Complètement marteau ! Une histoire du piano

Transcription

Complètement marteau ! Une histoire du piano
Complètement marteau ! Une histoire du piano
Voix pour animation
Tableau
Voix d’homme
Voix de femme
Indifférent
Tous
le personnage du
piano*
-
petites voix
Prélude
Couperin
-
Historien
01 - Cristofori
Cristofori*
-
Maffei*
02 - Bach
-
-
CPE Bach (voix jeune)*
03 - Mozart
Stein
-
Mozart (voix jeune)*
04 - Beethoven
Beethoven
(accent allemand)
-
-
05 - Liszt
-
-
Commentateur sportif
Liszt
Thalberg
06 - Chopin
Delacroix
George Sand*
Chopin
Maurice Sand (voix jeune)
07 - Salons
-
3 femmes snob*
Flaubert
5 voix différentes (snob et
mécontentes)
08 - Debussy
Debussy
Chouchou (fillette)
-
09 - XXème siècle
-
-
3 compositeurs
3 pianistes (enfants)
Nombre de voix
7
5
au moins 20
* textes longs
Complètement marteau ! Une histoire du piano – Hélène Villette – Voix pour animation – 12/2013
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Voix
♫ Couperin, Le Tic-toc-choc ou Les Maillotins
Prélude
Historien : Un jour, on a décidé d’inventer un nouvel instrument : le piano.
Comme c’était très compliqué à faire... parce que... il y a des cordes et tout... il faut les
tendre, bon... On a décidé qu’il aurait 3 touches seulement.
Et puis, avec les progrès de la technique, on a finit par ajouter des octaves.
Petite voix : C’est n’importe quoi, n’importe quoi !
Le piano : Comment donc ? Qu’est-ce donc ? Que dites-vous ?
Allons, allons, laissez-moi vous raconter mon histoire, comme elle s’est passée.
Revenons au début. Avant ma naissance, il existe de nombreux instruments à clavier ou
à cordes frappées : le clavicorde, le tympanon, le pantaléon...
Petite voix : … pantalon ?
Le piano : … pantaléon ! L’épinette, l’orgue... et surtout le clavecin.
Petite voix : Pourquoi inventer un nouvel instrument alors ?
Le piano : C’est que les compositeurs adorent le brillant du clavecin... d’une part... et
l’expressivité du clavicorde d’autre part... mais... ils rêvent d’un instrument qui réunirait
toutes ces qualités à fois... et pourrait correspondre leurs nouvelles compositions...
Petite voix : Ce qu’ils veulent, c’est pouvoir jouer doux et fort ?
Le piano : Ils rêvent d’un instrument clavier qui pourrait produire des dynamiques
vraiment différentes, selon la vitesse de frappe sur la corde : des pianos et des fortes.
Couperin : Le clavecin est parfait si l'on considère son étendue et le brillant de sa
sonorité, mais les sons ne peuvent être ni enflés, ni diminués. Je serai
toujours redevable à quiconque contribuera à rendre cet instrument... capable
d'expression.
Tableau 01 – Cristofori invente le piano
Le piano : Je suis né à Florence vers l’année 1700. Facile à retenir comme date de
naissance, n’est-ce pas ?
Mon père - enfin, celui que l’histoire a surtout retenu car de nombreux inventeurs ont
revendiqué ma paternité - mon père, donc, est l’italien Bartolomeo Cristofori. C’est lui
qui a l’idée d’inventer...
Petite voix : Mais comment sait-on tout cela ?
Complètement marteau ! Une histoire du piano – Hélène Villette – Voix pour animation – 12/2013
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Maffei : C’est grâce à moi.
Petite voix : Qui ça, moi ?
Maffei : Maffei, Scipione Maffei. Marquis. Pour vous servir.
Petite voix : Qu’il a l’air sérieux !
Le piano : Maffei avait entendu parler de l’invention de Cristofori et voulut écrire un
article à ce sujet dans une revue qu’il publiait.
Petite voix : Déjà people au berceau.
Le piano : Il alla donc rencontrer Cristofori dans son atelier, à Florence.
Maffei : Dites-moi, Monsieur Cristofori, qu’est-ce qu’il y a derrière une touche de
piano… qu’il n’y a pas derrière une touche de clavecin ?
