytown. C’est pourquoi nous préciserons dans quelle optique la séparation d’avec la communauté de Montréal était nécessaire à la vie nouvelle dans la création d’une institution de charité à Bytown. Quant à l’inculturation, ce véritable mystère de vie, de mort et de re-naissance, fera l’objet du chapitre troisième où Mère Bruyère devient l’instrument totalement abandonné au « Seigneur, Dieu de tendresse et de pitié, lent à la colère, plein d’amour et de vérité » (Ps 86, 15), pour interpréter la symphonie de la charité évangélique en terre ontarienne. Le chapitre quatrième développe les fruits de la charité dans la vie religieuse de Mère Bruyère. Sa charité envers les autres, surtout les plus miséreux l’a rapprochée de Dieu qui l’a comblée de ses grâces les plus précieuses dans son cheminement spirituel. On peut donc dire qu’elle a atteint un degré de sainteté et d’union à Dieu très élevé. Sa renommée s’étendait à toute la ville. Nous voyons où peut conduire la pratique de la charité dans la vie personnelle d’une fondatrice dont le charisme a été transmis à toute la communauté et son rayonnement survit encore. Le chapitre cinquième, nous permettra de suivre l’inculturation de cette charité en Afrique. Les fondatrices missionnaires suivent les traces du cheminement de la charité parcouru par Mère Bruyère à Bytown pour y implanter la même forme d’inculturation en Afrique. 8 — Introduction C’est le « signe des temps 22 » dans la réalité de la mondialisation actuelle où le dialogue interculturel devient essentiel à toute communication. À l’assemblée plénière du Conseil pontifical de la culture, tenue en février 2008, le thème proposé a pour but de « chercher à répondre à des questions posées par la culture dite mondialisée et post-moderne 23 ». 22 Expression significative au Concile Vatican ll. On trouve l’expression dans la Constitution pastorale (Gaudium et Spes) 4, 1. Vatican ll, Les seize documents conciliaires, Montréal, Fides, 1967, p. 177. 23 Rome, le mardi 12 février 2008, Le dialogue interculturel dans la mondialisation, Zenith.org. Introduction — 9 CHAPITRE PREMIER Le sens donné à l’inculturation Dans ce chapitre, je donnerai le sens de la forme d’inculturation développée dans cette recherche. Après avoir fait la distinction entre culture et nature, je verrai les nuances de l’enculturation, et de l’acculturation. Comme l’inculturation a de vastes implications, je limiterai le développement à une forme d’inculturation de la charité que Mère Élisabeth Bruyère a pu vivre en son temps. Dans l’exhortation apostolique Evangelii Nuntiandi, Paul VI constate que le drame de l’Humanité à notre époque c’est « la rupture entre Évangile et culture 1 ». Il avait compris qu’en cette fin du XXe siècle, l’avenir de l’Église se jouait sur deux pôles : l’évangélisation des cultures et la promotion du développement intégral de la personne humaine dans tous les peuples. En 1982, Jean-Paul II crée le Conseil Pontifical pour la Culture « capable de donner à toute l’Église une impulsion commune dans la rencontre sans cesse renouvelée du message de salut de l’Évangile avec la pluralité des cultures, dans la diversité des peuples auxquels il doit porter ses fruits de grâce 2 ». Mais en même temps, l’Église, envoyée à tous les peuples de tous les temps et de tous les lieux, n’est liée d’une manière exclusive et indissoluble à aucune race ou nation, à aucun genre de vie particulier, à aucune coutume ancienne ou récente. Constamment fidèle à sa propre tradition et tout à la fois consciente de l’universalité de sa mission, elle peut entrer en communion avec les diverses 1 Paul V1, L’évangile dans le monde moderne, (Evangelii Nuntiandi, EN), exhortation apostolique, Montréal, Paulines, 1975, no 20, p. 19. 2 Jean-Paul II, pape, Lettre de fondation du Conseil pontifical de la culture, 20 mai 1982. Chapitre premier — 11 civilisations : d’où l’enrichissement qui en résulte pour elle-même et pour les différences cultures. 3 Un des premiers devoirs de l’Église, fondée sur son envoi apostolique à la suite de Jésus de Nazareth, est de devenir une Église entièrement humaine. Ainsi, la lumière de l’Évangile pourra briller dans chaque situation culturelle de l’Humanité et chaque expérience humaine devenir effectivement un lieu de rencontre avec le Christ. Sans s’identifier avec aucune des cultures, l’Église 4 peut s’enraciner, s’inculturer dans toutes les cultures du monde pour offrir le salut apporté par Jésus à toutes les personnes de bonne volonté. De nos jours, dans les relations internationales, la culture est de plus en plus valorisée. À son tour, elle devient le nouveau pays de mission de l’Église selon la Constitution pastorale du Concile Vatican II, Gaudium et Spes : C’est le propre de la personne humaine de n’accéder vraiment et pleinement à l’humanité que par la culture, c’est-à-dire en cultivant les biens et les valeurs de la nature. Toutes les fois qu’il est question de la vie humaine, nature et culture sont aussi étroitement liées que possible. (GS no 53, 1) 5 La constitution souligne l’importance que l’Église accorde à la notion de culture et à la situation culturelle de l’Humanité sans toutefois employer le mot inculturation. Au chapitre deuxième, elle donne à la personne humaine le rôle de promoteurs et d’ « artisans de la culture de sa communauté 6 ». Cette responsabilité définit l’importance que l’être humain « assume envers ses frères et devant l’histoire 7 » pour inculturer la charité évangélique dans son milieu. 3 4 5 6 7 Vatican 11, Les seize documents conciliaires, op. cit., GS, chapitre 11, no 58, 3, p. 233. Paul V1, L’évangile dans le monde moderne, (Evangelii Nuntiandi,EN), op. cit., no 20, p. 19. Vatican II, « L’Église dans le monde de ce temps », Gaudium et Spes (GS), op. cit., no 53, p. 229 Ibid., no 55, p. 230. Loc. cit. 12 — Chapitre premier La distinction entre culture et nature La nature se définit comme l’ensemble de ce qui est héréditaire, tandis que la culture est ce que l’individu reçoit de la tradition extérieure : les arts, la loi, la religion, les techniques pour vivre dans le monde matériel et acquérir toutes les habitudes qui permettent d’être membre d’une communauté particulière. L’évolution entre la nature d’une personne vers une culture se fait par le langage – élément culturel par excellence – qui véhicule ostensiblement l’appartenance et manifeste concrètement les différences culturelles 8. En 1952, A. L. Krœber et C. Kluckhohm répertorient plus de 300 définitions différentes de la culture élaborées depuis le XVIIIe siècle par des scientifiques, des anthropologues, des sociologues ou encore des psychologues 9. Certaines privilégient le contenu actuel, d’autres la dimension psychologique en accentuant le symbolisme, d’autres enfin donnent une définition structurale basée sur le comportement. Les habitudes culturelles de penser se révèlent dans les credos, les idéologies, les ethnies, la morale, les valeurs, les buts, les philosophies, les visions du monde et l’orientation de base qui s’acquièrent dans la famille, celle de la culture ambiante. 10 8 Mariasusai Dhavamony, sj, Christian Theology of inculturation, Documents Missionalis, 24, Rome, EPUG, 1997, p. 19. 9 A. L. Krœber et C. Kluckhohn, Culture: a critical review of concepts and definitions, Cambridge (Mass), Papers of the Peabody Museum of american archaeology and ethnology, Harvard University XLVII, 1952. www.furtura-science.com/fr/comprendre/dossier/doc, p.5. Achiel Peelman, L’inculturation, L’Église et les cultures (L’Horizon du Croyant), Ottawa, Novalis, 1988, p. 42. 10 Culture, as defined in Krœber and Kluckhohn’s classic, Culture: A Critical Review of Concepts and Definitions, is the “patterned ways of thinking, feeling, and reacting, acquired and transmitted mainly by symbols, constituting the distinctive achievements of human groups, including their embodiments in artifacts; the essential core of culture consists of traditional (i.e. historically derived and selected) ideas and especially their attached values” (1952). In international management research, Hofstede defined culture as “[…] the collective programming of the mind which distinguishes the members of one group or category of people from those of another” (1991). Many other definitions of culture are available. Common elements in the definitions are the shared and dynamic nature revolving around norms, values, and beliefs that are expressed in different behaviors, artifacts, and interactions. Chapitre premier — 13 La culture implique d’abord la vie de l’esprit par laquelle l’être humain comprend les valeurs qui lui sont présentées et auxquelles il veut adhérer. La culture surgit de l’assimilation et de la contemplation du vrai, du beau et du bon inscrits au cœur de tout être humain. « Un homme cultivé, écrit Pierre Tiberghien, digère ce qu’il apprend; c’est un homme qui a de l’estomac 11 ». La culture est alors davantage une question d’assimilation et de digestion qu’une affaire d’accumulation et de multiplication. Gaudium et Spes énumère avec justesse les éléments essentiels intégrés à la culture des peuples : [...] la culture humaine comporte nécessairement un aspect historique et social et [que] le mot culture prend souvent un sens sociologique et même ethnologique. En ce sens, on parlera de la pluralité des cultures. Car des styles de vie divers et des échelles de valeurs différentes trouvent leur source dans la façon particulière que l’on a de se servir des choses, de travailler, de s’exprimer, de pratiquer sa religion, de se conduire, de légiférer, d’établir des institutions juridiques, d’enrichir les sciences et les arts et de cultiver le beau. Ainsi, à partir des usages hérités, se forme un patrimoine propre à chaque communauté humaine. De même, par là, se constitue un milieu déterminé et historique dans lequel tout homme est inséré, quels que soient sa nation ou son siècle, et d’où il tire les valeurs qui lui permettront de promouvoir la civilisation. (GS no 53, 3) La culture s’entend des soins donnés à la terre pour la rendre plus productive. Par analogie, elle désigne en particulier ceux qui sont donnés à l’esprit humain pour le cultiver, le raffiner et le perfectionner; non seulement pour ce qui améliore sa performance économique et politique mais ce qui parfait son idéal comme personne humaine, peu importe de quelle culture il se nourrit. La personne 11 Comment se cultiver, Paris, Secrétariat national de la JECF, 1937, p. 13 cité dans Les chrétiens et la culture, Montréal, « L’Action catholique canadienne », 1959, p. 42. 14 — Chapitre premier humaine fragile et finie ne saurait atteindre son plein épanouissement sans une multitude de soins particuliers que la culture véhicule car l’idéal humain – jamais atteint – demeure toujours en tension. La personne cultivée se reconnaît à sa faculté de penser, à sa manière d’être parce que les êtres humains vivent comme ils pensent. Les mœurs sont les éléments culturels visibles et tangibles d’un peuple. Le mystère d’intégration d’une culture chez l’individu reste caché à toute observation extérieure. Seules les manifestations observables peuvent révéler l’expérience culturelle d’un individu et d’un groupe dans une société. 12 C’est un fait que la religion, berceau de toutes les cultures, accompagne le devenir historique, au long des millénaires. Si elle est nécessaire pour la constitution d’une culture, son absence rend impossible le plein développement d’une vraie culture humaine pour créer un chemin où toute personne peut rencontrer le Dieu, incarné dans son Fils qui réunit en lui les valeurs de toutes les cultures et révèle pleinement l’être humain à lui-même dans chacune. Paul Tillich 13 affirme que tout est culturel et que tout est d’une certaine façon religieux dans le milieu particulier d’un groupe humain. Symbiose culturelle ambivalente qui ne va pas sans heurts mais c’est la survie de l’être humain qui en dépend. Cet héritage commun des peuples permet à l’être humain de prendre conscience de l’unité spirituelle de l’Humanité, fondement d’un dialogue interculturel fructueux parce que la culture est l’âme d’un peuple. Il n’existe pas de culture parfaite mais les cultures sont en perfectionnement continuel par le contact avec les autres cultures pour se transformer, les unes au contact des autres selon les valeurs reconnues comme prioritaires. 12 Loc. cit. 13 Paul Tillich (1886-1965) est le fils d’un pasteur luthérien de Prusse. Il s’oriente dans la même voie. Son grand ouvrage : Systematic Theology qu’il n’achèvera pas a suscité la discussion, tant chez les catholiques que chez les protestants. Il faut reconnaître que ces thèmes parfois provocants ont exercé un effet stimulant dans la recherche d’une théologie capable de parler de Jésus-Christ dans un langage adapté au contexte culturel d’aujourd’hui, Théo, L’Encyclopédie catholique pour tous, Droguet-Ardant/Fayard, 1989-1993, p. 634. Chapitre premier — 15 Toute théologie s’exprime dans une culture et l’insertion culturelle de la foi s’atteste depuis les origines, à commencer par les quatre Évangiles qui expriment le même message d’amour adapté aux besoins humains de chaque groupe ethnique auquel il est destiné et ce qui englobe aussi, selon l’Évangile de Jean, toutes les personnes de l’humanité qui croiront « grâce à leur parole » (Jn 17, 20). Jésus pense à ses disciples immédiats mais aussi à toutes les personnes qui, à cause de leur prédication, constitueront à travers l’espace et le temps, la communauté des croyants et qui formeront l’Église de Dieu. Au milieu du XIXe siècle, l’anthropologie a fait son apparition et depuis, la culture influence de façon significative la formation de l’individu qui apparaît comme l’héritier et le porteur ou encore mieux le « portageur 14 » de sa culture, de son patrimoine et de ses traditions. La notion de culture apparaît toujours vague parce qu’il n’est pas facile de cerner un concept aussi vaste. Elle embrasse tous les aspects de la vie humaine incluant le savoir, la langue, la croyance, les lois, les habitudes pour vivre ensemble selon les mœurs et les coutumes, pour fêter, se marier, prier et mourir. La manière particulière d’accomplir les gestes rituels dans un peuple se transmet de génération en génération non pas de façon statique mais dynamique, c’està-dire que les transformations accueillies par le contact avec d’autres peuples viennent modifier, améliorer, adapter – parfois corrompre – le comportement humain de tel groupe à tel moment de son histoire. Des anthropologues parlent de diffusion des traits culturels par la migration de certains individus inventifs qui se promènent autour du monde pour répandre leurs inventions. D’autre part, Émile Durkheim 15 croit que la « conscience collective » englobe le matériel, l’humain et le spirituel. La culture serait selon certains anthropologues un modèle de comportements ou un modèle pour façonner un style de comporte- 14 Gilles Vigneault, conférence au Colloque tenue à Québec sur « Les états généraux du patrimoine vivant, 1992. 15 Émile Durkheim 1958-1917, sociologue français et l’un des fondateurs de la sociologie moderne. 16 — Chapitre premier ment compatible avec la culture du groupe. Pensons aux recherches de Frédéric Skinner 16 sur l’apprentissage et l’enseignement programmé. La culture est par le fait même une réalité spécifiquement historique qui crée l’individu. Cependant un groupe ethnique crée sa propre culture par sa double appartenance à un espace social particulier et à une époque historique déterminée. 17 La notion de culture comprend aussi « une forme d’espoir », écrit Hervé Carrier 18. On peut considérer la dé-culturation et la re-culturation comme deux concepts connexes. Ainsi, il y a dé-culturation quand le contact prolongé avec d’autres cultures cause la mort de l’une des cultures. Certaines personnes parlent alors d’assimilation. Il s’agit aussi de l’ethnocide ou du génocide culturel. La re-culturation ou contre-acculturation représente des tentatives pour rétablir l’intégrité ou l’identité culturelle d’un groupe dont l’existence est menacée par la culture dominante. 19 D’autre part, les éléments de la culture transmis de génération en génération par les parents à leurs descendants forment le patrimoine. En 1992, le ministère de la Culture et des Communications de l’Ontario dans le cadre de la révision de la Loi sur le patrimoine de l’Ontario 20 définit la culture comme l’ensemble du patrimoine qui englobe « notre héritage matériel d’objets-souvenirs, d’artefacts et d’objets fabriqués, de documents, de lieux d’inhumation, d’architecture, de sites archéologiques, de paysages et de ressources naturelles ». Notre « patrimoine vivant » inclut également les traditions, les valeurs, les connaissances et les croyances. Désormais, il est perçu comme le contexte vivant, « l’environnement intégral hérité du passé et auquel nous contribuons présentement et qui sera légué 16 Frédéric Skinner, psychologue américain, auteur d’importants travaux sur l’apprentissage et l’enseignement programmé. 17 Achiel Peelman, L’inculturation…, op. cit., p. 4. 18 Hervé Carrier, sj, Évangile et cultures de Léon XIII à Jean-Paul II, Paris, Médiaspaul, 1987, p. 92. 19 Achiel Peelman, L’inculturation…, op. cit., p. 50. 20 Projet de loi du comité consultatif du ministère de la Culture et des Communications de l’Ontario, 1992. Chapitre premier — 17 aux générations futures 21 ». Il nous permet de donner un sens aux choses, comme étant la somme de toute l’expérience de notre société et comme le point de référence qui nous guide vers l’avenir. Notre patrimoine fait prendre conscience des racines qui sont le fondement de l’identité en tant que société. Du patrimoine, nous apprenons qui nous sommes, ce que nous avons accompli et comment nous avons maîtrisé les situations dans la prospérité et dans l’adversité. Il nous donne une inspiration, un sentiment de stabilité et une confiance en l’avenir. Il nous procure les références familières qui nous aident à nous sentir chez nous et à conserver notre identité en période de changement. C’est le contexte vivant duquel nous tirons notre subsistance, notre cohérence et notre sens de l’existence. Notre patrimoine est également l’ensemble des valeurs et des institutions que nous partageons en Ontario ainsi que l’ensemble des histoires, des expressions et des aspirations distinctes de nos nombreux peuples et communautés. Le patrimoine représente des groupes d’individus liés par un patrimoine ou une raison d’être, lesquels ont pu être établis soit par des liens familiaux ou une expérience historique ou encore par une origine ethnoculturelle, une langue, une appartenance professionnelle ou religieuse, soit par un regroupement régional ou géographique. Un patrimoine est à la fois signe de la diversité et de l’adaptation. Il demeure un symbole des valeurs immuables et des choses qui nous unissent. Hervé Carrier souligne encore que les gouvernements devraient poursuivre une priorité culturelle. « On soutient, dit-il, que les objectifs culturels doivent désormais orienter l’ensemble de la vie collective, de manière à remettre l’[être humain] au centre de toute préoccupation politique ». Et Jean-Paul II confirme l’importance de mettre la personne humaine au cœur des politiques économiques : « Il faut souligner et mettre en relief le primat de l’homme 21 Huguette, Parent, sco, membre du comité consultatif du ministère de la Culture et des Communications de l’Ontario, 1992, participe à l’élaboration de la dite loi. 18 — Chapitre premier par rapport aux choses 22 ». Une politique culturelle s’identifie par la conception de la personne humaine et de son développement intégral. Longtemps, on a cru que la langue était l’unique gardienne de la foi mais aujourd’hui, le patrimoine n’est-il pas le gardien et de la langue et de la foi ? 23 Pour l’Église, évangéliser, c’est porter la Bonne Nouvelle dans toutes les cultures de l’Humanité et, par son impact, transformer du dedans c’est-à-dire rendre neuve l’Humanité elle-même : « Voici que je fais l’univers nouveau ! » (Ap 21, 5) La culture ne devrait-elle pas être comprise comme le vivant qui englobe toute l’existence de l’être humain en tant qu’appartenant à un groupe social particulier ? Dans ce processus, il y a trois éléments à considérer : l’enculturation, l’acculturation et l’inculturation. Cette trilogie présente une v ision du phénomène d’inculturation d’où surgissent les transformations qui s’opèrent quand il y a contact avec une culture étrangère. L’étranger est celui qui vient annoncer un message. Dans ce développement, il y a danger de transculturation c’est-à-dire de l’imposition de la culture dominante si le dialogue n’est pas établi sur une base de partage des richesses culturelles réciproques. Il faut identifier les trois facteurs en présence : le message, le messager et le groupe culturel qui accueille le message. Les relations entre ces intervenants et le message font partie du processus de transmission. Les facteurs qui modifient l’accueil déterminent la perception du message. L’enculturation On entend par enculturation le phénomène de socialisation pour signifier l’identification et l’intégration d’un individu à une culture par l’éducation ou à la suite de l’immigration. C’est donc la façon 22 Jean-Paul II, encyclique Laborem Exercens, Le travail humain, 14 septembre, 1981, no12, p. 48, édition de la CECC. 23 Huguette Parent, sco, Conférence donnée à Clarence Creek à l’occasion du centième anniversaire de la paroisse Sainte-Félicité, 6 juin 1991. Chapitre premier — 19 dont l’individu assimile la culture du pays hôte. Il s’agit du processus de socialisation de l’individu qui, par l’éducation, l’instruction, les disciplines du groupe en général, transmettent à chacun des membres du groupe les modèles, les normes, les systèmes de valeurs caractérisant la culture. L’enculturation est un terme proposé par Magaret Mead 24 pour définir le processus par lequel le groupe va transmettre à l’enfant, dès sa naissance, des éléments culturels, normes et valeurs partagés. L’enculturation traduit le processus de transmission de la culture du groupe à l’enfant. Melville Herskovits 25 définit l’enculturation, en la situant comme processus : [...] par lequel l’individu assimile durant toute sa vie les traditions de son groupe et agit en fonction de ces traditions. Quoiqu’elle comprenne en principe le processus d’éducation, l’enculturation procède sur deux plans, le début de la vie et l’âge adulte. Dans les premières années l’individu est conditionné à la forme fondamentale de la culture où il va vivre. Il apprend à manier les symboles verbaux qui forment sa langue, il maîtrise les formes acceptées de l’étiquette, assimile les buts de vie reconnus par ses emballages, s’adapte aux institutions établies. En tout cela, il n’a presque rien à dire il est plutôt instrument qu’acteur 26. Par ailleurs, l’enculturation est l’héritage, non seulement biologique indéniable mais aussi culturel, que tout individu reçoit dans son enfance. C’est le processus par lequel l’être humain est élevé culturel24 Encyclopédie libre Wikipédia, sur internet « enculturation ». Margaret Mead, 1901-1978, est une anthropologue américaine connue pour être très engagée, elle a participé activement à promouvoir la dimension humaniste de l’anthropologie. 25 Melville J. Herskovits (1895-1963) anthropologue américain, Pierre R. Dasen, Développement humain et éducation informelle, FPSE, U. de Grèce, 2000, pp.107-123. 26 Ibid. 20 — Chapitre premier lement et socialement en y incluant l’aspect religieux. Les processus en jeu sont l’enculturation et la socialisation, ou, autrement dit, la transmission culturelle. C’est la manière de vivre dans le groupe humain où l’individu est formé à manger, penser, célébrer, se marier, vivre la maladie et mourir. La culture est le milieu vital où s’épanouit la personne humaine. Le passage de l’enculturation – ce processus de socialisation d’un individu – à l’inculturation – comme incarnation de la Bonne Nouvelle de Jésus-Christ dans une culture concrète pour le féconder et le transformer du dedans – passe d’un concept anthropologique à un concept théologique. L’acculturation L’acculturation 27 est le processus dynamique dans lequel s’engage une culture évoluant sous l’influence d’une autre culture avec des conséquences variées pour l’une et pour l’autre : emprunts réciproques, imitations, transferts symboliques, nouveaux développements. Il y a danger pour l’assimilation de l’une ou de l’autre des cultures si les intervenants ne mettent pas la priorité sur le partage réciproque des richesses mutuelles. Cependant, ces aspects plus sociologiques et politiques ne seront pas traités dans le développement puisqu’il s’agit de cerner l’inculturation de la charité évangélique selon le charisme d’Élisabeth Bruyère. L’acculturation est l’ensemble des phénomènes qui résultent d’un contact continu et direct entre des groupes d’individus de différentes cultures et qui entraîne des modifications dans les modèles 27 J.W. Powell is credited with coining the word acculturation, first using it in an 1880 report by the U.S. Bureau of American Ethnography. In 1883, Powell defined «acculturation» as the psychological changes induced by cross-cultural imitation. Acculturation is thus the exchange of cultural features as a result of a continuous firsthand contact between different cultural groups. Either one or both groups may change their original cultural patterns, but the two groups remain distinct. Le mot acculturation a été adopté depuis plus de trente ans par les missiologues pour décrire les nouveaux rapports entre l’Évangile et les cultures dans A. Peelman, L’inculturation…op. cit., p. 117. Chapitre premier — 21 initiaux de l’un ou des deux groupes. Il faut bien distinguer « acculturation » et assimilation. Le terme serait apparu en 1880, chez J. W. Powell, selon Denys Cuche, pour désigner les « transformations des modes de vie et de pensée des immigrants au contact de la société américaine » 28. Il ne s’agit donc pas seulement de décrire la perte d’une culture d’origine (déculturation) mais aussi, et peut-être surtout, l’apparition d’une nouvelle culture. On pourrait distinguer la transculturation – le même processus que l’acculturation mais sans la mise en contact de plusieurs ensembles culturels distincts –; la contre-acculturation en considérant les attitudes de réserve, de rejet ou de repli qu’un groupe manifeste en face de l’acculturation –; la déculturation comme une dégradation culturelle sous l’influence d’une autre culture et la reculturation pour retourner vers une culture originale, cependant, ces aspects n’ajoutent rien à notre développement sur l’inculturation de la charité évangélique. Une forme d’inculturation Inculturation, voilà le nouveau paradigme pour parler d’évangélisation à l’aube du XXIe siècle. Aujourd’hui, il est question d’évangélisation et d’inculturation comme hier on parlait de conversion et de péché. Il y a des mots et des expressions qui véhiculent des concepts circonscrits dans le temps, ce sont des mots-vedettes qui passent comme certaines vedettes dans les médias. Ces mots donnent une portée à des théories et ne se comprennent bien que dans un contexte historique précis – le Sitz im Leben 29. L’inculturation est l’un de ces mots qui apporte aujourd’hui à la perspective d’évangélisation une dimension nouvelle apparue au Concile Vatican II et sans 28 Denys Cuche, La relation entre les cultures dans les sciences sociales, Repères, Paris, La Découverte, 2001. 29 C’est un terme allemand pour désigner la situation sociologique normale d’un genre littéraire, dans Dictionnaire rédigé par le Dr Tim Bulkeley, mis en forme électronique 2003-4, voir Mt 23, www.bible.com\glossaire. 22 — Chapitre premier cesse croissante depuis. C’est pourquoi, dans de nombreux textes, il est question de nouvelle évangélisation dans une perspective d’inculturation plutôt que dans une mission apostolique géographiquement circonscrite. L’inculturation devient comme un paradigme, un modèle d’interprétation véhiculant une nouvelle approche en vue de la proclamation du message évangélique. Pour certaines personnes, il s’agit d’un phénomène nouveau; toutefois signalons qu’on y retrouve des racines profondes dans l’annonce du message évangélique à travers l’Histoire. C’est, il semble bien, l’effort des chrétiens qui ont vécu et qui vivent dans des cultures étrangères à la culture occidentale et continuent d’écrire, sans le savoir, un cinquième évangile. Le mot inculturation, comme tel, fait son apparition dans le langage théologique au milieu des années soixante-dix, introduit en missiologie par J. Masson qui parle d’un « catholicisme inculturé 30 ». Le père Pedro Arrupe, supérieur général de la Compagnie de Jésus, lors du Synode 1974, utilise le mot inculturation dans le sens d’évangélisation. Ce terme est largement repris et diffusé sous l’influence de la 32e Congrégation générale tenue à Rome du 1er décembre 1974 au 7 avril 1975. Puis, à la Première Assemblée de la Fédération des Conférences épiscopales de l’Asie en 1976. Dans ce contexte, l’inculturation véhicule le message évangélique actualisé dans la vie chrétienne. Jean-Paul II, le premier pape appelé de Pologne, et donc du cœur des nations slaves, qui occupe le siège de Pierre se sent particulièrement poussé à utiliser le terme inculturation. Il veut que soit « gardée en mémoire la contribution inestimable qu’ils ont apportée à l’annonce de l’Évangile dans ces peuples et, en même temps, à la cause de la réconciliation, de la convivialité amicale, du développement humain et du respect de la dignité intrinsèque de chaque nation [...] ». Il écrit dans son encyclique Slavorum Apostoli : 30 J. Masson, L’Église ouverte sur le monde, « Nouvelle Revue théologique », vol. 84, 1962, p. 1038 cité dans A. Peelman, L’Inculturation…, op. cit., p. 120. Chapitre premier — 23 Dans l’œuvre d’évangélisation qu’ils [Saints Cyrille et Méthode], entreprennent en pionniers, dans les terri toires habités par les peuples slaves, on trouve aussi un modèle de ce que l’on appelle aujourd’hui l’inculturation : l’incarnation de l’Évangile dans les cultures autochtones, et en même temps, l’introduction de ces cultures dans la vie de l’Église. (SA no 21) C’est un élément vital qui circule dans les deux sens, prise de conscience que l’on verbalise enfin. Selon Brendan Cogavin, « il est maintenant reconnu que l’inculturation est un terme théologique qui a été défini dans Redemptoris Missio, comme le dialogue continuel entre la foi et la culture. En exerçant son activité missionnaire parmi les peuples, l’Église entre en contact avec différentes cultures et se trouve engagée dans le processus d’inculturation. C’est une exigence qui a marqué tout son parcours au long de l’histoire et qui se fait aujourd’hui particulièrement sensible et urgente 31. Le concept théologique d’inculturation – à ne pas confondre avec l’inculturation anthropologique – se définit selon R. Jaouen comme « la réponse inédite d’une culture donnée à la première annonce de l’Évangile, puis à l’évangélisation continue ». Cet accueil du message évangélique produit graduellement des changements dans la culture d’un peuple. Ces changements s’opèrent surtout au niveau des mentalités et sont souvent imperceptibles pendant longtemps. Le phénomène de l’inculturation s’impose lentement car les mentalités prennent du temps à changer et le changement est imperceptible aux contemporains. Le processus d’insertion de l’Église dans les cultures des peuples demande beaucoup de temps; il ne s’agit pas d’une simple adaptation extérieure, car l’inculturation 31 Jean-Paul II, Redemptoris Missio, La mission du Christ Rédempteur, lettre encyclique sur la valeur permanente du précepte missionnaire, Qc, Paulines 1991, no 52, p. 76. 24 — Chapitre premier « signifie une intime transformation des authentiques valeurs culturelles par leur intégration dans le christianisme, et l’enracinement du christianisme dans les diverses cultures humaines 32 ». Parmi les facteurs qui sont en jeu dans ces processus, signalons : le message, le messager et le groupe culturel qui accueille le message. Les relations entre ces intervenants et le message font partie du processus de transmission. Les facteurs qui modifient l’accueil déterminent la perception du message. D’autres facteurs entrent aussi en jeu dans ces processus : la langue, l’enseignement, le contexte historique, les mœurs, la vie, en un mot la culture et ses manifestations anthropologiques. Cette diversité manifeste la libéralité de Dieu dans ses dons. Malheureusement, la diversité culturelle est souvent perçue comme un problème à résoudre plutôt qu’une richesse à partager. De là, naissent tous les défis à relever pour favoriser un dialogue égalitaire. Gaudium et Spes souligne la nécessité du dialogue avec les autres croyants car selon certains Pères de l’Église, tels saints Justin, Irénée et Clément d’Alexandrie, tous parlent de « graines » semées par le Verbe de Dieu au milieu des nations. Le Concile a pris en considération la position de l’Église primitive vis-à-vis des autres croyants. Dans Nostra Aetate 33, le Concile a mis en valeur l’ouverture aux autres religions et, tout en réaffirmant la nécessité de proclamer Jésus Christ, il a exhorté les catholiques à coopérer avec les autres croyants. Lumen Gentium et Ad Gentes 34 expliquent que la volonté salvifique de Dieu s’étend à toute l’humanité et qu’elle est orientée vers l’unité de tous les peuples en Église afin [...] « que tous soient un comme toi, Père, tu es en moi et que je suis en toi ». (Jn 17, 21) 32 Ibid. 33 Vatican II, Nostra Aetate (NA), Déclaration sur les relations de l’Église avec les autres religions non chrétiennes, Montréal, Fides, 1967, p. 550. 34 Vatican II, Constitution dogmatique sur l’Église (LG) et le Décret sur L’activité missionnaire de l’Église (AG), op. cit., p. 429. Chapitre premier — 25 Selon le cardinal Francis Arinze 35, l’Université a un rôle très important à jouer pour permettre à l’Évangile d’aller à la rencontre de chaque culture. Dans la mesure où religion et culture sont liées, compte tenu du fait que la religion est un élément majeur de la culture, l’Université catholique peut promouvoir l’inculturation de l’Évangile prêtant une oreille attentive aux autres religions. Promouvoir un dialogue permanent et bénéfique en Église, avec la société contemporaine, facilite l’enracinement et ainsi l’inculturation de la foi chrétienne annonçant la Bonne Nouvelle à tous les peuples. Elle apporte une réponse aux plus nobles aspirations de l’être humain. Elle doit pouvoir s’intégrer dans le langage des personnes, s’imprégner des traditions progressivement élaborées par leur sagesse ancestrale et stimuler la cohésion de leur vie sociale. Bref, l’Évangile rencontre la culture, la stimule, la purifie, l’élève et, si nécessaire, la remet en question car la foi s’enracine nécessairement dans la culture. Une foi qui ne s’introduit pas dans une culture est une foi qui n’est pas totalement reçue, ni tout à fait examinée en détail ni vécue en pleine fidélité. Promouvoir ensemble les valeurs de la charité évangélique c’est être en Église, la lumière du monde. Marcello Azévedo 36, théologien de la libération, décrit le processus d’inculturation comme la traduction du mystère de l’Incarnation. Dans une situation donnée, pour qu’il y ait un besoin de traduction c’est la présence de trois éléments inconnus. La langue du message d’origine, les langues du messager et la langue des destinataires. L’habileté de l’interprète à décoder le message dans la langue de départ et à le recoder dans la langue du destinataire garantit la fidélité du message. La traduction la plus juste consiste à transmettre le message avec toutes les nuances dans la langue du destinataire en laissant le moins de traces possibles de la langue d’origine. Saint Thomas d’Aquin écrit dans le Prologue de son opuscule Contre les erreurs des Grecs : « Un bon traducteur doit, tout en gardant le sens 35 Francis Arinze, cardinal, Le rôle de l’Université catholique dans le dialogue interreligieux, dans « Documentation catholique », 19 avril 1998, no 2180, p. 388. 36 Marcello Azévédo, un jésuite brésilien. 26 — Chapitre premier des vérités qu’il traduit, adapter son style au génie de la langue dans laquelle il s’exprime ». Dans un langage théologique, il s’agit de la kénose (κνοσis) du messager, de sa totale disparition parce qu’il n’est que l’instrument intermédiaire. On peut donc affirmer que le message a été inculturé quand le message prend racine et revit de sa propre vie après le départ du messager. Dans la dynamique du mystère de l’Incarnation, nous retrouvons l’inculturation du divin dans l’humain et de l’humain dans le divin. C’est en quelque sorte l’humanisation du divin ou la divinisation de l’humain 37, une transformation comme celle qui est réalisée à l’Eucharistie par le célébrant au moment de la liturgie eucharistique : « Comme cette eau se mêle au vin, puissions-nous être unis à la divinité de celui qui a pris notre humanité ». Le Verbe de Dieuse fait homme, il devient l’intermédiaire ou le traducteur. C’est l’Esprit-Saint en Marie. Dieu s’incarne mais ne perd pas sa divinité, par ailleurs la nature humaine ne disparaît pas de l’Homme-Dieu mais elle est en quelque sorte divinisée. Le thème de l’image et de la ressemblance dans le récit de la Genèse (Gn 1, 26-28 38) donne un éclairage vivant de cette transformation. Irenée de Lyon développe le sens de l’image et de la ressemblance dans son Adversus Haereses 39. C’est dans l’imitation du modèle que l’image prend sa ressemblance. Mais selon le texte de la Genèse il semble que l’image implique aussi une mission essentielle de ressemblance positive dynamique et croissante dans l’imitation du Christ. Dans l’inculturation, l’expérience de la kénose se réalise comme dans l’Incarnation et la traduction serait le passage de la mort vers une vie nouvelle. Paul nous invite à réfléchir : Ayez entre vous les mêmes sentiments qui sont dans le Christ Jésus: Lui, de condition divine, ne retint pas 37 Thème développé par Irenée de Lyon sur image et ressemblance. 38 On retrouve le même thème en Gn 1, 27-28; 2,7; 5,3; 9,6 et dans la vision paulinienne 2 Co 4, 4; Col 1,15; 3,10 et Hé 1, 3. 39 Adversus Haereses (AH) 1, 1, 2; 5 quand il combat le système gnostique. Chapitre premier — 27 j alousement le rang qui l’égalait à Dieu. Mais il s’anéantit lui-même, prenant la condition d’esclave, devenant semblable à nous. (Ph 2, 5-7) Ne s’agit-il pas là d’une re-naissance un peu comme celle que Nicodème demandait à Jésus : « Comment un homme peut-il naître, étant vieux ? Peut-il une seconde fois entrer dans le sein de sa mère et naître ? » (Jn 3, 4) Si Nicodème ne comprend pas tout à fait, c’est qu’il y a confusion dans le sens de renaître. S’agit-il de re-naître de nouveau ou de re-naître d’en haut, comme le mot grec insinue ? Naître de nouveau, c’est humainement impossible mais renaître d’en haut c’est être divinisé par l’Esprit de Dieu. Le message traduit et transmis peut maintenant vivre par lui-même dans son environnement nouveau, y puiser les ressources pour croître et parvenir à une maturité personnelle, nouvelle et créatrice. Certaines personnes identifient « inculturation » avec les rapports qui s’établissent dans l’expérience d’otherness que nous traduirons par « étrangeté » dans le sens de toujours être différent et étranger partout. Ce phénomène peut devenir une source de richesse mais renferme aussi des défis qui peuvent détruire la créativité de l’individu. Cet individu semble n’appartenir à aucun peuple sur la terre, et vit en quelque sorte sans culture propre qui l’identifie comme membre d’une communauté. Cette expérience peut être vivifiante et pleine de richesse à partager ou néfaste et remplie de conséquences tragiques. Entretenir la mémoire de cet état d’étrangeté peut être aliénante ou peut contribuer à devenir agent de transformation du milieu. Toutes les transformations, toutes les croissances sont douloureuses et audacieuses, libérantes et stimulantes pour un nouveau départ mais les écueils et les difficultés s’avèrent souvent très nombreux et souvent dangereux pour l’identité personnelle. En venant vivre en terre ontarienne la vision de charité universelle de sainte Marguerite d’Youville, Élisabeth Bruyère a fait cette expérience d’une situation d’étrangeté. Elle a transformé ses « mémoires » de Montréal en efforts stimulants pour faire naître un 28 — Chapitre premier rameau vivant de la racine youvillienne en terre ontarienne. Cette inculturation du charisme de charité évangélique vécu par Élisabeth Bruyère présuppose qu’elle a une vision de l’Église comme mystère de communion avec le Christ incarné dans les pauvres du milieu culturel donné – le Bytown de 1845. Être au service de l’Église suppose un grand respect de l’expérience humaine en essayant de devenir l’image du Dieu de Jésus-Christ, un Dieu-Amour des pauvres et des petits dans la situation concrète du vécu historique de son temps. Dès que la Parole est proclamée, la vie croît d’elle-même à l’exemple d’un catalyseur qui oriente les forces et fait des merveilles de vie neuve et féconde. L’inculturation de la charité évangélique dans l’Église Nous pouvons considérer saint Paul, l’apôtre des nations, comme un pionnier de l’inculturation de l’Évangile dans les Églises qu’il fonde et visite. Il respecte le caractère propre à chaque milieu et n’impose pas la loi juive à tous les gentils. Pensons à la Rencontre de Jérusalem des colonnes de l’Église pour permettre au message de Jésus-Christ de rejoindre toute personne sans imposer la conformité à des pratiques cultuelles de la loi juive. La conscientisation de l’Église à l’inculturation s’éveille avec le Concile Vatican II. Le Pape Pie XII, déjà en 1955, affirmait aux membres du Congrès international d’histoire que « l’Église catholique ne s’identifie à aucune culture 40 » et qu’en principe la religion, comme telle, est radicalement indépendante de toute culture car la culture ne permet pas de juger des valeurs religieuses vécues dans un groupe ethnique. Par son activité, elle [l’Église] fait en sorte que toute trace de bien, quelle qu’elle soit, présente dans le cœur et la pensée des hommes, dans leurs rites et leurs cultures, 40 Paul V1, L’évangélisation dans le monde moderne, Exhortation apostolique, Evangelii Nuntiandi (EN), op. cit., no 20, p. 19. Chapitre premier — 29 non seulement ne périsse pas, mais soit, au contraire, purifiée, élevée et portée à la perfection pour la gloire de Dieu, la confusion du démon et le bonheur de l’homme. À chacun des disciples du Christ incombe, pour sa part, la charge de jeter la semence de la foi. Jésus-Christ, fondateur de l’Église, n’a donné a son Église aucun mandat ni fixé aucune dimension d’ordre culturel, cependant cette apparente indifférence de l’Église à la culture des peuples ne signifie pas indifférence à l’égard de la culture comme telle. L’Histoire montre que toute activité culturelle met en œuvre des aptitudes conférées par le Créateur à sa créature. Dans les grandes religions du monde, la culture a toujours été liée de façon quasi organique à la religion. La présence de la religion et son action religieuse ont souvent influencé les cultures de l’Humanité dans le respect de la personne humaine comme telle. La lettre à Philémon, un document culturel de premier ordre est à relire dans cette perspective d’adaptation, disons d’inculturation du message évangélique. Voici, dans l’encyclique Evangelii praecones, ce que Pie XII lui-même déclare comme étant l’idéal de l’Église : L’Église depuis son origine jusqu’à nos jours, a toujours suivi la norme très sage selon laquelle l’Évangile ne détruit et n’éteint chez les peuples qui l’embrassent, rien de ce qui est bon, honnête et beau en leur caractère et leur génie 41. L’évangélisation se fait dans, par et à travers la culture et c’est ainsi que Vatican II peut définir l’Église comme « peuple de Dieu » et « sacrement de salut » au service de tous les peuples. Si le peuple de Dieu nourrit la ferme conviction que la présence de Dieu se situe à l’intérieur même de la culture et non dans ce que nous y apportons de l’extérieur, il voit la nécessité de libérer le message évangélique de ses façades ou de ses masques « romains » 41 Pie XII, Evangelii Praecones, Pour le progrès des missions catholiques, 2 juin 1951, traduction officielle. 30 — Chapitre premier et « occidentaux ». Une personne conscientisée aux éléments d’une culture étrangère, c’est une personne qui sait interpréter « les signes des temps », initier des projets et déclencher une ouverture à la collaboration entre les peuples. Voilà le phénomène qui marque le changement d’attitude des personnes missionnaires qui ne se voient plus comme dépositaires uniques de la Parole, chargées d’apporter Dieu aux autres, et n’ayant qu’un but : convertir les autochtones et les baptiser. Soulignons l’importance d’une présence, d’une manière d’être avec les gens, de respect de leur culture et pour les aider à reconnaître Dieu déjà présent dans leur propre culture. Il s’agit de nourrir le respect mutuel. Il n’est pas question d’exiger la perte de son identité mais de se comprendre mutuellement et de découvrir les richesses réciproques avec l’intention d’en partager le meilleur. Connaissance, compétence et formation, voilà les éléments essentiels pour mieux connaître les cultures et ainsi de pouvoir laisser la charité s’inculturer. Voilà l’attitude ouverte à l’inculturation de la charité évangélique : demeurer avide de découvrir les valeurs fondamentales et les aspirations humaines au cœur des cultures qui manifestent en elles-mêmes la présence de Dieu. Des attitudes de tolérance, de réceptivité, d’acceptation et d’accueil mettront en valeur et favoriseront une véritable communication entre les cultures. Un peu comme saint Paul disait : « Moi j’ai planté, Apollos a arrosé; mais c’est Dieu qui donnait la croissance. » (1Co 3, 6) Puisqu’il s’agit de la transmission d’un message, quel message, Élisabeth Bruyère voulait-elle véhiculer dans l’Église d’Ottawa ? Comment peut-on parler d’une forme d’inculturation du charisme de charité universelle de sainte Marguerite d’Youville à Montréal et transplanté dans l’Église d’Ottawa ? Quels sont les éléments culturels qui doivent se transformer pour permettre l’implantation de son esprit en respectant l’esprit de la culture et surtout les besoins de l’Église particulière d’Ottawa ? Quelles morts doit subir Élisabeth Bruyère pour que vive sa nouvelle communauté ? Chapitre premier — 31 Nous regarderons la séparation imposée d’avec la Maison mère de Montréal, l’échec de la tentative d’union avec les Sœurs de SainteFamille de Bordeaux et les souffrances de la part de ses sœurs et des autorités ecclésiales comme autant de morts qui ont creusé les traits de la charité évangélique dans sa vie donnée pour que « l’union la plus parfaite règne parmi vous » selon l’expression de Mère d’Youville. Tel est le testament spirituel 42 d’Élisabeth Bruyère à sa communauté : Mes chères enfants, soyez charitables, vous aimant les unes les autres, rendez service au prochain pour l’amour de Dieu. Éloignez de vous l’esprit de jalousie, d’envie et les rapports. Le Bon Dieu n’abandonnera pas la Communauté si vous êtes humbles et obéissantes.[...] Si vous renoncez à votre propre volonté, l’Esprit de Dieu vous remplira 43. Pour mieux comprendre l’inculturation du charisme de charité évangélique, reprenons l’enseignement de la parabole de la semence, en Matthieu. (Mt 13, 24ss) L’esprit de charité d’Élisabeth Bruyère est la semence jetée en terre ontarienne et qui est accueillie dans les divers terrains décrits par Matthieu. À Bytown, il y a de la bonne terre, certes, mais les terrains rocailleux, marécageux et remplis d’embûches abondent aussi. Élisabeth Bruyère vit en Ontario, terre étrangère, l’inculturation un siècle avant le Concile Vatican II. Le cheminement de sa vie est un exemple d’une véritable inculturation de la charité évangélique dans une Église locale particulière qui s’insère dans la Grande Église. Gardons-nous bien de concevoir l’Église universelle comme la somme ou, si l’on peut dire, la fédération plus ou moins hétéroclite d’Églises particulières 42 ASCO, Circulaire du 7 octobre 1875, à ses sœurs qu’elle appelle ses filles. Ce testament a été mis en musique par Sœur Gisèle Vézina, sco, le 20 février 1978. 43 Émilien Lamirande ajoute que sœur Rivet et peut-être l’aumônier, le père Froc auraient contribué à la rédaction tout en conservant l’esprit avec lequel Mère Bruyère aurait voulu communiquer à sa communauté ses dernières pensées. 32 — Chapitre premier e ssentiellement diverses. Dans la pensée du Seigneur, c’est l’Église, universelle par vocation et par mission, qui, jetant ses racines dans la variété des terrains culturels, sociaux, humains, prend dans chaque portion du monde des visages, des expressions extérieures diverses 44. En nous inspirant des différentes facettes de la culture, nous essayerons de tracer la figure d’Élisabeth Bruyère qui a su intégrer le respect de la culture ontarienne dans le service des pauvres et l’enseignement de la jeunesse. Pour elle, dans toutes les formes de culture, il faut considérer intégralement la personne comme une valeur particulière et autonome, comme le sujet porteur de la transcendance de la personne à cause de sa dignité particulière. À ce titre l’exhortation apostolique n’est-elle pas en quelque sorte la chartre de l’évangélisation des cultures pour tous les temps ? 44 Vatican II, Évangelii Nuntiandi, (EN), L’évangélisation dans le monde moderne, no 62, op. cit., p. 57. Chapitre premier — 33 CHAPITRE DEUXIÈME Les étapes dans la vie d’Élisabeth Bruyère (1818-1876) Présenter Élisabeth Bruyère comme la première travailleuse sociale à Bytown, c’est, en effet, situer son rôle dans un Bytown mal famé et surnommé la « quasi Babylone 1 » du Haut-Canada. Tout est à faire et à bâtir, la charité peut se déployer sans frontière : école, hôpital, orphelinat, sans oublier la formation à donner aux jeunes mamans dont les maris absents œuvrent dans les chantiers pour gagner le pain de la famille. C’est, à vrai dire, au nom de l’inculturation de la charité dans un milieu étranger au service des plus démunis. Sa famille Élisabeth est née le Jeudi saint 19 mars 1818, du deuxième mariage de Charles Bruguier (Bruyère) et de Sophie Mercier 2, dans la paroisse Saint-Pierre-du-Portage de L’Assomption, « le Bas de L’Assomption » ou « l’Achigan », « capitale de la Seigneurie de Saint-Sulpice 3 », petite campagne du Québec située à quelque trente kilomètres au nord de Montréal. Le curé de la paroisse, Pierre Le Sueur, est sulpicien et fondateur. À la naissance d’Élisabeth, son père a 54 ans et sa mère en a 20, conséquemment, Élisabeth n’a pas vécu longtemps ni avec son père qui meurt quand elle a à peine six ans, ni avec sa mère qui la confie à son cousin, l’abbé Charles-Thomas Caron, pour se remarier 1 Gaétan Gervais, « L’Ontario français (1821-1910) » dans Cornélius Jaenen, (Sous la directionn de) Les Franco-Ontariens, Série Ontario Historical Studies, PUO, 1993, p. 55-56. Aussi qualifié par certains de ‘Babylone’, vers 1835-1838. 2 Sa mère (1796-1849) née de Marie-Louise Lefrançois et Étienne Mercier, la dixième de quatorze enfants, était établie à Sainte-Anne-de-Beaupré. Jeanne d’Arc Lortie, Lettres …, volume 1, op. cit., p. 18. É. Lamirande, op. cit., p. 28. 3 Loc. cit., p. 27. Chapitre deuxième — 35 par la suite. Élisabeth est déjà à Ottawa depuis quatre ans quand elle apprend la mort subite de sa mère des suites du choléra en 1849. Son père, Charles (1763-1824), ayant passé quelques années au Séminaire de Montréal est habile négociant et audacieux comme les aventuriers du temps. Charles Bruguier et Sophie Mercier ont trois enfants : Élisabeth (1818), Charles (1819) et Théophile (1821). Son père, Charles, meurt en 1824 laissant sa femme, ses trois enfants 4 et quatre filles 5 nées de Ursule Gaillard 6 qu’il avait épousée en 1786. Pour assurer le pain de ses enfants, la mère déménage à Montréal (1827) où elle fait du service domestique 7. Élisabeth fréquente durant quatre ans l’école des Sœurs de la Congrégation Notre-Dame 8, située proche de la chapelle Bon Secours où elle fait sa première communion à l’âge de neuf ans et la Confirmation de son baptême 9des mains de Mgr Jean-Jacques Lartigue, premier évêque de Montréal. Sophie Mercier-Bruyère, la mère d’Élisabeth, après quatorze mois de veuvage, remariée à Louis Êtu 10 célibataire, vient s’établir sur une ferme dans le canton de Rawdon où il n’y a ni école, ni église. De leur mariage naissent six enfants 11. En 1841, Sophie Mercier/ Bruguier/Étu épouse, en troisième noces, Pierre Courtemanche, veuf de Monique Bertrand 12, dans la paroisse de Saint-Esprit. Ils n’ont pas eu d’enfant. La parenté d’Élisabeth est complexe comme la plupart des familles du temps, compte tenu des décès nombreux causés par les épidémies, véritables calamités du temps, et les complications 4 Ibid. 5 Loc. cit., Marie-Madeleine-Ursule (1787), Marie-Angélique (1788), Sara-Sophie (1798) et Marie-Zoé (1805), p. 26. 