les relations maroc-france - Institut Royal des Etudes Stratégiques
Transcription
les relations maroc-france - Institut Royal des Etudes Stratégiques
LES RELATIONS MAROC-FRANCE : QUELS PARTENARIATS DANS UN MONDE GLOBALISE ? MOHAMMED TAWFIK MOULINE DIRECTEUR GÉNÉRAL DE L’INSTITUT ROYAL DES ETUDES STRATÉGIQUES (IRES) IRIS PARIS, 4 MAI 2015 1 ETAT DES LIEUX DES RELATIONS MAROC-FRANCE (1) Les relations entre le Maroc et la France évoluent dans un cadre de coopération, marqué par sa profondeur et sa diversité : Sur le plan politique, une relation étroite avec un Maroc, réputé stable politiquement et institutionnellement et professionnel, dans le domaine sécuritaire et une France qui a toujours soutenu l’intégrité territoriale du Royaume. Sur le plan commercial, les échanges bilatéraux ont progressé, en moyenne annuelle, de 4,6% entre 2004 et 2014. Ils se caractérisent par un solde commercial qui ne cesse de se détériorer à la défaveur du Maroc. En 2014, la France est devenue le deuxième partenaire commercial du Maroc, après l'Espagne, avec une part dans les exportations totales du Maroc de 21% et une part dans les importations totales du Maroc de 13%. Sur le plan touristique, la France est la première source des recettes touristiques avec une part dans les recettes voyages d’environ 38% en 2012 contre 41% en 2009 et près de 49% en 2004. En termes de transferts de fonds des Marocains du Monde, la part de la France se situe à près de 37% en 2013 contre 42% en 2004. Pour ce qui est des investissements, la France est le principal pays investisseur au Maroc, avec une part dans les IDE de 41% en moyenne sur la période 2006-2013, loin devant les Emirats Arabes Unis et l’Espagne. En termes de coopération financière, le Maroc est le premier bénéficiaire des prêts du Groupe Agence Française de Développement (AFD). Les engagements cumulés de l’AFD ont atteint près de 3,2 milliards d'euros entre 1992 et 2013 2 ETAT DES LIEUX DES RELATIONS MAROC-FRANCE (1 suite) Parallèlement à ces évolutions, la coopération sectorielle entre le Maroc et la France se diversifie au profit de secteurs figurant au rang des priorités du Maroc (750 filiales de groupes français au Maroc). Agriculture : désenclavement des zones rurales, aménagement hydraulique, agro-alimentaire,…. Secteur énergétique : financement et mise en œuvre de plusieurs projets dans le domaine des énergies renouvelables (Plan Maroc Solaire, centrale électrique de Jorf Lasfar…). Secteur des transports : Tramway de Rabat et de Casablanca, Ligne ferroviaire à grande vitesse… Domaine de l'éducation et la formation : réseau des établissements scolaires d'enseignement français au Maroc le plus dense au monde (31.000 élèves), 32.000 étudiants marocains représentant la première communauté estudiantine étrangère en France), création en cours d'établissements d'enseignement supérieur français d'excellence au Maroc. Coopération décentralisée : partenariats actifs avec les acteurs des territoires (transport urbain, aménagement urbain, environnement, culture…). Innovation industrielle : Partenariats entre technopôles marocains et pôles de compétitivité français. 3 ETAT DES LIEUX DES RELATIONS MAROC-France (2) 4 L E C O N T E X T E I N T E R N AT I O N A L Le contexte mondial actuel est marqué par une accélération du rythme des transformations géopolitiques, économiques, sociales et environnementales. Certaines d'entre elles sont le fruit d'une évolution naturelle ; d'autres sont en rupture avec l'ordre du monde qui a caractérisé le XXème siècle : 3. L'émergence d'un monde zéro-polaire, donnant un nouveau souffle aux aires d'appartenance où se constituent des blocs régionaux, régulant aussi bien la sphère économique (marchés communs) que sécuritaire (alliances militaires), mais qui ne sont pas exempts de tensions concurrentes. 