Cristofori : Vous voyez que mon instrument ressemble au clavecin car il a la même
forme : un clavier et des cordes. Mais dans le clavecin, les cordes sont pincées par un
plectre, alors que dans mon instrument, elles sont frappées par un petit marteau.
Maffei : Mais qu'est-ce qui le rend "capable d'expression" ?
Cristofori : Essayez vous-même. Selon le jeu de l'instrumentiste, le marteau peu frapper
la corde avec douceur ou avec force.
Maffei : C'est pour cela que vous l'avez nommé "pianoforte" ?
Cristofori : Exactement !
Maffei : Et comment cela fonctionne-t-il ?
Cristofori : Un peu complexe à expliquer. Voulez-vous y passer la soirée ?
Petite voix : Oh non, pitié.
Maffei : Essayez toujours, je vais faire un dessin.
Cristofori : Quand la touche est enfoncée, le marteau frappe la corde par-dessous.
Cristofori : Il faut que la corde continue de résonner si la touche reste enfoncée, et
qu’elle cesse de vibrer quand je lève mon doigt de la touche.
Maffei : Il faut séparer les éléments qui produisent l’attaque du son et son arrêt.
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Cristofori : Oui, j’utilise donc un étouffoir qui revient sur la corde une fois la touche
relâchée.
Maffei : Mais il faudrait que le marteau revienne à sa place même si la touche est
encore enfoncée…
Cristofori : C’est cela, le marteau doit donc… être semi-indépendant de la touche. Il doit
pouvoir frapper la corde, puis être autonome. J’utilise un levier intermédiaire entre la
touche et le marteau.
Maffei : L’action de la touche consiste seulement à faire frapper le marteau qui...
s’échappe ensuite.
Cristofori : Tout à fait ! On peut appeler cela l’échappement. Si le retour du marteau est
souple, on peut rejouer immédiatement la même note plusieurs fois de suite.
Maffei : Quelle invention !
♫ Giustini, Sonate V en ré majeur (extrait)
Le piano : Vous savez, grâce à l’article que Maffei publie sur l’invention de Cristofori,
l’idée d’un instrument à cordes frappées circule dans les ateliers d’Europe. Plusieurs
facteurs de clavier ont connaissance de mon invention et tentent eux aussi de me
fabriquer en me perfectionnant. Mais je suis encore un nouveau venu et, comme les
compositeurs sont habitués au clavecin, j’ai fort à faire pour les convaincre de
composer pour moi.
Tableau 02 - Bach & Silbermann
CPE Bach : Papa veut que je travaille.
♫ J.S. Bach, Gavotte 1 de la Suite anglaise n°3
CPE Bach : Entre nous, il était temps qu’on aille voir Silbermann. Ça fait des années que
je tanne mon père pour qu’il achète un pianoforte. Je me souviens encore de notre
rencontre avec Silbermann à Dresde à la cour du roi et de ses premiers pianos.
C’est trop ceci, trop cela, pas assez sensible, pas assez puissant, la mécanique trop
lourde. Ah là là, il faut être de son temps Papa, le clavecin, le clavicorde, c’est dépassé !
Tu as bien fait d’acheter ce pianoforte. Moi j’ai envie de jouer de la musique
d’aujourd’hui sur un instrument d’aujourd’hui !
♫ C.P.E. Bach, Solfegietto en do mineur, Wq.117/1
CPE Bach : Et voilà, hop, des doigtés modernes et je peux faire sonner mon clavier à
toute vitesse ! En plus, il a des pédales très astucieuses pour faire résonner l’harmonie
ou atténuer le son. Que de possibilités pour composer de la nouvelle musique !
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♫ C.P.E. Bach, La Caroline, Wq. 117/39
Tableau 03 - Mozart & Stein
Le piano : En voyage avec sa mère en 1777, Mozart passe à Augsbourg en Allemagne et
rend visite au facteur de clavier Johann Andreas Stein. Il écrit à son père, Léopold
Mozart, resté chez eux à Salzbourg.
Mozart : Cher Papa, j'ai enfin rendu visite à Stein, avec Maman et ma cousine. Sa fille
Nannette était là, elle est déjà très douée pour ses huit ans ! Nous nous sommes bien
amusés à jouer les pianos de Stein. Maintenant que je les ai essayés, je les préfère à
tous ceux que j'ai pu jouer avant ! Ils sont top !