6 É. Lamirande, Élisabeth…, op. cit.,Ursule Gaillard meurt subitement en 1815, p. 26. 7 É. Lamirande, op. cit., p. 41. 8 Congrégation fondée en 1658 à Ville-Marie par sainte Marguerite Bourgeois. 9 É. Lamirande, op. cit., p. 42. 10 Ibid., Il meurt en 1837 à l’âge de 45 ans, p. 29. É. Lamirande écrit Étu, Jeanne d’Arc Lortie écrit Étue, volume 1, p. 469. 11 E. Lamirande, op. cit., Jean-Treflé (1827), Urgel alias Eugène (1828 ou 1829), Clotilde (1831) et Isidore (1833) morts en bas âge, Marie-Christine (1835) et Louis-Placide (1837), p. 29. 12 E. Lamirande, Élisabeth…, op. cit., p. 30. 36 — Chapitre deuxième qui surviennent au moment des accouchements. Élisabeth le dit à sa cousine après la mort « de ma bien chère mère » : Hélas ! c’est avec des larmes bien amères que je la pleure. Cependant, je suis, par la grâce de Dieu, bien soumise; j’ai l’espérance que cette mère chérie, dont la vie n’a été que croix et tribulations d’esprit, jouira bientôt du bonheur des Élus, sa piété sincère m’en donne l’assurance [...] 13 La petite Élisabeth accepte de se séparer de sa mère pour parfaire son instruction grâce à la générosité de l’abbé Charles-Thomas Caron 14, un cousin maternel, qui veut bien la prendre chez lui, tour à tour aux presbytères de Saint-Esprit et de Saint-Vincent de Paul, paroisses rurales à proximité de Montréal. L’influence de ce prêtre de haute culture et la présence des deux demoiselles Caron – Angèle, sa sœur et Émilie, sa cousine – favorisent l’éducation d’Élisabeth. Angèle tenait maison et Émilie enseignait à l’école du village. Émilie deviendra cofondatrice des Sœurs de la Providence. 15 Élisabeth considère Émilie Caron, comme une mère et une bienfaitrice. Élisabeth devient une jeune fille distinguée et instruite au-delà de la moyenne des femmes de son temps selon le témoignage d’Émilie Caron 16. En 1834, Élisabeth commence une carrière d’enseignement. Durant cinq ans, elle est successivement institutrice à la petite école du rang, à l’école du village Saint-Esprit puis à la paroisse Saint-Vincent de Paul. Sa vocation Pendant ce temps, l’appel du Seigneur à la vie religieuse et à un don plus total se fait entendre. Elle se dirige vers la congrégation des 13 É. Lamirande, Élisabeth…, op. cit., p.31. J. Lortie, op. cit., p. 460. 14 É. Lamirande, op. cit., p. 28. 15 E. Lamirande, op. cit., p. 52. J. Lortie, volume 1, op. cit, p. 118, note 93. 16 La future supérieure générale des Sœurs de la Providence, née en 1808, É. Lamirande, p. 39, 50. Chapitre deuxième — 37 Sœurs de la charité de Montréal – dites Sœurs grises – fondée par Marguerite d’Youville, en vue du soin des malheureux qui affluent vers Montréal depuis quelques années. Élisabeth fait son entrée à l’Hôpital général de Montréal, le 4 juin 1839 17 à l’âge de 21 ans, après avoir tendu la main à sa cousine, Julie Dulong 18, pour se procurer le modeste trousseau requis. Élisabeth entreprend sa formation religieuse, postulat et noviciat, avec ardeur et y apporte toute sa bonne volonté. Grâce à l’esprit de foi et au courage dont elle avait déjà fait preuve dans le monde devant les renoncements et les privations, elle se plie à toutes les exigences de la Sainte Règle. 19 Elle essaie de corriger les exubérances de son tempérament bilieux. Elle qui a connu succès et appréciation, s’adonne de bon cœur comme le voulaient alors les règlements du postulat et du noviciat, aux tâches obscures et même pénibles pour sa santé plutôt fragile. Élisabeth revêt l’habit religieux le 18 mai 1840 20, et fait profession le 31 mai 1841, en ce lundi de la Pentecôte. Elle dit qu’elle se « consacre entièrement à Dieu, pour servir avec fidélité tous les jours de ma vie Jésus-Christ en la personne des pauvres, en esprit de foi et de charité, selon les règles et usages de cette Communauté 21 ». Au lendemain de sa profession, sans doute à cause de son expérience avec les jeunes et de la vertu dont elle avait fait preuve, Élisabeth est immédiatement destinée à la responsabilité de première hospitalière à la salle des orphelines qui compte alors quarante et une adolescentes. Comme la tâche est souvent bien lourde, maintes fois, elle s’attarde au tombeau de Mère d’Youville pour s’imprégner de son esprit de charité évangélique. Pendant quatre ans, elle se 17 ASCO, Mère Bruyère, Carnet personnel, p. 3 : C’était, note-t-elle, le mardi durant l’octave du Saint sacrement. E. Lamirande, op. cit., Fille d’Ursule Bruguier et Jacques Dulong, p. 19. 18 J. Lortie, op. cit., Lettres …, volume 1, p. 66. 19 Les ordres religieux ont généralement une Règle de vie dans leurs constitutions qui déterminent les principaux éléments de leur genre de vie. Cette Règle se présente comme une sorte de livre de vie spirituelle, indiquant les buts particuliers et l’inspiration propre de l’Institut. Ce livre s’appelle souvent les constitutions de la Congrégation. 20 ASCO, Élisabeth Bruyère, carnet personnel, p. 3. 21 Règles de Mongolgier, pp. 120-127 dans Lamirande, op.cit., p. 69. 38 — Chapitre deuxième istingue par son amour du travail, par sa charité compatissante d pour les pauvres et les malheureux et par son esprit d’initiative. Durant ces années, Élisabeth affermit son attachement à l’esprit de charité de Marguerite d’Youville. Elle assimile son charisme de charité qui ouvre son cœur à la détresse des pauvres. On peut dire qu’Élisabeth devient la fidèle disciple de Marguerite; disciple dans le sens où l’évangéliste Jean donne à la suite du Christ. Pour Jean, suivre Jésus ce n’est pas seulement la démarche de personnes qui, impressionnées par ce que dit ou fait Jésus, souhaitent voir ou entendre encore davantage. Mais l’expression désigne parfois aussi, au sens figuré, la démarche de foi. Ainsi, lorsqu’en Jean 8, 12, Jésus déclare : « Je suis la lumière du monde. Celui qui me suit ne marchera pas dans les ténèbres », cela doit avoir le même sens que dans l’assertion de Jean 12, 46 : « Quiconque croit en moi ne demeure pas dans les ténèbres ». Cette attitude doit être celle de la foi, de l’amour personnel de Jésus. Le mot disciple 22 en grec μ αθετες 23 dérivé de μ ατε , signifie « s’habituer à quelque chose, se rendre familier de […] ». Dans le Nouveau Testament, disciple ne veut pas dire « l’élève » qui reçoit l’enseignement d’un maître mais désigne la relation intime et permanente qu’une personne entretient avec une autre. Par exemple, le disciple que Jésus appelle marche à sa suite (Lc 9, 57-62; Mt 8, 21) et doit tout donner même sa vie, par amour (Mt 10, 25). Cette attitude suppose que le disciple s’attache sans réserve à la personne de Jésus. Cette relation de disciple permet un échange cordial permanent parce qu’il aime et se sait aimer. On connaît le « disciple bien-aimé » personnage propre au IVe évangile. Mais à partir du chapitre sixième du Livre des Actes, l’appellation simple de « disciple » vise tout croyant qui s’attache personnellement à Jésus comme à un maître bien-aimé et qui conforme sa vie à la sienne. (Mc 8, 34) C’est dans cette perspective qu’Élisabeth est véritablement disciple de Marguerite d’Youville. Elle vit de son esprit, elle aspire à 22 Michel Gourgues, notes de cours Th 312, 1996, p. 160ss. 23 En hébreu, talmud. Chapitre deuxième — 39 imiter son agir et son zèle apostolique est inspiré de celle qu’elle appelle sa Mère d’Youville. Le 2 mars 1845, de Bytown, elle écrit à Mère McMullen, alors supérieure de l’Hôpital général des Sœurs grises à Montréal : Oh ! Que n’ai-je la ferveur et le zèle de notre respectable fondatrice, il faudrait ici d’autres Madame d’Youville. Mais je me console dans ma misère et pauvreté spirituelle, que le bon Dieu a tout fait pour la fondation de Bytown sans que je n’y sois entrée pour rien. 24 Élisabeth a un souci constant de rester, « autant que possible unie[s] à nos Sœurs de Montréal » et, dit-elle, en recevant les reliques de Mère d’Youville que Mère Rose Coutlée lui a envoyées : Nous vénérons avec un religieux respect les reliques de notre Sainte 25 Mère Youville, que vous nous avez envoyées, toutes les Sœurs me chargent de vous exprimer leur reconnaissance. Je m’unis à elles pour vous dire combien nous nous croyons heureuses d’une si riche présence. Puisse l’esprit de cette bonne Mère se communiquer aussi à toutes ses filles pour les rendre chaque jour plus dignes de leur vocation. 26 Elle ajoute dans une supplique à Marie : « Je viens aujourd’hui avec une humble confiance vous demander pour moi [...] la grâce de ne jamais m’éloigner de l’esprit de notre sainte Mère d’Youville 27 ». Et dès qu’elle rencontre des difficultés sérieuses, c’est à Mère d’Youville que spontanément Élisabeth s’adresse dans sa prière : J’attends beaucoup de ce Concile, car si c’est la volonté de Dieu que notre Institut soit érigé en congrégation, j’espère que ce sera là qu’elle nous sera manifestée; en 24 J. Lortie, Lettres …, volume 1, op. cit., p. 94. 25 Ici, Mère Bruyère n’entend pas canoniser Mère d’Youville; il s’agit simplement d’un sentiment filial. 26 Ibid., 1er mai, 1850, p. 433. 27 Ibid., pp.106-107. 40 — Chapitre deuxième attendant, je fais prier notre Sainte Mère Youville de disposer toutes choses pour cela. 28 On pourrait parler d’un véritable culte d’Élisabeth Bruyère pour Mère d’Youville. La supplique adressée à Marguerite d’Youville par ses filles de Bytown, en est une preuve tangible. Elle prie afin que son « esprit de charité, de générosité, de zèle et de dévouement » féconde leur œuvre nouvelle d’éducation tout comme elle bénit leur service des pauvres et des malades. 29 On comprend alors le sens qu’elle a donné à l’Acte de fidélité à la Maison mère de Montréal qu’avec les autres fondatrices, elle signe la veille de leur départ pour Bytown. 30 Dès avril 1845, Élisabeth prend sa responsabilité et revendique auprès de Mgr Phelan des corrections précises au mandement d’institution : Les motifs, dit-elle, qui m’ont déterminée à en agir ainsi, c’est que nous courions les risques, un jour à venir, de passer entre les mains de prêtres séculiers, ou de supérieurs irlandais ou anglais. Alors, adieu la langue française et je crois sincèrement que les Sœurs, en parlant une autre langue que le français ne conserveraient pas longtemps l’esprit de notre état, non plus que les usages. 31 Son obédience à Bytown (1845-1876) Au début de 1844, les Oblats de Marie-Immaculée acceptent la difficile paroisse de Bytown. Le Père Pierre-Antoine-Adrien Telmon, omi, curé de Bytown, expose immédiatement à Mgr Patrick Phelan, évêque coadjuteur du diocèse de Kingston, duquel relève Bytown, 28 Ibid., p. 430. 29 Ibid., p. 479. 30 Ibid., p. 136. 31 J. Lortie, Lettres …, volume 1, op. cit., p. 136. Chapitre deuxième — 41 le problème des enfants sans école, des malades sans hôpital et des pauvres sans aide. L’évêque propose les Sœurs de la charité de Montréal qui se sont déclarées disponibles à accepter. Le 4 décembre 1844, quatre religieuses reçoivent leur obédience 32 pour Ottawa, mais Élisabeth n’est pas du nombre. La date du départ ne fut pas facile à fixer, car le 11 janvier 1845, la première supérieure choisie est terrassée par la paralysie et la deuxième élue refuse 33 « humblement » 34 dit Mère Bruyère devant les difficultés qu’on pouvait facilement envisager. Aux élections du 5 février suivant, sœur Élisabeth Bruyère qui avait manifesté sa grande sympathie pour la mission de Bytown est nommée supérieure et fondatrice. « Si j’accepte, dit-elle, ce ne sera que pour rendre service à ma Communauté; je n’ai jamais été opposée à la fondation 35 ». Pour faciliter l’acceptation du mandat, Mgr Bourget détermine un mandat de trois ans, après lequel la supérieure pourrait revenir à la maison de Montréal. Élisabeth qui se disait avoir un cœur de mère et avait aidé à tous les préparatifs du départ objecte cependant qu’elle ne se reconnaît aucune vocation de supérieure. Elle n’a que 26 ans. Elle possédait toutefois des qualités et une expérience peu communes à son âge. 36 La jeune Élisabeth et ses cinq compagnes conduites par le père Pierre-Adrien Telmon, omi, quittent Montréal le 19 février à huit heures et arrivent à Bytown, par la voie de la rivière des Outaouais, vers 17 heures le lendemain, distance qui aujourd’hui se parcourt en moins de deux heures de voiture. Elles sont reçues triomphalement par la population 37. Ce sont les sœurs Élisabeth Bruyère, Éléonore Thibodeau, Saint-Joseph (Charlebois), Rodriguez (Howard), Élisabeth Devlin, postulante et Mary Jones, aspirante. 32 Du latin obedientia, obéissance, ce mot, obédience, a signifié jusqu’au XVIe siècle la permission donnée par un supérieur religieux, ou envoi en mission par l’autorité légitime d’une congrégation. 33 J. Lortie, Lettres …, volume 1, op. cit., p. 116. 34 E. Lamirande, Élisabeth …, op. cit., p. 100. 35ASCO, Fondation de Bytown, Chroniques, p. 9 : dans Lamirande…, p. 100. 36 É. Lamirande, Élisabeth …, op. cit., p. 103. 37 ASCO, Chroniques, 2 juillet 1851, p. 65. 42 — Chapitre deuxième La vie à Bytown n’a pas été facile pour ces femmes. Travail ardu, pauvreté à la limite du nécessaire pour la survie, soucis constants d’administration pour favoriser le développement. Il n’y avait pas de repos, tout était à faire dans ce pays neuf, étranger et parfois hostile. La pauvreté des sœurs est due en grande partie à leur générosité. Mère Bruyère mentionne aux chroniques : […] depuis quelque temps l’hôpital est toujours rempli de malades; il y a presque toujours 12 ou 13 malades, hommes et femmes. C’est beaucoup auprès de ce que l’on a coutume d’avoir; la moitié des malades est gratis. 38 Elle ajoute que la pauvreté est grande, les sœurs mangent du pain noir, du thé d’orge et sont entassées dans les dortoirs trop petits 39. Ce n’est qu’en août 1866, qu’elles déménagent. Il y a 40 couchettes et c’est la veille de la fête de Saint Laurent qui a été père des pauvres et qui a donné sa vie pour eux 40. La confiance en la Providence fait des merveilles pour ses enfants. En janvier 1865, il y a du pain en abondance sans que la cuisinière ait boulangé ! Tant de sacrifices de la part des sœurs usèrent les santés et semèrent des deuils dans la jeune congrégation. Durant une période de quinze ans, dix-sept religieuses dont la moyenne d’âge était de 28 ans, sont décédées. En 1864, Mère Bruyère elle-même tombe sérieusement malade et pendant plusieurs semaines, sa santé reste chancelante. Mais elle se remet suffisamment pour continuer à répandre sa charité à toute personne dans le besoin. Comme les événements de la vie d’Élisabeth Bruyère marquent la vie de l’Église de Bytown, ils sont en quelque sorte inculturés dans le quotidien. C’est dans cette optique que le sens d’inculturation peut décrire le plus adéquatement la charité-compatissante vécue par Élisabeth Bruyère et sa congrégation à Bytown. 38 Ibid., 1866, p. 31. 39 Ibid., 1866, p. 280. 40 Ibid., 21 janvier 1865. Chapitre deuxième — 43 Les dernières années d’Élisabeth Bruyère (1872-1876) À l’issue du Chapitre général de 1873, comme aux élections précédentes, Mère Bruyère est réélue supérieure générale à l’unanimité. Déjà gravement atteinte d’une tumeur au côté gauche, elle est souvent obligée de garder la chambre d’où elle dirige la congrégation par une correspondance régulière avec les divers couvents. Cette correspondance permet de suivre le cheminement de sa charité inculturée dans les milieux où les sœurs vont ouvrir un couvent. Le Père Jacques Santoni 41, provincial des Oblats de Marie-Immaculée et reconnu pour le directeur spirituel de Mère Bruyère, lui rappelle le sens de la charité qu’elle et ses sœurs doivent vivre à Bytown « pour que nous [elles deviennent] toutes de saintes et parfaites religieuses »: C’est vrai, charité et dévouement voilà qui est nécessaire à tout le monde, mais plus particulièrement à une Supérieure. La charité rend bon, doux, compatissant; le dévouement porte à rechercher avec zèle tout ce qui peut procurer l’avancement propre et celui des autres. Peutêtre devriez-vous travailler avec un peu plus de soin à vous perfectionner dans la première de ces deux vertus. Être compatissante, vous montrer bonne et douce mère vis-à-vis des faibles dans la vertu [...]. Je le sais, on est tenté de s’irriter, d’éclater à la vue de tant d’imperfections chez des personnes qui se sont consacrées à Dieu, mais le faire, ce ne serait pas imiter Notre Seigneur Jésus Christ [...] 42. Ce bon Père qu’elle dit « être un saint » 43 insiste sur la charité qu’elle doit pratiquer non seulement envers les sœurs mais aussi envers ellemême. 41 Voir J. Lortie, Lettres ..., volume II, note 102 détails. Santoni nommé premier supérieur des Oblats au Canada en 1851. Loc. cit., p. 169, note 122. 42 E. Lamirande, Élisabeth ..., op. cit., p. 665. 43 Ibid., p. 665. 44 — Chapitre deuxième Il me semble que vous vous chicanez un peu trop et que vous n’allez pas au Bon Dieu comme l’on dit, à la bonne. [...] Il faudra vous résoudre à vous montrer un peu plus pacifique avec vous-même, à faire un peu moins la grondeuse à l’endroit de vos propres misères. Ne comprenez-vous point que continuer à vous attrister sur votre propre état, c’est en reculer l’amélioration 44. En mai 1875, Élisabeth, bien que malade, visite les maisons aux États-Unis où les sœurs luttent toujours contre de graves difficultés financières. Elle semble s’inquiéter de la pauvreté des sœurs dans un milieu loin de la Maison mère. À son retour à Ottawa, les médecins découvrent une hypertrophie du cœur alarmante et incurable. Le 6 septembre, elle reçoit le sacrement des malades. Depuis quelques jours, Élisabeth, un peu mieux, en profite pour préparer le départ des sœurs qui vont implanter sa dernière fondation, à Saint-Françoisdu-Lac, au Québec. Son souci d’adaptation au milieu ne la laisse quand même pas indifférente aux besoins des sœurs qui vont porter les secours qu’elles peuvent, selon leur créativité, qui n’est limitée que par les exigences des besoins particuliers des gens du milieu. En janvier 1876, la maladie entre dans sa dernière phase le 27 du même mois, elle reçoit à nouveau le sacrement des malades, en parfaite connaissance et résignation à la volonté divine et dans une grande paix. Le 1er avril, Mgr Joseph-Thomas Duhamel vient la visiter et lui donne la bénédiction papale. La journée de sa mort, le 5 avril suivant, elle donne ses dernières recommandations à ses filles : « Une plus grande mortification... une plus grande humilité... avec une grande bonne volonté, on peut faire beaucoup ». Elle s’éteint doucement, le mercredi de la Passion, à 7 h 40, entourée de ses filles en prière. Elle avait 58 ans, dont 37 années passées dans la vie religieuse et 31, comme fondatrice et supérieure à Bytown devenu Ottawa depuis 1854. 44 Ibid., p. 665. Chapitre deuxième — 45 Les funérailles se célèbrent à la Maison mère, le 6 avril et le lendemain, à la Cathédrale Notre-Dame. Ces deux services religieux sont chantés par Mgr Joseph Thomas Duhamel, entouré du clergé, des premiers citoyens et de toute la population de la ville d’Ottawa. Ses restes mortels sont ensevelis dans la crypte de la Cathédrale d’où en 1879, ils sont transférés au cimetière Notre-Dame. En 1966, pour répondre à la dévotion de ses filles spirituelles, les restes de Mère Bruyère furent exhumés et transférés à la Maison mère de la congrégation dans la même chapelle qui accueille depuis 1959, année de la béatification de Marguerite d’Youville, toutes les personnes qui viennent se confier à elles. À sa mort, la congrégation compte 189 sœurs de chœur, 149 sœurs converses, 40 novices et 24 postulantes. Quatre sœurs sont retournées à la Maison mère de Montréal et depuis la fondation 26 sœurs sont décédées 45. Rapidement esquissées, les réalisations d’Élisabeth Bruyère, vont permettre de suivre l’inculturation de son charisme de charité dans ce Bytown du milieu du XIXe siècle, situé aux confins de la civilisation nord-américaine et qui, par surcroît, avait mauvaise réputation. On peut constater l’attitude plutôt grossière de ces pionniers dans l’exemple suivant relaté aux chroniques. « Pour la messe de minuit à la paroisse, les femmes et les gens se disputent à coups de poings les places 46 ». Son testament spirituel Son testament spirituel révèle le véritable charisme de charité de Mère Bruyère. Cet esprit qu’elle lègue en héritage à la communauté, c’est en priorité l’esprit de charité évangélique de Marguerite d’Youville. C’est son dernier mot « soyez charitables ». Le 24 décembre 1875, rassemblant ses dernières énergies, elle dicte une circulaire à ses filles; c’est son testament spirituel où elle in45 É. Lamirande, Élisabeth …, op. cit., p. 608. 46 ASCO, Chroniques, op. cit., p. 74, 25 décembre 1851. 46 — Chapitre deuxième siste sur l’esprit de simplicité, de charité et de fidélité à l’Église, vertus qui doivent caractériser la congrégation. À ses filles qui ne cessaient de prier pour le rétablissement de sa santé, elle disait : « Vous me faites languir avec toutes vos prières pour ma guérison; il me tarde d’aller au ciel ». La charité de Mère Bruyère avait atteint un degré de perfection qui lui permettait de désirer enfin l’union parfaite avec le Dieu-Amour par excellence. Mes chères et bien aimées filles, soyez charitables, vous aimant les unes les autres, et rendez service au prochain pour l’amour de Dieu. Le bon Dieu n’abandonnera pas la Communauté si vous êtes humbles, charitables et obéissantes. Si vous renoncez à votre propre volonté, l’esprit de Dieu vous remplira. Ne formez toutes ensembles qu’un cœur et qu’une âme 47. Tel qu’il est parvenu à la congrégation, ce testament spirituel que laisse Mère Bruyère semble avoir été rédigé par sœur Rivet 48 mais sur sa dictée. Sur son lit de mort, elle place la charité comme caractéristique particulière de la congrégation. Mère Bruyère, cette femme audacieuse, incarne à Bytown le charisme de charité évangélique compatissante qu’elle lègue à sa congrégation. 47ASCO, Chroniques, 7 octobre 1875. 48 Sœur Rivet est maîtresse des novices en 1857 (Lamirande, p. 606), née en 1820, compagne d’Élisabeth à la petite école de Saint-Esprit, entrée au noviciat de Montréal deux ans après, arrive à Bytown le 13 mai 1845, devient une excellente enseignante, directrice du Pensionnat Notre-Dame 1866, dans Paul-Émile, Mère Élisabeth Bruyère…, tome 1, Était-elle assistante à la mort de Mère Bruyère ? Chapitre deuxième — 47 CHAPITRE TROISIÈME Le charisme d’Élisabeth Bruyère inculturé dans l’Église d’Ottawa Le charisme (λαρισμα) du mot grec καριζομαι signifiant « faire plaisir » et καρισ, grâce, « ce dont on se réjouit », est un don spirituel extraordinaire de l’Esprit-Saint octroyé à une personne pour le bien général de l’Église 1. Le Décret Apostolicam Actuositatem 2 décrit le charisme comme un don de Dieu pour le service du prochain en Église. Il est donné pour les autres et jamais pour la personne qui le reçoit, comme le texte suivant le précise : De la réception de ces charismes même les plus simples, résulte pour chacun des croyants le droit et le devoir d’exercer ces dons dans l’Église et dans le monde, pour le bien des hommes et l’édification de l’Église, dans la liberté du Saint-Esprit qui « souffle où il veut » (Jn 3, 8), de même qu’en communion avec ses frères 3. Et saint Paul ajoute : « chacun reçoit le don de manifester l’Esprit en vue du bien de tous », (1 Co 12, 7) puis il insiste : « Mais tout cela, c’est le seul et même Esprit qui le produit, distribuant à chacun ses dons, selon sa volonté ». (1 Co 12, 11) Élisabeth Bruyère a reçu le charisme d’une charité-compatissante pour le « bien général de l’Église ». Selon la volonté de Dieu, elle venait vivre dans l’Église de Bytown le charisme de charité évangélique dont elle avait hérité de Mère d’Youville comme un patrimoine spirituel qu’elle devait conserver et léguer en héritage à la communauté qu’elle venait fonder pour le service des pauvres de Bytown. Quelles sont les facettes de ce charisme particulier ? 1 2 3 Xavier, Léon-Dufour, Dictionnaire du Nouveau Testament, Paris, Seuil, 1975, p. 161-162. Vatican 11, op. cit., Décret : L’apostolat des laïcs Apostolicam Actuositatem, (AA) no3, p. 398. Loc. cit., (AA), no 3, p. 398. Chapitre troisième — 49 La charité comme vertu La pratique de la vertu de charité compatissante évangélique constitue le charisme spécifique qu’Élisabeth Bruyère a voulu inculturer à Bytown. À l’exemple de « sa bien-aimée mère et modèle », Marguerite d’Youville, elle manifeste pour toutes les misères une charité sans frontière et cela d’une manière « héroïque », disaient déjà les gens de son temps 4. Le Dr Joseph-Charles Taché 5, en donne un témoignage percutant en présentant Mère Bruyère comme une « femme de la plus grande distinction sous tous rapports », que la population d’Ottawa regardait avec raison « comme une bienfaitrice 6 ». Mère Bruyère disait que l’esprit de la communauté selon la volonté divine « c’est l’esprit de notre sainte fondatrice » 7 qui doit être reflété aussi dans le Directoire pour décrire les normes pratiques en complétant les Règles et Constitutions 8. Or, l’esprit de Marguerite d’Youville c’est « l’esprit de charité », de charité évangélique, « universelle ». On pourrait dire que la charité vécue par Mère Bruyère est compatissante parce qu’elle est si humaine dans sa manifestation envers les pauvres de son temps. Le 3 mai 1959, lors de la béatification de Marguerite d’Youville, le pape Jean XXIII réserve une audience spéciale aux filles de la Bienheureuse et s’adressant à Sœur Jean-Marie, sgc 9, miraculée 4 5 6 7 8 9 E. Lamirande, Élisabeth …, op. cit., p. 629. Ibid.., p. 507. Ibid., p. 629. Jeanne d’Arc Lortie, Lettres ..., volume II, op. cit., p. 31. Jeanne d’Arc Lortie, Lettres ..., volume 1, op. cit., p. 454. Sœur Jean-Marie, Marie-Des-Neiges De Blois (1883-1961) née le 5 août, baptisée quelques heures après sa naissance, fait profession religieuse le 3 janvier 1905. En 1907, une néphrite aiguë affecte sa vue. Sa vision diminue graduellement jusqu’en 1927 où un dernier verdict du Dr H. Ells, oculiste, déclare : « seul un miracle pourrait lui rendre la vue ». Mère SaintAlbert, alors supérieure générale, mobilise dans une fervente neuvaine les religieuses de la congrégation, les vieillards, les malades pour « arracher à Mère d’Youville », selon son expression, la guérison. Dans un acte de résignation admirable à la volonté de Dieu, la malade, dont les yeux étaient presque totalement éteints s’exprime ainsi : « Mon bon Jésus, vous me demandez le sacrifice de mes pauvres yeux ? [...] Si vous devez en être glorifié, mon Dieu, prenez-les, je vous les donne [...] Veuillez m’accorder une persévérante et sanctifiante résignation. » Le 6 février 1927, septième jour de la deuxième neuvaine, après une 50 — Chapitre troisième du 8 février 1927, donne à la charité de Mère d’Youville, le titre de « charité universelle » : « Votre fondatrice est une très grande sainte puisqu’elle est la Mère de « l’universelle charité ». Dans une lettre aux sœurs de Pembroke 10, Mère Bruyère souhaitait déjà la béatification de Mère d’Youville en apprenant que l’Église canadienne commence les démarches pour présenter les causes de monsieur Olier, Mère Marie-de-l’Incarnation et Mère Marguerite Bourgeois 11. Elle écrit : « Que cet exemple nous fasse désirer que la cause de notre sainte Mère d’Youville soit aussi introduite à Rome et que nous ayons un jour le bonheur de la voir honorer sur nos autels; il faut prier pour cela 12 ». D’autre part, Mère Agathe Gratton, supérieure générale (19801992), a souligné avec justesse le sens de la charité qui caractérise la Sœur de la charité d’Ottawa : Demeurons en communion les unes avec les autres dans notre mission de charité-compatissante; l’obédience de chacune participant à la mission communautaire, et la mission communautaire s’intégrant dans la grande mission de l’Église. 13 En associant les deux mots : une « charité-compatissante », mère Agathe conjugue l’élément divin de la charité à la dimension humaine de compassion. Après un siècle et demi, voilà le témoignage 10 11 12 13 bonne nuit de repos, sœur Jean-Marie est réveillée par la cloche de 4 h 50. Elle s’éveille à la lumière ! Elle distingue clairement les sœurs qui se rendent à la chapelle et crie sa joie et sa reconnaissance dans les corridors. Sa guérison complète dure jusqu’à sa mort. Elle reprend sa carrière auprès de la jeunesse. C’est ce miracle attesté par les médecins qui a contribué à la proclamation de l’héroïcité des vertus de Mère d’Youville qui a été béatifiée le 3 mai 1959. (Nécrologie, 11 juillet 1961) Selon la nécrologie, le miracle se serait produit le 7 ou le 8 selon la légende de la photo dans sœur Paul-Émile, Les Sœurs Grises de la Croix d’Ottawa. Mouvement général de l’Institut 1876-1967, Ottawa, Leclerc, 1967, p. 273. ASCO, Lettre de Mère Bruyère en date du 27 décembre 1869. E. Lamirande, Élisabeth ..., op. cit., p. 626. ASCO, Lettre de Mère Bruyère aux sœurs de Pembroke, 27 décembre 1869. « Sur nos autels » expression populaire pour décrire la canonisation par l’Église d’une personne. Agathe Gratton, sco, 14e supérieure générale, de 1980 à 1992, le 22 mai 1983, au moment de la remise du livre de Règle de vie des Sœurs de la Charité d’Ottawa, approuvées par Rome en 1980. Chapitre troisième — 51 de l’inculturation du charisme de charité qui se perpétue dans la congrégation. Il est très important de ne pas dissocier ces mots car en parlant de compassion seulement on néglige l’élément divin de la vertu cardinale de charité. Plus encore, on enlève la dimension divine de l’Amour dans le charisme de Mère Bruyère. Une « charité-compatissante » est une vertu divine qui se manifeste humainement. La charité est une vertu théologale parce qu’elle « a Dieu comme objet auquel elle adhère ». « La charité, dit saint Thomas d’Aquin, fait que l’homme adhère à Dieu à cause de Dieu même, en unissant la volonté de l’homme à Dieu par un sentiment d’amour. Il ajoute encore que « la charité est la plus parfaite des vertus 14 ». Donner à la charité comme le synonyme de la compassion c’est réduire l’Amour à des dimensions de philanthropie humaine. La charité se situe à la cime, à cette fine pointe de l’âme, cette part par excellence de l’Esprit, qui est le sujet propre de la grâce, laquelle est participation de la vie divine. 15 Pour Thomas d’Aquin la charité « vise la bonté même de l’être divin 16 ». Si l’espérance précède la charité, celle-ci parfait celle-là. La vraie charité consiste à aimer Dieu pour lui-même. En Jésus-Christ, Dieu s’est identifié aux pauvres et aux petits : « Quiconque accueille un petit enfant tel que lui à cause de mon nom, c’est moi qu’il accueille. » (Mt 18, 5) La charité que Mère Bruyère a déployée pendant toute sa vie et particulièrement à Bytown est une charité compatissante évangélique envers les petits, les pauvres, les étrangers, les blessés sans jamais faire de différence ni de langue ni de religion. Les témoignages sont percutants. Le1er mai 1876, Le foyer domestique 17 rapporte en première page, que non seulement l’Église d’Ottawa mais toute la Capitale « vient de faire une perte considérable ». Élisabeth Bruyère est 14 Thomas d’Aquin, Somme théologique, l’Espérance, traduction française par J. LE Tilly, op, Éditions La Revue des jeunes, Desclée & Cie, Paris-Tournai, Rome, 1950, p. 31, 42. 15 Ibid., p. 171. 16 Ibid., p. 186. 17 Journal hebdomadaire de la capitale. L’éloge est dû au Docteur Joseph-Charles Taché, journaliste et ami de la congrégation. Voir aussi E. Lamirande, Élisabeth …, op. cit., p. 507. 52 — Chapitre troisième morte le mercredi 5 avril précédant. Comme elle est fille de l’Église, ses funérailles sont célébrées par Mgr Duhamel dans la Cathédrale Notre-Dame remplie de fidèles pour honorer la chère disparue. Les hommages que la population lui rend manifestent hautement son appartenance à l’Église de Bytown mais aussi à l’Église universelle. En acceptant la volonté de Dieu pour venir à Bytown, Élisabeth Bruyère a perçu le cri du pauvre, la voix de l’enfant, la crainte de l’orphelin, la détresse de toutes les personnes qui souffrent dans leur corps et dans leur âme. Elle a compris que l’Église, peuple de Dieu, avait besoin d’elle. De 1845 à 1876, elle s’insère dans la vie du peuple et devient signe de Rédemption par son attention à toutes les misères de son temps. C’est dans ce sens que son charisme de charité évangélique compatissante est inculturé dans la vie de l’Église d’Ottawa. Si une vie se mesure à l’amour qui l’anime, la sainteté consiste dans un grand amour de Dieu reconnu dans son prochain. Servir le prochain de façon extraordinaire dans les choses ordinaires, c’est aimer Dieu par-dessus tout. Cette charité qui est « l’amour de Dieu répandu dans nos cœurs par le Saint Esprit » (Rm 5,5) et qui se manifeste envers toutes les personnes côtoyées, c’est la charité d’Élisabeth à Bytown. Élisabeth Bruyère vit la charité à l’instar du bon samaritain : son premier prochain ce sont les sœurs de la congrégation qu’elle aime d’un amour sincère et fraternel. (Lc 10, 33). Sans donner ici toutes les preuves concrètes, on peut dire que les nombreuses lettres qu’elle adresse aux sœurs sont chaleureuses et pleines de bons sentiments. Son amour est presque palpable quand elle insiste pour que les sœurs lui écrivent souvent. « Je suis toujours si heureuse d’entendre parler de mes filles et de savoir où elles en sont dans leurs affaires temporelles et spirituelles. C’est notre devoir mutuel. 18 » Aussi, le nom de « fille » qu’elle donne aux sœurs manifeste les degrés de son affection : « Je vous aime tant que je voudrais vous voir toutes saintes, toutes de vraies religieuses attachées à votre Congrégation 19 ». Sa 18 ASCO, Lettre de Mère Bruyère, 5 décembre 1867. 19 Loc. cit., 5 décembre 1867. Chapitre troisième — 53 charité incarnée s’intéresse à tout surtout à l’état de leur santé pour l’unique raison qu’elle veut que « toutes travaillent à la vigne du Seigneur et au service de notre Époux dans la personne de nos pauvres ». Les salutations de ses lettres sont remarquables car elles manifestent son affection toute particulière : « je vous embrasse affectueusement toutes et chacune en particulier» ou encore : « enfin je termine en vous embrassant « en pincette 20 » de tout mon cœur en l’amour de Jésus, Marie, Joseph et de notre sainte Mère d’Youville ». La même salutation aux sœurs de Montréal, en particulier à la supérieure générale, avant la séparation comme après, sauf dans la lettre en réponse à la déclaration d’indépendance du 20 septembre 1854 où on note l’appel : « Ma très honorée Sœur : « Adieu ma chère Mère [Rose Coutlée], veuillez bien me croire pour toute la vie, Votre très humble et affectionnée fille 21 »; « Je termine [à sœur Julie Deschamps] en vous embrassant de tout cœur en Jésus et Marie. Des amitiés de la part de toutes nos Sœurs 22 ». Elle n’est cependant pas dupe et son amour est plein de charité-compatissante. Elle reconnaît les erreurs et les défauts et n’hésite pas à les réprimander quand il est nécessaire et de son devoir. Elle comprend la fragilité humaine et en 1872, elle réfléchit : Le bon Dieu m’a fait une grande grâce depuis quelques années : lorsque j’étais plus jeune et que je voyais des défauts en nos Sœurs, j’éprouvais de l’aigreur contre ces défauts, je me sentais impatiente, mais à présent, je suis bien changée, je vous aime toutes, toutes, les imparfaites plus que les parfaites parce qu’on peut leur faire plus de bien; je les aime davantage parce que ce sont les plus malades 23. Une charité aussi ouverte doit nécessairement être puisée à la source de l’amour de Dieu, en Jésus-Christ. 20 21 22 23 Jeanne d’Arc Lortie, Lettres ..., volume III, op. cit., p. 299. Ibid., volume II, op. cit., p. 174. Ibid., p. 373. ASCO, Lettre de Mère Bruyère, 1872, p. 714. 54 — Chapitre troisième Une charité inculturée Malgré le dépaysement et la nécessité de s’adapter aux conditions du Bytown de ce temps-là, Mère Bruyère ne s’étonne pas des misères qu’elle y rencontre. Elle dévoile à sa cousine, Julie Dulong, les motifs qui l’animent dans son obédience. Elle se sent comme envoyée « pour aller porter la connaissance de Dieu à de pauvres enfants qui l’ignorent et réveiller la foi dans les cœurs de nos pauvres Canadiens de Bytown 24 ». Dans la lettre d’obédience aux fondatrices de Bytown, Mgr Bourget avait mentionné le sens de leur projet : « les secours [que] (de) votre charité apportera aux fidèles où vous allez vous établir manifestera le visage du Christ ». À la fin il ajoutait : Que le Seigneur, nos très-chères [sic] Filles, vous remplisse de l’esprit de votre Vénérable Fondatrice. N’oubliez point que vous allez prêcher dans un pays lointain, par la pratique des vertus religieuses, l’Époux des Vierges. Pour accomplir cette sublime mission, attachezvous avec amour à votre Sainte Règle. Obéissez aveuglément à votre digne Évêque et à ceux qu’il vous donnera pour vous diriger. 25 Et dans le mandement d’institution canonique du 18 avril 1845, Mgr Patrick Phelan ajoute un cinquième point pour décrire l’idéal de charité à pratiquer dans la congrégation : En accordant au nouvel Institut une existence canonique, au nom de l’Église, Nous lui donnons de la part de Dieu toutes les bénédictions spirituelles et temporelles qui accompagnent toujours les œuvres de charité, quand elles se font purement pour la gloire de Dieu et le service du prochain. 26 24 E. Lamirande, Élisabeth …, op. cit., p, 108. 18 février 1845, J. Lortie, Lettres ..., volume I, p. 7778. 25Paul-Émile, Mère Élisabeth et son Œuvre ..., tome I, op. cit., 389. Il s’agit d’une filiation spirituelle. 26 Loc. cit., p. 390. Chapitre troisième — 55 Les fondatrices avaient compris leur mandat et en arrivant à Bytown, le 20 février 1845 27, logées dans une maisonnette de huit mètres par six, en plein hiver canadien, Sœur Élisabeth et ses compagnes se mettent sans tarder au travail. Elles sont ici pour manifester le visage d’amour de Jésus-Christ à toutes les personnes comme si c’était à Jésus-Christ Lui-même. Aussi, c’est dès le lendemain de leur arrivée, qu’elles commencent la visite des pauvres, des malades et des malheureux à domicile. « La détresse crie, dit-elle. Ne faut-il pas la soulager ? » L’interpellation du milieu crée un cœur capable de s’harmoniser avec la culture du lieu d’adoption ? Il n’y a pas de dichotomie entre la charité inventive et la réponse à une personne dans le besoin parce que précisément cette personne dans la nudité de sa pauvreté c’est le Christ Lui-même. « En vérité, je vous le déclare, chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits, qui sont mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait ! » (Mt 25, 40) Émilien Lamirande décrit le Bytown de l’époque et sans vouloir parler d’inculturation, l’historien en dépeint la réalité : L’œuvre de Mère Bruyère est profondément enracinée dans un terreau qui va contribuer à lui donner sa forme et sa couleur. Elle s’inscrit dans un pays neuf où tout est à faire, mais où, également tout devient possible. [...] Les Sœurs Grises vont partager avec les Oblats la mystique des défricheurs. Comme eux, elles prendront beaucoup de place. Avec eux, elles ont efficacement contribué à mettre sur pied un diocèse et toute une province ecclésiastique. 28 La « forme et la couleur » de la charité à Bytown, c’est Élisabeth Bruyère « qui passe en faisant le bien ». Son souci de respecter toutes 27 E. Lamirande, Élisabeth ..., op. cit., p. 115. « Quand la foule se fut retirée, un forgeron du nom de Thomas Brûlé vint présenter une croix de fer, que Mère Bruyère ‘estime bien faite’; elle ajoute ‘le présent est bien analogue à la circonstance de ce jour.’ N’est-ce pas le signe d’adoption de Mère Bruyère comme Sœurs grises de la croix à Bytown. » 28 E. Lamirande, Élisabeth ..., op. cit., p. 141. 56 — Chapitre troisième les misères est évident. Elle écrit à sœur Julie Deschamps, supérieure générale des Sœurs grises, à Montréal le 23 novembre 1854 : Notre hôpital est rempli [de malades], tellement, qu’on est obligé de les coucher à terre au milieu des salles, pour n’avoir pas la douleur de les renvoyer. Ces pauvres gens, Canadiens comme Irlandais, sont heureux de pouvoir y être admis à de telles conditions. 29 Le rapport annuel de l’Hôpital préparé par le Dr Beaubien indique, en 1855, la nationalité ou le lieu d’origine des patients : « 83 sont des Canadiens-Français, 12 Français, 117 Irlandais, 6 Anglais, 4 Écossais, 10 Américains, 3 Acadiens, 10 Allemands, 5 Italiens 30 ». Il y a ici, à Bytown, l’évidence de la diversité culturelle avec laquelle les sœurs se sont identifiées. Le Dr Beaubien termine son commentaire qui en dit long : « la charité maternelle des religieuses inspire aux malades une confiance qu’ils ne rencontrent nulle part ailleurs 31 » dans cette petite ville située dans le canton de Nepean qui constitue le chef-lieu du comté de Carleton, district de Dalhousie dans le Canada-Ouest. Depuis l’Acte d’Union de 1841, le Bas-Canada et le Haut-Canada n’avaient plus de signification politique. La rivière des Outaouais était l’axe de communication du territoire pour des générations d’autochtones, d’explorateurs et de missionnaires Récollets et Jésuites. Cette vaste région ne s’ouvre à la colonisation que vers les années 1840 avec le projet d’aménagement des rapides de Philémon Wright. 32 Ce sont ces colons que rencontrent Élisabeth et ses compagnes quand elles arrivent pour vivre une charité qui compatit à toutes les misères. Que de fois Mère Bruyère recommande à ses sœurs d’œuvrer « dans la charité ». Les travaux d’apostolat constituent à ses yeux un ‘ministère’. 29 30 31 32 Jeanne d’Arc Lortie, Lettres ..., volume II, op. cit., p. 322. Ibid., p. 363. Loc. cit., p. 363. E. Lamirande, Mère Bruyère …, op. cit., p.119. Chapitre troisième — 57 Deux Sœurs sont constamment occupées à Bytown à visiter les pauvres et les malades en ville. Monseigneur désire, et nous désirons aussi, en avoir quatre livrées à ce saint ministère écrit-elle à Mère McMullen, le 5 avril 1850. Évidemment, les « Sœurs occupées aux Services de charité » sont moins nombreuses à Bytown qu’à Montréal 33. Dans certains cas, elle juge bon de rappeler que l’œuvre des Sœurs grises à Bytown est d’abord en faveur des Canadiens, ce qui signifie les Canadiens-Français. Une chose qui plaît à la supérieure c’est que Mgr n’a pas eu à recommander aux sœurs l’impartialité, vu que la moitié est canadienne et l’autre irlandaise; l’accord est si parfait entre toutes les sœurs sur ce point qu’on n’entend jamais faire la moindre remarque 34. Mère Bruyère souhaite que cette union dure toujours […]. On pourrait dire, comme on le disait des premiers chrétiens que les sœurs « n’ont qu’un cœur et qu’une âme » (Ac 4, 32). Mère Bruyère remarque : […] que jusqu’ici, nous avons toujours exigé que nos postulantes anglaises apprissent le français et aucune n’a encore pris l’habit qu’elle ne fût capable de se confesser en français. Cela s’est toujours fait sans misère. Les anglaises apprennent le français et les canadiennes apprennent l’anglais. J’ajoute, dit-elle, que tant que nous [ne] parlerons qu’une seule langue entre nous, cela seul contribuera au bonheur et à l’union de famille. 35 Pour répondre aux besoins urgents d’éducation de la jeunesse, le 3 mars suivant, dans un modeste hangar, elle inaugure la première école pour les filles et le 10 mai suivant, un minuscule hôpital, le 33 Jeanne d’Arc Lortie, sco, Lettres …, volume II, op. cit., p. 72. 34 ASCO, Chroniques, op. cit., p. 75, 9 janvier 1852. 35 Ibid. 58 — Chapitre troisième premier de la ville à voir le jour. Puis le 30 mai, de la même année, les sœurs accueillent la première enfant trouvée et c’est l’œuvre des orphelins qui commence. Il est alors facile de qualifier leur charité de compatissante car elle s’enracine dans la culture pour répondre aux besoins des pauvres. Toutes les afflictions se réfugient sous le même toit et les œuvres s’amorcent dans une indigence qui n’a d’égale que la charité d’Élisabeth Bruyère. Pour gagner le pain de la maisonnée, les sœurs, après leur journée auprès des enfants ou des malades, entreprennent des travaux manuels commandés de l’extérieur et en retire un peu de profit. C’est cette adaptation continuelle aux conditions difficiles du milieu qui leur permet de répondre aux besoins identifiés et manifestés. En septembre 1846, Élisabeth et ses compagnes organisent une école du soir au profit des mères de famille de la classe ouvrière ainsi que des cours d’art domestique pour les plus grandes élèves. Imprégnée d’une charité extraordinaire, cette mère ne cesse d’inventer les moyens d’aider toutes les personnes affligées selon la devise insérée au blason de la congrégation : « J’étais malade et vous m’avez visité. Je suis l’appui du faible ». De juin 1847 à septembre, la charité de Mère Bruyère conjuguée à celle de ses compagnes se manifeste de façon particulière, alors que sévit la grande épidémie de typhus qui fait ses ravages au Canada. Les émigrés d’Irlande sont les premières victimes à cause de la contagion qui se répand rapidement sur le bateau due au manque d’hygiène. Ce typhus fait de nombreuses victimes et plusieurs parmi les sœurs. Défiant le danger de la contagion, imbues de charité surnaturelle, Élisabeth et les sœurs se donnent jour et nuit pour soulager leurs maux. Élisabeth et quinze de ses sœurs sont atteintes du fléau. Celles qui n’ont pas succombé sont affaiblies, mais aussitôt remises sur pied, elles retournent au travail et aux veilles auprès des pauvres malades abandonnés. L’épidémie enrayée, on organise la Maison Saint-Raphaël pour les jeunes filles irlandaises laissées sans famille, sans emploi et on Chapitre troisième — 59 étend cette œuvre de charité au profit des orphelins irlandais. Aucune discrimination dans le service de charité. C’est pourquoi, on peut qualifier la charité vécue par les sœurs de Bytown de charité sans frontière. Dans les circonstances, il fallait à ces femmes une grande vertu de charité digne de sainteté pour voir dans ces miséreux étrangers le visage de Jésus-Christ. Une des conséquences de l’épidémie dans Bytown est l’extrême pauvreté. Les sœurs partagent les conditions de vie de leurs concitoyens et concitoyennes qu’elles ont adoptés pour l’amour du ‘Bon Dieu’. La communauté est réduite à la misère, l’école, source de revenus, ayant fermé ses portes pendant l’épidémie. De plus, les autorités civiles retardent à verser la modeste allocation promise par l’Agent des émigrés, à cause de la malveillance des ministres protestants qui soulèvent la question de « l’immixtion des prêtres et des sœurs dans les opinions religieuses des malades ». Les difficultés d’intégration au milieu social obligent les sœurs à faire face à des conditions d’inculturation parfois douloureuses. S’agit-il d’injustice de la part des personnes qui ne comprennent pas le zèle des religieuses ? On le croirait... En dépit de ces calomnies, neuf femmes se présentent pour demander leur entrée au noviciat. Mère Bruyère voit dans ces vocations une réponse de Dieu au dévouement de sa communauté pour servir les pauvres du ‘Bon Dieu’. Il nous semble évident qu’il s’agit ici d’une forme manifeste d’inculturation de la charité évangélique compatissante. Cependant, la discrimination entre les religions ne semble pas être, comme nous l’avons déjà mentionné, le problème lorsqu’il s’agit des œuvres de charité car les chroniques notent que la visite des protestants au couvent n’a montré aucune réticence de la part des sœurs. De plus, des protestants font des dons généreux. 36 Les preuves sont nombreuses qui révèlent l’attitude bienveillante des sœurs. Le 7 mars 1850, à la cérémonie de la bénédiction de l’orgue, la chroniqueuse note que « des protestants y assistent » 37. En outre, un 36 ASCO, Chroniques, op. cit., p. 28 septembre 1849. 37 Ibid., p. 27, 7 mars 1850. 60 — Chapitre troisième avocat protestant travaille pour l’incorporation civile de la congrégation sans exiger un sou 38. Il y a aussi parmi les pensionnaires des protestantes 39. À son tour, pour participer au bazar des protestants, Mère Bruyère offre différents objets 40. Voilà jusqu’où peut aller sa charité et elle n’hésite pas non plus à emprunter « 50£ à un protestant 41 ». Parfois des difficultés exigent de chercher une interprétation surnaturelle à certains événements. Voici comment on analyse un accident : « une femme brûlée [qui] se repent des calomnies 42 » qu’elle a répandues contre les sœurs. À côté des ressentiments opposés, peuton imaginer que pour la procession en l’honneur de la Sainte Vierge « deux protestantes portent le brancard de la statue de la Vierge 43 » ! Si ces exemples ne disent pas hautement l’inculturation de la charité des sœurs, ils manifestent sûrement que l’accueil mutuel des citoyens de « toutes races et de toutes langues et nations » est un bel exemple de tolérance de part et d’autre. Il s’agit d’une tolérance que seul l’Esprit peut susciter dans le cœur humain. Le 8 février 1848, le mandat de trois ans de sœur Élisabeth Bruyère est terminé, d’après l’entente signée à Montréal. Selon son désir, elle voudrait retourner à Montréal. Mais les compagnes de la fondatrice et le père Telmon, avaient déjà supplié Mgr Ignace Bourget, évêque de Montréal, et la communauté des Sœurs grises de Montréal de maintenir sœur Élisabeth dans sa charge car d’un commun accord on lui reconnaissait les qualités propres à une bonne supérieure. Au Chapitre suivant, sœur Élisabeth Bruyère est réélue à l’unanimité bien qu’elle se sente si indigne et peu compétente. Rien n’y fait. Mgr Bourget intervient et propose un terme de cinq ans. Le 25 février 1848, Mère Bruyère revient à Bytown, dans l’obéissance, 38 39 40 41 42 43 Ibid., p. 29, 29 mars 1850. Ibid., 12 juin 1850. Ibid., p. 55, 21 février1851. Ibid., p. 60, 22 avril 1851. Ibid., p. 103, 2 février 1854. Ibid., p. 113, 8 décembre 1854. Chapitre troisième — 61 pour faire la volonté de Dieu et continuer à répandre sa charité à l’endroit de tous les démunis. Elle consacre à nouveau toute sa vie et ses énergies à sa mission de Bytown, au rythme du développement de l’Église diocésaine et de l’apostolat missionnaire dans l’immense pays canadien. Mgr JosephEugène Bruno Guigues, omi 44, est alors nommé premier évêque ecclésiastique de la communauté à la place du père Adrien Telmon, omi. Dans la communauté, quand la charité diminue dans les rapports entre les sœurs, Mère Bruyère défend sans pitié cette vertu. Son sens le plus aigu de la charité semble être presque palpable dans cette réflexion sur un nationalisme qui engendre la discorde au sein de la communauté. Ce sont les chroniques qui relatent ce fait. On sait que Mère Bruyère a été la chroniqueuse précisant au jour le jour les événements vécus dans la congrégation de 1845 à 1875 45, excepté pendant son voyage en France. Il s’agirait donc de sa pensée toute spontanée et toute dépourvue d’artifice. Le bon Dieu sait tirer du bien du mal. [...] pour inspirer de l’horreur pour ce maudit esprit de nationalité qui détruit l’esprit de charité qui règne dans notre communauté. S’il se trouvait quelque sœur animée de cet esprit qui n’est rien autre chose que la jalousie et le désir de vouloir dominer et l’emporter sur les autres. Un cœur dominé de cet esprit n’a plus de place pour les vertus de charité et d’humilité; or une religieuse dépourvue de ces deux vertus est un membre pourri dans sa communauté et si elle est incorrigible, je ne vois rien de mieux que de la renvoyer, quand même elle aurait fait ses vœux. […] 44 Joseph-Eugène-Bruno Guigues, omi, (1805-1874) envoyé au Canada en 1844 à titre de visiteur extraordinaire devient évêque de Bytown en 1848, confesseur des sœurs, supérieur provincial des Oblats du Canada. 45ASCO, Chroniques du 23 mai 1862, on note que sœur Lefebvre est chargée de la rédaction des chroniques pendant le voyage de Mère Bruyère en France, p. 204. 62 — Chapitre troisième prudence d’en renvoyer une que d’exposer la communauté entière 46. Dans un effort suprême pour éviter des situations extrêmes, elle exige que toutes les sœurs parlent français. La communauté, dit-elle, étant dans son origine une communauté purement canadienne-française, tout étant écrit en français, Règles, usages, coutumiers. [...] les étrangères y sont reçues avec la plus grande charité, et qu’une fois admises au nombre des membres de la communauté, elles sont en tout sur le même pied que les autres, n’étant en aucune manière privées d’aucun privilège, occupant et pouvant occuper n’importe quelle charge dans la maison. 47 Cependant, elle éprouve des craintes pour l’avenir si la communauté recevait quelques personnes qui ont un esprit national et ambitieux. Dans son indignité au sujet du nationalisme malveillant, elle sait quand même se réjouir de l’arrivée de femmes « irlandaises accueillies au postulat comme un présent du ciel 48 ». L’attitude de Mère Bruyère révèle jusqu’à quel point elle accepte la situation culturelle de son milieu d’adoption, le Bytown d’alors, sans toutefois s’illusionner sur les résistances humaines. Nous décelons son sens aigu de discernement dans sa description d’une vocation : « une jeune fille qui se présente comme postulante a le goût des pauvres 49 ». La charité de Mère Bruyère lui a permis de se laisser assimiler au contexte culturel dans lequel elle évoluait. Cette assimilation est positive. Ce n’est que mêlée à cette pâte quotidienne qu’elle pouvait mieux révéler aux personnes qui l’entouraient son secret de vie dans l’amour de Dieu. Seul un amour profond de Dieu vécu dans son âme pouvait l’accompagner dans la difficile situation où l’avait plongée la 46ASCO, Chroniques, op. cit., p. 80, 30 mars 1852. 