1. Une remise en question du système de gouvernance mondiale et l'amorce d’une réflexion en vue de réformer le système actuel afin de le rendre davantage inclusif et conforme à la nouvelle réalité géopolitique : 4. Une révolution digitale qui n'est qu'à ses balbutiements, mais qui transforme déjà en profondeur les modes de vie et de production ainsi que les manières d'être et de penser : connectivité en tout lieu, accès à l'information, automatisation d'un nombre croissant de processus et de services… Mise en place du G20, début de réforme des institutions financières internationales… Nouvelles logiques de recomposition des sphères d’influence : alliances énergétiques, dynamiques migratoires... 1. Un décentrement progressif du centre de gravité mondial, avec un rôle accru des acteurs émergents, notamment les BRICs, dans les affaires économiques mondiales, assorti d'une intensification de la concurrence autour des avantages compétitifs des nations : accélération du rythme de l’innovation technologique, modification de la structure de l'emploi, avec le recours à des compétences élevées… 5. La nécessité d'une empathie accrue face aux inégalités croissantes et à la généralisation de l'individualisme pour que le monde ne devienne pas davantage moins humain (égoïsme, indifférence, incivilités), en favorisant la coopération et le partage. 6. Une certitude croissante de l’ampleur des conséquences du changement climatique qui conduit la communauté internationale à la recherche active d’un consensus quant aux mécanismes tant d’atténuation des émissions de gaz à effet de serre que d’adaptation aux impacts du changement climatique. 5 LES MENACES, LES OPPORTUNITES ET LES RUPTURES L’examen du positionnement du Maroc dans le monde a permis de faire ressortir les menaces auxquelles le pays devrait se préparer, mais aussi d’importantes opportunités à saisir et des ruptures à anticiper. Les principales menaces identifiées sont : • le déclenchement d’une spirale de récessions économiques prolongées, • l’intensification des pressions concurrentielles, • l’aggravation des inégalités économiques, sociales et spatiales ainsi que de la fracture numérique, • le réchauffement climatique et ses impacts sur les ressources en eau et sur la sécurité humaine, • la prolifération de la menace terroriste et le développement de la criminalité internationale. Parmi les opportunités, il convient de souligner : • le partage de la responsabilité des affaires du monde qui permettra aux pays émergents de faire entendre leur voix, • les nouveaux relais de croissance économique que représentent les BRICs et l'Afrique, • la révolution digitale, • l’économie bleue. S’agissant des ruptures, il y a lieu de mentionner : • l’émergence de la Chine, annonçant la fin probable de l'hégémonie économique occidentale, • la robotisation et l'automatisation croissante des process, • l’essor de la finance islamique, dans un monde musulman où certains pays se radicalisent, • l’éclatement éventuel de la zone euro. 6 LES PRORITES DU MAROC A COURT, MOYEN ET LONG TERME susceptibles d'intéresser la France Face aux transitions majeures sur le plan international, le Maroc, en plus de la défense de son intégrité territoriale, a fixé comme priorités, à court terme : • l'approfondissement de l'intégration du Maroc à son espace euro-méditerranéen (nouvelle génération d’intégration) ainsi que le raffermissement des relations avec les pays du Golfe et les pays émergents, • l’accélération de l’émergence du Maroc en tant que hub économique, financier et dans le domaine des transports et, à plus longue échéance, en tant que hub technologique, • le parachèvement de la transition démocratique, la consolidation des avancées, en matière des droits de l'Homme et la promotion à l’extérieur d’un islam, prônant la paix et la coexistence entre religions (Soft power), • le placement de la question de l’eau au cœur des politiques publiques et la mise en place d’une gouvernance climatique appropriée. Pour ce qui est des priorités à moyen et long terme du Royaume, il faut mentionner : • l’accession du Maroc au rang de pays émergent, à part entière, le renforcement de son rôle de soft power et la mise en œuvre d’une stratégie de partenariat globale, adaptée aux nouvelles réalités