D'abord, le son est toujours égal, dans le grave comme dans l'aigu. Je peux varier les
nuances comme je veux, piano ou forte. Ce qui fait qu’avec ses pianos, je peux encore
plus faire entendre une mélodie quand je compose pour le piano seul. Un
accompagnement mezzo piano... (♫) et une mélodie mezzo forte... (♫)
Je peux faire sonner la corde tant que mon doigt est sur la touche, le son s'éteint au
moment même où je le souhaite.
Comme démonstration, Nannette nous a joué un de tes morceaux !
♫ L. Mozart, Burlesque en sol majeur
Mozart : Sais-tu comment Stein s'y est pris ?
Ses instruments ont un... échappement. Les autres facteurs n’en ont rien à faire ! Mais
lui a bien compris que sans cela, le son du pianoforte est distordu et vibre.
Voix de Stein : Les marteaux de mes pianos retombent immédiatement après avoir
tapé les cordes, lorsqu'on a frappé les touches, qu'on les tienne ou qu'on les relâche !
Mozart : C'est extra !
Nous avons joué un quatre-main avec ma cousine et nous avons bien rigolé !
♫ W. A. Mozart, Variations en sol majeur, KV501 (4 mains), début
Mozart : En plus de leurs qualités mécaniques, les instruments de Stein sont solides.
Voix de Stein : Lorsque j’ai terminé un piano, je l'essaie avec des gammes, toute sorte
de traits et d’intervalles, puis je gratte et travaille la matière jusqu’à ce que le piano
fasse ce que je veux…
Mozart : Il se porte garant que la caisse de résonance ne se fêlera pas.
Voix de Stein : Lorsque je l'ai terminée, je l’expose à l’air, à la pluie, à la neige, au soleil
et à tous les diables, pour qu’elle saute, puis j’y colle des morceaux de bois pour qu’elle
résiste et tienne bien.
Mozart : Il est très heureux lorsqu’elle se fend, car on peut alors être sûr qu’il ne lui
arrivera plus rien...
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Bon, évidemment... ses pianos sont un peu chers... mais tu vois qu'ils le méritent. Tu
sais, je pense que Joseph Haydn les aimerait beaucoup.
Je te raconte la suite dans une prochaine lettre. J’embrasse ma sœur avec une
tendresse d’ours et suis toujours ton fils très obéissant.
Wolfgang Amadeus Mozart
♫ Haydn, Sonate n°60 en do majeur, Hob. XVI:50, 1er mouvement
Tableau 04 – Beethoven & Broadwood
Petite voix : C’est Beethoven !
Le piano : De son vivant, le pianiste et compositeur est célèbre dans toute l’Europe. Il
est tellement admiré que le grand facteur anglais Broadwood lui offre l’un de ses
pianos, qu’il fait envoyer de Londres. Quel voyage ! L’instrument parcourt l’Europe :
Gibraltar, la Sicile, Trieste… avant d’arriver, au début de l’année 1818, à Vienne.
Beethoven a 48 ans.
Pour remercier Broadwood, Beethoven lui écrit une lettre… en français, comme c’est
alors l’usage de la correspondance en Europe.
Beethoven : Mon très cher ami Broadwood ! Jamais je n’ai éprouvé un plus grand plaisir
de ce que me causa votre annonce de cette piano, avec qui vous m’honorez de m’en
faire présent. Aussitôt comme je recevrai votre excellent instrument, je vous enverrai
les fruits de l’inspiration des premiers moments. Mon cher monsieur et ami, recevez ma
plus grande considération de votre ami et très humble serviteur, Louis van Beethoven.
À Vienne, le 3ème du mois de Février 1818.
♫ Beethoven, Sonate opus 109 n° 30, 1er mouvement
Le piano : ... et dire qu’il me manque des notes pour que Beethoven puisse composer
comme il le souhaiterait. Dans les graves, il voudrait bien descendre encore, mais il n’y
a plus de touche !
Petite voix : Et pourquoi on n’en rajoute pas ?
Le piano : La tension des cordes est plus grande pour les cordes graves, et avec un
cadre en bois on ne peut exercer une tension infinie... Certes, Broadwood innove et ses
pianos sont les plus sonores de l’époque, mais... ce n’est pas une raison pour me taper
dessus !