47 Loc. cit., p. 80, 30 mars 1852. 48 ASCO, Chroniques, op. cit., p. 121, 2 juillet 1855. 49 Ibid., p. 161, 25 octobre 1857. Chapitre troisième — 63 séparation d’avec la Maison mère de Montréal. Comment pouvaitelle comprendre les incohérences des intervenants tels les supérieurs tant ecclésiastiques que religieux dans la situation ? Jeanne d’Arc Lortie brosse le tableau : En 1850, une question vitale pour Mère Bruyère reste toujours en suspens : La Fondation de Bytown continuera-t-elle à être une Congrégation indépendante, statut qu’on lui avait imposé en 1845, ou devra-t-elle renoncer aux formes nouvelles données à certaines œuvres, et devenir une mission dépendante, limitant la forme de ses œuvres à celle qui répondait aux besoins de la Maison de Montréal ? 50 On sait que cette question mal connue a été aussi mal comprise. L’auteure résume l’ambiguïté de la situation : Perçue longtemps et par plusieurs, comme un événement regrettable, une question douloureuse, épineuse, mal réglée, voire une dispute de famille, on n’en a gardé trop souvent que le souvenir des divergences de vues des intéressées et intéressés, avec leur cortège de difficultés, de tensions, de tiraillements, de peines et de blessures. 51 Puis, elle évoque trois situations qui en retracent suffisamment « les étapes par lesquelles la tige initiale de l’Institut de Marguerite d’Youville après avoir vu poindre quatre jeunes pousses 52, entre 1840 et 1849, porte maintenant, entre 1850 et 1856, quatre branches robustes rattachées au tronc par le lien intime et indestructible de la charité surnaturelle ». Et pourquoi les branches d’un arbre se séparent-elles du tronc ? Nous le savons, le tronc existe pour porter des branches. C’est la même chose pour le tronc primitif de la famille youvillienne. « Ce que l’on a appelé à tort une séparation n’est en 50 Jeanne d’Arc Lortie, Lettres ..., volume II, op. cit., p. 18-19. 51 Loc. cit. p. 19. 52 ASCO, Les fondations de Saint-Hyacinthe (1840), Rivière-Rouge (1844), Bytown (1845), Québec (1849). 64 — Chapitre troisième fait que le développement réussi des branches fortement unies au tronc. 53 » De ces branches, la vie s’est répandue dans les rameaux qui « constituent la deuxième génération ». Il s’agit des Sœurs de la Charité de l’Hôtel-Dieu de Nicolet sorties en 1866 et réunies à la Maison mère de Montréal en 1941. Et d’Ottawa sont sorties les Grey Sisters of the Sacred Heart, Philadelphie, 1921, et les Grey Sisters of the Immaculate Conception de Pembroke, 1926. Tous les autres couvents fondés dans les diocèses ne sont que des maisons groupées en provinces religieuses qui relèvent totalement de l’administration générale. L’autonomie des provinces favorise le développement de la vie religieuse apostolique dans les secteurs géographiques déterminés. Tout se fait en dépendance avec la direction générale. Cette administration indépendante permet plus facilement d’inculturer la charité. Dans tous ces milieux, l’important c’est l’esprit communautaire qui pour Mère Bruyère était vital. À son retour d’une visite d’un couvent, Mère Bruyère se réjouit et constate que : […] tant que nos sœurs conserveront leur esprit de famille et la grande simplicité qui règne parmi elles, le bonheur intérieur de la communauté sera parfait. La mère qui les dirige est heureuse d’être leur mère, et les filles goûtent le même bonheur. Que la charité est belle ! qu’elle est forte ! qu’elle est aimable ! qu’il est doux de vivre sous son empire ! Mon Dieu que cet esprit de paix vive toujours en nous et parmi nous. 54 La séparation ou l’autonomie nécessaire à l’inculturation du charisme ? C’est dans cette optique de charité vécue non seulement au niveau personnel mais dans tous les rapports humains, que nous voyons les 53 Loc. cit. 54 ASCO, Chroniques, op. cit., 19 novembre, 1860, p. 195. Chapitre troisième — 65 conséquences de la séparation d’avec la Maison mère de Montréal. C’est une véritable inculturation du charisme de charité compatissante qui s’adapte au milieu en toute liberté évangélique. Ces adaptations ne sont pas dictées par une administration éloignée des lieux et des besoins et qui juge les événements avec des critères différents. N’oublions pas que la distance qui séparait Montréal de Bytown en 1854 était considérable, et qu’elle engendrait des difficultés de communication et de compréhension. On peut distinguer trois moments de rupture : la séparation de la Maison mère de Montréal, l’échec d’union des quatre fondations et la tentative d’union avec les Sœurs de la Sainte-Famille de Bordeaux. La séparation des sœurs de Bytown de la Maison mère Dans la séparation de la communauté de Bytown de celle de la Maison de Montréal, peut-on parler avec M. de Certeau d’une « rupture instauratrice 55 » qui constitue l’événement fondateur de la nouvelle institution, dans la fidélité à l’esprit de charité, comme héritage à transmettre ? La situation de fait motive les personnes qui interviennent à passer de la mission d’évangélisation au dialogue avec la culture du milieu. L’autonomie permet la création d’une œuvre qui soit totalement inculturée dans le milieu pour répondre aux besoins de l’Église locale. Heureuse séparation ! pourrions-nous lancer comme chante l’Exultet à la liturgie pascale : « Heureuse faute qui nous a valu un tel Rédempteur » ! Comment comprendre dans quelle impasse la congrégation se serait trouvée pour répondre aux besoins de l’Église de Bytown si elle avait été liée institutionnellement à la congrégation de Montréal. De plus, les souffrances causées par cette séparation, cet abandon de sa « mère Maison» et cette solitude ont creusé en elle une charité puisée au cœur même de Dieu. Cette charité, Mère Bruyère l’a vécue tous les jours concrètement avec toutes les nuances qu’impose la 55 En juin 1971, Michel de Certeau, sj, publie dans la revue «Esprit», vol. 39, no 404, pp 117711224, un texte au titre étrange : La rupture instauratrice ou le christianisme dans la culture contemporaine. Aussi dans A. Peelman, L’inculturation ..., op. cit., note 17, p. 60. 66 — Chapitre troisième condition humaine. Elle en a été façonnée à l’image de l’Amour qui se donne et aussi qui pardonne. Le provincial des Oblats, le père Jacques Santoni, confie à Mère Bruyère, à cette époque, sa perception de la situation et prévoit que dans l’avenir la séparation sera perçue comme bénéfique : Sans doute que la séparation peut être considérée en soi comme fâcheuse mais elle le sera moins qu’une union qui eût été incommode et un obstacle au bien. 56 Après l’analyse de la situation par l’historien, É. Lamirande, qui s’appuie sur les interprétations des sœurs Sainte-Berthe et PaulÉmile 57, regardons brièvement celle qu’en fait Jeanne d’Arc Lortie, sco, dans son introduction au deuxième volume Lettres d’Élisabeth Bruyère 1850-1856. En 1845, les évêques avaient imposé à la Fondation de Bytown une indépendance justement pour permettre la mise en place d’une forme nouvelle aux œuvres dans un milieu différent. L’image des branches d’un arbre comme nécessaire à la croissance d’une vie végétale est significative et élève les interprétations à un niveau plus positif où de la séparation – véritable mort – surgit la vie, une vie neuve qui s’épanouit en s’inculturant dans un milieu. Sans entrer dans tous les détails des circonstances, essayons maintenant de donner à ces événements, une autre explication : celle d’une dimension d’inculturation de la charité évangélique par compassion pour toutes les misères locales. Cette volonté de Dieu que voulaient accomplir les supérieures des fondations tout autant que les évêques ne serait-elle pas à trouver dans ce souci d’adapter les œuvres des sœurs aux besoins particuliers du Peuple de Dieu dispersé dans les Églises locales ? Il s’agit alors de la nécessité d’inculturer la charité évangélique. Selon la sagesse humaine, il semble que l’union fait la force et que dans les circonstances tout aurait été à l’avantage de chacune des personnes concernées en vue de bâtir un 56 Jeanne d’Arc, Lortie, Lettres ..., volume II, op.cit., p. 299, note 35. 57 Toutes deux religieuses et archivistes de la congrégation. Chapitre troisième — 67 édifice solide qui peut durer et perdurer dans le temps. On le voit affirme Jésus : […] si un royaume est divisé contre lui-même, ce royaume ne peut se maintenir. Si une famille est divisée contre elle-même, cette famille ne pourra pas tenir. (Mc 3, 22) C’est bien ce que Victor Rousselot, sulpicien, aumônier de l’Hôpital général de Montréal, laissait entendre à Mère Bruyère après l’échec d’une dernière tentative d’union quand il affirmait que l’union était voulue par Mère d’Youville ce qui donnait à son projet une crédibilité. De plus, nous pouvons voir dans la séparation d’avec Montréal une kénose – action de rendre vide et de priver de tout comme dans le texte l’épître aux Philippiens (Ph 2, 7) « Il s’est vidé lui-même, prenant forme d’esclave… » – nécessaire qui transforme Mère Bruyère et la rend capable d’établir une congrégation dont la vie s’enracine à Bytown. Rupture instauratrice d’une création nourrie de la même charité évangélique que Jésus a déployée en faisant le bien partout où il passait. Une charité évangélique vécue « dans l’Église et dans le monde de ce temps » affirme Vatican ll, dans la Constitution pastorale de l’Église : Les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des hommes de ce temps, des pauvres surtout et de tous ceux qui souffrent, sont aussi les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des disciples du Christ, et il n’est rien de vraiment humain qui ne trouve écho dans leur cœur. Leur communauté, en effet, s’édifie avec des hommes, rassemblés dans le Christ, conduits par l’Esprit-Saint dans leur marche vers le Royaume du Père, et porteurs d’un message de salut qu’il leur faut proposer à tous. La communauté se reconnaît donc réellement et intimement solidaire du genre humain et de son histoire. (GS no1) 68 — Chapitre troisième Cette solidarité humaine décrit à sa façon le phénomène d’inculturation des œuvres de charité circonscrites dans un milieu. C’est bien comme disciple de Jésus et à l’imitation de Marguerite d’Youville qu’on peut identifier Mère Bruyère à ces hommes et ces femmes rassemblés dans la mouvance du même Esprit et qui deviennent porteurs – « portageurs » – d’un message de salut pour toute l’Humanité. L’Église « experte en humanité » s’adresse à cette Humanité dans des paroles prophétiques. Élisabeth Bruyère, représente dans l’Église, une Parole pour son temps et son Église. À la fin de sa circulaire du 4 septembre 1854, – probablement dictée par les autorités ecclésiastiques –, qui impose la séparation comme « un fait accompli », la supérieure générale de Montréal, sœur Julie Deschamps, privilégie la forme d’union dans la séparation que Mère Élisabeth Bruyère a toujours qualifiée d’essentielle : [...] nous ferons tout ce qui sera en notre pouvoir pour que les liens de la charité qui nous unissent demeurent toujours fortement resserrés, que les rapports en soient toujours tendres et affectueux, tels qu’ils doivent l’être entre les filles de la même Mère. » 58 Mère Bruyère y adhère pleinement à cette union particulière favorisée par Montréal. De l’avis des Sulpiciens et des Oblats, et notamment du supérieur et provincial, le père Jacques Santoni, Mère Bruyère avait tout fait pour conserver l’union. Dans une lettre que ce dernier lui adresse à cette époque, il lui en rend un témoignage indéniable : Vous apprendrez au moins avec plaisir, qu’à Montréal on est sincèrement persuadé que vous désiriez l’union, les différentes lettres écrites à la Supérieure de Montréal, les démarches que vous avez faites, en étant, selon M. Bonnissant, une preuve péremptoire. Puis il poursuit : 58 Jeanne d’Arc, Lortie, Lettres ..., Ibid., volume 11, p. 21, Lettre no 137, note 29. Chapitre troisième — 69 Au reste, je crois que vous avez fait votre possible pour l’empêcher; on vous rend ce témoignage, vous n’avez en conséquence qu’à vous tenir tranquille en vous résignant à la volonté de Dieu. 59 Et il insiste : « Vous avez suffisamment agi, ce me semble dans le sens de l’union. Vous n’avez plus qu’à attendre l’expression de la volonté de Dieu 60». Mère Bruyère livre sa version du genre d’union essentielle, avant de terminer sa lettre du 20 septembre 1854, en réponse à la déclaration de séparation. Elle confie à Sœur Julie Deschamps, supérieure générale des Sœurs grises de Montréal l’idéal qu’elle entrevoit pour sa communauté : [...] je ne dois point vous dissimuler, ma très honorée Sœur, que j’ai été profondément affligée en lisant la lettre dans laquelle vous me notifiez la séparation de notre Communauté de la Maison mère; mon désir le plus ardent était de conserver l’union entre nous, et je n’eusse reculé devant aucun sacrifice, pour la rendre plus intime; mais puisque sans que j’y aie donné lieu, on brise le peu d’union qui existait encore, je me soumets à la volonté de Dieu, persuadée que tout ce qui nous arrivera de fâcheux comme de prospère n’est que pour notre plus grand bien. 61 Pour Mère Bruyère dans cette situation de fait, ce qui compte c’est l’union spirituelle pour conserver l’esprit de charité de Mère d’Youville. Elle donne les motifs de sa conduite : [...] j’avais eu d’abord la pensée de les – [des renseignements inexacts et très défavorables] – relever, afin de justifier la Maison de Bytown de l’accusation d’avoir accompli le fait de la séparation et pour dissiper des 59 Jeanne d’Arc, Lortie, Lettres ..., op. cit., p. 299, note. 60 Loc. cit, p. 299, volume 11, note 35. 61 Jeanne d’Arc, Lortie, Lettres ..., op.cit., volume II, Lettre à la très honorée Sœur Julie Deschamps, supérieure des Sœurs grises de Montréal, 5 octobre 1854, p. 301. 70 — Chapitre troisième préventions qu’on n’a pas toujours pris la peine de nous dissimuler; mais cela m’entraînerait dans des discussions qui me répugnent et où la charité a peu à gagner. J’y renonce donc me remettant au bon Dieu du soin de nous justifier, si c’est conforme à ses desseins. 62 Elle refuse de discuter pour se justifier parce que « la charité a peu à gagner » et se remet au soin du Bon Dieu pour faire sa volonté. C’est ici que l’on perçoit la profondeur de son esprit évangélique de charité qui domine toute sa vie. Un indice révélateur de sa grande amitié envers les Sœurs grises est éloquent. En décembre suivant, sur la recommandation de Michel Faillon, visiteur sulpicien, les restes de la vénérée Mère d’Youville ont été recouvrés et exhumés du caveau de l’Hôpital où ils reposaient depuis 1771. Une cérémonie religieuse le 23 décembre 1849, en a marqué la translation dans une châsse aménagée dans un ancien mur de la chambre qu’occupait la fondatrice de son vivant. 63 Une des manifestations d’attachement le plus sincère d’Élisabeth envers Mère d’Youville qu’elle appelle « notre vénérable Fondatrice, Madame d’Youville » 64, se révèle dans la supplique qu’elle envoie à Montréal par une délégation de deux sœurs afin que « son esprit de charité, de générosité, de zèle et de dévouement » imprègne le cœur de ses filles et féconde leur œuvre d’éducation. Élisabeth Bruyère apprend cet événement par les Mélanges religieux 65. Elle en est profondément blessée. Elle en fait part à Mgr Bourget en ces termes : « Une seule chose nous a sensiblement contristées, c’est que nos Sœurs de Montréal n’aient pas eu la pensée de nous écrire 66 pour nous faire 62 Jeanne d’Arc, Lortie, Lettres ..., Ibid., p. 309. 63Paul-Émile, Mère Élisabeth Bruyère…, tome 1, op. cit., p. 157ss. 641er janvier 1850 à Mgr Ignace Bourget, dans Jeanne d’Arc Lortie, Lettres ..., volume II, op. cit., p. 54. 65 Journal officiel de l’évêché de Montréal, no du 28 décembre, dans Jeanne d’Arc Lortie, Lettres …, op. cit., p. 54. 66 On sait par ailleurs que Mère Coutlée avait bel et bien écrit le 23 décembre 1849, mais que la lettre n’a été reçue que le 3 janvier suivant. Heureux hasard qui nous a permis de connaître la grandeur d’âme d’Élisabeth dans une circonstance aussi pénible. Chapitre troisième — 71 participer à un bien qui est commun à toutes nos maisons » 67. Elle voit dans cet événement « une conjoncture aussi heureuse pour toute notre congrégation et si capable de nous renouveler dans l’esprit de notre Institut 68 ». Tous les détails, ajoute-elle, sont intéressants pour une fille de Madame d’Youville car « nous tenons de cœur et d’âme à la Maison mère et à toutes nos Saintes Règles 69 ». Nous vénérons avec un religieux respect les précieuses reliques de notre Sainte Mère d’Youville que vous nous avez envoyées, toutes les sœurs me chargent de vous exprimer notre reconnaissance. 70 Admirable dignité ! À cause de son attachement à Mère d’Youville, Élisabeth Bruyère passe par-dessus ce qu’elle considère comme une blessure de famille. Une blessure qui engendre l’inquiétude d’être délaissée. Elle délègue immédiatement deux sœurs pour porter sa supplique qui commence par ces mots : « Daignez recevoir les témoignages de respectueuse affection de toutes vos filles de l’Hôpital général de Bytown 71 ». Dans cette spontanéité, se révèle l’idéal d’Élisabeth non seulement pour elle mais aussi pour les sœurs qu’elle appelle ses filles. Elle demande expressément « afin que nous soyons toutes remplies de votre esprit de charité, de générosité, de zèle et de dévouement ». Ses accents sont si sincères qu’ils impressionnent vivement les sœurs de Montréal et Mère McMullen interprète ainsi son geste : « Cette députation a eu plus de poids et a prouvé davantage votre amour pour notre première Mère, et en même temps votre union avec la mère maison 72 ». Élisabeth prend soin de confier à Mère d’Youville son pensionnat « afin que nous maintenions votre 67 68 69 70 71 72 Jeanne d’Arc Lortie, Lettres ..., volume II, op. cit., p. 54. Lettre à Mgr Bourget, 1er janvier 1850, loc. cit. Jeanne d’Arc Lortie, Lettres ..., volume I, op. cit., p. 55-56. Ibid., p. 60. Ibid., p. 430. Loc. cit., p. 431. 72 — Chapitre troisième esprit en instruisant les enfants comme en soignant les pauvres et les malades 73 ». En 1945, cent ans après les événements qui ont mené à la séparation d’Ottawa d’avec la communauté de Montréal, voici comment le cardinal Rodrigue Villeneuve, omi, dans sa préface au livre de sœur Paul-Émile, explique l’événement : Décision, au reste, dont il n’y a pas lieu de s’étonner, et pour laquelle il pouvait exister les meilleurs motifs. Dans leurs nouveaux milieux, les jeunes pousses avaient pris des élans et s’étaient adaptées à des circonstances et à des besoins spéciaux que n’avait pas connus l’Hôpital général, dont les esprits n’auraient su envisager ces conditions neuves et lointaines. Voilà ce qui est historiquement bien démontré. 74 Ici, le cardinal Villeneuve décrit la réalité de l’inculturation avant que le concept soit véhiculé dans l’Église après le concile Vatican II. La séparation imposée par Montréal qui est pour Mère Bruyère source de tant d’inquiétudes et d’angoisses nous permet de soupçonner quel était son idéal d’imiter la charité de Mère d’Youville et de parvenir ainsi à la vertu théologale de charité évangélique en favorisant la dimension de compassion. Mère Bruyère demeure profondément attachée à la Maison mère de Montréal. Le 3 septembre, 1849, elle écrit à Mère Coutlée, supérieure générale : « Hâtez-vous, de faire votre Chapitre général. J’ai bien plus envie de vous voir que de voir le Chapitre, car je ne sais pas ce que j’irai y faire 75 ». Le procès-verbal du Chapitre 1849 qui se termine le 8 novembre est le témoin oculaire d’une grande fraternité entre les quatre Fondations et la Maison de Montréal qui ont élaboré des moyens de 73 ASCO, Copie manuscrite de l’original aux ASCO, Registre C, p. 23-24, M. Br., p. 152, dans Jeanne d’Arc, Lortie, Lettres ..., volume II, p. 430-432. 74 Paul-Émile, sgc, Mère Élisabeth Bruyère…, tome 1, op. cit., p.[3] préface. 75 Ibid., p. 154. Chapitre troisième — 73 mettre en commun leur riche héritage spirituel reçu de Marguerite d’Youville. C’est ici que les décisions prises par la Maison mère de Montréal, en 1854, mais dictées par les évêques impliqués, deviennent difficiles d’interprétation logique. Le climat d’union des cœurs entre les Fondations et la Maison mère est bon. La déclaration d’indépendance imposée et dictée par les autorités ecclésiastiques surprend d’autant plus. Quels sont les véritables motifs qui ont stipulé ce genre d’administration par la Maison mère de Montréal à l’endroit des fondations ? On peut penser que des motifs d’ordre financier aient joué mais ils ne peuvent être les seuls. Il est vrai que la Maison mère de Montréal ne pouvait pas assumer les états financiers des Fondations. La juridiction ecclésiastique des évêques a été un des critères qui a pesé lourd dans la décision. Aucun d’eux ne voulait se voir imposer des restrictions par la Maison de Montréal dans le choix des œuvres que les sœurs auraient à accomplir dans leur diocèse. La mentalité de l’époque voulait que les évêques puissent avoir plein pouvoir sur les communautés religieuses qui relevaient de leur autorité. Dans une lettre intime, peu après la malheureuse décision, Mère Bruyère explique qu’elle comprend la situation mais qu’elle a été blessée par ce qu’elle appelle « le ton diplomatique » de la communication qui établissait l’indépendance totale comme un fait accompli. On verra cependant que le charisme de charité contribuera à conserver les liens de fraternité entre les sœurs grises. Elle s’exprime « à cœur ouvert » à Sœur Julie Deschamps, supérieure générale des Sœurs grises, à Montréal : Par un sentiment de haute convenance, que je respecte, vous n’avez point voulu porter plus haut la cause de la séparation; mais si dans votre langage vous aviez pu dépouiller le ton diplomatique vous m’auriez dit : […] que vos supérieurs 76 ayant sondé les dispositions des Évêques, avaient cru reconnaître leur opposition à une union 76 Il s’agit ici des évêques et probablement de certains sulpiciens. 74 — Chapitre troisième parfaite et absolue, et qu’alors pour ne pas exposer nos Maisons à des tiraillements sans fin, dont le moindre inconvénient est d’irriter les esprits, ils avaient préféré pour le plus grand bien, déclarer que l’union avait cessé d’exister. 77 Elle ajoute dans son franc parler : « Vous auriez dit la vérité sans ambages et on se serait compris tout de suite 78 ». Cette mise au point faite, Mère Bruyère conclut : « Mais en voilà assez sur cette question pénible à laquelle je ne veux plus revenir 79 ». Pour Mère Bruyère, l’affaire est classée, l’Église dans la personne des évêques a parlé. Les autorités de Montréal ont transmis le message et elle s’y soumet malgré la profondeur de sa souffrance. Elle travaillera à conserver l’union des cœurs et l’esprit de Mère d’Youville dans sa communauté. En novembre suivant, elle rappelle avec émotion, que la Maison mère de Montréal est « le berceau chéri de mon enfance spirituelle où j’ai goûté le bonheur en même temps que je recevais, de personnes vénérées, les leçons qui me formaient à l’esprit et aux vertus religieuses 80 ». Dans sa lettre du 20 septembre1855, en réponse à Sœur Julie Deschamps, Mère Bruyère souhaite « de conserver toujours entre nous l’union des cœurs, nous sommes les filles de la même Mère, nous devons donc toujours être Sœurs, et quoique nous soyons séparées pour l’administration, j’espère fermement que les doux liens de la Charité nous uniront constamment 81 ». Telle est bien le lien de charité plus fort que la mort qui vit dans la communauté des Sœurs de la charité à l’exemple de Mère d’Youville et de sa fille Mère Bruyère à Ottawa. Quatre ans après le fait accompli de l’indépendance, soit en 1858, l’aumônier de l’Hôpital général de Montréal, Victor Rousselot, 77 78 79 80 81 Jeanne d’Arc Lortie, Lettres…, volume II, op. cit., p. 312. Loc. cit. Ibid., p. 313. Ibid., p. 321. Ibid., p. 302. Chapitre troisième — 75 sulpicien, revient sur la possibilité d’union avec insistance parce que selon son avis, c’est ce que veut Mère d’Youville dans le ciel. Le sulpicien voyait dans les circonstances de l’indépendance des Fondations « une énorme faute d’administration » dont les sœurs des deux communautés sont les victimes. Ce dernier effort est final. Après ce retour, l’indépendance a été acceptée définitivement. Les autorités tant ecclésiastiques que des communautés religieuses concernées se tournent vers l’avenir. Une tentative d’union des quatre fondations de Sœurs grises Dans la solitude creusée par la réalité de l’indépendance, les supérieures des quatre fondations sentent normalement le besoin de partager leur crainte de l’avenir. Comme elles n’ont pas été consultées pour la séparation et que la décision vient des évêques des diocèses respectifs, il est normal que chacune se tourne vers l’autorité ecclésiastique pour réfléchir sur cette question. Une lettre de Mgr Guigues dévoile son attitude : Quand une Règle est complète et a été examinée par l’Église, un évêque s’estime heureux de n’avoir pas même à l’examiner; mais il n’en est pas de même d’une œuvre diocésaine, et il me paraîtrait difficile d’exiger qu’un évêque dût accepter des règlements qu’il n’a pas connus quand il a appelé une Communauté et qui seraient contraires au bien de son diocèse. 82 Ce document justifie l’attitude non seulement de Mgr Guigues mais aussi de Mgr Turgeon, archevêque de Québec, sur la Règle de 1851 qui fut l’obstacle réel à l’union entre l’Hôpital général de Montréal et ses Fondations, écrit Sœur Paul-Émile. 83 Cependant, si on considère les documents de fondation des quatre missions, il est évident qu’elles jouissaient d’une indépendance et elles étaient soumises à 82 Archives de l’archevêché de Montréal dans Paul-Émile, Mère Élisabeth Bruyère…, tome 1, op. cit., p. 164. 83Paul-Émile, Mère Élisabeth Bruyère…, tome 1, op. cit., p. 396. 76 — Chapitre troisième la juridiction canonique diocésaine. Elles étaient donc autonomes de par leur mandement de fondation mais toujours rattachées à la Maison mère de Montréal. Cette tentative d’union s’est avérée un échec, bien qu’elle ait servi de tampon dans la déception qui a suivi la déclaration de séparation d’avec la Maison mère de Montréal. Mais voilà que surgit une autre bouée de sauvetage : la possibilité d’une affiliation avec une communauté religieuse de France qui a des affinités avec la vocation des Sœurs de la charité. C’est pour vérifier sur place, si l’union permettra le respect de l’esprit de Mère d’Youville, que Mère Bruyère entreprend un voyage de trois mois en France en août 1861. L’échec de l’union avec les Sœurs de la Sainte-Famille de Bordeaux Une des premières demandes d’association avec les sœurs de la Sainte-Famille-de-Bordeaux s’est faite en 1859, selon les chroniques 84. Le père Chevalier qui arrive de France lui décrit l’alliance et le contrat par lesquels se sont engagés les Oblats envers une Communauté de religieuses à Bordeaux, à assurer la direction spirituelle de l’institut. En lui remettant les Annales, il ajoute : « Pourquoi les Oblats ne feraient-ils pas pour les Sœurs de Bytown ce qu’ils font pour celles de Bordeaux ? 85 » Les Sœurs de la Sainte-Famille de Bordeaux fondées en 1820 par l’abbé Pierre-Bienvenu Noailles 86 ont une organisation unique dans l’Église. D’abord, elles sont appelées Dames de Lorette. Elles veulent honorer la Sainte Famille par la pratique de la vie religieuse et déployer leur zèle à répondre aux besoins lorsqu’ils surgissent dans cette paroisse où les pauvres sont en grand nombre. Le fondateur répond aux besoins qui surgissent en créant une nouvelle branche de Dames de Lorette. 84ASCO, Chroniques, p. 183-185, 26 août 1859. 85Paul-Émile, Mère Élisabeth Bruyère…, tome 1, op. cit., p. 198. 86 Le fondateur meurt le 8 février 1861. Chapitre troisième — 77 En 1859, cette famille religieuse comprend six catégories différentes, chacune ayant à sa tête une supérieure générale, chacune portant un costume particulier, chacune ayant dans les saintes Règles des clauses spéciales pour les œuvres dont elle est chargée. Les supérieures générales réunies à Bordeaux, ont à leur tête une Directrice générale assistée d’un Conseil appelé le Conseil de Marie. Le Supérieur général de Oblats est en même temps leur supérieur général, représenté auprès d’elles par un père qui porte le titre de Directeur. 87 Ce qui est étonnant, c’est que la branche de Lorette qui vient d’être fondée se consacre à l’éducation de la jeunesse. Une autre branche s’occupe des orphelins; une autre des malades riches ou pauvres. C’est pour le moins une ressemblance étonnante avec les œuvres de Mère Bruyère. Mais plus remarquable encore, pendant que Mère Bruyère réfléchit aux avantages d’une affiliation avec cette communauté florissante, Mgr Charles-Joseph-Eugène de Mazenod, omi, de Marseille 88 y pense aussi. Il écrit à Mgr Guigues pour inviter quelques-unes de vos religieuses des plus capables et des plus influentes pouvaient venir à Bordeaux, munies de toutes vos instructions, nous les accueillerions avec bonheur tout le temps nécessaire pour qu’elles vissent par elles-mêmes les différentes œuvres de la Sainte-Famille, qu’elles puissent comparer leur esprit et leurs Règles avec les leurs et qu’elles apportassent ensuite à leurs Sœurs, après vous les avoir soumises, les impressions et les résolutions qu’elles auraient puisées dans ce voyage 89. Deux motifs inspiraient Mère Bruyère à poursuivre les démarches en vue d’une union avec les Sœurs de la Sainte-Famille de Bordeaux. 87Paul-Émile, Mère Élisabeth Bruyère…, tome 1, op. cit., p. 198-199. 88 Il est fondateur et supérieur général des Oblats de Marie Immaculée. 89Paul-Émile, Mère Élisabeth Bruyère…, tome 1, op. cit., p. 201. 78 — Chapitre troisième Elle les mentionne en particulier dans une lettre à la Directrice générale : le bonheur d’être sous la direction spirituelle des Oblats et celui d’appartenir à une société religieuse qui embrasse tous les genres de bonnes œuvres. 90 Après avoir séjourné dans les couvents des Sœurs de la SainteFamille de Bordeaux, ni Mère Bruyère, ni Mgr Guigues, ni le père Aubert trouvent les conditions d’union acceptables. Il s’agit davantage d’une fusion où les Sœurs grises d’Ottawa perdraient leur identité. Il faut sacrifier les Règles, les usages et l’esprit de Mère d’Youville pour s’unir aux Sœurs de Sainte-Famille. Comme c’est l’esprit qui compte et non l’habit que les sœurs d’Ottawa pourraient garder, Mère Bruyère renonce, sans regret, au projet d’affiliation. Il semble bien que cette décision fait le bonheur de toutes les personnes intéressées qui applaudissent à cette décision. Mgr Alexandre Taché, évêque du Manitoba, félicite Mère Bruyère en ces termes : « Soyez toujours si grises qu’on ne puisse jamais vous noircir 91 ». Quant à Mère Bruyère, elle est maintenant « fixée sur l’union que j’ambitionnais tant 92 » écrit-elle à ses sœurs d’Ottawa. Elle ne peut renoncer à l’esprit de charité de Mère d’Youville qui est l’essentiel de sa vie religieuse. Ainsi toutes les tentatives d’union ne pouvant se réaliser, Mère Bruyère prend maintenant en main la gouverne de la communauté de Bytown et s’engage à déployer toutes ses énergies pour assurer un avenir à cette nouvelle institution de charité dans l’Église de Bytown. L’Église de Bytown telle que décrite par Mère Bruyère Dans la présentation 93, Mère Agathe Gratton 94 écrit des Lettres d’Élisabeth Bruyère : 90 Jeanne d’Arc Lortie, Lettres ..., volume III, op. cit., 1861, p. 348. 91Paul-Émile, Mère Élisabeth Bruyère…, tome 1, op. cit., p. 208. 92 Loc. cit. 93 Jeanne d’Arc Lortie, Lettres ... Volume I, op. cit., Présentation, p. 7. 94 Supérieure générale des Sœurs de la charité d’Ottawa de 1980 à 1992. Chapitre troisième — 79 Elles [les sœurs] pourront, à loisir, discerner en filigrane, l’évolution civile et religieuse du Bytown de 1845, fières de constater combien la destinée du peuple et de l’Église d’alors, reste étroitement liée à leur propre histoire. On peut donc dire qu’Élisabeth Bruyère est « fille de l’Église 95 ». Mère Bruyère a accordé tout son cheminement spirituel et l’épanouissement de sa famille religieuse au développement de l’Église de Bytown, écrit sœur Jeanne LeBer. Quant à sœur Jeanne d’Arc Lortie, elle rappelle que : [...] le monde dans lequel les lettres nous font pénétrer est celui de l’Église, réalité où le temporel est inséparable du spirituel. Les vies qui s’y déroulent ne peuvent se ramener aux seuls aspects que l’œil humain peut observer et vérifier; elles comportent à la fois une tâche humaine, et un travail de Dieu que seule la foi peut percevoir mais qui est bien réel. 96 Cette région située au sud de la rivière des Outaouais fait partie du diocèse de Kingston érigé en 1826 dont le premier évêque est Mgr Alexander Macdonell. L’archidiocèse de Kingston, a été érigé canoniquement le 28 décembre 1889 par le pape Léon XIII. Il avait auparavant été érigé en vicariat apostolique du Haut-Canada à partir du diocèse de Québec le 12 janvier 1819 et en diocèse le 27 janvier 1826. Le siège archiépiscopal est à la cathédrale de Sainte-Marie de l’Immaculée-Conception de Kingston. Ce diocèse est l’un des plus anciens diocèses catholiques au Canada. Les premiers habitants catholiques qui ont peuplé le territoire diocésain étaient les soldats du régiment écossais de Glengarry en 1804. Le premier séminaire diocésain, dit collège d’Iona, est construit à Saint-Raphaël par l’évêque MacDonell. C’est en 1889 qu’il a été élevé au rang d’archidiocèse dont les diocèses suffragants 95 Jeanne Leber, sco, Élisabeth Bruyère, Femme de Dieu-Fille de l’Église, 1976, page de titre. 96 Jeanne d’Arc Lortie, Lettres ..., Volume II, op. cit., p. 43 80 — Chapitre troisième sont : Alexandria-Cornwall, Peterborough et Sault Sainte Marie. Le diocèse de Kingston doit céder du territoire en 1841 pour ériger le diocèse de Toronto, en 1847 pour ériger le diocèse de Bytown, en 1874 pour ériger le vicariat apostolique du nord canadien, en 1882 pour ériger le diocèse de Peterborough et en 1890 pour ériger le diocèse d’Alexandria en Ontario. 97 Mère Bruyère en arrivant à Ottawa n’a pas théorisé sur le dogme de l’Église, elle en a vécu. À l’occasion, on en perçoit quelques effets dans ses lettres. Le 11 août 1850, elle note : « […] nous commençons à réciter l’office selon l’esprit de l’Église », ajoutant que le P. Allard les y aide 98. À l’époque des jours Saints, elle est ravie : Pour la première fois depuis que nous sommes à Bytown, nous avons eu aujourd’hui l’Office du Samedi Saint, c’est-à-dire le feu nouveau, les cierges pascal et triangulaire; pour la première fois aussi, nos Sœurs ont chanté la grande Messe. Pour un moment nous nous croyions transportées chez-nous, écrit-elle à Mère Coutlée le 19 avril 1851. 99 À Noël de la même année, elle consigne : « Pour la première fois nous avons la messe de minuit dans le couvent neuf 100 » Mère Bruyère aime l’Église : tous les événements qui touchent la « sainte Mère l’Église » la touchent. Elle prie et fait prier pour l’Église. Le 4 avril 1850, elle écrit aux Sœurs du Bon Pasteur : De ce temps-ci, ma Mère, nous prions beaucoup pour le Souverain Pontife, notre Père commun. Je suis persuadée que vous en faites autant de votre côté. Pour moi, je n’ai jamais si bien compris ce que c’est que l’Église persécutée dans son Chef, et le bonheur d’appartenir à cette sainte 97 Wikipédia, diocèse de Kingston. 98 ASCO, Chroniques de la Congrégation..., 11 août 1850, p. 45. 99 ASCO, Lortie, op. cit., Lettres…, volume I, no 48, p. 143. 100Jeanne d’Arc Lortie, Lettres ..., volume II, op. cit., p. 44. Chapitre troisième — 81 Église. Que nous sommes heureuses de pouvoir se dire les Filles de l’Église catholique et d’avoir Pie IX pour Père ! 101 On peut dire que la prière pour l’Église rythme sa vie et celle de toutes ses sœurs : Des religieuses doivent toujours prier pour l’Église, c’est par le moyen des communautés religieuses qu’elle peut opérer un plus grand bien et c’est pour cela qu’elle demande nos prières et qu’elle compte tant sur elles 102. La mission ecclésiale de mère Bruyère (1845-1876) Maintenant que les grands jalons de la fondation à Bytown sont établis de 1845-1848, la mission ecclésiale de Mère Bruyère et de ses compagnes œuvrant toujours avec elle se déploie dans les trois domaines suivants : éducation de la jeunesse, service des pauvres, des indigents et des orphelins, enfin le soin des malades. C’est dans l’Église locale de Bytown que Mère Bruyère vient manifester sa charité au service des pauvres et de la jeunesse. Telles sont les œuvres pour lesquelles les fondatrices ont accepté de venir vivre à Bytown. Pour Mère Bruyère, l’Église c’est Jésus-Christ. Sa vision de l’Église se situe dans le charisme de charité qu’elle déploie pour soulager toutes les misères en leur présentant le visage bien-aimé de Jésus. Dans un message à toute la congrégation elle rappelle ce sens de l’Église. L’Église, vous ne l’ignorez pas, mes chères Filles, c’est Notre-Seigneur Jésus-Christ nous enseignant toute vérité par la bouche de notre Saint-Père le Pape, de Nos Seigneurs les Évêques et des Prêtres. L’Église, c’est NotreSeigneur Jésus-Christ nous faisant l’application de ses 101Règle de vie, 1980, p. 43 cité de la Lettre à la supérieure des Sœurs-du-Bon-Pasteur, 4 avril 1860. Par erreur on donne 1850. Voir Lortie III, p. 274. 102Règle de vie, op. cit., p. 43. 82 — Chapitre troisième mérites infinis par les Sacrements qu’il a institués pour notre sanctification. L’Église, selon l’Apôtre saint Paul, c’est Notre-Seigneur Jésus-Christ s’immolant encore chaque jour pour la gloire de Dieu et le salut des pécheurs, dans la personne des justes, et plus spécialement, dans la personne de ceux et celles qui se sont consacrés à Lui par les vœux de religion. D’où il suit, que vous devez puiser dans votre amour pour le Divin Maître, une vénération profonde et une soumission entière à l’égard de Notre Saint-Père le Pape, de Nos Seigneurs les Évêques, de tout l’ordre sacerdotal et plus particulièrement à l’égard des Prêtres qui sont chargés de vous conduire 103. C’est à la fin de sa vie qu’elle peut écrire une telle perception de l’Église. Mais son regard ne s’arrête pas là, il englobe encore toutes les communautés religieuses : D’où il suit encore, que vous devez aimer toutes les communautés religieuses d’un amour véritable, et non seule ment éviter avec le plus grand soin tout ce qui pourrait diminuer en vous ou dans les autres, l’estime qui leur est due; mais encore saisir avec bonheur les occasions de leur être utile et agréable. 104 Élisabeth Bruyère semble déjà intuitionner la pensée de Paul VI, un siècle plus tard : Gardons-nous bien de concevoir l’Église universelle comme la somme ou, si l’on peut dire, la fédération plus ou moins hétéroclite d’Églises particulières essentiellement diverses. Dans la pensée du Seigneur, c’est l’Église, universelle par vocation et par mission, qui, jetant ses racines dans la variété des terrains culturels, sociaux, 103ASCO, Élisabeth Bruyère, message à sa congrégation le 24 décembre 1875. 104Loc. cit. Chapitre troisième — 83 humains, prend dans chaque portion du monde des visages, des expressions extérieures diverses. 105 Nous sommes, ici, au cœur de l’inculturation de la charité évangélique qui prend les couleurs locales de chaque communauté. Dans la pensée de Jean-Paul II, pape, à la suite de Paul VI, l’Église universelle est présentée comme une communion d’Églises particulières et par le fait même comme une communauté de fidèles qui forment le Peuple de Dieu. L’Église locale se réalise à partir de son propre environnement culturel comme une démarche indispensable en vue de la croissance de l’Église. Cette contextualisation permet à la communauté de vivre dans son propre milieu une expérience de foi chrétienne dans l’interaction de trois facteurs : l’Évangile, l’Église et la culture d’accueil. La charité vécue dans la congrégation se manifeste surtout par un véritable souci des pauvres : Sœurs de la Charité, vous avez promis d’aimer NotreSeigneur dans la personne des pauvres que vous soignez et des enfants que vous instruisez. Cette mission est sublime mais elle est aussi bien rude et parfois remplie d’écueils. Comment celles d’entre vous qui n’aimeraient pas Notre-Seigneur dans la personne de ses Sœurs pourraient-elles l’aimer dans celle des pauvres et des enfants ? Je vous le dis avec douleur, les Sœurs qui penseraient ainsi se tromperaient; leur zèle serait un faux zèle, leurs œuvres, qui devraient être pour elles une occasion de mérites, leur seraient une occasion de péché et peut-être de damnation 106. Elle ajoute : « La Sœur de la Charité, qu’est-elle sinon une mère pour les pauvres et les délaissés du monde ? 107 » 105Vatican II, EN, op. cit., no 62. 106ASCO, Lettre d’Élisabeth Bruyère, le 24 décembre 1875. 107Loc. cit.. 84 — Chapitre troisième L’éducation de la jeunesse La jeunesse sans écoles déploie sa charité compatissante ? La clause de fondation relative à l’enseignement suscite des problèmes. Cette clause dans la Règle de Montréal, quelle est-elle ? Ne pas dépasser le niveau primaire des petites écoles. Mère McMullen, qui avait favorisé les fondatrices en les envoyant s’initier aux méthodes d’enseignement chez les Frères des Écoles Chrétiennes s’inquiète des conditions des écoles de Bytown surtout pour conserver « l’esprit propre à des Sœurs de Charité » 108 En toute simplicité et humilité, Mère Bruyère y va de toute son audace. Elle soumettra à Montréal ce qu’elle fait, ce qu’elle avance, ce qu’elle introduit de neuf à Bytown et ailleurs justement dans un souci d’inculturation de sa charité au milieu dans lequel elle vit. En 1849, elle ouvre le pensionnat, d’abord sur la rue St. Patrick, puis à la Maison mère en 1850, et enfin sur la rue Rideau en 1869, dans l’édifice qui logeait l’hôtel Revere que Mère Bruyère achète. Cette œuvre tenait grandement à cœur à l’évêque qui voulait contrecarrer les initiatives des protestants. Le pensionnat progresse au-delà de toute prévision sans nuire pour autant aux écoles paroissiales, en bonne tenue et d’un bon allant. L’année 1857, à la demande des pères Oblats, marque l’ouverture de la première école à l’étranger, Buffalo, New York; puis en 1860 à Plattsburg, ensuite à Ogdensburg en 1863, enfin en 1867, à Aylmer, Québec. Ce qui faisait dire au père Henri Tabaret, omi, que Mère Bruyère « devançait son époque de cinquante ans 109 ». Le service des pauvres et des orphelins Si Élisabeth a choisi les Sœurs grises de Montréal, plutôt que les Sœurs de la Congrégation où elle avait étudié, c’est qu’elle avait un attrait bien raisonné pour les pauvres, les malades, les démunis, les 108Paul-Émile, Mère Élisabeth Bruyère…, tome 1, op. cit., p. 50ss. 109Ibid., p. 227. Chapitre troisième — 85 abandonnés de tous âges. C’est chez Mère d’Youville qu’elle trouve le modèle de charité qu’elle veut imiter. C’est surtout à Bytown qu’elle peut manifester aux malades et aux pauvres à domicile avec ses compagnes une tendresse maternelle remplie de charité et de compassion ou mieux encore de « charitécompatissante ». Elle et sœur Thibodeau apportent à leurs protégés nourriture, vêtements, remèdes avec une bonté qui suscite la charité et qui devient désir d’aimer. Cette symbiose d’amour de Dieu et du prochain surgit comme par osmose de la charité compatissante de Mère Bruyère. D’autres affligés seront aussi conduits à la maison des sœurs. Un soir, le père Adrien Telmon, omi, curé de la paroisse, apporte, enveloppée dans son manteau, une enfant de deux ans qu’un avocat protestant a trouvée dans ses champs parmi les vaches et les pourceaux. À quelques semaines de là, on amène deux enfants : une fillette de six ans et son jeune frère de cinq ans. On les a trouvés la nuit, assis dans la boue du chemin, pleurant de peur, de froid et de faim. Une tragédie de famille qui trouve chez Mère Bruyère réconfort et consolation. C’est ainsi qu’une œuvre n’attend pas l’autre. Lors d’une visite chez Mgr Joseph-Eugène-Bruno Guigues, évêque de Bytown, les sœurs implorent du secours et de l’aide pour les orphelins. Mgr Guigues leur donne sa bénédiction et une piastre ! En descendant le perron de l’évêché, les sœurs se disent qu’elles pourraient bien construire une maison pour les orphelins. Mère Bruyère fait réparer une maison à louer sur la rue Water, proche de la Maison mère, et la veille de Noël 1865, cette maison est prête pour recevoir six orphelins, un vieillard, une bonne vieille. Les sœurs Raizenne et Brassard ont la charge de cette œuvre. Or voici qu’un soir quelqu’un se présente à une heure tardive et demande : — Est-ce ici l’Orphelinat des Sœurs ? J’ai reçu l’ordre de vous amener une famille misérable qui a passé la journée au froid et à la neige dans un mauvais hangar. 86 — Chapitre troisième À peine les sœurs avaient-elles eu le temps de voir à la dite famille amenée par un étranger qu’arrive monsieur Plouffle, domestique à la Maison mère, directement envoyé par mère Bruyère, inquiète de ses filles, les sœurs Raizenne et Brassard, et des pauvres. Mère Bruyère vient s’informer comment va le nouvel Orphelinat. Pour toute réponse, voici que les sœurs lui montrent les nouveaux arrivés. Et comme dans l’évangile, dans les mots même de Jésus elles répondent : — Allez dire à Mère Bruyère ce que vous avez vu ! 110 On croirait entendre Jésus répondre aux envoyés de Jean-Baptiste. (Lc 7, 22) L’Orphelinat ne manque pas de recrues; sa pauvreté, l’exiguïté de la maisonnette obligent à penser à construire. Mère Bruyère aborde à nouveau Mgr Guigues qui hésite devant la grande pauvreté de la Communauté mais il lui promet ses encouragements. Les bienfaiteurs se présentent. Ce sont l’Honorable Joseph-Charles Taché, sous-ministre de l’Agriculture, son ami l’écrivain Stanislas Drapeau et d’autres qui se rallient aux premiers : professionnels, marchands et journaliers. Les dames s’organisent en association bénévole et l’Orphelinat peut naître. L’orphelinat Saint-Joseph représente le travail de la collectivité outaouaise admirable de rayonnante charité. L’histoire n’en finira pas de raconter les beaux faits, de vrais contes de Noël 111, réalisés grâce à un esprit de charité qui en terre ontarienne adapte ses services aux besoins de la population. Le soin des malades et l’Hôpital général d’Ottawa Si l’éducation de la jeunesse est une priorité pour l’évêque, Mère Bruyère en a fait le mobile de son dévouement charitable même si la priorité de la congrégation était les pauvres. Mais des enfants sans instruction, n’est-ce pas aussi les plus pauvres de la société ? Dès le mois de mai 1845, quatre mois après l’arrivée à Bytown, Élisabeth transforme en dispensaire le rez-de-chaussée de sa petite 110Paul-Émile, Mère Élisabeth Bruyère…, tome 1, op. cit., p. 275 ss. 111Ibid., p. 277. Chapitre troisième — 87 maison à l’angle des rues Parent et Saint-Patrick. En 1850, tous les malades sont soignés dans les nouveaux locaux de la Maison mère. Enfin en 1860, à cause du nombre sans cesse croissant de malades, on commence la construction d’un véritable hôpital qui devient plus tard l’Hôpital général d’Ottawa qui déménage sur le chemin Smyth et prend le nom de Centre des Sciences de la santé d’Ottawa. L’ancien Hôpital général se transforme en Centre de santé ÉlisabethBruyère converti en institution de soins chroniques en 1980 et offre un programme de soins palliatifs pour toute la région d’Ottawa. À l’automne de 1871 éclate dans la capitale, une épidémie de variole : tout le monde réclame un hôpital pour les picotés, mais personne ne le veut dans son voisinage. Élisabeth, d’accord avec les autorités municipales, organise un nouveau lazaret dans la cour du couvent. Sous le sceau du plus grand secret afin de ne pas inquiéter les gens, on y amène les malades la nuit. Les sœurs portent même les morts au cimetière. Comment l’historien, le sociologue ou le psychologue peuvent-ils qualifier ce dévouement 112 ? Élisabeth et les sœurs n’ont certes pas travaillé pour la gloire, ni les admirables médecins qui ont gratuitement soigné les vieillards de 1845 à 1876. Dès l’origine, le clergé est le grand bienfaiteur de l’œuvre. Dieu seul sait les aumônes apportées par les pères Telmon, Molloy et Dandurand et Mgr Guigues qui s’est intéressé vivement à l’œuvre des indigents, de l’Orphelinat et de l’Hôpital. Après la mort de Mgr Guigues, c’est Mgr Joseph Thomas Duhamel qui se place au rang des bienfaiteurs insignes des malheureux. On dirait que la charité des sœurs devient contagieuse ! Mais cette contagion est vivifiante. L’apostolat missionnaire des Sœurs de la charité d’Ottawa Les couvents ouverts par Mère Bruyère sont justement une preuve que la charité se propage. Après l’ouverture des écoles à Bytown, Hull, Aylmer, Cornwall et aux États-Unis, comme on l’a déjà cité, 112Ibid., p. 270 ss. 88 — Chapitre troisième voici qu’en 1852, sept ans après l’arrivée à Bytown, Mère Bruyère envoie à la Rivière Rouge, (Manitoba) sœur Marie Curran (d’Youville). C’est Mgr Alexandre Taché, alors évêque, qui fait la demande aux sœurs de Montréal et celles-ci s’adressent à Sœur Bruyère. Sœur Curran y enseignera l’anglais et la musique et partagera le travail durant cinq ans. En 1855, une nouvelle demande de Montréal est adressée à la générosité d’Élisabeth. Deux religieuses iront pour trois ans enseigner aux petits Indiens et soigner les malades à l’hôpital de St-Boniface. Ce sont les sœurs Sainte-Marie (Julien) pour l’enseignement et Thérèse Macdonnell, pour l’Hôpital. Fait intéressant : au moment où Sœur Macdonnell doit revenir, un groupe de Métis arrête la caravane et réclame sœur Thérèse, en clamant « On veut Sœur Thérèse ». On n’a que faire, il faut laisser sœur Thérèse aux Métis. Il faut obéir à ces gens. La caravane doit filer son chemin sans elle. Sœur Thérèse Macdonnell (Sainte-Thérèse), native de Cornwall entrait au noviciat d’Ottawa le 31 janvier 1845. En 1855, après sa profession perpétuelle, elle était parmi les missionnaires prêtées puis définitivement cédées par la communauté d’Ottawa aux Sœurs grises de Montréal pour leur mission de Saint-Boniface, (Rivière-Rouge). Elle meurt en 1917. Dans la situation de Mère Bruyère qui ne réussissait pas facilement avec le personnel restreint à joindre les deux bouts, toute sagesse humaine aurait dicté un refus à ces demandes d’aide. Mère Bruyère acquiesce. Il faut admirer sans le vouloir sa charité qui est sans limites quand la misère crie. Après 1866, la mission Saint-Claude s’ouvre à Témiscamingue, en collaboration avec les pères Oblats. Les religieuses y besognent auprès des Algonquins de la région et plus tard, elles œuvrent avec les Blancs attirés par la richesse de la forêt et la fertilité du sol. Le 8 mai 1902, au Fort Albany un poste de la Compagnie de la Baie d’Hudson, c’est la fondation d’une résidence pour seconder les missionnaires Oblats. Ce sont des travaux durs et écrasants mais ils sont accomplis en Église ! Sœur Paul-Émile décrit la vie dure des missionnaires « Les Chapitre troisième — 89 fondatrices voient à tout : mystère de la charité qui décuple les forces de l’apôtre ! 113 » Grâce au jeune âge d’Élisabeth et de ses sœurs, grâce à leur inlassable dévouement, leur profond esprit de foi et à leur engagement fidèle à l’Église, la congrégation et ses œuvres ont connu un essor florissant. Cependant, toutes les fondations ont eu lieu dans un état d’extrême pauvreté. Leur épanouissement a occasionné de grands sacrifices à toute la petite communauté. Élisabeth, en particulier, mettait tous les sacrifices « au compte de la Providence 114 ». À Ottawa comme ailleurs, il fallait tout inventer – c’est le défi de l’inculturation – en des circonstances bien difficiles et dans un climat presque de guerre civile entre groupes religieux et ethniques opposés. Il fallait travailler fort et quêter continuellement pour soutenir les pauvres, les vieillards, les orphelins, les malades à charge et maintenir les écoles. Mère Bruyère a puisé les moyens de venir en aide à tant de misère parce qu’elle allait puiser sa charité dans le cœur de Dieu. La grâce de son charisme ne s’épuise pas. Comme une flamme elle rayonne et éclaire tout sur son passage. Ces lettres éclairent également la question de la vocation et de la mission propre de Mère Bruyère. Cette mission, elle la situe nettement dans la ligne du charisme de Mère d’Youville. Apprenant la nouvelle de la découverte et de l’exhumation du corps de leur sainte fondatrice, elle écrit ces paroles prophétiques à Mgr Bourget, le 1er janvier 1850 : « […] c’est une conjoncture heureuse pour toute la Congrégation et si capable de nous renouveler dans l’esprit de notre Institut ». 115 Pour l’instant, elle ignore dans quel sens cet institut sera renouvelé. Par ailleurs, elle a une conscience claire du champ d’action vers lequel elle a été envoyée à Bytown. Mère Bruyère le dira explicitement dans les chroniques qu’elle rédige en juillet 1855, alors qu’elle voit plus clairement le sens de sa propre mission : 113Paul-Émile, Mère Bruyère …, op.cit., p. 88. 