géopolitiques, • la construction du Maghreb autour de nouveaux paradigmes, l'extension de l’influence du Maroc à l’ensemble de l’Afrique et l’élargissement du partenariat avec les pays du Golfe à des secteurs d’avenir, • la saisie des effets bénéfiques de la digitalisation sur l’économie et la société marocaine et l’atténuation de ses nuisances, • le développement du capital immatériel et de ses composantes tant humaine, sociale qu'institutionnelle en vue d’en faire le socle de la compétitivité internationale du Royaume et de ses régions, • le positionnement du Maroc sur les créneaux porteurs de l’économie bleue. • la participation active du Maroc au traitement de certaines questions globales (terrorisme, changement climatique, migration…), 7 PROJETS DE COOPÉRATION MAROC-France (1) (face aux nouveaux équilibres géostratégiques) Les mutations qui caractérisent le monde d'aujourd'hui et celui de l’après-crise économique vont, à l'évidence, confronter le Maroc et la France à des défis communs qui nécessitent des approches rénovées, axées sur une gouvernance régionale efficiente, au sein de laquelle le Maroc et la France pourraient jouer un rôle clé. Les deux pays ont intérêt, en particulier, à réfléchir à la définition des contours d'une nouvelle politique de voisinage, plus en adéquation avec les développements récents au niveau de la région euro-méditerranéenne. Les transformations sociopolitiques au sud de la Méditerranée sont porteuses de grands espoirs, en matière d’ancrage aux valeurs de démocratie et de droits de l’Homme, mais, demeurent entachées d’incertitudes et ne sont pas exemptes de risques sur la stabilité d’ensemble de la région. Le Maroc et la France peuvent apporter leur appui au processus de transition démocratique, à l’œuvre dans la région. Etant donné la profondeur stratégique que représente l’Afrique pour le Maroc et la France, l’acuité de la menace sécuritaire émanant de la région du Sahel rend nécessaire de promouvoir, ensemble, une approche de développement intégrée, dans les domaines de l’immigration et de la sécurité. Le partenariat entre le Maroc et la France devrait être adapté aux nouvelles réalités géostratégiques, particulièrement le décentrement du monde. PROJETS DE COOPÉRATION MAROC-FRANCE (face aux nouveaux équilibres géostratégiques) Sur le plan stratégique • Anticiper les crises entre le Maroc et la France, en mettant en place des mécanismes permanents de concertation et de coordination. • Renforcer le dialogue sur les questions névralgiques qui touchent à la souveraineté de l'un des partenaires. Il s’agit pour le Maroc de la question vitale de l’intégrité territoriale. • Promouvoir ensemble une nouvelle vision de la politique européenne de voisinage, qui soit adaptée au nouveau contexte régional "post-printemps arabe" et qui va bien au-delà de l’intégration par le libre-échange : le Maroc est le pays le plus avancé dans ses relations avec l’Union européenne et la France est un acteur majeur en Méditerranée. Renforcer l’intégration des systèmes productifs à travers la valorisation des complémentarités sectorielles, tant dans l’industrie que dans les services. Concevoir une politique migratoire constructive, dans un contexte de complémentarité démographique, mais aussi d’accentuation de la pression migratoire subsaharienne sur le Maroc. Mettre en place des mécanismes de financement novateurs, permettant le financement long des économies partenaires de l’Union européenne. Intégrer la dimension sécuritaire dans la nouvelle politique de voisinage, en s’inspirant de l’expérience positive du dialogue 5+5 et la mettre en harmonie avec les impératifs du respect des droits de l’Homme. La coopération sécuritaire mérite d’être étendue aux menaces émergentes dont, notamment, la cybercriminalité. • Renforcer la coopération sécuritaire bilatérale (échange d’informations, coopération judiciaire, enquêtes conjointes…), en promouvant une approche de lutte contre le terrorisme qui soit axée sur le développement humain par le biais de projets socio-économiques. • Œuvrer en commun pour consolider la centralité géostratégique de l’aire atlantique et pour faire de l’Atlantique un espace de coopération commun : le partenariat transatlantique Etats Unis-Europe, en cours de négociations ainsi que l’Alliance des Etats africains riverains de l'Atlantique et de l’Amérique du Sud devrait concourir à la concrétisation de l’Initiative "Wider Atlantic". 