Petite voix : Taper dessus ?
Le piano : Oui, devenu sourd, Beethoven tentait de me faire vibrer comme il pouvait, et
six ans après l’arrivée du piano Broadwood, son accordeur l’a trouvé rempli de cordes
cassées !
Tableau 05 - Match de piano
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Le piano : Franchement, est-ce que je ne suis pas en train de devenir un instrument
merveilleux ? Ça y est, j’ai bel et bien remplacé le clavecin. Non seulement je suis un
être très perfectionné, mais en plus j’ai un ambitus vraiment plus étendu que celui des
autres instruments.
Petite voix : C’est quoi un ambitus ?
Le piano : Je couvre les graves les plus graves des instruments les plus graves et les
aigus les plus aigus des instruments les plus aigus !
De quatre octaves chez Cristofori, je suis passé à plus de 6 octaves, et ce n’est pas fini !
En outre, je suis polyphonique, …
Petite voix : Po-ly-pho-nique... tu peux jouer plusieurs sons à la fois.
Le piano : Je suis à la fois doux ET puissant.
Petite voix : Alors pourquoi on t’appelle seulement piano et non plus piano-forte ?
Le piano : Eh bien, c’est l’usage qui se répand. Mais ça dépend des pays !
Partout, et quel que soit mon nom, j’ai tellement de succès qu’on commence à me
fabriquer sur des chaînes de montage : je m’in-du-stri-a-li-se ! En somme, mes
possibilités sont infinies, je suis un univers à moi tout seul. On se bat pour me dompter !
Commentateur sportif : Mesdames, Messieurs, ce soir, devant vos yeux ébahis, les
caïds des caïds du piano vont se livrer à un duel historique. C’est du jamais vu ! Vous
êtes venus nombreux pour encourager vos virtuoses, ils seront à la hauteur de vos
attentes ! Ils ont une technique nouvelle, infaillible, leur vélocité n’a jamais été atteinte
avant eux.
À ma droite, Sigismond Thalberg, le découvreur des mains alternées, l’explorateur du
pouce mélodique, l’alpiniste de l’arpège !
À ma gauche, Franz Liszt, le grand Franz, le pèlerin du chromatisme, l’empereur de la
transcription, l’exécuteur transcendantal ! Qui sera, Mesdames, Messieurs, ce soir, le
vainqueur de ce duel au sommet ?
Thalberg : C’est une mystification complète !
Liszt : C’est bien au-dessous du médiocre !
Thalberg : Curé de campagne !
Liszt : Artiste manqué !
♫ Liszt, Rhapsodie hongroise n°2
Le piano : Instrument pour virtuoses, oui, je le suis. Mais je suis aussi le chouchou des
compositeurs romantiques : le confident des âmes sensibles, l’instrument capable
d’exprimer toutes les émotions...
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Tableau 06 – Chopin à Nohant
Le piano : Au début des années 1840, pendant que les virtuoses triomphent dans les
salons sur des pianos de plus en plus solides et sonores, Frédéric Chopin passe plusieurs
étés à Nohant, dans la maison de campagne de George Sand. Là, il joue notamment sur
un piano construit par Camille Pleyel…
Chopin : Quand je suis mal disposé, je joue sur un piano d’Érard et j’y trouve facilement
un son tout fait. Mais, quand je me sens assez fort pour trouver mon propre son à moi,
il me faut un piano de Pleyel.
Les pianos Pleyel sont non plus ultra.
Le piano : Le soir, on se réunit au salon pour discuter. Le peintre Delacroix, George Sand
et ses enfants sont là. Chopin se met au piano.
Delacroix (récit) : Mon cher petit Chopin nous a joué ce soir une de ses compositions...
une ballade. Il a été divin.
George Sand (récit) : Chopin n’écoute plus. Il est au piano et il ne s’aperçoit pas qu’on
l’écoute... Il improvise comme au hasard. Il s’arrête.
Delacroix : Eh bien, eh bien, ce n’est pas fini !
Chopin : Ce n’est pas commencé ! Rien ne me vient... rien que des reflets, des ombres,
des reliefs qui ne veulent pas se fixer... Je cherche la couleur, je ne trouve même pas le
dessin !
Delacroix : Vous ne trouverez pas l’un sans l’autre... et vous allez les trouver tous les
deux.