114Jeanne d’Arc Lortie, sco, Lettres …, volume 111, op. cit., p.372. 115Jeanne d’Arc Lortie, sco, Lettres …, volume 11, op. cit., p, 54. 90 — Chapitre troisième Notre chère Sr St-Joseph (Charlebois) me disait en confidence et avec une bonne intention, avant de nous quitter, qu’elle croyait que si nos affaires temporelles allaient si mal et que si nous ne recevions pas de postulantes, elle l’attribuait à ce que nous étions hors de notre vocation en enseignant, et aussi parce que nous pratiquions des usages différents de ceux de la Maison mère 116. Cette phrase fournit un exemple du comportement exemplaire de Mère Bruyère qui depuis des années s’est exercée au discernement spirituel, on dirait – pour utiliser notre jargon – qu’elle voit, juge, agit spontanément, comme par une seconde nature, tenant compte à la fois du charisme de Mère d’Youville, des besoins de Bytown et des ressources dont elle peut disposer. 117 Sa collaboration étroite avec les autorités civiles et religieuses pour combler les besoins d’une Église à bâtir a été la forme d’inculturation que la charité de Mère Bruyère a prise au service des petits du Royaume de Dieu. Nous voyons comment Mère Bruyère a inculturé sa charité dans les événements difficiles de sa vie à Bytown. La séparation d’avec la maison mère de Montréal ne lui a pas fait perdre son charisme de charité qu’elle avait transporté dans son cœur qui s’est ouvert à toutes les misères de Bytown. 116 Ibid., p. 49. 117Ibid., p. 277 note 222. Chapitre troisième — 91 CHAPITRE QUATRIÈME Une renommée de sainteté Le regard que Mère Bruyère a porté sur tous les événements dans sa vie suppose une charité ardente pour Dieu afin de se soumettre à sa sainte volonté. Cet amour de Dieu dicte sa conduite dans le cheminement de son âme vers l’union à Dieu. Lors de la séparation d’avec Montréal, elle écrit : « La Supérieure reçoit cette nouvelle avec peine, mais aussi, avec résignation à la volonté divine 1 ». Cependant c’est à Mère Deschamps qu’elle dévoile ses sentiments profonds : « Puisqu’il n’est pas permis de désirer d’autre union que celle-là [la charité], il faut bien m’y soumettre et reconnaître la volonté divine dans ses voies impénétrables à la sagesse humaine 2 ». Elle continue : « […] j’aurais fait les plus grands sacrifices pour l’opérer [l’union]. Mais enfin, le bon Dieu ne voulait pas; que sa Sainte Volonté soit faite 3 ». Elle récite presque quotidiennement les litanies à la volonté de Dieu. Cette proximité avec Dieu en tout temps, lui donne un rayonnement d’amour envers Dieu et les autres. Elle déclare un jour en 1865 : « Si en vivant longtemps, je dois mériter quelques degrés d’amour de plus dans le ciel, je suis résignée à souffrir tant que le monde durera si c’est nécessaire 4 ». Sa charité pour Dieu embrasse toutes les personnes qu’elle cherche à secourir et à aider. Elle les entraîne dans les voies de la plus grande charité envers Dieu et les pauvres. Cette charité prend divers noms : compassion, générosité, tendresse et bonté, etc. Et cette charité, c’est en Dieu que Mère Bruyère cherche à en attiser la flamme. 1 ASCO, Chroniques, 13 septembre 1854. 2 Lettre de Mère Bruyère à Mère Deschamps, sgm, le 27 septembre 1854. Voir Lortie, Lettres…, volume II, p. 308. 3 Loc. cit. 4 ASCO, Lettre de Mère Bruyère à Sœur Phelan, le 26 septembre 1865. Chapitre quatrième — 93 Sa vie de prière Sa recherche de Dieu s’inscrit dans la vie de l’Église du XIXe siècle qui mettait l’accent surtout sur les dévotions et les multiples exercices de piété qui pouvaient étouffer la liberté de certaines personnes dans la poursuite de la sainteté. Pour d’autres qui réussissaient à distinguer l’accessoire de l’essentiel, c’était le chemin de vie dans la liberté des enfants de Dieu. Mère Bruyère accepte sans questionner toutes les pratiques courantes dans sa recherche de Dieu et d’union au Christ dans la communion de l’Église qui adjoignait à l’unique médiateur, sa mère, les saints. Cependant, Mère Bruyère fait dans sa vie spirituelle, une grande part au Christ lui-même qu’elle rencontre dans le cycle liturgique et surtout dans l’eucharistie. On peut affirmer que toute sa vie, Mère Bruyère est à la recherche de Dieu. Elle s’adresse à Dieu le Père et s’en remet avec confiance à sa Providence. C’est dans son intimité avec Dieu dans sa prière et son oraison qu’elle puise sa charité qui rayonne autour d’elle pour toutes les personnes qui la rencontrent spécialement les sœurs et les pauvres. Le langage spirituel de son époque est significatif. Dans sa lettre circulaire du 24 décembre 1872, le titre d’épouse du Christ lui permet une nouvelle possibilité de tendre à la perfection. […] si vous êtes bonnes, si vous êtes ferventes … vous serez des religieuses selon le cœur de notre divin Sauveur qui veut la sainteté dans ses épouses… 5 Elle continue en ajoutant que : « c’est sa fidélité à correspondre aux grâces de Dieu pour vivre unie à Lui, de cette union intime …qui rend véritablement les épouses de Jésus-Christ ». 6 En conclusion, elle donne comme principe celui de Jésus : « On se fait religieuse pour servir le prochain et non pour être servie 7». 5 ASCO, Mère Bruyère, lettre circulaire du 24 décembre 1872. 6 Ibid.. 7 ASCO, Recommandations 17 février 1870. Déjà en 1862, elle avait dit à N. Beaubien, ptre, à peu près la même chose. 94 — Chapitre quatrième Son désir de vie cloîtrée Mère Bruyère a souvent désiré la vie cloîtrée. C’est le père Santoni, son confident, qui la détourne de ce projet : « Je crois par conséquent, écrit-il en novembre 1853, qu’en demeurant dans votre vocation vous pourrez atteindre au degré de perfection que Dieu semble demander de vous 8». Mgr Guigues répond dans le même sens. 9 Pour Sœur Paul-Émile, Mère Bruyère avait l’âme d’une contemplative. 10 D’ailleurs, dans une lettre à Mgr Guigues, elle avoue qu’allant à Saint-Hyacinthe elle voulait examiner de plus près « si réellement je suis appelée à la vie cloîtrée et contemplative 11». Le Père Santoni la confirme dans sa vocation en disant : « Peut-être feriez-vous bien de vous défier de certains désirs de solitude, de vie plus retirée, cloîtrée, qui semble vous préoccuper. Rarement ils viennent de Dieu quand on a déjà une vocation où l’on fait le bien et où l’on ne trouve aucun obstacle sérieux à la sanctification de son âme 12 ». Après sa mort, le Père Froc 13 rappelait que Mère Bruyère à l’exemple de Mère d’Youville a aimé particulièrement les pauvres et les malheureux. « Son cœur sensible à l’excès, était ému de la plus vive compassion quand elle se trouvait en présence de la douleur et de l’infortune. Les pauvres honteux, les malades les plus abandonnées excitaient tout particulièrement son intérêt 14 ». Toute sa vie témoigne de son ardente charité à l’égard du prochain et de son zèle à soulager la misère ou à faire reculer l’ignorance. L’un des premiers articles des nouvelles règles de 1856 portait sur la fin particulière de l’institut qui consistait : « à imiter, d’une manière toute spéciale, la très ardente charité de Jésus-Christ, en se c onsacrant 8 ASCO, J. Santoni, omi, à Mère Bruyère, 24 novembre 1853, 2 avril 1855. 9 ASCO, Chroniques, 29 février 1864. 10 Paul-Émile, sgc, op. cit., p. 150. 11 ASCO, lettre de Mère Bruyère à Mgr Guigues, 3 novembre 1863. 12 ASCO, Lettre du P. Santoni, à Mère Bruyère, 18 novembre 1863. 13 Michel Froc, omi, Notice biographique de Mère Bruyère, 1876, p. 34. Il avait été chargé avec le Père Henri Tabaret par Mgr Duhamel de faire une révision soignée des Règles codifiées par le Père Pierre Aubert en 1856, 14 Loc. cit., p. 64. Chapitre quatrième — 95 au soulagement des pauvres, des infirmes, des orphelins, des malades et en travaillant à l’instruction des jeunes filles 15 ». Son cheminement est palpable quand elle commente le texte de Jean « Dieu est amour ». Il veut être aimé et il veut que nous aimions notre prochain comme nous-mêmes. Pour nous, c’est notre vertu propre 16 ». En 1872, elle précise sa pensée : Avant de continuer à vous faire part des remarques que j’ai recueillies, je sens le besoin de vous dire quelques mots sur la charité. Personne n’ignore, mes chères Sœurs, que la charité est notre vertu favorite et spéciale; vous savez toutes aussi que ce mot veut dire amour. Or notre charité doit donc consister à nous aimer les unes les autres; l’amour est fort comme la mort, cela veut dire que quand on aime bien une personne on peut faire de très grands sacrifices et donner même sa vie. 17 Elle poursuit de façon solennelle : « Rappelez-vous, mes chères filles. Que du moment que nous perdrons l’amour des pauvres, nous perdrons notre esprit propre 18 ». Elle distingue clairement l’amour qui est dû à Dieu ou à Jésus-Christ de l’amour du prochain qui comprend tous ceux que les Sœurs sont appelés à servir et à titre spécial les membres de leur propre communauté. On dirait que Mère Bruyère énonce ici l’adage si bien connu : « la charité commence par soi-même ». Elle recommande sans cesse et avec insistance, l’exercice de la charité mutuelle. « Dieu est charité ! » dit-elle, « nous devons nous aussi être charitables à l’exemple du divin Maître qui n’exclut personne 19 ». Oh ! Mes chères Sœurs […] vous vous aimerez toutes en Dieu, c’est-à-dire que vous verrez dans chacune de vos 15ASCO, Règle de 1856, p. 2. 16 ASCO, Mère Bruyère, Recommandations, Retraite de 1872; cf aussi à Sœur Kirby, Ottawa, 27 octobre, et 17 nov. 1869. 17 ASCO, Remarques de Mère Bruyère pour la retraite annuelle, 22 août 1872. 18 Loc., cit. 19 ASCO, Mère Bruyère, Circulaire du 23 décembre 1871. 96 — Chapitre quatrième Sœurs une âme créée à sa ressemblance et une épouse aimée de ce divin Sauveur. Vous fermerez les yeux sur ses défauts et ne regarderez que les perfections de Celui qui l’a créée comme vous à son image et à sa ressemblance. 20 Elle explique, à sa façon toute imagée, les fruits que la charité produit : « afin qu’à votre tour vous en arrosiez le cœur de vos élèves, des pauvres que vous soulagerez et des malades que vous visiterez et dans ceux de toutes les personnes avec lesquelles vous aurez des rapports 21 ». Elle insiste dans sa visite de la maison d’Ogdensburg : « La charité est la reine des vertus; aimez-vous comme des sœurs bien nées, supportez-vous les unes et les autres avec patience et charité, afin que l’union entre vous soit entière et que l’on puisse dire que vous ne faites toutes qu’un cœur et qu’une âme 22 ». On pourrait croire que nous entendons Jésus parler à ses disciples. Pour se conformer aux exigences de la volonté de Dieu, Mère Bruyère trouve que le moyen le plus efficace c’est de se tenir en présence de Dieu et de s’unir à lui pour le reconnaître dans ses bienfaits et toutes ses grâces. Mère Bruyère est une femme de prière et sa bouche parle de l’abondance du cœur car dans toutes ses lettres ou ses recommandations, elle insiste et invite les sœurs à prier sans cesse selon la ferveur de l’époque qui se manifeste par la multiplication des exercices de piétés, de prières mentales et vocales. Dans les pratiques de dévotions, il y a, chez-elle une hiérarchie entre les personnages célestes : d’abord elle s’adresse à Dieu avec les dispositions suggérées par l’Évangile avec ferveur et persévérance. « Vous verrez, dit-elle de Paris, à ses sœurs : « Notre Seigneur se laissera toucher et finira avec nous comme il le fit à l’égard de la Cananéenne. Il accordera tout à notre Foi, à notre confiance et à notre amour 23 ». 20 Loc. cit. 21 ASCO, Mère Bruyère aux sœurs de Buffalo, Ottawa, 26 décembre 1866. 22 ASCO, Acte de visite de la maison d’Ogdensburg, 8 décembre, 1869. 23 ASCO, Mère Bruyère aux sœurs d’Ottawa, Paris, 22 décembre, 1861. Chapitre quatrième — 97 La dernière consigne est digne d’une vie spirituelle enrichie : « Vous savez que pour toucher le Cœur de Dieu, il faut paraître vide des créatures et de soi-même en sa sainte présence 24 ». Le Père Santoni, son directeur entre 1851 et 1855, nous laisse entrevoir des indices de sa conversation avec Dieu dans l’intimité de son âme. Il lui écrit de suivre la voie d’une méthode discursive rigoureuse dans ses « vives effusions ou émotions ». Elle essaie de se plier à cette discipline mais sans réussir à oublier les inclinations de son cœur d’enfant de Dieu. 25 Les lettres du Père Santoni nous révèlent que Mère Bruyère est une femme comblée au plan spirituel. A-t-elle atteint dans sa vie intérieure portée par d’innombrables pratiques de piété qui se concentrent dans la recherche du Christ et de Dieu, le moteur de l’activité et de la connaissance de Dieu, un degré d’expérience mystique ? Le Père Santoni pour décrire l’état d’âme de Mère Bruyère dit qu’elle est « une femme choyée de Dieu 26». Trois ans plus tard, il ajoute au sujet de ses consolations spirituelles : […] au sujet des impressions affectueuses que vous ressentez soit pendant, soit en dehors de vos communions. Je ne doute point qu’elles viennent de Dieu, vous pouvez donc vous y livrer, sans cependant y attacher trop d’importance. Considérez-les comme autant d’encouragements que le Seigneur veut bien vous accorder dans son service, et ne vous attristez point quand il jugera à propos de vous les retirer, on peut être saint, très saint sans rien éprouver de semblable 27. Le Père Aubert à qui elle hésite de confier son âme ne s’étonne pas de sa pudeur à dévoiler « certaines grâces particulières ». L’état surnaturel où vous vous trouvez, vous est venu en ligne directe de Dieu, c’est lui qui a tout fait en vous. Sans le secours d’aucun confesseur, il vous a accordé 24 ASCO, Mère Bruyère Aux sœurs de Buffalo, Ottawa, 21 juillet 1864. 25 ASCO, J. Santoni à Mère Bruyère, Montréal, 4 mars 1852. 26 ASCO, J. Santoni, à Mère Bruyère, Montréal, 16 juillet 1855. 27 Loc. cit., 26 avril 1858. 98 — Chapitre quatrième l’oraison d’union très subitement. Il lui recommande de se laisser docilement guider par Dieu et lui suggère une totale disponibilité 28. Et il ajoute : « Comme c’est le bon Dieu qui vous mène il faut suivre simplement la voie qu’il vous trace. […] votre élément naturel c’est l’oraison d’union 29 ». Ce qu’il faut retenir, c’est que Mère Bruyère est attirée par son union à Dieu par une certaine absorption de son être en lui. Sa charité qui la plonge dans le cœur de Dieu nous invite à pénétrer et à découvrir dans ses recommandations aux sœurs de la communauté le cheminement croissant de son union à Dieu dans la prière. Avant son départ pour l’Europe en 1861, Mère Bruyère laisse à ses filles des considérations sur la prière en soulignant l’importance primordiale qu’elle attache à cet élément de la vie spirituelle. « Si j’avais le don de répandre des grâces sur mes chères sœurs et mes filles je choisirais celui de la grâce de la prière. Avec ce don vous obtiendriez tous les autres et il ne vous maquerait rien 30». Elle continue en disant qu’il est permis à chacune de demander ce don. C’est même un devoir. « Ne vous imaginez pas qu’il vous soit trop difficile de l’obtenir 31 » dit-elle, comme si elle connaissait et avouait cette faveur. Pour y arriver, elle propose des moyens, oraisons jaculatoires, élévations du cœur vers Dieu, rappel des lectures et des méditations, conversations sur des sujets de piété, considérations sur les arbres, les fleurs, du temps, de la vie, de la mort. En faisant doucement ces choses l’âme s’abandonne à Dieu. Devant la mort, l’être humain fait une relecture de sa vie seul devant son Dieu. Mère Bruyère révèle l’état de son âme : « On ne s’accoutume pas à la pensée de la mort. Cependant le Bon Dieu me fait la grâce de ne pas en être effrayée 32 ». Elle avait déjà affirmé, quelques années précédentes : « […] je m’estimerais trop heureuse 28 ASCO, P. Aubert, lettre de direction spirituelle, 27 mars 1858. 29 Loc. cit. 30 ASCO, Mère Bruyère, Recommandations pendant son absence, 28 août 1861. 31 Loc. cit. 32 Mère Bruyère à Mère Catherine-Aurélie, aps, 21 novembre 1871. Chapitre quatrième — 99 d’aller voir le bien-aimé Sauveur des âmes 33». En 1869, elle affirme : « Pourtant, je ne crains pas la mort; s’il plaisait à Dieu de couper le fil de mes jours, je regarderais la mort comme un gain. Mais je ne veux pas céder au désir de la demander, ce serait trop imparfait 34 ». Elle va même plus loin en songeant au terme du passage que le jour de sa mort sera « le plus doux » ou « le plus beau 35» de sa vie. Elle sait cependant, qu’il n’est pas donné à tous, même aux plus grands saints « de mourir dans un transport d’amour ou ravis en extase 36». Des témoignages Si Mère Bruyère n’est pas morte ravie en extase, elle s’est éteinte dans une paix profonde dit le Père Tabaret ému qui la trouve « parfaitement lucide » en avouant qu’il va retenir de la fondatrice l’image d’une « femme accomplie sous tous les rapports et d’une femme au grand cœur. Quant au supérieur du Collège (Université) d’Ottawa, le Père Tabaret, voici ses paroles : Dans sa maladie, j’ai admiré la sublimité de son humilité, de son obéissance. Des vertus aussi parfaites ne peuvent que lui assurer l’entrée immédiate au ciel. Aussi, lorsque dans son agonie, je récitai les prières du Rituel, il me répugnait de prier pour elle; je me sentais plutôt disposé à l’invoquer. Vivez donc, mes Sœurs, du souvenir de ses vertus; consolez-vous dans la pensée qu’elle continuera au ciel d’exercer sa charité à votre égard, vous qu’elle aimait si tendrement 37. Dès l’après-midi, une foule considérable défile devant la dépouille mortelle déposée dans un pauvre cercueil couvert de tissu blanc 33 ASCO, Mère Bruyère à sœur Phelan, Plattsburgh, 27 septembre 1865. 34 ASCO, Mère Bruyère à sœur Phelan, Ottawa, 24 février 1869. 35 Mère Bruyère à J. Dulong, Bytown, 27 août 1849; Lortie 1, p. 461, à Mère Coutlée, sgm, Bytown 11 avril 1853, Lortie, Lettres… 11, p. 257. 36 ASCO, Mère Bruyère à J. Dulong, Ottawa, 9 mars 1857. 37 Nécrologies des Sœurs Grises de la Croix, t. 1, Ottawa, 1932, p. 37-38. 100 — Chapitre quatrième exposée dans la salle de communauté. Parmi la foule, des personnes lui font toucher des objets de piété comme un signe de vénération. 38 Mgr Duhamel veut lui donner les rites funéraires en rapport avec le rôle qu’elle a joué dans le développement de l’Église d’Ottawa et selon l’affection et la vénération dont elle était entourée dans la ville et bien au-delà. 39 Il avait même donné l’ordre de ne rien épargner puisqu’il s’agissait d’un « hommage public de respect » que le diocèse voulait lui rendre, dont on disait parmi les citoyens : « La Mère Bruyère a été la mère de toute la ville de Bytown tant elle a fait du bien 40 ». L’homélie des funérailles est prononcée par le Père Tabaret qui choisit le texte de Jn « Dieu est charité et celui qui demeure dans la charité demeure en Dieu » (…) pour faire admirer l’opération de la grâce dans cette âme que Dieu s’est choisie pour accomplir son œuvre. Il fait remarquer les qualités intellectuelles et la grandeur d’âme de Mère Bruyère. 41 Ici, les hommages du Dr Taché, homme politique et journaliste, qu’il rend à Mère Bruyère sont significatifs : « La ville d’Ottawa vient de faire une perte considérable dans la personne de Sœur Bruyère, supérieure des Sœurs Grises, morte en son Monastère de la rue Bolton, mercredi le 5 avril 1876, à l’âge encore peu avancé de 58 ans 42». Dans une anecdote qui peint non seulement la charité de cette femme remarquable quand elle rencontre les contradictions et les insultes, il écrit : Une épidémie de variole s’était abattue sur Ottawa. Avec cet esprit de contradiction qui caractérise la philanthropie du monde, chacune voulait avoir un hôpital des picotés, mais personne ne voulait permettre qu’on le plaçât dans son voisinage, et c’était la violence et l’incendie 38 ACSO, Sœur Rivet à Mère Sainte-Marie, scim, Ottawa, 11 avril 1876. 39L’Ottawa Citizen, 6 avril annonçant le décès sous le titre : Death of a good woman. On trouve les 7 et 8 avril, le compte rendu des funérailles. 40 ASCO, Chroniques 11, 5-7 avril 1876, p. 29ss, Récit de Sœur Lefebvre sur les funérailles de Mère Bruyère. 41 Loc. cit. 42 Ibid. Chapitre quatrième — 101 qu’on édictait comme sanction à cette dernière condition. Les autorités municipales ne savaient que faire, lorsque sur la proposition des Sœurs on consenti à tolérer un semblable hôpital dans la cour du Couvent; seulement, il fallait tenir la chose à peu près secrète. Un édifice de bois. Qui avait autrefois servi d’hôpital temporaire, fut affecté à ce service; sept Sœurs, accompagnées de deux employés, furent chargées du soin des malades, au milieu desquels on demeura en séquestre pendant plus de deux ans. […] l’aumônier revenait de sa visite auprès des malades lorsqu’il fut accosté dans la rue par une personne qui lui montra un journal dont l’article principal contenait une grossière tirade contre les Sœurs de Charité, les accusant de ne prendre aucun souci de l’épidémie alors régnante, et le reste. La personne qui avait ainsi exhibé le journal demanda : – Estce vrai que les Sœurs de Charité ne veulent point soigner les picotés ?… Est-ce vrai ? … Combien de fois ce mot n’a t-il pas été prononcé, en pareille occasion, depuis l’avènement du Sauveur du monde ! L’aumônier retourna sur ses pas, pour savoir de la Supérieure si on pouvait répondre à cette injure, sans compromettre la bonne œuvre. Ma Sœur Bruyère lut l’article et regardant le Père – Il semble voir cet air de digne et noble tristesse résignée qu’ont si bien connu ceux qui ont joui de l’intimité de Sœur Bruyère – répondit : « Non, mon Père, laisser-les dire; Dieu nous voit ! 43 La renommée de sainteté de Mère Bruyère semble avoir été connue dès sa jeunesse et comme religieuse, mais surtout comme fondatrice où sa charité a pu se déployer durant trente et un ans à travers toutes sortes d’épreuves et de difficultés. Par son témoignage de vie 43 ASCO, Article du Dr Taché paru dans Le Foyer Domestique d’Ottawa, 1er mai 1876. 102 — Chapitre quatrième chrétienne, par la charité remarquable et la grande simplicité, elle peut devenir un exemple de charité-compatissante à imiter encore aujourd’hui. Chapitre quatrième — 103 Les Sœurs de la charité d’Ottawa en Afrique depuis 1931 Source : www.btfrance.com/geographie.htm Pays : Lésotho, République de l’Afrique du Sud, Afrique Centrale (Malawi, Zambie). CHAPITRE CINQUIÈME Les Sœurs de la charité d’Ottawa en Afrique depuis 1931 Poursuivre l’histoire de l’inculturation de la charité d’Élisabeth Bruyère et de sa congrégation jusqu’en Afrique représente un défi qui exige une connaissance de la grande Histoire dans un premier temps et un sens aigu de l’événement à replacer dans sa vraie dimension temporel. Yves Congar, op, disait un jour : [...] faites de l’histoire, tâchez d’acquérir une culture historique, selon vos moyens et vos disponibilités de lecture et de culture, mais faites de l’histoire. Elle seule permet de donner, même à l’événement actuel, sa vraie dimension et souvent son sens. Elle décongestionne les problèmes en les situant; elle est une extraordinaire école de sagesse. 1 Mon défi consiste à tracer le cheminement de la congrégation en Afrique tout en suivant la trace de l’inculturation du charisme de charité dans ce pays de mission. Pour comprendre la manifestation de la charité dans chaque pays où la congrégation envoie des sœurs, une description sommaire des antécédents historiques permet de situer la suite des œuvres caritatives qu’elles ont poursuivies ou initiées. Les chroniques de chaque maison deviennent un outil fiable de première source dans la recherche des événements. Le témoignage des missionnaires s’avère aussi essentiel. La relecture d’une missionnaire autochtone vérifie l’authenticité des faits. Que s’est-il passé après la mort de Mère Bruyère avant que la congrégation aille s’implanter au Sud d’Afrique en 1931 ? 1 Congar, Yves, op, « Autorité et liberté dans l’Église », dans Jacques Lœw, R. Voillaume et Yves Congar, À temps et à contre temps, de, Paris, Cerf’ 1970, p. 22. Chapitre cinquième — 105 La mission au Basutoland Les antécédents – 1931 En remontant au point de départ des missions du Basutoland (Lesotho), en Afrique du Sud, il nous revient à la mémoire ces paroles de l’Écriture : [...] nul ne connaît les secrets de Dieu, sinon l’Esprit de Dieu. (1Co 2,11b) Et encore : [...] mes voies ne sont pas vos voies, oracle de Yahvé. Haut est le ciel au-dessus de la terre, aussi hautes sont mes voies au-dessus de vos voies et mes pensées au-dessus de vos pensées. (Is 55, 8b-9) Mais, il arrive que la pensée de Dieu vienne habiter le cœur qui comprend que Ses voies empruntent nos chemins, s’y intègrent, les débordent et les mènent où l’Esprit le veut. Nous n’en savons ni le jour ni l’heure 2 ; mais nous en percevons parfois des signes lointains que nous retraçons plus tard, quand l’heure des réalisations est venue. Ainsi, pour ce qui en est de la fondation des missions en Afrique du Sud, c’est Mère Bruyère qui en a eu le premier signe. Le 20 février 1845, la jeune Sœur Élisabeth Bruyère arrive à Bytown (Ottava), pour y planter un rameau de la communauté des Sœurs grises de Montréal. À cette époque, la population catholique de Bytown et des environs relève du diocèse de Kingston. Mais, en 1847, en raison de l’accroissement continu de la population, la région de l’Outaouais est érigée en diocèse dont le père Joseph-Eugène-Bruno Guigues, omi, devient le premier évêque. Son vicaire général, le père JeanFrançois Allard 3, omi, est chargé de la direction spirituelle de la com2 3 L’hymne, Vêpres, lundi, première semaine, Livre des heures Prières du temps présent, Paris, Cerf, 1980, p.763. Jean-François Allard, est né en France le 27 novembre 1806, ordonné prêtre le 5 juin 1830, entré chez les Oblats à Marseille le [28 octobre 1837] envoyé au Canada où il est maître des novices des Sœurs des Saints Noms de Jésus et de Marie (à Longueil, les mêmes années); il sera aumônier des Sœurs Grises de Bytown (1849-1851) et directeur du Collège de Bytown (1849-1850). CF Lettres d’Élisabeth Bruyère, volume 1, 1839-1849, présentées par Jeanne d’Arc Lortie, sco, Canada, Paulines, 1989, note, 30, p. 456. 106 — Chapitre cinquième munauté de Bytown. Mais trois ans plus tard, l’aumônier est rappelé en Europe par son fondateur, Mgr Eugène de Mazenod. C’est que le Saint-Siège l’a choisi pour en faire le premier évêque du vicariat apostolique du Natal, Afrique du Sud 4. Le père Allard reçoit la consécration épiscopale, le 13 juillet 1851, dans la cathédrale de Marseille; il passe la saison à préparer le long voyage qui le mènera au port Natal. En septembre, il se trouve à Londres, pour voir aux affaires de la mission. De là, il écrit une longue lettre à Mère Bruyère, au cours de laquelle il glisse ces mots : « Peut-être irais-je frapper à votre porte dans quelques années et vous demander des sœurs pour le port Natal. [...] Qui sait ce que le bon Dieu nous y prépare, il tient les événements entre ses mains. 5 » La pensée de Dieu habite-t-elle celle de Mgr Allard ? Quelle a été la réaction de Mère Bruyère à la lecture de cette lettre. La congrégation avait alors six ans d’existence; en plus des quatre fondatrices, elle comptait quinze jeunes sœurs. Les archives conservent la lettre de Mgr Allard; mais nous n’avons pas retracé la réponse que Mère [Bruyère] a dû lui adresser 6. Aurait-elle pris à son compte la parole de Jésus à sa mère, aux noces de Cana « Mon heure n’est pas encore venue » ? (Jn 2, 4b) Le texte de Sœur Paul-Emile, sgc, dans Les Sœurs grises de la croix d’Ottawa 7 est éclairant pour rappeler la venue historique de l’HEURE de la Providence pour la congrégation au Basutoland, maintenant, Lesotho. Au siècle suivant, soit en 1929, l’administration générale des Oblats de Marie-Immaculée confie à la province canadienne de Montréal la succession apostolique des missionnaires [Oblats] européens. Ainsi, le 20 septembre 1930, le père Philémon Bourassa, omi, supérieur de la province canadienne de Montréal, présente à Mère Saint-Bruno, supérieure générale des Sœurs grises 4 5 6 7 Paul-Émile, sgc, Les Sœurs Grises de la Croix d’Ottawa, Mouvement général de l’Institut 1876-1967, Québec, Leclerc, 1967, p. 163. ASCO – Afrique, doc. 5, Lettre du père François Allard, omi, à Mère Élisabeth Bruyère, 4 septembre [1851]. ASCO – Afrique, Chroniques, Il n’y a pas de réponse ni en 1851 ni en 1852. Paul-Émile, sgc, Les Sœurs Grises de la Croix [ …] 1876-1967, op. cit., pp. 163-164. Chapitre cinquième — 107 de la croix une demande officielle de fondation au Basutoland, petit pays enclavé entre les États de la République sud-africaine. L’idéal, dit le père Bourassa, serait d’avoir une congrégation de religieuses enseignantes pour fournir des sujets diplômés, et que cette congrégation puisse en même temps se charger d’œuvres charitables comme un hôpital ou, au moins, un dispensaire ou un hospice 8. Cette demande de fondation outre-mer interpelle vivement mère Saint-Bruno 9 qui la présente à son conseil et, trois semaines plus tard, elle exprime, au père provincial, l’acquiescement de l’administration générale de la congrégation. Elle se dit heureuse d’aider à implanter la charité de Mère Bruyère dans l’Église au Basutoland, ce petit pays du continent africain dont la majorité des habitants est encore, ou protestante, ou païenne 10. Le Basutoland est devenu en 1868 un protectorat britannique 11. L’automne suivant, le 29 septembre 1931, cinq fondatrices quittent Montréal par bateau, en route vers le Basutoland. Ce sont : Sœur Louis-Gérard, supérieure, sœurs : Paul-Eugène, Marie-desAnges, Marie-de-Jésus et Jeanne-Emmanuel 12. Comme événement dans le temps, c’est le second jalon de la voie de Dieu inscrite dans les voies de la congrégation, le lien historique et spirituel entre Mgr Allard, Mère Bruyère, le père Bourassa, Mère Saint-Bruno et les cinq partantes pour l’Afrique du Sud. L’HEURE de Dieu venait quatre- Loc.cit. Mère Saint-Bruno, supérieure générale de 1928 à 1939. Née à Saint-Benoît, comté des Deux-Montagnes, Qc, Angélina Paiement entrait au noviciat en septembre 1896. Elle avait enseigné dans les écoles bilingues de Plantagenet, L’Orignal, Saint-Thomas et Saint-Victor d’Alfred. Cf Paul-Émile, sgc, Les Sœurs grises de la croix […] 1876-1967, op. cit., p. 155. 10 Ibid., p. 164. 11http//fr.encyclopedia.yahoo.com/articles/cl/cl_808_po.htlm. 12 Louis-Gérard (Alice Léger) 1896-1979, profession religieuse : 1915; Paul-Eugène (MarieLaure Simard) 1895-1979, profession religieuse 1915; Marie-des-Anges (Amarilda Danis) 1897-1986, profession religieuse 1921; Marie-de-Jésus (Marie-Ange Chalifoux) 1891-1986, profession religieuse, 1928; Jeanne-Emanuel (Anastasie Trépanier) 1909-1999, profession religieuse 1928. 8 9 108 — Chapitre cinquième vingts ans, presque jour pour jour, après la lettre du père Allard à Mère Bruyère 13. Au temps de Mgr Allard, le Basutoland faisait partie du vicariat apostolique du Natal. C’est ainsi que cet évêque s’y rendit lui-même et y fonda des missions, comme l’atteste une autre de ses lettres adressée à Mère Bruyère, 15 ans plus tard le 11 mai 1866 14 En raison des progrès des missions catholiques, un vicariat apostolique est érigé au Basutoland, dont le siège est établi à Roma; et, en 1931, alors que l’évêque, Mgr Céorez, était démis de ses fonctions, Mgr Gérard Martin, omi, administrateur apostolique, assumait la responsabilité du vicariat 15. C’est donc lui qui a accueilli les sœurs et orienté leur travail d’inculturation de la charité au Basutoland, à la mission oblate de Pontmain. 16 Le père Albert Lachance, omi, était curé. Une école primaire paroissiale existait déjà à Pontmain, ainsi qu’un dispensaire rudimentaire, sous la responsabilité des missionnaires Oblats de Marie-Immaculée, aidés de laïques pour l’enseignement à l’école et pour les soins d’urgence au dispensaire. L’apostolat de l’éducation Comme à Ottawa en 1845, la charité se manifeste par l’éducation dans les écoles. L’apostolat de l’éducation commence avec l’ouverture des paroisses et des succursales de paroisse; c’est un moyen très efficace de vivre le charisme de charité de Mère Bruyère. Quand des missionnaires religieux fondent un poste de mission, ils y bâtissent une petite maison qui sert d’église et d’école. Les rudiments du savoir et de la religion y sont enseignés. Au fur et à mesure que la mission se développe, on ajoute des œuvres, surtout dans le domaine de l’éducation et de la santé. Les écoles catholiques sont sous la surveillance du secrétaire catholique. Un père représente l’Église auprès du gouvernement. C’est ainsi qu’on obtient la permission d’ouvrir 13 14 15 16 ASCO-Afrique, Lettres conservées aux archives : 4 septembre 1851 et 29 septembre 1931. ASCO-Afrique, Chroniques, doc. 8, lettre du 11 mai 1866. Paul-Émile, sgc, Les sœurs grises de la croix […] 1876-1967, op.cit., p. 164. Ibid., p. 163ss. Chapitre cinquième — 109 et de développer les écoles et le gouvernement paye des salaires aux professeurs qualifiés. À mesure que le niveau des cours s’élève, un personnel compétent s’avère nécessaire pour assurer la qualité de l’enseignement dans les écoles. C’est alors qu’on fait appel à plusieurs communautés religieuses. Les Sœurs de la charité arrivent donc à Pontmain, le 9 novembre 1931. Dès lors, le père curé leur confie la responsabilité de l’école paroissiale et celle du dispensaire. Tout en s’installant et commençant à s’initier à la langue sesutho 17, les sœurs ont l’audace d’entreprendre l’enseignement dès le 2 février 1932 et l’infirmière du groupe, sœur Marie-de-Jésus, se charge du dispensaire dont nous parlerons plus loin 18. Comment ces sœurs vont-elles implanter – voire inculturer – le charisme de charité de Mère Bruyère ? Ce 2 février 1932, sœur Louis-Gérard, directrice, et ses trois compagnes institutrices, inscrivent 160 élèves, garçons et filles, à l’école paroissiale Notre-Dame-de-Pontmain; quelques jours plus tard, elles comptent 190 élèves. Les débutants ne sont pas tous des enfants de six ou sept ans; il y en a de plus âgés, même de grands adolescents qui, plus jeunes, n’ont jamais pu fréquenter l’école, soit pour raison d’éloignement, de maladie ou d’obligation de travail. Parmi les 190 élèves, il y a des catholiques; mais la plupart sont païens. En 1932, la première année, la maison d’école est l’église paroissiale, un concept d’école décloisonnée, peut-on dire. L’année suivante, c’est une belle écurie encore inoccupée que le Père curé fait transformer en école qu’il loue aux sœurs. Cette même année, la chroniqueuse mentionne la bénédiction de l’École industrielle. C’est une école ménagère pour la formation des jeunes filles, futures mères de famille. Dans ce contexte, un local particulier a été affecté aux arts domestiques. Douze jeunes filles suivent déjà ces cours. Les sœurs les trouvent très habiles à la couture et aux travaux d’artisanat. 17 L’anglais et le sotho sont les langues officielles. L’afrikaan et le zoulou sont également répandus maintenant. Cf. http//www.abm.fr/fiche/lesoto/html. 18 ASCO, témoignage de Cécile Brizard, sco (Saint-Dominique-Savio) missionnaire en Afrique 1957 110 — Chapitre cinquième D’année en année, l’école progresse. Les sœurs enseignent les matières académiques selon le programme d’études en vigueur dans le pays. L’enseignement doit tenir compte des us et coutumes du milieu, car c’est le respect de la culture qui s’impose. L’inculturation de la charité est à ce prix si le message évangélique veut s’implanter selon les richesses propres de la culture et vivre de sa vie propre. Les années du cours primaire sont ainsi désignées : Grade A, Grade B; Standards I, II, III, IV, ce qui comprend six années de scolarité. Les cours se donnent en anglais et en sesotho. Les missionnaires Oblats de Marie-Immaculée orientent l’instruction religieuse. Des inspecteurs du gouvernement visitent cette école. Il faut s’adapter aux coutumes du pays. L’année scolaire se divise en deux périodes entrecoupées d’un mois de vacances. Première période : de février à juin; deuxième période : d’août à janvier. Janvier est le mois des vacances d’été; juillet, celui des vacances d’hiver. De plus, en avril et en octobre, quelques jours de congé permettent un repos au milieu de chaque période d’études. Décembre est le mois des examens finals de l’année scolaire. Les examens de sections : Standards III et IV, sont préparés et corrigés par des comités autorisés par le département de l’Éducation. Voici quelques statistiques relevées des Chroniques, qui apparaissent comme des jalons de la lente évolution de l’éducation donnée à Pontmain. En 1938, soit six ans après le début de l’activité des missionnaires à l’école, on y inaugure le cours intermédiaire correspondant aux septième et huitième années de scolarité, sous l’appellation de Standard V et Standard VI. Quarante-huit élèves y sont inscrits. 19 L’instruction se maintiendra à ce niveau pendant plus de dix ans encore. Et pour plusieurs élèves, c’est la fin de toute étude. En 1943, sœur Jeanne-Emmanuel 20 inaugure un Jardin d’enfants qui en quelques années devient une école primaire privée. Pendant les années 1950-1960, l’inscription au cours intermédiaire monte 19 ASCO-Afrique, Chroniques : 31 janvier 1938. 20Jeanne-Emmanuel, Mémoires 1908-1998, Ottawa, Mont-Saint-Joseph, 1998, Itinéraire, p. 7. Chapitre cinquième — 111 graduellement jusqu’à 70 élèves en 1956 et 1957 21. Et voilà qu’en décembre 1956, on note dans les Chroniques que 18 élèves sur 28 ont réussi les examens de Standard V. Le nombre de personnes candidates a triplé et le nombre de réussites est passé de 7 à 18, depuis 1944. C’est l’heure d’un nouveau pas dans l’évolution de l’école; et ce nouveau pas, c’est le début d’un cours secondaire. On peut affirmer que les sœurs s’adaptent chaque jour au milieu animées par une charité compatissante pour leurs élèves. À cette époque, la supérieure pro-provinciale était sœur SainteGilberte. 22 Constatant l’augmentation du nombre d’inscriptions et de réussites au Standard VI, elle obtient alors du ministère de l’Éducation la permission d’ouvrir une école secondaire 23 pour filles et jeunes religieuses ou aspirantes à la vie religieuse. Cette école ouvre le 29 janvier 1958, en accueillant 14 élèves dont trois religieuses. 24 On établit la première classe (Form A) dans un petit local près du dortoir des aspirantes, car on n’a pas les moyens de construire tout de suite une confortable bâtisse, et l’école primaire qui recevra 465 élèves 25 cette année-là, ne peut offrir aucun endroit propice. « Les meubles ne sont pas encore arrivés, dit la chronique, les livres non plus : mais on fera le possible avec les tables, les livres et les chaises collectionnés un peu partout. » 26 À cette école encore au stade de pauvreté et d’espérance, on donne un vocable qui lui convient bien « D’Youville Junior Secondary ». Sœur Sainte-Gilberte, elle-même, en est la directrice et administratrice. Trois professeurs s’y partagent l’enseignement : le père Émile Thomas, omi, chapelain, assume les cours de religion, sœur Marie-Hectorine enseigne le sésotho et les arts ménagers, sœur Cécile Brizard est chargée des autres matières, 21 ASCO-Afrique, Chroniques : 19 décembre 1956; 21 décembre 1957. 22 ASCO-Afrique, Chroniques, Notice nécrologique, Sœur Sainte-Gilberte (Gilberte Watier) 1907-1992. 23 ASCO, Témoignage de sœur Cécile Brizard, 21 mai 1994. 24 ASCO-Afrique, Chroniques, 29 janvier 1958. 25 ASCO-Afrique, Chroniques fin d’année, page synthèse, 1958. 26 ASCO-Afrique, Chroniques 29 janvier 1958-1960; et sœur Cécile Brizard, lettre du 21 mai 1994. 112 — Chapitre cinquième sous la tutelle de sœur Marie-du-Calvaire. Le Seigneur a béni ces humbles commencements car à la fin de l’année, 12 élèves se présentaient aux examens de Junior Certificate I, et neuf d’entre elles les réussissaient. 27 Bientôt, l’École primaire emménage dans une nouvelle bâtisse; les locaux libérés sont rénovés, et l’École secondaire D’Youville Junior Secondary s’y installe. 28 En décembre 1960, le D’Youville Junior Secondary a parcouru son premier cycle de trois ans : Form A, Form B, Form C, ou en termes d’examens : Junior Certificate I, II, III. Cette année-là, 49 élèves y étudient. Une sœurs africaines, sœur Marie-Albertina, fait partie du groupe de Form C. Les questionnaires d’examens finals Form C (Junior Certificate III) proviennent de l’Université de Prétoria 29, où les épreuves sont corrigées. Les cinq élèves de Form C s’y présentent et les cinq réussissent. 30 Le 25 janvier 1962, la chronique note que sœur Béatrix-d’Assise 31 est directrice de l’École secondaire; malheureusement, dès mars 1963, elle doit quitter l’enseignement sur l’avis du médecin 32. Une sœur africaine, sœur Magdalena Polisa, accède alors à la direction. On peut dire que sœur Magdalena Polisa 33 marque « le signe des temps » de l’adaptation de la charité de Mère Bruyère en terre africaine. En 1964-1965, on nomme les religieuses professeures, ainsi que les matières dont chacune est titulaire : sœur Magdalena Polisa, directrice, est aussi professeure de sesotho et de biologie. Une autre Africaine, sœur Marie-Martina, enseigne la religion et le sesotho. 27 ASCO-Afrique, Chroniques, page synthèse, décembre 1958. 28 ASCO-Afrique, Cécile Brizard, sco, lettre : 21 mai 1994. 29 Capitale du Transvaal, une province de la République de l’Afrique du Sud. Le Transvaal reconnu comme territoire indépendant par la Grande-Bretagne en 1852 et devient République Sud-Africaine en 1853. Annexé par le Natal 1877 mais libéré en 1881. En 1902, le Transvaal accepte son annexion à l’Angleterre. En 1910, il entre dans l’Union Sud-Africaine. 30 ASCO-Afrique, Chroniques, 18 janvier 1961. 31 ASCO-Afrique, Chroniques, Béatrix-d’Assise dont le nom de famille est Laure Saint-Amour, missionnaire de 1936 à 1964 Elle enseigne dans les écoles de Paray et de Pontmain et au séminaire du Père André Blais, omi, au Transvaal, 1er janvier 1962. 32 ASCO-Afrique, Chroniques, 23 mars 1963; Sœur Cécile Brizard, lettre : 21 mai 1994. 33 ASCO-Afrique, Chroniques, son nom de famille : Alina Maria. Chapitre cinquième — 113 Quant aux enseignantes canadiennes, ce sont : les sœurs JeanneEmmanuel : mathématiques et couture; Cécile Brizard : anglais et géographie; Jean-Raymond 34 : français et elle est responsable des pensionnaires 35. En raison d’absence ou d’égarement des chroniques entre 1966 et 1969, nous ne pouvons relever aucune information pertinente au sujet de l’École secondaire au cours de ces trois années; mais nous savons qu’en 1966, sœur Magdalena Polissa et sœur Justina Lesenya quittent le Lesotho afin d’entreprendre des études universitaires au Collège Rivier de Nashua, aux États-Unis. Du départ de sœur Magdalena Polisa à son retour, sœur Cécile Brizard assume de nouveau la direction du D’Youville Junior Secondary, c’est-à-dire de 1966 à 1970. 36 Les autres écoles primaires de 1934 à 1968 Durant les années où l’École Notre-Dame-de-Pontmain progresse peu à peu, jusqu’à la tenue d’un Second Junior, il y a eu d’autres endroits dans la République sud-africaine 37 où les sœurs, sollicitées par l’Évêque du lieu, sont devenues responsables d’écoles primaires ou bien ont fait partie du personnel enseignant. C’est grâce à la venue de nouvelles missionnaires canadiennes, et à l’arrivée de recrues africaines qui devenaient, par leur profession religieuse, Sœurs grises de la croix dans la congrégation. Quelques religieuses arrivent, un couvent, si modeste soit-il, se bâtissait ou était en voie de construction, pour abriter la nouvelle communauté. Les frères Oblats, missionnaires à part entière, eux aussi, dirigeaient la main d’œuvre des ouvriers autochtones. Bienfaiteurs et Associations de bienfaisance, ainsi que l’Administration générale de notre Congrégation 34 ASCO, Témoignage de sœur Léa Tremblay. 35ASCO-Afrique, Chroniques, 23 janvier 1964 et 26 janvier 1965. 36 ASCO, Sœur Cécile Brizard, lettre, 31 mai 1994. 37 Nous verrons plus loin le développement des couvents en Afrique du sud dans les diocèses de Maseru, Leribe et Pretoria qui est un Archidiocèse. 114 — Chapitre cinquième c ontribuaient à défrayer le coût de ces maisons qui devenaient la propriété de l’Église. Dès 1934, les missionnaires commencent à essaimer de l’humble couvent de Pontmain, destiné à devenir en 1950, la Maison pro-provinciale de nos communautés du Lesotho devenues province SainteThérèse-de-l’Enfant-Jésus en 1983. Voici donc les endroits où, de 1934 à 1966, en ordre chronologique, les sœurs se sont établies pour prendre charge des écoles : 38 39 À Pitse Couvent Notre-Dame-de-Pontmain 1931 À Butha Buthe Couvent Saint-Paul 1934 À Paray Couvent Sainte-Marguerite-Marie 1936 Paray Hospital 1939 Couvent Sainte-Marie 1940 (Résidence des Sœurs étudiantes à l’École normale de Roma) 1940 À Seboche Couvent Saint-Charles (District de Leribe) 1947 À Leribe, Couvent Saint-Joseph du Mont-Royal 1949 Fondation de la pro-province Sainte-Thérèse-de-l’Enfant-Jésus 1950 7 maisons, 68 religieuses dont 47 indigènes Devenue province en 198338 1983 À M’A ’Mohau ou Lejone Couvent Notre Dame-de-la-Merci 1956 À Mositi (Leribe) Couvent Notre-Dame-de-Lourdes 1957 fermé 1972 D’Youville Junior Secondary 1958 Seboche Hospital 1963 À Roma À Saint-Denis Couvent Saint-Denis (Leribe) 1967 39 38 Province apparaît pour la première fois dans la Liste des nominations de 1983. Voici le nom des provinciales : Sœurs Louis-Gérard, Marie-Auréa, Sainte-Gilberte, Marie-Sylva, ThérèseAngéline, Marie-Hectorine, Magdalena-Polisa, Sainte-Léa, Cécile-Thérèse, Marie-Annunciata dans Baitlami Ba Kopano Ea Lerato Lesotho, p. 47. 39 ASCO – Afrique, Chroniques de fondation de chaque maison. Chapitre cinquième — 115 Les dispensaires et les hôpitaux En chaque mission où les sœurs missionnaires arrivent, une école les attend, mais aussi, un dispensaire sobrement équipé et tenu par des laïques, sauf à Mont-Royal, Leribe. L’une des fondatrices, choisie et préparée à cet effet, en prend charge; par la suite, d’autres sœurs arrivant du Canada ou des États-Unis, viennent épauler le personnel habituel en partageant la tâche des soins infirmiers. Ainsi, dans la mission, éducation et soin des malades marchent de pair. C’était le style de Mère Bruyère lorsqu’elle est arrivée à Bytown : elle ouvre une école, et quelques semaines plus tard, un hôpital; et, dans les premiers temps, la petite maison-hôpital de la rue Saint-Patrick n’était certainement pas autre chose qu’un dispensaire dans les premiers temps. À certains endroits, il est arrivé que des dispensaires aient évolué jusqu’à devenir de véritables hôpitaux : c’est à Paray, l’hôpital du Sacré-Cœur (1939); à M’A ’Mohau : Lejone Hospital (1956); à Seboche : Seboche Hospital ou Hôpital Notre-Dame-de-la-Providence (1960). À Paray et à Seboche, le couvent des sœurs infirmières fait partie du complexe de l’hôpital; à M’A ’Mohau, les sœurs infirmières demeurent avec les enseignantes, au Couvent Notre-Dame-de-laMerci. Les expériences apostoliques En 1950, le groupe de missionnaires au Basutoland comptait 68 religieuses dont 47 Africaines. Ce groupe est alors constitué en proprovince communautaire sous le nom de Sainte-Thérèse-de-l’Enfant-Jésus qui deviendra province en 1983 40. Deux ans plus tard, confiante dans le zèle apostolique de ses sœurs, la supérieure pro-provinciale, sœur Sainte-Auréa, consent à tenter des expériences d’évangélisation en deux États de la République sud-africaine. C’est d’abord au Natal, à Shongweni, mission Albini, à l’appel de Mgr Denis Hurley, omi, archevêque de Durban, 40 Selon l’inscription à la Liste des nominations publiée chaque année dans la congrégation. 116 — Chapitre cinquième pour l’évangélisation des Zoulous. En 1952, cinq sœurs sont envoyées à cette mission : une Canadienne et quatre Africaines dont l’une est encore annuiste 41. Leur couvent, petite maison de trois pièces, portera le nom de Notre-Dame-de-Toutes-Grâces. Elles prendront charge d’une école d’environ 300 enfants zoulous : primaire, intermédiaire et secondaire, ainsi que d’un pensionnat d’une quarantaine de jeunes filles dont la majorité sont païennes ou adeptes de sectes protestantes rivales. Elles aideront le missionnaire à établir à Shongweni un centre national de la dévotion à Marie-Médiatrice. C’est la « confusion des langues ». L’adaptation des tempéraments et des personnalités basutos et canadiens à ceux des zoulous, les problèmes psychologiques qui s’en suivent sont palpables. Et les nombreuses tâches matérielles qui s’imposent rendent le manque d’eau et le problème d’approvisionnement plus pénibles. Les sœurs sont rappelées après 18 mois. La situation politique sous le régime d’apartheid rend la vie trop difficile. L’évêque propose de transférer les sœurs à Inchanga mais là encore elles doivent revenir au Basutoland en 1955. En 1939, une école normale avait été établie en cette ville, avec l’approbation du gouvernement de Maseru, ce qui garantit la validité des certificats pour certains Protectorats sud-africains, dont le Basutoland. Dès l’ouverture de l’institution, quatre sœurs africaines munies du diplôme académique de Standard IV y sont acceptées pour un cours de trois ans; et une sœur est embauchée comme professeur. Cela impliquait la fondation d’une résidence pour les étudiantes. Et c’est à l’école normale de Roma que, depuis, les sœurs destinées à l’enseignement, reçoivent leur formation pédagogique et leurs qualifications légales. À Roma, cependant, les sœurs ne tiennent ni école, ni hôpital ou dispensaire, mais une maison d’études, le couvent Sainte-Marie. 41 Dans la congrégation, on appelle ‘annuiste’ une religieuse qui fait des vœux pour un an, à la fois, pendant trois ou cinq ans jusqu’à sa profession perpétuelle. Chapitre cinquième — 117 Tous ces établissements qui forment la jeunesse africaine révèlent que les œuvres surgissent avec autant de charité que le respect de la culture exige. Le Basutoland devient Lesotho La situation politique au Lesotho Au XVIe siècle, c’est l’arrivée des Sothos dans cette région. On l’appelle alors Basutoland. En 1966, le Basutoland devient Lesotho. C’est un petit État de 30 360 km2 dans le territoire de la République d’Afrique du sud. Le Lesotho est l’un des pays avec Saint Marin 42 et le Vatican à être entièrement enclavé. Vers 1820, le Basutoland naît de la réaction de défense des populations de langue sotho à l’expansion zoulous conduite par Shaka. Moshœshœ, chef d’une petite tribu Kwena, est parvenu en 1831 à unir 23 groupes de Sothos du Sud pour les regrouper dans cette montagne-refuge. Entre 1840-1868, en butte aux attaques des Bœrs d’Orange, il sollicite, à l’initiative des missionnaires, la protection britannique. C’est le temps du Protectorat britannique jusqu’en 1961. En 1966, ce Basutoland acquiert son indépendance. Sous le nom de royaume du Lesotho, il devient une monarchie constitutionnelle, membre du Commonwealth. Il a son drapeau : un triangle blanc (pureté) avec armoiries de la monarchie (bouclier, lance, gourdin), une bande diagonale bleue (eau) et un triangle vert (agriculture) (1987). 42 République de Saint-Marin ou Republica di San Marino, est un très petit État de 61 km2 situé en Europe méridionale et entièrement enclavé dans les provinces italiennes. C’est en principe la plus ancienne république libre du monde : elle daterait, selon la légende, de l’an 301. La république semble un cas unique de survivance à travers les siècles de l’une de ces communes médiévales qui ont fleuri en Italie et qui a échappé à l’unification italienne. C’est un État souverain, tant en matière administrative que juridique et diplomatique. Selon la légende, la petite communauté chrétienne aurait été établie par saint Marin vers 301 pour échapper aux persécutions de l’empereur Dioclétien. Cf. http://encyclopedia.yahoo.com/articles/s/s0000568_po.htlm 118 — Chapitre cinquième Source : http://tanguuydlv.free.fr/Pays/carte-Lesotho.gif ASCO, Couvents de la province Sainte-Thérèse-de-l’Enfant-Jésus, Lesotho : 1980 Maison pro-provinciale – scolasticat et noviciat (Pontmain), Saint Paul Convent (Butha Buthe), Paray Convent, Paray Hospital (Thaba Tseka), Roma Convent (Roma), Mount Royal Convent, M’A ’Mohau Convent (Leribe), Seboche Hospital (Ficksburg), Saint Charles Convent, Saint Denis Convent (Butha Buthe), Marguerite D’Youville Residence (Maseru), Our Lady of Lourdes Convent (Denilton-Transvaal). Ce pays connaît une histoire agitée, rythmée par les conflits entre les Premiers ministres et le Souverain de l’Afrique du Sud. Il a connu une demi-douzaine de coups d’État, d’insurrections et de mutineries depuis l’indépendance. Mais malgré la création de l’Union Sud-Africaine en 1910 et de la république d’Afrique du Sud en 1961, le Basutholand (Lesotho) demeure à part entière sous le contrôle britannique jusqu’à son indépendance en 1966. De 1970 à 1986, le roi n’a plus qu’une fonction honorifique au profit de son Premier ministre. Le coup d’état militaire de 1986 redonne au roi ses Chapitre cinquième — 119 pouvoirs pour peu de temps. Puis l’intervention de l’Afrique du Sud remet un peu de calme dans cette guerre civile. Le Lesotho est un pays rural à 90%. La capitale Maseru est la seule ville notable. La végétation dépend du climat et de l’altitude. Les températures sont relativement basses en raison de l’altitude : elles décroissent de l’ouest à l’est, tandis que les précipitations augmentent. Le climat est très changeant : à la base, une saison de pluies qui va de novembre à février et une saison sèche le reste du temps. Lors de l’hiver austral, les températures baissent fortement avec l’altitude et la neige est fréquente dans une bonne partie du pays. Le maïs et le sorgho 43 y sont les cultures essentielles. L’élevage de bovins permet l’exportation de bétail sur pied, de peaux, de laine et de mohair. Au point de vue économique, le Lesotho vit avant tout de l’émigration en Afrique du Sud : 700 000 de ses ressortissants y résideraient et leurs envois d’argent est six fois supérieurs aux exportations représentant la moitié du produit national. La monnaie est le Loti (LST) ou Maloti (100 lisenti). Par ailleurs, l’extraction des diamants n’existe plus que sous une forme artisanale. Le Lesotho tire aussi des ressources du tourisme. L’eau des hautes terres devient un produit d’exportation tandis que le détournement de la haute Sengu vers l’Ash, par plus de 100 km de tunnels a permis la construction en Afrique du Sud de trois centrales électriques, véritable poumon économique de la République sud-africaine. 