9 PROJETS DE COOPÉRATION MAROC-FRANCE (face aux nouveaux équilibres géostratégiques) Sur le plan économique • Rééquilibrer les relations commerciales et inscrire la coopération économique dans un espace qui va audelà des deux pays (Europe, Afrique, monde arabe…), en recourant à des approches de coopération triangulaire, . Orienter la coopération Maroc-Europe-France sur des secteurs porteurs digitale). (y compris l'économie Créer en commun des joint-ventures avec des entreprises en Afrique de l’Ouest, en tirant profit de la présence marocaine dans cette partie du continent, lequel devient un enjeu stratégique mondial. Aider les entreprises marocaines à internationaliser leurs opérations en Afrique Australe et de l’Est, en ciblant les pays clés (Angola-Afrique du Sud en Afrique Australe, Soudan-Kenya en Afrique de l’Est) ainsi que les secteurs, susceptibles de forger les bases d’une coopération mutuellement bénéfiques. Développer la coopération " Maroc-CCG-France " • Faire de l’accord de libre-échange complet et approfondi (ALECA), en cours de négociation, un vecteur structurant des relations de coopération économique entre le Maroc et l’Union européenne, d’une part et entre le Maroc et la France, d’autre part. • Développer la colocalisation pour renforcer la synchronisation des cycles productifs et optimiser les avantages compétitifs par le biais d’une meilleure intégration dans les chaines de valeur. L’expérience positive de l’Usine Renault à Tanger mérite d’être dupliquée dans d’autres domaines structurants, notamment le secteur des énergies renouvelables. 10 PROJETS DE COOPÉRATION MAROC-FRANCE (face aux nouveaux équilibres géostratégiques) Sur le plan culturel et humain • Développer la coopération universitaire, en mettant l'accent, en particulier, sur la création d'établissements d’enseignements supérieurs et de formation d'excellence, inspirés du modèle français pour répondre à une demande marocaine et africaine, de plus en plus croissante. • Placer la question des valeurs parmi les priorités de la coopération bilatérale, en privilégiant un dialogue inter-religieux qui prône les valeurs de tolérance ainsi qu'une coopération entre les acteurs non gouvernementaux pour renforcer la compréhension mutuelle, dans le respect des spécificités propres à chaque pays (formation au Maroc d'imams pour un Islam de France…). • Convenir d'une politique migratoire concertée et mutuellement bénéfique entre le Maroc d’une part, la France et l’Europe d’autre part, en facilitant la mobilité des Marocains en Europe, en favorisant l’intégration des Marocains résidant dans ces pays d’accueil et en trouvant des solutions innovantes à la migration de subsahariens. • Faire participer les bi-nationaux au développement de la coopération entre le Maroc et la France dans ses multiples dimensions (y compris la recherche & développement). • Intégrer la question des jeunes en tant qu’axe central de la coopération bilatérale. 11 PROJETS DE COOPÉRATION MAROC-FRANCE (face aux nouveaux équilibres géostratégiques) Sur le plan environnemental • Approfondir la coopération dans les domaines liés à la lutte contre le changement climatique, à travers le renforcement mutuel des connaissances scientifiques et techniques et la mise en œuvre de projets entrant dans le cadre de la stratégie d’adaptation du Maroc au changement climatique. • Œuvrer, ensemble, pour la réussite de la COP 21 et la COP 22, programmées en décembre 2015 en France et en décembre 2016 au Maroc. • Développer de nouvelles alliances avec les groupes de négociations climatiques, ayant les mêmes intérêts stratégiques que le Maroc et la France (Union pour la Méditerranée…). 12