Chopin : Mais si je ne trouve que le clair de lune ?
Maurice Sand : Vous aurez trouvé le reflet d’un reflet....
George Sand (récit) : L'idée lui plaît.... Il reprend, sans avoir l'air de recommencer, tant
son dessin est vague et comme incertain... Et puis la note bleue résonne et nous voilà
dans l'azur de la nuit transparente. Des nuages légers prennent toutes les formes de la
fantaisie ; ils viennent se presser autour de la lune qui leur jette de grands disques
d'opale et réveille la couleur endormie. Nous rêvons d'une nuit d'été ; nous attendons
le rossignol.
♫ Chopin, Ballade n°3 opus 47
Le piano : Et maintenant j’ai tellement de succès… tellement de succès.
Petite voix : Des pianos, on n’en voit partout !
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Le piano : On me fabrique en nombre, on me perfectionne : on croise mes cordes, on
me construit carré, droit...
Petite voix : Girafe !
Le piano : On me fait des cordes en cuivre, en acier, et surtout on utilise le métal pour
fabriquer mon cadre.
Petite voix : Un cadre en métal !
Le piano : On perfectionne mon mécanisme. Sébastien Erard, …
Petite voix : Qui ?
Le piano : Un facteur d’instrument français, ami de Franz Liszt. Sébastien Erard, donc,
invente un mécanisme à réarmement.
Petite voix : Pff... à réarmement ?
Le piano : Cela permet de rejouer la touche même si elle n’est pas revenue à sa position
initiale. On peut donc jouer plus vite !
Petite voix : Plus fort ! Plus vite ! Plus de pianos !
Tableau 07 - Trop de pianos !
Flaubert, sur un ton très sérieux : PIANO, indispensable dans un salon.
Le piano : Nous voici dans un salon parisien, au milieu du 19ème siècle.
♫ Pauline Viardot, Hailuli
Mélomane 1, très snob : Oui, ce sera pour le petit salon de ma fille Augustine. Nous
devrions le recevoir la semaine prochaine.
Mélomane 2, sur le même ton : Est-il assorti à son mobilier ?
Mélomane 1 : Mais bien sûr, vous pensez ! C’est du goût le plus exquis ! Ses pieds sont
en albâtre, nous aurons des angelots sur l’avant et des boutons de nacre, des
chandeliers en jaspe et des moulures dorées. Il possède une table qui coulisse dans la
monture et qui servira de bureau pour sa correspondance.
Mélomane 2 : C’est ravissant. Le nôtre est en amarante incrusté de nacre, savez-vous ?
Mélomane 3 : Bonjour mesdames, parlez-vous donc de la nouvelle commode
ravissante que j’ai vue chez Madame Korsakov, mardi dernier ?
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Mélomane 1 : Non, ma chère, je parle du nouveau piano de ma fille.
Mélomane 3 : Ah, cette charmante Augustine, vous la gâtez. Aurons-nous le plaisir de
l’écouter aujourd’hui ?
Mélomane 1 : Bien sûr, ma fille fait des progrès remarquables.
♫ Field, Nocturne en sib majeur
Voix snob 1 : Regardez mon beau piano.
Voix snob 2 : Le mien est en ivoire
Voix snob 3 : Le mien a des tiroirs...
Voix snob 4 : Et le mien des miroirs !
Voix snob 5 : Il luit comme un ostensoir !
Voix mécontente 1 : Oh assez, ça suffit !
Voix mécontente 2 : Encore la voisine avec ses fausses notes !
Voix mécontente 3 : Il faut de la vertu pour ne pas prendre en dégoût le piano !
Voix mécontente 4 : L’abondance d’élèves de piano au conservatoire est abusive et
pernicieuse !
Voix mécontente 5 : À Paris, où qu’on vive, il y a tellement de pianos dans le voisinage
qu’il n’est plus possible d’entendre le sien !
Voix mécontente 6 : Ce pianotage est vulgaire...
Voix mécontente 7 : … nuisible...
Voix mécontente 8 : … d’inutilité publique !
Le piano : Oh là là ! N’en jetez plus ! Je suis victime de mon succès !
♫ Tchaïkovski, La poupée malade
Tableau 08 – Debussy compose
Debussy : À ma très chère Chouchou, avec les tendres excuses de son père pour ce qui
va suivre...