44 Malgré cet état d’insécurité politique, la mission des Sœurs de la charité d’Ottawa progresse lentement mais sûrement. Retenons le témoignage de sœur Louis Gérard, une des fondatrices, lors d’une visite d’amitié en 1968. Voici comment les chroniques notent son passage : Elle semble jouir de sa visite à Paray et trouve un changement inconcevable. Ce fut une grande joie de la revoir. Nous lui devons une grande dette de reconnaissance 43 Le sorgho est une sorte de graminées alimentaires, originaires de l’Afrique et de l’Asie. 44http//fr.encyclopedia.yahoo.com/articles/cl/cl_3228_po.html. 120 — Chapitre cinquième pour avoir si bien implanté la communauté au Basutoland devenu Lesotho. 45 La situation politique, en 1969, est instable car ce sont les élections. Il y a le parti National et le parti Congressiste à l’opposition. Les menaces circulent. On engage des gardiens de nuit pour quelques temps. Deux sœurs, Marie-des-Anges et Rollande Chouinard. se rendent chez les sœurs à Ficksburgh. 46 En ce 28 décembre 1976 47, le père Reynald Beauregard, curé à Saint-Martin, est assassiné. Quel émoi dans tout le pays ! Depuis le premier février 1970, le Lesotho est placé en état d’urgence par Jonathan Leobua, le premier ministre 48. Sœur Thérèse-Angeline 49, supérieure provinciale, consulte les sœurs pour prévoir ce qui peut se faire si le Basutoland Congress Party attaque les missions. On note : À l’unanimité, elles font part de leur désir de rester sur place, quitte à se cacher au besoin dans les environs. Elles supplient les Canadiennes de gagner la République-duSud, dès la première alerte. 50 Depuis 1978, toutes les personnes de citoyenneté canadienne doivent posséder un visa pour entrer en République du Sud-Afrique. 51 La situation demeure très menaçante en 1979 52 car la mission semble au centre des attaques. Des gardiens offrent une certaine sécurité à la mission 53. Plusieurs sœurs participent quand même à la fête nationale, le Moshœshœ Day 54 ! 45 46 47 48 49 50 51 52 ASCO-Afrique, Chroniques, du 13 au 18 novembre 1968. ASCO-Afrique, Chroniques, 29 janvier 1970. ASCO-Afrique, Chroniques, 28 décembre 1976. ASCO-Afrique, Chroniques, 1er février 1970. ASCO-Afrique, Chroniques, 6 avril 1970. ASCO-Afrique, Chroniques. 6 avril 1970. ASCO-Afrique, Chroniques, 22 juin 1978. Disons qu’en 1968, il y avait 15 religieuses canadiennes au Lesotho et qu’en 1979, il en reste 6. Les religieuses autochtones remplacent les missionnaires canadiennes. 53 ASCO-Afrique, Chroniques, 1er juin 1969. 54 ASCO-Afrique, Chroniques, 12 mars 1979. Chapitre cinquième — 121 En juillet 1978, le père Joseph Gilles Brossard, omi, vient organiser, au nom de l’évêque, un projet pilote à Pontmain pour promouvoir la lecture de la Bible. Selon une certaine lettre du parti communiste on révélerait ‘the devil’s work’ au Lesotho. 55 Pendant ce temps, les gens de la montagne meurent de faim. Aucune nourriture n’a pu être transportée depuis plus d’un mois. 56 Ce sont les prisonniers de Hlotse qui ont frayé un chemin dans la neige de la montagne. En Afrique, l’eau est un trésor précieux. On a toujours peur d’en manquer. Ce sont des prières qui montent au ciel pour demander de la pluie ou remercier pour la pluie. Voici le témoignage de sœur Lucile Goulet qui rapporte un quasi-miracle : 1970, année de la grande sécheresse au Lesotho ! Gens et bêtes défaillent le long des routes. Les champs sont dénudés, le moindre vent soulève une poussière rougeâtre qui colore l’atmosphère, les réservoirs d’eau des villages avoisinants tarissent l’un après l’autre. À la mission Notre-Dame-de-Pontmain, qui regroupe environ 800 personnes : pères, sœurs, pensionnaires, étudiantes, l’eau est rationnée mais ne manque pas. C’est que les Pères Oblats, fondateurs de la mission, ont repéré une source qu’ils ont canalisée vers un grand réservoir, près des classes de l’école intermédiaire. En cette année, il n’y a plus qu’une dizaine de pouces d’eau dans le réservoir, ce qui fait présager le pire. Non loin de là, un robinet extérieur sert d’abreuvoir pour les étudiantes. Mais, à la brunante, des centaines de villageois privés d’eau s’amènent avec leurs chaudières, pour se ravitailler. Devant l’immanence que notre réservoir tarisse à son tour, je dis à une sœur africaine, Sœur Alina Khabane, qu’on ferait peut-être mieux de sceller le robinet afin 55 ASCO-Afrique, Chroniques, 28 juillet 1978. 56 Ibid., 6 août 1979. 122 — Chapitre cinquième qu’il nous reste suffisamment d’eau pour les besoins de la mission. Elle me regarde avec un large sourire et me dit : « Nous, nous avons appris à partager et quand nous n’avons plus rien, nous souffrons avec ceux qui manquent de tout ». Je la félicite de me donner le vrai sens de la pauvreté ! Toujours est-il que tout le temps qu’a duré la sécheresse, le réservoir d’eau n’a pas baissé d’un seul pouce. Quand un pauvre crie, le Seigneur entend ! (Ps 34, 18) 57 L’éducation se poursuit au Lesotho Le 25 avril 1969, c’est fête à Pontmain pour l’ouverture de l’École secondaire de Pontmain. Parmi l’assistance nombreuse, on remarque la présence de l’honorable Jonathan Leabua, premier ministre, Antoine Manyeli, ministre de l’Éducation, le père Cornelius Sutha, vicaire général, le père Philippe Boisvert, provincial des Pères Oblats de Marie-Immaculée. Devant le drapeau du Lesotho hissé fièrement, les cadets et les élèves des écoles paroissiales ont prononcé leur salut. Ils avaient participé peu avant à un grand ralliement à Maseru des guides, des scouts et des cadets. Pour assurer la qualité de l’éducation, les autorités de la communauté favorisent les études des sœurs autochtones. Par exemple, sœur Magdalena Polissa et sœur Justina Lesenya reviennent en 1970 d’un stage de quatre ans d’étude au Collège Rivier de Nashua, N.H (É.U.). Il y a aussi des cours de Bible organisés à Pontmain à l’intention de la jeunesse dans les paroisses. Déjà en 1960, les sœurs Alina Khabane et Cleofa Malela se sont rendues à Maseru pour un cours en catéchèse. Et sœur Marie-Stella revient du Danemark 58 où elle a suivi un cours d’un an pour le Jardin d’enfants tandis que les sœurs 57 Témoignage de sœur Lucile Goulet (Marie-de-Massabielle), numéro +2268), missionnaire au Lesotho de 1969 à 1972. 58 ASCO-Afrique, Chroniques, 14 mai 1969. Chapitre cinquième — 123 Maire-Martina Nkosi et Catherine Pharoro suivent des cours de spiritualité à Roma. Dans cet esprit de perfectionnement scolaire, les études se poursuivent et améliorent les qualifications et des professeurs et des élèves. Ainsi, en 1973, les sœurs Julietta et Cécile Immaculata vont étudier à Roma 59 pendant que sœur Winifred Schofield étudiaient à Johannesburgh. Et en 1974, c’est sœur Marie-Stanislas qui poursuit des études en Israël, suivie de sœur Cécile Immaculata pour la formation religieuse. 60 Il faut noter que 1977 marque le succès de sœur Alix Maria Molopo qui obtient un diplôme de l’Université de Lesotho. 61 Sœur W. Schoffield participe pour sa part à des cours d’animation spirituelle à Manille, Philippines. Ces cours sont organisés par le Christian Living Group de Roma. 62 Ce sont d’autres exemples qui prouvent que les qualifications des professeurs rehaussent le statut de l’éducation à l’école secondaire. L’école secondaire Saint-Paul de Butha Buthe est ouverte en 1970. Entre 1968 et 1980, c’était l’époque de fondations d’écoles secondaires construites avec des fonds venant de l’UNESCO 63 demandés par le gouvernement et le ministère de l’Éducation. 64 Le couvent Saint-Charles de Paray, ouvert en 1947, a été fermé en 1976. L’évolution de l’école secondaire Pitseng High School, Pontmain, où il y a les cinq années du cours complet : Forms A, B, C, D, E, est évidente. L’école secondaire de Pontmain est une école privée entièrement administrée et financée par l’institution. Après quelques années, le gouvernement commence à donner des subventions et à payer les professeurs tant laïques que religieux. En novembre 1975 65, a lieu la célébration d’adieu aux élèves qui ont terminé leurs cinq années d’études au High School de Pitseng, la première depuis la fondation qui termine. Le succès est évident ! Les 59 60 61 62 63 64 ASCO-Afrique, Chroniques, 6 février 1973. ASCO-Afrique, Chroniques, 18 septembre 1974, p. 21. ASCO-Afrique, Chroniques, 2 juillet 1977. ASCO-Afrique, Chroniques, 19 mai 1976, p. 56. Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture. ASCO-Afrique, Chroniques, lettre de sœur Cécile Brizard à sœur Marie-de-la-Charité, 21 mai, 1994. 65 ASCO-Afrique, Chroniques, 30 novembre 1975. 124 — Chapitre cinquième élèves ont tous réussi et ils se classent premiers dans tout le Lesotho. Mais déjà les difficultés pointent. Sœurs Angela Maria et Rosa Maria, accompagnées du chef Masupha et cinq élèves réussissent à rencontrer le Premier Ministre au sujet des écoles des missions que le gouvernement veut fermer. Il promet de considérer leurs propos. 66 La vie communautaire au Lesotho En ce 1er février 1969, la communauté célèbre le jubilé d’argent de sœur Marie-Magdalena et sœur Celina-Maria. Notons aussi que sœur Marie-Rosalia est la première supérieure africaine en 1972. 67 La même année 68, le projet de traduction des constitutions, en anglais, mais non le code, est terminé. Le père François Mairot arrive de Rome pour vérifier la traduction. Puis en avril 1970 69, tout est traduit en sesutho. On peut dire alors que l’inculturation est évidente. Lors d’une célébration appropriée, le livre des Constitutions est remis officiellement à chacune des religieuses. En 1972, c’est la première fois que les chroniques du couvent Notre-Dame-de-Pontmain sont rédigées, en anglais, par une sœur autochtone 70. On y note que la communauté célèbre le 17 janvier, la fête de Notre-Dame-de- Pontmain. Plusieurs visiteurs rehaussent la célébration. En janvier 1970, à la clôture de la retraite, il y a deux novices qui font profession temporaire, 17 scolastiques renouvellent leurs vœux temporaires. 71 Si en 1973, on célèbre le jubilé d’argent de quatre religieuses, on se réjouit aussi de la profession religieuse de sept religieuses autochtones. 72 En 1973, les supérieures majeures exigent que les scolastiques fassent une année doctrinale. 73 Il y a aussi des départs qui font mal : sept professes perpétuelles quittent la communauté. 74 66 67 68 69 70 71 72 73 74 ASCO-Afrique, Chroniques, 15 juin 1976. Ibid., 1er septembre 1972. ASCO-Afrique, Chroniques, 19 décembre 1969. ASCO-Afrique, Chroniques, 12 avril 1970. ASCO-Afrique, Chroniques, 1er janvier 1972. ASCO-Afrique, Chroniques, 7 janvier 1970. ASCO-Afrique, Chroniques, 7 janvier 1973. ASCO-Afrique, Chroniques, décembre 1973. Ibid., 5 novembre 1972. Chapitre cinquième — 125 Heureusement, sept scolastiques 75 font profession perpétuelle et deux novices font leurs premiers vœux. Elles sont prêtes à poursuivre l’œuvre d’éducation auprès des leurs dans le sillage de la charité de Mère Bruyère. Au Lesotho, en ce 28 septembre 1970, la radio local annonce l’arrivée de mère Gisèle Lépine 76 accompagnée de sœur Alice Thauvette 77, nouvelle missionnaire. Il y a aussi participation à certaines émissions radiophoniques par les pensionnaires et la chorale des religieuses. 78 Des cours d’entraînement à parler à la radio ont été donnés à Roma et des sœurs y ont participé. 79 Puis, en avril 1970 80, une grande consultation est mise sur pied en vue du choix d’une supérieure pro-provinciale, peut-être une africaine ? Nous verrons que c’est en 1980 que tout le Conseil proprovincial est formé de sœurs africaines. Sœur Thérèse-Angéline fait profession perpétuelle à Pontmain en 1941 et meurt en Afrique comme elle l’avait déclaré à son arrivée : « Je suis en Afrique pour y mourir ». C’est d’abord à l’hôpital de Paray que la tuberculose l’immobilise. En juin 1975, sœur ThérèseAngéline 81 entre à l’hôpital de Pretoria (Transvaal) où elle meurt à l’âge de 64 ans, le 6 août suivant, après une chirurgie qui n’a fait qu’aggraver son mal. Sœur Thérèse-Angéline a été missionnaire où elle a passé en faisant le bien. 82 Le centenaire de la mort de Mère Bruyère ne passe pas sans célébration au Lesotho. Le 20 novembre 1976, sous la présidence de Mgr Paul Khoarai, et en présence de plusieurs distinguées personnes 75 Ibid., 7 janvier 1972. 76 Sœur Gisèle Lépine est membre de l’administration générale de 1968 à 1974. Elle avait fait une visite l’année précédente le 11 février 1969. Sœur Gisèle Lépine est missionnaire en Afrique durant trente ans : de 1949 à 1987 durant lesquels elle a été absente 8 ans. 77 Missionnaire en Afrique de 1962 à 1969. Sœur Alice est décédée le 22 juillet 1990 à l’âge de 68 ans. 78 ASCO – Afrique, Chroniques, 6 septembre, 1970. 79 ASCO – Afrique, Chroniques, 20 décembre, 1974, p. 83. 80 ASCO – Afrique, Chroniques, 26 avril 1970. 81 Sœur Thérèse-Angéline (Marie-Anne Turcotte) profession +2025, décédée le 6 août 1975, notice nécrologique numéro 1016. 82 Notice biographique, numéro 1016. 126 — Chapitre cinquième parmi lesquelles « un groupe d’aveugles, des pauvres, des nécessiteux de Pitseng, de Pontmain et des environs, qui après la messe furent invités pour le dîner », c’est la fête. C’est l’esprit de Mère Bruyère qui suscite des gestes authentiques de charité-compatissante. Après le repas, « une foule de gens ramassés sur le côté droit de l’église ont fait éclater leur joie, par des chants, des sketches et des danses nationales exécutées par les élèves du High School de Pitseng, de l’école primaire de Pontmain, du Jardin d’enfant et de l’école Likhibi de Bolahla ». 83 L’année 1976 est une année de réjouissance communautaire : une religieuse prononce ses premiers vœux, trois sœurs renouvellent leur engagement et quatre célèbrent leur jubilé d’argent de profession et on accueille une aspirante de Roma 84. En mars 1977 85, la communauté revient à Saint-Charles pour ouvrir le couvent fermé depuis un an. Ce sont les sœurs Marie-Léonora, Clara Kotoka et Victoria Moremohole qui sont désignées. Le 27 février 1978, c’est le grand jour de consultation sous l’animation de Mère Marcelle Gauthier et de sœur Cécile Paradis 86. Elles repartent pour le Canada le 9 mars suivant. Le 28 août 1976, toute une délégation se rend à Maseru pour la bénédiction et l’ouverture du nouveau couvent Résidence d’Youville. La fête se poursuit après l’Eucharistie solennelle par des sketches, des chants exécutés par les enfants. Notons au passage, que le 9 juillet 1979, « la terre est couverte de neige. Quelle beauté ! mais bien éphémère; le soleil ardent fait fondre cette neige si rapidement. […] Cela rappelle aux Canadiennes la première neige à l’automne. Nous en avons sûrement joui en dépit 83 ASCO-Afrique, Chroniques, 20 novembre 1976. 84 ASCO-Afrique, Chroniques, 7 janvier, 1976. 85 ASCO-Afrique, Chroniques, le personnel de la maison de Pontmain en 1977 compte 33 sœurs : enseignantes – primaire et secondaire, formation, dispensaire et en service de soutien : sacristie à l’église, ferme et jardin, poulailler, jardin du provincialat, ferme maintenance, chauffeure, lavoir, réfectoire des sœurs, des étudiantes-pensionnaires, maîtresses de pensionnaires, cuisine. Véritable Maison-mère ! 86 Elles sont arrivées depuis le 16 février 1977. Chapitre cinquième — 127 du froid ». Les montagnes couvertes de neige offrent une vue magnifique et rare. Il y a des événements qui marquent tout le peuple. Ce 18 août 1975, des membres de l’École technique et l’évêque de Leribe, le père fondateur de l’école, périssent dans un écrasement d’avion. Dieu est le maître de la vie ! Au congrès provincial de décembre 1979 87, en vue du chapitre général, les sœurs ont l’occasion de discuter de leurs problèmes. Puis, en janvier suivant, comme les problèmes dans toute la communauté africaine persistent, il y a une journée de discussions pour essayer de trouver des solutions à la situation. 88 Le 12 août 1979, est un jour important pour la congrégation au Lesotho. Le Pro-Nonce apostolique, Edwards Cassidy, vient donner le résultat de la visite d’information faite par le père Joseph Anthofer en février dernier. Le différend entre les autorités majeures de la congrégation était assez important puisque le problème a été porté jusqu’à Rome. Un tel conflit n’était pas seulement pour la congrégation, car il a été offert à toutes les congrégations religieuses d’hommes et de femmes de se séparer de leur Maison mère pour relever des évêques africains seulement. Deux communautés ont refusé : Les Sœurs-des-Saints-Noms-de-Jésus-et-de-Marie et la congrégation des Sœurs de la charité d’Ottawa. À ce moment, un grand mouvement de séparation se soulève en Afrique du sud connu sous le nom d’apartheid 89. La communauté ferme le couvent de De Wildt pour ouvrir à Denilton où père Joseph Metz est très heureux de l’accueillir. Leur résidence est brillante de propreté et les tablettes sont garnies de nourriture. 90 87 ASCO-Afrique, Chroniques 17 décembre 1979. 88 ASCO-Afrique, Chroniques, 10 janvier 1980. 89 On désigne par le terme afrikaans d’« apartheid » une doctrine politique propre à l’histoire d’Afrique du Sud du début du XXe siècle à 1893. Littéralement, il signifie « développement séparé » (des races) et trouve son origine à la fois dans la nature du peuplement de ce pays et dans les aléas historiques particuliers qui présidèrent à la naissance de cet état. (Yahoo! Encyclopédie) 90 ASCO-Afrique, Chroniques, 16 janvier 1980. 128 — Chapitre cinquième Sœur Magdalena Polisa est nommée supérieure pro-provinciale, en 1980. Elle annonce les déléguées au chapitre général qui doivent se rendre à Rome le premier mai où elles participeront à des conférences du père Greco, sj, sur les constitutions. Ce conseil proprovincial est formé exclusivement de sœurs africaines. Par les huit conseils qui se sont succédés entre 1968 et 1980, on peut déduire que les sœurs africaines se sont formées peu à peu à se gouverner ellesmêmes. Il y a en pays de mission une grande fraternité entre les communautés religieuses. Ainsi, aux funérailles de sœur Marie-Benedict, on reconnaît les Sœurs-des-Saints-Noms-de-Jésus-et-de-Marie, les Sœurs de la sainte famille, les Sœurs de Sainte-Croix, les Sœurs du Précieux-Sang, anglicanes, les Sœurs du Bon-Pasteur, les Frères du Sacré-Cœur. Le service de santé Le gouvernement du Lesotho envoie, en 1969, une infirmière pour prendre en charge la clinique de Pontmain. Elle résidera à Pitseng. Déjà, on prépare l’ouverture officielle de l’église et de l’hôpital. Les Sœurs Jeanne Charron, Blanche-Irène partent pour M’A ’Mohau. En 1976, sœur Marie-Angélina est nommée supérieure de l’hôpital de Paray. Et sœur Elisabeth Khali, de l’hôpital Saint-Joseph, de Roma arrive à la mission de Pontmain. Le gouvernement suit de près le travail car il envoie ses ministres vérifier les progrès. Il y a aussi, l’Hôpital de Seboche, Mission Saint-Charles, À Butha-Buthe sous le vocable de Notre-Dame-de-la-Providence, Mositi, Butha-Buthe, Saint-Paul. Malgré tous les problèmes, l’hôpital de Paray a progressé continuellement depuis ses débuts. La fondatrice de 1931, sœur Louis-Gérard, y séjourne une semaine du 12 au 18 novembre 1968. Elle rend un témoignage vibrant en constatant les progrès immenses réalisés. En plus des employés laïcs, le personnel comprend dix religieuses, et neuf Africaines dont l’excellente infirmière sœur Marie Thomas appelée « le grand docteur ». Chaque personne a son rôle : Chapitre cinquième — 129 supérieure, directrice des soins, matrone. Le docteur résident est George Rufin. En 1977, c’est la fondation d’une École d’infirmières. Cette école est fondée grâce à l’aide de l’Association privée de la Santé au Lesotho. On reconnaît comme réalisatrice de ce projet sœur Marie-Annunciata avec la collaboration du médecin en charge, le Dr George Rufin. Les élèves se mettaient avec courage à l’étude et y persévéraient à la satisfaction de leurs professeurs. Les améliorations se sont succédées : 8 septembre 1977, un nouveau bureau meublé convenablement muni d’un système de communication interne et d’un système d’eau. Mais le Dr George Rufin quitte le 26 mars 1978. L’Hôpital Lejone de M’a Mohau et Notre-Dame-de-la-Merci perdent un bienfaiteur apprécié. La République de l’Afrique du sud La situation politique de la République de l’Afrique du Sud La République de l’Afrique du Sud est l’État le plus méridional de l’Afrique australe. Il y a la capitale administrative, Pretoria et la capitale législative, Le Cap. En 1488, le Portugais Barthélémy Diaz a découvert le Cap de Bonne-Espérance et Vasco de Gama, en route vers l’Inde a abordé à la côte du Natal en 1498. La Compagnie hollandaise des Indes Orientales, en 1652, a établi un centre de ravitaillement pour ses navires à la baie de la Table. Une colonie s’y développé. Au XVIe siècle, les Bantous et les Sothos qui occupent une partie du Transvaal ont atteint la riche plaine côtière du Natal. Les Blancs appelés les Bœrs se trouvent en guerre continuelle avec ces Africains redoutables. Ils ont accueilli la domination anglaise jusqu’au milieu du XIXe siècle. Un groupe de Bœrs s’est établi au Natal et d’autres au Transvaal et d’autres dans les environs de la première République Sud-Africaine. Ces groupes obtiennent leur indépendance en 1852 et 1854 respectivement. Vers 1867, la découverte de diamants dans les rivières Orange et Vaal augmente les difficultés entre les Bœrs et les Anglais. Entre 1881 et 1884, le Transvaal recouvre son autonomie théorique de la cou130 — Chapitre cinquième ronne britannique. 1885, c’est la ruée vers l’or. La guerre des Bœrs se termine par le traité de paix de 1902 par lequel ils obtiennent l’amnistie et l’usage de leur langue. En 1906, les Blancs du Natal se solidarisent. La formation de l’Union Sud-Africaine se réalise le 31 mai 1910. Les Afrikaners, trois fois plus nombreux, refusent toute anglicisation. C’est un véritable problème racial. Les Blancs détiennent le pouvoir politique qui vote des lois discriminatoires pour les Noirs. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le problème racial est crucial à cause de l’expansion économique entre 1940 et 1950. Partant du principe qu’il existe des incompatibilités insurmontables entre la manière de vivre africaine et la civilisation européenne, le parti nationaliste du Dr Malan, premier ministre, décide d’isoler complètement les Noirs. Depuis 1948, c’est le régime d’apartheid qui sévit et entretien la haine des races. Par exemple, la loi sur le travail permet de reléguer les Bantous à des emplois inférieurs et non spécialisés. La PopulaChapitre cinquième — 131 tion Registration Act catégorise chaque individu dès sa naissance en fonction de sa race, contrôlant ainsi chacun des aspects de sa vie. Les mariages interraciaux sont interdits. Une autre loi, en 1959, sur la promotion de l’autonomie bantoues, prévoit huit régions africaines séparées. La frustration morale des Noirs augmente sous ce régime d’apartheid et suscite l’opposition internationale. En 1961, le premier ministre Verwœrd fait adopter et proclamer officiellement la République Sud-Africaine complètement indépendante à l’égard du Royaume-Uni. Elle devient le géant industriel du continent. Les organisations et les syndicats des mineurs jouent un rôle important dans la mobilisation d’une résistance organisée contre l’apartheid. Au cours des années 1970 à 1980, l’activisme noir prend de l’ampleur et l’apartheid commence à se démanteler. Sous la pression des groupes politiques aux niveaux national et international, les lois ségrégationnistes sont abrogées en 1990 et on procède à des élections démocratiques. En avril 1994, Nelson (Rolihlahla) Mandela est nommé à la présidence de la République Sud-Afrique. Depuis 1910, le Natal est une province de la République SudAfricaine, le long de l’océan Indien dont la capitale est Pietermaritzburg. La ville principale est Durban. Le Transvaal est une province de la République Sud-Africaine. La capitale est Pretoria. Il est reconnu comme territoire indépendant par la Grande Bretagne en 1852 et devient République sud-africaine en 1853. Annexé par le Natal en 1877, il est libéré en 1881. En 1902, le Transvaal accepte son annexion à l’Angleterre. En 1910, il entre dans l’Union sud-africaine. En 1972, le Christian Living Group offre des cours d’animation spirituelle à Johannesburg. 91 Au cours des années soixante et soixante-dix, la congrégation ouvre plusieurs couvents. Au Transvaal, notre mission Mère-Bruyère d’Atteidgeville et le noviciat Saint-Michel de Wildt poursuivent l’apostolat dont nous avons parlé plus haut. 91 ASCO-Afrique, Chroniques, 31 décembre 1972, p. 396. 132 — Chapitre cinquième Pour constater la lente évolution des progrès au niveau scolaire, dans le domaine des soins de santé et des expériences apostoliques, il faut jeter un coup d’œil sur les statistiques qui illustrent concrètement que le niveau de vie s’est amélioré par la présence des religieuses au Lesotho appelé autrefois Basutoland et en République de l’Afrique du Sud. En 1980, la pro-province Sainte-Thérèse-de-l’Enfant-Jésus 92 compte 95 religieuses dont 89 autochtones. De plus, il y a trois aspirantes, trois postulantes, trois novices et quatre scolastiques. Elles sont une promesse d’avenir. On compte 12 maisons au Lesotho. 93 Il y a en 1980 huit sœurs qui ont fait une année doctrinale. 94 Il y a 26 religieuses dans l’enseignement ou service connexes. 95 Dans le service hospitalier, il y a 24 sœurs dont six sont des infirmières autorisées, quatre sont sages-femmes dans les hôpitaux ou dans les foyers. Selon le rapport, huit religieuses sont en service de pastorale diocésaine ou paroissiale. 96 Il y a trois religieuses de décédées entre 1974 et 1980. Le partage et l’assistance financière que l’administration générale donne aux missions s’élèvent à une part considérable. Les fondatrices Pour rendre hommage aux vaillantes fondatrices arrêtons-nous sur le travail qu’elles ont accompli en faveur des autochtones dans leur pays d’adoption. Il y a sœur Louis-Gérard, supérieure, sœur Paul-Eugène, sœur Marie-des-Anges, sœur Marie-de-Jésus et sœur Jeanne-Emmanuel. 92 Selon le Rapport sur la congrégation des Sœurs de la Charité d’Ottawa 1974-1980, présenté aux membres du Chapitre général par mère Marcelle Gauthier, sco, supérieure générale, juillet 1980. C’est une pro-province. Voir aussi la Liste des nominations des Sœurs de la charité d’Ottawa, novembre 1980. 93 Pontmain : première fondation, Maison pro-provinciale, scolasticat et noviciat, Leribe : Mont-Royal, M’A ’Mohau : Notre-Dame-de-la-Merci, Maseru : Marguerite-d’Youville, Mositi : Notre-Dame-de-Lourdes – fermé en 1972, Paray : Sainte-Marguerite-Marie, Hôpital du Sacré-Cœur, Roma : Sainte-Marie, Seboche : Saint-Charles –couvent et hôpital, Lesotho : Saint-Denis, Butha-Buthe : Saint-Paul, Leribe ? [… ] op. cit. 94 C’est une année de ressourcement spirituel et intellectuel offert à des religieuses. 95 Loc. cit. 96 Loc. cit. Chapitre cinquième — 133 Sœur Louis-Gérard (Alice Léger) Sœur Louis-Gérard (Alice Léger) a été supérieure et fondatrice avec ses quatre compagnes. À l’instar de Mère Bruyère, elle part pour ce pays lointain pour y inculturer l’esprit de charité-compatissante de Marguerite-d’Youville telle que vécue par Mère Élisabeth Bruyère à Bytown (Ottawa). Elle a trente-six ans quand elle accepte ce geste apostolique que lui propose Mère Saint-Bruno, alors supérieure générale de la congrégation. Courageuse et énergique malgré une santé plutôt fragile, elle trouve la grâce de faire la volonté de Dieu comme missionnaire. Son sens du devoir la pousse à faire face à toutes les situations de détresse qu’elle rencontre. Cette Franco-Ontarienne, née à Saint-Isidore de Prescott, Ontario, le 22 août 1896 a passé dix-sept ans en Afrique. C’était le Basutoland en Afrique du Sud, pays pauvre mais si prometteur. « Il y aurait un livre à écrire sur la mission de sœur Louis-Gérard en terre africaine », est-il écrit dans la notice nécrologique, mais on écrit pas de livre pour des femmes valeureuses. Elles passent en faisant le bien. Dans l’organisation d’un dispensaire, sœur Louis-Gérard rencontre la docteure suisse, Berthe Hardegger 97 qui avait consacré sa vie au soin des malades du Basutoland. Ensemble, elles parcourent la montagne à cheval pour porter la charité-compatissante aux personnes les plus défavorisées de la région. Sœur Louis-Gérard a été surnommée la ‘Mère des Basotho’ tandis que la docteure était la « Mère de la montagne ». Pour inculturer le charisme de charité-compatissante de Mère Bruyère en terre africaine, sœur Louis-Gérard ouvre une école et un refuge. Et pour favoriser l’instruction aux enfants des régions les plus éloignées, elle accueille un grand nombre de pensionnaires. Elle organise des cours du soir pour les bergers retenus aux champs durant le jour. Elle avait compris qu’en instruisant la jeunesse, elle contribuait à donner au pays des personnes capables de faire progresser leur pays vers un avenir plus heureux. 97 Le docteure Hardegger est décédée le 5 novembre 1979 au Lesotho. 134 — Chapitre cinquième À cette époque l’objectif de l’évangélisation était la conversion des païens. On raconte qu’un jour sa foi reçoit un élan nouveau. C’était la famine partout. À Pontmain, il y avait un réservoir de maïs de cinq pieds par sept, rempli de maïs qui servait à nourrir les 200 élèves de la mission. Elle place une médaille de Mère d’Youville dans ce réservoir dès que la famine commence et le réservoir n’a jamais diminué même si en plus de nourrir les pensionnaires, on faisait l’aumône à toutes les personnes qui venaient demander secours. C’est le « miracle de la réserve de maïs ». On comprend alors son zèle pour donner à l’Église locale des religieuses africaines bien enracinées dans le charisme de la congrégation. Après un long temps de souffrance extrême, elle passe de ce monde le 5 novembre 1979, à l’âge de 85 ans dont 64 passés dans la congrégation. 98 Sœur Paul-Eugène (Marie-Laure Simard) Sœur Paul-Eugène (Marie-Laure Simard) quand elle est partie pour l’Afrique, elle laisse sa famille et surtout son frère jumeau nés le 15 mars 1895, à Lévis, Québec. C’est en 1915 qu’elle fait profession chez les Sœurs grises de la croix. Puis, elle enseigne la musique dans nos couvents jusqu’en 1931 où elle part pour l’Afrique du Sud avec le groupe de fondatrices. Malheureusement, un revers de santé l’oblige à revenir l’année suivante. Elle se rétablit et reprend son enseignement de la musique et rend de nombreux autres services avant de quitter la terre pour la vie éternelle le 20 mai 1979 à l’âge de 84 ans dont 63 de vie religieuse 99. Sœur Marie-des-Anges (Amarilda Danis) Sœur Marie-des-Anges (Amarilda Danis) née à Montcerf, Québec, le 14 octobre 1897, est baptisée à l’église de la paroisse Sainte-Philomène. Après sa profession en janvier 1921, elle commence sa carrière d’enseignement à Aylmer. Après dix ans dans l’éducation de la jeunesse, elle fait partie des cinq fondatrices qui partent pour l’Afrique 98 ASCO, Notice nécrologique, no 1104. 99 ASCO, Notice nécrologique, no 1089. Chapitre cinquième — 135 du Sud. Apprendre une langue étrangère pour mieux se mettre au travail, c’est se préparer à organiser une école. En 1934, elle ouvre une nouvelle mission à Butha-Buthe. Elle cumule toutes les tâches : supérieure, directrice et enseignante. Elle semble toujours prête à recommencer. C’est Pontmain et Roma qui bénéficient du même dévouement. Après 21 ans en Afrique, épuisée, elle revient au Canada. Après sept ans de service dans l’enseignement, elle reçoit une obédience étonnante ! Alors, elle repart, en 1959, pour le Basutoland où on lui confie le couvent de Mont-Royal. C’est un centre très pauvre de Leribé. Revenue à Pontmain, elle s’applique à aider tout le monde. C’est là qu’elle étudie l’aviculture et organise une basse-cour modèle qu’elle confie à une sœur autochtone. Elle devient la grand’mère chérie de tous les gens de Pontmain jusqu’à la troisième génération. Rappelée au Canada en 1970, elle a déjà 73 ans. Elle trouve le repos éternel le 10 septembre 1986 à l’âge de 88 ans dont 65 de vie religieuse 100. Sœur Marie-de-Jésus (Marie-Ange Chalifoux) Sœur Marie-de-Jésus (Marie-Ange Chalifoux) est née le 26 août 1891 à Papineauville, Québec. Son père, Antoine Chalifoux, est cultivateur et sa mère, Vitaline Hamelin, est institutrice à Buckingham avant son mariage. De 1910 à 1920, Marie-Ange, sous les traces de sa mère, enseigne dans les écoles primaires de trois provinces canadiennes : Québec, Ontario et Alberta. Après avoir secouru des gens atteints de la grippe espagnole au village Lafond en Alberta, Marie-Ange s’inscrit en 1921 à l’hôpital Sainte-Marie à Ottawa où elle obtient, trois ans plus tard, un diplôme d’infirmière de Chicago School of Nursing. Elle fait profession religieuse le 4 janvier 1928. En 1931, elle fait partie du cortège de missionnaires qui partent pour l’Afrique et s’y dévoue pendant vingt années consécutives. Selon le témoignage 100ASCO, Notice nécrologique, no 1256. 136 — Chapitre cinquième d’une de nos premières sœurs africaines, sœur Marie-de-Jésus rend de nombreux services accomplis avec une expertise unique. Tantôt infirmière, pharmacienne, institutrice, jardinière, elle sait tout faire et relève tous les défis. Après ses visites aux pauvres du village, elle organise des cours du soir pour aider les bergers retenus aux champs pendant le jour. Elle n’oublie pas les adultes non plus à qui elle enseigne à lire. Les Basothos l’aiment beaucoup et la baptisent « Makhehla », ce qui signifie ‘grand docteur’. Elle a tout donné pour aider à développer les autochtones. De retour au Canada, en 1951, elle se dévoue encore comme infirmière à Attawapiskat, Baie James, et à Spirit River, Alberta, avant de se retirer à la Maison mère en 1982 où elle attend paisiblement dans une extrême faiblesse la rencontre avec son Dieu, le 26 avril 1986, après 60 ans de profession religieuse. Missionnaire, elle a passé partout pour soulager le plus de souffrances possible 101. Sœur Jeanne-Emmanuel, (Anastasie Trépanier) Sœur Jeanne-Emmanuel, (Anastasie Trépanier), prononce ses vœux perpétuels le 16 juillet 1931 et part pour l’Afrique le 29 septembre suivant. Née le 17 novembre 1909, elle n’a que 21 ans. Elle est la plus jeune du groupe de missionnaires fondatrices au Basutoland aujourd’hui Lesotho. C’est le voyage vers l’inconnu qui appelle toutes les générosités. C’est la femme à tout faire : cuisinière, blanchisseuse, couturière et enseignante. Elle devient la première directrice d’un Jardin pour les enfants des chefs et pour d’autres aussi. Il n’y a ni maison, ni programme, ni objectifs prévus par les chefs. Cette œuvre est reconnue et adaptée aux besoins du pays. De retour au Canada, en 1947, pour refaire sa santé, elle ne chôme pas car elle apprend à l’Hôpital général comment aider l’infirmière. En 1950, elle retourne au Lesotho à Roma comme professeur de couture à l’École normale. Elle revient au Canada en 1955 pour étudier l’anglais, les mathématiques et l’art et retourne au 101ASCO, notice nécrologique, no 1247. Son numéro de profession religieuse +1515. Chapitre cinquième — 137 Transvaal pour aider le père André Blais, omi, à fonder un séminaire. De nouveau, elle s’applique à toutes les tâches sans distinction : professeur, cuisinière, couturière, jardinière. Elle prend même le temps de peindre des tableaux pour les églises du Natal. Quarante ans missionnaire en Afrique ! Cette femme vaillante a conservé une joie contagieuse qui rayonne autour d’elle. Elle part paisiblement pour le ciel, le 5 mai 1999, ses 90 ans bien sonnés dont 70 de vie religieuse. Notre monde est meilleur parce que sœur Jeanne-Emmanuel est passé parmi nous. 102 Voici quelques statistiques pour conclure cette section : en 1980, au Lesotho, il y a dans la pro-province Sainte-Thérèse-de-l’EnfantJésus, 95 sœurs dont 89 autochtones 103. À ce moment là dans la congrégation, on compte 1 300 religieuses dont 30 sont exclaustrées 104 et 4 sont transférées. C’est un cortège de femmes vaillantes et courageuses qui sèment la Bonne Nouvelle dans ce lointain pays. Elles passent en faisant le bien à l’instar de Mère Éisabeth Bruyère. Une mission au Nyassaland (Malawi) L’histoire politique Nyassaland est le nom colonial porté par le Malawi avant son indépendance en 1964. C’est un état de l’Afrique orientale et membre du Commonwealth. Le maïs et le riz sont les principales cultures vivrières, tandis que les cultures commerciales sont le thé, le tabac, l’arachide et le coton. Vers 1859, les missionnaires protestants s’efforcent d’arrêter les ravages de la traite des esclaves. En 1875, la création de l’African Lakes Company favorise le ‘commerce licite’. Puis, vers 1891, l’établissement du « protectorat d’Afrique centrale » devient en 1907 le Nyassaland. Le Nyassaland 102ASCO, Notice nécrologique, numéro 1604. 103Rapport sur la congrégation des Sœurs de la Charité d’Ottawa 1974-1980, présenté aux membres du Chapitre général par mère Marcelle Gauthier, supérieure générale 1968-1980. 104Exclaustrée se dit d’une personne qui quitte la vie communautaire d’une communauté religieuse après des engagements permanents mais demeure rattachée à la congrégation. 138 — Chapitre cinquième est enclavé et dépourvu de richesse minière. Les mines de Rhodésies et de l’Afrique centrale prospèrent pendant toute la première moitié du siècle et conduit à la Fédération d’Afrique centrale réunissant les deux Rhodésies et le Nyassaland en 1953. Ce regroupement a été un échec et le Nyassaland obtient son indépendance en 1964 et prend le nom de MALAWI. Le docteur Hastings Kamuzu Banda devient le président à vie (1906 à 1997). Il établit un régime combinant autoritarisme, néo-traditionalisme et « ordre moral » qui a favorisé la montée d’une minorité et d’un contrôle militaire. Banda a poursuivi des relations cordiales avec le régime sud-africain d’apartheid 105. La fondation – 1946 Lorsque Mère Marcelle Gauthier est élue supérieure générale de la Congrégation, en 1968, l’œuvre apostolique en Afrique Centrale comptait vingt-deux ans d’existence. Les premières missionnaires étaient parties en 1946 pour un pays qu’on appelait en ce temps-là, Nyassaland, une colonie britannique. C’étaient : Sœur FrançoiseThérèse 106, supérieure, Sœurs Marie-Jacques, Joseph-de-Mazenod et Félix-de-Valois. À la fin de février 1946, elles arrivaient à Guilleme, mission du vicariat apostolique de Likuni, dirigée par les Pères blancs d’Afrique et formant une chrétienté de 17 400 catholiques sur une population de 22 000 indigènes. Là, le couvent Sainte-Thérèsede-l’Enfant-Jésus les attendait, ainsi qu’une communauté indigène formée par les Sœurs blanches d’Afrique : les Sœurs Thérésiennes, qui devaient demeurer avec elles pour les interpréter auprès des Africains et les aider dans leur tâche apostolique 107. Sous la direction des Pères blancs d’Afrique, nos sœurs entreprenaient les mêmes œuvres 105http://fr.encyclopedia.yahoo.co.articles/cl/cl_816_p0.html. 106Sœurs Françoise-Thérèse (Léonie Poisson) numéro de profession +1093. Née à Saint- Sylvère, elle entre chez les Sœurs grises de la croix en 1914. Comme infirmière, elle est du groupe des fondatrices à Guilleme en 1946. Elle déploie ses talents à Paray, à Butha Buthé, à Pontmain Lesotho. Elle revient au Canada en 1955 et meurt le 12 avril 1971. (Nécrologie no 936, tome 8). Marie-Jacques (Albertine Brisson), Joseph-de-Mazeod (Carmen de Champlain), Félix-de-Valois (Simone Latourelle) 107ASCO-Afrique, Chroniques : Guilleme-Nyassaland, 1946, p. 1-3. Chapitre cinquième — 139 que Mère Bruyère avait inaugurées à Bytown, cent ans auparavant : éducation des enfants, soin des malades, secours aux pauvres. Ce triple apostolat fait partie de notre tradition; il est l’expression active de notre charisme communautaire de charité-compatissante, et lorsque les sœurs arrivent dans un nouveau milieu d’Église, il devient notre racine d’implantation. C’est l’inculturation de la charité dans l’Église locale. Ainsi, « la bonté suscite la charité qui devient désire d’aimer 108 ». Trois ans plus tard, la Congrégation tentait une expérience nouvelle de même type à dix-sept milles au nord de Guilleme, à Ludzi, où la chrétienté comprenait environ 12 000 catholiques sur un total de 35 000 indigènes. Sœurs Marie-Marguerite 109, Marie-Mastaï et Marie-Jacques y fondaient le couvent Sainte-Famille, le 8 septembre 1949 110. Après neuf autres années soit en 1958, la Direction générale consentait à une œuvre d’aide au clergé du Grand séminaire de Kachebere, à quatorze milles au nord de Ludzi, le séminaire Saint-Antoine-de-Padoue. Soeur Claire-du-Sacré-Coeur 111 et sœur Sainte-Rita-de-Cassia 112 partaient donc se dévouer au service des Pères blancs d’Afrique et de leurs séminaristes. Elles établirent le couvent SaintPie-X qui plus tard, en 1967, est dénommé Couvent Saint-Antoine. En 1961, les sœurs essaiment au pays voisin, en Rhodésie du Nord, à Kasiya, qui se trouve à 570 milles environ de Guilleme. 108 Jean-Marie-Roger Tillard, op. 109Sœurs : Marie-Marguerite (Germaine Boulay) 1906-1996, profession religieuse 1927, missionnaire 1949 à 1959 supérieure fondatrice à Ludzi et de 1969 à 1979 en Zambie; MarieMastaï (Émérilda Lafond) profession en 1935, Marie-Jacques (Albertine Brisson) 1910-1988, profession 1936, missionnaire 39 ans au Nyassaland 1946-1985 dont un mandat de Proprovinciale de 1959-1965. 110ASCO-Afrique, Chroniques : Nyassa – Ludzi (A.C.) Ludzi, maison provinciale, 1949, p. 1ss. 111 Sœurs Claire-du-Sacré-Cœur (Dorine Desjardins) Sainte-Rita-de-Cassia (Fernande Grondin). 112ASCO, Liste des nominations, octobre 1967. Sœur Rita-de-Cassia (Fernande Grondin) est née à Sturgeon Falls, Ontario, entre chez les Sœurs grises de la croix en 1943. En 1950, elle est nommée missionnaire à Guilleme au Nyassaland. L’année 1957-1958 lui permet de refaire ses forces au Canada, mais l’année suivante, elle retourne à Kassiya pour rencontrer la mort dans un accident de la route le 13 septembre 1965. Sœur Rita-de-Cassia a été quatorze ans missionnaire. 140 — Chapitre cinquième Quatre missionnaires allaient y fonder le couvent Élisabeth-Bruyère pour y exercer l’apostolat de charité éducative et caritative : Sœurs : Marie-Raymond 113, Saint-Alain, Sainte-Thérèse-de-l’Enfant-Jésus et Mary Immaculata 114. L’année suivante 1962, un autre noyau s’installait en Rhodésie du Nord aussi, à Fort Jameson, seulement à quatorze milles de Kachebere au Nyassaland. Soeurs : Gemma-Galgani 115, Louise-de-Marillac, Margaret Mary, Thomas Aquinas et Mary Augustina 116 allaient ouvrir le Couvent Saint-Paul et se consacrer à l’éducation des filles, à l’École secondaire Sainte-Monique 117. Deux autres missions devaient s’ouvrir en Rhodésie du Nord. En 1966, c’était à la direction d’un hôpital que des sœurs infirmières étaient appelées : Hôpital Saint-Luc de Mpanshya, à 263 milles de Fort Jameson. Sœurs : Barbara Aumell, Françoise Gagnon et Euphrazia Cauwa formaient le trio fondateur de l’Hôpital Saint-Luc. Et en 1967, à une trentaine de milles de Kassiya, à Monze une septième maison était ouverte : le Couvent Sainte-Marie. On en confiait la responsabilité première à deux de nos sœurs africaines : sœur Seraphina Wiskoti Banda et sœur Juliana-Agnes 118. Une école primaire, une école de sciences domestiques, un centre catéchétique et le service social attendaient là leur dévouement 119. 113Sœurs : Marie-Raymond (Florence Lalande) Saint-Alain (Gertrude Rondeau), Sainte- Thérèse-de-l’Enfant-Jésus (Axélina Phiri), Mary Immaculata (Terensia Simango). 114ASCO, Liste des nominations, 1961. 115Sœurs : Gemma Galgani (Aline Berniquez,) Louise-de-Mariac (Rachel Rivard) Margaret Mary (Evarista Londani) Thomas Aquinas (Tomaïda Mtunda Patulani) Mary Augustina (ModestaNyirongo). 116ASCO, liste des nominations, 1962. 117Paul-Émile, sgc, Les Sœurs Grises de la Croix d’Ottawa [ … ] 1876-1967, op. cit., p. 365ss. 118ASCO, Sœur Juliana-Agnes (Salome Banda). 119ASCO-Afrique, Rapport du Chapitre 1968. Témoignage de sœur Germaine Boulay. Chapitre cinquième — 141 Le Nyassaland devient Malawi et Zambi – 1964 Un peu d’histoire Rappelons ici que les années 1964-1968 marquent un tournant dans le régime politique des deux pays où vivent nos soeurs. Ces pays ont déclaré leur indépendance en 1964 : le Nyassaland, le 6 juillet; la Rhodésie du Nord, le 24 octobre. Le Nyassaland a alors pris le nom de Malawi; Zomba en est la capitale jusqu’en 1975, date où le siège du Gouvernement est transféré à Lilongwe. La Rhodésie du Nord devient la Zambie, avec Lusaka comme capitale. C’est pourquoi, à partir de 1964, on ne parlera plus de Nyassaland, ni de Rhodésie du Nord, ni de Fort Jameson, mais de Malawi, Zambie et Chipata. Voilà le panorama apostolique de nos missions d’Afrique Centrale au début de 1968. Le Malawi est un pays montagneux de l’Afrique orientale dont la capitale est Lilongwe. Le pays a une forme étroite et allongée du nord au sud. Le pays es formé d’une succession de plateaux et de reliefs très élevés au sud-est, s’abaissant vers le lac Malawi pour former une étroite plaine littorale. Le climat tropical est modifié par l’altitude. On y cultive principalement le thé, le tabac, le coton et l’arachide. La pêche est importante sur les rives du lac. La langue est le chichewa avec l’anglais et les dialectes : Lomwe, Yao, Tumbuka. Les pays limitrophes sont Zambie à l’ouest, Tanzanie au nord, Mozambique au nord-est. Le christianisme compte 2 400 000 personnes. La fondation Au Malawi, il y a trois missions bien enracinées qui progressent en activités éducatives et caritatives, à Guilleme, Ludzi et Kachébéré; trois autres en Zambie : à Kasiya, Chipata, Mpanshya et la dernière qui vient d’apparaître à Monze. Rappelons qu’en 1959, les trois premières maisons avaient été érigées en pro-province, sous le vocable de Saint-Pie-X 120. La pre- 120Paul-Émile, sgc, Les Sœurs Grises de la Croix…1876-1967, op. cit. p. 302. 142 — Chapitre cinquième Source : http//tanguydlv.free.fr/Pays/care/Malawi.gif Villes où sont situés les couvents : Kachebere, Ludzi, Guillemé, Lilongwe (capitale) Blantyre. Couvents : Saint-Antoine, Grand Séminaire, maison pro-provinciale, Sainte-Famille, (partie de l’hôpital) école secondaire, école primaire, pensionnat, école St-Joseph, dispensaire, cliniques, Hôpital St-Michel, dispensaire, cliniques École primaire, pensionnat, service social, pastorale. mière supérieure pro-provinciale, sœur Marie-Jacques, était l’une des quatre fondatrices arrivées à Guilleme en 1946. Les deux conseillères étaient sœurs : Claire-du-Sacré-Cœur (Dorine Desjardins), Paul-de-Rome (Gisèle Lépine), et l’économe, Rita-de-Cassia (Fernande Grondin) 121. Il a été décidé alors, que le centre des missions d’Afrique Centrale serait à Ludzi et que la Maison pro-provinciale y serait construite. Cette maison s’élève en forme de quadrilatère avec une cour intérieure, tout près du Couvent Sainte-Famille. Le 121ASCO – Afrique, Chroniques Nyassa – Ludzi, Maison pro-provinciale, 15 et 16 juillet 1959. Chapitre cinquième — 143 Noviciat qui avait été ouvert à Guilleme en 1957 a été transféré à la Maison pro-provinciale, en 1962 122. C’est à Guilleme que germent les trois premières vocations de l’Afrique Centrale. Ces premières aspirantes sont envoyées à notre Noviciat de Pontmain, au Lesotho, pour y recevoir la formation religieuse canonique, c’est là qu’elles font profession, le 16 juin 1954, avant de revenir à Guilleme. Elles reçoivent des noms de religion bien significatifs : Anastazia Mzaza prend le nom de sœur d’Youville; Serafina Wiskoti Banda est appelée sœur Bruyère; et Azelina Likisho, sœur Sainte-Thérèse-de-l’Enfant-Jésus 123. Dans le domaine de l’éducation À Ludzi À Ludzi, Malawi, les sœurs se dévouent à une école primaire avec pensionnat, ainsi qu’à une école secondaire comportant aussi un pensionnat. Dans la période précédente, ces écoles et pensionnats ont été bien construits, grâce aux subventions du Gouvernement d’une part, aux dons des Associations catholiques missionnaires d’autre part, grâce aussi à la générosité des bienfaiteurs, des familles et amis de nos missionnaires et, il va sans dire, à la constante sollicitude de la Direction générale de la Congrégation. Avec le temps, des ajouts permettront de recevoir plus de 500 élèves. Ces écoles sont la propriété du diocèse. Plusieurs professeurs laïques bien qualifiés y enseignent sous la direction des sœurs et elles sont rémunérées par le ministère de l’Éducation. En raison des distances à franchir, ces professeurs doivent s’établir sur les lieux; ils demeurent alors dans de petites maisons bâties sur le campus scolaire. On enseigne les programmes académiques préparés en Angleterre. On apporte une sollicitude spéciale à la formation familiale des jeunes filles par l’enseignement des Sciences domestiques qui débute au primaire et se poursuit au secondaire. 122ASCO – Afrique, Chroniques Nyassa – Ludzi, Ibid., 4 sept., 1962. 123ASCO – Notes de sœur Gisèle Lépine, et Régistres des professions. 144 — Chapitre cinquième Au début de 1968, à la demande du ministère de l’Éducation, le cours ordinaire des Sciences domestiques est remplacé par le « Junior Certificate Housecraft Course », avec Form I et II. Il revient à soeur Lucille Faubert, supérieure pro-provinciale et principale de l’école, d’organiser ce nouveau cours. L’obtention du Certificate Housecraft Form II permet l’admission en Form III à une école normale et aux autres écoles professionnelles 124. En juin de cette même année, le secrétaire général de l’Éducation aux écoles catholiques, M. Bernard Hawara, s’amène visiter le Junior Certificate Housecraft Course de Ludzi. Il se montre très satisfait et écrit au livre des visiteurs : […] je fus très impressionné de l’enthousiasme des étudiantes et du personnel enseignant. L’attitude générale est excellente 125. L’année suivante, en février 1969, deux visiteurs de marque se présentent inopinément : un officier de la Communauté régionale de développement (Regional Community Development) : D.B. Mpesi, et une dame de Home Economic Expert, Mme Van De Plassche. Ils observent minutieusement l’école et tous les alentours; les lieux et plus encore les personnes qui y vivent. Voici leur témoignage : Ils se montrent enchantés de l’esprit d’équipe et de fraternité des élèves dans leurs maisons respectives. Ils remercient professeurs et étudiantes de leur cordial accueil 126. Est-ce que cette visite porte sa conséquence ? En tout cas, l’automne suivant, Junior Certificate Housecraft devient Ludzi Girl’s Secondary 124ASCO – Afrique, Chroniques Nyassa – Ludzi, (A.C.) Maison pro-provinciale, 29 janvier 1968; et renseignements de Soeur Lucile Faubert. 125Loc. cit., 11 juin, 1968. 126Ibid., 3 février 1969. Aline Berniquez (Sainte-Gemma-Galgani) née 1922, profession 1942, no 2210, missionnaire en Afrique Centrale (Ludzi) 1951-1959, 1962-1967 supérieure fondatrice à l’école secondaire Saint-Monique de Chipata (Zambie), 1968-1969 Ludzi. Retour au pays en 1973. Chapitre cinquième — 145 School. En cette année 1969, la principale de cette école est sœur Aline Berniquez 127. Elle n’est pas terminée, la ronde des visiteurs de marque : à l’été de 1970, on reçoit l’ambassadeur d’Allemagne, M. Bernard Heiback, qui invite la direction de l’école à solliciter le secours financier de Misereor 128. En février 1972, c’est le secrétaire du ministère de l’Éducation, M. A. Gadama, accompagné de M. J. Nbale, député au même Ministère, qui visitent l’École secondaire et se trouvent impressionnés des progrès rapides qu’ils y constatent 129. En mai suivant, c’est la visite officielle du ministre de l’Éducation, l’honorable John Msonthi, du député John Logah et de plusieurs autres distingués visiteurs. Eux aussi sont agréablement surpris du développement de l’école secondaire et ils en félicitent la principale, sœur Aline Berniquez 130. Les sœurs ne travaillent pas pour plaire aux humains et recevoir leurs éloges; mais elles se sentent réconfortées et encouragées quand des humains, désireux du bien des leurs, apprécient ce qu’elles font pour bâtir l’Église et promouvoir la culture humaine. En plus de former les élèves à la tenue de la maison, les sœurs se rendent au village pour enseigner aux femmes les arts domestiques : couture, cuisine, lessive, ainsi que certains rudiments d’hygiène. En septembre 1972, on entreprend de bâtir sur le campus scolaire, une maison affectée à cet enseignement : c’est la Chitukuko House 131. C’est ainsi que vont les choses, de progrès en progrès, d’espoir en réalisations, à même la vie courante. Comme l’école secondaire, l’école primaire de Ludzi va son chemin montant. Nous pouvons le constater par la satisfaction du ministère de l’Éducation, l’honorable A. Kainja Nthala, lorsqu’il vient visiter les deux écoles de la mission, en février 1975. Ce sont les élèves de l’école primaire qui lui souhaitent la bienvenue au nom des 127Loc. cit., 17 octobre 1969. 