Chouchou : Merci Papa, j’adore ton morceau ! Il y a plein de sonorités qu’on n’a jamais
entendues.
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♫ Debussy, Golliwog cake’s walk (Children’s Corner)
Le piano, rêveur : Ah, Debussy... Debussy m’a donné des ailes. Debussy m’a donné des
couleurs nouvelles... Debussy a révélé mon âme.... mon timbre !
Le piano, à voix plus haute : Monsieur Debussy, vous avez révolutionné la façon de
jouer du piano... (de me jouer !). J’aimerais en savoir plus sur votre inspiration, peut-on
vous poser quelques questions ?
Debussy, grognon : Ces entretiens exigent un trop grand effort de ma part, et ne sont
profitables ni à mon interlocuteur, ni à moi-même. Ecoutez ma musique !
Petite voix : Oh mais il avait mauvais caractère, ce monsieur Debussy ?
Debussy : Je ne vois pas ce vous voyez... le jardin devant ma fenêtre par exemple... Je
vis dans un monde imaginaire, je suis inspiré par quelque chose d’intime plutôt que par
des influences extérieures qui me distraient sans rien m’apporter. J’éprouve une joie
exquise à fouiller profondément en moi-même... et si quelque chose d’original doit
m’inspirer, ça ne peut venir que de moi-même... Il me faut seulement des touches
blanches, des touches noires, et des pédales…
♫ Debussy, Jardins sous la pluie (Estampes)
Tableau 09 - Le piano dans tous ses états
Le piano : Vous avez entendu ça ? Maintenant, ce ne sont plus les facteurs qui me
révolutionnent mais les compositeurs ! Ma fabrication s’est beaucoup perfectionnée,
j’ai atteint un bel équilibre à l’orée du XXème siècle : la délicatesse de mes piano se
marie avec une parfaite égalité à la puissance de mes forte ! Mon mécanisme ne
change d’ailleurs plus beaucoup. Mais comme ma parole a changé, elle ! L’inventivité
s’épanouit désormais sur mes 7 octaves un quart...
Compositeur 1 : Et si on mettait des petites gommes sur les cordes pour voir comment
ça sonne ?
Le piano : Ça va pas la tête !
Compositeur 2 : Moi je pense qu’on pourrait faire un piano en quarts de ton.
Le piano : Vous êtes fou ! Je ferais trois mètres de long ! Écoutez, Arnold Schoenberg a
réussi à composer pour moi, en dehors de la tonalité, même si je ne fais que des tons et
des demi-tons.
♫ Schoenberg, Opus 19 n°2
Compositeur 3 : Quand même, c’est un instrument du XIXème siècle, on ne va pas
pouvoir faire grand chose de nouveau avec ses touches blanches et noires.
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Le piano : Oh que si ! Écoutez donc comme je sonne ! N’est-ce pas merveilleux de
vibrer ainsi dans de nouvelles dimensions sonores ?
♫ Messiaen, Prélude La Colombe
Le piano : Je me sens comme un oiseau qui ouvre ses ailes...
Compositeur 2 : On pourrait peut-être faire quelque chose d’autre avec ses marteaux ?
Non ?
Compositeur 1 : Oui, c’est quand-même un instrument à percussion...
♫ Boulez, Notations n°2 et 10
Pianiste 1 : Eh, le piano, tu as fini de te prendre pour le roi du monde ?
Le piano, faussement outré : Plaît-il, jeunes gens ?
Pianiste 2 : D’abord, qui te dit que tu as atteint la perfection ? Que feront les facteurs
de demain ?
Pianiste 3 : Et qui te dit que tu es mieux qu’avant ? Si Chopin revenait, peut-être qu’il
préférerait la sonorité de ton aïeul Pleyel ?
Pianiste 1 : Tu crois qu’on a tout inventé avec tes 88 touches ?
Le piano : Voyons, voyons, petits malins. N’avez-vous pas entendu Liszt, Debussy,
Messiaen ? Les génies de la musique ont sublimé mon timbre.
Pianiste 3 : À mon avis, tu n’as pas encore tout vu.
Pianiste 1 : C’est sûr !
Le piano : Comment ?
Pianiste 2 : Écoute un peu ça...
♫ Crumb, Celestial Mechanics (II, Beta Cygni)
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