128Ibid., 5 août 1970. 129Ibid., 15 février 1972. 130Ibid., 11 mai 1972. 131ASCO, Ludzi Parish, Malawi, (C.A.); Saint-Andrew Novociate, 26 octobre 1972. 146 — Chapitre cinquième deux écoles. Monsieur le ministre s’intéresse à ces enfants et porte une attention particulière aux six orphelins protégés par 1’Hôpital de Ludzi qui fréquentent l’école des soeurs, école dirigée par soeur Agnès Eneya 132. L’École secondaire, maintenant dirigée par soeur Émilienne Perreault, ne l’intéresse pas moins vivement. Il se rend compte de l’excellent rendement académique et artisanal qui s’y maintient; il se réjouit du comportement enthousiaste des élèves aux études. L’accueil des professeurs laïques lui est sensible; il visite leurs petits logis qu’ils ont eux-mêmes entrepris de construire sur le campus scolaire. Il tient à rencontrer aussi les femmes du village qui suivent les cours d’arts domestiques à Chitukuko House, sous la direction de sœur Mary of Fatima 133. Enfin, il est enchanté de la valeur éducative de notre mission de Ludzi, et il exprime son contentement dans le message très encourageant qu’il laisse à son départ, aux responsables et au personnel enseignant des deux écoles 134. À Guilleme Guilleme est le lieu de la première fondation en Afrique en 1946. Là, les sœurs tiennent une école primaire avec pensionnat. « Les peuples heureux n’ont pas d’histoire » dit l’ancien proverbe 135. Disons que les gens vertueux n’écrivent pas la leur, et que les grands occupés se hâtent de tout lancer dans l’éternité; alors, cela ne donne pas beaucoup d’histoires pour bâtir l’Histoire. Feuilletant les listes annuelles de nominations, nous observons que, depuis 1974, c’est une Africaine qui est supérieure du couvent de Guilleme : sœur Anastasia Mzaza. Elle est aussi principale de l’école primaire de la mission. En 1977, elle est remplacée par sœur Tomaïda Patulam; et sœur Ermina Nkwazi vient prendre la tâche de maîtresse des pensionnaires. 132ASCO, Ludzi : Pro-province, House and Scholasticate, 26 septembre 1975. 133ASCO, Mary of Fatima (Anastazia Phiri). 134Loc. cit., 6 février 1975. 135N.B. : Nous n’avons pas retrouvé les chroniques locales entre 1947 et 1977. Chapitre cinquième — 147 En octobre les classes débutent avec 223 élèves. En 1979, on note que sept professeurs enseignent sous la direction de sœur Tomaïda Patulani, et que les pensionnaires sont au nombre de 170. La communauté de Guilleme n’est encore que de quatre sœurs : les deux éducatrices et deux autres qui oeuvrent au dispensaire. Ce n’est pas plus nombreux qu’au temps de la fondation, il y a, 33 ans. Y a-t-il espoir pour l’avenir en cette mission de brousse ? On a bien confiance : Guilleme, la fondation première, est une mission de pauvres parmi les pauvres. Toute modeste, elle demeurera et rayonnera. C’est avec cette espérance que mère Marcelle Gauthier, lors de sa visite canonique de 1978, a consenti à ce qu’un nouveau couvent soit construit. Et dès janvier 1979, les travaux débutent sous la direction de frère Matthias (Foreman), Frère de la Société des pères blancs d’Afrique. Les murs montent à mesure qu’on pose des briques cuites sur place; le couvent est terminé en juin. Le 23, on y célèbre une messe d’action de grâce. On y transporte l’ameublement et, le dernier jour du mois, un hôte principal vient y demeurer : le Saint-Sacrement. La bénédiction de la maison est fixée au 30 décembre. À l’occasion de cette bénédiction, on a voulu célébrer le Jubilé d’argent de quatre Sœurs de la charité. Plusieurs notables et paroissiens y ont été invités. Après le rite de bénédiction, on se rend en procession du couvent à l’église. Dix prêtres concélèbrent l’eucharistie avec le vicaire général du diocèse, Mgr C. Maïda. Trois des jubilaires sont des fleurs du pays que l’Afrique Centrale a données à Dieu et qui, depuis, ont porté semence en leur terre natale : sœurs Anastazia Mzaza, Seraphina Banda et Azelina Likesko. La quatrième est une missionnaire canadienne, sœur Cécile Brizard, tout heureuse de célébrer son propre jubilé avec ses sœurs d’Afrique. Cette célébration témoigne de la communion de charité et de festivité qui existe entre la chrétienté de Guilleme et la famille des Sœurs grises de la croix. Des cadeaux sont présentés aux héroïnes du jour. Sœur Rachel Rivard se fait l’interprète des jubilaires et de toute la communauté pour remercier le clergé et les familles. Il y a 148 — Chapitre cinquième un goûter de fête. Dans l’après-midi, une pièce de circonstance, préparée par sœur Ermina et ses pensionnaires, représente l’arrivée des quatre premières sœurs canadiennes, en 1946. En ce 30 décembre 1979, ces jeunes filles et les jubilaires qu’elles honorent, ainsi que l’assemblée d’Église qui se réjouit, ignorent que leur célébration résonne dans le temps comme un écho de la consécration des quatre toutes premières, le 31 décembre 1937, celle de Mère d’Youville et de ses compagnes, consécration qui marquait la fondation première des Sœurs grises. C’est ainsi que la charité chemine dans le temps, à travers le monde. On a passé les ponts, on a passé la mer, on passe les terres, on célèbre sans le savoir; et les petites missions deviennent grandes de la grandeur de l’Église 136. À Kachébéré, le service au séminaire Kachebere est le siège du Grand séminaire le plus vaste de toute l’Afrique. Fondé en 1939 par la Sacrée congrégation de la Propagande, et confié aux Pères blancs, il reçoit les aspirants à la prêtrise de plusieurs diocèses et vicariats africains. La construction actuelle (1967) commencée en 1949, comprend cinq bâtiments à deux étages dont celui du centre présente une façade de 325 pieds. Les autres bâtiments, disposés deux à droite, deux à gauche, sont reliés au corps principal par des cloîtres en gradins. La magnificence de cet établissement déployée dans une grande vallée entourée de montagnes verdoyantes faisait dire à Mgr Knox, délégué apostolique de l’Australie, en visite à Kachebere : « Un tel ensemble fait penser à la sublimité du sacerdoce 137 ». C’est le Grand séminaire Saint-Antoine. Or, en 1957, mère Saint-Paul, supérieure générale, reçoit la visite du Supérieur de cette institution, le père Bertrand Peltier, pb, qui vient solliciter l’aide de religieuses de notre congrégation pour la direction des travaux ménagers au séminaire. L’année suivante, en 136ASCO, Chroniques Guilleme – Nyassa, notes puisées aux dates citées 137Paul-Émile, sgc, Les sœurs grises de la croix […] 1876-1967, op. cit., p. 363-364.. Chapitre cinquième — 149 date du 15 juillet, la chronique de la Maison Sainte-Famille de Ludzi relate sobrement : « Au départ de nos deux fondatrices pour Kachebere, sœurs Claire-du-Sacré-Coeur, supérieure, et Rita-de-Cassia. Le dîner terminé, nous avons [récité] les prières de l’itinéraire ». Leur couvent, Couvent Saint-Antoine, est établi dans, l’ancienne résidence des Pères blancs d’Afrique. Les sœurs dirigent les travaux domestiques, bien entendu, mais elles y mettent la main et le cœur; et c’est « en tenue de service » qu’elles initient au travail, stimulent et encouragent les employés laïcs, qui sont tous des hommes, des Africains; et cela, à la cuisine, à la buanderie, à la couture, à l’entretien ménager. En assumant leurs modestes fonctions, elles sont heureuses de participer à l’œuvre missionnaire par excellence : la formation du clergé autochtone dont l’Afrique a tant besoin 138. Aussi, les Pères Blancs les considèrent, non comme des servantes, mais comme des collaboratrices. Ils les estiment, les admirent, et jamais ils ne leur ont refusé quoi que ce soit en fait d’équipement moderne, de réparations, de modifications, en vue d’un meilleur rendement dans leurs divers services. Ils les invitent même à leurs rencontres hebdomadaires où, comme responsables et professeurs de l’institution, ils évaluent le travail accompli, le comportement, l’avancement des séminaristes, et se gardent attentifs à tout ce qui pourrait être amélioré en regard de leur formation. À ces points de vue, l’opinion des sœurs et leur vision des choses peuvent être éclairantes en maintes circonstances. La petite communauté se compose habituellement de trois sœurs, une quatrième leur est parfois adjointe, soit comme infirmière, soit comme agente de pastorale paroissiale. Bien que chacune soit accaparée par sa responsabilité particulière tout le jour, elles s’entraident mutuellement aux temps de corvées et aux heures de détente, ce qui est très bienfaisant pour la communion de vie fraternelle. Il est impossible d’écrire l’histoire de la cuisine, de la couture, de la buanderie ou du service d’entretien : c’est du « toujours pareil » à 138Loc. cit., p. 364. 150 — Chapitre cinquième multiples gestes sans relief, quoique si nécessaire et vital, si appréciable et vraiment apprécié. Mais voici qu’un jour, un service d’un autre ordre a été demandé à cette petite communauté. L’épreuve des uns devient parfois occasion de grâce pour d’autres et c’est ce qui est arrivé quand les sœurs ont été retirées de Monzes, en décembre 1972. L’une d’elles, sœur Germaine Boulay, a été transférée au Séminaire de Kachebere, pour remplir les fonctions de secrétaire et de bibliothécaire. Elle a été secrétaire du père recteur, le père Edmond Kamanga, pb. Il fallait aussi polycopier les travaux des neuf professeurs, Blancs et Africains, tous des prêtres : religieux de différentes congrégations ou prêtres séculiers. Elle participait elle-même au professorat en enseignant une heure de français, cinq jours semaine, à un groupe de séminaristes choisis parmi les plus prometteurs, au cas où ils iraient étudier en Europe plus tard. Il était d’usage que, chaque semaine, chacun des professeurs devait rencontrer un groupe d’étudiants afin d’animer un partage sur un thème spirituel et d’en venir ainsi a les mieux connaître. Les pères confièrent à sœur Germaine Boulay la responsabilité de l’un de ces groupes. À la bibliothèque du Séminaire, sœur Germaine Boulay a entrepris d’établir le système de classification Dewey. Elle a entraîné des étudiants à l’aider, leur a enseigné la dactylographie afin qu’ils tapent à la machine les cartes qu’elle préparait. Ils étaient fiers de ce travail, et surtout des connaissances bibliographiques que cela leur apportait. En 1977, un autre Grand séminaire a été construit, à Zomba. Les étudiants seniors y ont été accueillis, de sorte que le séminaire de Kachebere n’a gardé que les élèves des trois premières années du cours. Alors, à l’occasion, sœur Germaine se rendait à Zomba pour monter la bibliothèque du nouveau séminaire; et les jeunes qu’elle avait formés à Kachebere étaient heureux de l’aider encore à Zomba. Les choses allaient ainsi pour sœur Germaine Boulay lorsqu’en 1979, sur un appel de l’obéissance, elle a dû revenir au Canada. Le Chapitre cinquième — 151 secrétariat et le service de bibliothèque ont été alors confiés à une autre de nos missionnaires, sœur Albertine Beaudoin. Elle était la dernière venue des douze sœurs qui, entre 1968 et 1980, avaient œuvré ou œuvraient encore au Séminaire Saint-Antoine : sœurs Violetta Dault (7 ans), Alice Thauvette (1 an), Jeanne Simard (12 ans), Georgette Leclerc (1 an), Lucile Beauchamps (2 ans), Germaine Boulay (6 ans), Ermina Nkhwazi (2 ans), Florence Lalande (1 an), Gertrude Rondeau (3 ans), Mary Priska (3 ans), Mary-Eugenia (3 ans), Albertine Beaudoin (1 an). Et le service missionnaire des sœurs devait se poursuivre longtemps encore au Séminaire Saint-Antoine. C’est ainsi que se bâtit l’Église en pays de mission et que, dans le cours du temps, les ouvrières se succèdent aux mêmes tâches pour édifier le même Royaume 139 dans le sillage de la charité de Mère Bruyère. Les Soeurs de la charité en Zambie – 1980 Le Couvent Saint-Paul et l’école secondaire Sainte-Monique Le Couvent Saint-Paul a été ouvert en 1962, à Chipata, alors Fort Jameson en Zambie. Il faisait partie d’une mission desservie par les Pères Blancs d’Afrique dont l’un, le père Anthony Hames était Directeur de l’Éducation. Sœur Aline Berniquez, supérieure, sœur Rachel Rivard 140 directrice, et trois sœurs africaines : sœurs Margaret Mary, cuisinière, Thomas Aquinas et Mary Augustina, étudiantes, y arrivaient le 8 août pour y entreprendre une belle œuvre d’éducation qu’elles inauguraient 12 jours plus tard, à l’École secondaire Sainte-Monique, école de mission subventionnée par le ministère de 1’Éducation. Un couvent confortable, bien meublé et attrayant, était prêt à les recevoir. L’école était encore en voie de construction selon un plan magnifique qui devait se réaliser au complet au rythme des néces- 139Témoignages de sœurs Jeanne Simard et Germaine Boulay, au cours de 1968 à 1980. 140Sœur Aline Berniquez (Gemma-Galgani), Rachel Rivard (Louise de Marillac). 152 — Chapitre cinquième sités, sous la direction du compétent et infatigable constructeur qu’était le frère Henri Renevey. Dans son volume Les Soeurs grises de la croix d’Ottawa, sœur Paul-Émile 141, sgc reproduit la description que, quelques mois après son arrivée, sœur Aline Berniquez donnait de cette école et du site environnant 142. Rappelons qu’au début, deux salles de classe attendaient les premières étudiantes et, séparée du corps principal, une section de l’ensemble de l’institution, destinée à l’enseignement ménager, n’était pas encore terminée. L’école comprenait aussi une très grande salle à manger avec cuisine spacieuse et magasins. C’est que la presque totalité des élèves devaient être et sont encore pensionnaires. Comme dortoirs, le plan avait prévu des pavillons aménagés de cubicules 143, pourvue d’un système d’eau provenant de puits artésiens et alimentant des salles de bain munies de tout l’équipement moderne approprié : douches, toilettes, cuves et éviers. C’était le plan de 1979. Chaque pavillon pourrait loger 40 à 50 pensionnaires; le premier était disponible, la construction d’un second s’achevait; Source : http//tanguydlv.free.fr/Pays/care/Zambie.gif Couvents : Saint Paul, Élisabeth Bruyère, Our Lady of Peace 141Paul-Émile, sgc, Les Soeurs grises de la croix d’Ottawa […] 1876-1967, op. cit., p. 365. 142Loc. cit. 143Un cubicule est un genre d’alcôve, de cabine. Chapitre cinquième — 153 plusieurs autres devaient s’élever au fur et à mesure des besoins, échelonnés dans la pente de la montagne appelée Kanjala. Avec les années, l’ensemble devint un beau campus, y compris les jardins scolaires, les arbres tropicaux et l’abondance de fleurs. Inaugurée avec 35 élèves de Form 1 du cours secondaire, l’école Sainte-Monique a progressé constamment, et en nombre d’étudiantes et en élévation de niveau d’études, de sorte que cinq ans plus tard soit en 1967, 300 élèves dont 296 pensionnaires y étaient inscrites et réparties en onze classes. Les cinq années du programme d’études de Cambridge y sont enseignées par dix-huit professeurs dûment qualifiés. Quant aux sœurs canadiennes, leurs qualifications sont reconnues par le ministère de l’Éducation de la Zambie. Les religieuses responsables de l’école reçoivent comme rémunération un montant global 144 qu’elles répartissent selon les besoins de leur subsistance et ceux de l’œuvre à soutenir. Les professeurs laïcs ainsi que les personnes employées au service de l’institution reçoivent individuellement leur salaire du ministère de l’Éducation. En septembre 1967, trois personnalités de haut lieu visitent l’école Sainte-Monique : le nouvel officier d’Éducation de la région, un professeur d’histoire de Lusaka et le ministre de l’Éducation luimême, M. Arthur Wina. En octobre, deux inspecteurs de Lusaka viennent examiner la valeur et les fruits de l’enseignement de tous les sujets académiques. Visiteurs et inspecteurs se montrent enchantés de l’atmosphère de l’école, du comportement et des progrès des élèves, ce qui leur donne bon espoir en l’avenir de la jeune génération féminine qui étudie en ce milieu culturel. À la fin de l’année scolaire, les finissantes de Form V 145 subissent les examens de Cambridge ce qui ouvre gratuitement la porte de l’Université de Lusaka à celles qui obtiennent les meilleurs résultats. Depuis l’ouverture de l’école, les sœurs enseignantes se partageaient la tâche d’accompagner les pensionnaires en dehors des 144Chaque religieuse reçoit une allocation mensuelle sans distinction de qualification. Soeur Rachel Rivard est décorée par le Président en 1975 ou 1976. 145ASCO, depuis 1985, c’est la 12e année. 154 — Chapitre cinquième heures de classe, mais depuis 1969, une religieuse assume à plein temps la fonction de maîtresse des pensionnaires. Lourde est la tâche, dont il vaut la peine de faire ici la description. La maîtresse des pensionnaires cumule les rôles de pourvoyeuse, d’infirmière et de maîtresse de discipline au pensionnat. En collaboration étroite avec les huit cuisiniers en 1974 – le personnel de la cuisine se compose de quatre cuisiniers et quatre assistants – elle assure le bon fonctionnement de la cuisine : menus, vivres, bois nécessaire à la cuisson des aliments. Trois fois par jour, elle assume la surveillance des pensionnaires réparties en deux réfectoires. Après chaque repas, à la clinique, elle se fait infirmière. À la fin du jour, après les ébats qui suivent les études du soir, la maîtresse des pensionnaires fait la tournée des dortoirs pour s’assurer que tout est dans l’ordre avant le grand repos de la nuit. S’il lui arrive de détecter la présence importune d’un serpent ou d’un maraudeur, le gardien s’avère une aide précieuse. Il va sans dire que la maîtresse des pensionnaires partage toutes ces tâches avec des compagnes, de 6 h 45 à 21 h 45, tous les jours pendant les trois trimestres de l’année scolaire 146. À chaque année s’élève le nombre des étudiantes : en 1969, l’année scolaire débute avec 380 élèves dont 360 pensionnaires qui recevront l’enseignement de vingt professeurs; en 1974, on atteint les 500, dont 468 pensionnaires. En 1980, les inscriptions sont si nombreuses qu’on doit y consacrer deux périodes de temps. Et cela ne cessera de progresser 147. Relevons quelques événements qui manifestent l’heureuse évolution de cette école : Aux résultats des examens de Cambridge, en 1971 et 1972, l’école Sainte-Monique est proclamée première dans la province de l’Est. Chaque année, il se tient à Chiparamba, une exposition connue sous le nom de District Agricultural Show. Faisant partie du Club des jeunes fermières, les élèves de l’École Sainte-Monique ont organisé 146ASCO, Chroniques, horaire des pensionnaires. 147Faute d’espace dans les classes et au pensionnat, on maintiendra l’inscription au maximum atteint en 1974. Chapitre cinquième — 155 un kiosque, en juin 1972. Elles y ont exposé poulets, lapins, travaux à l’aiguille, pièces d’artisanat, spécimens d’art culinaire. Elles y ont remporté un premier prix pour travaux à l’aiguille, des deuxièmes prix pour élevage de lapins et poulets, ainsi que pour les réussites culinaires, et des troisièmes prix pour l’artisanat. En août suivant, on fête le dixième anniversaire de l’ouverture de l’École Sainte-Monique. Mgr Medardo Mazombrue vient célébrer une messe à laquelle toutes les élèves assistent. L’évêque fait l’éloge de l’Institution et du merveilleux travail qui s’y accomplit. Il félicite le père Anthony Hames d’avoir été inspiré d’établir cette école, le frère Henri Renevey d’en avoir fait la construction, et sœur Rachel Rivard d’en avoir assumé la direction pendant dix ans. Aurait-il souhaité à sœur Rachel de demeurer au poste encore dix autres années ? La chronique ne le dit pas; mais la Providence a voulu que cela se réalise. Mgr remercie aussi les professeurs qui déploient leur dévouement auprès des 480 élèves de la présente année. Le soir, on assiste à une pièce de circonstance jouée par les étudiantes. À la messe de la matinée, un professeur zambien, M. Martin Zulu, avait dirigé le chant liturgique; à la soirée, ses élèves interprètent deux chants de sa composition St. Monica’s, qui évoque l’histoire de l’école, et The Hill of Kanjala, la colline où s’échelonnent les dix pavillons des pensionnaires. En juin 1973, on inaugure une nouvelle construction pour l’enseignement des Arts domestiques. En octobre 1974, les Zambiens célèbrent le dixième anniversaire de la déclaration de l’indépendance du pays. On organise des réjouissances auxquelles les jeunes participent pour une grande part. Un festival dramatique a lieu au théâtre en plein air du Teacher Training College. L’École Sainte-Monique y présente deux pièces : Androcles and the Lion et The Brenking Branch. À l’école, il y a compétition dans le domaine des sports. C’est que les élèves cultivent les sports comme les arts. Chaque année, il y a le Jour des sports sur piste pelouse; et on se souvient qu’une élève de Sainte-Monique a été la championne nationale de la course de 100 mètres, en 1969. Le dernier jour des réjouissances, des fidèles de dif156 — Chapitre cinquième férentes confessions se rassemblent pour une célébration religieuse dans l’église. À cette occasion, on hisse le drapeau national et celui de l’école : on porte en triomphe la photo du Président alors que la flamme symbolique est allumée par l’officier en chef du département de l’Éducation. Si on met en relief des jalons ou signes de culture humaine et sociale, on reste toutefois bien convaincues que les sœurs sont à Sainte-Monique pour l’enseignement de la Bonne Nouvelle d’abord et selon le mot de Vatican II, elles doivent évangéliser la culture. En raison des exigences du gouvernement du pays, l’École Sainte-Monique est ouverte à toutes les dénominations religieuses. On respecte les diverses confessions; mais on rejoint les jeunes catéchumènes des diverses classes pour leur donner la catéchèse de l’Église catholique romaine, les initier aux sacrements, susciter et soutenir l’agir chrétien; cela, sous la direction et avec l’animation, de l’aumônier de l’école. Régulièrement, le catéchuménat se poursuit en faveur des jeunes qui désirent embrasser la religion catholique. Chaque année, des jeunes filles de différents âges reçoivent le baptême et, à l’époque prévue par l’évêque, la confirmation. De 1967 à 1980, le nombre varie entre huit et vingt-cinq, aux différentes réceptions. Aux chroniques du 17 octobre 1976, on note que l’école presque entière a assisté au baptême de vingt-deux étudiantes. Ce jour de fête, pour nous, les pensionnaires passent dehors tous leurs temps libres, pour chanter et danser. En avril 1980, c’étaient six employées adultes qui recevaient le baptême et dont le mariage était béni par l’Église, d’autres se voyaient chaleureusement accueillis par la communauté entière de l’école. Pendant les années 1975-1980, on signale aussi des Journées de vocations qui se tiennent entre juin et août. À celle de 1975, l’intérêt a été éveillé et l’état d’âme préparé par un concours d’affiches exposées dans les salles, puis jugées et primées à la fin du jour. C’était un cadre sensible et agréable autour des points forts : eucharistie, homélie, échanges, rencontres particulières. À la suite de celle de 1978 qui avait eu lieu le 23 juillet, huit jeunes filles de l’école SainteChapitre cinquième — 157 Monique et une autre de l’école secondaire de Nyimba demandent une fin de semaine de récollection afin de réfléchir sur l’appel de Dieu. Elles sont bienvenues du 11 au 14 août. Il s’agit de prière dirigée, de moments de solitude, d’entrevues avec l’animateur, de dialogues d’accompagnement avec les sœurs, surtout avec les sœurs africaines, et, le soir, d’une veillée de détente joyeuse. Le dimanche, c’est à la cathédrale qu’elles vont participer à l’eucharistie. Dans l’après-midi, au cours d’une cérémonie préparée par l’animateur, le père S. Wellens, pb, ce dernier leur remet une croix significative de la Parole : « Si quelqu’un veut me suivre, qu’il prenne sa croix... » (Mt 16, 24). À leur retour, elles se plaisent à dire à leurs amies : C’était une expérience merveilleuse. L’année suivante, un panel a été tenu par des sœurs de cinq congrégations : une sœur Thérésienne, une sœur du Bon-Pasteur, une Missionnaire de l’Immaculée-Conception, une sœur Blanche d’Afrique et une sœur de la charité d’Ottawa. À la fin de la journée, une étudiante du nom de Agnès Lubesha venait demander son admission dans notre congrégation. En 1980, on invita des postulantes de différentes congrégations à rencontrer les étudiantes et leur raconter tout bonnement comment elles avaient perçu l’appel du Seigneur. Le point sommet du jour, une célébration de la Parole suivie d’un diaporama présente divers champs d’apostolat de congrégations différentes. Mgr Mazombwe a bien voulu visiter le groupe de jeunes filles et les bénir. Il a apprécié hautement ce temps fort de pastorale des vocations. Et il attend les ouvrières de demain pour l’abondante moisson qu’il voit lever à son horizon 148. À Kasiya Notre maison de Kasiya, Couvent Élisabeth-Bruyère, la première que la Congrégation a établie en Zambie, en 1961. Les gens de cette 148ASCO-Afrique, Chipata; références puisées aux Chroniques couvent Saint-Paul et l’école Sainte-Monique ou témoignages reçus des soeurs Rachel Rivard et Denise Cousineau, directrices à l’école Sainte-Monique. 158 — Chapitre cinquième région étaient des fermiers qui élevaient de nombreux troupeaux. Dès ce temps, cette mission desservie par des Jésuites irlandais était florissante. Avec l’aide financière du gouvernement du pays, ces missionnaires avaient vu à faire construire une école confortable, bien équipée, ainsi qu’un couvent meublé pour les religieuses 149. Là comme à Guilleme et à Ludzi, et comme au temps de Mère Bruyère, les soeurs enseignaient, prenaient soin des malades au dispensaire et visitaient les pauvres dans les huttes de la brousse. Il y avait quatre fondatrices : Sœurs Marie-Raymond (Florence Lalande), Saint-Alain (Gertrude Rondeau), Sainte-Thérèse-de-l’Enfant-Jésus (Azelina L. Phiri), Africaine, et Mary-Immaculata, Africaine 150. En 1967, elles étaient cinq dont quatre Africaines : Sœurs Agnès Lafond, Serafina Wiskoti Banda (Sœur Bruyère), Régina Zulu, Tomaïda Mtunda Patulani, Juliana-Agnes (Salome Banda) 151. Par cette simple énumération, on peut constater le souci de la Communauté de faire confiance aux sœurs autochtones. Les voilà donc missionnaires dans un autre pays. Bien qu’elles soient initiées à l’anglais, leur langue maternelle est le chichewa. À Kasiya, pour bien communiquer, elles ont à comprendre et apprendre la langue du pays : le citonga. En 1968, l’œuvre de l’éducation était déjà bien implantée à Kasiya. Sous la direction de soeur Tomaïda Mtunda Patulani et avec la collaboration de professeurs laïcs, les sœurs faisaient évoluer l’école élémentaire. De plus, sœur Agnès Lafond avait inauguré avec succès un cours de Hautes Études commerciales dont le programme était préparé à Cambridge, Angleterre. Ce cours était offert à des dames et jeunes filles de 20 à 30 ans, qui avaient terminé leur cours secondaire. Il se donnait dans un pavillon de trois ou quatre salles de classe; un second pavillon logeait les étudiantes obligées de demeurer sur les lieux. Enseignement et succès des étudiantes étaient évalués par des inspecteurs venus d’Angleterre, et c’est sous leur recommandation 149ASCO- Afrique, p. 364. 150Liste des nominations, 1961. 151Liste des nominations, 1967. Chapitre cinquième — 159 que l’école recevait approbation et louanges. Sœur Agnès Lafond ayant quitté l’Afrique Centrale en 1968, sœur Marie-Berthe Leclerc a pris sa relève et travaille de tout son cœur à maintenir la qualité de l’enseignement et le bon rendement des étudiantes. Pendant quatre années encore, les sœurs ont déployé beaucoup de dévouement et de savoir-faire tant auprès des enfants, des étudiantes du cours commercial que de leurs collègues laïques enseignant à l’école primaire. Dans les années 1970-1972, les autorités laïques et religieuses n’exprimaient que des éloges à l’adresse de ces écoles si progressives et efficaces. Depuis les débuts, le Gouvernement subventionnait l’école primaire et payait le salaire des professeurs laïques. Quant au cours commercial, comme il était privé, il ne pouvait compter que sur l’aide financière de la Congrégation 152. À Monzes En décembre 1967, la Congrégation avait ouvert le petit poste de Monzes, en Zambie, à trente milles de Kasiya : le Couvent SainteMarie. On y a constitué une mini-communauté de deux Africaines pour le fonder et le maintenir; et ces deux sœurs étaient données par la mission de Kasiya : sœurs Serafina Wiskoti Banda 153, JulianaAgnes Banda (Salome Banda). Heureuses de posséder le citonga et confiantes en la grâce de Dieu, elles servent l’Église de leur mieux pendant trois ans, sous la direction des missionnaires Jésuites irlandais. À Monzes se trouve un Centre de formation de catéchistes tenu par le père Francis Keenan. Il y a aussi une école primaire et une école de sciences domestiques fréquentée par les femmes des catéchètes. Pendant que leurs maris reçoivent leurs cours de religion, ces femmes se forment aux arts ménagers qui leur sont enseignés par l’une de nos sœurs, alors que l’autre enseigne la catéchèse à l’école primaire 154. 152Information reçue de soeur Marie Leclerc, missionnaire. 153Liste des nominations, 1968. 154Information reçue de sœur Germaine Boulay. 160 — Chapitre cinquième En 1970, les Jésuites sollicitent l’aide d’une religieuse qui partagerait l’enseignement avec le père Keenan au Centre catéchistique. On lui accorde sœur Germaine Boulay qui, cette année-là, est en frais d’organiser la bibliothèque de l’école secondaire Sainte-Monique, à Chipata. Elle arrive comme troisième membre et supérieure de la petite communauté; elle entre en fonction au Centre catéchistique en janvier 1971. L’année suivante, le père Keenan doit s’absenter pendant six mois pour cause de maladie, laissant toute la charge à sœur Germaine qui la prend à cœur. Plus tard, elle écrivait familièrement à une amie : « J’ai tenu l’enseignement catéchistique seule avec le Saint-Esprit. Tout a m arché très bien ». De fait, le père Keenan s’est montré très satisfait à son retour. L’École ménagère aussi marchait très bien, sous la responsabilité de sœur Gertrude Rondeau qui disait par la suite : « Mon séjour à Monzes me laisse le souvenir de ma plus belle année missionnaire. » En cette année 1972, c’était une jeune scolastique, (Setrida Ndeketea Simoko) sœur Élisabeth-de-la-Trinité, qui enseignait à l’école primaire. Le trio missionnaire devait-il œuvrer longtemps dans cette mission prometteuse ? En 1971, l’évêque de Lilongwe, Mgr Joseph Fady, avait fait instance auprès de la Direction pro-provinciale pour ouvrir deux nouvelles missions au Malawi, à peu de distance de Ludzi où se trouvait précisément la Maison pro-provinciale, l’une à Lilongwe, l’autre à Vubve. L’objectif proposé aux deux endroits était celui de contribuer à la pastorale et au service social, compte tenu que Lilongwe devait devenir la capitale du Malawi. La requête a été transmise à Mère Marcelle Gauthier, supérieure générale 155. Dans la même lettre, la Direction pro-provinciale demandait l’autorisation de fermer les deux maisons de Kasiya et de Monze, en raison de l’éloignement considérable de ces missions. En effet, elles étaient à plus de 500 milles de la Maison pro-provinciale et difficiles d’accès à cause des dangers du chemin. Les sœurs prenaient deux jours à parcourir cette distance, passant la nuit à notre hôpital de 155Mère Marcelle Gauthier, supérieure générale de 1968-1980. Chapitre cinquième — 161 Mpanshya. C’est sur cette route qu’était survenu l’accident mortel de sœur Sainte-Rita-de-Cassia, en 1965. C’est dire que les sœurs de ces deux missions se trouvaient bien isolées du reste de la communauté de la région Saint-Pie-X. On alléguait aussi la difficulté de l’étude du citonga. Quant aux services d’Église, ils pourraient être assumés par une autre congrégation déjà établie dans le diocèse de Monzes. Le Conseil général a étudié longuement les problèmes complexes des missions du Malawi et de la Zambie, surtout celui de la distribution du personnel. Considérant que les sœurs, alors en mission à Kasiya et à Monzes, pourraient aller prêter main-forte aux autres maisons qui manquaient de personnel, il autorisa la fermeture de ces deux postes éloignés; et il se prononça contre l’ouverture de nouveaux postes tant que le personnel ne serait pas plus nombreux 156. Mais l’évêque de Monzes, Mgr Corboy, ne l’entendait pas ainsi. Au nom du service de l’Église et du respect des vocations africaines, il pria la Direction générale de reconsidérer le projet de fermer les dites missions ce à quoi le Conseil général voulut bien consentir en principe, moyennant une nouvelle étude de la situation par le Conseil pro-provincial de Saint-Pie-X 157. Au printemps 1972, Mère Marcelle Gauthier se rendit en Afrique Centrale avec l’économe générale, Sœur Marie-Anne Martel, afin de voir les situations sur les lieux mêmes. Elles examinèrent les aspects communautaire et apostolique de la vie des sœurs. Nécessairement, il fallait un renfort de missionnaires canadiennes; mais en ce temps de crise religieuse qui ébranlait les vocations au Canada, elles ne pouvaient le fournir. Rencontrant Mgr Corboy, elles lui firent part de leur grande bonne volonté sans lui laisser grand espoir. À son retour au Canada, Mère générale expose à son Conseil ce qu’elle avait constaté et étudié au cours de sa visite canonique. Et la décision a été maintenue de retirer les sœurs de Kasiya et de Monzes 158. 156ASCO – Afrique, Procès verbal, 71 – 32, 28 mai, 1971, p. 167. 157ASCO – Afrique, Procès verbal, 72 – 8, p. 55-56. 158ASCO – Afrique, Procès verbal, 72 – 8, p.228. 162 — Chapitre cinquième Mgr Corboy était désolé de voir les sœurs quitter le même jour ces deux missions qui lui tenaient tant à cœur. Aux instances qu’il avait faites pour les garder, on voit jusqu’à quel point il les appréciait. Des vocations religieuses germaient dans cette région de la Zambie : déjà deux recrues de Kasiya étaient scolastiques en notre pro-province Saint-Pie-X; et trois autres jeunes filles se disposaient à entrer au Noviciat. À Kasiya, deux religieuses irlandaises vinrent prendre la relève de la belle école commerciale. Enchantées d’y trouver une œuvre si bien tenue et si prospère, ces religieuses ont su témoigner leur admiration et leur reconnaissance à notre Congrégation 159. À Monzes, le père Keenan ne pouvant seul former une vingtaine de catéchètes et tenir en même temps sa paroisse, il a dû fermer son Centre catéchistique. Le jour de notre départ, écrivait sœur Germaine Boulay, un Père jésuite vient dire la messe dans notre chapelle. Il est accompagné d’une Sœur irlandaise car il ne veut pas que nous, les Sœurs d’Ottawa, ayons à mettre la clé dans la serrure. Et les bons Jésuites sont là pour nous saluer 160. Ce départ a eu lieu au mois de décembre 1972. C’est une peine profonde et une frustration pour nos sœurs missionnaires que de fermer une mission où elles travaillaient ferme dans l’immédiat et voyaient progresser une œuvre qui leur était chère. Ce n’est pas moins pénible à l’autorité majeure qui, devant la perspective élargie de toute la Congrégation, se voit obligée, par manque d’effectifs, de retirer ce qu’elle avait d’abord offert dans l’espérance. Mais il est immense, le champ à moissonner; et si nos ouvrières vont travailler ailleurs, c’est dans le même champ et pour bâtir la même Église. La réalisation du projet de Lilongwe Le projet d’ouvrir une maison à Lilongwe est revenu en 1973, à la demande de Mgr Patrick Kalilombe, successeur de Mgr Joseph Fady. 159Information reçue de sœur Marie Leclerc, missionnaire. 160Information reçue de sœur Germaine Boulay, missionnaire. Chapitre cinquième — 163 L’évêque sollicitait l’établissement d’une communauté des Sœurs de la charité d’Ottawa à Lilongwe dans l’espérance que trois sœurs, préférablement des Africaines, s’y dévouent à la pastorale urbaine, au Chimitu Church Center. Il importait que l’une des trois s’y prépare en suivant un cours spécialisé en pastorale urbaine, à Naïrobi, Kenya. Le Conseil pro-provincial était disposé à accéder à la requête de l’évêque, vu que des sœurs terminant des études en fin d’année 1973 reviendraient à l’action. La Direction générale autorise la fondation et, bien que l’évêque ne demandait qu’un prêt de 12 000 $ à la Congrégation, elle exprime son intention de solder totalement le coût de la construction du couvent et d’en faire don au diocèse, comme participation à la pastorale de Lilongwe. De plus, [la Congrégation] offre aux trois sœurs destinées à la pastorale d’entreprendre les études appropriées, s’engageant à en payer les frais 161. Cependant, vu les circonstances, une seule est envoyée au cours de pastorale urbaine : sœur Juliana-Agnes (Salome Banda) qui, dans une expérience très positive vécue avait manifesté ses aptitudes à ce genre d’apostolat exigeant. Puis, un petit couvent pouvant loger quatre sœurs est peu à peu construit à Lilongwe. La communauté est constituée au mois d’août 1975 : sœur Mary Eugenia, supérieure et conseillère pro-provinciale 162, sœur Juliana-Agnès, qualifiée en la matière, et sœur Ermina Nkwazi, scolastique initiée à cet apostolat, formeraient le trio pastoral 163; la quatrième soeur était une éducatrice de Ludzi, sœur Agnes Eneya, Headmistress à l’École primaire des filles, venait d’être promue au poste de Tutor au National College de Lilongwe 164. La bénédiction officielle du couvent a eu lieu le 21 décembre 1975, sous le vocable de Marguerite-d’Youville, par Mgr Patrick Kalilombe. L’espérance qui avait présidé à l’ouverture de cette maison n’a pas été suivie de consolantes réalisations. Nos chères sœurs 161ASCO – Afrique, Procès verbal, 73 – 45, 24 septembre 1973. 162ASCO – Afrique, Procès verbal, 75 – 26. 163Liste des nominations. 164ASCO – Afrique, Chroniques Ludzi, Pro-province, House Of Scholasticate, 26 septembre 1975. 164 — Chapitre cinquième africaines connurent d’insurmontables difficultés. À l’automne de 1977, elles n’étaient plus que deux pour tenir à la tâche. Et comme, à ce moment-là, il ne se trouvait pas d’autres sujettes suffisamment préparées à la pastorale urbaine, la communauté est retirée de Lilongwe pour un temps indéterminée 165. Une fois de plus, les sœurs de la région Saint-Pie-X expérimentaient dans la peine la vérité de la parole d’Évangile : « La moisson est grande; mais les ouvriers, peu nombreux. » (Mt 9, 37) L’œuvre des hôpitaux Entre 1968 et 1980, l’œuvre caritative hospitalière, se poursuit en progressant, au Malawi et en Zambie. Dans les hôpitaux de Guilleme, de Ludzi, de Mpanshya, les sœurs infirmières et leurs aides se dévouent à pleine capacité physique, à plein courage et à plein cœur compatissant, dans la foi aux paroles de Jésus : « Guérissez les malades et dites-leur : Le Règne de Dieu est arrivé jusqu’à vous. » (Lc 10, 9). De plus, elles se dévouent aux cliniques des villages environnants. Et partout sur leurs chemins, elles rencontrent des pauvres qui leur tendent la main. À travers leurs difficultés et leurs fatigues, elles reçoivent du Seigneur les consolations qu’elles apportent aux démunis. À Guilleme et à Ludzi Dans son volume d’histoire de la Congrégation : Les Sœurs grises de la croix d’Ottawa, sœur Paul-Émile note par un simple trait, le début de notre œuvre hospitalière à Guilleme, en 1946 : « Au dispensaire, dans une hutte en torchis, sœur Marie-Jacques fait déjà beaucoup de bien ». 166 Il est bon de rappeler que ce jugement porte sur la situation de la mi-mai, alors que les quatre fondatrices de la mission ne sont arrivées à Guilleme que 1e 16 mars précédent, et que sœur MarieJacques, la préposée aux soins infirmiers, est l’une des quatre sœurs. 165ASCO – Afrique, Délibérations du Conseil général, Procès verbal, 77 – 38. 166ASCO – Afrique, p. 239. Chapitre cinquième — 165 Et il est impressionnant de lire aux chroniques de Guilleme, la description du très pauvre dispensaire déjà établi à la mission des Pères Blancs d’Afrique : Attenant à la cuisine, il y a une cabane en paille, dont le toit est soutenu au milieu par un tronc d’arbre. Aucune fenêtre; au milieu, un banc de terre : c’est le dispensaire. Les poules et les coqs y ont accès à toute heure du jour. La supérieure des sœurs indigènes et Maria, la femme du Supervisor, y soignent les quelques malades qui s’y rendent tous les matins 167. Comme celui de Guilleme, l’hôpital de Ludzi a commencé par un modeste dispensaire dès l’arrivée des Sœurs missionnaires en ce lieu, en septembre 1949 : Sœur Marie-Marguerite (Germaine Boulay) et Marie-Mastaï (Emérilda Lafond) venaient directement du Canada; l’infirmière en charge était sœur Marie-Jacques (Albertine Brisson); elle quittait alors Guilleme où elle avait œuvré pendant trois ans, et s’était familiarisée avec la langue de la région, le cinyanja. Les Chroniques de Ludzi ne décrivent pas le dispensaire qui attendait les sœurs, mais elles rapportent un fait assez signifiant : l’arrivée du premier blessé. C’est un indigène; il a la tête et les bras affreusement lacérés par un léopard. Déjà, on a recourt à sœur Marie-Jacques pour donner des soins à un blessé. Cette bonne Sœur veut bien rendre service, mais elle ne possède pas encore ce qu’il faut pour un dispensaire. Avec son habileté et sa bonne volonté, elle parvient à faire un pansement convenable et le patient est conduit à l’hôpital du Gouvernement, sur la motocyclette du père Raymond Tremblay 168. Dix ans plus tard, en mars 1959, la Supérieure générale de l’époque, Mère Saint-Paul, visite les deux maisons. Elle constate qu’à Ludzi, l’humble dispensaire est devenu un hôpital d’une capacité de 30 lits : l’hôpital Saint-Joseph. À Guilleme, le dispensaire a fait place 167ASCO – Afrique, Chroniques Nyassa – Ludzi, 1946, p. 9. 168Loc. cit., 18 septembre 1949. 166 — Chapitre cinquième à l’Hôpital Saint-Michel, d’une capacité de 43 lits, « où 4 297 patients ont été soignés en 1958, alors que 8 303 autres recevaient des soins au dispensaire. Les maladies tropicales font beaucoup de victimes en cette zone de brousse équatoriale 169 ». Les hôpitaux de Guilleme et de Ludzi sont au service du diocèse de Lilongwe. Ils appartiennent à la Congrégation des Sœurs de la charité à Ottawa; mais advenant que les sœurs quittent ces missions, ils reviendront à l’évêque du lieu. Grâce au soutien communautaire, ces hôpitaux ont été rénovés, agrandis, et des maisons convenables pour loger le personnel ont surgi. Sœur Marie-Jacques a souvent surveillé les constructions et guidé des projets de réparation 170. Le Conseil œcuménique des Églises, États-Unis (Christian Council of Churches, U.S.A) leur procurait occasionnellement des fournitures médicales très appréciées : articles nécessaires aux pansements, pièces d’équipement médical. Dans le même pays, à environ 15 milles l’un de l’autre, les hôpitaux de Guilleme et de Ludzi reçoivent les secours des mêmes sources et se développent parallèlement selon les circonstances et les besoins des milieux. Voici le plan de l’Hôpital de Guilleme 171, un tracé que sœur Jeannine Montour envoya avec ses vœux de Noël 1967, aux parents et amis afin de les initier à son nouveau projet apostolique et milieu de vie. En 1968, l’Hôpital Saint-Michel de Guilleme est rénové et devient ainsi plus fonctionnel et sécuritaire. Il est à noter que dans plusieurs de nos missions, faute de matériaux adéquats, les services hospitaliers sont organisés tout autour du corps principal construit de plain-pied, auquel on ajoute une ou deux ailes. C’est ce qui existe à Guilleme. Au fur et à mesure des besoins et des ressources, on élève sur le terrain des maisons appropriées, pour la surveillance prénatale, une hôtellerie pour les parents 169Loc. cit., p. 311-312. 170Note de sœur Mariette Séguin, cahier bleu p. 1-2. 171Le plan du couvent, de l’hôpital, de l’école et du pensionnat, Malawi. Chapitre cinquième — 167 aidant leurs malades hospitalisés, et d’autres devant loger le personnel infirmier. Nous n’avons pas la description détaillée de ce qu’était l’Hôpital Saint-Joseph de Ludzi en 1968; mais il a aussi certainement évolué. En 1972, il est devenu insuffisant à accueillir et soigner convenablement la clientèle qui s’y présente. Et voici qu’en juin de cette année, la supérieure générale mère Marcelle Gauthier et l’économe générale, sœur Marie-Anne Martel, s’amènent visiter la mission de Ludzi. Elles sont touchées d’une généreuse compassion en constatant l’état de l’hôpital 172. Fruit de leur passage : le Couvent Sainte-Famille qui abritait les infirmières, les enseignantes et d’autres sœurs préposées à différentes tâches apostoliques ou au service communautaire d’entretien, changera d’objectif; il sera désormais affecté au soin des malades; et cela, dès le mois de juillet. La communauté des religieuses ira donc résider à la Maison pro-provinciale Saint-Pie-X. Le 1er juillet, jour de la fermeture du couvent, il y a fête d’adieu. Toutes les sœurs de la pro-province sont invitées à prendre part à 1’Eucharistie célébrée par le père Luc Lefief, pb, du Séminaire de Kachebere. La chronique qui rapporte l’événement débute par ces mots : « Jour de joie. Jour de grand sacrifice. Jour d’action de grâce ». C’était le thème de la très belle homélie du célébrant en la circonstance. De fait, c’était la joie de voir progresser l’œuvre de l’hôpital; c’était, pour les sœurs, le sacrifice de quitter leur cher couvent de fondation, sacrifice, témoignage de pauvreté en faveur de l’Église missionnaire; c’était l’action de grâce 173 pour tous les bienfaits reçus et l’œuvre accomplie par celles qui, au cours de 23 ans, avaient vécu dans cette maison. Durant la période qui nous intéresse en cet ouvrage (1968-1980), les infirmières qualifiées qui ont dirigé l’Hôpital de Guilleme et y ont prodigué des soins furent : Sœurs Marie-Jacques (1968-1973) (19791980), Jeannine Montour (1968-1976), Aline Lavigne (1976-1980). 172ASCO, Chroniques Ludzi, juin, Pentecôte 1972. 173Loc. cit., 1er juillet 1972. 168 — Chapitre cinquième À Ludzi, c’était : Sœurs Jacqueline Deslauriers (1968-1974), Aline Lavigne (1969-1975), Marie-Jacques (1974-1978), Raymonde Gratton (1978-1980), Mariette Séguin (1979-1980). Mentionnons aussi sœur Albertine Beaudoin qui, de l’École secondaire Sainte-Monique de Chipata (Zambie) passa à l’Hôpital de Guilleme et y rendit de nombreux services au laboratoire, aux soins des prématurés, à la pharmacie, à la comptabilité de l’hôpital et du couvent, aux années 1973 et 1974, et occasionnellement par la suite 174. La surveillance médicale de ces deux hôpitaux était assurée par le médecin de l’Hôpital du district de Mchinji. Il visitait les malades traités pour troubles sévères, à la demande de l’infirmière et sur une base régulière mensuelle ou hebdomadaire. Les sœurs collaboraient avec le personnel diversifié des Services de Santé publiques à proximité : 1’Hôpital de Mchinji, la Clinique externe de Tembwe, sise à un mille de l’Hôpital de Guilleme et tout au bord de la route internationale Mozambique, Malawie, Zambie; la 1éproserie nationale, Kochirira, située à mi-chemin entre nos deux institutions, à quelque 7 milles de l’une et de l’autre, qui logeait le laboratoire et une salle d’opération où les césariennes de Guilleme, étaient pratiquées et le Rayon X. Voici un aperçu intéressant de l’évolution rapide des soins médicaux des hôpitaux du Malawi et de leurs services élargis que nous tenons de sœurs Jeannine Montour et Mariette Séguin, missionnaires infirmières en Afrique Centrale (Malawi et Zambie), au cours de la période 1968-1980 175. À la suite d’une étude extensive des conditions de vie dans les pays en voie de développement, étude poursuivie dans les années ‘60, le docteur Maurice King, épidémiologiste anglais, a publié un ouvrage considérable, très à point, qui interpella les intervenants en santé. Au Malawi, des responsables d’hôpitaux de mission décident alors d’élaborer un programme d’action orienté vers la recherche 174Liste des nominations. 175Entretien et Lettre de Noël 1975 : sœur Jeannine Montour; Notes de soeur Mariette Séguin. Chapitre cinquième — 169 des moyens de combattre effectivement « les trois grands ennemis du pays : la pauvreté, l’ignorance et la maladie ». Au début de 1967, ils demandent l’assistance du Conseil Oecuménique des Églises. Ce Conseil délègue auprès d’eux l’Américain Jack Leshaff. Collaborant avec le ministère de la Santé, celui-ci organise le regroupement de toutes les institutions non gouvernementales, de quelques dénominations qu’elles soient. On y élabore un programme de formation du personnel soignant, programme tourné vers la médecine préventive et l’éducation populaire relative à la santé. C’est la naissance de PHAM. PHAM : Private Hospital Association of Malawi Ensemble, institutions gouvernementales et missionnaires se lancent dans un méga-projet qui vise à inverser complètement le ratio actuel de 85 % de soins curatifs et 15 % de soins préventifs, au cours des quinze prochaines années. Les hôpitaux de Guilleme et de Ludzi se sont engagés dans ce projet, et ce fut la métamorphose des modes de soins hospitaliers. Partout et simultanément, on se met à informer la population. Le ministère de l’Éducation adopte des programmes académiques concordants et exige la formation des éducateurs. Au personnel hospitalier, PHAM offre des sessions sur les méthodes d’enseignement populaire, sur les moyens de prévenir les maladies parasitaires, celles de l’enfance, ainsi que sur leurs traitements efficaces. Une vaste campagne de vaccination se met en branle pour enrayer le fléau dévastateur des maladies infectieuses infantiles : rougeole, polio, coqueluche, etc. Les cliniques infantiles où chaque enfant âgé de moins de cinq ans reçoit sa charte de croissance, se multiplient au pays. Afin de mieux connaître les rouages de PHAM, sa valeur internationale, ses membres et l’aide qu’on en reçoit, sœur Jeannine Montour accepte d’être membre de ce consei1 d’administration. Cette responsabilité a eu le bon effet de diriger les regards vers la pointe ouest du pays : le district de Mchinji, là où nos sœurs œuvraient isolément depuis 20 ans : à Ludzi et Guilleme. Ces centres ont été 170 — Chapitre cinquième visités, classifiés et bien cotés. On invite les infirmières responsables des unités de maternité à se qualifier comme sages-femmes pour mieux assumer les soins obstétricaux, périnataux, et être en mesure, de repérer à temps les cas qui exigeraient une assistance médicale. En 1969, la clinique infantile de Guilleme est lancée. Les infirmières participent à la campagne massive de vaccination et d’éducation populaire. Cette éducation se donne au début de chaque clinique maternelle, infantile et médicale. Les intéressés doivent d’abord écouter l’enseignement, assister à des démonstrations de nutrition et, ensuite, lors de l’examen et du traitement, recevoir les conseils propres à leur condition. De mars 1971 à mars 1972, sœur Jeannine Montour, pour répondre aux exigences de sa tâche, poursuit sa formation obstétricale et néo-natale en Écosse; elle en revient sage-femme licenciée, tout enthousiaste devant les perspectives de l’avenir. Avec le temps, la tenue des cliniques de maternité et de soins infantiles devient onéreuse à cause du grand nombre de femmes qui s’y présentent. Pour répondre à la demande du milieu, le personnel de l’hôpital décide alors de suivre le projet élaboré lors d’une rencontre des responsables des Unités de Santé du district : établir des cliniques mobiles, à des endroits stratégiques déterminés, et s’y présenter aux quatre semaines pour les enfants, aux deux semaines pour la clinique pré-natale et les nouveaux-nés plus faibles et fragiles. Ainsi naît la clinique de Nkwazi, à une vingtaine de milles de la mission. Bientôt, PHAM régionalise les institutions suivant les diocèses, afin d’essayer de régler localement les problèmes mineurs et de faire la lumière sur ceux qu’on doit référer à PHAM; ainsi prend forme le Conseil médical diocésain. Sœur Jeannine Montour y est élue secrétaire et, par la suite, d’autres Sœurs de la charité d’Ottawa rempliront cette fonction. Une employée habile en enseignement, particulièrement accueillante et dévouée, Alexina Kang’ombe, est envoyée par l’hôpital pour se qualifier comme Home Craft Worker. Une autre dame possédant cette formation et mère de six enfants, vient demander du travail à l’hôpital. Ces deux aides conseilleront Chapitre cinquième — 171 avantageusement les mères de famille dont les besoins dépassent encore le désir de savoir. Sœur Jeannine Montour se sent gratifiée de la Providence par le renfort de ces deux femmes formées en Service social. Elles se joignent au personnel infirmier de l’hôpital : la sage, aimante et infatigable sœur Marie-Jacques, sœur Albertine Beaudoin, administratrice, technicienne de laboratoire, toute compatissante pour les nouveau-nés et, en plus, enseignante de carrière; ainsi qu’une assistante médicale appréciées, Isabel Kangwere; Florida, sagefemme « traditionnelle » très expérimentée; des aides responsables et dévouées; et elle-même Directrice (ou matrone) de l’Hôpital de Guilleme. Elle prévoit qu’augmenté le nombre et la qualité, ce personnel pourra s’employer plus adéquatement à la promotion de la santé des familles. Sœur Jeannine connaît d’ailleurs les dispositions du ministère de la Santé et Bien-être social qui veut éveiller et stimuler chez les gens, le désir de développer leur coin de pays, d’y trouver leur subsistance et parvenir ainsi à éliminer bien des obstacles à leur progrès et leur qualité de vie. En effet, au pays, il advient trop souvent que des aliments de première qualité cultivés aux villages : arachides, fèves, pois, etc., sont vendus aux marchés d’exportation, alors que de nombreux enfants souffrent de déficience protéïnique, et d’autres meurent de faim. Convaincue que des trois ennemis majeurs à combattre au Malawi : la pauvreté, la maladie et l’ignorance; le plus néfaste, c’est l’ignorance, puisqu’elle conditionne grandement les deux autres et les maintient. Confiante dans le projet de PHAM et encouragée par le Comité médical diocésain, elle est supportée par un personnel intéressé et dévoué. Sans négliger l’activité des unités curatives de l’hôpital et des cliniques externes, elle fait multiplier les heures d’enseignement de l’hygiène préventive. Mais ce n’est pas facile : il y a des femmes qui n’assimilent pas toutes les explications données; il y en a d’autres qui n’y croient pas. Il y a tant de défis à relever : les 172 — Chapitre cinquième coutumes, les influences du milieu, les tabous. L’ignorance est indescriptible chez nos gens : 90% sont illettrés. Sœur Jeannine est alors inspirée d’adopter un mode d’enseignement plus effectif; ce sera par l’enseignement des principes de la bonne nutrition et de l’hygiène alimentaire, et d’en assurer le suivi expérimental par l’apprentissage de la culture des plantes riches en vitamines et protéines nécessaires, à la croissance d’un jeune enfant. Le suivi se réalisera aussi par l’enseignement pratique des sciences domestiques : art culinaire, tenue d’une maison, couture et artisanat, conditions de salubrité des habitats de la famille, ne fût-ce qu’une modeste hutte. Plusieurs exigences sont requises par ce projet. Pour recevoir cet enseignement régulièrement et avec expériences valables, il faut que les mères demeurent à proximité de l’hôpital ou puissent s’y rendre facilement; pour cultiver les plantes propices à la saine nutrition, il faut posséder un terrain convenable à travailler, enrichir, ensemencer, et y favoriser la production. L’enseignement des sciences domestiques exige un local approprié et l’équipement nécessaire; il faut des responsables et des enseignants habilités à leur tâche. Il faut aussi que la population du milieu soit sympathisée à l’entreprise et consente à y collaborer. NURU (Nutrition Rehabilitation Unit) Et voici que l’hôpital de Guilleme, élabore son propre projet d’éducation sanitaire : ce sera un centre de réhabilitation nutritionnel où la mère dont le petit est décelé en déficience PCM (protéine-caloriemalnutrition) en clinique infantile, viendra demeurer environ trois semaines avec son ou ses enfants de moins de cinq ans. Ce centre sera désigné par le sigle anglais : NURU : Nutrition Rehabilitation Unit. Une travailleuse sociale sera chargée d’y concilier la vie villageoise avec le soin intensif de l’enfant sous-alimenté. C’est tout une entreprise; mais on commencera humblement. La Providence viendra au secourir par la bienveillance des humains au cœur généreux, et on progressera peu à peu. Chapitre cinquième — 173 Et de fait, on commence. D’abord, une belle hutte en briques cuites et au plancher de ciment (ancienne morgue) était désaffectée depuis longtemps. Le grand nettoyage, le peinturage et une bénédiction solennelle ont eu raison de la réticence des gens. Ce sera désormais la maison familiale de NURU. Grâce à des dons, deux hôtelleries, vastes maisons, sont construites à la limite du terrain de la mission, par d’habiles ouvriers indigènes. L’une reçoit les aidants des malades hospitalisés, l’autre devra accueillir les femmes enceintes qui ont besoin de surveillance ou attendent l’accouchement. Pour ces édifices et les autres bâtisses du Centre de Nutrition, ce sont les élèves de la mission, à l’initiative de leur directrice, sœur Anastazia Pizaza, qui participe au projet en fabriquant les briques, à l’occasion de la semaine étudiante. Les garçons piochent la terre, la détrempent, la piétinent et la versent dans des moules. Une fois séchées, les filles transportent ces briques au site de construction. Pendant cette période, l’hôpital de Guilleme reçoit un équipement complet d’unité de maternité de l’UNICEF. Cet organisme mondial, sur présentation de nos statistiques, distribuait par PHAM, des quantités appréciables de lait en poudre, de farine de soya ou de fèves, d’huile végétale purifiée, etc., pour aider à réduire la carence alimentaire des femmes enceintes, des nourrices et des enfants. Pour cette même catégorie de personnes, nous étaient remis les antipaludiques et les vitamines. Et veillant de Là-haut sur ce beau travail d’entraide, la Providence prépare dans le secret l’ouverture « officielle » de NURU par un geste de charité collective, inattendu, inédit, de la part de tous ceux et celles qui viennent offrir leur collaboration. Nous aimons à relater ici l’événement, tellement il est significatif dans le cadre d’une œuvre social affectée au traitement des sous-alimentés. Signe de Dieu, peut-on dire. Avant que la seconde maison soit ouverte, voici que le Directeur médical du district demande à l’Hôpital de Guilleme de vouloir bien héberger de nombreux cas de malnutrition. Ce sont des réfugiés qui, fuyant le Mozambique envahi de guérillas, arrivent par centaines aux 174 — Chapitre cinquième frontières du Malawi et de la Zambie. Peut-on les repousser ? Un premier groupe de 34 arrive un soir, après souper. On les accueille dans cette seconde maison; mais elle est insuffisante... Le même secours est demandé à l’Hôpital de Ludzi qui en reçoit un autre groupe. Là aussi, on manque d’espace... Que faire ?... C’est le temps des vacances scolaires; le problème se résout par l’accueil de ces malheureux dans les écoles libérées de Ludzi. Les Sœurs doivent chanter : « Providence de Dieu, je crois en vous; j’espère en vous; je vous aime de tout mon cœur; je vous remercie de tout. » Et peut-être ajoutent-elles : « Soyez là encore pour les soins, pour l’alimentation appropriée et suffisante, et le reste... » Et voici que s’ouvre le jeu de la solidarité : nourriture, médicaments, argent et divers secours nous parviennent de PHAM. Le ministère de la Santé, nous envoie une infirmière licenciée. Celle-ci s’intègre bien à 1’équipe et l’aide à tenir bon devant le défi de prodiguer des soins de qualité à ces malades qui tombent de faiblesse. De Ludzi, la Direction pro-provinciale nous envoie le renfort d’une jeune professe, sœur Marie Priska. Les Sœurs de Kachebere au Malawi, celles de Chipata en Zambie sont très sensibilisées à ce grave problème de la faim. Elles s’informent, nous envoient des vivres et nous prêtent main-forte dans la mesure du possible. Pauvres euxmêmes, les gens de la paroisse et des environs n’hésitent cependant pas à suivre le courant de charité et renouvelle « l’aumône de la veuve » de l’Évangile. Une fille de la paroisse, Ernestina, étudiante à l’École d’Infirmières de Likuni, en congé de maternité, apporte aussi un grand secours. Cette merveilleuse entraide dura plus d’un mois. Les réfugiés confiés à NURU étaient en partie des enfants, et des 150 cas accueillis à Guilleme, une dizaine seulement sont décédés. Cet événement avait parlé haut à tous les gens du pays. Quelque temps après, un séminaire a été préparé au niveau du district pour tous les intervenants de la santé : médecins, infirmières, aides- malades, travailleuses sociales, vaccinateurs, proposées à l’enseignement sanitaire. Parmi les conférenciers invités, se trouvèrent sœur Jeannine Montour, l’assistante médicale; Isabel Kangwere, et l’initiée Chapitre cinquième — 175 en Service social : Alexina Kang’ombe. Leur expérience auprès des enfants souffrant de Kwashiorkor (PCM (Protéines – Calories – Malnutrition) et de marasme les y avait préparées, ce qui leur a valu d’être bien appréciées. Disons aussi que la communauté, de Guilleme, en élevant les critères d’emplois et en assumant le coût des études en nursing, a favorisé l’éclosion des vocations d’infirmières dans le milieu. Mentionnons quelques jeunes femmes qui, ayant bénéficié de ces avantages, se sont dévouées au soin des malades à Guilleme : Rustika, Makrina Sonkhani, Mary Masoni, Ernestina D. Gwembere. Et prenons ici l’occasion de rappeler que depuis longtemps déjà, à Ludzi comme à Guilleme, nos missionnaires aidaient financièrement de jeunes Africains, filles et garçons, à se qualifier comme infirmières, assistants médicaux, prêtres, etc. Le séminaire au niveau du district suscite une vive sympathie chez les participants et fit naître l’espoir d’organiser d’autres centres nutritionnels dont NURU deviendrait comme le village-modèle. Cependant, aux années 1972-1975, NURU n’est encore qu’à ses premières réalisations. On préfère le voir progresser lentement et adapté aux coutumes du milieu mais en surveillant attentivement l’évolution de celui de Likuni tenu par les Sœurs Blanches d’Afrique. Celui des Sœurs Medical Missionary, établi à Kasina, a été notre inspiration de départ mais nous avons préféré garder au nôtre son cachet villageois : hutte, cuisine avec mobilier et poêle, et les autres commodités essentielles à la famille, réalisable dans tous les villages. Au début de NURU, le chef du village de Gomani a permis à l’hôpital d’utiliser ses terrains pour l’enseignement des rudiments essentiels de la culture potagère nécessaire à l’alimentation des familles. La paroisse met aussi à la disposition de NURU, un terrain de cinq acres situé entre le chemin et un marais ainsi qu’un petit lac abandonné que l’on se hâte d’assainir. Ce terrain servira à la large culture du blé-d’Inde, des arachides, des tournesols et des citrouilles. Ce petit lac, creusé et ensemencé de poissons par les Pères Blancs au début de la mission. Le Collège d’Agriculture Bunda est venu visiter 176 — Chapitre cinquième le petit lac abandonné. L’ayant trouvé vidé et nettoyé se disait prêt à l’ensemencer à condition de faire la cueillette annuellement. Entre temps la pêche nous procurerait le poisson frais selon nos besoins. Un objectif d’importance capitale pour le NURU était d’aider la promotion de la femme. Sœur Jeannine Montour, de concert avec le responsable de département de l’Agriculture de Tembwe, aidée du personnel religieux et laïque de l’hôpital, organise un cours spécial dont le but était de sortir les femmes de leur état d’ignorance en leur montrant à lire, à écrire et à compter jusqu’au niveau de la quatrième année élémentaire; à cuisiner, à manier l’aiguille. Afin que les nouveau-nés partent de l’hôpital avec un vêtement qui les protège, une initiation à la couture prit place à l’Unité de maternité. Les jeunes mamans confectionnaient elles-mêmes la jaquette et le bonnet de leur bébé. À celles qui ne pouvaient se payer du neuf, on remettait du tissu usagé, bon et propre : doublures de vêtements et ornements d’Église au rebut. Par l’entremise du ministère de la Santé, on obtenait à bas prix des coupons de coton aux couleurs vives, provenant directement de la filature. NURU et son environnement servait aux démonstrateurs du département de l’Agriculture, qui se chargeait d’enseigner aux hommes du village la façon de bâtir leur aire familiale (au village). En retour, ce Département enseignait aux femmes inscrites au cours et à celles qui étaient hébergées à NURU, les techniques modernes et efficaces des cultures maraîchères, et celles d’autres produits riches en matières nutritives. En décembre 1973, on a offert aux femmes de la région des cours de sciences domestiques, répartis sur une période de neuf mois, au rythme de deux après-midi par semaine. Le cours terminé, il était loisible à ces femmes de se grouper en une sorte de club de perfectionnement. Elles se réunissaient alors une fois la semaine au NURU. Entre les rencontres, elles travaillaient chez elles les pièces de couture et d’artisanat de style africain quelles pouvaient vendre à volonté. En 1975, environ 45 femmes fréquentaient le club NURU. Chapitre cinquième — 177 Dans sa lettre de Noël 1975 à ses parents et amis sœur Jeannine Montour, tout enthousiaste et dévouée à son projet, en décrivant les activités de NURU, écrivait ceci : « un poulailler bâti à la mode des Angoni et entièrement fait de matériau local est notre dernière acquisition ». Le plan NURU était évidemment bien conçu. En fait de réalisations concrètes, il progressait, encouragé par PHAM, approuvé et favorisé par les ministères de la Santé, de l’Agriculture, du Développement et Bien-Être Social. Il restait cependant beaucoup à accomplir, particulièrement dans l’amélioration du terrain à cultiver, des potagers de familles hébergées; dans la restauration de l’étang; dans le suivi à donner au village, un enseignement méthodique des notions d’agriculture. C’est peut-être à ces exigences que sœur Jeannine faisait allusion à la fin de sa lettre de Noël 1975, lorsqu’elle écrivait : « Voilà en bref où nos efforts et notre temps sont passés. L’hôpital n’a réduit aucune de ses activités. Guilleme est une place mouvementée et nous ne sommes que trois Sœurs pour répondre à toutes les exigences de tous les métiers. » Assurément, il y avait aussi la très dévouée collaboration du personnel laïque de divers métiers et professions; mais la responsabilité de l’administration, de l’organisation des soins infirmiers à l’hôpital et aux cliniques extérieures, ainsi que la direction de l’œuvre de NURU, revenaient aux religieuses. Et les trois religieuses étaient : Sœurs Anastazia Mzaza, directrice et enseignante à l’école de Guilleme; Albertine Beaudoin, aide à l’administration, au laboratoire, au soin des prématurés et Jeannine Montour elle-même, directrice du nursing. Et qu’est-il advenu par la suite, c’est-à-dire de 1976 à 1980 ? Comme il est d’usage que nos Sœurs missionnaires bénéficient de congés de maladie, de repos ou d’études, sœur Jeannine Montour revient au Canada en juin 1976. Mais là, elle reçoit une nouvelle obédience : celle d’aller se dévouer à notre Résidence d’Youville, au Cap-de-la-Madeleine (Québec). Et elle ne retournera plus au Malawi. La même année, sœur Albertine Beaudoin était transférée de 1’Hôpital de Guilleme au Sémiaire de Kachebere. Du trio, il ne 178 — Chapitre cinquième restait que soeur Anastazia Mzaza qui devenait Supérieure de trois sujettes : Soeur Aline Lavigne, excellente et généreuse infirmière, qui passait de l’Hôpital de Ludzi à celui de Guilleme, pour y remplacer sœur Jeannine Montour; sœur Agnès Eneya, enseignante; et sœur Violetta Dault, cuisinière. Dans ces nouvelles conditions de personnel et de possibilité de rendement, on juge que ce qui était organisé à NURU suffisait aux besoins du milieu, à ce temps là. On poursuit modestement, selon ses moyens, l’œuvre du centre nutritionnel, sans toutefois en augmenter l’envergure. Si, par la suite, NURU n’est pas devenu un parfait village-modèle, il a été une courageuse entreprise pionnière qui a porté son témoignage apostolique et social 176. L’accueil des orphelins Après avoir parlé du service hospitalier des missionnaires de l’Afrique Centrale, nous ne pouvons taire une autre œuvre de secours charitable qu’elles ont poursuivie de 1946 à 1980 : l’accueil et le soin des orphelins. Et comme les débuts de cette œuvre ne sont pas relatés dans Mère Bruyère et son œuvre Les Sœurs grises de la croix d’Ottawa 177, rappelons les circonstances qui ont amené les premières jeunes orphelines à Guilleme et à Ludzi. Rappelons que notre mission de Guilleme a été fondée au printemps de 1946, et celle de Ludzi, à l’automne de 1949. Or, voici comment débute la chronique du 8 août 1946, à Guilleme : « Divine Providence, vous êtes la mère des orphelins 178 ». Un fait de plus le prouve aujourd’hui. Nous transcrivons ces pages telles quelles, afin de ne rien leur enlever de la vive impression qu’elles produisent : « Après le dîner, le 8 août 1946, nous sortons dans la cour, quand un groupe de femmes attire notre attention. C’est la cuisinière des Sisters qui tient dans ses bras une petite enfant de deux ans et demi, rachitique, 176Entretien de soeur Aline Lavigne qui a succédé à sœur Jeannine Montour. 177Paul-Émile, Mère Bruyère…, op. cit. 178Invocations à la Divine Providence. Chapitre cinquième — 179 nue comme un ver, n’ayant qu’une corde sale autour du cou, enveloppée dans une sale guenille et paraissant très malade. On lui demande qui est cette enfant : c’est sa petite nièce. Aussitôt, Sœur Marie-Jacques reconnaît ce bébé car son petit frère de dix ans qui se tenait non loin de là, en ce moment, avait l’habitude depuis quelque temps de venir au dispensaire pour la faire soigner. Sœur Marie-Jacques, prise de pitié pour cette petite, regardant son petit frère, pour rire, lui demande : « Tu ne me la donnes pas, ta petite sœur ? » Elle avait à peine fini que le petit de s’écrier : « Oh ! oui », en se sauvant et la laissant là. Nous ne le revoyons pas le reste de la journée. Ma Sœur Marie-Jacques s’empresse de donner à l’enfant les soins nécessaires et constate qu’elle fait 1040 de température. La pyorrhée a rendu ses gencives en décomposition. Toutes ses dents branlent et de purulents ulcères infectent cette pauvre petite bouche. Il n’est donc pas surprenant qu’elle pleurait du soir au matin et du matin au soir. De plus, cette pauvre enfant était orpheline de mère depuis l’âge de deux mois et abandonnée par son père, parti aux mines. Elle n’avait pour tout soutien que son petit frère de dix ans qui la portait continuellement sur son dos. Il n’avait aucune nourriture à lui donner, excepté un peu de lait qu’une femme de son village lui offrait de temps en temps. Pour lui-même, pareillement, il attrapait ce qu’il pouvait trouver autour des huttes d’indigènes. Ces enfants mouraient de faim, surtout Bénita, la petite fille. Ce jour-là, Sœur Marie-Jacques resta perplexe. Que faire de cette enfant ? Devons-nous la garder ? Ce n’était pas humain de la laisser ainsi mourir. Après l’avoir lavée et enveloppée dans une chaude couverture elle va voir le Père Supérieur pour lui demander conseil. Celui-ci de répondre que ce serait une bien grande charité de la garder, puisqu’elle était abandonnée. En plus, son père ne pourrait nous l’enlever, car quand la mère meurt, les enfants appartiennent non plus au père, mais aux parents de la mère. Dans ce cas-ci, aucun d’eux ne pouvait venir la réclamer, car tous l’avaient abandonnée. Nous décidons donc de la garder et d’écrire tout de suite à la Supérieure générale. Le lendemain, Taolino, le petit frère de Bénita, vient la voir. Celle-ci en l’apercevant se met à pleurer et veut s’en aller avec lui. Elle pleure et 180 — Chapitre cinquième crie : « Mama ine » – Ma maman ». C’était bien en réalité sa petite maman de toujours puisqu’il la portait continuellement sur son dos, même pour venir à l’école. Nous lui demandons : « Veux-tu la ravoir, ta petite sœur ? – Oh ! non, répond-il, mon dos fait trop mal ». Et, il se sauve en courant. Quelques instants après, les femmes de cour nous apprennent la suite de cette tragique histoire. Remarquant que Taolino a une large cicatrice sur la joue gauche, nous en demandons la raison. Voici ce qui est arrivé. Il y a à peine un mois, Taolino, découragé d’entendre pleurer sa petite sœur sans cesse, décida d’en finir avec cette vie de misère. Il se mit une corde au cou, monta dans un arbre et voulut se pendre, toujours avec la petite sœur sur son dos. Heureusement qu’il rata son coup et que les voisins se portèrent à son secours. Nous comprenons pourquoi maintenant il était si empressé de nous la laisser. Un noir s’amène au dispensaire le 20 août 1946. Il veut absolument voir Bénita, se disant son père. Nous la lui amenons, parée de sa plus belle petite robe. En la voyant, les larmes lui montent aux yeux. Il se met à frapper des mains et ne cesse de nous, remercier d’avoir eu pitié de son enfant. Il veut la prendre dans ses bras et l’embrasser. La scène est réellement touchante. La petite, abandonnée si jeune, ne semble pas reconnaître son père. En la quittant, il lui met 5 pence dans la main. Il nous exprime encore une fois sa plus vive reconnaissance et nous promet de nous donner son adresse dès qu’il sera rendu à Johannesburg, afin que nous puissions lui donner des nouvelles de son enfant. Voilà le commencement d’un orphelinat pour très jeunes enfants. Quant à Taolino, il fut placé chez les Pères Blancs d’Afrique 179 ». À Ludzi, deux des trois fondatrices : sœur Marie-Marguerite (Germaine Boulay) et sœur Marie-Mastaï (Émérilda Lafond), étaient arrivées le 8 septembre 1949. Sœur Marie-Jacques (Albertine Brisson) quitta Guilleme pour venir les rejoindre en octobre. Elle aménage alors son petit dispensaire qui vient tout juste d’être construit, et va jusqu’au village visiter les malades. 179Chroniques : Guilleme – Nyassa, 1946, 8 et 20 août, p. 36-37. Témoignage de soeur Dorine Desjardins (Claire-du-Sacré-Coeur); Album-photos, p. 8. Chapitre cinquième — 181 Or, un jour de janvier 1950, un homme en bicyclette s’amène au dispensaire avec, une fillette nouveau-née sur le dos. L’une de ses épouses, celle qu’il préfère, est morte en donnant naissance à cette enfant qu’il veut sauver en la donnant aux Sœurs. Après consultation auprès des Pères qui connaissent la mentalité indigène, les Sœurs acceptent le don du bébé. Sœur Marie-Jacques prend soin de lui dans sa propre chambre. Il faut aller à Port-Jameson pour trouver une nourriture de bébé, car il n’y a pas de vaches à Ludzi. Notre trésor est baptisée Lucia, du nom d’une parente, madame Lucia ThinéyéMonty, bienfaitrice canadienne qui assurera le secours matériel à la fillette. Ce fait et celui de Bénita évoquent étrangement le début de l’orphelinat de Mère Bruyère en 1845-1850. On dirait que les Sœurs de l’Afrique Centrale célèbrent, non par un spectacle artistique mais par un rapprochement de faits réels, le centenaire de l’accueil des premiers orphelins par Mère Bruyère, dans sa petite maison de la rue Saint-Patrice à Bytown. On le voit bien par ces lignes écrites de sa main à la Supérieure des Sœurs grises de Montréal, Mère Elizabeth McMullen : Aujourd’hui aussi, un riche protestant a trouvé sur sa terre un enfant de deux ans au milieu de ses champs avec les cochons et les vaches; ce monsieur a demandé à M. Bareille de nous demander de recevoir ce misérable enfant dont le père est protestant, la mère catholique, laquelle est partie avec un méchant homme pour les États. M. Bareille lui a dit que nous n’avions pas le moyen de nous charger de cet enfant mais notre Père lui a fait dire de nous l’envoyer, qu’il n’avait pas le temps de venir consulter mais qu’il savait très bien que nous partagerions notre pain avec cet orphelin. (Il s’agit de M. Hamnett Pinhey qui a trouvé une enfant abandonnée du nom de Mary Jordan) 180. 180ASCO, Lettre à Mère Élizabeth McMullen, 26 mai 1845; Jeanne d’Arc Lortie, sco, Lettres… vol.1, p. 151 182 — Chapitre cinquième Extrait d’une autre lettre à Mère Élizabeth McMullen, en octobre suivant : Ma Sœur Saint-Joseph est toujours la même (...) Elle a trois nouveaux orphelins à habiller : un petit garçon de cinq ans avec sa petite sœur qui en a six. Ils ont été trouvés dans la nuit du 10 octobre. Ces pauvres petits étaient assis dans la boue, grelottant de froid et n’ayant rien mangé de la journée. Leur mère, femme adonnée à la boisson, s’était paraît-il, embarquée pour Kingston, et le père les avait aussi abandonnés, de sorte que ces petits malheureux étaient sans asile. Ils furent amenés à notre Père qui nous en fit don. La troisième est une petite émigrée. (Il s’agit de James et Jane Ryan, et de Margaret Kenny) 181 L’histoire se répète; la même charité se poursuit à Guilleme et à Ludzi. Là où sœur Marie-Jacques est appelée à vivre, là se transporte la famille des orphelins. La liste serait bien longue de tous les actes de charité de sœur Marie-Jacques et de ses aides-missionnaires. La Providence, « mère des orphelins », s’incarne, pour ainsi dire, dans des femmes charitables. Sœur Marie-Jacques fut une véritable mère pour les jeunes enfants qu’elle a accueillis; elle en a suivi plusieurs dans la vie, qui ont fondé plus tard des foyers chrétiens et qui se souviennent avec reconnaissance de Amai Yacobe. Un album souvenir conserve plusieurs photos d’orphelins. L’une de ces photos nous présente le premier groupe : ils sont douze. On y voit Benita, la première accueillie; à ce temps, elle paraît avoir cinq ou six ans. Il y a aussi Luciano Phiri, qui semble ne pas avoir deux ans. Un jour, cet enfant est arrivé avec sa sœur, Azelina, âgée de seize ans. Ils ont perdu leur mère. Azelina n’a aucune instruction, l’école étant trop éloignée de son village. Acceptée par les Sœurs, elle commence alors à fréquenter l’école de la mission tout en s’occupant de son jeune frère. Elle devint plus tard l’une de nos premières reli181Ibid., p. 197-198, 17 oct. 1845. Chapitre cinquième — 183 gieuses du Malawi. Il y a aussi Fabiana, qui peut être âgée de six ou sept ans. Plus tard, Fabiana est devenue religieuse Clarisse, à Lilongwe. Sœur Marie-Jacques a été l’initiatrice de l’œuvre de l’orphelinat, la grande porteuse du charisme de tendresse maternelle. Et on peut ajouter qu’à Guilleme et à Ludzi, Sœurs Claire-du-Sacré-Coeur (Dorine Desjardins) 182, Marie-Marguerite (Germaine Boulay), Pierre-Paul (Jacqueline Deslauriers), Françoise-Madeleine (Madeleine Lavoie) et Sainte-Émérence (Aline Lavigne) ont été avec elle d’admirables pionnières; elles aussi ont été au même titre, sinon au même rang, des mères d’orphelins. Le groupe des orphelins comptait ordinairement environ dix ou douze enfants, les arrivants prenant la place de ceux pour qui on trouvait des parents adoptifs. À l’occasion du 25e anniversaire de fondation de nos missions de l’Afrique Centrale, les Chroniques inscrivent dans un tableau statistique que, de 1946 à 1971, nos Sœurs ont protégés 220 orphelins. 183 En 1979-1980, le Service Social étant établi au Malawi, les derniers orphelins furent placés dans des familles par les soins de ce Service. Les Chroniques de 1979 notent que Richardi, l’aîné des orphelins, part pour son nouveau foyer aujourd’hui (4 mai). Il est adopté par madame Magdalena Banda. Son compagnon, Joseph, nous quittera lundi pour Blantyre, où il sera adopté par un couple sans enfants. 184 À ce temps-là, nos missionnaires demandèrent à l’évêque du lieu s’il était à propos de recruter une Sœur canadienne dans le but de maintenir l’accueil des orphelins. À leur surprise, elles apprirent alors que l’évêque n’avait jamais été en faveur de ce nouvel apostolat. « Que la volonté de Dieu soit faite », dit la chroniqueuse. L’orphelinat de Guilleme-Ludzi était sous le patronage de saint Joseph, comme 182Nécrologie no 1618, volume 15 : Sœur Claire-du-Sacré-Cœur (Lorraine Desjardins), no de profession +1731, née en 1907, profession 1931, décédée 2000. Elle arrive à Paray (Lesotho) en 1933, comme infirmière licenciée. Puis, au Nyassaland (Malawi) de 1946 à 1959. 183ASCO, Chroniques : Ludzi, pro-province House and Scholasticate, mars 1971, p.16 184Ibid., 4 mai, 1979.. 184 — Chapitre cinquième celui de Mère Bruyère à Ottawa. Or, ce fut à la fête de saint Joseph, le 19 mars 1980, que cet orphelinat sera fermé définitivement. Les religieuses passaient leur responsabilité aux travailleurs sociaux du pays. Saint Joseph donnait-il ce jour-là à nos « mères d’orphelins », le signe de la volonté de Dieu ? 185 À Mohanshya En Zambie, à Mpanshya, 1’hôpital Saint-Luc connaît des revers après une période de progrès. D’abord simple dispensaire dans la montagne, ouvert par les Frères Hospitaliers de Saint-Jean-de-Dieu dans les années 50, SaintLuc était devenu un hôpital moderne de 60 lits, fort bien aménagé aux points de vue médical et scientifique, avec résidence pour le personnel infirmier, érigé aux frais du gouvernement central de la Zambie. Cet hôpital fut d’abord confié à un médecin polonais assisté de deux infirmières licenciées venues d’Irlande. À l’automne de 1965, à la demande de l’archevêque de Lusaka, gr M Adam Kozlowiecki, notre Congrégation avait accepté d’en faire assumer la direction par nos missionnaires et, en 1966, elle y envoya une infirmière dûment qualifiée pour en prendre charge : Sœur Barbara Aumell 186. En plus du personnel infirmier laïc en fonction, sœur Aumell était assistée d’une infirmière religieuse, sœur Françoise Gagnon, et d’une Africaine, sœur Euphrasia Cauwa. En 1967, une nouvelle infirmière canadienne s’amena : sœur Thérèse Legendre. Sœur Gagnon, ainsi que trois autres canadiennes venues les unes après les autres ne purent s’adapter, soit au pays, soit à l’œuvre à tenir, de sorte qu’en 1973, la communauté n’était encore que de trois membres : Sœurs Aumell et Legendre, et une compagne africaine, sœur Azelina Likisho Phiri. 187 Avec les années et grâce aux subventions du gouvernement, l’Hôpital Saint-Luc compta 72 lits, ce qui était insuffisant, car on 185Ibid., 19 mars, 1980. 186ASCO, p. 367. 187Liste des nominations, 1967-1973. Chapitre cinquième — 185 admettait les patients jusqu’à la centaine; et quand il n’y avait plus de place, on installait les derniers venus sur des nattes à côté des lits occupés. C’était un hôpital catholique; mais des gens de toutes confessions religieuses y étaient accueillis. Opérations d’urgence et césariennes étaient pratiquées à l’hôpital même; les cas difficiles étaient référés à l’Hôpital de Lusaka, à 110 milles de Mpanshya 188. L’ensemble des bâtiments comprenait l’hôpital proprement dit, une « maison des pauvres », des résidences pour le personnel infirmier et les employés, ainsi que le couvent. Saint-Luc était aussi un hôpital de dépannages pour ainsi dire, en raison des nombreux accidents qui survenaient le long de la route qui y passait, route sinueuse bordée d’escarpements très dangereux à la tombée de la nuit, et que les gens avaient surnommée The Hell Run. Souvent, entre dix heures du soir et deux heures du matin, un klaxon d’autobus retentissait sans arrêt, faisant écho dans la jungle endormie. Qui pouvait l’entendre en connaissait la cause et savait ce que l’autobus nous amenait. Alors, on mettait en fonction le dynamo d’électricité et vite médecin, infirmières aides, techniciens de laboratoire et de radiologie accouraient à l’hôpital, et ce personnel faisait face à une cinquantaine de blessés en pleurs, en douleur, en émoi. Quel spectacle ! Et cela arrivait souvent. Sœurs Barbara Aumell et Thérèse Legendre ont vaqué généreusement et avec beaucoup de savoir-faire aux soins infirmiers de cet hôpital. Le Docteur Kenneth Rankin, chirurgien orthopédiste à l’Hôpital Universitaire de Lusaka, venait pour les interventions chirurgicales. Il opérait souvent des enfants souffrant de poliomyélite et voyait à ce qu’ils soient munis de béquilles, de bottines ou prothèses spéciales selon les cas. 189 188Notes de sœur Mariette Séguin. 189Notes de sœur Mariette Séguin, cahier, p. 19-20 186 — Chapitre cinquième La maison des pauvres Un nombre imposant d’enfants atteints de polio ont trouvé logis, nourriture et soins à la « maison des pauvres » faisant partie du campus, sous l’œil maternel d’une Sœur de la charité d’Ottawa, sœur Albertine Beaudoin, et d’une dame africaine qui demeurait continuellement avec eux. On gardait là aussi des handicapés adultes, des malades incurables, même des lépreux. Sœur Mariette Séguin nous a laissé comme un tableau instantané de ce refuge émouvant où une plaque apposée au mur de façade témoigne encore du zèle qui s’y est déployé. « Vous entrez. Vous vous trouvez comme dans un atelier. Vous apercevez, suspendue près du crucifix, l’image de Mère d’Youville qui regarde avec amour ses protégés. Un lépreux, M. Knife, avec ses moignons usés, fabrique de magnifiques paniers en jonc, des œuvres d’art, quoi. Assise non loin de lui, une aveugle s’adonne au même travail. De l’autre côté, quelques jeunes gens, abîmés par les ravages de la polio, cousent habilement à une machine manuelle, qui des vêtements à réparer pour l’hôpital, qui du linge à vendre. Que de jeunes handicapés ont reçu ici une aide médicale secourable, ont appris un métier. Ils oublient leur infirmité car ils l’ont dépassée, et ils travaillent dans la joie, une joie communicative qui fuse de partout. Ils demandent si peu à la vie; que leur importe le lendemain ? Aujourd’hui se suffit, à lui-même. Ils ont une mère en qui ils mettent leur confiance sans pouvoir toujours la nommer : c’est la Mère Providence... Et les mains, et le cœur de cette Providence, ce sont les personnes compatissantes qui les entourent de leur sollicitude ». 190 Les cliniques de brousse Parlons maintenant des cliniques de brousse. Le but de ce service médical est de secourir les malades très éloignés des centres médicaux organisés. Huit cliniques ont été ouvertes par les pionnières de 190Notes de sœur Mariette Séguin, cahier, p. 24-25. Chapitre cinquième — 187 l’heure, sœurs Barbara Aumell et Thérèse Legendre : cliniques prénatales et cliniques d’enfants. Des infirmières anglaises, irlandaises, hollandaises collaboraient avec les Sœurs pour maintenir ce service. Une Canadienne, Louise Ringuette, s’y est vaillamment dévouée en l’année 1967-1968. On se rend une fois le mois à ces cliniques. C’est à Lukenipa, à 15 milles de Mpanshya; à Luangwa, à 40 milles; à Chenyunyu, à 60 milles; à Chimsanya, à Shikabeta, à Chipeketi, dont on n’a pas la distance exacte, mais qui sont éloignées; à Mboshya et Chomba que l’on atteint après trois heures de trajet en jeep. Décrivons la r andonnée vers ces deux dernières : On se met en route à trois heures de la nuit dans la montagne, par un chemin ardu, rocailleux, tortueux. La faune fait partie du décor : il n’est pas rare qu’à la lueur des phares de l’auto, un léopard nous salue au passage. Les porcs-épiques peuvent aussi nous lancer des aiguilles longues comme des crayons, et un lion courir après la jeep. Vers six heures du matin, on arrive à un point de la rivière Luangwa qu’il faut traverser pour se rendre à Mboshya. Les passagers se sentent quelque peu exténués; on s’installe pour déjeuner, en silence : pourquoi donc ? C’est que ce cours d’eau abonde d’hippopotames et de crocodiles. Déjà où la pirogue doit passer, on voit le dos de plusieurs hippopotames. Notre conducteur lance habilement des cailloux pour éloigner les bêtes, car elles aiment à faire chavirer les embarcations : l’histoire en fournit des preuves. Gare aux mains qui touchent l’eau ! Ce serait un appât pour le roi de ces eaux profondes : le crocodile. Avec une seule rame, debout, l’Africain maintient son équilibre et fait avancer la pirogue, laquelle est un tronc d’arbre creusé. À genoux, la Sœur de la charité et son aide espèrent traverser sans entraves. Que d’avés récités pendant la traversée ! On arrive. La descente se fait en dix minutes. De l’autre côté, d’où nous sommes partis, la jeep est encore là, avec son chauffeur, M. Sopo, soeur Azelina Phiri et une aide qui nous ont regardés traverser. Eux, ils se rendent à Chomba pour une clinique d’enfants. Pour nous qui nous rendons à Mboshya, c’est une marche à pied de 4 à 5 milles qui commence. Il est environ 7 h 30. Nous suivons un sen188 — Chapitre cinquième tier où l’on peut percevoir des traces d’éléphants, où des chasseurs habiles peuvent distinguer celles d’un lion ou d’un léopard. Nombre de mouches tsé-tsé tournoient autour de nous, nous piquent comme des guêpes et se régalent de notre sang. Bientôt on fait halte à une longue bananerie. Et voilà un autre cours d’eau qu’il faut traverser, non en pirogue ni à pied sec, mais à pied fort car l’eau nous monte parfois jusqu’à la taille. Plusieurs mères portant leurs enfants nous accompagnent en direction de la clinique. C’est une sécurité pour nous, car certaines d’entre elles pourraient détecter le crocodile si appréhendé et qui s’y trouve en nombre. C’est toujours un risque que d’entreprendre cette traversée. Enfin, on arrive; nos malades nous attendent, réconfortés de nous voir. Toute la journée, nous essayons de trouver « leurs bobos »; nous leur donnons soins, remèdes et conseils, en pensant au Jésus de l’Évangile qui parcourait le chemin des pauvres et guérissait les malades. Vers 16 heures, il nous faut nous retrouver sur la rive de la Luangwa. De l’autre côté, l’équipe de Chomba doit nous attendre, ou nous l’attendrons. Elle surveillera notre traversée de retour. Cette traversée devant témoins, c’est un pacte entre nous, car le pire peut arriver : la pirogue est légère et les crocodiles sont de patients guetteurs de proies. La jeep reprend le chemin de Mpanshya, pleine à craquer, car nous ramenons des malades avec nous. La randonnée en valait bien la peine. La Providence qui a pris soin de nous là-bas, nous accueille à Saint-Luc, à 20 heures... et nous fait goûter la joie d’avoir secouru les petits du Seigneur. Quelle charité-compatissante ! Un hôpital achalandé, cliniques de brousse, aide aux handicapés, voilà ce que fut la caractéristique très vivante de l’Hôpital SaintLuc. Ce fut comme une réplique du service des pauvres de Mère d’Youville, et de Mère Bruyère, une facette du travail apostolique des Sœurs de la charité d’Ottawa, dans les années 1966-1978. On soignait les corps mais on ne délaissait pas les âmes à Mpanshya. Signalons la très grande contribution pastorale de sœur Seraphina Banda, particulièrement dans la préparation des catéChapitre cinquième — 189 chumènes au baptême. Une boîte, de revues catholiques, de livres sur différents aspects de la foi était à la disposition des patients. Habituellement, au cours de la semaine, le Père missionnaire disait la messe à l’hôpital, surtout le samedi quand l’horaire de la liturgie paroissiale le permettait. Et quand, le dimanche, il était parti aux succursales pour y célébrer l’eucharistie, visiter malades et bien portants, sœur Séraphina animait une célébration de la Parole à la mission. Que de choses édifiantes accomplies dans la simplicité et la pure charité ! Seul le Maître les a vues et bénies ! Que tout ce bien demeure sa gloire ! 191 Les revers Au début de ces paragraphes sur l’évolution de Saint-Luc de Mpanshya, nous avons parlé de revers. C’est que, soudainement, à la fin de l’année 1973, nos deux missionnaires canadiennes se trouvant dans une impasse, demandèrent et obtinrent permission de retourner au Canada. 192 Ce départ subit posa à l’autorité majeure le problème, soit de retirer la communauté de l’Hôpital Saint-Luc, soit d’y renouveler le personnel. Devant la difficulté de trouver la relève suffisante, Mère Générale a exposé le cas au nouvel archevêque Mgr Milingo, en février 1974, et lui a exprimé son intention de retirer les Sœurs de l’hôpital dont il pourrait transférer la direction à une autre congrégation. 193 Mgr Milingo a été très déçu; et en attendant qu’une nouvelle congrégation soit trouvée la Direction pro-provinciale a reconstitué d’urgence une communauté provisoire. Au printemps de 1975, Mère Marcelle Gauthier délègue deux assistantes générales en visite canonique en Afrique Central : Sœurs Cécile Caron et Cécile Paradis. Celles-ci visitent toutes les maisons de la région; elles étudient spé- 191Notes de sœur Mariette Séguin, cahier bleu, p. 22-26 192ASCO, Procès-verbal, 93-51, p. 275-276 193ASCO, Procès-verbal, 74-8, p. 3-4; 74-10, p.3 190 — Chapitre cinquième cialement la situation de l’Hôpital Saint-Luc dont elles rapportent une vision positive. Voici un résumé de leur rapport : Nous avons trouvé là une communauté locale de six Sœurs dont la Supérieure est une Africaine : Sœur Azelina Likisho. Avec elle et nos deux infirmières canadienne : Sœurs Thérèse Duclos et Mariette Séguin, trois autres Africaines composent cette communauté sœurs Seraphina Wiscoti Banda, Lucencia Kùtwi et Anna Maria Banda. La situation nouvelle est favorable à la vie religieuse, favorable aussi au triple apostolat du milieu : celui de l’Hôpital, celui de la maison des pauvres où le charisme de compassion se manifeste de façon émouvante, et celui d’un service de pastorale exercé par sœur Azelina dans les neuf postes qu’elle visite. Il y a une bonne vie de prière, un climat fraternel, de l’ouverture, de l’entraide. Tout en faisant effort pour maintenir le personnel requis, nous pouvons compter, en Zambie, sur une association qui s’occupe de recruter des aides qualifiées. On peut prévoir que l’État prenne un jour l’hôpital; mais cela se fera par la force des choses et, alors, on ne laissera pas les gens dans la misère comme on le ferait présentement, si les Sœurs quittaient les lieux. Actuellement, elles sont disponibles, mais dans l’alternative qui se prolonge : celle de quitter Mpanshya ou d’y demeurer, elles entretiennent une certaine inquiétude qu’une décision du Conseil général apaiserait. 194 Après réflexion, échange et prière, le Conseil général a décidé de maintenir notre service apostolique à l’Hôpital Saint-Luc, jusqu’à ce que la Providence lui indique autre chose. 195 Et les Sœurs tiennent le coup pendant trois autres années. 194ASCO, Rapport des visitatrices, printemps 1975. 195ASCO, Procès-verbal, 75-23, p. 68-69. Chapitre cinquième — 191 En 1978, cinq Africaines et une infirmière canadienne, sœur Mariette Séguin, avaient ouvert à cet hôpital de 65 lits où l’on accueille parfois jusqu’à 100 patients, en disposant matelas, oreillers et couvertures sur le plancher. Lourde est la tâche; toutefois, nos Sœurs jouissent de la sécurité d’avoir un médecin résidant à 1’hôpital; et s’il vient à s’absenter, une religieuse médecin vient de Katondwe visiter les malades, en tournée organisée ou sur appel. Cette année-là, Mgr Milingo ayant trouvé une autre congrégation pour prendre charge de l’Hôpital Saint-Luc : les Sœurs de SaintCharles Borromée, le Conseil pro-provincial renouvelle sa demande à la Direction générale de retirer notre communauté de Mpanshya. Tout en reconnaissant l’admirable dévouement avec lequel les Sœurs avaient maintenu l’œuvre hospitalière de Saint-Luc, l’autorité majeure consent à ce retrait. 196 Une congrégation d’origine polonaise, les Sœurs de SaintCharles Borromée, a pris la relève des Sœurs de la charité d’Ottawa à l’Hôpital Saint-Luc, avec sœur Ferreria comme responsable. Sœur Ferreria connaissait déjà les Sœurs de la charité et leur œuvre, car elle était venue à Mpanshya en 1972 pour s’initier aux soins des lépreux, en vue de se dévouer à une léproserie à Liteta. 197 Les Sœurs de SaintCharles Borromée ont tenu à garder l’image de Mère d’Youville dans la maison des pauvres, et elles auraient dit à nos Sœurs : « Vous reviendrez ici, un jour, reprendre votre mission ». Était-ce une parole de consolation ? Était-ce une prophétie ? 198 L’avenir le dira. Ceci n’a pas été écrit, mais c’était un témoignage de l’une de nos missionnaires de ce temps-là, témoignage qui nous revient à la mémoire alors que nous rapportons les faits. Ainsi se tourne notre page d’histoire missionnaire à Mpanshya; mais elle est inscrite à jamais à l’ordinateur célestes, et le Doigt de la Providence en rappellera les données ou en commandera la suite, selon le va-et-vient de l’Esprit-Saint dans la grande Histoire de l’Église. 196ASCO, Procès-verbal, 78-9, p. 26-27 197Notes de sœur Mariette Séguin, cahier, p. 20-26 198Propos exprimés à sœur Marie-de-la-Charité, secrétaire générale de 1974 à 1980. 192 — Chapitre cinquième L’espérance dans l’avenir (Transfert du Noviciat) À la fin de la période 1968-1980, nous constatons que le champ d’activité missionnaire de des Sœurs s’est rétréci en Afrique centrale. Au Malawi, elles ont quitté Lilongwe à cause des grandes difficultés du service de pastorale; le Service social étant établi, les derniers orphelins accueillis à Ludzi ont été placés dans des familles par les soins de ce Service. En Zambie, les Sœurs ont passé à d’autres apôtres les trois belles missions de Kasiya, de Monze et Mpanshya. Ces cinq missions représentaient tous les aspects de notre apostolat communautaire : l’éducation des enfants à l’école, l’éducation de la foi des adultes dans la pastorale, le soin des malades, l’accueil des pauvres, particulièrement des orphelins et des handicapés. Pour bien situer les faits, rappelons qu’en ces années les Sœurs subissaient avec nous toutes, avec l’Église, la bourrasque spirituelle qui a suivi le Concile Vatican II. Les missionnaires venant du Canada ou des États-Unis se relayaient de moins en moins à cause des départs de plusieurs religieuses qui se sont sécularisées. En Afrique centrale, depuis la dernière profession, en 1973, le Noviciat de Ludzi était vide. De plus, les dissensions politiques, les troubles qui ont précédé l’indépendance du Malawi et celle de la Zambie, en 1964, de même que les difficultés gouvernementales qui ont suivi, ont semé l’inquiétude, l’angoisse et l’insécurité dans toute l’Afrique centrale. Des événements pénibles n’ont guère favorisé les vocations religieuses et sacerdotales. Dans le plus fort de la tempête, les autorités civiles en sont venues à décider que les religieuses zambiennes vivant au Malawi devaient retourner dans leur pays d’origine, y compris les contemplatives (Clarisses) de Lilongwe. Il en était de même du côté de la Zambie. 199 Bien que profondément affectées par ces situations dramatiques, les sœurs gardèrent l’espérance de se revivifier, d’intensifier leur œuvre d’évangélisation quand apparaîtraient les bons fruits du Concile et la paix entre les deux pays. Dans les vues de la Providence, 199Notes de sœur Gisèle Lépine. Chapitre cinquième — 193 cette période de désert était peut-être un temps de germination de nouvelles vocations religieuses africaines. C’est Dieu qui appelle à « son heure »; mais nous avons le devoir de correspondre à son initiative, puisqu’il veut bien agir par nous et à travers nos moyens. Quel moyen les missionnaires lui offriraient-elles ? Constatant d’une part qu’il ne nous restait qu’un couvent et une œuvre en Zambie : le Couvent Saint-Paul et l’École secondaire Sainte-Monique, et, d’autre part, qu’un état d’insécurités persistait chez les Sœurs zambiennes, elles furent inspirées d’établir une nouvelle maison en Zambie, maison qui devait servir de couvent et, éventuellement, de maison de formation. En 1976, la Direction pro-provinciale expose ce projet à la Direction générale, et demande l’autorisation d’entreprendre des démarches en vue de le réaliser concrètement, ce qui impliquait la construction d’une maison aux frais de notre Congrégation. La Direction générale accepte en principe le projet, et permet d’entreprendre les démarches préliminaires. 200 Deux ans plus tard, soit au cours de 1978, les ententes étant conclues entre la Congrégation et l’évêque de Chipata, Mgr Medardo Mazombwe, la décision étant portée de bâtir la maison sur le terrain du diocèse, non loin de l’École Sainte-Monique; la permission étant obtenue du gouvernement de la Zambie de recevoir des aspirantes malawiennes à la maison de formation de Chipata; les plans de la maison ayant été préparés, présentés, remaniés et approuvés; la construction a été entreprise sous l’habile direction du Frère Henry Renevey, pb, pour être achevée en octobre 1979. Dès le mois de juin 1978, le Conseil général avait nommé une directrice de formation : Sœur Lorraine Desjardins, professeur à l’École secondaire Sainte-Monique. 201 Sœur Lorraine pouvait alors faire connaître sa nouvelle fonction et ménager des rencontres avec des jeunes filles désireuses de s’éclairer sur l’état de vie religieuse. 200ASCO, Procès-verbal, 76-38, 30 août, p. 102. 201ASCO, Procès-verbal, 78-20, 26 juin 1978, p.59. 194 — Chapitre cinquième Le Noviciat s’ouvre en janvier 1980, sous le nom de Couvent Élisabeth-Bruyère. 202 Ce n’est pas un second noviciat, mais le transfert de celui de Ludzi à Chipata. Sœur Lorraine Desjardins entre alors en fonction et reçoit trois aspirantes : Évelyn Lungu, de Lusaka en Zambie, et deux autres du Malawi : Victoria Mandere et Tomaida Magodi. En février, Son Excellence Mgr Medardo Mazombwe, évêque de Chipata, vient célébrer l’Eucharistie dans la chapelle et prononce des paroles bien encourageantes pour l’avenir de notre Congrégation en Zambie. Le 25 mars, la bénédiction solennelle du Noviciat a lieu dans une cérémonie simple et imposante. Les postulantes accompagnent l’évêque, l’une portant le bénitier; la deuxième, le goupillon; et la troisième, un cierge allumé. 203 En octobre 1980, les deux dernières novices de Ludzi, sœurs Lucencia Kutvi et Anna Maria Banda, prononcent leurs voeux perpétuels. Leur cœur est tout à la joie de connaître les nouvelles recrues et d’apprendre que d’autres se préparent. 204 L’espérance des missionnaires n’est pas déçue... Le désert est passé Pour résumer la situation, en 1952, six ans après sa fondation, notre mission de Guilleme, Malawi 205, recevait ses trois premières aspirantes à la vie religieuse. Comme le couvent n’était pas encore propice à l’établissement d’un noviciat, ces aspirantes vécurent leurs deux années de formation au Noviciat de Pontmain, au Lesotho 206; et c’est là qu’elles prononçaient leurs vœux de religion, le 16 juin 1954. C’étaient : Sœur d’Youville (Anastazia Mzaza – 2745), sœur Bruyère (Seraphina Wiskoti Banda – 2746) et sœur Sainte-Thérèsede-l’Enfant-Jésus (Azelina Likisho – 2747). 202ASCO, Procès-verbal, 79-41, 79-42, p. 143, 145. 203ASCO, Chroniques, Chipata, noviciate Élizabeth-Bruyère. 204Notes de sœur Mariette Séguin, p. 18. 205Appelé alors Nyasyland 206Appelé alors Basutoland Chapitre cinquième — 195 De 1954 à 1980, 36 autres malawiennes et zambiennes les suivirent au Noviciat du Malawi et y ont fait profession religieuse. Cela ne veut pas dire qu’elles étaient 39 en 1980. Plus de la moitié avaient quitté la vie religieuse, soit au cours de leur noviciat ou de leur scolasticat, soit après leur profession perpétuelle. Cette proportion p araît étonnante, mais il est éclairant de rappeler qu’en ces années-là, toute l’Église, et particulièrement les communautés religieuses, ont été fortement ébranlées par la crise d’après Concile Vatican II. Plusieurs religieuses à vœux perpétuels se sont sécularisées, au Canada et aux États-Unis, au cours de 1968-1980. Les noyaux en pays lointains n’ont pas échappé à l’épreuve. Plusieurs religieuses africaines ont aussi été sécularisées en Afrique Centrale, en cette période. D’après les listes de nominations de chaque année, en 1968, elles étaient 15, réparties en huit missions d’alors, unies à la prière et l’apostolat des missionnaires d’Amérique du Nord qui étaient au nombre de 29. En 1980, de 15, elles étaient diminuées à 12 : 7 avaient quitté la Congrégation; mais 4 jeunes recrues y avaient fait profession. Et en tête de ligne se trouvait le trio Youville-Bruyère-Thérèse. Citons-les avec leurs numéros canoniques respectifs, dans l’ordre de leurs dates de profession, avec indication de leur âge et de la durée de leur vie religieuse, en 1980 : No Nom des sœurs Date de profession Âges Durée de vie religieuse 2745 Anastazia Mzaza 1954 56 ans 26 ans 2746 Seraphina Wiscoti Banda 1954 50 ans 26 ans 2747 Azelelina Likisho Phiri 1954 48 ans 26 ans 2978 Mary Eugenia 1959 40 ans 21 ans 3070 Agnes Eneya 1961 42 ans 19 ans 3073 Tomaida Mtunda Patulani 1961 39 ans 19 ans 3232 Juliana Agnes 1964 40 ans 16 ans 3332 Scholastica Amadi 1966 38 ans 14 ans 196 — Chapitre cinquième 3423 Ermina Nkwazi 1969 32 ans 11 ans 3436 Nelly Phiri 1971 28 ans 9 ans 3443 Lucencia Kutwi 1972 28 ans 8 ans 3448 Anna Maria Banda 1973 29 ans 7 ans (Il n’y a pas eu de profession religieuse au Malawi entre 1973 et 1980) Elles sont douze, de différents âges et personnalités, ayant émis leurs vœux de religion à des dates échelonnées au cours d’une période de vingt ans : 1954-1974. Cette période est remarquable dans l’histoire de l’Église et celle de notre congrégation. Ce sont les années d’avant Concile Vatican II : 1954-1962; celles de la tenue du Concile : 19621965; et celles d’après-Concile : 1966-1980, pendant lesquelles ont été publiés les décrets du Concile, et inauguré leur mise en œuvre. Ces sœurs ont donc connu la transition entre deux époques de la vie de l’Église. Ce groupe autochtone, appelé par le choix de Dieu et gardé par sa bienveillance, ne pourrait-on pas le considérer maintenant comme une communauté d’entraide expérimental, disséminées par les missionnaires venues d’Amérique du Nord, communauté variée en âges, en aptitudes humaines d’inculturation, en dons de la grâce, et destiné à participer à un grand projet ? De fait, c’était le projet du renouveau ecclésial et, partant, du renouveau communautaire, réalisation du Dessein de Dieu dans l’évolution de l’Église. Des missionnaires venues du Canada ont été les fondatrices de l’établissement de la Congrégation en Afrique Centrale; mais nous pouvons dire que les premières recrues de cette région en ont été des pionnières méritantes car, avec les fondatrices, elles ont contribué à plein à bâtir la communauté; cela, depuis qu’elles y sont : avant le Concile, pendant et après. Après 1980, elles continueront avec d’autres compagnes que le Seigneur leur amènera. On ne les appellera plus « pionnières » parce que les premiers temps seront passés; mais elles seront des artisanes du progrès spirituel et apostolique du noyau Sœurs grises de la croix devenues depuis 1968 Sœurs de la charité d’Ottawa, noyau semé en leur terre d’[Afrique] Centrale, en 1946. Chapitre cinquième — 197 Au sujet de leur généreuse collaboration, il nous plaît de présenter un témoignage significatif porté par une missionnaire canadienne, sœur Mariette Séguin. Entre 1965 et 1995, sœur Mariette Séguin a vécu 25 années au Malawi et en Zambie. Elle y a été apôtre éducatrice pendant sept ans; puis, après deux années d’études en Sciences infirmières, elle s’est consacrée aux soins des malades. Elle a très bien connu les Sœurs dont elle parle; elle a vécu et œuvré avec elles dans nos missions où infirmières et éducatrices habitent les mêmes couvents. Rappelée par l’autorité majeure qui lui offrait d’entreprendre une nouvelle aventure missionnaire au Cameroun, elle revint définitivement du Malawi en 1995, année du Jubilé 150 de là fondation de la Congrégation. Elle a passé cette année à la Maison mère, participant aux célébrations jubilaires. Durant ce séjour, partagée entre l’émotion de quitter ses chères missions de l’Afrique Centrale et l’espérance d’aller poser sa petite pierre de construction à l’Église du Cameroun, elle a fixé par écrit le souvenir de ces Sœurs qu’elle a aidées, admirées et aimées. Cependant, avant de présenter le témoignage de sœur Mariette Séguin, il est utile de le précéder d’une note explicative sur la nécessité de donner une longue formation de base aux jeunes religieuses autochtones. Que cette note révèle le généreux dévouement et le mérite caché des missionnaires canadiennes et américaines. Quand, surtout dans les premiers temps, les aspirantes demandaient leur admission au noviciat, que possédaient-elles comme préparation spirituelle et culture humaine ? Au point de vue spirituel, elles étaient des baptisées, et grâce au ministère des prêtres missionnaires, elles avaient cheminé dans leur vie chrétienne au point d’entendre l’appel du Seigneur, de vouloir se donner à lui et devenir des évangélisatrices. Mais pour transmettre de vive voix la Parole de Dieu, initier aux sacrements de l’Église, enseigner la morale chrétienne, la culture humaine constitue le moyen d’expression par excellence d’une communauté dite apostolique comme la nôtre. Les œuvres d’éducation des jeunes et des adultes, notre dévouement au soin des malades et au service des pauvres sont 198 — Chapitre cinquième nos champs d’apostolat, sans parler des activités pastorales liées au ministère des prêtres. Quel était donc le degré d’instruction de nos aspirantes africaines quand elles se présentaient au Noviciat ? Elles n’avaient pas terminé leurs études primaires. Cela donne à penser au cheminement qu’elles avaient à suivre avant de posséder leurs moyens d’action. Cela révèle aussi tout l’amour, les soucis, le dévouement des Sœurs missionnaires pour les amener à être de vraies servantes de l’Église dans leur pays Voici donc le témoignage de sœur Mariette Séguin : Les sœurs autochtones Peut-on oublier l’apport précieux qu’ont fourni nos premières Sœurs autochtones, au sein de la région missionnaire Saint-Pie-X au Malawi – Zambie, de 1968 à 1980 et même auparavant; je veux dire depuis leur entrée en religion, car leur seule présence était déjà un capital de valeur s’ajoutant au patrimoine spirituel et humain de la famille religieuse Sœurs de la charité d’Ottawa ? En 1980, elles étaient 12, comme les Apôtres de Jésus-Christ au début de l’Église, au petit pays d’Israël. J’aime à relever les activités apostoliques et communautaires qui ont fait d’elles des « bâtisseuses » de la communauté chez elles. Voici d’abord le trio des doyennes : Sœurs : +2745 – Anastazia Mzaza (d’Youville) +2746 – Seraphina Wiskoti Banda (Bruyère) +2747 – Azelina Likisho Phiri (Sainte-Thérèse-de-l’Enfant-Jésus). Ayant reçu leur formation canonique au Noviciat de Pontmain, Basutoland (devenu Lesotho en 1966), nos trois Sœurs y ont fait profession temporaire, le 16 juin 1954. Tout en se préparant à l’évangélisation de leur peuple, elles poursuivent leur formation spirituelle et communautaire au cours de six années de scolasticat, à Guilleme, Nyassaland (devenu Malawi en 1966). Elles y émettent leurs vœux perpétuels de religion, le 16 juin 1960. C’est alors que débute vraiment leur carrière apostolique, laquelle pourra changer d’aspect Chapitre cinquième — 199 ou d’objectif, selon l’urgence des besoins ou 1’appel à de nouveaux services. En nous référant à leurs dossiers communautaires, nous pouvons facilement retracer l’itinéraire de leurs missions, entre 1960 et 1980. Sœur Anastazia Mzaza (d’Youville) +2745 Lors de sa profession perpétuelle, en 1960, sœur Anastazia Mzaza reçoit l’obédience de se dévouer à l’éducation des enfants du cours primaire. C’est d’abord à Guilleme où elle est responsable des jeunes pensionnaires (1960-1963). C’est ensuite à Ludzi où elle enseigne dans les classes du cours primaire et, avec le temps, devient directrice de 1’école : période de neuf ans (1964-1972), interrompu par un temps d’études en Sciences infirmières et une courte expérience au soin des malades, à l’Hôpital de Ludzi. Et c’est le retour à Guilleme, à la direction de l’école primaire, avec la fonction de supérieure au Couvent Sainte-Thérèse-de-l’Enfant-Jésus (1973-1977). En 1978, sœur Anastazia quitte l’enseignement pour suivre un cours de Sciences religieuses à Lusaka, capitale de la Zambie, avec pension au Centre Kalundu. L’année suivante, elle devient membre du personnel de la Maison de Formation intercommunautaire pour religieuses, à Dedza, Malawi. Et en 1980, on la retrouve à Ludzi, se dévouant à la pastorale paroissiale. Comme ce chapitre de l’histoire de la Congrégation doit se limiter à 1980, il ne convient pas d’empiéter ici sur les faits et gestes de la période suivante; mais on prévoit qu’elle se dévoue entre les rôles de supérieure, d’agente de pastorale et le service communautaire. Sœur Anastazia Mzaza est une religieuse de confiance dans notre communauté missionnaire de Saint-Pie-X. Nous en voyons une preuve tangible dans le fait que, comme conseillère africaine à la Direction provinciale de 1968 à 1978, elle a été le bras droit de ses Supérieures canadiennes. Élue capitulaire par ses consœurs, elle prit part au Chapitre général tenu à Rome, en juillet 1974. Elle comptait alors 20 ans de vie religieuse. En 1980, elle est âgée de 56 ans. De bonne condition physique, religieuse fervente, sage et disponible, on 200 — Chapitre cinquième peut lui souhaiter de poursuivre son ministère pastoral jusqu’à l’an 2000 et même au-delà, si Dieu le veut. Soeur Seraphina Wiskoti Banda (Bruyère) +2746 En l’année de sa profession perpétuelle, en 1960, sœur Seraphina Wiskoti Banda est déjà enseignante depuis trois ans, à l’école primaire de Guilleme; elle y demeure encore deux ans. Elle passe alors à Ludzi pour une période de deux ans et demi; puis, à Kasiya, en Zambie, pour trois ans. Une expérience de dix ans auprès des enfants, en trois milieux différents, a fait d’elle une apôtre de l’éducation des jeunes. En décembre 1967, le Conseil pro-provincial témoigne sa confiance à sœur Seraphina en lui donnant la responsabilité d’aller fonder un nouveau couvent en Zambie, le Couvent Sainte-Marie, à Monze, situé à une distance de 30 milles de Kasiya. La mission catholique romaine de Monze est desservie par des Jésuites irlandais, qui y ont établi une école primaire, une école de Sciences domestiques pour les femmes du village, et un Centre de formation de catéchistes. Comme activité apostolique, sœur Seraphina dirige l’école primaire et y enseigne. En 1970-71, la Direction de la pro-province tente un effort généreux pour faire acquérir la culture du cours secondaire à six de nos Sœurs autochtones. Sœur Seraphina est l’une des étudiantes choisies. Elle entreprend et accomplit les cinq années du cours secondaire à l’École Sainte-Monique de Chipata. En 1975, elle redevient enseignante pour deux années, à l’école primaire de Chipata. Elle passe la saison de Noël 1976 à 1’Hôpital Saint-Luc de Mpanshya, où elle se révèle comme aide précieuse à la pastorale. Alors, la communauté lui offre comme cadeau des Fêtes, une année d’études en Sciences religieuses, à Lusaka. Revenue, à Chipata, elle devient assistante de la Directrice de l’École secondaire Sainte-Monique, sœur Rachel Rivard. Mais ce n’est que pour un an, après lequel on lui offre une année d’études en Pastorale dont les cours se donnent à Eldoret, au Kenia. Et en 1980, une nouvelle obédience appelle sœur Seraphina à Chapitre cinquième — 201 Ludzi, au Couvent Marguerite-d’Youville où elle enseigne au niveau secondaire et se dévoue à la pastorale de la mission. Et notons qu’au cours des années 1971 à 1975, sœur Seraphina a été membre du Conseil pro-provincial de Saint-Pie-X. C’est donc là un signe de sa valeur et une autre preuve de la confiance, de la communauté en elle. En 1980, sœur Seraphina est âgée de 50 ans. Son cheminement accompli jusque-là a certainement été une belle montée spirituelle, apostolique, communautaire et culturelle qui augure très bien pour la décade 1980-1990, et pourquoi pas davantage ? Soeur Azelina Likisho Phiri (Sainte-Thérèse-de-l’EnfantJésus) + 2747 Et voici Sœur Azelina Likisho Phiri, la troisième sœur ayant fait profession à Pontmain, Lesotho, en ce 16 juin 1954. On lui donnele nom de la patronne des Missions et il, va sans dire, patronne des Sœurs Thérésiennes africaines qui avaient précédé et initié nos premières missionnaires à Guilleme, qui leur avaient légué leur couvent au vocable de Sainte-Thérèse-de-l’Enfant-Jésus. Nos Sœurs reconnaissantes conservèrent ce vocable à leur premier couvent en Afrique centrale; et de plus, elles ont voulu avoir parmi leurs premières recrues, une “Thérèse-de-l’Enfant-Jésus”. Comme ses deux compagnes, sœur Azelina entreprend ou poursuit ses études primaires à Guilleme; elle en franchit peu à peu les degrés, tout en se formant à l’art culinaire, ce qui l’habilite à un important service communautaire. Après sa profession perpétuelle, en août 1960, elle va à notre couvent Saint-Antoine, à Kachebere, Malawi, là où nos Sœurs sont en service au Grand séminaire Saint-Pie-X, séminaire fondé par la Sacrée Congrégation de la Propagande, et confié aux Pères Blancs d’Afrique. Là, elle enseigne à l’école primaire de l’endroit, tout en étant cuisinière au couvent Saint-Antoine. Mais l’obéissance la dirige bientôt en Zambie pour plusieurs années. De fait, notre Congrégation fonde à Kasiya sa première mis202 — Chapitre cinquième sion : le Couvent Saint-Pierre. Sœur Azélina fait partie de la petite communauté fondatrice. Et elle vivra en Zambie jusqu’en 1978. En la plupart des missions d’Afrique, un dispensaire est établi, visité par le médecin d’un hôpital rapproché ou par un médecin itinérant. Un dispensaire existe donc à Kasiya. Et c’est, ainsi que dès son arrivée, sans plus de préparation adéquate aux soins des malades, sœur Azelina est constituée aide-infirmière au dispensaire; mais son art culinaire sera d’une grande utilité à l’infirmière responsable. Elle doit donner un très bon service, puisqu’elle y demeure cinq ans. Si bon service qu’en 1966, l’autorité lui offre des études à l’École des Sciences infirmières de Likuni, en Zambie. Après deux ans, elle en revient auxiliaire licenciée et reprend son service au dispensaire de Kasiya, service auquel s’ajoute la tâche de maîtresse des pensionnaires. En 1972, elle est transférée à l’Hôpital de Saint-Luc de Mpanshya; et deux ans plus tard, elle devient Supérieure du Couvent. Le Couvent Saint-Luc a été notre deuxième mission établie en Zambie; et ouverte en 1966. Malheureusement, en 1978, la Congrégation doit retirer nos Sœurs de l’Hôpital Saint-Luc, en raison du manque de relèves dûment qualifiées pour maintenir le service d’hospitalisation à Mpanshya. Alors, pour quelques mois, sœur Azelina devient infirmière auprès des étudiantes de l’École secondaire Sainte-Monique, à Chipata. Puis, après dix-huit années de généreux dévouement auprès des malades, en Zambie, notre apôtre de la compassion est rappelée au Malawi, à Guilleme, son point de départ, en 1960. À la louange de sœur Azelina, et comme preuve de la confiance qu’elle inspirait à ses consœurs, il convient de souligner ici qu’au cours de ces années, tout en conservant une pleine disponibilité à ses tâches apostoliques variées, elle est appelée par le choix des autorités majeures, à participer à la direction et l’administration de la pro-province Saint-Pie-X. Elle est conseillère pro-provinciale en deux termes : en 1968-1969-1970 et en 1979-1980-1981. Chapitre cinquième — 203 À Guilleme, un nouvel horizon s’ouvre devant elle. En ces années postconciliaires où l’Église met en œuvre les directives du Concile Vatican II (1962-1964), le ministère de pastorale se développe parmi les chrétiens qui collaborent à la liturgie et à la catéchèse. Évidemment, les religieuses y sont désirées et appréciées. Ainsi, sœur Azelina va se préparer à ce ministère au Centre de Formation intercommunautaire, à Dedza, Malawi, en 1979, et devient agente de pastorale. En 1980, elle est âgée de 48 ans. Ainsi, en ces années 1978 –1980, nos trois doyennes se rejoignent en ce nouvel apostolat. Sœur Azelina l’exerce à Guilleme; Sœurs Anastasia et Seraphina, à Ludzi. Enthousiastes et généreuses, en bonne condition physique, et plus encore remplies d’amour de Dieu, puissent-elles accomplir longtemps encore ce précieux service d’Église. Ici, se discontinue l’exposé du témoignage de sœur Mariette Séguin. Sœur Mariette nous donne la raison de son arrêt, par un billet déposé sur le bureau de la responsable du récit sur le MalawiZambie. Voici son mot personnel : Comme je n’ai qu’un temps limité avant mon départ pour le Cameroun, je ne puis terminer cet exposé. Je regrette de ne pouvoir relever le mérite des compagnes qui suivent ce trio premier et dont j’ai parlé plus haut. Je ne doute pas que d’autres Sœurs témoins pourraient développer davantage cette histoire que je trouve merveilleuse. À chacune de ces compagnes avec qui j’ai vécu moi-même et qu’il me peine de quitter maintenant, je redis mon admiration et ma fraternelle amitié. Ce témoignage rendu envers les trois premières est assez éloquent. Il est facile de mesurer la grandeur de ces religieuses africaines qui assurent la continuité de l’œuvre de charité en terre d’Afrique à la suite de Mère Bruyère. 204 — Chapitre cinquième CONCLUSION Emilien Lamirande 1, après avoir passé quelques années à écrire la vie de Mère Bruyère constate avec justesse qu’elle a su tout au long de sa vie s’adapter aux circonstances du milieu. Il évoque ainsi l’inculturation de son charisme dans l’Église d’Ottawa. Tout au cours de ses trente ans comme supérieure, Mère Bruyère, on l’aura constaté, a démontré une étonnante capacité d’adaptation. Elle a dû commencer par s’acclimater aux conditions primitives d’une petite ville de mauvaise réputation, aux frontières de la civilisation. La plupart des missions qui vont ensuite dépendre d’elle seront à l’étranger ou dans des régions de colonisation. Elle n’a cependant jamais été effrayée par l’inconnu. L’exemple des Oblats n’a pas été sans la confirmer dans cette disposition. Leur expansion rapide sur quatre continents les obligeait à recommencer sans cesse, voire à improviser. Comme eux et, parfois, à leur suite, Mère Bruyère et ses filles se sont insérées dans des milieux où religions, langues, nationalités diverses devaient souvent se côtoyer et elles ont appris à identifier les besoins particuliers des lieux et des populations 2. Dans ce milieu culturel nouveau, disons étranger, Mère Bruyère est venue promouvoir une civilisation de la «charité compatissante» qui ne détruit ni l’altérité ni la différence mais l’éclaire, la purifie, la transforme et la complète. Pour sa part, Mère Agathe Gratton, supérieure générale, disait dans la Règle de vie de 1980 que c’est «un héritage du temps passé devenu lumière d’aujourd’hui et promesse d’avenir [...] un patrimoine lentement acquis; [il] (elle – la Règle de vie) est comme le pain pétri, levé, doré et partagé : beaucoup ont trouvé avant nous leur aliment 1 E. Lamirande, op.cit., Quatrième couverture du livre. 2 Ibid., p. 627. Conclusion — 205 de sainteté » 3. Espérons que d’autres viendront se nourrir du même pain de la charité. Cet héritage, c’est le charisme de charité-compatissante puisée dans l’Évangile qu’Élisabeth Bruyère a légué pour que vive la communauté. Chaque fois que la charité invite les sœurs à servir les «plus petits qui sont mes frères» (Mt 25, 40), c’est l’esprit de Mère Bruyère qui continue dans celles qui se disent avec fierté ‘ses filles’ spirituelles. Le concept d’inculturation privilégié depuis le concile Vatican II pour parler d’évangélisation nous a permis de retracer le cheminement de vie de charité qu’Élisabeth Bruyère est venue vivre à Bytown au milieu des petits du Royaume. Aujourd’hui, toujours animées par le souffle initial de Mère d’Youville, stimulées par le témoignage des religieuses qui ont suivi dans la fidélité, les Sœurs de la charité d’Ottawa continuent à se dévouer dans l’apostolat de l’éducation, les soins de santé, le service social, spécialement le service des pauvres dans treize diocèses au Canada, deux aux État-Unis, sept en Afrique, cinq au Japon, quatre au Brésil, deux en Haïti, et un en Papouasie et la dernière fondation d’un couvent en Thaïlande 4. En tous ces lieux à travers le monde, les sœurs partagent les efforts et collaborent avec toutes les personnes pour donner à la charité une couleur culturelle dans l’amour et la fraternité du Peuple de Dieu. Sœur Jeanne d’Arc Lortie a pu écrire : La tige initiale de l’Institut de Marguerite d’Youville après avoir vu poindre quatre jeunes pousses, entre 1840 et 1849, porte maintenant, entre 1850 et 1856, quatre branches robustes rattachées au tronc par le lien intime et indestructible de la charité surnaturelle. A-ton jamais dit en contemplant les branches d’un arbre : Pourquoi ces branches se séparent elles du tronc ? Au contraire, le tronc existe pour porter des branches. Il en est de même pour le tronc primitif de la famille youvillienne. Ce que l’on a appelé à tort une séparation n’est 3 Agathe Gratton, sco, supérieure générale, le 22 mai 1983, Règle de vie, lettre de présentation. 4 ASCO, Statistiques , Maison mère, Ottawa, 1998. 206 — Conclusion en fait que le développement réussi des branches fortement unies au tronc. 5 On peut en dire autant du développement continuel dans la congrégation de Mère Bruyère qui sème la charité partout où ses « filles’ passent ». La charité d’Élisabeth Bruyère est un foyer de gratuité. Élisabeth Bruyère était animée par un « charisme audacieux pour l’évangile » c’est pourquoi, on peut comprendre les perspectives d’inculturation de sa congrégation dans d’autres Églises locales où des filles de Mère Bruyère travaillent dans la charité et la simplicité pour donner l’espérance aux pauvres de notre monde. Mère Bruyère pourrait dire comme l’apôtre Saint Jacques : « […] moi, je tirerai de mes œuvres la preuve de ma foi » (Jc 2, 18), et j’ose dire que dans sa foi elle puise une charité-compatissante pour tous les pauvres. Le Seigneur lui répondra : « En vérité, je vous le déclare, chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits, qui sont mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait ! » (Mt 25, 40) On pourrait retrouver la description de Mère Bruyère dans la femme au livre des Proverbes : Une femme de valeur, qui la trouvera ? Elle a bien plus de prix que le corail. […] Elle travaille pour son bien et non pour son malheur tous les jours de sa vie. Elle cherche avec soin de la laine et du lin et ses mains travaillent allègrement. […] Elle se lève quand il fait encore nuit pour préparer la nourriture de sa maisonnée et donner des ordres à ses servantes. […] Elle ceint de force ses reins et affermit ses bras. Elle considère que ses affaires vont bien et sa lampe ne s’éteint pas de la nuit. Elle met la main à la quenouille et ses doigts s’activent au fuseau. 5 Jeanne d’Arc Lortie, sco, Lettres…, op. cit., volume II, p.19. Conclusion — 207 Elle ouvre sa main au misérable et la tend au pauvre. […] Force et honneur la revêtent, elle pense à l’avenir en riant. Elle ouvre la bouche avec sagesse et sa langue fait gentiment la leçon. Elle surveille la marche de sa maison et ne mange pas paresseusement son pain. Ses fils, hautement, la proclament bienheureuse et son mari fait son éloge : « Bien des filles ont fait preuve de valeur ; mais toi, tu les surpasses toutes ! » La grâce trompe, la beauté ne dure pas. La femme qui craint le SEIGNEUR, voilà celle qu’on doit louer. À elle le fruit de son travail et que ses œuvres publient sa louange. (Pr 31, 10, 31) Vers la fin de sa vie, elle affirme les principes qui l’ont toujours guidée « Pour faire le bien, il faut toutes n’avoir qu’un cœur et qu’une âme, il ne faut donc pas qu’il y ait parmi vous aucune nationalité. Une sœur de la charité doit être de toutes les nations et ne sommesnous pas tous frères en Jésus-Christ ? »6 Elle redit à sa manière le texte de l’évangile de Matthieu : Et le roi leur répondra : Je vous le dis en vérité, toutes les fois que vous avez fait ces choses à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous les avez faites ». (Mt 25, 40) Dans toutes ces valeurs, l’accueil du message de la charité évangélique pourra trouver une sorte de préparation et la charité divine de Celui qui est venu pour sauver le monde la fera aboutir et grandir dans l’Église et dans tous les coeurs. 6 6 Vatican II, Les seize documents conciliaires, op. cit., GS, no 57, 6, p. 233. 208 — Conclusion BIBLIOGRAPHIE Documents archivistiques manuscrits Toutes les références données entre 1839 et 1856 sont citées d’après les publications de Jeanne d’Arc Lortie, sco, Lettres d’Élisabeth Bruyère, volume I (1839-1849) et volume II (1850-1856), Montréal, Paulines, 1989/1992. Ces textes sont la publication intégrale de sources manuscrites conservées aux archives de la Maison mère des Sœurs de la charité d’Ottawa. Comme il y a environ 1 608 lettres manuscrites, les autres citations sont tirées des textes originaux ou copies autographiées de l’original conservés aux archives des Sœurs de la charité d’Ottawa. Plus de 3 000 lettres lui ont été adressées et permettent de connaître les communications qu’elle entretenait avec son milieu social, politique et ecclésiastique. Les chroniques, c’est-à-dire un genre de diarium rédigé par Élisabeth Bruyère, selon les usages de la communauté. entre 1849 à 1866, sont des documents fiables de première main. De plus, il y a le registre des délibérations du conseil d’administration et tous les documents connexes. Les archives (ASCO) sont maintenant facilement accessibles et bien organisées à la Maison mère des Sœurs de la Charité d’Ottawa. Sources imprimées Élisabeth BRUYÈRE CLOUTIER, Béatrice, sco, Mère Élisabeth Bruyère, fille de l’Église, 1818-1876, thèse de maîtrise Université d’Ottawa, Ottawa, 1967. CADIEUX, Dorothée, sco, Mère Bruyère, Femme d’Espérance, Ottawa, Maison mère, 1976, 18 p. Bibliographie — 209 HUOT, Marie-Jeanne, sco, Mère Bruyère, Femme de Charité, Ottawa, Maison mère, 8 décembre 1976, 25 p. GERVAIS, Jeanne, sco, Mère Bruyère, Femme de foi, Ottawa, Maison mère, 8 décembre 1976, 25 p. JEANNE-LEBER, sco, Mère Bruyère, Femme de Dieu - Fille de l’Église, Ottawa, Maison mère, 1976, 41 p. LAMIRANDE, Émilien, Élisabeth Bruyère fondatrice des Sœurs de la Charité d’Ottawa, Montréal, Bellarmin, 1993, 802 p. LÉON-DUFOUR, Xavier, Dictionnaire du Nouveau Testament, Paris, Seuil, 1975, p. 161-162. LORTIE, Jeanne d’Arc, sco, Lettres d’Élisabeth Bruyère, 3 vol. Éditions Paulines, Montréal, 1989, 1992, 1998, 484 p., 523 p., 653 p. MARIE-DU-RÉDEMPTEUR, sgc, Mère Bruyère Fondatrice des Sœurs Grises de la Croix 1818-1876, L’œuvre des tracts, Montréal, « Le Messager canadien », sd, 16 p. ���� , Aux Sources, Ottawa, Maison mère, Imprimerie Leclerc, 1969, 79 p. MITRI, A. omi, Mère Élisabeth Bruyère, fondatrice des Sœurs de la charité d’Ottawa, Maison mère, Ottawa, 1978, 26 p. PAUL-ÉMILE, sco, Mère Élisabeth Bruyère et son œuvre, 1845-1876, Ottawa, Maison mère des Sœurs Grises de la Croix, Édition de l’Université, 1945, 409 p. ���� , Les Sœurs Grises de la Croix d’Ottawa. Mouvement général de l’Institut 1876-1967, Ottawa, Imprimerie Leclerc, 1967, 390 p. ���� , Mère d’Youville chez ses filles d’Ottawa les Sœurs Grises de la Croix, Maison mère, deuxième édition, Ottawa, 1959. LACELLE, É.J., «La figure ecclésiastique d’Élisabeth Bruyère dans le conteste ecclésiastique du XIXe siècle», dans Cultures du Canada français, 6 (1989), p. 119-134. 210 — Bibliographie ���� , et N. PAGÉ, éd., « Religion, art et éducation au XIXe siècle dans l’Outaouais français», numéro spécial de Cultures du Canada français , 6 (1989), pp. 5-138. Marguerite d’Youville MITCHELL, E., Elle a beaucoup aimé Vie de la Bienheureuse Marguerite d’Youville, fondatrice des Sœurs de la Charité, Sœurs Grises 1701-1771, Montréal, Fides, 1957, 335 p. Inculturation ARINZE, Francis, dans La Documentation catholique, no 2180, 19 avril 1998, no 8, «Le rôle de l’Université catholique dans le dialogue interrreligieux » par le cardinal, p. 386 à 392. AZEVEDO, Marcello, s.j., De quoi parlons-nous quand nous traitons de l’inculturation ?, Ottawa, CRC Dossier 401-60, 1985, 30 p. BAXER, Joseph, Vivre à l’interculturel Robert Vachon : un itinéraire spirituel à la croisée des cultures et des religions, Col. Spiritualité en dialogue, Canada, Médiaspaul, 2007, 238 p. CARRIER, Hervé, sj, Évangile et Culture de Léon XIII à Jean-Paul II, Paris, Médiaspaul, 1987, 276 p. ���� , Lexique de la culture Pour l’analyse culturelle et l’inculturation, Tournai, Desclé, 1992, 441 p. Conférence religieuse canadienne, s.a., Évangélisation et culture, Recherche et étude, Ottawa, 1986, 25p. COGAVIN, Brendan, Ethiopia and Inculturation, intervention au Symposium du conseil pontifical pour la culture, février 1996. COMBY, Jean, Deux mille ans d’Évangélisation, Bibliothèqe d’Histoire du Christianisme no 29, Paris, Desclée, 1992. Bibliographie — 211 DHAVAMONY, Mariasusai, sj, Christian Theology of Inculturation, Documenta Missionnalia - 24, Rome, Éditice Pontificia Universita Gregoriana, 1997, 215, p. GERVAIS, Gaétan, «L’Ontario français (1821-1910)» dans Cornélius Jaenen, (Sous la directionn de) Les Franco-Ontariens, Série Ontario Hisrorical Studies, PUO, 1993, p. 55-56. PETIT, Jean-Claude et Jean-Claude Breton, ed., Le Christianisme at-il un avenir ? Questions posées à nos pratiques, Montréal, Fides, 1988, pp. 59-82. Aussi dans L’inculturation, p. 116. JEAN-PAUL ll, pape, Lettre encyclique Laborem exercens sur le travail humain, à l’occasion du 90e anniversaire de l’encyclique Rerum novarum, Canada, CECC, 1981, 110 p. ���� , Redemptoris Missio, La mission du Christ Rédempteur, lettre encyclique sur la valeur permanente du précepte missionnaire, Montréal, Paulines 1991, no 52, p. 76. ���� , Vocation et mission des laïcs, exhortation apostolique postsynodale, Christifideles laici, Québec, Paulines 1989, 183 p. ���� , Jean-Paul II, pape, encyclique Slavorum Apostoli (SA), Apôtre des Slaves, publiée le 2 juin 1985 à l’occasion du onzième centenaire de l’œuvre d’évangélisation des Saints Cyrille et Méthode en Europe centrale. LETILLY, J., op, L’espérance Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, Éditions « La Revue des Jeunes », Paris, Desclées & Cie, 1950, page de titre. Paul VI, Evangelii Nuntiandi, exhortation apostolique, Montréal, Paulines, 1988. PAGÉ, Norman, ptre, La cathédrale Notre-Dame d’Ottawa. Histoire, architecture, iconographie, Ottawa, Université d’Ottawa, 1988, 162 p. PEELMAN, Achiel, omi, L’inculturation. L’Église et les cultures (L’Horizon du croyant) Desclée/Novalis, 1988, 197 p. 212 — Bibliographie ���� , Les nouveaux défis de l’inculturation, Canada, Novalis/ Lumen vitae,2007, 239 p. POUPARD, Paul, cardinal, « Foi et culture dans les mutations de notre temps », conférence prononcée le 5 octobre 1993, pour l’ouverture de la Rencotnre internationale de directeurs de Centres culturels catholique de quatre continents tenue au Centre culturel « Les Fontaines », Chantilly. PRESMANES, Jorge, op, « Inculturation and the Latino/Latina community: Towards an Ecclesiology of inclusion », Presentation on Internet, 1997 09 21, 8 pages. TILLARD, Jean-Marie-Roger, Église d’Églises, ecclésiologie de communion, Cogitatio Fidei, Paris, Cerf, 1987, 415 p. ���� , L’Église locale, Ecclésiologie de communion et catholicité, Cogitatio fidei, Paris, Cerf, 1995, 578 p. Vatican II, Nostra Aetate (NA), Déclaration sur les relations de l’Église avec les autres religions non chrétiennes, dans «Les seize documents conciliaires» Montréal/Paris, Fides, p. 550. ���� , Constitution dogmatique sur l’Église (LG) et le Décret sur l’activité missionnaire de l’Église (AG), op. cit., p. 429. ���� , Lumen Gentium (LG), Constitution dogmatique de l’Église, 17, 1, p. 37. Bibliographie — 213 APPENDICE 1 Jalons chronologiques de la vie d’Élisabeth Bruyère 1818, 19 mars Naissance d’Élisabeth Bruyère, à L’Assomption, Québec 1818, 19 mars Baptême en l’église de l’Assomption, Québec 1824, 18 novembre Nom de son père Charles Bruguier, dit Bélair 1827, 03 mai Première communion, à Montréal, Québec 1827, 18 août Confirmation par Mgr J.S. Lartigue, Montréal, Québec 1830, septembre M. l’abbé Charles-Thomas Caron devient son tuteur, Saint-Esprit, Québec 1834-1839 Élisabeth enseigne à Saint-Esprit et à SaintVincent-de-Paul, Québec 1839, 04 juin Entrée au Noviciat des Sœurs Grises de Montréal, Montréal, Québec 1840, 24 avril Prise du saint habit chez les Sœurs Grises de Montréal 1841, 31 mai Profession religieuse chez les Sœurs Grises de Montréal 1841, 1er juin Responsable de la Salle des grandes orphelines, Montréal, Québec 1845, 08 février Choisie comme supérieure et fondatrice à Bytown 1845, 20 février Arrivée à Bytown avec quatre compagnes professes 1845, 03 mars Ouverture de la première école à Bytown 214 — Appendice 1 1845, 18 avril Institution canonique de la Communauté de Bytown, par Mgr Patrick Phelan 1845, 10 mai Ouverture du premier hôpital à Bytown 1845, 30 mai On organise l’Œuvre des enfants trouvés à Bytown 1845, automne École du soir organisée pour les femmes des bûcherons 1846, printemps La visite des pauvres à domicile est inaugurée 1847 Dévouement héroïque auprès des victimes du typhus 1847 Ouverture du Foyer Saint-Raphaël, Bytown, pour les personnes émigrées sans emploi 1848 Fondation du diocèse d’Ottawa : Mgr JosephBruno Guigues, omi, 1 er évêque de l’Église d’Ottawa 1848, 25 août Départ du Père P. Adrien Telmon, omi, co- fondateur 1848, 1er septembre Pensionnat établi à St-Andrew, Cornwall, Ontario 1848, 25 décembre La Servante de Dieu fait son sacrifice définitif de rester à Bytown 1849, 16 août Mort de Sophie Mercier, mère de la Servante de Dieu 1849, 1er septembre Ouverture du premier Pensionnat à Bytown (rue Saint-Patrick) 1850, 03 juin Les sœurs emménagent dans la Maison mère neuve, rue Water, Bytown 1854, 04 septembre Lettre de Montréal annonçant la séparation définitive Appendice 1 — 215 1856 Nouvelle règle à l’essai pour deux ans 1857-1872 Fondations aux États-Unis : Buffalo, Plattsburg, Ogdensburg, Hudson, Medina 1858 Approbation de la règle d’Ottawa par Mgr J. E. Guigues, o.m.i. 1861-1862 Voyage en France de la Servante de Dieu en vue d’une affiliation avec les Sœurs Ste-Famille de Bordeaux 1865 Fondation de l’Orphelinat Saint-Joseph, (français) Ottawa 1866 Fondation de l’Asile Saint-Patrice, (anglais) Ottawa 1866-1875 Fondations au Québec : Témiscaming, Aylmer, Montebello, Buckingham, Hull, Maniwaki, Gatineau, Saint-François-du-Lac 1868-1873 Fondations en Ontario, hors d’Ottawa : Pembroke, Eganville 1869 Ouverture du Pensionnat Notre-Dame-du- Sacré-Cœur, rue Rideau, Ottawa, Ontario. Imposition du port du voile par Mgr J.-Eugène Guigues à la clôture de la retraite 1871 Organisation en secret d’un lazaret pour les picotés, Ottawa 1871 Ouver ture de l’Hospice Saint-Charles, (vieillards) Ottawa 1874, 08 février Mort de Mgr Joseph Eugène Bruno Guigues, évêque d’Ottawa 1875 Dernière Fondation de la Servante de Dieu, à Saint-François-du-lac, Québec 216 — Appendice 1 1876, 05 avril Mort de Mère Élisabeth Bruyère 07 avril Inhumation au caveau de la Cathédrale NotreDame d’Ottawa 1879, 30 avril Translation du corps de la Servante de Dieu au Cimetière Notre-Dame d’Ottawa 1882 La Congrégation prend le nom de Sœurs Grises de la Croix, sous l’instigation de M gr Joseph-Thomas Duhamel. 1889, 27 janvier Approbation des Saintes Règles, par le pape Léon XIII. L’Institut accédait au rang de Droit pontifical. Des éditions révisées sont parues en 1900, 1937, 1950 et 1982. 1966, 05 avril Translation des restes mortels de la Servante de Dieu à l’oratoire de la Maison mère, rue Bruyère, Ottawa 1968 Retour au nom de Sœurs de la charité d’Ottawa, par décision du Chapitre 1970 Son cœur conservé depuis sa mort est placé dans une urne surmontant son tombeau, à l’Oratoire de la Maison mère, Ottawa 1989 Enquête diocésaine, à Ottawa Appendice 1 — 217 APPENDICE 2 Les quinze supérieures générales des Sœurs de la charité d’Ottawa dites (Sœurs grises de la Croix) 1845 - 1876 Mère Élisabeth Bruyère (fondatrice) 1876 - 1879 Mère Marie-du-Sacré-Cœur (Caroline Patry) 1879 - 1884 Mère Joséphine Phelan 1884 - 1887 Mère Laurence Duguay 1888 - 1898 Mère Rosalie Demers 1898 - 1908 Mère Dorothy Kirby 1908 - 1918 Mère Éléonore Duhamel 1918 - 1928 Mère Saint-Albert (Odélia Lefebvre) 1928 - 1938 Mère Saint-Bruno (Angélina Paiement) 1938 -1944 Mère Saint-Bernardin-de-Sienne (Eulalie Mireault) 1944 - 1956 Mère Saint-André-Corsini (Aurore Drapeau) 1956 - 1968 Mère Saint-Paul (Berthe Renaud) 1968 - 1980 Mère Marcelle Gauthier (Aimée-de-Marie) 1980 - 1992 Mère Agathe Gratton (Agathe-Ange) 1992 - 2004 Mère Claire Malette (Dominique-du-Rosaire) 2004 - Sœur Lorraine Desjardins 218 — Appendice 2 APPENDICE 3 Une plaque historique de la Fondation du patrimoine ontarien Une plaque historique en hommages à Élisabeth Bruyère, érigée rue Bruyère, par la Fondation du patrimoine ontarien, un organisme du ministère de la Culture et du Tourisme et des Loisirs. Huguette Parent, sco, est membre du conseil d’administration (1994-1996). En 1993, Huguette Parent, sco, alors présidente du Regroupement des organismes du patrimoine franco-ontarien, organisme provincial à but non lucratif du ministère de la Culture, du Tourisme et des Loisirs de l’Ontario, commence les démarches en vue d’obtenir une plaque reconnaissant l’œuvre de Mère Bruyère en faveur des Ontariennes et des Ontariens. Le 7 août 1995, à l’occasion du 150e anniversaire de fondation de la congrégation, la Fondation du patrimoine ontarien rend hommage à Mère Élisabeth Bruyère, comme personnage clé de l’histoire franco-ontarienne. La plaque est située au 27 de la rue Bruyère sur le terrain de la Maison mère. Voici le texte : Elisabeth Bruyère 1818 - 1878 Pendant les années 1840, Bytown (Ottawa) est un village de commerce de bois d’œuvre en plein essor, qui a une importante population canadiennefrançaise. En février 1845, les Sœurs de la Charité de Montréal (Sœurs grises) y envoient quatre sœurs. Sous la direction d’Élisabeth Bruyère, jeune femme instruite et pieuse, les sœurs établissent rapidement une école bilingue pour filles, un hôpital et un orphelinat. Elles aident les pauvres, les personnes âgées et les malades, dont des centaines d’immigrants frappés par les épidémies de typhus de 1847-48. À la mort d’Élisabeth Bruyère, les Sœurs de la Charité d’Ottawa avaient fondé d’importantes institutions locales et étendu leurs services dans seize autres collectivités au Canada et aux États-Unis. Appendice 3 — 219 Élisabeth Bruyère 1818 - 1878 In the 1840’s, Bytown (Ottawa) was a growing timber-trade village with a substantial French-Canadian population but no Catholic schools and few social services. In February of 1845, the Sisters of Charity of Montréal (Grey Nuns) sent four nuns here. Led by Élisabeth Bruyère, a devout, welleducated young woman, the sisters quickly established a bilingual school for girls, an hospital and an orphanage. They helped the poor, the elderly and the sick, including hundreds of immigrants stricken during the typhus epidemics of 1847-48. By the time of Bruyère’s death, the Sisters of Charity of Ottawa had founded key local institutions and extended their services to sixteen other communities in Canada and the United States of America. 220 — Appendice 3 APPENDICE 4 Les étapes de la cause de béatification Le 27 janvier 1978 marque l’ouverture officielle de la Cause de béatification de Mère Bruyère, à l’archidiocèse d’Ottawa par Son Excellence Mgr Joseph-Aurèle Plourde. Les 5 années qui suivent furent consacrées aux travaux de recherche dans diverses archives, des écrits personnels de Mère Bruyère ou tout autre document qui la concerne ou qui reflète sa vie et son œuvre. Un certain nombre de ces documents furent présentés à Rome, à la Congrégation pour la Cause des Saints. Le 2 mai 1983, Rome approuve les démarches en cours par un rescrit, le nihil obstat, qui permettait de poursuivre la Cause avec espoir de réussite Le 14 octobre 1983, deux théologiens-censeurs, le Père Jacques Gervais, omi, et le Père Robert Michel, omi, sont choisis par Mgr Plourde, archevêque d’Ottawa. Leur mandat est de vérifier si les écrits personnels de Mère Élisabeth Bruyère sont conformes à la foi et aux mœurs. Le 16 février 1988, une Commission historique composée de 4 experts est créée pour vérifier les documents recueillis et porter un jugement sur leur valeur relative à la sainteté de Mère Bruyère. Le 12 juin 1989, une enquête diocésaine est instituée pour entendre de nombreux témoins qui ont mis en lumière la réputation de sainteté de Mère Bruyère. Le 1er septembre 1992, Émilien Lamirande, auteur de la biographie scientifique ÉLISABETH BRUYÈRE, est chargé d’écrire la POSITIO (dossier des vertus héroïques de la Servante de Dieu) destinée à Rome. La maladie l’en empêche. Sœur Gabrielle Laramée prend la relève et poursuit sans relâche et avec enthousiasme la découverte des vertus héroïques pour en faire la preuve dans les épisodes de sa vie de consacrée à Dieu au service des pauvres de Bytown. Appendice 4 — 221 APPENDICE 5 Invitation à la reconnaissance L’Église d’Ottawa vivra bientôt un événement sans précédent de son histoire : l’ouverture officielle de l’enquête diocésaine concernant la cause de béatification de sœur ÉLISABETH BRUYÈRE, fondatrice des Sœurs de la Charité dOttawa. La cause, inaugurée en 1978 et sanctionnée par le nihil obstat du Saint-Siège en mai 1983, doit maintenant franchir l’étape de l’instruction du procès informatif en vue d’établir la sainteté de la servante de Dieu. C’est avec fierté que nous vous invitons instamment, chers diocésains, à partager notre joie et celle des Sœurs de la Charité, spécialement en venant participer à une messe solennelle, célébrée en la Cathédrale-Basilique Notre-Dame d’Ottawa, (le) mercredi, le (sic) 21 juin 1989, à 19h30. D’un cœur unanime, nous implorerons ensemble les lumières de l’Esprit Saint pour l’heureux déroulement de ce procès diocésain. Votre présence à cette célébration eucharistique sera comme un hommage de gratitude envers sœur Élisabeth Bruyère, pionnière évangélique de Bytown, et envers ses filles spirituelles qui poursuivent aujourd’hui l’œuvre apostolique de leur fondatrice. Venez en grand nombre... Mgr J.A. Plourde 222 — Appendice 5 APPENDICE 6 La charité dans les textes bibliques de la Bible de Jérusalem Proverbes 19, 17 Qui fait la charité au pauvre prête à Yahvé. Ecclésiastique 3,14 Car une charité faite à un père ne sera pas oubliée. Ecclésiastique 12,3 Pas de bienfaits à qui persévère dans le mal et se refuse à faire la charité. Ecclésiastique 16,14 Il tient compte de tout acte de charité Ecclésiastique 40,17 La charité est comme un paradis de bénédiction Romains 12,9 Que votre charité soit sans feinte, Romains 13,10 La charité ne fait point de tort au prochain. Romains 14,15 En effet, si pour un aliment ton frère est contristé, tu ne te conduis plus selon la charité. Romains 15,30 Mais je vous le demande, frères, par notre Seigneur Jésus Christ et la charité de l’Esprit, luttez avec moi dans les prières que vous adressez à Dieu pour moi, I Corinthiens 4,21 Que préférez-vous? Que je vienne chez vous avec des verges, ou bien avec charité et en esprit de douceur ? I Corinthiens 8,1 Pour ce qui est des v iandes immolées aux idoles, nous avons tous la science, c’est entendu. Mais la science enfle ; c’est la charité qui édifie. Appendice 6 — 223 I Corinthiens 13,1 Quand je parlerais les langues des hommes et des anges si je n’ai pas la charité, je ne suis plus qu’airain qui sonne ou cymbale qui retentit. I Corinthiens 13,2 Quand j’aurais le don de prophétie et que je connaîtrais tous les mystères et toute la science, quand j’aurais la plénitude de la foi, une foi à transporter des montagnes, si je n’ai pas la charité, je ne suis rien. I Corinthiens 13,3 Quand je distribuerais tous mes biens en aumônes, quand je livrerais mon corps aux flammes, si je n’ai pas la charité, cela ne me sert de rien. I Corinthiens 13,4 La charité est longanime ; la charité est serviable ; elle n’est pas envieuse ; la charité ne fanfaronne pas, ne se gonfle pas ; I Corinthiens 13,8 La charité ne passe jamais. I Corinthiens 13,13 Maintenant donc demeurent foi, espérance, charité, ces trois choses, mais la plus grande d’entre elles, c’est la charité. I Corinthiens 14,1 Recherchez la charité ; aspirez aussi aux dons spirituels, I Corinthiens 16,14 Que tout se passe chez vous dans la charité. II Corinthiens 2,8 C’est pourquoi je vous exhorte à faire prévaloir envers lui la charité. II Corinthiens 6,6 par la pureté, par la science, par la patience, par la bonté, par un esprit saint, par une charité sans feinte, II Corinthiens 8,7 224 — Appendice 6 Mais, de même que vous excellez en tout, foi, parole, science, empressement de toute nature, charité que nous vous avons communiquée, il vous faut aussi exceller en cette libéralité. II Corinthiens 8,8 Ce n’est pas un ordre que je donne ; je veux seulement, par l’empressement des autres, éprouver la sincérité de votre charité. II Corinthiens 8,24 Donnez-leur donc, à la face des Églises, la preuve de votre charité et du bien-fondé de notre fierté à votre égard. II Corinthiens 13,11Au d e m e u r a n t , f r è re s , s oye z j oye u x ; affermissez-vous ; exhortez-vous. Ayez même sentiment ; vivez en paix, et le Dieu de la charité et de la paix sera avec vous. Appendice 6 — 225 TABLE DES MATIÈRES Remerciements....................................................................................iii PRÉFACE.............................................................................................. v Sigles et abréviations.........................................................................viii Les Sœurs de la charité d’Ottawa dans le monde............................... x INTRODUCTION................................................................................ 1 CHAPITRE PREMIER........................................................................ 11 Le sens donné à l’inculturation......................................................... 11 La distinction entre culture et nature......................................... 13 L’enculturation............................................................................. 19 L’acculturation............................................................................. 21 Une forme d’inculturation ......................................................... 22 L’inculturation de la charité évangélique dans l’Église.............. 29 CHAPITRE DEUXIÈME.................................................................... 35 Les étapes dans la vie d’Élisabeth Bruyère (1818-1876)................... 35 Sa famille...................................................................................... 35 Sa vocation................................................................................... 37 Son obédience à Bytown (1845-1876)........................................ 41 Les dernières années d’Élisabeth Bruyère (1872-1876)............. 44 Son testament spirituel................................................................ 46 CHAPITRE TROISIÈME.................................................................... 49 Le charisme d’Élisabeth Bruyère inculturé dans l’Église d’Ottawa........................................................................ 49 La charité comme vertu............................................................... 50 Une charité inculturée................................................................. 55 La séparation ou l’autonomie nécessaire à l’inculturation du charisme ?.................................................... 65 226 — Table des matières La séparation des sœurs de Bytown de la Maison mère...... 66 Une tentative d’union des quatre fondations de Sœurs grises........................................................................... 76 L’échec de l’union avec les Sœurs de la Sainte-Famille de Bordeaux........................................................................... 77 L’Église de Bytown telle que décrite par Mère Bruyère.............. 79 La mission ecclésiale de mère Bruyère (1845-1876)............ 82 L’éducation de la jeunesse..................................................... 85 Le service des pauvres et des orphelins................................ 85 Le soin des malades et l’Hôpital général d’Ottawa.............. 87 L’apostolat missionnaire des Sœurs de la charité d’Ottawa.................................................................... 88 CHAPITRE QUATRIÈME.................................................................. 93 Une renommée de sainteté................................................................ 93 Sa vie de prière............................................................................. 94 Son désir de vie cloîtrée............................................................... 95 Des témoignages........................................................................ 100 Les Sœurs de la charité d’Ottawa en Afrique depuis 1931.......................................................................... 104 CHAPITRE CINQUIÈME................................................................ 105 Les Sœurs de la charité d’Ottawa en Afrique depuis 1931............. 105 La mission au Basutoland.......................................................... 106 Les antécédents – 1931........................................................ 106 L’apostolat de l’éducation................................................... 109 Les autres écoles primaires de 1934 à 1968 .............................. 114 Les dispensaires et les hôpitaux.......................................... 116 Les expériences apostoliques .............................................. 116 Le Basutoland devient Lesotho................................................. 118 La situation politique au Lesotho....................................... 118 Table des matières — 227 L’éducation se poursuit au Lesotho.................................... 123 La vie communautaire au Lesotho..................................... 125 Le service de santé............................................................... 129 La République de l’Afrique du sud........................................... 130 La situation politique de la République de l’Afrique du Sud.............................................................. 130 Les fondatrices..................................................................... 133 Sœur Louis-Gérard (Alice Léger) ...................................... 134 Sœur Paul-Eugène (Marie-Laure Simard)......................... 135 Sœur Marie-des-Anges (Amarilda Danis)......................... 135 Sœur Marie-de-Jésus (Marie-Ange Chalifoux)................. 136 Sœur Jeanne-Emmanuel, (Anastasie Trépanier)................ 137 Une mission au Nyassaland (Malawi)...................................... 138 L’histoire politique............................................................... 138 La fondation – 1946............................................................. 139 Le Nyassaland devient Malawi et Zambi – 1964...................... 142 Un peu d’histoire................................................................. 142 La fondation......................................................................... 142 Dans le domaine de l’éducation ......................................... 144 Les Soeurs de la charité en Zambie – 1980................................ 152 Le Couvent Saint-Paul et l’école secondaire Sainte-Monique .................................................................. 152 La réalisation du projet de Lilongwe.................................. 163 L’œuvre des hôpitaux.......................................................... 165 PHAM : Private Hospital Association of Malawi .............. 170 NURU (Nutrition Rehabilitation Unit)............................. 173 L’accueil des orphelins............................................................... 179 La maison des pauvres............................................................... 187 Les cliniques de brousse............................................................ 187 228 — Table des matières Les revers.................................................................................... 190 L’espérance dans l’avenir (Transfert du Noviciat)................... 193 L’espérance des missionnaires n’est pas déçue... Le désert est passé...................................................................... 195 Les sœurs autochtones............................................................... 199 Sœur Anastazia Mzaza (d’Youville) +2745........................ 200 Soeur Seraphina Wiskoti Banda (Bruyère) +2746............. 201 Soeur Azelina Likisho Phiri (Sainte-Thérèse-de-l’Enfant-Jésus) + 2747........................................................................... 202 CONCLUSION................................................................................. 205 BIBLIOGRAPHIE............................................................................. 209 Documents archivistiques manuscrits............................................ 209 Sources imprimées..................................................................... 209 Élisabeth BRUYÈRE............................................................ 209 Marguerite d’Youville.......................................................... 211 Inculturation........................................................................ 211 APPENDICE 1 Jalons chronologiques de la vie d’Élisabeth Bruyère...................... 214 APPENDICE 2 Les quinze supérieures générales des Sœurs de la charité d’Ottawa dites (Sœurs grises de la Croix)....................................................... 218 APPENDICE 3 Une plaque historique de la Fondation du patrimoine ontarien................................................. 219 Elisabeth Bruyère 1818 - 1878............................................ 219 Élisabeth Bruyère 1818 - 1878............................................ 220 APPENDICE 4 Les étapes de la cause de béatification............................................ 221 Table des matières — 229 APPENDICE 5 Invitation à la reconnaissance......................................................... 222 APPENDICE 6 La charité dans les textes bibliques de la Bible de Jérusalem............................................................................ 223 230 — Table des matières Jacques Faucher, photo 2011 Le 4 octobre 1850 Depuis près d’un mois, notre Père Allard s’occupe à nous faire deux cadrans solaires à part celui du gouvernement qui n’est pas bon. Nous sommes les premières qui avons cet avantaga dans la ville. Nous trouvons cela bien commode d’avoir l’heure juste, et de pouvoir par ce moyen bien régler nos horloges. Le 29 mars 1851 Aujourd’hui samedi, notre R.P. Allard termine les deux cadrans solaires; les hommes défont les échafauds. Ce bon Père a eu beaucoup de misère à amener son travail à sa fin, vu qu’il l’avait commencé tard en automne et que les ouvriers ont traîné le travail qu’ils devaient faire tel que le plastrage, peinturage, etc... Enfin, aujourd’hui, nous avons le plaisir de voir le travail bien achevé et bien joli; de plus, c’est commode pour nous et pour toute la ville. ASCO, Extraits des chroniques rédigées par Mère Bruyère.